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Full text of "Le Ménestrel"

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ÎKIE  PySilS  LIIB6I&KY  m  THE  GITT  0F  B8S¥©li8l. 
THE  MLEH   A.  BBSWta  6QILlÊ6¥«filKl. 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lemnestrel57pari 


LE 


MÉNESTREL 


JOIJENAL 


MONDE    MUSICAL 


MUSIQUE     ET    THÉATEES 


57'^  ANNÉE  —  1891 


BUREAUX    DU    MÉNESTREL  :   S  bis,    RUE    VIVIENNE,    PARIS 
HEUGEL  et  C",  Éditeurs 


TABLE 


JOUEISrAL    LE    MÉNESTEEL 


57"  ANNÉE  —  1891 


TEXTE     ET     MUSIQUE        ^"^''H^ 


X°I. 


-  i  janvier  1891.  —  Pages  1  à  8. 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor  Massé  (  34=  article  ), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Récapitula- 
tion, H.  MoRESo;  première  représentation  de  r06s(acfe, 
au  Gymnase ,  Paul  -  Emile  Chevalier.  —  111.  Une 
famille  d'artistes:  Les  Saint  -  Aubin  (4°  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois.'^ 

Clair  de  lune. 


!%'   2. 


11  janvier  1891.  —  Pages  9  à  16. 


I.  Notes  d'un  librettiste.-  Victor  lla.'ssé  (35"  article)' 
Louis  Gallet.  —  11.  Semaine  théâtrale  :  A  propos 
d'une  reprise  de  Pairie,  II.  Moreno.  —  III.  Une 
famille  d'artisles:  Les  Saint-Aubin  (5°  article),  Arthur 
PouGiN.  —  IV.  Nouvelles  divtrses  et  nécrologie. 

Chant.  —  CI.  Blauc  et  Ei.  Dauphin. 

Les  volants  (la  Chanson  d£à  Joujoux). 

X"  3.  —  18  janvier  1891.  —  Pages  17  à24. 

I.  La  mort  de  Léo  Delibes,  Henri  Heugel.  —  II.  Se- 
maine théâtrale  :  Courrier  de  Belgique,  première 
représentation  de  Siegfried,  au  Théâtre  de  la  Jlonnaie, 
Lucien  SoLv.u; reprise  des  JauœBoiis/iommes, à  rOdéon, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  111.  Une  famille  d'artistes  : 
Les  Saint-Aubin  (6"  article),  Arthur  Pougin.  — 
IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

BE  Piano.  —  Antonin  .^lai'montel. 


A'°  '1.  —  25  janvier  1891.  —  Pages  25  à  32. 

I.  Les  Obsèques  de  Léo  Delibes,  II.  M.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  le  nouveau  cahier  des  charges  de  l'Opéra, 
H.  MoRENO  ;  veprise  de  l'Hôlet  Gorfe?of,  à  la  Renaissance, 
premières  représentations  de  les  Cenei,  au  Théâtre 
d'Art,  et  de  Paris-Folies,  aux  Folies -Dramatiques, 
Paul-É.uile  Chevalier.  —  III.  Courrier  de  Belgique, 
Lucien  Solvat.  —  IV.  Académie  des  Beai;x-Arts  : 
Rapport  sur  les  envois  de  Rome.  —  V.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diveTses  et  nécro- 
logie. 

Chant.  — ■  Théoilore  Dubois. 


La  terre  i 


sa  robe  blanche. 


X°  5.  —  1'='  février  1891.  —  Pages  33  à  40. 

I.  Notes  d'un  librettiste:  Musique  contemporaine 
(36°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  Iheâtrale: 
Le  centenaire  d'Herold ,  H.  M.;  premières  repré- 
sentations de  Tliermidor,  à  la  Comédie-B'rançaise,  de 
Jeanne  d'Arc,  au  Châtelet,  et  des  Coulisses  de  Paris,  aux 
Nouveautés,  Paul-Ejiile  Chevalier.  —  III.  Une  fa- 
mille d'artistes:  Les  Saint-Anbin  (7"  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  liéon  Roques. 

Les  Douze  Femmes  de  Japhel,  quadrille. 


SI»  G.  —  S  février  1891.  —  Pages  41  à  48. 

I.  Notes  d'un  librettiste:  Musique  contemporaine 
(37"  et  dernier  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Une  première  à  Londres;  Ivanhoé,  opéra 
de  sir  Arthur  Sullivan,  A.  G.  N.  —  III.  Une  famille 
d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (8"  article).  Arthur  Pou- 
gin. —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  II.  Baltliasai'-Floi'eiicc. 

Si  l'amour  prenait  racine. 


X' 


15  février  1891.  —  Pages  49  à  56. 


I.  L\  Messe  eu  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (1"  article), 
Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Critique  fin 
Ile  siècle;  les  modes  du  langage.  Oscar  Cojiett.-int. 
—  III.  Une  famille  d'artistes;  Les  Saint -Aubin 
i9'  article),  Arthur  Pougin.  — IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Falirbach. 

Nulle  autre  qu'elle,  polka. 


X»  8.  —  22  février  1891.  —  Pages  57  à  6'(. 
I.  La  Messe  en  si  mineur  do  J.-S.  Bach  (2°  article), 
Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale:  Les  candi- 
dats à  la  direction  de  l'Opéra, H.  Moreno.  —  III.  Une 
famille  d'artistes  :  Les  Saint-Aubin  (10°  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Reconstruction  de  l'Opéra-t^omique, 
Ph.  g. —  V.  Revue  des  Grands  Concerts. —  VI.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  CI.  Blanc  et  L.  Dauphin. 
Muguets  et  Coquelicots  (Rondes  et  chansons  d'avril). 

iA'°  9.  —  1"  mars  1691.  —  Pages  65  à  72. 
I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (3"  article), 
Julien  Tiersot. —  II.  Semaine  théâtrale:  Choses  et 
autres,  II.  Moreno  ;  premières  représentations  de  les 
Joies  de  la  paternité,  au  Palais-Royal,  de  l'Heure  du 
berger  et  de  l'Union  libre, an  Théâtie  Moderne,  Paul- 
Ëmile  CHEv,iLiER.  —  III.  Une  famille  d'artistes  :  Les 
Saint-Aubin  (11°  aiticle),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Un 
curieux  autographe  d'Auber,  J.-B.  Weckerlin.  — 
V.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Paul  Rouguon. 
■Sous  les  tilleuls,  valse  alsacienne. 

i\°  10.  —  8  mars  1891.  —  Pages  73  à  80. 
I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (4°  article), 
Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale:  La  retraite 
de  il.  Paravey  ;  M.  Carvalho,  directeur  de  l'Opéra- 
Comique,  H.  Moreno  ;  premières  représentations  de 
Passionnément,  à  l'Odéon,  Musotte,  au  Gymnase,  la 
Petite  Poueette,  à  la  Renaissance,  Paris  port  de  mer, 
aux  Variétés,  et  reprise  de  Camille  Desmoidins,  au 
Châtelet,  Paul  -  Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille 
d'artisles:  Les  Saint-Aubin  (12"  article),  Arthur  Pou- 
gin.— IV.  Revue  des  Grands  Concerts. —  V.  Nouvelles 
diveises,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  II.  Bnlthasar-Floreucc. 
iVe  2>arle  pasl 

i\°  11.  —  15  mars  1891.  —  Pages  81  à  88. 
I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (5°  et  dernier 
article).  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  : 
Conte  d'avril,  à  l'Odéon,  H.  Moreno;  première  repré- 
sentation du  Petit  Savoyard,  aux  Nouveautés,  et 
reprise  du  Petit  Poucet,  à  la  Gaîté,  Paul-Emile  Cheva- 
lier. —  III.  Une  famille  d'artistes:  Les  Saint- Aubin 
(13=  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands 
Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses ,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Plus  heureux  cfiun  roi!  polka. 

IN'°  12.  —  22  mars  1891.  —  Pages  89  à  96. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  2"  partie  (1"  ar- 
ticle),   Alrert    Soubies    et    Ch.arles    Malherre.    — 
II.    Semaine  théâtrale;  Le  Mage,  H.    Moreno;   pre- 
mière représentation  de  Mariage  blanc,  a.  la  Comédie- 
Française,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille 
d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (14=  et  dernier  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.   Revue  des  Grands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  Cl.  Blanc  et  !■.  Dauphin. 
Bobotl'se  marie  (Rondes  et  chansons  d'avril). 

i\»  13.  —  29  mars  1891.  —  Pages  97  à  104. 
1.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  2«  partie  (2«  ar- 
ticle), Alrert  Souries  et  Charles  Malherre.  — 
II.  Semaine  théâtrale  ;  Néron,  à  l'Hippodrome,  H. 
M.;  première  représentation  do  l'Oncle  Célestin,  aux 
Menus-Plaisirs,  reprises  de  Coquin  de  printemps,  aux 
Nouveautés,  et  de  la  Boule,  au  Palais-Royal,  Paul- 
Emile  Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante  (!«'  ar- 
ticle), Edsiond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Re- 
vue des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses 
concerts  et  nécrologie.  ' 

Piano.  —  Tliéodore  Eiack. 
Chant  d'avril. 

X'  11.  —  5  avril  1891.  —  Pages  105  à  112. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (  3»  article  ) , 
Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  H.  Bulletin 
théâtral,  H.  M.  —  III.  Napoléon  dilettante  (2»  aplicle), 
Edmond  Neukomm  et  Paul  n'EsTiiÉE.  —  IV.  Revue 
des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et 
concerts. 

Ch.ant.  —  1.CO  Delibes. 

Faut-il  chanter  ?...  1 


X°  13.  —  12  avril  1891.  —  Pages  113  à  120. 
I.    Histoire   de  la  seconde  salle  Favart  (4«  article), 
Albert  Souries  et  Charles  Malherre.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Début  de  M"»  Vuillaume,  à  l'Opéra-Comique  ; 
festival   Delibes    au    Cercle  de   l'Union   artistique  ; 
five    o'clock  du  Figaro,  H.  Moreno;  première  repré- 
sentation de  Juaniia,  aux  Folies-Dramatiques,  P.aul- 
Emile  Chevalier. —  III.  Napoléon  dilettante  (3«  article)  : 
Napoléon  et  la  musique  italienne,  Edmond  Neukomm 
et  P.ALL  d'Estrije.  —  IV.  Revue  des  Glands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Piano.  —  Ch.-JI.  IVidor. 
Guitare  (Conte  d'avril). 
;\°  16.  —  19  avril  1891.  —  Pages  121  à  128. 
I.   Histoire  de  la  seconde  salle  Favart   (5«   article), 
Alrert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  première  représentation  des  Folies  amou- 
reuses, à  rOpéra-Comique,  H.  Moreno.  —  III.  Napo- 
léon dilettante  (4«  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul 
d'Estrée.   —    IV.   Nouvelles    diverses,    concerts   et 
nécrologie. 

Chant.  —  liéo  Delibes. 

Le  meilleur  moment  des  amours. 

X'  n.  —  26  avril  1891.  —  Pages  129  à  136. 

I.  Histoire    de    la  seconde   salle  Favart  (6»  article!, 

Alrert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 

*    théâtrale  :  La  nouvelle  direction  de  l'Opéra  et  son 

état-major,  H.  Moreno.   —  III.   Napoléon   dilettanle 

(5»  article),    Edmond    Neukomm  et   P.iUL  d'Estrée.  — 

IV.   Revue  des   Grands   Concerts.   —  V.  Nouvelles 

diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Ch.-M.  ^Tidor. 
Romance  (Conte  d'avril). 
iX°  18.  —  3  mai  1891.  —  Pages  137  à  14i. 
I.    Hi -toire    de   la  seconde   salle   Favait  (7»  article), 
Albert  Souries  et  Chaules  Malherbe.  —  II.  Bulletin 
théâtral:  Derniers  projets  de  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
H.  M.  ;  première  représentation  d'.l  moureuse,  à  l'Odéon', 
Paul-Emile    Chevalier.   —   III.    Napoléon    dilettante 
(6«  article),   Edmond    Neukomm  et  Paul  d'Estrée.   — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  CI.  Blauc  et  Li.  Dauphin. 
Madame  l'hirondelle  (Rondes  et  chansons  d'avril). 
]\'  19.  —  10  mai  1890.  —  Pages  145  à  152. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (8"  article),  Albert 
Soubies  et  Charles  .Malherbe.  —  IL   Semaine  théâ- 
trale :  la  centième  représentation  de  Lakmé,  à  l'Opéra- 
Comique,  H.  Moreno  ;  première  représentation  de  la 
Famille  Vénus,  à  la  Renaissance,  reprises  du  Parfum, 
au  Palais-Royal,  et  de  Paris  fin  de  siècle,  au  Gymnase, 
Paul-Ehile   Chevalier.  —    III.   Napoléon    dilettante 
(7"  article),   Edmond   Neukomm  et   Paul  d'Estrée.  — 
IV.   Nouvelles    diverses   et   concerts. 

Piano.  —  Robert  Fischhof. 
Sérénade  rococo. 
X'  20.  —  17  mai  1891.  —  Pages  153  à  160. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (9»  article),  Albert 
Souries  et  Charles  Malherre.  —  II.  Bulletin  théâtral, 
H.    Moreno  ;   première  représentation  de  Grisélidis,   à 
la  Comédie-Française,  Paul-Emile  Chev.alier.  —  ill. 
La  musique  elle  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées 
(1"  article),  Camille   Le  Senne.  —  IV.   Napoléon  di- 
lettante (8" article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 
—  V.  Nouvelles  diverses,   concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  Ch.-B.  Ijysberg^. 
I^uisqu'ici-bas, 
X'  21.  —  24  mai  1891.  —  Pages  161  à  168. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (IC  article),  Albert 
SoDBiEs  et  Charles  Malherre.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
Reprise  du  Pelit  Faust,  à  la  Porte-Saint-Martin,  H. 
Moreno;  le  Cœur  de  Sita,  à  l'Eden,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des 
Champs-Elysées  (2«  article),  Camille    Le    Senne.   — 
IV.  Napoléon  dilettante  (9"  arlicle),  Edsiond  Neukomm 
et  Paul  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Piano.  —  .Vntonin  Marniontel. 
Autrefois,  musette. 
X°  32.  —  31  mai  1891.  —  Pages  164à  176. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (If  article),  Albert 
Souries  et  Ch.arles  Malherbe.  —  II.   Semaine  théâ- 
trale :  Une  préface  de  Ludovic  IIalévy  à  propos  de 
Georges   Bizet.  —  III.    Lu  musique    et   le  théâtre  au 
Salon  des  Champs-Elysées   (3«  article),   C.4mille   Le 
Senne.  —  IV.  Napoléon  dilettante  (10=  article),  Edmond 
Neukomm  et  P.4ul  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  H.  Balthasar-FIorence, 
Berceuse. 


X'  23.  —  7  juin  1891.  —  Pages  177  à  184. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (12»  article), 
Albert  Soubies  et  Chables  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  L'Opéra  à  Trianon,  Julien  Tiersot  ;  ren- 
trée de  M""  Arnoldson  à  l'Opéra-Comique,  H.  M.  ; 
premières  représentations  du  Rez-de-Chaussée  et  de 
Rosalinde,  h.  la  Comédie-Française,  et  do  la  Plantation 
Thomassin,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon 
du  Champ-de-Mars  (1"   article),   Camille  Le  Senne. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbacii. 
Battons  le  fer,  polka. 

A»  34.  —  14  juin  1891.  —  Pages  185  à  192. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (13«  article  )> 
Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  11.  Semaine 
théâtrale:  Israël  en  Egypte,  oratorio  d3  Hfendel,  Julien 
Tiersot.  —  m.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  du 
Champ-de-Mars  (2«  article),  Camille  LeSense.  —  IV. 
Napoléon  dilettante  (11»  article),  Edmond  Neuko.mm  et 
Paul  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Ch.-ïe.  I/j'sberg. 
La  Captive, 

TK'  35.  —  21  juin  1891.  —  Pages  193  à  200. 
1.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (14°  article), 
Albert  Soubies  et  Ch.arles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  première  représentation  à  l'Opéra-Comique 
du  Rêve,  drame  lyrique  de  M.  Bruneau,  Arthur  Pougin  ; 
première  représentation  de  Tout  Paris,  au  théâtre  du 
Châtelet,  Paul-Émile-Chevalier.  —  III.  Napoléon  di- 
lettante (12'  ariicle).  Edmond  Neukohm  et  Paul  d'Estrée. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  néorofogie. 

Piano.  —  Kolicrt  FiscUhof.; 


M»  36.  —  28  juin  1891.  —  Pages  201  à  208. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (15°  article). 
Alhebt  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Le  banquet  du  Rêve,  H.  Moreno;  premières 
représentations  des  Aventures  de  M.  Martin,  à  la  Gaîté, 
et  des  Héritiers  Guichard,  aux  Variétés,  Paul-Emile- 
Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante  (13«  article), 
Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Cl.  Blanc  et  li.  Dauphin. 
Aux  cerises  prochaines  (Roades  et  Chansons  d'avril). 

IV°  2î.  —  5  juillet  1891.  —  Pages  209  à  216. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (16°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Louis  Lacombe,  Louis  Gallet.  —  111.  Na- 
poléon dilettante  (14°  article],  Edmond  Neukomm  et 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois. 
Réveil,  allegretto  scherzando. 

i«»  38.  —  12  juillet  1891.  —  Pages  217  à  22i. 

I.   Histoire  de  la  seconde   salle    Favart   (17°    article), 

Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  11.  Semaine 

théâtraie  :  Un  acte    de  vandalisme  musical  au  xviir 

siècle,  H.  de  Curzon.  —  III.  Napoléon  dilettante  (15° 

article),   Edmond   Neuko.mii   et   Paul   d'Estrée.   —  IV. 

Nouvelles  diverses,  coucens  et  nécrologie. 

Chant.  —  H    Blaltîiasar-Fioi-ence. 

Aimer! 

iV°  29.  —  19  juillet  1891.  —  Pages  225  â  232. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (18°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  Les  représentations  gratuites  du  14  Juillet  ; 
débuts  du  barytonRenaud  à  l'Opérai  première  reçré-. 
sentation  de  l'Article  331,  à  la  Comédie-Française," 
Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante 
(16°  article),  Edmond  Neukohm  et  P.iUL  d'Estrée.  — 
IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Piano.  —  'B'héodore  Lack. 
Myosotis,  romance  sans  paroles. 

A"  30.  —  26  juillet  1891.  —  Pages  233  à  2i0. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (19°  article), 
Albebt  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  A  Bayreuth,  Julien  Tiersot.  —  III.  Napoléon 
dilettante  (17°  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul 
dEstrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  né- 
crologie. 

Chant.  —  J.  Ilassenct. 

Chant  iouranien    (le    Mage). 

]\°  31.  —  2  aotit  1891.  —  Pages  241  à  248. 

I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (20°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Bulletin 
théâtral:  Choses  et  autres,  H.  M.;  reprise  de  Za 
GoQuette,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-E.mile  Che- 
valier. —  III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire 
(l«  article),  André  M.artinet.  —  IV.  Nouvelles  diver- 
ses, concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  J.  .Wassenet. 
Trois  Airs  de  ballet  (le  Mage). 

X'  33.  —  9  août  1891.  —  Pages  249  à  256. 
1.  La  Distribution  des  Prix  au  Conservatoire,  Arthur 
Pougin.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  Tannhàuser  h  Bay- 
reuth, Julien  Tiersot  ;  reprise  de  Jeanne  d'Are  à 
l'Hippodrome,  Paul-Émile-Chev.u,ier.  —  III.  Nouvel- 
les diverses  et  nécrologie. 

Ch.\.nt.  —  Alph.  Ouvernoy. 
Mélodie, 


X'  33.  —  10  aoiit  1891.  —  Pages  257  à  264. 

I.   Histoire    de  la    seconde  salle   Favart  (21«  article), 

Albert  Soubies   et  Charles  Malherbe.  —  IL  Bulletin 

thMÙtral  :  Petites  nouvelles  de  l'Opéra,  Jules  Ruelle; 

reprise  du  Voyage  en  Suisse,  aux  Folies-Dramatiques, 

Paul-Emile  Chevalier.  —  III.   Histoire   anecdotique 

du  Conservatoire    (2°   article),    André  Martinet.    — 

IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Ch.  ]\eustedt* 

Marie-Louise,  gavotte. 

;\°  34.  —  23  août  1891.  —  Pages  265  à  272. 
1.  (Histoire  de  la  seconde   salle   Favart  (22°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  JIalherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale...  espagnole,  Arthur   Pougin.  —  III.   His- 
toire anecdotique  du  Conservatoire  (3°  article),  André 
Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Chant.  —  Charles  Grisart. 
Un  baiser. 

X'  35.  —  30  août  1891.  —  Pages  273  à  280. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (23°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Notes  sur  la  reprise  de  quelques  instru- 
ments anciens  :  la  viole  d'amour,  Léon  Pillaut.  — 
m.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (4°  arti- 
cle), André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
L'Étudiant  en  goguette,  marche. 

.^"°  36.  —  6  septembre  1891.  —  Pages  281  à  288. 
L  Histoire  de  la  seconde    salle    Favart    (24°   article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :    Une  dynastie  dansante,   Arthur  Pougin; 
première  représentation  de  Madame  Agnès,  au  Gym- 
nase,  Paul- Emile  Chevalier.  —  III.    Histoire  anec- 
dotique  du  Conservatoire   (5°  article),   André  Mar- 
tinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Chant.  —  Paul  Uougnon. 
Pour  vous  ! 

K'  37.  —  13  septembre  1891.  —  Pages  289  à  296. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (25°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  H.  Semaine 
théâtrale  :  Les  Théâtres  de  Paris  il  y  a  cent  ans, 
Arthur  Pougin;  Carmen,  à  l'Opéra-Comique,  Paul- 
ÉMiLE  Chevalier.  —  111.  Hisioire  anecdotique  du 
Conservatoire  ^6°  article),  André  Martinet.  —  IV. 
Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  \.  Dolinefsch. 
Gaillarde . 

i\-o  3g.  _  20  septembre  1891.  —  Pages  297  à  304. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (26°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  11.  Semaine 
théâtrale  ;  première  représentation  de  Lohengrin,  à 
l'Opéra,  Arthur  Pougin;  première  représentation  do 
Compère  Guilleri,  aux  Jlenus; Plaisirs;  reprise  de  Cen- 
drillon,  au  Châtelet,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III. 
Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (7°  article), 
André  SIartinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécro- 


Chant. 


.foauni  Perronnet. 

Dell! 


i\°  39.  —  27  septembre  1891.  —  Pages  305  à  312. 
l.  ITistoire  de  la  seconde  salle  Favart  (27°  article), 
Albert  Souries  et  Cdarles  Malherre.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Premières  représentations  de^  l'Herbager,  à 
l'Odéon,  des  Marionnettes  de  l'Année,  à  la  Renais- 
sance, du  Mitron. -dixa  Folies  -  Dramatiques,  et  de 
un,  rue  Pigalle,  au  Palais-Royal,  Paul-Émile  Che- 
valier. —  III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire 
(8°  article),  André  M.vrtinet.  —  IV.  Nouvelles  di- 
verses et  nécrologie. 

Piano.  —  Ed.  Broustet. 
Trieotets. 

.V  40.  —  4  octobre  1891.  —  Pages  313  à  320. 
1.    Histoire    de   la  seconde   salle    Favart   (28°   article), 
Alrert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  LoMngrin  devant  le  public  parisien,   H. 
MoBENO  ;  reprises  de  Numa  Raumestan,  au  Gymnase, 
de  la  Cigale,  aux  Variétés,  et  du    Voyage  de  Suzette, 
à   la   Gailé,   Paul-Ëmile   Chevalier.   —  III.   Histoire 
anecdotique  du  Conservatoire  (9°  article),  André  Mar- 
tinet. —   IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Chant.  —  Ed.  Chava^nat. 
Papillon. 

X'  41.  —  11  octobre  1891.  —  Pages  321  à  328. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (29°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malhebbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  .A  propos  de  Manon,  li.  M.;  premières  repré- 
sentations de  la  Mer,  à  l'Odéon,  et  de  VAmi  de  la  mai- 
son,'a.  la  Comédie-Française,  Paul-Ëmile  Chevalier.  — 
111.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (10°  arti- 
cle), André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Paul  Rougnon. 
Parmi  le  thym  et  la  rosée,  idylle. 

i«°  43,  —  18  octobre  1891.  —  Pages  329  à  336. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (30°  article), 
Albert  Soubies  et  Ciiarles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  Reprise  de  Manon ,  à  l'Opéra-Comique, 
Arthur  Pougin;  reprise  de  Kean,  à  l'Odéon,  Paul- 
Emile  Chevalier.  —  III.  Histoire  anecdotique  du  Con- 
servatoire (11"  article),  André  Martinet.  —  IV.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Ch.anï.  —  Robert  Fischhof. 
Aa  rossignol. 


IX'  43.  —  25  octobre  1891.  —  Pages  337  à  344., 
I.   Histoire  de  la    seconde    salle    Favart  (31°  article), 
Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Scaramouche,  ballet  de  MM.  André  Messa- 
ger et  Georges  Street;  réouverture  du  Casino  de  Paris, 
Paul-Emile  Chev.alier.  —  III.  Histoire  anecdotique 
du  Conservatoire    (12°    article),  André   Martinet.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Piano.  —  Robert  Fischhof. 
Carillon,  petite  pièce. 

\'°  44.  —  1"  novembre  1891.  —  Pages  345  à  352. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (32°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  A  propos  du  centenaire  de  Meyerbeer, 
Arthur  Pougin  ;  première  représentation  de  le  Coq, 
aux  Menus-Plaisirs,  Paul-Émile  Chevalier.  —  111. 
Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (13°  article), 
André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Chant.  —  J.  Slassenet. 
Beaux  yeux  que  j'aime. 

X'  45.-8  novembre  1891.  —  Pages  353  à  360. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (33°  article), 
Alrert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  Premières  représentations  de  Norah  la 
dompteuse,  aux  Nouveautés,  de  la  Fille  de  Fanchon 
la  Vielleuse,  aux  Folies-Dramatiques,  du  Collier  de 
saphirs,  au  Nouveau-Théâtre,  et  de  Mon  Oncle  Bar- 
hassoii,  au  Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III. 
Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (14°  article), 
André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Piano.  —  Antonin  Marnioutel. 
Par  les  bois,  scherzo. 

IV°  46.  —  15  novembre  1891.  —  Pages  361  à  368. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (34°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  La  subvention  de  l'Opéra;  le  centenaire 
de  Meyerbeer,  H.  Moreno.  —  111.  Histoire  anecd■^- 
tique  du  Conservatoire  (15°  article),  .André  Martinet. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  tV.  Faure. 
Regarde-toi  ! 

X'  4Ï.  —  22  novembre  1891.  —  Pages  369  à  376. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (35°  article), 
Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  premières  représentations  de  la  Mégère 
apprivoisée,  à  la  Comédie-Française,  de  Pinces  /  aux 
Variétés,  de  Monsieur  l'Abbé,  au  Palais-Royal,  et  re- 
prise de  Coquard  et  Bieoquet,  aux  Nouveautés,  Paul- 
Emile  Chev.\lier.  —  111.  Musique  de  table  :  Chez  les 
anciens  (1°°  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Es- 
trée. —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Pl.lNO.  —  Paul  Wachs. 
Sur  le  pont  d'Avignon,  fantaisie. 

X°  48.-29  novembre  1891.  —  Pages  377  à  384. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (36°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  le  centenaire  de  M.  Ritt,  H.  Moreno; 
premières  représentations  de  Voyages  dans  Paris,  à 
la  Porte-Saint-Martin ,  et  de  Mademoiselle  Asnjodée,  à 
la  Renaissance,  reprise  de  Michel  Strogo/f,  au  Châ- 
telet, Paul-É-mile  Chevalier.  —  III.  Musique  de  table  : 
Chez  les  anciens  (2°  article),  Edmond  Neuko.mm  et 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  uéorologie. 

Chant.  —  Raoul  Pugno. 
Fabliau  (Mon  Oncle  Barbassou). 

A°  49.  —  G  décembre  1891.  —  Pages  385  à  392. 
I.  La  musique  et  ses  représentants  (1°^  article),  Antoine 
RoBi.NSTEiN.—  IL  Bulletin  théâtral,  H.  M.  —  III.  Mu- 
sique de  table  :  En  Orient  (3°  article),  Edmond  Neu- 
komm et  Paul  d'Estrée.  — "  IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois. 
Danse  des  Nymphes, 

X'  50.  —  13  décembre  1891.  —  Pages  393  à  400. 
I.  La  musique  et  ses  représentants  (2°  article),  Antoine 
Rubinstein.  —  II.  Bulletin  théâtral,  H.  Moreno;  pre- 
mière représentation  de  Que  d^eaul  que  d'eau!  aux 
Menus-Plaisirs,  Paul-Ëmile  Chevalier.  —  III.  Mu- 
sique de  taille  :  En  Orient  (4°  article),  Edmond  Neu- 
komm et  Paul  d'Estrée. —  IV.  Revue  des  Grands  Con- 
certs. —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Chant.  —  «B.  llassenet. 
Le  Poète  et  le  Fantôme. 

X'  51.  —  20  décembre  1891.  —  Pages  401  à  408. 
I.  La  musique  et  ses  représentants  (3°  article),  Antoine 
Rubinstein.  —  IL  Bulletin  théâtral,  H.  M.  ;  première 
représentation  de  la  Vertu  de  Lolotte,  aux  Nouveautés, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  111.  Musique  de  lable  :  En 
Orient  (5°  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 

—  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  Théodore  Ijack. 
Danse  slave. 

.\"°  52.  —  27  décembre  1891.  —  Pages  409  à  416. 
I.  La  musique  et  ses  représentants  (4°  article),  Antoine 
Rubinstein.  —  IL  Bulletin  théâtral,  H.  Moreno  ; 
primiëie  représentation  de  l'Enfant  Jésus,  s.afbéi.tie 
d'Application,  P.aul-Emile  Chevalier.  —  III.  Musique 
de  table:  Autour  du  Monde  (6°  article),  Edmond  Neu- 
komm et  P.\UL  d'Estrées.  —  IV.  Revue  des  Grands 
Conceris.  —V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Chant.  —  Cl.  Blanc  et  1,.  Dauphin. 
ics  Crécelles  (la  Chanson  des  Joujoux). 


Ciuqiiaiite-liultlèm.o    année     d©    pntolicatlon 


PRIMES   1892  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concwts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  "-rands  compositeurs  et  leiirs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Uiant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

'^  des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

oubliant  en  dehors  du  texte,  chaque:  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHASII'  ou  pour  le  PIASiO,  de  moyenne  difficullé,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAXT  et  PIAIVO. 


PIANO 

Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT    à  l'un  des  volumes  in-S"  suivants 


J,  MASSENET 
LE     MAGE 

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Partition  pînuo  solo 


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CONTE   D'AVRIL 

Sur  le  Poème  d'A.  DORCHAIN 
parlilion  iil-8° 


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BALLET   EN   2  ACTES 
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recueils  du  PIANISTE -LECTEUR,  reproduclion  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,  ou  a  l'un  des  volumes  du  répertoire  de 
STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 


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POÈME  DE 

JEAN  RICHEPIN 


Opéra  ea  5  actes  de 

J.  MASSENET 


PARTITION 
CHANT  ET  PIANO 


LA  CHANSON  DES  JOUJOUX 


Poésies  de  JULES  JOUI 


MUSIQUE    DE 


CLAUDIUS  BLANC   et  LÉOPOLD   DAUPHIN 

Vingt  petites  cliansons   avec   cent   illustrations   en  coaileurs   et  aq^uai^elles   d'A-DRIEIV   ïMAPlIE 
FMclie    reliure    avec    fer-s    de    JULES    CHÉRET 

NOTA  IMPORTANT.  —  Ce»  primes  sont  délivrées  ?raluitcmeiit  dans  nos  bnreaui,  a  bis,  rue  ViTieuue,  à  partir  du  1"  Jauvier  1892,  à  tout  aucien 
ou  nouTel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  MEAESTKEJL  pour  l'année  1S93.  Joindre  au  prix  d'abonnement  uu 
supplément  d'CSI  ou  de  OEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  1»  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (l*our  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

LesabonnésauChail  peureul  prendre  la  prime  Piano  el  yice  yersa.-  Ceux  au  Piano  el  au  Clianl  réunis  odI  seuls  droit  à  la  grande  Prime.-  Les  abonnés  au  texlc  seul  n'onl  droil  à  aucune  prime . 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEIÏIENT  AU  «  MÉNESTREL  -  PIANO 

2"  tjoded'aboniiement:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano: 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine  ;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  ;  20  francs;  Étranger  :  l'rais  de  poste  en  sus. 


1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dinianclies  ;  26  morceaux  de  chant  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3"  Mode  d'abonnemenl  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  cliant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime.  —  Uu  au  :  30  francs   Paris 

et  Province;  Étrauger  ;  Poste  en  sus.  —  On  souscrit  le  1"  de  cliaquejuois.  —  Les  52  uuméros  de  chaque  année  forment  collection.  '  ' 

4°  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


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Dimaiielie  i  Janvier  I89i'. 


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(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Hemii  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  Ir.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  Ir.,   Paris  et  Provmce.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor  liasse  (34°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Senaaine 
théâtrale  :  Récapitulation,  H.  Moreso;  première  représentation  de  l'Obstacle,  au 
Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille  d'artistes  :  Les  Saint- 
Aubin  (4°  article),  Arthur  Pougix.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CLAIR   DE   LUNE 

de   Théodore   Dubois.    —   Suivra   immédiatement  :   Au   matin,    d'AxiONix 

Marmomel. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  procliain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  les  Volants,  n"  IS  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de  Jules 
Joi'Y,  musique  de  Claudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immé- 
diatement :  La  li'rre  a  mis  sa  robe  blanche,  nouvelle  mélodie  de  Théodore 
Dubois,  poésie  de  J.  Bertheroy. 


IX 


Dans  r impossibilité  de  répondre  à  l'obligeant  envoi  de  toutes  les  cartes 
de  nouvelle  année  qui  nous  parviennent  au  Ménestrel,  de  France  et  de 
l'Étranger,  nous  venons  prier  nos  lecteurs,  amis  et  correspondants,  de 
vouloir  bien  considérer  cet  avis  comme  la  carte  du  Directeur  et  des  Colla- 
borateurs semainiers  du  Ménestrel. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


VICTOR  MASSÉ 


Gomme  je  songeais  à  tant  de  travail  perdu,  à  tant  de  peines 
endurées  pour  un  résultat  absolument  négatif,  un  désir  m'a 
pris  de  savoir  de  quelle  façon  cette  partition  des  Saisons 
était  née  et  aussi  de. connaître  le  procédé  du  compositeur, 
sa  manière  d'être  à  l'égard  de  ses  collaborateurs. 

Mes  questions  posées  à  celui  qui  pouvait  le  mieux  y  ré- 
pondre, ayant  vécu  dans  l'inlimité  laborieuse  de  Victor  Massé, 
ont  fait  écrire  à  Jules  Barbier  une  lettre  dont  je  retiens 
presque  tout  le  texte  au  profit  de  ces  notes. 

«  Les  renseignements  originaux  me  font  détaut,  dit-il, 
j'en  avais  quelques-uns  sans  doute,  mais  la  guerre  en  a 
tapissé  les  allées  de  mon  jardin  d'Aulnay,  ainsi  que  de  tous 
mes  autres  papiers  et  mmuscrits  antérieurs  à  1870.  C'est 
donc  à  ma  mémoire  seulement  que  je  puis  m'adresser. 


..En  ce  qui  regarde  les  Saisons,  peu  ou  point  de  détails 
d'un  intérêt  paiticulier.  La  genèse  en  est  très  simple.  M.  Per- 
rin,  après  le  succès  de  Galatée  et  des  Noces  de  Jeannette,  jugea 
à  propos  de  nous  demander  trois  actes.  François  le  Champi 
et  Claudie  venaient  d'installer  la  paysannerie  au  théâtre; 
nous  crûmes  le  moment  favorable  pour  la  transporter  à 
rOpéra-Gomique.  La  vérité  de  nos  paysans  (vérité  relative, 
car,  depuis,  on  a  confondu  la  vérité  dramatique  avec  la 
grossièreté  et  la  platitude)  fut,  en  ce  temps-là,  une  har- 
diesse qui  n'agréa  qu'à  moitié  au  public  enrubanné  de  la 
salle  Favart;  on  reprocha  à  M.  Perrin  et  aux  auteurs  leurs 
sabots  bourrés  de  paille,  et  la  pièce,  malgré  l'estime  dont 
elle  fut  entourée,  n'atteignit  que  trente-huit  représentations. 

»  Quel  effet  produirait-elle  aujourd'hui?  Je  l'ignore  et 
j'avoue  que  je  serais  curieux  de  le  savoir.  Ce  qui  paraissait 
jadis  si  hardi  semblerait  maintenant  peut-être  vieillot  et 
démodé.  Pourtant  il  y  avait,  en  dehors  des  formules,  une 
telle  sève  de  mélodie,  de  tendresse  et  de  passion  dans  la 
partition  de  Massé  que  je  serais  bien  étonné  qu'elle  ne  pro- 
duisit pas  une  impression  très  vive,  en  dépit  de  toutes  les 
tendances  et  de  tous  les  partis  pris... 

»  D'ailleurs,  Massé  a  passé  les  derniers  mois  de  sa  vie  à 
rajeunir  son  œuvre  et  à  l'habiller  de  neuf.  Il  lui  a  fait  comme 
une  armature  d'harmonie  et  d'instrumentation  nouvelle. 
Sept  cents  pages  d'orchestre,  tel  a  été  le  suprême  effort  de 
ce  cerveau,  dont  la  mort  seule  a  arrêté  le  travail. 

»  En  étudiant  les  Saisons,  on  serait  bien  étonné  d'y  découvrir 
au  milieu  des  formules  consacrées  d'autrefois,  quantité  de 
recherches  et  de  nouveautés  dont  les  successeurs  de  Massé 
s'attribuèrent  l'initiative  et  recueillirent  l'honneur.  Depuis 
ses  Chants  d'autrefois,  que  nul  n'a  dépassés,  il  fut  véritable- 
ment un  précurseur. 

»  Sauf  à  revenir  ensuite  sur  son  travail  pour  en  parfaire 
les  contours,  Massé  composait  de  premier  jet;  tout  lui  venait 
de  i'àme;  la  muse  chantait  en  lui;  son  cœur  était  un  clavier 
dont  il  jouait;  pas  de  formes  préconçues,  rien  que  l'impres- 
sion qu'il  recevait  de  son  poème  et  qu'il  communiquait  à 
son  auditeur.  C'était  un  vrai  musicien  et  non  un  algébriste  ; 
quand  le  fameux  inotif  conducteur,  que  les  autres  croient  avoir 
inventé,  venait  sous  sa  plume,  ce  n'était  pas  le  résultat  d'une 
combinaison  mathématique,  mais  celui  d'une  inspiration  na- 
turelle, commune  à  tous  les  musiciens  dignes  d'écrire  pour 
le  théâtre. 

»  Quant  à  demander  des  changements  à  son  librettiste, 
jamais!...  C'est  là  une  habitude  prise  par  les  musiciens  qui 
aiment  à  faire  le  métier  des  autres,  au  lieu  de  faire  le  leur, 
et  qui,  naturellement,  le  font  mal.  Un  compositeur  qui  refait 
les  rythmes  de  son  poète  a  neuf  chances  sur  dix  de  se 
tromper.  11  fait  ce  qu'il  veut,  mais  ce  qu'il  veut  est  mauvais. 


LE  MENESTREL 


Sua  cuiqiii'.  Jamais  Ambroise  Thomas  ni  Gounod  n'ont  asservi 
le  vers  à  la  musique;  c'est  la  musique  qu'ils  ont  asservie  au 
vers;  ainsi  faisait  Massé.  » 


En  lisant  ces  réflexions  de  Jules  Barbier,  je  me  suis  dit 
pour  la  centième  fois  peut-être,  qu'un  article  serait  bien 
intéressant  à  écrire,  ayant  pour  objet  le  sens  littéraire  chez 
les  musiciens.  Que  de  curieuses  constatations  à  faire  en 
feuilletfint  les  partitions  publiées  depuis  Gluck,  par  exemple, 
touchant  la  façon  dont  les  divers  compositeurs  dont  s'honore 
notre  théâtre  ont  manipulé  la  matière  musicale  ! 

Pour  un  qui  a  le  respect  de  la  forme  pure,  combien  la 
tordent  et  la  défigurent  comme  à  plaisir  ! 

Cet  article,  je  me  risquerai  peut-être  à  l'écrire  un  jour,  en 
l'appuyant  de  quelques  exemples,  ce  qui  ne  sera  pas  la  partie 
la  moins  épineuse  de  la  tâche. 

En  attendant,  j'ai  consigné  dans  mon  petit  dictionnaire  de 
poche,  en  m'inspirant  d'une  règle  à  laquelle  il  est  heureu- 
sement d'agréables  exceptions,  la  définition  que  voici  : 

Poème  Lyrique.  —  Ouvrage  en  vers  que  l'on  confie  à  un 
musicien  pour  qu'il  en  fasse  de  la  prose. 


Je  ne  sais  rien  de  la  genèse  de  Paul  et  Virginie  qui  mit  un 
consolant  rayon  sur  cette  carrière  à  son  déclin.  J'ai  mieux 
connu  ce  qui  se  rapporte  à  une  Nuit  de  Cléopâtre,  à  laquelle 
Victor  Massé  travailla  jusqu'à  sa  dernière  heure  pour  ainsi 
dire  et  qui  lui  apporta  au  milieu  de  ses  souffrances  le  récon- 
fort et  l'apaisement. 

L'ouvrage  inspiré  de  quelques  pages  datant  de  la  jeunesse 
de  Théophile  Gautier  était  formellement  destiné  à  l'Opéra. 
Mais  Vaucorbeil  avait  Aïda.  —  Il  l'avait  du  moins  pour  pré- 
texte. 

Il  ne  devait  être  joué  qu'à  l'Opéra-Comique  et  après  la 
mort  du  musicien.  Une  campagne  avait  été  vainement  entre- 
prise de  son  vivant  pour  le  faire  arriver  au  théâtre. 

«  Dans  tout  ceci,  avait-il  écrit  précédemment,  à  propos  des 
Saisons,  je  trouve  le  guignon  qui  me  poursuit  depuis  quelque 
temps.  » 

Le  même  guignon  semblait  s'attacher  à  sa  dernière  œuvre  ; 
mais  s'il  lui  enlevait  ses  espérances,  il  ne  pouvait  entamer 
sa  foi  et  c'était  toujours  du  même  cœur  ardent  qu'il  tra- 
vaillait ! 


Dans  ses  lettres  de  cette  époque,  les  deux  partitions  ont 
une  part  presque  égale.  Il  mène  de  front  la  revision  de  l'une, 
la  création  de  l'autre. 

«  Félicitons-nous,  écrit-il  encore  à  son  éditeur,  félicitons- 
nous  de  votre  décision  à  propos  de  notre  ouvrage  aimé  les 
Saisons.  J'approuve  complètement  vos  idées  concernant  l'ins- 
trumentation, seulement  la  grande  partition  devant  me  servir 
pour  édifier  la  partition  piano  et  chant,  je  ne  vous  remettrai 
l'une  que  lorsque  l'autre  sera  terminée. 

»  Pour  aller  plus  vite  et  vu  les  difBcultés,  je  désire  faire 
moi-même  cette  réduction  au  piano....  Je  vais  attaquer  l'ou- 
verture nouvelle  le  plus  tôt  possible 

»  J'approuve  complètement  vos  idées  sur  la  campagne  de 
Cléopâtre.  Bravo  !  Il  n'y  aura  donc  pas  qu'Heugel  qui  s'occu- 
pera de  ses  compositeurs  ! 

»  Seulement,  une  observation  importante  :  Ne  mêlez 
jamais  les  questions  de  santé  aux  questions  artistiques;  l'art 
doit  toujours  être  sain  et  bien  portant.  Henri  Heine  était 
paralytique  et  pourtant  il  faisait  des  livres  charmants  !  Qui 
est-ce  qui  connaissait  ces  deux  faits  si  dissemblables?  » 

Ce  souci  des  questions  de  santé  n'est  pas  ici  marqué  pour 
la  première  fois,  s'alliant  à  cette  coquetterie  ou  pour  mieux 
dire  à  cette  dignité  de  l'artiste  qui  ne  veut  pas  que  son  corps 
endolori  compte  pour  quelque  chose  devant  la  vigueur  juvé- 
nile de  son  esprit. 


Je  le  retrouve  encore  dans  une  autre  lettre  : 

«  Je  suis  très  sensible  à  votre  préoccupation  affectueuse 
sur  l'état  de  ma  santé.  Certes,  je  ne  vais  pas  bien,  mais  je 
peux  vivre  encore  cent  ans  avec  ma  névrose,  et  cela  pour 
faire  enrager  mes  confrères.  » 

Evidemment,  on  l'agace,  on  l'énervé,  en  lui  parlant  tou- 
jours de  son  état;  il  voudrait  qu'on  ne  lui  parlât  que  de  son 
art,  de  cet  idéal  qu'aucune  faiblesse  n'altère  et  qui  est  le 
souverain  bien,  le  seul  désormais  dont  il  jouisse  purement. 

Et  alors  il  s'échappe  en  une  boutade  comme  celle  que  je 
viens  de  transcrire.  Frappé  du  même  mal  qu'Henri  Heine 
dont  il  admirait  la  double  vertu,  il  devait,  comme  lui,  garder 
jusqu'à  la  fin  l'indépendance  de  sa  pensée. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet, 

SEMAINE    THEATRALE 


RÉCAPITULATION 
C'est  l'heure    où   il    convient   de  jeter   un    coup   d'œil  rapide  sur 
l'année  musicale  qui  vient  de  s'écouler  et  d'y  chercher  ce  qui  a  pu 
se  produire  d'intéressant  dans   nos   théâtres  lyriques.  Ce  n'est  pas 
une  année  grasse,  tant  s'en  faut. 

A  rOpÉRA,  c'est  Ascanio  qui  se  présente  tout  d'abord.  On  peut  y 
trouver  l'intérêt  qui  s'attache  naturellement  aux  œuvres  d'un  musi- 
cien aussi  remarquable  que  M.  Saint-Saëns,  mais,  à  tout  prendre, 
c'est  une  partition  d'une  inspiration  vraiment  trop  discrète,  avec  de 
fort  jolis  détails  cependant.  On  ne  peut  la  mettre,  croyons-nous,  ni 
à  côté  d'Henri  VIII,  qui  lui  reste  supérieur,  ni  à  côté  de  Samson  et 
Dalila,  que  nous  retrouverons  plus  tard  au  Théâtre-Lyrique. 

Après  Ascanio  est  venue  l'œuvre  méritoire  d'un  débutant  à  la  scène, 
Zaï)'e,  de  M.  Véronge  de  la  Nux.  On  a  été  généralement  beaucoup 
trop  sévère  pour  ces  deux  actes,  qui  dénotent  chez  leur  auteur 
d'excellentes  qualités.  Il  y  avait  là  souvent  d'heureuses  idées  bien 
mises  en  œuvre  et  un  coloris  charmant. 

Il  n'est  pas  besoin  de  rappeler  avec  quel  mauvais  vouloir  MM.  Ritt 
et  Gailhard  se  sont  décidés,  forcés  par  la  presse  et  l'opinion,  à  re- 
présenter ces  deux  opéras.  On  sait  tous  les  chagrins  que  les  directeurs 
ont  causés  à  M.  Saint-Saëns,  qui  s'en  est  enfui  jusqu'aux  îles  Cana- 
ries, on  sait  la  pression  qu'ils  ont  voulu  exercer  sur  M.  Véronge  de  la 
Nux  pour  lui  faire  signer  des  papiers  compromettants,  on  sait  les 
amendes  qu'ils  ont  encourues  à  ce  propos  de  la  Société  des  auteurs 
pour  avoir  manqué  à  leurs  engagements.  Toutes  ces  tristes  his- 
toires sont  étalées  au  long  dans  les  colonnes  du  Ménestrel  et  il  n'est 
pas  besoin  d'y  revenir  à  nouveau. 

En  revanche,  M.  Ritt  a  représenté  avec  une  véritable  joie  un  ballet 
de  son  vieil  ami  Gastinel,  qui  doit  être  un  compositeur  selon  son 
goût.  On  a  vu  le  Rêve,  et  l'œuvre  a  paru   assez  anodine. 

Le  fait  le  plus  intéressant  de  la  saison  à  l'Opéra  reste  la  reprise 
de  Sigurd,  —  un  ouvrage  que  les  directeurs  paraissaient  trop  dé- 
daigner,—  avec  la  rentrée  de  M""  Garon,  sa  remarquable  interprète. 
Inutile  d'ajouter  que  c'est  encore  à  leur  corps  défendant  que  celte  re- 
prise et  cette  rentrée  ont  été  faites.  Il  a  fallu  que  la  presse  se  mette 
de  la  partie  et  réclame  chaque  jour  l'une  et  l'autre  pour  amener 
MM.  Ritt  et  Gailhard  à  composition.  Aujourd'hui  Sigurd  fait  des 
recettes  ;  ils  doivent  en  être  bien  marris  l'un  et  l'autre. 

Le  soulèvement  d'ailleurs  a  été  général,  cette  année,  contre  cette 
funeste  direction.  Non  seulement  la  presse  a  donné  avec  ensemble, 
mais  les  Chambres  elles-mêmes  se  sont  émues.  La  subvention  n'a  été 
maintenue  qu'à  une  très  faible  majorité,  et  encore  sous  l'espèce  de 
promesse  qu'a  faite  le  ministre  que  prompte  justice  serait  faite  des 
deux  maltôtiers,  qui  n'ont  songé  à  faire  de  l'art  musical  qu'une 
marchandise  vulgaire.  Cette  promesse  sera-t-elle  tenue  ?  Ce  serait 
la  plus  belle  étrenne  qu'on  puisse  donner  aux  musiciens  en  cette 
année  1891,  qui  serait  vraiment  «  de  grâce  »,  si  elle  nous  débar- 
rassait de  MM.  Ritt  et  Gailhard. 


Les  choses  ont-elles  été  beaucoup  mieux  à  I'Opéra-Comique  ?  Ma 
foi,  non  !  Il  y  a  là  encore  une  curieuse  direction,  dont  il  est  diffi- 
cile de  pénétrer  les  mystères.  Quels  sont  les  fils  qui  la  font  agir? 
Nous  ne  voulons  pas  trop  les  démêler,  mais,  ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  que  le  souci  de  bien  faire  parait  fort  indifférent  à 
M.  Paravey.  Est-ce  faiblesse  ?  Est-ce  pure  bonté  d'âme?  Toujours 
est-il  qu'il  donne  volontiers    sa    parole    aux    premiers   venus    mais 


LE  MENESTREL 


la  retire  aussi  volontiers.  Les  bonnes  âmes,  qui  ne  manquent 
jamais  en  ce  monde,  disent  qu'il  a  pour  cela  d'excellentes  raisons, 
des  raisons  très  sonnantes.  Nous  ne  voulons  rien  en  croire,  car  s'il 
en  était  ainsi,  il  n'est  pas  douteu.\  que  la  direction  des  beaux- 
arts. 

Qui  sait  tout. 

Qui  voit  tout, 

s'empresserait  d'économiser  la  subvention  de  240.000  francs  qui 
est  attribuée  à  l'Opéra-Comique.  puisqu'elle  se  trouverait,  en  fait, 
avanta sensément  remplacée  par  les  subventions  particulières  que 
M.  Paravey  s'allouerait  sur  le  dos  de  ses  compositeurs  favoris.  Il 
n'en  est  donc  rien  assurément,  et  la  conscience  si  pure  du  directeur 
doit  être  lavée  de  tout  reprocbe  de  ce  genre. 

Au  surplus,  il  est  bien  clair  que  ce  ne  sont  ni  M.  Benjamin 
.Godard,  ni  M.  Eugène  Diaz,  auteurs  de  Dante  et  de  Benvenuto  Cellini, 
dont  on  pourrait  suspecter  la  bourse.  Pour  ceux-ci  tout  au  moins, 
il  est  hors  de  doute  que  M.  Paravey  a  dû  marcher  franchement,  et, 
s'il  s'est  trompé  lourdement  dans  le  choix  qu'il  a  fait  de  ces  deux 
ouvrages,  c'est  à  son  goût  seul  qu'il  faut  s'en  prendre. 

Qu'avons-nous  eu  avec  ces  deux  partitions  d'ambitieuse  envergure? 
Une  toute  petite  opérette,  la  Basoche  de  M.  André  Messager,  habile 
musicien  sans  grande  originalité,  qui  réussira  par  cela  même  à  une 
époque  où  l'on  n'aime  guère  les  idées  nouvelles.  Gela  n'a  été 
qu'un  feu  de  joie,  mais  la  joie  et  le  feu  y  étaient.  C'était  déjà  quelque 
chose. 

Quoi  encore?  Colomhine!  Jetons  un  voile  sur  cette  gentille  personne, 
que  les  auteurs  avaient  faite  bien  maussade. 

Pour  finir  l'année,  le  trente  et  un  décembre  tout  au  juste,  le 
sémillant  directeur  s'est  avisé  de  représenter  l'Amour  vengé  de 
M.  de  Maupeou,  un  prix  Crescent  qui  attendait  son  tour  depuis  vingt 
mois,  bien  que  ces  sortes  "de  prix  apportent  avec  eux  une  subvention 
légitime  de  dix  mille  francs.  Ce  dédain  de  la  forte  somme  prouve 
surabondamment  que  M.  Paravey  est  un  directeur  heureux,  qui  ne 
court  pas  après  l'argent. 

Nous  ne  donnerons  pas  une  longue  analyse  de  l'Amour  venrié.  Ju- 
piter a  condamné  l'amour  à  rester  enchaîné  pour  quelques  méfaits 
de  sa  façon  ;  l'amour  se  venge  eu  rendant  Jupiter  amoureux  de  la 
jeune  Anlhiope  qui  le  dédaigne.  Cette  histoire  est  fort  simple  et 
pourtant  elle  ne  comporte  pas  moins  de  deux  actes  développés.  C'est 
vous  dire  assez  que  l'auteur  du  livret,  M.  Auge  de  Lassus,  a  le  vers 
facile.  Il  y  met  même  de  l'esprit  comptant  parfois.  Mais  quoi?  Ces 
sujets  mythologiques  sont  toujours  diablement  langoureux  et,  depuis 
la  Belle  Hélène,  on  ne  peut  plus  supporter  qu'ils  soient  traités  sérieu- 
sement. 

Le,  compositeur,  M.  de  Maupeou,  est  assurément  un  gentilhomme 
fort  adroit,  et  il  sait  ce  métier  de  musicien  autant  qu'homme  du 
monde.  Il  y  a  du  faire  dans  sa  partition  et  même  de  la  maturité. 
■Cela  tient  plus  malheureusement  du  pastiche  et  de  la  manière  des 
maîtres  en  vogue  que  d'une  œuvre  vraiment  originale  et  personnelle. 
Enfin  on  y  trouve  le  plaisir  de  se  retrouver  en  pays  de  connais- 
sances ;  pas  de  surprises,  il  est  vrai,  mais  non  plus  pas  d'équi- 
voque. 

M"<^'  Chevalier  et  Bernaert,  MM.  Fugère  et  Carhonne  se  sont  char- 
gés de  présenter  au  public  cet  aimable  badinage  et  ils  l'ont  fait 
très  agréablement. 

Voilà  le  bilan  de  l'Opéra-Comique  pour  cette  année  1890.  Ajou- 
tons-y une  intéressante  reprise  de  Dimilri;  après  quoi  il  faut  tirer 
l'échelle  et  passer  au 

Théâtre-Lyrique.  Car  nous  avons  eu  une  nouvelle  tentative  de 
résurrection  de  cette  scène  utile,  si  vainement  réclamée  par  tous 
ceux  qui  s'intéressent  aux  choses  de  la  musique.  Il  n'a  fait  que 
passer  encore  une  fois,  mais  non  sans  jeter  quelque  éclat,  puis- 
qu'il nous  a  donné  la  seule  œuvre  vraiment  intéressante  de  l'année  : 
SamsoH  et  Dalila,  de  M.  Saint-Saëns.  Nous  avons  eu  déjà  l'occasion 
de  dire  tout  le  bien  que  nous  en  pensions.  Mais  quoi  ?  Pour  les 
lendemains,  M.  Verdhurt,  —  c'est  le  nom  de  l'audacieux  directeur 
qui  tenta  cette  entreprise  —  M.  Verdhurt  eut  l'idée  fâcheuse  d'aller 
repêcher  une  partition  tombée  et  justement  oubliée  de  Georges  Bizet. 
Il  pensait  ce  nom  tout  magique  auprès  des  spectateurs  qui  dressent 
en  ce  moment  des  statues  à  l'auteur  de  Carmen.  Mais  il  n'y  a  aucune 
espèce  de  rapport  entre  cette  œuvre  si  colorée  et  si  vivante  et  la 
Jolie  Fille  de  Perth,  si  pâle  et  si  languissante. 

Il  fallut  bientôt  fermer  les  portes  et  nous  voilà  encore  sans 
Théâtre-Lyrique. 


Quoi  encore?  Une  très  curieuse  exhibition  musicale...  à  l'Hippo- 
OROME  avec  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Widor  :  de  la  musique  équestre 
brossée  à  grands  coups  de  pinceau.  La  tentative  a  réussi  et  va 
être  continuée  avec  un  Néron  dû  à  M.  Edouard  Lalo.  On  voit  que 
les  directeurs  de  l'Hippodrome  s'adressent  à  des  compositeurs  mar- 
quants et  que  leur  initiative  est  digne  de  toute  attention. 

Parlerons-nous  de  la  fameuse  Société  des  grandes  auditions  musicales 
de  France  qui  devait  tout  casser  et  dont  on  n'entend  déjà  plus 
parler?  Elle  nous  a  donné  la  joie  inefifable  d'écouter  Béatrice  et  Bé- 
nédict  de  Berlioz,  en  quoi  elle  a  fait  montre  peut-être  de  quelque 
imprudence.  Si  on  prétendjouer  trop  souvent  du  Berlioz,  si  on  entend 
le  prodiguer  à  tout  propos,  on  ne  tardera  pas  à  lui  faire  perdre  de  son 
prestige.  Elles  sont  rares,  les  œuvres  vraiment  complètes  de  ce 
génie  très  inégal,  qui  ne  procédait  guère  que  par  soubresauts  d'ins- 
piration pour  retomber  bientôt  dans  l'ordinaire  marécage  des  idées 
courantes  et  banales.  On  l'a  vu  dans  Béatrice  et  Bénédict;  on  le 
verra  dans  d'autres  œuvres  encore,  si  l'on  n'agit  pas  à  leur  égard 
avec  la  plus  grande  circonspection. Nous  avons  un  grand  musicien; 
soyons  ménagers  de  sa  gloire  et  ne  la  compromettons  pas  en  de 
folles  aventures. 

H.    MORENO. 

Gymnase  :  L'Obstacle,  pièce  en  quatre  actes  de  M.  Alphonse  Daudet. 

L'atavisme  est  fort  à  l'ordre  du  jour  à  notre  époque  nourrie  de 
scepticisme  et  d'indéniable  indifférence,  et  les  médecins  ne  sont 
point  les  seuls  à  s'être  préoccupés  des  maladies  héréditaires.  Le 
roman  d'abord  s'est  emparé  de  ces  cas  de  pathologie  générale,  le 
théâtre  est  venu  ensuite,  s'essayant  à  des  œuvres  nées  aux  pays 
froids  où  l'individu,  victime  du  climat  et  d'une  civilisation  moins 
hâtive  que  la  nôtre,  semble  plus  tenir  de  l'animal  inconscient  que 
de  l'être  doué  d'une  volonté  et  d'une  force  pensante.  De  ces  études 
découlaient  forcément  des  idées  qui  n'étaient  pas  sans  entraîner 
après  elles  comme  une  sorte  de  démoralisation  des  masses  à  qui 
l'on  enseignait  que,  dans  la  vie,  lutter  contre  la  fatalité  est  chose 
impossible. 

C'est  contre  de  telles  théories  que  M.  Alphonse  Daudet  a  voulu 
s'élever  en  écrivant  l'Obstacle,  que  le  Gymnase  a  représenté  l'autre 
samedi.  Et,  de  fait,  la  nouvelle  pièce  du  renommé  romancier  est 
toute  spiritualiste.  Didier  d'Alein  est  fiancé  à  M"«  Madeleine  de 
Remondy,  orpheline  mineure  confiée  à  la  garde  d'un  jeune  tuteur, 
M.  de  Castillan.  Ce  M.  de  Castillan  aime  sa  pupille  et  refuse  son 
consentement  au  mariage,  donnant  comme  prétexte  que  le  père  de 
Didier  est  mort  fou  après  plusieurs  années  d'une  existence  horrible 
et  pour  lui-même  et  pour  les  siens.  En  vain,  M"""  d'Alein,  aidée  du 
vieux  professeur  de  son  fils,  Horuus,  affirme  que  la  folie  de  son 
mari  ne  s'est  déclarée  que  deux  années  après  la  naissance  de  l'en- 
fant, M.  de  Castillan  reste  inébranlable  et  Madeleine  entrera  au 
couvent  jusqu'à  sa  majorité.  Tout  ce  que  peut  obtenir  la  pauvre 
mère,  c'est  que  l'on  cache  à  son  fils  le  vrai  motif  du  refus.  Mais 
Didier  ne  peut  pas  adm.eltre  que  sa  fiancée  lui  ait  ainsi,  sans 
raison,  enlevé  son  amour;  c'est  de  sa  bouche -même  qu'il  veut  s'en- 
tendre dire  qu'il  n'est  plus  aimé  et  il  se  fait  introduire  au  couvent, 
où  Madeleine,  stylée  et  surtout  effrayée  par  son  tuteur, avoue  qu'elle 
ne  veut  plus  se  marier.  Didier,  dans  un  moment  de  colère  insulte 
M.  de  Castillan,  qui,  refusant  sa  provocation,  lui  dévoile  la  vérité. 
Le  jeune  homme  alors  se  retire  à  la  campagne  et  cherche  à  pénétrer 
le  terrible  secret  de  l'hérédité.  Sa  mère,  qui  devine  ou  croit  deviner 
les  pensers  de  son  fils,  veut  absolument  l'arracher  à  l'idée  fixe  dont 
elle  le  sent  possédé  et,  par  un  mensonge  surnaturel,  elle  espère 
arriver  à  ses  fins,  lorsque  Didier  déclare  de  lui-même,  qu'il  se  croit, 
en  tant  qu'homme,  assez  fort  pour  lutter  contre  le  germe  maladif 
qui  peut  être  en  lui  et  doué  d'une  volonté  assez  puissante  pour  le 
détruire.  «  C'est  ce  qui  nous  différencie  de  la  brute  !  »  conclut 
Hornus.  Telle  est  la  morale  très  consolante  et  très  fortifiante  de  la 
pièce  de  M.  Daudet.  J'ajouterai,  pour  les  âmes  sensibles,  qu'à  sa 
majorité  Madeleine  sort  du  couvent  et  devient  M"""  Didier    d'Alein. 

L'œuvre  nouvelle  de  l'auteur  de  Saplio  a  remporté  nu  très  légitime 
succès,  surtout  dans  les  deux  premiers  actes  qui  sont  de  beaucoup 
supérieurs  aux  deux  seconds.  Dans  la  seconde  moitié  de  son  œuvre 
M.  Daudet  semble  s'être  laissé  par  trop  entraîner  dans  les  sentiers 
battus;  ce  qui  n'empêche  que,  là  encore,  les  qualités  maîtresses 
de  l'auteur  conservent  au  drame  tout  son  intérêt.  L'interprétation 
est  de  tout  premier  ordre  en  ce  qui  concerne  M'"=^  Pasca,  Sisos, 
MM.  Duflos  et  Lafontaine,  M">°*  Desclauzas,  Darlaud.  MM.  Pauj 
Plan  et  Léon  Noël  contribueront  aussi,  pour  une  très  large  pari,  à 
la  carrière  brillante  que  ne  saurait  manquer  d'avoir  l'Obstacle. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  MÉNESTREL" 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

(Suite.) 
III 

Mais  pendant  que  M""  Saint-Aubin  établissait  ainsi  d'une  façon 
solide  sa  réputation,  émerveillant  le  public  par  la  souplesse  et  la 
Yariété  d'un  talent  qui  se  renouvelait  chaque  jour  et  dont  les  res- 
sources semblaient  inépuisables,  son  mari,  moins  heureux,  ne  par- 
venait pas  à  conquérir  la  situation  à  laquelle  pourtant  lui  donnaient 
droit  ses  qualités  indéniables  et  des  aptitudes  dont  nui  ne  parais- 
sait se  rendre  compte.  Ce  n'est  qu'à  la  suite  de  tentatives  répétées, 
d'efforts  de  toutes  sortes,  qu'il  réussit  enfm  à  rompre  la  malchance 
qui  paraissait  s'acharner  après  lui. 

Il  avait  dû,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  entrer  à  la  Comédie-Ttalienne  dès 
1786,  en  même  temps  que  sa  femme,  et  dans  ce  but  il  avait  de- 
mandé à  l'Opéra  la  résiliation  de  son  engagement,  qui  lui  a?ait  été 
refusée.  Ce  qui  n'empêche  pas  que  lorsque  cet  engagement  prit  fin 
en  1788,  il  ne  fut  pas  renouvelé.  Rappelé  alors  à  Lyon,  oii  il  avait 
laissé  d'escellents  souvenirs,  il  s'y  rend  dans  les  derniers  jours  de 
celte  année  1788  et  y  demeure  jusqu'à  la  clôture  de  Pâques  de  1790. 
De  retour  à  Paris,  nous  le  voyons  effectuer  deux  débuts  au  théâtre 
Favart,  le  8  mai  dans  le  rôle  de  Cliton  de  l'Ami  de  la  Maison,  et  le 
11  dans  celui  d'Apollon  du  Jugement  de  Midas,  appartenant  l'un  et 
l'autre  à  l'emploi  des  hautes-contre  et  à  ce  que  nous  appellerions 
aujourd'hui  les  premiers  téoors.  Pourtant  il  n'est  pas  engagé,  et  le 
1"  octobre  suivant  il  débute  au  théâtre  Feydeau  dans  la  première 
représentation  de  l'Ile  enchantée,  opéra-comique  en  trois  actes  de 
Sedaine  et  Bruni  dont  le  succès  fut  médiocre.  Il  porte  sans  doute 
en  partie  la  peine  de  ce  fâcheux  résultat,  puisqu'il  ne  fut  pas  plus 
engagé  à  FejJeau  qu'il  ne  l'avait  été  à  Favart.  De  nouveau  alors  il 
retourne  à  Lyon,  où  on  le  retrouve  dès  la  fin  de  1790  et  oîi  il  reste 
encore  en  1791  et  1792.  Enfin,  le  12  avril  1793,  il  fait  une  seconde 
tentative  au  théâlie  Favart,  où  il  se  présente  dans  le  rôle  de  Dalin 
de  la  Fausse  Magie.  Cette  fois,  abandonnant  l'emploi  jeune  et  bril- 
lant, il  abordait  finalement  celui  des  Laruettes  et  des  caricatures, 
dans  lequel  il  était  appelé  par  la  suite  à  rendre  de  très  utiles  ser- 
vices. Il  fut  enfin  admis  comme  sociétaire,  d'abord  à  trois  huitièmes 
de  part,  et  en  1794  à  part  entière. 

Mais  si  ses  camarades  lui  rendirent  justice,  il  s'eu  faut  que  le 
public  et  la  critique  agissent  de  même,  et  il  fallut  à  Saint-Aubin 
une  longue  suite  d'efforts  et  une  constance  à  toute  épreuve  pour 
forcer  l'estime  des  spectateurs  et  obtenir  leur  suffrage,  dans  un 
emploi  qui  pourtant,  tout  en  étant  fort  utile,  n'est  après  tout  que 
d'un  ordre  secondaire.  Un  recueil  spécial  du  temps,  l'Opinion  da  par- 
terre, nous  renseigne  d'une  façon  précise  à  son  sujet  et  nous  montre 
que  plus  de  douze  ans  après  son  entrée  au  théâtre  Favart  (devenu 
théâtre  impérial  de  l'Opéra-Comique),  cet  excellent  artiste  était  en- 
core considéré  par  quelques-uns  comme  une  nullité,  malgré  les 
services  qu'il  rendait  chaque  jour  :  «  Saint-Aubin,  inutilité  com- 
plète, dit  l'écrivain  en  1806,  faible  roseau  qui  n'eût  jamais  eu  de 
consistance  à  son  théâtre,  si  sa  femme  n'eût  été  le  chêne  protec- 
teur à  l'ombre  duquel  il  a  connu  le  repos.  »  Même  jugement  en 
1807:  «  Saint-Aubin  joue  tranquillement  ses  baillis  et  quelques  rôles 
de  remplissage.  Il  a  dans  son  théâtre  une  protection  toute-puis- 
sante :  le  nom  de  sa  femme.  »  En  1808,  on  veut  bien  condescendre 
à  lui  accorder  quelque  talent:  «  Saint-Aubin  commence  à  se  dis- 
tinguer dans  plusieurs  rôles  joués  ci-devant  d'une  manière  très 
originale  par  Dozainville,  notamment  dans  celui  de  Francisque 
d'ioîc  Folie.  Il  serait  singulier  que  ce  fut  à  la  fin  de  sa  course  que 

cet  acteur   trouvât  plus  de   forces  et  méritât  plus  de  succès » 

Le  revirement  s'accuse  d'une  façon  plus  ample  en  1809  :  «  Saint- 
Aubin,  qui  marchait  si  péniblement  quand  il  entra  dans  la  carrière 
du  théâtre,  parait  disposé  à  courir,  actuellement  qu'il  en  voit  presque 
le  bout.  Il  eut  longtemps  besoin  de  l'égide  protectrice  de  madame 
Saint-Aubin.  Forcé  de  s'en  passer  aujourd'hui  (elle  venait  de  se 
retirer),  il  vole  de  ses  propre  ailes,  et  remplit  fort  bien  son  mo- 
deste emploi.  Le  publie  ne  se  lasse  point  de  l'applaudir  dans  le 
rôle  de  Marsyas  (du  Jugement  de  Midas).  S'il  en  exécute  le  chant 
avec  une  extrême  originalité,  son  jeu  ne  gâte  rien,  et  sa  figure  est 
si  plaisante  qu'on  croit  voir  un  des  bergers  de  l'Astrée.  »  Enfin  la 
glace  est  rompue,  et  quelques  années  après,  en  1813,  voici  comment 
le  critique  rend  justice  complète  à  l'artiste  :  «  Saint-Aubin,  qui  fut 
longtemps  au  nombre  des  sujets  que  le  public  souffre  par  nécessité. 


s'est  placé  depuis  quelques  années  parmi  ceux  qui  sont  les  plus 
nécessaires  à  l'Opéra-Comique.  Il  n'excite  point  de  transports,  mais 
on  le  voit  toujours  avec  plaisir;  c'est  un  bon  acteur,  et  quoiqu'il 
soit  actuellement  bien  apprécié,  son  mérite  sera  encore  mieux  senti 
lorsqu'il  ne  sera  plus  au  théâtre.  Tel  et  tel  qui  aspirent  à  le  rem- 
placer se  chargeront  de  son  éloge  ». 

Il  avait  fallu  vingt  ans  au  brave  artiste  pour  en  arriver  là  !  Et 
l'on  peut  dire  qu'il  n'avait  épargné  ni  peines  ni  soins  pour  forcer 
les  sympathies  d'un  publie  rebelle  à  ses  efforts  et  qui  fut  si  long  à 
le  récompenser  de  la  conscience  et  du  talent  qu'il  déployait  chaque- 
jour.  Je  ne  parle  pas  de  ses  créations  ;  elles  ne  furent  pas  très  nom- 
breuses, et  les  plus  importantes  se  trouvent  dans  lllhal,  le  Jeune- 
Henri,  le  Diable  à  quatre,  l'Auteur  malgré  lui,  Aline,  le  Grand-Père, 
D'auberge  en  auberge,  une  Matinée  de  Frontin,  le  Nouveau  Seigneur  de 
village,  Fanny  Morna  et  Annette  et  Lubin.  Mais  Saint-Aubin,  qui 
s'était  plié  à  tout,  était  entré  dans  le  répertoire  par  toutes  les 
portes,  et  avait  repris  un  nombre  considérable  de  rôles  dans  une 
foule  d'ouvrages  de  tout  genre  :  Richard  Cœur  de  Lion,  le  Comte- 
d'Albert,  l'Amoureux  de  quinze  ans,  le  Tableau  parlant,  la  Fausse 
Magie,  Zora'ime  et  Zidmare,  les  Deux  Petits  Savoyards,  Une  Folie,  Raoul' 
Barbe-Bleue,  la  Mélomanie,  les  Deux  Journées,  Paul  et  'Virginie,  Fanfan 
et  Colas,  Renaud  d'Ast,  les  Trois  Fermiers,  la  Rosière  de  Salency, 
Héléna,  le  Prisonnier,  Lodoïska,  la  Dot,  les  Deux  Tuteurs,  Anibroise,- 
Philippe  et  Georgette,  la  Fée  Urgéle,  les  Sabots,  Félix,  Biaise  et  Babet, 
Alexis,  les  Deux  Avares,  etc.  On  voit  qu'il  avait  su  se  rendre  utile,, 
et  que  son  activité  tout  au  moins  ne  fit  jamais  défaut. 

S'était-il  vu  pourtant  un  moment  découragé  par  la  froideur  que 
le  public  lui  témoigna  pendant  trop  longtemps  ?  Je  le  croirais  vo- 
lontiers d'après  une  lettre  de  sa  femme,  qui  indique  de  sa  part  le 
désir  de  quitter  l'Opéra-Comique  et  d'abandonner  complètement  la 
scène,  pour  se  reprendre  à  son  premier  métier  de  graveur.  Celte 
lettre,  dont  le  destinataire  est  inconnu  et  qui  est  datée  simplement" 
du  «  22  frimaire,  y  me  paraît  devoir  être  reportée  à  l'an  1803,  c'est- 
à-dire  dix  ans  après  l'entrée  de  Saint-Aubin  au  théâtre  Favart.  Je 
n'en  connais  pas  le  texte  exact,  mais  voici  l'analyse  qui  en  a  été 
donnée  dans  un  catalogue    d'autographes  :  —  «    M""'    Saint-Aubin. 

Lettre  autographe    signée,  à   M 23   frimaire.   Sur  une  demande 

qu'elle  adresse  au  minisire  en  faveur  de  son  mari,  qui  n'est  point 
d'âge  à  recommencer  sa  carrière  théâtrale  dans  les  départements,- 
et  qui  se  déterminerait  à  se  retirer  s'il  obtenait  6,000  livres  comp- 
tant et  une  pension  assurée  parle  gouvernement;  cela  lui  procu- 
rerait les  moyens  d'essayer  à  reprendre  son  aucien  état  de  gra- 
veur, etc.,  etc.  (1)  1). 

Ce  projet  de  retraite  n'eut  pas  de  suites,  puisque  nous  savons  que 
la  carrière  de  Saint-Aubin  à  l'Opéra-Comique  se  prolongea  pendant; 
vingt-quatre  ans,  et  qu'il  ne  quitta  ce  théâtre  qu'en  1817.  Cette 
carrière,  si  elle  ne  fut  pas  aussi  brillante  qu'il  l'eût  sans  doute 
désiré,  ne  laissa  pas,  en  somme,  que  d'être  extrêmement  hono- 
rable, et  un  biographe  la  résumait  en  ces  termes  :  —  «  Saint- 
Aubin,  comme  acteur,  avait  de  l'intelligence,  de  la  correction  et 
une  bonne  tenue,  mais  il  était  un  peu  froid.  Il  chantait  avec  plus 
de  goût  et  de  pureté  que  d'expression,  mais  son  goût  n'était  pins 
à  la  mode.  Sa  voix  avait  eu  de  la  fraîcheur,  de  la  justesse  et  de  la 
flexibilité  ;  lorsque  l'âge  l'eut  rendue  un  peu  nasillarde,  il  prit 
l'emploi  de  La  Ruette,  vacant  par  la  mort  de  Dozainville,  et  s'y 
distingua  plus  utilement  que  dans  celui  de  première  haut-contre. 
Il  se  grimait  fort  bien,  et  il  était  fort  plaisant  dans  plusieurs  rôles, 
tels  que  Marsyas  dans  le  Jugement  de  Midas,  Dalsain  dans  la  Fausse 
Magie,  le  chef  des  eunuques  dans  Aline,  les  baillis,  tels  que  celui 
du  Nouveau  Seigneur,  qu'il  créa  avec  beaucoup  d'originalité.  Du  reste, 
son  zèle  était  sans  bornes,  et  il  se  chargeait  de  tous  les  rôles  que 
les  autres  refusaient.  Cet  acteur  se  recommandait  d'ailleurs  par  les 
qualités  les  plus  estimables.  Il  était  honnête  homme,  ami  sûr  et, 
excellent  père  de  famille  (2)  ». 

(.i  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Si  l'excellent  Pasdeloup  revenait  en  ce  monde,  il  serait  sans  doute, 
surpris  et  chagrin  de  voir  que  ses  successeurs  aient  si  bien  et  si  complè- 
tement abandonné  ses  généreuses  traditions.  En  eS'et,  nos  jeunes  compo- 
siteurs, si  heureusement  encouragés  par  lui  naguère,  sont  singulièrement 

(1)  Catalogue  des  Autograplies  de  feu  M.  le  baron  de  Tiémont,  2"  supplément, 
Paris,  Laverdet,  1853.  in-8". 

(2)  Biographie  universelle  et  portative  des  Contemporains. 


LE  MENESTREL 


délaissés  aujourd'hui,  soit  au  Cirque  des  Champs-Elysées,  soit  au  Chàtelet, 
et  doivent  le  regretter  amèrement.  C'est  fort  bien  de  jouer  Wagner  et  de 
jouer  Berlioz,  mais  peut-être,  tout  en  les  jouant,  y  aurait-il  autre  chose 
à  faire,  et  pourrait-on,  de  temps  à  autre,  penser  aux  jeunes  artistes  qui 
ont  besoin  de  se  faire  entendre  et  de  se  faire  connaître.  Il  me  semble  qu'un 
morceau  sur  cinq  consacré  à  ce  soin,  au  moins  de  loin  en  loin,  ne  dépa- 
rerait pas  un  programme,  et  que  l'administration  des  beaux-arts  estime- 
rait qu'à,  ce  prix  ses  encouragements  ne  seraient  pas  trop  mal  placés.  Il 
se  trouve  aujourd'hui  que  c'est  la  Spciété  des  concerts  du  Conservatoire 
qui  se  donne  le  luxe  d'exécuter  des  œuvres  inédites,  alors  que  ses  jeunes 
émules  ne  font  plus  aucun  effort  en  ce  sens.  Elle  nous  a  fait  entendre 
ainsi,  à  sa  troisième  séance,  une  œuvre  pleine  d'intérêt,  et  par  le  genre 
auquel  elle  appartient,  et  par  sa  valeur  propre,  et  par  le  nom  de  son  au- 
teur. Ce  n'est  ni  plus  ni  moins  qu'une  symphonie  dans  la  forme  régulière^ 
Taraavis!  une  symphonie  en  sol  mineur,  due  à  la  plume  de  M.  Edouard 
Lalo.  Depuis  assez  longtemps  nos  compositeurs  ont  usé  et  abusé  de  la 
suite  d'orchestre,  cette  fantaisie  instrumentale  d'une  trop  grande  facilité 
relative  ;  il  est  temps  enfin  qu'on  en  revienne  aux  formes  classiques  et 
sévères,  où  il  n'y  a  pas  à  biaiser  avec  soi-même  et  où  il  faut  que  le  savoir 
paie  argent  comptant.  La  symphonie  de  M.  Lalo  est  donc  divisée  en  quatre 
parties,  dont  le  premier  allegro,  solidement  construit  mais  sans  grande 
originalité,  est  précédé  de  quelques  mesures  d'introduction.  Le  second 
morceau  est  un  allegretto  en  mi  [i,  à  quatre  temps,  qui  sert  de  prologue  et 
d'épilogue  à  un  joli  andante  dont  le  chant  large,  spianato,  bien  établi  par 
les  violons,  acquiert  beaucoup  de  puissance  lorsqu'il  s'étend  à  toutes  les 
forces  de  l'orchestre;  l'allégretto  reprend  ensuite,  et  le  motif,  traité  sym- 
phoniquement  alors  avecbeaucoup  de  nerf  et  de  grandeur,  va,  après  un  grand 
forte,  s'éteignant  progressivement  pour  finir  dans  un  pianissimo  complet. 
C'est  là  un  excellent  morceau.  Uandantino  à  9/8,  eu  si  \>,  m'a  paru  plus 
froid,  sans  que  l'idée  initiale  et  principale,  quoique  traitée  un  peu  en 
style  dramatique,  amène  l'émotion.  Mais  le  finale  est  charmant;  il  est 
construit  solidement  et  développé  avec  beaucoup  d'art  sur  un  thème 
léger,  exposé  d'abord  par  les  instruments  de  bois  et  qui  ferait  un  déli- 
cieux air  de  ballet.  En  résumé,  la  symphonie  de  M.  Lalo  est  une  œuvre 
fort  intéressante,  d'une  forme  très  châtiée,  et  dont  l'orchestre,  tout  en- 
semble très  riche,  très  coloré,  très  sonore,  produit  les  plus  heureux  effets. 

—  Dans  cette  même  séance,  M.  Delaborde  a  exécuté,  avec  la  sûreté  de 
mécanisme  et  le  beau  style  qu'on  lui  connaît,  le  concerto  en  so/  de  Beetho- 
ven, celui  qui,  si  je  ne  me  trompe,  porte  le  n»  4  et  qui,  composé  en  1806, 
publié  en  1808  et  dédié  à  l'archiduc  Rodolphe,  son  élève  et  son  ami,  fut 
entendu  pour  la  première  fois  aux  concerts  de  l'Augarten,  àVienne,  dans 
l'été  de  1808.  Cette  œuvre  magnifique  esttrop  connue  pour  quej'aie  besoin 
d'insister  sur  ses  beautés.  Je  me  bornerai  à  constater  le  succès  très  légi- 
time que  son  exécution  si  franche  et  si  sentie  à  valu  à  M.  Delaborde.  Le 
programme  du  concert  était  complété  par  le  très  joli  chœur  du  Pauius 
de  Mendelssohn-  que  la  Société  connaît  depuis  si  longtemps,  par  la  43" 
symphonie  d'Haydn,  dont  la  forme  est  si  ingénieuse  et  si  charmante,  et 
par  l'admirable  Marche  du  Tannhduser,  qui  n'a  pour  moi  qu'un  défaut, 
celui  d'avoir  été  écrite  par  "Wagner  en  collaboration  avec  l'ombre  de  We- 
ber.  Il  est  certain  qu'en  mettant  au  monde  cette  page  si  éclatante  de  lu- 
mière, et  dont  la  sonorité  est  si  prodigieuse,  le  futur  auteur  de  Siegfried 
et  de  Parsifal  était  singulièrement  hanté  par  les  souvenirs  du  Freischûtz, 
A'Eunjanthe  et  à'Oberon.  A.  P. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  Roma,  symphonie  posthume  de  Bizet,  est  une 
œuvre  très  attachante,  bien  mélodique  et  parfaitement  claire  dont  la  fac- 
ture, sans  être  très  originale,  n'a  rien  de  vulgaire,  et  dont  l'ensemble 
soutient  l'attention  sans  laisser  à  l'auditeur  un  moment  de  lassitude.  Les 
phrases  sont  heureusement  développées,  parfois  d'une  façon  un  peu  som- 
maire, mais  il  y  a,  surtout  dans  le  finale,  beaucoup  d'entrain  et  de  jeunesse. 

—  L'aria  de  la  suite  en  ré  de  Bach,  dit  avec  un  charme  exquis,  est  une 
de  ces  inspirations  ravissantes  dont  les  maîtres  rencontrent  l'équivalent 
deux  ou  trois  fois  dans  leur  vie;  c'est  l'idéal  dans  le  simple.  —  Très  simple 
aussi  et  très  délicate  est  la  musique  de  M.  G.  Fauré  pour  le  drame  de 
Caligula  :  très  peu  saillante  dans  ses  contours  mélodiques,  recherchant 
surtout  les  teintes  dégradées  et  les  coloris  atténués,  elle  possède  par 
instants  une  saveur  particulièrement  douce  et  pénétrante.  Cela  n'est  peut-être 
pas  entièrement  applicable  au  Conte  mystique  intitulé  Enprièi  e,  dont  la  mélodie 
ressort  très  souple  et  très  nettement  dessinée  sur  un  accompagnement  de 
harpes.  Les  trois  autres  numéros  des  Contes  mystiques  ont  obtenu,  comme 
le  précédent,  un  succès  d'attendrissement.  Le  Premier  Miracle  de  Jésus  de 
M.  Paladilhe  est  une  mélodie  vocale  drapée  sur  un  accompagnement 
expressif  et  juste;  le  Non  credo  de  M.  Widor  se  rapproche  du  récitatif 
mesuré,  d'abord  et,  après  quelques  incursions  dans  le  domaine  de  la 
déclamation  lyrique,  s'achève  sur  une  péroraison  d'un  effet  mélodique 
certain;  le  cantique  de  M.  Fauré,  En  prière,  reste  dans  le  domaine  du 
chant  pur  à  peine  soutenu  par  quelques  accords  arpégés  ;  enfin  un  prélude 
d'orchestre:  Ce  que  l'on  entend  dans  la  nuit  de  Noël,  par  M""  Augusta  Holmes, 
a  des  qualités  de  naïveté  et  de  coloris  que  l'on  a  bien  appréciées.  Les 
trois  cantiques  dont  nous  venons  de  parler  ont  été  chantés  avec  beaucoup 
de  sentiment  et  de  style  par  M"«  de  Montalaut,  qui  s'est  montrée  excellente 
dans  le  duo  de  Béatrice  et  Bénédict,  de  Berlioz,  qu'elle  a  dit  délicieusement 
avec  M""  Lavigne.  —  Les  fragments  célèbres  du  Songe  d'une  nuit  d'été  de 
Mendelssohn  ont  terminé  brillamment  le  concert. 

Ajiédke  Boutakel. 


—  Concerts  Lamooreux.  —  L'ouverture  â'Esthcr,  de  M.  Coquard,  est  une 
des  meilleures  choses  que  nous  ayons  entendues  de  ce  compositeur  :  Les 
idées  sont  claires,  bien  conduites,  l'instrumentation  nerveuse  ;  il  ne  règne, 
dans  cette  œuvre,  aucune  des  préoccupations  wagnériennes  qui  hantent 
les  cerveaux  de  la  plupart  de  nos  modernes  compositeurs.  —  La  Sym- 
phonie en  la  de  Beethoven  a  été  remarquablement  exécutée,  sauf  le  finale, 
dans  lequel  la  trompette  a  exécuté  ses  mi  réitérés  avec  une  telle  violence 
qu'elle  réussissait  à  annihiler  tous  les  autres  instruments.  C'est  décidément 
la  disposition  de  l'orchestre  de  M.Lamoureux  qui  est  cause  de  semblables 
résultats  :  ses  instruments  de  cuivre  sont  perchés  à  une  telle  hauteur 
qu'ils  dominent  les  étages  inférieurs  et  écrasent  tout  de  leur  bruyante 
sonorité.  —  Le  Prélude  du  troisième  acte  de  Tristan  et  Yseult,  de  "Wagner, 
consiste  en  un  interminable  solo  de  cor  anglais  précédé  de  quelques  me- 
sures d'orchestre.  On  a  applaudi  le  talent  de  M.  Doré  ;  mais,  comme  mu- 
sique, cela  est  bien  inférieur  à  un  effet  à  peu  près  semblable  que  l'on  trouve 
dans  le  ilanfred  de  Schumann.  —  Le  scherzo  du  Songe  d'une  nuit  d'été  de 
Mendelssohn  a  produit  son  eft'et  accoutumé.  Après  ce  délicieux  morceau, 
venait  l'ouverture  d'I/craînnn  et  Dorothée,  de  Schumann.  Ce  n'estpas  sur  cette 
œuvre  qu'il  faudrait  juger  le  grand  génie  du  compositeur.  Cette  ouverture 
est  médiocre  ;  elle  est  écrite  dans  les  tons  sourds  empruntés  au  médium 
des  instruments  qu'affectionnait  Schumann,  elle  manque  de  souffle  :  la 
Marseillaise  fait  mauvais  effet  dans  ce  style  bucolique  ;  elle  ne  prête  qu'aux 
grandes  explosions.  Dans  un  cadre  plus  restreint,  dans  les  Deux  Grenadiers 
de  H.  Heine,  elle  est  bien  mieux  amenée  et  provoque  une  réelle  émotion. 
Le  Venusberg  du  Tannhiiuser,  composé  après  coup  sur  des  motifs  familiers 
à  ceux  qui  ont  entendu  si  souvent  l'ouverture  de  cet  opéra,  doit  faire  un 
grand  effet  avec  la  figuration  qui  l'accompagne  ;  elle  perd  dans  un  concert. 
Sa  fin  languissante  provoque  l'ennui  ;  on  sait  que  "Wagner,  en  introduisant 
cet  intermède  dansé  dans  son  œuvre,  entendait  faire  un  sacrifice  à  la 
dépravation  française,  qui  ne  saurait  se  passer  de  ballet  même  dans  une 
œuvre  sérieuse.  Quant  à  la  Marche  du  Centenaire,  c'est  de  la  musique 
d'exportation,  bruyante,  interminable  et  coulée  dans  le  même  moule  que 
toutes  les  marches  de  "Wagner,  aussi  bien  celle  du  Tannhauser  que  celle 
des  Maîtres  Chanteurs,  etc..  qui  sont  du  reste  toutes  plus  ou  moins  imitées 
de  Weber.  En  somme  tout  le  succès  du  concert  a  été  pour  la  Symphonie 
en  la  et  le  scherzo  du  Songe,  ce  dont  il  ne  faut  pas  se  plaindre. 

H.  Barbedette. 

—  Aujourd'hui,  par  suite  des  fêtes  du  jour  de  l'an,  il  n'y  aura  pas  de 
concert  du  dimanche,  ni  chez  M.  Colonne,  ni  chez  M.  Lamoureux. 

—  La  Société  nationale  a  donné,  samedi  27  décembre,  son  premier 
concert  de  la  saison,  salle  Pleyel.  Le  programme  était  entièrement  com- 
posé d'œuvres  de  musique  de  chambre  de  César  Franck,  qui,  depuis  plu- 
sieurs années,  était  président  de  la  Société,  et,  depuis  longtemps,  lui  avait 
réservé  presque  toutes  les  premières  auditions  de  ses  œuvres.  L'on  a  donc 
entendu  pour  la  seconde  fois  le  quatuor  à  cordes,  qui  n'avait  été  donné 
jusqu'ici  qu'à  l'un  des  derniers  concerts  de  la  saison  précédente  ;  puis  le 
quintette,  qui  forme  depuis  plusieurs  années  un  des  plus  magnifiques 
morceaux  du  répertoire  de  la  Société  ;  le  Prélude,  choral  et  fugue,  pour 
piano  ;  enfin  deux  chœurs  pour  voix  de  femmes  :  la  Vierge  à  la  crèche  et 
un  fragment  i'ihdda,  opéra  inédit.  Un  public  nombreux  et  recueilli  a 
acclamé  avec  enthousiasme  ces  œuvres,  dont  il  n'est  pas  une  qui  n'ait  sa 
place  parmi  les  chefs-d'œuvre  de  la  musique,  et  qui,  devant  un  audi- 
toire accoutumé  à  leurs  beautés,  prenaient  une  sorte  d'allure  classique 
qu'elles  ne  perdront  plus.  Remarquable  exécution  des  pièces  instrumen- 
tales par  M.'^"  George  Hainl,  M.  Chevillard  et  le  -quatuor  de  la  Société, 
MM.  Heymann,  Gibier,  Balbreck  et  Liégeois,  et  par  les  chœurs  sous  la 
direction  de  M.  Vincent  d'Indy.  Julien  Tiersot. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Dépêche  de  Naples  :  Hanilct  vient  d'obtenir  un  grand  succès  au  San 
Carlo,  avec  Maurel  et  M"»  Calvé.  On  a  fait  beaucoup  d'ovations  aux  deux 
excellents  artistes. 

—  Si  les  journaux  de  son  pays  disent  vrai,  l'auteur  de  la  bienheureuse 
Cavalleria  rusiicana,  le  jeune  maestro  Pietro  Mascagni,  donnerait  des 
preuves  d'une  fécondité  qui  pourrait  finir  par  lui  être  fatale.  Non  content 
d'écrire  l'opéra  qui  lui  a  été  commandé,  tes  Rantzau,  il  en  aurait  déjà  un 
tout  prêt,  Guglielino  Radcliffe,  et  il  travaillerait  en  ce  moment  à  un  troi- 
sième, la  Filandn.  Il  nous  parait  que  c'est  beaucoup. 

—  La  Cavalliera  rusticana  de  M.  Mascagni,  après  avoir  fait  fortune  en 
Italie,  et  parcouru  toute  la  Péninsule,  commence  son  tour  d'Europe.  Dans 
le  courant  de  la  prochaine  saison  on  va  la  représenter,  traduite  en  alle- 
mand sur  neuf  théâtres  :  "Vienne,  Buda-Pesth,  Prague,  Berlin,  Munich. 
Francfort,  Mannheim,  Stuttgard  et  Hambourg.  En  même  temps  on  la 
donnera,  en  italien,  sur  diverses  autres  scènes  étrangères:  Saint-Péters- 
bourg, Moscou,  Madrid,  Valence  et  Trieste.  Puis  elle  continuera  sa  marche 
triomphale  dans  sa  patrie,  où  déjà  vingt  villes  vont  l'avoir  acclamée,  ce 
qui  amène  cette  réflexion  du  Truvatorc:  «  En  admettant  que  la  location 


LE  MENESTREL 


de  la  partilion  ait  été  calculée  sur  le  pied  d'une  moyenne  de  10,000  francs, 
ce  serait  une  somme  de  200,000  francs  qui  aurait  été  gagnée  déjà  jusqu'à 
ce  jour  entre  l'éditeur  et  l'auteur.  »  Le  succès,  d'ailleurs,  est  loin  d'être 
épuisé,  car  à  Ancone,  qui  n'est  certes  pas  une  ville  de  premier  ordre,  la  bien- 
heureuse Cavallm'a  ne  vient  pas  d'obtenir  une  s  érie  de  moins  de  quinze 
représentations. 

—  Quelques  nouveaux  ouvrages  italiens  qui  ne  demandent,  comme  tant 
d'autres,  qu'à  voir  le  l'eu  de  la  rampe  :  Jeflc,  drame  lyrique,  de  M.  Bruno- 
Barzilai,  qui,  dit-on,  pourrait  bien  être  joué  au  théâtre  Goldoni,  de 
Venise,  au  cours  de  la  prochaine  saison  de  printemps  :  Viaggo  cli  Nozze, 
opéra-comique  en  trois  actes,  de  M.  Antonio  Lozzi;  el  Principe  di  Leida, 
opérette  du  maestro  Riccardo  Matini,  et  Lili,  autre  opérette  du  même. 

—  Il  fait  bon  ouvrir  des  concours,  mais  il  ne  faut  pas  y  perdre  d'argent. 
C'est  ce  qu'a  pensé  un  éditeur  de  musique  de  Palerme  en  organisant  un 
concours  pour  une  grande  valse  à  l'occasion  de  la  prochaine  Exposition 
qui  doit  avoir  lieu  en  cette  ville.  L'œuvre  couronnée  recevra  un  prix  de 
JOO  francs,  mais,.,  chaque  concurrent  devra  envoyer  avec  son  manuscrit 
une  somme  de  deux  francs.  Les  affaires  sont  les  affaires. 

—  La  cantatrice  Medea  Borelli,  l'une  des  plus  renommées  de  l'Italie 
actuelle,  doit  épouser  prochainement  un  jeune  noble  d'Ascoli,  le  comte 
Angelini.  Mais,  au  rebours  de  tant  d'autres,  elle  ne  quittera  point  le 
théâtre  et  continuera  sa  carrière. 

—  Le  célèbre  chef  d'orchestre  Hans  de  Biilow,  qui  a  toujours  marque 
une  très  grande  prédilection  pour  les  œuvres  de  la  nouvelle  école  fran- 
çaise, vient  de  diriger  au  dernier  concert  philharmonique  de  Hambourg, 
la  deuxième  symphonie  (la  mineur)  de  M.  Camille  Saint-Saèns.  Cet  ou- 
vrage a  obtenu  un  très  vif  succès,  et  la  critique  allemande  lui  est  très 
favorable.  La  Muzik-Zeilung  de  Hambourg  cite  à  ce  propos  un  mot  de 
J.  Brahms  sur  l'auteur  de  Sniiison  et  Dalila.  «  Ah  !  si  tous  nos  compositeurs 
allemands  voulaient  donner  à  leurs  travaux  un  peu  du  soin  et  de  l'atten- 
tion que  Saint-Saëns  a  mis  à  écrire  tous  ses  ouvrages!  »  On  se  rappelle, 
dit-elle  encore,  que  Bûlow  avait  déjà  dit  un  jour  de  Saint-Saêns  qu'il  était 
le,  meilleur  «  compositeur  allemand  »  de  l'époque!  Nous  ne  saisissons  pas 
très  bien  le  sel  de  cette  dernière  remarque. 

—  On  annonce  à  Berlin,  dit  le  Guide  musical,  une  série  de  concerts  qui 
ne  peut  manquer  d'intéresser  vivement:  le  célèbre  violoniste  Sarasate  a 
proposé  de  donner  un  cycle  de  récitals  de  violon,  dans  lesquels  il  passera 
en  revue  les  œuvres  les  plus  remarquables  du  répertoire  du  violon,  depuis 
son  origine  jusqu'à  nos  jours.  On  se  rappelle  que  Rubinstein  avait  déjà 
organisé,  il  y  a  trois  ans,  des  séances  analogues  pour  piano.  Le  succès  de 
ces  concerts  historiques  fut  énorme  à  Saint-Pétersbourg,  à  Berlin  et  à 
Paris. 

—  Le  compositeur  tchèque,  Antoine  Dvorak  vient  de  recevoir  de  l'Uni- 
versité de  Cambridge,  en  Angleterre,  le  titre  honorifique  de  docteur  ès- 
musique. 

—  On  a  donné  le  7  décembre  à  l'Opéra  royal  hongrois  de  Buda-Pesth, 
sous  le  titre  de  Czardas,  un  nouveau  ballet  en  trois  actes,  qui  semble  être 
le  pendant  de  celui  qu'on  représentait  récemment  à  Vienne  sous  celui  de 
Wiener  Waher.  C'est  une  sorte  d'histoire  en  action  de  la  Czardas,  plus 
brillante,  plus  fantastique  et  plus  originale  que  cette  histoire  dansée  de  la 
valse,  et  qui  pourrait  bien,  dit  un  chroniqueur,  faire  son  tour  d'Europe, 
grâce  à  son  charme  et  à  son  originalité.  Le  scénario  est  dû  à  M.  Luigi 
Mazzantini,  maître  de  ballet  de  l'Opéra,  qui,_  pour  étudier  à  fond  les 
czardas,  a  fait  un  voyage  de  plusieurs  mois  dans  les  provinces  de  la  Hon- 
grie et  en  Transylvanie.  La  musique  est  l'œuvre  d'un  jeune  compositeur, 
M.  Eugène  Stojanovicz,  et  est  pleine,  dit-on,  de  motifs  personnels  char- 
mants et  d'un  grand  efl'el,  entremêlés  de  quelques-unes  des  plus  belles 
chansons  nationales.  Le  premier  acte  du  ballet  représente  l'arrivée  des 
Tsiganes  en  Hongrie,  avec  musique  et  danses  d'une  couleur  éminemment 
orientale;  le  second  acte  transporte  le  spectateur,  plusieurs  sièales  plus 
tard,  au  milieu  du  camp  du  célèbre  Rakoczy,  dont  la  marche  a  été  rendue 
si  fameuse  par  Berlioz;  enfin,  le  troisième  se  déroule  de  nos  jours,  en 
Transylvanie,  où  les  danses  hongroises  se  mêlent  aux  danses  nationales 
des  Roumains  et  des  Saxons.  En  résumé,  cet  ouvrage  a  obtenu  un  succès 
d'enthousiasme,  et  excite  à  chacune  de  ses  apparitions  des  applaudisse- 
ments frénétiques. 

—  L'Opéra  royal  de  Dresde  inaugurera  dans  quelques  jours  un  cycle 
d'opéras  de  Gluck  qui  se  déroulera  dans  l'ordre  suivant  :  Alcestc,  Orphée, 
Armide,  Iphigénie  en  Aulidc,  iphigénie  en  Tcmridc. 

—  Une  correspondance  de  Saint-Pétersbourg,  reçue  par  le  Journal  de 
Magdt'bourg,  donne  les  explications  suivantes  au  sujet  de  la  retraite  de 
Rubinstein,  comme  directeur  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg  : 
«  M.  Rubinstein  a  abandonné  ce  poste  uniquement  parce  que  le  ministère 
de  la  Cour  ne  lui  donnait  pas  les  moyens  de  maintenir  l'institution  sur 
un  pied  digne  du  gouvernement  russe.  Pour  arriver  à  un  pareil  résultat, 
en  Russie,  il  faut  faire  antichambre  en  tous  lieux  et  s'abaisser  à  des  solli- 
citations humiliantes.  Rubinstein  n'était  pas  l'homme  d'une  telle  situa- 
tion. » 


—  On  ne  dira  pas  que  le  Théâtre-Royal  de  Liège  n'en  donne  pas  pour 
leur  argent  à  ses  spectateurs.  Le  dimanche  28  décembre,  l'affiche  de  ce 
théâtre  offrait  à  ceux-ci  un  opéra-comique  en  trois  actes  et...  un  grand 
opéra  en  cinq  actes  :  le  Docteur  Crispin,  des   frères  Ricci,   et  la  Muelle  de 

Portici,  d'Auber. 

—  Les  journaux  espagnols  annoncent  comme  prochaine  la  première 
représentation,  au  théâtre  du  Liceo  de  Barcelone,  d'un  opéra  nouveau  du 
compositeur  Felipe  Espino,  intitulé  Zahra.  Le  sujet  de  l'ouvrage  est  espa- 
gnol, et  l'action  se  passe  dans  le  courant  du  ix"  siècle. 

—  Nous  annoncions  récemment  la  prochaine  apparition,  au  théâtre  de 
la  Trinité  de  Lisbonne,  d'une  opérette  nouvelle  intitulée  Moira  de  Silvcs, 
due  à  un  jeune  compositeur,  M.  Joâo  Guerreiro  da  Costa.  L'ouvrage  est 
en  effet  en  pleines  répétitions,  mais  le  jeune  artiste,  atteint  d'une  maladie 
grave,  vient  de  mourir  avantd'en  avoir  pu  voir  la  première  représentation. 

—  Selon  un  journal  italien,  le  Cosmorama,  le  théâtre  du  Lyceo  de  Bar- 
celone serait  en  ce  moment  en  proie  à  une  crise  financière  aiguë.  Une 
des  premières  artistes  de  la  troupe  italienne.  M™*  Giuseppina  Pasqua, 
serait  déjà  partie,  après  avoir  appelé  la  direction  devant  les  tribunaux,  et 
d'autres  seraient  tout  disposés  à  la  suivre  de  près. 

—  Nous  avons  dit  que  c'est  par  un  drame  lyrique  de  M.  Arthur  Sulli- 
van, Ivanhoé,  que  devait  s'ouvrir  le  nouveau  théâtre  construit  à  Londres 
par  les  soins  de  M.  d'Oily  Carte,  déjà  directeur  du  Savoy-Théâtre.  C'est 
au  10  janvier  qu'est  fixé  le  jour  de  cette  inauguration.  On  annonce  déjà 
qu'après  Ivanlioé,  M.  d'Oily  Carte  doit  donner  un  ouvrage  nouveau  de 
M.  Goring  Thomas,  l'auteur  applaudi  de  Nadejda  et  à'Esmeralda. 

—  On  annonce  qu'au  cours  de  récentes  fouilles  opérées  en  Egypte,  Un 
M.Flinders  Pétrie  aurait  découvert,  dans  une  tombe  féminine,  entre  autres 
objets,  une  flûte  double  égyptienne.  Récemment,  à  Londres,  devant  un 
auditoire  choisi,  cet  artiste  auraitexécuté  divers  merceaux  sur  l'instrument 
en  question,  dont  l'âge  respectable  ne  représenterait  pas  moins  de  trois 
mille  années.  Si  les  renseignements  publiés  à  ce  sujet  sont  exacts,  le  son 
de  cette  flûte  antique,  au  lieu  de  ressembler  à  celui  de  la  flûte  moderne, 
se  rapprocherait  de  celui  de  l'instrument  connu  en  Italie  sous  le  nom  de 
zampogna.  D'autre  part,  on  fait  cette  remarque  intéressante,  que  les  diverses 
notes  de  son  échelle  sont  identiques  à  celle  de  la  gamme  européenne 
moderne,  ce  qui  prouverait  que  notre  système  musical  était  connu  des 
anciens  Egyptiens. 

—  A  l'Empire-Théâtre,  de  Londres,  première  représentation  du  Ballet 
des  jouets,  scénario  de  M'"^  Ratti-Lanner,  musique  de  M.  Léopold  de  'Wenzel, 
avec  M"=s  Paladino  et  de  Sortis  pour  principales  interprêtes. 

—  L'Opéra  allemand  de  New- York  vient  d'effectuer  sa  réouverture  avec 
VAsraël  de  Franchetti,  dont  c'était  la  première  représentation  en  Amérique. 
La  presse  locale  critique  cet  ouvrage  assez  sévèrement,  se  bornant  à  re- 
connaître au  compositeur  un  don  très  prononcé  d'assimilation.  L'interpré- 
tation, qui  comprenait  presque  exclusivement  des  artistes  nouveaux  pour 
l'Amérique,  a  produit  une  impression  très  favorable.  Le  chef  d'orchestre, 
M.  A.  Seidl,  avait  monté  l'ouvrage  avec  un  soin  minutieux. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Comme  d'ordinaire  à  Paris,  dans  nos  églises,  la  musique  a  eu  sa 
part  très  importante  dans  la  célébration  des  fêtes  de  iVoél,  qui  sous  ce 
rapport  ont  été  extrêmement  brillantes.  A  Saint-Louis  d'Antin,  exécution, 
avec  petit  orchestre,  de  la  messe  en  sol  de  Weber  (soli  par  MM.  Clément, 
Merglet  et  Bœtig)  ;  à  l'Offertoire,  composition  religieuse  de  M.  Loret  pour 
violon,  violoncelle,  hautbois  et  orgue  (MM.  Lefort,  Georges  Papin,  Bou- 
lard  et  l'auteur).  —  A  Saint-Eustache,  à  la  messe  de  minuit,  messe  en  ut 
de"  Mozart  et  Noël  d'Adam  (M.  Dulin);  pendant  la  grand'messe,  oratorio 
de  Lesueur,  avec  orchestre.  —  A  Saint-Augustin,  à  la  messe  de  minuit, 
r  Oratorio  de  Noël,  de  M.  Saint-Saëns,  et  à  la  messe  du  jour,  messe  deM.  J. 
Hochstetter  (chanteurs:  MM.  Auguez,  'V\''armbrodt,  Villard  etBernaërt; 
instrumentistes:  M^t.  Franck,  Loeb  et  Bas;  au  grand  orgue:  M.Eugène 
Gigout).  —  A  Notre-Dame- des-Victoires,  Messe  de  Lesueur,  sous  la  di- 
rection de  M.  Pickaert.  —  A  la  Trinité,  Messe  du  Sacre  de  Cherubini, 
sous  la  conduite  de  M.  Bouichère  (chanteurs  :  MM.  l'ontaine  et  Giraud  ; 
instrumentistes  :  MM.  Paul  Viardot,  Franck  et  Gauthier.)  —A  Saint-Ger- 
main-des-Prés,  Messe  en  «i  d'Haydn,  sous  la  direction  de  M.  Minard 
jeune.  —A  Notre-Dame-de-Lorette,  Messe  de  Sainte-Cécile,  de  M.  Gounod 
(harpiste:  M"»  Momas).  —  A  Saint-Philippe-du-Roule,  Messe  des  Rois 
Mages,  de  Pilot;  M.  Gillet,  hautbois,  et  M.  Berthelier,  violon,  se  font 
■  entendre  pendant  les  offices.  —  A  Saint-Thomas-d'Aquin,  Messe  de  divers 
auteurs  (Kyrie  et  Gloria  de  Niedermeyer,  Sanctus  de  M.  Ambroise  Thomas, 
0  Sahdaris  de  M.  Gounod,  Agmis  Dei  de  Cherubini).  —  A  Saint-Sulpice, 
à  la  messe  de  minuit,  messe  de  Pilot,  composée  sur  d'anciens  Noëls 
(instrumentistes:  MM.  Georges  Papin  etClerc);  à  la  messe  du  jour.  Messe 
de  Beethoven  et  Bencdictus  de  M.  Bellenot,  chanté  par  M.  Auguez;  au 
grand  orgue,  M.  VVidor.  —  A  Saint-Eugène,  Kyrie  et  Gloria  de  la  Messe 
de  Sainte-Cécile  de  M.  Gounod,  Credo  de  M.  Samuel  Rousseau,  et  Sanctus 
de  M.  Raoul  Pugno  (M»«=  Leroux-Ribeyre  et  M.  Bernaërt;  à  l'orgue  M.  Xa- 
vier Leroux).  —  A  Saint-Roch,  à  la  messe  de  minuit,  A'oèi  de  M.  Darnaud, 
et  Ave  Maria  de  M.  Perran  ;  à  la  messe  du  jour,  oratorio  de  Lesueur  et 
Credo  de  la  Messe   solennelle   de  M.  Gounod.   —  A  la   Madeleine,  Kyrie 


LE  MÉNESTREL 


d'Haydn,  Gloria  de  M.  Gounod,  0  Salutaris  de  M.  Saint-Saëns  et  Agnus  Dei 
de  Dietsch  (MM.  Ballard  et  Barrot)  ;  au  grand  orgue,  M.  Théodore  Dubois, 
à  l'orgue  d'accompagnement,  M.  Manson.  —  A  Sainte-Clotilde,  Messe  de 
Pilot,  pour  soii,  chœur  et  orchestre,  et  Offertoire  de  M.  Samuel  Rousseau 
(chanteurs:  MM.  Fournest  et  Mazalbert;  instrumentistes:  MM.  Nobeis, 
Loeb  et  Carillon  ;  au  grand  orgue,  M.  Gabriel  Pierné). 

—  Il  y  a  quelques  mois,  on  s'était  justement  ému  à  Paris  de  l'article 
d'un  petit  reporter  musical  nantais  qui  prêtait  au  grand  maestro  Verdi 
une  conversation,  des  plus  malveillantes,  à  l'égard  de  nos  compositeurs 
français.  Nous  n'avons  jamais  fait  allusion  à  cet  article  de  reportage,  pen- 
sant bien  qu'il  devait  être  tout  au  moins  singulièrement  exagéré,  étant 
donné  le  noble  caractère  de  l'interwievé.  Bien  nous  en  a  pris.  Le  baryton 
Victor  Maurel  livre,  en  effet,  aujourd'hui,  à  la  publicité,  une  lettre  qu'il  reçut 
à  cette  époque  du  maitre  italien  et  qu'il  n'a  pas  communiquée  plus  tôt  au 
public  parisien  parce  qu'il  n'y  étaitpas  autorisé.  Cette  lettre,  nous  sommes 
heureux  de  la  reproduire  ici. 

Milan,  25  avril  1890. 
Cher  Maurel, 

i<  Je  voudrais  que  cette  lettre  vous  fût  remise  avant  que  voua  quittiez  Gênes. 

»  Dans  le  Figaro  du  21,  il  y  a  un  entrefilet  à  propos  d'une  conversation  qui 
aurait  eu  lieu  entre  un  monsieur  X...  et  moi  et  au  cours  de  laquelle  j'aurais 
parlé  très  sévèrement  de  trois  de  nos  compositeurs  français,  Saint-Saëns,  Tho- 
mas, Gounod.  J'espère  que  vous  me  croirez  facilement  si  je  vous  dis  que  cette 
narration  a  été  dénaturée  dans  un  sens  odieux,  car  ce  que  j'ai  pu  direne  pouvait 
être  une  offense  pour  personne. 

»  Muzio  m'écrit  que  je  dois  répondre.  Pour  rien  au  monde...  Mais  je  serais 
très  affligé  si  ces  messieurs,  et  spécialement  Thomas,  croyaient  à  ces  paroles. 
Vous  savez  l'estime  que  j'ai  pour  cet  homme,  et  il  est  impossible  qu'une  parole 
blessante  pour  lui  puisse  sortir  de  ma  bouche.  Si  vous  lui  écrivez,  racontez-lui 
ce  désagréable  incident. 

»  Bon  voyage  et  prompt  retour. 

])  Votre  affectionné, 

G.  Verdi. 

—  M.  Bourgault-Ducoudray  vient  de  terminer  sa  partition  de  Thamara, 
sur  un  livret  en  deux  actes  de  M.  Louis  Gallet.  La  lecture  en  aura  lieu 
à  l'Opéra  le  jeudi  8  janvier  prochain. 

—  Les  conservatoires  de  province  ne  sont  pas  oubliés  par  notre  admi- 
nistration des  beaux-arts.  La  Semaine  musicale  de  Lille  nous  apprend  que 
M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  expédié  à 
l'École  nationale  de  musique  de  cette  ville,  une  trompette  et  un  cornet  à 
piston,  comme  don  gracieux.  Par  arrêté  du  16  décembre,  il  a  en  outre  ac- 
cordé un  encouragement  de  trois  cents  francs  aux  élèves  suivants  de 
l'École  de  Lille,  admis  au  Conservatoire  national  de  musique  et  de  décla- 
mation :  M.  Hérauard,  M"=s  Ray  et  de  Kisch . 

—  II  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  constater  que  le  beau  drame  de 
M.  Alphonse  Daudet,  l'Arlésienne,  aidé  de  la  charmante  musique  de  Bizet 
exécutée  par  l'orchestre  Lamoureux,  a  atteint  dimanche  dernier,  à  l'Odéon  , 
sa  cent  quatre-vingtiitme  représentation. 

—  A  l'Opéra-Comique,  les  fonctions  de  maîtresse  de  ballet,  devenues 
vacantes  par  la  mort  de  M"''  Louise  Marquet,  sont  confiées  à  W^"  Elise 
Parent,  dont  on  n'a  pas  oublié  la  brillante  carrière  chorégraphique  à 
l'Opéra,  où  elle  a  laissé  les  meilleurs  souvenirs,  et  comme  femme  et  comme 
artiste.  M""  Parent  s'est  mise  aussitôt  en  fonctions,  en  réglant  le  ballet  de 
l'Amour  vengé,  qui  a  été  représenté  cette  semaine. 

—  L'Association  des  Artistes  musiciens  vient  d'être  autorisée  à  accepter 
le  legs  de  20,000  francs  qui  lui  avait  été  généreusement  fait  par  M"^'  Erard. 
Dans  sa  deuxième  séance,  le  Comité  de  l'Association  a  fait  choix  du 
rapporteur  chargé  de  présenter  à  la  prochaine  assemblée  générale  le 
compte  rendu  des  travaux  de  la  Société  pour  l'année  1890.  C'est  M.  Arthur 
Pougin  qui  a  été  élu. 

—  Dimanche  a  eu  lieu  l'assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  natio- 
nale de  musique,  sous  la  présidence  de  M.  G.  Fauré.  Après  une  allocu- 
tion du  secrétaire,  qui  a  rendu  hommage  à  la  mémoire  de  César  Franck, 
et  le  compte  rendu  du  trésorier,  on  a  procédé  au  renouvellement  du 
comité.  Ont  été  nommés:  MM.  Fauré,  V.  d'Indy,  Chabrier,  Ernest  Chaus- 
son, Camille  Benoit,  Paul  Vidal,  P.  de  Bréville,  GheviUard  et  Charles 
Bordes. 

—  Voici  qu'on  annonce  le  prochain  mariage  d'une  jeune  artiste  dont 
nous  avions  l'occasion  de  parler  récemment,  M"^  Adélaïde  Milanollo,  vio- 
loniste, avec  M.  Roeder,  littérateur  et  publiciste  à  Dresde.  Nous  savons 
aujourd'hui,  de  façon  certaine,  que  cette  artiste,  ainsi  que  sa  sœur  Clo- 
tilde,  violoniste  comme  elle,  est  cousine  de  M""  la  générale  Parmentier, 
née  Teresa  Milanollo,  et  qu'elles  sont  loin  d'avoir  à  regretter  cette  parenté. 
L'une  et  l'autre  ont  été  pendant  quelque  temps,  au  Conservatoire,  auditrices 
dans  la  classe  de  M.  Massart.  Ces  deux  jeunes  filles  ont  fait  en  France, 
sous  la  conduite  d'une  imprésario  nommé  Sainti,  une  tournée  artistique  qui 
n'a  pas  toujours  été  brillante,  si  ce  n'est  a  Nantes,  où  leur  succès  a  été  très 
accentué  et  fructueux.  L'une  d'elles,  Glotilde,  a  fait  sa  première  commu- 
nion en  cette  ville,  grâce  aux  soins  de  M.  Arnoux  Rivière,  qui,  après 
l'avoir  placée  pendant  un  certain  temps  à  ses  frais  chez  les  religieuses  de 
Saint-Vincent-de-Paul,  lui  a  fait  cadeau  d'un  fort  beau  violon. 


—  Charmante  réunion,  cette  semaine,  chez  M.  et  M'"=  Eugène  Fischhof. 
Elle  avait  surtout  pour  but  de  présenter,  aux  amis  de  M.  Eugène  Fischhof, 
son  frère,  lé  célèbre  virtuose  compositeur  viennois,  M.  Robert  Fischhof. 
Malheureusement,  au  dernier  moment,  celui-ci  a  été  retenu  à  Vienne 
par  une  assez  grave  indisposition,  ce  qui  l'oblige  à  retarder  son  voyage 
à  Paris  et  à  remettre  à  une  date  indéterminée  les  concerts  annoncés  à  la 
salle  Erard  et  chez  M.  Colonne.  En  son  absence.  M""!  Montigny  de  Serres 
et  M.  Louis  Diémer  ne  nous  en  ont  pas  moins  fait  entendre  ses  merveil- 
leuses Variations  pour  deux  pianos,  qui  sont  tout  à  fait  de  premier  ordre  ; 
l'allure  en  est  d'un  beau  style  classique,  mais  avec  des  détails  d'un  ralE- 
nement  moderne  exquis.  Il  n'est  pas  besoin  d'ajouter  que  les  deux  inter- 
prètes se  sont  montrés,  dans  l'exécution  de  cette  œuvre,  des  artistes  tout 
à  fait  remarquables,  selon  leur  habitude.  A  la  même  soirée,  on  a  entendu 
encore  W^"  Krauss,  qui  a  chanté  délicieusement  le  Soir,  d'Ambroise 
Thomas,  et  la  petite  Naudin,  cette  enfant  d'une  précocité  extraordinaire, 
qui  chante  l'Enfant  au  jardin,  de  Faure,  à  vous  tirer  toutes  les  larmes  des  yeux. 

—  Très  intéressante  audition  des  élèves  de  M""  Guéroult,  l'excellent 
professeur  bien  connu,  à  la  salle  Gaveau.  En  dehors  du  répertoire  classique, 
M™"  Guéroult  a  fait  exécuter  des  œuvres  d'auteurs  modernes  :  MM.  Godard, 
Bourgeois,  Barbedette,  etc.  Grand  succès  pour  M""  Grosrichard,  qui  a  fort 
bien  interprété  l'Impromptu,  de  M.  Barbedette,  et  l'Agilato  pour  piano  et 
violon,  du  même  auteur.  Grand  succès  aussi  pour  la  Marche  triomphale,  de 
M.  Bourgeois,  exécutée  par  M"''s  Laçasse,  Legendre,  Halbanach  et  Gros- 
richard. Le  violon  était  tenu  par  M.  P.  Lemaître,  qui  a  tenu  ses  audi- 
teurs sous  le  charme  accoutumé.  Signalons  une  charmante  enfant,  la 
petite  Jeanne  Numa,  qui  promet  de  devenir  une  artiste  distinguée. 

—  M.  Edouard  Guinand,  le  président  de  la  célèbre  société  chorale 
Guillot  de  Sainbris  et  M'°'=  Guinand  ont  donné  dans  leur  hôtel  de  la  rue 
Dumont-d'Urville  une  soirée  musicale  dont  leurs  invités  conserveront  un 
souvenir  charmant.  Les  ténors  Maz  Alberty  et  Devillers,  le  violoniste 
White,  le  violoncelliste  Liégois,  la  cantatrice  M"^  Fanny  Lépine,  les  com- 
positeurs Gh.  Lefebvre  et  Ch.  René,  le  poète  Jean  Rameau  ont  tour  à  tour 
défrayé  un  très  intéressant  programme. 

—  Au  dernier  concert  de  l'Association  artistique  d'Angers,  la  Société 
musicale  la  plus  active  assurément  et  la  plus  vivante  de  toute  la  province, 
M.  Jules  Bordier  a  fait  entendre  avec  un  vif  succès  une  composition  nou- 
velle, Loreley,  ballade  pour  chœur  d'hommes  et  orchestre,  écrite  sur  un 
texte  imité  de  Henri  Heine  par  M.  H.  Durand.  L'auteur,  qui  dirigeait  en 
personne  l'exécution  de  sou  œuvre,  a  été  de  la  part  du  public  l'objet 
d'une  manifestation  particulièrement  flatteuse.  Quelques  jours  auparavant, 
M.  Jules  Bordier  avait  remporté  un  autre  succès  au  concert  populaire  de 
Nantes,  où  l'on  avait  accueilli  avec  une  grande  faveur  son  ouverture  de 
Nadia  et  la  suite  dansante  extraite  du  ballet  l'Anneau  de  fer. 

—  M.  Gabriel  Sinsoilliez,  chef  d'orchestre  du  théâtre  de  Lille,  vient  d'être 
choisi  comme  premier  chef  du  Casino  de  Boulogne,  pour  l'été  1891. 
M.  Sinsoilliez  compte  faire  représenter  au  Casino  une  œuvre  importante, 
les  Salviati,  grand  opéra  en  quatre  actes  et  cinq  tableaux,  à  laquelle  il  met 
la  dernière  main  en  ce  moment.  La  presse  sera  conviée  à  la  première 
des  Salviati, 

NÉCROLOGIE 

Cette  semaine  est  mort,  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans,  un  galant  homme 
qui  fut  un  homme  de  grand  talent  et  certainement  l'un  des  écrivains  les 
plus  lus  de  ce  siècle.  Octave  Feuillet,  dont  les  débuts-littéraires  remontaient 
à  1845,  a  succombé  dans  sa  résidence  de  Saint-Lô,  qu'il  ne  quittait  plus 
guère  en  ces  dernières  années,  aux  suites  de  la  maladie  nerveuse  dont  il 
était  depuis  longtemps  atteint.  Les  succès  de  l'auteur  dramatique  ont 
égalé,  chez  Feuillet,  ceux  du  romancier.  Après  avoir  donné  d'abord  à 
l'Odéon,  en  collaboration  avec  Paul  Bocage,  deux  ou  trois  drames,  entre 
autres  Échec  et  mat,  il  fit  jouer,  au  Gymnase  et  à  la  Comédie-Française, 
une  série  de  proverbes  pleins  de  grâce  qui  n'étaient  pas  une  imitation, 
mais  certainement  une  inspiration  de  ceux  de  Musset;  c'était  la  Crise,  le 
Pour  et  le  Contre,  le  Village,  la  Partie  de  dames...  Vinrent  ensuite  les  grandes 
œuvres  dramatiques  dont  les  succès  furent  si  éclatants,  si  retentissants  et 
si  prolongés  :  Dalila,  le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre.  Rédemption,  le  Sphinx, 
etc.  Feuillet  a  même  touché,  par  accident  en  quelque  sorte,  à  la  musique. 
Sur  la  prière  d'un  jeune  musicien,  désireux  de  se  produire,  M.  Hémery, 
organiste  de  Saint-Lô,  il  avait  transformé  en  un  livret  d'opéra-comique 
une  des  petites  saynètes  écrites  par  lui  naguère  presque  au  courant  de  la 
plume,  la  Fée,  et  ce  petit  ouvrage  fut  représenté  au  théâtre  Favart  il  y  a 
quelque  douze  ans.  Les  romans  d'Octave  Feuillet  ont  été  traduits  dans  toutes 
les  langues,  ses  pièces  ont  été  jouées  en  tous  pays,  et  il  nous  faisait  assu- 
rément plus  d'honneur,  à  l'étranger,  que  tel  ou  tel  écrivain  «  naturaliste  » 
qu'on  pourrait  nommer. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Pour  paraître  prochainement  chez  les  éditeurs  MAGKAR  et  NOËL: 
LA   DAME   DE   PIQUE 

Opéra  de  P.  Tsciiaïkowsky 

Venant  d'obtenir  un  grand  succès  au  théâtre  impérial  de  St-Pétersbourg. 

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Arrangements  divers  à  deux  et  à  quatre  mains. 


LE  MÉNESTREL 


Oinquante-septième    année     de    pulblication 


PRIMES   1891   DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE   FONDÉ   LE   l^"-  DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CIIAXT  ou  pour  le  PIAi¥0,  de  moyenne  dilficulté,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAUT  et  WAtV'O. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement   à    l'un    des    volumes   in-S"   suivants  : 


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BALLET   EX   3   ACTES 
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ET  PIÈCES  lllVERSES(li  n") 
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CÉLÈBRES  DAXSES  arrangées  facilement  (io  n°") 
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recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 


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DES  PROVINCES  DE  FRANCE 
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LE  FÉTICHE 


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par    H.    GERBAULT 


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O.      AISrTHEUPsIS 


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F.    A.    OEVAERT 


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LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ 

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Nouvelle  édition  avec  double  texte  français  et  italien 
VERSION  POUR  TÉNOR 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  ilélîTrées  :ratuiteino;iit  dans  nos  bnpeaux.  2  Us,  rue  ViTieune,  à  partiriln  1"  «laurier  1891,  à  tout  ancien 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  préseutatiou  de  la  quittance  d'abonnement  an  IIÉXEltiTREIi  pour  l'année  1891.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UNl  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règ:le  selon  les  frais  de  Poste.) 

LesabonnésauChanlpemenlpreudrelaprimePianoelvice  versa.-  Ccui  au  Piano  el  au  Chanl  réuuis  onl  seuls  liroil  à  la  grande  Prune.  -  Les  abonnés  au  lexle  seul  n'onl  droil  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABÛNNE,\1E.U  AU  «■  MÉNESTREL  »  PIANO 


l" Moded'abonnement  ;  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  23  morceaux  de  cu,4ni  : 
Scènes,  Méloilies.  Komincei,  paraissant  di  qnin/aine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  franes  ;  Étranger,  frais  de  poste  en  sus. 


2»  Moied'aboiiiieiiieiit:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano: 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  eu  quinzaine;  1  Recueil- 
Prioie.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger  :   Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3*  Moie  d'ahonneinsiii  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prima.  —  Uu  an  :  30  francs.  Paris 

el  Province,-  Étranger:  Poste  en  ans.  —  On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
4°  Mode.  Texte  seol,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienoe. 


Dimanche  11  Janvier  1891. 


3119  -  57-»'  mM  —  1\»  2.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M   Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieane,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Adresser  f»»"^^"         ;  ^^  ^^^^^^  ^^^.^  ^^  Province.  -  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  -20  fr.,  Pans  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  -  Pour  l'Etranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Victor  Massé  (35°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  A  propos  d'une  reprise  de  Patrie,  H.  Moreno.  —  III.  Une  famille 
d'artistes;  Les  Saint-Aubin  (5»  article),  Arthlr  Pougin.  — IV.  Nouvelles  diverses 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  • 
LES  VOLANTS 
n"  IS  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de  Jules  Jouy,  musique  de 
Claudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immédiatement  :  La  terre 
a  mis  sa  robe  blanche,  nouvelle  mélodie  de  Théodore  Dubois,  poésie  de 
J.  Bertherov.  

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:   Au   matin,    d'ANTONiN  Marmontel.  —    Suivra   immédiatement  ; 
les  Douze  Femmes  de  JapJiet,  quadrille  brillant  par  LÉON  Roques,  sur  l'opé- 
rette de  Victor  Roger,  le  dernier  succès  du  théâtre  de  la  Renaissance. 

PRIMES  POUR  L  ANNÉE  1891 

NOS  ABONNÉS    EN    TROUVERONT   LA  LISTE   A   LA  8=   PAGE   DE  NOS  PRÉCÉDENTS  NUMÉROS 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


VICTOR  MASSE 


Les  lettres  de  Victor  Massé,  celles  du  moins  que  j'ai  pos- 
sédées, sont  généralement  courtes,  précises;  on  n'y  rencontre 
point  de  ces  épanchements  faits  pour  éclairer  ceux  qui  les 
lisent  sur  la  réelle  tournure  d'esprit,  sur  la  manière  de  con- 
cevoir, sur  les  procédés  de  travail  de  leur  auteur,  détails  si 
abondants  chez  certains  autres  compositeurs,  dont  la  corres- 
pondance éclaire  largement  la  vie  intellectuelle. 

J'ai  pu  toutefois  connaître  un  Massé  plus  expansif,  s'aban- 
donnant  mieux  à  la  vivacité  naturelle  de  son  exprit,  formu- 
lant sur  son  art  des  vues  personnelles;  il  m'a  fallu,  pour 
cela,  l'aller  chercher,  l'étudier  dans  un  document  fort  inté- 
ressant et  peu  répandu:  la  notice  qu'il  consacra  à  Auber,  son 
prédécesseur  à  l'Institut,  et  qu'il  vint  lire,  le  13  mars  1875, 
à  l'Académie  des  Beaux-Arts. 

Il  y  a  dans  ce  travail,  d'une  libre  allure  qui  en  tempère 
la  gravité  académique,  des  traits  que  j'aime  à  noter  au  pas- 
sage. 

Dès  le  début  il  explique  ainsi  comment  Auber  ne  fut  qu'un 
pseudo-Normand  : 


«  Daniel-François-Esprit  Auber  vint  au  monde  à  Gaen,  le 
29  janvier  1782...  Le  compositeur  parisien  par  excellence 
devait  naître  à  Paris,  aux  petites  écuries  du  Roy,  faubourg 
Saint-Denis,  oii  son  père  habitait  comme  ofBcier  des  chasses 
de  Louis  XVI,  et  ce  fut  le  hasard  d'un  voyage  qui  le  fit  nor- 
mand. 

«  Je  ne  puis  m'empècher^de  remarquer  ce  singulier  pré- 
nom :  Esprit,  qui  est  toute  une  prédestination  et  qui  semble 
lui  être  donné,  comme  dans  les  contes  d'autrefois,  par  la 
bonne  fée,  sa  noarraine. 

«  Cet  Anacréon  de  la  musique  recherchait  surtout  la  société 
des  femmes;  en  France  la  réputation  de  vert-galant  n'a  ja- 
mais nui  à  personne.  Son  esprit  est  resté  proverbial,  et  pour- 
tant Auber  ne  soutenait  jamais  une  conversation;  il  y  prenait 
part  sans  doute,  mais,  comme  un  habile  archer  derrière  une 
palissade,  il  attendait  le  moment  voulu  pour  lancer  le  trait 
qui  résumait  et  terminait  la  conversation.  » 


Dans  un  autre  passage,  c'est  une  phrase  à  la  gloire  de  la 
musique  française  et  aussi  un  franc  regret  d'une  situation 
dont  on  sentait  qu'il  avait  personnellement  souffert  : 

«  La  date  du  29  février  1828  n'est  pas  seulement  glorieuse 
dans  la  carrière  d'Auber;  elle  l'est  aussi  dans  l'histoire  de 
notre  musique  nationale.  En  effet,  à  cette  époque,  Gluck, 
Spontini  et  Rossini  avaient  seuls  donné  des  œuvres  remar- 
quables sur  notre  première  scène  lyrique;  la  Muette  était  donc 
le  premier  grand  opéra  d'un  musicien  français,  pouvant  mar- 
cher de  pair  avec  les  œuvres  de   ses    illustres  devanciers. 

»  De  tout  temps  une  manie  de  notre  cher  pays  a  été  d'ac- 
cueillir les  étrangers  au  détriment  de  nos  nationaux:  cour- 
toisie que  du  reste,  les  premiers  ne  nous  rendent  jamais. 
Chose  mélancolique  à  constater,  ce  sont  eux  qui  font  nos 
opéras.  Les  partisans  de  celte  hospitalité  exagérée  y  cherchent 
un  hommage  i-endu  à  la  France;  il  n'en  est  rien;  le  coucou, 
en  déposant  ses  œufs  dans  le  nid  des  autres,  a  aussi  de  ces 
hommages-là!  Un  de  ces  étrangers  expliquait  ainsi,  devant- 
moi,  leur  assiduité  à  venir  chercher  fortune  chez  nous  :  — 
«  La  France  est  une  bonne  trompette!  »  —  L'aveu  est  bon 
à  noter.  Quant  à  moi,  je  suis  de  ceux  qui  croient  que  Méhul 
aurait  pu  faire  la  Vestale  et  Herold  les  Huguenots.  Réjouissons- 
nous  de  ce  que  quelques  bons  poèmes  aient  été  détournés 
de  leur  route  habituelle  pour  êlre  confiés  à  des  compositeurs 
français;  sans  cela  nous  n'aurions  ni  la  Muette,  ni  la  Juive, 
ni  Faust,  ni  Hamlet.   » 

A  ces  citations  empruntées  au  compositeur  lui-même  et 
qui,  à  propos  d'Auber,  nous  laissent  voir  un  peu  de  sa  phy- 


10 


LE  MENESTREL 


sionomie  morale  personnelle,  je  veux  en  ajouter  deux,  prises 
dans  un  travail  de  M.  le  vicomte  Henri  Delaborde,  qui  vint, 
le  20  octobre  1888,  parler  à  son  tour  de  Victor  Massé  à  celte 
même  tribune  de  l'Académie  des  beaux-arts,  où  quelques 
années  auparavant  Victor  Massé  était  venu  parler  d'Auber. 

D'abord,  un  mot  sur  son  talent,  mot  de  tbèse  générale,  mais 
visant  directement  le  modèle  : 

«  Le  naturel  dans  l'art  peut,  en  même  temps,  être  l'exquis; 
l'expression  musicale  de  la  douleur  ou  de  la  joie,  de  la  mé- 
lancolie ou  de  la  passion,  peut  tantôt  se  raffiner  jusqu'à 
l'extrême  élégance,  tantôt  s'élargir  et  s'exalter  jusqu'au  lyrisme, 
sans  pour  cela  cesser  d'être  vrai  ». 

Ensuite  une  observation  sur  son  caractère  : 

«  Il  était  chef  du  chant  de  l'Opéra  depuis  18S2,  tâche 
pénible  et  délicate  à  laquelle  il  apportait  un  zèle  et  une 
abnégation  d'autant  plus  méritoires  qn'il  se  trouvait  ainsi 
servir,  par  état,  la  cause  de  ses  rivaux,  quelquefois  même 
celle  d'un  art  peu  conforme  à  ses  propres  inclinations  et  à 
ses  doctrines.  » 

Ce  rêveur,  ce  simple,  en  qui  à  première  vue  on  devinait 
la  sainte  terreur  de  la  foule,  cet  artiste  aux  allures  modestes 
devait  avoir  un  jour  sa  statue!  —  Les  Lorientais  l'ont  voulu 
posséder,  sur  un  piédestal,  au  milieu  de  l'une  des  places 
de  leur  ville,  oii  il  est  né. 

Cet  hommage  lui  était  dû;  mais  voilà  de  ces  spectacles, 
de  ces  brusques  contrastes,  qu'il  appartenait  à  cette  fin  de 
siècle  de  nous  réserver:  cet  homme  que  nous  avons  connu 
si  familier,  parisieu  parisiennant,  sans  pose!  nous  dire  tout 
à  coup  qu'il  est  là-bas,  figé  pour  jamais,  tout  en  marbre, 
sur  une  place  de  marché  quelconque  ! 

Nous  ne  l'aurions  jamais  rêvé  ainsi,  ~  et  notre  simplicité 
s'en  étonne,  en  y  applaudissant.  —  Et  sans  doute,  s'il  en 
avait  eu  la  vision,  personne  ne  s'en  serait  plus  étonné  que 
lui-même. 

M.  Jules  Simon  a  dit,  devant  cette  statue,  inaugurée  le 
4  septembre  4887,  ces  paroles  bien  justes,  ce  me  semble,  sur 
la  carrière  et  sur  l'œuvre  de  Victor  Massé  : 

«  Il  était  populaire  à  trente-deux  ans, — c'était  réussir  trop  tôt. 
—  On  s'habitue  aisément  au  succès.  Un  temps  d'arrêt,  s'il  se 
produit,  et  il  se  produit  toujours,  est  douloureux  pour  les 
orgueilleux  et  inquiétant  pour  les  modestes.  Ni  les  Saisons, 
ni  Fior  d'Aliza,  ne  furent  mis  par  le  public  à  leur  véritable 
place.  Certaines  natures  ombrageuses  et  délicates  soutTrent 
plus  d'un  caprice  de  la  foule  qu'elles  ne  jouissent  de  ses 
caresses.  Il  avait  beau  sentir  que  son  inspiration,  sans  rien 
perdre  de  sa  grâce,  prenait  une  ampleur  nouvelle;  il  ne 
retrouva  que  deux  fois  le  succès  de  Galatée  :  avec  la  Reine 
Topaze  et  avec  Paul  et  Virginie. 


Philippe  Cille  qui,  avant  d'être  le  gendre  de  Victor  Massé, 
était  son  ami  le  plus  cher,  raconte  de  lui  bien  des  traits 
intéressants  ou  charmants. 

Le  futur  compositeur  des  Saisons  avait  été  au  Conserva- 
toire un  travailleur  acharné.  Devenu  pensionnaire  de  la 
villa  Médicis,  il  se  montra  à  Rome  un  peu  paresseux  et  ce 
fut  très  lentement  qu'il  fit  les  envois    réglementaires. 

Nonobstant  cette  paresse  douce  qui  lui  donnait  d'agréables 
heures  en  la  compagnie  de  ses  camarades  d'école  Cabanel, 
Cavelier,  Hébert,  Barrias  le  peintre  et  Cuillaume,  on  lui 
attribua  la  paternité  d'ua  petit  opéra  la  Favorite  et  l'Esclave 
représenté  à  Venise. 

Gela  le  mit  dans  une  belle  colère  qui  devait  avoir  de  nom- 
breuses occasions  de  renaître,  car,  malgré  son  désaveu  for- 
mel, on  n'en  persista  pas  moins  à  le  désigner  comme  l'au- 
teur de' cet  ouvrage,  dans  lequel  il  est  absolument  démontré 
qu'il  n'était  pour  rien. 


A  mesure  qu'il  avançait  dans  la  vie,  à  la  paresse  des  pre- 
tniers  jours  et  aux  éclatants  succès  des  premières  œuvres, 
succédait  cette  terrible  peur  de  produire,  qui  n'est  rien  autre 
chose  qu'une  manifestation  de  la  haute  conscience  de  l'artiste. 

Le  travail  était  devenu  pour  lui  comme  une  fonction  sacrée 
qu'il  accomplissait  avec  un  soin  religieux,  un  souci  constant 
de  l'intégrité  de  ses  facultés.  —  Je  relève,  à  propos  d'une  Nuit 
de  Cléopâtre,  son  dernier  ouvrage,  ce  détail,  bien  caractéris- 
tique de  son  état  d'esprit,  qu'il  ne  travaillait  à  cette  partition 
que  durant  les  accalmies  de  son  terrible  mal,  ne  voulant  pas 
que  son  œuvre  subit  l'influence  ou  portât  la  trace  de  sa 
maladie. 

*  * 

Avec  une  rare  conscience,  il  s'ingéniait,  en  paysagiste  mu- 
sical sincère,  à  noter  et  à  reproduire  les  grandes  harmo- 
nies de  la  nature.  —  C'est  ainsi  que,  travaillant  à  sa  par- 
tition de  Paul  et  Virginie,  il  voulut  absolument  aller  au  bord 
de  l'Océan,  un  jour  de  grande  tempête. 

Philippe  Gille  l'accompagnait.  C'était  l'hiver,  par  un  froid 
terrible  et,  pendant  que  sur  la  falaise  le  musicien  écoutait 
tranquillement  les  gémissements  des  flots,  son  compagnon  se 
morfondait,  à  demi  gelé. 

—  Mais  venez  donc,  suppliait-il  de  temps  en  temps,  venez 
donc,  vous  en  avez  assez  entendu,  n'est-ce  pas? 

Et  Victor  Massé  ne  bougeait  pas.  Il  resta  là,  impitoyable- 
ment, toute  la  matinée. 

Matinée  perdue,  avoua-l-il,  du  reste,  de  bonne  grâce,  car 
de  tout  ce  fracas  des  vagues,  en  lutte  contre  les  souffles  dn 
ciel,  il  n'avait  retenu  qu'un  «  rythme  extrêmement  régulier  ». 

Quand  vinrent  les  heures  suprêmes  et  qu'il  entrevit  pro- 
chain le  but  de  cette  voie  douloureuse,  où  il  se  traînait 
depuis  cinq  ou  six  ans,  il  eut  des  paroles  touchantes  et  d'un 
esprit  bien  parisien  en  leur  modestie  : 

—  Pas  de  musique  au  service  !  recommanda-t-il  expressé- 
ment. Rien  que  du  plain-chant.  Et  surtout,  ah  !  surtout,  pas 
de  trémolo,  de  voix  humaine  à  l'orgue,  c'est  toujours  une  note 
fausse. 

»  Et  puis,  pas  de  discours  au  cimetière  !  — 

Ce  clair  et  vif  esprit  obéissait  là,  évidemment,  à  l'horreur 
de  la  banalité  officielle.  Et  je  pense  qu'il  entendait  déjà  très 
distinctement  les  orateurs  le  nommer  le  «  gracieux  auteur 
des  Noces  de  Jeannette  et  de  Galatée  »,  sans  songer  à  lui  comp- 
ter ses  œuvres  plus  fortes,  celles  pour  lesquelles  il  gardait 
une  prédilection  juste  :  Fior  d'Alisa,  Paul  et  Virginie  et  les 
Saisons,  et  qu'en  leur  commandant  le  silence  il  leur  voulait 
épargner  ce  lieu  commun  et  cet  oubli. 


Il  demanda  encore  une  sépulture  isolée  et  simple.  Il  lui 
plaisait  de  dormir  dans  le  recueillement  et  le  silence. 

Dès  son  enfance,  il  avait  aimé  ces  rosiers  blancs,  comme  il  y 
en  a  beaucoup  dans  les  jardins  de  Lorient,  sa  ville  natale. — 
Son  désir  fut  d'en  avoir  un,  qui  fleurirait  près  de  lui  dans  ce 
coin  du  cimetière  Montmartre  où  il  se  préparait  à  aller  se 
reposer  de  la  vie. 

—  Et  pas  de  buste,  n'est-ce  pas?  concluait-il.  On  a  l'air  de 
regarder  tout  le  temps  du  même  côté  et  de  dire  aux  passants: 
Que  me  veulent  ces  gens-là  ! 

Une  urne  marque  donc  seule  maintenant  la  place  où  repose 
le  chantre  des  Saisons,  une  urne  que  parfument,  l'été  venu, 
les  roses  blanches  de  sa  Bretagne. 


Mais,  au  lieu  du  buste  qui  épouvantait  son  esprit  parisien, 
la  statue  s'est  élevée  comme  l'on  sait.  Heureusement,  elle, 
nous  le  montre  sous  son  aspect  familier,  dans  ce  costume 
sans  façon  de  maître  ouvrier  musical  sous  lequel  je  le  vis 
m'apparaitre  à  notre  première  rencontre. 

—  C'est  seulement  comme    cela,   dit  Philippe   Gille,    qu'il 


LE  MENESTREL 


11 


eût  souffert  la  vue    de    sa  propre  image,    s'il  avait   pu    être 
consulté. 


Une  exquise  bonté  était  en  lui.  Il  avait  un  petit  chien  qui 
ne  pouvait  pas  souffrir  la  nausique.  Alors,  Victor  Massé  s'abs- 
tenait de  se  mettre  au  piano  devant  lui,  pour  y  essayer  ses 
compositions. 

Et  philosophiquement  il  disait  : 

—  Il  n'aime  pas  ça!  II  a  peut-être  raison  1 


Georges  Bizet  aura  sa  statue  à  Paris,  comme  Victor  Massé 
a  la  sienne  à  Lorient.  Mais  cet  hommage  que  son  pays  natal 
rend  à  un  compositeur  illustre  n'est  pas  le  seul  que  ses 
contemporains  lui  doivent  accorder.  Il  en  est  un  autre  dont 
l'élément  principal  est  dans  son  œuvre  même.  Les  maîtresses 
pages  de  Georges  Bizet  sont  et  resteront  honorées  comme 
elles  mérilent  de  l'être;  il  faudrait  que  cette  partition  des 
Saisons,  faite  pour  mettre  le  nom  de  Victor  Massé  à  une  place 
qu'il  ambitionnait,  fut  à  son  tour  rendue  à  la  lumière.  Elle 
manque  au   musée   de  l'école  française. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


A  I'Opéra,  cette  semaine,  iniéressaute  reprise  de  Patrie.  La  par- 
tilion  de  M.  Paladilhe  avait  conservé  une  partie  de  ses  inlerprèles 
de  la  création  :  MM.  Lassalle,  Duc,  Bérardi,  M""  Bosman,  que 
nous  avons  retrouvés  comme  nous  les  avions  laissés,  sinon  doués 
d'une  bien  grande  puissance  de  talent,  non  dépourvus,  du  moins, 
■de  quelque  agrément.  Dans  le  rôle  du  duc  d'AIbe,  M.  Edouard  de 
Reszké  était  remplacé  sans  désavantage  par  M.  Pol  Plançon,  qui  est 
ua  artiste  tout  à  fait  remarquable;  M.  Vaguet  jouait  La  Trémoille 
au  lieu  et  place  de  M.  Muralet  ;  il  n'était  pas  très  sûr  de  son  rôle 
à  ce  qu'il  nous  a  semblé,  et  s'est  trompé  de-ci  de-là  dans  quelques 
rentrées  vocales.  Mais  on  n'en  est  pbs  à  cela  près  à  l'Opéra  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard.  A  la  pauv.e  et  belle  M'"'=  Adiny  incombait  la 
lourde  succession  de  M""  Krauss,  dans  le  personnage  d'ailleurs  assez 
ingrat  de  Dolorès.  N'insistons  pas. 

Mulgré  ses  défaillances,  la  soirée  peut  donc  encore  être  comptée 
parmi  les  bonnes  de  l'Académie  nationale  de  musique.  Ce  qu'il  faut 
aller  voir  aujourd'hui,  pour  se  rendre  compte  de  l'éial  de  décalence 
de  notre  première  scène,  ce  sont  les  représentations  du  répertoire 
courant,  celles  de  l'Africaine  entre  autres.  C'est  absolument  navrant. 
Pourquoi  le  ministre  des  Beaux-Arts,  s'il  y  en  a  un,  ne  s'égare-t-il 
pas  de  temps  à  autre  dans  ces  mauvais  parages?  Il  pourrait  se 
rendre  compte  par  lui-même  du  triste  usage  que  font  les  directeurs 
de  la  grosse  somme  mise  tous  les  ans  à  leur  disposition  par  les 
contribuables,  dans  l'espoir  de  posséder  une  scèae  musicale  digne 
de  son  passé  et  qui  puisse  jeter  sur  la  France  quelque  éclat  artis- 
tique. Peut-être  alors  comprendrait-il  qu'il  lui  est  impossilde  de 
songer  à  renommer  encore  pour  sept  années  des  gens  qui  iiniront 
par  exterminer  tout  à  fait  la  musique  française,  si  on  les  laisse 
faire.  Et,  dans  le  désir  de  remplir  tous  ses  devoirs,  le  ministre 
s'empresserait  de  se  délivrer  des  pressions  qu'on  tente  d'exercer  sur 
lui,  pour  ne  s'occuper,  en  ce  moment  critique,  que  du  véritable  in- 
térêt de  la  musique.  C'est  pour  cela  qu'on  l'a  installé  rue  de  Valois 
et  non  pour  satisfaire  le  bon  plaisir  de  tels  ou  tels  ministres,  ses 
collègues,  qu'ils  soient  de  l'intérieur  ou  d'autre  part.  Car  ce  régime 
de  la  République,  si  beau  et  si  droit  eu  théorie,  dévie  toujours  dans  la 
pratique.  La  chose  publique  y  devient,  comme  sous  toutes  les  autocra- 
ties, la  chose  de  quelques-uns  qui  ne  pensent  qu'à  leurs  plaisirs,  à  leurs 
appétits  particuliers,  à  leurs  protégés,  à  leurs  «  pays  »  enfin  de 
Toulouse  ou  d'ailleurs,  plutôt  qu'au  bien  général  de  tous.  Ils  traitent 
la  France  en  terre  conquise,  et  jamais  Louis  XIV  ou  Napoléon  n'en 
ont  fait  davantage. 

Ceux  qui  nous  gouvernent  ont  volontiers  à  la  bouche  le  mol  de 
«  République  athénienne  ».  C'est  là  ce  qui  semble  leur  idéal,  le 
but  vers  lequel  tendent  tous  leurs  efforts.  Le  meilleur  moyen  d'y 
atteinrire  ne  serait-il  donc  pas  de  débarrasser  cette  républii|ue  de  tous 
les  Béotiens  qui  l'obscurcisseut  ?  A  ce  titre,  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont 
tous  les  droits  pour  être  jetés  hors  l'Opéra.  Ils  n'ont  absolument  rien 


d'athénien,  ni  l'un   ni   l'autre.  Que  M.    Bourgeois   y   songe   sérieu- 
sement. 

Mais  que  nous  voilà  loin  de  la  reprise  de  Patrie,  dont  nous  avons  dit 
d'ailleurs  à  peu  près  tout  ce  que  nous  avions  à  en  dire  !  Ajoutons  cepen- 
dant que  cette  reprise  a  eu  l'étrenne  d'une  nouvelle  modification  dans 
la  disposition  de  l'orchestre.  On  ignore  peut-être  que  jusqu'ici  le 
plancher  des  musiciens  a  subi  déjà  trois  transformations.  On  l'a  élevé 
ou  abaissé  selon  le  caprice  des  directeurs  qui  se  sont  succédé  à  la  tête 
de  notre  «  Académie  ».  De  là,  trois  niveaux  déjà.  Il  y  a  eu  d'abord  le 
niveau  de  l'architecte,  M.  Garnier  ;  puis  le  niveau  de  M.  Halanzier  ; 
puis  celui  de  M.  Vaucorbeil.  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  voulu  avoir 
le  leur;  il  est  naturellement  le  moins  élevé  de  tous.  M.  Gailhard  a 
tenu  à  ce  qu'on  abaisse  de  trente  centimètres  le  plancher  oii  se 
meuvent  d'ordinaire  les  contrebasses;  puis,  il  a  fait  éloigner  de  la 
scène  d'un  mètre  30  environ,  le  fauteuil  du  chef  d'orchestre.  Ce  n'est 
là  qu'un  commencement,  paraît-il  ;  toutes  les  semaines,  on  éloignera 
davantage  M.  Vianesi,  jusqu'à  ce  qu'il  se  trouve  sur  la  place  de  l'Opéra, 
tout  à  fait  en  dehors  du  monument.  M.  Gailhard  croit  que  c'est  le 
meilleur  moyen  de  s'en  débarrasser,  petit  à  petit  et  sans  brusquerie: 
«  comme  cela,  dit-il,  le  maestro  ne  pourra  plus  du  moins  se  cram- 
ponner à  la  rampe  ».  La  fête  serait  encore  plus  complète  si  le  di 
recteur  restait  sur  la  place  en  compagnie  de  son  chef  d'orchestre. 

H.    MORENO. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

(Suite.) 

IV 

Lorsqu'on  1793  Saint-Aubin,  venant  subir  à  l'Opéra-Comique  une 
seconde  épreuve,  réussit  enfin  à  se  faire  admettre  dans  le  personnel 
de  ce  théâtre,  son  aimable  femme  s'était  mise  tout  à  fait  hors  de 
pair  et  était  entrée  en  pleine  possession  de  la  faveur  du  public. 
Les  auteurs,  comprenant  tout  le  parti  qu'ils  pouvaient  tirer,  pour 
le  bien  de  leurs  ouvrages,  d'un  talent  si  précieux  et  de  facultés  si 
multiples,  lui  confiaient  de  nombreuses  créations,  qui  pour  la  plu- 
part lui  avaient  valu  des  succès  retentissants.  Parmi  les  ouvrages 
à  l'interprétation  desquels  elle  avait  pris  une  part  importante ,  on 
peut  surtout  citer  pour  cette  époque  Roméo  et  Juliette,  Camille  ou  le 
Souterrain,  Agnès  et  Olivier,  PliiUppe  et  George tte,  Ambroise  ou  Voilà 
ma  journée,  de  Dalayrac;  Jean  et  Geneviève,  de  Solié;  Lodoïska,  Char- 
lotte et  ^¥erlher,  Paul  et  Virginie,  de  Rodolphe  Kreutzer,  etc. 

Précisément  à  propos  de  Paul  et  Virginie,  oîi  le  jeu  touchant  et 
pathétique  de  M™'  Saint-Aubin  obtenait  un  véritable  succès  de 
larmes,  on  trouve,  dans  le  Journal  de  Paris  du  S  décembre  1791, 
une  lettre  assez  originale  adressée  «  au  parterre  de  la  Comédie-Ita- 
lienne »  par  un  amateur  qui  reproche  à  cet  être  collectif  et  imper- 
sonnel son  intolérance  et  sa  mauvaise  tenue  en  présence  de  l'impres- 
sion produite  sur  la  partie  féminine  du  public  par  le  talent  émouvant 
de  l'actrice;  j'extrais  de  la  lettre  en  question  ce  fragment  singulier 
et  caractéristique:  —  «  ...  Mercredi  dernier  vous  avez  poussé  l'intolé- 
rance, vous  qui  vous  piquez  de  tolérantisme,  jusqu'à  vouloir  empêcher 
les  beaux  yeux  des  femmes  sensibles  de  verser  des  larmes;  il  falloit 
donc  empêcher  Virginie-S'-Aubin  de  les  faire  répandre.  Et  cela  de 
quelle  manière!  dans  quel  langage!...  A  bas  les  mouchoirs!... 
Le  diable  te  mouche!...  Mâtin  de  nez!...  Mouche  ton  groin  !.. .  Vous 
conviendrez  avec  moi.  Monsieur,  à  présent  que  vous  avez  eu  le  moment 
de  la  réttexion,  que  ces  expressions  ne  sont  pas  d'un  bon  genre. . .  ». 
Ceci  ne  donne  pas,  en  effet,  une  haute  idée  de  la  courtoisie  et  des 
convenances  du  parterre  de  la  Comédie-Italienne,  mais  nous  ren- 
seigne sur  la  puissance  pathétique  de  M°>=  Saint-Aubin  (1). 

Malgré  une  santé  très  délicate,  délicate  à  ce  point  qu'à  diverses 
reprises  la  maladie  l'éloigna  de  la  scène  pendant  un  plus  ou  moins 
long  temps  et  qu'elle  fut  cause  de  sa  retraite  prématurée,  M""=  Saint- 

(1)  A  rapprocher  de  ce  fait,  pour  constater  la  diversité  du  talent  de  l'actrice,  ce 
passage  d'au  article  de  la  célèbi'e  comédieane  M~°  Louise  Fusil,  intitulé  Souvenirs 
de  l'Opéra-Comique elpnblié  dans  le  Supplément  du  Constilutionnel  du  13  mars  1842. 
Ici,  c'est  le  côté  plaisant  du  jeu  de  M""°  Saint-Aubin  qui  est  mis  en  évidence  :  — 
«...  Je  ne  finirais  pas  de  citer  si  je  voulais  nommer  tous  les  rôles  dans  lesquels 
elle  a  brillé.  Je  parle  plus  particutièremeut  de  ces  rôles  dont  le  caractère  était 
diamétralement  opposé  les  uns  aux  autres,  pour  prouver  combien  son  talent  se 
prêtait  aux  diU'érents  genres  ;  mais  celui  où  elle  était  ravissante,  c'était  la  petite 
paysanne  dans  Ambroise  ou  Voilà  ma  journée,  Fanchette,  où  elle  était  si  adroite- 
ment gauche  ;  sa  maladresse  était  si  gentille,  qu'on  aurait  voulu  lui  donner 
toutes  ses  assiettes,  afin  de  les  lui  voir  casser  ainsi n 


42 


LE  MÉNESTREL 


Aubin  se  montrait  infatigable,  toujours  sur  la  brèche,  et  ne  mar- 
chandait pas  ses  services  au  thoàtre  dont  elle  était  devenue  l'un 
des  plus  fermes  soutiens.  Le  publie  lui  savait  gré  d'ailleurs  de  son 
courage,  de  son  assiduité,  de  son  empressement  à  lui  plaire,  et 
l'excellente  artiste,  aussi  estimée  comme  femme  qu'elle  était  aimée 
et  admirée  comme  actrice,  se  voyait  à  chaque  instant  l'objet  des 
manifestations  touchantes  de  la  sympathie  de  tous.  Nous  en  aurons 
plus  d'un  exemple.  Et  la  faveur  dont  elle  jouissait  est  d'autant  plus 
remarquable  qu'elle  était  serrée  de  près  par  des  rivales  nombreuses, 
et  qu'en  un  temps  oîi  le  théâtre  Favart  comptait  dans  son  personnel 
féminin  des  artistes  telles  que  M'""'  Gonthier,  Gavaudan,  Créf.u, 
Carline  Nivelon,  Renaud-d'Avrigny,  M""  Desbrosses,  Armand,  Philis, 
Pingenet,  il  fallait  que  la  supériorité  de  M™  Sainl-Aubin  sur  des 
émules  si  heureusement  douées  fût  bien  éclatante  pour  être  aussi 
incontestée.  Aux  ouvrages  créés  par  elle  et  que  je  citais  il  n'y  a 
qu'un  instant,  il  faut  ajouter,  pour  les  années  qui  suivirent,  Mèlidore 
et  Phvosine  et  le  Jeune  Henry,  de  Méhul,  Andros  et  Almona,  de  Lemière 
de  Corvey,  Az-éhne,  de  Rigel,  h  Jockey  et  la  Femme  de  45  ans,  de  Solié, 
Lisbeth,  de  Grétry,  où  son  succès  fut  si  grand  que  le  peintre  Bouchet 
exposa,  au  Salon  de  l'an  VI,  son  portrait  dans  le  costume  de  Lisbeth, 
puis  Adèle  el  Dorsan,  Marianne,  et  la  Maison  isolée  ou  le  Vieillard  des 
Vosges,  de  d'Alayrac.  Pour  d'Alayrac,  elle  était,  on  peut  le  dire,  son 
interprète  favorite  et  particulièrement  recherchée,  car  je  n'ai  pas 
relevé  moins  de  seize  rôles  établis  par  elle  dans  les  opéras  de  ce 
compositeur.  Encore  ne  suis-je  pas  certain  que  la  liste  en  soit 
complète  (1). 

Il  n'est  pas  inutile  de  faire  remarquer  que  M™"  Saint-Aubin,  au 
plus  fort  de  ses  succès  et  de  sa  renommée,  n'hésitait  pourtant  jamais 
à  accorder  l'appui  de  son  talent  aux  jeunes  auteurs  qui  débutaient 
à  la  scène  et  dont  elle  affermissait  ainsi  les  premiers  pas.  C'est  que 
c'était  une  véritable  artiste,  qui  non  seulement  avait  le  respect  du 
public  et  le  respect  d'elle-même,  mais  qui  pensait  qu'on  ne  saurait 
encourager  d'uoe  façon  trop  efficace  les  jeunes  artistes  qui  abordent 
la  carrière  et  qui  ont  besoin,  pour  y  réussir,  du  concours  de  ceux-là 
surtout  qui  ont  la  connaissance  et  l'expérience  du  danger.  C'est 
ainsi  qu'on  la  vit  se  charger  de  rôles  importants  dans  Euphrosine, 
premier  ouvrage  de  Méhul,  dans  le  Prisonnier,  premier  ouvrage  de 
Délia  Maria,  dans  le  Rêve,  Fanny  Morna,  la  Dame  voilée,  qui  étaient 
les  débuts  à  l'Opéra-Comique  de  Gresniek,  de  Persuis  et  de  Men- 
gozzi.  Pour  Délia  Maria,  dont  la  carrière,  commencée  d'une  façon 
si  brillante,  devait  être  si  courte,  elle  l'avait  pris  en  vérital)le  affection, 
el  elle  prit  part  à  l'interprétation  non-seulement  du  Prisonnier,  dont 
ellepartagea  l'éclatant  succès,  mais  des  quatre  autres  ouvrages  compo- 
sés par  lui  :  l'Opéra-Comique,  l'Oncle  valet,  la  Fausse  Duègne  et  Jacquot  ou 
l'Ecole  des  mères.  Et  l'on  peut  supposer  qu'à  ce  moment  elle  était  à 
même,  sous  ce  rapport,  d'agir  à  peu  près  à  sa  guise  et  à  sa  volonté  :  en 
possession  de  la  faveur  constante  du  public,  jouissant  auprès  de  ses 
camarades  d'une  iufluence  légitime,  sociétaire  à  part  entière  et,  de 
plus,  faisant  partie,  avec  Chenard,  Solié,  Philippe  et  Carline  Nive- 
lon,  du  comité  des  cinq  administrateurs  de  l'Opéra-Comique,  elle 
avail  évidemment  toute  liberté  de  choisir  ses  rôles,  et  sans  doute 
eût  pu  se  récuser  à  l'occasion  sans  que  personne  y  trouvât  à  redire. 
Mais  elle  ne  voyait  que  le  bien  du  théâtre,  l'intérêt  des  auteurs  et 
la  satisfaction  du  public.  Trouverait-on  aujourd'hui  beaucoup  d'ar- 
tistes de  la  valeur  et  du  renom  de  M°"=  Saint-Aubin,  pour  agir  avec 
autant  de  conscience,  de  délicatesse  et  de  modestie?... 

En  1797,  pendant  une  longue  fermeture  que  des  circonstances 
particulièrement  difficiles  imposèrent  à  l'Opéra-Comique,  nous  voyons 
M°"  Saint-Aubin  aller  donner  des  représenlatious  eu  province  avec 
sou  mari  et  deux  de  ses  camarades  (2).  De  retour  à  la  fin  de  l'année, 

(1)  Elle  était  intimement  liée  avec  d'Alayrac,  comme  elle  l'était  avec  Méhal, 
comme  elle  le  fut  avec  Boieldieu  et  la  plupart  des  composileurs  aux  succès  des- 
quels elle  contribuait  si  puissamment.  Pour  d'Alajrac,  on  va  voir  ce  qui  en  était 
par  le  ton  tout  familier  de  ce  fragment  d'une  lettre  qu'il  lui  adressait  du  Havre, 
le  2  Prairial  an  VU  (22  mai  1800),  à  l'époque  où  le  malheureux  Michu,  l'ancien 
ténor  si  renommé  du  théâtre  Favart,  avait  eu  la  malencontreuse  idée  de  prendre 
la  direction  de  celui  de  Rouen,  ce  qui  fut  cause  de  sa  ruine  et  de  son  suicide  : 
—  I...  Si  tu  avais  jamais  envie  de  te  faire  directrice,  ma  chère  amie,  j'userais 
des  tristes  droits  que  tu  veux  bien  sans  doute  laisser  à  un  ancien  ami,  pour  t'en 
empêcher;  on  dit  que  le  pauvre  Michu  ne  tardera  pas  à  être  ruiné  si  cela  con- 
tinue; les  Rouanais  [sk)  n'en  doutent  pas,  et  ils  y  font  ce  qu'ils  peuvent-  ils 
vont  peu  au  spectacle  ;  nous  avons  vu  à  l'autre  salle  Talma  et  M-»  Petit  dans 
Othello  et  quoiqu'il»  ayent  joué  à  merveille,  il  y  avait  à  peine  cinq  cents  francs  et 
le  directeur  leur  en  donne  800  :  500  au  mâle  et  300  à  la  femelle.,  .i  (Voy.  Cata- 
logue des  autographes  du  baron  de  Trémonl,  Paris,  Laverdet,  1852,  in-8.) 

(2)  MM.  Gbenard  et  Sollier,  M.  et  M'"  Saint-Aubin,  du  théâtre  des  Italiens, 
sont  actuellement  à  Lyon,  et  se  proposent  de  donner  une  douzaine  de  représen- 
tations. Ils  ont  déjà  paru  dans  liaoul  de  Créqtii,  Philippe  el  Georgetk,  Lodoislia 
Rose  et  Colas.  Ces  quatre  artistes,  en  quittant  cett3  ville,  doivent  se  rendre  à 
Marseille.  —  {Quotidienne,  du  9  Messidor,  an  V  —  27  juin  1797.) 


elle  crée  en  1798,  entre  autres  ouvrages,  la  Dot  de  Suzette,  de  Boiel- 
dieu, et  dès  les  premiers  jours  de  1799  elle  obtient  un  brillant  et 
nouveau  succès  dans  un  nouvel  opéra  de  Grétry,  Elisca  ou  l'Ainour 
maternel.  C'est,  je  crois,  à  la  troisième  représentation  de  cet  ouvrage, 
que  se  produisit  un  incident  d'autaut  plus  flatteur  pour  elle  qu'il 
était  rare  à  cette  époque,  et  qui  était  ainsi  rapporté  par  le  Journal 
d'  Paî'is  :  —  «  L'opéra  d'Elisca  attire  toujours  un  grand  nombre  de 
spectateurs.  Quelques  coupures  faites  au  dialogue  ayant  donné  plus 
de  rapidité  à  l'action,  l'ensemble  de  cet  ouvrage  ne  laisse  plus 
maintenant  rien  à  désirer.  Avant-hier,  au  moment  oîi  l'on  baissoit 
la  toile,  une  couronne  de  myrthe  et  de  lauriers  est  tombée  des 
loges  sur  le  théâtre.  Elle  étoit  destinée  à  la  C"'=  Saint-Aubin,  et  le 
public,  partageant  la  juste  admiration  de  celui  qui  l'avoit  tressée,  a 
voulu  qu'on  la  remît  sur-le-champ  à  son  adresse.  La  C°=  Saint- 
Aubin  a  donc  été  amenée  et  couronnée  sur  la  scène,  et  l'enthou- 
siasme général  a  été  porté  à  son  comble  (1).  » 

C'est  dans  cet  opéra  d'Elisca  que  parut  pour  la  première  fois  à  la 
scène,  dans  un  rôle  d'enfant,  la  seconde  fille  de  M""»  Saint-Aubin, 
Alexandrine,  qui  ne  devait  débuter  sérieusement  à  l'Opéra-Comique 
qu'en  1809,  çioq  ans  après  sa  sœur.  On  lisait  à  ce  propos,  dans  le 
Journal  des  Théâtres  du  31  janvier  : 

Couplet  pour  Zizine  Saint-Aubin,  enfant  de  cinq  ans,  fait  après  la  7°  re- 
présentation d'Élisca,  où  Zizi  avait  été  extrêmement  applaudie  : 
Air  :  Pour  passer  doucement  la  vie. 
Zizine,  au  bon  cœur  de  ta  mère, 
Tu  joins  ses  grâces,  ses  attraits. 
L'esprit,  la  douceur  de  ton  père  ; 
En  toi  l'on  voit  leurs  deux  portraits. 

Le  même  journal,  dans  le  même  numéro,  rendait  au  talent  si  souple 
et  si  varié  de  M™"  Saint-Aubin  l'hommage  que  voici: 

La  citoyenne  Saint-Aubin,  cette  charmante  actrice,  dont  le  talent  em- 
brasse tous  les  genres  avec  une  égale  perfection,  a  donné,  le  8  de  ce  mois, 
jour  d'une  première  représentation,  une  nouvelle  preuve  de  zèle,  qui  doit 
ajouter  à  sa  réputation,  et  dont  le  public,  qui  ne  la  voit  jamais  assez, 
malgré  son  travail  assidu,  lui  a  marqué  sa  satisfaction.  Elle  a  joué,  le 
même  jour,  dans  les  trois  pièces,  trois  rôles  d'un  caractère  opposé,  d'un 
genre  différent,  avec  le  même  succès.  Aimable,  sensible  et  modeste  dans 
la  Dot  de  Suzette,  remplie  de  finesse,  de  gaîté  et  d'esprit  dans  la  soubrette 
du  liiîve,  joli  opéra  nouveau,  elle  a  reparu  enfin  dans  Jean  et  Geneviève, 
sous  le  travestissement  d'un  petit  commissionnaire,  qu'elle  a  joué  avec 
autant  d'espièglerie  et  de  grâce  que  de  sensibilité.  Aussi  le  public,  qui 
ne  laisse  jamais  échapper  l'occasion  de  lui  faire  quelqu'application  flat- 
teuse, a-t-il  beaucoup  applaudi  dans  la  Dot  de  Suzette,  lorsque  Chenu  dit, 
en  parlant  de  sa  sœur:  «  Partout  où  elle  paroit,  on  la  voit  toujours  avec 
plaisir.  » 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  {S  janvier).  —  La  première  de 
Siegfried  a  été  de  nouveau  retardée  ;  elle  est  finalement  annoncée  pour 
lundi,  12;  mais  un  nouveau  retard  se  produira  sans  doute,  ce  sera  alors 
pour  mardi  ou  pour  jeudi.  Les  répétitions  se  succèdent,  tout  autre  travail 
cessant,  pour  ainsi  dire  ;  on  est  tout  à  Siegfried,  et  la  salle  est  naturellement 
depuis  longtemps  louée.  Ce  sera  une  première  à  sensation.  Un  de  nos 
confrères,  wagnériste  convaincu  et  érudit,  M.  Edmond  Evenepoele,  a 
profité  de  la  circonstance  pour  mettre  en  vente  un  très  intéressant  volume 
sur  le  Wagnérisme  hors  d'Allemagne  (en  Belgique  et  à  Bruxelles).  Il  a  réuni  les 
documents  les  plus  curieux,  qui  lui  permettent  de  suivre  les  progrès  que 
la  musique  de  Wagner  a  faits  dans  le  public  et  dans  la  presse  depuis  le 
jour  de  son  apparition  chez  nous,  en  18.5.5.  C'est  un  livre  à  lire  et  à  con- 
sulter. Car,  malgré  l'esprit  d'exclusivisme  dans  lequel  il  est  conçu,  l'au- 
teur a  su  rester  de  bonne  foi  et  impartial,  ce  qui  n'est  pas  un  mince 
mérite  pour  un  apôtre  du  wagnérisme.  Le  premier  concert  populaire, 
décidé  pour  le  18,  sera  le  concert  jubilaire  de  l'institution,  qui  compte, 
vous  le  savez,  vingt-cinq  ans  d'existence.  On  y  exécutera  la  sixième 
symphonie  de  M.  Adolphe  Samuel,  le  fondateur  des  concerts,  et  divers 
fragments  de  "Wagner,  Borodine,  Beethoven,  etc.  Le  violoniste  Isave 
jouera  un  concerto  de  Vieuxtemps.  Et  le  soir,  un  banquet  par  souscription 
sera  offert  à  MM.  Samuel  et  Joseph  Dupont.  —  J'ai  à  vous  signaler 
enfin  l'apparition  de  la  deuxième  partie  de  l'admirable  Coio-s  méthodiqiu: 
d'orchestration,  de  M.Gevaert.  Cette  seconde  partie  complète  l'ensemble  du 
grand  travail  entrepris  par  le  savant  écrivain   sur    l'instrumenlation   au 

(1)  Journal  de  Paris,  du  18  Nivôse  an  VII  —  8  janvier  1799.  —  Un  critique 
dirait,  dans  la  Revue  des  Théâtres  :  «  L'inimitable  Saint-Aubin  a  été  sublime  dar» 
le  rôle  d'EUsca  ». 


LE  SlENESTREL 


13 


prix  de  plusieurs  années  de  labeur  incessant.  Elle  est  particulièrement 
intéressante,  car  elle  traite  du  «  grand  orchestre  de  symphonie  »  et,  en 
particulier  des  trois  formes  d'orchestration  de  Wagner,  sujet  tout  moderne, 
tout  d'actualité,  dirais-je,  que  M.  Gevaert  a  étudié  à  fond,  et  dont  il 
parle  avec  sa  grande  compétence.  L.  S. 

—  Il  y  a  conflit  entre  les  autorités  militaires  et  les  sommités  musicales 
de  Vienne,  au  sujet  de  l'adoption  du  nouveau  diapason  dans  les  musiques 
de  l'armée  autrichienne.  Jusqu'à  présent,  une  seule  de  ces  musiques,  celle 
du  84=  régiment  d'infanterie,  a  changé  ses  anciens  instruments  contre 
d'autres  accordés  au  nouveau  diapason.  Afin  de  juger  de  l'effet  de  cette 
musique,  comparée  à  celle  des  autres  corps,  une  expérience  a  eu  lieu  ces 
jours  derniers  au  Prater,  devant  les  officiers  de  la  garnison  de  Vienne  et 
plusieurs  professeurs  éminents,  entre  autres  M.  Joseph  Hellmesherger, 
premier  maître  de  chapelle  de  la  Cour,  le  professeur  Grùn,  du  Conserva- 
toire, et  le  chef  d'orphéon  Kremser.  On  fit  défiler  musique  en  tête,  et 
alternativement,  les  84"=  régiment  d'infanterie  (nouveau  diapason)  et  le  i9' 
(ancien  diapason).  Puis  le  49°  défila  au  son  de  la  musique  du  84*  et  vice- 
versâ.  L'opinion  de  la  plupart  des  officiers  est  que  l'ancien  diapason  doit 
être  conservé;  ils  basent  leur  déclaration  sur  ce  fait  qu'avec  ledit  diapason 
la  musique  s'entend  de  beaucoup  plus  loin.  Les  professeurs,  par  contre, 
affirment  qu3  le  nouveau  diapason  est  préférable,  comme  occasionnant 
moins  de  fa'igue  aux  exécutants  sur  les  instruments  à  pistons.  D'ailleurs, 
ont-ils  ajouté,  on  peut  facilement  obtenir  la  force  et  l'éclat  désirables  en 
renforçant  les  orchestres  de  quelques  instrumentistes,  par  exemple  en 
employant  48  hommes  par  musique  au  lieu  de  46. 

—  Il  vient  de  se  fonder,  concurremment  avec  le  Mozarieum  de  Salz- 
bourg,  une  Association  Mozart  qui  a  déjà  établi  une  agence  à  Londres  et 
dont  voici  le  but  principal  :  entretenir  le  musée  organisé  dans  la  maison 
natale  de  Mozart,  subventionner  l'école  publique  du  Mozarteum,  organiser 
des  festivals  pour  l'audition  des  œuvres  de  Mozart;  contribuer  aux  frais 
d'érection  d'un  théâtre  modèle  à  Salzbourg,  consacré  au  répertoire  clas- 
sique. 

—  La  maîtrise  royale  de  la  cathédrale  de  Berlin  vient  de  donner  une 
très  intéressante  séance  de  musique,  au  programme  de  laquelle  figuraient 
plusieurs  compositions  d'auteurs  ignorés  ou  oubliés  de  la  génération 
actuelle  et  qui  avaient  été  exhumées  tout  exprès  des  cartons  de  la  biblio- 
thèque royale.  Les  plus  remarquables  étaient  un  motet  à  neuf  voix  de 
Giuseppe  Gorsi,  maître  de  chapelle  de  l'église  Santa  Maria  Maggiore 
de  Rome,  en  1667,  et  un  choral  de  H.  Léo  Hassler.  Parmi  les  œuvres  de 
compositeurs  plus  connus,  il  y  avait  un  Misericordias,  de  Durante,  un 
motet  à  quatre  voix  de  Bach  et  un  hymne  de  Gluck.  Le  concert  était 
dirigé  par  le  professeur  A.  Becker,  qui  a  fait  entendre  deux  pièces  de  sa 
composition,  peu  intéressantes  d'ailleurs  :  un  Gloria  et  un  motet  sur  le 
121''  psaume. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Hambourg  va  mettre  prochainement  en  répé- 
titions un  opéra  nouveau  de  M.  P.  Geisler,  intitulé  les  Naufragés. 

—  On  vient  de  découvrir  dans  la  bibliothèque  de  l'Hôtel  de  Ville  de 
Zwickau,  déjà  très  riche  en  livres  et  manuscrits  précieux,  toute  une  série 
d'incunables  musicaux  du  xvi=  siècle,  entre  autres  le  premier  recuejl  des 
madrigaux  à  quatre  voix  de  Francesco  Gorteccia,  publié  à  Venise  en 
lbi4,  et  les  madrigaux  de  Ragazzoni.  Ces  découvertes  éclairent,  parait-il, 
d'un  jour  tout  nouveau  l'histoire  du  madrigal  musical. 

—  On  a  compté  que  dans  la  seconde  quinzaine  du  mois  de  novembre 
dernier,  les  divers  théâtres  de  Moscou  ont  été  fréquentés  par  tout  près  de 
cent  mille  spectateurs,  exactement  97,670  personnes. 

—  A  Tillis  on  signale  la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau, 
Asra,  du  compositeur  Ippolitow  Ivanow,  dont  c'est  le  second  ouvrage  dra- 
matique. A  Saint-Pétersbourg  on  parle  vaguement  de  la  future  appari- 
tion du  premier  opéra  d'un  autre  jeune  musicien  russe,  M.  Serge  Youfé- 
row,  connu  déjà  par  diverses  pièces  de  piano  et  quelques  jolies  mélodies 
vocales.  Cet  ouvrage  a  pour  titre  Myrrha.  Enfin,  l'ouvrage  de  M.  Arensky, 
un  Songe  sur  le  Volga,  doit  passer  très  prochainement  à  l'Opéra  russe  de 
Moscou. 

—  Voici  la  liste  des  ouvrages  nouveaux  représentés  en  Italie  au  cours 
de  l'année  1890.  1.  Sposete  vu  moje,  opérette  en  dialecte  romanesque,  de 
M.  Cesare  Pascucci  (Rome,  th.  Rossini);  —2.  OccAioc/i  Knce,  opérette-féerie, 
de  M.  Buongiorno  (Naples,  Fenice);  —  3.  la  Risorse  di  Popo,  vaudeville,  de 
M.  Galeazzi  (Nocera,  Société  philodramatique);  —  4.  Catilina,  drame  ly- 
rique, de  M.  Cappellini  (Vérone,  th.  Philharmonique);  —  5.  la  Modella, 
de  M.  Bimboni  (San  Remo,  th.  du  Prince  Amédée);  —  6.  Loreley,  «  action 
romantique  »,  de  M.  Alfredo  Gatalani  (Turin,  th.  Regio);  —  7.  gli  Studenti 
di  carnavale,  vaudeville,  paroles  et  musique  de  M.  Carlo  Mor  (Assise);  — 
8.  V J sola  incanlanta,  opérette  féerie,  deM.Raimondo  Rossi  (Naples,  Fenice); 
—  9.  Béatrice  di  Svezia,  drame  lyrique,  de  M.  Tomaso  Benvenuti  (Venise, 
Fenice);  —  10.  il  Genio  bene/ico,  opérette  fantastique,  de  M.  Raimondo 
Rossi  (Naples,  Fenice)  ;  —  11.  Guerra  «  tempo  di  pace,  opérette,  de 
M.  Urzi  (Catane,  th.  du  Prince  de  Naples);  —  12.  Mala  Pasqua,  drame 
lyrique,  de  M.  Gastaldon  (Rome,  th.  Costanzi);  —  13.  la  Zingara,  opérette, 
de  M.  Buongiorno  (Naples,  Fenice);  —  14.  Trioiifo  d'ainore,  id.,  de  M.  Vin- 
cenzo  D'Aloe  (PoUenza);  —  15.  la  Regina  di  Toinon,  opéra-comique,  de 
M.  Prestreau  (Naples,  th.  Philharmonique);  —  16.   Donna  Joli;  opérette, 


paroles  et  musique  de  M.  Giacomo  Queirolo  (Sampierdarena);  —  17.  Gine- 
vra di Monreale,  drame  lyrique,  de  M.Bonavia(Malle,  th.  Royal);—  18.  Labilia, 
de  M.  Spinelli  (Rome,  th.  Costanzi);  —  19.  Cavalleria  rusticana,  de  M.  Mas- 
cagni  (id.,  id.);  —  20.  Morinette,  «  idylle,  »  de  M.  A.  DEste  (Rome);  — 
21.  Gringoire,  opérette,  de  M.  Scontrino  (Milan);  —  22.  Makmus,  id.,  de 
M.  Ed.  Sassone  (Naples,  Politeama)  ;  —  23.  t  Bue  Santardli,  opérette  en 
dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pascucci  (Rome,  th.  Manzoni);  — 
24.  Rudello,  de  M.  Vicenzo  Ferrari  (Rome,  th.  Costanzi);  —  23.  il  Veggente, 
de  M.  Bossi  (Milan,  th.  Dal  Verme);   —  26.  Editta,  de  M.  Pizzi  (id.,  id.); 

—  27.  Raggio  di  luna,  de  M.  Franco  Leoni  (Milan,  th.  Manzoni);  —  28. 
un  Bacio  alla  regina,  opéra-comique,  de  M.  De  Nardis  (Naples,  th.  Sannaz- 
zaro);  —  29.  Anna  di  Dovara,  drame  lyrique,  de  M.  Zilioli  (Milan,  th. 
Philodramatique)  ;  — 30.  Pm-ta  fortuna,  opérette,  de  M.  Quintavalle  (Aquila); 
—31.  laSpedizionedeicoscrittiper  l'Africa,  id.,  de  M.  Carmelo  Preita  (Casti- 
glione  délie  Stiviere);  —  32.  le  Damigelle  di  Saint-Cyr,  opéra-comique,  de 
M.  Cesare  Bacchini  (Turin,  th.  Alfîeri);  —  33.  Guglielmo  embriaco,  de 
M.  Penco  (Gênes)  ;  —  34.  i  Diavoli  délia  cmte,  opérette,  de  M.  Oreste  Garlini, 
(Turin,  th.  Alfieri);  —  35.  l'Ambasciatore,  id.,  paroles  et  musique  de 
M.  Luigi  Mantegna  (Milan,  th.  Pezzana);  —  36.  Non  toccate  la  regina, 
opéra-comique,  de  M.  Scarano  (Milan,  th.  Manzoni)  ;  —  37.  la  Zingara  di 
Granata,  drame  lyrique,  de  M.  Bartolucci  (Sant'Arcangelo  di  Forli);  — 
38.  Diavolina,  opérette,  de  M.  Raimondo  Rossi  (Naples,  Fenice);  —  39.  la 
Fille  mal  gardée  (sic),  id.,  de  M.  Dom.  Bertaggia  (id.,  id.)  ;  —  40.  Alburn- 
massara,  opérette  en  dialecte  romanesque,  anonyme  (Rome,  th.  Manzoni)  ; 

—  41.  Fiamma,   opéra-ballet,  de  M.  Rovera  (Alexandrie,  th.  Municipal); 

—  42.  Arrabiate  pe'marito,  opérette  en  dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare 
Pascucci  (Rome,  th.  Rossini);  —  43.  Treno  lampo,  id.,  id.  (id.,  id.);  — 
44.  una  Gita  di  jiiacere,  ovvero  Treno  lumaca,  id.,  de  M.  Mascetti  (Rome,  th. 
Métastase);  —  45.  Treno  tropea,  id.,  (sans  indications);  —  46.  la  Pellegrina, 
drame  lyrique,  paroles  et  musique  de  M.  Filippo  Clementi  (Bologne, 
th.  Communal);  —  47.  Andréa  del  SarCo,  id.,  de  M.  Baravalle  (Turin,  th. 
Carignan);   —  48.   gli  Arimanni,  id.,   de  M.  Trucco  (Gènes,  tfi.  Paganini); 

—  49.  Gemma  di  sole,  opérette  fantastique,  de  M.  Italo  De  Vita  (Naples, 
Fenice);  —  50.  Amor  la  vince,  opéra-comique,  de  M.  Vincenzo  Galassi 
(Naples,  th.  Bellini);  —  51.  Anfttrione,  opérette,  de  M.  Mattia  Forte 
(Naples,  Politeama)  ;  —  52.  le  Nozza  der  marchese  der  grillo,  opérette  en 
dialecte  romanesque,  de  M.  Mascetti  (Rome,  th.  Métastase);  —  53.  un 
Carnevale  ai  tempi  der  marchese  der  grillo,  id.,  de  M.  Pascucci  (Rome,  th. 
Rossini);  —  54.  il  Talismano,  opérette,  de  M.  Luigi  Ricci. 

—  Une  anecdote  relative  à  Verdi  et  à  son  élève  et  ami  le  regretté  Mu- 
zio,  mort  récemment,  racontée  par  le  Secolo  :  —  «  Il  arriva  un  jour  que, 
l'emploi  d'organiste  àBusseto  se  trouvant  vacant.  Verdi  écrivit  aux  membres 
du  municipe  pour  leur  conseiller  la  nomination  de  Muzio,  qui  se  trou- 
vait alors  dans  une  situation  difficile.  Des  jalousies  de  clocher  et  de 
sacristie  se  mirent  à  la  traverse,  et  malgré  la  recommandation  du  grand 
maestro,  l'emploi  fut  donné  à  un  autre.  Verdi  se  le  tint  pour  dit,  et  par 
dévouement  à  son  ami  ne  fit  pas  voir  sa  mauvaise  humeur.  Mais  par  la 
suite  il  ne  voulut  plus  se  montrer  dans  la  petite  ville,  bien  qu'elle  ne 
fut  distante  que  de  quelques  kilomètres  de  son  domaine  de  Sant'Agata, 
et  cela  même  pour  l'inauguration  du  nouveau  théâtre,  au  sujet  duquel  il 
se  contenta  d'envoyer  10,000  francs.  » 

—  Nous  recevons  l'intéressant  Annuario  scolastisco  del  Liceo  musicale  Ros- 
sini de  Pesaro,  pour  la  huitième  année  de  l'existence  de  cet  établissement, 
dû,  on  le  sait,  à  la  munificence  posthume  de  Rossini,  dont  Pesaro  était 
la  ville  natale.  Le  Lycée  musical,  placé  sous  l'hahile  direction  de  l'excel- 
lent compositeur  Carlo  Pedrotti,  l'auteur  de  Fiorina  et  de  Tutti  in  maschera, 
ne  cesse  de  progresser.  Pendant  l'année  écoulée  les  élèves  étaient  au 
nombre  de  116,  confiés  aux  soins  de  20  professeurs  chargés  de  33  classes 
diverses.  L'enseignement  est  complet  et  embrasse  toutes  les  branches  de 
l'art,  si  bien  que  le  Lycée  de  Pesaro  est  devenu  l'un  des  Conservatoires 
les  plus  importants  de  l'Italie.  —  Disons  à  ce  propos  que  la  municipalité 
de  Pesaro,  qui  jusqu'à  ce  jour  a  semblé  quelque  peu  oublieuse  de  la  gloire 
et  des  bienfaits  de  Rossini,  songe  enfin  à  réparer  cet  oubli,  et  se  prépare, 
dit-on,  à  fêter  comme  il  conviendra  le  centième  anniversaire  de  la  nais- 
sance du  maître,  qui  tombe  au  mois  de  février  1892. 

—  Un  chanteur  italien,  le  baryton  Antonio  Farini,  vient  d'avoir  une 
idée  singulière,  mais  qui  peut  avoir  beaucoup  de  succès  chez  les  excen- 
triques yankees.  Il  a  organisé  une  compagnie  chantante  internationale,  avec 
laquelle  il  se  propose  de  donner  des  concerts  «  cosmopolites  »  dans  les 
principales  villes  des  États-Unis.  Cette  compagnie  comprend  les  artistes 
dont  voici  les  noms  :  miss  Marie  Selik  (créole)  ;  miss  Hettie  Durand,  con- 
tralto (négresse);  M.  Heinrich  Schiller,  ténor  (allemand)';  M.  Velasco, 
baryton  (des  îles  Hawaï);  M.  Armand,  pianiste  (français);  enfin,  le  direc- 
teur lui-même,  M.  Farini  (italien).  Une  tour  de  Babel  musicale,  quoi  ! 

A  la  Scala  de  Milan,  première   représentation   et   insuccès    comple  t 

d'un  nouveau  ballet,  il  Tempo,  scénario  de  M.  Pogna,  musique  de 
M.  Boniccioli,  l'un  et  l'autre  manquant  absolument  d'attrait,  de  charme 
et  de  nouveauté.  —  Le  Cid  de  M.  Massenet  n'y  a  pas  réussi  davantage. 

—  On  a  dû  exécuter  au  Théâtre-Royal  de  Madrid,  le  2  janvier,  premier 
anniversaire  de  la  mort  du  fameux  ténor  Gayarre,  la  Messe  de  Requiem 
de  Verdi. 

Cette  fois-ci,  cela  parait  irrévocable.  Les  capitaux  nécessaires  à  l'achat 

du  théâtre  de  Sa  Majesté   à  Londres  ont  enfin  pu  être  recueillis,  et  l'im- 


14 


LE  MENESTREL 


meuble  sera  livré  à  la  pioche  des  démolisseurs  vers  la  lin  de  la  présente 
année  1891.  Une  dernière  saison  italienne  sera  donnée  cet  été  sous  la 
direction  de  M.  Lago,  puis  le  silence  se  fera  à  tout  jamais  sur  cette  scène 
célèbre  où  brillèrent  jadis  les  Garcia,  les  Malibran,  les  Catalani,  les 
Titjiens,  les  Mario,  les  Sontag  et  tant  d'autres. 

—  A  Londres,  la  mode  est  toujours  aux  petits  virtuoses  prodiges.  Le 
nombre  des  pianistes  et  violonistes  en  enfance  qui  se  sont  abattus  cette 
année  sur  la  capitale  anglaise  est  vraiment  fantastique.  Cela  devenait  une 
épidémie,  rapidement  enrayée,  cependant,  par  l'apparition  du  jeune  Gé- 
rardy,  vio)oncelliste  de  douze  ans  et  demi,  dont  le  talent  précoce  fait 
actuellement  sensation  dans  les  concerts  de  Londres  et  éclipse,  parait-il, 
tous  ses  confrères  du  piano  et  du  violon.  Les  qualités  d'exécution  de  est 
enfant  sont  celles  qu'on  rencontre  chez  les  maîtres,  et  le  sentiment  péné- 
trant de  son  jeu  impressionne  fortement  l'auditeur;  cela  tient  du  surnatu- 
rel, et  la  presse  anglaise  envisage  avec  crainte  l'avenir  de  ce  petit  phé- 
nomène. 

—  Au  dernier  concert  populaire  de  M.  Théodore  Thomas,  à  New- York, 
les  honneurs  de  la  séance  ont  été  pour  les  fragments  de  Lakmé  :  airs  de 
danse  {Terana,  Rektah,  Persian,  Goda)  et  la  scène  et  légende,  brillamment 
enlevée  par  M"''  Clémentine  De  Vere. 

—  A  San  Paolo  du  Brésil,  une  compagnie  d'opéra  italien  vient  de 
mettre  à  la  scène,  coup  sur  coup,  trois  ouvrages  de  trois  compositeurs 
brésiliens  :  Carinosina,  de  M.  Gomès  d'Araujo;  Bug  /«rga/,  de  M.Malcher, 
directeur  de  ladite  compagnie  :  et  Moemo,  de  M.  Pacheco-Notto,  musicien 
amateur. 

—  Si  l'on  en  croit  les  dernières  nouvelles  du  Japon,  une  révolution 
viendrait  de  s'opérer  dans  les  théâtres  de  ce  pays.  L'empereur  a  signé  un 
décret  autorisant  les  femmes  à  jouer  la  comédie  en  même  temps  que  les 
hommes.  Jusqu'à  présent,  les  acteurs  de  sexe  différent  ne  pouvaient  se 
montrer  que  l'un  après  l'autre,  ce  qui  rendait  les  scènes  d'amour  assez 
difEciies  à  jouer. 

PARIS  ET  DEP4RTF.MENTS 
Dans  la  dernière  séance  de  lAcadémie  des  beaux-arts,  M.  Ambroise 
Thomas,  après  une  année  de  présidence,  a  remis  son  fauteuil  à  son  suc- 
cesseur, M.  Meissonier,  après  avoir  remercié  ses  confrères  de  leur 
constante  bienveillance  à  son  égard.  Parmi  les  communications  faites  à 
l'Académie  par  le  nouveau  président,  nous  remarquons  celle  relative  au 
concours  Rossini  ,  pour  lequel  neuf  partitions  ont  été  envoyées. 

—  Les  contempteurs  de  notre  Conservatoire  pourraient  faire  leur  profit 
de  la  petite  correspondance  que  voici,  adressée  de  Leipzig  à  un  de  nos 
confrères.  Ils  verront  que  les  choses  vont  là-bas,  en  Allemagne,  beaucoup 
plus  mal  que  chez  nous,   et  que  le  public  lui-même  en  perd  sa  faculté 

de  jugement:  «  Que  plusieurs  artistes  de  talent,  dit  le  correspondant, 

aient  quitté  le  théâtre  sans  être  remplacés  d'une  façon  satisfaisante;  que 
le  Gewandhaus,  dirigé  par  des  personnes  au  bout  de  leur  carrière,  décline 
de  jour  en  jour,  ce  sont  là  des  faits  indiscutables;  mais  ce  qui  nous  sur- 
prend, c'est  que  le  goût  du  public  s'abaisse  aussi  rapidement  que  la  qua- 
lité de  ce  qu'on  lui  offre,  que  de  mauvaise  musique,  qui  eût  été  silflée 
et  chutée  il  y  a  si  peu  de  temps,  reçoive  des  acclamations  générales.  La 
presse  ne  tente  nullement,  par  des  critiques  sincères  et  aptes  à  amener 
le  lecteur  dans  la  voie  du  progrès,  d'empêcLer  cette  descente  rapide  du 
goût;  elle  s'ingénie  à  louer  tout  avec  des  phrases  banales,  pour  s'éviter  les 
embarras  sans  doute.  On  épargne  surtout  l'institution  qu'il  faudrait  attaquer 
avec  le  plus  de  vivacité,  parce  que  d'elle  dépend  l'avenir  de  l'art  :  le  Conser- 
vatoire. De  plus,  le  Conservatoire,  au  lieu  d'être  dirigé  par  des  musiciens 
de  valeur,  a  à  sa  tête  un  directorium  composé  de  notables  de  la  ville,  de 
riches  commerçants  par  exemple,  qui  n'entendent  rien  à  la  musique  et 
par  conséquent  conduisent  fort  mal  l'institution.  L'étude  du  chant  surtout 
est  absolument  déplorable.  Au  lieu  de  développer  d'abord  la  voix  des 
élèves  d'une  façon  systématique  et,  après  deux  ou  trois  ans  de  cette  étude, 
de  leur  permettre  seulement  de  chanter  des  airs,  etc.,  on  fait  juste  le 
contraire;  on  force  les  malheureux  à  se  briser  la  voix  sur  les  notes  trop 
hautes  des  parties  qu'on  leur  donne,  ou  à  se  la  déplacer  en  chantant  trop 
bas.  Nous  pourrions  citer  des  douzaines  de  cas  où  l'ignorance  des  pro- 
fesseurs de  chant  de  ce  Conservatoire  a  ruiné  la  voix  des  élèves  les  mieux 
doués  ;  quand  l'organe  a  été  assez  solide,  on  est  parvenu  encore  à  le  sau- 
ver, mais  c'est  rare.  Il  fallait  un  grand  effort  pour  nous  convaincre  qu'une 
institution  renommée  pût  commettre  de  pareilles  erreurs  ;  la  dernière 
«  représentation  »  donnée  par  ses  élèves  en  a  fourni  la  preuve.  Nous  ne 
nous  arrêterons,  pas  à  apprécier  la  mimique  de  ces  jeunes  gens;  elle  est 
d'un  bout  à  l'autre  manquée  et  ridicule,  mais  on  ne  peut  beaucoup  exiger 
des  personnes  qui  n'ont  pas  l'habitude  de  la  scène.  Quant  à  leurs  voix, 
ce  sont  des  débris,  des  ruines.  L'un  chante  du  nez,  l'autre  de  la  gorge  ; 
ils  s'arrachent  avec  peine  des  sons  trop  hauts  ou  trop  bas,  faux,  indécis, 
chevrotants.  Ce  serait  suprêmement  risible  si  l'on  ne  devait  se  dire  :  voilà 
le  résultat  d'un  enseignement  officiel  sur  une  jeunesse  qui  a  demandé  un 
enseignement  artistique  et  qui  est  arrivé  ici,  pleine  de  dispositions. 'Voilà  ce  que 
la  réclame  officielle  d'un  établissement  renommé  peut  faire:  faire  perdre  à 
ses  élèves  leur  temps,  leur  argent  —  et  leurs  dons  naturels,  la  voix  par 
exemple.  Voilà  ce  que  la  critique  encourage  en  donnant  raison  aux  applau- 
dissements des  mères,  des  sœurs  et  des  tantes,  qui,  ignorantes,  admirent 
les  ruines  officielles  de  leurs  fils  et  de  leurs  filles.  —  Qu'est-ce  que  ceux- 


ci  feront  dans  l'avenir?  L'art  est  pour  eux  une  impasse  qu'ils  encombrent 
et  dont  ils  ne  sortiront  pas.  Us  feront  descendre  peu  à  peu  son  niveau 
jusqu'au  leur.  » 

—  Il  y  a  quelques  années  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  publiait 
à  la  librairie  Gharavay,  sous  ce  titre  :  les  Vrais  Créateurs  de  l'opéra  français, 
un  travail  de  restitution  et  de  réhabilitation  artistiques,  comme  il  le 
disait  lui-même,  dont  le  succès  fut  très  vif.  «  Il  est  convenu  depuis  long- 
tem.ps,  ajoutait  l'auteur,  et  depuis  longtemps  passé  en  article  de  foi  que 
Quinault  et  Lully  sont,  l'un  pour  les  paroles,  l'autre  pour  la  musique, 
les  créateurs  de  l'opéra  en  France;  qu'eux  seuls  ont  droit  à  ce  titre  et 
qu'il  constitue  une  partie  de  leur  gloire.  »  Rien  n'est  pourtant  plus  con- 
traire à  la  vérité  et  ce  n'est  assurément  pas  diminuer  la  valeur  de  ces 
deux  grands  artistes  que  de  leur  enlever  cet  honneur  pour  le  reporter 
à  ceux  qui  le  méritent  réellement  :  à  Perrin  et  à  Cambert.  C'est  ce  thème 
qu'a  repris  et  développé  notre  collaborateur  dans  la  très  intéressante 
conférence  qu'il  vient  de  faire,  le  2  janvier,  au  Théâtre  d'Application  de 
la  rue  Saint-Lazare.  Érudition  solide  mais  non  pédante,  anecdotes  nom- 
breuses, portraits  piquants  et  ressemblants  bien  que  peu  flattés,  excel- 
lents spécimens  enfin  des  œuvres  analysées,  tels  étaient  les  principaux 
attraits  de  cette  conférence,  qui  a  été  très  goûtée  et  très  applaudie.  Ajou- 
tons que  M.  Pougin  étiit  secondé  dans  sa  tâche  délicate  par  M""Vidand- 
Lacomhe,  qui  a  chanté  avec  goût  des  fragments  de  Ptinone,  de  Cadmus, 
d'Amadis  et  d'Armide;  par  M.  Auguez,  qui  a  brillamment  enlové  l'air 
d'Hidraol  :  «  Armide  est  encore  plus  charmante  »,  enfin  par  M"'=  Juliette 
Barat,  qui  a  joliment  exécuté  une  charmante  passacaille  du  même 
ouvrage.  Dans  une  péroraison  chaleureuse,  M.  Pougin  a  conclu  par  un 
rapide  aperçu  critique  du  génie  musical  de  Lully  et  unevéri  table  apologie 
de  ses  facultés  multiples  et  de  son  étonnante  valeur  comme  directeur  de 
l'Opéra. 

—  M.  Robert  Fischhof,  le  renommé  compositeur-virtuose  viennois,  est 
arrivé  cette  semaine  à  Paris.  Il  fera  entendre  aujourd'hui  dimanche,  au 
concert  du  Châtelet,  ses  belles  Variations  pour  deux  pianos  avec  le  précieux 
concours  de  M™"  Montigny-de  Serres.  Le  concert  qu'il  donnera  ensuite  à 
la  salle  Erard  est  fixé  à  mercredi  prochain,  avec  le  concours  de  M""^^  Krauss 
et  de  Serres  et  de  M.  Marsick.  Le  programme  sera  exclusivement  composé 
des  œuvres  de  M.  Robert  Fischhof. 

—  L'administration  préfectorale  vient  de  faire  apposer,  en  exécution 
des  délibérations  du  conseil  municipal,  des  plaques  commémoratives  sur 
un  certain  nombre  de  maisons  de  Paris.  Voici  l'indication  de  deux  d'entre 
elles  qui  nous  intéressent  particulièrement.  Sur  la  façade  du  marché  Saint- 
Germain,  rue  Clément  : 

,LA   FOIRE   SAIKT-GERMAIN 

OCCUPA 

jusqu'à  la   fin    du    XVIIl^   SIÈCLE 

l'emplacement 

de    ce   marché 

Sur  la  façade  d'un  pavillon  d'angle  de  la  gare  de  l'Est,  rue  d'Alsace  : 

la   FOIUE    SAINT-LAURENT 

ÉTABLIE     AU     X  II"     SIÈCLE 

SE   TINT   SUR  CETTE  PLACE 

DE  1662 
A  LA   FIN    DU   XVIll'î    SIÈCLE 

On  sait  que  les  foires  Saint-Germain  et  Saint-Laurent,  les  deux  plus 
célèbres  de  Paris,  furent  le  berceau  de  nos  théâtres.  C'est  là  que  com- 
mença à  vagir  notre  Opéra-Comique,  qui  n'était  d'abord  qu'une  scène  de 
vaudeville  et  de  parodies,  et  que  rendirent  bientôt  fameux  les  pièces  de 
Le  Sage,  de  Fuzelier,  de  d'Orneval,  de  Favart,  de  Piron,,  de  Panard,  de 
Carolet,  en  attendant  que  nos  premiers  musiciens,  D'Auvergne,  Duni, 
Philidor,  Monsigny,  Grétry,  lui  apportassent  la  gloire  et  la  fortune.  C'est 
là  aussi  qu'on  vit  naître  les  théâtres  de  Nicolet  etd'Audinot,  qui  s'instal- 
lèrent plus  tard  sur  l'ancien  boulevard  du  Temple,  où  ils  devinrent  la  Gaité 
et  l'Ambigu-Comique. 

—  M.  Camille  Bellaigue,  notre  excellent  confrère  de  la  Reoue  des  Deux 
Mandes,  vient  de  faire  paraître  son  nouveau  volume  de  l'Année  musicale  (Gh. 
Delagrave,  éditeur),  qui  va  d'octobre  1SS9  à  octobre  1890.  En  reprenant 
le  titre  employé  naguère  par  l'un  de  ses  prédécesseurs  à  la  Revue,  P.  Scudo, 
M.  Bellaigue  en  a  retrouvé  le  succès,  et  c'est  fort  bien  fait.  Son  livre  est 
fort  aimable,  sa  critique  est  fine  et  délicate,  et  si  je  ne  partage  pas  abso- 
lument toutes  ses  idées,  du  moins  suis-je  souvent  en  communion  avec 
lui.  En  dehors  des  chapitres  de  critique  courante  et  de  compte  rendu  qu'on 
trouve  forcément  dans  ce  volume,  il  en  est  quelques  autres,  tout  à  fait 
charmants,  que  je  recommande  à  l'attention  et  à  la  sagacité  des  curieux 
et  des  amateurs.  Tel  celui  intitulé  l'Opéra  idéal,  tel  encore  celui  qui  a  pour 
titre  :  Pantomimes,  et  aussi  la  Lettre  de  cinquantaine  à  Verdi  et  la  jolie  bio- 
graphie critique  d'Edward  Grieg.  Voilà  des  pages  solides,  instructives, 
suggestives,  pour  me  servir  d'un  mot  à  la  mode  et  fort  expressif  d'ailleurs, 
qu'il  fait  bon  lire  et  qui  font  penser  et  réfléchir.  L'Année  musicale  a  déjà 
fait  son  chemin  dans  le  monde,  —  j'allais  dire  dans  les  deux  mondes; 
elle  le  fera  de  plus  en  plus.  A.  P. 

—  M.  Louis  de  Romain  vient  de  réunir  en  une  élégante  brochure  ainsi 
intitulée:  le  Don  Juan  *  Mozart  jugé  par  Gounod,  la  série  d'élégants  articles 
publiés   par   lui,  dans   Angers-artiste,  sur  le  livre    récent   que  l'auteur  de 


LE  MENESTREL 


i5 


Faust  a  consacré  au  chef-d'œuvre  de  Mozart.  Cette  analyse  d'une  analyse 
ne  saurait  elle-même  être  longuement  analysée.  Il  faut  se  borner  à  consta- 
ter, après  avoir  exprimé  les  éloges  qu'appelle  la  forme  très  littéraire  et 
très  châtiée  de  cet  opuscule,  que  l'écrivain,  malgré  ses  louanges  admira- 
tives  pour  le  livre  de  M.  Gounod,  n'en  fait  pas  moins  des  réserves  for- 
melles sur  l'opinion  générale  émise  par  le  maître  au  sujet  de  Don  Juan. 
Cela  n'a  rien  qui  doive  surprendre.  N'est-ce  pas  lui  qui  ne  craignait  pas 
d'écrire  dernièrement  cette  phrase  que  nous  avons  citée:  »  Non  seulement 
j'aime  mieux  entendre  Sigunl  et  Manon  que  Bobert  le  Diable  ou  la  Flûte 
enchantée,  mais  encore  j'ose  très  simplement  le  dire  »  ?  D'où  il  appert  que^ 
d'après  M.  de  Romain,  MM.  Reyer  et  Massenet  doivent  être  classés  au- 
dessus  de  Mozart.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'en  plaindront  sans  doute,  mais 
le  jugement  peut  passer  pour  audacieux.  A.  P. 

—  L'éditeur  J.-B.  Ferreyrol,  49,  rue  de  Seine,  vient  de  faire  paraître  les 
Chansons  fîn  de  siècle,  par  Jules  Oudot,  un  de  nos  jeunes  poètes-chanson- 
niers de  l'école  moderne.  C'est  un  joli  recueil  de  spirituelles  satires  et 
d'amusantes  fantaisies,  toutes  empreintes  d'une  verve  bien  parisienne.  Le 
texte  est  accompagné  de  la  musique  et  rehaussé  par  des  dessins  inédits  de 
Lunel,  Forain,  Gray,  Cohl,  etc.,  etc.  La  couverture  en  couleur  est  signée 
F.  Lunel.  Ce  sera,  en  somme,  une  des  publications  les  plus  intéressantes 
de  la  saison. 

—  La  Hollande  musicale  à  Paris.  —  Un  concert  sans  précédent  à  Paris 
et  qui  promet  d'être  fort  intéressant,  est  celui  qui  sera  donné  le  samedi 
soir  17  de  ce  mois,  dans  les  salons  Pleyel,  au  bénéfice  de  la  Société  de 
Bienfaisance  hollandaise  de  Paris  et  de  l'Association  des  Artistes  musi- 
ciens de  France.  Dans  ce  concert,  dont  nous  avons  lu  le  curieux  et  plan- 
tureux programme  (21  numéros!)  il  ne  sera  exécuté  que  de  la  musique  de 
compositeurs  hollandais  modernes,  par  des  virtuoses  hollandais  également. 
C'est  ainsi  que  se  trouve  justifiée  l'appellation  de  cette  séance  toute  spé- 
ciale —  Concert  Néerlandais  —  dans  laquelle  figureront  trente-deux  noms 
de  compositeurs  et  d'exécutants  dont  presque  tous  sont  absolument  incon- 
nus du  monde  musical  parisien.  On  n'a  pas  oublié  les  concerts  de  musique 
Scandinave  qui  furent  donnés  à  Paris  il  y  a  quatre  ans  au  bénéfice  de 
l'Association  des  artistes  musiciens,  par  notre  confrère  Oscar  Comettant, 
et  dans  l'un  desquels  Christine  Nilsson  se  fit  entendre  pour  la  dernière 
fois  à  Paris.  C'est  aussi  à  M.  Comettant  que  nous  devons  le  Concert 
Néerlandais,  dont  il  conçut  la  pensée  à  son  dernier  voyage  en  Hollande. 
Tout  Paris  musical  et  toute  la  colonie  hollandaise  seront  le  17  janvier  à 
la  salle  Pleyel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  ul  mineur  est,  de  tous  les 
ouvrages  de  Beethoven,  celui  dans  lequel  sa  puissante  individualité  se 
révèle  à  nous  de  la  façon  la  plus  complète.  D'autres  ouvrages,  la  Sym- 
phonie pastorale,  celle  en  la  et  la  dernière,  plusieurs  sonates  de  piano  et 
certains  quatuors,  sont  dignes  d'une  égale  admiration  et  peuvent  être 
considérés  comme  des  œuvres  plus  avancées,  plus  puissantes  même; 
mais  dans  aucune,  Beethoven  ne  s'est  dépeint  lui-même  en  traits  plus 
vigoureux  et  dans  un  relief  plus  intense.  Au  point  de  vue  exclusivement 
musical,  on  peut  dire  que  le  procédé  employé  dans  cette  composition 
consiste  dans  la  superposition  de  fragments  mélodiques  très  courts  et  dont 
l'accumulation  produit  peu  à  peu  l'effet  d'ensemble  le  plus  grandiose. 
L'impression  est  produite  par  le  résultat  de  toutes  les  forces  mélodiques 
superposées,  qui  agissent  sur  l'oreille  à  peu  près  comme  un  travail  de 
mosaïque  agit  sur  les  yeux.  Si  l'on  excepte  l'andante,  il  n'y  a  pas  un  seul 
thème  dans  la  symphonie  en  ut  mineur  que  l'on  puisse  isoler  sans  lui 
enlever  tout  son  rayonnement  ;  encore  n'est-il  pas  bien  sur  que  l'andante 
puisse  résister  à  l'amputation  du  motif  persistant  des  instruments  à  vent 
sans  tomber  immédiatement  dans  la  catégorie  des  œuvres  merveilleuse- 
ment ouvragées,  sans  doute,  mais  néanmoins  de  second  ordre.  —  Le 
Menuet  «  extrait  d'une  suite  dans  le  style  ancien  »  de  M.  A.  Magnard, 
est  bien  construit,  sur  une  idée  mélodique  simple  et  douce  présentée  dans 
une  parure  orchestrale  d'une  discrétion  voulue.  —  On  a  beaucoup  ap- 
plaudi le  long  solo  de  cor  anglais  exécuté  par  M.  Dorel  dans  le  prélude 
du  troisième  acte  de  Tristan  et  Yseult.  —  L'ouverture  de  Manfred,  de 
Schumann,  qui  renferme  des  passages  où  l'impression  de  tristesse  va 
jusqu'à  l'horreur,  a  été  parfaitement  rendue;  l'œuvre  est  des  plus  saisis- 
santes, mais  l'absence  des  effets  de  masse  dans  l'orchestre  en  rend  la  com- 
préhension quelque  peu  ardue. —  Il  y  a  toujours  quelque  sécheresse  dans 
la  Marche  des  Pèlerins  d'Harold  en  Italie  ;  cela  doit  tenir  aux  dimensions 
du  local,  que  la  fine  sonorité  de  ce  tissu  musical  exquis  ne  parvient  pas 
à  remplir.  —  Le  ballet  du  premier  a;te  de  Tannhâuscr  nous  paraît  être  un 
des  ouvrages  de  Wagner  où  la  pensée  mélodique  est  faible  et  sans  carac- 
tère. Au  surplus,  ce  morceau  et  le  suivant,  la  Chevauchée  des  Walkijries, 
ne  sauraient  être  présentés  en  dehors  de  leur  cadre  scénique  sans  en  être 
considérablement  amoindris.  Amméuée  Boutarel 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  Relâche. 

Châtelet,  Concîrt  Colonne  :  Symphonie  écossaise  (Mendelssohn)  ;  air  de  la  Naïade 
à'Armidc  fGluck)  et  Villanelte  (Berlioz),  chaulés  par  51""  de  Montalant;  Orientale 
(V.  Dolmeiscb);  variations  et  fugue  pour  deux  pianos  (R.  Fischhof),  par  M"  Ca- 
roline de  Serres  et  l'auteur  ;  fragments  de  Sigurd  (Reyer)  ;  Contes  mystiques  :  I.  Pré- 
lude (A.  Holmes),  H.  Premier  Miracle  de  Jésus  (Paladilhe),  III.  Non  credo  (Widor), 
IV.  En  i,rière  (G.  Fauré),  chantés  par  M"°  de  Monlalant  ;  Jocelyn,  fragments  syin- 
phoni^ues  (B.  Godard). 


Cirque  des  Champs-Élyse'es ,  Concert  Lamoureux  :  Symphonie  pastorale 
(Beethoven)  ;  A  Marie  endormie  (Gn y  Ropartz)  ;  concerto  eu  ré  pour  piano  (Riibinstein), 
par  M"-  Cécile  Silberberg;  A.  Rêverie  (Saint-Saëns),  et  B.  Si  tu  veux,  mignonne 
(Massenet),  chantés  par  M"°  Landi  ;  fragments  symphoniques  de  Manfred  (Schnmann)  ; 
marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  ;  ouverture  de  Tannh'âmer 
(Wagner). 

—  Le  jeune  pianiste  Staub,  le  brillant  lauréat  de  la  classe  de  Louis 
Diémer  au  Conservatoire,  fait  en  ce  moment  les  délices  de  Nice.  On  se 
l'arrache  un  peu  partout,  dans  tous  les  salons  où  l'on  fait  de  la  musique. 
C'est  un  interprète  remarquable  de  la  Romance  hongroise  de  Léo  Delibes,  de 
la  Chaconne  de  Théodore  Dubois,  de  la  Valse  arabesque  de  Lack,  et  des  déli- 
cieuses compositions  de  Scharwenka  :  Conte,  Papillon,  Berceuse  et  Mazurka. 

—  M.  Ducarre,  le  directeur  du  concert  des  Ambassadeurs,  vient  de 
s'assurer,  pour  toute  sa  saison  d'été,  du  nouveau  chanteur  à  la  mode, 
Kam-Hill,  qui  fait  tourner  toutes  les  têtes  à  l'Eldorado.  Pour  une  fois, 
en  fait  de  café-concert,  la  mode  n'a  pas  tort.  Car  M.  Kam-Hill  a  bien  du 
talent,  un  de  ces  talents  qui  le  font  rechercher  aussi  dans  les  salons,  où 
il  n'y  a  plus  de  bonne  fête  sans  lui.  Il  n'a  pas  son  pareil  pour  interpréter 
les  chansons  de  Mac  Nab.  Oh!  ce  Pendu,  tout  un  poème  dans  sa  bouche 
spirituelle! 

—  M.  Joseph  White,  l'excellent  violoniste,  annonce  pour  le  21  janvier, 
salle  Érard,  la  première  des  trois  séances  de  musique  de  chambre  qu'il 
doit  donner  avec  le  concours  de  M"*^  Cécile  Monvel,  de  MM.  Diémer  et  de 
La  Nux  (piano),  de  MM.  Parent  (violon),  Trombetta  (alto),  Rabaud,  Del- 
sart  et  Loeb  (violoncelle).  Le  programme  curieux  de  cette  séance  com- 
prend le  10^  quatuor  pour  instruments  à  cordes  de  Beethoven,  une  sonate 
pour  violoncelle  de  Boccherini,  une  chaconne  pour  violon  de  Bach,  et 
une  sonate  pour  piano  et  violon  de  M.  Diémer. 

—  La  dernière  matinée  donnée  par  M"^''  Cadot-Archainbaud  a  été  très 
brillante.  Vingt-cinq  élèves  se  sont  fait  entendre  dans  différentes  pièces 
de  Chopin,  de  Marmontel,  etc.  La  séance  était  présidée  par  M.  Boellmann. 

—  A  la  dernière  conférence-cours  de  M""»  Lafaix-Gontié,  divers  mor- 
ceaux ont  été  chantés  par  de  très  bonnes  élèves  de  cet  excellent  professeur, 
qui  a  analysé  ces  mêmes  morceaux  d'une  façon  très  intéressante.  On  a  fort 
applaudi,  entre  autres,  !a  fine  et  gracieuse  mélodie  que  M.  Diémer  a 
composée  sur  l'exquise  poésie  d'Alfred  de  Musset  :  A  liinon. 

—  A  l'une  des  dernières  séances  de  musique  classique  qui  ont  lieu  le 
jeudi  soir  à  l'À.uberge  des  Adrets,  M.Arthur  Dodement  lauréat,  du  Conserva- 
tetoire,  s'est  chaleureusement  fait  applaudir  en  exécutant  la  grande  Valse 
joyeuse  et  Ballerine,  œuvres  élégantes  pour  le  piano,  de  son  ancien  maître 
Paul  Rougnon. 

—  La -semaine  dernière  a  eu  lieu  chez  M""»  J.  C.  une  très  brillante  soi- 
rée musicale  au  cours  de  laquelle  on  a  fait  fête  à  la  petite  Marguerite 
Naudin,  qui  a  dit  avec  tout  le  sentiment  que  l'on  sait  l'Enfant  du  Jardin, 
de  Faure,  à  M.  Viterbo  qui  a  très  bien  chanté  Mignonne,  que  désirez-vous? 
du  même  compositeur,  et  à  M"==  Cerisier  qui  a  ravissamment  enlevé  VAlle- 
luia  d'Amour  ;  M""»  Cerisier  et  M.  Viterbo,  se  sont  aussi  beaucoup  fait 
applaudir  dans  le  ravissant  duo  de  Wekerlin,  Colinette. 

—  Les  soirées  de  l'Association  amicale  des  Enfants  du  Nord  et  du  Pas- 
de-Calais  sont  toujours  très  suivies.  Mardi  dernier  figurait  au  programme 
M.  Gobalet,  dont  le  succès  a  été  très  grand  avec  les  Yeux,  une  ravissante 
mélodie  de  Paladilhe.  On  a  fort  applaudi  aussi  M"=  Tachel,  son  élève, 
dans  l'air  de  Lakmé  «  Pourquoi?  »,  puis  M"«  Evel,  MM.  Galipaux,  Laut, 
Perret  (qui  a  brillamment  exécuté  la  Chanson  du  Nautonier  de  Diémer),  et 
un  chanteur  humoristique  plein  de  verve,  M.  Marcel  Lefèvre,  qu:  a  pro- 
voqué le  rire  général  avec  sa  sérénade  espagnole  et  son  concert  arabe  à 
l'Exposition. 

—  On  vient  de  jouer  au  théâtre"  de  Lunéville  un  opéra-comique  inédit 
en  trois  actes,  ta  Reine  des  Korrigans,  paroles  de  M.  Gassien-Frogier, 
musique  de  M.  Gaspar.  La  partition  surtout  a  eu  un  grand  succès. 
M.  Gaspar  est  professeur  de  musique  à  Lunéville. 

—  En  rendant  compte  de  la  brillante  reprise  de  Sigurd  qui  vient  d'avoir 
lieu  à  Marseille,  M.  Charles  Vincens  nous  apprend,  dans  son  feuilleton 
musical  de  la  Gazette  du  Midi,  que  le  buste  de  M.  Ernest  Reyer  doit  être 
prochainement  inauguré  dans  le  foyer  du  Grand-Théâtre.  On  sait  que 
Marseille  est  la  ville  natale  de  l'auteur  de  Sigurd  et  de  Salammbô. 

—  U.  Montaubry,  l'ancien  ténor  de  l'Opéra-Gomique,  depuis  quelque 
temps  déjà  fixé  à  Angers  comme  professeur,  vient  d'être  nommé  profes- 
seur de  chant  au  Conservatoire  de  Nantes.  On  assure  que  M.  Montaubry 
n'a  accepté  ces  fonctions  qu'à  la  condition  de  pouvoir  garder  son  domicile 
à  Angers. 

—  Dernièrement  a  eu  lieu,  à  la  mairie  de  Nanterre,  une  grande  mati- 
née musicale  donnée  au  profit  des  pauvres  de  la  commune.  Le  succès  de 
la  journée  a  été  pour  M.  Caron,  qui  a  dit  superbement  Hymne  aux  astres, 
de  M.  Faure.  On  a  beaucoup  applaudi  aussi  M'"*  Lemeignan  dans  l'air  du 
Songe  dune  nuit  d'été.  La  fête  s'est  terminée  par  le  drame  émouvant  de 
M.  Eugène  Manuel,  les  Oum-iers,  très  bien  joué  par  M""»  Marie  Laurent, 
M.  Truffier,  M""  Morel  et  M.  Léotaud. 

—  Le  journal  Sainte-Cécile,  de  Reims,  avait  ouvert  un  concours  pour  la 
composition  d'un  i\ocl    sur  des  paroles  de  M.  C.  Schwingrouber.  Sur  qua- 


d6 


LE  MENESTREL 


rante-quatre  manuscrits  e  nvoyés,  le  jury,  présidé  par  M.  Dallier,  l'excel- 
lent organiste  de  Saint-Eustache,  en  avait  réservé  sept.  Le  prix  a  été 
décerné  à  l'unanimité  à  M.  Charles  Kiembé,  à  Lyon.  Une  première  men- 
tion a  été  attribuée  à  M.  A.  Straub,  à  Lons-Ie-Saulnier  ;  une  seconde  men- 
tion à  M.  V.  Rousseaux,  à  Reims. 

—  Nous  avons  le  plaisir  d'annoncer  les  nouveaux  cours  de  l'Institut 
moderne  de  musique  et  de  déclamation,  20,  rue  Ghaptal.  Ces  cours  sont 
placés  sous  la  direction  artistique  de  l'excellent  professeur  du  Conserva- 
toire, M.  Romain  Bussine.  Citons  parmi  les  principaux  professeurs  : 
MM.  Paul  Rougnon  et  René  Cbansarel  pour  le  piano,  M.  Delahaye  pour 
l'harmonie,  M.  Bussine  et  M"'^  Boidin-Puisais  pour  le  chant,  M.  H. -P. 
Toby  pour  l'orgue-harmonium,  M.  Léon  Déjardins  pour  le  violon,  etc. 

—  La  Société  chorale  d'amateurs  VEulerpe,  fondée  en  1886,  a  repris  ses 
séances.  Elle  a  pour  but  l'étude  et  l'exécution  des  chefs-d'œuvre  de  la 
musique  chorale  ancienne  et  moderne.  Elle  est  dirigée  par  M.  A.  Duteil 
d'Ozanne.  Les  répétitions  ont  lieu  chaque  semaine,  le  mercredi,  dans  une 
des  salles  de  la  maison  Érard.  Rappelons  que  la  société  a  déjà  fait  entendre, 
outre  plusieurs  œuvres  de  Schumann,  la  Messe  en  si  mineur  de  Bach,  le 
premier  acte  à'iphigénie  en  Tauride  de  Gluck,  les  Poèmes  d'amour  de  Brahms, 
la  Lyre  et  la  Harpe  de  M.  Saint-Saëns,  etc. 

NÉCROLOGIE 

La  Comédie-Française  vient  encore  de  subir  une  perte  cruelle.  Après 
Jeanne  Samary,  la  toujours  regrettée,  c'est  Céline  Montaland  qui  vient 
d'être  enlevée  en  peu  de  jours,  et  presque  aussi  rapidement,  par  dévoue- 
ment pour  un  de  ses  enfants,  dont  elle  avait,  en  le  soignant,  contracté  la 
maladie.  Céline  Montaland  était  âgée  de  quarante-sept  ans.  Fille  de  comé- 
diens de  province,  elle  avait  pratiqué  la  scène  dans  ses  plus  jeunes 
années,  et  créé  quelques  rôles  d'enfant  à  la  Comédie-Française  (Gabrielle, 
Charlotte  Corday)  et  au  Palais-Royal  (Mam'zelle  fait  ses  dents,  et  la  Fille  bien 


gardée),  après  quoi  on  l'exploitait  quelque  peu  eu  province  et  à  l'étranger. 
Devenue  jeune  fille,  elle  revint  à  Paris  et  commença  sérieusement  sa  car- 
rière, se  montrant  tour  à  tour  à  la  Porte-Saint-Martin,  au  Gymnase,  aux 
Nouveautés,  au  théâtre  Taitbout,  à  l'Odéon,  et  enfin,  après  un  voyage  en 
Russie,  venant  débuter  avec  succès  à  la  Comédie-Française,  le  13  décem- 
bre 1884.  Elle  y  avait  été  reçue  sociétaire  il  y  a  deux  ans.      | 

—  Cette  semaine  est  morte  à  Paris,  dans  un  âge  avancé,  une  femme 
bien  oubliée  qui  avait  été  une  artiste  remarquable,  la  veuve  du  grand 
chanteur  Delsarte,  dont  la  renommée  fut  si  grande  il  y  a  un  demi-siècle. 
Mme  Delsarte  (et  non  Del  Sarte,  comme  quelques-uns  s'obstinent  à 
l'écrire),  était  elle-même  d'une  famille  d'artistes,  et  sœur  du  chanteur 
Andrien,  qui  sous  le  nom  d'Adrien  fut  un  des  sujets  les  plus  remarquables 
de  l'Opéra,  ainsi  que  de  M""  Thérèse  "Wartel,  dont  la  renommée  fut 
grande  comme  pianiste.  Elle  avait  fait  d'excellentes  études  au  Conserva- 
toire, où  elle  avait  obtenu  plusieurs  récompenses,  et,  pianiste  aussi  dis- 
tinguée que  musicienne  accomplie,  elle  s'était  consacrée  à  l'enseignement. 
Elle  était  la  tante  do  Georges  Bizet.  On  peut  donc  bien  dire  que  cette 
excellente  femme  tenait  à  l'art  de  .tous  côtés. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  Au  Ménestrel,  2 bis,  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 

JULES    CAZENAUD 


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3120  -  57-  ANrâ  -  K»  3.  pARAIT    TOUS   LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 


Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


L  La  mort  de  Léo  Delibes,  Hesbi  Heugel.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  Courrier  de 
Belgique,  première  représentation  de  Siegfried,  au  Théâtre  de  la  Monnaie, 
LiciEN  SoLVAï,  reprise  des  Faux  Bonshommes,  à  l'Odéon,  Pall-Êmile  Chevalier. 
—  III.  Une  famille  d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (6"  article),  Arthur  Pougis.  — 
IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

AU     MATIN 

d'ANTONiN  Marmontel.  —  Suivra  immédiatement  :  les  Douze  Femmes  de 
Japhet,  quadrille  brillant  par  Léon  Roques,  sur  l'opérette  de  Victor  Roger, 
le  dernier  succès  du  théâtre  de  la  Renaissance. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant;  La  terre  a  mis  sa  robe  blanche,  nouvelle  mélodie  de  Théodore 
Ducois,  poésie  de  J.  Bertheroy.  —  Suivra  immédiatement  :  Si  l'amour 
prenait  racine,  nouvelle  mélodie  de  H.  Balth.asar-Florence,  paroles  de 
C.  Fl'Ster. 


IL.SO    i>sx.i:b£:s 


Au  moment  où  nous  allions  insérer  ici  même  le  dernier 
chapitie  des  Notes  si  intéressantes  de  notre  collaborateur 
Louis  Gallet,  qui  voulait  passer  en  revue,  dans  une  sorte  de 
résumé,  toutes  les  forces  vives  de  la  Musique  contempoi'aine,  — 
c'était  le  titre  du  chapitre  —  la  plus  triste  des  nouvelles 
nous  parvenait,  frappant  en  plein  cœur  cette  «  musique  con- 
temporaine ')  dont  nous  nous  disposions  à  entretenir  nos 
lecteurs. 

Léo  Delibes  était  mort! 

Oui,  ce  remuant,  cet  exubérant  de  santé  et  de  talent,  cet 
artiste  qui  restait  si  réellement  français,  avec  toutes  les  qua- 
lités de  sa  race,  au  milieu  d'une  tourmente  musicale  qui 
semble  devoir  emporter  la  plupart  de  nos  musiciens  vers  la 
côte  allemande,  Léo  Delibes  avait  cessé  de  vivre,  enlevé, 
arraché  à  nous  tous  en  quelques  minutes  par  une  congestion 
foudroyante...  Et  nous  avons  vu,  couchée  sur  l'oreiller,  sa 
tête  pâle  jadis  si  mobile,  si  animée,  maintenant  calme,  pai- 
sible, avec  cette  expression  de  repos  qu'elle  n'avait  jamais 
connue  pendant  la  vie.   Eternel  repos,  hélas! 

Il  avait  dîné  la  veille  chez  son  ami  Philippe  Gille,  tout  en 
joie  de  se  trouver  dans  cette  intimité  qu'il  aimait,  il  avait 
essayé  sur  le  piano  quelques-uns  des  motifs  de  sa  nouvelle 
partition,  Kassya,  «  pour  amuser  le  petit  Victor  »,  le  fils  de 
Gille  et  son  filleul,  puis,  après  le  dîner,  un  peu    fatigué,  il 


s'était  assoupi  sur  un  canapé.  Mais,  de  temps  en  temps,  il 
ouvrait  un  œil  :  «Vous  savez,  disait-il,  je  suis  là;  j'ai  l'air  de 
dormir,  mais  je  vous  écoute.  »  Puis  il  regagna  son  logis, 
passa  une  nuit  paisible,  et,  le  lendemain  matin,  voulut  se  lever 
pour  assister  à  un  examen  de  chant  du  Conservatoire.  Mais 
il  se  sentit  la  tête  lourde,  et  dut  se  recoucher.  Dix  minutes 
après  nouvel  effort  pour  sortir  du  lit  et  violentes  douleurs  au 
cerveau.  En  un  instant  le  mal  accomplissait  son  œuvre  et 
le  foudroyait  sur  place. 

C'est  certainement  la  perte  la  plus  sensible  qui  put  frapper 
notre  jeune  école  musicale;  son  talent  sain,  tout  de  clarté 
et  de  verve  gauloise,  réagissait  avec  bonheur  contre  les 
brumes  germaniques  qui  tentent  d'obscurcir  aujourd'hui 
toutes  les  cervelles,  toutes  les  imaginations  de  nos  musi- 
ciens, dont  la  jeunesse  est  fortement  troublée  par  la  grande 
ombre  de  Richard  Wagner.  Mais  ce  n'est  pas  ce  que  nous 
voulons  discuter  aujourd'hui. 

Nous  ne  voulons  pas  davantage  retracer  ici  la  carrière 
déjà  glorieuse,  bien  que  brusquement  interrompue,  de  l'au- 
teur de  Sylvia  et  de  Coppélia,  de  Lakmé,  du  Roi  Va  dit  et  de 
Jean  de  Nivelle.  Nous  ite  nous  en  sentons  pas  le  courage, 
frappé  douloureusement  par  la  perte  de  cet  excellent  ami, 
nous  dirions  presque  de  ce  frère  aine  avec  lequel  nous  avions 
pris  la  douce  habitude  de  vivre  presque  côte  à  côte,  de 
penser  tout  haut,  et  dont  nous  ne  verrons  plus  le  bon  sourire 
et  les  yeux  malicieux.  Et  de  quel  doux  air  il  nous  grondait 
quand  notre  plume,  trop  libre  et  trop  indépendante  à  son 
gré,  s'était  permis  quelque  incartade  un  peu  forte  I  Enfin, 
il  n'est  plus  et,  bien  que  son  existence  d'artiste  ait  été  plus 
heureuse  que  celle  de  Georges  Bizet,  nous  pensons  qu'après 
sa  mort  on  lui  rendra  encore  une  justice  plus  éclatante, 
comme  il  est  arrivé  à  l'auteur  de  Carmen.  C'est  quand  des 
artistes  de  cet  ordre  disparaissent  qu'on  voit  mieux  leur 
taille  au  vide  qu'ils  laissent  après  eux. 

Il  aura  d'ailleurs  pour  défendre  sa  mémoire,  en  dehors  de 
ses  œuvres  déjà  connues,  une  dernière  partition  qu'il  laisse 
complètement  achevée,  cette  Kassya  qu'il  chérissait  tant  et 
à  laquelle  il  s'est  consacré  jiisqu'à  sa  dernière  heure. 
L'œuvre  est  terminée;  l'orchestration  seule,  menée  jusqu'à 
la  moitié  du  second  acte,  devra  être  confiée  pour  son  achè- 
vement aux  mains  pieuses  d'un  des  amis  dévoués  que  Léo 
Delibes  comptait  parmi  les  musiciens  militants  de  son  époque. 

C'est  tout  ce  que  nous  avons  la  force  d'en  dire  aujourd'hui. 

Henri  Heugel. 


Les  obsèques  de  Léo  Delibes  seront  célébrées  demain  lundi  à  midi  en 
l'église  Saint-Roch.  M.  Widor  tiendra  le  grand  orgue.  M.  Faure  chantera 
à  la  Maîtrise.  L'orchestre  de  l'Opéra-Gomique  fera  entendre  quelques 
fragments  des  œuvres  du  regretté  compositeur. 


LE  .^lENESïRËi: 


SEMAINE    THEATRALE 


COURRIER  DE  BELGIQUE 

Théâtre  roval  de  la  Monnaie.  —  Première  représentation  de  Siegfried, 
drame  lyrique  de  Eichard  Wagner;  traduction  de  M.  "Victor  Wilder. 

Bruxelles,  15  janvier  1891. 

Ba,fin  nous  l'avons  eu,  ce  Siegfried  tant  désiré,  tant  attendu! 
Voilà  trois  ans~ qu'on  en  parlait.  Une  fatalité  semblait  s'acharner 
contre  lui  et  empêcher  qu'il  ne  vit  le  jour.  Les  diverses  directions 
de  la  Monnaie  avaient  beau  l'annoncer,  il  ne  venait  jamais;  tantôt, 
c'était  la  faute  de  l'interprétation,  impossible  à  composer  comme  il 
le  fallait;  tantôt  c'était  la  faute  de  l'éditeur.  Peut-èlre  les  direc- 
tions n'étaient-elles  pas  pressées  de  monter  Siegfried  et  n'avaient- 
elles  qu'une  demi-confiance.  Mais  les  -svagnériens  réclamaient  si 
fort,  qu'il  fallut  bien  s'exécuter.  On  n'avait  pas  mis  tant  de  résis- 
tance à  monter,  à  la  Monnaie,  les  diverses  œuvres  wagnériennes  qui 
y  ont  été  successivement  représentées,  le  Tannh'ùuser,  le  Vaisseau 
fantôme,  Lohcngrin,  les  Maîtres  Chanteurs  et  la  Walkyrie...  (Vous 
voyez  que  la  liste  en  est  déjà  longue!)  C'est  que,  plus  que  toutes 
celles-là.  Siegfried  forme,  avec  les  opéras  da  répertoire  courant,  un 
contraste  absolu;  il  y  a  encore  de  «  l'action  »  dans  ces  œuvres-là, 
des  choses  capables  de  saisir  le  commun  des  spectateurs.  Et  encore, 
après  des  premières  journées  glorieuses,  les  Maîtres  Chanteurs  et  la 
Walkyrie,  pour  ne  citer  que  les  dernières  en  date,  avaient  été  bien 
abandonnées  du  public  lorsque,  la  curiosité  étant  satisfaite,  on  se 
hasarda  à  en  faire  des  '•.  reprises  ».  Comment  le  public  accueillerait- 
il  Siegfried,  une  pièce  dont  l'amour  est  presque  tout  entier  banni, 
et  qui  se  passe  «  entre  hommes  »  presque  exclusivement?...  Ah  !  c'est 
qu'il  tient  à  ses  habitudes,  le  public! 

Sans  vouloir  préjuger  de  l'avenir,  ni  garantir  que  la  foule  fera  à 
Siegfried  un  succès  de  longue  haleine,  et  par  conséquent,  un  succès 
d'argent,  disons  tout  de  suite  que  les  craintes  que  les  directeurs  de  la 
Monnaie  avaient  nourries,  se  sont  bien  vite  dissipées  :  Siegfried,]\mà\, 
a  triomphé  avec  éclat.  L'accueil  fait  à  l'œuvre  a  pris  même  les 
proportions  d'une  véritable  manifestation  wagnérienne.  Il  fallait  s'y 
attendre.  Il  y  a  depuis  longtemps,  ici  comme  à  Paris,  un  petit 
clan  qui  ne  laisse  passer  aucune  occasion  de  faire  tout  ce  qu'il  peut 
pour  compromettre  la  cause  qu'il  défend.  Plus  ardents  que  les 
■wagnériens  les  plus  sérieux,  les  plus  sincères,  ceux  de  la  veille,  ces 
néophytes  croient  naïvement  avoir  le  monopole  de  toutes  les  admi- 
rations. Un  de  nos  plus  spirituels  confrères,  très  wagnérien  lui- 
même,  disait,  l'autre  jour,  à  leur  sujet:  «  Ces  gens-là  me  dégoûtent 
de  mon  opinion  ».  Mais  aujourd'hui,  on  n'y  fait  plus  guère  atten- 
tion ;  ce  sont  des  maniaques,  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  contrarier;  et 
dans  leurs  discours  et  dans  leurs  écrits,  —  car  ils  ont  aussi  leur 
place  dans  le  journalisme,  — leurs  exaltations  et  leurs  injures  n'ex- 
cilent  plus  que  le  sourire. 

Indépendamment  donc  de  ces  allures  inutilement  batailleuses,  le 
succès  de  Siegfried  a  été  très  réel.  Les  grandes  pages  de  l'œuvre, 
d'un  jet  si  puissant,  d'une  si  incomparable  richesse  d'instrumenta- 
tion, ont  produit  un  irrésistible  effet. 

Siegfried  occupe,  dans  la  tétralogie  wagnérienne,  une  place  culmi- 
nante; il  en  est  comme  le  rayon  de  soleil,  avec  sa  fantaisie  radieuse, 
et  ses  élans  superbes  de  jeunesse  ;  et  mieux  que  l'Or  du  Rhin,  mieux 
même  que  la  Valkyrie,  mieux  surtout  que  le  Crépuscule  des  dieux,  il  a, 
dans  sa  conception  poétique,  je  ne  sais  quelle  couleur,  quelle  haute 
portée,  qui  lui  donnent  une  éloquence  spéciale,  —  pourvu  naturel- 
lement que  le  spectateur  y  aide  un  peu  par  sa  propre  imagination. 

Et,  certes,  celle  aide-là  est  singulièrement  nécessaire  pour  la 
compréhension  des  drames  ^Tagnériens.  Vous  savez  quelle  ardeur 
mettent  les  «  disciples  »  à  prétendre  que  Vi'"agner  n'est  pas  seule- 
ment un  maître  musicien,  mais  qu'il  est  aussi  un  maître  dramaturge. 
Malheur  à  qui  s'avise  de  trouver  ennuyeuse  l'inextricable  affabula- 
tion des  Niebeliingen,  supérieure,  selon  eux,  aux  drames  les  plus  pal- 
pitants de  l'antiquité  et  des  temps  modernes  !  Malheur  à  qui  se 
hasarde  à  dire  que  tout  cela  n'est  pas  scénique,  dans  les  moindres 
détails  !  11  faut  tout  accepter  ;  tout  est  sublime.  Et  il  en  est,  je  l'avoue, 
qui  ont  un  vrai  talent  à  vous  présenter  tout  cela  sous  un  jour  tout 
à  fait  séduisant.  Lisez  leurs  commentaires,  leurs  amplifications  ;  cette 
ténébreuse  histoire  de  dieux,  de  nains  et  de  géants  s'éclaire  tout  à 
coup;  cette  lutte  féroce  pour  la  conquête  de  l'anneau  magique,  ces 
crimes,  ces  astuces,  ces  incestes,  dont  est  pleine  la  légende,  ils 
leur  prêtent  des  significations  curieuses;  les  faits  les  plus  puérils 
se   grandissent  à    la   hauteur   de  symboles    énormes.   Écoulez,  par 


exemple,  ce  que  devient  Siegfried,  qui  se  prête  particulièrement  à 
ces  interprétations  :  «  Le  premier  acte  est  épique,  le  second  est 
lyrique,  le  troisième  est  dramatique  et  purement  humain.  Le  pre- 
mier acte  ne  met  pas  en  scène  Siegfried  et  Mime,  et  leurs  querelles 
intérieures,  et  la  jalousie  et  les  appréhensions  de  Wotan.  Il  met  en 
scène  la  naïve  et  héroïque  âme  allemande,  à  ses  sources  barbares 
et  enfantines,  se  forgeant  à  elle-même  le  glaive  qui  sera  l'instru- 
ment victorieux  de  l'émancipation  de  la  race,  et  cela  malgré  toutes 
les  forces  contraires,  l'astuce  et  la  perfidie  d'un  côté,  la  puissance 
de  l'autre.  Et  tout  cela  transporté  dans  le  monde  mythologique  et 
sombre  des  commencements.  C'est  tout  le  monde  primitif  qui  doit 
apparaître,  et  de  là  ces  longs  récils  sur  les  races,  sur  la  cosmogonie 
imaginaire  et  symbolique  de  la  Germanie,  avec  ses  races  de  nains, 
de  héros  et  de  dieux,  ses  légendes,  ses  mystères.  » 

Vous  le  voyez,  c'est  un  vrai  cours  de  philosophie  poétique  et  de 
théogonie.  Et,  certainement,  la  Tétralogie  a  bien  cette  port3e-!à, 
que  Wagner  a  voulu  lui  donner  et  qu'il  faut  savoir  dégager.  En 
puisant  ses  sujets  dans  les  mythes  anciens,  en  remontant  aux  sources 
des  traditions  nationales,  Wagner  a  bien  fait;  il  a  élevé  son  œuvre; 
il  l'a  rendue  plus  forte,  plus  durable  et  plus  savoureuse  ;  et  il  a  indi- 
qué en  même  temps  la  vraie  voie  à  suivre  à  toute  l'école  moderne; 
.  c'est  en  puisant  à  des  sources  pareilles  que  l'Art  peut  être  sincère, 
vivant,  réellement  puissant,  à  condition  de  ne  pas  y  puiser  super- 
ficiellement, sans  intelligence  ni  pénétration. .. 

Malheureusement,  on  pourrait  dire  de  tous  ces  ingénieux  commen- 
taires, gloses  et  explications,  ce  que  l'on  dit  souvent  de  plans 
magnifiques  en  théorie,  irréalisables  en  pratique:  —  «  C'est  fort 
beau...  sur  le  papier.  »  Le  théâtre  ne  s'adresse  guère  à  l'imagina- 
tion, qui  peut  aisément  synthétiser  :  il  s'adresse  surtout  aux  yeux; 
c'est  un  art  très  matériel,  qui  paie  comptant  et  ne  se  nourrit  pas 
de  phrases,  un  art  qui  ne  s'adresse  pas  seulement  aux  esprits  culti- 
vés, mais  aux  esprits  moyens,  ignorants  de  philosophie,  un  art  enfin 
qui,  étant,  de  quelque  manière  que  ce  soit,  la  représentation  de 
la  vie  des  hommes,  avec  leurs  passions  et  leurs  actions,  veut  avant 
tout  de  la  vie  et  du  mouvement  et  n'intéresse  que  par  cela. 

Or,  c'est  précisément  ce  qui  manque,  —  on  aura  beau  se  récrier, 
—  aux  drames  wagnériens;  et  notamment,  à  la  Tétralogie.  Et  cela 
leur  manque  principalement  pour  nous,  gens  de  races  latines,  dont 
les  mœurs,  le  caractère,  la  tournure  naturelle  des  idées  sont  assu- 
rément fort  différents  de  ceux  des  races  germaniques.  Il  se  peut  que 
l'Allemagne  se  plaise  à  ces  contes  à  dormir  debout,  —  et  j'en  doute 
un  peu,  à  voir  l'empressement  qu'elle  a  toujours  mis  à  accueillir 
vos  opéras  et  vos  opérettes...  Mais  il  est  certain  que  la  France,  et 
aussi  la  Belgique,  tout  en  les  acceptant,  tout  en  les  admirant  dans 
leurs  côtés  admirables,  ne  s'y  plairont  jamais. 

Non,  quoi  qu'on  puisse  dire,  ce  n'est  pas  du  théâtre,  parce  que  ce 
n'est  pas  humain.  «  Tout  doit  concourir,  dans  le  drame  lyrique, 
enseignent  les  wagnéristes,  à  donner  au  public  une  impression  d'en- 
semble, de  force,  de  charme  et  de  grandeur,  non  pas  la  musique 
seule,  mais  la  mise  en  scène,  le  poème,  le  chant,  et  les  acteurs;  le 
spectacle  doit  compléter  l'audition.  »  Hélas  !  que  de  choses,  dans 
les  drames  wagnériens,  viennent  détruire  justement  cette  impression, 
par  l'impossibilité  qu'il  y  a  de  les  réaliser  à  la  scène,  de  façon  à 
rendre  l'illusion  complète!  Que  de  détails  matériels  compromettent 
l'effet  et  font  sourire  au  moment  même  où  l'émotion  devrait  se  pro- 
duire !  Parmi  ces  détails,  je  me  bornerai  à  citer  l'enfantine  zoo- 
logie qui  tient  tant  de  place  dans  la  Tétralogie;  le  dragon  et 
l'oiseau  qui  parlent,  dans  Siegfried,  en  sont  les  types  les  plus  remar- 
quables, et  ils  ont  eu,  cette  fois  encore,  à  Bruxelles,  leur  succès 
inévitable  d'hilarité. 

La  gloire  de  Wagner,  comme  musicien,  ne  se  trouvera  pas  dimi- 
nuée de  celte  diminution  de  sa  gloire  comme  poète.  Bien  au  con- 
traire, un  artiste  moins  génial  que  lui  eût  été  inévitablement 
écrasé  sous  le  poids  de  ses  poèmes  ;  lui,  malgré  tout,  subsiste  et 
triomphe.  Et  ce  qui  le  fait  triompher  ainsi,  ce  sont  justement,  dans 
ses  drames  touffus,  les  pages  oîi  surgissent  des  situations  vraiment 
théâtrales,  où  éclate  la  passion,  où  les  héros  agissent  au  lieu  de 
discourir,  où  le  pittoresque  sollicite  l'inspiration  luxuriante  du 
compositeur.  Ces  situations-là,  il  sait  en  tirer  un  si  merveilleux 
parti  qu'elles  emportent  tout  le  reste  avec  elles.  Telles,  la  magni- 
fique scène  d'amour,  la  chevauchée  et  la  scène  du  feu  de  la 
Walkyrie  ;  tels  aussi,  dans  Siegfried,  la  scène  de  la  forge,  les 
«  murmures  de  la  forêt  »  et  le  réveil  de  Brunnhilde,  que  fout 
paraître  plus  splendides  encore,  dirait-on,  toutes  les  broussailleuses 
longueurs  qui  les  entourent...  Oui,  des  longueurs,  dussent  nous 
maudire  les  wagnériens  féroces,  longueurs  toujours  intéressantes, 
certes,  musicalement,  par  leur   travail   extraordinaire  et  sans  cesse- 


LE  MENESTREL 


19 


expressif,  mais  inutiles  et  fatigantes,  scéaiquement,  par  la  faute 
du  poète,  trop  souvent  prolise,  aux  dépens  même  de  l'intérêt  dra- 
matique. 

Est-il  besoin  maintenant  de  suivre  pas  à  pas  la  marche  de 
Siegfried,  de  ce  large  poème  idyllique,  aux.  naïvetés  duquel  les 
âmes  naïves  trouveront,  qui  sait?  quelque  plaisir,  et  où  les 
raffinés  découvriront  un  sens  caché,  plus  attachant  et  non  sans 
grandeur  :  la  glorification  de  la  jeunesse  et  de  la  force  libre,  vic- 
torieuse du  mal,  maîtresse  de  la  nature,  et  s'épanouissant  dans 
l'Amour  ?  Je  crois  cette  tâche  superflue.  Faut-il  insister,  d'autre 
part,  sur  la  conception  musicale  de  la  partition,  étroitement  en- 
chaînée à  celle  des  deux  autres  qui  la  précèdent,  et  dont  il  est 
indispensable  qu'on  se  souvienne,  l'Or  du  Rhin  et  la  Walkyrie,  sur 
cette  orchestration  éblouissante,  sur  ces  richesses  d'expression,  de 
couleur  et  de  sentiment,  que  le  maître  a  répandues  tout  le  long  de 
ces  trois  longs  actes,  dont  chacun  dure  une  heure  un  qaart  ?  L'es- 
pace me  fait  défaut;  ce  que  j'ai  voulu  donner  ici  doit  se  borner, 
d'ailleurs,  à  un  simple  bulletin  de  combat,  à  la  notation  franche 
des  impressions  produites  sur  le  public  et,  —  avec  toutes  les  réserves 
possibles,  —  sur  moi-même,  par  la  représentalion  de  Siegfried  à 
la  Monnaie. 

Il  serait  trop  long  aussi,  voire  inopportun,  de  discuter  ici  la 
valeur  de  la  version  française  de  M.  Victor  Wilder,  et  de  recher- 
cher jusqu'à  quel  point  cette  version  traduit  vraiment  l'original, 
dans  son  allure,  sa  forme  de  langage  et  sa  tournure  poétique,  si 
elle  ne  «  trahit  »  pas,  en  bien  des  endroits,  le  poète  et,  par  conséquent, 
le  musicien  dans  leurs  intentions  réciproques  et  formelles  d'être 
étroitement  liés  l'un  à  l'autre,  et  si  le  traducteur  n'eût  pas  mieux 
fait  de  s'en  tenir  à  de  la  prose  rythmée,  au  lieu  de  lancer  sa  raison 
à  la  poursuite  vaine  de  la  rime...  Nous  préférons  ne  louer  que 
l'opiniâtre  et  intelligent  labeur  de  M.  Wilder,  dans  cette  œuvre 
d'adaptation  ingrate  et  désespérante,  et  les  services  qu'il  a  rendus 
en  permettant  au  public  français  d'apprécier,  sur  la  scène  fran- 
çaise, les  œuvres  les  plus  colossales  de  la  musique  contemporaine. 

L'interprétation  de  Siegfried  à  la  Monnaie  est  aussi  bonne  qu'on 
pouvait  le  désirer;  du  côté  des  chanteurs,  elle  a  dépassé  même 
l'attente  générale.  M.  Lafarge  est  un  admirable  Siegfried,  sous  tous 
les  rapports;  il  a  joué  et  chanté  ce  rôle  écrasant  en  grand  artiste. 
M.  Isouard  fait  un  Mime  un  peu  triste,  pas  assez  «  en  dehors  », 
mais  très  consciencieux;  MM.  Bouvet  CWotan),  Badiali  (Alberich) 
et  M"',  Garrère  (l'Oiseau)  sont  excellents;  M""  Maurelli  (Edda)  et 
M.  Vérin  (Fafner),  satisfaisants;  et  enfin  M""^  Langiois,  avec  sa  voix 
généreuse  et  étendue  a  suppléé  autant  qu'elle  a  pu,  par  sa  vaillance, 
à  ce  qu'elle  n'a  pas  en  autorité  et  en  expérience  :  il  est  regrettable  qu'on 
ait  fait  appel  à  une  débutante  pour  remplir  ce  rôle  important,  qui  avait 
laissé  un  souvenir  profond  dans  la  mémoire  de  ceux  qui  l'avaient  en- 
tendu il  y  a  huit  ans,  à  la  Monnaie,  chanté  par  M""'  Materna.  Quant 
à  l'orchestre,  dirigé  par  M.  Franz  Servais,  s'il  a  laissé  à  désirer  u  n 
peu  sous  le  rapport  de  la  variété  du  coloris,  il  n'a  rien  laissé  à  dé- 
sirer sous  celui  du  soin  et  de  la  correcition.  La  mise  en  scène  s'est 
efforcée  d'être  aussi  «  illusionnante  »  qu'à  Bayreuth,  dont  elle  a 
suivi  respectueusement  les  indications;  les  décors  sont  superbes.  Je 
n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  qu'il  y  a  un  rideau  qui  s'ouvre,  — 
comme  à  Bayreuth,  —  au  lieu  de  se  lever,  et  que  la  salle  — toujours 
comme  à  Bayreuth  —  est  plongée  dans  une  profonde  obscurité  :  il 
n'est  pas  possible  sans  cela,  vous  le  savez,  de  bien  goûter  la  musique 
de  Wagner. 

Lucien  Solvay. 

Odéon.  —  Les  Faux  Bonhommes,  comédie  en  quatre  actes,  de  Th . 
Barrière  et  E.  Gapendu. 

Péponnet,  Bassecoutt,  Dufouré,  Vertillac,  Lecardonel,  les  jeunes 
Raoul  et  Anatole,  M"""  Dufouré,  quelle  joyeuse  théorie  d'étonnants 
fantoches,  et  comme,  malgré  leur  acte  de  naissance  qui  n'est  point 
daté  d'hier,  ils  sont  toujours  bien  vivants  et  aussi  divertissants!  Et 
puis  aussi  l'espiègle  Eugénie,  la  sentimentale  Emmeline,  l'amoureux 
Octave,  et  le  grand  raisonneur  Edgar,  ils  n'ont  pas  encore  trop  de 
cheveux  blancs  non  plus;  pourtant  ceux-ci  semblent  de  constitution 
moins  forte  que  les  premiers.  Tout  cela  parait  tout  récemment  écrit, 
et  le  cairicaturisle  Edgar  Thévenot  aurait  eu  le  bonheur  d'avoir 
l'onglée  en  cet  hiver  boréal  de  1891,  qu'il  trouverait  encore  tous 
ses  modèles  sur  le  boulevard  ;  il  en  trouverait  peut-être  beaucoup 
d'autres,  il  est  vrai,  mais  les  Faux  Bonhommes  de  Barrière  et  Gapendu 
seraient  certainement  ceux  qu'il  s'amuserait  à  croquer  tout  d'abord. 

La  pièce  n'a  donc  point  vieilli  quant  à  ses  personnages  ;  je  crois  que 

la  forme  n'a  pas  été  beaucoup   plus   atteinte,   et   je    doute    que   les 

,  plus  adroits  parmi  nos  auteurs  contemporains  pussent  traiter  avec 


plus  de  vivacité  et  de  bonhomie  naturelle  ce  sujet  d'allures  très 
simples.  Pourtant  l'effet  produit  sur  le  public  de  l'Odéon  n'a  pas 
été  aussi  vif  que  s'y  attendaient  nos  aînés,  et  nous-même  n'avons, 
pas  retrouvé  toute  la  joyeuse  humeur  qui  secouait  la  salle  lors  de 
la  dernière  reprise  faite  au  Vaudeville.  Je  ne  pense  pas  qu'il  faille 
attribuer  cet  amoindrissement  de  l'effet  comique  à  la  troupe  de  l'Odéon 
qui,  en  employant  des  moyens  tout  autres,  est  loin  d'être  inférieure 
à  celle  du  Vaudeville  ;  la  vraie  cause  en  est  tout  simplement  que  le 
cadre  du  second  Théâtre-Français  est  trop  vaste  pour  ce  genre  de  pièce 
et  que  M.  Porel,  pourtant  très  adroit  metteur  en  scène,  a  eu  le  tort 
de  faire  planter  des  décors  d'intérieur  si  spacieux  que  les  acteurs 
semblent  sans  cesse  courir  les  uns  après  les  autres  ;  il  fallait,  au 
contraire,  resserrer  la  scène  de  façon  que  les  effets  ne  s'éparpillas- 
sent point  de  droite  et  de  gauche.  Nous  espérons  que,  le  jour  où 
les  Faux  Bonhommes  entreront  à  la  Gomédie-Française,  on  se  gardera 
de  tomber  dans  la  même  erreur.  M.  Daubray,  qui  débutait  par  le 
rôle  de  Péponnet,  et,  ce  faisant,  posait  très  légitimement  sa  candi- 
dature au  titre  de  pensionnaire  de  la  maison  de  Molière,  s'est  montré 
comédien  très  fin,  à  son  ordinaire,  bien  que,  dans  une  salle  aussi 
grande,  beaucoup  de  ses  amusants  effets  de  physionomie  passent  ina- 
perçus. M""  Déa-Dieudonné  a  joué  avec  élégance  et  non  sans  une 
aimable  originalité  le  rôle  d'Eugénie.  M""' Grosnier,  Duluc,  MM.  Mont- 
bars,  Gornaglia,  Maury,  Dumény,  Matra t,Duard  etNuma  s'acquittent 
consciencieusement  de  leur  tâche. 

Paul-Émile  Ghevalieu. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

IV 

(Suite.) 

Gette  année  1799  devait  être  particulièrement  favorable  à  M'"''  Saint- 
Aubin,  et  pour  elle  féconde  eu  succès.  A  la  suite  d'Elisca,  elle  créa 
coup  sur  coup  une  demi-douzaine  d'ouvrages  qui  furent  pour  elle 
autant  de  triomphes.  Après  le  Rêve,  de  Gresnick,  ce  fut  successive- 
ment Adolphe  et  Clara,  de  d'Alayrae,  où  avec  EUeviou  elle  attira  la 
foule  à  rOpéra-Gomique  ;  le  Chapitre  second,  de  Solié;  Fanny  Morna 
ou  l'Écossaise,  de  Persuis,  l'une  des  rares  pièces  où  on  la  vit  paraître 
auprès  de  M'"'  Dugazon;  Laure  ou  l'Actrice  chez-  elle,  dont  elle  sauva, 
par  sa  grâce  pleine  de  charme,  le  poème  assez  maladroit;  enfin,  la 
Dame  voilée,  de  Mengozzi,  où  elle  partagea  le  succès  du  composi- 
teur. 

M""»  Saint-Aubin  était  absolument  exquise  dans  ce  rôle  d'ingénue 
à! Adolphe  et  Clara,  où  son  jeu  piquant  et  chaste  à  la  fois  enchanta 
littéralement  les  spectateurs;  les  éloges  qui  lui  furent  prodigués  au 
sujet  de  cette  bleuette  charmante  indiquent  qu'elle  y  était  la  per- 
fection même.  Le  Chapitre  second,  de  Solié,  fut  pour  elle  l'occasion 
d'un  hommage  assez  singulier.  G'est  l'éditeur, même  de  la  pièce, 
dans  laquelle  elle  jouait  le  rôle  de  Céleste,  qui,  en  tête  du  livret, 
lui  adressa  le  madrigal  suivant  : 

A  Céleste  Saint-Aubin. 

Voici  le  Chapitre  second. 
Daignez  en  accepter  l'hommage. 
Partout  où  l'on  voit  votre  nom, 
G'est  toujours  un  heureux  présage. 
Que  ne  pouvais-je,  en  rimprimanl, 
Joindre  au  mérite  de  l'ouvrage 
Vos  grâces  et  votre  talent! 
J'en  vendrais  vingt  fois  davantage. 

Cet  imprimeur  galantin  était  un  poète  médiocre.  Il  n'importe;  on 
peut  lui  pardonner  en  faveur  de  l'intention,  et  surtout  pour  la  rareté 
du  fait. 

Dans  Fanny  Marna,  où  M"°  Saint-Aubin  se  montrait  sous  un  tout 
autre  aspect,  sa  fillette  Alexandrine  paraissait  de  nouveau  auprès 
d'elle,  et  le  succès  de  la  mère  et  de  l'enfant  ne  laissait  rien  à  dési- 
rer, ainsi  que  le  prouve  ce  fragment  d'une  lettre  que  le  poète  Vigée, 
le  frère  de  l'excellent  peintre  M°"^  Vigée-Lebrun,  adressait  au  Courrier 
des  spectacles  :  —  «  Trouvez  bon  que  j'ajoute  quelques  mots  au  compte 
que  vous  avez  rendu  de  la  première  représentation  de  Fanny  Morna. 
Cet  ouvrage  a  eu  du  succès  ;  il  devait  en  avoir,  parce  que  le  fond 
est  intéressant,  que  la  situation  des  personnages  est  attachante,  que 
les  scènes  sont  conduites  avec  assez  d'art,  et  que,  s'il  est  de 
légers  défauts  qu'on  puisse  reprocher  à  l'auteur  du  poème,  ils  sont 
couverts  par  le  jeu  parfait  des  acteurs.  La  citoycnns  Dugazon,  dans 


20 


LE  MENESTREL 


cette  pièce,  a'a  riea  perdu  de  ce  beau  laleut  qu'on  admirait  dans  \i- 
colette,  dans  Xina.  etc.  La  charmante  Saint-Aubin  est,  dans  son  rôle, 
ce  qu'elle  est  dans  tous  les  rôles  que  les  auteurs  ont  le  bonheur  de 
lui  confier,  sensible,  aimable,  et  vraie  surtout.  Et  sa  jolie  enfant, 
dont  vous  n'avez  rien  dit!  est-ce  qu'elle  n'annonce  pas  les  plus  heu- 
reuses dispositions?  est-ce  qu'elle  n'a  pas  déjà  les  grâces  naïves  de 
sa  mère?  Laissez-moi,  je  vous  prie,  réparant  un  oubli  sans  doute  in- 
volonlaire,  la  féliciter  de  ce  qu'elle  semble  nous  promettre  une  autre 
Saint-Aubin  »... 

Eu  écrivant  cette  lettre,  Vigée  oubliait  sans  doute  que  la  jeune 
Alexandrine  avait  été,  au  sujet  de  Fanmj  Monia,  l'objet  de  la  pièce 
de  vers  suivante,  que  le  Courriel-  des  Spectacles  avait  insérée  quel- 
ques jours  auparavant  : 

Lorsqu'on  te  voit,  aimable  enfant, 

Peindre  si  bien  le  sentiment, 

Tous  les  cœurs  volent  sur  tes  traces, 

Et  l'on  s'écrie  en  t'écoutant  : 

«  Oui,  de  sa  mère  elle  a  les  grâces  !  » 
Quand  tu  dis  à  Fanny,  la  pressant  dans  tes  bras  : 

«  Tu  nous  aimeras,  n'est-ce  pas?  » 
Les  spectateurs  charmés  sont  près  de  te  répondre, 
Les  bravos  et  les  pleurs  paroissent  se  confondre. 

Ah!  poursuis  tes  brillans  essais, 
Adopte  sans  frayeur  une  belle  carrière  : 

Ta  douce  voix,  tes  jolis  traits 

T'assurent  les  plus  grands  succès. 
Et  n'as-tu  pas  d'ailleurs  les  leçons  de  ta  mère? 

Pour  réussir,  voilà  tes  droits. 

Heureux  de  te  voir  auprès  d'elle, 

Nous  applaudissons  à  la  fois 

Et  la  copie  et  le  modèle  (1). 

Après  Fannij  Morna,  après  la  Dame  voilée,  qui  ne  fut  pas  moins 
favorable.  M"""  Saint -Aubin  trouva  encore  l'occasion  d'un  grand 
succès  dans  un  ouvrage  assez  important  de  Tarchi,  D'auberge  en 
auberge,  puis  elle  conjura  le  mauvais  sort  d'un  petit  opéra  de  Plan- 
tade,  Zoé  ou  la  Pauvre  Petite,  dont  la  valeur  était  mince.  Ensuite, 
et  vers  la  fin  de  l'année  1800,  elle  s'éloigna  du  théâtre  Favart,  pour 
aller,  je  pense,  donner,  comme  elle  l'avait  déjà  fait,  quelques  repré- 
sentations en  province,  ce  qui  faisait  dire  à  un  chroniqueur  :  — 
«  Le  départ  de  M'""  Saint-Aubiu  fut  le  premier  coup  porté  à  cet 
ancien  établissement.  Il  suspendit  presque  toutes  les  pièces  du 
répertoire,  ou  du  moins  celles  qui  attiraient  le  plus  de  specta- 
teurs (â).  » 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 

REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  La  Symphonie  écossaise  de  Mendelssohn 
ne  peut  être  considérée  comme  une  œuvre  de  grande  originalité.  Bien 
construite  et  bien  équilibrée,  élégante  et  claire,  elle  ne  possède  ni  la 
limpidité  lumineuse  des  symphonies  de  Mozart,  ni  le  coloris  intense  de 
celles  de  Beethoven,  de  Berlioz  et  de  Sebumann.  Entre  les  symphonies 
de  ces  maîtres    et  celles  de  Mendelssohn,   il  semble  qu'il  y  ait  la  même 

(1)  C'était  le  temps  heureux  des  petits  couplets,  des  petits  vers  et  des  fades 
madrigaux  médiocrement  rimes.  Il  en  pleuvait  littéralement  sur  M""  Saint-Aubin. 
En  voici  deux  échantillons,  que  j'emprunte  à  l'Indicateur  dramatique  pour  l'an  VU' 
d'abord  ce  quatrain  anonyme,  qui  lai  était  adressé  à  propos  d'une  reprise  à'Am- 
broise  ou  Voilà  ma  journée  : 

A  ton  sourire  aimable,  à  ton  regard  flatteur, 
Ne  reconnaît-on  pas  la  timide  innocence  ? 
Et  ne  croit-on  pas  voir  la  vertu,  la  candeur. 
Accompagnant  l'amour  près  de  la  bienfaisance? 
Puis  cette  pièce,  que  Dupaly,  dont  elle  avait  été  plusieurs  fois  l'interprète,  pu  - 
bliait  lors  d'une  reprise  d'Adèle  el  Dorsan  : 

Avez-vous  vu  Saint-Aubin  dans  Adèle? 
C'est  bien  ainsi  qu'Adèle  a  dû  souffrir, 
Du  sentiment  c'est  bien  là  le  modèle; 
Le  cœur  s'y  trompe  en  la  voyant  gémir. 
De  Saint-Aubin  l'on  connaît  la  finesse. 
Le  goût  exquis,  ces  riens  charmans 
Toujours  si  vrais  et  toujours  si  piquans. 
Cette  candeur,  cette  délicatesse 
Qu'en  chaque  rôle  on  nous  voit  applaudir. 
En  chaque  rôle  ausai  l'on  ne  voit  qu'elle  ; 
Prodige  de  son  ort,  en  la  voyant  soutl'rir 
"Vous  oubliez  Saint-Aubin  pour  Adèle. 
Autour  de  vous  en  vain  tout  vous  rappelle 
Que  l'art  tout  seul  a  créé  ses  douleurs, 
La  nature  au  talent  paie  un  tribut  de  pleurs. 
Mais  il  est  un  secret  que  personne  n'ignore  : 
Pour  ramener  le  plaisir  dans  les  cœurs 
Qu'elle  a  troublés  par  de  fausses  terreurs. 
Hors  de  son  rôle. . .  il  faut  la  voir  encore. 
{2)  Année  théâtrale  pour  l'an  X. 


différence  qu'entre  un  tableau  que  nous  voyons  immédiatement  sous  nos 
yeux  et  la  copie  plus  ou  moins  dégradée  de  ce  tableau.  La  musique  de 
Mendelssohn  semble  avoir  toujours  pour  point  d'appui  une  pensée  étran- 
gère et  ne  présente  souvent  qu'un  reflet  affaibli  des  impressions  d'où 
elle  est  née.  —  ^Orientale  de  M.  Dolmetsch  a  produit  une  bonne  impres- 
sion; c'est  mélodique  et  simple,  sans  emphase  et  sans  recherches  instru- 
mentales de  mauvais  goût.  —  Les  Variations  et  Fugue  pour  deux  pianos,  de 
M.  Robert  Fischhof  constituent  un  morceau  simple  et  d'excellente  facture, 
parfaitement  écrit,  bien  gradué,  et  présentant  un  grand  nombre  d'effets 
pianistiques  brillants  et  variés  sous  la  forme  attrayante  de  variations 
concises  qui  se  succèdent  rapidementcomme  de  ravissantes  petites  minia- 
tures. M"'=  Caroline  de  Serres  (Montigny-Rémaury)  et  M.  Robert  Fischhof 
ont  exécuté  ce  morceau  avec  une  merveilleuse  correction  de  style  et  un 
jeu  d'une  clarté  parfaite.  Ils  ont  été  longuement  acclamés.  —  Les  Contes 
mystiques  ont  retrouvé  le  succès  de  la  première  audition.  Le  prélude  de 
M™'  A.  Holmes  représente  bien,  par  un  joli  contraste  musical,  les  voix  de 
la  terre  et  les  voix  du  ciel  pendant  la  nuit  de  Noël.  Le  Non  credo  de  M.Ch. 
M.  Widor  forme  un  petit  poème  charmant  qui  ne  manque  ni  de  force, 
ni  d'élévation  dans  la  pensée,  et  qui  affecte  même  une  certaine  allure 
dramatique.  Premier  Miracle  de  Jésm,  par  M.  Paladilhe,  et  En  prière  par 
M.  Fauré  ont  été  aussi  fort  appréciés.  M"'  de  Montalant  a  chanté,  avec 
ces  Contes  mystiques,  l'air  de  la  Naïade  dans  VArmide  de  Gluck  et  la  Villa- 
nelle  de  Berlioz.  Des  fragments  de  Sigurd,  ouverture.  Sommeil  de  la  Wal- 
ki/rie,  et  Pas  guerrier  qui  a  été  bissé,  la  gavotte  si  fine  et  si  légère  de 
Jocelyii  et  la  Scène  du  bal  du  même  opéra,  ont  obtenu  un  accueil  des  plus 
chaleureux.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  M.  Lamoureux  a  donné  deux  excellentes  audi- 
tions, l'une  de  la  Symphonie  pastorale  de  Beethoven,  l'autre  des  fragments 
symphoniques  de  Manfred,  de  Schumann.  Dans  cette  dernière  œuvre, 
M.  Dorel  a  été  fort  applaudi  dans  le  solo  de  cor  anglais  (Ranz  des  Vaches), 
bien  supérieur  à  l'interminable  solo  similaire  du  prélude  de  Tristan  et 
Xseult  de  Wagner.  Une  composition  que  l'on  entend  toujours  avec  grand 
plaisir,  c'est  ce  beau  prélude  du  Délugj,  de  Saint-Saëns.  'Voilà  de  la  mu- 
sique bien  pensée,  bien  écrite,  et  nous  ajouterons  «  bien  exécutée  »,  sur- 
tout lorsque  M.  Iloufllack  lui  prête  le  concours  de  son  beau  talent  de 
violoniste.  — La  marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux  est  une  des  œuvres 
de  la  dernière  manière  de  "Wagner  que  l'on  peut  écouter.  Le  style  en  est 
noble,  suffisamment  clair  et  relevé  par  des  effets  de  sonorité  intéressants.  — 
M"=  Cécile  Silberberg,  que  nous  avions  entendue  aux  concerts  de  M.  Lamou- 
reux, il  y  a  déjà  quelques  années,  et  dont  nous  avions  salué  la  bienvenue, 
a  fait  énormément  de  progrès  :  elle  a  exécuté  avec  aisance  et  une  maestria 
des  plus  remarquables  le  concerto  en  ré  de  Rubinstein.  C'est  là  une 
page  superbe,  dont  certaines  parties,  le  premier  allegro  surtout,  sont, 
d'une  noblesse  de  style  incomparable.  Le  piano,  malheureusement,  est 
presque  toujours  écrasé  par  l'orchestre,  sauf  dans  quelques  ravissants  pas- 
sages de  cet  orchestre,  et  il  faut  un  rare  talent  d'exécutant  comme  celui  de 
M""  Silberberg  pour  le  faire  surnager  au-dessus  de  la  tempête  orchestrale. 
Dans  la  somme  d'idées  que  Rubinstein  a  dépensée  pour  cette  œuvre,  il 
y  avait  de  quoi  faire  une  superbe  symphonie  et  un  incomparable  solo  de 
piano.  Ce  n'est  ni  l'un  ni  l'autre,  et  nous  nous  demandons  si  Mozart  dans 
ses  inimitables  concertos  n'avait  pas  mieux  compris  la  manière  de 
traiter  ce  genre  de  morceau.  M"'=  Silberberg  a  eu  un  grand  succès,  bien 
mérité.  —  Le  concert  se  terminant  par  l'ouverture  du  Tannhduscr,  quelques 
personnes  ont  tenté  de  se  retirer  avant  la  terminaison  du  morceau.  M.  La. 
moureux  a  fait  arrêter  son  orchestre.  Quelques  timides,  foudroyés  par  son 
regard  de  Jupiter  tonitruant,  ont  timidement  rejoint  leur  place;  d'autres, 
plus  hardis,  s'en  sont  allés.  Sans  doute,  il  n'est  pas  convenable  de  causer 
du  scandale  pendant  l'exécution  d'un  morceau,  mais  il  nous  sera  bien 
permis  de  dire  qu'un  morceau,  tant  beau  qu'il  soit,  dégénère  bien  vite  en 
scie  lorsqu'on  l'entend  à  presque  tous  les  concerts;  M.  Lamoureux  a  telle- 
ment abusé  de  l'ouverture  du  Tannhduscr  que,  la  grande  ombre  dé  "Wagner 
dût-elle  en  tressaillir  dans  sa  tombe,  il  ne  nous  empêchera  jamais  de 
nous  en  aller  lorsque  nous  nous  ennuierons.  H.  B.irl:edette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
"Conservatoire  :  Symphonie  en  la  mineur   (Mendelssohn)  ;  fragments  de  Sapho 

(L.  Lacombe),  solo  chanté  parE.  "^'armbrodt;  concerto  pour  violoncelle  (Saint- 
Saëns),  par  M.  Jules  Delsart;  chœur  des  Prisonniers  de  Fidelio  (Beethoren); 
Carnaval  (Guiraud). 

Chàtelet,  Concert  Colonne  :  ouverture  du  Roi  d'Ys  (Laloj;  symphonie  en /a,  n°S 
(Beethoven);  air  ieCaron,  tiré  d'Afcesle  (LuUy),  chanté  par  M.  Boudouresque  ;  pièces 
pour  orchestre  (Th.  Dubois);  Fautaisie  hongroise  pour  piano  (Liszt),  par  M°'°  Roger- 
Miclos;  fragments  ie^Maitres-Chanleurs  (Wagner)  ; /es  fleîu-  Gre/iat/iecs  (Sebumann), 
orchestrés  par  M.  E.  Guiraud,  chantés  par  M.  Boudouresque;  prélude  du  Déluge 
(Saint-Saëns);  Marche  troycnne  (Berlioz). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  Concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Rttij  Blas 
(Mendelssohn)  ;  symphonie  en  ré  mineur,  n»  4  (Schumann)  ;  la  Forit  enchantée  {Vin- 
centd'Indy);  Danse  macabre  (Saint-Saëns);  marche  funèbre  du  Crépuscule  des 
Dieux  ("W'agner);  introduction  du  troisième  acte  de  Lohentjrin  (Wagner);  Espana 
(Chabrier), 

—  Jeudi  a  eu  lieu,  au  Cercle  Saint-Simon,  une  audition  de  musique  slave 
donnée  par  une  brillante  pianiste  d'origine  serbe,  élève  de  Liszt  et  de 
Smetana,  M™"!  Stoikovitch,  qui  a  exécuté  des  œuvres  de  Balakirew,  Rubin- 
stein, Dvorak,  Smetana,  Tschaïkowski,  "Wieniawski,  etc.,  écrites  pour  la 
plupart   sur  des    thèmes  populaires;   M"""  Stoikovitch  y  avait  joint  deux 


LE  MENESTREL 


21 


rapsodies  composées  par  elle  sur  des  mélodies  et  chansons  ou  danses  nup- 
tiales de  la  Serbie.  Tout  cela,  bien  que  tous  les  morceaux  ne  fussent  pas 
d'égale  valeur,  était  plein  de  couleur  et  de  vie  :  peut-être,  à  la  longue, 
cette  continuité  d'effets  particuliers,  mais  à  peu  près  toujours  les  mêmes, 
finirait-elle  par  fatiguer  un  auditoire  ordinaire  ;  mais  le  public  du  Cercle 
Saint-Simon  est  tout  particulièrement  friand  de  ce  pittoresque  musical  : 
c'est  pour  lui  qu'ont  été  données  les  premières  auditions  de  mélodies 
populaires  françaises  qui  ont  eu,  depuis  lors,  de  si  nombreux  lendemains. 
—  Dans  un  intermède,  M.  Louis  Léger,  professeur  de  langues  slaves  au 
Collège  de  France,  a,  dans  une  causerie  familière  et  instructive,  parlé 
des  hymnes  nationaux  des  différents  peuples  de  la  race  slave,  tchèques  de 
Bohême,  bulgares,  serbes,  polonais  et  russes,  chants  que  M.  Julien  Tiersot 
faisait  entendre  à  tour  de  rôle;  et  cette  partie  du  programme  n'a  pas  été 
celle  qui  a   obtenu  le  moins  de  succès. 

—  Mercredi,  à  la  salle  Erard,  M.  Robert  Fischhof,  déjà  si  applaudi  le 
dimanche  au  concert  du  Chàtelet,  a  donne  une  séance  où  se  pressait  toute 
l'aristocratie  viennoise  et  parisienne,  pour  l'audition  de  quelques-unes  de 
ses  œuvres.  On  y  a  entendu  de  nouveau,  avec  le  plus  grand  plaisir,  ses 
ravissantes  Variations  pour  deux  pianos,  délicieusement  interprétées  par 
M"">  Caroline  de  Serres  et  l'auteur,  puis  une  sonate  pour  piano  et  violon 
dont  les  thèmes  sont  remarquablement  développés  ;  c'est  l'excellent  vio- 
loniste Marsick  qui  a  fait  les  honneurs  de  cette  sonate.  Une  succession 
de  petites  pièces  pour  piano,  entre  autres  un  Menuet  de  style  charmant  et 
un  Carillon  des  plus  pittoresques,  a  fait  envisager  le  talent  de  l'auteur 
sous  un  tout  autre  aspect.  Il  nous  a  donné  là  une  note  spirituelle  exquise. 
Quelques  lieder  de  belle  tournure  ont  achevé  de  mettre  le  feu  aux 
poudres  ;  c'est  M°"  Krauss  qui  les  interprétait  avec  son  talent  magnifique. 
Sur  cinq  mélodies  on  lui  en  a  bissé  trois. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Correspondance  de  Madrid.  —  La  ^Société  des  concerts  de  Madrid 
vient  d'inaugurer  dimanche  dernier  sa  saison  au  Théâtre-Royal.  D'abord 
il  y  a  eu  au  sein  de  la  société  une  crise  fort  importante.  Le  comte  de 
Morphy,  président  démissionnaire,  a  été  remplacé  par  l'éminent  maître 
Arrieta,  directeur  du  Conservatoire  ;  et  M.  Breton,  direcleur,  a  quitté  sa 
place,  que  M.  Luigi  Mancinelli  occupe  maintenant.  Le  premier  concert  a  été 
tout  un  événement,  dont  on  parle  et  dont  on  parlera  encore  pendant  long- 
temps. On  a  exécuté  pour  la  première  fois  une  légende  musicale  de  Chapi, 
âos  Gnomes  de  la  Alhambi-a,  que  le  plus  populaire  et  le  plus  admiré  de  tous 
les  maîtres  espagnols  contemporains  avait  écrite  pour  un  concours  qui 
eut  lieu  à  Grenade  pour  les  fêtes  du  couronnement  du  poète  Zorrilla,  en 
1889.  Le  jury  ne  jugea  digne  de  récompense  aucune  des  partitions  pré- 
-sentées  au  concours  —  il  y  en  avait  huit  —  et  les  5,000  francs  ofl'erts  pour 
l'œuvre  couronnée  retournèrent  tranquillement  à  la  caisse  de  la  muni- 
-cipalité.  Or,  le  public  de  Madrid  a  fait  à  la  légende  de  Chapi,  refusée  par 
le  jury  de  Grenade,  un  accueil  dont  rien  ne  peut  donner  une  idée. 
Des  trois  parties  de  la  légende,  deux  ont  été  bissées  au  milieu  d'un  en- 
thousiasme qui  touchait  à  la  folie.  Chapi  a  été  rappelé  six  fois,  acclamé 
par  toute  la  salle,  un  triomphe  en  somme,  qui  comptera  dans  sa  glorieuse 
•carrière.  La  presse  acclame  aussi  l'auteur  des  Gnomes  de  la  Alhambra,  en 
vantant  les  qualités  hors  ligue  de  la  partition,  la  fraîcheur,  la  poésie 
■et  le  coloris  instrumental,  qui  sont,  sans  hyperbole,  d'une  beauté  exquise. 
■C'est,  je  vous  dis,  l'événement  musical  de  Madrid.  Le  plus  piquant  de 
l'affaire,  c'est  que  M.  Breton  était  membre  du  jury  de  Grenade  qui  n'a  pas 
su  lire  la  partition  de  Chapi  et  l'a  méprisée.  Vous  entendez  d'ici  les  com- 
mentaires 1  A  la  fin  du  concert,  Mancinelli  a  été  l'objet  d'une  immense 
ovation.  Le  célèbre  maestro,  félicité  par  tous,  était  vraiment  ému.  —  Au 
Théâtre  Royal,  rien  de  particulier.  Cavalleria  rusticana  a  remporté  un  succès 
d'enthousiasme.  On  prépare  le  nouvel  opéra  du  maître  espagnol  Serrano, 
Ire7ie  d'Otranto.  Après  cet  opéra,  encore  un  autre,  espagnol  aussi,  du  maî- 
tre Santamaria.  Titre  ;  Naquel.  Deux  opéras  espagnols  dans  la  saison, 
c'est  assez;  c'est  peut-être  trop  !...  A.  P.  Y  G. 

—  C'est  le  cœur  plein  d'amertume  que  Rubinstein  abandonne  son  poste 
de  directeur  du  Conservatoire  et  sa  résidence  de  Saint-Pétersbourg.  Dans 
une  lettre  adressée  à  son  ami,  le  musicologue  Baskin,  le  maître  russe 
exhale  ses  plaintes  contre  l'indifférence  du  public,  l'apalhie  de  la  société 
russe  et  l'attitude  hostile  de  la  direction  des  théâtres  royaux  vis-à-vis  du 
■Conservatoire.  «Cette  hostilité  contre  mes  œuvres,  remarque  Rubinstein, 
m'est  tout  à  fait  inexplicable.  On  croirait  vraiment  que  j'ai  commis  des 
méfaits.  Je  vais  très  probablement  me  retirer  du  Conservatoire,  car,  en 
définitive,  le  premier  venu  peut,  aussi  bien  que  moi,  signer  des  docu- 
ments!... »  Et  plus  loin:  «  Nous  n'avons  pas,  à  proprement  parler,  de 
musique.  Nous  n'avons  que  des  cabales  et  des  applaudissements  de  com- 
mande ;  nous  ne  savons  rien  faire  sérieusement.  Nous  voyons  bien  aussi 
à  l'étranger  des  camps  opposés,  des  rivalités  artistiques,  mais  il  n'y  a 
que  chez  nous  que  les  intérêts  de  l'art  sont  ainsi  sacrifiés  aux  convoitises 
et  aux  rancunes  personnelles.  » 


—  Voici,  d'après  le  Signale,  do  Leipzig,  la  liste  des  ouvrages  lyriques 
qui  ont  vu  le  jour,  en  1890,  sur  les  différents  théâtres  d'Allemagne  et 
d'Autriche-Hongrie.  Opéras  :  Die  Almohaden,  4  actes,  tirés  du  drame  les 
Cloclies  d'Àlmudaina,  de  don  Juan  Palon  y  CoU,  musique  de  M.  J.-J.  Albert 
(Leipzig,  13  avril);  Jolanthe,  3  actes,  paroles  et  musique  de  M.  W.  Milhl- 
dorfer  (Cologne,  12  avril)  ;  la  Fille  du  roi  René,  musique  de  M.  R.  Fischer 
(Regensburg,  mars)  ;  les  Roses  d'Helga,  musique  de  M.  R.  Thomas  (Olmùtz, 
avril);  la  Rose  de  StrasiMurg,  i  actes,  livret  de  M.  F.  Ehrenberg,  musique 
de  Victor  Nessler  (Munich,  3  mai);  A  qui  la  couronne?  et  Jean  le  Paresseux, 
opéras  en  un  acte  de  M.  A.  Ritter  CWeimar,  8  mai);  Cei-tova  stena  (la  Mu- 
raille du  diable)  opéra  posthume  de  F.  Smetana  (théâtre  tchèque  de  Prague, 
12  mai).  — Opéras-comiques  :  le  Page,  un  acte,  paroles  et  musique  de 
G.  Kulenkempff  (Brème,  24  janvier);  le  Prince  malgré  lui,  livret  de 
M.  R.  Senberich,  musique  de  M.  0.  Lohse  (Riga,  27  février);  le  Mariage 
secret,  paroles  et  musique  de  M.  P.  Gast  (Dantzig,  mars);  le  Juge  du  Village, 
un  acte,  musique  de  M.  H.  Xahn  (Breslau,  3  avril)  ;  la  Guerre  des  femmes, 
3  actes,  paroles  et  musique  de  M.  F.  von  Woyrsch  (Hambourg,  12  avril); 
l'Alcade  de  Burgos,  livret  de  M.  R.  Galle,  musique  de  M.  H.  Dûtschke 
(Burg,  avril);  la  Chanteuse  des  rues,  un  acte,  livret  de  M.  Julius  Bachmann, 
musique  de  M.  J.  Dobler  (Gotha,  avril)  ;  la  Princesse  d'Athènes,  2  actes, 
livret,  d'après  Aristophane,  de  M.  J.  Jacoby,  musique  de  M.  F.  Lux 
(Francfort,  31  octobre);  Turandot,  livret  et  musique  de  M.  Rehbaum 
(Dessau,  25  novembre);  l'Épée  du  roi,  3  actes,  livret  de  M.  F.  Bittong, 
musique  de  M.  Th.  Hentschel  (Brème,  2b  décembre).  Nous  compléterons 
cette  liste  par  celle  des  opérettes,  qui  est  exceptionnellement  longue. 

—  Un  branle-bas  général  est  signalé  à  Sondershausen  parmi  les  fonc- 
tionnaires musicaux  de  la  cour.  Cela  a  commencé  par  le  renvoi  du  maî- 
tre de  chapelle  de  la  cour,  M.  Ad.  Schulze,  qui  est  en  même  temps 
directeur  du  conservatoire  ducal.  Il  a  été  congédié  à  la  suite  de  dissen- 
timents avec  l'intendant  major  Borke.  Quelque  temps  après,  on  a  appris  le 
suicide  de  ce  dernier.  Voici  maintenant  que  la  Gazette  du  Gouvernement 
annonce  la  mise  à  la  retraite,  par  retrait  d'emploi,  de  deux  excellents  mu- 
siciens estimés  de  tous  :  le  maître  de  concerts  de  la  cour,  Willy  Burmes- 
ter,  et  le  violoncelliste  Grùtzmacher.  La  note  ajoute  que  les  deux  artistes 
devront  quitter  le  service  sur-le-champ,  bien  que  la  date  officielle  de  leur 
congé  soit  le  1'=''  avril  prochain.  C'est  une  véritable  hécatombe,  comme  on 
voit. 

—  Une  souscription  a  été  ouverte,  on  s'en  souvient,  à  l'effet  d'ériger  un 
monument  à  Richard  Wagner  dans  sa  ville  natale,  à  Leipzig.  Divers 
projets  avaient  été  soumis  au  comité  et  l'un  d'eux,  celui  du  sculpteur 
Schaper,  à  Leipzig,  avait  été  agréé  ;  mais  depuis  qu'il  a  été  exposé,  il  est 
l'objet  de  si  véhémentes  critiques  que,  probablement,  il  ne  sera  pas  mis 
à  exécu.tion.  En  attendant,  la  municipalité  de  Leipzig  vient  d' accorder. le 
terrain  pour  l'emplacement  du  monument.  Cet  emplacement  est  situé  en 
face  de  l'ancien  théâtre  de  la  ville,  sur  les  boulevards  extérieurs.  La  sta- 
tue de  Wagner  fera  vis-à-vis  à  la  statue  du  docteur  Hahnemann,  l'inven- 
teur de  l'homéopathie.  Est-ce  pour  conseiller  de  ne  prendre  qu'à  petites 
doses  la  musique  de  Wagner? 

—  A  Vienne,  la  société  Ambrosius  a  célébré,  le  16  décembre,  le  jubilé  du 
pape  Grégoire  le  Grand,  et  cette  solennité  a  présenté  un  très  grand  inté- 
rêt. Après  l'hymne  Veni  Creator  et  l'antiphonie  Lumen  et  revelationem,  exé- 
cutés par  l'école  de  chant  infantile,  après  l'antiphonie  Asperges  et  le  chœur 
à  quatre  voix  d'Arcadelt,  Ave  Maria,  exécutés  par  l'Académie  chorale, 
Mgr  Antoine  Ditko,  camérier  papal  honoraire  et  euré  à  Langenlois,  a  fait 
une  conférence  fort  intéressante  sur  le  rôle  important  joué  par  le  pape 
Grégoire  le  Grand  dans  l'histoire  de  la  musique  sacrée  tout  spécialement, 
et  dans  l'histoire  de  la  musique  en  général.  Après  son  discours,  les  en- 
fants ont  chanté  un  motet  à  quatre  voix  de  Breidenstein  et  la  mélodie  de 
Mendelssohn  :  Abschied  der  Zugvœgel,  et  la  fête  s'est  terminée  avec  le  chœur 
de  Joseph  Haydn  :  Die  Himmel  erzâlilen,  chanté  par  l'Académie  chorale. 

—  On  doit  donner  prochainement,  au  Théâtre-Royal  de  Dresde,  un 
cycle  d'opéras  de  Gluck,  comprenant  précisément  les  cinq  ouvrages  com- 
posés par  le  maître  pour  la  scène  française,  c'est-à-dire  Alceste,  Orpliée, 
Armide  et  les  deux  Iphigénies.  Et,  tandis  qu'on  fait  à  Dresde  cet  effort, 
aussi  intelligent  qu'intéressant,  notre  Opéra,  avec  ses  800,000  francs  de 
subvention,  ne  peut  même  pas  essayer  de  nous  rendre  Armide,  dont  on 
parlait  si  fort  il  y  a  quelques  années  et  qui  a  disparu"  du  répertoire 
depuis  soixante-quinze  ans.  Quelle  admirable  Armide  ferait  pourtant 
M"""  Rose  Caron,  et  quel  bel  Hidraot,  M.  Plançon! 

—  En  se  faisant  traduire  en  hongrois  pour  être  jouée  au  théâtre  de 
Buda-Pesth,  la  Cavalleria  rusticana  du  jeune  Pietro  Mascagni  a  pris  un 
titre  un  peu  rébarbatif  pour  des  oreilles  latines.  Elle  s'appelle  ainsi  dans 
la  langue  de  sainte  Elisabeth  et  de  Petœfi  :  Parassbecsiiletl 

—  Au  théâtre  flamand  de  Bruxelles  (Vlaamsche  Schouwbuig),  on  vient 
de  représenter  une  nouvelle  opérette  flamande  dont  voici  le  titre,  un  peu 
barbare  pour  nos  oreilles  françaises  :  Eene.  Vromv  uit  Mahrapoera. 

—  Le  Théâtre-Royal  d'Anvers  veut  décidément  se  distinguer  par  la 
composition  substantielle  et  solide  de  ses  spectacles.  Le  dimanche  4  jan- 
vier, son  affiche  comprenait  les  trois  ouvrages  suivants  : /eBarto'rfeSci'«/te, 
le  Sourd  et  les  Dragons  de  Villars,  soit  dix  actes  d'opéra-comique.  On  assure 
qu'à  la  fin  de  la  soirée,  des  cas  sérieux  d'hydrophobie  se  manifestaient 
dans  l'orchestre. 


LE  MENESTREL 


—  Eu  constatant  que  le  total  des  abonnements  pour  la  saison  présente 
au  Théâtre  Communal  de  Trieste  s'élève  à  la  somme  de  120,000  francs, 
le  rrouaiorc  déplore  fort  justement  que  ce  chiffre  ne  dépasse  pas  cette  année, 
pour  la  Seal  a  de  Milan,  celui  de  -42,000  francs.  La  comparaison  n'est  pas 
brillante,  en  effet. 

—  Deux  opérettes  nouvelles  en  Italie,  qui  décidément  se  voue  à  l'opé- 
rette un  peu  plus  qu'il  ne  faudrait:  au  théâtre  Métastase,  de  Rome,  il 
Gallo  délia  Chccca,  musique  de  M.  Mascetti;  àCariano,  ilMercatodiMalmantile, 
musique  du  maestro  Morandi,  jouée  par  une  société  d'amateurs. 

—  Au  Théâtre  principal  de  Madrid  on  a  donné  la  première  représen- 
tation d'un  «  épisode  national  lyrique  »  en  deux  actes  et  onze  tableaux, 
Trofalgar,  poème  (en  vers)  de  M.  Xavier  de  Burgos,  musique  de  M.  Jéro- 
nime  Jimenez.  L'ouvrage  a  reçu  un  accueil  favorable. 

—  On  vient  de  représenter  au  Théâtre  Principal  de  Valence  un  opéra 
nouveau,  Sagvnto,  dont  la  musique  est  due  à  un  compositeur  de  cette  ville, 
M.  Salvador  Giner,  et  qui  parait  avoir  obtenu  un  très  grand  succès.  L'ou- 
vrage, qui  est  en  trois  actes,  est  d'un  caractère  très  dramatique  et  se  ter- 
mine par  l'incendie  de  Sagonte.  L'auteur  des  paroles  est  M.  Cebrian;  les 
interprètes  sont  M^^Zilli,  MM.  Lazzarini,  Ventura,  Yecchio  et  Dominguez. 

—  On  ne  compte  pas  en  ce  moment,  à  Lisbonne,  moins  de  neuf  théâtres 
en  exercice:  le  San  Carlos,  où  l'on  joue  l'opéra  italien;  le  théâtre  de  la 
rua  de  Condes  et  le  Dorato,  consacrés  à  l'opérette;  puis  le  théâtre  Dona 
Maria  II,  la  Trinidade,  le  Gymnase,  le  théâtre  Principe  Real,  l'Avenide 
et  l'Alegria,  pour  les  spectacles  de  comédie. 

—  L'Opéra  allemand  de  New-York  n'a  pas  mieux  réussi  avec  sa 
deuxième  nouveauté  qu'avec  la  première  :  le  Vassal  de  Szigelh,  de  M.  Sma- 
reglia,  a  eu  le  même  sort  lamentable  que  VAsi-ael  de  M.  Franchetti,  mal- 
gré une  interprétation  supérieure,  à  la  tête  de  laquelle  brillaient 
M.  Reichmann  et  M"'^  SchoUer. 

—  Nous  avons  parlé  du  concours  de  valses  ouvert  par  le  New-York 
Herald  entre  tous  les  compositeurs  américains.  Les  résultats  de  ce  con- 
cours viennent  d'être  publiés.  Le  premier  prix  de  cent  dollars  a  été  dé- 
cerné à  M.  Isidore  Moquist,  et  des  mentions  ont  été  accordées  à  MM.  Ame- 
rico  Gori,  de  New-York,  et  E.  Leibling,  de  Chicago.  Les  trois  œuvres 
couronnées  ont  paru  dans  le  New-York  Herald,  qui  a,  de  plus,  signalé  au 
public  les  envois  de  treize  autres  concurrents  par  ordre  de  mérite.  L'in- 
térêt soulevé  là-bas  par  ce  concours  est  extraordinaire,  avec  la  note  ex- 
centrique familière  aux  Y'ankees.  On  croit  que,  cédant  aux  sollicitations 
de  ses  lecteurs,  le  New-York  Herald  livrera  à  la  publicité  les  vingt  ou 
trente  meilleures  valses  qui  lui  ont  été  présentées. 

—  Une  cantatrice  américaine,  bien  connue  dans  sa  patrie  ainsi  qu'en 
Angleterre  non  seulement  pour  son  talent,  mais  aussi  pour  ses  excentri- 
cités, miss  Emma  Abbott,  vient  de  mourir  presque  subitement  à  New-York, 
au  moment  où  elle  se  préparait  à  aller  se  faire  admirer  par  les  Mormons, 
à  Sait  Lake  City.  C'est  elle  dont  le  puritanisme  intransigeant  et  burlesque 
avait  transformé  à  son  usage  le  caractère  de  la  Traviata  de  Verdi.  Violetta 
n'était  plus  la  Marguerite  Gauthier  qui  a  rendu  célèbre  en  vingt-quatre 
heures  le  nom  de  M.  Alexandre  Dumas  fils.  Elle  en  avait  fait  une  enfant 
chaste  et  platoniquement  amoureuse,  qui,  mortellement  frappée  de  tuber- 
culose, s'éteignait  en  chantant,  au  lieu  de  :  Addio  del  passato,  un  hymne 
religieux  :  Nearer  iity  God,  to  Thee  (Plus  près  de  toi,  mon  Dieu!;.  C'est  elle 
aussi  qui,  récemment,  avait  chargé  M.  Edmond  Audran  de  lui  écrire  un 
opéra  dont  le  genre  se  rapprochât  de  la  Mignon  de  M.  Ambroise  Thomas. 
Le  prix  convenu  était  de  80,000  francs,  et  elle  n'eût  pas  eu  de  peine  à 
s'exécuter  à  ce  sujet  si,  comme  on  l'atErme,  miss  Abbott  laisse  en  mourant 
une  fortune  qu'on  peut  évaluer  â  près  de  deux  millions  de  dollars,  soit  en- 
viron dix  millions  de  francs.  Beau  pays,  que  l'Amérique  !  —  Le  corps  de 
la  défunte  a  été  embaumé  et  envoyé  de  New-York  à  Chicago. 

—  On  a  représenté  à  la  Nouvelle-Orléans  un  opéra-comique  nouveau, 
the  Kedive,  livret  de  MM.  Louis  et  Miah  Blake,  musique  de  M.  Harry 
Edward  et  Miah  Blake,  déjà  nommé.  Cela  paraît  être  un  opéra  de  famille. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

M.  et  M""'  Ambroise  Thomas,  en  raison  de  la  mort  subite  de  Léo 
Delibes,  qui  les  a  si  durement  éprouvés,  ne  recevront  pas  aujourd'hui 
dimanche  au  Conservatoire,  comme  c'était  leur  habitude  après  chaque 
concert. 

—  C'est  avec  un  véritable  plaisir  que  nous  enregistrons  la  promotion 
de  notre  ami  et  collaborateur  Albert  Soubies  au  grade  d'officier  de  l'Ins- 
truction publique.  Nul  assurément  ne  méritait  mieux  cette  distinction 
que  l'auteur  du  si  précieux  et  si  curieux  Alnianach  des  Spéciales  parvenu 
aujourd'hui  à  sa  seizième  année,  du  livre  intéressant  intitulé  une  Première 
par  jour,  et  de  divers  autres  travaux  publiés  en  collaboration  avec 
M.  Charles  Malherbe,  parmi  lesquels  l'Histoire  de  la  salle  Favart,  que  les 
lecteurs  de  ce  journal  n'ont  certainement  pas  oubliée. 

—  Voici  la  liste  des  promotions  et  nominations  faites  dans  l'Instruction 
publique,  en  ce  qui  concerne  la  musique  et  le  théâtre.  Sont  nommés 
ofîEciers  de  l'Instruction  publique;  M°"^  Rose  Garon,  artiste  de  l'Opéra; 
M""^  Suzanne  Reichenberg,  sociétaire  de  la  Comédie-Française  ;  MM.  Adam  , 
professeur  de  musique  à  l'École  normale  d'instituteurs  de  Tarbes  :  Adrien 


Bernheim,  inspecteur  des  théâtres  ;  Bourgeois,  chef  du  chant  et  chef  d'or- 
chestre à  l'Opéra-Comique  ;  Albert  Carré,  directeur  du  Vaudeville  ;  Cousin, 
directeur  du  Conservatoire  de  Versailles  :  Léon  Gastinel,  compositeur;  Phi- 
lippe Gille,  publiciste,  auteur  dramatique  ;  Minard,  professeurde  chantdans 
les  écoles  communales  de  la  Ville  de  Paris  ;  JulesTruffier,  homme  de  lettres, 
auteur  dramatique,  sociétaire  de  la  Comédie-Française.  —  Sont  nommés 
officiers  d'Académie:  M°"  Adiny,  artiste  de  l'Opéra;  MM.  Acoulon,  direc- 
teur de  la  fabrique  d'instruments  de  musique  Thihouville-Lamy  ;  Bernardel, 
compositeur  et  professeur;  Boisbourdin,  artiste  musicien;  Bouvet,  pro- 
fesseur de  violon;  Bureau,  auteur  dramatique;  M""^  Collier,  artiste  lyrique; 
M°"=  Camut,  professeur  de  musique  ;  M.  Gadilhon,  caissier  principal  à  la 
maison  Erard  ;  M°"=  Delacour,  professeur  de  musique  ;  M™"  des  Vernois, 
professeur  de  musique  ;  MM.  Demarle,  professeur  de  musique ,  Doutrelon 
de  Try,  président   de   l'Union  orphéonique    de  Lille;  de  Dubor,  critique  , 

musical;  M""  Galli-Marié,  artiste  lyrique;  M'i'  Hadamard,  artiste  de  la  m 

Comédie-Française.  Nous  terminerons  cette  liste  dans  le  prochain  numéro.  '.; 

—  M.  Camille  Saint-Saëns,  dont  on  annonçait,  il  y  a  quelques  jours,  le 
départ  pour  Ceylan,  est  arrivé  à  bon  port.  Une  dépêche  reçue  cette 
semaine  nous  apprend  son  heureux  débarquement  à  Colombo. 

—  C'est  aujourd'hui  que  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  devait 
exécuter  pour  la  première  fois  la  messe  en  si  mineur  de  Bach,  dont  les 
études  ont  été  faites  avec  tant  de  soin  et  qui  est  attendue  avec  tant  d'im- 
patience. Au  dernier  moment,  une  indisposition  de  M"^  Landi,  par 
laquelle  cette  artiste  se  trouvait  dans  l'impossibilité  de  chanter,  a  néces- 
sité un  changement  de  programme  complet,  et  fait  remettre  à  plus  tard 
l'exécution  de  la  messe  de  Bach. 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  a  tenu,  jeudi  dernier,  son 
assemblée  générale  annuelle.  En  l'absence  de  son  président,  M.  Camille 
Saint-Saëns,  en  ce  moment  hors  de  France,  la  séance  était  présidée  par 
M.  Ernest  Altès,  vice-président.  Lecture  a  été  donnée  du  rapport  de 
M.  Ludovic  de  Vaux  sur  les  travaux  de  la  Société  pendant  l'année  écoulée. 
Après  l'audition  de  ce  rapport,  on  a  procédé  à  l'élection  de  onze  membres 
du  Comité.  Ont  été  nommés  :  MM.  Altès,  Colomer,  Danbé,  Grizy,Nibelle, 
Arthur  Pougin,  Rahaùd,  Hector  Salomon,  Ludovic  de  Vaux,  Wekerlin, 
Winée. 

—  Notre  confrère  du  XIX"  Siècle  trahit  un  secret  qui  nous  était  connu 
déjà  depuis  quelque  temps,  mais  qu'on  nous  avait  prié  de  ne  pas  dévoi- 
ler encore.  C'est  souvent  comme  cela;  on  vous  confie  des  événements  sous 
le  sceau  du  mystère  et  d'autres,  moins  scrupuleux,  arrivent,  qui  vous 
coupent  la  nouvelle  sous  la  plume.  Bornons-nous  donc  à  reproduire  ici 
notre  indiscret  confrère,  très  bien  renseigné  en  cette  circonstance,  nous 
pouvons  le  certifier.  «  Une  nouvelle  candidature  à  la  direction  de  l'Opéra, 
et  non  des  moins  sérieuses,  vient  de  se  produire,  celle  de  M.  Bertrand, 
le  sympathique  directeur  des  Variétés.  M.  Bertrand  a  de  vastes  projets, 
qu'il  expose  dans  un  mémoire  fort  intéressant  dont  le  ministre  des  Beaux- 
Arts  va  prendre  connaissance.  Voici  un  résumé  de  ces  projets  :  M.  Ber- 
trand ne  veut  pas  de  la  direction  de  l'Opéra  dans  les  conditions  actuelles. 
«  Avec  le  régime  actuel,  dit-il,  personne  ne  pourra  faire  mieux  que 
MM.  Ritt  et  Gailhard,  et  je  n'entrerai  pas  en  concurrence  avec  eux,  car 
ils  ont  sur  moi  la  supériorité  incontestable  de  connaître  à  fond  tous  les 
rouages  de  cette  machine  si  vaste  et  si  compliquée,  a  Mais  M.  Bertrand 
pense  qu'il  y  a  des  tentatives  nouvelles  et  intéressantes  à  faire  avec 
l'Opéra,  et  il  propose  d'abord  d'adjoindre  à  l'Académie  nationale  de  mu- 
sique une  sorte  de  théâtre  d'application,  dans  lequel  on  essayerait  les 
ouvrages  et  les  artistes  nouveaux,  qui  n'entreraient  à  l'Opéra  qu'après 
avoir  été  consacrés  par  le  succès  sur  cette  scène  d'essai.  Dans  les  deux 
grands  foyers  de  ce  théâtre  d'application,  qui  ne  serait  autre  que  l'Eden, 
on  pourrait,  en  outre,  aménager  un  nouveau  magasin  de  décors  pour 
l'Opéra,  le  magasin  de  la  rue  Richer  étant  devenu  insufffisant.  Il  faudrait 
environ  300,000  francs  pour  l'aménagement  complet  de' l'Eden,  et  M.Ber- 
trand est  prêt  à  faire  lui-même  cette  dépense.  Pour  l'exploitation  des 
deux  théâtres,  il  aurait  une  commandite  de  1  million  500,000  francs.  » 
Ajoutons  que  M.  Bertrand  songerait  à  s'adjoindre,  pour  la  direction  de 
cette  vaste  entreprise,  un  a  homme  du  bâtiment  »,  qui  ne  serait  autre  que 
M.  Campocasso,  directeur  du  Grand-Théâtre  de  Marseille. 

—  Le  bail  conclu  entre  la  Ville  et  l'État  pour  la  location  de  l'ancien 
Théâtre-Historique,  où  se  trouve  actuellement  l'Opéra-Comique,  expire  au 
mois  d'octobre  prochain.  Il  y  a  quelques  jours  M.  Bourgeois,  ministre  de 
l'instruction  publique,  a  écrit  au  préfet  de  la  Seine  pour  lui  demander 
qu'un  nouveau  bail  de  trois  ans  lui  soit  consenti.  La  demande  de  l'État 
sera  soumise  au  Conseil  municipal  à  sa  prochaine  session. 

—  M.  Emile  Pessard,  professeur  au  Conservatoire,  vient  d'être  nommé 
directeur  de  l'enseignement  musical  dans  les  maisons  d'éducation  de  la 
Légion  d'honneur,  en  remplacement  de  M.  Masset,  démissionnaire  après 
trente  ans  d'excellents  services. 

—  Vient  de  paraître  à  la  librairie  Savine  un  petit  volume  de  M.  Alfred 
Prost,  intitulé  le  Comte  de  Ruolz-Montchal  musicien.  On  sait  que  le  comte  de 
Ruolz  ne  fut  pas  seulement  le  chimiste  fort  distingué  auquel  est  dû  le 
procédé  d'argenture  que  chacun  connaît.  Elève  de  Berton,  de  Lesueur  et 
de  Paër,  il  fut  aussi  un  compositeur  de  talent,  fit  représenter  au  théâtre 
San  Carlo  de  Naples  Lara,  à  l'Opéra  la  Vendelta,  lit  exécuter  à  Orléans,  en 
collaboration  avec  SchneitzhœlTer.  une  cantate  sur  Jeanne  d'Arc,  et  publia 


LE  MENESTREL 


23 


■quelques  aulres  compositions  importantes.  On  trouvera,  dans  le  petit 
livre  que  nous  signalons  ici,  tous  les  détails  relatifs  à  l'intéressante  car- 
rière musicale  de  cet  homme  fort  distingué,  qui  mourut  le  30  septembre 
1887,  à  l'âge  de  79  ans. 

—  Au  moment  où  le  Thermidor  de  M.  Victorien  Sardou  va  faire  son 
apparition  à  la  Comédie-Française,  il  y  a  double  intérêt,  l'intérêt  histo- 
rique et  l'intérêt  d'actualité,  à  lire  le  travail  très  curieux-  que  notre  colla- 
borateur Arthur  Pougin  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Labussière  et  les 
artistes  de  la  Comédie-Française  en  4793,  dans  le  Temps  des  15  et  17  janvier. 
C'est  le  récit  complet  et  absolument  authentique,  avec  documents  à  l'appui, 
de  la  conduite  et  des  efforts  grâce  auxquels  Labussière  parvint  à  sauver 
de  l'échafaud,  au  prix  des  plus  grands  dangers  pour  lui-même,  les  Comé- 
diens-Français qui  avaient  été  arrêtés  en  masse  par  ordre  du  Comité  de 
Salut  public,  le  3  janvier  1793,  à  la  suite  des  représentations  effroyable- 
ment orageuses  de  la  Paméla  de  François  de  Neufchàteau. 

—  On  prépare  au  Grand-Théâtre  de  Nantes  la  représentation  d'un  ballet 
inédit,  les  Conscrits  de  Jazenne,  dont  la  musique  est  due  à  l'un  des  artistes 
■de  l'orchestre,  M.  F.  Bollaërt.  Il  pourrait  se  faire  aussi,  dit-on,  que  dans 

le  courant  de  la  saison  on  exécutât  la  belle  Ode  triomphale  de  M"<=  Augusta 
Holmes. 

—  Le  violoniste  Edouard  Nadaud  annonce  la  reprise  de  ses  intéressantes 
séances.  Nous  ne  doutons  pas  de  l'attrait  des  programmes;  au  premier 
iàgurentdes  œuvres  inédites  de  MM.  Rabuteau  etLenormand  et  la  première 
audition  des  ravissantes  pièces  concertantes  de  Th.  Dubois  :  Duettino 
d'amore,  Cantabile,  Cavaiine,  Saltarello.  Au  programme  également,  le  septuor 
de  Saint  Saëns. 

—  Le  conseil  municipal  de  Bordeaux  a  voté  cette  semaine,  après  une 
très  vive  discussion,  la  mise  à  la  disposition  du  maire  de  Bordeaux  d'une 
somme  de  2b, 000  francs,  qui  pourra  être  attribuée,  jusqu'à  concurrence  de 
lo,.581  fr.  93  c,  au  déficit  constaté  dans  l'exploitation  de  la  Société  des 
artistes  du  Grand-Théâtre,  du  1»^  octobre  au  31  décembre  1890.  Le  solde 
étant  destiné,  le  cas  échéant,  à  parer  aux  insuffisances  de  la  somme 
afi'ectée  par  la  Ville  au  payement  intégral  de  l'orchestre  et  des  chœurs. 

—  Du  Nouvelliste  de  Bordeaux  :  «  C'est  un  véritable  triomphe  que  vient 
de  remporter  aujourd'hui  la  Société  de  musique  des  instruments  à  vent; 
jamais  accueil  plus  chaud,  plus  enthousiaste  :  des  rappels,  des  bis  fré- 
quents; tous  ont  eu  leur  part  de  ce  grand  succès,  qui  prouvera  aux  instru- 
mentistes parisiens  que  les  Bordelais  sont  amateurs  du  grand  art  et  qu'ils 
savent  apprécier  les  grands  artistes;  M.  Diémer,  qui  a  tenu  si  brillam- 
ment la  partie  de  piano,  et  notre  violoncelliste  local,  André  Hekking,  ont 
participé  à  ces  étonnantes  exécutions  en  musiciens  de  premier  ordre. 
Enfin  la  journée  a  été  bonne,  excellente  pour  la  Société,  et  aussi  pour 
l'assistance,  qui  conservera  longtemps  le  souvenir  du  trop  court  passage 
de  ces  artistes  parmi  nous.  » 

—  Au  théâtre  des  Arts  de  Rouen,  après  Lohengrin,  qui  doit  passer  à  la 
fin  de  ce  mois,  on  montera  la  Velléda  de  M.  Charles  Lenepveu,  dont,  on  se 
le  rappelle,  le  rôle  principal  fut  créé  à  Londres,  il  a  quelques  années,  par 
M"""  Adelina  Patti. 

—  A  Versailles,  l'autre  soir,  M"'=  Laure  Taconet,  l'excellente  professeur, 
élève  elle-même  de  M"''  Viardôt,  a  réuni  le  chœur  de  ses  gracieuses 
élèves  pour  l'exécution  vraiment  remarquable  de  différentes  œuvres,  entre 
autres  de  cette  petite  scène  exquise  :  l'Etoile,  de  M.  H.  Maréchal.  Une  très 
nombreuse  assistance  a  fêté  comme  il  convient  ces  pages  d'une  si  ravis- 
sante fraîcheur.  M.  Maréchal  dirigeait  lui-même,  et  les  soli  ont  été  chan- 
tés par  M""  Taconet  et  M.  Dérivis.  A  citer  aussi  divers  fragments  de 
M.  Charles  Lefebvre  (Judith,  Meika,  etc.)  et  une  très  heureuse  adaptation 
chorale,  par  M.  Dérivis,  de  la  Pileuse  de  Mendelssohn.  Grand  succès  enfin 
pour  MM.  Léon  Delafosse,  Jobeit,  Pelletier  et  M"'=  Riéma,  qui  a  dit  des 
vers  charmants  de  notre  confrère  Paul  CoUin. 

—  Le  ténor  Rondeau  donnera  le  26  janvier,  salle  Erard,  sa  4"  audition 
de  musique  moderne,  avec  le  concours  de  M°>=s  Kerchoff-Mélodia,  Lavigne, 
Lancenot,  Magnien,  Courrier,  MM.  G.  Pierné,  Dimitri,  A.  Pierret, 
Fordyce,  etc.  Les  chœurs  seront  chantés  par  des  dames  du  monde.  On  y 
entendra  une  série  des  Mélodies  populaires  recueillies  par  M.  J.  Tiersot, 
des  fragments  à'Endytnion,  de  M.  Albert  Gahen,  des  œuvres  de  MM.  Pierné, 
de  Kervéguen,  Ed.  Diet,  Gilbert  Des  Roches,  Godard,  Sarasate,Ch.  Dancla, 
Alex.  Georges,  etc.  Ajoutons  à  cette  occasion  que  M.  Rondeau  vient  d'être 
nommé  officier  d'Académie. 

—  M""  C.  Carissan  vient  d'obtenir  de  nouveaux  succès  avec  sa  belle 
séance  de  musique  Scandinave,  ainsi  qu'avec  ses  nouvelles  mélodies, 
chantées  samedi  au  concert  de  la  Société  Nationale  par  M"«  Éléonore 
Blanc. 

—  M™  Gayrard-Pacini  a  donné  dimanche  dernier,  dans  les  salons  de 
l'éditeur  Choudens,  une  matinée  d'élèves  fort  réussie.  Citons  parmi  les 
élèves  qui  se  sont  particulièrement  signalées  :  M""  Amaury  qui  a  joué,  très 
élégamment  V Album  polonais  àe  Scharwenka,  et  chanté  avec  goût  Cecchino 
de  Badia,  puis  M}^'^^  Marie  Berthier  et  Sandford.  La  seconde  partie  du 
lirogramme  était  défrayée  par  d'excellentes  artistes  :  M"*  Caria  Dagmar, 
très  applaudie  après  l'air  d'Ophélie  {d'Hamlel),  et  M"=  Marthe  Petrini,  de 
l'Opéra  royal  de  Stockholm,  qui  a  fait  apprécier  de  remarquables  qualités 
dans  l'air  des  clochettes  de  Lakmé.  Dans   son  ensemble,  la  séance  a  fait 


honneur  à  l'enseignement  de  M'™  Gayrard-Pacini,  qui,  de  plus,  s'y  est 
révélée  comme  pianiste  et  accompagnatrice  de  talent. 
"  —  Voici  en  quels  termes,  M.  Jules  Ghymers,  l'éminent  professeur  du 
Conservatoire  royal  de  Liège,  apprécie  dans  la  Gazette  de  Liège,  dont  il  est 
le  critique  attitré,  les  quatre  mélodies  nouvelles  de  H.  Balthasar-Florence 
qui  viennent  de  paraître  au  Ménestrel  :  «  Le  titre  de  mélodies  nouvelles 
adopté  par  l'auteur  n'est  pas  un  vain  mot;  chacune  d'elles  est  un  petit 
poème  musical,  dont  la  pensée  mélodique  répond  à  merveille  aux  paroles 
qu'elles  traduisent.  Jamais  peut-être,  dans  ce  genre,  les  qualités  d'imagi- 
nation et  de  style,  dont  M.  Balthasar-Florence  a  déjà  donné  tant  de 
preuves,  ne  se  sont  élevées  plus  haut  que  dans  les  bijoux  empruntés  au 
brillant  écrin  de  cet  artiste  et  qui  ont  pour  titre  :  Si  l'amour  prenait  racine; 
Ne  parle  pas;  Berceuse;  Aimer.  Ces  charmantes  mélodies  sont  de  véritables 
modèles  de  sentiment  dramatique  et  de  douce  mélancolie.  Les  élégantes  et 
rêveuses  poésies  de  MM.  C.  Fuster  et  Félix  Bernard,  qui  les  ont  inspirées, 
ne  pouvaient  rencontrer  une  interprétation  plus  digne  et  plus  complète,  n 


NÉCROLOGIE 


LE   BARON    HAUSSMA 


mJ 


Le  Ménestrel  a  été  particulièrement  éprouvé  cette  semaine.  On  a  vu 
plus  haut  la  perte  si  grande  et  si  douloureuse  qu'il  avait  faite,  en  même 
temps  que  toute  la  musique  française,  en  la  personne  de  Léo  Delibes;  il 
a  été  frappé  encore  dans  ses  afi'ections  intimes  par  la  mort  du  baron 
Haussmann,  qui  fut  de  ses  plus  chères  et  de  ses  plus  précieuses  relations. 
Il  peut  en  être  fait  mention  ici,  car  le  gran(^réfet  n'était  pas  seulement, 
comme  on  se  l'imaginait,  un  simple  dilettaiM  en  musique,  dont  le  goût 
était  fort  apprécié,  mais  il  avait  fait  des  études  musicales  sérieuses  au  Con- 
servatoire, au  temps  de  Cherubini  et  de  Reicha,  qu'il  eut  pour  professeurs. 
Car,  à  cette  époque,  il  avait  quelque  velléité  de  devenir  compositeur,  mais 
les  goûts  et  les  destinées  sont  changeants.  Peu  de  temps  avant  sa  mort 
il  nous  disait  qu'il  n'avait  rien  oublié  des  préceptes  musicaux  qui  lui 
avaient  été  inculqués  par  les  grands  maîtres  que  nous  venons  de  nommer 
et  qu'il  se  faisait  fort  d'écrire  encore  dans  les  règles  tout  un  quatuor,  si 
on  le  voulait  :  «  Il  n'en  garantissait  pas  l'inspiration,  mais  bien  la  par- 
faite correction  ».  Le  baron  Haussmann  était  d'ailleurs  membre  de  l'Aca- 
démie des  beaux-arts.  A  ce  titre,  nous  pouvions  donner,  dans  ces  colonnes 
mêmes,  un  dernier  souvenir  à  l'illustre  homme  d'Etat  qui  voulut  bien 
nous  honorer  de  son  amitié. 

—  A  Bologne  vient  de  mourir  un  artiste  fort  distingué,  Federico  Pari- 
sini,  bibliothécaire  du  Lycée  musical  de  cette  ville,  où  il  était  né  en  182S. 
Compositeur  et  écrivain  musical,  Parisini  avait  fait  son  éducation  au 
Lycée,  alors  dirigé  par  Rossini.  Il  n'avait  que  17  ans  lorsqu'il  fit  exécuter 
sa  première  messe,  suivie  de  plusieurs  autres  et  de  nombreuses  composi- 
tions religieuses,  toutes  fort  estimées.  Il  s'était  beaucoup  occupé  de  l'ins- 
truction musicale  des  enfants,  et  avait  écrit  à  leur  usage  spécial  non 
seulement  beaucoup  de  chœurs,  mais  trois  farse  ou  opérettes  destinées 
particulièrement  aux  maisons  d'éducation:  le  Sartine,  Jenny  et  una  Burla. 
Il  fit  représenter  aussi  deux  véritables  opéras  bouffes  :  il  Maestro  di  scuola 
(1869),  et  i  Fanciulli  venduti  (1876).  On  lui  doit  aussi  plusieurs  Méthodes 
d'enseignement.  Parisini  avait  en  portefeuille  deux  grands  opéras  non 
encore  représentés,  et  il  avait  entrepris  simultanément,  en  ces  dernières 
années,  la  publication  de  trois  ouvrages  fort  importants,  que  sa  mort  va 
peut-être  laisser  inachevés.  L'un  est  la  Correspondance  précieuse  du  P. 
Martini,  l'autre,  le  Catalogue  annoté  de  la  très  riche  bibliothèquedu  Lycée 
musical  de  Bologne,  le  troisième,  le  Catalogue  de  l'importante  collection 
d'autographes  de  musiciens  léguée  à  cet  établissement  par  le  P.  Massean- 
gelo  Masseangeli. 

—  L'Allemagne  vient  de  perdre  un  des  artistes  les  plus  remarquables 
d'une  génération  dont  il  ne  reste  que  peu  de  représentants.  Charles-Gott- 
fried-Wilhelm  Taubert,  compositeur  fécond,  ancien  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra  de  Berlin,  membre  de  l'Académie  royale  des  beaux-arts  de  Prusse, 
est  mort  la  semaine  dernière,  à  l'âge  de  près  de  80  ans.  Il  était  né  le 
3  mars  1811,  reçut  dés  leçons  de  Neitharut  pour  le  piano,  de  Louis  Berger 
pour  le  violon,  de  Bernard  Klein  pour  la  composition,  et  se  distingua  de 
bonne  heure  comme  virtuose,  comme  professeur  et  comme  compositeur; 
il  eut  lui-même  pour  élèves  Théodore  KuUak,  Alexandre  Fesca  etSchlot- 
termann.  Il  n'avait  que  30  ans  lorsqu'il  fut  nommé  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra  de  Berlin,  où  il  avait  déjà  fait  représenter  avec  succès  un  ouvrage 
important.  Nous  ne  saurions  donner  ici  la  liste  de  toutes  ses  œuvres: 
symphonies,  quatuors,  trios,  concertos,  sonates,  lieder  d'une  saveur  péné- 
trante, pièces  de  piano,  psaumes,  motets,  etc.,  et  nous  nous  bornerons  i 
donner  les  titres  de  ses  compositions  dramatiques  :  la  Kermesse,  opéra-co- 
mique ;  leBoiiémieii,  opéra  en  quatre  actes  ;  Marquis  et  voleur,  un  acte  ;  Joggeli, 
opéra  en  trois  actes  ;  Macbeth,  opéra  en  cinq  actes  ;  Cesario,  opéra  ;  mu- 
sique pour  le  Petit  homme  gris,  drame  de  Devrient,  pour  la  Médée  d'Eu- 
ripide, pour  le  Chat  botté  de  Ludvi'ig  Tieck,  pour  la  Barbe-Bleue,  du  même, 
pour  Phèdre;  ouvertures  pour  Macbeth,  Othello  et  la  Tempête,  de  Shakes- 
peare; et  plusieurs  cantates  fort  importantes. 

—  Cette  semaine  est  morte,  à  BatignoUes,  M^x^  Irma  Marié,  l'une  des 
quatre  filles  de  l'excellent  "chanteur  Marié  de  l'Isle,  la  sœur  de  M'""*  Galli- 
Marié  et  Paola  Marié.  Élégante  et  jolie,   douée  d'une  voix    agréable,   elle 


LE  JIÉNESTRI-L 


s'était  fait  remarquer  sur  divers  théâtres.  EUe  avait  appartenu  aux  BouiTes- 
Pai'isiens  d'Olïenbach,  où  on  l'avait  distinguée  dans  la  Chanson  de  Fortunio 
et  dans  les  Bergers;  elle  avait  créé  ensuite,  à  l'Athénée,  Fleur  de  Tlié,  de 
M.  Charles  Lecocq  ;  plus  tard,  engagée  à  l'Opéra-Comique,  elle  s'y  était 
montrée  tout  aimable  dans  le  Char,  de  M.  Emile  Pessard;  enfin,  il  y  a 
quelques  années,  elle  jouait  à  l'Opéra-Populaire  du  Chàteau-d'Eau  le  rôle 
d'Effie  du  Brasseur  de  Presto». 

—  Un  musicien  bien  connu  du  public  français  qui  fréquentait  Bade  il 
y  a  vingt-cinq  ans,  le  chef  d'orchestre  autrichien  Miloslaw  Kœnemann, 
est  mort  ces  jours  derniers.  Ancien  chef  renommé  de  musique  militaire, 
Koenemann  avait  été  engagé  par  M.  Bénazet  pour  diriger  l'orchestre  de 
la  Conversation,  de  Bade,  ce  qu'il  fît  avec  beaucoup  d'habileté  pendant 
plusieurs  années,  durant  lesquelles  il  fit  exécuter,  avec  beaucoup  d'éclat, 
de  nombreuses  œuvres  de  compositeurs  français,  notamment  de  Berlioz  et 
de  M.  Reyer.  Il  était  l'auteur  de  ce  fameux  Fremersberg,  qui  figura  si  long- 
temps au  répertoire  de  tous  les  concerts  en  plein  vent. 

—  De  Florence  on  signale  la  mort  d'un  compositeur  distingué,  Emilie 
Cianchi,  qui  fut  pendant  longues  années  secrétaire  de  l'Institut  royal  de 
musique  de  cette  ville  et  de  l'Académie  musicale.  Auteur  d'un  oratorio 
intitulé  Giuditta,  d'une  Messe  qui  fut  exécutée  il  y  a  quelques  années  à 
Turin  pour  la  cérémonie  commémorative  de  la  mort  du  roi  Charles-Albert, 
d'un  Bequiem  qui  fut  exécuté  en  IST-Î  à  Florence,  il  a  tourné  aussi   ses 


efforts  du  coté  du  théâtre  et  fait  représenter  les  'ouvrages  suivants  : 
1°  Salmtor  Rasa  (Florence,  1835);  2°  il  Sallimbanco  (Florence,  1856);  3°  là 
T'enrfrtta  (Florence,  1857);  i"  Leone  ] saura  (Turin,  1862).  Cianchi  était  né  à 
Florence  le  21  mars  1833. 

—  M"""  la  baronne  Jules  Legoux,  née  Chausson,  bien  connue  comme  com- 
positeur amateur  sous  le  pseudonyme  de  Gilbert  des  Roches,  est  morte  presque 
subitement  cette  semaine,  à  peine  âgée  de  47  ans.  Tous  ceux  qui  s'occu- 
pent de  musique  connaissaient  cette  physionomie  charmante  et  pleine 
d'élégance,  qu'on  savait  retrouver  à  toutes  les  premières  et  à  toutes  les 
solennités  intéressantes.  M'"'  Legoux  avait  écrit  une  assez  grande  quantité 
de  musique.  Elle  avait  pris  part,  sans  résultat,  à  l'un  des  concours  Ros- 
sini,  et  avait  fait  exécuter  sa  cantate,  Armide  et  Renaud,  aux  conceits  du 
Chàteau-d'Eau.  On  se  rappelle  toutes  les  vicissitudes  subies  par  son  opéra 
de  Joël,  qui  chaque  année  devait  être  représenté  à  l'Opéra-Comique,  et  qui 
pourtant  jusqu'ici  n'a  pu  réussir  à  voir  le  jour. 

—  Nous  avons  encore  le  regret  d'annoncer  la  mort  de  11""^  Alexandre 
Grus,  mère  de  l'éditeur  Léon  Grus. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


ON  DÉSIRE   acheter  alto  et  violoncelle.  - 
.U.  Ch.  Duber,  41,  boulevard  de  la  Madeleine,  Paris. 


Écrire  ou  s'adresser   à 


En  imite,  AU  MENESTREL,  s*"  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  Éditeur. 


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H.    REBER 


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THÉODORE    DUBOIS 


Professeur  d'Harmonie  au  Conservatoire  dî  Paris 


Inspecteur    de    l'Enseignement    nausleal 


UNE    ANNÉE    D'ÉTUDES 

EXERCICES    ET    VOCALISES    AVEC    THÉORIE 


N"  4 

ÉDITION 

pour 

BARÏTOU  ou  BASSE 


J.  FAURE 


ÉDITION 


(Extraits    tin    Traité  :     LA.    VOI>C    ET     LE    CHA.JVT)  [lour 

Chaque  volume  in-8°.  Prix  net:  8  fhancs  VOIX  BE  FEMMES  ou  TÉNOTÎ, 


DU   MEME   AUTEUR  : 

NOTES    ET    CONSEILS 

Extraits   du  Traité   Pratique   LA  VOIX   ET   LE   CHANT 

UN  VOLUME  IN-12,  NET:  3  Francs 


UMEUIE   CUA1\,   20, 


3121  —  î)?"»  AN^ÉE  —  ÎV"  4. 


Dimanche  25  Janvier  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  BureauXj  2  bis,  nae  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    JHEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rae  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


.  [.es  Obèques  de  Léo  Delibes,  H.  M.  —  II.  Semaine  théâtrale:  le  nouveau 
cabiev  dc^  charges  de  l'Opéra,  H.  Moheno  ;  reprise  de  l'Hûlel  Gocklot,  k  la  Renais- 
faiicc,  premières  représentations  de  les  Cenci,  au  théâtre  d'Art,  et  de  Paris- 
/'ofief,  aux  Fûiies-Diamatiques,  Paul-É.mile  Chevalier.  —  III.  Courrier  de  Bel- 
giqii',  I uciE.N  SoLVAY.  — IV.  Académie  des  Beaux-Arts:  Rapport  sur  les  envois 
de  Rome.  —  V.  liovue  des  Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses  et 
nàiîroloç!ie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
LA  TERRE  A  MIS  SA  ROBE  BLANCHE 

jiouvelle  mélodie  de  Théodore  Dubois,  poésie  de  J.  Bertheroy.  —  Suivra 
immédiatement  :  Si  l'amour  prenait  racine,  nouvelle  mélodie  de  H.  Bal- 
ïhasar-Florence,  paroles  de  C.  Fuster. 

pia.no 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIA^o  :  les  Douze  Femmes  de  Japhet,  quadrille  brillant  par  Léon  Roques, 
sur  l'opérette  de  Victor  Roger.  —  Suivra  immédiatement  :  Nulle  autre 
quelle,  nouvelle  polka  de  Philippe  F.ahrbach. 

Nous  continuerons,  dimanclie  prochain,  les  intéressan- 
tes «  Notes  d'un  Librettiste  »,  de  M.  Louis  Gallet,  ainsi  que 
la  curieuse  étude  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin, 
sur  «les  Saint- Aubin». 


OBSÈQUES   DE    LÉO   DELIBES 


Les  obsèques  de  Léo  Delibes  ont  été  ce  qu'elles  devaient 
être,  profondément  recueillies  et  attendrissantes.  Il  ne  s'y 
trouvait  pas  d'indifférents  et  chacun  était  ému  jusqu'au  fond 
du  cœur  de  cette  mort  subite  qui  venait  de  frapper,  non  seu- 
lement un  grand  musicien  français  dans  le  plein  épanouis- 
sement de  son  talent,  mais  encore  l'homme  charmant  que 
tous  avaient  connu,  l'ami  excellent  que  beaucoup  avaient  à 
pleurer.  Jamais  on  ne  vit  de  visages  plus  attristés,  ni  de  lar- 
mes plus  sincères. 

Et  c'était  un  véritable  amoncellement  de  fleurs,  venues  de 
tous  les  coins  de  la  France,  comme  si  on  eut  voulu  cacher 
sous  les  couronnes  et  les  palmes  vertes  tout  ce  deuil  et  toute 
cette  douleur  qui  pesaient  lourdement  et  malgré  tout,  sur 
ceux  qui  menaient  le  cher  Delibes  vers  sa  dernière  demeure. 

De  tous  ces  amis  fidèles  et  désolés,  nous  ne  vous  dirons 
pas  les  noms.  Ils  étaient  tous  là.  C'étaient  Philippe  Gille  et 
Charles  Grisart,  les  deux  plus  intimes  amis  du  maître  si  re- 
gretté, qui  conduisaient  le  deuil.  Les  cordons  du  poêle  étaient 
tenus  par  M.  G.  Larroumet,  directeur  des  Beaux-Arts,  M.  le 
vicomte  Delaborde,  MM.  Ernest  Reyer,  E.  Guiraud,  Victorin 
Jonciùrcs  et  Ritt. 


Pendant  le  service  funèbre,  M.  Gh.  Widor  tenait  les  gran- 
des orgues;  il  a  fait  entendre  l'un  des  préludes  de  Kassya, 
la  dernière  œuvre  laissée  par  Delibes,  quelque  chose  de 
triste  et  de  profond  qui  a  fait  grande  impression.  La  Neige, 
c'est  le  titre  de  ce  prélude.  Puis  Faure  a  chanté  un  Pie  Jesu, 
dont  on  avait  adapté  les  paroles  sur  une  des  plus  touchantes 
mélodies  du  maître  ;  le  grand  chanteur  a  été  admirable  et  il 
a  su  communiquer  à  tous  l'émotion  qui  l'avait  saisi  lui- 
même;  il  était  certainement  un  des  plus  anciens  camarades 
de  Léo  Delibes,  puisque  tous  deux,  dans  leurs  premières 
années,  avaient  été  enfants  de  chœur  à  la  même  église.  C'est 
ce  souvenir,  sans  doute,  qui  donnait  à  sa  voix  une  teinte  de 
mélancolie  et  de  tristesse  tout  à  fait  saisissante.  L'orchestre 
de  rOpéra-Comique  était  là  aussi  pour  interpréter  quelques 
pages  des  œuvres  de  Delibes,  celles  qui  pouvaient  se  mieux 
prêter  à  la  triste  cérémonie  qu'on  célébrait. 

Sur  la  tombe,  plusieurs  discours  ont  été  prononcés.  Voici 
d'abord  celui  de  M.  Larroumet,  qui  nous  donne  la  phy- 
sionomie bien  complète  de  l'artiste  que  nous  avons  tant  à 
regretter  : 

Messieurs, 
Au  milieu  des  deuils  répétés  qui  atteignent  en  ce  moment  l'art  français 
et  qui  marquent  presque  chaque  jour  par  une  perte  nouvelle,  la  mort  de 
M.  Léo  Delibes  a  eu  le  privilège  d'exciter  un  des  étonnements  les  plus 
douloureux  et  une  des  sympathies  les  plus  profondes  que  nous  ayons 
éprouvées  :  l'âge  du  maitre  et  la  vigueur  de  sa  nature  semblaient  lui  assu- 
rer une  longue  carrière  ;  il  était  dans  la  pleine  fécondité  du  talent  et  il 
nous  promettait  une  œuvre  nouvelle,  caressée  avec  amour,  attendue  avec 
confiance.  Quelques  heures  ont  suffi  et  il  n'est  plus.  La  France  perd  un 
des  artistes  qui  exprimaient  avec  le  plus  de  charme  et  de  vérité  un  élé- 
ment essentiel  de  son  génie  national  ;  une  source  de  vive  et  légère  inspi- 
ration est  tarie,  une  fantaisie  gracieuse  s'éteint  et  tous  ceux  qui  se  pres- 
sent autour  de  ce  cercueil  perdent  un  ami. 

"  Élève  d'Adam,  Léo  Delibes  se  rattachait  directement  à  cette  lignée  de 
musiciens  français  qui,  au  milieu  du  dernier  siècle,  créèrent  l'opéra- 
comique  et,  malgré  les  influences  étrangères,  lui  conservèrent  jusqu'à  nos 
jours  cette  marque  d'esprit  et  de  gaité,  de  sentiment  et  de  poésie  familière 
pour  laquelle  nous  sommes  ingrats,  dans  nos  heures  d'injustice,  mais  à 
laquelle  nous  revenons  toujours,  car  elle  est  notre  fidèle  image.  Nous  avons 
beau  la  railler,  nous  savons  bien  que  le  jour  où  la  France  y  renoncerait 
elle  perdrait  une  part  d'elle-même.  L'opéra-comique  n'est  pas  toute  la 
musique,  mais  c'en  est  une  part  nécessaire,  chez  nous  plus  que  partout 
ailleurs  et  nous  y  excellons.  Par-dessus  la  brillante  invasion  italienne, 
qui,  avec  Rossini,  s'était  installée  dans  notre  domaine,  Léo  Delibes  repre- 
nait donc  ce  que  Mousigny  et  Grétry,  Lesueur  et  Méhul,  Dalayrac  et 
Boieldieu,  Herold  et  Halévy,  Auber  et  Victor  Massé  nous  avaient  légué  de 
facilité  ingénieuse,  de  franchise,  de  justesse  délicate  et  de  simplicité.  Ce 
sont  là  messieurs,  des  qualités  françaises  par  excellence,  et  nous  devons 
de  la  reconnaissance  à  ceux  qui,  en  mettant  le  plus  mystérieux  des  arts 
et  l'un  des  plus  élevés  à  la  portée  de  tous,  ont  satisfait  et  développé  une 
part  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  original  dans  l'àme  de  notre  pays.  A  ces  dons 
qu'il  tenait  de  sa  race, Delibes  joignait  ses  qualités  personnelles  de  gaieté 
et  d'ironie,  de  grâce  rêveuse  et  de  tendresse.  Initié  de  bonne  heure  a  la 
scène  par  une  pratique  de  chaque  jour,  il  en  avait  à  la  fois  l'instinct  et 
la  science;  symphoniste  habile,  il  mettait  en  œuvre  avec  un  art  très  sur 


26 


LE  MENESTREL 


ce  que  l'abondance  de  sa  verve  et  l'entrain  de  son  Inspiration  lui  suggé- 
raient de  claires  mélodies  et  d'inventions  spirituelles;  il  les  relevait  par 
un  sens  de  l'élégance  et  une  sûreté  de  goût  bien  rares  à  un  tel  degré  ;  il 
avait  enfin  la  couleur,  le  mouvement  et  la  fantaisie. 

Cet  ensemble  de  dons  s'est  développé  au  cours  d'une  carrière  toujours 
en  progrès,  qui  l'avait  conduit,  par  de  sûres  étapes,  des  formes  les  plus 
accessibles  aux  côtés  les  plus  élevés  de  son  art.  Il  avait  commencé  par 
des  opérettes,  gaies  sans  vulgai'ité,  familières  sans  bassesse,  où  le  futur 
compositeur  d'opéras-comiques  se  laissait  entrevoir  déjà  ;  il  s'élevait 
bientôt  au  ballet  et  y  donnait,  après  la  Source,  qui  ne  lui  appartenait  qu'à 
moitié,  mais  où  sa  part  est  de  premier  ordre,  deux  œuvres  charmantes, 
deux  petits  chefs-d'œuvre,  Coppélia  et  Stjlvia,  qui  resteront  pour  notre 
temps  ce  qu'ont  été  la  Sylphide,  la  Somnambule  et  Giselle.  Il  avait  tout  ce 
qu'il  faut  pour  exceller  dans  ce  genre  exquis,  joie  légère  de  l'oreille, 
des  yeux  et  de  l'esprit,  où  la  poésie  naît  du  mouvement  et  où  la  musique 
est  si  intimement  unie  à  l'action  qu'elle  la  crée  au  lieu  de  la  subir, 
comme  il  arrive  ailleurs.  Enfin,  il  abordait  l'opéra-comique  et  s'y  affirmait 
comme  un  maître  avec  le  Roi  l'a  dit,  d'un  tour  si  spirituel,  d'une  couleur 
si  vive  et  d'une  veine  si  franche.  Dans  Lakmé,  sans  prétention  ni  ambi- 
tieux programme,  il  suivait  les  tendances  modernes  de  la  musique  et, 
avec  son  aisance  habituelle,  il  en  aidait  l'évolution  dans  une  voie  plus 
originale  et  plus  savante,  rencontrant  la  nouveauté  et  évitant  la  bizar- 
rerie, demeurant  lui-même,  c'est-à-dire  français,  et  montrant  que  son 
souple  talent  n'était  rebelle  à  aucun  progrès.  Ses  dernières  années  ont  été 
consacrées  à  une  œuvre  de  prédilection,  Kassya,  dans  laquelle  il  voulait 
se  mettre  tout'  entier,  avec  ce  qu'il  avait  réalisé  déjà  et  ce  dont  il  se  sen- 
tait encore  capable,  c'est-à-dire  une  inspiration  facile  et  large,  savante 
et  aisée.  Nous  entendrons  Kassya  ;  elle  est  aux  mains  d'un  collaborateur 
qui,  déjà  gardien  d'une  chère  mémoire,  mettra  la  même  fidélité  pieuse  au 
service  de  ce  talent  fauché  dans  sa  fleur  ;  mais  Delibes  n'entendra  pas 
son  œuvre  favorite,  et  cette  nouvelle  couronne  sera  voilée  d'un  crêpe.  S'il 
n'a  pas  connu  l'injustice  de  son  vivant,  si  la  vie  lui  a  été  facile  et  riante, 
la  mort  s'est  montrée  cruelle  pour  lui  comme  pour  Bizet,  frappé  au  seuil 
de  la  gloire.  Avec  l'auteur  de  Carmen,  celui  de  Lakmé  prend  place  dans 
ce  groupe  douloureux  des  jeunes  talents,  à  qui  l'existence  trop  courte  n'a 
pas  donné  tout  ce  qu'ils  méritaient  et  pour  qui  la  sympathie  se  mêle 
d'attendrissement. 

Récompensé  de  son  talent  et  de  ses  efforts  par  le  succès,  Léo  Delibes  avait 
reçu  de  ses  confrères  et  de  l'Etat  tous  les  honneurs  qu'ils  peuvent  décer- 
ner. Membre  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  et  professeur  au  Conservatoire, 
il  s'était  voué  avec  son  ardeur  habituelle  aux  diverses  obligations  que  ce 
double  titre  lui  créait.  Des  paroles  autorisées  vont  vous  dire  ce  qu'il  était 
à  l'Institut  et  au  Conservatoire;  pour  moi, je  remplis  un  devoir  en  rap- 
pelant que  l'administration  des  Beaux-Arts  n'avait  pas  d'auxiliaire  plus 
sûr  ni  plus  dévoué.  Dans  l'enseignement,  comme  dans  les  examens  et  les 
concours,  il  se  donnait  pleinement  à  sa  tâche,  il  était  bienveillant  et  juste, 
soucieux  de  découvrir  et  de  développer  le  talent,  aimé  de  tous,  chefs, 
collègues  et  élèves,  suscitant  les  qualités  dont  il  était  lui-même  un 
modèle  :  le  sentiment  de  l'art,  l'amour  du  travail,  la  cordialité. 

Messieurs,  le  maître  que  nous  allons  laisser  ici  a  mérité  de  se  survivre 
par  un  nom  durable  ;  il  a  fait  aimer  par  la  France  un  talent  qui  ressem- 
blait à  notre  pays,  il  a  étendu  pour  sa  part  à  l'étranger  l'influence  et  le 
renom  de  nos  qualités  nationales;  il  a  bien  servi  l'État.  Au  nom  du 
ministre  des  Beaux- Arts,  je  le  salue  d'un  adieu  reconnaissant. 

Après  M.  Larroumet,  le  vicomte  Delaborde,  brisé  par  l'é- 
motion, —  car  il  portait  à  Léo  Delibes  une  affection  toute 
particulière  —  a  parlé  au  nom  de  l'Institut;  il  l'a  fait  du 
mieux  qu'il  a  pu,  mais  sa  parole,  souvent  coupée  par  les 
sanglots,  n'arrivait  que  difficilement  jusqu'à  l'oreille  des  au- 
diteurs. Ses  larmes  valaient  le  plus  éloquent  des  discours. 
M.  Ernest  Guiraud  a  dit  ensuite  quelques  paroles  excellentes 
pour  le  Conservatoire,  où  Léo  Delibes  laisse  un  si  grand  vide. 
M.  Guiraud  remplaçait  M.  Ambroise  Thomas,  alité  à  la  suite 
d'un  coup  de  pied  de  cheval  qu'il  avait  reçu,  quelques  jours 
auparavant.  Puis,  est  venu  le  tour  de  M.  Victorin  Joncières, 
qui  parlait  au  nom  de  la  Société  des  auteurs  dramatiques  ; 
nous  donnons  un  fragment  important  de  son  excellent  dis- 
cours : 

....  A  mesure  qu'il  avance  dans  la  carrière,  il  progresse  sans  cesse; 
avec  ses  adorables  partitions  de  la  Source,  de  Coppélia,  de  Sylviat  il  trans- 
forme la  musique  du  ballet  et  élève  le  genre,  jusqu'alors  un  peu  infé- 
rieur, à  la  hauteur  de  la  symphonie.  Là,  il  s'affirme  du  premier  coup 
comme  un  maître  incontesté,  comme  un  chef  d'école,  dont  devront  s'ins- 
pirer tous  ceux  qui  s'essayeront  dans  la  musique  chorégraphique  . 

Quel  esprit,  quelle  élégance,  quelle  invention  dans  Coppélia,  un  vérita- 
ble chef-d'œuvre,  acclamé  aussi  bien  sur  les  scènes  de  l'étranger  que  sur 
celle  de  l'Opéra.  Et  Sylvia,  cette  poétique  évocation  de  l'antiquité,  qui 
nous  ramène  aux  mythes  du  temps  passé,  avec  une  intensité  de  coloris 
qui  ferait  croire,  chez  l'artiste,  comme  à  une  révélation  mystérieuse 
d'une  musique  disparue  ! 

A  rOpéra-Comique,  il  n'est  pas  moins  heureux:  il  y  débute  avec  le  Roi 


l'a  dit,  d'une  si  saine  gaieté,  d'une  allure  si  française,  d'une  clarté  si 
éblouissante,  où  la  science  se  dissimule  sous  les  grâces  de  l'inspiration. 

Jean  de  Nivelle,  d'un  style  plus  sérieux,  lui  conquiert  l'estime  de  ceux 
qui  ne  voulaient  voir  en  lui  qu'un  compositeur  de  musique  légère.  L'ou- 
vrage eut  cent  représentations  consécutives. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  l'éloge  de  Lakmé,  dont  les  poétiques  et 
suaves  mélodies  chantent  dans  toutes  les  mémoires.  Ces  plaintes  tou- 
chantes, ces  accents  passionnés,  ces  amoureuses  cantilènes  de  la  jeune 
prêtresse  hindoue,  viendront  bientôt  caresser  encore  nos  oreilles  attentives 
et  émouvoir  nos  cœurs  attendris. 

Bientôt  aussi,  nous  entendrons  cette  Kassya  inconnue,  cette  œuvre  qu'il 
avait  ciselée  avec  amour  pendant  plusieurs  années,  et  dont  il  m'entrete- 
nait, il  y  a  juste  aujourd'hui  huit  jours,  m'exprimant  ses  espérances,  et, 
le  dirais-je?  ...  ses  craintes,  avec  une  modestie  qui  révélait  la  con- 
science de  l'artiste,  toujours  préoccupé  d'un  idéal  plus  élevé. 

Qui  m'eût  dit  alors,  qu'à  peine  une  semaine  écoulée,  je  viendrais  dans 
ce  triste  asile,  adresser  à  mon  pauvre  ami  un  éternel  adieu  ! 

La  désolation  peinte  sur  les  visages  de  ceux  qui  m'entourent  dit,  mieux 
que  mes  paroles,  l'amertume  des  regrets  que  laisse  Léo  Delibes.  C'était, 
un  grand  artiste,  c'était  un  grand  cœur.  Son  souvenir  restera  toujours 
gravé  dans  nos  mémoires,  comme  son  œuvre  redira  sans  cesse  le  nom 
glorieux  qu'il  lègue  à  son  pays. 

Puis  le  jeune  M.  René,  le  premier  «  prix  de  Rome  »  sorti 
de  la  classe  de  Léo  Delibes,  au  Conservatoire,  s'est  avancé 
tout  ému  pour  prononcer  ces  quelques  paroles: 

C'est  à  moi,  cher  et  regretté  maître,  qu'incombe  le  douloureux  devoir 
de  vous  dire,  au  nom  de  vos  élèves,  un  suprême  adieu! 

Nul  maître  ne  fut  plus  ardent,  plus  actif,  plus  aimant;  nul  ne  fut  aimé- 
davantage. 

Il  y  a  six  jours  à  peine,  vous  étiez  encore  parmi  nous,  debout,  vail- 
lant, plein  de  bonne  humeur  et  d'entrain,  et,  à  cette  heure,  il  ne  nous 
reste  plus  que  le  souvenir  du  maître  vénéré,  de  l'ami  fidèle  et  dévoué  qui 
guida  nos  travaux,  encouragea  nos  premiers  essais  ! 

Ce  souvenir,  nous  le  garderons  pieusement;  votre  enseignement  restera 
gravé  dans  nos  cœurs  ;  ce  sera  notre  ligne  de  conduite  dans  l'avenir. 
Mais,  hélas  !  où  retrouverons-nous  cette  affection  paternelle,  ce  dévoue- 
ment à  toute  épreuve  qui  vous  faisait,  si  souvent,  oublier  vos  propres 
travaux  pour  les  nôtres. 

La  mort,  qui  vous  a  si  brutalement  terrassé,  nous  permet  cependant. 
d'espérer,  de  croire  que  vous  êtes  encore  avec  nous,  parmi  nous  :  c'est 
notre  seule,  notre  suprême  consolation 

Adieu,  cher  et  bien-aimé  maître...  Adieu  ! 

Faut-il  dire  quelque  chose  du  discours  extraordinaire  pro- 
noncé ensuite  par  M.  Gailhard,  sorte  d'allocution  militaire  où 
il  n'était  question  que  de  «  tambour  battant  le  rappel  »  et 
dont  on  n'a  pas  bien  saisi  l'à-propos?  En  toute  autre  circons- 
tance on  aurait  pu  s'en  amuser.  Mais  ici  l'impression  a  sur- 
tout été  pénible.  Tartarin  pouvait  rester  chez  lui  sans  incon- 
vénient. 

Tout  était  fini.  Léo  Delibes  dort  à  présent  de  l'éternel  som- 
meil, mais  inoublié  et  toujours  vivant  dans  l'œuvre  qu'il 
nous  a  laissé. 

H.  M. 


SEMAINE    THEATRALE 


LE  NOUVEAU  CAHIER  DES  CHARGES  DE  L'OPÉRA 
La  «  commission  des  théâtres  »  s'est  réunie  mercredi  dernier  au 
ministère  de  l'Instruction  publique,  sous  la  présidence  de  M.  Léon 
Bourgeois,  pour  la  discussion  du  nouveau  cahier  des  charges  qui 
devra  être  imposé  a  la  direction  nouvelle  de  l'Opéra,  quand  le  pri- 
vilège de  MM.  Ritt  et  Gailhard  aura  pris  fin,  c'est-à-dire  le  1"  dé- 
cembre prochain.  Le  ministre  a  ouvert  la  discussion  par  l'allocution 
suivante  : 

Messiecrs, 

Au  mois  de  juin  dernier,  je  priais  la  commission  consultative  des 
théâtres  de  me  donner  son  avis  sur  l'interprétation  et  l'application  du 
cahier  des  charges  de  l'Opéra.  Je  ne  saurais  oublier  avec  quel  empresse- 
ment et  quel  zèle  elle  me  prêta,  dans  cette  occasion,  le  concours  de  sa 
haute  compétence.  Chacun  de  vous,  messieurs,  a  fait  une  étude  particulière 
de  l'art  dramatique,  de  ses  rapports  avec  l'État  et  des  conditions  légales 
ou  administratives  dans  lesquelles  il  s'exerCe.  A  la  suite  d'un  examen 
aussi  laborieux  que  délicat,  vous  avez  perinis.à  mon  administration  d'a- 
dopter les  solutions  les  plus  équitables. 

Au  moment  où  la  concession  actuelle  de  l'Opéra  touchait  à  sa  fin,  j'ai 
dû  me  préoccuper  de  rédiger  un  cahier  des  charges  d'où  fussent  écartées 
le  plus  possible  les  causes  d'incertitude  et  de  conflit   qui   ont   préoccupé 


LE  MENESTREL 


27 


mes  honorables  prédécesseurs  et  moi-même.  C'est  dans  cet  esprit  qu'ont 
été  rédigées  les  clauses  relatives  au  matériel,  à  son  usage  et  à  son  entretien. 
En  outre,  il  nous  a  paru  nécessaire  de  prescrire  un  partage  équitable 
des  bénéfices  qui  garantisse  l'État,  dans  l'avenir,  contre  le  retour  de  ces 
difficultés.  Mais  ce  n'était  là  qu'une  partie  de  ma  tâche,  et  j'ai  dû  envi- 
sager la  question  à  un  autre  point  de  vue. 

L'Opéra  court  aujourd'hui  divers  risques,  et,  si  l'on  ne  se  préoccupait 
d'y  remédier,  ils  pourraient  entraîner  dans  un  avenir  prochain  la  ruine 
de  l'institution.  Il  donne  un  trop  petit  nombre  d'ouvrages;  il  ramène  sans 
cesse  devant  le  public  quelques  pièces  fort  belles,  mais  anciennes,  que 
l'on  écoute  d'une  oreille  déjà  distraite  et  bientôt  lassée. 

De  là,  le  mécontentement  des  compositeurs,  qui  n'ont  pas  des  occasions 
suffisantes  de  se  produire  ;  du  public,  qui  souhaiterait  une  série  de  spec- 
tacles moins  uniforme,  plus  hardie  et  plus  souvent  renouvelée  ;  de  la 
presse,  qui  voudrait  défendre  l'Opéra  et  qui  trouve  trop  à  lui  reprocher; 
du  Parlement,  qui  se  demande  s'il  répond  bien  à  sa  raison  d'être  et  aux 
sacrifices  qu'il  coûte  à  l'État.  D'autant  plus  que  dans  un  régime  démo- 
cratique comme  le  nôtre,  le  caractère  spécial  de  ce  genre  de  spectacle 
semble  en  faire  une  institution  de  luxe  et  le  réserver  à  une  seule  classe 
-de  spectateurs. 

Il  est  urgent,  messieurs,  de  remédier  à  cet  état  de  choses  et  de  conce- 
voir autrement  l'Opéra,  si  nous  voulons  le  conserver.  Pour  moi,  j'estime 
qu'il  devrait  répondre  à  un  triple  but  :  d'abord,  constituer  une  sorte  de 
musée  des  chefs-d'œuvre  de  l'art  musical,  semblable  à  celui  que  constitue 
la  Comédie-Française  pour  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  dramatique;  puis, 
offrir  aux  œuvres  nouvelles  de  nos  compositeurs  comme  une  exposition 
permanente,  aussi  souvent  renouvelée  que  possible  ;  enfin,  donner  aux 
artistes  une  école  pratique  où  passeraient  un  plus  grand  nombre  de  sujets. 
Ainsi,  l'Opéra  serait  vraiment  une  forme  de  l'enseignement  national  de 
la  musique,  un  encouragement  à  la  production  artistique  nationale,  une 
école  d'artistes  du  chant. 

Pour  arriver  à  ce  résultat,  je  n'ai  vu  d'autres  remèdes  que  la  liberté. 
Il  importait,  en  effet,  de  simplifier  l'extrême  complication  d'un  cahier  des 
charges  qui  mêle  sans  cesse  l'administration  à  la  direction,  en  déplaçant 
les  responsabilités  et  en  imposant  à  chacune  des  obligations  ou  des  en- 
traves qui  les  gênent  également  au  détriment  de  l'une  et  de  l'autre;  il 
importait  de  donner  au  directeur  la  plus  grande  liberté  possible  dans  sa 
gestion,  et,  pour  cela,  de  limiter  les  prescriptions  du  cahier  des  charges 
à  la  stricte  sauvegarde  des  droits  de  l'État. 

Nous  allons  entrer  ensemble,  messieurs,  dans  l'examen  de  ce  cahier  des 
charges,  que  je  résume  simplement  par  l'énoncé  des  principes  qui  ont 
inspiré  sa  rédaction  :  liberté  dans  le  choix  des  pièces,  sans  autre  réserve 
que  de  jouer  chaque  année  un  certain  nombre  d'actes  de  compositeurs 
français;  liberté  dans  l'emploi  du  matériel  appartenant  à  l'État,  sans  autre 
obligation  que  de  rendre  à  l'État  une  quantité  de  décors  égale  en  valeur 
à  celle  que  la  direction  a  reçue;  liberté  dans  l'établissement  du  prix  des 
places  de  luxe.  En  échange  de  ces  avantages,  l'administration  ne  deman- 
derait au  directeur  que  de  jouer  le  plus  possible  d'œuvres  nouvelles  et 
de  donner  un  plus  grand  nombre  de  représentations. 

Telles  sont,  messieurs,  les  lignes  générales  du  nouveau  cahier  des 
charges.  Je  le  soumets  en  toute  confiance  à  votre  examen,  assuré  d'avance 
qu'il  sortira  de  vos  délibérations  un  projet  de  contrat  dans  lequel  les  in- 
térêts de  l'art  français,  ceux  du  directeur  et  ceux  de  l'État  seront  égale- 
ment sauvegardés. 

Il  convient,  tout  d'abord,  de  féliciter  le  ministre  de  ce  ferme  lan- 
gage et  de  ses  bonnes  dispositions.  La  longue  série  d'Excellences  qui 
«e  sont  succédé  aux  Beaux-Arts  depuis  plus  de  vingt  ans  ne  nous  a 
pas  habitué  à  tant  de  sollicitude  pour  la  musique  ;  on  semblait  tou- 
jours la  considérer  coname  une  quantité  négligeable  au  milieu  de 
tous  les  Arts  et  de  toutes  les  Instructions  que  ces  Excellences  avaient 
mission  de  protéger.  Ah  !  la  pauvre,  on  ne  s'en  inquiétait  guère  ; 
«lie  pouvait  bien  pousser  comme  elle  voudrait.  Le  cahier  des  char- 
ges pour  l'Opéra?  On  le  regardait  d'un  œil  distrait;  c'était  toujours 
le  même  depuis  le  déluge;  c'est  à  peine  si  on  daignait  y  ajouter 
quelques  clauses  bienveillantes,  quelques  accommodements,  quel- 
ques termes  ambigus  pour  favoriser  le  développement  d'un  Ritt  ou 
d'un  Gailhard,  véritables  forbans  imaginés  pour  la  perte  même  de 
la  musique. 

Ce  sera  un  honneur  pour  M.  Bourgeois  d'avoir  tenté  de  réagir  contre 
ces  habitudes  d'indifférence  et  même  de  tolérance.  Oui,  il  faut  infu- 
ser du  sang  nouveau  à  cette  vieille  «  Académie  de  musique  »,  si  on 
ne  veut  la  voir  crouler  de  toutes  parts,  dans  un  avenir  très  pro- 
chain. Oui,  il  faut  plus  de  variété  dans  son  répertoire.  Le  cycle  éter- 
nel de  la  dizaine  d'opéras,  chefs-d'œuvre  si  l'on  veut,  qu'on  répète  à 
satiété,  ne  peut  plus  suffire  aux  goiits  et  aux  appétits  modernes.  Il 
faut  qu'on  remette  à  la  scène  de  nombreux  ouvrages  qui  n'auraient 
jamais  dû  en  disparaître.  Quand  on  pense  que  sur  un  théâtre  national 
qui  reçoit  de  l'État  plus  de  800,000  francs  à  l'année,  l'œuvre  admi- 
rable de  Gluck  n'est  même  pas  représenté  par  une  seule  de  ses 
partitions,  n'est-ce  pas  grotesque  et  misérable?  Nous  allons  peut- 
être  avoir  le  Fidelio  de  Beethoven,  niais  il  a  fallu  plus  d'un  demi- 
siècle  pour  en  arriver  à  une  manifestation  aussi  simple  ! 


N'est-il  pas  juste  aussi  qu'on  ouvre  la  porte  toute  grande  aux  chefs- 
d'œuvre  étrangers  qui  peuvent  se  produire?  Eh!  quoi,  un  "Wagner, 
un  Verdi,  un  Rubinstein  et  tant  d'autres  intéressants  musiciens 
écrivent  de  superbes  partitions,  et  Paris,  qui  se  prétend  la  ville  de 
toutes  les  lumières,  n'est  pas  à  même  de  les  entendre,  sous  prétexte 
de  misérables  «  cahiers  des  charges  »  qui  limitent  les  efforts  de  nos 
directeurs  aux  seules  productions  françaises.  Craint-on  que  la  repré- 
sentation de  Lohengrin.  à'Olello,  de  Néron  soit  faite  pour  diminuer 
le  prestige  de  notre  première  scène  lyrique?  M.  Bourgeois  ne  l'a 
pas  pensé  ainsi,  et  il  a  eu  raison  de  rompre  en  visière  avec  de  vieilles 
habitudes  qui  ne  sont  plus  de  notre  temps. 

Le  nouveau  cahier  des  charges  que  propose  le  ministre  est  donc 
une  véritable  œuvre  de  rajeunissement  et  il  faut  l'en  féliciter. 

C'est  su.r  ce  premier  point,  sur  la  plus  grande  variété  du  réper- 
toire que  la  commission  a  eu  d'abord  à  se  prononcer,  et  elle  a  re- 
connu qu'il  y  avait  lieu  d'y  insister  auprès  des  nouveaux  candidats 
qui  pourront  se  présenter  pour  recueillir  la  succession  de  MM.  Ritt 
et  Gailhard.  Il  a  été  admis  qu'on  laisserait  au  nouveau  directeur 
toute  latitude  pour  représenter  les  œuvres  qui  lui  conviendraient, 
qu'il  pourrait  les  prendre  là  où  il  y  trouverait  son  compte,  aussi 
bien  à  l'étranger  qu'en  France.  Il  sera  tenu  seulement  à  représenter, 
chaque  année,  six  actes  de  compositeurs  français.  Pour  le  reste,  il 
agira  à  sa  guise.  «  Il  pourra  jouer  7oMte  les  sortes  de  drames  et  de 
ballets,  exception  faite  seulement  des  genres  réservés  à  l'Opéra- 
Comique.  » 

Pour  suffire  aux  exigences  de  ce  nouveau  programme,  à  son  en- 
vergure plus  large,  on  a  décidé  en  principe  que  le  nombre  des  re- 
présentations devrait  être  considérablement  augmenté;  on  en  don- 
rait  six  par  semaine,  cinq  au  minimum.  C'est  encore  une  excellente 
mesure.  A  quoi  bon  en  effet  laisser  fermée  et  inutile,  trois  fois  par 
semaine,  une  salle  qui  a  coûté  si  cher  à  l'Etat?  On  a  vu,  pendant 
la  période  de  l'Exposition,  combien  MM.  Ritt  et  Gailhard,  alléchés 
par  le  gain,  avaient  pu  facilement  arriver  à  ce  nombre  augmenté 
de  représentations  qu'ils  avaient  prétendu  si  longtemps  une  chose 
impossible.  Il  n'y  aura  qu'à  continuer  ce  qu'ils  avaient  commencé. 
On  ne  fait  pas  autrement  d'ailleurs  à  Vienne  et  à  Berlin,  avec  un- 
répertoire  toujours  changeant  et  composé  de  plus  de  soixante  ou- 
vrages divers.  Sommes-nous  donc  plus  apathiques  et  moins  malins 
que  les  Allemands  ? 

Le  nouveau  projet  accordera  encore  au  directeur  la  faculté 
d'employer  à  sa  guise  le  matériel,  sans  affectation  spéciale  à  telle 
ou  telle  pièce,  à  la  seule  condition  pour  lui  de  le  tenir  en  bon  état 
de  réparation  (des  inventaires  auront  lieu  à  cet  effet  tous  les  deux 
ans),  et  de  rendre  une  valeur  de  décors  égale  à  celle  qu'il  aura 
reçue.  Dans  l'ancien  cahier  des  charges,  au  lieu  du  mot  valeur,  il  y 
avait  le  mol  nombre,  ce  qui  a  donné  lieu  aux  difficultés  qui  divisent 
en  ce  moment  la  direction  de  l'Opéra  et  l'administration  des  beaux- 
arts.  On  sait  même  qu'un  procès  est  imminent  à  ce  propos. 

Le  «  tarif  des  places  »  a  été  aussi  l'objet  d'une  longue  discussion. 
L'ancien  cahier  des  charges  limitait  le  tarif  de  toutes  les  places  ;  le 
nouveau  ne  fixe  que  le  prix  des  petites  places,  comme  il  suit  : 


Bureau.     Location. 


Stalles  de  parterre ^ 

TROISIÈMES 

Avant-scène ^ 

do  s 

Loges  de  face 8 

Entre-colonnes 8 

De  côté ^ 


3     ') 


3     « 

2  SO 


QUATRIÈMES 

Avant-scène 2  » 

Loges  de  face 3  » 

Loges  de  côté 2  » 

Fauteuils  d'amphithéâtre    ....  3  » 

Stalles  d'amphithéâtre 2  » 

Stalles  de  côté 2  » 

CINQUIÈMES 

T  2    »  3    » 

Loges "    " 

Pour  les  «  grandes  places  »,  le  directeur,  aura  le  droit  d'en  élever 
le  prix  à  sa  volonté.  Le  tarif  devra  seulement  en  être  fixe  et  affiché 
au  début  de  chaque  année,  et  il  ne  pourra  plus  être  augmente,  en 
aucune  circonstance,  dans  le  courant  de  la  même  année.  Il  serait 
même  question  de  permettre  au  directeur  de  mettre  en  .  adjudica- 
tion limitée  »  certaines  places  de  luxe.  Ainsi,  au  cas  ou  une  loge 
d'abonnement    devenant   libre,   plusieurs    personnes 


28 


LE  MENESTREL 


raient  pour  on  briguer  la  succession,  la  direction  pourrait  la  mettre 
en  adjudication  entre  ces  diverses  personnes.  Ceci  n'est  pas  sans 
offrir  quelque  danger  et  pourrait  bien,  dans  un  temps  donné,  modi- 
fier complètement  la  ligne  géométrique  de  l'abonnement  à  l'Opéra. 
De  verticale  qu'elle  était,  il  y  aurait  fort  à  craindre  qu'elle  ne  prit 
peu  à  peu  des  airs  plus  penchés,  pour  verser  à  la  fin  complètement 
dans  rborizoutalismc.  C'en  serait  fait  alors  des  belles  manières  et 
du  bon  ton  à  l'Académie  nationale  de  musique. 

Un  point  important  encore  du  nouveau  cahier  des  charges  est 
celui  qui  spécifie  qu'à  l'avenir  les  bénéfices  de  l'exploitation  devront  être 
partagés  entre  le  directeur  et  l'État.  Ce  ieToieraonsacrerail  les  sommes 
qui  pourraient  lui  revenir  de  cette  e.'péce  d'association  (dans  le  gain 
seulement)  à  la  réfection  et  à  la  réparation  du  matériel.  C'est  une 
sorte  de  retour  à  l'ancien  cahier  des  charges  de  M.  Halanzier.  Ici, 
seulement,  le  partage  ne  se  ferait  qu'au-dessus  de  la  somme  de 
S0,000  francs.  Les  comptes  seraient  établis  tous  les  deux  ans  et 
le  versement  des  bénéfices  effectué  tous  les  quatre  ans.  Par  suite, 
la  durée  du  privilège  serait  portée  de  sept  à  huit  années. 

Enfin,  au  lieu  des  deux  années  réglementaires  jusqu'ici,  l'Opéra 
aura  le  droit  de  retenir  pour  une  durée,  même  supérieure  à  trois  ans, 
les  élèves  du  Conservatoire,  qu'il  aurait  réclamés  à  la  sortie  de 
l'école. 

Mercredi  prochain,  la  commission  entrera  dans  le  détail  du  projet, 
article  par  article,  et  elle  compte  avoir  terminé  son  travail  en  deux 
ou  trois  séances. 

Voilà  donc  du  nouveau  en  perspeclive.  Espérons  qu'il  sortira  de 
tout  cela  le  relèvement  de  notre  première  scène,  et  qu'on  trouvera 
pour  y  coopérer  un  directeur  intelligent  et  tout  dévoué  aux  intérêts 
artistiques.  Cela  nous  changerait  agréablemont  de  MM.  Ritt  et 
Gailhard. 

H.    MORENO. 


Renaissance  :  motel  Godelot,  comédie  en  trois  actes,  de  MM.  V. 
Sardou  et  H.  Crisafulli.  —  Théâtre  d'Art  :  Les  Cenci,  tragédie  en 
'cinq  actes  et  quinze  tableaux,  de  Shelley,  traduction  de  M.  Félix 
Rabbe.  —  Foues-Dr.uiatiques  :  Paris-Folies,  revue  en  trois  actes  et 
six  tableaux,  de  MM.  Vély  et  Mock. 

Lors  de  sa  première  apparition  au  Gymnase,  en  1876,  l'Hôtel 
Godelot,  en  fils  bien  né,  n'avait  qu'un  père,  M.  Crisafulli  ;  en  re- 
paraissant à  la  Renaissance,  théâtre  d'ordre  moindre,  ce  vaudeville 
n'ose  plus  entièrement  cacher  sa  nombreuse  paternité  et  avoue 
M.  Sardou.  Peut-être  bien  que  si,  dans  une  quinzaine  d'années,  il 
prend  à  un  directeur  nouveau  fantaisie  de  remonter  cette  pochade,  la 
lignée  paternelle  trouvera  légitimement  moyen  de  s'accroître  encore. 
Mes  graùds  confrères  ont  essayé  de  nous  expliquer  ce  phénomène  de 
multiplication  d'auteurs  ;  je  crois,  pour  ma  part,  que  si  M.  Sardou 
a  laissé,  cette  fois,  mettre  son  nom  devant  celui  de  M.  Crisafulli, 
c'est  qu'il  n'était  point  fâché,  avant  la  grande  bataille  de  Thermidor, 
de  prouver  au  public  qu'il  est  homme  à  trouver  dans  son  sac 
d'autre  mouture  que  celle  de  Cléopâtre.  Et  de  fait,  je  donnerais  toutes 
les  divines  reines  d'Egypte  et  autres  grandes  productions  exporta- 
tives, dernièrement  enfantées  par  l'auteur  des  Pattes  de  mouche  et  de 
Divorçons,  pour  le  premier  acte  si  franchement  gai  de  cet  Hôtel  Godelot. 
Le  sujet  de  cette  folie,  trop  gravement  dénommée  comédie,  vous  le 
savez:  un  Parisien,  voyageant  en  province,  prend  la  maison  d'un 
ami  de  son  père  pour  une  auberge  quelconque,  et,  mécontent  du 
service  et  des  airs  par  trop  protecteurs  de  ceux  qu'il  prend  pour  de 
simples  gargotiers,  met  tout  sens  dessus  dessous  dans  cet  intérieur 
paisible  et  bourgeois.  Dès  le  début,  la  méprise  est  absolument  plai- 
sante et  divertissante,  et,  bien  que  fort  invraisemblable,  n'est  point 
sans  une  certaine  tenue.  Mais  il  ne  faut  pas  abuser  même  des 
meilleures  choses,  et,  dans  les  deux  derniers  actes,  la  plaisanterie, 
qui  demeure  toujours  la  même,  s'émousse  forcément  et  perd  de  son 
attrait  ;  ce  qui  n'empêche  d'ailleurs  le  public  de  s'amuser  de  très 
bon  cœur.  C'est  M.  Francès,  le  créateur  du  rôle  de  Godelot  au 
Gymnase,  qui  le  joue  encore  à  la  Renaissance  et  qui  s'y  montre 
très  bon  comédien.  ¥'"=  Carlix,  prix  de  comédie  au  dernier  concours 
du  Conservatoire,  a  très  aimablement  débuté  dans  l'emploi  d'ingénue. 
MM.  Regnard,  Gildès,  Ed.  George,  Bellot  et  M"'^  Aubrys  et  Dezoder 
forment  un  ensemble  divertissant. 

Le  «  Théâtre  d'Art  »,  précédemment  Théâtre  Mixte,  a  donné  la 
semaine  dernière,  au  théâtre  Montparnasse,  une  représenta tion  des 
Cenci,  une  tragédie  romantique  de  Shelley,  traduite  par  M.  Félix 
Rabbe.  Shelley,  ce  poète  d'humeur  vagabonde  que  sou  caractère  et  ses 
idéessubversives  forcèrent  à  s'exiler  d'Angleterre,  fut  longtemps  dé- 
daigné plus  que  déraison  par  ses  compatriotes  qui,  tout  dernièrement. 


ont  tenté  d'en  faire  presque  un  rival  puîné  de  Shakespeare.  Danste 
Cenci,  qui  restent  comme  l'oeuvre  accomplie  du  jeune  auteur,  mort 
en  1822  âgé  à  peine  de  trente  ans,  nous  retrouvons  l'histoire  de 
cette  famille  romaine,  vivant  au  xvi»  siècle,  dont  le  père,  après 
avoir  fait  périr  deux  de  ses  fils  et  abusé  de  sa  fille  Béatrice,  rendue 
célèbre  par  la  toile  du  Guide,  mourut  assassiné  par  cet'e  même  fille 
aidée  de  sa  mère.  Clément  VII,  alors  pape,  fit  mourir  par  la  hache 
les  survivants  de  cette  malheureuse  famille.  Le  drame,  d'une  con- 
ception hardie  mais  discutable,  est  saisissant  en  plus  d'une  scène, 
et,  même  au  travers  de  la  traduction,  on  sent  passer  souvent  le 
souffle  lyrique  d'un  poète  de  race.  Son  défaut  capital  est  d'être 
d'une  longueur  démesurée  et  inutile  et  d'une  coupe  hachée,  qui, 
calquée  sur  celle  du  grand  Will,  n'est  nullement  dans  les  usages 
de  notre  théâtre.  —  Je  ne  vois  à  citer  dans  la  troupe  du  «  Théàlre 
d'Art  »  chargée  d'interpréter  les  Cenci.  que  M.  Prad,  qui  a  donné  do' 
l'allure  au  personnage  de  Franccsco  Cenci,  et  M""  Camée,  qui,  dans 
le  rôle  complexe  et  très  difficile  de  Béatrice,  a  fait  courageusement 
tout  ce  qu'elle  a  pu. 

Est-ce  le  dégel  qui  nous  vaut  ce  reflux  de  revues,  ou  bien,  sont-ce 
ces  revues  elles-mêmes  dont  l'annonce  seule  a  amené  le  dégel? 
Question  fort  embarrassante  à  résoudre  et  dont  nous  laissons  le  soin 
à  Haut  et  Très  Puissant  Seigneur,  sa  Rondeur  l'Observatoire.  Quoi 
qu'il  en  soit,  voici  les  Folies-Dramatiques,  devançant  les  Nouveautés 
et  les  Variétés,  qui  ouvrent  ce  feu  nouveau  avec  Paris-Folies,  de 
MM.  Mock  et  Vély,  Adrien  tous  deux,  applaudis  déjà,  en  ce  genre 
de  spectacle,  au  petit  Cercle  Pigalle.  Ici  point  d'intrigue  et  aucune 
raison  au  défilé  des  actualités  de  l'année  :  le  Briseur  de  chaînes  et 
l'Argent,  s'ennuyant  de  leur  état  inamovible  d'afiiches  illustrées,  se 
détachent  du  mur  et  se  promènent  au  hasard  dans  Paris.  Il  va  de 
soi  qu'ils  rencontrent,  sans  le  voir,  le  funiculaire  de  Belleville,  qu'ils 
ont  le  bonheur  de  lier  connaissance  avec  la  jolie  personne  qui  pos- 
sède un  tendre  morceau  de  son  médecin  sur  la  joue,  —  un  des 
clous  de  la  revue,  — qu'ils  sont  mêlés  à  une  étourdissante  pantomime 
anglaise  qui  se  passe  sur  les  toits,  —  un  autre  clou,  —  cl  qu'ils 
assistent  à  la  parodie  des  principales  pièces  de  l'année,  'fout  le  reste 
demeure  plus  ou  moins  palpitant  d'intérêt;  mais  on  s'amuse  franche- 
ment aux  joyeuses  pitreries  de  M.  Gobin  et  ou  ne  se  lasse  pas  de 
regarder  la  jolie  M""  Pierny.  M.  Guyon  s'est  mouiré  aussi  très  amu- 
sant; il  s'est  taillé  un  succès  de  musicien  en  conduisant  l'orflijstre. 
avec  une  maestria  digne  de  M.  Baggers  lui-même,  et  en  jouant  un 
solo  de  hautbois.  Paris-Folies  est  l'héritage  laissé  par  M.  Micheau  à 
son  successeur,  M.   Vizentini,  qui  a  maiu'enBut  la  parole. 

Pall-Émile  Chevalier. 


CORRESPONDANCE  DE  BELGIQUE 


La  mort  de  Léo  Delibes  a  causé  à  Bruxelles  une  profonde  et  doulou- 
reuse impression.  Non  seulement  on  uimoit  lieaucoup  l'homme  si  cordial, 
si  ouvert,  mais  on  adorait  ici,  méaie  dan"  les  camps  les  plus  intransi- 
geants, la  musique  de  ce  maître  exquis  de  la  grâce  et  de  l'esprit  français 
par  excellence.  Alors  quebien  d'autn'S  sont  discutés,  celui-là  était  acrepto 
par  tous,  parce  que  tous  reconnaissairnt  en  lui  des  qualités  originales  si 
franches,  si  primesautières,  une  forme  si  |arfaitement  d'accord  avec  les 
idées  qu'il  exprimait,  qu'il  eût  été  luen  diffiTile,  en  effet,  de  les  lui  con- 
tester, elles  qui  lui  avaient  fait  dans  l'i  cole  contemporaine  une  place  si 
absolument  à  part.  Léo  Delibes  élail  peut-être  même  le  seul  que  nos 
wagnéristes  féroces  épargnassent  (i.-ins  leurs  hécatombes;  ils  saluaient 
avec  respect  cette  personnalité  iiuiifculable,  qui  semblait  incarner  son 
siècle  et  sa  race  dans  ses  moindres  chost-s,  si  joliment  ciselées,  d'allure 
si  sincère,  et  toutes  faites  d'élégance,  du  grâce  et  de  lumière.  Vous  savc:; 
quelle  place  occupaient  et  ont  toujours  occupé  les  œuvres  de  Delilies 
dans  le  répertoire  de. la  Monnaie.  Coppélia  ne  l'a  pour  ainsi,  dire  jamais 
quitté  ;  Sylvia  y  est  restée  longtemps  ;  Jean  de  Nivelle  a  été  souvent  repré- 
senté, et  il  n'y  a  pas  de  saison  où  l'on  ne  reprenne  Lakiné.  Quant  au  Roi 
l'a  dit,  vous  vous  rappelez  quelle  triomphale  reprise  nous  en  eûmes,  il  y 
a  deux  ans,  avec  M""=  Landouzy,  et  combien  nous  vengeâmes  le  petit 
chef-d'œuvre  de  l'indifférence  des  Parisiens.  L'autre  soir,  la  terrible  nou- 
velle de  la  mort  du  maître  aimé  est  arrivée  à  la  Monnaie  juste  au  mo- 
ment où  l'on  allait  commencer  Coppélia,  justement  affichée  ce  jour-là,  par 
une  singulière  coïncidence.  Vous  jugez  de  l'émotion  que  cette  .nouvelle, 
si  peu  attendue,  a  produite  sur  tous.  Depuis  quelque  temps  aussi,  on 
était  tout  aux  répétitions  de  Lakmé,  dont  la  reprise  aura  lieu  lundi  pro- 
chain. M"!*  Sanderson  avait  étudié,  je  crois,  le  rôle  avec  Delibes  ;  celui-ci 
avait  promis  de  venir  assister  aux  dernières  répétitions  ;  tout  le  monde 
l'attendait  avec  impatience...  Hélas!  quel  coup  de  foudre!  La  reprise  aura 
lieu  sans  le  maître;  mais  son  cher  souvenir,  bien  certainement,  animera 
ses  interprètes. 


LE  MENESTREL 


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Sans  être  aussi  bruyant  qu'à  la  première,  le  succès  de  Siegfried  s'est 
confàrmé  aux  représentations  suivantes.  L'interprétation  n"a  rien  perdu  de 
ses  mérites,  et  elle  s'est  afïïrmée  en  quelques-uns  de  ses  côtés  faibles. 
Dans  la  presse,  ce  succès  n'a  guère  été  discuté  ;  et  je  dois  dire  aussi  que, 
chose  absolument  e.xtraordinaire,  il  n'y  a  eu  aucun  échange  d'injures 
entre  gens  d'opinions  adverses.  On  s'est  trouvé,  assez  généralement 
d'accord  pour  admirer  sans  conteste  la  musique  en  dépit  des  longueurs 
du  poème.  Un  critique  n'a  trouvé,  d'ailleurs,  qu'un  seul  argument  pour 
défendre  ou  excuser  celles-ci  :  «  Les  reprocher  à  Wagner,  a-t-il  dit,  c'est 
lui  faire  grand  honneur,  en  lemettant  au  niveau  de  Shakespeare,  d'Eschyle 
et  de  Sophocle  !  »  La  défense  est  maladroite.  L'avocat  de  Wagner- 
poète  a  oublié  ce  petit  détail,  c'est  que  Shakespeare,  Eschyle  et  Sophocle 
vivaient  à  des  époques  où  la  mise  en  scène  était  dans  l'enfance  de 
l'art  et  où  ils  ne  s'en  souciaient  guère,  tandis  que  le  théâtre  de  Wagner 
est  du  théâtre  d'aujourd'hui,  avec  des  prétentions  à  une  mise  en  scène 
parfaite  et  à  une  recherche  pour  ainsi  dire  absolue  de  l'illusion  scé- 
nique.  Si  Shakespeare,  Eschyle  et  Sophocle  ne  sont  guère  jouables  au- 
jourd'hui, ce  n'est  pas  cela  qui  constitue  leur  génie  ;  ce  qui  doit  être 
admis  ou  excusé  chez  eux  ne  saurait  l'être  pour  des  motifs  semblables 
chez  Wagner.  Du  reste,  insister  là-dessus  serait  oiseux;  tout  le  monde 
est  unanime  sur  ce  point,  même  ceux  qui  feignent  de  ne  pas  vouloir 
l'être.  Et,  comme  je  le  disais  la  semaine  dernière,  cela  ne  diminue  en 
rien  les  mérites  du  musicien,  qui  sont  énormes  et  s'imposent  malgré 
tout. 

Ce  que  je  tiens  à  constater  aussi,  c'est  précisément  cette  accalmie  des 
esprits,  cet  accord  même  qui  s'est  établi,  —  les  résistances  vaincues  d'une 
part,  les  outrances  apaisées  de  l'autre.  Et  cela  c'est  tant  mieux,  surtout 
pour  la  cause  wagnérienne,  si  souvent  compromise  par  ses  propres  dis- 
ciples. Quel  dommage  que,  dans  le  livre  documentaire  de  M.  Evenepoel 
sur  II'  Wagnirisme  en  Belgique,  dont  je  vous  parlais  l'autre  jour,  ne  se 
trouve  pas,  à  côté  de  l'histoire  de  la  conversion  lente  des  esprits  au  nou- 
veau dogme  musical,  la  notation  de  quelques-uns  des  côtés  amusants  de 
cette  propagande  wagnérienne,  parfois  si  maladroite!  C'est  surtout  en 
Belgique  que  la  moisson  eût  été  grande.  A  combien  de  scènes  curieuses 
nous  avons  assisté,  depuis  le  jour  où,  tout  à  coup,  un  tas  de  braves  gens, 
absolument  ignares  dans  les  choses  de  la  musique,  se  sont  mis  à  se  pro- 
clamer les  plus  ardents  champions  d'un  système  dont  ils  ne  comprenaient 
certainement  pas  le  premier  mot!  Nous  avons  fait  maintes  fois  cette 
remarque  que  les  plus  acharnés  d'entre  les  wagnériens  ont  été  rarement 
des  musiciens.  Nous  nous  rappelons  encore  les  chaudes  soirées  des  repré- 
sentations allemandes  des  Niebelungen,  à  la  Monnaie,  en  1883.  Il  y  avait, 
dans  la  bande  des  admirateurs  à  tout  casser,  un  bataillon  de  peintres,  à 
qui  l'on  avait  dit  :  —  «  Il  faut  aller  voir  ça...  Quelle  couleur!  »  Et, 
partis  de  cette  idée  que  la  musique  des  Niebelungen  était  «  colorée  »,  ils 
débordaient  d'enthousiasme.  Leur  métier  de- peintres  ne  leur  en  faisait-il 
pas  un  devoir?  Gare  aux  bourgeois  assez  audacieux  pour  ne  pas  penser 
comme  eux!...  Un  de  ces  enflammés  prosélytes  poussait  le  délire  jusqu'au 
rafûnement,  ne  se  contentant  pas  de  passer  simplement  pour  un  admira- 
teur de  Wagner,  mais  voulant  aussi  passer  pour  un  connaisseur.  Et  il 
passait  pour  tel,  réellement.  Le  malheureiix  ne  savait  pas,  n'avaitjamais 
su  une  note  de  musique.  Mais  voici  comment  il  se  tirait  d'affaire  :  Il 
s'était  amusé,  avec  une  patience  d'ange,  à  noter,  sur  les  partitions  de 
Wagner  qu'il  possédait,  tous  les  leiimoliv  qui  caractérisent  les  person- 
nages et  leurs  sentiments,  au  moyen  de  traits  de  couleurs  différentes, 
faits  au  pinceau.  Il  y  avait  une  couleur  pour  chaque  personnage  et  pour 
chaque  sentiment.  Chaque  fois  que  le  leiimoliv  revenait,  il  le  reconnais- 
sait, non  pas  aux  notes  dont  il  se  compose,  mais  à  l'arrangement  matériel 
des  notes,  à  la  forme,  et  non  pas  au  son,  qu'il  n'aurait  pu  distinguer,  ■ — 
et  il  le  marquait.  Cela  demandait  un  œil  exercé;  le  sien  l'était  considé- 
rablement. Ses  partitions  avaient  fini  ainsi  par  présenter  l'aspect,  très 
joli,  très  original,  de  véritables  aquarelles!  Il  ne  songeait  pas  que,  s'il 
avait  été  musicien,  rien  ne  lui  eût  été  plus  facile  que  de  reconnaître  à 
première  vue  les  leiimolio  et  leurs  transformations,  et  qu'aucune  annota- 
tion n'était  nécessaire.  Mais  n'importe.  Ce  détail  ne  l'inquiétait  guère.  Il 
allait,  montrant  à  tout  le  monde  sa  musique  si   bien  peinte,    en   disant  : 

—  c(  Voilà  ce  que  devrait  faire  tout  bon  wagnérien  !  » 

Je  l'ai  retrouvé,  aux  dernières  répétitions  de  Siegfried,  et  à  la  «  pre- 
mière »,  une  partition  à  la  main,  —  une  de  ses  fameuses  partitions-aqua- 
relles, —  très  absorbé  et  très  fier. 

Le  premier  Concert-Populaire  de  la  saison  a  eu  lieu,  comme  je  vous 
l'avais  annoncé,  dimanche  après-midi,  dans  la  salle  de  la  Monnaie.  C'était 
en  même  temps  le  concert  jubilaire.  Le  succès  a  été  considérable.  On  a 
fêté  avec  enthousiasme  M.  Adolphe  Samuel,  le  fondateur  de  l'institution, 
et  M.  Joseph  Dupont,  qui,  après  une  absence  d'un  an,  causée  par  les 
incidents  personnels  que  vous  savez,  reparaissait  au  pupitre  du  chef  d'or- 
chestre. On  leur  a  fait  à  tous  deux  d'interminables  ovations,  bien  méri- 
tées du  reste,  —  par  M.  Samuel,  pour  sa  remarquable  symphonie  (n»  (5), 
exécutée  sous  sa  direction,  —  et  par  M.  Dupont,  pour  sa  merveilleuse 
interprétation  d'œuvres  diverses  de  Beethoven,  de  Wagner  et  de  Berlioz. 
La  symphonie  de  M.  .Samuel  est  d'une  superbe  facture,  à  la  fois  très  clas- 
sique et  très  neuve,  et  d'une  grande  élévation  d'idées.  Quant  à  M.Joseph 
Dupont,  il  se  devait  à  lui-même  d'avoir  la  coquetterie  de  remporter,  pour 
sa  réapparition,  une  victoire  plus  brillante  que  toutes  celles  qu'il  eût 
remportées  encore;  c'était  bien  naturel;  et  l'on  n'attendait  pas  moins  de 
son  talent.  Enfin,  n'oublions  pas  M.  Eugène  Ysaye,  qui  a  joué  à  ce  même 


concert,  —  admirablement,  —  un  concerto  pour  violon  de  Henri  Vieux- 
temps.  —  Le  soir,  un  banquet  a  réuni,  sous  la  présidence  de  M.  Gevaert, 
plus  de  cent  convives;  on  a  toasté  longuement  à  l'avenir  et  à  la  prospé- 
rité des  Concerts  populaires,  désormais  victorieux  de  tous  les  obstacles 
et  de  tous  les  jaloux. 

Lucien  Solvay. 


ACADEMIE     DES     BEAUX-ARTS 


RAPPORT  SUR  LES  ENVOIS  DE  MM.  LES  PENSIONNAIRES  DE  l'aCADÉMIE 

DE  FRANCE  A  ROME  EN  1890 

COMPOSITION   SIUSICALE 

M.  Savard  (If  année).  —  L'envoi  de  M.  Savard  roDsiste  dans  la  troisième  el 
dernière  partie  d'une  grande  symphonie  dont  les  deux  premières  ont  été  anté- 
rieurement présentées  à  l'Académie.  Les  détauis  déjà  signalés  dans  ces  deux 
premières  parties  se  retrouvent  malheureusement  dans  la  troisième. 

M.  Savard,  on  doit  le  reconnaître,  a  beaucoup  de  talent  ;  mais  l'Académie  ne 
peut  approuver  l'usage  qu'il  en  fait.  Elle  a,  au  contraire,  le  devoir  de  lui  signaler 
les  dangers  de  la  voie  dans  laquelle  il  s'est  engagé.  Sa  symphonie  est  un  résultat 
de  la  triste  influence  que  peuvent  avoir  sur  des  natures  bien  douées,  mais  sans 
expérience  encore,  les  idées  lépandues  par  des  gens  qui,  en  mHlière  musicale, 
prennent  pour  de  l'originalité  ce  qui  n'est  en  réalité  qu'une  banalité  prétentieuse. 
Ici,  l'orcbestralion,  s-i  savante  en  apparence,  est  lourde  et  monotone,  la  forme 
incohérente.  Des  modulations  volonlairemcnt  désagréables,  un  chaos  haimonique 
protendant  à  la  richesse,  voilà  tout  ce  qui  caractérise  cet  ouvrage.  Comme  l'auteur 
sait  très  bien  son  métier  et  qu'il  n'est  pas  dure  intelligence  ordinaire,  l'Académie 
espère  que,  instruit  par  l'expérience,  il  écrira  plus  taid  d'un  autre  slyle  et  qu'il 
recevra  de  l'avenir  d'utiles  conseils. 

M.  Chaiipentier  (3°  année).  —  M.  Charpentier  a  soumis  à  l'examen  de  l'Acadé- 
mie une  Symphonie  pittoresque  en  cinq  parties,  c'est-à-dire  une  suite  d'impressions 
de  voyage,  de  tableaux  détachés  :  A  la  fontaine,  A  mule,  Sur  les  cimes  etc.,  que 
relie  un  sentiment  persistant  de  mélancolie. 

Cet  envoi  est  des  plus  remarquables.  On  y  trouve  des  inspirations  vraiment 
poétiques,  de  l'originalilé  sans  bizarrerie,  de  l'babilelé  dans  la  facture  et  dans  le 
maniement  des  modulations,  une  ingéniosité  singulière,  excessive  peut-être  par 
moments,  dans  l'instrumentalion.  S'il  y  a  des  défauts  dans  l'œuvre  de  M.  Char- 
pentier, ils  sont  de  cens  qui  tiennent  à  la  jeunesse  et  qui,  en  raison  de  cela  même, 
ne  justifieraient  guère  ici  les  reprochis.  Il  convient  d'ajouter  quedanssaSi/mp/io- 
nie  pittoresi^ue  M.  Charj^cntitr  a  utili;é  plusieurs  ibèncs  populaires,  mais  que 
quand  ces  thèmes  manquent  de  distinction,  il  réussit  à  en  relever  les  formes  par 
des  perl'ectionncmenls  inattendus  et  par  des  finesses  de  haut  goût. 

M.  Eni.AiSGKn  [2'-  année).  —  Le  prologue  et  le  premier  acte  d'un  opéra  intitulé 
Elianc  forment  l'envoi  de  M.Erlanger.  C'est  là  un  travail  considérable,  qui  atteste 
de  la  part  do  l'auteur  des  efforts  dont  l'Académie  lui  sait  gré,  mais  qui,  à  cSté 
de  réels  mérites,  trahit  de  l'inexpérience  dans  le  maniement  des  voix  et  de  l'or- 
chestre, et  même  nue  cerlaire  insuffisance  de  l'instinct  seénique.  V.n  outre  son 
œuvre  est  souvent  alourdie  par  des  longueurs.  En  résume,  l'envoi  ilt  M.  Erlanger 
révèle  beaucoup  de  travail,  beaucoup  de  bonnes  intentions  et  un  tempérament 
d'artiste  qui  autorise  de  sérieuses  espérances.  Il  sera  nécest.-u  c  toutefois  que 
M.  Erlanger,  dans  ses  futurs  ouvrages,  s'applique  à  développer  ses  idées  mélo- 
diques et  qu'il  recherche  soigneusement  la  justesse  de  la  doc'amation. 

Pour  copie  certifiée  conforme: 

Le  feerélaire  perpétuel  de  IWcadèmij  dus  beaux-arts, 
Comte  Henri  Uli.acoiîde. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  s'ou- 
vrait par  la  symphonie  en  la  mineur  4e  Mendeissohn,  dont  le  premier 
morceau  est  bien  languissant,  dont  le  scherzo  est  ab.-olument  exquis,  et 
dont  l'allégro  final  est  gâté  par  l'introduction  de  ce  vulgaire  motif  populaire 
à  six-huit,  que  son  rythme  banal  aurait  dû  proscrire  d'une  œuvre  sympho- 
nique  sérieuse.  On  a  peine  à  comprendre  comment  Mendeissohn,  ce  mu- 
sicien dont  la  délicatesse  confinait  parfois  à  la  iiréciosité,  a  pu  se  rendre 
coupable  d'un  tel  méfait.  Apres  la  symphonie,  nous  avons  entendu  d'im- 
portants fragments  d'une  importante  composition  de  I  ouis  Lacombe,  Sapho, 
écrite  sur  l'élégie  de  Lamartine  (poésie  des  chœurs,  de  François  Barrillot). 
Ces  fragments  comprenaient:  Hymne  au  dieu  Pan;  Complainte  des  vierges  de 
Lesbos;  Chanson  du  Paire,  dite  par  M.  Warmbrodt;  le  leverdu  Soleil;  Finale.  Le 
final  surtout,  avec  sa  sonorité  très  ample,  son  accent  majestueux  et  sa 
conclusion  grandiose,  a  produit  un  heureu.x  effet.  M.  Jules  Delsart,  le 
maître  violoncelliste,  est  venu  exécuter  ensuite,  avec  son  talent  si  sobre 
et  si  pur,  le  concerto  de  violoncelle  de  M.  Saint-Saëns,  qui  n'est  certaine- 
ment pas  la  meilleure  œuvre  du  compositeur.  Dans  cette  production  un  peu 
pâle,  un  peu  incolore,  et  où  l'on  a  peine  à  retrouver  les  puissantes  qualités 
de  l'auteur,  se  trouve  pourtant  un  épisode  charmant,  une  sorte  d'intermezzo 
d'une  couleur  exquise  et  d'un  caractère  tout  à  fait  symphonique,  qui  pro- 
duit une  impression  délicieuse.  Le  succès  de  M.  Delsart  a  été  très  grand 
et  très  mérité.  Le  concert  se  terminait  par  le  beau  chœur  des  prisonniers 
de  Fidelio,  dont  le  plein  effet  ne  peut  vraiment  sortir  qu'à  la  scène,  au 
milieu  de  la  situation  dramatique  dont  il  est  un  des  éléments  les  plus 
puissants,  et  par  le  Carnaval  de  M.  Ernest  Guiraud,  véritable  chef-d'œuvre 
de  sonorité,  d'éclat  instrumental,  et,  si  l'on  peut  dire,  de  gaité  et  de  bonne 
humeur  sympboniques.  A.  P. 


30 


LE  MENESTREL 


—  Concerts  du  Chàtelet.  —  On  ne  saurait  refuser  à  M.  E.  Colonne  l'art  de 
composer  ses  programmes.  Comme  ils  ne  répondent  jamais  à  un  parti  pris 
d'école,  ils  sont  variés,  intéressants,  jamais  ennuyeux  et  attirent  un  nom- 
breux public,  celui  qui  ne  croit  pas  faire  étalage  de  scjence  et  de  distinc- 
tion en  n'applaudissant  que  certaines  œuvres  plus  ou  moins  contestables. 
Nous  avons  applaudi  tour  à  tour  la  belle  ouverture  du  Roi  d'Ys,  de  M.  Lalo, 
qui,  avec  M.  Saint-Saêns,  tient  la  tête  de  nos  modernes  symphonistes, 
et  la  symphonie  en /a  de  Beethoven;  ce  n'est  pas  une  des  plus  grandes; 
mais  elle  fourmille  d'effets  ingénieux,  de  combinaisons  délicates,  et  elle 
est  très  difïlcile  à  bien  dire.  Les  trois  pièces  d'orchestre  de  i\I.  Th.  Dubois  sont 
fort  jolies,  très  courtes  et  très  spirituellement  écrites.  Les  fragmeuts  des 
Maîtres  chantevrs  de  Wagner  que  nous  a  donnés  l'orchestre  de  M.  Colonne 
sont,  bien  certainement,  ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  la  partition,  ils  ont, 
malgré  cela,  paru  un  peu  longs.  Grand  succès  pour  le  prélude  du  Déluge,  de 
M.  Saint-Saëns,  qui  a  été  exécuté  dans  la  perfection.  C'est  bien  là  une  page 
de  premier  ordre.  M.  Pennequin  a  été  très  applaudi  dans  le  solo  de  violon. 
La  Marche  troyenne  de  Berlioz  est  fort  belle,  mais  elle  ne  produit  pas 
l'effet  de  maintes  autres  pièces  similaires  du  grand  compositeur  français.  — 
Venons  aux  solistes.  Dans  deux  compositions  de  genres  bien  différents, 
M.  Auguez,  qui  remplaçait,  presque  au  pied  levé,  M.  Boudouresque,   a 

obtenu  un  très  grand  et  très  légitime  succès.  L'air  de  Caron,  tiré  de  YAlceste 
de  Lully,  dont  il  ne  restait  comme  accompagnement  que  la  basse  chiffrée, 
a  été,  au  point  de  vue  de  l'orchestration,  reconstitué  par  M.  "Weckerlin. 
En  tenant  compte  de  l'époque  où  ce  morceau  a  été  écrit,  du  style  alors 
accepté,  on  ne  saurait  lui  refuser  un  caractère  fort  noble  et  presque  drama- 
tique. M.  Auguez  l'a  remarquablement  fait  valoir.  Mais  il  a  eu  un  succès 
bien  plus  considérable  dans  les  Deux  Grenadiers  de  Schumann,  pièce  pleine 
de  soulïle  et  de  passion,  qu'il  a  dite  d'une  façon  excellente.  M.  Guiraud 
avait  orchestré  l'accompagnement  de  piano  avec  le  talent  qu'on  lui  connaît 
pour  ce  genre  d'adaptation;  le  public  des  concerts  Colonne  sait  combien  il 
avait  merveilleusement  transcrit  pour  orchestre  la  Chanson  de  printemps  et  ta 
Fileuse  de  Mendelssohn.  —  M""»  Roger-Miclos  a  exécuté  avec  une  rare  vir- 
tuosité la  Fantaisie  hongroise  si  connue  de  Liszt,  drôle  de  musique,  mélange 
de  grandeur  et  de  trivialité,  mais  que  la  merveilleuse  exécution  de 
Mme  Roger-Miclos  a  su  rendre  agréable.  H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  re  mineur  de  Schumann  a 
été  composée  pièce  à  pièce,  pendant  les  années  où  le  compositeur  subis- 
sait les  atteintes  de  plus  en  plus  violentes  de  la  maladie  nerveuse  qui 
nécessita  sa  retraite  dans  une  maison  de  santé,  aux  environs  de  Bonn,  où 
il  mourut  en  1856.  La  symphonie,  qui  fut  achevée  en  1851,  est  d'un  senti- 
ment triste  et  concentré,  malgré  des  efforts  visibles  pour  atténuer  la  persis- 
tance de  cette  impression.  Chaque  morceau,  excepté  la  romance,  dont  le 
caractère  élégiaque  ne  se  dément  pas,  renferme  des  motifs  d'une  allure 
passablement  brillante  et  robuste  suivis  de  contre-motifs  empreints  d'une 
mélancolie  maladive  et  pénétrante.  Comme  sonorité,  l'œuvre  est  sobre  et 
peu  brillante,  plutôt  sombre,  mais,  étant  de  dimensions  restreintes,  elle 
ne  paraît  pas  monotone  et  tient  l'attention  toujours  en  éveil  par  le  charme 
des  développements  et  la  beauté  des  thèmes.  —  La  Forêt  enchantée,  légende- 
symphonie  d'après  une  ballade  de  Uhland,  par  M.  Vincent  d'Indy,  est  une 
œuvre  écrite  depuis  déjà  quelques  années.  Elle  rentre  dans  la  catégorie 
des  compositions  descriptives  avec  programme  non  obligé.  Considéré  au 
point  de  vue  purement  musical,  l'ouvrage  est  suffisamment  mélodique,  les 
idées  sont  nobles  et  distinguées,  l'orchestration  ravissante,  fine,  colorée  et 
presque  toujours  discrète.  Comme  facture,  la  seconde  partie  de  l'œuvre 
satisfait  pleinement;  on  en  suit  avec  facilité  les  motifs  et  leurs  dévelop- 
pements; c'est  clair,  plein  de  lumière  et  de  charmantes  voix  instrumen- 
tales. Le  début  semble  destiné  à  poser  le  cadre  du  tableau  et  se  compose 
d'appels  d'instruments  dont  les  timbres  se  mélangent  d'une  façon  souvent 
intéressante.  —  La  Danse  macabre  de  M.  Saint-Saêns  a  produit  son  effet 
accoutumé.  L'EsjmTia  de  M.  Em.  Chabrier,  toute  pleine  de  verve  et  de  jeu- 
nesse, a  été  fort  bien  enlevée  et  très  applaudie.  L'orchestre  a,  en  outre, 
exécuté  supérieurement  l'ouverture  de  Ruy  Blasde  Mendelssohn,  la  marche 
funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux  et  l'introduction  du  3°  acte  de  Lohengrin. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  Même  programme  que  dimanche  dernier. 

Concert  Colonne  :  Symphonie  en  si  bémol  (Schumann);  le  Réveil  de  Ga- 
lathée,  (G.  Pierné)  par  M"°  Marcella  Pregi;  la  Vision  de  Jeanne  d'Arc  (Paul 
Vidal):  Concerto  pour  violon  (Wieniawski),  par  M"=  Juliette  Dantin;  Syl- 
via  (Léo  Delibes);  Haï  Luli  (A.  Goquard),  par  M"»  Marcella  Pregi;  les 
Maîtres  chanteurs  (R.  Wagner);  Marche  troyenne  (H.  Berlioz). 

Concert  Lamoureux  :  Ouverture  de  Brocéliande  (Lucien  Lambert);  Sym- 
phonie en  ré  mineur  (Schumann);  la  Captive  (Berlioz),  par  M""  Landi;  la 
Forêt  enchantée  (Vincent  d'Indy);  Ouverture  du  Vaisseau  fantôme  (Wagner); 
Rêoei-ie  (Saint-Saëns),  par  M"»  Landi;  Sylvia  (Léo  Delibes);  Espaïia  (E.  Cha- 
brier). 

—  La  Société  de  musique  française,  fondée  par  M.  Edouard  Nadaud,  a 
donné  mardi  dernier,  ialle  Pbîyel,  sa  première  séance,  avec  le  concours 
de  M°'»  Roger-Miclos,  de  M.  Théodore  Dubois  et  de  MM.  Gros  Saint-Ange, 
Laforge,  G  ibier.  Teste  et  de  Bailly.  Un  quatuor  de  M.  A.  Rabuteau  et  le 
trio,  op.  30,  de  M.  René  Lenormand,  ont  paru  d'un  bon  style,  bien  mélo- 
diques, et  d'une  facture  claire  et  concise.  Le  septuor  de  M.  Saint-Saêns 
a    été   supérieurement  rendu   et  largement  applaudi.  Quant  aux   pièces 


concertantes  de  M.  Théodore  Dubois,  ce  sont  de  petits  morceaux  d'un 
caractère  tout  intime  et  d'une  facture  exquise,  qui  ont  laissé  la  plus 
délicieuse  impression.  Parmi  les  interprètes,  nous  devons  citer  avec 
M.  Théodore  Dubois  et  M.  E.  Nadaud,  M™"  Roger-Miclos,  qui  s'est  mon- 
trée aussi  excellente  musicienne  que  pianiste  possédant  à  fond  le  méca- 
nisme etl'artde  varier  à  l'infini  les  sonorités.  Am.  B. 

—  LA  HOLLANDE  MUSICALE  A  PARIS.  —  Ce  n'était  Certes  pas  un  concert  vul- 
gaire que  celui  auquel  nous  avons  assisté  le  samedi  17  de  ce  mois  de 
janvier,  dans  les  salons  de  la  maison  Pleyel  ouverts  à  toutes  les  harmo- 
nies des  nouvelles  couches  musicales  de  Hollande. 

Le  «  concert  néerlandais  »  organisé  par  notre  confrère  et  ami  Oscar 
Comettant,  au  bénéfice  de  l'Association  des  artistes  musiciens  de  France 
et  de  la  Société  de  bienfaisance  hollandaise  à  Paris,  était  une  curiosité 
artistique  des  plus  attrayantes.  Musique  et  exécutants,  tout  était  hollan- 
dais et  tout  a  été  très  apprécié  et  très  applaudi. 

Si  la  musique  moderne  hollandaise  n'est  pas  empreinte  d'un  caractère 
essentiellement  original,  le  royaume  des  Pays-Bas  compte  cependant, 
parmi  ses  compositeurs  vivants,  des  musiciens  de  grand  talent  et  quel- 
ques personnalités  bien  tranchées.  On  est  toujours  de  son  pays,  en  musi- 
que, comme  en  littérature  et  comme  en  peinture,  et  je  relève  ce  passage 
dans  le  dernier  feuilleton  de  Lapommeraye  qui,  rendant  compte  du  con- 
cert qui  nous  occupe  dit  fort  justement:  «  Je  ne  trouve  pas  juste  la  for- 
mule :  l'art  n'a  pas  de  patrie.  Cette  formule  n'est  pas  toujours  bien  ap- 
pliquée socialement  parlant,  elle  l'est  encore  plus  mal  sous  le  rapport 
artistique.  En  effet,  il  me  semble  que  la  musique,  comme  tous  les  autres 
produits  de  l'esprit  humain,  a  bien  une  patrie,  qui  est  celle  des  composi- 
teurs qui  la  produisent.  Pour  que  l'on  put  dire  que  l'art  n'a  pas  de  patrie, 
il  faudrait  que  les  hommes  fussent  de  même  race,  qu'ils  sentissent  de  la 
même  façon,  avec  des  mœurs  et  des  usages  semblables.  »  Cela  est  évident: 
et  il  serait  bien  regrettable  qu'il  en  fût  autrement,  que  tous  les  artistes 
de  tous  les  pays  ayant  le  même  sentiment  du  beau,  la  même  esthétique, 
le  même  genre  d'imagination,  la  même  éducation  et  les  mêmes  besoins 
moraux  à  satisfaire,  il  n'y  eût  plus  au  monde  qu'un  seul  genre  de  litté- 
rature, d'architecture,  de  peinture,  de  sculpture  et  de  musique. 

En  fait,  la  musique  de  chaque  pays  porte  encore,  et  fort  heureusement, 
l'empreinte  du  génie  de  la  nation  qui  la  produit.  Si,  par  exemple,  trop 
de  jeunes  Français  se  font,  à  cette  heure,  les  servîtes  imitateurs  des  pro- 
cédés de  composition  de  la  nouvelle  école  allemande,  le  génie  musical  de 
la  France  ne  s'en  trouve  pas  atteint.  Ces  imitateurs  d'un  art  étranger,  si 
souvent  contraire  à  l'esprit  français,  ne  peuvent  avoir,  par  bonheur,  aucune 
influence  sur  les  destinées  de  notre  musique  nationale.  Le  goût  dans  les 
arts  se  forme  et  se  maintient  par  les  hommes  de  génie,  c'est-à-dire  par  les 
créateurs,  jamais  par  les  imitateurs  si  habiles,  techniciens  qu'ils  puissent 
être.  Et  puisqu'il  est  certain  que  la  musique  de  chaque  peuple  n'est  pas 
celle  de  tous  les  peuples,  le  concert  néerlandais  était  tout  plein  de  pro- 
messes qu'il  a  tenues. 

La  plupart  des  noms  de  compositeurs  qui  figuraient  sur  le  programmé 
sont  encore  absolument  inconnus  du  public  parisien.  Si,  dans  de  rares 
circonstances,  nous  avons  vu  figurer  sur  nos  programmes  de  concert  les 
noms  de  Nicolai,  de  Verhulst,  de  Richard  Hol,  de  de  Hartog,  de  Franz 
Coenen,  de  Rosen,  de  Van  Gœns  et  de  Louis  Coenen,  vit-on  jamais  ceux 
de  Marins  et  Willem  Brandts  Buys,  de  de  Lange,  de  Kes,  de  Verbey,  de 
Van  Groningen,  de  Bouman,  de  Heyden,  de  VanBrucken  Fock,  de  Tibbe, 
de  Martinus  Sieveking? 

L'analyse  des  morceaux  exécutés  —  musique  instrumentale  et  vocale  — 
nous  conduirait  trop  loin.  Disons  que  l'impression  d'ensemble  du  concert 
a  été  très  favorable  aux  compositeurs  néerlandais  et  à  leurs  interprètes. 
Ceux-ci  étaient  au  nombre  de  quatorze,  cinq  violonistes  :  MM.  Johannès 
Wolff,  Kosman,  Ten  Brink,  Herzberg  et  M"^  Freddy  Yrrac;  deux  violon- 
cellistes :  MM.  Hollman  et  Van  Goens  ;  cinq  pianistes:  MM.  Louis 
Coenen,  Van  Groningen,  Martinus  Sieveking,  Blitz  et  Salmon  ;  enfin  deux 
chanteurs  :  M™^  Lydia  HoUm  et  M.  Bruske.  Il  faut  ajouter  la  Société  de 
musique  de  chant  d'ensemble  «  l'Union  néerlandaise.  » 

Il  y  a  eu  des  applaudissements  bien  mérités  pour  tous,  notammeni 
pour  le  violoncelliste  Hollman,  qui  a  fait  entendre  son  troisième  concerto 
encore  inédit,  et  pour  le  violoniste  Johannès  Wolff,  qui,  avec  sa  Habanera, 
a  eu  les  honneurs  du  bis  malgré  la  longueur  du  programme.  Le  tout  s'est 
terminé  par  l'hymne  national  hollandais  chanté  à  l'unisson.  A.  K. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Les  représentations  des  Troyens  continuent,  à  Carlsruhe,  avec  un 
succès  considérable.  La  Prise  de  Troie  et  les  Troyens  à  Carthage  sont  donnés 
en  deux  soirées,  à  un  jour  d'intervalle,  et  sans  la  moindre  coupure.  Il 
n'est  pas  inutile  de  signaler  ce  respect  des  Allemands  pour  nos  chefs- 
d'œuvre,  au  moment  où  l'on  prépare,  à  Nice,  cette  étrange  combinaison 
de  la  Prise  de  Troie  avec  une  partie  des  Troyens  à  Carthage!...  Les  repré- 
sentations de  Carlsruhe  n'ont,  certes,  rien  de  commun  avec  cette  fantaisie 
de  casino.  Un  de  nos  collaborateurs,  qui,  dernièrement,  assistait  à  la 
troisième,  est  revenu  émerveillé  et  de  la  grandeur  de  l'œuvre  et  de  l'in- 


LE  MENESTREL 


31 


telligence  qui  préside  à  son  exécution.  L'orchestre,  nous  dit-il,  est  admi- 
rable de  tous  points,  les  chœurs  sont  bien  disciplinés,  et  deux  cantatrices 
viennoises  extrêmement  remarquables,  M^^es  Reuss  et  Mailhac,  tiennent 
les  deux  rôles  dominants  de  Gassandre  et  de  Didon.  M™"  Reuss,  surtout, 
dans  celui  de  Gassandre,  est  extraordinaire  d'élan  et  de  passion  fougueuse. 
Mais  l'âme  de  tout  cela,  celui  qui  communique  à  tous,  depuis  les  mer- 
veilleuxinstrumentistes  jusqu'aux  plus  modestes  comparses,  l'enthousiasm  e 
de  l'œuvre  et  le  sens  intime  de  la  musique  de  Berlioz,  c'est  le  directeur 
même  du  Théâtre  grand-ducal.  M..  Félix  Mottl,  un  grand  artiste  (viennois 
lui  aussi)  qui,  très  jeune  encore,  n'en  est  pas  moins  l'un  des  premiers 
chefs  d'orchestre  de  l'Allemagne.  M.  Mottl  a  dirigé,  à  Bayreuth,  les 
représentations  de  Tristan  et  Yseult  et,  parait-il,  d'une  façon  supérieure. 
Mais  sa  passion  pour  Wagner  n'a  rien  de  commun  avec  l'étroite  mono- 
manie  des  wagnériens  de  Paris,  car  il  a  en  même  temps,  pour  notre  Ber- 
lioz, une  admiration  sans  limites.  Il  y  a  plusieurs  années  déjà  qu'il  a 
mis  au  répertoire  du  théâtre  de  Garlsruhe  Benvenuto  Cellini  et  Béatrice  et 
Bénédict.  Il  prépare  maintenant,  pour  le  printemps  prochain,  une  grande 
solennité,  la  Semaine  de  Berlioz,  où  il  fera  entendre,  dans  un  espace  de 
cinq  soirées,  les  quatre  opéras  du  maître.  Gette  fête  française  eu  Alle- 
magne a,  nous  semble-t-il,  quelque  chose  d'aussi  touchant  qu'inattendu. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'AUemagne.  Garlsruhe  :  Une  décision  de  l'in- 
tendance du  théâtre  de  la  Gour  vient  de  rendre  inamovible  le  siège  du  chef 
d'orchestre,  Félix  Mottl,  en  reconnaissance  des  services  rendus  par  le 
célèbre  Kapellmsister.  —  Dresde  :  La  place  de  premier  fort,  ténor  laissée 
vacante  au  théâtre  de  la  Cour  par  suite  du  départ  de  M.  Gudehus,  vient  de 
recevoir  un  titulaire.  Deux  ténors  s'étaient  présentés  pour  recueillir  ce 
lourd  héritage  :  M.  Léo  Gritzinger,  de  Hambourg,  et  le  docteur  Seidel,  de 
Cologne.  Chacun  d'eux  avait  passé  une  audition  également  favorable 
devant  le  public  et  la  presse.  Pourtant,  le  choix  de  la  direction  s'est  porté 
sur  M.  Gritzinger,  qui  a  sur  son  concurrent  l'avantage  de  posséder  à  fond 
le  répertoire  wagnérien.  Il  a  été  engagé  pour  trois  ans.  —  Hambourg  :  La 
concession  du  théâtre  municipal  vient  d'être  renouvelée  pour  trois  ans  à 
M.  PoUini.  —  Stuttgart  :  Un  avis  placardé  aux  portes  du  théâtre  de  la 
Cour  défend,  sous  peine  d'expulsion,  les  sifflets  et  en  général  toutes  ma- 
nifestations hostiles.  —  Vienne  :  A  l'Opéra,  on  annonce  comme  prochaines 
les  reprises  du  Tribut  de  Zamora  de  Gounod,  avec  M""'  Materna,  et  du 
Néron  de  Rubinstein,  avec  M'"'  Beeth  et  M.  Winkelmann  dans  les  rôles 
principaux. 

—  Depuis  le  iS  décembre  dernier  il  se  publie  à  Buda-Pesth,  sous  la" 
direction  de  M.  Eugène  Sztojanovits,  un  nouveau  journal  de  musique  en 
langue  hongroise,  qui  pour  titre  Zenrvilag. 

—  Nouvelles  de  Londres  : 

Après  diverses  remises,  la  date  de  la  première  représentation  du  nouvel 
opéra  de  sir  Arthur  Sullivan,  Ivanhoé,  est  main-  tenant  fixée  au  31  janvier  , 
poui;  l'inauguration  du  magnifiue  théâtre  construit  par  M.  d'Oyly  Carte 
et  baptisé  Opéra  national  anglais.  On  sait  qu'avant  de  chercher  des  succès 
faciles  dans  le  domaine  de  l'opérette,  sir  Arthur  Sullivan  avait  produit 
toute  une  série  d'œuvres  très  distinguées  embrassant  tous  les  genres  de  la 
musique  symphonique  et  chorale.  Son  premier  opéra  sérieux  est  donc 
attendu  avec  un  vif  intérêt. 

Il  paraît  que  le  projet  d'une  tournée  de  l'orchestre  Lamoureux  en 
Angleterre,  annoncé  il  y  a  quelque  temps,  est  abandonné.  M.  Schurman 
est  venu  lui-même  à  Londres  pour  tàter  le  terrain  et  s'occuper  au  besoin 
de  la  location  d'une  salle  de  concert.  Pour  diminuer  les  frais,  il  aurait 
voulu  donner  six  concerts  à  Londres  dans  une  seule  semaine,  en  pleine 
saison  et  au  milieu  d'attractions  multiples.  C'était  aller  au-devant  d'un 
désastre  certain.  Déjà  cet  hiver,  en  pleine  disette  musicale,  les  deux  seules 
entreprises  orchestrales  de  la  capitale  ont  failli  sombrer.  Sir  Charles 
Halle  et  sa  superbe  phalange  ont  dû  réduire  le  nombre  de  leurs  séances 
de  six  à  quatre.  Quant  à  M.  Henschell,  ce  n'est  qu'après  un  appel  suprême 
au  public  accompagné  d'une  réduction  de  prix  qu'il  s'est  décidé  à  pour- 
suivre ses  concerts.  Le  succès  de  concerts  symphoniques  à  Londres  est 
avant  tout  une  question  de  saison,  de  mode  et  de  personnes.  En  présence 
des  dispositions  actuelles  du  public  et  de  la  malveillance  de  la  presse 
pour  tout  ce  qui  est  musique  française  —  en  suite  des  agissements  de  la 
Société  d'auteurs  dont  M.  Souchon  est  l'agent  trop  bouillant  — il  est  préfé- 
rable que  M.  Lamoureux  et  ses  excellents  musiciens  ne  s'exposent  pas  à 
une  aventure  dont  j'avais  dès  l'origine  signalé  les  dangers. 

On  avait  attribué  à  M.  Harris,  devenu  locataire  de  la  salle  de  Govent- 
Garden  pour  toute  l'année,  l'intention  de  faire  précéder  sa  grande  saison 
d'opéra  italien  d'une  courte  saison  de  printemps  à  des  prix  populaires.  Ce 
projet  a  été  abandonné,  mais  la  saison  régulière  commencera  un  mois 
plus  tôt,  en  avril,  et  durera  près  de  quatre  mois. 

Puisque  les  journaux  parisiens  s'occupent  beaucoup  du  Capitaine  Thérèse, 
il  convient  de  rappeler  que  la  version  anglaise  de  cette  opérette  fut  jouée, 
il  y  a  quelques  mois,  au  Prince  of  Wales  Théâtre  et  n'obtint  qu'un  succès 
d'estime,  bien  que  la  musique  de  M.  Planquette  fut  jusqu'alors  très  goûtée 
à  Londres.  A.  G.  N. 

—  Le  Daily  News  annonce  que  M.  Harris  prépare  un  bal  masqué  au 
théâtre  de  Govent-Garden  pour  le  mercredi  28  courant.  Il  serait  (£uestion 
de  M.  Waldteufel  pour  le  diriger.  Voilà  une  nouvelle  vraiment  faite  pour 
surprendre  tous  ceux  qui  sont  au  courant  des  habitudes  anglaises. 


—  Mme  Albani-Gye,  que  Paris  a  applaudie  naguère  comme  cantatrice, 
vient  de  se  révéler  comme  écrivain  :  elle  publie  dans  une  revue  anglaise, 
Ladies  Home  Journal,  des  souvenirs  sur  la  reine  Victoria,  et  elle  découvre 
la  musicienne  dans  l'impératrice  des  Indes.  La  reine  Victoria  a  appris  la 
musique  avec  Mendelssobn  et  le  chant  avec  Lablache;  elle  goûte  fort  l'art 
italien,  mais  elle  n'en  a  pas  moins  l'esprit  ouvert  à  toutes  les  manifes- 
tations de  la  musique  moderne. 

—  On  annonce  pour  les  premiers  jours  du  mois  de  février,  au  théâtre  du 
Prince  de  Galles,  à  Londres,  la  première  représentation  d'un  opéra-comi- 
que en  3  actes  qui  s'intitule  Robin  Hood  et  dont  le  compositeur  est  M.  Regi- 
nald  de  Koven,  de  Chicago. 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  «  Savez-vous  ce  que  le  gouvernement  ita- 
lien dépense  pour  l'art  musical"?  969,859  livres  et  83  centimesl  Cela  se 
subdivise  ainsi  :  institutions  d'instruction  musicale,  348,307  fr.  6S  c.  ; 
compensations  au  personnel  enseignant,  administratif  et  suppléant, 
17,400  francs  ;  délégations  pour  institutions  et  ofEce  du  diapason  uni- 
forme (!)  Ii6,300  francs  ;  académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  41,290  francs  ; 
pensions  d'encouragement  à  quatre  élèves  de  l'Institut  musical  de  Flo- 
rence et  subsides  à  ses  élèves  et  artistes  musiciens,  7,162  francs  (sans 
centimes  !).  » 

—  La  discorde  est  au  sein...  du  Comité  musical  de  l'Exposition  natio- 
nale de  Palerme.Nous  avons  annoncé  qu'on  avait  chargé  le  jeune  maestro 
Pietro  Mascagni,  l'auteur  de  Cavalleria  rusticana,  d'écrire  la  musique  de 
l'hymne  inaugural  de  l'Exposition.  Mais  voici  que  la  majorité  du  comité, 
qu'on  avait  sans  doute  négligé  de  consulter,  se  prononce  contre  cette  dé- 
cision, et  voudrait  que  ce  soin  fût  confié  au  compositeur  Platania,  qui  est 
Sicilien.  De  là  une  crise  très  grave  et  dont  l'esprit  se  refuse  à  envisager 
les  conséquences. 

—  On  ne  cesse  d'ailleurs,  en  Italie,  de  s'entretenir  du  jeune  composi- 
teur qui  est  toujours  le  lion  du  jour.  Voici  le  dernier  détail  que  nous 
donne  à  son  sujet  l'un  de  nos  confrères  de  ce  pays  :  —  «  On  dit 
que  l'éditeur  Edoardo  Sonzogno  a  fait  offrir  au  maestro  Mascagui 
130,000  francs  pour  la  cession  complète  de  la  Cavalleria  rusticana.  On  ne  sait 
encore  si  Mascagni  a  accepté;  mais  jusqu'à  présent  on  peut  dire  que  ce 
serait  un  nigaud  de  refuser  une  si  belle  offre  !  130  et  50  qu'il  a  déjà  ga- 
gnés avec  le  tant  pour  cent  sur  les  représentations  données  jusqu'à  ce 
jour  font  200,000  francs,  ce  qui  n'est  pas  peu  de  chose.  Combien  de  temps 
a  dû  mettre  Verdi,  combien  d'opéras  a-t-il  dû  écrire,  que  de  fatigues  et 
de  douleurs,  avant  de  pouvoir  gagner  200,000  francs  !  »  Le  fait  est  que 
200,000  francs  pour  un  simple  opéra  en  un  acte  constituent  une  assez  jolie 
récompense  du  travail  accompli  et  du  talent  déployé.  C'est  bien  le  cas  de 
dire  qu'il  y  a  des  êtres  qui  entrent  dans  la  vie  par  une  porte  dorée  ! 

—  A  Rome,  où,  dit  le  Trovatore,  «  on  fabrique  les  opérettes  à  la  vapeur,  » 
on  vient  de  représenter  au  théâtre  Rossini  un  nouvel  ouvrage  de  ce  ^^enre 
en  dialecte  romanesque.  Titre  :  l'Amore  pe'  H  tetti  ;  auteur,  le  maestro 
Zucconi. 

—  Une  pianiste  australienne,  M""^  Fiorenza  Menck-Meyer,  se  prépare  à 
donner  à  Rome  plusieurs  concerts,  et  fait  annoncer  à  cette  occasion 
qu'elle  est  l'auteur  du  poème  et  de  la  musique  d'un  opéra  intitulé  Victo- 
rine,  qui  doit  être  joué  prochainement.  Nous  pensons  que  M™°  Menck- 
Meyer  se  flatte,  à  moins  que  ce  ne  soit  là  de  sa  part  une  petite  réclame 
bien  sentie,  comme  on  en  use  peut-être  à  Melbourne. 

—  Un  fait  assez  fâcheux  se  produit  en  ce  moment  à  Saint-Pétersbourg. 
Il  paraît  que  la  plupart  des  artistes  des  théâtres  de  cette  ville  sont  atteints 
d'une  sorte  d'épidémie  ophtalmique.  On  considère  que  ce  fait  est  dû  à  la 
crudité  et  à  l'excès  de  la  lumière  dégagée  par  les  lampes  électriques. 

—  Les  journaux  de  Saint-Pétersbourg  annoncent  comme  prochain  l'exé- 
cution d'une  nouvelle  œuvre  de  Pierre  Tschaïkowsky.  Il  s'agit  d'une  ouver- 
ture et  d'entr'actes  écrits  par  le  compositeur  pour  l'Hamlet  de  Shakespeare. 

—  Voiciqu'après  MM.  Paul  Carrer  et  Spiro  Samara.  on  annonce  la  venue 
d'un  troisième  compositeur  dramatique  de  nationalité  grecque.  Celui-ci 
se  nomme  Georgis,  et  l'on  assure  qu'il  a  remis  à  la  direction  de  l'Opéra 
russe  de  Saint-Péterbourg  la  partition  de  son  premier  opéra,  l'Impératrice 
des  Balkans,  qui  sera  représenté  sous  peu  à  ce  théâtre,  en  présence  du 
czar  et  du  prince  de  Monténégro.  Le  livret  de  cet  opéra  est  tiré,  paraît-il 
d'un  ouvrage  littéraire  du  prince,  écrit  sous  le  même   titre. 

—  S'il  faut  en  croire  des  nouvelles  de  New- York,  le  célèbre  chef  d'or- 
chestre Théodore  Thomas,  si  fameux  dans  toute  l'Amérique  et  qui  depuis 
de  longues  années  dirige,  avec  un  talent  tout  à  fait  supérieur,  l'orchestre 
le  plus  important  de  la  ville,  songerait  à  quitter  celle-ci  pour  aller  émi- 
grer  à  Chicago,  où  ou  lui  fait  des  offres  extrêmement  brillantes.  Ce  serait 
là  une  grosse  perte  pour  New- York  et  pour  son  mouvement  artistique. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

Nous  avons  aujourd'hui  de  bonnes  nouvelles  à  donner  de  la  santé 
de  M.  Ambroise  Thomas,  dont  on  s'est  un  peu  inquiété  ces  jours  derniers. 
L'excellent  directeur  du  Conservatoire,  sortant  d'un  des  examens  de  rëcole 
un  des  jours  de  la  semaine  dernière  et  voulant  traverser  le  boulevard , 
s'était  trouvé  pris  dans  un  embarras  de  voitures  et  avait  reçu,  sur  la 
cheville,  un  coup  de  pied  de  cheval..  Il  rentra  chez  lui  et,  sans  trop  faire 
attention  d'abord  à  cet  accident,  voulut  dès  le   lendemain,    continue  r  ses 


32 


LE  MÉNESTREL 


occupations  ordinaires.  Resseulant  cependant  au  pied  atteint  une  douleur 
de  plus  en  plus  vive,  force  lui  fut  de  faire  appeler  un  médecin,  qui  pres- 
crivit le  traitement  à  suivre  et  ordonna  surtout  un  repos  absolu.  M.  Am- 
hroise  Thomas,  qui  n'était  nullement  malade,  dut  donc  prendre  le  lit 
pour  obéir  à  la  faculté.  Il  est  aujourd'hui  beaucoup  mieux,  et  l'on  est 
certain  que  l'accident  n'aura  aucunes  suites  fâcheuses. 

—  Un  groupe  des  plus  importants  compositeurs  russes  a  adressé  à 
M.  Ambroise  Thomas  la  dépêche  suivante  : 

Paris  de  Pétersbourg,  19  janvier. 
Ambroise  Thomas,  Conservatoire,  Paris. - 
Veuillez  être  l'interprète  de  nos  condoléances  à  cause  de  la  perte  djuloureuse 
qui  vient  de  frapper  l'art  fiançais  dans  la  personne  de  Léo  Delibes. 

Cul,    RiaSKÏ-KORSAKOW, 

Glazounow,  Liadow,  LAvaoFF,  Beleff. 
M.  Ambroise  Thomas  a  répondu  en  ces  termes  : 

Gui,  compositeur,  Saint-Pétersbourg. 
Touché  de  la  délicate  expression  de  sympathie  des  maîtres  russes  pour  notre 
cher  Delibes,  les  remercie  cordialement. 

Ambroise  Thomas. 
19  janvier  1891. 

■ —  On  lit  dans  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  Tous  les  jour- 
naux ont  parlé  de  la  mort  de  ce  pauvre  Delibes.  Il  était  très  aimé  à  Vienne, 
et  l'on  peut  dire  que  dès  son  premier  ouvrage  (le  Roi  l'a  dit,  représenté  à 
rOpéra-Gomique,  plus  tard  Ringthéàtre)  il  avait  gagné  la  popularité.  Avec 
Jean  de  Nivelle,  il  passa  au  Grand-Opéra,  où  l'on  jouait  également  et  joue 
encore  tous  ses  ballets,  Coppélia,  Sylvia,  ta  Source.  En  somme,  depuis  1S81, 
le  nom  de  Delibes  s'est  trouvé  lo3  fois  sur  les  affiches  du  Grand-Opéra 
de  la  cour.  » 

—  Il  y  a  quelques  mois  déjà  que  notre  collaborateur  Arthur  Pougin 
rappelait,  dans  ce  journal  et  dans  plusieurs  autres,  que  l'anniversaire- 
centenaire  de  la  naissance  d'Iïerold  tombait  le  28  janvier  1891,  et  expri- 
mait le  désir  de  voirl'Opéra-Gomique  célébrer  dignement,  par  une  solennité 
vraiment  artistique,  une  date  si  intéressante  dans  l'histoire  de  la  musique 
française  et  si  glorieuse  pour  un  de  nos  plus  grands  musiciens.  L'idée 
mise  en  avant  par  notre  ami  fut  vivement  soutenue  dans  la  presse,  et 
notamment  par  M.  Alphonse  Duvernoy  dans  la  Republique  française  et  par 
M.  Albert  Soubies  dans  le  Soir.  M.  Danbé,  de  son  côté,  en  parla  chaleu- 
reusement à  M.  Paravey,  qui  promit  de  faire  tout  son  possible  pour 
fêter  comme  il  convenait  l'anniversaire.  Malheureusement,  l'importance 
des  travaux  en  cours  ne  permettait  pas,  comme  l'eût  désiré  tout  d'abord 
M.  Paravey,  de  remettre  à  la  scène  l'un  des  trois  grands  chefs-d'œuvre 
d'Herold,  3larie,  disparu  du  répertoire  depuis  si  longtemps.  Il  fallut  se 
borner  à  une  représentation  particulièrement  soignée  du  Pré  aux  Clercs, 
avec  l'intermède  obligé,  et  c'est  à  quoi  l'on  s'est  définitivement  arrêté. 
C'est  donc  mercredi  prochain,  28  janvier,  que  sera  donnée  à  l'Opéra-Go- 
mique,  pour  célébrer  le  centenaire  d'Herold,  cette  représentation  solen- 
nelle du  Pré  aux  Clercs.  Entre  le  second  et  le  troisième  acte  de  ce  chef- 
d'œuvre  aura  lieu  la  cérémonie  du  couronnement  du  buste  d'Herold, 
entouré  de  tous  les  artistes,  cérémonie  pendant  laquelle  sera  dite  une 
ode  au  compositeur,  intitulée  la  France  à  Herold,  dont  l'auteur  est  M.  Lucien 
Pâté,  à  qui  l'on  doit  les  stances  sonores  récitées  l'année  dernière  à  Màcon, 
lors  de  l'inauguration  de  la  statue  de  Lamartine.  Tout  nous  fait  donc 
esp  érer  que  la  soirée  de  mercredi  sera  intéressante  à  l'Opéra-Gomique, 
et  que  la  manifestation  provoquée  par  notre  collaborateur  sera  digne  de 
l'illustre  artiste  qui  en  est  l'objet. 

—  Les  rigueurs  de  la  température  sibérienne  dont  nous  jouissons  de- 
puis quelques  semaines,  sont  loin,  comme  on  le  croit  sans  peine,  d'être 
favorables  aux  théâtres.  A  Paris,  nos  théâtres  savent  à  quoi  s'en  tenir 
sur  ce  point;  à  Lyon,  à  Nîmes,  plusieurs  d'entre  eux  ont  dû  suspendre 
leurs  représentations  et  fermer  momentanément  leurs  portes;  à  Rome, 
dimanche  dernier,  la  neige  tombait  si  abondamment  que  le  Théâtre  'Valle 
et  le  Théâtre  Métastase  se  sont  vus  dans  l'obligation  de  faire  relâche, 
tandis  qu'à  l'Argentina,  nous  dit  l'Italie,  «  les  artistes  ont  chanté  Faust  en 
famille,  c'est-à-dire  devant  un  public  très  clair-semé  dans  la  salle.  »  Les 
affaires  de  l'Argentina  vont  d'ailleurs  si  mal  en  ce  moment,  qu'on  prête 
au  directeur,  M.  Canori,  l'intention  de  fermer  très  prochainement  ce 
théâtre. 

—  Par  décret,  i-endu  sur  la  pioposition  du  ministre  des  affaires  étran- 
gères, M.  Masset  (Nicolas-Jean-Jacques),  sujet  belge,  professeur  au  Conser- 
vatoire, en  retraite,  ancien  directeur  de  l'enseignement  musical  à  la  mai- 
son d'éducation  de  Saint-Denis,  est  promu  au  grade  d'olEcier  de  l'ordre 
national  de  la  Légion  d'honneur. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  l'inauguration  solennelle  du  grand  orgue 
de  l'église  de  Charenton,  construit  par  M.  Cavaillé-CoU.  Pendant  la  céré- 
monie on  a  entendu  M.  Widor,  qui  a  joué  et  improvisé  avec  sa  maestria 
habituelle,  MM.  Escalaïs  et  Caron,  de  l'Opéra,  qui  ont  fortement  impres- 
sionné l'auditoire  avec  le  Crucifix,  de  Faure,  M.  Caron  seul  dans  l'Hymne 
aux  astres,  la  jeune  et  remarquable  violoniste  M"'=  Juliette  Dantin  et 
M"«  L'Hermitte,  un  soprano  de  talent.  M""=  Lureau-Escalaïs,  qui  devait 
chanter  le  Sancta  Maria,  de  Faure,  en  a  été  empêchée,  au  grand  désappoin- 
tement de  tous,  par  une  défense  venant  de  l'archevêque. 


— -  Ce  même  dimanche,  la  chambre  syndicale  de  la  bijouterie-imita- 
tion a  donné  un  très  beau  concert  dans  lequel  M.  Caron  a  encore  triomphé 
avec  VHymne  aux  astres,  de  Faure,  et  le  Crucifix,  qu'il  a  dit  cette  fois  avec 
M.  Lauthier.  M''^^  du  Minil,  Marie  Garnier,  Théol,  MM.  Fontbonne,  Tervil 
et  Franck  ont  eu  aussi  leur  bonne  part  de  succès. 

—  Bordeaux (22 janvier  1891).— Hier  a  eu  lieu  au  grand  théâtre  de  Bordeaux 
la  première  représentation  du  Roi  de  Lahore.  L'œuvre  et  le  mailre,  qui  l'a 
dirigée  en  personne,  ont  obtenu  un  succès  des  plus  flatteurs.  Sans  être 
parfaite,  l'interprétation  a  mis  en  relief  les  beautés  remarquables  de  la 
partition;  elle  témoignait  des  efforts  qui  avaient  été  faits  par  la  direction 
pour  obtenir  un  ensemble  satisfaisant.  Les  deux  grands  triomphes  de  la 
soirée  ont  été  pour  M.  Massenet,  qui  compte  à  Bordeaux  de  chauds  et  nom- 
breux admirateurs,  et  pour  M"»  Baux,  qui  s'est  absolument  surpassée. 
Le  dernier  acte  surtout  lui  a  valu  des  applaudissements  chaleureux. 

—  La  ville  de  Dôle  (Jura)  organise,  pour  les  i7  et  18  mai  1891,  un 
concours  international  d'orphéons,  de  musiques  d'harmonie,  de  fanfares  et 
de  quatuors  à  cordes.  De  nombreuses  récompenses,  dont  plusieurs  en  es- 
pèces de  100  à  500  francs,  sont  affectées  à  ce  concours,  qui  promet  d'être 
particulièrement  brillant.  Les  sociétés  qui,  par  suite  de  renseignements 
insuffisants,  n'auraient  pas  reçu  de  lettre  d'invitation,  sont  priées  d'adres- 
ser leurs  réclamations  à  M.  le  président  du  concours,  à  Dôle. 

NÉCROLOGIE 

Un  comédien  fort  distingué,  qui  fut  souvent  un  auteur  applaudi  et  le 
collaborateur  de  beaucoup  de  nos  musiciens,  M.  Joseph-Philippe  Simon, 
dit  Lockroy,  père  du  député  de  Paris,  est  mort  lundi  dernier,  à  Paris,  à 
l'âge  de  88  ans.  Lockroy  avait  eu,  comme  acteur,  de  grands  succès  au 
Vaudeville,  a  la  Porte-Saint-Martin,  à  l'Odéon  et  même  à  la  Comédie-  "* 

Française,  dont  il  fut  un  instant,  en  18i8,  administrateur  général.  Fils  d'un 
ancien  officier  de  l'Empire,  il  avait  cependant  commencé  par  être  avocat, 
mais  la  passion  du  théâtre  l'avait  emporté  chez  lui  sur  tout  autre  goût.  Il 
quitta  la  scène  en  1840,  mais  sans  renoncer  à  s'y  présenter  comme  auteur. 
Il  obtint  des  succès  retentissants  dans  divers  genres  :  pour  le  drame,  avec 
Perinet  Leclerc,  un  Duel  sous  Richelieu,  la  'Vieillesse  d'un  grand  roi,  les  Jours 
gras  sous  Charles  IX;  pour  le  vaudeville,  avec  Passé  minuit,  Trois  Épiciers, 
le  Chevalier  du  guet;  enfin,  pour  l'Opéra-Comique,  où  il  donna  avec 
Grisar  Bonsoir  Monsieur  Pantalon  et  le  Chien  du  Jardinier,  avec  Maillart  les 
Dragons  de  Villars,  avec  Victor  Massé  la  Fée  Carabosse  et  la  Reine  Topaze, 
avec  Th.  Semet  Ondine,  etc.  En  1870,  malgré  son  grand  âge,  M.  Lockroy  a 

n'hésita  pas  à  s'engager  comme  volontaire  dans  un  bataillon  de  marche,  M 

celui  que  commandait  son  fils,  il  fit  bravement  le  coup  de  feu,  et  le  2  dé- 
cembre, à  Champigny,  reçut  dans  la  jambe  une  balle  qui  nécessita  un 
repos  de  six  mois. 

—  Cette  semaine  est  morte  à  Levallois-Perret,  dans  la  maison  Greffulhe, 
une  artiste  qui  eut  quelque  renom  à  l'Opéra  il  y  a  tout  juste  un  demi- 
siècle.  M"''  Nau,  qui  était  née  en  1818,  avait  été  élève  de  M"=  Daraoreau  au 
Conservatoire,  où  elle  avait  obtenu  un  premier  prix  de  chant  en  1835. 
L'année  suivante  elle  débutait  presque  à  l'improvists  à  l'Opéra,  par  suite 
de  l'indisposition  d'une  artiste,  dans  le  rôle  du  page  des  Huguenots.  C'est 
elle  qui,  quelques  années  plus  tard,  ayant  Duprez  pour  partenaire,  créa 
Lucie  de  Lammennoor,  lorsque  cet  ouvrage,  chanté  d'abord  en  français  à  la 
Renaissance,  passa  au  répertoire  de  l'Opéra.  Parmi  ses  autres  créations  à 
ce  théâtre,  il  faut  citer  fe  Lac  des  Fées,  le  Freischiilz,  Marie  Stuart,  de  Nieder- 
meyer,  David, deM^rECiet, l'Aine  enpeine,laBouquetiére,  etc.  Mi'i^ Nau,  qui  était 
fort  jolie,  était  douée  d'une  voix  agréable,  mais  manquant  un  peu  de  corps 
et  de  puissance.  Elle  quitta  l'Opéra  vers  1848,  et  alla  faire  en  Amérique  une 
tournée  fructueuse.  Depuis  lors,  on  n'en  entendit  plus  parler.  Si  nous  avons" 
bonne  mémoire,  une  fille  de  cette  artiste  fit  à  l'Opéra,  il  y  a  douze  ou  quinze 
ans,  une  apparition  fugitive,  ou  plutôt  un  début  qui  n'eut  pas   de  suites. 

Henri  IIeugel,  directeur-gérant. 


ON  DÉSIRE   acheter  alto  et  violoncelle.  - 
M.  Ch.  Duber,  il,  boulevard  de  la  Madeleine,  Paris. 


Écrire  ou  s'adresser   à 


MM.  RIGHAULT  et  G'",  éditeurs  de  musique,  demandent  un  jeune 
homme  de  15  à  16  ans,  ayant  bonne  écriture,  pour  aider  à  la  comptabi- 
lité.  —  S'adresser  par  lettre,  i,  boulevard  des  Italiens,  Paris. 

Vient  de  paraître  chez  Mackar  et  Noël,  22,.  P.  des  Panoramas,  Paris  : 
LEFEB'VRE,  Charles,  op.  88.  Quatuor  en  sol  mineur  pour  instruments  à 

cordes,  en  trois  parties,  prix  net  :  6  francs. 
MARÉCHAL,   Henri.    Suite    d'orcliestre    sur    des    Feuillets    d'Album    d'A. 
CiiAivi'T.  Partition  d'orchestre,  net: 5  francs.  Parties  séparées,  net:  6  l'r. 
Parties  supplémentaires,    cordes,    chaque,    net  :    1    franc.    Piano    seul, 
par  A.  Ghauvet,  net  :  3  francs. 

TSCHAIKO'WSKy.    La  Dame  de   Pique,    partitions   piano    et   chant, 
piano  seul,  divers  arrangements  à  deux  et  quatre  mains. 

LA  MAISON  REUCHSEL  Jeune  et  BATIAS,  13,  rue  Gentil,  à 
Lyon,  demande  de  suite  un  bon  accordeur-réparateur. 


3122 


ir 


Dimanche  I''  Février  1891. 


-  '^"  S-  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenU 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  com[)let  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Cliaiit  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Noies  d'un  librettiste:  Musique  contemporaine  (36'  article),  Louis  Gallet.  — 
II.  Semaine  Ihéàtrale:  Le  centenaire  d'Herold,  H.  M.;  premières  représenta- 
tions de  Thermidor,  à  la  Comédie-Française,  de  Jeanne  d'Arc,  au  Châtelet,  et  des 
Cotdisses  de  Paris,  aux  Nouveautés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille 
d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (7"  article),  Arthur  Pougi.n.  —  IV.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES    DOUZE    FEMMES    DE    JAPHET 

quadrille  par  Léon   Roques,    sur   l'opéreUe   de   Victor   Roger.  —   Suivra 
immédiatement  :  Nulle  autre  quelle,  nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :  Si  Vamour  prenait  racine,  nouvelle  mélodie  de  H.  Balth.asar- 
Florence,  paroles  de  C.  Fuster.  —  Suivra  immédiatement  :  Muguets  et 
Coquelicots,  n"  1  des  Rondes  et  Chansons  d'amil,  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin, 
poésies  de  G.  Auriol. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


MUSIQUE   CONTEMPORAINE 


J'ai  vu  en  Georges  Bizet  le  porte-étendard  de  la  jeune 
musique,  tombé  le  premier  en  avant  des  rangs,  après  avoir 
pris  position  sur  un  sommet  lumineux.  En  Eugène  Gautier, 
j'ai  lappelé  un  compositeur  homme  d'esprit,  ayant,  au 
moins  théoriquement,  marqué  sa  place  parmi  les  coopéra- 
teurs  de  l'évolution  contemporaine.  La  figure  de  Jean  Conte 
n'est  venue  dans  ces  notes  que  comme  un  mélancolique 
témoin  de  l'inanité  des  gloires  officielles.  Pour  Louis  La- 
combe,  musicien  aux  larges  vues,  il  aura  été  le  vivant  et 
triste  exemple  de  la  funeste  action  de  l'isolement  sur  la 
destinée  d'un  homme. Alexis  de  Gastillon  chez  qui  s'accusait 
une  incontestable  force,  a  succombé  prématurément.  Victor 
Massé,  talent  tout  de  grâce  naturelle,  a  disparu  à  la  veille 
peut-être  de  recueillir  sa  meilleure  moisson. 

Tous  furent  les  ouvriers,  glorieux  ou  modestes,  mais  con- 
sciencieusement actifs,  de  cet  édifice  de  l'art  national  que 
leurs  survivants,  maîtres  ou  disciples,  contribuent  à  élever 
par  une  production  incessante.  De  ceux-là,  je  ne  sais  s'il  me 
sera  donné  un  jour  de  parler  librement,  en  interrogeant 
l'intimité  de  leur  vie  laborieuse  ;  je  veux  toutefois  en  faire 
aujourd'hui  une  revue  sommaire,  en  me  souciant  moins   de 


leur    individualité    que    du    contingent    de    force    que  leur 
groupe  assure  à  la  suprématie  artistique  de  notre  pays. 

Depuis  environ  vingt  ans,  un  déplacement  considérable  des 
idées  et  des  tendances  s'est  produit  dans  le  monde  musical. 
Le  centre  autour  duquel  se  mouvait  autrefois  la  composition 
dramatique  n'est  plus  le  même. 

Il  y  avait,  à  l'époque  à  laquelle  me  reporte  ma  pensée, 
deux  hommes  :  en  France,  Hector  Berlioz,  en  Allemagne, 
Richard  Wagner,  dont  la  valeur  restait  encore  très  discutée, 
dont  les  œuvres  demeuraient  l'objet  du  dédain,  parfois  même 
de  l'hostilité  des  foules. 

L'influence  de  l'école  italienne,  pourtant,  achevait  de  s'é- 
teindre, et  déjà  Verdi,  son  représentant  le  plus  illustre  et 
le  plus  militant  de  nos  jours,  tâchait  d'assouplir  son  fougueux 
tempérament  aux  formules  d'un  art  plus  sévère  et  plus  pur. 

Berlioz,  pour  ne  parler  que  de  celui  qui  nous  touche  de 
plus  près,  devait  disparaître  sans  voir  la  réelle  glorification  de 
son  œuvre.  Bien  qu'il  eut  goûté  jusqu'alors  quelques  vraies 
joies  d'artiste,  il  n'avait  pas  été  sans  les  payer  de  beaucoup 
d'amertume.  On  était  loin  encore  de  ces  triomphales  exécu- 
tions de  la  Damnation  de  Faust  qui  devaient,  quelques  années 
après  sa  mort,  mettre  son  nom  au  premier  rang. 

Je  me  souviens  de  la  première  représentation  des  Troyens, 
au  Théâtre-Lyrique,  soirée  égayée  de  quolibets,  traversée  de 
cris  d'animaux,  exécution  pourtant  remarquable,  achevée  au 
milieu  des  rires  et  des  plaisanteries;  les  spectateurs  des  ga- 
leries entonnant  dans  un  entr'acte,  en  manière  de  protesta- 
tion, le  chœur  des  soldats  de  Faust,  les  interpellations  se 
croisant  devant  le  rideau  baissé,  sans  pitié  pour  l'auteur 
qui  voyait,  scène  par  scène,  crouler  son  œuvre. 

Trois  pages  à  peine  demeurèrent  debout  au  milieu  de  ce 
désastre. 

On  remettra  quelque  jour  les  Troyens  surl'afliche.  Et,  parmi 
les  gens  qui  se  pâmeront  devant  l'œuvre,  il  y  aura  plusieurs 
de  ceux  qui  naguères  la  dédaignaient. 

La  raison,  ce  sera  d'abord  que  Berlioz  est  mort  et  que, 
suivant  cette  théorie  de  Georges  Bizet  que  j'ai  déjà  citée,  rien 
ne  vaut  un  mort  pour  faire  un  illustre;  qu'en  le  glorifiant 
on  ne  risque  plus  de  lui  donner  le  moindre  plaisir,  ni  en  le 
dédaignant  de  lui  faire  la  moindre  peine,  —  double  consi- 
dération parfaitement  humaine  ;  —  c'est  enfin  que  la  mode 
s'en  est  mêlée. 

«   A   notre   époque,    me   disait   récemment   un   critique 

musical  d'une  rare  conscience,  on  ne  goûte  plus,  on  gobe!  » 

C'est  à  certain  élément  mondain  du  public  que  ce  mot 
s'adressait  dans  la  pensée  de  son  auteur;  mais   combien   est 


34 


LE  MENESTREL 


minime  la  fraction  à  laquelle  il  ne  saurait  être  justement 
appliqué,  élite  prise  dans  toutes  les  classes  sociales,  aimant 
réellement  la  musique,  la  jugeant  sainement,  la  goûtant  en 
ses  manifestations  diverses,  hors  de  toute  influence  étrangère. 
C'est  à  cette  minorité  éclairée,  convaincue  et  tenace,  im- 
posant peu  à  peu  son  goût  aux  masses,  dont  la  réceptivité 
musicale  est  très  douteuse,  ou  tout  au  moins  leur  traçant  le 
programme  de  ce  qu'il  faut  «  trouver  bien  »,  qu'a  été  ou  que 
sera  dû  le  triomphe  définitif  de  beaucoup  d'œuvres  dont  les 
commencements  furent  si  laborieux. 

Telle  Carmen,  tels  les  Troijens,  tels  les  principaux  ouvrages 
de  Richard  Wagner.  Car  ce  n'est  point  tout  d'abord  que  la 
renommée  de  Richard  Wagner  s'est  faite;  il  a  connu  lui 
aussi,  comme  Berlioz  et  à  peu  près  en  même  temps  que  Berlioz, 
les  sifflets  et  les  huées  du  Cirque,  avant  d'en  connaître  les 
victorieuses  acclamations. 

-* 

*  * 

Cet  homme  est  un  colossal  génie  :  grand  peintre,  grand 
poète  musical,  unique  et  inimitable,  figure  lumineuse  que 
les  vraiment  forts  savent  contempler  et  détailler  non  en  vue 
d'une  servile  imitation,  mais  pour  une  application  de  sa  puis- 
sante esthétique  à  leurs  ressources  personnelles;  autour  de 
laquelle  grouille» en  revanche  tout  un  obscur  microcosme 
condamné  à  l'éternelle  stérilité  dans  l'éternel  mouvement. 

Richard  Wagner  a  affirmé  en  ses  œuvres  une  poétique  nou- 
velle, bien  allemande,  peut-on  dire,  et,  comme  de  parti 
pris,  tout  à  fait  contraire  à  notre  génie  latin.  —  Nous  avons 
pour  cette  poétique  des  admirations  qui  ne  vont  point  sans 
réserves  ;  notre  tempérament  ne  saurait  l'accepter  complète- 
ment. —  Et  même  si,  cédant  à  de  tardives  considérations 
d'orgueil  patriotique,  Richard  Wagner  n'eût  point  écrit  les 
œuvres  qui  en  procèdent  uniquemeat  pour  des  Allemands,  il 
est  probable  qu'il  ne  les  eût  point  écrites  telles  qu'elles  sont. 

Je  ne  puis  m'empêcher  de  penser  par  exemple,  que  si 
Tannhàuser,  donné  à  l'Opéra,  y  avait  obtenu  un  éclatant  succès 
au  lieu  d'y  être  coulé  bas  de  parti  pris,  cet  événement  aurait 
eu  sur  l'avenir,  sur  la  manière  de  Wagaer,  la  plus  décisive 
influence. 

Il  aurait  pu  aspirer  à  prendre,  il  aurait  pris  certainement 
sur  notre  première  scène  une  place  analogue,  supérieure 
même  à  celle  de  Meyerbeer;  il  ne  serait  point  parti  de  chez 
nous  le  cœur  gonflé  de  fiel,  n'aurait  point  déserté  un  instant 
les  hauteurs  radieuses  de  l'art  pour  les  bas-fonds  de  la  po- 
litique, se  serait  dispensé  d'écrire  cette  sotte  brochure  :  une 
Capitulation,  à  qui  il  a  dû  tant  de  haines  encore  mal  éteintes, 
et  très  certainement  son  «faire»  se  serait  francisé  au  lieu  de 
se  germaniser. 

Les  œuvres  que  nous  tenons  de  lui,  il  les  aurait  écrites 
vraisemblablement  en  prenant  pour  objectif  notre  théâtre; 
elles  auraient  été  inspirées  sans  doute  par  les  mêmes  sujets, 
elles  auraient  eu  la  même  grandeur  et  le  même  charme, 
mais  elles  auraient  recherché  aussi  cette  mesure,  cette  har- 
monie de  proportions  qui  sont  de  pure  essence  française,  et 
un  jour  la  Mecque  wagnérienne  aurait  été  Paris  au  lieu  d'être 
Bayreuth. 

L'hypothèse  est  risquée  ;  est-elle  déraisonnable? 
*, 

Mais  il  est  un  bien  caché  au  fond  de  tous  les  événements 
que  la  destinée  amène.  L'influence  de  Richard  Wagner,  encore 
très  haute,  eût  été  formidable  et  peut-être  destructive  si 
Paris  avait  fait  du  compositeur  saxon  un  de  ses  grands 
hommes.  Nous  y  aurions  perdu  peut-être,  noyés  dans  le 
torrent  de  l'imitation,  bien  des  talents  à  qui  maintenant  une 
réserve  salutaire  a  conservé  leur  saveur  à  peu  près  franche. 

* 

*  * 

Au  commencement  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  l'hégire 
■wagnérienne,  bien  des  nôtres  ont  pris  en  main  et  médité  le 
koran  germain.  Il  en  est  resté  quelques  traces  dans  leurs 
œuvres.  Les  plus  jeunes  et  des  plus  brillants  de  cette  époque 


primitive  ont  fait  voir  quelque  goût  pour  cette  nouvelle 
formule,  comme  aussi,  à  l'occasion,  pour  celle  de  Schumann; 
mais,  du  moins,  n'ont-ils  jamais  réellement  abdiqué  leur 
originalité. 

Cette  influence  de  Wagner  n'a  pas  cessé  et  n'est  pas  près 
de  cesser;  mais  elle  s'exerce  actuellement  surtout  hors  du 
cercle  dans  lequel  se  meuvent  les  compositeurs  réellement 
militants.  Ces  derniers  comprennent  qu'on  ne  recommence  pas 
plus  Richard  Wagner  qu'on  ne  recommence  Victor  Hugo  ;  ils 
savent  qu'on  ne  saurait  prendre  d'une  telle  grandiose  entité 
que  ses  défauts.  Sans  avoir  la  prétention  de  faire  mieux,  ils 
s'efforcent  de  faire  autre  chose. 

C'est  pourquoi,  en  Europe,  à  côté  de  l'influence  tout  idéale  de 
Richard  Wagner,  s'étend,  depuis  bon  nombre  d'années,  l'in- 
fluence tout  effective  de  l'école  française,  école  où  dominent 
les  qualités  de  grâce,  de  clarté,  d'esprit  et  de  force,  parlant 
pour  ainsi  dire  toutes  les  langues  résumées  en  son  idiome 
natif;  je  veux  dire  apportant  à  tous  les  peuples  l'expression 
musicale  la  plus  conforme  à  leurs  passions,  à  leurs  goûts, 
avec  la  recherche  de  la  forme  la  plus  raffinée  ef  la  plus 
haute. 

Cette  influence  ayant  appartenu  longtemps  à  la  musique 
italienne  et  dans  une  certaine  mesure  à  la  musique  allemande, 
la  France  l'a  conquise  et  la  détient  maintenant  sans  conteste. 

Yieux  ou  jeunes ,  légers  ou  graves,  ceux  par  qui  elle 
s'exerce  deviennent,  chaque  jour,  plus  nombreux,  encore  que 
les  encouragements  manquent  aux  derniers  venus  dans  notre 
pays  même,  peut-être  à  cause  de  cela. 

Les  roules  leur  ont  été,  en  effet,  ouvertes  parfois  plus 
larges  hors  de  nos  frontières  que  chez  nous.  Samson  et  Dalila, 
Hérodiade,  Sigurd,  Salammbô,  et  autres  œuvres  de  diverses 
valeur,  toutes  honorables  pour  notre  école,  ont  vu  le  jour 
sur  une  scène  étrangère. 

Ce  qu'au  siècle  dernier  et  au  commencement  de  ce  siècle, 
les  Italiens  et  les  Allemands  faisaient  pour  notre  première 
scène  ou  pour  le  théâtre  de  la  Cour,  nous  le  faisons  pour 
toutes  les  scènes  européennes.  L'Amérique  même  veut  la 
primeur  de  nos  compositions;  elle  a  l'orgueil  des  choses 
d'art  et  les  ressources  nécessaires  pour  la  satisfaction  de  cet 
orgueil. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LE  CENTENAIRE  D'HEROLD 
Très  grand  succès  mercredi  dernier,  à  l'Opéra-Comique,  pour  la 
représentation  donnée  en  l'honneur  du  centenaire  d'Herold.  Le  spec- 
tacle était  annoncé  pour  sept  tieures  trois  quarts,  et  à  huit  heures 
la  salle  était  littéralement  comble.  Nous  ne  savons  pourquoi,  le 
premier  acte  de  Zampa  ouvrant  la  soirée,  on  avait  jugé  à  propos 
d'en  supprimer  l'ouverture,  pour  la  reporter  au  moment  de  la  céré- 
monie. Toujours  est-il  que  le  public,  fàclieuseruent  surpris,  a  ré- 
clamé et,  interrompunt  l'introduction,  a  demandé  à  grands  cris  l'ou- 
verture. Après  un  instant  d'hésitation  il  a  bien  fallu  se  rendre  à  ses 
désirs,  l'ouverture  a  été  exécutée,  superbement  d'ailleurs,  et  accueillie 
par  un  immense  tonnerre  d'applaudissements.  Quelques  voix  deman- 
daient même  bis.  Le  succès  du  Pré  aux  Clercs,  dont  c'était  la  1482* 
représentation,  a  été  colossal  aussi,  et,  entre  autres,  l'adorable  trio 
du  second  acte,  merveilleusement  chanté  par  M"^  Sinionnet,  M""  Che- 
valier et  M.  Fugère,  a  transporté  la  salle  et  valu  aux  interp'-ètes 
une  véritable  ovation.  Entre  le  second  et  le  troisième  ac^e,  le  rideau 
s'est  levé,  présentant  aux  spectateurs  le  buste  d'Herold,  qui  allait 
être  couronné.  Tout  auprès  se  tenait  M"«  Dudlay,  de  la  Comédie- 
Française,  personnifiant  la  France,  pour  dire  les  stances  de  M.  Lu- 
cien Pâté  :  la  France  à  Herold.  Sur  les  côtés  de  la  scène  étaient 
groupés,  dans  leurs  costumes  respectifs,  d'une  part  les  interprètes 
de  Zampa,  de  l'autre  ceux  du  Pré  aux  Clercs.  Lorsque  M""  Dudlay 
eut  dit  avec  beaucoup  de  chaleur  les  beaux  vers  de  M.  Lucien 
Pâté,  elle  posa  sur  le  buste  la  palme  qu'elle  tenait  en  main,  et 
tous  les  artistes  défilèrent  à  leur   tour    devant  l'image  du  maître 


LE  MENESTREL 


33 


illustre,  aux  applaudissements  unanimes  du  public,  heureux  de  voir 
rendio  un  hommage  digne  de  lui  à  l'un  des  plus  grands  artistes 
dont  s'honore  la  France,  à  l'un  de  ceux  dont  la  gloire  est  la  plus 
pure,  la  plus  vivace  encore  et  la  plus  incontestée. 

Nous  regrettons  que  la  dimension  de  la  pièce  de  vers  de 
M.  Lucien  Pâté,  l'auteur  déjà  applaudi  du  David  Téniers  de  l'Odéon 
(en  collaboration  avec  M.  Edouard  Noël),  ne  nous  permette  pas  de 
la  reproduire  ici  eu  entier.  Mais  nous  voulons  du  moins  en  citer 
l'éloquente  péroraisou  : 


Le  mal  contre  toi  faisait  rage; 
Mais  la  lutte  te  retrempa, 
Et  tu  puisas  dans  ton  courage 
Ce  fier  défi  qui  fut  Zmnpa  ! 

Le  génie  est  enfin  le  maître, 

Il  te  courbe  sous  ses  genoux. 

Tu  voudrais  l'affranchir  peut-être  : 

II  commande  et  dit  :  «  Hàtons-nous!. . 

«  Ouvre  à' mes  pieds  toutes  tes  sources, 

Je  veux  d'un  seul  coup  les  tarir. 

—  Mais... —  Nous  ne  ferons  plus  d'autres  courses, 

Ne  sens-tu  pas  qu'il  faut  mourir. . .  ?  » 

Allons,  sortez,  ô  mélodies, 
Envolez-vous,  notes,  accords. 
Partez,  les  ailes  agrandies. 
Répandez-vous,  joyaux,  trésors... 

Lugubre  bruit  du  vent  qui  pleure. 
Du  flot  qui  porte  un  corps  glacé. 
Dont  j'ai  frissonné  tout  à  l'heure 
Lorsque  ton  Gomminge  a  passé. 

C'était  pour  toi  la  plainte  sombre. 
Pour  toi,  dans  la  barque  couché  :... 
C'était  toi  que  Mergy,  dans  l'ombre. 
De  sa  rapière  avait  touché  ! 

Mais  la  barque  allait  aux  étoiles... 
La  gloire  t'attendait  au  port. . . 
Prête  à  gonfler  ses  larges  voiles... 
Et  tu  triomphais  dans  la  mort!.. 

Tu  mourais,  le  front  plein  de  choses. 
En  plein  génie,  et  l'on  put  voir. 
Sous  tes  paupières  déjà  closes, 
Bouler  des  pleurs  de  désespoir. . . 

Va...  la  Patrie  a  des  tendresses 
Pour  ses  fils  morts  avant  le  temps. 
Gloire  au  jeune  fiont  que  tu  dresses. 
Ce  soir,  dans  ces  feux  éclatants. 

Dans  la  clarté  qui  l'environne. 

Plus  jeune,  il  est  plus  radieux... 

Une  larme  sur  ta  couronne  ! 

Qui  meurt  jeune  est  aimé  des  Dieux!... 

Et  vous,  qui  lui  prêtez  votre  àme. 
Vos  voix,  pour  un  culte  immortel, 
Gardez  pieusement  la  flamme 
Que  j'allume  sur  son  autel  ! 

H.  M. 

Comédie-Française.  Thermidor,  drame  en  quatre  actes,  de  M.  V.  Sardou.  — 
Chatelet.  Jeanne  d'Arc,  drame  historique  en  cinq  actes  et  quatorze  ta- 
bleaux, de  M.  Joseph  Fabre,  musique  de  M.  Benjamin  Godard.  — Nou- 
veautés. Les  Coulisses  de  Paris,  revue  en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  de 
MM.  M.  Froyez,  J.  Oudot,  Duret  et  de  Gorsse. 

Vraiment  nous  étions  bien  loin  de  nous  douter  en  assistant,  l'autre 
samedi,  paisiblement  assis  dans  notre  fauteuil,  à  la  première  repré- 
sentation de  Thermidor,  que  le  drame  nouveau  de  M.  Sardou  serait 
l'occasion  de  tout  ce  tapage  mené  dans  les  cercles  politiques  et  même 
dans  la  rue,  et  nous  n'avons  pas  moins  été  étonné  en  apprenant  que 
l'interdiction  de  la  pièce  était  due  peut-être  aux  petites  rancunes 
particulières  d'un  seigneur  tout-puissant  du  ministère,  enchanté  de 
saisir  cette  méchanle  occasion  pour  essayer  de  jeter  bas  une  autre 
personnalité  menaçant  de  lui  porter  ombrage.  Comme  nous  ne  sommes 
point  ici  pour  nous  faire  l'historiographe  de  ces  démêlés  de  cabinet, 
mais  bien  pour  donner,  à  nos  lecteurs,  notre  impression  sur  la  pièce 
jouée  à  la  Comédie-Française,  nous  n'approfondirons  pas  davantage 
cette  ridicule  question,  nous  contentant  de  regretter,  avec  tous  les 
gens  de  bon  sens,  à  quelque  opinion  politique  qu'ils  appartiennent, 
que  Paris  soit,  une  fois  de  plus,  à  la  merci  d'une  poignée  de 
braillards  et  que  son  plaisir  puisse  dépendre  du  caprice  d'un  homme 
bien  placé. 


Donc  nous  sommes  au  IS  thermidor,  de  grand  matin,  aux  bords 
déjà  tout  ensoleillés  de  la  Seine,  à  l'entrée  de  l'île  Louviers.  Le  co- 
médien Labussière,  aidé  de  son  commis  Lupin,  jette,  avec  mille 
précautions,  des  papiers  à  la  rivière,  lorsqu'il  est  interrompu  dans 
sa  besogne  par  l'arrivée  de  Martial  Hugon,  commandant  d'artillerie, 
qui  vient  de  se  battre  à  Fleurus.  Anciens  camarades,  ils  causent 
naturellement  de  l'horreur  dans  laquelle  est  plongée  la  ville  et,  ré- 
publicains sincères,  blâment  grandement  les  infamies  commises  par 
la  Terreur.  —  (C'est  là  que  se  placent  les  deux  longues  tirades,  cause 
première  du  bruit  fait  à  la  seconde  représentation  et  qui,  en  dispa- 
raissant, n'auraient  apporté  que  profit  à  l'oeuvre  de  M.  Sardou.)  — 
Tout  à  coup  des  cris  et  des  huées  s'échappent  d'un  bateau-lavoir 
amarré  au  quai,  et  une  horde  de  mégères  se  rue  sur  une  jeune  fille 
effarée  à  laquelle  elle  ferait  un  mauvais  parti  sans  l'intervention  des 
deux  hommes.  Martial,  éloigné  de  Paris  depuis  longtemps,  recon- 
naît aussitôt  sa  fiancée,  Fabienne  Lecoulteux,  qu'il  savait  devoir 
retrouver  là,  et,  aidé  de  Labussière  à  qui  son  emploi  de  commis  au 
Comité  de  Salut  public  donne  quelque  importance,  la  soustrait  à  la 
fureur  des  Tricoteuses.  Fabienne  est  cachée  dans  une  maison  amie; 
mais  elle  est  accusée  d'une  tentative  de  crime  imaginaire  et  il  s'agii^ 
celte  fois,  de  la  sauver  de  l'échafaud.  Avant  qu'elle  ne  soit  arrêtée, 
Martial  la  décidera  à  passer  en  Belgique.  Aux  instances  de  son  fiancé, 
la  jeune  fille  se  dérobe;  pressée  de  questions,  elle  finit  par  avouer 
que,  croyant  mort  celui  qu'elle  aimait,  elle  s'est  donnée  à  Dieu. 
Martial  redouble  alors  d'éloquence  et,  l'amour  l'emportant,  Fabienne 
est  décidée  à  fuir  lorsqu'elle  est  arrêtée  et  conduite  à  la  Concierge- 
rie. Martial  court  annoncer  la  fatale  nouvelle  à  son  ami  Labussière 
en  le  suppliant  de  l'aider  encore.  Et  ici  se  trouve  une  scène  abso- 
lument belle,  d'un  sentiment  dramatique  intense,  comme  nous  n'en 
connaissons  pas  d'autre  dans  le  théâtre  de  M.  Sardou.  Labussière, 
à  qui  est  confiée  la  garde  des  dossiers  des  accusés  et  qui,  coura- 
geusement, en  détruit  tous  les  jours  un  certain  nombre,  n'aura  qu'à 
faire  également  disparaître  les  pièces  concernant  Fabienne.  Or,  celles- 
là  sont  justement  recommandées  spécialement  à  son  attention.  Que 
faire  ?  Profiter  d'une  similitude  de  nom  et  remplacer  ce  dossier  par 
un  autre.  C'est  cela!  Mais  au  moment  d'accomplir  la  substitution, 
le  cœur  manque  au  comédien,  qui  ne  se  croit  pas  le  droit  d'envoyer 
à  la  guillotine  une  innocente  ou  une  oubliée.  Martial  pleure  et  im- 
plore en  vain,  quand  les  autres  commis  du  Comité  font  irruption 
dans  le  cabinet  et  annoncent  que  Robespierre  vient  d'être  mis  hors 
la  loi.  Labussière  et  Martial  se  précipitent  à  la  Conciergerie  et  arri- 
vent au  moment  oii  la  dernière  charrette  va  emporter  les  dernières 
victimes.  Ils  conjurent  Fabienne,  pour  gagner  un  temps  précieux 
et  faire  surseoir  à  l'exécution,  de  déclarer  qu'elle  est  enceinte;  ce 
mensonge  répugne  à  la  jeune  fille,  qui  se  laisse  mener  à  la  mort. 
Martial,  fou  de  douleur,  cherche  à  l'arracher  aux  mains  des  gardes 
et  tombe  la  poitrine  trouée  par  une  balle  de  pistolet. 

Tel  est,  dans  ses  grandes  lignes,  ce  drame  que  M.  Sardou  a  fait 
représenter  à  la  Comédie-Française  et  que  le  public  se  trouve, 
aujourd'hui,  empêché  d'aller  voir.  Dépouillée,  bien  entendu,  de 
beaucoup  de  scènes  inutiles  et  trop  longues,- débarrassée  de  détails 
érudits  étalés  souvent  avec  trop  de  complaisance,  l'œuvre  demeure 
forte  en  plus  d'une  scène  et  intéressante  toujours.  Deux  des  inter- 
prèles de  Tliermidor  se  sont  montrés  au-dessus  de  tout  éloge  :  M.  Co- 
quelin  et  M"''  Baitet.  Le  premier  étonnant  de  souplesse  et  d'émotion 
dans  Labussière,  la  seconde  merveilleuse  de  tendresse  et  de  rési- 
gnation dans  Fabienne.  M.  Marais  a  fait  montre  de  qualités  dans  le 
rôle  trop  mélodramatique  de  Martial.  M.  Jean  Coquelin  s'est  montré 
plein  de  fougue  et  M"=  Lynnès  pleine  d'entrain.  Nommer  les  autres 
interprètes  m'entraînerait  trop  loin;  tous  ont  été  excellents.  Je  ne 
voudrais  point  terminer  ce  compte  rendu  sans  dire  un  mot,  tout  au 
moins,  de  la  mise  en  scène  particulièrement  remarquable  et 
réussie. 

Ce  qui  a  gâté  beaucoup  de  notre  plaisir  à  Thermidor,  nous  l'a 
gâté  encore  davantage  dans  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Fabre.  Trop 
d'érudilion  aux  dépens  dii  drame.  Je  ne  veux  pas  vous  faire  à 
nouveau  le  récit  des  faits  glorieux  mis  à  l'actif  de  notre  vaillante 
Lorraine  ;  je  vous  dirai  simplement  que  l'auteur  nous  montre  succes- 
sivement Domrémy,  Vaucouleurs,  Chinon,  Patay,  Reims  et  la  pri- 
son, le  tribunal  et  le  bûcher  de  Rouen.  Tout  cela  est  d'une  précision 
historique  scrupuleuse  et  animé  d'un  souffle  patriotique  absolument 
louable.  M""  Segond-Weber  a  cherché  dans  la  force  des  efl'ets  que 
jjmo  Sarah  Bernhardt  réclamait  delà  douceur;  son  interprétaiion  du 
rôle  de  Jeanne  n'est  pas  sans  intérêt.  MM.  Deshayes,  Brémont, 
Segond,  Mévisto,  Sarter  et  M""  Cogé  forment  un  bon  ensemble  et 
les  décors  de  M.  Floury  un  cadre  très  luxueux.  M.  B.  Godard  a 
écrit,  pour  ce  drame,  une  assez  importante  partition  de  belle  cou- 


36 


LE  MENESTREL 


leur  et  d'effet  certain;  on  a  surtout  remarqué  la  marche   du  sacre, 
celle  du  supplice  et  les  deux  dicts,  que  chante  très  bien  M.  Morlet. 

Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  dire  tout  le  bien  que  nous  pen- 
sions des  Coulisses  de  Paris  lorsqu'elles  furent  données  au  Cercle  des 
Mathurins.  MM.  Froyez,  Oudot,  Duret  et  de  Gorsse  les  ont  légère- 
ment agrandies  pour  le  théâtre  des  Nouveautés,  oii  elles  ont  trouvé 
bon  accueil.  Le  gros  succès  de  la  soirée  a  été  pour  M.  Tarride,  à 
qui  on  a  bissé  tous  ses  amusants  couplets.  M.  Guy,  en  compère, 
M""  Gilberte,  en  commère,  et  M.  Germain,  dans  ses  difTérents  ava- 
tars, ont  été  aussi  souvent  applaudis. 

Paul-Émile  Chevalier. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

(Suite.) 

Y 

A  l'époque  où  nous  sommes  arrivés,  la  situation  des  deux  grandes 
scènes  d'opéra-comique  qui  existaient  alors,  Favart  et  Feydeau, 
était  devenue  extrêmement  difficile.  L'une  et  l'autre  ne  battaient 
plus  que  d'une  aile,  pour  me  servir  d'une  expression  populaire,  et 
leur  rivalité  leur  était  mortelle.  Mortelle  en  effet,  car,  vers  le  mi- 
lieu de  1801,  et  à  pou  de  semaines  de  distance,  toutes  deux  se 
voyaient  réduites  à  fermer  leurs  portes.  C'est  alors  qu'on  songea 
sérieusement  à  la  réalisation  d'un  projet  qui  couvait  depuis  long- 
temps dans  de  certains  esprits,  celui  d'une  fusion  des  deux  troupes 
en  une  seule,  et  de  leur  réunion  en  un  théâtre  unique.  Ce  projet 
finit  par  aboutir,  et  l'inauguration  du  théâtre  de  l'Opéra-Comique 
—  c'était  le  titre  officiellement  adopté — eut  lieu  dans  la  salle  Fey- 
deau, sous  les  auspices  du  gouvernement,  le  16  septembre  1801. 

A  ce  moment,  la  santé  de  M"''  Saint-Aubin  était  fort  ébranlée, 
par  suite  surtout  des  fatigues  extrêmes  qu'elle  s'était  imposées  par 
dévouement  à  ses  devoirs,  et,  bien  que  l'acte  de  société  qui  réunis- 
sait en  un  seul  corps  de  troupe  les  artistes  des  anciens  théâtres 
Favart  et  Feydeau  stipulât  qu'aucun  de  ces  artistes  ne  pourrait  se 
séparer  de  la  société  avant  trois  années  écoulées,  elle  se  vit  obligée 
par  l'état  de  sa  santé  de  demander  à  ne  s'engager  que  pour  deux 
aus,  à  l'expiration  desquels  elle  pourrait  obtenir,  avec  la  pension  de 
retraite  à  laquelle  elle  aurait  droit,  la  remise  de  ses  fonds  sociaux 
(16,000  francs).  Ses  camarades  avaient  trop  d'intérêt  à  la  conserver 
au  milieu  d'eux  pour  ne  pas  faire  en  sa  faveur  l'exception  qu'elle 
sollicitait.  Ils  consentirent  donc  à  la  laisser  ne  s'engager  que  pour 
deux  années,  ce  qui  d'ailleurs  ne  voulait  pas  dire  qu'elle  se  reti- 
rerait forcément  ensuite,  mais  simplement  qu'elle  aurait  la  faculté 
de  le  faire.  En  réalité,  elle  poursuivit  encore  sa  carrière  pendant 
sept  ans. 

Il  va  sans  dire  que  M""=  Saint-Aubin  retrouva  sur  les  planches  du 
théâtre  Feydeau  le  succès  qui  pendant  quinze  ans  ne  lui  avait 
jamais  fait  défaut  sur  celles  du  théâtre  Favart.  Mais  elle  avait  sans 
doute  trop  présumé  de  ses  forces,  car  au  bout  de  peu  de  temps  une 
grave  et  douloureuse  maladie  vint  pendant  plusieurs  mois  l'éloigner 
delà  scène.  Elle  ne  put  s'y  représenter  que  dans  les  premiers  jours 
de  juin  1802,  et  son  retour  fut  une  véritable  fête  pour  le  public, 
dont  elle  avait  conservé  toute  l'estime  et  l'aCTection.  Un  de  ses  admi- 
rateurs adressait  à  ce  sujet  cette  lettre  au  Courrier  des  Spectacles 
(27  Prairial  an  X): 

M"^  Saint-Aubin,  qu'une  longue  maladie  avait  éloignée  du  théâtre  dont 
elle  fait  l'ornement,  est  enfin  rendue  aux  vœux  du  public.  Cette  char- 
mante actrice,  le  modèle  des  amoureuses  de  l'opéra-coraique,  a  été  reçue 
avec  transport,  dès  son  entrée  en  scène,  et  a  prouvé  qu'elle  n'avoit  riea 
perdu  de  la  perfection  de  son  jeu  et  du  charme  de  sa  voix.  Votre  journal 
n'ayant  pas  encore  parlé  de  cet  événement  dramatique,  je  m'empresse 
d'être  l'écho  du  public  à  cet  égard,  et  de  féliciter  le  théâtre  Feydeau  de 
la  rentrée  de  Thalie-Saint-Aubin. 

Demoncï  (1). 

Sa  santé  remise,  on  voit  M°'=  Saint-Aubin  recouvrer  toute  sa  vi- 
gueur, toute  sa  conscience,  toute  son  activité  passées.  Elle  continue 
de  jouer  son  répertoire  ordinaire,  en  même  temps  qu'elle  prend  part 

(1)  Et  on  lisait  ces  ligaes  dans  l'Année  théAtrale  de  l'an  XI,  à  propos  de  sa 
réapparition  lors  de  l'ouverture  du  théâtre  Feydeau  et  de  son  retour  à  la  suite 
de  sa  maladie  :  —  «  Elle  eut  deux  fois  dans  l'année  le  plaisir  de  voir  sa  pré- 
sence donner  une  nouvelle  vie  à  l'Opéra-Comique,  car  lorsqu'elle  reparut  après 
une  longue  maladie,  on  se  porta  en  foule  aux  pièces  qu'elle  seule  est  en  pos- 
session de  jouer.  » 


à  la  création  de  nombreux  ouvrages  :  en  1802,  la  Fausse  Daèr/ne,  de 
Délia  Maria,  Astolphe  et  Alba,  de  Tarchi,  Michel-Anf/e,  de  N'icolo;  en 
1803,  Zélie  et  Terville,  de  Blangini,  Ma  tante  Aurore,  de  Boieldieu,  les 
Confidences,  de  Nicolo,  Aline,  reine  de  Golconde,  de  Berton,  le  Baiser  et 
la  Quittance. 

C'est  au  mois  de  septembre  de  cette  année  1803  qu'expirait  l'en- 
gagement que  M'""  Saint-Aubin  avait  contracté  pour  deux  ans  avec 
ses  camarades  de  la  nouvelle  société  de  l'Opéra-Comique.  Elle  comp- 
tait alors  dix-sept  ans  de  services  à  ce  théâtre,  de  «  bons  et  loyaux 
services  »,  on  peut  le  dire,  et  elle  fixait,  pour  consentir  à  les  conti- 
nuer encore,  certaines  conditions  particulières,  entre  autres  la  liqui- 
dation immédiate  de  la  partie  de  sa  pension  à  laquelle  elle  avait 
droit  et  qu'elle  pouvait  cumuler  avec  sa  part  de  sociétaire.  Elle 
écrivit  en  ce  sens  au  Comité,  et  j'ai  retrouvé,  dans  le  registre  des 
délibérations  de  l'ancienne  administration  de  l'Opéra-Comique,  le 
texte  de  la  résolution  prise  par  ce  Comité  au  sujet  de  la  demande 
de  M™  Saint-Aubin;  il  me  semble  intéressant  de  la  reproduire  ici: 

COMITÉ  DE  l'oPÉRA-COMIQUE. 

Séance  du  26  messidor  an  XI  (1). 

Le  Comité,  lecture  faite  d'une  lettre  de  Mad<^  S'-Aubin  qui  observe 
que  les  deux  années  pour  lesquelles  elle  s'était  engagée  expirent  dans 
deux  mois  et  quelques  jours,  qui  prie  en  conséquence  le  Comité  de  ter- 
miner avec  elle  et  qui  demande  les  trois  points  suivans  :  l"  sa  pension 
assurée  par  le  Comité;  2»  la  pension  du  gouvernement  dont  elle  fait  son 
affaire,  en  priant  seulement  le  Comité  de  lui  donner,  en  tems  et  lieu,  un 
certilicat  de  ses  longs  et  bons  services;  3°  le  congé  dont  il  avait  été  déjà 
question  avec  elle  et  dont  elle  désire  que  le  tems  soit  fixé; 

Considérant  qu'il  est  comptable  envers  tous  ceux  dont  il  tient  ses  pouvoirs, 
qu'il  est  lié  par  l'acte  de  Société  et  par  les  règlemens,  et  qu'il  doit  s'y 
conformer,  que  sur  la  1'=  demande  relative  à  la  pension  de  la  Société,  sa 
réponse  est  dictée  par  les  règlemens,  art.  4,  chap.  8  :  Des  Pensions  de  re- 
traite, qui  porte  que  tout  sociétaire  admis  à  continuer  ses  services  au  delà 
de  15  ans  jouira  des  deux  tiers  de  sa  pension  de  15  à  25  ans  et  ensuite 
de  la  totalité  jusqu'à  sa  retraite,  et  appliquant  cette  clause  àMad«  S'-Aubin 
qui  n'a  pas  les  25  ans  de  service  nécessaires  pour  jouir  de  la  totalité  de 
la  pension,  arrête  qu'il  ne  peut  assurer  à  Mad=  S'-Aubin  que  mille  livres 
de  pension. 

Sur  la  2''<:  demande  d'un  certificat  de  ses  services,  arrête  que  le  Comité 
lui  donnera  toutes  les  attestations  qu'elle  mérite  et  qui  lui  seront  néces- 
saires pour  obtenir  la  pension  du  gouvernement. 

Sur  la  3""  demande  d'un  congé  à  époque  fixe,  voulant  donner  à  Mad"=  S'- 
Aubin  un  témoignage  de  sa  considération  particulière  et  de  toute  l'estime 
qu'il  a  pour  son  talent,  arrête  que,  sans  nuire  aux  justes  prétentions  et  aux 
droits  de  tous  les  camarades  à  des  congés,  il  consent  à  ce  que  Mad"=  S'- 
Aubin  prenne  un  congé  après  le  retour  de  Gavaudan,  et  qu'alors  il  réglera 
d'accord  avec  elle  le  moment  le  moins  nuisible  au  répertoire  et  le  plus 
favorable  aux  intérêts  de  Mad"  S'-Aubin,  à  qui  le  secrétaire  donnera 
connaissance  de  la  présente  délibération. 

Signé:  SoLiÉ,  Martin.  Juliet,  Dozainville,  Chexard,  Rézicourt,  seC''. 

La  situation  de  M°'=  Saint-Aubin  fat  certainement  réglée  selon  ses 
désirs,  puisqu'elle  continua  de  rester  à  l'Opéra-Comique,  qu'elle  ne 
devait  quitter  qu'en  1808.  C'est  peu  de  temps  après  avoir  fait  ainsi 
fixer  de  nouveau  sou  état,  qu'elle  remporta  l'un  des  succès  les  plus 
éclatants  de  son  heureuse  carrière  :  le  20  mars  1804  elle  créait  un 
nouveau  petit  ouvrage  de  d'Alayrae,  une  Heure  de  mariage,  et  dans 
ce  rôle  d'aimable  ingénue.  M"'"  Saint-Aubin,  alors  âgée  de  quarante 
ans  moins  quelques  mois,  produisit  encore  l'illusioa  la  plus  complète 
et  causa  aux  spectateurs  un  véritable  enchantement.  Et,  chose  assez 
singulière  et  presque  touchante,  deux  mois  après  qu'elle  eut  paru 
pour  la  première  fois  dans  ce  personnage  de  toute  jeune  amoureuse, 
oîi  elle  semblait  ne  révéler  que  l'âge  qu'elle  devait  avoir,  sa  fille 
aînée,  M""  Cécile  Saint-Aubin,  venait  débuter  sur  la  scène  de  l'Opéra- 
Comique  et  faire  sa  première  apparition  devant  ce  public  qui  depuis 
près  de  vingt  ans  ne  cessait  de  l'acclamer  et  de  l'applaudir.  Ce  fut, 
paraît-il,  comme  une  sorte  de  fête,  sur  la  scène  et  dans  la  salle,  et 
plus  encore  quelques  jours  plus  tard,  lorsque  la  mère  et  la  fille  se  mon- 
trèrent ensemble  dans  le  même  ouvrage.  Mais  ce  premie-' séjour  de 
M"'  Cécile  Saint-Aubin  à  l'Opéra-Comique  fat  de  très  courte  durée, 
et  elle  ne  commença  véritablement  sa  carrière  à  ce  théâtre  que  le 
jour  même  où  sa  mèi'e  y  terminait  la  sienne.  Nous  la  retrouverons 
alors. 

Après  avoir  mentionné  trois  nouvelles  créations  faites  par  M""'  Saint- 
Aubin  dans  trois  petits  ouvrages,  un  Quart  d'heure  de  silence,  de  Ga- 
veaux,  la  Ruse  inutile,  de  Nicolo,  et  les  Deux  Aveugles  de  Tolède,  de 
Méhul,  je  rappellerai  un  incident  intéressant  dont  elle  fut  l'héroïne 
avec   Grétry.    Ou  était  à  l'époque  où  les  premiers  ouvrages  (et  les 

(1)  15  juillet  1803.  ■    - 


LE  MENESTREL 


37 


meilleurs)  de  ce  maître  charmant,  abandonnés  et  délaissés  depuis 
plusieurs  années,  retrouvaieut  auprès  du  public  leur  faveur  d'autre- 
fois. On  les  reprenait  à  l'envi,  les  uns  après  les  autres,  pour  la 
plus  grande  joie  d  une  génération  de  spectateurs  à  laquelle  ils  étaient 
inconnus.  C'est  ainsi  qu'on  avait  remis  à  la  scène,  le  17  juin  180S, 
avec  un  grand  succès,  le  Tableau  parlant,  joué  par  EUeviou,  Solié, 
Lesage,  M™'  Saiot-Aubin  et  une  toute  jeune  fille,  M"'=  Marceline 
Desbordes,  qui  devait  plus  tard  se  faire  une  si  grande  renommée 
comme  poète  sou^  le  nom  de  M"'  Desbordes-Valmore  ;  c'est  ainsi 
que  le  16  mars  1806  on  faisait  reparaître  Raoul  Barbe-Bleue,  avec  Ghe- 
nard,  Saint-Aubin,  Paul,  Allaire,  Richebourg,  Leroux  et  W-'  Pinge- 
net,  et  qu'enfin  quatre  jours  après,  le  20  mars,  l'afflelie  annonçait 
Richard  Cœur  de  Lion,  qui  n'avait  pas  été  joué  depuis  le  10  août  1792. 
Les  rôles  principaux  étaient  tenus  par  Gavaudan  (Richard),  Eileviou 
(Blondel),  Gaveaux  (Florestan),  Cheiiard  (Williams),  M"""  Saint-Aubin 
(Lautette),  M"'  Pingenet  aîoée  (Marguerite)  et  M"'"  Gavaudan  (An- 
tooio).  Une  foule  énorme  avait  envahi  le  théâtre  pour  cette  reprise, 
attirée  tout  à  la  fois  par  la  renommée  du  chef-d'œuvre  et  par  une 
interprétation  que  l'on  jugeait  d'avance  devoir  être  excellente.  Le 
succès  fut  colossal;  on  rappela  les  acteurs,  on  exigea  la  présence 
du  compositeur,  tous  parurent  ensemble  sur  la  scène,  et  lorsqu'ils 
furent  devant  le  public  une  superbe  couronne  vint  tomber  aux  pieds 
de  M""  Saint-Aubin,  qui  la  ramassa  aussitôt  et  qui  la  posa,  avec 
une  grâce  charmante,  sur  la  tète  du  vieux  maître,  aux  acclamations 
et  aux  bravos  d'une  salle  vraiment  ivre  de  joie  et  d'enlhousiasme. 
C'est  à  cette  occasion  que  Grétry  adressa  à  M""  Saint-Aubin  la  lettre 
suivante,  qui  est  peu  connue  : 

Il  me  serait  difficile,  ma  chère  et  belle  Laurette,  de  vous  témoigner 
toute  ma  reconnaissance.  La  couronne  que  vous  avez  posée  sur  la  tête  de 
votre  vieil  ami  sera  conservée  dans  ma  famille.  Puissiez-vous  rester  encore 
longtemps  au  théâtre  pour  y  protéger  par  vos  talens  inimitables  mes  pro- 
ductions musicales,  que  nul  artiste  n'apprécie  et  ne  fait  valoir  plus  que 
vous.  Je  vous  embrasse  tendrement  et  de  tout  mon  cœur. 

Grétry. 
Paris,  24  mars  1806. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  La  symphonie  en  si  bémol  est  un  des  rares 
ouvrages  de  Schumann  où  se  révèle,  dans  son  efQorescence  native,  son 
imagination  pénétrée  d'eflluves  juvéniles,  enivrée  de  lumière,  confiante 
dans  la  réalisation  des  rêves  entrevus.  Cette  symphonie  marque  un  état 
d'âme  particulièrement  intéressant  dont  nous  retrouvons,  dans  d'autres 
œuvres  du  maître,  des  traces  de  plus  en  plus  rares,  à  mesure  que  la  ma- 
ladie mentale  devenait  plus  envahissante.  —  Le  Réveil  de  Galathée  de 
M.  G.  Pierné  a  reçu  un  accueil  très  chaleureux.  L'œuvre,  simplement 
mélodique,  clairement  orchestrée,  pleine  de  charme,  agréable  et  pourvue 
d'une  péroraison  d'un  système  peu  compliqué,  suffit  au  plaisir  de  l'audi- 
teur sans  exiger  de  lui  aucun  effort  d'initiation  préalable.  M"=  Marcelle 
Pregi  a  chanté  cette  scène  lyrique  avec  une  voix  suffisamment  pleine  et 
étoffée,  un  excellent  style  et  une  diction  délicate  et  fine.  Elle  a  égale- 
ment rendu  avec  un  sentiment  profond  la  ballade  élégiaque  de  M.  Arthur 
Coquard  :  Ea:i  Luli,  inspiration  d'un  caractère  plaintif,  malgré  deux  ou 
trois  accents  de  révolte  intérieure  que  la  musique  a  soigneusement  notés. 
Le  dernier  vers  de  chaque  strophe  est  écrit  sur  une  série  diatonique 
descendante  de  six  tons  (deux  tritons  consécutifs)  qui  produisent  une  im- 
pression étrangement  triste.  —  La  Vision  ds  Jeanne  d'Arc,  poème  sympho- 
nique  de  M.  Paul  Vidal,  est  une  œuvre  d'un  réel  intérêt  musical.  Le 
défaut  capital  consiste  dans  la  fragilité  des  contours  d'un  thème  qui 
semble  impuissant  à  supporter  l'instrumentation  un  peu  forte  et  la  sono- 
rité tumultueuse  qui  interviennent  dans  le  courant  du  morceau.  A  cer- 
tains moments  le  dessin  musical  se  désagrège  et  s'effondre.  C'est  là  une 
erreur  d'optique  bien  excusable  et  qui  ne  saurait  nous  empêcher  de  rendre 
pleine  justice  aux  grandes  qualités  mélodiques  et  à  la  science  orchestrale 
de  l'auteur.  —  M'"'  Juliette  Dantin  a  été  acclamée  dans  le  concerto  de 
Wienawski.  Cette  jeune  violoniste  a  entièrement  acquis  depuis  quelques 
mois  beaucoup  d'assurance  dans  le  coup  d'archet,  plus  de  dextérité  dans 
l'exécution  des  traits  et  une  virtuosité  que  rien  ne  rebutera  désormais 
—  La  suite  d'orchestre  sur  Sijlvia,  de  Léo  Delibes,  a  obtenu  un  accueil 
enthousiaste.  On  a  redemandé  la  valse  lente  elle  Pizzicatti,  qui  seul  a  été 
recommencé  après  une  tempête  de  bravos.  On  a  entendu  ensuite  trois 
fragments  des  Maîtres  chanteurs  de  Wagner,  comprenant  la  valse  des  ap- 
prentis, page  peu  musicale  et  sèche  s'il  en  fut  jamais,  Enfin,  la  superbe  et 
très  musicale  Marclie  troyenne  de  Berlioz  a  ravi  l'assistance  par  ses  accents 
tour  à  tour  empreints  de  grandeur  héroïque  ou  remplis  d'un  charme 
pénétrant.  Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  L'ouverture  de  Brocéliande  est  l'œuvre  d'un 
tout  jeune  compositeur,  élève  de  M.  Massenet.  Cette  ouverture  est  assez 


courte;  elle  est  pleine  de  promesses  pourl'avenir.  Pour  le  présent,  M.  Lam- 
bert adopte  les  clichés  de  la  nouvelle  école,  le  chant  dit  par  tous  les 
violoncelles,  le  crescendo  terminé  par  un  fortissimo  de  trombones,  les 
leit-moliv  qu'on  se  contentait  autrefois  d'appeler  des  motifs,  etc.  N'était 
le  thème  breton  qui  est  d'une  rare  vulgarité,  l'ouverture  de  Brocéliande  est 
agréable  à  entendre  et  digne  d'être  applaudie.  —  La  symphonie  en  ré  mineur 
de  Schumann,  quoique  portant  le  n"  i,  a  été  presque  entièrement  conçue 
en  1841,  immédiatement  après  la  première,  en  si  bémol;  mais  Schumann 
l'a  soumise  plus  tard  à  un  remaniement  pour  l'orchestration  et  ne  l'a  pu- 
bliée qu'en  iSbl.  On  trouve  des  détails  sur  cette  symphonie  dans  Wasie- 
lewski  (p.  211  et  277).  M.  Grove  s'exprime  ainsi  dans  son  grand  diction- 
naire musical  :  «  La  passion  s'y  montre  plus  que  dans  la  symphonie  en 
si  bémol;  la  forme  aussi  est  nouvelle  et  heureuse,  les  quatre  sections  se 
suivent  consécutivement  et  sans  pause, en  sorte  que  l'œuvre  entière  semble 
ne  consister  qu'en  un  seul  et  grand  mouvement.  Schumann  avait  d'abord 
projeté  de  lui  donner  le  titre  de  Fantaisie  symphonique;  car,  là  aussi,  de 
poétiques  peintures  semblent  voltiger  autour  de  lui  de  tous  côtés:  il  y 
renonça,  on  ne  sait  pourquoi  ».  A  cette  œuvre  nerveuse  et  passionnée,  on 
ne  peut  faire  qu'un  seul  reproche,  celui  d'être  écrite  d'une  façon  trop  per- 
sistante dans  les  tons  un  peu  sourds  du  médium.  —  L'ouverture  du  Vaisseau 
fantôme  est  une  -des  belles  pages  de  Wagner  (le  Wagner  de  la  première 
manière).  Cette  tempête  continue,  au-dessus  de  laquelle  planent  tous  les 
dessins  mélodiques  de  la  partition,  impressionne  vivement;  mais  je  crois 
que  les  vrais  wagnériens  dédaignent  cette  œuvre  de  jeunesse.  —  Avec  la 
Forêt  enchantée  de  M.  d'Indy,  nous  voguons  dans  les  sphères  supérieures 
auxquelles  tout  le  monde  n'atteint  pas.  Nous  renvoyons  à  l'excellent 
compte  rendu  que  notre  confrère,  M.  Boutarel,  a  fait  de  ce  morceau  des- 
criptif. —  Nous  sommes  plus  aptes  à  comprendre  la  suite  de  Sylvia,  du 
regretté  Delibes;  voilà  de  la  vraie  musique  française,  mélodieuse,  claire, 
alerte.  C'est  un  éblouissement  pour  les  pauvres  d'esprit.  Nous  avons  aussi 
très  bien  compris  EspaTia,  de  M.  Chabrier.  Cette  fantaisie  espagnole  est 
bien  une  des  choses  les  plus  amusantes  que  l'on  puisse  entendre.  Mille 
compliments  à  M"»  Laudi  pour  l'art  remarquable  avec  lequel  elle  a  inter- 
prété ta  Captice,  de  Berlioz,  et  la  Rêverie  de  M.Saint-Saêns.    H.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 

Consercatoire  :  symplionie  en  sol  mineur  (Mozart);  te  Déluge  (Sainl-Saëns),  soli 
par  M"""  Cogoault  et  Lavigne,  MM.  Vergnet  et  Auguez  ;  sympfionie  en  ut  mineur 
(Beetlioven).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  Garciu. 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  si  bémol  (Schumann)  ;  prélude  de  la 
Reine  Berthe  (Joncières);  fragments  de  Tristan  et  ïseult  (Wagner),  chantés  par 
M""  Fursch-Madi  ;  concerto  en  ut  mineur  (Be  ihoven),  exécuté  par  M.  E.  Rii-ler; 
ta  Vision  de  Jeanne  d'Arc  (Paul  Vidal)  ;  fragments  de  Rnlemption  (C.  Franck),  chan- 
tés par  M""  Fursch-Madi;  Sous  les  tilleuls,  fragment  des  Scènes  alsaciennes  (Màsse- 
net)  ;  Marclie  liéroique  (Saint-Saëns) . 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  ;  ouverture  de  concert  (Grieg); 
symphonie  en  la,  n°  7  (Beethoven);  prélude  du  Déluge  (Saint-Saëns);  Noce  villa- 
geoise (Goldmark)  ;  ouverture  du  Vaisseau  fantôme  (Wagner)  ;  Sylvia  (Léo  Delibes), 

—  Musique  de  chambre.  —  Un  grand  calme  règne  encore  dans  nos  salles 
de  concerts,  et  bien  rares  sont  les  programmes  dont  l'intérêt  soit  assez 
grand  pour  attirer  le  public.  De  ces  derniers  était  pourtant  celui  d'une 
séance  donnée  chez  Erard  par  M.  White,  le  renommé  violoniste,  avec  le 
concours  de  MM.  Diémer,  Delsart  et  Van  Waefelghem.  On  y  a  entendu 
comme  morceaux  d'ensemble  le  10«  quatuor  de  Beethoven  et  une  sonate  de 
M.  Diémerj  qui  a  joué,  seul,  trois  pièces  avec  sa  prestidigiteuse  technique  ; 
M.  White  a  interprété,  avec  la  correction  et  l'autorité  qui  distinguent  son 
talent,  la  Chaconne  de  Bach,  et  M.  Delsart  a  su  se  faire  vivement  applaudir 
après  une  sonate  de  Boccherini.  —  Un  autre  concert,  dont  le  succès  artis- 
tique a  été  brillant,  a  été  donné  par  MM.  Puguo,  Viardot  et  HoUmann.  Au 
programme  se  trouvaient  inscrits,  à  côté  du  beau  trio  en  ré  de  Schumann, 
le  quatuor  de  Rheinberger,  œuvre  agréable  et  qui  a  produit  une  bonne 
impression,  et  l'intéressante  sonate  pour  piano  et  violoncelle  de  Grieg. 
M™»  Leroux  a  chanté  avec  charme  des  mélodies  de  M.  Xavier  Leroux,  dont 
une,  la  Mort  de  l'enfant,  a  particulièrement  plu.—  M.  Mendels  a  fait  entendre, 
dans  une  de  ses  dernières  matinées,  le  quatuor  à  cordes  de  M.  Charles 
Lefebvre.  Le  succès  en  a  été  réel  et  légitime.  Il  y  a,  dans  les  quatre 
morceaux  dont  il  se  compose,  beaucoup  de  poésie  et  un  grand  charme,  et 
l'ensemble  en  est  fort  intéressant.  L'exécution  a  été  bonne.  —  Un  pianiste 
néerlandais,  M.  Van  Groningen,  a  donné,  salle  Pleyel,  un  récital  de  piano. 
Il  a  soutenu  avec  vaillance  un  long  et  difficile  programme.  Son  jeu  a  de 
l'énergie  et  de  la  solidité,  mais  paraît  manquer  de  souplesse.  Il  a  tort 
bien  rendu  quelques-uns  des  préludes  de  Chopin  et  la  sonate  en  ré  mineur 
de  Beethoven.  l.  Phiupp. 

—  La  prochaine  séance  de  musique  de  chambre  donnée  parM.  J.  White 
aura  lieu  le  i  février,  salle  Érard. 


NOUVELLES     DIVERSES 

ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Bruxelles  (29  janvier)  :  La  mort  du  prince 
Baudouin  a  amené  la  fermeture  de  la  plupart  des  théâtres  et  particulière- 
ment de  la  Monnaie,  qui,  étant  le  théâtre  royal  par  excellence,  subven- 
tionné par  la  cour,  a  fait  relâche  pendant  toute   cette  semaine.  Il  s'en- 


38 


LE  MENESTREL 


suit  que  la  reprise  de  Lakmé  a  été  remise  de  liuit  jours  et  n'aura  lieu 
que  lundi  prochain.  Cet  événement  a  eu  une  autre  conséquence  assez 
curieuse  :  Il  y  a,  dans  les  engagements  d'artistes,  une  clause  qui  permet 
à  la  direction,  en  cas  de  calamité  ou  de  deuil  public,  de  faire  relâche 
pendant  un  certain  temps  et  de  diminuer  les  appointements  du  personnel 
suivant  la  durée  de  la  suspension  du  service.  Cette  cause  était  applicable 
en  cette  occasion.  MM.  Stoumon  et  Calabresi  l'ont  appliquée  d'une  façon 
originale,  profitable  à  leurs  intérêts  et  aussi,  je  me  hâte  de  le  dire,  à 
ceux  de  leurs  artistes.  Au  lieu  de  supprimer  purement  et  simplement  une 
semaine  d'appointements,  ils  ont  demandé  aux  artistes  de  prolonger 
d'une  semaine  la  durée  de  leur  engagement,  à  la  fin  de  la  saison  théâ- 
trale :  de  telle  sorte  que  cette  saison,  au  lieu  de  finir  le  2  ou  le  3  mai, 
ne  finirait  que  le  10  mai.  Tous  ont  accepté  et  signé.  Les  artistes  ne 
perdront  pas  d'argent;  et  la  direction,  qui  n'aurait  pas  fait  un  sou  si  elle 
avait  joué  cette  semaine,  est  à  peu  près  assurée,  en  revanche,  de  faire 
de  belles  recettes  à  la  fin  de  l'année,  toujours  très  productive  à  la  veille 
de  la  clôture,  qu'ils  avaient  depuis  longtemps  demandé  en  vain  à  la  Ville 
de  pouvoir  reculer.  Gela  nous  prouve  que  ces  messieurs  ne  sont  pas 
moins  bons  administrateurs  qu'excellents  directeurs.  L.  S. 

—  De  toutes  les  opérettes  allemandes  écloses  en  1890,  une  seule  peut 
être  considérée  comme  un  véritable  succès,  c'est /e  Pauvre  Jonathan  (3  actes, 
livret  de  MM.  H.  "Wittmann  et  L.  Bauer,  musique  de  M.  G.  Millôcker), 
représenté  pour  la  première  fois  à  Vienne  le  i  janvier  et  joué  depuis  sur 
vingt  scènes  différentes.  Voici  les  titres  des  autres  opérettes  qui  ont  reçu 
le  baptême  de  la  rampe  en  1890  dans  les  théâtres  d'Allemagne  et  d'Autriche- 
Hongrie  :  dcr  Allé  Dessauer,  livret  de  M.  Max  Henschel,  musique  de  M.  0. 
Findeisen  (Magdebourg,  16  janvier);  Gôdollô,  livret  de  M.  Gross,  musique 
de  M.  A. -H.  Mayer  (Presbourg,  18  janvier);  la  Fiancée  du  soldat,  musique 
de  M.  G.  Schumann  ("Wiener-Mustadt);  le  Roi  Loustic,  3  actes,  livret  de 
M.  G.  Grome-Schwiening,  musique  de  M.  X.-A.  Platzbecker  (Leipzig, 
9  janvier);  Monsieur  l'Abbé,  2  actes,  livret  de  MM.  Léon  et  Brackl,  musique 
de  M.  Alfred  Zamara  (Francfort,  24  janvier);  le  Petit  Chat,  musique  de 
M.  H.  Félix  (Lemberg,  23  janvier);  Angelor,  un  acte,  livret  de  M.  I.  Horst, 
musique  de  M.  G.  W^einberger  (Troppau,  15  février);  le  Major  Lumpus, 
trois  actes,  livret  de  M.  0.  Stoklaska,  musique  du  marquis  Max  de  Wild- 
feld  (Olmûtz,  février);  le  Roi  des  Escrocs,  livret  de  MM.  Ewald  et  W.  Ben- 
necke,  musique  de  M.  F.  Baier  (Gassel,  6  mars);  les  Royalistes,  trois  actes, 
livret  de  M.  A.  Philipp,  musique  de  M.  L  Manas  (Hambourg,  26  avril); 
Marinella,  livret  de  M.  H.Bohrmann,  musique  deM.O.Schulz  (Nuremberg, 
avril)  ;  le  Convive  pâle,  trois  actes,  livret  de  MM.  V.  Léon  et  H.  von  'Wald- 
berg,  musique  de  MM.  A.  Zamara  et  I.  Hellmesberger  (Hambourg,  6  sep- 
tembre); le  Gouverneur,  livret  de  MM.  Karpa  et  Legwarth,  musique  de 
M.  E.  von  Taund  (Gratz,  18  octobre);  le  Page  Fritz,  trois  actes,  livret  de 
MM.  A.  Landsberg  et  R.  Gênée,  musique  de  MM.  A.  Strasser  et  M.  von 
Keinzierl  (Brûun,  octobre)  ;  le  Courtier  de  mariages,  musique  de  M.  Max 
Gabriel  (Hanovre,  16  novembre);  Casanova,  trois  actes,  livret  de  MM.  von 
Born  et  Hattendorf,  musique  de  M.  B.  Pulvermacher  (Liegnitz,  21  novem- 
bre); l'Adjudant,  un  acte,  livret  de  M.  A.  Ruprecht,  musique  de  M.  Wein- 
berger  (Vienne,  22  novembre);  Madame  le  Diable,  trois  actes,  livret  de 
M.  Herzl,  d'après  MM.  Meilhac  et  Mortier,  musique  de  M.  A.  MûUer 
(Vienne,  22  novembre);  Szinân  basa,  musique  de  M.  R.  Raimann  (Totis, 
théâtre  du  château  d'Esterhazy). 

—  Les  nouveautés  chorégraphiques  ont  été  peu  nombreuses  en  1890 
dans  les  théâtres  allemands.  On  n'en  signale  que  trois.  Ge  sont  Soleil  et  Terre, 
de  MM.  Gaul  et  Hastreiter  (Berlin,  théâtre  Frédéric-Guillaume,  8  novembre), 
un  Conte  chorégraphique,  quatre  actes,  quatorze  tableaux,  scénario,  de 
MM.  Gaul  et  Hastreiter,  musique  de  M.  J.  Bayer  (Opéra  de  Vienne,  19  dé- 
cembre) et  Porcelaine  de  Misnie,  un  acte  et  un  prologue,  scénario  de  M.  J. 
Golinelli,  musique  de  M.  J.  Hellmesberger  jeune  (Leipzig,  26  janvier). 

—  La  municipalité  d'Osnabruck,  où  Lortzing  a  exei-cé  pendant  de  lon- 
gues années  les  professions  de  comédien,  de  chanteur  et  de  compositeur, 
a  décidé  de  placer  une  inscription  votive  à  la  mémoire  du  regretté  musi- 
cien sur  la  façade  de  la  maison  qu'il  habita  autrefois,  Tharmstrasse,  8  bis. 
Le  théâtre  de  la  ville  s'est  associé  à  es  projet  eu  organisant  une  représen- 
tation de  gala,  composée  de  l'opéra  Hans  Sachs,  de  Lortzing,  et  d'un  prolo- 
gue de  circonstance. 

—  On  sait  que  les  représentations  du  théâtre  wagnérien  de  Bayreuth 
comprennent  cette  année  les  trois  ouvrages  suivants  :  Parsifal,  Tristan  et 
Yseult  et  le  Tannhduser.  Voici  comment  sont  fixées  les  dates  des  représen- 
sentations  de  ces  trois  ouvrages  :  Parsifal,  les  19,  23,  26  et  29  juillet,  2,  6, 
9,  12,  16  et  19  août;  Tristan  et  Yseult,  le  20  juillet,  les  S  et  13  août; 
Tannhduser,  les  22,  27  et  30  juillet,  3,  10,  13  et  18  août.  On  voit  donc  que 
le  nombre  total  des  représentations  est  de  20,  dont  10  pour  Parsifal, 
7  pour  Tannhduser  et  3  seulement  pour  Tristan  et  Yseidt. 

—  Une  exposition  d'électricité  doit  avoir  lieu  l'année  prochaine  à  Franc- 
fort, dans  laquelle  la  musique  aura  une  pari  importante.  On  assure  en 
effet  qu'un  grand  nombre  de  téléphones  seront  placés  dans  les  salles  de 
cette  exposition,  grâce  auxquels  les  visiteurs  pourront  entendre  non  seu- 
lement les  concerts  qui  se  donneront  au  Jardin  public,  mais  encore  ceux 
des  villes  voisines,  telles  que  Wiesbaden,  Spa,  Hambourg,  Bade,  etc.  On 
espère  même  pouvoir  mettre  quelques  téléphones  en  communication  avec 
les  théâtres  de  Munich  et  de  Mannheim. 


_  jyXmo  pa m  est  annoncée  comme  devant  paraître  au  prochain  concert  de 
la  Philharmonie  de  Berlin,  qui  sera  donné  le  4  février.  Toutes  les  jilaces 
ont  été  enlevées  dès  l'ouverture  du  bureau  de  location. 

—  On  écrit  de  Leipzig  à  VAllgemeine  Musikzeitung  de  Berl  n,  i  ue  le 
comité  pour  l'érec  ion  du  monument  de  Wagner  ne  parvient  toujours  pas 
.1  se  mettr.'  d'accord  sur  la  forme  à  donner  à  ce  monument.  La  principale 
raison  du  dissentiment  (  st  le  manque  de  ressources  dont  dispose  le  comité. 
Tous  les  moyens  de  persuasion  ont  été  épuisés  pour  attirer  les  souscrip- 
teurs. On  va  t  nter  à  présent  d'un  concert  monstre  à  l'Alberthalle  et,  en  cas 
lie  non-réussite,  d'une  représentation  modèle  d'un  o  .vrage  de  Wagner  au 
théâtre  municipal.  D'autre  part,  li  Berliner  Liederlafel  a  promis  d'organiser 
un  concert  à  Leipzig  au  profit  de  cet  infortuné  monument. 

—  Il  vient  de  se  former  à  Berlin  un  comité  qui  se  donne  pour  mission 
de  provoquer  en  cette  ville  l'érection  d'un  monument  à  la  mémoire  de 
Mozart.  La  présidence  de  ce  comité  a  été  offerte  à  l'illustre  Joachim,  qui 
l'a  acceptée. 

—  On  télégraphie  de  Saint-Pétersbourg  que  M™"^  Melba  a  chanté  ven- 
dredi soir,  pour  la  première  fois,  le  rôle  de  Juliette,  dans  l'opéra  de  Gounod, 
et  que  son  triomphe  a  été  complet.  Le  succès  de  Jean  de  Reszké,  dans  le 
rôle  de  Roméo,  n'a  pas  été  moins  grand  que  celui  de  sa  partenaire. 

—  Dépêche  d'un  journal  italien.  «  Saint-Pétersbourg,  19  janvier.  Saison 
opéra  italien,  théâtre  Panaieff,  close  avec  deux  représentations,  une 
diurne,  avec  Carmen,  une  le  soir,  avec  Hamlet.  Fête  énorme  à  tous  les 
artistes,  comblés  de  fleurs,  de  couronnes,  d'objets  précieux.  Adèle  Borghi 
Carmen,  renouvelé  triomphes,  très  bien  secondée  par  Repetto,  ténor  d'An- 
drade,  baryton  PoUi.  Dans  Hamlet  ont  fait  furore  Van  Zandt,  Kaschmann, 
Lubatovitch.  » 

—  A  Moscou,  la  saison  des  concerts  de  la  Société  Impériale  russe  est 
dirigée  cette  fois  par  M.  Wassily  Safonofî,  à  la  tête  d'un  orchestre  de 
90  musiciens.  Dans  une  des  dernières  séances,  dont  le  programme  était 
particulièrement  intéressant,  on  a  entendu  une  jeune  pianiste,  M""^  Pos- 
nansky,  qui  a  exécuté  avec  un  très  grand  succès  le  concerto  en  ré  mineur 
de  Rubinstein,  les  Variations  en  ut  mineur  de  Beethoven  et  une  romance 
de  Tschaïkowsky. 

—  Les  théâtres  continuent  de  ne  pas  être  florissants  en  Italie.  On  sait 
qu'à  Rome,  la  situation  de  l'Argentina  n'est  rien  moins  que  brillante.  A 
Ravenne,  à  la  suite  d'un  gros  scandale  et  de  manifestations  tumultueuses 
de  la  part  du  public,  le  théâtre  a  dû  être  fermé.  Le  Trovatore  se  console 
en  constatant  que  tous  les  sujets  de  l'empereur  François-Joseph  ne  sont 
pas  plus  heureux  sous  ce  rapport  que  ceux  de  M.  Grispi,  ce  qui  ne  sau- 
rait lui  causer,  en  somme,  qu'une  joie  négative  :  «  Si  l'Italie  pleure,  dit- 
il,  l'Autriche  ne  rit  pas.  Le  Théâtre-National  de  Prague  aurait  fait  ban- 
queroute si  l'empereur  ne  l'avait  régalé  de  42,000  florins;  et  à  Debreczin 
les  directeurs  du  théâtre  ont  suspendu  leurs  paiements  :  les  artistes  et 
les  masses  ne  sont  point  payés,  et  la  caisse  de  l'entreprise  est  vide.  » 

—  On  n'est  jamais  trahi  que  par  les  siens...  Voici  comment  un  journal 
italien,  la  Cronaca  d'arte,  apprécie  la  critique  des  journaux  de  Milan  :  — 
«  La  critique  milanaise  est  une  critique  superficielle,  opportuniste,  le  plus 
souvent  bête  et  crétine,  qui  se  laisse  éblouir  par  le  succès,  qui  plaisante 
de  mauvaise  foi,  et  qui  verse  le  venin  sur  ses  feuilles  et  détruit  sans 
respect  toute  œuvre  d'art  qui  n'a  pas  rencontré  la  faveur  du  public;  c'est 
une  critique  qui  écrit  avec  une  plume  trempée  dans  la  couleur  politique 
de  son  propre  journal  et  qui  a  des  "aresses  de  ralBan  (carrezze  ru/fiane) 
pour  le  public  qui  lui  porte  la  contribution  quotidienne  d'une  pièce  de 
monnaie,  critique  de  boutique,  en  somme.  »  Voilà,  si  ce  portrait  est  a'ussi 
exact  que  sévère,  qui  n'est  pas  pour  inspirer  aux  étrangers  une  grande 
confiance  dans  les  jugements  exprimés  par  la  presse  milanaise. 

—  Le  Teatro  illustrato  nous  donne  la  liste  complète  des  dis-huit  villes 
qui  ont  représenté  jusqu'ici  la  fortunée  Cavalleria  ru^ticana,  de  M.  Pietro 
Mascagni  ;  ce  sont  les  suivantes  :  Rome,  Livourne,  Florence,  Turin,  Bo- 
logne, Ancône,  Palerme,  Vérone,  Madrid,  Buda-Pesth,  Milan,  Hambourg, 
Prague,  Gènes,  Parme,  Naples,  Dresde  et  Brescia.  Un  autre  journal  ajoute 
que  l'ouvrage  sera  prochainement  mis  eu  scène  à  Venise,  Novare,  Berlin, 
■Prieste,  Saint-Pétersbourg,  Moscou,  Stockholm,  Vienne,  Munich,  Gratz, 
New-York  et...  Paris.  Pour  Paris,  nous  nous  permettons  d'émettre  un 
doute,  attendu  que  jusqu'ici  il  n'a  point  été  question  d'y  jouer  la  Caval- 
leria rusticana. 

—  A  Rome,  comme  à  Gênes,  on  se  propose  de  fêter  aussi  l'anniversaire 
de  Ghristophe  Golomh  en  1892.  Là,  ce  serait  le  comité  des  sociétés  catho- 
liques qui  provoquerait  le  mouvement  et  qui  projetterait  de  faire  élever 
un  monument  au  grand  navigateur,  et  de  faire  représenter  l'opéra  de 
Morlacchi,  Cristoforo  Colombo,  dont  la  première  apparition  eut  lieu  à  Gênes 
en  1828. 

—  On  annonce,  au  théâtre  royal  de  Madrid,  la  prochaine  apparition  d'un 
autre  opéra  nouveau  espagnol,  qui  serait  mis  en  scène  aussitôt  après 
celui  de  M.  Serrano,  Irène  d'Otranlo.  Gelui-ci  aurait  pour  titre  Xaquel  et 
pour  auteur  M.  Santamaria. 

—  La  compagnie  d'opéra  anglais  Garl  Rosa  commencera  le  9  février,  à 
Leeds,  une  grande  tournée  dans  la  province  anglaise,  avec  le  concours  de 
M"":  Marie  Rôze.  La  cantatrice  se  fera  entendre  dans  ses  meilleurs  rôles  : 
Carmen,  Mignon  et  Fidelio. 


LE  MENESTREL 


39 


PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

La  Commission  supérieure  des  théâtres  s'est  réunie  vendredi  dernier 
sous  la  présidence  du  ministre  des  Beaux-Arts,  M.  Bourgeois,  pour  la 
discussion  du  nouveau  cahier  des  charges  de  l'Opéra.  Nous  avons  déjà 
donné  le  sens  général  de  ce  cahier  des  charges  et  indiqué  toutes  les  modi- 
fications qu'il  allait  apporter  dans  la  nouvelle  gestion  de  notre  Académie 
nationale  de  musique.  Nous  ne  croyons  donc  pas  avoir  à  revenir,  pour 
le  moment  tout  au  moins,  sur  le  détail  de  chaque  article.  Les  douze 
premiers  de  ces  articles  ont  déjà  été  votés  à  l'unanimité  par  la  Commis- 
sion. M.  Gaston  Calmette  donne  dans  le  Figaro  un  intéressant  résumé  de 
toute  la  discussion.  Nous  nous  associons  pleinement  aux  conclusions  qu'il 
en  tire  et  que  nous  sommes  heureux  de  reproduire  ici:  «Quand  le  cahier 
aura  été  adopté,  on  s'occupera  de  désigner  les  successeurs  de  MM.  Ritt 
et  Gailhard.  Ce  sera  l'achèvement  de  cette  réforme  si  longtemps  attendue 
et  dont  tout  Paris  se  préoccupe.  Espérons  que  les  incidents  politiques  vont 
laisser  à  M.  Bourgeois  et  à  M.  Larroumet  le  loisir  et  la  tranquillité  néces- 
saires pour  continuer,  à  l'Opéra,  l'œuvre  qu'ils  ont  entreprise  et  qui  ne 
tend  à  rien  moins  qu'à  sauver  cette  institution,  compromise  et  déviée  par 
la  faute  de  ceux  qui  la  dirigent  actuellement.  Le  ministre  est  un  esprit 
net  et  juste,  qui  sait  ce  qu'il  veut  et  qui  va  droit  devant  lui;  le  directeur 
des  Beaux-Arts  a  montré  qu'il  est  un  fonctionnaire  éclairé  et  courageux, 
connaissant  son  devoir  et  le  faisant  en  honnête  homme,  et  quoi  qu'il  puisse 
lui  en  coûter.  Tous  deux  ont  entrepris  une  tâche  difficile;  cette  tâche  est 
en  bonne  voie;  il  faut  qu'ils  la  mènent  jusqu'au  bout.  M.  Bourgeois  a 
déclaré,  l'autre  semaine,  qu'il  traitait  la  question  de  l'Opéra  «  en  dehors  et 
au-dessus  de  toutes  les  questions  de  personnes  »;  il  a  raison  et  c'est  par- 
ler en  ministre.  Mais  le  public  a  le  droit  de  penser  que  la  question  de 
principe  n'aurait  pas  acquis  cette  gravité  sans  les  personnes  qui  étaient 
en  cause.  D'ailleurs,  le  ministre  doit  savoir  à  cette  heure  à  quoi  s'en 
tenir.  Que  la  Commission  des  théâtres  agisse  et  termine;  elle  fait  de  bonne 
besogne.  Mais,  il  faut  bien  le  dire  aussi,  le  cahier  des  charges  qu'elle  vote 
si  libéral  et  si  prévoyant  qu'il  soit,  n'aura  de  valeur  que  par  l'homme  qui 
sera  désigné  pour  l'appliquer.  Toute  la  question  de  l'Opéra  se  résume 
donc  dans  le  choix  du  directeur  de  l'Opéra  ». 

—  Suite  et  En  des  nominations  d'officiers  d'académie  faites  à  l'occasion 
du  l"'  janvier:  M.  Germain  Laurens,  compositeur;  M"=  Lemoyne,  profes- 
seur de  musique  ;  M°"=  Lavielli-Goulon,  artiste  lyrique,  ex-artiste  de  l'Opéra  ; 
jjBie  Yeuve  Jeanne  Meyer,  violoniste,  professeur  d'accompagnement  à  la 
maison  d'éducation  de  Saint-Denis;  M.  Parés,  chef  de  musique  des  équi- 
pages ie  la  flotte  ;  M.  Paul,  professeur  de  musique  à  l'Institut  national 
des  Jeunes-Aveugles;  M.  Péricaud,  artiste  dramatique  et  régisseur  général 
du  théâtre  de  l'Ambigu  ;  M.  Plançon,  artiste  du  théâtre  de  l'Opéra  ; 
M.  Ratez,  compositeur;  M.  Rondeau  professeur  de  chant,  M.  Sellier,  ar- 
tiste lyrique  ;  M.  Soulacroix,  professeur  de  musique  (nous  avons  des  raisons 
de  croire  qu'il  y  a  erreur  dans  la  qualification,  et  qu'il  s'agit  ici  de  l'e.x- 
cellent  artiste  de  l'Opéra-Comique)  ;  M.  Tisserand,  artiste  lyrique. 

—  Nouvelles  de  l'Opéra.  On  va  s'occuper,  paraît-il,  de  la  reprise 
d'Henri  VIII,  avec  M/^"'  Adiny  et  Domenech  :  brillante  distribution!  Quant 
à  Fidelio,  dont  les  études  ont  été  reprises  ces  jours-ci,  il  ne  sera  donné 
que  fin  mars,  M.  Gevaert  se  trouvant  retenu  impérieusement  à  Bruxelles 
jusqu'à  cette  époque.  La  reprise  de  la  Tempête,  le  ballet  d'Ambroise  Tho- 
mas, accompagnera  Fidelio  sur  l'affiche.  Puis,  on  s'occupera  de  Salammbù, 
qu'on  voudrait  jouer  avant  le  mois  de  juin.  On  parle  également  de  remon- 
ter Sylvia  de  Léo  Delibes.  Mais  voilà  si  longtemps  qu'on  en  parle! 

>= —  M'"=  Sibyl  Sanderson  a  signé  hier  un  engagement  avec  la  direction  de 
l'Opéra.  Elle  ne  débutera  toutefois  qu'après  avoir  achevé  la  saison  de 
Bruxelles,  c'est-à-dire  vers  le  l"juin. 

—  M.  Harris,  le  directeur  de  Covent-Garden,  plus  avisé  que  MM.  Ritt  et 
Gailhard,  vient  d'engager  pour  sa  prochaine  saison  le  superbe  contralto 
que  nous  leur  avions  signalé,  M"^  Risley,  élève  de  M™  Marchesi.  Il  en 
sera  pour  celle-ci  comme  pour  M™  Melba.  Dédaignée  tout  d'abord  par  les 
étonnants  directeurs  «  qui  ridiculisent  l'Opéra  »,  comme  dit  si  bien  M.  Ma- 
gnard  du  Figaro,  elle  nous  reviendra  cependant  ramenée  par  ses  succès 
de  l'étranger.  M.  Harris  a  engagé  du  même  coup  la  charmante  M"«  Eames, 
de  l'Opéra,  autre  élève  de  M""^  Marchesi,  fort  en  progrès  en  ce  moment. 

—  A  rOdéon  on  va  reprendre  prochainement  Conte  d'avril,  la  charmante 
comédie  de  M.  Dorchain,  avec  toute  une  i^ouvelle  partition  musicale  e 
M.  "Widor,  qui  sera  interpr  tée  par  Torche  tr;  de  M.  Lamoureux.il  ne  s'y 
trouve  pas  moins  de  quinze  numéros. 

—  Nous  annoncions  dernièrement  le  don  de  divers  instruments  qui 
avait  été  fait  au  Conservatoire  de  Lille  par  le  ministère  des  beaux-arts 
Nous  apprenons  que  le  Conservatoire  de  Nantes,  dont  l'excellent  directeur 
est  M.  Woingaortner,  vient  d'être  l'objet  d'une  libéralité  du  même  genre. 
Il  a  reçu  pour  sa  part  deux  magnifiques  instruments  de  MM.  Gand  et 
Bernardel  :  un  alto  et  un  violoncelle,  plus  une  fort  belle  clarinette  et  une 
trompette  à  pistons. 

—  Une  surprise  faite  aux  Parisiens.  On  assure  que  M'"°  Adelina  Patti 
viendra  se  faire  entendre  le  Vendredi  saint  au  Cirque  des  Champs-Elysées, 
dans  le  concert  spirituel  donné  par  M.  Charles  Lamoureux. 

—  Après  une  première  tournée  en  Hollande,  dont  le  succès  a  dépassé 
foutes  les  prévisions,  M.  Lamoureux  vient  de  traiter  pour  une  nouvelle  sé- 


rie de  concerts  d'orchestre  en  Hollande  et  en  Belgique  aux  dates  suivantes  : 
1"'  avril,  la  Haye;  2,  Rotterdam;  3,  Amsterdam;  i,  la  Haye;  S,  Amster- 
dam; 6,  Rotterdam;  7,  Arnheim  ;  8,  Utrecht;  9,  Anvers;  10,  Liège;  II, 
Bruxelles;  12,  Gand. 

—  M""  Andrée  Lacombe  vient  de  recevoir  de  Genève  la  lettre  suivante: 

Madame, 
Notre  directeur  artistique,  M.  Dauphin,  avait  espéré  pouvoir  monter  dans  le 
courant  de  cette  saison  l'œuvre  si  remarquable  de  votre  regretté  mari,  et  nous 
nous  étions  nous-mêmes  associés  à  cette  idée  avec  l'espoir  que  cet  ouvrage,  au 
souffle  patriotique  si  puissant,  remporterait  un  grand  succès  sur  notre  scène. 
Malbeurousement,  nous  nous  heurtons  à  des  difficultés  très  sérieuses  au  point 
de  vue  do  l'exécution  des  décors,  qui  doivent  être  absolument  conformes  à  l'his- 
toire et  à  la  nature  du  pays  où  se  déroule  ce  drame  lyrique  ;  nos  constructeurs 
(dont  vous  trouvez  sous  ce  pli  le  rapport),  demandent  quatre  mois  pour  mener  k 
bien  cet  important  travail,  ce  qui  nous  conduit  à  la  fia  de  la  saison.  Dans  ces 
conditions,  notre  administration  ne  peut  donner  suite  à  ce  projet  pour  la  saison 
actuelle  ;  mais  nous  tenons,  madame,  à  vous  donner  l'assurance  que  Winkdried 
sera  l'un  des  premiers  ouvrages  mis  à  l'étude  la  saison  prochaine.  Vous  com- 
prendrez facilement  les  motifs  qui  nous  font  ajourner  le  projet  de  notre  direc- 
teur, qui  a  pu  se  convaincre  qu'il  serait  imprudent  de  lancer  cet  ouvrage  dans 
des  conditions  qu>  pourraient  en  compromettre  l'entière  réussite.  De  tous  côtés 
de  la  Suisse  on  viendra  entendre  l'œuvre  du  regretté  maître,  et  nous  voulons 
que  la  mise  en  scène  soit  digne  de  la  musique  qu'il  a  composée  pour  retracer 
la  vie  d'un  héros  de  notre  histoire  nationale.  Agréez,  madame,  l'assurance  de  ma 
considération  distinguée. 

Le  conseiller  administratif  délégué  au  théâtre, 
F.  Dupont. 

—  Le  crâne  de  Mozart.  On  sait  que  Joseph  Ilyrtl,  le  grand  anatomiste 
autrichien,  aujourd'hui  âgé  de  91  ans,  a  reçu  des  mains  de  son  frère  le 
crâne  —  authentique  —  de  Mozart.  Une  information  relative  à  cette  pré- 
cieuse relique,  publiée  par  le  Nouveau  Tagblatt  de  Vienne  il  y  a  quelques 
jours,  avait  été  mise  en  doute  par  un  certain  nombre  de  lecteurs  de  la 
feuille  viennoise.  Pour  en  avoir  le  cœur  net,  le  journal  adressa  au  savant 
vieillard  une  lettre  dans  laquelle  il  priait  M.  Hyrtl  de  donner  au  public 
quelques  détails  sur  le  crâne  de  Mozart,  et  de  lui  dire  s'il  était  vrai  qu'il 
avait  l'intention  d'en  faire  cadeau  au  musée  de  la  ville  de  Vienne. 
Mme  Hyrtl  vient  d'écrire  au  journal  la  lettre  suivante,  datée  de  Perchtold- 
dorf,  près  Vienne,  où  le  savant  séjourne  la  plus  .grande  partie  de  l'année: 
«  Vous  pouvez  affirmer  que  le  crâne  de  Mozart,  remis  à  mon  mari  par 
son  frère,  se  trouve  effectivement  en  sa  possession,  mais  tous  les  vœux 
tendant  à  sa  cession  à  la  ville  de  Vienne  peuvent  être  considérés  comme 
devant  rester  infructueux,  mon  mari  ayant  légué  le  crâne  de  Mozart, 
suivant  son  testament,  à  la  ville  de  Salzbourg.  » 

—  M.  Emile  Bohn,  déjà  connu  par  une  très  soigneuse  bibliographie  des 
imprimés  musicaux,  antérieurs  à  1700,  existant  à  Breslau,  vient  de  con- 
sacrer trois  années  au  dépouillement,  au  classement  et  au  catalogue  des 
manuscrits  musicaux  de  la  même  époque,  possédés  par  la  bibliothèque 
publique  de  la  même  ville.  Le  fort  volume,  résultat  de  ce  long  travail  — 
die  musikalischen  Handschriften  des  XVI  und  XVII  Jahrhunderts  in  der  Stadt- 
bibliothek  zu  Breslau,  Breslau,  Hainauer,  1890,  in-8",  XVI-423  p.)  —  offre  un 
grand  intérêt  non  seulement  à  cause  du  nombre  des  œuvres  musicales 
qu'il  énumère,  mais  encore  parce  que,  étant  un  des  premiers  en  son  genre, 
il  peut  guider  d'autres  auteurs  dans  la  confection  difficile  de  semblables 
inventaires.  Le  plan  conçu  et  adopté  par  M.  Bohn  mérite  ■  donc  une  sé- 
rieuse attention.  Une  première  division  (p.  1-194),  contient  le  catalogue 
proprement  dit  des  .356  manuscrits,  avec  les  indications  nécessaires  de 
format,  de  date,  d'écriture,  et  le  relevé  du  contenu  de  chacun.  L'inventaire 
semble  donc  complètement  terminé  :  or,  c'est  précisément  ici  que  com- 
mence la  partie  la  plus  neuve  du  travail  de  M.  Bohn,  sous  la  forme,  il  est 
est  vrai,  un  peu  compliquée  d'une  série  de  tables  qui  envisagent  succes- 
sivement sous  tous  leurs  aspects,  les  manuscrits  précédemment  catalogués, 
La  première  classe,  par  langues  et  par  ordri  alphabétique  de  textes,  les 
compositions  vocales  contenues  dans  les  manuscrits  ;  il  n'est  pas  besoin 
d'avoir  feuilleté  beaucoup  de  manuscrits  semblables  pour  savoir  combien 
y  sont  souvent  omis  les  noms  d'auteur;  par  de  minutieuses  recherches, 
M.  Bohn  est  parvenu  à  distinguer  dans  un  nombre  considérable  de  cas  les 
morceaux  déjà  imprimés  et  à  rétablir,  pour  une  très  grande  quantité 
d'entre  eux,  les  noms  d'auteurs  ;  la  notation  sommaire  en  lettres,  usitée 
quelquefois  en  Allemagne,  lui  a  permis  de  donner  les  premières  notes  du 
thème  des  compositions  dont  l'auteur  restait  inconnu.  Viennent  ensuite 
la  liste  des  œuvres  musicales  imprimées  auxquelles  renvoyaient  les  abré- 
viations précédentes,  puis  une  table  des  morceaux  anonymes  et  une  des 
noms  d'auteurs,  et  enfin  une  description  spéciale  du  manuscrit  3S6,  recueil 
important  de  mélodies  de  maîtres  chanteurs  formé  en  1384  par  Adam 
Puschmann.  —  La  multiplicité  de  ces  tables  et  l'emploi  inévitable  d'abré- 
viations nombreuses  rendent  au  premier  abord  le  maniement  du  livre  un 
peu  pénible.  Cependant,  qui  n'achèterait  au  prix  de  quelques  instants 
d'allées  et  de  venues,  d'une  partie  du  livre  à  l'autre,  les  sûrs  renseigne- 
ments qu'en  fin  de  compte  il  est  certain  de  trouver?  et  qui  oserait  se 
plaindre  de  dépenser  à  leur  recherche  quelques  minutes  de  trop,  en  con- 
sidérant les  heures  qu'a  coûté  une  telle  tâche  à  son  auteur? 

M.  Bbenet. 

—  De  1876  date  à  Ratishonne  la  fondation  d'un  annuaire  de  la  musique 
religieuse  allemande,  d'abord  intitulé  Cœcilienkalender,  puis,  à  partir  de 
1886,   Kirchenmusikalisches  Jahrbuch.ha.  seizième  année,   qui  vient   de  pa- 


40 


LE  MÉNESTREL 


raitre,  forme  un  volume  grand  in-8°  de  132  pages,  imprimées  à  deux 
colonnes.  Cette  publication,  modeste  à  son  origine,  s'est  peu  à  peu  élevée 
à  un  rang  des  plus  honorables  dans  la  littérature  musicale  historique; 
c'est  aujourd'h'ji  un  recueil  annuel  de  travaux  inédits,  très  sérieux  et  très 
approfondis  pour  la  plupart,  préssntés  dans  un  ordre  à  la  fois  logique  et 
varié.  Parmi  les  études  renfermées  dans  ce  seizième  volume,  il  nous 
suffira  de  citer  l'article  du  R.  P.  KornmuUer,  résumé  clair  et  concis  de  la 
doctrine  de  la  polyphonie  chez  les  théoriciens  du  moyen  âge  ;  le  travail 
très  complet  et  très  neuf  de  M.  F.-X.  Haberl  sur  Giovanni-Maria  Nanino, 
travail  accompagné  très  heureusement  de  la  reproduction  en  partition 
des  belles  Lamentations  à  quatre  voix  de  ce  mai'ré,  un  des  plus  illustres 
conteniporains  de  Palestrina  ;  un  relevé  analytique  des  lettres  inédites 
d'Orlando  de  Lassus  au  prince  de  Bavière;  d'autres  extraits  des  archives 
bavaroises,  concernant  divers  musiciens  du  XVIP  et  du  XVIIP  siècle, 
Agostino  Steffani,  les  deux  Bernabei  et  autres.  Le  volume  se  termine  par 
une  série  de  comptes  rendus  d'ouvrages  nouveaux  concernant  l'histoire 
de  la  musique,  publiés  en  diverses  langues,  et  par  trois  descriptions 
d'orgues  existant  à  la  cathédrale  d'Ulm,  à  l'église  de  Passau,  et  au  collège 
de  Saint-Patrick  à  Maynooth  (Irlande).  M.  Brenet. 

— •  Bordeaux,  qui  est  bien  la  seconde  ville  de  France  au  point  de  vue 
artistique  et  surtout  musical,  Bordeaux,  qui  dès  le  28  janvier  1877  se  sou- 
venait de  l'anniversaire  de  la  naissance  d'Herold,  qu'elle  célébrait  avec  éclat, 
ne  pouvait  oublier  le  centenaire  du  maitre  inspiré.  De  sorte  que  mercredi 
dernier,  tandis  que  l'Opéra-Gomique  donnait,  à  cette  occasion,  la  l-iS^"  re- 
présentation du  Pré  aux  Clercs,  le  Grand-Théâtre  de  Bordeaux  offrait  à  ses 
habitués  une  reprise  de  l'adorable  chef-d'œuvre,  joué  et  chanté  par  M'"<^Rose 
Delaunay,  dont  le  succès  a  été  très  grand,  M""!»  Savine  et  Benoît-Faure, 
MM.  Queyla,  Nerval,  Yasser  et  Schmidt.  L'effet  a  été  superbe.  Gomme  ici, 
le  rideau  s'est  relevé  entre  le  deuxième  et  le  troisième  acte,  aux  sons  de 
l'ouverture  de  Zampa,  le  buste  d'Herold  (dû  au  sculpteur  Granet)  a  été 
couronné  sur  la  scène,  et  des  strophes  ont  été  dites  à  la  mémoire  d'Herold. 
Ces  strophes  étaient  dues  à  M.  Paul  Berthelot,  l'un  des  rédacteurs  de 
la  Gironde,  et  c'est  M.  Queyla  qui  les  a  récitées.  Voici  les  dernières,  qui 
peuvent  donner  une  idée  de  l'ensemble  du  morceau  : 

Maître,  nous  sommes  las  des  sombres  agonies 

Oii  passent  les  amours  surhumaines  des  dieux, 

La  légende  sacrée  et  les  cosmogonies. .. 

Nous  n'avons  plus  souci  d'escalader  les  cieux. 

Ta  mélodie  eu  fleur  volera  sur  nos  lèvres 

Quand  nous  succomberons  sous  le  fardeau  trop  lourd. 

Et  toujours  nous  dirons,  pour  endormir  nos  fièvres. 

Ta  douce  cantilène  et  tes  soupirs  d'amour. 

Tu  ne  connaîtras  pas,  dans  l'oiobre  oii  tu  rayonnes, 

L'oubli,  qui  de  la  Mort  semble  une  trahisou, 

Et  vers  toi  tu  verras,  en  gerbes,  en  couronnes, 

De  notre  souvenir  monter  la  floraison. 

La  tene  a  dévoré  ta  dépouille  mortelle. 

Mais  ton  âme  respire  en  ton  œuvre  enchanté, 

Et  nos  petits-neveux,  se  courbant  devant  elle, 

Salueront  comme  nous  ton  immortalité! 

—  On  vient  de  donner  à  Nice  la  première  représentation  de  Richard  III, 
opéra  en  quatre  actes,  paroles  de  M.  Emile  Blavet,  musique  de  M.  Sal- 
vayre,  qui,  on  s'en  souvient,  avait  été  donné  pour  la  première  fois  à  Saint- 
Pétersbourg  en  1883.  L'ouvrage  parait  avoir  obtenu  un  grand  succès.  Le 
livret,  tiré  du  drame  de  Shakespeare,  renferme  des  situations  très  drama- 
tiques, et  l'on  cite,  dans  la  partition,  plusieurs  pages  qui  font,  par  leur 
puissance  et  leur  accent,  le  plus  grand  honneur  au  compositeur.  L'inter- 
prétation de  Richard  III  est  d'ailleurs  fort  remarquable,  confiée  qu'elle  est 
à  M^iis  Renée  Richard,  Félix  d'Alba  et  Vaillant-Couturier,  à  MM.  Devoyod 
et  Saléza.  On  dit  aussi  le  plus  grand  bien,  dans  le  divertissement,  d'une 
première  danseuse  charmante,  M"=  Monti.  C'est  M.  Salvayre  qui,  lui- 
même,  dirigeait  l'orchestre. 

—  La  première  représentation  de  Lohengrin  au  théâtre  des  Arts,  de  Rouen, 
paraît  définitivement  fixée  au  jeudi  5  février.  Quand  pourrons-nous  en  dire 
autant  en  ce  qui  concerne  l'Opéra? 

—  Une  très  intéressante  soirée  littéraire  et  dramatique  a  été  donnée, 
dernièrement,  au  Cercle  des  beaux-arts  de  Nantes,  par  M™"^  Reichen- 
berg  et  Pierson,  MM.  de  Féraudy  et  Paul  Mounet,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise. Le  petit  drame  d'Eugène  Manuel,  les  Ouvriers,  a  valu  un  succès  consi- 
dérable à  tous  les  interprètes  ;  la  poésie  de  Victor  Hugo,  les  Pauvres  Gens,  a 
été  dite  d'une  façon  remarquable  par  M.  Paul  Mounet  ;  enfin,  dans  deux 
saynètes,  un  Causeur  agréable  et  le  Volapûck  en  dix  leçons,  M.  de  Féraudy  a 
fait  preuve  de  toute  la  souplesse  de  son  talent. 

—  Au  dernier  concert  de  l'Association  artistique  d'Angers,  véritable 
grand  succès  pour  la  Rapsodie  cambodgienne  et  le  Chant  laotien  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray.  Ovations  et  rappel  pour  l'auteur,  qui  dirigeait  lui-même 
l'orchestre. 

—  M.  Jules  Bordier,  l'excellent  président  de  l'Association  artistique  des 
concerts  populaires  d'Angers,  continue  le  cours  de  ses  succès  de  compo- 
siteur en  province,  et  même  àl'étranger.  M.  Jules  Bordier  a  fait  exécuter 
sous  sa  direction,  aux  concerts  populaires  de  Lille,  deux  de  ses  dernières 


œuvres  :  Adieii  suprême  et  Danses  hongroises,  qui  ont  été  fort  bien  accueillies, 
et  il  a  fait  applaudir  à  Anvers  son  beau  choeur  de  Lorely. 

—  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  M.  Arsandaux  vient  d'être  nommé 
professeur  do  la  classe  de  chant  que  tenait  M.  Salomon  au  Conservatoire 
de  Lyon.  C'est  là  un  excellent  choix,  M.  Arsandaux  étant  non  seulement 
un  artiste  de  talent,  mais  encore  un  maître  émérite. 

—  Les  concerts  du  ténor  Rondeau  prennent  par  leur  périodicité  et  leur 
physionomie  spéciale  le  caractère  d'une  véritable  institution.  A  la  séance 
de  lundi  dernier,  donnée  salle  Érard.  il  y  avait  plusieurs  numéros  d'un 
mérite  réel.  En  première  ligne  il  faut  citer  un  chant  allégorique  de 
M.  Alexandre  Georges  pour  soprano  et  chœurs  intitulé  les  Cloches,  que 
le  public  a  bissé  d'acclamation,  puis  des  mélodies  de  M.  Pierné  chantées 
par  M.  Rondeau  et  M"°  Lavigne  et  les  fragments  i'Endijmion,  de  M.  Albert 
Gahen.  Le  concert  se  terminait  par  l'audition  d'une  série  de  «  mélodies 
populaires  des  provinces  de  France  »,  recueillies  et  harmonisées  par 
M.  Julien  Tiersot.  Cette  audition,  pour  laquelle  on  avait  réuni  un  chœur 
4e  voix  féminines  jeunes  et  fraîches,  sous  la  direction  de  M.  Tiersot,  a 
éveillé  au  plus  haut  degré  l'attention  du  public.  Les  plus  applaudies  de 
ces  mélodies  ont  été  :  le  Mois  de  mai,  dont  les  soli  ont  été  dits  à  ravir  par 
M"=  Julia  Lancenot,  Là-haut  sur  la  montagne,  dont  M.  Rondeau  a  merveil- 
leusement fait  ressortir  le  charme  poétique,  la  Mort  du  roi  Renaud  et  la 
Mort  du  Mari,  chantés  par  M"»  Lavigne,  enfin  En  passant  par  la  Lorraine, 
qui  a  valu  un  succès  mérité  à  M'""  Mélodia-Kerchkoff,  une  artiste  constam- 
ment en  progrès.  M.  Rondeau  annonce  une  nouvelle  séance  pour  une 
date  très  prochaine.  L.  Sch. 

—  Le  16  février  prochain,  salle  Erard,  M"«  Kara  Chatteleyn  donnera  un 
grand  concert  avec  orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Ch.  Lamoureux. 

NÉCROLOGIE 

De  Hollande  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  de  Jean-J.-H.  Ver- 
hulst,  le  nestor  et  le  plus  féccmd  des  compositeurs  de  ce  pays,  où  il  avait 
conquis  une  situation  exceptionnelle.  Directeur  de  la  musique  particulière 
du  feu  roi  de  Hollande,  président,  directeur  et  chef  de  plusieurs  sociétés 
musicales,  chef  d'orchestre  des  concerts  populaires  d'Amsterdam,  Verhulst, 
qui  était  né  à  La  Haye  le  19  mars  1816,  avait  été  l'élève  et  l'ami  de  Char- 
les Hanssens.  le  célèbre  chef  d'orchestre  du  théâtre  de  la  Monnaie  de 
Bruxelles.  Il  fut  pendant  de  longues  années  l'àme  de  la  musique  en  Hol- 
lande, par  son  activité,  son  énergie  et  le  talent  qu'il  déployait  en  toutes 
circonstances.  Il  avait  visité  la  Belgique,  la  France  et  l'Allemagne,  et,  à 
Leipzig,  s'était  particulièrement  lié  avec  Mendelssohn,  auquel  il  dédia 
deux  de  ses  quatuors.  Parmi  ses  très  nombreuses  compositions  publiées, 
on  remarque  :  trois  ouvertures  de  concert  :  un  grand  intermède  pour  or- 
chestre; une  symphonie;  trois  quatuors  pour  instruments  à  cordes;  Chant 
de  la  Fêle  de  Rembrandt,  pour  chœur  d'hommes  et  orchestre  ;  une  messe  de 
Requiem  pour  voix  d'hommes,  orgue  et  orchestre  ;  une  messe  à  quatre 
voix,  chœur  et  orchestre  ;  plusieurs  hymnes  et  motets  ;  Koning  en  Vaderland 
(Roi  et  Patrie),  hymne  et  chœur  pour  quatre  voix  d'hommes  ;  Florii  de 
vijfde  (Florent  V),  poème  pour  ténor  et  chœur;  plus  de  deux  cents  chants 
à  une,  deux,  trois  et  quatre  voix  seules  ou  chœur,  avec  ou  sans  accom- 
pagnement, etc.,  etc. 

Hexri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître  chez  Mackar  et  Noël,  22,  P.  des  Panoramas,  Paris: 
LEFEB'VRE,  Charles,  op.  80.  Quatuor  en  sol  mineur  pour  instruments  à. 

cordes,  en  trois  parties,  prix  net  :  6  francs. 

MARÉCHAL,   Henri.   Suite   d'orchestre    sur    des   Feuillets    d'Album   d'A. 

Chauvet.  Partition  d'orchestre,  net: S  francs.  Parties  séparées,  net:  6  fr. 

Parties  supplémentaires,   cordes,    chaque,    net  :   1   franc.    Piano    seul, 

par  A.  Chauvet,  net  :  3  francs. 

TSCHAIKCWSKY.    La  Dame  de  Pique,    partitions   piano    et   chant, 

piano  seul,  divers  arrangements  à  deux  et  quatre  mains. 

LA    MAISON    REUCHSEL   Jeune  et  BATIAS,   13,   rue  Gentil,  à 

Lyon,  demande  de  suite  un  bon  accordeur-réparateur. 


Viennent  de  paraître  : 
Chez  Alpu.  Leduc,  3,  rue  de  Grammont 

12    PIÈCES    POUR    ORGUE    OU    PIANO-PÉDALIER 

Prélude,  Fugue,  Marche  religieuse.  Intermezzo,  Choral,  Elégie,  Carillon, 
deux  Versets  de  procession  sur  k  l'Adoro  te  »,  Canzona  dans  la  tonalité 
grégorienne,   Adagietto,   Paraphrase  sur  un   «  Laudate   Dominum   » 

PAR 

L.    BOELLMANN 

Chez  J.  IIamei.le,  22,  boulevard  Malesherbes 

PIÈCES    POUR   PIANO 

2=  Impromptu,  Aubade,  2"=  Valse,  Feuillet  d'Album,  Berceuse  (à  -i  mains) 

par 

L.    BOELLMANN 


;  FER.  —  IMPIUHËIUE  < 


,  20, 


312i 


UT™  mm  —  !\"  6. 


Diiiiiiiiclie  8  Février  i^M. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


NESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Mèsestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,   Lettres  et  Bons-poste  d'abonuemenU 
Un  an,  Texte  seul  :  Kl  francs,  Paris  ut  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  Ir.;  TexLe  et  Musique  de  Piano,  20  [r.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complel  d'un  .in,   Tuxlc,   Musique,  de  r.h.inl  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  s 


SOMMi.IEE- TEXTE 


I.  Notes  d'uu  librettiste:  Musique  contemporaine  (37"  et  dernier  article),  Louis 
Gallet.  —  II.  Semaine  tliéàtrale  :  Une  première  à  Londres;  Ivunhoé,  opéra  de 
sir  Arthur  Sullivan,  A.  G.  N.  —  IIL  Une  famille  danistes  :  Les  Saint-Aubin 
(8°  article).  Arthur  Pougis.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SI    L'AMOUR    PRENAIT    RACINE 

nouvelle  mélodie  de  H.  Balthasar-Florence,  paroles  de  G.  Fuster.  — 
Suivra  immédiatement  :  Muguets  et  Coquelicots,  n"  i  des  Rondes  et  Cliansoiis 
d'aiiil,  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  G.  Auriol. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de   piano:   Nulle   autre  qu'elle,   nouvelle   polka  de  Philippe  Fahrdach.    — 
Suivra  immédiatement;  Soits  les  tilleuls,  nouvelle  valse  alsacienne  de  Paul 

ROUGNON. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


MUSIQUE   CONTEMPORAINE 


Geu.\  qui  appartiennent  à  ce  qu'on  pourrait  nommer  en 
musique  l'école  normale  française,  se  rangent  aujourd'hui 
autour  des  membres  de  la  section  spéciale  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts  ou,  plus  jeunes,  s'échelonnent  à  leur  suite.  Ces 
illustres  de  l'Institut  :  Ambroise  Thomas,  Charles  Gounod, 
Ernest  Reyer,  Camille  Saint-Saëns,  Jules  Massenet  et  Léo 
Delibes  ont  leur  place  déjà  faite  ihias  l'histoire  de  ce  temps; 
ils  constituent  comme  la  gamme  brillanLe  des  notes  diverses 
de  l'art  national,  comme  la  palette  des  tons  remarquable- 
ment variés  dont  il  dispose. 

Hier  encore,  ils  étaient  au  grand  complet.  Un  vide  s'est 
fait  tout  à  coup  au  milieu  d'eu.x  :  Léo  Delibes  a  disparu, 
subitement  enlevé  comme  Georges  Bizet.  Sa  mémoire  restera 
chère  à  tous  ceu,\  qui  aiment  la  musique  purement 
française  et  que  charma  sa  muse  gracieuse  et  riante.  Lakmé 
sera  probablement  pour  lui  ce  qu'a  été  Carmen  pour  Bizet. 
Plus  heureux  encore  que  ce  dernier,  dont  la  mort,  comme 
on  sait,  a  réduit  à  néant  la  dernière  partition:  Don  Rodrigue,  il 
a  laissé  une  œuvre  qui  lui  survivra,  qui  sera  comme  son 
testament  musical,  cette  Kassya  à  laquelle  il  ne  manquait 
plus  qu'une  faible  partie  de  sa  parure  iustrumentale. 

Dans    l'immédiat    voisin. ige    de    C9  groupe,    app;iraissent 


Ernest  Guiraud,  le  frère  aîné  de  cette  génération  musicale 
nouvelle,  maître  harmoniste  très  supérieur,  qu'en  dehors  de 
ses  œuvres  de  théâtre  une  admirable  suite  d'orchestre  a  fait 
justement  célèbre;  Paladilhe,  qui,  encore  presque  enfant,  prit 
triomphalement  le  chemin  de  l'école  de  Rome,  et,  depuis, 
compositeur  dramatique  pur,  a  pu  donner,  dans  Patrie,  la 
mesure  de  sa  valeur;  Benjamin  Godard,  musicien  de  race, 
infatigable  travailleur,  plein  de  conflance  en  sa  force  ;  Vic- 
torin  Joncières,  esprit  d'un  large  éclectisme,  poursuivant 
ardemment  un  idéal  très  haut;  le  délicat  coloriste  Théodore 
Dubois,  auteur  entre  autres  œuvres  remarquables  de  la  Faran- 
dole, un  des  plus  agréables  et  vivants  ballets  de  l'Opéra; 
Gh.-M.  Widor  qui,  avec  la  Korrigane,  triompha  sur  la  même 
scène  dans  le  même  genre;  Alphonse  Duvernoy,  que  tout 
son  œuvre  marque  clairement  pour  le  théâtre;  Gaston  Sal- 
vayre,  généreux  tempérament  latin  ;  le  spirituel  et  tendre 
Henri  Maréchal,  Lenepveu,  Lefebvre,  E.  Pessard,  E.  Diaz, 
Wormser,  Hector  Salomon,  les  frères  Hillemacher,  Georges 
Marty,  Puget  et  tant  d'autres  dont  j'ai  déjà  parlé  au  courant 
de  mes  souvenirs,  comme  J.  Duprato  et  Ferdinand  Poise, 
ou  que  j'ai  vus  de  moins  près,  mais  dont  le  public  sait  les 
noms,  a  jugé  les  œuvres;  enfin,  toute  une  pléiade  de  jeunes, 
de  nouveaux  venus,  poetœ  minores,  connus  de  leurs  seuls 
maîtres,  ensevelis  présentement  dans  une  retraite  laborieuse 
et  dont  plusieurs  doivent  compter  à  leur  tour  peut-être  parmi 
les  lumières  de  l'école. 

Edouard  Lalo,  l'auteur  du  Roi  d'Vs,  s'est  fait  sa  large  place 
à  part,  hors  de  leurs  rangs.  Avant  tout,  homme  de  bonne  foi, 
à  tort  classé,  par  quelques-uns,  parmi  les  purs  adeptes  de 
Richard  Wagner,  il  a  longuement  peiné  avant  d'arriver  au 
grand  jour  du  théâtre. 

Je  dois,  pour  compléter  cet  état  des  forces  de  la  musique 
française,  mentionner  encore  ces  troupes  légères,  dont  les 
chefs  sont  Hervé,  E.  Audrau,  un  petit-fils  des  vieux  maîtres 
del'opéra-comique,  Gh.  Lecocq,  G.  Serpette,  R.  Pugno,  Varney, 
Victor  Roger,  Plauquette,  etc.  Beaucoup  de  ces  noms  sont 
populaires  et  l'eiuportent  en  France,  et  surtout  à  l'étranger, 
dans  la  mémoire  du  public,  sur  le  nom  de  plus  d'un  illustre. 


Maintenant,  mes  regards  se  tournent  vers  une  école  indé- 
pendante de  toute  attache  académique  et  dont  le  chef  fut 
César  Franck,  maître  musicien,  d'une  valeur  très  haute, 
d'un  génie  très  austère,  homme  vivant  et  travaillant  avec  la 
touchante  et  superbe  naïveté  d'un  primitif. 

Il  a  passé,  entouré  d'admiration  et  de  respect, ayant  assuré- 


LE  MENESTREL 


ment  un  très  noble  sentiment  de  sa  valeur,  mais  heureux, 
reconnaissant,  honnêtement  louché  de  la  moindre  marque  de 
sincère  estime.  Ses  œuvres  les  plus  connues  :  Rnth,  Rédemp- 
tion, les  Béatitudes,  toutes  empreintes  d'une  grande  sérénité, 
l'ont  classé  au  premier  rang.  11  a  produit  aussi  deux  ouvrages 
dramatiques,  connus  de  ses  seuls  intimes. 

César  Franck  a  été,  de  son  vivant,  un  ignoré  de  la  foule, 
un  lévite  fervent  perdu  dans  l'ombre  mystérieuse  du  sanc- 
tuaire musical.  Le  prestige  de  la  mort  commence  à  revêtir 
de  lumière  cette  figure:  il  suffira  de  peu  de  temps  pour 
lui  faire  au  soleil  une  place  qu'après  tant  d'années  de  patient 
labeur  on  ne  lui  eût  certainement  pas  accordée  s'il  avait  ou 
la  maladresse  de  vivre. 

*-  » 

Il  a  été  beaucoup  admiré  et  beaucoup  aimé  par  une  élite. 
Louis  de  Fourcaud,  critique  d'art  sincère  qui  s'est  toujours 
fait  le  soutien  des  nobles  causes  et  des  talents  méconnus, 
qui  a  coopéré  largement  à  la  destinée  heureuse  de  l'œuvre 
maîtresse  d'Edouard  Lalo,  parle  toujours  de  César  Franck 
avec  une  ferveur  émue. 

«  Dans  notre  école,  me  disait-il  tout  récemment,  nous 
avons  de  grands  musiciens  incontestablement;  mais  nous 
n'avons  qu'un  saint:  César  Franck.  C'est  un  vrai  saint  de 
musique,  —  un  Bach  français  et  moderne  —  un  ascète  qui  a 
senti  même  la  tendresse  et  la  grâce  humaine  avec  une  pré- 
cieuse sainteté.  Ses  Béatitudes  sont  un  chef-d'œuvre  unique  en 
son  genre,  —  un  chef-d'œuvre  de  profondeur  humaine  et  de 
religieuse  intimité.  Dans  la  musique  de  chambre  il  a  peu  de 
rivaux.  C'est  un  fier  classique,  avec  une  sérénité,  une  sim- 
plicité même  dans  la  complexité  des  dispositions,  qui  éton- 
nent et  qui  touchent.  Le  domaine  des  harmonies  lui  a  révélé 
de  rares  trouvailles.  Et  puis,  toujours,  partout,  il  porte  sa 
large  et  tranquille  auréole  paradisiaque,  sans  qu'il  s'en  doute 
un  instant.  Et  puis  encore,  il  répand  autour  de  lui,  par  la  net- 
teté de  l'enseignement,  par  l'autorité  de  l'exemple,  le  goût, 
l'amour,  le  sens  de  la  forte  et  substantielle  musique.  Je  ne 
crois  pas  que  le  théâtre  fut  son  fait,  quoiqu'il  ait  écrit  des 
pages  qui  honoreraient  toutes  les  scènes » 

Les  œuvres  de  César  Franck  ne  sont  pas  sa  seule  fortune. 
Il  laisse  beaucoup  d'élèves.  Tout  n'est  pas  d'or  pur  dans  cette 
succession  :  quelques-uns  du  moins  ont  déjà  fait  leurs 
preuves  parmi  ces  disciples  :  Arthur  Coquard,  Henri  Duparc, 
Vincent  d'Indy,  Albert  Cahen,  Augusta  Holmes,  que  Saint- 
Saëns  a  sacrée  de  ses  louanges  sincères,  Camille  Benoit,  Ju- 
lien Tiersot:  à  ces  noms  s'ajoutent  ceux  des  compositeurs 
ralliés  à  l'école  de  César  Franck,  tels  que  le  fougueux  et  fan- 
taisiste Emmanuel  Chabrier,  Gabriel  Fauré  et  Paul  Yidal. 
D'autres,  comme  Alfred  Bruneau,  d'abord  élève  de  J.  Masse- 
net,  ont  simplement  accusé,  en  certaines  œuvres,  quelques 
tendances  vers  cette  doctrine.  Et  encore,  ayant  eu  l'occasion 
d'étudier  de  près  ce  compositeur,  serais-je  tenté  plutôt  d'éta- 
blir que  son  critérium  est  tout  personnel. 

s^  '  * 
J'attacherai  une  mention  analogue  au  nom  de  Bourgault- 
Ducoudray,  professeur  de  l'histoire  de  la  musique  au  Con- 
servatoire, qui,  en  pleine  carrière,  s'est  tourné  vers  la  com- 
position dramatique.  Il  a  beaucoup  observé,  beaucoup  réfléchi. 
Je  tiens  l'œuvre  inédite  que  je  connais  de  lui  pour  l'une  de 
celles  qui  marqueront  l'un  des  pas  les  plus  rationnels  et 
les  plus  fermes  du  mouvement  moderne. 

Cette  école  nouvelle,  qu'elle  s'iospire  de  Richard  Wagner 
ou  de  César  Franck,  qu'elle  procède,  si  l'on  veut,  d'un  en- 
semble de  principes  sans  origine  nettement  définie,  on  nous 
l'a  dépeinte  parfois  comme  absolument  intransigeante,  peu 
inclinée  à  l'indulgence  pour  les  autres,  disant  volontiers  : 
«  Hors  de  notre  église,  point  de  salut!  > 


En  réalité,  vue  à  l'œuvre,  elle  n'est  point  tant  radicale. 
Entre  les  principes  et  les  actes,  il  y  a  toujours,  en  matière 
d'art  dramatique  surtout,  une  très  sensible  divergence. 

On  a  fait  un  peu  partout,  et  là  plus  que  partout  peut-être,, 
en  ces  dernières  années,  de  solennelles  et  assez  pédantesques 
théories  sur  la  véritable  forme  lyrique,  sur  le  drame  musical, 
on  a  montré  ce  drame  inséparable  de  la  musique  ;  et  puis, 
en  réalité,  quand  un  de  ces  théoriciens  a  été  en  présence  du 
fait,  quand  il  a  pu,  par  hasard,  aborder  le  théâtre,  il  a  été 
tout  de  suite  ressaisi  impérieusement  par  son  tempérament, 
par  la  force  du  sang  de  sa  race,  et  il  s''est  mis  à  travailler 
sur  des  poèmes  oij  le  réalisme  et  le  lyrisme  se  mêlent  dans 
cette  exacte  proportion  constituant  tout  justement  la  lumineuse 

formule  française. 

* 
*-  * 

S'il  ne  faut  pas,  certes,  que  le  poème  soit  dominateur,  il 
ne  faut  pas  davantage  qu'il  soit  servile.  Il  semble  indispen- 
sable que  la  musique  ait  à  tenir  quelque  chose  de  lui,  dont 
elle  ne  puisse  se  passer.  Il  est  le  germe  générateur  de  la 
musique,  quelque  soit  le  sujet  choisi,  légende,  histoire,  fan- 
taisie, humanité;  il  faut  donc  toujours  que  ce  poème  ait  son 
activité  propre;  les  sentiments  en  seront,  si  l'on  veut,  d'une 
hauteur  surhumaine,  le  rêve  y  ouvrira  largement  ses  ailes, 
la  symphonie  y  assurera  aux  situations,  aux  impressions,  une 
intensité  que  la  mélodie  est  impuissante  à  donner  aux  mots; 
mais  avant  tout,  il  vivra,  il  agira  !  Il  ne  sera  point  pure- 
ment spéculatif,   comme  on  nous  l'a    quelquefois    présenté. 

Shakespeare,  je  crois,  fournit  des  types  admirables  de  ce 
double  caractère  réaliste  et  lyrique. 


Le  mouvement  de  l'esprit  des  hommes  les  entraine  vers 
tout  progrès  ;  il  est  également  vrai  qu'il  les  entraîne  vers 
toute  décadence,  qui  n'est  parfois  que  l'exagération  d'un 
progrès,  comme  certains  vices  peuvent  n'être  que  l'excès 
d'une  vertu.  Cela  dépend  du  terrain  de  culture,  pour  em- 
ployer le  langage  mis  à  la  mode  par  les  bactériologistes. 

Richard  Wagner  et  Hector  Berlioz,  et  Georges  Bizet,  et  César 
Franck,  les  glorieux  morts  et  les  vivants  illustres,  seront 
quelque  jour,  pour  certains,  des  arriérés.  Toutes  les  expres- 
sions de  l'art  pratique  étant  épuisées  et  toutes  les  admira- 
tions rebattues,  il  se  lèvera  une  phalange  qui  jugera  les 
hommes  et  les  exécutera  comme  les  formes.  N'y  a-t-il  pas 
eu  déjà  en  Allemagne  une  sorte  de  clan  anti-wagnérien  ?  Il 
y  aura  de  même  chez  nous,  n'en  doutons  pas,  même  déjà,  affir- 
ment quelques-uns,  en  gémissant,  il  y  a  en  musique,  comme 
en  peinture,  comme  en  littérature,  une  tribu  de  décadents 
hypnotisés  par  la  contemplation  incessante  de  leur  moi  et 
venus  complaisamment  à  se  figurer  qu'ils  sont  le  centre  de 
l'univers  intellectuel. 

Cela  leur  fait  plaisir  et  ne  fait  de  mal  à  personne.  L'éter- 
nellement  vrai,  l'éternellement  beau  n'en  saurait  souffrir. 
Tout  ce  que  l'art  pur  a  marqué  de  son  signe  demeure.  Il  n'est 
plus  de  divisions  d'école  devant  les  chefs-d'œuvre. 


La  vraie  musique  française  évoluera  donc  tranquillement, 
modifiant,  perfectionnant  sa  forme,  tout  en  gardant  le  respect 
de  l'enseignement  des  maîtres  immortels.  C'est  là  le  fait  de 
sa  foncière  honnêteté;  et  cette  honnêteté  est  sa  force.  Elle 
Fempêche  de  dédaigner  de  parti  pris  aucun  des  éléments, 
aucun  des  documents  capables  d'aider  à  son  incessant  per- 
fectionnement. 

Et  si,  depuis  de  longues  années  déjà,  son  influence  collec- 
tive s'impose  en  Europe,  à  coté,  quelquefois  au-dessus  de 
celle  de  cette  unité  formidable  qui  est  Richard  Wagner,  elle 
le  doit  à  une  précieuse  faculté  d'assimilation  résidant  en 
elle  et  qui,  à  ses  qualités  originelles,  lui  fait  ajouter  les 
ressources  puisées  hors  d'elle-même  dans  l'étude  des  sys- 
tèmes et  des  œuvres.  Toujours  selon  la  méthode  de  Molière, 


LE  MENESTREL 


43 


■elle  prend  son  bien  où  elle  le  trouve;  mais  elle  fait  étroite- 
ment sien  ce  qu'elle  emprunte,  en  l'animant  de  son  souffle 
personnel. 

Et  c'est  par  toutes  ces  forces  éparses  sur  lesquelles  je  viens 
de  jeter  un  rapide  coup  d'oeil,  par  toutes  ces  personnalités 
actives  travaillant  à  présenter  de  toutes  les  formules  de  l'art 
une  synthèse  harmonieuse  et  simple,  que  continuera  à  s'af- 
fermir l'action  de  l'école  française  sur  le  mouvement  mu- 
sical de  ce  temps. 

Je  le  crois  fermement.  C'est  par  cet  acte  de  foi  que  je 
veux  terminer  ces  notes. 

Louis  Gallet. 
22  Janvier  1891. 


SEMAINE    THEATRALE 


UNE  PREMIÈRE  A  LONDRES 
«    IVANHOÉ    »,    OPÉRA   DE    SULLIVAN 

C'est  une  tâche  as3urément  fort  ingrate  que  de  devoir  jeter  une 
note  discordante  au  milieu  du  concert  d'éloges  qui  vient  d'accueillir 
la  nouvelle  œuvre  de  sir  Arthur  Sullivan.  C'est  à  la  presque  unani- 
mité que  la  critique  locale  a  proclamé  le  triomphe  du  compositeur 
et  l'avènement  d'une  ère  nouvelle  pour  la  musique  dramatique  eu 
Angleterre.  Certes,  l'occasion  était  des  plus  solennelles  :  un  direc- 
teur hardi  n'avait  pas  épargné  l'argent  pour  l'édification  d'un  théâtre 
modèle,  destiné  à  devenir  le  temple  national  par  excellence  ;  et 
■c'est  au  plus  éminent  des  musiciens  anglais  qu'il  s'était  adressé  pour 
fournir  l'œuvre  initiale  d'un  répertoire  nouveau.  Il  ne  faut  donc  pas 
s'étonner  si,  par  un  chauvinisme  bien  naturel  en  la  circonstance, 
on  a  exagéré  les  résultats  obtenus. 

La  critique  impartiale  reprochera  moins  à  M.  Sullivan  ce  qu'il  a 
fait  que  ce  qu'il  n'a  pas  voulu  faire.  On  aurait  tort  de  ne  voir  en 
lui,  à  l'étranger,  qu'un  compositeur  de  musique  légère  abordant  pour 
la  première  fois  un  genre  plus  élevé.  L'opérette  n'a  été  qa'une  étape 
dans  sa  carrière  bien  remplie,  qui  compte  des  œuvres  diverses  et 
fort  distinguées  :  ouvertures,  symphonies,  concertos,  musique  de 
scène,  oratorios,  etc.  M.  Sullivan  est  en  pleine  maturité  de  talent  : 
il  n'a  que  quarante-huit  ans.  On  pouvait  donc  attendre  de  lui  un 
effort  sérieux  dont  se  serait  dégagée  quelque  formule  nouvelle  pour 
toute  la  jeune  école  anglaise.  Les  plus  récentes  tentatives  en  ce 
genre,  Thorgrim  et  Esmeralda,  étaient  des  œuvres  de  transition  pleines 
de  promesses  et  constituaient  un  progrès  marqué  sur  l'ancien  réper- 
toire anglais  se  réduisant  aux  opéras  de  Balfe,  Wallace  et  Benediet, 
qui  relèvent  de  la  manière  d'Adolphe  Adam.  Malheureusement, 
M.  Sullivan  a  manqué  d'ambition  et  a  cherché  avant  tout  à  ne  pas 
effaroucher  ses  clients  ordinaires.  En  cela  il  a  eu  grandement  tort, 
parce  que  la  docilité  avec  laquelle  le  public  avait  accepté  de  lui  une 
dizaine  de  variantes  de  la  même  opérette  le  plaçait  dans  la  position 
enviable  de  pouvoir  faire  faire  un  véritable  pas  en  avant  à  la  mu- 
sique dramatique  en  Angleterre. 

Le  sujet  d'Ivanhoé  se  prêtait  à  une  partition  pittoresque,  pleine  de 
mouvement,  de  passion  et  de  contrastes.  Je  suis  persuadé  que  le 
librettiste  n'a  fait  que  ce  qu'on  lui  a  demandé,  et  dans  la  tâche  dif- 
ficile de  condenser  en  l'espace  de  dix  tableaux  le  roman  célèbre  de 
Walter  Scott,  si  le  caractère  des  personnages  manque  de  relief,  si 
le  développement  de  l'irtrigue  devient  difficile  à  suivre,  c'est  qu'à 
chaque  instant  l'action  est  interrompue  par  l'introduction  de  quelque 
hors-d'œuvre.  Ivanhoé  est  avant  tout  un  opéra  découpé  en  romances, 
rêveries,  ballades,  berceuses,  chansons  à  boire.  Chaque  personnage 
chante  la  sienne,  et  le  roi  Richard  lui-même,  armé  de  son  luth, 
devient  un  vulgaire  troubadour.  Tout  cela  est  d'une  facture  élégante, 
d'une  grande  facilité  mélodique,  sans  grande  individualité  et  coulé 
dans  les  vieux  moules,  avec  reprises  et  points  d'orgue.  Dans  les 
deux  ou  trois  situations  dramatiques  de  l'opéra,  le  compositeur  a 
prouvé  qu'il  ne  manquait  ni  d'autorité  ni  de  souffle.  Mais  ce  sont 
des  éclairs  passagers  dans  une  œuvre  grise  et  monotone. 

La  déclamation  est  molle,  défaut  grave  dans  un  milieu  de  che- 
valerie. L'orchestre,  habilement  traité  par  un  homme  du  métier,  est 
trop  discret  et  abdique  le  rôle  que  la  symphonie  doit  jouer  dans  le 
drame  lyrique  moderne.  Les  chœurs  sont  pour  la  plupart  à  l'unisson, 
et  les  ensembles  rares  et  d'une  sonorité  médiocre. 

Une  analyse  détaillée  de  la  partition  oflrirait  peu  d'intérêt.  Une 
dizaine  de  morceaux  pourraient  en  être  détachés  et  former  un 
recueil  de  mélodies   à   l'usage    des    salons.   Le  reste,   généralement 


dépourvu  de  couleur  et  de  mouvement,  renferme  peu  d'éléments  do 
vitalité.  L'opéra,  dans  son  ensenible,  est  un  anachronisme  flagrant. 
C'est  l'erreur  étrange  d'un  homme  de  grand  talent,  erreur  qui,  je 
le  crains,  sera  d'une  portée  considérable  pour  l'entreprise  à.  laquelle 
Ivanhoé  devait  donner  l'élan.  Les  satisfaits  prétendent  que  c'est  de 
la  vraie  musique  anglaise  :  dans  tous  les  cas,  cela  ne  répond  plus 
aux  exigences  de  la  musique  dramatique  moderne. 

L'interprétation,  fort  inégale  si  l'on  considère  la  troupe  double 
engagée  pour  chanter  l'ouvrage  tous  les  soirs,  présente,  au  point  do 
vue  vocal,  des  choses  excellentes.  Je  ne  signalerai  que  celles-là. 
M"°  Macintyre,  qu'on  a  souvent  entendue  à  l'opéra-itaiien,  est  une 
juive  peu  nature,  mais  elle  a  toujours  une  très  jolie  voix  et  elle 
déploie  beaucoup  de  chaleur.  Qu'elle  se  mette  en  garde  seulement 
contre  des  éclats  trop  stridents  :  elle  aura  bientôt  fait  de  compro- 
mettre ses  notes  élevées,  qui  sont  déjà  atteintes..  M''"'  Thudichum, 
la  seconde  Rebecca,  est  une  débutante,  élève  de  M™  Viardot.  Voix 
de  bonne  qualité,  mordante  et  dramatique.  C'est  une  artiste  d'avenir. 
M.  Ben  Davis  a  une  voix  courte  de  ténor,  excellente  dans  le  mé- 
dium et  dirigée  avec  beaucoup  de  goût.  C'est  un  très  joli  chan- 
teur, qui  ne  possède  pas  les  qualités  héroïques  du  rôle  fort  sacrifié, 
du  reste,  d'Ivanhoé.  M"'  Lucille  Hill,  une  très  jolie  Américaine, 
chante  d'une  voix  charmante  le  rôle  de  Rowena.  Les  honneurs  de 
la  pièce  reviennent  à  M.  Eugène  Oudin,  un  jeune  Français  de 
New-York,  élève,  je  crois,  de  M.  Bouhy.  Doué  d'une  voix  souple 
de  baryton  martin,  M.  Oudin  est  un  chanteur  de  style  et  un  co- 
médien consommé,  qui  me  semble  tout  désigné  pour  faire  un  jour  sa 
trouée  à  Paris.  Un  peu  d'exagération  peut-être  dans  le  rôle  à  ten- 
dances mélodramatiques  du  templier,  dont  il  fera  bien  de  se  cor- 
riger. Orchestre  excellent,  ainsi  que  les  chœurs,  dont  la  tâche  est 
•des  plus  simples. 

La  mise  en  scène  est  brillante  et  pittoresque,  mais  on  pourrait  y 
reprendre  bien  des  détails  qui  choquent  la  vraisemblance  ou  l'har- 
monie des  couleurs.  La  scène  du  tournoi  particulièrement  est  tout 
à  fait  manquée,  même  si  l'on  tient  compte  de  l'exiguïté  du  cadre. 
C'est  comme  pour  le  nouveau  théâtre,  très  somptueux  et  très  mo- 
derne dans  ses  recherches  à  assurer  le  confort  des  spectateurs,  qui 
pèche  au  point  de  vue  de  la  conception  artistique.  Une  chose  en 
outre  me  parait  certaine  :  la  scène  est  trop  petite  pour  un  théâtre 
lyrique. 

Voici  le  mot  de  la  fin,  cherché  un  peu  à  côté  à'ivanhoé.  Il  y  a 
quelques  mois  le  Musical  World,  le  plus  ancien  organe  musical  de 
Londres,  arrivé  à  sa  So'-'  année  de  publication,  posait  la  question 
suivante  à  ses  lecteurs  :  «  Les  Anglais  sont-ils  une  nation  musicale?  » 
Les  réponses  affluaient  chaque  semaine,  lorsqu'au  beau  milieu  de 
la  discussion,  le  Musical  World  lui-même  a  cessé  de  paraître.  Ré- 
sultat concluant  de  ce  nouveau  plébiscite. 

A.  G.  N. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

V 

(Siute.) 

C'est  peu  de  jours  après  ce  petit  événement,  le  26  mars,  qu'un", 
grande  représentation  au  bénéfice  de  M™"  Saint-Aubin  avait  lieu 
dans  la  salle  de  l'Opéra,  sans  doute  à  l'occasion  des  vingt  ans  du 
service  accomplis  par  elle.  Le  Journal  de  Paris  donnait  ainsi  le  pro- 
gramme de  cette  soirée  :  —  «  Académie  nationale  de  musique.  Au  béné- 
fice de  M""-'  Saiat-Aubin,  les  artistes  réunis  de  l'Académie  impériale 
de  musique,  du  Théâtre-Français  et  de  l'Opéra-Comique  donneront 
les  Templiers,  tragédie;  Ma  tante  Aurore,  opéra-comique  en  2  actes; 
et  un  divertissement  [de  chant  et  de  danse]  dans  lequel  M""=  Duret- 
S.-Aubin  chantera  2  airs.  Prix  des  places  :  Balcons,  24  fr.,  orchestre 
et  amphithéâtre,  20  fr.,  parterre,  6  fr.  60  c,  i""''  de  côté,  3  fr.  »  (1). 
Le  résultat  de  cette  représentation  ne  parait  malheureusement  pas 
avoir  été  aussi  satisfaisant  qu'on  eût  pu  le  souhaiter.  «  Cette 
soirée  fut  peu  productive  pour  madame  Saint-Aubin,  disait  l'Opi- 
nio7i    du  parterre,   et   l'on   doit   avouer   aussi    que    ses  camarades, 

(1)  Le  registre  d'administration  de  l'Opéra-Comique  porte  cette  note  à  la  date 
du  26  mars  :  —  «  Relâche  pour  la  représentation  au  bénéfice  de  madame  S'-Aubin 
sur  le  théâtre  de  l'Académie  impériale  de  musique.  On  donne  les  Templiers,  Ma 
Tante  Aurore,  un  ballet,  M"'  Durel  y  chante,  et  on  finit  i  minuit.  »  M—  Duret 
n'était  autre  que  M"°  Cécile  Saint-Aubin,  qui,  depuis  sa  première  apparition  à 
l'Opéra-Comique,  avait  épousé  le  jeune  violoniste  Marcel  Duret,  qui  avait  obtenu 
le  premier  prix  dans  la  classe  de  Rode,  au  Conservatoije,  eu  1803. 


44 


LE  MENESTIŒL 


et  les  acteurs  des  deux  autres  théâtres,  n'en  avaient  point  usé 
généreusement  envers  elle,  en  ne  lui  accordant,  dans  un  jour  où 
l'on  doit  exciter  vivement  la  curiosité  du  public  si  Ton  veut  qu'il  ne 
soit  pas  rebuté  de  la  cherté  des  places,  qne  des  pièces  sur  lesquelles 
il  était  blasé,  et  un  divertissement  mesquin.  »  Peut-être  aussi  la 
bénéficiaire  s'élait-elle  volontairement  contentée  de  peu,  comptant  trop 
sur  son  nom  et  sur  la  sympathie  ordinaire  du  public  à  son  égard. 

Nous  avons  à  enregistrer  encore  quelques  créations  au  compte 
de  M'"=  Saint-A.ubin,  dont  une  au  moins.  Deux  mots  ou  une  Nuit  dans 
la  Forêt,  de  d'Alayrac,  fut  de  nouveau  pour  elle  l'occasion  d'un 
triomphe  éclatant,  bien  qu'elle  u'eùt  dans  cet  ouvrage  ni  à  parler 
ni  à  chanter.  «  Le  rôle  de  M"'=  Saitit-.4.ubin,  disait  un  critique,  se 
réduisait  à  deux  mots  ;  mais  sa  pantomime  fut  admirable.  »  Nous 
trouvons  ensuite,  pour  l'année  1806,  Gabrielte  d'Estrées,  de  Méhul,  et 
les  Maris  garçons,  de  Berton,  pt  pour  180"  François  P'  ou  la  Fêle  mys- 
térieuse, de  Kreutzer,  et  les  Rendez-vous  bourgeois,  de  Nicolo,  où  elle 
jouait  d'une  façon  adorable  le  joli  rôle  de  la  servante.  Puis,  nous 
arrivons  au  terme  de  la  carrière  de  cette  actrice  enchanteresse,  dont 
le  nom  pourtant  continuera,  pendant  douze  ans  encore,  de  briller 
sur  l'affiche  de  l'Opéra-Comique.  grâce  à  son  mari  et  surtout  à  ses 
lilles,  qui,  avec  un  talent  très  réel,  bénéficieront  néanmoins  du  brillant 
souvenir  laissé  par  elle.  M""  Saint-Aubin  se  retira  en  1808,  dans 
tout  l'éclat  d'un  talent  qui  n'avait  rien  perdu  de  sa  grâce,  de  son 
charme  et  de  sa  fraîcheur,  en  laissant  au  public  le  regret  de  la  voir 
s'éloigner  de  lui  alors  qu'elle  aurait  pu  lui  procurer  encore  de  pures 
ot  vives  jouissances.  Mais,  trop  intelligente  pour  ne  pas  comprendre 
que  son  physique  élégant  et  mignon  la  mettait  dans  l'impossibilité 
de  modifier  sa  carrière,  comme  l'avait  fait  M""  Dugazon,  comme 
.M"«  Desbrossos  s'apprêtait  à  le  faire,  M"'=  S  ànt-Aubin  avait  cette 
coquetterie  bien  naturelle  —  et  pourtant  trop  rare  chez  les  comédiens 
—  de  vouloir  prendre  congé  de  ce  public  qui  l'adorait  avant  qu'il 
.-e  fût  lassé  d'elle  et  qu'il  lui  donnât  à  entendre  que  l'heure  de  la 
lotraite  avait  sonné.  Elle  aimait  mieux  faire  dire  qu'elle  partait  trop 
tjt  que  de  s'entendre  dire  qu'elle  partait  trop  tard. 

M"'"  Saint-Aubin  fixa  au  samedi  2  avril  1808  le  jour  où  elle  devait 
iiaraitre  pour  la  dernière  fois  sur  ce  théàlie  témoiu  de  ses  longs 
succès;  et  comme  il  était  bien  certain  que  le  public  accourrait  en 
loule,  elle  voulut  mettre  à  profit  cette  circonstance  pour  en  faire 
l'objet  d'uuobonue  action.  Son  camarade  DozainviUeéiait  mort  depuis 
un  peu  plus  d'un  au,  à  la  fin  de  décembre  180G,  et  l'Opéra-Comique 
songeait  à  organiser  une  représentation  au  bénéfice  de  sa  veuve: 
elle  obtint  que  cette  représentation  fût  précisément  celle  où  elle 
forait  ses  adieux,  et  elle  s'arrangea  de  telle  sorte  que  l'attrait  en  fût 
encore  doublé  pour  les  spectateurs.  On  va  le  voir  par  cette  note 
que  publiait  le  1"  avril  le  Journal  de  l'Empire  et  qui,  malgré  sa  date, 
n'était  point  une  mystification:' —  «...  Les  derniers  moments  de 
M™'  Saint-.\ubin  sont  précieux  à  recueillir:  les  amateurs  qui  ne 
veulent  en  rien  perdre  n'ont  qu'à  se  trouver  samedi  de  très  bonne 
heure  au  théâtre  Feydeau  ;  ils  y  verront  pour  la  dernière  fois  M°"=  Saint- 
Aubin,  entre  ses  deux  filles,  dont  l'une  (M"'«  Duret)  rentre  au  théâtre, 
1 1  l'autre  (  Alexandrine  Saint-Aubin),  encore  très  jeune,  s'y  présente 
seulement  pour  faire  un  essai  ce  jour-là.  La  mère  jouera  la  fille 
lans  l'Opéra-Comique;  dans  le  Prisonnier  elle  fera  la  mère,  et  la 
cadette  la  fille;  M""  Duret  reparaîtra  dans  le  Coneert,  pièce  où  elle 
avoit  autrefois  débuté.  Ce  sera  une  fête  de  famille  d'autant  plus  inté- 
ressante, que  le  produit  en  doit  être  appliqué  au  béuéficede  M""  Dozain- 
\ille,  veuve  d'un  acteur  dont  le  nom  est  toujours  cher  à  ce  théâtre.  ■> 

Le  30  mars,  pour  son  avani-derniëre  représentation.  M"'  Saint- 
Aubin,  par  une  sorte  de  galanterie  envers  le  public,  avait  tenu  à 
^e  montrer  trois  fois,  dans  trois  des  ouvrages  où  celui-ci  l'avait 
toujours  particulièrement  applaudie  avec  transports  :  une  Heure  de 
mariage,  Adolphe  et  Clara,  et  Ambroise  ou  Voilà  ma  journée.  On  vient 
lie.  voir  de  quelle  façon  était  composé  son  dernier  spectacle.  C'est 
encore  au  Journal  de  l'empire  que  j'emprunterai  le  compte-rendu  de 
Lette  curieuse  soirée  : 

Le  bénéfice  de  madame  Dozainville  étoit  la  moindre  circonstance  de  cette 
représentation  :  si  la  gloire  est  un  bénéfice,  c'est  au  bénéfice  de  madame 
ïjaint-Aubin  que  le  spectacle  se  donnoit:  tout  étoit  au  nom  de  madame 
Saint-Aubin,  madame  Saint-Aubin  étoit  partout:  on  ne  voyoit  qu'elle,  on 
ii'entendoit  qu'elle,  elle  se  multiplioit  dans  ses  deux  filles.  Retraite  de 
madame  Saint-Aubin  la  mère;  rentrée  de  mademoiselle  Cécile  Saint- 
Aubin  la  fille  ainée;  entrée  de  mademoiselle  Alexandrine  Saint-Aubin  la 
fille  cadette;  une  mère  qui  se  retire  en  cédant  son  fonds  à  ses  enfans,  un 
rtablisseraent  de  famille  :  voilà  les  grands  et  importans  objets  dont  la 
jmblic  s'est  occupé  ce  jour-là,  beaucoup  plus  que  du  souvenir  de  Dozain- 
ville et  de  l'intérêt  de  sa  veuvo  (1). 


(1)  Cette   petite  raillerie  d'un  écrivain  trop   désireux  de  se  montrer  spirituel 


L'assemblée  étoit  nombreuse  et  brillante;  presque  tout  le  monde  étoit 
persuadé  que  c'étoientles  adieux  de  madame  Saint-Aubin,  qu'absolument 
on  ne  la  reverroil  plus;  et  les  regrets  pour  l'avenir,  se  mêlant  au  plaisir 
présent,  le  rendoient  encore  plus  vif;  on  jouissoit  comme  pour  la  dernière 
fois.  Il  y  avoit  cependant  quelques  entêtés,  qui  ne  vouloient  pas  croire  à 
une  retraite  définitive  :  à  les  entendre,  madame  Samt-Aubin  ne  jouoit  pas 
pour  la  dernière  fois,  parce  que  ce  n'êtoit  pas  la  première  fois  qu'elle  se 
retiroit,  sans  aucun  autre  effet  que  celui  d'attirer  la  foule  :  ils  se  flattoient 
de  la  voir  encore  embellir  l'Opéra-Comique  pendant  quelques  années,  et 
montrer  la  route  à  ses  filles:  une  triste  expérience  apprendra  bientôt  à 
ces  incrédules  que  cette  l'ois  la  retraite  est  sérieuse,  et  que  le  théâtre  fait 
une  perte  trop  réelle. 

On  a  commencé  par  l'Opéra-Comique,  petite  pièce  dont  l'idée  est  ingé- 
nieuse, la  musique  agréable  et  légère,  madame  Saint-Aubin  a  joué  le  rôle 
de  Laure,  jeune  fille  de  17  à  18  ans  ;  et  la  manière  dont  elle  l'a  joué  est 
capable  de  faii-e  tomber  nos  historiens  dans  de  grands  anacbronismes. 
Celte  première  pièce  a  été  suivie  du  Prisonnier,  charmant  ouvrage  de 
M.  Duval,  que  le  succès  n'a  pu  encore  user.  Madame  Saint-Aubin  y  a 
joué  longtemps  le  rôle  d'une  ingénue  de  quinze  ans,  avec  une  grâce  par- 
faite ;  mais  cette  fois  elle  a  cédé  ce  rôle  à  sa  fille  cadette,  M""  Alexandrine 
Saint-Aubin,  âgée  de  quatorze  ans.  Elle  a  pris  pour  elle  celui  de  la  mère, 
et  c'est  pour  la  première  fois  qu'elle  l'a  joué...  On  n'a  pas  trop  remar- 
qué de  quelle  manière  madame  Saint-Aubin  remplissoit  ce  personnage 
insignifiant  :  les  regards  étaient  fixés  sur  sa  fille,  et  je  crois  que  la  mère 
en  étoit  aussi  plus  occupée  que  de  son  rôle.  G'étoit  un  spectacle  intéres- 
sant de  voir  cette  jeune  aurore  se  lever  sur  l'horizon  de  l'Opéra-Comique, 
au  moment  où  l'astre  à  qui  elle  doit  le  jour  est  prêt  à  se  coucher. 
M"'^  Alexandrine  Saint-Aubin  ressemble  beaucoup  à  sa  mère  pour  la 
taille,  la  figure  et  la  voix;  elle  promet  une  ressemblance  plus  heureuse 
encore  avec  son  talent  :  son  jeu  est  la  nature  même  ;  c'est  la  véritable 
naïveté  de  l'enfance  ;  il  n'y  a  encore  ni  art,  ni  imitation.  Cette  nature  est 
trop  simple  pour  notre  goût  :  elle  a  besoin  d'être  ornée  ;  mais  en  vou- 
lant l'orner,  il  faut  bien  prendre  garde  de  la  gâter.  On  eût  désiré  plus 
de  vivacité,  plus  de  jeu,  de  physionomie  :  la  voix  est  un  peu  foible. 
L'embarras  du  début  est  pour  beaucoup  dans  ces  petits  défauts  ;  mais  il 
faut  mettre  sur  le  compte  de  la  bonne  éducation  de  la  débutante  l'avan- 
tage qu'elle  a  de  n'avoir  point  de  mauvaises  habitudes,  de  ne  pas  multi- 
plier les  gestes,  d'être  simple  et  naturelle  :  on  s'aperçoit  qu'elle  est  née 
dans  une  bonne  école. 

Enfin,  on  est  arrivé  au  Concert  {[),  opéra-comique  où  il  y  a  quelques 
situations  plaisantes  et  deux  jolis  rôles  d'olTiciers.  Madame  Duret  a  lait  les 
honneurs  de  la  pièce,  et  en  a  glorieusement  rempli  le  titre  ;  car  il  n'y  a 
point  de  concert  qui  ne  fût  orgueilleux  d'une  pareille  cantatrice...  La 
France  peut  l'opposer  hardiment  au-X  étrangers  qui  viennent  ici  faire 
trophée  de  leur  mélodie.  Le  théâtre  Feydeau  pourra  se  servir  utilement 
de  madame  Duret  dans  quelques  pièces  où  il  va  beaucoup  de  chant.  Si  elle 
devient  actrice,  ce  sera  un  surcroit  de  bonheur  sur  lequel  il  ne  faut  pas 
compter  :  il  est  très  rare  que  les  deux  talens  se  réunissent,  sur-tout  dans  une 
femme.  Les  actrices  qui  ont  laissé  un  grand  nom  à  l'Opéra-Comique  ne 
passoient  pas  pour  cantatrices,  quoiqu'elles  eussent  l'art  de  chanter  à  la 
scène  d'une  manière  à  faire  oublier  toutes  les  cantatrices  de  l'Italie... 

C'est  bien  définitivement,  on  l'a  vu,  que  M'"'=  Saint-Aubiii  quittait 
la  scène  qui  avait  été  le  témoin  de  ses  succès,  on  peut  presque 
dire  de  sa  gloire.  C'était  chez  elle  une  résolution  bien  arrêtée  de 
terminer  ainsi  son  heureuse  carrière  au  plus  fort  de  ses  triomphes, 
et  toutes  instances  faites  pour  la  retenir  la  trouvèrent  inébranlable. 
Certains  biographes  ont  prétendu  qu'elle  se  retirait  du  théâtre  parce 
qu'elle  était  fatiguée  des  tracasseries  et  des  contrariétés  que  lui 
causait  la  jalousie  de  plusieurs  de  ses  camarades.  Il  faut  avouer 
qu'en  ce  cas  elle  aurait  attendu  quelque  temps  pour  s'en  aperce 
voir,  puisque  ses  services  à  la  Comédie-Italienne,  devenue  l'Opéra- 
Comique,  se  prolongèrent  pendant  vingt-deux  ans.  J'ajouterai  que 
sa  conduite  si  empreinte  de  délicatesse  et  de  désintéressement  était 
plutôt  de  nature  à  provoquer  la  sympathie  et  l'affection  qu'à  exciter 
de  fâcheux  dissentiments.  En  effet,  lorsqu'au  plus  fort  de  la  Révo- 
lution, et  alors  que  la  situation  de  l'Opéra-Comique  était  loin  d'être 
prospère,  quelques-uns  des  plus  importants  artistes  de  ce  théâtre 
renoncèrent  à  leur  qualité  de  sociétaires  pour  exiger  des  traite- 
ments fixes  considérables  et  bien  supérieurs  à  ce  que  pouvait  rap- 
porter la  part  entière  dont  ils  jouissaient.  M"'"  Saint-Aubin,  autant 


n'était  pas  en  la  circonstance  d'un  bon  goût  absolu,  et  cette  image  d'une  actrice 
«  cédant  son  fonds  à  ses  enlans  ■>  aurait  pu  sans  inconvénient  être  négligée  par 
lui.  Ce  qu'il  est  beaucoup  plus  intéressant  de  savoir,  c'est  que  M""  Saint-Aubin, 
en  agissant  ainsi  qu'elle  le  faisait,  n'était  pas  tout  à  fait  inutile  à  M"'  Dozainville, 
à  qui  celte  petite  opération  rapportait  une  quinzaine  de  mille  francs.  Voici  en 
effet  les  cliiBres  que  je  trouve  dans  les  registres  de  l'Opéra-Comique,  pour  cette 
soirée  du  -2  avril  1808  :  «  Représentation  au  bénéfice  de  madame  veuve  Dozain- 
ville: retraite  de  madame  Saint-Aubin,  rentrée  de  madame  Duret,  début  de 
Mademoiselle  Alexandrine  Saint-Aubin.  Recette:  13,439  fr.  ;  avec  les  suppléments  : 
14,78J  fr.  N'est  paj  comprise  la  loge  de  Sa  Majesté,  non  encore  payée.  »  Voici  qui 
est  p'us  éloquent  que  toutes  les  railleries. 
(I)  Le  Concert  interrompu,  de  Berlon. 


LE  MENESTREL 


4o 


qu'eux  aimée  du  public,  en  possession  d'une  influence  égale  à  la 
leur,  toujours  dévouée  et  sur  la  brèche,  n'émit  jamais  aucune  pré- 
tention de  ce  genre  ;  et  taudis  qu'EUeviou  et  M""=  Gontier  se  fai- 
faient  allouer  ainsi  12,000  Irancs  d'appointements,  Martin  14,000, 
et  M""  Dugazon  jusqu'à  18,000,  M""=  Saint-Aubin,  qui  certes  eût 
pu  les  imiter,  se  contentait  des  6  ou  7,000  francs  qu'à  grand'peine 
alors  rapportait  la  part.  Elle  se  montrait  d'ailleurs  en  toute  circons- 
tance bonne  et  obligeante,  serviable  pour  tous,  et  loujours  prête  à 
être  utile  et  agréable  à  autrui,  comme  ou  l'a  vu  à  propos  de 
M""=  Dozainville. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


C'est  l'exquise  et  délicieuse  s5-mphonie  en  sol  mineur  de  Mozart,  l'un 
des  chefs-d'œuvre  du  maître  enchanteur,  qui  ouvrait  le  dernière  séance 
de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire.  Elle  a  été  di  e  en  perfection 
par  l'orchestre,  avec  une  délicatesse  de  style,  une  finesse  d'accent  et  un 
sentiment  des  nuances  vraiment  incomparables.  Aussi  le  public  en  a-t-il 
manifesté  sa  satisfaction  d'une  façon  très  expressive.  Le  programme  portait 
ensuite  l'une  des  œuvres  les  plus  importantes  de  M.  Saint-Saëns,  le  Déluge, 
qu'on  n'avait  encore  jamais  entendue  au  Conservatoire.  Les  idées  ont 
marché  depuis  quinze  ans,  on  n'en  saurait  disconvenir.  On  se  rappelle 
qu'à  cette  époque  ou  environ,  lorsque  le  titre  du  Déluge  parut  pour  la  pre- 
mière fois  sur  l'alfiche  des  concerts  du  Chàtelet,  l'audition  fut  loin  de 
passer  sans  encombre  et  donna  même  lieu  à  l'un  de  ces  beaux  tapages 
comme  on  avait  coutume  d'en  entendre,  alors,  aux  concerts  du  regretté 
Pasdeloup.  Si  je  ne  craignais  de  faire-un  médiocre  jeu  de  mots,  je  dirais 
que  c'est  1'  «  orage  »  surtout  qui  déchaîna  la  tempête,  et  dans  toute  son  hor- 
reur. Les  sifflets  et  les  protestations  partaient  a  la  fois  de  divers  côtés  de 
la  salle,  tandis  que  d'autre  part  les  applaudissements  faisaient  rage,  et  que 
les  exclamations,  les  interpellations,  les  objurgations  se  croisaient  entons 
sens.  Les  admirateurs  pourtantlinirent  par  avoir  le  dessus,  et  le  morceau  fut 
bissé,  sur  leur  demande,  au  milieu  de  l'émotion  qui  avait  gagné  toute  la  salle. 
Aujourd'hui,  on  se  demande,  non  sans  quelque  étonnement,  ce  qui  avaitpu 
faire  naître  cette  émotion  si  vive.  Il  est  certain  que  dimanche  dernier  le 
public  du  Conservatoire,  qui  ne  saurait  assurément  passerpour  révolution- 
naire au  point  de  vue  musical,  non  seulement  a  écouté  avec  le  calme 
le  plus  parfait  l'orage  du  Déluge,  mais  l'a  accueilli  par  des  applaudisse- 
ments très  nourris.  En  vérité,  le  morceau  est  extrêmement  curieux,  con- 
struit, on  peut  le  croire,  de  main  de  maître,  et  d'une  puissance  d'effet 
parfois  surprenante.  Il  est  assez  intéressant  de  se  rendre  compte  de  la  com- 
position particulière  de  l'orchestre  que  l'auteur  a  employé  d  ns  cette  page 
si  originale:  la  petite  llùte  se  joint  aux  deux  grandes  flûtes,  les  deux  cla- 
rinettes ordinaires  sont  remplacées  par  deux  petites  clarinettes  en  mi  bémol, 
les  trompettes  sont  au  nombre  de  quatre,  do  même  que  les  timbales,  les 
trombones  sont  renforcés  par  une  contrebasse  en  cuivre,  un  tam-tam  vient 
augmenter  la  batterie,  et  enfin  il  y  a  aujourd'hui  une  partie  d'orgue  qui 
n'existait  certainement  pas  quand  nous  avons  entendu  l'œuvre  naguère  au 
Chàtelet.  Le  Déluge  est  d'ailleurs  aujourd'hui  trop  connu  pour  que  je  croie 
devoir  faire  une  analyse  détaillée  de  cette  vaste  et  puissante  composition. 
Je  constaterai  seulem.nt  tout  le  charme  du  prélude,  dont  le  joli  solo  de 
violon  a  été  joué  d'une  façon  si  adorable  par  M.  Berthelier,  que  toute  la 
salle  a  voulu  l'entendre  une  seconde  fois.  (Et  à  ce  propos,  je  dirai  qu'il 
est  souverainement  injuste,  pour  ne  pas  dire  presque  inconvenant,  que, 
lorsqu'il  s'agit  d'un  solo  de  cette  importance  et  de  cet  intérêt,  le  nom  de 
l'artiste  ne  soit  pas  inscrit  au  programme  ;  outre  que  ce  serait  là  une  satis- 
faction légitime  offerte  au  talent  de  l'exécutant,  ce  serait  un  renseigne- 
ment utile  à  donner  au  public,  qui  est  bien  aise  de  savoir  qui  le  charme 
et  qui  il  applaudit.)  Il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser  aux  chanteurs,  sur- 
tout à  M"«  Lavigne,  à  MM.  'Vergnet  et  Auguez  ;  quant  à  M"":  Alice 
CognaUlt,  dont  le  talent  est  indiscutable,  il  faut  la  mettre  en  garde  contre 
certaines  intonations  dont  la  justesse  n'est  pas  toujours  comme  son  talent. 
En  résumé,  l'exécution  du  Déluge  a  produit  sur  l'auditoire  parfois  un  peu 
gourmé  de  la  rue  Bergère  une  impression  excellente  et  qu'on  peut  presque 
qualifier  d'inattendue.  Cela  prouve  ce  que  je  disais  plus  haut,  que  les  idées 
ont  marché  depuis  quinze  ans.  —  La  séance  s  i  terminait  par  la  sympho- 
nie en  ut  mineur  de  Beethoven,  dont  je  n'ai  pas  besoin  de  faire  ressortir 
une  fois  de  plus  la  magnifique  interprétation.  C'est  un  des  triomphes  les 
plu.-  éclatants  de  l'orchestre  de  la  Société.  A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  Après  une  bonne  interprétation  de  la  délicieuse 
symphonie  en  si  bémol  de  Schumann.  l'orchestre  du  Chàtelet  nous  a  fait 
entendre  le  prélude  de  la  Reiiie  Berthe,  une  des  meilleures  pages  de  M.  ■\'ic- 
torin  Joncières,  dont  la  dernière  audition  remontait  déjà  à  pas  mal  d'an- 
nées. C'est  finement  orchestré  et  très  mélodique.  —  Le  jeune  Risler  a  dit 
avec  un  goût  parfait,  une  remarquable  sobriété  d'expression  et  une  mé- 
thode irréprochable  le  concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven.  Ajoutons 
qu'il  a  été  merveilleusement  accompagné.  L'ensemble  était  fait  pour 
charmer  les  vrais  musiciens.  Pour  notre  goût  personnel,  nous  'regrettons 
qu'a  la  place  de  la  cadence  très  intéressante  qu'il  a  exécutée,  il  n'ait  pas 
donné    celle    de    Moschelès,  qui    est    superbe.   Nous    félicitons    vivement 


M.  Risler  de  son  succès  mérité.  —  M.  Vidal  a  en  lui  l'étolTe  d'un  mélodiste 
qu'il  étouffera  bien  certainement  s'il  se  laisse  aller  par  trop  aux  préoccu- 
pations wagnériennes.  A  certains  moments  de  son  poème  symphonique  de 
Jeanne  d'Arc,  il  nous  semblait  qu'on  recommençait  le  prélude  de  Tristan, 
précédemment  dit  par  l'orchestre  :  il  lui  était  si  facile  d'être  lui-même! 
Comme,  par  moments,  sainte  Marguerite  et  sainte  Catherine  jouaient 
agréablement  du  violon  et  du  violoncelle,  et  quel  joli  talent  que  celui  de 
l'archange  saint  Michel  sur  la  trompette!  Mais  tout  cela  tournait  court. 
Allons  :  un  bon  mouvement,  monsieur  Vidal,  faites  un  peu  moins  de  mu- 
sique descriptive  et  faites-nous  une  bonne  symphonie,  —  une  vraie  —  vous 
le  pouvez.  —  Nous  attendions  avec  une  vive  appréhension  les  fragments  de 
Rédemption,  de  César  Franck.  Ce  que  nous  connaissions  des  dernières  com- 
positions de  ce  remarquable  artiste  nous  le  révélait  comme  un  adepte 
intransigeant  des  théories  modernes.  Ces  théories,  pour  la  plus  grande  part, 
ne  correspondent  nullement  à  notre  conception  de  la  musique,  conception 
établie  sur  une  base  sévèrement  classique,  sans  que  nous  proscrivions, 
pour  cela,  les  progrès  nécessaires.  La  mélodie  continue  n'a  pas  le  don  de 
nous  émouvoir  et  nous  aimons  dans  la  musique,  comme  dans  tous  les 
arts,  les  contours  arrêtés,  la  symétrie  et  la  belle  ordonnance.  Les  fragments 
de  Rédemption,  bien  dits  par  M"°"  Fursch-Madi,  nous  ont  néanmoins  saisi 
par  leur  caractère  de  grandeur.  C'est  écrit  d'un  style  ému  et  l'orchestration 
en  est  admirable,  nourrie  et  forte  sans  jamais  être  bruyante;  c'est  là  une 
belle  œuvre.  —  Grand  succès,  comme  toujours,  pour  Soux  les  Tilleuls,  de 
Massene!,  admirablement  interprété  par  MM.  Boutmy,  clarinettiste,  et 
Baretti,  violoncelliste,  et  aussi  pour  la  belle  et  dramatique  Marche  héroïque 
de  Saint-Saëns,  à  la  mémoire  d'Henri  Regnault.  H.  Barbedetpe. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  L'ouverture  de  concert:  «  En  automne  »,  de 
M.  Edouard  Grieg,  dont  le  plan  ne  semble  pas  dessiné  par  des  lignes 
d'une  netteté  parfaite,  doit-elle  être  appréciée  au  point  de  vue  purement 
musical?  Nous  dirons  alors  que  la  mélodie  nous  en  a  paru  peu  caracté- 
ristique, l'instrumentation  incolore  et  déséquilibrée  par  des  caprices  d'un 
goût  contestable.  S'agit-il,  au  contraire,  d'un  poème  descriptif  comme  le 
sous-titre  de  l'ouvrage  semble  l'indiquer?  En  ce  cas,  le  tableau  nous 
paraît  un  peu  dépourvu  de  coins  lumineux,  un  peu  vague  et  indécis.  .— 
Avec  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme,  où  M.  Lamoureux  introduit  des  oppo- 
sitions de  ff.  et  de  pp.,  qui  en  accentuent  le  sens  descriptif,  nous  savons 
du  moins  à  quoi  nous  en  tenir,  et  si,  dans  les  deux  ouvertures,  il  y  a  de 
l'incohérence,  les  causes  qui  l'ont  justifiée  dans  la  pensée  des  deux  com- 
positeurs ne  sont  pas,  dans  les  deux  cas,  également  précises.  —  La  Noce 
villageoise  de  M.  Cari  Goldmark  est  une  suite  d'orchestre  en  cinq  parties  : 
Marche  nuptiale.  Chant  de  ta  fiancée,  Sérénade,  Au  jardin,  Danse.  La  symphonie 
en  la  de  Beethoven,  qui  figurait  sur  le  même  programme,  et  dont  trois 
morceaux  ont  été  rendus  avec  une  précision  et  un  ciselé  merveilleux, 
tandis  que  le  dernier  a  paru  un  peu  grêle  et  sec  par  suite  d'une  exécu- 
tion trop  affinée,  a  été  donnée,  le  26  janvier  1862,  aux  concerts  Pasde- 
loup, avec  les  titres  suivants:  une  Noce  villageoise:  Arricée  des  villageois 
Marche  nuptiale,  Danse  des  villageois.  Festin  et  Orgie.  Il  est  superflu  de  dire 
que  les  deux  compositions  symphoniques  ne  se  ressemblent  que  par  ce 
côté  fantaisiste.  D'autre  part,  si  l'idée  attribuée  à  Beethoven  n'a  jamais 
hanté  son  imagination,  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  le  programme 
rédigé  pour  son  œuvre  s'y  applique  aussi  bien  que  celui  de  la  Noce  villa- 
geoise de  M.  Goldmark  à  l'ouvrage  de  ce  dernier.  Ce  rapprochement 
curieux  une  fois  signalé,  nous  ajouterons  que  l'œuvre  de  M.  Goldmark 
ne  nous  offre  guère  que  des  motifs  dont  le  caractère  vieillot  et  bourgeois 
nous  reporte  au  temps  où  les  formes  musicales  n'étaient  pas  encore  agran- 
dies, et  que  la  plupart  des  thèmes  nous  ont  paru  manquer  de  l'ampleur, 
de  l'élévation  et  de  la  flexibilité  nécessaires  pour  soutenir  l'attention  pen- 
dant la  durée  moyenne  d'un  morceau  de  symphonie.  —  On  a  beaucoup 
applaudi  le  prélude  du  Déluge,  dont  le  solo  de  violon  a  été  bien  rendu  par 
M.  Houffiack.  —La  suite  sur  Sylvia,  ie  Léo  Delibes,  a  été  interprétée  dans 
la  perfection  :  la  Valse  lente  avec  un  charme  captivant,  une  grâce  indolente, 
un  laisser-aller  vaporeux,  et  les  Pizzicati  ayec  une  ténuité  ravissante.  Cela 
parle  à  l'imagination  comme  si  l'on  voyait  le  spectacle. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Couscrvatoire:  symphooie  en  sol  mineur  (Mozarl);  le  Délwje  (Saint-Saëns),  aoli 

par  M"""  Coguault  et  Lavigne,  MM.  Vergnet  et  Auguez  ;  sjmphoaie  en  ut  mineur 
(Beelhoven).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.   Garcia. 

Chàtelet,  Concert  Colonne:  relâche. 

Cirque  des  Champs-lîlysécs,  Concert  Lamoureus  :  Noce  villageoise  (Goldmark); 
air  de  Fidelio  (Beethoven)  par  M""  LiUi  Lehmann;  ouverture  de  concert  (Grieg); 
Rêves  (Wagaer),  par  M'""  Lilli  LehmaaQ  ;  concerto  en  mi  t)émo!  pour  piano 
(Beethoven],  par  H'"-  Sophie  MeLter;air  d'Odcroii  (Weber),  par  M'"' Lilii  Lehmann; 
ouverture  du  Carnaval  romain  (Berlioz). 

—  Musique  de  chambre.  —  S'il  arrive  [larfois  au  critique  musical  d'être 
embarrassé  par  les  nouveautés  que  lui  offrent  à  la  fois  les  concerts  d'un 
même  soir,  et  de  se  prêter  ainsi  à  une  peu  flatteuse  comparaison  avec 
l'âne  de  Buridan,  son  hésitation  n'était  guère  possible  mardi  dernier,  où 
un  seul  concert,  —  donné  par  MM.  Heymann,  Gibier,  Balbreck  et  Lié- 
geois, offrait  de  l'intérêt.  Après  l'audition  du  7°  quatuor  à  cordes  de  Bee- 
thoven, dans  lequel  les  quatre  artistes  ont  su  être  à  la  hauteur  de  leur 
tâche,  ce  qui  n'est  pas  en  faire  un  mince  éloge,  on  a  fort  goûté  la  belle 
voix  de  M'""  Soubre,  interprétant  avec  beaucoup  d'art  des  mélodies  de 
Grieg,  et  vivement  applaudi  une  charmante  composition  pour  harmonium 


46 


LE  MENESTREL 


et  piano  de  César  Franck;  pour  terminer,  une  œuvre  nouvelle,  un  qua- 
tuor pour  piano  et  cordes  de  M.  Ch.-M.  Widor,  est  venu  forcer  encore  et 
captiver  l'attention.  Le  succès  en  a  été  aussi  considérable  que  mérité. 
Dès  le  thème  initiai,  si  clair  et  si  caractéristique,  du  premier  allegro,  — 
thème  qui  relie  entre  eux  les  quatre  morceaux  —  on  se  sent  subjugué; 
radagio  est  d'une  inspiration  mélodique  personnelle  et  élevée,  et  le  scherzo 
d'une  grâce  légère  et  piquante,  d'une  délicatesse  harmonique  extrême, 
avec,  partout,  d'ingénieux  détails  de  sonorité;  le  finale,  très  vigoureux 
d'accent,  très  coloré,  construit  avec  un  art  consommé,  forme  une  brillante 
conclusion  à  une  œuvre  infiniment  intéressante,  qui  comptera  parmi  les 
meilleures  de  M.  ^Vidor.  Elle  a  été  supérieurement  rendue  par  l'auteur 
au  piano,  et  par  MM.  Heymann,  Balbreck  et  Liégeois.  I.  Philtpp. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


La  presse  musicale  étrangère  est  unanime,  on  peut  le  dire,  dans  l'ex- 
pression des  regrets  que  lui  inspire  la  mort  si  inattendue  et  si  cruelle  de 
Léo  Delibes.  Les  journaux  de  tous  pays,  Italie,  Allemagne,  Belgique, 
Angleterre,  Espagne,  Portugal,  et  jusqu'en  Pologne,  ont  tous  consacré  au 
grand  artiste  que  la  France  vient  de  perdre  des  articles  empreints  d'une 
sympathie  touchante  et  formant  un  véritable  concert  d'éloges.  En  Hollande 
aussi,  ce  douloureux  événement  a  produit  une  profonde  impression,  dont 
nous  trouvons  la  trace  dans  ces  lignes  d'une  correspondance  d'Amsterdam 
adressée  à  la.  Fédération  artistique  de  Bruxelles:  —  »  La  mort  de  Léo  Delibes, 
le  célèbre  compositeur  français,  a  produit  dans  toute  la  Hollande  une  vive 
impression.  Sa  musique  y  jouit  de  la  plus  grande  popularité  ;  Lakmé  qst 
un  des  opéras  favoris  du  public  néerlandais  et  ses  adorables  ballets  Sijloia 
et  Goppélia  sont  considérés  ici  (même  par  la  coterie  allemande)  comme  de 
Trais  chefs-d'œuvre  dans  leur  genre.  Aux  Concerts  philharmoniques  de  Kes, 
le  meilleur  moyen  de  retenir  le  public  jusqu'à  la  fin  du  concert  c'est  de 
terminer  celui-ci  par  un  ouvrage  de  Delibes,  qui  depuis  la  mort  de  Bizet 
est  le  seul  compositeur  contemporain  qui  soit  resté  véritablement  fran- 
çais. » 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  {S  février).  —  Le  pauvre  Léo 
Delibes  aurait  bien  souffert  s'il  avait  assisté,  lundi,  à  la  reprise  de  Lakmé, 
que  la  Monnaie  nous  a  donnée  ce  jour-là.  On  pouvait  espérer  que,  pour 
rendre  hommage  à  cette  mémoire  glorieuse,  la  direction  aurait  tenu  à 
entourer  l'œuvre  charmante  du  maitre  regretté  des  soins  les  plus  attentifs, 
les  plus  minutieux.  Elle  a  cru  peut-être  que  ce  x  dont  elle  l'a  gratifiée 
sutiiraient.  La  distribution  des  rôles,  surtout  des  rôles  secondaires,  était 
bonne,  et,  à  ce  point  de  vue,  on  ne  pouvait  faire  mieux.  Mais,  si  quel- 
ques parties  de  l'interprétation  ont  été  sufEsan  es,  si,  notamment.  M""  Sy- 
bil  Sanderson  a  droit  à  de  très  vifs  éloges,  l 'interprétation  d'ensemble, 
tout  ce  qui  contribue  à  traduire  un--  œuvre,  avec  sa  couleur,  son  mouve- 
ment 1 1  son  caractère,  a  laissé  beaucoup  à  désirer.  Je  ferais  volontiers 
bon  marché  de  ce  qui  manque  à  M.  Yallier  pour  être  irréprochable  dans 
le  rôle  du  père  de  Lakmé,  que  M.  Renaud  chantait  si  magistralement,  et  de 
ee  qui  manque  à  M.  Delmas  pour  être  parfait  dans  celui  de  Gérald,  où 
M.  Engel  était  si  remarquable  ;  l'un  et  l'autre  ont  de  jolies  voix,  et  ce 
n'est  pas  de  leur  faute  s'ils  n'ont  pas  l'autorité  nécessaire  de  chanteurs  et 
d'artistes  pour  effacer  le  souvenir  de  leurs  prédécesseurs;  ils  ont  du  moins 
fait  preuve  de  bonne  volonté.  Mais  encore,  à  ce  qu'ils  n'ont  pas  donné, 
un  chef  intelligent  aurait  pu  suppléer.  Les  ensembles,  les  chœurs,  l'or- 
chestre, tout  cela  a  été  médiocre  ;  les  chœurs  chantaient  faux,  les  ensem- 
bles étaient  lourds,  l'orchestre  prenait  des  mouvements  trop  lents.  J'ai  dit 
que  M"=  Sanderson  méritait  d'être  louée  en  cette  circonstance.  Il  n'est 
que  juste  de  lui  rendre  justice.  Elle  a  été  une  Lakmé  tout  à  fait  charmante, 
d'une  grâce  touchante,  tendrement  émue  ;  elle  a  dessiné  très  délicatement 
le  personnage  ;  elle  en  a  fait  ressortir  le  caractère  doucement  dramatique, 
plein  de  mélancolie  et  de  passion  aimable.  Les  progrès  de  la  jeune  artiste 
sont  marquants  ;  de  jour  en  jour,  son  intelligence  scénique  se  développe 
et  s'accentue.  Dans  ce  rôle  de  Lakmé,  elle  a  donné  certainement  tout  ce 
qu'on  espérait  d'elle,  et  plus  peut-être.  Je  ne  parle  pas  de  la  virtuosité; 
sa  voix  haut  perchée  devait  tout  naturellement  briller,  dans  les  notes 
piquées  et  les  contre-jni  de  l'air  des  Clochettes.  Mais  ce  n'est  pas  cela 
qui  lui  a  valu  le  meilleur  de  son  succès  ;  et  c'est  tant  mieux,  en  somme. 

Quelques  nouvelles  des  concerts,  maintenant.  Dimanche,  au  deuxième 
concert  du  Conservatoire,  continuation  de  la  série  de  symphonies  de 
Beethoven,  avec  le  concours  de  M.  Arthur  De  Greef,  qui  exécutera  une 
suite  de  petites  pièces  pour  le  piano,  choisies  parmi  les  moins  connues 
et  les  plus  légères  de  l'œuvre  du  naître.  Et  prochainement,  deuxième 
Concert  populaire,  consacré  en  partie  aux  œuvres  de  César  Franck.  — 
De  province,  m'arrive  la  nouvelle  du  vif  succès  obtenu  à  Tournai  par  l'ora- 
torio de  Gounod,  Rédemption,  exécuté,  à  la  Nouvelle  Société  de  musique,  d'une 
façon  véritablement  très  remarquable;  —  et  aussi  la  nouvelle  du  non 
moins  vif  succès  remporté  au  deuxième  concert  du  Conservatoire,  à  Liège, 
par  les  fragments  du  Parsifal  de  "Wagner,  et  l'audition  de  la  pianiste 
russe.  M"' Sophie  Menter,  qui  a  littéralement  transporté  d'enthousiasme 
le  public  liégeois.  L.  S. 


—  De  A'amur  :  Nous  avons  assisté  mardi  soir,  dans  la  salle  du  théâtre, 
à  une  audition  musicale  où  l'on  ne  comptait  pas  moins  de  300  exécutants, 
symphonistes  et  chanteurs.  Mais  aussi,  à  la  tête  de  cette  brillante  pha- 
lange, se  trouvait  un  artiste  passionné  pour  son  art,  homme  d'intelligence 
et  d'énergie  peu  communes,  et  qui  est  à  Namur  l'àme  de  cette  renais- 
sauce  musicale.  M.  Balthasar-Florence  est  à  la  fois  compositeur  de  mérite, 
facteur  d'instruments  de  musique  et  inventeur.  Il  nous  a  fait  entendre 
hier  plusieurs  compositions  intéressantes,  dont  la  principale,  une  cantate 
en  trois  parties,  est  d'un  effet  puissant.  Au  finale,  tous  les  auditeurs  se 
sont  levés  spontanément  aux  accents  de  la  Brabançonne,  jouée  par  une  double 
fanfare  placée  au  fond  de  la  salle  et  accompagnée  par  l'orchestre  et  par  le 
chœur.  Nous  avons  entendu  aussi  avec  le  plus  grand  plaisir  M"«  Clotilde 
et  Amélie  Balthasar,  deux  jeunes  violonistes  faisant  honneur  à  leur  père; 
M'i=  Clotilde  Balthasar  joue  avec  une  correction  et  une  justesse  impec- 
cables et  elle  ne  recule  point  devant  les  morceaux  les  plus  difficiles  des 
■virtuoses  du  violon. 

—  La  bienheureuse  Cavalleria  rusticana  du  jeune  maestro Mascagni,  après 
avoir  soulevé  l'enthousiasme  de  toute  l'Italie,  fait  maintenant  son  tour 
triomphal  en  Allemagne.  Les  journaux  de  Munich,  où  elle  vient  d'être 
représentée,  sont  unanimes  dans  les  éloges  prodigieux  qu'ils  adressent  au 
compositeur.  A  Saint-Pétersbourg  aussi,  l'ouvrage  a  obtenu  un  succès 
éclatant.  Voici  exactement  la  liste  des  villes  où  Cavalleria  rusticana  doit  être 
jouée  très  prochainement:  Moscou,  Varsovie,  Vienne,  Berlin,  Leipzig, 
Stockholm,  Stuttgard,  Nuremberg,  Kœnigsberg,  Francfort, Mannheim,  Gratz, 
Hanovre,  Schvverin,  Brûnn,  Barcelone,  Valence,  Séville,  Saragosse,  Bilbao, 
Londres,  New- York,  Montevideo,  Buenos-Ayres,  etc. 

—  A  Naples,  à  la  suite  des  représentations  de  son  opéra,  un  banquet 
d'honneur  a  été  ofîert  au  maestro  Mascagni,  qui,  le  moment  des  toasts  ar- 
rivé, s'est  mis  au  piano  et  a  fait  entendre  quelques  morceaux  de  sa  nouvelle 
partition, /es  iîan{2a«. 

—  On  a  donné  ces  jours  derniers,  à  Rome,  deux  nouvelles  opérettes  en 
dialecte  romanesque:  l'une,  l'Àbate  Luigi,  musique  de  M.  Mascetti,  l'autre, 
H  Tre  Bbocci  innamorati,  de  M.  Gabrielli,  cette  dernière  au  théâtre  Rossini. 

—  Au  théâtre  Victor-Emmanuel  de  Messine,  on  vient  de  donner  une 
série  de  vingt-quatre  représentations  de  YEamlet  de  M.  Ambroise  Thomas. 
On  annonce  maintenant  la  mise  à  la  scène,  à  ce  théâtre,  de  Cavalleria 
rusticana. 

—  Les  directeurs  de  notre  Académie  nationale  de  musique  s'émeuvent 
parfois  des  critiques  dont  leurs  façons  d'être,  de  faire  et  d'agir  sont  l'objet 
dans  certains  journaux.  Que  diraient-ils  donc  s'ils  étaient  en  Italie,  où  on 
les  ménagerait  moins  encore  peut-être  ?  Un  journal  de  Naples,  la  Gazzetta 
teatrale,  publiait  en  gros  caractères,  dans  son  dernier  numéro,  la  note  sui- 
vante :  «  Par  suite  du  manque  d'espace,  nous  sommes  obligés  de  remettre 
au  prochain  numéro  la  suite  des.  Cochonneries  du  théâtre  San  Carlo  (Porcherie 
del  S.  Carlo)  V.'.  n  Précédemment,  en  effet,  le  journal  avait  publié  plusieurs 
articles  sous  ce  titre. 

—  Les  étudiants  romains  s'amusent,  comme  leurs  confrères  de  tous 
pays.  Ils  préparent  en  ce  moment  un  spectacle  excentrique  qu'ils  se  pro- 
posent de  donner  prochainement  au  théâtre  Valle.  Ce  spectacle  comprendra 
d'abord  une  «  aetion-mimico-chorégraphico-dansante  »  intitulée  il  Ratio 
dei  Sabini  (l'Enlèvement  des  Sabins),  puis  une  comédie  :  Lumt  stranieri,  ou 
Âmbulanza,  ou  Mala  Pasqua,  ou  C.walleri.i  tosco-umbro-sabello-siculo-romano- 
piemontese-ciociaro  rusticana,  qui,  on  le  voit,  vise  l'opéra  de  M.  Mascagni, 
le  grand  succès  du  jour  au  delà  des  Alpes.  Le  tout  accompagné  d'  «  une 
symphonie  écrite  expressément,  toute  flambant  neuve  et  d'un  maestro 
étudiant.  •> 

—  Grand  scandale,  dit  un  journal  italien,  parmi  les  béguines  et  les 
cagots  de  Scandiano  (province  de  Reggio),  parce  qu'un  organiste  a  imaginé 
de  jouer  à  l'église  l'Hymne  de  Garibaldi.  Le  fait  peut  passer  au  moins  pour 
insolite,  et  je  ne  sache  pas  qu'aucun  organiste  se  soit  avisé  chez  nous 
d'introduire  dans  la  musique  du  service  divin  la  Marseillaise,  qui  n'est  pas 
encore  admise  dans  la  liturgie. 

—  Tandis  qu'ici  une  commission  présidée  par  le  ministre  des  beaux- 
arts  s'occupe  —  enfin  !  —  d'une  réorganisation  de  l'Opéra,  on  s'occupe 
aussi  à  Milan  d'une  reconstitution  de  la  Scala.  «  On  vient  de  nommer  à 
Milan,  dit  un  journal  de  cette  ville,  une  commission  pour  s'occuper  des 
cose  délia  Scala,  commission  dont  font  partie  plusieurs  personnes  distin- 
guées :  propriétaires,  industriels,  sénateurs,  avocats,  mais  pas  une  qui 
soit  au  courant  de  la  pratique  du  théâtre  1  Un  vrai  emplâtre  sur  une 
jambe  de  bois  !  » 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Le  Vaisseau,  fantôme  de 
Wagner  vient  de  fêter  sa  centième  représentation  à  l'Opéra  royal.  La  pre- 
mière avait  eu  lieu  le  7  janvier  1844.  —  Hamdourg  :  On  signale  au  théâtre 
CarlSchultz  la  réussite  d'une  opérette  intitulée  Saint  Cyr,  dont  la  première 
représentation  a  eu  lieu  le  10  janvier.  Auteurs:  MM.  0.  Walther  et  R. 
Dellinger.  —  Leipzig  :  M.  F.  Schrodter,  de  l'Opéra  de  Vienne,  vient  de 
débuter  d'une  façon  très  heureuse  au  théâtre  municipal  dans  le  rôle  de 
"Wilhelm  de  Mignon.  —  Lubeck:  Aida  a  efl'ectué  le  17  janvier  sa  première 
apparition  au  théâtre  municipal.  Succès  de  partition  et  d'interprétation.  — 
Stralsl-nd  :  M.  Dibbern,  chef  d'orchestre  du  théâtre  municipal,  vient  de 
faire  représenter  sur  cette  scène,  une  opérette  nouvelle  en  3  actes  de  sa 


LE  MENESTREL 


composilion  inlitulée  Momieur  l'Arrogance,  quia  remporté  un  certain  succès. 
—  Vienne  :  Le  public  du  ttiéâtre  Ander  Wien  a  accueilli  très  chaleureusement 
une  nouvelle  opérette  intitulée  l'Oiseleur,  dont  MM.  West  et  Held  ont  écrit 
le  livret  et  M.  L.  Zeller,  la  musique. 

—  Le  comité  du  monument  Mozart  à  Berlin,  dont  nous  avons  annoncé 
la  formation,  vient  de  tenir  une  séance  importante.  li  y  a  été  décidé  que 
le  monument  projeté  serait  érigé  non  pas  seulement  en  l'honneur  de 
Mozart,  mais  à  la  gloire  de  la  célèbre  trinité  musicale  Haydn-Mosart-Belho- 
ven.  L'emplacement  choisi  pour  ce  monument  serait  une  des  allées  du 
Thiergarten.  Une  souscription  publique  va  être  ouverte. 

—  La  Société  Liederkranz,  à  Mannheim,  vient  de  se  signaler  par  une  audi- 
tion très  remarquable  du  Désert,  sous  la  direction  du  maître  de  chapelle 
de  la  Cour  M.  Sanger.  Le  chef-d'œuvre  de  Félicien  David  a  remporté  à 
Mannheim  son  triomphe  accoutumé, 

—  Le  Quatuor  Rosé,  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  se  propose  de  faire, 
a  la  fin  de  ce  mois,  une  tournée  artistique  en  Italie,  pour  se  faire  entendre 
à  Venise,  Milan,  Bologne,  Turin,  Rome  et  Naples.  Ce  quatuor  est  ainsi 
composé  :  MM.  Arnold  Rosé,  concert-meisler  à  l'Opéra  de  Vienne  ;  Sigismond 
Bachrich,  soliste  à  l'Opéra  et  professeur  au  Conservatoire  ;  Augusie  Siebert, 
membre  de  la  chapelle  impériale  et  de  l'orchestre  de  l'Opéra;  Renaud  Hum- 
mer,  soliste  à  la  chapelle  et  à  l'Opéra. 

— On  signale  la  déconfiture  de  plusi  eurs  directions  théâtrales  allemandes. 
A  Breslau,  le  directeur  du  théâtre  municipal,  M.  Forster,  après  s'être  vu 
obligé  d'engager  une  danseuse  de  corde  pour  attirer  le  public,  a  déclaré 
ne  plus  pouvoir  continuer  l'entreprise.  D'autre  part,  on  annonce  la  fer- 
meture imminente  du  théâtre  de  la  cour  d'Altenberg.  Enfin,  à  Ulm.  le 
directeur  du  théâtre  municipal  vient  de  déposer  son  bilan. 

—  A  Porto,  les  insurrections  militaires  n'ont  pas  empêché  qu'on  repré- 
sente Lakmé  au  théâtre  de  la  ville,  avec  M™  Nevada  et  le  ténor  Del  Papa. 
Opiniond'un  critique  portugais:  «  Le  poème  de  MM.  Gondinet  et  Philippe 
Gille  est  magnifique  et  va  droit  au  cœur.  Quant  à  la  musique  de  Delibes, 
elle  transporte.  Le  tout  est  présenté  avec  une  correction  parfaite.  On  reste 
sous  le  charme  du  délire  pendant  toute  l'interprétation.  Emma  Nevada 
a  été  remarquable  comme  jamais!  Elle  a  fait  une  ravissante  créature  des 
Indes.  Ses  yeux,  ses  gestes,  sa  voix  sont  surprenants.  On  se  croirait  dans 
un  autre  monde.  » 

—  On  a  représenté  au  théâtre  de  la  Trinité,  de  Lisbonne,  l'opéra-comi- 
que :  A  Maria  de  Silves,  dont  nous  avions  annoncé  la  prochaine  appari- 
tion en  faisant  connaître  que  le  compositeur,  M.  Joao  Guerreiro  da  Costa, 
était  mort  avant  de  voir  son  ouvrage  parvenir  à  la  lumière.  Les  paroles 
sont  de  M.  Lorjo  Tavares  ;  quant  à  la  partition,  elle  n'était  pas  complète- 
ment orchestrée,  et  une  bonne  partie  du  second  et  du  troisième  acte  a  dû 
être  terminée,  sous  ce  rapport,  par  le  professeur  Fialho  et  par  M.  Gazul, 
chef  d'orchestre  du  théâtre.  L'ouvrage  paraît  d'ailleurs  avoir  obtenu  un 
brillant  succès. 

—  A  Londres,  signalons  quelques  nouveautés  chorégraphiques,  un  peu 
en  retard  sur  les  fêtes  de  Noël,  date  ordinaire  de  l'apparition  des  ou- 
vrages de  ce  genre.  Pour  l'Alhambra,  c'est  un  ballet  d'action,  la  Belle  au_ 
bois  dormant,  avec  musique  très  réussie  de  M.  Jacoby,  décors  de  M.  Ryan, 
costumes  de  M.  Alias,  et  danses,  bissées  chaque  s.oir,  de  M"'=  Lignani  et 
de  M.  Vicenti.  Pour  l'Empire-Théàtre,  c'est  Dolhj,  ballet-pantomine  en 
cinq  tableaux,  avec  danses  de  M""  Katie  Lanner  et  musique  un  peu  pâle 
de  M.  L.  de  Wenzel.  Au  théâtre  du  Prince-of-Wales,  c'est/a  Rose  et  l'An- 
neau, opéra  boufTe-pantomime,  dont  le  succès  est  très  grand  grâce  à  la 
musique  légère  de  M.  Slaughter  et  à  une  mise  en  scène  très  curieuse. 
Le  Surrey-Theater,  le  Britannia,  le  Pavillon  et  le  Grand-Théâtre  ont 
aussi  donné  des  ouvrages  nouveaux  du  même  genre. 

—  Du  danger  de  rendre  compte  d'un  spectacle...  avant  qu'il  soit  pro- 
duit. Le  tribunal  de  Londres  a  condamné  un  journal  de  cette  ville,  le 
aunday  Times,  à  200  livres  sterling  (S, 000  francs)  de  dommages-intérêts 
pour  avoir  publié  un  télégramme  de  New-York  constatant  la  froideur  qui 
avait  accueilli  le  début  de  l'acteur  Terris,  alors  que  ce  début  n'avait  eu 
lieu  que  quarante-huit  heures  après.  Ce  que  c'est  que  de  vouloir  être 
informé  rapidement! 

—  L'annuaire  musical  anglais,  qui  vient  de  paraître,  ne  contient,  cette 
année,  pas  moins  de  dix  mille  adresses  de  professeurs,  tant  chanteurs 
qu'instrumentistes.  A  Londres  seul,  on  compte  plus  de  sept  cents  violo- 
nistes, environ  cent  flûtistes  et  autant  de  cornettistes.  Par  contre,  la 
famille  des  joueurs  d'ophicléide  n'a  qu'un  unique  représentant  dans  la 
capitale  anglaise.  Une  autre  particularité  de  l'annuaire  de  1891  est  la  pre- 
mière appavition,  dans  cette  publication,  du  nom  d'un  professeur  de  viola 
di  gamba.  Le  catalogue  général  des  œuvres  musicales  anglaises  publiées 
dans  l'année  accuse:  un  grand  opéra  (Thorgrim),  cinq  opéras-comiques  ou 
opérettes,  cinquante  oratorios  ou  cantates  et  environ  treize  cents  mélodies 
et  ballades. 

—  On  sait  que  deux  des  théâtres  les  plus  importants  de  New-York  ont 
récemment  disparu  dans  les  flammes.  Du  rapport  puljlié  au  sujet  de  cette 
double  catastrophe,  il  résulterait  que  les  incendies  auraient  eu  pour  pre- 
mière cause  la  combustion  des  fils  électriques,  qui  n'étaient  pas  sutïisam- 
ment  isolés.  Ce  serait  donc  à  dire  qu'il  n'y  aurait  pas  plus  de  sécurité 
avec  la  lumière  électrique  iju'avec  le  gaz? 


A  New- York,  un  certain  nombre  de  dilettantes  et  d'amateurs  de  mu- 
sique se  sont  réunis  en  congrès  pour  aviser  aux  moyens  de  fonder  en 
cette  ville  un  Conservatoire  national  de  musique.  Tout  donne  lieu  de 
croire  que  ce  projet  ne  tardera  pas  à  être  mis  à  exécution. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Cette  semaine,  la  commission  supérieure  des  théâtres  a  continué  la 
discussion  du  nouveau  cahier  des  charges  de  l'Opéra  Un  membre,  qu'on 
ne  nomme  pas,  a  prétendu  qu'il  y  avait  quelquefois  désaccord  entre  les 
principes  généraux  exposés  par  le  ministre  et  le  détail  des  articles  du 
cahier  des  charges.  Il  demandait  en  conséquence  la  nomination  d'une 
sous-commission,  qui  ferait  un  rapport  et  «  apporterait  à  la  commission 
des  solutions  conformes  à  ses  vœux  ».  Si  on  était  retombé  dans  ces  rap- 
ports et  ces  sous-commissions,  dont  on  fait  un  si  fâcheux  abus  en  France, 
on  peut  dire  que  la  «  question  »  était  de  nouveau  enterrée.  C'est  peut-être 
d'ailleurs  ce  que  désirait  le  «  membre  »  qu'on  ne  nomme  pas.  Le  ministre 
s'est  élevé  avec  raison  contre  cette  proposition.  Il  a  été  seulement  décide 
qu'après  la  première  lecture  des  articles,  on  procéderait,  comme  à  la 
Chambre,  à  une  deuxième  délibération  qui  permettrait  de  reviser  les 
articles  votés.  On  a  ensuite  voté  les  articles  1"2  â  16.  Sur  l'article  17,  qui 
concerne  le  prix  des  places,  une  longue  discussion  s'est  engagée.  Il  a  été 
décidé  que  l'abonnement  ne  serait  pas  mis  en  adjudication,  comme  il 
était  proposé,  et  que,  parmi  les  petites  places,  celles  du  parterre  ne 
seraient  pas  diminuées,  afin  de  ne  pas  mêler  au  public  des  grandes 
places  des  personnes  qui  pourraient  n'être  pas  habillées  chez  le  tailleur 
Dusautoy.  Notre  collaborateur  Moreno  reviendra  prochainement  sur  toutes 
ces  questions,  quand  le  cahier  des  charges  aura  été  complètement  arrêté! 
En  attendant,  continuons  de  nous  associer  aux  péroraisons  éloquentes 
des  articles  si  intéressants  que  M.  Gaston  Calmette  consacre  dans  le  Figaro 
à  ces  discussions  d'actualité.  Comme  l'ancien  Caton,  M.  Calmette  a,  lui 
aussi,  son  delenda  Cartliago,  et  il  y  tient,  avec  raison  :  «  Rien  n'est  encore 
décidé  quant  à  la  nomination  du  nouveau  directeur  de  l'Opéra.  Il  faut, 
avant  tout  autre  examen,  que  le  cahier  des  charges  soit  terminé,  et  il  ne 
le  sera  pas  avant  deux  semaines  encore.  Mais  ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'il  y  aura  un  «  nouveau  »  directeur.  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  refusaient 
énergiquement,  il  y  a  trois  mois,  de  consentir  au  paiement  des  300,000 
francs  que  l'État  réclamait  pour  la  réfection  des  décors,  seraient,  paraît-il, 
tout  disposés  maintenant  â  payer  cette  somme.  Cette  générosité  posthume 
ne  peut  rien  modifier  d'ailleurs.  Ou  ces  messieurs  doivent  les  300,000 
francs  et  ils  ne  donnent  rien  :  ils  font  une  simple  restitution.  Ou  ils  ne 
doivent  rien,  et  il  faut  que  les  profits  soient  énormes  pour  qu'ils  consen- 
tent à  un  pareil  sacrifice.  L'argument  légal  était  la  destruction  du  maté- 
riel; mais  les  vraies  raisons  étaient  dans  le  délabrement  artistique  de 
l'Opéra  auquel  les  300,000  francs  ne  remédieront  pas.  Il  ne  faut  pas  l'ou- 
blier. » 

—  Aujourd'hui,  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix  réduits.  On 
donnera  Sigurd.  Cette  ssmaine,  chez  MM.  Ritt  et  Gailhard  on  a  fait  une 
reprise  du  Cid  avec  M"^  Caron  et  le  ténor  Duc,  tous  deux  fort  applaudis. 

—  «  Et  l'Opéra-Gvmique?  dit  M.  Magnard  dans  le  Figaro.  Va-t-on  laisser 
éternellement  subsister  dans  le  quartier  le  plus  central  de  Paris  le  cloaque 
où  fut  jadis  le  temple  de  l'art  si  éminemment  français?  Va-t-ou  recom- 
mencer place  Boieldieu  ce  qui  s'est  passé  pour  la  Cour  des  Comptes,  dont 
les  ruines  et  le  sol  sont  restés  improductifs  depuis  vingt  ans?  Il  faut  que 
le  o-ouvernement  prenne  une  résolution,  qu'il  se  décide  soit  à  reconstruire 
le  théâtre  incendié,  soit  â  aliéner  les  terrains  et  à  y  laisser  édifier  des 
maisons  de  rapport.  »  Justes  objurgations.  Mais  les  Parisiens  auront 
peut-être  avant  peu  —  mieux  vaut  tard  que  jamais  —  satisfaction  au  sujet 
de  la  reconstruction  d'un  théâtre  qui  leur  est  cher.  Un  plan  des  plus 
ingénieux,  que  M.  Magnard  connaît  aussi  bien  que  nous  à  cette  heure, 
a  été  soumis  au  ministre  des  Beaux-Arts  et  paraît  avoir  son  approbation. 
Si  les  Chambres  ne.  mettent  pas  d'obstacle  à  ce  projet  très  avantageux, 
Paris  aura  bientôt  son  nouvel  «  Opéra-Comique  ». 

—  Le  Comité  de  la  Société  des,  compositeurs  de  musique  vient  de  re- 
nouveler son  bureau  pour  l'année  1891  de  la  façon  suivante  : 

Président:  M.  Victorin  Joncières  ;  —Vice-présidents:  MM.  Altès,  Guil- 
mant,  Pfeiffer  et  Weckeiiin;  —  Secrétaire-rapporteur:  M.  Arthur  Pou- 
gin  ;  —  Secrétaire  général  :  M.  Balleyguier  ;  —  Secrétaires  :  MM.  Lavello, 
Michelot ,  de  la  Tombelle,  A.  Vinée,  —  Bibliothécaire-archiviste  : 
M.  Weckerlin  ;  —  Bibliothécaire-adjoint  et  trésorier:  M.  Limagne. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu,  au  Conservatoire,  l'examen  trimestriel  pour 
les  pensions  à  accorder  par  le  ministère  des  beaux-arts.  Ont  obtenu  la 
pension  :  M.  Fenoux  et  M"=  Suger,  élèves  de  M.  Maubant;  M.  Esquier  et 
M"":  Dufresnes,  élèves  de  M.  Worms;  M"=s  Dux  et  Haussman,  élèves  de 
M.  Got. 

—  Nous  avions  déjà  le  Faust  de  Gounod,  la  Damnation  de  Faust  d  Hector 
Berlioz,  et  un  Faust  de  Spohr,  sans  compter  celui  de  Schumann  ;  nous 
avions  aussi  le  ilefistofele  de  Boito  ;  nous  allons  avoir  un  Méplustophétés, 
grande  pièce  à  spectacle,  avec  ballet,  chœurs,  soli,  duos,  etc.,  etc.,  dont 
le  livret  a  été  tiré  par  MM.  Armand  Silvestre  et  Léonce  Détroyat,  de  la 
légende  de  Faust  d'Henri  Heine,  et  dont  la  musique  sera  écrite  par  cinq 
prix  de  Rome.  Le  premier  acte  de  cette  pièce,  qui  comportera  une  grande 
mise  en  scène,  est  confié  en  efl'et  à  M.  Samuel  Rousseau;  le  second,  â 
à  M.  Piernê  ;  le  troisième,  à  M.  Gabriel  Marty  ;  le  quatrième,  à  M.  Georges 


I.E  MÉNESTREL 


Hue  ;  le  cinquième,  à  M.  Paul  Vidal.  Où,  maintenant,   cette  pièce  sera- 
t-elle  jouée?  Quel  est  le  directeur  qui  acceptera  de  la  monter?  C'est  ce  que 

nous  ne  saurions  dire.  Mais  il  y  aurait  certainement  là,  de  la  part  d'un 

directeur,  une  tentative  intéressante  et  curieuse. 

—  Notre  collaborateur  et  ami  Arthur  Pougin  vient  de  réunir  et  de  faire 
paraître  en  une  fort  élégante  brochure  de  120  pages  (Fischbacher,  éditeur), 
la  série  d'articles  si  intéressants  et  si  curieux  qu'il  a  publiés  dans  ce 
journal  sur  le  Théâtre  à  l'Exposition  universelle  de  1889.  Les  lecteurs  du 
Ménestrel  n'ont  pas  oublié  cette  étude  si  vivante  et  si  variée  sur  tout  ce 
qui  concernait  l'art  théâtral  à  l'Exposition,  étude  qui  n'a  été  faite  dans 
aucun  autre  recueil,  et  qui  a  été  pour  l'auteur  une  occasion  de  réunir  et 
de  grouper  sur  le  théâtre  une  foule  de  renseignements  précieux,  qu'on 
chercherait  vainement  dans  une  autre  publication.  Selon  son  habitude, 
d'ailleurs,  M.  Pougin  a  remanié  son  travail  pour  le  présenter  au  public 
sous  cette  forme  nouvelle  et  définitive,  etil  l'a  augmenté  encore  de  détails 
complémentaires  et  pleins  d'intérêt. 

—  On  sait  le  succès  qu'obtiennent  depuis  trois  ans  les  représentations  si 
piquantes  et  si  vraiment  artistiques  du  Cercle  funambulesque,  qui  s'est 
créé  dans  le  but  de  remettre  en  honneur  la  pantomime  classique  française 
et  tout  ce  qui  se  rattache  à  l'ancien  spectacle  de  la  Foire,  si  curieux  et  si 
original.  Deux  des  membres  du  Cercle,  deux  écrivains  experts  eu  la  ma- 
tière, MM.  Félix  Larcher  et  Paul  Hugounet,  se  sont  proposé,  à  leur  tour, 
de  tracer  ses  annales  et  de  reproduire  les  hauts  faits  d'une  entreprise 
absolument  désintéressée  et  dont  les  résultats  artistiques  sont  aujourd'hui 
si  vivement  appréciés.  C'est  sous  la  forme  d'élégants  fascicules  in-S",  fort 
joliment  illustrés,  que  les  Soirées  funambulesques  paraîtront  désormais,  à 
intervalles  indéterminés,  mais  le  jour  même  de  chaque  nouvelle  représen- 
tation. Le  premier  est  tout  à  fait  charmant  et  fait  bien  augurer  de  la  suite 
de  la  série. 

—  L'orgue  de  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris  a  été  restauré  et  trans- 
formé récemment  avec  le  plus  grand  soin  par  MM.  Merklin,  d'après  le 
nouveau  système  électro-pneumatique,  he  Rapport  de  la  commission  d'exper- 
tise sur  cet  instrument,  tout  à  son  éloge  et  à  celui  des  habiles  factem-s, 
vient  de  paraître  en  une  élégante  brochure  illustrée,  à  l'imprimerie 
De  Soye. 

CONCERTS    ET   SOIRÉES 

Il  n'est  pas  d'école  de  musique  privée  qui  ait  jamais  donné  de 
meilleurs  résultats  que  l'Institut  Musical  fondé  et  dirigé  par  M.  et  M"=  Oscar 
Comettant  et  qui  vient  d'entrer  dans  sa  vingtième  année  d'existence. 
Nous  avons  assisté,  le  samedi  -31  janvier,  salle  Pleyel,  à  l'audition  des 
élèves  des  cours  que  fait  lui-même  notre  éminent  professeur  M.  Marmontel, 
père,  et  nous  sommes  sortis  charmés  de  cette  soirée  d'élèves  dont  quel- 
ques-unes sont  déjà  de  véritables  virtuoses.  Chez  toutes  on  voit  l'em- 
preinte de  la  belle  méthode  Marmontel,  qui  caractérise  à  un  si  haut  degré 
notre  école  française  du  piano,  à  la  fois  élégante,  correcte  et  classique.  Nos 
plus  sincères  compliments  à  M''''^  Sanchez,  Mériel.  Boghen,  Brunel,  Tan- 
guy, Sicard,  Marthe  et  Marguerite  Le  Sidaner,  Frantz,  Heimann,  Mathias, 
Marchand,  Arnold,  Rosa  Bonheur,  Lucien  et  Duquesnoy.  A  cette  audi- 
tion se  sont  fait  entendre  le  violoncelliste  M.  F.  Ronchini,  dont  les  mor- 
ceaux de  genre  ont  le  pouvoir  de  séduire  le  public,  et  un  jeune  chanteur, 
ténor  d'avenir,  M.  Léon  David. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  chez  M"'«  Rosine  Laborde  une  très  intéres- 
sante audition  d'élèves  qui  a  fait  le  plus  grand  honneur  t  l'enseignement 
du  renommé  professeur.  M"'=  Maugé,  dans  1  air  de  Lakmé,  et  M"<=  Ledant, 
dans  l'arioso  du  Prophète,  ont  été  très  fêtées.  On  a  beaucoup  applaudi  aussi 
M"'  OIstein  et  M.  Depère  dans  le  duo  du  Roi  l'a  dit.  M'"  de  la  Blanche- 
tais  dans  une  romance  de  M.  G.  Pfeiffer,  Pour  mon  liieti-aimé,  et  M"'  Lévy 
dans  la  chanson  mauresque  i'Aben-Hamet.  Ces  deux  dernières  ont  réuni 
leurs  jolies  voix  pour  dire  la  prière  de  ce  même  Aben-Hamet,  dont 
M"«  Vassalio  et  Meignant  ont  également  très  bien  ch'anté  le  duettino.  En 
résumé,  succès  pour  les  charmantes  élèves,  pour  leur  excellent  maître  et 
pour  le  programme,  très  heureusement^combiné. 

—  Mardi  dernier,  M.  et  M"">  Louis  Diémer  donnaient  leur  première  soi- 
rée musicale,  qui  a  très  brillamment  inauguré  la  série  annoncée  pour  cet 
hiver.  Au  programme,  M^e  Krauss,  toujours  cantatrice  lyrique  merveilleuse 
et  qui  a  produit  grand  effet  dans  des  lieder  de  Schumann,  l'air  d'Alceste  et 
le  Cavalier,  de  M.  Louis  Diém.er,  M"«  M.  Pregi,  pleine  de  grâce,  MM.  Mar- 
sick,  Loys,  Guidé,  de  Bailly,  Risier  et,  bien  entendu,  le  maître  de  la  mai- 
son, qui  a  joué  plusieurs  morceaux  classiques  avec  la  perfection  que  l'on 
sait.  La  soirée,  commencée  par  le  quintette  de  Schubert,  la  Truite,  s'est 
terminée,  au  milieu  des  bravos  de  tous,  par  les  Danses  norvégiennes,  de 
Grieg,  jouées  à  quatre  mains  par  M.  Louis  Diémer  et  M.  Risier. 

—  Concerts  et  soiiiées.  —  Brillante  réunion  musicale  des  élèves  de  M—  Rouffe- 
David,  dans  ses  salons,  rue  Rochechouart,  45.  L  excellent  professeur  de  chant  et 
de  piano  a  obtenu,  ainsi  que  ses  élète.T,  un  vit  succès.  —  Dimanche  dernier,  à 
Neuilly,  dans  la  salle  des  Fêtes  de  l'Hôtel  de  Ville,  grande  malince-concert  au 
profit  de  l'Association  des  Dames  françaises.  Cilons,  parmi  les  arlisles,  M"'  Au- 
doussel,  qui  a  très  bien  interprété,  avec  le  concours  de  MU.  Binon  et  BelviUe, 
un  trio  de  Mendelssohn  et  deux  charmants  morceaux  d'Elis  Borde:  Prélude  cl 
Valsc-Cunccrt,  qui  ont  eu  un  vif  succès.  Très  applaudis  aussi  M"=  S.  Delaunay  et 


M.  Calmettes,  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  brillante  matinée.  —  Au  der- 
nier concert  du  Cercle  Militaire,  organisé  par  M.  Cobalet,  on  a  grandement  fètc' 
M""  Taohel,  dont  la  jolie  voix  a  fait  merveille;  on  lui  a  bissé  le  sonnet  de 
M.  Duprato:  Il  élnit  nuit  déjà.  MM.  Rondeau,  Griner,  Damaré,  Tervil,  Dubois, 
Raynette  et  M"»  Gpsy  ont  eu  aussi  leur  bonne  part  de  bravos.  —  Le  grand  con- 
cert annuel  que  le  compositeur  A.  Decq  a  donné  ces  jours  derniers  salle  Érard  a, 
comme  les  années  précédentes,  complètement  réussi.  Un  public  nombreux  et 
choisi  était  venu  applaudir  la  virtuosité  et  les  œuvres  nouvelles  du  maestro,  très 
bien  exécutées  par  le  ténor  Quinet,  la  basse  Pélaga,  M""  Lal'arge  et  M""  Marguerite 
Gay.  —  Très  brillant  concert  de  début  donné,  lundi  2  février,  à  la  salle  Eiard,  par 
M"'  Henriette  Le  Clerc,  élève  de  M.  G.  Pierné,  avec  le  concours  de  son  profes- 
seur et  de  MM.  A.  Lefort  et  Casella.  Un  public  nombreux  et  distingué  a  chaude- 
ment applaudi  la  jeune  artiste.  —  Mercredi  dernier  a  eu  lieu,  dans  un  des  salons  _B 
de  la  maison  Pleyel,  une  audition  d'élèves  de  M""  Marie  Jaëll.  On  a  beaucoup 
remarqué  le  toucher  délicat  et  poétique  de  la  plupart  d'entre  eux  et  l'on  a  parti- 
culièrement encouragé  une  toute  petite  élève  âgée  de  dix  ans,  qui  a  joué  le  n"  1 
des  h'reissieriana,  de  Schumann.  —  Dimanche  dernier,  chez  M'"°  Hermann,  9,  rue 
Gounod,  matinée  musicale  des  plus  intéressantes,  dans  laquelle  l'éminent  pro- 
fesseur a  exécuté,  devant  un  public  .choisi,  la  ballade  en  sol  mineur  de  Chopin, 
ainsi  que  le  quinlette  de  Schumann,  avec  MM.  Rémy,  Guidé,  Parent  et  Casella. 
M"'°Deléage  a  chanté  avec  un  goût  exquis  deux  mélodies  de  Saint-Saêns  ;  M.  Ciampi, 
un  air  charmant  de  F.  Godefroid  ;  l'aimer,  qui  lui  a  été  bissé.  —  A  la  dernière 
matinée  du  ministre  de  1  intérieur,  où  M""  Constans  portait  cette  fois  c  une  ravis- 
sante robe  en  velours  gris  soutachée  de  perles  »,  nous  disent  les  reporters,  le 
jeune  et  remarquable  pianiste  Léon  Delafosse,  a  obtenu  le  plus  grand  succès  avec 
te  Chant d' Avril d&  Th.  Lack,  qu'on  lui  a  bissé,  la  Valse  r.ipide  du  même  auteur,  le 
Réveil  de  Théodore  Dubois,  une  Polonaise  de  Chopin  et  une  Gavotte  de  Bach.  — 
La  dernière  matinée  d'élèves  de  Louis  Diémer  a  élé  des  plus  brillantes.  Parmi  les 
sujets  les  plus  applaudis  cilons  MM.  A.  Bonnel,  Louis  Aubret,  Gabriel  Gaudoin, 
Despringalle  et  surtout  MM.  Pierrot  et  Quévremont,  qui  ont  exécuté  avec  une 
verve  et  un  brio  remarquables  la  belle  suite  concertante  pour  deux  pianos  de 
Théodore  Lack  sur  Syluia,  de  Léo  Delibes.  —  M""^  Burguet-Duminil  vient  de 
donner  un  concert  salle  Pleyel.  KUe  a  joué  toute  une  série  de  pièces  de  Bach, 
Uaendel,  Mendelssohn,  Chopin  et  Liszt,  avec  un  talent  très  sérieux.  On  a  applaudi, 
et  c'était  justice,  la  correction  de  son  style  et  l'aisance  de  son  mécanisme. 
MM.  Rémy  et  Loeb,  qui  prêtaient  leur  concours  à  ce  concert,  ont  été,  eux  aussi, 
fort  appréciés,  le  premier  dans  le  Rondo  capriccioso  de  Saint-Saëns  et  le  second 
dans  deux  pièces  de  M.  G.  Fauré. 

—  Lundi  prochain,  salle  Erard,  à  4  heures  du  soir,  audition  de  musique  clas- 
sique donnée  par  M""  N.  Janotha,  une  pianiste  de  réputation  en  Angleterre. 

NÉCROLOGIE 

Une  artiste  qui  avait  fourni  une  très  honorable  carrière  à  l'Opéra 
et  qui,  tout  récemment  encore,  au  trop  fugitif  Théâtre-Lyrique  de 
M.  Verdhurt,,  avait  remporté  un  succès  très  franc  dans  Samson  et  Dalila  de 
M.  Saint-Saèns,  M'"=  Rosine  Bloch,  est  morte  presque  subitement,  di- 
manche dernier,  à  Nice,  où  elle  était  allée  pour  assister  à  la  représentation 
de  l'opéra  de  M.  Salvayre,  Richard  lll.  En  rentrant  en  voiture  de  Nice  à 
Monaco,  après  le  spectacle,  elle  avait  été  saisie  par  le  froid  ;  à  peine  au 
lit,  elle  fut  prise  d'une  fièvre  intense,  une  congestion  pulmonaire  se 
déclara  le  lendemain,  et  dimanche  matin  elle  expirait.  Rosine  Bloch  avait 
fait  ses  études  au  Conservatoire,  dans  la  classe  de  Battaille  pour  le  chant, 
dans  celle  de  Levasseur  pour  l'opéra.  En  1865  elle  obtenait  le  premier 
prix  de  chant  (avec  M"^*  Mauduit  et  Marie  Roze)  et  le  premier  prix  d'opéra 
(avec  M"°  Mauduit),  ;:t  le  10  novembre  de  la  même  année  elle  débutait  de 
la  façon  la  plus  heureuse,  à  l'Opéra,  dans  le  rôle  d'Azuceua  du  Trouvère, 
où  le  superbe  métal  de  'sa  voix  faisait  merveille.  Son  succès  s'accentua 
encore  dans  le  rôle  de  Fidès  du  Prophète,  et  surtout  dans  Léonor  de  la 
Favorite,  où  rayonnait  son  opulente  beauté  Israélite.  Elle  créa,  en  1866,  la 
Fiancée  de  Corinthc.  de  M.  Duprato,  et  en  1S72,  la  Coupe  du  roi  de  Thulé,  de 
M.  Eugène  Diaz.  L'un  des  derniers  ouvrages  dans  lesquels  elle  se  montra 
à  ce  théâtre  fut  Aida.  Elle  quitta  l'Opéra  il  y  a  quelques  années  et  l'on 
croyait  qu'elle  avait  dît  complètement  adieu  à  la  scène,  lorsqu'on  la  vit 
reparaître  il  y  a  quelques  mois,  comme  nous  l'avons  dit,  au  Théâtre- 
Lyrique,  dans  tout  l'éblouîssement  encore  de  sa  beauté  vraiment  sculp- 
turale. M"^  Bloch  était,  dit-on,  âgée  de  quarante-deux  ans. 

—  On  nous  annonce  de  Bruxelles  la  mort,  après  une  courte  maladie,  du 
baryton  Emile  Blauwaert,  auquel  son  talent  de  chanteur  et  de  comédien 
avait  valu  une  renommée  rapide.  Blauwaert,  qui  était  Belge,  avait  fait  d'a- 
bord carrière  en  Belgique  el  en  Hollande.  Venu  à  Paris  il  y  a  une  dizaine 
d'années,  il  fut,  avec  son  compatriote  Van  Dyck,  un  des  chanteurs  préfé- 
rés des  Concerts  Lamoureux.  Il  acheva  de  s'y  former,  surtout  au  style 
wagnérien.  Blauwaert  fut  l'un  des  interprètes  de  la  superbe  et  unique 
représentation  de  Lohengrin  à  l'Éden.  Son  renom  l'avait  fait  engager  au 
théâtre  de  Bayreuth,  où  il  reprit,  avec  une  grande  supériorité,  le  person- 
nage de  Gurnemanz  dans  Parsijal.  Blauwaert  avait  encore  chanté  à  Lon- 
dres, à  Vienne,  à  Berlin.  L'œuvre  qu'il  préférait,  avec  celles  de  Wagner 
et  de  Peter  Benoit,  était  la  Damnation  de  Faust,  et  Méphistophélès  lui  a 
valu  de  grands  succès  de  chanteur  et  de  diseur. 

—  D'Italie  nous  apprenons  la  mort  du  marquis  Giuliano  Capranica 
del  Grillo,  époux  de  la  célèbre  tragédienne  M"'=  Adélaïde  Ristori.  Son 
frère,  Luigi  Capranica,  était  mort  lui-même  peu  de  jours  auparavant. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Dimanche  IS  Février  1891. 


3!24  -  57-  ANrâ  -  IN^  7.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉA^TRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fkanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on  Texte  seul  •  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Lï  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (1"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Critique  fin  de  siècle  ;  les  modes  du  langage.  Oscar  Comettant.  — 

III.  Une  famille  d'artistes  :   Les   Saint- Aubin  (9'  article),  Arthur  Pougin.   — 

IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le*numéro  de  ce  jour  : 
NULLE    AUTRE    QU'ELLE! 

nouvelle  polka  de  Philippe  Fahriiach.  —  Suivra  immédiatement:  Sous  les 
tilleuls,  valse  alsacienne  de  Pail  Rougnon. 


CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Muguets  et  Coquelicots,  n"  1  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  de  Cl. 
Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  Georges  Auriol.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Ne  parle  pas,  nouvelle  mélodie  de  H.  Balthasar-Florence,  paroles 
de  C.  FusTER. 


LA    MESSE    EN    SI    MINEUR 

DE  J.-S.   BACH 


Dimanche  prochain  22  février  '1891,  la  Société  des  concerts 
du  Conservatoire  doit  faire  entendre  enfin,  pour  la  première 
fois  en  France,  la  Messe  en  si  mineur  de  Sébastien  Bach,  une 
des  plus  magnifiques  œuvres  du  maître  incomparable.  C'est 
un  assez  grand  événement  artistique,  et  qui  nous  sort  assez 
heureusement  des  banalités  de  notre  vie  musicale  habituelle, 
pour  que  nous  n'hésitions  pas  à  fixer  dès  aujourd'hui  sur  lui 
toute  notre  attention.  Nous  allons  donc,  dans  une  étude 
préliminaire,  déterminer  du  mieu.x  qu'il  nous  sera  possible 
les  circonstances  historiques  dans  lesquelles  cet  ouvrage  a 
été  produit;  après  audition,  nous  considérerons  l'œuvre  en 
elle-même  et  dégagée  de  tout  élément  extérieur. 

*"* 
Bach  était  depuis  une  dizaine  d'années  fixé  à  Leipzig,  où,  à 
l'âge  de  trente-huit  ans  ,  il  avait  enfin  trouvé  une  position 
stable,  lorsqu'il  conçut  la  première  idée  de  cette  œuvre  mu- 
sicale et  en  réalisa  en  partie  l'exécution.  Jusqu'à  celte  année 
1723  qui  vit  son  installation  définitive  dans  la  ville  saxonne, 
il  avait,  véritable  Juif  errant  musical,  parcouru  dans  tous 
les  sens  l'Allemagne  du  nord,  d'abord  pour  étudier,  puis 
pour  trouver  une  fonction  digne  de  lui.  Ses  pérégrinations 
commencèrent  tôt.  Agé  de  dix  ans,  son  père  meurt,  et,  quit- 
tant Eisenach,  il  s'en  va  chercher  asile  chez  un  frère  aîné, 
à  Ohrdruf,    bourgade  des  montagnes  de  la  Thuringe:   il  s'en 


échappe  à  quinze  ans,  et,  accompagné  d'un  seul  camarade 
du  même  âge  que  lui,  s'en  va  bravement  par  les  routes,  à 
pied,  tout  au  nord  de  l'Allemagne,  à  quatre-vingts  lieues  de 
son  pays,  à  Lùnebourg,  près  de  l'embouchure  de  l'Elbe  et  de 
la  mer;  il  y  gagne  sa  vie  à  chanter  au  chœur  de  l'église  et 
à  faire  une  partie  de  violon  d'orchestre.  Les  journées  que  le 
métier  lui  laisse,  il  les  emploie  à  aller  à  Hambourg,  où  il 
sait  qu'il  entendra  un  organiste,  Reinken,  auprès  duquel  il 
pourra  trouver  du  nouveau  et  faire  des  progrès  :  ce  sont 
quarante  kilomètres  à  faire  à  pied  ,  autant  pour  le  retour; 
mais  qu'est-ce  cela?  A  la  même  distance  à  peu  près  est  une 
autre  petite  ville,  Zelle,  où  l'on  exécute  parfois  de  la  musique 
d'orchestre  française  :  cela  pique  la  curiosité  de  notre  vaga- 
bond musicien;  il  va  s'y  promener  aussi,  et,  gravement, 
étudie  et  analyse  le  mouvement  musical  de  l'Ecole  de  Zelle. 
Enfin  il  a  dix-huit  ans:  il  est  temps  qu'il  revienne  au  pays 
natal,  ou  tout  au  moins  qu'il  s'en  rapproche;  il  va  d'abord  à 
'^''eimar,  jouer  du  violon  à  l'orchestre  ducal;  puis  une  nou- 
velle occasion  le  ramène  en  Thuringe  :  il  est  nommé  orga- 
niste à  Arnstadt,  ville  de  dix  mille  habitants;  il  y  reste 
quatre  ans.  Entre  temps,  il  regarde  de  nouveau  vers  le  nord  : 
à  Lubeck  est  un  célèbre  organiste,  un  maître,  Buxtehude, 
dont  il  n'a  jamais  encore  eu  l'occasion  d'étudier  le  talent  et 
les  procédés:  Lubeck  est  bien  plus  loin  encore  que  Lune- 
bourg  et  Hambourg,  ce  sont  quelque  cinq  cents  kilomètres 
à  faire,  et  nous  sommes  un  siècle  et  demi  avant  les  chemins 
de  fer:  il  n'importe  ;  Bach  va  à  Lubeck  et  y  reste  quatre 
mois  ;  il  y  resterait  même  davantage  et  y  prendrait  volon- 
tiers la  succession  de  Buxtehude  ,  qui  est  vieux  et  veut  se 
retirer;  mais,  en  même  temps  que  l'orgue,  il  faut  prendre 
aussi  la  fille  de  l'organiste  :  c'est  une  condition  sine  quel  non  ! 
Bach  la  trouve  un  peu  austère ,  il  revient  à  Arnstadt.  Ce 
n'est  pas  pour  longtemps  :  une  ville  un  peu  plus  importante, 
Mulhausen,  lui  offre  une  position  supérieure;  il  n'y  reste 
d'ailleurs  que  juste  une  année  et  devient  organiste  de  la 
Cour  de  Weimar.  Là,  pour  la  première  fois,  il  reste  tran- 
quiUe  et  stationnaiie  pendant  neuf  années;  puis,  âgé  de 
trente-deux  ans,  il  passe  au  service  du  prince  d'Anhalt- 
Côthen,  où  il  reste  jusqu'à  sa  trente-huitième  année.  Les 
princes  d'Anhalt  sont  de  la  plus  vieille  noblesse  allemande; 
mais  il  faut  avouer  que  leur  capitale,  Côthen,  n'a  jamais 
été  un  centre  d'aucune  chose:  à  ne  regarder  que  le  chiffre 
des  habitants,  elle  ne  se  tient  guère  au-dessus  du  niveau  de 
nos  plus  médiocres  chefs-lieux  de  départements  français; 
cependant,  Bach  y  eut  passé  peut-être  toute  sa  vie  s'il  y  avait 
trouvé  toujours  la  cordialité  et  l'admiration  que  lui  témoi- 
gnait le  prince  durant  les  premiers  temps  de  son  séjour. 
Mais  enfin  il  fallut  partir:  il  vint  à  Leipzig  et  fut  nommé 
cantor,  c'est-à-dire  directeur  de  l'enseignement  musical,  dans 


50 


LE  MÉNESTREL 


la  principale  école  de  cette  ville,  la  Thomas-schule;  et,  son 
ambitioa  étant  pleinement  satisfaite  par  l'obtention  de  cette 
place  qui  lui  rapportait  en  ildO,  à  quarante-cinq  ans,  la 
somme  annuelle  de  700  thalers  (1)  —  2625  francs,  si  je  sais 
bien  compter,  —  il  y  reste  vingt-sept  ans  ,  jusqu'à  sa 
mort. 

Pour  qui  est  familier  avec  la  vie  des  musiciens  français, 
une  pareille  existence,  qui  était  celle  de  tous  les  musiciens 
allemands ,  est  presque  incompréhensible.  Les  Français, 
malgré  tout  ce  que  leur  caractère  peut  avoir  de  capricieux  et 
changeant,  sont  cependant  gens  éminemment  stables  en 
matière  de  résidence  ;  il  est  vrai  que,  pour  l'artiste  français, 
il  n'en  est  qu'une  possible,  Paris.  Voyez,  dans  le  même 
temps  où  Bach  courait  patiemment  à  travers  l'Allemagne, 
comment  vivait  chez  nous  son  digne  contemporain  Rameau: 
exilé  par  les  nécessités  de  la  vie  (car  c'était  pour  lui  un 
véritable  exil)  dans  une  ville  de  province,  il  y  étouffe;  son 
génie  veut  se  manifester,  il  le  sent,  mais  il  lui  faut  pour 
cela  un  autre  milieu  que  celui  de  Clermont-Ferrand  :  c'est  à 
Paris  seul  qu'il  le  trouvera  et  il  fait  tout  au  monde  pour  y 
revenir.  Un  demi-siècle  plus  tard,  c'est  encore  à  Paris  que 
viendra  Gluck,  Dans  un  pays  voisin,  une  autre  capitale, 
Londres,  attire  Haendel.  Et  pendant  ce  temps,  Bach  vit  en 
des  villes  dont  les  plus  populeuses  ont  à  peu  près  l'impor- 
tance de  Reims  ou  d'Amiens,  dont  les  autres  sont  approxi- 
mativement équivalentes  à  Rambouillet,  Provins  ouEtampes! 

C'est  que  si  en  Allemagne  il  n'y  a  pas  de  Paris,  en  revanche 
toutes  les  villes  sont  des  capitales.  Toute  la  force  intellec- 
tuelle de  la  nation  ne  vient  pas,  comme  en  France,  converger 
en  un  seul  point,  mais  reste  également  distribuée  sur  les  dif- 
férentes parties  du  territoire.  Toutes  les  villes  allemandes 
peuvent  devenir,  à  un  moment  donné,  des  centres  musicaux 
d'où  partent  des  œuvres  destinées  à  rayonner  sur  le  monde 
enVwT.  Don  Juan  est  né  à  Prague,  le  Freischiitz  à  Dresde,  Lohen- 
grin  à  Weimar.  Aujourd'hui  encore,  bien  que  l'esprit  de 
centralisation  ait  commencé  à  envahir  l'empire  allemand, 
Bayreuth  est  considéré  par  beaucoup  comme  la  ville  sainte 
de  la  musique,  et  Carlsruhe  donne  asile  à  de  grandes  œuvres 
françaises  dédaignées  par  nous-mêmes.  Ajoutons  à  cela  qu'à 
l'époque  de  Bach  les  formes  musicales  étaient  infiniment 
moins  variées,  les  genres  moins  nombreux  :  des  oratorios  et 
des  cantates  destinées  à  rehausser  l'éclat  des  cérémonies 
publiques,  religieuses  ou  civiles;  de  la  musique  d'orchestre 
et  des  œuvres  vocales  pour  les  concerts;  enfin,  des  composi- 
tions instrumentales,  de  la  musique  de  chambre  pour  les 
exécutions  intimes,  telles  étaient  les  seules  ressources  que 
les  traditions  nationales  permettaient  aux  compositeurs  :  de 
musique  dramatique,  il  n'en  était  pas  encore  question  chez 
les  purs  musiciens  allemands,  et  si  l'opéra  avait  commencé 
à  s'installer  dans  quelques  villes,  il  n'en  était  pas  moins  resté 
le  domaine  presque  exclusif  des  Italiens.  En  composant  les 
Passions,  les  Messes,  et  ces  innombrables  cantates,  parfois 
improvisées  en  quelques  jours,  faites  pour  être  exécutées  une 
seule  fois,  puis  mises  dans  un  tiroir,  sur  un  rayon  de  biblio- 
thèque, aussitôt  oubliées,  —  chefs-d'œuvre  où  cependant 
l'on  retrouve  encore,  avec  une  surprise  toujours  renaissante, 
une  imagination  si  abondante,  une  vie  si  intense,  une  si 
étonnante  variété,  —  Bach  n'avait  pas  d'autre  idéal  à  réaliser 
que  l'envie  de  satisfaire  aux  exigences  de  ses  fonctions  : 
passer  pour  un  organiste  habile,  un  bon  directeur  de  musique, 

(1)  C'est  le  chiffre  qu'il  indique  lui-même  dans  une  lettre  écrite  le  28  octobre 
1730,  lettre  dans  laquelle  se  trouve  la  phrase  adorable  que  voici  : 

€  Mon  traitement  ici  est  de  sept  cents  thalers,  et,  lorsqu'il  y  a  plus  d'enterre- 
ments que  de  coutume,  le  casuel  augmente  en  proportion;  mais  l'air  est  très  sain 
à  Leipzig,  et  l'année  dernière  le  casuel  des  enterrements  a  été  en  déficit  de  cent 
thalers.  »  Voyez  E.  David,  la  Fio  et  tes  Œuvres  deJ.-S.  BaOi,  p.  208. 

Dans  la  Vie  de  J.-S.  Bach,  de  Forkel,  traduite  et  accompagnée  de  notes  et  éclair- 
cissements nombreux  par  M.  Félix  Grenier,  l'on  trouve  (p.  123)  le  détail  de  ce  que 
Bach  touchait  à  la  Thomas-schule  de  Leipzig  ;  en  additionnant  les  divers  chiares, 
l'on  est  loin  d'atteindre  les  700  thalers  indiqués  par  le  principal  intéressé.  11  est 
vrai  qu'en  outre  de  ses  appointemenls  et  indemnités  diverses,  il  était  logé  et  re- 
cevait des  prestations  en  nature. 


faire  entendre  fréquemment  des  compositions  nouvelles  aux 
fidèles  de  son  église,  telles  étaient  ses  seules  préoccupa- 
tions. 

Il  menait  identiquement  la  même  vie  que  les  autres  mu- 
siciens, et  n'avait  pas  ces  allures  superbes  que  prennent 
volontiers,  dans  d'autres  pays,  les  compositeurs  en  renom, 
gens  tout  à  fait  extraordinaires  et  en  dehors  du  commun. 
Pour  lui,  il  vivait  avec  ses  confrères  sur  le  pied  d'une  égalité 
parfaite.  Que,  dans  telle  circonstance  où  la  musique  était 
jugée  nécessaire,  pour  une  fête  publique  ou  une  cérémonie 
imprévue,  il  se  trouvât  empêché  de  composer,  il  ne  voyait 
aucun  inconvénient  (on  en  a  des  exemples)  à  ce  qu'up  autre 
tînt  momentanément  sa  place,  —  et  peut-être  peu  de  gens 
s'apercevaient-ils  de  la  substitution!  Un  certain  Gôrner,  or- 
ganiste à  Leipzig,  homme  intrigant,  rempli  d'orgueil  autant 
que  dénué  de  talent,  prétendait  lui  disputer  la  direction  du 
mouvement  musical  à  Leipzig  :  leurs  querelles  occupèrent 
plusieurs  années  de  la  vie  de  Bach,  et  il  ne  s'en  fallait  pas 
de  beaucoup  que  la  galerie  fût  pour  Gôrner I  Un  autre, 
Hurlebusche,  vint  un  jour  pontifier  chez  lui  et  faire  la  leçon 
à  ses  fils,  leur  présentant  ses  propres  compositions  comme 
les  modèles  qu'il  fallait  suivre  :  et  pourquoi  Bach  n'aurait-il 
pas  aussi  pris  les  conseils  de  Hurlebusche?  Il  l'aurait  fait 
certainement  si,  par  aventure,  quelqu'un  de  ces  conseils  eût 
été  bon.  Au  fond,  c'était  un  bon  bourgeois  de  Leipzig,  irré- 
prochable par  sa  conduite  comme  par  la  façon  dont  il  exerçait 
son  art,  et  ne  cherchant  rien  au  delà.  Il  n'eut  pas  la  gloire, 
mais  ne  fut  pas  non  plus  un  méconnu;  toutes  les  satisfactions 
qu'il  rêvait,  il  les  obtint;  mais,  à  nos  yeux,  combien  ses 
ambitions  étaieat  modestes!  Il  ne  rechercha  pas  la  fortune  : 
après  lui,  ses  fils  gagnèrent  honnêtement  leur  vie  comme  il 
l'avait  gagnée  lui-même,  et  une  de  ses  filles  mourut  dans  la 
misère.  S'il  eut  conscience  qu'il  fût  supérieur  —  quelques 
privilégiés  le  devinèrent  aussi,  —  ni  eux  ni  lui  ne  se  dou- 
tèrent que  cette  supériorité  fût  si  grande,  la  différence  entre 
lui  et  les  autres  si  énorme.  C'est  étonnant  comme  les  con- 
temporains se  rendent  peu  compte  de  la  dislance  réelle  qui 
sépare  la  médiocrité  du  génie!  Enfin  il  ne  fut  jamais  hanté 
par  des  rêves  de  gloire  posthume,  d'immortalité  (l'on  ne 
songeait  pas  à  cela  de  son  temps)  et  ne  crut  pas  laisser  à 
l'avenir  des  monuments  impérissables  :  qu'avait-il  fait  dans 
toute  sa  vie  que  ne  fissent  tous  les  autres  musiciens,  que  ne 
dussent  faire  ceux  qui  allaient  venir  après?  Il  se  disait  cela 
lui-même,  dans  la  candeur  de  son  âme  d'artiste  et  l'incon- 
science de  son  génie  ;  mais  il  se  trompait.  Ce  qu'il  avait  de 
plus  que  les  autres,  c'est  que  lui  seul  était  Bach. 

Il  nous  a  semblé  qu'il  était  nécessaire,  pour  arriver  à  com- 
prendre le  véritable  sens  de  son  œuvre  maîtresse,  de  le 
replacer  ainsi  tout  d'abord  dans  son  milieu  réel,  si  différent 
de  ceux  qui  nous  sont  familiers  et  où  nous  sommes  habi- 
tués à  voir,  soit  dans  le  passé,  soit  au  temps  présent,  se 
mouvoir  et  graviter  les  compositeurs. 


On  se  tromperait  d'ailleurs  singulièrement  si,  après  cela, 
l'on  considérait  Bach  comme  un  rêveur  romantique,  ou  sim- 
plement comme  une  figure  de  primitif,  figée  dans  une  hiéra- 
tique immobilité.  Pour  n'avoir  pas  cherché  à  entretenir  le 
monde  de  ses  faits  etgestes,  Bach  n'en  fut  pas  moinsun  être 
essentiellement  agissant.  Autoritaire  et  colérique,  il  avait  un 
véritable  tempérament  de  lutteur,  et  occupa  en  querelles 
variées  la  plus  grande  partie  des  heures  de  sa  vie  qu'il  ne 
consacra  pas  à  la  musique  !  Ici  encore,  le  grand  homme  per- 
drait de  son  prestige  si  nous  ne  l'avions  déjà  considéré  sous 
son  aspect  familier  et  dénué  de  toute  pose  affectée.  Il  nous 
faut  conter  une  de  ces  querelles,  car  c'est  à  elle  que  nous 
devons  la  composition  de  la  Messe  en  si  mineur. 


(A  suivre.) 


Julien  Tiersot. 


LE  MENESTREL 


5.1 


SEMAINE    THEATRALE 


CRITIQUE    FIN   DE    SIECLE 

LES  MODES  DU  LANGAGE 

SUR    LES   MOTS    «    ÉCRITURE    »    ET    «    SINCÈRE    »    EN   MUSIQUE    ET   SUR   QUELQUES 
AUTRES    MOTS    DÉMODÉS 

Vous  n'êtes  pas  sans  avoir  remarqué  que  les  compositeurs,  quand 
ils  ne  trouvent  pas  de  jolis  chants,  en  parlent  avec  dédain  comme 
d'une  forme  usée  et  font  du  contrepoint. 

De  même,  quand  les  littérateurs  manquent  d'idées  et  de  philoso- 
phie, ils  condamnent  l'imagination  avec  la  raison  et  tracent  à  la  plume 
des  tableaux  des  choses  et  des  hommes  qu'ils  ont  vus  de  leurs  yeux, 
avec  autant  de  mots  peu  usités  qu'ils  ont  pu  en  trouver  dans  les 
dictionnaires. 

Au  demeurant,  dans  les  arts,  on  ne  fait  pas  toujours  ce  que  l'on 
voudrait  faire,  on  fait  ce  qu'on  peut.  Le  point  important  est  de 
faire  ou  d'avoir  l'air  de  faire  du  nouveau...  n'en  fût-il  plus  au 
monde. 

Pour  rajeunir  leur  art,  certains  critiques  musicaux  fin  de  siècle 
(on  sait  que  de  ce  siècle,  il  n'y  a  de  bon  que  la  fin)  affectent  de 
fausser  la  valeur  de  quelques  termes,  ce  qui  les  rend  parfois  incom- 
préhensibles. D'autre  part,  et  pour  moderniser  leur  style,  ils  n'écri- 
vent pas  dix  lignes  sans  y  glisser  le  mot  psychologie  et  sans  par- 
ler avec  admiration  de  «  thèmes  initiaux  »  et  de  «  motifs  conduc- 
teurs ».  Ces  excellents  critiques  «  dans  le  mouvement  »,ou  mieux, 
«  dans  le  train  »,  n'ont  pas  l'air  de  se  douter  que  les  thèmes  ini- 
tiaux et  les  motifs  conducteurs  appartiennent  aux  procédés  de  la 
fugue,  une  forme  de  musique  qui  ne  date  pas  d'hier. 

Si,  lorsque  ces  terribles  «  fin  de  siècle  »  faussent  le  sens  des  mots, 
il  vous  arrive  de  ne  pas  les  comprendre,  tant  mieux.  Ils  ne  gagnent 
pas  beaucoup  le  plus  souvent  à  être  compris,  et  ils  ne  perdent  rien 
à  se  montrer  incompréhensibles,  au  contraire.  Vous  ne  les  devinez 
pas,  c'est  la  preuve  que  vous  n'êtes  pas  à  leur  hauteur.  Eh  bien, 
soit,  ils  sont  placés  haut,  très  haut,  leur  tête  olympienne  émerge 
sur  la  foule  et  ils  ont  l'esprit  en  l'air.  Mais  la  supériorité  des  gens 
commande  l'indulgence  auprès  des  inférieurs,  et  je  ne  vois  pas  que 
les  critiques  musicaux  auxquels  je  fais  allusion  aient  jamais  péché 
par  excès  d'indulgence.  La  plus  enviable  condescendance  dont  ils 
pourraient  faire  preuve  envers  le  commun  des  martyrs,  leurs  lec- 
teurs, ce  serait  de  consentir  à  donner  aux  mots  dont  ils  se  servent 
leur  acception  usuelle,  de  ne  pas  poser  des  énigmes. 

Par  exemple,  ils  vous  disent  quand  ils  ont  reconnu  chez  un  compo- 
siteur du  style  et  de  la  science,  que  ses  œuvres  sont  «  d'une  belle 
écriture  ».  Ou  a  une  belle  écriture,  non  point  parce  qu'on  est 
un  habile  calligraphe,  mais  parce  qu'on  est  bon  contrepointiste,  qu'on 
instrumente  bien  et  qu'on  prodigue  les  dissonances,  sans  prépara- 
tion,—  c'est  vieux  jeu  —  et  souvent  sans  résolution. 

La  plus  belle  écriture  est  celle  de  Wagner. 

L'écriture  de  Beethoven  laisse  aujourd'hui  beaucoup  à  désirer. 
Aussi  Wagner,  toujours  bon  enfant,  comme  on  sait,  l'a-t-il  remaniée 
dans  la  neuvième  symphonie. 

Quant  à  l'écriture  de  Rossini  dans  Guillaume  Tell  comme  dans  le 
Barbier,  elle  est  à  crever  de  rire.  Car  il  y  a  des  écritures  crevantes, 
et  ce  ne  sont  pas  toujours  celles  que  telles  on  pourrait  croire. 

Ainsi  donc,  les  partitions  laborieusement  travaillées,  patiemment 
combinées  suivant  une  esthétique  nouvelle  ou  soi-disant  nouvelle, 
ces  partitions  sont  d'une  belle  écriture,  fussent-elles  horriblement 
griffonnées.  Et  les  professeurs  de  composition  musicale  sont  deve- 
nus, de  par  la  mode  du  langage,  des  maîtres  d'écriture. 


Autre  chose. 

Les  qualités  qui  font  la  belle  écriture  d'un  compositeur,  font  aussi 
la  sincérité  de  ses  œuvres.  Un  ouvrage  est  sincère  quand  il  est  d'une 
belle  écriture,  il  est  d'une  belle  écriture  quand  il  est  sincère.  Vous 
ne  comprenez  pas  bien,  et  vous  cherchez  dans  Littré  un  supplément 
d'instruction  qui  vous  éclaire. 

Mais  plus  vous  êtes  éclairé,  moins  vous  comprenez.  En  effet,  il 
résulte  des  explications  que  vous  donne  Liltré  au  mot  sincère,  qu'on 
fait  preuve  de  sincérité  quand  on  dit  tout  ce  qu'on  pense,  tout  ce 
qu'on  sent,  qu'on  ne  dissimule  rien,  qu'on  ne  ment  pas. 

La  musique  sincère  est  donc  celle  dans  laquelle  on  n'aperçoit 
aucune  dissimulation,  pas  le  plus  petit  mensonge. 


Par  contre,  la  musique  qui  n'est  pas  sincère  est  celle  où  l'auteur 
ne  dit  pas  une  note  de  ce  qu'il  a  pensé  et  dissimule  ses  sentiments 
tout  le  long  de  sa  partition. 

Et  vous  prenez  désespérément  votre  tête  entre  vos  deux  mains, 
vous  demandant  comment  ces  choses-là  peuvent  se  faire.  Vous  tor- 
turez votre  intellect  pour  deviner  par  quel  phénomène  il  se  peut 
qu'un  musicien  dissimule  sa  pensée  en  musique,  qu'il  mente  pour 
la?  cacher  et  quel  intérêt  il  pourrait  avoir  à  le  faire  si  c'était  possible. 
Que  l'on  puisse  déguiser  sa  pensée  par  le  moyen  des  mots  qui  ont 
un  sens  précis,  on  le  comprend,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  en 
composition  musicale  ;  la  musique  n'exprimant  rien  de  positif,  n'a 
rien  à  déguiser  et  ne  peut  pas  mentir. 

Elle  est  par  essence  de  toute  sincérité.  On  ne  voit  qu'un  seul  cas 
où  un  compositeur  pourrait  manquer  de  sincérité;  c'est  celui  où, 
ayant  à  écrire  sous  le  nom  d'un  autre,  il  ferait  mal  eiprès,  pour 
lui  jouer  un  mauvais  tour. 

Que  si  l'on  entend  par  une  œuvre  musicale  sincère,  une  œuvre 
faite  avec  tout  le  talent  dont  on  est  susceptible,  une  œuvre  médiocre 
est  sincère  à  l'égal  d'un  chef-d'œuvre,  si  l'auteur  de  l'œuvre  mé- 
diocre y  a  mis  tous  ses  soins,  toute  son  imagination,  tout  son  cœur 
et  tout  le  talent  qu'il  possède.  La  sincérité  est  indépendante  du 
talent.  Quel  est  donc  le  compositeur  qui  n'apporte  pas  dans  l'ou- 
vrage qu'il  doit  présenter  au  public,  qui  lui  donnera,  s'il  est  bien, 
gloire  et  argent,  qui  ne  lui  rapportera  rien  et  l'humiliera  s'il  est 
mauvais,  tous  ses  soins,  tout  son  savoir,  toutes  ses  facultés  ?  Si 
l'écriture  de  sa  partition  est  faible,  n'est-il  pas  évident  que  la  raison 
de  cette  faiblesse  est  son  incapacité  à  mieux  faire? Si  ses  mélodies 
manquent  de  distinction,  si  ses  harmonies  sont  banales  et  son  ins- 
trumentation sans  relief,  peut-on  en  faire  un  crime  à  sa  sincérité, 
et  n'est-il  pas  clair  pour  tout  le  monde  que  s'il  avait  en  lui  des  mé- 
lodies originales,  des  harmonies  personnelles,  une  instrumentation 
riche  en  inventions,  ce  sont  celles-ci  et  non  pas  celles-là  dont  il 
ferait  usage  ? 

Non,  on  ne  saurait  mettre  en  doute  la  sincérité  en  matière  de 
composition  musicale. 

Quant  à  ce  qu'on  appelle  des  concessions  au  mauvais  goût  du 
public,  cela  n'existe  pas  plus  que  le  manque  de  sincérité  dans  les 
arts.  On  fait  ce  qu'on  peut,  on  écrit  ce  qu'on  pense,  en  littérature 
comme  en  musique.  Belmontet  était  aussi  sincère  et  ne  faisait  pas 
plus  de  concession  au  mauvais  goût  quand  il  faisait  ses  vers  que 
Victor  Hugo  quand  il  écrivait  ses  poésies.  Strauss  est  aussi  sincère 
quand  il  écrit  une  valse  que  Beethoven  l'était  quand  il  composait 
une  symphonie. 

Ce  qu'on  entend  à  cette  heure  par  une  œuvre  de  musique  sincère, 
c'est  une  œuvre  très  contrepointée,  bâtie  avec  les  procédés  qu'on 
appelle  de  la  nouvelle  école  et  qui  sont  empruntés  à  la  fugue  ;  c'est 
une  œuvre  sans  aucun  chant  déterminé,  dans  une  forme  vague, 
pétrie  de  tronçons  mélodiques,  auxquels  on  attribue  un  sens  sym- 
bolique ;  c'est  une  œuvre  sans  rythme,  le  plus  souvent  sans  aucun 
repos  de  cadence  ni  de  demi-cadence,  d'un  caractère  mystique,  my- 
thologique, féerique  ou  spiritique,  surcharg'ée  d'accords  altérés  et 
d'une  belle  longueur;  pour  tout  dire  enfin,  c'est  une  œuvre  qui  appar- 
tienne au  seul  genre  que  Voltaire  n'admet  pas  en  li Itéra lure.  J'ai 
entendu  beaucoup  d'ouvrages  «  sincères  «  depuis  quelques  années, 
et  ces  longs  discours  sonores  m'ont  rappelé  ce  vers  de  Boileau  : 

Un  discours  trop  sincère  aisément  nous  outrage. 

Si  l'on  voit  apparaître  souvent  dans  les  articles  de  certains  jeunes 
critiques  musicaux  fort  avancés  les  mois  écriture  et  sincère  employés 
mal  à  propos,  en  revanche  on  n'y  trouve  jamais  les  mots  joli,  gra- 
cieux, chantant,  vocal,  spirituel,  aimable,  qui  ont  vieilli  et  ne  trouvent 
pas  leur  application  dans  la  musique  sincère.  La  musique  à  laquelle 
peuvent  s'appliquer  ces  qualificatifs  a  vieilli  et  ne  doit  plus  repa- 
raître. 

Il  y  a  quelque  temps,  un  jeune  musicien  —  bien  dans  le  mouve- 
ment, celui-là,  —  me  disait  avec  conviction  qu'il  ne  pouvait  plus 
entendre  la  musique  de  Mozart  et  que  celle  de  Mendelssohn  le  fai- 
sait bâiller.  «  Il  me  faut,  ajouta-t-il,  une  musique  qui  m'empoigne, 
m'étreigne,  me  secoue  violemment,  faite  de  beautés  cruelles,  et  me 
torde  les  boyaux.  »  —  Vous  avez,  jeune  homme,  lui  répondis  je,  les 
boyaux  difficiles  à  contenter. 

Mais  qui  aurait  pu  prévoir  qu'avec  les  progrès  du  temps,  la  mu- 
sique aurait  pour  objet  de  tordre  les  boyaux  des  dilettanti? 

Oscar  Gomettant. 


LE  MENESTREL 


UNE     FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 
V 

(SuUe.) 

Mais  au  lieu  d'insister  sur  ce  s'ijet,  j'aime  mieux  reproduire  ce 
jugement  fort  intéressant  d'un  de  ses  contemporains  sur  le  talent 
si  original  et  si  rare  de  celle  artiste  charmante,  qui  semble  vraiment 
n'avoir  pas  trouvé  sa  pareille  depuis  qualre-vingls  ans  qu'elle  a 
disparu  Je  la  scène  : 

On  appelle  M""  Ivlars  la  perle  du  Théâtre-Français;  M™  Saint-Aubin 
était  aussi  la  perle  de  la  Comédie-Italienne  et  de  l'Opéra-Comique.  Per- 
sonne, pas  même  M""  Mars,  n'a  mieux  nuancé  les  différents  caractères 
d'ingénuité, suivant  l'âge,  l'éducation,  le  rang,  l'état,  la  situation  des  per- 
sonnages qu'elle  avait  à  représenter.  La  nature  semblait  véritablement 
l'avoir  formée  exprès  pour  les  rôles  déjeunes  filles;  mais  M™  Saint-Aubin 
en  avait  reçu  aussi  une  rare  intelligence,  une  imagination  vive,  un  tact 
sûr, une  âme  brûlante  et  expansive,  une  physionomie  extrêmement  mobile. 
Avec  tant  d'avantages,  il  ne  lui  eût  fallu  que  deux  ou  trois  pouces  de 
plus  pour  être  la  première  actrice  dans  tous  les  genres,  même  dans  la 
tragédie  et  dans  la  pantomime.  Elle  a  égalé  M'"=  Dugazon  dans  la  plupart 
des  beaux  rôles  que  celle-ci  avait  créés  dans  sa  jeunesse,  et  elle  a  tou- 
jours su  se  préserver  de  cette  décadence,  de  cette  sorte  de  dégradation 
dans  le  ton  et  dans  les  m.anières  que  M"«  Dugazon  avait  contractées  &ans 
les  dernières  années  de  sa  carrière  théâtrale. 

M""  Saint- Aubin  ne  sortait  jamais  du  ton  le  plus  vrai  de  la  nature.  Son 
comique  spirituel  était  aussi  éloigné  de  l'afféterie  que  de  la  trivialité. 
Son  débit  était  si  facile  qu'il  semblait  absolument  dépourvu  d'art.  Dans 
la  douleur,  ses  cris  étaient  déchirants  sans  être  forcés.  Elle  avait  enfin  le 
rare  talent,  dans  la  même  pièce  et  souvent  dans  la  même  scène,  de  faire 
rire  et  pleurer  tour  à  tour.  Saisissant  avec  sagacité  les  plus  fines  inten- 
tions des  auteurs,  elle  a  assuré  le  succès  de  plusieurs  ouvrages  qui  peut- 
être  seraient  tombés  sans  elle,  et  dont  quelques-uns  n'ont  pu  se  soutenir 
lorsqu'elle  les  a  abandonnés.  Il  en  est,  comme  dans  l'Amoureux  de  quinze 
ans,  où  elle  a  joué  à  diverses  époques  trois  rôles  différents.  Comme  canta- 
trice, elle  était  sans  doute  moins  parfaite;  mais  si  sa  voix  était  un  peu 
faible,  elle  en  tirait  adroitement  parti,  suppléant  à  la  force  par  le  goût 
et  l'esprit:  jamais  on  n'a  chanté  la  romance  avec  plus  d'expression. . . 

A  ce  jugement  artistique,  l'écrivain  ajoute  ce  portrait  moral  : 

Si  M"""  Saint-Aubin,  par  la  franchise  et  la  vivacité  de  son  caractère,  ou 
par  la  supériorité  de  ses  talents,  a  blessé  quelque  amour-propre  ou  ex- 
cité quelque  envie,  elle  n'en  a  pas  moins  de  droits  à  l'estime  publique,  à 
la  tendresse  de  sa  famille,  à  la  reconnaissance  de  ceux  qu'elle  a  obligés, 
et  à  l'amitié  de  ceux  qui  savent  apprécier  ses  excellentes  qualités.  Chargée 
d'une  nombreuse  famille  qu'elle  a  élevée  avec  soin,  elle  a  fait  des  pensions 
à  son  père,  à  deux  de  ses  sœurs,  jusqu'à  leur  mort  :  elle  en  fait  encore 
à  ses  deux  frères.  Econome,  mais  désintéressée,  elle  n'a  jamais  affiché  ce 
luxe  scandaleux  qu'on  reproche  généralement  aux  actrices. . .  (1). 

On  n'en  finirait  pas  si  l'on  voulait  reproduire  tous  les  témoignages 
d'admiration  que  le  talent  si  étonnamment  varié  de  M"»  Saint-Aubin 
inspirait  à  ses  contemporains.  Je  ne  résiste  pourtant  pas  au  désir 
de  reproduire  ici  quelques-uns  des  éloges  que  lui  adressait  alors  un 
critique  fort  expert  en  choses  théâtrales,  Fabien  Pillet,  feuilletoniste 
du  Journal  de  Paris  et  auteur  d'un  petit  recueil  spécial,  VOpinion  du 
Parterre:  on  verra  qu'ils  concordent  entièrement  avec  ceux  qui 
précèdent:  «  J'épuiserais  toutes  les  formules  de  l'éloge,  disait  cet 
écrivain,  si  je  prétendais  exprimer  comme  je  le  sens  l'admiration 
que  m'inspirent  les  rai-es  talens  de  celle  charmante  actrice,  et  si  je 
ne  me  bornais  pas  à  dire  que  je  ne  fais  que  me  conformer  à  l'opi- 
nion générale,  au  suffrage  unanime  du  public,  dont  elle  est  l'idole. 
Aimable  Saint-Aubin,  quand  vous  débutiez  avec  tant  de  succès,  je 
présageais  déjà  la  hauteur  à  laquelle  vous  deviez  vous  élever,  mais 
j'avoue  que  vos  talens  étaient  plus  grands  que  ma  vue  n'était  fine 
et  que  vous  avez  passé  toutes  les  espérances...  Marine  dans  la 
Colonie,  Denise  de  l'Épreuve  villageoise,  furent  ses  rôles  de  début 
et  justifièrent  l'enthousiasme  qu'elle  fit  naître.  Comme  il  n'était 
point  de  commande,  que  des  talens  sublimes,  joints  à  la  plus  jolie 
figure,  l'avaient  lait  naître,  il  subsiste  toujours,  comme  les  avantages 
qui  l'excitèrent  ;  et  dans  les  ingénuités  comme  dans  les  "randes 
coquettes,  dans  les  épouses  tendres  et  fidèles  comme  dans  les  filles 
passionnées,  dans  tous  les  rôles  enfin  qu'elle  créa,  nous  admirons 
l'actrice  universelle  et  digne  de  tous  les  suffrages  (2).  » 

Et  plus  loin:  —  «  ...  Celle  actrice  étonnante  et  comparable  aux  pre- 


|1)  Biographie  universelle  et  portatioe  des  contemporains. 
(2)  Opinion  du  Parterre,  an  XIII  (1805). 


miers  talens  de  la  scène  Française,  ne  paraît  en  scène  que  pour  y 
cueillir  une  moisson  toujours  nouvelle  d'applaudissemens.  Elle 
justifie  dans  tous  ses  rôles  l'enthousiasme  qu'elle  ne  cesse  d'exciter. 
Il  y  a  presque  vingt  années  qu'elle  embellit  l'Opéra-Comique.  Elle 
est  inimitable  dans  tout,  fait  le  succès  des  ouvrages  nouveaux,  et 
soutient  au  même  degré  sa  haute  réputation  (1).  » 

Plus  loin  encore,  après  avoir  parlé  des  autres  artistes  de  ce  théâtre  : 
—  «  ...  Mais  la  perle  de  l'Opéra-Comique,  c'est  vous,  aimable 
Saint-Aubin,  vous  qui  jouissez  du  rare  privilège  d'une  jeunesse  per- 
pétuelle, vous,  qui  remplissez  avec  tant  de  charme  tant  de  rôles 
différens,  et  que  l'on  applaudit  tour  à  tour  avec  la  même  ivresse 
dans  les  soubrettes,  les  travestissemens,  les  ingénuités,  les  amou- 
reuses et  les  grandes  coquettes.  Rappeler  la  haute  réputation  dont 
jouit  madame  Saint-Aubin,  c'est  faire  en  deux  mots  son  éloge:  tout 
ce  qu'on  ajouterait  de  plus  serait  superflu  (2).   » 

J'en  pourrais  citer  long  ainsi.  Je  me  bornerai  maintenant  à 
constater  que  le  souvenir  du  talent  de  M'""  Saint-Aubin  persista 
longtemps  dans  le  publie,  et  j'en  donnerai  pour  preuve  ce  quatrain 
que  Scribe,  qui  s'y  connaissait,  faisait  en  1821  pour  la  petite 
Léonline  Fay  (plus  tard  M""=  Volnys),  qui,  encore  toute  enfant,  ob 
tenait  au  Gymnase,  dans  une  de  ses  pièces,  le  Mariage  enfantin, 
qu'elle  jouait  avec  Virginie  Déjazet,  un  succès  qui  faisait  courir 
tout  Paris  à  ce  théâtre  : 

Vous  qui  rêvez  une  actrice  parfaite, 
Accourez  voir  Léontine...  et  soudain 
Vous  reverrez  Contât  et  Saint-Aubin 
En  retournant  votre  lorgnette. 

Accoler  le  nom  de  M"""  Saint-Aubin  à  celui  de  Louise  Contai,  la 
reine  de  la  Comédie-Française,  cela  suffit  à  faire  apprécier  son  talent 
exceptionnel  et  son  exceptionnelle  valeur  (3). 

VI 

Nous  avons  vu  qu'en  quittant  l'tlpéra-Comique  et  en  faisant  ses 
adieux  au  public,  M""-  Saint-Aubin  laissait  à  l'un  et  à  l'autre  une 
héritière  de  son  nom,  qui  devait  hériter  en  partie  de  son  talent.  Je 
dis  :  «  en  partie  »,  parce  que,  malgré  sa  valeur  très  réelle.  M""  Du- 
ret-Saint-Aubin,  quoique  fort  bien  accueillie  de  tous,  ne  remplaça 
jamais  tout  à  fait  sa  mère  dans  les  faveurs  de  la  foule  et  dans  l'af- 
fection des  vrais  connaisseurs.  Cantatrice  plus  remarquable  et  mieux 
instruite,  elle  élait  loin  de  la  valoir  comme  comédienne.  Ce  n'en 
était  pas  moins  pourtant  une  artiste  fort  distinguée  et  qui  sut,  mal- 
gré le  poids  du  nom  qu'elle  portait,  obtenir  des  succès  nombreux  et 
flatteurs. 

M""  Saint--\ubin  avait  eu  trois  filles,  dont  deux,  comme  elle,  sui- 
virent la  carrière  théâtrale  :  Cécile  (M™°  Duret),  qui  élait  née  à  Lyon 
au  mois  d'octobre  1785,  et  Alexandrine,  qui  fut  plus  tard  M""=  Joly, 
et  qui  naquit  à  Paris  en  avril  1793.  La  troisième,  dont  j'ignore  le 
prénom,  devint  la  femme  d'Eugène  de  Planard,  l'auteur  dramati- 
que, et  eut  elle-même  une  fille  qui  épousa  le  librettiste  de  Leuven, 
que  nous  avons  connu  directeur  de  l'Opéra-t^oraique.  Ces  trois  fil- 
les avaient  un  frère  aîné,  Jean-Denis  d'Herbez  Saint-Aubin  (on  se 
rappelle  que  d'Herbez  était  le  véritable  nom  de  la  famille),  lequel 
élait  né  à  Lyon  le  8  décembre  1783.  Celui-ci  avait  fait  au  Conser- 
vatoire des  études  de  violon,  d'harmonie  et  de  contrepoint,  et  plus 
tard  était  devenu  dans  cet  établissement  professeur  de  l'élude  des 
rôles.  «  Vers  1809,  dit  Félis,  il  publia  de  sa  composition  six  qua- 
tuors pour  deux  violons,  alto  et  basse,  op.  1,  et  trois  sonates  pour 
piano  et  violon,  op.  2.  Ces  productions  semblaient  annoncer  du  ta- 
lent ;  mais  Saint-Aubin  mourut  peu  de  temps  après  les  avoir  fait 
paraître.  »  Cette  dernière  assertion,  précisée  encore  par  Lassabathie, 
qui  dans  son  Histoire  du  Conservatoire  assure  que  Jean-Denis  Saint- 
Aubin  est  «  mort  vers  1810,  »  est  tout  ù  fait  inexacte.  Ce  qui  le 
prouve,  c'est  que  l'Indicateur  général  des  Spectacles  pour  1822-23  men- 

(1)  Opinion  du  Parterre,  180G. 

(2)  Opinion  du  Parterre,  1807. 

(:!)  Je  retrouve  la  trace  d'une  lettre  que  Lesueur,  l'illustre  auteur  des  Bardes, 
écrivait  à  M"'  Saint-.luliin  (de  Virj-sur-Orge,  le  2  ventôse  an  Vllt),  et  dans  la- 
quelle il  lui  exprimait  son  adtairation.  Lesueur,  qui  semblait  alors  relever  de 
maladie,  l'entretenait  d'un  rôle  qu'il  lui  préparait  dans  un  ouvrage  en  trois  actes, 
qui  d'ailleurs  ne  fut  jamais  joué  :  —  «  Me  voilà  encore,  ma  toute  aimable.  Quoi- 
que je  m'éloignois  bien  fort  du  pays  des  vivans,  quoique  je  n'espérois  guëres 
revenir  voir  mon  nouvel  opéra  prendre  du  lustre  de  l'éclat  renvoyé  de  vos  rares 
talens  dramatiques,  il  me  souvient  néanmoins  qu'il  me  réstoit  encore  toute  la 
chaleur  de  l'âme  pour  les  chérir,  les  regretter,  et  aimer  toujours  votre  aimable 
personne  que  je  sentois  s'échapper  comme  l'espoir  de  vous  revoir  jamais...  Vous 
vous  effarouchez,  je  crois,  sur  cette  admiration  si  franche'?  Eh!  mon  Dieu I  elle 
n'est  que  celle  de  tout  Paris.  Tout  Paris  a  mes  yeux...  »  [Catalogue  des  autogra- 
phes du  baron  de  Trémont,  Paris,  Laverdet,  1852,  in-8".) 


LE  MENESTREL 


83 


lionne,  comme  «  professeur  de  répétilion  des  rôles  »  au  Conserva- 
toire «  M:  Saint-Aubin,  rue  Bleue,  6,  »  et  que  ÏAlmanach  des  Spec- 
tacles pour  1820  porte  encore,  pour  les  mêmes  fonctions,  «  M.  Saint- 
Aubin,  rue  de  La  Rochefoucauld,  6.  »  D'ailleurs,  il  y  a  toutes 
raisons  de  croire  que  Jean-Denis  Saint-Aubin  vivait  encore  en  1839, 
lors  du  crime  commis  chez  sa  mère  par  François  Filleul,  car  les 
débats  du  procès  font  connaître  que  l'accusé  avait  servi,  peu  de 
mois  auparavant,  comme  domestique  chez  M.  d'Herbez,  fils  de 
M"^  d'Herbez  Saint-Aubin  et  résidant  comme  elle  ù  Nogent- 
sur-Marne  (1).  Mais  nous  n'avons  pas  davantage  à  nous  occuper 
de  celui-ci,  dont  l'existence  artistique  est  resiée  obscure  :  après  la 
disparition  de  M'°°  de  Saint-Aubin,  rintér<it  s'attache  uniquement 
à  ses  deux  sœars. 

(A  suidre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  :  Maid  Marian,  la  nouvelle  opérette  que  vient  de 
monter  le  Prince  of  Wales's  Théâtre,  nous  arrive  par  exception  des  États- 
Unis.  La  pièce  est  basée  sur  la  légende  de  Robin  Hood,  et  on  y  retrouve 
quelques-uns  des  personnages  à'Ivanhoé.  La  musique  a  pour  auteur  M.  Regi- 
nald  de  Koven,  un  jeune  Américain  d'origine  franco-hollandaise,  qui  a 
passé  par  le  Conservatoire  de  Paris  dans  la  classe  de  Delibes.  M.  de  Koven 
s'est  inspiré  de  tous  les  maîtres  du  genre  et  sa  partition  abonde  en  rémi- 
niscences, mais  en  revanche  elle  est  fort  entraînante  et  soigneusement 
orchestrée.  A  signaler  aussi  quelques  jolies  romances  et  la  Légende  des 
cloches,  d'une  facture  distinguée.  Bonne  interprétation  et  brillante  mise  en 
scène.  En  somme,  un  succès.  —  Afin  d'utiliser  Covent  Garden  pendant  le 
carême,  M.  Auguste  Ilarris  inaugure  cette  semaine  une  série  de  grandes 
auditions  musicales,  avec  VElie  de  Mendelssohn.  Orchestre  et  chœurs, 
600  exécutants.  La  prochaine  soirée  sera  consaciée  à  la  Léjjende  dorée, 
l'œuvre  maîtresse  de  sir  Arthur  Sullivan.  La  date  d'inauguration  de  la 
saison  d'opéra  est  fixée  au  G  avril.  M.  Jean  de  Reszké  s'est  mis  à  la  dis- 
position de  son  directeur  dès  le  13  avril.  La  principale  nouveauté  dç  la 
saison  sera  une  version  italienne  du  Siegfried  de  Wagner,  avec  M.  Jean  de 
Reszké  dans  le  rôle  principal.  ^  M.  Joachim  vient  de  faire  sa  rentrée 
aux  Concerts  populaires.  Une  polémique  s'est  engagée  dernièrement  dans 
les  journaux  au  sujet  de  ces  concerts,  portant  sur  l'exécution  souvent  molle 
du  quatuor,  dont  le  personnel  n'est  pas  assez  renouvelé.  On  devrait  s'en 
prendre  aussi  au  répertoire  stéréotypé  de  cette  antique  institution,  qui 
feint  complètement  d'ignorer  la  musique  de  chambre  française.  Comment 
expliquer  en  effet  qu'on  accueille  si  facilement  les  œuvres  de  Sgambati, 
Rheinberger  et  même  d'un  illustre  inconnu  tel  que  Emanuel  Mon-,  tandis 
que  les  noms  de  Saint-Saëns,  Widor,  César  Franck  sont  proscrits  des 
programmes  !  —  On  nous  promet  à  Pâques  une  série  de  représentations 
diurnes  de  l'Enfant  prodigue,  avec  la  distrihution  parisienne.  Pour  éviter 
toute  confusion  avec  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  pantomime  en  Angle- 
terre, ce  nouveau  spectacle  est  désigné  sous  le  nom  i'opéra  sans  paroles. 

A.  G.  N. 

—  M™  Patti  vient  de  traiter  avec  un  imprésario  anglais  pour  quarante- 
six  concerts  qui  devront  être  donnés  sur  le  continent,  du  mois  de  mars 
au  mois  de  mai  de  cette  année  et  du  mois  de  janvier  au  mois  de  mai  de 
l'année  prochaine.  L'itinéraire  comprend  "Vienne ,  Prague  ,  Pesth , 
Trieste,  etc.,  au  prix  de  treize  mille  sept  cent  cinquante  francs  par 
soirée!... 

—  On  lit  dans  la  correspondance  berlinoise  du  Figaro.  «  M'"^  Adelina 
Patti  a  remporté,  dans  son  concert  de  vendredi  dernier,  un  de  ces  triom- 
phes auxquels  elle  est  habituée.  Mais  ce  qui  a  été  plus  nouveau  pour 
elle,  c'est  la  visite  de  l'huissier  qu'elle  a  reçue  le  lendemain.  Ce  n'était 
nullement,  comme  on  pourrait  le  croire,  un  huissier  mélomane  venant 
présenter  ses  respectueux  hommages  à,  la  diva,  c'était  bel  et  bien  d'une 

(1)  J'ai  découvert  l'existence  de  trois  autres  Saint-Aubin  appartenant  au  théâ- 
tre, mais  sans  pouvoir  dire  s'ils  se  rattachent  d'une  façon  quelconque  à  la  famille 
célèbre  dont  je  m'occupe  ici.  Daus  le  programme  du  Courrier  des  Spectarlcs  du 
15  septembre  1805  pour  l'Opéra-Comique,  on  lisait:  «  M.  Charles  Saint- Aubin,  qui 
n'a  pas  encore  paru  sur  ce  théîilre,  débutera  par  le  rôle  de  Dalin  dans  ta  Fausse 
Magie,  et  de  Francisque  dans  mie  Folie.  »  Qui  était  celui-là?  je  ne  saurais  le  dire. 
Ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  qu'il  se  montrait  dans  un  rôle,  celui  de  Dalin, 
qui  était  particulièrement  l'un  des  meilleurs  de  Saint-Aubin.  D'ailleurs,  il  n'en 
fut  plus  jamais  question  par  la  suite.  D'autre  part,  le  16  juin  1815,  on  voit  débu- 
ter, encore  à  l'Opéra-Comique,  une  M"'  Saint-,Vubin-Solié  dans  Alix  de  lllaise  et 
Bahet  et  Aurore  de  Ma  Tante  Aurore,  par  conséquent  dans  l'emploi  des  duègnes. 
S'agirait-il  ici  d'une  fille  de  Solié  qui  aurait  épousé  Jean-Denis  Saint-Aubin'? 
C'est  encore  ce  que  je  ne  saurais  dire.  De  celle-là  non  plus  on  n'entendit  plus 
parler  ensuite.  Enfin,  un  troisième  Saint-Aubin,  qui  semble  avoir  été  un  acteur 
assez  distingué,  appartint,  de  1832  à  1838,  au  personnel  du  Gymnase,  qu'il 
quitta  en  cette  deinière  année  pour  aller  au  théâtre  français  de  Berlin.  Celui-ci 
était-il  un  fils  de  Jean-Denjs  Saint  Aubin?  Je  laisse  encore  à  d'autres  le  soin  de 
résoudre  celte  question. 


saisie  qu'il  s'agissait.  Vous  devinez  l'émotion  de  M""'  Patti,  qui,  tout 
d'abord,  crut  que  l'otficîer  ministériel  s'était  trompé  de  porte;  mais  nul- 
lement. M""=  Patti  avait,  parait-il,  signé,  en  septembre  dernier,  un  enga- 
gement pour  douze  représentations  en  Russie,  moyennant  un  cachet  de 
20,000  francs  par  soir.  L'imprésario,  un  nommé  Zeth,  avait  déposé  la 
somme  totale  à  la  Banque  du  Commerce  de  Saint-Pétersbourg  et  envoyé 
10,000  francs  de  frais  de  voyage  à  M"""  Patti.  C'est  du  moins  ce  qu'il  pré- 
tend. M™  Patti,  cependant,  changea  d'avis  et  exigea  un  nouveau  traité 
dont  Zeth  ne  voulut  pas  entendre  parler.  Au  lieu  d'aller  en  Russie, 
M"'"  Patti  vint  à  Berlin.  C'est  là  que  l'attendait  Zeth,  qui  a  fait  saisir  la 
grande  artiste  au  moment  où  celle-ci  allait  quitter  l'hôtel  et  se  mettre  en 
route  pour  Nice.  M™<^  Patti  a  du,  pour  partir,  verser  une  somme  de 
8,400  marks.  Ceci  est  la  première  phase  d'un  procès  qui  ne  manquera 
pas  sans  doute  de  faire  quelque  bruit.  » 

—  Un  compositeur  de  musique  établi  à  Cologne,  le  docteur  Otto  Neîtzel, 
tourmenté  par  l'envie  de  connaître  la  somme  d'efforts  dépensée  par  un 
pianiste  de  concert  dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  vient  de  consacrer 
à  la  recherche  de  ce  singulier  problème  tout  un  long  article  que  publie 
la  Gazette  de  Cologne.  M.  Neîtzel  s'est  basé,  dans  ses  calculs,  sur  le  poids 
minimum  nécessité  pour  enfoncer  complètement  une  touche  du  clavier  et 
il  est  arrivé  à  cette  conclusion  que  pour  obtenir  un  son  de  la  nuance  ppp. 
Icggiero,  c'est-à-dire  la  plus  discrète  possible,  il  fallait  une  pression  du 
doigt  équivalant  à  cent  dix  grammes  :  la  même  nuance  esp-essivo  nécessite 
un  effort  de  200  grammes  ;  on  peut  ainsi  arriver  à  3,000  grammes  en  jouant 
fortissimo.  Ces  chiffres  ne  s'appliquent  qu'aux  sons  pris  isolément.  Pour 
les  accords,  le  poids  réclamé  par  chaque  son  dans  une  nuance  déterminée 
est  en  raison  inverse  du  nombre  de  ces  sons.  Par  exemple,  si  un  son 
exige  une  pression  de  2,000  grammes,  quatre  sons  frappés  simultanément 
ne  représenteront  ensemble  qu'un  effort  de  5  à  6,000  grammes,  au  lieu  de 
8,000.  M.  Neitzel  analyse  ensuite,  au  point  de  vue  spécial  de  l'effort,  quel- 
ques fragments  d'œuvres  connues.  Ainsi,  il  y  a  certain  passage  de  la 
Marche  funèbre  de  Chopin  où  se  rencontre  toute  la  gamme  des  nuances, 
depuis  le  piano  pianissimo  ]usqa'a.\i  fortissimo  le  plus  accentué.  Ce  passage 
exécuté  fidèlement  réclame  du  pianiste  un  effort  de  381  kilos  dans  l'es- 
pace d'une  minute  et  demie.  Et  c'est  la  nuance  pianissimo  qui  domine! 
L'étude  n"  12  op.  2o  du  même  compositeur  renferme  un  passage  qui  dure 
deux  minutes  cinq  secondes  et  ne  pèse  jias  moins  de  3,130  kilos.  Enfin, 
selon  M.  Neitzel,  ce  n'est  pas  être  hardi  que  d'afQrmer  qu'un  Rubinstein 
ou  une  Carrefio  abattent  leurs  mille  quitilaux  à  l'heure.  Passant  du  sévère 
au  plaisant,  M.  Neitzel  termine  son  article  par  ce  propos  fantaisiste  :  «  La 
foi  dans  l'avenir  est  assurément  permise  aux  pianistes, car  lorsque  l'heure 
de  la  révolution  sociale  aura  sonné  et  que  l'anarchiste  promènera  sa  torche 
incendiaire  à  travers  les  demeures  des  riches,  il  s'arrêtera  devant  le  pia- 
niste et  lui  dira  :  Tu  seras  sauvé  !  C'est  à  la  force  du  poignet,  c'est  par 
l'effort  de  tes  muscles,  que  tu  as  gagné  ton  pain  :  dans  mes  bras,  citoyen 
pianiste,  dans  mes  bras  !  » 

—  D'une  lettre  adressée  à  la  Gazette,  de  Bruxelles,  par  son  correspon- 
dant berlinois,  nous  extrayons  les  intéressants  renseignements  que  voici 
concernant  le  théâtre  de  Wagner  :  —  «  On  a  joué,  l'année  dernière,  en 
Europe  et  en  allemand,  des  pièces  de  Wagner  en  79  villes,  dont  62  villes 
allemandes,  5  autrîc'niennes,  4  hollandaises,  3  russes,  3  suisses  et 
2  belges  :  Anvers  et  Gand.  En  1889,  Wagner  n'avait  été  joué,  en  alle- 
mand, qu'en  62  villes.  Il  y  a  donc  eu  progrès  sous  ce  rapport.  De  toutes 
les  villes  d'Allemagne,  c'est  Berlin  maintenant  qui  donne  le  plus  de 
Wagner  :  64  représentations  en  1890.  Puis  vient  Munich  avec  S4  repré- 
sentations, Dresde  avec  SL  Vienne  avec  48,  Leipzig  avec  39,  Prague 
avec  29,  Francfort  avec  2S,  etc.  Les  chiffres  tombent  rapidement  alors. 
Breslau,  Magdebourg,  Nuremberg  et  Weimar  ne  donnent  plus  que  12  re- 
présentations, Darmstadt  11,  Stuttgard  9,  Lubeck  7,  Stettin  i,  Amsterdam, 
Saint-Pétersbourg,  Rotterdam  3,  Bàle,  Bonn,  etc.,  2,  Anvers,  La  Haye, 
Metz,  Goerlitz,  Colmar,  Utrecht,  etc.,  une  seule.  En  somme,  Wagner  a 
été  représenté  967  fois,  en  allemand,  en  1887,  883  fois  en  1890.  En  langues 
étrangères  il  a  été  représenté,  en  1889-1890,  8  fois  à  Bruxelles,  9  fois  à 
Londres,  10  fois  à  Genève,  70  fois  en  Italie  (à  Bologne,  Modène,  Venise, 
Bari,  Gênes,  Ravenne,  Rome  et  Turin),  28  fois  en  Espagne  et  20  fois  en 
Hongrie.  Voici  le  tableau  des  représentations,  en  allemand,  des  différents 
opéras  dans  les  79  villes  indiquées  plus  haut  :  Rienzi  31  fois,  k  Vaisseau 
fantôme  101  fois,  le  TannIUiuser  189  fois,  Lohengrin  a48  fois,  Rheingold  37,  la 
WalHyrie  80,  Siegfried  41,  le  Crépuscule  48,  Tristan  30,  te  Maîtres  Chanteurs  Go, 
et  les  Fées,  qu'on  ne  donne  qu'à  Munich,  9  fois.  C'est  donc  Lohengrin  qui 
tient  la  corde;  puis  vient  le  Tannhiiuser,  puis  le  Y  aisseau  fantôme.  La  Tétra- 
logie réassit  moins.  » 

—  M.  Hans  de  Bûlow  a  fait  exécuter  à  Berlin,  au  dernier  concert  de 
la  Société  philharmonique,  une  œuvre  de  jeunesse  du  grand  violoniste 
Joachim.  Cette  composition  est  une  ouverture  pour  le  Henri  IV  de  Sha- 
kespeare, et  elle  présente  cette  particularité  qu'elle  remonte  à  une  époque 
où  les  convictions  musicales  de  Joachim  étaient  de  tous  points  différentes 
de  celles  qu'il  professe  aujourdhui.  Concertmeisler  alors  à  Weimar,  il  se 
montrait  l'un  des  plus  ardents  et  des  plus  bouillants  défenseurs  des  doc- 
trines wagnérienncs.  Depuis  lors  il  est  passé  au  camp  ennemi  avec  armes 
et  bagages,  et  l'on  peut  dire  que  le  wagnérisme  n'a  pas  d'adversaire  plus 
ardent,  plus  résolu,  plus  impitoyable  que  le  directeur  de  la  Hoohsschule  de 
Berlin,  où  défense  formelle  et  absolue  est  faite  aux  élèves  déjouer  jamais 


54 


LE  MENESTREL 


une  seule  note  de  l'auteur  de  Lohengrin  et  do  la  Tétralogie.  Brahms  lui- 
même  n'est  pas  plus  intransigeant  que  Joachira  dans  son  horreur  pour 
Wagner  et  sa  musique.  C'est  peut-être  pour  cela  que  le  public  de  Berlin, 
qui  est  le  plus  wagnérien  de  toute  l'Allemagne,  a  fait  un  succès  à  l'ouver- 
ture de  ffenri /r,  dont  la  facture  et  l'inspiration  sont  si  souverainement 
contraires  aux  idées  qui  lui  sont  chères  actuellement. 

—  C'est  maintenant  au  tour  de  la  Russie  d'acclamer  l'opéra  du  maestro 
Mascagni,  Cavalleria  rusticana.  Joué  au  Petit-Théâtre,  où  il  avait  pour  in- 
terprètes M"™  Borghi-Mamo  et  Polacco-Drog,  MM.  Masini  et  Magini- 
Coletti,  l'ouvrage  y  a  obtenu  un  véritable  succès  d'enthousiasme,  et  on 
n'en  a  pas  bissé  moins  de  quatre  morceaux. 

—  On  est  en  train  de  construire  à  Bucharest  un  nouveau  théâtre  pour 
l'opéra.  Ce  sera  un  monument  d'un  genre  particulier,  un  théâtre  double, 
si  l'on  peut  dire,  avec  une  scène  mobile,  aménagé  de  telle  façon  que 
l'hiver  il  sera  entièrement  clos,  avec  des  loges,  et  que  l'été  il  formera 
un  théâtre  ouvert,  avec  larges  galeries  et  un  jardin  dans  le  parterre.  La 
salle  pourra  contenir  l'hiver,  quinze  cents  spectateurs  ;  l'été,  deux  mille 
cinq  cents. 

—  Mardi  prochain,  17  février,  a  lieu  à  Bruxelles  une  vente  exception- 
nellement intéressante,  celle  de  l'importante  et  remarquable  collection 
d'instruments  de  musique  de  M.  E.  Mandolci,  de  Sienne,  dont  le  catalogue 
fait  suffisamment  ressortir  la  valeur.  Parmi  les  instruments  à  cordes,  cette 
collection  ne  comprend  pas  moins  de  24  violons,  dont  plusieurs  de  la 
grande  école  italienne  de  lutherie  :  Guarnerius,  Guadagnini,  Nicolas  et 
Antoine  Amati,  Testore,  Grancino,  puis  2  Jacob  Stainer,  un  Kloz,  et  deux 
violons  français  de  luthiers  obscurs  :  Breton  et  Meriotte.  A  ces  violons 
il  faut  ajouter  un  par-dessus  de  viole  <t  attribué  »  à  Jacob  Stainer,  et  trois 
violons  d'amour  allemands.  Ensuite,  un  alto  de  Nicolas  Amati,  une  viola 
dagamba  italienne  à  sept  cordes,  une  basse  de  viole  allemande  à  six  cordes, 
deux  violoncelles  italiens,  dont  l'un  de  Nicolas  Amati,  l'autre  de  Gra  n- 
cino,  un  violoncelle  français  de  Bocquay,  etc.  Pour  les  autres  instruments, 
on  trouve  trois  vielles  françaises  du  sviii=  siècle,  enferme  de  luth  ou  de 
guitare,  plusieurs  mandolines  espagnoles  ou  napolitaines,  un  luth-théorbe, 
des  cistres,  de  nombreuses  guitares  françaises, signées  Nicolas,  Deleplanque, 
Lambert,  Thouvenet  le  jeune,  plusieurs  harpes  des  xvii=  et  xviii''  siècles, 
des  tympanons  allemands  et  italiens.  Parmi  les  instruments  à  clavier,  une 
épinette  de  sérénade  du  xvii*  siècle,  un  clavicorde  portatif  à  quatre  octaves, 
un  grand  clavecin  à  cinq  octaves,  à  trois  rangs  de  sautereaux',  signé 
Dulkens,  et  divers  pianos.  Enfin,  diverses  espèces  de  clarinettes  et  de  fla- 
geolets, des  flûtes  traversières,  flûtes  douces,  flûtes-cannes,  flûtes  de  Pan, 
hautbois  ordinaires  et  de  chasse,  bassons,  un  oliphant  de  chasse  en  ivoire, 
une  trompette  de  cavalerie  allemande  du  wn"  siècle,  une  corne  pleine  en 
ivoire  sculpté,  une  musette  écossaise  et  une  musette  française  du  xvii°  siècle, 
trois  orgues  de  formes  diverses  du  xvn"  et  du  xvin''  siècle,  deux  tambours 
français,  décorés,  du  xvi"  siècle,  un  petit  tambour  arabe,  une  mandoline 
arabe...  On  voit  que  les  amateurs  auront  le  choix,  selon  leurs  goûts, 
leurs  besoins  et  leurs  desiderata. 

—  A  Bâle,  le  directeur  du  Conservatoire,  M.  Selmar-Bagge ,  vient 
d'ouvrir  une  série  de  conférences,  que  l'on  dit  fort  intéressantes,  sur 
l'origine  et  le  développement  de  la  sonate.  Il  appuie  ses  paroles  d'expli- 
cations pratiques  sur  les  œuvres  de  ce  genre  pour  piano  dues  aux 
grands  maîtres,  et  particulièrement  à  Beethoven. 

—  Ouvrages  nouveaux  annoncés  en  Italie  :  au  théâtre  Manzoni,  de 
Milan,  Gennarello,  opéra  de  M.  Cipellini;  à  Cortone,  Gineora,  opéra  écrit 
par  le  maestro  Giuseppe  Vigoni  sur  un  livret  de  M™  Maria  Vivanti.  D'autre 
part,  M.  Alfredo  Catalan!  écrit  la  musique  d'un  opéra  intitulé  la  Valle,  et 
les  faiseurs  d'opérettes  ne  s'endorment  pas.  M.  Bacchini  en  prépare  une 
sous  le  titre  de  la  GiarretUera,  et  M.  Ricoardo  Matini  n'en  a  pas  moins  de 
deux  sur  le  chantier  :  Lili  et  il  Principe  di  Leidà. 

—  Les  journaux  italiens  reçoivent  de  Gênes,  disent-ils,  la  nouvelle  que 
Verdi  aurait  déclaré  dans  un  cercle  d'intimes  que  la  première  représen- 
tation de  son  nouvel  opéra,  Falstaff,  aurait  lieu  non  à  la  Scala  de  Milan, 
comme  on  l'avait  dit  d'abord,  mais  au  théâtre  Carlo-Felice  de  Gênes,  à 
l'occasion  des  fêtes  en  l'honneur  de  Christophe  Colomb  que  cette  ville 
célébrera  en  1892. 

—  L'Académie  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  a  décidé 
dans  sa  dernière  séance,  sur  la  proposition  d'un  de  ses  membres, 
M.  Riccardo  Gandolfi,  de  célébrer  eu  1894  le  troisième  centenaire  de  la 
création  du  drame  lyrique  à  Florence,  due  aux  efforts  de  la  camerala  des 
Bardi  et  effectuée  par  la  représentation  du  la  Dafne.  Afin  de  donner  à 
cette  commémoration  une  solennité  plus  complète,  l'Académie  a  résolu 
de  faire  des  démarches  auprès  du  comité  formé  pour  le  transport  des 
cendres  de  Rossini  à  l'église  Santa  Croce  (le  Panthéon  italien),  ainsi 
qu'auprès  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  initiatrice  du  monu- 
ment à  élever  au  grand  maître,  dans  le  but  de  faire  coïncider  l'inaugu- 
ration de  ce  monument  avec  la  célébration  du  tricentenaire  projeté. 

—  M™=  Teresa  Tua,  l'excellente  violoniste,  qui  préluda  naguère  à  ses 
brillants  succès  européens  par  le  beau  premier  prix  qu'elle  remporta  à 
notre  Conservatoire  dans  la  classe  de  M.  Massart,  vient  de  faire  sa  rentrée 
devant  le  public  de  Rome  à  la  suite  d'une  longue  absence  causée  par  une 
grave  maladie  d'abord,  par  son  mariage  ensuite.  C'est  dans  un  concert  de 


bienfaisance,  dont  elle  faisait  tous  les  frais  avec  M.  Sgambati,  que 
M""  Tua,  aujourd'hui  comtesse  Franchi  Vernay  délia  Valletta,  a  renoué 
connaissance  avec  ses  admirateurs.  Entre  autres  morceaux,  elle  a  joué 
avec  M.  Sgambati  la  sonate  de  Grieg  pour  piano. et  violon,  puis  deux 
compositions  nouvelles  de  M.  Sgambati  lui-même,  Andarde  cantabile  et 
Serenata  napolitana,  qui  ont  valu  au  compositeur  et  à  la  virtuose  un  très 
grand  succès. 

—  Au  Théâtre  municipal  de  Modène  on  a  donné  la  première  représenta- 
tion d'un  opéra  nouveau  en  trois  actes,  Rancisval,  dont  l'auteur  est  le  maestro 
Enrico  Bertiiii  et  qui  a  reçu  du  public  un  accueil  très  encourageant.  On 
reproche  au  poème  un  trop  grand  fond  de  tristesse.  La  musique  est  l'œuvre  | 
d'un  musicien  plus  instruit  peut-être  qu'inspiré,  mais  qui  sait  néanmoins 
produire  des  effets  puissants  et  à  qui  l'on  doit  de  sincères  éloges.  Les 
interprètes  sont  MM.  Maina,  Coda,  Astillero  et  De  Stefani,  M""'  Gabrielli- 
Poggi  et  Bail.  —  A  Matelica  on  a  représenté  une  nouvelle"  <i  opérette 
comique,  »  gli  Innamorati  di  Nella,  paroles  de  M.  Vincenzo  Boldrini,  musi- 
que de  M.  Possenti,  qui  parait  avoir  eu  du  succès. 

—  L'Opéra  allemand  de  New- York  vient  de  remporter  son  premier  succès 
de  la  saison  avec  Fidelio.  Le  chef-d'œuvre  de  Beethoven  avait  pour  inter- 
prètes principaux  M"""  Antonia  Melke  (Léonore),  Islar  (Marceline),  MM.  Gu- 
dehus  (Florestan),  Fischer  (Rocco)  et  Luria  (Pizarro),  qui  tous  ont  été 
très  applaudis.  Les  merveilleux  et  célèbres  chœurs  des  prisonniers  ont 
été  superbement  enlevés  et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Seidl,  a 
exécuté  avec  une  rare  perfection  l'ouverture  de  Léonore  {nP  3). 

—  On  écrit  de  New- York  :  «  La  ville  de  New-York  a  eu  jusqu'ici  son 
Opéra  allemand,  subventionné  par  les  gros  millionnaires  de  la  grande 
métropole  américaine.  Comme  résultats  financiers  ce  n'était  pas  brillant. 

La  saison  de  1889-1890  a  produit  206,500  dollars,  soit  1,030,000  francs.  Les  ] 

70  actionnaires  ont  eu  à  verser  en  plus  210,000  dollars,  soit  un  million 
cinquante  mille  francs.  Les  deux  millions  ont  passé  en  dépenses  d'en- 
tretien du  personnel:  du  directeur  et  du  régisseur  qui  sont  Américains, 
puis  des  artistes  allemands,  choristes,  figurants,  etc.  Les  actionnaires  du 
Metropolitan  Opéra  House,  parmi  lesquels  il  n'y  a  pas  un  Allemand,  ont 
trouvé  que  c'était  trop;  ils  ontdécidéla  suppression  de  l'Opéra  allemand,, 
qui  sera  remplacé  par  un  Opéra  italien-français  ». 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

La  commission  des  théâtres  s'est  réunie  vendredi  dernier,  sous  la 
présidence  de  M.  Bourgeois,  pour  reprendre  la  discussion  du  nouveau 
cahier  des  charges  de  l'Opéra.  Le  Temps  dit,  à  ce  propos,  que  le  ministre  a 
été  un  peu  surpris  du  reproche  que  certaines  personnes  lui  ont  adressé. 
On  a  dit  que  plusieurs  articles  avaient  été  rédigés  de  façon  à  contrecarrer 
telle  ou  telle  candidature  et  à  n'en  faciliter  qu'une  seule.  On  a  parlé  par 
exemple  d'articles  qui,  à  priori,  écarteraient  soit  des  candidats  associés, 
soit  des  candidats  ayant  signé  des  livrets  ou  traductions.  M.  Bourgeois 
n'entend  nullement  ni  empêcher,  ni  favoriser  à  l'avance  aucune  candida- 
ture. Il  compte  même  demander  à  la  commission  d'examiner  très  soi- 
gneusement avec  lui  les  articles  visés,  de  façon  qu'aucun  doute  ne  soit 
possible  à  cet  égard.  Nous  tenons  de  lui-même,  ajoute  M.  Aderer,  qu'il 
veut  laisser  le  champ  absolument  libre  à  toutes  les  candidatures  sérieuses; 
il  a  posé,  dans  le  discours  qu'il  a  prononcé  en  ouvrant  la  première  séance 
de  la  commission  des  théâtres,  les  principes  qui  lui  paraissaient  être  les 
meilleurs  pour  la  bonne  administration  à  venir  de  l'Opéra.  Ces  principes 
ont  été  admis  unanimement  par  la  commission.  Le  ministre  tient  à  ce  que 
le  cahier  des  charges,  dont  la  direction  des  beaux-arts  a  réuni  les  élé- 
ments, soit  très  exactement  conforme  à  ces  principes,  et  à  ce  qu'aucune 
équivoque  ne  soit  possible  dans  le  détail. 

—  Les  députés  et  conseillers  municipaux  du  neuvième  arrondissement  ont 
été  reçus  par  le  ministre  des  travaux  publics  qui,  en  son  nom,  et  au  nom 

de  son  collègue  des  Beaux-Arts,  leur  a  promis  de  déposer  prochainement  -a 

à  la  Chambre  un  projet  de  reconstruction   de  l'Opéra-Comique.  Il  y  a  une  I 

combinaison  très  avantageuse  proposée   à   l'État,  dont  nous  connaissons  * 
tous  les  détails  et  dont  nous  parlerons  en  temps  et  lieu. 

—  Les  compositeurs  de  musique  qui  désirent  prendre  part  au  concours 
ouvert  par  la  ville  de  Paris,  entre  tous  les  musiciens  français,  pour  la 
composition  d'une  œuvre  musicale  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  sont 
prévenus  que  leurs  manuscrits  devront  être  déposés  à  l'Hôtel  de  Ville, 
bureau  des  beaux-arts,  escalier  D,  du  2  février  au  16  mars  prochain  (di- 
manche 13  excepté),  de  dix  heures  du  matin  à  quatre  heures  du  soir.  Les 
partitions  devront  être  complètement  instrumentées.  Une  réduction  au 
piano  devra  être  fournie  en  un  cahier  séparé. 

—  De  M.  Louis  Besson  de  l'Événement  :  «  La  succession  de  M.  Vianesi 
est  virtuellement  ouverte  à  l'Opéra,  le  chef  d'orchestre  actuel  de  l'Acadé- 
mie de  musique  ayant  signé  un  engagement  à  Pétersbourg  à  partir  du 
l"'  mai  prochain.  Peut-être  la  direction  de  l'Opéra  sera-t-elle  même  amenée 
à  remplacer  M.  Vianesi  avant  cette  date,  au  cas  où  M.  Massenet,  par 
exemple,  demanderait  que  le  Mage  ne  fût  pas  conduit  par  un  chef  qui 
quitterait  le  service  avant  la  dixième  représentation  de  son  ouvrage.  Tou- 
jours est-il  que,  jusqu'à  présent,  M.  Madier  de  Montjau  seul  a  posé  offi- 
ciellement sa  candidature.  En  sa  qualité  de  second  chef,  il  demanle,  con- 
formément à  certains  précédents,  à  remplacer  son  chef  de  file.  Mais  d'aTJtres 
cand  idats  sont  également  en  présence,  comme  on  sait:  notamment  M.  Du- 


LE  MENESTREL 


55 


pont,  ancien  chef  d'orchestre  de  la  Monnaie,  dont  les  rares  mérites  sont 
universellement  reconnus.  M.  Dupont  ne  fera  pas  acte  de  candidat,  mais 
il  acceptera  vraisemblablement  les  ouvertures  qui  pourraient  lui  être 
faites,  s'il  était  sûr  d'avoir  l'appui  et  les  sympathies  du  ministère  et  du 
public.  Un  autre  candidat  sera  M.  Alexandre  Luigini,  chef  d  orchestre  à 
Lyon,  très  aimé,  très  capable,  et  relativement  très  jeune.  Sans  parler 
d'autres  candidatures  plus  ou  moins  sérieuses,  nous  croyons  que  M.  Gui- 
raud  ne  se  décidera  point  à  accepter  l'emploi,  et  que  MM.  Lamoureux  et 
Colonne  ne  se  présenteront  pas,  occupés  qu'ils  sont  par  ailleurs  avec  leurs 
sociétés  de  concerts.  » 

A  rOpéra-Comique,  en  même  temps  qu'on  répète  les  Folies  amoureuses, 

de  M.  Emile  Pessard.  on  s'occupe  de  remettre  à  la  scène  Esclarmonde,  de 
M.  Massenet,  pour  les  débuts  de  M"«Vuil!aume,  qui  auront  lieu  la  semaine 
prochaine.  Les  répétitions  d'orchestre  des  Folies  amoureuses  commenceront 
la  semaine  prochaine,  et  en  même  temps  les  études  de  Lakmé,  le  bel 
ouvrage  de  Léo  Delibes,  dont  la  reprise  aurait  lieu  dans  les  premiers  jours 
du  mois  de  mars. 

Oh!   ce  Massenet,  les  grandes  étoiles  américaines  ou  autres  ne  lui 

suffisent  plus,  voici  qu'il  s'adresse  aux  toutes  petites  constellations.  Notre 
confrère  Jennius,  de  la  Liberté,  annonce  que  l'auteur  A'Hérodiade  a  été  telle- 
ment frappé  des  talents  de  la  petite  Naudin  qu'il  s'est  déjà  mis  à  l'œuvre 
pour  lui  composer  un  opéra-comique  en  un  acte,  destiné  aux  Bouffes- 
Parisiens.  Après  l'Opéra,  les  Bouffes!  Gela  devait  arriver. 

Le  théâtre  des  Bouffes-Parisiens  donnera  tous   les  jeudis,  à   deux 

heures  et  demie,  des  matinées  funambulesques.  La  première  matinée  aura 
lieu  jeudi  prochain  18  février.  Le  programme  se  compose  de  trois  panto- 
mimes: la  Révérence,  de  M.  Le  Corbeiller,  musique  de  M.  Paul  Vidal; 
Pour  une  bouffée  de  tabac,  monomime  de  M.  Galipaux,  musique  de  M.  Da- 
clin  ;  Doctoresse,  de  MM.  Paul  Hugounet  et  Gaston  Neubourg,  musique  de 
M.  Edmond  Missa. 

—  M.  Camille  Bellaigue  a  fait  mercredi  dernier,  au  théâtre  d'Applica- 
tion, une  fort  intéressante  conférence  sur  Herold,  qui  lui  a  valu  un  suc- 
très  vif  et  très  mérité.  II  a  analysé  le  génie  du  maître  français,  qu'il 
considère  avec  raison  comme  le  premier  de  nos  musiciens  dramatiques 
(bien  qu'il  soit  mort  trop  jeune,  en  nous  laissant  le  regret  de  n'avoir  pas 
donné  sa  pleine  mesure),  avec  un  goût  très  sûr,  une  grande  finesse  et 
parfois  une  émotion  tout  à  fait  communicative.  Faisant  jusqu'à  un  cer- 
tain point  bon  marché  de  ses  commencements,  M.  .Bellaigue  s'en  est  tenu 
aux  trois  oeuvres  maîtresses  d'Herold  :  Marie,  Zampa  et  le  Pré  aux  Clercs, 
dont  il  a  su  faire  ressortir  les  beautés  avec  une  clarté  lumineuse.  Son 
discours  était,  selon  son  habitude,  relevé  par  des  citations  des  œuvres 
analysées,  dont  l'exécution  était  confiée  à  M""^  Molé-TrufQer,  à  MM.  Sou- 
lacroix  et  Clément  et  à  deux  jeunes  élèves  du  Conservatoire  dont  nous 
regrettons  de  ne  pas  nous  rappeler  les  noms.  Le  succès  de  la  séance  a 
■été  tel  que  M.  Bellaigue  doit  faire,  vendredi  prochain  20  février,  une 
nouvelle  conférence  sur  Herold.  —  Au  théâtre  d'Application  aussi,  la  se- 
conde conférence  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  est  fixée  au  mer- 
credi 4  mars  ;  elle  aura  pour  sujet  Rameau  et  la  réforme  de  l'opéra  français. 
Plusieurs  morceaux  de  Castor  et  Pollux,  d'Hippolyte  et  Aricie  et  des  Fêtes 
d'Hébé  seront  chantés  par  M"'^  Bilbaut-Vauchelet  et  Du  Wast  et  M.  Du 
Wast. 

—  Nouvelle  transformation  à  l'Eden-Théâtre  !  Les  clowns,  pitres  et  dan- 
seuses ont  repris  possession  de  la  scène  occupée  tout  dernièrement  par 
Talazac,  Bouhy  et  cette  pauvre  Rosine  Bloch.  Le  morceau  de  résistance, 
pour  la  soirée  d'ouverture,  était  un  ballet  de  MM.  Jaime  etDuval,  musique 
.de  M.  Auvray,  la  Tentation  de  saint  Antoine.  Le  libretto  traite  avec  une 
ifantaisie  très  cavalière  la  légende  sainte,  et  la  musique  se  réclame 
bruyamment  de  l'école  italienne  à  qui  nous  devons  Excelsior.  Quelques 
jolies  personnes  dans  le  corps  de  ballet  et  nombre  de  jambes  bien 
tournées;  on  n'en  peut  demander  plus  pour  un  début.  P.-E.  C. 

—  L'engagement  de  M™^  Simon-Girard  expirant  à  la  fin  de  cette  saison, 
■c'est  M"«  Clara  Lardinois  qui  sera  l'étoile  de  la  troupe  de  M.  Debruyère, 
pour  la  prochaine  campagne  théâtrale.  Pour  M"°  Samé,elle  vient  de  signer 
un  engagement  avec  le  théâtre  des  Bouffes. 

—  La  première  représentation  de  Lohengrin  a  eu  lieu  l'autre  samedi  au 
théâtre  des  Arts  de  Rouen,  avec  un  très  grand  succès  et  —  fort  heureu- 
sement —  sans  l'ombre  même  d'une  manifestation  quelconque.  Les  deux 
principaux  interprètes  pourtant,  M.  Reynaud  (Lohengrin)  et  M"=  Jane 
Guy  (Eisa),  fatigués  sans  doute  par  les  études  et  les  répétitions,  n'étaient 
pas,  à  cette  soirée,  en  possession  de  tous  leurs  moyens.  Ils  se  sont  rat- 
trapés à  la  seconde,  le  mardi  suivant,  qui  a  été  irréprochable.  M"'  de 
Béridez  est  une  Ortrude  excellente.  Les  autres  rôles  sont  tenus  par 
MM.  Montfort,  Mondaud  et  Lequien.  Chœurs  et  orchestre  —  celui-ci  sous 
la  direction  de  M.  Flon  —  excellents.  L'ouverture  a  été  accueillie  par 
une  triple  salve  d'applaudissements.  Inutile  de  dire  que  la  salle  était 
comble,  et  que  le  «  tout  Rouen  »  assistait  à  cette  solennité.  Quelques 
■critiques  parisiens  s'étaient  aussi  rendus  à  Rouen  à  cette  occasion.  Cons- 
tatons d'ailleurs  que  le  théâtre  des  Arts  se  donne  le  luxe  de  frayer  avec 
ceux  de  Paris,  et  qu'il  fait  afficher  les  représentations  de  Lohengrin  sur 
les  colonnes  Morris,  La  troisième  et  la  quatrième  ont  eu  lieu  jeudi  et 
samedi  ;  la  cinquième  est  annoncée  pour  demain  lundi. 


—  L'admirable  cantatrice  M™»  Gabrielle  Krauss  vient  d'entreprendre 
une  grande  tournée  dans  les  départements,  qui  ne  connaissent  pas  en- 
core cette  artiste  incomparable.  Elle  a  dû  partir  hier  pour  Liège,  d'où 
elle  se  rendra  successivement  à  Rouen,  Lille,  Reims,  Nancy,  Nantes, 
Angers,  Orléans,  Rennes,  Tours,  Marseille,  Lyon,  Montpellier  et 
Bordeaux. 

—  L'église  Saint-Gervais,  voisine  du  quartier  du  Marais,  était  au  temps 
jadis  une  paroisse  à  la  mode  et  presque  un  centre  musical:  à  son  orgue 
se  succédèrent  presque  tous  les  membres  de  la  dynastie  des  Couperin,  sans 
interruption  depuis  le  règne  de  Louis  XIII  jusqu'au  commencement  du 
xix"  siècle.  Aujourd'hui,  où  le  quartier  n'est  plus  aussi  brillamment  habité 
qu'autrefois,  Saint-Gervais  semble  cependant  reprendre  son  importance  mu- 
sicale, grâce  à  l'activité  de  son  jeune  maître  de  chapelle.  M.  Charles  Bordes. 
Plusieurs  solennités  musicales,  avec  orchestre  et  chœurs,  y  ont  eu  déjà 
lieu  :  nous  ne  saurions  passer  sous  silence  la  plus  récente,  qui  a  consisté 
en  une  exécution  intégrale  de  la  Messe  posthume  de  Schumann,  pour  soli, 
chœurs  et  orchestre,  qui  n'avait  jamais  été  entendue  en  France.  C'est  une 
œuvre  d'un  fort  beau  caractère,  expressive  et  d'apparence  plutôt  sévère 
que  brillante  :  si  elle  ne  tient  peut-être  pas  dans  l'œuvre  de  Schumann 
la  même  place  que  le  Faust  ou  Manfred,  elle  n'en  était  pas  moins  digne 
d'être  entendue.  Son  exécution,  qui  avait  attiré  une  foule  nombreuse,  a- 
été  remarquablement  dirigée  par  M.  Gh.  Bordes.  J.  T. 

On  écrit  à  l'Espress,  de  Mulhouse,   qu'un  certain  nombre  d'amateurs 

deniusiquedeSainte-Croix-aux-Mines  avaient  projeté  de  donner  un  concert 
dans  quelques  jours.  Le  programme  fut  soumis  au  directeur  de  l'arrondis- 
sement de  Ribeauvillé.  Le  fonctionnaire  allemand  raya  d'autorité  tous  les 
morceaux  de  chant  français  qui  figuraient  sur  la  liste.  Le  concert  a  été 
contremandé. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Concert  Lamoureux.  —Concert  cosmopolite,  cette  fois.  Musique  hon- 
groise représentée  par  Goldmark,  Scandinave,  par  Grieg,  allemande,  par 
Wagner,  française,  par  Berlioz.  Si  l'appellation  de  symphoniste  appar- 
tient à  Goldmark,  on  a  le  droit  d'être  sévère  pour  sa  Noce  villageoise,  qui 
n'est  en  quoi  que  ce  soit  une  symphonie  dans  le  sens  classique  du  mot. 
C'est  une  suite  d'orchestre,  ou  plutôt  une  série  de  suites  d'orchestre, 
puisque  le  premier  morceau  en  constitue  une  à  lui  tout  seul  ;  dans  cette 
interminable  succession  de  peintures  descriptives,  on  note  d'agréables 
pensées,  des  idées  claires  et  bien  exposées  :  il  y  a  là  un  charmant  inter- 
mezzo, un  bel  andante  ;  mais  le  plan  est  défectueux  et  l'audition  devient 
fatigante  à  la  longue.— /.'Automne,  ouverture  de  Grieg, pour  le  génie  duquel 
nous  avons  une  profonde  admiration,  est  une  de  ses  plus  médioeres  ins- 
pirations ;  beaucoup  d'efforts,  peu  d'idées.  Nous  ne  comprenons  pas  la 
sympathie  de  M.  Lamoureux  pour  cette  œuvre  inférieure,  auprès  de 
laquelle  l'ouverture  du  Carnaval  romain,  de  Berlioz,  brille  de  tout  l'éclat 
de  sa  merveilleuse  facture  et  de  sa  verve  endiablée.— M"":  Sophie  Menter 
a  joué  avec  un  talent  remarquable  le  concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven. 
Le  jeu  de  M^^  Menter  nous  parait  avoir  subi  une  notable  transformation 
depuis  les  premiers  débuts,  à  Paris,  de  l'éminente  pianiste;  il  est  devenu 
plu.s  ample,  plus  sévère,  il  s'est  dépouillé  de  cette  nervosité  qui  le  dé- 
parait un  peu.  Nous  nous  plaisons  à  constater  cette  transformation  et 
nous  joignons  nos  applaudissements  sincères  à  ceux  qui  ont  accueilli  la 
célèbre  artiste  russe.  Il  est  impossible  de  mieux  dire  l'œuvre  si  caracté- 
ristique du  plus  grand  des  compositeurs.—  M.  Lamoureux  avait  fait  une 
place  considérable  à  une  cantatrice  allemande.  M™»  Lilli-Lehmann,  dont 
la  voix  fatiguée  possède  encore  quelques  notes  élevées  dont  elle  a  pu  faire 
emploi  dans  l'air  si  beau  et  si  difficile  d'Obéron,  de  Weber,  et  dans  l'air 
de  Fidelio,  de  Beethoven,  qu'on  lui  a  assez  mal  accompagné,  du  reste.  EUe 
a  dit  aussi  un  morceau  de  Wagner,  le  Rêve,  qui  a  le  mérite  de  ne  pas  être 
long  et  de  ne  pas  faire  beaucoup  de  bruit.  M"»  Lehmann  chante  en 
italien  et  en  allemand.  Le  public  de  M.  Lamoureux  écoute  avec  plaisir 
ces  langues  exotiques,  qu'il  ne  comprend  pas  toujours,  mais  qui  n'en  ont 
que  plus  de  mérite  à  ses  oreilles.  H.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  relâche. 

Concerts  Colonne:  Réformation  symphonie  (Mendelssohn) ;  le  Réveil  de  Galatliée 
(G.  Plerné),  par  M'"  Marcella  Pregi  ;  Scènes  d'enfance  (R.  Schumann);  Fantaisie 
(Peiilhou),  par  M.  Diémer;  Le  Roi  s'amuse  (Léo  Delibes);  le  Rouet  dOmphale  C. 
Saint-Saëns);  Hai  Luli  (Arth.  Coquard),par  M""  Marcella  Pregi;  les  Maîtres  chan- 
teurs (R.  Wagner). 

Concerts  Lamoureux:  symphonie  en  fa  (Beethoven);  air  d'Obéron  (Weber),  par 
M""  Lilli  Lehmann  ;  Rapsodie  cambodgienne  (Bourgault-Ducoudcay)  ;  Tristan  et 
Yseult  (2'  acte)  (Wagner),  par  M.  Kalisoh,  M""  LiUi  Lehmann  et  Mangin;  ouver- 
ture du  Carnaval  romain  (Berlioz). 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  M"^  Natalie  Janotha,  qui  vient 
de  donner  un  concert  chez  Érard,  est  née  en  18SS  à  Varsovie,  et  s'est  for- 
mée à  l'école  de  U"">  Clara  Schumann.  Après  s'être  fait  entendre  en  Alle- 
magne, elle  alla  s'établir  à  Londres,  où,  protégée  par  son  éminent  pro- 
fesseur, dont  l'iniluence  dans  les  cercles  musicaux  anglais  est  toute- 
puissante,  et  par  MM.  Chappel,  les  organisateurs  des  Saturday  and  Monda;i 
Popular  concerts,  elle  sut  se  faire  très  vite  une  excellente  situation.  Son  jeu 
a  de  grandes  qualités  de  finesse  et  de  rapidité,  mais  manque  essentielle- 
ment d'accent  et  de  rythme.  C'est  ainsi  qu'elle  a   fait  de  la  berceuse  de 


o6 


LE  MÉNESTREL 


Chopin  un  susurrement,  saps  caractère,  et  du  rondo  capriccioso,  de  Mendels- 
sohn,  une  aride  élude  de  vélocité;  elle  a  joué,  par  contre,  avec  beaucoup 
d«  poésie  l'odai/io  de  la  sonate  en  ut  dièse  mineur  de  Beethoven  et  un 
nocturne  de  Chopin.  —  Encore  que  sortant  de  notre  Conservatoire  tant 
décrié,  M"»  Petit-Gérard,  une  jeune  pianiste  de  grand  avenir,  n'est  point  à 
ignorer.  Elle  a  su  démontrer,  dans  un  programme  habilement  composé, 
qu'elle  joint  à  une  nature  musicale  distinguée,  une  technique  des  plus 
remarquables.  Elle  a  particulièrement  fait  plaisir  dans  le  premier  morceau 
de  la  Fantaisie  de  Schumann,  dit  avec  un  sentiment  très  poétique  et  très 
juste,  et  dans  deux  pièces  de  Liszt.  —  M.  Salmon,  l'excellent  violoncelle- 
solo  des  Concerts  Lamoureux,  a  donné  une  séance  de  musique  de  chambré 
avec  le  concours  de  MM.  Turban,  Rivarde,  Mas  et  Kosman.  Il  a  fait 
entendre  deux  quatuors  à  cordes  de  Haydn  et  de  Beethoven  (op.  .59,  n"  1), 
interprétés  tous  deux  avec  une  grande  correction  de  style,  et  les  trois  mor- 
ceaux de  fantaisie  pour  clarinette  et  piano  dans  lesquels  M.  Turban  s'est 
de  nouveau  affirmé  comme  un  virtuose  de  tout  premier  ordre.         I.  Pu. 

—  M™«  Gabrielle  Krauss  a  donné,  le  7  février  dernier,  une  soirée  très 
brillante  dans  laquelle  M.  Diémer  a  exécuté  avec  une  vélocité  prestigieuse 
et  une  égalité  vraiment  stupéfiante  la  valse  chromatique  de  M.  B.  Godard. 
M.  "White  a  joué  sur  un  Stradivarius  aux  splendides  sonorités  l'aria  de 
la  Suite  en  ré  de  Bach.  On  a  entendu  aussi  l'excellent  violoncelliste 
M.  Casella.  M"""  Krauss  a  chanté  des  mélodies  de  MM.  Fauré  et  Thomé, 
l'Hommage,  de  Schumann,  le  Roi  des  Aunes,  et  le  Cavalier,  de  M.  Diémer.  La 
voix  chaleureuse,  la  diction  pleine  de  noblesse  et  d'ampleur  et  le  style 
simple  de  la  grande  artiste  ont  produit  une  profonde  impression.      A.  B. 

—  Très  brillante  réunion  chez  M.  et  M°"=  de  Serres,  qui  ont  adopté  la 
mode  viennoise  des  réceptions  dans  l'après-midi.  —  Au  programme, 
MM.  Diaz  de  Soria,  Diémer,  White  et  la  maîtresse  de  la  maison  :  on  a 
entendu  du  Mozart,  du  Beethoven,  du  Schumann,  du  Godard,  du  Massenet 
et  de  l'Ambroise  Thomas.  —  le  classique  et  le  moderne  admirablement 
interprétés,  par  chacun.  —  Après  la  musique,  thé  des  plus  animés. 

—  Jeudi  dernier,  bi'illante  matinée  musicale  chez  M'"=  la  baronne,  de 
Bonnefoux.  En  plus  des  excellents  artistes  qui,  chaque  semaine,  se  font 
entendre  à  son  jour  de  réception,  les  invités  ont  eu  hi  bonne  fortune  d'en- 
tendre pour  la  première  fois  deux  jeunes  artistes  dont  le  talent  prodigieux 
a  le  privilège  de  faire  courir  tout  Paris.  Ce  sont  les  deux  jeunes  filles  du 
célèbre  ténOrNaudin,  de  l'Opéra,  M"':!' Emilie  et  Marguerite  Naudin,  âgées, 
l'une  de  dix-sept  ans  et  l'autre  de  douze  ans.  qui  ont  hérité  de  la  voix  et 
de  la  méthode  de  leur  père.  Leur  chant  tendre  et  pénétrant  a  vivement 
ému  l'auditoire.  M""  Marguerite  Naudin,  dans  l'Enfant  au  Jardin,  et 
M""  Emilie,  dans  Pavera  Mamma,  ont  causé  une  telle  impression  que  des 
larmes  coulaient  de  beaucoup  de  jolis  yeux. 

—  Les  élèves  du  cours  de  chant  et  de  piano  de  M.  et  M™'' Amand  Chevé 
ont  présenté  de  très  brillants  échantillons  de  leurs  talents  à  la  soirée 
donnée  par  eux  le  28  janvier.  Parmi  les  pianistes,  nous  avons  remarqué 
M"=^  Alice  Thounerien  {Badinage ,  de  Thomé),  Garris  (Chant  d'avril,  de 
Lack),  de  Bonsignac  (3°  scherzo  de  Marmontel),  M°"=  Grégoire  (fe  Retour, 
de  Bizet),  enfin  M"=^  L.  Dupré  et  V.  de  Rauzegat,  qui  ont  enlevé  avec 
brio  la  sonatine  à  deux  pianos  de  Th.  Lack.  Du  côté  des  chanteurs, 
M.  Ghaix  s'est  signalé  dans  les  soit  de  l'Hymne  nu  feu  sacré,  chœur*  de 
M.  Bourgault-Ducoudray. 

—  CoNCEiiTS  ET  SoiiiKES.— Au  concert  donné  à  la  salle  Erard  par  M"*  Spencer- 
Owen,  on  a  fort  applaudi  deux  mélodies  de  Faure  ;  Hymne  nui  astres  et  Espoir  en 
Dieu,  remarquablement  interprétées  par  M.Caron,  —  la  dernière  de  ces  mélodies 
avec  accompagnement  de  cor  par  M.  Brémond,  qui  y  a  obtenu  personnellement 
un  grand  succès.  Le  lendemain,  M.  Caron  interprétait  à  Nanterre  une  autre  mé- 
lodie de  Faure,  Charité,  qui  lui  a  été  bissée  au  milieu  d'acclamations.  —  L'audi- 
tion à  la  salle  Pleyel  des  élèves   de  la  classe  d'opéra  de  M-"  Marie  Ruefl'  a  été 


des  plus  intéressantes.  Parmi  les  élèves  les  plus  remarqués  il  faut  citer  M""De- 
larue  et  Genoud,  MM.  Jules  Gogny  etDauval.  M.  Gogny  est  un  jeune  tcnor  déjà 
très  apprécié,  que  nous  entendrons  bientôt  sur  une  de  nos  grandes  scènes  lyriques. 

—  Toujours  grande  afflucnce  salle  Erard,  à  la  séance  donnée  par  M.  G.  Falken- 
berg  pour  produire  quelques  élèves  artistes  ou  se  destinant  à  la  carrièie artistique; 
cette  audition  a  été  un  nouveau  et  grand  succès  pour  l'excellent  professeur.  Le 
Passepie:!  du  cber  et  regretté  Delibes  a  produit  son  effet  accoutumé.  L'habile 
cantatrice  M'"  Fanny  Lépine  a  été  vivement  fêtée,  ainsi  que  le  fin  violoniste 
Montardon,  remplaçant  M.  Devilliers,  empêché.  —  La  deuxième  séance  d'élèves 
donnée  dimanche  salle  Pleyel  par  M"'  A.  'W^eingaertner,  a  fort  réussi  et  a  permis 
de  constater  Vesceîlence  de  son  enseignement.  Une  mention  toute  spéciale  à  sa 
charmante  fillette,  véritable  phénomène  de  virtuosité  et  do  brio.  Plusieurs  solos 
de  violon,  exécutés  par  M.  Weingacrlner  avec  la  noblesse  et  le  cbarme  qui  dis- 
tinguent le  talent  de  ce  remarquable  artiste,  ont  profondément  ému  l'auditoire. 

—  Dans  les  deux  séances  musicales  données  à  l'institution  Sainte-Croix  (de 
Neuilly),  le  8  et  le  9  février,  on  a  apprécié  de  nouveau  la  parfaite  exécution  des 
chœurs  et  des  morceaux  d'ensemble  sous  l'excellente  direction  de  M.  A.  Trojelli. 
Très  grand  succès  notamment  pour  VEntr'ade-Gavotte  de  Mignon,  qu'on  a  db 
bisser,  et  pour  le  morceau  de  piano  :  Dansons  la  tarentelle,  joué  par  une  élève  de 
l'auteur  (A.  Trojelli)  et  accompagné  par  l'orchestre  de  l'institution. 

—  La  «  Fondation  Beethoven  »,  société  de  musique  de  chambre  des- 
tinée surtoulàl'exécution  des  derniers  quatuors  de  Beethoven  et  formée  de 
MM.  Geloso  (1™  violon),  Tracol  (2'  violon),  Fernandez  (alto),  Schnéklud 
(violoncelle)  et  Camille  Chevillard  (piano),  va  commencer  la  série  de  ses 
séances  de  seconde  année.  Ces  séances,  au  nombre  de  dix,  auront  lieu 
dans  les  salons  Rudy,  6,  rue  Royale,  aux  dates  suivantes  :  20  et  27  février, 
6,  13  et  20  mars,  3,  10,  17,  et  24  avril  et  l"'  mai. 

—  M.  Sig.  Stojowski,  jeune  premier  prix  du  Conservatoire  des  classes 
de  M.L.  Diémer  et  du  regretté  Léo,Delibes,  donnera  mardi  17  février,salle 
Érard,  une  audition  de  ses  œuvres  avec  le  concours  de  l'orchestre  Colonne. 

—  Mardi  16  février,  salle  :Pleyel,  deuxième  séance  de  la  société  de  mu- 
sique française,  fondée  par  M.  Ed.  Nadaud,  avec  le  concours  de  MM.  Dela- 
borde,  Gillet,  Gros  Saint-Ange  et  Laforge. 

—  Le  violoniste  White  donnera  sa  troisième  et  dernière  séance  de  mu- 
sique de  chambre  le  mercredi  18  de  ce  mois,  à  9  heures  du  soir,  salle 
Érard. 

NÉCROLOGIE 

A  Brest,  vient  de  mourir  presque  subitement  d'une  congestion  pul- 
monaire un  musicien  fort  distingué,  quoique  fort  modeste,  Théodore 
Lécureux,  auteur  d'un  certain  nombre  de  pièces  de  piano  qui  sortent  tout 
à  fait  du  banal  ordinaire.  Il  était  depuis  fort  longtemps  établi  à  Brest 
comme  professeur  de  piano,  et  ses  leçons  étaient  très  recherchées.  Fort 
aimé  et  apprécié,  tant  pour  ses  qualités  artistiques  que  pour  ses  qualités 
charmantes  d'homme  privé,  sa  mort  est  un  véritable  deuil  pour  toute  la 
ville. 

Hexki  Heugel,  directeur-gérant. 

M"«  CAROLINE  BERNAMONT,  élève  de  Marmontel,  et  M"*  Cla- 
risse Bernamont,  artiste  peinti-e,  ont  l'honneur  de  faire  savoir  à  leur  clien- 
tèle qu'après  la  perte  douloureuse  qu'elles  viennent  d'éprouver  en  la  personne 
de  leur  mère,  elles  ne  reprendront  leurs  cours  et  leçons  particulières  chez 
elles,  ",  rue  Coëtlogon,  Pai'is,  qu'au  premier  mars  prochain. 

Vient  de  paraître  chez   LUDWIG  DOBLINGER 
(B.  IIebzsunskt),  éditeur  de  musique.  Vienne 

ROBERT    FISGHHOF 

Op.  47.  —  Sonate  pour  PIANO  et  VIOLON.  —  Prix  :  10  francs. 


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.  20,    nUE  UERGURE, 


3125  —  57™  A^ÉE  —  N"  8. 


Dimanche  22  Février  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

C«  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr. ,  Paris  et  Province. 

Aionnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMÂIEE- TEXTE 


•I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (2-  article),  Julien  Tiersot.—  IL  Semaine 
théâtrale:  Les  candidats  à  la  direction  de  l'Opéra,  H.  Moreno.  —  IlL  Une 
famille  d'artistes  :  Les  Saint-Aubin  (10°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Recons- 
truction de  rOpéra-Comique,  Ph.  G.  —  ^V.  Revue  des  Grands  Concerts.  — 
VL  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MUGUETS    ET    COQUELICOTS 

n°  1  des  Rondes  et  Chansons  d'airil,  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies 
de  George  Auriol.  —  Suivra  immédiatement  :  A'e  farle  pas,  nouvelle 
mélodie  de  H.  Balïhasar-Florence,  paroles  de  G.  Fuster. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de   PlA^o:   Sous  les   tilleuls,  valse   alsacienne  de  P.wl  Rougnon.  —  Suivra 
immédiatement:  Plus  heureux  qu'un  roi  !  nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach. 


LA    MESSE    EN    SI    MINEUR 

DE   J.-S.    BACH  _ 
(Suite) . 


La  fonction  de  Bach  à  l'école  Saint-Thomas  de  Leipzig  élait 
-celle  de  cantor,  survivance  du  moyen-âge,  où,  dans  les  écoles 
religieuses,  la  musique  occupait  une  place  tellement  prépon- 
dérante que  l'on  n'était  pas  étonné  de  voir  donner  le  litre 
de  «■  chantre  »  ou  «  préchantre  »  au  maître  chargé  de  la 
direction  générale,  enseignant  à  la  fois  aux  élèves,  outre 
la  musique,  la  grammaire,  la  philologie,  la  théologie  et  la 
dialectique.  Or,  l'école  Saint-Thomas,  qui  n'était  pas,  comme 
on  le  pourrait  croire  par  le  rôle  que  Bach  y  joua,  une  école 
spéciale  de  musique  plus  ou  moins  analogue  à  nos  Conser- 
vatoires, mais  bien  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  un 
établissement  d'enseignement  secondaire,  était  gouvernée  par 
des  règlements  surannés  où  toutes  les  pratiques  des  anciens 
temps  avaient  conservé  leur  vigueur.  A  la  vérité,  le  canlor  n'y  oc- 
cupait pas  la  première  place,  comme  le  préchantre  des  maîtrises 
du  moyen-âge;  il  n'était  plus  que  le  troisième  dans  l'ordre 
hiérarchique,  ayant  au-dessus  de  lui  le  rector  et  le  co-rector  ; 
mais  il  avait  gardé  ceci  des  traditions  d'autrefois  qu'il  ne  devait 
pas  se  borner  au  seul  enseignement  musical:  d'abord  il  était 
chargé,  concurremment  avec  le  rector  et  le  co-reclor,  du  service 
de  semaine  pour  la  surveillance  de  l'école  :  cela  l'occupait, 
une  semaine  sur  trois,  à  des  besognes  administratives  très 
peu  musicales  ;  en  outre,  il  devait  enseigner  aux  classes  terlia 
et  quarta  l'écriture,  la  grammaire,   les  CoUoquia  Corderii  et  le 


cathéchisme  luthérien.  Bach  professeur  de  rudiment,  quel 
rêve  1  Et  qu'il  devait  être  beau  à  voir  faisant  la  classe  de 
latin,  expliquant  à  la  quatrième,  peu  attentive,  les  morceaux 
classiques  des  Géorgiques  ou  les  Orationes  de  Gicéron!...  La 
vérité  m'oblige  à  dire  qu'au  bout  de  quelques  années  il  se 
fit  remplacer  dans  cette  partie  de  ses  fonctions,  mais  il  la 
remplit  tout  d'abord,  et  avec  quelle  conscience,  c'est  ce  que 
tout  le  reste  de  sa  vie  nous  permet  de  deviner! 

Par  ces  détails,  nous  pénétrons  de  plus  en  plus  intimement 
dans  le  monde  où  Bach  passa  les  années  les  plus  fécondes  de 
sa  vie,  monde  dans  lequel  le  pédanlisme  le  plus  parfait  régnait. 
11  nous  est  resté,  de  ce  temps-là,  des  écrits  administratifs  de 
Bach  tout  hérissés  de  mots  d'un  latin  barbare,  d'étonnantes 
formules  scolastiques  :  c'était  le  style  dans  lequel  il  fallait 
s'exprimer,  absolument.  Un  des  rares  parmi  ses  collègues  ou 
supérieurs  qui  aient  senti  son  mérite,  le  rector  Gesner,  a  laissé 
une  page  intéressante,  et  qui  lui  fait  honneur,  où  il  fait 
l'éloge  du  génie  du  cantor;  mais  il  écrit  cela  sous  la  forme 
d'une  apostrophe  adressée  à...  Quintilien  !  L'on  ne  saurait 
mieux  caractériser  les  personnages  qui  jouèrent  leur  rôle 
dans  la  vie  aux  côtés  de  Sébastien  Bach  qu'en  les  comparant 
à  ceux  des  Maîtres  chanteurs  :  mêmes  décors  d'église,  d'école, 
d'ancienne  ville  allemande;  écoliers  turbulents  et  indisci- 
plinés; maîtres  formalistes,  entêtés  dans  leurs  vieilles  doc- 
trines; querelles  bouffonnes  commencées  avec  solennité,  mais 
où  peu  à  peu  les  plus  graves  finissent  par  perdre  tout  pres- 
tige; horions  échangés,  menaces  de  coups  de  bâton,  comme 
dans  la  scène  nocturne  de  Nuremberg;  —  pas  de  Walther,  Bach 
étant  le  Hans  Sachs,  quelques  Beckmesser,  mais  surtout  une 
collection  nombreuse  de  Kothner,Ortel,  Moser,  Zorn,  Nachtigall, 
braves  gens  au  fond,  mais  sans  génie,  et  n'y  voyant  pas  plus 
loin  que  le  bout  de  leur  nez,  —  tout  cela  nous  le  retrouvons, 
au  dix-huitième  siècle,  dans  la  Thomas-schulc  de  Leipzig. 

Les  querelles  de  Bach,  dans  ce  lieu  prédestiné,  commen- 
cèrent à  son  arrivée  dans  la  ville.  Nous  avons  déjà  parlé  de 
l'organiste  Corner,  qui  avait  cru  pouvoir  se  poser  en  concur- 
rent et  rival  de  l'auteur  de  la  Passion  :  la  vérité  est  qu'il  avait 
pris  cette  attitude  dès  le  premier  jour  de  sa  venue.  Entre  la 
mort  du  prédécesseur  de  Bach  et  la  nomination  de  celui-ci, 
ce  Corner  avait  été  chargé  par  intérim  de  la  direction  de  la 
musique  à  l'église  de  l'Université,  fonction  qui,  depuis  long- 
temps, était  dévolue  au  cantor  de  la  Thomas-schule ;  et  Bach  y 
tenait  d'autant  plus  que  l'Université  de  Leipzig,  dont  la  re- 
nommée était  européenne,  représentait  un  monde  supérieur 
à  celui  de  l'école  Saint-Thomas,  et  l'élevait  à  ses  propres 
yeux.  D'ailleurs  son  titre  de  cantor  lui  apparaissait  déjà  comme 
trop  subalterne,  et,  de  sa  propre  autorité,  il  s'était  attribué 
celui  de  director  mus/ces,  indiquant  par  là  qu'il  attachait  moins 
d'importance  à  ses  occupations   scolaires  qu'au  rôle    qui  lui 


58 


LE  MENESTREL 


était  dévolu  dans  les  deux  principales  églises  de  la  ville, 
Saint-Thomas  et  Saint-Nicolas,  où,  de  par  ses  fonctions,  il 
était  chargé  de  la  direction  musicale  des  cérémonies.  Gomme 
ce  fut  pour  ces  exécutions  qu'il  composa  la  plus  grande 
partie  de  ses  oratorios  et  cantates  sacrées,  nous  n'y  contre- 
dirons en  aucune  façon. 

Donc,  Bach  trouva  la  place  prise,  Gôrner  bien  installé,  bien 
défendu  de  toutes  parts,  et  manifestant  clairement  qu'il 
n'avait  aucune  intention  d'en  sortir, bien  qu'il  y  n'eût  aucun 
droit.  Plein  d'astuce,  Bach  patiente  d'abord;  mais,  sans  faire 
semblant  de  rien,  il  mine  sourdement  la  position,  prépare 
ses  batteries  en  silence  et  dans  un  bel  ordre,  car  il  est  ha- 
bile à  toutes  les  combinaisons  savantes  ;  puis,  le  moment 
venu,  il  les  démasque  !  Il  s'est  fait  un  parti  dans  l'Université; 
il  s'adresse  au  roi  de  Saxe  ;  enfin,  c'est  la  guerre  I  Disputes, 
échanges  de  lettres  comminatoires  ;  l'Université  réclame  au 
roi  contre  Bach,  Bach  riposte  et  confond  l'Université  :  il  faut 
lire  la  lettre  qu'il  écrivit  à  cette  occasion,  dans  le  style  du 
philosophe  Marphurius,  avec  des  raisonnements  en  barbiton, 
en  barbara,  des  distinguo  témoignant  d'une  dialectique  éton- 
nante, des  mots  d'un  latin  dont  Virgile  dut  tressaillir  d'hor- 
reur en  son  tombeau  du  Pausilippel  C'est  un  modèle  du 
genre.  Il  était  d'autant  plus  âpre  à  la  discussion  que  ce  n'était 
pas  seulement  l'influence  que  lui  dérobait  son  rival,  mais 
aussi  les  honoraires,  et  cela  le  touchait  non  moins!  La  légende 
rapporte  qu'un  jour,  comme  Gôrner  jouait  faux  à  l'orgue  de 
Saint-Thomas,  Bach  lui  jeta  sa  perruque  à  la  tête  en  criant: 
«Ne  ferait-il  pas  mieux  de  se  faire  savetier!  » —  Peu  après, 
nouvel  orage,  plus  menaçant  que  le  premier,  car  il  vient  de  la 
direction  même  de  l'école.  Le  redoc  étant  mort,  durant  le  temps 
ds  la  vacance,  le  conseil  des  gouverneurs,  composé  de  cinq 
conseillers  municipaux  et  cinq  entrepreneurs  de  bâtisses, 
imagine  d'examiner  si  Bach  faisait  son  service  musical  avec 
compétence  ;  ils  s'attaquent  à  son  budget,  qu'ils  réduisent 
notablement  :  ils  grattent  sur  les  honoraria,  le  salarium,  sup- 
priment tout  ou  partie  du  gratial  et  même  des  «  petits  béné- 
ficia j>  ;  même  ils  prétendent  réduire  les  dépenses  consacrées 
aux  exécutions  musicales.  Notez  bien  que  cela  se  passait  au 
temps  on  Bach  produisait  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  VOra- 
torio  de  Noël,  ceux  de  l'Ascension  et  de  Pâques,  ses  plus 
belles  cantates  profanes,  tous  ses  chefs-d'œuvre  1  —  Plus 
tard  enfin,  conflit  avec  le  rector,  un  certain  Ernesti,  plus  têtu 
que  lui,  si  c'était  possible  :  là  se  succèdent  jour  par  jour 
les  scènes  les  plus  bouffonnes.  La  cause,  moins  que  rien  : 
Bach  a  donné  l'ordre  qu'on  châtiât  des  écoliers  indisciplinés; 
il  faut  croire  que  le  subalterne  chargé  de  ce  soin  a  la  férule 
un  peu  dure,  car  les  écoliers  vont  se  plaindre  au  directeur. 
Ravi  d'être  désagréable  à  Bach,  celui-ci  condamne  ledit 
subalterne,  une  façon  de  pion,  à  être  battu  à  son  tour,  et  ce 
devant  toute  l'école.  G'é'ait  ainsi  qu'on  en  agissait  encore 
au  xvm''  siècle  dans  les  écoles  allemandes.  Or,  ces  coups  de 
bâton  atteignaient  moralement  le  cantor,  puisque  c'était  d'un 
ordre  donné  par  lui  qu'était  né  l'incident.  La  querelle  devient 
épique;  le  conflit  prend  des  proportions  indéfinies;  le  rector 
et  le  cantor  vont  jusqu'à  s'invectiver  en  pleine  classe,  devant 
les  élèves;  on  va  de  nouveau  au  conseil  communal,  qui 
donne  tort  à  Bach;  Bach  n'en  tient  aucun  compte,  et  de  son 
côté  il  écrit  au  roi.  Gela  se  passait  en  '1736.  Or,  trois  ans 
auparavant,  il  lui  avait  déjà  adressé  la  lettre  suivante  : 

Au  très  glorieux  Prince  et  Seigneur,   Seigneur  Frédéric- Auguste,  Prince 
royal  de  Pologne  et  Lithuanie,  duc  de  Saxe,  mon  très  gracieux  Seigneur. 

Très  glorieux  Électeur, 
Très  gracieux  Seigneur, 

A  Votre  Altesse  royale  j'offre  avec  la  plus  profonde  Dévotion  le 
présent  petit  travail  de  la  science  à  laquelle  j'ai  atteint  en  Musique, 
avec  la  prière  très  humble  de  vouloir  Lien  le  considérer  non  d'après 
sa  mauvaise  Composilim,  mais,  par  Votre  Clemenz  illustre  dans  tout 
le  monde,  de  le  regarder  avec  les  yeux  les  plus  indulgents,  et  de 
de  me  prendre  en  outre  sous  votre  puissante  Proteiîon."  J'ai,  depuis 


quelques  années  et  jusqu'à  maintenant,  eu  le  Directorium  de  la 
Musie  dans  les  deux  églises  cathédrales  de  Leipzig,  et  pendant  ce 
temps  des  injustices  répétées  ont  été  cause  qu'il  m'a  fallu  subir 
une  diminution  des  Accidentien  (bénéfices,  casuel)  attachés  à  cette 
Function;  mais  cela  ne  pourrait  pas  subsister  si  V.  A.  R.  voulait 
me  témoigner  sa  faveur  et  me  conférer  un  Prédicat  dans  la  Cha- 
pelle de  Sa  Cour,  et,  par  l'octroi  d'un  Décret  pour  cela,  donner  un 
ordre  supérieur  à  qui  de  droit.  Un  si  gracieux  consentement  à  mon 
humble  prière,  m'obligerait  à  un  respect  sans  fia,  et  je  m'offerire 
en  la  plus  absolue  obéissance,  chaque  fois  que  V.  A,  R.  en  aura 
le  très  gracieux  désir,  à  employer  mon  zèle  infatigable  à  la  compo- 
sition de  Musique  d'église  aussi  bien  que  à'Orchesti'e,  et  à  mettre 
toutes  mes  forces  à  Son  service,  attendant  dans  la  plus  infinie 
fidélité,  de  V.  Altesse  Royale  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Jean-Sébastien   Bach. 
Dresde,  le  27  juillet  1733. 

Cette  requête,  que  nous  traduisons  enserrant  le  texte  d'aussi 
près  que  possible,  écrite  de  la  main  d'un  copiste  en  une 
grosse  écriture  ronde,  conformément  aux  élégances  du  temps, 
agrémentée  de  mots  latins  ou  français,  quelques-uns  ornés 
de  désinences  allemandes,  en  lettres  latines  (en  italiques 
dans  le  texte  ci-dessus),  avec  la  signature  et  les  mots  «  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur  »  de  la  main  de  Bach, 
accompagnait  un  cahier  de  musique  oiîert  en  hommage  par 
le  compositeur  au  prince  pour  s'attirer  ses  bonnes  grâces. 
Dédicace  et  partition  peuvent  se  voir  encore  à  Dresde  dans 
la  bibliothèque  musicale  du  roi  de  Saxe.  Et  quelle  était  cette 
musique,  ce  «  petit  travail,  »  cette  «  mauvaise  composition  »  ? 
Le  Kyrie  ei  le  Gloria  de  la  Messe  en  si  mineur.  Oui,  c'est  pour 
accompagner  une  pétition  en  vue  d'obtenir  de  l'avancement 
que  Bach  a  produit  le  chef-d'œuvre  ;  c'est  en  guise  de  com- 
pliment de  bienvenue  qu'il  l'a  envoyé  à  son  prince,  comme 
font  les  enfants  bien  sages  qui,  pour  la  fête  de  leur  papa,  lui  font 
cadeau  d'une  belle  page  d'écriture,  avec  des  rubans  roses  I 
Et  c'est  aux  pédagogues  de  la  Thomas-sclmle  que  nous  en 
sommes,  au  fond,  redevables,  puisque  c'est  par  suite  de 
leurs  attaques  que  Bach  l'a  composé,  n'y  voyant  d'abord,, 
semble-t-il,  qu'une  arme  défensive  à  leur  opposer.  Braves 
pédagogues  de  la  Thomas-sclmle  ! 

Le  présent,  non  plus  que  la  lettre,  ne  fut  d'ailleurs  d'au- 
cun effet  :  le  roi  ne  daigna  pas  regarder  la  musique  de 
Bach  ;  il  ne  parait  pas  avoir  exprimé  le  moindre  désir  de 
l'entendre,  et  l'on  n'a  pu  trouver  aucune  trace  d'exécution, 
même  fragmentaire,  à  Dresde,  de  la  Messe  en  si  mineur.  Pour 
en  finir  avec  les  querelles  (après  quoi  nous  reviendrons  à 
l'œuvre  pour  ne  la  j)lus  quitter),  bornons-nous  à  dire  qu'en 
1736  Bach  eut  de  nouveau  recours  au  roi,  qui,  cette  fois,  lui 
conféra  le  titre  qu'il  sollicitait,  mais  qu'au  fond  cela  ne 
changea  rien,  ou  pas  grand'chose,  aux  dispositions  de  ses 
collègues  et  supérieurs  de  Leipzig,  qui,  s'ils  le  laissèrent  peut- 
être  vivre  un  peu  plus  tranquille,  ne  modifièrent  aucune- 
ment leurs  sentiments  à  son  égard.  Et,  quand  il  passa  de 
vie  à  trépas,  les  conseillers  de  l'école,  dans  une  séance  tenue 
une  semaine  après  sa  mort,  laissèrent  entendre  que  c'était 
un  bon  débarras,  que  la  Thomas-sclmle  n'avait  pas  besoin  d'un 
Cappelmeister,  mais  d'un  cantor,  et  que  si  «  Monsieur  Bach  » 
avait  été  un  grand  musicien,  c'était,  en  tout  cas,  un  fort 
mauvais  professeur  ! 

En  replaçant  Bach  dans  le  milieu  où  il  passa  les  plus  glo- 
rieuses années  de  sa  vie,  en  montrant  même,  jusqu'à  un 
certain  point,  qu'il  put  dans  sa  manière  d'être  extérieure  en 
subir  aussi  l'influence,  je  ne  pense  pas  avoir  diminué  son 
prestige  aux  yeux  de  qui  que  ce  soit.  Il  me  semble  au  con- 
traire qu'il  grandit  lorsqu'on  le  voit,  entouré  de  pareils 
gens  et  ayant  lui-même  d'aussi  prosaïques  préoccupations, 
produire  ce  qu'il  produit,  et  que  par  là  s'accuse  encore 
davantage  la  robustesse  de  sa  nature  et  la  sublime  grandeur 
de  son  génie. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE  MENESTREL 


5.9 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Oa  continue  de  s'agiter  autour  de  la  «  question  del'Opéra».  Nous 
•en  sommes  arrivés  au  point  psychologique  où,  l'examen  du  nouveau 
cahier  des  charges  étant  terminé  par  la  Commission  dite  supérieure 
des  théâtres,  il  va  falloir  procéder  à  la  désignation  d'un  nouveau 
directeur,  —  hesogne  assurément  embarrassante  pour  un  ministre 
qui,  avant  d'entrer  en  fondions,  savait  probablement  de  la  musique 
"tout  ce  qu'il  en  faut  pour  distinguer  Tai  du  bon  tabac  à'Aii  clair  de 
la  lune.  Mais  par  sa  seule  nomination  au  poste  de  régent  des  Beaux- 
Arts  en  France,  il  est  convenu  qu'il  doit  être  infaillible  ;  c'est  le 
pape  de  la  double  croche,  delà  palette  etdel'ébauchoir.  M. Bourgeois, 
qui  est  au  moins  un  homme  de  boa  sens  et  de  bon  vouloir,  doit 
donc  en  prendre  son  parti  et  se  résigner  à  un  choix  redoutable 
parmi  les  divers  candidats  qui  se  présentent  plus  nombreux  qu'on 
ne  pouvait  le  supposer  à  la  première  heure.  Il  semble  d'ailleurs,  — 
est-ce  bien  vrai?  —  vouloir  se  débarrasser  de  toutes  influences 
politiques  ou  autres.  Ce  serait  déjà  un  excellent  point  de  départ.  Si 
les  dernières  directions  de  l'Opéra  ont  été  si  désastreuses,  c'est 
qu'elles  étaient  dues  plus  à  la  pression  de  quelques  personnalités 
députaillantes  ou  ministrables  qu'à  l'intérêt  véritable  des  choses  de 
l'art.  M.  Vaucorbeil  fut  choisi  parce  qu'il  était  l'ami  de  M.  Jules 
Ferry  ;  M.  Gailhard  l'a  été  parce  qu'il  était  celui  de  M.  Gonstans.  Si 
M.  Bourgeois  se  décidait  à  nommer  un  directeur  qui  fût  simple- 
.ment  l'ami  de  la  musique,  ce  serait  une  nouveauté  qui  pourrait 
porter  ses  fruits. 

Ce  qui  nous  plaît  jusqu'ici  en  M.  Bourgeois,  c'est  qu'il  a  voulu 
innover  en  la  matière  du  cahier  des  charges.  Il  n'a  pas  eu  pour 
■cette  question  la  noble  indifférence  de  ses  devanciers  et  ne  s'est 
pas  confiné  comme  eux,  immuable  et  inamovible,  dans  la  poussière 
d'une  routine  commode  et  consacrée  par  une  mauvaise  expérience 
de  plus  d'un  demi-siècle.  Je  sais  que  beaucoup  l'ont  taxé  de  témé- 
rité, en  prétendant  qu'il  allait  détruire  l'Opéra.  Nous  l'espérons  bien. 
L'Opéra,  tel  qu'il  est  constitué,  est  un  monument  cher,  mais  essen- 
tiellement inutile.  Il  ne  répond  à  aucune  espèce  de  besoin  artis- 
tique. C'est  un  salon  de  luxe,  un  cercle  oii  «  la  belle  société  »  aime 
à  se  rencontrer,  à  se  montrer,  à  parader,  à  se  rendre  visite,  à 
jacasser  de  mille  choses,  à  s'intéresser  à  tout  excepté  à  la  musique. 
Ce  qu'on  appelle  «  l'abonnement  »  peut  être  une  sécurité  financière 
pour  l'entreprise,  mais  c'est  aussi  le  plus  grave  danger  artistique 
qu'on  puisse  lui  faire  courir.  On  ne  peut  présenter  une  œuvre  d'art 
devant  un  public  plus  détestable,  plus  futile,  plus  occupé  d'autre 
chose,  moins  préparé  aux  sérieuses  manifestations.  Et  c'est  pourquoi 
le  plu?  mince  théâtre  lyrique  ferait  beaucoup  mieux  notre  affair.!  et 
rendrait  bien  d'autres  services.  Il  est  absolument  absurde  que  lE'tat 
subventionne  aussi  largement  un  centre  de  réunion  pour  le  «  beau 
inonde.  »  Le  «  beau  monde  »  est  assez  riche  par  lui-même  pour 
■subventionner  de  ses  propres  deniers  un  théâtre  établi  selon  ses 
goûts  et  ses  commodités.  Il  avait  dans  le  temps,  pour  ce  genre  de 
■divertissements,  des  théâtres  italiens  qu'il  pourrait  relever  sans  que 
les  artistes  y  vissent  aucun  inconvénient. 

Donc,  rapprocher  le  plus  possible  l'Opéra,  théâtre  inutile,  du 
Théâtre-Lyrique,  théâtre  utile,  est  une  besogne  louable.  Et  c'est  en 
ce\a  que  M.  Bourgeois  nous  paraît  être  entré  dans  une  voie  excel- 
lente. Le  nouveau  cahier  des  charges,  en  multipliant  les  représen- 
tations, en  permettant  l'importation  des  œuvres  étrangères,  en  don- 
nant de  plus  grandes  facilités  pour  l'emploi  du  matériel,  nous  laisse 
espérer  une  plus  grande  variété  de  répertoire,  un  cycle  d'œuvres 
plus  intéressantes.  Il  est  donc  une  amélioration  sur  l'ancien.  On 
avait  parlé  de  mettre  les  loges  d'abonnement  à  l'enchère  ;  on  ne  l'a 
pas  fait,  de  crainte  de  tuer  cet  abonnement.  Nous  ne  l'aurions  pas 
■regretté,  pour  les  raisons  que  nous  avons  données  plus  haut. 

Donnons  maintenant  la  liste  rapide  des  diverses  candidatures  qui 
se  mettent  en  avant,  et  même  de  celles  dont  on  parle  seulement 
dans  la  coulisse,  mais  qui  pourraient  bien  démasquer  tout  à  coup 
leurs  batteries. 

Il  y  a  d'abord  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  s'obstinent,  sans  com- 
prendre qu'ils  sont  devenus  odieux  à  tout  le  monde.  Ils  ont  pour 
unique  soutien  M.  Gonstans,  qui  d'ailleurs  peut  suffire  à  les  main- 
tenir envers  et  contre  tous.  C'est  que  le  Mazarin  de  Toulouse  n'est  pas 
seulement  un  homme  d'État  puissant,  c'est  encore  un  dilettante  raffiné 
qui  se  pique  de  musique  autant  que  de  belle  politique.  M"""  Gons- 
tans a  ses  «  dimanches  »,  comme  M""  Gharbonneau  avait  ses  jeudis, 
et  on  y  pince  delà  lyre  entre  trois  et  cinq  heures.  M.  Gailhard  lui- 
même  ne  dédaigne  pas,  k  l'occasion,  d'y  chanter,  entre  Kam-Hill 
et  Yvette  Guilbert,   quelques-uns  de  ces  boléros  qui  ont  le  don  de 


faire  pâmer  son  Excellence.  Les  robes  que  porte  M"'  Gonstans  à 
ces  matinées  artistiques  sont  célébrées  dans  les  gazettes  ;  elles 
sortent  de  chez  le  grand  couturier  et  leurs  nuances  assorties  font 
pâlir  de  jalousie  celles  qu'arbore  à  l'Elysée  M'""  Carnet  elle- 
même.  La  voilà  bien,  la  République  athénienne!  Gomment  résister 
à  une  candidature  recommandée  par  Périclès  en  personne? 

Cependant,  pour  alléger  le  bâtiment  qui  porte  la  fortune  de  Gailhard, 
peut-être  se  décidera-t-on  à  jeter  à  la  mer  son  vieux  complice,  M.  Ritt, 
dont  on  ferait  le  bouc  émissaire  de  toutes  les  turpitudes  qui  se  sont 
commises  à  l'Opéra  depuis  bientôt  sept  années.  Et  en  ce  cas,  pour 
redonner  quelque  prestige  au  survivant  de  la  direction  Ritt  et 
Gailhard,  on  songerait  à  lui  adjoindre  un  honnête  homme  comme 
M.  Halanzier.  Nous  espérons  que  ce  dernier  saura  se  défendre 
d'une  pareille  combinaison.  M.  Halanzier  compte  beaucoup  de  sym- 
pathies à  Paris.  Il  aurait  bientôt  fait  de  les  perdre  par  une  alliance 
inavouable. 

Nous  avons  ■  ensuite  M.  Victor  "Wilder,  dont  nous  avons  donné 
les  plans  par  le  menu  (1)  —  candidature  combattue  par  les  compo- 
siteurs français,  qui  craignent  une  invasion  trop  exclusive  sur  la 
scène  de  l'Opéra  du  répertoire  de  Richard  Wagner,  dont  notre 
éminent  confrère  est  le  soutien  naturel  en  même  temps  que  le 
fidèle  traducteur.  C'est  peut-être  là  une  crainte  chimérique.  En  sup- 
posant même  à  M.  Wilder  des  projets  aussi  subversifs,  il  est  à 
croire  que  les  intérêts  de  la  recette,  peut-être  aussi  la  reconnais- 
sance, le  ramèneraient  rapidement  vers  les  œuvres  de  son  pays 
d'adoption.  Car  il  n'est  pas  prouvé  du  tout  que  le  publie  parisien 
soit  mûr  encore  pour  ces  manifestations  terriblement  germaniques 
et  si  contraires  à  son  tempérament. 

Une  autre  candidature  qui  semble  gagner  beaucoup  de  terrain, 
c'est  celle  de  M.  Bertrand,  l'aimable  directeur  du  théâtre  des  Varié- 
tés. Son  programme,  d:ins  le  principe,  consistait  à  mener  de  front,  à 
réunir  dans  une  seule  entreprise  la  direction  de  l'Opéra  et  celle  de 
l'Eden,  qui  se  seraient  ainsi  soutenues  l'une  l'autre.  L'Eden  serait 
devenu  comme  une  sorte  de  succursale  de  l'Académie  nationale  de 
musique,  en  tenant  lieu  du  théâtre  lyrique  si  désiré  de  tous.  Mais 
cela  était  un  peu  bien  compliqué  et  on  pouvait  y  voir  comme  une 
manœuvre  destinée  à  sortir  d'une  situation  difficile  le  Ihéâtre  de 
l'Eden,  où  M.  Bertrand  se  trouve  précisément  avoir  de  gros  iutérêts. 
Aussi,  celui-ci  semble-t-il  avoir  renoncé  à  cette  double  combinaison. 
Il  s'en  tiendrait,  assure-t-on,  à  la  seule  direction  de  l'Opéra,  ce 
qui  est  en  effet  suffisant,  et  s'adjoindrait  même  pour  associé  un 
homme  de  métier  et  d'expérience  comme  M.  Gampocasso,  un  direc- 
teur de  l'école  pratique  de  M.  Halanzier. 

Eu  tête  des  candidats  qui  se  trouvent  dans  les  coulisses  et  qui 
seraient  peut-être  bien  aises  qu'on  les  y  vienne  chercher,  se  trouve 
M.  Porel.  Le  très  intelligent  directeur  de  l'Odéon  ne  veut  pas  s'expo- 
ser à  un  refus,  mais  se  laisserait  faire  une  douce  violence,  si  on 
l'en  priait  beaucoup.  M.  Porel  a  donné  assez  de  preuves  de  son  goût 
pour  la  musique,  qu'il  a  trouvé  moyen  d'introduire  dans  presque 
toutes  les  pièces  de  l'Odéon,  pour  laisser  supposer  qu'il  pourrait  être 
un  excellent  directeur  de  l'Opéra. 

On  prêle  aussi  à  M.  Paravey  des  intentions  sur  notre  première 
scène  lyrique.  Voilà  qui  serait  fâcheux  pour  l'Opéra-Comique,  dont 
le  jeune  directeur  conduit  si  brillamment  les  destinées  et  qu'il  aban- 
donnerait ainsi  en  pleine  prospérité  financière  et  artistique.  Ne  le 
laissez  pas  partir,  Monsieur  Bourgeois  !  Il  est  trop  précieux  là  où 
il  est. 

Qui  encore?  Depuis  hier,  on  commence  à  parler  de  la  candidature 
de  M.  Emile  Blavet,  un  de  nos  plus  charmants  confrères.  Parfait, 
s'il  n'y  a  pas  quelque  anguille  sous  roche  et  si  M.  Blavet  ne  nous 
ramène  pas,  par  un  moyen  détourné,  l'éternel  Gailhard,  dont  il  a  été 
si  longtemps  le  secrétaire  dévoué. 

On  ne  parle  plus  du  tout  en  revanche  de  la  candidature  de  M.  Clè- 
ves,  l'ancien  directeur  du  Ghâtelet,  qui,  dans  le  principe,  s'était  mis 
aussi  sur  les  rangs. 

Que  sortira-t-il  de  tout  cela,  quand  le  quart  d'heure  de  Rabelais 
aura  sonné,  c'est-à-dire  quand  il  s'agira  de  justifier  devant  le  ministre 
des  800,000  francs  nécessaires  à  l'exploitation  :  400,000  pour  le  cau- 
tionnement et  400,000  pour  le  fonds  de  roulement?  Nous  verrons  alors 
bien  des  candidatures  s'évanouir  en  fumée.  Nous  venons  d'énumérer 
huit  combinaisons  différentes.  Le  gâteau  sera  peut-être  alors  pour 
une  neuvième. 

H.  MORENO. 

p. -S.  En  attendant  la  première  représentation,  en  France,  de  Juanita, 

de  Franz  Suppé,— avec  M"»  Ugalde  dans  le  rôle  principal,  —  qui  doit  inau- 


(1)  Voir  le  Ménestrel  à    2  novembre  1890. 


60 


LE  MENESTREL 


gurer  réellement  sa  direction,  M.  Vizentini  vient  de  faire,  aux  Folies- 
Dramatiques,  une  très  bonne  reprise  des  Mousquetaires  au  Couvent,  le  tou- 
jours amusant  opéra-comique  de  MM.  Ferrier  et  Prével  agrémenté  de 
la  partition  très  réussie  de  M.  Louis  Varney.  M.  Morlet  a  repris  le  rôle 
de  Brissac,  dans  lequel  nous  avions  déjà  eu  l'occasion  de  l'applaudir,  et 
s'y  est  montré  chanteur  séduisant  et  comédien  agréable.  M.  Ch.  Lamy 
est  un  charmant  Contran.  M.  Gobin,  malade,  n'a  pu  jouer  l'abbé  Bridaine; 
il  a  été  remplacé  au  pied  levé  par  M.  Bellucci,  qui  a  fait  de  son  mieux. 
Sous  la  robe  de  pensionnaire  de  Marie,  nous  avons  revu  avec  plaisir 
M"°  Blanche  Marie  ;  M"»  Yvonne  Fréder  s'est  taillé  un  petit  succès  de  bon 
aloi  dans  le  rondeau  de  «  la  curieuse  »  et  M"''  Zélo  Duran  nous  a  donné  une 
Simone  appétissante.  Voilà  qui  va  permettre  au  sympathique  directeur  de 
ne  point  se  presser  de  monter  son  nouveau  spectacle. 

Paul-Émile  Chevalier. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 
V 

(Suite.) 

L'aînée,  Cécile,  douée  d'une  fort  belle  voix  dont  on  vantait  tout 
ensemble  le  timbre  flatteur,  la  justesse  et  la  flexibilité,  avait  pris 
pendant  trois  années  des  leçons  du  compositeur  Tarchi,  auteur  de 
plusieurs  jolis  opéras-comique.',  lorsqu'elle  entra  au  Conservatoire, 
pour  s'y  perfectionner  dans  la  classe  de  Garât.  Elle  en  sortit  pour 
venir  débuter  à  l'Opéra-Comique,  le  M  mai  1804,  dans  le  Concert  in- 
terrompu, de  Berlon,  oli  elle  obtint  un  éclatant  succès  de  canta- 
trice (1).  Après  sa  troisième  apparition  dans  cet  ouvrage,  le  Cour- 
rier des  Spectacles  publiait  les  lignes  que  voici  :  —  «  M""  Saint- 
Aubin  continue  toujours  d'être  l'objet  de  l'enthousiasme  général. 
Elle  est  redemandée  à  la  suite  de  chaque  représentation,  et  comme 
on  est  généralement  persuadé  que  c'est  aux  soins  particuliers  de  sa 
mère  qu'elle  doit  le  brillant  développement  de  ses  talens,  on  ne 
manque  jamais  de  demander  M""^^  Saint-Aubin  avec  sa  fille.  II  ne 
resloit  plus  pour  satisfaire  le  public  que  de  les  voir  jouer  l'une  et 
l'autre  dans  la  même  pièce  ;  c'est  ce  qui  doit  avoir  lieu  incessam- 
ment. Mad.  et  W"  Saint-Aubin  joueront  ensemble  ians  Michel-Ange. 
L'on  ajoute,  dit-on,  à  celte  pièce  un  air  pour  M"=  Saint-Aubin.  El- 
leviou  chantera  avec  elle  un  duo  nouveau.  Il  ne  faut  point  douter 
que  les  loges  et  toutes  les  parties  de  la  salle  ne  soient  remplies  le 
jour  de  celte  brillante  représentation  (2).  »  La  mère  et  la  fille  pa- 
rurent ensemble,  en  effet,  dans  Michel-Ange,  de  Nicolo,  puis,  la  jeune 
Cécile  se  montra  dans  Montana  et  Stéphanie,  de  Berton,  qui  écrivit 
expressément  pour  elle  un  nouvel  air  avec  récitatif,  placé  au  com- 
mencement du  troisième  acte,  et  qu'elle  chanta  d'une  façon 
superbe  (3). 

Pourtant,  et  malgré  son  heureux  résultat,  M""  Cécile  Saint-Aubin 
interrompit  brusquement  et  tout  à  coup  ce  premier  essai,  sans  qu'on 
ait  jamais  pu  démêler  la  cause  de  cette  détermination  inat- 
tendue. Toujours  est-il  qu'après  quatre  ou  cinq  mois  de  séjour  à 
rOpéra-Gomique  elle  quitta  soudainement  ce  théâtre,  pour  n'y  repa- 
raître qu'après  une  absence  de  quatre  années  environ  (4).  Fétis  dit 
qu'elle  rentra  alors  au  Conservatoire,  et  cela  semble  en  effet  probable, 
car  on  la  voit  prendre  part  à  celte  époque  aux  coneerls-exercices 
de  l'école.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  c'est  à  ce  moment  que  se 
place  son  mariage.  Le  lundi  26  septembre  1804  (.3)  elle  épousait 
l'excellent  violoniste  Marcel  Duret,  qui  avait  remporté  l'année  pré- 
eédeîite  un  brillant  premier  prix  dans  la  classe  de  Rode,  et  qui 
faisait  partie  déjà  de  l'orchestre  de  l'Opéra,  oîi  il  resta  jusqu'aux 
environs  de  1830  (6). 


(1)  La  recette  de  ce  jour  s'éleva  à  4,490  livres  10  sous. 

(2)  Courrier  des  Spectacles,  du  15  juin  1804. 

(3)  Voy.  Courrier  des  Spectacles  du  23  juillet  1804.—  On  voit,  parées  dates,  que 
Fétis  s'est  trompé  en  plaçant  au  mois  de  juin  1805  le  début  de  M""  Cécile  Saint- 
Âiibin  à  rOpéra-Coinique. 

(4)  Le  seul  renseignement  qu'on  trouve  à  ce  sujet  est  contenu  dans  ces  lignes 
de  l'Opinion  du  Parterre  pour  l'an  XIIl  :  —  »  M"»  Saint-Aubin  a  débuté  daas  fe 
Concert,  et  successivement  dans  Montana  et  Uicliel-Ange.  Elle  reproduisit  ces  trois 
rôles  jusqu'à  satiété,  pendant  trois  ou  quatre  mois;  mais  n'ayant  pu  vivre  en 
bonne  intelligence  avec  sa  société,  elle  lui  fit  signifier  par  huissier  oon  projet  de 
la  quitter  ;  sa  démission  fut  acceptée  sans  beaucoup  de  regrets,  parce  qu'elle  ne 
réunissait  point  les  talents  de  l'actrice  à  ceux  de  la  cantatrice.  Elle  est  actuelle- 
ment attachée  à  la  musique  de  l'empereur.  » 

(5)  'Voy.  Correspondance  des  rimideurs  tnusiciens  du  3  octobre  1804. 

(6)  Duret  s'est  produit  aussi  quelque  peu  comme  compositeur,  d'abord  par 
quelques  œuvres  publiées  pour  son  instrument,  puis  par  un  ouvrage  en  un  acte: 
la  Leçon  d'une  jeune  femme,    représenté  à  l'Opéra-Comique   le  6    mai   181D.  Le 


Mais  dès  l'année  suivante  elle  occupait  de  nouveau  le  public  de 
sa  personne  et  remportait  un  succès  que  le  Journal  de  Paris  dans 
dans  son  n°  du  3  avril  180o,  constatait  en  ces  termes  enflammés  :  — 
«  Il  n'est  bruit  dans  Paris  que  du  dernier  exercice  public  du  Con- 
servatoire, où  M"""  Duret-Saint-Aubin,  l'une  des  élèves  les  plus  dis- 
tinguées de  cet  établissement  a,  dit-on,  chanté  admirablement  un 
morceau  de  Sémiramis  {de  Catel).  l'air  d'Azéma,  et  un  air  italien  de 
Nasolini.  Tous  les  amateurs  que  nous  avons  vu  revenir  de  celte 
séance  en  étoient  enchantés  ;  c'étoit  un  enthousiasme  tenant  du 
délire.  Notez  que  M'""  S.  Aubin  la  mère  étoit  témoin  du  triomphe  de 
sa  fille,  et  que  sa  sensibilité  vivement  émue  n'a  pas  manqué  de  se 
communiquer  à  l'assemblée.  Il  eût  fallu  un  cœur  de  marbre  pour 
demeurer  froid  à  un  pareil  spectacle.  » 

C'est  trois  ans  après  ce  triomphe  purement  musical  que  M"'=  Cécile 
Saint-Aubin,  devenue  M™  Duret,  se  décida  à  reparaître  sur  la  scène 
de  l'Opéra-Comique.  On  a  vu,  dans  le  chapitre  précédent,  comment 
ellei  et  sa  sœur  Alexandrine  avaient  pris  part,  le  2  avril  1808,  à  la 
représentation  de  retraite  de  leur  mère,  qoi  était  donnée  au  bénéfice 
de  la  veuve  deDozainville.  Pour  la  jeune  Alexandrine,  qui  n'avaitpas 
encore  accompli  sa  quinzième  année,  ce  n'était  qu'un  essai  destiné 
à  la  préparer  à  une  épreuve  prochaine  et  plus  sérieuse  ;  pour 
jjme  Duret,  c'était  le  prélude  d'une  véritable  rentrée,  ou  plutôt  d'une 
nouvelle  série  de  débuis.  Elle  joua  le  4  et  le  7  avril  Montano  et 
Stéphanie,  le  9  le  Concert  interrompu,  et  continua  une  suite  de  repré- 
sentations de  ces  deux  ouvrages,  après  quoi  elle  fit  une  création 
assez  importante  dans  un  opéra  nouveau  de  Nicolo,  Cimarosa,  puis 
reprit  avec  beaucoup  de  succès  le  rôle  de  Zémire  dans  Zémire  et 
Azor.  Un  critique  disait  alors  :  —  «  L'admiration  dont  M"°°  Duret- 
Saint-Aubin  pénètre  les  spectateurs  chaque  fois  qu'elle  paraît  tient 
à  un  genre  de  perfection  que  sa  mère  ne  posséda  point.  Actrice 
réellement  inimitable.  M'"''  Saint-Aubin  fut  une  médiocre  cantatrice, 
et  quoique  de  sa  famille.  M"""  Duret  lui  ressemble  on  ne  peut  moins  ; 
c'est  déjà  une  cantatrice  inimitable;  je  crains  qu'elle  ne  soit  long- 
temps une  médiocre  comédienne.  On  assure  qu'elle  avait  peu  de 
goût  pour  cet  état.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  même  jour  où  le  public 
perdit  M"^  Saint-Aubin,  il  eut  la  satisfaction  de  voir  reparaître 
jjme  Duret,  et  depuis  il  a  vu  cette  jeune  personne  prendre  peu  à  peu 
plus  d'assurance,  et  jouer  enfin  Zémire  d'une  manière  fort  satisfai- 
sante. Il  y  a  tout  lieu  d'espérer  qu'avec  les  leçons  de  sa  mère, 
M""'  Duret,  sans  devenir  peut-être  une  actrice  très  distinguée,  par- 
viendra bientôt  à  remplir  très  passablement  les  rôles  de  son  emploi; 
sa  voix  délicieuse  fera  le  reste  ;  elle  a  bien  moins  besoin  qu'une 
autre  du  talent  d'actrice.  Ou  remarque  avec  plaisir,  dans  la  figure 
et  l'accent  de  M""'  Duret,  une  forle  ressemblance  avec  son  aimable 
mère  ;  elle  a  beaucoup  de  modestie  et  de  limidité  :  ce  sont  d'heureux 
présages  (1).  »  C'est  précisément  cette  timidité,  ou  peut-être  l'effroi 
que  lui  causait  le  public,  qui  fut,  dit-on,  l'une  des  causes  de  la 
retraite  précoce  de  M"'"  Duret. 

Quoi  qu'il  en  soit,  elle  avait  déjà  conquis  lout  à  fait  les  bonnes 
grâces  de  ce  public,  lorsque  sa  sœur  Alexandrine  vint  la  rejoindre 
et  les  solliciter  à  son  tour.  Il  y  avait  dix-huit  mois  environ  que 
cette  jeune  personne  avait  fait,  aux  côtés  de  sa  mère,  une  fugitive 
apparition  dans  le  Prisonnier,  lorsqu'elle  vint,  le  3  novembre  1809, 
débuter  sérieusement  au  théâtre  Favart,  précisément  dans  deux  des- 
rôles qui  avaient  valu  à  sa  mère  le  plus  brillant  succès,  l'ingénue 
de  l'Opéra- Comique  et  la  soubrette  d'Ambroise  ou  Voilà  ma  journée. 
Elle  surprit  étonnamment  les  spectateurs,  non  seulement  par  sa 
grâce  et  sa  gentillesse,  mais  parce  que  tout  chez  elle  :  taille,  phy- 
sionomie, accent,  geste,  démarche,  intonations,  rappelait  sa  mère 
d'une  façon  frappante.  En  fermant  les  yeux,  disait  un  chroniqueur, 
on  croil  entendre  encore  M""=  Saint-Aubin,  et  quand  on  les  rouvre, 
la  ressemblance  de  figure  et  de  laille  est  si  complète  que  l'illusion 
s'accroît  et  qu'on  est  frappé  d'élonnement.  Et  l'on  rapporte  ce  mot 
d'une  des  plus  grandes  actrices  de  la  Comédie-Française,  à  qui  l'on 
demandait  son  impression  sur  la  débutante  et  qui  répondit  :  —  Ma 
foi  !  jusqu'à  présent  je  n'ai  vu  que  la  mère;  maintenant,  pour  la^ 
juger,  je  voudrais  bien  voir  un  peu  la  fille. 

Il  y  avait  sans  doute  dans  cette  ressemblance,  avec  une  part  due 
au  naturel,  une  autre  part  due  à  l'imilalion  —  inconsciente  ou 
cherchée.  Après  Ambroise  et  l'Opéra-Comique,  M"'  Alexandrine  Saint- 
Aubin  se  montra  dans  Rose  et  Colas,  le  Roi  et  le  Fermier,  puis  dans 
plusieurs  autres  ouvrages  créés  naguère  par  sa  mère  :  le  Prisonnier, 
Fanchette,  Michel-Ange,  Paul  et  Virginie,  une  Heure  de  mariage,  etc.  C'est 

livret   de  ce  petit  ouvrage  avait  pour  auteur  un  écrivain  fort  obscur   nommé 
Charbonnier. 
(1)  Opinion  du  Parterre,  1809. 


LE  MENESTREL 


61 


alors  que  Nicolo  songea  à  tirer  parti  de  son  talent  et  des  sympathies 
dont  elle  était  l'objet  en  lui  confiant  le  rôle  principal  de  son  opéra 
de  Cendrillon,  dont  il  venait  d'écrire  la  partition  sur  un  poème 
d'Etienne.  Paris,  qui  a  toujours  été  cancanier  en  matière  de  théâtre, 
Paris,  à  qui  l'on  n'eut  garde  de  laisser  ignorer  que  la  jeune 
Alexandrine  allait  jouer  Cendrillon  et  que  ses  deux  sœurs  seraient 
représentées  par  M""=  Duret  et  M"°  Regnault  (qui  venait  aussi  de 
débuter  avec  un  énorme  succès),  Paris  bientôt  ne  s'entretint  plus 
que  de  cela,  les  salons  s'en  occupaient,  les  journaux  en  parlaient 
chaque  jour,  le  public  ne  tarissait  pas  à  ce  sujet,  et  l'on  peut  dire 
que  d'avance  Cendrillon  faisait  tourner  toutes  les  têtes.  L'impatience 
était  d'autant  plus  excitée  que,  comme  toujours  lorsqu'il  s'agit  d'un 
ouvrage  important,  différentes  causes  vinrent  retarder  la  première 
représentation,  dont  une  était  ainsi  rapportée  par  une  feuille  de 
modas  et  de  théâtre,  le  Journal  de  Flore  :  —  «  Les  répétitions  sont 
suspendues.  Cendrillon  s'est  trop  approchés  du  feu,  elle  a  mis  ses 
petits  pieds  trop  près  de  la  cendre,  et  elle  a  des  engelures  qui 
l'empêchent  de  chausser  la  pantouile  verte;  ce  relard  ne  nuira  pas 
au  succès  de  la  pièce...  » 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


RECOiNSTRUGTION  DE  L'OPÉRA-COMIQUE  C) 


On  parle  beaucoup  en  ce  moment  d'un  projet  de  reconstruction  de  l'Opèra- 
Comique,  avec  façade  sur  le  boulevard.  Bien  d'autres  bruits  circulent  aussi 
à  ce  sujet,  dont  la  plupart  sont  erronés.  Voici  la  vérité  sur  le  point  où  en 
est  cette  affaire. 

Il  ne  s'agit  pas,  présentement,  de  la  reconstruction  de  l'Opéra-Gomiquo 
avec  façade  sur  le  boulevard,  mais  bien  de  la  reconstruction  de  ce  théâtre 
sur  le  terrain  qu'il  occupait,  avec  une  emprise  sur  la  place  Boieldieu.  Une 
façade  sur  le  boulevard  entraînerait  des  dépenses  plus  considérables,  puis- 
qu'il faudrait  acquérir  la  maison  qui  y  est  en  bordure  et  en  exproprier  les 
magasins. 

Les  plans  présentés  par  M.  Guillotin,  l'ex-président  du  Tribunal  de  com- 
merce, sont  entièrement  terminés  et  remplissent,  au  point  de  vue  de  la 
beauté  du  monument  et  de  la  sécurité  des  spectateurs,  toutes  les  conditions 
désirables.  Vingt-cinq  portes  de  sortie  permettent  au  public  de  s'écouler 
'sans  encombrement  et  en  toute  sécurité,  même  en  cas  d'alerte.  La  salle 
s'éclairant  de  l'extérieur  autant  que  de  l'intérieur,  il  n'y  aura  donc  plus  à 
redouter  de  la  voir  plongée  tout  à  coup  dans  une  obscurité  complète  par 
un  accident  quelconque. 

Deux  grands  escaliers  monumentaux",  montant  du  vestibule  jusqu'au 
dernier  étage,  communiquent  à  toutes  les  places  ;  quatre  grands  escaliers 
latéraux  desservent  la  salle  du  haut  en  bas:  mêmes  dispositions  pour  la 
partie  réservée  aux  artistes.  A  tous  les  étages  des  loges  sont  placés  de 
grands  balcons  qui  vont  aboutir  aux  escaliers  ;  enfin,  la  réserve  des  décors 
est  absolument  isolée  et  débarrasse  la  scène  des  décorations  qui  l'encom- 
braient. 

Quant  au  projet  financier  qui  vient  d'être  soumis  à  M.  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique,  il  est  d'une  extrême  simplicité  et  permet  à  l'État  de 
faire  construire  ce  théâtre  et  de  se  l'approprier  sans  bourse  délier, 

Voici,  grosso  modo,  le  plan  dont  il  s'agit  : 

M-.  Guillotin  propose  de  construire  sur  l'emplacement  de  l'ancien  théâ- 
tre de  rOpéra-Comiquu  une  salle  conforme  aux  plans  qu'il  a  soumis.  Le 
théâtre,  achevé  dans  le  délai  de  vingt  mois,  deviendrait  immédiatement 
la  propriété  de  l'État  au  moyen  de  70  annuités  de  130,000  francs  chacune 
souscrites  au  profit  de  M.  Guillotin. 

Pour  que  l'État  n'ait  pas  à  supporter  les  dépenses  d'une  reconstruction, 
il  faut  qu'il  trouve  dans  un  loyer  imposé  au  directeur  concessionnaire  l'é- 
quivalent de  l'annuité  qu'il  aura  pris  l'engagement  de  payer  au  construc- 
teur et  toutes  les  garanties  qui  assurent  la  perception  de  ce  loyer.  Le  con- 
cessionnaire de  ia  salle  s'obligerait  donc  ; 

1°  A  payer  à  l'État  un  loyer  annuel  égal  au  montant  d'une  annuité.  La 
perception  de  ce  loyer  serait  faite  chaque  soir,  au  moyen  d'un  prélèvement 
de  bOO  francs  sur  la  recette,  soit  tS,000  francs  par  mois,  soit  150,000  francs 
pour  dix  mois,  de  telle  sorte  qu'en  dix  mois  l'État  serait  en  possession  du 
montant  de  l'annuité  venant  à  échéance  deux  mois  plus  tard  ; 

2°  A  verser  par  avance  le  prix  de  six  mois  de  loyer  ; 

3°  A  effectuer  le  dépôt  d'un  cautionnement  de  2S,000  francs  garantissant 
les  effets  de  l'occupation. 

Pour  plus  de  sûreté  encore,  il  sera  stipulé  qu'à  la  fin  de  chaque  saison 
théâtrale,  en  vérifiant  les  comptes  de  gestion,  l'inspecteur  des  finances  dé- 
légué par  le  ministre  devra  constater  l'existence  d'une  encaisse  de  100,000 
francs  au  moins,  résultant  effectivement  de  la  comptabilité.  —  Ces  cent 

(1)  Nous  empruntons  au  Figura  ces  renseignements  sur  un  projet  de  recons- 
truction de  rOpéra-Comique,  et  nous  en  pouvons  garantir  la  parfaite  exactitude. 
L'idée  est  ingénieuse  et  elle  nous  avait  été  communiquée  depuis  plusieurs  mois. 
On  nous  avait  demandé  de  n'en  point  parler,  et  c'est  ainsi  que  nous  nous  trou- 
vons devancés  par  le  Figaro.  Les  discrets  ont  toujours  tort. 


mille  francs,  liquides,  devant  être  affectés  comme  fonds  de  roulement  à 
l'exercice  suivant. 

Telle  est,  à  peu  de  détails  près,  l'économie  du  projet  financier  de  la  re- 
construction de  rOpéra-Comique  réclamée  si  justement  par  tout  un  quar- 
tier. Ph.  g. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concert  du  Châtelet.  —  Le  dernier  concert  de  M.  Colonne  s'ouvrait  par 
la  symphonie  de  la  Réformation  de  Mendelssohn.  Ce  n'est  pas  une  des  meil- 
leures du  maître;  elle  est  très  belle,  néanmoins,  et  son  délicieux  scherzo 
produit  toujours  un  grand  effet.  L'orchestre  du  Châtelet  a  dit  avec  un  goût 
exquis  et  une  grande  perfection  trois  œuvres  qui  brillent  par  la  délicatesse 
de  la  pensée,  l'ingéniosité  des  effets  et  le  sentiment  poétique  qui  les  a 
inspirées  :  les  Scènes  d'enfant  de  Schumann  sont  d'une  brièveté  extrême, 
mais  tout  est  relatif  et,  dans  leur  tout  petit  cadre,  chacun  de  ces  tableaux 
de  chevalet  est  une  œuvre  parfaite.  Nous  sommes  tellement  épris  de  la 
forme  unie  à  la  perfection  de  la  mélodie  que  nous  ne  craignons  pas  de 
proférer  une  énormité  en  disant  que,  dans  maintes  petites  pages  de  Schumann, 
il  y  a  plus  de  musique  que  dans  toute  l'œuvre  de  certains  autres  maîtres 
d'outre-Rhin  plus  bruyamment  acclamés.  —  Les  Scènes  d'enfant  ont  été  très 
délicatement  et  très  ingénieusement  orchestrées  par  M.  Benjamin  Godard. 
Le  succès  des  airs  de  danse  du  Roi  s'amuse  (Léo  Delihes)  n'a  pas  été  moins 
grand.  Nous  en  dirons  autant  du  Rouet  d'Omphale,  le  poème  symphonique 
si  connu  de  M.  Saint-Saëns.  Comme  solistes,  citons  M.  Diémer,  qui  a  dit, 
avec  sa  netteté  et  sa  maestria  habituelles,  une  assez  belle  Fantaisie  de 
M.  Perilhou,  pour  piano  et  orchestre,  et  M""  Marcella  Préji,  qui  a  inter- 
prété avec  talent  une  scène  de  M.  Pierné  intitulée  le  Réveil  de  Galatliée  et 
une  ballade  de  M.  Arthur  Coquard,  Haï  lulli,  qui  a  un  très  beau  caractère 
dramatique.  Le  concert  se  terminait  par  une  suite  des  Ma'itres  chanteurs  de 
Wagner,  déjà  bien  des  fois  entendue.  H.  Barrkdktte. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  fa  de  Beethoven,  jouée 
finement  et  fidèlement  quant  à  la  letti-e,  n'a  pas  laissé  l'impression  de 
gaité  entraînante  et  de  vivacité  gracieuse  qui  devrait  s'en  dégager.  —  La 
Rapsodie  cambodgienne   de   M.    Bourgault-Ducoudray    produit  l'eifet    d'une 

peinture  aux  nuances peu  fondues.    La  première    partie   a   satisfait 

beaucoup  plus  que  la  seconde.  —  La  scène  d'amour  du  deuxième  acte  de 
Tristan  et  Yseult  a  été  rendue  par  l'orchestre  avec  beaucoup  de  chaleur  et 
d'exubérance;  de  son  côté,  M°"=  Lilli  Lehmann  possède  une  voix  robuste, 
étendue,  bien  timbrée,  solide,  homogène  et  d'une  expansion  puissante,  qui 
résiste  victorieusement  à  l'orchestre  dans  tous  les  cas  où  le  déchaînement 
instrumental  n'atteint  pas  les  dernières  limites  de  la  violence.  D'autre 
part,  M.  lialisch  a  lutté  vaillamment,  c'est  incontestable.  Pourtant,  si  le  ■ 
succès  s'est  affirmé  par  des  acclamations  prolongées  et  répétées,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  qu'iln'apas  été  unanime.  Ceux  qui  savaient  que  la  scène 
exécutée  est  un  chef-d'œuvre  de  véhémente  passion  tempérée  de  rêverie 
et  incidentée  de  maladives  langueurs,  ceux  qui  savaient  que  le  début  de 
cette  scène  et  le  crescendo  qui  la  termine  renferment  les  plus  formidables 
élans  d'amour  et  de  bonheur  que  l'on  ait  mis  au  théâtre,  ceux-là  ont 
applaudi  de  confiance  et  ils  ont  eu  raison,  car  il  ne  dépendait  de  personne 
de  transporter  au  milieu  du  Cirque  l'orchestre  couvert,  la  mise  en  scène 
et  les  accessoires  de  Bayreuth.  Quant  au.x  auditeurs  non  initiés,  peu  nom- 
breux d'ailleurs,  ils  ont  été  désorientés  en  écoutant  des  mélodies  vocales 
dont  on  n'entendait  que  certaines  notes  prises  -comme  point  d'attaque, 
principalement  par  le  ténor,  qui  se  sentait  impuissant  à  sauver  autre  chose 
de  l'inondation  orchestrale.  La  voix  de  soprano  de  M™°  Lilli  LeLmann 
soutenait  mieux  la  lutte.  Résultat  :  grand  succès,  succès  mérité  pour 
M°"^  Lilli  Lehmann,  qui  joint  à  un  organe  exceptionnel  un  style  empreint 
de  grandeur  et  de  simplicité;  succès  aussi  pour  IVI.  Kalisch,  dont  la  tâche 
était  plus  qu'ingrate;  mais,  en  ce  qui  concerne  l'œuvre  -n'agnérienne, 
l'expérience  prouve  une  fois  de  plus  que  le  maître  avait  raison  d'attacher 
tant  d'importance  aux  conditions  matérielles  d'exécution,  à  l'orchestre 
couvert,  à  l'obscurité  de  la  salle,  etc.  L'exécution  du  Cirque  d'été,  que 
l'on  ne  peut  blâmer  puisqu'il  n'y  en  a  pas  d'autre  possible  en  ce  moment 
à  Paris,  ne  donne  pas  une  idée  vraie  de  l'ouvrage  de  Wagner.  —  M""  Lilli 
Lehmann  a  chanté  avec  une  ctialeur  communicative  et  une  magnifique 
intensité  d'accent  l'air  d'Oberon.  Enfin  l'ouverture  du  Carnaval  romain,  si 
claire,  si  riche  d'idées  et  d'orchestration,  a  été  acclamée. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Grande  messe  en  si  mineur  (J.-S.  Bach)  ;  soli  par  M""*'  Lépine, 
Boidin-Puisais,  Landi,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez.  Le  concert  sera  dirigé  par 
M.  J.  Garcin. 

Châtelet,  concert  Colonne:  Dans  la  forêt  (J.  RalT);  cinquième  concerto  (Bach), 
piano  tenu  pjr  M.  Louis  Diémer,  flûte  :  M.  Cantié,  violon  :  M.  Pennequin  ;  Le 
Roi  s'amuse  (Léo  Delibes)  ;  concerto  pour  violoncelle  (Saint-Saëns),  par  M.  Jules 
Delsart  ;  ouverture  de  Coriolan  (Beethoven)  ;  Dernier  Printemps  (Grieg)  ;  fantaisie 
pour  piano  et  orchestre  (Perilhou),  par  M.  Louis  Diémer  ;  prélude  et  introduction 
du  troisième  acte  de  Lohenrjrin  (R.  Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Coriolan  (Bee- 
thoven) ;  n'alters  l'reisliod  des  Maitres-Clianteurs  (Wagner),  chanté  par  M.  Kalisch; 
allegretto  de  la  huitième  symphonie  (Beethoven)  ;  air  de  l'Enlèvement  au  sérail 
(Mozart),  par  M"°  Lilli  Lehmann  ;  PItaéton  (Saint-Saëos)  ;  grande  scène  du  deuxième 


62 


LE  MENESTREL 


acte  de  Tristan  et  Iseiilt  (Wagner),  chantée  par  M""  Lilli  Lehmann,  Mangin  et  M.  Ka- 
lisch  ;  Rapsodie  norvégienne  (Lalo). 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  Le  programme  de  la  Société 
nouvelle,  fondée  par  MM.  Pugno,  Viardot  et  HoUman,  portait  une  inté- 
ressante nouveauté  :  un  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle  de  M.  E. 
Bouichère,  qui  a  produit  sur  le  public  un  excellent  effet.  Une  vraie  per- 
sonalité  se  dégage  de  l'œuvre,  et  c'est,  par  le  temps  qui  court,  un  rare 
compliment  à  adresser  à  un  compositeur.  Des  quatre  morceaux  remar- 
quables, du  reste,  qui  composent  le  trio,  j'aime  surtout  VA7idante  quasi 
adagio  et  le  scherzo,  très  finement  ciselé.  L'exécution  par  MM.  Pugno, 
Viardot  et  Dressen  a  été  brillante.  —  Le  même  soir,  MM.  Bémy,  Parent, 
Waeffelgbem  et  Loeb  (ce  dernier  remplaçantM.  Delsart,  absent)  donnaient 
la  première  des  six  séances  annoncées  par  eux  pour  l'audition  des  six 
derniers  quatuors  de  Beethoven  et  de  musique  moderne  française.  Lorsque 
Beethoven,  après  VHérdique,  se  consacra,  de  plus  en  plus  à  la  musique 
d'orchestre,  il  délaissa  la  musique  de  chambre,  l'orchestre  lui  offrant 
une  langue  plus  puissante.  Il  est  d'autant  plus  àremarquer  qu'il  revient 
dans  sa  dernière  période  au  quatuor.  Si  nous  comptons  que  cette  dernière 
période  dure  de  1817  à  1827,  c'est  dans  celle-là  qu'il  a  produit  ses  œuvres 
les  plus  sublimes  :  la  Symphonie  avec  chœurs,  la  Grande  messe,  les  der- 
nières sonates  pour  piano,  deux  sonates  pour  violoncelle,  les  cinq  derniers 
quatuors  et  la  fugue  op.  133.  Le  premier  de  ces  quatuors,  qui  sont  en 
quelque  sorte  son  testament  musical,  est  peut-être  le  plus  dilïicile  d'in- 
terprétation matérielle  et  idéale,  «  Un  musicien  est  un  poète  »  a  dit  un 
jour  Beethoven.  L'exécution  de  la  note,  quelque  brillante  qu'elle  soit, 
ne  peut  donner,  en  effet,  qu'une  image  peu  fidèle  de  ces  productions. 
MM.  Rémy,  Parent,  Van  Waffelghem  et  Loeb,  ont  joint  à  la  virtuosité 
un  style  très  correct  et  une  compréhension  approfondie  de  l'œuvre.  Le 
troisième  trio  de  M.  Lalo,  avec  M.  Diémer  comme  pianiste,  était  le  mor- 
ceau moderne  choisi  pour  cette  séance  :  l'exécution  en  a  été  absolument 
parfaite.  —  M.  Blumer,  professeur  au  Conservatoire  de  Strasbourg,  vient 
de  donner  un  concert  avec  le  concours  de  M.  J.  Loeb.  Sou  talent,  fait 
d'un  mécanisme  impeccable  allié  à  un  style  élégant  et  délicat,  a  été  très 
apprécié  dans  divers  morceaux  de  Rubinstein,  Saint-Saëns  et  Brassin. 
M.  Loeb  a  joué  avec  un  beau  son  et  une  justesse  absolue  deux  pièces  de 
Bach  et  de  Schubert  et  l'Élégie  de  M.  G.  Fauré.  —  M'-e  Depecker  est  une 
des  plus  brillantes  élèves  de  M.  Alph.  Duvernoy.  Elle  a  de  grandes  qualités 
de  virtuosité  et  un  jeu  léger,  fin,  élégant,  que  l'on  a  particulièrement  goûté 
dans  le  concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven  et  dans  le  scherzo  da  concerto 
en  sol  mineur  de  M.  Saint-Saëns.  Elle  a  fait  aussi  vivement  applaudir  une 
œuvre  de  son  maitre,  un  Morceau  de  concert  fort  intéressant,  oi'chestré  d'une 
•façon  très  pittoresque,  et  dont,  sans  tarder,  va  s'enrichir  le  répertoire  déjà 

si  riche  du  piano.  M.  Colonne  dirigeait  l'orchestre  à  ce  concert. I.  Ph. 

—  M.  Joseph  White  a  fait  entendre  mercredi  dernier,  salle  Erard,  avec 
le  concours  de  MM.  de  la  Nux,  Parent,  Priore,  Trombetta  et  Loeb,  le  déli- 
cieux quintette  en  sol  mineur  de  Mozart,  le  quatuor  op.  67  de  Brahms 
qui  renferme,  avec  de  curieux  effets  de  sonorité,  beaucoup  d'idées  mélodi- 
ques, un  quatuor  de  M.  Ch.  Lefebvre  et  l'air  de  la  suite  en  ré  de  Bach. 
Cet  air,  joué  tout  entier  sur  la  quatrième  corde  et  dans  la  tonalité  à'ut, 
d'après  l'arrangement  de  M.  "Willelmj,  a  produit  une  impression  telle  par 
la  splendeur  de  la  sonorité,  l'ampleur  du  style  et  l'expression  que  l'artiste 
a  su  lui  donner,  qu'il  a  dû  le  jouer  deux  fois  de  suite  sans  parvenir  à 
satisfaire  le  public,  qui  eût  voulu  l'entendre  encore.  Am.  B. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (19  février).  —  Nous  avons  eu 
cette  semaine,  à  la  Monnaie,  une  nouveauté,  un  ballet  en  deux  actes,  joué 
déjà  à  Marseille  et  à  Genève  :  Fleur  des  neiges,,  scénario  de  M.  Ricard,' mu- 
sique de  M.  Albert  Cahen.  L'œuvre,  de  prétentions  fort  honorables,' a  été 
accueillie  avec  une  sympathique  réserve.  On  y  a  retrouvé  des  souvenirs 
nombreux  de  Delibes  et  de  plusieurs  autres  maîtres  aimés  qui  ont  fait 
pourtant  quelque  plaisir.  La  mise  en  scène  est  soignée,  et  l'orchestre, 
dirigé  par  M.  Léon  Dubois,  s'est  conduit  très  remarquablement.  Pour  lé 
reste,  les  représentations  de  Siegfried  poursuivent  doucement  leur  car- 
rière, non  sans  accidents,  çà  et  là,  et  non  sans  compromettre  un  peu  la 
marche  du  répertoire  courant,  M.  Lafarge  ayant  dû  abandonner  tous  ses 
autres  rôles  pour  celui-là.  On  nous  annonce  cependant  pour  bientôt  Don 
Juan,  avec  M"»"^  Dufrane,  Carrère  et  de  Nuovina,  MM.  Bouvet,  Lafarge  et 
Sentein,  et  Obéron  suivra  de  près.  M"»  Sybil  Sanderson,  après  Lahné, 
chantera  Mireille.  Et  ce  sera  tout,  je  crois,  cette  année.  —  Les  concerts 
offrent,  en  ce  moment,  plus  d'intérêt  que  les  théâtres.  Exécution  admi- 
rable il  y  a  huit  jours,  au  Conservatoire,  de  la  cinquième  symphonie  de 
Beethoven  et  de  diverses  petites  pièces  pour  piano  par  M.  Arthur  de 
Greef  ;  dimanche  prochain,  troisième  concert,  consacré  à  la  sixième  sym- 
phonie et  à  VEginonl  ,  dont  M"»  Dudlay  dira  le  poème  ;  au  concert  sui- 
vant, on  entendra  la  septième  et  la  huitième,  ainsi  que  les  lieder  chantés 
par  M-"»  Cornélis-Servais  ;  et  au  cinquième  concert  (supplémentaire)  nous 
aurons  la  neuvième,  au  bénéfice  de  l'Association  des  artistes  musiciens. 
—  Le  cercle  des  jeunes  peintres,  les  XX,  a,  de  son  côté,  repris  ses  séances 
musicales  annuelles,  dirigées  par  MM.  Vincent  d'Indy  et  Ysaïe.  La  pre- 


mière, qui  a  eu  lieu  mardi,  était  consacrée  tout  entière  à  César  Franck  ; 
le  programme  portait  un  quatuor  inédit,  un  quintette,  des  morceaux 
pour  piano  et  plusieurs  petits  chœurs  à  deux  voix.  Succès  artistique 
très  vif  et  exécution  tout  à  fait  remarquable.  —  A  Liège,  le  musée 
Grétry,  fondé  par  M.  Théodore  Radoux,  et  dont  je  vous  ai  déjà  entre- 
tenu, vient  d'être  installé  au  Conservatoire  même,  d'une  façon  digne  de 
lui.  Cela  seul  a  sufû  pour  lui  attirer  de  nouveaux  dons,  que  l'on  espère 
bien  voir  suivis  de  nombreux  autres.  Avis  aux  personnes  généreuses 
qui  auraient  en  leur  possession  quelque  objet  se  rapportant  à  la  vie  ou 
aux  ouvrages  du  célèbre  compositeur.  Et  puisque  je  vous  parle  de  Liège, 
sachez  que  le  Grand-Théâtre  de  cette  ville  a,  très  malheureusement, 
fermé  ses  portes  au  public,  le  directeur,  M.  Jourdain,  n'ayant  pu  faire 
face  à  ses  engagements.  La  direction  est  donc  vacante  dès  à  présent.  Le 
candidat  préféré,  surtout  des  artistes,  paraît  être  M.  Bussac,  qui  a  des 
capacités  musicales  et...  des  capitaux.  L.  S. 

—  Il  faut  bien  convenir  que  les  "wagnèriens  allemands  sont  moins  in- 
transigeants et  surtout  plus  intelligents  que  leurs  excellents  congénères 
du  pays  de  France.  Tandis  que  ceux-ci,  dans  leur  exclusivisme  farouche, 
dans  leur  rage  de  tout  démolir  dans  le  passé  pour  ne  laisser  subsister 
que  la  statue  de  leur  idole,  n'ont  pas,  entre  autres,  assez  d'injures  et  de 
mépris  à  exhaler  sur  la  mémoire  de  Meyerbeer,  voici  qu'à  Berlin  la  direc- 
tion de  l'Opéra,  loin  d'oublier  qu'il  a  existé  un  admirable  artiste  de  ce 
nom,  se  prépare  à  célébrer  comme  il  convient  le  centième  anniversaire 
de  sa  naissance,  qui  tombe  le  5  septembre  1891.  A  cette  occation,  l'in- 
tendance se  propose  de  remettre  à  la  scène  les  principaux  ouvrages  du 
maître,  et  de  donner,  au  début  de  la  prochaine  campagne,  ce  qu'on  appelle 
là-bas  un  «  cycle  »  de  représentations  de  ces  ouvrages.  On  jouera  ainsi 
les  Huguenots,  le  Prophète,  l'Étoile  du  Nord,  le  Pardon  de  Ploêrmel  et  l'Africaine. 
Quels  cris,  grands  dieux!  et  quels  grincements  de  dents,  si  l'on  s'avisait 
ici  d'une  telle  énormité  !  On  aurait  bientôt  fait  de  ridiculiser  les  chefs- 
d'œuvre  en  question  sous  l'appellation  si  méprisante  d'  «  opéras-concerts,  » 
et  les  adeptes  de  la  Société  nationale  s'en  gausseraient  pendant  toute  une 
saison. 

—  Le  musée  Beethoven,  à  Bonn,  vient  de  recevoir  une  précieuse  reli- 
que :  le  portrait  de  la  comtesse  Thérèse  de  Brunswick,  la  jeune  fille  qui  fut 
aimée  de  Beethoven  et  qui  faillit  l'épouser.  C'est  ce  portrait  qui  fut  trouvé 
dans  le  secrétaire  de  Beethoven  avec  des  mèches  de  cheveux  et  le  paquet 
des  lettres  brûlantes  adressées  par  le  maitre  à  sa  fiancée,  qu'on  a  cru 
pendant  longtemps  être  la  comtesse  Guicciardi.  Ce  portrait  apparte- 
nait jusqu'ici  à  M.  Hellmesberger,  le  maitre  de  chapelle  de  la  Cour,  qui 
l'avait  reçu  directement  des  héritiers  de  Beethoven.  M.  Hellmesberger 
vient  d'en  faire  don  au  musée  de  Bonn. 

—  Amour  et  suicide.  A  Sprottau,  dans  la  Silésie  prussienne,  une  jeune 
pianiste  bien  connue  à  Berlin,  M"°Hedwige  Bartell,  après  avoir  été  déposer 
trois  couronnes  sur  la  tombe  de  celui  qu'elle  aimait,  mort  récemment,  est 
rentrée  à  son  hôtel  et  s'est  tiré  trois  coups  de  revolver,  sans  pourtant  réus- 
sir à  se  tuer. 

—  La  direction  du  Théâtre-Royal  de  Copenhague  vient  de  recevoir, 
pour  le  mettre  prochainement  à  l'étude,  un  opéra  nouveau  d'un  composi- 
teur encore  peu  connu,  M.  Enna.  Cet  ouvrage  a  pour  titre  la  Sorcière.  Le 
compositeur  Johann  Svendsen,  qui  porte  un  grand  intérêt  à  son  jeune 
confrère,  fait  grand  bruit,  dit-on,  autour  de  son  ouvrage,  et  affirme  qu'on 
en  peut  hardiment  comparer  l'instrumentation  à  celle  des  meilleures 
œuvres  de  Wagner. 

—  Une  fenille  satirique  de  Saint-Pétersbourg,  la.  Slrékosa,  consacre  une 
amusante  boutade  à  la  constellation  d'étoiles  vocales  qui  brille  au  ciel 
lyrique  de  cette  capitale  et  qu'elle  compare  aux  sept  notes  de  la  gamme  : 
Ut:  la  Sembrich.  Ré:  le  ténor  Masini.  Mi:  la  Melba.  Fa  et  sol:  les  deux 
frères  de  Reszké.  La  :  le  baryton  Kaschmann.  Si  :  le  baryton  Gotogni.  Ce 
sont  là  les  bécarres,  les  touches  blanches.  Voici  les  dièses,  ou  les  bémols, 
à  votre  gré  :  M.  et  M"""  Fiegner,  la  Litvinne,  la  Ferni-Germano  et  la  Van 
Zandt.  Suit  une  antithèse  barytcnante  :  Le  baryton  Kaschmann  est  un  vi- 
goureux Dalmate,  de  ceux  qui  mangent  les  aigles  crus  et  qui  coupent  le 
tabac  avec  des  poignards  empoisonnés.  Ses  poumons  sont  si  puissants  que 
d'un  souffle  il  a  fait  partir  un  train  courrier  qui  n'a  pu  être  arrêté  qu'à 
Louga!  Quant  à  Gotogni,  il  débite  du  velours  sous  toutes  ses  formes  — 
costumes,  manières,  notes  de  baryton... 

—  Voici  les  wagnèriens  d'Italie  plus  wagnèriens  aujourd'hui  que  les 
wagnèriens  d'Allemagne.  Cette  semaine,  au  Lycée  musical  Benedetto 
Marcello,  de  Venise,  on  a  célébré  le  huitième  anniversaire  de  la  mort  de 
l'auteur  de  Tristan  et  Yseult  par  un  concert  dont  sa  musique  faisait  exclu- 
sivement les  frais.  C'est  une  bonne  leçon  donnée  aux  wagnèriens  fran- 
çais, qui  ont  laissé  passer  obscurément  cette  date  fatidique. 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  «  Celle-ci  est  à  crever  de  rire  !  Le  journal 
Ro7na,  de  Naples,  raconte  que  les  musiciens  de  l'orchestre  du  théâtre  San 
Carlo  se  sont  vu  retenir,  au  règlement  de  la  quinzaine,  deux  francs  chacun 
à  titre  d'amende,  par  l'ordre  de  la  Commission  théâtrale,  celle-ci  trouvant 
que  l'orchestre  avait  joué  trop  fort  à  la  première  représentation  du  ballet 
de  la  Fille  mal  gardée  I  Le  chef  d'orchestre  protesta,  affirmant  que  l'orches- 
tre avait  joué  comme  il  devait  le  faire,  mais  la  Commission,  intelligentis- 
sime  en  fait  de  musique,  maintint  l'amende!  !  Nous  recommandons  cette 
Commission  au  Pasquino  pour  le  grand  cordon  de  son  Ordre  de  l'Oie  !  » 


LE  MENESTREL 


63 


—  Autre  incident,  d'un  autre  genre,  au  théâtre  San  Carlo,  mis  par  le 
Trovatore  sur  le  compte  de  la  jettalura.  Le  soir  de  la  première  représenta- 
tion de  RigoleUo,  une  série  de  chutes  émailla  le  spectacle.  Ce  fut  d'abord 
Victor  Maurel,  qui,  dans  son  costume  de  bouffon,  glissa  en  entrant  en 
scène  et  s'étala  tout  de  son  long  à  la  face  du  public;  puis,  ce  fut  un  cho- 
riste qui  perdit  à  son  tour  l'équilibre  ;  et,  en  dernier  lieu,  une  pauvre 
coryphée  qui  tomba,  comme  les  précédents,  mais  d'une  façon  si  fâcheuse 
qu'elle  se  blessa  grièvement  et  qu'on  dut  la  transporter  à  l'hôpital. 

—  On  a  représenté  à  Bassano,  dans  une  institution  de  jeunes  gens,  une 
opérette  inédite  en  deux  actes,  imo  Sludente  aW  Ospedale  dei  pazzi  (un  Étu- 
diant à  l'hospice  des  fous),  paroles  de  M.  Luigi  Vinânti,  musique  d'un  jeune 
compositeur  napolitain,  M.  A.  Miglio.  —  A  la  Fenice,  de  Venise,  on  a 
donné  récemment  le  prologue  d'un  opéra  nouveau,  il  Paradiso  e  la  Péri, 
dont  la  musique  est  due  à  un  jeune  artiste  de  cette  ville,  M.  Carlo  Ser- 
nagiotto,  à  qui  le  public  a  fait  un  excellent  accueil. 

—  Quelques  opéras  prêts  à  voir  le  jour  en  Italie.  A  la  Scala  de  Milan, 
dans  la  première  semaine  de  carême,  Condor,  du  maestro  Carlos  Gomes, 
l'auteur  applaudi  deGuaranyi.  —  Au  théâtre  Gostanzi,  de  Rome,  aux  pre- 
miers jours  de  la  saison  de  printemps,  Pler  Luigi  Farnese,  paroles  de 
M.  Arrigo  Boito,  musique  de  M.  Costantino  Palumbo,  de  Naples.  —  Au 
théâtre  Gavour,  de  Porto  Maurizio,  Ollona,  opéra  présenté  en  1888  au 
concours  Sonzogno,  et  qui  sera  joué  en  carême.  —  Enfin,  on  annonce  que 
le  maestro  Renzo  Masoutto,  chef  de  musique  au  23°  régiment  d'infanterie, 
termine  un  opéra-comique  intitulé  :  Dal.detlo  al  fatto  passa  un  gran  tratto. 

—  II  est  d'usage  au  Théâtre-Royal  de  Madrid,  pendant  le  carnaval,  de 
donner  un  opéra  travesti  pour  célébrer  les  joies  de  la  saison.  Cette  fois, 
le  choix  s'était  fixé  sur  le  Barbier  de  Rossini,  qui  a  été  représenté  le  9  ds 
ce  mois  avec  une  interprétation  exclusivement  féminine,  les  rôles  étant 
ainsi  distribués:  Rosine,  M™  Pacini  ;  Almaviva,  M™"  Tetrazzini  ;  Figaro, 
M™°  Gemma  Bellincioni  ;  Basilic,  M™»  Amelia  Stahl  ;  Bartholo,  M""  Olim- 
pia  Guercia.  Que  deviennent  l'harmonie  et  l'agencement  naturel  des  voix 
dans  une  exécution  composée  ainsi  d'organes  uniquement  féminins  ?  c'est 
ce  que  nous  ne  saurions  dire.  Mais  le  public  n'y  regarde  pas,  ou,  pour 
mieux  dire,  n'y  entend  pas  de  si  près.  Il  a  pris,  parait-il,  un  très  grand 
plaisir  à  ce  travestissement  (aussi  musical  que  scénique),  et  a  fait  un 
véritable  triomphe  à  toutes  les  interprètes  de  ce  singulier  Barbier. 

—  Ce  que  sont  parfois  les  troupes  d'opéra  dit  anglais,  l'actuelle  compa- 
gnie Cari  Rosa  nous  le  prouve  suffisamment.  Dans  cette  compagnie  on 
trouve  quatre  Américaines,  les  miss  Fabris,  deLussan,  Sanders  et  Dicker- 
son  ;  deux  Françaises,  M™^  MarieRôze  et  Lablache;  une  Australienne,  miss 
Sherroin  ;  un  Russe,  la  basse  Abramofî;  un  Roumain,  M.  Dimitresco;  deux 
Italiens,  MM.  Runcio  et  Montegriffo  ;  deux  Irlandais,  MM.  Mac-Guckin  et 
Leslie  Crotty;  enfin  un  Allemand,  M.  Max  Eugène.  Les  seuls  Anglais  authen- 
tiques se  réduisent  à  trois,  qui  sont  MM.  Marsh,  Celli  et  M™"  Burns.  C'est 
proprement  l'Opéra  de  la  tour  de  Babel. 

—  Les  théâtres  neufs  vont  pleuvoir  à  ."jondres,  pour  peu  que  cela 
continue.  Voici  qu'on  annonce  que  pour  sa  prochaine  saison  d'opéra  ita- 
lien, qui  commencera  au  printemps,  l'imprésario  Lago  inaugurera  un 
grand  théâtre  nouvellement  construit  dans  le  West  End  et  qui  prendra  le 
titre  de  Lago's  Opéra  House.  C'est  M.  Marine  Mancinelli  qui  sera  le  chef 
d'orchestre  de  la  nouvelle  troupe,  dont  on  ne  donne  pas  encore  la  com- 
position. 

—  On  sait  que  le  nouveau  théâtre  d'opéra  anglais  s'est  inauguré  à  Londres 
avec  un  opéra  inédit  de  M.  Arthur  Sullivan,  qui  a  pour  sujet  et  pour  titre 
Ivanhoé.  Le  Punch  en  profite  pour  appeler  le  compositeur  :  sir  Arthur  SuUi- 
vanhoé. 

—  Parlez-nous  des  directeurs  américains,  pour  être  agréables  à  ceu  x 
qui  fréquentent  leur  théâtre  !  Au  théâtre  du  Casino  de  New-York,  on  a 
distribué  aux  spectateurs,  à  la  centième  du  Pauvre  Jonathan,  opérette  de 
Milloecker,  des  «  boîtes  »  à  musique  jouant  les  principaux  airs  de  la  par- 
tition. Un  avis,  au  bas  de  l'affiche  de  la  représentation,  invitait  fort 
sagement  les  spectateurs  à  ne  pas  se  servir  des  boites  à  musique  pendant 
la  pièce.  A  la  sortie  du  spectacle,  chacun  a  pu  tourner  sa  manivelle  et 
moudre  la  valse  de  Jonathan. 

—  Un  peu  de  statistique  australienne  et...  pianistique,  d'après  le  Figaro. 
Un  de  nos  amis  nous  écrit  de  Sidney,  déplorant  que  nos  compatriotes  met- 
tent si  peu  d'empressement  à  exporter  les  produits  français  à  l'étranger 
et,  comme  preuve  à  l'appui,  il  nous  donne  les  chiffres  suivants  :  eu  1890, 
il  a  été  importé  à  Sidney  seulement  trois  mille  cinq  cent  quatre-vingt-quatre 
pianos,  sur  ce  nombre  la  France  en  a  fourni  cinquante-six  !  !  !  contre  deux 
mille  cinq  cent  trente-sept  expédiés  par  les  Allemands  ' 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

On  a  fait  courir,  cette  semaine,  dans  les  journaux  de  Paris,  divers 
bruits  relatifs  à  une  «  représentation  scandaleuse  »  qu'aurait  donnée  à 
Saint-Pétersbourg  M"«  Marie  Van  Zandt.  On  parlait  avec  complaisance 
d'incidents  en  tout  semblables  à  ceux  qui  avaient  signalé  la  malheureuse 
représentation  donnée  à  Paris,  dont  on  se  souvient  encore,  et  au  sujet  de 
laquelle  on  se  livra  à  tant  de  commentaires  variés,  à  tant  d'accusations 
qui  n'ont  jamais  été  prouvées.  Eh  !  bien,  cette  fois  encore,  on  parait  s'être 
laissé  égarer  par  des  notes  perfides...   envoyées  par  qui?  Le  saura-t-on 


jamais?  Voici  en  effet  la  dépêche  que  nous  recevons  de  Pétersbourg.  Elle 
est  signée  de  M.  Mamontoff,  un  directeur  des  plus  honorables  :  «  Prière  de 
démentir  infâmes  calomnies.  Rien  exact.  Van  Zandt  très  grand  succès.. 
Hier  encore  vingt  rappels  après  styrienne  de  Mignon».  Que  conclure  de  tout 
ceci?  Que  c'est  un  fichu  métier  que  celui  d'artiste,  puisqu'on  y  est  exposé 
à  tant  de  cruautés. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  nommé  au 

Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation  :  professeur  de  com- 
position, M.  Th.  Dubois,  en  remplacement  de  Léo  Delibes  ;  professeur 
d'harmonie,  M.  Albert  Lavignac,  en  remplacement  de  M.  Th.  Dubois  ; 
professeur  titulaire  de  solfège,  M.  Edouard  Mangin,  professeur  agrégé  de 
solfège;  professeurs  agrégés  de  solfège,  MM.  Paul  Rognon  et  de  Martini, 
répétiteurs. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  a  procédé,  dans  sa  dernière  séance,  à  la 
nomination  des  jurés  adjoints  pour  le  concours  de  composition  musicale 
(grand  prix  de  Rome).  Ont  été  nommés  :  jurés,  MM.  Charles  Lenepveu, 
Paladilhe  et  Lalo;  jurés  supplémentaires,  MM.  Théodore  Dubois  et 
V.  Joncières. 

—  On  a  essayé  cette  semaine  à  l'Opéra  la  plantation  des  décors  du  Mage. 
Les  répétitions  générales  du  nouvel  ouvrage  de  M.  Massenet  commenceront 
à  partir  de  samedi.  On  compte  passer  dans  la  première  semaine  de  mars. 
M.  Massenet  s'oppose  formellement  à  ce  que  ies  répétitions  générales 
soient  publiques.  Il  veut  seulement  la  critique,  mais  pas  d'étrangers.  La 
direction  de  l'Opéra,  au  contraire,  tiendrait  à  une  répétition  semblable  à 
celles  de  Patrie  et  A'Ascanio. 

—  La  première  représentation  de  la  reprise  de  Conte  d'Avril,  à  l'Odéon, 
semble  définitivement  fixée  au  lundi  2  mars.  On  sait  que  M.  "Widor  a 
composé, pour  la  poétique  comédie  en  vers  de  M.  A.  Dorchain,  une  petite 
partition  qui  ne  compte  pas  moins  de  19  numéros  et  qui  sera  exécutée  par 
l'orchestre  de  M.  Lamoureux.  C'est  M""  A.  Lody,  retour  de  Saint-Péters- 
bourg, qui  reprendra  le  joli  rôle  de  Viola,  créé  en  1883,  par  M"'=  Barety. 

—  M.  Louis  Gallet  vient  de  recevoir,  de  son  collaborateur  M.  Saint- 
Saëns,  une  longue  lettre  datée  de  Ceylan,  22  janvier.  M.  Saint-Saëns  passe 
son  temps  là-bas  à  faire  une  version  nouvelle  et  définitive  de  son  opéra 
Proserpine.  II  trouve  que  Ceylan  est  un  paradis  terrestre,  mais  il  en  revient 
tout  de  même...  par  l'Egypte. 

—  M.  Paravey,  directeur  de  l'Opéra-Gomique,  vient  d'être  condamné  par 
la  première  chambre  du  tribunal  civil  de  la  Seine  à  3,000  francs  de  dom- 
mages-intérêts envers  MM.  Morel-Retz  et  Wekerlin,  auteurs  du  Sicilien 
—  pièce  en  deux  actes,  imitée  de  Molière  —  acceptée  par  M.  Carvalho. 
Le  jugement  porte  que  M.  Paravey  s'était  engagé  à  jouer  les  ouvrages 
reçus  par  son  prédécesseur,  et  que,  dès  lors,  il  devait  mettre  à  la  scène 
le  Sicilien. 

—  La  distribution  de  Lakmé,  dont  la  reprise  est  imminente  à  l'Opéra- 
Comique,  est  arrêtée  de  la  façon  suivante  : 

Gérald  MM.  Gibert. 

Nilakantha  Renaud 

Frédéric  Gollin 

Lakmé  jyi™^  Simonnet 

Mistress  Bentson  Pierron 

Mallika  Rhodé 

Ellen  -          Falize 

Rose  Elven 

—  Kam  Hill,  le  joyeux  chanteur  dont  la  vogue  est  si  grande  à  l'Eldorado 
et  aux  Folies-Bergère,  est  obligé  de  prendre  quelques  jours  de  repos  à  la 
suite  d'un  léger  mal  de  gorge.  Mais  il  fera  sa  rentrée  très  prochainement 
avec  tout  un  bagage  de  nouvelles  chansons  à  sensation  :  l'Oncle  de  Célestiu, 
dont  Pierre  Véron  a  signé  les  paroles,  l'Omnibus  de  la  préfecture,  Elle  a  son 
Brevet  supérieur,  chansons  posthumes  de  Mac  Nab  tout  à  fait  étonnantes. 

—  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  notre  collaborateur,  M.  I.  Philipp, 
un  pianiste  de  grand  talent,  vient  d'être  nommé  officier  de  l'instruction 
publique. 

—  M.  Cobalet,  de  l'Opéra-Comique,  vient  d'être  nommé  lieutenant  au 
23=  régiment  territorial. 

—  M.  Emile  Bourgeois,  de  l'Opéra-Comique,  vient  d'être  nommé  direc- 
teur artistique  et  chef  d'orchestre,  pour  la  saison  d'été,  du  Casino  muni- 
cipal de  Royat. 

—  Un  comble  !  M.  Bessel,  l'éditeur  de  musique  russe  qui  trouve  si 
naturel  de  piller  tout  à  son  aise  les  catalogues  des  éditeurs  français,  n'ad- 
met d'aucune  façon  la  réciproque,  même  de  la  part  de  ses  compatriotes. 
Un  de  ses  confrères  de  Saint-Pétersbourg,  M.  Bernard,  s'étant  permis,  à 
tort  il  est  vrai,  d'intercaler  dans  un  recueil  donné  en  prime  gratuite  aux 
abonnés  de  son  journal  une  romance  empruntée  au  Démon,  de  Rubinstein, 
opéra  qui  est  la  propriété  de  M.  Bessel,  s'est  vu  intenter  un  procès. 
Il  n'y  va  pas  de  main  morte,  M.  Bessel,  quand  on  touche  à  ses  droits.  !I 
réclame  tout  simplement  à  M.  Bernard  la  jolie  somme  de  cinq  mille  rou- 
bles. S'il  voulait  seulement  donner  la  moitié  pour  chaque  morceau  qu'il 
a  pris  dans  les  catalogues  des  éditeurs  français,  ceux-ci  feraient  rapide- 
ment fortune. 


64 


LE  MÉNESTREL 


—  Le  succès  des  conférences  de  tous  genres  laites  au  thédtie  d'apjilica- 
tion,  et  notamment  la  vogue  de  celles  de  M.  Hugues  Le  Boux  avec  le 
concours  de  l'originale  Yvette  Guilbert,  vaut  à  M.  Bodinier  de  très  étranges 
propositions.  Entre  autres,  un  monsieur,  qui  vient  de  faire  un  livre  sur  la 
danse,  a  écrit  à  l'aimable  directeur  de  la  petite  salle  de  la  rue  Saint- 
Lazare  pour  lui  proposer  une  série  de  causeries  sur  l'art  de  Terpsichore, 
très  modernisé  sans  doute,  avec  IVI""  Grille-d'Égout,  comme  interprète! 

—  h'Otello  de  Verdi  vient  d'être  représenté  pour  la  première  fois  en 
France,  et  c'est  le  Casino  de  Nice  qui  a  eu  la  primeur  de  la  dernière 
œuvre  du  maitre,  en  attendant  que  Paris  puisse  la  connaître  à  son  tour. 
Cette  première  représentation  a  été  triomphale.  Il  estvrai  de  dire  qu'Otello, 
c'était  Tamagno,  tandis  que  Victor  Maurel  personnifiait  Yago  et  que 
M°"=  Musiani  faisait  Desdemona  en  remplacement  de  M™'  Meyer,  précé- 
demment désignée  pour  ce  rôle.  Ceux  de  Cassio  et  de  Boderigo  étaient 
tenus  par  MM.  Paroli  et  Coralupi.  L'ensemble,  parfaitement  dirigé  par  le 
chef  d'orchestre  Mascheroni,  a  été  excellent.  On  comprend  qu'avec  de  tels 
moyens  d'exécution,  le  prix  des  places  au  Casino  avait  du  subir  une 
notable  augmentation  ;  de  fait,  les  loges  étaient  taxées  à  350  francs  et  les 
fauteuils  à  SO.  Nous  ne  reviendrons  pas  aujourd'hui  sur  la  valeur  de  la 
partition  de  Verdi,  qui  a  été  suiEsamment  appréciée  dans  ce  journal  à 
diverses  reprises,  lors  de  sa  première  apparition,  et  nous  nous  bornerons 
à  constater  le  grand  succès  qu'elle  vient  d'obtenir  devant  le  grand  public 
cosmopolite  de  Nice. 

—  Peu  de  jours  avant  l'apparition  à'Otello  au  Casino,  le  théâtre  muni- 
cipal de  Nice  triomphait  de  son  côté  avec  M""=  Adelina  Patti,  qui  venait 
chanter  la  Lucia  ili  Lammermoor  de  Donizetti  en  compagnie  de  l'excellent 
ténor  Engel,  dans  lequel  elle  trouvait  un  partenaire  fort  distingué.  Inutile 
de  dire  que  la  salle  était  absolument  comble,  l'assistance  fort  élégante,  et 
que  la  cantatrice  a  obtenu  son  succès  accoutumé.  Applaudissements,  fleurs, 
bis,  rappels,  rien  n'a  manqué  à  son  triomphe. 

—  Callirohé,  le  charmant  ballet  de  M'i^Chaminade,  déjà  représenté  à  Mar- 
seille, et  dont  une  suite  d'orchestre  jouée  aux  concerts  Colonne  et  Lamou- 
reux  a  fait  connaître  les  principaux  passages,  vientd'obtenir  à  Lyon  le  plus 
franc  succès.  L'œuvre  est  montée  avec  soin,  et  l'orchestre,  sous  l'habile 
main  de  son  chef  Luigini,  a  fait  merveille. 

—  Les  journaux  de  Nantes  annoncent  que  M""'  Krauss  ira  donner,  dans 
le  courant  du  mois  de  mars,  deux  représentations  au  Grand-Théâtre  de 
cette  ville.  Il  se  pourrait  aussi  que  quelques  représentations  fussent  don- 
nées au  même  théâtre  par  M""*  Bichard  et  Fursh-Madi. 

—  Concours  de  Dôle,  17  et  18  mai  1891.  —  Pour  se  rendre  au  désir  d'un 
certain  nombre  de  sociétés  qui,  pour  des  raisons  diverses,  n'ont  pu  envoyer 
leur  adhésion  avant  le  IS  février,  le  comité  a  décidé  de  reculer  au  10  mars 
prochain  le  délai  d'inscription. 

—  Le  grand  orgue  de  l'église  Saint-Ferdinand  de  Bordeaux  a  été  restauré, 
transformé  et  perfectionné  récemment  par  la  maison  Merklin  et  C'°.  Dimanche 
dernier,  M.  Daene,  le  célèbre  organiste  de  cette  ville,  dans  une  audition 
toute  spéciale,  a  fait  apprécier  les  qualités  de  puissance,  de  variétés  d'effets 
et  de  timbres  des  jeux  de  l'instrument,  avec  un  talent  tout  à  fait  remar- 
quable. 

—  On  nous  prie  d'annoncer  que  M.  Paul  Gutbmaun,  compositeur  de 
musique  à  la  Bochelle,  a  terminé  la  partition  d'un  opéra-comique  en  un 
acte,  intitulé  Persévéranoe  d'amour,  dont  le  livret  a  été  tiré  de  Balzac  par 
MM.  Henri  Sonnet,  neveu  du  regretté  Landrol,  et  Victor  Tantet. 

—  M"'  JaneDuran, premier  prix  de  chantetpremier  prix  d'opéra-comique 
du  Conservatoire,  a  repris  ses  leçons  de  chant  chez  elle,  12,  rue  de  Strasbourg. 

CONCERTS    ET   SOIRÉES 

Mercredi  dernier,  soirée  musicale  chez  M""=  Juliette  Adam,  en  l'hon- 
neur d'un.  «  ami  russe  »  qui  n'était  autre  que  Achinoff,  l'ataman  des 
Cosaques  libres.  On  a  entendu  là,  avec  le  ténor  Duchesne,  dans  l'air  des 
«  Cloches  »  de  Dimitri,  et  un  jeune  pianiste  hollandais,  M.  Martinus  Sieve- 
king,  deux  contralti  :  M""=  Devisme,  qui  a  dit  d'une  belle  voix  et  d'un 
style  irréprochable  un  air  de  Samson  et  Dalila  et  une  charmante  mélodie  de 
M.Widor,  etM™=  de  Lyda,  cantatrice  russe,  dont  l'organe  remarquablement 
étendu  a  fait  valoir  un  ou  deux  airs  populaires  de  son  pays.  L'Opéra  se 
plaignait  naguère  de  manquer  de  contralti.  Ils  abondent  depuis  que  l'Opéra 
n'en  a  plus  besoin. 

—  Très  intéressante  matinée,  dimanche  dernier,  chez  l'excellent  profes- 
seur M""»  Bosine  Laborde,  pour  l'audition  de  ses  élèves.  On  y  a  remarqué 
particulièrement  M"|=  Ebstei",  M"<=  Maugé,  qui  a  chanté  avec  une  rare  ha- 
bileté un  air  de  Dimitri,  de  M.  Joncières,  M"«  Ledant,  qui  est  douée  d'un 
contralto  superbe  et  qui  promet  une  artiste.  Le  duo  de  Lakmé  a  été  chanté 
à  ravir  par  M"=  Maugé  et  M.  Bondeau.  Le  clou  de  la  séance  consistait  en 
un  petit  opéra-comique  à  deux  personnages,  un  Brevet  de  capitaine,  paroles 
de  M.  Ed.  Guinand,  musique  de  M.  Ch.  Silver,  fort  joliment  exécuté  par 
M"">'  Julia  de  la  Blanchetais  et  Noémie  Marcus.  et  qui  a  obtenu  le  plus 
vif  succès.  Ce  petit  ouvrage  fera  certainement  la  joie  de  tous  les  casinos. 

—  A  Bordeaux,  un  des  professeurs  les  plus  distingués.  M"""  Gally-Laro- 
chelle  a  eu  l'idée  de  donner  une  audition  de  la  partition  presque  entière 


à'Ahen-Hamet,  la  fort  belle  œuvre  de  Théodore  Dubois.  Le  succès,  comme 
partout  où  on  l'a  essayée,  a  été  éclatant.  Tous  les  journaux  de  Bordeaux, 
du  plus  grand  au  plus  petit,  constatent  cette  brillante  réussite,  et,  en  fai- 
sant l'analyse  de  la  partition,  s'étonnent  que  nos  scènes  théâtrales  ne 
s'emparent  pas  d'une  œuvre  de  cette  haute  valeur.  Ils  ont  raison.  Il  en  sera 
d'Aben-Hatnet  comme  de  Samson  et  Dalila.  Quelque  jour  on  l'essaiera,  et  on 
sera  tout  étonné  de  l'avoir  si  longtemps  dédaigné. 

—  A  Tavant-dernier  concert  de  l'orchestre  municipal  de  Strasbourg  on 
a  fait  un  accueil  plein  de  chaleur  à  l'une  de  nos  plus  jeunes  et  de  nos 
plus  remarquables  pianistes  françaises.  M""  Clotilde  Kleeberg,  qui  s'est 
fait  vigoureusement  applaudir  en  exécutant  le  concerto  en  la  mineur  de 
Schumann  et  divers  morceaux  de  Liszt,  de  Chopin  et  de  Bizet.  A  ce  même 
concert  la  troisième  symphonie  de  Brahms,  en  fa  majeur,  a  obtenu  le 
plus  brillant  succès.  C'est  M.  Talîanel  qui  a  été  le  héros  de  la  séance 
suivante,  dont  le  public  d'avance  se  promettait  merveilles.  C'est  vérita- 
blement de  l'enthousiasme  qu'a  excité  notre  grand  flûtiste  en  exécutant 
avec  le  goût,  la  virtuosité  et  le  style  qu'on  lui  connaît,  le  concerto  en  sol 
de  Mozart  et  trois  jolies  pièces  de  M.  Benjamin  Godard,  auxquels  il  a 
ajouté,  après  un  double  rappel  et  en  guise  de  remerciement,  une  valse 
de  Chopin,  qui  a  excité  les  transports  des  auditeurs.  On  voit  que  l'art 
français  n'en  est  pas  encore  à  Strasbourg  sur  son  déclin., 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  bien  oublié,  le  chanteur  Bouché,  qui  fit  pendant  quelques 
années  partie  du  pei-sonnel  de  l'Opéra,  où,  entre  autres,  il  établit  en  1841 
le  rôle  de  Caspar  du  Freischiitz,  vient  de  mourir  à  Nogent-le-Botrou.  Il  était 
né  àVillemeux,  près  Dreux  ,  le  29  décembre  1807,  avait  fait  de  bonnes  études 
au  séminaire  de  Chartres,  puis,  au  moment  d'entrer  dans  les  ordres,  avait 
abandonné  ce  projetpouraccepter  les  fonctions  d'instituteur  publicà  Frazé. 
C'estlà  qu'on  le  voyait  en  183i,  et  où  on  l'entendait,  aux  jours  des  grands 
offices, paraphraser  le  plain-chant  à  l'église  avec  une  superbe  voix  de  basse. 
Ce  fut  même  là  ce  qui  décida  de  sa  future  carrière.  Les  châtelains  et  les 
châtelaines  du  voisinage,  qui  se  donnaient  rendez-vous  pour  l'entendre  à 
l'église  de  Frazé,  lui  conseillèrent  enfin  de  se  rendre  à  Paris.  Il  le  fit,  se 
vit  admettre  à  la  suite  d'un  concours  à  la  maîtrise  de  Saint-Eus tache, 
puis  bientôt  à  celle  de  Notre-Dame,  où  sa  voix  fut  aussi  remarquée,  et  en 
définitive  fut  engagé  à  l'Opéra.  Il  n'y  resta  que  quelques  années,  et  s'en 
alla  faire  carrière  en  Italie,  se  produisant  avec  succès  à  Florence,  Milan, 
Venise, puis  à  Vienne,  à  Lisbonne,  à  Madrid,  et  jusqu'à  Bio  de  Janeiro. 
A  la  suite  de  ces  pérégrinations,  il  revint  se  retirer  à  Nogent-le-Botrou, 
dont  il  fut  maire  du  28  avril  1881  au  30  avril  1882,  et  où  il  s'est  éteint 
doucement,  à  l'âge  de  83  ans.  Bouché  avait  publié  un  écrit  ainsi  intitulé: 
De  l'art  du  chant,  théorie  nouvelle  basée  sur  l'appréciation  des  éléments  consti- 
tutifs de  la  voix  (Nogent-le-Botrou,  impr.  Gouverneur,   1872,  in-12). 

—  De  Marseille  on  annonce  la  mort,  des  suites  d'une  chute  faite  sur  la 
glace,  du  compositeur  Jean-Baptiste  de  Croze-Magnon,  qui  avait  rempli 
naguère  les  fonctions  de  maître  de  chapelle  à  la  cour  de  l'ancien  duché 
de  Pirme,  et  plus  tard  à  la  cathédrale  de  Marseille.  De  Croze  avait  fait 
représenter  au  Grand-Théâtre  de  Marseille,  le  30  mai  1854,  un  opéra  en  un 
acte  intitulé  Louise  de  Charolais,  et  plus  tard,  sur  une  scène  d'amateurs,  le 
théâtre  Michel,  un  opéra  biblique  en  cinq  actes,  la  Moabiie.  Il  avait  plu- 
sieurs autres  ouvrages  dramatiques  en  portefeuille,  entre  autres  un  opéra 
fantastique  en  cinq  actes,  Harokl,  un  autre  opéra  biblique,  Saiil,  et  enfin 
un  opéra-comique  en  trois  actes,  la  Chèvre  d'or,  que  le  Grand-Théâtre  s'ap- 
prête, dit-on,  à  mettre  à  l'étude.  J.-B.  de  Croze  avait  aussi  publié  un  cer- 
tain nombre  de  mélodies  vocales,  de  morceaux  pour  piano  et  violon  et  de 
musique  de  danse. 

—  A  Vienne  est  mort  un  artiste  distingué,  Julius  Sulzer,  qui  fut  pen- 
dant dix-sept  ans  chef  d'orchesire  du  Burgthéâtre.  Il  était  le  fils  du  célèbre 
chanteur  Salomon  Sulzer,  qui  fut  le  créateur  de  la  liturgie  israélite  et  qui 
mourut  lui-même  l'an  dernier,  à  l'âge  de  86  ans.  Julius  Sulzer  avait  écrit 
la  musique  de  plus  de  200  pièces  pour  le  Burgthéâtre,  entre  autres  des 
ouvertures  pour  toutes  les  tragédies  royales  de  Shakespeare. 

—  Ce  n'est  point  le  marquis  Giuliano  Capranica  del  Grillo,  époux  de 
la  grande  tragédienne  Adélaïde  Bistori,  qui  est  mort  récemment,  ainsi 
que  nous  l'avons  annoncé  par  erreur  d'après  les  journaux  italiens  eux- 
mêmes,  mais  son  frère,  Luigi  Capranica. 

—  De  Corfou  on  annonce  la  mort  par  suicide,  à  la  suite  d'un  désespoir 
amoureux,  d'un  musicien  napolitain,  N.  Siré,  directeur  du  Conservatoire 
et  de  la  Société  philharmonique  de  cette  ville.  Le  malheureux  s'est  préci- 
pité dans  la  mer,  en  ayant  eu  soin  préalablement  de  s'attacher  une  pierre 
au  cou. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  parailre   chez    LVDWIG   DOBLINGER 
(B.  IlEnzMANSKïj,  éditeur  de  musique,  Viesne 

ROBERT    FISGHHOF 

Op.  47.  —  Sonate  pour  PIANO  et  VIOLON.  —  Prix:  10  francs. 


;  DE  FER.   —  I 


lIMEniE  CIÏAIX,  20,   RL'E   BERGERE, 


Dimanche  l''  Mars  189i. 


MiH  —  57-  mWÊ  —  W  9.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Dn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  La  Messe  en  s/  mineur  de  J.-S.  Bach  (3"  article),  Julien  Tiersot.  — IL  Semaine 
théâtrale:  Choses  et  autres,  IL  Moreno;  premières  représentations  de  les  Joifs 
de  la  patemité,  au  Palais-Royal,  de  l'Heure  du  berger  et  de  l'Union  libre,  au 
Théâtre  Moderne,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Une  famille  d'artistes  :  Les 
Saint-Aubin  (11=  article),  Arthur  Pougi\.  —  IV.  Un  curieux  autographe  d'Auber, 
J.-B.  Wecserlin.  —  V.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SOUS    LES    TILLEULS 

valse  alsacienne  de  Paul  Rougnon.  —  Suivra  immédiatement:  Plus  licureiix 
qu'un  roi!  nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Ne  parte  pas ,  nouvelle  mélodie  de  H.  Balthasab  -  Florence, 
paroles  de  C.  Fuster.  —  Suivra  immédiatement  :  BoboW  se  marie,  n"  S 
des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin, 
poésies  de  George  Auriol. 


LA 


ESSE    EN    SI    MINEUR 

DE   J.-S.    BACH 

(Suite) . 


L'histoire  de  la  conception  et  de  la  réalisation  de  la  Messe 
en  si  mineur  n'a  jamais  été,  que  je  sache,  racontée  dans  au- 
cun ouvrage  français  ;  mais  un  écrivain  allemand  contem- 
porain, M.  Spitta,  nous  donne  à  cet  égard  tous  les  renseigne- 
ments désirables  et,  vraisemblablement,  tous  ceux  que  l'on 
possédera  jamais,  car  dans  les  deux  volumes,  d'environ 
mille  pages  grand  in-octavo  chacun,  qu'il  a  consacrés  à 
Bach  (1),  véritable  monument  élevé  à  la  mémoire  du  cantor 
de  Leipzig,  d'ailleurs  très  digne  de  lui,  il  a  rassemblé  tout  ce 
qui,  même  par  les  plus  infimes  détails,  pouvait  aider  à  éclairer 
la  connaissance  de  sa  vie  et  de  ses  œuvres,  e.xpliquant  et 
commentant  les  textes  à  l'aide  des  procédés  les  plus  subtils 
de  la  critique  moderne.  C'est  à  ce  livre,  ainsi  qu'à  la  pré- 
face écrite  par  M.  J.  Rietz  pour  l'édition  de  la  Messe  en  si 
mineur  dans  la  collection  Breitkopf  et  Hârtel,  que  nous  em- 
pruntons tous  les  détails  qui  vont  suivre. 

L'on  a  vu  plus  haut  que  Bach  avait  présenté  le  Kyrie  et  le 
Gloria  au  roi  de  Saxe  en  juillet  1733;  la  composition  de  ces 
deux  morceaux  est  donc  antérieure  à  cette  date.  Il  se  pourrait 
même  qu'ils  n'eussent  pas  été  écrits  spécialement  pour'  cette 

(1)  Ph.  Spitta,  Johann  Sébastian  Bach,  Leipzig,  Breitjiopf  et  Hârtel,  1873-1880. 


circonstance,  et  que  Bach  ail  eu  d'abord  la  pensée  de  les 
faire  entendre  à  Leipzig.  Un  détail  d'apparence  secondaire 
vient  appuyer  cette  hypothèse.  On  sait  que  le  Gloria  in  excelsis, 
tel  qu'il  se  chante  dans  les  églises  catholiques,  renferme 
la  phrase  suivante  :  Domine  fiU  unigenite  Jesu  Christe,  Domine 
Deus,  etc.  Dans  la  liturgie  luthérienne,  on  intercalait  après 
Jesu  Christe  le  mot  altissiine.  Or,  ce  mot  se  trouve  dans  la  messe 
de  Bach.  Les  églises  de  Dresde  étant  catholiques  et  celles  de 
Leipzig  luthériennes,  il  a  paru  de  ce  fait  à  M.  Spitta  que  le 
Gtom  n'avait  pas  été  écrit  spécialement  en  vue  de  Dresde  (1). 
Quoi  qu'il  en  soit,  et  même  en  admettant  tout  cela,  il  n'est 
pas  moins  certain  que  la  composition  du  Kyrie  et  du  Gloria 
ne  remonte  pas  notablement  plus  haut  que  la  date  indiquée. 
La  plupart  des  biographes,  connaissant  les  circonstances 
dans  lesquelles  le  Kyrie  et  le  Gloria  ont  été  offerts  au  roi  de 
Saxe,  ont  pensé  que  Bach  n'avait  eu  tout  d'abord  l'intention 
d'écrire  qu'une  messe  brève,  comme  il  l'avait  déjà  fait  dans 
d'autres  occasions,  et  que  ce  ne  fut  que  plus  tard  qu'il  résolut 
de  compléter  son  œuvre.  Sur  cette  question  encore  M.  Spitta 
vient  jeter  des  doutes.  A  son  avis,  Bach  a  eu  l'idée  de  faire 
une  messe  entière  avant  1733,  et  l'avènement  d'un  nouveau 
prince  ne  fut  pour  lui  que  l'occasion,  le  prétexte  de  mettre 
la  dernière  main  à  une  œuvre  à  laquelle  il  avait  déjà  tra- 
vaillé. Et  il  le  prouve  non  seulement  par  l'observation,  déjà 
rapportée,  que  le  Gloria,  composé  sur  le  texte  propre  à  la 
liturgie  luthérienne  de  Leipzig  et  non  à  la  liturgie  catholique 
des  églises  de  Dresde,  fut  fait  pour  Leipzig  et  peut-être  assez 
longtemps  avant  qu'il  songeât  à  sa  démarche  du  27  juillet  1733, 
mais  encore  par  l'affirmation  que  le  Credo  est  lui-même  antérieur 
au  Kyrie  et  au  Gloria.  Ce  dei'nier  point,  il  l'établit  par  les  mêmes 
procédés  dont  la  paléographie  se  sert  pour  déterminer 
les  dates  des  manuscrits  du  moyen-âge  :  il  a  constaté  que 
certaines  œuvres  de  Bach  dont  on  connaît  l'époque  étaient 
écrites  sur  un  certain  papier,  et  il  en  infère  que  les  autres 
œuvres  écrites  sur  le  même  papier  appartiennent  à  la  même 
période.  C'est  ainsi  que,  du  15  octobre  1727  jusqu'à  1736,  sa 
musique  est  écrite  sur  un  papier  ayant  pour  filigrane  les 
lettres  MA.  Les  13,  1§  et  19  août  1736  (voilà  qui  est  précis!) 
le  filigrane  change  :  au  lieu  de  lettres,  c'est  un  cavalier 
jouant  d'un  cornet  de  postillon;  cependant  le  papier  au  fili- 
grane MA  ne  disparait  pas  encore;  on  le  retrouve  jusqu'en 
1737,  après  quoi  il  est  tout  à  fait  abandonné.  Il  est  remplacé 
par  un  papier  dont  le  filigrane  est  une  demi-lune,  papier 
dont  Bach  avait  eu  déjà  quelques  cahiers  en  173S,  et  dont 
il  ne  cesse  plus  de  faire  usage  jusqu'à  sa  mort.  A  la  vérité, 

(1)  L'on  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer  cependant  que  dans  le  Credo,  qui  ne 
fat  pas  composé  pour  Dresde,  se  trouvent  les  mots  suivants,  que  Bach,  Ijien  que 
bon  luthérien,  a  accentués  avec  une  autorité  singulière  ;  Et  in  imam  catholicam 
et  apostolicam  ecclesiam. 


66 


LE  MENESTREL 


il  y  avait  eu  déjà  un  papier  à  demi-lune  ayant  servi  de  1723 
à  1726,  mais  celui-ci  présentait  des  signes  particuliers  qu'on 
ne  jugera  peut-être  pas  indispensable  que  nous  définissions 
plus  longuement  ici.  Enfin,  trois  cantates  écrites  vers  la  fin 
de  1731  sont  sur  un  papier  qui  porte  des  marques  spéciales 
que  M.  Spitta  appelle  diplomatisclie  Merkzeichen  :  or,  on  les 
retrouve  précisément  sur  le  manuscrit  autographe  du  Credo. 
En  faut-il  plus  pour  en  déteiminer  la  date?  Peut-être  quel- 
ques preuves  plus  solides  ne  seraient  pas  superflues;  mais 
cette  indication  étant  la  seule  et  unique  que  nous  possédions, 
il  faut  bien  s'en  contenter  :  admettons  donc  que  le  Credo  de 
la  Messp  en  si  mineur  fut  composé,  comme  le  dit  M.  Spitta,  vers 
l'année  1732. 

Dans  VAgnus  on  trouve  encore  de  loin  en  loin  quelques 
traces  du  même  filigrane,  mais  non  d'une  façon  assez  signi- 
cative  pour  que  l'on  en  puisse  inférer  que  ce  morceau,  sous 
sa  forme  dernière,  est  aussi  antérieur  au  Kyrie;  d'autres  indi- 
ces semblent,  au  contraire,  le  reporter  au  même  temps  que 
VHosanna,  et,  d'autre  part,  il  n'y  a  aucune  raison  de  suppo- 
ser que  ce  dernier,  faisant  partie  intégrale  du  Sanctus,  ait  été 
fait  à  une  époque  antérieure.  Or,  pour  le  Sanclus,  on  a  quel- 
ques indications  plus  précises.  D'abord,  la  partition  originale 
est  écrite  sur  le  papier  au  filigrane  à  demi-lune  dont  nous 
savons  que  Bach  ne  fît  usage  que  depuis  1735  ;  en  outre, 
nous  savons  que  le  morceau  avait  été  envoyé  par  Bach  en 
Bohème,  au  comte  Sporck,  qui  mourut  le  30  mars  1738;  comme, 
par  suite  des  usages  des  églises  luthériennes  ,  un  Sanctus 
n'avait  pu  être  fait  qu'en  vue  d'une  fête  de  Noël,  on  doit  en 
rapporter  la  première  exécution  à  décembre  1735,  36  ou  37; 
et  c'est  probablement,  d'après  M.  Spitta,  la  première  date 
(1735)  qui  est  la  bonne,  cela  pour  des  raisons  que  ceux  qui 
les  \oudront  connaître  trouveront  longuement,  très  longue- 
ment déduites  dans  son  savant  et  substantiel  ouvrage.  Pla- 
çons donc  encore  le  Sanctus,  avec  VAgmts  et  VHosanna,  dans 
l'année  1735,  et  nous  aurons  ainsi,  comme  dates  extrêmes 
de  la  composition  de  la  Messe  en  si  mineur,  les  années  1732 
à  1735. 

Au  reste,  tous  les  morceaux  n'en  sont  pas  originaux  :  plu- 
sieurs ont  été  composés  d'abord  pour  des  cantates,  sur  des 
paroles  allemandes,  et  replacés  par  Bach  dans  sa  grande 
œuvre  religieuse  en  y  adaptant  les  paroles  liturgiques.  M.  J. 
Rietz  en  signale  quatre  dans  sa  préface  de  l'édition  Breitkopf  : 
le  Ch-atias  et  sa  répétition  sur  les  mots  Bona  nohis  pacem  à  la 
fin  de  la  messe,  le  Cruci/îxus,  VHosanna  et  VAgnus  Dei.  Le  pre- 
mier est  emprunté  à  une  cantate  pour  célébrer  l'élection  du 
conseil  municipal  de  Leipzig  le  27  août  1731:  les  deux  ver- 
sions ne  diffèrent  que  par  quelques  modifications  dans  l'écri- 
ture. Le  Crucifixus  figurait  d'abord  dans  la  cantate  du  diman- 
che Juhilate,  exécutée  pour  la  première  fois  le  30  avril  1724; 
déjà  précédemment  le  thème,  le  rythme  et  le  mouvement 
général  en  avaient  été  mis  dans  une  cantate  profane  compo- 
sée en  l'honneur  du  renouvellement  du  conseil  de  Mulhau- 
sen,  en  1708;  dans  la  Messe,  le  morceau  a  été  transposé, 
développé  et  modifié  en  plusieurs  endroits.  h'Hosanna  est  tiré 
d'une  Cantata  gratulatoria  in  adventum  régis  datant  du  5  octo- 
bre 1734  :  il  ne  diffère  que  par  l'introduction  d'un  prélude 
instrumental  et  quelques  changements  de  figures.  VAgnus 
est  un  air  de  la  cantate  de  F  Ascension,  plus  développé  d'ail- 
leurs dans  la  cantate  et  ayant  subi  des  remaniements  nota- 
bles pour  la  Messe. 

A  ces  quatre  fragments  M.  Spitta  en  ajoute  deux  autres  : 
le  Qui  tollis,  qui  n'est  autre  que  la  première  partie  du  chœur 
d'entrée  de  la  cantate  du  lO"""  dimanche  après  la  Trinité,  et 
le  second  chœur  du  Credo,  qui  à  l'origine  était  dans  une 
Cantate  du  Jour  de  l'an  exécutée  pour  la  première  fois  le  pre- 
mier janvier  1729. 

Les  sources  originales  qui  ont  pu  être  mises  à  contribution 
pour  la  constitution  de  la  forme  définitive  de-  la  Messe  en  si 
mineur  dans  l'édition    Breitkopf  et   Hàrtel  sont,  en  tant   que 


manuscrits  autographes,  le  Kyrie  et  le  Gloria,  restés  à  la  cour 
du  roi  de  Saxe  et  actuellement  encore  dans  sa  bibliothèque 
privée,  et  le  Sanctus,  dont  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin 
possède  la  partition  originale.  M.  Spitta  cite  un  autre  docu- 
ment plus  important  encore  et  qui  semble  avoir  été  décou- 
vert postérieurement  à  la  publication  de  Breitkopf:  ce  n'est 
rien  moins  que  la  partition  autographe  complète  de  l'œuvre, 
propriété  de  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin.  L'on  en  con- 
naît en  outre  plusieurs  copies  dont  certaines,  exécutées  à 
l'époque  même  de  Bach  et  par  des  hommes  tels  que  Kirn- 
berger,  présentent  les  plus  sérieuses  garanties  d'authenticité. 
Enfin,  à  la  fin  du  XV1II'=  siècle  ou  au  commencement  du 
nôtre,  quand  la  gloire  de  Bach  commença  à  apparaître,  la 
Messe  fut  publiée,  en  deux  parties  séparées,  l'une  chez  l'édi- 
teur Simrock,  à  Bonn,  l'autre  chez  Nageli,  à  Zurich. 

Un  détail  observé  à  la  lecture  de  la  partition  d'orchestre 
va  montrer  avec  quel  soin  tout  particulier  Bach  avait  écrit 
le  Kyrie  et  le  Gloria  qu'il  offrit  au  roi  de  Saxe.  L'on  sait  que 
ses  œuvres  chorales  sont  toujours  accompagnées,  outre  l'or- 
chestre, par  une  partie  d'orgue  dont  la  basse  seule,  doublée 
par  les  basses  du  quatuor  à  cordes,  est  notée  sous  le  nom 
de  Continuo.  Le  plus  souvent,  comme  c'était  Bach  lui-même 
qui  exécutait  cette  partie,  il  négligeait  d'écrire  les  chiffres 
indiquant  l'harmonie  à  réaliser  —  ce  qui,  pour  les  exécutions 
modernes,  peut  être  cause,  il  faut  l'avouer,  de  fâcheuses 
interprétations.  Or,  dans  la  Messe  en  si  mineur,  il  n'y  a  pas  un 
seul  chiffre  depuis  le  Credo  jusqu'à  la  fin  ;  mais  par  contre, 
dans  le  Kyrie  et  le  Gloria,  qui,  dans  la  pensée  de  Bach,  de- 
vaient être  accompagnés  par  les  organistes  de  Dresde,  le 
chiffrage  est  indiqué  avec  une  abondance  de  détails  et  une 
précision  dont  je  ne  crois  pas  que  Bach  ait  donné  beaucoup 
d'autres  exemples  dans  ses  œuvres  similaires. 


Pour  en  finir  avec  l'histoire  de  la  Messe  en  si  mineur,  il  nous 
reste  à  parler  de  ses  premières  auditions.  Cette  partie  de 
notre  travail  sera  d'autant  plus  réduite  que  l'on  pourrait 
dire,  en  quelque  sorte,  qu'elle  n'eut  pas  de  première  audi- 
tion! Du  moins  a-t-on  pu  établir  que,  du  vivant  de  Bach, 
elle  ne  fut  jamais  donnée  intégralement.  A  Dresde,  d'abord, 
il  paraît  démontréque  le /fi/rje  etle  C(orw  ne  furent  pas  exécu- 
tés :  il  n'en  est  resté  en  tous  cas  aucune  trace,  et  tous  les 
biographes  de  Bach  s'accordent  à  dire  que  l'œuvre  était  à  la 
fois  trop  difficile  et  trop  longue  pour  pouvoir  être  interprétée 
dignement  par  le  personnel  musical  de  la  Chapelle  royale  de 
Saxe  et  pour  entrer  dans  le  cadre  des  cérémonies  de  l'église 
catholique.  Et  dans  ce  temps-là  on  n'eiit  jamais  songé  à 
exécuter  une  messe  en  dehors  de  l'église,  au  concert. 

Si  quelques  fragments  en  furent  entendus  du  vivant  de 
Bach,  ce  fut  à  Leipzig  et  sous  sa  propre  direction.  Bien  que 
les  églises  de  Leipzig  fussent  luthériennes,  la  coutume  auto- 
risait cependant,  pour  certaines  fêtes  de  l'année,  l'usage  du 
texte  latin  de  la  messe.  Telle  notamment  la  nuit  de  Noël,  où 
l'on  chantait  le  Gloria  et  le  Sanctus.  A  cette  fête,  en  1740, 
Bach  fit  entendre  son  Gloria:  encore  ne  put-il  le  donner  tout 
entier,  vu  sa  longueur;  il  fallut  couper:  l'on  en  a  retrouvé, 
parmi  les  manuscrits  de  Bach,  un  arrangement  fait  en  vue 
de  cette  exécution  et  comprenant  le  chœur  d'entrée  :  Gloria 
in  exuelsis,  le  duo  avec  la  flûte  :  Domine  fili  unigemte ,  dont  les 
paroles  sont  changées  pour  celles  du  Gloria  patri  et  filio  et- 
Spiritui  sancto,  et  le  chœur  final ,  sur  Sicut  erat,  etc.  Pour  le 
Sanctus,  on  sait  par  une  lettre  de  Bach  que  les  parties  en 
furent  copiées  et  même  envoyées  en  Bohème,  au  comte 
Sporck;  l'on  peut  en  inférer  qu'il  fut  exécuté  tant  à  Leipzig 
qu'à  la  cour  de  ce  seigneur ,  sans  avoir  d'ailleurs  aucun 
autre  renseignement.  L'Agnus  peut  avoir  été  chanté  à  Leipzig 
à  quelque  grande  fête,  l'usage  étant,  ces  jours-là,  de  chanter 
Agnus  Dei  pendant  la  communion;  mais  ici  encore  aucune 
preuve.  Le  Kijrie  paraît  trop  long  à  M.  Spitta  lui-même 
pour  avoir  figuré  jamais  dans  les  cérémonies  de  la  fête  de  la 


LE  MENESTREL 


67 


Réformation  ou  du  premier  dimanche  de  l'Avent,  où  l'usage 
permettait  cette  prière;  il  croit  cependant,  mais  c'est  une 
simple  hypothèse,  qu'il  put  être  chanté  le  dimanche  Esta 
mihi,  au  commencement  du  carême.  De  même  le  Credo  était 
admis  pour  la  Trinité  :  peut-être  Bach  fit-il  entendre  le  sien 
à  une  de  ces  fêtes,  mais  ce  n'est  qu'un  peut-être.  Et,  au 
fond,  toutes  ces  exécutions  fragmentaires  ne  pouvant  donner 
■en  aucune  façon  l'impression  de  l'œuvre  ,  on  peut  en  con- 
clure, même  si  elles  eurent  lieu,  que  la  Messe  de  Bach  est 
demeurée  pour  ainsi  dire  inédite  durant  toute  la  vie  de  son 
auteur. 

Au  reste,  même  de  nos  jours,  ses  exécutions  n'ont  pas 
été  fréquentes:  elle  a  toujours  contre  elle  sa  longueur  et  sa 
difficulté,  qui  est  extrême.  Le  Conservatoire  en  avait  fait 
entendre  seulement  quelques  fragments  il  y  a  quinze  ans  et 
plus  ;  le  Gesangverein  de  Bâle  en  a  donné,  il  y  a  quelques 
années,  une  audition  intégrale  à  laquelle  assistèrent  plu- 
sieurs musiciens  et  amateurs  français  ;  elle  est  parfois  exé- 
cutée en  Allemagne,  dans  des  occasions  solennelles  ;  à 
Londres,  me  dit-on,  on  l'a  entendue  assez  récemment  dans 
un  grand  festival.  Je  la  trouve  encore  mentionnée  dans  le 
dernier  annuaire  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  aux  concerts 
duquel,  dans  la  saison  dernière,  on  a  joué  le  Credo,  le  Sanctus 
et  VAgnus.  Pour  la  France,  l'exécution  de  dimanche  a  été  une 
^vraie  première. 

Et  cette  première  a  été  magnifique  :  une  solennité,  une  fête 
■de  l'art,  et  dont,  malgré  des  craintes  que  l'événement  a 
montrées  mal  fondées,  le  public  du  Conservatoire  a  compris 
toute  la  portée,  car  il  a  écouté  l'œuvre,  d'abord  dans  un  re- 
cueillement profond,  puis,  peu  à  peu,  avec  un  véritable  en- 
thousiasme, toujours  grandissant.  C'est  un  triomphe  éclatant 
pour  la  Société  des  concerts,  particulièrement  pour  ceux 
qui  y  combattent  le  bon  combat  en  l'honneur  de  l'art  élevé, 
des  œuvres  nobles  et  grandes  et  des  tendances  avancées. 

L'exécution  d'ensemble,  sous  la  vaillante  direction  de 
M.  Garcin,  a  été  admirable,  d'une  homogénéité  absolue,  d'une 
-étonnante  sûreté.  On  n'a  pas  eu  à  y  relever  une  seule  de  ces 
indécisions  toujours  fréquentes  aux  premières  exécutions  des 
■œuvres  nouvelles,  même  au  Conservatoire.  Les  chœurs  no- 
tamment, d'une  très  grande  difficulté,  avec  leurs  formes  in- 
triguées, leurs  rythmes  fortement  accentués,  leurs  longues  et 
iardies  vocalises  s'enchevêtrant  dans  un  ensemble  polypho- 
nique parfois  d'une  extrême  complication,  ont  été  superbes 
d'assurance,  de  souplesse,  de  vie  ;  il  est  vrai  qu'ils  étu- 
diaient leurs  parties  depuis  deux  ans  et  plus,  et  que 
M.  Heyberger  avait  mis  à  cette  préparation  un  soin,  un  dé- 
vouement que  lui  inspiraient  une  admiration  et  une  intelli- 
gence profonde  de  l'œuvre  de  Bach.  A  M.  Garcin  et  à  lui 
revient  la  plus  belle  part  de  l'honneur  de  cette  exécution,  et 
j'estime  que  c'est  un  fort  grand  honneur. 

Ils  ont  été  dignement  secondés  par  les  solistes  :  ceux  du 
chant  d'abord ,  ^1'"=  Fanny  Lépine ,  M"ie  Boidin-Puisais, 
M"«  Landi,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez,  et  ceux  de  l'orchestre, 
dont  le  rôle  n'est  ni  moins  apparent  ni  moins  considérable  : 
M.  Teste,  qu'il  faut  nommer  en  premier,  car  il  nous  a  fait 
connaître  des  sonorités  d'orchestre  tout  à  fait  nouvelles  ; 
sur  sa  petite  trompette  en  ré  aigu,  il  escalade  des  hauteurs 
-impratiquées,  se  tient  constamment  dans  les  régions  suraiguës, 
dominant  toute  la  masse  sonore  par  ses  notes  claires  et  vi- 
brantes ;  M.  Gillet,  qui  nous  a  fait  entendre  pour  la  pre- 
mière fois  le  hautbois  d'amour,  instrument  tombé  en  désué- 
tude,  que  M.  Mahillon  a  construit,  d'après  les  anciens 
types,  spécialement  en  vue  de  cette  exécution,  et  auquel,  si 
je  suis  bien  informé,  M.  Gillet  a  apporté  lui-même  quelques 
modifications:  de  deux  tons  plus  grave  que  le  hautbois,  il  est 
intermédiaire  entre  lui  et  le  cor  anglais,  et,  par  sa  sonorité, 
se  rapproche  plutôt  de  ce  dernier.  M.  Gillet  en  a  joué  avec 
son  autorité  coutumière,  comme  M.  Taffanel  a  fait  pour  le 
solo  de  flûte  du  Gloria,  et  M.  Berthelier  pour  ses  deux  solos 


de  violon,  qui  lui  ont  valu  un  succès  personnel  très  vif.  Enfin, 
M.  Guilmant,  à  l'orgue,  n'a  pas  cessé  de  faire  mon  admiration 
par  sa  réalisation  très  juste,  sobre  et  riche  à  la  fois,  des 
harmonies  de  la  basse  continue,  qu'on  peut  donner  comme  un 
modèle  du  genre,  et  par  l'appropriation  toujours  parfaite  des 
jeux  de  l'orgue  aux  sonorités  des  instruments  et  des  voix. — 
J'ai  cité  tout  le  monde:  c'est  que  tout  le  monde  a  contribué 
dignement  au  succès  de  cette  journée,  qui  marquera  une 
date  dans  l'histoire  de  la  Société  des  concerts,  ne  fût-ce  que 
par  le  fait  matériel  que,  pour  la  première  fois  depuis  sa 
fondation,  on  a  vu  un  programme  entièrement  rempli  par 
une  œuvre  et  consacré  à  un  seul  auleur.  L'on  ne  pouvait, 
certes,  inaugurer  plus  heureusement  cette  nouvelle  manière. 
Nous  étudierons  l'œuvre  dimanche  prochain. 

(A  suivre.)  Jclien  Tiersot. 


BULLETIN   THEATRAL 


CHOSES   ET  AUTRES 

Les  jours  du  3Iage  sont  proches  à  l'Opéra.  On  en  est  déjà  à  se 
préoccuper  des  accessoires  à  sensation.  C'est  ainsi  que  les  journaux 
nous  annoncent  gravement  que  celte  semaine  on  a  essayé  dans 
Bigoletto  —  mais  pour  les  introduire  plus  tard,  après  expérience,  dans 
le  Mage  loi-même  —  des  «  éclairs  »  d'une  nouvelle  façon,  rapportés 
de  Londres  par  M.  Lapissida,  non  pas  de  simples  lueurs  comme  dans 
l'ancien  bon  temps,  mais  de  véritables  «  zigzags  aveuglants  »  qui 
donnent  l'illusion  de  la  foudre  elle-même.  On  les  a  donc  essayés, 
disions-nous,  dans  iJ/joteito;  c'est  ce  qu'on  appelle  procéder  in  am'wa 
vili.  Mais  il  y  a  dans  l'œuvre  de  Verdi  quelques  autres  éclairs  dont 
nous  aimerions  à  trouver  aussi  l'équivalent  dans  la  partition  du  Mage, 
nous  voulons  parler  des  pages  débordantes  de  passion  que  le  maître 
italien  a  su  y  marquer  de  sa  griffe  puissante.  Après  tout,  nous  ne 
voulons  pas  médire  de  ce  que  nous  ne  connaissons  pas  encore.  Et 
il  se  peut  très  bien  qu'en  celle  circonstance  M.  Massenet  triomphant 
ait  réussi  à  mettre  à  la  fois  dans  sa  poche  Verdi  et  "Wagner  réunis. 
Souhaitons-le,  en  constatant  que  jusqu'ici  ses  éclairs  étaient  surtout 
à  la  vanille  ou  au  chocolat.  Les  dames  d'ailleurs  aiment  assez  ce 
genre  de  pâtisserie,  et  n'eùt-il  que  celte  clienlèle,  M.  Massenet  serait 
encore  assuré  de  tenir  la  lêle  des  compositeurs  de  son  temps.  Ne 
sont-ce  pas  les  dames  qui  mènent  le  monde  et  les  arts? 

On  remarque  d'ailleurs  l'altitude  distraite  de  M.  Gailhard  à  ces 
repétilions  du  Mage.  Il  n'écoute  que  d'une  oreille  les  suaves  éma- 
nalions  du  génie  de  M.  Massenet.  L'autre  est  toujours  tendue  du  côté 
de  la  rue  de  Valois,  vers  le  bureau  du  ministère  des  Beaux-arts,  oîi 
s'agile  le  nouveau  cahier  des  charges  dans  les  dernières  affres  de 
son  achèvement.  Qu'en  sortira-t-il  ?  La  réélection  de  M.  Gailhard, 
ou  son  éloignement  ?  L'ami  Pedro  a  bien  tort  de  s'inquiéter.  Il  n'y 
a  que  deux  solutions  qui  s'imposent,  parce  qu'elles  sont  l'une  et 
l'autre  profondément  immorales  :  ou  le  maintien  pur  et  simple  de 
M.  Gailhard,  ou  alors  la  nomination  de  M.  Paravey,  qui  présente- 
rait ce  double  avantage  de  sortir  celui-ci  de  la  situation  embar- 
rassée oii  il  se  trouve  à  l'Opéra-Comique  entre  un  agent  Ihéàtral 
qui  le  domine  et  un  chef  de  claque  qui  le  pressure,  et  de  laisser 
libre  un  autre  théâtre  également  subventionné  qu'on  donnerait  en 
compensation  au  pauvre  Gailhard,  si  méchamment  évincé  de  l'Aca- 
démie nationale  de  musique.  Comme  vous  voyez,  la  combinaison  est 
bien  simple,  et  elle  aurait  l'avantage  de  satisfaire  tous  les  patrons 
politiques  qui  s'intéressent  si  fortement  à  ces  deux  fortunés  can- 
didats. Et  la  musique"?  que  devient-elle  en  tout  ceci,  m'objeclerez-vous 
si  vous  êles  encore  un  illusionné  i  Monsieur,  vous  répondrai-je,  elle 
est  l'humble   servante   de  la  politique  souveraine.  Gonstans  est  roi. 

Voyez  avec  quelle  aimable  désinvolture  agit  M.  Paravey,  et  comme 
il  se  sent  fort  et  sûr  de  n'être  point  inquiété  dans  ses  petites  ma- 
nœuvres. Nous  comptions  avoir  la  semaine  prochaine  la  première  repré- 
sentation des  Folies  «mo-u/'eMses,  l'œuvre  nouvelle  si  vivement  attendue 
de  M.Emile  Pessard.  Eh  bien  !  nous  ne  l'aurons  pas.  Pourquoi?  Tout 
simplement  parce  qu'il  plaît  à  M.  Paravey  d'envoyer  chauler  l'un  des 
interprètes  de  la  pièce,  M.  Fugère,  à  Monte-Carlo.  Gela  fait  ses 
affaires  et  celles  de  l'agent  qui  l'opprime.  Voilà  !  Et  il  ne  s'en  cache 
pas:  il  nous  en  instruit  par  des  petites  notes  très  correctss  insérées 
dans  les  journaux.  Toute  l'année,  la  troupe  de  l'Opéra-Comique  fait 
ainsi  la  navette  entre   Paris    et    Monte-Carlo.  Gela   est  passé  dans 


68 


LE  MENESTREL 


les  mœurs  du  théâtre  et  il  n'y  a  personne  au  ministère  pour  s'en 
étonner.  Bien  fort,  ce  Paravey  !  Tenez,  il  promet  la  croix  de  la 
Légion  d'honneur  —  rien  que  cela  !  —  à  l'agent  qui  le  dirige  pour  le 
14  juillet,  et  vous  verrez  que  cet  agent  l'aura.  Ce  que  c'est  que 
d'être  bien  en  cour  !  Seulement,  c'est  la  claque,  qui  ne  sera  pas 
contente.  N'y  aura-t-il  pas  au  moins  quelque  ruban  violet  pour 
son  chef  honoré?  Au  fait,  il  l'a  peut-être  déjà. 

Est-ce  parce  que  M.  Fugère  se  lasse  d'être  ainsi  envoyé  comme  un 
colis  complaisant  de  Paris  à  Monte-Carlo,  qu'il  annonce  son  intbntion 
de  quitter  l'Opéra-Comique  au  mois  de  juin,  terme  de  son  engage- 
ment? En  tous  les  cas,  c'est  une  perte  sérieuse  pour  l'Opéra- 
Comique.  C'était  le  dernier  de  la  belle  troupe  réunie  par  M.  Gar- 
valho.  Aujourd'hui,  elle  est  éparpillée  aux  quatre  vents. 

H.    MORENO. 

Palais-Royal.  —  Les  Joies  de  la  paternité,  comédie  en  3  actes,  de 
M.  Bisson  et  Vast-Ricouard.  —  Théâtre-Moderne.  —  L'Heure  du 
berger,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  Piazza,  musique  de  M.  G. 
Paulin  ;  l'Union  libre,  comédie  parisienne  en  3  actes,  de  M.  Champ- 
vert. 

Les  Joies  de  la  paternité  dormaient  depuis  plusieurs  années  déjà 
dans  les  cartons  directoriaux  du  Palais-Royal,  lorsque  MM.  Boyer 
et  Mussay  eurent  l'idée  de  relire  le  manuscrit  de  MM.  Vast  et 
Ricouard,  disparus  tous  deux  aujourd'hui.  La  pièce  n'était  pas  sans 
avoir  retenu  une  quantité  notable  de  vieille  poussière  et  il  était 
impossible  de  la  présenter  ainsi  au  public  ;  aussi  s'adressa-t-on  à 
un  favori  du  succès,  M.  Bisson,  qui  fat  chargé  de  prendre  son 
meilleur  plumeau  et  d'épousseter  tant  qu'il  pourrait ,  les  princi- 
paux intéressés  ne  se  trouvant  plus  là  pour  se  livrer  à  ces  soins 
ménagers  que,  d'ailleurs,  ils  avaient  jugés  inutiles,  paraît-il,  du 
temps  de  leur  vivant.  L'auteur  du  Député  de  Bombignac  se  mit 
donc  à  la  besogne  et  si  l'objet  est  demeuré  légèrement  gris,  il  ne 
faut  pas  s'en  prendre  à  son  éuergie. 

C'est  l'histoire  d'un  enfant  imaginaire  que  se  disputent  deux  maris 
en  proie  aux  épigrammes  de  leurs  épouses.  Un  poupon,  amené  là 
par  le  hasard,  vole  de  bras  en  bras,  jusqu'au  moment  oii  le  vrai  père, 
domestique  dans  la  maison,  se  démasque  et  réclame  son  bien.  L'his- 
toire est  tellement  compliquée  qu'il  me  faudrait  plusieurs  colonnes 
de  ce  journal  pour  l'expliquer  et,  encore,  je  ne  sais  si  je  parviendrais 
bien  à  me  faire  comprendre.  Le  premier  acte  a  paru  un  peu  froid;  le 
second  a  été  très  égayé  par  l'originalité  hilarante  de  M™  Lavigne,  en 
nourrice,  et  le  troisième,  adroitement  présenté,  a  fait  rire  en  plus 
d'un  endroit.  MM.  Daubray  et  Saint-Germain  jouent  avec  finesse  les 
rôles  des  deux  faux  pères;  peut-être  bien  n'ont-ils  déployé,  ni  l'un 
ni  l'autre,  assez  de  fantaisie;  M.  Pellerin  demeure  le  modèle  passé, 
présent  et  futur  des  domestiques  de  théâtre.  J'ai  nommé  déjà 
M"'  Lavigne  ;  je  dois  des  compliments  très  mérités  aussi  à  M""^  Ma- 
thilde,  une  réjouissante  belle-mère,  à  M""  Gheirel,  une  charmante 
future  petite  mère  et  à  M"°  Dolci,  une  bonne  d'une  allure  très  per- 
sonnelle. M""  M.  Durand  a  paru  aimable  mais  d'un  goût  bizarre 
dans  ses  toilettes. 

Le  Théâtre  Moderne,  dont  l'existence  première  avait  été  si  éphé- 
mère, vient  de  rouvrir  ses  portes  au  public.  Avant  de  parler  du 
spectacle  de  réinauguration,  je  voudrais  qu'il  me  soit  permis  de 
m'étonner  du  peu  d'empressement  que  mes  confrères  ont  mis  à  se 
rendre  à  la  salle  du  faubourg  Poissonnière.  Pourquoi  ?  Je  ne  connais 
absolument  personne  dans  la  maison  et  ne  suis  nullement  comman- 
ditaire de  l'affaire;  je  ne  saurais  donc  être  accusé  de  défendre  des 
amis  ou  d'essayer  de  rentrer  dans  mon  argent  ;  mais  je  trouve  que 
l'idée  d'un  théâtre  bon  marché,  —  les  fauleoils  d'orchestre  coûtent 
trois  francs,  —  en  plein  cœur  de  Paris,  vaut  la  peine  qu'on  s'y 
arrête  et  même  qu'on  la  soutienne.  Il  est  bien  évident  que  le  Théâ  - 
tre  Moderne,  avec  ses  ressources,  qui  doivent  être  assez  minimes, 
et  ses  recettes  qui,  même  en  atteignant  le  maximum,  resteront  tou- 
jours modestes,  ne  jouera  ni  du  Meilhae,  ni  du  Sardou,  ni  même, 
peut-être,  du  Gandillot,  et  n'aura  pas  en  vedette,  sur  ses  affiches, 
jes  noms  d'artistes  aux  cachets  fantastiques  ;  mais,  s'il  est  tant  soit 
peu  aidé  et  défendu,  il  peut  arriver  à  se  former  une  troupe  d'ensem- 
ble convenable,  et  mettre,  de  temps  à  autre,  la  main  sur  des  spec- 
tacles intéressants.  Il  y  a  là  un  débouché  de  plus  pour  les  jeunes 
auteurs  et  les  jeunes  artistes,  et  il  y  a  aussi  une  concurrence  directe 
et  intéressante  au  café-concert,  contre  l'envahissement  duquel  on  a 
tant  et  si  justement  réclamé.  Je  crois  donc  qu'on  devrait  s'occuper 
de  l'idée,  au  lieu  de  se  montrer  si  indifférent. 

Le  succès  de  la  prem^ière  soirée  semble  avoir  été  pour  l'Heure  du 
berger,   une  aimable  pantomime  de  M.  Piazza,  pour  laquelle  M.  G. 


Paulin  a  écrit  une  parlitionnette  gracieuse.  La  comédie  de  M.  Ghamp- 
vert,  qui  met  en  scène  l'hisloire  des  fameux  mariés  de  Monlro«ge, 
n'est  point  sans  qualités  ;  nous  attendrons,  pour  le  juger,  que  l'auleur 
s_e^  trouve  en  face  d'un  sujet  plus  original.  La  troupe  actuelle  du 
Théâtre  Moderne  a'besoin  de  se  sentir  les  coudes  davantage  et, 
surtout, _de  jouer  moins  tristement. 

Paul-Émile  Chevalier. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

V 

(Suite.) 

Enfin  elle  parut,  cette  Cendrillon  tant  désirée,  tant  attendue,  et  ce 
fut  bien  pis  après  qu'avant,  et  le  succès  tourna  à  la  folie,  etftout 
Paris  s'en  montra  coiffé,  ainsi  qu'on  peut  s'en  rendre  compte  par-la 
boutade  que  voici  ; 

Les  débuts  de  mesdemoiselles  Regnault  et  Alexandrine  Saint-Aubin  ont 
commencé  à  remettre  l'Opéra-Comique  en  vogue  :  Cendrillon  lui  a  rendu 
ses  plus  beaux  jours.  Tout  Paris  a  vu  Cendrillon;  on  est  accouru  des  pro- 
vinces voisines  pour  voir  Cendrillon;  soixaute-dix-huit  représentations  en 
moins  d'un  an  n'ont  pu  émousser  la  curiosité  publique  pour  Cendrillon; 
trois  cents  mille  francs  et  plus  ont  passé  dans  la  caisse  de  l'Opéra-Comique 
par  Cendrillon;  le  libraire  Vente  a  débité  deux  éditions  de  Cendrillon;  enfin 
le  nom  de  Cendrillon  a  volé  dans  toutes  les  bouches,  et  a  été  répété  bien  plus 
souvent  encore  qu'il  ne  l'est  dans  cette  phrase,  où  je  ne  l'ai  point  épargné. 

Le  succès  de  cette  pièce  ne  peut  se  comparer  qu'à  ceux  qu'obtinrent 
antérieurement  le  Mariage  de  Figaro,  Fancfion  la  vielleuse,  la  Famille  des  Inno- 
cents et  le  Pied  de  mouton,  tous  ouvrages  parvenus  victorieusement  aux  cent 
représentations  de  suite.  Les  bijoutiers  ont  inventé  des  bijoux  à  la  Cen- 
drillon ;  ils  ont  eu  presque  autant  de  succès  que  la  pièce  ;  les  dessinateurs 
ont  publié  plusieurs  portraits  de  M"°  Alexandrine  Saint-Aubin;  ils  ont 
trouvé  des  acheteurs,  quoiqu'ils  ressemblassent  presque  tous  à  des  carica- 
tures ;  les  marchands  de  musique  ont  fait  graver  la  partition,  les  airs  sépa- 
rés de  la  pièce  ;  on  y  a  couru  comme  au  feu,  et  tous  les  orgues  de  Bar- 
barie répètent  actuellement  ce  refrain  devenu  populaire  :  Voilà  pmirquoi  l'on 
m'appelle  la  petite  Cendrillon;  Martinet  a  donné  les  costumes  de  mademoi- 
selle Alexandrine  Saint- Aubin  et  de  Juliet;  les  musards  de  la  rue  du  Coq 
ont  assiégé  plus  que  jamais  les  carreaux  de  sa  boutique;  enfin  tous  les 
théâtres,  à  l'exception  de  l'Académie  impériale  de  musique  et  de  la  Comé- 
die-Française (qui  avait  pourtant  dans  M"«  Mars  la  perle  des  Cendrillons,) 
ont  joué  des  imitations  de  cette  fameuse  pièce  ;  elles  ont  toutes  obtenu  du 
succès  ;  il  en  est  une  surtout  qui  semble  constituée  de  manière  à  subir 
aussi  vigoureusement  que  son  aînée  l'épreuve  des  cent  représentations. 

Quelques  bonnes  gens  qui  croient  pieusement  que  le  succès  d'une  pièce 
de  théâtre  tient  uniquement  à  son  mérite,  ont  soumis  celle  de  M.  Etienne 
à  une  critique  exacte,  et  ne  trouvant  point  dans  l'ouvrage  d'un  auteur  aussi 
distingué  par  son  talent  et  aussi  spirituel  autant  d'esprit,  de  gaieté,  de 
comique  et  d'originalité  qu'ils  l'espéraient,  entendant  répéter  aux  connais- 
seurs en  musique  que  celle  de  M.  Nicolo  était  d'une  faiblesse  excessive  et 
n'avait  point  de  couleur,  ils  sont  demeurés  stupéfaits  en  considérant  la 
prodigieuse  réussite  de  Cendrillon. 

Bonnes  gens  !  bonnes  gens  !  eh  !  ne  voyez-vous  pas  qu'un  acteur  qui  a  la  ' 
vogue  sufBt  pour  faire  courir  tout  Paris  quand  il  est  employé  d'une  ma- 
nière conforme  à  ses  moyens?  Que  sera-ce  si  la  même  pièce  présente  la 
réunion  de  trois  talens  généralement  chéris,  dont  deux  au  moins  sont  du 
premier  ordre? 

Que  l'on  a  montré  de  sagesse  en  confiant  les  rôles  des  deux  sœurs  à 
mesdames  Duret  et  Regnault  !  Elles  ne  chantent  pas  de  trop  bonne  musi- 
que à  la  vérité,  mais  cette  musique  paraît  excellente  tant  qu'elles  la  chan- 
tent. Joignez  à  cela  les  grâces  naïves  de  la  jeune  Saint-Aub-in,  sa  danse 
avec  le  tambour  de  basque  au  troisième  acte  de  cette  féerie,  en  voilà  plus 
qu'il  n'en  faut  pour  expliquer  un  succès  que  vous  trouvez  inouï  (i). 

Ce  succès  de  Cendrillon,  dont  on  peut  se  faire  une  idée  par  ces 
lignes  ironiques,  et  qui  était  dû  pour  beaucoup  à  riulerprélation 
féminine  et  surtout  à  la  présence  de  la  jeune  Saint-Aubin,  se  pro- 
longea pendant  plus  de  cent  représentations;  c'était  un  fait  rare  à 
celte  époque,  particulièrement  à  l'Opéra-Comique.  Un  jour  pourtant, 
ou  plutôt  an  soir  d'été,  comme  l'ascension  d'un  ballon  de  Garnerin 
attirait  au  dehors  une  foule  immense  et  faisait  dans  les  salles  de 
spectacle  un  vide  fâcheux  pour  la  recette,  le  vieux  régisseur  Came- 
rani.  qui  était  monté  avec  quelques-uns  de  ses  camarades  sur  le 
faite  du  théâtre  pour  voir  le  fameux  aéronaute,  s'écria  avec  dépit, 
dans  son  langage  comique  :  —  «  Ces  fissous  Parisiens,  que  s'en  vont 
voir  ce  moussu  dans  son  panier  à  salade,  et  qui  laissent  là  neutre 
Saint-Aubin,  oune  çarmante  petite  fille,  et  zolie  comme  oune  anze  ! 

{IJ  Opinion  rf«  parterre,  1811. 


LE  MENESTREL 


60 


Perche  ?  Parce  qu'elle  a  zoué  cent  fois  la  même  soze  !  G'est-y  oune 
raison,  ça  !  (1)  » 

VII 

La  carrière  des  deux  sœurs  se  poursuivit  parallèlement  pendant 
quelques  années,  tandis  que  leur  père  lui-même  terminait  la  sienne 
sur  ce  théâtre  de  l'Opéra-Gomique,  où  la  famille  avait  pris  pied 
depuis  si  longtemps  et  où  chacun  de  ses  membres  s'était  toujours 
vu  bien  accueilli.  Non  plus  pour  l'une  que  pour  l'autre  cependant 
elle  ne  devait  beaucoup  se  prolonger,  car  des  raisons  de  sauté 
mirent  M""  Duret  dans  l'obligation  de  se  retirer  en  d820,  et  dès 
1817  Alexandrine,  devenue  M""  Joly,  avait,  pour  d'autres  motifs, 
quitté  prématurément  la  scène  (2). 

Si  l'existence  artistique  de  M°"=  Duret  ne  dépassa  pas  douze  an- 
nées, on  peut  dire  du  moins  qu'elle  fut  bien  remplie  et  fort  active. 
Cantatrice  véritablement  remarquable,  à  la  voix  étendue  et  souple, 
aux  sons  bien  posés,  à  la  vocalisation  brillante  et  hardie,  elle  avait 
été  distinguée  par  Nicolo,  dont  elle  était  devenue  l'interprète  favo- 
rite, et  elle  fut  aiguillonnée  par  le  voisinage  d'une  autre  artiste  d'un 
talent  exceptionnel  aussi,  M"'=  Regnault  (plus  tard  M"»  Lemonnier), 
qui  avait  débuté  peu  de  temps  après  elle  et  qui,  de  son  côté,  avait 
conquis  toutes  les  bonnes  grâces  de  Boieldieu  revenant  de  Russie. 
La  rivalité  qui,  dès  le  retour  de  Boieldieu  à  Paris,  s'établit  entre 
les  deux  compositeurs,  se  doublait  de  celle  des  deux  cantatrices,  et 
les  mauvaises  langues  assuraient  même  que  l'intérêt  que  ceux-là 
portaient  à  celles-ci  n'était  pas  aussi...  désintéressé  qu'on  eût  pu  le 
croire.  Bref,  tandis  que  Nicolo  écrivait  spécialement  pour  M"'"  Duret 
les  rôles  principaux  de  Lully  et  Qidiiault,  du  Billet  de  loterie,  de  Jeannot 
et  Colin,  du  Magicien  sans  magie,  Boieldieu  confiait  à  M"''  Regnault 
ceux  de  Jean  de  Paris,  de  la  Jeune  Femme  colère,  du  Nouveau  Seigneur 
de  village,  de  la  Fête  du  village  voisin...  Cette  lutte  directe  et  courtoise 
des  deux  grands  artistes,  secondés  par  leurs  interprètes,  fut  loin 
d'être  sans  profit  pour  eux,  pour  l'art  et  pour  le  public  :  Boieldieu 
et  Nicolo  y  virent  certainement  grandir  leur  talent,  en  même  temps 
que  M"""  Duret  et  M"=  Regnault  faisaient,  de  leur  côté,  tous  leurs 
efforts  pour  conquérir,  chacune  à  leur  avantage,  les  suffrages  du 
public. 

Parmi  les  autres  ouvrages  dans  lesquels  M""^  Duret  créa  des  rôles 
importants,  je  citerai  encore  Ciinarosa,  la  Dupe  de  son  art,  l'Intrigue 
au  sérail,  Rien  de  trop,  le  Charme  de  la  voix,  la  Victime  des  arts,  l'Homme 
sans  façons,  les  Aubergistes  de  qualité,  les  Deux  Maris.  Quant  à  ceux 
qu'elle  reprit,  pour  la  plupart  avec  grand  succès,  on  peut  signaler 
surtout  Félix,  Sylvain,  l'Amitié  à  l'épreuve,  Zémire  et  Azor,  Palma,  l'Au- 

(Ij  Un  type,  ce  Camerani,  qu'il  serait  biea  curieux  de  faire  revivre,  et  qui  était, 
on  peut  le  dire,  l'une  des  colonnes  les  plus  solides  du  théâtre,  auquel  il  appar- 
tenait alors  depuis  quarante-quatre  ami  II  avait,  venant  de  Venise,  sou  pays 
débuté  en  1767  à  la  Comédie-Italienne,  dans  les  Soapins  du  répertoire  italien.' 
Reçu  sociétaire  en  1769,  la  disparition  successive  de  presque  toutes  les  pièces 
italiennes  avait  fini  par  le  laisser  à  peu  près  sans  emploi,  lorsqu'en  Î780  ses  cama- 
rades eurent  l'idée  d'utiliser  les  rares  qualités  administratives  dont  il  avait  donné 
des  preuves.  On  lui  proposa  donc  de  renoncer  à  la  scène  tout  en  conservant  sa 
situation  de  sociétaire  et  de  prendre  les  fonctions,  créées  pour  lui,  de  semainier 
perpétuel,  équivalentes  en  quelque  sorte  à  celles  d'administrateur  général.  Il  les 
conserva  jusqu'au  24  avril  1816,  époque  de  sa  mort,  ayant  accompli  presque  un 
demi-siècle  de  service  à  la  Comédie-Italienne,  devenue  l'Opéra-Comique.  Tout 
ensemble  bourru,  grognon,  probe  et  intelligent,  il  était  devenu,  grâce  à  ses  répar- 
ties singulières,  exprimées  dans  un  baragouin  franco-italien  d'une  saveur  étrange, 
une  des  célébrités  et  des  curiosités  excentriques  du  Paris  artistique.  On  citait  de 
lui  une  foule  de  mots  cocasses.  On  raconte,  entre  autres,  qu'un  jour,  allant  chez 
le  caissier  pour  savoir  à  quel  chiffre  se  monteiait  la  part  de  sociétaire  pour  le 
mois  fini  de  la  veille,  il  apprend  que  la  caisse  est  à  sec  en  ce  moment,  l'agent  des 
auteurs  l'ayant  vidée  au  profit  de  ses  commettants.  Furieux  à  cette  nouvelle 
Camerani  monte  alors  au  foyer,  oii  le  comité  était  en  séance,  entre  comme  une 
bombe  et  s'écrie  tout  haletant,  dans  son  jargon  ordinaire  :  —  «i  Mes  amis,  ces  au- 
tours, ils  sont  des  misérables  !  Ils  ont  pris  tout  l'arzent,  tout  !  si  bien  qu'il  ne  reste 
plus  rien  I  Zé  vous  l'ai  déza  dit  :  tant  que  vous  soufîrirez  des  autours  dans  votre 
théâtre,  zamais  la  massine  elle  ne  pourra  marcer  !  <> 

(2)  C'est  en  1812  qu'Alexandrine  Saint-Aubin  épousa  un  excellent  acteur  du 
Vaudeville,  Joly,  dont  le  talent  égalait  la  réputation.  Beaucoup  plus  âgé  qu'elle, 
celui-ci  était  né  en  1769  et  avait  d'abord  embrassé  la  carrière  des  armes;  mais 
ayant  élé  gravement  blessé  lors  d'une  des  premières  campagnes  de  la  Révolution, 
il  quitta  le  service  et  prit  le  lliéâtre,  oii  il  connut  de  brillants  succès.  Après  plu- 
sieurs années  passées  au  Vaudeville,  il  fit  partie  de  la  troupe  des  Nouveautés, 
pour  rentrer  plus  tard  au  Vaudeville,  où  le  public  l'avait  en  grande  atlection. 
Joly  n'était  pas  seulement  un  excellent  comédien;  c'était  un  artiste  distingué 
en  divers  genres:  dessinateur  remarquable,  surtout  dans  la  forme  de  la  caricature, 
écrivain  à  ses  heures  (il  donna  en  1827,  aux  Nouveautés,  une  pièce  en  trois  ta- 
bleaux intitulée  Parh  et  Londres),  il  était  aussi  mécanicien  habile  et  en  donna  la 
preuve  en  montant,  à  l'époque  de  sa  retraite,  un  petit  théâtre  pour  les  entants. 
On  citait  surtout  la  façon  remarquable  dont  il  avait  créé  les  rôles  principaux  de 
certaines  pièces  fameuses  alors  :  les  Deux  Edmond,  Gaspard  l'avisé,  Lantara.  Joly 
mourut  au  mois  de  novembre  1839,  à  Lormes  (Nièvre),  dans  une  propriété  où  il 
s'était  retiré  avec  sa  femme. 


berge  de  Bagnères.  Mais  si  M""  Duret  brillait  incontestablement  au 
premier  rang  comme  cantatrice,  il  n'en  était  pas  tout  à  fait  de  même 
en  ce  qui  concerne  les  qualités  scéniques  proprement  dites,  et  on 
le  remarquait  volontiers  en  un  temps  où  le  public  de  l'Opéra-Comique 
se  montrait,  sous  ce  rapport,  beaucoup  plus  exigeant  qu'il  ne  l'est 
aujourd'hui.  Cela  tenait,  d'une  part,  à  une  timidité  extrême  et  à  une 
trop  grande  défiance  de  ses  qualités  naturelles,  de  l'autre  au  peu 
de  goût  qu'elle  avait,  dit-on,  pour  une  profession  qu'elle  n'aurait 
embrassée  que  par  déférence  pour  les  désirs  des  siens.  Les  critiques 
contemporains  sont  unanimes  à  cet  égard,  et  on  peut  les  en  croire, 
car  aucun  ne  cesse  d'être  sympathique  à  cette  artiste  d'ailleurs  fort 
distinguée.  «  Comme  actrice,  disait  l'un  d'eux,  elle  a  laissé  beaucoup 
à  désirer.  Une  extrême  timidité  qu'elle  n'a  jamais  pu  vaincre  nuisit 
beaucoup  à  ses  moyens  et  lui  donnait  un  air  embarrassé.  Pourtant  son 
débit,  quoique  généralement  froid,  ne  laissait  pas  d'être  juste  (1)...  » 
iA  suivre.)  Arthur  Pougin. 


UN  CURIEUX  AUTOGRAPHE  D'AUBER 


Ni  l'étis,  ni  Jouvin  n'ont  pu  indiquer  avec  exactitude  l'époque  où  Auber 
lit  ses  études  de  contrepoint  et  de  fugue  avec  Gherubini.  Le  volume 
qui  aurait  pu  les  renseigner  à  cet  égard  était  entre  les  mains  d'Auber 
lui-même,  qui  ne  le  communiquait  pas.  C'est  le  cahier  même  qui 
contenait  tous  ses  devoirs  de  cette  époque. 

Ce  n'est  donc  qu'après  sa  mort,  quand  on  vendit  son  mobilier  à  l'Hôtel 
Drouot,  que  j'ai  pu  apercevoir  ce  fameux  volume  vert,  in-4»  oblong.  Je 
l'avais  ajouté  à  un  lot  de  vieille  musique  sans  grande  valeur,  et  on  allait 
me  l'adjuger  pour  la  somme  de  4  fr.  SO  c,  quand  un  M.  Durand,  joueur 
célèbre  dans  les  cercles,  se  mit  à  surenchérir.  Ce  Durand  suivait  volontiers 
les  ventes,  et  il  achetait  les  volumes  ou  la  musique  qu'il  voyait  poussés 
par  des  connaisseurs,  convaincu  que  cela  ne  pouvait  être  une  mauvaise 
acquisition. 

Je  sentis  bien  que  je  ne  pourrais  soutenir  la  lutte  avec  un  partenaire 
beaucoup  plus  en  fonJs  que  moi:  on  lui  adjugea  donc  le  volume  pour 
85  francs,  au  grand  étonnement  de  la  galerie,  qui  ne  pouvait  s'expliquer 
mon  acharnement  pour  des  bouquins  qui  semblaient  dignes  de  la  boite 
aux  ordures.  Il  est  vrai  que  le  M.  Durand  ne  s'en  doutait  pas  davantage. 

Quelques  mois  après  cette  vente,  le  célèbre  joueur,  qui  ne  trouvait 
jamais  le  temps  d'examiner  ses  achats  et  qui  les  entassait  tout  simplement 
les  uns  sur  les  autres  (ce  que  je  savais)  vint  à  mourir  à  son  tour.  On  vendit 
sa  bibliothèque  à  l'Hôtel  Drouot.  Je  ne  manquai  pas  de  m'y  trouver;  mais 
cette  fois,  pour  ne  pas  donnei-  l'éveil  à  d'autres  amateurs  qui  se  trouvaient 
là,  entre  autres  mon  ami  Marmontel,  je  laissais  adjuger  à  19  francs  sans 
rien  dire,  un  immense  tas  de  musique  de  piano,  polkas,  valses,  contre- 
danses, au  milieu  desquelles  j'avais  vu  dégringoler  le  bienheureux  volume 
vert  :  c'était  un  brocanteur  qui  en  était  l'adjudicataire.  La  vente  finie, 
j'offris  cent  sous  au  brocanteur  pour  le  volume  en  question,  il  l'ouvrit,  le 
feuilleta  un  instant,  puis  me  le  remit  avec  une  satisfaction  visible  :  il  ne 
se  doutait  pas  de  la  mienne. 

Après  avoir  gardé  ce  trésor  dans  ma  bibliothèque  pendant  plus  de  vingt 
ans,  je  me  suis  décidé  à  l'offrir  au  Conservatoire,  sa  vraie  place. 

J.-B.  Weckerlin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  La  symphonie  de  Raff,  Dans  la  Forêt,  ne 
dénote  pas  une  très  puissante  originalité  dans  la  forme  mélodique.  Assez 
souvent,  l'auteur  se  laisse  hypnotiser  par  une  formule  connue  et  la  ressassé 
à  plaisir;  d'autres  fois,  il  fait  siennes  des  mélodies  dont  l'invention  appar- 
tient à  d'autres.  L'exemple  le  plus  frappant  se  rencontre  dans  l'Andante, 
dont  le  début  reproduit  le  motif  de  la  Damnation  de  Faust  :  Bientôt,  soiisun 
voile  d'or  et  d'azur...  et  dont  un  autre  passage  fait  songer  à  Lohengrin.  Ce 
qui  reste  en  propre  à  Rafî,  c'est  la  grande  phrase  enveloppante,  très  une 
dans  sa  tonalité,  qui  enserre  la  Chasse  fantastique  et  forme  l'entrée  et  la 
péroraison  du  finale.  "Ce  qui  est  encore  bien  à  lui,  c'est  la  richesse  du 
coloris  orchestral  et  la  facture  libre,  hautaine,  altière  de  l'ensemble.  — Le 
concerto  de  Bach  (n"  S),  pour  clavecin,  flûte,  violon  et  orchestre,  renferme 
un  premier  morceau  superbe,  un  bel  Adagio  et  un  finale  auquel  son 
rythme  à  six-huit  enlève  l'attrait  de  la  nouveauté.  Le  jeu  d'une  irrépro- 
chable netteté  de  M.  Diémer,  son  mécanisme  littéralement  impeccable  et 
le  charme  des  sonorités  qu'il  obtient  dans  la  demi-teinte,  lui  assurent  une 
place  à  part  parmi  les  pianistes,  notamment  parmi  ceux  qui  exécutent 
la  musique  de  Bach;  aussi  a-t-il  rencontré  une  approbation  aussi  écla- 
tante qu'unanime,  surtout  après  la  grande  cadence  du  premier  morceau, 
qu'il  a  magistralement  rendue.  MM.  Cantié  et  Pennequin  ont  été  juste- 
ment associés  à  son  succès.  Il  a  fait  entendre  à  la  fin  du  concert  une 
Fantaisie  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Périlhou.    —   Le   concerto  pour 


(1)  Bilnographie  portative  et  i 


rselle  des  Conlempo 


70 


LE  MÉNESTREL 


violoncelle  de  M.  Saint-Saëns,  écrit  depuis  une  vingtaine  d"années,  a  été 
rendu  par  M.  Delsart  avec  une  belle  qualité  de  son,  beaucoup  d'aisance 
dans  les  passages  de  virtuosité,  beaucoup  d'expression  et  un  style  d'une 
correction  parfaite.  L'œuvre  est  toujours  intéressante,  bien  mélodique  et 
agrémentée  de  jolies  combinaisons  rythmiques.  Parfois  l'instrument  est 
employé  à  l'exécution  de  traits  rapides  et  prolongés,  qui  semblent  peu 
d'accord  avec  le  caractère  plutôt  grave  de  sa  sonorité,  mais  auxquels  il 
peut  être  utile  de  faire  une  place  dans  un  concerto.  Le  programme  com- 
prenait encore  la  superbe  ouverture  de  Coriolan,  deux  fragments  de  Lohen- 
grin.  Dernier  Printemps,  de  M.  Grieg,  et  les  ravissants  airs  de  danse  du  Roi 
s'amuse,  de  Léo  Delibes,  Gaillarde,  Scène  du  Bouquet,  Madrigal,  Passepied,  qui 
ont  obtenu  leur  succès  habituel  et  dont  le  dernier  a  été  bissé. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Le  morceau  de  début  du  16°  concert  de  M.  La- 
moureux  était  la  belle  ouverture  de  Coriolan  do  Beethoven,  dont  l'exécution 
a  été  excellente;  nous  n'en  dirons  pas  autant  de  l'allégretto  de  la  8"  sym- 
phonie, qui  a  été  dit  mollement  et  sans  la  délicatesse  de  touche  que  ce 
morceau  exige.  Il  perd  d'ailleurs  à  être  dégagé  du  reste  de  l'œuvre  ;  c'est  la 
première  fois  que,  dans  un  concert  sérieux,  nous  entendons  donner  des  sym- 
phonies de  Beethoven  au  détail.  — M.  Kalisch  aune  belle  voix,  une  grande 
franchise  de  diction  :  on  l'écouterait  avec  plaisir,  n'était  ce  langage  germa- 
nique que  l'on  n'entend  qu'aux  concerts  Lamoureux,  qui  n'a  rien  d'abso- 
lument musical,  et  qui,  lorsque  la  phrase  est  précipitée,  donne  l'illusion 
de  noix  secouées  dans  un  panier  à  salade.  L'effet  était  moins  saisissant 
dans  l'air  des  Maîfres  Chantturs  (Walthers  preislied),  qui  ne  manque  ni 
d'ampleur  ni  de  mélodie,  mais  très  sensible  dans  les  passages  un  peu  ra- 
pides du  grand  duo  de  Tristan  et  Yseull.  M.  Kalisch  et  M"'''  Lilli  Lehmann 
ont  déployé  beaucoup  de  talent  dans  cette  œuvre  qui  débute  avec  un  grand 
éclat,  mais  se  perd  peu  à  peu  dans  un  clair  obscur  sans  fin.  Quand  arrive 
l'explosion  finale,  on  se  sent  dégagé  d'un  grand  poids  en  songeant  que 
c'est  fini.  Nous  sommes  de  l'avis  de  notre  confrère  M.  Boutarel,  qui  estime 
que  cette  musique  gagnerait  beaucoup  à  être  jouée  dans  un  profond  sous- 
sol;  après  tout,  ceux  qui  sont  imbus  de  l'esprit  français,  fait  de  clarté  et 
amoureux  des  formes  arrêtées,  ne  sont  pas  faits,  peut-être,  pour  apprécier 
une  musique  qui  relève  d'un  tempérament  tout  autre;  rien  ne  ressemble 
moins  à  l'esprit  des  races  latines  que  l'esprit  des  races  germaniques.  Mais 
ces  considérations  nous  emporteraient  trop  loin,.  —  M™=  Lilli  Lehmann 
était  plus  en  voix  que  le  premier  jour  où  nous  l'avons  entendue;  elle  a, 
dans  les  registres  supérieurs,  une  série  de  notes  magnifiques  auxquelles  ne 
répondent  pas  malheureusement  celles  du  registre  inférieur.  Elle  n'a  pas 
dit  [l'air  de  l'Enlèvemenl  au  Sérail,  de  Mozart,  avec  l'accent  doucement  péné- 
trant que  demande  la  musique  de  ce  maître,  mais  elle  a  donné  aux  notes 
presque  toujours  élevées  de  ce  morceau  un  éclat  extraordinaire. —  Notons, 
pour  finir,  une  exécution  très  satisfaisante  du  Phaéton  de  M.  Saint-Saëns  et 
de  la  Rapsodie  norvégienne  de  M.  Lalo.  Ces  œuvres  claires,  bien  conduites, 
pleines  de  mélodie,  semblaient  là  pour  prouver  que  nous  savons  faire  aussi 
bien,  sinon  mieux  que  les  compositeurs  d'outre-Rhin.  H.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Grande  messe  en  si  mineur  (J.-S.  Bach),  soli  par  M'""  Lépine, 

Boidin-Puisais,  Landi,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez.  Le  concert  sera  dirigé  par 
J.  Garcin. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  fantastique  (H.  Berlioz);  suite  en  si  mi- 
neur (Bach)  ;  le  Chasseur  maudit  (César  Franck)  ;  fragment  de  Sier/fried  (R.  Wagner)  ; 
le  Rouet  d'Om.phale  (  Saint-Saëns)  ;  les  Eiinnyes  ( J .  Massenet) . 

Cirque  des  Ctamps-Élysées,  concert  Lamoureux  ;  Ouverture  de  Sakountnla 
(Goldmark);  symphonie  en  mi  bémol  (R.  Schumanu)  ;  concerto  en  la  pour  le 
violon  (Saint-Saëns),  exécuté  par  M.  Rivarde;  Paysatjeel  Ronde  lnntasliqne{E.  Ber- 
nard); fra,jments  des  Maitres  Chanteurs  (R.  "Wagner);  Rapsodie  norvégienne  (Lalo). 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  La  Société  des  instruments  à  vent 
vient  de  reprendre  ses  belles  séances.  A  la  première,  qui  a  eu  lieu  jeudi, 
on  a  entendu  un  divertissement  de  M.  A.  Périîhou,  le  très  habile  organiste 
de  Saint-Séverin.Ce  divertisement  est  formé  d'une  série  de  courts  morceaux, 
reliés  par  un  thème  unique,  très  simples  de  lignes  et  d'une  sonorité  char- 
mante. M.  Périîhou,  élève  de  Saint-Saëns,  tient  de  ce  maître  éminent 
l'élégance  de  la  forme  et  la  clarté  de  l'écriture.  Son  œuvre,  supérieure- 
ment exécutée,  —  il  est  inutile  de  l'affirmer  —  a  été  accueillie  avec  une 
faveur  marquée.  Le  sextuor  de  M.  Thuille,  dont  on  a  parlé  ici  même 
l'année  dernière,  a  produit  une  agréable  impression.  MM.  Taffanel  et 
Diémer  ont  dit  d'une  façon  tout  à  fait  merveilleuse  une  des  intéressantes 
sonates  pour  flûte  piano  de  Bach,  et  MM.  Gillet,  Longy  et  Bas  se  sont  fait 
vigoureusement  applaudir  après  la  charmante  interprétation  du  trio  pour 
deux  hautbois  et  cor  anglais,  œuvre  de  jeunesse  de  Beethoven.  —  M.  J. 
Stojowski,  un  jeune  pianiste  et  compositeur,  sorti  avec  deux  brillants  prix 
de  fugue  et  de  piano  du  Conservatoire,  vient  de  donner,  chez  Érard,  un 
concert  pour  l'audition  de  ses  œuvres.  Au  programme  se  trouvaient  ins- 
crits un  concerto  pour  piano  et  orchestre,  des  pièces  pour  piano  seul,  deux 
mélodies  et  deux  fragments  d'une  Suite  pour  orchestre.  Toutes  ces  œuvres 
révèlent  une  nature  d'artiste  délicat  et  cherchant  du  nouveau,  mais  sont 
d'une  tendance  trop  marquée  au  mièvre,  au  précieux.  Chopin  et  Liszt 
semblent  être  les  modèles  que  M.  Stojowski  affectionne  particulièrement,  et 
ceci  frappe  surtout  dans  les  deux  premières  parties  du  concerto.  Le  finale 
1res  remarquable  de  cette  œuvre  est,  je  crois  bien,  ce  que  le  jeune  artiste 
a  produit  de  plus  personnel.  —  La  sixième  séance  de  MM.  Lefort,  Guidé, 
Giannini  et  Casella,  avec  le  concours  de  l'excellente  pianiste  M"""  .Tacquard, 


a  été  des  plus  réussies.  Ou  y  a  entendu  un  trio  do  Schubert  et  le  dixième 
quatuor  de  Beethoven.  M.  "Warmbrodt  a  dit  avec  une  grande  sûreté  musicale 
une  mélodie  de  M.  Boellmann,  la  Rime  et  l'Épée,  dont  le  caractère  franc  et 
vigoureux  a  fait  plaisir.  —  Il  est  presque  impossible  de  parler  de  tous  les 
concerts  de  solistes  qui  ont  lieu  en  ce  moment.  Il  faut  cependant  dire  un 
mot  d'un  récital  donné  par  M.  S.  Riera,  élève  de  M.  Ch.  de  Bériot,  qui  a 
su  soutenir  avec  talent  et  vaillance  un  programme  long  et  difficile,  où  se 
lisaient  les  noms  de  Beethoven,  Schumann,  Chopin,  Liszt,  Rubinslein  et 
Saint-Saëns.  I.  Phiupp. 

—  Mercredi  dernier  a  eu  lieu,  salle  Pleyel,  le  premier  des  quatre  con- 
certs de  musique  classique  qui  doivent  être  donnés  par  M""'  George  HainI, 
MM.  Marsick  et  Loys,  avec  le  concours  de  MM.  Brun  et  Laforge.  On  a  en- 
tendu le  quatuor  n»  10  de  Beethoven,  la  sonate  en  ré  pour  piano  et  violon- 
celle de  Rubinstein,  œuvre  bien  mélodique  dont  la  partie  de  piano  pré- 
sente un  attrait  tout  particulier,  enfin  le  trio  en  ut  mineur  de  Brahms. 
L'andante  de  ce  dernier  morceau,  présenté  sous  forme  de  dialogue  libre 
entre  le  violon  et  le  violoncelle  jouant  ensemble  et  alternant  avec  une 
partie  de  piano  délicieusement  écrite,  peut  passer  pour  un  pur  chef- 
d'œuvre.' Un  auditoire  très  chaleureux  a  fait  fête  aux  interprètes,  dont  les 
qualités  brillantes  s'unissent  pour  constituer  un  ensemble  homogène  et 
d'une  harmonie  parfaite.  Am.  B. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (^7  février).  —  En  attendant  la 
première  de  Don  Juan  à  la  Monnaie,  je  n'ai  que  des  nouvelles  de  concerts 
à  vous  donner.  Très  grand  succès  dimanche  dernier,  au  Conservatoire, 
pour  la  Symphonie  pastorale,  pour  VEgmont  et  pour  M"=  Dudlay,  qui,  outre 
les  récits  de  cette  dernière  œuvre,  a  dit  une  pièce  de  vers  inédite,  écrite 
par  M.  Jules  Guilliaume,  le  secrétaire  de  l'établissement,  et  l'un  de  nos 
littérateurs  depuis  longtemps  les  plus  appréciés.  Cette  pièce,  intitulée  Beetho- 
ven, est  d'une  îoHhette  allure,  et  le  sujet  en  est  vraiment  ingénieux. — Grand 
succès  également,  mardi,  pour  la  deuxième  séance  musicale  des  XX,  di- 
rigée, comme  la  première,  par  M.  Vincent  d'Indy,  et  consacrée  encore  à  la 
jeune  école  française.  La  plupart  des  noms  de  cette  école  figuraient  au 
programme,  avec  des  œuvres  de  caractère  varié,  vocales  et  instrumentales. 
Une  vraie  exposition  de  l'art  jeune,  d'un  très  vif  intérêt.  On  a  applaudi 
particulièrement  un  quatuor  inédit  de  M.  Vincent  d'Indy,  d'un  sentiment 
intense  et  très  original  ;  la  musique  de  scène  écrite  par  M.  Ernest  Chaus- 
son pour  la  Tempête,  le  drame  de  Shakespeare,  joué  récemment  à  Paris  sur 
le  théâtre  des  marionnetr.es  ;  des  chœurs  et  des  mélodies  pour  voix  de 
femmes,  de  MM.  Camille  Benoit,  Fauré,  Pierre  de  Bréville,  Tiersot  et  Vidal. 
On  a  entendu  aussi  une  transcription  pour  deux  pianos,  jouée  par  MM.  Vin- 
cent d'Indy  et  Octave  Meus,  du  poème  symphonique,  Lénore,  de  M.  Henri 
Duparc,  et  deux  Valses  romantiques  endiablées  de  M.  Emmanuel  Chabrier. 
L'exécution  de  tout  cela  a  été  tout  à  fait  remarquable.  —  Dimanche  pro- 
chain, le  deuxième  concert  populaire,  dirigé  par  M.  Joseph  Dupont,  sera 
consacré  à  la  musique  russe  contemporaine,  avec  M.  Padere'wski  comme 
soliste.  L.  S. 

—  Nouvelles  de  Londres. 

On  n'a  pas  oublié  que,  découragé  par  l'abstention  du  public,  sir  Charles 
Halle  avait  abandonné  la  seconde  moitié  de  sa  saison  de  concerts  à  Lon- 
dres. Ce  n'est  que  sur  les  instances  du  prince  et  de  la  princesse  de  Galles, 
qui  avaient  exprimé  le  désir  d'y  assister,  qu'un  dernier  concert  a  été 
décidé.  Ce  concert  a  eu  lieu  vendredi,  devant  une  salle  absolument  comble. 
Le  programme  n'offrait  nul  attrait  exceptionnel,  mais  il  était  devenu  de 
bon  ton  de  s'y  montrer,  et  la  badauderie  du  public  de  Londres  s'est  affirmée 
une  fois  de  plus.  On  ne  devrait  que  s'en  féliciter  cependant,  si  cela 
pouvait  entraîner  une  nouvelle  série  de  concerts  par  ce  superbe  orchestre 
de  Manchester  pendant  la  prochaine  saison  d'hiver. 

Le  public,  devenu  méfiant  à  l'égard  des  enfants  prodiges,  avait  com- 
mencé par  accueillir  le  jeune  violoncelliste  belge  Jean  Gerardy  avec  une 
certaine  réserve.  Mais  on  s'est  vite  aperçu  qu'on  se  trouvait  cette  fois-ci 
en  face  d'un  talent  sérieux,  d'un  véritable  tempérament  artistique,  et  le 
succès  n'a  fait  que  s'accentuer  à  chaque  nouvelle  audition.  Jean  (xerardy 
n'est  que  dans  sa  treizième  année,  et  cependant  il  joue  déjà  de  son  instru- 
ment d'une  façon  remarquable.  Joli  son.  exécution  brillante  et  facile,  du 
sentiment  et  du  style,  voilà  les  qualités  principales  de  ce  jeune  violon- 
celliste, qui  est  dès  à  présent  un  artiste.  Son  dernier  concert  nous  a  aussi 
fait  entendre  M.  Eugène  Oudin,  le  farouche  templier  d'Ivanhoé.  Cet  excel- 
lent chanteur  s'est  également  fait  applaudir  dans  le  Vallon,  de  Gounod,  et 
dans  deux  liedrr  de  Kjerulj. 

M.  Auguste  llarris  ne  tardera  sans  doute  pas  à  nous -faire  connaître  le 
programme  de  sa  prochaine  saison  d'opéra.  En  attendant,  on  lui  attribue 
déjà  l'intention  de  monter  Cavalleria  rusticana  et  Eliane,  un  opéra  inédit  de 
M.  Bemberg.  Je  voudrais  croire  que  ce  dernier  choix  n'est  pas  définitif  et 
que  M.  Harris,  qui  a  déjà  tant  fait  pour  le  répertoire  français  à  Londres, 
ne  laissera  pas  passer  cette  nouvelie  saison  sans  offrir  à  ses  habitués  une 
des  œuvres  typiques  de  l'école  moderne.  S'il  n'ose  pas  aborder  Salammbô 
ou  le  Mage,  pourquoi  ne  pas  s'arrêter  à  Samson  etDaliln.  qui  trouverait  dans 


LE  MENESTREL 


71 


M""  Richard,  Jean  de  Rezské  et  Lassalle  des  interprètes  dignes  de  l'œuvre? 
Une  reprise  qui  paraît  aussi  s'imposer  est  celle  de  Lakmé  avec  M™"  Melba. 
Il  est  temps  que  le  chef-d'œuvre  de  Delibes  prenne  la  place  qui  lui  revient 
au  répertoire.  ^-  "•  -N- 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  vient  de  représenter  sa  première  véritable 
nouveauté  de  la  saison  :  l'opéra  en  quatre  actes  et  un  prologue  de  M"»  Inge- 
borg  de  Bronsart,  ffifo-ne  (livret  de  MM.  Hans  de  Bronsart  etF.  Bodenstedt). 
L'œuvre  a  fait  une  excellente  impression  sur  le  public,  tant  par  le  carac- 
tère dramatique  du  livret  que  par  le  charme  de  la  partition,  à  laquelle 
pourtant  on  reproche  l'abus  de  formules  surannées. 

—  Un  chef  d'orchestre  qui  dirige  une  représentation  sur  le  sommet 
d'une  montagne  est  une  rareté  digne  d'être  signalée.  L'empereur  d'Alle- 
magne, lui-même,  a  été  témoin  du  fait  pendant  son  récent  séjour  au 
château  de  Blankenburg,  où  il  était  l'hôte  du  prince  régent  de  Brunswick. 
Plusieurs  représentations  théâtrales  ont  été  données  dans  la  salle  de 
spectacle  du  château  en  l'honneur  du  souverain.  Les  spectateurs  ont  été 
émerveillés,  paraît-il,  du  luxe  et  de  l'élégance  de  cette  salle,  mais  ce  qui 
les  a  le  plus  particulièrement  frappés,  c'est  la  vue  d'un  fragment  de 
roche  émergeant  du  milieu  de  l'orchestre  des  musiciens.  C'était  la  pointe 
extrême  de  la  montagne  Blankenstein,  sur  laquelle  a  été  érigé  le  château 
de  Blankenburg.  A  cause  de  sa  conformation  spéciale  et  de  sa  position 
dans  la  salle,  on  avait  utilisé  cette  pointe  comme  siège  pour  le  chef 
d'orchestre.  Qu'il  devait  donc  y  être  à  son  aise  ! 

—  On  a  exécuté  pour  la  première  fois  à  Leipzig  une  composition  nou- 
velle importante  de  M.  Félix  Draeseke,  Colombus  (Christophe  Colomb),  pour 
chœurs  et  orchestre.  C'est  le  Pauliner-Gesangverein,  société  dirigée  par 
M.  Kretzschmer,  qui  a  eu  la  primeur  de  cet  ouvrage.  M.  Félix  Draeseke, 
qui  est  un  artiste  d'un  talent  éprouvé,  met  en  ce  moment  la  main  à  une 
autre  œuvre  importante,  une  chanson  en  ut  dièse  mineur,  aussi  pour 
chœurs  et  orchestre. 

—  Nous  annonçons  plus  loin  la  mort  imprévue  de  M"'  Joséphine  de 
Reszké,  sœur  des  deux  chanteurs  de  ce  nom.  On  télégraphie  de  Saint- 
Pétersbourg  qu'en  considération  du  deuil  qui  les  frappe  d'une  façon  aussi 
soudaine,  la  direction  des  théâtres  impériaux  a  immédiatement  résilié 
l'engagement  des  frères  de  Reszké  jusqu'à  la  fin  de  la  saison.  Les  deux 
frères  ont  appris  la  triste  nouvelle  au  moment  où  ils  allaient  entrer  en 
scène. 

—  A  la  Scala,  de  Milan,  a  eu  lieu  la  première  représentation  du  nouvel 
opéra  de  M.  Carlos  Gomes,  Condor,  que  nous  annoncions  récemment  et  qui 
était  attendu  avec  une  certaine  impatience  par  le  public,  toujours  très  sym- 
pathique à  l'auteur  de  Guarany.  L'ouvrage  n'a  pas  tenu  ce  qu'on  s'en  pro- 
mettait d'avance,  et  cela,  il  faut  le  dire,  beaucoup  par  la  faute  du  livret, 
qui  n'offre  ni  chaleur  ni  intérêt,  et  dont  l'insuffisance  a  certainement  nui 
à  l'inspiration  du  compositeur.  Condor  a  été  accueilli  par  les  spectateurs 
avec  courtoisie,  écouté  avec  attention,  mais  il  est  facile  de  voir  qu'il  n'y 
a  pas  là  le  succès  qu'on  avait  espéré. 

—  Au  théâtre  Quirino,  de  Rome,  apparition  de  l'adorable  ballet  du 
regretté  Léo  Delibes,  Coppélia,  avec  la  charmante  danseuse  Virginia  Zucchi 
dans  le  rôle  principal.  L'ouvrage,  fort  bien  monté  sous  tous  les  rapports, 
a  obtenu  un  grand  succès.  L'Italie  le  constate  en  disant  :  «  Coppélia  est  un 
spectacle  pour  les  personnes  de  goût,  comme  nous  en  avons  rarement  dans 
les  principaux  théâtres;  nous  avons  remarqué  dans  les  loges  plusieurs 
dames  de  la  meilleure  société  qui  n'ont  pas  l'habitude  d'aller  au  Quirino. 
Gela  prouve  encore  une  fois  qu'il  dépend  toujours  de  l'imprésario  d'avoir 
un  public  d'élite,  qui  ne  manque  jamais  aux  bons  spectacles.  » 

—  Vif  succès  à  Rome,  au  théâtre  Rossini,  pour  une  nouvelle  opérette 
eu  dialecte  romanesque,  Gheianaccio,  paroles  de  MM.  Sabatini  et  Zanazzo, 
musique  de  M.  Zuccani ,  musique  gaie,  allègre  et  parfaitement  adaptée 
au  sujet,  dit  l'Italie. 

—  Un  chanteur  distingué,  le  baryton  Franceschetti,  a  donné  récemment 
à  Rome  un  concert  de  musique  ancienne,  du  XV!!"!  et  du  XVIII=  siècle, 
qui  a  obtenu  un'  grand  succès.  Au  programme  une  villanelle  d'Andréa 
Falconieri,  une  chanson  de  Barbara  Strozzi  ;  Amor  dormiglione,  un  air 
bouffe  de  Farinelli  (le  Carlo  Broschi  de  la  Part  du  Diable),  une  canzonetta 
de  Domenico  Visconti,  une  sonate  pour  violon  de  Veracini,  exécutée  par 
M.  Furino,  etc. 

—  Chose  assez  singulière  !  les  Huguenots  de  Meyerbeer  n'ont  jamais  été 
joués  encore  à  Gatane.  Ils  vont  paraître  pour  la  première  fois,  un  de  ces 
jours  prochains,  au  théâtre  Bellini  de  cette  ville. 

—  Au  Théâtre-Royal  de  Madrid  a  eu  lieu,  le  18  février,  la  première  re- 
présentation d'un  opéra  nouveau,  Irène  Otranto,  dû  à  un  compositeur  espa- 
gnol, M.  Serrano.  Le  succès  paraît  avoir  été  très  grand  pour  l'œuvre,  que 
l'on  dit  d'un  caractère  très  mélodique,  et  pour  ses  interprètes,  M"^''  Tetraz- 
zini  et  Guercia,  MM.  Lucignani,  Tabuyo  et  Borucchia. 

—  On  assure  que  les  fameux  entrepreneurs  Abbey  et  Grau  ont  déjà  con- 
clu les  engagements  suivants  pour  la  grande  campagne  d'opéra  français  et 
italien  qu'ils  doivent  faire  à  New-York  pendant  la  saison  1891-92:  M"^'' Melba, 
Marie  Van  Zandt,  Renée  Richard,  Amélia  Stahl  et  les  sœurs  Ravogli, 
MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké  et  Lassalle. 

—  Les  journaux  étrangers  sont  remplis  de  détails  au  sujet  de  miss,  ou 
plutôt  misstress  Abbolt,  la  fameuse  cantatrice  américaine  dont  nous  annon- 


cions récemment  la  mort.  Fille  d'un  pauvre,  très  pauvre  musicien  de 
Chicago,  Emma  Abbott  était  née  dans  cette  ville  en  18S0.  Son  enfance 
s'était  écoulée  dans  les  plus  dures  privations.  Dès  l'âge  de  huit  ans,  elle 
donnait  des  sortes  de  petits  concerts  de  chant  et  de  guitare,  en  compagnie 
de  son  frère  Georges,  pianiste  modeste,  dans  les  petits  pays  du  Wild  West. 
A  seize  ans,  lassée  de  cette  existence,  elle  se  faisait  institutrice  élémen- 
taire, puis  bientôl.,  ne  se  sentant  pas  une  vocation  assez  robuste  pour 
continuer  indéfiniment  à  enseigner  l'alphabet  aux  enfants,  elle  s'engagea 
dans  une  troupe  de  chanteurs  nomades,  qui  ne  tarda  pas  à  se  trouver  en 
plan  dans  une  ville  du  Michigan.  Douée  d'une  rare  énergie,  la  jeune 
Emma  Abbott  réunit  trois  de  ses  camarades  avec  lesquels  elle  entreprit 
de  se  rendre  à  New-York  en  donnant,  dans  chaque  ville  ou  village  du 
parcours,  des  concerts  dont  le  produit  leur  permettait  de  ne  pas  mourir 
de  faim.  Arrivée  à  New-York,  elle  eut  la  chance  de  voir  une  cantatrice 
alors  célèbre,  miss  Clara  Kellogg,  s'intéresser  à  elle  et  lui  faire  apprendre 
le  chant  à  ses  frais.  Elle  fut  ensuite  envoyée,  aux  frais  d'un  comité  de 
dames,  à  Milan  d'abord,  puis  à  Paris,  auprès  de  M.  Wartel,  pour  parfaire 
son  éducation.  En  1876,  prête  à  aborder  la  scène,  elle  allait  débuter  à 
Londres  dans  la  Fille  du  Régiment.  Son  succès,  négatif  d'abord,  s'accentua 
bientôt,  la  réputation  se  Ht,  et  en  1880  elle  retournait  en  Amérique,  où 
ses  compatriotes  la  reçurent  avec  enthousiasme.  C'est  alors  qu'elle  forma 
une  troupe  d'opéra  anglais  avec  laquelle,  pendant  dix  ans,  elle  parcourut 
toutes  les  villes  des  États-Unis,  amassant  une  fortune  qu'on  évalue  au- 
jourd'hui à  dix  millions. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

On  sait  que  Léo  Delibes  était  originaire  de  la  Sarthe.  Le  petit  vil- 
lage où  le  compositeur  de  Lakmé  est  né,  Saint-Germain-du-Val.  est  situé 
à  deux  kilomètres  environ  de  la  ville  de  La  Flèche.  Les  habitants  de  La 
Flèche  ont  pensé  avec  raison  que  Léo  Delibes  méritait  d'avoir  sa  statue 
sur  l'une  de  leurs  places  publiques.  Un  comité  est  en  train  de  se  former, 
et  une  fois  les  souscriptions  recueillies,  la  statue  sera  commandée  au 
sculpteur. 

—  Lettre  de  M"^  Van  Zandt  adressée  aux  journaux  qui  avaient  fait 
courir  sur  son  compte  de  méchants  bruits.  Nous  en  prenons  le  texte  dans 

le  Gaulois  : 

Saînt-Pélersbourg,  le  7/19  février. 
Cher  monsieur, 
Je  viens  de  recevoir  le  Gaulois,  qui  contient  un  article  marqué  au  crayon,  dans 
lequel  on  me  calomnie  d'une  cruelle  manière.  La  représentation  de  Mignon  a  eu 
lieu  le  2  janvier,  et,  dans  le  journal  du  10  février,  à  Paris,  on  rend  compte  de  la 
représentation  —  je  ne  crois  pas  que,  si  un  tel  scandale  avait  eu  lieu,  on  aurait 
attendu  plus  d'un  mois  pour  l'annoncer  à  l'étranger.  Non  seulement  j'ai  chanté 
tout  l'opéra,  mais  on  m'a  bissé  la  Styrienne  et,  pendant  la  soirée,  j'ai  été  rappelée 
vingt  fois.  Après  la  triste  affaire  de  Paris,  Van  Zandt  ne  peut  jamais  être  un  peu 
soiiiîranle  sans  qu'on  l'attribue  à  autre  chose. 

Je  vous  serais  infiniment  reconnaissante,   cher  monsieur,   si  vous  vouliez  bien 
me  dire  de  quelle  source  vous   avez  eu  vos  informations,   car  vous  devez  bien 
comprendre  qu'il  faut  que  je  me  défende  contre  mes  jaloux  et  implacables  enne- 
mis —  je  prouverai  le  contraire  de  ce  qu'on  vous  a  écrit. 
Acceptez,  je  vous  prie,  mes  sincères  compliments. 

Sincèrement, 
Marie  Van  Zandt. 

—  On  a  donné  samedi  dernier,  à  l'Eden-Théâtre.  un  petit  ballet-panto- 
mime nouveau  en  un  acte.  Pierrot  surpris,  scénario  de  M.  Maisonneuve, 
musique  de  M.  Adolphe  David. 

—  Mercredi  4  mars,  au  Théâtre  d'application,  à  trois  heures,  deuxième 
conférence  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  :  La  seconde  période  histo- 
rique de  l'opéra  français.  Rameau  et  ses  œuvres.  M""'  Bilbaut-Vauchelet, 
M"°=  du  "VVast  et  M.  du  Wast  chanteront  divers  morceaux  à'Hippolyte  et 
Aricie,  de  Castor  et  Pollux  et  des  Fêtes  d'Hébé. 

—  Après  Rouen,  Angers,  après  Angers,  Nantes.  Dans  ces  deux  dernières 
villes  on  vient  aussi  de  représenter  Loherigrin,  avec  un  succès  très  appré- 
ciable et  au  milieu  d'un  calme  complet.  A  Nantes,  c'est  une  excellente 
artiste,  M'"=  Laville-Ferminet,  qui  remplissait  le  rôle  d'Eisa,  joué  déjà  par 
elle  à  Gand  et  à  Milan,  et  qui  y  remportait  un  triomphe  personnel.  C'est 
le  ténor  Bucognani  qui  était  chargé  de  celui  de  Lohengrin,  dont  il  s'est 
tiré  à  son  honneur. 

—  Au  dernier  moment,  nous  apprenons  que  Lohengrin  vient  de  faire 
aussi  son  apparition  à  Lyon,  où  le  succès  de  la  première  représentation 
semble  peut-être  moins  accentué.  Les  principaux  rôles  sont  tenus  par 
M^ss  Janssen  et  Bessy,  MM.  Massart  et  Bourgeois,  et  l'interprétation  est 
excellente.  Mise  en  scène  superbe,  orchestre  remarquable.  D'autre  part, 
à  Bordeaux,  Tçuvrage  est  prêt  à  être  offert,  au  public.  Lohengrin  va  faire 
certainement  son  tour  de  France.  Il  n'y  a  décidément  que  Paris  qui  ne 
pourra  pas  l'entendre. 

—  Au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux,  première  représentation  et  vif  succès 
d'un  ballet  nouveau  en  un  acte,  Oaliane,  scénario  de  M.  de  Jacquin,  musi- 
que, charmante  et  fort  remarquable,  dit-on,  de  M.  Charles  Haring. 

—  La  Rapsodie  cambodgienne  de  M.  Bourgault-Ducoudray  continue  son 
chemin  triomphalement.  Au  dernier  concert  classique  de  Perpignan,  elle 
était  le  «  clou  de  la  soirée  »  dit  l'Indépendant,  de  cette  ville,  à  qui  nous 
empruntons  les  quelques  lignes  qui  suivent  :  «  Le  public  choisi  qui  écou- 
tait cette  première  audition  y  a  pris  un  plaisir  extrême  et  nous  ne  serions 
pas    surpris   qu'il   eu   réclamât   une    deuxième,   tellement  M.  BourgauU- 


LE  MÉNESTREL 


Ducoudray  a  su  le  captiver  par  le  charme  pénétrant  de  sa  Rapsodie.  L'or- 
chestre, sous  l'habile  direction  de  M.  Baille,  a  droit  à  nos  félicitations,  car 
c'est  grâce  à  lui  que  l'œuvre  a  pu  se  manifester  dans  toutes  ses  beautés.  » 

—  On  répète  activement  à  Saint-Eustache  la  nouvelle  messe  de  M.  Félix 
Godefroid,  qui  sera  exécutée  le  29  mars  prochain,  jour  de  Pâques.  Plus 
de  soixante  exécutants  prendront  part  à  cette  solennité  musicale.  A  l'OfTer- 
toire,  10  violoncelles  accompagnés  de  12  harpes,  rediront  l'hymne  au 
Seigneur  que  l'auteur  placera  décidément  dans  cette  nouvelle  œuvre  reli- 
gieuse. 

—  Nous  recevons  la  communication  suivante  :  «  Le  maire  de  la  ville  de 
Rouen  a  l'honneur  de  porter  à  la  connaissance  des  intéressés  que  la  direc- 
tion du  théâtre  des  Arts  sera  vacante  à  partir  du  16  mai  1891.  Les  demandes 
relatives  à  l'exploitation  de  ce  théâtre  sont  reçues  dès  à  présent  à  la 
mairie.  » 

CONCERTS  ET  SOIRÉES 
Jeudi  dernier  19  février,  Marmontel  père,  le  doyen  et  le  promoteur 
de  l'École  moderne  des  pianistes  français,  réunissait  dans  ses  salons  un 
groupe  nombreux  de  ses  élèves  particulières.  Nous  avons  rarement  assisté 
à  une  audition  spéciale  aussi  intéressante;  il  est  juste  de  reconnaître  que 
presque  toutes  ces  jeunes  filles  possèdent  déjà  une  exécution  brillante, 
un  style  irréprochable.  Elles  ont  interprété  les  maîtres  anciens  et  les  maîtres 
modernes  avec  un  goût  parfait  et  le  sentiment  exact  des  nuances  que  seuls 
possèdent  les  artistes  expérimentés  et  habiles.  Les  œuvres  de  Beethoven, 
Weber,  Mendelssohn,  Hummel,  ont  alterné  avec  les  compositions  de 
Schumann,  Chopin,  Heller,  Saint-Saëns,  Thalberg,  Prudent,  Moskoswski, 
A.  Duvernoy,  B.  Godard,  Marmontel,  Brahms,  Liszt,  etc.  Voilà  un  ensei- 
gnement éclectique  au  suprême  degré,  car  si  les  classiques  y  tiennent  le 
premier  rang,  du  moins  ils  n'occupent  pas  exclusivement  la  part  d'in- 
térêt dû  aux  modernes,  aux  romantiques,  qui  seront  plus  tard  classés  parmi 
les  maîtres. 

—  Mardi  dernier,  autre  brillante  matinée  chez  M.  Marmontel  père.  M""'  Van 
Arnhem,  cantatrice  américaine,  formée  à  l'école  de  M'"'^  Anna  de  Lagrange,  et 
]yiiie  Pignat,  une  pianiste  russe  d'un  grand  talent  et  l'une  des  meilleures 
élèves  de  M.  Marmontel,  ont  fait  preuve  d'un  véritable  talent.  Toutes  deux 
ont  obtenu  un  succès  très  mérité. 

—  La  dernière  matinée  des  élèves  des  cours  de  M.  Charles  René  à  l'Ins- 
titut Rudy  a  été,  comme  les  précédentes,  fort  réussie.  Citons,  au  nombre 
des  morceaux  les  plus  applaudis,  les  Scènes  de  Bal  du  Roi  s'amuse,  de  Léo 
Delibes,  le  Caprice  et  la  Valse  de  concert  de  M.  Diéraer  et  plusieurs  des 
études  artistiques  de  M.  B.  Godard,  Jonglerie,  Conte  joyeux,  etc.  Parmi  les 
trente-deux  jeunes  pianistes  qui  se  sont  fait  entendre  à  cette  séance,  beaucoup 
sont  déjà  des  artistes  qui  font  honneur  à  un  excellent  enseignement. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Une  brillante  assemblée  d;  notabililés  artistiques  et 
mondaines  se  pressait  dans  les  salons  hospitaliers  de  M.  et  M""  Guinand  pour 
leur  deuxième  réception  de  la  saison.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis, 
nous  devons  citer  deux  délicieuses  mélodies  de  M.  Th.  Dubois,  le  Baiser  et  Par 
le  sentier,  très  délicatement  rendues  par  M—  Mélodia-KerchkoS,  et  un  Duefto  cham- 
pêtre, composé  sur  les  paroles  de  M.  E.  Guinaud  par  M.  Léon  Schlesinger  et 
dont  les  interprètes  étaient  M""  Mélodia  et  M,  Rondeau.  —  Le  baryton  Ch.  Lepers 
vient,  dans  un  concert  donné  par  lui  jeudi  à  la  salle  Pleyel,  de  renouer  connais- 
sance avec  le  succès.  Il  a  chanté  avec  un  art  partait  et  une  fantaisie  charmante 
l'air  de  Raymond,  d'Ambroise  Thomas.  A  côté  de  lui  on  a  applaudi  M"'°  Gramac- 
cini-Soubre  dans  la  mélodie  de  M.Diémer,  les  Aites,  une  véritable  perle  musicale, 
M.  Plançon,  de  l'Opéra,  les  séduisants  chanteurs-mandolinistes  Alfred  et  Jules 
Cotlin,  le  violoncelliste  Dumoulin,  le  chanteur  comique  Baret  et  enfin,  M"°  Mar- 
the Lepers  et  ses  frères,  Gaston  et  Paul.  —  La  Société  Sainte-Cécile,  de  Lyon, 
si  habilement  dirigée  par  M.  Pieuchsel,  a  fait  entendre  dimanche  dernier  avec 
succès,  à  l'église  Saint-Bonaventure,  le  Stabal  de  M""  de  Grandval.  —  Grand 
succès  au  cercle  des  Beaux-Arts  de  Nantes,  pour  la  pianiste  M"Sophie  Monter,  qu'on 
a  couverte  d'applaudissements.— M"°  Thuillier  a  donné  dernièrement,  dans  ses  salons 
de  la  rue  Le  Peletier,  une  très  intéressante  audition  de  ses  élèves  de  piano,  qui 
ont  une  fois  de  plus  prouvé  toute  l'excellenoe  de  l'enseignement  de  leur  pro- 
fesseur. Le  programme,  composé  exclusivement  d'œuvres  de  M.  Benjamin  Godard, 
qui  présidait  la  séance,  a  été  souvent  interrompu  par  des  applaudissements  mé- 
rités. Parmi  les  morceaux  les  plus  goïités  et  aussi  les  mieux  exécutés,  citons 
particulièrement  Jonglerie  et  les  Fuseaux.  L'auteur,  enchanté,  a  vivement  félicité 
maître  et  exécutants. —  L'«  American  Students  Association»  a  donné  le  21  février,  à 
l'occasion  de  l'anniversaire  de  Washington,  un  très  brillant  concert  dans  lequel 
se  sont  tait  applaudir  plusieurs  de  leurs  compatriotes,  parmi  lesquels  M.  Holman- 
Black  avec  la  Charité,  de  Faure,  M"°  Mello  et  MM.  Bicknell,  Swope,  Cauldwell, 
Wurpel,  Connollj  et  Hausbalter.  —  Dimanche  dernier,  22  février,  M"°  Herman 
a  donné  une  matinée  des  plus  brillantes.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis, 
citons  la  Légende  slave  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  dont  l'exécutjon  a  été  saluée 
d'un  c  bis  »  unanime.  L'êminente  pianiste  donnera  le  10  mars,  salle  Pleyel,  un 
concert  dont  le  programme  sera  un  véritable  régal  pour  les  amateurs.  —  Le  dernier 
concert  de  M""  Sieiger,  à  la  salle  Pleyel,  a  été  eu  tous  points  remarquable;  jamais 
la  jeune  pianiste  n'avait  été  en  plus  complète  possession  de  ses  moyens;  aussi 
bravos  et  rappels  lui  ont-ils  été  prodigués,  ainsi  qu'à  M"°  Lépine,  qui  lui  prêtait 
son  gracieux  concours.  M.  Godard,  en  l'absence  de  M.  Colonne,  indisposé,  a 
conduit  l'orchestre  avec  son  autorité  habituelle.  —  Lundi,  à  la  salle  Erard,  grand 
succès  pour  M"'  Kara  Ghatteleyn.  La  remarquable  pianiste  a  exécuté  des  œuvres 
de  caractère  didérent  qui  lui  ont  permis  de  faire  valoir  ses  qualités  diverses.  — 

La  première  séance  de  musique  de  chambre  de  MM.  Guarnieri  et  Huck  a  été 
des  mieux  réussies  et  a  valu  à  la  jeune  et  charmante  pianiste,  M""  Madeleine 
Barthels,  un  grand  et  légitime  succès.  —  Mercredi  a  eu  lieu  dans  la  salle   Erard 


un  intéressant  concert  du  pianiste  Charles  Fœrster,  qui  a  interprété  avec 
une  rare  distinction  la  sonate  op.  81  de  Beethoven  et  plusieurs  morceaux 
de  Chopin  et  de  Schumann.  Le  nombreux  auditoire  a  aussi  vivement  applaudi  le 
concerto  en  ré  majeur  pour  deux  pianos  de  Bach,  que  M.  Fœrster  jouait  avec 
M"'  Jacountchi  Kofl',  une  toute  jeune  flUe  de  beaucoup  d'avenir.  Une  jeune  élève 
russe  de  M""'  Viardot,  M""  Zabel  Rachatte,  a  charmé  l'assistance  par  la  fine  et 
élégante  interprétation  de  plusieurs  mélodies  françaises  et  russes,  dont  le 
public  a  redemandé  plusieurs. 

—  On  nous  écrit  de  Rennes  que  le  concert  d'adieu,  au  bénéfice  d'une 
bonne  œuvre,  donné  par  M"=  Pilet-Comettant  après  quarante-cinq  ans  de 
professorat  dans  cette  ville,  a  été  un  véritable  événement.  Les  meilleurs 
artistes  virtuoses  et  tout  l'orchestre,  sous  l'habile  direction  de  M.  Tappon- 
nier-Dubout,  avaient  tenu  à  honneur  d'offrir  gracieusement  leur  concours  à 
Mme  pilet,  si  appréciée  par  son  talent,  si  grandement  estimée  par  son 
caractère.  Le  triomphe  de  M™"  Pilet  a  été  complet  dans  le  concerto  qu'elle 
a  joué  avec  orchestre  et  chœur,  dans  les  compositions  pour  deux  pianos 
exécutées  avec  M,  Tapponnier  et  dans  le  beau  trio  de  Mendelssohn  avec 
deux  artistes  du  plus  grand  mérite,  le  violoniste  M.  Confesse  et  le  violon- 
celliste M.  Montecchi. 

—  Au  bénéfice  de  l'Association  des  Dames  françaises.  M™  Montigny  de 
Serres,  l'êminente  pianiste,  donnera  un  concert  à  la  salle  Erard  le  ven- 
dredi soir,  6  mars,  avec  le  concours  de  MM.  Whife,  Taffanel  et  Goquelin 
aîné.  Au  programme,  le  concerto  de  Beethoven,  accompagné  par  l'orchestre 
conduit  par  M.  Taiïanel,  et  diverses  pièces  empruntées  au  répertoire  clas- 
sique et  moderne.  On  peut  trouver  des  billets  à  la  salle  Érard  et  chez  les 
éditeurs  Durand  et  Schœnewerk,  (Prix  :  20,  10  et  S  francs.) 

—  Mardi  3  mars,  dans  la  salle  des  fêtes  du  Grand-Hôtel,  soirée  de  bien- 
faisance donnée  par  MM.  Kahne,  mandoliniste,  avec  le  concours  de 
M^^s  de  Lys,  Julia  Delépierre,  Ballières,  Ferrari,  Fursch-Madi,  Galitzin, 
de  Gradowski,  Nathalie  Lévy,  et  de  MM,  Mounet-SuUy,  Delaquerrière  et 
Gçsselin. 

NÉCROLOGIE 
Une  dépêche  de  Varsovie  a  apporté  cette  semaine  à  Paris  la  nouvelle  de  la 
mort  de  la  baronne  de  Kronenberg,  que  les  habitués  de  l'Opéra  se  rappellent 
bien  avoir  connue  sous  le  nom  de  Joséphine  de  Reszké.  Cette  chanteuse  fort 
distinguée,  à  la  beauté  si  opulente,  avait  fait,  croyons-nous,  son  éducation 
musicale  en  Italie.  C'est  à  Milan  que  M.  Halanzier,  alors  directeur  de 
l'Opéra,  avait  été  l'engager,  et  c'ost  le  21  juin  187S  qu'elle  avait  débuté  à  ce 
théâtre,  d'une  façon  très  brillante,  dans  le  rôle  d'Ophélie  i'Hamlet,  qui  lui 
avait  valu  de  vifs  éloges  de  la  part  de  M.  Ambroise  Thomas,  après  quoi 
elle  joua  Guillaume  Tell  et  Faust.  Bientôt  elle  parut,  toujours  avec  le  même 
succès,  dans  les  grands  rôles  dramatiques  du  répertoire,  les  Huguenots,  la 
Juive,  l'Africaine,  Don  Juan,  puis  elle  créa  le  personnage  de  Sita  dans  le 
Roi  de  iMliore  de  M.  Massenet.  C'est  à  la  suite  de  cette  création  quelle 
disparut  tout  à  coup  de  la  scène.  Elle  s'était  mariée,  avait  épousé  le  baron 
de  Kronenberg,  et  avait  renoncé  complètement  aux  triomphes  du  thêâtr-; 
et  aux  applaudissements  du  public.  Elle  a  succombé,  ces  jours  derniers,  aux 
suite  d'une  couche  terrible, 

—  Un  des  artistes  les  plus  actifs  et  les  plus  instruits  de  l'Italie,  Giulio 
Roberti,  vient  de  mourir  à  Turin,  à  l'âge  de  soixante-sept  ans.  Né  à  Barge 
le  14  novembre  1823  et  destiné  d'abord  au  barreau,  il  l'abandonna  pour 
suivre  son  goût  pour  la  musique,  et  fut  élève  de  Luigi-Felice  Rossi.  Com- 
positeur, écrivain  fort  distingué,  didacticien  passionné,  il  parcourut  sa 
carrière  tour  à  tour  en  Italie,  en  Angleterre  et  en  France.  On  lui  doit  deux 
opéras  :  Pier  de'  Médici  (Turin,  1849),  et  Petrarca  alla  corle  d'amore  (id.,  18SS), 
une  messe  à  quatre  voix,  des  mélodies  vocales,  des  chœurs,  diverses  com- 
positions religieuses,  deux  quatuors  pour  instruments  à  cordes,  etc.  Comme 
écrivain  spécial,  il  a  collaboré  à  la  Gazzelta  d'Italia  et  à  la  Gazzetta  musicale, 
et  il  a  publié  un  livre  plein  d'intérêt:  Pagine  di  buona  fede  a  proposilo  di 
musica,  écrit  avec  vigueur  et  vivacité.  Il  est  aussi  l'auteur  d'un  Corso  ele- 
mcntare  di  musica  vocale.  Giulio  Roberti  a  été  dans  son  pays  l'un  des  pro- 
pagateurs les  plus  actifs  et  les  plus  infatigables  du  chant  choral,  pour 
lequel  il  s'était  pris  d'une  véritable  passion. 

—  Un  artiste  distingué,  à  la  fois  virtuose  remarquable  et  compositeur, 
le  violoncelliste  belge  Jules  de  Svi'ert,  vientde  mourir  subitement  à  Ostende, 
de  la  rupture  d'un  anévrisme.  Né  à  Louvain  le  15  août  1843,  de  Swert 
avait  été  un  des  meilleurs  élèves  de  Servais  au  Conservatoire  de  Bruxelles, 
où  il  remporta,  en  18S8,  un  brillant  premierprix  ;  pendant  plusieurs  années 
il  ht  à  l'éBranger  de  grandes  tournées  artistiques,  qui  lui  valurent  beau- 
coup de  succès.  Il  avait  le  titre  de  violoncelle-solo  de  l'empereur  d'Alle- 
magne, et  était  directeur  de  l'Académie  de  musique  d'Ostende.  Il  a  écrit 
pour  son  instrument  de  nombreuses  compositions,  entre  autres  deux  con- 
certos avec  orchestre,  ainsi  qu'un  drame  lyrique,  les  Albigeois,  qui  a  eu  du 
retentissement. 

HE^■RI  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître   chez    LVDWIG   DOBLINGER 
(B.  Herzmanskï),  éditeur  de  musique,  Viense 

ROBERT    FISGHHOF 

Op.  47.  —  Sonate  pour  PIANO  et  VIOLON.  -  Prix  :  10  francs. 


3127  _  57'"'  AWE  —  ÎV»  10. 


Dimanche  8  Mars  1891. 


PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne)  - _     _ 

(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉA^TRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Ciiant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  posta  en  sus. 


SOMMAIEE- TEXTE 


I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (4'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  La  retraite  de  M.  Paravey;  M.  CarTalho,  directeur  de  l'Opéra-Comique, 
H.  MORENO;  premières  représentations  de  Passionnijinent,  k  l'Odéon,  Mtisotte,  au 
Gymnase,  la  Petite  Poacette,  à  la  Renaissance,  Paris  port  de  mer,  aux  Variétés, 
et  reprise  de  Camille  Desmoulins,  au  Ghâtelet,  Paul-Emile  Chevalier.  —  IIL  Une 
famille  d'artistes  :  Les  Saint-Aubin  (12"  artiolej,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  ch.\nt  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

NE    PARLE    PAS 

nouvelle  mélodie  de  H.  Balïhasar  -  Florenxe,  paroles  de  C.  Fuster.  — 
Suivra  immédiatement  :  BoboW  se  marie,  n"  S  des  Rondes  et  Chansons 
d'avril,  musique  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  George  Auriol. 


PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Plus  heureux  qu'un  roi!  nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach.  — 
Suivra  immédiatement:  Chant  d'avril,  de  Théodore  Lack. 


LA 


MESSE    EN    SI 

DE   J.-S.    BACH 

(Suite) . 


MINEUR 


L'œuvre  de  Bach  apparaît  au  premier  abord  comme  un 
superbe  monument  musical,  aux  proportions  grandioses,  d'une 
superbe  ordonnance,  chargé  d'une  profusion  d'ornements 
exécutés  par  la  main  d'un  maître,  jamais  semblables,  tou- 
jours renouvelés,  et  cependant  en  merveilleuse  harmonie  avec 
le  style  général.  Ce  n'est  pas,  pour  employer  une  expression 
familière  aux  écrivains  descriptifs,  de  «  symphonie  de  la 
pierre  »  qu'il  s'agit  ici,  mais  d'une  véritable  symphonie  de 
voix  et  d'instruments,  évoquant  l'idée  d'une  cathédrale  ou 
tout  au  moins  donnant,  par  les  sons,  une  toute  semblable 
impression. 

Le  Kyrie  eleison  s'élève  comme  un  portique.  Nulle  entrée  ne 
saurait  le  surpasser  en  majesté  ni  en  grandeur.  Toutes  les 
voix  du  chœur  et  de  l'orchestre  s'élèvent  ensemble,  dès  la 
première  note,  en  un  accord  large  et  puissant.  Elles  mon- 
tent, se  répondant  et  se  combinant  sur  un  mouvement  lent, 
qui  presque  aussitôt  s'arrête.  Et,  après  ces  quatre  mesures 
qui  font  pénétrer  l'auditeur,  comme  de  force,  dans  l'atmos- 
phère musicale  dans  laquelle  se  déroulera  l'œuvre  entière, 
l'orchestre  attaque,  sur  un  nouveau  rythme,  un  thème  sévère 
et  expressif,  d'une  grande  beauté  de  forme,  sur  lequel  s'écha- 
•faudera  toute  la  suite  du  morceau,  l'un  des  plus  développés 


qu'ait  écrits  Bach.  Les  instruments  à  anche  et  les  flûtes 
dialoguent  et  se  combinent  avec  les  violons,  mélangeant  leurs 
sonorités  en  un  ensemble  harmonieux  ;  après  un  long  prélude, 
les  voix  entrent  successivement,  calmes,  malgré  l'abondance 
des  notes  qui  s'accroît  à  mesure  que  le  morceau  s'avance. 
Il  se  développe  largement,  d'un  soufQe  qui  grandit  suivant 
une  progression  constante  et  régulière  et  semble  ne  devoir 
s'arrêter  jamais.  Sur  une  cadence  subite  des  voix,  l'orchestre 
rebondit  :  il  reprend,  en  les  modifiant,  les  dessins  du  pré- 
lude ;  sur  quoi  les  voix,  rentrant  de  nouveau,  forment  comme 
un  second  étage  qui  s'élève  symétriquement  au-dessus  du 
premier  épisode,  reproduisant  les  mêmes  motifs  mais  avec 
une  disposition  toujours  nouvelle,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  le 
développement  normal  étant  épuisé,  les  voix,  l'orchestre  et 
l'orgue  s'unissent  une  dernière  fois  en  un  élan  harmonieux, 
montant  vers  le  ciel  et  formant  au  monument  musical  un 
couronnement  admirable  et  d'une  incomparable  élévation. 

Ou  entre,  et  à  mesure  qu'on  avance  on  est  étonné  par  la 
richesse  des  ornements,  l'abondance  des  motifs,  la  beauté  du 
style  fleuri,  aussi  bien  que  par  la  magnifique  ordonnance  de 
l'ensemble.  Ce  sont  partout  des  arabesques  infiniment 
variées  accompagnant  les  figures  principales,  souvent  même 
plus  apparentes,  mais  s'harmonisant  toujours  à  merveille. 
Ici,  dans  le  Christe  eleison,  les  violons,  simplement  sou- 
tenus par  les  basses  et  les  harmonies  de  l'orgue,  exécutent 
un  dessin  en  notes  égales,  aux  formes  souples  et  élégan- 
tes, se  combinant  avec  les  voix  des  soprani  chantant  en 
duo.  Plus  loin,  dans  le  Laudamus  (e,  un  seul  violon,  dans  un 
chant  divinement  expressif,  concerte  avec  la  voix  de  second 
dessus,  et  souvent  absorbe  pour  lui-même  le  plus  clair  de 
l'attention.  Une  flûte  dialogue  avec  les  violons  en  sourdines 
et  les  pizzicali  des  basses,  puis  avec  le  ténor  et  le  premier 
soprano,  dans  le  Domine  fili  unigenite  aux  tons  clairs  et  lumi- 
neux. Puis,  c'est  l'expressif  hautbois  d'amour  qui  chante  avec 
la  voix  d'alto  dans  le  Qui  sedes  ad  dextram  patris,  où  l'abon- 
dance des  notes  vocalisées  ne  fait  qu'ajouter  à  la  beauté 
plastique  des  harmonies  et  des  formes.  On  a  supprimé  au 
Conservatoire  un  air  :  Quoniam  tu  solus  sanctus,  où  la  basse 
concerte  avec  un  cor  et  deux  bassons,  par  crainte  que  cette 
combinaison  singulière  de  sonorités  ne  parût  anormale  et  peu 
sérieuse  :  en  quoi  je  pense  qu'on  a  eu  tort,  la  sonorité  en 
question  ne  pouvant  être  au  contraire,  ce  me  semble,  que 
curieuse  et  nouvelle  pour  nous.  Les  soli  sont  moins  nom- 
breux dans  le  Credo  que  dans  le  Gloria  :  il  n'y  a  à  citer  là 
que  le  solo  de  basse  :  Et  in  spiritum  sanctwn,  accompagné  par 
deux  hautbois  d'amour,  dont  le  thème  initial  fait  songer  par 
avance  à  Mozart  (comparez  le  duo  des  Noces  de  Figaro  :  SuH' 
aria,  etc.),  et  le  duo  pour  voix  de  femmes  :  Et  in  iinum  dmninum, 
qui  ne  me  paraît  pas  être  parmi  les  morceaux  les  plus  inté- 


74 


LE  MENESTREL 


ressants  de  la  Messe.  Avec  le  /ienedictus  (du  Sancias)  pour  voix 
de  ténor,  dont  l;i  partie  de  violon-solo  rappelle  par  le  carac- 
tère et  le  rythme  les  plus  belles  sonates  pour  violon  de  Bach, 
et  l'admirable  Agnus  Dei  pour  contralto,  avec  ses  répliques 
graves  et  sérieuses  par  tous  les  violons,  nous  aurons  cité  tous 
les  morceaux  isolés  de  voix  seules  concertant  avec  les  ins- 
truments qui  paraissent,  dans  l'architecturegénérale  de  l'œuvre, 
comme  des  colonnes  aux  formes  diverses,  chargées  d'orne- 
ment nombreux,  sur  lesquelles,  de  loin  en  loin,  l'attention 
s'arré'e  et  se  repose. 

Mais  les  parties  qui  se  détachent  avec  le  plus  d'éclat  de 
l'ensemble  de  l'édifice  musical,  ce  sont  les  morceaux  où  toutes 
les  voix  du  chœur  et  de  l'orchestre  sont  réunies.  Ceux-ci  ont  un 
éclat  prodigieux.  Les  chœurs,  écrits  presque  tous  à  cinq 
même  à  six  parties,  se  combinent  avec  les  instruments,  qui, 
loin  de  doubler  servilement  les  voix,  les  accompagnent  pres- 
que toujours  par  des  dessins  et  des  rythmes  indépendants  ; 
et  quand  ces  parties  innombrables,  entonnées  tour  à  tour, 
sont  unies  en  un  ensemble  polyphonique  d'une  prodigieuse 
richesse,  voilà  qu'entrent  enfin  les  trompettes,  qui,  par  leurs 
dessins  hardis  exécutés  dans  la  région  suraiguë  de  l'instru- 
ment, viennentajouler  encore  aux  splendeurs  de  la  sonorité. 
Gomme  dit  un  personnage  de  Shakespeare  décrivant  une 
chasse  et  le  tumulte  des  cors  :  «  Jamais  je  n'entendis  un 
désaccord  aussi  musical,  un  si  harmonieux  fracas.  » 

Pourtant  ce  n'est  pas  la  seule  beauté  des  combinaisons 
sonores,  pas  même  l'intérêt  du  travail  polyphonique,  qui  cons- 
tituent le  principal  intérêt  de  ces  morceaux  :  des  thèmes 
admirables  impriment  à  chacun  d'eux  leur  caractère  parti- 
culier, toujours  très  accusé,  et  leur  communiquent  leur 
beauté  tour  à  tour  superbe,  éclatante  et  sereine.  Le  Gloria  in 
excelsis  commence  ainsi  par  un  mouvement  véhément  et  cha- 
leureux; puis,  après  le  développement  d'un  motif  d'allure 
assez  scolastique,  les  éclats  des  voix  et  des  instruments 
s'apaisent  et  laissent  se  dérouler  un  nouveau  chant  au 
rythme  ondulant,  à  !a  tonalité  un  peu  vague,  doux  et  expres- 
sif et  aux  contours  très  purs.  Ce  chant,  qui  tout  d'abord 
faisait  partie  d'un  ensemble  harmonique,  se  détache  bientôt, 
et,  chanté  d'abord  par  les  voix  féminines,  devient  un  sujet  de 
fugue  :  fugue  étonnante,  dont  le  thème  a  la  beauté  calme 
d'un  chant  de  prière,  dont  les  contre-sujets  en  style  fleuri 
ont  une  grâce  fine  et  délicate,  et  qui  se  développe,  limpide 
et  calme,  toujours,  dans  le  même  mouvement  soutenu.  «  Et 
in  terra  pax  hominibiis  bonœ  voluntatis,  »  chantent  les  voix-  et 
leur  mélodieuse  fugue  donne,  en  effet,  l'impression  d'une  paix 
profonde.  Vers  la  fin,  les  trois  trompettes  répondent  partrois  fois, 
très  doucement,  comme  un  écho,  aux  cadences  progressives 
des  voix,  et  cela  est  d'une  sonorité  délicieuse,  d'une  couleur 
à  demi  éteinte,  mais  toujours  lumineuse  et  très  nette,  d'un 
charme  véritablement  séraphique. 

Tout  autre  est  le  Cum  sancto  spiritu,  qui  renferme  aussi  une 
fugue  à  cinq  voix,  mais  cette  fois  sur  un  thème  fortement 
rythmé,  très  en  dehors,  lourdement  martelé  par  les  voix,  et 
qui  se  déroule  en  une  énorme  masse  sonore,  d'un  seul  bloc. 
Le  premier  morceau  du  Credo,  bâti  sur  le  thème  de  l'into- 
nation liturgique,  introduit  tour  à  tour  par  toutes  les  voix  et 
soutenu  par  un  dessin  massif  et  continu  des  basses  en  notes 
égales,  forme  une  entrée  grandiose  au  chant  du  Symbole,  et 
le  Resiirrexit,  avec  son  thème  franc,  bien  rythmé  par 'les 
batteries  de  l'orchestre,  son  luxe  extraordinaire  de  notes  s'en- 
chevêtrant  et  s'harmonisant  entre  les  diverses  parties,  ses 
triomphants  éclats  de  trompettes,  forme  un  digne  pendant 
au  premier  chœur  ou  au  finale  du  Gloria. 

Mais  le  plus  beau  modèle  du  genre  est  peut-être  encore  le 
premier  mouvement  du  Sanctus,  à  six  voix,  d'une  plénitude 
de  sonorité  et  d'une  force  de  rythme  incomparables,  sans 
recours  aux  procédés  artificiels  de  la  fugue,  avec  un  sentiment 
intime  d'allégresse  et  de  grandeur,  toutes  choses  qui  en  font 
une  page  absolument  à  part  dans  l'œuvre  de  Bach.  Et,  après 
les  divers  morceaux  composant  la  suite  du  Sanctus  et  VArjnus, 


la  messe  s'achève  sur  un  chœur  contrepointé  :  Dona  nabis 
paceni  (la  même  musique  avait  été  déjà  entendue  dans  le 
Gloria  sur  les  paroles  Gratias  agimus  tibi,  etc.)  de  style  noble 
et  sévère,  à  la  conclusion  duquel  les  trompettes,  doublant 
les  voix  aiguës,  viennent  donner  un  nouvel  et  dernier  éclat. 
L'on  pénètre  enfin  au  cœur  de  l'œuvre,  on  atteint  à  la  plus 
grande  profondeur  du  sentiment  dont  elle  est  intimement 
animée  lorsqu'on  aborde  les  morceaux  lents,  où  l'accent  de 
la  prière  domine,  où  vit  une  religiosité  plus  sincère  et  plus 
ardente.  Ce  sentiment  s'était  déjà  montré  dans  le  Gloria,  lors- 
qu'après  le  mélodique  duo  du  Domine  fili  unigenite  les  voix  du 
chœur,  chantant  :  Qui  lollis  peccata  mundi,  s'épandaient  en 
larges  ondes  harmonieuses  au-dessus  desquelles  se  dérou- 
laient, dans  une  sorte  de  calme  hiératique,  les  fines  broderies 
de  la  flûte.  Mais  c'est  dans  les  épisodes  du  milieu  du  Credo 
que  l'art  de  Bach  atteint  à  sa  plus  sublime  élévation  :  dans 
le  mystique  Incarnatus  est,  où  un  dessin  persistant  des  violons 
accompagnant  les  lents  accords  des  voix,  met  un  accent  aus- 
tère et  grave,  et  le  Crucifixus,  si  douloureusement  expressif 
avec  ses  harmonies  chromatiques,  ses  plaintes  voilées  de  la 
flûte,  émouvant  par  sa  seule  beauté,  sans  aucun  effet  exté- 
rieur, sans  nul  effort  de  recherche  théâtrale.  Et  c'est  enfin 
le  dernier  morceau,  formé  de  trois  mouvements  difi'érents  à 
travers  lesquels  tour  à  tour  se  déroule,  avec  une  puissance 
singulière, le  dernier  épisode  du  drame  de  la  vie  et  de  la 
mort.  D'abord  un  chœur  dans  le  style  a  capella,  accompagné 
seulement  par  les  basses  et  l'orgue,  grave,  bien  posé,  sans 
d'ailleurs  présenter  un  caractère  spécialement  tranché  ;  mais 
quand  les  voix  arrivent  aux  paroles  :  Et  expecto  resurrectionem 
mortuorum,  soudain  résonne  un  accord  inattendu  et  profon- 
dément troublant  :  le  mouvement  ralentit,  les  harmonies 
s'enchaînent  avec  un  accent  de  terreur  et  de  supplication, 
implacables,  fatales.  Bien  des  musiques  ont  été  écrites  pour 
le  Lies  irœ  ;  aucune,  il  me  semble,  ne  donne  une  impression 
plus  juste  du  vers  :  Quantus  treinor  est  juturus,  et  cela  sans 
trémolos,  sans  trompettes,  rien  que  par  la  force  des  harmo- 
nies, du  mouvement  et  de  l'expression  musicale.  Cependant, 
cette  idée  de  la  résurrection  ne  nous  est  pas  montrée  définitive- 
ment comme  si  terrible  :  tandis  que  les  voix  repètent  encore 
leurs  paroles  fatales,  l'orchestre  entre  enfin  tout  entier,  sur 
un  mouvement  vif  et  brillant,  semblant  célébrer  cette  résur- 
rection comme  une  victoire,  chanter  par  avance  les  gloires 
de  la  vie  future. 

*  '  * 
Cette  analyse,  que  je  ne  pensais  pas,  en  l'entreprenant, 
devoir  prendre  un  si  grand  développement,  appelle ,  sur  le 
sentiment  intime  de  l'œuvre  de  Bach,  des  réflexions  complé- 
mentaires que  je  suis  obligé  de  renvoyer  à  un  dernier  ar- 
ticle. Je  termine  celui-ci  en  signalant  le  succès ,  peut-être 
plus  considérable  encore,  de  la  seconde  audition  de  la  Messe 
au  Conservatoire.  Chœurs  et  orchestre  ont  rivalisé  d'entrain 
et  d'éclat,  comme  la  première  fois.  M'"^  Landi  et  M.  Auguez 
ont,  dans  leurs  airs  respectifs,  obtenu  tout  particulièrement 
les  applaudissements  du  public, non  moins  nombreux,  atten- 
tif et  enthousiaste  qu'au  premier  concert.  M.  Warmbrodt, 
indisposé,  avait  été  remplacé  presque  au  pied  levé,  dans  les 
soli  de  ténor,  par  M.  Delaquerrière. 

L'on  me  prie  de  rectifier  une  erreur  contenue  dans  mon 
dernier  article.  Le  hautbois  d'amour,  dont  on  se  sert  au  Con- 
servatoire n'a  pas  été  construit  par  M.  Mahillon,  mais  par 
M.  Lorée,  de  Paris,  sur  les  indications  de  M.  Gillet,  lequel 
travaille  à  reconstituer  la  famille  entière  des  hautbois,  depuis 
le  type  le  plus  aigu  jusqu'au  hautbois  basse.  M.  Mahillon 
avait  bien  fabriqué  un  hautbois  d'amour  pour  des  exécutions 
similaires  qui  ont  eu  lieu  à  Bruxelles,  mais  ni  M.  Gillet  ni 
M.  Bas  (qui  a  exécuté  sa  partie  de  deuxième  hautbois  d'amour 
sur  le  cor  anglais),  n'en  ont  fait  usage. 

Je  sais  être  l'interprète  d'un  nombre  considérable  du  musi- 
ciens etd'amateurs  en  demandant  au  Conservatoire  une  nouvelle 
audition  publique,  en  dehors  de  l'abonnement,  de  la  Messe  en 


LE  MENESTREL 


75 


si  mineur,  les  uns  voulant  l'entendre,  d'autres  la  réentendre. 
Comme  il  y  a  à  cela  des  précédents  (la  J/esse  eti  ré  de  Beethoven, 
la  Symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saens),  il  ne  parait  pas 
douteux  qu'un  désir  si  légitime  et  si  général  reçoive  satisfac- 
tion. L'on  dit  cependant  que  le  comité  de  la  Société  des 
concerts,  déjà  consulté,  se  serait  prononcé  pour  la  négative. 
Mais  nous  ne  pouvons  pas  le  croire  :  pour  quelle  raison  la 
Société  voudrait-elle  s'arrêter  en  présence  d'un  pareil  succès? 
Ce  serait  absolument  le  monde  renversé  !  Nous  voulons  donc 
penser  encore  que  les  bruits  qui  ont  couru  à  ce  sujet  sont 
sans  fondement,  ou  tout  au  moins  que  la  résolution  du  comité, 
si  elle  est  telle,  n'est  pas  définitive. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot 


SEMAINE   THEATRALE 


LA.  RETRAITE  DE  M.  PARAVEY 
M.   CARVALHO  DIRECTEUR  DE  L'OPÉRA- COMIQUE 

C'e^t  huit  jours  après  tous  nos  confrères  de  la  presse,  —  voilà 
rinconvéuient  des  journaux  hebdomadaires  —  que  nous  avons  la 
douleur  de  vous  annoncer  un  changement  dans  la  direction  de 
rOpéra-Comique.  M.  Paravey  a  été  mis  en  demeure  par  le  ministre 
des  Beaux-Arts  d'avoir  à  donner  sa  démission.  Cet  événement  était 
d'ailleurs  prévu  et  attendu  depuis  plusieurs  mois  ;  on  savait  que 
M.  Paravey  en  était  réduit  aux  expédients  les  plus  divers,  s'ap- 
puyant  d'un  côté  sur  une  agence  tliéàtrale  ,  qui  avait  fait  de  ce 
théâtre  d'État  une  véritable  maison  de  tripotages,  et  de  l'autre  sur  une 
entreprise  de  claque  qui  ne  donnait  pas  pour  lien  ses  services 
financiers.  M.  Paravey  était  de  forme  aimable,  mais  de  fond  peu  so- 
lide; il  n'avait  qu'une  idée  très  imparfaite  de  la  droite  ligne  et  du 
souci  qu'on  doit  avoir  de  ses  engagements.  Nous  fûmes  à  même  de 
nous  en  apercevoir  très  peu  de  temps  après  son  entrée  aux  affaires 
et  nous  n'avons  jamais  pensé  que  sa  direction  eût  en  perspective  des 
jours  longs  et  prospères,  —  ayant  cette  conviction,  qu'on  traitera 
peut-être  de  naïve,  que  le  meilleur  moyen  d?  roussir  en  toutes  choses 
est  encore  de  rester  honnête  homme.  M.  Paravey  s'en  va,  ne  le  re- 
grettons pas. 

Regrettons-le  d'ajulant  moins  que  M.  Bourgeois,  avec  une  louable 
décision,  lui  a  trouvé  un  successeur  en  moins  de  huit  jours,  et 
que  ce  successeur,  chose  peu  ordinaire,  se  trouve  être  le  candidat 
de  l'opinion  publique.  On  a  remis  en  place  M.  Carvalho,  le  directeur 
auquel  nous  devons  à  peu  près  toutes  les  œuvres  qui  ont  laissé 
une  trace  lumineuse  dans  l'histoire  musicale  de  notre  temps.  On 
l'avait  dépossédé  un  peu  brutalement  et  sans  raison  d'un  théâtre 
qu'il  avait  rendu  prospère.  On  le  lui  rend  au  moment  oîi  la  ruine 
s'y  mettait.  Tout  est  bien  et  on  n'a  que  des  félicitations  à  donner  à 
M.  Bourgeois.  Puisse-t-il  avoir  la  main  aussi  heureuse  pour  l'Opéra  ! 

Il  va  sans  dire  qu'il  y  avait,  comme  toujours,  une  nuée  de  can- 
didats sur  les  rangs.  Il  serait  inutile  d'en  donner  ù  présent  la  liste 
complète.  M.  Gunzbourg  en  était  naturellement  ;  cet  étonnant 
imprésario,  qui  jouait  à  Saint-Pétersbourg  les  opéras  des  compo- 
siteurs français,  sans  leur  reconnaître  de  droits,  même  au  mépris 
des  engagements  pris  avec  les  éditeurs  de  ces  opéras,  semble 
pourtant  bien  mal  venu  à  prétendre  à  la  direction  d'une  scène  sub- 
ventionnée de  Paris.  Signalons-le  d'une  façon  toute  particulière  à 
la  méfiance  du  ministre  des  Beaux-Arls,  quand  il  s'agira  de  pour- 
voir à  la  vacance  de  la  direction  de  l'Opéra. 

H.    MORENO. 

Odkon.  Passionnément,  comédie  en  quatre  actes,  de  M.  A.  Delpit.  — 
Gymnase.  Musotte,  pièce  en  trois  actes,  de  MM.  Guy  de  Maupassant  et 
S.  Normand.  —  Chatelet.  Camille  Desmoulins,  drame  historique  en  six 
actes,  de  MM.  Blanchard  et  Mailland.  —  Renaissance.  La  Petite  Poucette, 
vaudeville-opérette  en  cinq  actes,  de  MM.  Ordonneau  et  Hennequin, 
musique  de  M.  Raoul  Pugao.  —  Variétés.  Paris  part  de  mer,  revue  en 
trois  actes  et  sept  tableaux,  de  MM.  Monréal  et  Blondeau. 

C'est  dans  un  de  ses  romans,  qui  obtint  une  très  grande  vogue, 
que  M.  Delpit  a  découpé  les  quatre  actes  montés  par  M.  Porel. 
Comme  je  présume  qu'il  n'y  a  que  fort  peu  des  lecteurs  de  ce  journal 
qui  n'ait  lu  Passionnément,  je  demande  la  permission  de  ne  point 
vous  raconter  l'histoire  de  Maud  Vivian  et  ses  petites  canailleries. 
C'est  d'ailleurs  toujours  un  peu  le  même  fait  divers  que  celui  de 
l'aventurière  se  faufilant  dansle  monde  pour  y  affoler  les  fils,  y  rui- 
ner les  maris  et  finalement  se  faire  épouser  par  un  brave  homme 
na'if  qui  n'aura,  le  jour  oîi  il  s'apercevra  du  piège  dans  lequel  il  est 


tombé,  qu'à  jeter  à  la  porte  la  malfaisante  créature.  Le  roman, avec 
tous  ses  développements,  ses  analyses  et  ses  descriptions,  peut  va- 
rier la  thèse  jusqu'à  l'infini  ;  le  théâtre,  plus  réservé  dans  ses 
moyens  d'une  durée  limitée,  n'a  point  de  telles  ressources,  aussi  la 
comédie  nouvelle  nous  a-t-elle  laissé  une  impression  de  déjà  vu  qui 
n'a  pas  été  sans  lui  nuire  considérablement.  L'interprétation 
donnée  à  Passionnément  n'est  d'ailleurs  pas,  malheureusement,  pour 
en  faire  valoir  les  mérites;  exceptant  M"«  Déa-Dieudonné  et  Kesly, 
MM.  Calmettes  et  Reney,  la  pièce  nous  a  semblé  assez  modeste- 
tement  défendue. 

Si  l'Odéon  ne  parait  pas  avoir  été  très  heureux,  le  Gymnase,  au 
contraire,  paraît  tenir  un  grand  et  légitime  succès  avec  Musotte,  de 
MM.  Guy  de  Maupassant  et  Jacques  Normand.  C'est  non  seulement 
un  succès  d'auteurs  dramatiques  que  les  deux  écrivains  ont  rem- 
porté, mais  c'est  aussi  un  succès  de  lettrés  fins  et  délicats,  d'ana- 
lystes subtils  et  francs,  de  philosophes  et  de  moralistes  protonds. 
Si  le  drame,  en  soi,  est  d'un  intérêt  poignant,  la  forme  toujours 
exquise  naturellement  et  raffinée  simplement,  ne  fait  qu'augmenter 
l'attrait  du  spectacle,  de  même  encore  que  la  mise  en  œuvre  très 
adroite  et  sans  aucune  recherche,  sans  aucun  subterfuge,  sans  au- 
cune invraisemblance  flagrante,  fait,  une  fois  le  point  de  départ 
admis  et  laissant  de  côté  quelques  menus  détails,  fait  marcher  l'ac- 
tion droit  à  son  but  avec  une  simplicité,  une  netteté,  une  vérité  et 
un  intérêt  indéniables.  Je  sais  bien  qu'il  se  trouvera  des  esprits 
chagrins  pour  dire  que  le  second  acte  apparaît,  avec  ses  histoires 
de  sage-femme  ex-danseuse  et  de  nourrice  normande,  d'une  utilité 
contestable,  je  sais  encore  que  ces  mêmes  épilogueurs  chercheront 
à  démontrer  que  la  conduite  du  héros  n'est  point  absolument  sym- 
pathique en  ce  qui  regarde  Musotte,  je  sais  toujours  que  cette  pauvre 
Musotte  pourra  donner  prise  à  leur  critique  infinitésimalement  éplu- 
cheuse  à  propos  d'une  décision  un  peu  tardive  ;  mais  ce  que  je  sais 
bien  aussi,  c'est  que  la  salle  entière,  le  soir  de  la  première,  a  été 
absolument  subjuguée,  empoignée,  sans  qu'il  lui  soit  possible  de 
se  reprendre  une  seconde  seulement  et  qu'il  en  sera  très  certaine- 
ment ainsi  à  toutes  les  représentations.  La  pièce  de  MM.  Maupassant 
et  Normand  n'est  peut-être  point  tout  à  fait  un  chef-d'œuvre,  mais 
c'est  réellement  une  œuvre  dans  l'acception  noble  du  mot:  œuvre 
essentiellement  d'analyse,  pleine  de  pitié,  d'amour,  de  sagesse,  de 
droiture,  de  délicatesse  et  d'abnégation  dont  la  brillante  réussite 
semble  démontrer  comment,  dans  notre  théâtre  moderne,  il  faut 
entendre  l'observation  psychologique  si  fort  en  honneur. 

Voici  l'argument,  résumé  le  plus  brièvement  possible.  Jean  Mar- 
tinet, le  soir  même  de  son  mariage  avec  Gilberte  de  Petitpré,  au 
moment  oîi  il  va  prendre  congé  des  siens,  emmenant  sa  fiancée, 
apprend  qu'une  pauvre  orpheline  qu'il  a  séduite  et  avec  laquelle 
il  a  vécu  trois  années,  est  à  l'agonie,  après  avoir  mis  au  monde  un 
fils  qu'elle  jure  être  de  lui,  et  désire  ardemment  le  voir  une  dernière 
fois.  Jean  cbnnaît  Musotte  et  la  sait  la  plus  honnête,  la  plus  loyale, 
comme  elle  fut  la  plus  tendre  des  amies.  Il  court  au  chevet  de  la 
mourante  qui  lui  fait  promettre  qu'il  s'occupera  de  l'enfant  et  même 
demandera  à  sa  jeune  femme  protection  pour  lui.  Musotte  morte, 
Jean  vient  annoncer  la  vérité  avec  tant  de  sincérité,  et  une  telle 
noblesse  de  sentiments,  que  Geneviève  malgré  les  hésitations  des 
siens,  malgré  la  jalousie  qu'a  pu  faire  naître  l'évocation  de  Musotte, 
se  jette  dans  les  bras  de  son  mari  dont  elle  élèvera  le  fils. 

La  troupe  du  Gymnase  a  joué  excellemment  cette  pièce  très  déli- 
cate. Je  doute  qu'on  puisse  trouver  ailleurs  un  ensemble  aussi 
séduisant.  M""==  Pascd,  Raphaël  Sisos,  Darlaud,  Desclauzas  et 
MM.  Duflos,  Noblet,  Nertann,  Noël  et  Plan,  ne  méritent  que  des 
éloges  et  peuvent  s'attribuer,  à  bon  droit,  plusieurs  des  rappels  qui 
ont  suivi  le  baisser  du  rideau. 

Profitant  de  tout  le  tapage  fait  autour  de  l'interdiction  de  Tlier- 
midor,  M.  Floury,  en  directeur  malin,  s'est  empressé  de  remiser 
Jeanne  d'Aro  aux  magasins  des  décors  et  accessoires,  pour  monter 
Camille  Desmoulins,  un  vieux  drame  de  MM.  Blanchard  et  Mailland 
qui  date  des  environs  de  1830,  fut  repris  en  1850  et  eut  l'honneur 
d'être  joué  à  la  Comédie-Française.  C'était  un  défi  porté  aux  mes- 
sieurs qui  s'amusent  à  jeter  des  sifflets  sur  la  scène  et  aux  partisans 
«  du  bloc  »  et  pourtant  tout  s'est  bien  passé.  Desmoulins,  Robes- 
pierre, Danton  et  leurs  acolytes  ont  pu  lancer  sans  encombre  leurs 
phrases  redondantes  mais  pas  bien  méchantes,  on  n'a  fait  que  les 
applaudir  sous  les  traits  de  MM.  Brémont,  Bouhyer,  Raymond, 
Deshayes,Scipion,  Alexandre,  M"-  Désirées  et  Montcharmont  traver- 
sent fort  agréablement  l'action  à  laquelle  M.  Floury  a  su  donner 
un  cadre  très  curieux,  surtout  dans  les  lableaux  représentant  le 
Tribunal  révolutionnaire  et  la  cour  de  la   Conciergerie. 


76 


LE  MENESTREL 


Au  théâtre  de  la  Renaissance  nous  avons  eu  un  nouveau  vau- 
deville-opérette de  la  façon  de  MM.  Ordonneau  et  Hennequin,  agré- 
menté de  musique  par  M.  Raoul  Puguo  :  la  Petite  Poucette.  Agréable 
soirée,  en  somme,  passée  en  compagnie  d'une  toute  petite  artiste, 
M""  Mily-Meyer,  qui  a  du  piquant  et  de  l'esprit.  La  pièce  n'est  faite 
que  pour  elle,  mais  personne  ne  s'en  plaint.  Les  époux  Roumigoux, 
charbonniers  à  Aurillac,  ont  sept  iîlles  dont  ils  éprouvent  le  besoin 
de  se  séparer,  n'ayant  plus  de  quoi  subvenir  à  leurs  besoins.  Ils 
les  dirigent  alors  sur  Paris  sous  la  conduite  de  leur  petite  sœur 
cadette,  la  forte  tête  de  la  famille,  qui  saura  bien  les  préserver 
de  toutes  les  embûches  et  leiîr  trouver  des  situations.  La  Petite 
Poucette  n'y  manque  pas,  en  effet,  et  elle  arrive  à  son  but  au  milieu 
des  plus  étonnantes  aventures  que  vous  puissiez  imaginer.  La  mu- 
sique de  M.  Pugno  contient  quelques  bonnes  pages  et  des  couplets 
qu'on  a  fait  bisser  à  M""  Mily-Meyer,  la  grande  triomphatrice  de 
la  soirée.  Enveloppons  ses  camarades  d'ombre  et  de  mystère. 

Aux  Variétés,  Ma  Cousine  a  fini  par  céder  le  pas  à  Paris  port  de  mer 
et  si  M.  Meilhac  a  lieu  de  n'en  être  point  très  enchanté,  tandis  que 
MM.  Monréal  et  Blondeau  peuvent  s'en  réjouir,  M.  Bertrand,  lui, 
n'a  qu'à  se  frotter  les  mains  avant,  pendant  et  après.  Une  revue, 
fût-elle  la  plus  amusante  du  monde,  ne  se  raconte  pas  ;  aussi  ne 
vous  ferai-je  pas  suivre  Paris  pilotant  dans  sa  bonne  ville  la  Manche 
qu'il  tient  à  garder  chez  lui.  Tout  au  plus  me  contenterai-je  de  vous 
énumérer,  parmi  les  clous  nombreux  de  la  soirée,  ceux  qui  ont  porté: 
les  plaques  d'égout  électrisées,  l'arrivée  sur  terre  de  Cupidou  Las- 
souche  qui  vient  pour  essayer  de  remédier  à  la  dépopulation,  la 
«  barque  du  Dante  »  de  Delacroix,  en  tableau  vivant,  les  doléances 
du  concierge  des  ruines  de  la  Cour  des  Comptes,  les  pérégrinations 
de  l'ouvreuse  (Albert  Brasseur). . .  du  fameux  chalet  de  nécessité,  le 
mariage  civil  fait  en  musique  par  Baron,  les  peintres  express  Favraut 
et  Rouby,  Cooper  en  professeur  de  baisers,  le  fameux  truc  des  courses 
de  chevaux,  le  duel  des  gendarmes  belges  et  hollandais  (Duplay  et 
Raiter  )  les  parodies  de  l'Obstacle  avec  l'impayable  Albert  Bras- 
seur, A.  Guyon,  Marcelin  et  Petit,  de  Miss  Helyctt  avec  M"'  Saulier 
et  Florent,  et,  enfin,  le  pas  ultra-moderne  dansé  par  la  suggestive 
Larive.  J'ai  cité  chemin  faisant,  pas  mal  de  noms,  j'y  ajouterai 
celui  de  la  belle  M"=  Lender,  et  de  l'amusant  Raimond,  la  commère 
et  le  compère,  de  MM.  Ghalmin,  Brunais,  Darras,  de  M"'^  Crouzet 
et  de  M"'  FoUeville  conduisant  tout  un  bataillon  de  jolies   femmes. 

Paul-Émile  Chevalieiî. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 
VII 

Ces  raisons,  et  aussi  un  certain  ébranlement  de  sa  santé,  déter- 
minèrent M"^*  Durot  à  se  retirer  dans  toute  la  force  de  la  jeunesse. 
Elle   avait  été  reçue  sociétaire  en  1811.  Dès  les   premiers  jours  de 
1819,  elle  adressait  en  ces  termes  sa  démission   à  ses  camarades  : 
A  Messieurs  les  memires  du  Comité  du  théâtre  royal  de  l'Opéra- Comique. 

Paris,  le  8  janvier  1819. 
Mes  chers  camarades, 
Ma  santé  délabrée  au  dernier  point  me  met  dans  la  nécessité  de  prendre 
ma  retraite.  Je  ne  m'y  suis  décidée  qu'après  avoir  épuisé  tous  les  moyens 
de  soulagement. 

J'ose  espérer  que  vous  ne  verrez  aucun  obstacle  à  ce  projet,  et  j'attends 
de  votre  justice  que  ma  pension  de  retraite  soit  fixée  par  vous  au  taux  de 
quinze  cents  francs.  C'est  celui  déterminé  par  Messieurs  les  gentilshommes 
de  la  chambre  pour  la  pension  dont  le  roi  daigne  me  gratifier  (1). 

Si  vous  le  jugez  nécessaire,  je  ferai  communiquer  au  comité  les  certificats 

des  divers  oCSciers  de  santé  que  j'ai  dû  obtenir,  et  qui  sont  passés  sous  les 

yeux  de  Monsieur  le  duc  d'Aumont  et  de  Monsieur  le  marquis  delaFerté. 

Aussitôt  que  nous  serons  fixés   sur  ces  préliminaires,  je   remettrai  ma 

'  démission  dans  la  forme  prescrite  par  notre  règlement. 

Je  suis  bien  cordialement,  mes  chers  camarades, 

votre  très  humble  servante, 

F=  DURET  S'-AUEIN. 

Le  Comité  ne  voulut  pas  sans  doute  consentir  à  accepter  la 
démission  de  M°"=  Duret,  et  il  semble  qu'un  débat  assez  long  se 
soit  engagé  à  ce  sujet,  car,  quelques  jours  après,  elle  faisait,  par 
le  billet  suivant,  évidemment  adressé  à  l'un  des  régisseurs,  demander 
la  réunion  d'une  assemblée  générale  des  sociétaires  : 

(1)  M"°  Duret  faisait  partie  de  la  chapelle  royale,  comme  elle  avait  fait  partie  de 
la  chapelle  impériale. 


Ce  18  janvier  1819. 
Monsieur, 
Je  vous  prie  de  vouloir  bien  demander  en  mon  nom  une  assemblée  géné- 
rale à  mes  camarades,  pour  demain.  Vous  m'obligerez  infiniment. 
J'ai  l'honneur  de  vous  saluer, 

C.  DUUET  S'-AUBIN. 

Il  est  supposable  que  M""=  Duret  se  proposait  d'insister,  dans  cette 
assemblée,  sur  l'acceptation  de  sa  démission.  Quoi  qu'il  en  soit, 
qselques  jours  après,  la  lettre  suivante,  qui  avait  sans  doute  pour 
destinataire  le  duc  d'Aumont,  gentilhomme  de  la  chambre,  spécia- 
lement chargé  de  la  surveillance  de  l'Opéra-Comique,  semble  in- 
diquer que  dès  ce  moment  M""  Duret  a  consenti  à  retirer  sa 
démission  : 

Monseigneur, 
Avant  d'avoir  reçu  la  notte  que  Votre  Excellence  a  eu  la   bonté  de  me 
faire  remettre,   je    connaissais   sa   détermination,  elle   m'avait   déjà   été 
transmise  de  la  part  de  Monsieur  de  la  Ferté. 

Je  soumets  à  Votre  Excellence  le  modèle  de  la  lettre  que  je  me  propose 
de  faire  insérer  dans  les  journaux.  J'y  ai  supprimé  le  paragraphe  qu'elle 
a  bien  voulu  m'indiquer,  et  j'espère  qu'elle  sera  maintenant  conforme  à 
ses  désirs. 

Je  reste  avec  le  regret  bien  profond  d'avoir  été  l'objet  d'une  discussion, 
dont  les  résultats  ne  pourront,  j'ose  l'espérer,  ni  influer  sur  votre  bien- 
veillance, ni  altérer  votre  bonté  pour  moi. 
Je  suis  avec  respect, 
Monseigneur, 

De  Votre  Excellence, 

La  très  humble  et  très 
obéissante  servante. 
F'=  Duret  Saint-Aubin  (1). 
Paris,  ce  27  janvier  1819. 

Les  résistances  que  les  camarades  de  M'™  Duret  opposèrent  à 
l'offre  de  sa  démission  montrent  en  quelle  estime  ils  tenaient  son 
talent  et  quelle  valeur  ils  attachaient  à  ses  services.  Elle  consentit 
donc  à  la  retirer.  Mais  bientôt  un  incident  douloureux  vint  lui  faire 
reprendre  le  projet  auquel  elle  n'avait  renoncé  qu'en  présence  de 
leurs  instances  affectueuses.  Le  chagrin  causé  par  la  perte  d'un  fils 
unique,  venant  porter  un  coup  terrible  à  sa  santé,  dont  l'état  était 
toujours  languissant,  la  détermina  à  la  retraite,  et  cette  fois  d'une 
façon  absolue.  «  M"""  Duret,  disait  le  Journal  de  Paris  du  2ô  sep- 
tembre 1820,  vient  de  donner  sa  démission,  motivée  sur  l'état  de  sa 
santé.  Les  sociétaires  de  Feydeau  ont  longtemps  hésité  à  l'accepter, 
mais  ils  y  ont  été  contraints  par  les  instances  réitérées  de  M™"  Duret. 
Le  public  perd  une  cantatrice  distinguée,  et  dont  l'âge  semblait 
encore  faire  espérer  un  assez  long  service.  »  A  ce  moment  en  effet,. 
M'""  Duret  n'avait  pas  encore  tout  à  fait  accompli  sa  trente-cinquième 
année.  Elle  n'en  persista  pas  moins  dans  sa  résolution  de  quitter 
non  seulement  la  scène,  mais  aussi  la  chapelle  royale,  fit  régler  sa 
pension  de  l'un  et  de  l'autre  côté,  et  renonça  définitivement  à  tout 
service  actif.  «  Ses  talents,  disait  alors  un  biographe,  ne  sont  pour- 
tant pas  entièrement  perdus  pour  le  public,  car  elle  transmet  à  ses 
élèves  la  bonne  tradition  de  chant  qui  lui  avait  mérité  une  si  belle 
réputation.  »  Toujours  est-il  que  plus  jamais  on  ne  la  revit  au 
théâtre. 

Déjà  à  cette  époque  sa  sœur,  quoique  plus  jeune  d'âge  et  de 
carrière,  avait  depuis  trois  ans  quitté  l'Opéra-Comique  et  dit  adieu, 
à  la  scène,  oîi  ses  services,  malgré  tout  l'éclat  des  premiers  jours, 
avaient  été  moins  brillants  que  ceux  de  son  aînée.  Alexandrine  Saint- 
Aubin,  devenue  M""=  Joly,  n'avait  pas  vu  s'affermir,  dans  ses  nou- 
velles créations,  la  renommée  qu'elle  s'était  acquise  si  rapidement 
dans  le  rôle  de  Cendrillon,  et  ceux  qu'elle  établit  successivement  dans 
la  Victime  des  arts,  dans  Jean  de  Paris,  dans  les  Rivaux  d'un  moment, 
Lully  et  Quinaull,  les  Béarnais,  les  Rosières,  ne  semblèrent  pas  justifier 
l'espoir  que  tout  d'abord  on  avait  mis  en  elle.  Cependant,  par  égard 
sans  doute  pour  le  nom  qu'elle  portait,  ses  camarades  avaient  décidé 
de  la  recevoir  au  nombre  des  sociétaires,  lorsqu'un  affront  qu'elle 
reçut  précisément  à  ce  sujet  vint  la  déterminer  à  prendre  prématu- 
rément sa  retraite.  Un  écrivain  contemporain,  en  appréciant  ses  ser- 
vices ainsi  qu'on  va  le  voir,  nous  met  au  courant  de  cette  intrigue 
de  coulisses  peu  édifiante  :  —  «  Son  succès  dans  le  rôle  de  Cen- 
drillon fut  prodigieux  et  presque  sans  exemple  :  mais  elle  ne  réalisa 
point  entièrement  les  espérances  qu'on  avait  conçues  de  son  talent 
naissant.  Avec  des  grâces  et  de  la  gentillesse,  elle  n'avait  cependant 
ni  l'âme,  ni  la  verve  de  sa  mère,  ni  la  voix  de  sa  sœur,  et  ne  parais- 
sait point  appelée  à  soutenir  une  aussi  haute  réputation.  Une  injus- 
tice qu'elle  éprouva   d'un   homme   qui    retint   l'ordre    de   réception 

(1)  Ces  trois  lettres  sont  inédites. 


LE  MENESTREL 


77 


qu'elle  avait  pour  le  théâtre  Feydeau,  et  fit  recevoir  à  sa  place  une 
actrice  fort  médiocre,  pour  laquelle  il  avait  une  bienveillance  parti- 
culière, détermina  M'"'=  Joiy,  en  1817,  à  renoncer  à  la  carrière  dra- 
matique... »  (1). 

Il  est  probable  que  «  l'homme  »  dont  il  est  ici  question  n'était 
autre  que  le  marquis  de  La  Ferté,  personnage  bien  connu  par  sa 
nature  intrigante  et  peu  scrupuleuse,  et  que  sa  situation  officielle 
rendait  tout-puissant  à  l'Opéra-Comique;  quant  à  1'  «  actrice  fort 
médiocre  »  dont  le  nom  n'est  pas  prononcé,  ce  ne  pouvait  guère 
être  que  M""-  Paul  Michu,  qui  fut  en  effet  reçue  sociétaire  en  1817, 
au  mépris  des  droits  de  M""'  Joly,  plus  ancienne  qu'elle,  comme 
pensionnaire,  de  quelques  années.  Quoi  qu'il  en  soit.  M'""  Joly  ne 
crut  pas  de  sa  dignité  de  supporter  une  injustice  qu'elle  pouvait 
envisager  comme  une  injure;  elle  se  retira  simplement,  sans  éclat, 
mais  non  sans  regrets  peut-être,  préférant  briser  une  carrière  qu'elle 
considérait  désormais  comme  impossible. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougi.n. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  Le  18"  concert  de  l'Association  artistique 
a  été  un  des  plus  parfaits  de  la  saison  ;  tous  les  morceaux  ont  été  rendus 
avec  un  style  excellent  et  un  ensemble  merveilleux:  depuis  la  première 
note  jusqu'à  la  dernière,  nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  eu  une  seule  imper- 
fection à  relever.  Les  œuvres  interprétées  appartiennent  toutes  au  style 
descriptif,  sauf  l'adorable  Suite  en  si  mineur  de  Bach,  dans  laquelle  l'excel- 
cellent  flûtiste  M.  Cantié  a  obtenu  son  succès  accoutumé.  Il  n'y  a  plus  à 
analyser  la  Symplionie  fantastique  de  Berlioz,  sur  laquelle  tout  a  été  dit  ; 
elle  a  été  'rendue  avec  une  grande  intensité  d'expression  et  une  exacti- 
tude irréprochable.  C'est  une  œuvre  que  l'on  ne  peut  s'empêcher  d'admi- 
rer lorsque  l'exécution  est  parfaite,  mais  qui,  si  elle  était  dite  avec  négli- 
gence, ne  provoquerait  qu'un  effet  d'énervement  et  de  souffrance  morale. 
Entre  l'œuvre  maîtresse  de  Berlioz  et  le  Chasseur  maudit  de  César  Franck, 
il  y  avait  l'épaisseur  des  Murmures  de  la  forêt  de  Wagner.  Cette  énorme 
fumisterie  a  laissé  le  public  assez  froid,  il  ne  s'est  pas  laissé  aller  aux 
enthousiasmes  délirants  qu'on  remarque  chez  les  habitués  de  M.  Lamou- 
reux  ;  en  revanche,  il  a  accueilli  par  des  applaudissements  réitérés  l'œuvre 
de  César  Franck,  qui  est  autrement  écrite  et  autrement  suggestive  (pour 
employer  le  mot  fin  de  siècle)  que  l'œuvre  de  "Wagner.  Nous  ne  sommes 
qu'un  admirateur  modéré  du  maître  français,  nous  trouvons  que  dans  les 
derniers  temps  de  sa  vie,  il  a  trop  cédé  aux  influences  d'outre-Rhin  ; 
mais  quelle  entente  merveilleuse  de  l'orchestre  !  comme  tout  cela  est  écrit 
d'une  façon  magistrale,  et  force  l'attention  des  esprits  les  plus  prévenus  ! 
Nous  ne  savons  à  quelle  époque  de  sa  vie  Franck  a  écrit  le  Chasseur  mau- 
dit; nous  avons  un  vague  souvenir  de  l'avoir  entendu  aux  concerts  de 
Pasdeloup;  mais  il  ne  nous  avait  pas  frappé,  comme  au  concert  du 
Chàtelet,  grâce  à  l'exécution  remarquable  de  l'orchestre  Colonne.  Il  y  aurait 
à  dire,  sur  cette  œuvre  remarquable,  bien  des  choses  que  ne  comportent 
pas  les  proportions  restreintes  de  ce  compte  rendu.  Après  cette  musique 
intense,  on  a  écouté,  comme  toujours,  avec  un  sentiment  de  détente  phy- 
sique et  de  contentement  intellectuel,  le  Rouet  d'Omphale  de  M.  Saint-Saëns, 
écrit  avec  cette  sobriété,  cette  limpidité  toutes  françaises  qui  font  le 
charme  de  bien  des  œuvres  de  ce  compositeur.  Le  concert  se  terminait 
■çaxlesErinnyes,  qui  furentune  des  premières  œuvres  de  M.  Massenet  et  des 
meilleures.  Avec  Marie-Madeleine  et  les  Scènes  pittoresques,  les  Erinnyes  reste- 
ront peut-être  les  meilleurs  titres  à  la  renommée  que  puisse  invoquer 
M.  Massenet.  H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  mi  bémol  de  Schumann  a 
pour  point  culminant  sa  quatrième  partie  «  écrite  dans  le  caractère  d'un 
morceau  de  musique  destiné  à  figurer  dans  une  cérémonie  solennelle  ». 
Le  reste  de  l'ouvrage  gravite  pour  ainsi  dire  autour  de  ce  fragment,  d'une 
prodigieuse  ampleur  et  d'un  coloris  instrumental  sombre  et  imposant.  La 
phrase,  d'abord  à  quatre  temps,  s'élargit  pour  entrer  dans  un  rythme  ter- 
naire et  reparait  à  la  fin  sous  son  premier  aspect  dans  un  mouvement 
plus  large.  On  s'explique  le  sentiment  que  Schumann  a  voulu  produire 
par  ces  progressions  grandioses  quand  on  sait  que  ce  morceau  magistral 
lui  a  été  inspiré  par  la  vue  de  la  cathédrale  de  Cologne  et  qu'il  avait  pro- 
bablement en  vue  la  possibilité  de  son  exécution  sous  les  voûtes  de  cet 
édifice  au  moment  de  l'élévation  au  cardinalat  d'un  haut  fonctionnaire  de 
l'Eglise.  La  première  partie  de  la  symphonie  est  d'une  envergure  superbe  ; 
on  y  remarque  une  transition  enharmonique  au  ton  de  si  majeur  qui  ramène 
le  motif  d'une  façon  assez  inattendue.  Le  scherzo  et  le  finale  détonnent  un 
peu,  par  leur  allure  joyeuse  et  familière,  avec  le  caractère  plus  grave  du 
reste,  mais  Schumann,  prévoyant  l'objection,  a  dit  qu'il  avait  voulu  introduire 
dans  son  œuvre  quelques  éléments  populaires  et  qu'il  croyait  avoir  eu  en 
cela  une  heureuse  idée.  La  troisième  partie  est  un  délicieux  andante  pour 
quatuor,  instruments  de  bois  et  cors.  Cette  symphonie,  dite  lUiénane,  a  été 
écrite  en  cinq  semaines  et  exécutée  à  Dusseldorff  en  185L  —  M.  Rivarde 

(1)  Biographie  universelle  et  portative  des  contemporains. 


a  obtenu  un  beau  succès  dans  l'exécution  du  concerto  en  la,  pour  violon, 
de  M.  Saint-Saëns.  La  composition  est  intéressante,  bien  que  parfois  un 
peu  pénible  à  entendre  par  suite  de  l'attention  qu'elle  exige.  Le  virtuose 
l'a  jouée  avec  distinction,  dans  un  style  sobre  et  avec  une  jolie  sonorité. 
—  Paysage  et  Ronde  fantastique,  de  M.  Emile  Bernard,  forment  un  tableau 
descriptif  en  deux  panneaux,  quelque  chose  comme  un  Puvis  de  Chavannes 
musical.  La  première  partie  est  excellente,  en  ce  sens  qu'elle  dépeint 
exactement  et  musicalement  ce  que  l'auteur  a  voulu  nous  montrer  ;  quant 
à  la  seconde,  elle  est  bruyante,  peu  originale,  et  ne  nous  présente  plus 
que  des  images  très  effacées.  La  musique  peut  décrire  un  paysage,  mais 
non  pas  l'action  qui  s'y  passe.  La  Ronde  fantastique  de  M.  Bernard  nous 
laisse  l'impression  d'un  effort  méritant,  mais  stérile,  pour  élargir  le  domaine 
descriptif  de  la  musique.  On  a  entendu  au  même  concert  l'ouverture  de 
Sakountala,  de  M.  Goldmark,  le  premier  morceau  de  la  Rapsodie  norwégienne 
de  M.  Lalo  et  des  extraits  des  Maîtres  chanteurs,  parmi  lesquels  se  trouvait 
l'ouverture,  qui  ressemble  à  une  brillante  improvisation,  bien  que  le  plan 
en  soit  assez  rigoureusement  indiqué.  Amédée  Boutarei. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Au  Conservatoire,  Symphonie  pastorale  (Beethoven );  Ca/igu/a  (G.  Fauré;)  Concerto 
pour  violon  (Max  Bruch),  par  M.  Hayot  ;  le  Chanteur  des  bois  (Mendelssohn) ; 
ouverture  du  Carnaval  romain  (Berlioz).  Le  concert  sous  la  direction  de  M.  Garcin. 

Au  concert  Colonne,  ouverture  des  Francs  Juges  (H.  Berlioz);  Symphonie  italienne 
(Mendelssohn);  Eloa  (Ch.  Lefebvre),  par  M.  Portejoie;  le  Chasseur  maudit  (César 
Franck)  ;  Au  pays  bleu  (A.  Holmes)  ;  concerto  en  mi  mineur  (Chopin),  par  M.  Otto 
Hegner;  fragment  de  Siegfried  (R.  Wagner):  les  Erinnyes  (J.  Massenet). 

Au  concert  Lamoureux,  Sj-mphonie  en  mi  bémol  (R.  Schumann)  ;  le  Chêne  et  le 
Roseau  (C.  CheviUard)  ;  Danse  macabre  (Saint-Saënî-)  ;  Introduction  du  3°  acte  de 
Lohengrin  (R.  Wagner);  Prélude  de  Parsifal  (R.  Wagner);  le  Camp  de  Wallenstein 
(V.  d'Indy);  Prélude  el  Marche  triomphale  {M.  Sieveking). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

a  Nouvelles  de  Londres.  —  Les  nombreux  amis  de  sir  Arthur  Sullivan 
se  sont  félicités  de  cet  exemple  frappant  de  sa  popularité  à  Londres  : 
samedi  dernier,  trois  de  ses  œuvres  y  étaient  exécutées  simultanément 
dans  trois  théâtres  différents:  à  l'Opéra  national  loanhoe,  au  Savoy  les  Gon- 
doliers, et  à  Govent-Garden  la  Légende  dorée.  Il  est  vrai  que  le  succès  artis- 
tique d'Ivanhoe  reste  toujours  fort  contesté  et  que  les  Gondoliers  sont  loin 
d'être  la  meilleure  des  opérettes  de  l'auteur.  Par  contre  la  Légende  dorée 
est  une  œuvre  absolument  distinguée  et  qui  mérite  la  haute  estime  dans 
laquelle  elle  est  tenue  en  Angleterre.  C'est  une  cantate  dramatique  pour 
soli  et  chœurs  basée  sur  un  poème  de  Longfellow.  L'œuvre  est  intéressante 
et  pittoresque,  si  elle  manque  quelque  peu  d'individualité.  Il  n'y  a  rien 
d'étonnant  après  tout  qu'ayant  à  traiter  un  sujet  fantastique,  dont  Lucifer 
est  un  des  personnages,  le  souvenir  de  Berlioz  ait  hanté  sir  Arthur  Sulli- 
van.—  Les  Concerts  populaires  nous  ont  fait  entendre  lundi  soir  le  nouveau 
quintette  de  Brahms,  op.  111,  en  sol  majeur,  œuvre  sombre  et  confuse. 
M.  Joachim,  très  en  forme,  a  exécuté  avec  un  style  admirable  la  fameuse 
chaconne  de  Bach.  —  La  Société  Philharmonique  inaugure  ce  soir  sa  nou- 
velle saison  de  concerts  par  un  programme  peu  intéressant.  Du  reste,  il 
est  convenu  qu'on  sera  très  avare  de  nouveautés,  cette  année-ci,  la  prin- 
cipale devant  être  une Symphonie-Epithalaine  de  Sgambati.— AuCristdl-Palace 
on  exécutera  samedi  le  troisième  acte  de  Tannhàuser  en  entier  et  pour  la 
première  fois  un  concerto  pour  piano  de  Burmeister  (?;  et  la  Mort  d'Ophélie 
de  Berlioz.  —  M.  Auguste  Harris  s'est  rendu  acquéreur  des  droits  pour 
l'Angleterre  de  Manon  et  de  Philémon  et  Baucis,  qui  seront  probablement 
exécutés  en  français  pendant  la  saison  prochaine.  Il  est  question  du  ténor 
Van  Dyck  pour  le  rôle  de  Des  Grieux,  qu'il  a  créé  à  Vienne.  D'un  autre 
côté,  M.  Harris  a  cédé  à  M.  Carte  et  pour  une  somme  très  ronde,  les  droits 
anglais  de  la  Basoche,  qui  suivra  ou  peut-être  alternera  avec  Ivanhoé  à 
l'Opéra  national  anglais.  On  assure  également  que  M.  Carte  est  en  pour- 
parlers avec  M.  Beraberg  pour  l'acquisition  de  son  opéra  Elaine.  Voilà  ce 
qui  venge  la  musique  française  de  bien  des  perfidies  locales.  La  partition 
d'Ivanhoé  vient  enfin  de  paraître,  probablement  après  quelques  retouches. 
Les  éditeurs  ont  publié  une  note  dans  les  journaux,  par  laquelle  ils  an- 
noncent avec  une  certaine  fierté  que  le  poids  de  la  première  éditioti  dépasse 
quatre  tonnes.  Etrange  façon  d'apprécier  la  valeur  d'une  œuvre  musicale... 
Au  poids,  alors?  »  A.  G.  N. 

—  On  sait  que  les  lois  autrichiennes  ne  garantissent  plus  la  propriété 
artistique  dix  ans  après  le  décès  des  auteurs.  En  conséquence,  les  œuvres 
de  Wagner  tomberont  dans  le  domaine  public,  en  Autriche-Hongrie,  le 
13  février  1893.  En  prévision  de  cette  échéance  fatale,  M°"=  Cosima  Wagner 
s'est  rendue  dernièrement  à  Vienne  pour  négocier  avec  l'intendance  du 
théâtre  de  la  Cour  un  traité  de  prolongation  pour  le  monopole  de  Parsifal. 
Cette  œuvre  n'a  été  jouée  jusqu'à  présent  qu'à  Bayreuth,  en  vertu  du  droit 
d'exclusion  accordé  par  Wagner  au  Festspielhaus,  lequel  droit  s'étend 
pendant  trente  années  à  dater  du  jour  de  la  mort  de  l'auteur.  Parsifal  cessant 
d'être  protégé,  en  Autriche,  à  partir  du  13  février  1893,  M"'"  Wagner  a 
voulu  obtenir  des  autorités  autrichiennes  qu'on  respecte  cette  exclusion  à 
laquelle  son  mari  tenait  tant.  Les  journaux  ne  disent  pas  si  elle  a  réussi 
dans  sa  mission. 


78 


LE  MENESTREL 


—  Voici  une  anecdote  qui  remonte  à  l'époque  difficile  de  la  carrière  de 
Richard  "Wagner,  et  où  l'on  verrales  moyens  singuliers  que  lefutur  auteur 
de  la  Tétralogie  était  obligé  d'employer  pour  réussir  à  ne  pas  mourir  de 
faim  :  En  183G,  Richard  Wagner  était  chef  d'orchestre  au  théâtre  de  Mag- 
debourg,  sous  la  direction  de  M.  Bethmann.  Ce  dernier  payait  les  appoin- 
tements très  irrégulièrement;  de  fait,  ses  règlements  se  trouvaient  toujours 
en  retard.  Wagner  émargeait  pour  une  somme  insignifiante,  avec  laquelle, 
pourtant,  il  lui  fallait  subvenir  à  tous  ses  besoins,  ne  possédant  pas  le 
moindre  avoir.  Et  avec  cela  toujours  obligé  d'attendre  qu'il  plaise  au 
directeur  de  lui  solder  ses  appointements.  —  «  Il  faut  absolument  trouver 
un  remède  à  la  situation  »,  pensa  Wagner;  et,  un  soir  qu'on  ne  jouait 
pas  au  théâtre,  il  se  rendit  chez  le  directeur  Bethmann.  Celui-ci  n'était 
pas  chez  lui;  il  était  allé  au  cabaret  du  Prince  de  Priisfe  faire  une  partie  de 
cartes  avec  quelques  amis.  Wagner  courut  l'y  rejoindre  et  s'assit  tranquil- 
lement auprès  de  son  directeur,  qui  ne  fit  pas  attention  â  lui,  absorbé 
qu'il  était,  par  son  jeu.  Bethmann  venait  de  gagner:  il  ramassait  l'argent 
et  l'ajoutait  à  celui  qui  était  déjà  posé  devant  lui,  sur  la  table,  quand  tout 
à  coup  Wagner  se  leva  et  rafla  le  tout,  en  glissant  à  l'oreille  du  directeur 
interdit:  «A  compte  sur  mes  appointements,  mon  cher  patron  «.Bethmann 
regarda  son  chef  d'orchestre  d'un  air  qu'il  s'efforçait  de  rendre  souriant 
■  et  tira,  en  silence,  sa  bourse  de  sa  poche  pour  poser  une  nouvelle  mise. 
Mais,  de  nouveau,  Wagner  abattit  sa  main  sur  l'argent  en  murmurant  les 
mêmes  paroles  à  son  directeur.  Il  renouvela  cette  manœuvre  tous  les  soirs, 
jusqu'à  ce  que  le  directeur  se  soit  décidé  —  afin  de  pouvoir  jouer  aux 
cartes  tranquillement  —  à  lui  solder  régulièiement  son  dû. 

—  Si  le  fait  est  vrai,  il  est  au  moins  étrange,  et  il  donne  la  preuve  d'une 
singulière  exaltation  morbide.  Les  journaux  de  Vienne  rapportent  qu'une 
fort  belle  jeune  fille  de  cette  ville,  qui  étudiait  le  chant  avec  passion, 
s'est  versé  sur  le  visage  le  contenu  d'un  flacon  de  vitriol,  se  mettant  dans 
un  état  à  faire  pitié.  La  raison  qu'elle  a  donnée  de  cet  acte  de  folie  est 
qu'elle  voulait  vivre  seulement  pour  l'art  ! 

—  La  petite  ville  de  Deventer,  en  Hollande,  s'est  offert  le  luxe  d'une  pre- 
mière représentation.  Il  s'agit  d'un  opéra-comique  en  trois  actes,  intitulé 
Caïla  Laps,  joué  sous  la  direction  du  compositeur  M.  Henri  van  den  Berg. 
L'auteur  du  livret  est  M.  W.  A.  Liermur. 

—  Des  nouvelles  de  Saint-Pétersbourg  apportent  de  nouveaux  détails 
relatifs  à  la  mort  si  regrettable  de  M"'=  Joséphine  de  Reszké  et  à  la  façon 
presque  dramatique  dont  ses  frères  ont  appris  cette  triste  nouvelle.  Nous 
avons  dit  que  l'ex-cantatrice,  devenue  baronne  de  Kronenberg,  était  morte 
brusquement  à  Varsovie,  de  suites  de  couches.  Ce  jour  même,  MM.  Jean 
et  Edouard  de  Reszké  dînaient  joyeusement,  en  compagnie,  à  Saint-Péters- 
bourg, et  au  dessert  un  des  convives  eut  l'idée  de  porter  un  toast  à 
M""  de  Reszké,  leur  sœur,  toast  qui  lui  fut  immédiatement  expédié  par  télé- 
gramme. Une  heure  après,  un  autre  télégramme  arrivait  à  son  tour  de 
Varsovie.  Chacun  crut  que  c'était  la  réponse  au  toast,  mais  que  l'on  juge 
de  la  stupéfaction  douloureuse  des  assistants,  lorsqu'après  l'ouverture  de 
la  dépêche,  on  y  lut  ces  mots  :  «  M""=  Joséphine  de  Kronenberg,  née  de 
Reszké,  est  morte.  » 

—  M.  Georgis,  un  compositeur  de  nationalité  grecque,  vient  de  présenter 
au  théâtre  impérial  de  Saint-Pétersbourg  un  opéra  de  sa  façon,  qui  a  été 
accepté.  Le  titre  de  l'ouvrage  est  F  Impératrice  des  Balkans;  le  sujet  est  tiré 
d'une  nouvelle  du  prince  de  Monténégro. 

—  Vient  de  paraître  à  Gand,  à  l'imprimerie  Annoot-Braeckman,  la 
3°  livraison  du  tome  II  de  l'excellent  Catalogue  descriptif  et  analytique  du  musée 
instrumental  du  Conservatoire  royal  de  Bruxelles,  rédigé  avec  le  soin,  la  com- 
pétence et  la  clarté  qu'on  lui  connaît  par  M.  Victor-Charles  Mahillon, 
conservateur  du  Musée,  et  orné  de  nombreuses  gravures. 

—  Signalons  le  très  grand  succès'  qu'obtient  en  ce  moment  à  Milan 
M""!  Sigrid  Aruoldsoa.  Salle  comble  tous  les  soirs  et  ovations  sans  fin. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  le  grand  violoniste  Baz- 
zini,  directeur  du  Conservatoire  de  Milan,  est  en  ce  moment  très  sérieuse- 
ment malade. 

—  Voici  que  cetie  déplorable  coutume  de  la  claque,  si  fâcheusement 
vivace  chez  nous,  s'implante  décidément  en  Italie,  après  une  série  d'es- 
sais qui,  jusqu'à  ce  jour,  étaient  reêtés  à  peu  près  infructueux.  Voici  com- 
ment le  Trovatore  termine  son  compte  rendu  de  Condor,  le  nouvel  opéra 
du  maestro  Gomes,  représenté  ces  jours  derniers  à  la  Scala  de  Milan  :  — 
«  Je  ne  peux  clore  cette  chronique  sans  une  protestation  contre  l'indécente 
etaque,  qui,  désormais  officiellement  organisée  et  stratégiquement  disposée, 
a  pris  possession  même  du  parterre  de  la  Scala,  jusqu'à  ces  derniers  temps 
encore  vierge  de  cette  indigne  importation  d'outre- Alpes.  »  Le  fait  est  que 
nos  voisins  auraient  pu  nous  emprunter  quelque  chose  de  plus  propre  et 
de  plus  intelligent. 

—  L'un  des  plus  célèbres  théâtres  d'Italie,  célèbre  par  son  passé  glorieux, 
celui  de  la  Fenice  de  Venise,  s'apprête  à  célébrer,  l'an  prochain,  le  cen- 
tième anniversaire  l'e  son  existence.  A  cet  effet  il  songe  à  remettre  à  la 
scène  et  à  oll'rir  à  son  publicl'opéra  qui  servit  à  son  inauguration  en  1792. 
Cet  opéra,  i  Giuochi  d'Agrigento,  avait  pour  auteur  Paisiello,  l'émule,  fameux 
de  Guglielmi,  de  Sarti  et  de  Ciraarosa. 


—  A  Florence,  parles  soins  et  sur  l'initiative  de  la  Société  philharmo- 
nique, on  se  prépare  à  célébrer  dignement  cette  année  le  centenaire  delà  mort 
de  Mozart,  et  l'année  prochaine  le  centenaire  de  la  naissance  de  Rossini. 

—  Au  théâtre  Cavour  de  Porto  Maurizio  on  a  donné,  le  22  février,  la 
première  représentation  d'un  opéra  en  deux  tableaux  intitulé  Oitona,  dont 
l'auteur  est  M.  Gorradi,  lequel  n'a  que  médiocrementà  se  louerdu  résultat 
qu'il  a  obtenu,  ce  qui  n'a  pas  lieu  d'étonner,  si  l'on  s'en  rapporte  à  ces 
premières  lignes  du  compte-rendu  d'un  journal  italien  :  «  Un  opéra  nou- 
veau, même  de  modestes  proportions,  est  toujours  un  événement,  événe- 
ment qui  suffit  à  piquer  la  curiosité,  et  aussi  à  soulever  de  nombreuses 
critiques  lorsqu'il  s'agit,  comme  pour  l'auteur  à'Oitona,  d'un  maestro  qui, 
sans  connaître  ni  l'harmonie  ni  le  contrepoint,  en  a  écrit  la  musique, 
qui  sans  être  lettré  en  a  imaginé  le  livret,  et  qui,  pour  comble,  en  a 
même  peint  les  décors!  ...»  Toute  la  lyre,  quoi  !  Mais  cet  homme  univer- 
sel a  conçu  un  ouvrage  exécrable,  dont  l'exécution  d'ailleurs  a  été  horrible, 
et  a  produit  un  fiasco  colossal. 

—  Encore  un  lot  d'opéras  nouveaux  qui  n'attendent,  en  Italie,  que  le 
grand  jour  de  la  rampe.  Alarico,  il  sanguinario,  paroles  de  M.  Romolo  Cas- 
tagne, musique  de  M.  Sanagli,  qui  doit  être  représenté  au  théâtre  du 
Corso,  de  Bologne;  Vindice,  opéra  en  trois  actes,  musique  de  M.  LTmberto 
Masetti,  qu'on  espère  voir  jouer  au  théâtre  Brunetti,  de  la  même  ville  ; 
A  Santa  Lucia,  livret  de  M.  Goffredo  Cognelti,  musique  de  M.  Pierantonio 
Tasca;  Graziella,  paroles  de  M.  Tommasi  (et  peut-être  un  peu  aussi  de 
Lamartine),  musique  de  M.  Vincenzo  Maltese;  Mariska,  opéra  en  trois 
actes,  paroles  de  feu  Vincenzo  Valle,  musique  de  M.  Giulio  Tanara;  Pier 
Luigi  Farnese,  paroles  de  M.  Arrigo  Boito,  musique  de  M.  Gostantino 
Palumbo;  enfin,  Tecla,  musique  de  M.  Alfredo  Torri.  —  Ouf! 

—  Una  maestra  concertatora  e  direttoressa  d'orchestra,  s'écrie  le  Trovatore! 
C'est  un  cas  unique,  au  moins  en  Italie,  un  orchestre  dirigé  par  une 
femme!  C'est  au  théâtre  Ravivati,  de  Poggibonsi  (Toscane),  que  cala  se 
voit.  La  directrice  d'orchestre  s'appelle  Maria  Eponina  Rieschi. 

—  M'""  Jeannette  Thurber,  qui  a  déjà  doté  New- York  de  si  utiles  insti- 
tutions musicales  et  qui  poursuit  avec  une  ardeur  infatigable  la  tâche  de 
créer  un  art  national  aux  Etats-Unis,  s'occupe  actuellement  de  recruter 
un  orchestre  permanent  pour  New- York  sur  le  modèle  de  celui  de  Boston. 
Cette  nouvelle  fondation  prendrait  le  litre  d'Orchestre  symphonique  national 
et  serait  placée  sous  la  direction  artistique  de  M.  Max  Erdmannsdôrfer. 

—  En  Amérique  comme  en  Europe,  on  songe  à  fêter  avec  éclat  le  qua- 
trième centenaire  de  Christophe  Colomb.  Déjà,  à  New-York,  un  composi- 
teur italien  est  à  l'œuvre,  et  tout  occupé  en  ce  moment  à  écrire  la  partition 
d'un  grand  drame  lyrique,  Cristoforo  Colombo,  qu'il  espère  faire  représenter 
l'année  prochaine  à  cette  occasion.  Cet  artiste  est  M.  Carlo  Brizzi. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

La  Commission  des  théâtres  a  terminé  hier  soir,  à  six  heures,  l'étude 
du  cahier  des  charges  destiné  au  nouveau  directeur  de  l'Opéra.  Un  seul 
détail  restait  à  fixer  dans  cette  dernière  séance  :  les  rapports  de  l'Opéra 
avecle  Conservatoire.  Après  une  discussion  fort  longue,  il  a  été  décidé  que 
le  directeur  de  l'Opéra,  dans  les  six  mois  qui  suivront  son  entrée  en  fonc- 
tions, étudierait  les  moyens  d'établii'  une  classe  de  chœurs  analogue  aux 
classes  de  danse  déjà  existantes. 

—  La  liquidation  de  la  Caisse  des  retraites  de  l'Opéra  se  poursuit  dans 
des  conditions  de  régularité  qui  donnent  une  sécurité  absolue  pour  l'ave- 
nir. C'est  du  moins  ce  qui  ressort  du  troisième  rapport  présenté  au  minis- 
tère des  Beaux-Arts  par  la  commission  chargée  de  cette  liquidation.  Nous 
en  donnons  un  bref  résumé  avec  chiffres  à  l'appui. 

L'avoir  de  la  Caisse  des  retraites  était,  au  {"  janvier  1890,  de  3  millions 
639,809  fr.  01.  Au  1"  janvier  1891,  cet  avoir  était  de  3,703,424  fr.  17.  Cette 
augmentation  de  66,615  fr.  16,  pendant  l'année  qui  vient  de  s'écouler,  est 
due  pour  31,675  fr,  1-5  à  une  hausse  sur  les  valeurs  et,  pouf  le  reste,  à  la 
différence  entre  les  recettes  et  les  dépenses.  En  1890,  les  recettes  se  sont 
réparties  de  la  sorte  : 

Intérêts  et  remboursement  des  rentes  et  obligations Fr.    144.286  88 

Subvention  de  l'État  (timbre  de  0,25  déduit) 29.997    » 

Subvention  de  la  direction  de  l'Opéra 20.000    » 

Produit  des  retenues 32.201  90 

Produit  des  amendes 3.660  90 

ToT.iL Fr.    230.146  68 

En  1889,  ces  recettes  s'étaient  élevées  à  229,679  fr.  08,  Les  dépenses  de 
1890  sont  ainsi  justifiées  : 

Arrérages  de  pensions Fr.    194.464  63 

Remboursement  de  retenues 533  94 

Frais  divers  (impression  de  rapports,  etc.) 20S  10 

Total Fr.     195.206  67 

Excédent  de  recettes 34.940    »   , 

En  1889,  les  dépenses  avaient  été  de  187,982  fr.  7b,  l'excédent  des  recettes 
de  41,696  fr.  33.  Il  a  été  inscrit  pour  1890:  dix  pensions  d'ancienneté 
(MM.  Perrot,  Lancien,  Lalliet,  Dihau,  Dumas,  Ponchaut,  Merante;  W^'=^ 
Jousset  et  de  Bondé)  ;  quatre  pensions  de  veuve  (M"'=s  Douchez,  Germain, 
Gabiot,  Lepinoy)  ;  une  pension  de  réforme  (M.  Girard). 


LE  MENESTREL 


79 


Au  31  décembre,  le  nombre  des  pensionnaires  était  de  186.  A  la  même 
date,  le  nombre  des  tributaires  est  réduit  à  240,  ainsi  répartis  : 

Administration 2 

Silène 5 

Chant => 

Ballet 18 

Orchestre ''^ 

Danse 14 

Chœurs ''o 

Contrôle ^^ 

Bâtiment 2 

Costumes 5 

Décoration 16 

Figuration 1 

Le  montant  des  retenues,  calculé  sur  les  traitements  pendant  le  mois  de 
décembre  (46,740  francs)  s'élève  à  2,337  francs,  soit,  pour  une  année,  à 
28,044  francs.  La  réduction  s'accentue  chaque  année,  non  seulement  par 
suite  de  la  diminution  dans  le  nombre  des  tributaires,  mais  encore  par  ce 
fait  que  ceux  qui  se  retirent  sont  en  possession  de  traitements  plus  élevés. 

—  Parmi  les  causes  qui  ont  amené  la  chute  de  M.  Paravey  à  l'Opéra- 
Comique,  quelques-uns  de  nos  confrères  mettent  en  avant  le  déficit  laissé 
par  la  direction  provisoire  de  M.  Jules  Barbier.  Il  est  bon  de  préciser 
que  ce  déficit  se  montait  en  tout  —  on  peut  consulter  les  livres  —  à  la 
somme  de  trente-sept  mille  francs.  La  réouverture  du  théâtre,  qui  devait 
avoir  lieu  le  1=''  octobre, ne  put  être  effectuée  que  le  15  du  même  mois,  d'où 
soixante  mille  francs  de  fraisa  payer  sans  aucune  recette  pour  lescontre- 
balancer.  Si  on  veut  bien  mettre  en  dehors  ces  soixante  mille  francs  de 
perte,  qui  ne  sont  pas  du  fait  de  M.  Jules  Barbier,  on  trouvera  alors  que 
son  administration,  dans  les  plus  mauvais  mois  de  l'année,  a  donné 
23,000  francs  de  bénéfice,  au  lieu  d'un  déficit  quelconque.  C'était  un  point 
bon  à  éclaircir. 

—  La  seconde  conférence  que  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  a  faite, 
mercredi  dernier,  au  Théâtre  d'application,  sur  Rameau  et  ses  œuvres,  a 
obtenu  le  même  succès  que  celle  qu'il  avait  consacrée  précédemment  à 
Lully  et  aux  commencements  de  l'opéra  français.  Le  conférencier  a  raconté 
en  termes  excellents  là  vie  et  la  carrière  de  Rameau,  il  a  montré  les  dilh- 
cultés  et  les  obstacles  de  tout  genre  que  le  grand  homme  avait  dû  surmonter 
pour  parvenir  à  se  faire  connaître,  il  a  lavé  sa  mémoire  des  calomnies 
dont  elle  a  été  l'objet,  il  a  fait  saisir  l'importance  du  rôle  de  réformateur 
joué  par  Rameau  dans  la  nature  et  la  contexture  de  l'opéra  français  et  qui 
a  si  bien  préparé  la  venue  de  Gluck  et  de  ses  chefs-d'œuvre,  enfin  il  a 
insisté  sur  ce  fait  que  Rameau,  musicien  français,  né  et  élevé  en  France, 
a  des  droits  tout  particuliers  à  notre  respect  et  à  notre  reconnaissance. 
Chemin  faisant,  le  conférencier  interrompait  son  discours  pour  donner,  par 
une  citation  intéressante,  plus  de  poids  à  ses  jugements  et  à  ses  affirma- 
tions. C'est  ainsi  qu'il  a  fait  entendre,  successivement,  un  duo  superbe 
é'Hippolyte  et  Aricie,  chanté  par  M.  et  M""=  du  "Wast;  l'air  célèbre  de  Castor 
et  Pollux:  «  Tristes  apprêts,  pâles  flambeaux  »,  superbement  dit  par  M°"=  du 
Wast;  celui  de  Castor,  fort  bien  chanté  par  M.  du  Wast;  un  air  adorable 
des  Fêtes  d'Hébé,  délicieusement  détaillé  par  M"»  Bilbaut-Vauchelet,  et  un 
duo  exquis  du  même  ouvrage,  par  M'""'^  Bilbaut-Vauchelet  et  du  Wast; 
sans  compter  le  charmant  Tambourin  si  fameux,  fort  joliment  exécuté  par 
M'"'  Juliette  Barat.  Le  conférencier  et  ses  interprètes  ont  été  l'objet  des 
manifestations  sympathiques  et  des  applaudissements  du  public. 

—  M"'"  Melba  est  de  retour  à  Paris,  après  une  saison  des  plus  brillantes 
au  théâtre  impérial  de  Saint-Pétersbourg.  On  annonce  sa  prochaine  rentrée 
à  l'Opéra  de  Paris  dans  Rkjoletto. 

—  Signalons  deux  études  fort  intéressantes  qui  viennent  d'être  consacrées 
au  regretté  Léo  Delibes  dans  deux  publications  importantes  :  l'une,  de 
M.  Francis  Thomé,  dans  la  Revue  de  famille  àm^&s  par  M.  Jules  Simon  ; 
Vautre,  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  dans  le  numéro  6  de  la 
Revue  encyclopédique,  recueil  très  luxueux  et  fort  intéressant.  Cette  dernière 
est  accompagnée  d'un  fort  joli  portrait  de  l'auteur  de  Laknié,  d'un  auto- 
graphe et  d'un  fac-similé  de  son  écriture  musicale,  ainsi  que  de  la  liste 
complète  et  détaillée  de  ses  œuvres,  telle  que  nulle  part  elle  n'a  été 
publiée. 

—  M.  Henri  Kaiser,  second  grand  prix  de  Rome,  est  nommé  professeur 
de  solfège  au  Conservatoire,  en  remplacement  de  M.  Lavignac,  qui,  comme 
nous  l'avons  annoncé,  succède  comme  professeur  d'harmonie  à  M.  Théodore 
Dubois,  nommé  lui-même  à  la  classe  de  composition  du  regretté  Léo  Delibes. 

—  C'est  jeudi  et  vendredi  que  M™  Krauss  a  donné,  au  Grand-Théâtre 
de  Nantes,  les  deux  représentations  que  nous  avions  annoncées.  Elle  a 
chanté  le  premier  jour  l'Africaine,  elle  second,  Faust.  Le  triomphe  de  la 
grande  cantatrice  a  été  complet,  et  les  Nantais  lui  ont  fait  un  accueil 
enthousiaste. 

—  A  Marseille,  c'est  M""  Adelina  Patti,  (jui  jeudi,  a  triomphé.  Elle  avait 
été  engagée,  au  prix  de  douze  mille  francs,  dit-on,  pour  un  concert  donné 
au  théâtre  Valette.  La  salle  était  archi-comble,  le  succès  do  la  diva  a 
été  colossal  et  la  recette  a  dépassé  22,000  francs. 

—  On  a  donné  dimanche  dernier,  au  Grand-Théâtre  de  Nantes,  la  pre- 
mière représentation  d'un  ballet  nouveau  en  trois  tableaux,  les  Consci-its 
de  Jagennc,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  BoUaërt,  première  con- 
trebasse à  l'orchesire  de  ce  théâtre. 


—  M.  Gigout  fera  entendre  chez  lui,  le  mardi-saint,  les  élèves  de  son  école 
d'orgue.  Les  récitals  que  le  maître  organiste  a  l'habitude  de  donner  en 
Angleterre,  chaque  année,  au  mois  de  mars,  auront  lieu,  cette  année,  en 
avril,  M.  Gigout  étant  attendu  le  14  et  le  16  mars  à  Bordeaux,  le  19,  à 
Nantes,  et  ayant  également  promis  son  concours  dans  d'autres  villes  pour 
des  saluts  de  charité.  C'est  M.  Boëlmann  qui,  pendant  l'absence  de  M.  Gi- 
gout, suppléera  le  maître  à  son  cours  d'orgue. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Samedi  dernier,  à  la  salle  Erard,  audition  très  intéressante  d'œuvres 
de  M""=  Augusta  Holmes.  La  première  partie  était  composée  d'œuvres 
détachées,  dont  la  plupart  étaient  connues  :  la  seconde  était  exclusive- 
ment consacrée  à  l'Hymne  à  la  Paix,  composée  pour  les  fêtes  de  Florence. 
Les  chœurs  étaient  conduits  par  M.  Colonne;  les  pianos  d'accompagne- 
ment tenus  par  M"'°  Holmes  et  M.  Maton.  —  Dans  la  première  partie, 
M">=  Edouard  Colonne  a  obtenu  un  grand  et  légitime  succès  dans  plusieurs 
mélodies;  on  a  admiré  l'excellente  méthode  et  le  beau  talent  de  l'éminent 
professeur.  Le  succès  a  été  également  très  grand  pour  les  autres  interprètes 
qui  ont  fait  valoir  les  œuvres  de  U'"'  Holmes.  H.  B. 

Le  27    février  dernier,  très   brillant  concert   donné  par  M'""  Roger- 

Miclos.  M.  Fournets,  dans  un  air  de  Bizet  et  dans  plusieurs  mélodies  de 
Tagliafico  qui  ont  été  plusieurs  fois  bissées,  s'est  fait  applaudira  outrance, 
et  M.  Rémy  a  joué,  sur  le  violon,  une  sonate  de  Beethoven  et  Vlntroduction 
et  Rondo  capriccioso  de  M.  SaintSaëns  qui  lui  ont  valu  un  fort  beau  succès. 
M™  Roger-Miclos  avait  composé  un  programme  de  nature  à  mettre  en 
relief  les  divers  aspects  que  peut  présenter  son  talent.  Elle  a  étonné  ceux 
mêmes  qui  ont  le  plus  l'habitude  de  l'entendre.  Nous  avons  apprécié  tout 
spécialement  la  manière  dont  elle  a  rendu  le  Carnaval  de  Schumann,  plu- 
sieurs pièces  de  Chopin,  un  Caprice  de  M.  Pfeiffer,  une  jolie  piécette  de 
M.  B.  Godard,  la  Fée  de  M.   Le  Borne,  et  la  H'  Rapsodie  de  Liszt. 

Am.  b. 

—  Nous  lisons  dans  l'Événement  sous  la  signature  de  M.  Louis  Besson  : 
«  La  dernière  séance  donnée  par  Marmontel  avait  spécialement  pour  but 
de  faire  connaître  deux  artistes  étrangères,  M™^  Van  Arnhem,  cantatrice 
américaine,  dont  l'éducation  vocale  fait  le  plus  grand  honneur  à  M^^  de 
Lagrange  et  à  M.  Pluque,  de  l'Opéra,  pour  la  mise  en  scène.  Bien  rare- 
ment il  nous  a  été  donné  d'entendre  une  voix  d'un  timbre  aussi  sympa- 
thique et  conduite  avec  autant  d'art.  M™'  Van  Arnhem  possède  le  charme, 
la  bravoure  ;  nous  lui  prédisons  de  grands  succès.  La  seconde  artiste  étran- 
gère présentée  par  Marmontel  était  M"*  Pignat,  jeune  pianiste  russe,  du 
Conservatoire  de  Moscou,  qui,  à  la  recommandation  du  célèbre  artiste  Da- 
vidofï',  suit  depuis  trois  ans  les  leçons  de  Marmontel.  A  l'heure  présente, 
M""  Pignat  est  une  des  plus  vaillantes  virtuoses  formées  à  l'école  de  ce 
maître,  qui  compte  à  son  avoir  presque  toutes  les  célébrités  modernes 
du  piano.  Expression,  style,  entente  parfaite  des  nuances,  bravoure  impec- 
cable, M'i"  Pignat  possède  toutes  ces  qualités,  et  très  certainement  son 
talent  hors  pair  lui  vaudra  de  grands  succès,  maintenant  surtout  que  la 
critique  parisienne  lui  a  décerné  son  diplôme  de  virtuosité.  » 

—  L'Institut  musical  continue  le  cours  de  ses  intéressantes  séances  d'é- 
lèves à  la  salle  Pleyel.  11  y  a  peu  de  temps  c'était  l'audition  très  remar- 
quable des  élèves  du  cours  que  fait  à  l'institut  de  M.  et  M°"=  Oscar  Comet- 
tant,  notre  maître  éminent  Marmontel  père;  cette  semaine,  c'était  aux 
élèves  du  cours  du  distingué  professeur  M.  Dolmetsch  à  se  faire  entendre. 
Citons  M""!'  Coindriau  dans  un  morceau  de  Rubinstein,  Vincent  dans  le 
Passepied  de  M.  Dolmetsch,  Versini  dans  la  Fanlaisie-Valse  du  même  com- 
positeur, Trubert,  Dussol,  Masson,  Lefort,  etc.,  qui,  toutes,  ont  témoigné 
d'un  excellent  enseignement.  Une  mention  spéciale  est  due  à  la  char- 
mante fille  de  M.  Jules  Cohen,  qui  a  joué  à  ravir,  ainsi  que  son  jeune  frère 
Jules.  M"=  Andrée  a  chanté  ensuite,  de  manière  à  mériter  les  honneurs 
du  bis,  une  jolie  mélodie.  Un  chœur  de  Victor  Massé  a  été  fort  bien  chanté 
par  les  élèves  du  cours  de  solfège  que  fait,  à  l'Institut  musical,  M""=  Louise 
Gomettant.  Un  ténor  doué  d'une  voix  exceptionnellement  jolie,  M.  Des- 
champs, et  M.  Ten  Brink,  le  jeune  et  brillant  violoniste,  prêtaient  à  cette 
audition  leur  concours  gracieux. 

—  Très  brillante  audition,  dimanche  dernier,  des  élèves  du  cours  de 
l'excellent  maître.  M'""  Julien.  Plusieurs  de  ces  jeunes  filles  sont  déjà  de 
véritables  artistes;  citons  parmi  celles  qui  ont  été  le  plus  applaudies  : 
M""  Panton,  dans  l'allégro  de  concert  de  Guiraud  et  dans  Autrefois,  une 
charmante  pièce  d'Antonin  Marmontel;  M»"  Fauvei  dans  un  prélude  de 
Mendelssohn;  M"  Engrand,  dans  l'alIegro  de  Saint-Saëns:  M"' Tisserand, 
dans  la  Chanson  slave  d'Antonin  Marmontel;  M"'=  Gillette  qui  a  joué  d'une 
façon  délicieuse  une  bourrée  de  Bach  et  l'Impromptu  d'.4.ntonin  Marmontel, 
et  enfin,  le  fils  de  la  maison,  jeune  enfant,  qui  a  très  bien  rendu  une  valse 
de  Chopin  et  qui  donne  l'espérance  de  devenir  un  véritable  artiste. 

—  De  Bordeaux.  Le  septième  concert  de  la  Société  Sainte-Cécile  a  eu 
lieu  avec  le  concours  de  M.  I.Philipp,  de  Paris,  un  musicien  remarquable 
que  nous  entendions  pour  la  première  fois  à  Bordeaux.  M.  Philipp  a  in- 
prété  avec  une  éclatante  virtuosité  et  avec  un  style  personnel  bien  inté- 
ressant la  Fantaisie  hongroise,  de  Liszt,  et  a  montré  l'extrême  finesse,  la 
grâce  presque  féminine  de  son  jeu  dans  plusieurs  pièces  de  Chopin.  Son 
succès  a  été  très  grand  et  d'autant  plus  flatteur  qu'il  était  obtenu  peu  de 
jours  après  celui  de  M'""  Menter.  E.  R. 


80 


LE  MÉNESTREL 


Soirées  et  i.oncerts.  —  Audition  très  brillante,  dimanche  dernier,  salle  Pleyel, 
des  nombreuses  et  excellentes  élèves  de  M""  Donne.  11  est  difficile  de  faire  un 
choix  parmi  toutes  ces  jeunes  filles,  chez  qui  l'on  trouve  les  qualités  que  donne 
une  éducation  solide  et  sérieuse.  Nous  avons  cependant  remarqué  surtout  M""  Del- 
dicq,  Ziègler,  t'ernet,  Ejtmiu,  Jozin.Degouy,  Desplats,  Bareillier,  et  deux  jeunes 
Russes,  M""'  Goldenweiser,  qui  ont  dit  d'une  façon  remarquable  la  jolie  taren- 
telle à  deux  pianos  de  M.  Georges  Pfeiffer.  Une  mention  spéciale  est  due  à 
M""  Juliette  Barat,  qui  a  joué  avec  beaucoup  de  délicatesse  un  aimable  Impromptu 
de  M.  Grandjany.  ainsi  qu'à  M"°  Got  qui  a  exécuté  avec  elle,  d'une  façon  très 
remarquable,  le  Scherzo  de  M.  Saint-Saëns.  —  L'excellent  professeur,  M"«  Turgis, 
a  consacré  une  matinée  d'audition  aux  œuvres  de  M.  Georges  Pfeiffer.  Parmi  les 
morceaux  les  plus  applaudis,  nous  ciLeroi]s  la  Séix'iiadc  tunisienne,  Bruits  d'ailes, 
Imjuiétude,  mélodie,  etc.,  interprétées  par  les  jeunes  pianistes  de  façon  à  faire  le 
plus  grand  honneur  à  l'enseignement  de  M'"''  Turgis.  —  Lundi  2  mars,  très  inté- 
ressante soirée  à  l'École  classique  de  musique  el  de  déclamation  delà  rueCharras. 
Ont  été  particulièrement  applaudis  les  élèves  de  MM.  Sadi  Pely  et  Chautard,  les 
excellents  professeurs  de  déclamation,  M.  Lancien  et  ses  élèves.  M""  llardel, 
harpiste  de  talent, élève  de  M"^'  Laudaux, M""  Louise  Martin  et  M™" Gallois,  élèves 
de  M.  Chavagnat,  M""  Vuillaume  dans  la  romance  de.W/ffiioii,  M""  Vives  et  M"'°Tal- 
bom  Richard,  dans  le  solo  du  chœur  de  la  Mandragore  de  Jem  de  Nivelle,  élèves 
de  M.  Marcel,  le  remarquable  professeur  de  chant.  —  Mardi  dernier,  au  Grand 
Véfour,  nombreuse  réunion  de  la  Dvtlernve,  présidée  par  M.  Paul  Dislère,  conseiller 
d'État.  Après  le  dîner,  concert  des  plus  réussis.  Le  jeune  compositeur  Charpen- 
tier, retour  de  Rome,  a  été  chaleureusement  fêté  après  l'audition  de  plusieurs  de 
ses  œuvres  interprétées  par  M.  Lauwers,  M""  Vaudeville,  Olin,  Campion  et 
M"""  Lauwers.  Le  Crucifij:  de  Faure  a  été  admirablement  chanté  par  MM.  Lauwers 
et  Gogny,  qui  ont  dii  le  bisser.  —  Très  grand  succès  pour  M"°  Blondelat,  au 
concert  de  bienfaisance  organisé  au  Mans  par  M"°  la  comtesse  de  Saial-Guilhem. 
La  jeune  pianiste  a  interprété  avec  beaucoup  de  goiit  une  polonaise  de  Chopin  et 
la  ravissante  bluette  de  Lack,  l'Oismu-ilouelic. —  M.  André  Bloch,le  jeune  premier 
prix  du  Conservatoire,  a  été  doublement  fêlé  à  son  concert  du  21  février,  à  la 
salle  Érard.  Comme  pianiste  d'abord,  en  interprétant  d'une  façon  charmante  un 
programme  assez  long  où  brillaient  la  Vakc-Caprive  de  Rubinslein  et  la  marche 
funèbre  de  Chopin;  comme  compositeur  ensuite,  avec  une5«i/<'  orientale  en  trois 
parties  pour  violon,  rendue  par  M"'  Magdeleino  Godard,  accompagnée  par  l'auteur. 
La  parlie  vocale  du  concert  était  confiée  à  M"*  Eléonore  Blanc. 


NECROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  de  M.  Louis-Antoine  Yidal, 
dilettante  fort  distingué,  violoncelliste  amateur  et  à  ce  titre  ancien  élève 
de  Franchomme,  qui  s'est  fait  remarquer  par  la  publication  d'un  ouvrage 
extrêmement  important  et  par  sa  nature  et  par  le  luxe  matériel  dont  il 
avait  su  l'entourer  :  les  Instruments  à  archet,  les  feseurs,  les  joueurs  d'instru- 
ments, leur  histoire  sur  le  continent  européen,  suivi  d'un  catalogue  général  de  la 
musique  de  chambre  (Paris,  Glaye,  1876-78,  3  vol.  in-4°  avec  120  eaux-1'ortes). 
Cet  ouvrage,  qui  n'était  pas  à  l'abri  de  toute  critique,  est  néanmoins  le 
premier  qui  ait  été  publié  en  Europe  sur  ce  sujet  et  qui  ait  été  conçu  sur 
un  plan  aussi  vaste.  Il  est  d'ailleurs  bourré  de  documents,  et  les  eaux- 
fortes  qui  l'accompagnent  et  qui  sont  l'œuvre  de  feu  Prédéric  Hillema- 
cher,  constituent  elles-mêmes  une  série  de  documents  précieux,  reprodui- 
sant un  grand  nombre  de  portraits  historiques  dont  la  réunion  aujour- 
d'hui serait  à  peu  près  impossible.  Vidal,  qui  avait  publié  depuis  lors  un 
autre  ouvrage  intéressant,  la  Luthei'ie  et  les  Luthiers  (1889,  in-8°),  avait  pré- 
paré tous  les  éléments  d'une  histoire  du  piano,  à  laquelle  il  travaillait 
activement  en  ces  dernières  années.  Il  avait  formé  une  collection  très 
curieuse  et  très  précieuse  d'étiquettes  d'anciens  luthiers,  dont  il  avait 
donné  de  nombreux  fac-similé  dans  son  grand  ouvrage.  Vidal  était  né  à 
Rouen  le  10  juillet  1820.  A.  P. 

—  Un  artiste  modeste  et  excellent,  Charles-Victor  Boulart,  ancien  vio- 
lon-solo  de  l'orchestre  de  l'Opéra-Comique  et  ancien  membre  de  la  Société 
des  concerts  du  Conservatoire,  est  mort  cette  semaine  à  Paris,  à  l'âge  de 
68  ans.  Il  avait  obtenu  le  premier  prix  au  Conservatoire,  vers  1845,  à  peu 


près  à  l'époque  où  sa  sœur,  M""  Boulart,  qui  devait  épouser  plus  tard 
M.  Mayer,  régisseur  général  de  l'Opéra,  obtenait  elle-même  un  premier 
prix  de  chant  et  débutait  de  la  façon  la  plus  brillante  à  l'Opéra-Comique, 
pour  aller  faire  ensuite  les  beaux  jours  du  théâtre  de  la  Monnaie,  de 
Bruxelles. 

— ■  Les  journaux  italiens  enregistrent  les  suicides  de  deux  musiciens. 
A  Parme,  s'est  tué  un  jeune  élève  du  Conservatoire  de  cette  ville,  Al- 
fredo  Muna'ri,  né  à  Reggio  d'Emilie,  qui  était  doué  d'une  magnifique  voix 
de  basse  et  à  peine  âgé  de  22  ans.  A  Trieste,  un  corniste  nommé  Leo- 
poldo  Cagnoli,  né  à  Cento  et  âgé  de  36  ans,  s'est  précipité  du  haut  du 
couloir  des  secondes  loges  du  Théâtre-Communal  dans  le  vestibule  du 
rez-de-chaussée,  et  est  resté  mort  sur  place. 

—  On  annonce  la  mort,  à  Naples,  d'une  cantatrice  qui  jouit  naguère  en 
Italie  d'une  renommée  éclatante,  due  à  un  talent  solide  et  châtié,  Rita 
Gabussi,  sœur  cadette  du  compositeur  Vincenzo  Gabussi,  artiste  fort  dis- 
tingué, qu'on  appela  le  Schubert  de  l'Italie,  et  dont  la  quasi-célébrité 
s'établit  bien  plus,  en  effet,  par  ses  mélodies  chaudes  et  pénétrantes  que 
par  quelques  opéras  d'une  valeur  très  secondaire.  Le  Trovatore,  compatriote 
de  Rita  Gabussi,  se  trompe  à  son  sujet  d'une  façon  étrange  en  la  faisant 
débuter  en  1822  et  en  la  disant  âgée  à  sa  mort  de  81  ans.  La  vérité  est  que 
l'année  1822  est  celle  de  sa  naissance  à  Bologne,  et  que  lorsqu'elle  créa 
au  théâtre  San  Carlo  de  Naples  la  Medea  de  Mercadante,  en  18ol,  elle  avait 
seulement  29  ans,  tandis  qu'elle  en  aurait  eu  bO  au  compte  de  notre  confrère. 
L'erreur  de  celui-ci  est  manifeste  d'ailleurs,  puisqu'elle  épousa  le  baryton 
Achille  de  Bassini,  lequel  était  né  lui-même  en  1820.  C'est  en  1842  que 
la  Gabussi  débuta  au  théâtre  Re,  de  Milan,  aujourd'hui  dispai'u,  dans  un 
opéra  de  Coppola  qui  eut  jadis  un  grand  succès,  Nina  pazza  pcr  amore.  Elle 
se  fit  entendre  ensuite  sur  les  principales  scènes  italiennes,  notamment  à 
la  Scala  de  Milan  et  au  San  Carlo  de  Naples.  Sa  carrière  fut,  on  peut 
le  dire,  aussi  courte  que  brillante,  et  depuis  longues  années  elle  s'était 
retirée  et  fixée  en  cette  dernière  ville. 

—  De  Florence  on  annonce  la  mort  d'un  chanteur  qui  jouit  naguère 
d'une  véritable  renommée,  le  ténor  Gaetano  Pardini,  dont  les  succès 
furent  retentissants  surtout  dans  les  opéras  de  Rossini.  Né  en  1809,  Par- 
dini, qui  avait  paru  triomphalement  sur  la  plupart  des  grandes  scènes 
italiennes,  chantait  encore  VOtello  de  Rossini  à  la  Scala  de  Milan  en  1870, 
et  le  Barbier  en  1872.  Ce  qui  ne  l'a  pas  empêché  de  s'éteindre  misérable- 
ment, à  l'âge  de  82  ans,  dans  une  maison  de  refuge  de  Florence  ! 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En   vente    chez   MACfLAii   et  Noël,    éditeurs  : 

ŒUVRES  DE  CH.  LEFEBVRE 

Eloa,  poème  lyrique  en  5  épisodes,  d'après  A.  de  Vigny,  par  Paul  Collin 

Partition  chant  et  piano,  net:  10  francs. 

Prélude,  extrait,  piano  seul,  net:  1  fr. 

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N"  1.  —  Op.  20.  Prélude-Clwral prix    6    » 

N»  2.  —  Op.  43.  Romance —      -i    » 

N"  3.  —  Op.  7S.  N"  1.  Le, Retour —      6    » 

N">  4.  —  Op.  75.  N»  2.  Cortège  villageois.  ...     —      6    » 

Op.  81.  N"  2.  —  La  Fille  de  Jephté,  arioso —      5     » 

Op.  81.  N°  I.  —  Prière  du  matin,  mélodie —      5    » 

Stabat  mater,  solo  de  soprano  (à  M"""  Krauss).     —      6    » 
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GH.-M.  A¥IDOR 


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FANTAISIES   ET    ARRANGEMENTS    POUR    INSTRUMENTS    DIVERS 


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Dimanche  iS  Mars  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fr»nco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dii  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMITRE- TEXTE 


I.  La  Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach  (5°  et  dernier  article),  Jui.itN  Tiersot.  — 
IL  Semaine  théâtrale  :  Coiiie  d'avril,  à  l'Odéon,  H.  Mokeno;  première  représen- 
tation du  Petit  Savoyard,  aux  Nouveautés,  et  reprise  du  Petit  Poucet,  à  la  Gaîté, 
Paul-Emile  Chevalii£ii.  —  IIL  Une  famille  d'artistes:  Les  Saint- Aubin  (13'  article.i, 
Akthuk  PouGiN.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie.  * 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nob  abonnés  à  la  musique  de  PIA^o  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
PLUS    HEUREUX   QU'UN    ROI  ! 

nouvelle  polka  de  Philippe  Fahhiiach.   —  Suivra  immédiatement  :   Chanl 
d'avril,  de  Théodore  Lack. 

'  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  BobolV  se  marie,  •a."  S  des  Rondes  et  Chansons  d'am-il,  musique 
de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  George  Auriol.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Faut-il  rlianler?. . .  dernière  mélodie  de  Léo  Delibes,  poésie 
du  V"=  DE  Borelli. 


LA    MESSE    EN    SI    MINEUR 


DE   J.-S.    BACH 
(Suite) . 


Cependant,  si  admirable  que  soit  l'œuvre  de  Bach  au  point 
de  vue  de  la  beauté  plastique,  elle  n'exercerait  pas  entière- 
ment sur  nous  son  invincible  attraction  si  elle  ne  valait  que 
par  les  formes  extérieures.  Mais,  so'js  l'apprêt  des  combinai- 
sons infinies,  elle  cache  une  âme,  et  une  âme  qui  vibre  avec 
une  rare  puissance  :  c'est  l'âme  même  de  Bach,  qui  fut  bien, 
certes,  une  des  plus  grandes  qui  aient  existé  sur  notre 
monde  terrestre  ;  c'est  celle  de  toute  une  race  et  de  tout  un 
siècle,  qui  trouvèrent  en  lui,  sans  s'en  douter,  l'interprète 
de  ce  qu'ils  ressentaient  de  plus  grand  et  de  plus  fort. 

Je  lisais  récemment  un  nouveau  livre  d'études  littéraires 
dont  l'auteur  est  un  des  représentants  les  plus  en  vue  de 
notre  jeune  critique  contemporaine,  M.  Emile  Fâguet,  et  là, 
dans  une  étude  développée  consacrée  à  M'""  de  Staël,  se 
trouvait  résumé  et. commenté  ce  livre:  De  l'Allemagne,  qui 
révéla  pour  la  première  fois  aux  lecteurs  français  quelque 
chose  du  génie  d'un  peuple  qui,  jusqu'alors,  leur  était  de- 
meuré à  peu  près  complètement  inconnu.  Notons  bien  que 
le  livre  de  M™  de  Staël,  écrit  au  commencement  de  ce 
siècle,  au  moment  où  Goethe  enfantait  ses  premiers  chefs- 
d'œuvre  mais  avant  qu'il  eut  acquis  la  grande  popularité  qui 
suivit,  antérieurement  à  Schiller  et  à  tout  le  mouvement 
littéraire  de    son  temps,  à    un  moment   où  l'influence  de  la 


Révolution  française,  si  déjà  elle  s'exerçait  efficacement  sur 
une  élite,  n'avait  pas  encore  pénétré  dans  les  masses,  nous 
ouvre  par  là  des  vues  intéressantes  sur  l'esprit  allemand  du 
dix-huitième  siècle,  évidemment  encore  vivace  dans  le  peuple 
et  ayant  survécu  jusqu'alors. 

Or,  dans  ces  observations  qui  semblaient  s'appliquer  uni- 
quement à  l'ancienne  littérature  allemande  ou  plus  généra- 
lement à  l'esprit  national  allemand,  je  retrouvais  les  traits 
les  plus  caractéristiques  de  Bach  et  de  son  œuvre.  Rien 
d'étonnant,  d'ailleurs,  à  ce  que  la  musique  d'un  artiste  de 
génie  reflète  avec  cette  fidélité  l'état  d'esprit  du  milieu  dans 
lequel  il  vit,  surtout  s'il  s'agit  d'un  musicien  allemand. 
Victor  Hugo,  voulant  caractériser  par  le  nom  d'un  grand 
homme  le  génie  particulier  des  nations  européennes,  a,  pour  la 
plupart,  choisi  un  poète:  il  cite,  pour  l'Italie,  Dante;  pour 
l'Angleterre,  Shakespeare;  pour  l'Espagne,  Cervantes;  pour 
la  France,  Voltaire.  Pour  l'Allemagne,  il  désigne  Beethoven. 
L'auteur  de  la  neuvième  symphonie  représente  évidemment 
un  esprit  plus  moderne;  mais  Bach,  venu  près  d'un  siècle 
avant  lui,  n'est  pas  un  moins  fidèle  ni  moins  glorieux  inter- 
prète de  l'esprit  allemand  dans  ce  qu'il  a  d'originel  et  de 
véritablement  national. 

«  En  France,  le  public  commande  aux  auteurs,  »  observe 
M""*  de  Staël;  et,  en  cela,  elle  constate  une  première  différence 
entre  l'esprit  des  deux  races.  Nous  n'écrivons  point  pour  nous, 
mais  pour  un  public.  Nous  voyons  toujours,  en  face  de  nous, 
le  lecteur  qui  écoute,  et  nous  -foulons  lui  plaire  plutôt  qu'à 
nous.  L'écrivain  allemand  est  un  «  solitaire  ».  Il  ne  connaît 
guère  ni  «  règles  »  ni  «  modèles  »,  n'imiie  point,  ne  légifère 
point.  Sa  littérature,  se  rattachant  parfois  directement  aux 
traditions  du  moyen  âge,  le  plus  souvent  «  prenait  conscience 
d'elle  en  elle-même,  et  s'inspirait  de  soi  ». 

A  ces  premiers  traits  Bach  n'est-il  pas  déjà  parfaitement 
reconnaissable?  Solitaire,  il  l'était  certainement,  lui  qui  n'eut 
jamais  de  maître,  se  forma  seul,  guidé  par  son  instinct,  choi- 
sissant lui-même,  parmi  les  musiciens  nationaux,  les  modèles 
capables  de  féconder  son  génie,  le  plus  remarquable  type 
lïaulodidacti  qui  se  soit  jamais  vu.  Le  public,  il  n'en  n'avait 
cure  :  ses  plus  beaux  chefs-d'œuvre,  il  les  composa  pour 
être  exécutés  une  seule  fois  en  présence  de  quelques  amis 
et  des  paroissiens  de  son  église  :  on  en  parlait  une  journée, 
ou  peut-être  on  n'en  parlait  pas  du  tout  :  et  puis  il  n'en  était 
plus  jamais  question.  Ne  cherchant  pas  à  plaire  au  public, 
Bach  se  bornait  donc  à  exprimer  ce  qu'il  sentait,  et  il  le 
faisait  d'autant  plus  spontanément  et  naturellement  que  lui 
non  plus  n'a  point  «  légiféré  »  et  qu'il  semble,  en  écrivant, 
n'avoir  obéi  qu'à  des  principes  vagues  et  obscurs  que  son 
génie,  bien  plutôt  que  sa  volonté,  a  puissamment  illuminés. 
Poursuivons.    La   littérature    allemande    est    éminemment 


85 


LE  MÉNESTREL 


«  subjective  ».  Il  en  est  de  même  de  la  musique  de  Bach, 
et  la  3Iesse  en  si  mineur  nous  en  apporte  des  preuves  éclatantes. 
Non  seulement  Bach  n'écrit  pas  pour  le  publie,  c'est-à-dire 
qu'il  ne  se  préoccupe  pas  de  rechercher  les  formes  musicales 
propres  à  le  séduire,  mais  encore  il  ne  cherche  pas  la  source 
de  l'inspiration  dans  une  idée  extérieure,  dans  un  texte 
littéraire  à  commenter  et  à  traduire.  En  cela,  il  est  tout 
l'opposé  de  Gluck  qui,  dans  la  préface  d'Alceste,  la  véritable 
profession  de  foi  de  tout  musicien  «  objectif  »,  veut  que  la 
véritable  fonction  de  la  musique  soit  d'être  «.réduite  à  secon- 
der la  poésie».  Dans  la  musique  de  Bach,  les  poésies  tiennent 
fort  peu  de  place  :  il  se  contente  d'en  indiquer  le  sentiment 
général,  gai  ou  triste,  calme  ou  véhément,  mais  ne  cherche 
pas  au  delà.  Cela  ne  l'empêche  pas,  assurément,  de  trouver 
des  chants  profondément  expressifs  et  aussi  troublants  — 
davantage,  pour  certaines  natures  —  que  n'importe  quelle 
musique  de  théâtre  ;  mais  ces  chants  sont  l'expression  de 
sentiments  intimes,  d'ailleurs  rarement  définis  avec  préci- 
sion, et  non  la  traduction  d'idées  primitivement  étrangères 
à  son  esprit. 

A  vrai  dire,  dans  la  ilesse  en  si  mineur,  quelques  morceaux 
sembleraient  venir  infirmer  cette  thèse  :  par-dessus  tout,  cet 
admirable  Expecto  resurrectionem  mortuorum ,  évocation  si  puis- 
sante des  terreurs  du  jour  du  Jugement,  puis  la  fugue  du 
Gloi'ia  :  Et  in  terra  pax  hominihus,  si  belle  dans  son  expression 
de  sérénité  et  de  paix  éternelle  ;  quelques  autres  mouvements 
encore,  notamment  le  début  du  Sanctus.  Mais  combien  d'autres, 
même  parmi  les  plus  admirés,  ne  tirent  pas  leur  origine 
première  du  texte  sacré  ?  N'avons-nous  pas  vu  que  le  beau 
chant  de  FAgnus  Dei  était  emprunté  à  une  cantate  précédemment 
écrite  par  Bach  sur  des  paroles  allemandes  ?  que  le  Qui  tol- 
lis,  si  harmonieusement  suppliant,  avait  figuré  aussi  dans 
une  œuvre  du  même  genre?  mieux  encore,  que  le  Crucifixus, 
l'un  des  plus  poignants  épisodes  du  Credo,  avait  appartenu 
non  seulement  à  une  cantate  sacrée  sur  texte  allemand,  mais 
encore,  en  premier  lieu,  à  une  cantate  profane  destinée  à 
célébrer  l'élection  du  conseil  municipal  d'une  petite  ville 
saxonne  !  Sans  doute  les  paroles  de  la  cantate  sacrée  ne  sont 
pas  sans  rapport  avec  celles  de  la  messe:  «  Pleurs,  plaintes, 
peine,  désespoir,  angoisse  et  détresse  sont  du  Christ  le  pain 
trempé  de  larmes  »  ;  mais  ce  ne  sont  pas  cependant  ces 
paroles  mêmes  ;  la  traduction  musicale  n'est  plus  qu'une 
approximative  adaptation.  Ce  n'est  pas  ainsi  qu'en  eût  agi 
Beethoven  qui,  dans  le  suave  et  mystérieux  Incarnatus  est  et 
le  Crucifixus  profondément  pathétique  de  la  Messe  en  ré,  serre 
le  texte  d'infiniment  plus  près;  ni  Berlioz  qui,  dans  son 
Requiem,  nous  fait  une  description  complète  du  jour  de  la 
résurrection  et  du  Jugement  dernier.  Bien  entendu  je  ne  cite 
pas  ces  noms  pour  exprimer  une  préférence  —  étant  de  ceux 
qui  pensent  qu'il  est  possible  d'apprécier  également  des  beau- 
tés de  genres  très  différents,  pourvu  qu'elles  soient  également 
supérieures,  —  mais  pour  bien  marquer  le  caractère  parti- 
culier de  l'œuvre  de  Bach  comparé  à  celui  d'œuvres  plus 
modernes  et  dont  l'esprit  nous  est  plus  familier. 

Enfin,  dernier  trait  propre  à  la  littérature  allemande  du 
XVI1I<=  siècle:  elle  suivait  son  développement  naturels  sans 
avoir  eu  de  Renaissance,  trait  singulier  qui  la  met  à  part  en 
Europe  ».  Or,  comme  le  fait  observer  l'auteur  du  livre  déjà 
cité,  <!  c'est  la  tradition  de  la  Renaissance  qui  est  une  fausse 
route.  Remarquez-vous  que  la  littérature  française  n'est  point 
une  littérature  populaire?  Si  elle  ne  l'est  pas,  c'est  que  nos 
littérateurs  ont  formé  comme  un  monde  à  part,  factice,  inin- 
telligible à  la  foule.  Dans  un  pays  chrétien,  ils  ont  été  les 
disciples  d'artistes  païens  ».  L'art  de  Bach,  au  contraire,  se 
rattache  intimement  aux  traditions  du  moyen  âce.  Notons 
bien  d'ailleurs  que  la  musique,  le  plus  jeune  de  tous  les 
arts,  ne  subit  que  beaucoup  plus  tard  une  influence  analogue 
à  celle  que  la  Renaissance  eut  sur  les  lettres  et  les  autres 
arts  en  Italie  et  en  France  :  ce  n'est  qu'au  commencement 
du  XVII«  siècle  que  l'esprit  de  l'antiquité  envahit  son  domaine. 


par  la  création  de  l'opéra  en  Italie;  en  Allemagne  ce  mouve- 
ment commençait  seulement  à  se  faire  sentir  à  l'époque  de 
Bach,  et  nous  savons  que  lui-même  y  fut  étranger.  Il  demeure, 
au  contraire,  fidèle  aux  anciennes  traditions  nationales,  et 
l'on  peut  dire  que  son  œuvre  est  l'expression  dernière,  la 
suprême  manifestation  de  la  musique  comme  l'avait  conçue 
les  vieux  maîtres  du  XV«  et  du  XYÏ^  siècle,  les  Josquin  des- 
Prés,  les  Palestrina,  les  Roland  de  Lassus.  Seulement,  de  son 
temps,  l'instrument  s'est  perfectionné  et  enrichi  ;  à  la  poly- 
phonie vocale  qui  seule  était  pratiquée  dans  les  temps  anté- 
rieurs vient  se  joindre  un  élément  instrumental  qui  en  double 
la  richesse  et  la  puissance;  et,  dans  cette  forme  admirable, 
que  l'on  n'a  pas  surpassée,  que,  dans  son  genre,  on  ne  sur- 
passera jamais,  il  élève  le  monument  définitif  préparé  par  les 
siècles  ;  par  un  sublime  et  dernier  effort,  il  porte  cet  art  à 
son  complet  et  absolu  développement. 

Et,    tout    en  s'appuyant   sur  le   passé ,   l'œuvre   de    Bach 
rayonne  sur  l'avenir,  et  avec  quelle  intensité,   nous  le  sa- 
vons. Incompris  des  hommes  de  son  temps,  c'est  par  l'admi- 
ration des  maîtres   ses  successeurs  qu'il  parvient  peu  à  peu 
à  la  gloire.    Mozart    le  découvre;    Beethoven,    Mendelssohn,.        « 
Schumann,  révèrent  en  lui  le  Maître;  Wagner  n'est   satisfait       ■ 
de  son  œuvre  qu'après  que,  par  les  Maîtres  chanteurs,  il  a  pu        * 
montrer  qu'il  était  de  la  même  grande  famille.  Aujourd'hui 
l'école    avancée   l'acclame.    Il  n'est    plus    l'homme   du  dix- 
huitième    siècle,    le  modeste  cantor  de  Leipzig;  pas    davan- 
tage l'homme  du  passé,  l'interprète  élu  des  siècles  écoulés: 
il  est   de  notre  temps;  il  est  de  tous  les  temps;  il  est  éter. 
nel. 

Une  autre  audition,  toute  récente,  vient  de  nous  le  mon- 
trer encore  sous  un  jour  nouveau.  La  Société  nationale  a  m 
fait  entendre  dans  son  concert  de  samedi  dernier,  pour  la  '^ 
première  fois  publiquement  en  France,  sa  Cantate  pour  la  fête 
de  Pâques,  une  de  ces  innombrables  cantates  d'église  dont  on 
a  déjà  publié  dix-sept  volumes  (de  dix  chacun)  et  dont  on 
ne  verra  jamais  la  fin.  Ces  cantates,  formées  ordinaire- 
ment d'un  chœur  d'introduction  développé,  d'un  ou  deux 
airs  avec  récitatif,  et  d'un  choral  final,  se  chantaient  les 
jours  de  fête  au  commencement  de  l'office  de  midi,  au  lieu 
et  place  du  motet  qui  suffisait  au  cérémonial  des  dimanches 
ordinaires.  Celle  de  Pâques  que  nous  avons  entendue  n'est 
pas  dans  la  forme  habituelle  :  elle  commence  bien  par  un 
chœur  contrepointé  et  se  termine  par  un  choral,  mais  les 
morceaux  intermédiaires  sont  plus  nombreux  que  dans  la 
généralité  des  cantates,  et,  au  lieu  de  renfermer  des  airs  et 
des  récitatifs,  l'œuvre  est  entièrement  chorale  (on  a  fait  exé- 
cuter un  des  versets  par  un  ténor  seul ,  mais  simplement  à 
cause  des  difficultés  de  l'exécution  que  le  chœur  n'eût  vrai- 
semblablement pas  rendue  d'une  façon  satisfaisante.) 

Cette  cantate  est  entièrement  composée  sur  le  thème  d'un 
choial  luthérien,  qui  lui-même  n'est  autre  que  le  chant  de 
la  prose  catholique  :  Victimœ  paschali  laudes,  adapté  au  nouveau 
culte.  Bach  l'a  traité,  varié  et  transformé  avec  son  art  inépui- 
sable. Dans  le  premier  chœur,  le  chant,  posé  par  les  soprani, 
est  accompagné  par  les  contrepoints  des  autres  parties,  lar- 
gement d'abord,  puis  dans  un  mouvement  rapide  où  les  voix, 
chautant  AlleluiO;  se  répondent  sur  un  rythme  fortement  mar- 
qué, avec  l'expression  d'une  allégresse  un  peu  lourde  mais 
très  communicative.  Dans  les  versets  suivants,  chaque  partie 
reprend  à  son  tour  le  thème  du  choral  dans  un  sentiment 
différent  et  avec  des  accompagnements  variés.  D'abord  les  voix 
de  femmes,  sur  un  mouvement  de  marche  lente,  se  renvoient 
l'une  à  l'autre  les  notes  chromatiques  du  début  de  la  mé- 
lopée :  puis  les  ténors  entrent  à  leur  tour,  plus  vivement, 
accompagnés  par  les  broderies  toujours  souples  et  expres- 
sives des  violons  ;  à  un  moment,  le  mouvement  se  ralentit 
à  l'évocation  de  l'idée  de  la  mort,  puis  il  reprend  plus  rapide, 
mais  toujours  grave  et  sérieux.  Dans  le  quatrième  verset, 
toutes  les  voix  chantent  ensemble,  en  style  fleuri;  ensuite  les 


LE  MENESTREL 


83 


I 


'basses  s'avancent,  redisant  l'hymne  à  l'unisson,  lui  donnant 
une  expression  de  plus  en  plus  sévère  ;  et  toujours  revient 
l'idée  de  la  mort,  avec  des  sonorités  sombres  et  des  accords 
douloureusement  expressifs  ;  une  dernière  fois  encore  les 
soprani  et  les  ténors  alternent  et  unissent  leurs  voix  en  des 
arabesques  aussi  pures  de  forme  que  d'accent.  C'est  comme 
un  cortège  dans  lequel  chaque  choeur  défilerait  à  son  tour, 
■chantant  le  même  cantique,  mais  sur  des  tons  et  dans  des 
mouvements  différents,  jjjsqu'à  ce  qu'enfla,  tout  le  monde 
étant  entré,  toutes  les  voix  s'unissent  en  un  choral  grandiose 
qui  résume  le  sentiment  de  l'œuvre  entière. 

La  Cantate  de  Prfçifes  est  écrite  pour  les  instruments  à  cordes 
et  l'orgue,  auxquels  se  joignent,  par  une  combinaison  sin- 
gulière, un  cornet  et  trois  trombones  doublant  les  quatre 
parties  vocales  dans  le  premier  chœur  et  le  choral.  Cela 
n'est  d'ailleurs  pas  un  fait  isolé  dans  l'œuvre  de  Bach,  et 
beaucoup  d'autres  de  ses  cantates  sont  accompagnées  ainsi. 
M.  Gevaert  nous  explique,  dans  son  Nouveau  Traité  d'inslru- 
mentation,  l'origine  de  ce  système.  «  Un  trait  de  mœurs  propre 
à  l'Allemagne  était  de  faire  exécuter,  le  dimanche  et  les 
jours  de  fête,  par  une  bande  de  cornettistes  et  de  trombo- 
nistes placés  dans  la  tour  de  l'église  principale,  les  chorals 
de  l'église  luthérienne.  J.-S.  Bach  transporta  cette  combinai- 
son instrumentale  dans  ses  cantates  d'église,  tantôt  à  titre  de 
simple  renforcement  du  chœur,  tantôt  en  guise  de  quatuor 
obligé  indépendant  des  autres  parties  orchestrales  et  vocales.  » 
Ainsi  employés,  les  instruments,  s'ils  ont  parfois  l'inconvé- 
nient de  couvrir  les  voix,  donnent  au  choral  une  puissance 
et  un  agrandissement  considérables. 

La  Société  nationale  n'a  pas  à  sa  disposition  des  moyens 
d'exécution  comparables  à  ceux  que  la  Société  des  concerts 
avait  pu  mettre  en  œuvre  pour  la  Messe  en  si  mineur  ;  ces 
éléments  sont  cependant  supérieurs  encore  à  ceux  dont  Bach 
disposait  lui-même  pour  ses  plus  grandes  exécutions  musi- 
cales. Un  chœur  de  douze  voix  était  tout  ce  qu'il  lui  fallait, 
et  on  a  de  lui  un  écrit  dans  lequel  il  déclare  que,  s'il  tient 
à  avoir  trois  voix  par  partie,  c'est  afln  d'être  sûr  d'en  avoir 
au  moins  deux,  au  cas  où  l'un  des  chanteurs  serait  malade  ! 
Quant  à  son  orchestre,  il  se  contente  de  deux  ou  trois  pre- 
miers violons,  et  le  reste  à  l'avenant.  Il  y  avait  plus  d'exé- 
cutants que  cela  l'autre  soir  à  la  Société  nationale,  où  les 
chœurs  et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Vincent  d'Indy, 
ont  interprété  dignement  l'œuvre. 

Bach  est  une  source  inépuisable  où  se  retrempera  la  mu- 
sique de  tous  les  temps.  Les  musiciens  de  notre  jeune  école 
française  le  savent  mieux  que  personne  ;  leurs  hommages 
réitérés  au  vieux  maître  sont  une  preuve  que,  tout  en  regar- 
dant de  préférence  vers  l'avenir,  ils  ne  méconnaissent  pas 
l'œuvre  du  passé  dans  ce  qu'elle  a  de  grand  et  de  fort. 

Julien  Tiersot. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


CONTE  D'AVRIL  A  L'ODÉON 
On  vient  de  reprendre  à  l'OJéon  cette  jolie  fantaisie  du  jeune 
poète  Dorcliain,  imitation  très  libre  d'une  comédie  de  Shakespeare, 
le  Soir  des  Rois,  laquelle  était  elle-même  tirée  d'une  nouvelle  de 
Bandello.  Quand  ce  petit  poème  d'amour  fut  donné  pour  la  pre- 
mière fois  (en  1883,  si  notre  mémoire  est  fidèle),  ce  fut  un  vrai 
régal  pour  tous  les  délicats.  C'est  qu'il  est  charmant  dans  sa  forme 
vague  et  pour  ainsi  dire  flottante  comme  un  rêve,  avec  soa  frais 
parfum  de  jeunesse,  ses  tours  et  ses  détours  exquis.  Il  nous  réap- 
paraît aujourd'hui  enveloppé  de  toute  une  nouvelle  partition  du 
musicien  Widor,  ce  qui  lui  donne  encore  plus  de  séduction.  Il  ne 
s'agit  plus  cette  fois,  comme  dans  le  principe,  de  quelque  musique 
de  scène  vaporeuse  écrite  pour  souligner  le  dialogue  aux  moments 
les  plus  tendres,  sortes  de  mélodrames  otx  le  musicien  d'ailleurs 
avait  su  déjà  se  faire  remarquer.  Nous  avons  pour  le  coup  toute  une 
petite  symphonie  en  règle,  des  ouvertures,  des  entr'actes,  dix-neuf 
numéros  au  total,  qui  n'ont  pas  exigé  moins  que  le  déplacement  de 


M.  Charles  Lamoureux  avec  tout  son  orchestre:  soixante  musiciens, 
c'est  sur  l'affiche. 

Passons  rapidement  en  revue  l'œuvre  de  M.  "Widor  ;  elle  vaut 
certainement  qu'on  s'y  arrête.  L'ouverture,  le  morceau  le  plus  dé- 
veloppé de  la  partition,  est  aussi  celui  qui  affiche  le  plus  de  pré- 
tentions ;  ce  n'est  pas  néanmoins  celui  que  nous  préférons,  non 
plus  que  V appassionato  qui  sert  d'entr'acle  au  troisième  tableau. 
Ce  sont  là  deux  morceaux  de  la  même  famille,  non  dépourvus 
d'une  certaine  puissance,  mais  qui  ne  peuvent  arriver  à  se  tenir 
toujours  dans  la  sphère  élevée  où  on  voudrait  les  tenir.  L'orches- 
tration n'en  est  pas  assez  fondue  et  elle  affecte  parfois  des  tons 
crus  qui  ne  satisfont  pas  pleinement  l'oreille.  Il  fallait  peut-être 
d'ailleurs  ces  contrastes  violents  pour  faire  mieux  ressortir  la  grâce 
et  l'originalité  de  certains  autres  passages.  Voici  par  exemple  une 
sérénade  illijrienne,  toute  pimpante,  une  aubade  d'une  tendresse  et 
d'une  poésie  exquise,  une  guitare,  traitée  en  pizzieati,  dont  la  pé- 
roraison inattendue  est  vraiment  une  charmante  inspiration;  voici 
encore  une  romance  pour  flûte  tout  à  fait  délicieuse,  qu'on  peut 
mettre  à  côté  des  plus  jolis  nocturnes  de  Chopin,  et  enfin  une 
marche  nuptiale,  qui  commence  d'une  façon  un  peu  grêle,  mais  dont 
les  développements  superbes  viennent  couronner  dignement  cette 
petite  partition,  qui  est  l'œuvre  d'un  musicien  peu  banal,  jamais  à 
court  d'idées  neuves.  Quand  on  retrouvera  toutes  ces  pièces  réunies 
en  suite  d'orchestre  dans  nos  concerts  symphoniques,  on  en  appré- 
ciera encore  davantage  l'originalité  et  la  saveur. 

La  soirée  s'est  donc  passée  des  plus  agréablement  jeudi  dernier  à 
rOdéon,  et  l'interprétation  de  Conte  d'avril  peut  réclamer  aussi  sa 
part  du  succès.  M""  Alice  Lody,  qui  nous  revient  de  Pétersbourg 
après  une  longue  absence,  a  été  ravissante  de  grâce  émue  dans  le 
personnage  de  Viola.  Elle  a  tenu  sous  le  charme  tous  ses  auditeurs. 
M.  Marquet  est  beau  cavalier,  MM.  Duard  et  Numa  ont  de  la  verve, 
M""  Dheurs  a  de  la  beauté  et  M""  Marty  de  la  malice.  Tout  est 
donc  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des  Odéons,  et  M.  Porel  vient 
de  faire  une  fois  de  plus  œuvre  de  véritable  artiste. 

H.    MORENO. 

Nouveautés.  Le  Petit  Savoyard,  pantomime  en  quatre  actes  et  cinq 
tableaux,  de  MM.  Michel  Carré  et  Henri  Rémond,  musique  de 
M.  André  Gédalge. — G.utè.  Le  Petit  Poucet,  féerie  en  quatre  actes  et 
trente-deuK  tableaux,  de  MM.  Leterrier,  Mortier  et  Vanloo,  musique 
nouvelle  de  MM.  L.  Vasseur  et  Ben-Tayoux. 

Aux  Nouveautés,  spectacle  très  approprié  à  la  saison  de  giboulées 
que  nous  subissons  en  ce  moment.  Qu'il  vente,  qu'il  pleuve,  qu'il 
fasse  chaud  puis  froid,  M.  Micheau  s'en  moque  absolument  n'ayant 
point  à  craindre  pour  ses  pensionnaires  les  bronchites,  rhumes, 
enrouements,  coryza,  influenza,  et  cœtera  qui  pourraient  les  empê- 
cher de  chanter  ou  même  de  parler;  car,  durant  une  longue  soirée 
de  près  de  trois  heures,  on  ne  prononce  pas  un  seul  mot  sur  la 
scène  de  ce  coquet  théâtre  oîi  l'on  était  accoutumé  d'entendre  les 
calembredaines  de  nos  vaudevillistes  en  vog^je  ou  les  couplets  de 
nos  maestrinos  d'opérette.  Que  le  public  ne  soit  pas  un  peu  étonné 
de  cette  transformation  capitale,  et  vraisemblablement  passagère, 
je  n'oserais  l'affirmer,  d'autant  que,  le  soir  de  la  première  du  Petit 
Savoyard,  quand  M.  Tarride  est  venu  annoncer,  suivant  l'usage  an- 
tique et  solennel,  le  nom  des  auteurs,  la  salle  entière,  à  l'initial 
mouvement  des  lèvres  du  mime,  a  poussé  un  soupir  de  contente- 
ment qui  en  disait  bien  long.  L'artiste,  évidemment  étonné  de  cette 
attitude,  et  déshabitué  déjà  du  langage  sonore,  a  légèrement 
bafouillé.  Qui  sera-ce,  grands  dieux,  si  la  pantomime  se  joue 
encore  quelque  temps  ? 

Le  sujet  de  ces  quatre  actes  gesticules  ?  Vous  le  trouverez  tout  au 
long  dans  la  complainte  si  connue  d'Alexandre  Guiraud,  MM.  Carré 
et  Rémond  s'étant  contentés  de  la  moderniser  en  ses  détails.  Pierrot, 
pastoureau  dans  un  coin  de  forêt  de  Savoie,  est  amoureux  d'Yvette, 
la  fille  du  bûcheron  Mathias;  mais  il  ne  l'épousera  que  lorsqu'il 
aura  amassé  quelque  argent.  Nanti  de  son  seul  chalumeau,  le 
Savoyard  part  pour  la  grande  ville,  où  il  périrait  de  froid  sous  la 
neio-c!  sans  la  bonté  d'une  irrégulière  qui  le  recueille  chez  elle.  Grisé 
par  le  luxe  et  la  gaîté  qui  l'entoure,  Pierrot  oublie  les  montagnes 
et  sa  fiancée.  Un  rêve  d'ivresse  le  rappelle  à  la  réalité,  et  il  arrive 
juste  à  temps  au  pays  pour  épouser  Yvette  qui  allait  prendre  le 
voile.  Tout  cela  est  plutôt  triste,  et  l'on  pourrait  justement  repro- 
cher aux  deux  auteurs  d'avoir  trop  négligé  tout  le  côté  charme  et 
esprit.  Le  même  reproche  s'adresserait  aussi  assez  justement  à 
M.  Gédalge,  le  musicien  chargé  d'occuper  les  oreilles  pendant  le 
spectacle.  Sa  partition  nous  a  paru  beaucoup  trop  sérieuse  et,  critique 
plus   grave  encore,    sans  bien   grande  originalité.  Symphoniste  qui 


LE  MEINESTREL 


connaît  son  inélier,  M.  Gédalge  semble  avoir  eu  peur  de  donner 
libre  cours  à  son  inspiration  et,  si  je  cherche  à  me  rappeler  les  pas- 
sages saillants,  je  ne  vois  à  citer  que  la  scène  de  la  déclaration,  au 
premier  tableau,  bien  venue  et  dans  la  manière  de  Gounod,  la  scène 
d'ivresse,  d'un  rythme  très  franc,  et  la  phrase  de  violon  du  dernier 
acte  pendant  la  bénédiction  paternelle.  Les  interprètes  se  sont  res- 
sentis de  cette  sorte  de  sévérité  observée  par  les  auteurs;  ils  ont  joué 
sans  fantaisie.  M.  Micheau  a  monté  avec  infiniment  de  goùl  ce 
Pelit  Savoi/ard,  qui,  nous  en  avons  peur,  ne  marchera  pas  très  loin 
sur  les  traces  de  l'Enfant  Prodigue. 

La  Gaité  a  fait  cette  semaioe  une  très  brillante  reprise  du  Petit 
Poucet.  Interprétation  absolument  nouvelle  avec  MM.  Vauthier,  Fu- 
gère,  Simon-Max  et  M"''' J.  Thibault,  Gélabert  et  Maury.  A  M"''  Bianoa 
Duhamel  succède  nue  autre  petite  jeune  personne,  M'"'  Mignot,  tout  à 
fait  charmante,  douée  d'une  jolie  voix  et  faisant  montre  de  beaucoup 
d'aisance.  Souhaitons-lui  le  succès  à  venir  que  remporte  aujourd'hui 
sa  devancière.  La  mise  en  scène  est  aussi  luxueuse  qu'aux  premiers 
jours,  avec  sa  forêt  à  transformation,  son  palais  des  bottes,  son  pays 
des  contes  et  son  île  des  mioches.  Voilà,  en  perspective,  de  bonnes 
soirées  à  passer  pour  les  enfants  sages,  soirées  auxquelles  les  parents 
ne  seront  pas  sans  prendre  quelque  intérêt. 

Paul-Émile  Chevalier. 


UNE    FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 
(Suite.) 
YIII 

Entre  la  retraite  de  M""^*  Joly  et  celle  de  M""  Duret  se  place  la 
mort  de  leur  père.  L'excellent  Saint-Aubin,  qui  avait  fini  par  se 
faire  à  l'Opéra-Gomique  une  situation  non  seulement  honorable, 
mais  importante,  dans  un  emploi  secondaire  si  l'on  veut,  mais  qu'il 
remplissait  avec  une  véritable  originalité,  se  sentait  fatigué  après 
une  carrière  de  près  de  quarante  années,  dont  vingt-quatre  passées 
à  ce  théâtre.  Peut-être  l'injustice  faite  à  sa  fille  Alexandrine  hâta- 
t-elle  le  désir  qu'il  pouvait  avoir  de  se  retirer  et  pressa-t-elle  sa 
détermination;  peut-être  aussi  n'y  eùt-il  là  qu'un  effet  du  hasard  et 
une  simple  coïncidence  de  faits  :  toujours  est-il  qu'il  prit  sa  retraite, 
comme  elle,  en  1817,  regretté  du  public,  qui  l'avait  pris  en  sincère 
affection,  et  regretté  plus  encore  de  ses  camarades,  qui  savaient 
qu'en  lui  les  plus  hautes  qualités  morales  s'alliaient  à  de  rares 
facultés  artistiques. 

Comme  tout  sociétaire  ayant  au  moins  accompli  vingt  années  de  ser- 
vices, il  avait  droit  à  une  représentation  de  retraite  à  son  bénéfice.  Cette 
représentation  eut  lieu  à  l'Opéra-Comique,  le  7  novembre  1818,  avec 
tout  l'éclat  qu'on  lui  pouvait  souhaiter;  c'est-à-dire  que  les  artistes 
des  trois  grands  théâtres  subventionnés  se  réunirent  pour  en  faire 
une  véritable  solennilé,  digue  couronnement  d'une  carrière  bien 
remplie.  Tandis  que  l'Opéra-Comique  lui-même  participait  à  la  fête 
avec  une  Heure  de  mariage,  les  acteurs  de  la  Comédie-Française  se 
montraient  dans  Hector,  tragédie  de  Luce  de  Lancival,  et  les  dan- 
seurs de  l'Opéra  venaient  terminer  le  spectacle  avec  l'un  des  ballets 
dont  les  spectateurs  se  montraient  le  plus  friands,  le  Carnaval  de 
Venise.  Mais  ce  n'est  pas  tout,  el  l'on  peut  supposer  que  l'attrait  le 
plus  puissant  peut-être  de  la  soirée  était  la  réapparition  inattendue  et 
tout  exceptionnelle  de  M'"'=  Saint-Aubin,  qui,  volontairement  éloignée 
de  la  scène  depuis  près  de  dix  années,  venait  une  dernière  fois,  dans 
une  Heure  de  mariage,  se  montrer  à  un  public  qu'elle  avait  tant  charmé 
naguère  et  qui  ne  l'avait  point  oubliée.  Il  est  juste  de  constater  que 
le  résultat  ne  fut  pas  au-dessous  de  l'effort,  car  la  recette  s'éleva 
au  chiffre  respectable  —  el  rare  —  de  21,000  francs,  le  prix  des 
places  ayant,  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire,  été  notablement 
augmenté  pour  la  circonstance. 

Mais  le  brave  Saint-Aubin  ne  devait  ni  profiter  de  cette  heureuse 
chance,  ni  jouir  longtemps  d'un  repos  que  pourtant  il  avait  si  bien 
mérité.  La  mort  venait  le  frapper  trois  semaines  après  cette  dernière 
joie  artistique,  le  1"  décembre  1818,  et  précisément  le  jour  du  trente- 
cinquième  anniversaire  de  son  mariage,  célébré  à  Lyon  le  1"  dé- 
cembre 1782.  Agé  de  soixante-trois  ans,  il  laissait  deriière  lui  la 
réputation  d'un  parfait  nonnêle  homme,  d'un  confrère  dévoué  et 
d'un  excellent  chef  de  famille,  en  même  temps  que  celle  d'un  artiste 
vraiment  distingué  dans  les  deux  genres  qu'il  avait  cultivés  :  le 
théâtre  et  la  gravure.  «  Il  y  a  peu  d'années,  disait  un  chroniqueur 
eu  annonçant  sa  mort,   il  j  a  peu  d'années  que  dans  ses  loisirs,  il 


maniait  encore  le  burin...  C'est  avec  M.  Auguste  Delvaux,  fils  de 
M.  Delvaux,  son  ancien  camarade  chez  Lemire.  que  M.  Saint-Aubin, 
a  gravé  les  portraits  de  M°"'^  Duret  et  Joly,  ses  filles,  que  l'on  voit 
aux  numéros  7  et  8  de  VAnnuaire.  L'âme  de  M.  Saint-Aubin  était 
cependant  de  beaucoup  supérieure  à  ses  talens.  Ses  parens  et  ses 
amis  ne  cesseront  pas  de  le  pleurer  (1).  »  Ces  lignes,  on  le  voit,  ren- 
dent hommage  au  caractère  de  l'homme  autant  qu'au  talent  de  l'ar- 
tiste. 

La  mort  de  Saint-Aubin  et  la  retraite  prématurée  de  M""«  Joly  lais- 
saient M™"  Duret  seul  et  dernier  représentant  d'une  famille  qui  avait 
tenu  une  si  large  place  dans  les  annales  de  l'Opéra-Comique.  Lors- 
qu'à son  tour  M°'=  Duret  eut  pris  sa  retraite  en  1810,  il  ne  resta  plus 
à  ce  théâtre  que  le  souvenir  de  cette  famille  si  féconde  en  excellents 
artistes  et  qui,  dans  un  espace  de  cinquante-cinq  an?,  ne  lui  avait 
par  fourni  moins  de  huit  sujets  plus  ou  moins  distingués  :  i"  M"*  Fré- 
déric (Schrœder)  aînée,  plus  tard  M""  Moulinghen  ;  2°  M"=  Frédéric 
cadette;  3°  M"=  Lambert  (Frédéric  Schrœder  3")  ;  4"  le  danseur  Fré- 
déric ;  5°  M"'=  Saint-Aubin;  6°  Saint-Aubin  (d'Herbez)  ;  7°  Cécile 
Saint-Aubin,  plus  tard  M""  Duret;  8°  Alexandrine  Saint- Aubin,  plus 
lard  M°"=  Joly.  Et  je  ne  parle  pas  de  Moulinghen,  mari  de  M"'=  Frédéric 
aînée,  qui  ne  parut  jamais  sur  la  scène,  mais  qui  durant  près  d'un 
demi-siècle  fit  partie  de  l'orchestre  de  la  Comédie-Italienne  el  de 
l'Opéra-Comique.  On  peut  croire  sans  peine  que  le  souvenir  de  cette 
longue  dynastie  ne  s'effaça  pas  en  un  jour  de  la  mémoire  de  tous. 

Aussi,  pour  ne  parler  que  de  M"'=  Saint-Aubin,  peut-on  dire  que 
la  gloire  de  cette  incomparable  artiste  n'est  pas  éteinte,  en  dépit 
du  caractère  fugitif  qui  distingue  l'action  du  comédien  sur  le  pu- 
blic, son  talent  ne  laissant  aucune  trace  matérielle  et  n'ayant  en 
sa  faveur  d'autre  témoignage  que  l'écho  de  l'admiration  des  contem- 
porains. Mais,  en  ce  qui  la  concerne,  ce  témoignage  était  demeuré 
si  vif  que  lorsqu'elle  mourut,  quarante-deux  ans  après  sa  disparition 
de  la  scène,  il  semblait  que  son  nom  fût  encore  dans  toutes  les  : 
bouches,  et  toute  la  presse  recommença  de  chanter  ses  louanges,  i 
comme  on  faisait  au  plus  fort  de  ses  succès. 

C'est  le  11  septembre  18.o0  que  M"'=  Saint-Aubin  disparut  de  ce 
monde,  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans.  Elle  avait  survécu  trente- 
deux  ans  à  son  mari  et  soixante-dix  ans  à  sa  sœur  aînée,  M"""  Mou- 
linghen, ce  qui  est  réellement  un  fait  exceptionnel.  Bien  que  d'or- 
dinaire elle  habitât  Nogent,  c'est  à  Paris  qu'elle  mourut,  dans  une 
maison  de  santé  alors  annexée  aux  bains  de  Tivoli,  et  ou  sans 
doute  elle  s'était  fait  transporter.  Ses  funérailles  eurent  lieu  le  14,. 
et  voici  comment  un  journal  alors  fort  répandu,  le  Moniteur  du  Soir^ 
en  rendait  compte  le  jour  même  : 

Aujourd'hui  ont  eu  lieu,  dans  l'église  de  Saint-Louis  d'Antin,  les  ob- 
sèques de  la  célèbre  M""  Saint-Aubin,  décédée  à  l'âge  de  87  ans  (2),  dans 
la  maison  de  santé  de  Tivoli.  En  voyant  passer  le  très  modeste  corbillard 
qui  emportait  au  Père-Lachaise  le  cercueil  de  cette  femme  qui  fit  pen- 
dant 30  ans  les  délices  de  la  capitale,  qui  se  serait  douté  que  c'était  là 
une  des  célébrités  les  plus  brillantes  de  la  République,  du  Consulat  et 
des  grands  jours  de  l'Empire? 

M"'"  Saint-Aubin,  qui  régnait  sur  le  théâtre  Favart  en  souveraine  pen- 
dant les  terribles  luttes  de  91  et  93,  reçut  les  hommages  des  plus  illustres 
Girondins,  de  Marat,  de  Robespierre,  de  Gollot  d'Herhois.  Malgré  la  su- 
périorité de  son  talent,  elle  trouva  grâce  devant  les  dictateurs  du  Comité- 
de  salut  public.  Elle  eut  même  le  courage,  très  grand  alors,  d'employer 
sa  célébrité  à  sauver  de  la  misère,  de  la  prison  et  de  l'échafaud  une 
foule  de  victimes  destinées  au  triangle  de  la  fraternité  républicaine.  Marat 
lui  disait  souvent  :  Citoyenne,  tu  n'as  donc  jxis  peur  d'être  si  bonne  ?  —  Je  n'ai 
qu'une  peur,  répondait-elle  hardiment,  c'est  de  manquer  de  faire  une  bonne 
action  quand  je  puis  la  faire.  Je  suis  femme  et  Française  !  (3). 

Elle  était  adorée  de  la  foule.  On  n'a  pas  d'idée  aujourd'hui  de  cette,  po- 
pularité des  grands  talents  qui  prenaient  leur  renommée  au  sérieux  et  qui 
voyaient  autre  chose  que  la  fortune  dans  les  faveurs  du  public  :  les  grands  - 
noms  étaient  estimés  parce  qu'ils  s'estimaient. 

(1)  Annuaire  dramatique  ou  Elreiines  théâtrales,  pour  t819.  C'est,  en  eûet,  dans 
l'année  1811,  la  septième  de  ce  petit  recueil,  que  parut  le  gentil  portrait 
d' Alexandrine  Saint-Aubin,  et  dans  le  volume  suivant  que  fut  publié  celui  de  sa 
sœur.  Je  remarque,  en  feuilletant  ces  deux  volumes,  que  Saint-Aubin  et  sa  femme, 
leurs  deux  filles  ainsi  que  Duret ,  mari  de  Cécile,  demeuraient  tous  alors  dans  la- 
même  maison,  rue  Feydeau,  30.  Cela  semble  indiquer  une  union  rare  dans  toute  la 
famille.  Cette  union  ne  dura  pas  toujours  en  ce  qui  concerne  le  jeune  ménage,  car- 
en  parcourant  le  volume  de  1819  je  vois  que  Duret  demeure  rue  Vivienne,  18,  tan- 
dis que  sa  femme  habite  2,  rue  Neuve-Saint-Marc. 

(2)  11  y  a  là,  une  légère  erreur.  C'est  bien  85  ans,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  M'""  Saint- 
Aubin  étant  née  le  29  décembre  1764. 

(3)  Ce  fait  a  été  raconté  plus  d'une  fois.  Je  ne  l'ai  pas  reproduit  parce  que  je 
n'en  ai  pu  établir  l'absolue  exactitude;  mais  je  dois  dire  qu'il  est  en  quelque  sorte 
légendaire.  Toutefois,  j'ai  peine  à  cruire,  tout  au  moins,  que  la  toute  simple  et 
tout  aimable  M'°"  Saint-Aubin  ait  employé,  en  parlant  à  1'  «ami  du  peuple»  un 
langage  aussi  prétentieux  et  aussi  cmp'.-atique. 


LE  MENESTREL 


83 


M"»  Saint-Aubin  se  retira  de  la  gloire  à  l'âge  de  i2  ans.  Elle  disait  :  il 
faut  quitter  le  monde  avant  qu'il  ne  vous  quitte.  Sa  réputation  de  femme 
d'esprit  et  de  cœur  la  suivit  dans  sa  retraite.  L'impératrice  Joséphine  la 
nomma  pour  être  une  de  ses  lectrices.  Elle  lisait  comme  un  ange  :  on 
venait  la  chercher  en  tout  temps,  comme  un  oracle  de  goût  et  d'inspira- 
tion. Sa  iille  lui  succéda  dans  sa  renommée.  Ce  fut  elle  qui  obtint  ce 
succès  fabuleux  dans  le  rôle  de  Cendrillon. 

Dire  le  bien  que  M"":  Saint-Aubin  a  fait  pendant  les  longues  périodes 
de  cette  vie  si  pleine,  serait  impossible.  Elle  était  tout  âme  et  tout  cœur. 
Elle  laisse  une  postérité  nombreuse.  On  dit  qu'elle  a  soixante  enfants. 
M""=  j'ianard  est  une  de  ses  filles  et  M"""  R.  de  Leuven  une  de  ses  petites- 
filles. 

Quelques  rares  amis  ont  suivi  son  modeste  convoi.  Cette  gracieuse  cé- 
lébrité, qui  fit  autant  de  bruit  que  M'":  Mars,  qni  vit  des  monarques  à 
ses  pieds,  s'en  est  allée  au  cimetière  sans  pompe,  sans  bruit,  et  presque 
sans  suite.  Voilà  ce  que  c'est  que  la  gloire  au  théâtre  1  L'excellente  femme 
n'a  gardé  derrière  son  cercueil  que  quelques  fidélités  intimes.  Les  artistes 
de  la  capitale  ont  presque  tous  manqué  au  cortège  de  M™"  Saint- Aubin; 
ils  brillaient  par  leur  absence,  excepté  MlW.Ponchard,  Sainte-Foy,  Carafa, 
Doche  et  Milhé,  qui  se  sont  bien  gardés  d'imiter  l'ingrat  oubli  de  tant 
d'autres.  Ils  étaient  là,  en  habit  de  deuil.  La  littérature  était  représentée 
par  deux  amis  de  la  noble  défunte  :  M.  Arsène  Houssaye  représentait  le 
Théâtre-Français  et  M.  Belmontet  la  littérature  dramatique  (!).  Quelques 
dames  sont  venues  à  l'église  jeter  de  l'eau  bénite  sur  ces  restes  d'une 
grande  renommée  et  d'un  grand  cœur. 

Le  corps  a  été  déposé  non  loin  des  Duchesnois,  des  Mars,  des  Talma. 
Tant  d'émotions,  tant  de  triomphes,  tant  de  couronnes,  tant  d'applaudis- 
sements de  toute  une  génération  pour  un  De  ■profuitdis  en  faux-bourdon 
et  pour  un  coin  de  terre!...  Faites  du  bruit  après  cela!  (1). 

Le  cortège  qui  suivait  le  eonvoi  de  M""=  Saint-Aubin  n'était  ce- 
pendant pas  tout  ù  fait  aussi  pauvre  que  ces  lignes  tendraient  à  le 
faire  croire.  Le  Moniteur  universel  aoas  l'apprend,  en  rendint  compte 
de  son  côté  de  la  cérémonie  :  «  L=.  deuil,  dit  ce  journal,  était  conduit 
par  M.  Houdaille,  gendre  de  M"'=  Saint-Aubin,  il.  Planard  fils,  son 
petit-fils,  et  M.  de  Leuven,  son  petit-gendre.  Parmi  les  assistants,  on 
remarquait  MM.  Carafa  et  Ambroise  Thomas,  compositeurs  ; 
MM.  Mocker,  Sainte-Foy,  Hermann-Léon,  Jourdan,  Davernoy  et  M°"'= 
Révilly,  Lemercier,  Miolan,  artistes  de  l'Opéra-Comique,  et  M.  Pon- 
cbard  père,  artiste  retiré  du  même  théâtre....  »  EL  d'autre  part,  Adol- 
phe Adam,  consacrant,  dans  son  feuilleton  de  l'Assemblée  nationale, 
quelques  lignes  d'ailleurs  sans  intérêt  à  la  mémoire  de  M""^  Saint- 
Aubin,  fait  cette  remarque,  qui  explique  et  fait  comprendre  nombre 
d'abstentions  involontaires:  —  «  La  lettre  de  faire-part  qui  annonçait 
la  mort  de  M"'»  Saint-Aubin  n'indiquait  pas  où  ses  obsèques  devaient 
avoir  lieu.  Beaucoup  de  ses  anciens  amis  se  seraient  empressés  de 
s'y  rendre,  car  tous  appréciaient  l'esprit,  la  vivacité  et  la  mémoire 
prodigieuse  que  M"'=  Saint-Aubin  avait  conservés  dans  l'âge  le  plus 
avancé.  » 

Par  tout  ceci,  on  voit  qu'il  n'y  a  pas  lieu  sans  doute  de  prononcer, 
à  propos  des  funérailles  de  M°'=  Saint-Aubin,  les  grands  mots  d'in- 
gratitude et  d'oubli.  Alliée  d'ailleurs,  comme  elle  l'était,  à  diverses 
familles  appartenant  à  la  scène  militante  et  tiès  répandues  alors,, 
aux  de  Planard,  aux  de  Leuven,  il  est  à  supposer  que  ce  qu'on 
n'eût  pas  fait  pour  elle,  malgré  sa  gloire  et  son  grand  nom,  on  l'eût 
fait  du  moins  pour  les  siens,  et  que  les  égards  dus  à  ceux  qui  res- 
taient eussent  pris  au  moins  la  forme  d'un  hommage  rendu  à  celle 
qui  partait.  On  sait,  d'autre  part,  que  chez  nous  les  artistes  sont 
loin  d'être  oublieux  de  leurs  grandes  renommées,  et  qu'ils  tien- 
nent justement  à  honneur  de  leur  rendre  les  devoirs  qu'elles  méri- 
tent. De  ces  réflexions  on  peut  donc  conclure  que  l'explication  don- 
née par  Adam  est  très  légitime  et  fort  naturelle. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  s'ouvrait 
par  la  Symphonie  pastorale  de  Beethoven,  qui,  exécutée  avec  la  perfection 
habituelle  de  ce  magnifique  orchestre,  a  obtenu  son  succès  ordinaire. 
Nous  avons  entendu  ensuite  la  musique  écrite  récemment  par  M.Gabriel 
Fauré  pour  la  reprise  à  l'Odéon  du  drame  d'Alexandre  Dumas,  Caligula. 
Cette  musique,  qui  comprend  divers  mélodrames,  plusieurs  chœurs  et  un 
air  de  danse,  avait  été  conçue  d'abord,  en  vue  de  l'Odéon,  pour  un  orches- 
tre réduit;  l'auteur  la  réorchestra  ensuite  entièrement  pour  la  faire  en- 
tendre à  la  Société  nationale  de  musique,  après  quoi  on  l'exécuta  aux 
concerts  du  Ghâtelet.  Voici  qu'aujourd'hui  nous  pouvons  la  juger  au  Con- 
servatoire, où,  je  dois  le  dire  tout  d'abord,  elle  ne  me  parait  pas  à  sa 
place.  Non  qu'elle  soit  sans  mérite,  et  ce   n'est  point  là  ce  que  je  veux 


(1)  Moniteur  du  i 


du  14  septembre  lfi50. 


faire  entendre  :  on  connaît  le  talent  fin,  délicat,  un  peu  précieux,  de 
M.  Fauré,  qui  ne  livre  rien  au  hasard  et  qui  ne  laisse  sortir  de  sa  plume 
que  des  œuvres  sérieusement  travaillées  et  achevées  au  point  de  vue  de  la 
forme.  Mais  précisément  ce  talent  se  montrait,  dans  la  circonstance,  un 
peu  fin,  un  peu  délicat,  un  peu  trop  précieux  pour  le  milieu  où  il  se  pro- 
duisait. La  musique  pour  Caligula,  très  aimable  d'inspiration,  très  serrée 
de  forme  et  de  travail,  manque  évidemment  d'ampleur,  de  puissance  et 
d'éclat,  et  ne  saurait,  par  ce  qu'on  pourrait  appeler  son  intimité,  brdler 
au  milieu  des  œuvres  mâles  et  sévères  qui  forment  le  répertgire  ordinaire 
de  la  Société  des  concerts.  Il  est  certain  que  le  chœur  des  Heures  du  Jour 
et  aes  Heures  de  la  Nuit  est  plein  de  grâce  et  de  délicatesse,  que  celui  «  des 
roses  vermeilles  »  est  d'une  inspiration  aimable  et  parfum.ée,  que  l'air  de 
danse  est  d'un  rythme  très  piquant  pour  n'être  pas  absolument  nouveau. 
Mais  tout  cela, je  le  répète,  ne  m'a  pas  paru  à  sa  place,  et  le  public  n'a 
pas  fait  à  cette  musique  l'accueil  qu'elle  eût  mérité,  se  produisant  dans 
d'autres  conditions.  Le  succès,  on  pourrait  dire  le  triomphe  de  la  séance, 
a  été  pour  un  jeune  violoniste,  membre  de  la  Société,  M.  Hayol,  qui  est 
venu  exécuter,  avec  une  rare  élégance  et  une  véritable  maestria,  le  con- 
certo très  inégal  et  très  brillant  de  Max  Bruch,  dont  le  principal  défaut 
est  d'être  trop  souvent  écrit  d'une  façon  gauche  pour  l'instrument. 
M.  Hayot,  l'un  des  meilleurs  élèves  de  la  classe  de  M.  Massart,  a  ob- 
tenu un  brillant  premier  prix  il  y  a  quelques  années,  en  IS83.  C'est  un 
artiste  doué,  et  en  même  temps  un  travailleur  acharné,  musicien  ins- 
truit, pianiste  habile  et,  dit-on,  improvisateur  remarquable.  Depuis  long- 
temps ses  collègues  de  la  Société  m'en  avaient  parlé  avec  le  plus  grand 
avantage  et  sans  le  moindre  accent  de  jalousie,  reconnaissant  en  lui  une 
incontestable  supériorité,  et  affirmant  que  son  apparition  serait  une  ré- 
vélation. Je  ne  saurais  dire  encore  ce  qu'il  en  sera  d'une  façon  absolue 
car  ce  n'est  pas  sur  une  seule  audition  que  l'on  peut  juger  de  toute  la 
valeur  d'un  virtuose,  mais  il  est  certain  que  celui-ci  n'est  pas  un  artiste 
ordinaire.  Justesse  irréprochable,  doigts  solides,  belle  sonorité,  archet 
très  obéissant  et  bien  à  la  corde,  jeu  posé  et  sans  charlatanisme,  avec 
cela  style  très  pur  et  goût  exquis  dans  le  phrasé,  voilà  l'ensemble  de 
qualités,  certes  peu  communes,  qui  lui  ont  valu  de  la  part  du  public  un 
accueil  presque  enthousiaste  et  un  double  rappel  bien  mérité.  M.  Hayot 
fera  certainement  parler  de  lui,  mais  j'avoue  que  je  voudrais  l'entendre 
dans  autre  chose  que  le  concerto  de  Max  Bruch,  celui  de  M.  Lalo,  par 
exemple,  qui  est  autrement  écrit  pour  l'instrument.  —  Le  concert  se  ter- 
minait par  le  Clianleur  des  bois,  chœur  sans  accompagnement  de  Mendels- 
sohn,  et  l'étrange  et  étincelante  ouverture  du  Carnaval  romain,  de  Berlioz 

Arthur  Pougin. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  — Aupaijs  bleu,  suite  symphonique  pour  orches- 
tre et  VOIX,  par  M""'  Augusta  Holmes,  a  obtenu  un  de  ces  triomphes  écla- 
tants qui  modifient  la  physionomie  d'une  salle  de  concert.  Le  premier 
morceau,  Oraison  d'aurore,  est  d'un  coloris  éblouissant.  La  phrase  musicale 
se  développe  lentement  et  retarde  sa  conclusion  pour  ajouter  aux  lignes 
du  tableau  plus  d'ampleur, plus  d'étendue.  Le  deuxième  morceau.  En  mer, 
a  été  bissé  d'enthousiasme,  malgré  ses  dimensions  assez  considérables. 
Son  originalité  consiste  dans  l'adjonction  à  l'orchestre  de  voix  perdues 
dans  la  coulisse,  qui  battent  le  rythme  sans  articuler  de  paroles.  Ce  pro- 
cédé, déjà  mis  en  œuvre  par  Berlioz,  produit  ici  une  impression  de  fraî- 
cheur délicieuse  en  se  mêlant  à  un  dialogue  d'orchestre  d'une  sonorité 
charmante.  Le  troisième  morceau,  Une  fête  à  Sorrente,  est  construit  sur  un 
rythme  de  tarentelL'  qui  n'a  pas  permis  à  l'idée  musicale  de  s'élever  au 
même  niveau.  En  somme,  œuvre  hautement  poétique,  pleine  de  caractère, 
d'une  coloration  intense,  d'ailleurs  très  simple  de  facture  et  pas  bruyante 
du  tout.  — Excellent  accueil  pour  les  fragments  d'£toa,  de  M.  Ch.  Lefebvre. 
M.  Rondeau  a  chanté  au  pied  levé  la  partie  du  récitant  et  a  su  mettre  en 
relief  plusieurs  passages  particulièrement  réussis.  On  peut  dire  qu'il  s'est 
acquitté  avec  distinction  et  non  sans  talent  d'une  tâche  difficile.  —  Nous 
ne  pouvons  voir  dans  le  Chasseur  maudit,  de  César  Franck,  que  l'erreur, 
cruelle  pour  nous,  d'un  grand  artiste  projeté  violemment  sur  une  fausse 
piste  et  qui  n'a  pas  toujours  eu,  vis-à-vis  de  ses  œuvres,  le  coup  d'œil  juste 
et  froid  qui  condamne  à  jamais  les  pages  mal  venues.  —  M.  Otto  Hegner 
a  joué  avec  une  grande  assurance  le  concerto  en  mi,  de  Chopin.  Ce  jeune 
pianiste,  né  à  Bàle  le  18  novembre  1876,  y  a  reçu,  dès  l'âge  de  sept  ans, 
des  leçons  de  M.  Hans  Huber.  Il  s'est  fait  entendre  à  Bàle  en  I88b, 
en  Angleterre  en  1887-68,  en  Amérique  en  1889-90,  et  vient  de  Berlin 
et  de  Leipzig,  où  il  a  été  très  remarqué.  L'aisance  et  la  facilité  du  mé- 
canisme sont  chez  lui  chose  extraordinaire.  Son  jeu  a  la  correction,  la 
netteté,  peu  d'imprévu,  peu  d'expression.  Il  a  le  sentiment  des  nuances 
et  sait  les  graduer,  mais  ne  communique  pas  au  clavier  la  vibration  in- 
tense qui  permet  de  dire  que  l'instrument  se  modifie  et  se  transforme 
selon  les  impressions  que  ressent  l'exécutant.  L'accentuation  du  dessin 
mélodique  est  très  accusée,  ce  qui  compense  en  partie  le  manque  de  vo- 
lume et  d'ampleur  du  son.  Ce  virtuose  de  quatorze  ans  a  écrit  quelques 
compositions  intéressantes.  —  On  a  entendu  au  même  concert  l'ouverture 
des  Francs-luges,  la  Symphonie  italienne,,  un  fragment  de  Siegfried  et  le  finale 
des  Erinnyes,  de  M.  Massenet.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  mi  bémol  de  Schumann  est 
une  œuvre  splendide,  empreinte,  par  moments,  d'un  sentiment  religieux 
très  intense,  et  sur  laquelle  on  s'est  hâté  de  bâtir  une  légende.  L'œuvre 
est  superbe,  et  l'exécution  n'a  pas  été  à  la  hauteur  de  la  conception  du 
maître.  —  Après  ce  morceau  nous  avons  été,  plus  que  jamais,  en  proie  à 


86 


LE  MENESTREL 


la  musique  descriptive.  Je  ne  sais  où  l'on  s'arrêtera  dans  cette  voie  ;  lors- 
qu'une réaction  salutaire  sera  survenue,  on  rira  bien  des  programmes 
actuels.  Si  la  musique  est  apte  à  peindre  tant  de  choses,  à  quoi  bon  cette 
prose  explicative?  Il  fut  un  temps  où  l'on  accordait  à  la  musique  le  don 
d'exprimer  des  idées  générales  très  simples  :  la  joie,  la  douleur,  la  con- 
templation calme  de  la  nature  ;  on  se  permettait  de  peindre  une  chasse, 
une  tempête  ;  il  y  avait  pour  cela  des  formules  convenues,  mais  on  n'allait 
pas  plus  loin.  On  se  contentait  de  vocables  modestes  indiquant  le  sens  de 
l'œuvre  ;  aujourd'hui  on  a  la  prétention  de  créer  une  langue  nouvelle,  qui 
exprime  tout  d'une  façon  absolue;  ne  mettez  pas  en  doute  qu'à  un  moment 
donné  il  viendra  un  musicien  qui  décrira  avec  exactitude  la  lymphe  de 
Koch  et  les  inoculations  de  Brown-Séquard.  Autrefois,  c'était  bien  plus 
commode,  un  morceau  avait  cette  simple  épigraphe,  Con  dolore  ;  combien 
l'imagination  était  à  l'aise  !  On  pouvait  supposer  un  chagrin  d'amour  ou 
une  douleur  d'estomac.  Maintenant  les  programmes  précisent,  témoin 
celui  de  M.  Chevillard,  un  musicien  qui  avait  donné  beaucoup  à  espérer. 
Voilà  qu'il  donne  aux  fables  de  La  Fontaine  de  terribles  commentaires  : 
tout  d'abord  un  paysage  ;  puis  le  basse  tuba,  caractérisant  le  chêne,  fait 
un  discours  ;  le  cor  anglais,  caractérisant  le  roseau,  en  fait  un  autre  ;  puis 
la  tempête  obligée,  qui  n'a  rien  de  commun  avec  celle  de  la  Symphonie 
pastorale  ;  vient  enfin  la  mort  du  chêne,  qui  doit  arracher  des  larmes  aux 
plus  endurcis,  tandis  que  le  roseau  triomphe  discrètement.  Que  d'efforts 
pour  si  peu  de  chose,  et  comme  la  fable  de  La  Fontaine  est  préférable  dans 
sa  courte  et  éloquente  expression  !  —  M.  V.  d'Indy,  lui  aussi,  peint  beau- 
coup de  choses:  mais  combien  il  nous  est  difficile,  après  avoir  lu  le  Wal- 
lenstein  de  Schiller,  de  reconnaître  le  tumulte  d'un  camp  dans  la  première 
partie  de  l'œuvre  de  M.  d'Indy;  ce  papillotage  musical  est  absolument 
dépourvu  de  grandeur,  et  nous  ne  nous  sentons  pas  la  force  d'admirer  le 
passage  où  deux  moines  déguises  en  bassons  (c'est  le  programme  qui  le' 
dit),  sous  prétexte  de  sermons  burlesques,  se  livrent  à  d'inconvenantes 
plaisanteries  musicales.  Il  nous  semble  que  le  dédaigné  Meyerbeer  avait 
mieux  exprimé,  dans  l'Étoile  du  Nord  et  dans  le  Prophète,  des  situations 
analogues.  —  Après  la  Danse  macabre,  de  Saint-Saëns,  toujours  applaudie, 
la  marche  nuptiale  de  Lohengrin  et  le  prélude  de  Parsifal,  empreint  d'un 
beau  caractère  religieux,  M.  Lamoureux  nous  a  donné  une'  œuvre  de 
M.  Sievaking,  jeune  compositeur  hollandais.  La  première  partie,  Prélude, 
est  tout  à  fait  remarquable  :  facture  excellente,  beau  sentiment  dramati- 
que, orchestration  irréprochable  :  voilà  de  la  belle  et  bonne  musique.  La 
seconde  partie,  Marche  triomphale,  nous  a  moins  plu,  non  que  l'œuvre  soit 
inférieure  comme  travail,  mais  parce  que  la  pensée  maîtresse  nous  a  paru 
moins  distinguée,  moins  noble  d'e.xpression.  Somme  toute,  l'œuvre  de 
M.  Sieveking,  si  elle  est  un  début,  est  un  début  qui  promet  et  auquel 
nous  ne  marchandons  pas  nos  éloges.  H.  Baubedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  ;  Symphonie  pastorale  (Beellioven);  Caligula  (G.  Fauré);  concerto 

pour  violon  (Max  Bruch),  par  M.  Hayot;  le  Chanteur  des  bois  (Mendeissohn)- 
ouverture  du  Carnaval  romain  (Berlioz). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  vl  mineur  n"  5  (Beethoven)  ;  Eloa 
(Ch.  Lefebvre),  le  récitant:  M.  Rondeau;  air  de  Lucifer  (Hœndelj,  chanté  par 
M.  .^.uguez;  concerto  en  sol  mineur  (Mendeissohn)  ,  exécuté  par  M"°  Louise 
Steiger;  Au  pays  bleu  (A.  Holmes);  le  Chant  du  lieitre  (Grandval),  chanté  par 
M.  Auguez;  ballet  d'Ascanio  (C.  Saint-Saéns). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Coriolan  (Bee- 
thoven); le  Chêne  et  le  Hoseau  (C.  Chevillard  i  ;  Phaéton  (Saint-Saëns);  deuxième 
scène  du  deuxième  acte  de  Lohengrin  (R.  Wagner)  :  M"'"  BrunetLafleur  (Eisa) 
M""  Maierna  (Orlrude)  ;  prélude  de  Parsifal  \R.  Wagner/;  scène  finale  du  Crépus- 
cule des  Dieux  (Wagner)  :  Brunehilde,  M""  Materna;  Uarclie  hongroise  (BeTlioz). 

—  Une  nouvelle  tentative  de  vulgarisation  de  l'œuvre  de  César  Franck 
vient  de  réussir  brillamment.  Un  concert  entièrement  consacré  à  son  œuvre 
a  été  donné  jeudi,  dans  la  grande  salle  des  Sociétés  savantes,  par  le  Cercle 
Saint-Simon:  il  a  attiré  un  public  qui  a  manifesté  un  véritable  enthou- 
siasme. Après  quelques  paroles  prononcées  par  MM.  Gabriel  Monod  et  Julien 
Tiersot,  M.  Chevillard  et  le  quatuor  de  la  Société  nationale  ont  exécuté  le 
Quintette  en  fa  mineur;  puis  on  a  chanté  des  fragments  de  Ruth,  un  air  àe  Ré- 
demption, et  des  mélodies,  tout  cela  interprété  par  M^^Montégu-Montibert 
i^ucs  pregi  et  Thérèse  Roger;  enfin,  MM.  Vincent  d'Indy  et  Chevillard  ont 
exécuté  une  transcription  pour  harmonium  et  piano  d'une  admirable  pièce 
d'orgue.  A  signaler  notamment  le  succès  obtenu  par  le  Panis  Angelicus,  qui 
a  trouvé  en  M"=  Th.  Roger  une  interprète  de  grand  style  et  d'un  art  tout 
à  fait  supérieur. 

—  M"":  Sophie  Monter  vient  de  donner  deux  récitals  de  piano  chez 
Erard.  Si  au  premier  de  ces  concerts  elle  a  semblé  fatiguée  ou  souffrante 
elle  a  pris  une  éclatante  revanche  au  second.  M""=  Monter  est  une  virtuose 
de  race,  pour  qui  tout  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  les  difficultés  du 
mécanisme  est  jeu  d'enfant;  elle  joint  à  cette  impeccable  technique  une 
superbe  sonorité,  aussi  moelleuse  dans  la  vigueur  qu'exquise  dans  la 
douceur,  et  un  stylo  dégagé  de  toute  espèce  d'exagération  ou  d'aiféterie. 
Dire  qu'une  artiste  aussi  accomplie  a  su  faire  valoir  les  œuvres  de  Beetho- 
ven (sonate  op.  109),  de  Liszt  et  de  Rubinstein  qui  étaient  inscrites  à  son 
programme,  est  au  moins  inutile.  Cependant  on  ne  saurait  ne  pas  louer 
spécialement  son  interprétation  étourdissante  de  l'ouverture  de  Tannhauser 
arrangée  par  Liszt,  et  l'exécution  si  remarquable  d'imprévu,  de  verve  et 
de  fantaisie  de  la  treizième  Rapsodie  du  même  auteur.  Il  faut  citer  aussi 
mais  cette  fois  sans  enthousiasme  aucun,  un  arrangement  à  l'allemande 


des  Variations  symphoniques,  avec  coupures  ad  «stmi  des  pianistes  plus  ou 
moins  médiocres  de  l'école  de  M""'  Clara  Schumann,  arrangement  ou  plu- 
tôt dérangement  indigne  d'une  Monter.  Pour  terminer,  une  remarque  : 
M"=  Monter  a  cru  devoir  placer  sur  ses  programmes  deux  incolores  élu- 
cubralions  d'un  de  ses  élèves,  lorsqu'elle  en  exclut  les  noms  de  Saint- 
Saëns,  Alkan,  "Widor.  Fauré,  j'en  oublie  et  des  bons.  Il  me  semble 
que  le  répertoire  de  piano  de  ces  maîtres  a  assez  de  valeur  pour  que  l'on 
daigne  y  puiser...  I.  Ph. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre'  correspondant  de  Belgique  (12  mars)  :  —  A  la  puissance 
des  ténèbres  wagnériennes  a  succédé  la  clarté  mélodique  du  doux  Mozart. 
Siegfried,  contrarié  par  de  successives  interruptions,  s'arrête  en  chemin, 
ne  parvenant  pas  à  doubler  le  mince  cap  delà  dixième  ;  et  voilà  que  Don 
Juan,  plus  allègrement,  vient  d'entreprendre  un  voyage  qui  parait  devoir 
être  moins  accidenté,  —  à  moins  que  la  grippe  aussi  ne  vienne  l'assaillir. 
Don  Juan  n'avait  plus  été  joué  à  Bruxelles  depuis  vingt  ans.  C'est  surtout 
à  la  présence  de  M.  Bouvet  que  nous  devons  la  reprise  actuelle,  qui,  je 
me  hâte  de  le  dire,  a  complètement  réussi.  M.  Bouvet  caressait  depuis 
longtemps  l'idée  de  paraître  dans  ce  rôle  si  séduisant;  et  il  avait  raison, 
car  il  y  a  obtenu  un  plein  succès  ;  il  n'a  eu  qu'à  suivre  la  tradition  de 
Faure,  avec  qui  son  talent  a  de  nombreux  points  de  ressemblance,  pour 
y  être  excellent  ;  il  a  eu  la  légèreté,  la  grâce  et  l'aisance  voulues,  dans 
toutes  les  parties  du  rôle  où  se  dessine  la  galanterie  tout  à  la  fois  ai- 
mable et  perfide  du  héros;  et,  quand  la  comédie  devient  drame,  dans 
l'admirable  scène  finale  qui  couronne'  l'œuvre,  il  a  eu  des  accents  tra- 
giques très  émouvants.  Le  reste  de  l'interprétation  est,  en  général,  non 
seulement  satisfaisant,  mais  même  remarquable.  Et,  sous  ce  rapport, 
nous  constatons  avec  plaisir  les  soins  apportés  à  cette  intéressante 
reprise  ;  si  la  direction  avait  été  aussi  soucieuse  d'art  dans  toutes  les 
autres  reprises  qu'elle  a  faites  cette  année,  elle  se  serait  épargné  plus 
d'un  mécompte.  Les  trois  rôles  de  femme,  dans  Don  Juan,  sont  remplis 
par  M"=  Carrère,  M""^"^  Dufrane  et  de  Nuovina.  M""  Carrère  est  une  donna 
Elvire  d'autant  plus  digne  de  louanges  que  le  rôle  n'est  guère  favorable 
dans  sa  continuelle  pleurnicherie  et  qu'il  est  fort  difficile  à  chanter;  elle 
y  a  été  dramatique  et  émouvante,  avec  une  grâce  simple  et  une  sincérité 
d'expression  pleine  de  charme  ;  on  a  constaté  une  fois  de  plus  les  progrès 
considérables  faits  par  cette  jeune  cantatrice,  devenue  aujourd'hui  une 
artiste  de  style  et  d'autorité  et  dont  la  voix,  extraordinairement  étendue, 
pouvait  seule  venir  à  bout,  avec  tant  de  souplesse,  d'une  tâche  si  diffé- 
rente de  celle  à  laquelle  l'astreint  d'habitude  son  emploi.  M'""=  Dufrane 
est,  depuis  longtemps,  en  possession  de  cette  autorité  ;  il  est  regrettable 
que  la  voix  ait  perdu  quelque  peu  de  son  timbre;  mais  son  grand  style 
compense  largement  cette  perte;  elle  a  dit  d'une  façon  remarquable  le 
rôle  de  donna  Anna,  qu'elle  avait  déjà  joué  à  Paris,  et  son  succès,  à  elle 
aussi,  a  été  très  vif.  Quant  à  M™  de  Nuovina,  c'est  une  Zerline  assuré- 
ment très  gracieuse  et  très  souriante,  et  elle  a  détaillé  le  duo  du  deuxième 
acte  avec  des  intentions  de  finesse  vraiment  délicates;  mais  il  y  a  dans 
cette  grâce  et  dans  ces  délicatesses  bien  de  l'affectation  et  bien  de  la 
mièvrerie. 

Et  ce  n'est  pas  ainsi  que  parle  la  nature, 
dirait  Molière.  —  Leporello,  c'est  M.  Sentein,  qui  est  excellent  de  toutes 
manières,  avec  un  peu  de  lourdeur,  qui  ne  gâte  pas  grand'chose. 
M.  Vérin  fait  un  très  bon  Commandeur,  plastiquement,  et  M.  Challet  un 
Mazetto  très  satisfaisant.  Les  chœurs  et  l'orchestre  se  sont  bien  comportés; 
et  l'ensemble  de  cette  reprise  est,  en  somme,  tout  à  fait  méritant. 

En  ce  qui  concerne  les  concerts,  voici  le  bilan  de  ces  derniers  jours  : 
quatrième  concert  du  Conservatoire  consacré  aux  septième  et  huitième 
symphonies  de  Beethoven  avec,  comme  intermède,  des  lieder  très  bien 
chantés  par  M'"^  Cornelis-Servais;  —  deuxième  concert  populaire  consacré 
à  la  musique  russe,  avec  M.  Paderewsky,  naturellement  acclamé; — ma- 
tinée musicale  aux  XX.  également  pour  la  musique  russe;  —  et  enfin, 
concert  du  Cercle  des  Arts  et  de  la  Presse,  en  l'honneur  de  M""  Roger- 
Miclos,  qui  n'avait  pas  encore  joué  à  Bruxelles,  et  où  l'on  a  entendu 
toute  une  série  de  très  jolies  mélodies  de  M.  Fernand  Le  Borne,  chantées 
par  M"=  Rachel  Neyt,  de  la  Monnaie,  —  le  tout  très  applaudi.  Il  y  en  a 
eu  encore  bien  d'autres  ;  mais  je  ne  crois  pas  qu'ils  vaillent  la  peine 
d'être  signalés.  L.  S. 

— Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin:  Le  ténor  d'opérette  Philipp, 
vient  d'être  engagé  en  représentations  à  l'Opéra  royal.  II  abordera  pour 
la  première  fois  le  grand  répertoire  dans  la  Croix  d'or.  Mignon  et  Carmen; 
si  l'épreuve  est  satisfaisante,  il  restera  à  titre  définitif  à  l'Opéra.  — 
Hambourg:  Santa  Chiara,  l'opéra  du  duc  Ernest  II  de  Saxe-Cobourg-Gotha, 
vient  de  remporter  un  grand  succès  au  théâtre  municipal.  Le  public  a 
rappelé  trois  lois  l'auteur,  qui,  dans  sa  joie,  a  fait  pleuvoir  une  nuée  de 
décorations  sur  tout  le  personnel:  directeur,  chef  d'orchestre  et  artistes 
des  deux  sexes.  Voilà  une  manière  de  témoigner  sa  satisfaction  qui  n'est 
pas  à  la  portée  de  tous  les  compositeurs  !  —  Mannhedi  :  En  l'honneur  de  la 
fête  de  l'empereur  Guillaume,  le  théâtre  de  la  Cour  a  donné  pour  la 
première  fois  Roméo  et  Juliette  de  M.  Gounod,  sous  la  direction  du  kapell- 


LE  MENESTREL 


87 


meister  Langer.  L'œuvre  du  maître  français  a  été  couverte  d'applaudisse- 
ments. Le  choix  de  cet  opéra,  dans  une  semblable  occasion,  ne  peut  s'ex- 
pliquer que  par  le  désir  du  directeur  de  flatter  la  politique  gallophile  (elle 
l'était  alors)  du  souverain.  —  Stuttgart  :  Au  théâtre  de  la  Cour  le  public  a 
fait  un  excellent  accueil  à  un  nouvel  opéra-comique  en  un  acte,  Kalixula, 
dont  la  partition,  particulièrement  réussie,  est  l'œuvre  de  M.  A.  Doppler, 
fils  du  chef  d'orchestre  du  théâtre.  —  Vienne  ;  Le  théâtre  de  la  Cour  a 
donné  dernièrement  la  première  représentation  d'un  opéra-comique  en 
trois  actes,  les  Fugitifs,  livret  de  M.  Buchbindcr,  musique  de  M.  Raoul  Mader, 
qui  est  diversement  apprécié  par  la  presse  locale.  En  général,  le  carac- 
tère un  peu  carnavalesque  de  la  pièce  paraît  avoir  causé  quelque  stupé- 
faction au  public  habituel  du  théâtre  de  la  Cour.  La  musique  est  agréable 
à  entendre  ;  on  y  rencontre,  dit  la  Musikalische  Rundschau,  de  sréminiscenoes 
d'Auber,  d'Halévy,  de  Delibes,  Lortzing,  Millôcker,  Strauss  et  Suppé. 
Somme  toute,  l'auteur  pouvait  plus  mal  choisir  ses  modèles.  —  M™  Judic 
vient  de  donner  au  Cari  Theatcr  une  série  de  représentations  de  la Roussotte, 
qui  ont  été  pour  la  diva  une  série  de  triomphes.  —  Weimar  :  Le  théâtre  de 
la  Cour  célébrera  le  7  mai  le  centenaire  de  sa  fondation;  on  reconstituera 
pour  la  circonstance  le  spectacle  d'inauguration,  qu'on  fera  suivre  d'une 
série  de  représentations  de  gaAa.  sous  la  direction  du  kapellmeisler  Lassen. 

—  La  ville  de  Salzbourg  est  tout  aux  préparatifs  des  fêtes  en  l'honneur 
de  Mozart.  En  même  temps  que  le  centenaire  de  la  mort  du  compositeur, 
on  célébrera  celui  de  ses  œuvres  de  la  dernière  année  :  la  Clémence  de  Titus, 
la  Flûte  enchantée  et  le  Requiem,  toutes  produites  en  1791.  On  donnera  à  la 
manifestation  le  caractère  le  plus  élevé  et  le  plus  solennel;  toutes  les  cor- 
porations y  prendront  part.  Les  fêtes  seront  placées  sous  le  patronage 
direct  de  l'État,  de  la  municipalité,  du  gouvernement  régional  et  du 
Mozarteum.  C'est  cette  dernière  institution  qui  est  chargée  des  soins  de 
l'organisation  générale. 

—  Le  correspondant  de  Munich  de  la  Gazette  de  Francfort  fait  en  ces 
termes,  à  ce  journal,  le  récit  d'un  incident  assez  curieux  dont  M.  Gha- 
brier  et  sa  musique  ont  été  la  cause  :  —  «  L'Académie  musicale  de  Munich, 
dit  l'écrivain,  avait  inscrit  sur  le  programme  du  concert  qu'elle  devait 
donner  EspaJia,  du  compositeur  français  Emmanuel  Ghabrier.  A  cette 
occasion,  un  incident  tumultueux  s'est  produit.  Des  amis  de  la  musique 
classique  ont  pensé  que  cette  composition  était  déplacée  dans  la  noble 
salle  de  l'Odéon  et  ont  manifesté  leur  sentiment  en  sifflant  vigoureu  sè- 
ment ce  morceau.  Les  sifflets  ont  provoqué  un  tonnerre  d'applaudisse- 
ments du  côté  des  amis  du  compositeur  français,  et  les  applaudissements 
ont  déterminé  le  chef  d'orchestre  à  faire  jouer  le  morceau  une  seconde 
fois.  A  la  répétition,  la  même  protestation  s'est  fait  entendre  ;  un  specta- 
teur des  galeries  '  a  même  crié  de  la  façon  la  plus  distincte  :  «  Fi  !  au 
diable!  »  Ce  manifestant  a  été  expulsé.  » 

—  On  lit  dans  le  Guide  musical  :  «  Nous  avons  annoncé  l'année  dernière  . 
que  l'illustre  violoniste  Joachim,  à  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire 
de  son  premier  concert,  avait  reçu  d'un  groupe  d'admirateurs  un  don  de 
20,000  marks  (23,000  francs).  Le  grand  artiste,  avec  cette  somme,  a  constitué 
le  capital  d'une  fondation  qui  portera  son  nom.  Les  intérêts  du  capital 
serviront  à  acheter  en  faveur  d'artistes  distingués  mais  peu  fortunés,  des 
instruments  de  prix  (violon  ou  violoncelle),  et  seront  distribués  sous  forme 
de  dons  en  espèces  aux  lauréats  des  classes  de  violon  de  l'Académie  de 
Berlin.  De  deux  en  deux  ans  on  achètera  des  instruments  à  cordes.  Cette 
fondation  vient  de  recevoir  l'approbation  de  l'autorité  supérieure.  Elle  sera 
administrée  par  trois  curateurs,  dont  le  fondateur,  M.  Joachim,  sera  natu- 
rellement le  premier  président.  » 

—  A  Saint-Pétersbourg,  très  brillante  clôture  des  concerts  de  musique 
nationale  organisés  et  dirigés  par  M.  Rimsky-Korsakoiî,  qui  a  fait  exé- 
cuter entre  autres  œuvres,  à  cette  dernière  séance,  des  fragments  de  son 
opéra  inédit  :  Miada,  Ces  fragments  ont  été  applaudis  avec  beaucoup  de 
chaleur,  bien  qu'on  leur  reproche  parfois  certaines  réminiscences  d'œuvres 
connues.  Les  Concerts  populaires  ont  aussi  terminé  avec  beaucoup  d'éclat 
leur  saison,  sur  les  programmes  de  laquelle  avaient  brillé  nombre  de 
compositions  d'artistes  français,  toujours  fort  bien  accueillies.  Le  public 
a  fait,  à  l'occasion  de  cette  séance  d'adieu,  de  longues  ovations  à 
M.  Hiavatsch  et  aux  principaux  solistes  de  l'excellent  orchestre  qui  l'a 
si  merveilleusement  secondé  au  cours  de  sa  brillante  campagne. 

—  Une  dépêche  de  Saint-Pétersbourg,  qui  fait  le  tour  de  la  presse  ita- 
lienne, annonce  que  l'excellent  pianiste  napolitain  Beniamino  Gesi,  qui, 
depuis  plusieurs  années,  est  professeur  (et  non  directeur,  comme  plu- 
sieurs de  nos  confrères  l'ont  dit  par  erreur)  au  Conservatoire  de  cette  ville, 
vient  d'être,  pour  la  seconde  fois,  frappé  d'une  attaque  grave  de  paralysie 
générale.  Son  fils,  mandé  aussitôt,  est  arrivé  de  Naples  pour  reconduire 
son  père  dans  sa  ville  natale. 

,  —  Au  théâtre  Parthénope,  de  Naples,  on  a  donné  récemment  la  pre- 
mière représentation  d'une  grande  opérette  fantastisque  en  trois  actes,  il 
Tempiodi  Yenere,  dont  l'auteur  est  M.  Santi-MoUica,  qui  en  a  écrit  les  pa- 
roles et  la  musique. 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  que  la  ville  de  Pirauo,  en  Istrie,  se  prépa- 
rait à  élever  un  monument  à  un  de  ses  plus  illustres  enfants,  le  célèbre 
violoniste  et  compositeur  Giuseppe  Tartini,  l'auteur  légendaire  de  la  Sonate 
du  Diable.  Voici  les  nouvelles  que  le  Trovatore  nous  apporte  à  ce  sujet:  — 
«  Le  sculpteur  Antonio  Dal  Zolto,  de  Venise,  s'est  rendu  à  Pirano  dans  le 


courant  de  l'automne  dernier,  et  après  avoir  visité  l'endroit  désigné  pour 
l'érection  du  monument,  après  s'être  entretenu  avec  diverses  personnes,  il 
s'est  attaché,  sans  pour  cela  avoir  reçu  aucune  mission  spéciale,  à  étudier 
la  belle  figure  de  Tartini,  et  il  a  mis  ses  idées  à  exécution  dans  une  esquisse 
qui  a  excité  l'admiration  d'un  des  plus  compétents  et  des  plus  difficiles 
critiques  d'art,  M.  Camille  Boito.  En  fait,  M.  Boito  a  adressé  à  l'avocat 
Giorgio  Baseggio,  président  du  comité  qui  recueille  les  fonds  pour  l'œuvre 
projetée,  une  lettre  par  laquelle  il  se  déclare  stupéfait  de  la  beauté  du 
monument  conçu  par  M.  Antonio  Dal  Zotto.  » 

—  M.  A.  Harris,  qui  est  déjà  shéritf  de  la  ville  de  Londres,  directeur 
de  Drury-Lane  et  de  Covent-Garden,  ainsi  que  de  plusieurs  théâtres  de 
province,  ne  sera  content  que  lorsque  tous  les  théâtres  de  l'empire  bri- 
tannique seront  sous  sa  domination.  Il  vient  d'acquérir  le  théâtre  «  lier 
Majesty  »  pour  en  faire  une  salle  de  concert  plus  grande  que  Saint- 
James's  Hall,  mais  moins  immense  que  l'Albert-Hall;  et  il  est  aussi  à  la 
tête  d'une  combinaison  pour  donner  à  Olympia,  l'Hippodrome  de  Londres, 
de  grands  ballets  sur  une  scène  de  27  mètres  de  large,  comme  on  en  fait 
en  Amérique. 

PARIS  ET  DEPIRTEMENTS 
Dans  la  séance  du  7  mars  de  l'Académie  des  beaux-arts,  le  secré- 
taire-perpétuel a  donné  lecture  des  lettres  des  candidats  qui  se  présentent 
pour  occuper  le  fauteuil  laissé  vacant  par  la  mort  de  Léo  Delibes.  Ces 
candidats  sont  au  nombre  de  quatre:  MM.  Ernest  Guiraud,  Victorin 
Joncières,  Paladilhe  et  Emile  Pessard.  C'est  dans  la  séance  d'hier  samedi, 
que  la  section  de  musique  a  dû  faire  le  classement  des  candidats. 

—  La  commission  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  s'est  vive- 
ment émue  de  la  situation  faite  aux  auteurs  et  compositeurs  français  par 
la  dénonciation  des  conventions  littéraires  franco-suisse  et  franco-belge. 
Ces  dénonciations,  qui  sont  une  première  réponse  au  projet  de  tarif  pro- 
tectionniste que  propose  la  Commission  générale  des  douanes,  semblent 
non  seulement  devoir  être  suivies  par  d'autres  gouvernements  européens, 
mais  leur  résultat  immédiat  sera  la  suppression  des  droits  des  auteurs  et 
compositeurs  français  à  l'étranger.  En  présence  de  ce  danger,  la  commis- 
sion des  auteurs  a  pris  l'initiative,  d'accord  avec  la  Société  des  gens  de 
lettres,  de  provoquer  une  réunion  de  délégués  des  diverses  sociétés  litté- 
raires et  musicales  dans  le  but  de  protester  auprès  du  gouvernement  contre 
l'adoption  d'un  projet  préjudiciable  à  leui-s  intérêts.  La  réunion  de  cette 
commission  aura  lieu  mercredi  prochain,  à  deux  heures,  au  siège  de  la 

■  Société  des  auteurs,  8,  rue  Hippolyte-Lebas.  Pendant  la  séance  de  la  Com- 
mission des  auteurs  dramatiques,  M.  Camille  Doucet  a  reçu  la  dépêche 
suivante,  qui  intéresse  tout  particulièrement  les  auteurs  et  compositeurs 
dramatiques  : 

Mon  cher  président. 
Je  viens  de  voir  M.  de  Kératry,  qui  m'annonce   qu'en  Amérique  la  loi  protec- 
trice des  intérêts  des  auteurs  dramatiques  français  est  promulguée. 
Mille  amitiés. 

V.  Sardou. 

La  Commission  a  reçu  hier  M.  Carvalho  pour  lui  faire  signer  le  traité 
avec  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques.  Toutes  les  condi- 
tions nouvelles  ont  été  acceptées  par  M.  Carvalho  et  l'on  s'est  quitté  en 
échangeant  force  poignées  de  main. 

—  M.  Carvalho  a  été  installé  définitivement  à  l'Opéra-Comique,  diman- 
che dernier,  par  M.  Larroumet,  le  directeur  des  Beaux-Arts,  qui  l'a  pré- 
senté à  tout  le  personnel  de  la  maison.  M.  Carvalho  s'est  mis  de  suite 
courageusement  à  la  besogne,  pour  réorganiser  un  théâtre  où  bien  des 
abus  s'étaient  glissés  en  ces  derniers  temps.  Les  commencements  seront 
difficiles  surtout  à  cause  du  grand  nombre  de  congés  accordés  aux  ar- 
tistes sous  la  direction  précédente,  ce  qui  vi:tnt  entraver  à  chaque  pas  la 
marche  des  spectacles.  De  plus,  quelques  chanteurs,  comme  M.  Renaud, 
par  exemple,  s'imaginant  qu'ils  se  trouvent  libres  par  suite  de  la  retraite 
de  M.  Paravey,  n'ont  pas  craint  de  signer  des  engagements  avec  d'autres 
théâtres.  On  va  être  forcé  de  les  rappeler  au  sentiment  exact  de  leurs  de- 
voirs. Mais  que  penser  de  M.  Gailhard,  qui  prête  la  main  à  ces  fantaisies 
d'artistes  et  s'est  empressé  d'accueillir  favorablement  la  requête  de 
M.  Renaud?  Ce  n'est  vraiment  pas  d'ailleurs  au  moment  précis  où  sa 
position  personnelle  est  mise  en  question,  que  M.  Gailhard  devrait  se  mettre 
en  quête  d'engagements  nouveaux.  Qu'il  attende  donc  d'abord  qu'on  lui 
renouvelle  son  privilège.  La  confiance  toulousaine  n'a  pas  de  bornes. 

—  Par  la  lettre  suivante  adressée  au  Figaro  qui,  comme  nous,  avait 
fait  remarquer  que  la  gestion  provisoire  de  M.  Jules  Barbier  à  l'Opéra- 
Comique  n'avait  pas  donné  le  déficit  de  200,000  francs  déclaré  par  M.  Pa- 
ravey, celui-ci  conteste  en  ces  termes  l'exactitude  de  nos  renseignements  : 

Monsieur  le  rédacteur  en  chef. 

Voulez-vous  m'accorder  rhospilalilô  pour  répondre  aux  erreurs  évidemment 
involontaires  de  M.  P.-J.  Barbier? 

Le  27  décembre  1887,  j'acceptai  de  prendre  à  ma  charge  les  résultats  tant 
actits  que  passifs  de  l'exploitalion  provisoire,  à  partir  du  1"  octobre  précédent 
jusqu'au  31  décembre  1887,  après  la  vérification  des  comptes,  faite  par  un  inspec- 
teur des  finances.  M.  P.-J.  Barbier  vient  de  m'en  donner  la  preuve,  ne  se  doutant 
pas  plus  que  moi  du  résultat  de  cette  vérification.  Sa  bonne  foi  n'est  pas  en 
cause  ! 

Dès  le  31  décembre  1887,  c'est-à-dire  la  veille  de  mon  entrée  en  fonctions  le 
ministère  avançait  43,000  francs  pour  parfaire  le  paiement  de  fin  d'année,  et  se 
trouvait  dans  la  nécessité  de  m'en  appliquer  le  remboursement. 


88 


LE  MÉNESTREL 


Quelque  temps  après,  le  rapport  de  l'inspecteur  étant  terminé,  le  ministre  m'in- 
vitait :  1°  à  rembourser  à  la  gestion  provisoire  3",575  fr.  60  c.  ;  2"  à  payer 
54,617  fr.  OC)  c.  de  factures  non  payées  par  ladite  gestion.  Si  j'ajoute  qu'on  m'avait 
obligé  à  rembourser  aux  marchands  de  billets,  MM.  Denyau  et  Fournier,  32,415  fr. 
60  c.  en  places  quotidiennes  et  à  leur  donner,  suivant  les  conventions  faites  avec 
la  gestion  provisoire,  35,710  IVancs  de  places  pour  le  service  de  la  claque  pendant 
six  mois,  du  1"  janvier  au  30  juin  1S!<8,  j  ai  le  droit  de  dire  que  la  gestion  pro- 
visoire a  fait  supportera  mon  administration  la  somme  de  203,318  fr.  25c.  dont 
voici  la  récapitulation  : 

Remboursement  à  l'État Fr.      43.000    » 

Dito  à  la  gestion  Barbier 37.575  60 

Dito  factures  de  ladite  gestion 54.617  05 

Marchands  de  billets 32.415  60 

Service  de  claque  (traité  de  la  gestion  provisoire) .   .      35.710    » 

Total Fr.     203.318  25 

J'ai,  bien  entendu,  toutes  les  pièces  justificatives. 

Je  vous  prie  d'agréer,  avec  mes  remerciements,  l'expression  de  mes  sentiments 
les  plus  distingués. 

Paravet  . 

Voici  à  présent  la  réponse  de  M.  Jules  Barbier  aux  arguments  de  M.  Pa- 
ravey  : 

Paris,  11  mars  1891. 
Mon  cher  ami. 

Peu  de  mots  suffiront  pour  répondre  aux  allégations  produites  par  M.  Paravey, 
au  sujet  du  prétendu  déficit  laissé  par  ma  gestion  provisoire  del'Opéra-Comique.  Je 
n'avance  cette  fois  aucun  chiffre  qui  ne  me  soit  fourni  par  l'administration  des 
beaux-arts  ou  le  caissier  du  théâtre. 

Remboursement  à  l'Etal,  pour  complément  des  appointements  du  personnel,  j)endant 
le  mois  de  décembre  ltSS7  :  43,000  francs.  —  (Somme  à  prendre  par  M.  Paravey  sur 
l'ensemble  de  son  matériel,  à  la  fin  de  son  entreprise.) 

Participation  de  rOpéra-Comi'jtie  au  paiement  du  loyer,  jusqu'à  la  fin  de  Vcxercicc 
ISS'-ISSS  :  37,575  fr.  60  c.  —  Réduits  par  une  encaisse  de  1,562  francs  à  la  somme 
de  36,023  fr.  50  c. 

(Or,  ma  gestion  ne  représente  qu'un  loyer  de  trois  mois,  le  quart  de  l'exercice; 
donc,  M.  Paravey  doit  garder  à  son  compte  les  trois  quarts  de  cette  somme,  et  il 
ne  doit  m'en  attribuer  qu'un  seul  quart  pour  les  trois  mois  de  ma  direction,  soit 
9,035  fr.  87  c. 

Factures  de  la  gestion  provisoire.  —  Par  suite  d'un  oubli  regrettable,  M.  Paravey 
avance  le  chifïre  de  54,617  fr.  05  c.  Comment  ne  se  souvient-il  pas  que  cette 
somme  a  été  réduite  par  lui-même  au  chiHre  de  42,931  fr.  15  c.?...  Cet  argent 
représente  les  dépenses  faites  pour  la  reconstitution  du  matériel  avant  même  que 
je  n'entrasse  en  fonction.  Or,  qui  a  profité  de  ce  matériel'?  moi,  pendant  trois  mois 
et  M.  Paravey  pendant  trois  ans!  La  part  qui  m'en  incomberait,  si  l'on  entrait 
dans  de  pareils  comptes,  ne  devrait  donc  pas  dépasser  3.577  fr.  59  c. 

Créance  Dcnijau  :  32,415  fr.  60c.  —  Ici,  nous  entrons  en  pleine  fantaisie!...  Cette 
somme  représente  un  prêt  fait  par  la  maison  Denyau  à  la  direction  du  théâtre  de 
Paris,  Lacressonnière  et  C"".  Cette  charge,  que  l'État  avait  dû  accepter,  résultait 
de  la  sous-location  du  théâtre,  et  c  est  l'Etat  lui-même  qui  l'avait  transmise  à 
M.  Carvalho,  avant  le  commencement  de  ma  gestion.  —  Cette  somme  était  rem- 
boursable, à  raison  d'un  abandon  quotidien  de  157  francs  de  places,  à  la  maison 
Denyau. 

Créance  du  service  de  claque  :  35,710  francs.  —  Encore  un  héritage  du  théâtre  de 
Paris,  héritage  que  M.  Carvalho  avait  été  obligé  d'accepter  comme  le  précédent. 
Car,  ce  que  je  tiens  à  établir,  c'est  que  je  suis  resté  absolument  étranger  à  ces 
transactions,  que  M.  Paravey  attribue»  tort  à  ma  gestion  provisoire. 

Si  donc  on  additionne  les  seuls  chiffres  qui  me  soient  imputables,  on  trouvera 
avec  les  43,000  francs  payés  par  l'État,  une  somme  de  9,005  fr.  89  c.  pour  ma 
part  de  loyer,  et  une  autre  de  3,577  fr.  59  c.  pour  ma  part  de  matériel  ;  au  total 
55,583  fr.  46  c. 

Il  y  a  loin  de  là,  vous  le  voyez,  aux  203,318  fr.  25  c.  dont  M.  Paravey  m'attribue 
si  généreusement  la  responsabilité. 

Et  je  fais  observer  de  nouveau  que,  le  théâtre  n'ayant  ouvert  ses  portes  que 
le  15  octobre,  j'ai  dû  payer  au  personne)  pour  les  quinze  premiers  jours  de  ce 
mois,  une  somme  d'environ  60,000  francs,  sans  aucune  recette  pour  me  récupérer. 

Faites  la  balance  et  concluez. 

A  TOUS  cordialement, 

P.-J.  Barbier. 

—  Extrait  des  Petites-A/ficlies  :  «  Mise  en  liquidation  judiciaire  de  la 
société  en  commandite  L.  Paravey  et  C,  ayant  pour  objet  l'exploitation 
d'un  théâtre,  avec  siège  à  Paris,  avenue  Victoria,  lo,  composée  de  :  1"  Pa- 
ravey (Louis),  demeurant  au  siège  social;  2°  et  de  commanditaires  ». 

—  L'engagement  de  M""  Eames,  à  l'Opéra,  expire  à  la  fin  du  mois  et  ne 
sera  pas  renouvelé,  parait-il.  La  charmante  artiste  va  se  diriger  sur  Londres 
à  Covent-Garden,  où  elle  est  engagée  pour  la  saison  d'été.  Elle  nous  revien- 
dra quand  nous  verrons  à  la  tête  de  l'Opéra  une  direction  plus  prévoyante 
et  plus  intelligente. 

—  M""  Melba  a  fait,  cotte  semaine,  une  très  brillante  rentrée  à  l'Opéra, 
dans  le  rôle  de  Gilda,  de  lUgoletto.  Demain  lundi,  dit-on,  première  repré- 
sentation du  Mage,  le  nouvel  opéra  dû  à  la  collaboration  de  MM.  Jean 
Eichepin  et  Jules  Massenet. 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  a  porté  son  jugement  sur 
les  œuvres  qui  lui  ont  été  transmises  pour  les  concours  ouverts  par  elle 
en  l'année  1890  :  1»  Une  Suite  pour  piano,  avec  accompagnement  d'or- 
chestre. Prix  unique  de  500  francs.  (Fondation  Pleyel-Wolff)  :  M.  Paul 
Lacombe,  de  Carcassonne.  —  2"  Un  Trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle. 
Prix  unique  de  300  francs,  offert  par  la  Société  :  M.  Léon  Bœllmann.  — 
3°  Une  Scène  pour  soli  et  chœurs,  avec  piano  remplaçant  l'orchestre.  Prix 


unique  de  300  francs  offert  par  la  Société.  Le  prix  n'est  pas  décerné.  Une 
mention  honorable  est  accordée  à  la  partition  portant  pour  épigraphe 
Fluctuât  nec  mergitur.  (L'enveloppe  renfermant  lo  nom  de  l'auteur  ne  sera 
décachetée  que  sur  la  demande  de  celui-ci.) — La  Société  des  compositeurs 
de  musique  met  au  concours  pour  l'année  1891  :  1°  Un  Septuor  en  trois  ou 
quatre  parties  (l'auteur  pourra  enchaîner  les  parties  entre  elles)  pour  piano, 
violon,  alto,  violoncelle  et  trois  instruments  à  vent,  au  choix  du  compo- 
siteur. Prix  unique  de  500  francs.  (Fondation  Pleyel-Wolf.)  Les  parties 
séparées  devront  être  jointes  à  la  partition,  i"  Une  Scène  à  deux  ou  trois 
personnages,  avec  accompagnement  de  piano,  et  dont  le  poème  devra 
présenter  un  certain  intérêt  dramatique.  Le  poème  est  laissé  au  choix  du 
compositeur.  Prix  unique  de  500  francs,  offert  par  M.  Ernest  Lamy.  Les 
parties  vocales  séparées  devront  être  jointes  à  la  partition.  3°  Une  Sonate 
pour  piano.  Prix  unique  de  .300  francs,  oiïert  par  la  Société.  Clôture  du 
concours  le  31  décembre  1891.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à 
M.  D.  Balleyguier,  secrétaire  général,  Entrepôt  de  Bercy,  pavillon  Gré- 
pied. 

—  La  Société  des  grandes  auditions  musicales  n'est  pas  morte  encore. 
On  n'en  entendait  plus  parler,  il  est  vrai;  mais  voici  qu'elle  se  réveille. 
Elle  annonce  pourlemois  de  mai  prochain,  au  Trocadéro,  un  oratorio  de 
Bach,  à  moins  qu'il  ne  soit  de  Hicndel.  On  tirera  au  sort  dans  un  cha- 
peau. La  société  l'avait  bien  dit,  qu'elle  allait  marcher  de  l'avant.  Elle 
marche,  elle  marche  à  toute  vapeur...  vers  les  siècles  passés. 

—  A  la  dernière  soirée  de  la  princesse  Alexandre  Bibesco,  la  petite 
jVaudin  a  chanté,  d'une  façon  merveilleuse,  une  mélodie  de  Léo  Delibes, 
laissée  par  lui  dans  les  papiers  qu'on  a  trouvés  après  sa  mort.  Faut-il 
chanter?  c'est  le  titre  de  cette  mélodie,  a  remporté  un  véritable  succès 
d'émotion. 

—  M.  Ludovic  Halévy  vient  d'écrire  pour  les  Annales  du  théâtre  et  de  la 
musique  une  étude  très  intéressante  et  très  curieuse  intitulée  :  Uiie  directrice 
de  la  Comédie-Française.  Cette  étude  paraîtra  prochainement  en  tète  du 
16"  volume  (année  1890)  de  MM.  Edouard  Noël  et  Edmond  Stoullig  à  la 
librairie  Charpentier. 

—  Mme  Andrée  Lacombe  vient  d'être  nommée  Présidente  d'honneur  de 
l'Orphéon  la  Prévoyante  du  Cher.  C'est  un  hommage  que  les  membres 
de  cette  Société  ont  voulu  rendre  autant  à  la  mémoire  de  Louis  Lacombe 
qu'à  la  vaillante  femme  qui  la  défend  avec  tant  d'énergie.  On  sait  que 
Louis  Lacombe  était  citoyen  de  la  ville  de  Bourges. 

—  Nous  avons  dit  le  très  grand  succès  obtenu  à  Nantes  par  M'^»  Krauss 
dans  Faust  et  dans  l'Africaine.  Son  triomphe  a  été  tel  que  l'admirable 
artiste  a  dû  donner  une  troisième  représentation.  Elle  a  ion  é  dimanche  les 
Huguenots,  devant  une  salle  enthousiaste.  Mercredi  prochain,  elle  doit  chan- 
ter Faust  à  Rouen. 

—  Le  Grand-Théâtre  dé  Nantes  doit  avoir  prochainement  la  primeur  d'une 
grande  scène  lyrique  intitulée  Vision  d'amour,  dont  l'auteur  est  M.  AUard, 
organiste  de  l'église  Saint-Simisien  et  du  lycée,  connu  déjà  par  un  certain 
nombre  de  compositions.  C'est  M™  LaviUe-Ferrainet  qui  sera  l'interprète 
de  cette  scène  lyrique  dont  l'accompagnement  d'orchestre,  avec  harpe, 
est  renforcé  par  une  importante  partie  d'orgue. 

NÉCROLOeiE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  de  l'excellent  violoncelliste 
Fischer,  qui,  on  se  le  rappelle,  avait  été  frappé  naguère  d'aliénation 
mentale.  C'est  à  l'asile  Sainte-Anne,  où  dès  ce  moment  le  pauvre  artiste 
avait  dû  être  transporté;  qu'il  a  terminé  son  existence  perdue  pour  l'art. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En   vente    chez    Mackaii    et   Noël,    éditeurs  : 

ŒUVRES  DE  CH.  LEFEBVRE 

Eloa,  poème  lyrique  en  5  épisodes,  d'après  A.  de  Vigny,  par  Paul  Collin 

Partition  chant  et  piano,  net:  10  francs. 

Prélude,  extrait,  piano  seul,  net:  1  fr. 

pièces  pour  le  piaxo  a  quatre  mains 

N»  1.  —  Op.  20.   Prélude-Choral.    . prix     6     » 

N"  2.  —  Op.  43.  Romance —      4    » 

N"  3.  —  Op.  75.  N"  1.  Le  Retour —       6     » 

N"' 4.  —  Op.  75.  N"  2.  Cortège  villageois.  ...     —      6    » 

Op.  81.  N»  2.  —  La  Fille  de  Jephié,  arioso —      5     » 

Op.  SI.  N"  1.  —  l'riére  du  matin,  mélodie —      5    » 

Stabat  mater,  solo  de  soprano  (à  M""*  Krauss).     —      6     » 
H.  MARÉCHAL.  Le  Miracle  deXaïm,  drame  sacré.  P""  chant  et  piano,  net  :  6    » 

N"  2.  —  Air  de  la  veuve prix    5     » 

N''  6.  —  Air  de  Jésus —      6    » 

Vient  de  paraître  chez  Alpii.  Leduc,  éditeur.  3,  rue  de  Grammont,  Paris 

L'ÉCOLE   RUSSE    MODERNE 

OEuvres  pour  le  piano  à  2  mains  et  à  -i  mains 

et  pour  le  chant 

A.  BORODINE.  —  CÉSAR  CUI.  —  A.  LIADOFF. 

N.    RIMSKY-KORSAKOFF.    —   N.    STCHERBATCHEFF. 

Envoi  franco  du  Catalogue. 


IMPRIMERIE  C£KTRALE  DES   I 


;   CUAJ.V,   20, 


3129  —  57"=  A^râ  —  r  12. 


Dimanche  22  Mars  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-paste  d'abonnemenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  eo  sus. 


SOMMIIEE- TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  2*^  partie  (1^^  article),  Albert  Souries  et 
Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Le  Mage  ou  beaucoup  d^  bruit 
pour  rien,  H.  Moreno;  première  représentation  de  Mariage  bfanc,  à  la  Comédie- 
Française,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille  d'artistes  :  Les  Saint-Aubin 
{14"'  et  dernier  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
BOBOTT'    SE    MARIE 
n"  3  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin, 
poésies  de  George  Auhiol.  —  Suivra  immédiatement  :  Faut-il  chanter?.,. 
dernière  mélodie  de  Liîo  Délires,  poésie  du  Vif  de  Borrelli. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
à.evixt.o:Chantd'amil,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement:  Guilan: 
pièce  extraite  de  Conte  d'avril,  musique  de  Ch.-M.  Widor. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MIALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX    ANNÉES   CRITIQUES    (1860-1861) 

Au  moment  où  nous  reprenons,  après  une  interruption  de 
quelques  mois,  l'histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  une 
circonstance  fortuite  donne  à  notre  travail  un  intérêt  inat- 
tendu d'actualité.  M.  Garvalho  qui  —  ainsi  que  nous  le  ver- 
rons dans  le  présent  chapitre  —  fut  sur  le  point  d'être 
nommé  directeur  de  TOpéra-Gomique  il  y  a  trente  ans,  vient 
d'être  appelé  pour  la  seconde  fois  à  la  tête  de  ce  théâtre.  Il 
est  en  outre  résolu  à  activer  par  tous  les  moyens  possibles 
la  reconstruction  de  la  salle  Favart  et  présente,  à  cet  effet, 
un  projet  très  avantageux  pour  l'Etat,  dont  le  Méneslrel  a 
indiqué  les  lignes  essentielles.  En  écrivant  les  premiers  cha- 
pitres de  notre  ouvrage  nous  nous  bercions,  il  y  a  deux  ans, 
de  l'espoir  de  voir  réédifler,  au  cours  de  notre  travail,  le 
théâtre  dont  nous  racontons  l'histoire.  Notre  espoir  a  été 
trompé.  Puisse-t-il  ne  pas  l'être  une  seconde  fois. 


Nous  nous  sommes  arrêtés,  en  terminant  la  première  par- 
tie de  notre  livre,  au  seuil  de   l'année   1860.  Alors,   disions- 


nous,  l'Opéra-Gomique  venait  d'obtenir  avec  le  Pardon  cl,i 
Ploërmel  un  grand  succès,  mais  plus  artistique  en  somme  que 
lucratif.  Un  malheureux  changement  de  direction  allait  com- 
promettre, encore  une  fois,  la  fortune  de  ce  théâtre;  en  outre, 
de  nombreuses  mutations  dans  le  personnel  tendaient  à 
désorganiser  la  troupe  et  ne  pouvaient  manquer  d'en  altérer 
l'homogénéité. 

De  tous  ces  déplacements  et  départs  d'artistes,  le  plus 
fâcheux  fut  assurément  celui  qui  marqua  les  premiers  mois 
de  la  nouvelle  année.  Après  sept  ans  et  demi  d'un  séjour 
glorieux  à  l'Opéra-Gomique,  Faure  s'éloignait,  attiré  provi- 
soirement par  la  carrière  italienne,  ati-delà  de  laquelle  il  pré- 
voyait à  brève  échéance  cette  entrée  à  l'Opéra  que  dès  1858, 
après  Quentin  Durward,  Alphonse  Royer  lui  avait  offerte.  Le 
directeur  Roqueplan  semblait  presque  aller  au-devant  des 
désirs  de  son  pensionnaire  quand  il  avait  songé  en  1859  à 
remonter  Don  Juan  pour  lui.  C'est  Perrin  qui  devait  réaliser 
ce  rêve,  rue  Le  Peletier,  sept  années  plus  tard  ;  en  effet, 
Don  Juan  ne  fut  pas  plus  joué  à  l'Opéra-Comique  qa'Armide 
à  l'Opéra,  Armide  dont  on  parlait  à  cette  époque  et  qu'on 
attend  encore.  L'ambition  de  Faare  était  légitime,  car  peu 
de  serviteurs  auront  plus  honoré  par  leur  talent  la  maison  à 
laquelle  ils  appartenaient;  aussi  nous  pardonnera-t-on  de 
publier  ici  la  liste  complète  des  rôles  qu'il  a  tenus,  et  tous, 
on  peut  ajouter,  avec  une  réelle  autorité;  c'est  presque  résu- 
mer sous  cette  forme  l'histoire  de  la  salle  Favart  et  de  ses 
succès  pendant  près  de  huit  années  : 
20  octobre  1852.  Galathée,  rôle  de  Pygmalion  (début). 
12  novembre  1852.  Le  Caïd,  rôle  du  tambour-major  (2'=début). 
20  mars  1853.  La  7orie^/(',  rôle  de  PietroManelli  (création) 

5  juillet  1853.  Haydée,  rôle  de  Malipieri  (3'=  début). 

2  septembre  1853.   Marco  Spada,  rôle  de  frère  Borromée. 
25  octobre  1853.      Le  Chalet,  rôle  de  Max. 

Le  Songe  d'une  nuit  d'été,  rôle  de  FalstafF. 

3Iarco  Spada,  rôle  du  baron  de  Torrida. 

L'Etoile  du  Nord,  rôle  de  Peters. 

Le  Chien  du  jardinier,  rôle  de  Justin  (création). 

Jenny   Bell,    rôle    du    duc    de    Greenwich 
(création). 

Manon  Lescaut,  rôle  du   marquis  d'Erigny 
(création). 
27  novembre  1856.  Le  Sylphe,  rôle  du  marquis  de  Valbreuse 
(création). 
Joconde,  rôle  de  Joconde,   chanté   par  lui 

une  centaine  de  fois. 
Quentin  Durward,  rôle  de  Crèvecœur  (créa- 
tion). 
Le  Pardon  de  Ploërmel,  rôle  d'Hoël  (création). 


24  avril  1854. 
26  août  1854. 
4  novembre  1854. 
16  janvier  1855. 
2  juin  1855. 

23  février  1856. 


25  avril  1857. 
25  mars  1858. 
8  avril  1859. 


En  tout,  seize  rôles    dont    sept    créations,    auxquelles    on 


90 


LE  MÉNESTREL 


pourrait  ajouter  la  cantate  d'Adolphe  Adam,  Victoire,  chantée 
le  13  septembre  1855  à  l'occasion  de  la  prise  de  Sébastopol, 
et  le  Cousin  de  Marivaux,  opéra-comi^iue  en  deux  actes,  paroles 
de  L.  Battu  et  \,.  Halévy,  musique  de  V.  Massé,  pièce  écrite 
spécialement  pour  lui  et  représentée  à  Bade  le  lo  août  1837. 
De  tels  états  de  services  justifiaient  des  appointements  éle- 
vés ;  Faure,  en  effet,  gagnait  alors  40.000  francs  pour  dix 
mois.  Roqueplan,  qui  songeait  à  céder  sa  direction,  trouva- 
t-il  cette  charge  trop  lourde?  Le  fait  est  qu'en  mars  1860  il 
offrit  à  son  pensionnaire  de  résilier.  Celui-ci  accepta  d'au- 
tant plus  volontiers  qu'il  avait  en  poche  un  engagement  à 
Covenl-Garden  pour  la  saison  italienne,  dans  le  cas  où  il 
recouvrerait  sa  liberté,  et  c'est  ainsi  que  le  10  avril  1860  il 
chantait,  pour  la  première  fois,  à  Londres,  le  rôle  d'Hoël  en 
italien.  Ce  succès  ne  fut  que  le  prélude  de  ceux  qui  l'atten- 
daient sur  notre  première  scène,  puisqu'il  a  réuni  à  peu 
près  tous  les  genres  de  mérite  qui  font  le  chanteur  et  le  co- 
médien, charme  de  la  voix,  élégance  de  la  personne,  distinc- 
tion du  jeu,  et  qu'aux  dons  de  la  nature  il  a  su  joindre  tout 
ce  qui  s'acquiert  par  le  travail. 

Par  une  coïncidence  digne  de  remarque,  l'éminent  chanteur 
quittait  l'Opéra-Gomique  au  moment  où  reparaissait  le  com- 
positeur qui  devait,  quelques  années  plus  tard,  lui  écrire 
pour  l'Opéra  l'un  de  ses  rôles  les  plus  célèbres.  Ambroise 
Thomas,  en  effet,  avait  donné  lé  4  février  1860  le  Roman 
d'Elvire,  une  pièce  en  trois  actes  sur  laquelle  on  devait 
d'autant  plus  compter  que  les  librettistes  étaient  gens  d'es- 
prit, et  le  musicien,  dans  ses  ouvrages  précédents,  n'avait 
pas  toujours  eu  cette  bonne  fortune.  La  fable  imaginée  par 
Alexandre  Dumas  et  de  Leuven  ressemblait  fort  à  la  pièce 
qu'ils  avaient  précédemment  écrite  pour  Lafont  et  M"«  Déja- 
zet,  un  Conte  de  Fées.  C'est  l'histoire  fort  singulière  d'une 
marquise  amoureuse  qui  court  après  un  jeune  libertin  et  ne 
trouve  rien  de  mieux  pour  îe  conquérir  que  de  simuler  une 
vieille  de  soixante  ans,  de  le  circonvenir,  de  le  pousser  au 
jeu  et  de  l'y  faire  se  ruiner,  pour  lui  offrir  sa  main 
comme  planche  de  salut.  L'amour  conjugal  termine  honnê- 
tement ce  Roman  d'Elvire,  ainsi  baptisé  à  cause  d'un  livre  qui 
portait  ce  titre,  et  dont  on  lisait  un  fragment  au  cours  de  la 
pièce,  alors  qu'aux  répétitions  on  l'annonçait  sous  un  nom 
plus  en  rapport  avec  l'action,  Fantaisie  de  Marquise.  Au  lende- 
main de  la  première,  Gustave  Bertrand  écrivait,  et  presque 
toute  la  presse  pensait  comme  lui  :  «  C'est  un  triple  succès 
de  pièce,  de  musique  et  d'exécution....  C'est  un  ouvrage  qui 
ne  quittera  jamais  le  répertoire.  »  Paroles  imprudentes  sous  la 
plume  d'un  critique  !  Dès  le  début,  une  indisposition  de 
Montaubry  d'abord,  puis  de  M"«  Monrose,  mit  de  longs  in- 
tervalles entre  les  premières  représentations,  et,  quand  l'ou- 
vrage reprit  son  cours  régulier,  il  alla  jusqu'au  chiffre  33  et 
ne  put  le  dépasser. 

Château- Trompette  eut  un  sort  analogue,  puisqu'il  s'arrêta  au 
chiffre  de  io,  en  dépit  des  prédictions  du  même  Gustave 
Bertrand,  qui  écrivait  bravement:  «  Je  ne  ■^eux  pas  assigner 
de  bornes,  si  éloignées  qu'elles  soient,  au  succès  de  Château- 
Trompette,  c'est  une  pièce  de  répertoire.  »  Ce  titre,  simple 
enseigne  d'un  cabaret  à  Bordeaux,  comme  celui  des  Perche- 
rons à  Paris,  n'expliquait  pas  l'ouvrage,  où  l'on  voyait  le 
gouverneur  de  la  Guienne,  le  maréchal  duc  de  Richelieu, 
mystifié  par  une  simple  grisette  qui,  prenant  la  défense  de 
la  morale  et  usant  de  stratagème,  finissait  par  faire  confes- 
ser publiquement  au  vieux  libertin  la  vertu  pure  et  sans 
tache  d'une  honnête  femme  dont  le  nom  passait  pour 
être  inscrit  sur  ses  tablettes  amoureuses.  Cormon  et  Michel 
Carré  avaient  écrit  cette  agréable  comédie  en  trois  actes,  dont 
le  principal  rôle  d'homme,  destiné  à  Couderc,  échut  finale- 
ment à  Mocker  par  suite  de  la  maladie  de  son  camarade  a 
l'époque  de  la  première  représentation,  23  avril  1860.  On  cri- 
tiqua bien  un  peu  le  sujet,  sous  prétexte  que  le  maréchal  en 
son  temps  jouait  des  tours  aux  autres  plus  souvent  que.  les 
autres  ne  lui  en  jouaient;  mais  sur  ce  point  les  auteurs  se 


rencontraient  avec  Octave  Feuillet  et  Bocage,  lesquels,  en 
1848,  avaient  donné  à  la  Comédie-Française  une  comédie 
assez  inégale,  mais  spirituelle  en  somme,  où  le  même  per- 
sonnage éprouvait  une  disgrâce  du  même  ordre.  Ajoutons, 
pour  la  satisfaction  des  bibliophiles,  qu'Octave  Feuillet  n'a 
jamais  fait  à  cette  pièce  l'honneur  d'une  édition  nouvelle,  et 
que  la  brochure  où  elle  est  contenue  partage  le  privilège  de 
la  rareté  avec  quelques  autres  de  ses  premiers  essais 
comme  Palma,  York  et  le  Bourgeois  de  Rome.  Quant  au  com- 
positeur de  Château-Trompette,  Gevaert,  il  avait  montré  non 
seulement  de  la  science  et  du  goût,  comme  toujours,  mais 
encore  plus  de  finesse  et  de  légèreté  que  d'habitude;  sa  par- 
tition compte  plus  d'un  morceau  charmant,  et  l'on  comprend 
que  plus  d'une  fois  il  ait  été  question  de  reprendre  cet  ou- 
vrage sur  une  scène  de  genre.  Un  tel  projet  attend  encore 
sa  réalisation. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


LE    MAGE 

Un.  musicien  d'esprit  —  il  y  fn  a  —  me  contait  un  jour  qu'il 
venait  de  visiter  l'atelier  d'un  peintre  symboliste,  qui  doit  avoir 
du  talent  puisqu'il  est  de  l'Iaslitut,  mais  qui,  en  tous  les  cas,  se 
plait  fort  à  composer  des  tableaux  hiéroglyphiques  dont  il  n'est 
pas  toujours  très  facile  de  saisir  le  sens  :  «  Mon  Dieu,  me  disait 
mon  musicien,  non  sans  malice,  tout  d'abord  oa  ne  comprend  pas 
graud'ehose  à  toutes  ces  peintures,  mais  l'auteur  vous  les  explique 
avec  beaucoup  de  bonne  grâce.   » 

Peut-être  se  trouverait-on  dans  un  même  embarras  en  face  du 
poème  du  Mage,  si  M.  Jean  Richepin  n'avait  pris  la  précaution  de 
faire  distribuer  aux  spectateurs  des  notes  explicatives  qui  sont 
d'une  grande  utililé  pour  démêler  tous  les  fils  d'une  intrigue  assez 
compliquée. 

Nous  pouvons  donc  vous  dire  que  le  guerrier  Zoroastre, 
que  M.  Richepin  appelle  Zarastra  pour  les  besoins  de  l'euphonie 
musicale,  vient,  au  lever  du  rideau,  de  remporter  une  grande  vic- 
toire sur  les  Touraniens,  les  ennemis  séculaires  de  l'Iran.  Voici 
son  camp,  lo  butin  et  tous  les  prisonniers  qu'il  a  faits.  Il  va  ren- 
trer en  triomphaleur  à  Bakhdi,  capitale  de  la  Bactriane,  où  l'attend 
le  roi  pour  le  féliciter.  Les  prisonniers  chantent,  en  attendant  le 
jour,  des  chants  langoureux  de  leur  pays  : 

Par  les  monts,  par  les  vaux, 

Pour  trouver  des  cieux  nouveaux. 

Au  roulis  des  chevaux 
La  tribu  passe. 

Où  va-t-elle  en  rêvant"? 

Où  s'en  va  la  poudre  au  vent. 

Mais  toujours  de  l'avant, 
Et  vers  l'espace  ! 

Réveil  du  camp  et  arrivée  de  Varedha,  prêtresse  de  la  Djahi 
(Déesse  de  la  volupté)  qui  vient  tout  simplement  déclarer  à  Zaras- 
tra qu'elle  est  follement  éprise  Je  lui  et  déploie  toutes  ses  séduc- 
tions pour  conquérir  ce  conquérant.  Varedha  est  belle  assurément, 
mais  Zarastra  est  possédé  d'un  autre  amour  et  repousse  avec  indi- 
gnation les  propositions  libertines  de  Varedha.  Celle  qu'il  aime, 
c'est  Anahita,  la  reine  des  Touraniens,  sa  captive.  Il  se  prosterne 
à  ses  genoux  et  lui  jure  fidélité  élernelle.  Mais  Amrou,  grand 
prêlre  des  Dévas, 

Dieux  de  la  ruse  et  des  ombres, 

Amrou,  père  de  Varedha,  ne  veut  pas  que  sa  fille  soit  malheureuse; 
il  saura  ramener  vers  elle   l'amant   qui  la  dédaigne. 

Arrêtons-nous  sur  ce  premier  tableau,  qui  a  été  particulièrement 
favorable  au  musicien.  Nous  ne  le  trouverons  plus  par  la  suite  en 
aussi  heureuse  veine.  C'est  qu'ici,  M.  Massenet  se  trouve  bien 
dans  la  sphère  naturelle  à  son  talent.  Il  excelle  à  donner  aux  mé- 
lodies ce  tour  mièvre  et  gracieusement  maladif  qui  convient  aux 
amoureuses  langueurs  ;  et  cette  fois  encore,  il  n'a  pas  manqué 
de  trouver  dans  son  sac,  pour  peindre  la  passion  naissante  d'Ana- 
hita  et  de  san  vainqueur,  de  ces  phrases  d'un  charme  envelop- 
pant qui  ont  fait  lo  meilleur  de  sa  réputation.  Il  a  donc  écrit 
là  un  duo  qui  ne  déparera  certes  d'aucune  façon  la  collection  de 
ceux  que  nous  lui  devons  déjà  dans    la    même  manière  délicate  et 


LE  MENESTREL 


9d 


tendre  II  a  nalurellement  prêté  à  Varedha,  la  servante  des  volup- 
tés, des  accents  plus  tourmentés  et  plus  troublants;  ce  n'est  plus 
l'amour  pur  et  chaste  d'Anahita.  La  nuance  a  été  très  bien  saisie 
et  rendue  par  le  musicien.  Le  chant  des  prisonniers  touraniens 
a  beaucoup  de  couleur  dans  sa  tristesse  et  l'invocation  d'Ararou 
aux  dieux  Dévas  ne  manque  pas  d'ampleur.  Voilà  donc  un  pre- 
mier tableau  complet,  qui  posait  bien  l'œuvre  dès  le  début  et 
nous  donnait  l'espoir  d'une  véritable  série  d'enchantements.  Quel- 
ques solides  qualités  qu'on  puisse  reconnaître  au  reste  de  la  par- 
tition, il  faut  cependant  reconnaître  que  cet  espoir  a  été  légèrement 
déçu. 

Le  tableau  qui  suit  n'est  pas  d'une  grande  utilité  pour  la  marche 
de  l'action.  Il  nous  montre  Varedha  descendant  dans  les  souterrains 
du  temple  de  Djahi,  pour  ne  plus  entendre  les  cris  de  victoire  et 
les  fanfares  qui  annoncent  l'entrée  de  Zarastra  vainqueur  dans  la 
ville  de  Bakhdi  : 

Ah!  comme  ils  déchirent  mon  creur  ces  cris  de  fête! 
Ils  semblent  railler  ma  détaite. 


Descendons  plus  bas, 

Encore  plus  bas  dans  les  ténèbres  ! 

Varedha  veut  mourir,  quand  Ararou  survient,  et  lui  annonce 
que  sa  vengeance  est  prochaine.  Scènes  de  pure  déclamation.  Nous 
savons  qu'il  en  faut  dans  la  contexture  du  drame  lyrique  moderne 
tel  qu'on  le  comprend  aujourd'hui,  et  M.  Massenet  n'y  est  certes 
pas  plus  maladroit  qu'un  autre.  Mais  pour  nous,  ces  scènes  décla 
matoires,  oli  certains  affectent  de  se  complaire,  ne  sont  pas  de 
l'essence  même  de  la  musique,  et  ce  n'est  pas  là  qu'on  peut  dé- 
couvrir ni  la  valeur  réelle  ni  la  véritable  inspiration  d'un  maître. 
C'est  donc  avec  un  certain  soulagement  que,  le  décor  changeant  à 
vue,  nous  sortons  de  ces  souterrains  et  de  ces  ténèbres  pour  nous 
retrouver  on  pleine  lumière  sur  la  place  de  Bakhdi,  où  trône  le  roi 
dans  l'attente  du  général  victorieux.  Assurément,  vous  vous  atten- 
dez à  un  défilé;  vous  l'avez  en  effet.  Ce  sont  d'abord  des  hérauts 
et  des  trompettes,  puis  «  les  chefs  des  terribles  guerriers  »  qu'on 
vient  de  subjuguer,  «  les  vierges  prisonnières  »,  les  richesses  de 
toutes  sortes  arrachées  à  l'ennemi,  enfin  tout  ce  qui  peut  contri- 
buer à  la  composition  d'une  marche  guerrière  de  belle  dimen- 
sion. La  dimension  y  est  en  effet;  mais  combien  pauvre  est  l'ins- 
piration !  Il  y  a  une  marche  qui  ressemble  beaucoup  à  celle-ci 
dans  Aïda,  et  Verdi  a  trouvé  pour  la  caractériser  un  chant  de 
trompettes  qui  n'est  pas  d'une  distinction  rare, —  ce  n'eût  pas  été  le 
cas  —  mais  qui  est  bien  typique  et  d'une  sonorité  populaire  qui 
reste  dans  les  oreilles.  Que  retient-on  du  défilé  bruyant  et  terne 
à  la  fois  de  M.  Massenet?  N'imporle!  Zarastra  arrive  à  son  tour. 
Il  ne  paraît  aucunement  incommodé  de  cette  mauvaise  musique 
et,  s'inclinant  devant  la  majesté  de  M.  Martapoura  (c'est  le  roi  !i. 
il  lui  fait  don  de   tout  le  butin  pris  à  l'ennemi  : 

Tous  ces  trésors,  je  te  les  donne  ; 
Mais  j'ai  gardé  ceci  1 

Ceci,  c'est  Anahila  elle-même  : 

Parais,  astre  de  mon  ciel  ! 

Abeille  d'or  dont  l'amour  est  le  miel! 

Soulève  l'ombre  de  ces  voiles 

Cachant  ton  front  gracieux. 

Que  je  montre  à  tous  les  yeux 

Ton  visage  d'aurore  et  tes  regards  d'étoiles. 

A  ce  madrigal,  Anahila  répond  par  un  autre  madrigal,  et  nous 
avons  là  deux  aimables  pages  d'album,  auxquelles  le  roi,  qui  ne  veut 
pas  demeurer  en  reste,  s'empresse  d'en  ajouter  une  troisième.  Il  ex 
plique  en  termes  galants  qu'il  aurait  bien  gardé  Anahita  pour  lui- 
même,  mais  qu'il  ne  veut  pas  en  priver  son  vainqueur,  et  il  va  pro- 
céder à  leur  union  quand  le  terrible  Amrou,  survenant  tout  à  coup, 
déclare  que  ce  n'est  pas  possible,  que  Zarastra  est  l'amant  de  sa 
fille  Varedha  et  qu'il  lui  a  promis  le  mariage.  Varedha  opine  du 
bonnet,  bien  qu'elle  l'ait  jeté  depuis  longtemps  par-dessus  les  mou- 
lins (y  en  avait-il  à  cette  époque?).  Bien  plus,  il  y  a  là  une  petite 
bande  de  prêtres  païens  qui  n'ont  jamais  reculé  devant  un  faux  ser- 
ment et  qui  affirment  qu'Amrou  a  dit  la  vérité.  Que  peuvent-ils  eu 
savoir?  L'affaire  ne  s'en  gâte  pas  moins  pour  Zarastra.  Le  roi,  qui 
paraît  décidément  avoir  de  roses  desseins  sur  Anahita,  déclare  que 
Zarastra  doit  épouser  Varedha.  Alors  Zarastra  maudit  tout  le  monde, 
et  déclare  que,  puisqu'il  eu  est  ainsi,  il  renonce  à  la  gloire,  à  ses 
pompes,  à  la  musique  de  M.  Massenet,  et  qu'il  va  se  retirer  «  dans 
la  solitude  ». 


Ces  scènes  successives  ne  sont  pas  sans  provoquer  le  déchaîne- 
ment d'un  finale  construit  dans  toutes  les  règles  de  l'art  et  qui  fait 
un  tapage  infernal.  Quand  les  idées  viennent  à  lui  manquer, 
M.  Massenet  aime  à  faire  du  bruit  pour  s'étourdir  et  pour  étourdir 
les  autres.  Or,  il  y  a  beaucoup  de  bruit  tout  le  long  de  la  parlition 
du  Mage;  c'est  un  mauvais  signe. 

Reprenons  le  fil  de  notre  narration. 

Zarastra  s'est,  en  effet,  retiré  sur  la  montagne  sainte,  où  il 
occupe  ses  loisirs  à  chanter  des  chansons  napolitaines  (déjà  !)  en 
même  temps  qu'à  fonder  une  religion  nouvelle  basée  sur  des  lois 
de  vérité.  Il  cause  avec  les  éclairs  et  rapporte  de  ces  conversations 
fulgurantes  des  préceptes  certains  qu'il  inculque  à  ses  nombreux 
disciples  : 

Heureux  celui  dont  la  vie 

Pour  le  bien  aura  lutté  toujours  ! 

C'est  le  début  d'une  sorte  de  prière  qui  n'est  pas  sans  grandeur, 
et  restera  comme  l'un  des  bons  passages  de  la  partition.  Le  mage 
n'est  pas  toutefois  sans  avoir  souvent  en  son  esprit  des  retours  trop 
humains  vers  le  passé.  Il  n'a  pas  oublié  les  grâces  d'Anahita, 
encore  qu'il  essaie  de  les  refouler  de  son  souvenir.  La  nerfide  Va- 
redha, toujours  attachée  à  sa  proie,  vient  le  retrouver  jusque  dans 
son  désert  pour  les  lui  rappeler.  C'est  un  long  discours  qu'elle  lui 
tient,  où  elle  lui  explique  que  le  trône  de  l'Iran  est  à  lui,  s'il  le 
veut  avec  elle  pour  reine,  qu'Amrou  lui  a  créé  des  partisans  prêts 
à  renverser  le  roi,  qu'Anahita  l'a  oublié  et  qu'elle  va  en  épouser 
un  autre.  Tout  ce  verbiage  est  liés  long,  je  vous  l'ai  dit,  mais  il  est 
traversé  par  une  phrase  charmante.  C'est  lorsque  Zarastra,  au 
comble  de  la  fureur,  lève  la  main  sur  Varedha  et  va  pour  la 
frapper  : 

Sous  les  coups  tu  peux  briser 

Tout  mon  corps  qui  t'aime. 

Dans  mon  cœur  voux-tu  puiser 

Tout  mon  sang  qui  t'aime? 

Ce  sera  comme  un  baiser 

Pour  ma  chair  qui  t'aime. 

C'est  un  des  moments  où  le  musicien  a  été  le  mieux  inspiré. 

Varedha  n'en  est  pas  moins  repoussée  avec  horreur. 

Cinquième  tableau.  —  Voici  l'heure  du  ballet.  On  l'attendait 
avec  une  certaine  impatience.  C'est  là  où  d'habitude  M.  Massenet, 
qui  est  un  symphoniste  habile,  sème  les  fleurs  avec  profusion  ; 
cette  fois  son  bouquet  a  paru  quelque  peu  fané.  Certes  il  y  a  là 
toujours  des  effets  de  timbres  curieux,  des  accouplements  d'instruments 
ingénieux;  à  certain  moment  même  l'antique  bouquin  éclate  en 
sons  rauques,  comme  dans  les  fêtes  du  dieu  Pan.  Il  ne  s'agit  pour- 
tant ici  que  de  célébrer  les  fêtes  de  la  déesse  Djahi,  qui  s'accommo- 
derait mieux  déplus  de  mollesse  et  d'idées  voluptueuses.  Le  ballet 
n'a  pas  fait  sensation.  Après  les  danses,  on  va  procéder  à  la  célébra- 
tion du  mariage  d'Anahita  avec  le  roi.  Malgré  les  plaintes  et  les 
protestations  d'Anahita,  le  roi  l'exige,  et  Amrou  va  bénir  leur 
union,  quand  les  Touraniens  révoltés  envahissent  le  temple,  brû- 
lent et  massacrent.  Anahita  délivrée  pousse  elle-même  le  cri  de 
guerre.  Dans  tout  ce  tableau,  nous  retrouvons  les  sérieuses  qualités 
de  facture  qui  dominent  dans  la  partition  ;  mais  les  idées  neuves 
et  originales  n'y  foisonnent  pas  plus  que  dans  les  actes  précé- 
dents. A  signaler  pourtant  la  cantilène  rêveuse  soupirée  par  Anahita 
et  qui   est  d'un  charme  étrange  : 

Vers  le  steppe  aux  fleurs  d'or 
Laisse-moi  prendre  l'essor  ; 
Laisse-moi  voir  encore 
Mon  beau  ciel  pâle. 
Où  la  neige  en  neigeant 
Sous  la  lune  à  l'œil  changeant  , 

Fait  germer  dans  l'argent 
Des  fleurs  d'opale. 

Nous  voici  arrivés  au  terme  du  voyage.  Le  théâtre  représente 
le  temple  de  la  Djahi  en  ruines  et  encombré  de  cadavres.  Zaras- 
tra y  vient  pleurer  sur  les  malheurs  do  la  patrie.  Anahita  triom- 
phante ne  tarde  pas  à  l'y  rejoindre.  Duo  d'amour  interrompu  par 
Varedha  toute  sanglante,  qui  se  relève  d'entre  les  cadavres  pour 
les  maudire  une  dernière  fois  et  invoquer  la  déesse  Djahi,  qu'elle 
charge  de  sa  vengeance.  0  prodige!  l'incendie  qu'on  croyait  éteint 
se  rallume  et  entoure  les  deux  amants  !  C'en  serait  fait  d'eux  si  Zarastra, 
à  son  tour,  n'invoquait  le  dieu  de  vérité  dont  il  est  le  mage.  Les 
flammes  s'écartent  et  laissent  passer  les  amoureux,  tandis  que 
Varedha  expire  dans  un  cri  de  rage. 

L'air  de   Zarastra    sur   les  ruines   du    temple   n'est    pas   ce  qu'il 


9û 


LE  MEl^ES^llEL 


devrait  être;  le  duo  d'amour  est  gracieux,  mais  il  n'a  pas  non  plus 
la  graudeur  qui  conviendrait  à  la  situation.  La  sorte  d'incantation 
da  feu  proférée  par  Varedha  est  au  contraire  un  morceau  de  carac- 
tère, et  nous  trouvons  là  des  procédés  d'orchestration  excessivement 
curieux.  Ce  serait  certainement  la  plus  belle  page  de  la  par- 
tition, si  malheureusement  Richard  "Wagner,  avant  Massenet,  n'avait 
écrit  lui-même  pour  la  Valkyrie  une  incantation  de  même  sorte  qui 
me  remet  en  mémoire  un  autre  trait  du  musicien  d'esprit  dont  j'ai 
par'é  au  commencement  de  cet  article.  C'était  à  l'époque  d'Esclar- 
monde:  «  On  est  vraiment  bien  dur  pour  ce  pauvre  Massenet,  me 
disait-il. —  On  va  jusqu'à  prétendre  qu'il  n'atteindra  jamais  à  la  che- 
ville de  "Wagner.  Allons,  allons,  il  y  arrive,  il  y  ari'ive.  »  M.  Mas- 
senet y  est  encore  arrivé  cette  fois. 

Voilà  la  nouvelle  partition  de  l'auteur  de  Mai-ie-Magdeleine.  k 
tout  prendre  nous  la  préférons,  encore  au  Cid,  qui  fut  une  pure 
fontaine  d'eau  claire,  ou  à  Esdarmonde,  qui  fut  une  œuvre  de  faus- 
seté. Le  Mage,  lui, est  un  opéra  scieutifique,  oîx  aucune  règle  de  la 
pesanteur  n'a  certes  été  négligée.  Nous  l'aimerions  mieux  rempli 
d'inspiration  et  d'idées  neuves,  mais  il  faut  du  moins  constater  ici  un 
grand  s>)uci  de  la  forme,  une  facture  remarquable  et  une  tenue  de 
style  peu  ordinaire.  M.  Massenet  incline  chaque  jour  davantage  vers 
le  drame  qu'on  préconise  aujourd'hui,  celui  cîi  la  déclamation  joue 
le  plus  grand  rôle  et  qui  s'écarte  de  plus  en  plus  de  la  musique 
proprement  dite.  C'est  dommage;  à  ce  jeu,  les  imaginations  se  des- 
sèchent et  perdent  en  fraîcheur  et  en  invention  ce  qu'elles  gagnent 
peut-être  lu  côté  de  ce  qu'on  appelle  la  vérité  dramatique.  La  note 
d'art  disparait,  et  nous  devenons  la  proie  d'une  légion  de  Vadius  et 
de  Trissotins  qui  remplacent  les  musiciens  que  nous  avions  autre- 
fois. Ils  sont  peut-être  beaucoup  plus  «forts»,  comme  ou  dit,  mais 
aussi  combien  plus  ennuyeux  ! 

Du  poncif  redondant,  voilà  la  caractéristique  du  Mage.  Nous  pré- 
férions beaucoup,  à  ce  système  voulu  de  lourdeur  et  de  prétention, 
la  poétique  séduisante  de  Manon  ou  à'Hérodiade.  M.  Masseuet  est 
évidemment  à  une  époque  de  trouble,  qui  ne  lui  permet  plus  de 
voir  clairement  la  voie  oîi  il  s'était  engagé  si  heureusement  à  son 
début.  Comme  pour  son  héros  Zarastra,  une  période  de  recueillement 
s'impose  à  lui.  Il  tera  bien  de  se  retirer  sur  la  montagne  sainte  et 
d'y  méditer  sur  les  dangers  d'une  production  trop  hàiive.  Il  nous 
reviendra  alors  plus  fort  et  retrempé  pour  des  luttes  nouvelles.  Nouo 
sommes  en  droit  de  beaucoup  attendre  de  M.  Massenet,  le  compo- 
siteur le  plus  merveilleusement  doué  peut-être  de  notre  époque  ; 
nous  avons  donc  le  devoir  de  lui  épargner  des  paroles  sucrées  qui 
régareraient  encore  davantage. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  l'interprétation.  M.  Vergnet, 
dans  le  rôle  du  mage,  s'est  montré  très  remarquable.  "Voix  géné- 
reuse et  talent  de  chanteur  des  plus  distingués.  Il  est  très  curieux 
qu'après  avoir  déjà  possédé  cet  artiste  anciennement  à  l'Opéra,  on 
ait  cru  ensuite  pouvoir  s'y  passer  si  longtemps  de  ses  services.  Les 
ténors  de  son  mérite  ne  courent  pas  les  théâtres.  M""  Lureau-Es- 
cahiïs,  qui  personnifiait  le  personnage  gracieux  d'Anahita,  a  eu  les 
honneurs  de  la  soirée.  Elle  a  été  parfaite  de  tous  points.  Elle  a 
chanté  avec  un  art  exquis  et  une  grande  finesse.  On  l'a  beaucoup 
fêtée  et  cela  a  été  vraiment  un  plaisir  pour  tous  de  voir  enfin  une 
aussi  excellente  artiste  appréciée  à  sa  juste  valeur.  M""*  Fierens 
possède  de  grandes  qualités  dramatiques  et  un  tempérament  ardent 
qui  la  pousse  un  peu  à  l'exubérance.  Il  y  a  abus  dans  les  gestes 
et,  à  fo  ce  d'être  poussée,  la  voix  devient  parfois  chevrotante.  Mais 
il  y  a  tant  de  jeunesse  et  d'entrain  dans  l'ensemble  du  talent  de 
M"' Fierens,  qu'on  passe  volontiers  sur  ces  quelques  défauts.  Il  serait 
préférable  toutefois  qu'ils  n'existassent  pas.  M.  Delmas  fait  flèche 
de  sa  belle  vois.  C'est  à  peu  près  tout  ce  qu'il  peut  faire  dans  le 
personnage  assez  iïigrat  d'Amrou.  Si  le  ballet  avait  pu  être  sauvé, 
la  grâce  de  la  toute  charicaute  M""  Mauri  y  aurait  suffi. 

Quelques  beaux  décors  à  l'actif  de  MM.  Ritt  et  Gailhard. 

H.    MORENO. 

Comédie-Française.  —  Mariage  blanc,  drame  en  3  actes,  de  M.  Jules 
Lemaitre. 

Si  M.  Jules  Lemaltre  s'est  décidé  relativement  assez  lard  à 
écrire  pour  le  théâtre,  il  semble  vouloir  regagner  le  temps  perdu 
et  cette  sorte  de  hâte  dans  la  production,  le  poussant  à  prendre  les 
sujets  premiers  venus  qui  lui  tombent  sous  la  plume,  ne  paraît  devoir 
lui  être  qu'assez  préjudiciable.  Nous  avons  loué,  ici  même,  comme  il 
convient,  le  talent  exquis  de  l'écrivain  que  nous  retrouvons  toujours 
tel  ;  nous  avons  aussi  signalé^  lors  de  l'apparition  de  Révoltée  à 
rOdéon,  des  qualités  d'autour  dramatique  très  réelles,  mais  qui  lais- 
saient   entrevoir   des  œuvres  tout  autres   que  ce  Mariage  blanc  que 


nous  ne  saurions  tenir  pour  tout  à  fait  digue  de  celui  qui  l'a 
écrit.  Que  M.  Lemaître  prenne  garde,  la  place  très  prépondérante 
qu'il  occupe  dans  les  lettres  modernes  ne  lui  donne  pas  le  droit  de 
se  contenter  d'à-peu-près,  il  faut  absolument  qu'il  fasse  bien  ou  qu'il 
s'abstienne. 

Mariage  blanc  est  né  d'une  nouvelle  de  quelques  lignes.  Jacques 
de  ïhièvre,  ariivé  à  quarante-cinq  ans  après  avoir  usé  et  abusé  de 
la  vie,  rencontre  à  Menton  une  pauvre  jeune  fille  qui  se  meurt  de  la 
poitrine.  Poussé  par  la  curiosité,  peut-être  encore  par  bonté  d'âme, 
il  épouse  Simone,  voulant  lui  donner  pour  des  jours  qui  sont 
comptés,  l'illusion  de  la  vie  heureuse  des  femmes  aimées.  Il  sera 
le  mari  de  la  petite  mourante  sans  l'être,  et,  comme  il  tombe  sur 
un  esprit  de  naïveté  absolue,  il  joue  son  rôle  sans  bien  grandes' 
difficultés  jusqu'à  l'heure  oir,  étouffée  par  une  émotion  trop  forte,  la 
pauvre  petite  mariée  s'endort  pour  toujours  du  sommeil  de'j  inno 
cents. 

Le  défaut  capital  de  la  pièce  nouvelle  de  M.  Jules  Lemaître,  lais- 
sant de  côté  la  donnée  même  dont  la  vraisemblance  est  sujette  à 
caution,  c'est  que  cette  figure  de  Jacques  de  Thièvre  nous  est  fort 
insuffisamment  expliquée;  nous  ne  savons  à  quel  mobile  il  obéit. 
Est-ce  un  viveur  blasé  en  quête  d'émotions  nouvelles  ?  Est-ce,  au 
contraire,  vfn  être  exclusivement  bon  et  charitable?  Il  fallait  le  ro- 
man pour  permettre  à  l'auteur  de  se  faire  bien  comprendre  et  d'ana- 
lyser, comme  il  convenait,  ce  cerveau  complexe  et  évidemment 
maladif.  Et  le  roman  même  nous  aurait  peut-être  permis  de  jouir 
plus  profondément  du  bonheur  factice  donné  à  la  condamnée  et 
nous  aurait  certainement  aidé  à  accepter  les  scènes  pénibles  oij  l'on 
nous  montre  une  sœur  jalouse  de  Simone.  Le  drame  est  raerveil- 
leusement  joué  par  M"'  Reichenberg,  d'une  candeur,  d'une  finesse 
et  d'une  chétivité  étonnantes,  et  par  M.  Febvre.  M""^^  Pierson, 
Marsy  et  M.  Laroche  tiennent  les  rôles  secondaires  avec  autorité  et 
talent. 

Paul-Emile  Chevalier. 


UNE     FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

(Suite  et  fin.) 

VIII 

J'aurais  voulu  faire  connaître,  avec  plus  de  détails  que  je  n'en 
puis  donner,  la  nature  intime  de  M""  Saint-Aubin,  faire  apprécier 
selon  ses  mérites  le  grand  et  généreux  cœur  de  cette  femme  char- 
mante, qui,  ne  se  contentant  pas  d'être  une  grande  artiste,  fat  en- 
core une  fille  excellente,  uns  sœur  dévouée,  une  épouse  modèle  et 
une  mère  de  famille  incomparable,  et  qui,  en  dehors  même  des  siens, 
se  montrait  toujours  prête  à  obliger  et  à  servir  autrui  (1).  Malheu- 
reusement, si  les  témoignages  généraux  sont  unanimes  à  ce  sujet, 
si  certains  faits  sont  suffisamment  connus,  les  particularités  man- 
quent le  plus  souvent,  et  ne  laissent  pas  le  loisir  de  s'étendre  même 
sur  les  p'us  intéressants.  J'ai  déjà  fait  remarquer  que,  plus  artiste 
à  ce  point  de  vue  et  plus  désintéressée  que  bien  d'autres  qui  n'a- 
vaient pas  les  mêmes  charges  de  famille.  M"'  Saint-Aubin,  à  une 
époque  oîi  l'action  qu'elle  exerçait  sur  le  public  la  rendait  en  quel- 
que sorte  indispensable  à  son  théâtre  et  ou  celui-ci  traversait  une 
crise  difficile,  se  contentait  pourtant  de  sa  part  alors  bien  modeste 
de  sociétaire,  tandis  que  tels  et  tels  de  ses  camarades  renonçaient  à 
cette  situation  pour  se  faire  allouer  d'énormes  appointements  fixes. 
J'ai  rappelé  la  générosité  si  ingénieuse  dont  elle  fit  preuve  envers  la 
veuve  de  Dozainviile,  en  faisant  fixer  au  jour  de  sa  der/iière  apparition 
la  représentation  donnée  au  bénéfice  de  celle-ci.  J'ai  constaté  ailleurs 
que  c'est  elle  qui,  avec  le  concours  dévoué  de  Méhul  et  grâce 
à  de  pressantes  démarches,  réussit  à  mettre  à  l'abri  du  besoin  les 
derniers  jours  de  Monsigny  devenu  vieux  (2).  C'est  elle  encore  qui,  avec 
son  camarade  Chenard,  obtint  des  sociétaires  de  l'Opéra-Comique, 
en  1"99,  qu'ils  missent  pour  quelques  soirées  la  salle  de  ce  théâtre 
à  la  disposition  des  artistes  de  l'Odéou,  qui  venait  d'être  détruit  par 
un  incendie  (3). 

(1)  «...  Chargée  d'aue  nombreuse  famille  qu'elle  a  élevée  avec  soin,  elle  a  fait 
des  pensions  à  deux  de  ses  sœurs  jusqu'à  leur  mort;  elle  en  fait  encore  à  ses 
deux  fièi'es.  Économe,  mais  désintéressée,  elle  n'a  jamais  affiché  ce  luxe  scan- 
daleux qu'on  reproche  généralement  aux  actrices...  »  (Biographie  universelle  et  por- 
tative des  contemporains.) 

(2)  On  peut  lire  à  ce  sujet  une  lettre  de  Méhul,  que  j'ai  publiée  dans  mon  livre 
sur  Mèliul,  sa  vie,  son  (jcnie,  son  caractère. 

(:î)  C'est  peut-être  ici  le  cas  de  reproduire  cette  anecdote  que  le  trop   fameux 


LE  MENESTREL 


93 


Je  pourrais  rapporter  vingt  traits  de  cette  nature.  Par  malheur, 
les  quelques  lettres  de  M™'=  Saint-Aubin  que  j'ai  en  ma  posses- 
sion n'oflfrent  sous  ce  rapport  qu'un  intérêt  secondaire,  les  person- 
nages dont  il  y  est  question  étant  à  peu  près  complètement  inconnus. 
Or,  c'est  dans  la  correspondance  surtout  que  se  révèlent  les  élans 
des  cœurs  généreux.  Je  veux  pouitant  citer  au  moins  une  de  ses 
lettres,  parce  qu'elle  rappelle  le  souvenir  d'un  jeune  musicien  dont 
le  nom  est  resté  presque  fameux  en  raison  de  sa  situation  particu- 
lière et  de  sa  mort  prématurée.  Ce  musicien  est  le  jeune  Androt, 
le  premier  qui  ait  obtenu  le  grand  prix  de  composition  musicale 
à  l'Institut  lors  de  la  fonviation  du  concours  de  Rome  (18u3),  et  qui 
mourut  en  cette  ville  après  y  avoir  fait  un  court  séjour  et  donné  de 
grandes  espérances  qu'il  ne  devait  pas  être  appelé  àréaliser.  Androt 
avait  été  élevé  par  un  oncle  qui  lui  servit  de  père,  et  c'est  en  faveur 
de  cet  oncle  que  M"'  Saint-Aubin  intercédait  auprès  du  destina- 
taire inconnu  de  la  lettre  qu'on  va  lire  : 

Vous  m'avez  témoigné  trop  de  bienveillance,  Monsieur,  pour  ne  pas 
m'obliger  dans  cette  circonstance.  Je  porte  le  plus  vif  intérêt  à  M.  Androt, 
oncle,  ou,  pour  mieux  dire,  père,  par  sa  conduite,  de  ce  jeune  Androt 
mort  à  Rome  et  regreté  (sic)  par  toutes  les  personnes  de  mérite.  Je  n'ai 
cessé  d'être  là  consolation  de  ce  brave  bomme;  lorsque  j'ai  eu  l'honneur 
de  vous  recevoir  chez  moi,  vous  aviez  la  bonté  de  vous  occuper  de  mon 
petit  neveu,  et  je  n'osai  vous  demander  votre  protection  pour  M.  Androt. 
J'ai  eu  bien  tort,  car  il  serait  sûrement  en  place.  Votre  bonté  pour  moi 
m'encourage  à  vous  prier  de  lever,  s'il  est  possible,  les  dilficultés  qui  se 
présentent.  J'ai  des  obligations  très  grandes  à  M.  Androt,  comme  con- 
naissant parfaitement  les  affaires;  il  m'a  fait  rentrer  une  somme  d'argent 
que  je  croyais  perdue;  je  me  trouverais  bien  heureuse  de  pouvoir  à  mon 
tour  lui  être  agréable.  Le  comte  Renaud  (Regnault)  de  St-Jean  d'Angcly 
s'intéresse  à  lui,  et  plusieurs  autres  personnes  que  vous  connaissez  par- 
faitement vous  sauraient  un  gré  infini  de  ce  que  vous  voudrez  bien  faire 
pour  M.  Androt.  Pardon,  Monsieur,  mais  je  retourne  demain  à  Paris  et 
vous  fatiguerai  par  mes  instances. 

Ma  jeune  Alexandrine  débute  bientôt  ;  j'espère  que  vous  voudrez  bien 
disposer  d'une  loge  qui  vous  est  réservée;  j'attache  un  grand  prix  aux 
encouragements  qu'une  personne  aussi  distinguée  par  son  mérite  voudra 
bien  lui  donner. 

Je  suis,  Monsieur,  avec  la  plus  parfaite  considération,  votre  très 
humble  servante. 

V  S'-AuBiM-  (1). 

En  regard  de  cette  lettre  inédite,  j'en  voudrais  pouvoir  repro- 
duire une  autre,  d'un  autre  genre,  qu'elle  écrivait  quarante  ans 
plus    tard,    alors    qu'elle    en   avait    quatre-vingt-quatre,    et   qu'elle 

adressait à  Aubei'.  «  Cette  charmante  lettre  (datée  du  20  juin  1849, 

quinze  mois  avant  sa  mon)  est  le  portrait  le  plus  ressemblant  de 
ses  sentiments  alTeelueui  et  de  son  esprit,  »  lisait-on  dans  le 
Catalogue  des  aidograplies  du  baron  de  Trémonl,  en  la  possession  de 
qui  elle  était  venue.  C'est  ce  catalogue  qui  me  permet  d'en  ciier 
au  moins  les  lignes  suivantes  :  —  «  ...  Hélas!  je  suis  venue  trop 
tôt  dans  ce  monde.  Si  j'avais  eu  un  rôle  de  vous  et  de  Scribe, 
vous  auriez  donné  à  mon  faible  talent  de  grands  moyens  de  gloire,  en 
suivant  vos  inspirations.  —  Ma  vie  est  toute  de  regrets,  puisqu'il  en 
me  reste  que  peu  de  jours  à  vivre  pour  vous  aim^r  de  toute  monàme.  » 

Quelque  brillant  qu'il  soil,' un  artiste  n'est  jamais  complètement 
satisfait  du  lot  qui  lui  est  échu  dans  ce  rude  combat  de  la  vie. 
Avouons  pourtant  que  M""'  Saint-Aubin  aurait  eu  tort  de  se  plaindre 
trop  amèrement  de  la  part  que  lui  avaient  faite  les  circonstances. 
L'adoration  du  public,  la  confiance  et  l'affection  des  auteurs,  vingt- 
cinq  années  de  succès  ininterrompus,  une  renommée  immense  et 
que  le  temps  n'a  pu  eutamer,  voilà  qui  pouvait  assurément  suffire  à 
talmer  les  quelques  regrets  que  certains  faits  lui  faisaient  éprouver. 

M""»  Duret  avait  atteint   déjà   la   vieillesse  lors  de  la  mort  de   sa 

journaliste  Charles  Maurice,  son  contemporain,  a  consignée  dans  ses  Épaves,  a 
la  date  de  1810,  c'est-k-dire  deux  ans  après  que  M"'  Saint-Aubin  eut  quitté 
rOpéra-Comique  :  —  «  Madame  Saint-Aubin,  de  l'Opdra-Comique,  arrivant  à  Metz 
pour  y  donner  des  représentations,  y  trouva  TEcole  d'artillerie  privée  du  plaisir 
d'aller  au  théi'ilre  pour  y  avoir  fait  du  bruit.  Informée  de  cela,  la  charmante  artiste 
sollicita,  mais  vainement,  la  levée  de  la  consigne  dont  elle  s'était  flattée  dans  la 
visite  qu'elle  avait  reçue  des  élèves.  Alors,  elle  signifia  au  directeur  qu'elle  ne 
donnerait  point  fies  représentations  et  lui  paie  ait  le  dédit  stipulé.  Une  dèmarcbe 
près  du  préfet  fat  plus  heiireuse.  Puis,  elle  apprit  au  général  que  les  jeunes  gens 
demandaient  à  rester  en  retenue  pendant  toute  une  année,  si  l'on  voulait  leur  per 
mettre  d'assister  à  ses  représentations.  Celte  dernière  partie  de  la  requête  fu 
enfin  accordée  et  même  sans  aucune  resiiiction.  C'était  par  Eupkrosiiie  et  Corad'm 
que  commençaient  ces  soirées.  Un  infinissable  tonnerre  d'applaudissements  éclata 
à  ces  mots  ;  «  A  tous  les  prisonniers  je  rends  la  liberté.  "  Et  ce  ne  fut  qu'après  avoir 
accepté  des  élèves  une  fête  suivie  de  bal,  que  madame  Saint-Aubin  put  quitter 
la  ville.  —  (1810.)  » 

(1)  La  date  approximative  de  cette  lettre  nous  est  fournie  par  le  détail  relatif 
au  début  d'Alexandrine.  Ce  début  ayant  eu  lieu  le  2  novembre  1809,  la  lettre 
qu'on  vient  de  lire  doit  être  de  la  seconde  quinzaine  d'octobre  de  cette  année. 


mère,  puisqu'à  cette  époque  elle  était  âgée  de  soixante-cinq  ans. 
Elle  en  avait  soixante-dix-sept  lorsqu'elle  mourut  elle-même,  le 
29  novembre  1862,  à  Paris,  qu'elle  n'avait  jamais  quitté.  Et  sa  sœur 
Alexandrine  en  avait  tout  juste  soixante-quatorze  quand  elle  dis- 
parut à  son  tour  de  la  scène  du  monde,  au  mois  d'avril  1867. 
Devenue,  en  1839,  veuve  de  l'excellent  acteur  Joly,  celle-ci  avait 
épousé  en  secondes  noces  un  riche  marchand  de  bois  de  Nevers, 
nommé  Houdaille  (I),  auquel  elle  survécut  aussi.  Elle  vivait,  depuis 
longtemps  déjà,  retirée  à  Saint-Saulge,  pelit  pays  du  département 
de  la  Nièvre. 

C'est  ainsi  que  finit  une  génération  d'artistes  qui  durant  plus  d'un 
demi-siècle  avaient  jeté  un  si  vif  éclat  sur  l'une  de  nos  grandes 
scènes  parisiennes,  et  qui,  par  leurs  alliances,  avaient  donné  du 
relief  au  nom  de  diverses  familles.  Les  Schrœder,  les  Moalinghen, 
les  Saint-Aubin,  les  Doret,  les  Joly,  ont  leur  place  marquée  dans 
l'histoire  du  théâtre  en  France,  cette  histoire  sous  tous  les  rapports 
si  brillante  et  si  honorable.  Mais  de  tous  ces  noms,  celui  qui  res- 
tera le  plus  fameux,  celui  qui  plane  au-dessus  de  tous  les  autres 
et  qui  les  absorbe  dans  son  rayonnement  lumineux,  c'est  le  nom 
de  Saint-Aubin,  parce  qu'il  fut  celui  d'une  femme  charmante,  d'une 
comédienne  exquise,  d'une  véritable  grande  artiste,  au  talent 
.souple,  varié,  multiple,  plein  tout  ensemble  de  grâce  et  de  vigueur, 
d'élégance  et  d'originalité,  d'une  artiste  sédui-ante  au  possible,  qui 
fut  l'idole  du  public,  l'enchantement  de  tous  ses  contemporains  et, 
on  peut  le  dire  sans  excès,  l'nne  des  gloires  de  la  scène  française 
il  y  a  tantôt  un  siècle. 

FIN  Arthur  Pougin. 


I 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Cbàtelet.  —  Après  une  bonne  exécution  de  la  sympho- 
nie en  ut  mineur  de  Beethoven,  M.  Colonne  a  donné  une  seconde  audition 
des  fragments  à'Eloa,  le  poème  lyrique  de  M.  Ch.  Lefebvre.  C'était  M.  Au- 
guez  qui  remplissait  cette  fois  le  rôle  du  récitant  ;  il  s'en  est  acquitté 
avec  une  maestria  sans  égale.  Nous  avons  été  charmé  de  cette  a'ùdition.  Il 
est  si  doux,  api-ès  les  débordements  musicaux  de  ces  derniers  temps, 
d'entendre  des  harmonies  naturelles,  de  beaux  chants,  quelque  chose  de 
bien  fondu,  de  bien  nourri,  sans  l'inévitable  fracas  des  trombones  !  La 
musique  de  M.  Lefebvre  renferme  tout  cela.  C'est  de  la  musique  qui 
semble  composée  sans  effort,  qui  a  au  plus  tiaut  point  le  cachet  d'une 
poésie  sincère.  Celle  de  M™  Holmes  a  de  plus  hautes  visées.  Sou  Voyage 
au  paijs  bleu  débute  par  un  lever  de  soleil  sous  forme  de  crescendo.  Jamais 
un  lever  de  soleil  ne  se  décrit  autrement,  et  je  me  demande  sous  quelle 
autre  forme  on  pourrait  le  décrire.  La  seconde  partie,  En  mer,  nous  a  un 
peu  surpris  :  nous  croyons  entendre  au  début  un  motif  bien  connu  des 
Pécheurs  de  perles  de'  Bizet.  Mais  après  cette  réminiscence,  nous  avons  res- 
senti une  impression  dee  plus  agréables  :  La  barcarolle,  accompagnée  dans 
la  coulisse  par  un  chœur  pianissimo,  pendant  que  les  violons  en  sour- 
dine et  les  violoncelles  se  répondent,  est  une  inspiration  de  premier 
ordre  et  d'un  effet  délicieux.  Nous  aimons  moins  la  Tarentelle,  qui  est, 
néanmoins,  pleine  de  vigueur  et  d'entrain.  —  Le  ballet  d'Ascanio,  de 
M.  de  Saint-Saëns,  est  intéressant  et  finement  ciselé,  mais  nous  connais- 
sous  des  œuvres  meilleures  du  maître  français.  —  Venons  aux  solistes  : 
M.  Auguez  a  dit,  avec  son  grand  style,  l'air  si  beau  et  si  difficile  de 
Hfendel  (air  de  Lucifer  dans  l'oratorio  de  la  Résurrection)  et  une  très  belle 
œuvre  de  M""=  de  Grandval,  le  Chant  du  Reitre,  d'un  caractère  sauvage  et 
saisissant.  Nos  félicitations,  pour  en  finir,  à  une  jeune  pianiste, 
M"'  Steiger.  Quoiqu'elle  fût  un  peu  couverte  par  l'orchestre  etqu'elle 
eût  sous  les  doigts  un  piano  qui  manquait  de  sonorité,  elle  a  dit  avec 
un  goût  irréprochable,  une  netteté  incomparable  et  un  style  excellent 
le  concerto  en  sol  mineur  de  Mendelssohn  ;  elle  a  été  couverte  d'ap- 
plaudissements, et  c'était  justice.  M"«  Steiger  a  en  elle  l'étoffe  d'une 
véritable  artiste,  et  nous  sommes  heureux  d'enregistrer  son  succès. 

H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureu.x.'J—  M.  Chevillard,3  en  prenant  pour  sujet  d'un 
poème  symphonique  le  Chêne  et  le  Hoseau  de  La  Fontaine,  semble  vouloir 
exagérer  les  tendances  de  l'école  descriptive  ;  mais  ce  n'est  là  peut-être 
qu'une  apparence,  car  certaines  fables  assurément  peuvent  légitimement 
donner  naissance  à  des  poèmes  sympboniques.  L'essentiel  est  de  ne  pas 
demander  à  l'orchestre  de  nous  montrer,  par  exemple,  le  Chêne  et  le  Ro- 
seau comme  on  les  voit  sur  le  tableau  du  peintre  Diday  au  musée  de 
Genève.  A  chaque  art  sa  compétence  propre.  La  première  partie  du 
poème  de  M.  Cbevillard  exprime  le  frémissement  du  vent  sur  les  eaux  ; 
une  harmonie  un  peu  vague  et  saus  assises  puissantes,  une  petite  phrase 
élégiaque  de  cor  anglais  suffisent  à  l'évocation  du  paysage.  Tout  cela  n'est 
pas  vraiment  sans  grâce.  Dans  la  suite,  on  entend  parler  le  chêne;  ayant 
la  basse-tuba  pour  porte-voi-t,  tandis  que  l'humble    roseau    n'a  pour    lui 

(2)  Et  non  Oudaille,  comme  je  l'ai  dit  par  erreur  dans  le  Supplément  de  la 
Biograpliie  universellf  des  musiciens  de  Fêlis. 


94 


LE  MÉNESTREL 


répondre  que  Tanche  du  cor  anglais,  ce  qui  constitue  un  dialogue  d'une 
valeur  musicale  discutable.  Le  tout  finit  par  une  tempête,  au  cours  de 
laquelle  se  dénoue  le  drame.'  En  somme,  le  dialogue  et  le  drame  ne  fon  t 
pas  oublier  le  paysage,  qui  reste  ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  la  petite 
œuvre  de  M.  Chevillard.  —  M""'  Brunet-Lafleur  a  chanté  avec  un  grand 
charme  poétique  la  seconde  scène  du  deuxième  acte  de  Lohengrin.  Le 
timbre  charmant  do  sa  voix  et  son  style  correct  lui  ont  mérité  des  témoi- 
gnages d'approbation  unanime.  Elle  était  secondée  par  M"'"  Materna,  qui 
avait  accepté  le  rôle  dramatique,  mais  ingrat  d'Ortrude.  M""'  Materna 
dont  la  voix,  qui  a  conservé  beaucoup  de  netteté,  retrouve  par  instants 
des  notes  d'un  timbre  pénétrant  et  même  une  certaine  ampleur,  a  dit  la 
scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux.  Cette  voix  coule  avec  une  fluidité 
merveilleuse, absolument  pure,  mais  dégagée  de  tout  rayonnement  comme 
une  étoile  qu'on  verrait  au  télescope.  C'est  le  torrent  transformé  en  filet 
de  cristal.  —  L'ouverture  de  Coriolan,  Pliaéton  de  M.  Saint-Saëns,  le  pré- 
lude de  Parsifal  et  la  Marche  hongroise  de  Berlioz  ont  été  rendus  avec 
précision  et  avec  le  respect  des  nuances  et  de  caractère  spécial  de 
chaque  composition.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Relâche. 

Chàtelet,  concert  Colonne:  ouverture  de  rann/inuser  (R.  Wagner);  h  Chant  du 
retire  (Grandvall  ,  chanté  par  M.  Auguez;  Marine  (G.  'Pfeiffer);  Infelice  (Mendels- 
sohn),  chanté  par  M°"  Katherine  'Van  Arnhem  ;  A  la  musique  (E.  Chabrier),  chœur 
pour  voix  de  femmes  avec  solo  par  M"'°  I.eroux-Ribeyre  ;  Aupays  bleu  (A.  Holmes)  : 
concerto  en  sol  mineur  (.Mendelssohn),  exécuté  par  W  Louise  Steiger;  l'Arté- 
sienne (G.  Bizel). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  (série  B),  programme  :  symphonie  en  nu 
bémol  (Mozart);  adagio  et  rondo  du  premier  concerto  pour  violon  (Vieuxtemps), 
par  M.  Houtflack  ;  deuxième  scène  du  deuxième  acte  de  Luhenijrm  (Wagner)  : 
M"'  Brunet-Lafleur  (Eisa),  M""  Materna  (Ortrude);  ouverture  de  Léonore  n°  3 
(Beethoven);  scène  finale  du  Crépuscule  des  dieux  (Wagner).-  Brunehilde,  M"'°  Ma- 
terna ;  marche  hongroise  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz). 

—  Musique  de  chambre.  —  La  Société  de  musique  de  chambre  pour 
instruments  à  vent  a  donné  son  deuxième  concert  avec  le  concours  de 
M.  G.  Pierné,  renplaçant  M.  Diémer.  Au  programme  se  trouvaient  ins- 
crits le  délicieux  quintette  de  Mozart,  la  Sinfonietta  de  Raff,  une  des 
œuvres  vraiment  intéressantes  de  ce  grand  artiste  si  étonnamment  iné- 
gal, et  la  spirituelle  tarentelle  de  M.  Saint-Sauns,  exécutés  avec  la  per- 
fection et  la  pureté  de  style  que  l'on  ne  trouve  réunies  que  dans  cette 
association  de  virtuoses.  Un-;  nouveauté  à  cette  séance  était  une  Can- 
zonetta  pour  clarinette  de  M.  G.  Pierné,  court  morceau  d'un  charmant 
effet,  brillamment  interprêté  par  M.  Turban  accompagné  par  l'auteur. 
—  La  dernière  séance  de  M.  Mendels  a  été  particulièrement  réussie. 
M.  Paul  Fournier  était  le  pianiste.  Il  a  exécuté  avec  MM.  Mendels. 
Waeiîelghem  et  Gasella  l'admirable  quatuor  de  M.  Saint-Saëns  et  joué  seul, 
avec  la  technique  si  pure  et  impeccable  qu'on  lui  connaît,  la  Pileuse  de 
Raff  et  un  presto  finement  ouvragé  de  sa  composition.  M.  Van  Waef- 
felghem  a  fait  entendre  sur  la  viole  d'amour,  l'instrument  qu'il  manie 
avec  une  habileté  consommée,  une  jolie  romance  de  sa  façon,  et  une 
gavotte  dé  Boismortier,  datant  de  1736.  Sim  succès  a  été  brillant;  aussi 
brillant  que  celui  de  M.  Warmbrodt,  interprète  très  remarquable  d'un 
séduisant  lied.  Calme  de  la  nuit,  de  M.  S.  Lazzari,  et  de  deux  mélodies 
(Marguerite  des  lois  et  Berceuse)  aussi  gracieuses  de  forme  que  d'idée  de 
M.  Boellmann.  j_   ^py^ 

—  Le  concert  donné  l'autre  jeudi,  salle  Erard,  par  la  Société  chorale 
d'amateurs,  offrait  entre  autres  attractions  la  première  audition  à'Hylas, 
scène  lyrique  de  M.  Théodore  Dubois.  Le  succès  en  a  été  considérable! 
Le  poème  de  M.  Guinand  est  disposé  de  façon  à  faire  tenir  en  quelques 
pages  des  situations  variées  dont  le  compositeur  a  su  profiter  avec  beau- 
coup d'habileté  et  de  bonheur.  Citons  surtout  le  début  très  poétique,  le 
Chœur  à  Bacchus,  d'un  beau  mouvement,  puis,  après  le  chœ^r  et  la  Danse 
des  nymphes,  d'une  couleur  charmante,  Varioso  qui,  merveilleusement  rendu 
par  M.  Martapoura,  a  produit  beaucoup  d'eff'et.  Le  finale,  un  peu  court 
peut-être,  est  pourtant  d'une  belle  sonorité  dramatique.  Une  mention 
d'honneur  est  due  à  M™  la  vicomtesse  de  Trédern,  qui,  d'ailleurs,  s'est 
chargée  des  soli  pendant  presque  toute  cette  soirée  el  y  a  recueilii  des 
bravos  sans  fin.  —  Avec  cette  première,  il  y  avait  des  reprises  :  celle  d'a- 
bord d'un  petit  chef-d'œuvre  de  Léo  Delibes,  la  Mort  d'Orphée,  qu'il  écrivit 
en  '1877  pour  la  société.  Malgré  l'absence,  irréparable,  hélas!  de  son 
auteur,  cette  scène  (est-il  besoin  de  le  dire?)  n'a  pas  reçu  du  public  un 
accueil  moins  chaleureux,  ni  de  ses  interprètes  une  exécution  moins  ]iar- 
faite  qu'autrefois;  et  c'est  avec  une  émotion  sincère  qu'on  a  applaudi  ces  • 
pages  où  vibrent  si  intenses  le  sentiment  de  l'antiquité  et  l'amour  de  la 
nature  et  qui  se  terminent  par  cette  belle  plainte:  «  Il  est  mort  le  poète 
aimél  »  à  laquelle,  ainsi  qu'on  l'a  justement  remarqué,  les  circonstances 
prêtaient  une  trop  regrettable  actualité.  M.  Gogny  a  fort  bien  chanté  l'air 
dfOi-phée.  La  place  nous  manque  et  pourtant  il  faut  constater  le  grand 
plaisir  qu'a  fait  la  reprise  de  la  Ronde  des  songes,  l'une  des  plus  séduisantes 
pairtitions  de  M""  de  Grandval  sur  l'un  des  plus  jolis  poèmes  de  M.  Païul 
Collin  et  dont  le  succès  est  toujours  sur.  M'"^  Leroux-Ribeyre  en  a  inter- 
prété les  gracieux  soli  avec  infiniment  de  charme.  Enfin,  de  superbes 
fragments  du  Requiem  de  Verdi,  deux  chœurs  tout  à  fait  réussis  de 
W"  Cha;rainade  et,  dans  un   intermède,  le  cor  magique  de  M.  Brémond, 


ont  brillamment  complété  le  programme  de  cette  soirée,  par  laquelle  des 
éloges  sans  restriction  sont  dus  aux  impeccables  et  élégants  choristes 
mondains  si  bien  dirigés  par  M.  Maton.  Remv  Doré 

—  Société  nationale.  —  Nous  avons  rendu  compte  dans  le  dernier 
numéro  de  l'exécution  de  la  Cantate  de  Pâques,  de  Bach,  donnée  au  concert 
avec  chœur  et  petit  orchestre,  salle  Erard,  le  samedi  9  mars.  Au  même 
concert,  outre  un  concerto  du  même  Bach  et  deux  morceaux  de 
M.  G.  Fauré,  exécutés  avec  un  excellent  style  par  une  jeune  pianiste, 
M'"  Ten  Ilave,  on  a  entendu  pour  la  première  fois  un  Hymne  rédigue,  de 
M.  Ernest  Chausson,  sur  une  poésie  de  Leconte  de  Lisle,  composition 
chorale  d'une  large  envergure  et  par  moment  d'un  très  grand  caractère  ; 
kl  Nativité,  de  M.  Paul  Vidal,  musique  de  scène  du  mystère  de  M.  Mau- 
rice Bouchor,  qui  a  obtenu  un  si  grand  succès  cet  hiver  au  théâtre  des 
marionnettes  :  transportée  au  concert,  elle  n'a  pas  produit  une  moins 
bonne  impression;  les  parties  chorales  y  ressortent  très  clairement  (le 
chœur  final,  avec  la  berceuse  de  la  Vierge,  est  vraiment  d'un  bien  joli 
sentiment  et  d'une  forme  charmante  dans  sa  simplicité);  on  aurait  pu 
seulement  supprimer  quelques  morceaux  de  musique  de  scène,  qui  n'ont 
pas  beaucoup  d'importance  et  paraissaient  trop  nombreux  ;  enfin  une 
mélodie  de  César  Franck,  et  le  Chant  de  Blancheflor,  complainte  gothique, 
par  M.  de  Polignac,  composition  qui,  bien  que  la  forme  n'en  apparaisse 
pas  très  nettement  à  la  première  audition,  n'est  pas  sans  caractère. 
M"'=  Leroux-Ribeyre  l'a  chanté  avec  beaucoup  de  charme  et  de  talent, 
comme  elle  avait  fait  déjà  pour  les  soli  de  la  Nativité,  où  elle  était  remar- 
quablement secondée  par  M""  Lavigne.  Aux  séances  précédentes,  dont 
nous  avons  négligé  de  rendre  compté,  il  n'y  a  guère  eu,  en  fait  de  nou- 
veautés, que  des  œuvres  d'une  importance  secondaire;  signalons  seule- 
ment un  quatuor  remarquable  de  forme  et  sérieusement  pensé,  de 
M.  Ch.  Lefehvre,  un  Préltide  et  fugue  pour  instruments  à  cordes,  de 
M.  E.  Mourant,  deux  mélodies  de  M.  Wiernsberger,  et  difl'érents  morceaux 
religieux  de  MM.  L.  Husson,  Gh.  Bordes,  E.  Chausson,  Samuel  Rousseau, 
Fauré  et  P.  de  Bréville  :  ces  derniers  ont  été  exécutés  dans  une  séance 
de  musique  religieuse  donnée  à  l'église  Saint-Gervais.  séance  dont  le 
morceau  capital  a  été  le  Psaume  d'Alexis  du  Castillon,  le  même  dont 
M.  Louis  Gallet  parlait  récemment  dans  ce  journal  au  cours  de  ses  inté- 
ressantes Notes  d'un  librettiste.  C'est,  en  effet,  une  fort  belle  composition 
oui  mériterait  d'être  entendue  intégralement  (on  n'avait  pas  pu  en  don- 
ner le  finale,  trop  compliqué  pour  les  ressources  de  la  Société)  et  devant 
un  public  plus  étendu,  car  c'est  certainement  une  œuvre  qui  compte 
parmi  celles  qui  font  le  plus  d'honneur  à  notre  école  française.  —  J.  T. 

—  Jeudi  prochain  26  mars  (jeudi  saint)  à'  i  heures  et  demie  aura  lieu  à 
l'église  Saint-Gervais  une  audition  du  Stabat  mater  à  double  chœur  de 
Palestrina  et  du  Miserere  d'AUegri,  deux  vieux  chefs-d'œuvre  que  l'on 
n'entend  plus  jamais,  même  en  Italie.  Les  deux  chœurs,  placés  sur  deux 
tribunes  de  chaque  côté  de  la  nef,  seront  dirigés  par  MM.  Charles  Bordes, 
maître  de  chapelle  de  Saint-Gervais,  et  Julien  Tiersot. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  ('IS  mars).  —  Après  un  repos 
mérité,  la  Monnaie  vient  de  reprendre  la  série  interr.impue  des  représen- 
tations de  Siegfried;  et,  à  cette  occasion,  de  fortes  coupures  ont  été  opérées, 
notamment  dans  le  rôle  de  Wotan.  Je  serais  bien  curieux  de  savoir  ce 
qu'en  pensent  les  xvagnérions.  Lundi,  nous  aurons  la  reprise  d'Obéron,  qui 
n'a  plus  été  jouée  depuis  six  ans,  et,  bientôt  après,  une  reprise  de  Mireille 
avec  M"'  Sanderson.  Ce  sera  le  dernier  rôle  que  chantera  la  gracieuse 
Américaine,  avant  de  nous  quitter  pour  Paris,  où  l'attend  son  engagement 
à  l'Opéra,  ou  plus  probablement,  nous  assui-e-t-on,  à  l'Opéra-Gomique  : 
car  rien  n'est  encore,  paraît-il,  tout  à  fait  décidé  à  ce  sujet.  Pour  la  rem- 
placer la  direction  a  engagé  M""  Eames,  qui  retrouvera  certainement  à  la 
Monnaie,  l'an  prochain,  le  succès  qu'elle  a  trouvé  à  ses  débuts  à  l'Opéra 
de  Paris.  EL  puisque  j'en  suis  à  vous  parler  de  départs  et  d'engagements 
j'ajouterai,  parmi  ceux  qui  s'en  vont,  M.  Bouvet,  qui  sera  particulière- 
ment regretté  et  que  remplacera  probablement  M.  Seguin,  un  ancien  et 
excellent  pensionnaire  de  la  Monnaie,  M"'  Nardi  et  M""  Archainbaud  ;  et 
parmi  ceux  qui  nous  resteront,  M""=  de  Nuovina,  M"'  Gan-ère,  MM.  Lafarge 
Badiali  et  Sentein.  Ce  sont  là  les  premiers  renseignements  connus  sur  ce 
que  sera  la  troupe  de  l'année  prochaine  et  ils  sont  inédits.  L.  S. 

—  Avec  un  retard  de  cinq  années,  provenant  d'une  foule  de  difficultés 
de  toutes  sortes,  on  vient  enfin  de  célébrer  à  Venise  le  second  centenaire 
de  l'illustre  Benedetto  Marcello,  né  en  cette  ville  le  24  juillet  1686.  A  cette 
occasion  on  a  donné  un  grand  concert  dont  le  programme  était  exclusive- 
ment composé  d'œuvres  du  vieux  maître,  à  l'exception  d'une  composition 
en  écrite  son  honneur  par  M.Rieginaldo  Grazzini  sur  des  vers  de  M.  Pelle- 
grinoOreffioe;/nno-Con(a(nBe(ie(totoajl/arceHo.Voici  quel  était  ce  programme 
Chœur  à  quatre  voix,  avec  piano  et  instruments  à  cordes;  duetto  pour 
soprano  et  contralto  ;  i"  sonate  (en  sol  mineur)  pour  piano  et  violon  ; 
X'  psaume  (In  domino  confido)  à  quatre  voix  et  soli;  i"  concerto  à  cinq 
instruments  (premier  et  second  violon,  alto,  violoncelle  et  piano);  Et  incur- 


LE  MENESTREL 


95 


I 


natus,  chœur,  et  soli  de  soprano  et  contralto,  ténor  et  basse,  avec  orgue  ; 
enfin,  ariette  pour  soprano  de  la  Sérénade  à  trois  voix  avec  intruments  à 
cordes  et  piano.  On  a  applaudi  dans  la  partie  vocale  M""'*  Biliotti,  Ban, 
Décima,  Paduan,  Svicher  et  Nisetti,  MM.  Gremonini  et  Gromberg,  dans  la 
partie  instrumentale  MM.  Tirindelli,  Dini,  Giarda,  Lancerotto  et  Piermar- 
tini.  Les  chœurs  comprenaient,  avec  les  élèves  du  Lycée  musical  Mar- 
cello et  de  nombreux  choristes  de  profession,  beaucoup  d'amateurs  des 
deux  sexes.  On  a  surtout  accueilli  comme  une  œuvre  sublime  le  concerto 
à  cinq  instruments,  d'ailleurs  merveilleusement  exécuté.  Tout  ce  qu'il  y 
avait  de  plus  riche,  dit  un  journal,  de  plus  intelligent,  de  plus  beau  à 
Venise,  a  tenu  à  honneur  d'assister  à  cette  superbe  manifestation  artis- 
tique, dont  le  succès  a  été  tel  qu'on  a  dû  redonner  ce  concert  quelques 
jours  après  et  qu'une  troisième  audition  paraissait  probable. 

—  Le  Théâtre  National  de  Rome  prépare  pour  sa  prochaine  saison  de 
printemps  la  représentation  d'un  ouvrage  nouveau,  le  Nozze  in  prlgionc, 
opéra  bouffe  de  M.  Usiglio.  Parmi  les  autres  ouvrages  inscrits  au  réper- 
toire, on  cite  il  Turco  in  Italia,  opéra  aujourd'hui  bien  oublié  de  Rossini, 
le  Domino  noir  d'Auber,  Tutti  in  Maschera  de  Pedrotti,  les  Joyeuses  Commères 
(te  Windsor,  de  Nicolaï,  et  Dinorali  (le  Pardon  de  Ploërmel). 

—  Les  Italiens  ont  décidément  de  singuliers  sujets  de  ballets.  Au  Po- 
liteama  de  Naplès,  on  en  prépare  un  grandiose,  sous  ce  titre:  le  Débarque- 
ment  de  Garibaldi  à  Marsala.  Tout  le  personnel  de  la  troupe  sera  employé 
dans  cet  ouvrage,  et  on  lui  adjoindra  encore  2i  coryphées,  100  comparses 
et. ..  20  chevaux. 

—  Dépêche  de  Vienne:  Première  CaufiHei'M  rusticana  de  Mascagni  à  l'Opéra 
impérial.  Succès  retentissant.  Salle  comble.  L'Empereur  et  toutes  les  nota- 
bilités de  l'aristocratie,  des  arts  et  de  la  critique  assistaient  au  spectacle. 

Orchestre  parfait.  Interprétation  excellente. 

—  Nous  avons  annoncé  il  y  a  quelque  temps  que  M.  Hans  de  Bûlow 
avait  reçu  d'un  groupe  d'amis  et  d'amirateurs,  à  l'occasion  de  son  soixan- 
tième anniversaire,  un  don  de  dix  mille  marks  avec  la  prière  d'en  disposer 
dans  un  but  utile  à  l'art  musical.  Le  maître  a,  lui-même,  chargé  son  ami 
le  docteur  Chrysander  de  rechercher  le  meilleur  emploi  à  faire  de  cette 
somme,  et  voici  ce  qui  a  été  décidé  :  il  sera  affecté  2,-500  marks  à  la  re- 
production phototypique  de  la  partition  autographe  du  Messie,  ce  prodige 
de  composition,  accompli  en  vingt-trois  jours  ;  les  7.S0O  marks  restant 
seront  employés  à  l'achat  d'instruments  de  musique  des  dix-septième  et 
dix-huitième  siècles,  destinés  à  être  offerts  au  musée  de  Hambourg.  Dans 
l'esprit  du  donateur,  ces  instruments  devront  être  choisis  en  vue  d'être 
réunis  en  groupes  pouvant  servir  à  illustrer  l'histoire  de  la  musique  dans 
les  principaux  pays  pendant  les  deux  derniers  siècles. 

—  Le  Gonservatoire  de  Vienne  vient  de  fêter  dignement  le  centenaire 
de  la  naissance  de  Charles  Czerny,  le  célèbre  pianiste,  né  à  Vienne  le 
21  février  1791.  L'administration  du  Gonservatoire  s'était  adjoint,  pour  les 
soins  de  l'organisation  du  centenaire,  la  Société  Czerny  et  la  Société  des 
amis  de  la  musique.  Les  meilleurs  élèves  du  Gonservatoire  ont  pris  part  à 
la  séance  donnée  dans  la  soirée  et  consacrée  exclusivement  aux  œuvres 
de  Czerny.  Un  discours  a  été  prononcé  par  M.  Mandyczweski,  archi- 
viste du  Conservatoire.  On  sait  que  Czerny  a  publié  plus  de  huit  cent 
cinquante  ouvrages,  qui  sont  pour  la  plupart  des  collections  d'études  ou 
exercices  pour  piano.  Et  dans  ce  chiffre  ne  sont  pas  comprises  ses  nom- 
breuses compositions  non  classées  faute  de  numéros  d'œuvres.  Le  secret 
de  cette  activité  vraiment  phénoménale,  Czerny  l'expliquait  lui-même 
dans  cette  simple  déclaration  dont  se  souviennent  ses  familiers  des  der- 
nières années  :  «  Du  plus  loin  que  vont  mes  souvenirs,  j'ai  toujours 
donné  douze  heures  de  leçons  par  jour;  je  consacrais  régulièrement  quatre 
heures  à  la  composition,  une  heure  à  la  lecture,  une  heure  aux  repas  et 
six  heures  au  sommeil  ».  En  d'autres  termes,  c'est  dans  le  don  de  savoir 
organiser  son  temps  que  réside  l'art  de  produire  beaucoup. 

—  C'est  les  17,  18  et  19  mai  prochain,  à  Aix-la-Chapelle,  qu'aura  lieu 
•cette  année  le  festival  rhénan  de  la  Pentecôte, sous  la  direction  de  M.Schuoh , 
maître  de  la  chapelle  du  roi  de  Saxe,  et  de  M.  Schwickerath,  directeur  de 
musique  à  Aix-la-Chapelle.  Les  solistes  seront  :  M"^"  Pia  van  Sicherer  (so- 
prano), de  Munich,  "M™  Wirth  (contralto),  de  Cologne,  MM.  Von  Zur 
Mûhlen  (ténor),  Birrenkoven  (fort  ténor),  et  Perran  (basse  chantante)  ;  enfin 
ile  pianiste  Eugène  d'Albert.  Voici  la  composition  définitive  du  programme 
des  trois  journées  :  1<"'  jour  :  Symphonie  en  ut  mineur  (n"  S),  de  Beetho- 
ven ;  les  Saisons,  oratorio  d'Haydn;  — 2«  jour  :  concerto  pour  deux  orches- 
tres, de  Haendel;  concerto  de  piano  en  mi  bémol,  de  Beethoven,  par 
M.  Eugène  d'Albert;  scènes  tirées  du  Faust  de  Schumann  ;  —  3°  jour  :  ou- 
verture i'Obéron,  de  Weber  ;  syrhphonie  en  fa  majeur  (n"  3)  de  Johannes 
Brahms:  prélude  et  scène  finale  de  Tristan  et  Yseult,  de  Richard  "Wagner  : 
ouverture  du  Carnaval  romain,  de  Berlioz;  scènes  finales  des  Maîtres  chan- 
teurs, de  "Wagner;  divers  solos. 

—  Au  théâtre  Marie,  de  Saint-Pétersbourg,  pour  la  soirée  de  bénéfice 
d'une  charmante  danseuse.  M™»  Joukowa,  on  a  donnéla  première  représen- 
tation d'un  ballet  nouveau,  Cakabrino,  scénario  de  M.  Tschaïkowsky,  écri- 
vain distingué  et  frère  du  compositeur  de  ce  noip,  musique  de  M.  Minkous 
qui  tut  naguère,  à  Paris,  le  collaborateur  de  Léo  Delibes  pour  le  ballet  de 
laSowce.  Au  divertissement  de  cet  ouvrage,  M""  Joukowa  a  dansé  avec 
:un  très  grand  succès  une  mazurka  dont  la  musique,  indépendante  de  la 
partition,  est  due  à  M.  Kouznétsovi'. 


—  Ressuscitée  à  Paris  par  l'initiative  du  Cercle  funambulesque,  la 
pantomime  va-t-elle  faire  son  tour  d'Europe?  Voici  qu'on  annonce  la 
prochaine  apparition,  à  l'Alcazar  de  Bruxelles,  d'une  pantomime  inédite, 
l'Epreuve,  avec  musique  de  M.  Maurice  Lefèvre,  dont  les  deux  principaux 
rôles  seront  joués  par  M™  Leroy  et  M"=  Renée  Amond. 

—  A  Londres,  M.  d'Ogly  Carte,  le  directeur  du  nouveau  «  Royal-  English- 
Opera  »  vient  de  commander  trois  ouvrages  à  trois  compositeurs  anglais, 
M.  Goring  Thomas,  l'auteur  applaudi  d'ifsmeî'aida,  M  Frédéric  Gowen,  connu 
déjà  par  plusieurs  productions  importantes,  etM.IIamish  Mac  Gunn,  dont 
le  nom,  nous  semble-t-il,  est  moins  répandu  que  celui  de  ses  deux  con- 
frères. C'est  l'opéra  de  M.  Goring  Thomas  qui  doit  être  représenté  le  pre- 
mier, lorsque  disparaîtra  de  l'affiche  VIvanhoé  de  M.  Arthur  Sullivan. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Nous  avons  fait  connaître  les  noms  des  quatre  candidats  qui  se  pré- 
sentent pour  recueillir,  à  l'Académie  des  Beaux-Arts,  la  succession  du 
regretté  Léo  Delibes.  Le  classement  des  candidats  s'est  fait  dans  la  séance 
du  14  mars.  La  section  de  composition  musicale  a  présenté  :  en  pre- 
mière ligne,  M.  Ernest  Guiraud  ;  en  seconde  ligne,  ex  œquo,  MM.  Victorin 
Joncières  et  Paladilhe.  L'Académie  a  ajouté  à  ces  trois  noms  celui  de 
M.  Emile  Pessard.  C'est  dans  la  séance  d'hier  samedi  qu'on  a  dû  procéder 
à  l'élection. 

—  L'élection  des  jurés  du  concours  musical  de  la  Ville  de  Paris,  laissés 
au  choix  des  concurrents,  a  eu  lieu  à  l'Hôtel  de  Ville,  sous  la  présidence 
de  M.  Armand  Renaud,  inspecteur  en  chef  des  Beaux-Arts  et  des  travaux 
historiques,  délégué  de  M.  le  Préfet  de  la  Seine,  assisté  de  MM.  Boll, 
Longuet  et  Stupuy,  conseillers  municipaux.  Ont  été  élus  :  MM.  Guiraud, 
d'Indy,  Chabrier,  Th.  Dubois,  Massenet,  Widor,  Fauré  et  M"'°  Augusta 
Holmes,  membres  du  jury;  MM.  Benjamin  Godard,  Emile  Pessard,  Pala- 
dilhe et  P.  I-Iillemacher,  jurés  supplémentaires. 

—  Voici  les  dates  relatives  au  concours  de  composition  musicale  pour 
le  grand  prix  de  Rome.  Concours  d'essai  :  entrée  en  loges  le  samedi  9  mai; 
sortie  le  vendredi  15;  jugement  (au  Conservatoire),  le  samedi  16.  Concours 
définitif:  entrée  en  loges,  le  samedi  23  mai;  sortie  le  mercredi  17  juin; 
jugement  (à  l'Institut),  le  samedi  27  juin. 

—  La  pnopmÉTÉ  littéraihe  et  artistique.  —  Ainsi  que  nous  l'avons  an- 
noncé, une  importante  réunion  a  eu  lieu  cette  semaine  au  siège  de  la  Société 
des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques,  sous  la  présidence  de  M.  Camille 
Douoet.  Étaient  représentés  :  la  Société  des  gens  de  lettres,  par  MM.  de 
Moiiy,  Diguet  et  L.  Collas,  la  Société  des  auteurs  dramatiques,  par  MM.  L. 
Halévy,  V.  Joncières.  Paul  Ferrier,  V.  Sardou,  G.  Roger  et  Debry  ;  l'Asso- 
ciation internationale  littéraire  et  artistique,  par  MM.  J.  Lermina,  Pouillet, 
Bœtzmann  et  Henri  Lévéque  ;  l'Association  des  compositeurs  de  musique,  par 
MM.  Pradels,  Souchon  et  Darras  ;  l'Association  de  la  Presse  républicaine,  par 
MM.  Alphonse  Humbert,  Bertol-Graivil  et  Ch.  Henry;  le  Syndicat  des  édi- 
teurs, par  MM.  Templier,  Ollendorff,  Lavallée  et  Delalain.  —  Le  thème  de 
la  discussion  —  qui  n'a  pas  duré  moins  de  deux  heures  —  a  été  le  sui- 
vant :  les  tarifs  douaniers  qui  viennent  d'être  préparés  par  la  commission 
générale  des  douanes  et  qui  vont  être  bientôt  mis  en  discussion  devant  la 
Chambre  des  députés,  modifient  si  profondément  les  relations  économi- 
ques et  commerciales  que  la  France  entretient  avec  ses  voisins,  que  de 
tous  côtés  des  inquiétudes  se  manifestent  et  que  les  gouvernements 
étrangers  voient  leur  commerce  et  leur  industrie  tellement  menacés  qu'ils 
cherchent  par  quels  moyens  ils  pourront  non  seulement  se  défendre  mais 
encore  user  de  représailles  vis-à-vis  de  la  France.  Dans  ces  conditions,  il 
est  indispensable  de  grouper  toutes  les  forces  vives  de  la  littérature  et  des 
arts  pour  protester,  pendant  qu'il  en  est  temps  encore,  contre  un  courant 
qui  aura  pour  premier  résultat  de  faire  perdre  aux  écrivains  et  aux  édi- 
teurs, aux  compositeurs  et  à  tous  les  artistes  français,  les  avantages  si  la- 
borieusement et  si  péniblement  obtenus  au  point  de  vue  de  la  reconnais- 
sance de  la  propriété  littéraire  et  artistique.  Pour  arrêter  définitivement 
les  mesures  à  prendre  afin  de  sauvegarder  les  intérêts  littéraires  et  artis- 
tiques qui  sont  menacés,  la  réunion  a  décidé  qu'il  y  avait  lieu  de  réunir 
d'urgence  une  sous-commission  chargée  d'élaborer  une  note  qui  serait 
soumise  aux  pouvoirs  publics.. 

—  C'est  M.  Ernest  Guiraud  qui  a  bien  voulu  se  charger  du  soin  pieux 
d'achever  l'orchestration  de  Kassya,  l'œuvre  dernière  laissée  par  Léo  De- 
libes. Son  amitié  pour  le  cher  regretté  le  désignait  tout  naturellement 
pour  ce  travail  si  délicat,  et  nul  mieux  que  lui  ne  pouvait  entreprendre  de 
le  mener  à  bonne  fin.  M.Carvalho  se  préoccupe  beaucoup  de  l'achèvement 
prochain  de  cette  orchestration,  car  il  veut  faire  de  Kassya  l'œuvre  capi- 
tale de  sa  prochaine  saison  à  l'Opéra-Gomique. 

—  Fidelio  vient  de  reparaître  au  tableau  des  études  de  l'Opéra.  On 
attend  l'arrivée  prochaine,  à  Paris,  de  M.  Gevaert  pour  activer  les  der- 
nières répétitions  du  chef-d'œuvre  de  Beethoven,  que  l'on  pourra  en- 
tendre sans  désavantage,  même  après  les  représentations  du  Mage,  de 
M.  Massenet. 

—  A  rOpéra-Comique,  M.  Garvalho  procède  à  la  reconstitution  d'une 
troupe  que  M.  Paravey  avait  laissée  dans  un  singulier  état  de  délabre- 
ment. Le  différend  avec  M.  Renaud  est  clos  à  l'aide  d'une  transaction 
acceptée  des  deux  parts.  M.  Renaud  reste  acquis  à  FOpéra-Comîque  jus- 


96 


LE  MÉNESTREL 


qu'à  la  fin  de  la  saison.  M.  Bouvet,  l'excellent  baryton,  est  engagé  à 
nouveau,  de  même  la  charmante  M"""^  Degrandi.  dont  on  regrettait  de 
ne  plus  voir  le  charmant  visage.  Nouveaux  engagements  probables  :  ceux 
de  M"»  Merguillier  et  du  ténor  Lubert.  On  parle  aussi  de  M"«  Samé  et  de 
M'ue  Thuillier-Leloir.  D'autres  surprises  nous  sont  encore  réservées. 
M"°  Vuillaume  fera,  avant  qu'il  soit  longtemps,  son  début  dans  Mireille. 

—  Voici  des  renseignements  sur  la  pantomime  de  Néron,  dont  la  pre- 
mière représentation  à  l'Hippodrome  est  fixée  au  samedi,  veille  de  Pâques. 
M.  E.  Lalo  a  écrit  une  partition  spéciale  pour  cette  pantomime,  qui  com- 
porte trois  grands  tableaux.  1"  tableau  :  le  Palais  d'or  de  Néron  ;  mort 
de  Britannicus;  l'Orgie  (ballet).  2=  tableau  :  Le  Cirque,  Combats,  etc.  (C'est 
dans  ce  tableau  que  devait  avoir  lieu  la  scène  des  combats  de  lions  qui 
se  trouve  supprimée  momentanément  par  suite  de  l'accident  arrivé  à  l'une 
des  répétitions).  3=  tableau  :  Le  Forum;  mort  de  Néron;  entrée  des  légions 
victorieuses  de  Galba.  L'orchestre  symphonique  compte  près  de  200  musi- 
ciens. Les  chœurs,  dirigés  parM.  Marty,  ont  une  importance  considérable. 
Le  ballet,  composé  et  réglé  par  M.  Danesi,  comporte  90  danseuses.  On  dit 
des  merveilles  de  la  mise  en  scène,  costumes  et  décors. 

—  M.  Pierre  Tschaïl^owsky,  le  célèbre  compositeur  russe,  est  attendu 
ces  jours-ci  à  Paris,  d'où  il  se  rendra  très  prochainement  à  New- York,  où 
il  est  attendu  pour  l'inauguration  d'une  nouvelle  salle  de  concerts.  Tou- 
tefois, pendant  son  séjour  ici,  M.  Tschaïlcowsky  fera  entendre,  le 
S  avril,  au  concert  du  Chàtelet,  plusieurs  de  ses  œuvres,  dont  il  dirigera 
lui-même  l'exécution. 

—  M.  Gunzborg,  l'étincelant  directeur  du  théâtre  municipal  de  Nice, 
paie  de  sa  personne  sur  son  propre  théâtre.  Il  vient  d'y  jou;t,  non  pas 
Arnold  de  Guillaume  Tell  ou  Raoul  des  Huçjuenots,  mais  bien  Gaspard  des 
Cloches  de  Comeville  et  Pontsablé  de  Madame  Favart.  Voilà  qui  est  bien  pour 
un  futur  directeur  de  notre  Opéra!  On  sait  que  M.  Gunzborg  pose,  sans 
rire,  sa  candidature  à  la  direction  de  l'Académie  nationale  de  musique. 
Il  saurait  assurément  en  varier  et  en  égayer  le  répertoire. 

—  Le  jeudi  et  le  samedi  saints  de  cette  semaine,  on  donnera  à  l'Opéra- 
Gomique  deux  auditions  du  Requiem  de  Verdi,  interprété  par  M""*  Simon- 
net  et  Risley,  MM.  Gibert  et  Fournets.  M"'  Risley,  qui  prête  gracieusement 
son  concours  à  M.  Carvalho,  est  un  des  plus  brillants  contralti  qui  soient 
sortis  de  la  classe  de  M""  Marchesi;  elle  doit  chanter  à  Londres,  cette 
saison,  au  théâtre  de  Covent-Garden. 

—  Le  bel  oratorio  de  M.  Théodore  Dubois,  les  Sept  Paroles  du  Christ,  sera 
exécuté  simultanément  à  Paris,  le  vendredi  saint,  dans  les  églises  suivantes 
la  Madeleine,  Saint-Augustin,  Saint-François-de-Sales,  Saint-Louis-Saint- 
Paul  et  Saint-Pierre  de  Chaillot.  En  même  temps  beaucoup  d'exécutions 
du  même  ouvrage  auront  lieu  en  province,  notamment  à  Nantes,  sous  la 
direction  personnelle  de  l'auteur,  à  Reims,  à  Dole,  à  Cette,  etc. 

—  Le  jour  de  Pâques,  à  l'église  Saint-Eustache,  aura  lieu  la  première 
exécution  de  la  Jfose  de  la  Résurrection  de  M.  Félix  Godefroid,  dirigée  par 
M.  Jules  Steenman.  Soli  par  MM.  Giampi  et  Bermont  ;  à  l'Offertoire 
l'Hymne  au  Seigneur,  pour  10  harpes  et  tous  les  violoncelles. 

—  Aujourd'hui,  dimanche  des  Rameaux,  M.  Georges  Blondel,  maître 
de  chapelle  à  Saint-Jacques-du-HautPas,  fera  entendre  en  cette  église,  à 
8  heures  et  demie  et  à  11  heures,  la  musique  qu'il  a  composée  pour  les 
vingt  tutti  du  chant  de  la  hassion  de  Saint  Mathieu. 

—  Vendredi  saint,  à  une  heure,  aura  lieu  à  Saint-Eustache  l'exécution 
du  Stabat  Mater  de  Rossini.  L'orchestre  et  les  chœurs  sous  la  direction  de 
M.  Steennman,  maître  de  chapelle.  M.  Rémy  exécutera,  après  l'allocution 
pastorale,  une  Contemplation  pour  violon  principal  et  orchestre  de  la  com- 
position de  M.  Dallier.  Cette  même  Contemplation  sera  exécutée  en  l'église 
de  Saint-Mandé,  le  même  jour,  par  les  soins  de  M.  Ribey. 

—  Le  bal  ^nnuel  au  bénéfice  de  l'Association  de  secours  mutuels  des 
artistes  dramatiques,  fondée  il  y  a  cinquante  ans  par  M.  le  baron  Taylor, 
aura  lieu  dans  la  salle  du  grand  Opéra,  le  samedi  M  avril. 

—  C'est  du  Nord  aujourd'hui  que  nous  vient...  la  décentralisation.  Nous 
en  avons  deux  essais  à  enregistrer  coup  sur  coup.  A  Dunkerque,  c'est 
l'apparition,  le  o  mars,  d'un  opéra-comique  en  un  acte,  le  Triomphe  des 
cryptogames,  joué  par  MM.  Simon  et  Noël,  M°"s  Vaillant  et  Simon,  et 
dont  la  musique  est  due  à  un  amateur  de  la  ville,  M.  Herprech.  A 
Douai,  c'est  la  représentation  d'une  œuvre  d'un  genre  plus  sérieux, 
David,  drame  biblique  en  un  acte,  musique  d'un  compositeur  douaisien, 
M.  Charles  Duhat,  chanté  par  M"'  Derville,  MM.  Gluck  et  Miranda.  la 
partie  chorale  étant  confiée  aux  orphéonistes  de  Douai. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Le  concert  donné  par  M"=  Caroline  de  Serres  (Montigny-Rémaury)  à 
la  salle  Erard,  au  profit  de  l'Association  des  Dames  françaises,  aura  été, 
sans  contredit,  l'un  des  plus  brillants  de  la  saison.  Outre  l'éminente  pia- 
niste, dont  les  brillantes  qualités  de  style  et  d'exécution  ont  soulevé, 
chaque  fois  qu'elle  a  joué,  les  applaudissements  d'un  auditoire  nombreux 
et  choisi,  on  a  entendu  M.  Taffanel,  le  merveilleux  flûtiste,  qui  s'est  révélé 
aussi  excellent  chef  d'orchestre  en  conduisant  diverses  pièces,  parmi  les- 


quelles la  ballade  et  le  thème  slave  de  Coppélia,  M.  White,  le  très  brillant 
violoniste,  et  enfin  M.  Coquelin  aîné  dans  deux  monologues  dits  avec  la 
maestria  qu'on  lui  sait. 

—  Les  conférences-cours  que  fait  à  l'institut  Rudy  l'excellent'professeur 
de  chant  M'""  Lafaix-Gontié  vont  être  clôturées  le  vendredi  saint  par 
une  séance  de  musique  religieuse,  où  l'on  entendra,  entre  autres  morceaux, 
la  belle  mélodie  de  Faure  :  Espoir  en  Dieu,  M""  Lafaix-Gontié  se  consa- 
crera ensuite  à  la  préparation  de  la  matinée  d'élèves  qu'elle  donne  annuel- 
lement salle  Erard  et  qui  est  toujours  si  brillante. 

—  Jeudi  prochain,  26  mars,  salle  Erard,  concert  de  M.  Rodolphe  La- 
vello,  avec  le  concours  de  M"''  Lyven,  de  l'Opéra-Gomique,  de  MM.  Jo- 
seph White,  Léon  Delafosse,  Ranchini  et  Jean  Bretan. 

—  Soirées  et  CoxcEnTS.  —  M""  Barbier-Jussy  vient  de  donner  une  très  intéres- 
sante audition  de  ses  élèves.  Maître  et  disciples  ont  été  maintes  fois  l'objet  des 
applaudissements  flatteurs  d'uQ  public  nombreux.  Parmi  les  morceaux  les  plus 
goûtés,  citons  :  Vahc-sérénade  de  M.  Antotiin  Marmoutel,  .iti'  ingarese  et 
2°  Gavotte  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  Mazurke  éolienne  de  M.  Théodore  Lack, 
Ballet  des  Nymphes  de  M.  Ed.  Ghavaguat,  Valse  de  M""  M.  Jaël,  Marche  cosaque  à 
quatre  mains  de  M.  G.  Mathias,  Jonglerie  de  M.  B.  Godard,  et  enfin  les  belles 
Variations  pour  deux  pianos  de  M.  R.  Fisebhof.  —  M.  Baume,  l'excellent  professeur 
de  musique  et  le  père  du  brillant  premier  prix  de  piauc  du  Conservatoire,  avait 
convié  lout  dernièrement  la  haute  société  de  Toulon  à  une  audition  de  ses 
élèves  qui  a  pleinement  réussi  et  démoatré  Texcellence  de  son  enseignement. 
Od  y  a  fort  applaudi  la  Romance  de  Rubinstein,  Sclierzetto,  Pulcinella  et  Valse 
mineure  de  M.  Raoul  Pugno,  VaUc-S'-réa^id'',  â"  Scherzo,  Intermezzo  et  Scher- 
zello  de  M.  Anlonin  Marmontel,  la  fantaisie  sur  les  Noces  de  Figaro  de  M.  Ch. 
Neustedt,  très  bien  interprétés  par  de  jeunes  pianistes  au  jeu  sûr  et  élégant.  — 
La  matinée  de  M"  MUlet-Fabreguettes,  qui  a  eu  lieu  salle  Pleyel,  a  été  très 
brillante  ;  des  élèves  artistes  se  sont  fait  virement  applaudir,  principalement  dans 
la  valse  de  Coppélia.  les  Chasseresses  de  SijliMa,  et  la  marche  danoise  d^Homtet,  ces 
deux  derniers  morceaux  joués  à  deux  pianos,  et  dans  le  joli  chœur  des  Vendan- 
geuses de  Jean  de  Nivelle,  très  bien  dirigé  par  M.  Fournier-Alix.  M""  Conneau, 
M""  du  Minil,  MM.  P.  LaugLer  et  Parent  prêtaient  leur  brillant  concours. 
—  Signalons  aussi  deux  très  brillantes  matinées  données  l'une  par  M'"^ 
Chené,  professeur  au  Conservatoire,  dans  laquelle  on  a  entendu  entre  autres 
morceaux.  Danse  des  lutins  de  M.  Th.  Dubois,  Valse  rapide  et  Chant  d'avril  de 
M.  Th.  Lack,  Valse  de  concert  de  M.  L.  Diémer,  Caprice  badin,  Valse  lente  de 
M.  R.  Pugno  et  Autrefois  et  .1»  malin  de  M.  Anlonin  Marmnntel  ;  l'autre  par 
M""  Ducatel-Lévj',  entièrement  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Th.  Lack,  parmi 
lesquelles  nous  avons  tout  particulièrement  remarqué  Premier  solo  de  concours, 
Mimietto  en  si  mineur,  Myosotis,  Valse  de  la  main  gauche,  Tzigamji,  l'Oiseau-mouche, 
Chant  d'avril,  Cloches  lointaines  et  Mazurke  éolienne.  —  Les  conférences-cours  de 
M""°  Lafaix-Gontié,  à  l'institut  Rudy,  sont  de  plus  en  plus  suivies  par  un  très 
nombreux  auditoire,  très  attentif  aux  excellentes  analyses  fdites  sur  les  mélodies 
chanléea.  A  la  dernière  réunion, M"°  Vételet  et  M""  Girard  ont  fait  entendre  avec 
succès  des  compositions  de  MM.  Maréchal,  Lefebvre,  A.  Duvernoy,  La  terre  a 
mis  sa  robe  blanche  de  M.  Th.  Dubois,  Vous  ne  m'avez-  jamais  souri  de  M.  G.  Ver- 
dalle,  Si  l'amour  prenait  racine  de  M.  Balthasai -Florence,  etc.,  très  judicieuse- 
ment commentées  par  M""^  Lafaix-Gontié.  —  M"'  Riquier,  une  des  bonnes 
élèves  de  M.  G.  Malhias,  vient  de  donner  une  séance  musicale  au  cours  de 
laquelle  elle  s'est  montrée  fort  habile  pianiste.  Parmi  les  compositions  portées 
au  programme  et  si  brillamment  interprétées  figuraient  le  Concerto  et  plusieurs 
intéressantes  pièces  de  M.  G.  Mathias,  la  charmante  et  spirituelle  Valse  caprice  sur 
des  thèmes    de  Strauss  de  M.  I.  Pbilipp,  et  un  joli  presto  de  M.  P,  Fournier. 

NÉCROLOGIE 

M.  Ghennevières,  un  jeune  ténor  qui  appartenait,  il  y  a  quelques 
années,  à  la  troupe  de  l'Opéra-Gomique,  venait  de  débuter  au  théâtre  de 
Montpellier.  Mercredi  matin,  on  l'a  trouvé  mort  dans  sa  chambre.  M.  Ghen- 
nevières avait  été  vu,  la  veille,  en  parfaite  santé.  On  trouvera  peut-être 
l'explication  de  cette  mort  subite  daùs  ce  fait  que  l'artiste  débutant  venait 
d'être  refusé  par  le  public. 

—  Un  violoniste  de  grand  talent,  M.  Albert  Courtois,  vient  de  mourir  à 
Saint-Quentin.  Sa  virtuosité  y  fut  toujours  très  appréciée,  et  cet  artiste 
distingué  ne  voulut  jamais  d'autres  succès.  Il  se  contenta  do  vivre  et  de 
mourir  au  milieu  de  ses  concitoyens. 

—  On  annonce  la  mort,  à  Munich,  du  baryton  Kindermann,  l'un  des 
plus  illustres  chanteurs  de  l'Allemagne.  Né  en  1817,  il  avait  débuté  en 
1836,  à  Berlin,  dans  les  chœurs;  le  compositeur  Lachner  l'y  distingua  et 
lui  fit  chanter  un  grand  rôle  pour  la  première  fois  à  Munich,  C'est  là  qu'il 
a  fait  toute  sa  carrière,  chantant,  dans  l'espace  de  cinquante  ans,  près  de 
cent  cinquante  rôles.  Il  avait  paru  plus  de  trois  mille  fois  sur  la  scène. 
En  1886,  on  fêta  son  cinquantenaire  de  chanteur.  Depuis  il  tint  encore, 
pour  son  plaisir,  quelques  petits  rôles,  tels  que  celui  de  Titurel,  dans  Par- 
sifal,  à  Bayreuth  :  puis  il  se  retira  définitivement. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


NICE.  —  GRAND  OPÉRA  FRANÇAIS 

La  direction  de  l'Opéra  de  Nice  est  vacante 
Adresser  les  propositions  à  M.  Le  Maire 


3130 


57-  AWE  —  I\°  13. 


Dimanche  29  Itlars  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henhi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aboniieraenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIEE- TEXTE 


L  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  2«  partie  (2«  article),  Albert  Souries  et 
Charles  Malherre.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Nch-on,  à  l'Hippodrome,  H.  M.; 
première  représentation  de  l'Onde  Célesiin,  aux  Menus-Plaisirs,  reprises  àe 
Coquin  de  printemps,  aux  Nouveautés,  et  de  la  Boule,  au  Falais-Royal,  Paul- 
Emjle  Chev.alier.  —  III.  Napoléon  dilettante  (1"  article),  Edmond  Neukomm  et 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  lenuméro  de  ce  jour: 
CHANT    D'AVRIL 
de   Théodore  L.4CK.   —   Suivra  immédiatement:  Gititarc,  pièce  extraite  de 
Conte  d'avril,  musique  de  Ch.-M.  Widor. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Faut-il  chanter?...  dernière  mélodie  de  Léo  Déliées,  poésie  du 
V"î  DE  BoRRELLi.  —  Suivra  imniédiatement:  Le  meilleur  moment  des  amours, 
mélodie  de  Léo  Delidiîs,  poésie  de  Sully- Prudiiomme. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOXJBIES    et'Cliarles    MALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX   ANNÉES   CRITIQUES    (1860-1861) 

(Suite.) 

L'attente  est,  du  reste,  un  mal  ordinaire  o,t  traditionnel  au 
théâtre;  Rila  ou  le  Mari  battu  en  fournirait  un  exemple,  puisque 
ce  petit  acte  avait  été  reçu  par  Crosnier  quelque  seize  ans 
auparavant.  Bisset  avait  succédé  à  Crosnier,  Perrin  à  Basset; 
entre  temps,  l'auteur  était  mort,  et  ce  fut,  en  quelque  sorte, 
une  exhumation  dont  s'avisa  Roqueplan,  lorsqu'il  monta  cet 
ouvrage  qui  semblait  oublié.  La  légende  voulait  que  Donizetti 
l'eût  improvisé  en  une  semaine,  tour  de  force  que  sa  facilité 
naturelle  rendait  bien  possible,  et  qu'il  accomplissait  après 
tant  d'autres  émules,  Rossini,  Halévy,  Adam,  etc.  Des  néces- 
sites de  combinaisons  de  spectacles  en  avaient  d'abord  relardé 
la  mise  à  l'étude;  puis  la  maladie  était  venue;  Donizetti  avait 
quitté  la  France,  et,  à  sa  mort,  ses  papiers  se  trouvèrent  mis 
sous  scellés.  Les  héritiers  consentirent,  non  sans  peine,  à 
livrer  le  manuscrit  à  Perrin;  enfin,  Roqueplan  fit  sonner 
l'heure    de    l'exécution,    après   avoir  constitué   un   véritable 


jury  qui  eut  mission  de  coDstater  l'authenticité  de  la  parti- 
tition.  Munie  de  son  certificat,  fiila  parut  enfin  le  7  mai  1860 
et  fit  applaudir  un  livret  que  son  auteur,  Gustave  Waëz  (de 
son  vrai  nom  Van  Nieuwenhuisen),  avait  établi  assez  gaie- 
ment. Rita,  l'aubergiste,  avait  un  premier  mari  qui  la  battait; 
elle  en  prend  un  second,  qu'elle  bat;  mais  le  premier,  qu'on 
croyait  mort  en  un  lointain  voyage,  reparait,  et  la  malheu- 
reuse se  trouve  entre  deux  époux,  dont  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
se  soucie  plus  de  mariage.  Il  faut  qu'elle  s'engage  à  ne  plus 
frapper,  et  le  second  consent  à  demeurer,  tandis  que  le  pre- 
mier s'éloigne  pour  offrir  son  cœur  et  sa  main  à  certaine 
étrangère  qu'il  a  rencontrée  au  cours  de  ses  pérégrinations. 
Le  principal  rôle  était  confié  à  M™  Faure-Lefebvre,  qui  s'y 
montra  charmante,  comme  toujours,  si  l'on  en  juge  d'après 
ce  compliment  que  lui  adressa,  au  lendemain  de  la  première, 
un  critique  influent  :  «  Nous  n'avons  remarqué  qu'une  grosse 
invraisemblance  dans  cette  pièce  :  c'est  que  deux  hommes, 
assez  heureux  pour  avoir  épousé  M™  Faure-Lefebvre, 
veuillent  tous  deux  la  quitter  :  ce  n'est  pas  admissible.  »  La 
partition  fut,  comme  l'interprète,  l'objet  d'un  enthousiasme 
feint  ou  réel  parmi  quelques  critiques;  Scudo,  en  particulier, 
la  proclamait  un  chef-d'œuvre.  Sans  aller  jusqu'à  ce  mot, 
on  pourrait  supposer  qu'elle  contenait  une  certaine  dose  de 
vitalité,  puisqu'elle  fut  l'objet  d'une  reprise,  après  dix-neuf 
ans  d'interruption,  lorsqu'en  1879,  sous  la  direction  Martinet 
et  Husson,  la  Gaité  avait  pris  le  nom  d'Opéra-Populaire  ;  ses 
interprètes  s'appelaient  alors  Raoult,  Reynold  et  M""  Angèle 
Legault.  Rita  n'avait  eu  que  dix-huit  représentations  à  sa 
naissance;  elle  en  eutving-sixà  sa  réapparition.  La  différence 
n'était  pas  assez  sensible  pour  faire  admettre  qu'elle  eût  beau- 
coup gagné  en  vieillissant. 

A  l'œuvre  posthume  d'un  maître  succédait,  le  16  mai  1860, 
le  premier  ouvrage  dramatique  d'un  amateur,  Paul  Lagarde. 
Sous  le  titre  :  l'Habit  de  Milord,  les  librettistes  Sauvage  et  de 
Léris  avaient  imaginé  une  intrigue  dont  le  plus  grand  mérite 
n'était  pas  la  nouveauté;  savoir  :  l'échange  de  vêtements 
entre  deux  personnes  de  condition  différente,  un  noble  pour- 
suivi par  raison  d'État,  et  un  garçon  coiffeur.  La  musique 
n'offrait  rien  de  plus  rare  que  le  libretto;  c'était  celle  d'un 
agent  de  change  qui  a  des  loisirs,  et  pourtant  l'ouvrage  se 
maintint  au  répertoire  avec  un  total  de  trente-six  représen- 
tations. 

A  côté  de  ces  premières  représentations,  quelques  soirées 
méritent  d'être  rappelées,  par  exemple  :  deux  débuts,  le 
()  mars,  dans  Zerline  de  Fra  Diavolo,  M'"= .  Tuai,  élève  de 
Masset  et  de  Moreau-Sainti,  sortie  du  Conservatoire  en  18S9, 
avec  un  deuxième  accessit  de  chant  et  un  premier  accessit 
d'opéra-comique ,  gentille  et  accorte  chanteuse ,  mais  qui 
demeura  au  second  plan   à   la  salle  Favart;  et  le   31  mars, 


98 


LE  MENESTREL 


dans  Betly  du  Chalet,  M"^'  Breschon,  qui  joua  trois  fois  son 
rôle  et  disparut  sans  retour.  Un  bal,  le  10  mars,  au  profit 
de  l'Association  des  artistes  dramatiques.  Une  matinée,  le 
3  mars,  au  profit  de  M.  Mayer,  contrôleur  du  théâtre,  retraité 
après  trente  années  de  service.  Une  cantate,  France  et  Savoie, 
interprétée,  les  ii  et  17  juin,  par  Jourdan  et  les  chœurs;  le 
territoire  venait  de  s'augmenter  de  deux  départements,  et 
M.  Masson  avait  cru  devoir  composer  la  musique  d'un  mor- 
ceau de  circonstance  dont  le  poète  ne  s'était  pas  nommé. 
Cette  création  fut  la  dernière  à  laquelle  présida  Nestor  Roque- 
plan.  Le  '18  juin,  un  arrêté  du  ministre  d'État  annonçait  sa 
démission  volontaire  et  son  remplacement  par  Alfred  Beau- 
mont. 

La  raison  nous  en  est  donnée  par  Malliot,  dans  son  curieux 
livre  la  Musique  au  Théâtre.  La  commandite  était  en  perte  et, 
dès  le  10  mai,  les  commanditaires  Gustave  Delahante,  de 
Salamanca  et  le  duc  de  Morny  avaient  décidé  de  se  retirer, 
subissant  de  bonne  grâce  les  pertes  et  obligations  de  Roque- 
plan,  et  demandant  seulement,  en  échange,  pendant  la  durée 
du  privilège  nouveau,  de  Salamanca,  la  baignoire  d'avant- 
scène  de  droite;  Delahante,  les  baignoires  d'avant-scène  de 
gauche,  n°=  2  et  3.  Cet  échange,  réglé,  par  acte  du  28  mai, 
le  ministre  n'eut  plus  qu'à  agréer  Beaumont,  secondé  par  un 
commanditaire  espagnol,  M.  de  Juadra.  La  nouvelle  comman- 
dite, comme  la  précédente,  comportait  500,000  francs,  repré- 
sentés pour  300,000  francs  par  le  théâtre,  les  décors,  les  cos- 
tumes, etc.,  et,  pour  le  surplus,  par  un  capital  dont  plus  de 
60,000  francs  étaient  mis  tout  d'abord  à  la  disposition  du 
nouveau  directeur. 

M.  Beaumont  s'empressa  d'affirmer  son  autorité  en  modi- 
fiant son  personnel  administratif.  Il  garda  bien  Achille 
Denis,  chargé  des  rapports  avec  la  presse,  mais  il  lui  adjoi- 
gnit comme  secrétaire  général  Dutertre,  auteur  dramatique 
et  ancien  secrétaire  de  la  Porte-Saint-Martin.  Mocker  rem- 
plaça M.  Leroy  comme  régisseur  en  chef;  il  est  vrai  qu'au 
mois  de  novembre  Mocker  donna  sa  démission  pour  se  con- 
sacrer plus  complètement  à  sa  classe  au  Conservatoire,  et  le 
même  M.  Leroy  reparut;  seulement,  l'année  suivante,  ce  fut 
Mocker  à  son  tour  qui  revint  pour  lui  succéder.  En  outre, 
Beaumont  suspendit  les  entrées  de  faveur  et  décida  que  les 
amendes  versées  alimenteraient  pour  deux  tiers  la  caisse  de 
secours  des  employés  du  théâtre  et  pour  un  tiers  celle  de 
l'Association  des  artistes  dramatiques.  Il  ordonna  même 
l'emploi  de  la  carteronie  ou  procédé  Garteron,  invention  nou- 
velle qui  devait  rendre  ininflammables  les  décors  et  les  cos- 
tumes, diminuant  ainsi  les  chances  d'incendie  ;  l'avenir  de- 
vait, hélas  !  se  charger  de  démontrer  l'inefificacité  de  la  me- 
sure directoriale  ou  du  procédé  chimique.  Il  entendait  tout 
réglementer,  et,  par  exemple,  exigea  que  les  musiciens  de 
l'orchestre  fussent,  comme  à  l'Opéra,  soumis  au  régime  de 
la  cravate  blanche.  Un  peu  moins  de  fantaisie  et  plus  de 
prudence  aurait  mieux  valu,  car,  à  peine  installé,  il  com- 
mençait à  recevoir  des  ouvrages  que,  pour  une  cause  ou 
pour  une  autre,  il  n'était  pas  sûr  de  monter,  par  exemple  : 
trois  actes  de  Sardouet  de  Roqueplan,  musique  de  Duprato  et 
d'Offenbach,  la  Villa  Médicis,  qui  valut  au  public  la  première 
lettre  de  M.  Battu,  demandant  s'il  ne  s'agissait  pas  là  d'une 
pièce  que  son  fils,  Léon  Battu,  mort  depuis,  avait  jadis  con- 
fiée au  directeur,  et  une  réponse  de  Sardou,  affirmant  par 
la  voie  du  Figaro  que  les  deux  pièces  n'avaient  rien  de  com- 
mun... que  le  titre  ;  puis  trois  actes  de  Dumanoir,  musique  de 
Victor  Massé,  le  Lutrin;  enfin  un  opéra  comique  de  Paul 
Dupuech,  la  Belle  Chocolatière.  Qui  connaît  aujourd'hui  ces 
œuvres?  Leurs  auteurs,  dont  quelques-uns  vivent  encore,  en 
ont-ils  même  gardé  le  souvenir?  C'est  le  secret  des  porte- 
feuilles, et  la  mort  seule,  en  les  ouvrant,  permettra  un  jour 
de  le  connaître. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


NÉRON  A  L'HIPPODROME 

Les  manifestations'de  l'Hippodrorûe  deviennent  très  intéressantes 
pour  les  musiciens.  L'an  dernier  nous  avions  déjà  eu  une  .haime 
d'Arc,  dont  il  fut  beaucoup  question,  autant  pour  la  partition  remar- 
quable dont  l'avait  illustrée  M.  Charles  Widor  que  pour  les  splen- 
deurs de  sa  mise  en  scène.  Cette  fois  c'est  M  Lalo,  l'auteur  du  Roi 
d'Ys,  qui  enfourche  le  Pégase  qu'on  tient  désormais  à  la  disposi- 
tion de  nos  compositeurs  les  plus  en  renom  dans  les  écuries  de 
l'Aima,  pour  nous  chanter    l'histoire  de  Néron. 

Comme  on  avait  fait  pour  l'épopée  religieuse  de  Jeanne  d'Arc,  on 
a  résumé  l'épopée  romaine  du  règne  de  Néron  en  trois  tableaux 
principaux. 

Le  premier  tableau,  c'est  le  palais  d'or  de  l'empereur  :  fêtes  et 
orgies,  danses,  jeux  de  mimes  et  baladins.  Autour  de  Néron,  comme 
personnages  principau.t,  Brilannicus,  Agrippine,  Junie,  Locuste. 

Au  deuxième  tableau,  ce  sont  les  jeux  du  cirque  et  le  supplice 
des  chrétiens  présidés  par  Néron.  Ingénieux  décor  de  Lemercier, 
où  le  public  de  l'Hippodrome  se  trouve  figurer  le  public  du  cirque 
romain,  malheureusement  en  fracs  noirs  et  en  robes  à  taille.  Pour 
bien  faire  il  eût  fallu  distribuer  des  toges  aux  spectateurs  (1). 

Au  Iroiiième  tableau,  l'incendie  historique  de  la  ville  de  Rome. 
Nous  voyons  le  Forum  avec  ses  temples,  ses  arcs  de  triomphe,  ses 
palais,  ses  colonnades.  L'empereur  domine  sur  une  haute  terrasse 
et  donne  le  signal  de  l'incendie.  Tout  brûle  et  tout  s'écroule,  jus- 
qu'au moment  où  l'un  des  chrétiens  qu'il  destine  au  dernier  supplice 
s'approche  de  Néron  et  le  frappe  d'un  poignard  vengeur.  La  séance 
se  termine  par  l'entrée  victorieuse  des  légions  de  Galba. 

De  la  partition  de  M.  Lalo,  il  n'y  a  malheureusement  pas  beau- 
coup à  diie.  On  en  entend  bien  peu  de  chose  dans  cette  sorte  d'au- 
dition en  plein  vent.  Les  dimensions  de  l'Hippodrome  sont  telles 
qu'un  orchestre  d'harmonie  militaire  peut  seul  arriver  à  y  donner 
l'illusion  d'une  sonorité  suffisante.  M.  Widor  l'avait  bien  compris 
pour  Jeanne  d'Arc,  ce  qui  lui  avait  permis  de  pousser  jusque  dans 
l'oreille  de  l'auditeur  les  motifs  de  circonstance  qui  firent  le  succès 
de  sa  partition.  M.  Lalo,  habitué  à  maoier  les  masses  symphoniques, 
n'a  voulu  rien  sacrifier  de  ses  habitudes  et  il  en  est  revenu  aux  violons. 
Tous  les  détails  de  son  œuvre  ont  donc  été  perdus.  Cela  fait  l'effet 
d'un  paysage  qu'enverrait  à  travers  une  buée  débrouillard.  C'est  dom- 
mage, car  il  n'est  pas  douteux  qu'avec  son  grand  talent,  l'auteur  du 
Roi  d'Ys  a  dû  écrire  là  quelques  pages  qui  eussent  mérité  d'être  en- 
tendues. Beaucoup  de  marches  funèbres,  ce  qui  se  comprend  puisque  ce 
terrible  Néron  avait  coutume  de  tuer  tout  le  monde  en  manière 
d'amusement;  il  faut  bien  enterrer  ses  nombreuses  victimes.  Toute 
la  fin  du  ballet  de  l'orgie  est  construite  sur  des  thèmes  du  Roi  d^Ys, 
M.  Lalo  ayant  fait  resservir  à  cette  occasion  des  projets  de  divertis 
sèment  qu'il  avait  pour  sa  maîtresse  partition  en  vue  des  théâtres 
de  l'Étranger.  C'était  son  droit;  il  en  a  usé,  mais  peut-être  au  dé- 
triment de  la  couleur  qu'il  eût  fallu  conserver  à  cette  fête  essen- 
tiellement romaine.  Un  beau  chœur,  celui  de  «  la  Croix  »  qui  termine 
le  premier  tableau. 

Le  succès  de  la  soirée  est  resté  pour  le  ballet  très  bien  habillé 
et  réglé  avec  beaucoup  de  goût  par  M.  Danesi.  H.  M. 

Menus-Plaisirs.  L'Oncle  Célestin,  opérette  bouffe  en  trois  actes,  de 
MM.  M.  Ordonneau  et  H.  Kéroul,  musique  de  M.  Edmond  Audran. 
—  NouvEAtTÉs.  Coquin  de  printemps,  vaudeville  en  quatre  actes,  de 
MM.  A.  Jaime  et  G.  Duval.  —  Pal^us-Royal.  La  Boule,  comédie  en 
quatre  actes,  de  MM.  H.  Meilhac  et  L.  Halévy. 

M.  deLagoanère  a  repris,  cette  semaine,  possession  et  du  fauteuil 
directorial  et  du  fauteuil  de  chef  d'orchestre  au  théâtre  des  Menus- 
Plaisirs,  et,  par  une  très  louable  coquetterie,  il  a  voulu  que  ses 
invités,  revenant  chez  lui,  pussent  garder  le  souvenir  d'une  agréable 
soirée  passée  confortablement.  Aussi,  non  content  de  faire  appel, 
pour  sa  première  bataille,  à  des  auteurs  aimés  du  publie  et  favoris 
du  succès  comme  MM.  Ordonneau,  Kéroul  et  Audran,  a-t-il  encore 
appelé  à  la  rescousse  des  escouades  de  peintres,  tapissiers,  électri- 
ciens qui  ont  rendu  digne  d'un  public  qu'il  saura  ramener,  cette 
salle  de  spectacle  qui  semblait  abandonnée  depuis  longtemps  déjà. 

L'oncle  Célestin  est  un  aubergiste  qui  meurt  laissant  une  ron- 
delette fortune  de  deux  millions  à  ses  héritiers,  son  neveu  Pontaillac 

(1)  A  la  suite  de  la  2' répétition  générale,  ce  tableau  a  été  supprimé,  par  suite 
de  l'absence  des  lions,  qui  avaient  fait  des  leurs  au  cours  des  études,  en  dévorant 
ou  à  peu  près  l'un  des  dompteurs.  Ce  tableau  se  trouvait  donc  privé  de  son 
attnit  principal,  il  était  froid  et  terne.  Il  a  fallu  l'enlever. 


LE  MÉNESTREL 


99 


et  la  femme  de  celui-ci,  a  la  condition  expresse  que,  pendant  un 
temps  déterminé,  ils  exploitent  en  personne,  et  sans  désemparer, 
sa  guinguette  du  Point-du-Jour.  Or,  Pontaillac,  avoué  à  Gorbeil, 
a  des  idées  de  grandeur;  dès  qu'il  a  su  le  chiffre  respectable  auquel 
s'élevait  l'héritage,  il  a  planté  là  sa  modeste  étude,  a  acheté  un  hôtel 
en  plein  faubourg  Saint-Germain,  se  fait  appeler  baron  de  Pontaillac 
et  caresse  le  doux  espoir  de  donner  sa  fille  Clémentine  comme 
épouse  au  blasonné  vicomte  des  Acacias.  Mais  la  fâcheuse  obli- 
gation du  testament  le  force,  pour  ne  point  voir  échapper  les  beaux 
sacs  d'écus,  à  aller  s'installer  au  Point-du-Jour  avec  les  siens. 
Afin  de  no  pas  être  reconnus,  tous  trois  s'affublent  d'accoutrements 
bizarres  et  troquent  momentanément  le  beau  nom  de  Pontaillac 
contre  un  vocable  roturier  quelconque;  si  bien  que  le  jour  où  le 
notaire,  chargé  de  vérifier  si  les  clauses  imposées  par  l'oncle  Gé- 
lestin  ont  bien  été  tenues,  se  présente  à  l'auberge,  personne  ne 
peut  certifier  que  l'hôtelier  et  Pontaillac  ne  sont  qu'une  seule  et 
même  peisonne.  Comme  le  délai  de  rigueur  est  expiré,  les  millions 
auraient  une  autre  destination,  si  un  bienheureux  hasard  ne  voulait 
qu'on  retrouvât  une  lettre  de  feu  Célestin  qui,  en  bon  oncle,  et  pour 
le  cas  oîi  Pontaillac  n'obéirait  pas  de  point  en  point  aux  ordres  du 
testament,  lègue  sa  fortune  entière  à  sa  petite-nièce  Clémentine, 
qui,  seule  de  la  famille,  s'est  toujours  montrée  fort  aimable  avec  lui. 
Vous  voyez  que  le  conte  de  MM.  Ordonneau  et  Kéroul  est  on  ne 
peut  plus  moral,  puisqu'une  fois;  de  plus  il  nous  est  démontré  que 
la  vertu  est  toujours  récompensée;  j'ajouterai  qu'il  est  amusant  en 
plus  d'un  endroit  et  que  les  auteurs  y  ont  su  trouver  plusieurs 
scènes  très  drolatiques.  M.  Audran  ne  nous  a  pas  semblé  s'être 
mis  en  grands  frais  d'imagination  pour  écrire  une  partitionnette 
qui,  si  elle  manque  de  relief  et  d'originalité,  a  du  moins  l'immense 
avantage  de  n'être  point  prétentieuse.  Fuyant  les  romances  senti- 
mentales, il  n'a  composé  que  des  morceaux  de  café-concert  d'un 
rythme  populaire,  qui  ne  seront  probablement  pas  sans  aider  à  la 
réussite  de  la  pièce  ;  c'est  ainsi  qu'au  second  acte  on  a  trissé  un 
duo  comique,  bissé  un  terzetto  amusant  dont  le  second  couplet  est 
simplement  mimé  et  trissé  encore  une  chanson  villageoise.  C'est 
Mlle  Yvonne  Stella,  entrevue  déjà  dans  des  rôles  secondaires,  qui 
porte  crânement  sur  ses  mignonnes  épaules  tout  le  poids  de  ces 
trois  actes,  et  c'est  à  elle  qu'est  allé  tout  le  succès.  Il  est  impossible 
d'être  plus  gentiment  canaille  d'allures,  de  gestes  et  de  diction. 
MM.  Vandenne,  Verneuil,  Montcavrel,  Vavasseur,  Ternet,  M""='=  F. 
Génat  et  Augier  n'ont  eu  qu'à  profiter  des  applaudissements  prodi- 
gués à  leur  nouvelle  camarade. 

J'ai  à  vous  parler  encore  de  deux  très  excellentes  reprises  qui 
ont  eu  lieu  cette  semaine.  Aux  Nouveautés,  Coquin  de  printemps, 
l'amusant  vaudeville  de  MM.  Jaime  et  Duval,  qui  va  retrouver  la 
vogue  qu'il  avait  eue  aux  Folies-Dramatiques.  M.  Colombey  a  gardé 
son  rôle  de  Landurin,  dans  lequel  il  est  tout  à  fait  drôle,  et  MM.  Ger- 
main, Guy,  M™"*  Pierny  et  Carina  font  preuve  de  tout  l'entrain 
désirable. 

Au  Palais-Royal,  nous  avons  revu  avec  infiniment  de  plaisir  la 
Boule,  cette  étincelante  comédie  de  MM.  Meilhac  et  Halévy,  toujours 
aussi  spirituelle  qu'aux  premiers  jours.  Interprétation  tout  à  fait 
exquise  de  la  part  de  MM.  Saint-Germain,  Calvin,  Milher,  Pellerin, 
M.""'  Malhilde  et  Cheirel,  très  bien  entourés  par  M™"^'  Clem,  Netty, 
M.  Durand,  Diony  et  MM.  Hurteaux,  Chameroy,  Maudu,  Monval  et 
Garon. 

Paul-Émile  Chevalier. 


NAPOLÉON  DILETTANTE 


Sur  la  foi  de  quelques  esprits  chagrins,  toujours  prêts  à  dénigrer 
tout  ce  qui  touche  à  l'épopée  napoléon  ienne,  la  croyance  s'est 
établie  que  le  vainqueur  d'Austerlitz  n'aimait  pas  la  musique.  C'est 
une  grave  erreur!  Aucun  souverain,  en  France,  n'a,  autant  que 
NapoléoQ  I",  favorisé  l'essor  musical  et  protégé  les  artistes.  Son 
goût,  très  sûr  et  très  délicat,  ses  conseils  et  ses  ordres,  toujours 
marques  au  coin  d'un  dilettantisme  éclairé,  et  ses  encouragements 
et  ses  rétributions,  dignes  d'un  Mécène  couronné,  détruisent  d'eux- 
mêmes  une  légende  issue,  comme  tant  d'autres,  d'un  ordre  de  choses 
savamment  combiné. 

Disons-le  de  suite  :  Napoléon  fut  un  grand  artiste,  en  musique 
comme  en  beaucoup  d'autres  choses.  Il  dirigea  ses  musiciens 
comme  ses  soldats,  recruta  ses  phalanges  harmoniques  avec  le 
même  soin  que  ses  légions  guerrières  et  ne  ménagea  pas  plus  aux 


unes  qu'aux  autres  ses   ordres  du  jour  et  sesbulletins.de  victoire. 

De  son  enfance  musicale,  nous  ne  savons  rien.  Il  est  inconnu 
qu'il  ait  joué  d'aucun  instrument,  et,  si  l'on  en  juge  par  ce  qu'on  a 
dit  dans  la  suite,  il  faut  se  dire  qu'il  chantait  d'une  façon  déplo- 
rable. Sur  ce  point,  tous  ses  contemporains  sont  unanimes.  Et 
comme,  dans  le  nombre,  il  est  des  courtisans,  auxquels  aucune 
flatterie  ne  répugnait,  on  peut  les  croire  sur  parole. 

La  baronne  Durand,  femme  de  chambre  de  Marie-Louise,  nous 
apprend  que  l'empereur  «  aimait  à  chanter,  quoiqu'il  eût  la  voix 
très  fausse  et  qu'il  n'ait  jamais  pu  mettre  une  chanson  sur  l'air.  » 
Il  avait,  paraît-il,  beaucoup  de  jAaisir  à  débiter  :  Ah!  c'en  est  fait, 
je  me  meurs  ou  Si  le  roi  m'avait  donné  Paris  sa  grand' ville. 

Bourrienne,  ancien  camarade  de  Napoléon  à  Brienne,  et  son 
secrétaire  particulier,  confirme  l'opinion  de  M°"  Durand,  et  cela 
dans  une  circonstance  tout  à  fait  caractéristique.  C'était  pendant  la 
formation  du  gouvernement  consulaire,  après  le  coup  d'Etat  du 
18  brumaire  : 

«  Pour  se  rendre  dans  la  salle  des  délibérations,  il  fallait  que 
Bonaparte  traversât  la  cour  du  Petit-Luxembourg  et  montât  le  grand 
,  escalier.  Cela  lui  donnait  de  l'humeur,  d'autant  plus  qu'il  faisait 
alors  un  très  mauvais  temps.  Cet  ennui  dura  jusqu'au  2o  décembre, 
et  ce  fut  avec  une  vive  satisfaction  qu'il  s'en  vit  débarrassé.  En 
sortant  du  Conseil,  il  rentra  dans  son  cabinet  en  chantant...,  et 
Dieu  sait  s'il  chantait  faux  !  » 

Bourrienne  ne  nous  dit  pas  ce  que  son  ancien  camarade  chantait; 
mais  il  est  probable  que  c'était  un  air  du  Devin  de  village  ou  de 
quelqu'autre  opéra  ancien;  car  c'était  là,  d'après  ce  que  raconte  le 
baron  de  Meuneval  dans  ses  Souvenirs  historiques,  le  fond  de  son 
répertoire,  «  quand  toutefois  il  n'avait  pas  de  sujets  de  contrariété, 
ou  quand  il  était  satisfait  de  l'objet  de  ses  méditations  ». 

Le  même  auteur  nous  fait  assister  aux  concerts  intimes  que  Napo- 
léon se  donnait  à  lui-même  dans  le  silence  du  cabinet.  Quand  il 
était  las  de  réciter  des  tragédies,  il  se  mettait  à  chanter  d'une  voix 
forte,  mais  fausse.  Une  de  ses  chansons  de  prédilection  avait  pour 
sujet  une  jeune  fille  guérie  par  son  amant  de  la  piqûre  d'un  insecte 
ailé.  C'était  une  espèce  d'ode  anaeréontique  qui  n'avait  qu'une  stro- 
phe et  finissait  par  ce  vers  : 

Un  baiser  de  sa  bouche  en  fui  le  médecin. 

Quand  il  était  dans  une  disposition  d'esprit  plus  grave,  c'étaient 
des  strophes  d'hymnes  ou  de  cantates  consacrées,  comme  le  Chant 
du  Départ,  Veillons  au  salut  de  l'Empire,  —  ou  bien  encore  il  modu- 
lait ces  deux  vers  : 

Qui  veut  asservir  l'univers 
Doit  commencer  par  sa  patrie. 

La  première  mention  du  goût  de  Napoléon  pour  la  musique  se 
trouve  dans  les  anecdotes  de  l'abbé  Audierne.  Le  jeune  Bonaparte 
pouvait  avoir  dix-sept  ans  à  cette  époque.  Il  vit  et  entendit  à  Mar- 
seille la  célèbre  cantatrice.  M'""  Saint-Huberti,  dans  le  rôle  de  Didon. 
Transporté  et  profondément  ému,  il  improvisa  ces  vers  qu'il  fit 
remettre  à  la  bénéficiaire  : 

Romains,  qui  vous  vantez  d'une  illustre  origine. 
Voyez  d'où  dépendit  votre  empire  naissant. 
Didon  n'eut  pas  d'attrait  assez  puissant 
Pour  arrêter  la  fuite  où  son  amant  s'obstine. 
Mais  si  l'autre  Didon,  ornement  de  ces  lieux. 

Eût  été  reine  de  Garthage, 
U  eût,  pour  la  servir,  abandonné  ses  dieux. 
Et  votre  Ijeau  pays  serait  encor  sauvage. 

Dans  la  suite,  Bonaparte  montra  une  grande  prédilection  pour 
la  musique  italienne,  et  pour  les  cantatrices  du  même  pays.  La 
voix  humaine  lui  allait  profondément  au  cœur,  et  souvent  il  en 
donna  des  marques  non  équivoques.  Dans  une  représentation  de 
Roméo  et  Juliette,  de  Zingarelli,  aux  Tuileries,  en  1808,  l'entrée  de 
Crescentini  au  troisième  acte,  sa  prière,  ses  cris  de  désespoir,  l'air 
Ombra  adorata,  aspetta,  furent  d'un  effet  tel  que  l'empereur  fondit 
en  larmes,  et  que,  ne  sachant  comment  exprimer  sa  satisfaction  au 
grand  artiste,  il  lui  envoya  la  croix  de  l'ordre  de  la  Couronne  de 
Fer. 

Cette  distinction,  sans  précédent,  montre  à  quel  point  Napoléon 
savait  encourager  les  efforts  artistiques.  Pour  se  procurer  les  meil- 
leurs maîtres  et  les  virtuoses  les  plus  renommés,  rien  ne  lui  coû- 
tait. Nous  aurons  souvent  à  citer,  à  ce  sujet,  des  traits  de  sa  mu- 
nificence. 

L'anecdote  de  Crescentini  montre  un  coin  de  l'impression  produite 
par  la  musique  sur  son  auguste  protecteur  ;  mais  il  en  est  d'autres, 
qui  ne  sont  pas  moins  curieux,  et  dont  la  bizarrerie  contraste  avec 


100 


LE  MENESTREL 


l'opinion  qu'on  se  fait  généralement  de  la  nature  et  du  caractère 
de  Napoléon.  L'un  d'eux  surtout  réside  dans  la  rêverie  qui  s'empa- 
rait de  lui,  lorsqu'il  entendait  une  musique  qui  lui  conveuait. 
C'était  comme  un  charme  qui  le  tenait,  et  dans  lequel  il  se  laissait 
bercer  délicieusement.  Bourrienne  raconte  que  pendant  quelques 
semaines  que  sa  femme  passa  k  Paris,  en  1793,  elle  allait  souvent 
avec  Bonaparte  et  sou  frère  Louis  à  des  concerts  très  suivis  que 
donnait  Garai  rue  Saint-Marc  :  «  (l'étaient  les  premières  réunions 
brillantes  depuis  la  mort  de  Robespierre.  La  foule  s'y  portait  et  fai- 
sait assaut  d'applaudissements  et  de  cris  enthousiastes.  Aussi  Bona- 
parte, auquel  ces  effusions  déplaisaient  fort,  quittait-il  souvent, 
avec  sa  brusquerie  ordinaire,  la  société  des  dames,  «  pour  aller, 
soit  aux  secoodes,  soit  aux  troisièmes,  rêver  tout  seul  dans  une 
loge.   X 

Plus  tard,  cette  disposition  ne  lit  que  s'accentuer.  M'°'=  de  Rémusat, 
qui  fut  dame  du  palais,  nous  a  laissé,  à  ce  sujet,  un  petit  tahleau 
qui  montre  le  premier  consul,  à  ce  moment  grand  favori  de  la  vic- 
toire, sous  un  jour  tout  à  fait  inattendu  : 

j  Lorsque,  en  quittant  son  cabinet,  il  rentrait  le  soir  dans  le  salon 
de  M""  Bonaparte,  il  lui  arrivait  quelquefois  de  faire  couvrir  les 
bougies  d'une  gaze  blanche  ;  il  nous  prescrivait  un  profond  silence 
et  se  plaisait  à  nous  faire  ou  à  nous  entendre  conter  des  histoires 
de  revenants  ;  ou  bien  il  écoutait  des  morceaux  de  musique  lents 
et  doux,  exécutés  par  des  chanteurs  italiens,  accompagnés  seulement 
d'un  petit  nombre  d'instruments  légèrement  ébranlés.  On  le  voyait 
alors  tomber  dans  une  rêverie  que  chacun  respectait,  n'osant  ni 
faire  un  mouvement,  ni  bouger  de  sa  place.  Au  sortir  de  cet  état 
qui  semblait  lui  avoir  procuré  une  sorte  de  détente,  il  était  ordi- 
nairement plus  serein  et  plus  communicalif.  Il  aimait  alors  assez 
rendre  compte  des  impressions  qu'il  avait  reçues.  Il  expliquait  l'effet 
de  la  musique  sur  lui,  préférant  toujours  celle  de  Paisiello,  parce 
que,  disait-il,  elle  est  monotone  et  que  les  impressions  qui  se  répè- 
lent sont  les  seules  qui  sachent  s'emparer  de  nous.  » 

Paisiello  était,  en  effet,  le  dieu  de  la  musique  pour  Napoléon, 
et  Cimarosa  son  prophète.  Un  habitué  de  la  cour  a  tracé  ce  croquis 
de  l'empereur,  assistant  à  une  représentation  du  Malrimonio  segreto  : 
«  A  le  voir  respirer  les  parfums  qui  s'exhalaient  de  ces  mélodies, 
vous  auriez  dit  un  aigle,  qui,  descendu  des  hauteurs  du  ciel  ou 
des  cimes  des  montagnes,  vient,  dans  les  vallons,  écouler  les  amou- 
reuses romances  des  fauvettes  et  des  rossignols.  » 

Quelquefois,  il  confondait  ces  deux  idoles.  Un  jour  qu'il  assistait, 
à  Saint-Cloud.  avec  l'impératrice,  à  une  représentation  des  Ziiiijari  in 
fiera  de  Paisiello,  qui  était  dans  la  loge  impériale,  il  s'extasiait  à 
chaque  morceau  et  faisait  ù  l'auteur  des  compliments  d'autant  plus 
flatteurs  qu'il  n'ignorait  pas  que  la  bouche  qui  les  prononçait  n'en 
était  pas  prodigue.  A  un  moment,  à  un  morceau  qui  avait  été  inter- 
calé dans  la  partition,  sans  qu'on  en  eût  prévenu  le  public,  l'empe- 
reur se  retourne  et  dit  avec  transport,  en  prenant  la  main  de 
Paisiello  : 

—  Ma  foi,  mou  cher,  l'homme  qui  a  composé  cet  air  peut  se  pro- 
clamer le  plus  grand  musicien  de  l'Europe. 

—  Il  est  de  Gimarosa,  articula  faiblement  Paisiello. 

—  J'en  suis  fâché;  mais  je  ne  puis  reprendre  ce  que  j'ai  dit. 
Hâtons-nous  de  le  dire:  cetamourdela  musique  italienne  n'était 

pas  exclusif.  Napoléon  favorisait  toutes  les  tentatives  et  toutes  les 
innovations,  lorsqu'elles  lui  paraissaient  devoir  servir  à  relever  le 
niveau  de  l'arl.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons,  dans  sa  Correspondance, 
cette  lettre  datée  de   Boulogne,  4  messidor  an  XIII  (23  juin  1805): 

(t  Monsieur  Fouché,  je  vous  prie  de  me  faire  connaître  ce  que  c'est 
qu'une  pièce  de  Don  Juan  qu'on  veut  donner  à  l'Opéra,  et  pour  la- 
quelle on  m'a  demandé  l'autorisation  de  la  dépense.  Je  désire  con- 
naître votre  opinion  sur  cette  pièce  sous  le  point  de  vue  de  l'esprit 
public.   » 

Quelque  temps  après,  le  12  vendémiaire  an  XIII  (4  octobre  1805), 
l'empereur  s'occupant  du  même  sujet  malgré  les  préoccupations  de 
sa  nouvelle  campagne,  écrit  de  Ludwigsbourg  à  son  frère  Joseph  : 

«  Mon  frère,  je  pars  celte  nuit.  Les  événements  vont  devenir  tous 
les  jou's  plus  intéressants.  Il  suffit  que  vous  fassiez  mettre  dans  le 
Moniteur  que  l'empereur  se  porte  bien,  qu'il  était  encore  vendredi 
12  vendémiaire  à  Ludwigsburg,  que  la  jonction  de  l'armée  avec  les 
Bavarois  est  faite.  J'ai  entendu  hier,  au  théâtre  de  cette  cour,  l'opéra 
allemand  de  Don  Juan;  j'imagine  que  la  musique  de  cet  opéra  est  la 
même  que  celle  de  l'opéra  qu'on  donne  à  Paris;  elle  m'a  paru  fort 
bonne  ». 

Enfin,  chemin  faisant,  il  adresse  à  Champagny,  ministre  de  l'inté- 
rieur, ce  billet  laconique,  oii  tant  d'éléments  divers  se  heurtent  en 
si  peu  de  mots  : 


«  Monsieur  de  Champagny,  je  suis  ici  à  la  cour  de  "Wurtemberg, 
et,  tout  en  faisant  la  guerre,  j'y  ai  entendu  hier  de  très  bonne  mu- 
sique. Le  chant  allemand  m'a  paru  cependant  un  peu  baroque.  La  réserve 
marche-l-elle  ?  Oîi  eu  est  la  conscription  de  l'an  XIV  ?  » 

Dans  la  suite  de  ces  articles,  nous  aurons  souvent  l'occasion  de 
voir,  par  ses  letties,  combiea,  au  milieu  de  ses  soucis  de  la  guerre 
et  du  gouvernement,  Napoléou  prenait  soin  de  tout  ce  qui  louchait 
à  la  musique.  Aussi,  par  une  surveillance  ininterrompue,  était-il 
parvenu  à  se  mettre,  sous  ce  rapport  comme  sous  tant  d'autres,  à 
la  lète  des  nations  européennes.  Dès  le  principe,  il  avait  tracé  le 
plan  de  cette  grandeur,  et  les  hommes  avaient  surgi  pour  seconder 
ses  vues  et  ses  plans. 

Ces  derniers  sont  tout  entiers  compris  dans  une  conversation  qu'il 
eut,  après  son  retour  d'Egypte,  avec  le  poète  dramatique  Parseval- 
Grandmaison,  qui  l'avait  accompagné  dans  son  expédition. 

Mandé  au  palais,  ce  personnage  trouva  Bonaparte  finissant  de 
déjeuner  et  humant  à  petites  gorgées  son  café  brûlant.  On  parla 
d'abord  de  la  grande  publication  qui  se  préparait  sur  l'expédition 
scientifique  d'Egypte.  Puis,  à  brûle-pourpoint  et  sans  transition, 
le  premier  consul  dit  à  son  visiteur  : 

—  Gonnaissez-v.ius  l'Iphigénie  en  Aidide  de  Gluck? 

—  J'avoue  à  ma  honte  que  je  ne  l'ai  point  encore  vu  représenter. 

—  Allez  donc  la  voir.  On  vient  de  la  reprendre  à  l'Opéra.  Quel 
chef-d'œuvre,  et  comme  la  plupart  des  compositeurs  actuels  parais- 
sent petits  aupiès  de  ce  puissant  génie!  Maintenant,  les  poètes  et 
les  musiciens  ont  tout  rapelissé.  Coineille  et  Gluck  savaient  seuls 
faire  parler  les  grands  hommes.  Mais  vous  autres,  vous  n'y  enten- 
dez rien...  Parce  que  vous  savez  faire  des  vers  plus  ou  moins 
harmonieux  et  des  morceaux  de  musique  plus  ou  moins  savants, 
vous  vous  croyez  des  gens  fort  habiles,  des  génies  immortels.  Tout 
cela  n'est  que  la  broderie  de  l'étoffe  dramatique. 

Parseval  écoutait,  surpris,  et,  comme  le  premier  consul  s'était 
arrèlé  pour  savourer  le  fond  de  sa  tasse,  il  se  demandait,  très  em- 
barrassé, ce  qu'il  devait  répondre.  Heureusement,  Bonaparte  ne  lui 
en  laissa  pas  le  temps. 

—  Il  faut,  reprit-il,  à  la  poésie  et  à  la  musique  dramatique  de 
nouveaux  éléments  d'intérêt  :  notre  époque  grandit,  il  faut  que 
tout  grandisse  avec  elle...  Vous  êtes  poète,  et  j'ai  dû  froisser  votre 
amour-propre.  Allons,  pas  de  lancune;  seulement  rappelez-vous  bien 
ceci:  il  nous  faut  des  conceptions  larges;  cette  nécessité  sera 
bientôt  comprise,  et.  j'en  ai  la  certitude,  l'art  est  à  la  veille  d'une 
transformation. 

Ce  présage  ne  fut  pas  un  vain  mot.  Après  Paisiello,  Lesueur,  avec 
ses  Bardes  ;  après  Gimarosa,  Spontini  avec /a  Vestale  elFernand  Cortez  ; 
succès  sans  pareils!  Puis,  toute  la  pléiade  qui  créa  véritablement 
l'école  française,  débarrassée  de  ses  langes  exotiques. 

Mais  n'anticipons  pas. 

(A  suivre.)  Ed.mond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  Les  musiciens  essayent  volontiers  leurs  aptitudes 
orchestrales  dans  le  poème  symphonique,  genre  de  composition  qui,  n'étant 
pas  soumis  à  des  règles  rigoureuses  et  n'ayant  dans  le  passé  ni  attaches,  ni 
traditions,  permet  à  la  fantaisie  de  se  donner  carrière.  M.  G.  Pfeiffer  nous 
présente  une  œuvre  nouvelle  sous  un  titre  modeste:  Marine, étude  symphonique. 
Cette  œuvre  a  été  froidement  accueillie,  bien  qu'elle  renferme  quelques  par- 
ties intéressantes.  Le  Chant  du  retire,  de  M""  de  Grandval,  avait  été  déjà 
entendu  dans  les  concerts  du  soir;  il  y  a,  dans  cette  scène  vocale,  plus 
d'entrain  et  de  vigueur  que  de  vraie  originalité.  L'air  de  Mendelssohn 
que  M..  Auguez  interprète  d'une  façon  remarquable,  Infelice,  un  peu  vieilli 
comme  facture,  a  été  bien  chanté  par  M""'  Katerine  von  Arnhem,  dont 
la  voix,  pas  très  puissante,  est  conduite  avec  méthode  et  reste  agréable, 
malgré  un  léger  défaut  de  prononciation.  M""  Leroux-Iîibeyre  a  dit  avec 
talent  les  parties  de  solo  dans  le  chœur  :  A  la  Musique,  de  M.  Chabrier, 
œuvre  qui  a  été  applaudie  et  méritait  cet  accueil,  bien  qu'elle  ne  repré- 
sente pas  tout  ce  qu'il  y  a  d'exubérance  dans  le  tempérament  de  l'auteur. 
—  M'"=  Steiger  a  joué  le  concerto  en  sol  mineur  de  Mendelssohn  en  vir- 
tuose et  en  musicienne.  Elle  paraît  avoir  tenu  compte  d'une  petite 
réflexion  du  Ménestrel  relativement  à  la  sonorité,  car  son  jeu  semble  avoir 
acquis  de  la  force  sans  rien  perdre  ni  de  l'élégance,  ni  de  la  douceur  du 
phrasé  dans  les  passages  qui  exigent  des  nuances  délicates.  Le  finale  a  été 
brillamment  enlevé;  aussi  le  succès  de  la  jeune  artiste  a-t-il  été  complet. 
On  a  beaucoup  applaudi  l'ouverture  de  Tannhiiiiser,  Au  pays  bleu,  de  M""^  Hol- 
mes, dont  le  deuxième  morceau  a  été  bissé,  enfin  et  surtout  les  fragments 
de  l'Artésienne,  dont  le  public  ne  se  lasse  jamais.  Améuée  Boutarel. 


LE  MENESTREL 


dOl 


—  Concert  Lamoureux.  —  M.  Lamoiireux  a  fait  entendre  la  symphonie 
en  mi  bémol  de  Mozart,  qui  a  été  dite  avec  une  certaine  mollesse;  le 
public  n'a  pas  sulTisamment  saisi  la  délicieuse  poésie  de  cette  oeuvre 
charmante.  Perverti  par  le  vacarme  wagnérien,  il  n'aime  que  les  sensa- 
tions violentes  et  n'accorde  qu'une  oreille  distraite  à  ces  délicates  effusions. 
Il  a  beaucoup  applaudi  l'ouverture  de  Lconore,  de  Beethoven,  qui  est,  à 
elle  seule,  tout  un  drame,  sans  qu'il  soit  besoin  d'un  programme  expli- 
catif pour  en  donner  le  sens.  Ces  plaintes  étouffées,  ces  voix  lamentables 
qui  alternent  avec  de  terribles  et  impétueux  accents,  cette  douleur  poi- 
gnante à  laquelle  succède  une  explosion  délirante  de  triomphe  et  d'allé- 
gresse, provoquent  une  émotion  à  laquelle  nul  n'échappe,  pas  même  ceux 
qui  sont  convenus  de  ne  plus  accorder  à  Beethoven  qu'un  témoignage 
bienveillant  d'estime.  A  coté  de  ces  belles  choses,  la  Marcha  hongroise  de 
Rakocsky,  instrumentée  par  Berlioz,  ne  fait  pas  mauvaise  ligure  ;  il  y  a 
dans  cette  transcription  des  inventions  de  génie  telles  que  Berlioz  seul 
les  pouvait  concevoir:  aussi  est-elle  toujours  Couverte  d'applaudissements. 
M.  Houlllack,  un  des  meilleurs  élèves  de  M.  Charles  Dancla,  a  été  l'objet 
d'une  véritable  ovation  dans  l'exécution  de  l'adagio  et  rondo  du  premier 
concerto  pour  violon  de  Vieuxtemps.  Il  est  de  mode,  aujourd'hui,  de  dire 
que  la  musique  de  ce  maître  a  vieilli,  qu'elle  renferme  des  formules  qui 
ont  fait  leur  temps.  On  pourrait  en  dire  autant  de  toute  la  musique;  on 
trouve  partout  des  formules  qui  ont  fait  leur  temps,  à  commencer,  si  l'on 
veut,  par  la  musique  de  Hœndel,  et  à  continuer  par  les  illustres  maîtres 
qui  lui  ont  succédé.  Mais  cela  n'ôte  rien  au  mérite  intrinsèque  des  œuvres, 
et  l'éloquence  d'une  lettre  ne  dépend  pas  de  la  formule  de  politesse  qui 
la  termine.  Nous  souhaitons  à  nos  modernes  aristarques  de  composer 
beaucoup  de  concertos  comparables,  mémo  avec  ses  prétendus  défauts,  au 
premier  concerto  de  Vieuxtemps.  M.  Houlllack  l'a  dit  avec  une  maestria 
irréprochable,  une  justesse  impeccable,  une  élégance  d'archet  au-dessus 
de  tout  éloge.  Joignez  à  cela  une  tenue  parfaite,  pleine  d'aisance  et  de 
distinction.  Disons  enfin  <pie  son  style  était  à  la  hauteur  de  l'œuvre  inter- 
prétée, et  nous  croirons  avoir  mis  en  relief  toutes  Ijs  qualités  qui  ont 
valu  au  jeune  artiste  son  remarquable  succès.  H.  Barbkdette. 

—  Jeudi  et  samedi,  l'Opéra-Comique  a  donné  deux  grands  concerts 
spirituels,  destinés  particulièrement  à  l'audition  de  l'admirable  Requiem 
de  Verdi,  qui  formait  la  seconde  partie  du  programme.  La  première 
partie  comprenait  :  l'ouverture  si  intéressante  et  si  curieuse  du  Pardon  de 
Ploërmel,  qu'on  n'a  plus  malheureusement  l'occasion  d'entendre,  l'ouvrage 
ayant  depuis  longtemps  disparu  du  réperioire;  un  bel  air  d'Erostrate,  de 
M.  Reyer,  dit  avec  beaucoup  de  chaleur  et  de  bravoure  par  M.  Renaud  ; 
un  joli  fragment  symphonique  de  la  Vierge,  oratorio  de  M.  Massenet  ;  le 
superbe  Laudale  de  M.  Ambroise  Thomas,  dont  l'exécution  par  l'orchestre 
■elles  chœurs  a  été  pleine  de  grandeur  et  d'éclat;  enfin,  l'Hymne  à  sainte 
Cécile  de  M.  Gounod,  dans  lequel  l'orchestre  de  M.  Danbé  s'est  encore 
tout  particulièrement  distingué,  de  façon  à  le  faire  redemander  par  la 
salle  entière.  —  Les  soU  du  Requiem  de  Verdi  étaient  confiés  à  M"=*  Si- 
monnet  et  Risley,  à  MM.  Gibert  et  Fournets.  Le  morceau  qui  a  produit 
le  plus  grand  effet  est  sans  contredit  le  Dics  irœ,  le  plus  important  d'ail- 
leurs, comme  on  sait,  et  qui  est  divisé  en  plusieurs  épisodes  caractéris- 
tiques, empreints  pour  la  plupart  d'un  sentiment  dramatique  (je  ne  dis 
pas  théâtral)  très  puissant  et  très  intense.  M.  Gibert  y  a  déployé  une  cha- 
leur communicative  qui  lui  a  valu  de  vifs  applaudissements,  et  M.  Four- 
nets  a  droit  à  des  éloges  pour  sa  belle  façon  dephraser,  et  aussi  d'accen- 
tuer les  paroles,  dont  on  ne  perd  pas  une  syllabe.  M'i^'iSimonnet  et  Risley, 
cette  dernière  douée  d'un  contralto  étoffé,  se  sont  fait  remarquer  surtout 
dans  VAgnus  Dei  pour  deux  voix  de  femmes,  d'un  caractère  si  angélique 
■et  si  pur.  Le  Sanctus  à  double  chœur  a  produit  aussi  une  grande  impres- 
sion, et  M""  Simonnet  a  su  exciter  les  applaudissements  dans  le  Libéra  me, 
■qu'elle  a  chanté  avec  goût. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (26  mars).  —  La  reprise  d'Oberon 
à  la  Monnaie,  hier  soir,  a  été,  avec  celle  de  Don  Juan,  la  plus  intéres- 
sante de  cette  année.  La  direction  y  avait  apporté  des  soins  peu  ordi- 
maires,  et  si  elle  n'est  pas  arrivée  à  la  perfection,  le  résultat  obtenu  est 
du  moins  fort  honorable.  h'Oberon  qu'on  nous  a  rendu,  après  une  absence 
de  quelques  années,  n'est  sans  doute  pas  VOberon  rêvé,  coloré,  radieux, 
avec  ses  élans  superbes  et  ses  délicatesses  infinies.  Mais  c'est  correct,  dans 
■des  teintes  grises  un  peu  efl'acées,  et  le  souci  de  bien  faire  est  partout  évi- 
dent. A  part  M.  Dupeyron,  assez  pâle  dans  le  rôle  de  Huon,  qu'il  n'a  pas 
mal  chanté  pourtant,  l'interprétation  est  bonne  dans  son  ensemble. 
M™  de  Nuovina  est  une  bien  jolie  Rezia  ;  elle  a  chanté  vaillamment  le 
terrible  air  du  deuxième  acte,  et  elle  a  eu,  dans  tout  le  reste,  de  la  grâce, 
avec  d'excellentes  intentions  de  passion  et  d'émotion,  qu'il  ne  dépendrait 
■que  d'elle  seule  de  réaliser  si,  au  charme  de  sa  voix  généreuse,  elle  joi- 
gnait cette  qualité  indispensable,  la  diction  et  l'articulation.  M"|=  Nardi, 
■qui  fait  un  Puck  ravissant,  a  chanté  un  peu  mollement,  mais  avec  son 
-organe  d'un  timbre  si  sympathique,  la  fameuse  barcaroUe,  oii  il'^"  Des- 
.champs,  autrefois,  produisait  tant  d'effet;   M""»  Archainbaud  a  dit  d'une 


façon  charmante  le  rôle  de  Fatime,  et  M.  Badiali  est  un  excellent  Obéras" 
min.  L'œuvre,  ainsi  interprétée,  va  tenir  l'affiche  avec  Don  Juan  jusqu'à 
la  clôture.  Car  si  le  livret,  d'une  obscurité  et  d'un  enfantillage  exagérés, 
a  beaucoup  vieilli  et  n'est  plus  guère  intéressant,  l'admirable  musique  de 
Weber  n'a  rien  perdu  de  son  charme  et  de  sa  saveur,  et  le  deuxième 
acte  notamment  est  resté  à  la  fois  d'une  incomparable  puissance  d'expres- 
sion et  d'une  grâce  irrésistible.  La  musique  moderne,  avec  ses  ressources 
et  ses  recherches  incessantes,  n'a  rien  qui  dépasse  une  pareille  élo- 
quence. La  merveilleuse  ouverture  et,  intercalée  au  dernier  acte,  l'Invitation 
à  la  valse,  font  à  ces  pages  superbes  et  touchantes  un  cadre  magnifique, 
auquel  l'orchestre  a  donné  du  brillant.  —  Dimanche  dernier,  la  saison 
des  concerts  du  Conservatoire  s'est  terminée  victorieusement  par  une 
prestigieuse  exécution  de  la  Symphonie  avec  chœurs,  de  Beethoven.  C'a 
été  le  couronnement  de  l'idée  si  intéressante  qu'a  eue  M.  Gevaert  de 
nous  faire  entendre,  cette  année,  complètement  l'œuvre  la  plus  colossale 
du  grand  maître  moderne.  L'idée  a  été  réalisée  jusqu'au  bout  avec  unrare 
bonheur  et  un  extraordinaire  succès,  et  elle  fait  à  M.  Gevaert  un  singu- 
lier honneur.  —  A  Liège,  les  concerts  du  Conservatoire  ont  pris  fin  aussi 
cette  semaine,  avec  le  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz;  excellente  exécution, 
très  applaudie.  Terminée  également  la  série  des  «  auditions  »  instituées 
en  1887  par  M.  Th.  Radoux,  dans  le  but  de  procurer  aux  professeurs,  aux 
lauréats  et  au  jeune  orchestre  d'élèves  l'occasion  de  se  produire  et  de 
s'instruire  par  l'étude  des  œuvres  classiques  et  modernes.  C'est  en  quel- 
que sorte  une  école  de  chefs  d'orchestre,  comme  celle  que  M.  Ad.  Sa- 
muel a  essayée  à  Gand  ;  chaque  séance  est  dirigée,  en  efl'et,  par  un  jeune 
professeur;  les  auditions  ont  été  consacrées  respectivement  à  Schubert,  à 
César  Franck,  aux  œuvres  de  jeunes  compositeurs  liégeois  et  à  diverses 
œuvres  anciennes.  On  voit  de  quel  intérêt  elles  peuvent  être,  esthétique- 
ment et  pratiquement.  L.  S. 

—  M.  Emile  Mathieu,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  de  Louvain,  qui 
a  fait  applaudir  il  y  a  deux  ans,  au  théâtre  de  la  Monnaie,  un  grand  drame  - 
lyrique  intitulé  Richilde,  dont  il  avait  écrit  les  paroles  et  la  musique, 
termine  en  ce  moment  un  autre  drame  lyrique,  en  trois  actes,  écrit  par 
lui  dans  les  mêmes  conditions.  Celui-ci,  qui  a  été  inspiré  à  l'auteur  par 
les  légendes  de  l'époque  carlovingienne,  a  pour  titre  l'Enfance  de  Roland. 
L'action  du  drame  se  passe,  pour  les  trois  actes,  d'abord  dans  le  palais 
d'Ingelheim  au  pays  rhénan,  puis  dans  la  forêt  des  Ardennes,  et  enfin  à 
Aix-la-Chapelle. 

—  Nouvelles  de  Londres  : 

M.  Harris  ne  publiera  pas  de  prospectus  officiel  pour  sa  prochaine  sai- 
son d'opéra,  dontles  dispositions  principales  paraissent  être  les  suivantes  : 
Siegfried  en  italien,  Manon  et  Philémon  et  Daucis  en  français  seront  les 
grandes  nouveautés  de  la  saison;  la  question  de  la  Cavalleria  ruslicana 
n'est  pas  encore  complètement  décidée.  Parmi  les  reprises  les  plus  impor- 
tantes il  faut  citer  l'Otetlo  de  Verdi,  dont  M.  Harris  a  acquis  les  droits,  la 
Juive,  qui  n'a  jamais  été  jouée  dans  la  salle  actuelle  de  Covent  Garden, 
Tannhâuser  et  le  Vaisseau  fantôme,  Mireille,  Orphée  et  Fidelio.  C'est  M""  Sybil 
Sanderson  qui  doit  créer  Manon  à  côté  du  ténor  Van  Dyck.  Il  est  aussi 
question  de  Jean  de  Reszké  pour  le  rôle  d'Otello,  mais  la  distribution  la  plus 
probable  de  cet  opéra  comprendra  M"'°  Albani,  Maurel  et  le  ténor  allemand 
Perotti.  La  saison  commencera  le  6  avril  avec  Orphée.  Le  lendemain, 
Faust  servira  de  début  à  M""  Eames,  avec  la  rentrée  de  Maurel-Mephisto 
et  de  Devoyod-Valentin.  Les  frères  de  Reszké  feront  leur  réapparition  le 
15  avril,  dans  Lohengrin. 

Voici  le  tableau  de  la  troupe  : 

Soprani  :  M™'*  Albani,  Melba,  Eames,  Sanderson,  Arkel,  Tavary,  de  Lussan, 
Teleki,  Rolla,  etc. 

Contraiii:  M.""^  Richard,  Ravogli,  Risley,  Jansen. 

Ténors  :  Jean  de  Reszké,  Van  Dyck,  Perotti,  Lubert,  Ravelli,  Montariol,  etc. 

Barytons:  Lassalle,  Maurel,  Devoyod,  Geste. 

Basses  :  Edouard  de  Reszké,  Plançon,  Isnardon,  Abramoff,  Castelmary, 
Miranda,  etc. 

On  remarquera  la  prédominance  de  l'élément  français  dans  la  partie 
masculine  de  cette  troupe,  qui  du  reste  ne  compte  qu'une  seule  artiste 
italienne.  M'"'  Ravogli. 

L'éminent  violoniste  belge  M.  Isaye  a  fait  une  brillante  rentrée  samedi 
au  Crystal  Palace,  jouant  le  deuxième  concerto  de  Wieniawski  et  le  Rondo 
capriccioso  de  Saint-Saêns.  La  principale  nouveauté  du  concert  consistait 
dans  une  nouvelle  version  de  la  musique  scénique  composée  par  Grieg 
pour  le  drame  Olaf  Trygvason.  C'est  une  œuvre  de  jeunesse  qui  manque  do 
caractère. 

Il  est  vaguement  question  d'une  série  de  concerts  qui  seraient  donnés 
cet  été  par  l'orchestre  Colonne  à  lier  Majesty's  Théâtre,  qui  passera  bientôt 
sous  la  direction  envahissante  de  M.  Harris. 

J'ai  signalé  à  plusieurs  réprises  l'attitude  hostile  de  la  presse  anglaise 
pour  tout  ce  qui  est  musique  française  contemporaine.  Une  nouvelle  preuve 
m'en  est  fournie  par  la  maladresse  d'un  journal  répandu  dans  le  monde 
artiste,  le  Figaro  de  Londres,  qui,  voulant  me  prouver  que  je  me  trompais 
en  accusant  la  critique  locale  d'intolérance  et  d'opposition  systématique  à 
toute  nouvelle  œuvre  française,  a  laissé  échapper  quelques  perles,  que  je 
crois  intéressant  de  reproduire.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  indiqué  la  popu- 
larité constante  de  Faust,  Carmen,  la  Damnation  de  Faust  et  Rédemption  en 
Angleterre,  ce  Figaro  ajoute  :  «  Si  le  public  anglais  ne  montre  pas  pareille 
faveur  à  la   musique    des  compositeurs  français  secondaires,    ce  résultat 


U)2 


LE  MÉNESTREL 


doit  être  attribué  au  fait  que  les  Anglais  sont  une  nation  musicale  et 
que  la  médiocrité  n'a  pas  cours  ici  »,  et  plus  loin  :  «  à  l'exception  de  Gou- 
nod,  il  n'existe  pas  un  seul  compositeur  vivant  en  France  qui  soit  l'égal 
de  sir  Arthur  Sullivan,  Villiers  Stanford,  Hubert  Parry,  Mackenzie  ou 
Hamish  M"  Cunn...  »  Tout  commentaire  serait  superflu.        A.  G.  N. 

—  M.  0.  Shepherd,  directeur  du  Court-Theatre  de  Liverpool,  a  trouvé, 
dans  un  lot  de  vieux  livres  provenant  de  la  vente  de  la  collection  Arms- 
trong,  un  exemplaire  complet  de  la  grande  partition  de  la  Prophétesse  ou 
Dioclélien,  opéra  du  célèbre  compositeur  anglais  Henry  Purcell.  Cet  exem- 
plaire, qui  porte  les  armes  du  duc  de  Devonshire  et  la  date  de  1691,  est 
dans  un  remarquable  état  de  conservation;  il  renferme  plusieurs  annota- 
tions et  corrections  de  la  main  même  de  l'auteur,  jusqu'à  des  indications 
de  scènes,  les  entrées  et  sorties  des  personnages,  etc.  Les  historiens  con- 
temporains font  grand  cas  de  la  Prophétesse,  qu'ils  considèrent  comme 
l'une  des  œuvres  qui  ont  le  plus  solidement  établi  la  réputation  de  Pur- 
cell auprès  de  la  cour  et  du  public.  Si,  toutefois,  la  Prophétesse  a 
rapporté  de  la  gloire  à  son  auteur,  elle  ne  paraît  pas  l'avoir  enrichi, 
ainsi  que  le  prouve  une  note  de  Purcell  imprimée  sur  une  feuille  vo- 
lante, à  la  fin  de  la  partition  et  dont  voici  la  traduction  :  c<  Dans  le  but 
de  hâter  l'apparition  de  ce  volume,  j'ai  employé  deux  imprimeurs.  Un 
accident  survenu  à  l'un  d'eux  et  l'importance  du  volume,  dont  le  nombre 
de  pages  a  dépassé  mes  prévisions,  sont  les  raisons  du  retard.  Il  a  été 
objecté  que  certains  airs  étaient  déjà  connus,  mais  je  présume  qu'après 
examen  de  cet  ouvrage,  les  souscripteurs  reconnaîtront  facilement  que 
ces  airs  n'en  forment  pas  les  parties  essentielles.  Conformément  à  ma 
promesse,  j'ai  corrigé  très  attentivement  chaque  page,  et  j'espère  que 
mon  ouvrage  sera  trouvé  aussi  consciencieux  qu'aucun  de  ceux  existant 
jusqu'ici.  Mon  désir  de  l'établir  aussi  bon  marché  que  possible  a  primé 
à  ce  point  mes  considérations  d'intérêt  personnel  que  je  m'aperçois  — 
trop  tard  —  que  l'argent  de  la  souscription  couvrira  à  peine  les  dépenses 
nécessitées  pour  compléter  l'édition.  » 

—  A  l'Opéra  impérial  de  Vienne  on  a  donné,  le  2  mars,  la  142=  repré- 
sentation du  Freischutz.  Il  ne  faudrait  pas  croire  pourtant  que  là  se  borne 
la  carrière  du  chef-d'œuvre  de  Weber  d'ans  la  capitale  de  l'Autriche.  Il 
n'est  ici  question  que  de  la  nouvelle  salle  de  l'Opéra.  Mais  antérieure- 
ment, à  l'ancien  théâtre  de  la  Porte  de  Garinthie,  le  FreischiUz,  du  3  novem- 
bre 1S21  au  19  août  1868,  avait  été  joué  31.3  fois,  ce  qui  donne  un  total 
général  de  45S  représentations  pour  un  espace  de  soixante-dix  années.  La 
100=  fut  donnée  le  31  janvier  1829,  la  200«  le  l^^''  novembre  1843,  la  300<i 
vingt-deux  ans  après,  et  enfin  la  400=  après  un  nouvel  intervalle  de  quinze 
années. 

—  Une  très  importante  collection  d'autographes  de  musiciens,  lettres  et 
manuscrits,  a  été  vendue  récemment  à  Berlin,  par  les  soins  du  libraire 
Liepmannssohn.  Certaines  pièces  ont  atteint  des  prix  singulièrement  élevés 
et  qui  nous  semblent  inconnus  jusqu'ici.  En  premier  lieu,  il  faut  citer  le 
manuscrit  complet  du  concerto  de  piano  de  Mozart  en  ut  majeur,  81  feuillets 
d'une  écriture  très  serrée  portant  ce  titre  :  Concerto  cli  Wolgango-Amadeo 
Mozart,  net  Febbraio  418Ô,  qui  a  été  adjugé  pour  la  somme  de  1,601  marks, 
soit  2,001  fr.  2b  c.  La  réduction  complète  pour  chant  et  piano  de  la  cantate 
de  Mendelssohn  la  Nuit  de  Walpurgis,  a  trouvé  acquéreur  au  prix  de 
1,001  marks,  tandis  que  le  manuscrit  du  Psaume  9S,  du  même  maître,  était 
vendu  400  marks.  Trois  Heder  de  Robert  Schumann  ont  été  adjugés  pour 
100  marks,  et  la  Marche  en  »;u'  majeur  pour  piano,  op.  46,  pour  106  marks. 
De  Joachim  Raff  on  a  vendu  180  marks  la  partition  à  quatre  mains,  réduite 
par  l'auteur,  de  la  symphonie  Im  Wald  (Dans  la  forêt).  Enfin,  de  Lortzing 
la  partition  d'orchestre  de  l'Armurier  ( Waffenschmied) ,  un  fort  volume  de 
426  pages  portant  cette  mention  :  «  Terminé  à  Leipzig  le  11  février  1846,  » 
a  été  payée  200  marks.  Parmi  les  lettres,  il  faut  en  signaler  une  de  M.  Ca- 
mille Saint-Saëns,  datée  de  Paris,  4  mars  1881,  qui  a  été  vendue  bS  marks, 
et  une  de  Mendelssohn,  de  Leipzig,  16  août  1843,  qui,  après  des  enchères 
très  vives,  a  été  adjugée  66  marks;  cette  dernière  contenait  le  passade 
suivant  :  «  Veuillez  ajouter  encore  au  programme  que  le  jeune  Joseph 
Joachim,  âgé  de  douze  ans,  élève  de  M.  Bcehm,  à  Vienne,  exécutera  sur 
le  violon  un  rondo  de  Bériot.  »  Quant  aux  lettres  de  Wagner,  dont  une 
vingtaine  environ  faisaient  partie  de  la  collection,  elles  ont  été  adjugées 
chacune  à  40  marks  environ  l'une  dans  l'autre,  tandis  qu'une  feuille  de 
service  signée  de  l'auteur  de  Rienzi  et  indiquant  la  distribution  des  rôles 
de  cet  ouvrage  était  poussée  jusqu'à  58  marks. 

—  Au  Conservatoire  de  Dresde  a  lieu  en  ce  moment  la  série  des  concerts 
annuels  des  élèves.  L'un  des  derniers  était  consacré  aux  élèves  de  la  classe 
de  composition  de  M.  Draeseke.  On  y  a  entendu  quatre  lieder  pour  soprano 
de  M"=  Zeglin,  d'un  joli  caractère,  fort  bien  chantés  par  M"»  Koreng, 
élève  de  M.  Scharfe,  laquelle  est  engagée  déjà  pour  un  théâtre  de  pro- 
vince ;  puis  un  lied  pour  soprano,  piano  et  violoncelle,  et  un  scherzo  pour 
orchestre  plein  de  feu  et  d'originalité,  dus  à  M.Hofîmann,élève  de  la  classe 
de  piano  de  M.  Dœring  ;  et  enfin  l'œuvre  la  plus  importante,  un  Requiem 
pour  soli,  chœur  et  orchestre,  de  M.  Ernest  Gœthel,  un  jeune  Dresdois 
qui,  paraît-il,  possède  le  feu  sacré  de  l'art. 

—  Soyez  donc  un  grand  artiste  !  En  Italie,  tandis  que  la  souscription 
ouverte  pour  élever  sur  la  tombe  du  fameux  contrebassiste  et  compositeur 
Bottesini  un  monument  convenable  a  produit  à  peine  quelques  centaines  de 
francs  (dont  300  francs  donnés  par  la  maison  Erard),  voici  l'annonce  qu'on 


peut  lire  dans  les  journaux  de  Milan:  »  Cklèbre  contrebasse  a  vendre.  Est 
en  vente  au  plus  offrant  la  contrebasse  de  feu  le  commandeur  Giuoanni 
Bottesini.  Adresser  les  offres  à  M.  Pio  Mariotti,  à  Parme,  strada  Farini, 
n°  81.  »  Pauvre  Bottesini  !  s'il  lui  est  permis  d'apprécier  la  reconnais- 
sance de  ses  compatriotes... 

—  Au  théâtre  Fossati,  de  Milan,  très  vif  succès  pour  une  nouvelle  opé- 
rette, i  Diavoli  délia  Corte,  du  maestro  0.  Garlini.  Le  Trovatore  fait  les  plus 
grands  éloges  de  cet  ouvrage.  «  Le  maestro  Garlini,  dit-il,  a  vraiment  la 
bosse  du  genre,  et  il  est  le  seul  qui  ait  compris  ce  que  doit  être  l'opérette . 
Il  n'a  pas  imité  ses  confrères,  qui  mettent  en  musique  des  livrets  d'opé- 
rette comme  s'il  s'agissait  des  Masnaiieri,  de  Macbeth  ou  de  Gemma  di  Vergy. 
Son  opérette  est  la  soûle  qui  puisse  compter  auprès  de  celles  de  Suppé, 
d'Offenbach  ou  de  Lecocq.  Ajoutons  que  dans  ces  aimables  Diavoli  délia 
Corte  il  n'y  a  aucune  équivoque  pornographique  ;  c'est  une  opérette  à 
laquelle  pourrait  assister  même  un  saint  Louis  de  Gonzague  !  » 

—  Autre  opérette,  au  théâtre  Salvini,  de  Florence.  Celle-ci,  qui  a  pour 
titre  ii'/i,  a  été  écrite  par  le  maestro  Matini  sur  un  livret  de  M.  Enrico 
Golisciani.  Elle  a  été  fort  bien  accueillie  du  public. 

—  Les  Huguenots,  qui,  comme  nous  le  disions  récemment,  n'avaient  ja- 
mais été  joués  à  Gatane,  viennent  d'être  représentés  en  cette  ville,  où 
parait-il,  ils  n'ont  obtenu  aucun  succès.  Quelque  singulier  que  puisse 
être  ce  fait,  il  n'en  est  pas  moins  exact,  à  ce  point  qu'un  journal  de 
Gatane,  le  Don  Bucefalo,  constate  que  le  public  déserte  le  théâtre.  Le  tout 
serait  de  savoir  ce  que  vaut  l'interprétation  du  chef-d'œuvre. 

—  Le  Tartuffe  de  Molière  en  opéra!  On  n'avait  pas  encore  eu  cette  idée 
chez  nous.  Elle. a  germé  dans  des  cerveaux  italiens.  C'est  un  certain  doc- 
teur Tommasi  di  Priacca  qui  s'est  avisé  de  mettre  le  chef-d'œuvre  en  cava- 
tines,  et  c'est  M.  Oronzo  Scarano,  l'auteur  de  la  Tazza  di  Thé,  de  Non  toc- 
cate  la  Regina,  qui  se  charge  de  faire  chanter  Orgon,  Tartuffe,  Elmire  et 
Marianne,  sans  compter  Flipote  et  monsieur  Loyal. 

—  Cinq  ouvrages,  ont  été  choisis  pour  la  grande  saison  d'opéra  anglais 
qui  doit  se  donner  au 'Grand  Opera-House  de  New-York.  De  ces  cinq 
ouvrages,  deux  sont  français,  Faust  et  Fra  Diavoto,  deux  italiens,  il  Trova- 
tore et  Luciadi  Lammermoor,  et  enfin  un  allemand,  Martha. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

C'est  dans  sa  séance  du  samedi  21,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé, 
que  l'Académie  des  beaux-arts  a  procédé  à  l'élection  d'un  membre  dans 
la  section  de  composition  musicale,  en  r-implacement  du  regretté  Léo 
Delibes.  Quatre  candidats,  on  le  sait,  étaient  sur  les  rangs:  M.  Ernest 
Guiraud,  présenté  en  première  ligne  par  la  section  ;  MM.  Paladilhe  et 
Victorin  Joncières,  en  seconde  ligne  ex  œquo  ;  enfin,  M.  Emile  Pessard, 
dont  le  nom  avait  été  ajouté  sur  la  liste  par  l'Académie.  Le  premier  tour 
de  scrutin  a  suffi  pour  amener  le  résultat  que  chacun  prévoyait  d'avance  ; 
dès  cette  première  épreuve,  M.  Guiraud  était  élu  par  2b  suffrages,  tandis 
que  M.  Paladilhe  réunissait  8  voix  et  qu'une  se  portait  sur  M.  Joncières. 
—  On  ne  peut  que  féliciter  l'Académie  de  l'heureux  choix  qu'elle  vient  de 
faire  en  la  personne  d'un  artiste  aussi  distingué  que  M.  Ernest  Guiraud, 
un  artiste  qui  représente  les  vraies  et  saines  traditions  de  la  grande  école 
musicale  française,  et  qui,  en  même  temps  qu'il  est  un  compositeur  re- 
marquablement doué,  est  un  théoricien  et  un  professeur  émiuent,  dont 
l'enseignement  fait  honneur  au  Conservatoire,  où  sa  classe  de  composition 
est  justement  renommée.  Né  à  la  Nouvelle-Orléans  le  23  juin  1837, 
M.  Guiraud  offre  chez  nous  cet  exemple  unique  d'un  musicien  fils  de  prix 
de  Rome,  ayant  lui-même  obtenu  le  prix  de  Rome.  (Son  père,  en  effet, 
l'avait  obtenu  en  1827,  dans  la  classe  de  Lesueur,  et  lui-même  se  le  vit 
attribuer  en  1839,  dans  celle  d'Halévy).  Nous  rappellerons  sommairement 
les  titres  de  ses  ouvrages  dramatiques:  Sylvie,  un  acte,  Opéra-Comique, 
1864  ;  En  frison,  un  acte,  Théâtre-Lyrique,  1869;  le  Kobold,\in  acte.  Opéra-, 
Comique,  1870;  Madame  Turlupin,  deux  actes.  Athénée,  1872  (repris  il  y  a 
deux  ans  à  l'Opéra-Comique)  ;  GreJna-Green,  ballet  en  un  acte,  Opéra,1873  ; 
Piccolino,  trois  actes,  Opéra-Comique,  1876;  Galante  Aventure,  trois  actes, 
Opéra-Comique  (1882).  On  sait  que  M.  Guiraud  est  un  symphoniste  de  pre- 
mier ordre,  dont  une  suite  d'orchestre,  après  avoir  obtenu  un  succès  éclatant 
aux  Concerts  populaires  de  Pasdeloup,  fait  partie  des  programmes  de  tous 
les  grands  concerts  d'Europe.  Enfin  nous  avons  rendu  compte  ici-même , 
il  y  a  peu  de  temps,  d'un  excellent  Traité  d'instrumentation  publié  par  lui, 
et  qui  restera  certainement  comme  l'un  des  meilleurs  ouvrages  du  genre. 

—  La  question  de  la  sécurité  dans  les  théâtres  est  revenue  dans  la  der- 
nière séance  du  conseil  municipal.  C'estM.  Vaillant  qui  l'a  posée  et,  nous 
devons  le  reconnaître,  avec  autant  de  modération  que  de  justesse.  Depuis 
la  période  d'émotion  qui  a  suivi  l'incendie  de  l'Opéra-Comique  et  qui  a 
mis,  comme  on  dit,  le  feu  au  ventre  des  diverses  autorités  responsables, 
fait  justement  observer  le  Temps,  la  vigilance  des  administrations  ou  com- 
missions compétentes,  et  à  plus  forte  raison  celle  des  directeurs,  s'est  à 
peu  près  relâchée  :  l'éclairage  électrique  n'est  même  pas  installé  dans  tous 
les  théâtres.  Quant  aux  dégagements,  ils  existent  dans  bon  nombre  de  salles, 
mais  on  les  condamne  pendant  toute  la  durée  de  la  représentation;  il  est 
vrai  qu'on  se  réserve  de  les  utiliser  le  moment  venu,  un  peu  comme  ce 
maire  de  village  qui  voulait  attendre  pour  acheter  des  pompes  que  l'incen- 
die eût  éclaté.  M.  Vaillant  a  été,  en  outre,  frappé,  comme  tout  le  monde, 
de  ce  fait  que  les  théâtres  subventionnés  ont  été  les  derniers  à  se  soumettre 


LE  MENESTREL 


403 


et  les  premiers  à  se  soustraire  aux  prescriptions  les  plus  gênantes,  mais 
aussi  les  plus  nécessaires.  M.  le  secrétaire  de  la  préfecture  de  police  a 
demandé  qu'on  lui  citât  les  salles  qui  ne  sont  pas  en  règle;  on  l'aurait 
bien  autrement  embarrassé  en  lui  demandant  celles  qui  le  sont.  Nous  ne 
sommes  pas  de  ceux,  on  le  sait,  qui  encouragent  le  conseil  municipal  à 
se  mêler  de  tout  et  de  tous;  mais,  franchement,  on  ne  peut  lui  refuser  de 
se  préoccuper  —  puisque  aussi  bien  personne  n'y  songe  —  des  dangers 
que  peut  courir  le  public  dans  la  plupart  des  salles  de  spectacle;  on  ne 
peut  donc  que  le  féliciter  des  voeux  qu'il  a  formulés  dans  ce  sens  et  expri- 
mer l'espoir  que  l'administration  voudra  bien  en  tenir  compte.  Sans  doute, 
c'est  encore  une  question  de  savoir  si,  même  après  les  précautions  les 
plus  minutieuses,  les  spectateurs  affolés  sauront  échapper  au  double  dan- 
ger d'être  brûlés  ou  écrasés;  mais,  du  moment  où  l'on  estime  à  tort  ou  à 
raison  que  ce  danger  peut  être  diminué,  il  faut  être  logique  et  prendre 
énergiquement  les  moyens  d'en  venir  à  bout.  Cette  semaine,  MM.  Bour- 
geois et  Yves  Guyot  sont  allés  visiter  1  Opéra  en  détail  pour  prendre  des 
mesures  nécessaires.  Nous  espérons  qu'on  ne  s'en  tiendra  pas  là. 

—  Petites  informations  au  sujet  de  la  nomination  d'un  nouveau  directeur 
à  l'Opéra,  laquelle  ne  saurait  plus  se  faire  attendre  longtemps.  C'est  le 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  qui,  naturellement, 
fera  le  choix  du  concessionnaire,  mais  ce  choix  devra  être  soumis  au  con- 
seil des  ministres.  Nous  croyons  savoir  que,  sur  six  candidats  en  ligne, 
un  seul  s'engagerait  à  jouer  six  fois  par  semaine,  deux  cinq  jours;  les  trois 
autres  demanderaient  le  maintien  du  régime  actuel.  Tous  sont  disposés  à 
reprendre  l'œuvre  de  Wagner,  conformément  aux  vœux  du  ministre. 

—  M.  Massenet  écrit  quelques  nouvelles  pages  pour  compléter  son  bal- 
let Aa  Mage,  qui  n'avait  pas  eu,  à  la  première  représentation,  tout  le  succès 
qu'on  pouvait  désirer.  Que  ces  pages  soient  les  bienvenues,  si  elles  doivent 
donner  un  peu  de  couleur  et  de  charme  à  ce  ballet  si  gris  et  si  monotone. 

—  A  rOpéra-Gomique,  où  M.  Garvalbo  nous  prépare  de  véritables  sur- 
prises artistiques,  il  est  question  de  l'engagement  de  M"""  Arnoldson,  qui 
a  laissé  ici  de  si  agréables  souvenirs,  après  les  représentations  de  Mignon 
qu'elle  donna  il  y  a  quatre  ans.  Depuis,  M™  Arnoldson,  déjà  si  intéres- 
sante et  si  touchante  dans  ce  rôle,  s'est  acquis  à  l'étranger  une  grande 
célébrité.  Ce  serait  donc  une  bonne  fortune  pour  les  Parisiens,  si  M.  Car- 
valho  parvenait  à  attacher  à  son  théâtre  cette  remarquable  artiste.  Tout 
dépendrait  d'un  engagement  en  Russie  qu'il  s'agirait  de  faire  résilier  tout 
d'abord. 

—  On  a  c  ommencé  cette  semaine,  au  Conservatoire,  des  travaux  d'amé- 
nagement en  vue  du  concours  qui  aura  lieu  le  mois  prochain,  pour  les 
emplois  de  chef  et  de  sous-chef  des  musiques  militaires.  Le  concours  sera 
très  important;  soixante-seize  sous-chefs  de  musique  se  sont  fait  inscrire 
comme  candidats  au  grade  de  chef.  Pour  le  grade  de  sous-chef,  on  compte 
cent  quatre-vingt-dix  candidats.  Au  mois  de  mai  aura  lieu  un  concours 
spécial  pour  l'emploi  de  chef  de  musique  dans  l'artillerie  et  le  génie  ; 
dix-huit  chefs  de  musique  d'infanterie  se  sont  inscrits  comme  candidats. 

—  M""  Patti  est  arrivée  cette  semaine  à  Paris,  mais  pour  y  passer  quel- 
ques jours  seulement.  Elle  doit  partir  dès  demain  lundi  pour  Vienne,  où 
elle  est  engagée. 

—  Plusieurs  journaux  annoncent  que  M.  Camille  Saint-Saëns  est  actuel- 
lement au  Caire,  où  il  compte  séjourner  tout  le  mois  d'avril.  L'auteur 
d'Ascanio  se  porte  à  merveille  et  occupe  ses  loisirs  à  écrire  des  œuvres 
littéraires.  Quant  à  la  musique,  il  n'en  fait  point  du  tout.  M.  Saint-Saëns 
vient  d'adresser  à  son  ami  Louis  Gallet  une  pochade  en  un  acte,  en  vers, 
qu'il  destine  au  Théâtre-Libre. 

—  A  signaler  la  publication  récente  de  deux  nouveaux  volumes  sur  la 
musique,  tous  deux  d'un  esprit  très  moderne  :  Symphonie,  par  M.  Hugues 
Imbert  (chez  Fischbacher),  et  Notations  artistiques,  par  M.  Guy  Ropartz 
(chez  Lemerre).  Le  premier  est  un  recueil  d'articles  sur  divers  sujets  mu- 
sicaux, anciens  et  modernes,  parmi  lesquels  nous  remarquons  particuliè- 
rement une    excellente  étude  sur  l'œuvre  de  Schumann,  un   chapitre  sur 

Stendhal,  où  il  est  fait  bonne  justice  des  prétentions  à  la  haute  critique 
musicale  qu'avait  l'auteur  de  la  Chartreuse  de  Parme  (encore  que  les  opi- 
nions de  M.  Imbert  me  paraissent  entachées  de  bienveillance  !),  et  un 
intéressant  travail  sur  un  portrait  de  Rameau,  attribué  à  Chardin  et  con- 
servé au  musée  de  Dijon,  dont  le  livre  donne  une  bonne  reproduction 
•gravée  à  l'eau-forle.  —  Le  livre  de  M.  Guy  Ropartz,  plus  spécialement 
consacré  à  des  impressions  de  voyage,  n'est  pas  aussi  complètement 
musical;  mais  l'auteur  étant  un  musicien,  la  musique  ne  pouvait  pas  ne 
pas  tenir  une  grande  place  dans  ses  souvenirs.  Il  nolis  donne,  notamment, 
d'intéressants  renseignements  sur  la  vie  musicale  contemporaine  en 
Suède  ;  notons  aussi,  outre  ses  souvenirs  de  Bayreuth,  le  chapitre  qu'il 
consacre  à  quatre  symphonies  françaises  modernes,  celles  de  MM.  Lalo, 
César  Franck,  Saint-Saëns  et  Vincent  d'Indy.  J.  T. 

—  M.  Albert  Peschard,  docteur  en  droit,  ancien  organiste  du  grand  orgue 
de  Saint-Etienne  de  Gaen,  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  les  Premières 
Applications  de  l'électricité  aux  grandes  orgues,  une  brochure  substantielle  et 
fort  intéressante,  dans  laquelle  il  revendique  fièrement  et  justement,  pour 
la  France  et  pour  lui,  l'initiative  d'un  mouvement  qui  a  si  complètement 
transformé  la  facture  des  orgues,  et  qui,  répandu  aujourd'hui  dans  d'autres 
pays,  n'en  doit  pas  moins  être  considéré  comme  une  œuvre  éminemment 


française.  On  sait  qu'il  y  a  trente  ans  encore,  les  orgues  électriques  étaient 
envisagées  comme  un  simple  objet  de  curiosité.  D'aucuns  pensaient  cepen- 
dant qu'il  y  avait  à  obtenir,  de  ce  côté,  des  résultats  sérieux  et  pratiques; 
mais  tandis  que  les  facteurs  n'entendaient  à  peu  près  rien  à  la  science  de 
l'électricité,  les  électriciens,  d'autre  part,  n'étaient  que  très  imparfaitement 
initiés  aux  difficultés  et  aux  détails  de  la  facture  des  orgues.  Il  s'agissait 
donc  d'établir  et  de  formuler  les  principes  essentiels  d'une  construction  nou- 
velle|pour  les  instruments  destinés  à  recevoir  l'aide  puissante  de  l'électricité. 
C'est  la  tâche  qu'entreprit  courageusement  M.  Peschard,  et  qu'il  sut  mener 
à  bien  de  la  façon  la  plus  satisfaisante.  Toutefois,  comme,  n'étant  pas  fac- 
teur lui-même,  il  ne  pouvait  réaliser  seul  son  idée,  il  s'adressa  à  l'excel- 
lent organier  Barker,  l'auteur  du  fameux  levier  pneumatique,  et  de  leur 
collaboration  naquirent  les  orgues  de  Salon  (1866),  de  Saint-Augustin  (1868) 
et  de  Montrouge  (1869).  Les  événements  de  1870  d'une  part,  une  opposition 
systématique  de  l'autre,  vinrent  retarder  chez  nous  les  travaux  de  l'indus- 
trie nouvelle,  tandis  que  l'étranger,  profitant  de  l'initiative  qu'on  ne  sau- 
rait contester  à  notre  pays,  étudiait  la  question,  mettait  résolument  en 
pratique  l'idée  qui  était  née  sur  notre  sol  et  nous  la  présentait  ensuite, 
en  s'attribuant  la  gloire  de  l'invention  et  en  nous  raillant  de  notre  pré- 
tendue impuissance.  Nous  ne  saurions  analyser  ici,  dans  tous  ses  détails, 
la  très  curieuse  brochure  de  M.  Peschard.  Nous  nous  bornerons  à  constater 
sa  très  légitime  revendication,  à  signaler  l'opinion  très  favorable  exprimée 
par  M.  Eugène  Gigout,  l'éminent  organiste  de  Saint-Augustin,  au  sujet  de 
l'orgue  électrique  de  cette  église,  qu'il  connaît  et  pratique  depuis  si  long- 
temps, et  à  remarquer  enfin  que  l'industrie  nationale  des  orgues  électriques 
reprend  énergiquement  en  France,  en  ce  moment,  sans  le  secours  d'au- 
cun nom  étranger,  grâce  à  M.  Cavaillé-CoU,  à  MM.  Merklin  et  C'=,  ainsi 
qu'à  M.  Debierre,  facteur  à  Nantes,  dont  la  manufacture  est  aujourd'hui 
en  pleine  voie  de  prospérité.  A.  P. 

—  La  Hollande  musicale  à  Paris.  Histoire  d'un  concert.  Tel  est  le  titre  d'un 
joli  volume,  signé  Oscar  Gomettant,  que  vient  de  mettre  en  vente,  au  pro- 
fit de  la  Société  de  bienfaisance  hollandaise  de  Paris,  la  Librairie  géné- 
rale, 72,  boulevard  Haussmann.  Ce  volume,  d'une  lecture  rapide,  intéres- 
sante, humoristique  souvent  et  toujours  instructive  sur  les  choses  de  la 
musique  et  des  musiciens  hollandais,  est  l'histoire  largement  développée 
d'un  concert  organisé  par  M.  Comettant  et  qui  a  eu  lieu,  salle  Pleyel,  en 
janvier  dernier,  nos  lecteurs  ne  l'ont  pas  oublié. 

—  Si  les  théâtres  disparaissent  à  Bordeaux,  ils  sont,  paraît-il,  avanta- 
geusement remplacés  par  des  cirques.  En  effet,  tandis  que  le  Théâtre- 
Français  de  cette  ville,  mis  en  vente  ces  jours  derniers,  a  été  acquis,  au 

prix  do  450,000  francs,  par  un  gros  commerçant  qui  va  le  transformer  en 
un  vaste  magasin  de  nouveautés,  un  ancien  directeur  M.  Ilanappier,  s'oc- 
cupe de  faire  reconstruire  l'ancien  hippodrome,  en  même  temps  qu'une 
puissante  société  se  constitue  pour  en  faire  élever  un  supeibe  sur  les 
terrains  de  l'école  de  dressage,  rue  Judaïque;  et  pendant  ce  temps,  deux 
sont  en  construction,  l'un  sur  le  boulevard  de  Gaudéran,  l'autre  sur  l'em- 
placement des  anciennes  Arènes  landaises.  Avec  celui  du  quai  de  la 
Grave,  cela  fera  cinq  établissements  de  ce  genre  que  possédera  bientôt  la 
patrie  de  Montaigne  et  de  Montesquieu.  Vive  la  cavalerie  ! 

—  On  nous  écrit  de  Nîmes  pour  nous  signaler  les  représentations  triom- 
phales qu'y  donne  en  ce  moment  M.  Dereims,  principalement  dans  Hamkt. 
Les  Nimois  ne  peuvent  se  lasser  de  l'entendre  et  de  l'applaudir,  et  le  for- 
cent à  donner  représentations  supplémentaires  sur  représentations  supplé- 
mentaires. 

—  Une  fois  n'est  pas  coutume.  Empruntons  cet  innocent  jeu  de  mots  à 
notre  confrère  fc  Gaulois.  «Vous  revenez  de  Rouen.  Quelle  est  votre  impres- 
sion sur  Lohengrin?  —  Je  trouve  que  c'est  une  honte  pour  le  Grand-Opéra 
d'avoir  abandonné  ce  chef-d'œuvre  à  une  scène  inférieure.  » 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Les  deux  dernières  soirées  données  par  M.  et  M™  Louis  Diémer  ont 
été  tout  exceptionnellement  brillantes.  Le  4  mars,  M™'^  la  générale  Bataille, 
que  l'on  entend  trop  rarement,  a  merveilleusement  chanté  les  Ailes,  de 
Louis  Diémer,  la  romance  du  saule  i'Otello  et  l'air  des  Noces  de  Figaro. 
Au  programme  figuraient  les  noms  de  M.  Taffanel,  qui  a  détaillé  en  per- 
fection la  Suite  pour  flûte  et  piano  de  M.  Ch.-M.  Widor,  M.  Hasselmans, 
MM.  Lelubez,  Mousset,  deux  amateurs  qui  ont  dit  en  artistes  deux  mé- 
lodies du  maître  de  la  maison  :  J'ai  dit  à  mon  âme  et  la  Fauvette.  M.  Dié- 
mer s'est  fait  entendre  sur  le  clavecin  Pleyel,  dont  il  se  sert  supérieure- 
ment. —  Le  18  mars,  M"°  la  comtesse  de  Guerne  et  M™^  Colonne,  avec 
M.  Auguez,  défrayaient  royalement  la  partie  vocale.  MM.  Delsart,  Remy, 
Parent  et  Van  Waelfelghen,  ce  dernier  avec  sa  viole  d'amour,  représen- 
taient la  partie  instrumentale.  Aux  applaudissements  de  tous  les  invités, 
M.  Diémer  a  joué  du  Schumann  et  du  Liszt  avec  la  perfection  qu'on  sait. 

—  Dimanche  dernier,  très  brillante  matinée  chez  M™'^  Rosine  Laborde 
pour  l'audition  de  ses.  élèves.  Le  programme  comprenait  :  Air  des  Clo- 
chettes de  Lakmé,  le  Soir  de  M.  A.  Thomas,  cantabile  de  Psyché,  cavatine 
du  Songe  d'une  nuit  d'été,  duo  de  Jean  de  Nivelle,  plusieurs  morceaux  de 
MM.  Massenet,  Guiraud,  Weckerlin  et  trois  pièces  de  Schumann,  la  Fleur 
de  lotus,  mélodie  très  poétique,  Baisers  de  mai  et  Vert  Colibri,  deux  duos 
chaleureux  dont  la  facture  originale  a  charmé  l'assistance.  Parmi  les  in- 
terprètes, nous  citerons  M"«  Maugé,  dont  la  voix  généreuse  et  souple  u'au- 


104 


LE  MÉNESTREL 


l'ait  pas  à  redouter  les  surprises  d'un  local  plus  vaste,  M"'=  de  Marcilly- 
Sax,  excellente  musicienne,  M""  Ledant,  qui  se  sert  avec  goût  d'un  très 
bel  organe,  M""  Horteloup,  M""  Meignant,  M""  Vassalo. . .  Comme  inter- 
mède, M"'=  Victor  Roger  a  rocité  quelques  poésies  avec  une  simplicité 
charmante.  Am.  B. 

—  SoiuÉES  ET  coNoiiiiTS.  —  M""  HortensB  Parent  a  fait  entendre  dimanche  dernier, 
salle  Érard,  ses  remarquables  élèves.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons 
la  /''  Ballade^  de  Chopin,  la  Grande  valsf  ch'  concert,  de  Biémer,  dont  les  octaves  ra- 
pides ont  clé  lancées  avec  un  brio  étonnant  par  M''"  Lizzie  P.,  COiseau-MoucItc,  de 
Lack.  et  la  Gaillarde,  de  V.  Dolmeisch,  rendus  par  M"'  Luui^e  S.  avec  une  grâce  et 
unelégèrelé  tout  aériennes;  une  Valse  mélancolique  et  une  Valse  mljnoniir,  de  Marie 
Jaëll,  très  bien  dites  par  M"'  Sjzmne  P..  La  séance  a  éié  close  p<r  la  charmante 
cantatrice  M"'  Caroline  Brun,  qui  a  dil,  en  perfection,  Par  le  sentier,  de  Th.  Dl-- 
bois.  —  Lundi  dernier,  salle  de  la  Société  de  géographie,  M""  Carissan  a  fait 
entenire  un  fragment  de  son  œuvre  nouvelle,  ïîi'bccca,  drame  lyrique  aacrf',  avec 
chœurs  et  soli.  Ovation  a  été  faite  à  l'auteur  et  aux  interprètes,  M"^'  Blanc  et 
M.  Dimitri.  —  La  deuxième  matinée  d'élèves  de  M"°  Cazelar  a  permis  de  cons- 
tater l'excellence  de  son  enseignement.  Plusieurs  artistes,  qui  prêtaient  leur 
concours  à  cette  charmante  réunion,  ont  été  tort  appréciés.  —  Tout  dernièrement 
a  eu  lieu  au  Grand-Hôtel  une  fête  de  charité  très  roussie,  dont  les  deux  princi- 
paux attraits  étaient  .\l.  Jtounel- Sully,  le  génial  altiste  de  la  Comédie-Française, 
et  M""  Marie  de  Gradowsky,  une  charmante  canlat  ice  russe,  enfant  gâtée  de 
quelques  salons  privilégié.^,  qui  a  fait  ses  études  musicales  avec  M""  Artot  de 
Padilla,  et  à  laquelle  notre  grand  chanteur  Faure  a  donné  des  conseils  d'autant 
plus  précieux  qu'ils  sont  très  rares.  Elle  a  dit  d'une  jolie  voix,  et  avec  beiucoup 
de  sentiment,  l'air  du  Mysoli,  de  la  Perle  du  Brésil,  et  te  Suir,  d'Ambroise Thomas. 
La  colonie  russe,  très  brillamment  représentée  à  cette  réunion,  a  fait  fête  aussi 
à  M'""  G.  Ferrari,  M""  Bartchetf,  MM.  Delaquerrière  et  de  Kuhne.  —  Sigualous, 
parmi  les  auditions  d'élèves  données  celte  semaine,  celle  de  M""  Tarpet-Leclercq, 
professeur  au  Conservatoire,  entièrement  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Paul  Rou- 
gnon.  En  écoulant  jouer  des  morceaux  tels  que  Parmi  le  thym  et  la  rosée,  Bal- 
lerine, Mascarade,  Menuet  de  l'Infante,  Valse  des  fîleuses,  Sous  les  tilleuls.  Astre  des 
nuits  et  Valse  Joyeuiie,  de  genres  très  diflérents,  on  a  pu  se  convaincre  de  l'excel- 
lence de  l'enseignement  de  M'""  Tarpet.  Une  élève  de  M.  Bix,  M"'  Nalhan,  s'est 
fait  vivement  applaudir  en  chantant  une  joIi3  mélodie,  de  M.  Rougnon  également, 
Pour  vous  !  —  Une  mention  est  due  aussi  à  la  matinée  donnée  par  M"=  Ilerpin, 
dont  plusieurs  des  élèves  ont  fait  preuve  de  très  réelles  qualités  en  exécutant  des 
morceaux  de  MM.  Lack  [Tz-iganiji],  Dolmeisch  {Passei>'ed),  Neustedt,  Godard,  Cha- 
vagoat,  etc.,  et  encore  à  celle  donnée  par  M—  Méreaux,  l'excellent  professeur  fixé 
à  Rouen  et  dont  les  leçons  sont  fort  courues  à  juste  titre  :  Clair  de  lune,  de 
M.  Th.  Dubois,  et  Caimce-Mazurke,  finement  dits,  ont  eu  les  honneurs  du  pro- 
gramme. —  Au  dernier  concert  de  la  Société  de  musique  classique  de  Perpignan, 
dirigée  par  M.  Gabriel  Baille,  directeur  de  l'École  de  musique  de  celte  ville,  on 
a  beaucoup  applaudi  une  Sijniphonie  pittoresque,  œuvre  de  ^L  Baille  lui-même, 
dont  le  succès  a  été  complet.  —  Les  journaux  de  Bordeaux  sont  unanimes  à  pro- 
clamer le  vif  succès  obtenu  au  dernier  concert  de  la  Société  de  Saint-Yincent- 
de-Paul  de  eeite  ville  par  la  jeune  pianiste  M""  Madeleine  Bartels,  qui  s'est  fait  en- 
tendre dans  des  pièces  de  (Chopin,  Schumann  et  Sainl-Saéns,  interprétées  par 
elle  avec  une  grande  perfection  de  s^jle  et  de  mécanisme,  et  plus  particuliè- 
rement encore  dans  deux  des  plus  charmantes  œuvres  de  son  professeur, 
M.  Théodore  Lack:  Chant  d'avril  et  la  célèbre  Valse  arabesque,  qui  lui  a  été  rede- 
mandée par  acclamation.  —  Très  réussie  la  soirée  musicale  de  M"'  Altmeyer,  qui 
s'est  fait  applaudir  dans  plusieurs  morceaux  de  son  répertoire  et  en  accompa- 
gnant au  violon  Rose  d'avril  de  Campana,  chanté  par  M"*  Marie  Ruefi' ;  succès 
aussi  pour  le  duo  de  Sigtird,  inlerprété  par  M"'=  Rueff  et  un  de  ses  élèves, 
M.  Jules  Gogny.  —  Grand  succès  l'autre  soir,  salle  de  l'Agriculture,  pour  la  jeune 
planiste  Hélène  Moulins.  On  a  beaucoup  regretté  l'absence  de  sa  sœur  Marguerite, 
retenue  par  une  scarlatine  qui  inquiète  vivement  sa  famille  et  ses  amis.  —Dimanche, 
8  mars,  charmante  matinée  oSerte  par  la  Société  musicale  de  Saint-Maurice  aux 
convalescents  de  l'Asile  National  de  Vinceunes,  dans  la  belle  salle  des  fêtes  de 
l'établissement.  Succès  complet  et  mérité  aussi  bien  pour  les  sociétaires  que 
pour  les  artistes  qui  ont  prêté  leur  gracieux  concours.  M.  Dufour  et  M""  Gêniez 
ont  été  fort  applaudis  dans  le  duo  de  Miijnon,  qu'ils  ont  dît  bisser.  Puis  MM.  Pet- 
tiau,  Pichard,  Garnier,  Ghiss,  toute  une  pléiade  de  lauréats  du  Conservatoire 
ont  charmé  les  malades.  Une  mention  aussi  à  M.M.  Bertrand,  Quarez,  Vaugeoia 
et  Leclerc,  artistes  de  grand  talent.  —  La  matinée  d'élèves  donnée  ii  la  salle 
de  géographie  par  M"'  Bertucat  a  eu  un  grand  succès.  Le  parfait  ensemble 
des  chœurs,  la  bonne  exécution  do  plusieurs  morceaux  seuls  ont  valu  aux 
élèves  les  ovations  du  public.  La  marche  de  Chopin,  jouée  par  M.  R.  Pugno, 
avec  le  chant  à  l'unisson  par  les  élèves,  a  vivement  impressionné  l'auditoire  ; 
c'était  la  première  lois  que  ce  morceau  était  exécuté  de  cette  façon.  — 
Lundi  16  mars,  à  la  salle  Pleyel,  très  intéressante  audition  des  élèves  de 
M'»"  Guéroult.  La  toute  jeune  pianiste  M""  Numa,  a  été  très  remarquée  dans  le 
Pizzicato  de  Delibes.  M"'  Gros-Richard  et  M""  Guéroult  ont  dit  avec  un  brio 
remarquable  nn  duo  à  deux  pianos  (andanle  et  rondo)  de  M.  II.  Barbedette.  Grand 
effet  produit  par  la  Marche  tuoniphaleàe  M.  Bourgeois, pour  le  piano. M.  Lemaîire, 
violoniste,  a  été  1res  applaudi  dans  la  Fileusc  du  même  auteur.  Nombreuse  assis- 
tance, programme  très  chargé;  grand  succès.  —  Le  succès  des  matinées  musicales 
de  M">=  Claire  Lebrun  est  toujours  plus  grand  chaque  année.  Celte  fois,  l'excel- 
lent professeur  a  fait  entendre  toutes  ses  élèves,  et  petites  et  grandes  ont  été 
absolument  acclamées.  M""  B.  Laurent  et  M""  Magdeleine  Godard  apportaient 
leur  concours,  comme  professeurs  et  comme  artistes,  et  ont  été  chaleureusement 
applaudies.  —  L'excellent  professeur,  M.  Déledicque,  a  donné  dimanche  dernier 
une  audilion  d'élèves.  Plusieurs  jeunes  fdies  et  jeunes  gens  ont  joué  sur  le  vio- 
lon des  morceaux  exécutés  avec  stireté.  Le  pizzicato  de  Sylvia,  joué  par  tous  les 
violonistes  avec  un  ensemble  remarquable,  a  élé  acclamé.  Aux  élèves  de  M.  Dé- 
ledicque s'étaient  joints  ceux  de  M"":  Raux-Déledicque,  ce  qui  nous  a  donné 
l'occasion  de  constater  la  méthode  correcte  et  vraiment  artistique  de  leur  zélé 
professeur.  —  Au  concert  donné  le  samedi  21  mars  à  l'instilution  des  jeunes 
a73ugles  on  a  beaucoup  remarqué  une  scène  bretonne  pour  chœur  et  orchestre. 


paroles  de  M.  Guilbeau,  musique  de  M.  Adolphe  Marly.  —  Le  Cercle  des  Beaux- 
Arts  de  Nantes  a  donné,  il  y  a  quelques  jours,  pour  terminer  la  série  de  ses 
fêtes,  un  concert  avec  le  concours  de  Louis  Diémer  et  de  son  élève  préféré, 
M.  Risler.  Les  remarquables  virtuoses  ont  joué  d'une  façon  merveilleuse  des 
duos  do  Saint-Saëns,  Schumann  et  Liszt,  et  leur  triomphe  a  été  complet.  M.  Dié- 
mer a  de  plus  été  très  applaudi  comme  clavecenisle,  en  faisant  entendre  un 
instrument  reconstitué  avec  un  sciu  scrupuleux  par  la  maison  Pleyel  Wolff 
etC'.  Danslamêmc  soiréaM.  Tolbecque,  1  excellent  violoniste,  a  obtenu  un  grand 
succès  avec  des  pièces  pour  baste  de  viole  de  l'effet  le  plus  curieux.  —  M"»  Marie 
Laisné  a  donné  le  il  mars,  au  Gymnase  de  la  parole,  une  grande  matinée  musi- 
cale et  littéraire  dans  laquelle  elle  a  fait  entendie  quelques-unes  de  ses  élèves 
de  piano  et  de  chant.  Le  succès  a  pleinement  récompensé  les  efforts  de  l'excellent 
professeur  et  nous  avons  principalement  remarqué,  pour  le  piano,  M""  Suzanne  M. 
dans  Promenade  aux  clmmps,  de  M.  Trojelli,  M"'  Tbérèso  T.  dans  Badinage,  de 
M.  F.  Thomé  et  M"'  Marthe  P.  dans  la  Valse  arabesque  de  M.  Th.  Lack,  pour 
le  chant,  M"»  F.  dans  le  Soir  de  M.  A.  Tliomas.  M""  D.  et  S.  dans  le  duo  du 
Roi  l'a  dit,  M"«  W.  et  L.  dans  le  Cruci/i.c  de  M.  Faure  et  M"'  M.  D.  dans  le  Sen- 
tier de  M.  Th.  Dubois.  —  M.  Edouard  Risler,  l'un  des  brillants  premiers  prix  de 
piano  du  Conservatoire,  a  donné,  salle  Pleyol,  un  des  concerts  les  plus  intéres- 
sants de  la  saison,  avec  le  concours  de  M"'  Leroux-Ribeyre,  de  M.  Diémer  son 
maître,  et  de  M.  Taffanel.  Qu'il  exécute  du  classique,  Beethoven,  Chopin,  Schu- 
mann, ou  du  moderne  comme  la  Chaconue  de  M.  Th.  Duboi's  et  les  pièces  di- 
verses de  Berlioz,  Liszt  tt  de  MM.  Saint-Saëns,  Pfeiffer,  Diémer,  son  jeu  reste 
toujours  aussi  captivant  et  son  mécanisme  aussi  impeccable. 

—  Au  dernier  concert  de  l'Association  artistique  d'Angers,  on  a  fait  un 
chaleureux  accueil  à  M.  I.  Philipp,  qui  est  assurément  l'un  des  pianistes 
les  plus  complets  que  nous  possédions  aujourd'hui.  Le  virtuose  est  chez 
lui  doublé  d'un  remarquable  musicien.  Il  a  interprété  avec  un  sentiment 
exquis  le  beau  concerto  de  M.  Ch.-M.  Widor  et  la  poétique  fantaisie  de 
M.  Emile  Bernard.  De  M.  Widor  on  a  encore  entendu  sa  seconde  sym- 
phonie,  œuvre  des  plus  remarquables  et  dont  certaines  pages  sont  dignes 
dètre  comparées  aux  meilleures  productions  de  Schumann.  La  première 
partie  se  distingue  tout  particulièrement  par  la  beauté  de  la  conception  : 
c'est  du  moderne  classique. 

NÉCROLOGIE 

Les  journaux  portugais  nous  apprennent  la  mort,  à  l'âge  de  quarante 
et  un  ans,  d'un  compositeur  dont  les  œuvres,  parait-il,  sont  extrêmement 
populaires  à  Lisbonne  et  à  Porto,  oit  depuis  longtemps  il  était  très  applaudi, 
bien  que  quelques-uns  l'aient  accusé  d'imiter  servilement  nos  musiciens 
français.  M.  Alves  Reniez,  chef  d'orchestre  et  directeur  du  théâtre  royal 
de  Porto,  avait  écrit  un  grand  nombre  d'opérettes  qui  lui  avaient  valu  de 
véritables  succès  de  la  part  do  ses  compatriotes,  et  parmi  lesquelles  on 
signale  surtout  a  Bilha  Quebrada,  Verde-Gaio,  Lenda  do  Oinor  malliado.  Se  eu 
fora  rci,  Doin  César  de  Bazan,  Moleiro  d'AIcala,  a  Fillia  do  Tambor-mor, 
Dragoes  â'el  Rei,Gato  Preto,  Rcca  de  Vidro,a  Princeza  Azulina,Rei  de  Oiros,  etc. 

—  A  Barcelone  vient  de  mourir  une  chanteuse  d'opérette  naguère  très 
appréciée  à  Madrid,  M'""^  Dolores  Perla,  fameuse  au  temps  où  la  zarzuela 
llorissait  au  théâtre  des  Variétés  de  cette  ville. 

—  De  Messine  on  annonce  la  mort  imprévue  et  presque  subite  d'un 
artiste  qui,  en  ces  dernières  années,  s'était  acquis  une  grande  réputation, 
la  basse  Enrico  Gherubini.  Il  était  né  à  Rome,  et  a  succombé  très  rapi- 
dement, le  18  mars,  à  une  congestion  cérébrale,  à  peine  âgé  de  trente-cinq 
ans.  —  Un  autre  chanteur,  le  baryton  Luigi  Brignole,  qui  obtint  d'assez 
brillants  succès,  particulièrement  à  la  Scala  de  Milan,  vient  de  mourir  à 
Naples  à  l'âge  de  soixante-quatre  ans. 

—  Le  théâtre  impérial  de  Moscou  vient  de  faire  une  perte  dans  la  per- 
sonne de  Jean  Butenko,  qui  y  tenait  l'emploi  de  basse  sérieuse,  et  qui  a 
succombé  à  une  attaque  de  diphthérie.  Cet  artiste  s'était  fait  applaudir 
aussi  en  Italie,  notamment  à  Mantoue  et  au  théâtre  Dal  Verme,  de  Milan. 

—  La  musique  aux  Etats-Unis  est  en  deuil  d'un  de  ses  plus  fermes 
soutiens,  Calixta  Lavallée,  président  de  l'Association  nationale  des  professeurs 
de  musique,  mort  à  Boston,  dans  sa  cinquantième  année.  Né  à  Montréal  et 
français  d'origine,  Lavallée  reçut  son  éducation  musicale  au  Conservatoire 
de  Paris,  dans  les  classes  de  Bazin  et  de  M.  Marmontel.  Après  avoir  par- 
couru l'Europe,  il  retourna  dans  sa  ville  natale  pour  y  fonder  un  Conser- 
vatoire qui  ne  réalisa  pas  toutes  ses  espérances.  Il  émigra  alors  aux  Etats- 
Unis,  où  il  se  fit  rapidement  un  nom  comme  compositeur  de  musique 
militaire  et  comme  exécutant  sur  le  piano,  le  violon  et  ...  le  cornet  ù  pis- 
tons. Plus  tard,  délaissant  la  musique  militaire,  qui  lui  rapportait  cependant 
gloire  et  argent,  mais  ne  répondait  pas  à  ses  aspirations  artistiques,  il  se 
consacra  au  professorat  et  à  la  propagation  des  œuvres  musicales  améri- 
caines. C'est  grâce  à  son  esprit  d'initiative  et  à  son  activité  que  des  fes- 
tivals ont  pu  être  organisés,  qui  ont  mis  en  lumière  les  œuvres  de  com- 
positeurs américains  aujourd'hui  renommés.  Ces  derniers  lui  avaient  offert 
en  témoignage  de  leur  gratitude  le  poste  de  président  de  l'Association  natio- 
nale des  professeurs  de  musique,  qu'il  occupait  depuis  1886. 

He.nri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  chez  M,vck,ir  et  Noël,  éditeurs 

"li,  passage  des  l'anoramas,  Paris 

Les  œuvres    du    célèbre   compositeur   russe 

P.  TSCHAIKO'WSKY 


3i3i  —  S?"^  mÎË  —  iA°  li. 


Dimanche  S  Avril  1891, 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Direcieur 


Adresser  pbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-posle  d'abonnemenU 

Un  on,  Texte  seul  :  1(1  l'rancs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  com|ilet  d'un  an,   Tiïxte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  fpais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (3«  article),  Albert  Sol'bies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral,  H.  M.  —  III.  Napoléon  dilettante  (2'  article), 
Edmond  Neukosim  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle numéro  de  ce  jour: 

FAUT-IL    CHANTER?... 

dernière  mélodie  de  Léo  Delibes,  poésie  du  V'<=  de  Borbelli.  —  Suivra 
immédiatement  :  Le  meilleur  moment  des  amours,  mélodie  de  Léo  Delibes, 
poésie  de  Sully-Prodhomme. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Guitare,  pièce  extraite  de  Conte  d'avril,  musique  de  Ch.-M.  Widor. 
—  Suivra  immédiatement:  Romance,  pièce  également  extraite  de  Conte 
■d'avril. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A.llt>ert  SOUBIES   et  Charles   IVIALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX   ANNÉES    CRITIQUES    (1860-1861) 

(Suite.) 
Les  changements  de  direction  amènent  des  ouvrages  nou- 
veaux, comme  aussi  de  nouveaux  interprèles.  Voilà  ce  qui 
explique  à  un  jour  de  distance,  les  5  et  6  juillet  1860,  la 
rentrée  momentanée  de  deux  artistes  qui  semblaient  perdus 
pour  la  salle  Favart,  Roger  et  M""^  Ugalde  :  le  premier  dans 
Baydée,  avec  IW"  Dupuy,  une  revenante  elle  aussi,  mais  très 
provisoire;  la  seconde  dans  Galath;e.  Déjà,  le  26  juin,  Roger 
avait  prêté  son  concours  a  une  représentation  donnée  au  béné- 
fice d'un  artiste  que  l'on  ne  nommait  pas,  en  réalité  pour 
racheter  du  service  militaire  le  fils  de  Duvernoy,  ce  qui  fut 
d'autant  plus  facile  que  la  recette  atteignit  6.963  fr.  50.  Au 
programme  figuraient  les  Désespérés,  joués  par  la  troupe  de 
rOpéra-ùomique,  un  Caprice,  joué  par  la  troupe  des  Français, 
Monsieur  Prudhomme,  joué  par  Henri  Monnier,  Nathan, 
Mmos  Revilly  et  Geoffroy,  plus  un  fragment  de  comédie,  disait 
l'afSche,  récité  par  Samson  ;  ajoutons  que  cette  comédie, 
alors  inédite,  s'appelait  le   Veuoage.  Deux  noms  surtout  méri- 


taient de  fixer  l'attention  :  M'"''  Trebelli,  dont  on  connaissait 
les  succès  en  Espagne,  mais  qui  n'avait  jamais  encore  paru 
en  public  à  Paris  ;  elle  chanta  seule  le  brindisi  de  Lucrèce 
Borgia,  et  avec  M.  Crosti  une  scène  du  Barbier  de  Séville,  épreuve 
qui  confirma  sa  jeune  renommée  ;  puis  Roger,  qui  chanta  le 
duo  de  la  Reine  de  Chypre  avec  Bonnehée  et  le  premier  acte  de 
la  Dame  blanche.  II  y  avait  onze  mois,  presque  jour  pour  jour 
(27  juillet  1859),  qu'il  avait  perdu  son  bras  lors  de  cette 
chasse  fatale  dont  il  a  raconté  l'issue  en  termes  émouvants 
dans  son  Carnet  d'un  ténor.  Entouré  des  sympathies  de  tous, 
il  fut  acclamé,  et  son  succès  détermina  la  direction  à  l'enga- 
ger pour  un  certain  nombre  de  représentations  en  attendant 
qu'il  partit  pour  Bade,  où  il  devait  créer  la  Colombe,  de  Gou- 
nod.  C'est  ainsi  qu'on  put  l'applaudir  en  1860  daas  Haydée, 
la  Dame  blanche,  le  Domino  noir,  et  l'année  suivante,  à  son 
retour  d'Allemagne,  dans  les  mêmes  ouvrages  et,  en  outre, 
dans  les  Mousquetaires  de  la  Reine.  Il  touchait  alors  à  la  fin  de 
sa  carrière  dramatique  et  devait  désormais  se  consacrer  à 
l'enseignement. 

A  côté  de  ces  rentrées  il  faut  rappeler  deux  débuts,  celui 
de  Laget,  le  8  juillet  1860,  dans  Tracolin  du  Toréador,  un 
ténor  qui  comptait  déjà  de  notables  succès  en  province;  et 
celui  de  M'''^  Marimon,  le  30  juillet  1860,  dans  Catarina  des 
Diamants  de  la  Couronne,  une  élève  de  Duprez,  une  cantatrice 
à  la  voix  souple  et  brillante  et  qu'on  avait  applaudie  précé- 
demment au  Théâtre  Lyrique;  le  rôle  prêtait  aux  vocalises 
et  la  débutante  en  ajouta  de  sa  façon  pour  montrer  qu'elle 
atteignait  sans  peine  le  conive-fa  dièse,  point  culminant  qui  n'a 
jamais  été  dépassé  depuis  qu'une  seule  fois  dans  V Esclarmonde 
de  M.  Massenet.  Ce  début  avait  du  s'effectuer  plus  tôt,  dans 
une  reprise  du  Petit  Chaperon  rouge,  où  M""  Marimon  aurait 
pris  la  place  de  M'"'^  Faure-Lefebvre,  qui  parlait  alors  de 
quitter  le  théâtre.  Il  n'en  fut  rien,  heureusement,  et  celle-ci 
tint  le  t  août  le  rôle  qui  lui  revenait  de  droit,  car  c'est  en 
partie  pour  elle  qu'on  reprenait  ce  vieil  ouvrage  de  Boiel- 
dieu,  oublié  depuis  1842  ;  elle  s'y  montra  ravissante  de 
finesse  et  de  grâce,  à  côte  de  Crosti  (Rodolphe),  remplacé 
uu  mois  après  par  Montaubry,  Warot  (Roger),  Barrielle  (l'Er- 
mite), Lemaire  (Job),  M""'  Z.  Belia  (Mariette),  M"""  -  Casimir 
(Berthe).  Avec  M"<^  Faure-Lefebvre,  et  plus  tard  M"=  Marimon, 
le  Petit  Chaperon  rouge  se,  maintint  deux  années  et  obtint 
36  représentations  :  depuis  lors  il  a  défiuitivement  disparu. 

Cependant,  le  directeur  Beaumont,  au  lieu  de  monter  des 
pièces  nouvelles,  se  livrait  aux  douceurs  de  la  poésie  offi- 
cielle, et  produisait  sur  son  théâtre,  le  15  août,  une  cantate 
ttvec  chœurs  :  Vive  l'Empereur,  dont  M.  Jules  Cohen  avait  écrit  la 
musique.  Le  succès  fut  tel  qu'on  en  donna  six  auditions,  les 
deux  premières  avec  Montaubry  (15  et  16),  la  troisième  avec 
Carré  (17),  la  quatrième  avec  Montaubry  (18),  les  dernières  avec 


106 


LE  MENESTREL 


Warot  (17  et  19  septembre).  Cette  cantate  valut  même  une 
petite  réclame  au  jeune  ténor  Carré,  appelé  à  suppléer  Mon- 
taubry  indisposé.  On  raconta  qu'il  avait  retenu  la  musique  de 
M.  Jules  Cohen  après  une  seule  audition,  et  un  journal  ajouta 
gravement  :  «  Ce  tour  de  force  fait  honneur  au  talent  du 
musicien,  mais  il  prouve  également  en  faveur  du  talent  de 
M.  Cohen.  Il  n'y  a  que  les  mélodies  franches  et  nettes  que 
ron  puisse  retenir  si  facilement.  j>  Que  de  compositeurs 
aujourd'hui  se  refuseraient  à  prendre  cette  phrase  pour  un 
compliment  ! 

Elle  n'aurait  pas  déplu  à  Ernest  Gautier,  qui  ne  haïssait 
pas  les  flonflons  et  en  avait  parsemé  le  petit  acte  donné  le 
28  août  sous  ce  titre  :  le  Docteur  Mirobolan,  la  Comédie-Fran- 
çaise ayant  fait  des  difficultés  pour  lui  laisser  celui  de 
Crispin  médecin,  alors  que  par  une  étrange  contradiction  elle 
laissait  jouer  quatre  jours  plus  tard  au  Théâtre-Lyrique  un 
Ci-ispin  rival  de  son  maître,  mis  en  musique  par  M.  Sellenick. 
C'est  la  fameuse  pièce  de  Hauteroche  que  Gormon  et 
Trianon  avaient  amputée  de  deux  actes  et  fort  adroitement 
disposée  pour  l'agrément  du  compositeur,  on  peut  ajouter 
et  du  public,  car  le  Docteur  Mirobolan  eut  un  succès  de  gaieté. 
Tous  les  interprètes  s'y  montraient  désopilants,  entre  autres 
Gouderc  et  Berthelier,  qui  disait  de  si  plaisante  façon  les 
couplets  :  J'aimions  un'fiUe  d'ia  campagne. 

Un  autre  acte  réussit  encore,  quoique  moins  bruyamment, 
le  17  septembre.  A  dire  vrai,  la  salle  Favart  n'en  avait  pas 
la  primeur,  puisque  Ma  tante  dort  avait  été  représenté  au 
Théâtre-Lyrique  le  21  janvier  précédent.  Coïncidence  curieuse, 
un  mois  après  (18  février)  une  grande  pièce  venait  au  monde 
qui  devait  plus  tard  être  pareillement  ti-ansplantée,  mais 
avec  bien  plus  d'éclat,  Philémon  et- Baucis.  En  jetant  les  yeux 
sur  les  deux  distributions,  on  devine  quelle  raison  avait  valu 
cet  honneur  au  lever  de  rideau  dont  H.  Grémieux  avait  écrit 
les  paroles  et  H.  Caspers  la  musique. 

THÉÂTRE-LYRIQUE  0PÉRA,-C0M1QUE 

Scapin,  Meillet.  Mocker. 

Le  Chevalier,     Legrand.  Ponchard. 

Martine,    M"'^^  UgalJe.  M-^^^  Ugalde,  ensuite  M""  Lemercier. 

Gabrielle,  Durand.  Bousquet. 

La  Marquise,     G.  Vadé.  Révilly. 

C'était  M™'^  Ugalde  qui,  changeant  de  théâtre,  n'avait  pas 
voulu  perdre  tout  le  bénéfice  d'un  de  ses  grands  succès;  et 
Albert  de  Lassalle  s'est  donc  trompé  de  deux  ans  quand  il  a, 
dans  son  Mémorial  du  Théâtre-Lyrique,  fixé  à  1862  le  déplace- 
ment de  ce  petit  ouvrage  qui,  dans  son  nouveau  domicile, 
obtint  trente-quatre  représentations  en  trois  ans.  La  lecture 
de  la  partition  révèle  deux  particularités  :  la  première  est 
très  flatteuse  pour  une  artiste,  puisque  l'emploi  de  M™  G. 
Vadé  est  désigné  sous  le  nom  de  «  Révilly  »,  comme  celui 
de  Meillet  sous  le  nom  de  »  Martin  »  ;  la  seconde  est  flatteuse 
pour  le  compositeur,  puisque  l'ouvrage  contient  une  valse 
pareille,  presque  note  pour  note,  à  celle  que  Gounod  devait 
un  jour  écrire  pour  Bornéo  et  Juliette. 

Un  souvenir  comique  se  rattache  en  outre  à  cette  soirée 
du  17  septembre,  où  parut  Ma  tante  dort.  La  représentation 
était  donnée  au  bénéfice  des  chrétiens  de  Syrie,  et  le  pro- 
gramme comportait  diverses  œuvres  et  fragments  d'œuvres, 
entre  autres  les  Chaises  à  porteurs,  le  deuxième  acte  de  Fra 
Diawlo,  la  cantate  de  Vive  VEmpereur  (celle  qu'on  a  retenait  » 
si  aisément),  des  intermèdes  par  M"''''  Monrose  et  Lemercier, 
MM.  Barrielle  et  Berthelier,  enfin  le  premier  acte  de  V Étoile 
du  Nord.  A  ce  numéro,  la  salle,  composée  en  grande  partie 
de  provinciaux  et  d'étrangers,  devint  houleuse  :  on  réclamait 
à  grands  cris  l'ouverture,  célèbre  alors.  Le  régisseur  se  pré- 
senta, disant  que  ce  morceau  ne  figurait  pas  sur  l'affiche. 
«  Ça  ne  fait  rien!  »  répondit-on  en  chœur.  Tilmant,  le  chef 
d'orchestre,  prit  la  parole  à  son  tour  pour  expliquer  que 
l'ouverture  comprenait  une  partie  de  fanfare  et  que  la  fanfare 
n'avait  pas  été  commandée.  «  On  s'en  passera  »  répondit   la 


foule.  Alors,  pour  apaiser  ce  tumulte,  Tilmant  se  mit  à  tour- 
ner ostensiblement  les  feuillets  de  sa  partition,  comme  s'il 
voulait  commencer  par  le  commencement;  il  donna  le  mot 
d'ordre  à  ses  soldats  et  joua...  l'introduction.  Soit  ignorance, 
soit  lassitude,  on  se  tint  pour  satisfait;  mais  parmi  les  spec- 
tateurs, quelques-uns  durent  trouver  que  cette  ouverture 
manquait  de  développement  !  (A  suivre.) 

BULLETIN    THÉÂTRAL 


Pendant  la  semaine  de  Pâques,  l'histoire  de  nos  théâtres  ne  pré- 
sente jamais  beaucoup  de  piquant,  et  pourtant  c'est  une  des  se- 
maines les  plus  riantes  de  la  vie  des  directeurs.  Sans  s'ingénier  à 
faire  des  risettes  nouvelles  aux  passants,  ils  n'ont  qu'à  se  baisser 
pour  ramasser  de  fort  belles  recettes.  Heureux  les  théâtres,  comme 
les  peuples,  quand  ils  n'ont  pas  d'histoire  ! 

Il  y  a  eu  pourtant,  pendant  toute  cette  passe  de  fêtes  bénies,  un 
lot  d'imprésarios  singulièrement  inquiets  et  nerveux  ;  ce  ne  sont 
pas  de  ceux  qui  sont  en  place  dont  nous  voulons  parler,  mais  de 
ceux  qui  aspirent  à  prendre  la  place  des  autres.  A  ce  titie,  puisqu'il 
s'agit  de  remplacer  des  individus  aussi  peu  intéressants  que  MM.  Ritt 
et  Gailhard,  nous  ne  pouvons  qu'accorder  toute  notre  considération 
et  tout  notre  encouragement  aux  candidats  qui  se  mettent  sur  les 
rangs  pour  décrocher  la  timbale  de  l'Opéra.  En  voici  la  liste  très 
officielle  et  très  complète  : 

M.  Victor  Wilder,  le  critique  éminent  du  6(7  Blas,  porte-drapeau 
de  l'école  qui  marche  de  l'avant,  quelquefois  même  trop  impétueu- 
sement, au  risque  de  se  casser  le  cou  au  milieu  des  ténèbres; 

M.  Emile  Blavet,  journaliste  alerte,  esprit  très  parisien  ; 

MM.  Bertrand  et  Gampocasso,  association  solide  et  départementale,, 
qui  nous  donnerait  à  peu  près  l'équivalent  de  la  direction  de  M.  Halanzier 
(ou  a  pu  voir,  par  la  suite,  après  les  méfaits  de  MM.  Ritt  et  Gailhard,, 
que  cette  direction  bonhomme  et  sûre  n'était  pas  tant  à  dédaigner)  ; 

MM.  Calabresi  et  Stoumoa,  articles  d'exportation. 

M.  Porel,  directeur  de  l'Odéon,  dont  il  a  presque  fait  une  scène 
musicale.  Joli  metteur  en  scène;  a  contre  lui  de  vouloir  nous  ap- 
porter en  même  temps  que  sa  gracieuse  personne  celle  peut-être 
moins  aimable  de  M.  Charles  Lamoureux.  Bagage  bien  lourd  qui 
pourrait  faire  chavirer  sa  barque. 

M.  Gunzbourg,  candidature  pour  rire,  le  comique  de  la  situation,, 
l'imprésario  farceur  du  théâtre  municipal  de  Nice,  celui  qui  annonce 
avec  gravité  sur  ses  affiches  la  Prise  de  Troyes  (sic),  d'Hector  Berlioz; 
joue  très  bien  à  l'occasion  les  Ménélas  de  Barbe-Bleue  ou  les  Gaspard 
des  Ctoches  de  Corneville.  A  un  profond  mépris  pour  les  droits  des 
compositeurs  français,  dont  il  représente  les  œuvres,  sans  bourse 
délier,  sur  les  scènes  de  Pétersbourg.  Titres  éclatants,  comme  on 
voit,  pour  briguer  la  direction  de  la  première  scène  lyrique  de  France. 

Ces  divers  personnages  ayant  tous  réclamé  déjà  de  l'administra- 
tion des  Beaux-Arts  le  nouveau  cahier  des  charges  pour  en  prendre 
connaissance,  on  peut  les  considérer  comme  ayant  posé  officielle- 
ment leur  candidature.  D'aucuns  ne  craignent  pas  d'ajouter  à  cette 
liste,  déjà  suffisamment  pourvue,  les  noms  de  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
qui  aspireraient  à  voir  renouveler  leur  privilège  comme  s'ils  ne  se 
sentaient  pas  parfaitement  indignes  d'une  telle  faveur.  Nous  n'en 
croyons  pas  un  mot.  M.  Ritt,  presque  un  octogénaire!  Penser  encore, 
à  cet  âge,  à  diriger  quelque  chose!  Et  Gailhard,  que  sa  morgue  et 
ses  mauvaises  façons  ont  rendu  insupportable  à  tout  le  monde!! 
Cela  parait  tout  d'abord  bien  invraisemblable. 

Pourtant,  voici  une  note  de  Jennius,  de  la  Liberté,  toujours  très 
bien  renseigné  en  ces  matières,  qui  donne  singulièrement  à  réfléchir  : 

C'est  liier,  dit-il,  que  les  candidats -à  la  direction  de  l'Opéra  ont  été 
admis  à  prendre  connaissance  du  caL-ier  des  charges. 

Cette  formalité  est-elle  bien  utile?...  N'assure-t-on  pas,  en  effet,  et  avec 
des  preuves  à  l'appui,  que  le  choix  du  ministre  est  fait,  que  la  nomination 
du  nouveau  directeur  serait  même  signée  et  qu'un  autre  ministre  que  le 
ministre  des  beaux-arts  a  tenu  à  ce  que  cette  signature  fût  donnée  avant 
son  départ  pour  la  campagne? 

Ce  qui  voudrait  dire  tout  simplement  que  M.  Gonstans,  avant  de 
quitter  Paris,  aurait  imposé  sa  volonté  à  son  collègue  des  beaux-arts 
et  enlevé  d'autorité  la  nomination  de  ses  protégés  Ritt  et  Gailhard. 
Ceci  nous  parait  bien  gros,  t-t  nous  avons  peine  à  croire  qu3  M.  Bour- 
geois, dont  on  vante  volontiers  l'esprit  d'équité  et  d'indépendance, 
ait  consenti  à  jouer  ce  rôle  de  petit  garçon.  Jusqu'à  ce  que  le  fait 
soit  patent,  nous  ne  pensons  pas  que  le  ministre  songe  à  une  nomi- 
nation qui  serait  un  véritable  défi  porté  à  l'opinion  publique. 


LE  MÉNESTREL 


107 


A  I'Opéba-Gomique,  nous  pouvons  donner  comme  définitif  l'enga- 
gement de  M""=  Sigrid  Arnoldson,  la  charmante  cantatrice  suédoise, 
qui  n'avait  fait  qu'une  courte  apparition  à  Paris,  il  y  a  trois  ans, 
mais  dont  on  avait  gardé  le  plus  agréable  souvenir.  M'"^  Arnoldson 
débutera  vers  le  15  avril  par  la  centième  représentation  de  Lakmé, 
venant  ainsi  donner  un  nouvel  attrait  à  la  reprise  attendue  de  l'œu- 
vre si  remarquable  de  Léo  Delibes.  Avec  M.  Gibert  dans  le  rôle  de 
Gerald  et  M.  Renaud  dans  celui  de  Nilakantha,  on  aura  là  vrai- 
ment une  distribution  de  premier  ordre.  Voici  quel  sera  le  réper- 
toire de  M°"i  Arnoldson  à  l'Opéra-Comique  :  Lakmé,  Mignon,  Mireille, 
Carmen,  le  Barbier  de  Séville,  la  Traviata,  te  Pa?'don  de  Ploërmel,  les 
Noces  de  Figaro  (Chérubin),  et  les  créations  qu'elle  y  pourra  trouver. 
On  voit  que  M.  Carvalho  a  toujours  le  souci  de  s'assurer  le  concours 
des  meilleurs  artistes,  de  ceux  qui  peuvent  piquer  le  plus  la  cu- 
riosité parisieune. 

Cette  semaine,  il  a  fait  entendre  pour  la  première  fois  M""=  Landouzy 
dans  le  rôle  d'Isabelle  du  Pré  aux  Clercs,  oîi  on  l'a  fort  goûtée. 
C'est  là  encore  une  chanteuse  de  grand  mérite,  que  la  précédente 
direction  n'avait  pas  su  mettre  suffisamment  en  valeur.  On  n'attend 
que  le  rétablissement  de  M"=  Vuillaume  pour  la  faire  débuter  à  son 
tour  dans  Mireille. 

Cette  semaine,  on  a  repris  l'Amour  médecin,  la  ravissante  petite 
œuvre  de  Ferdinand  Poise,  en  attendant  qu'on  représente  enfin  sa 
Carmosine,  si  inintelligemment  mise  à  l'écart  par  M.  Paravey.  Avant 
Carmosine,  qu'on  réserve  pour  le  commencement  de  la  saison  pro- 
chaine, nous  aurons  les  Folies  amoureuses,  de  M.  Pessard,  qui  sont 
toutes  prêtes  à  passer,  puis  le  Rêve,  de  M.  Bruneau,  que  M.  Carvalho 
s'est  décidé  à  représenter  de  suite,  ce  petit  drame  intime  et  sans 
parties  chorales  pouvant  être  monté  très  promptement.  C'est  M""  Si- 
monnet  qui  sera  l'héroïne  principale  du  Rêve.  Deux  autres  gros 
morceaux  restent  en  réserve  pour  l'hiver  prochain  :  Enguerrande,  de 
M.  Auguste  Chapuis,  et  enfin  la  Kassya  du  pauvre  Delibes,  qui 
sera  certainement  l'événement  musical  de  la  saison  1891-92. 

On  sent  tout  de  suite,  j'imagine,  le  changement  de  direction  qui 
vient  d'avoir  lieu  à  l'Opéra-Comique.  Que  nous  voilà  loin  de  l'apa- 
thie et  de  la  somnolence  du  précédent  directeur  ! 

H.    MORENO. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


II 

LA  MALMAISON 

Joséphine  avait  acheté  La  Malmaison  en  septembre  1798.  Son 
mari ,  devenu  premier  consul ,  venait  s'y  délasser  une  fois  la 
semaine.  Puis,  il  y  parut  plus  souvent;  car  la  maltresse  du  logis 
se  plut  à  l'embellir  de  toutes  les  attractions  propres  à  en  faire  un 
lieu  de  plaisir. 

Les  familiers  de  la  maison  venaient  y  jouer  aux  barres  et  à  la 
comédie.  D'abord,  ce  fut  un  théâtre  portatif,  au  bout  de  la  galerie, 
près  du  salon.  Puis,  sur  l'ordre  de  Bonaparte,  Fontaine,  son  ar- 
chitecte préféré,  fit  construire,  en  un  mois,  et  moyennant  30,000 
francs,  une  petite  salle  de  spectacle,  dans  les  cours  du  côté  de  la 
ferme.  Elle  était  bâtie  en  planches;  elle  pouvait  contenir  deux  cents 
personnes,  et  l'on  y  communiquait  de  la  galerie  du  rez-de-chaussée 
par  un  passage  couvert  en  coutil. 

Les  acteurs  italiens  inaugurèrent  cette  scène  minuscule  par  la 
Serva  padrona;  mais  ce  furent  les  amis  de  la  maison  qui  formèrent 
sa  troupe  habituelle.  Eugène  de  Beauharnais  jouait  parfaitement 
bien,  s'il  faut  en  croire  M™  d'Abrantès;  Junot  avait  un  talent  supé- 
rieur; et  le  général  de  Lauriston  «  faisait  un  fort  noble  Almaviva  n. 
Les  dames  étaient  :  la  future  M""  d'Abranlès,  déjà  nommée,  femme 
de  Junot;  la  future  reine  Hortense,  M"°  de  Beauharnais,  fille  de 
Joséphine;  et  M"""  de  Bourrienne,  qui  avait,  comme  nous  l'avons 
vu,  présidé  aux  premières  récréations  théâtrales  de  l'ancien  cama- 
rade de  son  mari. 

Bonaparte  avait  eu  soin  de  commander  pour  ses  acteurs  de 
la  Malmaison  un  excellent  matériel,  de  beaux  costumes  et  un 
recueil  assorti  de  pièces  de  théâtre.  En  outre,  c'était  Michot,  de  la 
Comédie-Française,  qui  les  faisait  répéter,  ce  qui  assurait  un 
ensemble  convenable.  Le  vieil  artiste,  qui  avait  formé  comme 
professeur  tant  d'illustrations  de  notre  grande  scène  nationale, 
ne  se  faisait  pas  faute  de  traiter  comme  de  simples  comédiens  ces 


augustes  amateurs  «t  de  leur  crier,  à  tout  propos  :  —  Chaud!  chaud! 
chaud! 

Le  premier  consul  se  plaisait  à  ces  représentations  intimes,  qui 
ne  duraient  jamais  trop  longtemps,  le  goût  du  châtelain  de  la  Mal- 
maison  le  portant  surtout,  dans  cette  retraite  pleine  d'ombre  et  de 
calme,  vers  les  plaisirs  plus  délicats  de  la  conversation  et  de  la 
musique,  ou  vers  les  promenades  solitaires  sous  les  grands  arbres 
du  parc,  oîi  le  vent  dans  les  feuilles  lui  contait  des  présages  de 
batailles  et  de  victoires. 

Alors  il  fredonnait  sans  pitié  ses  airs  favoris,  surtout  l'air  de 
Marlbrough,  qui,  d'après  son  valet  de  chambre,  Constant,  était  l'an- 
nonce certaine  d'un  prochain  départ  pour  l'armée.  «  C'était  une 
rage  chez  l'empereur  de  fredonner  ou  de  siffler  »,  nous  apprend  ce 
fidèle  serviteur.  Et  il  ajoute  :  «  II  m'en  régalait  en  se  faisant  ha- 
biller. Ce  que  je  lui  ai  entendu  écorcher  le  plus  souvent  était  la 
Marseillaise.  Je  me  rappelle  qu'il  ne  siffla  jamais  autant  et  qu'il  ne 
fut  jamais  plus  gai  qu'au  moment  de  partir  pour  la  campagne  de 
Russie.   » 

Cette  manie  de  fredonner  valut  souvent  à  Napoléon  les  obsessions 
de  compositeurs  désireux  de  lui  faire  adopter  des  airs  faciles  à 
retenir.  Quelquefois  même,  c'étaient  de  simples  poètes  qui  l'impor- 
tunaient pour  lui  faire  agréer  les  produits  de  leur  muse.  L'un  d'eux, 
un  nommé  Labbé,  qui  avait  fait  profession  de  foi  républicaine  pen- 
dant la  Révolution,  le  poursuivit  longtemps  pour  lui  faire  adopter 
une  romance  de  sa  composition  «  avec  la  musique  gravée  par  Méhul  » 
intitulée  :  la  Descente  de  Guillaume  le  Conquérant  en  Angleterre.  Puis, 
éconduit  définitivement,  il  se  tourna  vers  Joséphine,  qu'il  dota  de 
deux  exemplaires,  superbement  reliés,  d'une  Couronne  poétique  de 
Napoléon,  qu'il  avait  seulement  pris  la  peine  de  copier  dans  les 
œuvres  de  divers  chantres  gagés  de  la  gloire  impériale...  Ce  qui 
ne  l'empêcha  pas,  d'ailleurs,  de  porter  dans  la  suite  ses  hommages 
à  Louis  XVIII,  en  faisant  valoir  ses  services  pour  la  bonne  cause, 
lorsqu'il  combattait  dans  ses  vers  «  l'usurpateur  Buonaparte  »  au 
péril  de  ses  jours. 

Pour  animer  les  soirées  de  la  Malmaison,  il  n'était  pas  de  dis- 
tractions que  Joséphine  n'imaginât  danslebut  d'amuser  ses  hôtes.  Un 
jour,  elle  fit  venir  les  puces  travailleuses,  qui  faisaient  merveille  à  Paris. 
On  prit  grand  plaisir  aux  passes  d'armes  de  ces  intéressants  artistes  ; 
mais  Bouaparfe  fit  cesser  le  spectacle,  de  peur  que  l'un  d'eux  ne 
vint  à  s'échapper.  L'imprésario  de  cette  troupe  vagabonde  n'en  reçut 
pas  moins  vingt-cinq  louis  pour  ses  honoraires,  car  tous  les  talents, 
de  quelque  nature  qu'ils  fussent,  étaient  magnifiquement  récom- 
pensés à  la  cour  napoléonienne. 

Joséphine  était  l'âme  de  ces  réunions  charmantes.  Puis,  lorsque 
les  invités  étaient  partis  et  que  son  mari  s'était  retiré  dans  sa 
chambre,  elle  le  suivait,  cherchant  à  le  distraire,  jusqu'au  moment 
où  le  sommeil  s'emparait  de  lui.  La  lecture  était  son  seul  talent 
d'agrément,  et  elle  en  usait,  pour  la  plus  grande  joie  de  Napoléon, 
qui  lui  demandait  surtout  des  contes  de  fées.  Parfois,  dans  l'espoir 
de  lui  plaire,  elle  prenait  sa  harpe;  mais,  hélas!  elle  ne  savait 
qu'un  air,  qu'elle  jouait  toujours. 

Désolée  de  cette  infériorité  dans  un  art  que  Bonaparte  admirait, 
elle  prit  soin  que  sa  fille  devînt  une  parfaite  musicienne.  Elle  lui 
donna  les  meilleurs  maîtres,  entre  autres  Plantade,  pour  le  chant, 
et  Dalvimare,   pour  la  harpe. 

Ce  Dalvimare  est  l'une  des  plus  curieuses  figures  de  l'époque  à 
laquelle  nous  nous  reportons.  Il  avait  appris  la  musique  comme  art 
d'agrément;  mais  la  Révolution  le  força  à  en  faire  une  ressource 
pour  son  existence.  Il  fut  harpiste  à  la  musique  de  l'empereur,  à  la 
chapelle  impériale  et  à  l'Opéra.  En  1803,  nous  le  trouvons  témoin 
du  mariage  du  poète  Legouvé.  Puis,  un  beau  jour,  par  suite  d'un 
heureux  changement  de  fortune,  il  donne  sa  démission  de  toutes 
ses  places,  se  retire  à  Dreux,  son  pays,  et,  par  une  fantaisie  singu- 
lière, exige  que  l'on  ne  lui  parle  jamais  de  sa  carrière  d'artiste. 

Dalvimare  a  passé  pour  l'auteur  de  l'air  connu  :  Partant  pour  la 
Syrie,  qui  a  été  également  attribué  à  Plantade.  Mais  il  s'en  est  tou- 
jours défendu,  en  affirmant  que  ce  morceau  était  bien  d'Hortense  de 
Beauharnais,  à  qui  l'on  doit  tant  d'autres  romances,  en  leur  temps 
populaires,  entre  autres:  M'entends-tu?  —  Rêves  d'amour,  —  Peu  connue, 
peu  troublée,  —  La  loi  de  l'exil,  —  M' oublieras-tu  ?  —  Autre  ne  se«,  — 
et  surtout  Adieu,  patrie!  où  toutes  les  larmes  de  l'exil  semblent  s'être 
réfugiées. 

Une  bien  amusante  anecdote  sur  les  relations  scolaires  de  M"=  de 
Beauharnais  et  de  Dalvimare  a  été  contée  par  Jal. 

Celle  qui  devait  devenir  la  reine  Hortense  avait  de  jolies  mains  ; 
elle  les  soignait  avec  une  coquetterie  bien  naturelle  et  laissait  pous- 
ser ses  ongles,  dont  la  longueur   l'incommodait   fort  quand  elle  se 


■108 


LE  MENESTREL 


mcUuit  à  hx  harpe.  Son  professeur  lui  en  fit  respectueusement 
l'obserTation. 

. —  Couper  mes  ongles,  monsieur,  oh  !  non,  je  n'en  aurais  pas  le 
courage. 

Puis,  se  ravisant,  un  peu  triste  de  la  perte  qu'elle  allait  faire,  mais 
raisounable  enfin,  elle  prit  dts  ciseaux,  les  présenta  a  Dalvimare, 
et,  sans  ajouter  un  mol  à  ce  qu'elle  venait  de  dire,  tendit  ses  deux 
belles  mains  à  son  maître,  qui  consomma  le  sacrifice. 

Avant  d'habiter  complètement  à  la  Malmaison,  cette  charmante 
femme,  encore  fort  jeune,  était  en  pensio[i  chez  M™  Campan,  à 
Siiint-Germain.  Le  premier  consul  et  Joséphine  allaient  souvent  l'y 
voir,  surtout  lorsque  les  élèves  d''  l'ancienne  femme  de  chambre  de 
Marie-Antoinette  jouaient  la  comédie,  comme  au  plus  beau  temps 
des  demoiselles  de  Saint-Cyr.  Un  jour  qu'Hortense  remplissait  le 
rôle  d'Eslher  dans  la  tragédie  de  Racine,  '.in  épisode  imprévu  troubla 
la  représentation. 

Parmi  les  spectateurs  se  trouvait  le  prince  d'Orange,  Guillaume  de 
Nassau,  que  l'espoir  de  faire  revivre  ses  droits  mr  la  Hollande 
avait  conduit  à  Paris.  Il  écoutait  la  pièce  avec  intérêt,  et  rien  ne 
faisait  prévoir  qu'un  incident  était  proche,  lorsque,  soudain,  au  mo- 
ment où,  dans  les  chœurs  du  troisième  acte,  l'une  des  jeunes  Juives, 
se  réjouissante  la  perspective  de  fouler  à  nouveau  le  sol  natal,  pro- 
nonce ces  paroles  : 

Je  reverrai  ces  campagnes  si  chères, 

auxquelles  une  de  ses  compagnes  ajoute  : 

J'irai  pleurer  au  tombeau  de  nos  pères, 

des  sanglots  éclatèrent  dans  un  coin  de  la  salle. 

On  s'émeut;  tous  les  regards  .^e  dirigent  vers  l'endroit  d'où  partent 
ces  pleurs  ;  la  représentation  est  interrompue  ;  et  le  premier  consul, 
placé  sur  le  premier  rang  des  spectateurs,  entie  sa  femme  et  Tal- 
leyrand,  demande  à  M"'"  Campan,  qui  se  tenait  debout  derrière  lui, 
d'où  vient  tout  cet  émoi. 

—  Citoyen  général,  répond  celle-ci,  c'est  le  prince  d'Orange,  à  qui 
la  situation  du  dialogue  rappelle  sans  doute  son  infortune. 

—  Ob'  oh!...  ce  n'est  pas  le  moment  de  se  retourner,  se  hâta  de 
dire  Bonaparte... 

Et,  sur  un  signe  de  M"'"  Campan,  la  représentation  continue. 

Lorsque  M"=  de  Beauharnais  revint  à  la  Malmaisou,  elle  fut  l'orne- 
ment et  doubla  le  prix  des  réceptions  qui  s'y  tenaient.  Ce  fut  l'un 
des  plus  merveilleux  salons  qui  aieut  jamais  existé.  Tout  ce  que 
l'armée  renfermait  d'hommes  brillants,  et  la  société  d'hommes  mar- 
quants, se  donnait  rende/.-vous  dans  cet  Eden,  dont  Joséphine  et 
sa  fille  faisaient  les  honneurs  avec  tant  de  grâce.  Et  les  artistes 
surtout,  à  quelque  catégorie  qu'ils  appartinssent,  pourvu  qu'ils 
eussent  du  talent,  y  recevaient  un  accueil  chaleureux  et  empressé, 
qu'ils  auraient  vainement  cherché  dans  aucune  autre  cour  d'Europe. 

Les  musiciens,  compositeurs  et  virtuoses,  jouissaient  là  d'une 
véritable  adulation.  Aux  noms  des  maîtres  à  la  mode  se  joignaient 
ceux  des  anciens,  qui  avaient  fait  leur  cour  à  Marie-Antoinette,  et 
ce  n'était  pas  une  mince  curiosité  de  voir  au  milieu  des  groupes, 
où  se  trouvaient  Paisiello,  Crescentini,  Garât,  se  profiler,  semblables 
aux  deux  sages  de  la  Grèce,  les  austères  figures  de  Grétry  et  de 
Gossec. 

Le  premier  avait  la  spécialité  des  récits  du  temps  de  Versailles 
et  de  Trianon,  tandis  que  le  second  s'étendait  plus  complaisamment 
sur  l'époque  de  la  Révolution.  Il  excellait  à  raconter  ses  impressions 
musicales  de  cette  époque,  si  voisine  et  si  lointaine  déjà.  Mais  il 
faut  dire  qu'il  ménageait  souvent  à  ses  auditeurs  des  surprises, 
auxquelles  ceux-ci  ne  se  rendaisnt  pas  toujours  de  bonne  "race.  Un 
jour,  Gossec  souleva  de  vifs  murmures  eu  déclarant  qu'aucun  temps 
n'avait  été  si  favorable  à  l'églogue  et  aux  délassements  de  l'esprit 
pur.  On  se  récria,  mais  Gossec  tint  bon  et,  prenant  sa  figure  la  plus 
sérieuse,  il  ajouta  : 

—  Messieurs,  ne  vous  étonnez  pas.  Le  goût  des  lettres  et  des  arts 
n'a  jamais  complètement  disparu  en  France.  Il  y  avait  des  salons, 
même  sous  la  Terreur  et  au  milieu  des  terribles  préoccupations  de 
cette  époque,  où  l'on  trouvait  encore  le  temps  de  s'intéresser  aux 
œuvres  de  l'esprit.  Un  jour,  Camille  Desmoulins  lut  dans  le  salon 
de  Robespierre  un  poème  d'opéra-comique  intitulé  Emile  ou  l'innocence 
■vemjée.  Parmi  les  membres  les  plus  émiuents  de  l'aréopage  littéraire, 
je  citerai  Tallien,  Barrère,  Cambacérès,  Lays,  Talma,  Chénier.  Le 
sujet  de  l'œuvre  était  tout  à  fait  en  rapport  avec  les  idées  démo- 
cratiques de  l'époque.  Une  jeune  fille  vit  heureuse  et  tranquille 
dans  son  village,  un  grand  seigneur  la  séduit  et  l'abandonne  lâche- 
ment: tel  est   le  thème   sur  lequel  Camille  Desmoulins  avait  brodé 


les  plus  éloquentes  déclamations.  L'homme  riche  èlait  un  misérable, 
la  jeune  personne  un  type  d'innocence  et  de  pureté,  tout  cela  était 
de  rigueur.  Mais  ce  qui  me  frappa  surtout,  c'est  la  couleur  pastorale 
qui  dominait  dans  cette  composition.  Jamais  Théocrite  et  Virgile 
n'avaient  eu  des  inspirations  plus  suave?.  Quel  saisissant  contraste 
entre  ce  drame  champêtre  et  sentimental,  et  la  plupart  des  hommes 
qui  en  suivaient  avec  intérêt  toutes  les  péripéties! 

Le  marquis  de  Pontécoulant,  qui  a  raconté  cet  épisode,  déclare 
que  les  assistants  ne  se  rendirent  pas  de  suite  à  ses  bonnes  raisons. 
Il  fallul,  pour  lever  leurs  derniers  doutes,  que  Gossec  se  mît  parti- 
culièrement en  scène,  ce  qu'il  fit  de  bonne  grâce. 

—  Je  fus  prié,  dit-il,  par  Camille  cl  ses  amis,  de  faire  de  la  mu- 
sique sur  ce  poème.  J'avais  même  commencé  une  partition,  quand 
les  événements  vinrent  donner  une  autre  direction  à  mes  travaux. 
Mais  quand  je  vivrais  mille  ans,  je  n'oublierais  jamais  cette  réunion 
d'hommes  violents,  écoutant  une  œuvre  d'art  et  souriant  à  la  voix 
de  l'un  d'eux  lorsqu'il  parlait  du  lever  du  jour,  de  la  paix  des 
champs,  des  charmes  de  la  vertu...  Concevez-vous  un  spectacle  plus 
curieux,  une  anomalie  plus  étrange? 

Souvent  la  conversation  se  portait  sur  des  sujets  sérieux,  où  cha- 
cun donnait  son  mot.  Dans  ces  occasions,  Bonaparte  ne  demeurait 
pas  en  arrière.  Un  jour,  comme  un  parlait  des  chants  d'Ossian. 
qu'une  traduction  récente  avait  mis  à  la  mode,   il  dit: 

—  J'aime  Ossian,  sa  lecture  inspire  des  sentiments  héroïques.  Ses 
tableaux  sont  parfois  nébuleux;  mais  sa  mythologie,  qui  peuple  les 
airs  de  héros,  est  d'une  nouveauté  qui  plaît  à  l'imagination.  On  dit 
qu'il  est  monotone  et  qu'il  se  répète  souvent  ;  c'est  le  propre  de  la 
mélancolie,  qui  revient  sur  la  même  idée,  et  je  ne  lui  en  fais  pas 
un  reproche. 

Cetle  indication  ne  fut  point  perdue,  et  l'art  y  gagna  les  tableaux 
de  Gérard  et  de  Girodet,  Vthal,  de  MéhuI,  les  Bardes,  de  Lesueur, 
et  une  foule  de  productions  ossianesqiies,  qui  ont  donné  au  premier 
empire  un  cachet  très  particulier  de  forme  héroïque,  en  siluation,. 
d'ailleurs,  avec  les  événements  dont  il  fut  le  théâtre. 

Pendant  les  beaux  mois  d'été,  les  réceptions  de  la  Malmaison  se 
tenaient  dans  ce  beau  parc,  aujourd'hui  morcelé,  dont  les  ombrages 
séculaires  formaient,  naguère  encore,  un  si  délicieux  paysage  aux 
yeux  des  riverains  de  Chaton  et  de  Croissy.  Les  soirées  ne  suffisant 
plus,  se  doublèrent  de  matinées,  qui  obtinrent  un  succès  tel  que 
bientôt  toute  la  société  paris'ienne  passa  son  temps  à  se  récréer  en 
plein  air,  au  son  des  violons  et  des  chœurs  champêtres.  Puis,  de 
l'été  cette  habitude  passe  à  l'hiver,  de  sorte  que  toute  l'année  se 
compose  désormais  de  réceptions  priées,  avec  programme  obliga- 
toire de  musique  et  de  comédie. 

Un  contemporain  nous  a  laissé  la  description  d'une  de  ces  fêtes 
de  jour  offerte  par  Talleyrand  à  M""=  Bonaparte,  le  14  nivôse  an  VI. 
Les  appartements  avaient  été  décorés  par  les  meilleurs  artistes;  le 
superbe  escalier  de  l'hôtel  GallifTet  était  couvert  d'arbustes;  des 
musiciens  placés  autour  de  la  coupole  faisaient  entendre  une  musique 
délicieuse.  Partout  des  jeux,  des  danses  et  des  rafraîchissements!... 
Puis,  à  un  signal  donné,  l'orchestre  entonne  le  Chant  du  dépari,  et 
la  foule  se  rend  sous  des  bosquets  artificiels,  d'une  imitation 
parfaite,  garnis  de  fleurs  et  de  lumières,  où  les  dames  trouvent 
place  autour  d'une  table  de  trois  cents  couverts,  qui  se  réfléchit 
dans  des  glaces  placées  aux  extrémités  de  la  galerie. 

Ainsi,  l'exemple  de  la  Malmaison  n'était  point  perdu.  Il  faisait 
revivre  les  anciennes  traditions  de  la  bonne  compagnie,  et  son 
iuduence  sur  ce  point,  comme  sur  tant  d'autres,  préludait  au  renou- 
veau, prêt  à  s'étendre  sur  le  domaine  entier  des  jouissances  artis- 
tiques. 

<A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Esthée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Après  le  poème  d'une  grandeur  et  d'une  beauté  incomparables  que- 
Beethoven  a  écrit  sous  le  nom  de  Symphonie  héroïque,  et  que  l'orchestre 
a  exécuté,  selon  sa  coutume,  avec  une  magnificence,  un  élan  et  une  su- 
périorité dignes  d'un  tel  chef-d'œuvre,  la  Société  des  concerts  nous  offrait, 
à  son  concert  spirituel  du  vendredi-saint,  une  composition  nouvelle  de 
M.  Gounod,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  Saint  François  d'Assise,  dont  le 
programme  nous  donnait  l'analyse  un;  peu  sèche  qu=  voici  :  —  «  Cette  com- 
position est  une  sorte  de  diptyque  musical.  Elle  comprend  deux  tableaux  : 
^o  la  Contemplation  extatique  de  saint  François  au  pied  du  Crucifix  et  le 
Baiser  du  Crucifix  à  saint  François  ;  2»  la  Mort  de  saint  François,  entouré 
de  ses  religieux  qui  le  pleurent,  et  accueilli  dans  le  ciel  par  les  anges.  La. 
première  partie  repose  sur  les  deux  principaux  thèmes  suivants  (le  pre- 


l.E  MENESTBKL 


109' 


mier  de  ces  thèmes  est  de  deux  mesures;  le  second,  de  quatre).  La  seconde 
partie  comprend  les  Adieux  de  saint  François  à  ses  religieux.  Il  bénit 
une  dernière  fois  la  ville  d'Assise,  et  expire.  Cette  partie  se  termine  par 
un  chœur  de  voix  célestes.»  L'œuvre,  d'un  joli  caractère,  mais  sans  grande 
originalité,  n'est  guère  autre  chose  qu'une  sorte  de  cantate  religieuse, 
.conçue  dans  de  modestes  proportions.  Elle  débute  par  une  introduction 
symphonique  dans  laquelle  se  fait  remarquer  une  grande  phrase  dite  par 
les  violons  sur  la  quatrième  corde,  dont  la  sonorité  nerveuse  et  ferme  lui 
donne  beaucoup  d'accent.  Au  chant  de  ténbr  qui  vient  ensuite,  et  qui  est 
un  peu  trop  insignifiant,  succède  un  chant  de  basse  beaucoup  mieux  venu, 
simplement,  mais  fort  joliment  accompagné  par  l'orchestre.  Puis,  un  inter- 
mède symphonique,  confié  au  seul  quatuor,  à  l'exclusion  des  instruments 
à  vent,  nous  fait  entendre  une  belle  et  ample  phrase  de  violons,  soutenue 
par  les  arpèges  des  harpes  et  la  sonorité  puissante  de  l'orgue.  Après  un 
chœur  des  religieux  et  quelques  phrases  dites  par  saint  François  expirant, 
on  entend  au  loin  le  chœur  des  anges,  dont  la  couleur  est  très  heureuse 
et  dont  la  sonorité  affaiblie,  estompée,  si  l'on  peut  dire,  produit  son  effet 
infaillible.  —  Le  succès  delà  séance,  on  ne  saurait  le  dissimuler,  a  été  pour 
une  page  plus  que  médiocre  de  Haendel,  où  la  musique  n'a  que  faire  et 
où  tout  est  donné  à  la  virtuosité;  je  veux  parler  de  l'air  du  Rossignol,  déjà 
célèbre  en  son  temps,  tiré  de  l'oratorio  VAllegro  ed  il  Pensieroso,  et  qui  est 
bien,  à  mou  sens,  la  chose  la  plus  ennuyeuse  qui  se  puisse  concevoir. 
Mais  JV!"'"  Melba  était  là,  avec  l'agilité  surprenante  de  son  admirable  voix, 
et  aussi  la  flûte  de  M.  Taffanel,  avec  ses  tours  de  force  étonnants  et  sa 
prodigieuse  virtuosité;  l'un  et  l'autre  s'appelaient  et  se  répondaient,  de 
rossignol  à  rossignol,  et  le  public  de  se  pâmer!...  Bon  public.  De  fait,  les 
deux  excellents  artistes  ont  bien  mérité  les  applaudissements  et  les  rappels 
dont  ils  ont  été  l'objet.  Mais,  avec  toute  l'admiration  et  le  respect  que  je 
professe  pour  le  génie  de  Haendel,  je  trouve  que,  au  point  de  vue  vrai- 
ment musical,  l'air  du  Rossignol  ne  saurait  mériter  qu'une  manifestation 
sincère  :  celle  des  sifflets  à  roulettes.  La  dernière  partie  du  concert  com- 
prenait le  Prélude  de  Tristan  et  Yseult,  mal  placé,  il  faut  le  dire,  dans  la 
salle  du  Conservatoire,  et  dont  l'effet  a  été  nul,  VInjlammatus  du  Stabal  de 
Rossini,  chanté  par  M°'=  Melba,  et  la  superbe  ouverture  d'Athalie,  de  Men- 
delssohn,  dans  laquelle  l'orchestre  s'est  surpassé.  A.  P. 

—  Concert  du  Chàtelet.  —  M.  Colonne  a  clos  la  saison  musicale  et  la 
série  de  ses  concerts  par  un  remarquable  festival.  Son  programme,  très 
chargé,  n'a  pas  fatigué  un  seul  instant  l'attention.  —  Après  l'ouverture  de 
Phèdre,  de  M.Massenet,  qui  a  été  fort  bien  dite,  un  Panis  angelicus  de  César 
Franck,  remarquablement  chanté  par  M.  Warmbrodt,  a  produit  un  grand 
effet.  C'est  une  œuvre  simple  et  noble,  qui  n'offre  pas  les  traces  du  style 
un  peu  trop  compliqué  qui  règne  dans  les  dernières  œuvres  du  regretté 
maître.  M"'Pregiabien  interprété  les  Contes  mijstiques  de  M.  StéphanBordèse, 
mis  en  musique  par  nos  modernes  compositeurs.  Deux  beaux  morceaux 
de  Berlioz,  la  ballade  d'Ophélie  et  la  marche  funèbre  i'Hamlet,  terminaient 
la  première  partie.  La  marche  d'Hamtet  est  une  page  admirable,  une  des 
plus  belles  peut-être  du  grand  maitre  français.  N'oublions  pas  de  men- 
tionner, dans  cette  première  partie,  le  grand  succès  de  M.  Johannès  Wolf, 
qui  a  remarquablement  exécuté  un  concerto  de  Spohr.  —  Dans  la  seconde 
partie,  nous  devons  mentionner  A'oc7,  de  M.  Vidal,  composition  ingénieuse 
et  intéressante,  et  le  Miracle  de  Naïm,  de  M.  Maréchal,  dans  lequel  on  a  re- 
marqué le  très  bel  air  de  la  "Veuve.  Le  chœur  :  A  la  Musif/ue,  de  M.  Chabrier, 
a  été  également  fort  applaudi.  M.  Warmbrodt  s'est  surpassé  dans /e  Kepos 
de  la  Sainte  Famille,  de  Berlioz;  il  a  eu  les  honneurs  d'un  bis  à  onze  heures 
et  demie  du  soir!  —  Le  concert  se  terminait  par  la  belle  Marche  héroïque 
de  M.  Saint-Saëns.  H.  Barcedette. 

—  Concerts  Laraoureux  (Cirque  d'Hiver).  —  Le  programme  était  d'une 
consistance  musicale  médiocre,  bien  qu'il  ne  renfermât  que  des  morceaux 
intéressants  et  de  caractères  (Variés.  Les  Adieux  de  Wolan,  dans  la  Walky- 
rie  de  Wagner,  ont  été  dits  avec  une  certaine  ampleur  et  sans  fausse 
recherche  d'effets  parM.Ramat,  dont  la  voix  ne  parvient  pourtant  qu'avec 
peine  à  soutenir  les  sons  avec  un  peu  de  fixité.  M""=  Brunet-Lafleur  a 
chanté  la  romance  de  la  Damnation  de  Faust  avec  la  voix  charmante  qu'on 
lui  connaît,  mais  sans  éveiller  le  sentiment  d'amère  mélancolie  qui  doit 
se  dégager  de  l'œuvre  de  Berlioz.  De  même,  son  interprétation,  avec 
M"*-'  Landi,  du  duo  de  Béatrice  et  Bénédict,  n'a  pas  mis  en  relief  le  côté 
poétique  de  ce  morceau  si  délicat.  M.  Van  Waefelghem  a  joué  sur  la 
viole  d'amour  une  romance  de  sa  composition  et  un  menuet  de  Milandre. 
Milandre  était  attaché  à  la  musique  de  la  chambre  de  Louis  X"V;  il  a 
laissé  une  méthode  pour  la  viole  d'amour.  Cet  instrument,  à  peu  près 
semblable  à  l'alto,  portait,  sous  les  sept  cordes  principales,  accordées  par 
tierces  et  quartes,  sept  autres  cordes  accordées  à  l'unisson  des  premières 
et  résonnant  sympathiquemeut.  —  Après  cela,  on  a  entendu  M.  Paderewski. 
Cet  artiste  joue  d'une  façon  extrêmement  captivante,  avec  une  exquise 
sonorité,  un  phrasé  charmant  et  des  nuances  d'une  grande  délicatesse,  les 
morceaux  dont  le  rythme  et  la  tonalité  s'imposent  au  point  de  ne  per- 
mettre ni  écarts,  ni  fantaisie.  Quant  aux  morceaux  d'un  caractère  plus 
libre,  il  ne  parvient  pas  à  les  présenter  avec  l'unité,  la  cohésion,  l'har- 
monie de  lignes  qu'ils  comportent.  Dès  que  M.  Paderewski  commence  à 
exécuter  un  ouvrage  de  ce  genre,  on  sent  une  fatigue  de  plus  en  plus 
envahissante  qui  vous  pénètre,  puis  ou  perd  peu  à  peu  le  sentiment  du 
rythme,  car  le  virtuose,  comme  absorbé  dans  une  rêverie  maladive, 
joue  sans  marquer  suffisamment  les  notes  qui  forment  comme  l'ossature 
du  morceau.  Bientôt   après,  c'est  bien   pis,  l'auditeur  éprouve    une   sorte 


d'agacement,  car  le  sentiment  de  la  tonalité  s'obscurcit  et  se  perd  par 
suite  de  la  négligence  du  pianiste  à  mettre  en  relief  les  points  qui  la 
déterminent  et  la  rendent  impérieuse  pour  l'oreille.  Alors  tout  devient 
terne  dans  l'exécution;  plus  de  lumières,  plus  de  formes  distinctes,  tout 
s'éparpille  et  se  désagrège.  Telle  a  été  l'impression  produite  par  le  pre- 
mier morceau  du  concerto  en  ré  de  M.  Rubinstein  et  ensuite  par  un  noc- 
turne de  Chopin.  L'andante  et  le  finale  du  concerto,  une  valse  de  Chopin 
et  une  danse  hongroise  de  Brahms  ont  été,  au  contraire,  pour  M.  Paderewski, 
l'occasion  d'une  éclatante  ovation  et  d'un  triomphe  très  légitime.  L'ouverture 
du  Vaisseau  fantôme,  le  prélude  de  Lohengrin,  l'Enchantement  du  Vendredi- 
Saint  de  Parsifal,  la  Marche  du  crépuscule  des  dieux,  l'ouverture  de  Tannhdu- 
ser  et  un  air  italien  de  Gluck,  bien  rendu  par  M""  Landi,  complétaient 
le  programme.  Amédée  BoijTAREr,. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  ré  mineur  (Schumann);  Biblis,  poème  de  M.  G. 
Boyer  (J.  Massenot),  soli  par  M""Domenech,  MM.  Warmbrodt  etAuguez;  concerto 
pour  deux  pianos  (Mozart),  par  M""  C.  Kleeberg  et  George  Hainl;  ouverture  de 
Coriolan  (Beethoven)  ;  fragments  du  .Vessie  (Haendel),  solo  par  M""  Domenech.  Le 
concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garoin. 

Chàtelet  ;  concert  extraordinaire,  dirigé  par  M.  Pierre  Tchaïkowsky,  pour  l'exé- 
cution de  ses  œuvres  :  Suite  n°  3;  andante  du  quatuor  (op.  11); deuxième oonceito 
(op.  -W),  par  M.  Sapellnikotl  ;  a.  Pourquoi?  b.  0  douce  souffrance!  par  M""  Marcella 
Pregi;  la  Tempête;  Sérénade  mélancolique,  par  M.  Johannès  Wolff;  a.  Romance 
en  fa  mineur  (op.  5),  b.  Valse  (op.  51),  c.  Scherzo  à  la  russe, par  M.  Sapellnikoff; 
a.  Déception,  b.  Sérénade,  par  M.  Engel;  Larmes  humaines,  duo  pir  M"°  Marcella 
Pregi  et  M.  Engel;  Marclie  slave  (op.  31). 

—  Musique  de  chambre,  —  Dans  le  quatuor  à  cordes  de  Beethoven, 
op.  132,  en  la  mineur,  joué  dans  leur  quatrième  séance  par  MM.  Rémy, 
Parent,  Waefelghem  et  Delsart,  la  forme  classique  du  quatuor  est  tout 
à  fait  modifiée;  le  style  devient  déclamatoire;  les  affinités  avec  la  Neu- 
vième sont  nombreuses.  Ceci  particulièrement  dans  la  Canzone  et  dans  le 
finale,  une  sorte  de  scherzo  d'une  fougue  superbe.  L'exécution  de  ce  chef- 
d'œuvre  a  été  excellente.  Le  morceau  moderne  du  programme  était  un  trio 
pour  piano,  violon  et  violoncelle  de  M.  Emile  Bernard,  interprété  avec  un 
talent  hors  ligne  par  MM.  I.  Philipp,  G.  Rémy  et  Delsart.  L'œuvre  de 
M.  Bernard  est  d'une  grande  élévation  d'idées  et  d'une  haute  valeur  musi- 
cale, traitée  avec  une  rare  habileté  et  un  art  délicat  et  raffiné,  h'andante, 
plein  d'un  charme  exquis,  et  le  scherzo,  un  vrai  bijou  de  grâce  et  de  légè- 
reté, méritent  particulièrement  des  éloges  sans  réserves.  M.'™  Conneau,  la 
vocaliste  du  concert,  a  dit  à  ravir  des  airs  de  Gluck  et  de  Rossi. 

H.    Eymieu. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres  : 

Le  succès  de  l'Enfant  prodigue,  mardi,  au  Prince  of  i-Vales  Théâtre,  a 
pris  les  proportions  d'un  véritable  événement  artistique.  Un  peu  de 
méfiance  était  certes  permise  sur  l'accueil  qui  était  réservé  à  Londres  à 
cette  œuvre  si  éminemment  originale  et  s'éloignant  tellement  des  cabrioles 
et  des  pantalonnades  des  Hanlon  ou  des  Lauris,  que  le  public  anglais 
avait  toujours  associées  au  mot  de  pantomime.  Et  puis,  il  existait  un 
fâcheux  précédent  :  l'insuccès  récent  de  la  pièce  à  New- York.  H  est  vrai 
que  là-bas,  M.  Daly  avait  éprouvé  le  besoin  de  tripatouiller  le  scénar;o 
et  on  ne  s'était  aperçu  que  trop  tard  que  les  deux  principaux  interprètes, 
M""  Ada  Rehan  et  M.  Gilbert,  deux  comédiens  renommés,  ne  possédaient 
pas  le  don  de  la  pantomime.  Dans  ces  conditions,  la  jolie  musique  de 
M.  Wormser  seule  avait  réuni  tous  les  sufl'rages  à  New- York.  Il  n'en  a 
pas  été  de  même  à  Londres,  où,  grâce  surtout  à  une  interprétation  fran- 
çaise, le  succès,  succès  de  surprise  autant  que  d'émotion,  n'a  pas  fait 
doute  un  seul  instant,  souligné  par  des  applaudissements  nourris  après 
chaque  scène,  et  un  triple  rappel  à  la  fin  de  chaque  acte.  L'interprétation 
est  excellente  dans  son  ensemble,  si  elle  ne  vaut  pas  toujours  celle  de  la 
création  ;  c'est  que,  à  une  seule  exception  près,  tous  les  artistes  ont  le 
stvle  et  les  traditions  du  genre.  M.  Courtes,  un  des  créateurs,  est  tout  à 
fait  supérieur.  M"=  Jane  May  fait  un  charmant  Pierrot,  avec  une  physio- 
nomie bien  mobile,  mais  réussissant  peut-être  mieux  les  parties  espiègles 
ou  tendres  du  rôle;  dans  les  scènes  dramatiques  elle  manque  un  peu  de 
conviction.  Rien  que  des  éloges  à  adresser  à  M»»»  Schmidt  et  à  M.  Gouget. 
Seule,  M"=  Zanfretta-Phrynette  me  parait  ne  pas  posséder  le  ton  ni  les 
attitudes  de  la  pantomime  un  de  siècle.  L'orchestre  marchera  mieux  après 
quelques  représentations,  mais  certains  parmi  les  solistes  gagneraient  à 
être  remplacés   de  suite. 

Je  vous  ai  déjà  donné  les  deux  spectacles  d'ouverture  de  la  saison  d'opéra. 
La  troisième  soirée  sera  consacrée  à  Carmen  avec  MM.  Lubert,  Devoyod 
et  M™°  Ravogli,  et  la  quatrième  à  Lohengrin  avec  W"  Eames  dans  le  rôle 
d'ElsaetM.JeandeReszké  qui  avancera  ainsi  la  date  de  sa  rentrée.  A  propos 
de  ce  dernier,  il  a  décidément  accepté  le  rôle  d'Oidlo,  mais  pour  renoncer, 
à  ce  que  je  soupçonne,  à  celui  de  Siegfried.  Trois  chefs  d'orchestre  vont 
se  succéder  au  pupitre  :  MM.  Bevignani,  Mancinelli  et  Randegger.  On  peut 
s'étonner,  qu'étant  donnée  l'importance  de  plus  en  plus  marquée  du  réper- 
toire français,  M.  Harris  n'ait  pas  songé  à  s'attacher  au  moins  un  chef 
d'orchestre  français  sur  trois.  A.G.  JN. 


110 


LE  MENESTREL 


—  Une  cériîmonie  musicale  très  imposante  a  eu  lieu  ces  jours-ci  au 
théâtre  de  la  Cour,  à  Liverpool,  à  l'occasion  de  l'inauguration  du  buste  de 
Cari  Rosa,  le  fondateur  de  la  compagnie  de  l'Opéra  anglais.  Les  principaux 
solistes  de  la  troupe  ont  participé  à  l'interprétation  d'une  ode  composée  par 
M.  Frédéric  Gowen,  en  l'honneur  de  Cari  Rosa.  Le  spectacle  était  com- 
plété avec  des  fragments  d'opéras  du  répertoire.  Le  produit  de  la  repré- 
sentation a  été  affecté  à  l'œuvre  de  la  caisse  de  secours  pour  les  malades, 
instituée  par  Cari  Rosa. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Le  théâtre  Frédéric- 
Guillaume  est  revenu  au  genre  de  l'opérette  viennoise,  avec  le  Marclmnd 
d'oiseaux,  du  compositeur  Zeller,  dont  la  première  représentation  a  eu  lieu 
dernièrement  au  milieu  des  applaudissements  et  des  éclats  de  rire.  La 
musique  est  des  plus  entraînantes  et  le  livret,  tiré  du  français,  paraît-il, 
contient  des  situations  très  divertissantes. —  Koenisberg  :  Le  théâtre  muni- 
cipal vient  de  représenter  pour  la  première  fois  le  Chevalier  Jean,  de  M.  Jon- 
cières.  Très  brillante  réussite.  —  Hambourg  :  Un  nouvel  opéra  de  M.  Paul 
Geissler,  le  Chevalier  de  Marienburg,  vient  d'être  représenté  dans  d'excel- 
lentes conditions  au  théâtre  municipal  et  a  reçu  bon  accueil.  —  Meiningen 
Le  théâtre  de  la  Cour  vient  de  se  signaler  par  un  véritable  événement 
artistique.  Il  s'agit  de  deux  représentations  modèles  de  Fideho,  données  au 
bénéfice  de  la  fondation  Beethoven  à  Bonn.  Les  plus  grands  artistes 
de  l'Allemagne,  entre  autres  M"'"  Moran-Olùen,  prêtaient  leur  concours  à 
ces  deux  solennités, qui  ont  provoqué  un  très  grand  enthousiasme.  L'or- 
chestre était  dirigé  par  le  chef  d'orchestre  de  la  Cour,  M.  Steinbach.  — 
Stuttgart  :  Le  théâtre  de  la  Cour  a  l'emis  en  scène,  à  l'occasion  de  la 
fête  du  roi,  l'opéra-comique  de  Félicien  David,  Lalla  Rmikh.  —  M™"  Minnie 
Hauk  vient  de  donner  une  série  de  représentations  triomphales  de  Mignon 
et  de  l'Africaine.  Zampa  a  reparu  sur  l'affiche  à  l'occasion  du  centenaire 
d'Herold. 

—  Demain  lundi,  doit  avoir  lieu,  dans  la  grande  salle  de  la  Redoute,  à 
Buda-Pesth,  un  grand  concert  auquel  prendra  part  M'"^  Adelina  Patti. 
La  célèbre  cantatrice  reçoit  pour  cette  unique  séance  la  bagatelle  de 
15,000  francs. 

—  Voici  une  façon  de  procéder  qu'on  pourrait  recommander,  en  France, 
aux  vrais  amateurs  de  musique,  à  ceux  qui  prennent  un  intérêt  intelli- 
gent aux  choses  de  l'art  et  que  ne  satisfont  pas  les  coutumes  ordinaires 
des  simples  spéculateurs.  La  scène  se  passe  à  Hambourg,  où  l'on  agit  au 
lieu  de  parler,  et  où  l'on  ne  paraît  pas  faire  de  trop  mauvaise  besogne. 
Le  théâtre  de  cette  ville,  un  des  plus  importants  de  l'Allemagne,  est  admi- 
nistré, non  par  un  directeur  de  profession,  responsable  de  ses  profits  et 
pertes,  mais  par  une  société  de  dilettantes,  qui  s'engage  à  combler  tout 
déficit  possible.  Or,  cette  société  a  réuni  récemment,  par  souscription 
entre  ses  membres,  une  somme  de  300,000  marks,  destinée  à  améliorer  le 
matériel  et  à  parfaire  l'éclairage  du  théâtre  par  l'électricité;  après  quoi 
elle  a  décidé  qu'une  somme  de  30,000  marks  par  an  serait  consacrée, 
pendant  dix  ans,  à  la  réfection  complète  du  matériel.  Disons  d'ailleurs, 
en  ce  qui  concerne  la  France,  qu'à  part  la  différence  plus  ou  moins  grande 
des  détails,  c'est  un  peu  là  ce  qui  se  passe  à  Angers,  grâce  au  dévouement 
et  à  l'activité  de  deux  amateurs  pleins  de  désintéressement,  MM.  Jules 
Bordier  et  Louis  de  Romain,  et  que  c'est  ainsi  qu'Angers  est  devenu  l'un 
des  centres  les  plus  importants  de  province  au  point  de  vue  scénique  et, 
par  ses  superbes  concerts  populaires,  la  première  ville  musicale  de  France 
après  Paris. 

—  Une  fille  de  Joachim,  l'illustre  violoniste,  a  fait  récemment  ses  dé- 
buts au  théâtre  et  parait  en  passe  de  se  distinguer.  Elle  a  joué  cet  hiver 
au  théâtre  d'Elberfeld  avec  un  succès  qui  n'a  cessé  d'aller  en  croissant. 
Dernièrement,  elle  a  été  de  la  part  du  public  rhénan  l'objet  de  très  cha- 
leureuses ovations  pour  son  interprétation  de  Sieglinde  de  la  Valkyrie  et 
de  l'Aîdaie  Verdi.  M"''  Joachim  est  engagée  pour  la  saison  proc'naine  au 
grand  théâtre  de  Leipzig. 

—  Un  chef  cuisinier  de  Berlin  vient  de  se  signaler  par  la  composition 
d'une  polka  qui  marque  le  commencement  d'une  ère  de  fraternisation 
entre  l'art  culinaire  et  la  musique.  Cette  œuvre  typique  porte  le  titre  de 
Polka  des  œufs  à  la  coque  et,  sur  la  première  page,  figure  la  recette  suivante  : 
«  Pour  cuire  des  œufs,  mettez-les  dans  de  l'eau  très  chaude,  jouez  la  Polka 
des  œufs  à  la  coque  dans  un  mouvement  ^  allegro  moderato  »,  et  retirez-les 
à  la  fin  de  la  dernière  mesure.  Ils  seront  cuits  à  point  ». 

—  La  Neue  Muzikzeitung  de  Stuttgart  donne  comme  authentique  l'his- 
toriette suivante.  Dans  un  coupé  de  deuxième  classe,  sur  la  nouvelle 
ligne  de  Dresde  à  Leipzig,  plusieurs  personnes  se  trouvaient  réunies.  La 
conversation  était  fort  animée,  bien  qu'à  l'exception  de  deux  personnes, 
les  voyageurs  ne  dussent  qu'au  hasard  qui  les  réunissait  le  plaisir  de 
se  connaître.  On  s'entretenait  de  questions  d'art,  et  particulièrement  du 
théâtre  de  la  cour  de  Dresde.  Une  dame,  qui  avait  assisté  la  veille  à  la 
représentation  à'Euryanthe,  s'en  déclara  très  peu  satisfaite.  «  Il  y  a  sur- 
tout la  Schrœder,  dit-elle,  qui  est  beaucoup  trop  âgée  pour  son  rôle;  son 
chant  est  devenu  insupportable.  Je  ne  m'explique  pas  le  bruit  qu'on  fait 
autour  de  cette  cantatrice.  Ne  trouvez  pas,  continua-t-elle  en  se  tournant 
vers  son  voisin,  que  la  Schrœder  devrait  enfin  renoncer  à  gémir  ainsi 
devant  le  public?  »  Et  le  voisin  de  répondre  froidement  :  «  Ne  préfére- 
riez-vous  pas  dire  tout  cela  â  M'"'=  Schrœder  elle-même?  la  voici  en  face 
de  vous  ».  Là-dessus  il  se  fit  un  silence  général,  qui  mit  tout  le  monde 


mal  à  l'aise,  personne  n'essayant  de  venir  au  secours  de  la  pauvre  dame 
embarrassée.  Enfin  cette  dernière  se  décida  à  balbutier  quelques  mots 
d'excuse  :  — «Oh!  je  vous  demande  mille  fois  pardon,  madame,  mais 
figurez-vous  que  je  me  suis  trouvée  un  peu  indisposée  hier  soir,  et  j'ai 
dû  quitter  le  théâtre  de  très  bonne  heure...  Je  n'ai  entendu  qu'une 
petite  partie  de  l'ouvrage,  celle,  précisément,  où  vous  avez  le  moins  à 
chanter...  Ce  sont  ces  odieux  articles  dans  les  journaux  du  soir  qui  ont 
faussé  mon  jugement.  Tenez!  ce  Schmieder,  qui  signe  la  chronique  théâ- 
trale et  parle  toujours  de  vous  avec  si  peu  d'égards,  ce  doit  être  un  homme 
bien  pédant  et  désagréable!  »  —  «  Ne  préféreriez-vous  pas  dire  tout  cela  à 
M.  Schimieder  lui-même,  répondit  tranquillement  la  cantatrice;  il  est 
assis  à  côté  de  vous...  » 

—  Nous  reproduisons  encore  de  la  A'eue  31  usikseitung  les  deux  anecdotes 
suivantes  :  liiL'appétitde  Haendel  était  aussi  proverbial  que  sa  corpulence. 
Un  jour,  il  se  présente  dans  un  restaurant  de  Londres  et  commande  un 
déjeuner  pour  trois.  Au  bout  d'une  assez  longue  attente,  il  rappelle  le 
garçon  d'une  voix  impatiente  :  lEt  mon  déjeuner?  pourquoi  ne  l'apportez- 
Tous  pas? —  On  vous  le  servira,  monsieur,  dès  que  la  société  sera  arrivée. 
—  Eh  bien  alors,  reprit  Haendel,  servez-le  prestissimo  ;  la  société,  c'est 
moi  !  »  —  i"  Un  maréchal  de  la  cour  d'Autriche  se  plaignait  une  fois  à 
l'empereur  Joseph  de  la  façon  un  peu  cavalière  dont  Mozart  se  comportait 
à  table  avec  les  généraux.  «  —  Laissez  donc  Mozart  tranquille,  répondit 
le  souverain.  Des  généraux,  j'en  puis  créer  tous  les  jours  ;  mais  un  Mozart, 
c'est  différent!  • 

—  Un  nouvel  opéra  intitulé  Dame  Jeanne,  de  M.  Lange-Muller,  vient  d'être 
représenté  pour  la  première  fois  à  Copenhague  avec  un  succès  décisif. 

—  Le  Théâtre  Privé  de  Moscou  a  fait  sa  réouverture  par  une  brillante 
représentation  d'Hanifef,  avec  M'"''^ Marie  Van  Zandt  etGiudice,  MM.  Kasch- 
mann  et  Riera.  Carmen  est  venue  ensuite,  avec  M™  Adèle  Borghi  comme 
protagoniste.  Les  deux  ouvrages  ont  obtenu  un  énorme  succès.  Samedi, 
28  mars,  c'était  le  tour  de  Lo/cmé,  où  Mi=  Van  Zandt  retrouvait  le  même 
grand  succès  que  dans  Hamlet. 

—  Le  même  soir,  un  événement  douloureux  a  fait  interrompre  le  spec- 
tacle au  Grand-Théâtre.  Une  jeunefîUe  fort  belle  et  de  manières  distinguées 
s'est  précipitée  tout  à  coup  du  dernier  rang  des  loges,  c'est-à-dire  d'une 
hauteur  de  soixante-dix-sept  pieds,  dans  le  parterre,  où  elle  est  restée 
morte  sur  le  coup.  Comme  on  le  pense,  l'émotion  du  public  a  été  pro- 
fonde, et  l'on  n'a  pu  terminer  la  représentation. 

—  On  nous  télégraphie  de  Naples  qu'un  nouvel  opéra  tragique  en  quatre 
actes,  Spartaco,  de  A.  Ghislanzoni,  musique  de  M.  Pietro  Platania,  vient 
d'être  joué  avec  un  succès  éclatant  au  théâtre  San  Carlo.  Le  livret  de  l'auteur 
d'A'ida  rappelle  un  épisode  de  la  révolte  des  gladiateurs  romains  avec  une 
grande  puissance  dramatique,  qu'on  retrouve  aussi  dans  la  musique  du 
jeune  compositeur  auquel  l'éditeur  Sonzogno,  de  Milan, vient  ainsi  d'ouvrir 
une  des  plus  gi'andes  scènes  lyriques  de  l'Italie.  L'opéra  a  été  supérieure- 
ment joué  par  M'^'î^  Cataneo  et  Novelli  et  par  MM.  Marconi  et  Dufriche. 
Le  public,  enthousiasmé,  a  fait  bisser  cinq  morceaux  et  a  rappelé  trente 
fois  les  auteurs  et  leurs  interprètes. 

—  Le  comité  qui  s'est  formé  à  Trieste  dans  le  but  d'élever  un  monu- 
ment à  la  gloire  de  l'illustre  violoniste  et  compositeur  Giuseppe  Tartini, 
a  donné  à  cet  effet,  le  19  mars,  le  concert  annoncé,  concert  très  brillant, 
auquel,  ainsi  qu'il  l'avait  promis,  prenait  part  l'excellent  violoniste  belge 
César  Thomson,  qui  avait  fait  expressément  le  voyage  de  Liège  à  Trioste 
pour  rendre  hommage  au  célèbre  fondateur  de  l'école  italienne  de  violon. 
M.  Thomson  a  exécuté,  au  milieu  de  l'enthousiasme  du  public,  le  fameux 
Trille  du  Diable  de  Tartini  et  un  largo  de  ce  maître,  la  Follia  de  Corelli,  et 
un  caprice  de  Paganini.  Parmi  les  morceaux  inscrits  au  programme  du 
concert,  figuraient  la  superbe  ouverture  d'Anacréon,  de  Cherubini,  celle  de 
la  Vestale,  de  Spontini,  un  Menuet  et  une  sicilienne  de  Boccherini,  ainsi 
qu'un  air  de  ténor  et  un  air  de  soprano  de  Caldara. 

—  On  sait  déjà,  et  nous  l'avons  fait  remarquer  à  plusieurs  reprises, 
que  depuis  quelques  années  les  opéras  d'Auber,  et  tout  particulièrement  Fra 
Diavolo,  obtiennent  par  toute  l'Italie  un  succès  absolument  éclatant.  C'est 
précisément  à  propos  d'une  série  de  représentations  de  Fra  Diavolo  qui  se 
donnent  en  ce  moment  au  théâtre  Niccolini,  de  Florence,  que  M.  G.  A.Biaggi, 
l'un  des  premiers  et  des  plus  savants  critiques  musicaux  de  l'Italie, 
publie  dans  le  journal  la  Nazione,  de  cette  ville,  un  feuilleton  plein  de 
chaleur  et  d'enthousiasme  sur  la  musique  d'Auber,  que  quelques-uns  de 
nos  jeunes  musiciens  se  donnent  les  airs  de  traiter  avec  un  dédain  tout  à 
fait  réjouissant. 

—  Une  cantatrice  polyglotte.  C'est  une  artiste  allemande,  M""  Alexan- 
drins von  Brunn,  qui  récemment,  à  Rome,  dans  un  concert,  a  défrayé  un 
programme  vraiment  international  en  chantant  les  morceaux  suivants  ; 
Aprile,  mélodie  de  Paolo  Tosti,  en  italien  ;  une  chanson  de  Henschel,  en 
anglais;  quatre  lieder,  en  allemand;  une  Pastorale,  de  Bizet,  en  français; 
un  air  populaire  de  Tschaïkowsky,  en  russe;  enfin,  pour  terminer,  une 
chansonnette  suédoise.  Il  ne  s'agirait  plus  que  de  savoir  si  ladite  canta- 
trice comprenait  tout  ce  qu'elle  chantait. 

—  Au  dernier  concert  symphonique  donné  au  théâtre  Regio,  de  Turin, 
on  a  entendu  et  applaudi  une  Marche  funèbre  dont  l'auteur,  M.  Natale 
Canti,  est  un  jeune  élève  du  Conservatoire  de  Milan  qui  doit  faire  repré- 


LE  MENESTREL 


4dl 


senter  sur  ce  théâtre,  l'année  prochaine,  une  «  légende  persane  »  intitulée 
Savytri. 

—  Le  19  mars,  a  eu  lieu  au  théâtre  Métastase,  de  Prato,  la  première 
représentation  d'une  opérette  intitulée  la  Contessina  di  Campo  dei  fiori,  mu- 
sique du  maestro  G.  Manetti.  —  La  veille,  à  San-Remo,  les  élèves  des 
classes  élémentaires  avaient  joué,  au  théâtre  du  Prince-Amédée,  un  opéra 
inédit,  la  Fiera  di  Sinigaglia,  paroles  de  IM.  Bagliano,  musique  de  M.  Giu- 
seppe  Gessi.  —  EnSn,  on  annonce  comme  très  prochaine,  au  théâtre  Pez- 
zana,  de  Milan,  l'apparition  d'un  opéra  nouveau  sur  un  sujet  usé,  Cto- 
tilde  d'Amalfi,  o  i  Corsari,  en  4  actes  et  5  tableaux,  livret  de  M.  GrisafuUi, 
musique  de  M.  Franoesco  Guardone,  qui,  parait-il,  a  dédié  sa  partition  à 
S. M.  la  reine  d'Italie. 

—  A  Plaisance  (Piacenza),  un  nouvel  hommage  vient  d'être  rendu  à 
Verdi.  Un  sculpteur  distingué,  M.  Oreste  Labo,  ayant  offert  au  Cercle 
musical  de  cette  ville  un  buste  de  l'illustre  maître,  dont  il  est  l'auteur,  le 
cercle  a  procédé  à  l'inauguration  de  ce  buste  en  donnant,  à  cette  occasion, 
un  concert  dont  la  musique  de  l'auteur  d'Aïda  faisait  surtout  les  frais. 
On  y  a  entendu  les  ouvertures  de  Nabucco  et  des  Vêpres  siciliennes,  le  pré- 
lude et  le  duo  de  la  Traviata,  la  romance  d'Ernani,  etc. 

—  Au  théâtre  Pagliano,  de  Florence,  on  vient  de  représenter  un  petit 
opéra,  Labilia,  qui  avait  obtenu  le  second  prix!  au  concours  Sonzogno,  dont 
l'heureux  vainqueur  était  M.  Masoagni  avec  sa  Cavalleria  rusticana.  L'auteur 
de  cette  Labilia  est  le  jeune  maestro  Spinelli,  qui  avait  pour  interprètes, 
excellents,  parait-il,  M"'"=  Lenceschy  el  Sartini,  MM.  Signorini  et  Massini. 
L'œuvre  a  été  favorablement  accueillie,  sans  témoignages  excessifs  d'en- 
thousiasme. 

—  La  direction  de  l'Opéra  allemand  de  New- York  vient  de  faire  pla- 
carder dans  toutes  les  loges  le  petit  avis  suivant,  qui ,  s'il  n'est  pas  flat- 
teur pour  les  occupants,  ne  l'est  pas  davantage  pour  le  spectacle  qu'on 
leur  offre  :  «  De  nombreuses  plaintes  ayant  été  adressées  aux  directeurs 
de  l'Opéra  relativement  aux  conversations  qui  ont  lieu  dans  les  loges  pen- 
dant la  représentation,  le  conseil  d'administration  prie  qu'on  s'abstienne 
de  causer.  » 

—  Du  Chicago  I iidicator  :  «  Lui  (avec  enthousiasme)  :  Que  ne  puis-je  tou- 
jours tenir  ces  petites  mains  dans  les  miennes  !  —  Elle  :  A  quoi  cela  vous 
avancerait-il?  —  Lui:  A  ne  plus  vous  entendre  jouer  du  piano!  » 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Notre  collaborateur  Moreno  a  déjà  consacré  plusieurs  articles  au 
nouveau  cahier  des  charges  de  l'Opéra,  alors  qu'il  était  encore  en  dis- 
cussion. Il  a  tenté  d'en  faire  ressortir  les  nouveautés  et  les  avantages.  Il 
n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  donner  à  présent  ici,  à  titre  de  docu- 
ment et  sans  autres  commentaires,  le  texte  exact  et  précis  des  principaux 
articles  de  ce  cahier  des  charges,  dont  on  vient  de  donner  communication 
aux  candidats.  Tout  d-abord,  le  titulaire  devra  justifier  d'un  apport  de 
800,000  francs,  qu'il  pourra  se  procurer  par  voie  de  commandite,  dont 
400,000  francs  formant  le  cautionnement  seront  déposés  à  la  Caisse  des 
dépôts  et  consignations  et  400,000  francs  constitueront  le  fonds  de  roule- 
ment. 

Le  répertoire.  —  Les  pièces  nouvelles. 

Art.  11.  —  Le  directeur  sera  tenu  de  faire  jouer  chaque  année,  pendant  toute 
la  durée  de  son  exploitation,  deux  ouvrages  nouveaux  de  compositeurs  français, 
dont  un  en  trois,  quatre  ou  cinq  actes.  Ces  deux  ouvrages  devront  comprendre 
un  minimum  de  six  actes  et  n'avoir  encore  été  représentés  sur  aucune  scène 
française  ou  étrangère. 

Dans  le  cas  où,  par  suite  de  force  majeure  ou  de  nécessité  constatée,  le  direc- 
teur désirerait  remettre  à  la  scène  un  ouvrage  déjà  représenté  en  France  ou  à 
l'étranger,  et  le  faire  entrer  en  ligne  de  compte  à  titre  d'ouvrage  nouveau,  il 
devra  demander  l'autorisation  du  ministre.  Cette  autorisation  ne  pourra  être 
accordée  que  si  cet  ouvrage  exige  des  frais  de  mise  en  scène  comparables  à 
ceux  d'un  ouvrage  nouveau. 

Le  relevé  des  ouvrages  nouveaux  ne  sera  fait  que  tous  les  deux  ans.  Si,  à 
l'expiration  de  chaque  période  biennale,  le  directeur  n'a  pas  donné  le  nombre 
d'ouvrages  et  d'actes  ci-dessus  indiqué,  une  indemnité  devra  être  retenue  sur  la 
subvention,  pour  chaque  acte  non  joué.  Celte  indemnité  sera  égale,  par  acte,  aux 
frais  moyens  de  la  mise  en  scène  de  chaque  ouvrage  de  même  nature  précé- 
demment monté  à  f  Opéra  pendant  une  période  de  dix  ans. 

Art.  12.  —  Une  fois  tous  les  deux  ans,  le  directeur  devra  représenter  un  petit 
ouvrdge,  opéra  ou  ballet,  en  un  ou  deux  actes,  écrit  par  un  pensionnaire  ou 
ancien  pensionnaire  de  l'Académie  de  France  à  Piome,  grand  prix  de  compo- 
sition musicale.  Le  compositeur  de  cet  ouvrage  sera  désigaé  par  le  ministre, 
après  avis  du  directeur,  sur  une  liste  de  cinq  noms  présentée  par  la  section  de 
musique  de  rAcadémie  des  Beaux-Arts.  En  cas  de  non-exécution  de  cet  article, 
les  auteurs  dudit  ouvrage  recevront  du  directeur  une  indemnité  de  5,000  francs 
par  acte.  S'il  se  produit  une  contestation  entre  le  directeur  et  le  compositeur,  il 
sera  statué  par  le  ministre. 

Le  personnel  artistique. 

Art.  30.  —  Le  directeur  devra  maintenir  à  l'Opéra  un  ensemble  de  sujets 
digues  de  ce  théâtre.  Les  rôles  devront  y  être  sus  en  triple  pour  les  ouvrages 
du  répertoire  et  en  double  pour  les  ouvrages  nouveaux. 

Le  nombre  des  artistes  du  chant  ne  pourra  être  inférieur  à  vingt  et  devra 
comprendre  toutes  les  variétés  d'emploi  nécessaires  dans  le  drame  lyrique.  11 
comprendra,  en  outre,  deux  coryphées  pour  chaque  nature  de  voix  nécessaires 
dans  les  chœurs. 

Le  nombre  des  artistes  de  la  danse  ne  pourra  être  intérieur  à  quatorze  pre- 
miers et  seconds  danseurs  et  danseuses  et  à  douze  premières  coryphées. 


Les  chœurs  seront  composés  d'au  moins  cent  choristes  hommes  et  femmes,  y 
compris  les  coryphées  et  non  compris  les  élèves  du  Conservatoire  de  musique 
qui  pourraient  être  appelés  à  prendre  part  à  des  représentations  extraordinaires. 
Les  appointements  des  choristes  ne  pourront  être  inférieurs  à  1,000  francs. 

Le  corps  de  ballet  sera  composé  d'au  moins  quatre-vingts  danseurs  et  dan- 
seuses, indépendamment  des  enfants,  qui  ne  pourront  être  employés  dans  des 
conditions  contraires  aux  lois  et  règlements  sur  le  travail  des  entants. 

L'orchestre  devra  comprendre  au  moins  cent  musiciens  et  deux  chefs  d'or- 
chestre, sans  compter  les  bandes  supplémentaires  sur  le  théâtre.  Le  premier 
violon-solo  pourra  faire  fonctions  de  troisième  chef  d'orchestre.  (Minimum  d'ap- 
pointements :  1,500  fr.,  sauf  la  batterie.)  Le  choix  des  chefs  d'orchestre  devra 
être  approuvé  par  le  ministre. 

Le  service  des  études  et  répétitions  comprendra  :  un  chef  des  chœurs,  un 
sous-chef  des  chœurs,  trois  chefs  de  chant  accompagnateurs  pour  les  répétitions 
et  les  études  d'opéra,  un  accompagnateur  ou  un  violon  pour  les  répétitions  et 
les  études  de  ballet  (cet  emploi  pourra  être  rempli  par  un  artiste  de  l'orchestre), 
deux  maîtres  de  ballet,  un  professeur  de  perfectionnement  et  de  danse,  un  pro- 
fesseur de  danse  pour  le  corps  de  ballet  et  les  enfants,  un  professeur  de  panto- 
mime. 

La  subvention. 

Art.  34.  Le  directeur  recevra,  sur  le  budget  de  l'État,  la  subvention  dont  la 
quotité  sera  fixée  chaque  année,  par  une  disposition  législative.  Cette  subvention 
est  payable  par  douzième  à  la  fin  de  chaque  mois.  Dans  le  cas  où  la  subvention 
serait  supprimée,  le  directeur  pourra  renoncer  à  la  concession.  Dans  le  cas  où  la 
subvention  serait  inférieure  à  la  somme  de  800,000  francs  reconnue  indispensable 
k  la  prospérité  du  théâtre,  le  directeur  touchera  la  subvention ,  non  par  douzième, 
mais  sur  le  pied  de  70,000  francs  par  mois,  et  il  aura  le  droit  de  fermer  le 
théâtre  de  l'Opéra  pendant  un  temps  proportionnel  à  la  réduction  que  la  subvention 
aura  subie. 

Les  décors. 

Le  chapitre  relatif  aux  décors  présente  cette  nouveauté  que  le  directeur 
pourra  se  servir,  pour  les  utiliser  dans  les  pièces  qu'il  voudra,  de  tous 
les  décors  formant  le  matériel  de  l'Opéra. 

Art.  53.  —  Le  matériel  devra  êire  constamment  entretenu  en  bon  état  de 
réparation.  Tous  les  deux  ans,  il  sera  procédé,  par  les  soins  et  sous  l'autorité  de 
l'administration  des  beaux-arts,  à  un  examen  général  des  objets  contenus  en 
magasin.  S'il  est  constaté,  à  la  suite  de  cet  examen,  que,  malgré  les  créations 
nouvelles,  une  dépréciation  du  matériel  s'est  produite, le  directeur  devra  ramener 
le  matériel  à  sa  valeur  initiale. 

Le  directeur  aura  le  droit  d'employer  la  totalité  des  décorations,  costumes,  etc., 
aux  besoins  de  son  exploitation.  Un  état  hebdomadaire  des  transformations  ou 
créations  devra  être  tenu  par  le  conservateur  du  matériel. 

Art.  54.  —  Une  réserve  spéciale  sera  instituée  pour  la  réfection  des  décors. 
Cette  réserve  sera  alimentée  par  un  prélèvement  de  2  0/0  sur  les  recettes  brutes. 
L'emploi  de  cette  réserve  aura  lieu  sous  le  contrôle  du  conservateur  du  matériel 
et  après  décision  du  ministre  sur  ceux  des  décors  qui  devront  être  faits. 

—  Où  diable  le  Trovatore  a-t-il  pris  celle-ci  ?  Notre  confrère  annonce 
sérieusement  que  le  rôle  de  M.  Vergnet,  dans  le  Mage,  est  écrit  si  bas  et 
d'une  façon  si  fatigante,  que  l'excellent  ténor  n'en  aurait  pu  supporter  le 
poids  si  l'on  n'avait  trouvé  le  moyen  de  faire  exécuter  deux  morceaux 
par  un  autre  chanteur,  dans  les  coulisses  !  'Voyez-vous  M.  Vergnet  ouvrant 
la  bouche  et  faisant  les  gestes,  tandis  qu'on  chanterait  pour  lui  dans  le 
lointain... 

—  On  annonce  la  prochaine  arrivée  à  Paris  des  frères  de  Reszké,  et  il 
est  probable,  disent  quelques-uns  de  nos  confrères,  que  M.  Garvalho 
s'entendra  avec  M.  Jean  de  Reszké  pour  une  série  de  représentations  de 
Carmen  à  l'Opéra-Gomique.  Pendant  qu'il  y  sera,  M.  Carvalho  est  bien 
homme  à  faire  coup  double  et  à  parler  aussi  au  célèbre  ténor  de  la  créa- 
tion deKassya  à  Paris,  pour  l'hiver  prochain.  M.  Jean  de  Reszké  trouverait 
là  un  rôle  superbe  et  tout  à  fait  à  sa  taille. 

—  Cédant  aux  instances  dont  elle  était  l'objet  de  tous  côtés  à  la  suite 
de  l'énorme  succès  obtenu  par  l'exécution  de  la  messe  en  si  mineur  de 
Jean-Sébastien  Bach,  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  a  décidé 
qu'elle  donnerait,  hors  session,  une  séance  supplémentaire  destinée  à  une 
nouvelle  audition  de  ce  chef-d'œuvre.  Ce  concert  extraordinaire  aura  lieu 
le  dimanche  3  mai.  Comme  précédemment,  les  soli  de  la  messe  seront 
confiés  àM'i'^Landi,  M"«  Fanny  Lépine,  M™  Boidin-Puisais,  à  MM.  Warm- 
brodt  et  Auguez. 

—  Echange  de  bons  procédés...  musicaux.  A  l'heure  même  où  M.  Pierre 
Tschaïkowsky,  le  célèbre  compositeur  russe,  dirigera  aujourd'hui  dimanche, 
au  Chàtelet,  le  concert  consacré  spécialement  à  l'exécution  de  ses  œuvres, 
M.  Colonne  dirigera,  à  Saint-Pétersbourg,  un  grand  concert  de  musique 
exclusivement  française.  Celui-ci,  d'ailleurs,  ne  sera  pas  le  seul.  C'est 
une  série  de  trois  concerts  que  M.  Colonne  doit  donner  en  Russie,  avec  le 
concours  de  M""=  Krauss  et  de  M.  Bouhy. 

—  MM.  Monval  et  Er.  Thoinan  viennent  de  publier,  à  la  librairie 
Pion,  une  nouvelle  édition  du  célèbre  pamphlet  de  Diderot,  le  Neveu  de 
Rameau.  Mais  il  s'agit  cette  fois  de  la  publication  du  texte  authentique 
du  maître,  car  c'est  sur  sa  mise  au  net,  entièrement  de  sa  main,  qu'est 
faite  cette  nouvelle  édition,  et  non  plus  sur  une  copie  fautive,  corrigée 
et  expurgée,  comme  toutes  colles  qui  ont  servi  pour  les  éditions  données 
jusqu'à  ce  jour.  C'est  ainsi  que  le  chef-d'œuvre  du  grand  homme  paraît 
aujourd'hui  pour  la  première  fois  dans  toute  son  exactitude  et  son  inté- 
grité, et  cela  plus  de  cent  ans  après  sa  mort  !  Outre  les  notes.de  M.  Monval, 
outre  l'histoire  singulière  des  premières  éditions  du  Neveu  de  Rameau 
retracée  par  M.  Thoinan,  ce  volume  renferme  encore,  de  ce  dernier,  une 


LE  MÉNESTREL 


biographie  très  curieuse  et  fort  complète  de  Jean-François  Rameau,  ce 
fameux  neveu  de  l'auteur  de  Castor  et  PoUux  et  des  Indes  galantes.  Ce  tra- 
vail, qui  s'adresse  particulièrement  aux  musiciens  et  aux  dilettantes,  offre 
un  intérêt  d'autant  plus  vif  qu'il  fait  connaître  tous  les  détails  de  l'exis- 
tence du  frère  de  Rameau,  lequel  fut,  lui  aussi,  un  artiste  fort  estimé  de 
son  temps,  comme  organiste  et  claveciniste.  Nous  recommandons  ce 
volume  à  l'attention  des  lettrés  et  des  artistes;  au  mérite  de  nous  appor- 
ter le  vrai  texte  de  Diderot,  dont  on  n'avait  jusqu'à  ce  jour  que  )'  «  à-peu- 
près  »,  il  joint  celui  de  nous  apprendre  bien  des  choses  nouvelles  et  tout 
à  fait  inconnues  sur  le  bohème-musicien  que  son  pamphlet  a  rendu 
célèbre,  et  qui  fut,  au  dix-huitième  siècle,  un  type  absolument  unique  en 
son  genre.  A.  P. 

—  M.  Emile  Decombes,  professeur  au  Conservatoire,  l'auteur  de  la  Petite 
Méthode  élémentaire  de  piano  qui  a  taat  de  succès,  vient  d'être  nommé  oCS- 
cier  de  l'Ordre  Royal  du  Cambodge  et  commandeur  de  l'Ordi-e  du  Buste 
du  Libérateur  de  Venezuela. 

—  On  parle  de  donnera  la  Porte-Saint-Martin  des  représentations  extraor- 
dinaires du  Petit  Faust  d'Hervé,  avec  M""  Granier  et  M.  Dupuis. 

—  La  Messe  de  la  Résurrection  de  M.  Félix  Godefroid,  dont  la  première 
exécution  a  eu  lieu  dimanche  dernier,  jour  de  Pâques,  à  Saint-Eustache, 
a  produit  beaucoup  d'etïet.  L'orchestre  et  les  chœurs,  sous  l'impulsion  de 
leur  habile  chef,  M.  Steenman,  se  sont  particulièrement  distingués.  Le 
morceau  qui  a  le  plus  impressionné  est  sans  contredit  le  Gloria.  M.  Ciam- 
pi  s'est  montré  excellent  chanteur  dans  VAgnus,  mélodie  touchante,  ainsi 
que  dans  toutes  les  autres  parties  de  l'œuvre.  M.  Bermont,  le  ténor  que 
M.  Carvalho  vient  d'engager  à  l'Opéra-Comique,  a  bien  chanté  l'O  Salularis 
et  le  duo  du  Qui  tollis  avec  M.  Giampi.  En  somme,  à  côté  de  la  belle  messe 
des  Rameaux,  celle  de  la  Résurrectioti  vient  se  placer  dignement. 

—  Sur  l'initiative  de  la  presse  de  Toulouse,  au  profit  des  pauvres  de 
cette  ville,  lundi  6  et  jeudi  9  avril,  seront  données,  au  théâtre  du  Capitole, 
deux  auditions  de  Judas  Maccabée,  l'admirable  oratorio  de  Hœndel  (paroles 
françaises  de  M.  Victor  Wilder),  qu'on  n'avait  jamais  exécuté  en  France, 
du  moins  en  son  entier,  depuis  que  M.  Lamoureux  le  fit  entendre  aux 
Parisiens  en  1874.  Nos  confrères  disposent  de  près  de  quatre  cents  exécu- 
tants, fournis  par  le  Conservatoire,  les  sociétés  chorales  Glémence-Isaure, 
Ecole  philharmonique,  Orphéon  Saint-Cyprien,  et  l'orchestre  du  théâtre 
du  Capitole.  Chef  d'orchestre  :  M.  Armand  Raynaud.  Les  soli  seront  chantés 
par  MM.  Dupuy,  Hermann  Devriès,  M""^  Vachot  et  de  Basta.  Voilà,  certes, 
une  intéressante  tentative  artistique,  et  qui  ne  peut  manquer  de  réussir. 

—  On  a  exécuté  récemment  avec  succès,  à  Orléans,  une  grande  cantate 
pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  ta  Mission  de  Jeanne  d'Arc,  dont  l'auteur,  fort 
applaudi  à  cette  occasion,  est  M.  0.  Coquelet,  chef  de  musique  du  76=  ré- 
giment d'infanterie.  C'est,  parait-il,  une  composition  fort  remarquable. 


—  On  nous  écrit  de  Nice  qu'une  jeune  Américaine,  élève  de  M.  Sbri- 
glia.  M""  Nina  Burt,  a  débuté,  ces  jours  derniers,  dans  le  Barbier  de  Séville, 
et  a  obtenu  un  joli  succès. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

A  peine  de  retour  de  ses  voyages  artistiques,  que  les  feuilles  du  Midi 
et  de  l'Ouest  nous  signalent  comme  ayant  été  de  véritables  triomphes  pour 
la  cause  de  l'orgue,  M.  Gigout  a  fait  entendre,  dans  ses  salons  de  mu- 
sique, les  élèves  de  son  cours  supérieur  d'orgue.  Cette  audition,  à  laquelle 
MM.,  Warmbrodt,  Lefort  et  Boëllman  avaient  prêté  leur  concours,  a  fait 
le  plus  grand  honneur  à  M.  Gigout,  dont  les  tendances  artistiques  élevées 
et  l'enseignement  clair  et  substantiel  assurent  à  nos  églises  des  musiciens 
de  haute  valeur.  M.  Gigout  se  prépare  à  partir  pour  l'Angleterre. 

—  Le  dernier  concert  de  l'Institut  musical  d'Orléans  a  été  fort  brillant. 
Grand  succès  pour  M""^  Bilbaut-Vauchelet,  qui  chantait  les  œuvres  de  Léo 
Delibes,  pour  le  ténor  Affre,  pour  l'amusant  Galipaux  et  pour  M.  Laurent 
de  Riilé,  appelé  à  diriger  trois  de  ses  œuvres:  la  marche  du  Roi  de  Bohême, 
le  chœur  des  Pleurs  amers  et  l'Entrée  de  Jeanne  d'Arc  à  Orléans  (chœurs  avec 
orchestre).  Ce  dernier  morceau  a  été  redemandé  par  toute  la  salle. 

—  Le  concert  de  M""  Weingaertner  à  Nantes  a  été  tout  un  triomphe 
pour  la  mignonne  pianiste,  qui  n'a  guère  plus  de  douze  ans.  Cinq  bou- 
quets, quatre  corbeilles  de  fleurs,  que  dis-je,  plusieurs  bijoux  déjà  ont  été 
remis  à  la  jeune  virtuose,  dont  toute  la  presse  nantaise  se  plaît  à  recon- 
naître les  mérites. 

Soirées  et  concerts.  —  Mardi  31  mars,  très  beau  concert  de  bienfaisance, 
donné  à  la  salle  Érard  par  M"*-' Kryzanowska,  vivement  applaudie  dans  l'exécution 
des  morceaux  des  grands  maîtres  et  dans  ses  nouvelles  compositions.  D'excellents 
artistes,  tels  que  M"'  Marcella  Pregi,  M'""  Garski,  Salmon,  Launay,  de  Pless  Pol 
lui  ont  prêté  leur  gracieux  concours.  —  M"'  Marie-Louise  Grenier  a  fait  entendre 
cette  semaine,  avec  le  plus  grand  succès,  ses  élèves  de  piano  et  de  chant.  Elles 
ont  exécuté,  avec  un  grand  style,  qui  fait  honneur  à  leur  jeune  professeur,  de 
nombreuses  et  charmantes  compositions  de  M.  Louis  Diémer. 

Concerts  annoncés.  —  Demain  lundi  M.  Léon  Delafosse,  le  si  remarquable  pia- 
niste-virtuose, donne,  à  la  salle  Érard,  un  concert  des  plus  intéressants  dans 
lequel  il  jouera  des  morceaux  classiques  et  des  œuvres  nouvelles  de  nos  compo- 
siteurs en  renom.  —  Le  vendredi  10  avril,  salle  Kriegelstein,  soirée  musicale  et 
liticraire,  donnée  avec  le  concours  d'artistes  distingués,  par  rorLJanisle-compositeur 
Edmond  lIocmelle,qul  fera  valoir  l'orgue  Alexandre.  Divorce  et  Dynamite,  comédie 
de  M.  Galipaux,  sera  jouée  par  l'auteur  et  M""  Evel. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  chez  Mackar  et  Noft,,  éditeurs, 

22,  passage  des  Panoramas,  Paris 

Les  œuvres  du  célèbre  compositeur  russe 

P.  TSCHAIKOWSKY 


En  vente  AU  MÉiMESTREL,  2"=,  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  éditeur-propriétaire  pour  tous  pays 

CONTE   D'AVRIL 

Comédie  en  vers  de  AUGUSTE  DORCiTAIN 

MUSIQUE   DE 

GH.-M.  WIDOR 


PARTITION  PIANO  SOLO 

Prix  net  :   7  fr. 


PARTITION  PIANO  SOLO 

Prix  set  :   T  fr. 


SUITE    D'ORCHESTRE 

MORCEAUX    DÉTACHÉS    POUR    PIANO    A   2    ET  4    MAINS.  —  SUITES   CONCERTANTES    POUR    DEUX    PIANOS 

FANTAISIES    ET    ARRANGEMENTS    POUR    INSTRUMENTS    DIVERS 

CHEVALERIE    RUSTIQUE 

(CAVALLERIA    RUSTICANA) 

H  'ES.  J^  -R/S.  E3       L-SrK.ZQTTE       EIST       "UKr       -A-CTE       I3E 

TARGIONI-TOZZETÏI  et  G.   MENASCI 

Version  FRANg.\iSE  de 

P^^XJL     MILLIET 

Musique  de 


PARTITION  PIANO  ET  CHANT 

Prix  net  :   12  lianes 


PARTITION  PIANO  ET  CHANT 

l'rix  iicl  :   18  francs 


i:E:£^:Fi.:e^     's^œ.j^^ 


PARTITION    italienne;  piano  cl  clwiil,  prix  iicl:  30  fr.  —  PAP^TTION    PIANO    SOLO,  prix  iiel:  (}  l'r. 


3132  —  57"'  mm  —  l\'°  15. 


Dimanche  12  Avril  1891. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  ;  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (4«  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Début  de  M"»  Vuillaume,  a  l'Opéra-Comique ; 
festival  Delibes  au  Cercle  de  l'Union  artistique;  flve  o'clock  du  Figaro, 
H.  Mobeno;  première  représentation  de  Juanita,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul- 
Emile  Chev.\lieh.  —  III.  Napoléon  dilettante  (3'  article):  Napoléon  et  la  musique 
italienne,  Edmond  Neukojui  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avecle numéro  de  ce  jour: 
GUITARE 
pièce  extraite  de  Conte  d'avril,  musique  de  Ch.-M.  Widor.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Romance,  pièce  également  extraite  de  Contf  d'avril. 


CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
-de  chant:  Le  meilleur  moment  des  amours,  mélodie  de  Léo  Delibes,  poésie 
de  Sully-Prcdhomme.  —  Suivra  immédiatement  :  Madame  l'hirondelle,  n"  6 
des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies 
-de  Georgiî  Auriol. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


jVllbert  SOUBIES   ©t  Charles   JVtALnEFtBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX    ANNÉES    CRITIQUES    (1860-1861) 

(Siiite.) 

La  fin  de  l'année  approchait  sans  que  la  direction  se  mit 
en  frais  de  nouveautés.  On  avait  préparé  avec  Barielle,  Pon- 
-chard.  Carré,  M™^  Faure-Lefebvre  et  Marimon,  une  reprise 
du  Val  d'Andorre  qui  n'aboutit  pas,  le  Théâtre-Lyrique  s'étant 
livré  dans  le  même  temps  au  même  travail.  L'Opéra-Comique 
ne  voulut  plus  renouveler  la  concurrence  qui  s'était  produite 
jadis  avec  Richard  Cœur  de  Lion.,  et  s'abstint,  lorsque  son  rival 
fut  arrivé  bon  premier  le  14  octobre.  Alors  on  se  rejeta  sur 
d'anciennes  pièces,  dont  on  se  contenta  de  changer  quelque 
interprète;  c'est  ainsi  qu'on  vit  tour  à  tour  M'i^Monrose  dans 
la  Paît  du  Diable,  M""'  Ugalde  dans  le  Caïd,  M°>e  Cabel  dans  la 
Part  du  Diable,  l'Étoile  du  Nord  et  Galathée,  enfin  M""  Wer- 
theimber  dans  le  Pardon  de  Plo'érmel,  oîi  elle  tint  le  personnage 
d'Hoël,  le  24  octobre.  Cette  soirée  mérite  d'autant  plus  d'être 
notée  que,  pour  la  première  fois,  on  y  introduisit  une  modi- 


fication, importée  d'Angleterre,  avec  l'assenti-ment  de  l'auteur 
Au  deuxième  acte,  après  le  chœur  «  Qu'il  est  bon,  le  vin  du 
bonhomme  Yvon!  »  un  dialogue  s'échangeait  entre  deux  bu- 
veurs attardés  ;  la- scène  fut  remplacée  par  une  canzonnetta 
composée  pour  M"''=  Nantier-Didiée,  chargée,  à  Londres,  du 
rôle  épisodique  d'un  des  pâtres.  Ce  fut,  à  Paris,  M"=  Zoé 
Bélia  qui  eut  mission   de    produire  cette    addition   musicale. 

Le  mois  de  décembre  vint  enfin  secouer  cette  torpeur  di- 
rectoriale. Un  ouvrage  nouveau  parut  le  4,  bien  simple  et 
bien  modeste;  c'était  un  petit  acte  de  Jules  Barbier  et  Michel 
Carré  pour  les  paroles,  d'Ernest  Boulanger  pour  la  musique, 
intitulé  l'Éventail,  sorte  de  proverbe  musical,  et  dont  l'inno- 
cence n'avait  pu  être  sauvée  par  l'esprit  du  compositeur, 
puisqu'il  s'arrêta  au  chiffre  de  dix-huit  représentations.  Le 
même  soir  on  avait  repris  la  Perruche  avec  Ambroise  (le  mar- 
quis), J-aget  (Bagnolet),  M"'*  Tuai  (Caroline)  et  M''^  Pannetrat 
(M"""  de  Marneuf).  Cet  opéra-comique,  dont  nous  avons  parlé 
à  sa  naissance, en  1830,  obtint  alors  un  regain  de  vingt-quatre 
représentations,  qui,  ajoutées  aux  cent  cinquante-deux  du 
passé,  donnèrent  un  total  de  cent  soixante-seize.  Mais  la  Per- 
ruche marqua  cette  fois  le  terme  des  succès  de  Clapisson  à  la 
salle  Favart;  nulle  œuvre  de  lui  n'a  paru  depuis.  En  1864, 
il  fut  bien  question  de  monter  un  de  ses  ouvrages  :  On  ne 
meurt  pas  d'amour,  paroles  de  Leuven  et  J.  Moinaux,  mais  les 
choses  traînèrent  en  longueur,  le  compositeur  mourut  en 
1866  et  la  pièce  projetée  disparut  avec  lui. 

A  peine  le  directeur  prit-il  le  temps  de  faire  débuter  le 
13  décembre,  dans  Virginie  du  Caïd,  une  jeune  cantatrice  ha- 
bituée aux  succès  de  province,  M"^'^  Numa,  femme  de  Numa 
Blanc,  le  photographe  bien  connu,  et  d'un  bond  il  passa  de 
la  Perruche  à  Barkouf:  c'était  se  maintenir  en  pleine  ménage- 
rie, puisque  Barkouf  était  un  chien  ;  on  ne  le  voyait  pas, 
mais  on  l'entendait  aboyer  contre  ses  sujets,  car  il  avait  des 
sujets  et  gouvernait  Lahore.  Aux  grenouilles  qui  lui  deman- 
daient un  roi,  Jupiter  envoyait  une  grue  ;  aux  Romains  qu'il 
dédaignait,  Galigula  donnait  son  cheval  pour  consul  ;  à  ses 
sujets  révoltés  le  grand  Mogol  impose  comme  seigneur  et 
maître  un  simple  chien;  la  femme  qui  le  soigne  devient  aussi 
puissante  que  le  grand  vizir,  et  profite  de  la  situation  pour 
se  faire  octroyer,  aux  frais  du  gouvernement,  le  double  tré- 
sor auquel  aspirent  tous  les  héros  du  vieil  opéra-comique, 
un  cœur  et  une  dot.  Scribe  et  H.  Boisseaux  avaient  eu  raison 
d'appeler  leur  pièce  en  trois  actes,  opéra  bouffe  ;  l'excentricité 
même  du  sujet  avait  dû  conseiller  aux  auteurs  de  confier 
leur  livret  au  compositeur  que  l'immense  succès  d'Orphée  aux 
Enfers  venait  de  rendre  populaire,  Jacques  Offenbach.  Ce 
dernier  avait  alors  la  vogue,  et  la  foule  se  pressai  taux  portes 
de  son  petit  théâtre  des  Bouffes-Parisiens  ;  on  applaudissait 
à  sa  gaieté,  voire  même  à  sa  grâce  et  à  son  charme,  comme 


114 


LE  MÉNESTREL 


l'avait  prouvé  un  mois  auparavant,  avec  ses  quarante-deux 
représentations  à  l'Opéra,  le  ballet  du  Papillon,  comme  devait 
le  prouver  un  mois  plus  tard,  avec  ses  centaines  de  repré- 
sentations un  peu  partout,  ce  petit  chef-d'œuvre  en  son  genre 
qui  s'appelle  la  Chanson  de  Fortunio.  Plus  tard,  Hervé  a  poussé 
la  bouffonnerie  jusqu'à  la  caricature;  Lecocq  a  tâché  de  rele- 
ver l'opérette  au  niveau  de  l'ancien  opéra-comique,  et  dans 
cette  voie  toute  une  troupe  de  soldats  s'est  engagée  après 
lui:  Audran,  Vasseur,  Serpette, Messager,  Lacome,  etc.  Offen- 
bach  seul  n'a  pas  eu  de  maître  et  n'a  pas  laissé  de  succes- 
seur. Il  a  donné  sa  note  dans  le  concert  de  son  temps  :  il 
occupe  donc  une  place  à  part,  sa  personnalité  existe.  C'est 
de  la  charge  et  de  la  fantaisie  si  l'on  veut,  mais  souvent 
musicales  et  toujours  scéniques. 

De  telles  qualités  ne  paraissaient  pas  suffisantes  aux  aris- 
tarques  d'alors  pour  justifier  leur  bienveillance,  et  l'ouvrage 
qu'on  avait  d'abord  appelé  une  Révolte  dans  l'Inde,  puis  le  Roi 
Barkouf,  déchaîna  toutes  les  colères  des  journaux.  Scudo  la 
qualifia  brutalement  de  «  chiennerie  j>  et  la  Presse  ajoutait: 
«  Ce  n'est  pas  le  chant  du  cygne,  c'est  le  chant  de  l'oie  !  » 
Dès  le  début  la  malchance  s'était  acharnée  sur  cette  œuvre, 
dont  le  principal  rôle  avait  été  écrit  pour  M">^  Ugalde  ;  il  lui 
fallut  décliner  cet  honneur  pour  cause  d'un  mal  «  aussi  lé- 
gitime que  flatteur  »  disait  un  M.  Prudhomme  de  l'époque. 
M""*  Saint-Urbain  apprit  le  rôle  pour  y  fali'e  ses  débuts,  et  le 
joua  même,  à  la  répétition,  générale  le  27  novembre,  une 
indisposition  la  força  d'y  renoncer,  et  ce  fut  M""  Marimon 
qui  le  créa  finalement  presque  un  mois  après,  le  24  décembre. 
A  la  seconde  représentation  Laget  avait  dû  «  lire  »  le  rôle 
de  Warot,  tombé  malade  à  son  tour.  Pour  comble  de  disgrâce, 
les  auteurs  s'avisèrent  de  défendre  avec  une  maladresse  rare 
leur  pauvre  pièce,  Offenbach  dans  le  Figaro,  Hsnry  Boisseaux 
dans  la  Revue  et  Gazette  des  Théâtres.  Ce  dernier  écrivait,  par 
exemple:  «  Le  reproche  le  plus  grave  qu'on  nous  ait  adressé, 
c'est  d'avoir  commis  un  libretto  où  l'esprit  ne  hriljait  guère 
que  par  son  absence.  S'il  fallait  m'excuser,  je  dirais  que  j'ai 
fait,  quant  à  moi,  tous  mes  efforts  pour  en  mettre:  on  me 
croiiait  sans  peine.  Mais  la  vérité  c'est  que  j'ai  craint  constamment 
d'en  mettre  trop  :  cette  nuance  expliquera  l'erreur  où  je  suis 
tombé.  » 

La  pièce  tomba,  elle  aussi,  et  lourdement.  Scudo,  déjà 
nommé,  put  donc  s'écrier  ironiquement  :  «  Je  ne  serais  pas 
étonné  qu'il  se  trouvât  un  éditeur  assez  hardi  pour  faire 
graver  la  partition  de  Barkouf.  »  Il  se  trouva,  en  effet,  cet 
éditeur,  mais  beaucoup  plus  tard,  lorsque  Rarkouf,  remanié 
par  Nuitter  et  Tréfeu,  reparut  aux  Bouffes  sous  le  titre  de 
Roule  de  neige.  Livret  et  musique  demeuraient  les  mêmes,  à 
quelques  variantes  près,  dont  la  principale  était  le  change- 
ment de  cadre.  L'action  fut  transportée  du  midi  au  nord,  de 
l'équateur  aux  environs  du  pôle,  ce  qui  le  rendait  plus 
conforme  à  son  origine,  puisque  cette  bizarre  histoire  était 
tirée  d'une  légende  norwégienne,  rapportée  par  M.  X.  Mar- 
mier,  dans  ses  Lettres  sur  le  Nord.  Sous  cette  nouvelle  forme 
l'œuvre  fut  accueillie  sans  protestations,  sinon  avec  faveur. 
C'était  une  première  satisfaction;  mais  la  véritable  revanche 
de  Barkouf  ne  fut  prise  à  l'Opéra-Gomique  qu'en  4881  avec  les 
Contes  d'Hoffmann,  la  première  pièce  qui  eût  atteint  alors  la 
centième  à  ce  théâtre  depuis  la  guerre  de  1870.  Alors  le 
compositeur  ne  vivait  plus  pour  assister  à  son  triomphe,  et 
une  main  étrangère  avait  prêté  à  la  partition  un  secours  que 
ses  devancières  ne  connurent  jamais. 

Le  hasard  fit  se  succéder  à  peu  d'intervalle  le  maître  de 
l'opérette  et  le  maître  de  l'opéra-comique;  après  Offenbach, 
Auber  ;  après  Rarkouf,  la  Circassienne,  qu'on  avait  eu  grand'peine 
à  baptiser,  puisque  tour  à  tour  elle  s'était  appelée  Morte 
d'amour!  la  Révolte  au  Sérail,  Alexis  et  même  Fauhlas.  On  y 
voyait  un  jeune  officier  russe  revêtir  le  costume  d'une  Cir- 
cassienne avec  une  aisance  qui,  précédemment,  lui  avait 
valu  d'inspirer,  comme  femme,  une  passion  à  un  vieux  gé- 
néral. Fait  prisonnier  au  Caucase,  il  séjournait  dans  un  ha- 


rem jusqu'au  moment,  où,  délivré  par  ses  soldats,  il  revenait 
à  Moscou  et  épousait  la  sœur  de  ce  général,  que  l'on  mysti- 
fiait en  lui  présentant  le  galant  comme  le  frère  de  celle  qu'il 
aimait  et  qui  était,  soi-disant,  morte  loin  de  lui.  Quelques 
critiques  goûtèrent  peu  le  livret  en  trois  actes  de  Scribe; 
mais  presque  tous  rendirent  hommage  à  la  partition,  qui  doit 
compter  parmi  les  plus  aimables  productions  de  la  vieillesse 
d'Auber.  Les  costumes  et  les  décors  brillaient  par  leur  élé- 
gance, et,  à  part  M'"=  Monrose,  les  interprètes  se  montraient 
remarquables,  depuis  Couderc  et  Laget,  fort  amusants  tous 
deux,  jusqu'à  Montaubry,  qui  faisait  belle  figure  sous  le  tra- 
vesti et  se  servait  fort  à  propos  de  sa  voix  de  fausset.  L'ouvrage 
n'eut  pourtant  que  quarante-neuf  représentations,  malgré  l'en- 
thousiasme des  journaux,  de  Paul  de  Saint-Yictor  dans  la 
Presse,  de  Rovray  dans  le  3Ioniteur,  lesquels  chantèrent  leurs 
éloges  sur  le  mode  lyrique.  Le  Constitutionnel  écrivait  :  «  la 
pièce  est  très  originale,  très  hardie,  et  très  adroite  ;  la  mu- 
sique est  ravissante  de  fraîcheur,  de  finesse,  de  grâce  et 
d'esprit.  Décidément,  ceux  qui  prétendent  que  M.  Auber  est 
octogénaire  en  ont  menti  :  il  a  quatre  fois  vingt  ans  !  »  — 
«  Un  chef-d'œuvre  nous  est  né  !  »  s'écriait  l'Entr'acte,  et  un 
autre  ajoutait  que  cet  opéra  ferait  «  le  tour  de  l'Europe  ».  Il 
le  fit  en  effet,  mais  avec  un  autre  titre  et  une  autre  musique. 
La  Circassienne  est  devenue  Fatinitsa,  et  l'on  a  évité  alors  cet 
écueil  que  signalait  un  jour  et  très  justement  M.  Francisque 
Sarcey  à  propos  d'une  pièce  analogue  :  le  rôle  de  l'homme 
pris  pour  une  femme  a  été  joué  par  une  véritable  femme, 
et  les  spectateurs  n'ont  plus  été  choqués.  Pourquoi?  simple 
convention;  mais  sur  la  scène  il  faut  compter  avec  les  pré- 
jugés ;  le  mensonge  y  a  ses  charmes,  et  souvent  c'est  la  vérité 
qui  déplaît.  i 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Il  y  avait  longtemps  que  M"'  Yuillanme  attendait  sou  tour  à 
rOpéra-Comique.  Engagée  par  le  digne  M.  Paravey  dès  le  début  de 
cette  saison  et  payée  assez  grassement  par  ce  directeur,  qui  ne  regar- 
dait pas  à  la  dépense,  elle  rcslait  pourtant  inactive,  toutes  les  ave- 
nues des  rôles  auxquels  elle  pouvait  prétendre  étant  solidement  gar- 
dées par  ses  devancières  au  théâtre,  qui  n'entendaient  pas  en  être 
dépossédées.  Paravey  promettait  beaucoup,  mais  ne  tenait  rien  du 
tout,  selon  ses  louables  habitudes. 

Ce  fut  donc  un  beau  jour  pour  M"  VuiUaume  que  la  restaura- 
tion de  M.  Carvalho  et  la  jeune  artiste  eût  été  tout  à  fait  heureuse 
si  une  fâcheuse  grippe  n'était  encore  venue  se  jeter  au  travers 
des  projets  de  son  nouveau  directeur.  Toutefois,  dans  sa  précipi- 
tation de  paraître  à  la  scène.  M""  Vuillaume  ne  voulut  même  pas 
attendre  d'être  débarrassée  complètement  de  cet  inopportun  coryza. 
Elle  en  subissait  encore  les  dernières  atteintes,  quand  nous  l'avons 
entendue  mercredi  dans  Mireille,  ce  qui  n'a  pas  empêché  de  distin- 
guer dans  son  talent,  au  milieu  de  quelques  vocalises  enchifrenées, 
des  qualités  très  personnelles.  N'est-ce  pas  le  principal  déjà,  que  de  ne 
pas  suivre  servilement  les  traces  laissées  par  celles  qui  vous  ont  pré- 
cédé dans  la  carrière.  La  nature  de  M""  Vuillaume  est  d'être  un  peu 
maniérée  et  mignarde,  mais  elle  a  de  la  grâce  et  de  la  légèreté. 
Son  art  de  chanter  n'est  pas  toujours  très  correct,  mais  elle  a  de 
l'habileté  pour  en  masquer  les  défaillances.  Au  résumé,  il  y  a  une 
pointe  artistique  dans  tout  ce  qu'elle  fait.  Quand  elle  aura  pris  une 
connaissance  plus  approfondie  du  sol  parisien  et  qu'elle  aura  ren- 
voyé, par  le  plus  prochain  express,  à  Lyon,  d'où  elle  nous  vient, 
quelques  façons  qui  n'ont  pas  cours  ici,  on  pourra  mieux  voir  quel 
avenir  elle  peut  espérer  sur  la  scène  de  rOpéra-Comique. 

Nous  aurons,  au  même  théâtre,  vers  le  20  de  ce  mois,  la  cen- 
tième représentation  de  Lakmé.  l'œuvre  charmante  de  Léo  Delibes  ; 
ce  qui  doublera  l'attrait  de  cette  reprise,  c'est  qu'elle  servira  de 
rentrée  à  M""'  Arnoldson.  dont  on  n'a  pas  oublié  les  heureuses  repré- 
sentations dans  Mignon,  sur  cette  même  scène,  bien  qu'elles  remontent 
à  trois  années  déjà  et  que,  depuis,  l'heureuse  cantatrice  ait  parcouru 
le  monde  entier,  partout  choyée  et  adulée.  C'eût  été  une  fête  pour 
le  pauvre  Delibes  que  d'assister  à  la  représentation  de  son  œuvre 
avec  ce  renouveau. 


LE  MÉNESTREL 


413 


Puisque  nous  parlons  de  Delibes,  nous  ne  manquerons  pas  de 
reproduire  ici  la  pièce  de  vers  que  Meilhac  a  écrite  en  son  honneur, 
pour  être  dite  en  une  sorte  de  festival  intime  qui  a  été  donné  mardi 
dernier  au  Cercle  artistique  de  la  rue  Boissy-d'Anglas,  dont  l'auleur 
de  Sylvia  était  un  membre  des  plus  anciens  et  des  plus  fidèles  : 

Paroles  ou  musique,  il  est  doux  de  créer 

Et  d'exposer  son  œuvre  à  la  pleine  lumière; 

Il  est  très  doux  aussi,  le  jour  d'une  première, 

D'errer  dans  la  coulisse  et,  pâle,  d'écouter. 

En  murmurant  des  mots  qui  sont  une  prière. 

Le  bruit  que  fait  son  nom  qu'on  entend  acclamer. 

Et  le  lendemain  donc!...  la  presse,  le  panache 

Que  l'on  se  plante  au  front  d'un  air  de  conquérant. 

Et  le  coup  de  trompette,  aigu,  retentissant, 

Qui  fait  d'un  inconnu  l'homme  que  l'on  s'arrache. 

Chez  lequel,  écartant  le  voile  qui  les  cache. 

Les  femmes  s'en  iront  sonner  en  rougissant. 

C'est  très  doux...  et  pourtant,  quelques-uns  d'humeur  fière 

Comprennent  le  succès  de  tout  autre  manière. 

Moins  gai,  moins  tapageur,  et  n'en  valant  que  mieux. 

Ce  succès  épuré  plaît  aux  ambitieux. 

Mais,  à  moins  d'être  mort,  vous  ne  l'obtiendrez  guère. 

Ce  qui  ne  laisse  pas  que  d'être  assez  fâcheux! 

Les  uns  estimeront  que  le  but  de  la  vie 

Est  de  vivre  joyeux,  satisfaits  et  repus; 

D'autres  n'en  diront  rien,  sinon  qu'ils  ont  envie 

Que  plus  tard,  dans  cent  ans,  leur  besogne  accomplie, 

On  parle  encore  d'eux  quand  ils  n'y  seront  plus!... 

Plusieurs,  parmi  ceux-là,  portent  des  noms  connus. 

Vous  en  avez  au  Cercle...  et  n'allez  pas  leur  dire 
Qu'il  n'est  pas  à  la  mode  aujourd'hui  de  rêver, 
Et  que  tout  est  folie,  et  que  tout  est  délire 
Dans  ce  bonheur  lointain  qu'il  leur  plait  d'espérer... 
Quand  vous  aurez  tout  dit,  ils  se  mettront  à  rire, 
Puis  ils  vous  répondront:  «  Laissez-nous  délirer!  » 

Car,  c'est  là  notre  rêve  à  tous  tant  que  nous  sommes. 

C'est  là  l'ambition  et  le  désir  ardent. 

Non  de  gagner  des  croix,  d'avoir  les  fortes  sommes. 

Mais,  c'est  après  la  mort  de  demeurer  vivants, 

De  laisser  une  trace  au  souvenir  des  hommes, 

Ainsi  qu'un  écolier  creuse  un  nom  sur  un  banc. 

Ce  rêve,  bien  souvent,  Delibes  dut  le  faire. 
Et  nous  sommes  témoins  qu'il  s'est  réalisé  : 
Sur  le  front  de  l'artiste,  un  rayon  s'est  posé. 
Tant  que  l'on  aimera,  sur  notre  pauvre  terre, 
La  mélodie  alerte  et  la  grâce  légère. 
Le  monde  redira  les  chansons  de  Lakmé. 

Cher  Delibes!  La  Mort,  cette  aveugle  furie, 
Esclave  du  hasard  qui  lui  dicte  ses  choix, 
A  pu  traîtreusement  te  prendre  entre  ses  doigts; 
Elle  a  pu  t'emporter;  mais,  ta  lâche  ennemie 
Ne  t'aura  pas  du  moins  tout  entier...  Ton  génie 
Est  debout...  Et  la  Mort  ne  peut  rien  cette  fois. 

Nous  saluons  ta  douce  et  si  chère  mémoire. 

Et  ton  passé  si  court,  si  plein,  si  glorieux! 

Si  tu  n'aperçois  pas  de  larmes  dans  nos  yeux, 

N'en  sois  pas  mécontent.  Nous  devons  à  ta  gloire 

De  ne  montrer  ici  que  des  fronts  orgueilleux. 

Ce  jour  n'est  pas  un  jour  de  deuil,  mais  de  victoire. 

Heureux  qui  comme  toi,  le  Maître  regretté. 
Succombe  avant  le  temps,  sa  moisson  étant  faite, 
De  qui  jamais  l'hiver  ne  courbera  la  tête, 
Et  qui  des  jours  mauvais  ignorant  l'àpreté. 
Triomphant,  applaudi,  comme  dans  une  fête. 
Passe  de  la  Jeunesse  à  l'Immortalité  ! 

Ce  joli  dithyrambe,  récité  d'une  merveilleuse  façon  par  M"°  Bar- 
tet ,  servait  de  préface  à  tout  un  concert  consacré  aux  œuvres 
de  Delibes.  On  voyait  sur  le  programme  les  airs  du  Roi  s'amuse 
conduits  par  Danbé  à  la  tête  de  son  orchestre,  la  Sérénade  à 
Mnon,  que  l'excellent  baryton  Renaud  a  dû  bisser,  le  chœur  des 
Nymphes  des  bois  tout  exprès  orchestré,  et  avec  quelle  finesse  !  par 
M.  Massenet,  le  finale  de  Jean  de  Nivelle,  où  la  belle  voix  du  ténor 
Giberl  s'est  fait  fort  applaudir.  Il  n'a  manqué  à  la  fête  que  M°"=  Melba, 
qui  devait  chanter  l'air  des  clochettes  de  Lakmé  et  qui,  au  dernier 
moment,  s'est  trouvée  trop  enrhumée  pour  tenir  sa  promesse.  Cela  a 
été  une  charmante  matinée,  vous  pouvez  m'en  croire,  encore  que 
quelques  amateurs  éclairés  du  cercle  n'aient  pas  cru  devoir  laisser 
la  place  complètement  libre  à  Léo  Delibes  et  nous  aient  fait  subir 


quelques-unes  de  leurs  compositions  dans  la  première  partie  du 
concert. 

Puisque  nous  en  sommes  arrivé  à  parler  concerts ,  disons  au 
moins  quelques  mots  des  five  o'clock  que  le  Figaro  organise  tous 
les  mercredis  dans  ses  bureaux  et  ou  tous  les  amis  viennent,  comme 
on  dit,  au  hasard  de  la  fourchette.  On  ne  sait  jamais  à  l'avance 
ce  qu'on  y  fera,  ni  ce  qu'on  y  entendra,  mais  on  est  toujours  siir 
d'y  trouver  du  piquant  et  de  l'imprévu,  au  milieu  d'un  heureux 
mélange  d'arts  de  toutes  les  catégories.  C'est  ainsi  qu'au  dernier 
mercredi,  à  côté  de  M""  Roger-Miclos,  la  muse  du  piano,  on  avait 
Coquelin  avec  ses  amusants  monologues  ;  près  de  la  petite  Naudin, 
qui  soupirait  l'Enfant  au  jardin  de  Faure,  Yvette  Guilbert  nous  ré- 
citait des  choses  très  gaillardes  ;  quand  le  puissant  contralto  de 
M"=  Domenech  avait  cessé  de  chanter  les  plaintes  de  Dalila,  Kam- 
Hill  apparaissait  avec  ses  étonnantes  chansons  de  Mac-Nab.  Oh  ! 
cet  Omnibus  de  la  préfecture,  quel  poème  de  cocasserie  !  Il  a  dit 
aussi  pour  la  première  fois  une  chanson  inédite  de  Pierre  Véron, 
l'Oncle  de  Célestin,  qui  n'engendre  pas  non  plus  la  mélancolie. 

Ces  petites  réunions  ont  tout  le  charme  de  l'improvisation.  On  n'a 
pas  à  y  craindre  la  solennité  d'un  programme  arrêté  à  l'avance.  Aussi, 
quand  on  y  a  été  une  fois,  on  n'a  plus  qu'un  désir,  c'est  d'y  revenir... 
avec  d'autant  plus  de  joie  qu'on  est  à  peu  près  certain  de  n'y  pas 
rencontrer  MM.  Ritt  et  Gallhard. 

H.    MORENO. 

Folies-Draîiatiques.  —  Juanita.  opéra-comique  en  trois  actes  et 
quatre  tableaux,  adaptation  française  de  MM.  Vanloo  et  Leterrier, 
musique  de  M.  F.  Suppé. 

C'est  royalement  que  M.  Vizentini  a  voulu  inaugurer  sa  direction 
au  théâtre  des  Folies-Dramatiques,  et  je  crois  bien  que,  si  le  publie 
doit  savoir  gré  à  l'imprésario  de  tout  ce  qu'il  a  fait,  les  auteurs  de 
Juanita  lui  doivent  bien  certainement  quelque  chose  de  plus.  Oyez 
plutôt,  et  dites  si  l'on  n'a  pas  jeté  l'or  par  toutes  les  fenêtres  :  dans 
la  distribution,  les  noms  de  M'^»  Marguerite  Ugalde,  tour  à  tour 
étoile  d'opérette  et  de  comédie,  plus  en  grâce  et  plus  en  verve  que 
jamais;  M"'  J.  Darcourt,  une  toujours  très  jolie  femme,  doublée 
d'une  fort  aimable  comédienne;  M"»  Zélo  Duran,  une  belle  personne 
qui  s'est  révélée  chanteuse  légère  des  plus  agréables;  M.  Morlet, 
un  baryton  qui  vaut  ordinairement  mieux  que  ce  qu'on  lui  fait 
chanter;  M.  Gobin,  le  roi  des  pitres  ;  M.  Guyoa  fils,  qui,  à  chaque 
nouveau  rôle,  campe  magistralement  une  inoubliable  caricature 
nouvelle;  M.  Maurice  Lamy,  qui  n'a  qu'un  tort,  celui  d'être  le  frère 
de  Charles  ;  comme  décorations,  de  ravissants  tableaux  signés  de 
MM.  Cornil,  Vallon  et  Froment,  dans  lesquels  chatoient  des  cos- 
tumes variés  dus,  je  crois,  au  très  artistique  pinceau  de  M.  Edel; 
enfin,  à  la  tête  d'un  orchestre  qui  m'a  paru  sensiblement  renforcé, 
un  des  meilleurs  chefs  de  Paris,  M.  Baggers.  Prodigalité,  vous 
dis-je,  mais  prodigalité  très  bien  comprise,  et  qui  devra  porter  ses 
fruits. 

Il  ne  fallait,  en  effet,  rien  moins  que  ce  luxe  et  cette  adresse 
dans  la  mise  en  œuvre  pour  masquer  la  pauvreté  du  sujet  due  à  la 
collaboration  de  MM.  Vanloo  et  Leterrier.  La  scène  se  passe  en 
1796,  à  Saint-Sébastien,  qui  est  sous  la  domination  des  Anglais.  Les 
Français  cernent  la  ville  qu'ils  veulent  délivrer  du  joug  étranger,  et 
c'est  un  petit  fifre  de  l'armée  française,  se  faisant  passer  tour  à  tour 
pour  muletier,  écrivain  public  et  noble  dame  espagnole,  qui  ou- 
vrira à  ses  compagnons  les  portes  de  la  citadelle.  La  pièce  entière 
repose  sur  les  déguisements  de  René  Belamour,  le  fifre,  amoureux  des 
belles  filles  qu'il  croise  sur  sa  route,  et,  devenu  Juanita,  faisant 
brûler  de  flammes  incandescentes  le  cœur  de  tous  les  pauvres 
hommes  qui  l'approchent. 

Le  maestro  Franz  Suppé,  sur  la  musique  duquel  cette  fable  a  été 
adaptée,  s'il  ne  jouit  pas  ici  d'une  réputation  aussi  universelle 
qu'en  Autriche  et  en  Allemagne,  n'est  du  moins  pas  précisément 
un  inconnu.  Bocace  et  Fatinit:-a,  représentés  à  Paris,  avaient 
avantageusement  fait  connaître  son  nom,  et  Juanita  n'est  point  pour 
diminuer  son  renom  de  musicien  habile  et  aimable.  Sa  dernière, 
partition,  trop  volumineuse  peut-être  pour  ce  genre  et  dans  laquelle 
on  aurait  pu  faire  de  très  excellentes  coupures,  se  recommande  sur- 
tout par  une  gracieuse  facilité  et  une  veine  mélodique  souvent  heu- 
reuse. Si  nous  ne  trouvons  plus  là  la  galté  débordante  et  l'esprit 
acéré  d'un  Offenbach,  ou  l'entrain  et  le  brio  irrésistibles  d'un  Johann 
Strauss,  nous  sentons  néanmoins  quelle  influence  très  grande  ces 
maîtres  de  l'opérette,  et  aussi,  avec  eux,  nos  compositeurs  parisiens 
actuels,  ont  exercée  sur  M.  Suppé,  qui  les  a  étudiés  de  très  près. 
Les  spectateurs  du  premier  soir  ont  bissé  plusieurs  numéros,  les 
«  couplets  de  la  pantomime    »    à  2/4  dont  l'accompagnement  d'or- 


d!6 


LE  MENESTREL 


chestre  est  tout  à  fait  agréable,  les  couplets  à  2/4  encore  chantés 
par  M"'  Ugalde  dans  le  finale  du  premier  acte,  une  ariette  avec 
vocalises  qu'on  aurait  voulu  faire  redire  trois  fois  àM"=  Zélo  Duran, 
et  un  très  amusant  terzetto.  J'ai  à  vous  signaler,  en  dehors  de  ces 
morceaux,  un  quintette  trop  long,  mais  dont  plus  d'un  fragment  est 
bien  venu,  et  les  couplets  «  du  baiser  »,  d'une  allure  aimable,  qui 
débutent  par  quelques  mesures  à  9/8  et  se  terminent  par  un  éter- 
nel 2/4  ! 

Paul-Émile  Chevalier. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


III 
NAPOLÉON  ET  LA  MUSIQUE  ITALIENNE 

Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  le  goût  prédominant  de  Napoléon 
pour  la  musique  italienne.  Faut-il  le  chercher  dans  l'état  originel  de 
satamille  ou  dans  ses  impressions  heureuses  en  Italie,  d'oîi  sont  datés 
ses  premiers  et  retentissants  bulletins  de  victoires,  ou  bien  encore 
dans  la  nature  même  de  son  esprit,  incliné,  comme  nous  l'avons  vu, 
vers  la  rêverie  et  l'horreur  du  bruit?  Peut-être  ces  trois  éléments  se 
réunissent-ils  pour  expliquer  sa  prédilection;  mais,  ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  que  cette  dernière  considération  est  celle  qui  fournit 
l'argument  le  plus  sérieux. 

—  Messieurs,  je  ne  veux  qu'une  vapeur  de  son,  avait-il  coutume 
de  dire  à  ses  musiciens. 

Et  Marco  de  Saint-Hilaire,  qui  rapporte  cette  parole  ,  d'ajouter  : 
«  Il  est  certain  que  le  son  avait  pour  lui  le  plus  grand  charme, 
quand  il  était  doux;  aussi  est-il  rare  qu'une  femme  qui  a  une  jolie 
voix  ne  lui  plaise  pas.  serait-elle  laide  à  faire  peur.  Sa  Majesté  pousse 
celte  espèce  de  passion  jusqu'à  être  charmée  de  la  douceur  ou  de 
l'harmonie  du  nom  qu'elle  porte  ;  mais  si,  en  le  prononçant,  il  lui 
sonne  mal  à  l'oreille.  Elle  le  mâchonne  dans  ses  dents,  ne  lo  pro- 
nonce pas  tel  qu'il  doit  être,  ou  ne  s'en  souvient  jamais.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  préférence  pour  la  musique  italienne  perce 
en  toute  occasion.  De  son  quartier  général  de  Milan  en  n97,  il  écrit 
aux  inspecteurs  du  Conservatoire  de  musique  de  Paris  : 

«  J'ai  reçu,  citoyens,  votre  lettre  du  16  messidor,  avec  le  mémoire 
qui  y  était  joint.  On  s'occupe,  dans  ce  moment-ci,  dans  les  diffé- 
rentes villes  d'Italie,  à  faire  copier  et  mettre  en  état  toute  la  musique 
que  vous  demandez. 

»  Croyez,  je  vous  prie,  que  je  mettrai  le  plus  grand  soin  à  ce  que 
vos  intentions  soient  remplies  et  à  enrichir  le  Conservatoire  de  ce 
qui  pourrait  lui  manquer. 

»  De  tous  les  beaux-arts,  la  musique  est  celui  qui  a  le  plus  d'in- 
fluence sur  les  passions,  celui  que  le  législateur  doit  le  plus  encou- 
rager. Un  morceau  de  musique  morale,  et  fait  de  main  de  maître 
touche  immanquablement  le  sentiment,  et  a  beaucoup  plus  d'influence 
qu'un  bon  ouvrage  de  morale  qui  convainc  la  raison  sans  influer 
sur  nos  habitudes. 

»  Bonaparte.  » 

Pendant  sa  seconde  campagne  d'Italie,  le  premier  consul  s'occupe 
d'envoyer  des  artistes  à  Paris.  II  avait  tout  d'abord  jeté  les  yeux 
sur  le  célèbre  Marchesi,  dont  la  réputation  remplissait  la  péninsule. 
Mais  Marchesi,  fort  bien  traité  par  les  Autrichiens,  regrettait  l'ancien 
état  de  choses;  et  il  n'était  pas  le  seul,  il  faut  le  dire,  qui  déplorât 
leur  départ  et  les  triomphes  de  l'armée  française. 

Invité  par  le  premier  consul  à  se  faire  entendre  devant  lui,  cet 
artiste  se  fit  beaucoup  prier.  Cependant  il  dut  obéir,  et  comme  Bona- 
parte lui  demandait,  avec  beaucoup  de  courtoisie,  de  lui  chanter  un 
air  de  son  répertoire  : 

—  Signer  zénéral,  lui  répondit  le  virtuose,  si  c'est  oun  bon  air 
qu'il  vous  faut,  vous  en  trouverez  oun  essellent  en  faisant  oun  petit 
tour  de  zardiu. 

On  se  figure  la  colère  du  vainqueur  d'Arcole  en  entendant  cette 
réponse.  Il  fit  arrêter,  sur  l'heure,  et  jeter  en  prison  le  malotru, 
qui  y  séjourna  jusqu'après  Marengo,  époque  à  laquelle  le  premier 
consul,  désarmé  par  la  gloire  et  par  l'adulation  générale,  fit  venir 
de  nouveau  Marchesi,  pour  lui  renouveler  sa  précédente  invitation. 

Cette  fois,  l'arlisle  ne  se  fit  point  prier  ;  il  fut  aussi  poli  qu'il 
avait  été  gouailleur  à  sa  première  visite,  et  chanta  merveilleusement. 
Bonaparte,  sans  rancune,  lui  fit  de  grands  compliments,  et  Marchesi 
déclara  que  «  le  zénéral  était  le  piu  grand  homme  du  monde  ».  Mais 
là  se  bornèrent  leurs  relations. 


Il  n'en  fut  pas  de  même  avec  M°'"  Grassini,  qui  se  fit  entendre 
au  même  concert,  et  dont  la  voix  et  la  beauté  exercèrent  sur  le  pre- 
mier consul  un  charme  qui  ne  s'est  pas  démenti  depuis.  Il  parait 
que  cette  célèbre  cantatrice  déjeuna  le  lendemain,  avec  Berthier, 
chez  le  conquérant  de  l'Italie,  et  que  là  fut  décidé,  séance  tenante, 
son  départ  immédiat  pour  Paris.  Mais  comme  Bonaparte  aimait  à 
faire  les  choses  régulièrement,  il  s'assit  devant  sa  table  et  traça  deux 
lettres,  dont  l'une  pour  Berthier,  et  l'autre  pour  son  frère  Lucien, 
ministre  de  l'Intérieur. 

La  première  était  ainsi  conçue  : 

Milan,  2  messidor  an  VIII,  21  juin  1800. 

Je  vous  prie,  citoyen  général,  d'inviter  deux  des  meilleures  virtuoses 
de  l'Italie  de  se  rendre  à  Paris  pour  y  chanter  un  duo  en  italien,  à  la 
fête  du  14  juillet.  Vous  leur  ferez  donner  ce  qui  leur  sera  nécessaire  pour 
leur  voyage,  et  le  ministre  de  l'intérieur,  auquel  vous  les  adresserez,  les 
traitera  d'une  manière  conforme  à  leur  mérite  et  les  indemnisera  de  ce 
qu'ils  auraient  gagné  en  Italie. 

Dans  sa  lettre  à  Lucien,  le  premier  consul  complétait  sa  pensée  : 

...Je  désirerais,  écrivait-il,  que  ces  deux  virtuoses  exécutassent,  avec 
des  chœurs,  un  morceau  italien,  que  vous  feriez  composer,  sur  la  délivrance 
de  la  Cisalpine  et  de  la  Ligurie  et  la  gloire  de  nos  armes.  C'est  un  sup- 
plément à  faire  à  votre  prospectus. 

Le  général  Berthier  m'informe  qu'il  compte  envoyer  ou  M""^  Billing- 
ton,  ou  M™  Grassini,  qui  sont  les  deux  plus  célèbres  virtuoses  de  l'Italie. 
Faites  donc  composer  un  beau  morceau  en  italien  avec  une  bonne  musi- 
que. Le  ton  de  voix  de  ces  artistes  doit  être  connu  des  compositeurs 
italiens. 

Il  fut  fait  suivant  le  désir  du  premier  consul  :  les  deux  canta- 
trices prirent  part  à  la  grande  fête  nationale,  au  Champ-de-Mars, 
où  l'on  avait  réuni  800  musiciens,  qui  exécutèrent  des  airs  guerriers 
de  Gossec,  et  des  chœurs  bien  fournis,  qui  firent  entendre,  sur 
l'autel  de  la  patrie,  un  c/fa/i/ /iarmoyjîV/uc,  par  Marie-Joseph  Chénier. 
A  la  même  époque.  M""  Grassini  parut  à  deux  concerts  organisés 
à  son  bénéfice,  à  l'Opéra.  On  y  remarqua  sa  voix  égale  et  pure  dans 
toute  son  étendue,  sa  belle  et  libre  émission  du  son,  et  surtout  sa 
grande  manière  de  phraser.  Malheureusement,  il  n'existait  point  alors 
d'Opéra  italien  à  Paris  oii  elle  eût  pu  être  engagée;  et,  d'autre  part,, 
la  grande  artiste  ne  connaissait  pas  suffisamment  notre  langue  pour 
paraître  à  l'Académie  nationale  de  musique.  Elle  erra  donc  pendant 
quelques  années  en  Allemagne  et  en  Angleterre.  Mais,  rappelée  en 
1804  par  l'empereur,  qui  n'avait  point  perdu  le  souvenir  du  lende- 
main de  Marengo,  elle  fut  spécialement  attachée  aux  concerts  de  la 
Cour,  aux  appointements  de  36,000  francs,  plus  13,000  francs  de 
gratification,  avec  pension  réglée  à  13,000  francs.  M°"^  Grassini 
resta  longtemps  au  service  de  l'empereur.  Et  lorsqu'elle  prit  le 
parti  de  s'éloigner,  il  faut  croire  que  ce  ne  fut  pas  volontairement. 
C'est  du  moins  ce  qui  semble  ressortir  de  cette  anecdote  qui  a  été 
contée  par  M""'  Georgette  Ducrest,  nièce  de  M"'=  de  Genlis  et  intime 
amie  de  Joséphine  : 

«  Arrêtée  près  de  Naples,  par  des  brigands  qui  la  dévalisèrent, 
elle  essaya  d'abord  de  les  toucher;  mais  voyant  que  tout  était  inu- 
tile et  qu'ils  fouillaient  toujours  dans  tous  les  coins  de  sa  voiture  : 
—  Oh!  ze  vous  en  prie,  mes  bons  brigands,  dit-elle,  prenez  lout  ce 
que  ze  poussède:  mais,  laissez-moi,  ze  vous  en  prie,  oune  çose  que 
z'aime  plus  que  vous  ne  pouvez  croire,  c'est  le  pourtrait  de  noiitre  çer 
gouvernement.  Ze  ne  veux  pas  les  diamants,  mais  laissez-moi  le 
pourtrait...  Ils  brisèrent  et  gardèrent,  en  effet,  l'entourage  du  mé- 
daillon qui  contenait  le  porlrait  de  Napoléon,  et  lui  rendirent  cette 
image  chérie,  ce  qu'elle  citait  comme  le  plus  beau  trait  du  monde.  » 
Dans  l'intervalle  qui  avait  séparé  les  deux  séjours  de  M'""  Gras- 
sini à  Paris,  la  musique  s'était  organisée  suivant  les  vues  de  Bona- 
parte. Pour  s'assurer  une  pépinière  de  bons  artistes  italiens,  il  avait, 
dès  le  commencement  du  siècle,  fondé  le  Lycée  musical  de  Bologne, 
dont  il  avait  confié  la  'direction  au  P.  Mattei ,  élève  du  P.  Martini 
et  continuateur  de  ses  traditions.  Mais,  en  attendant  que  cet  éta- 
blissement produisît  les  fruits  qu'il  promettait,  lo  premier  consul 
prit  ce  qu'il  avait  sous  la  main  et  s'efforça  d'acclimater  la  musique 
italienne  à  Paris.  Il  exauçait  ainsi  le  vœu  de  Grétry,  qui  avait  écrit  : 
«  Je  désire  que  les  chanteurs  italiens  se  fixent  chez  nous  ;  la  mu- 
sique italienne  est  l'antidote  du  mal  qu'il  faut  guérir.  » 

Pour  donner  un  corps  à  son  projet,  Bonaparte  s'adresse  à  M"°  Mon- 
tansier,  experte  en  malière  théâtrale,  pour  former  une  troupe  de  chan- 
teurs italiens.  Elle  y  parvient  et  fait  débuter,  le  l'^'' mars  1801,  de  bons 
sujets,  dans  la  salle  connue  alors  sous  le  nom  de  théâtre  delà  Société 
Olympique,  rue  Ghantereine,  aujourd'hui  rue  de  la  Victoire...  C'était 
une  salle  très  élégante,  en  bleu  réchampi  de  blanc,  avec  des  loges 
d'une  coupe  particulière,  bombées  par  devant,  mais  ouverles,  de  telle 


LE  MENESTREL 


H7 


sorle  que,  des  pieds  à  la  tète,  les  femmes  étaieat  vues  dans  tout 
l'éclat  et  le  charme  de  leur  toilette...  Pour  vivre  :  60,000  francs  de 
subvention,  du  gouvernement,  et  de  Bonaparte,  particulièrement, 
12,000  francs  poursa  loge...  On  alla  cahin-caha;  mais  ces  ressources 
ne  suffisant  pas,  le  premier  consul  écrivit,  le  10  octobre  1801  (18  ven- 
démiaire an  X),  à  Chaptal,  dont  relevaient  les  théâtres  : 

Je  vous  prie,  citoyen  ministre,  de  faire  donner  aux  Bouffes  italiens 
10,000  francs,  et  de  lever  tous  les  obstacles  qui  s'opposent  à  ce  qu'ils  aient 
la  salle  des  Italiens.  Je  désire  que  vous  preniez  ces  mesures  pour  que  les 
principaux  acteurs  d'Italie  se  joignent  à  la  troupe  actuelle,  car  il  est  bon 
de  perfectionner  le  goût  du  chant  en  France.  Gela  est  surtout  convenable, 
sous  le  foint  de  vue  politique,  à  cause  de  notre  grande  prépondérance  en 
Italie. 

Cette  fin  donne  un  corps  à  une  accusation  dont  on  a  souvent  gra- 
tifié Napoléon.  La  musique,  a-t-on  dit,  était  à  ses  yeux,  un  simple 
moyen  de  gouvernement!...  Peut-être  entra-t-il,  à  l'occasion,  dans 
ses  vues,  de  mettre  un  art  qu'il  affectionnait  au  service  de  sa  poli- 
tique; mais,  par  ce  que  nous  avons  vu  déjà  et  par  ce  que  nous 
verrons  encore,  nous  pouvons  d'ores  et  déjà  faire  justice  de  cette 
insinuation.  Napoléon  aimait  la  musique  pour  la  musique;  et,  comme 
Orphée,  il  ne  détestait  pas  de  séduire  les  gens  par  les  sons  d'une 
lyre  bien  employée. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Pal'l  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  s'ouvrait  parla  symphonie 
en  ré  mineur  de  Robert  Schumann,  l'une  des  meilleures  et  des  plus  inté- 
ressantes assurément  de  l'auteur  de  Matifred  et  de  Geneviève,  et  l'une  de 
celles  pourtant  qu'on  a  le  moins  d'occasions  d'entendre.  Elle  témoigne, 
dans  sa  forme  générale,  d'un  esprit  singulièrement  libre  et  indépendant, 
pour  qui  la  tradition  ne  saurait  être  immuable,  et  l'orchestre,  d'ordinaire 
toujours  un  peu  flottant  et  indécis  chez  Schumann,  est  plus  nerveux,  plus 
coloré,  plus  solide  et  mieux  équilibré  que  dans  les  autres  œuvres  du 
maître.  Et  puis,  il  y  a  dans  cette  symphonie  une  originalité  véritable, 
avec  une  sûreté  de  main  qui  n'est  pas  précisément  habituelle  à  l'auteur. 
L'exécution  en  a  d'ailleurs  été  excellente,  et  le  public  a  tait  à  cette  belle 
composition  un  accueil  très  cordial  et  très  sympathique.  Ce  même  public 
a  paru  un  peu  désenchanté,  un  peu  déçu  — et  il  y  avait  de  quoi —  à  l'au- 
dition du  concerto  à  deux  pianos  de  Mozart,  que  sont  venues  exécuter, 
l'une  et  l'autre  avec  un  talent  de  premier  ordre.  M""  George-Hainl  (Marie 
Poitevin)  et  M""  Clotilde  Kleeberg.  Le  nom  de  Mozart  évoque  avec  soi  de 
telles  idées  de  charme  et  d'enchantement,  qu'on  est  douloureusement  sur- 
pris quand  le  maître  exquis  ne  produit,  comme  ici,  qu'une  impression 
de  fatigue  et  de  somnolence.  Aucune  idée  dans  ce  concerto,  aucun  jet 
lumineux,  aucune  trace  d'inspiration,  rien  qu'une  succession  da  notes 
sans  dessin  ni  saveur  et  l'éternel  emploi  d'une  formule  éternelle  !  Et  ce 
ne  sont  pas  les  deuv  très  mauvaises  cadenze  de  M.  Cari  Reinecke  que 
^\jmHi  George-Hainl  et  Kleeberg  ont  jugé  à  propos  d'y  introduire,  qui  pou- 
vaient en  relever  la  valeur.  Rendons  toutefois  justice  au  talent  déployé 
par  les  deux  interprètes,  à  leur  impeccable  virtuosité,  à  leur  style  plein 
de  grâce  et  de  souplesse,  à  l'ensemble  enfin  d'un  jeu  qui  ne  laisse  rien 
à  désirer  et  qu'on  voudrait  pouvoir  admirer  dans  une  œuvre  plus  inté- 
ressante. Leur  succès  personnel  a  été  très  grand  et  très  mérité.  Nous 
avons  entendu  ensuite  Biblis,  poème  symphonique  dont  M.  Massenet  a 
écrit  la  musique  sur  de  jolis  vers  de  notre  confrère  M.  Georges  Boyer. 
Biblis  avait  été  exécutée  pour  la  première  fois  il  y  a  quatre  ans,  au  mois 
de  janvier  1887,  par  la  Société  chorale  d'amateurs  fondée  et  dirigée  par 
Guillot  de  Sainbris,  mais  avec  accompagnement  de  piano  seulement. 
M.  Massenet,  qui  avaitécrit  cette  composition  expressément  pour  la  Société 
Guillot  de  Sainbris,  l'a  orchestrée  récemment,  expressément  pour  la 
Société  des  concerts.  L'œuvre,  il  faut  le  dire,  manque  essentiellement  de 
souffle  et  d'originalité,  l'inspiration  en  est  courte,  et  à  part  un  chœur  bril- 
lant et  bruyant,  où  le  compositeur  semble  avoir  été  hanté  par  les  souve- 
nirs de  la  Prcc/oso  de  Weber,  je  ne  vois  pas  trop  quelle  page  on  en  pourrait 
citer.  Elle  a  pourtant  été  vaillamment  défendue  par  ses  interprètes,  M'ii^Do- 
raenech,  dont  la  voix  malheureusement  est  un  peu  courte,  et  MM.  Warmbrodt 
et  Auguez,  toujours  excellents  l'un  et  l'autre.  —  Je  n'ai  rien  à  dire  de  l'é- 
tonnante, de  la  prodigieuse,  de  la  pathétique,  de  l'admirable  ouverture 
de  Coriolan  de  Beethoven,  l'une  des  pages  les  plus  stupéfiantes  du  réper- 
toire symphonique,  que  l'orchestre  a  dite  avec  un  style  et  une  vigueiir  in- 
comparables, et  je  termine  en  constatant  le  succès  qui  a  accueilli  cette 
ouverture,  ainsi  que  les  trois  fragments  du  Messie  de  H:cndel  qui  figuraient 
à  la  fin  du  programme  :  le  chœur  L'enfant  est  né,  la  pastorale  (par  M"°Do- 
menech)  et  VAIteluia.  La  dernière  impression,  comme  la  première,  a  été 
ainsi  excellente.  A.  P. 

—  Concerts  du  Cbàtelet.  —  Audition  d'œuvres  de  M.  Tschaïkowsky.  — 
Depuis  une  quarantaine  d'années,  une  école  musicale  russe  est  en  voie  de 
formation,  mais  son  caractère  et  ses  tendances  ne  sont  pas  encore  parfai- 


tement déterminés.  La  Russie,  avec  ses  glaces  dans  le  Nord,  sa  haute 
température  dans  le  Midi,  ses  hivers  longs  et  monotones,  ses  étés  courts 
et  d'une  végétation  follement  épanouie,  ne  semble  pas  devoir  accuser 
plus  d'uniformité  dans  les  tendances  de  ses  musiciens,  qu'elle  n'en  accuse 
dans  son  climat.  Chez  M.  Tschaïkowsky  spécialement,  l'élément  mosco- 
vite est  combattu  par  l'hérédité  d'abord,  sa  mère  étant,  dit-on,  d'origine 
française,  ensuite  par  un  tempéramment  musical  très  éclectique.  On  ne 
voit  pas  dans  ses  œuvres  ce  reflet  caractéristique  de  la  nationalité  qui  se 
retrouve  partiellement  chez  certains  de  ses  compatriotes,  chez  Borodine, 
par  exemple.  Il  a  beaucoup  de  vigueur,  d'exubérance,  de  vivacité,  il 
,  possède  une  remarquable  entente  des  combinaisons  sonores  et  des  res- 
sources du  rythme,  une  habileté  de  main  qui  lui  a  permis  de  donner 
une  facture  exquise  à  certains  morceaux  peu  développés.  Tout  cela  dé- 
note une  certaine  puissance,  mais  non  pas  cette  puissance  calme  et  se- 
reine de  l'artiste  resté  maître  de  lui-même  qui  domine  et  assouplit  l'élé- 
ment musical  sans  être  jamais  entraîné  par  lui  au  delà  des  bornes 
qu'imposent  le  sentiment  juste  des  proportions  et  les  exigences  d'un 
goût  épuré.  Dans  ses  œuvres  de  longue  haleine,  l'intuition  exacte  de 
l'effet,  la  concision,  la  cohésion,  l'équilibre  manquent.  Parmi  ces  der- 
nières, la  fantaisie  symphonique  intitulée  la  Tempête  est  le  seul  ouvrage 
où  l'on  rencontre  une  inspiration  vraiment  entraînante.  Le  début,  avec 
son  quatuor  dont  chaque  ligne  comporte  trois  parties,  douze  en  tout,  est 
excellent;  le  milieu,  tumultueux,  heurté,  médiocrement  mélodique,  cause 
un  certain  agacement,  mais  le  passage  en  sol  bémol  qui,  plus  tard,  mon- 
tera d'un  ton  peur  éclater  en  la  bémol,  est  d'un  souffle  intense.  Développé 
d'abord  sur  des  arabesques  d'altos,  il  passe  ensuite  au  quatuor,  et  les  ara- 
besques sont  dessinées  par  les  flûtes,  clarinettes  et  bassons.  Il  y  a  là  une 
pensée  musicale  dont  la  forme  aérienne  et  flottante  rappelle  certaines 
pages  de  Berlioz.  La  suite  op.  So,  se  termine  par  des  variations  d'un 
style  tantôt  simple  et  gracieux,  tantôt  pathétique,  tantôt  religieux,  tantôt 
fleuri  à  l'usage  des  virtuoses,  tantôt  affectant  des  formes  de  danses  popu- 
laires. Même  variété  dans  le  rythme  et  l'instrumentation.  Malheureuse- 
ment l'on  saisit  mal  la  cause  de  cet  entassement  de  formes  disparates. 
Le  concerto  op.  44,  long  et  sans  aucune  harmonie  de  lignes,  a  été  joué 
avec  une  fougue  violente  et  emportée,  une  sonorité  un  peu  sèche,  un 
mécanisme  plein  de  hardiesse,  par  M.  Sapellnikofl',  jeune  pianiste  d'une 
vingtaine  d'années,  qu'on  dit  élève  de  M"'"  Menter,  et  qui  a  rendu  avec 
plus  de  finesse,  plus  d'élégance  et  un  meilleur  son  la  romance  en  fa  mi- 
neur et  une  valse,  op.  S.  M.  Jobannés  Wolfï  a  fait  entendre  Idi  Sérénade 
mélancolique  pour  violon,  œuvre  très  distinguée,  qui  a  valu  au  virtuose  de 
chaleureux  bravos.  M.  Engel  a  chanté  avec  un  style  sobre,  un  goût  très 
sûr  et  beaucoup  de  charme,  deux  mélodies  et  le  duo  ;  Larmes  humaines, 
dans  lequel  il  donnait  la  réplique  à  M"''  Pregi.  M"=  Pregi,  qui  semblait 
fatiguée,  a  fait  applaudir  deux  petites  pièces  vocales  d'une  jolie  facture. 
Les  instruments  à  corde  ont  exécuté  l'andante  du  quatuor  op.  H,  et 
l'orchestre  tout  entier  a  terminé  le  concert  par  la  Marche  slave,  op.  31,  qui 
a  été  suivie  d'une  longue  ovation.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche.  : 
Conservatoire.  —  Symphonie  en  ré  mineur  (Schumann);  concerto  pour  deux 

pianos  (Mozart),  par  M'""  George-Hainl  et  Kleeberg;  Bi'Jis,  poème  de  Georges 
Boyer  (J.  Massenet),  soli  par  M""  C.  Domenech,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez; 
ouverture  de  Coriolan  (BeelliOveD);  fragments  du  Messir  (Haendel),  solo  par 
M"°  Dûmenecli.  —  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Châtelet.  —  Relâche,  à  cause  de  l'absence  de  M.  Ed.  Colonne,  en  ce  moment 
à  Saint-Pétersbourg.  Le  24'  et  dernier  concert  aura  lieu  le  dimanche  19  avili.  Ou 
y  entendra  la  Damnation  du  Faust. 

—  Société  nationale.  —  Grande  abondance  de  premières  auditions  au 
dernier  concert  ;  une  de  premier  ordre  :  un  quatuor  pour  instruments  à 
cordes  de  M.  'Vincent  d'Indy,  œuvi-e  de  grande  envergure  et  d'un  éclat 
superbe.  Le  premier  morceau,  peut-être  un  peu  long  à  se  former,  s'achève 
par  une  série  de  développements,  toujours  renouvelés,  qui  dénotent  une 
fantaisie  et  une  richesse  d'inspiration  incomparables  ;  le  second,  en  mou- 
vement lent,  d'une  forme  et  d'une  pondération  irréprochables,  renferme 
notamment  une  longue  phrase  élégiaque  d'une  grande  beauté.  Vient 
ensuite  un  scherzo  dont  les  parties  vives  et  brèves  sont  entremêlées  d'un 
chant  à  la  tonalité  étrange  et  mystérieuse,  «  dans  le  sentiment  d'un  chant 
populaire  »,  dit  le  programme  ;  enfin  un  brillant  finale,  où  reviennent  tous 
les  thèmes,  conclut  dignement.  L'œuvre,  dans  l'ensemble,  présente  un 
grand  intérêt  par  les  combinaisons  polyphoniques  et  les  transformations 
des  thèmes;  elle  comptera  parmi  les  œuvres  de  musique  de  chambre  de 
notre  école  française  qui  resteront.  —  On  a  entendu  après  cela  deux  mélo- 
dies déjà  connues,  l'une  et  l'autre  d'un  sentiment  exquis  :  Nanny,  de 
M.  Ernest  Chausson,  et  l'Ange  et  l'Enfant,  de  César  Franck;  M"°  Marcella 
Pregi  les  a  interprétées  de  la  façon  la  plus  remarquable.  M.  Taffanel  a 
joué  trois  pièces  de  flûte  :  la  Berceuse  (pour  violon)  de  M.  Fauré,  un  Allegro 
de  M.  Paul  Fournier,  et,  avec  harpe,  une  Valse  sentimentale  de  M""^  de  Grand- 
val.  Venait  ensuite  une  sonate  pour  piano  et  violoncelle,  longue,  très 
longue,  et  dont  l'audition  nous  a  fait  comprendre  la  profondeur  du  mot 
célèbre  d'un  directeur  de  théâtre  :  «  Nous  ne  voulons  pas  faire  de  nouveaux 
auteurs.  »  Hélas  !  la  Société  nationale  ne  peut  pas  prendre  ce  mot  pour 
devise,  puisqu'elle  a  justement  pour  but  de  favoriser  la  venue  des  jeunes. 
Rendons  hommage  à  MM.  Paul  Braud  et  Schneklud,  qui  ont  défendu  de 
leur  mieux  une  cause  difficile  à  plaider.  Puis,  M.  Diémer  a  exécuté  deux 
nouvelles  pièces  de  piano  de  M.  Paul  Vidal  et  deux  morceaux  de  Tschaï- 


118 


LE  MENESTREL 


towsky;  quatre  mélodies,  très  chromatiques,  de  M.  Sylvio  Lazzari,  ont  été 
chantées  avec  beaucoup  de  grâce  et  un  sentiment  très  juste  par  M""  Ber- 
tha  Herman,  et  le  concert  s'est  terminé  par  la  transcription  à  quatre 
mains  de  trois  danses  basques,  sur  des  thèmes  populaires  pleins  de  viva- 
cité et  de  couleur,  par  M.  Ch.  Bor.les.  — Au  concert  précédent,  au  contraire, 
il  n'y  a  eu  que  très  peu  d'œuvres  nouvelles  :  seulement  un  trio  de  M.  Boui- 
chère,  et  trois  chœurs  pour  voix  de  femmes,  de  M.  Julien  Tiersot:  Renou- 
veau, poésie  de  Baïf,  Au  soleil  de  mai  et  Toute  la  nature  en  fête  four  nom,  sur 
des  vers  de  M.  Maurice  Bouchor.  Je  ne  saurais  exprimer  là-dessus  une 
opinion  suffisamment  impartiale  ;  je  me  borne  à  dire  que  ces  trois  chœurs 
ont  été  fort  bien  chantés,  sous  la  direction  de  M.  Vincent  d'Indy,  et  ont 
jiaru  recevoir  un  bon  accueil.  J.  T. 

—  Le  récital  de  piano  auquel  M.  Léon  Delafosse  nous  avait  conviés 
lundi  dernier  à  la  salle  Érard,  a  été  pour  ce  jeune  pianiste  l'occasion 
d'un  éclatant  triomphe.  Tout  est  à  louer  dans  le  talent  de  ce  charmant 
virtuose  qui,  malgré  son  jeune  âge,  possède  déjà  au  plus  haut  degré  l'art 
de  s'assimiler  le  style  qui  convient  à  chaque  maître.  Le  public  a  fait  à 
M.  Delafosse  une  véritable  ovation  après  la  remarquable  interprétation 
de  la  sonate  en  ut  majeur  de  Beethoven,  qu'il  est  impossible  de  dire  avec 
plus  d'élégance,  de  style  et  de  délicatesse  de  doigts.  Nous  avons  ensuite 
plus  particulièrement  remarqué:  une  romance  de  Mendelssohn  interpré- 
tée avec  un  charme  pénétrant,  une  gigue  de  Scarlatti,  une  pièce  fine  et  spi- 
rituelle de  M.  Th.  Dubois,  Réveil,  et  une  charmante  bleuette  de  M.  Théodore 
Lack,  d'un  tour  mélodieux  et  gracieux,  intitulée  Chant  d'Avril.  En  résumé, 
excellente  soirée  pour  notre  belle  école  française  de  piano,  dont  M.  De- 
lafosse est  un  des  plus  brillants  représentants. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (7  avril).  —  L'événement  de  la  se- 
maine a  été  la  représentation  organisée  à  la  Monnaie  au  profit  de  l'œuvre 
de  la  Presse,  qui  s'est  constituée,  il  y  a  trois  mois,  pour  soulager  les  mi- 
sères cruelles  de  cet  hiver.  Après  plusieurs  autres  fêtes  de  caractère  varié, 
cette  fête-là  devait  être  —  et  a  été,  en  effet,  —  particulièrement  brillante. 
On  avait  espéré  tout  d'abord  dans  l'initiative  de  la  direction  de  la  Monnaie 
pour  composer  une  représentation  à  laquelle  auraient  pris  part,  seuls,  les 
artistes  de  ce  théâtre  ;  d'une  façon  ou  d'une  autre,  cette  initiative  n'avait 
pas  manqué  chez  les  autres  directeurs  de  théâtres  bruxellois. Mais  MM.Stou- 

mon  et  Calabresi,  comme  la   fourmi,  ne    sont  pas    prêteurs,  volontiers 

tout  au  moins;  dans  le  juste  souci  de  leurs  intérêts,  ils  ont  parfois  des 
maladresses  bizarres,  des  façons  de  voir  un  peu  étroites,  qui  ne  leur  pro- 
fitent pas  toujours,  même  matériellement,  autant  qu'ils  le  pensent.  Ils 
marchandent  leurs  faveurs,  el,  en  plus  d'un  cas,  retirent  d'une  main  ce 
qu'ils  donnent  de  l'autre...  Les  directions  précédentes  nous  avaient  ha- 
bitués à  plus  de  largeur  de  vues  et  à  plus  de  largesse,'  et  c'est  peut-être  à 
cela  qu'elles  ont  dû,  en  partie,  les  sympathies  dont  le  public  leur  a 
montré  tant  d'exemples,  même  après  leur  retraite.  "Voyant  qu'il  serait 
diiEcile  de  vaincre  l'apathie  directoriale,  le  comité  de  l'œuvre  de  la 
Presse,  s'est  adressé  à  Paris,  et  a  été  assez  heureux  pour  obtenir  le 
concours  des  artistes  de  l'Opéra-Comique,  prêtés  par  M.  Carvalho  avec  une 
bienveillance  rare,  et  celui  de  M.  Lassalle,  de  l'Opéra,  qui  a  tenu  sponta- 
nément à  se  joindre  à  eux.  Tous  ces  artistes  sont  venus  à  Bruxelles,  en 
refusant  d'accepter  tout  cachet;  et,  dans  la  salle  de  la  Monnaie  —  louée  à 
la  direction  au  prix  fort  réclamé  par  elle,  —  ils  nous  ont  donné  une  des 
soirées  les  plus  triomphales  dont  on  se  souvienne  à  Bruxelles  :  le  Barbier 
de  Séville  avec  M°«:  Landouzy,  MM.  Soulacroix,  Delaquerrière,  Fugère  et 
Lorrain,  et  le  troisième  acte  d'Hamlet  avec  M.  Lassalle  et  M"»  Carrère  et 
Nardi,  MM.  Vérin,  Ghallet  et  Ghapuis,  de  la  Monnaie.  Cet  acte  d'Hamlet 
n'a  pas  été  mis  sur  pied  sans  peine  ;  à  en  croire  MM.Stoumon  et  Calabresi, 
aucun  de  leurs  artistes  n'était  préparé  pour  donner  la  réplique  à  M.  Las- 
salle ;  on  allait  donc  y  renoncer,  lorsqu'il  s'est  trouvé,  inopinément,  en 
s'adressant  aux  artistes  eux-mêmes,  qu'ils  savaient  tous,  parfaitement,  les 
rôles  nécessaires!  L'opposition  des  directeurs  n'était  donc  plus  possible; 
ils  ont  fait  aimablement  —  quoique  un  peu  tard,  —  bonne  mine  à  mau- 
vais jeu,  et  le  troisième  acte  d'Hamlet  a  pu  être  chanté.  Ai-je  besoin  de 
vous  dire  que  la  soirée  n'a  été  qu'une  suite  de  longues  ovations,  que  tous 
les  artistes  ont  été  acclamés  et  que,  stimulés  par  cet  accueil  enthousiaste, 
ils  se  sont  surpassés  ? 

Je  vous  ai  parlé  dernièrement  de  quelques  pensionnaires  de  la  Monnaie 
qui  nous  quittent  à  la  fin  de  la  saison  ;  en  voici  la  liste  complète  • 
Mii«  Sanderson,  Nardi,  Neyt,  "Wolf,  M°>«  Dufrane,  Archainbaud,  Langlois^ 
MiM.  Bouvet,  Delmas,  Vallier,  Vérin,  ChoUet  et  Ghapuis,  sans  compter 
la  première  danseuse,  M'i»  Ricca.  Seuls,  M'"<:  de  Nuovina  et  M"»  Carrère , 
MM.  Lafarge,  Dupeyron  et  Badiali  nous  restent.  Comme  on  voit,  il  s'agira 
donc  de  former,  pour  l'an  prochain,  une  troupe  presque  entièrem.ent  nou- 
velle; cela  ne  laissera  pas  que  d'avoir  quelques  inconvénients,  l'ère  des 
débuts  ayant  toujours  pour  conséquence  de  retarder  les  ouvrages  nouveaux 
et  de  prolonger  la  période  où  règne,  en  maître  presque  absolu,  le  vieux 
ïépertoire,  bien  usé;  ajoutez-y  que  c'est  la  dernière  année  du  contrat  de 
MM.  Stoumon  et  Calabresi  et  qu'il  n'estguère  facile  de  trouver  des  artistes 


de  premier  ordre  quand  on  ne  peut  leur  garantir  qu'une  saison.  Mais  nous 
verrons  bien.  II  se  peut,  qui  sait?  que  ces  messieurs,  en  se  séparan' 
d'artistes  excellents,  en  aient  déjà  d'autres  en  réserve,  plus  excellents 
encore...  Acceptons-en  l'augure! 

Quelques  mots  des  concerts.  Celui  qu'a  donné  l'Association  des  artistes, 
musiciens,  samedi  dernier,  à  la  Monnaie,  a  été  superbe  ;  on  a  acclamé  le 
grand  violoniste  Joachim,  et  accueilli  avec  une  faveur  marquée  quelques 
œuvres  nouvelles  de  M.  Fernand  Le  Borne,  un  jeune  compositeur  belge 
établi  à  Paris,  et  qui  ne  vous  est  certes  pas  inconnu  ;  toute  une  partie  du 
concert  lui  était  même  consacrée  ;  outre  un  fragment  du  joli  et  expressif 
poème  vocal,  l'Amour  de  Myrto,  chanté  par  M"»  de  Nuovina,  et  une  Marche 
royale  d'un  bel  effet,  on  a  applaudi  un  Poème  pour  orchestre  (suite  n"  3), 
construit  tout  entier  sur  un  thème  unique,  développé  avec  une  science 
d'orchestration  peu  commune  et  une  richesse  de  sonorité  des  plus  inté- 
ressantes. Quelques  jours  auparavant,  le  Club  sijmphonique,  dirigé  par 
M.  Emile  Agniez,  avait  fait  entendre,  dans  un  concert  organisé  par  le 
cercle  des  Arts  et  de  la  Presse,  toute  une  série  d'œuvres  inédites,  instru- 
mentales et  vocales, d'auteurs  belges,  parmi  lesquelles  il  y  en  avait  de  tout 
à  fait  remarquables  de  MM.  Arthur  De  Greef,  Gilson  et  Xavier  Carlier. 
Enfin,  cette  semaine,  l'installation  du  cercle  susdit  des  Arts  et  de  la 
Presse  dans  son  nouveau  local,  rue  Royale,  a  donné  lieu  à  une  couple  de 
soirées  de  haute  saveur,  —  notamment  une  bien  curieuse  causerie  sur  les 
Chansons  françaises,  par  M.  Vergoin,  avec  de  nombreux  chants  et  c'nansons 
historiques  exécutés  par  les  artistes  de  la  Monnaie.  Le  cercle  des  Arts  e' 
de  la  Presse  est  assurément,  à  l'heure  qu'il  est,  le  centre  le  plus  réelle- 
ment artistique  de  Bruxelles  ;  et  il  commence  à  le  prouver  depuis  quelque 
temps  d'une  façon  singulièrement  active  et  vraiment  originale.  L.  S. 
—  Nouvelles  de  Londres  : 

M.  Harris  ayant  engagé  M"»  Giulia  Ravogli,  qui  avait  obtenu  un  grand 
succès  dans  Orphée  l'automne  dernier,  succès  fort  exagéré  à  mon  avis,  a 
inauguré  sa  nouvelle  saison  par  la  reprise  de  l'opéra  de  Gluck.  Je  ne 
sais  si  c'est  l'indice  d'une  réaction  fort  naturelle,  mais  l'effet  produit  lundi 
par  l'artiste  italienne  a  été  moindre  :  meilleure  comédienne  que  chanteuse, 
M"°  Ravogli  s'est  de  nouveau  fait  particulièrement  distinguer  dans  la 
grande  scène  muette  du  rôle.  La  mise  en  scène  est' soignée  sans  être  tout 
à  fait  satisfaisante,  tandis  que  le  ballet,  mal  réglé,  est  d'un  anachronisme 
choquant. 

M"^  Eames  a  débuté  fort  heureusement  dans  le  rôle  de  Marguerite  de 
Faust.  Malgré  des  réclames  maladroites  qui  représentaient  la  jeune  artiste 
comme  l'étoile  de  la  troupe  du  Grand  Opéra  de  Paris,  rendant  le  public 
plus  exigeant,  M"«  Eames  a  beaucoup  plu  par  les  côtés  gracieux  de  son 
talent,  sa  voix  facile  et  son  joli  style.  Moins  heureuse  dans  les  dernières 
parties  de  l'ouvrage  qui  demandent  plus  de  chaleur,  elle  a  remporté  un 
vrai  succès  dans  la  scène  du  jardin.  M.  Perotti,  un  ténor  qui  avait  obtenu 
quelque  succès  pendant  la  saison  Lago,  grâce  surtout  à  quelques  notes 
aiguës,  est  un  Faust  détestable  :  le  comédien  est  lourd  et  le  chanteur  de  très 
mauvaise  école.  M.  Maurel  est  un  superbe  Méphistophélès.  Costumé  d'une 
façon  bien  pittoresque  et  tout  à  fait  originale,  et  très  en  voix,  son  succès 
a  été  complet.  M.  Geste  remplaçait  au  pied  levé  M.  Devoyod  dans  le  rôle 
de  Valentin;  je  ne  veux  attribuer  qu'à  son  manque  de  familiarité  avec  la 
version  italienne  ses  hésitations  comme  mesure  ou  son  dédain  pour  les 
nuances.  Orchestre  et  chœurs  excellents,  sous  l'habile  direction  de  M.  Man- 
cinelli. 

Ainsi  qu'on  pouvaits'y  attendre,  M"°Julia  Ravogli  a  complètement  échoué 
dans  le  rôle  de  Carmen.  Cette  artiste  inégale  et  à  tendances  mélodrama- 
tiques s'est  étrangement  trompée  dans  sa  conception  de  la  capiteuse 
héroïne  de  Mérimée,  sans  avoir  pour  cela  rendu  justice  au  personnage 
lyrique  si  iièrement  tracé  par  Bizet.  Sous  prétexte  d'originalité,  elle  a 
bouleversé  toutes  les  traditions  du  rôle  et  s'est  montrée  en  plus  d'un 
endroit  irrespectueuse  des  intentions  précises  du  compositeur.  Sa  sœur. 
M"=  Sophie  Ravogli,  après  avoir  été  une  Eurydice  médiocre,  nous  présente 
une  Micaela  incolore,  dénuée  de  charme  et  manquant  même  de  voix. 
L'engagement  de  cette  artiste  est,  dit-on,  imposé  à  la  direction;  sans  cela, 
ses  moyens  ne  justifieraient  pas  sa  présence  à  Covent-Garden.  M.  Lubert 
a  fait  un  assez  heureux  début  comme  don  José.  Par  suite  de  l'indisposi- 
tisn  persistante  de  M.  Devoyod  (est-ce  bien  une  indisposition?),  le  rôle 
d'Escamillo  a  été  confié  à  M.  Celli,  de  la  troupe  Cari  Rosa,  un  chanteur 
aphone.  Triste"  représentation,  en  somme,  et  tout  à  fait  indigne  de  Covent- 
Garden. 

La  Cavalleria  rusticana  entre  définitivement  en  répétition  :  les  deux 
principaux  rôles  sont  confiés  à  M'"!  Eames  et  à  M.  Lubert.         A.  G.  N. 

—  Un  prince  royal  sur  le  tremplin.  Les  journaux  anglais  publient  la 
note  suivante  :  «  S.  A.  R.  le  duc  d'Edimbourg,  qui  n'a  pas  paru  en  public 
comme  violoniste  depuis  un  temps  considérable,  vient  de  se  joindre  aux 
membres  de  la  Société  symphonique  d'amateurs  de  Plymouth  et  prendra 
part  au  prochain  concert,  le  8  du  mois  prochain.  » 

—  Le  répertoire  français  en  Allemagne.  Relevé  sur  les  dernières  listes 
des  spectacles  :  Berlin  :  Les  Huguenots,  Carmen  (2  fois).  Mignon,  la  Fille  du 
Régiment,  Coppélia.—Bon^  :  l'Éclair,  les  Dragons  dcVillars.—G.\sSEL  :  Faust  (3  fois), 
Robert  le  Diable,  l'Africaine,  les  Dragons  de  Villars,  la  Juive.  —  Cologniî  :  La  Dame 
blanche,  l'Éclair,  les  Dragons  de  Villars  (2  fois),  Faust,  Mignon  (2  fois),  l'Afri- 
caine, les  Huguenots.  —  Francfort  :  Carmen,  Fra  Diavolo  (2  fois),  le  Domino 
noir,  le  Prophète,  Robert  le  Diable,  le  Cheval  de  bronze,  Guillaume  Tell,  tes  Dra- 


LE  MENESTREL 


119 


gons  lie  Villars,  Faust.  —  Hajidourg  :  Mignon,  la  Juive,  le  Postillon  de  Lonjumeau 
(3  fois),  la  Fille  du  liègiment,  Faust.  —  Leipzig  :  Fra  Diavolo,  Mignon  (2  fois), 
Carmen,  Guillaume  Tell.  —  Mannheim  :  Mignon,  la  Fille  du  Régiment,  Roméo  et 
Juliette  (2  fois),  la  Part  du  Diable  (2  fois),  Carmen,  l'Africaine,  Fa^ist. 
—  ScHWERiN  :  Carmen,  Fra  Diavolo,  Mignon,  Guillaume  Tell.  —  Vienne  :  Manon 
(S  fois),  le  Prophète,  la  Juive,  Faust,  l'Africaine,  Robert  le  Diable,  Carmen, 
Coppélia,  Roméo  et  Juliette. 

—  La  question  du  monument  de  Mozart  à  Vienne,  dont  nous  avons 
souvent  entretenu  nos  lecteurs,  vient  d'entrer  dans  une  pliase  nouvelle  et 
quelque  peu  inattendue.  Comme  on  sait,  un  concours  avait  été  ouvbrt  et 
le  premier  prix  décerné  à  M.  Hellmer.  Tout  semblait  donc  terminé  de  ce 
côté,  et  il  ne  restait  plus  qu'à  procéder  aux  travaux  d'érection.  Mais  voilà 
que  le  comité,  par  un  inconcevable  déni  de  justice,  refusa  de  ratifier  la 
décision  du  jury  et  confia  l'exécution  du  monument  à  M.  Tilger,  dont  le 
projet  avait  été  classé  en  deuxième  ligne.  L'émotion  soulevée  par  cet  acte 
arbitraire  a  excité,  comme  on  pense,  une  grande  émotion,  non  seulement 
parmi  les  jurés  du  concours,  mais  encore  dans  tous  les  centres  artistiques 
de  Vienne,  La  place  Albrecht  est  choisie  comme  emplacement  du  futur 
monument. 

—  On  écrit  de  Prague  :  Un  directeur  éclectique,  dans  toute  l'acception 
du  terme,  c'est  à  coup  sur  Angelo  Neumann,  l'ex-missionnaire  wagnérien, 
qui  alla  mettre  à  la  portée  de  tous,  en  Allemagne,  en  Hollande  et  en  Bel- 
gique, cet  Anneau  du  Niebelung,  jusqu'alors  inaccessible  en  son  entier  à 
ceux  qui  n'avaient  pas  fait  le  pèlerinage  de  Bayreuth.  Il  donne  toutes  les 
musiques,  l'allemande  comme  la  française,  et  jusqu'à  l'italienne  et  l'espa- 
gnole. Après  avoir  été  le  premier  à  faire  représenter  en  allemand  les  Tem- 
pliers de  Litolfl'  et  Cavalleria  riisticana.  de  Mascagui,  voici  qu'il  vient  de 
monter  los  Amantes  de  Teruel,  du  maestro  Thomas  Breton,  qui  est  Espagnol. 
On  loue  fort  le  tempérament  fougueux  du  compositeur  et  la  richesse  de 
ses  mélodies;  on  a  moins  apprécié  sa  technique  orchestrale,  qui  est  plus 
brillante  et  curieuse  que  savante.  Selon  la  coutume  au  théâtre  Neumann, 
le  compositeur,  qui  était  présent,  a  été  fêté,  par  une  claque  bien  disciplinée, 
bombardé  de  ileurs,  assourdi  de  fanfares,  mais  cette  fois  le  public  n'a  pas 
protesté,  ni  la  critique,  encore  que  ces  démonstrations  parussent  pour  le 
moins  exagérées. 

—  A  Dresde,  les  concerts  spirituels  de  la  semaine  sainte  ont  été  parti- 
culièrement brillants.  Le  vendredi  saint,  on  a  exécuté  l'oratorio  de  Frédé- 
ric Kiel,  Christus,  et  Selig  aus  Gnade,  d'Albert  Becker.  Le  samedi,  à  l'église 
de  la  Cour,  Te  Deum  de  Hasse,  pour  soli,  chœur  et  orchestre,  et  le  diman- 
che de  Pâques,  messe  solennelle  de  Hasse,  avec  YAlleluia  de  Schuster.  On 
voit  que  le  souvenir  et  les  traditions  de  Hasse,  le  digne  et  glorieux  rival 
de  Haendel,  ne  sont  pas  près  de  s'éteindre  dans  cette  ville  de  Dresde, 
qu'il  a  illustrée  par  un  séjour  de  vingt-cinq  ans  et  par  de  superbes  com- 
positions. 

—  De  la  musique  turque  sur  des  paroles  françaises,  voilà  ce  qui  ne 
s'était  encore  jamais  entendu.  C'est  ce  qui  s'entendra  prochainement  à 
Constantinople,  où  nos  artistes,  surpris  parla  déconfiture  de  leur  directeur, 
ont  décidé,  pour  faire  face  à  la  situation  pénible  dans  laquelle  ils  se 
trouvent,  de  mettre  à  l'étude  une  opérette  locale,  traduite  en  français,  et 
dont  le  maestro  Tchouhadjian  a  écrit  la  musique.  Ce  petit  ouvrage  a  pour 
titre  Zemireh. 

—  Le  théâtre  de  la  Scala,  de  Milan,  a  donné  cette  semaine  la  première 
représentation  d'un  opéra  nouveau  de  M.  Spiro  Samara,  l'auteur  récem- 
ment applaudi  de  Flora  mirabilis.  Ce  nouvel  ouvrage,  dont  le  poème  est  dû 
à  M.  Foutana,  ne  parait  pas  avoir  obtenu  autant  de  succès  que  le  précé- 
dent. Les  interprètes  étaient  M'""  Russini-Streiten,  MM.  Suagnes,  Buzzi, 
Mariani  et  Terzi. 

—  Au  théâtre  San-Carlo,  de  Naples,  où  le  succès  du  nouveau  drame 
lyrique  de  M.  Platania,  Sparlaco,  que  nous  avons  annoncé,  se  poursuit 
avec  éclat,  on  promet  la  prochaine  représentation  d'un  autre  opéra  inédit, 
l'Erebo,  du  maestro  Gianetti,  qui  doit  avoir  pour  interprètes  M^'i^^  Del 
Torre  etCucini,  MM.  Zerni,  Vinci  et  Di  Grazia. 

—  Très  grand  succès,  au  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne,  le  21  mars, 
pour  la  représentation  d'un  opéra  national,  fruit  rare  en  ce  pays.  L'ou- 
vrage, en  quatre  actes,  a  pour  titre  Frei  Luiz  de  Sousa,  et  le  compositeur 
a  nom  Francisco  de  Freitas  Gazul.  Le  poème  est  tiré  d'un  drame  d'Al- 
meida  Garrett,  fameux  en  Portugal,  et  qui,  sous  le  bénéfice  des  suppres- 
sions nécessaires,  a  été  suivi  presque  pas  à  pas  par  le  librettiste.  Repré- 
senté devant  une  salle  comble,  l'opéra  nouveau  a  été  accueilli  avec 
transport  par  un  public  qui,  à  la  question  d'art,  mêlait  une  sorte  de  sen- 
timent de  patriotisme  d'ailleurs  bien  naturel.  Au  surplus,  l'œuvre  parait 
être  d'une  grande  importance  et  d'une  réelle  valeur.  On  en  vante  surtout 
la  facture,  et  tout  particulièrement  l'instrumentation,  qui  l'une  et  l'autre 
sont  d'un  sentiment  moderne  très  accusé,  y  compris  l'emploi  du  leitmotiv 
à  la  manière  de  Richard  Wagner,  dont  le  compte  rendu  du  journal  de 
musique  Amphioii  nous  cite  un  exemple.  «  Le  persimnage  de  Magdalena, 
dit  ce  journal,  est  toujours  accompagné  par  une  phrase  mélodique  qui  se 
présente  en  premier  lieu  sur  la  quatrième  corde  des  violons,  et  qui  en- 
suite se  reproduit  sous  diverses  formes,  selon  la  situation.  C'est  elle  qui 
caractérise  tous  les  élans  dramatiques  d'une  importance  capitale.  »  Les 
interprètes  de  Frei  Luiz  de  Souza,  qui  ont  pris  leur  bonne  part  du  succès, 
sont  Mi"«  Helena  Theodorini  et  Linda  Brambilla,  MM.  Gabrielesco,  Me- 


notti,  Wulmann  et  Mastrobuono  ;  quant  à  l'exécution  générale,  dirigée 
par  l'excellent  chef  d'orchestre  Mancinelli,  elle  a  été  au-dessus  de  tout 
éloge.  Tout  fait  présager  un  succès  durable  et  prolongé. 

—  Les  choristes  de  l'Opéra  allemand  de  New-York,  au  bénéfice  desquels 
la  cantatrice  Antonia  Mielke  a  donné  une  représentation  de  Fidelio  qui  a 
rapporté  à  chacun  d'eux  environ  90  francs,  ont,  à  l'issue  du  spectacle, 
régalé  leur  bienfaitrice  d'une  sérénade  en  plein  air,  ce  qui  a  obligé  la  Can- 
tatrice à  se  tenir  pendant  une  heure  accoudée  à  son  balcon,  au  milieu 
de  la  nuit.  Secourez  donc  votre  prochain  ! 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Le  ministre  des  beaux-arts  vient  de  rentrer  à  Paris.  Ces  jours-ci,  il 
recevra  les  divers  candidats  à  la  direction  de  l'Opéra.  La  nomination, 
pour  la  période  de  1892  à  1899,  serait  faite,  dit-on,  dans  la  huitaine. 
'  —  M.  Paul  Gros  traite  dans  le  journal  Paris  la  question  de  l'Opéra.  Notre 
confrère  trouve  un  peu  trop  arrogante  l'attitude  de  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
qui  déclarent  que  «  si  l'on  n'accepte  pas  les  modifications  au  cahier  des 
charges  qu'ils  demandent,  ils  se  retireront  ».  Après  avoir  qualifié  comme 
elle  le  mérite  cette  attitude,  M.  Paul  Gros  arrive  à  la  question  des  décors: 

La  grosse  quession,  on  le  sait,  est  celle  des  décors.  Il  faut,  pour  remettre  le 
matériel  au  point  oii  il  était  au  moment  de  la  prise  de  possession  de  l'Opéra  par 
MM.  Kitt  et  Gailhard,  dépenser  bien  près  de  3UO,000  francs  ;  ces  messieurs  les 
paieront  d'ailleurs,  car  ils  ont  contre  eux  le  texie  et  l'esprit  du  cahif  r  des  charges 
qu'ils  ont  signé. 

Ont-ils,  d'autre  part,  créé  un  matériel  nouveau  ? 

Examinons  d'abord  comment  agissaient  leurs  prédécesseurs. 

M.  Halanzier  a  créé  pour  1,320,730  francs  de  matériel;  il  en  a  détruit  pour 
277,144  francs.  Le  matériel  détruit  est  le  matériel  de  Jeanne  d'Arc,  pièce  tombée 
à  la  sixième  représentation.  Bénéfice  pour  l'État  :  1,052,580  francs. 

M.  Vaucorbsil  a  créé  pour  1,259,364  francs  de  matériel,  il  en  a  détruit  pour 
346,776  francs.  Le  matériel  détruit  est  celui  de  .a  Reine  de  Chypre  et  de  la  Reine 
Berthe.  Ces  deux  ouvrages  n'avaient  pas  eu  de  succès.  Bénéfice  pour  l'État  : 
912,586  francs. 

Quant  à  MM.  Ritt  et  Gailhard,  ils  ont  créé,  en  six  ans,  pour  1,006,793  francs 
de  décors  (te  Mage  n'est  pas  compris  dans  ce  chiffre).  Ils  en  ont  détruit  pour 
1,135,797  francs.  En  ajoutant  le  Mage  aux  ouvrages  créés  par  eux,  ifs  auront  donc 
détruit  autant  qu'ils  auront  créé.  Les  ouvrages  détruits  sont  ;  Potyeurle,  la  Source, 
le  Tribut  de  Zamora,  Namouna,  Sajj/io,  Yedia,  la  Dame  de  Monsoreau,  et  un  acte 
ou  deux  du  ballet  le  Fandango. 

Ainsi,  tandis  que  MM.  Halanzier  et  Vaucorbeil  laissaient  après  eux  un  matériel 
bien  entretenu  et  augmenté  d'une  valeur  considérable,  MM.  Ritt  et  Gaillhard 
laissent  un  matériel  qui  exigera  une  dépense  de  réfection  évaluée  à  300,000  francs, 
et  tous  leurs  efiorts  auront  abouti,  au  point  de  vue  du  matériel  nouveau,  à  zéro. 

MM.  Halanzier  et  Vaucorbeil  détruisaient  le  matériel  de  Jeanne  d'Arc,  de  la 
Reine  de  Chypre  et  de  la  Heine  Uerthe:  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  détruit  Polyeucle, 
la  Source,  Xamouna,  Saplw,  Yedda,  qui  devraient,  pour  l'honneur  de  notre  pre- 
mière scène  lyrique,  rester  au  répertoire! 

Voilà  dos  faits  indéniables.  Et  ce  sont  ces  gens-là  qui  parlent  d'imposer  leurs 
conditions? 

Une  retenue  de  2  0/0  sur  la  recette  pour  l'entretien  du  matériel  est  imposée 
aux  nouveaux  directeurs,  et  nous  comprenons  que  M.  Blavet,  que  M.  Bertrand, 
que  SI.  Porel  demandent  des  adoucissements  à  cet  article.  Mais  MM.  Ritt  et 
Gailhard!  !! 

—  La  dernière  réunion  du  jury  du  concours  Cressent  a  eu  lieu  samedi 
soir,  au  Conservatoire.  Les  jurés,  au  nombre  de  six,  étaient  MM.  Bou- 
langer, président,  Théodore  Dubois,  secrétaire,.  Victorin  Joncières, 
Lenepveu,  Chabrier  et  Messager.  MM.  des  Chapelles,  chef  du  bureau  des 
théâtres,  et  Régnier,  sous-chef,  assistaient  à  cette  séance,  dans  laquelle 
ont  été  examinées,  pour  la  troisième  fois,  les  partitions  réservées.  Le 
prix  a  été  décerné  à  la  partition  n"  6.  L'enveloppe  correspondante  à  ce 
numéro  a  été  ouverte  par  M.  des  Chapelles  :  elle  contenait  le  nom  de 
M.  Fournier.  M.  Fournier  est  encore  au  Conservatoire,  dans  la  classe 
que  dirigeait,  il  y  a  trois  mois  à  peine,  le  regretté  Léo  Delibes,  à  qui 
vient  de  succéder  M.  Théodore  Dubois.  Il  a  obtenu  le  second  grand  prix 
au  dernier  concours  de  Rome.  Le  livret  proposé  cette  année  aux  concur- 
rents du  prix  Cressent  n'était  pas,  comme  précédemment,  un  opéra- 
comique,  mais  un  opéra  en  un  acte,  Stratonice,  de  M.  Louis  Gallet. 

—  Il  est  question,  à  lOpéra-Comique,  d'une  reprise  de  Joseph  avec 
M""^s  Simonnet,  Deschamps-Jehin  et  M.Renaud. 

—  On  se  rappelle  que  des  notes  insidieuses,  envoyées  on  ne  sait  par 
qui,  ont  fait  récemment  le  tour  de  la  presse,  annonçant  avec  des  détails 
précis  qu'une  représentation  scandaleuse  avait  eu  lieu  à  Pétersbourg  avec 
M}'"  Van  Zandt  comme  héroïne.  Voici  un  document  officiel  qui  mettra  fin, 
il  faut  l'espérer,  à  la  campagne  de  persécution  entreprise  contrôla  pauvre 
divette  ; 

Ministère  de  l'Intérieur.  Police   de   Saint-Pétersbourg.   Commissaire  du  premier 
arrondissement  du  quartier  de  l'Amirauté.  Le  4  mars  1891,  n°  1982. 

CERTIFICAT. 

Le  présent  a  été  délivré  à  l'avocat  de  la  Cour  de  justice  de  Saint-Pétersboui'g, 
Nicolas  Karabtschevsky,  fonde  de  pouvoir  de  la  citoyenne  américaine  Marie  Vau 
Zandt,  par  suite  de  la  demande  qu'il  en  a  faite  personnellement  et  conformément  aux 
ordres  de  M.  le  Préfet  de  Saint-Pétersbourg,  pour  faire  foi  que  les  nouvelles 
publiées  de  Saint-Pétersbourg  dans  les  journaux  parisiens  concernant  les  faits 
suivants,  qui  auraient  prétendument  eu  lieu  avec  l'artiste  M""  \'an  Zandt,  sur  la 
scène  du  Petit-Théâtre,  pendant  une  représentation  de  l'opéra  Mignon,  avec  le 
concours  de  cet  artiste,  sont  dénuées  de  fondement, et  que,  notamment:  1°  M""  Van 
Zandt  n'a  pas  chanté   l'air  do  Lakmé  pendant  que  l'orchestre  exécutait  Mignon; 


!i^0 


LE  MÉNESTKEL 


2°  W  Van  Zaudt  n'est  pas  tombée  et  ne  s'est  pas  blessée  contre  l'abri  du  souffleur, 
3°  le  spectacle  a  marche  du  commencement  jusqu'à  la  fin  dans  son  ordre  habi- 
tuel, sans  provoquer  aucune  perturbation  de  la  tranquillité  publique  et  n'a  été 
marqué  d'aucun  scandale  que  ce  soit  ;  i^"  le  public  n'a  point  exigé  qu'on  baissât 
la  toile,  mais  il  a,  au  contraire,  exprimé  son  approbation  à  l'artiste,  en  applaudis- 
sant M""  Van  Zandt  pondant  et  après  le  spectacle. 

Le  commissaire  de  police  Wendorl  (Z.-L.).  Traduction  conforme  à  l'original 
russe.  G.  Koumanine,  traducteur  juré  près  le  tribunal  d'arrondissement  de  Saint- 
Pétersbourg.  Légalisé  à  l'ambassade  de  France  et  signé  par  l'ambassadeur  Laboulaye. 

—  Des  lectures  d'essai  ont  été  faites,  salle  Erard,  ces  jours  derniers, 
en  vue  du  choix  des  oratorios  que  la  Société  des  grandes  auditions  musi- 
cales de  France  compte  faire  entendre  à  ses  abonnés,  en  mai,  au  Troca- 
déro.  Jeudi  a  eu  lieu  une  dernière  lecture,  dirigée  par  M.  X.  Perreau,  à 
la  salle  Pleyel.  Tout  le  comité,  présidé  par  M.  Ambroise  Thomas,  y 
assistait.  On  s'est  décidé  à  l'unanimité  pour  Isniël  en  Egypte,  de  Haendel, 
et  pour  les  Veillées  de  Noël,  de  Bach.  Ces  oratorios  sont  inconnus  en  France. 
Israël  en  Egypte  est  exécuté  en  Angleterre  avec  une  grande  solennité;  les 
masses  chorales  sont  d'un  effet  saisissant.  Nous  reviendrons  prochaine- 
ment sur  les  détails  de  l'exécution  et  sur  la  seconde  partie  du  programme 
de  l'année. 

—  Vendredi  prochain  17  avril,  au  théâtre  d'Application,  à  trois  heures, 
troisième  et  dernière  conférence  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin, 
sur  Gluck  et  la  réforme  de  l'opéra  français.  Le  conférencier  passera  en  revue 
les  cinq  chefs-d'œuvre  que  Gluck  a  donnés  à  la  scène  française,  caracté- 
risera la  réforme  si  importante  opéréepar  le  compositeur  sur  notre  système 
de  musique  dramatique  et  fera  un  talileau  de  la  guerrre  héroï-comique  des 
gluckistes  et  des  piccinnistes.  M""  Boidin-Puisais  et  M.  "VVarmbrodt  chante 
ront  divers  morceaux  d'Orphée,  d'Alcesle,  iVArinide  et  à'Iphigénie  en  Tauride. 

—  Faites  donc  de  la  grande  musique!  M.  Taillefer,  le  directeur  du 
théâtre  des  Arts,  à  Rouen,  qui  avait  représenté  dans  sa  saison  la  Salammbô 
de  M.  Reyer  et  le  Lohengrin  de  Wagner  (rien  que  cela  I),  vient  d'être 
obligé  de  déposer  son  bilan.  On  pense  qu'un  accord  pourra  se  faire  entre 
les  artistes,  qui  continueraient  l'exploitation  du  théâtre,  à  leurs  risques 
et  périls,  jusqu'à  la  fin  de  la  saison. 

—  Le  succès  éclatant  que  Lohengrin  vient  de  remporter  à  Bordeaux  a 
donné  naissance  à  une  mignonne  et  fort  élégante  brochure,  dans  laquelle 
M.  Georges  PiUod,  rédacteur  du  Bordeaux-Journal,  a  tracé  une  analyse  rapide 
et  intéressante  du  poème  et  de  la  partition.  Dans  la  Gironde,  où  notre  con- 
frère Anatole  Loquin  a  publié  tout  d'abord  un  compte  rendu  très  étudié 
du  chef-d'œuvre  de  "Wagner,  qu'il  admire  avec  enthousiasme,  en  donnant 
aux  interprètes,  MM.  Muratet  et  Seguin,  M"^  Baux  et  Furch-Uadi,  les 
éloges  qu'ils  méritent,  il  revient  sur  la  profonde  impression  reçue  par  le 
public  et  sur  l'importance  du  succès  obtenu.  Puis,  en  constatant  la  pré- 
sence de  M.  Lamoureux  à  la  seconde  représentation  et  la  satisfaction  dont 
celui-ci  donnait  les  preuves,  il  nous  apprend  une  nouvelle  :  «  Ajoutons, 
dit-il,  comme  renseignement  pouvant  intéresser  tous  les  dilettantes,  que 
M.  Lamoureux  annonçait  hier  soir  qu'il  allait  de  nouveau  monter  Lohengrin 
à  Paris,  espérant  bien  cette  fois  pouvoir  le  jouer  sans  encombre.  » 

—  La  Fédération  des  sociétés  musicales  de  F'rance,  qui  compte  plusieurs 
membres  du  Parlement  et  de  grands  artistes  dans  son  comité  d'honneur, 
donnera  au  mois  de  juin  sa  deuxième  fête  fédérale  à  Saint-Germain-en- 
Laye.  Au  programme  de  cette  solennité,  on  aura  la  première  audition  de 
Vox  Populi,  ode  composée  par  l'un  de  nos  jeunes  prix  de  Rome,  M.  Georges 
Hûe,  qui  sera  exécutée  par  800  chanteurs  et  instrumentistes  de  nos  meil- 
leures sociétés  parisiennes.  M.  le  président  de  la  République  et  M.  le  mi- 
nistre de  l'intérieur  ont  bien  voulu  promettre  des  prix  destinés  à  récom- 
penser le  mérite  social  et  moral  des  sociétés  musicales,  et  M.  le  ministre 
des  beaux-arts  récompensera  celles  dont  l'édacation  artistique  est  tout  à 
fait  remarquable. 

CONCERTS    ET   SOIREES 

M.  et  M""'  de  F'ranqueville  viennent  de  donner  la  première  soirée 
d'une  série  de  quatre  annoncées  pour  cette  saison,  et  ont  ainsi  brillam- 
ment rouvert  les  salons  de  la  Muette,  fermés  depuis  la  mort  de  M.'"'  Erard. 
Au  programme  M""^  Caron,  qui  a  dit  d'une  façon  admirable  les  airs  de 
Fidelio  (Ah!  infâme)'  et  du  Cid  (Pleurez,  mes  yeux)  et  l'exquise  mélodie 
Myrto,  de  Delibes,  et  MM.  Diémer,  le  prestigieux  virtuose,  et  Delsart,  inter- 
prètes supérieurs  de  deux  pages  de  MM.  Lalo  et  Widor. 

—  Il  y  a  eu  cette  semaine,  chez  la  vicomtesse  de Trédern,  une  véritable 
solennité  musicale.  On  y  a  joué,  devant  un  parterre  de  dilettanti  choisis, 
le  premier  acte  de  Lohengrin  et  le  duo  d'amour  du  troisième  acte.  M"'=  de 
Trédern  faisait  Eisa;  M""  Kinnen,  la  fauvette  américaine,  Ortrude  ; 
MM.  Engel,  Lohengrin  ;  Plançon,  le  roi;  le  comte  de  Gramedo,  Frédéric; 
et  Quesnel,  le  hérault.  M.Gabriel  Marie  conduisait  l'orchestre.  La  soirée, 
au  début  de  laquelle  on  avait  applaudi  M.  Plançon  dans  les  Ménétriers, 
de  M""  Chaminade,  M™'  Kinnen  dans  l'air  de  l'Italiana  in  Algieri,  et 
M""=  de  Trédern  dans  la  brillante  Tarentelle  de  M.  Th.  Dubois,  n'a  été 
qu'une  longue  ovation  pour  tous  les  interprètes. 


—  MM.  A.  Géloso  et  Dressen  donnentchaque  année  trois  séances  de  mu- 
sique de  chambre.  Parmi  les  ouvrages  exécutés  dans  la  seconde  séance 
de  la  saison  actuelle,  citons  un  bon  trio  de  M.  "V.  d'Indy  remarquable- 
ment interprété  par  MM.  A.  Géloso,  Dressen  et  l'auteur.  Citons  encore  la 
sonate  de  Grieg  pour  piano  et  violoncelle,  que  M.  Dressen  a  exécutée  en 
violoncelliste  des  plus  distingués.  Le  pianiste  M.  Géloso,  très  applaudi 
dans  le  trio  de  Rubin'stein,  et  M"»  Lépine,  avec  sa  voix  si  pure,  complé- 
taient le  programme  de  cette  intéressante  séance.  Pour  le  concert  du 
6  mai,  on  annonce  le  quintette  de  M.  Chevillard,  des  mélodies  de 
M.  René  Lenormand,  etc. 

—  Les  concerts  d'orgue  et  orchestre  du  Trocadéro,  fondés  en  1878  par 
M.  Alexandre  Guilmant,  auront  lieu  cette  année  les  jeudis  li.  SJl,  28  mai 
et  4  juin.  M.  Ed.  Colonne  conduira  l'orchestre,  et  les  artistes  les  plus 
éminents  apporteront  le  concours  de  leur  talent  à  la  partie  vocale  et  ins- 
trumentale. Bach  et  Htendel  formeront,  comme  toujours,  la  base  des  pro- 
grammes de  ces  concerts  si  éminemment  artistiques. 

—  CosCERTS  lîT  Soirées.  —  Lundi  dernier,  M'""  Lafaix-Gontié  a  donné  une  eicel- 
lente  matinée  pour  l'audition  de  ses  élèves  de  piano  et  de  chant.  On  a  beaucoup 
applaudi,  dans  la  partie  vocale,  les  gracieuses  interprètes  daCrucifix,  de  M.  Faure, 
du  Héfeil,  de  M.  Weckerlin,  de  l'Étoile,  de  M.  Limnander,  et,  dans  la  partie  instru- 
mcLilale,  l'exécution  1res  biillante  de  la  Garulte  du  pays  de  Galles,  de  M.  J.  Ru- 
bini.  —  Très  brillante  soirée,  lundi  également,  chez  notre  confrère  M.  Joseph 
Denais.  Au  programme  -M""  de  Lapeyrière,  Laœberti,  le  ténor  Rondeau, 
M.  Pierret,  un  jeune  pianiste  de  grand  avenir,  et  le  poète  Jean  Rameau.  Nous 
avons  entendu  UEie  série  des  Mélodies  populaires  de  France,  de  M.  J.  Tiersot; 
parmi  les  plus  goûtées,  citons  la.  Mort  du  roi  Renaud,  le  Rossignolet  du  Bois-Joli  et 
la  Mort  du  mari,  interprétées  avec  goiit  par  il"'  Lamberti  et  M.  Rondeau.  —  A 
la  soirée  donnée  par  M.  A.  Lopez,  parmi  les  artistes  qui  se  sont  fiit  le  plus 
applaudir  uous  citerons  iVl"'"  Patcret,  Martinet,  Félicienne  Jarry,  charmante  can- 
tatrice d'un  goût  parfait,  et  M™'  Hettich,  qui  a  exécuté  avec  beaucoup  de  grâce 
la  Mélancolie,  de  il.  Félix  Godetroid.  La  société  chorale  «  l'Abeille  »  a  ouvert  la 
séance,  en  disant  très  bien  le  chœur  des  gardes-chasse  du  Songe  d'une  Nuit  d'été.— 
Un  très  beau  concert  a  élc  donné  mercredi  dernier  1"  avril,  dans  les  salons 
Pleyel,  par  le  professeur  M.  Eugène  Schneider.  Le  programme  était  des  plus 
intéressants.  A  côté  de  plusieurs  morceaux  de  la  composition  du  bénéficiaire,  on 
a  applaudi  notamment  un  duo  de  Jeui  de  Nivelle  et  le  prélude  de  Bach,  magis- 
tralement exécuté.  —  Lundi  6  avril,  l'École  classique  de  musique  et  de  décla- 
mation de  la  rue  Charras  donnait  sa  6""°  audition.  Se  sont  fait  particulièrement 
remarquer  :  M""^  Desprez  el  M"  Melcourt,  élèves  de  M.  ilarcel,  il"*  Ilardel,  har- 
piste de  talent,  élève  de  il""  Landoux,  une  élève  de  M.  Chavagnat,  M"°  Le- 
gendre,  pianiste  d'avenir  qui  a  brillamment  enlevé  le  concerto  en  sul  mineur  de 
ilendelssohn,  il.  Albei  t  ilaugras,  élève  de  M.  Lancien,  et  les  élèves  de  il.  Sadi- 
Pety  dans  les  Femmes  savantes  de  Molière.  —  Le  concert  donné  jeudi  dernier  à  la 
salle  Kriegelstein,  par  il""  Maiie  Veyssier,  était  composé  d'éléments  de  premier 
ordre,  grâce  auxquels  l'attention  du  public  a  été  tenue  constamment  en  éveil. 
La  bénéficiaire  a  fait  entendre  une  voix  souple  et  pleine  de  charme,  guidée 
par  une  méthode  sûre,  dans  l'air  des  clochettes  de  Laknié.  et  deux  mélodies  de 
M.  E.  Bourgois.  On  a  fait  fête  également  aux  élégantes  compositions  de  il""  Cha- 
minade, interprétées  par  l'auteur,  au  jeune  et  brillant  pianiste  Léon  Delafosse, 
au  baryton  ilelchissédec  qui  a  dit  l'air  du  Caid  avec  un  entrain  merveilleux,  à 
M"'  Du  ilinil,  de  la  Comédie-Française,  à  M.  Ronchini,  enfin,  au  spirituel  chan- 
sonnier Georges  Piter. 

Concerts  annoncés.  —  Mardi  prochain  14  août,  à  la  salle  Erard,  concert  annuel 
de  M"'  Conneau,  avec  le  concours  de  ilM.  Pol  Plançon,  Engel,  Diemer,  Tatlanel, 
Delsart  et  Mounet-SuUy.  —  Jeudi  16  avril,  salle  Êrard,  concert  donné  par  M""  Vic- 
toria Barrière,  avec  le  concours  de  il""  Domenech,  de  l'Opéra,  et  de  ilM.  Raoul 
Pugno,  Paul  Viardot,  Cottin  frères  et  Mariotti.  —  ilardi  14  avril,  salle  Pleyel- 
iVolff,  M"*  iladeleine  Jaeger.  —  Vendredi  17,  salle  Erard,  concert  de  il.  et 
il'""  ilenjaud,  avec  le  concours  de  il""  Daroelle,  Ragani  (de  la  Renaissance), 
ilM.  Jourdan  et  Caron  (de  l'Opéra),  R.  Lavello,  Barraine  et  Georges  ilaton.  — 
Dimanche  19,  à  2  heures,  salle  Kriegelstein,  audition  des  élèves  de  M.  Lucien 
Lel'ort,  professeur  de  violon  et  d'accompagnement,  suivie  d'un  concert,  avec  le 
concours  de  M»'  Séguin-Loyer,  de  Mit.  Clément  (de  l'Opéra-Comique),  Galipaux, 
ilariotti,  Launay,  E.  Roux  et  Karren.  —  Lundi  20,  salle  Pleyel-iVolff,  M""  Adèle 
Querrion,  avec  le  concours  de  MM.  Reynier  el  ilarthe,  —  ilardi  21  et  lundi  27, 
salle  Erard,  il""  Clotilde  Kleeberg. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


ÉCOLE  MUNICIPALE  DE  MUSIQUE  DE  BESANÇON  (Douhs) 
Un  concours  aura  lieu  à  Besançon,  le  23  avril  1891,  pour  la  nomination 
à  l'école  municipale  de  cette  ville,  d'un  pro/esseiir  de  solfège,  qui  sera  chargé 
en  outre  de  l'emploi  d'Alto-Solo  ou  à  défaut  de  1"'  Violon  à  l'orchestre  du 
théâtre,  avec  les  appointements  de  1,800  francs  par  an.  (Ce  traitement 
sera  toutefois  susceptible  d'augmentation.)  —  Les  postulants  devront,  avant 
le  20  avril  prochain,  faire  parvenir  à  la  Mairie  de  Besançon,  leurs  demandes 
indiquant  leur  nom,  âge,  nationalité,  lieu  de  naissance  et  domicile.  —  Ils 
y  joindront  leurs  diplômes,  certificats  et  références  de  toute  nature. 


En  vente  chez  Mackar  et  Noël,  éditeurs 

22,  passage  des  pMiuiramas.  Paris 

Les  œuvres  du  céliiire  cnmpnsiiear  russe 

P.  TSCHAIKO'WSKY 


,   — JlMPRlMElUE   CIIAIX, 


3133  —  57"'  imm  —  r  i6. 


Dimanche  19  Avril  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  ;  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3u  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  eo  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (5«  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malheube.  —  11.  Semaine  théâtrale:  première  représentation  des  Folies  amou- 
reuses, a  l'Opéra-Comique,  H.  Moreno.  —  III.  Napoléon  dilettante  {¥  article), 
Edmoîid  NEUKO.MM  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 


-  MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 

LE    MEILLEUR    MOMENT    DES    AMOURS 

mélodie  de  Léo  Delibes,  poésie  de  Solly-Prudhomme.  — ■  Suivra  immédia- 
tement :  Madame  l'hirondelle,  n°  6  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique 
de  Cl.  Bl.\nc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  George  Auriol. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Romance,  pièce  extraite  de  Conte  d'avril,  musique  de  Ch.-M. 
WiDOR.  —  Suivra  immédiatement:  Sérénade  rococo,  de  Robert  Fischhof. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   ]VtA.L,HEFlBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX   ANNÉES   CRITIQUES    (1860-1861) 

(Suite.) 
L'année  1861  commençait  médiocrement  pour  la  fortune 
du  théâtre;  la  suite,  sauf  pour  une  pièce  oa  deux,  devint 
franchement  désastreuse,  et  nous  ne  pouvons  résister  à  la 
tentation  de  présenter  en  un  groupe  toutes  ces  nouveautés; 
les  voici  par  ordre  de  date  : 

4  mars.  —  Le  Jardinier  galant,  2  actes,  paroles  de  Leuven  et 
Siraudin ,  musique  de  Poise.  21  représen- 
tations. 

—  Maître  Claude,  1  acte,  paroles  de  Saint-Georges  et 
de  Leuven,  musique  de  Jules  Cohen.  56  repré- 
sentations. 

—  Roi/al-Cravate,  2  actes,  paroles  du  comte  de  Mes- 
grigny,  musique  du  duc  de  Massa.  8  représen- 
tations. 

—  Salvator  Mosa,  3  actes,  paroles  de  Grange  et  Tria- 
non,  musique  de  Duprato.  11  représentations. 

—  Silvio-Silvia,  1  acte,  paroles  de  J.  Brésil,  musique 
de  Paul  d'Estribaud.  11  représentations. 


18  mars. 


12  avril. 


.30  avii 


IS  mai. 


18  mai.    —  La  Beauté  du  Diable,    1    acte,   paroles    de    Scribe 
et  Emile  de  Najac,  musique  de  Gialio  Alary. 
13  représentations. 
17  juin.  —    Marianne,  1  acte,   paroles  de  Jules  Prével,  musi- 
que de  Théodore  Ritter.  42  représentations. 
11  décembre.  —  Les  Recruteurs,  3  actes,  paroles  de  Gallois  et 
Vulpian,  musique  de  Lefébure-Wély.  10  repré- 
sentations. 
Que  d'ouvrages  oubliés  dont  on  pourrait  redire  : 

Si  j'en  connais  pas  un,  je  veux  être  pendu  ! 
Le  Galant  Jardinier,  répété  sous  le  nom  d'André,  gardait 
quelque  analogie  avec  une  pièce  de  Glapisson,  Madame  Gré- 
goire, qu'on  jouait  dans  le  même  temps  au  Théâtre-Lyrique. 
Le  titre  n'était  point  celui  d'un  personnage,  mais  celui  d'un 
recueil  de  chansons  que  le  poète  Collé  venait  de  publier 
contre  la  Pompadour.  Celle-ci,  bien  vite,  chargeait  la  police 
de  saisir  les  exemplaires  qu'on  finissait  par  retrouver,  après 
quelques  péripéties,  au  fond  d'une  hotte  de  fleurs  oii  le  cou- 
pable les  avait  cachés,  tandis  qu'il  tâchait  d'échapper  aux 
mains  des  exempts.  Avec  sa  touche  fine,  sa  manière  discrète 
et  simple,  Poise  était  le  compositeur  tout  indiqué  pour  un  tel 
livret;  il  excellait  déjà  dans  ce  genre  tout  spécial  delà  mu- 
sique rétrospective  ;  depuis  il  s'y  est  maintenu  et  sa  cons- 
tance a  fini  par  rencontrer  le  succès. 

Plus  jeune  que  lui,  Jules  Cohen  débutait  au  théâtre  avec 
Maître  Claude,  un  des  plus  curieux  exemples  d'anachronisme 
(et  d'anachronisme  inutile)  qu'on  puisse  citer.  La  mise  en 
scène  se  rapportait  en  effet  au  XVIIP  siècle,  et  l'on  consta- 
tait d'ailleurs  la  présence  du  Roijal-Lorraine,  régiment  créé  à 
la  fin  du  dix-septième.  Or,  l'action  se  passait  en  réalité  au 
commencement  du  XVII"  siècle,  et  maître  Claude  n'était 
autre  que  le  grand  paysagiste  Claude  Lorrain.  Présenté 
comme  un  mari  jaloux,  il  était  forcé  de  recevoir  en  passait 
certain  colonel  dangereux  qui,  s'il  dédaignait  les  jeunes 
filles,  poursuivait  volontiers  les  jeunes  femmes. 

Jules  Cohen,  qu'avait  déjà  signalé  à  l'attention  des  con- 
naisseurs la  musique  des  chœurs  à'Alhalie,  vit  trois  des  mor- 
ceaux de  sa  partition  bissés  le  soir  de  la  première;  aussi  la 
critique  ne  manqua-t-elle  pas  d'écrire  :  «  C'est  une  musique 
fleurie  d'idées,  .de  motifs,  de  mélodies.  »  La  pièce  eut  du 
reste  une  carrière  assez  honorable  pour  justifier  ce  satisfecit 
qu'on  accorda  plus  chaleureusement  encore  en  cette  même 
soirée  à  un  autre  débutant.  Gourdin,  élève  de  fontana,  Moc- 
ker  et  Duvernoy.  Ce  baryton  avait  obtenu  un  premier  accessit 
de  chant,  lo  premier  prix  d'opéra-comique  et  le  second 
d'opéra,  au  concours  de  1860.  Doué  d'une  agréable  voix  et 
habile  comédien,  il  ne  devait  fournir  à  la  salie  Favart  qu'une 
carrière  de  quelques  années  :  la  mort  vint  le  surprendre  en 
pleine  force  de  jeunesse  et  de  talent. 


122 


LE  MENESTREL 


Sortir  avec  Maître  Claude  du  Royal-Lorraine  pour  entrer  dans 
le  Royal-Cravate,  c'était  ne  pas  quitter  l'armée.  En  quête 
d'aventures,  un  ofEcier  et  son  brosseur  font  invasion  chez 
un  aubergiste  dont  ils  prennent  momentanément  la  place 
afin  de  recevoir  deux  voyageurs,  un  oncle  et  une  nièce  dont 
il  s'agit  de  toucher  le  cœur.  La  ruse  est  découverte  ;  mais 
il  se  trouve  que  l'oificier  est  l'enfant  naturel  du  voyageur, 
ce  qui  lui  permettra  sans  trop  de  peine  d'épouser  à  la  fin  sa 
cousine  de  la  main  gauche.  Pièce  et  musique  se  valaient 
par  la  simplicité,  sinon  par  l'intérêt;  du  moins  on  vit  rare- 
ment ouvrage  enfanté  par  de  plus  nobles  parents,  MM.  de 
Mesgrigny  et  de  Massa;  un  comte  pour  librettiste,  un  duc 
pour  compositeur.  On  sait  que  le  frère  de  ce  dernier,  le 
marquis  de  Massa,  a,  depuis,  trouvé  la  réussite  au  théâtre 
dans  une  autre  voie  et  que  ses  nombreux  succès  dans  les 
salons  aristocratiques  l'ont  conduit  un  jour  à  la  Comédie- 
Française  qui  a  représenté  en  1882  un  agréable  petit  acte 
intitulé  Service  en  campagne.  Du  reste,  le  nom  du  marquis  de 
Massa  se  trouve  indirectement  lié  à  l'histoire  même  de  la 
seconde  salle  Favart.  Une  revue  composée  par  lui  et  donnée 
dans  une  représentation  extraordinaire,  est,  en  effet,  la  der- 
nière nouveauté  qui  se  soit  produite  à  ce  théâtre,  avant  l'in- 
cendie qui  l'a  consumé. 

Il  était  écrit  qu'au  cours  de  cette  année  1861,  les  peintres 
deviendraient  des  héros  d'opéra.  Après  Maître  Claude  Gelée, 
dit  le  Lorrain,  voici  venir  «  l'épée  en  main  et  la  plume  au 
chapeau  »  Salvator  Rosa.  Les  auteurs.  Grange  et  Trianon,  s'étaient 
dit  qu'une  aventure  de  plus  ou  de  moins  n'étonnerait  pas 
chez  un  personnage  qui  en  eut  tant;  ils  l'avaient  donc  mon- 
tré s'affublant  d'oripeaux  de  bateleur  pour  jouer  la  parade 
et  provoquer  une  bagarre  dans  laquelle  il  enlevait  une  jeune 
fille,  moyen  ingénieux  de  servir  les  amours  d'un  sien  élève 
dont  jadis  il  avait  tué  le  père  en  duel.  Mais  au  cours  de 
l'équipée,  il  devient  amoureux  pour  son  propre  compte,  et 
cette  volte-face  amènerait  un  second  duel  si  le  souvenir  du 
premier  ne  l'arrêtait  à  temps  sur  la  pente  de  la  passion. 
Alors,  pour  inspirer  à  celle  dont  il  a  conquis  le  cœur,  non 
seulement  le  dédain,  mais  même  le  dégoût,  il  finit  par  se 
griser  abominablement,  situation  bien  souvent  reproduite 
depuis  Mélesville  qui,  pour  son  Sullivan,  en  avait  fait  usage. 
La  partition  ne  put  sauver  le  poème.  Il  semblait  que  Duprato, 
si  habile  à  esquisser  uu  lever  de  rideau,  trouvât  le  poids 
d'un  long  ouvrage  trop  lourd  pour  sa  muse.  Le  fait  est  qu'il 
écrivit  seulement  deux  pièces  en  trois  actes  ;  Salvator  Rosa, 
et  plus  tard  aux  Folies-Dramatiques  la  légendaire  Tour  du 
Chien  vert  :  l'une  et  l'autre  sombrèrent. 

Ajoutons  que  le  rôle  de  Lorenza  fut  la  première  et  unique 
création  à  l'Opéra-Comique  de  M"''  Saint-Urbain,  une  belle 
et  agréable  chanteuse  qui  avait  étudié  en  Italie,  et  s'était 
produite  avec  succès  aux  Italiens  en  18S8,  où  le  11  février 
elle  avait  joué,  la  première  en  France,  le  principal  rôle  de 
Martha,  l'opéra  de  Flotow,  importé  d'Autriche.  A  la  salle  Fa- 
vart, elle  avait  débuté  brillamment  le  24  janvier  dans  la  Fille 
du  régiment,  et  ce  fat  alors  qu'on  vit  disparaître,  non  sans 
regret,  un  simple  figurant  qui  pouvait  se  vanter  d'avoir  long- 
temps tenu  sa  place  et  fait  du  bruit  dans  l'ouvrage  de  Doni- 
zetti.  Jusqu'au  dernier  jour  il  avait  égayé  le  public  non  seu- 
lement par  sa  taille  exiguë,  mais  par  l'ardtjur  et  la  conviction 
avec  lesquelles  il  battait  de  la  caisse  dans  son  rôle  modeste 
de  tambour.  Il  est  de  ces  «  utilités  »  qu'on  ne  remplace  pas  ; 
notre  petit  homme  fut  du  nombre. 

Que  dire  des  amours  d'un  voyageur  déguisé  en  femme  avec 
la  fille  adoptive  d'un  brigand  entre  les  mains  duquel  il  est 
tombé?  C'était  le  sujet  imaginé  par  J.  Brésil  pour  le  petit 
acte  :  Silvio-Silvia,  sujet  scabreux  mais  acceptable  à  condition 
d'être  traité  sérieusement,  et  que  rendit  ridicule -la  fantaisie 
du  directeur  qui  lui  donna  les  allures  d'une  pochade  de  car- 
naval. Comme  le  compositeur  de  l'Habit  de  Mylord,  le  compo- 
siteur de  Silvio-Silvia,  M.  d'Estribaud,  appartenait  au  monde 
de  la  bourse  :  ce  qui  fit  dire  à  certain  journal  que  la  musique 


et  les  chiffres  ne  sont  pas  absolument  incompatibles,  et  il 
ajoutait  plaisamment  :  «  La  méthode  Chevé  le  prouve  à  sa 
façon  !  »  Mal  encouragé  par  ce  second  essai  (M.  d'Estribaud 
avait  donné  auparavant  une  opérette  aux  Bouffes),  le  débutant 
fit  bon  marché  de  son  talent,  qui  était  réel;  il  n'insista  pas 
et  dit  adieu  au  théâtre. 

Treize  jours  après  Silvio-Siluia  parut  la  Beauté  du  Diable.  Le 
soir  de  la  première,  Palianti,  le  régisseur,  parut  devant  le 
public,  suivant  un  usage  qui  tendait  à  persister,  et  dit  : 
«  Mesdames  et  Messieurs,  la  pièce  qu'on  vient  d'avoir  l'hon- 
neur de  représenter  devant  vous  est  de  M.  de  Najac,  pour  les 
paroles,  et  de  M.  Alary,  pour  la  musique.  »  A  la  troisième  re- 
présentation, l'affiche  modifia  cette  déclaration  en  désignant 
par  XXX  un  second  librettiste.  Ce  collaborateur  masqué 
n'élait  rien  moins  que  Scribe,  feu  Scribe,  qui  venait  de 
mourir  le  20  février  précédent,  encensé  par  les  uns,  bafoué 
par  les  autres,  mais  laissant,  du  moins  dans  les  théâtres  de 
musique,  le  souvenir  d'un  incomparable  inventeur,  plein 
d'esprit,  habile  à  trouver  une  situation,  à  conduire  une  action, 
à  dénouer  une  intrigue,  en  outre,  doué  d'une  fécondité  sans 
pareille  et  se  pliant  avec  une  étonnante  souplesse  aux  ca- 
prices de  chaque  compositeur.  On  se  disputait  l'honneur  et 
les  profits  assurés  de  sa  collaboration.  La  mort  n'arrêta  pas 
cet  élan,  et  l'on  vit  surgir,  depuis,  maintes  pièces  dont  on 
ne  saurait  charger  sa  mémoire,  car  il  ne  les  aurait  jamais 
laissé  arriver  jusqu'à  la  rampe  sans  retouches.  A  Bruxelles, 
par  exemple,  on  donnait  pour  la  première  fois,  le  27  février 
1878,  aux  Fantaisies-Parisiennes,  un  opéra-comique  en  trois 
actes,  la  Fée  des  Bruyères,  musique  de  Samuel  David,  paroles 
de  J.  Adenis  et...  Scribe.  Le  même  ouvrage  était  joué  à  Paris 
au  Château-d'Eau  le  7  juillet  1880  :  il  y  avait  donc  alors  dix- 
neuf  ans  que  l'un  des  auteurs  n'était  plus. 

Nestor  Roqueplan  écrivait  un  jour  :  «  Une  loi  mystérieuse 
de  la  nature  veut  que  la  femme,  même  la  moins  belle,  à  un 
jour,  à  une  heure  de  la  jeunesse,  illumine  tout  à  coup  son 
visage  d'un  charme  qui  la  fait  aimer  :  cette  transfiguration 
fugitive,  cette  beauté  d'un  moment,  s'appelle  la  beauté  du 
diable.  »  Ce  n'est  point  de  celle-là  qu'il  s'agissait  dans 
la  pièce  de  Scribe.  Son  diable  est  un  riche  forgeron  du  Hartz, 
venu  dans  la  vallée  pour  acheter  certain  château,  hanté, 
dit-on,  par  les  esprits.  Son  air  inculte  le  rend  fort  déplaisant, 
jusqu'au  jour  oir,  prenant  un  peu  plus  de  soin  de  sa  personne, 
il  se  fait  rechercher  par  une  riche  héritière. 

Mais  l'histoire  de  l'ouvrage  était  bien  plus  curieuse  que 
l'ouvrage  lui-même.  Quelque  douze  ans  auparavant,  dans  les 
premiers  temps  de  la  direction  Perrin,  Scribe  vint  un  jour 
au  comité  de  lecture,  composé  alors  des  principaux  artistes 
du  théâtre,  et  leur  tint  à  peu  près  ce  langage  :  «  Messieurs, 
l'ouvrage  que  je  vous  apporte  et  que  je  vais  avoir  l'honneur 
de  vous  lire,  c'est  la  dot  d'un  jeune  compositeur  qui  va 
bientôt  se  marier.  Compositeur!  s'est  d'abord  écrié  le  futur 
beau-père.  Qu'est-ce  que  cela  signifie?  Qu'est-ce  que  cela  re- 
présente? Un  magnifique  revenu  quand  on  s'appelle  Auber 
et  qu'on  a  beaucoup  de  pièces  au  répertoire;  mais  quand  on 
n'en  a  pas  une  et  qu'on  n'a  même  pas  débuté,  mieux  vaudrait 
la  plus  petite  dot!...  Messieurs,  j'ai  compris  l'objection  et  je 
me  suis  engagé  à  y  répondre,  autant  qu'il  dépendait  de  moi. 
Vous  connaissez  tous  M™"=  Damoreau  ;  c'est  son  fils  qui  se 
marie  et  qui  écrira  la  musique  de  mon  poème  si  vous  le 
recevez.  » 

Le  poème  fut  reçu;  le  jeune  homme  se  maria;  mais  il 
n'écrivit  point  sa  partition,  parce  que  la  mort  l'arrêta  en 
route.  Alors,  le  Beauté  du  Diable,  qui  s'appelait  primitivement 
le  Chaîne  d'acier,  passa  aux  mains  de  Giulio  Alary,  compositeur 
formé  à  l'école  italienne,  auteur  d'une  sorte  de  symphonie- 
mystère  intitulée  Rédemption,  exécutée  en  18SÛ  dans  un  concert 
spirituel,  et  d'un  opéra-comique  en  trois  actes,  la  Tre  Nozze, 
représenté  à  Ventadour  le  29  mars  1851.  Seulement,  il  lui 
fallut  s'armer  de  patience  et  attendre.  Aussi,  le  soir  de  la 
première,  put-il,  en  tirant  de   sa  poche    un  énorme  cigare, 


i 


LE  MÉNESTREL 


123 


raconter  l'histoire  suivante  aux  amis  qui  l'interrogeaient  sur 
la  provenance  et  les  dimensions  de  cette  merveille  :  «  C'est 
un  cigare  de  neuf  ans.  Ce  monument  de  tabac  me  fut  donné 
par  le  duc  de  **''  le  jour  où  je  lui  annonçai  que  j'avais  traité 
pour  un  acte  à  l'Opéra-Comique.  —  Gardez-le,  me  dit-il,  pour 
le  fumer  après  votre  première  représentation.  —  Je  le  gardai 
précieusement.  Gomme  ma  pièce  a  fait  en  neuf  ans  le  trajet 
de  mon  portefeuille  à  la  rampe,  j'ai  gardé  neuf  ans  le  cigare 
du  duc.  S'il  eût  été  égaré  ou  gâté,  il  est  clair  qu'on  n'eût 
jamais  joué  ma  partition.  Au  contraire,  je  n'ai  jamais  déses- 
péré, malgré  tant  de  lenteurs,  de  ma  Beauté  du  Diable,  parce 
j'avais  pu  conserver  le  cigare  destiné  à  réjouir  mon  succès 
ou  à  consoler  ma  défaite.  »  Ce  petit  discours  prouva  que  le 
compositeur  était  superstitieux.  Or,  sa  pièce  obtint  justement 
treize  représentations  :  le  cigare  ducal  n'avait  pas  suffi  à  lui 
porter  bonheur.  (A  suivre.) 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


LES  FOLIES  AMOUREUSES 
Opéra-comique  en  trois  actes,  d'après  Regnard, 
De  MM.  Leneka  et  Matbat  ,  musique  de  M.  Emile  Pessakd. 
Ayant  à  parler  de  la  charmante   et    originale  musique  composée 
par  M.  Widor  pour    le   Conte  d'avril  de  M.    Dorohain,   un  de  nos 
éminents  critiques  —  je  ne  sais  plus  lequel,  tant  il  y  a  d'éminences 
parmi  eux  —  u'hésitail  pas  à   qualifier  d'«  invertébrée    »  la   petite 
partition  si  neuve  et  si  colorée   du  jeune  maître,  qu'il  trouvait  trop 
flottante  et  trop  indécise   à   son   gré.    Il  est  vrai   qu'il   avouait  peu 
après,  avec  une  entière  bonne  foi,  qu'après  tout  il  ne  se  reconnais- 
sait pas  grand  clerc  en  musique  et  qu'il  lui  était  permis  ds  se  trom- 
per. N'importe  !  le   mot  était  joli,  et  nous  reconnaissons  qu'il  s'ap- 
pliquait assez  justement  à  certaines  parlies  de  l'œuvre  de  M.  Widor. 

Nous  sommes  bien  certain  que  l'éminent  critique  ne  fera  pas  le 
même  reproche  à  la  musique  de  M.  Emile  Pessard,  car  c'est  précisé- 
ment par  les  «  verlèbres  »  qu'elle  brille.  Si  la  chair  n'en  est  pas 
toujours  très  l'raîche  et  savoureuse,  il  n'y  a  rien  à  reprendre  du 
moins  à  l'ossature  des  morceaux,  qui  reste  toujours  puissante  et  même 
un  peu  massive.  Sur  les  sujets  les  plus  riants,  oii  il  conviendrait 
sans  doute  de  glisser  au  lieu  d'appuyer,  M.  Pessard  aime  à  s'étendre 
compendieusement.  Il  ne  nous  fait  grâce  d'aucune  virgule,  ni 
d'aucun  soupir  ;  il  aime  à  metlre  les  points  sur  les  i  et  à  les  y  écraser 
au  besoin.  Cette  tendance  élail  déjà  manifeste  dans  l'œuvre  précé- 
dente du  même  compositeur,  ce  Tabarin  qui  vécut  à  l'Opéra  l'espace 
de  quelques  soirs.  Calte  fois,  M.  Pessard  s'est  efforcé  d'avoir  la  main 
plus  légère,  c'est  bien  certain,  mais  cet  effort  même  prouve  que  la 
grâce  et  les  chansons  ne  sont  pas  dans  sa  nature.  Dans  ces  Folies 
amoureuses,  presque  tout  est  hors  de  proportion  :  où  il  faudrait  des 
ariettes,  nous  avons  des  airs  en  règle,  et  les  finales  s'y  allongent 
démesurément.  Il  n'y  a  pas  là  le  faire  d'un  maître  en  la  matière 
comme  Léo  Delibes,  pas  même  la  malice  ingénue  d'un  Poise,  qui 
a  signé  dans  ce  genre  quelques  petites  œuvres  achevées. 

Est-ce  à  dire  que  la  musique  de  M.  Pessard  soit  insupportable  ? 
Ce  n'est  pas  noire  pensée.  Elle  a  le  grand  mérite  de  ne  pas  forcer 
l'attention  et  de  laisser  chacun  libre  de  penser  en  paix  à  ses  affaires 
particulières.  Elle  vaut  donc  mieux  à  tout  prendre  que  les  fausses 
sentimentalités  et  les  partitions  larmoyantes  dont  on  nous  accable 
quelquefois,  et  qui,  tout  en  étant  aussi  insignifiantes  au  fond  que  les 
faridondaines  de  M.  Pessard,  ont  le  tort  de  nous  préoccuper  inutilement. 

Il  est  à  croire  que  le  public  courant  de  l'Opéra  Comique  du  Chà- 
telet  fera  bonne  figure  à  celte  petite  binette,  dont  le  poème  est  tiré 
d'une  amusante  comédie  de  Regnard  et  adapté  fort  habilement  aux 
exigences  d'une  composition  musicale  par  MM.  André  Leneka  et 
Emmanuel  Matrat.  La  pièce  est  plaisante  et  fertile  en  incidents 
comiques,  et  elle  est  défendue  admirablement  par  ses  interprètes, 
en  tête  desquels  il  faut  citer  l'excellent  Fugère,  qui  nous  donne  là 
une  réédition  très  amusante  de  son  Barlholo  du  Barbier  de  Séville. 
Soulacroix  aussi  a  de  l'entrain,  comme  M"""  Mole,  tout  à  fait  char- 
mante et  comédienne  de  la  bonne  école  sous  la  cotte  de  Lisette. 
M"'-  Landouzy  tient  le  personnage  d'Agathe,  rôle  difficile  à  traves- 
tissements multiples;  elle  vocalise  joliment  et,  comme  gênée  dans 
les  commencements,  s'est  échauffée  peu  à  peu  jusqu'à  devenir  un 
véritable  petit  volcan  vers  la  fin.  N'oublions  pas  le  ténor  Carbonne 
très  à  point  dans  le  rôle  de  Glitandre. 


ADIEU,    MESSIEURS! 

Au  moment  de  maître  sous  presse,  nous  recevons  l'agréable  nou- 
velle de  la  nomination  de  M.  Bertrand  à  la  direction  de  l'Académie 
nationale  de  musique.  C'est  un  galant  homme  qui  en  remplace  deux 
autres  qui...  l'étaient  moins.  Nous  ne  pouvons  aujourd'hui  nous 
appesantir  longuement  sur  cet  heureux  événement.  Disons  seulement 
que  le  départ  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  est  un  véritable  soulagement 
pour  tous  ceux  qui  s'intéressent  aux  choses  de  la  musique  ;  c'est 
presque  une  victoire  personnelle  pour  le  Ménestrel  qui  n'a  cessé  de 
batailler  rudement  contre  ces  deux  tristes  directeurs.  Il  a  fallu  pour 
cela  trouver  un  ministre  indépendant  qui  n'écoute  que  sa  conscience, 
ce  qui  est  bien  plus  rare  qu'on  ne  croit.  Grâces  soient  donc  rendues 
à  M.  Bourgeois  ! 

Adieu,  msssieurs  Rilt  et  Gailhard,  et  au  plaisir  de  ne  plus  vous 
revoir. 

H.    MORENO. 


NAPOLEON  DILETTANTE 


NAPOLEON  ET  LA  MUSIQUE  ITALIENNE 
(Suite.) 

En  1804,  Picard  fut  choisi  pour  diriger  le  Théâtre-Italien,  dont  les 
chanteurs  alternaient  leurs  représentations  avec  celles  des  comédiens 
français  de  la  salle  Louvois.  Us  suivirent  Picard  à  l'Odéon,  en  1808. 
Sur  cette  scène,  l'incomparable  talent  de  M"^  Barilli  rendit  la  vogue 
à  la  musique  italienne,  bien  délaissée  pour  les  grands  ouvrages  de 
l'Opéra,  nés  cependant  sous  son  influence.  Mais  M™*  Barilli  étant 
morte  en  1811,  le  théâtre  italien  de  l'Odéon  ne  lui  survécut  pas. 
Aussi  bien,  le  véritable  théâtre  italien  était  celui  de  la  Cour. 
Napoléon  n'aimait  pas  à  se  déplacer.  Il  voulut  avoir,  chez  lui,  ans 
Tuileries  aussi  bien  qu'à  Saint-Gloud  et  dans  ses  voyages,  en  un 
mot  parlent  où  il  se  trouvait,  ses  auteurs,  ses  acteurs,  ses  musiciens, 
et  aussi  son  public.  Et  personne,  au  grand  jamais,  ne  fit  mine  de 
lui  reprocher  ce  raffinement  de  jouissance  intellectuelle. 

Le  plus  beau  jour  de  sa  vie,  après  Austerlitz,  fut  peut-être  celui 
où  il  parvint  à  faire  venir  Paisiello  à  Paris.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine, 
car  l'auteur  de  Nina  appartenait  au  roi  de  Naples,  Ferdinand  IV. 
Mais  Bonaparte,  lout-puissant.  leva  toute  difficulté,  en  donnant  sim- 
plement l'ordre  à  ce  roitelet,  dont  les  jours  étaient  comptés,  de  lui 
envoyer  son  maître  de  la  musique,  ce  que  celui-ci  s'empressa  de 
faire . 

Paisiello  mit  pied  à  terre  à  Paris  en  avril  1802.  Son  voyage  s'était 
opéré  dans  des  conditions  princières,  et  il  descendit  dans  un  appar- 
tement splendidement  meublé,  avec  un  carrosse  de  la  cour  à  sa 
disposition,  et  pour  honoraires  12,000  francs  de  traitement,  plus 
une  gratification  annuelle  de  18,000  francs,  sans  compter  les  cadeaux 
et  les  aubaines  de  toutes  sortes. 

Le  premier  consul  avait  l'intention  de  confier  à  Paisiello  la  direc- 
tion de  l'Opéra  et  du  Conservatoire  ;  mais  le  maestro  se  récusa, 
n'acceptant  que  le  titre  et  les  fonctions  de  maître  de  chapelle.  Rien 
ne  put  vaincre  son  obstination  ;  ce  qui  n'empêcha  pas,  d'ailleurs, 
et  l'Opéra  et  le  Conservatoire  de  se  liguer  contre  l'intrus,  dont  le 
grand  tort  était  de  plaire  au  œaitre. 

Du  Conservatoire,  Méhul,  seul,  avait  su  trouver  le  chemin  du 
cœur  de  Napoléon,  et  cela  par  un  subterfuge  qui  fit  en  son  temps 
quelque  bruit.  Hoffmann,  l'auteur  des  Contes  fantastiques,  lui  ayant 
remis  un  livret,  il  le  présenta  aux  artistes  de  l'Opéra-Comique  comme 
une  traduction  d'un  opéra  buffa  venant  d'Italie,  et  dont  il  possédait 
la  musique. 

La  pièce,  qui  s'appelait  t'Irato,  fut  acceptée  d'enthousiasme,  et 
Bonaparte,  affriandé  par  le  régal  d'une  nouvelle  œuvre  italienne, 
voulut  assister  à  la  première  représentation,  en  ayant  à  ses  côtés 
Méhul. 

—  Ce  sera  peut-être  un  crève-cœur  pour  vous,  lui  avait-il  dit 
d'avance  ;  mais,  peut-être,  en  entendant  des  airs  si  différents  de 
l'école  moderne,  reviendrez-vous  de  votre  manie  de  faire  du  baroque. 

Le  public  pensait  comme  le  premier  consul  et  fit  un  succès  complet 
à  la  pièce;  le  quatuor  fut  porté  aux  étoiles,  et  de  tout  l'auditoire 
partit  cette  sentence  :  qu'il  n'y  avait  décidément  que  la  musique 
italienne. 

Aussi    se   figure-t-on    l'indignation  d'une    partie  des   spectateurs, 


^21 


LE  MEiNESÏlŒL 


lorsqu'Elleviou  viul  nommer  les  ailleurs.  Oa  criait  à  la  mystifica- 
tion, et  des  coups  <le  sifllct  partirent  de  difTérents  points  de  la  salle. 
On  a  dit  que  Bonaparte  n'avait  jamais  pardonné  son  stratagème  à 
Mébul;  mais  c'est  une  erreur.  Le  premier  moment  de  surprise  passé. 
et  ne  voulant  pas  avoir  tout  à  fait  l'air  d'avoir  été  mystifié  comme 
les  autres,  il  tendit  la  main  à  l'auteur,  en  lui  disant: 

—  Bravo,  Méhul;  mais,  sous  votre  masque  italien,  j'ai  bien  vu 
passer  le  bout  de  l'oreille  allemande  (1). 

Malgré  cette  réserve,  Bonaparte  accepta  la  dédicace  de  l'Irato. 
L'exemnlaire,  magnifiquement  relié,  qui  lui  fut  remis  par  l'auteur, 
alla  plus  tard  à  Dalmivare,  qui  traça  sur  la  première  page  (ette 
notice  intéressante  : 

0  Bonaparte  aimait  infiniment  Méhul,  non  seulement  pour  son 
grand  talent  de  musicien,  mais  encore  comme  homme  d'espril  et 
d'instruction.  Il  aimait  à  causer  avec  lui  et  à  discuter  sur  la  musique. 
Il  reprochait  au  Conservatoire  et  à  Méhul  lui-même,  d'avoir  adopté 
un  genre  de  composition  ludesque  plus  scientifique  que  gracieux  et 
cherchant  à  faire  de  la  musique  bruyante  plutôt  qu'aimable. 

»  Par  suite  de  ces  entreliens  et  dans  l'intention  de  faire  une  chose 
agréable  à  Bonaparte,  Méhul  eut  l'idée  d'écrire  im  ouvrage  léger  et 
chantant  à  la  manière  italienne:  eu  1802,  il  composa  l'Irato  qui  eut 
un  grand  succès,  et  le  dédia  à  Bonaparte. 

1)  Ce  présent  exemplaire  est  celui  de  dédicace  qui  fut  prénenté  à 
Bonaparte  et  qui  lui  a  appartenu.  Je  puis  le  cerlifier  d'une  manière 
d'autant  plus  positive,  qu'à  celte  époque,  étant  premier  harpiste  solo 
de  la  musique  de  chambre  du  premier  consul,  ensuite  de  celle  de  la 
chapelle  de  l'empereur,  j'ai  vu  Méhul  en  faire  la  présentation;  et  plus 
lard,  Bonaparte  l'ayant  donné  à  la  reine  Hortense,  j'ai  revu  ledit 
exemplaire  chez  elle,  et  c'est  des  bontés  de  celle  dernière  que  je  le 
ti;ns.  » 

Lorsque  Paisiello  quitta  son  poste  auprès  de  l'empereur,  pour 
retourner  en  Italie,  par  suite  de  circonstances  que  nous  relaterons 
plus  tard,  Napoléon  jeta  les  yeux  sur  Méhul  pour  le  remplacer.  Il 
lui  en  f  ala  même.  Mais  celui-ci  ayant  dit  qu'il  n'accepterait  qu'à 
la  condition  de  parlager  ses  fonctions  avec  Cherubini,  l'empereur,  qui 
n'aimait  pas  l'auteur  des  Abencerrages,  répondit  sèchement  : 

—  Ne  me  parlez  pas  de  cet  homme-là.  Je  veux  un  maître  de  cha- 
pelle qui  fasse  de  la  musique,  et  non  du  bruit. 

L'affaire  en  resta  là. 

Dans  la  suite.  Napoléon  fit  souvent  venir  d'Italie  des  virtuoses;  mais 
il  laissa  les  compositeurs  de  la  Péninsule  chez  eux;  d'autant  qu'au- 
cun ne  pouvait  approcher  de  celui  qu'il  avait  possédé  trop  peu  de 
temps.  Une  fois  cependant,  il  tenta  l'aventure  avec  Zingarelli,  mais 
cela  dans  des  conditions  toutes  particulières,  qui  méritent  bien  d'être 
rapportées. 

Zingarelli,  auteur  du  célèbre  opéra  Romeo  e  Gulietta,  qu'il  composa, 
dit-on,  en  quarante  heures,  avait  élé  nommé,  en  <léeenibre  1810,  sur 
un  décret  impéiial,  chef  d'une  école  de  musique  fondée  à  Rome  par 
Napoléon.  Cclui-ei  tenait  en  haut-^  estime  l'auleur  d'une  œuvre  dont 
CieseoDtini  lui  avait,  comme  nous  le  savons,  fait  apprécier  les  beau- 
tés; aussi  le  comblait-il  de  prévenances  et  d'honneurs.  On  va  voir 
comment  le  maestro  reconnut  ces  bontés  ;  l'hisloirc  a  été  contée  par 
Castil-Blaze  : 

En  1811,  un  Te  Deum  solennel  fut  chanté  dans  loutes  les  églises 
de  l'Empire,  à  l'occasion  de  la  naissance  du  roi  de  Rome.  L'ordre 
parti  des  Tuileries  arriva  jusqu'à  la  capitale  de  la  chrétienté. 
L'église  de  Saint-Pierre  était  parée,  et  le  peuple  romain  venait  au 
rendez-vous  pour  entendre  le  Te  Deum.  Mais,  au  moment  de  com- 
mencer, on  s'aperçoit  que  les  chanteurs  et  les  symphonistes 
manquent  à  l'appel  ;  ils  ne  sont  point  à  leur  poste,  pas  même  le 
maître  de  chapelle.  C'est  que  Zingarelli  ne  reconnaissait  pas  le  fils 
de  Napoléon  pour  son  souverain:  il  reniait  le  nouveau-né. 

Napoléon  u'enteudait  pas  raillerie  en  malière  de  Te  Deum.  Sur-le- 
champ  un  message  secret  prescrit  au  préfet  de  Rome  de  faire 
arrêter  Zingarelli  et  de  le  conduire  à  Paris  de  brigade  en  brigade; 


(1)  C'est  ici  la  légende  de  l'Irato,  longtemps  acceptée  comme  autîien- 
tique,  mais  longtemps  aussi  combattue,  notamment  par  le  Ménestrel,  qui, 
il  y  a  une  quarantaine  d'années  déjà,  publiait  à  ce  sujet,  une  lettre 
topique  et  intéressante  de  Ponchard  père,  le  célèbre  chanteur.  Depuis 
lors,  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  dans  son  livre  si  important  et 
si  intéressant  sur  Méhul,  publié  d'abord  dans  ce  journal  sous  forme 
d'articles,  a  remis  toutes  choses  en  place  à  ce  sujet  et  a  prouvé,  pièces 
en  main,  que  Bonaparle  n'avait  nullement  été  mystifié  par  Méhul  à  propos 
de  l'Irato,  et  qu'il  savait  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  provenance  de  la  musique 
de  cet  ouvrage. 

N.  n.  L.  R. 


mais  le  préfet  adoucit  la  rigueur  de  l'ordre  impérial  :  sur  la 
parole  du  musicien,  il  le  laisse  partir  par  la  diligence,  avec  promesse 
de  ne  pas  s'égarer  en  chemin. 

Arrivé  à  Paris,  Zingarelli  se  loge  sur  le  boulevard  des  Italiens,  et 
fait  savoir  à  l'empereur  qu'il  attend  ses  ordres.  Huit  jours  s'écou- 
lent :  point  de  nouvelles.  Enfin,  un  matin,  on  sonne  à  sa  porte  : 
c'était  un  envoyé  du  cardinal  Fesch.  Il  aborde  le  maesiro  avec  une 
politesse  affectueuse,  le  comble  d'éloges,  et  termine  en  lui  présen- 
tant mille  écus  de  la  part  de  Napoléon  pour  les  frais  d'un  voyage 
entrepris  par  son  ordre.  Pendant  plus  de  deux  mois,  Zingarelli  ne 
reçut  pas  d'autres  visites  :  il  se  croyait  oublié,  lorsqu'un  jour  on 
lui  commanda  une  messe  solennelle  avec  chœurs  et  symphonie. 

—  Une  messe,  dit-il,  —  va  pour  la  messe;  mais  qu'il  ne  touche  pas 
la  corde  du  Te  Deum  pour  son  prétendu  roi  de  Rome;  celte  corde 
sonnerait  mal. 

La  roesse  l'ut  composée  en  huit  jours,  chantée,  et  trouvée  digne  de 
son  auteur.  Le  maestro  reçut  6,000  francs. 

Il  fut  chargé  bientôt  après  de  mettre  en  musique  cinq  versets 
choisis  dans  le  Stabat. 

~  J'ai  promis  de  ne  pas  faire  de  Te  Deum,  se  dit-il  encore,  mais 
rien  ne  m'empêche  de  composer  un  stabal,  —  va  pour  le  stabat;  je 
resle  en  paix  avec  ma  conscience. 

Ce  Slabal.  exécuté  au  palais  de  l'Elj'sée  par  Crescenlini,  Lays, 
Nourrit  père,  M°"*  Branchu  et  Arman.1,  produisit  un  effet  mer- 
veilleux; l'empereur  en  fut  ravi. 

Après  ce  nouveau  succès,  aucune  requête  de  la  cour  ne  vint  plus 
mettre  à  contribulion  le  génie  du  maestro. 

Ce  silence  durait  depuis  un  mois,  lorsque  Zingarelli  fit  prévenir 
le  cardinal  Fesch  que  les  obligations  de  sa  place  de  maître  de  cha- 
pelle à  l'église  Saint-Pierre,  exigeaient  sa  présence  à  Rome,  et 
qu'il  désirait  savoir  quand  il  lui  serait  permis  de  partir. 

—  Demain,  aujourd'hui  même,  répondit-on;  M.  Zingarelli  est 
parfaitement  libre.  Son  séjour  à  Paris  est  une  bonne  fortune  pour 
nous,  il  est  vrai;  mais  Sa  Majesté  serait  fâchée  de  lui  faire  négliger 
ses  affaires. 

Zingarelli  retourna  donc  à  Rome;  et  ce  ne  fut  pas  sans  plaisir 
qu'il  disait  de  temps  en  temps,  sur  sa  route  : 

—  Je  n'ai  pourtant  pas  fait  chanter  de  Te  Deum  pour  notre  pré- 
tendu roi. 

On  conviendra  que  peu  de  souverains  se  seraient  contentés  d'un 
Stabat. 


(A  suivre.) 


Edmond  Neukomm  et  Pal'l  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


Nouvelles  de  Londres  (16  avr-il)  : 

La  rentrée  de  M.  Jean  de  Reszké  dans  Lohengrin  et  Romfo  a  valu  à 
M.  Harris  deux  belles  salles,  les  premières  jusqu'ici.  Il  ne  reste  rien  à  dire 
sur  cet  excellent  artiste,  qui  a  retrouvé  son  succès  habituel  dans  deux  de 
ses  meilleurs  rôles.  Son  attraction  sur  le  public  de  Londres  est  aussi 
grande  que  par  le  passé  et  menace  même,  par  son  caractère  exclusif,  de 
créer  des  embarras  à  l'entreprise.  M""  Eames  a  confirmé,  dans  les  rôles 
d'Eisa  et  de  Juliette,  la  bonne  impression  qu'elle  avait  produite  comme 
Marguerite.  L'héroïne  de  Wagner  convient  mieux  que  celle  de  Gounod  à 
sa  nature  un  peu  froide  et  impassible  ;  son  joli  médium  et  sa  bonne  mé- 
thode aidant,  elle  y  a  obtenu  un  très  franc  succès,  d'autant  plus  méritoire 
qu'elle  chantait  Lohenyrin  pour  la  première  fois.  M.  Edouard  de  Reszké 
est  toujours  un  imposant  Henri  l'Oiseleur,  un  Méphisto  bon  enfant  et  un 
père  Laurent  plein  d'onclion.  Le  rôle  d'Ortrude  convient  à  la  voix  rude  de 
M"°  Ravogli  et  M.  Maurel  est  un  Teli'almund  ti-ès  vigoureux.  Sa  coiffure  au 
premier  acte  a  fait  sensation.  M"e  Jansen  dans  les  rôles  de  Siebel  et  de 
Stéphane  a  fait  entendre  une  voix  de  mezzo-soprano  fort  sympathique.  Il 
me  reste  à  citer  M.  Geste,  plus  à  l'aise  quand  il  chante  le  français,  qui 
est  un  aimable  Mercutio,  et  M.  Dufriche,  un  Capulet  de  bonne  école.  Il 
manque  une  duègue  à  Covent-Garden  :  les  petites  mines  sautillantes  de 
M""=  Bauermeister  dans  les  rôles  de  Marthe  et  do  Gertrude  deviennent  de 
plus  en  plus  agaçantes.  Faute  de  répétitions  sans  doute,  M.  Mancinelli  a 
été  moins  maitra  de  sou  orchestre  dans  Lohengrin  que  d'habitude. 

M.  Isidore  de  Lara, le  populaire  compositeur  de  romances,  vient  d'achever 
une  œuvre  importante  :  c'est  une  légende  di-amatique  basée  sur  le  poème 
célèbre  de  sirEdwin  Arnold  :  Ihe  Light  (3/'.4sia, pour  soli,  chœurs  et  orchestre, 
que  M.  Harris  a  l'intention  de  faire  exécuter  à  Covent-Garden  avec  décors 
et  mise  en  scène.  M.  Maurel  se  chargerait  de  la  partie  de  Boudha  et 
M"=  Eames  de  celle  de  Yasodhara.  Quant  aux  chœurs,  ainsi  que  dans  la 
tragédie  antique,  ils  seraient  placés  dans  la  salle,  près  de  l'orchestre. 


LE  MENtSTBEL 


iT6 


A  l'Opéra  National  Anglais  il  est  question  d'une  reprise  du  Vaisseau- 
Fantôme,  pour  alterner  avec  Ivanhoé.  La  Société  royale  chorale  a  exécuté  hier 
le  dernier  oratorio  de  Gounod,  Mors  et  Vita.  M.  Paderewski  fait  sa  rentrée 
ce  soir  à  la  Société  Philharmonique,  et  jouera  le  concertoen  ut  mineur  de 
Saint-Saêns.  Le  prochain  programme  de  Crystal  Palace  comprend  la  sym- 
phonie de  Harold  en  Italie,  de  Berlioz.  A.   G.  K. 

P.-S.  —  La  cour  d'appel  vient  de  reviser  le  jugement  du  tribunal  de 
Brighton  et  de  donner  gain  de  cause  à  la  Société  des  auteurs,  composi- 
teurs et  éditeurs  de  musique  de  Paris.  C'est  un  gros  événement  pour  la 
défense  des  droits  des  auteurs  français  en  Angleterre. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (IG  avril).  —  La  reprise  de 
Mireille,  qui  a  eu  lieu  cette  semaine,  avait  plus  que  l'intérêt  d'une  simple 
reprise.  La  direction  de  la  Monnaie  avait  eu  l'idée  de  remettre  à  la  scène 
les  deux  tableaux,  depuis  très  longtemps  supprimés,  de  la  «  'Vallée  du 
Rhône  ».  M.  Gounod,  si  j'en  juge  par  une  lettre  aimable  adressée  à 
MM.  Stoumon  et  Calabrési,  semblait  désirer  beaucoup  cette  réparation, 
et  s'en  est  fort  réjoui.  Faiblesse  de  père,  bien  excusable.  Minille  n'y  a  pas 
gagné  grand'chose,  et  elle  n'y  a  point  perdu  non  plus.  Ces  deux  tableaux 
n'étaient  pas  indispensables  à  l'intérêt  de  l'œuvre,  et  l'on  comprend  qu'on 
ait  pu  s'en  passer.  Mais  tout  ce  qui  est  signé  de  la  main  de  Gounod  est 
précieux  à  conserver  et  curieux  à  entendre.  Cette  partie  retranchée  et  réta- 
blie de  son  œuvre  n'est  pas  indigne  de  lui  ;  elle  est  d'un  fantastique  doux 
et  d'une  couleur  agréable.  Il  y  a  de  l'accent  dans  la  scène  qui  nous  montre 
le  (I  traître  »  Ourias  aux  prises  avec  ses  remords  et  engageant  avec  les 
divinités  mystérieuses  du  Rhône  une  conversation  vive  et  animée,  avant 
d'être  entraîné  dans  les  «  dessous  »  par  le  passeur  que  le  Ciel  a  délégué 
pour  punir  le  vice,  et  aider  au  triomphe  de  la  vertu.  Le  plus  grand  mérite 
du  compositeur,  c'a  été,  en  tout  cas,  de  respecter  le  cadre  du  genre,  d'être 
resté  sobre  dans  une  scène  où  d'autres,  moins  expérimentés,  auraient 
été  certainement  tentés  de  déchaîner  leurs  foudres  orchestrales.  Certains 
prendront  cela  pour  de  la  pauvreté  ;  c'est  plutôt,  je  crois,  de  la  sagesse. 
La  réalisation  matérielle,  au  théâtre,  de  la  «  Vallée  du  Rhône  »  n'était 
point  facile.  Je  doute  qu'elle  ait  satisfait  complètement  l'auteur;  mais  la 
difficulté  même  de  la  chose  doit  nous  rendre  indulgent,  et  il  y  a,  du  reste, 
un  fort  beau  décor,  qui  fait  pardonner  bien  des  imperfections.  Quant  à 
l'interprétation,  elle  a  été  satisfaisante.  Je  parle  des  artistes  chargés  des 
difl'érents  rôles.  M"'  Sanderson,  notamment,  est  une  Mireille  absolument 
ravissante  au  point  de  vue  plastique,  et  pleine  de  mérite  au  point  de  vue 
vocal;  elle  a  eu,  dans  la  valse  du  premier  acte,  la  virtuosité  qu'on  pou- 
vait attendre  d'elle,  et,  dans  la  suite  de  l'œuvre,  des  détails -d'expression 
tout  à  fait  charmants  et  des  nuances  pleines  de  délicatesse.  M.  Delmas 
est  un  Vincent  très  sympathique;  M.  Badiali  a  remarquablement  chanté 
le  rôle  d'Ourias,  devenu,  dans  la  nouvelle  version,  l'un  des  plus  impor- 
tants de  l'ouvrage,  M""=Nardi  est  une  excellente  Taven,  M">=  Archainbaud 
un  délicieux  petit  pâtre,  et  M.  Sentein  un  «  père  noble  »  plein  d'énergie. 
Ah  !  si  l'orchestre  et  les  chœurs  avaient  pu  imiter  un  si  louable  exem- 
ple !  Vous  figurez-vous  le  premier  acte  de  Mireille,  cette  page  exquise, 
chantée  à  peu  de  chose  près  fortissimo  et  accompagnée  de  même?  Eh  bien, 
c'est  ce  qu'il  nous  a  été  donné  d'enlendre.  Sommes-nous  heureux  !  — 
Mireille  sera  très  vraisemblablement  la  dernière  reprisé  de  la  saison,  avant 
la  cltiture,  qui  a  lieu  le  iO  mai.  La  direction  annonce,  de  temps  en  temps, 
avec  timidité,  les  études  de  Lohengrin;  mais  personne  n'en  croit  rien.  Il 
s'agit  simplement  d'occuper  le  personnel  pendant  la  journée  et  de  lui 
■enlever  la  tentation  de   s'aller  promener:  un  rhume   est  si  vite  attrapé! 

L.  S. 

—  Les  opéras  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas.  Après  le  triomphe 
remporté  au  théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  par  le  Spartaco  de  M.  Platania, 
un  autre  opéra  nouveau,  celui-ci  de  M.  Giannetti,  VErebo,  a  trouvé  le  public 
réfractaire  et  a  subi  une  chute  colossale.  La  première  représentation,  qui 
sera  sans  doute  la  dernière,  a  donné  lieu  à  un  tumulte  effroyable,  et  la 
soirée  s'est  terminée  au  milieu  des  cris  et  d'enragés  sifflets. 

—  La  saison  de  printemps  sera  faite  au  Costanzi,  de  Rome,  par  M.  Son- 
zogno,  qui  vient  de  publier  son  programme.  Les  artistes  engagés  sont 
Mmes  Calvé,  Giulia  Novelli,  Emma  Zilli,  MM.  Marconi,  De  Lucia,  Giordani 
et  Sparapani;  le  chef  d'orchestre  est  M.  Mugnone.  Le  répertoire  de  cette 
saison  comporte  seulement  quatre  ouvrages  :  la  toujours  heureuse  Caval- 
leria  rustieana,  de  M.  Mascagni,  les  Pécheurs  de  perles,  de  Bizet,  Spartaco,  de 
M.  Platania,  qui  vient  d'obtenir  un  succès  éclatant  au  San  Carlo,  de 
Naples,  et  Andréa  del  Sarto,  de  M.  Baravalle,  fort  bien  accueilli  récemment 
à  Turin. 

—  Une  nouvelle  assez  singulière,  parvenue  d'Italie,  .s'est  répandue 
aussitôt  depuis  quelques  jours  à  Paris.  Une  cantatrice  française  bien 
connue  à  l'étranger  et  1res  renommée  pour  sa  brillante  carrière  dans  le 
répertoire  italien,  Bianca  Donadio  (de  son  vrai  nom  Blanche  Dieudonné), 
vient,  paraît-il,  de  se  retirer  à  Bologne  dans  le  cloître  des  nonnes  du  Saint- 
Sacrement,  où  elle  doit  prendre  le  voile  à  la  suite  d'un  certain  noviciat. 
Blanche  Dieudonné,  qui  appartenait  à  une  famille  distinguée  de  Lorraine, 
avait  pris  le  théâtre  à  la  suite  de  revers  de  fortune,  et  avait  obtenu  de 
grands  succès  à  l'étranger,  particulièrement  en  Italie  et  en  Espagne.  Il  y 
a  quelques  années  elle  avait  épousé,  à  Malaga,  un  chanteur  italien  nommé 
Frappoli. 

—  Un  très  curieux  concert  historique  de  musique  sacrée  et  profane, 
exclusivement  choisie  dans  les  œuvres  des  maîtres   de  l'école  vénitienne 


du  dix-septième  siècle,  a  été  donné  récemment  au  Lycée  Benedetto  Marcello, 
le  Conservatoire  de  Venise.  Voici  le  programme  fort  intéressant  de  cette 
séance  d'un  caractère  exceptionnel  :  Hymne  Virgo  Mater  Ecclesiœ,  chœur  à 
quatre  voix  mixtes,  de  Giulio-Cesare  Martinengo  (mort  en  1613);  2.  Duo  de 
Vlncoronazione  di  Poppea,  opéra  de  Claudio  Monteverde  (1568-16 IS),  repré- 
senté au  théâtre  Grimani.  de  Venise,  en  1642;  .3.  Responsorium  :  Beata  viscera, 
chœur  à  quatre  voix  mixtes,  de  Giovanni  Rovetta  (mort  en  1668);  4.  Air  et 
scène,  avec  accompagnement  d'instruments  et  piano,  de  Giasone,  opéra  de 
Francesco  Cavalli  (1399-1676),  représenté  au  théâtre  Tron,  de  Venise,  en 
1649;  fi.  Air,  avec  accompagnement  de  violons  et  piano,  de  gli  Amori  di 
Apolo  e  Leucotoe,  opéra  de  G.-B.  Rovettino  (mort  en  1692),  représenté  au 
théâtre  Grimani,  en  1663  ;  6.  Sonate  pour  violon,  avec  accompagnement 
de  piano,  de  G.-B.  Bassani  (16S7-1716)  ;  7.  Ariettes  i'Alessandro  Magna  in 
Sidone,  opéra  de  Marc  Antonio  Ziani  (1633-1715),  représenté  au  théâtre 
Grimani,  en  1679;  8.  Symphonies  pour  instruments  à  archet  et  piano  de 
Totila,  opéra  de  Giovanni  Legrenzi  (1625-1691),  représenté  au  théâtre  Grimani, 
en  1677;  9.  Air  pour  ténor  du  même  ouvrage  ;  lu.  Psaume  Nisi  Dominus, 
pour  solo  et  chœur  de  trois  voix  d'hommes,  avec  accompagnement  d'instru- 
ments à  archet  et  orgue,  de  Giovanni  Legrenzi.  Ce  concert  a  été  précédé 
d'une  conférence  de  M.  T.  Wiel,  artiste  fort  distingué  et  connu  par  d'in- 
téressants travaux  sur  l'histoire  de  la  musique  à  Venise.  La  plupart  des 
morceaux  exécutés  avaient  été  tirés  des  manuscrits  des  archives  de 
la  Bibliothèque  de  Saint-Marc  et  de  celles  de  la  chapelle  de  la  même 
église. 

—  Au  Lycée  musical  de  Turin  on  vient  d'organiser,  sur  l'initiative  de  la 
direction  et  avec  l'appui  de  l'administration  municipale,  un  cours  régu- 
lier de  leçons  sur  l'histoire  générale  de  la  musique,  qui  est  confié  à 
M.  Gaetano  Foschini.  M.  Foschini  est  un  compositeur  connu  par  la  publi- 
cation de  nombreux  morceaux  de  piano  et  par  un  opéra,  Giorgio  il  banilito, 
qui  a  été  représenté  en  1864  sur  le  théâtre  de  Constantinople. 

—  Un  comité  vient  de  se  constituer  à  Palestrina,  ville  natale  du  grand 
compositeur  Pierluigi  da  Palestrina,  le  réformateur  de  la  musique  reli- 
gieuse, dans  le  but  d'élever  un  monument  à  la  gloire  de  cet  artiste  illustre, 
à  l'occasioD  du  troisième  anniversaire  centenaire  de  sa  mort.  Cet  anni- 
versaire tombera  le  2  février  1894.  L'Italie  moderne  doit  bien  un  hommage 
de  ce  genre  à  l'artiste  admirable  qui  est  l'une  de  ses  gloires  les  plus  écla- 
tantes et  les  plus  pures. 

—  La  Società  del  quartetto ieMûan,  dont  les  concours  en  un  temps  ont  été 
fameux,  et  qui,  nous  sembh>-t-il,  n'avait  pas  fait  parler  d'elle  en  ces  der- 
nières années,  ouvre  son  dix-septième  concours,  réservé  aux  compositeurs 
italiens,  pour  la  composition  d'une  sonate  pour  piano,  en  quatre  mor- 
ceaux, dans  le  style  classique,  avec  un  premier  prix  de  1,000  francs  et 
un  second  prix  de  oOO  francs.  D'autre  part,  le  Cercle  Bellini,  de  Catane, 
ouvre  son  cinquième  concours  musical,  qui  comprend  :  1"  une  sympho- 
nie à  grand  orchestre,  dans  la  forme  libre  ;  'i'  un  quatuor  pour  instru- 
ments à  cordes;  3°  une  mélodie  vocale,  avec  accompagnement  de  piano; 
i"  un  morceau  de  piano  ;  5»  un  air  de  ballet;  6°  enfin,  une  marche  pour 
musique  d'harmonie.  Les  prix  consistent  en  médailles  d'or  et  d'argent, 
diplômes  et  mentions  honorables. 

—  A  l'Arène  nationale  de  Florence,  première  représentation  d'une  opé- 
rette nouvelle.  Al  chiaro  di  luna,  due  à  un  jeune  compositeur  âgé  de  vingt 
ans  à  peine,  M.  Vincenzo  Billi.  Très  grand  succès,  trois  morceaux  bissés. 
—  Au  théâtre  Gerbino,  de  Turin,  autre  opérette,  un  Treno  di  pîacere,  paroles 
de  M.  E.  Favi,  artiste  de  la  troupe,  musique  de'M.  Carlo  Lombardo,  son 
chef  d'orchestre.  Succès  modeste. 

—  A  Venise  on  a  exécuté  récemment,  avec  un  succès  qui  paraît  consi- 
dérable, une  œuvre  fort  importante,  une  symphonie  en  quatre  morceaux 
dans  la  forme  classique,  due  à  un  jeune  compositeur  de  vingt-huit  ans, 
M.  Francesco  Ghin,  élève  de  M.  Niccolo  Coccon,  premier  maître  de  cha- 
pelle de  l'église  Saint-Marc.  S'il  faut  en  croire  les  comptes  rendus,  cette 
œuvre  serait  la  révélation  d'un  grand  artiste. 

—  M.  Gustave  Mahler,  directeur  musical  de  l'Opéi-a  royal  de  Pesth 
depuis  trois  ans,  vient  d'être  invité  à  prendre  sa  retraite  à  la  suite  de  pro- 
pos aigres-doux  échangés  entre  lui  et  le  nouvel  intendant,  le  comte  Geza 
Zichy.  Le  départ  de  M.  Mahler  est  généralement  regretté,  car  il  avait 
fortement  contribué  au  relèvement  artistique  et  financier  de  l'Opéra  royal. 

—  Un  compositeur  allemand  de  très  grand  talent,  M.  Heinrich  Hoffmann, 
vient  de  composer  un  poème  lyrique  pour  soli,  chœurs  et  orchestre  intitulé 
Jeanne  d'Orléans,  dont  le  texte  est  imité  de  Schiller.  C'est  encore  une  nou- 
velle Jeanne  d'Arc  musicale. 

Il  y  a  quatre  ans,  et  presque  simultanément,  on  donnait  en  Allemagne 

deux  opéras  nouveaux  sous  le  titre  de  Merlin.  L'un,  de  M.  Cari  Gold- 
mark,  l'auteur  de  Sakountala  et  de  ta  Reine  deSàba,  se  produisait  à  l'Opéra 
Impérial  de  Vienne;  l'autre,  de  M.  Rufer,  au  Théâtre-Royal  de  Berlin. 
Voici  qu'on  annonce  la  prochaine  apparition  d'un  troisième  Merlin,  du  à 
l'excellent  violoniste  hongrois  Jeno  Hubay,  ancien  professeur  au  Conser- 
vatoire de  Bruxelles,  aujourd'hui  de  retour  à  Pesth.  L'auteur  a  présenté 
sa  partition  à  la  direction  du  théâtre  de  cette  ville,  et  l'audition  en  a  été 
si  satisfaisante,  qu'on  a  décidé  la  mise  à  la  scène  immédiate  de  l'ouvrage. 

—  On  sait  que  Zurich,  qui  est  aujourd'hui  la  ville  la  plus  importante 
do  la  Suisse  avec  ses  100,000  habitants,  est  aussi  la  première  au  point  de 


126 


LE  MENESTREL 


vue  musical.  Son  théâtre  est  excellent,  elle  possède  une  très  bonne  école 
de  musique,  un  orchestre  remarquable,  celui  de  la  ïonhalle,  et  plusieurs 
sociétés  de  chant,  en  tête  desquelles  il  faut  placer  le  Munnerchor,  qui  en 
est  à  sa  soixante-cinquième  année  d'existence,  et  qui  vient  de  publier 
son  compte  rendu  pour  l'année  1890,  fort  bien  rédigé  par  M.  Ochsner- 
Sulzer.  Cette  année  s'est  ouverte,  le  1'=''  janvier  même,  par  un  désastre, 
l'incendie  du  théâtre,  dans  lequel  le  Mdnnerchor  avait  précisément  le  local 
de  ses  réunions  et  ses  archives,  si  bien  que  tout  ce  qui  appartenait  à  la 
société  a  été  détruit  :  registres,  portraits,  diplômes,  documents  honori- 
fiques, etc.  Cela  n'a  pourtant  pas  empêché  l'organisation  des  fêtes  et  so- 
lennités, que  le  rapporteur  énumère  avec  le  plus  grand  soin.  C'est  d'abord 
une  exécution  superbe  de  la  Passion  schn  saint  Jean,  du  grand  Bach,  dont 
le  succès  fut  éclatant;  puis,  les  concerts  donnés  en  l'honneur  du  compo- 
siteur Wilhelm  Baumgartner,  dans  la  grande  salle  de  la  Bourse  ;  puis  la 
visite  faite  à  Lucerne  le  15  juin  et  le  grand  concert  donné  en  cette  ville, 
dans  l'église  Saint-Xavier.  Parmi  les  éphémérides,  il  faut  signaler  encore 
la  visite  au  château  Teufen,  le  jubilé  de  M.  Frédéric  Hegar,  directeur  de 
la  société,  le  grand  concert  donné  à  la  Tonhalle  le  7  décembre  avec  le 
concours  de  divers  artistes  du  théâtre,  et  enfin  un  dernier  concert,  le  27 
du  même  mois.  Le  nombre  des  membres  de  tout  genre  du  Mdnnerchor  ne 
s'élève  pas  à  moins  de  870.  Par  ce  résumé  de  l'état  et  des  travaux. d'une 
seule  association,  on  peut  se  faire  une  idée  du  culte  des  habitants  de 
Zurich  pour  la  musique  et  de  l'activité  du  mouvement  musical  en  cette 
ville. 

—  M.  Théodore  Thomas  ne  vient  pas  plus  tôt  de  s'installer  à  Chicago, 
où  l'appellent  ses  nouvelles  fonctions  de  chef  d'orchestre  de  l'Association 
musicale,  qu'il  est  mis  en  quarantaine  par  les  artistes  de  la  ville.  Tout  le 
mal  vient  d'une  certaine  clause  du  contrat  passé  entre  M.  Théodore  Thomas 
et  l'Association,  clause  par  laquelle  M.  Thomas  s'engage  à  ne  pas  employer 
d'artistes  du  cru,  mais  à  recruter  ses  musiciens  exclusivement  parmi  les 
étrangers.  Or,  le  chef  d'orchestre  se  trouve  actuellement  à  court  de  musi- 
ciens, et  il  s'est  vu  obligé,  pour  ne  pas  compromettre  la  réussite  des  pre- 
miers concerts,  de  solliciter  le  concours  de  quatorze  instrumentistes  de 
la  ville.  Le  professeur  Rosenbecker,  qui  a  été  chargé  des  négociations, 
a  complètement  échoué.  Les  quatorze  iils  d'Apollon  sur  lesquels  M.  Théo- 
dore Thomas  avait  jeté  ses  vues  se  sont  drapés  dans  leur  dignité  et  refusent 
toutes  les  avances.  Le  différend  va  être  porté  devant  l'Assemblée  géné- 
rale annuelle  de  la  Ligue  nationale  des  musiciens,  qui  se  tiendra  prochai- 
nement à  Mihvaukee. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Dans  la  dernière  séance,  le  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts  a  donné  lecture  d'un  extrait  de  testament  par  lequel  M.  Joseph 
Pinette,  en  son  vivant  rentier  à  Versailles,  lègue  à  l'Académie  une  rente 
de  douze  mille  francs.  «  Désirant,  dit  le  testateur,  encourager  les  jeunes 
gens  qui  se  consacrent  à  la  composition  musicale,  et  voulant  les  aider 
dans  les  débuts  difficiles  de  leur  vie  d'études,  je  donne  et  lègue,  à  titre 
particulier,  à  l'Institut  de  France,  la  somme  nécessaire,  afin  de  constituer 
12,000  francs  de  rente  sur  l'Etat  français  'à  0/0.  Cette  rente  sera  divisée 
en  quatre  parties  égales  de  3,000  francs  chacune,  qui  seront  servies  pen- 
dant quatre  années  consécutives  aux  pensionnaires  musiciens  de  l'Acadé- 
mie de  France  dès  qu'ils  auront  terminé  leur  temps  de  pension  tant  à 
Rome  que  dans  les  autres  pays  qui  leur  sont  indiqués  parles  règlements». 
Les  susdits  pensionnaires  musiciens  ne  jouiront  de  cette  rente  que  s'ils 
ont  rempli,  pendant  la  durée  de  leur  pension,  toutes  leurs  obligations 
envers  l'Etat. 

—  L'Association  des  Artistes  musiciens,  fondée  par  le  baron  Taylor, 
célébrera  cette  année,  selon  sa  coutume,  la  fête  de  l'Annonciation,  en 
faisant  exécuter,  en  l'église  de  Notre-Dame,  le  mercredi  22  avril,  au  pro- 
fit de  la  caisse  de  secours,  la  messe  solennelle  de  M.  René  de  Boisdeffre, 
pour  soii,  chœurs,  orgue  et  orchestre.  Les  soli  seront  chantés  par  MM.  Auguez 
et  Lamarche,  et  l'exécution  sera  dirigée  par  M.  Jules  Danbé.  A  l'Offertoire, 
le  solo  de  violon  sera  exécuté  par  M.  Marsick,  et  après  l'Élévation  M.  Geor- 
ges Gillet  exécutera  sur  le  hautbois  une  Prière  de  M.  de  Boisdeffre. 

—  La  ville  de  Toulouse  se  met  en  frais  et  prépare  ds  grandes  i'êtes  à  l'occa- 
sion de  la  visite  que  le  Président  de  la  République  doit  lui  faire  prochai- 
nement. Entre  autres,  la  commission  a  arrêté  le  programme  d'un  grand 
festival  qui  sera  donné  au  théâtre  du  Capitole,  et  qui  comporte  au  moins 
une  chose  curieuse  et  intéressante.  Ce  programme  comprend  en  effet  la 
représentation  d'une  Heure  de  mariage,  l'un  des  plus  jolis  petits  opéras  de 
d'Alayrac,  compositeur  né  dans  la  Haute-Garonne,  à  Muret,  lequel  aura 
pour  interprètes  six  artistes  bien  connus  à  Paris  et  qui  tous  ont  fait  leurs 
premières  études  au  Conservatoire  de  Toulouse  avant  de  venir  se  faire 
couronner  à  celui  de  la  rue  Bergère  :  M'""s  Joséphine  Daram,  Castagne 
et  Douau,  MM.  Victor  Capoul,  Dupuy  et  Frédéric  Boyer.  On  sait  qu'une 
Heure  de  mariage,  dont  le  poème  avait  été  écrit  par  Etienne,  fut  joué  pour 
la  première  fois  à  l'Opéra-Comique  le  20  mars  180-4,  avec  Elleviou  et 
M""!  Saint-Aubin  dans  les  deux  rôles  principaux,  et  resta  plus  de  trente 
ans  au  répertoire  de  ce  théâtre.  Le  public  parisien  n'a  pas  revu  cet  ouvrage 
depuis  une  quinzaine  d'années,  c'est-à-dire  depuis  l'époque  où  M.  Vizen- 
tini  l'avait  remonté  pour  les  matinées  si  curieuses  d'ancien  répertoire 
qu'il  donnait  au  Théâtre-Lyrique  de  la  Gaité.  Quant  au  programme  du 
festival  toulousain,  il  comprend  encore  l'ouverture  du  Bravo,  opéra  de 
M.  Salvayre,  né  à  Toulouse,  une  cantate  en  vers  languedociens  du  poète 


félibre  Auguste  Fourès,  musique  de  M.  Paul  Vidal,  ancien  lauréat  du 
Conservatoire  de  Toulouse  et  grand  prix  de  Rome  de  1883,  enfin  un  con- 
cert vocal  auquel  prendront  part  MM.  Escalaïs,  Affre  et  Gailhard,  tous 
aussi  anciens  élèves  de  ce  Conservatoire. 

—  Notre  collaborateur  Arthur  Pougin  clôturait,  vendredi  dernier,  la 
série  de  conférences  qu'il  avait  entreprise  au  Théâtre  d'application  sur  l'his- 
toire de  l'Opéra  français  au  xvii<^  et  au  xviii°  siècle.  Après  Gamhert  et  Lully, 
après  Rameau,  c'était  Gluck  qui  faisait  les  frais  de  ce  nouvel  entretien,  si 
bien  accompagné,  «  illustré  »,  pourrait-on  dire,  par  l'audition  de  toute  une 
série  de  morceaux  admirables.  Après  avoir  rappelé  les  diverses  étapes  de  la 
carrière  de  Gluck  dans  sa  patrie  et  en  Italie,  le  conférencier  a  très  juste- 
ment caractérisé  la  réforme  du  drame  lyrique  que  le  maître  allemand 
était  venu  effectuer  en  France  et  qu'il  savait  très  bien  ne  pouvoir  opérer 
qu'en  ce  pays,  grâce  à  l'intelligence  du  public  français  et  à  son  sens  inné 
du  théâtre.  Il  a  rappelé  les  divers  épisodes  de  la  grande  guerre  des  gluc- 
kistes  et  des  piccinistes,  et  a  fait  sourire  plus  d'une  fois  son  auditoire  à 
l'aide  d'anecdotes  piquantes  choisies  avec  goût  et  fort  heureusement  racon- 
tées. Cette  séance  a  été  pour  lui  l'occasion  d'un  véritable  et  très  vif  succès, 
ainsi  que  pour  les  deux  artistes  fort  distingués  qui  lui  prêtaient  leur  con- 
cours en  cette  circonstance  :  M"'  Boidin-Puisais,  qui  a  dit  avec  une 
chaleur  superbe  et  un  talent  dramatique  de  premier  ordre  l'air  d'Orphée  : 
«  J'ai  perdu  mon  Eurydice  »,  et  celui  d'Alceste  :  «  Divinités  du  Styx  »,  et 
M.  W^armbrodt,  qui  a  chanté  délicieusement  l'air  du  sommeil  de  Renaud 
dans  Armide,  et  celui  de  Pylade  :  «  Unis  dès  la  plus  tendre  enfance  », 
d'Iphigénie  en  Tauride.  Tous  ces  morceaux,  on  peut  le  dire,  ont  produit  la 
sensation  la  plus  vive  et  ont  excité  de  chaleureux  applaudissements. 

—  C'est  hier  samedi  qu'a  dû  avoir  lieu  décidément,  au  théâtre  des 
Arts  de  Rouen,  la  première  représentation  de  l'opéra  de  M.  Charles  Lenep- 
veu,  Yelléda,  créé  à  Londres,  on  se  le  rappelle,  il  y  a  quelques  années, 
avec  M"'"  Adelina  Patti  dans  le  rôle  principal.  La  déconfiture  du  directeur 
de  ce  théâtre,  M.  Taillefer,  avait  fait  supposer  un  instant  que  Velléda  ne 
pourrait  être  présentée  au  public,  bien  que  l'ouvrage  fût  entièrement  su 
et  prêt  à  passer  lorsque  se  produisît  la  catastrophe.  Mais  les  artistes 
s'étant  réunis  en  société  pour  terminer  la  saison,  M.  Lenepveu  leur  a 
confirmé  gracieusement  l'autorisation  de  jouer  sa  pièce,  au  sujet  de  la- 
quelle on  assure  qu'une  brillante  location  est  faite  pour  plusieurs  soi- 
rées, 

—  Dans  la  reprise  du  Petit  Fauft  qu'on  prépare  à  la  Porte-Saint-Martin, 
c'est  M"«  Samé  qui  tiendra,  à  côté  de  M"=  Jeanne  Granier  (Marguerite),  le 
joli  rôle  de  Méphisto,  qui  est  si  bien  adapté  à  sa  vive  nature.  Granier  et 
Samé  réunies,  ce  n'est  vraiment  pas  mal.  Le  comique  Sulbac,  qui  s'est 
fait  dans  les  cafés-concerts  une  spécialité  des  types  militaires,  person- 
nifiera Valentin  et  l'excellent  jeune  premier  comique,  M.  Cooper,  tiendra 
le  rôle  de  Faust. 

—  M""  Bensberg, la  brillante  élève  de  M"!"  Marchesi,  qui  vient  de  donner 
douze  représentations  d'Hamlel  au  Carlo  Felice  de  Gênes  avec  un  très  grand; 
succès,  vient  de  signer  un  engagement  pour  Barcelone,  où  elle  chanterai 
VOtello  de  Verdi  du  20  avril  au  19  mai.  Elle  a  signé  aussi  pour  la  saisort 
prochaine  du  San  Carlos  de  Lisbonne,  où  elle  débutera  en  automne  par  le 
rôle  d'Ophélie  à'Hamlet. 

—  Le  théâtre  des  Bouffes  a  donné  jeudi  la  première  représentation 
d'une  opérette  en  un  acte,  l'Entresol,  dont  le  livret,  et  la  musique  sont 
de  M.  Georges  Villain  et  ont  été  fort  applaudis.  La  pièce  est  lestement 
enlevée  par  M""^^  Clément,  Meryem,  Deberio,  cette  dernière  exceptionnel- 
lement douée  comme  chanteuse,  MM.  Valéry  et  Dequercy. 

—  M.  Raoul  Pickaërt  est  nommé  titulaire  du  grand  orgue  de  Notre- 
Dame-des-Victoires.  Ce  jeune  artiste  est  un  élève  de  l'institut  d'orgue 
de  M.  Gigout.  Il  s'est  distingué  dernièrement  à  l'audition  publique  des 
élèves  de  cette  école. 

—  En  1886,  M.  Saint-Saëns  a  publié  dans  le  Ménestrel  un  article  sur  lai 
suppression  des  transpositeurs  dans  les  instruments  à  vent  de  l'orchestre,  dans 
lequel  il  appelait  l'attention  des  compositeurs  sur  les  efforts  de  M.  H.  Chaus- 
sier,  corniste,  qui  lui  avait  soumis  un  projet  de  réforme  des  instruments, 
à  embouchure.  Des  expériences  concluantes  et  tout  à  fait  favorables  au 
système  de  M.  Chaussier  viennent  d'avoir  lieu  entre  lui  et  M.  Garigue, 
de  l'Opéra,  défenseur  du  cor  ordinaire  à  trois  pistons,  en  présence  de 
MM.  Th.  Dubois,  Paladilhe,  Joncières,  Canoby,  V.  d'Indy  et  autres.  Il  a 
été  reconnu  que  le  cor  omnitonique  de  M.  Chaussier  réunissait  à  la  fois 
les  ressources  des  treize  tons  du  cor  simple  et  celles  du  cor  à  pistons  actuel,, 
et  qu'on  peut  jouer  alternativement  de  l'une  ou  l'autre  manière  sans- 
addition  à  l'instrument.  C'est  là  un  résultat  qui  doit  intéresser  les  cora-  j 
positeurs  et  les  artistes.  | 

—  En  annonçant   récement  la   mort  de  M.  Antoine  Vidal,  l'auteur  de 
l'Histoire  des  instruments  à  archet,  nous  faisions  connaître  que    cet  amateur  ! 
distingué  travaillait  depuis  plusieurs  années  à  un  autre  ouvrage  du  même 
genre,  VHistoire  du  piano.  Un  journal  étranger  croit  pouvoir  affirmer  que 

c'est  un  écrivain  anglais,  M.  A.-J.  Hipkins,  de  Londres,  qui  se  chargera 
de  terminer  cet  ouvrage. 

—  L'excellente  société  le  Choral  Nadaud  de  Roubaix,  se  transforme,  sur 
l'initiative  de  son  directeur,  M.  Minssart,  qui  a  recruté  les  éléments  de  la 
nouvelle  phalange  :    le   choral   devient   une   société  mixte,  composée  de 


LE  MÉNESTREL 


127 


soixante  choristes  hommes  et  de  quarante  dames.  Par  cette  nouvelle  com- 
binaison, M.  Minssart  compte  faire  entendre  à  Roubaix  des  oratorios  et  dès 
:  œuvres  lyriques  importantes  qu'il  était  impossible  de  monter  auparavant. 
Le  premier  chef-d'œuvre  mis  à  l'étude  sera  la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz. 
Voilà  une  très  heureuse  innovation,  qui  mérite  d'être  encouragée  et  qui 
ne  peut  manquer  de  donner  de  fort  bons  résultats. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Concerts  et  musique  de  chambre.—  M.  J.  Loëb,  le  distingué  violoncelle- 
solo  de  l'Opéra,  vient  de  donner,  salle  Erard,  un  brillant  concert. 
M.  Loëb,  qui  me  semble  l'un  des  virtuoses-violoncellistes  les  mieux  doués 
du  moment,  a  dit  avec  une  remarquable  maestria  le  beau  concerto  en  la 
mineur  de  M.  Saint-Saëns  et  une  série  de  pièces  plus  courtes  de  MM.  Pop- 
per  et  Van  Goens.  Outre  cet  excellent  artiste,  on  a  entendu  M""  Lévy,  qui 
a  chanté  avec  charme  deux  mélodies  de  Schumann,  M.  Warmbrodt,  qui 
a  fait  un  plaisir  infini  avec  l'aubade  du  Rot  d'Ys,  et  M.  I.  Philipp,  le  pia- 
niste à  la  puissante  sonorité,  au  jeu  captivant  et  original,  qui  a  fait  ap- 
plaudir sa  deuxième  Valsé-Caprice,  sur  des  motifs  de  Johann  Strauss,  puis 
des  pièces  de  Chopin  et  de  Rubinstein.  ■ —  La  Société  de  musique  de 
chambre  pour  instruments  à  vent  a  tait  entendre,  à  sa  dernière  séance, 
une  Sérénade  de  M.  E.  Hartmann,  pour  flûte,  hautbois,  deux  clarinettes, 
deux  cors,  deux  bassons,  violoncelle  et  contrebasse.  L'œuvre  est  bien 
écrite,  mais  terne  et  fade;  le  scherzo  seul  échappe  à  cette  critique.  A  cette 
même  séance,  M.  Delsart  a  dit  avec  charme  la  sonate  de  Boccherini,  et, 
pour  terminer,  le  septuor  de  Hummel,  avec  M.  L.  Diémer  au  piano,  a 
été  merveilleusement  exécuté. — La  dernière  soirée  de  musique  de  chambre 
de  MM.  Lefort,  Guidé,  Giannini  et  César  Gasella,  a  eu  lieu  avec  le  concours 
de  M'"^  Soubre-Gramacini  et  de  MM.  Widor  et  Philipp.  Le  quatuor  pour 
piano  et  cordes,  de  M.  Widor,  a  été  supérieurement  exécuté  et  vivement 
apprécié.  On  en  aurait  volontiers  réentendu  le  scherzo  si  coloré  et  si 
plein  de  mouvement.  M'""  Soubre  a  fait  grand  plaisir  en  chantant  deux 
belles  mélodies  tirées  des  Soirs  d'été  de  M.  Widor  et  la  Vieille  Chanson  de 
Bizet,  et  M.  Philipp  a  joué,  avec  une  délicieuse  sonorité  et  un  style  très 
fin,  plusieurs  morceaux  de  Chopin.  Le  programme  comprenait  encore  de 
délicates  pièces  pour  piano  et  harmonium,  de  M.  Widor.        H.  Eyjheu. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Symphonie  en /Vt  (Beethoven) ;  la  Fuite  en  Egypte  (Berlioz),  le 

récitant:  M.  de  Latour;  ouverture  de  la  Grolle  de  Fingal  (Mendelssohn)  ;  épilha- 
lame  de  Gtyeiirfo/me  (Chabrier),  soli:  M"'  Albertine  Chrétien,  MM.  de  Latour  et 
Auguez  ;  symphonie  en  ut  (Haydn) . 

Chùtelet,  Concert  Colonne  :  Cinquante-sixième  audition  de  la  Damnalion  de 
Faust  (lleilov  Berlioz),  soli:  M'"  Marcella  Pregi  (Marguerite),  MM.  Engel  (Faust), 
Lau-wers  (Méphistophélès),  Augier  (Br'ander). 

—  M.  et  M™»  de  Franqueville  ont  donné  dimanche  dernier  une  seconde 
et  très  brillante  soirée  musicale,  au  cours  de  laquelle  on  a  entendu  et 
chaleureusement  applaudi  M'^"  Alph.  Duvernoy,  interprète  remarquable  de 
deux  séduisantes  mélodies  de  son  mari,  M.  Marsick,  qui  a  dit  avec  le 
goût,  la  haute  virtuosité  et  le  style  qu'on  lui  connaît  un  poétique  andante 
de  sa  composition  et  une  jolie  aubade  de  M.  Lalo,  et  M.  Hasselmans, 
dont  deux  délicats  morceaux.  Prière  et  Patrouille,  merveilleusement  joués 
par  leur  auteur,  ont  excité  l'enthousiasme.  La  soirée  s'est  terminée  au 
milieu  des  bravos  par  la  Sérénade  pour  trompette,  piano  et  cordes,  une 
des  œuvres  les  plus  réussies  de  M.  Alphonse  Duvernoy.  I.  Ph. 

—  jV[me  Rosine  Laborde  a  donné,  dimanche  dernier,  une  toute  charmante 
matinée.  Parmi  les  meilleurs  numéros  d'un  programme  très  musical  se 
trouvaient  ;  la  romance  de  Mignon  dite  avec  chaleur  par  M"«  Vassalo,  le 
duo  ravissant  du  Roi  l'a  dit  et  celui  de  Philémon  et  Baucis,  gracieusement 
rendus  par  M''"  Ebstein  et  M.  Depère;  dcuX  duos  de  Schumann,  Baisers  de 
Mai  et  Vert  Colibri,  redemandés  à  M"°  Mangé  et  à  M™=  de  Marcilly-Sax, 
qui  les  chantent  à  ravir  et  qui  se  sont  fait  applaudir  séparément  dans  des 
morceaux  de  MM.  Gounod,  Joncières. . .  et  dans  les  mélodies  de  Schumann, 
la  Fleur  de  Lotus  et  Hommage.  On  a  entendu  encore  M"=  de  la  Blanchetais, 
dont  la  voix  et  l'excellent  style  ont  fait  valoir  des  mélodies  de  M.  X.  Le- 
roux, M""  Ledant,  élève  très  douée  dont  le  travail  équilibrera  les  moyens, 
etc..  M.  et  M"""  Rêva  Berni  ont  ajouté,  comme  intermède,  plusieurs  mor- 
ceaux de  piano  fort  bien  exécutés,  et  des  poésies  dites  avec  un  talent  fin 
et  délicat.  Am.  B. 

SoiBÉES  ET  coscERis.  —  Audilion  musicale  des  plus  intéressantes  cette  semaine 
chez  M.  Gigout.  Une  élite  de  dilettantes  s'y  était  donné  rendez-vous  pour 
entendre  les  nouvelles  œuvres  de  M.  Boëllmann —  musique  de  chambre,  mélodies, 
pièces  d'orgue,  etc.  —  interprêtées  par  MM.  Lefort,  Casella,  Vau  Waelfelghem  et 
M.  Warmbrodt,  le  ténor  à  la  mode.  M.  Gigout  était  à  l'orgue.  Les  honneurs  de 
la  séance  ont  été  pour  le  trio  que  la  Société  des  compositeurs  de  musique  vient 
de  couronner.  —  Pour  vous!  la  nouvelle  et  charmante  mélodie  de  M.  Paul  Rou- 
gnou,  a  obtenu  la  semaine  dernière  un  vif  succès  dans  un  concert  de  charité 
donné  à  Saint-Briouc,  oii  elle  a  été  chantée  avec  grand  talent  par  la  jolie  voix  de 
contralto  de  M'"  Wyns,  une  des  meilleures  élèves  du  Conservatoire,  classe  Ciosti. 
—  Le  8  avril,  très  brillante  soirée  chez  M.  et  M"'°  Louis  Diémer.  Au  programme 
les  noms  de  M"""  Lalo  et  Leroux-Ribeyre,  de  MM.  White  et  Risler.  M.  Diémerr-a 
jouô  avec  sa  perfection  accoutumée  du  Beethoven  et  des  pièces  modernes  char- 
mantes, M.  WhiLe  a  enlevé  avec  brio  la  Jrantaisic  appasionata  de  Vieuxtemps, 
M"°  Leroux-Ribeyre  a  dit  avec  infiniment  de  charme  et  de  grâce  le  Sentier,  Menuet, 
du  maître  de  la  maison,  une  mélodie  de  son  mari,  et,  avec  M"'  Lalo,  le  duo  du 
Roi  d'Ys.  La  soirée  s'est  terminée,  au  milieu  des  applaudissements  de  tous,  par 


une  fantaisie  à  quatre  mains  sur  les  Erinnyes,  de  M.  Massenet,  excellement  inter- 
prétée par  MM.  Diémer  et  Risler.  —  M"°  Victoria  Barrière,  une  des  plus  char- 
mantes pianistes  sorties  récemment  du  Conservatoire,  avec  un  premier  pris,  a 
donné  le  16  avril,  à  la  salle  Erard,  un  très  brillant  concert  avec  le  concours  de 
MM.  Raoul  Pugno,  Paul  Viardot,  Cottin  frères,  Mariotli  et  de  M"°  Domenech.  La 
jeune  artiste  a  fait  preuve  de  très  réelles  qualités  de  charme  et  de  sentiment  en 
jouant  du  classique  et  des  pièces  modernes,  parmi  lesquelles  on  a  tout  spéciale- 
ment applaudi  Soir  d'automne,  de  M.  Raoul  Pugno.  M.  A.  Cottin  a  fort  bien  dit 
l'air  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  de  M.  Ambroise  Thomas.  —  L'Association  des  ins- 
titutrices de  la  Seine  a  donné  son  concert  annuel  dans  la  salle  de  la  Société  de 
géographie.  Grâce  au  concours  de  divers  artistes  et  amateurs  d'un  réel  mérite,  la 
soirée  a  été  charmante.  Mentionnons  en  première  ligne  une  jeune  cantatrice  qui 
ne  tardera  pas  à  prendre  rang  parmi  les  plus  distinguées,  M"°  Madeleine  de  Noce, 
qui  a  remarquablement  chanté  l'air  du  Pré  aux  Clercs  et  le  duo  d'IIamlet  avec 
M.  Feetz.  Un  pianiste,  qui  est  un  compositeur  d'avenir,  M.  Sourilas,  un  violoniste, 
M.  Mâche,  et  un  violoncelliste,  M.  Girod,  ont  déployé  une  grande  virtuosité  dans 
la  partie  instrumentale.  —  Une  jeune  pianiste  d'un  talent  fort  distingué,  M'"  Sau- 
vrezin,  a  donné  dans  les  salons  Wetzel,  il  y  a  peu  de  jours,  une  matinée  dans 
laquelle  elle  a  fait  entendre  ses  meilleures  élèves,  dont  les  qualités  déjà  solides 
et  parfois  brillantes  font  le  plus  grand  honneur  à  l'enseignement  de  leur 
professeur. 

Concerts  .annoncés.  —  Mardi  21  et  lundi  27  avril,  à  9  heures,  salle  Erard,  con- 
certs donnés  par  M"°  Clotilde  lileeberg,  qui  fera  entendre,  entre  autres  œuvres, 
les  Scènes  d'enfants  et  Fantasiestiicke  de  Schumann,  la  Sonate  op.  110,  les  variations 
sur  VEroica,  de  Beethoven  et  la  jolie  pièce  de  Dubois,  liéveU.  —  Vendredi  27, 
salle  Pleyel-WoUI,  concert  de  M"'  Panthès  (sonate  de  Beethoven,  4=  ballade  et 
études  de  Chopin,  Ilumoresquesde  Schumann,  divers  morceaux  de  W"  A.  Holmes 
et  de  MM.  Tschaïkowsky,  Fissot,  Benjamin  codard  et  Georges  Pteiffet).  —  L'École 
Gallin-Paris  Cbevé  donnera  son  12»  concert  annuel  aujourd'hui  dimanche,  dans 
la  salle  des  fêtes  du  Palais  du  Trocadéro.  Les  chœurs  (400  exécutants)  seront 
dirigés  par  M.  Amand  Chevè.  Places  :  1  tr.  50,  1  fr.  et  0  fr.  50. 

NÉCROLOGIE 

Nous  annonçons  avec  regret,  la  mort,  à  l'âge  de  soixante-six  ans,  d'un 
artiste  fort  distingué  en  son  genre,  Jean-Baptiste-Victor  Mohr,  professeur 
de  cor  au  Conservatoire,  où  depuis  vingt  ans  il  avait  formé  de  nombreux 
et  brillants  élèves.  Frère  de  Nicolas  Mohr,  clarinettiste  remarquable  qui 
fut,  sous  l'empire,  chef  de  la  musique  du  régiment  des  guides,  à  laquelle 
il  sut  acquérir  une  renommée  légitime,  Victor  Mohr  avait,  pendant  longues 
années,  tenu  l'emploi  de  premier  cor  solo  à  l'Opéra  et  à  la  Société  des 
concerts,  qu'un  différend  lui  avait  fait  abandonner  pour  s'attacher  à  l'or- 
chestre des  Concerts  populaires  de  Pasdeloup.  Ses  obsèques  ont  eu  lieu 
jeudi  dernier  en  l'église  Notre-Dame-de-Lorette. 

—  Le  31  mars  est  mort  à  Colmar,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans, 
M.  Constant  Sieg,  organiste  de  la  cathédrale,  qui  fut  pendant  longues 
années  professeur  à  l'École  normale  de  cette  ville,  où  il  a  formé  un  grand 
nombre  d'élèves  organistes  et  maîtres  de  chapelle.  Compositeur  distingué, 
dont  les  œuvres  nombreuses  sont  très  utiles  pour  l'enseignement  et  pour 
l'église,  M.  Constant  Sieg,  qui  était  aimé  et  estimé  de  tous,  était  le  père 
de  M.  Victor  Sieg,  ancien  grand  prix  de  Rome,  depuis  longtemps  inspecteur 
de  l'enseignement  musical  dans  les  écoles  de  la  ville  de  Paris. 

—  De  Belgique  on  annonce  la  mort  du  compositeur  Jean-Baptiste  de 
Lannoy,  ancien  clarinette-solo  de  divers  corps  de  musique  de  l'armée. 
Entre  autres  œuvres  importantes,  de  Lannoy  était  auteur  de  si.x  messes  avec 
orchestre,  d'un  grand  Te  Deum  exécuté  à  Louvain,"  d'une  cantate,  le  Vallon, 
exécutée  dans  la  même  ville  en  1874,  d'un  chant  national  intitulé  les  Pa- 
triotes belges,  etc.  De  Lannoy  est  mort  à  Wavre,où  il  était  né  le  12  février  1824. 

—  Un  artiste  fort  distingué,  Emanuele  De  Roxas,  professeur  de  chant  au 
Conservatoire  de  Naples  depuis  1873,  vient  de  mourir  en  cette  ville  à  l'âge  de 
soixante-quatre  ans.  D'origine  espagnole,  il  était  né  àReggio  de  Calabre  le 
1=''  janvier  1S27.  Destiné  par  sa  famille  à  la  carrière  des  armes,  on  lui 
laissa  suivre  pourtant  son  penchant  pour  la  musique,  et,  admis  au  Con- 
servatoire de  Naples,  il  y  devint  élève  de  Busti  et  de  Grescentini  pour  le 
chant,  de  Giacomo  Gordella  pour  l'harmonie  et  de  Francesco  Ruggi  pour 
la  composition.  Dès  1848  il  donnait  à  Naples,  sur  un  petit  théâtre  aujour- 
d'hui disparu  (Teatro  délie  Fosse  del  Grano],  un  opéra  en  deux  actes,  la 
Figtia  delscrgente,  qui  fut  bien  accueilli.  En  1832  il  faisait  représenter  au 
théâtre  Nuovo  un  opéra  bouffe  en  trois  actes,  Gisella,  et  en  1837,  auFondo, 
un  troisième  ouvrage,  Rita,  qui  fut  moins  heureux  que  les  précédents. 
A  partir  de  ce  moment,  il  abandonna  le  théâtre  pour  se  consacrer  surtout 
à  la  composition  de  la  musique  religieuse  et  à  l'enseignement  du  chant, 
où  il  était  fort  habile;  on  lui  doit,  entre  autres  élèves,  deux  chanteurs 
fort  remarquables,  le  ténor  Mario  Tiberini  et  le  baryton  Luigi  Golonnese. 
Gomme  compositeur  religieux,  on  doit  à  De  Roxas  un  oratorio  :  les  Sept 
Paroles  de  Jésus-Christ,  une  Messe  de  Gloria,  un  assez  grand  nombre  de 
motets  et  une  dizaine  d'albums  de  chant. 

—  A  Naples  aussi  est  mort,  âgé  seulement  de  trente-cinq  ans,  un  artiste 
italien  d'origine  française,  Federico-Anacarsi  Prestreau,  qui  s'était  fait 
connaître  avantageusement  comme  compositeur  et  chef  d'oi'chestre.  Il 
avait  été  élève  do  l'excellent  compositeur  Nicola  De  Glosa,  et  ût  représen- 
ter quelques  opéras:  Rabelais,  Tomboli  Tombola    et  la  Regina  diToinon. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


428 


LE  MÉNESTREL 


»♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦»♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ 


Théâtre  de  l'Odéon 


PIÈCES  DETACHEES  POUR  PIANO 

LA  RENCONTRE  DES  AMANTS,  andante 3 

1  Ins.   La  même,  pour  violoncelle  et  piano 5 

SÉRÉNADE  ILLYRIENNE 5 

2  Ins..  La  même,  à  quatre  mains 6.     >/ 

AUBADE 5.    >. 

■5  bis.  La  même,  pour  piano,    violon,    ^■ioloncelle  et  alto    .    .  7.50 

GUITARE 5.     >. 

4  bis.   La  même,  à  quatre  mains 6.     >. 

4  ter.           —          pour  violon  et  piano 6.     » 

ROMANCE 4.     » 

5  bis.   La  même,  à  quatre  mains 6.     » 

c  fg,-.          —         pour  flûte  et  piano 6.     » 

<^  qiiatcr.    —          pour  violon  et  piano .  6.     ^/ 

MARCHE  NUPTIALE "  7.B0 

bbis.  La  même,  pour  piano   à  4  mains 9.     » 

(3  ier.           —          pour  piano  et  orgue 9.     ■>, 

6  qiiatcr.    —          pour  orgue  seul 7.50       A 


MUSIQUE  DE 


CH.-M.  ^VIDOR 

La  partition  complète  pour  piano  seul,   net  :  7  fr. 
SUITE  D'ORCHESTRE  (8  Numéros)  :  Partition,  net  25  tr.  —  Parties  séparées,  net  50  fr.  —  Chaque  partie  supplémentaire,  net  2  fr. 


SUITE  CONCERTANTE  POUR  DEUX  PIANOS,  EN  DEUX  LIVRES 

'DEUXIÈME  LIVRE 
5.   Guitare.  |    7.   Romance. 


'PREMIER  LIVRE 

1.  Ouverture.  1    3-   Adagio 

2.  Sérénade  lUyrieniie      |     4.    Presto 


6.   Appassionato.       |     8.   Marche  nuptiale. 


Chaque   Livre Net    6   fr. 


TARIS 


AU  MÉNESTREL  —   2  bis,   Rue  Vivienne   —   HENRI  HEUGEL 


Édite  ur- Propriétaire    pour    tous    pays. 
Tous  droits  de  reproduclion  et  de  repi 


SCHOTT   &   C°,    159,  Régent   Street,    London    W.  —    B.   SCHOTT's   SOHNE,   Mayence 

(La  maison  SCHOTT  est  ptopi  tetail  e  polii  l  Anghtei  u   ,t  l  AlUmai;uc  de  /îMlithe  miptnle  seiileiiuiil  I 


P^RIS      —    IMPRIMCRIE    CH\I\,    20,    RLE   BERGLl  I       —    b9b4-3-9''    (S-) 


Dimanche  26  Avril  1891. 


3134  -  57-  mm  -W  il.  PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  HE^RI  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  (tais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE -TEXTE 


L  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (6«  article),  Albeht  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  nouvelle  direction  de  l'Opéra  et  son 
état-major,  H.  MonENO.  —  III.  Napoléon  dilettante  (5"  article),  Edmond  Neukomm 
et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  Y.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
ROMANCE 
pièce  extraite    rte    Conte   d'auril,   musique   de   Ch.-M.    Widor.   —  Suivra 
immédiatement  :  Sérénade  rococo,  de  Robert  Fischhof. 

CHANT 

Nous  publierons  dimancbe  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Madame  l'hirondelle,  n"  6  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique 
de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin,  poésies  de  George  Alriol.  —  Suivra  immé- 
diatement: Puisqu'ici  bas,  mélodie  posthume  de  Ch.-B.  Lysberg,  poésie  de 
Victor  Hugo. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Altoer-t  SOUBIES   et  Cliarles   ]MAL,HErtBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DEUX    ANNÉES    CRITIQUES    (1860-1861) 

(Suite.) 

Marianne  eut  un  sort  moins  désastreux  ;  quoique  assez  mal 
accueillie  le  premier  soir,  elle  atteignit  le  chiffre  de  quarante- 
trois  représentations,  et  c'était  tout  ce  que  méritait  cet  im- 
broglio renouvelé  du  dernier  acte  du.  Mariage  de  Figaro.  Jules 
Prével,  le  librettiste,  n'avait  rien  inventé  de  bien  inédit  en 
écrivant  ce  petit  acte,  son  début  au  théâtre,  croyons-nous.  Le 
musicien  en  était  aussi  à  ses  débuts  dramatiques,  et  devait 
trouver  la  célébrité  ailleurs  que  sur  la  scène  ;  son  ouvrage 
représenté  à  Florence  en  1865,  la  ûea  Risorta,  marque  le  se- 
cond et  dernier  pas  dans  cette  voie  peu  favorable  à  son  talent  : 
c'était  Théodore  Ritler,  le  pianiste  remarquable,  applaudi, 
fêté  jusqu'au  jour  où  le  découragement  le  prit;  car  il  se 
dégoûta  de  la  vie  et  la  quitta  misérablement,  alors  qu'elle 
pouvait  encore  lui  sourire.  Si  faible  que  fût  sa  partition  de 
Marianne,  elle  contenait  tin  «  Chant  du  braconnier  »  qui  devait 
lui  survivre  ;  Ritter  en  fit  un  morceau  de  piano,  et  la  vogue 


s'en  empara;  c'est  tout  ce  qui  reste  aujourd'hui  d'un  ouvrage 
et  d'uQ  compositeur  oubliés. 

Par  une  coïncidence  curieuse,  il  arriva  que  les  Recruteurs 
suivirent  Marianne  ;  après  le  premier  ouvrage  dramatique 
d'un  pianiste,  le  premier  ouvrage  dramatique  d'un  organiste; 
après  Ritter,  l'auteur  populaire  des  Courriers,  Lefébure-Wély, 
l'auteur  non  moins  populaire  des  Cloches  du  Monastère.  Cette 
fois,  l'essai  fut  franchement  malheureux.  La  pièce,  qui  avait 
failli  porter  le  titre  depuis  fameux  de  Manon,  était  tirée  d'un 
vaudeville  joué  jadis  aux  Folies-Dramatiques;  elle  ne  valait 
pas  grand'chose  et  avait  mêtne  le  tort  de  mettre  en  scène 
un  Royal  régiment,  ce  qui  faisait  le  troisième  de  Tannée, 
savoir  :  Royal-Lorraine,  Royal-Cravate,  Royal-Provence.  On 
y  voyait  deux  recruteurs  :  le  sergent  La  Rancune,  qui  recru- 
tait pour  son  régiment,  etVestris,  qui  recrutait  pour  l'Opéra; 
et  l'on  entendait  des  chansons  aux  paroles  burlesques 
comme  celles-ci  ; 

Vous  n'serez  pas  mon  nez...  mon  nez...  mon  épouse... 
Je  n'veux  plus  êtr'  vot'  dos...  vot'  dos..,  vot'  domestique. 

Ce  genre  convenait  médiocrement  à  Lefébure-Wély.  Un 
des  rôles  des  Recruteurs,  le  paysan  Renaud,  fut  la  première 
création  à  FOpéra-Comique  de  Capoul.  Sorti  du  Conserva- 
toire avec  un  premier  prix  d'opéra-comique  ei  un  second 
prix  d'opéra,  il  avait  débuté,  le  26  août  1861,  dans  le  rôle  de 
Daniel  du  Chalet.  Le  même  soir  s'était  produite,  mais  avec 
un  succès  modeste,  dans  le  rôle  de  Virginie  du  Caïd,  une  de 
ses  camarades  du  Conservatoire,  M"»  Balbi,  qui  avait  obtenu 
également  un  premier  prix  d'opéra-comique. 

D'autres  débuts  avaient  eu  lieu,  vers  le  même  temps.  Rap- 
pelons :  au  l"  juin,  M.  Simon,  qui,  trois  fois  seulement, 
chanta  dans  le  Chalet  le  rôle  de  Max;  au  S  juin,  M-'^Litschner, 
qui  arrivait  de  Marseille,  après  avoir  remporté  en  1859  au 
Conservatoire  de  Paris  les  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra- 
comique,  et  qui,  elle  aussi,  trois  fois  seulement  chanta  dans 
les  Mousquetaires  de  la  Reine  le  rôle  d'Athénaïs  ;  au  27  août, 
M"''  Roziès,  venue  du  Théâtre-Lyrique  et  originaire  d'une 
petite  ville  du  Midi,  Beaumont-de-Lomagne  ;  elle  ne  chanta 
qu'un  seul  soir,  dans  rÉtoile  du  Nord,  le  rôle  de  Catherine, 
apparemment  trop  lourd  pour  elle.  Dès  la  seconde  fois,  elle 
fut  remplacée  par  M""'  Ugalde,  récemment  échappée  à  un 
grand  danger;  car  au  mois  de  février  précédent,  jouant  à 
Caen  dans  le  Caïd,  elle  avait  failli,  pour  s'être  trop  approchée 
de  la  rampe,  devenir  victime  du  même  accident  qui,  peu  de 
temps  après,  coûta  la  vie  sur  la  scène  de  l'Opéra  à  la  pauvre 
Emma  Livry.  A  côté  d'elle  reparut,  sous  les  traits  du  czar 
Pierre  le  Grand,  Battaille,  mais  fatigué,  vieilli;  c'était  l'avant- 
dernière  étape  ;  la  dernière  eut  lieu  au  Théâtre-Lyrique,  le 
7  janvier  1863,  dans  VOndine,  de  Semet.  Alors  il  se  retira  dé- 
finitivement, et  l'on  ne  le  revit  plus  que  sur  le  théâtre...  de 


130 


LE  MÉNESTREL  , 


la  guerre,  en  1870.  Nommé  sous-préfet  d'Ancenis,  par  le  gou- 
vernement de  la  Défense  nationale,  il  soignait  bravement  les 
malades  atteints  de  la  petite  vérole,  les  soignant  non  pas  en 
infirmier  mais  en  médecin,  car  cet  éminent  artiste  avait  reçu 
une  instruction  des  plus  solides  et  possédait  notamment  son 
diplôme  de  docteur. 

Outre  cette  reprise  de  l'Étoile  du  Nord,  on  ne  citerait  guère 
de  l'année  1861  que  celles  du  Postillon  de  Longjumeau  le  5  oc- 
tobre, et  de  la  Sirène,  le  4  novembre  :  la  première,  très  brillante 
avec  Montaubry,  un  remarquable  Ghapelou,  et  M""-'  Faure- 
Lefebvre,  remplacée  à  la  treizième  représentation  par  M"*^  Bélia: 
les  douze  représentations  avaient  produit  52,000  francs;  la 
seconde,  très  honorable  puisqu'elle  valut  à  l'œu-vre  d'Auber 
un  regain  de  vingt-cinq  soirées  en  quatre  ans,  et  contribua 
à  maintenir  au  répertoire  cette  pièce  oubliée  depuis  1852, 
lorsque  M"""  Carvalho  en  avait  donné  alors  une  seule  et 
unique  représentation.  Parmi  les  reprises  on  pourrait  presque 
compter  un  ouvrage  de  Saint-Georges  pour  les  paroles  et  du 
prince  Poniatowsky  pour  la  musique,  Au  travers  du  mur,  un 
acte,  transplanté  du  Théâtre-Lyrique,  où  il  avait  été  joué  le 
8  mai  1861,  à  la  salle  Favart,  où  il  fut  joué  le  29  octobre 
suivant.  Battaille  l'avait  pris  avec  lui,  en  passant  d'une  scène 
à  l'autre,  et  comptait  sans  doute  s'y  produire  ;  mais  une  in- 
disposition retarda  sa  rentrée  :  Vinfhienza  régnait  alors  à 
Paris  comme  en  1890,  et  le  personnel  des  théâtres  en  était 
plus  ou  moins  éprouvé,  depuis  M""<=Ugalde  à  l'Opéra-Gomique 
jusqu'à  M.  Faure  à  l'Opéra  ;  bref,  le  rôle  de  Battaille  fut 
confié  à  Crosti,  qui  sut  en  tirer  bon  parti  et  pour  lui  et  pour 
les  auteurs. 

Gomme  on  le  voit,  c'était  la  série  des  revenants,  des  artistes 
qui  rentraient  momentanément  sur  le  théâtre  de  leurs  an- 
ciens succès:  tels,  M.  Ugalde,  Jourdan,  M™  Faure-Lefebvre, 
Battaille,  M™  Gabel  qui,  deux  fois  seulement,  les  8  et  10  juin, 
joua  l'Étoile  du  Nord,  Roger  enfin,  qui,  le  17  septembre,  dans 
une  représentation  extraordinaire,  s'était  donné  le  luxe  d'éta- 
ler ses  connaissances  polyglottes;  il  chanta  en  quatre  langues, 
français,  italien,  anglais,  allemand,  et  ne  craignit  pas  de 
servir  au  public  le  grand  récit  du  troisième  acte  de  Tannhciuser, 
sifllé  à  l'Opéra,  quelques  mois  auparavant,  dans  les  mémora- 
bles soirées  des  13,  18  et  24  mars  1861.  C'est  à  ses  côtés 
que  débuta  le  30  septembre,  sous  les  traits  d'Athénaïs  de 
Solange,  dans  les  Mousquetaires,  une  jeune  cantatrice  que  déjà 
signalaient  à  l'attention  les  trois  premiers  prix  de  chant 
opéra  et  opéra-comique  obtenus  par  elle  aux  récents  concours 
du  Conservatoire,  M"«  Gico.  La  venue  de  cette  cantatrice,  au 
talent  correct  et  froid,  ne  pouvait  suffire  à  conjurer  la  mau- 
vaise fortune  qui  s'acharnait  contre  la  direction.  Lorsqu'un 
théâtre  commence  à  recruter  des  pensionnaires  intermittents 
çt  à  monter  des  ouvrages  d'amateurs,  il  marche  à  sa  perte. 
Moins  de  six  mois  après  sa  nomination,  M.  Beaumont  avait 
avait  déjà  entamé  sa  commandite,  composée,  on  se  le  rap- 
pelle, de  300,000  francs  représentant  la  valeur  du  théâtre  et 
de  200,000  francs  en  argent.  Un  an  plus  tard,  en  juillet  1861, 
les  200,000  francs  étaient  absorbés,  et  les  commanditaires  se 
tournaient  avec  anxiété  vers  le  ministre,  en  le  suppliant 
d'aviser. 

C'est  peut-être  même  pour  conjurer  le  danger  et  se  faire 
bien  venir  du  chef  de  l'État  que  le  malheureux  Beaumont 
s'avisa  de  composer  les  paroles  de  la  cantate  ofHcielle,  chan- 
tée à  son  théâtre,  le  15  août,  par  Troy,  Crosti  et  Gourdin  avec 
musique  de  Duprato.  Les  directeurs  ne  dédaignaient  pas  alors 
cette  petite  flatterie  au  pouvoir.  A  l'Opéra,  la  cantate  de  1859 
avait  eu  pour  auteur  Alphonse  Royer,  et  au  Théâtre-Lyrique 
celle  de  1856,  M.  Carvalho  :  souvenir  digne  de  remarque, 
car  ce  dernier  n'était  point  parofo'er  par  état,  et  c'est  là,  croyons- 
nous,  le  seul  échantillon  poétique  qu'on  puisse  citer  à  son 
actif.  Beaumont  fit  comme  ses  devanciers,  sans  paraître  en 
avoir  recueilli  un  avantage  sérieux. 

Il  fallait  tout  l'optimisme,  intéressé  sans  doute,  du  rédac- 
teur de  la  Gazette  musicale  pour  dresser  un  bilan  favorable  et 


écrire  en  parlant  de  la  Circassienne,  de  la  rentrée  de  Roger  et 
de  la  reprise  du  Postillon:  «  Voilà  le  grenier  d'abondance 
où  rOpéra-Comique  est  allé  chercher  son  pain  quotidien.  » 
Ce  grenier,  hélas  !  était  vide  ou  à  peu  près.  A  la  fin  de  1860, 
les  artistes  offraient  à  leur  directeur 'un  bronze  de  Barbedienne 
avec  cette  inscription  :  «  comme  témoignage  de  leur  sym- 
pathie »  ;  à  la  fin  de  1861,  M™  Ugalde  et  M"»  Saint-Urbain 
plaidaient  contre  lui. 

Le  mois  de  janvier  1862  ne  Ql  qu'empirer  la  situation.  La 
seule  nouveauté,  un  acte  de  Gormon  et  Trianon  pour  les 
paroles,  et  d'Eugène  Gautier  pour  la  musique.  Jocrisse,  ne 
réussit  guère.  C'était  une  édition  nouvelle  et  médiocrement 
heureuse  des  aventures  du  fameux  Dorvigny;  en  deux  années, 
elle  ne  put  dépasserle  chiffre  de  dix-sept  représentations.  Le  soir 
de  la  première,  lOjanvier,  avaient  débuté  en  travesti  dans  le  rôle 
de  Colin,  M'"=  Rolin,  qui  avait  obtenu  aux  précédents  concours 
du  Conservatoire  un  deuxième  prix  d'opéra-comique  et  un 
troisième  accessit  de  chant;  le  13  janvier  avait  également 
débuté  M™'=  Ferdinand  dans  le  rôle  de  Gabrielle  de  Ma  tante 
dort;  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  artistes  ne  pouvait  prétendre  à 
la  qualité  d'étoile.  Artistes,  pièces  nouvelles,  ouvrages  an- 
ciens dont  plusieurs  quittaient  définitivement  le  répertoire, 
comme  le  Petit  Chaperon  rouge,  la  Perruche,  les  Trovatelles,  la  Clé 
des  champs,  tout  s'effondrait  peu  à  peu.  Un  jour  de  paye, 
l'argent  manque;  il  fallut  bien  alors  que  l'administration 
intervint,  et  elle  le  fit  au  moyen  d'un  arrêté  dont  les  termes 
étaient  fort  explicites. 

«  Le  ministre  de  l'intérieur,  etc. 
»  Vu,  etc.,  etc., 

»  Considérant  que  le  sieur  Beaumont  est  en  état  de  mau- 
vaises affaires  constatées  par  le  défaut  de  payement  des 
artistes,  employés  et  fournisseurs  du  théâtre  ; 

»  Considérant  que,  depuis  longtemps  déjà,  et  par  le  fait  du 
sieur   Beaumont,  le   théâtre   de    l'Opéra-Gomique   n'est  plus 
dirigé  comme  il  convient  à  un  théâtre  impérial  subventionné; 
y  Considérant  que,  par  des  actes  personnels,  le  sieur  Beau- 
mont a  cessé  de  mériter  la  confiance  de  l'administration, 
»  Arrête  : 

»  Le  sieur  Beaumont  cessera  ses  fonctions  à  partir  de  ce  jour 
(26  janvier).  —  Signé:  Walewski  ». 

Le  30  janvier,  M.  Edouard  Monnais,  commissaire  du  gou- 
vernement, présentait  au  personnel  le  nouveau  directeur 
désigné  par  l'État  :  c'était  le  même  qu'il  avait  déjà  présenté, 
dans  des  circonstance  assez  analogues,  près  de  douze  années 
auparavant,  le  29  avril  1849;  c'était  M.  Emile  Perrin,  qui  pour 
la  seconde  fois  allait  mettre  au  service  du  théâtre  son  expé- 
rience et  son  adresse,  réparer  quelques-unes  des  fautes 
commises  et  ramener  la  fortune  à  la  salle  Favart. 

(À  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


LA  NOUVELLE  DIRECTION  DE  L'OPÉRA 
En  quelques  mots  seulement,  nous  avons  pu,  dimanche  dernier, 
au  moment  de  mettre  sous  presse,  donner  la  nouvelle  d'un  change- 
ment de  direction  à  l'Opéra.  MM  .  Ritt  et  Gailhard  sont  renvoyés 
à  leurs  chères  études,  et  c'est  M.  Eugène  Bertrand  qui  est  appelé 
à  les  remplacer.  En  moins  de  deux  mois,  le  ministre  des  beaux- 
arts  aura  donc  fait  maison  nette  dans  nos  deux  principales  entre- 
prises lyriques,  les  débarrassant  l'une  et  l'autre  de  tenants  vraiment 
bien  peu  dignes  de  la  situation  qu'ils  occupaient.  D'un  balai  vigou- 
reux il  a  nettoyé  les  écuries  d'Augias,  et  on  lui  doit  des  félicitations 
pour  celte  honnête  besogne.  Qu'il  laisse  gronder  autour  de  lui  les 
quelques  mécontents  plus  ou  moins  puissants  qui  grognent  de  voir 
par  terre  leurs  créatures,  et  qu'il  demeure  fort  et  calme  dans  la  sa- 
tisfaction du  devoir  accompli. 

Laissons  ces  gens-là  cuver  leurs  colères,  et  pensons  aux  nouveaux 
arrivants.  M.  Bertrand  est  avant  tout  un  fort  aimable  homme,  de 
façons  liés  courtoises  et  d'esprit  très  fin.  Il  a  l'amour  du  théâtre  et, 
dès  l'âge  le  plus  tendre,  il  a  toujours  dirigé  quelque  chose.   On,  ne 


LE  MÉNESTREL 


131 


se  souvient  pas  d'avoir  connu  Bertrand  autrement  qu'à  la\tête  d'une 
entreprise  de  spectacle,  mal  à  son  aise  même  quand  il  n'avait  à 
mener  qu'une  seule  scène  à  la  fois.  Homme  des  vastes  combinaisons 
et  cocher  de  grandes  guides,  il  dédaigne  le  simple  cab,  il  aime  à 
conduire  à  quatre  et  recherche  volontiers  les  complications  du  mail- 
coach.  C'est  ainsi  qu'on  l'a  vu  parfois  mener  de  front,  avec  une  véri- 
table désinvolture,  tout  un  quatuor  de  théâtres  rassemblés  sous  sa 
puissante  main  :  les  "Variétés,  qui  furent  de  tout  temps  son  siège 
principal,  et  la  Renaissance,  et  le  Palais-Royal,  et  l'Eden.  Nous 
croyons  même  qu'à  la  même  époque  il  n'était  pas  étranger  non  plus 
à  la  direction  du  Vaudeville.  Ce  fut  le  temps  le  plus  heureux  de  sa 
vie.  Pas  moyen  de  s'ennuyer  une  minute,  avec  tant  de  représenta- 
tions à  organiser.  Quelle  joie  de  suivre  tout  cela  le  soir...  tranquil- 
lement installé  chez  soi  dans  un  bon  fauteuil,  au  boulevard  Pereire! 
car  M.  Bertrand  aime  surtout  le  spectacle  pour  les  autres;  quand 
tout  est  prêt  à  point,  il  en  laisse  jouir  son  bon  public.  Mais  lui, 
quand  sa  journée  est  terminée,  il  se  confine  dans  son  hôtel,  tout 
entier  aux  joies  de  la  famille.  Voilà  l'homme,  qui  est  un  sympathique 
et  un  séduisant. 

Que  fera-t-il  à  l'Opéra  ? 

Ses  plans  sont  vastes,  et  il  faudra  sans  doute  en  rabattre  à  la  pra- 
tique. M.  Bertrand  conserve  d'abord  les  trois  jours  d'abonnement 
<;omme  ils  sont.  Il  y  ajoute,  en  dehors  de  l'abonnement,  une  qua- 
trième représentation  hebdomadaire  tous  les  samedis,  soit  quatre 
«  samedis  »  par  mois.  Sur  ces  quatre  samedis,  trois  seront  consa- 
crés aux  représentations  à  prix  réduits,  comme  elles  existaient  déjà. 
avec  celte  différence  qu'il  y  aura  ainsi  trente-six  représentations  à 
prix  réduits  par  année  au  lieu  des  douze  que  devaient  donner 
MM.  Ritt  et  Gailhard  et  qu'ils  ne  donnaient  même  pas.  Le  qua- 
trième samedi  mensuel  sera  au  contraire  une  représentation  de  gala 
à  prix  doublé,  soit  douze  soirées  par  an  extra-élégantes  et  qui  seront 
consacrées  à  la  résurrection  d'ouvrages  du  XVII°  et  du  XVIIP  siècle, 
avec  le  double  concours  des  troupes  de  la  Comédie-Française  et  de 
l'Opéra.  C'est  ainsi  qu'on  pourrait  reprendre,  par  exemple,  il.  de 
Pourceau gnac  ou  le  Bourgeois  gentilhomme  avec  tous  leurs  intermèdes 
«t  leurs  divertissements,  tels  qu'on  les  donnait  à  la  cour  de  Louis  XIV. 
De  plus,  chaque  dimanche,  dans  la  journée,  il  serait  donné  une 
représentation  populaire  à  prix  plus  que  réduits,  puisque  les  places 
d'orchestre  ou  d'amphithéâtre  ne  coûteraient  pas  plus  de  2  fr.  SO  c. 
Pour  augmenter  le  nombre  des  places,  les  fauteuils  seraient  rem- 
placés par  de  simples  banquettes.  C'est  de  l'Opéra  démocratique, 
comme  on  voit,  et  qui  ne  permettrait  pas  à  la  direction,  pour  ces 
cinquante-deux  représentations  populaires,  de  faire  ses  frais.  Mais 
l'esprit  ingénieux  de  M.  Bertrand  a  trouvé  un  moyen  d'y  subvenir, 
en  intéressant  ses  abonnés  à  cette  entreprise  philanthropique.  Il 
augmente  tout  bonnement  leurs  places  habituelles  de  -3  francs  par 
spectacle,  et  vous  verrez  qu'il  n'y  aura  personne  pour  s'en  plaindre. 
D'autres  seraient  là,  d'ailleurs,  et  trop  nombreux  encore,  pour  s'empa- 
rer immédiatement  des  places  qui  deviendraient  vacantes. 

Ce  n'est  pas  tout.  Il  y  aura  encore  le  jeudi,  de  S  à  7,  deux  fois 
par  mois,  ce  qu'on  appellera  les  fine  o'clocks  de  l'Opéra.  Ce  seront 
des  concerts  organisés  par  M.  Colonne,  dans  lesquels  les  œuvres 
des  jeunes  compositeurs  français  et  des  maîtres  étrangers  prendront 
la  plus  large  part.  A  ces  concerts,  les  abonnés  des  trois  jours 
seraient  admis  gracieusement;  ce  serait  une  sorte  de  compensation 
que  leur  donnerait  M.  Bertrand  pour  l'élévation  du  prix  de  leurs 
places  pendant  le  reste  de  la  semaine. 

Pour  arriver  à  la  réalisation  d'un  programme  aussi  compliqué, 
M.  Bertrand  s'est  assuré  le  concours  d'un  état-major  d'élite.  Il  a 
pris  d'abord  pour  associé  M.  Campocasso,  un  homme  de  grande 
expérience,  qui  a  dirigé  déjà  les  principales  scènes  de  la  France  etde  la 
Belgique,  laissant  partout  le  renom  d'un  habile  administrateur.  Ce 
sera  un  admirable  directeur  de  scène.  Ledirecleurdela  musique  sera 
M.  Colonne,  que  nous  n'avons  pas  à  présenter  à  nos  lecteurs.  Nous 
avons  eu  trop  l'occasion  d'apprécier  ici  ses  mérites  pour  avoir 
besoin  d'y  revenir.  C'est  un  choix  excellent.  Le  secrétaire  général 
sera  M.  Georges  Boyer,  et  assurément  on  n'en  pouvait  trouver  qui 
soit  plus  sympathique  et  plus  intelligent.  Nous  savons  enfin  qu'il 
est  fait  des  ouvertures  à  un  des  plus  grands  chanteurs  français  de 
notre  temps,  pour  qu'il  prenne  la  direction  des  études  du  chant. 
Si  l'on  réussissait  à  se  l'attacher,  ce  serait  un  coup  de  maître.  II  n'y 
aurait  plus  qu'à  s'assurer  le  concours  de  M.  Joseph  Dupont  comme 
chef  d'orchestre,  au  cas  oîi  les  occupations  de  M.  Colonue  ne  lui 
permettraient  pas  de  prendre  lui-même  en  main  le  bâton  de  com- 
mandement, et,  avec  tous  ces  concours,  on  serait  en  droit  d'espérer 
une  véritable  rénovation  de  notre  Académie  nationale  de  musique. 

H.    MORENO. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


IV 
LA  «  CHAPELLE  » 
Nous  avons  vu  combien  la  musique  était  en  honneur  à  La  Mal- 
maison, —  nous  aurions  pu  ajouter...  et  au  Luxembourg,  oii  Bona- 
parte tenait  sa  cour,  avant  d'émigrer  vers  Saint-Cloud  et  vers  les 
Tuileries,  oîi  l'on  pouvait  lire  encore  une  inscription  aux  termes  de 
laquelle  l'ancienne  demeure  des  souverains  était  à  jamais  fermée 
«   aux  tyrans  ». 

I  '  Les  compositeurs  et  les  virtuoses  se  succédaient  sans  interruption 
dâuFTes  salons  du  premier  consul;  ony  faisait  d'excellente  musique, 
très  douce  et  très  variée;  mais  rien  n'était  encore  arrêté,  classé.  En 
un  mot,  il  n'y  avait  pas  encore  de  musique  officielle. 

Ce  fut  la  création  de  la  «  Chapelle  »  qui  combla  cette  lacune.  La 
première  messe  en  musique  fut  exécutée  le  3  vendémiaire  an  XI  à 
Saint-Cloud,  et  tous  les  anciens  conventionnels  y  accoururent.  Sui- 
vant un  témoin  oculaire,  Bonaparte,  en  s'y  rendant,  «  se  dandinait 
en  marchant,  comme  les  Bourbons.  »  Il  occupa  le  siège  réservé 
naguère  à  Louis  XVI,  prêtant  l'oreille  aux  «  effluves  mélodieux  » 
où,  toujours  d'après  la  même  source,  «  le  cor  de  Frédéric  mariait 
ses  notes  à  la  harpe  de  Dalmivare  ». 

Stanislas  Girardin  rappelle  dans  son  Journal,  à  propos  de  cette 
solennité,  la  conversation  qu'il  avait  eue,  trois  ans  auparavant,  avec 
Bonaparte,  au  moment  de  la  conclusion  du  Concordat, 

—  Si  vous  voulez  absolument  rétablir  la  religion  catholique,  vous 
serez  obligé  d'aller  à  la  messe,  avait-il  dit. 

—  Cela  peut  être,  avait  répondu  le  premier  consul. 

—  Mais  vous  contraindrez  aussi  tous  les  fonctionnaires  publics  à 
y  assister. 

—  Quelle  folie! 

—  Non,  citoyen  consul,  cela  sera,  parce  que  cela  vous  paraîtra 
nécessaire;  et  ce  que  je  vous  demande  aujourd'hui,  c'est  de  vouloir 
bien  attacher  d'excellents  musiciens  à  votre  chapelle,  parce  qu'une 
bonne  musique  est  un  remède  contre  l'ennui;  et  la  messe,  que  nous 
n'avons  plus  l'habitude  d'entendre,  pourrait  nous  paraître  une  chose 
ennuyeuse. 

Aux  Tuileries,  le  service  divin  était  célébré  dans  la  salle  du  conseil 
d'État,  la  chapelle  ayant  été  détruite,  et  celle  qu'on  construisait, 
conjointement  avec  une  salle  de  spectacle,  sur  l'emplacement  de  la 
salie  de  la  Convention,  n'étant  pas  encore  prête.  On  y  était  fort  à 
l'étroit,  de  sorte  que  les  huit  chanteurs  et  les  vingt-sept  sympho- 
nistes qui  la  composaient  n'y  pouvaient  trouver  place.  Le  piano  et 
les  chanteurs  seuls  y  figuraient;  derrière  eux,  les  violons  s'entas- 
saient dans  une  petite  galerie,  et  les  basses  et  les  instruments  à  vent 
étaient  relégués  dans  une  pièce  voisine. 

Plus  tard,  ces  forces  furent  considérablement  accrues,  lors  de 
l'inauguration  de  la  nouvelle  chapelle,  qui  eut  lieu  le  2  février  1806. 
Les  plus  grands  virtuoses  y  furent  attachés  :  parmi  les  chanteurs, 
on  remarquaitNourrit,  Rolland,  Lays,  Martin,  Derivis,  M"""^  Brauchu,' 
Armand  et  Duret,  et,  parmi  les  exécutants,  Kreutzer,  violon  solo; 
Baillot,  chef  des  seconds  violons;  les  clarinettistes  Charles  Duvernoy 
et  Dacosta;  Dalmivare,  le  harpiste  incomparable;  et  tant  d'autres 
musiciens  remarquables,  dont  les  noms  se  sont  transmis  jusqu'à 
nous  dans  les  fastes  musicaux  de  la  première  moitié  de  ce  siècle. 
Comme  répertoire,  ces  grands  artistes  exécutaient  communément  les 
compositions  de  Paisiello,  de  Zingarelli,  d'Haydn,  de  Lesueur  et  de 
Martini. 

La  Musique-chapelle,  ainsi  montée,  fit  de  grandes  choses  ;  mais 
en  aucun  temps  elle  ne  fut  aussi  prodigue  de  bons  résultats,  au 
point  de  vue  des  jouissances  pures  de  l'art,  que  lors  du  trop  court 
passage  de  Paisiello.  Chaque  jour,  chaque  soir,  elle  se  faisait  enten- 
dre, joignant  à  des  primeurs  sans  cesse  renouvelées,  les  morceaux 
favoris  du  répertoire,  en  tête  desquels  figurait  la  pastorale  de  Nina: 
Gia  il  sol  si  cœla  dielro  alla  montagna,  qui  charmait  tellement  Bona- 
parte, qu'il  l'aurait,  paraît-il,  entendue  volontiers  tous  les  soirs. 

Il  faut  dire  que  le  premier  consul  avait  quelque  peu  collaboré  à 
la  confection  de  cet  air,  comme  on  le  chantait  du  moins  aux  Tuileries. 
Un  jour  où  il  venait  de  l'entendre,  avec  ses  accords  en  syncope, 
sous  lesquels  un  trait  se  produisait  à  chaque  premier  temps  de 
mesure,  —  tel  qu'il  était  écrit  primitivement,  —  il  dit  à  Kreutzer  : 

Paisiello  a  voulu  peindre  l'agtlation  d'un  père  à  qui  l'on  vient 

d'apprendre  que  sa  fille  a  perdu  la  raison.  Son  image  est  impar- 
faite ;    son  orchestre   est  trop  tranquille;  il  me    semble  que  l'effet 


132 


LE  MEINÈSTllEL 


serait  bien  meilleur  si  le  trait  rapide  était  répété  dans  les  intervalles 
des  repos. 

On  s'empressa  de  rectifier  l'accorapagaernent  d'après  l'idée  de 
Napoléon,  et  cette  rectification  fut,  naturellement  approuvée,  par  les 
juges  les  plus  compétents. 

Durant  son  séjour  à  Paris,  Paisiello  ne  composa  guère  que  des 
messes  et  des  motets.  Mais  il  rayonnait  comme  uu  astre  fulgurant 
parmi  la  pléiade  des  compositeurs  de  la  capitale.  Il  ne  se  jouait  pas 
une  note  de  musique  à  Paris  sans  son  approbation,  et  le  premier 
consul  le  consultait  sur  les  moindres  détails  de  l'activité  musicale. 
Un  jour,  il  eut  à  lui  soumettre  un  morceau  d'un  caractère  tout  à 
fait  spécial. 

A  l'occasion  d'un  voyage  projeté  dans  les  départements  de  l'Ouest, 
un  professeur  de  musique  nommé  Mauduit,  demeurant  rue  du  Grand- 
Maulévrier,  à  Rouen,  avait  entrepris  «  de  payer  par  son  art  son 
tribut  au  chef  de  la  République.  »  Il  avait  composé,  dans  ce  but. 
une  sorte  de  symphonie  dans  laquelle,  mettant  en  pratique  des 
procédés  déjà  connus,  mais  qui  de  son  temps  étaient  fort  en  vogue, 
il  s'était  préoccupé  «  de  peindre  et  d'imiter  »  les  mouvements  de 
la  rue  lors  de  l'arrivée  du  premier  consul  à  Rouen.  Voici  comment 
l'auteur  détaillait  lui-même  son  programme  : 

Cavalerie  accourant  en  criant  :  Le  voilà,  le  voilà  ! 
Galop  de  chevaux. 
Cris  de  «  Vive  Bonaparte  !  » 
Roulemunt  de  carrosses. 
Canon. 

Trompettes  de  hussards. 
Galop  de  chevaux. 

Bruit  du  canon  répété  par  les  échos. 

Harangues  exprimées  par  des  solo  (sic)  successits  de  divers  instruments. 
Chant  d'allégresse. 
Cris  de  «  Vive  Bonaparte  !  » 

Bruit  confus  du  peuple  qui  se  précipite  en  foule  pour  voir  le  premier 
consul. 

Mauduit  se  préparait  à  faire  exécuter  sa  symphonie,  lorsque,  pour 
sou  plus  grand  désespoir,  Bonaparte  eut  la  malencontreuse  inspira- 
tion de  changer  son  itinéraire  et  de  passer  par  Le  Havre.  Mais  l'au- 
teur ne  se  tint  point  pour  battu:  il  eavoya  sa  partitionà  Saint-Cloud, 
où  nous  la  retrouvons  encore  avee  cette  annotation  de  la  main  du 
premier  consul  : 

Renvoyé  à  M.  Paisiello  pour  me  rendre  compte  si  la  musique  est  bonne. 

On  conviendra  que  si  les  corvées  de  ce  genre  étaient  nombreuses 
—  et  elles  devaient  l'être,  —  la  charge  de  Paisiello  était  loin  d'être 
une  sinécure,  surtout  si  l'on  y  joint  le  surmenage  dont  l'accablait 
le  premier  consul,  toujours  avide  d'entendre  de  la  musique.  Aussi, 
la  nostalgie  et  le  regret  du  doux  far-niente  de  Sorrente  et  de  Capr'i 
s'emparèrent-ils  du  cygne  napolitain.  Vainement  il  lutta  contre  cette 
disposition  d'esprit  :  la  tentation  de  revoir  le  ciel  bleu  d'Italie  l'em- 
porta sur  la  gloire  qui  rejaillissait  de  sa  position  en  France,  et  il 
résolut  de  profiter  de  la  première  occasion  qui  se  présenterait  pour 
mettre  son  projet  à  exécution. 

Cette  occasion  ne  tarda  point  à  se  produire.  Sur  le  désir  du  pre- 
mier consul,  Paisiello  dut  écrire  un  opéra,  Proserpine.  qui  fut  repré- 
senté par  ordre.  Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  décider  d'une  chute. 
Le  clan  du  Conservatoire  se  mit  en  campagne  et  sut  arriver  à  ses 
fins  en  flattant,  dans  la  foule,  l'instinct  secret  qui  la  portait  à  sai- 
sir tout  prétexte  pour  faire  quelque  opposilion  au  pouvoir  existà^nt 
Frapper  Paisiello,  c'était  viser  Bonaparte,  et  les  ferments  du  vieux 
levain  royaliste  n'étaient  pas  encore  suffisamment  éteints,  pour 
qu'on  laissât  passer  une  occasion  aussi  propice  de  faire  entrevoir 
un  coin  de  la  cocarde  prohibée.  Le  public  de  la  première  fut  donc 
absolument  glacial,  et  Proserpine,  condamnée  sans  rémission  ne 
tarda  pas  à  disparaître  devant  l'indifférence  publique,  malo-ré'  les 
efforts  du  chef  de  l'État  et  de  son  entourage.  '  ' 

Dès  le  leudemain  de  la  représentation.^Botîaparte  avait  fait  par- 
parvenir  à  Paisiello  cette  lettre,  qui  fut  reproduite  dans  le  Moniteur: 

Paris,  17  germinal  an  XI,  7  avriH803. 
A  M.  Paisiello. 
Le  Premier  Consul,  protecteur  des  beaux-arts  autant  que  juste  apprécia- 
teur du  mérite,  m'ordonne  de  vous  exprimer  la  satisfaction  particulière 
qui  a  éprouvée  en  admirant,  dans  la  Proserpine,  vos  rares  talents  gue 
1  Italie  entière  connaît  déjà  et  que  la  France,  qui  se  réjouit  de  les  possé 
der,  s'empresse  de  célébrer. 

En  m-acquittant  d'une  commission  aussi  agréable,  je  dois  vous  assurer 
de  toute  la  part  que  je  prends  à  cet  événement  si  glorieux  pour  vous.. 
Par  ordre  du  Premier  Consul. 


Cette  lettre  si  flatteuse  ne  fut  point  uu  baume  suffisant  à  la  blessure 
causée  à  l'amour-propre  de  l'auteur.  «  La  chute  de  l'opéra  de  Pro- 
serpine, qui  contenait  cependant  de  beaux  moiceaux,  nous  apprend 
Georgelte  Ducrest,  fut  un  coup  terrible  pour  sa  réputation.  Bona- 
parte en  fut  furieux  et  répétait  que  les  Français  n'i-ntendaienl  rien 
à  la  musique.  Il  trouvait  fort  mauvais  que  son  protégé  ne  réussit 
pas  et  que  son  goût  ne  fût  pas  celui  des  autres.  L'ouvrage,  malgré 
de  grands  dépenses,  de  jolis  ballets,  de  belles  décorations,  n'eut 
qu'un  certain  nombre  de  représentations.  L'autorité  s'obstinant  à  le 
faire  jousr,  le  public  à  n'y  pas  aller,  il  fallut  y  renoncer.  Paisiello, 
dégoûté  de  la  France,  voulut  retourner  en  Italie.  » 

Bonaparte  dut  donc  se  résigner  à  se  séparer  de  son  cher  musicien. 
Mais  au  moins  voulut-il  tenir  son  successeur  de  sa  propre  main. 
Gomme  nous  l'avons  vu,  Méhul  fut  tout  d'abord  pressenti.  Mais  les 
pourparlers  ayant  été  rompus,  Paisiello  désigna  Lesueur,  au  grand 
étonnement  du  premier  consul,  qui  le  connaissait  peu.  Aussi  mon- 
trait-il quelque  hésilalion  à  ratifier  ce  choix  ;  et  peut-être  même  les 
relations  avec  Méhul  eussent-elles  été  renouées,  si  le  Journal  de 
Paris,  annonçant  le  départ  de  Paisiello,  n'avait  eu  la  malencontreuse 
idée,  sans  doute  à  l'instigation  du  Conservatoire,  dont  Lesueur 
était  la  bête  noire,  d'ajouter  que  Méhul  serait  probablement  nommé 
à  sa  place. 

En  lisant  ce  passage,  le  premier  consul  entra  dans  une  vive 
colère  et  donna  l'ordre  à  Duroc  d'écrire  sur-le-champ  à  Lesueur 
pour  lui  annoncer  sa  nomination.  Quelques  heures  après,  Paisiello 
présentait  son  nouveau  maître  de  chapelle  à  Bonaparte,  qui  lui  dit: 

—  J'espère,  mon  cher  Paisiello,  que  vous  resterez  encore  quelque 
temps  ;  en  attendant,  monsieur  Lesueur  voudra  bien  se  contenter 
de  la  seconde  place. 

—  Général,  répondit  Lesueur,  c'est  déjà  remplir  la  première  que 
de  marcher  immédiatement  après  un  maître  tel  que  Paisiello. 

Le  mot  plut,  et  la'  fortune  de  Lesueur  fut  assurée,  ce  qui  lui 
était  bien  nécessaire,  car  dans  ses  luttes  avec  le  Conservatoire,  ce 
maître  éminent  avait  perdu  tout  son  crédit  artistique  en  même 
temps  que  toutes  ses  ressources,  même  pour  la  vie  courante. 

Ces  batailles,  dignes  de  prendre  place  à  côté  des  querelles  célèbres 
des  Bouffons  et  des  Gluckistes  et  Piccinnistes,  avaient  pour  origine 
l'éloignement  dans  lequel  l'Opéra  tenait  systématiquement  Lesueur. 
Les  Bardes  et  la  Mort  d'Adam,  reçus  à  ce  théâtre,  avaient  déjà  vu 
deux  fois  leur  tour  donné  à  d'autres  ouvrages,  lorsque,  de  nouveau, 
la  Semiramis  de  Catel  leur  fut  préférée.  Dans  son  irritation,  bien 
justifiée,  Lesueur  rendit  Sarrette,  directeur  du  Conservatoire  et 
grand  ami  de  Catel,  responsable  de  ces  retards,  et  pour  qu'on  n'en 
ignorât,  il  prit  le  public  à  témoin  de  son  différend. 

Aussitôt  une  pluie  de  brochures  s'abattit  chez  les  libraires.  Sar- 
rette avait  avec  lui  les  professeurs  et  les  grands  théâtres,  tandis  que 
tous  les  vieux  musiciens  des  anciennes  maîtrises  se  groupèrent 
autour  de  Lesueur.  Il  en  résulta  de  vives  escarmouches,  oîi  l'on  ne 
tarda  pointa  perdre  de  vue  le  point  litigieux  primitif,  pour  se  prendre 
aux  cheveux  sur  des  questions  générales  d'école  et  d'enseigne- 
ment. Lesueur  avait  débuté  par  une  Lettre  sur  l'opéi-a  de  «  la  mort 
d'Adam»,  dont  le  lourde  7nise  en  scène  arrive  pour  la  troisième  fois,  et  sur 
plusieurs  points  d'utilité  relatifs  aux  arts  et  aux  lettres.  Bientôt  suivi- 
rent :  Le  Russe  à  Paris,  ou  Réflexions  sur  les  institutions  musicales  de  la 
France:  une  Lettre  à  M.  Paisiello,  par  les  amateurs  de  la  mvsique  drama- 
tique; uu  Projet  d'un  plan  général  de  l'instruction  musicale  en  France, 
etc.,  etc..  Finalement,  l'iostitution  de  Sarrette  conjura  ce  flot  d'encre 
par  un  Recueil  de  pièces  à  opposer  à  divers  libelles  dirigés  contre  le  Coase;- 
tJrtioJre...  Et  dî  toute  cette  campagne  il  ne  résulta  pAir  Lesueur  que  le 
s^rand  désagrément  de  se  voir  destitué  de  ses  fondions  d'inspecteur 
du  Conservatoire,  ce  qui  lui  enlevait  jusqu'à  ses  dernières  ressources 
pécuniaires. 

Dans  ces  conditions,  on  se  figure  la  surprise  des  adversaires  de 
Lesueur,  lorsqu'ils  le  virent  soudainement  s'élever,  d'un  bond,  de 
l'état  dans  lequet  ils  l'avaient  mis,  au  premier  et  suprême  rang  de 
la  France  musicale.  Ce  fut  plus  que  de  la  stupeur,  ce  fut  une  con- 
sternation. Mais  Lesueur  ne  prit  point  garde  à  ces  clameurs;  il 
s'occupa  modestement  à  faire  ce  que  Bonaparte  lui  demandait,  c'est- 
à-dire  de  la  bonne  musique,  et  il  y  parvint. 

Paisiello  lui  avait  montré  le  bon  exemple,  —  celui  du  travail;  car 
durant  son  court  passage  à  la  Chapelle,  il  avait  enrichi  son  réper- 
toire de  16  oifices  complets,  composés  de  messes,  d'antiennes  et  de 
motets.  Dans  la  suite,  il  envoya  de  Naples,  chaque  année,  un  mor- 
ceau de  musique  religieuse  pour  le  15  août,  en  reconnaissance  de  la 
très  forte  pension  que  lui  faisait  Napoléon.  La  Chapelle  s'appuj'ait 
donc  sur  des  bases  solides,  que  ne  fit  qu'augmenter  le  nouveau  di- 
recteur. 


LE  MENESTREL 


133 


Sous  son  impulsion,  la  musique,  au  (îhâfeau,  loin  de  pHticliter, 
s'accrut  d'un  nouvel  élément  :  Lesueur  était  passé  maître  dans  l'art 
de  l'oralorio,  et  l'oratorio  fut  promptement  à  la  mode.  On  accourait 
à  la  Chapelle  avec  le  même  empressement  qu'aux  premières  repré- 
sentations de  l'Opéra.  Napoléon  s'enthousiasma  pour  ce  genre,  nou- 
veau pour  lui  :  la  première  fois  qu'il  entendit  Débora,  il  dit  à 
l'auteur  : 

—  J'ai  déjà  remarqué  plusieurs  de  vos  ouvrages,  monsieur  Le- 
sueur, mais  c'est  à  Déboisa  que  je  donne  la  préférence.  Combien 
avez-vous  fait  de  messes  ou  d'oratorios? 

—  Sire,  vingt-deux. 

—  Vous  devez  avoir  barbouillé  bien  du  papier;  c'est  encore  une 
dépense,  et  je  veux  qu'elle  soit  à  ma  charge.  Monsieur  Lesueur,  je 
vous  accords  2,400  francs  de  pension  pour  payer  le  papier  que  vous 
savez  si  bien  employer.  C'est  pour  payer  le  papier,  entendez-vous;... 
car,  pour  un  artiste  de  votre  mérite,  le  mot  de  gratification  ne  doit 
pas  être  prononcé. 

Peu  de  temps  après  la  nomination  de  Lesueur,  la  Chapelle  eut  a 
déployer  toute  son  activité,  en  vue  du  sacre  prochain  de  Napoléon, 
promu  empereur  par  le  sénatus-consulte  du  18  mai  1804.  Tous  les 
talents  furent  mis  en  réquisition  pour  donner  à  celte  solennité  tout 
l'éclat  désirable.  Le  pape  Pie  VII  devait  présider  à  la  cérémonie, 
et  tous  les  éléments  de  luxe  et  de  splendeur  avaient  été  mis  à  con- 
tribution pour  l'éblouir  et  le  fasciner. 

Il  est  vrai  qu'on  n'y  parvint  pas  toujours.  Le  lundi  qui  précéda  le 
couronnement.  Napoléon  avait  fait  venir  quelques  chanteurs  pour 
donner  un  concert  dans  les  appartements  de  l'impératrice;  mais  le 
pape  se  retira  au  moment  où  la  musique  commença.  Il  en  fut  de 
même,  le  jour  de  la  cérémonie,  au  ballet  exécuté  par  les  danseurs 
de  l'Opéra,  dans  le  grand  salon  des  Tuileries. 

Pour  le  service  à  Notre-Dame,  Paisiello  avait  fourni  une  messe 
de  Te  Deum  à  deux  chœurs  et  deux  orchestres;  Lesueur  avait  com- 
posé son  Chant  du  sacre  ;  et  divers  morceaux  d'autres  auteurs, 
favoris  de  Napoléon,  complétèrent  un  ensemble  qui  doubla  cette 
journée  mémorable  d'une  solennité  musicale  sans  pareille.  A  la 
vérité,  les  journaux  du  lendemain,  si  prolixes  sur  les  détails  du 
cortège  et  de  la  cérémonie  du  2  décembre,  se  taisent  sur  cette 
partie  de  la  fête.  Mais  la  relation  en  est  restée  dans  les  mémoires 
du  temps.  Ceux  de  Constant,  surtout,  s'attachent  tout  particulière- 
ment au  rôle  des  musiciens  pendant  le  sacre  : 

«  Je  n'ai  peut-être  jamais  entendu  d'aussi  belle  musique,  nous 
apprend  l'ancien  serviteur  de  Napoléon;  elle  était  de  la  composition 
de  MM.  Paisiello,  Rose  et  Lesueur,  maîtres  de  chapelle  de  LL  MM. 
L'orchestre  ot  les  choeurs  offraient  la  réunion  des  premiers  talents 
de  Paris.  Deux  orchestres  à  quatre  chœurs,  composés  de  plus  de 
300  musiciens,  étaient  dirigés,  l'un  par  M.  Persuis,  l'autre  par  M.  Rey, 
tous  deux  chefs  de  la  musique  de  l'empereur.  M.  Lays,  premier 
chanteur  de  S.  M.,  MM.  Kreutzer  et  Baillot,  premiers  violons  au  même 
titre,  s'étaient  adjoint  tout  ce  que  la  chapelle  impériale,  tout  ce  que 
l'Opéra  et  les  grands  théâtres  lyriques  possédaient  de  talents  supé- 
rieurs en  instrumentistes,  aussi  bien  qu'en  chanteurs  et  qu'en  chan- 
teuses. La  musique  militaire  était  innombrable  et  sous  les  ordres  de 
M.  Lesueur,  elle  exécutait  des  marches  héroïques,  dont  une,  com- 
mandée à  M.  Lesueur  pour  l'armée  de  Boulogne,  est  encore  aujour- 
d'hui, au  jugement  des  connaisseurs,  digne  de  figurer  au  premier 
rang  des  plus  belles  et  des  plus  importantes  compositions  musi- 
cales. Quant  à  moi,  cette  musique  me  rendait  pâle  et  tremblant.  Je 
frissonnais  par  tout  le  corps  eu  l'entendant.  » 

Dans  la  suite,  la  C/îa;je//e  continue  sa  brillante  carrière;  mais  ses 
attributions  se  cantonnèrent  dans  la  spécialité  de  la  musique  reli- 
gieuse et  de  l'oratorio,  les  concerts  et  les  spectacles  h'riques  de  la 
cour  étant  désormais  du  ressort  de  la  musique  particulière  de  l'em- 
pereur, à  laquelle  son  personnel  avait,  d'ailleurs,  fourni  le  principal 
contingent,  sous  le  rapport  de  l'orchestre  et  des  chœurs. 

(A  suivre.)  Edmond  Neuko.mm  et  Pall  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


C'est  par  la  symphonie  en  fu  de  Beethoven,  l'une  des  moins  grandioses, 
mais  des  plus  charmantes  du  maître,  que  s'ouvrait  la  dernière  séance 
de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire.  L'orchestre  l'a  dite  d'une 
façon  exquise,  particulièrement  son  adorable  andante  scherzando,  que  le 
public  a  voulu  entendre  deux  fois,  partageant  ainsi  l'avis  de  Berlioz,  pour 
qui  ce  morceau  «est  une  de  ces  productions  auxquelles  on  ne  peut  trouver 
ni  modèle  ni  pendant  ».  Venait  ensuite  la  Fuite  en  Egijpte  dudit  Berlioz, 
dont  l'effet  est  toujours  profond  sur  l'auditoire,  et  à  laquelle  succédait 


l'intéressante  ouverture  de  ta  Grotte  de  Fingat,  do  Mendélssohn,quele  compo- 
siteur intitulait  aussi,  tantôt  l'Ile  déserte,  tantôt  les  Hébrides.  On  sait  que 
l'idée  de  cette  ouverture  lui  était  venue  à  la  suite  d'un  voyage  en  Ecosse 
et  d'une  visite  aux  Hébrides,  voyage  au  retour  duquel  une  chute  de  voi- 
ture occasionna  à  Mendelssohn  une  blessure  si  grave  au  genou  qu'il  dut 
rester  deux  mois  dans  l'immobilité  la  plus  complète  et  se  vit  dans  l'im- 
possibilité de  rentrer  en  Allemagne  pour  assister  au  mariage  de  sa  sœur 
Fanny.  C'est  l'année  suivante  (1830),  â  Rome,  qu'il  commença  à  écrire 
cette  ouverture,  ainsi  qu'en  témoignent  trois  lettres  écrites  de  cette  ville 
à  sa  famille.  Dans  l'une  d'elles  il  dit  :  «  Je  travaille  mamtenant  tous  les 
jours  aux  Hébrides,  et  je  vous  les  enverrai  dès  qu'elles  seront  finies.  C'est 
un  morceau  qui  produira,  je  crois,  un  eftèt  très  original.  »  II  s'en  mon- 
tra très  satisfait  lorsqu'il  tut  terminé,  comme  le  prouve  cette  lettre  à  son 
père  :  «  Je  me  propose  d'achever  demain  mon  ancienne  ouverture  de 
/'//('  déserte,  c'est  le  cadeau  que  je  te  destine  pour  ta  fête,  et  lorsque  j'écri- 
rai au  bas  la  date  du  11  décembre,  il  me  semblera  que  je  le  remets  entre 
tes  mains.  Tu  me  dirais  sans  doute,  si  j'étais  là,  que  tu  ne  peux  pas  la 
lire,  mais  je  ne  t'en  aurais  pas  moins  offert  ce  que  je  peux  produire  de 
mieux.  »  L'ouverture  ne  fut  pourtant  complètement  terminée  que  le 
1(3  décembre.  On  en  connaît  deux  partitions  de  la  main  de  Mendelssohn, 
avec  des  différences  assez  sensibles  :  l'une,  avec  le  titre  de  l'Ile  déserte  (Die 
einsame  Insel),  qui  est  passée  aux  mains  de  son  filleul,  M.  Félix  Mos- 
chelès;  l'autre,  intitulée  tlie  Hébrides,  qui  appartient  aujourd'hui  à  la  famille 
du  compositeur  anglais  sir  W.  Sterndale  Bennett.  —  Après  une  exécution 
superbe  de  cette  ouverture,  nous  avons  entendu  l'epithalame  de  Gwendoline, 
opéra  de  M.  Emmanuel  Ghabrier  représenté  à  Bruxelles,  on  se  le  rappelle, 
il  y  a  quelques  années.  C'est  une  page  sonore,  colorée,  d'une  grande 
ampleur  de  forme,  mais  à  qui  l'on  souhaiterait  une  idée  première  d'un 
jet  plus  riche  et  plus  généreux.  Là  séance  se  terminait  par  la  délicieuse 
symphonie  en  ut  d'Haydn,  dont  l'introduction  surprend  toujours  par  son 
caractère  étonnamment  et  profondément  dramatique,  qui  n'annonce  guère 
le  joli  badinage  qu'on  doit  entendre  un  peu  plus  tard  et  dont  le  joli  solo 
de  hautbois  a  été,  comme  toujours,  un  triomphe  pour  M.  Gillet,  qui  le 
dit  avec  une  sonorité,  une  sûreté  et  un  style  merveilleux.  En  résumé, 
tout  ce  beau  programme  a  été  rempli  de  la  façon  la  plus  satisfaisante. 

Le  moment  est  venu  de  récapituler  les  travaux  de  cetie  soixante-quatrième 
session  de  notre  glorieuse  Société  des  concerts,  session  qui  se  terminera 
dimanche  prochain  par  une  audition  nouvelle  et  supplémentaire  de  la 
Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach.  C'est  précisément  l'admirable  exécution- 
de  cette  œuvre  admirable  qui  aura  été  le  point  culminant  de  la  saison. 
Mais  elle  a  été  ici  l'objet  d'un  travail  particulier,  on  sait  quel  en  a  été  le 
succès,  et  je  n'ai  point  à  y  revenir.  A  part  cette  œuvre  colossale,  qui  a 
elle  seule  remplissait  toute  une  séance,  pas  un  seul  des  programmes, 
pour  obéir  à  une  tradition  dès  longtemps  établie,  n'omettait  le  nom  de 
Beethoven.  Du  maître  immortel  nous  avons  eu  la  3°  symphonie  (Héroïque), 
la  i'  (en  si  bj>  la  o°  (en  ut  mineur),  la  6"  (Pastorale) ,  et  la  8"  {en  fa)  ;  puis 
le  concerto  de  piano  en  sol,  exécuté  par  M.  Delaborde,  la  sublime  ouver- 
ture de  Coriolan  et  le  chœur  des  Prisonniers  de  Fidelio.  D'Haydn  nous 
avons  entendu  la  symphonie  en  ut,  celle  en  ré  (&)  et  un  air  de  la 
Création  ;  de  Mozart  la  symphonie  en  sol  mineur  et  le  concerto  à  deux 
pianos,  exécuté  par  M""=  George  Hainl  (Marie  Poitevin)  et  M"''  Clotilde 
Kleeberg;  de  Haendel  des  fragments  du  Messie  et  un  air  de  l'Allégro  ed  il 
Pensieroso  ;  de  Weber,  seulement  l'ouverture  A'Oberon  ;  de  Mendelssohn  la 
symphonie  en  la  mineur,  les  ouvertures  à'Athalie  et  de  la  Grotte  de  Fingal, 
un  chœur  de  Paulus  et  un  chœur  sans  accompagnement:  le  Chanteur  des 
bois:  de  Schumann  la  symphonie  en  ré  mineur  et  la  troisième  partie  des 
scènes  de  Faust  ;  de  Wagner  le  prélude  de  Tristan  et  Yseult  et  la  marche 
de  Tannhduser;  enfin,  de  M.  Max  Bruch  le  concerto  de  violon,  exécuté 
par  M.  Hayot.  L'école  française  n'a  pas  à  se  plaindre  de  la  part  qui  lui  a 
été  faite  :  on  nous  a  fait  entendre  de  Berlioz  la  Fuite  en  Egypte  et  l'ouver- 
ture du  Carnaval  romain;  de  Bizet  l'andante  et  le  scherzo  de  la  L"  sym- 
phonie ;  de  Louis  Lacombe  d'importants  fragments  de  Sapho,  poème  an- 
tique ;  de  M.  Gounod  Saint  François  d'Assise,  poème  religieux  ;  de  M.  Ca- 
mille Saint-Saëns  le  Déluge  et  le  concerto  de  violon«»Ue,  exécuté  par 
M.  Delsart;  de  M.  Massenet  Biblis,  poème  symphonique  écrit  sur  des  pa- 
roles de  M.  Georges  Boyer  ;  de  M.  Ernest  Guiraud  le  Carnaval;  de 
M.  Edouard  Lalo  la  symphonie  en  sol  mineur  ;  de  M.  Chabrier  l'epithalame 
de  Gwendoline;  et  de  M.  Gabriel  Fauré  la  musique  écrite  pour  le  Caligula 
d'Alexandre  Dumas.  Un  seul  nom  de  compositeur  italien  trouve  place 
sur  les  programmes  :  celui  de  Rossini,  pour  Vlnflammatus  du  Stabat,  à 
l'occasion  des  concerts  spirituels  de  la  semaine  sainte.  J'aurai  terminé 
le  relevé  exact  des  travaux  de  la  Société  des  concerts  au  cours  de  cette 
année,  lorsque  j'aurai  rappelé  les  noms  des  chanteurs  qui  se  sont  fait 
entendre  et  qui  sont  les  suivants:  M"'==  Melba,  Boidin-Puisais,  Alice 
Cognault,  Michart,  M"'^  Eames,  Fanny  Lépine,  Domenech,  Landi,  La- 
vigne,  Albertine  Chrétien,  et  MM.  Verguet,  Auguez,  Warmbrodt,  Sellier 
et  de  La  Tour.  Arthur  Pougin. 

Concert  du  Chàtelet.  —  M.  Colonne  a  donné  une  56™'=  audition  de  te 

Damnation  de  Faust  de  Berlioz.  Inutile  de  dire  qu'il  y  avait  salle  comble. 
L'œuvre  de  Berlioz  a  le  don  de  passionner  le  public,  et  avec  justice.  Ber- 
lioz est  là  tout  entier.  Il  y  a  dans  cette  œuvre  des  pages  d'une  simplicité 
idéale  qui  rappellent  Gluck;  il  y  aussi  des  pages  démoniaques  qui  frisent 
la  vulgarité,  mais  dont  l'effet  est  irrésistible.  L'exécution  a  été  des  plus 
remarquables  :  l'orchestre  excellent  comme  toujours  :  les  chanteurs  se  sont 


-134 


LE  MENESTREL 


tenus  à  la  hauteur  de  l'œuvre  qu'ils  interprétaient.  Une  mention  particu- 
lière est  due  à  W'  Marcella  Pregi,  qui  a  rendu  avec  un  goût  parfait  le 
rôle  si  diflîcile,  et  parfois  si  ingrat  de  Marguerite  s'il  n'est  pas  tenu  avec 
une  grande  perfection.  M""  Pregi  a  une  voix  très  sure  et  d'une  grande 
pureté,  et  elle  sait  s'en  servir.  Son  succès  a  été  très  grand  dans  l'admirable 
cantilène  :  Amour,  ardente  flamme,  qu'elle  a  dite  d'une  façon  tout  à  fait 
remarquable.  MM.  Lauwers,  Engel  et  Augier  ont  été  également  et  très 
justement  applaudis.  M.  Colonne  a  été  l'objet  d'une  ovation  très  flatteuse 
pour  lui  ;  on  a  acclamé  le  futur  directeur  artistique  de  l'Opéra.  Noua 
avons  tout  lieu  d'espérer  que,  dans  cette  importante  fonction,  M.  Colonne 
apportera  le  large  sentiment  éclectique  qui  a,  toujours  présidé  aux  concerts 
du  Chàtelet  et  qui  en  fait  le  remarquable  succès;  l'esprit  sectaire  ne  vaut 
rien,  ni  dans  les  arts,  ni  ailleurs.  M.  Colonne  n'a  qu'à  rester  fidèle  à  lui- 
même,  et  le  succès  lui  restera  fidèle  à  son  tour.  H.  Barbedette. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire;  symphonie  en  fa  (Beethoven);  la  Fuite  en  Egypte  (Berlioz),  le  réci- 
tant :  M.  de  Latour:  ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal  (Mendelssohn);  épithalame 
de  Givendoliiie  (Chabrier),  soli  ;  M""  Albertine  Chrétien,  MM.  de  Latour  et  Augutz; 
symphonie  en  ut  [Haydn).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcia. 

Chàtelet,  dernier  concert  Colonne  :  Cinquante-septième  audition  de  la  Damnation 
de  Faust  (liectOT  Berlioz),  soli:  M""  Marcella  Pregi  (Marguerite),  MM.  Engel  (Faust), 
Lau'wers  (Mephistophélès),  Augier  (Brander). 

—  SocjÉTÉ  Nationale.  —  Le  concert  avec  orchestre  du  samedi  18  avril, 
salle  Erard,  présentait  un  intérêt  tout  particulier,  en  ce  que  la  généralité 
des  oeuvres  portées  au  programme  marquait  très  nettement  la  double 
tendance  de  la  jeune  école  française  :  1°  tendance  symphonique  et  beetho- 
venienne,  avec  une  symphonie  en  trois  parties  de  M.  Ernest  Chausson, 
deux  morceaux  d'une  symphonie  en  quatre  parties  de  M.Albéric  Magnard, 
ei  un  Eleison  de  M.  Camille  Benoît:  2"  emploi  des  thèmes  populaires  et 
des  sujets  légendaires,  avec  une  ouverture  pour  un  drame  basque  de 
M.  Charles  Bordes,  un  entracte  pour  le  drame  breton  :  Pîcheurs  d'Islande, 
de  M.  Guy  Ropartz,  auxquels  on  peut  joindre  une  scène  chorale,  sur  un 
poème  de  M.  Leconte  de  Lisle,  inspiré  par  une  légende  galloise  du  si- 
xième siècle,  la  Tête  de  Ken'warck,  musique  de  M.  Pierre  de  Bréville;  en 
outre,  un  poème  symphonique  (genre  qui  commence  à  se  démoderj,  la 
Délivrance  d'Andromède,  de  M.  de  Wailly,  et  une  mélodie  avec  orchestre  de 
M.  Léon  Husson.  Tout  n'était  pas  d'égale  valeur  dans  ce  programme,  mais 
du  moins  tout  témoignait  de  tendances  élevées.  La  symphonie  de 
M.  Chausson  est  une  œuvre  d'un  grand  développement,  sérieusement 
pensée,  d'une  remarquable  unité  d'inspiration,  se  tenant  de  préférence 
dans  les  tonalités  sombres,  mais  constamment  expressive  et  parfois  s'éle- 
vant  très  haut.  L'Eleison  de  M.  Camille  Benoit  est  une  page  d'une  belle 
architecture  musicale  et  d'un  grand  souflle  :  commencée  sur  un  ton  grave 
et  humble,  la  supplication  s'élève  peu  à  peu,  grandit  et  s'épanche  en  des 
accents  d'une  harmonie  puissante  et  profondément  expressive  ;  puis  des 
voix  lointaines  se  font  entendre  :  c'est  comme  des  voix  d'anges  venant  du 
ciel,  apportant  la  paix  aux  âmes  ;  elles  dialoguent  quelque  temps  avec 
les  voix  du  chœur  et  de  l'orchestre,  puis  tout  s'apaise  et  s'éteint  en  de 
mystiques  accords.  Comme  impression,  non  comme  forme  musicale,  cette 
œuvre  remarquable  évoque  l'idée  de  la  il/esse  en  ré  de  Beethoven  ou  de 
Parsifal.  La  symphonie  de  M.  Magnard,  encore  qu'un  peu  touffue  et  d'une 
forme  peu  facilement  saisissable  au  premier  abord,  est  d'une  couleur  or- 
chestrale pleine  d'éclat  et  dénote  de  sérieuses  qualités  techniques. ta  Tête 
de  hen'warck,  de  M.  P.  de  Bréville,  est  d'une  déclamation  irréprochable  et 
ferme,  d'une  instrumentation  claire,  nette  et  vigoureuse.  M.  Dimitri  en 
a  remarquablement  chanté  le  solo  de  baryton.  Les  thèmes  basques  de 
l'ouverture  de  M.  Bordes  sont  de  couleur  très  vive,  d'un  relief  très  pro- 
noncé ;  ceux  de  l'entr'acte  breton  de  M.  Guy  Ropartz  sont  des  airs  de  danse 
gais  et  vivementrythmés;les  deux  morceaux,  avec  des  qualités  différentes, 
sont  brillamment  orchestrés.  L'exécution  d'ensemble,  dirigée  par  M.  Ga- 
briel Marie  et  quelques-uns  des  compositeurs,  a  été  remarquable,  l'assis- 
tance nombreuse  et  tout  particulièrement  choisie.  J.  T. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  (23  avril)  : 

La  rentrée  de  M™=  Albani  constitue  le  seul  fait  intéressant  de  la  semaine 
à  Covent  Garden.  Le  rôle  d'Elisabeth  de  Tannhduser  compte  parmi  ses 
meilleurs,  et  elle  y  a  retronvé  son  succès  habituel.  Pour  le  reste,  la  dis- 
tribution de  l'opéra  de  Wagner  est  identique  à  celle  de  la  saison  Lago. 
M.  Maurel  est  un  excellent  "Wolfram,  M.  Perotti  un  Tannhàuser  médiocre, 
tandis  que  M"»  Sophie  Ravogli,  une  'Vénus  brune,  est  insignifiante  comme 
toujours.  La  mise  on  scène  est  soignée  selon  la  formule  assez  spéciale  de 
la  maison.  Ainsi,  au  premier  acte,  on  exhibe  toute  une  ménagerie,  chevaux, 
chiens  et  chèvres,  tous  parfaitement  dressés.  Je  ne  sais  pas  si  c'est  de 
pareils  détails  qui  ont  poussé  M"«  Eames  à  déclarer  à  un  reporter  qu'elle 
trouvait  la  mise  en  scène  de  Covent  Garden  bien  supérieure  à  celle  du 
Grand  Opéra. 

Ce  qui  vient  de  se  passer  à  propos  de  la  Carmen  de  M"=  Julia  Ravogli 
est  tout  à  fait  étrange.  Depuis  l'automne  dernier,  les  exagérations  de  la 


presse  locale  avaient  créé  autour  de  M'"*  Ravogli  une  véritable  légende. 
Nous  a-t-on  assez  rabâché  qu'elle  était  une  artiste  de  génie,  la  première 
de  son  époque,  supérieure  à  M"°  Viardot  dans  Orphée  et  autres  bali- 
vernes !  Comment  la  faire  descendre  de  ce  piédestal  en  reoonnaisant  le 
fiasco  complet  de  sa  Carmen?  Tous  les  euphémismes  ne  suffiraient  pas  à 
atténuer  cet  échec.  Il  fallait  trouver  autre  chose.  On  s'est  donc  avisé 
d'éreinter  toutes  les  précédentes  interprètes  du  rôle,  et  on  a  fini  par  s'en 
prendre  aux  auteurs  mêmes.  Mérimée  et  Bizet  ne  savaient  pas  ce  qu'ils 
faisaient,  et  si  leur  Carmen  n'est  pas  celle  de  M"'  Ravogli,  c'est  qu'elle 
était  indigne  de  son  génie  !  Yoilk  comment  on  est  réduit,  dans  un  grand 
centre  tel  que  Londres,  à  s'attaquer  aux  chefs-d'œuvre,  pour  justifier  un 
engouement  ridicule.  Je  suis  retourné  à  la  seconde  de  Carmen,  qui  n'au- 
rait certainement  pas  eu  lieu,  avec  la  distribution  actuelle,  sans  des  indis- 
positions d'artistes  qui  étaient  venues  entraver  la  marche  du  répertoire. 
On  ne'peut  pas  se  faire  une  idée,  à  Paris,  de  ce  que  c'est  en  réalité  cette 
Carmen  de  M"'  Ravogli  avec  ses  apartés,  sa  pantomime  et  ses  allures 
mélodramatiques.  Et  quelle  abominable  façon  de  chanter  la  délicieuse  mu- 
sique de  Bizet,  avec  tous  les  défauts  de  l'école  italienne,  et  surtout  avec 
un  profond  dédain  pour  les  intentions  du  compositeur  !  Un  autre  chef 
d'orchestre,  plus  respectueux  de  l'œuvre  qu'il  dirigeait,  se  serait  même 
opposé  à  la  parodie  du  «  trio  des  cartes  »,  dans  lequel  M"'^  Ravogli  inter- 
cale une  partie  de  castagnettes  1  Mais  M.  Randegger  et  son  orchestre 
prennent  bien  d'autres  libertés  avec  la  partition  de  Bizet.  Pour  conclure, 
la  Carmen  de  M""  Ravogli  dénote  un  tel  manque  d'éducation  artistique, 
que  le  succès  de  son  Orphée  apparaît  comme  un  pur  accident  dans 
sa  carrière,  dont  les  étapes  relèvent  avant  tout  du  domaine  de  la  réclame. 
Le  roi  d'Italie  vient,  dit-on,  d'adresser  à  M.  Auguste  Harris  une  lettre 
de  félicitations  pour  ses  efforts  à  maintenir  l'opéra  italien  à  Londres.  Sa 
Majesté  n'avait  sans  doute  pas  pris  connaissance  du  tableau  de  troupe, 
■  ni  du  répertoire  courant  de  Covent  Garden.  Piqué  au  vif  et  voulant  justifier 
pareille  distinction,  M.  Harris  s'est  empressé  de  monter  la  Traviala  et 
Rigolttto,  mais  malgré  l'attraction  des  noms  de  M™  Albani  et  de  M.  Maurel 
sur  l'affiche,  ces  deux  représentations  d'opéras  italiens,  les  premières  de 
la  saison,  ont  été  jouées  devant  des  salles  presque  vides. 

M"""  Richard  fera  sa  rentrée  dans  te  Prophète,  probablement  lundi  pro- 
chain. C'est  décidément  la  Basoche  qui  sera  le  prochain  ouvrage  monté 
sur  la  scène  de  l'Opéra  National  anglais.  A.  G.  N. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin:  Le  comte  de  Hochberg, 
intendant  de  l'Opéra  royal,  vient  de  se  rendre  acquéreur  du  droit  de  repré- 
senter les  ouvrages  suivants  :  Cavalteria  rnsticana,  de  Mascagni,  le  Barbier 
de  Bagdad,  de  P.  Cornélius,  les  Trois  Pmtof,  de  Weber-Mahler,  et  Bemenuto 
Cellini,  de  Berlioz.  —  Hambourg:  La  première  représentation  du  Chevalier 
de  Marienbourg  vient  d'être  donnée  au  théâtre  municipal  pour  le  bénéfice 
de  M'""  Klafsky,  qui  interprétait  le  principal  rôle.  L'œuvre  est  qualifiée 
opéra  tragique  en  trois  actes  et  a  pour  auteurs  MM.  Paul  Geisler,  pour  la 
musique,  et  G.  Kleinau,  pour  les  paroles.  Le  succès  s'est  surtout  établi  en 
faveur  du  musicien.  —  Lens  :  Le  théâtre  municipal  vient  de  produire  avec 
succès  un  nouvel  opéra  de  M.  R.  Wurmb,  professeur  de  chant  à  "Vienne, 
intitulé  Ahasver.  —  Tons:  Le  théâtre  du  comte  Esterhazy  vient  de  rouvrir 
ses  portes  pour  une  courte  saison,  avec  un  spectacle  coupé  dont  voici  la 
composition:  Seigneur  et  Valet,  drame  de  Ch.Stein,  pseudonyme  sous  lequel 
se  cache,  paraît-il,  une  dame  du  plus  grand  monde,  Autodafé,  comédie  de 
M.  A.  Berger  et  le  Roi  Imre,  opéra  en  un  acte,  paroles  de  M.  C.  Gross, 
musique  de  M.  G.  Raimann,  —  autant  de  nouveautés  auxquelles  le  public 
a  fait  le  meilleur  accueil. 

—  La  princesse  de  Metternich  a,  parait-il,  formé  le  projet  de  provoquer 
l'ouverture  d'une  Exposition  internationale  musicale  et  théâtrale  à  "Vienne. 
A  cet  effet  elle  a  réuni  récemment,  dans  le  palais  Metternich,  un  comité 
choisi  par  elle,  et  auquel  s'était  joint  M.  Prix,  bourgmestre  de  Vienne. 
Dans  cette  réunion  il  a  été  décidé  qu'on  allait  définitivement  s'occuper 
des  préparatifs  de  l'Exposition,  qui  devra  coïncider  avec  les  fêtes  de  l'an- 
niversaire centenaire  de  la  mort  de  Mozart,  lesquelles  auront  lieu  au 
printemps  de  1892.  On  s'occupe  déjà  de  réunir  des  autographes,  por- 
traits, manuscrits,  sculptures,  instruments  de  toutes  sortes  et  de  tous 
pays,  estampes  théâtrales,  reproductions  de  décors,  modèles  de  théâtres,  etc., 
qui,  entre  autres  objets,  devront  figurer  à  l'Exposition  projetée. 

—  La  première  représentation  de  Cavalleria  rusticana  a  eu  lieu  au  théâtre 
national  de  Bucharest  avec  un  succès  des  plus  grands.  M""  Dardée  chan- 
tait Santuzza.  Ses  compatriotes  lui  ont  fait  de  véritables  ovations.  Les 
progrès  faits  par  l'excellente  cantatrice  sont  immenses.  Succès  pour  le  reste 
de  l'interprétation,  confiée  à  MM.  Cremonini,  Ancona  et  M"'  Rambaud 
(Lola).  —  La  semaine  prochaine  aura  lieu  la  première  à  Bucarest  de  Roméo 
et  Juliette  de  Gounod,  avec  M™''  Dardée  dans  le  rôle  principal.  —  Aux 
concerts  syraphoniques  que  dirige  avec  succès  le  maestro  M.  "Wachmann, 
directeur  du  Conservatoire,  M"'  Bilcescu,  la  lauréate  de  l'école  de  droit 
de  Paris,  qui  est  en  même  temps  pianiste  distinguée,  élève  de  Marmontel, 
a  joué,  devant  un  auditoire  très  sympathique  à  la  débutante,  le  concerto 
de  Rosenhain. 

—  On  annonce  que  le  jeune  maestro  Pietro  Mascagni  a  été  chargé,  par 
le  comité  dos  fêtes  du  centenaire  de  la  fondation  du  Dôme  d'Orvieto, 
d'écrire  une  messe  qui  sera  exécutée  à  cette  occasion,  et  dont  l'exécution 
aura  lieu  sous  sa  direction  personnelle. 


LE  MENESTREL 


43S. 


—  Voici  la  liste  des  artistes  engagés  dès  aujourd'hui,  pour  la  saison 
d'hiver  1891-1892,  au  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne:  Soprani  dramatiques. 
M"'*  Adalgisa  Gabbi  et  Emma  Zilli;  contralti,  M<"'^  Renée  Vidal,  Adèle 
Borghi  et  Gesira  Pagnani;  premiers  ténors,  MM.  Gabrielesco  et  Bayo  ; 
premiers  barytons,  MM.  Caméra  et  Pagnoni;  premières  basses,  MM.  Tau- 
zini  et  Visconti.  Il  manque  encore  une  première  chanteuse  légère  et  un 
ténor  dramatique.  Les  chefs  d'orchestre  sont  MM.  Marino  Mancinelli  et 
W^ahils,  le  chef  des  chœurs  M.  Bonafous. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

La  «  question  du  chei  d'orchestre  »  à  l'Opéra  est  provisoirement 
résolue  pour  le  temps  de  direction  qu'il  reste  à  courir  à  MM.  Ritt  et 
Gailhard  jusqu'au  l'-''  décembre  prochain.  C'est  M.  Charles  Lamoureu.x, 
agréé  par  le  ministre,  qui  prend  la  succession  de  M.  Vianesi.  Il  arrive 
là  tout  porté  par  la  Société  des  grandes  auditions  musicales  de  France,  qui 
voudrait  donner  ses  prochains  spectacles  à  l'Opéra.  On  sait  qu'il  s'agit 
de  représenter  Lo/ieHjrm  et  ta  Prise  de  Troie.  L'arrivée  de  M.  Charles  Lamou- 
reux  au  pupitre  de  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  est  une  bonne  fortune  qui 
profitera  surtout  à  la  direction  nouvelle  de  M.  Bertrand.  A  défaut  d'autres 
qualités,  on  ne  peut  du  moins  refuser  à  M.  Lamoureux  une  grande  fer- 
meté et  une  grande  volonté.  Il  va  donc  sans  doute  introduire  parmi  les 
musiciens  de  l'Opéra  une  discipline  et  une  ardeur  dont  le  besoin  se  faisait 
vivement  sentir,  et  quand  M.  Colonne  interviendra  au  1"="'  décembre,  il 
trouvera  des  artistes  tout  stylés  et  bien  disposés  auxquels  il  n'aura  plus 
qu'à  donner  le  dernier  fini  et  ce  sens  artistique  qu'il  possède  à  un  si 
haut  degré  .  De  même  M.  Bertrand  trouvera  tout  montés  dans  son  réper- 
toire deux  opéras  importants,  comme  Lohengrin  et  la  Prise  de  Troie,  dont  il 
n'aura  plus  qu'à  récolter  les  recettes,  sans  avoir  eu  le  souci  et  les  frais 
de  leur  mise  en  scène.  Tout  sourit  décidément  à  M.  Bertrand,  l'homme 
heureux  par  excellence. 

—  La  mise  à  pied  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  nous  voudra  peut-être  encore 
un  nouveau  bonheur.  On  annonce  en  effet  que  ces  deux  messieurs  ne 
seraient  pas  éloignés  de  prendre  le  théâtre  de  l'Eden,  pour  y  installer  un 
bon  Théâtre-Lyrique,  où,  en  compagnie  de  M.  Lamoureux,  ils  exploite- 
raient le  répertoire  de  Wagner  Souhaitons-le  de  tout  notre  cœur.  La  fon- 
dation d'un  troisième  théâtre,lyrique  sérieux  est  désirable  à  tous  les  points 
vue  et,  dussent  MM.  Ritt  et  Gailhard  y  perdre  un  peu  des  millions  qu'ils 
ont  su  économiser  sur  l'Opéra,  il  n'y  aurait  qu'à  s'en  réjouir.  On  se  lasse 
de  tout,  même  des  œuvres  de  Wagner,  et  la  nouvelle  scène  bayreuthienne 
finirait  peut-être  par  tourner  à  l'avantage  de  nos  jeunes  compositeurs 
français.  Malheureusement  ce  sont  là  des  projets  qu'on  enfante  dans 
un  moment  de  dépit  et  que  la  froide  raison,  unie  à  de  sages  calculs,  fait 
bientôt  abandonner.  C  est  dommage  ! 

—  Les  imprécations  de  Gailhard,  empruntées  au  Figaro  et  à  l'esprit  de 
M.  Albin  Valabrègue  : 

Bourgeois,  l'unique  objet  de  mon  ressentiment  I 
Bourgeois,  dont  l'arrêté  vient  de  nommer  Bertrand  ! 
Bourgeois,  qui  me  détruis  et  que  mon  cœur  abhorre  I 
Bourgeois,  toi  que  je  hais  puisque  Bertrand  t'adore  ! 
Paissent,  de  l'Opéra,  les  hommes  préférés 
Saper  les  fondements  par  nous  mal  assures! 
Puissé-je  voir  tomber  au  plus  tôi  les  murailles! 
'  Que  Bertrand  de  ses  mains  déchire  ses  entrailles  1 

Que  le  courroux  du  ciel  allumé  par  mes  vœux 
Fasse  pleuvoir  sur  lui  des  déluges  de  feux  ! 
Puissé-je  de  mes  yeux  y  voir  tomber  la  foudre. 
Voir  ses  loges  en  cendre  et  ses  décors  en  poudre! 
Voir  le  dernier  ténor  à  son  dernier  soupir, 
Moi  seul  en  être  cause  et  vivre  de  plaisir  I 

—  h'Écho  de  Paris  annonce  la  prochaine  candidature  de  Pedro  Gailhard 
à  la  députation  dans  la  Haute-Garonne.  Ce  ne  serait  pas,  parait-il,  une 
plaisanterie,  mais  un  projet  très  sérieux.  Le  directeur  dégommé  aurait 
acquis  dans  ce  but  une  propriété  à  Saint-Beat  et  il  dit  à  qui  veut  l'en- 
tendre :  «  J'ai  pour  moi  la  vallée  de  l'Arbouste  et  les  guides  de  Luchon.  » 
Il  fit,  il  y  a  quelques  années,  une  quête  de  charité  à  l'intérieur  du  Casino 
de  Luchon  au  profit  de  la  Société  des  Guides,  et  il  compte  sur  la  voix  de 
ses  clients.  M.  Gailhard  compte  aussi  naturellement  sur  l'appui  habituel 
de  son  protecteur  M.  Constans,  tout-puissant  dans  le  département.  Gailhard 
à  la  Chambre,  c'est  un  spectacle  réjouissant,  qu'il  nous  sera  donné  de  voir, 
espérons-le. 

—  Est-ce  que  décidément  on  songerait  sérieusement  à  reconstruire 
l'Opéra-Gomique  en  son  ancien  emplacement,  place  Favart?  Un  de  nos 
confrères  a  vu  M.  Caron,  le  conseiller  municipal  de  Paris,  qui  fait  en  ce 
moment  de  nombreuses  démarches  pour  arriver  à  ce  que  le  projet  Guil- 
lotin  sorte  enlin  du  domaine  des  rêves;  et  M.  Caron  entre  autres  choses, 
lui  a  dit  : 

Le  conseil  municipal  de  Paris,  pour  montrer  sa  bienveillance  à  notre  projet,  a 
consenti  à  ce  qu'une  parcelle  de  la  place  Boieldieu,  mesurant  environ  quatre 
mètres  de  large,  fîit  concédée  gratuitement  à  l'Opéra-Gomique  nouveau.  Ce  don 
généreux  permettra  d'installer  très  commodément  l'administration  du  théâtre,  de 
développer  davantage  les  corridors  de  la  salle,  et  permettra,  en  outre,  de  ne  pas 
songer  à  s'approprier  pour  le  théâtre  la  maison  qui  tait  face  au  boulevard.  Donc, 
pas  d'expropriation  et  pas  de  frais  excessifs.  Le  nouveau  théâtre  pourrait  être 
construit  d'ici  un  an,  dix-huit  mois  au  plus  tard.  Il  réaliserait  des  recettes  for-- 
cées,  et,  pendant  quelques  années,  l'Opéra-Gomique,  avec  sa  nouvelle  salle,  serait 


dans  la  situation  oii  se  trouvait  jadis  placé  l'Opéra  avec  l'escalier  de  M.  Garnier. 
Tout  Paris  viendrait  voir  la  nouvelle  salle.  Quel  accroissement  de  fortune  pour 
tout  le  quartier  de  la  Bourse  et  du  boulevard  des  Italiens!  Je  ne  doute  pas  que 
la  Ghambre  n'émette  un  avis  favorable.  C'est  aussi  l'opinion  de  M.  Emile  Ferry, 
député,  et  de  mes  collègues  Charles  Laurent  et  Gamard.  Je  considère  que  j'ai  été 
élu  par  mon  quartier  —  j'habitais  la  place  Boieldieu  depuis  quinze  ans  —  pour 
poursuivre  le  but  que  je  me  suis  tracé.  J'obtiendrai,  soyez-en  sur,  un  vote  de  la 
Chambre.  Actuellement,  le  projet  a  été  renvoyé  avec  avis  favorable  par  M.  Bour- 
geois à  M.  Yves  Guyot,  et  ce  dernier  m'a  promis,  je  le  répète,  avant-hier,  qu'il 
mettrait  bientôt  la  Ghambre  à  même  de  légiférer  sunce  projet.  Attendons-nous 
donc  à  une  solution  prompte,  qui  est  attendue  impatiemment  par  tous  les  habi- 
tants du  quartier  Vivienne,  et,  j'en  suis  certain,  par  tous  les  habitants  do  Paris. 

—  Dans  la  séance  de  l'Académie  des  beaux-arts  du  18  avril,  M.  Gounod, 
au  nom  de  la  section  de  composition  musicale,  a  donné  lecture  de  son 
rapport  sur  le  concours  Rossini.  Étant  donnée  la  faiblesse  du  concours, 
la  section  propose,  aux  termes  de  ce  rapport,  la  prorogation  pure  et  simple 
du  concours  au  .11  décembre  de  cette  année,  en  conservant  le  même 
livret:  Isis.  Les  conclusions  du  rapport  sont  adoptées. 

—  Nous  avons  fait  connaître  déjà  le  résultat  du  concours  Gressent,  qui 
cette  fois  a  valu  le  prix  à  M.  Alix  Fournier.  Annonçons  aujourd'hui  que 
le  huitième  concours  pour  la  production  d'un  poème  destiné  à  la  prochaine 
épreuve  vient  d'être  ouvert.  Les  envois  seront  reçus  à  la  direction  des 
beaux-arts,  bureau  des  théâtres,  3,  rue  de  Valois,  du  16  au  31  octobre  pro- 
chain. 

—  Par  arrêtés  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
sont  nommés  au  Conservatoire  de  musique  :  professeur  de  cor,  M.  Bré- 
mond,  premier  cor-solo  à  la  Société  des  concerts  et  à  l'Opéra-Comique,  en 
remplacement  de  M.  Mohr,  décédé;  professeur  d'accompagnement  pratique 
au  piano,  M.  L.  Delahaye,  chef  du  chant  à  l'Opéia,  en  remplacement  de 
M.  Bazille,  décédé. 

—  A  la  mort  de  César  Franck,  ses  élèves  et  ses  admirateurs  ont  décidé 
d'ouvrir  une  souscription  pour  lui  élever  un  monument.  L'exécution  de 
ce  monument,  qui  sera  édifié  sur  la  tombe  de  l'éminent  musicien,  au 
cimetière  Montparnasse,  a  été  confiée  au  sculpteur  Rodin. 

—  Hier  samedi  a  été  célébré,  en  l'église  Notre-Dame-de-Lorette,  le 
mariage  de  M.  Jean  Bizet,  fils  de  l'auteur  si  regretté  de  Carmen  et  des 
Pêcheurs  de  perles,  avec  M""^  Stéphanie  Lbermitte. 

—  M.  Porel  s'occupe  déjà  de  sa  prochaine  saison  à  l'Odéon,  et  nous 
voyons  que  la  musique  n'y  sera  pas  plus  négligée  qu'en  ces  dernières 
années.  Parmi  les  ouvrages  qui  doivent  prendre  place  au  répertoire,  nous 
voyons  en  effet  qu'il  est  question  d'une  traduction  de  Siruensée,  le  fameux 
drame  allemand  de  Michel  Béer,  avec  la  superbe  musique  de  Meyerbeer, 
le  frère  du  poète,  en  même  temps  que  d'une  traduction  littérale  en  vers 
de  VOthello  de  Shakespeare  par  M.  Léon  Hennique,  pour  laquelle  M.  Henri 
Maréchal  écrirait  une  partition  importante. 

—  Dans  les  premiers  jours  du  mois  de  juin,  la  Société  des  grandes 
auditions  musicales  fera  entendre,  au  Trocadéro,  Israël  en  Egypte,  oratorio 
en  deux  parties  de  Hêendel.  C'est  M.  Gabriel-Marie  qui  sera  chargé  de 
l'organisation  et  de  la  direction  de  cette  solennité  musicale. 

—  Nous  avons  tenu  à  nous  rendre  à  Rouen,  le  18  avril,  pour  y  assister 
à  la  première  représentation  de  Velléia,  opéra  en  quatre  actes,  dont  le 
livret  est  de  MM.  Challamel  et  Chantepie  et  dont  la  musique  est  deM.Ch. 
Lenepveu.  Nous  y  avions  un  double  motif:  d'abord  celui  d'entendre  pour  la 
première  fois  à  la  scène  une  œuvre  dramatique  d'un  musicien  de  la  valeur 
de  M.  Ch.  Lenepveu,  l'auteur  du  Florentin,  du  Requiem,  de  Jeanne  d'Arc,  etc.; 
il  était  intéressant  de  voir,  en  outre,  ce  que  pourrait  être  l'interprétation 
d'une  partition  de  cette  importance  en  dehors  de  nos  grandes  scènes  lyri- 
ques de  la  capitale.  Avouons  immédiatement  que  notre  curiosité  a  été 
pleinement  satisfaite.  Velléda  a  remporté  un  succès  complet,  et  ses  inter- 
prètes ont  été  très  légitimement  applaudis.  On  connaît  le  sujet;  il  est 
emprunté  au  touchant  épisole  des  Martyrs  de  Chateaubriand,  dont  il  n'a 
peut-être  pas  suBïsamment  conservé  le  charme  poétique  et  les  dramati- 
ques incidents.  Tel  qu'il  est,  et  bien  qu'il  se  ressente  encore  de  la  forme 
d'oratorio  qu'il  avait  à  l'origine,  ce  livret,  rimé  avec  soin,  offrait  au  musi- 
cien certains  côtés  tendres  et  patriotiques  dont  il  a  su  habilement  pro- 
fiter. Ce  qui  nous  a  paru  caractériser  principalement  dans  cet  ouvrage 
le  talent  de  M.  Ch.  Lenepveu,  c'est  le  charme  et  la  poésie.  Assurément, 
il  manie  en  maître  les  masses  chorales,  il  sait  développer  et  rendre  puis- 
sants les  grands  ensembles  :  à  ce  point  de  vue,  le  chœur  du  premier  acte 
Tentâtes  veut  du  sang,  la  conjuration  au  deuxième  acte,  la  fête  au  troisième 
acte,  sont  des  pages  vigoureuses  et  sonores.  Mais  nous  leur  préférons 
quelques  mélodies  pleines  d'inspiration  et  de  grâce:  la  romance  de  Cœlius, 
Dans  ma  vie,  et  son  cantabile:  En  vain  dans  la  forêt  •,^  la  ballade  d'Bven: 
Gallia  se  berçait,  et  le  duo  plein  de  tendresse  :  Loin  des  bruits  vains  de  la  terre. 
En  somme,  l'opéra  de  ùl.  Ch.  Lenepveu  est  une  œuvre  sincère,  remar- 
quable dans  plusieurs  parties  et  qui  mérite  entièrement  l'accueil  qui  lui 
a  été  fait.  M""*  Levasseur  (Velléda),  de  Béridez  (Even),  MM.  Leprestre 
(Cœlius)  et  Lequien  (Senon)  ont  fait  preuve  d'un  vrai  talent  et  parfaitement 
rendu  leurs  rôles.  Quant  à  l'orchestre,  il  a  été  dirige  par  M.  Flou  de  la 
façon  la  plus  digne  d'éloges. 

_ .  -^T-rOn  sait_quels  services  a  rendus  depuis  quinze  ans  l'Association  artis- 
-  .  tique  d'Angers,  et  quel  élan  elle  a  donné  au  mouvement  musical  en  cette 


d36 


LE  MÉNESTREL 


ville.  Nous  lisons  à  ce  sujet  dans  Aiigers-Arlisle  :  «  L'Association  artis- 
tique a,  conformément  à  ses  statuts,  désigné  dans  sa  dernière  réunion 
générale  les  membres  de  la  Commission  administrstive.  Ceux  qui  en  fai- 
saient partie  ont  été  réélus  pour  une  nouvelle  période  de  deux  ans  avec 
acclamation  et  à  l'unanimité.  Ils  ont  immédiatement  fait  appel  au  dé- 
vouement du  président,  M.  Jules  Bordier,  le  priant  instamment  de  vou- 
loir bien  continuer  encore  à  diriger  cette  œuvre,  vieille  déjà  de  quinze 
années  et  à  laquelle  Angers  doit  un  orchestre  de  premier  ordre  et  des 
concerts  exceptionnels.  Il  importe  de  ne  pas  oublier  que  ni  la  bonne  vo- 
lonté, ni  les  efforts  persistants  de  ceux  qui  la  dirigent,  ne  suffiront  à  la 
faire  vivre  si  le  public  s'en  désintéresse.  Son  avenir,  l'avenir  artistique 
d'Angers  est  actuellement  entre  les  mains  des  abonnés.  Sur  eux  repose 
l'existence  de  nos  concerts,  et  sans  eux  le  zèle  et  le  dévouement  de  quel- 
ques-uns seront  impuissants.  Qu'ils  fassent  donc  un  effort  et  répondent 
tous  à  l'appel  que  leur  adresse  la  Commission,  en  conservant  leurs 
places  pour  la  saison  I891-1S92.  C'est  le  seul  moyen  de  conserver  en 
même  temps  une  société  dont  les  services  rendus  à  l'art  musical  en 
France  ont  fait  la  réputation  artistique  d'Angers.  » 

—  M.  et  M'""  Louis  Diémer  ont  brillamment  clôturé,  mardi  dernier, 
leurs  réceptions  de  l'hiver.  Le  clou  du  programme,  très  bien  fait,  était 
la  première  audition  du  Carnaval  des  Animaux,  de  M.  Saint-Saêns,  «  grande 
fantaisie  zoologique  pour  deux  pianos,  flûtes,  clarinettes,  quatuor  à 
cordes,  contrebasse,  célesta  et  xylophone  »,  jouée  le  plus  spirituellement 
du  monde  par  MM.  Diémer,  Pierné,  Taff'anel,  Turban,  Marsick,  Brun, 
Laforge,  Loys,  de  Sailly,  Risler  et  de  Gaster.  M»"'  Brunet-Lafleur,  dans  h' 
Soir,  de  M.  Ambroise  Thomas,  et  les  Lilas ,  de  M.  Louis  Diémer.  et 
M.  Engel,  dans  mon  Cœur  est.  épris,  de  M.  Louis  Diémer,  ont  obtenu  le 
succès  qui  les  accueille  partout  où  on  les  entend. 

—  L'école  Galin-Paris-Chevé  a  donné  dimanche  19  avril,  au  Trocadéro, 
son  12'  concert  annuel,  devant  un  public  nombreux.  Le  finale  de  Sapho, 
de  Louis  Lacombe,  a  été  l'objet  d'un  véritable  enthousiasme  :  dix  salves 
d'applaudissements  des  plus  nourries,  des  bis  et  trois  rappels  à  M.  Amand 
Chevé  pour  le  remercier  de  cette  exécution,  qui  fait  le  plus  grand  honneur 
à  sa  Société.  Cette  œuvre  était  accompagnée  par  le  maître  organiste  Guil- 
mant,  par  la  petite  armée  du  cours  de  violon  de  M.  Poilleux,  et  au  piano 
par  iM.  Rey,  avec  un  ensemble  très  remarquable.  Le  chœur  d'hommes 
de  la  Cour  des  miracles,  de  Léo  Delibes,  a  admirablement  terminé  la 
séance. 

Concerts  et  Soirées.  —  Au  concert  donné,  salie  Kriegelatein ,  par  M.  et 
M"'  Joubert,  de  New-Orléans,  on  a  vivement  applaudi  M.  ■\''ioIi  dans  VAve  Maria 
de  Qounod,  et  M—  Flautt  dans  le  Sancla  Maria  de  Faure.  Ces  deux  morceaux 
étaient  accompagnés,  sur  la  harpe,  par  le  remarquable  virtuose  M.  Gabriel 
Verdalle.  —  M.  et  M"'  Menjand  ont  donné  leur  concert  annuel,  la  semaine  der- 
nière, à  la  salle  Erard,  avec  un  succès  des  plus  vifs.  M'""  Menjaud,  la  pianiste- 
professeur  de  talent,  a  fait  montre  de  qualités  des  plus  appréciables,  et  M.  Men- 
jaud a  été  la  joie  de  la  soirée  avec  son  amusant  répertoire  comique  :  le  Pendu, 
de  Mac-Nab  :  Dans  le  Hangleterre,  le  nouveau  duo  de  Stop  et  Amélie  Perronnet, 
chanté  avec  M"-  Ragani  et  bissé  par  la  salle  entière,  et  Jl  signor  Fugantini,  de 
Lhuillier,  après  lequel  l'artiste  a  été  littérirlement  acclamé.  M"'  Ragani  a  fort 
spirituellement  détaillé  Ça  n'se  voit  pas,  d'Amélie  Perronnet,  et  on  a  couvert 
d'applaudissements  M.  Caron  après  sa  magistrale  interprétation  de  Vllijmne  au.r 
astres,  de  Faure.  Bravos  aussi  pour  M"'  Darcelle  et  M.  Jourdain,  deux  chanteurs 
de  la  bonne  école,  et  pour  MM.  Barraine,  Lavello  et  G.  Maton.  —  Jeudi  dernier 
a  eu  lieu,  à  la  salle  de  la  Société  de  géographie,  un  concert  au  profit  du  «  Pa- 
tronage de  Sainte-Mélanie  i>.  U"'  de  Noce,  dans  VAve  Maria,  de  Gounod,  accom- 
pagné par  MM.  Tedeschi,  Mâche,  Girod  et  Sourilas,  M-"  Defeuilly  et  Thomsen, 
MM.  Ghasne,  Landner,  Talamo  et  G.  Guiraud,  ont  été  souvent  applaudis  par  un 
public  très  nombreux.  —  Très  brillante  soirée  musicale,  lundi,  chez  M""  José- 
phine et  Léonie  Martin,  les  habiles  professeurs.  M"'  Ferrari,  M""  Magdeleine 
Godard  et  Guillaume  s'y  sont  tait  vivement  applaudir.  M""  Bataille,  la  remar- 
quable cantatrice,  a  produit  un  grand  eiiet  ;  M""  Martin  ont  fait  entendre  chacune 
une  de  leurs  élèves  ;  la  plus  jeune,  âgée  de  douze  ans,  a  joué  un  andante  de 
Hummel  avec  beaucoup  de  style  et  des  doigts  charmants.  Celle  de  M"°  José- 
phine a  enlevé  la  grande  valse  de  concer:  de  Diémer  avec  un  brio  et  une  élé- 
gance qui  ont  provoqué  de  vifs  applaudissements.  MM.  Rondeau,  Lauwers,  Gogny 
et  Oscar  Darwall  ont  chanté  et  obtenu  un  très  grand  succès.  La  maîtresse  de  la 
maison,  dont  on  connaît  le  talent  et  la  réputation  de  pianiste,  a  joué  un  noc- 
turne, une  valse  de  Chopin  et  deux  de  ses  compositions  avec  son  succès 
habituel.  —  Le  grand  chancelier  de  la  Légion  d'honneur  et  M""  la  générale 
Février  assistaient  à  la  séance  de  musique  classique  donnée  le  13  avril  par 
M"»  Fanny  Lefori,  professeur  à  la  maison  de  la  Légion  d'honneur,  et  oii  se  sont 
fait  applaudir  MM.  Berthelier  et  Loëb,  de  l'Opéra.  -  M.  Lucien  Lefort,  violoniste 
et  professeur,  a  donué  dimanche  dernier,  à  la  salle  Kriegelstein,  une  brillante 
audition  de  ses  élèves,  suivie  d'un  concert  oii  se  sont  fait  applaudir  M'""  Séguin- 
Loyer,  MM.  Clément  (de  l'Opera-Comiquei,  Galipaux,  Mariotte  et  Karren.  -  Le 
Tout-Paris  musical  se  trouvait  réuni,  le  samedi  18  avril,  dans  les  salons  de  M.  et 
M"  Gustave  Lyon,  qui  ont  oSert  à  leurs  invités  un  programme  des  plus  brillants 
Des  artistes  tels  que  M""  Conneau,  M'"  Louise  SIeiger,  MM.  Louis  Diémer 
Rémy,  Delsart,  Ch.  René  et  Risler  ont  tour  à  tour  charmé  l'assistance  et  recueilli 
des  bravos.-  Une  jeune  et  tout  aimable  pianiste,  M"-  Adèle  Querrion,  élève  de 
M.  Delabordc,  dans  la  classe  duquel  elle  obtint  un  brillant  premier  prix,  a  donné 
lundi  dernier,  salle  Pleyel,  un  concert  qui  lui  a  valu  un  succès  très  légitime  et 
très  flatteur.  M""  Querrion  sest  fait  applaudir  tout  d'abord  pour  la  sûreté  et  le 
style  qu'elle  a  déployés  dans  le  deuxième  trio  de  Mendelssohn,  exécnié  avec 
M.  Reynier  et  l'excellent  violoncelliste  M.  Uaithe,  et  dans  la  sonate  de    Grieg 


pour  piano  et  violon;  puis,  son  succès  personnel  a  été  complot  dans  toute  une 
série  de  pièces  de  Beethoven,  Chopin,  Schumann,  Bach,  Moschelès,  et  de 
MM.  Delaborde,  Pfeitl'er,  etc. 

—  Concerts  annoncés.  —  Demain  lundi  27  avril,  salle  Erard,  second  concert 
de  M""  Clotilde  Kleeberg.  —  Mercredi  -29,  salle  Pleyel,  concert  de  M.  Joseph 
Baume,  premier  prix  du  Conservatoire,  avec  le  concours  de  M"°  Jeanne  Lyon  et 
de  MM.  Louis  Diémer  et  Joseph  ^Yhile.  —  Lundi  4  mai,  à  la  salle  Erard,  con- 
cert donné  par  M.  Victor  Staub,  jeune  et  brillant  virtuose  qui  a  fait  fureur  à 
Nice  cette  saison,  avec  le  concours  de  M""  Tarquini  d'Or.otdeMM.  Louis  Diémer 
et  G.  Remy.  —  Le  12  mai,  salle  Erard,  concert  de  M"'  Joséphine  Martin. 

NÉCROLOGIE 

Nous  annonçons  avec  regret  la  mort  d'un  excellent  artiste  estimé  et' 
aimé  de  tous,  Auguste-Ernest-Bazille,  professeur  d'accompagnement  au 
Conservatoire,  premier  chef  du  chant  à  l'Opéra-Comique  depuis  quarante 
ans  et  organiste  du  grand  orgue  à  l'église  Sainte-Elisabeth.  Né  à  Paris  le 
27  mai  1828,  Bazille  avait  fait  de  brillantes  études  au  Conservatoire,  où  il 
avait  obtenu  les  premiers  prix  de  solfège,  d'harmonie,  d'orgue  et  de  fugue. 
Il  avait  à  peine  vingt  ans  lorsque,  en  1848,  prenant  part  au  concours  de 
Rome  à  l'Institut,  il  remportait  le  premier  second  grand  prix  de  compo- 
sition musicale;  le  premier  prix  était  décerné  cette  année  à  M.  Duprato, 
et  le  deuxième  second  prix  à  M.  Georges  Mathias;  la  cantate  avait  pour 
titre  Damoclès  et  pour  auteur  M.  Paul  Lacroix.  Bazille  ne  s'est  pourtant 
produit  comme  compositeur  que  par  la  publication  de  quelques  mélodies 
vocales,  et  par  quelques  couplets  écrits  pour  les  théâtres  de  vaudeville. 
Mais  on  lui  doit  les  excellentes  réductions  au  piano  d'un  grand  nombre 
d'opéras-comiques. 

—  Lundi  dernier  est  mort  à  Paris  un  artiste  autrefois  fort  actif,  mais 
depuis  longtemps  bien  oublié,  Jules-Eugène-Abraham  Alary,  qu'on  avait 
coutume  d'appeler  Giulio  Alary,  parce  qu'il  s'était  fait  d'abord  connaître 
sous  ce  nom,  ayant  passé  sa  jeunesse  en  Italie  et  étant  né  en  1814  à  Man- 
toue.  Il  n'en  était  pas  moins  issu,  de  famille  française,  et  parfaitement 
français  lui-même.  Alary  avait  fait  ses  études  musicales  au  Conservatoire 
de  Milan,  et,  en  1833,  était  venu  à  Paris,  où  il  devint  successivement  chef 
du  chant  au  Casino  Paganini  (1836),  chef  du  chant  et  bibliothécaire  de 
la  Société  de  musique  religieuse  et  classique  du  prince  de  la  Moskowa 
(1841)  et,  plus  tard,  directeur  de  la  musique  au  Théâtre-Italien  (1833)  et 
accompagnateur  de  la  chapelle  impériale  (1833-1870),  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  de  faire  d'assez  nombreux  voyages  et  de  faire  représenter  plusieurs 
ouvrages,  tant  en  France  qu'à  l'étranger.  Voici  la  liste  de  ces  ouvrages  : 
1°  Rosmunda,  opéra  sérieux  en  2  actes  (Florence  ISiO),  dont  le  rôle  princi- 
pal fut  créé  par  la  Strepponi,  aujourd'hui  madame  Verdi  :  2°  Rédemption, 
mystère  en  '■>  parties  (Théâtre-Italien  de  Paris,  1850)  ;  3"  le  Tre  Nazie, 
opéra  bouffe  en  3  actes  (id.,  1831)  ;  4°  Sardanapale,  opéra  en  5  actes  (Saint- 
Pétersbourg,  1832);  5"  l'Orgue  de  Barbarie,  opérelte  en  un  a.cle  (BoulVes-Pari- 
siens,  185(5)  ;  6°  la  Beauté  du  diable,  opéra-comique  en  un  acte  (Opéra- 
Comique,  1861)  ;  7°  le  Brasseur  d'Amsterdam,  opérette  en  un  acte  (Casino 
d'Ems,  1861)  ;  8"  la  Voix  humaine,  opéra  en  2  actes  (Opéra,  1861)  ;  i)"  Locanda 
gratis,  opéra  bouffe  en  un  acte  (Théâtre- Italien,  1866).  Aucun  de  ces 
ouvrages  ne  put  obtenir  un  réel  succès.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  très 
nombreuses  compositions  vocales;  scènes,  airs,  mélodies,  romances,  pour 
une,  deux,  i.rois  ou  quatre  voix,  écrites  par  Alary  sur  paroles  françaises, 
italiennes,  anglaises  ou  même  allemandes  ;  quelques-unes  de  celles-ci 
furent  accueillies  du  public  avec  beaucoup  de  faveur.  Dans  leur  dernier 
article  publié  ici  même  sur  l'histoire  de  la  seconde  salle  Favart,  nos  excel- 
lents collaborateurs  Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe  évoquaient  préci- 
sément le  souvenir  d'Alary  à  propos  d'un  de  ses  opéras  et  à  l'aide  d'une 
anecdote  amusante. 

—  De  Weimar  on  annonce  la  mort  du  remarquable  violoniste  Auguste 
Kœmpel,  qui  fut  à  Cassel  l'un  des  derniers  et  des  meilleurs  élèves  de 
Spohr,  et  qui  reçut  aussi  des  leçons  de  Ferdinand  David  à  Leipzig  et  de 
M.  Joachim  à  Hanovre.  Virtuose  d'une  rare  habileté,  artiste  de  grand  style, 
remarquable  par  la  pureté  et  la  correction,  il  manquait  à  la  fois  de  charme 
et  de  chaleur.  Il  obtint  néanmoins  —  et  mérita  —  de  grands  succès  en 
Allemagne  et  à  l'étranger,  parce  qu'il  était  le  représentant  d'une  école 
sévère  et  classique.  A  Paris,  il  se  fit  vivement  applaudir  à  deux  reprises, 
en  1860  à  la  Société  des  jeunes  artistes  de  Pasdeloup,  et  en  1867  aux 
concerts  de  l'Athénée,  que  dirigeait  le  même  Pasdeloup.  Le  8'  concerto 
de  Spohr,  qu'il  joua  dans  ces  deux  occasions,  lui  valut  une  véritable 
ovation.  Il  ne  fut  pas  moins  bien  accueilli  à  Bruxelles  et  à  Londres.  De- 
puis trente  ans  environ,  Kœmpel  remplissait  les  fonctions  de  chef  d'or- 
chestre à  Weimar,  où  il  avait  été  appelé  par  Liszt,  et  pendant  longues 
années  il  a  donné  en  cette  ville,  avec  MM.  Edouard  Lassen  et  Walbrul 
pour  principaux  partenaires,  des  séances  de  musique  de  chambre  dont  le 
succès  était  grand.  Auguste  Kœmpel  était  né  à  BrOckenau  le  15  août  1831. 

—  On  annonce  de  New- York  la  mort  de  M.  Charles  F.  Chickering, 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  chef  de  la  célèbre  manufacture  de  pianos 
qui  porte  son  nom.  Les  artistes  américains  perdent  en  lui  un  généreux 
protecteur  et  le  commerce  américain  un  de  ses  plus  éminents  représen- 
tants. Il  était  âgé  de  soixante-quatre  ans. 

He.nri  Heugel,  directeur-gérant. 


R.   —    niPRlMElUE   < 


3i3S 


57-  imm  —  î\M8. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  frcaico  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


Dimanche  3  liai  i891. 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

JHenri    HEUGELi,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et   Bons-poste  d'abonnement* 

Un  OD,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favait  (">■  article),  Alkert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Derniers  projets  de  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
H.  M.;  première  représentation  d'Amoureuse,  à  l'Odéon,  Paul-Émile  Chev.alier. 
—  III.  Napoléon  dilettante  (6'  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MADAME    L'HIRONDELLE 

n"  6  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  musique  de  Cl.  Blanc  et  L.  Dauphin, 
poésies  de  George  Auriol.  —  Suivra  immédiatement:  Puisqu'ici  bas,  mé- 
lodie posthume  de  Gn.-B.  Lysberg,  poésie  de  Victor  Hdgo. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Sérénade  rococo,  de  Robert  Fischhof.  —  Suivra  immédiatement: 
Autrefois,  musette  d'ANiOMN  Marmo.ntel. 


HISTOIRE  DE  LA  SECOl\DE  SALLE  FAYART 


Albert  SOUBIES   et  Cliarles   IVIALHEFIBE 


DEUXIEME  PARTIE 

(Suite.) 


CHAPITRE  II 


RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lalla-Roiikh  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 
1862-1864. 
Le  jour  même  où  un  arrêté  ministériel  signé  Walewski 
révoquait  l'ancien  directeur  de  TOpéra-Gomique,  un  autre 
arrêté  portant  pareille  signature  désignait  le  nouveau  directeur. 
Sans  coup  férir,  Perrin  succédait  à  Beaumont.  Cette  prompti- 
tude put  surprendre  le  public  qui,  sur  la  foi  de  noies  com- 
plaisantes parues  dans  les  journaux,  croyait  à  la  prospérité 
du  théâtre  et  aux  mirifiques  recettes  qu'on  y  encaissait;  elle 
n'étonna  pas  ceux  qui,  par  leurs  intérêts  ou  leur  situation, 
connaissaient  les  dessous  de  l'affaire  et  les  agissemenis 
secrets  auxquels  elle  donnait  lieu.  Depuis  plus  d'un  an,  les 
commanditaires  appelaient  l'attention  du  ministre  sur  les 
dangers  pécuniaires  de  cette  direction,  et  plusieurs  d'entre 
eux,  MM.  Delahante,  Salamanca,  de  Guadra,  appuyaient 
énergiquement,  auprès  de  M.  Walewski,  la  candidature  d'un 
homme  qui  se  recommandait  de  lui-même    par    son  intelli- 


gence et  ses  antécédents,  ariistiques,  M.  Garvalho.  D'autres 
influences  devaient  paralyser  ces  efforts.  On  luttait  donc  pour 
une  succession  non  encore  ouverte  et,  quand  elle  s'ouvrit, 
la  nomination  fut  d'autant  plus  immédiate  qu'on  ne  voulait 
pas  lutter  encore  et  laisser  le  champ  libre  à  des  compétitions 
nouvelles. 

Mais  Perrin  n'ignorait  pas  avec  quel  rival  redoutable  il 
avait  dti  compter;  car  (ce  détail  n'a  jamais  été  rapporté  par 
personne),  il  se  liàta  d'écrire  à  M.  Garvalho  une  lettre  que 
nous  avons  eue  entre  les  mains  et  qui  commençait  ainsi  : 
«  En  prenant  possession  de  l'Opéra-Gomique,  la  première  per- 
sonne que  je  désire  voir  c'est  vous...  » 

Et  quel  changement  en  effet  dans  la  fortune  de  M.  Garvalho 
s'il  eut  été  mis  à  la  tête  de  ce  théâtre,  soit  alors,  soit  en 
décembre  1862,  lorsque  Perrin  se  retirai  mais,  entre  temps, 
il  avait  accepté  la  charge  du  Théâtre-Lyrique  ;  il  ne  pouvait 
abandonner  les  commanditaires  qui  avaient  placé  en  lui 
leur  confiance,  et  il  dut  se  risquer  à  lutter  courageusement 
tandis  que  les  difficultés  s'aplanissaient  comme  par  enchan- 
tement devant  son  heureux  rival. 

Ce  dernier  avait  tout  pour  lui:  la  faveur  de  l'opinion  et 
l'appui  de  la  presse.  Auteurs  et  compositeurs  le  félicitaient 
par  une  lettre  collective,  et  rendue  publique  ;  les  journaux 
rappelaient  les  succès  de  sa  première  gestion  (mai  1848  à 
novembre  1857)  et  l'on  citait  avec  complaisance  tous  les 
ouvrages,  quelques-uns  désormais  célèbres,  qui  avaient  «  ré- 
généré le  répertoire,  créé  un  fonds  inépuisable  de  recettes, 
et  offert  aux  théâtres  de  province  de  si  splendides  ressources.» 

Cet  appui  moral  était  complété  par  la  situation  matérielle 
dont  le  bénéfice  lui  était  assuré.  II  prenait  le  théâtre  libre 
de  toute  charge  antérieure.  Quelques-uns  objectaient  que  ses 
bénéfices  d'autrefois  lui  créaient  le  devoir  de  combler  une 
partie  du  déficit  actuel;  mais  d'autres  répondaient  justement 
que  les  habiles  ne  sauraient  payer  pour  les  maladroits,  ou 
alors  celui-là  seul  pourrait  redevenir  directeur  qui  aurait  fait 
d'abord  de  mauvaises  affaires  ;  triste  privilège  et  médiocre 
garantie.  Au  surplus,  l'administration  des  beaux-arts  préten- 
dait faciliter  la  tâche  au  nouveau  venu,  et  la  justice  lui 
donna  raison  dans  tous  les  procès  qu'il  eut  à  soutenir  contre 
Beaumont  ou  ses  commanditaires.  Car  on  plaida  six  mois 
durant  et  à  maintes  reprises;  on  plaida  pour  prendre  pos- 
session de  la  salle;  on  plaida  pour  exiger  de  Perrin  le  dépôt 
d'une  somme  de  300,000  francs  à  titre  de  garantie  pour  le 
prix  du  matériel,  avec  affectation  de  200,000  francs  au  règle- 
ment des  dettes;  on  plaida  pour  faire  distribuer  aux  artistes 
20,000  francs  de  subventions  échues  et  les  85,000  francs 
représentant  le  cautionnement  de  Beaumout. 

Toujours  et  partout,  Perrin  eut  gain  de  cause.  La  situation 
fut  liquidée  au  profit  de  ses  intérêts,  c'est-à-dire  de  ceux  de 


138 


LE  MÉNESTREL 


son  théâtre  ;  on  la  peut  résumer  en  deux  mots.  Gomme 
passif,  outre  les  frais  d'exploitation  nécessairement  variables, 
110,000  francs  pour  location  de  la  salle  payables  chaque 
année  à  son  propriétaire  Crosnier;  comme  actif,  240,000  francs 
de  subvention  et  80,000  francs  de  cautionnement  exigés  partie 
en  argent,  partie  en  rentes  sur  l'État. 

Deux  faits,  ou  plutôt  deux  impulsions  artistiques  caracté- 
risent le  second  et  court  passage  de  Perrin  à  l'Opéra-Go- 
mique. 

D'une  part,  un  pas  en  avant  avec  une  œuvre  plus  descrip- 
tive que  dramatique,  accusant  par  cela  même  des  tendances 
quelque  peu  nouvelles  et  si  bien  accueillie  d'ailleurs  qu'elle 
figure  parmi  les  grands  succès  du  théâtre,  Lalla  Roukh. 

De  l'autre,  un  l'etour  vers  le  passé  avec  une  série  de  re- 
prises inattendues  :  mouvement  analogue  à  celui  que  nous 
avons  signalé  entre  1843  et  1845,  plus  restreint  peut-être, 
mais  tout  aussi  curieux.  Alors,  on  s'était  attaché  à  remettre 
en  honneur  des  œuvres  appartenant  à  la  seconde  manière 
de  l'opéra-comique,  comme  les  derniers  ouvrages  de  Grétry, 
Dalayrac,  Méhul,  Berton  ou  Nicole  ;  maintenant,  on  remon- 
tait presque  aux  sources  mêmes  du  genre,  on  s'en  allait 
exhumer,  sous  l'influence  de  cette  rénovation,  quelques  piè- 
ces anciennes  parmi  les  plus  anciennes.  En  1862  :  la  Servante 
nmîtresse,  de  Pergolèse,  type  fondamental  sur  lequel  s'était 
modelée  la  comédie  musicale  française  du  XVIll"  siècle,  et 
les  premiers  essais  de  Monsigny,  Dalayrac  et  Grétry,  Mose  et 
Colas,  Deux  mots,  Zémire  et  A:-or.  En  1863  :  la  Fausse  Magie,  qui 
n'avait  jamais  paru  à  la  salle  Favart.  En  186S  et  en  1866  : 
deux  antiquités,  plus  oubliées  encore,  dont  l'auteur  doit  être 
mis  au  nombre  des  ancêtres  du  théâtre,  les  Deux  Chasseurs  et 
la  Laitière,  les  Sabots,  de  Duni. 

Mais  avant  de  se  lancer  dans  le  très  vieux  ou  le  très  neuf, 
Perrin  tâta  en  quelque  sorte  le  terrain  avec  du  vieux-neuf, 
c'est-à-dire  un  article  ancien,  revu,  corrigé,  considérablement 
augmenté,  et  servi  comme  nouveauté,  le  Joaillier  de  Saint-James 
(17  février).  Les  trois  actes  de  de  Saint-Georges  et  de  Leuven 
avaient  paru  sous  une  première  forme,  et  sous  le  nom  de 
Lady  Melvil  au  théâtre  de  la  Renaissance  le  15  novembre  1838. 

La  musique  d'Albert  Grisar  n'avait  alors  qu'une  importance 
secondaire,  puisque  le  principal  personnage  lui-même,  n'ayant 
rien  à  chanter,  était  représenté  par  un  acteur  de  drame. 
Plus  tard,  le  compositeur  reprit  son  travail,  et,  ne  gardant 
que  trois  numéros  de  la  partition  primitive,  écrivit  quinze 
morceaux  nouveaux,  parmi  lesquels  une  certaine  romance  : 
<t  Adieu,  madame,  »  délicieusement  soupirée  par  Montaubry,  et 
devenue  promptement  populaire.  En  jouant  le  Joaillier  de  Saint- 
James,  Perrin  ne  faisait  que  reprendre  son  bien.  Il  avait  voulu 
monter  l'ouvrage  dès  1856,  et  son  départ  seul  avait  causé 
l'ajournement  des  répétitions  d'abord,  de  la  représentation 
ensuite.  Roqueplan  n'eut  pas  l'air  d'y  prendre  garde  ;  Beau- 
mont  s'en  .souvint,  mais  dut  quitter  la  place  plus  tôt  qu'il  ne 
le  voulait;  Perrin  ne  pouvait  se  soustraire  à  l'obligation  sous- 
crite par  lui  précédemment,  et  il  y  apporta  tous  ses  soins,  dès 
qu'il  eut  pris  possession  du  théâtre,  c'est-à-dire  le  1"  février, 
après  cinq  jours  de  relâche  (28-31  janvier).  Il  faut  croire 
que  la  musique  de  Grisar  l'avait  charmé,  car  le  libretto  lais- 
sait fort  à  désirer.  Ce  joaillier,  épris  d'une  marquise  qu'il  a 
sauvée  jadis,  et  lui  envoyant  incognito  une  parure  comme 
témoignage  de  sa  passion,  nous  transporte  déjà  dans  le 
monde  de  l'invraisemblable.  Mais  que  cette  parure  soit  volée 
par  le  commis  qui  veut  épargner  à  son  patron  une  folie,  le 
déshonneur,  la  ruine,  et  que  ce  larcin  amène  au  contraire 
l'arrestation  du  joaillier,  la  découverte  de  sa  noblesse  dissi- 
mulée sous  un  nom  d'emprunt,  et  son  mariage  avec  la  grande 
dame  qui  aimait  en  secret  son  mystérieux  sauveteur,  c'est  là 
un  imbroglio  qui  de  nos  jours  paraîtrait  plus  qu'absurde. 
Une  bonne  interprétation,  une  mise  en  scène  élégante,  une 
musique  jugée  favorablement  par  la  presse,  tout  faisait  croire 
à  un  grand  succès  :  au  bout  de  vingt-cinq  représentations, 
le  Joaillier  avait  disparu  pour  jamais. 


Deux  reprises  étaient  encore  sur  chantier  et  absorbaient 
d'abord  les  soins  de  la  direction  :  les  Charmeurs  (25  février)  et 
Giralda  (28  mars).  Confié  au  talent  de  Capoul  et  de  M'"-'  Balbi, 
le  petit  acte  de  de  Leuven  et  Poise  était  nouveau  pour  la 
salle  Favart  ;  il  venait  du  Théâtre-Lyrique  oià  il  avait  été 
donné  en  1855,  le  7  mars,  avec  Achard  et  M"»^  Meillet  pour 
principaux  interprètes.  L'origine  du  livret  remontait  à  une 
époque  plus  ancienne;  c'était  une  comédie  à  ariettes,  jouée 
en  1757  et  arrangée,  suivant  Lasalle,  d'après  un  épisode  de 
Daphnis  et  Chloé,  par  Favart,  Guérin  et  Harny,  les  Ensorcelés  ou 
la  Nouvelle  Surprise  de  l'Amour.  Sous  un  titre  presque  pareil  le 
même  compositeur  devait  donner,  quelques  années  plus  tard, 
une  pièce  qui  figure  parmi  ses  plus  grands  succès  :  elle  était 
également  empruntée  au  théâtre  du  XVIIP  siècle,  et  s'appelle 
la  Surprise  de  rAmour.  Comme  on  le  voit,  la  coïncidence  pou- 
vait passer  pour  une  récidive. 

Giralda,  jouée  pour  la  première  fois  en  1850,  et  pour  la 
dernière  en  1852,  semblait  n'ayoir  pas  plu  tout  d'abord  à 
Perrin,  qui  Tavait  lancée  originairement  en  plein  été,  et 
n'en  avait  certes  pas  tiré  tout  le  parti  possible.  Mais  il  ne 
s'entêtait  pas  hors  de  propos  et  reconnaissait  volontiers  ses 
erreurs,  surtout  quand  ses  intérêts  étaient  en  jeu.  Une  re- 
prise projetée  en  1858  n'aboutit  pas;  celle  de  1862  réussit 
avec  le  concours  de  M""  Marimon  (Giralda),  Pannetrat  (la 
Reine),  MM.  Crosti  (le  roi),  Warot  (don  Manuel),  Ponchard 
(Ginès). 

Enfin,  le  12  mai  se  livra  la  grosse  bataille  artistique  de 
l'année  1862,  Lalla-Roukh,  opéra-comique  en  deux  actes,  de 
Michel  Carré  et  Hippolyte  Lucas,  musique  de  Félicien  David. 
A  proprement  parler,  on  ne  batailla  guère,  car  le  triomphe 
fut  immédiat,  éclatant,  reconnu  par  tous.  «  Ou  je  me  trompe 
fort,  écrivait  Berlioz  dans  les  Débats,  ou  la  partition  de  Lalla- 
Roukh  est  dans  son  ensemble  ce  que  l'auteur  du  Désert  a  fait 
de  mieux.  »  Le  livret  était  tiré  d'une  des  œuvres  les  plus 
célèbres  de  Thomas  Moore,  ce  poète  gracieux  dont  Sheridan 
disait  :  «  11  n'existe  pas  d'homme  qui  ait  aussi  bien  réussi  à 
faire  passer  le  langage  du  cœur  dans  les  élans  de  l'imagi- 
nation. Il  semble  que  son  âme  soit  une  étincelle  du  feu  cé- 
leste, qui,  détachée  du  soleil,  voltige  sans  cesse  pour  re- 
monter vers  cette  source  de  lumière  et  de  vie.  »  Dans  le 
poème  anglais,  la  belle  Lalla-Roukh,  fille  de  l'empereur  de 
Delhi,  se  rend  près  de  son  fiancé,  le  fils  d'Abdallah,  roi  de  la 
Petite-Tartarie  ;  elle  est  accompagnée  d'un  chambellan, 
Fadladeen,  et  d'un  poète,  Feramorz,  qui  abrège  les  longueurs 
du  voyage  par  de  charmants  récits  et  finit  par  inspirer  à  la 
princesse  une  véritable  passion.  Tout  se  découvre  au  dé- 
nouement; l'aimable  conteur  n'était  autre  que  le  fiancé. 
Quant  au  chambellan,  qui  jugeait  toujours  détestables  les 
vers  de  son  compagnon,  il  en  est  quitte  pour  changer  d'opi- 
nion, ce  qui  lui  coûte  d'autant  moins  que  sa  maxime  favo- 
rite est  plus  simple  :  «  Si  le  prince,  dit-il,  vient  à  prétendre 
qu'il  fait  nuit  à  midi,  jurez  que  vous  voyez  la  lune  et  les 
étoiles.  »  Dans  la  version  de  l'opéra-comique,  Lalla-Roulih 
a  gardé  son  nom,  mais  Feramorz  est  devenu  Noureddin,  prince 
de  Samarcande,  et  Fadladeen  Baskir,  un  envoyé  du  prince, 
juge  de  village  chargé  de  tenir  l'emploi  de  chambellan,  et 
d'amener  la  princesse  à  bon  port.  Ce  joli  conte,  qui  depuis 
a  servi  d'ailleurs  à  Rubinstein  pour  son  opéra  Feramors, 
ressemble  fort  à  quelque  Jean  de  Paris  un  peu  idéalisé  et 
transporté  dans  le  pays  des  roses  ;  c'est  l'histoire,  d'ailleurs 
très  morale,  d'un  roi  qui  se  fait  passer  pour  son  propre 
rival,  afin  de  s'assurer  de  l'amour  de  sa  fiancée  et  ne 
devoir  qu'à  lui-même  son  bonheur.  Félicien  David  avait 
saisi  avec  bonheur  et  délicatement  nuancé  le  côté  poétique 
et  pittoresque  de  cette  aventure,  et  dès  le  premier  jour  sa 
partition  fut  saluée  comme  une  réaction  contre  le  prosaïsme 
sot  et  vulgaire  des  œuvres  alors  acclamées  par  la  foule. 

«  On  regardait  presque  comme  tarie  la  source  de  l'idéal, 
écrivait  un  critique,  et  cette  source  jaillit  tout  à  coup  comme 
une  baguette  magique  et  convie  à  des  jouissances  nouvelles 


LE  MÉNESTREL 


439 


tous  les  esprits  d'élite,  toutes  les  âmes  délicates  et  tendres, 
tous  les  cœurs  qui  ont  aimé  et  qui  doivent  aimer...  C'est  un 
honneur  pour  un  pays  que  de  voir  éclore  des  productions 
capables  de  ramener  la  foule  égarée  au  culte  du  vrai  et  du 
beau...  » 

La  foule,  en  effet,  accourut  avec  un  tel  empressement  que 
pendant  plus  de  trois  mois  la  moyenne  des  recettes  dépassa 
régulièrement  6,000  francs  ;  on  donnait  Lalla-Roukh  trois  fois 
par  semaine,  et  même  quatre  (19,  20,  22,  24  mai  et  28,  29, 
31  juillet  et  2  août).  La  province  elle-même  apportait  son 
contingent  d'admirateurs,  et  le  21  juillet,  en  particulier,  on 
vit  arriver  par  train  spécial  une  caravane  de  800  Angevins 
pour  assister  à  la  représentation.  En  leur  honneur,  l'aimable 
Perrin  avait  fait  brosser  un  rideau  d'entr'acte  :  double  enca- 
drement ovale  contenant,  d'une  part,  le  panorama  d'Angers, 
de  l'autre  une  vue  du  Vieux  Château,  le  tout  relié  par  des 
sujets  emblématiques  et  des  enroulements  oîi  se  lisait  la 
date  de  cette  mémorable  visite.  Voilà  une  attention  que 
n'auraient  guère  aujourd'hui  pour  d'honorables  «  ruraux  » 
les  directeurs  de  nos  scènes  subventionnées.  Le  succès,  au 
surplus,  se  maintint.  De  1862  à  1867,  on  compta  154  représen- 
tations ;  la  reprise  de  1870  en  fournit  13  ;  de  1876  à  1880  et 
de  1881  à  1884,  on  retrouve  deux  séries,  l'une  de  85,  l'autre 
de  27  :  soit  un  total  de  279  représentations  à  la  salle  Favart. 
Mais  ce  chiffre  peut  s'accroître  encore  ;  il  suffit  d'un  élégant 
chanteur  comme  Montaubry  et  d'une  séduisante  princesse 
comme  M"^  Cleo,  pour  ranimer  Noureddin  et  Lalla-Roukh  ; 
l'œuvre  est  née  viable,  et  la  fantaisie  d'tin  directeur  peut 
nous  rendre  quelque  jour  ce  joli  songe  d'une  nuit  d'Orient. 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THEATRAL 


Le  1=''  mai  est  passé  et  nos  théâtres  sont  encore  debout.  Les 
anarchistes,  les  possibilistes,  les  socialistes,  les  Broussistes,  les 
AUemanisles  et  autres  croquemilaines  en  istes  veulent  bien  nous 
laisser  une  nouvelle  année  de  répit  pour  causer  en  paix  de  nos  pe- 
tites affaires  de  musique. 

L'Opéra  n'a  pas  encore  sauté  pour  cette  fois,  et  MM.  Ritt  et 
Gailhard  pourront  y  achever  tranquillement  les  quelques  mois  de 
direction  qui  leur  restent  à  courir.  On  répandait  le  bruit  que,  dé- 
couragés de  toutes  choses,  ils  renonçaient  à  poursuivre  plus  avant 
les  études  de  Fidelio.  C'était  mal  connaître  la  verdeur  de  M.  Ritt,  le 
vaillant  octogénaire,  ou  le  ressort  de  Pedro  Gailhard,  qui  n'est  pas 
de  Toulouse  pour  rien.  Non,  Beethoven  n'aura  pas  à  souffrir  du 
coup  cruel  qui  est  venu  frapper  ses  deux  protecteurs,  et  sa  partition 
maîtresse  nous  sera  bientôt  rendue.  C'était  suffisant  déjà  pour  assurer 
aux  directeurs  une  honorable  sortie;  il  est  probable  pourtant  qu'ils  ne 
s'en  tiendront  pas  à  Beethoven  seul,  et  que,  voulant  nous  écraser 
jusqu'au  bout  de  leurs  bienfaits,  ils  y  ajouteront  par  surcroît  le  re- 
doutable Wagner,  qu'ils  voudraient  introduire  à  l'Opéra  avant  leur 
départ,  —  sorte  de  cartouche  de  dynamite  laissée  dans  le  monument 
à  l'adresse  de  leurs  successeurs.  Lohengrin  faisait  partie  du  pro- 
gramme futur  de  M.  Bertrand  ;  MM.  Ritt  et  Gailhard  s'en  emparent 
et  en  escomptent  la  primeur  à  leur  profit.  C'est  de  très  bonne 
guerre  et  on  ne  saurait  leur  en  vouloir.  L'important,  c'est  que  nous 
ayons  Lohengrin,  qu'il  nous  vienne  de  droite  ou  de  gauche. 

Que  disait-on  encore  ?  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  avaient  l'inten- 
tion de  se  mettre  à  la  tète  d'un  nouveau  théâtre-lyrique  qu'ils  au- 
raient créé  aux  portes  mêmes  de  l'Opéra,  à  l'Eden,  catapulte  formi- 
dable dirigée  contre  le  puissant  voisin.  Il  n'en  est  rien,  parait-il. 
Crispin,  du  XIX"  Siècle,  qui  a  des  attaches  solides  avec  ces  mes- 
sieurs, prend  la  peine  de  nous  rassurer  en  quelques  mots  : 
«  MM.  Ritt  et  Gailhard  ne  songent  pas  plus  à  la  salle  de  l'Eden, 
dont  on  ne  peut  rien  faire,  qu'à  une  subvention,  qui  mettrait  ce 
Théâtre-Lyrique  sous  la  dépendance  funeste  de  l'État.  » 

Hein  !  quel  dédain  pour  ce  pauvre  Etat,  qui  les  a  enrichis  pen- 
dant sept  années  en  leur  servant  un  subside  do  cinq  millions  six 
cent  mille  francs,  dont  ils  ont  fait  le  bel  usage  artistique  que  l'on 
sait!  En  ce  temps-là  ils  ne  les  trouvaient  pas  si  funestes  que  cela  les 
chaînes  dorées  qui  les  rattachaient  à  cet  Etat,  qu'ils  maudissent  au- 
jourd'hui, parce  qu'il  les  a  évincés  d'un  poste  très  lucratif.  C'était 


alors  le  petit  mignon  chéri  qu'on  ne  pouvait  trop  choyer  pour  le 
mieux  mettre  dedans.  Maintenant,  c'est  le  pelé,  le  galeux,  celui 
dont  leur  viennent  tous  les  maux. 


L'Opéra-Comique  se  dispose  à  célébrer  dans  le  courant  de  cette 
semaine  la  centième  représentation  de  Lakmé,  l'œuvre  séduisante  du 
pauvre  Léo  Delibes,  qui  ne  sera  plus  là  pour  jouir  de  son  succès, 
dont  il  eût  été  si  heureux.  Les  mauvaises  volontés  de  la  précé- 
dente direction,  qui  avait  le  parti  pris  évident  de  tenir  à  l'écart  le 
plus  français  de  nos  compositeurs,  ont  reculé  cette  centième  repré- 
sentation jusqu'au  jour  oïl  le  musicien  'n'est  plus  là  pour  en.  triom- 
pher. H.  M. 

Odéon.  —  Amoureme,  comédie  en  3  actes  de  M.  G.  de  Porto- 
Riche. 

Monsieur,  Madame  et  l'Ami;  tous  trois  très  honnêtes  et  très  insé- 
parables. Monsieur  et  Madame  se  sont  mariés  par  amour,  il  y  a 
huit  années  déjà.  Comme  aux  premières  heures.  Madame,  jeune 
encore,  est  toujours  aussi  amoureuse  de  Monsieur,  qui,  lui,  au  con- 
traire, sur  ses  quarante-cinq  ans,  éprouve  le  besoin  d'une  vie  plus 
calme  et  le  désir  de  pouvoir  enfin  s'adonner  davantage  à  ses  chères 
études  scientifiques.  Mais  Madame  ne  veut  pas  comprendre  et,  folle, 
déchaîne  une  tumultueuse  explication  suivie  de  rupture.  Madame  se 
vengera  et  l'Ami,  qui  ne  quitte  jamais  la  maison,  y  aidera.  La  faute  com- 
mise. Madame  la  regrette,  tandis  que  Monsieur  ne  veut  pas  y  croire 
et  que  l'Ami  voudrait  bien  n'en  point  rester  là.  Eofîn,  Monsieur, 
absolument  convaincu  et  de  son  malheur  et  aussi  de  son  amour  pour 
sa  femme,  pardonne  à  Madame,  qui  a  compris  et  deviendra  moins 
tyrannique  à  l'avenir,  et  l'Ami,  trop  complaisant,  est  flanqué  à  la 
porte. 

Telle  est  la  pièce  de  M.  Georges  de  Porto-Riche  et  voilà  ce  qu'on 
est  obligé  de  raconter  aujourd'hui,  par  les  curieux  temps  de  théâtre 
osé  que  nous  traversons.  Cette  analyse,  succincte  mais  fidèle,  suffira 
pour  vous  montrer  ^\i.' Ammiretise  possède  une  qualité,  la  simplicité, 
et  un  défaut,  le  peu  d'originalité.  Le  défaut,  l'auteur  a  su  très  adroi- 
tement le  dissimuler  par  une  tournure  d'esprit  caustique  et  sceptique 
assez  particulière,  bien  que  tendant  à  devenir  fort  à  la  mode  en  ce 
moment,  par  un  dialogue  animé,  juste  et  harmonieux,  bien  que 
souvent  inutilement  audacieux,  et  par  un  esprit  assez  parisien  bien 
que  souvent  suffisamment  profond.  Il  est  regrettable  qu'ayant  heu- 
reusement su  tourner  la  difficulté,  M.  de  Porto-Riche  u'ait  point  eu 
la  volonté  de  conserver  celte  qualité  de  simplicité  que  comportait  le 
sujet  ;  il  n'a  pas  eu  le  courage  de  n'écrire  qu'un  seul  acte  qui  aurait, 
je  crois,  très  grandement  suffi  à  nous  bien  expliquer  les  caractères, 
—  l'action  n'étant  point  enjeu,  puisqu'elle  ne  commence  réellement 
que  tout  à  la  fin  du  second  acte,  —  et  nous  aurait  épargné  des 
redites  et  des  développements  inutiles  qui  ne  sont  point  sans  fatiguer 
le  spectateur. 

Amoureuse  est  supérieurement  défendue  par  M""=  Réjane,  qui,  à 
force  de  talent  et  de  charme,  donne  l'illusion  de  la  vie  et  de  la 
variété  à  plusieurs  scènes  assez  ternes  de  cette  comédie.  MM.  Du- 
mény  et  Calmettes  lui  donnent  la  réplique  assez  heureusement  et 
jjmes  Marty,  de  Gléry,  Manvel  et  Roland  font  de  courtes  mais 
agréables  apparitions. 

Padl-Émile  Chev.\lier. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


Lk  MUSIQUE  DE  L'EMPEREUR 

C'est  à  Dresde,  en  1806,  que  Napoléon  conçut  le  projet  d'avoir  une 
musique  à  lui,  sur  le  modèle  de  celle  du  roi  de  Saxe.  Il  s'en  ouvrit 
à  ce  dernier,  et  comme  il  venait  d'assister  à  une  représentation 
d'Achille,  de  Paër,  qui  avait  eu  le  don  de  lui  plaire,  il  résolut  de 
confier  à  ce  maître  les  destinées  de  l'institution  future. 

L'empereur  dînait  avec  le  comte  Alexandre  de  la  Rochefoucauld, 
lorsque  les  artistes  de  la  musique  royale  lui  furent  présentés. 
S'adressant  tout  d'abord  à  la  prima  donna,  dont  la  voix  confirmait 
l'aphorisme  de  Paisiello  :  «  pour  chanter  il  faut  cent  choses;  quatre- 
vingt-dix-neuf  fois  de  la  voix  et  une  fois  de  la  méthode  »,  il  lui  dit  : 

—  Madame  Paër,  vous  chantez  à  ravir.  Quels  sont  vos  appointe- 
ments? 


440 


LE  MEfNESTlŒL 


—  Sire,  15,000  francs  ! 

—  Vous  en  recevrez  trente. . .  Et  vous,  monsieur  Brizzi,  vous  me 
suivrez  aux  mêmes  conditions. 

—  Pardon  Sire,  reprit  M™  Paër,  mais  nous  sommes  engagés... 

— ...  avec  moi!...  Vous  le  voyez,  l'affaire  est  terminée:  Talleyrand 
se  chargera  de  la  partie  diplomatique,  cela  le  concerne.  Quanta  vous, 
monsieur  Paer,  comme  un  bon  mari  doit  suivre  sa  femme,  je  vous 
nomme  directeur  de  la  musique  de  mes  concerts  et  du  théâtre  de  la 
cour.  Vous  aurez,  comme  M"""  Paër,  30,000  francs,  plus  une  gratifi- 
cation de  12,000  francs. 

Ainsi  fut  fait,  après  quelques  timides  protestations  du  roi  de  Saxe, 
à  la  suite  desquelles  le  général  Clarke,  chargé  des  premiers  pourpar- 
lers, lui  déclara  net  que  s'il  s'obstinait  à  garder  ses  artistes,  il  les 
livrerait  à  des  gendarmes  qui  les  conduiraient  de  brigade  en  brigade, 
à  la  suite  de  l'empereur.  Effrayé,  le  roi  s'empressa  d'acquiescer  à 
toutes  les  volontés  de  son  puissant  allié.  Bien  plus,  pris  d'un  zèle 
exagéré,  il  fit  sigaifier  à  Paër  d'avoir  à  suivre  Napoléon  partout  où  il 
lui  plairait  de  le  mener,  ou  de  quitter  Dresde  sur-le-champ. 

Celui-ci  ne  se  fit  point  prier,  non  plus  que  ses  musiciens,  pour 
accepter  les  offres  de  l'empereur.  Ils  n'eurent  pas  à  s'en  repentir- 
car,  dans  la  suite,  Napoléon  ne  négligea  aucune  occasion  de  leur 
donner  des  témoignages  effectifs  de  son  contentement.  En  une  seule 
fois,  le  2  mai  180",  il  fit  remettre  par  Duroc,  sur  la  caisse  des 
théâtres,  et  en  dehojs  de  leur  traitement:  à  Paër,  une  boîte  avec  son 
chiffre  en  or  et  10,000  francs;  à  sa  femme,  0,000  francs;  et  à  Brizzi 
la  même  somme. 

Nous  avons  eu  déjà  plusieurs  fois  l'occasion  de  signaler  la  muni- 
ficence de  Napoléon  pour  les  artistes.  M'""  Grassini,  Barilli,  Tacchi- 
nardi  et  Crescenlini,  qui  complétèrent,  dans  le  principe,  la  musique 
particulière  de  l'empereur,  purent  souvent  en  éprouver  les  bienfaits 
surtout  Crescentini,  qui  fut,  comme  nous  l'avons  vu,  comblé  de  ca- 
deaux et  d'honneurs. 

M"'  Avrillon,  première  femme  de  chambre  de  Joséphine,  a  tracé 
dans  ses  mémoires  ce  portrait  du  roi  des  chanteurs  : 

«  Crescentini  était  d'une  taille  élevée,  mais  mal  fait.  A  son  em- 
bonpoint flasque,  à  ses  joues  blafardes,  on  l'aurait  pris  à  la  ville 
pour  une  vieille  femme  habillée  en  homme.  Il  avait  une  apparence 
de  douceur  et  de  bonté  que  son  caractère  ne  démentait  pas,  car  on 
en  disait  beaucoup  de  bien  ». 

L'auteur  de  ces  lignes  assistait  à  l'audition  de  Romeo  e  Giulietta. 
dont  elle  a  laissé  cette  description,  qui,  tout  en  ne  concordant  pas 
exactement  avec  la  scène,  toute  d'émotion,  que  nous  avons  repro- 
duite, ne  laisse  pas  que  d'offrir  un  coin  très  réel  de  curiosité  : 

«Ce  jour-là,  de  ma  loge  où  j'étais,  je  voyais  parfaitement  avec  ma  lorgnette 
la  figure  de  Sa  Majesté.  Pendant  que  Crescentini  chantait  le  fameux  air 
Ombra  adorata,  nspetta,  elle  était,  sans  exagération  rayonnante  de  plaisir. 
L'empereur  s'agitait  dans  son  fauteuil,  parlait  fréquemment  aux  "rands 
officiers  qui  l'entouraient,  et  semblait  vouloir  leur  faire  partager  l'admira- 
tion qu'il  éprouvait.  Le  spectacle  n'était  pas  fini,  lorsqu'il  fit  appeler 
M.  de  Marescalchi  :  et  c'est  alors  qu'il  lui  dit  de  donner  la  croix  à  Cres- 
centini. )> 

D'après  la  même  source,  cet  artiste  possédait  un  art  merveilleux 
pour  diriger  sa  voix,  la  faisant  vibrer  avec  une  force  extraordinaire 
dans  une  salle  de  spectacle,  et  la  modérant,  de  façon  à  lui  faire 
acquérir  un  charme  infini,  dans  les  petits  appartements.  C'était  plus 
qu'il  n'en  fallait  pour  lui  mériter  son  traitement  de  30,000  francs 
augmenté  d'incessantes  gratifications,  et  rehaussé  par  l'estime  dans 
laquelle  le  tenait  l'empereur,  qui  lui  passait  toutes  sortes  de  fantaisies 
qu'il  n'aurait  souffertes  d'aucun  autre. 

Un  jour  de  grand  concert  à  la  cour,  en  18H,  on  s'aperçut  au 
dernier  moment  qu'on  avait  oublié  d'envoyer  des  équipages  aux 
artistes,  pour  les  mener  au  château,  suivant  l'usage.  Grand  émoi 
et  aussi  grand  désordre!  On  va,  on  vient;  les  ordres  sont  mal  donnés 
et  une  telle  confusion  s'ensuit  que,  pour  n'en  fournir  qu'un 
exemple,  on  envoie  à  Crescentini  un  char-à-banes  découvert  ce 
qui  était  d'autant  plus  déplorable,  qu'il  pleuvait  ce  soir-là. 

Les  autres  virtuoses.  Garât,  Baillot    et   M»"-"  Branchu,  mieux    par- 


tages, étaient   arrivés    à   sec   aux  Tuileries;  mais 


it    ncn  était  pas 


de  même  de  Crescentini,  qui,  sans  se  démonter,  parut  sur  l'estrade 
tout  trempé,  ruisselant  d'eau,  et  se  secouant  comme  un  chien  qui 
sort  de  la  rivière. 

Napoléon  fronça  le  sourcil,  ne  sachant  ce  que  signifiait  cette 
apparition;  mais  il  se  rasséréna  et  parut  même  fortement  impres- 
sionné, lorsque  son  favori,  prenant  une  voix  enrouée,  dit,  en  saluant 
le  public  : 

—  Messieurs,  il  m'est  impossible  de  chanter  aujourd'hui  ;  car  j'ai 


gagné  tout  à  l'heure  un  rhume  épouvantable:  c'est  la  faute  de  ce 
maudit  char-à-bancs  qu'on  m'a  envoyé. 

L'empereur  adressa  de  vifs  reproches  à  qui  de  droit  et  envoya,  le 
soir  même,  à  Crescentini,  son  médecin  et  une  tabatière  avec  son 
portrait. 

Ce  trait  d'urbanité  a  de  nombreux  pendants.  Car  Napoléon,  non 
content  de  rémunérer  généreusement  les  artistes,  tenait  essentiel- 
lement à  leur  marquer  sa  faveur  par  des  attentions  qui  on  doublaient 
le  prix.  Le  célèbre  chanteur  Garât  put  en  faire  l'expérience  dans 
une  circonstance  qui  a  été  relatée  par  Jal  : 

Garât  avait  une  fierté  dont  il  donna,  certain  jour,  une  preuve  qui  aurait 
pu  mal  lui  réussir.  Il  devait  chanter  avec  Martin  devant  l'empereur. 
Arrivé  dans  la  galerie  du  concert  avant  ses  auditeurs,  il  vit  que  les  chaisee 
réservées  aux  deux  chanteurs  étaient  placées  dans  l'embrasure  d'une 
fenêtre.  Il  ne  trouva  pas  l'endroit  honorable,  prit  les  billets  qui  portaient 
son  nom  et  celui  de  son  ami,  et  alla  les  poser  sur  deux  fauteuils  desti- 
nés à  des  dignitaires  de  la  cour.  Le  chambellan  vit  ce  mouvement  et 
voulut  rétablir  les  choses  dans  l'ordre  qu'il  avait  prescrit;  mais  Garât 
lui  dit  : 

—  Monsieur,  nous  serons  là,  ou  nous  ne  chanterons  pas. 

—  Non,  monsieur  Garât!... 

—  Nous  aurons  une  place  convenable,  ou  nous  partirons  d'ici. 

Le  chambellan  alla  vers  l'empereur  pour  lui  soumettre  le  différend. 

—  Ces  messieurs,  dit  avec  bonhomie  Napoléon ,  ont  leur  dignité  ; 
placez-les  ou  ils  voudront  être. 

Le  chambellan  revint  et  dit  aux  artistes  que  l'empereur  consentait  au 
changement  désiré.  Garât  reprit  alors  les  billets  et  les  reporta  à  leur 
place,  en  disant  : 

—  Nous  ferons  de  notre  mieux  pour  satisfaire  un  souverain  qui  veut 
bien  avoir  une  indulgente  déférence  pour  des  hommes  peut-être  trop 
vaniteux. 

C'était  son  propre  procès  que  Garât  se  faisait  à  lui-même,  en 
prononçant  ces  paroles  car  sa  vanité  est  demeurée  légendaire.  Fils 
de  négociants  aisés  de  Bordeaux,  neveu  d'un  ministre  influent,  et 
chantant  comme  amateur  plutôt  que  comme  artiste,  bien  qu'il  fût 
doué,  suivant  tous  ses  contemporains,  de  la  plus  jolie  voix  de  son 
époque.  Garât  avait  pris  dans  le  monde  parisien  une  place  d'enfant 
gâté...  Quand  il  devait  chanter  quelque  part,  on  était  rideaux  et 
tapis;  il  fallait  presque  démeubler  le  salon.  De  son  côté  Garât,  ces 
jours  là,  ne  parlait  pas,  et  gobait  des  œufs  crus,  pour  tout  aliment... 
Garât  fut  un  article  de  mode,  et  comme  tous  les  articles  de  mode, 
il  passa  de  mode.  Sur  le  tard,  il  portait  des  bottes  rouges  pour 
attirer  l'attention,  ou  plutôt  pour  chercher  à  l'attirer,  car  il  était 
exaspéré  de  l'indifférence  avec  laquelle  on  le  voyait  en  cet  accou- 
trement. 

^  Les  misérables!  Autrefois,  ils  m'auraient  accompagné  jusqu'an 
bois  de  Boulogne,  —  disait-il. 

Garât  était  de  la  «  Musique  »  sans  être  de  la  «  Musique  ».  Il  chan- 
tait au  cachet,  et  il  n'y  perdait  pas;  car  on  sait  ce  qu'étaient  les 
honoraires  des  artistes  de  passage.  Tous  les  musiciens  de  talent  qui 
arrivaient  à  Paris  étaient  appelés  à  se  faire  entendre  devant  l'em- 
pereur, et,  toujours,  ils  recevaient  des  honoraires  magnifiques. 
M'"'  Catalani  eut,  pour  sa  part:  six  mille  francs  comptant,  une 
pension  de  douze  cents  francs  et  la  salle  de  l'Opéra  pour  deux 
concerts  qui  lui  rapportèrent  cinquante  mille  francs,  —  tout  cela 
pour  deux  auditions  à  Saint-  Cloud. 

C'était  un  joli  denier  ;  mais  il  faut  croire  qu'il  n'eut  pas  le  don 
de  satisfaire  la  Catalani.  Car  celte  devancière  des  cantatrices  errantes 
pour  lesquelles  le  dieu  Guinée  et  le  prince  Dollar  remplacent  toute  fibre 
artistique,  affichait,  bien  qu'ayant  épousé  un  officier  français,  du 
nom  de  Valabrègue,  le  plus  profond  dédain  pour  la  cour  de  Napo- 
léon, ce  qui  lui  assura,  d'ailleurs,  les  hommages  et  les  gros  appoin- 
tements des  Anglais;  puis  Louis  XVIIl  lui  accorda  la  direction  des 
Italiens,  oii  elle  battit  monnaie  jusqu'aux  Cent  jours,  durant  lesquels 
elle  disparut  prudemment,  pour  reparaître,  après  nos  derniers  dé- 
sastres, devant  les  alliés,  ses  amis. 

De  combien  de  défaillances  pareilles  la  Musique  de  l'Emjiereur  ne 
fut-elle  pas  témoin  ?  Combien,  parmi  ses  membres,  ne  firent-ils  pas 
volte-face  après  avoir  été  comblés  par  le  •.<.  tyran  »  !  Pour  ce  qui 
concerne  Paër,  son  directeur,  il  n'a  pas,  il  est  vrai,  à  encourir  ce 
reproche;  mais  une  fois  à  Paris,  il  ne  s'occupa  que  des  détails  de 
ses  fondions,  et  se  livra,  sous  le  rapport  de  la  composition,  à  un 
far-niente  que  les  lazzarOni  de  Naples  eussent  pu  lui  envier.  Une 
fois  cependant  il  sortit  de  sa  torpeur  habituelle  pour  écrire  Didone,  \ 
qui  fut  représentée  sur  les  théâtres  particuliers  des  Tuileries  et  de 
Saiut-Cloud.  '  j 

Ces  deux  scènes  furent  la  grande  sphère  d'action  de  la  Musique  de 
l'EmpereWi  qui  s'y  faisait  entendre,  conjointement  avec  les  troupes 


LE  MEiNbSIBKL 


iW 


des  théâtres  parisiens  ;  car  ^Napoléon  n'allait  au  spectacle  qu'en 
de  rares  occasions,  préférant  faire  venir  chez  lui  ses  acteurs  favoris, 
chargés  de  le  distraire  par  des  représentations  de  tragédies,  d'opéras 
italiens,  rarement  d'opéras  français.  Souvent,  avant  de  passer  dans 
sa  loge,  il  se  faisait  donner,  dans  une  pièce  voisine,  un  concert  in- 
time exclusivement  composé  de  musique  italienne,  et  qui  ne  durait 
qu'une  demi-heure.  C'était  l'avanl-goût,  Je  prodrome  obligé,  des 
plaisirs  entrevus. 

(A  suivre.)  Edmond  Nedkomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres  :  La  reprise  du  Prophète  n'a  pas  été  heureuse 
à  Covent-Garden.  M.  .Tean  de  Reszké  y  a  retrouvé  son  grand  succès  de  la 
saison  dernière.  Mais  M""=  Richard,  mal  disposée  et  chantant,  je  crois, 
sans  répétitions,  a  eu  plus  d'une  défaillance  dans  le  courant  de  la  soirée, 
tandis  que  M"°  Rolla  a  fait  preuve  d'une  voix  peu  agréable  dans  le  rôle 
de  Bertha.  Le  ballet  est  toujours  ad'reux.  Au  dernier  acte,  les  murs  de 
la  prison  se  sont  abattus  virs  l'orchestre  d'une  façon  inopinée  :  M'""  Ri- 
chard s'est  réfugiée  dans  les  coulisses  et  il  a  fallu  baisser  le  rideau  pen- 
dant quelques  minutes.  A.  G.  N. 

—  Est-il  permis  ou  non  de  chanter  faux  à  l'église  ?  Telle  est  la  question 
posée  par  le  Musical  Standard  à  propos  d'un  fait  divers  assez  banal:  l'ex- 
pulsion d'un  lidèle  qui  troublait  de  sa  voix  discordante  le  service  divin 
et  l'harmonie  des  chants  sacrés  dans  une  paroisse  de  province.  Il  a  été 
reconnu  d'ailleurs  que  l'individu  en  question  était  un  ancien  choriste  de 
l'église  congédié  et  qu'il  chantait  faux  avec  intention,  par  esprit  de  ven- 
geance. Néanmoins,  notre  confrère  estime  que  cet  acte  de  rigueur  cons- 
titue un  fàcbeux  précédent,  vu  que  dans  toutes  les  congrégations  du  culte 
protestant  chacun  est  autorisé  à  chanter  et  qu'il  n'est  pas  toujours  aisé  de 
disting'jer  les  voix  réellement  fausses  de  celles  qui  font  semblant  seule- 
ment de  l'être. 

—  Qui  se  fût  douté  que  les  bienfaits  de  la  musique  pussent  s'étendre 
à  la  préservation  de  tout  danger  pour  les  patineurs  ?  C'est  cependant  ce 
qui  résulte  d'expériences  faites  cet  hiver  sur  l'étang  de  Kensington  garden, 
à  Londres,  expériences  qui  ont  démontré  que  le  frottement  des  patins  sur 
la  glace  engendrait  des  vibrations  sonores  très  nettement  perceptibles. 
On  a  pu,  à  l'aide  de  ces  vibrations,  reconnaître  les  passages  dangereux 
et  avertir  les  patineurs  qu'il  n'est  pas  prudent  de  s'aventurer  sur  la  glace 
quand  elle  ne  rend  pas  un  son  plus  grave  qjie  l'ut  dans  un  registre  déter- 
miné. Ainsi  donc,  patineurs  et  patineuses,  exercez  musicalement  votre 
oreille  et,  surtout,  ne  sortez  pas  sans  diapason! 

—  Dans  une  vente  qui  a  eu  lieu  récemment  à  Londres,  celle  de  la 
bibliothèque  Lakeland,  les  enchères  se  sont  surtout  distinguées  au  sujet 
d'un  bréviaire  romain,  contenant  de  superbes  enluminures  et  renfermant 
de  la  musique  du  quinzième  siècle.  Ce  bréviaire  a  été  adjugé  pour  la 
somme  de  163  livres  sterling,  soit  4,123  francs. 

—  L'association  chorale  anglaise  connue  sous  le  nom  de  Tonic  Soi  Fa  célé- 
brera  au  mois  de  juillet  prochain  son  jubilé,  d'une  manière  vraiment  colos- 
sale. La  cathédrale  de  Saint-Paul  sera  mise  à  la  disposition  de  l'association 
le  7  juillet,  et  un  service  y  sera  célébré  avec  le  concours  de  dixmille  chan- 
teurs. Une  autre  fête  aura  lieu  le  18,  au  Palais  de  Cristal,  avec  des  éléments 
plus  formidables  encore.  Dans  la  matinée,  on  entendra  un  chœur  de  cinq 
mille  enfants,  accompagné  par  un  orchestie  enfantin  d'également  cinq 
mille  membres.  Les  délégués  de  la  province  au  nombre,  toujours  de 
cinq  mille,  donneront  un  concert  dans  l'après-midi,  et  la  soirée  sera  ré- 
servée à  l'audition  des  cinq  mille  membres  de  la  section  de  Londres. 
Enfin,  un  chœur  d'ensemble  entonné  par  vingt  mille  voix  formera  le  point 
culminant  du  festival!  Les  auditeurs  délicats  trouveront  peut-être  que 
c'est  là  de  la  musique  peu  musicale;  mais  on  sait  que  les  Anglais  aiment 
à  faire  grand  sous  ce  rapport. 

—  L'éditeur  John  Murray,  de  Londres,  vient  de  publier,  dans  une  édi- 
tion magnifique,  une  biographie  de  la  célèbre  cantatrice  Jenny  Lind, 
dont  les  auteurs  sont  MM.  W.  S.  Rockstro  et  le  chanoine  H.  Scoit  Rol- 
land. Grâce  à  l'amitié  qui  lie  depuis  longues  années  M.  John  Murray  avec 
le  compositeur  Otto  Goldschmidt,  qui  fut  l'époux  de  la  grande  artiste,  cet 
ouvrage  est  fertile  en  documents  précieux  et  jusqu'ici  complètement  in- 
connus. Malheureusement  il  s'arrête  à  l'année  1851,  qui  est  prédsément 
celle  du  mariage  de  Jenny  Lind  avec  M.  Otto  Goldschmidt,  et  cela  sans 
doute  paraîtra  fâcheux  à  tout  le  monde. 

—  Le  comité  du  festival  de  Birmingham  vient  d'annoncer  ofiîciellement 
la  liste  des  œuvres  nouvelles  qui  seront  portées  au  programme.  Les  deux 
plus  importantes  sont  VEden,  oratorio  dramatique  de  M.  'Villiers-Stanford, 
et  le  Requiem  de  M.  Dvorak,  ouvrage  qui  sera  probablement  dirigé  par  le 
compositeur  tchèque  lui-même.  LeD'Mackenzie  doitlivrer  une  cantate  pour 
chœurs  et  orchestre  sur  la  paraphrase  du  Vent  creator  de  Dryden,  et  M.  Goring 
Thomas,  un  duo  assez  développé.  A  côté  de  ces  nouveautés  on  prépare, 
comme  principales  attractions,  la  Passion  selon  Saint-Mathieu,  de  J.-S.  Bach, 


et  la  Damnation  de  Faust,  que  dirigera  M.  Hans  Richter.  Le  festival  durera 
quatre  jours,  du  G  au  0  octobre  prochain. 

—  Pareillement  à  ce  qui  vient  de  se  passer  à  Vienne  pour  le  monument 
de  Mozart,  une  vive  opposition  se  produit  à  Leipzig  contre  le  projet  Schaper, 
choisi  par  le  comité  du  monument  de  'Wagner.  Un  groupe  de  notabilités 
delà  ville  a  élevé  une  protestation  publique  contre  ce  projet,  considéré 
par  les  protestataires  comme  indigne  du  grand  homme  qu'il  est  destiné 
à  glorifier.  Le  mécontentement  provient  surtout  de  ce  que  le  comité  n'a 
pas  jugé  bon  de  mettre  le  projet  au  concours. 

—  Le  Fifre  de  Durenbach,  le  nouvel  opéra  en  trois  actes  de  M.  Kleinmi- 
chel,  produit  dernièrement  au  théâtre  municipal  de  Hambourg,  n'a  que 
médiocrement  réussi.  L'originalité  fait  défaut  au  livret  de  MM. 'Wulff  et 
"Wennhacke,  emprunté  à  une  légende  chevaleresque  du  moyen  âge.  La 
partition  a  obtenu  un  meilleur  accueil,  qui,  toutefois,  ne  s'est  pas  élevé, 
au-dessus  d'un  succès  d'estime. 

—  Un  violoniste  qui  tient  son  archet  de  la  main  gauche,  le  fait  est  rare, 
quoique  non  sans  exemple.  Il  se  produit  en  ce  moment  à  Berlin,  ou  un 
artiste  genevois,  M.  David  Roget,  se  présente  au  public  dans  ces  conditions 
et  obtient,  paraît-il,  de  très  brillants  succès.  Il  s'est  surtout  fait  applaudir 
dans  une  sonate  de  César  Franck,  ainsi  que  dans  un  concerto  de  Jean- 
Sébastien  Bach.  On  assure  que  M.  David  Roget  doit  venir  prochainement 
se  faire  entendre  à  Paris. 

—  La  Volkszeitung  cite  un  excellent  mot  du  trial  allemand  Pohl,  dont  on 
a  annoncé  la  mort  dernièrement,  et  qui  fut  régisseur  au  théâtre  de  Kœnigs- 
berg.  Dans  la  Fille  du  Régiment  où  il  remplissait  le  rôle  de  l'intendant,  une 
chose  le  contrariait  beaucoup,  c'est  l'habitude  obstinée  qu'avaient  les 
choristes  âgées  de  se  placer  devant  leurs  camarades  plus  jeunes  et  plus 
jolies.  Cela  produisait  un  effet  déplorable  surtout  dans  la  scène  du  contrat 
qui  termine  l'opéra.  Pohl,  qui  était  un  galant  homme,  hasarda  quelques 
timides  observations  qui  n'eurent  aucun  succès.  Il  se  décida  alors  à 
employer  un  moyen  plus  énergique,  mais  infaillible.  A  la  représentation 
suivante,  quand  les  vieilles  choristes  firent  leur  entrée  dans  le  salon  de 
la  marquise  de  BerkenQeld,  l'intendant  annonça  d'une  voix  forte  :  La 
plus  ancienne  noblesse  du  pays  !  Le  public  souligna  ces  mots  d'un  éclat 
de  rire  formidable,  et  de  ce  jour  l'ancienne  noblesse  céda  le  pas  à  lapins 
j  eune. 

—  Un  concert  monstre  a  été  donné  récemment  au  théâtre  Marie,  de 
Saint-Pétersbourg,  au  l)énéfice  de  la  caisse  des  Invalides,  et  a  attiré  en 
foule  les  plus  grands  personnages  de  la  cour  et  de  la  ville.  Parmi  les 
morceaux  exécutés  dans  cette  soirée  qui  ont  produit  la  plus  grande  im- 
pression, on  cite  un  quintette  de  clarinettes,  composition  d'un  genre 
assurément  original,  dont  on  ne  nous  fait  pas  connaître  l'auteur,  des 
couplets  avec  double  chœur  de  M.  Cavùs,  et  te  Réveil,  composition  puis- 
sante de  M.  Ilubner,  chef  de  la  musique  des  Gbevaliers-tjardes  de  l'im- 
pératrice de  Russie,  qui  a  été  accueillie  par  un  tonnerre  d'applaudisse- 
ments. 

—  On  a  entendu  récemment  à  Bruxelles,  dans  un  concert  donné  par 
l'Union  chorale,  une  cantate  inédite  avec  chœurs  d'un  jeune  composi- 
teur, M.  H.  Thiébaut,  intitulée  A  nos  ancêtres.  On  dit  le  plus  grand  bien 
de  cette  composition  importante,  qui  réunit  le  charme  à  la  grandeur  et 
dont  les  soli  étaient  chantés  par  M"'^Léontine  "Vandamme  et  M.  Hendrickx. 

—  Namur  est  une  aimable  ville  belge,  gentiment  assise  sur  les  bords 
de  la  Meuse,  et  dont  les  environs  offrent  d'exquis  paysages.  Elle  est  moins 
fertile  et  moins  heureuse  au  point  de  vue  delà  critique  musicale,  s'il  faut 
s'en  rapporter  à  ces  lignes  d'un  journal  du  cru,  rendant  compte  d'un 
récent  concert  :  «  Une  symphonie  en  ut  mineur,  de  Van  Beethoven,  — 
d'un  caractère  bizarre  et  versatile  que  domine  un  thème  réminiscent,  — 
a  été  rendue,  par  les  musiciens  du  Cercle,  avec  une  rare  expression  et  un 
respect  méticuleux  des  nuances.  »  Le  «  caractère  bizarre  et  versatile  » 
de  la  symphonie  en  ut  mineur  et  son  «  thème  réminiscent  (?)  »  nous  sem- 
blent d'un  goût  et  d'un  ragoût  tout  particuliers. 

—  La  Société  de  musique  de  Tournai,  sous  la  direction  de  son  habile 
chef,  M.  Henri  de  Loose,  a  donné  un  concert  exclusivement  consacré 
aux  œuvres  de  M""  de  Grandval,  avec  un  immense  succès  pour  l'auteur 
et  les  interprètes  :  chœurs  et  solistes  remarquables.  La  Fille  de  Jaïre, 
Atala,  et  les  œuvres  de  violon  jouées  avec  un  grand  style  par  le  jeune 
Henri  Ten  Brink,  ont  été  particulièrement  acclamées. 

—  Tandis  que  chez  nous,depuis  plusieurs  années,  la  critique  ne  cesse  de 
réclamer,  sans  aucun  succès,  la  remise  à  la  scène  d'un  au  moins  des  admi- 
rables chefs-d'œuvre  français  de  Gluck,  les  Genevois,  plus  heureux,  vien- 
nent d'être  admis  à  applaudir  Ylphigénie  en  Aulide  du  vieux  maître.  La 
première  Iphigénie  vient  en  effet  d'être  jouée  à  Genève,  avec  un  éclatant 
succès,  les  principaux  rôles  étant  tenus  par  M.  ïournié,  M"°  Tracey  et 
M""=  Bouland.  On  dit  le  plus  grand  bien  de  cette  interprétation  et  aussi  du 
soin  très  intelligent  apporté  par  le  chef  d'orchestre,  M.  Bergalonne,  à  la 
restitution  de  ce  chef-d'œuvre. 

—  Rien  n'aura  manqué  à  la  gloire  du  jeune  compositeur  Pielro  Mascagni 
et  de  sa  Cnmllcria  rnslimna,  qui  continue  de  faire  tourner  toutes  les  têtes 
en  Italie.  A  Naples,  un  auteur  connu  par  de  nombreuses  parodies  en  dia- 
lecte napolitain,  M.  Davide  Petite,  vient  d'en  produire  une  en  deux  actes, 
au  théâtre  Rossinî,  sous  ce  titre  :  N'auta  Cnvalkria  rusticana.  Ce  badinage, 


142 


LE  MEJ^ESTREL 


très  amusant,  paraît-il,  a  obtenu  un  énorme  succès,  elles  deux  premières 
représentations  ont  excité  un  fou  rire  général. 

—  La  situation  du  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  qui  a  été  si  difficile  et 
si  laborieuse  à  régler  pour  la  dernière  saison,  ne  paraît  pas  toujours  de 
plus  en  plus  brillante.  Le  vent  est  aux  économies  en  Italie,  on  le  sait,  et 
voici  que  la  junte  municipale  de  Naples  est  saisie  d'une  proposition  par 
laquelle  on  supprimerait  purement  et  simplement  la  subvention  du  théâtre 
San  Carlo,  l'une  des  quatre  grandes  scènes  de  la  Péninsule. 

—  Théâtre  et  jurisprudence  mêlés.  A  Catanzaro,  où  viennent  de  com- 
mencer les  audiences  d'un  important  et  très  intéressant  procès  criminel,  le 
municipe,  en  prévision  des  nombreux  étrangers  que  ce  procès  scandaleu  x, 
ne  pouvait  manquer  d'attirer  dans  la  ville,  a  décidé  la  réouverture  du 
théâtre,  fermé  depuis  quelque  temps.  Voilà  vraiment  une  administration 
communalepratique  et  intelligente.  Le  jour  au  préto  ire,  le  soir  au  théâtre, 
lesdits  étrangers  n'auront  pas  le  temps  de  s'ennuyer  et  ils  emporteront  de 
l'hospitalité  cantazaraise  un  souvenir  attendri. 

—  L'Académie  philharmonique  de  Bologne  avait  ouvert  un  concours  pour 
la  composition  d'une  messe  à  quatre  voix,  avec  accompagnement  d'orgue. 
Vingt-deux  manuscrits  avaient  été  envoyés  au  jury,  formé  de  MM.  Giu- 
seppe  Martucci,  directeur  du  Conservatoire,  Alessandro  Busi,  Dall'Olio, 
Crescentini  et  Santoli.  A  la  suite  d'éliminations  successives,  trois  œuvres 
avaient  été  réservées  pour  un  dernier  examen,  et,  finalement,  c'est  la  par- 
tition inscrite  sous  le  n"  22  et  portant  cette  épigraphe  :  Fato  prudentia 
minor,  qui  a  été  jugée  digne  du  premier  prix.  Lorsqu'on  a  ouvert  le  pli 
cacheté  qui  l'accompagnait,  on  y  a  trouvé  le  nom  du  maestro  Guglielmo 
Mattioli,  organiste  de  la  basilique  de  Saint-Prosper,  de  Reggio  d'Emilie, 
sa  patrie. 

—  On  a  dû  donner  le  2  mai,  c'est-à-dire  hier  samedi,  au  théâtre  Nuovo 
de  Vérone,  la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau  intitulé  Eisa, 
dont  le  livret  et  la  musique  sont  l'œuvre  du  même  '  artiste,  M.  Arturo 
Carraroli,  lequel,  fait  assez  singulier,  est  a  sous-lieutenant  médecin  »  au 
SI"  régiment  d'infanterie. 

—  Le  22  avril,  au  théâtre  Pagliano,  de  Florence,  première  représentation 
de  Ginevra,  opéra-ballet  en  quatre  actes,  musique  de  M.  G.  Vigoni,  ancien 
élève  du  conservatoire  de  Milan.  C'est  encore  un  ouvrage  dont  le  sujet  est 
tiré  du  fameux  cycle  poétique  des  chevaliers  de  la  Table-Ronde,  avec  le 
célèbre  Lancelot  du  Lac  pour  héros  et  principal  personnage.  Toutefois,  le 
compositeur  ne  s'est  laissé  nullement  entraîner,  paraît-il,  sur  les  traces  et 
parles  théories  de  Richard  Wagner.Il  est  resté  purement  et  foncièrement  ita- 
lien au  point  de  vue  de  l'inspiration  et  de  la  forme  générale  de  son  œuvre, 
en  s'attachant  seulement  à  corser  son  orchestre  et  à  le  rendre  intéressant. 
Les  interprêtes  sont  M™=s  Marra, Spero  etBussetti,  MM.  Brasi,  Sammarco 
et  Miro.  L'ouvrage  paraît  avoir  été  assez  bien  accueilli,  trois  morceaux 
ont  été  bissés  et  l'auteur  a  été  rappelé  vingt  fois  sur  la  scène. 

—  Au  dernier  concert  donné  dans  la  salle  Dante  par  la  Société  orches- 
trale romaine,  on  a  entendu  deux  compositions  symphoniques  inédites  : 
une  ouverture  de  M.  Dario  De  Rossi,  de  développements  modestes,  et  un 
prélude  de  M.  Filippo  Guglielmi,  qui  n'est  autre  chose  qu'un  entr'acte 
d'un  opéra  inédit.  Ces  deux  morceaux,  le  premier  surtout,  ont  été  accueillis 
par  le  public  avec  beaucoup  de  faveur. 

■ —  De  Bilbao  nous  recevons  la  nouvelle  du  grand  succès  que  vient  de 
remporter  M™"  Nevada  dans  Lakmé,  qu'on  jouait  pour  la  première  fois.  La 
jolie  partition  du  regretté  Léo  Delibes  a  produit  son  effet  accoutumé,  et  la 
remarquable  cantatrice  a,  suivant  son  habitude,  transporté  le  public  qui 
était  accouru  en  foule  au  théâtre;  l'air  des  Clochettes,  chanté  à  ravir,  a  été 
bissé  d'acclamation.  MM.  Del  Papa,  dans  le  rôle  de  Gerald,  et  Serra, 
dans  celui  de  Nilakanta,  ont  partagé  les  ovations  prodiguées  à  la  diva. 
Mlle  Nevada  continue  ses  représentations  à  Bilbao  par  la  Somnambule  et 
Lucie  de  Lammermoor, 

—  Un  grand  festival  de  musique  dramatique  a  eu  lieu  au  Miisic  Hall  de 
Boston  devant  un  auditoire  de  trois  mille  personnes  et  avec  le  concours 
de  deux  grands  orchestres,  de  cent  choristes  et  de  dix-neuf  solistes  parmi 
lesquels  MM.  Gampanini,  Del  Puente,  M""  Marie  Decca,  etc.  La  réussite 
du  festival  a  été  exceptionnelle,  grâce  surtout  à  M"«  Decca,  qui  a  admira- 
blement chanté  les  couplets  du  Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil,  le  grand  air 
de  la  Flûte  enchantée  et  le  duo  i'Hamlet  avec  M.  Del  Puente.  La  cantatrice 
a  été  bissée  et  rappelée  après  chacun  de  ses  morceaux. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Induit  en  erreur  par  quelques  journaux  anglais  trop  pressés,  notre 
correspondant  de  Londres  s'est  trompé  en  annonçant  il  y  a  quinze  jours, 
dans  te  Ménestrel,  que  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de 
musique  de  Paris  avait  gagné,  en  appel,  le  procès  intenté  par  elle  à 
M.  Groneing,  chef  d'orchestre  à  Brighton.  C'est  au  contraire  ce  dernier 
qui  a  de  nouveau  obtenu  gain  de  cause,  le  tribunal  du  Banc  de  la  Reino 
ayant  purement  et  simplement  ratifié  le  jugement  de  la  Cour  coratale  de 
Brighton  :  «  La  question  à  décider,  a  dit  le  juge  dans  ses  conclusions,  est 
celle-ci:  Un  étranger  compositeur  d'une  œuvre  produite  pour  la  première 
fois  dans  son  pays,  œuvre  protégée  d'après  les  lois  de  ce  pays,  mais 
non  pas  protégée  dans  le  Royaume-Uni,  peut-il  revendiquer  la  protec- 
tion  accordée  aux   compositeurs  étrangers  par  la  convention  de  Berne, 


dans  le  cas  d'un  chef  d'orchestre  qui  achète  un  exemplaire  de  cette  œuvre 
et  la  fait  exécuter  publiquement?  »  Certaine  clause  restrictive  de  la  1  oi 
anglaise  de  1866  ne  permettant  pas  le  bénéfice  de  cette  protection,  l'appel 
a  été  rejeté  et  les  plaignants  condamnés  aux  dépens.  Ce  jugement  ne  nous 
réjouit  pas,  mais  il  était  malheureusement  à  craindre,  l'affaire  ayant  été 
mal  engagée  et  sur  un  mauvais  terrain  par  l'agent  de  la  Société  des  au- 
teurs. Si  l'issue  malheureuse  de  ce  procès  pouvait  à  l'avenir  calmer  ses 
impétuosités  et  ses  ardeurs  excessives,  il  aurait  du  moins  un  bon  cùté. 
Mais  il  ne  faut  guère  l'espérer.  En  attendant,  c'est  la  Société  qui  paie  les 
frais  de  ces  extraordinaires  aventures. 

—  Ghapu  mort,  que  va  devenir  le  monument  de  Félicien  David  ?  C'est 
à  grand'peine  que  la  légataire  universelle  du  musicien,  M'°=  Tastet,  avait 
pu  réunir  les  fonds  nécessaires  à  l'achèvement  du  tombeau.  Enfin,  à  force 
d'économies  sur  les  droits  d'auteur,  de  ventes  d'autographes  et  de  manus- 
crits, la  somme  était  là  et  Chapu  s'était  remis  à  l'œuvre.  Lui  disparu,  qui 
se  chargera  de  terminer  l'œuvre  qui  s'annonçait  grande  et  belle? 

—  Nos  grands  confrères  nous  donnent  des  nouvelles  des  pérégrination  s 
de  M.  Camille  Saint-Saêns.  Ces  dernières  nouvelles  nous  apprennent  que 
l'auteur  d'Henri  VIII,  qui  se  trouvait  alors  à  Naples,  se  préparait  à  quitte  r 
prochainement  cette  ville,  où  il  devait  s'embarquer  pour  se  diriger  ver  s 
l'Afrique. 

—  M.  Cavalho  vient  d'engager  pour  trois  années  M""  Jane  Horwitz,  un  e 
des  meilleures  élèves  de  W""  Marchés!,  qui  a  déjà  remporté  sur  plusieurs 
scènes  étrangères  de  vifs  succès.  C'est  à  l'issue  du  dernier  «  five  o'clock  » 
donné  par  fe  Figaro  que  l'engagement  a  été  signé.  M.  Garvalho  y  a  entendu 
M"=  Horwitz  et  il  en  a  été  tout  à  fait  charmé. 

—  Le  rôle  de  Jacques  de  Thièvre,  dans  Mariage  blanc,  sera  le  dernier 
qu'aura  créé  à  la  Comédie-Française  M.  Frédéric  Febvre.Le  sympathique 
artiste  est  absolument  décidé  à  quitter  le  théâtre  ;  il  prendra  sa  retraite  à 
la  date  du  l"'  juin.  Suivant  l'usage,  il  donnera  au  public  une  représenta- 
tion d'adieu,  dont  la  date  et  le  programme  ne  sont  pas  encore  arrêtés. 
M.  Febvre,  qui  est  né  à  Paris  en  1835,  est  entré,  au  mois  de  septem- 
bre 1866,  à  la  Comédie-Française  ;  au  mois  de  mai  de  l'année  suivante,  il 
était  nommé  sociétaire. 

—  Après  la  mort  de  Chopin,  en  1849,  le  visage  du  grand  artiste  fut 
moulé  par  les  soins  de  la  famille.  Trois  exemplaires  seulement  furent 
exécutés  d'après  ce  travail  et  remis,  l'un  à  la  sœur  du  compositeur,  l'autre 
à  la  princesse  Gzartoryska,  le  troisième  à  M.  Herbault,  associé  de  la  mai- 
son Pleyel  et  l'un  des  plus  intimes  amis  de  Chopin.  C'est  ce  troisième 
exemplaire  que  le  fils  de  M.  Herbault,  pour  obéir  à  un  vœu  de  son  père, 
vient  d'offrir  au  musée  du  Conservatoire,  qui  possédera  désormais  l'image 
de  l'auteur  de  la  célèbre  marche  funèbre. 

—  Le  Trovatore,  de  Milan,  en  enregistrant  la  mort  du  compositeur  Giulio 
Alary,  que  nous  annoncions  il  y  a  huit  jours,  nous  apprend  un  fait  qui 
était  resté  jusqu'ici  complètement  injonnu  en  France  :  c'est  qu'Alary 
avait  tenu,  pendant  plusieurs  années,  l'emploi  de  flûtiste  solo  à  l'orchestre 
du  théâtre  de  la  Scala,  de  Milan. 

—  Hier  samedi,  M.Charles  Grandmougin  a  fait  entendre,  à  la  salle  des 
Capucines,  ses  deux  drames  :  Cain  et  Aryénis,  joués  en  costumes  par 
M">=  Marsay,  MM.  Dorny  et  Chevillot,  du  Conservatoire,  et  l'auteur.  Cet 
essai  de  décentralisation  théâtrale  a  été  des  plus  intéressants,  Caïn  et 
Aryénis  ayant  eu  déjà  de  grands  succès  de  presse.  La  musique  de  scène  de- 
Cain  est  de  M.  Ernest  Lefèvre,  de  Reims. 

—  Les  Cadets  dramatiques  ont  donné  jeudi  30  avril,  salle  Duprez,  une 
«  première  »  qui  a  été  fort  applaudie  :  Parfum  de  race,  comédie  lyrique  en 
un  acte,  de  M.  Fernand  Lafargue  pour  les  paroles  et  de  M.  Alfred  Rabu- 
teau  pour  la  musique. 

—  Qui  ne  se  rappelle  l'admirable  exhibition  instrumentale  qui  brillait 
d'un  si  vif  éclat  au  rez-de-chaussée  du  palais  des  Arts  libéraux  et  qui  fut, 
avec  tant  d'autres,  l'un  des  joyaux  et  l'une  des  gloires  de  l'incomparable 
Exposition  universelle  de  1889?  Je  me  rappelle,  pour  ma  part,  le  cri  d'en- 
thousiasme que  je  poussai  à  ce  sujet  en  rendant  compte,  plus  rapidement 
que  je  l'eusse  voulu,  de  cette  exposition  toute  spéciale  dans  la  Revue  des 
arts  décoratifs  et  en  constatant  l'éclatante  supériorité  des  produits  de  nos 
facteurs  sur  ceux  du  monde  entier.  Voici  venir  un  livre  important,  utile, 
plein  d'intérêt,  qui  ravive  nos  souvenirs  sur  ce  point  et  qui  est  appelé  à 
rendre  de  grands  services,  en  raison  de  la  compétence  de  l'auteur,  du 
sens  critique  dont  il  est  animé,  des  réflexions  utiles  qu'il  contient  et  de 
l'esprit  de  progrès  dont  il  donne  les  preuves.  La  facture  instrumentale  à 
l'Exposition  universelle  de  1S89.  Notes  d'un  musicien  sur  les  instruments  à  souffle 
humain  nouveaux  et  perfectionnés,  tel  est  le  titre  de  cet  ouvrage,  qui  a  pour 
auteur  M.  Constant  Pierre  et  qui  forme  un  gros  volume  in-S"  de  plus  de 
300  pages,  accompagné  de  gravures  dont  l'utilité  n'a  pas  besoin  d'être 
démontrée  en  un  tel  sujet  (Librairie  de  l'Art  indépendant).  Je  ne  saurais 
malheureusement,  en  quelques  lignes,  analyser  dans  tous  ses  détails  un 
tel  écrit,  qui  n'est  guère  moins,  à  tout  prendre,  qu'une  sorte  de  traité  pra- 
tique de  la  facture  et  de  la  construction  des  diverses  familles  d'instru- 
ments à  vent,  constatant  les  imperfections  qui  déparent  encore  certains 
d'entre  eux,  indiquant  les  progrès  à  accomplir,  recherchant  les  causes  et 
les  effets,  et  appelant  sérieusement  l'attention  sur  une  industrie  artistique 


LE  MÉNESTREL 


143. 


qui  a  déjà  opéré  des  prodiges,  dans  laquelle  nous  avons  déployé  notre 
supériorité  ordinaire  et  qui  est  une  des  sources  de  la  richesse  nationale. 
Je  ne  puis  qu'en  reco  mmander  très  vivement  la  lecture  non  seulement 
aux  hommes  spéciaux,  mais  à  tous  ceux  qu'intéressent  les  questions  artis- 
tiques, et  qui  seront  étonnés  du  plaisir  et  du  profit  qu'ils  trouveront  à 
cette  lecture.  Je  n'ai  qu'u  n  regret  à  exprimer,  c'est  que  nous  n'ayons  pas, 
sur  les  instruments  à  clavier  et  sur  les  instruments  à  cordes,  deux  ouvra- 
ges du  genre  de  celui-ci,  aussi  consciencieux,  aussi  instructifs,  et  qui,  à 
propos  de  l'Exposition  universelle,  nous  renseigneraient  d'une  façon  aussi 
complète  et  aussi  intéressante.  A.  P. 

—  On  annonce  l'arrivée  à  Paris  de  M"^  la  baronne  d'Adelsdorfer,  qui, 
de  l'avis  de  tous  ceux  qui  ont  eu  pu  l'entendre,  est  douée  d'une  voix  de 
■contralto  absolument  remarquable.  Espérons  que  M"'"=  d'Adelsdorfer,  qui 
■a  longtempemps  travaillé  avec  M"'"  Pauline  Viardot,  nous  donnera  l'occa- 
sion de  l'entendre  et  de  l'applaudir  à  notre  tour. 

—  C'est  par  erreur-  qu'en  signalant  les  succès  de  M'"  Burt  au  théâtre 
municipal  de  Nice,  nous  avons  dit  qu'elle  était  l'élève  de  M.  Sbriglia. 
M""  Burt  a  toujours  pris  les  excellents  conseils  de  MM.  Bax  et  Emile 
Bourgeois. 

—  M°'=  de  Beaumont,  qui  a  écrit  quelques  agréables  compositions  pour 
le  piano,  vient  de  recevoir  les  palmes  d'officier  d'académie. 

—  Dans  une  représentation  particulière  donnée  au  Grand-Théâtre  de 
Bordeaux  par  la  Société  colombophile  de  la  Gironde  à  l'occasion  de  son 
dernier  concours,  on  a  donné,  avec  un  succès  très  vif,  un  petit  opéra- 
comique  inédit  en  un  acte,  Mam'zclle  Colombe,  dont  les  auteurs  sont 
M.  Jacquin  pour  les  paroles,  et  pour  la  musique  M.  Haring,  chef  d'or- 
■chestre  du  Grand-Théâtre.  Notre  confrère  M.  Paul  Lavigne  constate, dans 
■la  Gironde,  l'accueil  très  chaleureux  fait  à  cet  ouvrage  ainsi  que  le  très  grand 
succès  fait  à  ses  interprètes,  MM.Gandubert  et  Nerval,  et  surtout  M"":  Rose 
Delaunay,  qui  a  obtenu  un  véritable  triomphe  personnel. 

—  M.  Emile  du  Saucey,  premier  violon  à  l'orchestre  du  Théâtre  muni- 
cipal de  Lille,  vient  d'être  nommé  professeur  de  violon  au  Conservatoire 
de  Caen. 

—  Une  exposition  qui  ne  manquera  pas  d'originalité,  et  qui  aura  au 
moins  le  mérite  de  la  nouveauté,  s'ouvrira  le  mois  prochain  au  Champ-de- 
Mars.  On  y  trouvera  les  spécimens  de  tous  les  journaux  du  monde  et  tous 
les  moyens  de  publicité  employés  par  les  divers  peuples.  A  côté  figureront 
tous  les  genres  de  réclame,  alBches,  publicité  ambulante,  nocturne, 
■aérienne,  etc.  Cette  exposition  ayant  lieu  en  même  temps  que  celle  des 
artistes-peintres,  les  visiteurs  trouveront,  cette  année,  au  Champ-de-Mars, 
une  attraction  nouvelle. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Concerts  du  Cbàtelet.  —  Une  dernière  audition  de  la  Damnation  de 
Famt  a  été  donnée,  dimanche  dernier,  devant  une  salle  comble.  A  plu- 
sieurs reprises,  de  chaleureuses  manifestations  ont  suivi  l'exécution  de 
certaines  pages  orchestrales,  notamment  celle  da  la  Marche  hongroise. 
M.  Colonne  a  su  conserver  à  cette  marche  le  caractère  véhément  et  tumul- 
tueux qui  en  rend  l'effet  irrésistible  et  reste  d'ailleurs  parfaitement  d'accord 
avec  la  pensée  de  Berlioz  consignée  dans  un  passage  de  ses  Mémoires.  Ce 
morceau  est  l'un  des  plus  intéressants  que  l'on  puisse  entendre  au  point 
de  vue  de  la  mécanique  orchestrale,  et  jamais  l'ingéniosité  subtile  de  cer- 
taines combinaisons  sonores  n'enlève  à  l'ensemble  ni  l'ampleur  des  lignes, 
ni  l'absolue  simplicité  de  l'architecture  musicale.  Le  chœur  des  Sylphes, 
dans  lequel  est  si  bien  ménagée  l'alternance  des  tons  de  ré  et  de  la,  est  un 
exemple  frappant  de  la  possibilité  d'éveiller  des  impressions  poétiques  par 
le  seul  ascendant  des  tonalités;  ici,  l'oreille  la  moins  exercée  se  trouve 
frappée  par  les  transitions,  et  le  cerveau  le  moins  porté  à  la  poésie  se  re- 
présente en  imagination  les  tableaux  qu'ont  voulu  évoquer  le  poète  et  le 
musicien,  Gœthe  et  Berlioz.  Rien,  dans  l'œuvre  entière,  ne  s'élève  à  la 
hauteur  de  cette  page  et  de  celle  consacrée  à  l'apothéose  de  Marguerite. 
Pourtant,  quelle  variété,  quelle  richesse  dans  toute  la  partition!  D'abord 
la  première  scène,  dans  laquelle  M.  Engel  a  montré  toutes  les  ressources 
de  son  beau  talent,  puis  le  début  de  la  seconde  partie,  que  cet  artiste  a 
bien  rendue  malgré  les  dilHcultés  de  la  lutte  avec  les  chœurs  et  l'orchestre, 
e  nfin  le  duo  et  l'invocation  à  la  Nature,  qui  exigent  plus  que  ne  peuvent 
donner  normalement  les  forces  d'un  chanteur.  Que  dire  ensuite  de  la  ballade 
du  roi  de  Thulé,dans  laquelle  M""  Pregi  s'est  montrée  simplement  exquise, 
que  dire  de  la  romance  :  D'amour  l'ardente  flamme,  qui  a  été  également  dite 
avec  beaucoup  de  sentiment  et  de  goût!  Quant  à  la  course  à  l'abime,  ce 
crescendo  entraînant  et  colossal  a  donné  à  M.  Lauwers  l'occasion  de  forcer 
encore  la  sonorité  stridente  de  sa  voix.  Dans  ce  fragment,  de  même  que 
dans  la  sérénade,  et  un  peu  aussi  ailleurs,  M.  Lauwers  oublie  trop  souvent 
qu'il  chante  de  la  musique  de  concert  et  non  une  œuvre  théâtrale;  il  joue 
trop  et  met  dans  ses  gestes  trop  de  laisser-aller.  Les  chansons  que  Berlioz 
a  jetées  comme  une  gerbe  à  travers  la  scène  de  la  Taverne  ont  été  bien 
enlevées,  y  compris  celle  du  Rat,  dite  par  M.  Augier.  Tout  cela  cons- 
titue  un  excellent  ensemble  et  un  incontestable  succès. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  Très  variée  et  fort  intéressante  a  été 
la  cinquième  séance  de  la  Société  des  instruments  à  vent.  Elle  s'ouvrait 

ar  la  Sérénade  en  si  bémol  pour  deux  hautbois,  deux  clarinettes,  deux 


clarinettes- alto,  deux  bassons,  un  contrebasson  et  quatre  cors,  de  Mozart. 
Ce  chef-d'œuvre  d'une  si  délicate  inspiration,  d'une  forme  si  pure,  a  été 
interprété  d'une  façon  remarquable.  MM.  Diémer,  Taffanel  et  Loêb  ont 
joué  avec  une  finesse  de  style,  une  beauté  de  son,  une  précision  d'ensemble 
rares,  le  joli  trio  de  "Weber.  Une  romance  pour  flûte  de  M.  Jacques  Durand, 
du  plus  agréable  effet,  et  deux  fragments  intéressants,  encore  qu'un  peu 
longs  et  nuageux,  d'une  suite  de  M.  Alary,  terminaient  la  séance.  — 
M"°C.  Kleeberg,  dontle  trèsbrillant  talenta  été  souvent  ici-même  apprécié, 
vient  de  donner  deux  concerts  salle  Erard.  Au  programme  du  second, 
auquel  nous  avons  pu  assister,  se  trouvaient  réunies  quatre  œuvres  impo- 
santes de  Bach  (Toccata),  Beethoven  (Variations),  Schumann  (Scènes  d'en- 
fants), et  Chopin  (Polonaise),  rendues  avec  une  souplesse  de  style,  un 
charme,  une  élégance  extrêmement  remarquables.  M"°  Kleeberg  n'a  pas 
été  moins  heureuse  dans  l'interprétation  d'une  série  de  compositions  mo- 
dernes, parmi  lesquelles  il  faut  citer  le  Capi-ice  sur  Alceste,  de  M.  C.  Saint- 
Saëns,  Réveil,  de  M.  Th.  Dubois,  Feuillet  d'album  de  M.  Paul  Fournier, 
Bruit  d'ailes,  de  M.  G.  Pfeiffer,  etc.  1.  Ph. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu,  salle  Pleyel,  la  dernière  grande  audition  des 
élèves  du  cours  supérieur  de  piano  que  l'éminent  professeur  Marmontel 
fait  à  l'Institut  musical  de  M.  et  M""  Oscar  Gomettant  depuis  la  fondation 
de  cette  école  célèbre,  c'est-à-dire  depuis  vingt  ans.  Cette  audition  a  été 
très  remarquable.  Il  nous  faudrait,  pour  être  juste,  citer  le  nom  de  toutes 
les  jeunes  liUes  qui  s'y  sont  fait  entendre  et  dont  quelques-unes  sont  déjà 
de  véritables  virtuoses.  M"'=  Irrac,  la  violoniste  hollandaise  qui  s'est  pro- 
duite cet  hiver  à  Paris  avec  tant  de  succès,  et  le  spirituel  ténor  de  l'Opéra- 
Comique,  M.  Bertin.  ont  prêté  leur  concours  à  cette  soirée  qui,  une  fois 
de  plus,  a  mis  en  évidence  l'excellent  enseignement  que  reçoivent  à 
l'Institut  musical  les  jeunes  filles  et  les  femmes  du  monde. 

—  La  Société  de  Sainte-Cécile  de  Bordeaux,  dont  le  président  est  M.  A. 
Sourget  et  le  secrétaire  le  délicat  musicien,  M.  Ernest  Redon,  vient  de 
clôturer  la  série  de  ses  intéressants  concerts  par  un  festival  auquel  ont 
pris  part  M™=  Krauss  et  MM.  Ramat  et  Warmbrodt.  Au  programme  se 
trouvaient  inscrits  le  deuxième  acte  des  Troijens,  dont  l'exécution,  sous  la 
direction  de  M.  Gobert,  a  été  remarquable,  les  Adieux  de  Wotan,  chantés 
avec  art  par  M.  Ramat,  le  Roi  des  Aulnes  et  l'air  :  Divinités  du  Styx,  dits  par 
M™"  Krauss,  avec  une  superbe  ampleur,  et  finalement  la  sérénade  des 
Pêcheurs  de  perles,  délicieusement  rendue  par  M.  Warmbrodt. 

—  La  Société  Sainte-Cécile  du  Havre  a  donné,  sous  la  direction  de 
M.  Cifolelli,  un  concert  dont  le  succès  ne  peut  que  confirmer  l'estime  dont 
elle  jouit  auprès  des  dilettantes.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis 
citons,  avec  le  délicieux  Chœur  des  Nymphes  des  bois  de  Léo  Delibes  et  le 
Carnaval  de  M.  Guiraud,  la  Berceuse  de  M.  J.  Bordier  et  surtout  la  belle  ro- 
mance pour  cor  de  M.  Charles  Lefebvre  et  la  légende  fantastique  :  Melka, 
du  même  auteur  (poème  de  Paul  CoUin)  qui  remplissait  toute  la  seconde 
partie.  L'exécution  a  été  parfaite  et  l'accueil  très  chaleureux.  —  Le  même 
ouvrage  s'est  retrouvé  avec  le  même  succès,  quelques  jours  plus  tard,  à 
Versailles,  à  l'audition  de  la  société  que  dirige  si  habilement  M.  Dérivis, 
avec  le  concours  de  M"«  Laure  Taconet. 

—  M.  René  Schidenhelm,  ce  jeune  violoncelliste  qui  obtint  un  si 
brillant  premier  prix  au  Conservatoire,  et  son  frère,  M.  Henri  Schiden- 
helm, qui  comme  pianiste  promet  la  même  supériorité,  se  sont  fait  enten- 
dre à  Besançon,  où  leur  mère  s'est  acquis  une  si  brillante  réputation 
comme  professeur  de  piano.  Les  feuilles  locales  ne  tarissent  pas  d'éloges 
sur  ces  jeunes  artistes,  et  sont  unanimes  à  leur  prédire  l'avenir  le  plus 
brillant. 

—  La  Société  des  Concerts  populaires  de  Valenciennes  a  consacré  toute 
u  ne  partie  de  sa  dernière  séance  à  l'exécution  d'œuvres  d'un  compositeur 
valenciennois,  M.  Antoine  Mathieu,  aujourd'hui  professeur  à  l'Académie 
de  musique  de  Boulogne-sur-Mer  et  directeur  des  Concerts  populaires  de 
c  ette  ville.  Le  programme  comprenait  les  compositions  suivantes  de 
M.  Mathieu:  Patrie,  ouverture;  A  toi!  romance  pour  violon;  Hainaut, 
scène  du  moyen  âge,  suite  d'orchestre  en  quatre  parties;  Ode  funèbre  pour 
chœurs  et  orchestre  (écrite  il  y  a  onze  ans  pour  l'inauguration  du  monu- 
ment d'Abel  d'Hauteieuille  à  Boulogne);  enfin,  ouvei-ture  de  Bosciic,  opéra- 
comique  représenté  sur  le  théâtre  de  Valenciennes  en  1876. 

—  Concerts  et  Soirées.  —  Plus  de  quatre  cents  personnes  applaudissaient,  lundi 
dernier,  les  nombreux  et  brillants  élèves  de  M.  et  M°"  Ciampi-Ritter.  Programme 
fort  intéressant,  oii  figuraient  plus  de  trente  compositeurs  appartenant  à  toutes  les 
écoles,  depuis  Pergolèse  et  Mozart  jusqu'à  Ambroise  Thomas  et  Delibes.  Très 
remarquée  la  jolie  mélodie  de  M.  Verdalle  :  «  A^ous  ne  m'avez  jamais  souri.  » 
Plusieurs  chœurs,  exécutés  d'une  façon  remarquable  par  la  Société  chorale  dirigée 
par  M.  Giampi,  ont  été  très  applaudis;  nous  citerons  entre  autres  le  ravissant 
chœur  des  pages  de  Françoise  de  Rimini  et  les  Nymphes.  M""  Broisat,  de  la  Comédie- 
Française,  et  M"°  Thérèse  Caatellan  prêtaient  le  concours  de  leur  beau  talent  à 
cette  intéressante  soirée,  qui  a  été  une  véritable  fête  artistique.  —  Très  brillante 
matinée  musicale  chez  M"°'  Tribou,  la  semaine  dernière.  Parmi  les  élèves  des 
cours  de  piano,  faits  par  MM.  Falkenberg  et  Falli,  on  a  principalement  iipplaudi 
la  gracieuse  interprète  des  Rêves,  de  Bizet.  Le  cours  de  chant,  sous  la  directiou  de 
M.  Hettich,  a  produit  une  charmante  chanteuse  qui  a  très  bien  détaillé  la  jolie 
chanson  de  Maître  Ambros.  de  M.  Ch.-M.  Widor,  puis  maître  et  élèves  ont  réuni 
leurs  jolies  voix  pour  dire  la  Chanson  des  Métamorphoses,  ce  gracieux  chant  des 
Noces  de  Berry,  recueilli  par  M.  Julien  Tiersot.  M.  Talamo,  chargé  des  cours  de 
mandoline  et  guitare,  a  remporté  un  succès  bien  mérité  en  jouant  délicieusement 
sur  sa  mandoline  les  Piszicali  de  Sylvia,  transcrits  par  M.  L.  Emma.  —  L'excellent 


di't 


LE  MÉNESTREL 


proresseur  M""  Delâge-Prat  réunissait,  il  y  a  quelques  jours,  ses  élèves  pour  l'audi- 
tion des  œuvres  de  piano  de  M.  Paul  Rougnon.  On  a  particulièrement  applaudi  : 
Ballerine,  la  Valse  joyeuse,  le  Menuet  de  l'infante,  élégantes  compositions  de  l'un  de 
nos  compositeurs  de  piano  les  plus  en  faveur  depuis  quelque  temps.  —  Lundi, 
I  27  avril,  chez  M""  Howe  et  Saïah  Bonheur,  charmante  réunion  pour  l'audition  de 
leurs  élèves.  Toutes  ont  chanté  avec  une  méthode  et  une  diction  parfaites;  quel- 
ques-unes sont  tout  à  fait  remarquables.  —  Samedi  soir,  salle  Erard,  M"'  Made 
leine  ten  Hâve  a  donné  un  concert  des  plus  remarqués.  Dans  l'exécution  du  con- 
certo en  ré  mineur  de  Bach,  celte  jeune  pianiste  a  prouvé  qu'elle  connaît  à  fond 
le  style  du  vieux  maître.  M.  Wilhelm  ten  Hâve,  le  distingué  violoniste,  exécutant 
avec  sa  fille  l'admirable  sonale  à  Kreutzer,  a  eu  sa  bonne  part  du  succès  de  cette 
soirée.  —  Salle  de  l'Académie  de  musique,  dimanche  dernier,  l'audition  des  élèves 
de  M""  Lucie  Jusseaume  a  été  des  plus  intéressantes.  Petites  et  grandes  ont 
donné  des  preuves  de  l'excellent  enseignement  qu'elles  reçoivent.  Quelques-unes 
même  ont  montré  dans  l'interprétation  des  œuvres  les  plus  difiioiles  de  Chopin, 
Mendelssohn, 'W'eber  etc.,  des  qualités  de  stjie  qui  font  le  plus  grand  honneur 
a  leur  jeune  et  intelligent  professeur.  Citons  les  plus  remarquables  :  M""  Del- 
court,  Louis,  Bataille  et  M.  l'etitjean.  —  La  dernière  audition  d'élèves  de 
M"*  TbniUier,  consacrée  au  répertoire  classique  de  l'édition  Marmonlel,  a  été 
extrêmement  remarquable.  Plus  d'une  fillette  s'est  signalée  par  de  brillantes 
qualités  de  style  et  de  virtuosité,  qui  font  honneur  à  l'enseignement  de  M""  Thuil- 
lier.  La  séance  était  présidée  par  M.  Alphonse  Duvernoy,  esi.minaleur  du  cours. 
—  Très  grand,  très  vif  et  très  légitime  succès  pour  M""  Marie  Panthês,  à  son 
concert  de  la  salle  Pleyel.  Virtuose  remarquable,  musicienne  expérimentée, 
rompue  à  tous  les  styles,  la  jeune  et  brillante  pianiste  s'est  fait  vivement  applaudir 
surtout  dans  la  '1°  ballade  de  Chopin,  qu'elle  a  dite  avec  un  incontestable  senti- 
ment poétique,  ainsi  que  l'IIumoresque  de  Schnmann,  et  elle  a  fait  merveille  aus,si 
dans  une  Humoresque  de  Tschaïkowsky,  que  les  auditeurs  ont  tenu  à  lui  faire 
redire  une  seconde  fois.  C'a  élé  tout  un  vrai  petit  triomphe.  —  L'excellent  chan- 
teur comique  Victor  Géo  a  donné,  ces  jours  derniers,  un  concert  très  réussi  au 
théâtre  de  la  Galerie-Vivienne.  Le  succès  personnel  de  M.  Géu  a  été  très  vif  ;  on 
a  également  applaudi  M"«  Blanc,  premier  prix  de  chant  du  Conservatoire, 
M""  Marioton-Bribes,  qui  détaille  la  chansonnette  avec  infiniment  de  goiil, 
MU.  Georges  Clément,  Fontbonne  et  Léon  David;  ce  dernier  a  interprété  une 
nouvelle  et  très  gracieuse  mélodie  de  M.  'Wekerlin,  intitulée  Avril. 

NÉCROLOBIE 

Charles  Ponchard 
Un  excellent  artiste  qui  n'a  jamais  atteint  la  célébrité,  mais  qui,  à  une 
réelle  distinction  et  à  une  conscience  rare  joignait  l'e.\;périence  et  le  senti- 
ment des  saines  traditions,  Charles  Ponchard,  régisseur-général  de  l'Opéra- 
Comique  et  titulaire  d'une  des  deux  classes  d'opéra-comique  au  Conserva- 
toire, est  mort  mercredi  dernier,  à  l'âge  de  soixante-six  ans,  à  la  suite 
d'une  longue  et  douloureuse  maladie.  Kils  du  grand  chanteur  qui  créa  le  rôle 
de  Georges  Brown  de  la  Daine  blanche  et  dont  la  renommée  fut  si  grande  à 
l'ancien  théâtre  Favart,  Charles-Marie-Auguste  Ponchard,  qui  était  né  à 
Paris  le  7  novembre  1824,  avait  fait  ses  classes  au  Conservatoire,  mais, 
chose  assez  singulière,  ces  classes  n'avaient  rien  de  musical,  et  c'est  avec 
un  second  prix  de  comédie  obtenu  en  1841,  et  un  second  prix  de  tragédie 
remporté  en  1843,  qu'il  quitta  l'école.  11  entra  alors  à  la  Comédie-Française, 
où  il  resta  deux  années,  puis,  ayant  travaillé  avec   son  père,  il  alla  faire 


une  apparition  fugitive  à  l'Opéra,  où  sa  voix  courte  et  dépourvue  de  timbre 
ne  pouvait  être  d'aucune  utilité.  Il  entra  alors,  en  1848,  à  l'Opéra-Gomique, 
qu'il  ne  devait  plus  quitter.  Là,  ses  très  réelles  qualités  de  comédien  le 
mettaient  à  même  de  rendre  de  véritables  services,  tandis  que  sa  voix, 
insuffisante  pour  un  grand  emploi,  lui  permettait  de  se  produire  avec 
avantage  dans  les  seconds  ténors  et  dans  les  trials,  étant  données  surtout 
les  e.xcellentes  qualités  musicales  qu'il  tenait  de  l'enseignement  paternel. 
Pendant  près  de  trente  ans  il  fut  une  des  colonnes  du  répertoire  courant, 
apte  à  tout,  toujours  sur  la  brèche,  et  se  montrant  tour  à  tour  dans  une 
foule  d'ouvrages,  parmi  lesquels  on  peut  citer  surtout  l'Ambassadrice,  le 
Domino  noir,  Giralda,  l'Ép'euve  villageoise,  les  Diamants  de  la  Couronne,  Fra 
Dlavulo,  l'Étoile  du  Nord,  le  Caid,  Galatliée,  le  Toréador,  etc.  Il  fit  aussi,  entre 
autres,  deux  créations  excellentes,  dans  le  Chien  du  jardinier,  petit  chef- 
d'œuvre  de  Grisar  dont  l'interprétation  vraiment  exquise  comprenait,  avec 
lui,  M.  Faure,  M""  Lefebvre  (M™=  Faure)  et  M"=  Lemercier,  et  dans  le  Voyage 
en  Chine.  Depuis  plusieurs  années,  Charles  Ponchard  avait  renoncé  à  se 
produire  à  la  scène,  mais  il  avait  succédé  à  Mocker  comme  régisseur 
général,  de  même  qu'il  avait  succédé  à  Couderc  dans  sa  classe  du  Conser- 
vatoire et,  sous  ce  rapport,  il  possédait  des  qualités  et  une  expérience 
auxquelles  il  ne  sera  pas  facile  de  suppléer.  L'Opéra-Comique  fait,  dans 
sa  personne,  une  perte  très  sensible.  Ponchard,  en  sa  qualité  de  professeur 
au  Conservatoire,  avait  été  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  en  1889. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


LE    MÉLOMANE 


Journal  de  ml'siqi;e 
à  adjuger  en  l'étude   de 
M'  Grionon,  notaire,  26,  boulevard  Saint-Michel,  le  4  mai  1891,  à  deux 
heures;    mise  à    prix:    1,000   francs.   S'adresser  à  M.   Ozéré,  syndic,   rue 
Christine,  2,  et  audit  notaire. 


Vient  de  paraître  : 

BRAHMS,  JOH.  recueil  de  mélodies  (Version  française  par  V.  Wilder). 

Vol.  I.  (N°  1.  Cœur  fidèle.  N°  2.  A  la  violette.  N"  3.  Mon  amour  est  pa- 
reil aux  buissons.  N"  4.  Vieil  Amour.  N"  S.  Un  Rossignol.  N°  6.  Soli- 
tude champêtre),  net 3  7o 

Vol.  II.  (N"  1.  Strophes  saphiques.  N"  2.  Message.  N"  3.  Sérénade 
inutile.  N"  4.  Mauvais  accueil.  N°  5.  Jour  d'été.  N°  6.  La  Belle 
fille  aux  yeux  d'azur),  net 3  75 

Vol.  III.  (N"!.  Berceuse.  N»  2.  Chant  d'amour.  N"  3.  Un  Dimanche. 
N"  4.  A  l'astre  des  nuits.  N"  0.  Le  Secret.  N»  6.  A  une  harpe 
éolienne),  net 3  73 

Vol.  IV.  (N"  I.  Dimanche,  au  point  du  jour.  N°  2.   Amour   fidèle. 
N"  3.   Le  Forgeron.  N'^  4.  Le  Serment  de  l'Amant.  N»  5.  0  jours 
bénis  de  l'âge  d'or!  N"  6.  J'ai  vu  jadis  de  belles  Heurs),  net.  .   .     3  75 
Dépôt  exclusif  pour  la  France  et  la  Belgique  : 
BuEiTKOPi'  ET  H.ERTEL,  45,  Moutagné-dé-la-Cour,  Bruxelles. 

A  Paris,  en  vente  chez  MM.  Durdilly  et  C'=,  Il  bis,  boulevard  Haussmann. 


En  vente  AU  MENESTREL,  2bis,  rue  rivim'.e,  HENRI  lIEUeEL  Èdilfur-propiiétaire. 


P.  LACOME 

SIX  CHŒURS 

A  deux  voix  égales  avec  soli  et  ace'  de  piano. 

(Paroles  convenables  pour  les  pensionnats.) 

Prix  nets; 

N°  1.  Les  Moissonneurs  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     » 

2.  la  Fête  de  Sita  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     « 

3.  La  Caravane  (avec  un  solo  de  soprano) 1  SO 

4.  La  Forêt  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     » 

5.  Cliaritas  (deux  voix  égales  sans  soli) 1  50 

6.  Goutte  de  rosée,  valse  (avec  solo  de  soprano) 2  .50 

N.    B.  —  Les  parties  de  chœurs  de  tous  ces  morceaux  sont  publiées 

séparément,  en   petit  format,  avec  les  deux  voix  en  partition,    mais  sans 
accompagnement  au  prix  de  0  fr.  bO  c.  net,  chaque  exemplaire. 

FRANCIS  THOMÉ 

13  I  2:     ^.4:  É  L  O  ID  I  E  S 

Pri.v. 

N"s    1.  Madrigal  (-l-'Jj 4    » 

—  2    Bonjour,  Suzon 4    » 

—  3.  Ritournelle  (1-2) 5     „ 

—  4.  Sonnet  d'Arvers 4     ,1 

—  5.  Si  tu  veux,  faisons  un  rêve   . 5     » 

—  6.  Plainte  à  Sylrie  (1-2) 5     „ 

—  7.  Brise  aimée 4     „ 

—  8.  Qui  donc  ètes-vous,  la  belle?  (1-2) 6     » 

—  9.  Nuit g     „ 

—  10.  Les  Hussards  ("/-ij g     „ 

Le  recueil  complet,  net  :  6  francs. 


En  vente  AU  MENESTREL,  2  bis,  7-ue  Fit)ienHe,IlE!\KI  HEUCiEE.  tdiltnr-propriétair* 


AD.  HERMAN 

LES  DÉBUTS  DU  JEUNE  VIOLONISTE 

Fantaisies  faciles  et  chantantes  pour 
VIOLON  ET  PIANO 

Pri.t  : 

N°  1.  Berceuse 3  » 

2.  Valse  chantante 3  » 

3 .  Bourrée  d'Auvergne 3  » 

4.  Chanson  du  Pâtre , 3  » 

5.  Invitation  à  lamaznrka 3  » 

6.  Pastorale 3  » 

Pour  précéder  LES  SOIRÉES  DU  JEUNE  VIOLONISTE,  du  même  auteur,  choix 

de  fantaisies  sur  les  opéras  en  vogue  (moyenne  force).  ■ 

CL  BLANC  &  L  DAUPHIN 

RONDES     ET     CHANSONS     D'AVRIL 

Prix. 

Nos     1.  Muguets  et  Coquelicots,  ronde 5  » 

—  2.  Aux  cerises  prochaines,  chanson 3  » 

—  3.  Les  Caprices  de  la  Reine,  ronde 5  » 

—  4.  Sur  un  nuage  d'or  laqué,  chanson  japonaise 5  » 

—  5.  Bobott'se  marie,  ronde .      5  » 

—  0.  Madame  l'hirondelle!  complainte 4  » 

—  7.  Mon  p'tit  bateau,  ronde ' 5  » 

—  8.   Souvenirs...,  inéloclie ,  ■    .    .       5  » 

—  9.  Zon,  Zon,  Laridaine,  ronde 5  » 

—  10.  Nuit  d'orage,  récit  dramatique 5  » 

Le  recueil  complet,  net  :  6  francs. 


3136  —  57™  ANNÉE  —  i\°  1«. 


Dimanche  10  Mai  1891.. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement» 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  Ir.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,   Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (8°  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  la  centième  représentation  de  Lcûcrné,  à 
rOpéra-Gomique,  H.  Moreno  ;  première  représentation  de  la  Famille  Vénus,  à  la 
Renaissance,  reprises  du  Parfum,  au  Palais-Roj'al,  et  de  Paris  fin  de  siècle, 
au  Gymnase,  PAUf.-EMiLE  Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante  (7"  article), 
Edmond   Neukomm  et   Paul   d'Estrée.  —  IV.    Nouvelles    diverses   et   concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
SÉRÉNADE    ROCOCO 

de  Robert  Fischhof.  —  Suivra   immédiatement  :   Autrefois,  musette  d'Ax- 

TONIN  MaRMONTEL. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Puisqu'ici  bas,  mélodie  posthume  de  Cn.-B.  Lysberg,  poésie  de 
Victor  Hugo.  —  Suivra  immédiatement:  Berceuse,  nouvelle  mélodie  de 
Bai.thasar-Flgrence,  poésie  de  Ch.  Fuster. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  CHarles   aiA-LHEFlBE! 


DEUXIEME  PARTIE 

(Suite.) 


CHAPITRE  II 


RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lalki-Roukh  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 

1862-'1864. 
Perrin  se  plaisait  aux  contrastes;  car  le  même  soir  où  il 
lançait  une  pièce  aussi  moderne  et  raffinée  que  Lalla-Roukh, 
il  reprenait  une  des  pièces  les  plus  anciennes  et  les  plus 
simples  du  répertoire,  la  gracieuse  paysannerie  de  Sedaine  et 
Monsigny,  Bose  et  Colas;  elle  datait  de  1764  et  pouvait  ainsi 
presque  fêter  son  centenaire.  Aussi, M''"  Lemercier,  qui  jouait, 
quoique  jeune  encore,  le  rôle  de  la  mère  Boby,  une  duègne 
de  quatre-vingt-quinze  ans,  fit-elle  applaudir  le  couplet  sui- 
vant, ajouté  pour  la  circonstance  au  vaudeville  composé 
par  Victor,  le  spirituel  régisseur  du  théâtre  : 

Voilà  cent  ans,  vos  bons  aïeu.v 

Venaient  applaudir  cet  ouvrage. 

Ce  soir,  messieurs,  faites  comme  eux  : 

Accordez-nous  votre  suffrage  ! 

Je  voudrais  vous  savoir  contents, 

Et,  si  mon  vœu  se  l'éalise. 


Vous  revoir  tous  à  la  reprise 

Qui  doit  avoir  lieu  dans...  cent  ans  ! 

Pièce  et  partition,  toutes  deux  charmantes  en.  leur  grâce 
naïve,  sont  assez  présentes  à  l'esprit  de  tous  pour  qu'il  soit 
inutile  d'insister.  Rappelons  toutefois  un  propos  peu  connu, 
un  mot  de  Sedaine  à  propos  de  Rose  et  Colas,  un  de  ces  mots 
dont  les  artistes  peuvent  faire  leur  profit,  cai  il  renferme 
toute  une  esthétique  théâtrale.  Au  lendemain  de  la  première 
représentation,  un  ami  le  rencontre  et  le  complimente. 
<c  Seulement,  ajoute-t-il,  c'est  un  peu  long;  je  crois  que  tu 
feras  bien  de  couper  çà  et  là.  »  —  «  J'entends,  répond  Se- 
daine; hier  les  acteurs  ont  joué  trop  vite;  demain,  ils 
joueront  moins  vite  et  ce  sera  plus  court.  »  Avis  aux  «  brûleurs 
de  planches  »  dont  le  débit  précipité  nuit  souvent  à  l'œuvre 
qu'ils  prétendent  animer.  Cette  fois,  l'auteur  eût  été  satisfait; 
Rose  était  bien  un  peu  timide,  représentée  par  une  débu- 
tante, M''"  Emilie  (tarait,  dont  on  avait  annoncé  d'abord  l'en- 
gagement sous  le  nom  de  M"^  Durieux  et  qui,  au  bout  de 
douze  fois,  céda  le  rôle  à  M"'=  Tuai  ;  mais  Sainle-Foy  et  Troy 
montraient  deux  types  de  fermiers  excellents,  et  Colas  n'é- 
tait autre  que  Montaubry;  avec  une  abnégation  dont  les 
grands  ténors  de  nos  jours  se  montreraient  avares,  il  jouait 
le  même  soir  dans  le  lever  de  rideau  et  dans  la  pièce  prin- 
cipale; il  se  faisait  doublement  applaudir  sous  le  manteau 
du  prince  et  sous  la  blouse  du  paysan. 

Avec  Rose  et  Colas  l'élan  des  reprises  était  donné,  et  l'on 
voit  se  suivre  ainsi,  le  12  août,  la  Servante  maîtresse  et  Jean  de 
Paris  ;  le  30  août,  Deux  mots  ou  une  Nuit  dans  la  forêt;  le  IS  sep- 
tembre, Zémire  et  Asor.  De  ces  pièces,  la  première  fut  le 
mieux  accueillie,  un  peu  grâce  à  son  intérêt  historique, 
puisqu'elle  peut  à  bon  droit  passer  pour  le  prototype  de 
l'opéra  bouffe,  d'où  l'opéra-comique  est  issu  ;  beaucoup,  à 
cause  de  la  valeur  des  interprètes.  Gourdin  était  un  bon 
Pandolphe  ;  Berthelier  jouait  excellemment  le  rôle  muet  de 
Scapin  ;  quant  à  la  débutante,  M™  Galli-Marié,  elle  fît, 
comme  nous  dirions  aujourd'hui,  sensation.  Les  savants  ob- 
servèrent que,  l'ouvrage  manquant  d'ouverture,  on  lui  avait 
donné  comme  préface  musicale  une  étude  pour  clavecin  de 
Scarlatti,  orchestrée  par  Gevaert;  les  curieux  remarquèrent 
que  les  récitatifs,  écrits  par  l'auteur  avec  accompagnement  de 
clavecin,  étaient  accompagnés  par  un  violoncelle  et  une 
contrebasse  ;  les  musiciens  constatèrent  que  le  rôle  de  Zer- 
bine  étant  un  peu  haut  pour  la  nouvelle  venue,  il  avait  fallu 
baisser  d'un  ton  ses  deux  airs  et  le  duo  final,  sans  parler 
d'autres  transpositions  partielles;  mais  la  foule  se  préoccupa 
médiocrement  de  ces  minces  détails,  et  ne  cacha  pas  son 
admiration.  Fille  de  Marié,  le  chanteur  de  l'Opéra,  M™  Galli- 
Marié  avait  déjà  chanté  en  province,  et  arrivait  en  dernier 
lieu  de  Rouen,  où  le  flair  de  Perrin  l'avait  dénichée.  Par  son 


d46 


LE  MÉNESTREL 


visage  expressif,  sa  voix  chaude  et  son  intelligence  drama- 
tique, elle  s'imposa  du  premier  coup  sur  la  scène  où  elle 
devait,  par  ses  créations,  tenir  tant  de  place,  et  Paul  de 
Saint-Victor  n'était  que  l'écho  du  public,  quand  il  écrivait 
dans  le  feuilleton  de  la  Presse  :  «  Elle  est  petite  et  mignonne, 
avec  des  mouvements  de  chatte,  une  physionomie  mutioe  et 
lutine,  et  dans  tout  son  air,  dans  toute  sa  personne,  quelque 
chose  d'espiègle  et  de  retroussé.  Elle  joue  comme  si  elle 
avait  servi  dans  les  bonnes  maisons  de  Molière  ;  elle  chante 
d'une  voix  ronde  et  fraîche,  piquante  et  moelleuse.  On  dirait 
une  ravissante  résurrection  de  M'"<=  favart,  de  celle  que  le 
maréchal  de  Saxe  appelait  sa  chère  petite  bouffe.  ,< 

Cette  partition  de  Pergolèse  n'avait  pas  été  exécutée  à  Paris 
depuis  plus  de  quarante  ans,  mais  la  nouvelle  Zerbine  remit 
tant  et  si  bien  la  Sercante  jnaîtresse  à  la  mode,  que,  l'année 
suivante, une  tragédienne  lyrique,  M""=  Penco,  se  paya  la  fan- 
taisie d'aborder,  aux  Italiens,  ce  rôle  comique  avec  Zucchini 
pour  partenaire;  elle  réussit.  Quelques  années  plus  tard, 
M™  Krauss,  à  son  tour,  tenta  l'épreuve  mais  avec  la  Serva 
Padrona  de  Paisiello.  Cette  épreuve ,  sans  être  aussi  satisfai- 
sante, fît -encore  honneur  à  ia  souplesse  de  son  talent. 

Le  soir  même  où  M'"«  Galli-Marié  débutait,  Jean  de  Paris 
servait  au  début  d'un  ténor  qui  comptait  déjà  d'honorables 
succès  en  province,  et  particulièrement  à  Rouen,  où  il  avait 
paru  l'année  précédente.  Warnots  était  un  élève  du  Conser- 
vatoire de  Bruxelles,  lauréat  émérite  qui  s'était  vu  décerner 
le  premier  prix  de  piano  et  de  composition.  Excellent  musicien, 
on  le  devine,  il  fit  bonne  figure  sous  les  traits  de  Jean  et, 
avec  M"«  Marimon  comme  princesse  et  Crosti  comme  séné- 
chal, valut  à  l'ouvrage  de  Boieldieu  un  regain  de  vingt-deux 
représentations,  qui  furent  malheureusement,  à  la  salle  Favart, 
les  dernières,  et  pour  la  pièce  et  pour  lui.  Ne  se  trouva-t-il 
pas  assez  chaleureusement  accueilli,  ou  jugea-l-il  qu'il  se 
créerait  difficilement  une  place  digne  de  lui  parmi  ses  rivaux? 
le  fait  est  qu'il  retourna  d'abord  en  Hollande,  puis  en  Bel- 
gique, où  il  a  rendu  depuis  lors,  comme  professeur,  de  signa- 
lés services. 

La  reprise  de  Deux  mots  ou  Une  nuit  dans  la  forêt,  opéra- 
comique  de  Dalayrac,  qui  n'avait  pas  été  joué  depuis  le 
19  avril  1823,  fut  moins  heureuse,  car  elle  ne  fournit  que 
huit  représentations.  La  médiocrité  du  livret  contribua  pour 
quelque  chose  à  ce  piteux  résultat  :  le  public  commençait  à 
connaître  outre  mesure  ces  histoires  de  voyageurs  égarés 
qui  descendent  dans  des  auberges  improbables  et  se  heurtent 
à  des  voleurs  plus  ou  moins  sérieux.  Cette  fois,  Valbelle,  le 
jeune  officier,  est  tombé  dans  un  coupe-gorge,  et  la  forêt  pa- 
raît être  celle  de  Bondy.  Une  jeune  fille  au  service  des  bri- 
gands. Rose,  attire  son  attention  parla  pantomime  à  laquelle 
elle  se  livre,  et  l'avertit  même  des  dangers  par  un  mot: 
«  minuit!  »  Le  héros  a  le  temps  de  se  mettre  sur  ses 
gardes,  il  échappe  à  la  mort,  et  quand  du  même  coup 
il  a  sauvé  l'héroïne,  il  lui  demande:  «  M'aimeras-tu?  » 
et  elle  répond  naturellement:  «toujours!  »  Minuit  et  toujours 
sont  ainsi  les  deux  mots  promis  par  le  titre.  Le  peu  d'effort 
de  mémoire  qu'ils  imposent  à  l'actrice  rendrait  presque  vrai- 
semblable cette  légende  qui  eut  cours  lorsque  l'œuvre  fut 
donnée  à  l'Opéra-Comique  le  6  juin  1806,  ou,  suivant  Félis, 
en  1798.  La  pièce  aurait  été  écrite  pour  un  théâtre  de  société, 
et  le  rôle  de  Rose  devait  être  confié  à  une  dame  fort  timide  qui, 
pour  s'en  défendre,  se  déclarait  incapable  de  prononcer  plus 
de  deux  mots.  «Eh  bien,  madame,  aurait  répondu  Marsollier, 
on  ne  vous  en  demande  pas  davantage.  »  Mais,  d'autre  part, 
il  est  certain  que  ce  titre:  Deux  mots,  fut  ajouté  seulement 
après  la  première  représentation.  En  efi'et,  le  manuscrit  ori- 
ginal de  la  partition  se  trouvait  encore  en  1862  dans  les 
mains  d'un  neveu  de  Dalayrac,  et  il  ne  portait  que  ce  titre  : 
Une  nuit  dans  la  forêt.  On  raconte,  au  reste,  que  le  librettiste 
s'était  amusé  à  transporter  à  la  scène  une  aventure  assez 
analogue  dont  il  avait  été  victime,  et  qui,  de  plus,  avait 
fourni  à  Bouilly  la  matière  d'un  joli  récit. 


Pour  Zémire  et  Azor,  on  est  moins  réduit  aux  conjectures,  le 
compositeur  ayant  donné  lui-même,  sur  son  œuvie,  tous  les 
détails  qu'il  importait  de  connaître;  il  estime,  par  exemple, 
que  «  cette  production  est  à  la  fois  d'une  expression  vraie  et 
forte  »  ;  puis  il  ajoute  naïvement  :  «  Il  me  paraît  même  dif- 
ficile de  réunir  plus  de  vérité  d'expression,  de  mélodie  et 
d'harmortie.  »  On  voit  que  Grétry  se  traitait  sans  aucune 
sévérité.  Cet  ouvrage,  nous  l'avons  dit,  avait  servi  en  1846 
aux  débuts  de  Jourdan  et  de  M"'=  Lemercier.  Perrin  s'occu- 
pait de  le  reprendre  lorsqu'il  avait  quitté  l'Opéra-Comique 
en  1858;  son  successeur  Roqueplan  l'annonçait  en  1859  avec 
Warot  et  M"°  Cordier;  on  le  répétait  encore  en  1860;  le  retour 
de  Perrin  amena  enfin  la  représentation,  qui  revêtit  un  ca- 
ractère tout  à  fait  artistique.  Pas  de  retouches  à  l'orches- 
tration, cette  fois;  en  revanche,  on  avait  rétabli  le  ballet, 
supprimé  aux  reprises  précédentes ,  et  ménagé  ainsi  un 
succès  à  la  jolie  M"«  Marcus.  Pour  donner  une  idée  de  la 
richesse  apportée  à  la  mise  en  scène,  rappelons  que  Perrin 
fit  brosser  un  rideau  spécial  destiné  aux  entr'actes:  c'était 
le  principal  épisode  du  troisième  acte,  peint  par  Cambon, 
d'après  une  gravure  du  XVIIP  siècle.  En  outre,  la  scène 
avait  reçu  un  encadrement  intérieur,  exécuté  dans  le  style 
coquet  des  décorations  du  temps,  et  semblable  aux  encadre- 
ments de  scène  des  résidences  royales,  afin  de  reproduire 
aussi  exactement  que  possible  l'effet  de  ia  représentation  de 
gala  du  9  novembre  1771,  où  l'ouvrage  de  Grétry  avait  paru 
pour  la  première  foi*  devant  la  Cour,  à  Fontainebleau.  La 
distribution  nouvelle  n'était  pas  moins  satisfaisante,  avec 
Warot  (Âzor),  Troy  (Sander),  Ponchard  (Ali),  M'"-"^  Tuai  et 
Rolin  (Fatmé  et  Lisbé),  enfin  une  débutante.  M'"'  Baretti  qui, 
sons  les  traits  de  Zémire,  tremblait  un  peu  le  premier  soir, 
et  se  montra  charmante  pendant  les  vingt-sept  représenta- 
tions que  fournit  cette  reprise;  bientôt  elle  parut  encore 
plus  à  son  avantage  dans  la  Dame  blanche,  où  elle  remplaça 
M"'=  Cico,  et  compta,  par  sa  grâce  et  sa  beauté,  au  nombre 
des  pensionnaires  qui  méritent  une  mention  dans  l'histoire 
de  la  salle  Favart. 

Cette  reprise  de  la  Dame  blanche  est  d'ailleurs,  avec  l'appa 
rition  de  Lalla  Roukh,  le  gros  événement  musical  de  l'année 
1862  à  la  salle  Favart.  Le  chef-d'œuvre  de  Boieldieu  avait  été 
remonté,  comme  décors  et  costumes,  avec  un  soin  tout  par- 
ticulier, et  le  principal  rôle  d'homme,  confié  à  un  nouveau 
venu,  dont  les  débuts  eurent  un  énorme  retentissement.  Léon 
Achard  n'était  pas  un  inconnu.  Fils  du  comédien  Achard, 
reçu  avocat  à  vingt  ans,  il  avait  quitté  le  barreau  pour  entrer 
au  Conservatoire  de  Paris,  et  au  bout  de  deux  ans  en  était  sorti 
avec  un  premier  prix  d'opéra-comique.  Mais,  sa  courte  appa- 
rition au  Théâtre-Lyrique  dans  le  Billet  de  Marguerite  (7  octo- 
bre 1854)  n'attira  pas  l'attention  du  public,  et  le  jeune  lau- 
réat partit  pour  Lyon,  où  pendant  six  années  il  étudia,  pro- 
gressa, et  finit  par  passer  du  second  plan  au  premier.  Rappelé 
alors  à  Paris,  il  se  vit  confier  le  rôle  de  Georges  Brown,  et 
la  soirée  du  4  octobre  fut  pour  lui  triomphale.  Doué  d'une 
jolie  voix,  très  jolie  même,  bien  qu'un  peu  blanche,  vocali- 
sant à  merveille,  charmant  cavalier,  bon  comédien,  il  avait 
un  talent  fait  de  franchise,  de  charme,  de  netteté,  et  l'Opéra- 
Comique  put  dès  lors  se  consoler  d'avoir  perdu  Roger.  Grâce 
à  lui  la  Dame  blanche  fournit  treize  représentations  en  octobre, 
treize  en  novembre,  douze  en  décembre  et  cinquante-sept 
l'année  suivante.  D'un  bond,  elle  avait  franchi  la  mUlièmc  re- 
présentation et  cet  événement,  encore  unique  dans  les  annales 
du  théâtre,  fut  célébré  avec  quelque  solennité.  L'empereur 
et  l'impératrice  assistèrent  à  la  représentation  qui  eut  lieu  le 
16  décembre;  entre, le  premier  et  le  second  acte,  des  stances 
de  Méry  furent  récitées  par  Achard,  et  tous  les  artistes  cou- 
ronnèrent le  buste  du  compositeur,  tandis  que  les  choristes 
entonnaient  le  chœur  d'Avenel.  La  recelte  atteignit  près  de 
7,000  francs,  et  les  droits  d'auteurs  furent  généreusement  aban- 
donnés par  Boieldieu  fils  aux  ouvriers  sans  travail  de  Rouen. 

(A  suivre.) 


LE  MÉNESTREL 


447 


SEMAINE   THEATRALE 


LA    100=    REPRÉSENTATION    DE    LAKMÉ 

Au  théàlre  il  faut  compter  avec  l'imprévu.  Cette  reprise,  M.  Car- 
valho  l'avait  tout  particulièrement  choyée;  il  voulait  en  faire  un 
jusle  hommage  à  la  mémoire  de  Léo  Delibes,  et  voilà  qu'au  dernier 
moment  l'interprète  principale  de  l'ouvrage,  celle  sur  qui  il  fondait 
de  légitimes  espérances,  venait  à  lui  échapper.  Eu  effet,  la  veille 
de  la  représentation,  à  six  heures  du  soir,  le  docteur  Fauvel  venait 
annoncer  au  théâtre  que  M""'  Arnoldson  ne  pourrait  chanter  le  len- 
demain, ni  même  avant  quelques  jours.  Lakmé  était  déjà  affichée,  les 
billets  de  service  déjà  envoyés  à  la  presse,  les  feuilles  de  location 
déjà  couvertes;  que  faire?  M.  Carvaiho  est  l'homme  des  résolutions 
subites;  il  ne  se  laisse  pas  abattre  facilement.  Il  pensa  qu'il  venait 
d'engager  une  nouvelle  chanteuse,  qui  précisément  venait  d'inter- 
préter le  rôle  à  Lille  avec  un  vif  succès.  M"'  Horwitz,  une  des 
meilleures  élèves  de  M"'  Marchesi,  et  tout  de  suite  il  décida  qu'il 
ne  serait  rien  changé  à  l'ordre  des  spectacles.  M"'=  Hor-witz ,  pour 
qui  c'était  d'ailleurs  un  coup  de  fortune,  accepta  sans  hésiter,  avec 
toute  la  crànerie  de  la  jeunesse,  la  mission  périlleuse  de  sauver  le 
théâtre  et  de  chanter  à  l'improviste  un  rôle  aussi  lourd  que  celui  de 
Lakmé,  sans  lépétition  préalable  avec  l'orchestre  et  ses  camarades. 
On  se  trouvait  ainsi  tiré  d'un  gros  embarras,  et  on  pouvait  attendre 
avec  tranquillité  le  rétablissement  de  M"'  Arnoldson. 

Nous  avons  donc  revu  cette  délicieuse  Lakmé,  qui  est  l'un  des  plus 
charmants  ouvrages  qu'ait  produits  l'école  française  depuis  Mignon 
et  Carmen.  L'inspiration  en  est  toujours  abondante  et  naturelle,  et 
on  y  trouve  peu  de  ces  remplissages  et  de  ces  formules  convention- 
nelles et  rebattues  qui  embarrassent  le  vieil  opéra-comique.  Ici,  tout 
ou  à  peu  près  est  neuf,  original,  et  porte  la  marque  bien  personnelle 
du  maître.  Nous  sommes  à  une  époque  où  la  plupart  de  nos  musi- 
ciens semblent  pris  de  vertige;  dédaigneux  de  suivre  leur  propre 
nature  d'artiste,  ce  qui  serait  trop  simple  en  une  fin  de  siècle 
aussi  compliquée,  ils  cherchent  tous  plus  ou  moins  à  s'accrocher  à 
quelque  grand  modèle,  à  s'en  inspirer  et  à  nous  en  donner  des 
copies  plus  ou  moins  pâles.  C'est  infiniment  regrettable. 

De  nos  jours,  comme  au  temps  de  Boileau,  un  joli  sonnet,  d'une 
facture  originale,  vaudra  toujours  mieux  qu'un  poème  d'allures  pré- 
tentieuses, si  on  n'a  pas  en  soi  la  moelle  nécessaire  pour  le  con- 
duire à  bien.  Croit-on,  par  exemple,  que  les  partitions  de  Manon  et 
à'Héi'odiade,  oii  M.  Massenet  nous  donnait  quelque  chose  de  lui, 
n'étaient  pas  infiniment  préférables  à  celles,  beaucoup  plus  grosses 
d'intentions,  du  Mage  et  d'Esclarmonde,  oii  il  nous  donne  seulement 
quelque  chose  des  autres  ?  On  trouvera  peut-être  que  nous  nous  en 
prenons  souvent  à  la  personnalité,  d'ailleurs  intéressante,  de  M.  Mas- 
senet. Ça  n'est  pas  mauvais  vouloir,  ni  parti  pris,  c'est  bien  plu- 
tôt pour  la  peine  qu'il  nous  cause  de  le  voir  s'égarer  dans  des 
voies  détournées  où  son  gracieux  talent  ne  peut  s'épanouir  à  l'aise 
et  dans  toute  sa  iloraison. 

Delibes  n'a  pas  commis  cette  faute;  il  eût  pu,  tout  aussi  bien  qu'un 
autre,  faire  des  pastiches  habiles  et  nous  donner  des  apparences  de 
grandes  œuvres,  dans  la  manière  du  terrible  Richard.  Il  a  préféré 
chanter  la  chanson  qui  était  dans  son  cœur.  Après  Coppélia,  ce  fut 
Sylvia,  puis  le  Roi  l'a  dit;  après  Jean  de  Nivelle,  Lakmé,  et  bientôt  cette 
Kassya,  qui  ne  sera  pas  indigne  des  autres.  Dans  toutes  ces  œuvres, 
Delibes  reste  toujours  lui  et  cependant  toujours  divers. 

On  était  demeuré  quatre  ans  sans  entendre  cette  Lakmé;  on  l'a 
retrouvée  toujours  fraîche  et  pleine  de  ce  charme,  et  de  cette  poésie 
péûétrante  qui  en  avaient  fait  le  succès  dès  le  premier  soir;  la  mélodie 
y  coule  toujours  chaude  et  colorée,  appuyée  sur  une  harmonie  pi- 
quante etjamais  banale.  Cela  a  doncété  une  véritable  fête,  u»  enchan- 
tement pour  des  oreilles  que  nos  jeunes  musiciens  maltraitent  si 
fort  depuis  quelque  temps. 

Le  charmant  poème  de  MM.  Gondinet  et  Philippe  Gille  n'a  pas 
manqué  non  plus  de  retrouver  des  auditeurs  attentifs  et  intéressés. 

Arrivons  à  l'interprétation  ;  pour  M""  Horwitz,  nous  l'avons  dit, 
c'était  une  sorte  d'improvisation  dont  elle  est  sortie  victorieuse.  Sa 
voix  est  mince  assurément,  mais  elle  est  incisive  et  porte  loin.  La 
chanteuse  a  élé  élevée  à  bonne  école;  elle  sait  de  son  art  tout  ce  qu'on 
en  peut  apprendre.  C'est  une  vaillante,  et  la  fortune  lui  sourira. 
Le  ténor  Gibert  avait  à  vaincre  bien  des  difficultés  pour  plier  sa 
voix  forte  et  généreuse  aux  exigences  d'un  rôle  qui  demande  sou- 
vent de  la  grâce  et  de  la  délicatesse.  Il  a  trouvé  pour  cette 
occasion  d'agréables  demi-teintes  qu'on  ne  lui  connaissait  pas. 
M.  Renaud  a  mis  sa  belle  voix  et  l'autorité  de  son  talent  au  ser- 
vice du  personnage  de  Nilakantha,  qui  s'en  est  fort  bien  trouvé.  Les 


plus  petits  rôles  avaient  été  distribués  à  de  véritables  artistes,  qui 
tous,  sans  vouloir  s'occuper  de  leurs  situations  personnelles,  avaient 
tenu  à  honneur  de  paraître  dans  cette  reprise,  pour  mieux  servir 
la  mémoire  de  notre  pauvre  Delibes.  C'est  ainsi  que  M"''  Deschamps 
représentait  Mallika,  qui  n'a  guère  à  chanter  qu'un  petit  duo  au 
premier  acte,  délicieux  il  est  vrai  ;  que  M.  Soulacroix  animait  de 
sa  verve  le  personnage  de  Frédéric;  que  M.  Clément  tenait  la  partie 
d'Hadji  ;  que  M"'"*  Degrandi  et  Elven  prêtaient  leur  gracieuse  phy- 
sionomie aux  petites  Anglaises  de  MM.  Gondinet  et  Philippe  Gille, 
et  M""  Pierroa,  sa  verve  au  rôle  de  la  gouvernante.  C'était  donc 
une  excellente  interprétation  d'ensemble,  soutenue  par  le  merveil- 
leux orchestre  de  M.  Danbé  et  les  chœurs  valeureux  de  M.  Carré. 
Voilà  l'ouvrage  en  route  vers  la  200^  représentation. 

H.    MORENO. 

Renaissance.  La  Famille  Vénus,  opérette-vaudeville  en  trois  actes  et 
quatre  tableaux,  de  MM.  Charles  Clairville  et  R.  Bénédite,  musique 
de  M.  Léon  Vasseur.  —  Palais-Royal.  Le  Parfum,  comédie  en  trois 
actes  de  MM.  Ernest  Blum  et  Raoul  Toehé.  —  Gymnase.  Paris  fin  de 
siècle,  pièce  en  quatre  actes,  de  MM.  Ernest  Blum  et  Raoul  Toché. 

La  famille  Vénus,  ainsi  dénommée  parce  que.  Italiens  de  nais- 
sance et  modèles  de  profession,  l'une  des  filles  pose  les  Vénus 
chez  messieurs  les  artistes,  vit  calme ,  heureuse  et  fière  des  héros 
qu'elle  fournit  au  tout-Montmartre  barbouilleur ,  non  sans  tou- 
tefois regretter  que  l'une  des  plus  jolies  de  la  maisonnée.  Frisette, 
n'ait  pas  cru  devoir  embrasser  la  carrière  et  préfère  vendre  des  pe- 
tits bouquets  sur  la  place  Pigalle.  Or,  voilà  que  précisément  celle 
que  l'on  sarrache  et  qui  personnifiait  si  bien  la  déesse  de  la  beauté, 
vient  de  se  laisser  enlever  par  un  riche  boyard.  L'honneur  des 
Bricole  est  donc  grandement  compromis,  car  il  y  avait  une  séance 
des  plus  importantes  promise  pour  le  jour  même  ;  Frisette  seule 
pourrait  tout  sauver  en  prenant  la  place  de  la  fugitive,  mais  Fri- 
sette a  le  métier  en  horreur,  et  de  plus,  elle  se  marie  dans  une 
heure.  Pour  se  débarrasser  des  obsessions  des  siens  qui  l'em- 
pêchent d'aller  retrouver  son  fiancé  à  la  mairie,  elle  ira  chez  le 
peintre  expliquer  qu'elle  ne  peut  faire  ce  qu'on  lui  demande.  Et 
alors  les  auteurs  nous  lancent  à  corps  perdu  dans  un  chassé-croisé 
d'imbroglios  impossibles  à  raconter  brièvement.  Le  fiancé  court 
après  sa  fiancée,  les  Bricolo  galopent  derrière  Frisette,  un  vieux 
viveur,  Trégomard,  qui  ne  serait  pas  fâché  d'assister  à  la  première 
pose,  pourchasse  la  nouvelle  Vénus,  M""  Trégomard  se  trouve 
aussi  delà  partie,  ainsi  que  Cabassoul,  un  limonadier  qui  a  installé 
une  bourse  aux  modèles.  Tout  ce  monde  va,  vient,  gesticule,  crie, 
chante,  à  la  plus  grande  joie  du  publie,  et,  finalement,  tout  s'ar- 
range, suivant  l'habitude,  et  à  la  satisfaction  générale. 

La  pièce  de  MM.  Clairville  et  Bénédite  est  amusante,  et  la  mu- 
sique de  M.  Léon  Vasseur  facile;  on  a  bissé  un  aimable  petit 
duetto,  sur  de  passer  à  la  postérité  puisque  le  maestro  le  fait  jouer, 
au  dernier  acte,  sur  un  orgue  de  Barbarie,  une  chanson  dialoguée 
et  une  valse  où  l'on  retrouve  la  marque  de  l'auteur  de  la  Timbale 
d'argent.  M.  Samuel  a  monté  ces  quatre  tableaux  d'une  façon  très 
amusante  ;  les  décors  du  bureau  d'omnibus  de  la  place  Pigalle  et 
l'intérieur  de  la  cour  de  la  maison  dans  laquelle  habite  la  famille 
Vénus  sont  absolument  réussis.  La  belle  M"'=  Decroza  est  une  fort 
avenante  Frisette,  et  M""""  Roland,  Berlhier,  Aubrys,  MM.  Gh.  Lamy, 
Regnard,  Georges,  Victorin,  Gildès,  trouvent  plus  d'une  fois  l'occa- 
sion de  s'attirer  des  petits  bravos  très  mérités. 

Le  Palais-Royal  vient  de  reprendre  te  Parfum  avec  un  succès  égal 
à  celui  qui  avait  accueilli  la  première  représentation.  La  comédie  de 
MM.  Blum  et  Toché  demeure  toujours  aussi  amusante,  aussi  fine  et 
aussi  adroite,  et  M""  Chaumont  reste  une  inimitable  Sylvaaie. 
MM.  Daubray,  Calvin,  Milher,  Pellerin  et  M"*  Bonnet  enlèvent  ces 
trois  actes  avec  leur  verve  et  leur  esprit  habituels. 

Au  Gymnase,  reprise  aussi,  et  reprise  encore  d'une  pièce  de 
MM.  Blum  et  Toché,  Paris  fin  de  siècle.  Ici,  les  deux  auteurs  ont  pro- 
fondément remanié  leurs  quatre  actes.  Ils  y  ont  ajouté  une  petite 
revue.  Fin  de  siècle  revue,  qui  remplit  presque  tout  le  quatrième  acte, 
et  qui  fera,  certainement,  courir  tout  Paris.  Compère,  M.  Numès, 
commère  la  belle  M"'  Demarsy,  et  le  petit  défilé  commence:  voici 
les  mémoires  du  prince  de  Talleyrand,  M"'°  Desclauzas  en  Opéra, 
M.  Noblet  en  réempoissonneur  de  la  Seine,  M.  Hirschen  Labussière, 
M'^'  Lécuyer  en  Musolte  et  Mariage  blanc,  M"=  Darlaud  en  Phryné,  etc. 
Gros,  gros  succès,  qui  est  venu  s'ajouter  à  celui  de  l'aimable  fan- 
taisie de  MM.  Blum  et  Toché,  très  bien  interprétée  par  M""^  Sisos, 
Desclauzas,  Darlaud,  Demarsy,  Gérard  et  MM.  Noblet,  Burguet, 
Numès,  Plan  et  Hirsch. 

Paul-Émile  Chevaheh. 


448 


LE  MEiNESTlŒL 


NAPOLÉON  DILETTANTE 


LA  MUSIQUE  DE  L'EMPEREUR 
(Suite.) 

Comme  nous  l'avons  dit,  la  salle  des  Tuileries  occupait  en  partie 
l'ancien  emplacement  du  local  de  la  Convention.  Le  2  janvier  1808, 
l'empereur,  arrivé  la  veille  d'Italie,  visitait  les  travaux  entrepris  sur 
son  ordre  au  château,  par  Fontaine.  La  salle  de  S|)ectacle  attira 
spécialement  son  attention  :  —  Elle  est  trop  vaste,  dit-il,  et  je  crains 
fort  que  les  spectateurs  n'y  voient  et  n'y  entendent  mal  :  le  théâtre 
de  la    Scaia  de  Milan  est  la  perfection  dans  ce  genre. 

Constant  confirme,  dans  ses  Mémoires,  ces  critiques  de  l'empereur. 
Cependant  on  joua,  sans  rien  changer  à  la  salle,  le  dimanche  qui 
suivit  le  retour  d'Italie,  la  Griselda  de  Paër,  qui  produisit  un  grand 
eflet.  Les  loges  de  Leurs  Majestés, placées  en  face  l'une  de  l'autre, étaient 
décorées  de  soie  cramoisie,  avec  de  graudes  glaces  qui  reflétaient 
la  salle  et  la  scène.  Peu  de  temps  après,  à  l'inauguration  définitive, 
les  loges  étaient  si  bien  distribuées  pour  faire  valoir  les  toilettes 
des  dames,  qu'elles  complétaient  heureusement  l'ensemble  de  la 
construction  et  faisaient  disparaître  ses  défauts.  On  sentait  dans 
cet  arrangement  l'intervention  de  l'empereur,  qui  venait  d'accomplir 
une  véritable  révolution  dans  les  théâtres  italiens,  où  il  avait  donné 
l'ordre  de  supprimer  les  rideaux  des  loges,  derrière  lesquels  on 
causait  et  on  jouait  aux  cartes,  quand  on  ne  soupait  pas  à  la  lueur 
des  bougies  qui  seules  éclairaient  la  salle. 

A  partir  de  ce  moment,  la  «  Musique  »  ne  cesse  de  se  produire, 
soit  au  théâtre,  soit  dans  les  appartements.  M""'  de  Rémusat  nous 
a  laissé  la  description  d'un  concert  dans  la  salle  des  Maréchaux, 
«  éclairée  d'un  nombre  infini  de  bougies  ».  Tous  les  personnao-es 
officiels  étaient  invités  à  ces  soirées.  Napoléon  prenait  place  au  fond 
de  la  salle,  ayant  à  sa  gauche  l'impératrice,  avec  les  princesses 
du  sang  impérial,  à  sa  droite,  sa  mère,  et  derrière  lui,  ses  frères, 
les  princes  étrangers  et  les  grands  officiers  de  la  couronne,  tous 
richement  costumés.  Derrière  eux  se  tenaient  les  chambellans  de 
service.  A  droite  et  à  gauche,  en  retour,  étaient  assises,  sur  deux 
rangs,  les  dames  d'honneur,  les  dames  d'atour  et  les  dames  du 
palais,  en  grande  toilette,  fort  dispendieuse,  parait-il,  car,  d'après 
ce  que  nous  apprend  M"'=  de  Rémusat,  un  vêtement  de  cour  coulait 
cinquante  louis,  et  il  fallait  en  changer  souvent.  Enfin,  derrière  ce 
parterre  féminin,  s'entassait  debout  la  plèbe  des  ambassadeurs,  des 
ministres,  des  maréchaux,  des  sénateurs,  des  généraux  et  de  tous 
les  hauts  lonctionnaires  de  l'empire: 

En  face  du  rang  impérial  se  plaçaient  les  musiciens;  dès  que  l'empe- 
reur était  assis,  on  exécutait  la  meilleure  musique...  Le  concert  fini,  au 
milieu  de  ce  carré  qui  restait  vide,  les  meilleurs  danseurs  et  danseuses 
de  l'Opéra,  très  élégamment  vêtus,  formaient  des  ballets  charmants.  Cette 
partie  de  la  fête  amusait  tout  le  monde,  même  l'empereur. 

Cette  fin  semblerait  indiquer  un  état  d'esprit  particulier  à  Napo- 
léon, que  nous  n'avons  d'ailleurs  trouvé  que  chez  les  Rémusat. 
Le  mari  de  l'auteur  des  Mémoires  récemment  parus  déclare  aussi 
que  Talleyrand  lui  aurait  dit,  en  le  félicitant  des  fêles  qu'il  avait 
mission  d'organiser,  en  sa  qualité  de  préfet  du  palais  : 

—  Je  vous  plains,  car  vous  êtes  chargé  d'amuser  l'inamusable. 

De  même,  M-"»  de  Rémusat  nous  montre,  à  Fontainebleau,  pen- 
dant l'été  de  1807,  un  Napoléon  ennuyé,  auquel  ne  nous  ont  point 
accoutumé  les  récits  qui  nous  ont  servi  de  guide  jusqu'ici. 

Il  y  avait,  nous  apprend  l'ancienne  dame  d'honneur  de  l'impé- 
ratrice, un  règlement  pour  les  différentes  soirées  de  la  semaine  : 

«  L'empereur  devait  recevoir  un  soir  chez  lui  :  on  y  entendrait 
de  la  musique,  et  on  y  jouerait  après.  Seulement,  cette  année-là 
il  était  rêveur,  mécontent  et  grincheux.  Les  spectacles  se  ressen- 
taient de  cette  disposition  d'esprit,  et  la  tragédie,  même  avec  Talma 
ennuya  tout  le  monde.  Ou  avait  attiré  à  la  cour  les  plus  grands 
chanteurs  de  l'Italie.  Il  les  payait  largement,  mettait  sa  vanité  à 
les  enlever  aux  autres  souverains,  mais  il  les  écoutait  tristement 
et  rarement  avec  intérêt.  M.  de  Rémusat  imagina  d'animer  les 
concerts  par  une  sorte  de  représentation  des  morceaux  de  chaut 
qu'on  exécutait  en  sa  présence.  Les  concerts  furent  quelquefois  donnés 
sur  le  théâtre.  Ils  étaient  composés  des  plus  belles  scènes  des 
opéras  italiens.  Les  chanteurs  les  exécutaient  en  costume  et  les 
jouaient  réellement.  La  décoration  représentait  le  lieu  de  la  scène 
où  se  passait  l'action  au  moment  de  chanter.  Tout  cela  était  monté 
avec  grand  soin  et,  comme  tout  le  reste,  manquait  à  peu  près  son  effet  » 

La  vérité  est  que  c'étaient  probablement  M.  elM"»  de  Rémusat  qui 


s'ennuyaient  à  la  cour  de  Vusut-pateiir,  qu'ils  se  croyaient  cepeudant 
obligés  de  servir,  malgré  leur  aversion  secrète  pour  sa  personne. 
Ils  poussèrent  un  grand  soupir  de  soulagement  lors  du  retour 
des  Bourbons,  qu'ils  acclamèrent  des  premiers.  Le  29  mars  1814, 
Charles  Maurice  notait  dans  son  carnet,  qui  devait  fournir  plus 
lard  les  petites  anecdotes  de  théâtre  : 

Les  rubans  blancs,  symboles  du  royalisme,  ont  été  répandus  par  M.  de 
Rémusat,  surintendant  des  spectacles  de  Napoléon.  Je  l'ai  vu,  il  n'y  a 
pas  une  heure,  les  couper  par  morceaux  sur  la  place  de  la  Concorde  et 
les  distribuer  aux  passants,  en  les  invitant  à  les  mettre  à  leur  boutonnière. 

Ainsi  devait  finir  l'épopée  napoléonienne,  dans  l'ingratitude  et 
dans  l'oubli.  Mais  nous  ne  louchons  pas  encore  à  ces  jours  funestes. 
L'empire  est  à  son  apogée,  et  les  fêtes  battent  leur  plein.  Marie- 
Louise  a  pris  la  place  de  Joséphino,  et  l'empereur  tient  à  honneur 
de  montrer  à  la  fille  des  Habsbourg  une  cour  plus  à  l'étiquette 
encore  et  plus  luxueuse  que  celle  de  Vienne  et  de  Schœnbrunn  : 

Il  ne  se  passait  pas  de  journée,  nous  raconte  Lamothe- Langon  dans 
ses  Mémoires  d\m  pair  de  France,  sans  un  concert,  un  bal,  une  comédie  ou 
un  opéra  joué,  soit  sur  le  théâtre  des  Tuileries,  soit  dans  les  appartements 
intérieurs.  Ces  réunions  avaient  l'air  de  véritables  féeries.  Il  n'y  avait  rien 
au-dessus  de  l'aspect  enchanteur  de  la  salle  de  spectacle  le  jour  d'une 
grande  représentation.  Napoléon  et  Marie-Louise  occupaient  alors  une 
loge  richement  drapée  en  face  du  théâtre  ;  ils  s'y  montraient  entourés  des 
princes  et  des  princesses  de  leur  famille,  des  dames  et  des  officiers  de 
leur  maison.  i 

A  droite  étaient  les  ambassadeurs,  dans  la  loge  qui  leur  était  réservée;        | 
à  gauche,  on  voyait  celle  des  ministres  de  France;  tout  le  reste  de  la  vaste        " 
galerie  servait  à  placer  les  femmes  présentes  et  toutes  habillées  de  manière 
à  rivaliser  d'élégance  et  de  richesse. 

Tout  ce  que  la  France  avait  alors  de  grand,  tous  les  hauts  fonction-  , , 
naires,  magnifiquement  vêtus,  chargés  de  cordons,  de  plaques  élincelantes, 
formaient  le  parterre.  On  admettait  dans  les  secondes  loges  les  femmes 
étrangères  à  la  cour,  ainsi  que  les  hommes  non  présentés,  qui  ne  pou- 
vaient entrer  là  qu'en  habit  babillé,  c'est-à-dire  à  la  française,  avec  l'épée 
et  le  chapeau  à  plumes.  Des  valets  de  pied  circulaient  sans  cesse  et  pré- 
sentaient des  glaces  et  des  rafraîchissements  de  toute  espèce. 

Un  silence  profond  régnait  dans  la  salle,  les  applaudissements  mêmes 
étaient  interdits. 

A  Saint-Cloud,  l'on  se  détendait  un  peu  de  l'étiquette  des  Tuile- 
ries. Le  spectacle  ne  s'y  composait  généralement  «  que  de  pièces 
et  de  morceaux  »,  suivant  l'expression  pittoresque  de  Constant,  qui 
se  hâte  d'ajouter,  dans  l'expansion  de  sa  naïveté  d'auditeur  con- 
vaincu :  «  On  prenait  un  acte  d'un  opéra,  nu  acte  d'un  autre,  ce 
qui  était  fort  contrariant  pour  les  spectateurs  que  la  première  pièce 
avait  commencé  à  intéresser.  » 

En  compagnie  du  même  Constant,  nous  assisterons  à  une  fête 
champêtre,  pour  la  naissance  du  roi  de  Rome,  dans  les  ombrages  de 
Saint-Cloud.  Des  jeux  nombreux  étaient  installés  sous  la  fouillée, 
et  de  nombreux  orchestres  se  faisaient  entendre,  dissimulés  dans  les 
bosquets. 

«  ...  Plus  loin,  des  paysans  allemands  dansaient  des  valses  sur 
une  pelouse  charmante  et  couronnaient  de  fleurs  le  buste  de  S.  M. 
l'Impératrice.  Des  sylphes  et  des  nymphes  de  l'Opéra  exécutaient 
des  danses.  Enfin,  un  théâtre  avait  été  élevé  au  milieu  des  arbres, 
afin  d'y  représenter  la  Fête  du  Village,  divertissement  composé  par 
M.  Etienne  et  mis  en  musique  par  M.  Nicole. 

,1  L'Empereur  et  l'Impératrice  assistaient  sous  un  dais  à  ce  spec- 
tacle, quand  tout  à  coup  il  vint  une  pluie  abondante  qui  mit  en  émoi 
les  spectateurs.  Leurs  Majestés  ne  s  apercevaient  pas  d'abord  de  la 
pluie,  protégées  qu'elles  étaient  par  le  dais.  L'empereur  causait  alors 
avec  le  maire  de  Lyon.  Celui-ci  se  plaignait  du  peu  d'écoulement  des 
étoffes  de  celte  ville.  Napoléon  voyant  tomber  une  pluie  effroyable, 
dit  â  ce  fonctionnaire  : 

—  Je  vous  réponds  que  demain  il  y  aura  des  commandes  consi- 
dérables. 

1)  L'empereur  tint  bon  à  sa  place  pendant  une  bonne  partie  de 
l'orage.  Les  courtisans,  couverts  d'étoffes  de  soie  et  de  velours,  la 
tête  découverte,  recevaient  la  pluie  d'un  air  riant.  Les  pauvres 
musiciens,  trempés  jusqu'aux  os,  ne  pouvaient  déjà  plus  tirer  aucun 
son  de  leurs  instruments,  dont  la  pluie  avait  brisé  ou  détendu  les 
cordes.  Il  était  temps  que  cela  finît.  Enfin  l'empereur  donna  le  signal 
du  départ  et  se  retira.  » 

Peu  de  temps  après,  nouvelle  partie  champêtre,  cette  fois  à  Trianon, 
pour  la  fête  de  Marit-Lonise.  Toutes  les  lignes  d'architecture  du 
Grand  Trianon  sont  illuminées  de  lampions  multicolores.  A  l'inté- 
rieur, on  représente,  devant  un  parterre  de  six  cents  dames  brillam- 
ment parées,  une  pièce  de  circonstance,  le  Jardinier  de  Schœnbrunn, 
par  Alissan  de  Chazet,  qui  devait  plus  tard  si  bruyamment  chanter 


LE  MENLSmtL 


149 


le  retour  des  Bourbons.  Puis,  le  spectacle  fini,  Leurs  Majestés  firent 
une  promenade  dans  le  Pelil  Trianon  :  on  se  rendit  à  l'Iled'Amour,  «  où 
se  trouvaient  réunis  tous  les  enchanlements  de  la  féerie  ».  Le  lemple 
situé  au  milieu  du  lac  était  magnifiquement  illuminé,  et  les  eaux 
réfléchissaient  délicieusement  ses  colonnes  de  feu.  Une  multitude  de 
barques  sillonnaient  en  tous  sens  ce  lac  qui  semblait  en  flammes. 
Un  essaim  d'Amours  paraissait  se  jouer  dans  les  cordages,  aux  sons 
de  musiques  cachées  dans  les  flancs  de  ces  vaisseaux  en  miniature, 
ou  disséminées  dans  les  bosquets. 

Après  celte  récréation,  la  Cour  parcourut  le  parc,  où  se  succé- 
daient des  surprises  sans  nombre  :  c'étaient  des  scènes  rustiques 
de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays  ;  toutes  les  provinces  de  l'em- 
pire étaient  représentées  par  des  groupes,  dans  leurs  costumes 
nationaux,  venus  tout  exprès  pour  cette  fête,  afin  que  l'on  pût  dire 
que  toute  l'Europe  napoléonnienne  s'y  trouvail. 

Hélas  !  elle  devait  promptement  bien  s'amoindrir,  celte  Europe 
vertigineuse,  née  d'une  épopée  sans  pareille.  1812  vint,  avec 
Moscou  ;  puis  1813,  avec  Leipzig.  Alors,  plus  de  fêtes,  ou  plutôt  des 
semblants  de  fêtes,  dont  l'écho  va  douloureusement  frapper  au  cœur 
le  guerrier  éloigné,  dont  l'étoile  a  déjà  bien  pâli.  Le  23  août  1813, 
l'empereur  écrit  de  Leewenberg,  au  comte  de  Montesquieu,  grand 
chambellan  : 

J'ai  été  mécontent  d'apprendre  que  la  fête  du  15  août  avait  été  mal 
disposée,  les  mesures  si  mal  prises,  que  l'Impératrice  a  été  retenue  par  une 
mauvaise  musique  un  temps  infini,  de  sorte  qu'on  a  fait  attendre  le  public 
deux  heures  pour  le  feu  d'artifice.  Gomment  n'avez-vous  pas  compris  qu'il 
n'y  avait  rien  de  plus  inconvenant,  et  qu'il  était  bien  plus  simple .  à 
l'heure  indiquée  pour  le  feu  d'artifice,  de  prévenir  l'Impératrice,  qui  aurait 
quitté  le  spectacle;  qu'enfin  il  y  avait  un  bien  petit  inconvénient  à  faire 
sortir  un  peu  plus  tôt  l'Impératrice  d'un  spectacle  où  elle  étouffait  de  cha- 
leur, tandis  qu'il  j  en  avait  un  très  grand  à  faire  attendre  loute  une 
population  qui  est  accoutumée  à  se  retirer  à  9  heures  du  soir.   .   .    . 

Ce  souci  de  l'opinion  publique  est  une  note  nouvelle,  —  une  note 
triste.  C'est  l'ère  des  désastres  qui  commence.  L'an  d'après,  c'est 
bien  pire.  De  Nogent,  le  7  février  1814,  l'empereur  écrit  au  prince 
Gambaeérès,  archicbancelier  de  l'empire  : 

Mon  cousin,  je  reçois  votre  lettre  du  G.  Je  vois  qu'au  hou  de  soutenir 
l'Impératrice,  vous  la  découragez.  Pourquoi  perdre  ainsi  la  tête?  Qu'est-ce 
que  ce  .Visercre  et  ces  prières  de  quarante  heures  à  la  Chapelle?  Est-ce 
qu'on  devient  fou  à  Paris  ?  Le  ministre  de  la  police  dit  et  fait  des  sot- 
tises, au  heu  de  s'instruire  des  mouvements  de  l'ennemi.   .   .   . 

Ce  Miserere,  c'était  le  chant  du  cygne  de  la  Chapelle  impériale  et 
de  la  Musique  de  l'Empereur.  Pendant  les  Cent-Jours,  il  y  eut  bien 
encore,  comme  nous  le  verrons,  quelques  velléités  de  production 
musicale.  Mais  l'ère  des  grandes  solennités  lyriques  et  symphoniques 
était  passée.  C'était  la  flamme  in  extremis  qui  jetait  sa  lueur  agoni- 
sante sur  une  époque  prête  à  disparaître. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Pal-l  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (7  mai).  —  La  Monnaie  ferme 
ses  portes  dimanche  10  mai,  comme  je  vous  l'ai  annoncé  naguère.  L'année 
théâtrale  s'achève  paisiblement  par  les  soirées  habituelles  d'adieux.  Vous 
savez  quels  senties  artistes  qui  nous  quittent;  plusieurs  seront  sincère- 
ment regrettés,  tels  que  M"°  Sanderson,  M">:  Nardi  et  M.  Bouvet,  et  l'on 
ne  sait  pas  encore  qui  les  remplacera.  Puissent  les  nouveaux  venus 
faire  regretter  ceux  qui  s'en  vont!  Et  puisse  aussi  la  saison  prochaine 
être  plus  fructueuse,  au  point  de  vue  artistique,  que  celle-ci!  Tout  n'a  pas 
été  également  satisfaisant,  cette  année,  à  ce  point  de  vue-là.  Bien  des  re- 
prises médiocres,  mal  soignées,  indignes  parfois  de  la  Monnaie,  ont  alterné 
malheureusement  avec  quelques  belles  soirées,  réellement  remarquables. 
Mettons  que  les  unes  font  oublier  les  autres,  établissons  une  balance 
de  profits  et  pertes,  et  ne  rappelons  que  les  choses  qui  sont  à  l'honneur 
de  la  direction  :  le  Siegfried  de  Wagner,  qui  eut  été  plus  prospère  si  la 
bonne  exécution  des  premières  soirées  s'était  maintenue  ;  la  Basoche,  qui  a 
fourni  une  jolie  carrière,  et  les  reprises  de  Don  Juan  et  d'Obéron.  On  parle 
de  bien  d'autres  projets  encore  pour  l'an  prochain;  la  moitié  au  moins 
est  irréalisable  ;  nous  aurons  la  Flûte  enchantée  et  le  Mariage  de  Figaro,  pro- 
bablement; mais  ne  comptez  guère  sur  le  Crépuscule  des  Dieux,  qu'on  annonce, 
ni  même  sur  l'Otello  de  Verdi,  à  moins  que  l'Opéra  de  Paris  ne  nous  prête 
M'"=  Garon,  que  le  maître  italien  a  toujours  déclaré  vouloir  énergique- 
ment,  à  l'exclusion  de  toute  autre  interprète,  sur  la  scène  qui  jouera,  la 
première,  son  œuvre  en  français.  Nous  verrons  bien,  du  reste.  —  Je  disais 
plus  haut  que  la  Monnaie  ferme  ses  portes  dimanche  :  officiellement, 
oui  ;  elle  les  rouvrira  le  lendemain  pour  le  quatrième  et  dernier  concert 


populaire  de  la  saison  et,  trois  jours  après,  pour  la  représentation  jubi- 
laire et  de  retraite  de  M.  Ghappuis.  Gelui-ci  est  le  plus  vieux  pension- 
naire de  la  Monnaie  ;  pensez  donc,  il  y  est  depuis  vingt-cinq  ans!  Jamais 
on  n'a  vu  chose  pareille  dans  un  théâtre.  Artiste  modeste  et,  avec  cela,  de 
très  réel  talent,  M.  Ghappuis  a  tenu  pendant  tout  ce  temps-là  l'emploi  de 
seconde  basse,  qui  lui  a  permis  de  révéler  de  remarquables  qualité?  de 
comédien  plus  encore  que  de  chanteur.  Personne  comme  lui  ne  connaît 
le  répertoire;  c'est  la  providence  des  artistes;  il  est  leur  guide,  leur 
conseiller,  leur  professeur;  et  ce  qu'il  a  rendu,  à  ces  titres  divers,  de 
services  à  la  Monnaie  est  incalculable.  Aussi  n'a-t-il  que  des  sympathies 
et  la  représentation  jubilaire  du  14  mai  sera-t-elle  une  vraie  solennité,  à 
laquelle  prendront  part  non  seulement  la  plupart  des  artistes  de  la  troupe 
actuelle,  mais  encore  plusieurs  anciens  pensionnaires  de  la  Monnaie,  tels 
que  M™'  Garon  et  M.  Gresse,  qui  viendront  à  Bruxelles  tout  exprès.  — 
Laissez-moi,  avant  de  terminer,  vous  signaler  l'apparition  d'un  livre  des 
plus  intéressants,  qui  vient  de  paraître,  Henri  Vieuxtemps,  sa  vie  et  ses 
amvres,  par  M.  Théodore  Radoux.  L'éminent  directeur  du  Gonservatoire  de 
Liège  avait,  plus  que  personne,  l'autorité  nécessaire  pour  écrire  une 
monographie  complète  de  l'un  de  ses  plus  illustres  concitoyens,  dans 
laquelle  non  seulement  fût  racontée  l'existence  mouvementée  du  grand 
violoniste,  mais  fussent  aussi  appréciés  son  talent  et  ses  œuvres.  M.  Ra- 
doux s'est  acquitté  de  cette  lâche  d'une  façon  remarquable.  Son  livre  est 
devenu  ainsi  à  la  fois  un  digne  hommage  à  la  mémoire  de  celui  à  qui  il 
est  consacré,  et  un  document  de  réelle  valeur  et  de  réelle  utilité  pour 
l'histoire  musicale  de  ce  temps.  L.  S. 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  ;  «  M.  Joseph  Dupont  vient  de 
recevoir  de  brillantes  propositions  pour  diriger  des  concerts  de  musique 
classique  dans  l'Amérique  du  Sud.  L'intendant  des  théâtres  royaux  de 
Buda-Pesth  lui  a  proposé  aussi,  il  y  a  quelques  jours,  un  engagement  de 
trois  ans  pour  diriger  l'orchestre  de  l'Opéra  national.  M.  Joseph  Dupont 
a  décliné  ces  offres.  » 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Le  théâtre  Kroll  vient 
de  rouvrir  ses  portes  pour  une  saison  lyrique  d'été  qui  promet  d'être  très 
brillante.  Fidelio  formait  le  spectacle  d'ouverture,  avec  M.  Kalisch  et 
M""  Kalisch-Lehmann  dans  les  deux  principaux  rôles.  M"""  Sembrich 
chantera  Lakmé  au  cours  de  la  saison.  Les  jours  du  théâtre  Victoria  sont 
comptés.  Cette  scène,  quipandant  trente-cinq  années  a  donné  asile  à  tous 
les  genres,  depuis  la  comédie  bouffe  jusqu'au  grand  opéra,  en  passant  par 
l'opérette  et  le  drame,  va  tomber  bientôt  sous  la  pioche  des  démolisseurs 
pour  livrer  passage  à  une  nouvelle  voie.  —  Cologke  :  Brillante  reprise  de 
l'Éclair,  d'Halévy,  qui  depuis  longtemps  avait  disparu  du  répertoire.  — 
Francfort:  L'exploitation  du  théâtre  municipal  vient  d'être  concédée, pour 
une  nouvelle  période  de  dix  ans,  à  M.  l'intendant  Glaar,  qui  dirige  le  théâ- 
tre déjà  depuis  douze  ans.  —  Gotua  :  La  Cavalleria  rusticana  de  M.  Masca- 
gni  vient  de  remporter  une  nouvelle  victoire  au  théâtre  de  la  cour  decette 
ville.  —  Hambourg:  Le  théâtre  municipal  de  Hambourg  vient  de  fêter  le 
centenaire  de  la  première  représentation  en  cette  ville  des  Noces  de  Figaro, 
de  Mozart.  —  Le  nouveau  kapellmeister  du  théâtre,  M.  Mahler  a  été  accueilli 
par  le  public  avec  les  marques  du  plus  grand  enthousiasme.  Le  directeur 
PoUini  lui  a,  de  son  côté,  témoigné  sa  satisfaction  en  augmentant  de 
2,000  marks  le  chiffre  de  son  traitement,  qui  avait  été  fixé  à  12,000  marks. 
—  Hanovre  :  Mignon  vient  de  reparaître  sur  la  scène  du  théâtre  municipal 
et  a  été  accueillie  avec  une  telle  faveur  qu'il  a  fallu  en  donner  trois  repré- 
sentations. —  Munich  :  Au  théâtre  de  la  Cour,  succès  très  prononcé  pour 
un  nouveau  ballet  en  un  acte.  Au  pays  du  levant,  œuvre  de  la  maîtresse  de 
ballet  M""*  Flora  Jungmann. 

—  M""  Patti  s'est  fait  de  nouveau  entendre  à  la  Philharmonie  de  Berlin. 
La  diva  y  a  retrouvé  le  succès  de  son  premier  concert,  avec  la  cavatine 
de  Linda  di  Chamounix  et  l'air  des  clochettes  de  Lakmé, 

—  Voici  le  programme  définitif  et  complet  du  6S=  festival  bas-rhénan, 
qui  s'ouvrira  le  16  courant  à  Aix-la-Chapelle  :  1"  Journée.  Symplionie  en 
ut  mineur  (n»  b)  de  Beethoven  ;  les  Saisons  de  Haydn.  —  2°  Journée.  Concert 
en  fa  majeur  pour  quatuor  et  deux  orchestres  d'instruments  à  vent,  de 
Haendel  ;  concerto  en  mi  bémol  pour  piano,  de  Beethoven;  fragments  de 
Faust,  de  Schumann  (2=  et  3*  partie);  symphonie  en  ut  majeur  de  Beetho- 
ven. —  3'  Journée.  Ouverture  d'Obéron  ;  récitatif  et  air  de  Fidélio  ;  sympho- 
nie en  fa  majeur  (n"  3),  de  M.  Brahms;  airs  et  prélude  de  Tristan  et 
Yseult;  ouverture  du  Carnaval  romain,  de  Berlioz;  soli  de  piano;  scène 
finale  des  Maîtres  Chanteurs.  Les  solistes  engagés  sont  M'""  Grege  Klafsky, 
MUe  pia  von  Sicherer  (soprani),  M"^"  E.  Wirth  (contralto),  MM.  Birren- 
koven,  von  Zur-Mubler  (ténors),  G.  Perron  (baryton),  A.  Sistermanns 
(basse)  et  Eugène  d'Albert  (pianiste). 

—  Une  nièce  de  Beethoven,  M"»  Ludovica  Hofbauer  vient  de  mourir 
à  Bade,  près  Vienne,  dans  sa  soixante-douzième  année.  Elle  n'avait 
que  sept  ans  à  la  mort  de  son  oncle,  en  1827,  mais  elle  avait  gardé 
un  très  vivant  souvenir  de  lui.  Le  nombre  des  personnes  qui  ont  connu 
le  grand  compositeur  s'est  considérablement  diminué  pendant  ces  der- 
nières années;  mais  parmi  les  survivants  se  trouve  encore  le  docteur  de 
Breuning,  à  Vienne,  qui  était  âgé  de  seize  ans  à  l'époque  de  la  mort  de 
Beethoven  et  qui  avait  eu  presque  journellement  l'occasion  de  voir  le 
grand  compositeur.  Après  la  mort  du  poète  Bauernteld,  le  docteur  Breu- 
ning est  resté  la  seule  personnalité  de  marque  qui  puisse  se  vanter 
d'avoir  assisté  aux  obsèques  de  Beethoven. 


150 


LE  MENESTREL 


—  Nous  lisons  dans  V AUegcmeine  Musik  Zeilung  qu'une  composition  cho- 
rale de  Gluck  jusqu'ici  inconnue  va  être  prochainement  livrée  à  la  publi- 
cité. C'est  un  «  Prologue  »  dont  les  paroles  ont  été  écrites  par  un  poète 
florentin,  à  la  requête  du  grand-duc  Léopold  de  Toscane,  pour  célébrer 
l'heureuse  délivrance  de  la  grande-duchesse.  L'œuvre  date  de  l'année  1767. 

—  M.  Félix  "Weingartner  vient  d'être  nommé  chef  d'orchestre  à  l'Opéra- 
Royal  de  Berlin.  Il  occupait  les  mêmes  fonctions  au  théâtre  de  la  Cour 
de  Mannheim,  où  son  départ  cause  d'unanimes  regrets.  M.  Weingartner 
était  lié  au  théâtre  de  la  Cour  jusqu'en  1892,  mais  sur  la  demande  du 
comte  de  Hochberg,  intendant  de  l'Opéra  de  Berlin,  la  résiliation  de  son 
engagement  a  été  accordée. 

—  Musique  et  socialisme.  Les  socialistes  de  Berlin  viennent  de  fonder 
une  société  musicale  qui  prend  le  nom  d'Association  libre  des  Musiciens,  pla- 
cée sous  le  contrôle  des  associations  ouvrières  socialistes-démocratiques. 

—  L'intendance  de  l'Opéra  de  Munich  vient  d'avoir  l'heureuse  inspira- 
tion de  tirer  de  l'oubli  le  Cid,  de  Peter  Cornélius,  le  maitre  mayençais, 
dont  on  ne  connaissait  en  Allemagne  que  le  Barbier  de  Bagdad,  le  seul 
ouvrage  lyrico-humoristique  qui  se  soit  soutenu  à  côté  des  Maîtres  Chan- 
teurs. Cornélius  fut,  de  même  que  son  génial  émule,  son  propre  librettiste. 
Il  n'a  pas  tiré  son  sujet  de  la  tragédie  de  Corneille,  comme  l'a  fait  M.  Masse- 
net,  mais  il  l'a  emprunté  aux  sources  mêmes  où  puisa  le  grand  tragique, 
au  Romancero.  Son  Cid  est  un  vrai  drame  lyrique  dans  le  goût  vvagnérien, 
bien  que  ne  suivant  pas  servilement  les  traces  du  maître.  Cornélius  est 
lyrique,  là  où  Wagner  eût  été  tragique  et  profond.  Le  Cid  avait  été  repré- 
senté à  Weimar  en  186S.  La  partition  n'est  pas  encore  publiée  à  l'heure 
qu'il  est. 

— Les  journaux  de  Leipzig  nous  apportent  l'écho  du  très  vif  succès  qu'a 
remporté  dernièrement  au  Gewandhaus  la  symphonie  (concerto)  pour  or- 
gue et  orchestre  de  M.  A.  Guilmant.  C'est  un  organiste  allemand,  M.  Ho- 
meyer,  qui  a  fait  connaître  au  public  saxon  cette  œuvre  remarquable.  Les 
journaux  de  Leipzig  louent  par-dessus  tout  «  l'extraordinaire  habileté  avec 
laquelle  M.  Guilmant  sait  tirer  parti  des  ressources  de  l'orgue  en  variant 
le  timbre  et  les  sonorités,  en  combinant  les  contrastes  ».  Ce  succès  obtenu 
par  une  œuvre  française  dans  le  centre  du  classiscisme  musical,  dans  la 
Yille  sur  laquelle  plane  l'ombre  du  vieux  Jean-Sébastien  Bach,  est  digne 
de  remarque  et  fait  grand  honneur  au  maitre  qui  l'a  remporté. 

—  A  Genève,  les  concerts  donnés  par  l'Harmonie  Nautique,  si  bien 
dirigée  far  son  habile  chef,  M.  Louis  Bonade,  continuent  à  être  une  des 
grandes  attractions  de  la  ville.  Sur  les  programmes,  très  bien  compris, 
figure  fort  souvent  la  belle  Marche  des  racoleurs  d'Arva,  de  Louis  Lacombe, 
toujours  bissée  et  toujours  redemandée  pour  les  concerts  à  venir. 

—  Il  paraît  que  M.'^^  Bianca  Donadio  ne  s'est  nullement  retirée  dans 
un  couvent,  comme  l'avaient  annoncé  certains  journaux  italiens,  et  comme 
nous  en  avons  reproduit  d'après  eux  la  nouvelle.  Voici  ce  que  nous  lisons 
à  ce  sujet  dans  le  Cosmorama  :  —  «  Nos  lecteurs  auront  eu  connaissance 
de  la  nouvelle  fantastique  inventée  par  nous  ne  savons  quel  cerveau 
malade,  et  publiée  par  quelques  journaux,  de  la  retraite  dans  un  couvent 
de  la  célèbre  signora  Donadio.  A  cette  peu  spirituelle  trouvaille  nous 
pouvons  opposer  ceci,  que  la  signora  Bianca  Donadio-Frapolli,  plus  que 
jamais  attachée  au  monde  et  en  parfaite  santé,  jouit  dans  sa  villa  du 
"Vésinet,  près  de  Paris,  au  milieu  de  sa  famille,  du  bien-être  qu'elle  a 
su  acquérir  par  son  inestimable  talent.  Il  n'est  même  pas  improbable  qu'au 
cours  du  prochain  automne  nous  voyons  réapparaître  sur  un  de  nos 
théâtres  le  nom  de  la  sympathique  diva.  » 

—  La  ville  de  Turin  vient  de  s'enrichir  d'un  nouveau  théâtre  qui  pren- 
dra le  nom  de  théâtre  Turinais,et  qui  est  sur  le  Corso  Regina  Margherita, 
à  proximité  de  la  place  Emmanuel-Philibert.  Construit  sur  les  dessins 
des  ingénieurs  Riccio  et  Gilodi,  décoré  par  les  peintres  Boasso  et  Mor- 
gari,  ce  nouveau  th^tre  n'aura  qu'une  seule  galerie,  très  vaste,  mais 
pourra  contenir  1,800  spectateurs.  Il  est  tout  à  fait  isolé,  éclairé  à  la 
lumière  électrique,  doté  d'un  réservoir  d'eau  et  prémuni,  autant  que  faire 
se  peut,  contre  tout  danger  d'incendie.  Il  est  adapté  à  des  spectacles  de 
tout  genre  (ce  qui  veut  dire,  sans  doute,  qu'il  pourra  servir  aussi,  comme 
la  plupart  des  grands  théâtres  italiens,  à  des  représentations  équestres), 
et  sa  salle,  très  élégante,  doit  être  inaugurée  dans  le  courant  du  présent 
mois  de  mai. 

—  Encore  une  cantatrice  qui  épouse  un  grand  seigneur.  Le  27  avril  a 
été  célébré  à  Florence  le  mariage  civil  de  M'"'  Medea  Borelli,  l'une  des 
chanteuses  dramatiques  les  plus  renommées  et  les  plus  applaudies  de 
l'Italie  contemporaine,  avec  le  comte  Angelini,  d'Ascoli.  Le  29  avait  lieu 
la  cérémonie  religieuse,  célébrée  par  l'évéque  d'Ascoli  Piceno,  et  les  deux 
époux  partaient  aussitôt  pour  Paris. 

—  La  terrible  explosion  de  la  poudrière  de  Rome,  qui  a  fait  tant  de 
victimes,  n'a  pas  été  d'autre  part  sans  causer,  on  le  sait,  de  graves  dom- 
mages matériels  dans  la  ville  éternelle.  Au  Vatican  seulement,  les  pertes 
sont  évaluées  à  plus  de  deux  millions.  Les  théâtres,  de  leur  côté,  ont  été 
fort  éprouvés  elles  dégâts  subis  parle  Costanzi  et  le  Nazionale  ont  été  tels 
que  l'un  et  l'autre  se  sont  vus  obligés  de  fermer  leurs  portes  pendant  plu- 
sieurs jours.  Le  Costanzi  rouvrira  les  siennes  par  une.  représentation  des 
Pêcheurs  de  perles,  qui  sera  donnée   au  profit  des  victimes  de  l'explosion. 


—  A  Cittâ  délia  Piave  (Ombrie)  on  a  donné  avec  succès  la  première 
représentation  d'une  opérette  nouvelle  en  deux  actes,  il  Capitan  Carlolla, 
dont  la  musique  est  due  au  compositeur  Mazzoni,  qui  a  été  l'objet  de 
nombreux  rappels.  —  De  même,  à  Naples,  on  a  représenté,  au  milieu  des 
applaudissements,  une  opérette  en  dialecte,  intitulée  H  Pisciavinule  Napu- 
iitane,  qui  a  pour  auteur  un  jeune  musicien  nommé  Oscar  Anselmi. 

—  Dans  un  concert  symphonique,  à  Gènes,  on  a  exécuté  ces  jours  der- 
niers l'ouverture  de  Christophe  Colomb,  le  nouvel  opéra  que  le  comte  Alberto 
Franchetti  est  en  train  d'écrire  et  qui  doit  être  représenté,  l'année  pro- 
chaine, à  l'occasion  des  grandes  fêtes  qui  seront  célébrées  pour  le  qua- 
trième centenaire  de  l'illustre  navigateur. 

—  Au  théâtre  National  de  Rome,  première  représentation  d'un  opéra- 
comique  nouveau  de  M.  Emilio  Usiglio,  l'heureux  auteur  de  deux  ouvrages 
de  ce  genre  très  populaires  en  Italie,  le  Educande  di  Sorrente  et  le  Donne 
curiose.  Celui-ci  a  pour  titre  Nozze  in  prigione,  et  paraît  avoir  obtenu  un 
succès  brillant  et  de  bon  aloi.  «  Le  public,  dit  l'Italie,  a  fait  bisser  quatre 
morceaux  :  une  romance  du  ténor,  une  chanson  gaie  de  soprano,  une  séré- 
nade de  la  basse  comique  et  un  trio  (ténor,  baryton  et  basse  comique);  il 
a  applaudi  chaleureusement  tous  les  autres  morceaux.  La  pièce  est  gaie, 
amusante,  la  musique  forgée  sur  le  style  des  meilleures  œuvres  comiques 
de  Donizetti  et  de  Ricci;  elle  est  mélodieuse,  rythmique,  caractéristique.  » 
Les  interprètes  étaient  M™  Tetrazzini-Scalaberni,  qui  a  eu  personnelle- 
ment sa  bonne  part  de  succès.  M'"''  Manenti,  MM.  Cesari,  Buti  etEmiliani. 

—  M.  Isidore  de  Lara,  un  compositeur  qui  s'est  fait  connaître  avanta- 
geusement à  Londres  par  un  certain  nombre  de  romances  et  mélodies 
vocales,  vient  de  terminer  un  ouvrage  important,  une  sorte  de  poème 
symphonique  dont  le  sujet  est  tiré  du  poème  célèbre  d'Elwin  Arnold, 
the  Light  of  Asia,  et  que  M.  Harris  se  propose,  dit-on,  de  faire  exécuter  à 
Covent-Garden  sous  une  forme  théâtrale,  avec  une  mise  en  scène  ad  hoc. 
Les  deux  parties  principales  seraient  confiées  à  M"'  Eames  et  àM.Maurel, 
et  les  chœurs,  selon  l'usage  de  la  tragédie  antique,  seraient  placés  en 
dehors  de  la  scène,  c'est-à-dire  dans  le  parterre,  tout  auprès  de  l'orchestre. 

—  On  vient  de  terminer,  dans  la  cathédrale  de  Newcastle,la  construction 
d'un  orgue  monumental  dont  l'inauguration  solennelle  doit  avoir  lieu  le 
23  mai  prochain.  C'est  M.  Gh.-M.  Widor  qui  fera  entendre  le  nouvel  ins- 
trument, le  jour  de  cette  fête. 

—  Le  Herald  de  New-York  a  reçu  de  son  correspondant  parisien  1  a 
dépêche  suivante  :  «  Lord  Lytton,  l'ambassadeur  d'Angleterre,  et  lady  Lytton 
ont  donné  un  grand  dîner  en  l'honneur  de  M'^'^  Melba.  Mapleson  tente 
des  efforts  désespérés  pour  déiîider  M""'  Melba  a  entreprendre  une  tournée 
en  Amérique.  Il  lui  a  offert  trente  mille  livres  sterling  (730,000  francs!) 
pour  deux  saisons.  La  cantatrice  n'a  pas  encore  accepté,  mais  elle  a  pro- 
mis de  réfléchir.  » 

—  Il  est  bon  de  signaler,  dit  le  Guide  musical,  les  artistes  étrangers  qui 
mettent  leur  talent  au  service  de  la  propagation  de  l'art  belge  et  français. 
A  ce  titre,  une  mention  est  due  à  M.  Franz  Van  der  Stiicken,  dont  le 
dernier  concert  à  orchestre  donné  à  New-York,  le  S  avril,  comprenait 
quatre  œuvres  françaises  et  belges  :  un  air  de  Carmen,  de  Bizet,  VEspana 
et  le  prélude  du  deuxième  acte  de  Gwendoline,  de  Chabrier,  encore  inconnu 
aux  Etats-Unis;  enfin  la  suite  tirée  par  M.  Jan  Blockx  de  son  ballet 
Milenka.  Ce  qui  est  plus  intéressant  encore,  c'est  de  constater  l'accueil 
clialoureux  et  même  enthousiaste  qu'ont  reçu,  à  New- York,  les  deux  œuvres 
de  M.  Chabrier  et  la  suite  de  M.  Jan  Blockx. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Le  ministre  des  travaux  publics  a  présenté  au  conseil  supérieur 
des  bâtiments  civils,  un  projet  de  reconstruction  de  l'Opéra-Comique.  Il 
a  insisté  vivement  pour  son  adoption.  Ce  projet  est  de  MM.  Vibert  et 
Charpentier.  Détail  curieux:  le  père  de  ce  dernier  avait  construit  l'an- 
cien Opéra-Comique  qui  brûla  en  1887.  Le  conseil  supérieur  a  choisi 
M.  Charles  Garnier  pour  faire  un  rapport  sur  ce  projet  et  y  apporter  tou- 
tes les  modifications  qu'il  jugerait  nécessaires.  M.  Garnier  s'est  acquitté 
de  sa  tâche  et  a  conclu  favorablement.  Il  a  fait,  toutefois,  des  modifica- 
tions si  importantes  qu'elles  entraîneront  probablement  une  nouvelle 
étude.  MM.  Vibert  et  Charpentier  se  sont  surtout  préoccupés  des  nou- 
veaux règlements  de  police  édictés  après  le  sinistre  de  la  place  Boieldieu 
pour  prémunir  autant  que  possible  ceux  qui  vont  au  spectacle  contre  tout 
danger  d'incendie.  L'intention  est  louable,  mais  l'art  en  a  souffert.  Ils 
ont  beaucoup  sacrifié  aux  dégagements,  aux  couloirs  spacieux,  et  la  co- 
lonnade de  la  principale  façade  aboutirait  à  l'extrémité  de  l'ancienne 
marquise,  ce  qui  diminuerait  la  place  de  quatre  mètres.  Le  rapporteur  a 
trouvé  en  outre  le  style  des  façades  poncif  et  vieillot  ;  d'après  lui,  le 
monument,  sans  hardiesse,  ressemble  plutôt  à  un  théâtre  de  province. 
Mais,  somme  toute,  comme  l'œuvre  n'est  pas  sans  valeur,  M.  Charles 
Garnier  en  a  modifié  des  parties  et  conservé  d'autres.  Il  a  donné  lecture 
il  y  a  quelques  jours,  au  conseil  des  bâtiments  civils,  de  son  rapport 
approuvant  le  projet.  C'est  à  la  Chambre  des  députés  qu'il  appartient 
maintenant  de  se  prononcer.  Il  faudra  bien  aussi  compter  avec  la  Ville, 
propriétaire  des  quatre  mètres  de  terrain  que  le  nouvel  Opéra-Comique 
dévorerait.  Et  i.l  est  impossible,  ajoute  le  rapporteur,  de  ne  pas  empiéter 
ainsi  sur  la  place,  avec  le  projet  tel  qu'il  est  conçu.  Par  conséquent, 
conclut-il,  si  la  Ville  refusait  son  terrain,  —  en  pareille  matière  tout  est 
à  prévoir,  —  les  difficultés  seraient,  sans  doute,  insurmontables. 


LE  MENESTREL 


151 


—  L'assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  auteurs  et  compo- 
siteurs dramatiques  a  eu  lieu  mercredi,  à  une  heure,  à  la  salle  Kriegels- 
tein,  sous  la  présidence  de  M.  Camille  Doucet.  MM.  Ludovic  Halévy, 
François  Coppée,  Henry  Meilhac,  Henri  de  Bornier,  Paul  Ferrier,  Philippe 
Gille,  Victorin  Joncières,  Henri  Bocage,  Abraham  Dreyfus  et  Armand 
d'Artois  étaient  présents  au  bureau.  Le  rapport  sur  les  travaux  de  l'année, 
présenté  par  M.  Henri  Bocage,  a  été  adopté  à  l'unanimité.  Sur  la  proposi- 
tion de  M.  Jules  Barbier,  l'Assemblée  générale  a  voté  par  acclamation  des 
remerciements  à  la  Commission  pour  les  efforts  faits  dans  le  but  de  sau- 
vegarder les  droits  des  auteurs  et  compositeurs  français  à  l'étranger,  si 
gravement  menacés  depuis  quelque  temps.  Un  sociétaire,  M.  Delteil,  a 
prononcé  un  discours  en  vers  pour  demander  l'augmentation  du  nombre 
des  pensionnaires,  puis  l'assemblée  a  procédé  à  l'ékction  des  nouveaux 
commissaires.  Ont  été  élus  :  Au  premier  tour  de  scrutin  :  M.  Victorien 
Sardou  par  80  voix  sur  99  votants;  M.  Georges  Ohn  et  par  79  voix;  M.  Charles 
de  Coiircy  par  60  voix;  M.  Ernest  Guiraud  par  62  voix;  M.  Emile  Jonas  par 
32  voix;  viennent  ensuite  :  MM.  Louis  Varney,  oO  voix;  Jean  Richepin, 
49;  Jacques  Normand,  36;  Jules  Barbier,  33;  Emile  Bergerat,  21;  Emile 
Pessard,  15.  M.  Richepin  a  été  élu  au  second  tour  par  la  majorité  des  suf- 
frages exprimés. 

—  L'Association  des  artistes  musiciens  tiendra  son  assemblée  générale 
annuelle  le  jeudi  21  mai,  à  une  heure  précise,  dans  la  grande  salle  du 
Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation  (entrée  par  la  rue  du  Con- 
servatoire). Ordre  du  jour  :  1°  Compte  rendu  des  travaux  du  comité  pen- 
dant l'année  1890,  par  M.  Arthur  Pougin,  secrétaire  rapporteur;  2°  élection 
de  treize  membres  du  comité.  Les  sociétaires  qui  voudraient  se  présenter 
comme  candidats  au  comité  sont  invités  à  se  faire  inscrire,  avant  le 
21  mai,  au  siège  de  l'Association,  11,  rue  Bergère. 

—  Deux  jours  auparavant,  le  mardi  19  mai,  à  une  heure  et  demie, 
l'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  de  secours  mutuels  des 
artistes  dramatiques  aura  lieu,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire. 
Ordre  du  jour  :  1"  rapport  des  travaux  de  l'exercice  1890-1891,  rédigé  et 
lu  par  M.  Eugène  Garraud,  secrétaire  rapporteur;  2»  élection  du  président 
et  de  huit  membres  du  comité. 

—  L'Annuaire  de  statistique  de  M.  Maurice  Block  nous  apprend  que  la 
recette  brute  des  32  théâtres,  des  i  cirques  et  des  b  panoramas  de  Paris, 
pendant  l'année  1889  (Exposition),  a  atteint  32,13S,998  francs.  En  1878, 
autre  année  d'exposition,  elle  avait  atteint  30,637,499  francs.  Deux  années 
intéressantes  à  connaître  sont  celles  de  la  guerre.  En  1870,  les  recettes  ne 
se  sont  élevées  qu'à  8,107,285  francs  et,  l'année  suivante,  elles  ont  baissé 
jusqu'à  5,715,113  francs.  La  progression  des  recettes  des  années  normales 
n'est  pas  moins  intéressante.  En  1848,  la  recette  brute  atteignait  5  mil- 
lions et  demi,  chiffre  rond.  D'année  en  année,  on  constate  une  augmen- 
tation qui  porte  ce  chiffre,  en  1853,  à  11,-300,000  francs  ;  en  1863,  à  13  mil- 
lions 800,000  francs;  en  1873,  à  16,500,000  francs;  en  1883,  à  29  millions. 
C'est  l'apogée  des  recettes  des  années  normales.  En  1884,  elles  retombent 
à  25,900,000  francs  ;  en  1885,  à  23,300,000  francs  ;  en  1886,  à  2b  millions  ; 
en  1887,  à  22  millions  et,  en  1888,  elles  atteignent  péniblement  Î3  mil- 
lions. L'année  1890  ne  sera  guère  favorable.  Il  sulïit  de  jeter  un  coup 
d'oeil  sur  l'ensemble  des' recettes  pour  se  convaincre  qu'après  chaque,  expo- 
sition, il  y  a  eu  une  décroissance  très  sensible.  Exemple  :  en  1866,  la 
recette  atteignait  près  de  17  millions.  L'année  suivante  (Exposition  de 
1867)  elle  atteint  près  de  22  millions  et,  en  1868,  l'on  retombe  à  13  mil- 
lions. Les  trois  meilleures  années  normales  ont  été  1881  (27,434,418  fr.), 
1882  (29,068,592  fr.)  et  1883  (29,144.609  fr.).  Les  plus  fortes  recettes  de 
l'année  ont  été  faites,  en  1889,  par  l'Opéra  (3,979,670  fr.).  Viennent  ensuite 
l'Hippodrome  (2,838,191  fr.J,  le  Théâtre-Français  (2,364,407  fr.),  le  Chàtelet 
(1,937,342  fr.),  l'Opéra-Comique  (1,926,779  fr.),  l'Eden-Théàtre  (1  million 
737,513  fr.),  etc.,  etc.,  etc. 

—  La  commission  des  inscriptions  parisiennes  va  faire  placer  sur  plu- 
sieurs maisons  de  la  capitale  quelques  nouvelles  plaques  commémoratives, 
parmi  lesquelles  nous  remarquons  les  deux  suivantes  :  boulevard  des  Ita- 
liens, 9  :  Ici  habita,  depuis  /79ô',  Grétry,  compositeur  de  musique,  mort  à  Mont- 
morency, le  2i  septembre  1813;  et  place  des  Vosges,  6  :  Yictm-  Hugo  habita  dans 
cet  hôtel,  de  1833  à  1848. 

—  Le  ténor  Van  Dyck,  qui  a  ahaaté Lohengrin  lors  des  représentations  de 
l'ouvrage  de  Richard  Wagner  à  l'Eden-Théàtre,  a  signé  cette  semaine  un 
engagement  avec  la  direction  de  l'Opéra,  pour  les  mois  de  septembre  et  d'oc- 
tobre. MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  spécialement  engagé  M.  Van  Dyck  en 
vue  des  représentations  de  Lohengrin,  qui  commenceront  dans  les  premiers 
jours  de  septembre.  Voici  quelle  en  serait  la  distribution  : 

Lohengrin  MM.  Van  Dyck 
Frédéric  de  Telramund  Renaud 

Le  Roi  Delmas 

Eisa  M~"  Rose  Caron 
Ortrude  Fiérens 

—  Sept  théâtres  seulement  fermeront  leurs  portes  cet  été  :  l'Opéra- 
Comique,  le  Gymnase,  le  Vaudeville,  liS  Variétés,  le  Palais-Royal,  l'Am- 
bigu et  les  Nouveautés.  Les  autres,  la  Porte-Saint-Martin,  la  Gaîté,  la 
Renaissance,  etc.,  sont  décidés  à  lutter  contre  les  chaleurs.  Nous  ne  par- 
lons pas  de  la  Comédie-Française  et  de  l'Opéra,  qui,  on  le  sait,  ne  ferment 


—  M.  Paul  Viardot,  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  connaître,  a  pris 
la  direction  des  Concerts  populaires  de  l'Hippodrome,  à  Lille,  vient  de 
donner  en  cette  ville  la  première  séance  d'une  société  de  musique  de 
chambre  organisée  par  lui  et  qui  comprend,  avec  le  sien,  les  noms  de 
M.  Raoul  Pugno  comme  pianiste,  de  M.  Giannini,  alto,  et  de  M.  HoUman, 
violoncelliste.  Le  programme  de  cette  séance,  qui  a  obtenu  le  plus  vif 
succès,  comprenait  le  trio  en  sol  mineur  et  la  Marche  russe  de  Rubinstein, 
la  sonate  en  ut  mineur,  pour  piano  et  violon,  d'Edouard  Grieg,  la  Polo- 
naise en  ut,  pour  piano  et  violoncelle,  de  Chopin,  et  enfin  le  quatuor 
op.  47  de  Schumann. 

—  L'Académie  de  musique  de  Lille,  dit  la  Semaine  musicale  de  cette 
ville,  la  plus  ancienne  de  province  avec  celle  de  Toulouse,  a  été,  depuis 
sa  fondation,  une  riche  pépinière  d'artistes  de  valeur  parmi  lesquels  plu- 
sieurs ont  atteint  une  grande  célébrité.  Cette  Académie  a  exercé  une 
influence  heureuse  et  incontestée  sur  le  développement  de  l'art  musical 
dans  le  département  du  Nord.  Son  histoire,  très  intimement  liée  à  celle 
de  la  grande  cité  lilloise,  était  jusqu'à  ce  jour  inconnue  de  nos  concitoyens. 
Après  quelques  années  de  patientes  recherches,  M.  A.  Gaudefroy  vient 
de  s'en  faire  l'historien.  Le  volume,  qui  paraîtra  le  1™  mai,  entièrement 
consacré  à  la  musique  de  Lille,  n'est  que  le  premier  d'un  travail  qui 
comprendra  tout  l'enseignement  musical  dans  le  nord  de  la  France.  Ce 
travail  comble  une  lacune  sur  un  des  points  les  plus  importants  de  notre 
histoire  artistique.  Il  sera  certainement  accueilli  par  le  public  avec  la 
faveur  qu'il  mérite.  Nous  n'avons  pas  à  tracer  aujourd'hui  le  plan  géné- 
ral de  l'ouvrage;  qu'il  nous  suffise  de  dire  qu'il  comprendra,  outre  l'étude 
sur  l'Académie  de  Lille,  des  études  non  moins  étendues  et  non  moins 
complètes  sur  les  Écoles  nationales  de  musique  annexes  du  Conserva- 
toire de  Paris,  de  Roubaix,  Douai,  Boulogne-sur-Mer,  Saint-Omer  et 
Valenciennes,  qui  paraîtront  successivement. 

M.  Emile  Levêque,  violoniste  compositeur,  vient  de  recevoir,   du  sul. 

tan  Abdul-Hamid,  les  insignes  de  l'ordre  de  Medjidié. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Le  dernier  «  Five  o  clock  »  du  Figaro  prenait  un  intérêt  tout  particulier 
à  la  présence  de  M""=  Sembrich,  la  célèbre  cantatrice,  qui,  de  passage  à 
Paris,  s'y  est  fait  entendre.  On  lui  a  fait  des  ovations  sans  pareilles 
après  l'exécution  de  la  brillante  valse  d'Arditi,  Parle I  Elle  a  chanté  aussi 
avec  non  moins  de  succès  un  morceau  de  Wienawski  et  une  mazurka 
de  Chopin.  A  la  même  réunion,  gros  succès  pour  le  baryton  Lassalle  dans 
une  grande  scène  de  MM.  Louis  Gallet  et  William  Chaumet,  où  le  chant 
et  le  parlé  se  mêlent  très  curieusement.  M"'»  Sembrich  a  quitté  Paris  le 
lendemain,  se  rendant  à  Berlin,  où  elle  est  engagée  pour  une  série  de 
représentations  de  Lakmé. 

—  Charmante  matinée  musicale  cette  semaine,  chez  M.  et  M'™  Delsart„ 
Un  véritable  programme  de  gourmet:  la  Krauss,  Paderewski  et  le  maître 
de  la  maison.  La  Krauss,  admirable  comme  toujours,  avec  la  Fiancée  de 
Schumann,  la  Marguei-ite  de  Schubert,  et  une  Chanson  d'autrefois,  de  M'"^'  Grand- 
val,  accompagnée  par  l'auteur  en  personne.  Paderewski,  lion  superbe  et 
o-énéreux,  a  fait  entendre  le  Carnaval  de  Schumann,  un  nocturne  de  Cho- 
pin et  une  danse  hongroise  de  sa  façon.  Il  avait  dit  auparavant,  avec 
Delsart,  la  belle  sonate  de  Rubinstein.  Vif  succès  pour  tous.  Très  belle 
assistance,  où  l'on  remarquait  ;  comtesse  Polocka,  comtesse  de  Chambrun, 
comtesse  de  Franqueville,  Rose  Caron,  Ambroise  Thomas,  Lalo,  Widor, 
l'amiral  de  Varenne,  de  Kervéguen,  duchesse  de  Camposelice,  générale 
Parmentier,  M""^  Bataille,  de  Blowitz,  Campbell-Clarke,  etc. 

—  M.  Joseph  Baume,  premier  prix  de  piano  du  Conservatoire,  a  donné, 
à  la  salle  Pleyel,  son  concert  annuel.  Le  jeune  virtuose  a  fait  montre  d'un 
très  réel  talent  en  interprétant  plusieurs  pièces  de  Schumann,  Chopin, 
Mendelssohn,  Liszt,  la  Chaconne  de  M.  Théodore  Dubois,  l'impromptu,  de 
M.  A.  Marmontel  et,  avec  son  maître  M.  Louis  Diémer,  un  concerstuck 
à  deux  pianos.  Prêtaient  à  cette  soirée  leur  gracieux  concours,  M"=  Jeanne 
Lyon,  très  applaudie  dans  Elle  n'est  plus,  de  M.  Louis  Diémer,  et  M.  White, 
le  violoniste  bien  connu. 

—  CoscEUTS  ET  SomÉES.  —  M»"  Lafaix-Gonlié  vient  de  donner,  chez  elle,  une 
très  intéressante  audition  d'élèves,  dont  plusieurs  sont  douées  déjà  de  très  léelles 
qualités.  On  a  tout  particulièrement  applaudi  M"-  Léonie  G.  dans  la  romance  du 
Sonije  d'une  nuit  d'été.  M'"  Noémie  dans  les  strophes  de  Lakmé,  W"  Marguerite 
de  P.  du  T.  dans  le  Héue  du  prisonnier,  de  Rubin.stein,  M"°  Jeanne  B.  dans  la 
Chanson  de  Fortunio,  d'OSenbach,  M"'  Jehanne  S.  dans  le  Missel,  de  Faure, 
M""  Jeanne  S.  dans  la  romance  de  Mignon,  M'"  Viotorine  D.  dans  Si  j'étais  rayon, 
de  M"'»  de  Rothschild,  M"°  Reine  M.  dans  A  Ninon,  de  Diémer,  etc.,  etc.  Bref, 
succès  pour  le  maître  et  les  charmantes  chanteuses.  —  Signalons  la  brillante 
audition  des  œuvres  de  M.  PaulRougnon,  donnée  par  les  élèves  de  M'"  Delamarre, 
l'excellent  professeur  de  l'institiition  Quihou,  à  Saint-Mandé.  Parmi  les  morceaux 
les  plus  applaudis,  nous  citerons  Ballerine,  Parmi  le  thym  et  la  liosee.  Sous  les 
tilleuls,  œuvres  élégantes  qui  ont  tait  valoir  des  qualités  de  style  et  de  mécanisme 
des  charmantes  mterprètes  de  M.  Paul  Roognon,  lequel  a  vivement  téUcité  le 
professeur  et  les  élèves.  —  La  dernière  réunion  d'élèves  du  cours  de  M""  Poulaine, 
présidée  par  M.  Anlonin  Marmontel,  a  été  particulièrement  brillante.  Toutes  ont 
fait  honneur  à  l'école  Marmontel.  Petites  et  grandes  ont  joue  avec  sûreté,  clarté 
et  expression.  Nous  citerons  parmi  cette  jeune  phalaDge  les  noms  de  M""  Tacké, 
ïhirion,  Brun,  Carnot,  qui  a  très  bien  joué  un  finale  de  Beethoven,  Lecoconnier, 
Gourdault,  qui  a  bien  exécuté  la  jolie  tarentelle  de  Marmontel,  Lévi,  Noirot,de 
Zamacoïs,  Braconnier,  puis  MM.  Carnot,  Istel,  Giroux.  Après  l'audition,  concert: 
M-  Castillon  a  chanté,  M.  BouUard  a  admirablement  interprété  plusieurs  pièces 


15.: 


LE  MÉNESTREL 


de  hautbois.  M"  Robin-Poulaine  a  joue  d'une  façon  exquise  une  ballade  de 
Chopin.  Puis  le  maître  Antouiu  Marmontel  a  ravi  son  auditoire  par  la  puissance 
et  le  charme  de  son  jeu;  c  était  un  véritable  orchestre  que  Ton  cr^-yait  entendre  ; 
aussi,  l'assemblée  choisie  qui  l'écoutait  ne  lui  a  pas  ménagé  les  applaudissements. 
—  L'excellent  professeur  et  artiste  M"^  Thérèse  Durozier  a  donné  une  matinée 
en  l'honneur  de  M.  Théodore  Dubois.  Figuraient  au  programme,  comme  artistes, 
ymts^jQQtjiigj_yQQ[jtjePt^  gpgQQgp.Q^YQQ^  Duluc,  M  M .  C 1 3  ui  p  î  et  Mazalbert,  qui  ont 
chanté  plusieurs  mélodies  exquises  de  M.  Dubois.  M.  Brémond,  l'excellent  corniste, 
avait  transcrit  pour  son  instrument  .l,sjiêr/;/a,  une  des  plus  charmantes  in-pirations 
du  compositeur.  Entin,  M""'  Durozier  a  joué  la  Chaconne  et  le  Réveil,  les  deux 
morceaux  de  M.  Dubois,  dont  la  vogue  est  si  grande  en  ce  moment,  puis  la 
marche  de  Jeanne  d'Arc  avec  l'auteur.  "S'if  succès  pour  tous.  —  Une  foule  consi- 
dérable d'invités  emplissait  les  salons  de  M.Léon  Delal'osse  pour  entendre  le  jeune 
virtuose  exécuter  les  œuvres  de  M'"  Chaminade  et  de  M.  Th.  Dubois,  qui  ont  person- 
nellement pris  part  à  la  séance  donnée  en  leur  honneur.  Les  deux  auteurs  ont 
accompagné  eux-mêmes  leurs  mélodies  vocales  et  pièces  pour  violon,  alto  et 
violoncelle  k  M""  Marie  Veyssier,  MM.  Ronchini  et  Mendels.  Parmi  les  meilleures 
choses  interprétées  par  M.  Léon  Delafosse,  avec  la  perfection  qu'on  lui  connaît, 
citons  le  Pas  des  écharpes,  la  Livnj  de  M""  Ghaminade.  la  Ckaruiine,  Clavier  et 
danses  des  lutins,  Réveil  de  M.  Th.  Dubois.  Ce  dernier  morceau,  qui  est  une  des  plus 
récentes  et  des  plus  séduisantes  inspirations  du  maître,  est  distiné  à  une  vogue 
certaine.  M"°  Veyssier  a  obtenu  un  franc  succès  avec  Madrigal,  de  M"°  Chaminade, 
et  Par  le  sentier,  de  M.  Dubois,  qu'elle  a  dû  bisser.  Enfin  M.  Th.  Dubois  a 
encore  triomphé  avec  Duettino  d'amorc,  pour  violon  et  violoncelle,  Cantabik,  pour 
alto,  etSaJ/urcHe  pour  violon. —  L'audition  des  élèves  de  M'"»  Marchand,  consacrée 
aux  compositions  d'Antoniu  Marmontel,  a  été  des  plus  attiayanles.  Toute  l'œuvre 
de  piano  du  jeune  miître  y  a  passé,  toujours  variée  et  attachante  de  forme  comme 
d'idées.  C'est  ainsi  qu'on  a  pu  applaudir,  tour  à  tour.  Au  matin,  Autrefois,  Par 
les  bois,  Le  lonQ  du  eliemin,  Cfianson  slave,  Clianson  arabe,  2^  et  5e  Scherzos,  etc.,  etc. 
Un  véritable  kaléidoscope  de  petl  es  pièces  tout  à  fait  charmantes,  et  finement 
exécutées  par  les  élèves  de  M'""  Marchand.  Daas  la  partie  de  chant,  très  re  narquée 
l'exécution  de  la  mélodie  Je  n'ose,  de  Tagliafico,  par  M.  Maurice  Davanne.  —  L'audi- 
tion des  élèves  de  ^L  Leschine^  n'a  pas  été  moins  variée,  ni  moins  intéressante. 
Les  élèves  de  cet  excellent  professeur  ont  surtout  fait  monire  de  talent  dans 
l'interprétation  du  Menuet  du  général  Tom  Pouce,  de  M.  Carman,  de  la  fantaisie 
à  quatre  mains  sur  le  Caid,  du  Solo  de  Concours  et  du  Citant  d'avril,  de  Lack, 
des  Tricotets,  de  Broustet,  du  Menuet  du  Dauphin,  de  Trojelli,  et  enfin  d'une  char- 
mante valse  de  Franz  Behr,  ^l  la  plus  belle!  Tout  le  monde  s'est  retiré  enchanté  de 
cette  petite  réunion  musicale.  —  Le  concert  qui  a  suivi  le  dîner  de  la  Betterave, 
mardi  dernier,  a  été  l'un  des  plus  brillants  de  la  saison.  Devant  un  auditoire 
composé  de  la  plupart  des  notabilités  artistiques,  littéiaires,  politiques  et  indus- 
tiielles  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  se  sont  succédé  Gustave  Nadaud,  MM.  Tat- 
fanel.  Turban,  Boussagol,  de  l'Opéra,  dont  le  succès  à  été  tiès  grand.  M""  Bande, 
violoncelliste,  a  fort  bien  exécuté  l'andante  de  M.  Widor,  transcrit  par  M.Delsart, 
son  professeur.  M"'  Alice  Lody,  qui  a  fait  une  remarquable  rentrée  à  l'Odéon  dans 


Conte  d'avril,  M""  Alice  Dubois,  genre  Yvette  Guilbert,  Ragani  et  M.  Dassy,  ces 
deux  derniers  avec  le  duo  comique  de  M"'°  Amélie  Peiiouel,  Dans  le  Hamjleterre,  se 
sont  également  partagé  le  succès.  N'oublions  pas  MM.  Fernand  Rivière  et  Piffaretti, 
qoi  ont  tenu  le  piano  avec  leur  talent  habituel . 

—  Concerts  annoncés.  —  Aujourd'hui  dimanche,  à  1  h.  1/2,  salle  de  la  Galerie 
Vivienne,  exercice  musical  des  élèves  de  M""  Edouard  Batiste.  —  Mardi  12,  salle 
Erard,  à  8  h.  J/2,  concert  donné  par  M"''  Joséphine  Martin  avec  le  concours  de 
M"'°  Vatto,  de  M""  M.  Godard,  de  MM.  Rondeau  et  Hasselmans.  —  Le  même  soir, 
salle  de  la  Société  de  géographie,  à  9  heures,  concert  donné  sous  le  haut  patro- 
nage de  M""»  la  comtesse  Hoyos,  ambassadrice  d'Autriche-Hongrie,  par  M"°  Irène 
Biennerberg,  avec  le  concours  de  M'""  Baldo  el  Thomson. 

—  Les  concerts  d'orgue  et  d'orchestre  au  Trocadéro,  fondés  en  1878  par 
M.  Alexandre  Guilmant,  auront  lieu  cette  année  les  jeudis  14,  21,  28  mai 
et  i  juin  à  deux  heures  et  demie.  M.  Edouard  Colonne  dirigera  l'orches- 
tre, et  les  artistes  les  plus  éminents  apporteront  le  concours  de  leur 
talent  à  la  partie  vocale  et  instrumentale.  Bach  et  Hœndel  formeront, 
comme  précédemment,  la  base  des  programmes  de  ces  solennités  musi- 
cales, dont  l'intérêt  n'a  pas  échappé  aux  artistes  et  aux  amateurs.  C'est, 
en  effet,  l'unique  occasion  qui  se  soit  jamais  présentée  de  se  fainiliari- 
ser  avec  la  musique  d'orgue,  et,  seule,  l'immense  salle  du  Trocadéro,  grâce 
au  bel  orgue  de  M.  Cavaillé-Coll,  peut  se  prêter  à  ces  imposantes  exé- 
cutions. 

—  La  troisième  et  dernière  séance  de  musique  de  chambre  donnée  par 
MM.  Guarnieri  et  Huck  avec  le  concours  de  MM.  Lespine  et  Fernand 
Pélat,  aura  lieu  à  la  salle  de  Géographie,  le  lundi  11  mai. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

ADJUDICATION,  en  l'Étude  de  M'  BLANCHET,  notaire  à  Paris,  S4,  rue  Etienne- 
Marcel,  le  samedi  IG  mai  IS9t,  à  deux  heures. 

ÉTABLISSEMENT  D'ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

exploité  à  Paris,  rue  Daunou,  20,  par  la  Société  G.  Hartmann  et  G'",  en 
liquidation  amiable,  comprenant  :  clientèle,  achalandage,  matériel,  mobi- 
lier industriel,  les  œuvres  dont  la  propriété  littéraire  et  artistique  appar- 
tient à  la  société,  marchandises,  droit  aux  baux. 

Mise  à  prix ' 400.000  francs. 

Consignation  pour  enchérir 23.000  francs. 

S'adresser  à  M.  Bourgeois,  administrateur-liquidateur  de  sociétés  près 
le  tribunal  de  commerce  de  la  Seine,  à  Paris,  66,  rue  de  Rivoli, 

Et  à  M.  Blanchet,  notaire,  dépositaire  du  cahier  des  charges. 


En  vente  au  MÉNESTREL,  2'",  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  Éditeur-Propriétaire. 

LÉO   DELIEES 


Ballet  en  3  actes. 


Ballet  en  3  actes. 


Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.      10    »  Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.      10 

—  —         (à  4  mains)  . net.       20     »  —  —         (à  4  mains) net.      15 

PIÈCES    13ét.a.oh:ées 
Arrangements    divers    pour    pian.o    et    autres    instrumen-ts. 

SUITES    D'ORCHESTRE 

JE^^ISr     IDE     IsTI^^ELLE 

Opéra  en  3  actes. 
>     I     Partition  piano  ET  chant,  italienne,  nef.      20    »    |    Partition  piano  solo  (à  2  mains),  net.      12 

^emeixts    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 


Partition  piano  et  chant,  française,  net.      20 

Arrar 

Opéra  en  3  actes. 
Partition  piano  et  chant,  française net. 

—  —  italienne net. 

—  —  allemande net. 

—  piano  solo  (à  2  mains) net. 

—  —         (à  4  mains) net. 


20 
20 
20 
10 
13 

céments    divers    pov 


Ballet  en  3  actes. 

Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.       10 

Suite  concertante  à  4  mains 10 

PIÈCES  DÉTACHÉES 

1.  Danse  Circassienne.  —  2.  Mazurka.  —  3.  Romance. 

Suite  d'Orchestre. 


piar 


3t    autres 


istrujuents. 


Partition  piano  et  chant 


LE     -ROT     L'^^     IDIT 

Opéra-comique  en  3  actes. 
net.       15    »    I    Partition  piano  solo  (à  :2  mains) 


^cineiits    divers    pc 


et    autres 


1  s  t  r  u.  m  e  "n.  t  s 


LE    -ROT    S'^^jyCXJSE 

Musique  de  scène  pour  le  drame  de  V.  Hugo.. 

Partition  piano  solo  (à  2  mains) nef. 

—  —  (à  4  mains) 

PIECES  DETACHEES 

Arrangements  divers  pour  piano  et  autres  instruments. 

Suite  d'Orchestre. 


LE 


r^^^S    LES    ELEXJE,S 

Valse  intercalée  dans  le  ballet. 

LE  oo:rs^^ik,e 

Transcrite  par  l'Auteur  pour  piano  à  2  et  à  4  mains. 
Orchestrée  par  l'Auteur. 

MÉLODIES    DIVERSES 

Sérénade  de  Ruy  Blas.   —   Sérénade  à  Ninon.   —   Chanson   de   Barberine.  —  'Vieille  chanson.  —  Épithalame.    —   Chanson  hongroise, 
Chrysanthème.  —  A  ma  Mignonne.  —  Le  meilleur  des  amours.  —  Faut-il  chanter?... 

COMPOSITIONS   POUR   PIANO 

Souvenir   lointain.  —   Romance   hongroise   sans  paroles.    —   Rigaudon. 


FER.   —    l3iriU>l£lUE  CIIAl.V,  20, 


Dimanche  17  M  1891. 


3137  -  57-  ANNEE  -  N"  20.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  me  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-posle  d'aboanement» 

Un  on,  Texte  seul  ;  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ^0  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (9"  article),  Albert  Soubies  et  Cii.vules 
Malheiuje.  —  II.  Bulletin  théâtral,  H.  Moreno  ;  première  représentation  de 
Gmélidis,  h  la  Comédie-Française,  .Paul-Emile  Chev.vuer.  —  III.  La  musique  et 
le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées    (1"  article),   Casiille   Le  Senne.    — 

IV.  Napoléon  dilettante  (8"  article],   Edmond   Neukomh  et    P.^ul   d'Estbée.    — 

V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 
PUISQU'ICl-BAS 

mélodie  posthume  de  Gii.-B.  Lysberg,  poésie  de  Victor  Hogo.  —  Suivra 
immédiatement:  Berceuse,  nouvelle  mélodie  de  Balthasar-Florenxe,  poésie 
de  Gh.  Fusteu. 

pia.no 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Autrefois,  musette  (I'Antonin  Marmontel.  —  Suivra  immédiate- 
ment: Battons  le  fer,  nouvelle  polka  de  Philippe  F.ahrbach. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALIE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   ÎVtALHEIlBBÎ 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 


RÉTOUR  DE  FORTUNE  :  Lalla-Roukh  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  ci  Colas. 

1862-1864. 

(Suite.) 

L'année  dramatique  touchait  à  sa  lin,  car  à  peine  est-il 
besoin  de  mentionner  la  cantate  annuelle,  qui  s'appelait  cette 
fois  le  45  août  aux  champs,  «  scène  pastorale  et  dramatique  » 
chantée  par  Gapoul,  Troy,  M'"=  Gico  et  les  chœurs,  composée 
par  Michel  Carré  pour  les  paroles,  et  Ernest  Boulanger  pour 
la  musique.  On  y  célébrait  les  bienfaits  de  la  paix,  comme  si 
elle  eût  dû,  hélas,  durer  toujours  ;  les  événements  devaient 
se  charger  du  démenti  rapide  et  cruel.  Glissons  enfin  sur  le 
petit  acte  de  Michel  Carré  et  Jules  Barbier  donné  le  8  no- 
vembre sous  ce  titre,  le  Cabaret  des  Amours,  un  cabaret  où  le 
vieux  baron  de  Cassandre  et  la  vieille  marquise  Zirzabella 
viennent  promener  leur  perruque  et  réchauffer  leur  âge  au 
souvenir  d'antan.  La  marquise  y  rencontre  Lubin,  qui  se  désole 
de  ne  pouvoir  obtenir,  faute  d'argent,  la  main  d'Annette  ;  le 
baron  y  rencontre  Annette,  à  laquelle  il  esquisse  deux  doigts 
de  cour,  et  tout  finit  par  la  dot  que  les  vieux  fournissent  aux 


jeunes  pour  faciliter  leur  mariage.  La  pièce  avait  cinq  per- 
sonnages, y  compris  le  cabaretier  ;  trois  acteurs  suffisaient  à 
la  jouer,  le  baron  ne  se  rencontrant  jamais  en  scène  avec 
Lubin  ni  la  marquise  avec  Annette  ;  Gouderc  et  M'"^  ChoUet- 
Byard  pouvaient  tenir  en  réalité  quatre  rôles.  Si  peu  connu 
que  soit  aujourd'hui  le  nom  du  compositeur,  Prosper  Pascal 
jouissait  pourtant  d'une  certaine  notoriété,  grâce  à  l'orches- 
tration d'un  morceau  de  Mozart  qui  faisait  alors  les  délices 
des  concerts  Pasdeloup,  la  Marche  turque.  En  revanche,  il 
avait  donné  au  Théâtre-Lyrique  le  Roman  de  la  Rose  (1854), 
et  la  Nuit  aux  gondoles  (1861),  deux  actes  qui  n'avaient  guère 
réussi,  le  dernier  suitout.  Roman  de  la  Rose,  Nuit  aux  gondoles, 
Cabaret  des  Amours,  et  Fleur  de  lotus,  à  Bade  en  1864,  voilà 
tout  le  bagage  dramatique  de  ce  compositeur,  qui,  si  l'on  s'en 
tient  aux  titres  poétiques,  aimables  et  galants  de  ses  œuvres, 
donnerait  l'idée  d'un  Chaplin  musical,  ami  des  sujets  légers 
et  des  couleurs  vaporeuses. 

La  représentation  de  cette  petite  pièce,  jouée  trente  fois, 
fut  le  dernier  acte  de  la  gestion  brillante  et  courte  de  Perrin. 
•Faisant  le  contraire  de  Roqueplan,  qui  était  venu  de  l'Opéra 
à  rOpéra-Comique,  il  allait  de  l'Opéra-Comique  à  l'Opéra, 
qu'abandonnait  Alphonse  Royer,  démissionnaire.  Du  11  dé- 
cembre, date  de  sa  nomination,  jusqu'au  20,  date  de  la  no- 
mination de  son  successeur,  il  administra  donc  les  deux 
théâtres  à  la  fois,  et  songea,  dit-on,  à  renouveler  la  tentative 
de  cumul  qu'il  avait  déjà  faite  autrefois  pour  l'Opéra-Comi- 
que et  le  Théâtre-Lyrique.  Mais  la  presse  n'était  guère  parti- 
san de  cet  accaparement,  et  le  gouvernement  suivit  le  mou- 
vement de  l'opinion.  Perrin  s'installa  définitivement  rue  Le 
Peletier,  où  il  allait  inaugurer  sa  direction  avec  une  fruc- 
tueuse reprise  de  la  Aluette,  interrompue  en  pleines  répétitions 
par  l'accident  fatal  qui  devait  coûter  la  vie  à  la  danseuse 
Emma  Livry.  A  la  salle  Favart,  ce  fut  un  auteur  dramatique 
qui  triompha  de  toutes  les  compétitions  et  s'assit  dans  le 
fauteuil  directorial,  de  Leuven,  ou,  de  son  vrai  nom,  Adolphe 
Ribing,  comte  de  Leuven.  Détail  peu  connu,  il  était  fils  d'un 
des  trois  gentilshommes  suédois  qui  avaient  comploté  la  mort 
de  Gustave  III  et  mis  leur  projet  à  exécution  dans  la  nuit  du 
15  au  16  mars  1792. 

Son  premier  soin  fut  de  s'adjoindre,  comme  directeur  de 
la  scène,  M.  Eugène  Ritt,  qui  remplissait  les  mêmes  fonctions 
à  l'Ambigu  ;  de  sorte  que  ledit  M.  Ritt  occupait  alors  auprès 
de  de  Leuven  une  situation  très  justement  analogue  à  celle 
que  M.  Gailhard  devait  occuper  auprès  de  lui,  quelque  vingt- 
cinq  ans  plus  tard,  lorsqu'il  devint  directeur  de  l'Opéra. 

On  peut  dire  que  de  Leuven  prit  la  suite  d'une  affaire  en 
pleine  prospérité;  les  recettes  s'étaient  élevées  à  1,150,000  fr. 
42  c,  chiffre  qui  n'avait  jamais  été  atteint  depuis  l'année  de 
l'Exposition,    en    1855,    ou ,    par   extraordinaire,    il    dépassa 


dy4 


LE  MÉNESTREL 


1,300,000  francs.  Le  répertoire  était  reconstitué,  grâce  à  une 
série  de  reprises  heureuses  ;  l'avenir  s'annonçait  favorable- 
ment, grâce  au  nom  des  auteurs  dont  les  ouvrages  étaient 
reçus  et  allaient  être  joués.  Citons  en  même  temps,  à  titre  de 
curiosité,'  quelques-uns  de  ceux  qui  ne  le  furent  jamais,  ou 
ne  le  furent  que  bien  plus  tard  : 

Fœdea,  deux  actes,  paroles  de  Meilhac  et  Halévy,  musique 
d'Offenbach,  déjà  distribuée  à  Gouderc,  Warot,  Poncbard, 
Lemaire,  Davoust,  M™^  Marimon  et  Casimir. 

La  Nuit  des  dupes,  deux  actes,  paroles  de  Saint-Georges, 
musique  de  Flottow,  déjà  distribuée  à  Couderc,  Gourdin, 
Lemaire,  M""«'^  Marimon  et  Révilly  ; 

Le  Forestier,  paroles  d'Alexandre  Dumas  et  de  Leuven, 
musique  de  Poise  ; 

L'Ange  gardien,  paroles  de  Scribe  et  Roman,  mnsique  de 
Nibelle  ; 

L'Urne,  paroles  d'Octave  Feuillet  et  Jules  Barbier,  musique 
d'Ortolan  ;  plus  tard,  la  Péruvienne,  trois  actes,  paroles  de 
Meilhac,  musique  de  Victor  Massé,  et  certaine  'Pukinella,  de 
Th.  Semet. 

La  troupe,  enfin,  se  présentait  avec  un  ensemble,  une  au- 
torité et  une  variété  remarquables. 

Parmi  les  disparus,  au  cours  de  cette  année  1862  ou  dans 
les  premiers  mois  de  1863,  on  ne  trouverait  guère  à  citer  que 
Roger,  dont  la  dernière  représentation  eut  lieu  dans  la  Dame 
blanche,  le  6  juin  1862  ;  Warot,  qui  joua  Fra  Diavolo  pour  sa 
dernière  soirée  à  la  salle  Favart,  le  25  décembre,  et  entra 
directement  à  l'Opéra  ;  Berthelier,  qui  troqua,  malheureuse- 
ment pour  l'art,  l'Opéra-Comique  pour  le  Palais-Royal  ; 
M"s  Saint-Urbain,  qui  chanta  aux  Italiens  en  1862  et  aux 
Bouffes-Parisiens  en  1863  ;  enfin,  Laget,  M"'^^  Bousquet,  Le- 
mercier  et  Pannetrat.  D'autres  revinrent  dès  l'année  suivante 
après  des  fugues  plus  ou  moins  heureuses  qu'ils  avaient 
faites,  Sainte-Foy  au  Théâtre-Lyrique,  M-»"  Ugalde  aux  Bouffes 
pour  jouer  Orphée  et  les  Bavards,  M"°  Monrose  à  la  Monnaie 
de  Bruxelles. 

En  revanche,  les  nouveaux  venus  étaient  nombreux,  et 
nous  avons  déjà  mentionné  M""  Rolin,  Garait,  Galli-Marié, 
Barretti  et  Léon  Achard.  Ajoutons  encore  Mengal,  qui  débuta, 
le  7  avril,  dans  le  Postillon  de  Lonjumeau  (rôle  du  marquis)  et 
repartit  l'année  suivante  pour  Bruxelles;  M"=Bléan,  qui  débuta 
le  16  août  dans  la  Fille  du  régiment  (rôle  de  Marie),  et  reprit, 
au  bout  de  quelques  représentations,  le  chemin  de  la  pro- 
vince, d'où  elle  arrivait;  Émon,  le  vieil  Émon,  qui  reparut  le 
17  août  dans  le  Domino  noir  (rôle  de  Juliano),  M^i^ChoUet-Byard, 
actrice  intelligente,  pleine  de  finesse  et  de  grâce,  qui  avait 
obtenu  en  1862  les  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra-comique 
au  Conservatoire  et  qui  débuta,  le  30  août,  dans  le  Toréador 
(rôle  de  Coraline);  Potel,  un  fidèle  serviteur  de  l'Opéra- 
Comique,  qui  débuta  le  l^r  novembre  dans  le  Diable  au  moulin 
(rôle  d'Antoine);  Caussade  enfin,  qui  effectua  sa  rentrée  le 
28  décembre  dans  le  Chalet  (rôle  de  Daniel). 

Si  l'on  songe  aux  artistes  qui  appartenaient  antérieurement 
à  la  maison,  et  formaient  ainsi  les  cadres  de  la  troupe,  on 
reconnaîtra  que  la  réunion  des  talents  n'était  pas  commune, 
et  que  tous  les  emplois  se  trouvaient  abondamment  pourvus. 
Pour  ne  citer  qu'un  exemple  et  sans  parler  deWarnots,  arrivé 
et  parti  presque  aussitôt,  les  premiers  ténors  s'appelaient  : 
Montaubry,  Achard  et  Gapoul. 
A  quelle  époque  a-t-on  vu  un  trio  de  valeur  égale  ! 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Nous  pensions  avoir  à  vous  parler  de  la  reprise  du  Petit  Fau.st 
qu'on  annonçait  avec  grand  fracas  pour  mardi  dernier  à  la  Porle- 
Saint-MartiD.  Mais  le  caprice  d'une  divelte  ou  simplement  peut-être 
un  rhume  véridique  en  a  disposé  autrement.  M""  Jeanne  Granier  a 
prononcé  son  non  possuynus,  et  Paris  a  dû  s'incliner  tout  en  mauoréant. 


Le  plus  philosophe  en  la  circonstance  a  encore  été  le  directeur 
lui-même,  qui  pourtant  avait  si  fort  à  souflrir  dans  ses  intérêts 
matériels  de  ce  retard  imprévu.  Mais  M.  Duquesnel  commence  à 
être  bronzé  contre  ce  genre  d'accident.  On  n'a  pas  élé  impunément, 
pendant  de  longues  années,  l'imprésario  de  la  grande  Sarah  sans 
avoir  acquis  un  certain  mépris  de  toutes  ces  catastrophes  de  théâtre, 
et  ce  n'est  pas  un  petit  bout  d'artiste  comme  M"=  Jeanne  Granier 
qui  peut  ensuite  arriver  à  vous  émouvoir.  M.  Duquesnel  a  donc 
annoncé  tranquillement  qu'il  attendrait  la  fin  de  la  crise,  et,  pas 
plus  tard  qu'hier  samedi,  au  moment  oîi  nous  mettons  sous  presse, 
la  première  représentation  du  Petit  Faust  a  dû.  avoir  lieu  devant  tout 
Paris  assemblé.  Nous  sommes  obligé,  malheureusement,  d'en  remettre 
le  compte-rendu  à  huitaine. 

Du  Petit  Faust  au  Lohengrin  il  y  a  tout  un.abime,  celui  qui  sépare 
l'école  d'Hervé  de  l'école  de  Richard  "Wagner.  Pourtant,  s'il  est 
vrai  que  les  extrêmes  se  louchent,  ces  deux  maîtres  peuvent  se 
donner  la  main.  Chacun  d'eux  d'ailleurs  n'a-t-il  pas  accompli  dans 
son  genre  une  véritable  révolution,  l'un  bouleversant  l'opérette  et 
poussant  l'extravagance  jusqu'à  ses  extrêmes  limites,  l'autre  renou- 
velant le  drame  musical  et  le  plongeant  dans  des  brouillards  opaques 
d'oîi  les  éclairs  de  son  génie  arrivent  parfois  à  le  tirer,  mais  trop 
rarement  ? 

MM.  Ritt  etGailhard,  voulant  frapper  un  grand  coup  et  emplir  une 
dernière  fois  leurs  coffres  avant  de  quitter  le  paradis  enchanté  d'où  les 
expulse  la  rigueur  d'un  ministre  indépendant,  ont  jeté  leur  dévolu 
sur  Richard  "Wagner,  ne  pouvant  plus  songer  à  Hervé,  dont  M.  Du- 
quesnel s'était  assuré,  et  en  toute  hâte  montent  le  Lohengi'in  sous  la 
direction  du  grand  chef  Lamoureux.  C'est  vous  dire  assez  qu'ils  ont 
renoncé  du  même  coup  à  représenter  Fidelio.  Le  pauvre  Beethoven 
était  bon  pour  amuser  le  tapis  et  faire  croire  au  ministre  à  de  véri- 
tables visées  artistiques,  au  moment  où  ces  messieurs  pouvaient 
croire  encore  au  renouvellement  de  leur  privilège.  Aujourd'hui  que 
tout  espoir  est  perdu,  inutile  de  jouer  plus  longtemps  la  comédie. 
Battons  la  grosse  caisse  et  surtout  emplissons -la.  Beethoven  est 
jeté  aux  orties  comme  un  vulgaire  génie  qui  ne  fait  pas  le  sou  et 
on  avoue  sans  vergogne  s'être  joué  d'un  haut  et  noble  artiste  comme 
M.  Gevaert,  qui  avait  donné  avec  un  soin  pieux  à  la  partition  de 
Fidelio  tout  un  revêtement  de  récitatifs  nouveaux.  Mais  n'insistons 
pas  davantage  et  laissons  MM.  Ritt  et  Gailhard  accomplir  en  paix 
leurs  dernières  vilenies.  Ne  perdons  pas  de  vue  la  date  lumineuse 
du  1"  décembre,  qui  doit  débarrasser  à  tout  jamais  l'art  lyrique  de 
leur  triste  oppression.  Hs  s'en  vont!  Pas   de  regrets,  n'est-ce  pas? 

A  rOpÉRA-CoMiQUE,  les  représentations  de  Lahné  se  succèdent  trois 
fois  par  semaine,  très  suivies  et  très  fructueuses  pour  la  direction.. 
L'interprétation  prend  chaque  soir  plus  d'ensemble  et  plus  de  fondu, 
toujours  avec  M"°  Horwitz,  un  charmant  provisoire  qui  a  bien 
l'air  de  tourner  au  définitif.  M'"^  Arnoldson  est  là  cependant,  toute 
prête,  et  on  l'entendra  bien,  quelque  jour,  il  faut  l'espérer,  dans 
ce  rôle  pour  lequel  elle  a  été  engagée  spécialement  et  qui  lui  a 
valu  déjà  tant  de  légitimes   succès  partout  où  elle  l'a  chanté. 

H.   MORENO. 

Comédie-Française.  —  Grisélidis,  mystère  en  trois  actes  et  un  pro- 
logue, en  vers  libres,  de  MM.  Armand  Silvestre  et  B.  Morand. 

Mystère,  dit  l'affiche,  et,  comme  le  vient  expliquer  des  plus  gen- 
timent «  le  meneur  du  jeu  »,  si  au  cours  de  la  représentation,  le 
public  pleure,  il  ne  faut  pas  qu'il  s'imagine  assister  à  une  tragédie, 
s'il  rit,  il  ne  doit  pas  plus  croire  qu'on  lui  donne  une  comédie  ; 
mystère,  légende  ou  conte,  c'est  ici  tout  un,  et  les  aventures  de  la 
belle  et  fidèle  Grisélidis  ne  nous  ont  certainement  point  été  contées 
par  les  auteurs  pour  leur  saveur  à  elles  propre,  mais,  bien  pour  la 
seule  manière  dont  elles  nous  sont  présentées.  Ces  trois  actes  ne  sont 
que  motif  à  jeux  poétiques  et  MM.  Silvestre  et  Morand  ont  pu  penser, 
à  juste  raison,  que  le  fond  n'était  que  secondaire  quand  l'émolion, 
le  plaisir,  la  satisfaction  ne  devaient  résulter  que  de  la  forme. 

Donc  le  puissant  marquis  de  Saluce,  avant  de  partir  guerroyer 
en  Terre-Sainte,  confie  sa  femme  et  son  petit  enfant  à  la  garde  de 
Dieu,  lorsque  le  diable  vient  en  personne  lui  démontrer  combien 
les  femmes  sont  d'essence  légère,  et  combien  peu  sont  dignes  de 
confiance.  Le  marquis  se  récrie  et  tient  le  pari  qu'à  son  retour,  il 
retrouvera  Grisélidis  telle  qu'il  la  laisse  aujourd'hui.  Le  diable  alors 
s'ingénie  à  détourner  l'épouse  de  son  devoir.  Il  se  déguise  en  envoyé 
qui  vient  installer  au  château  une  nouvelle  marquise,  Grisélidis 
n'étant  plus  la  dame  des  pensées  du  marquis  ;  il  guide  les  pas  d'un 
poète  qui  est  l'amant  passionné  et  idéal  ;  il  va  même  jusqu'à  enlever 
l'enfant  à  sa  mère;  mais  il  reste  impuissant  devant  la  candeur,  la 


LE  MENESTREL 


'15g 


chasieté  et  l'inébranlable  fidélité  de  Grisélidis  et,  lorsqae  le  marquis 
rentre  citez  lui,  l'esprit  du  mal  est  obligé  de  s'avouer  vaincu. 

J'ai  dit,  au  début,  que  MM.  Silvestre  et  Morand  s'étaient  atlacbés, 
avec  un  soin  jaloux,  à  revêtir  ces  incidents  d'une  forme  toujours 
exquise  où  la  poésie  reste  merveilleusement  radieuse,  berçante  et 
musicale.  Le  public,  écœuré  sans  doute  du  genre  de  théâtre  qu'on 
lui  fait  subir  depuis  peu,  a  salué,  avec  de  longs  applaudissements 
et  des  marques  de  contentement  indéniables,  cette  réaction  vers  un 
idéal  qu'on  voudrait  lui  faire  croire  n'être  plus  de  notre  époque. 

Malgré  tout  le  charme,  toute  la  grâce  noble,  toute  la  poésie  et  tout 
l'amour  tendre  et  chaste  dont  M""  Bartet  a  fait  preuve  dans  le  rôle  de 
■Grisélidis,  le  succès  des  interprètes  a  été  pour  M.  Sylvain  dont  la 
diction  simple,  nette  et  attendrie  a  fait  merveille  sous  les  traits  du 
marquis  ;  il  est  juste  de  dire  qu'à  cet  artiste  est  incombée  la  tâche 
heureuse  de  réciter  plusieurs  couplets  qui  sont  de  vrais  chefs-d'œuvre. 
M.  Coquelin  cadet  nous  a  assez  souvent  amusé  pour  qu'il  nous  soit 
permis  de  lui  avouer  que  son  diable  ne  nous  a  nullement  satisfait; 
.pas  assez  de  tenue,  alors  que  ce  personnage,  très  conventionnel  et 
très  osé,  en  avait  besoin  de  beaucoup.  M^^"^  Ludwig,  Moreno, 
Lynnès,  la  petite  Gaudy  et  MM.  Lambert  fils,  Leloir  et  Laugier  ont 
contribué,  pour  leur  part,  au  succès.  Il  n'y  a  que  des  compliments 
à  adresser  à  la  Comédie-Française  pour  la  mise  en  scène  qui,  comme 
le  spectacle,  donne  une  note  d'art  très  personnelle. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 


AU      SALON 


DES      CHAMPS-ELYSÉES 
(Premier  article.) 


Pour  commencer,  nos  plus  sincères  compliments  aux  metteurs  en 
scène  du  Palais  de  l'Industrie.  L'exemple  des  décorateurs  du 
Champ-de-Mars  leur  a  amplement  profité.  Sans  respect  pour  l'an- 
cienne routine  de  classement,  ils  ont  abattu  les  cloisons  qui  faisaient 
du  jSalon  des  artistes  libres  une  boite  à  compartiments  vieux  mo- 
dèle. De  longues  galeries,  bien  aérées,  très  éclairées,  aboutissent, 
du  côté  du  Diorama,  à  un  salon  de  repos  garni  do  tentures  des  Go- 
belins  et  de  meubles  invitant  au  plus  confortable  far-niente.  Grâce 
à  ces  remaniements,  et  aussi  à  la  sélection  préparatoire  opérée  par 
le  jury,  on  a  pu  disposer  d'un  bon  kilomètre  de  cimaise  supplé- 
mentaire, si  bien  qu'il  est  presque  inutile  de  regarder  les  toiles  relé- 
guées à  d'affligeantes  hauteurs  :  c'est  presque  toujours  le  dessous 
du  dessous  du  panier,  la  collection  des  «  faveurs  »  que  s'octroient 
réciproquement  les  membres  du  jury  en  faveur,  soit  des  médiocres 
chargés  de  famille,  soit,  —  et  c'est  le  cas  le  plus  fréquent,  —  des 
amateurs  mondains  surchargés  de  prétentions. 

Autre  innovation  :  les  gravures  et  les  dessins  ne  seront  plus  relé- 
gués au  bout  du  Salon,  mais  répartis  entre  les  salles  de  peinture.  11 
faut  les  traverser;  on  sera  donc  tout  au  moins  tenté  d'accorder  un 
regard  à  ces  œuvres  consciencieuses,  parfois  supérieures  aux  pro- 
ductions des  «  entoileurs  »  ou  des  «  panneautistes  »  qui,  pendant 
un  siècle,  les  ont  tenues  en  quarantaine. t.  J'aurais  voulu,  j'escomp- 
tais même  un  dernier  progrès  :  le  remplacement  des  poufs  médio- 
crement esthétiques  qui  centrent  les  salles  les  plus  importantes  par 
des  groupes  de  marbre  entourés  de  quelques-uns  des  bronzes  aux- 
quels le  jardin  impose  sa  frileuse  hospitalité.  Ce  sera  sans  doute 
pour  l'année  prochaine.  Et  maintenant,  sans  autres  préliminaires, 
passons  en  revue  le  Salon  dramatico-musical. 

La  grande  décoration  n'est  représentée  que  par  deux  toiles,  au  Salon 
des  Artistes  libres.  A  vrai  dire,  la  première  œuvre  est  de  taille.  Elle 
remplit  tout  le  milieu  de  la  muraille  du  vestibule  qui  fait  face  au  salon 
carié.  Elle  est  destinée  à  l'un  des  salons  de  l'ambassade  de  France 
à  Berlin.  M.  Gabriel  Ferrier  l'intitule  :  Glorification  des  Arts,  La 
Sculpture  tient  sur  son  bras  le  David  de  Mercié;  au  centre,  la  Pein- 
ture et  l'Architecture;  à  droite,  la  Musique;  au  bas,  la  poésie,  pre- 
nant pour  écritoire  le  calice  d'une  rose.  Gomme  les  arts  ainsi  glo- 
rifiés sont  essentiellement  pacifiques,  —  sauf  la  Musique,  qui  peut 
entonner  la  trompette  guerrière,  —  il  est  difficile  de  ne  pas  souli- 
gner l'ironie  du  hasard  qui  exile  ce  plafond  athénien  dans  la  Sparte 
du  Nord.  Pauvres  Amours,  joufflus  par  en  haut  et  par  en  bas,  et 
d'une  exécution  si  délicate;  pauvres  Muses,  d'une  gracieuse  envolée 
et  d'un  charme  provocant,  où  l'on  reconnaît  le  talent  si  personnel 
de  M.  Ferrier,  que  va  devenir  sur  les  bords  de  la  Sprée  toute  cette 
mythologie  savoureuse  et  frissonnante  ? 

La  seconde  grande  peinture  décorative  est  un  plafond  de  M.  Ra- 
phaël Colliu  destiné  au  plafond  de  l'Odéon.  La  Vérité   —    délicate 


allusion  aux  emprunts  faits  par  le  deuxième  Théâtre-Français  au 
répertoire  du  Théâtre  Libre  —  apparaît,  mise  à  nu  par  une  grande 
figure  qui  représente  sans  doute  le  modernisme  militant.  A  droite, 
la  Poésie  en  robe  violette  (le  violet  est  une  couleur  suggestive)  ;  à 
gauche,  les  allégories  qui,  depuis  que  la  peinture  peine  à  repré- 
senter des  abstractions,  symbolisent  les  types  du  répertoire.  L'exé- 
cution est  charmante  :  du  Puvis  de  Chavannes  teinté  de  Boucher. 
Par  malheur,  ce  plafond  plafonnant  plafonne  à  tel  point  qu'on  le 
voit  à  peine.  Nous  prendrons  notre  revanche  à  l'Odéon. 

Voulez-vous  encore  du  symbolisme  ?  M.  Henri  Martin  en  a  mis 
partout,  je  veux  dire  du  haut  en  bas,  et  de  long  en  large  de  son 
tableau  «  Chacun  sa  chimère  »,  qui  n'est  pas  petit.  C'est  la  pro- 
cession des  victimes  de  l'idéal  conduite  par  l'ange  de  l'Illusion,  vêtu 
de  blanc.  Derrière  ce  guide  mystique  et  absorbé,  le  poète,  au  front 
illuminé,  tenant  la  statue  de  la  Victoire,  l'artiste,  l'amoureux... 
Trahit  sua  quemque  voluptas.  Et  au  bout  du  fossé  la  culbute.  Il  est 
vrai  que  les  personnages  de  M.  Henri  Martin  peuvent  tomber  de 
haut  sans  se  faire  grand  mal,  car  ils  sont  impalpables  et  quasi 
immatériels. 

Il  n'est  plus  permis  d'en  douter  :  l'Assyrie  et  tout  son  bibelotage 
cher  aux  décorateurs  de  théâtre  —  briques  vernissées,  faïences 
verdâtres,  émaux  cloisonnés,  étoffes  voyantes,  lions  héraldiques  — 
envahissent  la  peinture  d'histoire.  Nous  avions  déjà  une  salle  Dieu- 
lafoy  au  Louvre  :  l'an  prochain,  il  faudra  en  ouvrir  une  autre  au 
Palais  de  l'Industrie.  Provisoirement  et  pour  nous  préparer,  deux 
toiles  immenses.  L'une  —  toutes  ces  dames  au  bûcher  —  repré- 
sente la  Mort  de  Sardanapale,  par  M.  Louis  Ghâlon.  Le  livret  rap- 
pelle à  ceux  qui  auraient  pu  l'oublier  que  le  roi,  ne  voulant  pas 
tomber  vivant  dans  les  mains  de  ses  ennemis,  fit  élever  dans  une 
des  cours  de  son  palais  un  bûcher  construit  en  forme  de  tour  à 
sept  étages  et  y  entassa  toutes  ses  richesses,  en  y  faisant  ajouter 
ses  neuf  cents  femmes,  ses  danseuses,  ses  musiciennes  vêtues  de 
leurs  plus  riches  habits  et  couvertes  de  bijoux  sous  la  garde  des 
eunuques...  Vous  imaginez  le  déballage.  Et  les  flammes  du  bû- 
cher atteignent  déjà  les  malheureuses  qui  tendent  les  yeux  vers 
Sardanapale  assis  au  sommet  du  bûcher,  sur  un  trône  d'or.  Quant 
à  M.  Georges  Rochegrosse,  il  nous  montre  la  Mo/'t  de  Babylone, 
c'est-à-dire  l'ivresse  des  Babyloniens  et  leur  réveil  tragique  après 
le  Mané  Thécel  Phares  :  «  Cependant,  le  premier  moment  de  stupeur 
passé,  l'orgie  continua.  Mais  le  châtiment  annoncé  par  les  carac- 
tères mystérieux  ne  devait  pas  se  faire  attendre.  Au  matin,  l'armée 
perse,  profitant  de  l'ivresse  générale,  pénétrait  dans  Babylone  et 
s'emparait  du  palais...  »  Beaucoup  de  lits  de  repos  où  l'on  n'a 
que  trop  reposé;  beaucoup  d'étoffes  rares  à  côté  de  beaucoup  de 
nudités  qui  le  sont  infiniment  moins.  Et  si  ce  n'est  pas  le  meilleur 
tableau  de  M.  Rochegrosse,  maigre  un  effort  méritoire,  des  aspira- 
tions vers  la  grande  peinture  qui  dénotent  un  tempérament  peu 
commun,  c'est  du  moins  celui  qu'on  aurait  pris  à  la  cote  la  plus 
haute  au  mont-de-piété  assyrien. 

Le  plus  vaste  tableau  du  Salon,  après  cette  débauche  d'archaïsme, 
nous  ramène  au  drame  révolutionnaire  plus  proche  du  Chevalier  de 
Maison-Rouge  que  de  Thermidor.  C'est  le  panneau  de  M.  J.-P.  Laurens, 
destiné  à  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris  :  &  Le  roi  Louis  SVI  à  l'Hôtel  de 
Ville,  le  17  juillet  1789.  »  Bailly  vient  d'être  nommé  maire  de  Paris  : 
le  roi  lui  rend  visite  et  Bailly  loi  adresse  ce  discours  qui  contient 
la  phrase  célèbre  :  «  Henri  IV  avait  conquis  son  peuple  :  ici  c'est 
le  peuple  qui  a  reconquis  son  roi.  »  Louis  XVI  se  prépare  à  passer 
sous  la  voûte  symbolique  formée  par  les  épées  nues  des  représen- 
tants de  Paris.  Derrière  lui,  un  groupe  de  courtisans  en  habits 
clairs  et  la  foule  difficilement  contenue  par  les  gardes-françaises  à 
cheval.  L'action  est  énergique  et  sobre,  sans  agrément  mais  non 
sans  autorité,  et  d'une  valeur  concentrée  de  bas-relief  historique. 

Les  Jeanne  d'Arc  sont  à  la  mode  —  de  l'Hippodrome  à  la  Porle- 
Saint-Martin,  sans  oublier  le  Châtelet  —  ce  qui  veut  dire  qu'elles 
courent  grand  risque  de  tomber  dans  la  banalité  ;  mais  M.  Pierre 
Lagarde  a  eu  une  pensée  tout  particulièrement  originale.  Après  tant 
de  bonnes  Lorraines  éclairées  à  la  lumière  électrique,  il  nous  a 
donné  une  Jeanne  crépusculaire  écoutant  des  voix  et  regardant 
passer  la  silhouette  des  anges  dans  les  premières  ombres  de  la  nuit. 
Passons  sans  autre  transition  au  grand  tableau  mythologique  de 
M.  Henry  Lévy,  qui  nous  représente  l'ange  de  la  mort  donnant  le 
baiser  fatal  à  une  jeune  fille  échevelée  qui  est  Eurydice  et  qui 
pourrait  être  une  poitrinaire  au  dernier  période.  Et  voici  encore 
une  peinture  funéraire,  mais  moderniste,  YOmbre  de  la  Mort,  de 
l'Américain  Morley  Flechter.  Quelle  dernière  scène  du  dernier  acte 
d'un  drame  intime  jouent  ce  jeune  homme  et  celte  jeune  femme 
assoupis    sur  un   divan,   à    l'ombre    d'épaisses  tentures,  dans    une 


456 


LE  MEiNESriŒL 


chambre  luxueusemeul  meublée,  où  traînent  des  pétales  de  fleurs 
rares?  Ont-ils  perdu  quelque  créature  chérie?  Les  camélias  ont-ils 
neigé  sur  un  berceau  ou  sur  la  neige  de  têtes  blanches  ?  Ces  deux 
êtres  vivants  sentent-ils  le  frisson  des  adieux  avant-coureur  de  la 
fin  que  nul  n'évite  ?  L'exécution  est  intéressante,  mais  la  pensée 
reste  obscure. 

C'est  un  autre  drame,  plus  abstrait,  le  sunt  lacrymœ  rerum  de 
Lucrèce,  que  jouent  les  ïiamadryades  réunies  dans  le  tableau  de 
M.  Gabriel  Guay  «  la  Mort  du  Chêne.  »  Quelques  nymphes  d'une 
chair  plantureuse  et  d'un  élégant  modelé  commentent  à  grand  ren- 
fort de  lignes  souples,  de  contours  harmonieux  et  de  poses  éminem- 
ment plastiques  le  poème  de  Victor  de  Laprade  : 

Quand  l'homme  te  frappa  de  sa  lâche  cognée 
0  roi,  qu'hier  ce  mont  portait  avec  orgueil, 
Mon  àme,  au  premier  coup,  retentit  indignée. 
Et  dans  la  forêt  sainte  il  se  fit  un  grand  deuil... 

M.  Luminais  délaisse,  cette  année,  ses  mérovingiens  aux  longues 
chevelures  pour  nous  donner  un  beau  cinquième  acte  de  drame  de 
cape  et  d'épée  :  «  Fin  d'un  roman  »,  le  cadavre  d'un  duelliste 
ramassé  sur  le  gazon  d'une  clairière  par  des  moines  en  tournée, 
et  une  illustration  romantique  hardiment  enlevée  :  «  La  chasse 
impie  ».  Nous  passons  à  la  tragédie  classique  avec  M.  Hector  Le  Roux, 
peintre  breveté  des  Vestales,  qui  nous  envoie  ses  clientes  habi- 
tuelles :  Amata  inspirée  par  ces  deux  vers  de  Jean  Bertheroy  : 
Bientôt,  sur  les  degrés  dressant  sa  taille  austère, 
Vers  l'orient  propice  elle  a  tourné  les  yeux... 

et((  Nouvelles  du  dehors  »,  deux  prêtres.-ses  commentant  dans  la  paix 
du  sanctuaire  le  papyrus  qui  leur  apporte,  par  service  spécial,  la 
«  dernière  heure  du  monde  romain  ». 

Aimez-vous  les  fortes  musculatures,  le  déploiement  et  même  les 
outrances  de  la  science  anatomique?  Voici  l'Ulysse  et  Télémaque, 
de  M.  Pierre  Lehoux,  commentaire  très  vivant  de  ce  passage  de 
VOdi/ssée  :  «  Ayant  ainsi  parlé  Odysseus  s'assit,  alors  Telemachos 
embrasse  son  père  en  versant  des  larmes.  Et  le  désir  de  pleurer  les 
saisit  tous  deux  ;  ils  pleuraient  abondamment,  comme  les  aigles 
aux  cris  stridents  ». 

(A  suivre.)  Camille  Le  SeiNne. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


VI 
LE  THEATRE  DE  LA  RÉPUBLIQUE  ET  DES  ARTS 

Bonaparte,  victorieux,  de  retour  à  Paris  en  décembre  1797,  vivait 
fort  retiré,  mais  allait  souvent  au  spectacle. 

Un  Jour,  il  envoya  Bourrienne  demander  pour  lui,  si  toutefois  cela 
était  possible,  au  directeur  de  l'Opéra-Comique  la  représentation  des 
deux  plus  jolies  pièces  du  répertoire  dans  lesquelles  jouaient  EUe- 
viou.  M™"  Saint-Aubin,  Phillis.  elc... 

Le  directeur  répondit  que  rien  n'était  impossible  pour  le  vain- 
queur de  rilalie,  qui  avait  depuis  si  longtemps  fait  rayer  ce  mot 
du  dictionnaire.  Le  jour  de  la  représentation,  Bonaparte  se  cacha 
au  fond  de  sa  loge,  dont  Joséphine  et  Bourrienne  occupaient  le 
devant,.:  cependant,  le  public  apprenant  que  le  conquérant  de  la 
Lombardie  était  dans  la  salle,  le  réclama  à  grands  cris,  mais  il  ne 
voulut  pas  se  montrer. 

Il  allait  de  même  au  Théâtre  de  la  République  et  des  Arts,  ou  l'on 
jouait  l'Opéra,  dans  une  loge  grillée;  et  il  refusa  énergiquementla  repré- 
sentation de  gala  que  voulait  lui  offrir,  dans  le  même  temps,  l'ad- 
ministration de  la  première  scène  Ij^rique. 

Dans  la  suite,  Napoléon  fut  moins  dédaigneux  de  ces  hommages, 
encore  qu'il  partit  de  ce  principe  que  les  théâtres  étaient  faits  pour 
l'instruction  et  l'amusement  du  publie,  et  non  pour  l'exhibition  du 
souverain.  Nous  avons  dit  à  ce  sujet  ce  que  nous  avions  à  dire,  et 
l'on  sait  que  l'empereur,  et  avant  lui  le  premier  consul,  avait  l'ha- 
bitude de  faire  venir  les  artistes,  avec  leurs  pièces,  chez  lui.  Mais 
il  n'en  témoignait  pas  moins  une  vive  sollicitude  pour  tout  ce  qui 
touchait  aux  scènes  subventionnées,  et  tenait  à  ce  que  ses  sujets 
fussent  aussi  bien  servis  que  lui. 

Dans  ce  but,  rien  ne  lui  coûtait,  et  son  attention  se  portait  sur 
tous  les  détails  propres  ù  rehausser  l'éclat  et  la  renommée  des  grands 
théâtres  parisiens,  et  en  général  de  toutes  les  institutions  artisti- 
que de  la  capitale.  En  1800,  étant  en  Italie,  il  demande  à  son  frère 
Lucien,  ministre  de  l'Intérieur,  de  lui  fournir  la  liste  de  dix  peintres. 


de  dix  sculpteurs,  de  dix  compositeurs  de  musique  et  d'autant  d'ar- 
tistes musiciens,  dont  les  talents  méritent  de  fixer  l'attention  pu- 
blique. 

Lucien  fil  plus  :  il  profita  de  l'occasion  pour  adresser  aux  consuls 
un  rapport  dans  lequel  il  faisait  observer  qu'on  ferait  rétrograder 
les  beaux-arts  en  France,  si  l'on  forçait  de  partir  pour  les  armées 
les  jeunes  artistes  qui  ont  déjà  donné  des  preuves  de  talent.  Il 
ajoute  que  le  Conservatoire  lui  a  fourni  une  liste  de  plusieurs  élèves 
qu'il  est  essentiel  de  conserver  «  pour  les  fêtes  publiques  et  pour 
que  l'on  puisse  remplir  les  cadres  du  Théâtre  des  Arts.  »  Puis  il 
conclut  :  «  Ce  spectacle  étant  un  établissement  national,  il  parait 
que  ceux  qui  s'y  destinent  peuvent  être  assimilés  aux  élèves  des 
écoles  d'application,  auxquels  la  loi  accorde  des  exemptions.   » 

Sur  ce  rapport,  Bonaparte  autorise  «  à  rester  dans  leurs  foyers 
jusqu'à  nouvel  ordre  »  :  les  citoyens  Hyacinthe  Jadin,  professeur; 
Jacques-Martial  Lamarre,  Caïman  Eloi,  Isidore  Montlaur,  Bempu 
Henry,  Jean  Bousenier,  Charles  Monceau,  Louis  Fournier,  Dominique- 
Prudent  Portheau,  élèves  désignés  par  le  Conservatoire  de  musique. 

Qui  connaît  ces  noms,  aujourd'hui? 

Quelques  contemporains  ont  mis  l'éloignement  de  Napoléon  pour 
les  représentations  à  l'Opéra  sur  le  compte  des  attentats  dont  il 
faillit  être  victime  à  deux  reprises  différentes,  en  se  rendant  au 
Théâtre  de  la  République  et  des  Arts. 

Le  premier  de  ces  attentats  était  dirigé  par  l'Italien  Ceracchi.  Ce 
personnage,  de  concert  avec  Tapino,  Lebrun,  Aréna,  Demerville  et 
Harel,  ancien  chef  de  bataillon  destitué,  forma  le  projet  d'assassiner 
le  premier  consul  à  une  représentation  extraordinaire  donnée  par 
l'Opéra  le  10  octobre  1800,  18  vendémiaire  an  IX. 

Ce  résultat  aurait  été  sans  doute  atteint  si  Harel,  pris  de  remords, 
n'avait  point  révélé  ce  complot.  Bonaparte,  qui  voulait  depuis  long- 
temps se  débarrasser  de  Ceracchi  et  d'Aréna,  dont  l'hostilité  lui 
était  bien  connue,  fit  bon  accueil  à  celte  dénonciation  et  voulut  que 
le  projet  eût  un  commencement  d'exécution.  Dans  ce  but,  Harel 
reçut  de  l'argent  pour  procurer  des  armes  à  ses  complices,  et,  le 
jour  rriême  fixé  pour  l'attentat,  il  fut  arrêté  que  le  premier  consul 
se  rendrait  à  l'Opéra  en  compagnie  de  Duroo  et  de  Bourrienne. 

Après  le  dîner,  Bonaparte  endossa  une  redingote  sur  son  uniforme 
et  partit  en  voiture  avec  ses  deux  compagnons.  Inutile  d'ajouter  que 
toutes  les  précautions  avaient  été  prises  pour  déjouer  le  complot. 

Bonaparte  se  plaça  sur  le  devant  de  la  loge  qui  lui  était  réservée, 
à  gauche  en  entrant,  entre  les  deux  colonnes  qui  séparaient  les 
loges  de  face  des  loges  de  côté.  Au  bout  d'une  demi-heure,  gardant 
Duroc  avec  lui,  il  dit  à  Bourrienne  d'aller  voir  ce  qui  se  passait 
dans  le  corridor. 

Celui-ci  entendit  alors  un  tumulte  considérable  :  c'étaient  les  cons- 
pirateurs qu'on  arrêtait,  au  moment  oîi  ils  se  dirigeaient  vers  la 
loge  du  premier  consul.  Ils  furent,  par  la  suite,  guillotinés,  sauf 
Harel,  qui  fut  réintégré  dans  les  cadres  de  l'armée  :  il  était  com- 
mandant du  fort  de  Vincennes,  lors  de  l'exécution  du  due  d'Enghien, 
dont  sa  femme,  par  une  curieuse  coïncidence,  était  la  sœur  de  lait. 

Le  théâtre  de  la  République  et  des  Arts  donnoit,  le  soir  de  cette 
échaufl'ourée,  qui  a  fait  peu  de  bruit  dans  l'histoire,  la  première 
représentation  des  Horaces,  paroles  de  Guillard,  musique  de  Porta, 
et  le  ballet  de  Héro  et  Léandre. 

L'auteur  du  livret  avait  pris  la  peine  d'écrire,  avant  la  représen- 
tation, aux  rédacteurs  du  Journal  de  Paris  que  son  poème  n'était 
plus  le  même  que  celui  donné  à  l'Opéra  en  1786,  avec  la  musique 
de  Salieri.  Il  avait,  disait-il,  supprimé  deux  actes  formés  d'inter- 
mèdes, qui  nuisaient  à  la  rapidité  de  l'action,  et  montré  à  la  place 
le  combat  des  Horaces  «  dansé  par  un  estimable  artiste,  digne 
élève  de  Noverre  »,  estimant  «  que  ce  combat,  dessiné  vigoureuse- 
ment et  exécuté  par  des  talents  supérieurs,  pourrait  produire  un  très 
bel  effet  sur  le  théâtre  lyrique  «.  Puis  il  avait  modifié  le  dénoue- 
ment cornélien,  en  faisant  éviter  à  Camille  le  coup  dont  la  menace 
son  frère ,  «  parce  que  la  toile  tombant  sur  un  pareil  assassinat, 
renverrait  le  public  mécontent.  » 

Le  compte  rendu  donné  par  la  même  feuille  ,  nous  apprend  que 
les  deux  premiers  actes  des  Horaces,  furent  applaudis  et  que  le  pu- 
blic n'approuva  pas  les  modifications  sur  lesquelles  Guillard  comptait 
si  bien:  «  le  combat-pantomime,  loin  de  produire  l'effet  qu'on  en 
attendait,  n'a  offert  qu'un  spectacle  froidement  cruel  ;  plusieurs  per- 
sonnes pensent  qu'il  eût  fallu  l'échauffer  par  un  accompagnement 
gradué  d'instruments  guerriers  ».  A  propos  de  l'incident  Ceracchi, 
qu'on  avait  soigneusement  caché  au  public,  afin  de  mettre  la  main, 
s'il  y  avait  lieu,  sur  d'autres  complices,  le  Journal  de  Paris  faisait 
suivre  ces  lignes  de  ces  simples  mots,  destinés  à  donner  le  change 
à  l'opinion  : 


LE  MENESTREL 


dO/ 


«  Le  préfet  dp  police,  instruit  que  plusieurs  individus  se  propo- 
saient de  mettre  hier  le  feu  à  quelques  parties  de  la  salle  de 
l'Opéra,  afin  de  profiter  du  désordre,  les  a  fait  arrêter  dans  le 
lieu  même  où  ils  devaient  exécuter  leur  projet.  » 

Cette  conspiration  fut  suivie,  à  courte  distance,  d'un  autre  attentat 
qui,  celui-là,  n'était  point  prévu,  et  qui,  s'il  n'amena  pas  de  résultat 
funeste,  n'en  eut  pas  moins  sa  pleine  exécution.  Nous  voulons  parler 
de  la  machine  infernale,  dont  le  nom  est  attaché  à  la  rue  Saint- 
Nicaise,  ou,  pour  parler  le  langage  de  l'époque,  à  la  rue  Nicaise, 
où  l'affaire  se  passa  le  3  nivôse  an  IX,  24  janvier  1801. 

Ce  jour-là,  les  journaux  donnaient  ce  programme  de  li  soirée 
depuis  longtemps  attendue  par  le  monde  dilettante  de  Paris: 

THEATRE  DE  LA  RÉPUBLIQUE  ET  DES  ARTS 


Aujourd'hui  3  nivôse,  pour  la  première  fois  l'Oratorio 
d'HAYDN,  intitulé  la  Création  du  monde,  parodié  en  vers  fran- 
çais par  le  G"  SÉ(iur  le  jeune,  la  musique  arrangée  par  le 
C"  Steibelt. 

Les  G"'  Garât  et  Ghéron,  et  M™'  Walboxne-Barbier  chan- 
teront dans  l'Oratorio  ;  le  G"  Steibelt  tiendra  le  piano  pour 
conduire  l'Oratorio. 

(1(1  coniBiencera  i  8  lieiires  précises.  L'oiiverliire  lies  liareaiix  se  fera  à  6  iieiires. 

Les  billets  gratis  et  de  faveur  n'auront  pas  lieu. 

Haydn  était  fort  populaire  à  Paris.  Dès  1766,  ses  premières  sym- 
phonies furent  gravées  dans  celte  ville  et  exécutées  au  concert  des 
amateurs.  Celles  qui  suivirent  assurèrent  la  vogue  de  leur  auteur; 
aussi  l'annonce  d'un  grand  ouvrage  d'Haydn  produisit-elle  une  vive 
curiosilé  dans  le  monde  des  connaisseurs.  Parmi  les  artistes,  la 
musique  eu  était  déjà  connue,  ou  pouvait  être  connue,  car  elle  ve- 
nait d'être  publiée,  comme  il  ressort  de  cette  annouce  parue,  la 
veille  de  l'exécution,  dans  plusieurs  journaux  : 

(1  On  trouve  chez  le  C"  Pleyel,  auteur  et  éditeur  de  musique,  rue 
Neuve-des-Petits-Champs,  entre  celles  de  la  Loi  (Richelieu)  et  d'Hel- 
vélius,  n"  728,  tous  les  airs,  nuo,  trio  et  choeuus  de  I'Oratorio 
d'HAYDN,  avec  accompagnement  de  piano,  et  en  parties  séparées  pour 
l'orchestre.  La  Grande  Partition  va  paraître  d'ici  à  quinze  jours  ; 
elle  contiendra  environ  320  planches.  On  l'offre  au  public  par  sous- 
cription, moyennant  la  somme  de  24  francs  ;  tout  l'ouvrage  arrangé 
pour  le  piano  se  vendra  15  francs.  Il  est  à  observer  que  le  C"  Pleyel 
offre  au  public  à  la-fois  une  traduction  française  et  italienne; 
il  ose  assurer  que  la  valeur  des  notes  d'Haydn,  et  sur-tout  ses 
phrases  musicales  n'y  sont  point  altérées.  La  composition  d'Haydn 
n'a  subi  aucun  arrangement:  elle  est  avec  les  paroles  françaises  et 
italiennes,  telle  qu'Haydn  l'a  faite  sur  les  paroles  allemandes.  La 
souscription  pour  la  grande  Partition,  et  l'Arrangement  complet 
pour  le  piano,  sera  ouverte  jusqu'au  15  nivôse  courant. 

(A  suivre.)  Edmond  Neckomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  mai).  —  Les  soirées  d'adieu 
et  de  clôture,  à  la  Monnaie,  ont  été  très  animées  et  surtout  très  fleuries. 
Depuis  deux  ou  trois  ans,  la  mode  d'offrir  des  ileurs  aux  artistes  qui  nous 
quittent  et  même  à  celles  qui  ne  nous  quittent  pas,  a  pris  des  proportions 
tout  à  fait  extraordinaires.  On  ne  se  contente  plus  de  quelques  bouquets 
ou  de  quelques  corbeilles;  on  dévalise  les  fleuristes;  on  transporte  au 
théâtre,  pour  les  faire  passer  sur  la  scène,  par-dessus  l'orchestie,  de  véri- 
tables monuments,  des  pyramides  gigantesques,  des  constructions  baby- 
loniennes; il  faut  des  escouades  de  portefaix  et  des  biceps  rares  pour 
offrir  et  recevoir  cela  comme  il  faut.  Et  songez  encore  que  l'amour-pi-opre 
s'en  mêle;  il  y  a  des  rivalités  entre  les  prime-donne  et  les  amis  des  prime- 
donne;  c'est  à  qui  recevra  le  plus  de  fleurs,  et  surtout  les  plus  volumi- 
neuses; les  sympathies,  le  succès,  le  talent,  tout  cela  se  mesure,  ces  jours- 
là,  au  nombre  de  parterres,  d'arbres  et  d'arbustes  offerts.  Le  concours  est 
intéressant  et  récréatif  au  possible.  Cette  année,  les  deux  favorites  étaient 
M""  Sanderson  et  M"'  de  Nuovina;  la  lutte  s'est  localisée  entre  elles,  par- 
ticulièrement, et  la  victoire  finalement  est  resiée  indécise.  Je  crois  bien 
cependant  que  c'est  M""^  de  Nuovina  qui  l'a  emporté.  Le  jardin  de  Faust. 
où  on  lui  a  fait  ses  adieux...  jusqu'à  l'année  prochaine,  était  transformé 
en  véritable  jardin;  jamais  Marguerite  n'en  eût  osé  rêver  de  pareil  même 
au  paradis  terrestre.  Les  artistes  qui  taisaient  réellement  et  pour  tout  de 
bon  leurs  adieux,  n'en  ont  pas  moins  été  fêtés  très  chaleureusement,  en 


raison  mé~.e  des  regrets  qu'ils  laissent  après  eux.  Tels  M"=  Sander 
son.  M""!  Archainbaud,  MM.  Bouvet,  Delmas,  Vérin,  d'autres  encore. 
Et  l'on  a  été  heureux  de  montrer  à  quelques-uns  de  ceux  qui  restent,  à 
M""  Carrère,  à  MM.  Badiali  et  Sentein,  le  plaisir  qu'on  a  eu  de  les  avoir 
et  celui  qu'on  a  de  les  garder.  —  Gomme  je  vous  l'avais  annoncé,  le 
lendemain  de  la  clôture  la  Monnaie  s'est  rouverte  pour  le  dernier  concert 
populaire  de  la  saison.  Ce  concert,  consacré  exclusivement  à  Brahms  et 
à  Wagner,  a  été  superbe;  la  troisième  symphonie  de  Brahms,  exécutée 
un  peu  mollement,  et  le  Chant  du  Destin,  du  même,  malgré  sa  très  belle 
élévation  d'idées  et  son  sentiment  profond,  ont  paru  cependant  assez  ternes; 
la  plus  grande  part  du  succès  a  été  pour  le  troisième  acte  de  Parsifal,  d'un 
caractère  si  admirablement  grandiose,  et  pour  le  finale  des  Maîtres  clianteurs. 
Au  concert  précédent,  on  avait  entendu  (je  crois  avoir  oublié  de  vous  le 
dire)  diverses  œuvres  de  la  jeune  école  française,  notamment  le  Wallcnstein 
de  M.  Vincent  d'Indy,  la  Viviane  de  M.  Chausson  et  la  Rapsodie  cambod- 
gienne de  M.  Bourgault-Ducoudray  ;  on  les  a  écoutées  et  applaudies  avec 
une  faveur  d'autant  plus  marquée  que  la  plupart  des  jeunes  maîtres  fran- 
çais ont  toujours  été  bien  accueilUis  à  Bruxelles  et  que,  même  avant  d'être 
très  connus  en  France,  ils  avaient  ici  des  sympathies  et  des  admirateurs. 
—  Enfin,  ce  soir  même,  vient  d'avoir  lieu,  toujours  à  la  Monnaie,  la  re- 
présentation jubilaire  et  de  retraite  de  M.  Chappuis.  Elle  a  eu  un  éclat 
exceptionnel,  un  très  vif  intérêt,  et  c'a  été,  tout  le  long  de  la  soirée,  une 
interminable  suite  d'ovations,  au  bénéficiaire  d'abord,  qu'on  a  couvert  de 
couronnes,  de  fleurs  et  de  cadeaux,  et  aux  artistes  qui  ont  pris  part  gra- 
cieusement à  la  représentation.  Parmi  ces  derniers,  je  citerai  en  première 
ligne  M°";  Caron  et  M.  Grosse,  venus  tout  exprès  de  Paris,  et  plusieurs 
anciens  artistes  de  la  Monnaie,  qui  étaient  venus  se  joindre  à  ceux  d'à 
présent.  Le  programme  comprenait  le  deuxième  acte  du  Domino  noir,  joué 
par  M"°  Carrère,  MM.  Badiali,  Delmas  et  Chappuis;  le  troisième  acte  du 
Cid,  par  M""' Caron  et  M.  Dupeyron;  l'acte  des  nonnes  de  ISobert  le  Diable, 
chanté  par  MM.  Gresse  et  Stéphan,  et  dansé  par  M"«  Sarcy  et  le  corps  de 
ballet  de  la  Monnaie;  un  intermède  dans  lequel  on  a  entendu  des  mélo- 
dies chantées  par  M""=  Bachel  Neyt,  un  air  de  Henri  VIII  par  M.  Badiali,  le 
trio  de  Jérusalem  par  MM.  Caron,  Gress3  et  Dupeyron  et  une  Marche  jubi- 
laire composée  par  M.  Léon  Dubois;  et  enfin,  pour  terminer  joyeusement 
la  soirée,  les  Itendez-vous  bourgeois  par  i/]}"^^  Neyt,  VVolf  et  Walter,  MM.  Sen- 
tein, Mengal,  Larbaudière,  Garnier  et  David.  L'interprétation  de  tout  cela 
a  été  remarquable;  et  la  soirée  a  réussi,  d'un  bout  à  l'autre,  admirable- 
ment. —  Samedi  prochain,  la  Monnaie,  une  fois  encore,  rouvrira  ses 
portes  ;  la  Comédie  Française,  MM.  Mounet-Sully,  Paul  Monnet  et  M"«  Dudlay 
en  tête,  vient  jouer  Hernani  au  profit  de  l'Œuvre  de  la  Presse.  Ce  sera 
sans  doute  la  toute  dernière  représentation  qui  sera  donnée  à  la  Monnaie 
d'ici  à  la  saison  prochaine.  Les  beaux  jours  appellent  le  public  ailleurs, 
sous  les  ombrages  du  Waux-Hall,  où  l'orchestre  de  la  Monnaie  se  trans- 
porte, comme  tous  les  ans,  ou  —  ce  qui  vaut  mieux  encore  —  en  villé- 
giature. L.  S. 

—  On  sait  en  quelle  estime,  très  méritée  d'ailleurs,  sont  tenus  en  Bel- 
gique les  cariilonneurs,  qui  sont  en  général  des  artistes  fort  distingués. 
En  voici  une  preuve  parfaitement  convaincante.  Par  arrêté  royal  du 
28  avril  1891,  la  médaille  de  1™  classe  est  décernée  à  M.  Clément  (Henri- 
Edouard),  carillonneur  de  la  ville  d'Ypres  (Flandre  occidentale),  en  récom- 
pense des  services  qu'il  a  rendus  dans  une  carrière  de  plus  de  trente- 
cinq  années. 

—  On  vient  de  mettre  en  répétition,  au  théâtre  royal  de  l'Alcazar  de 
Bruxelles,  A  la  houzarde,  opéra-comique  de  MM.  Louis  d'Hurcourt  et  Jac- 
ques Lemaire,  musique  de  M.  Albert  Renaud. 

—  Nouvelles  de  Londres  : 

Quinzaine  peu  intéressante  à  Covent-Garden,  pendant  laquelle  les  reprises 
de  Mefistofelc  et  de  Don  Giovanni  sont  seules  venues  trancher  sur  la  mono- 
tonie du  répertoire  courant.  Plusieurs  artistes  annoncés  au  début  de  la 
saison  manquent  encore  à  l'appel,  et  à  l'exception  de  Lohengnn  et  de  Roméo 
l'exécution  de  la  plupart  des  ouvrages  représentés  jusqu'ici  a  péché  dans 
l'ensemble.  Il  est  également  indiscutable  que  l'opéra  est  moins  suivi  que 
les  saisons  précédentes  :  le  zèle  maladroit  de  la  direction  à  proclamer 
qu'elle  ne  perd  pas  d'argent  ne  sert  qu'à  souligner  cette  abstention  du 
public.  On  a  invoqué  une  foule  de  prétextes  pour  justifier  cet  état  des 
choses  :  l'ouverture  prématurée  de  la  saison,  la  crise  financière,  l'influenza. 
Ce  qu'on  aurait  dû  plutôt  dire,  c'est  que  le  prix  des  places  est  le  double  de 
celui  de  la  saison  Lago,  alors  que  la  plupart  des  représentations  ne  sont  pas 
meilleures,  que  la  troupe  est  très  incomplète,  certains  emplois  étant  très 
insuffisamment  tenus,  et  qu'en  jouant  six  fois  par  semaine  le  travail  des 
répétitions  ne  peut  se  faire  que  d'une  façon  approximative.  Avec  quelques 
nouveautés  et  reprises  intéressantes  soigneusement  montées,  la  saison,  si 
mal  commencée,  peut  encore  se  relever. 

On  nous  promet  la  première  de  Manon  en  français  pour  la  semaine  pro- 
chaine, avec  M"'>  Sanderson  et  le  ténor  Van  Dyck  dans  les  deux  princi- 
paux rôles.  Il  est  fâcheux  que  la  troupe  de  Covent-Garden  ne  possède  pas 
une  basse  chantante  pour  le  rôle  du  père  Des  Grieux.  M.  Isnardon  est  un 
excellent  Leporello  et  un  Bcekmesser  de  premier  ordre,  mais  il  n'a  ni  le 
physique,  ni  la  voix  nécessaires  au  rôle  créé  par  Cobalet.  M.  Massenet 
est  à  Londres  présidant  aux  répétitions  :  il  saura  obtenir  un  ensemble 
d'exécution  digne  de  cette  œuvre  charmante. 

Le  ténor  vétéran  Sims  Reeves  a  fait  ses  adieux  au  public  lundi  dernier 


138 


LE  MENESTREL 


à  l'Albert  Hall,  après  une  carrière  de  plus  de  cinquante  années.  M"""  Chris- 
tine Nilsson,  qui  était  venue  tout  exprès  de  Paris,  s'est  prodiguée  dans 
plusieurs  morceaux  chantés  d'une  voix  superbe  et  applaudis  avec  enthou- 
siasme. Le  reste  du  programme  était  peu  intéressant.  Le  principal  air  du 
bénéiiciaire :  «Eclipse  totale»,  extrait  d'un  oratorio  de  Haendel,  contenait 
dans  son  titre  une  allusion  fâcheuse  aax  moyens  vocaux  du  chanteur,  qui 
avait  depuis  longtemps  survécu  à  sa  réputation.  A.  G.  N. 

—  Nous  avons  annoncé  il  y  a  quelque  temps  que  Rubinstein  préparait 
un  livre  sur  la  musique  et  les  musiciens.  Un  correspondant  du  Afeu  York 
Herald  a  eu  la  bonne  fortune  d'obtenir  de  la  bouche  même  du  maître 
quelques  révélations  à  sensation  sur  cet  ouvrage,  dont  la  publication  est 
imminente.  Nous  traduisons  mot  pour  mot  cette  interview:  «  Je  trouvai 
Rubinstein  occupé  à  transcrire  un  manuscrit.  —  Ceci  est  un  livre,  me 
dit  le  maitre.  Je  viens  de  l'achever  en  allemand  et  me  dispose,  pour  le 
moment,  à  le  traduire  en  russe.  J'ai  écrit  tout  ce  que  je  sais  relativement 
à  la  musique,  depuis  A  jusqu'à  Z  ;  toutefois,  je  n'ai  parlé  que  de  ceux  qui 
sont  morts;  car,  en  m'occupant  des  vivants,  j'aurais  soulevé  trop  de  pro- 
testations. Il  est  trois  compositeurs  de  notre  époque  dont  la  musique  a 
provoqué  un  mouvement  rétrograde  dans  l'art  qui  nous  occupe.  Ces  trois 
compositeurs  sont  morts  physiquement,  mais  bien  vivants  à  d'autres  points 
de  vue.  Je  veux  parler  de  'Wagner,  de  Liszt  et  de  Berlioz.  Leurs  œuvres 
se  dressent  comme  des  obstacles  terribles  sur  la  route  du  progrès  musical. 
Chaque  jour  cette  vérité  m'apparait  plus  claire.  Je  vous  étonne  peut-être, 
mais  c'est  bien  réellement  la  vérité.  Prenons  "Wagner,  si  vous  voulez. 
Dans  toutes  ses  compositions,  "Wagner  a  donné  la  première  place  à  l'élé- 
ment décoratif;  la  musique  proprement  dite  est  reléguée  au  'deuxième 
plan.  L'àme  et  la  vie  de  ses  personnages  sont  ensevelies  dans  d'épaisses 
draperies.  Je  voudrais  que  les  choses  fussent  actuellement  dans  l'état  où 
elles  étaient  avant  l'arrivée  de  ces  trois  compositeurs.  Je  voudrais  que 
nous  revinssions  aux  temps  où  les  maîtres  du  monde  musical  se  nom- 
maient Mozart,  Beethoven,  Gluck,  "Weber,  Mendelssohn,  Schubert  et  Schu- 
mann.  —  Et  que  dites-vous  de  vos  propres  compositions?  demanda 
Yintervieiccr.  —  Oh  !  moi,  je  suis  un  de  ceux  qui  ont  été,  comme  vous 
dites,  en  Amérique.  —  Cependant,  je  vois  figurer  vos  œuvres  sur  les 
programmes  des  principaux  concerts  de  Paris,  "Vienne,  Berlin  et  New- 
York.  —  Oui,  eu  effet,  par-ci  par-là  on  joue  une  de  mes  polkas, comme 
pour  se  souvenir  que  je  ne  suis  pas  encore  mort.  —  Est-il  réellement 
vrai  que  vous  voulez  aller  en  Amérique  cet  été?  —  Je  n'ai  encore  pris 
aucune  décision  à  ce  sujet;  pourtant,  je  vais  y  réfléchir.  On  m'a  fait  des 
propositions,  mais  le  voyage  est  long  et  j'ai  la  traversée  en  horreur. 
Mon  travail  ici  sera  achevé  au  moins  de  juin;  alors  je  partirai  pour  un 
endroit  quelconque,  peut  être  bien  pour  l'Amérique.  Je  n'ai  pas  visité  le 
continent  occidental  depuis  1872,  et  on  m'a  dit  que  depuis  cette  époque 
la  musique  y  a  fait  des  progrès  énormes.  —  Certainement.  L'Amérique 
est  maintenant  à  même  de  fournir  d'excellents  chanteurs  dramatiques. 
Si  vous  venez  en  Amérique,  vous  y  ferez-vous  entendre?  —  Non!  Je  ne 
jouerai  plus  jamais  en  public.  —  Que  pensez-vous  de  l'établissement 
d'un  conservatoire  national  en  Amérique? —  Lorsque  je  vins  en  Amérique, 
je  fus  étonné  d'apprendre  que  New- York  ne  possédait  pas  moins  de  cinq 
conservatoires.  Je  me  suis  dit  que  c'était  impossible,  mais,  quand  je 
découvris  que  ces  cinq  conservatoires  n'étaient  autre  chose  que  des  écoles 
privées  où  des  amateurs  apprenaient  à  jouer  quelques  morceaux,  je  me 
pris  à  rire  de  tout  mon  cœur.  Le  but  d'un  conservatoire  est  de  former 
des  chanteurs,  compositeurs,  etc.  pour  les  scènes  lyriques.  Une  telle  insti- 
tution doit  être  placée  sous  le  patronage  et  le  contrôle  du  gouvernement, 
et  la  question  d'argent  doit  y  être  étrangère...  Dites  aux  Américains  que 
je  suis  un  vieillard  ayant  dépassé  la  soixantaine,  mais  que  je  me  résoudrai 
peut-être  à  aller  vivre  au  milieu  d'eux  ». 

— Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne. — Berlln:  les  négociations  engagées 
entre  l'intendant  de  l'Opéra  royal  et  M.  Angelo  Neumann,  au  sujet  de  la 
Cavalleria  rusticana,  du  Barbier  de  Bagdad  et  des  Trois  Pintos,  n'ayant  pas 
abouti,  ces  ouvrages  ne  seront  pas  représentés  à  l'Opéra  royal,  ainsi  qu'on 
l'avait  annoncé  tout  d'abord.  C'est  une  troupe  de  Prague  qui  les  fera  en- 
tendre aux  Berlinois,  sous  la  direction  de  M.  Blumenthal  et  au  Lessing- 
theater.  Le  Burgeriiche  Schauspielhaus  vient  de  rouvrir  ses  portes  sous  une 
nouvelle  direction,  avec  Czar  et  Charpentier,  de  Lortzing.  —  Dresde  :  on 
vient  de  remettre  à  la  scène,  au  théâtre  de  la  Cour,  VIdoménée  de  Mozart 
qui  avait  quitté  le  répertoire  il  y  a  vingt  et  un  ans.  Malgré  une  interpré- 
tation supérieure,  en  tête  de  laquelle  il  faut  citer  M™>=  Schuch,  l'œuvre 
n'attire  pas  la  foule.  —  FEA^■CFORT  :  la  Manon  de  M.  Massenet  n'a  pas  été 
heureuse  lors  de  sa  première  représentation  au  théâtre  municipal.  Les 
rôles  principaux  étaient  tenus  d'une  façon  lamentable  ;  seule,  la  mise  en 
scène  a  été  jugée  digne  d'éloges.  —  H.vmdoorg  :  une  nouvelle  opérette  fan- 
tastique, intitulée  Papillons,  vient  d'être  produite  avec  succès  au  théâtre 
Carie  Schultze.  Les  auteurs  de  cette  nouveauté  sont  MM.  "Wullï  et  Spen- 
gler  pour  les  paroles,  et  M.  Ch.  KoUing  pour  la  musique.  —  Leipzig; 
VOtello  de  "Verdi  vient  de  paraître  pour  la  première  fois  au  théâtre  muni- 
cipal, et  y  a  été  accueilli  avec  plus  de  respect  que  d'enthousiasme. 
—  Mayence  :  un  opéra  poslhune  du  capellmeister  Cari  Gœtze,  Jvdith,\ienl 
d'être  représenté  pour  la  première  fois  au  théâtre  municipal,  sans  éveiller 
un  intérêt  bien  considérable.  —  Prague  :  au  nouveau  théâtre  allemand, 
l'opéra-comique  en  deux  actes  de  M.  0.  Wober,  la  Faction  de  quatre  ans, 
a  sombré  dès  son  apparition.  Sur  un  livret  des  plus  faibles,  imité  de 
Kœrner,le  compositeur  a  écrit  une  partition  dans  la  manière  de  Wagner, 


mais  ennuyeuse  et  maussade.— Stuttgahd  :  un  ouvrage  vieux  de  soixante- 
trois  ans,  le  Vampire,  de  Marschner,  vient  d'être  monté  pour  la  première 
fois  au  théâtre  de  la  Cour,  et  a  brillamment  réussi.  Lindpaintner,  ancien- 
nement chef  d'orchestre  à  ce  théâtre,  y  avait  lui-même  fait  représenter  un 
ouvrage  du  même  titre,  en  1828,  l'année  même  de  la  production  du  Vam- 
pire de  Marschner.  C'est  ce  qui  expliquait  l'abandon  de  ce  dernier  opéra.  — 
Vienne:  deux  solennités  sont  à  enregistrer  à  l'Opéra:  la  première  repré- 
sentation du  ballet  Ronge  et  Noir  (trois  tableaux  et  un  prologue)  de 
MM.  Hasstretter  et  J.  Bayer,  qui  a  convenablement  réussi,  et  la  100°  repré- 
sentation du  Bal  masqué  de  Verdi,  que  Vienne  a  applaudi  pour  la  première 
fois  le  1"'  avril  ,1864.  —  "Weimar  :  à  l'occasion  de  la  fête  de  la  grande- 
duchesse,  le  théâtre  de  la  Cour  a  repris  le  Roi  l'a  dit,  l'œuvre  adorable  de 
Léo  Delibes.  La  représentation,  dirigée  par  le  kapellmeister  de  la  Cour, 
M.  Edouard  Lassen,  a  été  admirable  sous  tous  les  rapports  et  a  excité  un 
enthousiasme  considérable. 

—  A  Munich,  le  i  mai,  très  belle  exécution  de  la  Damnation  de  Faust  de 
Berlioz  au  concert  de  l'Odéon.  Directeur  de  l'orchestre  :  Henri  Pocger, 
qu'on  a  rappelé  plus  de  dix  fois. 

—  Encore  un  des  interprètes  favoris  de  Richard  "^'"agner  qui  vient  d'être 
frappé  de  folie.  On  annonce  en  effet  que  la  basse  Fridrichs,  qui  s'était 
fait  remarquer  dans  plusieurs  œuvres  du  maitre  allemand,  principalement 
dans  les  Maîtres  chanteurs,  où  il  tint  avec  succès  le  rôle  de  Beckmesser,  a  été 
récemment  atteint  d'aliénation  mentale  et  qu'il  dû  être  transporté  dans 
l'asile  de  Bayreuth,  par  les  soins  et  aux  frais  de  M""  veuve  "Wagner.     • 

—  On  vient  de  reprendre  avec  le  plus  grand  succès,  au  Théâtre-Boyal 
de  Dresde,  un  opéra  qui  fait  toujours  partie,  en  Allemagne,  du  répertoire 
courant,  et  dont  pourtant  nous  sommes  privés  en  France  depuis  plus  long- 
temps qu'il  ne  faudrait,  le  Jean  de  Paris  de  Boieldieu.  Non  seulement  on  a 
donné  à  cet  ouvrage  une  interprétation  excellente  qui  réunit  les  noms  de 
MM.  Riese  (Jean  de  Paris),  Nebuschka  (le  sénéchal),  Eichberger  (l'auber- 
giste), de  M"""'  Frisdmann  (la  princesse  de  Navarre),  Reuther  (le  page 
Olivier)  et  Briining  (la  soubrette),  mais  on  a  fait  des  frais  de  mise  en 
scène,  et  l'on  assure  que  le  décor  du  jardin  du  second  acte  est  un  véri- 
table enchantement.  Toutefois,  un  écrivain  allemand  produit  un  singulier 
anachronisme  en  avançant  qu'on  trouve  dans  la  partition  de  Jean  de  Paris 
des  «  réminiscences  »  de  la  Dame  blanche.  Le  contraire  seul  pourrait 
être  vrai,  puisque  Jeai^  de  Paris  fut  représenté  eu  1812  et  la  Dame  blanche, 
en  182S. 

—  Il  est  question  d'instituer  à  Vienne  des  concerts  philharmoniques  de 
musique  classique  à  la  portée  des  petites  bourses,  destinés  à  vulgariser 
les  œuvres  symphoniques  des  grands  maîtres.  Ce  projet  a  pris  naissance 
à  la  suite  du  succès  remporté  par  les  séances  de  quatuors  populaires 
dont  nous  avons  annoncé  la  récente  fondation. 

—  Un  de  nos  confrères  italiens  assure  que  M.  Edouard  Sonzogno,  le 
célèbre  éditeur  milanais,  est  entré  en  pourparlers  à  l'effet  de  louer  pour 
cinq  ans  le  théâtre  de  la  Pergola  de  Florence,  l'un  des  plus  fameux  et 
des  plus  importants  de  l'Italie,  pour  y  donner  chaque  hiver  une  grande 
saison  lyrique. 

—  Il  parait  que  le  nouvel  opéra  que  le  jeune  Pietro  Mascagni,  l'auteur 
de  Cavalleria  rusticana,  écrit  sur  un  livret  tiré  de  l'Ami  Fritz  de  MM.  Erck- 
mann-Chatrian,  s'appellera  définitivement  Sûsel.  Ce  livret  a  pour  auteur 
M.  Nicolas  Daspuro.  C'est  à  Rome,  au  mois  d'octobre  prochain,  que 
l'ouvrage  doit  être  représenté. 

—  Un  journal  de  musique  italien,  Santa  Cecilia,  de  Bologne,  a  publié, 
dans  un  de  ses  derniers  numéros,  une  Cantate  à  trois  voix  de  Carlo  Goprioli, 
composition  qui  remonte  à  l'année  1660,  c'est-à-dire  à  près  de  deux 
siècles  et  demi. 

—  A  Pesaro,  ville  natale  de  Rossini,  on  vient  d'adjoindre  au  lycée  mu- 
sical, fondé  à  l'aide  des  libéralités  testamentaires  du  vieux  maitre,  une 
belle  salle  de  concerts,  dont  l'inauguration  a  eu  lieu  tout  récemment. 
Cette  salle,  assez  vaste  pour  contenir  2,000  auditeurs,  est  formée  d'un 
vaste  parterre  et  d'une  galerie.  L'acoustique  en  paraît  excellente.  Dans  la 
séance  d'inauguration,  les  élèves  du  lycée  ont  chanté  le  beau  chœur  de 
Rossini,  Caritâ. 

—  Au  théâtre  Pezzana,  de  Milan,  première  représentation  d'un  opéra 
nouveau  sur  un  vieux  sujet,  Clotilde  d'Amalfi,  paroles  de  M.  CrisafuUi, 
musique  de  M.  Guardione,  chanté  par  MM.  Russomanno,  Negrini  et  Ros- 
sini et  M'"=  Carniello.  La  partition  ne  paraît  avoir  qu'une  valeur  très  rela- 
tive, et,  malgré  des  applaudissements  assez  nourris,  l'auteur  n'a  obtenu 
qu'une  douzaine  de  rappels,  ce  qui  est  bien  peu  pour  qui  connaît  les  cou- 
tumes italiennes.  —  D'autre  part,  au  théâtre  Nuovo  de  Vérone,  on  a 
donné  aussi  la  première  représentation  d'un  opéra  en  un  acte,  Eisa,  pa- 
roles et  musique  de  M.  G.  A.  Carraroli,  qui  a  été  l'objet  d'un  ^asco  la- 
mentable et  qui  ne  méritait  pas  mieux.  On  avait  pourtant  entouré  cette 
solennité  d'un  luxe  inusité.  Pendant  plusieurs  jours  d'énormes  affiches, 
placardées  dans  toutes  les  rues,  annonçaient  à  l'avance  l'événement;  l'au- 
teur avait,  par  provision,  publié  son  livret  bien  avant  la  représentation; 
enfin  on  disait  de  tous  côtés  merveille  de  l'œuvre  nouvelle.  Et  voici  qu'un 
journal  en  parle  en  ces  termes  :  «  L'auteur  s'est  cru  poète,  et  il  a  fait  des 
vers  croyant  faire  un  libretto  ;  il  s'est  cru  compositeur,  et  il  en  a  écrit  la 
musique;  il  s'est  cru  capable  d'instrumenter  celle-ci,  et  il  l'a  instrumentée. 


* 


LE  MÉNESTREL 


459 


Il  avait  le  courage  mais  non  l'étoffe  nécessaire  à  un  tel  travail,  et  il  a 
failli  dans  le  livret,  dans  la  musique  et  dans  l'instrumentation,  b  Malgré 
tout  et  en  dépit  du  fâcheux  résultat  de  sa  première  tentative,  le  maestro 
Carraroli  est  prêt  à  prouver  qu'il  a  le  courage  obstiné.  On  annonce,  en 
effet,  qu'il  s'est  déjà  remis  à  l'œuvre  sur  de  nouveaux  frais,  et  qu'il  est 
en  train  d'écrire  un  nouvel  opéra,  sous  le  titre  de  Sant Antonio . 

—  Encore  une  nouvelle  d'un  fait  surprenant.  M.  Edison  est  arrivé  à 
Chicago,  et  a  été  invité  par  quelques  membres  de  la  commission  de  la 
(c  Grande  foire  du  monde  ».  Il  leur  a  dit  qu'il  avait  l'intention  d'établir, 
pour  l'époque  de  l'exposition,  une  heureuse  combinaison  de  photographie  et 
d'électricité,  combinaison  qui  permettra  à  un  homme  assis  dans  son  salon, 
de  voir  sur  un  rideau,  représentés  entièrement,  les  artistes  chantant  un 
opéra  dans  un  théâtre  éloigné,  et  d'entendre  en  même  temps  les  voix  de 
ces  chanteurs.  On  verra  aussi  chaque  mouvement  du  moindre  muscle  de 
la  figure  du  chanteur,  chaque  coup  d'oeil,  et  chaque  expression  du  visage  ; 
on  distinguera  jusqu'aux  couleurs  des  costumes.  M.  Edison  a  ajouté 
qu'avant  peu  on  pourra  appliquer  ce  système  d'une  façon  extraordinaire, 
à  tel  point  qu'un  spectateur  pourra  assister,  de  son  fauteuil,  aux  assauts 
et  aux  luttes  qui  se  donnent  dans  les  manèges.  Il  entendra  les  coups,  le 
bavardage  de  la  foule,  il  verra  la  poussière  qui  se  soulève  en  pareil  cas 
dans  l'arène,  etc.  On  voit  que  l'avenir  du  théâtre,  avec  un  inventeur 
comme  M.  Edison,  nous  ménage  des  surprises  bizarres. 

—  Les  Américains  continuent  de  vouloir  faire  grand.  On  annonce  qu'il 
se  forme  ou  qu'il  essaie  de  se  former,  à  New-York,  une  puissante  société 
dont  le  but  est  de  réunir  en  une  seule  entreprise  une  quarantaine  de 
théâtres  des  États-Unis,  auxquels,  ceci  restant  encore  insuffisant,  on  en 
joindrait  trois  des  plus  importants  d'Australie,  un  de  Sidney,  un  de  Mel- 
bourne et  un  de  Victoria.  "Voilà  qui  ferait  faire  de  rudes  progrès  à  l'art  ! 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

A  l'Académie  des  Beaux- Arts,  M.  Gounod,  au  nom  de  la  commission 
mixte  chargée  du  classement  des  candidats  au  fauteuil  du  prince  Napo- 
léon Bonaparte,  a  présenté  en  première  ligne  M.  Larroumet,  directeu  r 
des  Beaux-Arts,  en  deuxième  ligne  M.  Lafeuestre,  critique  d'art.  L'Aca  - 
demie  n'a  ajouté  aucun  nom  à  la  liste  de  la  section.  L'élection  était  fixée 
à  hier  samedi.  Le  prix  Trémont  (composition  musicale)  est  décerné  à 
l'unanimité  à  M.  Poise,  compositeur  de  musique. 

—  C'est  dimanche  dernier,  à  dix  heures,  qu'a  eu  lieu,  au  Conservatoire, 
l'entrée  en  loges  des  jeunes  artistes  qui  prennent  part  au  concours  d'essai 
pour  le  prix  de  Rome  de  1891.  Ils  sont  sortis  vendredi  matin,  et  le  juge- 
ment a  été  rendu  hier  samedi,  trop  tard  pour  que  nous  puissions  en  pu- 
blier les  résultats.  Pour  le  concours  déEinitif,  l'entrée  en  loge  aura  lieu  le 
samedi  23  mai  à  dix  heures  du  matin,  et  la  sortie  le  mercredi  17  juin,  à 
dix  heures  du  soir.  Audition  des  œuvres,  au  Conservatoire,  le  vendredi 
26  juin,  à  midi.  Le  lendemain,  à  la  même  heure,  jugement  â  l'Institut. 

—  Par  arrêté  en  date  du  13,  le  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts  a  nommé  M.  Taskin  professeur  d'opéra-comique  au  Conser- 
vatoire, en  remplacement  de  M.  Ponchard. 

—  Dans  sa  première  séance,  qui  a  eu  lieu  il  y  a  quelques  jours,  la 
nouvelle  commission  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  a  constitué 
son  bureau  de  la  façon  suivante,  pour  l'exercice  1891-1892  :  MM.  Camille 
Doucet,  président;  Victorien  Sardou,  Ludovic  Halévy,  François  Goppée, 
vice-présidents;  Henry  Bocage  et  de  Gourcy,  secrétaires. 

—  Rappelons  que  c'est  jeudi  prochain  21  mai,  à  une  heure,  qu'a  lieu, 
dans  la  grande  salle  du  Conservatoire,  l'assemblée  générale  de  l'Associa- 
tion des  artistes  musiciens.  Lecture  du  rapport  annuel,  par  M.  Arthu  r 
Pougin,  et  élection  de  treize  membres  du  comité. 

—  M.  Sgambati,  l'illustre  compositeur  italien,  correspondant  de  l'Insti- 
tut, a  fait  un  court  séjour  à  Paris,  chez  M""  la  comtesse  de  Chambrun, 
qui  lui  a  offert  l'hospitalité  dans  son  hôtel  de  la  rue  Monsieur-le-Prince. 
M.  Sgambati,  qui  a  assisté,  en  sa  qualité  de  membre  correspondant,  à  la 
dernière  séance  de  l'Académie  des  beaux-arts,  est  reparti  ces  jours  derniers 
pour  Londres. 

—  On  écrit  de  Marseille  :  «  Le  buste  en  marbre  du  compositeur  Reyer  , 
notre  compatriote,  vient  d'être  inauguré  —  comme  nous  l'avons  annoncé 
—  dans  le  foyer  du  Grand-Théâtre,  pendant  une  représentation  de  Sigurd  . 
L'auteur  assistait  au  spectacle  dans  la  loge  municipale.  Il  a  été  vivement 
acclamé  pendant  le  dernier  entr'acte  et  obligé  de  saluer  ses  admirateurs. 
Le  buste,  magnifique  morceau  du  sculpteur  marseillais  J.-B.  Hughes,  est 
très  ressemblanteta  été  offert  par  voie  de  souscription  entre  les  dilettantes 
et  les  artistes.  » 

—  A  l'Hippodrome,  cette  semaine,  spectacle  émouvant  intercalé  dans 
la  grande  pantomime  Néron:  toute  la  piste  transformée  en  une  immense 
cage  de  fer  et,  lâchés  au  milieu,  des  lions  en  liberté,  qui  n'ont  jamais  vu 
autant  d'espace  devant  eux  depuis  qu'on  les  a  arrachés  aux  sables  de  leurs 
déserts.  C'est  très  émotionnant,  surtout  quand  on  pense  qu'à  l'une  des 
répétitions,  leur  dompteur  a  été  déjà  presque  dévoré  par  l'une  de  ses  bêtes, 
qui  l'aimait  trop  sans  doute  ....  sous  forme  de  beefteack.  Il  est  clair 
qu'un  de  ces  prochains  soirs  le  lion  achèvera  son  repas  si  bien  commenc  é. 


Attendons-nous  à  voir  les  Anglais  si  amateurs  de  ces  émotions  violentes, 
affluer  à  l'Hippodrome.  Sur  cet  intermède  sauvage,  M.  Lalo  a  composé 
une  musique  de  fauves  très  réussie  et  qui  ne  dépare  pas  le  reste  de  sa 
décorative  partition. 

—  Lohengrin  poursuit  à  Bordeaux  le  cours  de  sa  carrière  triomphale.  Par 
suite  d'une  indisposition  de  M.  Muratet,  M.  Engel  a  été  appelé  il  y  a  quel- 
ques jours  à  se  produire,  devant  le  public  bordelais,  dans  le  rôle  de  Lohen- 
grin, qu'il  avait  établi  à  Genève  d'une  façon  si  remarquable.  Il  a  obtenu 
un  succès  retentissant. 

—  A  Roubaix,  dans  l'église  Saint-Jean-Baptiste,  inauguration  d'un 
nouvel  orgue  de  Cavaillé-Goll,  merveilleux  instrument  dont  M.  Widor, 
avec  son  grand  talent,  a  su  faire  valoir  toutes  les  ressources.  L'exécution 
de  la  cinquième  symphonie  pour  orgue,  de  M.  "Widor,  a  causé  une  véritable 
émotion.  De  même  M.  Delsart,  le  violoncelliste  éminent,  a  tenu  sous  le 
charme  toute  l'assistance  dans  l'exécution  d'un  nocturne  de  Chopin  et  de 
l'allégro  du  i"  concerto  de  Hajndel. 

—  L'église  do  Merville,  près  Lille,  vient  d'être  dotée  d'un  magnifique 
orgue  de  Gavaillé-CoU.  L'inauguration  de  cet  instrument  a  donné  lieu, 
le  4  mai  dernier,  à  une  très  belle  fête  musicale  dont  M.  Gigout  a  fait  tous 
les  frais  et  qui  lui  a  valu  un  très  beau  succès.  Disposé  dans  deux  buffets, 
à  l'instar  du  grand  orgue  de  Saint- Vincent-de-Paul,  à  Paris,  cet  orgue  de 
28  jeux  sonne  admirablement  dans  la  vaste  église  de  Merville. 

—  La  Société  académique  des  Enfants  d'Apollon  a  célébré  le  jeudi  7  mai, 
dans  la  salle  Érard,  le  cent-cinquantième  anniversaire  de  sa  fondation,  ce  qui 
n'est  pas  banal,  disons  mieux,  ce  qui  est  presque  sans  exemple.  Au  programme 
de  la  fête  figuraient  des  morceaux  d'anciens  membres  delà  Société  :  Grétry  et 
Auber.  Les  membres  actuels  qui  ont  pris  part  au  concert  étaient,  comme 
compositeurs  et  solistes  :  MM.  Georges  Papin,  Hasselmans,  Cottin  frères. 
Ed.  Diet,  Albert  Cahen,  de  Saussine,  Sighicelli.  Le  chancelier  (le  poète 
Paul  Collin),  a  prononcé  le  discours  d'usage,  dans  lequel,  avec  beaucoup 
d'à-propos,  il  s'est  efforcé  de  montrer  que  non  contente  de  vivre  si  long- 
temps, la  Société  des  Enfants  d'Apollon,  si  glorieuse  dans  son  passé,  avait 
répandu  la  vie  autour  d'elle,  et  qu'elle  était  assurément  l'aïeule  de  tous 
les  concerts  diurnes  et  notamment  des  concerts  du  Conservatoire.  Il  a  fait 
entre  les  deux  Sociétés,  vers  l'époque  où  le  Conservatoire  naissait  (1828), 
des  rapprochements  très  ingénieux  qui  ont  vivement  intéressé  l'auditoire. 
Ce  discours  survivra  à  la  circonstance  qui  l'a  fait  naître,  et  les  curieux 
de  l'histoire  de  l'art  en  France  le  consulteront  avec  plaisir  et  profit. 

CONCERTS    ET   SOIRÉES 

M.  E.-M.  Delaborde,  un  des  maîtres  de  l'art  du  piano,  vient  de 
donner  un  recilal  extrêmement  brillant.  Il  est  permis  de  faire  des  réserves 
sur  l'interprétation  de  certaines  œuvres  par  cet  éminent  artiste,  mais  on  ne 
peut  qu'admirer  sa  puissante  personnalité.  La  beauté  de  sa  sonorité,  la 
hardiesse  et  la  souplesse  de  sa  technique,  la  jeunesse,  l'élévation  et  l'au- 
torité de  son  style  portent  d'autant  plus  sur  l'auditeur,  que  la  plupart  de 
nos  modernes  virtuoses  ne  nous  habituent  guère  qu'aux  qualités  contraires. 
Raffinement  et  mièvrerie,  voilà  ce  qu'ils  inscrivent  sur  leur  drapeau. 
Certes  il  y  a  parfois,  dans  le  jeu  viril  à  l'excès  de  M.  Delaborde,  quelque 
chose  d'abrupt  et  d'imprévu.  Mais  alors  même  il  intéresse  :  ce  n'est  pas 
à  une  mesquine  préoccupation  de  virtuose  qu'il  obéit,  mais  à  l'emporte- 
ment de  son  tempérament.  Exagération  peut-être,  petitesse  jamais  !  Son 
programme,  très  long  et  fatigant,  comprenait  l'ouverture  de  Tannhdmer 
et  la  Marche  de  Rakoczy,  arrangées  par  Liszt,  les  Variations  symphoniques,  de 
Schumann,  le  chœur  des  Derviches  tourneurs,  de  Beethoven-Saint-Saëns,  la 
Danse  des  Scythes,  de  Gluek-Alkan,  la  deuxième  Valse-caprice,  d'après 
Strauss,  de  M.  I.  Philipp,  deux  courtes  pièces,  Idylle  et  étude,  de  M.  G. 
Pfeiffer,  et  finalement  un  Morceau  romantique  pour  piano  et  cordes  signé 
Delaborde.  Cette  œuvre  est  fort  intéressante,  très  vigoureuse  et  colorée. 
Elle  a  été  vivement  applaudie  et  fort  appréciée.  M.  Ed.  Nadaud,  qui 
avait  dirigé  le  double  quatuor,  s'est  fait  entendre  seul  dans  deux  pièces 
de  MM.  Lalo  et  Papini,  qu'il  a  su  rendre  avec  une  rare  élégance  de 
mécanisme  et  de  style.  I-  Ph. 

—  Jeudi  dernier,  salle  Pleyel,  très  brillant  récital  d'œuvres  modernes, 
donné  par  M'"»  Roger-Miclos.  M.  Casella  a  chanté  très  purement  sur  le 
violoncelle  une  Élégie  de  M.  Fauré  et  enlevé  avec  une  vélocité  de  violo- 
niste la  Mazurka  de  Popper.  MM.  Thomé  et  Pierné  ont  joué  à  deux  pianos 
avec  M™=  Roger-Miclos.  Au  cours  de  Cette  intéressante  séance,  l'éminente 
pianiste  a  su  faire  apprécier  son  talent  dans  des  morceaux  de  caractères 
variés,  parmi  lesquels  on  a  goûté  particulièrement  VHtjmne  et  la  Fantaisie 
de  M.  Benjamin  Godard. 

—  M.  Alexandre  Guilmant,  qu'on  n'avait  pas  entendu  l'an  dernier,  a  été 
l'objet  d'une  ovation  de  la  part  du  public  d'élite  qui  se  pressait  jeudi 
dernier  dans  la  salle  du  Trocadéro  pour  son  premier  concert.  On  a  beau- 
coup applaudi  aussi  M""  Marcella  Pregr,  dont  la  voix  a  beaucoup  de 
charme,  M.  Herwegh,  quia  joué  dans  la  perfection  nne  aria  de  Bach, 
et  M.  Auguez,  qui  a  dû  recommencer  la  romance  de  l'Étoile,  de  Wagner. 
L'orchestre,  notablement  augmenté  et  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne,  a  eu  sa 
bonne  part  de  succès  dans  l'exécution  d'une  marche  funèbre  de  M.  Guil- 
mant, un  prélude  choral  de  M.  Gh.  Letebvre,  et,  comme  toujours,  des 
œuvres  de  Bach  et  de  Hœndel.  Le  2=  concert  aura  lieu  le  jeudi  21  mai, 
avec  le  concours  de  M"'^  Fanny  Lépine. 


160 


LE  MÉNESTREL 


—  Trois  œuvres  importantes  étaient  inscrites  au  programme  de  la  der- 
nière séanie  de  musique  de  chambre  de  MM.  Geloso  et  Uressen ,  qui  a 
eu  lieu  salle  Pleyel,  devant  une  brillante  assistance.  On  a  chaleureuse- 
ment accueilli  le  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle  de  M.  E.  Bernard, 
œuvre  fort  intéressante,  interprétée  d'une  façon  extrêmement  remarquable 
par  MM.  I.  Philipp,  Geloso  et  Dressen,  une  sonate  de  Schuraann,  jouée 
avec  une  grande  précision  d'ensemble  par  MM.  Geloso  frères,  et  finale- 
ment le  quintette  pour  piano  et  cordes  de  M.  Camille  Ghevillard,  dont  on 
a  particulièrement  apprécié  les  deux  premières  parties,  tout  à  fait 
réussies.  M""  Collier  a  fait  applaudir  diverses  mélodies  de  M.  René  Le- 
normand, 

—  Grand  succès  pour  la  troisième  et  dernière  séance  de  musique  de 
chambre  donnée  par  le  quatuor  Guarnieri-Lespine-Fernand  Pélat-Huck, 
qui  interprétait  différentes  œuvres  de  Beethoven  pour  instruments  à 
cordes,  tentative  musicale  qui  n'avait  pas  encore  eu  lieu  à  Paris  et  qui 
fait  le  plus  grand  honneur  à  ces  jeunes  artistes. 

—  Mercredi  dernier,  très  belle  soirée  musicale  chez  M™  Rosine  Laborde, 
avec  le  concours  de  M"'"^  Ferrari,  Victor  Roger  et  de  MM.  Ch.  Dancla, 
J.  Rameau,  Cornubert,  de  Riva  Berni  et  Plan.  M.  Diémer  a  accompagné 
deux  mélodies  de  lui,  très  finement  écrites,  qui  ont  été  chantées,  après 
l'Extase  de  Rubinstein,  par  M"=  Horteloup.  On  a  beaucoup  applaudi  plu- 
sieurs morceaux  de  MM.  A.  Thomas,  Paladilhe.  Faure,  Lalo,  Lacome... 
chantés  par  M'"'*  de  la  Blanchetais,  Ledant,  Mangé,  M™  de  Marcilly- 
Sax  et  MM.  Cornubert  et  Plan.  Un  arrangement  vocal  de  la  Chanson  du 
Printemps  de  Mendelssohn  a  été  gracieusement  chanté  par  M"=  Vassalio. 
Trois  petites  pièces  pour  violon  et  piano,  exécutées  par  l'auteur,  M.  Ch. 
Dancla,  ont  eu  leur  première  audition  dans  cette  charmante  soirée. 

Am.  B. 

—  M.  Magdanel,  un  violoncelliste-virtuose  de  grand  talent,  vient  de 
donner,  salle  Pleyel,  un  concert  intéressant,  au  cours  duquel  il  a  fait 
entendre  avec  succès  le  beau  concerto  en  la  mineur  de  M.  Saint-Saëns 
et  plusieurs  pièces  de  Boccherini,  de  Chopin  et  de  Davidoff.  M"e  Lépine 
a  dit  d'une  façon  délicieuse  ddux  mélodies  de  Haendel  et  de  Schubert,  et 
M.  I.  Philipp,  assisté  de  M.  A.  Reitlinger,  a  fait  entendre  à  deux  pianos 
de  charmants  fragments  de  Conte  d'avril  (romance,  sérénade,  guitare  et 
adagietto),  de  M.  Widor,  fragments  que  l'on  aurait  volontiers  réentendus. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Dimanche  10  mai,  très  intéressante  matinée  d'élèves 
de  M"°  Félicienne  Jarrj,  présidée  par  M.  Th.  Lack,  et  consacrée  à  raudition  des 
œuvres  de  ce  maîire.  On  a  particulièrement  applaudi  l'a/sc  rapide,  le  Chant  du 
ruîsseaii,  les  Néréides,  Premier  solo  de  concours,  Tzigany,  Chant  d'avril  et  Coppélia,  à 
deux  pianos,  qui  a  été  bissé  par  la  salle  entière.  Parmi  les  élèves  qui  se  sont  dis- 
tinguées d'une  façon  remarquable,  cilons  M""  Angélina  et  Amélie  A'.'kermann, 
Vivier,  Drouillard,  et  aussi  une  charmante  fillette  de  huit  ans,  W"  MuUer,  qui  a 
joué  avec  une  intelligence  et  un  goût  parfaits.  A  la  seconde  partie,  M""F.  Jarry, 
qui  est  en  même  temps  douée  d'une  très  jolie  voix  de  mezzo-soprano,  s'est  fait 
chaleureusement  applaudir,  ainsi  que  M.  Lopez,  qui  prêtait  son  concours.  — 
Dimanche  dernier,  affluence  plus  grande  que  jamais  à  l'audition  des  élèves  de 
M""etM"°Steiger.  Toujours  le  même  succès  pour  l'enseignement  de  ces  excellents 
professeurs.  —  L'école  classique  de  la  rue  Charras  donnait,  mardi  5  mai,  dans  sa 
salle  d'auditions,  une  brillante  soirée,  à  laquelle  assistait  un  public  nombreux  et 
choisi.  Ont  été  remarqués  et  chaleureusement  applaudis  les  élèves  de  MM.  Marcel 
et  Genevois,  professeurs  de  chant,  de  M""  Collin  et  de  M.  Chavaguat,  profes- 
seurs de  piano,  de  MM.  Chautard  et  Sadi-Pety,  professeurs  de  déclamation. 
Cette  audition  assure  de  nouveaux  succès  é  cette  entreprise  artistique.  —  L'exer- 
cice musical  donné  dimanche  par  M"»  Batiste  a  obtenu  un  très  grand 
succès.  Dans  le  programme,  une  très  large  part  avait  été  faite  aux  œuvres  du 
regretté  Léo  Delibes,  qui  ont  été  interprétées  d'une  façon  parfaite  par  les  élèves 
de  l'éminent  professeur.  Les  pi::.i<:ati  de  Sylvia,  à  6  mains,  transcription  de  J.-A. 
AnscUutz,  le  «  Souvenir  loinlain  »,  «  l'Escarpolette  »,  de  Sylvia:  le  «  Passepied  », 
du  Roi  s'amuse;  l'entr'acte  de  la  «  Cnaise  à  porteurs  »,  du  lioi  l'a  dit,  ont  été 
joués  par  des  élèfes  qui  sont  déjà  de  vrais  artistes.  Le  chœur  des  «  Vendan- 
geurs »,  de  Jean  de  Nivelle,  et  les  Nyinjihes  des  bois  ont  été  acclamés.  Les  ado- 
rables mélodies  «  Bonjour,  Suzon  »,  <t  Pourquoi?  »,  de  Lakme;  •■  On  croit  à  tout  » 
et  a  II  est  jeune  ».  de  Jean  de  Nivelle:  la  sérénade  de  fiuy  IJIas,  ont  été  dites  avec 
un  sentiment  exquis  par  des  voix  ravissantes.  En  dehors  de  ces  œuvres,  il  faut 
mentionner  aussi  le  succès  obtenu  par  la  transcription  de  Wachs  sur  la  valse 
du  Petit  Fausl,  une  fdutaisie  pour  piano  sur  Lackntê,  Chèvrefeuille  de  Spindler,  la 
transcription  de  Streabbog  sur /es  Oiseaux  /ei/er.s,  la  jolie  mélodie  Je  n'ose,  de  TagUa- 
fico,  et  les  couplets  du  Caid.  L'intermède  a  été  des  plus  réussis  :  M""  Morel,  dans 
l'air  du  Caïd,  et  M""^  Ilausmann,  dans  J'en  mourrai,  de  M°"'  Viardot,  ont  soulevé 
des  applaudissements  sans  fin.  Enfin,  deux  monologuistes,  MM.  André  Hérisé  et 
Paul  Garbagni,  ont  été  charmants  et  très  amusants.  —  M"°  Emile  Herman  a 
donné  une  très  intéressante  audition  d'élèves,  parmi  lesquelles  plusieurs  jouent 
du  piano  d'une  façon  supérieure;  à  signaler  les  interprétations  de  Alla  Picciola, 
de  M.  Chavagoat,  de  l'Oiseau  messager,  de  M.  Fr.  Behr,  de  Chant  d'avril,  de 
M.  Th.  Lack;  de  la  Gavotte  et  de  la  Légende  slave,  de  M.  Bourgault-Ducoudray. 
M.  Tedeschi,  qui  prêtait  son  concours  à  cette  matinée,  a  eu  un  gros  succès  avec 
les  Gouttes  de  rosée,  de  M.  F.  Godefroid.  —  M"°  Mariette  Soubre  a  donné,  avec 
un  plein  succès,  une  matinée  de  chant  d'ensemble,  à  la  salle  Uerz;  le  grand  trio 
d'HamIet  et  le  finale  du  Caid  ont  été  les  clous  du  programme.  —  L'excellente 
violoniste  M""  Thérèse  Castellan  s'est  fait  vivement  applaudir  au  concert  qu'elle 
a  donné,  cette  semaine,  salle  Érard.  .\  côté  de  la  protagoniste,  on  a  fait  tête 
aussi  à  M"°  Veyssier,  qui  a  très  bien  chanté  l'air  deLakmé;  a  M""  Taine,  qui  a 
joué  sur  l'orgue-célesta,  le  «  Passepied  .■,  du  Roi  s'amuse,  et,  avec  M.  Léon  Dela- 
forgCjles  nouvelles  transcriptions  à  deux  pianos  de  M.  Ch.  Widor  sur  Co/)/e  d'avril. 


Romance  et  Marche  nuptiale;  enfin,  à  M.   Talamo,  dont  l'exquise  mandoline   a 
parfaitement  détaillé  les  pizzicali  de  Sylvia . 

Concerts  .\snoncés.  —  Mardi  19  mai,  à  2  heures,  salle  Érard,  audition  d'œuvres 
classiques  et  modernes,  par  les  élèves  de  la  classe  de  piano  de  M.  Louis  Diémer, 
professeur  au  Conservatoire.  —  M""  A.  Magnien,  violoniste,  annonce  son  concert 
pour  le  mardi  19  mai,  avec  le  concours  de  M""-  Alice  Gogaault  et  L.  Steiger  et  de 
M.  Rondeau. 

—  On  nous  écrit  de  Nantes  :  «  Le  concert  donné  le  29  avril  par  M"'  An" 
gèle  Maréchal,  dans  la  salle  du  Cercle  catholique,  a  été  très  brillant. 
M"'  Maréchal  a  délicieusement  chanté  l'air,  si  difficile  à  phraser,  des 
Bijoux  de  Fausl,  et  avec  M.  Cox  le  joli  duo  ColineUe  ;  son  succès  a  été  très 
grand.  Dans  un  ravissant  opéra-comique  de  M.  Weckerlin,  la  Lailière  de  Tria- 
nan,  M"'  Maréchal  s'est  révélée  comédienne  parfaite,  sachant  allier  la  dis- 
tinction au  naturel.  Les  vocalises  dont  le  rôle  est  émaillé  ont  été  enlevées 
par  elle  avec  une  véritable  maestria.  M.  Bianconi,  qui  lui  donnait  la  ré- 
pliqne,  a  remporté  un  vif  succès  dans  l'air  des  Pages  et  dans  une  char- 
mante brunette  chantée  dans  la  coulisse.  • 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  homme  fort  distingué, 
M.  Eugène  Ortolan,  qui  offrait  le  spectacle  assez  rare  d'une  carrière  par- 
tagée entre  le  droit,  la  diplomatie  et  la  musique.  Et  il  ne  faudrait  pas 
croire  que  l'artiste  fût  au-dessous  du  jurisconsulte  ou  du  fonctionnaire, 
et  que  ses  études  sous  ce  rapport  eussent  été  frivoles  ou  incomplètes, 
celles  en  un  mot  d'un  amateur  plus  ou  moins  distingué.  Non,  tout  eu 
faisant  ses  études  très  sérieuses  de  droit.  Ortolan,  qui  était  né  à  Paris  le 
jor  avril  1824,  avait  suivi,  au  Conservatoire,  les  cours  de  composition  de 
Berton  et  d'Halévy,  et  cela  avec  tant  d'ardeur  et  de  succès,  qu'au  concours 
de  1843  il  avait  obtenu  à  l'Institut  le  second  grand  prix  de  Rome  ;  encore 
est-il  utile  de  remarquer  qu'en  cette  année  le  premier  prix  ne  fut  point 
décerné.  Cela  n'empêcha  pas  Ortolan  de  passer  son  doctorat  en  droit,  et 
tandis  qu'il  entrait  au  ministère  des  affaires  étrangères,  où  sa  connais- 
sance de  la  matière  et  son  amour  de  l'art  lui  permirent  de  se  rendre  utile 
d'une  façon  toute  particulière,  en  participant  d'une  façon  très  heureuse 
aux  travaux  relatifs  à  la  reconnaissance  et  à  la  protection  de  la  propriété 
littéraire  et  à  l'étranger,  tandis  qu'il  publiait  un  Traité  du  droit  de  souve- 
raineté territoriale  et  de  l'équilibre  politique,  il  se  livrait  avec  activité  à  la  com- 
position et  n'abandonnait  pas  ses  désirs  et  ses  appétits  artistiques.  C'est 
ainsi  qu'il  fît  représenter  au  Théâtre-Lyrique,  le  10  avril  183S,  un  opéra- 
comique  en  deux  actes  intitulé  Lisette,  et  le  27  juillet  1857,  aux  Bouffes- 
Parisiens,  la  Momie  de  Roscoco,  opérette  en  un  acte  ;  c'est  ainsi  encore  qu'il 
fit  exécuter  à  Versailles,  le  26  avril  1867,  sous  le  titre  de  Tobie,  un  oratorio 
dont  il  devait  le  poème  à  Léon  Halévy,  le  frère  de  son  ancien  maître.  Il 
écrivit  dans  le  même  temps,  sur  un  poème  d'Octave  Feuillet  et  de  M.Jules 
Barbier,  un  opéra-comique  en  un  acte,  l'Urne,  dont  on  a  parlé  longtemps 
et  qui  pourtant  n'a  pas  été  représenté  jusqu'à  ce  jour.  Enfin  on  lui  doit 
encore  plusieurs  morceaux  symphoniques  et  un  certain  nombre  de  mé- 
lodies vocales  d'un  joli  tour  et  d'un  heureux  caractère.  Fils  du  célèbre 
jurisconsulte  dont  il  porta  le  nom  d'une  façon  particulièrement  honorable, 
Eugène  Ortolan  avait  le  titre  de  ministre  plénipotentiaire  et  était  officier 
de  la  Légion  d'honneur.  C'est  à  Paris  qu'il  est  mort  lundi  dernier,  laissant 
à  tous  ceux  qui  l'ont  connu  le  souvenir  d'un  galant  homme  et  d'un  esprit 
fort  distingué.  Arthur  Pougin. 

—  De  Milan,  qu'il  habitait  depuis  de  longues  années,  on  annonce,  à  la 
date  du  3  mai,  la  mort  d'un  artiste  distingué,  Antonio  Buzzi,  auteur 
d'une  douzaine  d'ouvrages  dramatiques  dont  un  seul  toutefois,  un  drame 
lyrique  intitulé  Saûl,  obtint  un  véritable  succès.  Buzzi  était,  en  '1840, 
directeur  du  théâtre  italien  de  Valence  (Espagne),  et  c'est  là,  croyons- 
nous,  qu'il  fit  représenter  son  premier  ouvrage,  la  Lega  Lombarda.  De 
retour  en  Italie  dès  l'année  suivante,  il  donnait  à  Rome,  en  1842,  un  .' 
opéra  intitulé  Bianca  Capello,  qui  ne  réussit  pas  ;  au  contraire,  son  Saiil,  l 
produit  au  théâtre  communal  de  Ferrare  en  184'3,  obtint  un  très  grand  succès  8 
non  seulement  en  cette  ville,  maisaussi  à  Parme,  à  Rome,  à  Trieste,  à  Mi-  ' 
lan  et  ailleurs.  Il  donna  ensuite  à  la  Scala,  de  Milan,  en  1833,  il  Convito 
di  Daldassare,  opéra  sérieux  qui,  bien  que  chanté  par  la  Novello  et  la 
Brambilla,  par  Carrion,  Guicciardi  et  Brémont,  ne  plut  que  médiocre- 
ment; puis,  successivement,  Ermengarda  -  (Tnesle,  1834),  Editla  di  Kent 
(Venise,  1835),  Sordello  (Scala  de  Milan,  1S36),  dont  le  livret  lui  avait  été 
fourni  par  son  confrère  Temistocle  Solera,  et  qui  avait  pour  interprètes 
la  Bassegio,  la  Brambilla,  Giuglini  et  Didot,  ce  qui  n'augmenta  pas  son 
succès,  rindovina  (Plaisance,  1862),  et  enfin  Gusmano  di  Médina.  On  doit 
aussi  à  Buzzi  la  musique  de  deux  ballets,  Benvenulo  Cellini  et  l'Isola  degli 
Aniori.  Biizzi  s'était  depuis  longtemps  fixé  à  Milan,  où  lise  livrait  à  l'en- 
seignement du  chant,  pour  lequel  il  était  très  renommé. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

____^_^_____^        r 

A  "VENDRE  de  suite,  iws  de  porte  de  marchand  de  musique  et  ins-        J 
truments,   maison  fondée  en   1856,   net  :   7,00Ù  francs  (avec  facilité),    les 
marchandises  comprises.  Eue.  Mathieu,  30,  rue  Bonaparte,  Paris. 


20, 


GKBE,   J 


3138  -  S7™  ANNÉE  -  N»  21.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


Dimanche  U  M  1891. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    fiEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrei,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province-  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (10'  article),  ÀLBiinT  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Reprise  du  Pelit  Faust,  a.  la  Porte-Saint- 
Martin,  II.  MoRENO;  le  Cœur  de  Sita,  à  l'Eden,  Paul-Emile  Chevalier.  — 
III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (2'  article),  Camille 
Le  Senne.  —  IV.  Napoléon  dilettante  (9'  article),  Edmond  Neukosim  et  P.aui, 
d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
AUTREFOIS 

musette  (I'Antonin  Marmontel.  —  Suivra  immédiatement  :  Battons  le  fer, 
nouvelle  polka  de  Philippe  F.ahrbach. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Berceuse,  nouvelle  mélodie  de  Balthasar-Florence,  poésie  de  Ch. 
FusTER.  —  Suivra  immédiatement:  la  Captive,  mélodie  posthume  de  Ch.-B. 
Lysberg. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAYART 


Allbert  SOUBIES   et  Cliar-les   MA-LHERBBî 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 


aETODR  DE  FORTUNE  :  Lalla-Roukh  et  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 

1862-1864. 
(Suite.) 
Aussi,  l'année  1862  aurait-elle  pu  compter  parmi  les  années 
heureuses  de  la  salle  Favart,  sans  une  perte  qui  fut  grande 
pour  elle,  grande  aussi  pour  le  monde  musical  :  Halévy  était 
mort  à  Nice  le  17  mars  1862,  emporté  par  une  maladie  de 
langueur  qui  le  minait  depuis  longtemps  et  dont  on  trouverait 
la  cause  dans  l'excès  même  de  son  travail.  Il  est  de  mode 
aujourd'hui,  dans  certaines  écoles,  de  traiter  avec  quelque 
dédain  l'auteur  de  tant  d'ouvrages  populaires.  On  lui  concède 
une  habileté  vulgaire  ;  on  lui  conteste  l'invention;  cet  homme 
qui  se  vantait  de  n'  «  écrire  qu'avec  son  cœur  »,  on  lui 
dénie  presque  toute  émotion  ;  un  peu  plus,  on  soutiendrait 
qu'il  faisait  de  la  fausse  monnaie  musicale  I  Et  pourtant,  la 
Juive  avait  précédé  d'un  an  les  Huguenots;  il  était  donc  l'émule 
et  non  point  l'imitateur  servile  de  Meyerbeer.  Gomme  le  disait 
Ambroise  Thomas  sur  sa  tombe,  «  Halévy  eut  ce  rare   privi- 


lège de  réunir  en  lui  seul  plusieurs  hommes  éminents. 
Compositeur  illustre,  maître  dans  son  art,  il  fut  en  même 
temps  écrivain  supérieur,  orateur  ingéuieux,  causeur  spiri- 
tuel et  brillant.  »  Sainte-Beuve  songeait  à  le  faire  entrer  à 
l'Académie  française,  au  même  titre  que  pourraient  y  être 
reçus  aujourd'hui  un  Ernest  Reyer  ou  un  Guillaume  ;  il 
excellait  en  plusieurs  genres,  et  il  avait  eu  la  gloire  de  donner 
à  la  salle  Favart  des  ouvrages  comme  FEclair,  le  Val  d'Andorre, 
tes  Mousquetaires  de  la  Reine,  qui  comptent  parmi  les  plus  cé- 
lèbres de  son  répertoire.  Aussi  put-on  écrire  que  ses  funé- 
railles avaient  eu  la  «  majesté  d'un  deuil  public.»  Une  foule 
immense  l'accompagna  de  l'Institut,  où  il  demeurait,  en  qua- 
lité de  secrétaire  perpétuel,  au  cimetière  Montmartre,  où  il 
repose  désormais.  Des  fragments  de  ses  œuvres,  orchestrées 
par  M.  Jonas  pour  musique  militaire,  étaient  exécutés  sur  tout 
le  parcours  par  les  musiques  de  la  gendarmerie  impériale  et 
de  la  garde  de  Paris.  Devant  la  tombe  s'était  réunie  une 
troupe  de  deux  cents  chanteurs  appartenant  au  Conservatoire 
et  aux  principaux  théâtres  de  Paris,  et  où  figuraient,  à  côté 
de  simples  choristes,  des  ténors  comme  Roger,  Crueymard, 
Montaubry,  Michot.  Sous  la  direction  de  Tilmant,  chef  d'or- 
chestre de  rOpéra-Comique,  ils  exécutèrent  une  paraphrase 
du  De  profundis,  dont  les  vers  étaient  dus  à  M.  Joseph  Cohen, 
ancien  directeur  de  la  Presse. 

Les  quatre  strophes  formaient  chacune  un  chœur  sans 
accompagnement,  et  avaient  été  mises  en  musique,  la  pre- 
mière par  Jules  Cohen,  la  seconde  par  Bazin,  la  troi- 
sième par  Victor  Massé  et  la  quatrième  par  Gh.  Gounod.  Au 
cimetière  enfin,  huit  personnes  prirent  la  parole  :  Couder, 
au  nom  de  l'Institut;  le  colonel  Cerfbeer,  au  nom  du  Consis- 
toire Israélite;  Edouard  Monnais,  au  nom  du  Conservatoire; 
Ambroise  Thomas,  au  nom  de  la  Société  des  auteurs;  le  ba- 
ron Tayior,  au  nom  de  la  Société  des  artistes  dramatiques  ; 
E.  Perrin,  au  nom  de  l'Opéra-Comique  ;  de  Saint-Georges, 
comme  son  ami  et  collaborateur;  Ulmann,  comme  grand 
rabbin  de  France.  Un  neuvième  discours  eût  pu  être  prononcé 
au  nom  de  ses  anciens  élèves,  car  il  en  avait  formé  un  grand 
nombre,  dont  quelques-uns  sont  devenus  illustres.  Pendant 
vingt-cinq  ans,  il  avait  enseigné  la  composition  au  Conser- 
vatoire, et,  dans  ce  quart  de  siècle,  sa  classe  avait  obtenu 
douze  fois  le  grand  prix  de  Rome  avec  E.  Boulanger  (1835), 
Ch.  Gounod  (1839),  Bazin  (1840),  Roger  (1842),  Victor  Massé 
(1844),  Gastinel  (1846),  Deffès  (1847),  Galibert  (1853),  Bizet 
(1857),  Samuel  David  (1858),  Ernest  Guiraud  (1859),  Paladilhe 
(1860). 

De  tous  ces  auteurs  un  seul,  M.  Defîès,  devait  être  joué  en 
l'année  1863,  laquelle  ne  brille  d'ailleurs  ni  par  la  quantité 
ni  par  le  succès  sinon  la  qualité  des  ouvrages  nouveaux. 
Quatre  seulement  furent  donnés  :    V Illustre  Gaspard,   un    acte 


162 


LE  MENESTREL 


(il  février)  —  12  représentations;  la  Déesse  et  le  Berger,  deux 
actes  (21  février)  —  17  représentations;  Bataille  d'Amour,  trois 
actes  (13  avril)  —  4  représentations  ;  les  Bourguignonnes,  un 
acte  (16  juillet),  —  44  représentations  en  quatre  ans.  Plus,  une 
ancienne  pièce,  les  Amours  du  Diable,  transplantée  du  Théâtre- 
Lyrique  à  la  salle  Favart. 

Le  H  février  eut  lieu  la  première  représentation  de  l'Il- 
lustre Gatipard,  ancien  vaudeville  de  Duvert  et  Lausanne,  arrangé 
par  les  auteurs  et  mis  en  musique  par  Eugène  Prévost.  Un 
gentilhomme  décavé,  prenant,  sans  se  méfier,  le  nom  d'un 
voleur  de  grand  chemin,  Gaspard  de  Besse,  et  inspirant  la 
terreur  quand  il  voudrait  exciter  la  pitié  d'un  vieux  noble  et 
toucher  le  cœur  de  sa  nièce,  jusqu'au  moment  où  la  vérité 
se  découvre  pour  le  bien  des  deux  amoureux,  c'était  là  ma- 
tière à  quipioquos,  et  Arnal  aurait  pu  jouer  la  pièce  aussi 
bien  que  Couderc.  L'histoire  du  compositeur  était  plus  triste 
que  celle  des  librettistes.  Elève  de  Lesueur,  prix  de  Rome 
en  1831,  juste  un  an  avant  Ambroise  Thomas,  Eugène  Prévost 
avait  donné  presque  immédiatement  deux  petites  pièces  mu- 
sicales... à  l'Ambigu,  l'Hôtel  des  Princes,  un  acte  (avril  1831), 
le  Grenadier  de  Wagram,  un  acte  (mai  1831),  et  puis  encore 
trois  petits  actes  à  l'Opéra-Comique  Cosimo  (13  octobre  1835), 
les  Pontons  de  Cadia:  (novembre  1836),  le  Bon  Garçon  (septembre 
1837),  et  il  reparaissait  à  ce  dernier  théâtre  en  1863,  c'est-à- 
dire  vingt-un  ans  plus  tard!  On  pouvait  l'accuser  de  paresse 
ou  de  malchance,  mais  non  d'indiscrétion.  La  vérité  est 
que  dans  l'intervalle,  il  s'était  fait  chef  d'orchestre  à  la 
Nouvelle-Orléans.  11  travailla  là-bas ,  entassant  opéras  sur 
opéras  jusqu'au  jour  oîi  la  guerre  de  sécession  le  ruina 
d'abord  et  le  força  de  s'exiler  ensuite.  Revenu  à  Paris,  il  di- 
rigea l'orchestre  des  Bouffes-Parisiens  en  1863  et  celui  du 
concert  des  Champs-Elysées  en  1864.  Quand  l'Illustre  Gaspard 
disparut,  on  peut  dire  que  Prévost  disparut  avec  lui.  Dès 
l'année  1867  il  devait  repartir  pour  la  Nouvelle-Orléans,  où 
il  mourut  en  1872,  en  effet,  victime  d'un  de  ces  drames  de 
la  misère,  comme  il  s'en  joue  tant,  hélas  I  dans  la  vie  des 
artistes. 

La  fortune  a  de  ces  rigueurs.  Qui,  d'avance,  aurait  pu  pré- 
dire, par  exemple,  l'échec  de  la  Déesse  et  le  Berger,  appelée 
d'abord  Ariane,  puis  l'Age  d'or.  Du  Locle  était  un  élégant 
poète,  Duprato  un  musicien  qui  avait  fait  ses  preuves;  la  pièce 
sortait  de  l'ornière  bourgeoise  de  l'ancien  opéra-comique  ; 
elle  s'animait  au  souffle  d'une  mythologie  un  peu  fantaisiste, 
mais  spirituelle  et  gracieuse.  La  déesse,  en  effet,  est  la  simple 
fille  d'un  prêtre  de  Bacchus,  proche  parent  de  certain 
brahmine  entrevu  déjà  en  18S9,  à  l'Opéra-Comique,  dans  la 
Pagode,  de  Fauconier.  Ce  Polémon  ressemble  à  un  vil 
exploiteur,  et  Maïa  n'est  là  que  pour  attirer  les  hommages 
elles  offrandes  dans  son  temple,  c'est-à-dire  dans  sa  boutique. 
Les  amours  de  la  jeune  fille  avec  le  berger  Batylle,  qu'à  la 
fin  Bacchus  lui-même  reconnaît  pour  son  fils,  forment  le 
sujet  de  cette  idylle  tout  entière  écrite  en  vers  harmonieux, 
délicatement  soupires  par  Capoul  et  M""  Baretti.  La  partition 
se  recommandait  par  des  qualités  peu  communes,  et  pour- 
tant dès  l'abord  elle  ne  trouva  pas  d'éditeur.  A  qui  venait  la 
demander,  les  marchands  répondaient  :  «  Elle  n'a  pas  paru  !  » 
et,  les  jours  succédant  aux  jours:  «  Elle  ne  paraîtra  pas!  » 
Cette  réponse  ayant  été  faite,  un  matin,  à  une  dame  qui 
se  montrait  désolée  de  n'avoir  pas  la  musique  réclamée, 
«  M.  Duprato,  dit-elle,  consentirait-il  à  me  vendre  la  propriété 
de  son  manuscrit?  »  «  Ma  foi,  lui  fut-il  répondu,  je  crois 
que  cette  proposition  ne  pourrait  que  lui  être  agréable,  et 
que,  moyennant  mille  écus...  »  «  Mille  écus,  s'écria  la  dame, 
ce  ne  serait  pas  assez.  Veuillez  faire  savoir  à  M.  Duprato  que 
je  lui  en  offre  six  mille  francs!  »  Le  soir  même,  le  marché 
était  conclu,  et  ce  fut  elle  qui  fit  graver  la  partition,  revenue 
depuis,  mais  longtemps  après,  entre  les  mains  d'un  éditeur. 
Chose  curieuse!  la  dame  n'avait  dû  faire  qu'une  bonne  action, 
elle  fit  peut  être  une  bonne  affaire,  car,  si  l'ouvrage  n'avait 
pas  réussi  au  théâtre,  bien  des  morceaux  détachés  réussirent 


dans  les  salons,  et  l'on  connaît  même  encore  aujourd'hui 
l'ouverture,  avec  son  motif  à  cinq  temps  qui  ne  manque  pas 
d'originalité. 

'  On  peut  rapprocher  ce  fait  d'un  autre  analogue,  qu'enre- 
gistra la  Mevue  et  Gazette  musicale  de  1860  :  «  Le  Théâtre-Lyri- 
que vient  de  recevoir  l'avis  qu'une  personne  inconnue  teiiait 
à  sa  disposition  50,000  francs  pour  aider  le  directeur  à  mon- 
ter dignement  les  Troyens,  d'Hector  Berlioz,  qui  doivent  inau- 
gurer la  nouvelle  salle.  »  Or,  les  Troyens  furent  donnés  le  4 
novembre  1863,  dans  cette  année  où  précisément  un  autre 
compositeur  incompris  voyait  s'ouvrir  pour  lui  la  bourse 
d'un  amateur  généreux.  Etait-ce  une  annonce  fallacieuse 
qu'un  mauvais  plaisant  lançait  dans  la  presse  pour  discré- 
diter Berlioz?  M.  Garvalho  toucha-t-il  réellement  cette  prime 
inattendue  ?  Aucun  biographe  de  Berlioz  ne  fait  allusion 
à  l'aventure;  il  est  regrettable  que  ce  point  obscur  n'ait  pu 
être  éclairci. 

(A  suivre.) 


BULLETIN   THEATRAL 


LE  .  PETIT  FAUST  »  A  LA  PORTE-SAINT-MARTIN 
C'est  l'un  des  types  les  plus  purs  de  l'opérette  bouffe,  comme  on 
la  composait  sous  le  second  empire,  que  ce  Petit  Faust  de  M.Hervé. 
Aujourd'hui,  on  ne  nous  fait  plus  guère  que  de  l'opérette  triste,  avec 
toutes  sortes  de  prétentions  et  de  grandes  manières.  Les  petits 
maestrinos  du  genre,  fort  imbus  de  leur  mince  personne,  visent 
tous  plus  ou  moins  à  prendre  la  suite  des  aiTaires  de  M.  Auber,  ee 
qui  n'est  pas  si  aisé  qu'ils  le  supposent-  Au  bon  temps  de  l'opé- 
rette, ni  Ofifenbacli,  ni  Hervé  n'avaient  de  visées  aussi  ambitieuses; 
ils  écrivaient  de  la  musique  gaie,  à  la  bonne  franquette,  et  comme 
elle  leur  venait.  C'est  peut-être  pour  cela,  qu'après  plus  de  vingt  ans 
on  écoute  encore  avec  plaisir  leurs  amusantes  et  spirituelles  fan- 
taisies. Que  reslera-t-il,  dans  quelques  années,  du  répertoire  maus- 
sade et  guindé  qui  encombre  à  présent  nos  scènes  de  genre? 

Le  Petit  Faust  date  de  1869,  et  il  a  gardé  toute  sa  verdeur.  Non 
seulement  il  y  a  là  de  la  franche  gaîté,  et  une  exubérance  de  rire 
tout  à  fait  réjouissante,  mais  on  y  trouve,  par  moments,  un  véritable 
savoir  de  musicien  caché  avec  soin  sous  les  fleurs  les  plus  folles 
et  les  plus  dévergondées  qui  se  puissent  imaginer.  H  y  a  bien  de 
la  grâce  dans  l'air  d'entrée  de  Marguerite,  bien  du  charme  et  de  la 
mélancolie  dans  le  lied  fameux  des  «  quatre  saisons  »,  qui  pointe 
comme  une  rose  d'automne  au  milieu  de  tout  ce  bouquet  aux  couleurs 
éclatantes.  Le  rondo  de  Méphisto  sonne  comme  un  appel  de  fanfare; 
la  valse  est  capricieuse  et  molle,  comme  une  valse  allemande.  Les 
pastiches  du  grand  Faust  restent  habiles,  sans  tomber  jamais  dans 
une  charge  trop  grossière.  Les  ensembles,  les  chœurs,  si  bien  servis 
par  les  masses  de  bonnes  voix  que  le  directeur  a  mises  à  la  disposition 
du  compositeur,  sont  traités,  dans  leur  folie  même,  avec  une"  finesse 
de  touche  remarquable.  Enfin,  c'est  de  la  musique,  et  cependant  ce 
n'est  jamais  ennuyeux,  pas  plus  que  le  livret  de  MM.  Hector 
Crémieux  et  Jaime,  qui  n'a  d'autre  but  que  celui  de  nous  amuser. 
Voilà  ce  que  nos  petits  faiseurs  du  jour  feront  bien  de  méditer. 

M.  Duquesnel  a  habillé  cette  reprise  de  très  élégante  façon;  il  y 
a  même  introduit  un  fort  joli  ballet,  le  ballet  des  Marguerites, 
d'un  gracieux  effet.  Enfin  il  a  confié  l'interprétation  à  des  divettes 
réputées,  comme  M""  Jeanne  Granier  et  M"«  Samé.  Autrefois  c'étaient 
l'opulente  Blanche  d'Antigny,  qui  avait  tant  de  naturelle  gaîté,  et 
Van  Ghel  à  son  aurore,  qui  chantait  de  si  admirable  façon  l'idylle 
des  «quatre  saisons  a.  Jeanne  Granier  a  plus  d'art  et  plus  d'esprit  que 
Blanche  d'Antigny  dans  le  rôle  de  Marguerite,  et  M"^  Samé  met 
plus  de  prétention  artistique  que  Van  Ghel  à  l'interprétation  de  celui 
de  Méphisto.  Bien  charmante  d'ailleurs,  M"=  Samé,  sous  le  rouge 
maillot  du  malin  petit  diable  !  Valentin,  ce  n'est  plus  l'extraordi- 
naire Milher  ;  c'est  Sulbac,  qui,  comme  la  plupart  des  artistes  de 
cafés-concerts,  sait  joindre  l'art  du  clown  à  celui  delà  farce  drama- 
tique: il  a  une  manière  à  lui  de  rendre  le  dernier  soupir  au  moj^en 
d'un  saut  de  carpe,  qui  n'était  pas  à  la  portée  des  grands  comiques 
de  l'ancien  temps.  M.  Gooper  lient  le  rôle  de  Faust.  C'était  Hervé 
qui  le  tenait  lors  de  la  création,  avec  une  humour  et  un  flegme 
britannique  bien  plaisants.  Mais  Cooper  ne  lui  est  certainement  pas 
inférieur.  11  a  été  exquis  tout  simplement  de  finesse  et  de  juste 
mesure  dans  la  charge  ;  il  chante  sans  voix,  mais  avec  un  goût  par- 


LE  MENESTREL 


163 


fait.  Son  succès  a  été  très  grand  et  très  légitime.  N'oublions  pas  une 
nouvelle  venue,  dans  un  tout  petit  personnage,  celui  de  Lisette,  et 
qui  pourrait  bien  être  l'étoile  qui  brillera  demain  au  firmament  de 
l'opérette.  M"«  Cassive,  c'est  son  nom,  réunit  en  effet  bien  des  qua- 
lités. Elle  est  fort  jolie,  pas  maladroite  comédienne,  et  possède  une 
vois  ronde,  fraîche  et  bien  timbrée  qui  fait  grand  plaisir  à  enten- 
dre. Cassive,  retenons  ce  nom. 

Voilà  donc  le  Petit  Faust  bien  lancé,  et  les  représentations  s'en 
annoncent  très  fructueuses. 

H.    MORENO. 

Eden-Théatbe.  —  Le  Cœur  de  Sita,  légende  hindoue,  ballet  en  trois 
actes  et  huit  tableaux  avec  chœurs  et  soli,  de  M.  Barrigue  de  Fon- 
tainieu,  musique  de  M.  Charles  de  Sivry. 

Après  mille  et  mille  péripéties,  le  Cœur  de  Sita  a  fini  par  s'entr'ou- 
vrir,  permettant  aux  amateurs  de  charades  mimées  d'essayer  d'y 
lire,  ou  mieux,  d'y  deviner  tout  ee  qu'ils  pourraient.  Je  me  hâte  de 
dire  que  ce  tout,  pour  votre  pauvre  serviteur,  se  serait  borné  sim- 
plement à  rien,  si  l'administration  prévoyante  de  l'Eden  n'avait  pris 
soin, —  sans  doute  pour  le  dédommager  d'un  très  mauvais  service, — 
de  le  gratifier  d'un  petit  programme  explicatif,  que  d'aucuns,  irré- 
vérencieux de  leur  nature,  dénomment  volontiers  guide-âne.  Armé 
de  mon  précieux  et  indispensable  libretto  et  charitable  pour  les  fu- 
turs spectateurs  du  nouveau  ballet,  je  vous  dirai  que  l'action  se 
passe  au  XVP  siècle  à  Delhi,  lors  de  la  conquête  mongole.  (Pour 
plus  amples  détails  historiques,  voir  les  auteurs  spéciaux.)  J'ajou- 
terai que  le  cœur  en  question  est  celui  d'une  jeune  Hindoue,  Sita, 
qui  appartient  à  un  certain  Irâman  et  que  le  khalife  vainqueur, 
Baber,  voudrait  s'approprier.  Sita  lutte  longtemps,  mais  elle  apprend 
la  mort  du  bien-aimé,  et  comme  elle  voit  que  le  chef  mongol  va 
forcément  demeurer  maître  de  la  situation,  elle  transperce  d'un  fer 
homicide  ce  cœur  tant  convoité  qui,  dans  cet  état  lamentable,  ne 
se  trouve  plus  avoir  qu'une  très  mince  valeur  même  aux  yeux  des 
mortels  les  plus  férus  d'amour. 

Vous  voyez  combien  noble  est  le  sujet  ;  la  musique  l'est  égale- 
ment. Et  je  me  demande  comment  il  en  pourrait  bien  être  autre- 
ment alors  que  le  livret  est  signé  de  M.  Barrigue  de  Fontainieu,  la 
musique  de  M.  Charles  de  Sivry...  et  les  billets  de  M.  de  Bastia  ! 
M.  de  Sivry  a  rempli  sa  tâche  en  musicien;  sa  partition,  si  elle  ne 
contient  pas  de  pages  transcendantes,  reste  toujours  très  au-dessus 
des  productions  similaires  qu'on  nous  importait  d'Italie.  Les  chœurs 
et  les  soli,  confiés  aux  voix  agréables  de  M""  Lavigne  et  de  M.  Ron- 
deau, sont  d'un  effet  souvent  très  heureux.  C'est  M"=  Striscino  qui  est 
l'héroïne  et  l'étoile  de  cette  légende  hindoue  et,  sans  avoir  la  lé- 
gèreté d'une  Cornalba,  la  mimique  d'une  Brianza,  la  grâce  d'une 
Carmen,  ses  devancières  sur  cette  même  scène,  elle  attire  .  cepen- 
dant, grâce  à  ses  pointes  et  au  mouvement  qu'elle  se  donne, 
l'attention  du  public. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU      SALON      DES      CHAMPS-ELYSÉES 


(Deuxième  article.} 

'  Les  Tentations  de  saint  Antoine  font  partie  du  menu  annuel  du 
Salon  da  Palais  de  l'Industrie,  et,  le  plus  souvent,  elles  nous  sont 
servies  en  triple  ou  quadruple  exemplaire.  Cette  année,  la  propor- 
tion est  modeste  :  les  épreuves  du  saint  qu'assiégèrent  dans  sa  cel- 
lule toutes  les  «  blondes  grasses  »  destinées  à  faire  plus  tard  les 
délices  des  écrivains  réalistes  n'ont  inspiré  que  deux  peintres,  dont 
Je  maître  Fantin-Latour,  qui  continue  à  faire  du  Poussin,  peut-être 
plus  Poussin  que  nature,  et  M.  Bourgonnier,  dessinateur  de  nu, 
dont  l'idéal  est  visiblement  moins  élevé.  De  Fantin-Latour  égale- 
ment des  «  Danses  au  crépuscule  »,  groupe  de  bacchantes  aux  dra- 
peries engrisaillées,  aux  contours  indécis,  réveillant —  avec  discré- 
tion —  les  nocturnes  échos  de  quelque  bois  sacré.  M.  Lecomte  de 
Nouy  a  peint  un  dernier  acte  de  drame  lyrico-mythologique  :  «  le 
Dieu  et  la  Mortelle  »,  un  Jupiter  pas  très  divin,  mais  d'une  corpu- 
lence de  baryton  de  grand  théâtre,  appelant  à  lui  une  jeune  et 
jolie  païenne,  qui  paraît  très  flattée  de  cette  naturalisation  dans 
l'Olympe.  Toujours  le  faire  un  peu  sec,  le  modelé  de  figurines  en 
J)uis  soigneusement  vernissé,  et  la  science  archaïque  très  réelle  du 


peintre  de  tant  de  scènes  antiques.  A  signaler  encore  la  Sapho  de 
M.  Perraud,  inspirée  par  des  strophes  d'Emile  Augier,  le  «  Dormoir 
de  la  Sirène  u  de  M.  Albert  Maignan,  fantaisie  décorative,  tableau 
de  féerie  sous-marine,  où  ne  font  défaut  ni  les  nacres  aux  reflets 
chatoyants  ni  un  talent  très  personnel. 

M.  Jean  Aubert  s'est  fait  une  spécialité  des  Cupidons  grassouil- 
lets, genre  Hamon  mâtiné  de  Diaz,  et  des  jeunes  femmes  en  tunique 
lilas.  Tantôt,  —  et  c'était  peut-être  l'année  dernière,  —  les  jeunes 
femmes  aussi  poétiquement  costumées  surprennent  les  Amours  sans 
costume  et  les  mettent  en  pénitence;  tantôt,  —  et  c'est  le  sujet  du 
tableau  de  1891,  —  elles  se  laissent  surprendre  par  les  Amours,  qui 
les  réduisent  en  servage.  Autre  Cupidon,  celui-là  isolé  et  d'un  cu- 
rieux aspect  décoratif,  «  l'Amour  mouillé  »  de  M.  Bouguereau,  et 
aussi  une  idylle,  oii  l'on  retrouve  le  faire  impeccable,  la  rigueur  de 
dessin  du  maître,  avec  ce  charme  subi  par  ceux-là  mêmes  qui  en 
contestent  les  causes  et  la  portée  :  les  «  Premiers  bijoux  »;  elle, 
une  blonde  assise  dans  un  verger  de  l'époque  virgilienne,  en  simple 
et  souple  tunique  de  bergerette;  lui,  un  brun,  vêtu  d'une  peau  de 
bête  et  crépu  comme  l'étaient  déjà  les  modèles  italiens  deux  mille 
ans  avant  de  quitter  la  campagne  romaine  pour  la  place  Linné.  Elle 
a  demandé  des  boucles  d'oreilles,  et  il  lui  offre  des  pendants  en 
cerises  vermeilles,  —  la  rime  est  tout  indiquée  pour  les  faiseurs 
de  romances.  L'enfant  paraît  très  satisfaite  de  cette  joaillerie  élé- 
mentaire et  nutritive. 

Revenons  aux  Amours  avec  «  l'Amour  et  Psyché  »  de  José  Sagaldo. 
Voici  encore  une  Bacchanale  de  M.  Makowski,  un  Orphée  de 
M.  Belair,  une  «  Jeunesse  et  chimère  »  de  M.  E:-L.  Dupain,  qui 
fait  songer,  —  d'un  peu  loin,  —  à  la  composition  de  M.  Gustave 
Moreau. 

C'est  une  toile  pessimiste,  car  la  «  Trompeuse  Chimère  »  de 
M.  Dupain  «  conduit  la  jeunesse  à  la  mort  ».  Elle  pourrait  aussi 
bien  la  conduire  à  la  gloire  ou  à  l'amour.  Dans  ce  cas,  à  vrai  dire, 
le  peintre  devrait  renoncer  à  la  falaise  oii  cheval  et  cavalier  font  le 
saut  de  Julia  de  Trécœur  bien  autrement  périlleux  que  le  saut  de 
Leucade.  Et,  sans  falaise,  plus  de  composition  romantique.  A  rap- 
procher du  tableau  de  M.  Dupain,  mais  à  titre  de  contraste,  «  l'Ins- 
piration »  de  M.  Azambre;  une  muse  impalpable  sous  de  longs  voiles 
inspire  un  jeune  homme  assis  et  travaillant  à  la  lueur  de  sa  lampe 
sans  paraître  se  douter  le  moins  du  monde  que  cette  figure  diaphane 
est  en  train  de  l'hypnotiser.  M.  Azambre  a  sans  doute  voulu  démon- 
trer que  l'inspiration  vient  surtout  à  domicile  et  à  demeure,  au 
moment  oîi  on  l'attend  le  moins.  Il  a  peut-être  raison.  Eu  revanche, 
il  m'est  bien  difficile  de  prendre  au  sérieux  la  charade  que  M.  Poil- 
leux  Saint-Auge  intitule  «  1891  —  la  France  veille  et  travaille  ».  Pour 
travailler,  la  France  tient  une  faux  de  moissonneur,  et  je  ne  saurais 
l'en  blâmer,  car  elle  se  promène  à  travers  un  champ  de  blé  mûr, 
sous  les  rayons  du  soleil  d'août.  Mais  pour  veiller  en  moissonnant 
elle  a  revêtu  une  cuirasse  d'acier  poli,  et  cet  appareil  belliqueux 
ne  convient  guère  à  une  aoûteuse  même  allégorique.  Ainsi  affublée, 
la  France  de  M.  Poilleux  Saint-Ange  fera  tout  ensemble  de  mauvais 
travail  et  de  mauvaise  surveillance.  C'est  assurément  l'avis  de  la 
Tour  Eiffel  qui  plane  sur  le  tableau,  sans  doute  pour  lui  donner 
une  date,  et  qui  contribue,  avec  la  cuirasse  de  carabinier,  à  en 
souligner  le  caractère  d'allégorie  essentiellement  métallique. 

M.  Hippolyte  Aussaudon  nous  montre  une  Jeanne  d'Arc  classique 
écoutant  les  voix,  et  M""  Forget  une  intéressante  sainte  Cécile.  De 
M.  Albert  Bettannier,  un  Messin,  plus  généralement  consacré  aux 
sujets  patriotiques,  les  «  Fils  de  la  Vierge  »,  joli  sujet  de  romance, 
et  de  M.  Cormon  —  qui  donne  aussi,  qui  donne  surtout  un  remar- 
quable portrait  de  Gérôme  — une  scène  de  féerie  asiatique,  une  illus- 
tration pour  mille  et  une  nuits,  «  le  Mariage  de  Bedreddin  Hassan  », 
simple  prétexte  à  déploiement  d'étoffes  et  chatoiement  de  pierreries. 
«  Les  dames  disaient  :  c'est  à  ce  beau  jeune  homme  qu'il  faut  don- 
ner notre  épousée  et  non  pas  au  vilain  bossu.  Elles  menaient  la 
jeune  fille  devant  Bedreddin  pour  la  lui  montrer  dans  ses  nouveaux 
atours  et  les  faisaient  s'embrasser  ».  Les  atours  y  sont,  et  aussi  le 
fouillis  d'un  bazar  oriental  mis  au  pillage. 

M.  Duffaud  nous  ramène  aux  délicates  modernités  de  MireiUe.  Il 
a  peint  la  mort  d'Ourrias  d'après  les  vers  de  Mistral  : 

Sur  le  fleuve  hanté  la  barque  fuit.  Eu  vain! 
Les  noyés,  cette  nuit,  pâle  et  craintif  essaim 
Reviennent;  les  voici.  Le  bateau  lourd  de  crime 
Sombre;  le  flot  vengeur  tournoie,  et  sous  l'efi'ort 

Des  spectres  acharnés  et  forts  comme  un  remords, 

Le  meurtrier  s'enfonce,  aspiré  par  l'abîme. 

I  C'est  une  composition  à  la  Delacroix  —  un  Delacroix  gris  —  inté 


164 


LE  MEiNESTREL 


ressante  et  confuse.  Autre  grisaille,  mais  d'un  ton  plus  vernissé  et 
en  revanciie  d'un  dessin  plus  sévère  «  l'air  favori  »  de  M.  Munkacsy. 
Dans  une  taverne  hongroise,  une  bande  d'instrumentistes  ambulants 
joue  l'air  favori  du  maître  de  l'auberge,  qui  a  sans  doute  promis  de 
régaler  ces  faméliques  compagnons.  Mais  l'hôtelier  étoute  avec  une 
attention  chagrine,  sans  que  la  mélodie  favorite  parvienne  à  le  rassé- 
réner. Attend-il  la  venue  de  l'usurier  qui  saisira  la  maison  et  le  jar- 
din"? A-t-il  des  peines  de  cœur?  Qui  le  saura  jamais?  J'imagine 
que  M.  Munkacsy  a  lui-même  des  données  fort  incertaines  sur  l'ex- 
plication rigoureuse  de  son  tableau.  —  Voici  un  barde  serbe  de 
M.  Ivanovitch,  des  «  Chants  religieux  »  de  M.  Edouard  Moyse  et 
une  importante  composition  de  M.  Jules  Breton  que  nous  ne  saurions 
trop  recommander  aux  metteurs  en  scène  de  drames  ou  d'opéras 
bretons  :  le  Pardon  de  Kergoat.  Cette  fois,  le  vieux  maître  ne  s'est  pas 
attaqué  à  faire  ressortir  ni  une  figure  isolée,  ni  même  son  classique 
quadrille  de  moissonneuses,  de  faneuses  ou  de  brùleuses  d'herbes. 
Il  a  voulu  donner  l'impression,  la  sensation,  si  l'on  préfère,  d'un 
vaste  ensemble,  et  l'effet  géoéral  ne  manque  ni  d'ampleur  ni  de 
poésie.  L'église  de  Kergoat  apparaît,  toute  grise,  sous  la  voûte  de 
feuillages.  Dans  la  pénombre  piquée  çà  et  là  par  les  étincelles  d'or 
des  cierges  aux  lueurs  tremblotantes,  s'avance  la  procession  des 
Bretons  les  plus  bretonnants  et  les  plus  décoratifs  qu'on  puisse 
imaginer,  tandis  que  les  estropiés,  les  loqueteux,  les  malingreux, 
bref,  tous  les  mendiants  professionnels  de  l'Armorique  se  traînent 
sur  le  gazon. 

Les  scènes  d'hôpital,  si  abondantes  au  cours  de  la  dernière 
période  décennale,  ont  à  peu  près  complètement  disparu  du  salon 
du  Palais  de  l'Industrie.  Seul,  M.  André  Brouillet  fait  exception; 
encore  a-t-il  eu  le  soin  méritoire  de  ne  transporter  le  public  ni  à 
l'Hôtel-Dieu,  ni  à  la  Salpêtrière.  C'est  au  Théâtre-Français,  dans  le 
grand  foyer  transformé  en  ambulance  pendant  le  siège  de  Paris,  que 
s'évanouit  son  jeune  blessé  dont  un  docteur  à  mine  soucieuse  inter- 
roge le  pouls  avec  une  anxiété  trop  explicable,  car  le  pauvre  garçon 
est  bien  pâle.  Un  autre  blessé  s'avance,  soutenu  par  deux  sœurs  de 
charité  improvisées,  dont  M'"«  Augusline  Brohan.  Plus  loin,  le  déli- 
cat profil  de  M'"^  Reichenberg.  Le  tableau  est  élégant  et  même  joli, 
d'un  joli  trop  amusé  et  trop  amusant.  Du  fond  de  son  fauteuil,  le 
Voltaire  du  grand  foyer  plane  sur  la  scène  et  son  sourire  sceptique 
en  donne  peut-être  toute  la  moralité...  au  point  de  vue  pictural, 
bien  entendu. 

Ne  (juid  nimis...  En  d'autres  termes,  trop  c'est  trop.  Vous  souvient-il 
des  vers  de  Musset  des  Contes  d'Espagne  : 

...  Sitôt  qu'il  nous  vient  une  idée 
Pas  plus  grosse  qu'un  petit  chien. 
Nous  essayons  d'eu  faire  un  àne... 

Ainsi  a  fait  M.  Berteaux  en  prenant  un  sujet  qui  pouvait  fournir 
matière  à  un  agréable  tableautin  d'intimité  :  «la  leçon  de  violoncelle» 
pour  le  transformer  en  immense  panneau,  très  peu  rempli,  et,  de 
fait  irremplissable.  Autant  le  professeur  et  son  élève,  très  finement 
observés,  très  finement  rendus — ...il  s'agit  du  moment  critique, du  pas- 
sage ditficile  —  auraient  intéressé  dans  un  cadre  restreint,  autant  ilssont 
perdus  et  comme  noyés  dansla  tonalitécrayeuse  de  l'ensemble.  Beaucoup 
plus  suggestif  le  délicat  tableau  de  M""=  Guyon-Goepp,  «  Musique  », 
un  groupe  familial  rangé  autour  du  piano  où  est  assise  une  virtuose 
qui  comptera  parmi  les  bons  morceaux  de  peinture  du  Salon.  A  ranger 
dans  la  peinture  symbolique,  le  tableau  singulier  que  M.  Cesbron 
intitule  «  Nocturne  ».  Très  sobre  au  contraire  et  d'une  compréhension 
aisée  en  sa  formule  claire  —  une  symphonie  gris  perlé  —  la  «  Leçon 
de  plain-chant  »  deM.  Waller  Gay,  donnée  par  une  religieuse  à  une 
demi-douzaine  de  fillettes  dans  une  salle  d'ouvroir  ou  d'orphelinat  que 
remplit  un  grand  flot  de  lumière  savamment  tamisée.  Autre  toile  de 
genre,  «  une  Répétition  de  chant  dans  un  couvent  »,  de  M.  CheviUard  : 
beaucoup  de  finesse  et  une  distinction  réelle.-  A  mentionner  les 
études  de  danseuses  de  M.  Charles  Oison,  l'Abélard  et  Héloïse.  petite 
composition  assez  dramatique  de  M.  Otto  Frédreich,  la  Présentation 
de  lord  Byroneà  la  comtesse  Guiccioli,  curieuse  étude  des  modes 
de  la  Restauration  par  M.  Georges  Gain,  enfin  de  M.  Sinibaldi,  un 
Desgrieux  monté  sur  un  maigre  bidet  et  suivant,  derrière  la  char- 
rette qui  emporte  Manon  Lescaut,  un  chemin  creux  où  un  casseur 
de  pierre,  assis  près  de  l'ornière,  contemple  avec  stupeur  le  pau- 
vre chevalier. 


(A  suivre.) 


Camille  Le  Senne. 


NAPOLEON  DILETTANTE 


VI 
LE  THÉÂTRE  DE  LA  RÉPUBLIQUE  ET  DES  ARTS 

(Suite.) 

Napoléon  était  trop  amateur  de  musique  pour  se  distraire  de  cet 
événement  artistique.  Cependant  il  avait  manifesté  quelque  hésitation, 
parce  que  Joséphine  venait  d'être  très  souffrante.  Les  préliminaires 
de  cette  soirée  mémorable  ont  été  contés  par  Marco  Saint-Hilaire  : 
ancien  page,  toujours  bien  informé  de  ce  qui  se  passait  à  la  cour. 

«  M"'"  Bonaparte,  nous  dit-il,  était  vraiment  malade  lorsque  le 
premier  consul  est  allé  au  Théâtre  de  la  République.  Son  mari,  au 
contraire,  s'était  fait  remarquer  toute  la  journée  par  une  gaité  qui 
ne  lui  est  pas  ordinaire.  Sur  les  sept  heures,  avant  son  dîner,  il  est 
entré  dans  la  chambre  de  sa  femme,  qu'il  a  trouvée  étendue  sur  son 
petit  canapé. 

—  Allons,  Joséphine,  lui  a-t-il  dit,  lève-loi,  viens  dîner,  nous 
irons  après  voir  la  pièce  nouvelle  au  Théâtre  de  la  République. 

—  Je  ne  le  peux  pas  :  je  suis  trop  malade  ;  j'ai  une  migraine 
affreuse. 

—  C'est  un  caprice;   viens!  tu  mettras  ton  plus  beau  cachemire. 

—  Je  t'assure  que  ce  n'est  pas  mauvaise  volonté  de  ma  part; 
mais  liens  :  regarde,  làte,  je  suis  sûre  que  j'ai  la  fièvre. 

—  En  effet,  lu  es  brûlante;  couche- toi,  ça  ne  sera  rien;  je  n'en 
irai  pas  moins  an  spectacle,  parce  que  je  l'ai  promis,  mais  je  re- 
viendrai de  bonne  heure;   ...   encore  une  fois,  ça  ne  sera  rien. 

—  Il  faut  l'espérer. 

—  Si  tu  ne  vas  pas  mieux  à  mon  retour,  j'écrirai  au  pape  pour 
qu'il  m'envoie  sur-le-champ  sa  petite  mine  de  bois. 

—  Tu  fais  toujours  des  plaisanteries;  envoie-moi  plutôt  Corvisart... 
Qu'est-ce  que  c'est  que  cette  mine  de  bois  ? 

—  C'est  le  Bambino.  Les  pères  Récollets  viendront  ici  tout  exprès 
te  l'apporter  dans  leur  carrosse;  ils  le  placeront  à  tes  côtés,  et  ils 
y  resteront  à  mes  frais  jusqu'à  ce  que  tu  sois  bien  portante. 

— ■  Mais  qu'est-ce  donc  que  a  Bambino'? 

—  C'est  un  petit  Jésus  de  bois  que  l'on  porte,  à  Rome,  aux  gens 
riches  qui  sont  très  malades  et  dont  les  parents  désespèrent. 

—  Oh!...  je  n'en  suis  pas  là. 

—  Ce  petit  saint  est  toujours  en  course  ;  on  se  bat  quelquefois  à 
la  porte  du  couvent  pour  l'avoir;  on  se  l'arrache.  L'été,  surtout,  il 
est  singulièrement  occupé,  quoiqu'il  fasse  payer  ses  visites  plus 
cher  à  cause  de  la  chaleur;  mais  maintenant  que  nous  sommes  en 
nivôse,  probablement  je  l'aurai  à  meilleur  marché;  parle,  si  tu  le 
désires,  je  te  donne  ma  parole  que  j'envoie  à  l'instant  même  un 
courrier  à  Rome. 

En  disant  ces  mots,  le  premier  consul  essayait  de  garder  son 
sérieux. 

—  Laisse -moi  tranquille  avec  ton  Bambino,  répliqua  M""  Bona- 
parte, et  envoie-moi  Corvisart  tout  de  suite. 

—  Au  fait,  cela  sera  plus  tôt  fait. 

Et  Bonaparte  quitta  sa  femme  après  lui  avoir  donné  un  baiser 
sur  le  front,  et  l'avoir  recommandée  aux  soins  de  M"'  Fourneau, 
l'une  de  ses  femmes.  » 

Après  quelques  ordres  donnés  et  la  signature  de  quelques  pièces, 
le  premier  consul  monta  dans  un  carrosse  avec  deux  de  ses  géné- 
raux, pour  se  faire  conduire  à  l'Opéra .  Dans  la  rue  Nicaise,  le  cor- 
tège croisa  une  petite  charrette,  ce  qui  causa  un  embarras  de  voi- 
ture. Heureusement,  le  cocher,  qui  était  ivre,  dit-on,  ne  prit  point 
garde  à  ce  détail,  il  passa  outre.  Ce  fut  ce  qui  sauva  le  premier 
consul  ;  car  il  était  à  quelque  dislance  déjà  de  cette  charrette, 
lorsque  l'explosion  se  produisit.  Toutes  les  maisons  du  voisinage  en 
furent  ébranlées,  et  comme  précisément  au  313  de  la  rue  se  donnait 
un  concert,  au  bénéfice  du  mandoliniste  et  violoniste,  fort  à  la  mode, 
Fridzeri,  le  public,  se  précipitant  en  foule  hors  de  ce  local,  aug- 
menta la  confusion,  au  point  de  faire  croire  que  tout  le  peuple 
parisien  était  du  complot. 

A  l'Opéra,  l'émoi  ne  fut  pas  moins  grand,  bien  qu'il  n'ait  pas  été 
suivi  des  mêmes  effets.  La  duchesse  d'Abrantès,  alors  M°"  Junot, 
qui  assistait  à  cette  soirée,  l'a  décrite  avec  le  coin  pittoresque 
qu'elle  mettait  à  tous  ses  récits  : 

«  Il  était  sept  heures,  dit-elle,  lorsque  nous  arrivâmes  à  l'Opéra. 
La  salle  était  remplie,  de  manière  à  ne  pas  placer  une  épingle.  Les- 
femmes  étaient  fort  parées  et  la  salle  très  éclairée;  le  coup  d'œil 
était  vraiment  admirable. 


LE  MENESTREL 


163 


»  Nous  distingaâmes  Garât  qui,  avec  une  lorgnette  à  double 
verre,  et  s'avançant  un  peu  sur  le  bord  de  la  rampe,  regardait  dans 
la  salle  pour  y  découvrir  quelques-unes  de  ses  connaissances.  Il 
était  en  noir,  mais  plus  ridiculement  habillé  que  d'habitude,  ce  qui 
était  difficile.  Son  collet  lui  passait  par-dessus  la  tête,  et  sa  figure 
un  peu  singesse  paraissait  à  peine  au  milieu  de  quatre  aunes  de 
mousseline  lui  faisant  une  cravate  et  d'une  forêt  de  boucles  for- 
mant une  coiffure.  M""  Barbier- Walbonne,  toujours  simple  et  bonne 
personne,  attendait  près  de  lui  le  moment  où  ils  devaient  commen- 
cer. Les  violons  s'accordaient,  et  cet  immense  orchestre,  plus  nom- 
breux que  jamais  on  ne  l'avait  vu  jusqu'alors,  se  disposait  à  nous 
faire  entendre  le  chef-d'œuvre  d'Haydn  plus  parfaitement  exécuté 
qu'il  n'a  eu  la  consolation  de  l'entendre  lui-même;  —  le  prince 
d'Esterhazy,  dont  il  était  maître  de  chapelle,  ne  lui  avait  pas  per- 
mis de  venir  à  Paris  pour  cette  solennité... 

»  Les  trente  premières  mesures  de  l'oratorio  étaient  à  peine  jouées 
qu'une  forle  explosion,  comme  un  coup  de  canon,  se  fit  entendre... 
»  Toute  la  salle  se  regardait  avec  stupeur,  quand  la  porte  de  la 
loge  du  premier  consul  s'ouvrit,  et  lui-même  parut  avec  Lannes, 
Lauriston,  Duroc  et  Berthier  :  il  salua  en  souriant  cette  foule  im- 
mense, qui  "mêlait  presque  des  cris  d'amour  à  ses  applaudissements. 
M"""  Bonaparte  le  suivait  (elle  avait  secoué  son  malaise,  et  avait 
suivi  son  mari  de  près,  ne  se  souciant  ni  de  Gorvisart  ni  du  Bam~ 
bino);  elle  était  avec  le  colonel  Rapp,  M"'=  Murât,  qui  était  grosse 
de  près  de  neuf  mois,  et  M"' de  Beauharnais.  » 

Au  bout  d'un  moment,  Duroc  monta,  la  physionomie  toute  bou- 
leversée, jusqu'à  la  loge  de  Junot  et  lui  dit  tout  bas  : 

—  Le  premier  consul  vient  d'échapper  à  la  mort.  Descends 
auprès  de  lui;  il  veut  le  parler,  mais  sans  affectation. 

Entre  temps,  l'oratorio  continuait;  «  mais  les  belles  voix  de 
M"""'  Branehu  et  Walbonne  et  celle  de  Garât  n'absorbaient  pas 
l'attention.  »  Aussi  bien,  le  bruit  se  répandait  par  toute  la  salle  que 
Bonaparte  venait  d'être  attaqué  rue  Nicaise.  Alors,  une  même 
acclamation  se  fit  entendre  :  on  vit  des  femmes  pleurer  et  sangloter, 
et  —  c'est  toujours  M""  d'Abrantès  qui  parle  —  «des  hommes  frémir 
d'indignation,  quel  que  fût  la  bannière  qu'ils  servissent,  et 
s'unir  du  cœur  et  du  bras,  dans  cette  circonstance,  pour  prouver 
que  les  différences  d'opinion  n'apportent  pas  avec  elles  des  diffé- 
rences dans  l'art  de  comprendre  l'honneur.   » 

Cependant,  le  premier  consul  était  très  calme,  et  paraissait  seu- 
lement fort  ému  «  toutes  les  fois  que  le  mouvement  lui  apportait 
quelques  paroles  fortement  expressives  relativement  à  ce  qui  venait 
de  se  passer.  »  Joséphine  pleurait;  sa  fille  était  fort  émue;  seule, 
M"""  Murât  était  impassible. 

j.jme  d'Abrantès,  ignorante  de  la  scène  que  nous  avons  racontée, 
met  le  retard  de  Joséphine  sur  le  compte  d'une  erreur  de  toilette.  Sa 
voiture  ne  suivait  que  de  trois  minutes  celle  du  premier  consul,  et 
l'explosion  de  la  rue  Nicaise  s'était  produite  quand  elle  était  encore 
sur  la  place  du  Carrousel.  Mais  telle  était  la  violence  de  l'ébranle- 
ment de  l'air,  que  les  vitres  du  carrosse  volèrent  en  éclats,  et  que 
M"^  de  Beauharnais  eut  de  légères  coupures  à  la  lèvre. 

Au  cours  de  son  récit,  notre  aimable  chroniqueuse  ne  donne  qu'une 
attention  distraite  au  spectacle  même.  Il  fut  cependant  à  la  hauteur, 
et  de  l'œuvre,  et  des  artistes  qui  l'interprétaient. 

Le  lendemain,  le  Journal  de  Paris,  après  avoir  raconté  les  détails 
de  l'attentat,  publiait,  parla  plume  de  son  collaborateur  théâtral,  ce 
compte  rendu  de  la  soirée  : 

«  Jamais  concert  ne  fut  plus  brillant  que  celui  du  .3  de  ce  mois. 
Le  célèbre  oratorio  i'Haydn  a  été  exécuté  avec  une  perfection  dont 
nous  ne  pourrions  donner  qu'une  faible  idée.  Cette  musique,  chef- 
d'œuvre  de  mélodie,  a  fait  passer  dans  tous  les  cœurs  un  charme 
inexprimable  ,  et,  au  lieu  du  délire  de  l'enthousiasme,  a  générale- 
ment produit  cette  sensation  pure  et  douce,  ce  calme  voluptueux, 
qui  ressemble  au  parfait  bonheur. 

»  Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  le  talent  des  artistes  qui 
composaient  ce  concert.  Quels  éloges  pourraient  ajouter  à  l'admira- 
tion qu'on  a  depuis  longtemps  pour  M""=  Barbier  Walbonne,  pour  les 
Garât,  les  Rhode,  les  Kreutzer,  les  Lefebvre,  les  Frédéric,  les  Saleniin, 
les  Vanderlick,  etc.,  et  surtout  pour  cet  orchestre  de  l'Opéra  qui  est 
aujourd'hui  le  premier  de  l'Europe! 

«  Aucune  assemblée  publique  n'avait  encore  offert  aux  yeux  un 
spectacle  aussi  étonnant.  Tout  ce  que  le  goût  et  le  désir  de  plaire 
ont  pu  inventer  de  plus  élégant,  tout  ce  que  le  luxe  a  de  plus  riche, 
avait  été  mis  en  usage  par  les  dames,  et  l'éclat  des  diamants  a, 
de  toute  part,  ébloui  la  vue.   » 

Le  plus  favorisé  de  cette  soirée  fut  le  jjêre  Haydn,  comme  on  l'ap- 
pelait à  Vienne.  Les  exécutants  de  l'Opéra  firent  frapper  en  son  hon- 


neur une  médaille  d'or.  D'autres  médailles  furent  envoyées  par  le 
Conservatoire  de  Paris  et  par  la  société  des  Enfants  d'Apollon,  dont 
il  devint  membre.  L'Institut  le  choisit  pour  un  de  ses  associés...  El 
dans  la  suite,  après  sa  mori,  survenue  pendant  l'attaque  de  "Vienne, 
l'élat-major  français  assista,  par  ordre,  au  Requiem,  avec  la  musique 
de  Mozart,  qui  fut  exécuté  en  son  honneur  à  l'église  des  Ecossais... 
Si,  finalement,  nous  ajoutons  que,  peu  de  temps  après,  Cherubini 
fit  exécuter,  dans  un  concert  du  Conservatoire,  un  chant  funèbre 
de  sa  composition  sur  la  mort  d'Haydn,  nous  aurons  suffisamment 
prouvé  que  toutes  les  marques  sympathiques  données  par  ses  pro- 
tecteurs de  Vienne  à  l'auteur  de  la  Création,  et  qui  se  traduisaient 
par  des  couvertures  sur  les  jambes  et  de  maigres  appointements, 
furent  bien  pâles  à  côté  des  ovations  dont  il  était  l'objet  dans  ce 
Paris  abhorré  des  Eslerhazy. 

Après  l'attentat  de  la  rue  Nicaise,  Bonaparte  traça  un  projet 
d'arrêté  qui  attribuait  au  préfet  de  police  la  surveillance  et  la  direc- 
tion principale  du  Théâtre  de  la  République  et  des  Arts.  Il  invita 
Cambacérès  à  se  concerter  avec  Lebrun  pour  un  projet  définitif.  El, 
comme  dans  noire  beau  pays  de  France,  tout  ce  qui  tient  son  mou- 
vement des  rouages  administratifs  ne  se  meut  qu'avec  une  déplorable 
lenteur,  ce  ne  fut  que  le  11  décembre  1802,  c'est-à-dire  près  de  deux 
ans  apiès  l'explosion  de  la  machine  infernale,  qu'un  décret,  signé 
Bonaparte,  donna,  non  point  au  préfet  de  police,  mais  au  premier 
préfet  du  palais,  de  création  récente  et  d'essence  autocratique,  la 
surveillance  et  la  direction  principale  des  théâtres  de  Louvois,  de 
Feydeau  et  de  l'Opéra-Bouffe. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


Nouvelles  de  Londres  (20  mai)  : 

La  première  représentation  de  Manon  en  français  a  obtenu  un  grand 
succès  hier  soir  à  Govent-Garden.  L'œuvre  exquise  de  Massenet,  une  de 
ses  plus  personnelles  et  des  mieux  inspirées,  était  déjà  connue  du  public 
ôe  Londres  par  quelques  représentations  données  en  1885  à  Drury  Lane, 
en  anglais,  avec  M""=  Marie  Rôze  et  le  ténor  Maas,  un  artiste  de  mérite, 
mort  depuis.  Déjà,  à  cette  époque,  la  charmante  musique  de  l'ouvrage 
avait  réuni  tous  les  suffrages,  mais  la  diction  défectueuse  des  chanteurs 
anglais  s'était  mal  prêtée  au  procédé  de  dialogue  parlé,  bien  que  souligné 
par  l'orchestre,  qui  est  une  des  originalités  de  Manon.  Rétablir  l'idiome 
original,  c'était  déjà  assurer  le  succès  de  l'opéra;  mais,  dans  le  cas  actuel, 
la  o-randeur  du  cadre,  dans  cette  immense  salle  de  Covent-Garden,  ne 
pouvait  que  nuire  à  l'effet  de  cette  œuvre  fine  et  distinguée.  Malgré  ce 
lé"-er  inconvénient,  le  succès  a  été  considérable,  grâce  surtout  à  une  bril- 
lante interprétation.  Les  honneurs  de  la  soirée  reviennent  au  ténor 
Van  Dyck,  le  créateur  du  rôle  dans  la  version  allemande  à  Vienne,  un 
Des  Grieux  de  tout  premier  ordre.  Beau  cavalier,  comédien  excellent  et 
plein  de  chaleur,  il  a  chanté  d'un  bout  à  l'autre  de  l'ouvrage  avec  une 
sûreté,  un  charme  et  une  variété  de  nuances  qui  dénotent  l'artiste  ac- 
compli. La  voix  est  facile,  d'un  timbre  agréable,  et  conduite  avec  beaucoup 
de  °-oùt.  Le  public  lui  a  fait  une  véritable  ovation.  Le  succès  de  M"=  San- 
derson  n'a  pas  été  aussi  complet  qu'on  aurait  pu  l'espérer.  A  peine 
remise  d'un  fort  enrouement  et  encore  sous  le  coup  du  surmenage  des 
répétitions,  la  jolie  artiste  n'était  pas  en  pleine  possession  de  ses  moyens, 
ce  qui  fait  que  sa  voix  a  paru  quelque  peu  grêle  dans  cette  vaste  salle 
de  Govent-Garden.  Elle  n'en  a  pas  moins  détaillé  avec  beaucoup  de 
charme,  de  finesse  et  de  sentiment,  les  parties  douces  et  tendres  du  rôle, 
donnant  aussi  par  moments  des  preuves  d'une  grande  hardiesse  de  voca- 
lisation. Il  est  à  peine  besoin  d'ajouter  que  M"=  Sanderson  réalise  d'une 
façon  idéale  le  type  de  la  ravissante  héroïne.  Son  instinct  de  comédienne 
lui  a  servi  à  indiquer  avec  beaucoup  d'adresse  los  côtés  si  divers  du  per- 
sonnage et,  dans  la  grande  scène  de  Saint-Sulpice,  comme  dans  la  scène 
finale,  elle  a  donné  très  vaillamment  la  réplique  à  M.  Van  Dyck.  Somme 
toute,' M"=  Sanderson  possède  un  ensemble  de  qualités  peu  ordinaires  qui 
la  désignent  pour  le  rôle  de  Manon,  et  son  succès,  j'en  suis  convaincu, 
crandira  aux  représentations  suivantes.  M.  Dufriche  est  un  e.xcellent 
Lescaut,  plein  de  rondeur  et  chantant  avec  beaucoup  de  verve  les  nom- 
breux couplets  du  rôle.  M.  Isnardon  est  comme  toujours  un  artiste  fort 
consciencieux,  mais  sa  voix  manque  d'ampleur  pour  le  rôle  du  comte  Des 
Grieux.  M.  Juteau  est  un  amusant  Guillot  de  Morfontaine.  Un  mauvais 
point  à  M.  Geste,  qui  nous  a  montré  un  de  Brétigny  à  moustaches, 
dépourvu  de  distinction.  L'ouvrage  est  monté  avec  beaucoup  de  soins. 
M.  Mancinelli  devrait  modérer  son  orchestre,  qui  n'a  pas  toujours  joué 
avec  la  netteté  voulue. 

Avec  les  reprises  annoncées  des  Huguenots,  dont  la  distribution  réunit 
les  noms  de  MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké,  Maurel,  Lassalle  et  M™  Al- 
bani,  et  des  Maîtres  Chanteurs,  qui  serviront  de  véritable  rentrée  a 
M.  Lassalle,  la  semaine  promet  d'être  des  plus  brillantes  à  Govent-Garden. 


166 


LE  MENESTREL 


La  récente  mésaventure  de  la  Société  Philharmonique  a  ramené  l'atten- 
tion sur  l'insuffisance  des  études  qui  sont  accordées  aux  exécutions 
symphoniques  de  la  capitale.  M.  Sgambati  ayant  été  invité  à  conduire  sa 
«  Symphonie-Épithalame  »,  il  accapara  pour  son  propre  compte  la  plus 
grande  partie  des  deux  répétitions  d'usage.  Dans  ces  conditions,  M.  Cowen, 
le  chef  d'orchestre  ordinaire  de  la  Société,  refusa  de  conduire  le  reste 
du  programme  annoncé,  de  sorte  que  le  soir  du  concert  le  public  était 
prévenu  que,  par  suite  d'insuffisance  de  répétitions,  l'ouverture  :  En  automne, 
de  Grieg,  et  l'Invitation  à  la  valse  de  Weber-Berlioz,  seraient  remplacés  par 
les  ouverttires  de  Prométhée  et  i'Obéron,  tandis  que  le  concerto  de  Golter- 
mann,  que  devait  exécuter  le  jeune  violoncelliste  Gérardy,  serait  accom- 
pagné au  piano.  Le  plus  piquant  de  l'affaire,  c'est  que  le  public  n'a  pas 
tardé  à  reconnaître  que  l'œuvre  de  M.  Sgambati,  une  des  rares  nouveautés 
de  la  saison,  ne  méritait  pas  tout  ce  remue-ménage.  C'est  une  sorte  de 
suite  d'orchestre  composée  il  y  a  trois  ans  à  l'occasion  du  mariage  du  duc 
d'Aoste  et  de  la  princesse  Lœtitia,  et  qui  ne  s'élève  guère  au-dessus  de  la 
valeur  habituelle  de  ce  genre  de  pièces  de  circonstance.  A.  G.  N. 

—  Les  juges  du  prochain  concours  musical  annuel  du  pays  de  Galles, 
connu  sous  le  nom  d'Eisteddfod,  viennent  d'être  officiellement  désignés. 
Ce  sont  MM.  J.  Pârry,  JRandegger,  Shakespeare,  John  Thomas  et  David 
Jenkins.  Les  fêtes  auront  lieu  à  Swansea,  et  on  espère  le  concours  de 
M"=  Patti. 

—  Le  répertoire  lyrique  français  en  Allemagne.  Relevé  sur  les  dernières 
listes  des  spectacles.  Berlin  :  Fra  Diavolo,  Mignon,  Carmen.  —  Cassel  :  Le 
Postillon  de  Lonjumeau  (2  fois),  la  Dame  blanche,  Faust.  —  Cologne  ;  Joseph, 
la  Juive,  Faust,  Carmen,  le  Prophète.  —  Francfort  :  La  Part  du  Diable  (4  fois), 
le  Cheval  de  bronze,  Carmen,  les  Dragons  de  Villars,  la  Muette,  l'Africaine, 
le  Domino  noir.  —  Hambourg  :  Le  Prophète,  les  Huguenots,  la  Dame  blanche, 
Mignon  (2  fois),  Jean  de  Paris,  Carmen,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  Guillaume 
Tell,  les  Deux  Journées,  l'Africaine  (2  fois),  la  Favorite.  —  Leipzig  :  Carmen, 
Faust  (2  fois),  te  Prophète,  Mignon.  —  Mannheim  :  L'Africaine,  Faust  (2  fois), 
Guillaume  Tell,  la  Juive.  —  Budapesth  :  Le  Mariage  aux  lanternes,  les  Noces  de 
Jeannette  (2  fois),  le  Prophète,  Mignon  (3  fois),  la  Fille  du  régiment,  Coppélia 
(3  fois),  Bonsoir,  monsieur  Pantalon,  Hamlet  (2  fois),  Faust,  Lahné,  les  Hugue- 
nots, les  Dragons  de  Villars.  —  ScHWERlN  :  La  Fille  du  régiment.  Mignon  (2  fois), 
le  Violoneux  (2  fois),  Carmen,  Guillaume  Tell.  —  Vienne  :  Manon  (2  fois), 
Coppélia,  Mignon,  Faust,  Sylvia,  la  Fille  du  régiment,  le  Prophète,  la  Juive, 
les  Deux  Journées. 

—  Le  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  sera  célébré  à  Salzbourg  au 
moyen  de  quatre  grandes  fêtes  dont  les  dates  ont  été  fixées  aux  1"',  16, 
17  et  18  juillet.  En  voici  le  programme  tel  qu'il  est  publié  par  les  jour- 
naux allemands  :  —  1'=  Journée.  Matin,  exécution  du  Requiem  de  Mozart, 
dans  la  cathédrale.  Soit  par  les  principaux  sujets  de  l'Opéra  de  Vienne, 
chœurs  du  Mozarteum  et  de  la  Liedcrtafel  de  Salzbourg,  orchestre  de  la 
Société  musicale  de  la  cathédrale  et  du  Mozarteum.  Après-midi,  assemblée 
de  gala  dans  la  salle  Aula  academiea;  allocution  de  bienvenue  par  un  des 
membres  de  la  commission  des  fêtes;  discours  parle  D''  Robert  Hirschfeld, 
de  Vienne.  Soir,  retraite  aux  flambeaux  qui  se  rendra  au  monument  de 
Mozart.—  2»  Jourxée.  Matin,  Visite  à  la  maison  dite  de  la  Flûte  enchantée, 
sur  le  mont  Capucin.  Après-midi,  concert  dans  la  salle  Aula  academiea, 
sous  la  direction  de  M.  VV.  Jahn,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Vienne 
(orchestre  de  la  Philharmonie  et  chœurs  de  la  Société  chorale  d'hommes, 
à  Vienne).  Fragments  de  la  Flûte  enchantée  (chœurs,  soli,  orchestre); 
concerto  en  ré  mineur  de  Mozart,  exécuté  par  M^^  Essipoff;  symphonie  en 
sol  mineur.  Soir,  fête  de  nuit  et  illuminations  dans  les  jardins  du  Casino. 
Auditions  par  la  Société  chorale  d'hommes  de  Vienne.  —  3=  Journée. 
Matin,  concert  dans  la  salle  Aida  academiea:  quatuor  en  ré  mineur  par  le 
quatuor  Helmesberger,  de  Vienne,  Sérénade  pour  instruments  à  vent, 
adagio  du  quintette  en  sol  mineur,  et  symphonie  de  Jupiter,  par  l'or- 
chestre de  la  Philharmonie  de  Vienne,  dirigé  par  M.  Jahn;  pièces  de 
chant  par  M"'=  Bianca-Bianchi,  M™  Ritter  Gœtze  et  M.  J.  Ritter.  Après 
midi,  banquet  au  Kursaal.  Soir,  représentation  de  gala  au  théâtre  impé- 
rial-royal. —  ¥  Journée,  excursions  dans  les  environs. 

—  Le  musée  royal  d'instruments  de  musique  de  Berlin  vient  de  s'en- 
richir d'un  don  de  M"»»  la  baronne  van  Korff,  fille  de  Meyerbeer,  don 
comprenant  une  grande  partie  des  objets  ayant  appartenu  à  l'auteur  des 
Huguenots,  dont  on  célébrera  le  centenaire  le  S  septembre  prochain.  Parmi 
ces  objets  figure  un  magnifique  portrait  peint  à  l'huile,  représentant 
Meyerbeer  à  l'âge  de  sept  ans,  assis  devant  un  piano  ;  à  citer  également 
le  pïano  de  voyage  du  maître,  curieuse  pièce  démontable,  sortie  des 
ateliers  Pleyel. 

—  Edouard  Reményi,  le  célèbre  violoniste  hongrois,  vient  de  rentrer  dans 
son  pays  natal,  après  seize  années  d'absence  passées  à  explorer  les  con- 
tinents et  les  mers.  A  Budapesth,  ses  concitoyens  lui  ont  fait  un  accueil 
enthousiaste. 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  la  célébration  du  centenaire  du  Théâtre 
grand-ducal  qui  a  en  lieu  à  "Weimar,  le  4  mai  et  jours  suivants.  Au  point 
de  vue  musical,  ces  fêtes  théâtrales  ont  offert  un  grand  intérêt.  On  avait 
remonté  à  nouveau,  à  cette  occasion,  le  Lohengrin  de  Wagner,  dont  la 
première  représentation,  on  le  sait,  eut  lieu  sn  ISdS,  grâce  à  l'initiative 
de  Franz  Liszt.  Après  Lohengrin,  le  Théâtre  grand-ducal  a  donné  Gunloed, 
opéra  en  trois  actes,  poème  et   musique  de  Peter  Cornélius,  l'auteur  du 


Barbier  de  Bagdad,  qui,  en  ces  dernières  années,  a  obtenu  de  vifs  succès  sur 
toutes  les  scènes  allemandes.  Cornélius,  mort  en  1874,  avait  laissé  son 
opéra  Gunloed  inachevé.  Le  premier  acte  seul  était  complètement  terminé. 
C'est  M.  Edouard  Lassen,  le  savant  et  éminent  maître  de  chapelle  du 
grand-duc  de  Saxe-Weimar,  qui  a  achevé  l'ouvrage  sur  les  esquisses  très 
incomplètes  du  compositeur.  Le  succès  ne  paraît  pas  avoir  répondu  à  l'ad- 
miration des  amis  de  Cornélius.  Le  public  a  fait  un  accueil  modéré  à 
l'œuvre  nouvelle.  Le  sujet  de  Gunloed,  emprunté  aux  Eddas  Scandinaves, 
n'est  pas,  du  reste,  sans  offrir  beaucoup  d'analogies  avec  les  Nibelungen  de 
Wagner,  et  les  comparaisons  qui  se  sont  offertes  naturellement  à  l'esprit 
des  spectateurs  ont  sans  doute  été  pour  beaucoup  dans  l'accueil  réservé 
fait  à  l'œuvre  posthume  du  maître  mayençais. 

—  Le  chapitre  du  diocèse  de  Trente  vient  de  vendre  au  ministère  de 
l'instruction  publique,  à  Vienne,  et  pour  un  prix  très  infime,  parait-il,  six 
volumes  manuscrits  contenant  des  compositions  musicales  italiennes  du 
xiv"  et  du  xv'=  siècle,  considérées,  dit  un  de  nos  confrères  italiens,  comme  un 
vrai  trésor  de  l'art.  Le  gouvernement  allemand  avait  offert  aussi  d'acquérir 
ces  manuscrits  précieux.  C'est  son  allié  qui  l'a  emporté. 

—  M.  Franz  WiiUner,  l'éminent  chef  d'orchestre  et  directeur  du  Con- 
servatoire de  Cologne,  a  tenté  ces  jours-ci  (les  7,  8  et9mai)  une  expérience 
intéressante.  Il  a  fait  exécuter  par  l'orchestre  placé  sous  sa  direction,  pen- 
dant ces  trois  journées,  les  neuf  symphonies  de  Beethoven  darfs  leur  ordre 
chronologique.  Il  semble  probable  que  c'est  l'exemple  donné  cet  hiver  à 
Bruxelles  par  M.  Gevaert  qui  a  déterminé  M.  WiiUner  à  mettre  cette  idée 
â  exécution.  Rappelons  à  cette  occasion  que  M.  WuUner  a  été  l'élève 
d'Antoine  Schindler,  lequel  fut  lui-même  l'élève  et  l'ami  de  Beethoven 
pendant  les  dernières  années  de  la  vie  du  grand  homme. 

—  La  Société  impériale  russe  de  musique,  à  Saint-Pétersbourg,  vient  de 
terminer  sa  saison  par  un  concert  supplémentaire  donné  au  profit  de  la 
souscription  pour  la  construction  d'un  nouveau  conservatoire.  La  séance 
empruntait  un  intérêt  exceptionnel  à  la  participation  d'Antoine  Rubins- 
tein,  qui  a  dirigé  en  personne  deux  symphonies  et  exécuté  sur  le  piano 
le  concerto  en  sol  de  Beethoven,  ainsi  que  plusieurs  autïes  pièces  qui  ne 
figuraient  pas  au  programme  et  que  le  maître  a  dû  ajouter  pour  satisfaire 
au  désir  d'un  public  enthousiaste  jusqu'à  l'exaltation. 

—  Le  compositeur  Tschaïkowsky  travaille  actuellement  à  un  nouvel 
opéra  dont  le  livret  est  tiré  du  roman  de  Lermontoff  :  le  Héros  de  notre 
époque. 

—  A  l'Opéra  de  Stockholm,  les  ouvrages  suivants  du  répertoire  français 
ont  été  représentés  pendant  le  mois  dernier  :  le  Domino  noir  (7  fois), 
Carmen  (3  fois),  Lakmé  (4  fois),  Si  j'étais  roi,  Mignon  (2  fois). 

—  On  nous  écrit  de  Rome  que  l'anniversaire  de  la  première  représen- 
tation de  Cavalleria  rusticana  a  été  célébré  au  théâtre  Costanzi  en  présence 
du  jeune  compositeur  auquel  les  arti.stes  et  le  public  ont  prodigué  des 
ovations  sans  précédent.  Sa  première  œuvre  a  été  jouée  pendant  l'année 
sur  près  de  cent  théâtres  de  l'Italie  et  de  l'étranger.  M.  Mascagni  a 
apporté  à  son  éditeur,  M.  Sonzogno  la  partition  terminée  d'une  nouvelle 
œuvre  lyrique  dont  le  titre  n'est  pas  encore  fixé  et  dont  l'action  se  rap- 
porte à  la  conversion  d'un  célibataire  endurci,  en  quoi  elle  ressemble  à 
l'Ami  Fritz  d'Brckmann-Chatrian.  Le  livret  de  cet  opéra-comique  a  été 
commandé  à  M.  Nicolas  Daspuro  par  M.  Mascagni,  qui  l'a  mis  en  musique 
en  moins  de  deux  mois.  Le  nouvel  opéra  contient  trois  actes,  une  intro- 
duction symphonique  très  développée  et  deux  petits  préludes  avant  le 
deuxième  et  le  troisième  acte.  Les  rôles  principaux  sont  écrits  pour  soprano, 
mezzo-soprano,  ténor  et  baryton.  La  mise  en  scène  sera  des  plus  simples. 
M.  Mascagni  a  donné  lecture  de  son  nouvel  opéra  à  son  éditeur  en  pré- 
sence de,  quelques  intimes  et  l'impression  a  été  aussi  heureuse  que  pro- 
fonde. M.  Sonzogno  a  l'intention  de  produire  cette  œuvre  au  commence- 
ment de  la  prochaine  saison.  Il  n'a  pas  encore  choisi  la  scène  qui  bénéfi- 
ciera de  cette'  intéressante  primeur. 

—  Verdi  bienfaiteur  des  musiciens  malheureux.  On  annonce  que  l'au- 
teur d'Aida  a  acheté  récemment  à  Milan,  hors  de  la  porte  Magenta,  un 
vaste  espace  de  terrain  sur  lequel  il  va  faire  élever  un  asile  destiné  à  ser- 
vir de  refuge  et  de  retraite  aux  vieux  musiciens,  quelque  chose  d'à  peu 
près  semblable  à  ce  qui  a  été  construit  il  y  a  quelques  années  dans  le 
même  but,  à  Passy,  selon  les  volontés  de  Rossini  et  avec  les  fonds  laissés 
par  lui  à  cet  effet.  La  construction  du  nouvel  édifice  serait  déjà  commencée. 

—  Les  actionnaires  de  l'Opéra  allemand  de  New-York  ont  enterré  solen- 
nellement leur  entreprise  infortunée  dans  un  banquet  monstre,  qu'arrosaient 
des  vins  généreux  et...  des  discours  wagnériens.  Un  conférencier  du  nom 
d'IngersoU  s'est  lancé  dans  un  panégyrique  enflammé  du  prophète  de  Bay- 
reulh  qui  ne  le  cède  en  rien,  comme  extravagance,  aux  plus  ahurissantes 
folies  du  répertoire  d'Hervé.  Oyez-en  un  échantillon  ;  «  Lorsque  j'entends 
la  musique  de  Wagner,  je  me  crois  tantôt  transporté  sur  l'océan  immense 
où  les  vagues  s'agitent  comme  autant  de  bonnets  de  la  folie,  et  tantôt  dans 
les  profondeurs  de  cavernes  que  dominent  des  rochers  gigantesques  et  où, 
à  travers  des  fissures,  j'aperçois  les  étoiles  éternelles  »...  Et  plus  loin  :  «  Il 
y  a  telles  mélodies  qui  me  représentent  la  nuit  parsemée  d'étoiles  ;  telles 
harmonies  sont  comme  des  îles  dans  les  mers  lointaines,  telles  autres 
comme  des  palmiers  bordant  le  désert!...  »  0  enthousiasme,  voilà  de  tes 
coups  ! 


LE  MENESTREL 


167 


PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Cinq  élèves  ont  été  admis,  à  la  suite  du  concours  d'essai,  à  prendre  part 
au  concours  définitif  de  composition  pour  le  prix  de  Rome  à  l'Institut. 
Voici  leurs  noms,  par  ordre  d'admission  :  1°  M.  Andrès,  élève  de  M.  Gui- 
raud;  2°  M.  Lutz,  élève  de  M.  Guiraud  (2°  grand  prix  en  1890);  3°  M.  Sil- 
ver,  élève  de  M.  Massenet  (2^  grand  prix  en  1890);  4°  M.  Fournier,  élève 
de  Delibes  et  de  M.  Th.  Dubois  (2'=  grand  prix  en  1889);  5°  M.  Bondon, 
élève  de  M.  Massenet. 

—  C'est  le  27  de  ce  mois  que  commenceront  au  Conservatoire,  pour  se 
continuer  jusqu'au  19  juin,  les  examens  de  fin  d'année,  dans  lesquels 
sont  désignés  les  élèves  qui  doivent  prendre  part  aux  concours.  C'est  là 
la  plus  grosse  besogne,  et  la  plus  importante  du  comité  des  études. 

—  Dans  la  dernière  séance  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  le  prix  Char- 
tier,  institué  en  faveur  des  meilleures  œuvres  de  musique  de  chambre,  a 
été  décerné  à  M.  Deldevez,  ancien  second  grand  prix  de  Rome,  ancien 
chef  d'orchestre  de  l'Opéra  et  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire. 
Dans  la  même  séance,  l'Académie  a  procédé  à  l'élection  d'un  académi- 
cien libre  en  remplacement  du  prince  Napoléon  Bonaparte,  décédé.  Deux 
candidats  étaient  en  présence  :  M.  Gustave  Larroumet,  directeur  des  Beaux- 
Arts,  et  M.  Georges  Lafenestre,  critique  d'art  bien  connu.  Sur  44  votants, 
M.  Larroumet  a  été  élu  par  27  voix  contre  16  accordées  à  M.  Lafenestre 
et  1  bulletin  blanc. 

—  Le  jury  du  concours  de  la  Ville  de  Paris  pour  la  composition  d'une 
œuvre  musicale  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  a  rendu  jeudi  son  juge- 
ment. Il  a  été  décidé  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  donner  le  prix,  mais  on  a 
accordé  une  mention  à  la  partition  Uérowig,  de  M.  Samuel  Rousseau,  avec 
l'attribution  d'une  subvention  de  6,000  francs  pour  le  cas  où  il  voudrait 
faire  procéder  à  une  audition  publique  de  son  œuvre. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  des  artistes  dramatiques  a  eu  lieu 
mardi  dernier,  dans  la  salle  des  concerts  du  Conservatoire.  M.Eugène  Gar- 
raud  a  fait  le  compte-rendu  des  travaux  de  l'année  et  de  la  situation  de  la 
Société;  dans  cette  longue  énumération  de  faits,  nous  avons  appris  que  la 
fortune  de  celle-ci  était,  aujourd'hui,  de  cent  quatre-vingt  mille  livres  de 
rente,  qu'elle  élevait  quinze  orphelins,  servait  des  pensions  à  trois  cent 
cinquante-six  vieillards,  et  que  la  proportion  des  sociétaires  secourus 
était  de  un  sur  cinq.l,e  bal  annuel,  la  principale  ressource  de  l'Association, 
a,  cette  année,  trompé  les  espérances  du  comité;  il  n'a  produit  qu'un 
bénéfice  de  3,106  fr.  10  c.  M'"'  Michaux-Château  a  légué  par  testament 
une  rente  de  mille  francs  pour  secourir,  tous  les  ans,  une  actrice  dans  le 
malheur.  L'annonce  de  ce  bienfait  a  produit  un  grand  effet  sur  l'auditoire. 
Le  nom  du  savant  oculiste  Galezowski  a  été  très  applaudi  pour  les  soins 
que  l'éminent  praticien  donne  gratuitement  aux  sociétaires.  Les  artistes 
du  Palais-Royal  ont  donné  une  obligation  de  la  Ville  de  Paris,  avec 
laquelle  ils  espèrent  que  la  Société  gagnera  prochainement  cent  mille 
francs.  Les  comédiens  du  Théâtre-Français  de  Saint-Pétersbourg,  comme 
tous  les  ans,  se  sont  montrés  généreux  envers  l'Association.  Il  y  a  eu 
dans  l'année  cent  seize  admissions  et  soixante-six  décès.  Le  comité  a 
liquidé  vingt  et  une  pensions  nouvelles.  M.Halanzier,  auquel  le  rapporteur 
avait  ménagé  une  ovation,  a,  dans  une  improvisation  touchante  et  remplie 
de  cœur,  obtenu  aussi  un  très  grand  succès,  La  lecture  du  rapport  ter- 
minée, on  a  procédé  aux  élections,  auxquelles  ont  pris  part  210  votants, 
et  dont  voici  le  résultat  :  MM.  Halanzier,  président,  210  voix;  Coquelin 
aine,  207;  Latouche,  203;  Maubant,  204;  A.  Michel,  207;  R.  Duflos,  202; 
A.  DubuUe,  194;  Charles  Masset,  197.  Ces  deux  derniers  en  remplacement 
de  Ch.  Ponchard,  décédé,  et  de  M.  Valdéjo,  démissionnaire.  Dans  la 
séance  du  comité  qui  a  suivi  l'assemblée  générale,  le  bureau  de  l'Asso- 
ciation a  été  composé  comme  suit  :  Président,  M.  Halanzier  ;  vice-pré- 
sidents, MM.  Gabriel  Marty,  Ritt,  Maubant  et  Dumaine  ;  secrétaire  rap- 
porteur, par  acclamations,  M.  Eug.  Garraud  ;  secrétaires,  MM.  Gerpré, 
Saint-Germain,  Morlet  et  Pellerin  ;  archiviste,  M.  Manuel. 

—  Voici  comment  M.  Georges  Boyer  rend  compte,  dans  le  Figaro,  de 
l'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  musiciens  : 
«  L'Association  des  Artistes  musiciens  s'est  réunie  en  assemblée  générale, 
hier  jeudi,  au  Conservatoire,  pour  entendre  la  lecture  du  compte-rendu 
des  travaux  du  Comité  pendant  l'année  1890  et  pi-océder  à  ses  élections 
annuelles.  La  séance  était  présidée  par  M.  Colmet  d'Aage  ;  le  compte-rendu 
a  été  présenté  par  M.  Arthur  Pougin.  Le  rapporteur,  après  avoir  retracé 
dans  ses  grandes  lignes  la  marche  progressive  etprospère  de  l'Association, 
fondée  en  1843,  a  fait  connaître  que  la  Société  possède  aujourd'hui 
111,700  francs  de  rente,  représentant  un  capitalde  plus  de  trois  millions, 
et  qu'elle  sert  397  pensions.  En  moins  d'un  demi-siècle,  elle  a  réalisé  une 
recette  de  3,432,676  francs,  et  elle  a  distribué  à  ses  sociétaires  malheu- 
reux 1,968,944  francs,  soit  deux  millions  en  chiffre  rond.  Sur  les  cinq  mil- 
lions et  demi  que  l'Association  a  encaissés,  les  cotisations  n'entrent,  il 
est  vrai,  que  pour  une  somme  de  1,400,000  francs,  soit  le  quart  de  la 
recette  totale.  Le  reste,  la  grosse  somme,  provient  du  travail  fait  en 
commun,  des  messes,  des  fêtes,  des  concerts,  des  solennités  musicales 
organisées  chaque  année  par  le  Comité.  Mais  combien  les  ressources  de 
la  Société  seraient  augmentées  si  l'effectif  des  sociétaires,  au  lieu  de  se 
maintenir  au  chiffre  de  cinq  à  six  mille,  s'élevait  à  10,000,  à  20,000,  comme 
on  pourrait  l'attendre  d'après  le  grand  nombre  de  musiciens  qui  existent 
en  France!  Les  dons  et  legs  ont  aussi  contribué  à  accroître  la  fortune  de 


l'Association;  à  ce  sujet,  le  rapporteur  a  donné  lecture  d'une  lettre  d'une 
femme  de  cœur  et  de  bien,  M™°  Eugénie  Davainne,  qui,  «  désirant  recon- 
naître ainsi  les  jouissances  et  les  consolations  qu'elle  a  dues  à  la  musi- 
que »,  a  fait  don,  l'an  dernier,  à  l'Association  des  musiciens,  d'une  somme 
de  bO,000  francs.  Le  nom  de  M°"=  Eugénie  Davainne  a  été  salué  de  longs 
applaudissements.  Le  total  des  recettes  effectuées  en  1890  a  été  de 
233,774  fr,  90  c.  Il  a  été  dépensé  pendant  l'exercice  :  76,923  francs  pour 
les  pensions  de  droit,  5,830  en  pensions  de  secours,  14,765  francs  pour  les 
orphelins.  Il  a  été  employé  environ  170,000  francs  en  achat  de  rentes  et 
d'obligations  de  chemins  de  fer.  Tous  ces  chiffres  et  une  multitude  d'in- 
téressants détails  que  M.  Pougin  a  donnés  sur  le  fonctionnement  de  la 
Société  ont  été  exposés  avec  une  remarquable  lucidité  et  dans  une  langue 
dont  la  sobriété  n'exclut  pas  l'élégance.  Aussi  le  rapporteur,  souvent 
interrompu  par  les  bravos,  a-t-il  obtenu  en  terminant  sa  lecture  une  véri- 
table ovation.  Après  M.  Pougin,  M.  le  président  Colmet  d'Aage  a  pris  la 
parole  et,  dans  une  courte  allocution,  a  donné  les  meilleurs  conseils  aux 
sociétaires,  les  exhortant  surtout  à  activer  leur  propagande  en  faveur  de 
l'Association  afin  de  lui  rallier  des  adhérents  et  d'accroître  sa  prospérité 
en  augmentant  la  somme  du  travail  en  commun.  M.  Colmet  d'Aage,  a  ter- 
miné, en  annonçant  que  M.  Pinette,  de  Versailles,  qui  récemment  a 
témoigné  d'une  libéralité  si  grande  par  un  don  magnifique  en  faveur  des 
grands  prix  de  composition  musicale,  a  laissé  à  l'Association  une  somme 
de  40,000  francs.  M.  Colmet  d'Aage,  dont  l'éloquence  sympathique  n'avait 
pas  besoin  d'une  si  heureuse  nouvelle  pour  être  applaudie,  a  eu  à  son 
tour  une  ovation.  Il  a  été  procédé  ensuite  au  renouvellement  d'un  cin- 
quième des  membres  du  Comité.  Ont  été  élus  dans  l'ordre  suivant  : 
MM.  Ferdinand  Dubois,  Eugène  Gand,  E.  d'Ingrande,  H.  de  Thannberg, 
J.  Danbé,  Taffanel,  Verrimst,  Marcelin  Laurent,  Colonne,  Lhôte,  Gabriel 
Marie,  Lacombe,  pour  cinq  ans.  M.  de  Kerveguen,  président  de  la  Société 
des  Enfants  d'Apollon,  a  été  élu  pour  trois  ans.  » 

—  Nous  extrayons  du  compte  rendu  que  donne  le  Temps  du  voyage  et  du 
séjour  de  M.  Carnot  à  Toulouse,  ce  qui  a  trait  à  la  visite  faite  par  le  pré- 
sident de  la  République  au  Conservatoire,  et  à  la  représentation  de  gala 
donnée  au  théâtre  du  Capitole  :  —  «  Au  Conservatoire  de  musique,  dit 
notre  confrère,  dont  la  réputation  est  universelle,  qui  compte  plus  de  trois 
cents  élèves  chaque  année,  et  qui  a  donné  nombre  d'artistes  célèbres, 
chanteurs  ou  compositeurs,  des  fillettes  remettent  au  président  une  lyre 
en  fleurs  naturelles.  En  réponse  à  M.  DefTès,  directeur  du  Conservatoire, 
M.  Carnot  dit  qu'il  connaît  le  passé  du  Conservatoire,  qui  a  fourni  tant 
d'artistes  illustres,  et  que  son  présent  fait  présager  de  l'avenir.  Puis  il 
remet  les  palmes  d'officier  de  l'instruction  publique  à  M.  Deffès  et  les 
palmes  académiques  à  MM.  Sizes,  professeur  de  piano,  et  Birbet,  violo- 
niste aveugle,  qui  sont  surnommés  à  Toulouse  Oreste  et  Pylade,  tant  ils 
sont  attachés  l'un  à  l'autre.  Les  chœurs  d'élèves  du  Conservatoire  chantent 
avec  une  précision  remarquable  le  chœur  de  Psyché  et  celui  de  l'Étoile  du 
iVord.  » —  Voici  qui  concerne  le  spectacle  du  Capitole:  «  La  représentation 
de  gala  donnée  au  théâtre  du  Capitole  était  à  la  hauteur  de  la  réputation 
artistique  de  Toulouse.  Le  programme  comprenait  uniquement  des  œuvres 
de  Toulousains,  de  Deffès,  Salvayre  et  Vidal,  prix  de  Rome,  et  d'artistes 
toulousains  des  deux  sexes  :  Roger-Miclos,  Bernard,  Daram,  Castagne, 
Escalaîs,  Muratet,  Affre,  Dupuy,  Frédéric  Boyer,  Garbonne  et  Soulacroix. 
On  donne  d'abord  une  Heure  de  mariage,  opéra-comique,  de  Dalayrac,  puis 
tous  les  artistes,  groupés  autour  du  buste  de  Dalayrac  et  entourés  parles 
membres  des  sociétés  chorales  toulousaines,  couronnent  le  buste.  La  Tou- 
lousaine qui,  depuis  une  dizaine  d'années,  est  comme  le  chant  national  de 
Toulouse,  est  entonnée  par  cette  énorme  masse  chorale  : 

0  moun  p3 js  ! 
0  Toulouse  !  Toulouse  I 
Qa'aymi  tas  flous, 
Toun  cet,  toun  soulel  d'or  1 
Alprép  dé  tu,  l'amo  se  sent  hurouso. 
Et  tout  ayssi  mé  réjouis  lé  cor! 
(0  mon  pays!  ô  Toulouse!  Toulouse!  J'aime  tes  fleurs,  ton  ciel,  ton  soleil  d'or. 
Auprès  de  toi,  l'âme  se  sent  heureuse,  et  tout  ici  me  réjouit  le  cœur.) 

Il  est  minuit.  On  entend  encore  V Hymne  à  Carnot  en  texte  languedocien,  de 
M.  Fourès,  musique  de  M.  Paul  Vidal,  et,  après  la  Marseillaise,  que  toute 
la  salle  écoute  debout,  M.  Carnot  se  retire,  acclamé  par  les  spectateurs  qui 
veulent  jusqu'à  deux  heures  du  matin  écouter  la  suite  du  programme.  » 

—  Le  livre  que  M.  Théodore  Radoux,  l'excellent  directeur  du  Conser- 
vatoire de  Liège,  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Vieuxtemps,  savie,  ses  œuvres 
(Liège,  Bénard,  un  vol.  in-8),  mérite  mieux  qu'une  mention  rapide  et 
quelques  lignes  cursives.  Ce  livre  est  la  reproduction,  luxueuse  et  fort 
élégante,  de  la  biographie  écrite  par  M.  Radoux  pour  l'Académie  royale 
de  Belgique,  dont  il  est  membre,  et  qui  avait  paru  il  y  a  quelques  se- 
maines dans  l'intéressant  Annuaire  de  cette  compagnie.  Vieuxtemps  lui- 
même  avait  été,  avec  Fétis,  Charles  de  Bériot  et  le  fameux  compositeur 
chef  d'orchestre  Haussons,  l'un  des  premiers  membres  de  la  classe  des 
beaux-arts  de  l'Académie,  et  c'est  à  ce  titre  que  son  éloge  devait  figurer 
dans  les  annales  de  celle-ci.  Ancien  ami  personnel  et  juste  admirateur 
de  l'illustre  violoniste,  musicien  d'une  instruction  rare,  doué  d'un  rare 
sentiment  critique,  mis  à  même  d'être  informé  aux  sources  les  plus  abon- 
dantes et  les  plus  sûres,  M.  Radoux  était  apte  plus  qu'aucun  autre  à 
retracer  la  vie  de  Vieuxtemps,  à  apprécier  son  double  talent  de  virtuose 
et  de  compositeur.  L'existence  très  curieuse  et  très  mouvementée  de  l'ar- 


468 


LE  MÉNESTREL 


liste  est  racontée  par  lui  de  la  façon  la  plus  attachante,  le  récif,  en  est 
fort  intéressant,  et  relevé  de-ci  de-là  par  toute  une  série  d'anecdotes  typi- 
ques et  peu  connues.  Quant  au  jugement  porté  sur  Vieuxtemps,  considéré 
sous  son  double  aspect  artistique,  nul  n'eût  su  fair&mieux  que  M.  Radoux, 
nul  ne  l'eût  fait  avec  plus  de  tact,  desavoir  et  dé  vrai  sentiment  musical. 
C'est  plus  qu'un  hommage,  c'est  presque  un  monument  élevé  à  la  gloire 
du  noble  et  grand  artiste  que  nous  autres  en  France,  nous  aimons  d'au- 
tant plus  qu'il  donna  toujours  à  notre  cher  pays  les  preuves  d'une  ardente 
et  inaltérable  afl'ection.  Imprimé  avec  une  rare  élégance,  le  livre  de 
M.  Radoux  se  recommande  autant  au  point  de  vue  matériel  qu'à  tous  autres 
égards.  Il  est  illustré  de  gravures  qui  sont  elles-mêmes  de  véritables  do- 
cuments, tels  que  le  très  curieux  portrait  de  Vieuxtemps  à  l'âge  de  sept 
ans,  celui  qui  date  de  quelques  années  après,  la  reproduction  de  son  buste 
et  la  charge  de  Dantanjeune.  Il  contientainsi  toute  une  série  de  portraits 
fort  intéressants,  dont  quelques-uns  fort  joliment  dessinés  parM"'=  Radoux, 
lille  de  l'auteur,  et  de  curieux  autographes.  En  résumé,  c'est  là  un  livre 
utile,  et  qui  restera.  A.  P. 

—  Samedi  prochain  30  mai,  à  10  heures  1/2  du  matin,  aura  lieu  à 
l'église  SaintGervais  une  audition  de  la  grande  messe  en  mi  bémol,  de 
Schubert,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre;  cent  exécutants,  sous  la  direction 
de  M.  Charles  Bordes. 

—  M.  Koszul,  directeur  du  Conservatoire  de  Roubaix,  qui  a  donné  l'an 
passé,  avec  le  concours  de  l'orchestre  qu'il  dirige,  un  brillant  festival-Gou- 
nod,  vient  d'organiser  dans  le  même  genre  un  Festival-Guiraud,  qui  doit 
avoir  lieu  demain  lundi  25  mai,  et  dont  voici  l'intéressant  programme  : 
1»  Première  suite  d'orchestre;  2"  ballet  de  Grclna-Gi-een;  3°  Danse  persane  ; 
-4"  romance  de  Madame  TuHupin  ;  5°  sérénade  de  Galante  Aventure  ;  6"  ber- 
ceuse pour  soprano  ;  7°  ouverture  de  PiccoUiio,  scène  et  chœur  de  Noël, 
chanson  de  Piccolino,  mélodrame  et  air,  carnaval  (chœur  final).  C'est 
M.  Guiraud  lui-même  qui  dirigera  l'exécution  de  ses  œuvres  ;  l'orchestre 
est  composé  de  soixante-quinze  artistes,  et  les  chœurs  ne  comprennent  pas 
moins  de  120  exécutants,  savoir  :  30  soprani,  30  contralti,  2.5  ténors  et 
86  basses.  Voilà  certes  un  essai  de  décentralisation  intéressant,  et  l'on  est  en 
droit  d'espérer  que  le  Festival-Guiraud  ne  sera  pas  moins  heureux  que  le 
Festival-Gounod,  dont  le  succès,  l'an  dernier,  a  été  colossal.  Ajoutons  que 
M.  Koszul  prépare,  pour  l'année  prochaine,  une  fête  musicale  du  même 
genre  eu  l'honneur  de  M.  Théodore  Dubois. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Charmanteréunion  musicale  mercredi  dernier  chez  notre  confrère  Gaston 
Bérardi,  directeur  de  l'Indépendance  belge.  On  y  a  entendu  M™°  de  Nuovina, 
l'une  des  étoiles  du  théâtre  de  la  Monnaie,  dont  la  voix  pénétrante  a  fait 
merveille.  Elle  a  chanté  un  air  d'Esclarmonde,  VArioso  de  Delibes,  puis,  avec 
MM.  Bouvet  et  Delmas,  le  trio  de  Faust.  Très  grand  succès.  M.  Bouvet  a 
dit,  seul,  avec  son  talent  accoutumé,  une  vieille  romance,  Pauvre  Jacques, 
et  le  Citant  du  Re'itre,  du  maître  de  la  maison,  un  des  effets  de  la  soirée. 
M.  Delmas  a  très  bien  chanté  la  cantilène  de  Lakmé.  Il  y  avait  aussi  co- 
médie, avec  M°"'s  Réjane,  Théo,  Lavigne  et  les  deux  Coquelin  père  et  fils. 
On  voit  que  c'était  un  programme  de  choix.   ^ 

—  Le  succès  des  concerts  d'orgue  et  orchestre  donnés  au  Trocadéro  par 
M.  Alex.  Guilmant  s'affirme  de  plus  en  plus.  Tous  les  morceaux  de  ce 
beau  programme  ont  été  accueillis  avec  une  faveur  marquée,  surtout  le 
Soinmeil  d'Ariane  de  M.  Guilmant  pour  orgue,  orchestre  et  harpe,  qui  est 
une  œuvre  absolument  originale  et  élevée;  l'hymne  de  M.  Emile  Bernard, 
également  pour  orgue  et  orchestre,  spécialement  écrit  pour  ces  concerts,  a 
été  chaleureusement  applaudi,  ainsi  que  les  morceaux  pour  orgue  seul,  de 
MM.  Salomé  et  Franck.  Il  nous  faudrait  parler  aussi  de  l'exécution  de  la 
Passacaille  de  Bach  et  de  la  sonate  de  Mendelssohn.  M"°  Fanny  Lépine 
prêtait  le  concours  de  son  talent  à  cette  très  intéressante  séance,  et  a  chanté 
dans  la  perfection  un  air  de  Bach  et  un  autre  de  Hœndel.  Le  troisième 
concert  aura  lieu  jeudi  prochain,  28  mai,  avec  le  concours  de  MM.  Warm- 
brodt  et  Paul  Viardot.  L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Edouard  Colonne. 

—  Très  intéressante,  la  matinée  donnée  l'autre  samedi  par  M^i^  Ed.  Co- 
lonne, et  dans  laquelle  s'est  fait  entendre  l'élite  de  ses  élèves  de  chant. 
Séance  des  plus  artistiques,  qui  prenait  plus  d'intérêt  encore,  grâce  au 
concours  de  M.  Warmbrodt,  de  la  jeune  violoniste  Juliette  Dantin,  du 
poète  Jean  Rameau,  de  M™  Pauline  Viardot,  accompagnant  plusieurs  de 
ses  mélodies,  et  du  savant  professeur,  M""=  Ed.  Colonne  et  de  sa  charmante 
belle-lille,  qui  ont  chanté,  en  toute  perfection,  des  duos  d'Ed.  Lassen 
(Avril  et  Chanson  de  mai)  et  des  danses  de  Brahms,  arrangées  par  M""s  Viar- 
dot en  un  duo  tout  à  fait  original.  Pour  terminer  cette  solennité,  M^'^  Ed. 
Colonne  s'est  improvisée  chef  d'orchestre,  faisant  concurrence  à  son  mari, 
et  a  conduit  deux  chœurs  :  les  Norwégieanes  de  Delibes,  et  Psi/ché,  de 
M.  Ambroise  Thomas,  merveilleusement  interprétés  par  leurs  élèves.  Parmi 
ces  dernières,  on  a  très  remarqué  l'intelligence  et  lejoli  art  de  chanter  de 
M""=  de  Berny. 

—  A  la  soirée  musicale  qui  a  suivi  le  dernier  dîner  franc-comtois  des 
Gauies,  on  a  entendu  plusieurs  morceaux  du  recueil  des  Mélodies  populaires 
de  M.  Julien  Tiersot,  notamment /«  Pernette,  le  Pauvre  laboureur,  Rossigno- 
let  du  bois  joli.  En  passant  par  la  Lorraine,  etc.   Ces   dernières,  notamment, 


ont  été  chantées  d'une  façon  charmante  et  avec  une  grande  justesse  de 
voix  et-.Ele  diction  par  une  élève  du  Conservatoire,  M""  Blanckaërt.  M.  Da- 
vrigny,  de  la  Comédie-Française,  MM.  A.  Dien,  Paul  Brand  et  Ratez  ont 
été  également  applaudis  dans  les  autres  parties  du  programme. 

—  La  Société  d'auditions  Emile  Pichoz  a  offert  aux  invités  de  sa  der- 
nière séance  la  primeur  d'un  opéra-comique  en  deux  actes  intitulé /a  Pierre 
enchantée,  dont  la  musique,  signée  Georges  Villain,  a  trouvé  l'accueil  le 
plus  chaleureux.  Plusieurs  morceaux,  d'une  facture  élégante  et  d'un  tour 
gracieux,  ont  été  bissés  aux  excellents  interprètes,  qui  s'appelaient 
Mmes  Durand  (de  lOpéra-Comique),  Debério  (des  Bouffes),  MM.  Vallon  et 
Grimaud. 

—  Soirées  et  Concerts. —  Mardi,  12  mai,  très  intéressant  concert  de  M"°  José- 
phine Martin  avec  le  concours  de  M""  Godard,  viotoniste,  et  de  M.  Hasselmans, 
liarpisle.  M'  '  Martin  a  interprété  avec  son  talent  bien  connu  la  Sonate  à  Kreutzer, 
de  Beethoven  ;  elle  a  été  très  applaudie  dans  plusieurs  pièces  de  Chopin,  une 
Tarentelle  de  Rubinstein,  et  quelques-unes  de  ses  compositions.  Grand  succès 
aussi  pour  M""  Godard,  qui  a  dit  à  ravir  le  Cygne  de  Saint-Saëns  et  la  Mazurka 
de  Wieniawski.  La  partie  vocale  était  réservée  à  M""^  Watto  et  à  M.  Rondeau,  qui 
s'en  sont  admirablement  acquittés.  —  Le  concert  de  l'excellent  professeur  de 
chant  M""  Cécile  O'Torke,  a  été  de  tout  point  réussi  ;  nous  adressons  nos  plus 
sincères  félicitations  à  la  charmante  bénéficiaire  et  à  ses  vaillants  partenaires. 
Nous  devons  une  mention  spéciale  à  M.  Fiirstenberg,  l'élève  favori  de  Delle- 
Sedie,  qui  nous  a  enthousiasmés  en  chantant  avec  une  voix  splendide,  un  art 
consommé  et  une  chaleuf  vraiment  communicative,  le  duo  du  Trouvère,  Medjé,  de 
Gounod,  et  une  délicieuse  mélodie  de  Léo  Delibes,  les  Regrets,  qui  lui  a  été 
redemandée  par  la  salle  entière.  —  Jeudi  dernier  a  eu  lieu,  dans  les  salons  de 
l'éminent  professeur  de  piano  M"°  Barbier-Jussy,  une  audition  des  œuvres  du 
sympathique  compositeur  Paul  Wachs  Parmi  les  plus  applaudies,  nous  citerons 
la  Mazurka  des  Sauterelles,  la  Polka  électrique  et  la  Vatse  interrompue.  —  Le  19  mai, 
concert  de  M"*  Gabrielle  Ferrari  avec  le  concours  de  M.  Plançon.  Beethoven, 
Schumann,  Chopin  et  Liszt  étaient  représentés  sur  le  programme  par  des  œuvres 
importantes.  On  a  remarqué  surtout  la  manière  fluide  et  légère  avec  laquelle  cer- 
taines compositions,  notamment  celles  de  Chopin,  étaient  interprétées.  M.  Plançon 
a  été  applaudi  dans  plusieurs  mélodies.  —  Le  19  mai,  salle  Pleyel,  très  intéres- 
sant concert  de  M"'  Albertina  Magnien,  élève  de  M.  Ch.  Dancla.  M""  Magnien 
a  joué  avec  beaucoup  de  solidité,  de  pureté  et  de  justesse  une  sonate  de  M.  Grieg, 
le  Souvenir  de  Prague  (Introduction  et  Rondo-caprice)  de  M.  Ch.  Dancla,  œuvre 
difficile,  bien  mélodique  et  très  brillante,  deux  jolies  pièces  de  M.  Godard  et  des 
morceaux  de  Vieuxtemps.  M"°  Cognault  a  été  très  fêtée  dans  la  valse  chantée 
du  Pardon  de  Ploërmel.  M.  Mazalbert  a  été  applaudi  dans  la  Sérénade  de  M"°  Holmes, 
et  M"^  Steiger  a  joué  avec  beaucoup  de  grâce  et  de  distinction  plusieurs  mor- 
ceaux de  piano.  —  Très  intéressante  matinée  d'élèves  chez  l'excellent  professeur 
Lœsser;  tous  ces  petits  virtuoses  s'en  sont  donné  à  cœur  joie  et  ont  tait  grand 
plaisir.  Remarqué  surtout  au  prog'amme  ;  l'Aragonaise  du  Cid  de  ■\Iassenet,  la 
Berceuse  de  Diémer,  la  Vatse  des  Pileuses  de  Rougnon,  le  Boléro  à  quatre  mains  de 
Scharwenka,  le  célèbre  duo  de  Lysberg  à  deux  pianos  sur  Don  Juan,  etc.,  etc. — 
Jolie  matinée  musicale  au  lycée  Michelet,  où  M"°  Clotilde  Kleeberg  a  interprété 
d'une  merveilleuse  façon  TAurore  de  Bizet  et  le  Réveil  de  Théodore  Dubois. 

—  Concerts  annoncés.  —  Jeudi  28  mai,  salle  Pleyel,  à  9  heures  précises  du  soir, 
concertau  profit  d'un  artiste,  donné  par  M"*  Jaëll,  avec  le  concours  de  M"*  Conneau, 
de  MM.  Warmbrodt,  Delaborde,  Marsick  et  TafTanel.  —  Lundi  soir  i"  juin, 
soirée  musicale  donnée  par  M.  Charles  Dancla  dans  les  salons  Pleyel  et  Wolff, 
avec  le  concours   de  M""    Cognault,   Magnien,  B.  Rie,  L.  Dancla,  et  de  Marcy. 

NÉCROLOGIE 

A  Londres  est  mort  un  professeur  réputé,  nommé  Joseph  Proudman, 
qui  était  l'un  des  adeptes  les  plus  fervents  du  système  musical  purement 
anglais,  connu  en  ce  pays  sous  le  nom  de  Tonic  sol-fa.  Né  en  1833  à 
Londres,  où  il  jouissait  d'une  véritable  renommée  comme  directeur  de 
chœurs,  il  avait  publié  en  cette  ville  deux  ouvrages  d'enseignement  qui  y 
avaient  été  très  favorablement  accueillis  :  Musical  Lectures  and  Sketches  (1869), 
et  Musical  Jossings  (1872). 

—  On  annonce  de  Rome  la  mort  d'un  dilettante  et  amateur  de  musique 
fort  distingué,  le  marquis  Emanuele  Pes  di  Villamarina,  gentilhomme 
d'honneur  de  la  reine  d'Italie,  qui  était  président  de  l'Académie  de  Sainte- 
Cécile. 

—  A  Buda-Pesth  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  71  ans,  un  chanteur  long- 
temps renommé,  Joseph  Ellinger,  qui,  de  simple  choriste  qu'il  avait  com- 
mencé par  être,  était  devenu  le  premier  ténor  chéri  du  public  du  Théâtre- 
National. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  chez  MACKAR  et  NOËL,  éditeurs  de  Tschaïkowsky,  22,  passage 
des  Panoramas,  Paris. 
A.  LA'VIGNAG,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire  : 
L'École  de  la  Pédale  du  Piano,   ouvrage   contenant  l'histoire  de   la 
Pédale  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à   nos  jours,   accompagnée 
de  nombreux  exemples  tirés  des  grands  maîtres  (80  pages  de  texte),  et  sui- 
vie de  Douze  Études  spéciales   pour   l'emploi  de  la  Pédale    (Ouvrage 
dédié  à  Louis  Diémer.) 

Un  beau  volume  in-4°,  net  :     13  francs. 
Du  même  auteur  : 

Op.  2-4.  Scherzo-Caprice 7  SO 

Op.  31.  Dix  Préludes,  divisés  en  cinq  cahiers,  chaque  cahier.   .     7  SO 


Dimanehe  31  Mai  1891. 


3139  -  57-  ANNÉE  -  W  22.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGBLr,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Ciiant,  20  fr.;  Teste  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (11'  article),  Albert  Sodbies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Une  préface  de  Ludovic  Halévy  à  propos 
de  Georges  Bizet.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  j.u  ijalon  des  Champs- 
Elysées  (3«  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Napoléom'dilettante  (1U«  article), 
Edmond  Neukomh  et  Paul  b'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

BERCEUSE 

nouvelle  mélodie  de  Balthasar-Florexce,  poésie  de  Ch.  Fuster.  —  Suivra 

immédiatement:  la  Captive,  mélodie  posthume  de  Gn.-B.  Lysberg. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Battons  le  fer,  nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra 
immédiatement  :  Aria,  pour  piano,  de  Robert  Fischhof. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Cbarles   JVIALHEFIBB 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 


RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lalla-Roiikh  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 

1862-1864. 

(Suite.) 

Pour  Bataille  d'amour,  le  cas  parait  plus  simple.  Une  comé- 
die d'intrigue,  animée,  amusante  et  rentrant  bien  dans  la 
catégorie  des  opéras-comiques  qu'on  aimait  autrefois;  une 
partition  écrite  par  un  musicien  qui  n'était  pas  sans  mérite, 
et  malgré  cela  un  échec,  complet  :  ainsi  en  avait  décidé  le 
caprice  du  public  !  Victorien  Sardou  et  Karl  Daclin  avaient 
arrangé  le  livret  d'après  une  œuvre  jouée  en  1786  ;  Guerre 
ouverte  ou  Muse  contre  ruse,  comédie  de  Dumaniant,  qui  s'était 
inspiré  de  Beaumarchais,  lequel  avait  puisé  dans  une  pièce 
espagnole  de  Moreta  y  Gabana,  intitulée  la  Chose  impossible.  La 
guerre  était  engagée  entre  un  comte,  Tancrède,  qui  aimait 
Diane  et  pariait  de  l'enlever,  et  un  baron  qui,  prétendant 
faire  épouser  sa  nièce  à  un  personnage  ridicule,  soutenait  le 
pari.  Après  mille  ruses  déjouées  savamment  de  part  et  d'autre, 
le  baron  tombait  dans  un  piège  imprévu.  Il  avait  soustrait 
à  la  jeune  fille  ses  vêtements  pour  rendre  l'enlèvement  im- 


possible; aux  habits  de  femme  on  substituait  des  habits 
d'homme;  le  baron,  trompé  par  le  costume,  prenait  sa  nièce 
pour  Tancrède  et  le  mettait  lui-même  à  la  porte  :  la  gageure 
était  ainsi  gagnée.  Si  la  pièce  était  gaie,  la  partition  ne  Tétait 
guère  ;  en  outre,  le  compositeur,  Vaucorbeil,  avait  eu  l'idée 
d'accorder  sa  musique  avec  le  cadre  où  se  passait  l'action,  et 
de  faire  par  conséquent  une  sorte  de  pastiche.  Dans  une 
opérette  donnée  récemment,  la  Petite  Fronde,  M.  Audran  s'était 
hasardé  dans  une  voie  analogue,  et,  cette  fois  encore,  malgré 
des  pages  charmantes,  le  public  demeura  froid.  C'est  que 
l'érudition  n'intéresse  jamais  que  les  érudits;  la  musique 
d'hier  attire  les  seuls  curieux  ;  les  ignorants  lui  préfèrent 
celle  d'aujourd'hui,  et  les  connaisseurs  celle  de  demain. 

Pour  écrire  ses  Bourguignonnes,  M.  Deffès  n'avait  pas  eu  tant 
de  souci  de  la  couleur  locale  ou  «  chronologique  »,  si  l'on 
peut  s'exprimer  ainsi.  Il  avait  traité  gaiement  le  sujet  gai  fourni 
par  Meilhac,  sujet  qui  transportait  l'idée  d'toi  Caprice  dans  le 
cadre  d'une  paysannerie,  et  ce  petit  acte  avait  réussi  à  la 
salle  Favart,  comme  il  avait  réussi  l'année  précédente  à 
Ems,  où  il  avait  été  donné  la  première  fois.  Ajoutons  que  la 
pièce  était  joyeusement  présentée  par  Ponchard,  M^Decroix, 
qui  rentrait  à  la  salle  Favart,  et  M"«  Girard,  qui  venait  y  faire 
consacrer  une  réputation  justement  conquise  au  Théâtre- 
Lyrique;  car  c'était  une  excellente  «  dugazon  »,  une  des 
meilleures  qu'ait  eues  l'Opéra-Comique  de  notre  temps. 

Ce  début  fut  d'ailleurs  le  plus  important  de  l'année  avec 
celui  d'Eugène  Bataille,  pour  qui  l'on  reprit  le  Caïd,  et  qui 
parut  le  5  septembre  un  tambour-major  «  élégant,  bon  chan- 
teur et  comédien  »  au  dire  des  journaux.  S'il  ne  valait  pas 
son  homonyme  Battaille,  dont  il  semblait  recueillir  la  suc- 
cession, il  était  appelé  à  rendre  du  moins  de  grands  services 
non  seulement  à  l'Opéra-Comique,  mais  encore  à  l'Opéra,  où, 
vingt-sept  ans  plus  tard,  il  créait  le  rôle  de  Charles-Quint 
dans  ïAscanio  de  Saint-Saëns,  et,  certain  soir,  sauvait  la  re- 
cette en  jouant  à  l'improviste  le  Saint-Bris  des  Huguenots. 

Les  autres  débutants  méritent  tout  juste  une  mention  : 
d'abord  M"<=  Périer  dans  le  Docteur  Miroholan  (rôle  d'Isabelle)  ; 
le  23  juin,  M.  Mirai  dans  le  Chalet  (rôle  de  Daniel),  ténor  en- 
gagé seulement  en  représentations  pour  juillet  et  août,  et  qui 
partit  ensuite  pour  Lyon  ;  puis,  dans  Haydée  M"«  Irène  Lam- 
bert, jeune  soprano  qui  venait  de  Rouen  et  devait,  l'année 
suivante,  chanter  à  Toulouse;  le  16  juillet,  M.  Carrier,  dans 
la  Fausse  Magie  (rôle  de  Dalin)  ;  en  août,  M.  Justin  Née  dans 
le  Songe  d'une  nuit  d'été  (rôle  de  Latimer),  jeune  ténor  qui  venait 
de  province  et  ne  tarda  pas  à  y  retourner;  ensuite  M.  ïïé- 
nault,  autre  ténor  qui  parut  dans  le  même  rôle  et  ne  donna 
que  quelques  représentations  ;  M.  Albert  dans  Haydée  (rôle 
d'Andréa),  ténorino  aussi  «  quelconque  »  que  son  nom 
même  ;  le  29  novembre,  M""^  Hennezel-Colas  dans  les  Noces  de 


170 


LE  MENESTREL 


Jeannette,  une  sœur  de  Stella  Colas,  qui  ne  fit  que  passer  ; 
enfin  M.  Trillet  àa.ns  Joconde  (rôle  de  Lucas),  ténor  léger  qui, 
après  avoir  chanté  à  Lyon,  avait  été  engagé  par  M.  Carvalho 
au  Théâtre-Lyrique:  sans  parler  de  M.  Bonnefoy,  baryton  de 
la  Monnaie  de  Bruxelles,  qui,  le  12  juillet  joua  dans  Galathée 
le  rôle  de  Pygmalion,  remplaçant  à  l'improviste  Troy,  subite- 
ment indisposé  ;  en  tout  neuf  artistes,  dont  pas  un  ne  put  se 
fixer  à  la  salle  Favart.  A  ces  noms  on  pourrait  joindre  celui 
de  M™  Ugalde,  qui  allait  et  venait  sur  l'ancien  théâtre  de  ses 
succès,  et,  sortant  des  Bouffes,  donnait  en  juillet  quelques 
représentalions  de  Galathée.  D'autres  .enfin  étaient  partis  au 
cours  de  l'année,  comme  Gaussade,  engagé  à  Alger,  M"^'  Fer- 
dinand et  Bléau,  toutes  deux  engagées  à  Bordeaux. 

Mais  la  troupe  gardait  d'assez  bons  éléments  pour  suiBre 
aux  besoins  des  reprises,  et  celles-ci  furent  assez  nombreuses 
en  1863  ;  le  directeur  de  Leuven  se  conformait  à  la  ligne  de 
conduite  tracée  par  son  prédécesseur  Emile  Perrin.  Rappelons 
donc: 

Le  27  avril,  la  Chanteuse  voilée  avec  Capoul,  Gourdin  et  M"*^  Mari- 
mon,  pièce  qui  n'avait  pas  été  jouée  depuis  4853  et  qui, 
après  onze  représentations,  disparut  à  jamais  de  l'affiche. 

Le  7  mai,  Hatjdée  qui,  à  vrai  dire,  n'avait  jamais  quitté  le 
répertoire,  mais  où  paraissaient  pour  la  première  fois,  dans 
les  deux  principaux  rôles,  Âchard  et  M"«  Baretti.  Le  premier 
soir,  Prilleux,  un  excellent  Dominico,  fut  remplacé,  pour  cause 
d'indisposition,  par  son  camarade  Duvernoy,  et  la  représen- 
tation put  suivre  son  cours;  les  journaux  firent  bien  quel- 
ques réserves  sur  cette  nouvelle  distribution,  mais  le  public 
parut  la  trouver  à  son  goût,  puisque  Haydée  fut  encore  jouée 
trente  fois  avant  la  fin  de  l'année. 

Le  6  juin,  Zn»ipa,  qu'on  n'avait  pas  revu  depuis  1858.  Mon- 
taubry  (Zampa),  Capoul  (Alphonse),  Sainte-Foy  (Dandolo), 
Potel  (Daniel),  M"<^s  Gico  (Camille)  et  Belia  (Rita),  formaient 
un  ensemble  excellent,  et  assurèrent  le  succès  de  cette  reprise, 
la  plus  brillante  même  obtenue  par  l'ouvrage  depuis  son 
apparition,  puisqu'elle  ne  compta  pas  moins  de  cinquante  et  une 
représentations  en  cette  demi-année  1863. 

Le  16  juillet,  la  Fausse  Magie,  qui  datait  de  1773  et  n'a- 
vait guère  réussi  alors,  surtout  à  cause  de  la  médiocrité  du 
poème  de  Marmontel,  car  la  musique  en  est  charmante,  et 
Grétry  la  goûtait  plus  que  celle  de  beaucoup  d'autres  de  ses 
ouvrages  plus  populaires.  On  l'avait  bien  reprise  en  1828, 
mais  elle  n'avait  jamais  été  jouée  à  la  salle  Favarl.  Confiée 
à  Gourdin  (Dorimont),  Carrier  (Dalin,  rôle  de  début),  Pon- 
chard  (Linval),  M'''^^  Girard  (Lucette),  Rovelly  (M-^^  Saint-Clair), 
la  Fausse  Magie  obtint  un  regain  de  vingt  et  une  soirées. 
La  reprise  de  la  Fausse  Magie  avait  eu  lieu  le  même  soir 
que  la  représentation  des  Bourguignonnes  (16  juillet).  Un  mois 
plus  tard  on  célébrait,  comme  de  coutume,  la  fête  de  l'Empe- 
reur. L'année  précédente  on  avait  chanté  les  bienfaits  de  la 
paix,  cette  fois  on  célébrait  les  gloires  de  la  guerre,  et  quelle 
guerre,  hélas  !  celle  du  Mexique.  A  l'Opéra,  la  cantate,  com- 
posée par  M.  Gastinel,  s'appelait  simplement  Mexico;  à 
l'Opéra- Comique ,  la  cantate,  composée  par  Lefébure-Wély, 
s'appelait  Ajw'es  la  victoire  et  fut  dite  par  Troy,  Crosti,  M""  Gi- 
rard et  les  chœurs.  Ces  sortes  d'improvisations,  sur  com- 
mande, n'avaient  le  plus  souvent  d'autre  méi"ite  que  celui 
de  valoir  aux  auteurs  un  petit  cadeau  du  souverain.  Poètes 
et  musiciens  s'escrimaient  de  leur  mieux,  sans  éviter  toujours 
la  banalité,  et  M.  Bouscatel  avait  sans  doute  pensé  qu'il 
pouvait,  comme  les  autres,  accorder  sa  lyre.  C'est  ainsi  que 
l'on  entendait  une  série  de  strophes  dans  le  goût  de  celle-ci  : 

Formez  des  chœurs  et  que  f'on  danse  ! 
Mêlez  vos  refrains, 
Clairons,  tambourins  ! 
Ran,  plan,  plan,  ta,  ta,  ta. 
Allons,  en  cadence, 
Fêtons  l'abondance, 
Chantons  et  dansons 
Au  bruit  des  canons. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


UNE  PRÉFACE  DE  LUDOVIC  HALÉVY  A  TROPOS  DE  GEORGES  BIZET 

Le  succès  des  Notes  d'un  librettiste  de  notre  collaborateur  Louis  Gallet 
qui  furent  publiées  ici-même,  est  encore  trop  près  de  nous  pour  qu'on 
l'ait  oublié  déjà,  bien  que  les  hommes  et  les  choses  passent  vite  à  Paris. 
Ces  Notes  viennent  d'être  réunies  en  un  élégant  volume  et  elles  paraissent, 
cette  semaine,  chez  Calmann  Lévy.  Ce  n'est  pas  au  Ménestrel  que  nous 
avons  à  revenir  sur  les  mérites  de  ces  petits  récits  toujours  séduisants  et 
souvent  émus,  qui  touchent  à  tout  et  à  tous  d'une  main  légère  et  bien- 
veillante, encore  que  la  malice  et  l'esprit  y  trouvent  bien  leur  place  aussi. 
De  tout  cela,  nos  lecteurs  ont  pu  se  rendre  compte  par  le  menu,  puisque 
ces  notes  ont  d'abord  passé  sous  leurs  yeux.  L'auteur  y  a  bien  ajouté  de- 
ci  de-là  quelques  pages  importantes,  mais  le  principal  nous  a  été  donné 
eu  primeur.  Voici  pourtant  une  préface  inédite  qui  a  bien  son  prix,  puis- 
qu'elle est  signée  «Ludovic  Halévy  »  et  qu'elle  contient  nombre  dé  lettres 
charmantes  et  inédites  de  notre  pauvre  et  cher  Bizet.  Comme  nous  n'avons 
pas  grand'chose  à  vous  raconter  sur  les  théâtres  dans  leur  gestation  d'été 
—  quel  été!  —  nous  sommes  bien  heureux  de  vous  offrir  ce  joli  régal. 

PRÉFACE 

A  Louis  Gallet. 
«  Nous  sommes  bien  tristes,  car  nous  venons  d'apprendre  la  mort 
de  Léon  Benouville.  Donnez-vous  du  mal  pour  avoir  le  prix  de 
Rome,  luttez  au  retour  pour  vous  faire  une  belle  position,  et  cela 
aboutira  peut-être  à  mourir  à  trente-huit  ans.  Ça  n'est  pas  gai. 
Benouville  était  décoré  depuis  cinq  ans,  c'était  un  peintre  d'une 
valeur  incontestable,  et  l'Institut  l'aurait  très  certainement  élu  d'ici 
peu  d'années.   » 

Ces  lignes,  mon  cher  confrère  et  ami,  sont  de  Georges  Bizet.  Elles 
ont  été  écrites  à  Rome  le  17  février  18o7.  Lui  aussi  venait  de  se 
donner  du  mal  pour  avoir  le  prix  de  Rome.  Lui  aussi  devait  lutter 
pour  se  faire  um  belle  position,  et  il  mourait,  à  trente-six  ans,  pres- 
qu'au  lendemain  du  jour  où  il  avait  été  décoré,  et  très  certainement 
peu  d'années  le  séparaient  de  son  élection  à  l'Institut.  Toute  la  des- 
tinée de  Bizet  lient  en  ces  quelques  lignes  sur  la  mort  de  Léon 
Benouville. 

Vous  avez  bien  voulu  me  demander  d'écrire  la  préface  de  votre 
très  remarquable  volume.  J'ai  lu  avec  beaucoup  d'intérêt,  avec 
beaucoup  d'émotion,  ce  livre  où.  vous  parlez,  avec  tant  de  talent  et 
tant  de  cœur,  de  ceux  qui  ont  été  vos  compagnons  de  travail  et  de 
succès.  Vous  avez  pensé  que  je  pourrais  ajouter  quelque  chose  à 
votre  étude  sur  Bizet.  Savez-vous  ce  que  je  vais  faire?  Je  vais 
laisser  parler  Bizet  lui-même.  Cela  vaudra  mieux,  beaucoup  mieux 
que  tout  ce  que  je  saurais  dire. 

Quand  je  veux  retrouver  Bizet,  dans  tout  le  charme  de  sa  jeu- 
nesse, je  relis  une  longue  suite  de  lettres  écrites  par  lui  à  sa  mère 
pendant  son  séjour  à  la  villa  Médicis.  Je  vais  vous  donner  des 
extraits  de  ces  lettres.  Vous  verrez  ce  qu'il  était  à  dix-huit  ans, 
comment  il  écrivait,  comment  il  pensait,  comment  il  aimait,  enfin 
tout  ce  qu'il  y  avait  en  lui  de  bonté,   de  droiture  et  de  courage. 

Georges  Bizet  arrive  en  Italie,  et  le  voilà  tout  aussitôt  pris  de 
tendresse  et  d'admiration  pour  Rome  ;  on  a  fait,  il  y  a  quelques 
mois,  une  sorte  de  petite  campagne  contre  l'école  de  France  à  Rome. 
«  Des  peintres,  des  sculpteurs  en  Italie,  disait-on,  passe  encore, 
cela  peut  se  comprendre,  mais  des  musiciens,  pourquoi  ?  »  Pour- 
quoi? voici  la  réponse  de  Bizet  : 

«  Rien  n'est  beau  comme  Rome.  Plus  je  la  connais,  plus  je  l'aime 
Tout  est  admirable  ici.  Chaque  rue,  même  la  plus  sale,  a  son  carac- 
tère particulier  et  son  petit  reste  de  l'antique  ville  des  Césars.  Les 
choses  qui  me  frappaient  le  plus  à  mon  arrivée  à  Rome,  font  main-- 
tenant  partie  de  mon  existence  ;  les  Madones  au-dessus  de  chaque 
réverbère,  le  linge  à  sécher  étendu  à  toutes  les  fenêtres,  le  fumier 
au  milieu  des  places,  les  mendiants,  etc.,  etc.,  tout  cela  me  plait 
et  m'amuse. 

»  A  propos  de  mendiants,  hier,  un  monsieur  assez  mal  mis  m'a- 
borde en  me  demandant  l'aumône,  je  lui  donne  un  sou,  il  le  prend, 
le  regarde  d'un  air  méprisant,  puis  le  jette  par  terre,  et,  tirant  de 
sa  poche  un  élégant  porte-cigares  très  bien  garni,  me  le  présente, 
en  me  disant  :  —  Ils  coûtent  un  sou  et  demi. 

s  Je  voudrais  le  faire  visiter  le  paradis  que  nous  habitons  et  que 
l'on  nomme  villa  Médicis.  C'est  délicieux.  Les  levers  et  les  couchers 
de  soleil  sont  splendides.  Mon  rêve  est  plus  tard  de  venir  composer 
ici;  on  travaille  mieux  à  Rome  qu'à  Paris...  Plus  je  vais  et  plus  je 
plains  les  imbéciles  qui  n'ont  pas  su  comprendre  le  bonheur  des 
pensionnaires  de   l'Académie.  Au  reste,  je   remarque  que   ceux-là,     , 


LE  MÉNESTREL 


171 


X.,  Y.,  Z.,  n'ont  jamais  fait  grand'cliose,  tandis  que  Thomas, 
Halévy,  Gounod,  Berlioz,  Massé,  ont  les  larmes  aux  yeux  en  par- 
lant de  Rome. 

»  Ce  qui  me  frappe  le  plus,  c'est  l'innocence  des  naturels  du  pays, 
et  par  innocence,  j'entends  ignorance,  car  les  femmes  ne  sont  pas  plus 
vertueuses  ici  qu'à  Paris.  Moi  qui  espérais  en  quittant  la  France 
n'avoir  plus  d'exemples  de  la  légèreté  des  femmes  !  Je  suis  sur  que 
tu  es  furieuse  contre  moi  en  lisant  cela,  mais  que  veux-tu?  vous 
autres,  rares  femmes  vraiment  vertueuses,  qui  vivez  de  devoir,  de 
dévouement  et  d'amour  de  la  famille,  vous  ne  voulez  pas  com- 
prendre que  vous  avez  mille  fois  plus  de  mérite  que  les  saintes 
martyres,  vous  ne  le  croirez  jamais...  Heureusement,  nous  le  croyons 
pour  vous.  » 

Toutes  ces  choses  charmantes  sont  écrites  d'un  trait,  d'une  main 
rapide  et  légère,  sans  une  rature,  sans  une  hésitation.  Bizet  écrit 
comme  il  aime,  facilement,  naturellement,  à  cœur  ouvert.  Il  adorait 
sa  mère,  qui  était  une  personne  de  la  plus  haute  intelligence  ;  il  se 
plaisait  à  lui  rendre  compte  de  l'état  de  ses  travaux  et  du  mouve- 
ment de  ses  pensées.  Il  lui  écrivait  le  2  janvier  1839  : 

«  Voilà  un  an  que  je  suis  parti.  Je  n'ai  plus  que  deux  ans  à  être 
parfaitement  heureux.  Je  n'ai  pas  trop  mal  employé  mon  année.  J'ai 
lu  plus  de  cinquante  bons  volumes  tant  d'histoire  que  de  littéra- 
ture, j'ai  voyagé,  j'ai  appris  un  peu  l'histoire  de  l'art,  je  suis  devenu 
un  peu  connaisseur  en  peinture,  en  sculpture,  etc.,  j'ai  fait  autant 
de  musique  qu'on  peut  en  faire  en  quatre  mois  en  travaillant  cons- 
tamment. Enfin,  je  n'ai  pas  perdu  mon  temps.  Mon  envoi  boulotte 
toujours  gentiment,  il  sera  complètement  fini,  orchestré  et  copié  le 
1'='^  avril.  Tout  marche  bien.  Pourvu  que  je  trouve,  en  revenant, 
trois  jolis  actes  pour  le  Théâtre-Lyrique  1 

»  Ma  lettre  va  vous  arriver  en  plein  jour  de  l'an.  Je  vais  donc 
vous  envoyer  tous  mes  souhaits.  Je  commencerai  par  désirer  pour 
vous  deux  la  parfaite  santé  du  corps  sans  laquelle  la  sanlé  de  l'es- 
prit n'est  pas  possible.  Ensuite  je  demanderai  que  l'argent,  cet 
affreux  métal  auquel  nous  sommes  tous  soumis,  ne  vous  fasse  pas 
trop  défaut.  De  ce  côté-là  j'ai  un  petit  plan.  Quand  j'aurai  cent 
mille  francs,  c'est-à-dire  du  pain  sur  la  planche,  papa  ne  donnera 
plus  de  leçons,  ni  moi  non  plus.  Nous  commencerons  la  vie  de 
rentier  et  ce  ne  sera  pas  dommage.  Cent  mille  francs,  ce  n'est 
«  rien  »,  deux  succès  d'opéra-comique.  Un  succès  comme  le  Pro- 
phète rapporte  un  million.  Enfin,  je  me  souhaite  de  vous  aimer  tou- 
jours de  toute  mon  âme  et  d'être  toujours,  comme  aujourd'hui,  le 
plus  aimant  des  fils.  » 
Autre  lettre  de  ce  même  mois,  janvier  1839. 
«  Chère  mère,  je  commence  par  te  donner  des  nouvelles  de  mon 
travail  ;  elles  sont  bonnes.  Mes  idées  de  symphonie  me  poursuivent 
et  je  suis  presque  arrivé  à  mettre  un  finale  sur  ses  pattes.  J'ai  fait, 
je  crois,  d'immenses  progrès  ;  je  refais  très  facilement  et  je  sais  la 
valeur  de  ce  que  j'écris  ;  deux  bons  symptômes.  Je  crois  que  vous 
trouverez  que  ma  musique  actuelle  est  tout  autre  chose  que  ce  que 
je  faisais  à  Paris,  même  quand  je  réussissais.  Je  sens  que  plus  je 
vais,  plus  j'avance.  Espérons  que  je  ne  m'arrêterai  pas.  Il  faut  cela, 
■car  le  très  bien  est  si  difficile  qu'on  n'a  pas  assez  de  toute  la  vie 
pour  s'en  approcher.  » 

Vous  avez  entendu  parler  le  fils;  écoutez  maintenaat  l'ami.  Le 
mois  suivant,  Bizet  a  la  joie  de  voir  arriver  à  la  villa  Médicis  son 
camarade  Ernest  Guiraud.  Il  écrit  à  sa  mère  : 

«  Guiraud  est  arrivé  ;  il  est  aimable,  modeste,  franc  et  loyal  ; 
nous  avons  les  mêmes  idées  musicales.  Il  m'a  joué  sa  cantate,  qui 
est  fort  bonne;  c'est  infiniment  supérieur  à  la  mienne;  c'est  plus 
fait,  mieux  senti;  c'est  plus  l'œuvre  d'an  homme.  » 

Bizet  a  l'amour  du  travail,  la  passion  de  son  art.  Il  a  peur  de  ne 
jamais  l'atteindre,  ce  li-és  bien  dont  il  cherche  sans  cesse  à  appro- 
cher. Dans  une  heure  d'inquiétude  il  écrit  à  sa  mère,  le  S  jan- 
vier 1860  : 

«  Ah!  que  je  regrette  de  ne  pas  l'avoir  à  côté  de  moi  pour  te 
demander  ton  avis  sur  mon  travail.  Enfin,  tu  nje  diras  cela  au 
retour.  Ma  carrière  me  semble  de  plus  en  plus  épineuse.  II  y  a  des 
moments  oii  l'on  regretterait  presque  de  n'être  pas  dans  les  soies 
ou  dans  les  cannelles.  A  propos  de  cannelle,  je  viens  de  manger  un 
gâteau  qui  en  était  rempli.  Ces  diables  d'Italiens  n'eutendent  rien 
ni  à  l'art  ni  à  la  pâtisserie,  qui  sont  les  deux  préoccupations  cons- 
tantes de  ton  fils  chéri  et  chérissant.  » 

Deux  mois  après,  la  confiance  est  revenue,  et  Bizet  écrit  : 

20  mars  ISGil. 
«  Je  t'ai  annoncé  la  fin  de  Vasco  de  Gama.  C'est  orchestré  et  copié. 


Je  pourrais  me  contenter  de  cela  :  qualité,  quantité,  je  crois  que 
c'est  suffisant  comme  envoi  de  Rome.  Mais  désirant  faire  un  travail 
plus  important  que  l'année  dernière,  j'avais  commencé  l'Amour  peintre 
de  Molière.  Je  me  suis  arrêté,  voici  pourquoi. 

»  Tu  sais,  ou  plutôt  tu  ne  sais  pas,  que  l'Académie,  outre  son  rap- 
port imprimé,  fait  un  rapport  écrit  qui  nous  est  adressé.  Ce  rapport 
contient  ordinairement  des  conseils  et  des  critiques  qui  ne  sont  pas 
dans  l'autre.  Nous  venons  de  recevoir  ce  manuscrit.  L'article  me 
concernant  est  encore  plus  flatteur  que  ce  que  tu  connais,  mais  il 
est  précédé  d'un  petit  suif  ainsi  conçu  : 

«  Nous  devons  blâmer  M.  Bizet  d'avoir  fait  un  opéra  bouffe,  quand 
le  règlement  demandait  une  messe.  Nous-  lui  rappellerons  que  les 
natures  les  plus  enjouées  trouvent  dans  la  méditation  et  l'interpré- 
tation des  choses  sublimes  un  style  indispensable  même  dans  les 
productions  légères  et  sans  lequel  une  œuvre  ne  saurait  être  du- 
rable. » 

»  Tu  comprends  que  cela  a  changé  un  peu  mes  projets,  et  j'ai 
immédiatement  abandonné  le  petit  opéra-comique.  Le  parti  le  plus 
simple  était  de  compléter  mon  œuvre  par  un  Credo.  Ce  morceau  de 
la  messe  présente,  outre  le  sentiment  religieux,  un  drame,  une  action  : 
le  Resurrexit  et  le  Et  ascendit...  Mais  je  ne  veux  pas  faire  une  messe 
avant  d'être  en  état  de  la  faire  bien,  c'est-à-dire  chrétienne.  J'ai  donc 
pris  une  résolution  singulière  pour  accorder  mes  idées  avec  l'exi- 
gence réglementaire  de  l'Académie.  On  me  demande  du  religieux... 
Eh  bien,  je  ferai  du  religieux,  mais  du  religieux  païen.  Carmen 
seculare  (Chant  séculaire)  d'Horace  me  tentait  depuis  longtemps. 
Rien  de  plus  beau  dans  l'antiquité  latine,  et  Virgile,  et  Lucrèce,  et 
Horace  lui-même,  n'ont  rien  écrit  d'aussi  grand,  d'aussi  pur,  d'aussi 
élevé.  C'est  un  chant  à  Apollon  et  Diane,  à  deux  chœurs,  c'est  de 
la  poésie  libre  au  lieu  de  prose,  ce  qui  est  beaucoup  plus  mesuré, 
plus  rythmé,  plus  musical.  Puis,  à  vrai  dire,  je  me  sens  plus  pa'ien 
que  chrétien.  J'ai  toujours  lu  les  antiques  avec  un  plaisir  infini.  » 

Dans  les  premiers  jours  de  juin,  avant  d'emballer  son  envoi,  il  relit, 
il  revoit  son  Vasco  de  Gama.  Et  décidément  il  est  content;  son 
opinion  est  faite,  et  elle  est  bonne  : 

«  Je  te  dis  cela  en  cachette,  tout  à  fait  en  cachette.  II  faut  que 
ce  soit  toi  pour  que  j'ose  une  pareille  confidence  ;  je  sens  que  j'ai 
fait  presque  bien  et  que  je  vais  faire  dix  fois  mieux  encore.  Je 
peux  affirmer  enfin  que  je  suis  un  musicien,  ce  dont  j'ai  douté  bien 
longtemps.  Que  j'arrive  en  deux,  quatre  ou  dix  ans,  peu  importe. 
Je  suis  assez  jeune  pour  ne  pas  perdre  l'espérance  de  jouir  de  mes 
succès.  » 

A  chaque  page,  dans  ces  lettres,  on  rencontre  de  ces  phrases 
déchirantes  :  assez  jeune  piour  jouir  de  mes  succès.  Et  jamais  il  n'en  a 
joui.  Vous  donnez,  dans  votre  étude  sur  Bizet,  de  bien  curieux 
extraits  des  articles  publiés  sur  Djamileh.  Aussi  cruels,  aussi  in- 
justes, furent  les  articles  sur  Carmen..  Je  vois  encore  Bizet  lisant 
ces  articles,  au  lendemain  de  la  première  représentation.  Attristé, 
oui  certes  il  l'était,  mais  découragé,  non.  Il  allait  partir  pour  la 
campagne.  Il  vous  demandait  votre  manuscrit  de  Geneviève  de  Paris, 
C'était  à  cela  qu'il  voulait  se  donner  tout  entier...  et  la  mort  est 
venue.  Pauvre  cher  Bizet  !  Une  intelligence  si  haute  et  un  cœur  si 
tendre  !  Dans  ses  lettres  de  Rome  il  se  montre  tel  qu'il  était  à 
vingt  ans,  tel  qu'il  a  toujours  été.  Jusqu'au  dernier  jour,  il  a  gardé 
cette  ardeur  dans  le  travail,  cet  enthousiasme  pour  son  art,  cette 
fidélité  dans  l'amitié,  cette  jeunesse  et  cette  fraîcheur  d'âme. 

Au  nom  de  tous  ceux  qui  l'ont  aimé,  je  vous  remercie  d'avoir 
écrit  sur  lui  ces  pages  louchantes,  et  vous  me  saurez  gré,  j'en  suis 
sûr,  d'avoir  fait  écrire   par  Bizel  cette  préface  que  je  ne  puis  signer 

que  pour  copie  conforme. 

Ludovic  Halévy. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU      SALON     DES      CHAMPS-ELYSÉES 


Cette  revue  à  vol  d'oiseau  du  Salon  de  1891  serait  incomplète  si 
je  ne  faisais  une  large  part  au  portrait,  qui  reste  une  des  gloires 
incontestées  de  notre  école  française.  En  première  ligne,  quelques 
études  très  fines  et  d'un  rendu  suggestif  :  M"=  Brandès,  par  M.  Char- 
tran;  le  violoniste  Lefort,  par  Comerre;  Sully-Prudhomme,  par  Georges 
Sauvage;  Duponl-Vernon,  par  Louis-Edouard  Fournier;  M.  Mobis- 
son,  par  Resseq;  Jean  Coquelin,  par  Duvent;  Marais  (dans  Ther- 
midor), par  Albert  Lambert;  M""  Eames,  par  Julian  Story;  Sarah 
Bernhardt,  par  Spindler.  Mention  spéciale  au  portrait  de  M.  Lamou- 
reux,  par  M"'"  Coeffier,  une  des  belles  œuvres  du  Salon,  d'une  exé- 


i72 


LE  MEiNESTREL 


cution  magistrale  et  d'une  étonnante  vérité.  C'est  le  coin  de  l'as- 
tualité,  et  celui  oii  s'entasse  le  plus  volontiers  le  Tout-Paris  des 
vendredis  fashionables. 

A  signaler  encore  un  intéressant  portrait  au  pastel  de  M™'  Jules 
Cohen,  par  M""  Van-Parys;  un  autre  pastel  d'après  Laroche,  de  la 
Comédie-Française,  par  Laissement;  et,  dans  la  même  série,  une 
bonne  aquarelle  de  M"'  Delaeroix-Garnier,  «  Musique  de  chambre  », 
ainsi  que  deux  compositions  de  M.  Gorguet  pour  l'illustration  de 
Psyché. 

Les  graveurs  prennent  cette  année  une  brillante  revanche  de  la 
quarantaine  ou  les  tenait  jadis  la  Société  des  Artistes  libres,  au  seuil 
de  la  terre  promise,  je  veux  dire  en  des  salles  si  lointaines,  si 
froides,  si  enténébrées,  qu'elles  donnaient  une  idée  approximative 
des  limbes  où  doivent  errer  —  éternellement  —  les  âmes  des  artistes 
médiocres,  en  dehors  du  blAme  comme  au-dessous  de  la  louange. 
Cette  année,  les  graveurs  ont  deux  salles  enclavées  dans  les  gale- 
ries de  peinture,  et  il  faudrait  un  parti  pris  bien  tenace  pour  les 
ignorer.  Aussi  bien,  dans  ce  bataillon  compact,  les  spécialistes  qui 
nous  intéressent  forment  une  compagnie  de  belle  apparence.  Voici 
la  «  Chimère  »  de  Gustave  Moreau,  par  M.  Manchon;  une  incom- 
parable «  Mignon  «  de  Chauvel,  d'après  Rolshoven;  la  «  Danseuse  » 
de  Ruffe,  d'après  Flameng  ;  la  «  Danse  des  bacchantes  »  de  M""  Leluc 
d'après  Corot;  la  «  Cigale  »  de  Lamotte,  d'après  Metzmacker;  la 
jeune  fille  recueillant  la  tète  d'Orphée  de  Perret,  d'après  Gustave 
Moreau;  la  Jeune  femme  jouant  de  la  mandoline  de  Deprad,  d'après 
Palmaroli;  la  «  Musique  sacrée  »  de  M'"^  Martha,  d'après  Dubufl'e- 
la  «  Pavane  »  de  Champollion,  d'après  Jacquet.  Une  belle  eau-forle 
de  Dake  :  Beethoven.  Enfin  un  chef-d'œuvre  :  les  illustrations  de 
Fantin-Latour  pour  l'Enfance  du  Christ  de  Berlioz  et  Lohengrin  de 
"Wagner. 

La  supériorité  de  notre  école  de  sculpture  est  un  des  lieux  com- 
muns les  plus  accrédités  et  les  plus  justifiés  de  l'admiration  euro- 
péenne. Le  talent  de  nos  statuaires  est  parvenu  à  ce  degré  où  l'on 
se  passe  d'émulation,  où  les  artistes  se  suffisent  à  eux-mêmes  et 
s'entretiennent  par  leurs  propres  forces.  Notre  sculpture  est  la  pre- 
mière du  monde,  et,  bien  qu'aucune  concurrence  sérieuse  ne  soit 
venue  forcer  nos  nationaux  à  serrer  les  rangs,  ils  ont  profité  de  cette 
situation  exceptionnelle,  non  pour  se  disperser  au  gré  de  leur  fan- 
taisie, comme  des  écoliers  faisant  l'école  buissonnière.  mais  pour 
former  des  groupes  de  moissonneurs  ayant  chacun  son  lot  et  sa  ré- 
colte. Variété,  originalité,  noblesse;  des  virtuosités  délicates  allant 
très  rarement  jusqu'aux  trivialités  du  bas  naturalisme;  la  fleur  du 
marbre,  l'austérité  du  bronze,  l'imprévu  et  les  souplesses  de  la 
terre  cuite  s'associant  sans  se  heurter,  tel  est  le  merveilleux  en- 
semble obtenu  grâce  à  une  intelligente  sélection. 

C'est  le  groupe  des  Dianes  chasseresses  qui  ouvre  la  marche  :  la 
«  Diane  »  do  Falguière,  curieuse  modification  d'une  formule  hau- 
taine et  chaste,  qui  hante  le  statuaire  ;  celte  fois,  sans  aucun  doute, 
la  «  Diane  victorieuse  »  dont  la  flèche  a  touché  son  but  et  dont  le 
clair  regard  hypnotise  encore  la  proie  convoitée  ;  la  «  Diane  à  sa 
toilette  »  de  Mereié,  une  figurine,  une  statuette,  et  pour  toucher 
d'un  seul  plongeon  le  fond  de  l'anachronisme,  un  petit  Saxe  de 
Tanagra;  la  «  Diane  »  de  M.  Syamur,  une  Anglaise  très  distinguée, 
une  lady  après  le  costume  de  ville  et  avant  le  costume  de  bain,  le 
coude  posé  sur  un  rocher.  Deux  polychromies  exquises  :  «  la  Dan- 
seuse »  de  M.  Gérôme,  qui  fait  annuellement  les  plus  heureuses 
infidélités  à  ses  pinceaux,  et  1'  «  Aciéon  »  de  M.  Soldi,  d'une  exé- 
cution fort  souple,  d'une  coloration  ingénieuse  et  d'un  ensemble 
réjouissant  à  l'œil.  Saluons  encore  au  passage  le  joli  «  Mozart  en- 
fant »  de  Barrias,  depuis  longtemps  célèbre  et  même  populaire,  et 
revenons  à  la  statuaire  symbolico-biblique  avec  «  l'Eternel  poème» 
du  très  personnel  Antonin  Cariés  ;  «  la  tentation  d'Eve  »,  la  cueil- 
lette fatale  du  fruit  défendu. 

Que  de  Jeannes  d'Arc  !  On  ne  dira  pas  que  MM.  Jules  Barbier  et 
Joseph  Fabre  manquent  d'émulés  sur  le  terrain  de  la  statuaire  ! 
Voici, en  première  ligne,  une  intéressante  composition  d'André  Allar, 
le  modèle  du  groupe  destiné  à  prendre  place  sous  le  porche  de  la 
nouvelle  basilique  en  construction  à  Domrémy  :  «  Jeanne  d'Arc 
entendant  les  voix  (saint  Michel,  sainte  Catherine  et  sainte  Mar- 
guerite) qui  lui  ordonnent  de  partir  au  secours  de  la  France  ;  »  de 
M.  Théodore  Greil,  «  Jeanne  d'Arc  »,  bas-relief  en  bronze  ;  de 
M.  Laurent  Leclaire,  «  Jeanne  se  vouant  au  salut  de  son  beau  pays 
de  France  »,  statue  en  plâtre  ;  de  M.  Mathurin  Moreau  une  statuette 
de  l'héroïne;  de  M.  Belouin,  une  «  Jeanne  d'Arc  victorieuse  » 
groupe  plâtre;  de  M.  Chatrousse,  «  la  Sainte  de  la  Patrie  »,  buste 
en  marbre.  Sans  transition,  j'associe  à  ce  bataillon  de  «  bonnes  Lor- 
raines »,  le  très  mouvementé  groupe  en   bronze    de  Guilbert,  «  la     ' 


Revanche,  »  destiné  à  l'école  de  Saint-t~yr  et  commandé  par  les 
promotions  de  1870-1872. 

Finissons-en  avec  les  mythologies  musicales  et  dramatiques.  En 
tête,  l'Ariane  de  Racine  : 

. . .  Ariane,  ma  sœur,  de  quel  amour  blessée, 
Vous  mourûtes  aux  bords  où  vous  fûtes  laissée... 

une  figure  assez  suggestive  de  H.  de  Montcourt;  puis  l'Orphée  de 
Paul  Auberl,  pleurant  Eurydice  : 

...  Il  pleurait  Eurydice  et,  plein  de  ses  attraits, 
Reprochait  à  Pluton  ses  perfides  bienfaits. 

d'après  une  traduction  de  Virgile  qui  me  paraît  du  Delille  de  bien 
petite  marque.  Voulez-vous  des  bacchantes?  Elles  se  réunissent 
toutes  dans  le  plantureux  modèle  qu'expose  M.  Forestier. 

Passons  maintenant  aux  allégories  sans  caractéristique  particu- 
lière. Toute  une  série  :  une  délicate  statuette  de  Thabaud,  n  la 
Poésie  »  ;  une  autre  statuette  d'Henri  Weigele,  «  la  Chanson  »  ;  une 
mignonne  composition  de  Filhaslre,  «  la  Chanson  d'amour  »  ;  puis 
des  statues:  la  Cigale,  d'Henri  Kossowski;  autre  Cigale,  de  Charles 
Collet.  Plus  spéciales  les  deux  remarquables  études  de  M'"^  Jeanne 
liasse  :  «  Harpiste  égyptienne  »  et  «  Jeune  Danseuse.  »  Une  petite 
Polonaise,  M"""  de  Taruowska-Andrioli,  expose  une  statuette  : 
«  Chantre  populaire  dans  l'ancienne  Pologne  ».  Quelques  figurations 
dramatiques:  un  groupe  en  plâtre  de  Loiseau-Rousseau,  «  la  Mort 
de  Cordélia  »  ;  une  Desdémone  de  Léonard  jeune;  une  Esmeralda 
de  M"''  Michel;  une  Carmen  d'Emile  Voyez;  un  Page  de  Roméo,  qui 
comptera  parmi  les  créations  les  plus  originales  de  Léon  Fagel  ; 
une  Mignon  de  Paul  Mengier.  M.  Tbivier  a  pris  pour  légende  ces 
vers  du  Passant,  de  Coppée  : 

...Et,  tant  que  je  pourrai,  je  n'aurai  pour  fardeau 
Qu'une  plume  au  bonnet  et  ma  guitare  au  dos. 
...Cette  nuit  je  te  prends  pour  gîte,  ô  belle  étoile, 
Auberge  du  bon  Dieu  qui  fais  toujours  crédit... 

M.  Aubert  expose  deux  groupes  en  terre  cuite  très  curieusement 
fouillés  :  un  Molière  et  «  Gargantua  en  galante  compagnie  »,  qui 
font  penser  à  certaines  toiles  de  Garnier.  Nous  revenons  aux  com- 
positions austères  avec  le  Dante,  de  Claude  Le  Bourg.  Et  il  ne  reste 
plus  qu'à  mentionner  la  longue  série  des  bustes  :  tout  d'abord  là 
classique  commande  du  ministère  de  l'instruction  publique  et  des 
beaux-arts,  le  petit  meuble  artistique  pour  les  couloirs  de  l'Opéra, 
représenté  cette  année  par  le  buste  en  marbre  de  M""  Maillard,  de 
l'Académie  nationale  de  musique  ;  auteur,  M""  Coutan.  Infiniment 
plus  moderniste  et  pas  encore  pour  couloirs  officiels,  la  plaquette 
bronze  de  Jacques  Froment-Meurice,  d'après  M"'=  Peppa  Invernizzi, 
de  la  même  Académie  nationale.  Même  groupement,  le  buste  en 
bronze  de  M.  Gailhard  par  Léopold  Bernstamm.  M.  Houssin  expose 
un  buste  de  la  regrettée  Céline  Montaland,  qui  figurera  tôt  ou  tard 
au  foyer  de  la  Comédie-Française,  et  M.  Lormier,  plus  actualiste, 
nous  montre  Yvette  Guilbert,  la  divette  populaire,  dans  l'exercice 
de  son  sourire.  De  Guilbert,  un  buste  en  bronze  d'Edouard  Noël: 
un  autre  de  Millet  de  Marcilly,  d'après  A.  de  Beauplan.  En  bronze 
aussi,  le  Molier  de  M""  de  Vériane.  Heureusement,  ce  n'est  qu'une 
statuette,  et  qui  peut  donner  l'illusion  du  mouvement. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


VII 
L'OPÉRA 


Sous  l'impulsion  donnée  par  le  premier  consul,  l'Opéra  n'avait  pas 
tardé  à  prendre  une  place  qui  lui  assignait  la  suprématie  sur  toutes- 
les  grandes  scènes  de  l'Europe.  Le  monde  entier  fournissait  son 
tribut  pour  assurer  cette  prospérité.  Aussi  bien,  nous  avons  vu 
que  Napoléon  n'hésitait  pas  à  transporter,  à  l'occasion,  des  troupes 
entières  de  virtuoses,  pour  rehausser  l'éclat  de  ses  fêles  musicales. 
Il  eût  voulu  de  la  musique  partout;  au  point  qu'il  avait  projeté  de 
restituer  les  tragédies  antiques  de  Sophocle,  d'Eschyle  et  d'Euripide, 
avec  les  chœurs  antiques.  Mais  Talma  s'opposa  de  tout  son  pouvoir  à 
cette  résurrection  ;  et  comme  son  pouvoir  élait  grand,  il  gagna  la 
partie. 


LE  MENliSÏRIiL 


173 


A  l'Opéra,  Bonaparte  restait  maître  absolu,  ce  qui  assura  la  gloire 
de  cette  scène.  Il  provoquait  l'engagement  d'artistes  renommés,  et, 
suivant  son  habitude,  ne  négligeait  pas  les  recrues  propres  à  ren 
forcer  les  rangs  et  à  préparer  l'avenir. 

C'est  ainsi  que  M.  de  Luçay,  chargé,  comme  premier  préfet  du 
palais,  de  la  surveillance  et  de  la  direction  principale  de  l'Opéra, 
fit,  par  une  circulaire,  appel  aux  jeunes  artistes  des  départements 
possédant  des  voix  «  décidées  »  de  haute-conire,  de  ténor,  de  con- 
cordant ou  taille,  et  de  basse-taille. 

Il  les  prévenait  en  même  temps  que  les  qualités  suivantes  leur 
étaient  indispensables  : 

«  Le  sujet  qui  se  présentera,  disait-il,  doit  savoir  la  musique  et 
solfier  très  couramment.  Il  ne  devra  pas  avoir  plus  de  25  ans  et 
moins  de  18;  sa  taille  ne  devra  pas  être  au-dessus  de  cinq  pieds 
six  pouces,  ni  au-dessous  de  cinq  pieds  deux  pouces,  à  moins  cepen- 
dant qu'il  n'ait  une  superbe  voix;  alors  on  regardera  moins  à  la  taille. 
Une  figure  agréable  est  de  première  nécessité.  Il  devra  appartenir 
à  une  famille  honnête  et  prouver  qu'il  a  fait  quelques  études.  Il 
ne  faut  pas  qu'il  ait  de  défauts  dans  les  yeux  ;  il  lui  faut  toutes  les 
dents  de  la  mâchoire,  les  jambes  bien  faites  et  le  corps  d'un  em- 
bonpoint honnête.  Le  sujet  qui  remplira  toutes  ces  conditions  se 
fera  inscrire  à  la  préfecture  de  son  département,  qui  m'en  donnera 
avis.  Alors,  il  sera  pris  des  mesures  pour  faire  subir  à  l'aspirant 
un  premier  examen  sur  les  lieux.  Le  sujet  auquel  cet  examen  aura 
été  favorable,  se  transportera  tout  de  suite  à  Paris,  aux  frais  de 
l'Académie  impériale  de  musique,  à  l'effet  d'y  être  immédiatement 
examiné  par  les  professeurs  attachés  à  cet  établissement.  Ceux  qui 
auront  été  jugés  réunir  toutes  les  conditions  demandées,  seront 
admis  à  l'Académie,  et  il  leur  sera  de  suite  assuré  un  traitement 
suffisant  pour  les  mettre  à  même  de  ne  s'occuper  que  de  leurs 
talents.  Les  sujets  non  reçus  seront  indemnisés  d'une  manière  con- 
venable. » 

Avec  ce  système,  il  n'est  pas  étonnant  que  la  troupe  de  l'Opéra 
ait  présente  bientôt  une  perfection  et  une  homogénéité  qui  valurent 
à  Bonnet,  son  directeur,  les  félicitations  du  premier  consul  : 

«  Monsieur,  lui  écrivait  Bonaparte  en  1803,  croyez  que  je  prends 
le  plus  vif  intérêt  à  tout  ce  que  vous  faites  pour  la  prospérité  de 
l'Opéra  français.  Ne  doutez  pas  de  mon  empressement  à  encourager 
un  théâtre  qui  a  pour  mission  de  répandre  le  goût  des  chefs-d'œuvre 
de  tous  les  maîtres  anciens  et  nouveaux.  Continuez  à  accueillir  tout 
ce  qui  a  du  génie,  sans  système  exclusif,  sans  exception  de  per- 
sonne. C'est  le  seul  moyen  d'entretenir  l'émulation  dans  la  grande 
famille  des  musiciens  et  des  artistes.  » 

L'un  des  premiers  effets  de  ces  heureuses  dispositions  fut  le 
retour  aux  anciennes  traditions  élégantes  de  la  maison.  Le  foyer  de 
l'Opéra  redevint,  comme  jadis,  un  salon  de  bonne  compagnie,  oîi  se 
retrouvaient  toutes  les  illustrations  du  moment.  On  y  voyait  tous  les 
étrangers  de  distinction,  les  membres  du  corps  diplomatique,  les 
sommités  de  l'ancienne  noblesse  et  beaucoup  de  gens  de  lettres. 
Parmi  ces  derniers,  Bouilly,  l'auteur  des  Contes  à  ma  fille,  De  Jouj'. 
librettiste  à  la  mode,  et  Parseval-Grandmaison,  déjà  connu  de  nos 
lecteurs,  tenaient  le  dé  de  la  conversation,  qu'ils  partageaient  avec 
le  peintre  David.  Et,  parmi  les  habitués  de  Taneien  régime,  on  re- 
marquait le  marquis  de  Ximénès,  grand  conteur  également,  le 
comte  de  Lauraguais,  qui  avait  pris  une  part  active  aux  luttes  aux- 
quelles avaient  donné  lieu  les  débuts  de  M"'=*  Salle  et  Gamargo,  et 
le  vicomte  de  Ségur,  qui  avait  conservé  soigneusement  le  costume 
du  Directoire  et  n'abordait  jamais  les  gens  qu'avec  :  Boiijou,  mon  ché, 
comment  vous  pôtcz-vous  ? 

Au  foyer  se  réunissaient  également  les  auteurs  habituels  de  la 
maison  et  ceux  des  autres  scènes  lyriques.  Quelle  époque  fut  jamais 
si  fertile  en  grands  musiciens!...  Méliul,  Spontini,  Cherubiui,  Lesueur, 
Paër,  Zingarelli,  Berton,  Monsigny,  Nicolo,  Dalayrac,  Boieldieu  !... 
Quel  bouquet  mélodique  !  Et  quel  ensemble  merveilleux  ! 

Il  n'est  aucun  de  ces  maîtres  qui  n'ait  eu  part  aux  faveurs  de 
Napoléon.  Seul,  Gherubini  n'en  reçut  que  des  marques  affaiblies; 
encore  ne  cessa-t-il  point  d'être  aux  yeux  du  souverain  un  musicien 
de  valeur,  auquel  son  caractère  peu  sociable  faisait  un  tort  que  son 
talent  ne  suffisait  pas  à  réparer. 

L'origine  des  mauvais  rapports  de  Gherubini  et  de  Napoléon  a  été 
racontée  de  diverses  façons.  Deux  versions,  très  vraisemblables, 
circulent  à  ce  sujet.  Elles  ne  varient  guère  que  par  la  forme,  et  se 
terminent  toutes  deux  par  un  sarcasme  de  Gherubini. 

Suivant  Fétis,  Bonaparte,  au  retour  d'une  do  ses  campagnes  d'Italie, 
manifesta  le  désir  d'entendre  au  Conservatoire  une  marche  de  Pai- 
siello.  Mais  ce  maître, comme  on  lésait,  n'était  guère  en  vénération 


à  l'école  de  Sarrette.  Aussi,  prit-on  cccasion  de  la  requête  du  pre- 
mier consul  pour  lui  servir,  à  la  place  du  morceau  demandé,  et  cela 
sous  un  prétexte  peu  sérieux,  une  marche  funèbre  écrite  par  Gheru- 
bini pour  les  funérailles  du  général  Hoche. 

Bonaparte  ne  souffla  mot  et  se  contenta  de  se  répandre  en  éloges 
sur  Paisiello.  Le  soir,  après  le  dîner,  auquel  avait  assisté  Gheru- 
bini, il  revint  sur  ce  thème,  en  lui  disant  : 

—  Je  vous  dis  que  j'aime  beaucoup  la  musique  de  Paisiello  :  elle 
est  douce  et  tranquille.  Vous  avez  beaucoup  de  talent  ;  mais  vos 
accompagnements  sont  trop  forts. 

—  Citoyen  consul,  je  me  suis  conformé  au  goût  des  Français. 

—  Votre  musique  fait  trop  de  bruit  :  parlez-moi  de  celle  de  Pai- 
siello; c'est  celle-là  qui  me  berce  doucement. 

—  J'entends,  citoyen  consul,  vous  aimez  la  musique  qui  ne  vous 
empêche  pas  de  songer  aux  affaires  de  l'État. 

Le  second  récit  se  trouve  dans  un  livre  bien  curieux,  paru  en 
1820,  et  qui  a  pour  titre  :  Paris,  Saint-Cloud  et  les  départements,  ou 
Bonaparte,  sa  famille  et  sa  cour,  par  un  chambellan  forcé  de  l'être. . . 
On  y  lit  : 

«  Napoléon  prétendait  donuer  des  leçons  de  musique  à  nos  meil- 
leurs compositeurs.  Un  jour  qu'il  voulait  faire  entendre  à  l'un 
d'eux  que  sa  musique  était  trop  chargée  de  motifs  accessoires 
contraires  au  système  d'unité  qui  caractérise  une  mélodie  parfaite,  et 
lui  reprochait  de  n'être  pas  assez  monotone,  le  musicien,  qui  connais- 
sait probablement  mieux  l'art  d'arranger  les  notes  que  le  métier  de 
courtisan,  lui  répondit  sèchement  : 

—  Sire,  permettez -moi  de  ne  pas  suivre  vos  conseils.  Je  ne  me 
pardonnerais  jamais  de  donner  à  Votre  Majesté  un  avis  sur  un  plan 
de  campagne.  » 

Le  chambellan  malgré  lui  ne  cite  pas  Gherubini;  mais  il  est 
évident  qu'il  s'agit  de  l'auteur  des  Deux  Journées;  —  témoin  ce 
passage  des  Mémoires  de  M'^"  de  Rémusat  : 

«  Napoléon  repoussa  toujours  Gherubini,  parce  que  celui-ci,  mé- 
content une  fois  d'une  critique  de  Bonaparte,  qui  n'était  encore  que 
général,  lui  avait  répondu  un  peu  brusquement  qu'on  pouvait  être 
habile  sur  le-  champ  de  bataille  et  ne  point  se  connaître  en  har- 
monie.  » 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  questions  de  détail,  il  est  certain  que  ce 
fut  une  réponse  maladroite  de  Gherubini  qui  lui  valut  sa  disgrâce, 
disgrâce  dont  il  souffrait  beaucoup,  et  qu'aucune  intercession  ne 
put  faire  cesser.  Nous  avons  vu  Méhul  chercher  à  s'entremettre,  à 
propos  de  la  place  de  maître  de  chapelle  qu'on  lui  offrait  et  qu'il 
perdit  pour  avoir  voulu  la  partager  avec  son  ami.  Plus  tard,  il 
revint  à  la  charge,  demandant  la  croix,  demandant  l'Institut  pour 
Gherubini,  toutes  distinctions  qui  lui  étaient  accordées,  à  lui,  Mé- 
hul, comme  à  la  plupart  des  artistes  du  temps,  sauf  à  l'auteur  de 
la  marche  funèbre  sur  la  mort  du  général  Hoche.  Mais  ce  fut  en 
vain. 

D'autres  s'entremirent,  sans  plus  de  succès. 

Un  jour,  M.  de  Rémusat,  premier  chambellan  du  palais,  crut 
devoir  prendre  la  défense  de  Gherubini  : 

—  Votre  Majesté,  dit-il,  est  un  peu  sévère  pour  ce  pauvre  Gheru- 
bini :  il  est  vraiment  désolé  de  n'avoir  jamais  pu  obtenir  de  Votre 
Majesté  un  mot  d'éloge  ou  d'encouragement. 

A  ces  mots,  la  figure  de  l'empereur  se  rembrunit,  son  front  se 
plissa,  et  d'un  ton  sec  : 

—  Monsieur,  je  ne  dois  compte  à  personne  de  mes  affections  ou 
de  mes  antipathies...  Au  reste,  vous  choisissez  mal  vos  protégés.; 
tâchez  d'avoir  la  main  plus  heureuse. 

Rémusat,  qui  était,  comme  on  l'a  vu,  le  type  du  courtisan  par 
vocation,  baissa  la  tête,  et  s'efforça  probablement  de  chasser  en 
terre  mieux  amendée. 

Livré  à  ses  propres  forces,  Gherubini  tenta  un  effort  personnel 
en  composant  un  Pimmaglione,  dans  le  genre  de  Paisiello,  qui  fut 
représenté  aux  Tuileries  et  chanté  par  Crescentini.  L'empereur  fut 
surpris,  mais  il  ne  revint  pas  sur  le  compte  de  l'auteur. 

Cependant,  le  trouvant  à  Vienne,  en  1806,  il  lui  dit  : 

—  Puisque  vous  êtes  ici,  monsieur  Gherubini,  nous  ferons  de  la 
musique  ensemble;  vous  dirigerez  nos  concerts. 

Il  y  en  eut  douze,  tant  à  Vienne  qu'à  Schœnbrunn  ;  Gherubini 
reçut  une  belle  indemnité,  —  mais  ce  fut  tout. 


(A  suivre.) 


Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


174 


LE  MENESTREL 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Théâtre  KroU.  A  si- 
gnaler une  reprise  très  heureuse  du  Bal  masqué,  avec  l'excellent  baryton 
d'Andrade  dans  le  rôle  de  Renato,  et  l'engagement  de  M""=  Marcella  Sem- 
brich  pour  une  série  de  douze  représentations.  —  A  l'Opéra  royal,  les 
vacances  auront  lieu  cette  année  du  19  juin  à  fin  août.  —  Charlottembourg 
(le  Montmartre  de  Berlin)  va  avoir  un  Opéra  permanent.  C'est  dans  la  salle 
Flora  que  fleurira  l'entreprise,  et  c'est  M.  Heidenreich  qui  en  sera  le  direc- 
teur. —  Brunn  :  La  Cavalleria  rusticana  a  effectué  au  Théâtre  municipal  une 
triomphale  première  apparition.  —  Brunswick:  Une  nouvelle  Loreki  vient 
de  voir  le  feu  de  la  rampe  au  Théâtre  de  la  Cour.  L'ouvrage  est  en  trois 
actes,  et  le  musicien,  M.  Hans  Sommer,  Ta  écrit  selon  les  plus  rigoureuses 
théories  wagnériennes.  Le  succès  s'est  surtout  établi  en  faveur  des  inter- 
prètes et  de  la  très  remarquable  exécution,  dirigée  par  M.  Riedel.  — 
Cologne  :  Le  Théâtre  municipal  retarde  sa  fermeture  d'un  mois  pour 
donner  une  série  de  représentations  d'opérettes.  Les  vacances  ne  com- 
mencent que  le  l«juin.  —  Francfort:  Un  nouveau  ballet  en  un  acte,  la 
Chasse  aux  papillons,  vient  d'être  représenté  au  Théâtre  municipal.  M.  Lo- 
"VN'enbach  en  est  l'auteur  pour  la  musique  et  la  chorégraphie;  cette  dernière 
est  de  beaucoup  la  plus  réussie.  —  Magdebourg  :  Le  Théâtre  municipal  a 
fermé  ses  portes  pour  la  saison  sur  une  représentation  d'adieux  offerte  au 
directeur  M.  A.  Varena,  en  fonctions  depuis  dix  ans.  —  Mannheim  ;  Le 
nouveau  chef  d'orchestre,  M.  Frank,  a  effectué  son  début  au  Théâtre  de  la 
Cour,  en  dirigeant  la  première  représentation  de  Cavalleria  rusticana,  dont  le 
succès  a  été  comme  partout  ailleurs,  formidable.  —  Stuttgart  :  Même 
accueil  enthousiaste  pour  l'ouvrage  de  M.  Mascagni  à  sa  première  appa- 
rition sur  la  scène  du  Théâtre  de  la  Cour.  Huit  rappels  au  baisser  du 
rideau,  ovations  pour  le  chef  d'orchestre  Doppler.  —  Vienne  :  M"'  Dietrich 
a  effectué  un  début  exceptionnellement  brillant  à  l'Opéra  dans  le  rôle  de 
Philine,  de  Mignon.  L'Opéra  fermera  ses  portes  le  l""'  juin  et  les  rouvrira 
le  19  juillet,  avec  des  représentations  chorégraphiques.  La  véritable  saison 
lyrique  ne  commencera  que  le  1"'  août.  —  Au  théâtre  An  der  Wien,  réussite 
complète  de  la  pantomime  de  MM.  Michel  Carré  fils  et  André  Wormser, 
l'Enfant  prodigue.  Interprétation  hors  ligne  et  exécution  instrumentale  très 
remarquable,  sous  la  direction  de  M.  MûUer.  La  partie  de  piano  obligé 
était  tenue  d'une  façon  supérieure  par  M.  Paumgartner. 

—  On  assure  qu'à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  la  naissance  de  Richard 
"Wagner,  qui  tombait  le  22  mai,  le  jeune  empereur  d'Allemagne,  qui  est 
un  fanatique  de  l'œuvre  du  maître  de  Bayreuth,  a  décidé  l'érection  en  son 
honneur,  d'une  statue  qui  devra  s'élever,  à  Berlin,  devant  l'Opéra  royal. 
C'est  le  souverain  lui-même  qui  fera  sur  sa  cassette  particulière  les  frais 
du  monument.  Une  statue,  par  ordre  de  l'empereur  d'Allemagne,  au 
révolutionnaire  qui,  en  1849,  le  fusil  à  la  main,  sur  les  barricades  de 
Dresde,  contribuait  à  chasser  le  roi  de  Saxe  de  ses  États,  et,  obligé  de 
s'enfuir,  était  condamné  à  mort  par  contumace!  Il  y  a  de  singuliers  revi- 
rements dans  les  choses  de  ce  monde  ! 

—  La  dernière  nouveauté  de  la  saison,  au  Théâtre  municipal  de  Mayence, 
a  été  une  opérette  d'un  jeune  compositeur  mayençais,  M.  Josué  Kongel- 
nascher.  Cette  fois,  dit-on,  on  n'a  pas  affaire  à  un  simple  succès  d'estime, 
que  l'esprit  de  clocher  grossit  toujours,  mais  à  la  sérieuse  réussite  d'un 
ouvrage  de  réelle  valeur,  étant  donné  le  genre  choisi  par  le  compositeur, 
qui  fera  parler  de  lui  certainement.  Servi  par  un  libretto  assez  adroite- 
ment taillé  dans  l'histoire  du  fameux  bandit  monténégrin  Jekoum-Pourkan 
et  de  la  belle  Minn-Schemaîo,  sa  fiancée,  M.  Josué  Kongelnascher  a 
illustré  musicalement  cette  histoire  avec  un  brio  surprenant,  parait-il. 
Certains  journaux  annoncent  qu'un  nouvel  Offenbach  est  né. 

—  L'Allemagne  musicale  a  failli  perdre  un  de  ses  plus  distingués  repré- 
sentants. Le  compositeur  Richard  Strauss,  de  Weimar,  dont  la  jeune  re- 
nommée brille  d'un  éclat  exceptionnel,  vient  d'être  gravement  malade 
d'une  fluxion  de  poitrine  qui  a  mis  ses  jours  en  péril.  Il  est  à  présent 
hors  de  danger. 

—  C'est  le  20  juillet  prochain  que  s'ouvrira,  à  Bruxelles,  le  vingt-hui- 
tième concours  de  composition  musicale,  dit  concours  de  Rome.  Les  aspi- 
rants au  concours  doivent  se  faire  inscrire  au  ministère  de  l'intérieur  et 
de  l'instruction  publique  avant  le  10  juillet;  ils  sont  tenus  de  justifier  de 
leur  qualité  de  Belge  et  de  prouver  qu'ils  n'auront  pas  atteint  le  20  juillet 
l'âge  de  trente  ans. 

—  Les  éditeurs  de  musique  de  Londres,  constitués  en  syndicat,  ont  tenu  ces 
jours  derniers  une  réunion  pour  discuter  le  projet  de  loi  de  lord  Monks- 
well  sur  la  propriété  artistique.  Ils  ont  préparé  un  amendement  qui  sera 
présenté  au  Parlement  à  la  session  prochaine  et  qui  vise  spécialement  les 
points  suivants  :  1"  prolongation  de  la  durée  de  la  propriété  artistique  à 
cinquante  ans  après  la  mort  de  l'auteur  au  lieu  de  trente  ans,  et,  dans  le  cas 
d'œuvres  posthumes,  à  cinquante  ans  après  la  date  de  la  publication  au 
lieu  de  trente  ans  ;  2"  application  du  droit  d'auteur  non  seulement  à  la  «  mé- 
lodie d'une  composition  »,  mais  de  plus  à  «  l'harmonie,  au  rythme  et  à 
l'accent  »  de  cette  composition  ;  3°  suppression  du  paragraphe  relatif 
aux  droits  des  auteurs  anglais  à  l'étranger.  Les  éditeurs  préfèrent  revenir 
à  l'état  de  choses  créé  par  la  loi  de  1886,  qui  n'admettait  pas  la  rétroacti- 


vité en  matière  de  droit  d'auteur  international  et  obligeait  les  auteurs 
étrangers  à  effectuer  le  dépôt  de  leurs  ouvrages  en  Angleterre,  formalité 
obligatoire  pour  les  auteurs  anglais.  Cette  dispense  en  faveur  des  étran- 
gers est  préjudiciable  aux  intérêts  du  public  anglais,  qui  ne  sait  où  se 
renseigner  sur  la  question  de  savoir  si  telle  oeuvre  est  protégée  ou  non. 

—  On  fait  grand  bruit  en  ce  moment,  à  Londres,  des  prouesses  d'un 
jeune  violoncelliste  de  treize  ans,  Jean  Gérardy,  qui  vient  de  donner  trois 
concerts  à  l'aide  desquels  il  a  fait  tourner  toutes  les  têtes.  Ce  n'est  pas 
un  enfant  prodige,  dit-on,  c'est  un  artiste  déjà  complètement  formé,  au 
talent  merveilleux  et  très  personnel,  dont  le  sentiment  musical  est  abso- 
lument extraordinaire,  et  qui  est  destiné  à  un  avenir  glorieux.  Cet  enfant 
est  le  fils  de  M.  Gérardy,  professeur  de  cornet  à  pistons  au  Conservatoire 
de  Liège. 

—  Un  ancien  élève  du  Conservatoire  de  Bruxelles.  M.  Arnold  Dolmetsnh, 
a  organisé,  à  Londres,  une  intéressante  séance  où  figuraient  des  instruments 
anciens.  Le  jeune  maître  et  ses  élèves  ont  fait  entendre  des  «  fantaisies  » 
pour  deux  et  cinq  violes,  une  pavane  pour  cinq  violes,  d'auteurs  du  xvi= 
et  du  xvu°  siècle.  Le  programme  comprenait  en  outre  des  morceaux  pour 
viole  de  gambe.  Une  mélodie  du  temps  d'Elisabeth  a  été  chantée  avec 
accompagnement  de  luth  et  de  viole.  Plusieurs  de  ces  instruments  appar- 
tiennent à  la  collection  formée  par  M.  Dolmetsch  lui-même. 

—  Nous  lisons  dans  le  Daily  Journal,  de  Newcastle,  que  le  récital  d'orgue 
donné  par  M.  'Widor  à  la  cathédrale,  a  excité  le  plus  grand  enthousiasme 
et  pouvait  compter  parmi  les,  plus  admirables  séances  musicales  qu'on  ait 
entendues  dans  cette  ville.  Le  maître  français  a  fait  entendre  différentes 
pièces  de  Bach,  Mendelssohn  et  Beethoven,  ainsi  qu'une  série  de  ses  pro- 
pres compositions,  dont  le  grand  mérite  a  été  justement  apprécié. 

—  A  l'occasion  d'une  grande  exposition  vinicole  qui  vient  de  s'ouvrir 
à  Asti,  on  a  exécuté  et  publié  en  cette  ville  une  cantate  dont  les  vers 
sont  dus  à  un  avocat,  M.  &.  J.  Armandi,  et  la  musique  au  maestro  G. 
Ferraris. 

—  Le  Guide  musical  annonce  que  M.  Philippe  Flon,  l'ancien  directeur 
des  chœurs  au  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  s'est  distingué  au  théâtre  des 
Arts,  à  Rouen,  en  montant  Lohengrin  cet  hiver,  est  engagé,  à  de  brillantes 
conditions,  pour  une  tournée  en  Espagne  avec  la  troupe  du  théâtre  de 
Rouen.  But  de  cette  tournée  :  faire  connaître  Lohengrin  dans  les  villes 
espagnoles  qui  ne  connaissent  pas  encore  ce  chef-d'œuvre. 

PIRIS   ET    DÉPIRTEMENTS 

Des  gens  bien  informés  affirment  que  la  direction  actuelle  de  l'Opéra 
se  prépare  à  célébrer,  le  23  septembre  prochain,  le  centième  anniversaire 
de  la  naissance  de  Meyerbeer.  C'est  à  la  direction  suivante  qu'incombera 
la  tâche  de  célébrer,  le  29  février  1892,  le  centième  anniversaire  de  la 
naissance  de  Rossini.  Déjà,  dit-on,  une  vieille  amie  du  vieux  maître,  qui 
a  conservé  dans  son  cœur  le  culte  de  son  génie,  la  grande  cantatrice 
Marietta  Alboni,  aujourd'hui  M™  Ziéger,  caresse  le  projet  de  fêter  de  son 
côté  cet  anniversaire  et  d'organiser  à  ce  sujet,  dans  son  hôlel  du  Cours- 
la-Reine,  une  grande  solennité  consacrée  à  sa  mémoire.  Quoi  qu'il  en 
soit,  voici  le  programme,  en  somme,  curieux,  de  la  solennité  queMM.Ritt 
et  Gailhard  préparent,  dit-on,  pour  le  centenaire  de  Meyerbeer:  Le  Prophète 
(la  Cathédrale),  avec  M.  Jean  de  Reszké  et  M'""  Viardot;  Robert  (le  Cloître)  ; 
la  Nonne,  dansée  pour  la  première  fois  par  M""  Subra;  la  «.  Valse  infer- 
nale »  par  M.  Edouard  de  Reszké  ;  les  Huguenots  (le  4=  acte),  texte  primitif; 
M.  Faure  dans  le  rôle  de  Nevers  ;  bénédiction  des  poignards  avec  double 
chœur;  l'Africaine  (le  b'acte);  M"="=  Krauss.  Cérémonie  du  couronnement 
du  buste,  Cantate,  poésie  dite  par  M.  Delmas.  Au  tour  du  buste,  si  possible  : 
Duprez,  Obin,  M°'°  Viardot,  M'"=  Krauss,  M""°  Marie  Sasse,  Faure,  etc.,  et 
tous  les  artistes  ayant  créé  ou  joué  des  œuvres  du  maître.. 

—  M.  Bertrand  s'occupe  déjà  des  engagements  pour  l'Opéra.  Il  est  d'ac- 
cord, dès  à  présent,  avec  M™<^  Rose  Caron  et  M.  Vergnet.  Il  est  à  espérer 
que  M"=  Melba  et  M.  Lassalle  signeront  également  avec  M.  Bertrand. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra-Comique,  dernière  matinée  de  la 
saison.  A  la  demande  des  habitués,  on  donnei-a  Lakmé,,  dont  la  reprise 
obtient  en  ce  moment  un  si  grand  succès. 

—  Le  projet  de  reconstruction  de  l'Opéra-Comique,  présenté  par 
M.  Guillotin,  a  été  soumis  de  nouveau  au  conseil  général  des  bâtiments 
civils,  après  avoir  été  remanié  par  ses  auteurs,  MM.  Duvert  et  Charpen- 
tier, conformément  aux  conclusions  du  rapporteur  M.  Charles  Garnier.  Il  a 
été  adopté  à  l'unanimité  dans  la  séance  d'hier  mardi. 

—  La  bibliothèque  du  Conservatoire  vient  de  s'enrichir,  par  les  soins 
de  M.Wekerlin,  de  la  partition  autographe  à  orchestre  de  2etoira,  l'avant- 
dernier  opéra  italien  de  Rossini.  Cet  ouvrage,  représenté  à  Naples  en 
1822,  et  dont  le  poème  avait  été  écrit  par  Tottola,  était  chanté  au  théâtre 
San  Carlo  par  la  Colbrand,  qui  était  alors  devenue  M""  Rossini,  par  la 
Cecconi  et  par  Nozzari,  Davide,  Ambrosi  et  Benedetti.  C'est  à  propos  de 
cet  ouvrage  que  Stendhal,  dans  sa  Vie  de  Rossini,  écrivait  les  jolies  choses 
que  voici  :  —  «  Zelmira  a  fait  fureur  à  Vienne,  comme  à  Naples.  Rossini 
dans  cet  opéra  s'est  éloigné  le  plus  possible  du  style  de  Tancredi  et  de 
VAureliano  in  Palmira  ;  c'est  ainsi  que  Mozart,  dans  la  Clémence  de  Titus, 
s'est  éloigné  du  style  de  Don  Giovanni.  Ces  deux  hommes  de  génie  ont 
marché  en  sens  inverse.  Mozart  aurait  fini   par  s'italianiser    tout  à   fait. 


LE  MENESTREL 


d7o 


Rossini  finira  peut-être  par  être  plus  allemand  que  Beethoven  (!!)  J'ai 
entendu  chanter  Zelmira  au  piano,  mais  ne  l'ayant  pas  vue  au  théâtre,  je 
n'ose  en  juger.  Le  degré  de  germanisme  (?)  de  Zelmira  n'est  rien  en  com- 
paraison de  la  Semiramide  que  Rossini  a  donnée  à  Venise  en  1823...  »  On 
ne  comprend  pas  hien  comment  le  critique,  n'osant  juger  Zelmira^  peut 
comparer  son  degré  de  germanisme  (!!!)  avec  celui  de  Semiramide.  Enfin, 
Stendhal   avait  sans  doute  ses  raisons.  Polichinelle  avait  bien  les  siennes. 

—  Les  cinq  jeunes  artistes  désignés  pour  prendre  part  au  concours  de 
Rome  sont  entrés  en  loge,  comme  nous  l'avons  dit,  après  avoir  écrit  sous 
la  dictée  le  texte  de  la  cantate  qu'ils  doivent  mettre  en  musique.  Le  jury 
avait  fait  choix,  cette  année,  d'une  scène  lyrique  à  trois  voix  de  M.  Edouard 
Noël,  intitulée  l'Interdit,  dont  les  trois  personnages  sont  Agnès  de  Méra- 
nie,  Philippe-Auguste  et  un  moine.  Cette  cantate  a  été  inspirée  à  son 
auteur  par  le  tableau  bien  connu  de  M.  Jean-Paul  Laurens  qui  porte  le 
même  titre. 

—  Encore  un  nom  à  inscrire  en  lettres  d'or  dans  les  annales  de  la 
bienfaisance  artistique,  celui  de  M.  Joseph  Pinette,  mort  à  Versailles  le 
6  mars  dernier,  en  laissant  derrière  lui  les  traces  d'une  libéralité  aussi 
noble  qu'intelligente.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  connaître  en  ren- 
dant compte  de  l'assemblée  générale  de  l'Association  des  artistes  musi- 
ciens, M.  Pinette  a  légué  à  cette  Société  une  somme  de  quarante  mille 
francs.  Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  ce  n'est  même  là  que  la  moindre  partie 
de  l'action  bienfaisante  de  cet  homme  généreux.  Par  son  testament, 
M.  Joseph  Pinette  a  légué  à  l'Institut  de  France  la  somme  nécessaire  à 
la  constitution  d'une  rente  de  douze  mille  francs,  qui  devra  être  divisée  en 
quatre  parts  de  3,000  francs  chacune  et  être  attribuée  pendant  quatre 
années  aux  grands  prix  de  composition  musicale  (prix  de  Rome),  à  l'expi- 
ration de  leur  temps  de  pension.  Voici  comment  s'exprime  à  ce  sujet  le 
donateur:  —  «  Désirant  encourager  les  jeunes  gens  qui  se  livrent  à  la 
composition  musicale  et  voulant  les  aider  dans  les  débuts  difficiles  de  leur 
vie  d'étude,  je  donne  et  lègue  à  titre  particulier,  à  l'Institut  de  France, 
la  somme  nécessaire  afin  de  constituer  12,000  francs  de  rente  sur  l'Etat 
français  3  0/0.  Cette  rente  sera  divisée  en  quatre  parties  de  3,000  francs 
chacune,  qui  seront  servies  pendant  quatre  années  consécutives,  dès  qu'ils 
auront  terminé  leur  temps  de  pension.  La  donation  devra  porter  le  nom 
de  Donation  Joseph  Pinette.  Les  pensionnaires  musiciens  ne  jouiront  de  leur 
rente  que  s'ils  ont  rempli  toutes  leurs  obligations  envers  l'État.  »  On  re- 
marquera la  signification  de  ce  dernier  paragraphe.  La  donation  Pinette 
n'est  pas  une  prime  à  la  négligence  ou  à  la  paresse,  puisqu'elle  n'aura 
son  effet  que  si  celui  à  qui  elle  est  destinée  a  rempli  tous  les  devoirs  que 
lui  impose  sa  qualité  de  prix  de  Rome.  Mais  aussi,  à  son  retour  en  France 
et  au  moment  le  plus  critique  pour  lui,  c'est-à-dire  alors  que  la  libéralité 
de  l'État  lui  fait  défaut,  il  aura  désormais  devant  lui  quatre  années  assu- 
rées de  tranquilité,  pendant  lesquelles  il  pourra  travailler  sans  préoccupa- 
tion pénible  et  préparer  son  avenir.  Nos  jeunes  musiciens  n'ont  vraiment 
pas  à  se  plaindre  depuis  quelques  années;  avec  le  concours  Cressent,  avec 
le  concours  Rossini,  avec  le  concours  de  la  Ville  de  Paris,  voici  que  le 
legs  Pinette  vient  compléter  pour  eux  une  série  de  fondations  singulière- 
ment avantageuses,  sans  parler  des  donations  Trémont,  Cbartier  et  Mon- 
binne.  Ah!  si  l'État  voulait  à  son  tour  s'occuper  un  peu  d'eux  et  leur 
faciliter,  comme  il  le  devrait,  l'accès  de  nos  scènes  lyriques  !... 

—  Le  théâtre  du  Château-d'Eau  va  nous  offrir,  cet  été  encore  (quand  tou- 
tefois S.  M.  l'Été  voudra  bien  prendre  la  peine  de  nous  visiter),  une  saison 
d'opéra  populaire.  Le  directeur  sera  cette  fois  M.  Quirot,  qui  prendra  pos- 
session du  théâtre  pour  y  jouer  pendant  trois  mois  une  douzaine  d'opéras 
français  et  italiens.  Il  produira  également  une  œuvre  inédite,  la  Légende  de 
l'Ondine,  de  M.  Rosenlecker.  M.  Quirot  se  propose  également  de  jouer  Cosi 
fan  tutte,  de  Mozart,  dans  une  nouvelle  version  française  de  M.  Durdilly,  et 
un  opéra-comique  «n  un  acte,  le  Cadi  dupé,  de  Gluck,  composé  en  1761 
pour  la  cour  de  Marie-Thérèse  d'Autriche,  sur  des  paroles  françaises  de 
l'abbé  Lemonnier. 

—  Dans  sa  séance  de  jeudi  dernier,  le  comité  de  l'Association  des  ar- 
tistes musiciens  a  renouvelé  son  bureau,  qui  se  trouve  constitué  de  la 
façon  suivante  pour  l'année  1891-92  :  président,  M.  Colmet-Daage  ;  vice- 
présidents,  MM.  Deldevez,  Emile  Réty,  Eugène  Gand,  Charles  Dancla, 
Lhote,  Migeon  ;  secrétaires,  MM.  Arthur  Pougin,  Gh.  Bannelier,  Paul 
Rougnon,  Ch.  Callon,  Paul  Girod,  Ch.  Le  Brun;  archiviste,  M.  Marcelin 
Laurent;  archiviste-adjoint,  M.  Le  Brun;  bibliothécaire,  M.  O'Kelly  ; 
bibliothécaire-adjoint,  M.  de  Thannberg. 

—  Le  Noël,  l'œuvre  charmante  de  MM.  Maurice  Bouchor  et  PaulVidal, 
a  été  représenté  jeudi  soir,  avec  son  succès  habituel,  au  Grand  Bazar  de 
la  Charité,  sous  la  direction  de  M.  Signoret.  Les  lecteurs  du  poème 
étaient  :  MM.  Maurice  Bouchor,  Amédée  Pigeon,  Félix  Rabbe,  Raoul 
Ponc-hon,  Félix  Bouchor  et  B.  Lafargue  (qui  a  remplacé  M.  Richepin, 
indisposé).  Les  chanteuses  étaient  M'""^  Melodia,  Kerchoff  et  Denis.  M.  P. 
Vidal  dirigeait  le  petit  orchestre,  composé  de  dix  musiciens.  Le  théâtre, 
éclairé  par  la  lumière  électrique,  avait  été  dressé  au  fond  de  la  salle. 
L'assistance  se  composait  de  quatre  cents  personnes  environ,  parmi  les- 
quelles presque  toutes  les  dames  patronnesses  des  cent  œuvres  adhérant 
au  Grand  Bazar. 

—  La  solennité  artistique  qui  a  eu  lieu  samedi  dernier  au  théâtre  de  Bourges 
en  l'honneur  d'un  grand  musicien  a  été  le  triomphe  de  ses  œuvres  là-bas, 


dans  ce  petit  coin  du  Berry.  Des  hommes  de  haute  valeur  ont  rendu  justice 
au  grand  talent  de  Louis  Lacombe,  mais  ses  concitoyens  lui  ont  voué  un 
vrai  culte.  Un  comité  est  formé  depuis  longtemps  sous  la  présidence  de 
M.  Boissier-Duran  et  la  vice-présidence  du  vicomte  de  Saugardière,  pour 
propager  sa  musique.  La  belle  Marche  des  racoleurs  d'.irva,  dirigée  par 
M.Jacob  etarrangée  par  lui  pour  musique  militaire,  a  commencé  le  succès 
du  concert.  Les  sociétés  chorales  de  la  ville  se  sont  particulièrement  dis- 
tinguées sous  la  direction  de  MM.  Herzog  et  Jacob  dans  le  chœur:  Cinibres 
et  Teutons.  L'Ouverture  de  concert  en  si  mineur  a  été  admirablement  exécutée 
par  la  Société  philharmonique,  dirigée  par  M.  Borel.  M.  et  M™  Marquet 
ont  pris  part  avec  un  réel  succès  à  la  manifestation,  l'un  en  chantant 
le  Lamente  et  le  Chasseur,  l'autre  avec  l'Ondine  et  le  Pêcheur.  De  Paris 
étaient  venus  se  joindre  à  eux:  M.  Louis  Gallet,  qui,  en  termes  aussi 
élevés  qu'émus,  a  retracé  la  vie  du  compositeur-penseur;  M.  Carcanade, 
jeune  lauréat  du  Conservatoire,  qui  a  excité  un  véritable  enthousiasme 
avec  deux  œuvres  de  Louis  Lacombe,  Rêverie  et  le  solo  de  V Amour.  Le  succès 
de  M"«  Retzer  a  été  très  grand  en  interprétant  la  Romance  et  la  Neige, 
et  avec  MM.  Borel  et  Carcanade  le  trio  en  la.  Enfin  M°"=  Andrée  Louis- 
Lacombe  apportait  à  cette  belle  soirée  le  concours  bien  précieux  de  sa 
présence  et  de  son  talent.  Musicienne  de  grand  savoir,  diseuse  de  premier 
mérite,  ii'""  Lacombe  a  produit  un  grand  effet  dans  cette  inspiration  qui 
a  nom  Au  pied  d'un  crucifvx.  Le  chant,  posé  d'abord  par  l'orchestre,  répété 
par  le  beau  contralto  de  l'éminente  cantatrice,  redit  ensuite  par  elle  et 
les  chœurs,  arrivant  par  un  splendide  crescendo  à  un  formidable  unisson 
sur  l'octave,  a  électrisé  la  salle  entière,  qui  l'a  bissé.  M™  Lacombe  s'est 
fait  entendre  encore  dans  deux  autres  œuvres  de  son  mari  :  les  Grenouilles 
qui  demandent  un  roi  et  le  Petit  Rerger. 

Le  Déi^ert  de  Félicien  David  vient  d'être   remarquablement   exécuté, 

vendredi  22  mai,  au  cirque  de  Reims,  dans  un  grand  concert  avec  chœurs 
et  orchestre,  donné  au  bénéfice  de  l'Association  des  artistes  musiciens, 
fondation  Taylor,  sous  l'habile  direction  de  M.  E.  Lefèvre,  chef  d'orchestre 
de  la  Société  philharmonique.  M.  Lamarche,  de  l'Opéra,  et  M.  Pierre  Berton 
avaient  donné  leur  gracieux  concours  à  cette  fête  de  bienfaisance  et  ont 
été  chaleureusement  applaudis.  Dans  un  intermède.  M"'»  Vincent  Garol  et 
M.  Henri  Marteau,  l'excellent  violoniste,  se  sont  fait  entendre  et  ont 
mérité  les  bravos  et  rappels  qui  les  ont  accueillis.  On  a  entendu  avec  le 
plus  grand  plaisir  le  concerto  de  violon  avec  orchestre  de  M.  Camille 
Saint-Saëns,  concerto  que  M.  Henri  Marteau  a  joué  dans  la  perfection. 

—  Le  dimanche  17  courant,  jour  de  la  Pentecôte,  l'école  Salnt-Thomas- 
d'Aquin,  à  OuUins,  près  de  Lyon,  recevait  de  nombreux  amis  et  anciens 
élèves  accourus  pour  assister  à  la  bénédiction  et  inauguration  des  orgues 
construites  par  la  maison  Merklin.  M.  Trillat,  le  brillant  organiste  de  la 
Primatiale  de  Lyon,  a  su  faire  ressortir  toutes  les  qualités  d'un  instrument 
construit  avec  les  derniers  perfectionnements  de  la  facture  moderne  et  qui 
fait  honneur  aux  facteurs.  J^ei  orgue  se  compose  de  vingt  jeux,  deux 
claviers  à  mains,  clavier  de  pédales  séparées  et  série  de  pédales  d'accou- 
plements et  de  combinaisons. 

CONCERTS    ET   SoTrÉES 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  et  M"»  Léon 
Bourgeois  ont  donné,  mercredi  dernier,  au  ministère  de  l'instruction 
publique,  une  soirée-concert  à  l'occasion  de  la  réunion  du  Congrès  des 
Sociétés  savantes.  Le  concert  était  superbe.  Il  comprenait,  du  reste,  tous 
les  meilleurs  parmi  les  principaux  artistes  de  nos  théâtres  subventionnés: 
Mmcs  Melba,  Rose  Caron,  Bosman,  Deschamps-Jehin,  Landouzy,  Bartet, 
duMinil,  et  MM.  Sellier,  Bérardi,  Fugère,  Soulacroix,  Carbonne,  Marquet, 
Mounet-Sully,  Coquelin  cadet,  Baillet,  Le  Bargy.  Signalons,  parmi  les 
morceaux  les  plus  applaudis,  l'air  de  la  Folie  d'Hamlet,  admirablement 
chanté  par  M"''  Melba,  l'air  du  Cid  (Pleurez,  mes  yeux),  très  bien  dit  par 
M"»=  Caron,  et  le  beau  duo  de  Sigurd,  interprété  par  M""' Caron  et  M.  Sellier. 

—  La  belle  et  bonne  Société  chorale  d'Amateurs  (Guillot  de  Sainbris) 
vient  de  terminer  la  Ti"  année  de  ses  féconds  travaux  par  une  matinée 
qui  lui>  valu  un  brillant  succès  de  plus.  Fidèle  à  ses  louables  habitudes, 
elle  avait  fait  sur  son  programme  une  large  part  aux  compositeurs  mo- 
dernes, le  Miracle  de  Ndim,  le  beau  drame  sacré  de  M.  Henri  Maréchal 
(poème  de  M.  Paul  Collin),  dont  on  connaît  les  airs,  mais  dont  la  partie 
chorale  très  développée  offre  le  plus  vif  intérêt,  a  été  merveilleusement 
rendu  par  ces  choristes  mondains,  si  soucieux  des  détails,  et  dont  on  ne 
saurait  trop  louer  l'intelligente  diction.  Les  mêmes  rares  qualités  de  finesse 
et  de  distinction  se  sont  retrouvées,  avec  le  même  succès,  dans  le  chœur 
si  séducteur  de  l'Ode  triomphale  (la  Jeunesse)  de  M'"»  Holmes,  bissé  d'en- 
thousiasme, dans  le  joyeux  chœur  de  fête  du  Tasse, de  M.  B.  Godard,  dans 
une  sélection  de  la  Rédemption  de  Gounod  et  des  Saisons  d'Haydn.  Une 
mention  spéciale  est  due  aux  fragments  de  Jephté  doHaendel;  car  cette 
œuvre,  que  le  maître  écrivit  dans  ses  dernières  années  (en  1731),  était 
presque  pour  nous  une  nouveauté,  n'ayant  encore  été  chantée  qu'une  fois 
à  Paris,  par  cette  même  société,  qui  seule  en  possède  une  version  française 
adaptée  pour  elle  par  M.  Paul  Collin.  Ce  que  nous  avons  entendu  est  de 
l'inspiration  la  plus  pure,  d'une  ordonnance  et  d'une  sonorité  superbes, 
digne  des  pages  les  plus  célèbres  de  Judas  Macchabée.  Pour  finir,  tous  nos 
compliments  aux  solistes  :  M'""^  Héglon  et  Menusier,  MM.  Gogny  et 
Genuaro,  et  à  M.  Charles  René,  qui  a  conduit  le  concert,  remplaçant  à 
l'improviste  M.  Maton,  indisposé. 


476 


LE  MÉNESTREL 


—  Nombreux  et  beau  public  au  3'  concert  de  M.  Alexandre  Guilmant 
au  Trocadéro.  Entre  autres  pièces  très  intéressantes,  l'éminent  organiste 
a  exécuté  une  superbe  fugue  sur  le  nom  de  Bacb,  de  Schumann,  œuvre 
qu'il  est  le  premier  à  faire  connaître  à  Paris.  La  belle  Fantaisie  Iriomphalc 
de  M.  Th.  Dubois,  une  charmante  pastorale  de  M.  de  la  Tombelle  et  la 
Fugue  en  ré  de  M.  A.  Guilmant  ont  été  très  chaleureusement  applaudis. 
M.  Warmbrodt  a  chanté  délicieusement  le  Sommeil  à'Armidi',  de  Gluck, 
et  a  été  rappelé  avec  enthousiasme,  ainsi  qu  •  M.  PaulViardot,  qui  a  admi- 
rablement joué  l'andante  du  concerto  de  Mendelssohn.  M.  Colonne  diri- 
geait son  excellent  orchestre  avec  son  autorité  habituelle. 

—  Le  cercle  Saint-Simon,  continuant  sa  série  d'auditions  de  musique 
des  pays  slaves,  inaugurée  par  son  vice-président,  M.  Louis  Léger,  pro- 
fesseur de  langues  slaves  au  collège  de  France,  a  donné  mercredi  un 
concert  entièrement  consacré  aux  œuvres  du  compositeur  polonais 
Moniuszko.  On  y  a  entendu  plusieurs  fragments  de  son  opéra  Halka,  très 
populaire  en  Pologne,  Russie  et  Bohême,  une  transcription  du  poème 
lyrique  les  Fantùmes  d'après  un  poème  de  Mickiewiez,  et  quelques  extraits 
des  Échos  de  Pologne.  Moniuszko  nous  est  apparu  là  comme  un  compositeur 
peu  savant,  mais  d'une  nature  très  particulière  et  originale  ;  il  s'inspire 
souvent  des  rythmes  nationaux,  et  crée  parfois  lui-même  de  véritables 
mélodies  populaires.  On  sait  que  Léo  Delibes  lui  a  emprunté  sans  le  savoir 
un  thème  de  Coppélia,  qu'il  avait  cru  appartenir  au  fonds  populaire  des 
chansons  slaves.  M""  Kryzanowska  a  exécuté  au  piano  la  plus  grande 
partie  du  programme,  avec  un  sentiment  très  juste  et  une  grande  autorité; 
elle  était  secondée  par  M"":  Lucie  Humblot,  le  violoniste  Gorski  et  un 
jeune  ténor  polonais,  M.  de  Pless  Pol.  J.  T. 

—  Le  23  mai  dernier,  soirée  charmante  chez  11°"=  Gabrielle  Krauss.  Un 
joli  programme  dessiné  par  Glairin  réunissait  les  noms  de  MM.  Bouhy, 
Delsart,  Risler,  Ilasselmans  et  celui  de  l'éminente  cantatrice,  que  l'on  a 
acclamée  dans  plusieurs  morceaux  de  Mozart,  Gluck,  Schubert  et  Schu- 
mann. M.  Risler  a  joué  avec  une  virtuosité  nette  et  précise  la  Rapsodie 
espagnole  de  Liszt.  M.  Delsart  a  supérieurement  chanté  un  Air  russe  de 
M.  Lalo  et  détaillé  avec  un  charme  exquis  le  Papillon  de  Popper  et  une 
valse  bien  connue  de  M.  AVidor.  M.  Hasselmans  tire  de  la  harpe  des  ef- 
fets d'une  fluidité  ravissante.  Am.  B. 

—  La  seconde  matinée  musicale  donnée  dimanche  dernier  chez  M.  et 
M°"  Delsart  n'a  pas  été  moins  réussie  que  la  première.  Au  programme  : 
trio  de  Saint-Saëns,  exécuté  par  MM.  Diémer,  Sarasate  et  Delsart;  fan- 
taisie de  Schubert  (Diémer  et  Sarasate);  sonate  de  Boccherini  (Delsart); 
la  Fée  d'amour,  de  Raff,  et  mazurka  de  Zardinoski  (Sarasate).  Toujours  très 
belle  assistance. 

—  Jeudi  dernier,  salle  Pleyel,  devant  une  très  brillante  assistance,  con- 
cert de  bienfaisance  donné  par  M™"  Marie  Jaëll,  qui  a  fait  entendre  deux 
de  ses  élèves,  M""  F.  Spalding  et  M''^  Eva  Boutarel,  âgée  de  dix  ans,  que 
l'on  a  applaudie  avec  une  sympathie  toute  spontanée.  Grand  succès  pour 
M""  Conneau,  pour  M.  Warmbrodt  dans  le  Berceau  d'amour,  mélodie  d'après 
Varia  de  la  troisième  suite  de  Bach,  et  dans  Etei-nilé,  de  M™'  de  Grandval; 
pour  MM.  Delaborde,  Marsick,  Taffanel  et  M""  Jaëll,  qui  ont  exécuté  avec 
une  virtuosité  superbe  et  un  sentiment  musical  très  apprécié,  des  mor- 
ceaux de  Schumann  et  de  MM.  Fauré,  "Widor,  Wienia-wski  ei  Marsick. 

Am.  B. 

—  La  sixième  et  dernière  matinée  musicale  du  jeune  pianiste  Léon 
Delafosse  a  eu  lieu  jeudi  dernier  et  a  été  pour  lui  l'occasion  d'un  succès 
encore  plus  éclatant  qu'à  ses  précédentes  séances.  W^"  G.  Domenech,  de 
l'Opéra,  et  le  violoncelliste-compositeur  Daniel  van  Gœns  y  ont  également 
recueilli  des  bravos  chaleureux. 

—  Très  brillant,  le  concert  à  orchestre  donné  mercredi  dernier,  à  la 
salle  Erard,  par  M.  Breitner,  avec  le  gracieux  concours  de  M'™»  Gabrielle 
Krauss  et  Breitner.  La  soirée  n'a  été  qu'une  longue  suite  d'ovations  pour 
M.  Breitner,  pour  M""-'  Breitner,  une  violoniste  de  talent,  pour  M""^  Krauss, 
qui  a  dû  bisser  la  Marguerite  au  rouet  de  Schubert,  orchestrée  par  M.  Ambroise 
Thomas.  Enfin  l'orchestre  a  fait  merveille  sous  l'habile  direction  de 
M.  Emile  Bourgeois,  chef  du  chant  et  chef  d'orchestre  à  l'Opéra-Gomique. 

—  L'audition  d'œuvres  classiques  et  modernes  donnée  par  les  élèves  de 
M.  Louis  Diémer  (classe  du  Conservatoire)  a  été,  comme  tous  les  ans,  fort 
intéressante.  MM.  Pierret  et  Quévremont,  deux  seconds  prix  des  concours 
précédents,  s'y  sont  particulièrement  distingués,  ainsi  que  M.  Bonnel, 
qui  est  vraiment  remarquable  déjà.  Il  faut  aussi  signaler  MM.  Laparra, 
Niederhofheim  ctDesenpringalle.  Comme  toujours,  joli  choix  de  morceaux 
au  programme.  On  a  particulièrement  goûté  les  pièces  suivantes  :  Prélude, 
Esquisse,  Réveil,  Clair  de  lune  et  Badinage,  de  M.  Théodore  Dubois,  l'"  Gavotte, 
2«  Valse,  Soir  d'automne.  Soir  de  printemps,  de  M.  Raoul  Pugno,  et  enfin 
deux  des  belles  études  artistiques  de  M.  Benjamin  Godard  :  Fantaisie  et 
En  route. 

—  A  Rouen,  cette  semaine,  brillante  inauguration  des  nouveaux  salons 
de  l'éditeur  Klein,  l'éditeur-artiste  par  excellence.  Toute  la  plus  belle  société 
s'y  pressait,  le  préfet  de  la  Seine-Inférieure  en  tête  avec  M™  Hendlé.  On  y 
a  entendu  l'excellent  ténor  Lafarge,  très  applaudi,  entre  autres  morceaux, 


dans  une  jolie  mélodie  de  M.  Paul  Vidal,  Chant  d'exil,  puis,  avec  M""  Guy, 
dans  le  duo  de  Sigurd.  Celle-ci  a  chanté  seule  et  avec  grand  talent  l'air 
du  Cid  :  Pleurez,  mes  yeux.  M.  Manoury,  le  chanteur  exquis,  a  dit  l'air 
d'Henry  VIII  et  une  binette  tout  à  fait  charmante  de  M.  Claudius  Blanc,  les 
Poupées  (tirée  de  l'album  la  Chanson  des  Joujoux),  qu'il  lui  a  fallu  bisser 
au  milieu  de  l'enthousiasme  général.  Dans  la  partie  instrumentale, 
M.  Albert  Rieu,  violoniste  distingué,  et  M"°  Berthe  Duranton,  pianiste  de 
style.  Soirées  des  plus  réussies. 

Concerts  et  SoinÉES.  —  La  soirée  musicale  et  littéraire  donnée  par  M""  Gigaoux, 
vendredi  dernier,  en  l'honneur  de  Th.  Dubois,  avait  attiré  de  nombreux  invités, 
l'rogramme  varié  et  choisi  :  les  jolies  mélodies  de  Th.  Dubois,  l'rùs  du  sentier  et 
Près  d'un  ruisseau,  et  la  scène  d7/j//rt.s,  ont  été  particulièrement  goiitées;  le  pro- 
gramme se  terminait  par  le  beau  duo  de  Si'iurd.  Interprètes,  pour  la  partie  musi- 
cale :  M""'  Duval-Erard,  Spencer-Owen,  Mangin,  M.  Getty  ;  pour  la  partie  litté- 
raire :  M.  Lancelin,  M""  Christia,  de  Vineuil  et  le  jeune  Eudes.  MM.  Th.  Dubois, 
A.  de  Bertha  et  M"''  Gignoux  ont  accompagné  leurs  œuvres.  Vifs  applaudisse- 
ments pour  les  auteurs  et  les  artistes.  —  Signalons  la  brillante  soirée  musicale 
donnée,  à  l'École  Centrale,  par  M.  et  M"°  Hegelbacher.  M"»  Vincent-Carol,  dans 
la  chanson  du  Misoli,  de  Félicien  David,  et  le  trio  à'Hamlet,  avec  sa  charmante 
élève,  M""  Paré,  et  le  sympathique  baryton,  M.  Dimitri  ;  M.  Paul  Rougnon,  pro- 
fesseur au  Conservatoire,  avec  son  élégant  scherzo-valse  pour  piano.  Sous  les 
tilleuls,  et  son  mélodieux  nocturne,  Astre  des  nuits;  l'habile  organiste,  M.  Toby, 
et  M"''  Tolez,  qui  tenait  le  piano  d'accompagnement;  M.  Vincent  et  ses  chanson- 
nettes, ont  recueilli  les  plus  chaleureux  applaudissements  de  l'auditoire  d'élite 
qui  était  réuni  dans  les  salons  de  M.  le  sous-directeur  de  l'École  Centrale  et  de 
M""  Hegelbacher.  —  M"""  Burguet-Du  Minil  vient  de  donner  une  audition  inté- 
ressante, salle  Pleyel.  La  remarquable  élève  de  M.  Delaborde  a  joué,  avec  les 
brillantes  qualités  qui  distinguent  son  talent,  diverses  œuvres  de  MM.  Delaborde 
(Préludes),  I.  Philipp  (Valse  caprice,  d'après  Strauss),  Th.  Dubois  (Esquisse),  G. 
Pfeifler  {.\ic  de  ballet),  Lemaire  (Intermezzo),  Letourneux  (Romance),  etc.,  etc. 
M.  Burguet  a  finement  dit  le  Nid  abandonné,  de  Nadaud,  avec  adaptation  musicale 
réussie  de  M""  Burguet.  —  Le  programme  de  la  deuxième  matinée  d'élèves  de 
M""'  Breton-Halmagrand  était  formé  de  musique  moderne.  Parmi  les  morceaux  les 
mieux  exécutés,  on  en  a  remarqué  plusieurs  de  Théodore  Lack,  et  surtout  la 
charmante  Sérénade  tunisienne,  de  Pfeifler;  un  quatuor  de  Ch.  Lefebvre  a  été 
supérieurement  joué  par  une  élève  déjà  artiste  et  MM.  Paul  Viardot,  Ch.  Prioré 
et  Lebouc.  Les  élèves  de  solfège  ont  chanté  avec  beaucoup  d'ensemble  .1»  bord 
du  Nil,  chœur  de  leur  professeur,  M.  Ch.  Lefebvre,  ainsi  que  les  Norwégiennes, 
de  Delibes.  M""  Cécile  de  Monvel  a  obtenu  un  légitime  succès  en  chantant  d'an- 
ciens airs  italiens  harmonisés  par  M""  Viardot.  —  La  matinée  d'élèves  que  donne 
annuellement,  salle  lîrard,  M"°  Lafaix-Gontié,  a  été  réussie  en  tous  points. 
L'excellent  professeur  y  a  présenté  nombre  de  jolies  voix,  justes  et  bien 
posées.  Pour  être  juste,  nous  aurions  trop  à  citer.  Au  hasard  de  la  plume, 
mentionnons  les  grands  airs  de  Psyché  et  de  Lakmé,  dont  les  vocalises  ont  été 
faites  avec  une  grande  sûreté,  par  une  fort  jolie  voix,  et  le  charmant  chœur  des 
Pages,  de  Françoise  de  Rimini.  M.  Sehidenhelm,  un  violoncelliste  de  grand  talent, 
M.  Gennaro,  l'élégant  flûtiste,  prêtaient  leur  concours  à  cette  belle  audition,  où 
des  monologues  ont  été  dits  à  ravir  par  un  jeune  homme  du  monde,  littérateur 
distingué  déjà,  M.  René  Guste.  —  Dans  le  magnifique  concert  donné  dimanche 
dernier  au  Trocadéro,  en  commémoration  de  la  réunion  de  la  Savoie  à  la  France, 
M""  Deschamps-Jehin,  de  l'Opéra,  a  interprété  la  Visio?i  de  Jeanne  d'Arc,  de 
M.  E.  Gignoux.  Artiste  et  auteur  ont  été  rappelés  par  de  vifs  applaudissements. 
—  Jeudi  21  mai,  dans  la  petite  salle  Erard,  M""  et  M"»  Menant  ont  réuni  leurs 
élèves  de  piano.  M""^  Vuillaume,  MM.  Mousset  et  Cormier  dans  deux  morceaux 
de  violon,  ont  gracieusement  concouru  à  l'éclat  de  cette  matinée,  que  le  jeu 
correct  et  sympathique  des  élèves  a  rendu  très  intéressante. 

—  Jeudi  prochain,  4  juin,  M.  Alexandre  Guilmant  donnera,  au  Troca- 
déro, un  concert  historique  d'orgue  et  de  chant,  dans  lequel  il  passera  en 
revue  les  différentes  écoles  :  italienne,  anglaise,  allemande,  belge,  fran- 
çaise, depuis  le  xvi'  siècle  jusqu'à  nos  jours.  Ce  concert  aura  lieu  avec  le 
concours  de  M°"=  Montigu-Montibert  et  de  MM.  Auguez  et  C.-L.  Werner  et 
de  la  Tombelle. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

EN  VENTE  CHEZ  J.-B.  KATTO,  éditeur  à  Bruxelles 

(Paris-Landy,  224.  boni.  Saint-Germain.) 

Oevaert  F.  A..  —  FANTAISIE    ESPAGNOLE. 

Partitition  d'orchestre,  net  :       10  francs. 
Parties  séparées,  —  10      — 

Piano  à  2  mains,    marqué  :         9      — 
—         4  mains  —  10      — 


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des  Panoramas,  Paris. 
A.  IjA'VIGNAG,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire  : 
L'École  de  la  Pédale  du  Piano,   ouvrage   contenant  l'histoire  de   la 
Pédale  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à   nos  jours,   accompagnée 
de  nombreux  exemples  tirés  des  grands  maîtres  (80  pages  de  te.xte),  et  sui- 
vie de  Douze  Études  spéciales   pour  l'emploi   de  la  Pédale    (Ouvrage 
dédié  à  Louis  Diémer.) 

Un  beau  volume  in-4'',  net  :     la  francs. 
Du  même  auteur  : 

Op.  24.  Scherzo-Caprice 7  bO 

Op.  31.  Dix  Préludes,  divisés  en  cinq  cahiers,  chaque  cahier.   .     7  HO 


IMPlUMEItlE  ( 


:  FER.  — alMPBIMEKlE  CnAI.\,  20,   RUE  BERGERE,  PARIS. 


Dimanche  7  Juin  1891. 


3140  -  S7"'  AME  -  N"  23.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    fiEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  iis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMA.TRE- TEXTE 


Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (12«  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malheube.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  L'Opéra  à  Trianon,  Jdlien  Tiersot  ; 
rentrée  de  M™»  Arnoldson  à  l'Opéra-Comique,  H.  M.;  premières  représentations 
du  Rez-de-Chaussée  et  de  Rosalinde  à  la  Comédie-Française,  et  de  la  Plantation 
Thomassin  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Cbevaliek.  —  III.  La  musique 
et  le  théâtre  au  Salon  du  Champ-de-Mars  (1"  article),  Camille  Le  Senne.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  pian'O  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

BATTONS    LE    FER  ! 

nouvelle  polka  de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  :   Aria, 
pour  piano,  de  Robert  Fischhof. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :   la   Captive,    mélodie   posthume    de   Gh.-B.   Lysberg.  —  Suivra 
immédiatement  :  Aux  cerises  pvchaines,  n"  2  des  Bondes  et  chansons  d'avril, 
de  GlaUdius  Blanc  et  Léopold  Daupihn. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAYART 


Alliert  SOUBIJBS   et  Charles   MALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 


RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lalltt-Roukli  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 

1862-1864. 

(Suite.) 

Peut-être  trouverait- on  des  vers  analogues,  et  sans 
trop  chercher,  dans  le  grand  ouvrage  qui  fut  donné  quelques 
jours  après  la  fête  officielle  (24  août),  et  qui  forma  le  spec- 
tacle le  plus  attrayant  de  cette  arrière-saison,  les  Amours  du 
Biable,  opéra-comiquo  en  quatre  actes,  paroles  de  Saint- 
Georges,  musique  d'Albert  Grisar.  Ce  n'était  là,  d'ailleurs, 
qu'une  transplantation,  un  emprunt  au  Théâtre-Lyrique,  jus- 
tifié par  le  succès  presque  universel  de  ce  type,  imaginé 
primitivement  par  Gazotte.  A  New- York,  pour  ne  citer  qu'un 
exemple,  on  le  jouait  à  la  fois  sous  la  forme  dramatique  et 
sous  la  forme  chorégraphique,  le  public  ne  se  lassant  pas  de 
venir  voir  Urielle  et  d'applaudir  ses  roulades  ou  sa  mimique. 
Urielle  plaisait  à  tous,  Urielle,  l'ange    déchu,  que    rachètent 


l'amour  et  le  dévouement,  Paris,  pour  sa  part,  n'en  compta 
pas  moins  de  cimj  apparitions  : 

A  l'Opéra,  en  1840,  comme  ballet,  avec  le  titre  :  le  Diable 
amoureux,  et  la  musique  de  Reber  et  Benoist  ; 

Au  Théâtre-Lyrique,  en  1853,  comme  ouvrage  dramatique 
avec  Talion  (Frédéric),  Goulon  (Belzébulh)  et  M""=  Golson 
(Urielle); 

A  rOpéra-Comique,  en  1863,  avec  Gapoul,  Troy  et  M"»  Galli- 
Marié  ; 

Au  Ghâtelet,  en  1874,  avecNicot,  Bonnesseur  et  M"''Reboux; 
M.  Salvayre  avait,  pour  la  circonstance,  ajouté  un  ballet  de 
sa  composition  ; 

Au  Ghâteau-d'Eau,  en  1888,  avec  Lamy,  Ferran  et  M"'=  Ghas- 
saing. 

Entre  tous  ces  déménagements,  la  station  à  la  salle  Favart 
fut  la  plus  fructueuse,  puisqu'elle  valut  alors  trente  représ  en 
talions  à  celte  pièce  assez  faible  en  somme,  et  dont  on  ne 
s'explique  la  réussite  que  par  l'attrait  du  principal  rôle  jjour 
une  actrice  jolie,  spirituelle,  portant  bien  le  travesti.  M"'"  Galli- 
Marié  répondait  aux  exigences  du  programme;  «  piquante, 
tendre,  sardonique  ou  passionnée  tour  à  tour  »,  elle  charmait 
tous  les  spectateurs,  même  les  ambassadeurs  annamites  qui, 
le  9  octobre,  assistèrent  à  une  représentation,  et,  dit-on, 
n'eurent  d'yeux  que  pour  elle.  Passée  en  moins  d'une  année 
au  rang  d'étoile,  elle  assurait  la  fortune  du  théâtre  avec 
Montaubry,  Achard  et  Gapoul;  aussi,  grâce  à  ce  quatuor, 
grâce  à  la  continuation  des  succès  de  Lalla  Roukh,  les  recettes 
de  1863  s'élevèrent-elles  encore  à  1,110,112  fr.  Oo  c,  chiffre 
inférieur  à  celui  de  l'année  précédente,  mais  néanmoins  res- 
pectable. Il  y  faut  compter  en  outre  cinq  représentations 
extraordinaires  : 

La  première,  donnée  le  8  avril,  au  bénéfice  des  descendants 
de  Rameau,  avec  le  concours  de  la  Comédie-Française  et  du 
Gymnase  pour  II  faut  qu'une  porte  soit  ouverte  ou  fermée  et  le 
Chapeau  d'un  horloger,  sans  parler  de  Maître  Patlielin,  et  d'in- 
termèdes oij  se  firent  entendre  Tamberlick,  Obin,  Boanehée, 
Vieuxtemps,  M""''  Grisi,  Charton-Demeur,  Marimon,  Escudier- 
Kastner.  La  recelte  atteignit  10,873  francs  ; 

La  seconde,  donnée  le  29  mai,  au  bénéfice  de  Lemaire.un 
vieux  serviteur  de  la  maison,  qui  ne  put  guère  se  faire  des 
rentes  avec  le  résultat  obtenu,  soit  exactement  1,698  fr.  41  c; 

La  troisième, donnée  le  24  octobre,  au  profit  de  l'Association 
des  artistes  dramatiques,  et  comprenant  le  Tableau  parlant,  le 
Rourgeois  gentilhomme,  joué  par  la  Comédie-Française,  plus  un 
pas  de  ballet  intitulé  rAthénienne,  dont  la  musique  avait  été 
spécialement  écrite  par  Auber  et  qui  fut  dansé  parM""*  Vernon, 
Fonta,  Villiers, Marquis,  Parent,  de  l'Opéra;  bénéfice: 6,728 fr.SO. 

La  quatrième,  donnée  le  29  novembre,  en  faveur  d'un 
artiste,    où    des   intermèdes    musicaux    par  Gapoul,    Troy    et 


178 


LE  MÉNESTREL 


Sainte-Foy,  vinrent  s'ajouter  aux  Rendez-vous  bourgeois,  à  la 
Servante  maîtresse  et  à  Joconde,  qu'on  reprit  ce  soir-là  avec 
Grosti  pour  le  rôle  principal  ; 

La  cinquième,  enfin,  donnée  le  8  décembre,  au  profit  de 
la  caisse  de  secours  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques 
et  dont  le  programme  comprenait  :  i?ose  e(  Colas,  le  quatrième 
acte  de  la  Favorite,  joué  par  Gazaux,  Gueymard  et  sa  femme  ; 
un  pas  dansé  par  M"«=  Vernon  et  Yilliers,  de  l'Opéra  ;  La  joie 
faitjyeur,  interprétée  par  Régnier,  Worms,  M"""  Nathalie,  Dubois 
et  Riquer;  le  troisième  acte  i'Otello,  chanté  par  Daprez  et 
jime  Borghi-Mamo  ;  un  Mari  dans  du  coton,  comédie  débitée  par 
Dupuis  et  M"''  Alphonsine,  des  Variétés:  belle  soirée  qui  pro- 
duisit 8,712  francs. 

En  18(54,  les  recettes  tombèrent  à  1,0S9,983  fr.  b7  c;  mais 
cette  différence  d'une  cinquantaine  'de  mille  francs  avec 
l'année  précédente  avait  une  cause  toute  naturelle,  à  savoir 
la  fermeture  de  la  salle  Favart  du  l^""  juillet  au  i"^  septembre 
pour  cause  de  réparations.  Ainsi  l'avait  décidé  l'administra- 
tion, qui,  plus  avisée  alors  et  surtout  plus  ferme  qu'elle  ne 
devait  se  montrer  plus  tard,  avait  reconnu  un  danger  immi- 
nent, et,  sans  plus  tarder,  exigeait  qu'on  y  parât  sur-le-champ. 
Lors  des  représentations  du  Pardon  de  Ploërmel,  l'installation 
de  la  cascade  naturelle  avait  en  effet  nécessité  dans  les 
dessous  du  théâtre  une  série  de  travaux  qui  compromettaient 
la  solidité  de  la  scène  ;  avec  les  années  le  mal  s'était  accru, 
et  avait  donné  naissance  à  un  procès  en  responsabilité  ;  chaque 
directeur  recourait  à  son  prédécesseur  et  mettait  de  plus  en 
cause  le  propriétaire  de  l'immeuble.  Un  jugement  du  tribu- 
nal, confirmé  par  la  Cour,  décida  que  les  travaux  seraient 
supportés  par  les  propriétaires,  Grosnier  et  G'«,  et  mit  à  la 
charge  de  la  faillite  Beaumont  la  réfection  des  dorures,  dont 
la  dépense  était  évaluée  à  20,000  francs  environ.  La  ferme- 
ture du  théâtre  servit  donc  à  restaurer  non  seulement  la 
scène,  mais  la  salle,  qui  fut  repeinte  et  redorée  complètement. 
La  couleur  rouge  fut  substituée  au  papier  vert  qui  garnissait 
le  fond  des  loges,  et  un  rideau  peint  rouge  et  or  remplaça 
sur  la  scène  l'ancien  rideau  allégorique.  L'éclairage  demeurait 
ce  qu'il  était  auparavant, puisque  de  Leuven  l'avait  transformé 
dès  le  premier  mois  de  sa  direction,  adoptant  un  système 
qui,  sans  supprimer  le  lustre  ni  la  rampe,  dont  les  artistes 
réclamaient  le  maintien,  permettait  l'application  de  réflec- 
teurs, introduits  depuis  peu  dans  les  théâtres  nouvellement 
construits. 

Avant  la  clôture  comme  après  la  réouverture,  ce  fut  le  ré- 
pertoire ordinaire,  avec  quelques  simples  changements  d'in- 
terprétation, qui  fournit  encore  à  la  caisse  ses  plus  sures 
recettes.  Fra  Diavolo  et  le  Postillon  de  Lonjumeau  avec  Montaubry 
(14  et  23  février)  ;  Lalla-Roukh  (4  mars)  avec  Gapoul  et 
M"^  Monrose  au  lieu  de  Montaubry  et  M"«  Gico;  le  Songe  d'une 
nuit  d'été  (11  avril)  avec  Achard,  Grosti,  Gapoul  et  M"«  Monrose  ; 
Eaydée  (24  avril)  avec  Achard,  Eugène  Bataille  et  M'i«  Baretti, 
qui  céda  son  rôle,  le  1"  décembre,  à  M""  Gico,  tandis  qu'elle 
prenait  la  place  de  M''^  Monrose  dans  Lara,  à  partir  de  la 
quarante -cinquième  représentation  (22  novembre);  enfin 
l'Éclair,  avec  une  distribution  toute  nouvelle  (18  mai),  Achard, 
au  lieu  de  Montaubry  primitivement  désigné,  Gapoul,  M'ie^  Gico 
et  Bélia.  Au  contraire,  les  pièces  nouvelles,  surtout  les 
grandes,  ou  n'obtinrent  que  de  petits  succès,  ou  ne  donnè- 
rent pas  tout  ce  qu'on  en  attendait,  et  la  meilleure  d'entre 
elles,  Lara,  qui  semblait  partie  pour  la  centième,  s'arrêta 
l'année  suivante  avec  quatre-vingt-dix  représentations,  con- 
servant d'ailleurs,  en  province  et  à  l'étranger,  la  faveur  réser- 
vée aux  œuvres  populaires. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


L'OPÉRA  A  TRIANON 
Cette  semaine,  si  elle   a  été  complètement  vide    en   fait  de  nou- 
veautés   musicales,    nous  a,   par   contre,    valu  toute   une   série    de 


séances  intéressantes  au  point  de  vue  de  l'histoire  de  la  musique. 
Nous  avons  eu,  lundi,  au  Petit  Trianon,  le  Devin  du  village,  accom- 
pagné de  diverses  autres  productions  du  XVIIP  siècle,  repré- 
sentation donnée  avec  le  concours  del'Opéra,  de  l'Opéra-Gomiqueetde 
la  Comédie-Française;  mercredi,  au  Trocadéro,  la  première  audition, 
en  France,  de  l'oratorio  de  Jîadniel,  Israël  en  Egypte;  enfin  jeudi,  à 
ce  même  Trocadéro,  M.  Guilmant  a  donné  un  concert  historique 
d'orgue  et  de  chant  dont  le  programme,  établi  chronologiquement, 
ne  comprenait  pas  moins  de  vingt-trois  noms  des  plus  célèbres  au- 
teurs classiques,  depuis  Palestrina  et  Gabrieli  jusqu'à  l'époque 
contemporaine.  Nous  ne  saurions  parler  en  une  seule  fois,  du  moins 
avec  le  développement  qui  conviendrait,  d'une  telle  abondance 
d'ancienne  musique.  Il  sera  sans  doute  question  du  concert  de 
M.  Guilmant  dans  une  autre  partie  du  journal;  pour  Haendel, 
outre  qu'il  est  arrivé  deux  jours  plus  tard  que  Rousseau,  il  peut 
attendre  :  nous  nous  bornerons  pour  l'instant  à  constater  l'impres- 
sion produite  par  son  œuvre,  dont  les  beautés  imposantes  ont  été 
écoutées  avec  beaucoup  de  respect;  nous  y  reviendrons  plus  lon- 
guement la  semaine  prochaine.  Aujourd'hui,  nous  serons  tout  au 
philosophe  de  Genève  et  à  la  musique  française  du  XVIIP  siècle 
qu'il  a  si  fort  maltraitée,  lui  qui  prétendit  que  les  Français  ne  pou- 
vaient pas  avoir  de  musique,  et  que  s'ils  en  avaient  jamais  ce  se- 
rait tant  pis  pour  eux  ! 


Elle  est  charmante,  cette  petite  salle  du  théâtre  de  Trianon,  qui,, 
après  un  siècle   et  plus  de  silence,    s'est  rouverte  pour  un  jour  au 
bénéfice  de  l'œuvre  de  la  statue  de  Houdon.  Sans  grande  apparence 
extérieure,  elle  s'élève  entre  les  deux  châteaux  oîi  les  rois  se  sont 
ingéniés   tour  à  tour  à  faire   petit,  Louis    XIV  voulant    se    reposer 
des  majestés  de  Versailles,  Louis  XV  trouvant  le  Trianon  du  grand 
roi  encore  trop  grand  pour  lui.  Pour  y  arriver,  après  avoir  jeté  au 
passage  un  regard  vers  le  palais,  on  traverse  d'abord  des   avenues 
amples  et  régulières,  aux  arbres  correctement  taillés  en  lignes  très- 
droites,  comme  on  les  voit  dans  les  vieilles   gravures  ,   comme  les 
représentent    les  décors   des  opéras  de  Lulli.    Dans  le  parc,  parmi 
des  pllées  d'un  style  tout  semblable   et  pareillement  régulières,  au 
milieu  des  parterres  et  des  gazons,   ce  sont,  à  chaque  pas,  des  jets 
d'eau,  des  bassins,  des  rocailles,  de  petits  Amours  en  bronze  ou  en 
marbre:  non  loin  est  le  «  Temple  de  l'Amour  »,  entouré  de  colonnes- 
corinthiennes  ;  puis,  dans  un  coin  retiré,  le  hameau  de  Marie-An- 
toinette,   chaumières,  fermes,  chalets  suisses,  où  la  reine,  en  robe 
de  percale,   fichu   de  gaze  et  chapeau  de  paille,    s'occupait    à  voir 
traire  les   vaches  et  à    garder  les  moutons  ;  lieux  rustiques  qui  ne 
connurent   jamais   le  salutaire  labeur   des  champs,   où  jamais  non      T 
plus  on  ne  se  passionna  pour  la  solution  des  problèmes  agricoles! 
—  Le  théâtre,  où   la  reine  continuait  à  jouer  ses  rôles  de  bergère, 
est  à  l'avenant.  La  salle    est  ornée  et  décorée  de    la  façon   la  plus 
charmante,  et  comme  elle  a  très  peu  servi,  étant  restée  fermée  dès 
avant  la  Révolution  (on  n'y  a  donné  le  spectacle  depuis  ce  temps 
que    deux    fois  sous  le  règne  de  Louis-Philippe,  et,  dit-on   encore, 
vers  la  fin  du  premier  Empire),  elle  est  restée  dans  un  état  de  con- 
servation parfaite.  Toute  bleue  et  or,  elle  est  très  claire  sous  la  lu- 
mière des  bougies  qui  s'allument  autour  des  galeries,  et  des  lampes 
que    supportent  des  lampadaires  hauts    et   massifs    se  dressant   de 
chaque  côté  de  la  scène.  Le  rideau,  en  soie  bleue  brochée,  est  à  lui 
seul    une    merveille.    Au-dessus,   dans  un    écusson   porté   par    des 
Amours,  se  détachent  très  gracieusement,  en  lettres  d'or  sur  un  fond 
bleu,  les  initiales  de  Marie-Antoinette  ;   le  plafond,  peint,  croit-on, 
par  Lagrenée  (attribution  contestée),  nous  montre  des  dieux  et  des 
déesses  assis  sur  des  nuages.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  distribution  de 
la  salle  et  aux  noms  des  places  qui  n'évoquent  des  idées  de   temps 
passé  :  l'étage  inférieur,  de  simples  banquettes  réservées  aux  hommes, 
a  eonservéuniformément  le  nom  classique  de  parterre;  en  arrière,  c'est 
le  «  balcon  royal  »  ;  une  partie  du  premier  étage  est  grillée  ;  les  se- 
condes sont  les  «  loges  de  l'œil  de  bœuf.   »  Ajoutez  à  cela  que  les 
décors,  très  frais  et  merveilleusement  conservés,  sont  du  temps  (l'un, 
dans  lequel  on  nous  a  donné,  outre  le  Devin  du  village,  un  divertisse- 
ment   de    Psyché  et    l'Amour,   représente  une   de  ces    majestueuses 
avenues  conduisant  à  Versailles,  avec,  dans  le  fond,  la  porte  Saint- 
Antoine  :    paysage   admirable   pour    la  représentation    de  l'antique 
mythe  grec  !),  et  jugez  si  l'on  peut  rêver  un  cadre  plus  exquis  pour 
une  évocation  de  l'art  charmant,  bien  que  frivole,   qui  fut  l'art  du 
XVIIP  siècle. 

Le  Devin  du  village  était  tout  naturellement  indiqué  pour  y  figurer  : 
d'abord  par  les  souvenirs  historiques,  la  reine  Marie-Antoinette 
ayant    elle-même    interprété   le   rôle  de  Colette  à  Trianon   dans  la 


LE  MÉNESTREL 


179 


troupe  de  nobles  amateurs  de  laquelle,  par  un  scrupule  moral  que 
l'on  appréciera,  les  jeunes  gens  étaient  sévèrement  exclus  ;  c'est 
ainsi  que  le  Colin  de  la  royale  Colette  était  un  fi6illard,le  marquis 
d'Adhémar,  dont  la  voix,  jadis  belle,  cbevrotait  les  tendres  décla- 
rations du  berger,  et  dont,  au  rapport  de  M'""  Campan,  le  costume 
enrubanné  ïaisait  un  effet  fort  ridicule.  D'autre  part,  l'œuvre  musi- 
cale de  Jean-Jacques  Rousseau  a  conservé,  aux  yeux  de  beaucoup 
de  gens,  un  singulier  prestige:  il  semble  qu'au  point  de  vue  musi- 
cal elle  renferme  la  quintessence  de  cet  art  du  XYIIP  siècle  qui,  dans 
les  autres  arts,  eut  pour  représentants  autorisés  Boucher,  Watteau 
et  Florian.  Aussi  n'est-ce  pas  d'aujourd'hui  que  l'idée  était  venue 
de  la  faire  connaître  au  public  moderne;  et  je  sais,  pour  ma  part, 
deux  occasions  récentes  oh  l'on  en  a  entendu  les  morceaux  les  plus 
importants,  presque  tout  ee  qui  a'  été  chanté  à  Trianon,  sauf  deux 
ou  trois  petits  airs  et  les  récitatifs  scéniques.  La  première  fois, 
c'était  le  soir  de  l'inauguration  de  la  statue  de  Jean-Jacques  Rous- 
seau au  Panthéon,  le  ,S  février  1889;  la  deuxième,  l'an  dernier, 
dans  un  concert  qui  suivit  le  «P-iner  des  philosophes  ».  Conservons 
au  moins  les  noms  des  deux  Colettes  qui  prirent  part  à  ces  auditions  : 
la  première  était  M"''  Paulin,  aujourd'hui  M°"  Arehainbaud,  dont 
les  correspondances  de  Bruxelles  nous  ont  appris  tout  cet  hiver  les 
succès  au  théâtre  de  la  Monnaie;  l'autre  avait  nom  M""»  Bilbaut- 
Vauchelet. 

Et  cependant  il  a  été  fort  peu  écrit  sur  le  rôle  musical  de  Jean- 
Jacques  Rousseau.  Berlioz,  dans  la  partie  de  ses  Mémoires  relative 
à  ses  souvenirs  de  jeunesse,  nous  raconte  la  scène  de  la  perruque 
jetée  aux  pieds  de  M""  Damoreau  un  soir  de  représentation  du  Devin 
duvillage  (en  1826),  manifestation  mémorable  qui  détermina  son  retrait 
définitif  du  répertoire,  oîi  il  était  resté  depuis  plus  de  soixante-dix 
ans.  Il  agrémente  la  description  de  réflexions  qui  nous  montrent 
que  l'œuvre  de  Rousseau  paraissait  terriblement  rococo  à  cette  date, 
ce  dont  il  n'y  a  pas  à  douter,  Beethoven  composant  à  ce  moment 
même  ses  derniers  quatuors  et  ayant  déjà  donné  la  Neuvième  sym- 
phonie ;  mais  il  me  semble  méconnaître  l'importance  particulière  de 
Rousseau  dans  l'évolution  musicale  de  son  temps.  Après  lui,  Adol- 
phe Adam  publia,  dans  ses  Souvenirs  d'un  musicien,  une  notice 
intitulée  Jean-Jacques  Rousseau  musicien,  sur  un  ton  d'acrimonie  qui 
confine  par  moments  à  la  violence.  Qu'est-ceque  le  philosophe  pou- 
vait bien  avoir  fait  à  l'auteur  du  Chalet  ?. . .  Je  passe  sur  les  divaga- 
tions de  Castil-Blaze,  et  me  borne  à  signaler  le  livre  d'un  Allemand, 
M.  Jansen  :  Jean-Jacques  Rousseau  als  Musiker  (Berlin,  1884),  cinq 
cents  pages  in-octavo,  s'il  vous  plaît,  qui  ne  sont  guère  qu'une 
compilation,  mais  dont  nous  n'avons  pas  l'équivalent  en  France  ; 
enfin  je  citerai,  comme  le  meilleur  écrit  sur  la  matière,  une  étude 
de  notre  confrère  Arthur  Pougin,  portant  le  même  titre  que  celle 
d'Adam  et  fort  intéressante  au  point  de  vue  historique,  notamment 
dans  la  partie  concernant  l'authenticité  de  la  composition  du  Devin 
par  Rousseau,  laquelle  avait  été  contestée,  et  que  M.  Pougin  con- 
firme néanmoins  par  des  textes  probants  et  inconnus  avant  lui.  Il 
est  fâcheux  seulement  que  ce  travail  se  trouve  comme  perdu  dans 
un  livre  où  les  musiciens  ne  songeront  probablement  pas  à  l'aller 
chercher  :  J.-J.  Rousseau  jugé  par  les  Français  d'aujourd'hui,  par 
J.  Grand-Carteret  (Perrin,  1890);  raison  de  plus  pour  que  je  me 
fasse  un  devoir  de  le  leur  signaler. 

Je  ne  saurais  m'étendre  ici  autant  que  je  le  voudrais  sur  un  sujet 
que  je  considère  comme  un  des  plus  dignes  d'étude  que  nous  four- 
nisse l'histoire  de  la  musique  française,  non  seulement  à  cause  de 
l'intérêt  particulier  qu'il  peut  y  avoir  à  considérer  l'œuvre  musicale 
d'un  homme  qui  fut,  certes,  un  des  plus  grands  esprits  de  son  siècle, 
mais  aussi  par  le  caractère  personnel  de  cette  œuvre  et  par  l'époque 
même  à  laquelle  elle  s'est  produite.  Quelques  rapprochements  de 
dates  suffiront  à  fixer  les  idées  sur  ce  point.  C'est  le  18  octobre 
1752  que  le  Devin  du  village  fut  représenté  pour  la  première  fois  à 
Fontainebleau,  et  le  1"  mars  1733  qu'il  entra  à  l'Opéra.  Or,  c'est  le 
1"  août  17S2  que  fut  jouée  pour  la  première  fois  cette  Servapadrona 
de  Pergolèse  qui  détermina  une  véritable  révolution  musicale;  et 
Titon  ei  l'Aurore  de  Mondonville,  qui  fut  la  riposte  des  partisans  de  la 
musique  française,  date  du  9  janvier  1753.  Le  Devin  du  village,  œuvre 
française,  mais  oîi  les  préférences  de  l'auteur  pour  la  musique  ita- 
lienne s'accusaient  manifestement,  tomba  dans  la  mêlée  au  plus 
fort  de  la  guerre  des  Bouffons,  bien  qu'ayant  été  conçue  antérieure- 
ment; or,  de  toutes  les  productions  musicales  de  cette  époque,  ce 
fut  celle  qui  eut  la  plus  longue  vie,  et,  je  ne  crains  pas  de  le  dire, 
celle  dont  l'influence  fut  la  plus  décisive.  En  effet,  si  le  style  des 
opéras  italiens  de  ce  temps-là  fut  une  source  à  laquelle  vinrent  tout 
d'abord  se  régénérer  les  formes  de  la  musique  française,  celle-ci  ne 
tarda  pas  à  reprendre  une  direction  particulière  et  très  nouvelle  par 


la  création  de  l'opéra-comique,  non  encore  définitivement  constitué 
à  cette  époque.  Car,  si  nous  recourons  encore  aux  dates,  nous 
verrons  que  l'œuvre  que  l'on  considère  conventionnellement  comme 
le  premier  opéra-comique,  les  Troqueurs,  est  encore  de  cette  même 
année  1733,  mais  plusieurs  mois  après,  en  juillet;  et  Philidor,  Duni 
et  Monsigny  ne  vinrent  que  plus  tard.  Par  le  style  comme  par  le 
caractère  mélodique,  c'est  donc  le  Devin  du  village  qui  mériterait 
de  porter  ce  nom  de  premier  opéra-comique  français.  Ses  romances  : 
«  J'ai  perdu  mon  serviteur;  —  Si  des  galants  de  la  ville  ;  —  Non, 
non,  Colette  n'est  pas  trompeuse  »,  font  songer  à  ces  douces  mélo- 
dies que  Monsigny  mit  plus  tard  dans  Rose  et  Colas,  le  Roi  et  le  Fer- 
mier, même  le  Déserteur;  l'air  à  l'italienne:  «  L'amour  croît  s'il 
s'inquiète  »  pourrait  être  aussi  bien  signé  Philidor,  et  les  chansons 
à  danser  de  la  fin  :  «  C'est  un  enfant;  —  Allons  danser  sous  les 
ormeaux  »,  si  elles  eurent  l'inconvénient  d'introduire  à  l'Opéra  un 
style  peu  sérieux,  furent  encore  longtemps  après  imitées  par  les 
compositeurs  d'opéra-comique,  les  Dalayrae,  les  Devienne,  les  Ber- 
ton,  etc.  Jean-Jacques  Rousseau  fut  donc,  en  tant  que  musicien, 
en  'avance  sur  son  temps;  s'il  eût  été  en  possession  d'une  meilleure 
technique  (sa  faiblesse  à  ce  point  de  vue  est  incontestable,  et  il 
no-as  a  montré  par  son  exemple  que  rien  n'y  peut  suppléer,  même 
dans  le  genre  le  plus  facile),  il  aurait  mérité  véritablement  le  renom 
d'un  chef  d'école. 

L'effet  produit  par  la  première  audition  du  Devin  du  village  à  la 
cour,  tel  qu'il  le  décrit  dans  les  Confessions,  montre  que  la  musique 
donna  l'impression  d'une  chose  parfaitement  nouvelle.  «  Dès  la  pre- 
mière scène,  qui  véritablement  est  d'une  naïveté  touchante,  j'en- 
tendis s'élever  dans  les  loges  un  murmure  de  surprise  et  d'applau- 
dissement jusqu'alors  inouï  dans  ce  genre  de  pièces.  »  L'on  se 
rappelle  qu'après  la  représentation  le  roi  «  ne  cessait  de  chanter, 
avec  la  voix  la  plus  fausse  de  son  royaume  :  «  Tai  perdu  mon  ser- 
viteur. »  Mais,  continue-t-il,  «  à  la  scène  des  deux  petites  bonnes 
gens,  cet  effet  fut  à  son  comble.  On  ne  claque  point  devant  le  roi; 
cela  fit  qu'on  entendit  tout;  la  pièce  et  l'auteur  y  gagnèrent  (je  dédie 
celte  dernière  phrase  aux  auteurs  qui,  en  ce  moment,  font  campagne 
contre  les  applaudissements  au  théâtre  pendant  les  actes  :  ils  trou- 
veront là,  à  l'apjiui  de  leur  thèse,  un  nouvel  exemple  à  ajouter  à 
celui  de  Bayreuth).  J'entendais  autour  de  moi  un  chuchotement  de 
femmes  qui  me  semblaient  belles  comme  des  anges,  et  qui  s'en- 
tre-disaient  à  demi-voix  :  Cela  est  charmant;  cela  est  ravissant;  il 
n'y  a  pas  un  son  là  qui  ne  parle  au  cœur.  » 

Je  ne  dirai  pas  que  le  plaisir  pris  lundi  par  les  belles  spectatrices 
de  Trianon  (il  y  en  avait  aussi)  ait  été  aussi  intense  qu'à  Fontainebleau 
en  17S2  :  il  m'a  paru,  au  contraire,  que  la  musique  de  Jean-Jacques 
avait  assez  vite  lassé  leur  attention.  Surtout  la  «  scène  des  deux 
petites  bonnes  gens  »,  le  duo  qui  est  le  point  culminant  de  l'œuvre, 
n'a  pas  produit  tout  l'effet  qu'on  en  pouvait  attendre.  J'attribue  cela 
en  partie  aux  coupures,  dépeçages,  transpositions,  arrangements 
ou  dérangements  de  toute  espèce  qu'on  lui  a  fait  subir.  J'ai  de  plus 
en  plus  l'horreur  de  ces  pratiques.  Coupez  une  scène  entière,  un 
morceau  entier,  soit;  mais  par  grâce,  ne  touchez  pas  à  ce  que  vous 
daignez  nous  faire  entendre.  Et  puis,  je  comprends  certains  mouve- 
ments d'une  façon  différente,  notamment  l'ensemble  final,  dans 
lequel  je  ne  puis' voir  autre  chose  qu'un  allegro,  d'autant  plus  qu'il 
est  écrit  à  trois-huit,  et  que  cette  mesure  brève  était  trop  peu  usitée 
à  l'époque  pour  pouvoir  indiquer  autre  chose  qu'un  mouvementvif. 
Tel  qu'on  l'a  pris,  il  était  languissant  et  ennuyeux  au  possible.  J  ai 
pu  ju-er  déjà  deux  fois  de  l'effet  produit  par  ce  duo  exécute  sans 
coupures  et  dans  le  sentiment  que  j'indique,  et  je  puis  attester  qu'il 
était  infiniment  meilleur.  Au  reste,  l'exécution,  dans  son  ensemble, 
était  remarquable,  et  par  endroits  charmante  :  M-  Molé-Truffier  en 
bergère  Watteau,  M.  Carbonne,  tout  blanc  et  rose  dans  son  costume 
de  berger  en  culottes  courtes,  avec  des  roses  sur  toutes  les  coutures, 
M  Soulacroix  en  philosophe  de  village  se  déguisant  en  astrologue 
à  l'occasion,  ont  donné  tous  trois  une  excellente  interprétation  de 
leurs  rôles  et  les  ont  chantés  à  ravir,  accompagnés  par  un  excellent 
petit  orchestre  d'une  quinzaine  d'exécutants,  pas  plus,  qui  rempbssait 
fort  bien  la  salle  sous  la  direction  toujours  magistrale  de  M. Danbe. 
Où  cet  orchestre  a  trouvé  les  meilleures  occasions  de  déployer  sa 
verve,  c'a  été  dans  le  divertissement  de  Psyché  et  l'Amour,  compose 
tout  spécialement  pour  la  fête  de  Trianon  par  M.  Hansen  sur  des 
airs  à  danser  de  LuUi,  Gluck,  Grétry,  Rameau,  Marais  et  Noverre, 
et  dansé  par  les  artistes  du  corps  de  ballet  de  l'Opéra.  Encore  une 
nouvelle  Psyché  à  ajouter  aux  innombrables  œuvres  lyriques  compo- 
sées sur  ce  sujet  éternel.  Celle-ci  nous  a  montré  Psyché  «  racon- 
tant que  l'oracle  lui  a  prédit  qu'elle  aurait  un  époux  immortel^  », 
I     en  faisant  des  pointes   sur  le   solo    de    flûte    des    Champs    Elysees 


d80 


LE  MEiNESTKEL 


d'Orphée;  l'Hymen  et  Zéphire  unissant  les  deux  amants  (sur  l'air  d'un 
Branle  de  village  de  Marais),  le  premier  élevant  au-dessus  de  leurs 
lèles  un  «  flambeau  de  l'hyménée  »  éclairé  par  la  lumière  électri- 
que, ce  qui,  par  parenthèse,  était  assez  peu  dans  la  note  ;  enfin,  au 
dénouement,  après  les  fureurs  nécessaires  de  Vénus,  Psyché  et 
Eros  convolant  en  de  justes  noces,  sous  l'œil  maternel  de  la  déesse 
des  amours,  enfin  revenue  à  de  meilleurs  sentiments  grâce  à  l'inter- 
vention de  Bacchus.  Cette  scène  a  été  mimée  sur  un  air  de  ballet 
de  Gluck,  qui,  bien  que  tiré  d'une  Iphigénie,  n'est  nullement  grec, 
mais  on  ne  peut  plus  dix-huitième  siècle  et  français,  et  que  M.  Danbé 
nous  a  fait  la  surprise  de  jouer  lui-même  sur  une  petite  pochette, 
aux  sons  nasillards,  d'un  rococo  exquis  :  c'a  été  le  vrai  succès 
musical  de  la  journée. 

Bien  que  je  n'aie  ici  à  m'occuper  que  de  musique,  je  ne  puis  passer 
sous  silence  la  représentation  de  la  Gageure  imprévue,  de  Sedaiue, 
par  la  Comédie-Française,  par  laquelle  s'est  ouvert  le  spectacle,  et 
qui  en  a  peut-être  bien  été  le  moment  le  plus  charmant.  M""  Mul- 
1er  et  Marsy,  MM.  de  Féraudy,  Truffier,  Prudhon,  etc.,  nous  ont, 
véritablement,  transporté  à  ce  moment  dans  la  vie  même  du  dix- 
huitième  siècle. 

JdLIEN    TlERSOT. 

A  I'Opéra-Comique.  nous  avons  eu  enfin  la  rentrée  attendue  de 
5£me  Arnoldson,  mais  le  hasard  des  circonstances  a  fait  que  cette 
rentrée  a  eu  lieu  d'abord  dans  Mignon,  au  lieu  de  s'eiTectuer  dans 
Lakmé,  comme  il  avait  été  convenu.  Nous  avons  retrouvé  M"'«  Arnold- 
son  avec  toutes  les  qualités  que  nous  lui  connaissions,  accrues  en- 
core par  l'expérience  de  la  scène,  qu'elle  a  acquise  depuis  l'année 
1887,  où  elle  parut  pour  la  première  fois  à  l'Opéra-Gomique.  Sans 
doute  la  voix  n'est  pas  d'un  volume  extraordinaire,  mais  l'intelli- 
gence de  l'artiste  est  telle  qu'elle  supplée  aisément  à  ce  qui  peut  lui 
manquer  de  ce  côté.  La  figure  de  Mignon  est  admirablement  rendue  par 
elle,  avec  tonte  sa  poésie,  son  charme  et  aussi  ses  moments  de  brusque 
sauvagerie.  M™  Arnoldson  est  tout  le  temps  intéressant  i  dans  ce  rôle, 
et  son  succès  y  a  été  très  grand  et  très  légitime.  MM.  Mouliérat'. 
Pournets  et  Colin,  M""  Landouzy  et  Auguez  l'entouraient,  eu  con.sti- 
tuant  avec  elle  un  ensemble  vraiment  remarquable.  M'"='  Landouzy 
surtout  est  une  merveilleuse  Philiue,  coquette  à  ravir  et  vocalisant 
comme  un  véritable  rossignol. 

H.  M. 

Comédie-Française.  Le  Rez-de-Chaussée,  comédie  en  un  acte  de  M.  Berr  de 
Turique.  —  Rosalinde,  comédie  en  un  acte  de  MM.  L.  Thiboust  et  A 
Scholl.— Folies-Drajiatiqoes.  La  Plantation  Thomassin,  vaudeville  en  trois 
actes,  de  M.  Maurice  Ordonneau. 

L'été,  qui  semble  enfin  vouloir  faire  son  apparition,  a  ramené  avec 
lui  des  genres  de  spectacles  tout  à  fait  spéciaux.  Dans  les  théâtres 
de  comédie,  voici  paraître  les  petites  pièces  en  un  acte;  la  musique, 
exilée  des  théâtres  d'opérettes,  où  le  vaudeville  s'installe  en  maître' 
n'aura,  d'ici  quelques  jours,  d'autre  refuge  que  le  légendaire  lyrique 
du  Chàteau-d'Eau,  que  les  rayons  du  soleil  font  écloVe  chaque  année 
et  qu'ils  tuent  invariablement  après  une  existence  des  plus  éphé- 
mères. 

A  la  Comédie-Française,  on  nous  a  présenté  un  auteur  nouveau 
M.  Berr  de  Tuiique,  qui  est  un  jeune  dans  toute  l'acception  du 
mot,  attaché  à  l'administration  des  Beaux-Arts,  et  qui,  de  par  sa 
situation,  avait  certainement  plus  do  chance  qu'un  autre  de  forcer 
les  portes  de  la  maison  de  Molière.  La  pièce,  qui  n'est  ni  sans  qua- 
lités, ni  sans  mérite,  ni  même  sans  esprit,  m'a  paru  cependant  un 
peu  trop  quelconque  pour  le  cadre  dans  lequel  on  l'a  présentée  •  il 
y  aurait  eu,  je  crois,  grand  bénéfice  pour  le  débutant  à  faire  ce  pre- 
mier pas  sur  une  scène  d'ordre  moindre.  M.  Le  Bargy,  dont  le  talent 
s'aflirme  heureusement  et  qui  est  arrivé  à  se  faire,  parmi  ses  illus- 
tres camarades,  une  place  très  personnelle,  M"'«  Barelta  Muller  et 
M.  Berr  ont  joué  avec  charme  et  finesse  ce  Rez-de-Chaussée,  %m  lequel 
M.  Berr  de  Turique  ne  manquera  pas  d'élever  de  nombreux  et  plus 
importants  étages. 

La  Rosalinde  ne  date  pas  d'hier  :  mais  elle  n'en  a  pas  moins  con- 
serve un  parfum  délicat  et  raffiné  bien  fait  pour  plaire  aux  gens  de 
goût.  L  adresse  de  Lambert  Thiboust  et  l'esprit  de  M.  Aurélien  Scholl 
ont  fait  là  un  mariage  de  raison  qui  a  le  mieux  réussi  du  monde 
Les  salons  où  l'on  joue  la  comédie  de  paravent  s'arracheront  certai- 
nement cet  acte  charmant;  je  souhaite  aux  maîtresses  de  maison 
qui  le  donneront  à  leurs  invités,  de  trouver  une  distribution  compre- 
nant des  Ludwig  et  des  Kalb,  des  Dehelly  et  des  Baiilet. 

Aux  Folies  Dramatiques,  M.  Vizentini  nous  a  donné,  avec  'une 
mise  en  scène  (res  réussie,  un  nouveau  vaudeville  de  M.  Ordonneau. 


La  place  dont  je  dispose  m'interdit  absolument  de  vous  conter,  par 
le  menu,  ces  trois  actes  amusants  mais  bien  compliqués.  Qu'il  vous 
suffise  de  savoir  que  Robichon  est  uu  mari  fêteur  et  que,  pour  se 
donner  quelques  vacances,  il  a  fait  croire  à  sa  femme  et  à  sa  belle- 
mère  qu'il  possédait  à  Saint-Domingue  une  plantation  qui  réclamait 
ses  soins  personnels  pendaLt  trois  mois  de  l'année.  M""  Robichon 
et  belle-maman,  curieuses  comme  toutes  les  personnes  appartenant 
au  sexe  aimable,  ont  décidé  le  pauvre  homme  à  les  emmener  par- 
delà  l'Océan  ;  et  les  quiproquos  de  pleuvoir  innombrables,  enche- 
vêtrés et  le  plus  souvent  fort  drolatiques.  Le  public  a,  durant  toute 
la  soirée,  joyeusement  applaudi  aux  cascades  et  aux  pitreries  des 
deux  enfants  gâtés  des  Folies-Dramatiques,  Gobin  et  Guyon,  aux- 
quels M.  Vizentini  a  su  donner  comme  partenaires  M""'^  Mathilde, 
Berny,  Guitty,  MM.  Bartel  et  Bellucci,  qui  ont  contribué,  pour  leur 
part,  à  la  réussite  de  la  Plantation  Thomassin. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU      SALON     DU      C  H  A  M  P  S -D  E -M  A  R  S 


(Premier  article.) 

Choisi,  très  choisi,  le  salon  du  Champ  de  Mars,  parfois  même 
trop  distingué  —  çà  et  là  un  salon  pour  five  o'clock  tea  —  mais  de 
grandes  élégances  et  aussi  de  belles  aspirations  d'art,  du  moder- 
nisme très  vrai,  très  vécu,  quelques  formules,  beaucoup  d'observa- 
tions, quantité  d'œuvres  et  un  certain  nombre  de  pages  que  ne  dé- 
chirera pas  le  doigt  distrait  de  l'actualité. 

Commençons  par  le  groupe  des  décorateurs.  En  tête,  M.  Puvis  de 
Chavannes  expose  trois  tableaux  dont  «  l'Été  »,  destiné  à  l'Hôtel  de 
Ville  de  Paris,  vaste  composition  qui  montre  à  droite  les  délices  du 
bain,  à  gauche  les  plaisirs  de  la  pêche.  Toujours  le  même  procédé, 
à  la  fois  large  et  simpliste,  les  mêmes  figures  hiératiques  donnant 
le  schéma  de  l'activité  humaine  réduit  à  ses  lignes  essentielles. 
M.  Henri  Gervex  a  été  moins  heureux  que  M.  Puvis  de  Chavannes 
dans  le  tableau  curieux,  compliqué  et  encombré  qu'il  intitule  «  la 
Musique  »,  plafond  pour  l'Hôtel  de  Ville.  H  a  tenté  le  presque  im- 
possible :  une  conciliation  entre  le  modernisme  à  la  Béraud  et  la 
classique  allégorie.  Au  premier  plan,  un  coin  de  l'orchestre  de 
l'Opéra,  des  musiciens  ù  leurs  pupitres,  un  bout  de  loge,  des  mes- 
sieurs en  habit  noir,  des  femmes  décolletées;  sur  la  scène,  Ophélie 
chantant  son  grand  air;  au-dessus,  dans  les  nuages,  un  marquis  et 
une  marquise  Louis  XV;  la  marquise  jouant  du  violoncelle  et  le 
marquis  exécutant  des  variations  sur  la  flûte.  Enfin,  là-haut,  tout 
là-haut,  jeté  de  biais  eu  un  mouvement  d'une  grâce  contestable,  le 
Génie  de  la  musique  qui  a  l'air  de  battre  un  entrechat. 

Avec  M.  Dubufe  fils  nous  restons  dans  le  domaine  de  l'allégorie 
modernisée.  On  trouvera,  comme  d'ordinaire,  un  peu  trop  de  facilité 
et,  en  même  temps,  de  rares  qualités  d'exécution  dans  la  «  Danse  », 
projet  de  coupole  (concours  pour  la  décoration  de  la  galerie  Lobau, 
à  l'Hôtel  de  Ville)  et  les  deux  panneaux  qui  nous  racontent  l'his 
toire  de  la  Cigale.  Puis  voici  les  modernistes  déterminés,  les 
peintres  pour  Théâtre-Antoine  —  mais  pour  un  Théâtre-Antoine  qui 
serait  gai,  par  exemple  —  M.  Chabas,  qui  a  peint  deux  scènes  en  plein 
soleil  destinées  à  la  mairie  de  Montrouge:  «  la  Famille  »  s'ébattanl 
le  dimanche  dans  une  des  belles  plaines  bien  poussiéreuses  qui 
avoisineut  les  fortifications,  le  père  au  gilet  déboutonné,  les  enfants 
vautrés  dans  l'herbe  ;  et  «  Repas  nuptial  «,  une  noce  dans  un  res- 
taurant de  banlieue,  où  les  garçons  prennent  familièrement  part  à 
la  gaîlé  générale.  Beaucoup  de  petits  détails  par  trop  noyés  dans 
cette  tonalité  ardente. 

La  peinture  mystique  avec  rajeunissement  de  la  mise  en  scène  — 
je  n'ose  écrire  religieuse,  car  nous  n'avons  plus  de  peintres  religieux 
au  sens  précis  du  mot  —  est  très  sérieusement  représentée  au  j 
Champ-de-Mars.  Le  maître  du  genre  est  M.Agache,  qui  expose  cette  l 
année  une  «  Annonciation  »  très  originale,  de  conception  hautaine,, 
sans  souci  des  formules  courantes,  l'ange  en  habit  de  cérémonie,  en 
dalmatique  brodée  d'or,  s'acquittant  de  sa  mission  aux  pieds  de  la 
madone,  droite,  recueillie,  un  peu  dédaigneuse,  comme  une  châtelaine 
moyen  âge  écoutant  les  litanies  amoureuses  d'un  petit  page.  La 
«  Liseuse  »  à  l'auréole  est  encore  une  madone,  d'un  beau  sentiment 
archa'ique  et  d'une  exécution  rare,  sans  préciosité.  Regardez  aussi 
ce  très  curieux  médaillon  de  la  «  Magicienne  ».  M.  Perraudeau  nous 
donne  une  symphonie  en  blanc  majeur  avec  le  tableau  lumineux 
et  fin  qu'il  intitule  «  Saintes  filles  »,  un  groupe  de  religieuses  en  blanc, 
agenouillées  dans  un  blanc  sanctuaire  que  dorent  les  reflets  des  vases    ' 


LE  MENESTREL 


i8l 


sacrés  et  des  osleusoirs.  Puis,  nous  relomboos  dans  uue  pénombre 
reposante,  avec  la  «  Fuite  en  Egypte  »  de  M.  Lerolle.  La  nuit  vient, 
des  brumes  indécises  enveloppent  la  Vierge,  Joseph  et  l'Enfant  Jésus; 
un  groupe  d'anges  flotte  dans  le  ciel,  escortant  la  sainte  famille. 
Et  un  charme  subtil  se  dégage  de  cette  composition  un  peu  vague, 
d'exécution  volontairement  incomplète. 

De  M.  Béraud  un  tableau  certainement  original,  mais  de  visées 
passablement  obscures  :  «  la  Madeleine  »;  le  Christ,  un  vrai  Christ 
en  tunique  blanche,  eu  barbe  légendaire  et  en  nimbe,  est  assis  dans 
une  salle  à  manger  moderne,  celle  d'un  Pharisien  qui  serait  en 
même  temps  un  homme  de  Bourse.  Une  femme  échevelée  se  roule  à 
ses  pieds  ;  et,  s'adressant  à  un  groupe  de  messieurs  en  habit  noir, 
en  veston,  voire  en  redingote,  parmi  lesquels  j'ai  cru  reconnaître 
M.  Renan,  il  prononce  la  phrase  célèbre  :  «  que  celui  de  vous  qui 
n'a  jamais  péché  lui  jette  la  première  pierre.  »  Le  Pharisien,  un 
bon  gros  monsieur,  qui  a  dû  beaucoup  pécher  avant  l'âge  du  ventre 
et  même  pendant,  semble  très  intrigué,  et  les  convives  sont  hésitanis. 
Par  exemple,  aucun  de  ces  personnages  contemporains,  boulevardiers 
et  sans  gène,  ne  semble  surpris  de  griller  une  cigarette  auprès  du 
Fils  de  Dieu  en  personne  surnaturelle.  Ces  Tout-Parisiens,  si  Iran- 
quilles  dans  le  voisinage  du  Sauveur,  poussent  peut-être  le  tout- 
parisianisme  jusqu'à  l'invraisemblance. 

Autre  page  moderne:  la  Marie-Madeleine  d'Edelfedt,  légende  finlan- 
daise. Au  bord  delà  mer,  près  d'un  bois  de  maigres  bouleaux,  une 
femme  du  peuple  aux  traits  ravagés,  se  iraîne  aux  pieds  d'un  passant 
en  blanche  tunique  :  «  Tu  es  le  Seigneur  Jésus,  puisque  tu  connais 
mes  péchés.  »  Le  paysage  est  intéressant  et  la  mise  en  scène  heu- 
reusement comprise,  avec  quelque  banalité  dans  le  prolil  du  Christ; 
mais  c'est  l'éternel  écueil,  et  il  ne  suffit  pas  de  faire  voyager  «  le 
Seigneur  Jésus  »,  même  en  Finlande,  pour  créer  un  type  nouveau 
pouvant  remplacer  la  physionomie  légendaire. 

Les  «Académies»  pour  revenir  à  l'ancien  vocabulaire,  le  Nu  pour 
l'appeler  par  son  nom,  ont  peu  de  représentants  au  Champ-de  Mars. 
Tout  au  plus  puis-je  mentionner  ce  «  Tub  »  de  M.  MangeanI,  une 
femme  à  la  toilette  —  à  la  grande  toilette,  —  si  rosée  par  les  reflets 
du  foyer  qu'elle  a  l'air  d'être  en  cuivre  pour  bassiue;  la  «  Ligeia  » 
de  M.  Louis  Picard,  curieuse  étude  d'après  le  modèle  ;  les  «Voluptés» 
de  M.  Georges  Callot,  une  femme  aux  nenf  dixièmes  nue,  qui  res- 
pire avec  extase  un  bouquet  aux  trois  quaits  fané;  les  baigneuses 
de  M.  Dinet,  groupe  de  beautés  plantureuses  éclaboussées  de  bleu 
et  de  vert  à  la  façon  des  personnages  de  Besnard;  enfin  la  «Femme 
aux  masques»  de  M.  Fernand  Le  Quesne,  belle  personne  qui  rap- 
pelle la  femme  masquée  de  Gervex,  en  costume  aussi  sommaire. 

De  l'élégance  et  quelques  duretés  dans  la  jeune  estudiantina  — 
«  premier  bal  »,  que  nous  montre  M"'  Pers.  M.  Norbert  Gœneutte  a 
peint  gaiement,  mais  sans  charge,  un  groupe  de  petites  bonnes  de 
chez  Duval  rangées  sur  leur  chaises,  et  un  amusant  profil  de  Véni- 
tienne penchée  sur  son  balcon.  M.  Firmin  Girard  a  beau  faire  pour 
se  dépayser  et  nous  donner  l'illusiou  d'une  formule  nouvelle  ;  il 
reste  le  peintre  attitré,  sinon  breveté,  de  la  poupée  parisienne;  c'est 
elle  qu'il  évoque,  faisant  la  châtelaine  dans  son  parc,  la  paresseuse  au 
milieu  des  foins;  c'est  encore  elle  qui  patine  sur  la  glace  des  fossés 
d'un  château  au  bord  de  la  Loire,  au  bras  d'un  jeune  et  élégant  offi- 
cier, héritier  direct  de  Raoul  de  Nevers.  Quant  à  M.  Louis  Deschamp?, 
il  précise  sa  formule  personnelle  avec  sa  Fabienne  (Tliermidor),  qui 
est  d'ailleurs  une  Manon  Lescaut  débaptisée,  sa  Ballerine  d'un  ton 
très  fin,  sa  Gilaua  et  une  charmante  élude  de  jeune  Provençale. 

Une  mention  spéciale  à  «la  Barricade»  de  Meissonier  —  décor  de 
cinquième  acte  pour  un  drame  révolutionnaire, exposition  posthume 
oîi  l'on  retrouve  les  grandes  qualités  du  maître  avec  quelques-uns 
des  défauts  que  l'âge  commençait  à  souligner,  et  reprenons  la  série 
des  peintres  de  genre.  Voici  M.  Brelegnier,  qui  nous  montre  juste- 
ment l'atelier  de  Meissonier  dans  le  savant  désordre  d'un  hall 
artistique;  M.  Brunin,  dont  l'œil  implacable  exagère  la  minutie  du 
rendu  avec  ce  trio  de  panneaux  fouillés,  ciselés,  burinés  :  «l'Eté  de 
la  Saint-Martin,  les  Joueurs,  le  Sculpteur».  M.  Delort  reste  le  plus 
incontesté  des  petits  maîtres  de  la  résurrection  du  dix-huitième 
siècle  avec  son  «  Sergentracoleur  »  et  sa  «  Marchandise  barbaresque  ». 
marché  d'esclaves  dans  le  port  oîi  les  pirates  ont  emmené  leur 
capture.  M.  Lesrel  reprend  et  renouvelle  les  procédés  de  Roybet 
dans  son  «  Gentilhomme  examinant  un  objet  d'orfèvrerie  »,  tableau 
pour  galerie  de  collectionneur.  Quelques  éludes  intéressantes  de 
M.  Jeanniot,  entre  autres  «  Une  chanson  de  Gibert»,  coin  de  salon 
parisiennant. 


(A  suivre.) 


Camille  Le  Seni\e. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Nouvelles  de  Londres  (4  juin)  : 

La  troupe  de  Covent-Garden  est  maintenant  au  grand  complet,  à  l'ex- 
ception de  deux  chanteuses  allemandes,  M""^^  Arkel  et  Jeleki,  dontil  n'est 
plus  question.  Cela  permet  de  bonnes  représentations  d'ensemble,  prises 
dans  le  répertoire  courant,  que  le  public  suit  avec  plus  d'assiduité.  Par  le 
fait,  Siegfried,  Pliilémon  et  Baucis  et  Cavalleria  rusticana  sont  abandonnés 
pour  la  saison,  et  les  seules  reprises  intéressantes  encore  à  venir  seront 
Mireille  et  Otello  et  probablement  Aida  et  le  Vaisseau  faniûme.  Les  Maîtres 
chanteurs  ont  retrouvé  leur  distribution  d'origine  avec  MM.  Jeande  Reszké, 
Lassalle  et  Isuardon  dans  les  principaux  rôles,  qui  ont  rarement  rencontré 
Je  meilleurs  interprètes,  même  en  Allemagne.  M""^  Albani  seule  fait 
ombre  dans  ce  tableau  :  c'est  une  Eva  par  trop  invraisemblable,  dont  la 
voix  commence  à  manquer  de  fraîcheur.  MM.  Montariol,  Dufriche  et 
Abramoff  complètent  un  bon  ensemble.  Mais  par  quel  singulier  vestige 
de  la  convention,  persiste-t-on  à  faire  chanter  ce  chef-d'œuvre  de  la  comé- 
die musicale  dans  une  langue  aussi  inconnue  du  grand  public,  qui  suit 
la  pièce  à  grand'  peine,  que  peu  familière  à  la  plupart  des  interprètes, 
dont  pas  un  n'est  Italien  du  reste,  ce  qui  nécessite  la  collaboration 
incessante  et  fort  désagréable  du  souffleur  !  M'"=  Mravina,  une  jeune  chan- 
teuse russe  douée  d'une  gentille  voix  de  chanteuse  légère,  a  fait  un  aimable 
début  dans  le  rôle  de  la  reine  des  Huguenots.  Le  grand  succès  de 
M.  Van  Dj'ck  dans  Manon  nous  a  valu  des  représentations  de  Faust  en 
français,  pour  la  première  fois  à  Covent-Garden.  On  sait,  en  effet,  que  le 
ténor  belge  ne  chante  pas  en  italien  et,  à  l'exception  des  chœurs,  tout  le 
monde  était  préparé  à  interpréter  l'opéra  de  Gounod  dans  son  idiome 
primitif.  Nouveau  succès  pour  M.  Van  Uyck,  qui  s'est  montré  une  seconde 
fois  comédien  fougueux  et  chanteur  accompli.  Brillante  rentrée  de 
M""  Melba  dans  Juliette  :  grande  foule  et  réception  très  chaleureuse  do 
l'artiste.  M.  Plançon  a  fait  uq  excellent  premier  début  hier  dans  Faust; 
c'est  un  Mepbisto  très  pittoresque,  et  son  succès  a  été  des  plus  vifs.  L'em- 
ploi de  basse  chantante  aura  à  partir  de  ce  moment  un  titulaire  à  Covent- 
Garden. 

Plusieurs  journaux  annoncent  que  M.  Massenet  a  promis  d'écrire  tout 
spécialement  pour  Covent-Garden,  un  opéra  dont  le  sujet  serait  tiré  du 
roman  de  Walter  ScoU,Kemhvorlh,  par  M.Aug.  Ilarris  lui-même,  avec  le 
concours  de  M.  Mazzucato,  le  traducteurdes  Maîtres  Chanteurs,  pour  la  version 
italienne. 

Nous  sommes  en  pleine  saison  de  concerts.  Le  public  reste  fidèle  à 
M.  Sarasate,  qui  en  abuse  peut-être,  par  l'uniformité  de  ses  programmes. 
Il  y  a  surtout  un  certain  nocturne  de  Chopin,  dont  on  se  passerait  volon- 
tiers pendant  quelque  temps.  Beaucoup  de  monde  aussi  au  premier  con- 
cert de  M.  Paderewski,  qui  a  exécuté  d'une  façon  prodigieuse  le  concerto 
de  Schumann  et  la  fantaisie  sur  Don  Juan  de  Liszt.  La  reprise  des  concerts 
Richter,  arrivés  à  leur  dix-neuvième  saison,  nous  a  montré  une  fois  de 
plus  un  chef  d'orchestre  éminent,  doué  de  qualités  personnelles  tout  à 
fait  exceptionnelles,  présidant  à  des  exécutions  symphoniques  parfois 
géniales  mais  trop  souvent  incomplètes,  peu  fondues,  pleines  d'aspériiés. 
Il  est  certain  que  l'orchestre  n'est  pas  digne  d'un  pareil  chef,  et  le  public 
aurait  le  droit  d'exiger,  surtout  quand  on  tient  compte  du  prix  excessif 
des  places,  plus  ds  répétitions  et  des  programmes  moins  rabâchés.  Mais 
ce  public,  qui  a  négligé  les  exécutions  merveilleuses  de  l'orchestre  Halle, 
accourt  en  foule  à  celles  de  l'orchestre  Richter.  La  raison  en  est  bien 
simple  et  prime  toute  autre  considération  artistique:  c'est  que  les  concerts 
Richter  sont  à  la  mode.  A.  G   N. 

—  L'opéra  anglais  voudrait-il  décidément  se  manifester  avec  un  éclat 
et  une  activité  qu'on  ne  lui  avait  guère  connus  jusqu'ici?  En  tout  cas  ce 
n'est  pas  à  Londres,  mais  dans  les  provinces,  qu'il  donnerait  des  preuves 
de  sa  vitalité.  Le  Dailtj  News  nous  apprend  qu'en  ces  derniers  jours  on  a 
représenté  trois  opéras-comiques,  dus  à  trois  compositeurs  anglais  :  l'un, 
Utopia,  de  M.  Hunt,  à  Liverpool;  un  autre,  Ihe  Earhj  Engikh  Ring,  de 
M.  T.  Rowley,  à  Manchester  ;  enfin,  le  troisième,  thc  Kright  of  the  road,  de 
M.  Houstœ-Collison,  à  Dublin. 

—  On  vient  de  représenter  à  l'Empire-Théàtre,  de  Londres,  un  nouveau 
ballet  intitulé  Orphfe,  dont  les  auteurs  sont  M"""  Katti  Lanner  pour  le  scé- 
nario et  M.  Léopold  de  Wenzel  pour  la  musique.  —  Et  à  propos  de  Londres, 
faisons  cette  constatation  effroyable  que  dans  le  cours  d'une  seule  semaine, 
du  lundi  11  au  samedi  16  mai,  il  ne  s'y  est  pas  donné  moins  de  quarante 
concerts  publics!  0  Apollon!  ô  Euterpe  i... 

—  Le  chef  d'orchestre  Jules  Rivière  vient  de  prendre  possession  du 
casino  de  Llandudno,  qui  est  la  plage  la  plus  fréquentée  du  pays  de  Gal- 
les et  la  première  d'Angleterre  sous  le  rapport  du  mouvement  artis- 
tique. M.  Rivière  prépare  une  série  de  grands  concerts  avec  le  concours 
des  plus  célèbres  artistes  du  Royaume-Uni.  Il  y  fera  entendre  les  œuvres 
nouveUes  d'Ambroise  Thomas,  de  Delibes,  de  Massenet,  auxquels  il  consa- 
crera des  soirées  spéciales.  Sur  ses  programmes  des  premières  séances 
figurent  les  danses  les  plus  récentes  des  maîtres  viennois,  Fahrbach, 
Strobl  et  Strauss. 

—  Une  société  au  capital  de  100,000  livres  sterling  est  en  train  de  se 
former  à  Glasgow  pour  l'institution  d'un  orchestre  permanent  en  Ecosse. 


182 


LE  MENESTREL 


Sa  tâche  serait  celle  de  répandre  le  goût  de  la  grande  musique  au  moyen 
d'exécutions  irréprochables,  avec  un  orchestre  de  quatre-vingts  instrumen- 
tistes. On  estime  que  les  recettes  s'élèveront  annuellement,  pour  Glasgow 
à  9,000  livres  sterling  pour  trente  concerts,  et  pour  les  autres  villes  d'Ecosse 
à  3,000  livres. 

—  Dépêche  de  Berlin:  «  Hier  soir,  première  de  Lakmê,  au  théâtre KroU; 
l'œuvre  de  Delibes  a  obtenu  un  succès  complet.  Triomphe  pour  M""^  Sem- 
brich.  Rappels  innombrables.  Fleurs  en  masse.  Ténor  Birrenkever 
excellent.  » 

—  Complétons  les  renseignements  que  nous  avons  donnés  sur  le  cadeau 
fait  récemment  au  musée  des  instruments  anciens  de  Berlin  par  M™  la 
baronne  von  Korff,  l'une  des  filles  de  Meyerbeer,  à  l'occasion  du  centième 
anniversaire  de  lamort  de  son  illustre  père,  qui,  comme  nous  l'avons  dit  déjà, 
tombe  le  S  septembre  prochain.  Il  faut  signaler  tout  d'abord  un  grand  por- 
trait à  l'huile,  représentant  Meyerbeer  à  l'âge  de  sept  ans.  Ce  portrait  est 
de  grandeur  nature;  il  nous  montre  le  jeune  Giacomo  accoudé  à  un  piano, 
portant  des  hauts-de-chausses  jaunes  et  une  veste  bleue.  L'œil  estoxtraor- 
dinairement  vif,  et  le  bambino  a  un  air  très  résolu.  La  main  gauche  est 
posée  sur  les  touches;  sur  le  pupitre,  on  voit  un  cahier  ouvert  sur  lequel 
on  peut  lire  Variations  de  Mozart  ;  la  main  droite  tient  un  rouleau  de 
papier  réglé  où  l'on  reconnaît  des  études  de  composition.  M™  Von  Korff 
a  fait  don  également  au  musée  de  deux  bustes  en  plâtre  bronzé,  datant 
de  l'année  de  la  mort  du  maitre,  1864.  L'un  est  du  sculpteur  Micheli, 
l'autre  est  une  copie  du  buste  bien  oonnu  de  David  d'Angers.  A  cet  envoi 
étaient  joints,  de  la  part  des  héritiers  de  Meyerbeer,  son  bâton  démesure, 
son  encrier  avec  les  deux  dernières  plumes  dont  il  s'était  servi,  et  le  petit 
piano  que  Meyerbeer  avait  coutume  d'emporter  en  voyage.  Cet  instrument, 
une  merveille  de  construction,  avait  été  spécialement  fabriqué  pour  lui 
par  la  maison  Pleyel.  C'est  un  piano  carré,  en  palissandre,  dont  les  pieds 
sont  démontables,  et  qui  porte  une  plaque  en  cuivre  où  est  gravé  le  nom 
de  Meyerbeer.  Le  musée  de  Berlin  possède  aujourd'hui  une  collection 
vraiment  curieuse  d'instruments  ayant  appartenu  à  des  personnalités  cé- 
lèbres ;  ainsi,  le  clavecin  de  Jean-Sébastien  Bach,  le  piano  de  Frédéric  le 
Grand,  les  pianos  à  queue  de  "Weber  et  de  Mendelssohn,  le  quatuor  qui 
avait  appartenu  à  Beethoven,  enfin  les  pianos  de  Meyerbeer. 

—  La  Singakademie  (Académie  de  chant)  de  Berlin  vient  de  célébrer  le 
centième  anniversaire  de  sa  fondation.  Cette  institution,  qui  a  rendu  de 
remarquables  services  à  l'art  musical,  avait  été  créée  en  1791  par  le  cla- 
veciniste Fasch,  qui  avait  été  l'accompagnateur  de  Frédéric  le  Grand, 
flûtiste  à  ses  heures.  Les  débuts  de  la  Singakademie  furent  modestes.  Elle 
ne  comprenait  guère  plus  de  vingt-sept  chanteurs;  mais  elle  a  progressé 
depuis,  et  elle  peut  mettre  aujourd'hui  sur  piedune  masse  chorale  de  2C0  à 
300  chanteurs.  Il  y  a  des  souvenirs  intéressants  dans  l'histoire  de  la  Sin- 
gakademie. En  1796,  Beethoven  visita  Berlin  et  assista  à  un  concert  de  la 
société.  En  1800,  elle  comprenait  déjà  IIS  membres,  et  elle  fut  l'une  des 
premières  associations  musicales  qui  exécutèrent  le  Be^uiem  de  Mozart.  A  la 
mort  de  son  fondateur,  ce  fut  le  théoricien  et  compositeur  bien  connu 
Frédéric  Zelter  qui  fut  appelé  à  la  direction  des  chœurs.  Il  fut  le  premier 
à  faire  connaître,  à  Berlin,  les  œuvres  chorales  de  Meyerbeer  et  de  Men- 
delssohn. En  1827,  la  Singakademie  avait  si  bien  prospéré  qu'elle  pouvait 
se  faire  construire  une  salle  de  concert.  Cette  salle  fut  inaugurée  par  une 
solennelle  exécution  de  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  de  J.-S.  Bach.  Les 
autres  directeurs  de  la  Singakademie  ont  été  successivement  Rungenhagen, 
H.  Grell,  et  enfin,  M.  Martin  Blummer,  son  directeur  actuel.  Le  centenaire 
de  la  Singakademie  a  été  célébré  par  une  sorte  de  festival  en  deux  jour- 
nées, dont  la  première  a  été  consacrée  à  la  Grande  Messe  en  si  mineur  de 
Bach  et  la  seconde  à  une  revue  de  compositions  de  ses  directeurs  passés 
et  de  son  chef  actuel. 

—  Une  troupe  d'opéra  nègre,  voilà  une  excentricité  encore  inconnue 
jusqu'à  ce  jour,  et  dont  il  parait  aue  l'Allemagne  va  jouir  sous  peu.  On 
attend  à  Hambourg,  d'où  elle  doit  se  rendre  à  Berlin  et  dans  d'autres 
villes  allemandes,  une  compagnie  lyrique  exclusivement  composée  de 
chanteurs  nègres,  et  dont  la  prima  donna,  qui  prend  les  noms  de  Maria 
Selika,  est  surnommée,  dit-on,  «  la  Patti  noire  ».  C'est  un  journal  alle- 
mand qui  se  fait  le  héraut  de  cette  nouvelle,  en  ajoutant  que  la  troupe  en 
question  comprend  cinquante  artistes.  Un  de  nos  confrères  italiens  fait 
remarquer  à  ce  propos  qu'il  serait  intéressant  de  connaître  le  répertoire 
de  cette'  troupe,  ne  fut-ce  que  pour  comprendre  les  modifications  qu'elle 
ne  peut  manquer  d'apporter  dans  les  opéras  représentés  par  elle.  Il  est 
certain  que  M™  Maria  Selika,  qui  pourra  jouer  l'Africaine  au  naturel, 
aurait  de  la  peine  à  chanter  dans  Mignon  :  «  Je  suis  Titania  la  blonde  », 
ou  à  se  montrer  dans  ia  Dame  blanche,  de  même  que  le  ténor  courrait  après 
un  effet  certain  eu  s'écriant,  dans  les  Huguenots  :  «  Plus  blanche  que  la 
blanche  hermine  » 

—  La  bibliothèque  municipale  de  Hambourg  vient  d'être  mise  en  pos- 
session d'une  précieuse  relique  qui  lui  a  été  léguée  par  feu  M"'  Jenny 
Lind-Goldschmidt.  C'est  le  testament  authentique  de  Beethoven,  écrit  tout 
entier  de  sa  main  et  daté  de  1802.  Cette  pièce,  où  le  grand  artiste  a  mis 
toute  sonàme  et  le  philosophe  toute  sa  pensée,  a  été  mainte  et  mainte  fois 
publiée,  notamment  par  Schindler  et  Thayer.  Tombé  entre  les  mains  de 
l'éditeur  viennois  Artaria,  qui  l'a  trouvé  au  milieu  d'une  liasse  de  papiers, 
lors  de  la  vente  de  Beethoven  en  1827,   ce  testament  est  devenu  successi- 


vement la  propriété  de  MM.  Jacobschevar,  Jean  de  Beethoven,  Aloys  Fuchs, 
Franz  Gràffer  et  Ernst,  le  violoniste  bien  connu.  Jenny  Lind  le  tenait  de 
ce  dernier,  à  titre  de  don  et  en  remerciement  du  concours  qu'elle  lui  avait 
prêté  en  1855  pour  un  de  ses  concerts. 

—  Le  roi  Georges  de  Grèce  vient  de  prendre  l'initiative  d'une  souscrip- 
tion publique  destinée  à  fonder  dans  sa  capitale  un  théâtre  national  sur  le 
modèle  de  notre  Comédie-Française,  et  qui  prendra  le  nom  de  Comédie- 
Athénienne.  On  a  déjà  réuni  une  somme  d'un  million  de  francs. 

—  La  musique  a  eu  sa  part  dans  les  grandes  fêtes  semi-internationales 
qui  viennent  d'avoir  lieu  à  Lausanne  à  l'occasion  de  l'inauguration  de  la 
nouvelle  Université.  On  en  a  même  fait  d'«xcellente,  car  d'après  l'éminent 
critique  de  la  Gazette  de  Lausanne,  M.  W.  Cart,  la  cantate  de  circonstance 
composée  par  M.  G.  Doret,  un  élève  de  M.  Th.  Dubois,  et  intitulée  Voix 
de  la  Patrie,  a  produit  un  effet  considérable.  Œuvre  poétique  et  inspirée, 
elle  a  posé  du  premier  coup  le  jeune  compositeur  suisse,  auquel  ses  com- 
patriotes seront  heureux  d'ouvrir  les  bras,  car,  si  la  Suisse  a  produit  des 
théoriciens  célèbres,  J.-J.  Rousseau,  Naîgeli,  Mathis  Lusssy  entre  autres, 
aucun  de  ses  enfants  ne  s'est  encore  fait  un  grand  nom  dans  la  composi- 
tion musicale.  La  cantate  de  M.  G.  Doret  était  admirablement  exécutée, 
sous  l'habile  direction  de  M.  Herfurth,  et  avait  pour  solistes  M»"=  Uzielli, 
MM.  Friedlccnder,  Romieux  et  Troyon. 

—  Nous  avons  dit  quelques  mots  déjà  de  l'asile  que  Verdi  s'occupe  de 
faire  construire  à  Milan  en  faveur  des  vieux  musiciens.  La  construction 
des  bâtiments  s'élève  dès  maintenant,  paraît-il,  par  les  soins  et  sur  les 
dessins  de  l'architecte  Camille  Boito,  frère  de  M.  Arrigo  Boito,  l'auteur  de 
Mefistofele  et  le  collaborateur  de  Verdi.  Il  y  avait  longtemps,  dit-on,  que 
le  maître  était  préoccupé  de  l'idée  de  cette  fondation,  qui  devra  porter 
son  nom,  mais  dont  les  effets  ne  commenceront  à  se  produire  qu'après 
sa  mort. 

—  M.  Mascagni,  l'heureux  compositeur  de  Cavalleria  rusticana,  vient  de 
faire  exécuter  une  messe  de  sa  composition  à  Orvieto,  petite  ville  célè- 
bre par  sa  cathédrale  et  par  la  drogue  proverbiale  autrefois  si  répandue. 
Cette  messe  avait  dormi  pendant  cinq  ans  dans  les  cartons  du  compositeur, 
qui  n'avait  pas  trouvé  le  moyen  de  la  faire  entendre.  Les  Orviétans  en  ont 
eu  la  primeur,  et  M.  Mascagni  s'était  rendu  dans  leur  ville  pour  diriger  en 
personne  sa  première  œuvre.  La  messe  a  obtenu  un  certain  succès,  mais 
on  ne  pouvait  se  dissimuler  néanmoins  que  les  plus  jolis  motifs  de 
l'œuvre  ont  servi  pour  les  principaux  morceaux  de  Cavalleria  rusticana,  et 
le  public,  qui  espérait  entendre  des  mélodies  inédites,  en  a  été  quelque 
peu  déçu.  Avec  le  sans-gêne  charmant,  qui  est  d'usage  dans  les  églises 
italiennes,  M.  Mascagni  a  fait  jouer  pendant  la  messe,  après  le  Credo,  le  fa- 
meux intermezzo  de  son  opéra,  et  si  ce  fragment  symphonique  n'a  pas  été 
bissé,  la  faute  n'en  est  certes  pas  à  l'assistance  ravie.  Après  la  messe,  le 
maestro  a  du  se  rendre  à  la  sacristie  pour  recevoir  les  couronnes  et  autres 
accessoires  de  sa  jeune  gloire,  qu'on  n'avait  pas  os.é  lui  présenter  au  chœur 
de  la  cathédrale. 

—  Sous  ce  titre  :  Vannée  1892  et  la  musique  italienne,  on  lit  ce  qui  suit 
dans  le  Trovatore  :  «  Outre  le  centenaire  de  la  découverte  de  l'Amérique 
et  la  part  que  prendra  la  musique  aux  fêtes  célébrées  à  la  mémoire  de 
Christophe  Colomb,  outre  l'inauguration  à  Pirano  du  monument  élevé  à 
Giuseppe  Tartini,  l'année  prochaine,  et  précisément  le  29  février,  s'ac- 
complit le  centenaire  de  la  naissance,  à  Pesaro,  de  Gioacchino  Rossini. 
Or,  pendant  que  l'Académie  romaine  de  Sainte-Cécile  travaille  déjà  depuis 
quelque  temps  à  recueillir  les  fonds  pour  ériger  un  monument  au  grand 
maître,  le  professeur  Gandolfi  a  émis,  dans  une  réunion  de  doctes  Flo- 
rentins, l'avis  que  la  musique  de  Rossini  devait  faire  les  frais  du  monu- 
ment à  Rossini.  Le  29  février  1892,  les  théâtres,  les  institutions  musicales 
et  les  corps  de  musique  exécuteront  des  œuvres  de  musique  sacrée  et 
lyrique  de  l'illustre  Pésarais,  et  la  recette  de  ces  exécutions' ira  tout  droit 
au  fonds  du  monument  ».  On  peut  attendre  de  l'Italie,  du  reste,  qu'elle 
multiplie  les  hommages  qu'elle  doit  légitimement  à  l'un  de  ses  plus 
illustres  enfants.  C'est  ainsi  qu'on  annonce  déjà  que  la  direction  du 
théâtre  Alûeri,  de  Turin,  prépare  un  grand  concert  historique  dans  lequel 
une  partie  de  l'œuvre  de  Rossini  sera  produite  en  une  sorte  de  tableau 
synoptique,  depuis  son  premier  opéra,  Demetrio  Polibio,  représenté  en  1805, 
jusqu'au  Stabat  Mater,  qui  date  de  1832.  L'orchestre  de  ce  théâtre  sera 
considérablement  augmenté  à  cette  occasion  et  placé  sous  la  direction  du 
maestro  Spetrino. 

—  Ainsi  qu'on  l'a  fait  l'an  dernier  à  Florence,  on  vient  d'inaugurer  à 
Turin,  au  théâtre  Alfieri,  une  campagne  d'ancien  opéra  bouffe  italien. 
Cette  campagne  s'est  entamée  par  une  représentation  de  l'Italiana  in  Algeri 
de  Rossini,  qui  a  obtenu  un  succès  enthousiaste  et  dans  laquelle  on  a 
applaudi  un  excellent  contralto,  M"=  Guerrina  Fabbri.  On  s'est  aperçu 
que  la  musique  de  Rossini  valait  mieux  encore  que  celle  des  opérettes 
qui,  en  Italie  comme  ailleurs,  envahissent  un  peu  trop  aujourd'hui  les 
scènes  de  tout  genre. 

—  Voici  la  liste  exacte  des  artistes  qui  composeront  la  troupe  du  théâtre 
royal  San  Carlos,  de  Lisbonne,  pendant  la  prochaine  saison  1891-1892  : 
soprani  :  M""^*  Adalgisa  Gabbi,  Emma  Zilli  et  Kate  Bensberg;  mezzo- 
soprani  :  M""^  Adèle  Borghi,  Renée  Vidal  et  Cesira  Pagnoni;  ténors  : 
MM.  Gabrielesco,  Mastrohuono,  Bayo  et  Gambardella;  barytons  :  MM.  Bat- 


LE  MENESTREL 


483 


tistini  et  SUnco-Palermini  ;  basses  :  MM.  Tanzini  et  Visconti;  rôles 
secondaires,  U'"'^  Adèle  Gazull,  Aurélia  Ibles,  MM.  Durini,  Solda  et 
Boldu.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Marino  Mancinelli,  le  chef  des  chœurs 
M.  Gesare  Bonafous. 

—  Au  Goliseo  dos  Recreios,  de  Lisbonne,  on  a  donné  avec  succès  la 
première  représentation  d'une  opérette  intitulée  Tin-ko-ka,  dont  la  mu- 
sique, d'ailleurs  peu  originale  et  bourrés  de  réminiscences,  est  due 
à  un  compositeur  nommé  Somava.  Le  succès  revient  surtout  à  une  in- 
terprétation excellente  et  à  une  mise  en  scène  somptueuse  et  de  grand 
goût. 

—  Un  Berlinois  qui  a  pris  quelques  jours  de  congé  pour  aller  étudier 
les  mœurs  américaines,  raconte,  dans  une  lettre,  comment  opère  la  troupe 
musicale  de  la  prima  donna  Emma  Juch,  une  célébrité.  C'est  prodigieux  ! 
Cette  troupe  se  compose  de  96  personnes  :  chanteurs,  membres  d'orchestre, 
figurants,  etc.,  et  voyage  avec  ses  instruments,  ses  costumes  et  ses  décors. 
Le  personnel  loge  dans  quatre  wagons-lits,  dits  Pullmann,  dans  chacun 
desquels  il  y  a  tout  juste  place  pour  24  dormeurs.  Quatre  fois  24,  ça  fait 
96.  La  troupe  est  précédée  d'un  agent  qui,  plusieurs  jours  avant  la  repré- 
sentation, se  met  à  faire  une  réclame  de  tous  les  diables.  Cet  agent  a  ses 
affiches,  ses  immenses  portraits  des  acteurs,  ses  enseignes  colossales  où 
on  annonce  la  prochaine  arrivée  du  train  spécial  qui  amène  les  plus 
grands  artistes  du  monde  ;  les  places  sont  indiquées  à  un  prix  fou  et,  au 
jour  fixé,  deux  ou  trois  heures  avant  que  le  rideau  se  lève,  débouche  à 
la  gare  le  train  attendu!  Aussitôt,  grand  remue-ménage!  Les  acteurs  se 
rendent  directement  au  théâtre  ;  instruments  et  décors,  coffres  et  caisses 
les  suivent  !  Et  quand  l'heure  sonne,  cuivres  et  violons  entament  l'ouver- 
ture. Après  la  représentation,  tout  est  emballé  !  M""=  Emma  Juch  et  ses 
collaborateurs  se  rendent  au  train  qui  chauffe  déjà  ;  on  charge,  le  silïlet 
retentit,  et  on  s'endort  jusqu'à  la  ville  prochaine.  Il  peut  arriver,  même 
en  Amérique,  que  le  train  soit  en  retard,  comme  dernièrement  à  Los  An- 
geles, en  Californie.  La  salle  était  remplie ,  quand  l'imprésario  vint 
annoncer  que  la  représentation  ne  pourrait  pas  commencer  avant  minuit. 
En  Europe  c'eût  été  un  désordre.  Là-bas,  on  fit  venir  des  mets  et  des 
boissons  des  restaurants  voisins,  et  quand  enfin  M^^  Emma  Juch  rou- 
coula les  airs  de  Carmen,  on  l'applaudit  à  tout  rompre.  Ces  Américains' 
sont  décidément  un  peuple  bien  extraordinaire  ! 

—  Le  compositeur  américain  Richard  Stahl,  auteur  de  plusieurs  opé- 
rettes à  succès,  mais  surtout  célèbre  par  ses  nombreux  divorces  (il  a  été 
marié  cinq  fois!)  vient  d'être  mis  en  état  d'arrestation  à  la  requête  d'un 
de  ses  éditeurs,  qui  l'accuse  d'avoir  exploité  illicitement  une  oeuvre  dont 
il  lui  avait  cédé  l'entière  propriété. 

—  Voici  que  les  Américains  de  race  latine  veulent  entrer  en  lice  et 
prouver  leurs  aptitudes  musicales.  On  annonce  que  M.  Melesio  Morales, 
professeur  au  Conservatoire  de  Mexico,  vient  de  terminer,  sur  un  livret 
de  M.  Ghislanzoni,  un  opéra  intitulé  Cléopâtre,  qui  doit  être  représenté, 
au  cours  de  la  saison  prochaine,  sur  le  théâtre  National  de  cette  ville;  et 
un  jeune  compositeur  chilien,  M.  Eliodoro  Ortiz,  fait  savoir  qu'il  a,  tout 
prêts,  deux  opéras  :  Giovanna  ta  pazza  et  la  Fioraia  di  Lugano. 

—  Une  sérieuse  bagarre  s'est  produite  pendant  une  représentation  don- 
née par  la  Compagnie  théâtrale  «  Sunny  South  »,  au  théâtre  flottant 
d'Huntington,  dans  la  Virginie,  un  théâtre  dont  nous  avons  fait  connaître 
naguère  l'existence  à  nos  lecteurs.  Un  homme  a  été  tué,  environ  une  dou- 
zaine d'autres  blessés,  et  le  théâtre  a  été  complètement  saccagé.  Le 
désordre  a  été  causé  par  quelques  jeunes  gens  qui  persistaient  à  insulter 
les  artistes  en  scène.  Pendant  le  second  acte,  trois  acteurs  ont  quitté  la 
scène  et  ont  attaqué  quelques-uns  de  ces  jeunes  gens.  Ecrasés  par  le 
public,  ils  ont  été  grièvement  blessés  ;  le  régisseur,  dans  le  but  de  leur 
venir  en  aide,  a  fait  éteindre  les  lumières,  mais  la  bataille  a  continué 
dans  l'obscurité  au  milieu  des  cris  des  femmes  et  des  appels  «  au  secours  ». 
La  police  et  nombre  de  citoyens,  venus  pour  mettre  le  holà,  ne  firent 
qu'ajouter  au  désordre,  qui  arriva  à  son  comble  lorsque  des  coups  de 
revolver  commencèrent  à  s'échanger  entre  la  scène  et  la  salle.  Enfin,  la 
foule  chargea  en  masse  les  acteurs  qui  furent,  sans  cérém.onie  (uncereino- 
niously),  précipités  à  la  rivière,  dans  cet  endroit  large  et  profonde.  Un 
homme  de  la  police  a  été  tué,  et  on  craint  pour  les  jours  de  plusieurs 
blessés.  L'Advertiser  qualifie  cette  affaire  de  «  la  plus  sanglante  et  la  plus 
désagréable  »  qui  se  soit  produite  pendant  la  campagne  théâtrale,  dans  la 
Virginie  occidentale  ».  Nous  croyons  sans  peine  notre  confrère  américain. 

—  D'après  le  Musica/  Courier  de  Ne\Y- York,  le  poète  Henri  Heine  va  devenir 
le  héros  d'un  opéra.  Un  littérateur  de  Prague,  M.  Edouard  von  Dubsky,  a 
réuni  quelques  épisodes  plus  ou  moins  fantasques  de  la  vie  de  Heineen  les 
agrémentant  de  vers  puisés  dans  son  œuvre,  et  il  a,  à  l'aide  de  ces  élé- 
ments, échafaudé  une  action  lyrique  qui  se  déroule  successivement  à  Paris, 
àDusseldorf,  en  Provence  et  à  Lucques.  C'est  M.  Louis  Burger  qui  a  entre- 
pris d'habiller  de  musique  cet  étrange  livret. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  New-York  un  splendide  édifice  consacré  à  la 
musique,  qui  est  dû  à  la  munificence  de  M.  André  Carnegie,  le  plus  riche 
et  le  plus  puissant  industriel  des  États  Unis,  où  on  l'a  surnommé  le  roi 
du  fer.  Entré  dans  la  vie  active  comme  employé  du  télégraphe,  au  salaire 
de  deux  dollars  et  demi  par  semaine,  M.  Carnegie  est  actuellement  à  la 
tête  de  vingt  mille  ouvriers  employés  dans  ses  différentes  usines  métallur- 
giques, et  auxquels  il  paye  mensuellement  un  million  cent  vingt-cinq  mille 


dollars  d'appointements.  Sa  bienfaisance  est  inépuisable,  tous  ses  ouvriers 
sont  intéressés  aux  bénéfices  de  son  entreprise,  et  il  a  déjà  dépensé  en 
donations  aux  écoles,  institutions  de  bienfaisance  et  bibliothèques,  plus 
de  deuœ  millions  cinq  cent  mille  dollars!  Le  nouveau  Music  Hall  dont  il  vient 
de  doter  New- York  ne  lui  a  pas  coûté  moins  d'un  million  de  dollars  (un 
peu  plus  de  cinq  millions  de  francs).  C'est,  parait-il,  un  chef-d'œuvre 
d'architecture  et  d'acoustique.  En  plus  de  la  grande  salle  principale  où 
quatre  mille  auditeui's  peuvent  se  tenir,  l'édifice  renferme  toute  une  série 
de  salles  plus  petites,  destinées  aux  séances  de  musique  de  chambre,  aux 
banquets,  aux  réunions,  etc.  Le  grand  hall  lui-même  peut  être  transformé 
en  salle  de  bal.  D'immenses  fourneaux  de  cuisine  sont  logés  dans  le  sous- 
sol,  où  se  trouvent  également  les  salles  de  chauffage  et  de  ventilation.  La 
soirée  d'inauguration  a  eu  lieu  le  5  mai,  avec  le  programme  suivant  : 
Chœur  «  Old  Hundred  »,  allocution  et  consécration  de  l'édifice  par  le  très 
révérend  Henry  G.  Potter,  évéque;  hymne  national;  Couverture  de  Léonore 
(n"  3),  de  Beethoven;  Marche  solennelle  de  Tschaïkowsky,  dirigée  par  l'au- 
teur; Te  Deum,  de  Berlioz  (première  audition  à  New-York).  Cette  dernière 
œuvre,  dont  M.  Campanini  chantait  les  soli,  a  produit  une  puissante  im- 
pression, surtout  le  Judex  crederis  pour  trois  chœurs,  orgue  et  orchestre. 
Le  nouveau  Music  Hall  a  rouvert  ses  portes  les  jours  suivants  pour  une 
série  de  grands  concerts  dirigés  par  M.  Walter  Damrosch2  avec  le  concours 
de  solistes  éminenls,  parmi  lesquels  M'"'^*  Alves,  Ritter-Gœtze,  Mielke,  Aus 
der  Ohe,  De  Vere,  MM.  Reichmann,  Fischer  et  Behreuds.  M.  Tschakowïsky 
a  dirigé  plusieurs  de  ses  nouvelles  œuvres,  M"'=  De  Vere  a  triomphé  avec 
un  air  à'Esclarmonde,  et  les  chœurs  ont  fait  merveille  dans  l'oratorio  Israël 
en  Egypte,  de  Heendel. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

On  a  vendu  ces  jours  derniers,  à  l'hôtel  Drouot,  la  première  partie 
de  la  magnifique  bibliothèque  de  M.  RicardoHeredia,  comte  de  Benahavis. 
Le  vendredi  29  mai  c'était  le  tour  de  la  musique,  trente-iinq  volumes 
tout  au  plus,  mais  presque  tous  d'une  rareté  excessive  ;  aussi  les  libraires 
étrangers  n'ont-ils  pas  hésité  à  venir  prendre  part  aux  enchères  ;  il  y  en 
avait  même  de  Berlin,  sans  parler  des  amateurs  distingués  qui  n'ont  pas 
manqué  au  rendez-vous.  Voici  le  titre  des  ouvrages  échus  au  Conserva- 
toire, représenté  par  M.  "Weckerlin  :  Arte  de  musica  theorica  y  pratica,  de 
Francisco  de  Montanos,  1592,  adjugé  à  2bS  francs;  —  Imtitucion  harmonica, 
ô  docirina  musical,  theorica  y  practica,  etc.,  par  Don  Antonio  Ventura  Roel  del 
Rio,  1748,  non  cité  par  Fétis  (193  fr.);  —  Arte  de  Canto  llano,  par  Fran- 
cisco Montanos,  170S  (42  fr.);  —  Escudo  politico  de  la  entrada  del  Miserere  nobis, 
de  la  missa  scala  Aretina  que  compuso  el  Licenciado  Don  Francisco  Valls,  1717, 
suivi  d'autres  œuvres  de  divers  compositeurs  espagnols  (200  fr.)  ;  enfin, 
le  phénix  de  la  vente  ;  Comiença  el  libro  llamado  de  claracion  de  instrumentos 
musicales,  etc.,  compuesto  por  el  muy  reverendo  padre  fraij  Juan  Bermudo,  1S35. 
Pour  cet  in-folio,  d'une  rareté  sans  nom,  il  a  fallu  le  disputer  à  l'Es- 
pagne elle-même,  qui  ne  l'a  pas.  Ce  précieux  volume,  qui  résume  l'état 
de  la  musique  en  Espagne  antérieurement  à  l.ob3,  a  été  adjugé  au  Con- 
servatoire pour  la  somme  de  2,1.30  francs,  aux  applaudissements  de  la 
galerie. 

—  A  l'Opéra-Comique,  dit  le  Gaulois,  on  prête  à  M.  Carvalho  l'intention, 
lorsque  la  salle  Favart  sera  reconstruite,  de  conserver  la  salle  de  la  place 
du  Châtelet  pour  en  faire,  en  manière  de  succursale  de  l'Opéra-Comique, 
un  nouveau  théâtre  lyrique,  que  réclament  à  grands  cris  les  musiciens. 
Cette  combinaison  a  du  bon.  Elle  a,  du  reste,  déjà  été  éprouvée  et  a 
donné  de  bons  résultats.  M.  Perrin,  autrefois  directeur  de  l'Opéra-Comique 
eut  en  même  temps  pendant  quelques  mois,  entre  les  mains,  le  Théâtre- 
Lyrique.  Les  deux  exploitations  bénéficièrent  de  cette  heureuse  réunion. 
Et,du  reste, M. Carvalho  pense, sans  doute  avec  raison,  qu'avec  la  clientèle 
que  rOpéra-Gomique  s'est  créée  place  du  Châtelet,  le  Théâtre-Lyrique  est 
tout  indiqué  à  cet  endi'oit,  et  il  ne  veut  pas  laisser  à  un  autre  le  soin 
d'exploiter  une  mine  redevenue  si  féconde. —  H  y  a  eu  ces  jours  derniers, 
à  l'Opéra-Comique,  une  véritable  hécatombe  de  choristes.  M.  Carvalho 
s'étant  aperçu  que  les  chœurs  ne  donnaient  plus  le  même  ensemble 
qu'autrefois,  a  fait  passer  une  audition  isolée  à  chaque  choriste,  à  la 
suite  de  laquelle  il  a  bien  fallu  se  résoudre  à  sacrifier  quelques  voix  qui 
n'étaient  plus  de  saison.  Ce  sont  toujours  des  sacrifices  pénibles;  mais  il 
faut,  avant  tout,  assurer  de  bonnes  exécutions.  Du  reste,  nous  croyons 
savoir  que  des  postes  sont  réservés  dans  les  autres  parties  du  personnel  à 
ceux  qui  ont  été  l'objet  de  ces  mesures  rigoureuses,  mais  justes. 

—  n  est  probable  que  nous  aurons,  dans^le  courant  de  la  semaine,  â 
l'Opéra-Comique,  la  première  représentation  du  Rêve,  drame  lyrique  en 
huit  tableaux,  paroles  de  M.  Louis  Gallet,  d'après. le  roman  d'Emile  Zola, 
musique  de  M.  Bruneau.  Les  répétitions  d'orchestre  sont  commencées. 
L'ouvrage  est  su,  et  il  ne  reste  plus  à  régler  que  quelques  détails  de 
mise  en  scène,  pour  lesquels  quelques  jours  suffiront.  L'Opéra-Comique 
clôturera  décidément  sa  saison  le  30  juin,  pour  rouvrir  ses  portes  le 
1"'  septembre  suivant.  Dans  l'intervalle  aura  lieu  la  représentation  gra- 
tuite du  14  juillet,  pour  laquelle  il  est  question  du  Pré  aux  Clercs  et  de  la 
Fille  du  régiment,  avec  la  Marseillaise,  inséparable  de  ces  petites  agapes  na- 
tionales. 

—  On  sait  le  très  grand  succès  qu'obtient  en  ce  moment  la  Manon  de 
M.  Massenet  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  L'œuvre  en  est  à  sa  vingt- 
cinquième  représentation,  toujours   avec   des  salles  combles.    Le    maître 


d84 


LE  MÉNESTREL 


français  vient  d'adresser  à  chacun  de  ses  interprètes  sa  photographie  ac- 
compagnée d'une  lettre  qui  exprime  sa  reconnaissance  pour  le  soin  et  le 
talent  avec  lesquels  son  œuvre  a  été  montée  par  les  artistes  viennois. 

—  ...  Et  pour  être  ténor,  on  n'en  est  pas  moins  homme.  Et  homme 
courageux,  ainsi  que  le  témoigne  cette  note  que  nous  reproduisons  d'après 
\6  Journal  officiel:  «Médaille  d'honneur  de  première  classe  à  Jean  Mouliérat, 
artiste  de  l'Opéra-Comique.  A  fait  preuve  d'un  rare  sang-froid  et  du  plus 
grand  dévouement,  lors  de  l'incendie  du  théâtre,  en  I8S7,  en  restant  le 
dernier  sur  la  scène,  pour  essayer  d'atténuer  la  panique  des  spectateurs. 
S'était  antérieurement,  en  1873,  signalé  par  un  sauvetage  en  Seine,  dans 
des  circonstances  très  périlleuses,  en  se  jetant  courageusement  à  l'eau 
pour  en  retirer  une  femme  qui  se  noyait  à  la  herge  Saint-Nicolas.  » 

—  A  l'occasion  des  fêtes  du  Centenaire  de  Saint-Bernard,  à  Dijon, 
M.  l'abbé  J.  Maître,  directeur  de  l'école  Saint-François-de-Sales,  prépare 
une  exécution  intégrale  des  BéalUiides,  du  regretté  César  Franck.  Ceux  des 
admirateurs  de  Franck  qui  désireraient  assister  à  cette  exécution  sont 
priés  d'adresser  leurs  demandes  à  M.  l'abbé  J.  Maître,  à  Dijon. 

— -  Lullij,  homme  d'affaires,  propriétaire  et  musicien,  à  propos  de  son  hôtel  de 
la  rue  Sainte-Anne.  Sous  ce  titre,  M.  Edmond  Radet,  architecte  visiblement 
doublé  d'un  musicien  très  érudit,  vient  de  faire  paraître  à  la  librairie  de 
l'art  des  Notes  et  croquis  du  plus  grand  intérêt.  Bien  que  n'étant  pas  écrit 
exclusivement  au  point  de  vue  musical,  l'ouvrage,  par  son  sujet  même, 
n'en  tombe  pas  moins  sous  la  juridiction  du  Ménestrel,  qui  se  fait  un  devoir 
de  le  recommander  à  ses  lecteurs.  Si  tous  ceux  qui  ont  pris  profit  à  la 
lecture  des  ouvrages  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  sur  les  vrais  créa- 
teurs de  l'Opéra  français,  veulent  compléter  avec  M.  Radet,  d'après  les  docu- 
ments les  plus  authentiques  et  les  plus  nouveaux,  l'étude  si  bien  com- 
mencée sur  la  très  curieuse  physionomie  du  vieux  maître,  le  succès  du 
volume  sera  assuré.  De  nombreuses  et  fort  belles  planches  en  héliogra- 
vure augmentent  encore  la  valeur  et  l'attrait  de  cette  artistique  et  savante 
publication.  p_  q 

—  L'excellent  chansonnier  lillois  Alexandre  Desrousseaux,  l'auteur  des 
Pasquilles  et  de  tant  d'aimables  petits  poèmes  dans  lesquels  il  retrace  avec 
tant  de  goût  et  d'ingéniosité  les  mœurs,  les  coutumes  et  l'état  d'esprit  de 
ses  compatriotes,  a  trouvé  son  biographe  dans  la  personne  de  M.  Albert 
Desmeaux,  qui  vient  de  publier  un  petit  volume  intitulé  Desrousseaux,  sa 
vie  et  ses  œuvres  (Paris,  Jouve,  in-8).  M.  Desmeaux  s'est  entouré  de  tous  les 
documents  possibles,  il  les  a  mis  en  ordre  et  en  valeur  avec  le  plus  grand 
soin,  il  les  a  accumulés  pour  le  plus  grand  plaisir  du  lecteur,  et  grâce 
à  lui  le  chansonnier  populaire  sera  désormais  aussi  connu  comme  homme 
qu'il  était  apprécié  déjà  comme  poète  et  comme  artiste.  Les  compatriotes 
de  Desrousseaux  feront  certainement  à  ce  livre  un  accueil  empressé,  et 
l'on  peut  dire  que  si  tous  ceux  qui  l'ont  chanté  achetaient  sa  biographie, 
ce  n'est  pas  une,  c'est  vingt  éditions  qu'il  faudrait  faire  de  Desrousseaux, 
sa  vie  et  ses  œuvres.  j^_  p_ 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

C'a  été  un  véritable  triomphe  pour  M.  Ernest  Guiraud  que  le  festival 
donné  en  son  honneur,  à  Roubaix,  par  les  soins  de  M.  Koszul,  directeur 
du  Conservatoire  de  cette  ville.  Nous  avons  fait  connaître,  par  avance,  le 
programme  de  cette  belle  fête  musicale,  dont  le  succès  a  été  éclatant  et 
qui  a  valu  à  M.  Guiraud  toute  une  série  d'ovations  bruyantes.  L'exécu- 
tion de  ses  œuvres  sous  sa  direction  a  été  excellente  de  la  part  de  l'or- 
chestré et  des  chœurs,  et  il  serait  injuste  de  ne  pas  citer  aussi,  pour  la 
part  qu'ils  y  ont  prise  et  les  applaudissements  qu'ils  y  ont  reçus,  les 
solistes,  M"«  Zoé  Brouchette,  MM.  Koszul,  Minssart  et  Désiré  Laurent. 

—  On  a  beaucoup  applaudi  jeudi,  à  la  fêt3  donnée  au  Vaudeville  au 
profit  des  victimes  du  devoir,  le  premier  acte  de  Judith,  tragédie  lyrique 
de  M™  Pauline  Thys  pour  les  paroles  et  la  mnsique,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  l'an  dernier,  à  la  suite  dune  audition  partielle.  Le  public  a 
beaucoup  goûté  cette  œuvre  d'une  inspiration  claire  et  souvent  très  élevée. 
Il  a  fêté  les  interprètes,  M"»"!  Bosmann,  MM.  Cossira,  Duhulle,  Gallois, 
Douaillier,  Griner,  sans  oublier  les  chœurs  et  l'orchestre  de  l'Opéra- 
Comique,  magistralement  dirigés  par  M.  Danbé. 

—  Grand  succès  pour  le  concert  historique  d'orgue  donné  jeudi  dernier 
au  Trocadéro  par  M.  Alexandre  Guilmant,  dont  la  virtuosité  est  au-dessus 
de  tout  éloge  ;  et  quelle  érudition  pour  composer  un  tel  programme  ! 
M.  Werner,  son  élève,  a  été  rappelé  avec  enthousiasme  après  la  chaconne 
de  Pachelbel,  qu'ila  vraiment  jouée  d'une  façon  remarquable.  M"'=Montégu- 
Montibert  et  M.  Auguez  ont  charmé  et  impressionné  les  cinq  mille  audi- 
teurs qui  se  pressaient  au  Trocadéro,  et  les  accompagnements  discrets  et 
délicats  de  M.  de  la  Tombelle  ont  été  très  appréciés  des  connaisseurs. 

—  M.  Charles  Dancla  a  donné  lundi  dernier,  à  la  salle  Pleye',  une  soirée 
musicale  dont  le  succès  a  été  très  grand.  Le  programme  était  en  partie 
composé  d'œuvres  de  sa  composition  :  un  trio  pour  deux  violons  et  alto 
d'une  facture  très  élégante,  des  fragments  de  son  troisième  trio  pour  piano, 
violon  et  violoncelle,  dont  le  scherzo  est  tout  à  fait  remarquable  et  a  pro- 
duit un  grand  effet,  quoique  la  partie  de  violoncelle  eût  été,  pour  cause 
accidentelle, remplacée  par  une  partie  d'alto  supérieurement  dite,  du  reste, 
par  M.  Léopold  Daucla.  La  jeune  élève  de  M.  Charles  Dancla,  M'^eMagnien, 


un  talent  de  premier  ordre,  a  été  particulièrement  applaudie  dans  les 
Souvenirs  de  Prague,  du  maître,  et  dans  la  symphonie  à  deux  violons  con- 
certants dont  l'effet  est  toujours  irrésistible.  M"»  Cognard,  une  cantatrice 
émérite,  a  dit  à  merveille  une  mélodie  pour  chant  et  violon  de  M.  Ch.  Dan- 
cla et  un  air  de  Jean  de  Nivelle,  de  Léo  Delibes.  M.  Dancla  avait  fait  place, 
dans  son  programme,  à  la  sonate  concertante  pour  deux  violons  et  piano 
de  notre  collaborateurH.Barbedette,  sonate  dont  l'exécution  par  MM.  Charles 
et  Léopold  Dancla  et  Bernard  Rie  a  été  des  plus  remarquables  et  qui  a 
été  accueillie  par  le  public  avec  une  faveur  marquée.  N'oublions  pas 
l'accompagnatrice,  M"'=  Emma  Bourlier,  qui  a  fait  preuve  d'un  grand 
talent. 

—  Très  brillante  audition,  cette  semaine,  des  élèves  de  l'éminent  pro- 
fesseur M™'  Marchesi,  dans  son  hôtel  de  la  rue  Jouffroy,  la  pépinière 
cosmopolite,  qui  fournit  les  théâtres  des  deux  mondes  de  presque  toutes  les 
artistes  de  marque  et  de  réputation.  On  a  surtout  remarqué  M"=  Louise 
Brass,  douée  d'une  voix  charmante  et  chantant  avec  infiniment  d'intelli- 
gence (air  de  Mignon  et  duo  de  Lakmé  avec  M.  Piroia)  ;  M"»  Girard,  une 
Parisienne  d'essence  qui  se  fera  certainement  une  belle  place  à  l'Opéra- 
Comique;  enfin,  une  cantatrice  américaine,  M"°  Sears,  qui  possède  la 
technique  de  son  art  à  fond  et  vocalise  avec  une  facilité  surprenante. 
Nommons  encore  M"=  Lydia  HoUm,  un  soprano  suraigu  (engagée  déjà  au 
théâtre  grand-ducal  de  Weimar),  M"'  Marcha-Mataftin,  de  Saint-Péters- 
bourg, un  contralto  de  talent.  M"»  Lilian  Devlin,  tout  à  fait  charmante  et 
qui  a  chanté  à  ravir  le  Chant  d'exil  de  M.  Paul  Vidal  et  l'Amour  est  un 
enfant  trompeur  de  Martini,  M"'  Mary  Bryan  dans  l'air  à'Hérodiade,  et 
M"=  Pakarinen  dans  l'Alléluia  du  Cid  et  le  Soir  d'Ambroise  Thomas. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu  la  matinée  musicale  donnée  par  M™  Vauoorbeil 
pour  l'audition  de  ses  élèves.  Grand  succès  pour  M""=  Krauss,  M""  Emilie 
Leroux,  M.  Varmbrodt  et  M.  G.  Pierron,  qui  ont  magistralement  chanté 
des  fragments  de  Mors  et  Vita  de  Gounod. 

—  Charmante  réunion  musicale,  jeudi  dernier,  chez  M.  le  marquis 
de  V...  M.  Caron,  de  l'Opéra,  s'y  est  particulièrement  signalé  dans  la  belle 
mélodie  de  Faure,  Espoir  en  Dieu.  M.  Noblet  (du  Conservatoire),  a  été  très 
applaudi  dans  l'aubade  du  Boi  d'Ys,  M""  Carùonne  dans  un  air  du  Roi  de 
Lahore  et  une  charmante  valse  chantée  de  Gumbert  sur  des  motifs  de 
Johann  Strauss  :  la  Vie  est  belle,  enfin  M"=  Vauthrin  dans  l'air  de  Lakmé. 

NÉCROLOGIE 

De  Toulouse  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  en  cette  ville,  le 
23  mai,  d'un  des  artistes  les  plus  distingués  de  province,  le  compositeur 
Ignace-Xavier-Joseph  Leybach,  organiste  de  la  métropole,  dont  les  œuvres 
nombreuses  sont  bien  connues  de  tous  les  pianistes.  Né  à  Gambsheim 
(Bas-Rhin),  le  17  juillet  1817,  Leybach,  qui  avait  reçu  les  premières 
notions  de  la  musique  de  son  frère,  simple  amateur,  étudia  ensuite  l'har- 
monie avec  Hœrter  et  l'orgue  avec  AVachenthaler,  et  plus  tard  fut  élève 
pour  le  piano  de  Pixis,  de  Kalkbrenner  et  de  Chopin.  En  1844  il  obtenait 
au  concours  la  place  d'organiste  de  la  métropole  de  Toulouse,  et  depuis 
lors  ne  quitta  plus  cette  ville,  où  il  avait  su  se  faire  une  situation  bril- 
lante. C'est  en  1847  qu'il  livra  au  public  ses  premières  compositions,  et 
aujourd'hui  le  nombre  de  toutes  celles  qu'il  a  publiées,  tant  en  France 
qu'à  l'étranger,  ne  s'élève  pas  à  moins  de  230.  Outre  une  quantité  de  mor- 
ceaux de  piano,  soit  originaux,  soit  écrits  sur  des  motifs  d'opéras  célèbres, 
outre  un  recueil  de  20  mélodies  vocales,  d'assez  nombreux  motets  avec 
accompagnement  d'orgue,  une  série  de  grands  morceaux  pour  piano  et 
harmonium,  on  doit  à  Leybach  une  Méthode  théorique  et  pratique  pour  l'har- 
monium qui  a  été  traduite  en  quatre  langues,  et  une  publication  intitulée 
l' Organiste  pratique,  dont  les  trois  volumes  contiennent  plus  de  200  morceaux. 
La  perte  de  LeybacL  sera  vivement  ressentie  à  Toulouse,  où  il  prenait 
une  part  active  au  mouvement  musical. 

—  On  annonce  de  Londres  la  mort  de  M.  Gustave  Libolton,  professeur 
de  violoncelle  au  Guildhall  School  of  music,  où  sa  classe  était  suivie  par 
plus  de  soixante  élèves.  Belge  de  naissance,  et  élève  du  célèbre  Servais 
au  Conservatoire  de  Bruxelles,  M.  Libotton  était  venu  se  fixer  à  Londres 
en  1873  et  s'y  était  fait  rapidement  connaître  comme  exécutant  et  comme 
professeur.  Il  a  fait  partie  des  principales  sociétés  philharmoniques  de  la 
capitale.  M.  Libotton  était  âgé  de  quarante-neuf  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  chez  MAGKAR  et  NOËL,  éditeurs  de  Tschaïkowsky,  22,  passage 

des  Panoramas,  Paris. 

A.  LA'VIGNAC,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire  : 

L'École  de  la  Pédale  du  Piano,   ouvrage   contenant   l'histoire  de   la 

Pédale  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à   nos  jours,   accompagné 

de  nombreux  exemples  tirés  des  grands  maîtres  (80  pages  de  texte),  et  suivi 

de  Douze  Études  spéciales  pour  l'emploi  de  la  Pédale  (Ouvrage  dédié 

à  Louis  Diémer.) 

Un  beau  volume  in-i",  net  :     15  francs. 
Du  même  auteur  ; 

Op.  24.  Scherzo-Caprice 7  50 

Op.  31.  Dix  Préludes,  divisés  en  cinq  cahiers,  chaque  cahier.    .     7  50 


Dimanche  44  Juin  1891. 


3141  -  57-  AME  -  N°  24.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaiix,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fiianco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrei,,  i  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnementi 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  iMusique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  su». 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (13«  article),  Albekt  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Israël  en  Egypte,  oratorio  de  Hcendel,  Julien 
TiEBSOT.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  da  Champ-de-Mars  (2«  article), 
Camille  Le  Senne.  —  IV.  Napoléon  dilettante  (11'  article),  Edhosd  Neukomm 
et  Paul  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  â  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour; 

LA    CAPTIVE 

mélodie  posthume  de  Gh.-B.  Lysberg.  —  Suivra  immédiatement  :  Aiu: 
cerises  prochaines,  n"  2  des  Rondes  et  chansons  d'avril,  de  Claldius  Blan'C  et 
LÉOPOLD  Dauphin. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
•de  piano:  Aria,  pour  piano,  de  Robert  Fischhof.—  Suivra  immédiatement: 
Réveil,  allegretto  scherzando,  pièce  caractéristique  pour  piano,  de  Théodore 
Dubois. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A-llbert  SOUBIES   et  Charles   ]VIA.LHER,be 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 


RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lallci-Roiikh  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Rose  et  Colas. 

1862-1864. 

(Suite.) 

L'année  1864  commença  même  par  une  déception.  Trois 
actes  de  Scribe,  terminés  par  de  Saint-Georges  et  mis  en 
musique  par  Auber,  promettaient  d'avance  une  fortune  au 
théâtre.  Imitée  de  La  Fontaine,  qui  lui-même  s'était  inspiré 
de  Boccace,  la  Fiancée  du  roi  de  Garbe  me\.ia.il en  scène  une  histoire 
assez  scabreuse,  mais  gaie,  telle  enfin  que  depuis  elle  amusa 
et  inspira  tour  à  tour  deux  compositeurs:  Litolff  dont  l'œuvre 
ne  réussit  pas,  et  Bazin  qui  garda  la  sienne  en  portefeuille. 
Babolin  1",  roi  de  Garbe  et  quelque  peu  pouverain  d'opérelle, 
veut  prendre .  femme,  et,  ayant  jeté  les  yeux  sur  Alaciel, 
fille  du  roi  du  Soudan,  envoie  comme  ambassadeur  aupiès 
d'elle    son    neveu    Alvar,    qui    aura    charge    ou    plaisir    de 

l'épouser par    procuration.     D'autres    s'effrayeraient    à 

l'avance  des  résultats  possibles  d'une  telle  mission,  mais   lui 
ne  craint  rien;  il  possède  comme  talisman  un   collier  formé 


de  treize  perles  destiné  à  la  princesse  ;  qu'elle  se  laisse  dé- 
rober la  moindre  faveur,  et  tout  aussitôt  une  perle  disparait 
de  l'écrin.  Au  retour,  après  mille  incidents  fantaisistes,  le 
collier  ne  compte  plus  que  trois  perles;  le  roi,  se  croyant 
bien  avisé,  répudie  la  princesse  et  l'abandonne  à  son  neveu, 
ce  qui  convient  à  merveille  à  ces  deux  jeunes  gens,  car  ils 
s'aimaient.  C'est  la  barbière  du  roi,  Figarina,  qui  avait  accom- 
pagné l'ambassade  et  à  qui  l'on  avait  confié  le  fameux  bijou; 
les  baisers  téméraires,  c'est  donc  elle  qui  les  a  reçus,  et  s'il 
manque  des  perles  à  l'écrin,  c'est  sa  faute  et  non  celle  de  la 
princesse.  Une  telle  fantaisie,  encadrée  dans  des  décors  moi- 
tié féeriques  et  moitié  orientaux,  prétait  à  la  mise  en  scène, 
aux  costumes  et  aux  chansons.  Auber  en  avait  mis  tant  et 
plus,  et,  le  lendemain  de  la  représenlation  (H  janvier  1864), 
les  critiques  admirèrent  comme  de  coutume  «  l'esprit  char- 
mant, l'admirable  génie  mélodique,  la  verve  inépuisable  » 
de  ce  vieillard  qui  n'avait  jamais  été  plus  «  jeune  »  et  chez 
lequel  rien  ne  sentait  «  la  fatigue  ou  le  travail  ».  Et  cepen- 
dant, l'étoile  du  compositeur  pâlissait;  malgré  l'autorité 
d'Achard,  qui  venait  de  reprendre  le  Domino  noir  avec  tant 
d'éclat,  malgré  le  talent  et  l'esprit  de  Sainte-Foy,  de  M"«^  Cico 
et  Bélia,  malgré  l'attrait  spécial  d'un  chœur  de  dix  jeunes 
filles  fourni  par  le  Conservatoire,  suivant  une  tradition  dont 
les  directeurs  de  cet  établissement  ont  plusieurs  fois  profité, 
et  qui  comptait  alors  de  futurs  sujets,  comme  M""  Mauduit 
et  Marie  Rôze,  la  Fiancée  du  Roi  de  Garbe  disparut  après  trente- 
cinq  représentations. 

Lara  (Lara-Tatouille)  comme  l'annonçait  Berlioz  avec  son 
obligeance  habituelle,  valait  bien  davantage,  et  d'ailleurs 
réussit  beaucoup  mieux.  Sous  ce  même  litre  on  avait  donné 
àNaples,  en  1835,  un  opéra  du  comte  de  Ruolz,  noble  amateur 
qui  menait  de  front  la  découverte  de  l'argenture  et  la  con- 
fection de  la  musique,  un  homme  étrange  qui  parvint  à 
faire  jouer  sa  Vendetta  à  l'Opéra  en  1839,  et  dont  la  plume 
amie  de  M.  Alfred  Prost  a  retracé  dernièrement  la  carrière 
artistique.  Pour  l'œuvre  de  Maillarl,  les  librettistes  Eugène 
Cormon  et  Michel  Carré  s'étaient  heureusement  inspirés  de 
Byron,  et  avaient  adroitement  mis  en  œuvre,  combiné 
et  complété  ses  deux  célèbres  poèmes  le  Corsaire  et  Lara.  Le 
héros  revient  après  dix  ans  d'absence  au  château  de  ses 
pères,  fidèlement  gardé  par  un  vieux  serviteur.  Kaled,  une 
jeune  esclave  qu'il  ramenait  avec  lui,  le  trahit  par  jalousie, 
et  confie  à  un  rival  le  terrible  secret  de  sa  vie  passée.  Insulté 
dans  sa  demeure  et  accusé  de  voler  un  nom  qui  ne  lui 
appartient  pas,  Lara  n'a  plus  qu'à  défendre  son  honneur  les 
armes  à  la  main.  Mais  dans  la  nuit  qui  précède  le  combat, 
il  se  revoit  en  rêve  tel  qu'il  était  naguère,  Conrad  le  forban. 
Il  rougit  en  lisant  le  testament  de  son  père,  qui  lui  léguait 
son  épée   à  la  condition  de  la  briser  plutôt   que  de  la  tirer 


ISi) 


L£  MÉNESTREL 


pour  défendre  une  cause  injuste  ou  pour  soutenir  un  men- 
s&ngfr.  Au  lieu  de  se  battre  alors,  il  renonce  à  sa  fortune, 
cède  la  place  à  son  rival,  se  désigne  volontairement  comme 
un  usurpateur, et,  appuyé  sur  l'épaule  de  Kaled,  dont  il  a  reçu 
l'aveu  et  pardonné  la  faute,  il  reprend  tristement  le  chemin 
de  l'exil.  La  scène  ne  manquait  pas  de  grandeur,  et  Maillart 
l'avait  traitée  avec  une  réelle  noblesse.  L'ouvrage  contient, 
en  somme,  un  grand  nombre  de  pages  remarquables,  et  l'on 
peut  s'étonner  que  depuis  cette  première  soirée  du  21  mars 
1864  jamais  la  pensée  d'une  reprise  ne  soit  venue  à  l'esprit 
des  directeurs  de  la  salle  Favarl.  Quelques  retouches  seraient 
peut-être  nécessaires,  on  pourrait  changer  le  dialogue  parlé 
en  récitatifs  musicaux,  on  pourrait  surtout  faire  mieux  com- 
prendre le  tableau  du  rêve  en  recourant  à  des  trucs  mieux 
perfectionnés,  en  usant,  par  exemple,  des  toiles  métalliques 
qui  de  nos  jours  contribuent  tant  à  l'illusion  scénique,  et  la 
pièce,  à  peine  modifiée,  et  qui  d'ailleurs  est  demeurée  au 
répertoire  des  théâtres  de  province,  produirait  sans  doute 
une  impression  favorable. 

A  dire  vrai,  il  faudrait  encore  un  brillant  ténor  comme 
Montaubry  pour  lancer  au  second  acte  la  phrase  énergique  : 
«  Quand  un  Lara  partait  en  guerre  »;  il  faudrait  un  excellent 
baryton  pour  enlever,  comme  Gourdin,  les  couplets  du  vieil 
intendant;  il  faudrait  surtout  une  interprète  hors  ligne  comme 
M™  Galli-Marié  pour  porter  le  travesti,  chanter  sa  célèbre 
chanson  arabe  et  jouer  tout  son  rôle  avec  ce  mélange  de 
grâce  féline  et  d'énergie  farouche.  Quel  éclair  brillait  en 
ses  yeux,  lorsque,  se  trahissant  elle-même,  sous  ses  vêtements 
masculins,  elle  regardait  la  comtesse,  sa  rivale,  de  telle 
sorte,  que  celle-ci  s'écriait:  «  c'est  une  femme!  »  La  création 
de  Kaled  est  égale  en  effet  à  celle  de  Mignon ,  presque  su- 
périeure à  celle  de  Carmen;  et  ces  trois  figures,  évoquées 
d'un  passé  déjà  lointain,  disent  assez  haut  quelle  grande  et 
belle  place  a  trouvée  dans  l'histoire  du  théâtre  M™  Galli- 
Marié,  cette  véritable  artiste  dont  la  succession  n'a  jamais 
été  recueillie  qu'en  partie. 

Comme  Herold,  comme  Bizet,  Maillart  ne  devait  pas  long- 
temps survivre  à  l'éclosion  de  son  chef-d'œuvre.  Au  moment 
où  il  se  retirait  de  la  scène,  un  nouveau  venu  y  entrait  par 
la  porte  bien  modeste  d'un  petit  acte,  Ernest  Guiraud,  prix 
de  Rome  en  1859,  et  par  conséquent  le  premier  arrivé 
à  rOpéra-Gomique  entre  tous  ces  jeunes  gens  qui,  quel- 
ques années  plus  tard,  devaient  s'élever  au  premier  rang 
et  devenir  l'honneur  de  notre  école  française,  les  Bizet,  les 
Delibes,  les  Saint-Saëas,  les  Massenet.  Sylvie,  qu'on  appelait 
aux  répétitions  les  Lunetles  du  parrain,  parut  le  11  mai  1864. 
Jules  Adenis  et  Jules  Rostaing,  s'inspirant  sans  doute  de  la 
chanson  de  M.  et  M™  Denis,  avaient  d'une  plume  légère  tracé 
ce  scénario  à  trois  personnages,  Sylvie,  la  jolie  paysanne, 
Germain,  son  jeune  amoureux,  et  Jérôme,  son  vieux  parrain. 
Il  arrive  que  le  vieux  barbon  s'éprend  de  la  fillette  et  ne 
pense  à  rien  moins  qu'à  l'épouser.  Mais  celle-ci,  ayant  décou- 
verte les  habits  de  noce  que  conservait  précieusement  le  père 
Jérôme  en  souvenir  de  sa  femme  défunte,  s'en  affuble,  ainsi 
que  sou  fiancé.  Tous  deux  se  présentent  ainsi  travestis  de- 
vant le  bonhomme,  et,  pour  ainsi  dire,  raniment  à  ses  yeux 
le  souvenir  de  sa  jeunesse  et  d'un  riant  passé  qui  n'est 
plus.  Jérôme  a  compris  la  leçon,  et  de  lui-même  unit  les 
deux  enfants.  Au  jeune  compositeur  on  fut  unanime  à  re- 
connaître de  l'esprit,  de  la  mesure  et  du  goût,  qualités  pré- 
cieuses dont  il  ne  s'est  pas  départi  par  la  suite;  on  bissa 
morne  deux  morceaux  très  gaiement  interprétés,  l'air  de 
Sninte-Foy  et  la  chanson  de  M''^  Girard.  Après  son  air,  Sainte- 
Foy  s'écriait  :  «  Tout  le  monde  est  heureux  ici!  »  L'allusion, 
saisie  avec  empressement,  donne  l'idée  du  bienveillant  accueil 
que  le  public  fit  au  musicien;  un  succès  avait  marqué  ses 
premiers  pas. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


ISRAËL  EN  EGYPTE 
ORATORIO    DE    11/ENDEL 

La  Société  des  grandes  auditions  musicales,  qui  compte  parmi 
ses  membres,  on  ne  l'iguore  pas,  quelques-uns  des  plus  beaux  noms 
de  France,  vient  de  faire  entendre  deux  fois  au  Trocadéro,  le  3  et  le 
10  juin,  l'oratorio  de  H:Bndel  :  Israël  en  Egypte.  C'était  la  seconde 
manifestation  artistique  de  celle  sociélé.  Elle  avait,  l'année  dernière, 
voulu  célébrer  sou  entrée  à  la  vie  musicale  par  la  première  repré- 
sentation d'une  œuvre  choisie,  ainsi  qu'il  convenait  pour  une  inau- 
guration, parmi  celles  d'un  de  nos  plus  illustres  maîtres  nationaux, 
et  elle  était  tombée  sur  Béatrice  et  Bénédicl,  de  Berlioz.  Celle  année, 
elle  ne  pouvait  mieux  faire  que  de  tourner  ses  regards  vers  l'Angle- 
terre, qui  est,  comme  chacun  sait,  le  pays  du  bon  Ion  ;  et  l'Angle- 
terre lui  a  renvoyé  Hcendel  et  son  oratorio.  Aussi  la  salle  du  Troca- 
déro était-elle,  l'autre  mercredi,  remplie  d'un  publie  que  je  ne  crains 
pas  de  qualifier  du  plus  selected.  (Je  n'étaient  partout  que  toilettes 
éblouissantes,  gardénias  aux  boutonnières  (à  moins  que  ce  fussent 
d'autres  fleurs,  car  je  ne  suis  pas  très  ferré  sur  la  botanique)  ;  vue 
d'en  haut  du  parquet,  la  salle,  grâce  aux  chapeaux  printaniers 
des  spectatrices,  faisait  l'efTel  d'un  parterre  fleuri.  Autour  de  l'or- 
gue n'avaient  pas  dédaigné  de  prendre  place  quelques-uns  des  repré- 
sentants les  plus  autorisés  de  la  jeune  critique  musicale,  se  pres- 
sant des  deux  côtés  de  la  tribune,  surmontée  du  buste  de  la 
République  et  ornée  d'un  faisceau  de  drapeaux  tricolores,  derrière 
lesquels  M.  Vincent  d'Indy  plaquait  les  accords  majestueux  de  Heen- 
del  ;  enfin  l'orchestre  et  les  deux  chœurs,  obéissant  à  l'impulsion 
magistrale  de  M.  Gabriel  Marie,  déployés  en  largeur  sur  toute 
l'étendue  de  l'estrade  et  ayant  en  avant  d'eux  leurs  éminenls  prolago- 
nistes,  M""*  Krauss,  Boidin-rPuisais,  Blanche  Deschamps,  MM.  La- 
farge,  Auguez  et  Manoury,  formaient  une  masse  com.pacte  et  fort 
imposante  à  voir. 

Ou  avait  distribué  à  tous  les  auditeurs  des  programmes  non  seu- 
lement explicatifs,  mais  même  critiques,  par  lesquels  ils  étaient 
prévenus  par  avance  du  genre  de  beautés  qu'ils  auraient  à  apprécier. 
«  Israël  en  Egypte,  y  lisait-on,  est,  avec  le  Messie  et  Judas  Macchabée,  le 
plus  fameux  des  oratorios  de  HcBudel.  On  n'y  trouve  pas,  saus  doute, 
la  variété  de  sujet  du  Messie,  ni  la  grandeur  dramatique  de  Judas 
Macchabée,  qui  est  bien  un  véritable  drame  lyrique.  Mais  nulle  part 
autant  que  dans  celle  œuvre,  écrite  presque  entièrement  pour  double 
chœur,  ne  se  laissent  voir  les  qualités  les  plus  caractéristiques  de 
Hêendel  :  la  richesse  et  la  puissance  de  ses  expressions,  la  magis- 
trale sûreté  de  sa  technique  et  son  habileté  à  animer  des  seutimeuts 
les  plus  forts  toutes  les  parties  d'un  éuorme  ensemble  choral.  » 
Suivait  une  analyse  où  nous  lisions  que  «  le  grand  double  chœur  qui 
sert  d'introduction  est  généralement  considéré  comme  un  des  mor- 
ceaux les  plus  importants  de  l'oratorio  »,  que  «  les  deux  duos  en 
forme  de  canon  (dans  la  seconde  partie)  comptent  l'un  el  l'autre 
parmi  les  plus  parfaits  chefs-d'œuvre  de  Hcendel  »,  etc.  Aussi  le 
public,  sachant  à  quels  endroits  il  fallait  applaudir,  a  fait  conscien- 
cieusement son  devoir,  bien  qu'il  ait  d'ailleurs  très  peu  applaudi,  cela 
n'étant  point  de  bon  ton.  11  a  fait  en  outre  un  succès  très  chaleureux 
à  un  air  do  contralto,  d'un  style  ample  et  d'une  expression  suave 
et  pure,  qui  est  évidemment  ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  l'œuvre,  et 
qu'il  a  redemandé  à  M""^'  Deschamps-Jéhin,  bien  qu'il  ne  fût  pas 
autrement  recommandé  par  le  programme  ;  ce  qui  prouve  surabon- 
damment l'excellence  de  celle  parole  de  Molière  :  «  Les  gens  de 
qualité  .ïçavent  tout  sans  avoir  jamais  appris.  » 

Oserai-je,  après  cela,  hasarder  de  timides  observations  personnelles  v 
Me  sera-t-il  permis  d'exprimer  mon  opinion  au  sujet  d'une  œuvre 
sur  laquelle  s'est  prononcé  déjà  un  si  brillant  aiéopaga  ?...  J'essaie- 
rai de  lo  faire,  en  me  conformant  de  mon  mieux  à  sou  arièt. 


Quand,  dans  une  conversation  ou  dans  une  étude  musicale,  on  se 
trouve  amené  à  parler  de  Hœudel,  il  est  très  rare  qu'on  le  nomme 
lui  seul.  On  dit  généralement  :  Hœudel  el  Bach,  ou  mieux  encore.- 
Bach  et  Hœudel.  Les  noms  de  ces  deux  maîtres  sont,  par  une  tradi- 
tion déjà  ancienne,  devenus  pour  ainsi  dire  inséparables.  Le  paral- 
lèle entre  Bach  el  Hœndel  est  un  exercice  classique,  obligaloire  pour 
tout  musicographe  digne  de  ce  nom.  Fétis  a  consacré  près  de  trois 
colonnes  do  sa  Biographie  universelle  des  musiciens  (à  l'article  H.endel) 
à  ce  morceau  de  rhéiorique.  «  Deu.\  hommes  sortis  de  la  même  école 
furent  en  présence,  etc..  »  Ernest  David,  l'auteur  de  la  principale 
biographie  française  de  Hcendel,  parle  de  Bach  dès  la  première  page 


LE  MÉNESTREL 


187 


de  son  livre,  et,  dans  les  dernières,  il  s'étend  encore  sur  le  paral- 
lèle en- questien.  Notons  en  passant  que  c'est  toujours  à  propos  de 
Hcendel  que  se  produit  cette  association  d'idées;  ce  qui  prouve  que 
l'on  ne  peut  parler  de  lui  sans  songer  aussilôt  à  Bach;  tandis  que 
lorsqu'on  entend  de  la  musique  de  Bach,  on  ne  pense  pas  du  tout  à 
Heendel. 

Comme  je  n'ai  pas  encore  fait  mon  parallèle,  l'occasion  ne  s'en 
étant  pas  présentée  depuis  longtemps,  je  saisis  avec  empressement 
èelle  qui  s'ofTre  aujourd'hui  pour  remplir  ce  devoir.  Le  moment  est 
d'autant  plus  favorable  que  nous  entendions  encore  il  y  a  quelques 
semaines  la  Meuse  en  si  mineur,  dont  l'impression  inefTaçablo  est  toute 
fraîche  à  nos  mémoires.  Aujourd'hui,  l'on  nous  donne  Israël  un  Egypte, 
qui  tient  dans  l'œuvre  de  Haîadel  une  place  analogue.  Comme  la 
messe  dans  l'œuvre  de  Bach,  l'oratorio  passe  pour  une  des  produc- 
tions les  complètes  et  les  plus  élevées  du  génie  de  son  auteur.  Et 
les  deux  œuvres,  jamais-  exécutées  en  France,  avaient  conséquem- 
ment  pour  nous  un  égal  attrait  de  nouveauté.  La  circonstance  est 
ainsi  des  plus  favorables  ;  la  comparaison  des  deux  génies  ne  saurait 
être  faite  en  meilleure  connaissance  de  cause  ni  avec  des  témoi- 
gnages plus  précis  et  plus  vivants. 

■  Mais,  d'abord,  considérons  les  deux  hommes  dans  ce  que  leur  per- 
sonnalité et  les  circonstances  extérieures  de  leur  vie  peuvent  nous 
montrer  de  significatif. 

Ils  sont  nés  l'un  et  l'autre  en  la  même  année  1783,  à  moins  d'un 
mois  de  distance,  Hœndel  le  23  février,  Bach  le  21  mars,  et  dans  le 
même  pays  d'Allemagne,  l'Allemagne  du  Nord,  le  royaume  de  Saxe. 
Mais  c'est  là  ce  que  nous  trouvons  de  plus  conforme  dans  toute 
leur  carrière  ;  bien  qu'ils  se  soient  rencontrés  plusieurs  fois  dans  le 
voyage  de  la  vie,  c'a  été  toujours  par  des  chemins  opposés  et  en 
suivant  d'autres  directions. 

Leur  manière  île  comprendre  la  vie  diffère  essentiellemenl.  Celle 
de  comprendre  l'art  aussi.  Tandis  que  Bach  demeure  tranquille  et 
méditatif  en  sa  solitude  de  la  Thomas-schule  de  Leipzig,  Hœndel  mène 
une  existence  tout  en  dehors  et  dans  une  agitation  continue,  sans 
cesse  en  voyage,  allant  se  fixer  d'Allemagne  en  Angleterre,  faisant 
des  tournées  dans  tonte  l'Halie,  à  la  recherche  de  la  prima  donna  ou 
du  sopraniste  à  la  mode,  ne  songeant  qu'aux  effets  à  produire  sur 
le  public,  préoccupé  surtout  des  recettes.  Car  ce  maître,  en  qui  nous 
avons  pris  l'habitude  de  ne  voir  que  le  compositeur  d'oratorios  et  de 
sonates  classiques,  était  avant  tout  un  homme  de  théâtre,  et,  qui  plus 
est,  un  directeur  de  théâtre.  A  ce  métier  d'imprésario,  tour  à  tour  il 
fait  fortune,  .'e  ruine,  se  relève,  et  lutte  sans  cesse  :  eùt-il  pu,  au 
milieu  de  ces  tracas,  trouver  le  temps  de  méditer  sur  sou  art? 

Bach,  ce  pendant,  enseigne  les  principes  de  l'art  noble  et  pur  à 
des  disciples  qui,  s'ils  suivent  son  exemple,  ne  se  préoccuperont 
jamais  des  caprices  de  la  foule  et  ne  feront  jamais  de  concessions  à 
ses  goûts  frivoles. 

Tous  les  deux  ont  écrit  des  oratorios:  pourquoi?  Hœndel,  parce 
que  le  public  anglais  a  le  goiit  de  cette  sorte  de  spectacles, 
que  cela  fait  recette  et  sans  frais  de  décors  et  costumes;  Bach, 
parce  qu'il  ne  connaît  pas  de  forme  d'art  qui  corresponde  mieux  aux 
visions  de  son  âme  ;  et  il  fait  exécuter  ses  œuvres  une  seule  fois, 
dans  son  église,  un  jour  de  fête,  sans  savoir  seulement  s'il  a  des 
auditeurs. 

Hcendel,  d'ailleurs,  connaît  la  gloire;  ses  succès  sont  retentissants, 
et  il  est  renommé,  en  Europe,  partout  oii  l'on  s'occupe  de  musique. 
Bach,  lui,  a  l'estime,  l'admiration  profonde  de  quelques  connais- 
seurs ;  mais  sa  réputation  ne  s'étend  guère  au  delà  de  quelques 
cours  de  l'Allemagne  du  Nord. 

Enfin,  l'œuvre  de  Hœndel  se  propage  rapidement,  se  classe,  et 
s'impose  comme  le  modèle  de  la  grande  lyrique  chorale  des  temps 
modernes.  Celle  de  Bach  est  universellement  oubliée  après  sa  mort, 
sauf  à  l'église  de  Leipzig,  oîi  un  successeur  du  maître,  pieusement 
dévoué  à  sa  mémoire,  tient  à  honneur  de  faire  entendre  parfois 
encore  quelqu'une  de  ses  compositions  ;  et  si,  quarante  ans  plus 
tard,  Mozart  n'avait  pas  passé  par  là,  pour,  avec  l'autorité  du  génie, 
remettre  toutes  choses  en  leur  véritable  place,  peut-être  son  sou- 
venir se  fùt-il  définitivement  effacé. 

Mais  patience  :  le  temps  aussi  est  un  grand  maître,  et  qui  finit 
toujours  —  presque  toujours  —  par  casser  les  jugements  superficiels 
de  la  première  heure  et  rendre  à  chacun  le  rang  qui  lui  est  dû. 

Ainsi,  ce  premier  coup  d'œil  jeté  sur  leurs  vies  nous  montre  que, 
Bach  et  Heendel,  ce  n'est  pas  du  tout  la  même  chose  1  Venons-en 
maintenant  à  leurs  œuvres.  Et  puisqu'il  est  convenu  que  c'est  la 
Messe  en  si  mineur  avec  Israël  en  Egypte  qui  serviront  de  termes  de 
comparaison,  analysons  rapidement  cette  dernière. 


■  Aprè^  quelques  mesures  de  récit,  elle  s'ouvre  par  un  doublé 
choeur  d'uu  style  évidemment  sérieux  et  noble,  mais  où  l'on  cher- 
cherait vainement  un  véritable  intérêt  de  combinaisons  polyphoniques, 
aussi  bien  qu'un  thème  expressif  et  d'un  dessin  caractérisé  :  c'est 
un  bon  morceau  scolastique,  rien  de  plus.  — -  Observons  en  passant 
que  ce  titre  de  double  chœur  appliqué  à  la  plupart  des  morceaux 
d'Israël  n'est  qu'une  étiquette  trompeuse,  car  non  seulement  les  deux 
chœurs  ne  dialoguent  pas  entre  eux  avec  une  personnalité  et  une 
physionomie  particulières,  comme  ceux  de  la  Passion  de  Bach  ou 
du  Slabat  de  Palestrina,  mais  ils  ne  forment  même  pas  un  chœur  à 
huit  voix,  les  parties  correspondantes  ss  doublant  presque  cons- 
tamment. 

A  celte  introduction,  qui  est  d'ailleurs  une  des  meilleures  pages 
de  l'oratorio,  succède  le  tableau  des  plaies  d'Egypte  :  un  air  et  plu- 
sieurs chœurs  à  prétentions  pittoresques,  dont  le  principal  intérêt 
est  de  nous  faire  savoir  que  la  musique  descriptive  a  fait  de  très 
grands  progrès  depuis  Hœndel,  bien  qu'aujourd'hui  encore  elle  ne 
soit  pas  la  marque  d'un  génie  très  profond.  Je  ne  puis, pour  ma  part, 
m'extasier  sur  le  dessin  des  violons  (une  croche  pointée  suivie  d'une 
double  croche  deux  fois  de  suite,  avec  un  grand  intervalle  ascen- 
dant entre  les  deux  groupes)  qui  représente,  paraîl-il,  les  'pas  des 
grenouilles — admirable  sujet  pour  un  penseur — ;  et  quant  aux  traits 
rapides  des  violons  figurant  le  bourdonnement  des  insectes,  je  n'y 
puis  voir  que  des  triples  croches,  que  d'ailleurs  on  n'entend  pas, 
étouffées  qu'elles  sont  sous  les  accords  des  voix  et  de  l'orchestre. 
Le  chœur  des  ténèbres  est  le  meilleur  de  la  série,  avec  ses  harmo- 
nies indécises,  ses  parties  qui  se  détachent  tour  à  tour,  s'éloignent 
une  à  une,  se  perdent  enfin;  mais  c'est  là  encore  un  effet  plus 
intellectuel  que  musical,  et  qui  ressort  bien  moins  à  l'audition  qu'à 
la  lecture.  Le  chœur  de  l'exode,  la  «célèbre  pastorale  d'/.sraëi  en 
Egypte  »,  nous  dit  le  programme,  renferme  une  charmante  phrase  dé 
quatre  mesures  qui  passe  tour  à  tour  dans  toutes  les  parties,  sans 
subir  d'ailleurs  dans  l'harmonie  ni  dans  la  forme  des  modifications 
de  nature  à  en  augmenter  l'intérêt  dans  ses  multiples  répétitions. 
Enfin,  la  musique  descriptive  reprend  le  dessus  avec  les  épisodes 
divers  du  passage  de  la  mer  Rouge,  cinq  chœurs  ou  doubles  chœurs, 
peu  développés  pour  la  plupart,  certains  d'un  rythme  assez  véhé- 
ment et  d'une  belle  sonorité,  mais  d'une  inspiration  d'ordre  secon- 
daire. 

La  seconde  partie  est  consacrée  aux  chants  d'actions  de  grâce  du 
peuple  de  Dieu;  et,  bien  que  le  sujet  ne  s'y  renouvelle  pas,  il  y  a 
plus  de  variété  au  point  de  vue  musical  dans  cette  partie  que  dans 
la  première,  par  la  double  raison  que  le  sujet  se  prête  davantage  à 
l'inspiration,  ei,  d'autre  pari,  que  le  compositeur  a  fait  appel  à  des 
éléments  d'exécution  plus  nombreux,  multipliant  les  chants  en  solo, 
faisant  dialoguer  les  voix  avec  le  chœur.  Trois  duos,  trois  airs  pour 
trois  voix  différentes,  des  récits  de  ténor  et  un  chœur  final  entonné 
d'abord  par  un  soprano  seul,  nous  avons  tout  cela  dans  cette  partie 
contre  cinq  chœurs  seulement,  tandis  que,  sur  les  treize  numéros  de 
la  première,  il  n'y  avait  qu'un  seul  air  et  deux  courts  récits,  tout  le 
reste  étant  en  chœur.  Je  ne  serais  pas  éloigné,  soit  dit  en  passant, 
de  voir  là  un  défaut  de  proportion  dans  l'ensemble  architectural.  Ce 
n'est  pas  à  Bach  que  l'on  aurait  jamais  de  semblables  reproches  à 
faire.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  cette  partie  de  l'œuvre  est  de  tons  un 
peu  moins  gris,  elle  n'est  pas  d'une  inspiration  notablement  supé- 
rieure. Les  deux  célèbres  duos  qu'on  nous  a  signalés,  l'un  pour 
deux  soprani,  l'autre  pour  deux  basses,  ont  pour  intérêt  principal 
la  curiosité  de  ces  combinaisons  peu  ordinaires,  mais  au  fond  ce 
ne  sont  que  des  morceaux  d'école  ;  et  si  nous  n'avions  pas  eu  à  la 
la  fin  un  air  de  contralto  qui,  lui  du  moins,  est  d'une  mélodie  ex- 
pressive et  douce,  d'un  dessin  ample  et  largement  développé  (je  l'ai 
déjà  signalé  en  commençant  cet  article),  je  serais  obligé  de  con- 
stater que  cette  seconde  partie  est,  dans  son  ensemble,  aussi  terne 
que  la  précédente.  Quelques  chœurs  de  louange,  particulièrement  le 
chœur  final,  sont  d'un  bon  caractère,  pleins,  sonores  et  majestueux; 
mais  ils  ne  révèlent  absolument  rien  de  nouveau  à  ceux  qui  con- 
naissent VAlleluia  du  Messie,  dont  le  rythme  principal  se  retrouve 
d'ailleurs  trois  ou  quatre  fois  en  divers  endroits  d'Israël  en  Egypte 
(et  encore  dans  d'autres  ouvrages),  comme  si  Hœndel  avait  été  si 
content  de  trouver  une  fois  ce  dessin  qu'il  se  soit  fait  une  loi  de 
le  replacer  partout  ! 

Hœndel  a  pour  qualités  dominantes  la  majesté,  la  noblesse;  mais, 
outre  que  ces  qualités  ne  sont  pas  celles  qui,  d'une  façon  générale, 
s'accordent  le  mieux  avec  le  goût  de  notre  époque,  on  peut  les  con- 
sidérer, particulièrement,  comme  exclusives  de  toute  émotion.  Et 
l'émotion,  n'est-ce  pas  h  principale  raison  d'être  de  la  musique? 
Et    c'est  cette  œuvre   si    peu  suggestive,  analysée  si  froidement. 


d88 


LE  MEiNESTUEL 


que  l'on  voudrait  metire  en  parallèle  avee  les  plus  grandes  concep- 
tions de  l'arl?  Ce  sont  ces  formules  d'école,  sous  lesquelles  rien  ne 
vibre,  que  l'on  comparerait  aux  chants  si  expressifs,  si  originaux, 
d'un  relief  si  puissant,  qui  abondent  dans  Bach?  ces  harmonies  in- 
signifiantes et  superficiell  es  qu'on  égalerait  à  sa  polyphonie  gé- 
niale ?  Avec  Bach  nous  vivons  dans  une  plénitude  de  jouissance 
presque  constante;  avec  Haendel,  dans  les  meilleurs  moments,  on 
ne  fait  qu'en  approcher.  El  cependant  c'est  Htendel  qui,  longtemps, 
a  passé  pour  le  premier.  Pourquoi?  Tout  simplement  à  cause  de 
ses  formes  plus  simples,  plus  accessibles  à  la  moyenne  et  en  même 
temps  suflisammenl  sévères  pour  en  imposer.  Mais  maintenant  que 
la  lumière  s'est  faite,  que  la  langue  musicale  de  Bach  nous  est  enfin 
devenue  familière,  qui  voudrait  encore  lui  conserver  ce  rang?  El 
que  l'on  n'objecte  pas  qu'un  tel  jugement  est  diclé  par  une  préfé- 
rence pour  des  formes  compliquées,  la  forme  n'est  qu'une  chose 
secondaire,  et  ce  n'est  pas  de  formes  qu'il  est  question  ici,  mais  de 
ce  qu'elles  expriment,  de  ce  qu'elles  recouvrent.  Mozart  est,  dans 
ses  formes,  aussi  simple,  peut-être  plus  simple  que  Hœndel  ;  et  il  lui 
est  supérieur,  parce  qu'il  est  génial.  Son  contemporain  Rameau,  élevé 
à  une  autre  école,  moins  bonne  incontestablement,  n'est  certes  pas 
aussi  recommandable  pour  les  formes  extérieures;  mais  il  y  a  en 
lui  une  autre  abondance  de  sève,  d  inspiration,  de  vie  musicale,  et, 
même  au  point  de  vue  harmonique,  Hœndel  n'a  rien  fait  qui  approche 
de  son  trio  des  Parques,  une  création  géniale,  car  elle  est  toute  spon- 
tanée et  conçue  sans  aucun  modèle.  Dans  Hcendel,  jamais,  ou  du 
moins  très  rarement,  on  ne  trouve  cet  accent  profond,  venu  du  cœur, 
qui  donne  le  frisson  et  d'oii  viennent,  en  réalité,  tout  le  relief  et  la  vie 
dont  sont  animées  les  œuvres  des  grands  maîtres,  les  forts  comme 
les  simples,  les  savants  comme  les  ignorants,  Palestrina,  Bach, 
Beethoven,  Gluck,  Wagner,  Berlioz,  Sehumann.  Le  nom  d'Hœndel 
ne  mérite  pas  d'être  cité  parmi  ces  grands  noms.  La  Créationd'Hajdn 
est  une  œuvre  infiniment  supérieure  à  Ismël  en  Egypte,  Joseph  de 
Méhul  aussi.  Je  sais  quelques  compositions  chorales  de  Gossec  où 
il  y  a  une  inspiration  plus  haute  et  plus  spontanée.  Et  si,  dans 
cette  galerie  des  musiciens,  nous  cherchons  la  place  qui  convient 
définitivement  à  Hœndel,  nous  la  trouverons  parmi  quelques  bons 
musiciens  d'école  avec  lesquels  il  est  fait  pour  s'entendre,  comme 
Durante,  Gatel  et  Gherubini. 

Telles  sont  les  réflexions  que  nous  inspire  l'œuvre  exécutée  par  la 
Société  des  grandes  auditions  musicales.  Elles  seraient  évidemment  un 
peu  différentes  si  nous  eussions  entendu  les  compositions  plus 
classiques  de  Hœndel,  le  Messie  et  Judas  Macchabée.  Nous  n'oublions 
pas  non  plus  qu'il  a  laissé  un  certain  nombre  d'admirables  airs 
d'opéras  italiens,  rares  mais  glorieuses  épaves  d'innombrables  pro- 
ductions que  l'on  fera  bien,  d'ailleurs,  de  laisser  reposer  à  tout 
jamais,  dans  l'intérêt  de  sa  gloire.  Car  ce  qui  ressort  surtout  de  la 
nouvelle  expérience,  c'est  que  Hœndel  n'a  qu'à  gagner  à  rester 
uniquement  l'auteur  de  quelques  pages  connues  et  justement  admi- 
rées: le  reste  de  son  œuvre  no  peut,  semble-t-il,  que  causer  une 
désillusion.  Déjà,  on  l'avait  éprouvé  l'année  dernière  quand  la  Société 
des  concerts  avait  fait  entendre  son  Ode  à  sainte  Cécile,  qui  compte 
cependant  parmi  ses  œuvres  généralement  admirées.  Et  cela  encore 
fournira  un  dernier  trait  à  notre  parallèle  entre  Bach  et  Hœndel  : 
tandis  que,  pour  Baeh,  toute  œuvre  nouvellement  connue,  de  quel- 
ques nature  qu'elle  soit,  cantate,  motet  d'église,  pièce  d'orgue,  etc., 
nous  révèle  invariablement  de  nouveaux  trésors,  pour  Hœndel,  au 
contraire,  chaque  nouvelle  audition  ne  fait  que  diminuer  pour  nous 
l'admiration  que  les  générations  précédentes  lui  avaient  vouée. 

n  est  assez  singulier  que  la  même  mésaventure  soit  arrivée  l'an- 
née dernière,  à  Berlioz,  avec  Béatrice  et  Bénédict,  dont  la  représenta- 
tion n'avait  rien  ajouté  à  sa  gloire,  au  contraire.  C'était  également 
à  la  Société  des  grandes  auditions  musicales  qu'était  dû  ce  résultat. 
Je  ne  fais  d'ailleurs  qu'indiquer  cette  coïncidence  :  les  bonnes  in- 
tentions de  cette  société  ne  sont  pas  douteuses,  ses  moyens  d'action 
sont  assez  puissants,  et  il  faut  espérer  qu'à  sa  troisième  tentative, 
l'expérience  aidant,  elle  réussira  enfin  pleinement. 

Julien  Tiersot. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU      SALON     DU      GH  AMP-DE-MARS 
(Deuxième  article.) 


Il  serait  au  moins  inutile  de  chercher  un  classement  méthodique 
des  tableaux  de  genre  du  Ghamp-de-Mars  touchant  de  près  soit  à  la 
la  musique,  soit  au  théâtre  :  on  ne  peut  guère  qu'indiquer  en  passant 


les  pages  principales  d'une  carte  d'échantillons  assez  variée  :  l'allé» 
gorie  bonne  enfant  et  savoureuse,  avec  «la  Musique»  de  M.  A.  P. 
Lucas,  jeune  personne  grassouillette  et  décolletée  par  en  haut 
comme  par  en  bas,  s'appuyant  sur  une  harpe  polychrome  ;  les  effets 
de  clair-obscur  avec  le  curieux  tableautin  de  M.  Zorn,  «  Dans  un 
bal»  oîi  la  pénombre  de  la  salle  oii  l'on  danse  lutte,  sans  aucun 
avantage,  contre  le  grand  reflet  électrique  du  hall  voisin  ;  l'anec- 
dotisme  avec  «La  leçon  de  chant  dans  une  école»  de  M.  Melckers; 
la  «Novillada»  sur  la  place  d'un  village  guiposcoan  de  M.  Colin;  le 
coin  de  bastringue  montmartrois  de  M.  Casas;  la  chanson  de 
M.  Anthonissen  ;  les  arènes  d'Arles  violemment  ensoleillées  de 
M.  Montenard;  la  fantaisie  mystico-chimiqne  avec  «  la  Chimère  » 
de  M.  Péon  aux  tons  de  vert-ie-gris  et  de  saphir;  la  peinture  de 
mode  avec  le  Five  o'clock  de  M""  Madeleine  Lemaire  —  qui  expose, 
non  loin  de  là,  les  plus  merveilleuses  groseilles!  —  l'intimité  mo- 
derniste avec  le  «Bal  blanc»  de  M.  Prinet,  une  demi-douzaine  do 
jeunes  filles  tourbillonnant  en  famille;  la  mise  eu  scène  théàtiale 
avec  le  «Baturro»  et  les  contrebandiers  si  pittoresques  de  M.  Damât 
—  oh!  la  jolie  indication  pour  un  rajeunissement  de  Carmen  — ; 
le  «Figaro»  de  M.  Comtois,  panneau  pour  l'Odéon;  l'agréable  poupée 
au  maintien  un  peu  raide,  mais  si  charmante  comme  modèle  de 
porte-paniers,  que  M.  Toudouze  a  costumée  en  marquise  ;  enfin  la 
symphonie  picturale  avee  l'étonnante  marine  que  M.  Whistler,  le 
plus  remarquable  des  peintres  de  l'école  américaine,  intitule  «Har- 
monie en  vert  et  opale  »,  une  mer  opalisée,  un  ciel  d'un  vert  mou- 
rant ramené  par  dégradations  insensibles  aux  tonalités   du  flot. 

Saluons  au  passage  les  peintres  militaires  (ils  sont  deux)  :  Coutu- 
rier avec  ses  «  Signaux  eu  escadre  »  et  son  «  Contre-ordre  pendant 
la  halte  »,  et  Dagnan-Bouveret  dans  les  «  Conscrits  de  village  »  d'une 
fière  allure,  d'un  prodigieux  accent  de  vérité,  défilant  au  son  du 
tambour,  et  arrivons  au  portrait,  la  gloire  solide,  le  triomphe  de 
l'école  française  au  Palais  de  l'Industrie.  En  tête,  M.  Carolus  Du- 
ran,  impeccable,  admirable  dans  les  portraits  d'homme,  plus  prompt 
à  la  formule  dans  les  figures  de  grandes  mondaines.  Le  portrait 
de  M.  Gounod  est  vivant  et  vibrant,  avec  nue  flamme  au  regard. 
Par  contre,  un  peu  trop  de  «  modisme  »  dans  les  six  portraits  de 
femme  :  madame  G..,,  robe  jaune  ;  miss  L....  robe  rose  ;  madame  P..., 
robe  violette,  etc.,  etc.  M.  Duez  a  merveilleusement  réuni  les 
grandes  figures  en  sor  ie  de  bal  qu'il  intitule  «  Souvenir  d'une  fête 
à  l'Elysée  ».  Les  Parisiennes  de  M.  Alfred  Steveus,  verticales,  hori- 
zontales, levées,  couchées,  au  boudoir,  faisant  la  causette  avec  un 
papillon  bleu  aussi  docile  que  s'il  était  en  satin  découpé  ou  déguisées 
en  Ophélies  sentimentales,  ne  valent  pas  la  saisissante  élude  por- 
tant le  titre  de  la  «  Femme  en  jaune  ».  M.  Carrière  habite  unnuage 
comme  les  dieux  d'Homère,  mais  un  nuage  singulièrement  moder- 
nisé, teinté  de  suie,  noir  en  brouillard  de  Londres.  Et  dans  cette 
brume  inhabitable  pour  le  ommun  des  mortels  il  peint  en  ar- 
tiste rare  des  portraits  infiniment  curieux,  sinon  très  flatteurs 
pour  le  modèle,  par  exemple  cet  Alphonse  Daudet  cadavérique,  dif- 
fluent,  déliquescent,  étendu  sur  un  canapé  auprès  de  si  fillette.  Oh! 
le  portrait  douloureux  et  qui  fait  songer!  Plus  loin.  M,  Carrière 
nous  montre  M.  Paul  Verlaine,  le  poète  symboliste,  bénéliciaire 
d'une  représentation  récente.  M.  Besnard  n'a  pas  trop  gâté  à  force 
de  colorations  chimiques  les  beaux  portraits  de  jeunes  filles,  har- 
monieux cependant  et  dans  la  gamme  la  plus  éclatante,  la  plus 
joyeusement  vibrante,  avec  un  paysage  quasi  fantaslique  où  les  fleurs 
s'épanouissent  en  fusées  de  feu  d'artifice.  De  M.  Blanche,  dont  la 
manière  s'appesantit  ou  plutôt  s'écrase,  deux  portraits  toujours 
intéressants  mais  bien  lourds,  de  M,  Maurice  Barres  et  du  roman- 
cier anglais  M,   Moore. 

Le  «  Sur  Peladan  »  de  M.  Marcelin  Desboutins  est  très  remarqué, 
ou  sou  veston  de  satin  noir  à  plis.  M.  Desboutins  a  fait  bien  cu- 
rieusement ressortir  le  contraste  de  ce  bonnet  à  poils,  de  ce  paquet 
de  fourrure  d'oii  émerge  le  faciès  du  «  sàr  »  avec  la  niaiserie  quasi 
enfantine,  la  radicale  insignifiance  des  traits  du  modèle.  De  M.  André 
Pinet  une  Yvette  Guilbert  sur  la  scène,  qui  fait  penser  aux  bonnes 
affiches  de  Chéret, 

Et  combien  d'autres  portraitistes  mériteraient  mieux  qu'une  men- 
tion rapide!  M.  V.  Veerts,  qui  nous  montre,  entre  autres  études 
d'une  grande  intensité  de  vie,  M.  Paul  Ollendort!,  M.  Dietz-Mon- 
nin,  etc.  ;  M.  Botdini,  peintre  réaliste  des  Parisiennes  qui  ne 
tiennent  pas  à  être  embellies;  M.  Toulmouche  et  ses  études  de 
femmes  ;  M.  Zorn  et  son  grand  portrait  de  M.  Spuller;  M.  Whistler 
et  la  femme  en  noir;  M.  Roudel  et  son  intéressant  Arthur  Meyer  ; 
M.  Boulet  de  Monvel  et  la  charmante  figure  de  jeune  fille  qu'il 
détache  sur  un  rideau  Pompadour;  M.  Friant,  dont  les  «  Ombres 
portées  »  —    une    admirable   scène  d'adieux   —    valent    beaucoup 


LK  MENLSTREL 


189 


mieux  que  les  très  lourds  Coquelin  aîné  et  Jean  Coquelin;  M.  Meu- 
nier et  le  portrait  de  Coquelin  Cadet,  en  Thomas  Diafoirus.  Signalons 
encore  l'Henry  Maret  de  M.  Leba^le  et  l'Ernest  Renan  de  M.  Ary 
Renan.  Mais  le  temps  presse,  et  il  serait  injuste  de  sacrifier  com- 
plèlement  la  série  des  dessins  et  cartons.  De  M.  José  Engel,  un 
beau  fusain  d'après  le  violoncelliste  Jacob  ;  de  M.  Carrier-Belleuse 
d'intéressants  pastels  do  danseuses  pris  sur  le  vif...  du  maillot; 
de  M.  Bélhuue  un  bon  pastel,  «  Matinée  musicale  »  ;  de  M.  Jean 
Béraud,  autre  pastel  :  le  Vieux  Comédien;  une  suite  de  dessins  de 
M.  Castel,  études  de  chefs  d'orchestre.  Dans  le  petit  clan  des 
miniaturistes,  —  ces  philosophes  du  portrait,  habitués  à  se  con- 
tenter de  peu  et  à  tenir  encore  moins  de  place  —  un  cadra  de 
M.  Dinaumare  contenant,  entre  autres  célébrités,  Yvette  Guilbert 
et  M.  Xanroff.  Les  graveurs  ont  apporté  aussi  un  sérieux  appoint 
à  l'exposition  du  Champ-de-Mars  :  de  M.  Decisyla  Leçon  de  danse, 
une  remarquable  eau-foric  d'après  le  tableau  de  Prinet;  de  M.  Lau- 
zel,  une  lithographie  d'après  Monticelli,  Faust  au  jardin  ;  enfin  de 
M.  Auguste  Morse,  la  musique  sacrée  et  la  musique  profane  d'après 
Dubufe  et  une  Ophélie  d'après  Rosset-Granger. 

Quant  à  la  sculpture  du  Champ-de-Mars,  elle  n'est  pas  pauvre, 
comme  on  l'avait  dit  tout  d'abord;  elle  est  rare,  et  dans  le  meil- 
leur sens  de  l'épithète.  En  première  ligne,  une  belle  allégorie 
de  M.  Hugues, —  qui  expose  aussi  un  buste  très  vivant  du  maître 
Ernest  Reyer  —  l'Immorlalité.  De  M.  Mulot  une  Armide  élégante  et 
classique;  de  M.  Desbois,  à  titre  de  contraste,  une  Léda  presque 
naturaliste;  de  M.  Peler  une  rêverie  de  Muse: 

Dans  un  léger  sommeil  elle  rêvait  encore 
Aux  éclats  du  Parnasse,  aux  héros  de  la  Grèce, 
A  la  sage  Minerve,  à  la  bonne  déesse, 
A  l'Hellade  au  ciel  d'or... 

Parmi  les  morceaux  de  statuaire  sortant  de  la  banalité  courante, 
la  Bacchante  en  bronze  que  M.Jean  Dampt  a  achevée  après  la  mort 
de  son  auteur  Etcheto;  l'Orphée,  également  en  bronze,  de  M.  Tony 
Noël;  l'Hermès  et  Bacchus  de  M.  Granet;  la  Mélancolie  d'Injal- 
bert.  M.  Ddlou  expose  une  fontaine,  «  scène  bachique  »,  qui  donne 
l'impression  très  nette,  je  ne  dirai  pas  d'une  réminiscence,  mais 
d'une  résurrection  de  Garpeanx.  Et  des  bustes,  des  bustes!  M""  Mo- 
reno,  par  Dampt;  Albert  Wolfif,  par  Dalou;  Alphand,  par  Coutau; 
Pu  vis  de  Cha  vannes,  par  Rodin;  Coquelin  cadet,  par  Bourdelle,  qui 
nous  a  donné  Félicien  Champsaur  moins  réussi.  Ailleurs,  de  nom- 
breux et  pittoresques  médaillons  d'auteurs  contemporains,  depuis 
Théodore  de  Banville  jusqu'à  Léon  Hennique,  par  M.  Alexandre 
Charpentier.  Il  fallait  bien  que  la  littérature  eill  un  petit  coin, 
modeste  d'ailleurs,  etdisciet,  ce  dont  ne  se  contenterait  aucun  des 
comédiens  choisis  pour  modèles  par  les  peintres  ou  les  statuaires 
du  Champ-de-Mars. 

Camille  Le  Senne. 


NAPOLEON  DILETTANTE 


VII 
L'OPÉRA 

(Suite.) 

Pour  Lesueur,  les  choses  allèrent  différemment,  oncore  que  le 
choix  de  Paisiello  ait,  comme  nous  l'avons  dit,  quelque  peu  surpris 
Bonaparte,  qui  ne  connaissait  Lesueur  que  par  ses  démêlés  avec  le 
Conservatoire.  Mais  celui-ci,  très  protégé  par  plusieurs  dames  de 
l'ancien  régime,  notamment  par  M"""  de  Montcsson,  ancienne  épouse 
ÏDorganatiqiie  du  duc  d'Orléans  et  tante  de  M™'  de  Genlis,  devint 
promplement  le  commensal  et  l'habitué  de  la  Malmaison. 

Les  Bardes  virent  alors  se  dissiper  les  nuages  qui  s'opposaient  à 
leur  épanouissement.  Cependant,  le  premier  consul  conservait  encore 
des  doutes  sur  le  succès  possible  de  cet  ouvrage  ;  car,  un  aperçu 
des  dépenses  prévues  pour  sa  mise  en  scène  lui  ayant  été  soumis, 
il  répondit  «  que  ces  dépenses  lui  paraissaient  bien  fortes,  surtout 
cet  opéra  ne  devant  être  donné  qu'en  été.   » 

Les  Bardes  ne  furent,  en  effet,  représentés  que  pendant  la  belle 
saison  de  1804.  Mais  le  succès  s'en  dessina,  tout  aussitôt,  si  vigou- 
reusement, qu'on  cria  presque  au  Messie,  et  que  tout  le  reste  de  la 
musique  et  des  musiciens  sembla  disparaître  devant  cet  événement 
inattendu.  Au  sortir  de  la  représentation,  le  peintre  David  écrivait 
a  l'auteur  :  «  Quand  mon  pinceau  commencera  à  se  geler,  mon  âme 
à  se  glacer,  j'irai  réchauffer  l'un  et  l'autre  aux  sons  brûlants  de  votre 


lyre.  »  Quant  à  Napoléon,  il  était  enthousiasmé,  ravi.  Peu  de  temps 
après,  il  fit  remettre  à  Lesueur  une  boite  en  or,  avec  ces  mots, 
à  l'intérieur  :  L'empcriur  des  Français  à  l'auteur  des  Bardes. 

Ce  fut  Marco  de  Saint-Hilaire  qui  fut  chargé  par  l'impératrioa 
de  porter  cette  tabatière,  «  qui  pesait  au  moins  une  demi-livre.  » 
Sa  visite  chez  Lesueur  mérite  notre  attention  : 

«  J'ai  trouvé,  nous  apprend-il,  le  célèbce  compositeur  dans  un 
petit  appartement,  au  cinquième  étage,  de  la  rue  Sainte-Anne,  que 
je  pourrais  qualifier  de  plus  que  modeste.  Ce  qui  m'a  le  plus  sur- 
pris, c'est  qu'au  lieu  de  trouver  un  magnifique  piano,  comme  en 
ont  ordinairement  ceux  qui  en  touchent  supérieurement,  ou  qui  n'en 
savent  pas  jouer  du  tout,  je  n'ai  aperçu  dans  un  coin  de  la  pièce 
qu'une  vieille  et  miséiable  épinette,  sur  laquelle  une  petite  fiUe  de 
cinq  ou  six  ans,  belle  comme  un  Amour,  promenait  déjà  ses  mains 
enfantines. 

»  J'ai  été  parfaitement  reçu  par  M.  Lesueur,  qui  m'a  paru  un 
excellent  homme.  Il  a  commencé  par  décacheter  la  lettre  que  je  lui 
ai  présentée. 

»  Ensuite,  ayant  ouvert  la  boite  qui  était  dans  son  étui,  pour  voir 
le  contenu,  il  trouva  douze  billets  de  caisse  tout  neufs,  de  mille 
francs  chacun.  C'est  sans  doule  Id  raison  pour  laquelle  j'avais  trouvé 
la  boîte  si  lourde,  car  je  n'avais  même  pas  eu  la  curiosité  de  l'ou- 
vrir avant  de  la  lui  remettre. 

»  Comme  si  M.  Lesueur  eût  voulu  me  faire  à  son  tour  un  cadeau 
qui  ne  laissât  pas  d'avoir  son  prix,  il  me  présenta  sa  petite-fille,  à 
qui  je  donnai  un  baiser  sur  chacune  de  ses  joues,  qui  avaient  tout 
le  velouté  de  la  plus  belle  pêche  »...  C'est  cette  erfant  qui  deviut  plus 
lard  M°"  Orfila,  dont  le  salon  musical  l'ut  si  renommé. 

Lesueur  et  le  parti  de  la  cour  avaient  donc  gagné  la  partie.  Mais 
le  Conservatoire  ne  se  tint  pas  pour  battu. 

Il  faut  dire  que  le  premier  consul  avait  eu,  dans  son  désir  de  bien 
faire,  la  malencontreuse  idée  d'instituer  un  jury  chargé  de  pronon- 
cer sur  le  mérite  des  ouvrages  présentés  à  l'Académie  impériale  de 
musique,  et  en  général  sur  toutes  les  questions  intéressant  la  pros- 
périté de  notre  première  institution  musicale.  Ce  jury  fonctionnait 
sous  la  présidence  de  l'intendant  des  menus-plaisirs.  Papillon  dé 
la  Ferté,  —  le  même  qui,  d.ins  la  suite,  au  commencement  de  la 
Restauration,  disait  à  M"'=  Mars,  au  foyer  de  la  Comédie  : 

—  Eh  bien,  mademoiselle,  vous  serez  donc  toujours  bonapartiste? 
Ce  qui  lui  valut  cette  réponse  : 

—  Oui,  monsieur^  tant  que  les  papillons  ne  seront  pas  des  aigles. 
Ce  jury,  parmi  ses  attributions,    était   chargé    de    distribuer  l'un 

des  neuf  grands  prix  de  10,000  francs,  «  attribué  au  compositeur  du 
meilleur  opéra  représenté  surlethéât'e  de  l'Académie  impériale  de 
musique,  »  parmi  les  prix  ilécinnaux  décrétés  à  Aix-la-Chapelle,  le 
24  fructidor  an  XII,  —  li  septembre  1804. 

L'opinion  désignait  Lesueur  pour  celte  récompense.  Aussi  fut-on 
surpris  lorsque  le  verdict  du  jury  tomba  sur  un  autre  compositeur. 
En  apprenant  cette  décision.  Napoléon  entra  dans  une  vive  colère 
et  décida  qu'on  ne  décernerait  pas  de  prix. 

Un  nouvel  incident  ne  tarda  point  à  se  produire,  qui  donna  le 
coup  de  grâce  à  ce  jury  trop  partial.  Un  compositeur  qui,  après 
avoir  été  sifllé  à  l'Opéra-Comique,  avec  la  Petite  Maison,  avait  obtenu 
un  succès  à  l'Opéra,  avec  Milton,  s'avisa  d'apporter  à  ce  théâtre  nn 
nouvel  ouvrage,  la  Vestale. 

Cette  outrecuidance  d'un  Italien,  —  car  ce  récidiviste  s'appelait 
Spontini,  —  déplut  souverainement  à  l'aéropage  de  la  salle  Louvois, 
qui,  d'un  trait,  condamna  la  Vestale,  dont  il  répiouvait  «  l'extrava- 
gance du  style,,  la  hardiesse  des  innovations,  l'abus  des  moyens 
sonores  et  la  dureté  de  quelques  ressources  d'harmonie.   » 

Désespéré  de  ce  verdict  qui  menaçait  son  avenir,  le  jeune  maître 
courut  chez  Lesueur,  et  lui  soumit  sa  partition.  Celui-ci  no  partagea 
point  l'opinion  du  jury,  mais  signala  des  longueurs  ;  et  comme 
Spontini  déclarait  qu'il  se  perdait  dans  tout  co  dédale  de  critiques, 
l'auteur  des  Bardes  lui  proposa  de  faire  mettre  son  œuvre  au  point 
par  Persuis,  chef  des  choeurs  de  l'Opéra. 

Ce  Persuis,  dont  le  nom  est  maintenant  bien  oublié,  s'était  illustié 
par  une  cantate  «  en  l'honneur  de  l'armée  el  de  son  illustre  chef  », 
après  la  grande  campagne  d'Italie.  Il  est,  en  outre,  l'auteur,  en 
collaboration  avec  Lesueur,  et  pour  les  paroles,  avec  Esménard, 
tous  deux  désignés  "par  Fouché,  préfet  de  police,  de  l'opéra  le 
Triomphe  de  Trajan,  commandé  par  ce  dernier,  pour  ajouter  à  l'éclat 
des  fêtes  auxquelles  assista  l'empereur,  victorieux,  à  son  retour, 
après  la  paix  de  Tilsitt. 

Esménard  avait  pris  pour  sujet  le  trait  de  clémence  de  Napoléon, 
cédant  aux  prières  de  la  princesse  de  Hatzfeld,  et  biûlant  les  papiers 
qui  établissaient  la  trahison  de  son  mari.  Mais  la  pièce  manqua  son 


[90 


LE  MÉNESTREL 


but  et  causa  les  plus  grands  désagréments  à  Fouché,  ainsi  qu'il 
résulte  de  ce  passage  des  Mémoires  de  son  successeur,  Savary,  duc 
de  Rovigo  : 

Cl  Cet  opéra  plut  beaucoup  par  le  spectacle  magnifique  qui  y  était 
étalé  et  par  tout  ce  que  les  grâces  et  les  talents  des  incomparables 
actrices  de  ce  théâtre  peuvent  offrir  de  mieux  dans  ce  genre.  La 
musique  eut  le  même  succès,  mais  la  louange  était  trop  directe  et 
ue  plut  point.  On  aurait  dû  mettre  plus  de  tact  dans  la  manière  de 
l'adresser.  Aussi,  l'empereur  ne  put-il  en  supporter  la  représentation  ; 
et  cependant  il  eut  plusieurs  fois  l'occasion  d'entendre  dire  qu'on 
lui  imputait  d'avoir  donné  l'ordre  de  faire  cet  opéra.   » 

La  marche  triomphale  de  Trajan  devint  populaire.  Elle  est  de 
Lesueur,  ce  qui  n'empêcha  pas  Persuis  de  s'en  attribuer  la  paternité, 
comme  il  fit  peu  à  peu  pour  tout  l'ouvrage.  . .  Dernier  détail  curieux: 
Napoléon  était  encore  à  Fontainebleau,  que  l'Opéra,  pour  recevoir 
solennellement  l'empereur  Alexandre  et  le  roi  de  Prusse,  crut  devoir 
monter  le  Triomphe  de  Trajan:  mais  on  avait  compté  sans  le  tzar,  qui 
refusa  d'entrer  dans  la  salle  si  l'on  jouait  cet  opéra,  sa  modestie 
ne  lui  permettant  pas  de  se  laisser  traiter  de  Trajan.  Il  fallut  jouer 
la  Vestale. 

Mais  revenons  à  cet  ouvrage.  Après  les  retouches  et  les  sup- 
pressions de  Persuis,  le  jury,  humanisé,  donna  son  introït  à  cet 
oiseau  rare,  —  qui,  pour  cela,  ne  s'envola  pas  aussi  facilement 
qu'on  pourrait  le  croire. 

Lesueur  avait  en  répétition  à  l'Opéra  la  Mort  d'Adam,  vieille 
déjà  de  bien  des  années.  Elle  était  prête  à  passer.  Mais  le  sort  de 
Lesueur  était  ■  d'attendre,  —  d'attendre  toujours.  Un  beau  matin, 
Spontini  tombe  chez  lui.  Sa  Vestale  ai  reçue,  il  faut  qu'elle  passe! 
Bn  étranger  doit  avoir  le  pas  sur  un  Français  :  c'est  la  règle!... 
Lesueur  s'insurge  quelque  peu,  car,  après  tout,  il  a,  lui,  charge 
d'âme  et  de  réputation...  Mais  Spontini  ne  veut  rien  entendre... 
il  vole  à  Sdint-Cloud,  se  précipite  aux  pieds  de  Joséphine,  implore, 
supplie,...  l'impératrice  se  laisse  émouvoir,  elle  fait  venir  Lesueur, 
et  finalement  la  Vestale  prend  le  pas  sur  la  Mort  d'Adam,  qui  ne 
passa  que  deux  ans  après. 

Napoléon  avait  eu  beau  écrire,  le  2-j  aotit  1807,  à  Luçay.  son 
premier  préfet  du  palais,  chargé,  comme  on  le  sait,  de  la  surveil- 
lance et  de  la  direction  de  l'Opéra  :  «  Je  ne  veux  pas  qu'on  joue 
la  Vestale;  je  pense  qu'il  est  convenable  de  donner  la  Mort  d'Adam, 
puisqu'elle  est  prèle  »,  l'opéra  de  Spontini  l'emporta. 
•  On  sait  son  succès  sans  précédent  à  l'Opéra.  La  Vestale  a  fourni 
matière  à  dos  flots  d'encre  et  de  larmes.  Et  finalement,  pour  ce  qui 
nous  concerne,  Spontini  dédia  sa  partition  à  l'impératrice,  qui  lui 
donna  une  épingle  de  grande  valeur  et  lui  continua  ses  bontés 
dans  toutes  les  occasions,  ce  dont  il  se  montra  reconnaissant,  car, 
après  son  divorce,  il  resta  l'ami  dévoué  de  Joséphine. 

Puis  vint  Fernand  Cortez. 

Mais  nous  n'avons  pas  la  prétention  d'écrire  l'histoire  artistique 
de  l'Opéra.  Les  seuls  faits  de  Napoléon  dilettante  nous  intéressent; 
et  sous  ce  rapport,  pour  l'Opéra  seulement,  nous  avons  à  glaner 
dans  cette  encyclopédie  trop  peu  connue,  et  qui  servirait  à  vingt 
monographies  comme  la  nôtre  :  la  Correspondance  de  Napoléon. 

On  verra,  dans  le  chapitre  qui  va  venir,  combien  l'empereur,  au 
milieu  des  préoccupations  les  plus  diverses,  revenait  toujours,  par 
prédilection,  lui,  le  grand  acteur,  aux  moindres  détails  des  choses 
du  théâtre  et  de  la  musique. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Palx  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres,  (11  juin): 

Lundi  Manon,  mardi  les  Huguenots,  mercredi  Mireille,  jeudi  Faust,  ven- 
dredi Bornéo  et  samedi  Carmen,  voilà  le  répertoire  de  la  semaine  à  Covent- 
Garden,  qui  porte  toujours  l'étiquette  d'Opéra  Royal  Italien.  Il  convientaussi 
d'ajouter  que  quatre  de  ces  ouvrages  ont  été  chantés  en  français. 

Mireille  a  souvent  reparu  sur  l'affiche  à  Londres.  La  plus  récente  de  ces 
reprises,  en  1887,  avait  été  tripatouillée  par  M>^^  Nevada,  qui  introduisait 
au  premier  acte  l'air  du  Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil,  renvoyant  la  valse 
tout  à  lait  au  dénouement.  En  remontant  l'ouvrage  en  français  cette  saison, 
M.  Harris  avait,  dit-on,  Tintention  de  rétablir  les  deux  tableaux  généra- 
lement supprimés  ici  :  «  le  'Val  d'Enfer  »  et  «  Le  Hhône  ».  Le  premier 
seul  a  été  exécuté  hier  soir,  mais  l'indisposition  de  M.  Maurel  est  peut- 
fttre  responsable  delà  suppression  du  second.  Le  rôle  de  Mireille  convient 
peu  à  la  nature  impassible  de.  M"'  Eames  :  trop  d'ombres  dans  ce  person- 


nage ensoleillé.  La  jeune  ai'tiste  a  eu  pourtant  de  bons  moments  dans  1b 
grand  air,  ainsi  que  <lans  le  duo  du  dernier  acte;  par  contre,  elle  a  voca- 
lisé un  peu  lourdement  la  valse  et  elle  a  manqué  de  charme  et  de  finesse 
dans  la  cavatine,  très  difTicile  d'ailleurs,  «  Heureux  petit  berger  ».  M.  Lu- 
bert  a  chanté  avec  beaucoup  de  goiit  et  de  chaleur  le  rùle  de  Vincent.' 
M.  Geste,  qui  remplaçait  au  dernier  moment  M.  Maurel,  a  encore  une  l'ois 
péché  par  un  excès  de  zèle.  Il  abuse  vraiment  de  son  organe  généreux; 
le  public  lui  saurait  gré  d'un  peu  de  modération.  M"°Passama  a  dit  d'une 
façon  intelligente  la  chanson  si  pittoresque  de  Taven  ;  un  bon  point  aussi 
à  M"=  Pinkert,  pour  sa  romance  du  pâtre.  Ce  li'est  pas  de  la  faUtede  M.  Isnar- 
don  s'il  a  été  chargé  du  rôle  de  maître  Ramon,  qui  est  au-dessus  de  ses 
moyens.  Je  tairai  pour  la  même  raison  le  nom  de  l'artiste  auipiel  on  a 
confié  le  rôle  de  maître  Ambroise.  L'orchestre  a  joué  cette  fois  avec  une 
discrétion  très  louable,  mais  M.  Bevignani,  en  pressant  les  mouvements, 
a  compromis  l'etîet  du  délicieux  chœur  d'entrée,  ainsi  que  celui  du  duo  de 
«  Magali  »,  et  je  m'explique  dilficilement  la  coupure  inattendue  dans  la 
strette  du  finale  du  deuxième  acte,  une  des  [lages  les  plus  dramatiques  de 
Gounod.  La  direction  ne  s'est  pas  mise  en  grands  frais  pour  cette  reiu'ise, 
et  plusieurs  détails  de  mise  en  scène  Jaissent  à  désirer.  Il  convient  sur- 
tout de  protester  contre  le  décor  du  premier  acte  de  Tannlmuser,  (jui  a  été 
chargé  de  représenter  la  côte  provençale  au  dernier  tableau. 

Les  études  du  prochain  Festival  Hœndel  au  Grystal  Palace  avancent 
rapidement.  La  répétition  générale  aura  lieu  le  19  juin 'et  les. trois  séances 
les  22,  24  et  26  juin,  avec  le  programme  suivant: 

23  juin,  le  Messie  :  24  juin,  Fragments  diyers  de  Acis  et  Gakithée,  Jcphté, 
Samson,  Salonion,  etc.,  etc.;  26  juin,  Israël  en  Egypte. 

Les  principaux  solistes  engagés  sont:  M'""  Albani,  Macintyre,  Nordica, 
Mackenzie,  Belle  Golè,  MM.  Lloyd,  Mac  Guckin,  Santfey  etc.  Organistes, 
MM.  Best  et  Eyre.  Choeurs  et  orchestre,  en  tout  quatre  mille  exécutants, 
sous  la  direction  de  M.  Manns.  A.  G.  N. 

—  Voici  un  exemple  de  sympathie  artistique  que  certains  critiques  ne 
seraient  peut-être  pas  fichés  de  voir  se  généraliser  quelque  peu.  M.  Clé- 
ment Scott,  le  critique  bien  connu  qui  fait  au  Daily  Telégraph  la  chronique 
dramatique,  et  M.  Willie  Wilde,  un  musicographe  autorisé,  viennent'de 
recevoir  un  legs  assez  curieux  et  fort  inattendu.  On  les  a  prévenus,  ces 
jours  derniers,  que  miss  Drew,  une  très  belle  et  très  sentimentale  dilet- 
tante, était  morte,  laissant,  au  premier,  une  somme  de  300.000  francs,  au 
second,  ses  instruments  de  musique,  piano  à  queue,  harpes,  etc.,  «  en 
reconnaissance  des  bonnes  heures  que  lui  avait  fait  passer  la  lecture  de 
leurs  articles  de  théâtre  ».  Miss  Drew  était  passionnée  pour  l'art  drama- 
tique, et  elle  ne  manquait  pas  une  seule  première  depuis  quelques  années. 

—  Une  vente  très  importante  d'autograpbes  de  musiciens  a  eu  lieu 
récemment  à  Londres.  Quelques-unes  des  pièces  ont  atteint  des  pri.\:-te:èB 
élevés;  nous  citerons  particulièrement  les  suivantes:  une  lettre  de  Doni- 
zetti  et  une  de  Weber,  12b  francs  chacune  ;  une  lettre  de  Schubert,  81  fr. 
23  c.;  une  note  autographe  de  Beethoven,  73  francs;  deux  lettres  de 
Wagner,  ob  francs  et  18  fr.  75  c.  ;  une  lettre  de  Nicolaï,  62  fr.  bO  c.  :  huit 
lettres  de  Mendelssohn,  ensemble  280  francs  ;  quatre  lettres  de  Schumann, 
31  fr.  23  c,  30  francs,  26  fr.  2b  c.  et  18  fr.  7b  c.  ;  une  lettre  de  Spohr , 
22  fr.  30  c,  et  deux  autres  lettres  du  même,  ensemble,  12  fr.  bO  c.  ;  une 
lettre  de  Jenny  Lind,  18  fr.  7b  c.  ;  une  lettre  d'Adelina  Patti,  16  fr.  80  c.  ; 
un  billet  d'Offenbach,  10  francs;  une  lettre  de  Meyerbeer,  8  fr.  7b  c.  ; 
une  lettre  de  Rossini,  6  fr..2b  c,-Enfin,  un  .alburn  contenant  environ  deux 
cents  lettres  autographes  de  compositeurs,  chanteurs  et  virtuoses  célèbres 
a  trouvé  acquéreur  au  prix  de  306  fr.  23  c. 

—  Nouvelles  des  théâtres  italiens. . —  A  la  Scala  de  Milan,  on  a  enfin 
trouvé  un  directeur,  ou,  pour  mieux  dire,  une  compagnie  directrice,  sous 
la  raison  sociale  Luigi  Piontelli  et  C'°.  Ce  M.  Piontelli  est  en  ce  moment 
l'imprésario  le  plus  en  évidence  de  l'Italie,  dont  la  plupart  des  grands 
théâtres  ont  passé  entre  ses  mains.  Il  a. même  été  déjà  à  la  tête  de  l'admi- 
nistration de  la  Scala,  qu'il  avait  crise  des  mains  de  M.  Lamperti  pour 
la  repasser,  moyennant  finances,  aux  fratelli  Corti.  Il  a.  aujourd'hui  pour 
associés  dans  cette  entreprise  M.  Luigi  Cesari,  ancien  directeur  du  Dàl 
Verme  de  Milan  et  du  Regio  de  Turin,  le  maestro  Superti,  qui  a  exercé 
en  Amérique,  MM.  Graziosi  et  l^ozzali.  On  annonce  que  cette  nouvelle 
inipresa  songe  à  réunir  dans  ses  mains,  avec  la  Scala,  le  Regio  de  Turin, 
le  Carlo  Felice  de  Gênes,  la  Fenice  de  Venise,  d'autres  encore  peut-être... 
C'est  un  projet  bien  vaste,  et  sans  doute  un  peu  chimérique.  Qui  vivra 
verra.  —  Psndant  ce  temps,  le  San  Carlo  de  Naples,  à  qui  la  municipalité 
refuse  toute  subvention,  moins  heureux  que  la  .Scala  ne  trouve  point  de 
mortel  assez  audacieux  pour  se  charger  de  ses  destinées  dans  des  conditions 
si  précaires.  Restera-t-il  fermé?  C'est  bien  probable.  —  D'autre  part,  on 
ne  sait  ce  qu'il  adviendra  à  Palerrae  au  sujet  de  l'inauguration  du  nouveau 
Grand  Théâtre  en  construction,  inauguration  qui  devait  coïncider  avec  celle 
de  la  prochaine  Exposition.  On  ne  sait  même  pas  encore  si  l'édifice  sera 
prêt  pour  cette  époque.  —  Cependant,  et  bien  que  cela  ne  soit  ]ias  encou- 
rageant, voici  que  l'on  construit  de  nouveaux  théâtres  à  droite  et  à  gauche. 
A  Rome,  c'est  dans  la  via  Calabria,  près  de  la  Porte  Salaria,  qu'on  vient  d'en 
édifier  un  en  bois  sur  les  dessins  de  l'ingénieur  Mariani,  pouvant  contenir 
douze  cents  spectateurs,  et  qui  prendra  le  nom  de  Politeama  Sallustiano. 
Il  sera  inauguré,  avec  un  spectacle  lyrique,  le  jour  de  la  fête  du-  Statut.  Bt 
à  Pérouse,  c'est  l'architecte  Arienti  qui  vient  de  construire  aussi  un  nou- 
veau Politeama,  lequel  doit  ouvrir  ses  portes  avant  la  fin  du  présent  mois. 


LE  MENESTREL 


It)'!^ 


— ,  Auber,  que  certaine  prétendus  petits  musicieas  font  état  de  mépriser 
ciiez  nous,  continue  de  faire  la  conquête  de  l'Italie.  Au  Théâtre  National 
de  Rome,  qui  vient  de  ferriier  ses  portes  avec  la  Lucie  de  Donizetti,  on 
compte  faire  prochainement  la  réouverture  avec  une  série  de  représenta- 
tions du  Domino  tioir. 

—  Réglons  nos  comptes  avec  les  nouveaux  opéras  sortis  de  la  plume 
des  compositeurs  italiens  sans  avoir  été  mis  encore  en  communication 
avec  le  public,  et  enregistrons  la  naissance  des  ouvrages  suivante  en  at- 
tendant que  nous  puissions  constater  leur  baptême  :  la  Gemma  del  Karf- 
makel,  légende  en  trois  actes  et  un  prologue,  paroles  et  musique  de 
M.  Luigi  Martinotti,  musique  de  M.  Vittorio  Radeglia  ;  Edilka  di  Lorna 
et  Crisloforo  Colombo,  deux  opéras  sérieux,  paroles  et  musique  de  M.  Dio- 
nisio  Corradi  ;  Najida,  paroles  de  M.  Michèle  Cantone,  musique  de 
M.  Flocco  ;  MalavUa,  paroles  de  M.  Achille  Alaimo-Blecgini,  musique  de 
M.  Alexandro  Sanfelice  ;  i)Jala  vita,  paroles  de  M.  Nicola  Daspuro,  musi- 
que de  M.  Umberto  Giordano  ;  Cateriim  de'  Medici,  musique  de  M.  Eltore 
Mattioli  ;  Manon  Lescaut,  musique  de  M.  Puccini,  qui  doit,  dit-on,  être 
représenté  l'hiver  prochain  au  théâtre  Regio,  de  Turin  ;  Fior  di  Xeve,  opé- 
rette, musique  de  M.  Enrico  Manfredi,dont  on  annonce  la  prochaine  ap- 
parition au  Politeama  Margherita,  de  Gènes  ;  enfin,  un  opéra  du  maestro 
Gaspare  Finali,  dont  on  ne  fait  pas  connaître  le  titre,  et  qui  doit  être 
otTert,  l'automne  procliain,  au  public  du  théâtre  Costanzi,  de  Rome. Selon 
toute  apparence,  les  spectateurs  italiens  ne  sont  pas  près  de  chômer  de 
musique. 

— ■  On  vient  de  donner  à  Milan,  au  théâtre  Manzoni,  la  première  repré- 
sentation d'un  opéra  nouveau,  Gennarelto,  dû  à  la  collaboration  de  deux 
frères,  M.  Antonio  Gipollini  pour  les  paroles,  M.  Gaetano  Gipollini  pour 
la  musique.  Cette  collaboration  fraternelle  ne  parait  pas  avoir  été  complè- 
tement heureuse.  Le  livret  du  nouvel  ouvrage  est  assez  vivement  malmené 
par  la  critique  milanaise,  et  quant  à  la  musique,,  elle  est  jugée  comme 
étant  d'un  artiste  instruit,  bien  stylé,  mais  sans  inspiration  et  surtout  sans 
l'ombre  d'originalité.  En  fait,  si  deux  morceaux  ont  été  bissés  (c'est  une 
habitude  déplorable  qu'on  prend  aussi  en  Italie),  l'auteur  a  obtenu  seule- 
ment dix  rappels,  chiffre  bien  maigre  en  pareille  circonstance.  L'exécu- 
tion paraît  pourtant  avoir  été  aussi  satisfaisante  que  possible.  Elle  était 
confiée  à  M"'*  Leone  et  Geresoli,  au  ténor  Quiroli,  au  baryton  Roussell 
^t  à  la  basse  Fabro. 

—  Dans  un  concert  donné  à  Rome,  un  jeune  compositeur,  M.  Tonizzo,  a 
fait  entendre  plusieurs  de  ses  oeuvres;  un  trio  pour  piano,  violon  et  vio- 
loncelle, une  gavotte  pour  piano,  un  caprice  pour  mandoline,  un  duo  pour 
soprano  et  une  romance  pour  baryton.  —  A  Gênes,  aussi  dans  un  concert, 
un  autre  compositeur,  M.  Ferraria,  de  Turin,  a  produit  de  même  un  cer- 
tain nombre  de  ses  œuvres  :  deux  quatuors  pour  instruments  à  cordes, 
quelques  morceaux  de  piano,  un  solo  de  violoncelle  et  plusieurs  romances. 

—  Il  paraît  que  les  aft'aires  du  théâtre  du  Lycée,  à  Barcelone,  sont  loin 
d'être  dans  un  état  satisfaisant.  Les  artistes  qui  s'étaient  réunis  pour 
exploiter  le  théâtre  en  société  n'ont  pas  lieu  de  se  réjouir  du  résultat  de 
leur  tentative  ;  les  recettes  sont  dérisoires,  et  tout  va  de  mal  en  pis.  Une 
augmentation  de  subvention  a  été  demandée  à  l'assemblée  des  proprié- 
taires du  théâtre,  qui  l'a  réfusée  net.  L'avenir  ne  se  présente  pas,  dit-on, 
sous  des  couleurs  brillantes  pour  cette  scène  du  Lycée,  l'une  des  plus 
importantes  de  l'Espagne  au  point  de  vue  artistique,  mais  dont  les  res- 
sources financières  sont  complètement  insuffisantes. 

—  On  a  donné  la  semaine  dernière,  à  l'Alcazar  de  Bruxelles,  pour  le 
bénéfice  de  M.  Nazy,  chef  d'orchestre  du  théâtre,  la  première  représenta- 
tion d'un  ballet  nouveau,  Blanc  partout,  scénario  de  M.  Victor  Lagye,  niu- 
sique  de  M.  Nazy. 

—  On  écrit  de  Munich  que  la  direction  des  théâtres  de  la  cour  a  publié 
olficiellement  le  décret  qui  interdit  aux  artistes  de  ces  théâtres  de  venir 
saluer  le  public,  ni  pendant,  ni  même  après  la  représentation,  pour  le 
remercier  de  ses  applaudissements.  Sont  exceptées  :  les  représentations 
du  jubilé  d'un  artiste,  celles  ou  figurent  des  artistes  étrangers  à  la  scène, 
qui  sont  en  représentations,  et  enfin  les  premières,  où  artistes,  auteurs 
et  régisseur  auront,  après  la  fin  de  la  soirée  seulement,  le  droit  de  venir 
remercier  le  public. 

—  On  écrit  de  Bade  que  le  poste  de  premier  chef  d'orchestre,  qui  n'avait 
été  occupé  que  provisoirement  depuis  la  mort  de  Kœnnemann,  vient  d'être 
confié  définitivement  à  M.  Frédéric  Koch,  de  Berlin.  Le  titulaire  a  été 
choisi  parmi  122  candidats  à  la  succession  de  Kœnnemann.  Violoncelliste 
de  talent,  M.  Koch,  qui  est  élève  de  Haussmann,  a  fait  partie  de  l'orchestre 
de  la  cour,  à  Berlin.  Compositeur  distingué,  il  a  fait  exécuter,  entre 
autres,  avec  le  plus  grand  succès,  à  Berlin,  à  Hambourg  et  à  Dresde, 
deux  symphonies  de  sa  composition.  Au  concours  pour  la  place  de  chef 
d'orchestre  à  Bade,  il  a  dirigé  d'une  façon  magistrale  l'ouverture  des 
Maîtres  Clianteurs,  une  rapsodie  de  Liszt  et  la  symphonie  en  lit  mineur  de 
Beethoven. 

—  La  compagnie  d'opéra  américain  «  Emma  Juch  »,  dont  notre  numéro 
de  dimanche  dernier  a  raconté  les  exploits,  a  été  abandonnée  par  son 
directeur,  M.  Locke,  à  Saint-Louis,  le  jour  même  fixé  pour  le  départ  de 
la  troupe  p.our  New-Vork.  L£_  trajn._sp_écial,  dit  train  des  émigrants  ou  de  la 
charité,  est  resté  trois  heures  en  gare,  attendant  les  cinq  cents  dollars  con- 


venus pour  prix  du  voyage.  Tout  le  personnel  était  là  sur  le  quai,  avec  les 
bagages,  en  proie  à  une  inquiétude  qui  grandissait  d'heure  en  heure! 
Enfin  le  caissier-ténor  Hedmont  est  arrivé,  annonçant  que  M.  Locke  et 
M"""  Juch  avaient  pris  la  fuite.  On  parlementa  avec  le  chef  de  gare,  qui 
finit  par  permettre  le  départ.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  cette  infor- 
tunée compagnie  se,  trouve  en  péril.  A  Mexico,  Pitsburget  à  Portland  ce 
n'est  que  grâce  au  secours  des  consuls  anglais  qu'elle  a  pu  poursuivre  son 
voyage.  M.  Locke  doit  actuellement  à  son  personnel  quelque  chose  comme 
quinze  mille  dollars. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix 
réduits  :  la  Favorite  et  Coppélia.  Comme  on  voit,  avant  de  quitter  la  place, 
MM.  Ritt  et  Gailhard  tiennent  à  se  mettre  en  règle  avec  leur  cahier  des 
charges.  Ils  ne  doivent  plus  guère  qu'une  quarantaine  de  ces  représenta- 
tions populaires  ;  mais  avec  de  la  bonne  volonté,  on  arrive  à  remplir  tous 
ses  devoirs. 

—  Les  décorateurs  ont  soumis  avant-hier  à  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui 
les  ont  approuvées,  les  maquettes  des  quatre  décors  de  Lohenijrin.  L'exé- 
cution va  en  être  conduite  activement.  Les  études  préparatoires  de  l'œuvre 
de  Richard  Wagner  suivent  leur  cours.  Les  chœurs  travaillent,  et  savent 
déjà  leurs  parties.  Des  leçons  sont  données  quotidiennement  sur  tous  les 
rôles  de  l'ouvrage.  Le  ténor  Van  Dyck,  qui  chante  en  ce  moment  le  rôle 
de  Des  Grieux  dans  la  Manon  de  M.Massenet,  à  Londres,  viendra  très  pro- 
chainement à  Paris,  où  il  séjournera  quelques  jours  avant  de  se  rendre  à 
Bayreuth.  On  compte  profiter  de  sa  présence  pour  régler  quelques  détails 
de  mise  en  scène,  de  façon  que  les  grandes  répétitions  puissent  commen- 
cer dès  le  mois  d'août,  avec  M"»  Rose  Garon,  qui,  du  reste,  a  déjà  chanté, 
à  Bruxelles,  le  rôle  d'Eisa.  C'est  à  ce  moment  que  M.  Lamoureux  prendra 
officiellement  possession  de  ses  nouvelles  fonctions. 

—  Une  indisposition  persistante  du  ténor  Delaquerrière  a  mis  la  direc- 
tion de  rOpéra-Comique  dans  l'obligation  de  traiter  avec  M.  Engel  pour 
la  création  du  rôle  de  Félicien  dans  le  Rêve,  l'opéra  prochain  de  MM.  Emile 
Zola,  Gallet  et  Bruneau,  que  doit  représenter  M.  Carvalho.  Comme  M.  Engel 
connaissait  déjà  la  partition,  qu'il  avait  dû  un  instant  créer  à  la  Porte- 
Saint-Martin,  on  pense,  malgré  tout,  pouvoir  donner  la  première  repré- 
sentation du  Rêve  dans  le  courant  de  la  semaine  qui  s'ouvre. 

—  Voici  l'ordre  et  les  dates  auxquels  sont  fixés,  cette  année,  les  concours 
du  Conservatoire  : 

Concours  à  huis  clos  : 

Lundi  29  juin,  Harmonie  (hommes); 

Mardi  30,  mercredi  1"  juillet,  Solfège  (Instrumentistes); 

Jeudi  2,  vendredi  3,  Solfège  (Chanteurs)  ; 

Samedi  4,  Violon  (Classes  préparatoires); 

Lundi  6,  Harmonie  (Femmes); 

Mardi  7,  Fugue; 

Mercredi  8,  Piano  (Femmes).  Classes  préparatoires; 

.leudi  9,  Piano  (Hommes).  Classes  préparatoires; 

Vendredi  10,  Orgue  ; 

Samedi  II,  accompagnement  au  piano. 

Concours  publics  : 

Samedi  18  juillet.  Contrebasse,  Violoncelle; 

Lundi  20,  Chant  (Hommes); 

Mardi  21,  Chant  (Femmes); 

Mercredi  22,  Tragédie,  Comédie; 

Jeudi  23,  Harpe,  Piano  (Hommes); 

Vendredi  24,  Piano  (Femmes)  ; 

Samedi  25,  Opéra-Comique  ; 

Lundi  27,  Violon  ; 

Mardi  2S,  Opéra  ; 

Mercredi  29,  Instruments  à  vent. 

—  Voici  quels  sont,  à  la  suite  des  examtns  de  fin  d'année,  les  élèves 
admis  aux  concours.  Pour  le  contrepoint  et  la  fugue  (16  élèves):  MM.Bonval 
Burgat,  Dupré,  Ferroni,  Tariot,  Pillard,  M"^*  Rivinach  et  Eldes,  de  la  classe 
de  M.  Massenet  ;  MM.  Marichelles,  Coffat,  Briouse  et  Auchard,  de  la  classe 
de  M.  Théodore  Dubois  ;  MM.  Busser,  Roux,  Morel  et  M"''  Jaeger,  de  la 
classe  de  M.  Ernest  Guiraud.—  Pour  le  chant  (45  élèves,  dont  19  hommes 
et  26  femmes)  :  MM.  Castel,  Dufour  et  Mii=  Desparsac,  de  la  classe  de 
M.  Bax;  MM.  Coraméne  et  Cadio,  W'"  Morel  et  Laine,  de  la  classe  de 
M.  Boulanger;  MM.  Bautet  et  Montègu,  M"«s  Youdelewski,  Vauthrin, 
Médard.  Ibanez,  et  Guzroac,  de  la  classe  de  'M.  Barbot;  MM.  Petit,  Sil- 
vestre,  Villa,  M"«5  Audran,  Solange,  Gêniez  et  Mathieu,  de  la  classe  de 
M.  Archaimbaud;  MM.  Ghasne,Périer,  M"|-"^CIéry,  Thommerel  et  Créhange, 
de  la  classe  de  M.  Bussine:  M.  Artus,  M"«s  Michel,  Wyns  et  Brelay,  de 
la  classe  de  M.  Crosti;  MM.Chassaing,  David  et  Grimaud,  M"»'^  Lemaignan, 
Pacary,  Selma  et  Guyon,  de  la  classe  de  M.  Warot;  MM.  Nivette,  Bérard, 
Petit  et  Delpouget,  M"«  Issaurat,  Blankaert,  Brillant  et  Giovannetti,  de 
la  classe  de  M.  Edmond  Duvernoy.  —  Pour  la  tragédie  (9  élèves,  dont 
4  hommes  et  5  femmes)  :  M.  Gauley  et  M"|=  Haussmann,  de  la  classe  de 
M.  Got  ;  M.  de  Max,  M"«s  Dufrêne  et  Mellot,  de  la  classe  de  M.  Worms  ; 
MM.  Godeau  et  Fenoux,  de  la  classe  de  M.  Maubant;  M"™  Harttmann  et 
Ratchiff,  de  la  classe  de  M.  Delaunay.  —  Pour  la  comédie  (22  élèves, 
dont  10  hommes  et  12  femmes)  ;  MM.  Fordyce  «t  Baron,  M"'^^*  Dux  et 
Piernold,  de  la  classe  de  M.  Got;  MM.  Frédal,  Costo  et  Casteli,  W^  Hart- 
mann.^Béry  et"  Ralchiff,  de  la  classê~aè  M.  Delaunay;  MM.  deMax,  Lugné- 


d92 


LE  MÉNESTREL 


Poé  et  Esquier,  M">'*  Thomson,  Dufréne  et  Vernon,  de  la  classe  de 
M.  Worras  ;  MM.  Fenoux  et  Veyret,  M""*  Laurent-Ruault,  Suger  et  Cha- 
pelas,  de  la  classe  de  M.  Maubant.  —  Pour  l'opéra-comique  (lo  élèves, 
dont  7  hommes  et  8  femmes)  :  MM.  Petit,  Bérard,  David  et  Nivette, 
M'"^*  Lemaignan,  Morel  et  Gléry,  de  la  classe  de  M.  Achard;  MM.  Ghasne,' 
Périer  et  Villa,  M"'^  Vauthrin,  Demours,  Beauvais,  Gréhange  etAudran, 
de  la  classe  de  M.  Taskin. 

—  Pai.ais-Royal.  Durand  et  Durand,  comédie  en  trois  actes  de  MM.  M.  Or- 
donneau  et  A.  Valabrègue.  —  Le  Palais-Royal  profite,  à  sa  manière, 
de  l'arrière-saison  pour  faire  une  petite  exposition  de  ses  cent  chefs-d'œu- 
vre, qui  a  le  double  avantage,  non  seulement  de  lui  amener  une  clientèle 
compacte,  mais  encore  de  lui  permettre  de  garder  bien  à  lui  dos  pièces 
qu'envient,  non  sans  raison,  ses  bons  confrères.  Donc  on  nous  a  redonné 
Durand  et  Durand,  la  très  réjouissante  fantaisie  de  MM.  Ordonneau  et  Vala- 
brègue qui,  lors  de  sa  première  apparition,  avait  obtenu  un  très  grand 
succès  que  celte  reprise  n'amoindrira  en  rien.  Durand  l'épicier  est  tou- 
jours représenté  par  M.  Calvin,  tandis  que  Durand  l'avocat  nous  apparaît 
maintenant  sous  les  traits  de  l'excellent  M.  Saint-Germain;  M.  Dailly  prêté 
sa  corpulence  et  sa  joyeuse  humeur  au  rôle  du  beau-frère,  qu'il  rend  déso- 
pilant, et  M"s  Lavigne  nous  montre  une  irrégulière  avec  laquelle,  très 
certainement,  on  ne  doit  pas  s'ennuyer  souvent.  Si  je  nomme  encore 
M.  Milher,  l'étonnant  bègue  professeur  de  diction,  M.  Pellerin  et  M""  Du- 
rand, c'est  pour  vous  convaincre  tout  à  fait  que  vous  pouvez  aller  sans 
crainte,  au  Palais-Royal,  passer  une  excellente  soirée  que  vous  n'aurez 
pas  lieu  de  regretter,  Paul-Emile-Chevauer. 

"  —  Un  concours  pour  des  places  de  violon  vacantes  à  l'orchestre  de 
l'Opéra  aura  lieu  très  prochainement.  S'adresser  pour  l'inscription  à 
M.  Golleuille,  régisseur. 

—  M.  Gastelain,  artiste  du  Grand  Théâtre  de  Lille,  premier  prix  de  cor 
au  Conservatoire  de  cette  ville  en  1882,  vient  d'être  nommé  professeur  de 
cor  et  de  cornet  à  pistons  au  Conservatoire  d'Amiens. 

CONCERTS   ET   SOIRÉES 

^  Charmante  soirée,  jeudi  dernier,  chez  M.  et  M'™  de  Serres.  Cette  fois,  la 
musique,  bien  que  non  complètement  abandonnée,  avait  cédé  le  pas  à  la 
comédie.  Deux  pièces  en  un  acte,  les  Souliers  de  bat,  de  M.  Gastineau,  et 
le  Feu  au  couvent,  de  Théodore  Barrière,  formaient,  en  effet,  le  fond  du 
programme,  toutes  deux  représentées  sur  un  ravissant  petit  théâtre  édifié 
de  pied  en  cap  par  M.  de  Serres.  C'étaient  des  amateurs,  mais  des  ama- 
teurs excessivement  distingués,  qui  ont  joué  avec  un  véritable  talent  ces 
deux  bluettes.  Mettons  en  tête  M""=  Alice  Montigny,  une  ingénue  tout  à 
fait  ravissante,  et  M"'  Marthe  Périer,  bien  charmante  aussi.  Le  côté  mas- 
culin était  brillamment  représenté  par  MM.  Léon  Vigier,  Martin  Saint- 
Léon,  Eugène  Pralon  et  Henri  Pralon,  tous  gentlemen  très  corrects.  Dans 
les  intermèdes  musicaux,  à  signaler  deux  gentilles  pianistes,  M"*^!  Renaud, 
puis  une  élève  de  Mi«  Laborde,  M"»  Ledant,  douée  d'une  superbe  voix  de 
contralto,  et  le  jeune  violoniste  Marteau.  Brillante  assistance,  qui  s'est 
fort  réjouie  d'une  aussi  aimable  soirée. 

—  M.  Georges  Pfeiffer  vient  de  donner,  salle  Pleyel,  une  audition  inté- 
ressante de  quelques-unes  de  ses  dernières  œuvres.  On  a  surtout  appré- 
cié un  quatuor  pour  piano  et  cordes,  dont  le  moderato  (premier  morceau) 
et  ïandante  sostenuto  sont  particulièrement  réussis.  M'"='i  Roger-Miclos, 
Steiger  et  Panthès  se  sont  fort  distinguées  dans  l'interprétation  de  toute 
une  série  de  fins  morceaux  de  piano,  parmi  lesquels  il  faut  citer  surtout 
une  charmante  Sérénade  tunisienne;  M"'  Boucart,  une  jeune  cantatrice 
douée  d'une  charmante  voix,  qu'elle  conduit  avec  habileté,  a  détaillé  à 
ravir  un  air  de  Jeanne  de  Naples  (un  ouvrage  lyrique  non  encore  repré- 
senté) et  MM.  Fournets  et  Engel  ont  chanté  avec  leur  habituel  talent 
plusieurs  œuvres  vocales  fort  bien  venues. 

—  Mardi  dernier  2  juin,  un  pianiste  brésilien,  M.  Carlos  de  Mesquita,  dont 
l'éducation  s'est  faite  au  Conservatoire  de  Paris  par  les  soins  de  MM.  Mar- 
montel  et  Massenet,  a  donné  concert  dans  les  salons  Pleyel,  Wolff  et  G". 
M.  Carlos  de  Mesquita  a  obtenu,  il  y  a  pl'isici's  années,  un  premier  prix 
au  concours  du  Conservatoire,  mais  à  l'heure  présente  le  vaillant  pianiste 
n'est  plus  un  disciple,  il  ne  procède  que  de  lui  et  a  son  style  personnel; 
les  applaudissements  chaleureux  qui  l'ont  accueilli  ont  témoigné  à  l'artisie 
combien  était  vive  la  sympathie  qu'on  lui  portail,  et  pourtant  le  jeune 
compositeur  ne  s'était  réservé  qu'une  très  modeste  place  dans  son  riche 
programme,  où  resplendissaient  les  noms  de  Brahms,  Chopin,  Massenet, 
Arthur  Napoléo,  Félix  Godefroid.  M""!  Carlotta  Machado,  MM.  Tedeschi, 
Ed.  Nadaud,  Gros  Saint-Ange,  Carrussi,  Giovanni,  ont,  avec  un  dévoue- 
ment confraternel  qu'on  ne  saurait  trop  louer,  donné  le  concours  de  leur 
talent  au  bénéficiaire.  Gomme  lui,  ils  ont  été  chaleureusement  applaudis 
et  ont  obtenu  de  nombreux  rappels. 

—  Concerts  et  Soirées.  —  Mercredi  dernier,  salle  Pleyel,  M""  Marie  Ledsnl  et 
Juana  Vassalio  ont  chanté  plusieurs  morceaux  dans  lesquels  on  a  pu  apprécier 
des  qualités  de  charme  et  de  style  qui  se  sont  accusées  chez  M"'  Vassalio  dans 
la  romance  de  Mignon  et  dans  des  mélodies  de  M.  Théodore  Dubois,  et  chez 
M"*  Ledant  dans  l'arioso  d'Hamlet  et  dans  une  mélodie,  le  Berceau  d'amour, 
d'après  Varia  do  la  troisième  suite  de  Bach,  qui  a  été  bissée.  L'excellente  pianiste 
iV-"   Ilermann  a  été   très  applaudie,    surtout  dans   une  tarentelle  de  Th.  Ritter. 


M.  Caron  a  eu  beaucoup  de  succès  dans  une  mélodie  de  Faure.  M.  Cornubert 
très  fin  diseur,  MM.  Plan  et  de  Rive  Berni  ont  été  aussi  appréciés.  Enfin  M.  Ch. 
Dancla  s'est  fait  applaudir  et  rappeler  pour  sa  délicate  et  fine  exécution  du 
concerlo  de  Mendelssohn.  —  Brillante  réunion,  mardi  19  courant,  rhe^  M°*  L. 
Desroasseaux,  le  sjnapathique  professeur  de  chant,  qui  a  clôturé  la  se  ie  de  ses 
cours  par  une  charmante  soirée.  Apjès  une  audi'.ion  de  ses  élèves  dans  deux 
chœurs  brillants,  dirigés  par  M.  Périer,  nous  avons  applaudi  M.  Marcel  Herwegh, 
l'êmineijl  violoniste,  ainsi  que  M.\l.  Jean  Périer  et  Fonssagrives  (J.  Breton) 
qui  nous  ont  charmés  dans  plusieurs  morceaux  par  leur  jolie  vois.  —  M""  Anna 
Fabre,  pour  répandre  d'une  manière  suffisante  à  l'importance  de  sa  clienlèle 
vient  de  transporter  son  cours  de  musique  de  la  Chaussce-d'Antin  dans  un  nou- 
veau locîl,  rue  Joubert,  ii°  19.  Nous  annonçons  en  même  temps  que  M'""  Fabre 
réunit  à  son  cours  de  piano  celui  de  la  regrettée  M"-  Elilinger  Blum,  décodée. 
Ces  deux  cours  réunis  restent  toujours  sous  la  haute  direction  de  M.  Marœontel. 
—  Mardi  dernier,  clôture  annuelle  des  soirées  musicales  de  l'.Associat  on  amicale 
des  Enfants  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  (la  Betterave).  Au  programme  ,  illustré 
par  Weerts:  le  duo  à'Aben  llamel  de  Th.  Dubois,  fort  bien  chanic  par  M'"  Jacob 
et  M.  Claeys;  la  valse-arabesque  de  Th.  Lack  et  le  Réucil  île  Th.  Dubois,  exécutés 
merveilleusement  par  le  jeune  pianiste  à  la  modo,  M.  Léon  Delafosse.  Les  chanson- 
niers du  Nord,  MM.  Gustave  Nadaud,  Desrousseaux,  Watteuw  ont  été  acclamés  par 
leurs  compatriotes.  Puis  se  sont  succédé  avec  un  égal  succès  :  M""  Alice  Lody, 
de  l'Odéon,  Alice  Dubois  (genre  fin  de  siècle),  MM.  Baillet,  de  la  Co.uédie-Fran- 
çaise,  Guid',  violoniste,  Fernand  Rivière  et  PilUretli.  —  Les  auditions  d'élèves 
données  à  Toulon  par  l'exoellent  professeur  M.  Gustave  Baume,  sont  toujours  bien 
intéressante--.  Tous  ces  petits  sujet!  témoignent  de  la  valeur  de  l'enseignement 
qui  leur  est  donné.  Il  y  a  toujours  sur  les  programme;  un  clioix  d'œuvres  nou- 
velles qui  prouvent  le  goùl  et  le  sens  arti  tique  du  maître.  C'est  ainsi  que  dans 
les  deux  matinées  des  tl)  février  et  23  mai,  on  a  entendu  :  Au  Malin,  Par  les  bois. 
Courante,  Valse-sérénade,  Intermezzo  et  Deuxième  Schei'so  d'Antoniu  Uarmontol  ;  Pul- 
cinella.  Valse  mineure,  Scherzetlo,  Caprice  badin  et  Valse  de  concert,  de  Raoul  Pugno; 
Chant  d'avril  et  Myosotis  de  Théodore  Lack;  Marche  et  Nocturne  à  quatre  mains  de 
Massenet;  Romance  de  Rubinstein;  le  Scherzo-Choral  et  les  airs  de  ballet  dAben- 
Hamet  de  Théodore  Dabois;  Tambourin  et  Musette  de  Bcoustet;  Parmi  le  Thym  et 
la  Rosée  de  Rougnon;  Rerceuse,  Barcarolle  et  Sérénade  de  Diémer  ;  Passepied  de 
Delibes;  et  enfin,  pour  finir,  tes  Erinnyes  de  Massenet,  arrangement  pour  quatre 
pianos,  16  mains,  véritable  bouquet  final.  —  Dimanclie  dernier,  à  Neuilly,  à  la 
suite  d'une  brillante  matinée  des  élèves  de  M-*  Audousset,  audition  fort  intéres- 
sante d'œuvres  de  M.  Lenrpveu.  Au  programme,  M°"  Casquard,  qui  a  interprété  la 
Jeune  Captive  avec  beaucoup  de  talent;  M.  Scaremberg,  dont  la  belle  voir  s'est 
fait  applaudir  dans  vision  et  air  de  VelléJa;  un  chœur  du  Florentin,  travaillé  sous 
la  direction  de  M™»  Audousset  et  accompagné  par  elle,  a  eu  beaucoup  de  succès; 
M.  Lent  pveu  dirigeait  le  chœur  et  a  accompagné  ses  œuvres.  Citons  aussi  MM.  Binon 
et  Belville,  qui  ont  fait  grand  plaisir,  l'un  en  interprétant  une  romance  sans  paroles 
pour  violoncelle  de  M.  Lenepveu,  et  l'autie  en  jouant  la  Berceuse  de  M.  Godard  et  la 
Polonaise  de  Wieniawski  ;  M""  S.  Delaunaj  a  dit  plusieurs  poésies  avec  beaucoup 
de  finesse  et  de  talent. 

NÉCROLOGIE 

De  Londres  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  cinquante-trois  ans,  de  M.  George 
Hart,  le  luthier  bien  connu  et  l'un  des  connaisseurs  en  violons  les  plus  émé. 
rites  de  l'Angleterre.  L'expérience  toute  spéciale  qu'avait  acquise  M.  Hart 
l'avait  conduit  à  s'occuper  aussi  de  l'histoire  du  violon  et  delà  lutherie,  et 
il  l'avait  fait  dans  deux  ouvrages  importants  et  justement  estimés,  en  dépit 
de  certaines  lacunes  fâcheuses  et  difficilement  compréhensibles.  Le  pre- 
mier litait  intitulé  the  Violin,  its  famous  makers  and  their  imitalors  (le  Violon, 
les  lutliiers  célèbres  et  leurs  imitateurs),  Londres,  Dulau,  187S,  in-8''  ;  le  second 
avait  pour  titre  the  Violin  and  its  music  (le  Violon  et  sa  musique),  id.,  id.  1881. 
in-4°.  Ces  deux  ouvrages  furent  publiés  avec  un  grand  luxe  typogra- 
phique et  accompagnés  de  planches  et  de  portraits  d'une  réelle  valeur. 
M.  Hart-  fît  faire,  par  Alphonse  Royer,  une  traduction  française  du  pre- 
mier, qu'il  donna,  en  1886  (Paris,  Schott,  in-4"),  augmentée  de  nombreux 
documents  nouveaux  et  accompagnée  aussi  de  planches  précieuses.  Cette 
traduction  était  faite  d'après  la  cinquième  édition  originale,  ce  qui  prouve  r 
le  succès  que  ce  livre  avait  obtenu  en  Angleterre.  On  n'en  est  que  plus 
étonné  de  constater  que  le  nom  de  George  Hart  ne  se  trouve  même  pas 
mentionné  dans  l'ouvrage  si  important  publié  sous  !a  direction  de 
M.  George  Grove  et  dans  la  patrie  de  l'auteur  :  Dictionary  of  musir,  and 
mvsicians.  C'est,  là  aussi,  une  lacune  qui  ne  se  comprend  guère.  —    A. P. 

—  D'iia.  n  annonce  la  mort,  à  Vedano,  près  V.onza,  le  29  mai,  d'un 
dilettante  fort  distingué  qui  appartenait  à  la  haute  noblesse  italienne  et 
qui  s'était  fait  remarquer  par  son  ardent  patriotisme  à  l'époque  des  grandes 
luttes  de  l'indépendance,  le  duc  Giulio  Litta  Visconti  Arese.  Très  épris  et 
protecteur  de  l'art  sois  toutes  ses  formes,  le  duc  Giulio  Litta  s'était  livré 
de  bonne  heure  et  avec  ardeur  à  la  composition,  et  dès  l'âge  de  vingt  ans 
avait  produit,  sur  la  petite  scène  intime  du  Conservatoire  de  Milan,  un 
opéra  intitulé  Bianca  di  Santafiora.  Il  ne  craignit  pas  d'aborder  ensuite  les 
théâtres  publics  et  fit  représenter  une  série  d'ouvrages  dont  voici  les  litres 
et  qui  le  classèrent  au  nombre  des  amateurs  les  plus  distingués  de  son  pays  : 
Maria-Giovanna  (Turin,  théâtre  Carignan)  ;  Editta  di  Lorno  (quatre  actes, 
Gênes,  théâtre  Carlo-Felice,  18S3)  ;  Sardanapale;  Don  Giovianni  di  Porlogallo ; 
il  Viandante,  scène  lyrique  d'après  le  Passant  (Milan,  1873)  ;  Raggio  d  amore, 
opérette;  il  Violino  di  Cremona.  Il  a  écrit  aussi  sous  ce  titre,  la  Passiane,  une 
sorte  d'oratorio  sur  les  paroles  de  l'hymne  fameux  de  Manzoni  :  0  tementi 
delV  ira  ventural  Xé  en  1822,  lé  duc  Litta  est  mort  âgé  de  69  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


..iIMPlunEHlE  CnALV, 


3142  —  SI"''  ANNÉE  —  r  2S 


Dimanche  21  Juin  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    JHEUGBL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  tr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (14'  article),  Albert  Soobies  et  Charles 
Malherbe.  — ■  IL  Semaine  théâtrale:  première  représentation  à  l'Opéra-Comique 
du  Rêve,  drame  lyrique  de  M.  Bruneau,  Arthur  Pougin  ;  première  représentation 
de  Tout  Paris  au  théâtre  du  Châtelet,  Paul-Émile-Chevalier.  —  IIL  ÎS'apoléoQ 
dilettante  (12°  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  di- 
verses, concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 
ARIA 
pour  piano,  de  Robert  Fischhof.  —  Suivra  immédiatement:  Réveil,  allegretto 
scherzando,  pièce  caractéristique  pour  piano,  de  Théodore  Dubois. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :  Ava  cerises  prochaines,  n°  2  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  de 
Glaudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immédiatement  :  Aimer, 
nouvelle  mélodie  de  Baltazar  Florence. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOXJBIBS   et  Cliarles   ]VIA.LHEIt,BE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 

RETOUR  DE  FORTUNE  :  Lallci-Roukli  ET  la  Servante  Maîtresse, 
Lara  et  Base  et  Colas. 

1862-1864. 
(Suite.) 
La  nouveauté  suivante,  les  Absents,  ne  fut  pas  reçue  avec 
moins  de  faveur.  Le  librettiste,  un  débutant  à  la  salle  Favart, 
s'était  peut-être  inspiré  d'une  comédie  en  deux  actes  de 
M""=  Anaïs  Ségalas,  représentée  le  7  mai  18S2  et  intitulée  les 
Absents  ont  raison;  en  tout  cas,  il  avait  voulu  prendre  le  con- 
tre-pied d'une  opinion  tellement  répandue  qu'elle  est  passée 
à  l'état  de  proverbe,  et  son  nom  dit  assez  qu'il  avait  dû  soute- 
nir sa  thèse  avec  humour  et  finesse  :  c'était  M.  Alphonse  Dau- 
det, dont,  à  la  même  époque,  on  annonçait,  ceci  dit  entre 
parenthèses ,  un  autre  opéra-comique ,  les  Moulins  à  vent , 
demeuré,  semble-t-il,  inédit;  selon  lui,  les  absents  n'ont  pas 
toujours  tort,  et,  pour  le  démontrer,  il  mettait  en  scène  les 
deux  amoureux  de  Suzette,  la  jolie  paysanne  :  l'un,  parti  à 
la  ville  pour  faire  son  droit,  Eustache,  auquel  on  pense  tou- 
jours parce  qu'on  ne  le  voit  jamais;  l'autre,  demeuré  au  vil- 
lage, Léonard,  auquel  on  ne  pense  jamais  parce  qu'on  le  voit 


toujours.  Un  beau  jour  Vabsent  revient,  et,  par  ses  fantaisies, 
met  la  maison  sens  dessus  dessous  ;  il  va  repartir  quand  un 
sourire  le  retient.  Et  c'est  l'autre,  le  présent,  qui  se  retire 
comptant  peut-être  sur  les  effets  de  l'absence  pour  se  voir 
un  jour  rappelé  de  l'exil  à  son  tour  :  espoir  un  peu  chimé- 
rique, d'où  il  résulte  que  la  donnée  du  poète  demeure  en 
somme  assez  paradoxale  ;  car  l'absent  n'a  jamais  raison  qu'au- 
tant qu'il  est  aimé  véritablement...  et  encore!  Sur  ce  fin 
canevas,  Poise  avait  brodé  une  fine  musique,  si  fine  même 
que  certains  lui  reprochèrent  son  extrême  ténuité.  A  part  le 
trio  d'entrée,  la  partition,  en  efîet,  ne  contenait  que  des  cou- 
plets, couplets  pour  Sainte-Foy,  couplets  pour  Capoul,  cou- 
plets pour  M"<^  Girard.  Mais  tous  étaient  agréables,  gaiement 
interprétés,  et  cet  acte,  joué  le  26  octobre  1864,  se  maintint 
trois  ans  au  répertoire  avec  un  total  de  trente-huit  représen- 
tations. On  songea  même  à  le  reprendre  en  1869  avec 
jVpie  Fogliari  et  M.  Leroy;  pour  des  motifs  qui  ne  nous  sont 
pas  connus,  ce  projet  fut  abandonné. 

Le  Trésor  de  Pierrot,  deux  actes  de  Gormon  et  Trianon  pour 
les  paroles  et  d'Eugène  Gautier  pour  la  musique,  n'eut  pas 
une  carrière  aussi  honorable.  C'était  encore  une  version  du 
Savetier  et  du  Financier,  avec  un  Pierrot  jardinier  qui  décou- 
vre un  trésor  au  fond  d'un  puits,  dédaigne  alors  Lucette  qu'il 
aimait,  puis  veut  la  reconquérir  le  jour  où  il  la  voit  au  bras 
d'un  rival,  et  finalement  rejette  le  trésor  où  il  l'a  pris,  afin 
de  retrouver  la  paix  de  l'esprit  et  du  cœur.  Il  aurait  fallu, 
pour  sauver  la  banalité  du  fond  dramatique,  une  forme  mu- 
sicale piquante,  spirituelle,  un  peu  neuve.  Or,  le  pauvre 
Gautier  n'était  guère  original  que  dans  ses  propos,  et  croyait 
avoir  fait  merveille,  parce  que,  dans  le  finale  du  second  acte, 
il  imitait,  avec  deux  notes  obstinées  de  basson,  à  une  seconde 
de  distance,  le  tintement  alternatif  de  deux  cloches.  Le  prin- 
cipal rôle  de  cette  pièce,  donnée  le  5  novembre  1864,  était 
confié  à  Montaubry  qui  n'avait  point  d'ailleurs  tout  l'humour 
désirable.  Noureddin,  Fra  Diavolo,  Zampa,  Lara  ne  pouvaient 
devenir  qu'un  Pierrot  assez  triste  ;  plus  tard  on  revit  Mon- 
taubry jouer  encore  un  Pierrot,  mais  celui  du  Tableau  parlant 
à  la  Gaité,  sous  la  direction  Vizentini  ;  à  peine  hélas  1  était- 
il  plus  gai  ! 

Un  artiste  tel  que  Berthelier  aurait  mieux  fait  l'affaire; 
mais  Berthelier  avait  quitté  l'Opéra-Comique,  et  d'autres  ar- 
tistes avaient  suivi  son  exemple  en  cette  année  1864. 
M"«  Ugalde,  Troy  et  Barielle  étaient  engagés  au  Théâtre- 
Lyrique,  M'"<==  Marimon  et  Ferdinand,  l'une  à  Lyon,  l'autre  à 
La  Haye.  Les  recrues  s'appelaient  :  M"**  Darcier,  qui  venait 
des  Bouffes,  débuta  le  3  février  dans  la  Fille  du  régiment, 
chanta  le  rôle  de  Marie  trois  fois  et  ne  put  rester  à  l'Opéra- 
Comique  par  suite  de  l'insuffisance  de  ses  moyens  vocaux; 
M.   Bernard,    qui  débuta  le    1"''  juin  dans  le   Chalet   (rôle    de 


d94 


LE  MENESTREL 


Max)  et  pourrait  fêler  ses  noces  d'argent  avec  l'Opéra-Gomi- 
qiie:  pendant  vingt-cinq  ans  il  a  flguré,  par  exemple,  le  bru- 
tal Jarno,  maître  abhorré  de  Mignon  ;  enfln,  M""^'  Gennetier, 
une  cantatrice  de  qui  la  presse  enthousiaste  attendait  plus 
qu'elle  ne  donna;  toute  jeune  elle  avait  paru  à  l'Opéra,  comme 
chanteuse  légère,  sous  le  nom  de  M"'=Prety;  entrant  à  l'Opéra- 
Comi.que  avec  une  certaine  expérience,  elle  se  fit  applaudir 
d'abord  le  7  octobre  dans  le  Songe  d'une  nuit  d'été  (rôle  d'Elisa- 
beth), puis  dans  le  Domino  noir  (rôle  d'Angèle),  mais  elle  ne 
réussit  pas  à  se  faire  une  place  comparable,  par  exemple,  à 
celle  de  M"'"  Gabel,  qui  reparut  le  22  octobre  dans  Galathée  et 
en  novembre  dans  la  Fille  du  régiment,  avec  un  notable  succès. 
Cette  rentrée  fut  marquée  même  par  un  incident  assez  cu- 
rieux. Gourdin  devait  jouer  Pygmalion  ;  il  est  indisposé,  une 
dame  s'offre  à  le  remplacer,  M''«  Wertheimber,  qui  avait  tenu 
le  rôle  dès  l'origine.  Elle  chante  ainsi  les  deux  premiers  soirs, 
et  pour  reconnaître  son  désintéressement,  les  directeurs, 
MM.  de  Leuven  et  Ritt,  lui  offrent  une  parure  en  turquoise  et 
perles  fines.  Gourdin  reparaît  à  la  troisième  représentation, 
et  retombe  malade;  M"'=  Wertheimber  le  supplée  encore  une 
fois,  à  la  date  du  1'"'  novembre  ;  elle  était  devenue  vraiment 
l'ange  gardien  de  Galathée. 

Un  fait  plus  singulier  encore  se  produisit  les  21  et  23  no- 
vembre ;  Léon  Achard,  qui  avait  épousé  quelques  mois  au- 
paravant M"'-'  de  Poitevin,  fille  d'un  peintre  renommé  à  cette 
époque,  devait  chanter  le  Songe  d'une  nuit  d'été  et  le  Domino  noir  ; 
au  dernier  moment,  il  est  empêché,  et  qui  se  présente  à 
sa  place?  Son  propre  frère,  Charles  Achard,  lequel  ne  se  tira 
pas  maladroitement  de  cette  double  et  périlleuse  épreuve. 
Cet  acte  de  sauvetage  avait  montré  ce  qu'il  pouvait  faire,  et 
plus  tard  il  put  appartenir,  lui  aussi,  à  la  troupe  de  la  salle 
Favart,  et  chanter  alors  pour  son  propre  compte. 

Comme  bizarrerie,  on  pourrait  encore  citer  la  fugue  que  fît, 
le  1'^''  juillet,  Gapoul  à  la  Porte-Saint-Martin.  Profilaut  de  la 
fermeture  de  la  salle  Favarf,  lors  des  réparations  dont  nous 
avons  parlé,  il  se  retrouva  là-bas  avec  M"'-'  Balbi  qui  revenait 
de  province  après  avoir  quitlé  l'Opéra-Comique,  et  tous  deux 
chantèrent  le  Barbier  de  Séville,  d'ailleurs  avec  un  médiocre 
succès.  11  faut  ajouter  que  cet  essai  de  musique  dans  un 
théâtre  de  drame  était  la  conséquence  du  fameux  décrec  sur 
la  liberté  des  théâtres,  grosse  question  qui,  pendant  plusieurs 
mois,  avait  passionné  la  presse  artistique  et  provoqué  de 
nombreuses  controverses.  Les  uns  voyaient  ià  un  gage  d'essor 
pour  l'art,  les  autres  y  redoutaient  une  cause  de  danger;  les 
uns  n'en  attendaient  rien  de  bien  ,  les  autres  rien  de  mal. 
Mais,  comme  on  était  sous  l'Empire,  le  mot  de  «  liberté  » 
sonnait  agréablement  à  toutes  les  oreilles,  et  depuis  le 
ler  juillet,  jour  oii  le  décret  était  exécutoire,  ce  fut  pendant 
quelque  temps  une  mascarade  dramatique:  les  théâtres 
avaient  leurs  jours  de  carnaval  et  mettaient  un  faux  nez.  A 
Déjazet,  M""  Garait,  que  nous  avons  vue  à  la  salle  Favart, 
tenait  le  principal  rôle  d'un  opéra-comique  en  trois  actes, 
la  Fille  du  Maître  de  Chapelle,  dont  l'auteur,  M.  Yeutéjoul,  mon- 
tait bravement  au  pupitre  le  soir  de  la  première,  et  se  lais- 
sait siffler,  tout  en  conduisant  son  orchestre  avec  un  héroïsme 
digne  d'un  meilleur  sort.  Au  Vaudeville  on  représentait  le 
Devin  du  village,  qu'on  avait  songé  à  reprendre  à  la  salle 
Favart;  au  Gymnase,  on  transplantait  le  répertoire  de  Molière  ; 
un  peu  plus,  on  aurait  donné  la  tragédie  au  Palais-Royal; 
c'était  l'exagération  des  premiers  jours  ;  le  temps  calme  les 
esprits  et  apaise  lei  querelles.  Aujourd'hui,  personne  ne  con- 
teste le  principe  de  la  liberté  des  théâtres;  personne  non 
plus  ne  le  tient  pour  cause  sérieuse  de  recettes.  Plus  on  va, 
plus  il  semble,  au  contraire,  que  les  genres  se  cantonnent 
par  théâtre  ;  auteurs  et  directeurs  considèrent  volontiers  que 
telle  pièce  réussissant  sur  une  scène  pourrait  échouer  sur 
une  autre:  ce  qui  tendrait  à  prouver,  une  fois  de  plus,  la 
puissance  de  la  routine,  et  le  besoin  d'une  étiquette  pour  les 
produits  que  nous  consommons. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


OpÉBA-GoMiQUE.  —  Le  Rêve,  drame  lyrique  en  quatre  actes  et  sept  tableaux, 
d'après  le  roman  de  M.  Emile  Zola,  poème  de  M.  Louis  Gallet,  musique 
de  M.  Alfred  Bruneau. 

Je  n'ai  pas  à  m'occuper  ici  du  roman  Ae  M.  Emile  Zola  autre- 
ment que  pour  me  demander  s'il  y  avait  dans  ce  récit  le  sujet 
d'une  œuvre  dramatique,  et  surtout  d'une  œuvre  lyrique,  tel  évi- 
demment qu'a  pensé  le  trouver  M.  Louis  Gallet  en  écrivant  le  livret 
qu'il  a  confié  à  M.  Alfred  Bruneau  pour  en  écrire  la  musique.  A  dire 
vrai,  j'en  doute  un  peu  ;  mais  pour  qu'on  ne  m'en  croie  pas  sur 
parole,  je  vais  esquisser  une  analyse  aussi  fidèle  que  possible  de  ce 
livret,  dont  l'élément  accessoire  et  à  côté  est  soigneusement  exclu, 
et  dont  l'action  tout  entière  se  déroule,  au  cours  de  quatre  grands 
actes,  entre  cinq  personnages,  sans  une  seule  intervention  du 
chœur. 

Les  cinq  personnages  sont  :  Hubert,  brodeur  d'ornements  d'église; 
sa  femme  Huberliue  ;  Angélique,  leur  fille  adoptive,  aimée  par  eux 
comme  leur  propre  enfant;  l'évêque  Jean  d'Hautecœur;  enfin,  le  fils 
de  celui-ci,  Félicien,  qui  aime  Angélique  et  en  est  aimé.  Ce  fils  a 
coûté  la  vie  à  sa  mère,  qui  mourut  en  le  mettant  au  monde.  Là  est 
le  point  de  départ  de  l'action,  car  la  mort  de  sa  femme,  qu'il  ado- 
rait, a  été  pour  Jean  d'Hautecœur  une  douleur  mortelle,  que  rien 
n'a  pu  consoler,  et  c'est  pour  éviter  à  son  fils  une  semblable  dou- 
leur qu'il  prétend  le  faire  prêtre,  comme  lui,  et  est  inflexible  dans 
son  refus  absolu  de  lo  laisser  se  marier. 

Au  premier  tableau,  nous  sommes  chez  le  brodeur  Hubert,  et  nous 
faisons  connaissance  avec  la  naïve  Angélique,  une  jeune  mystique  j 
qui  lit  la  Légende  dorée  et  qui  a  des  voix  ainsi  que  Jeanne  d'Arc,  j 
des  voix  qui,  comme  en  un  rêve,  lui  font  entrevoir  son  avenir. 
On  lui  a  dit  que  le  fils  de  l'évêque  était  beau  comme  un  ange  et 
riche  comme  un  roi.  Elle  pense  alors  que  ce  pourrait  bien  être  celui 
qu'elle  attend,  et  comme  sa  mère  adoptive  lui  demande  quels  sont 
ses  désirs,  elle  lui  dit  : 

Je  voudrais 

Epouser  un  prince  au  riant  visage. 

Et  j'en  vois  très  distinctement  les  traits. 

Nous  serions  tous  deux  presque  du  même  âge, 

Nous  irions,  vêtus  de  velours  et  d'or: 

De  joyeux  vassaux  nous  rendraient  hommage, 

Nous  partagerions  entre  eux  un  trésor. 

Nous  serions  très  bons,  1res  purs;  nos  pensées 

S'épanouiraient  telles  que  des  lis  ; 

Nous  serions  très  doux  aux  âmes  blessées. 

Par  nous  tous  les  vœux  seraient  accomplis. 

Et  puis  je  voudrais,  je  voudrais  encore 

Que  mon  beau  seigneur  m'aimât  follement, 

Et  moi  l'adorer  comme  l'on  adore 

Le  divin  Jésus  au  Saint-Sacrement. 

Enfin,  je  voudrais  ne  jamais  connaître 

Le  triste  réveil  d'un  rêve  si  beau, 

En  mon  plein  bonheur  mourir,  pour  renaître 

Au  ciel,  à  jamais  libre  du  tombeau  ! 

Voilà  le  rêve  d'Angélique,  rêve  que  ses  voix  lui  ont  suggéré,  et 
qu'en  une  sorte  d'extase  elle  se  dit  certaine  de  réaliser.  Elle  ne 
tarde  pas  à  rencontrer  son  bel  inconnu,  qui  n'est  autre  que  Félicien. 
Au  second  tableau,  nous  sommes  au  Clos-Harie,  qui  sépare  le  jardin 
des  Hubert  de  celui  de  l'évêehé.  Angélique  lave  sou  linge  dans  un 
rivelet,  lorsque  Félicien  se  présente  à  elle;  tous  deux  se  compren- 
nent aussitôt,  s'aiment,  se  le  disent,  et  se  promettent  de  s'aimer 
toujours. 

C'est  ici  que  le  drame  commence.  Sous  divers  prétextes,  et  sans 
se  révéler,  Félicien  s'est  présenté  chez  les  Hubert,  pour  voir  Angé- 
lique. Ceux-ci  se  doutent  bien  déjà  de  quelque  chose,  lorsque  l'en- 
fant leur  apprend  que  c'est  celui  qu'elle  attendait  et  qu'elle  aime, 
et  qu'il  ne  tardera  certainement  pas  à  se  déclarer.  Les  vieux  n'y 
voient  pas  de  mal,  mais  ils  voudraient  savoir  qui  est  ce  jeune 
homme,  et  ils  restent  atterrés  lorsque  le  hasard  leur  fait  eonuaUre 
que  c'est  le  fils  de  l'évêque. 

Bientôt  Félicien  se  découvre  à  celle  qu'il  aime  et  à  ses  parents. 
Mais  ce  n'est  pas  tout  que  leur  aveu,  il  laut  celui  de  son  père.  Il 
le  lui  a  demandé,  et  celui-ci  l'a  refusé.  Nous  le  voj'ons,  dans  la 
salle  du  chapitre  de  la  cathédrale,  revenir  à  la  charge,  et  le  père 
refuser  de  nouveau.  Angélique  vient  à  son  tour  supplier  l'évêque,  qui 
reste  cruellement  et  farouchement  inflexible,  pensant  agir  pour  le 
bien  de  son  enfant;  il  repousse  la  jeune  fille  en  dépit  de  ses  larmes 


LE  MENESTREL 


495 


et  de   ses    supplications,   et   s'éloigne   d'elle,  tandis   qu'elle   tombe 
inanimée,  vaincue  par  la  douleur. 

Le  cinquième  tableau  nous  mène  dans  la  chambre  d'Angélique, 
où  nous  la  trouvons  souffrante  et  endormie  dans  un  fauteuil,  auprès 
de  son  travail  interrompu.  On  a  menti  aux  deux  enfants,  en  faisant 
croire  à  chacun  d'eux  que  l'autre  ne  l'aimait  plus.  Mais  voici  venir 
Félicien,  qui  pénètre  dans  la  chambre  de  son  amie,  et  tout  va 
s'expliquer.  Les  deux  amants  se  chérissent  plus  que  jamais.  Ils  vont 
partir,  fuir,  s'éloigner  ensemble.  Angélique,  radieuse,  y  consent  sans 
peine.  Puis,  tout  d'un  coup,  elle  hésite;  ses  voix  lui  parlent,  lui 
ordonnent  de  rester,  et  elle,  les  écoutant,  change  de  résolution.  Ah! 
s'écrie-t-elle, 

Ah  1  mon  Félicien,  mourir  d'amour  comme  elles, 
Vierge,  éclatante  de  blancheur  ! 

Monter  dans  la  splendeur  des  sphères  éternelles 

A  Ion  premier  baiser,  dans  tes  bras,  sur  ton  cœur  ! 

"Voilà  le  rêve  pur! 

Félicien  la  supplie  en  vain  de  le  suivre.  Elle  reste  maintenant 
inexorable.  —  Vous  en  mourrez!  lui  dit-il. — -Oui,  répond-elle;  j'en 
mourrai  sûrement!  —  Et  elle  le  laisse  partir  seul. 

Le  tableau  suivant  nous  apprend  qu'Angélique  est  à  la  mort. 
Félicien,  désespéré,  vient  trouver  son  père  dans  son  oratoire.  Il 
espère  encore  que  son  consentement  tardif  rappellerait  à  la  vie  la 
chère  aimée.  Toujours  farouche,  l'évêque  continue  de  refuser.  Féli- 
cien, hors  de  lui,  accable  alors  son  père  de  reproches  que  celui-ci 
semble  bien  mériter  quelque  peu.  Arrachez  donc,  lui  dit-il. 

Arrachez-le  donc  de  votre  poitrine. 
Ce  long  deuil  qui  fait  honte  à  votre  cœur  glacé. 
Vous  avez  pour  toujours  renié  le  passé. 
Vos  regrets  et  vos  pleurs!...  Dérision  amère! 

Vous  n'avez  jamais  aimé  ma  mère! 

A  ces  paroles  cruelles,  le  cœur  du  prêtre  et  du  père  se  réveille. 
L'évêque  s'agenouille  un  iuslant,  puis  se  relève,  prend  les  saintes 
huiles  pour  porter  à  la  mourante  le  dernier  sacrement,  et  s'éloigne 
avec  son  fils. 

Le  théâtre  change,  et  nous  revoyons  la  chambre  d'Angélique.  La 
pauvre  enfant  est  moribonde,  ses  yeux  sont  clos;  auprès  d'elle 
veillent  et  prient  sa  mère  et  son  père  adoplifs,  tandis  que  deux 
cierges  brûlent  lentement  sur  une  table.  Bientôt  on  voit  entrer  l'é- 
vêque et  Félicien,  suivis  de  deux  enfants  de  chœur.  L'évêque  bénit 
la  chambre,  puis  se  met  en  devoir  d'administrer  à  la  malade  l'ex- 
Irême  onction.  Nous  entendons  alors  la  prose:  Pei-  istam  Sanctam 
Unctionein,  etc.,  à  laquelle  les  assistants  répondent  :  Amen. 

Angélique  est  toujours  inerte,  et  Félicien,  les  yeux  baignés  de 
larmes,  supplie  son  père  de  prier  pour  elle.  L'évêque,  à  cet  appel, 
élève  la  voix  et  adjure  le  Seigneur  de  faire  un  miracle  pour  sauver 
cet  être  chéri  de  tous.  A  peine  a  t-il  achevé,  qa'Angélique  ouvre 
les  yeux  et  se  dresse  sur  son  lit  : 

C'est  vous  que  j'attendais,  Monseigneur.  Je  savais 

Que  je  ne  mourrais  pas  encore, 

Et  que  sûrement  je  vivrais 

Tant  qu'au  cher  prince  que  j'adore 
Mes  saintes  n'auraient  pas  achevé  de  m'unir. 
Jusqu'au  bout  vous  verrez  mon  rêve  s'accomplir. 

Son  rêve  s'accomplira  sans  doute  en  effet,  car  elle  renaît  à  la 
vie,  et  il  est  probable  que  l'évêque  Jean  d'Haulrecœur  ne  s'oppo- 
sera plus  au  mariage  de  son  fils.  La  pièce  se  termine  sur  une  sorte 
de  cantique  d'actions  de  grâce. 

Tel  est  le  livret  du  Rêve,  dont  je  crois  avoir  reproduit  au  moins 
l'ossature,  aussi  fidèlement  que  possible.  Il  est  fort  bien  fait,  je  ne 
saurais  le  méconnaître,  et  les  vers  en  sont  harmonieux.  Constitue-t-il 
une  œuvre,  je  ne  dirai  point  scénique,  mais  théâtrale,  au  vrai  sens 
du  mot?  Là  est  toute  la  question,  et  chacun  la  peut  résoudre  à  sa 
manière,  selon  son  sentiment  propre  et  personnel. 

Parlons  maintenant  de  la  musique,  et  tout  d'abord  rectifions  à 
propos  de  son  auteur,  une  erreur  assez  généralement  répandue. 
M.  Bruneau  n'est  pas  «  romain  »,  comme  on  le  croit  volontiers, 
c'est-à-dire  qu'il  n'a  pas  obtenu  le  grand  prix  qui  devait  lui  faire 
faire  le  voyage  de  Rome.  Lorsque,  après  avoir  remporté  au  Conser- 
vatoire, en  1877,  un  premier  prix  de  violoncelle  dans  la  classe  de 
Franchomme,  il  concourut  en  1881  à  l'Institut,  l'Académie  des  Beaux- 
Arts  ne  jugea  pas  à  propos  de  décerner  de  premier  grand  prix  pour 
ce  concours,  et  lui  attribua  seulement  un  «  premier  second  orand 
prix.  »  Si  je  relève  ce  fait,  qui  ne  saurait  en  lui-même  porter 
aucune  atteinte  à  la  valeur  musicale  de  M.  Bruneau,  c'est  simple- 


ment pour  rétablir  la  vérité.  J'ajoute  que  M.  Bruneau,  qui  est  élève 
de  M.  Massenet,  est  âgé  aujourd'hui  de  trente-quatre  ans,  étant  né  à 
Paris  le  3  mars  1837.   C'est  donc  véritablement  un  «  jeune  ». 

Nous  connaissions  déjà  de  lui  un  ouvrage  en  trois  actes,  Kérim, 
qui  fut  représenté  il  y  a  quatre  ans,  le  9  juin  1887,  pendant  une 
des  saisons  lyriques  du  théâtre  du  Château-d'Eau.  La  partition  de 
Kérim  pouvait  nous  donner  un  avant-goût  des  théories  et  des  procé- 
dés de  l'auteur  en  matière  de  musique  dramatique.  Depuis  lors, 
M.  Bruneau  s'est  essayé  à  la  critique  en  publiant  dans  un  petit 
recueil  rouge,  ia  Revue  indépendante,  des  comptes  rendus  dans  lesquels, 
m'a-t-on  dit  (car  je  n'en  sais  rien,  ne  les  ayant  pas  lus),  il  malmène 
assez  vivement  ceux  de  ses  confrères  qui  pensent  et  agissent  autre- 
ment que  lui.  J'aimerais  mieux,  je  l'avoue,  voir  nos  jeunes  compo- 
siteurs employer  leur  temps  à  composer  qu'à  écrire.  Mais  enfin,  c'est 
une  rage  aujourd'hui,  et  chacun  d'eux  veut  être  à  la  fois  juge  et 
partie. 

Toujours  est-il  que  M.  Bruneau  s'estfait  —  et  mérite,  je  crois,  —  la 
réputation  d'être  un  des  plus  intransigeants  parmi  les  plus  intransi- 
geants de  la  jeune  école.  Il  n'entend  et  ne  veut  rien  entendre  au  sujet 
de  ce  que  ces  messieurs  appellent  «  des  concessions  au  public  »  ;  et 
après  avoir  attentivement  écouté  deux  fois  sa  nouvelle  partition,  je 
crois  pouvoir  affirmer  qu'il  pousse  à  leur  point  le  plus  extrême  les 
plus  pures  traditions  vv'agnériennes.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire,  par 
conséquent,  qu'on  chercherait  vainement  dans  la  partition  du  Rêve 
l'ombre  et  l'apparence  même  d'un  «  morceau  ».  Les  scènes  se  suc- 
cèdent, le  dialogue  se  continue  sans  interruption,  sans  repos  et 
sans  césure,  et  —  les  kit  motive  mis  à  part,  car  il  y  en  a  plusieurs, 
cela  va  de  soi,  —  l'on  ne  voit  jamais  se  reproduire  un  dessin  musi- 
cal une  fois  qu'il  s'est  établi.  D'autre  part,  jamais  deux  voix  ne  se 
font  entendre  ensemble,  et  l'intention  du  compositeur  est  si  arrêtée 
de  supprimer  l'harmonie  des  voix,  que  lorsque  par  instants  la  si- 
tuation l'oblige  absolument  à  en  produire  deux  l'une  avec  l'autre, 
il  les  fait  invariablement  chanter  à  l'unisson.  Enfin,  il  proscrit  réso- 
lument les  chœurs;  et  ceci  encore  est  si  voulu  que,  dans  le  tableau 
du  Clos-Marie,  oîi  se  trouve  une  petite  scène  de  lavandières,  scène 
qui  appelait  l'ensemble  choral  d'une  façon  si  naturelle  et  si  heu- 
reuse, il  ne  leur  accorde  pas  la  parole  et  les  fait  danser  au  lieu  de 
chanter.  Notez  que  ceci  est  absolument  illogique,  que  le  chœur  eût 
été  là  absolument  à  sa  place,  et  que  rien  ne  saurait  le  remplacer. 
Mais  on  a  des  principes  ou  on  n'en  a  pas.  Périssent  l'intelligence  et 
la  logique  scéniques  plutôt  qu'un  principe! 

Ces  observations,  toutefois,  ne  s'adressent  qu'au  sentiment  scé- 
nique de  l'auteur.  Mais  on  peut  formuler  d'autres  critiques,  celles- 
ci  concernant  le  côté  purement  musical,  et  touchant  à  des  points 
qui  me  semblent  plus  graves.  Si  habitués  que  nous  commencions  à 
être  aux  licences  et  aux  duretés  harmoniques,  il  faut  avouer  que 
nous  n'avions  pas  encore  été  soumis  —  au  théâtre,  du  moins  —  à 
un  régime  tel  que  celui  que,  sous  ce  rapport,  nous  impose  M.  Bru- 
neau. Assurément,  les  dissonances  sont  le  condiment,  le  piment, 
si  l'on  veut  de  l'harmonie  ;  ce  n'est  pas  une  raison  pour  nous  con- 
damner au  poivre  rouge  continu.  Il  y  a,  dans  l'harmonie  de 
M.  Bruneau,  des  heurts  d'accords  véritablement  impossibles,  des 
accords  d'ailleurs  absolument  inanalysables  ;  quelquefois  il  leur 
donne  un  semblant  de  figure,  pour  l'œil,  à  l'aide  de  la  pédale,  qu'il 
emploie  du  reste  avec  trop  de  fréquence  ;  mais  ils  n'en  restent  pas 
moins  douloureux  pour  l'oreille.  J'ajoute  qu'il  y  a  là  un  parti  pris 
de  violence  «t  d'étrangeté,  car  le  musicien  en  arrive  à  pervertir  inu- 
tilement des  harmonies  naturelles  par  elles-mêmes,  à  l'aide  d'altéra- 
tions qui  les  rendent  déchirantes.  Quant  à  des  préparations,  à  des 
résolutions  d'accords,  il  est  inutile  de  lui  en  demander;  il  ne  s'en 
occupe  même  pas.  Il  résulte  de  tout  cela  que  le  sentiment  de  la 
tonalité  disparait  d'une  façon  presque  absolue,  et  qu'on  ne  sait  pour 
ainsi  dire  jamais  dans  quel  ton  ou  se  trouve.  Aussi,  qu'arrive-t-il  ? 
Comme  cette  musique  est  véritablement  diabolique  à  chanter,  que 
les  voix  n'ont  jamais  de  point  d'appui,  le  compositeur,  pour  ne  point 
les  laisser  s'égarer,  se  voit  obligé  souvent  de  soutenir  la  partie  vocale 
en  la  redoublant  à  la  basse,  ce  qui  est  antimusical  et  ce  qui  pro- 
duit à  chaque  instant  des  suites  d'octaves  de  l'effet  le  plus  déplo- 
rable. Les  octaves  ne  le  gênent  point  d'ailleurs,  même  outre  les 
parties  instrumentales;  il  s'en  trouve  une  assez  jolie  série,  entre 
autres,  au  début  de  l'introduction  du  second  acte  ! 

Ce  que  je  reprocherai  encore  à  M.  Bruneau,  c'est,  non  point  la 
pauvreté  de  son  orchestre,  qui  est  géuéralement  nourri  et  corsé,  mais 
son  manque  d'intérêt  symphonique.  Quand  on  prend  à  Wagner  ses 
principes,  sa  déclamation,  sou  discours  vocal  ininterrompu,  son 
mépris  des  ensembles,  il  faudrait  lui  emprunter  aussi  son  admirable, 
son  incomparable  orchestre.  Je   sais  bien  que  ce  n'est  pas  facile,... 


d96 


LE  MEINESTIIEL 


mais  je  trouve  qu'ici  la  trame  symphonique  est  bien  lâche,  et  que 
les  développements  font  absolument  défaut. 

Essayer  de  tracer  une  analj'se  serrée  de  la  partition  du  Rêve  serait 
chose  impossible,  étant  donné  la  forme  générale  de  l'œuvre  et 
l'absence  presque  complète  de  points  de  repère.  Je  voudrais  cepen- 
dant tâcher  d'en  faire  ressortir  quelques  pages.  L'inspiration,  il  faut 
le  confesser,  n'y  est  pas  abondante  ;  elle  n'en  est  pourtant  pas  tou- 
jours absente.  Je  n'en  voudrais  pour  preuve  que  la  longue  phrase 
adressée  à  l'évêque  par  Angélique,  au  premier  acte  : 

Il  me  semble  qu'elles  sont  miennes, 
Ces  saintes  aux  regards  si  doux... 

phrase  bien  développée,  et  dont  le  caractère  est  suave  et  pénétrant. 
11  faut  tirer  de  pair  aussi  toute  la  première  partie  du  second  tableau, 
celui  du  Clos-Marie,  où  le  musicien  s'est  fort  joliment  servi  du 
thème  d'une  des  plus  délicieuses  chansons  populaires  si  heureuse- 
ment recueillies  par  M.  Julien  Tiersot.  Il  a  traité  ce  thème  avec 
beaucoup  de  goût  et  d'habileté,  et  l'effet  a  paru  d'autant  plus  heu- 
reux qu'on  trouvait  là  un  rythme  et  une  tonalité,  ce  dont  nous 
étions  un  peu  sevrés  au  cours  de  la  soirée.  Il  y  a  encore  de-ci,  de- 
là, quelques  jolis  accents,  quoiqu'on  puisse  reprocher  au  musicien 
de  s'être  fâcheusement  dérobé  dans  les  grandes  situations,  et  de 
n'avoir  pas  su  trouver  les  élans  passionnés  qu'elles  exigeraient  im- 
périeusement. Entre  autres,  il  s'est  servi  heureusement  et  à  diverses 
reprises  (trop  fréquemment,  même"),  des  thèmes  du  chant  liturgiqne. 
Il  a  obtenu  ainsi  un  joli  effet,  à  la  fin  du  second  tableau,  en  faisant 
chanter  par  les  voix  invisibles  le  thème  de  VAve  cerum,  et  plus  tard 
en  faisant  entendre,  au  passage  de  la  procession,  le  chant  de  la 
Fête-Dieu. 

En  résumé,  la  partition  du  Rëvc  est  une  œuvre  volontairement 
étrange,  une  œuvre  d'une  intransigeance  farouche,  faite  pour  dé- 
router de  parti-pris  l'esprit  et  les  oreilles,  conçue  dans  un  système 
scénique  et  musical  absolument  arbitraire,  et  dans  laquelle  une 
grande  somme  de  talent,  d'un  talent  très  réel,  est  dépensée  pour 
aboutir  à  un  résultat  qui.  Je  le  crains,  n'est  pas  pour  plaire  consi- 
dérablement au  public.  Je  sais  bien  qu'aujourd'hui  le  public  est 
l'objet  du  mépris  de  quelques-uns  de  nos  jeunes  musiciens.  Pour 
qui  travaillent-ils,  cependant"?... 

M.  Bruneau  n'aura  pas  à  se  plaindre,  toutefois,  de  la  façon  dont 
son  œuvre  a  été  présentée  à  ce  public.  Tous  ses  interprètes,  sans 
exception,  sont  non  seulement  irréprochables,  mais  superbes. 
M"'=  Simonnet,  adorable  dans  le  rôle  d'Angélique,  a  opéré  un  tour  de 
force  incomparable,  car  je  ne  crois  pas  qu'il  existe,  dans  tout  le 
répertoire  international,  un  rôle  plus  difficile  à  chanter  sous  tous  les 
rapports;  et  la  comédienne,  chez  elle,  n'est  pas  inférieure  à  la  can- 
tatrice. M.  Engel,  qui  avait  été  chargé  au  dernier  moment  du  per- 
sonnage de  Félicien,  y  a  donné  la  mesure  de  son  talent  si  châtié, 
si  ferme  et  si  sûr.  Il  a  eu,  particulièrement  au  troisième  acte,  avec 
Angélique,  et  au  quatrième,  dans  sa  scène  avec  son  père,  des  accents 
passionnés  d'une  véhémence  et  d'un  élan  superbes.  M.  Bouvet,  lui 
aussi,  est  extrêmement  remarquable  sous  la  robe  de  l'évêque  Jean 
d'Hautecœur;  il  a  fait  preuve  d'une  noblesse,  d'une  grandeur  et  aussi 
d'une  émotion  dont  on  ne  saurait  trop  le  louer.  Enfin,  M""  Des- 
champs et  M.  Lorrain  sont  excellents  l'un  et  l'autre,  ce  n'est  pas 
trop  dire,  dans  les  deux  rôles  d'Hubertine  et  d'Hubert.  Au  reste, 
les  applaudissements  et  les  rappels  n'ont  manqué  ni  aux  uns  ni  aux 
autres,  et  ce  n'était  que  justice.  L'orchestre,  lui  aussi,  mérite  sa 
bonne  part  d'éloges,  car  sa  lâche  est  loin  d'être  facile,  et  le  compo- 
siteur peut  sans  contrainte  adresser  de  vifs  remerciements  à  son 
chef  Danbé. 

Quant  à  la  mise  en  scène,  il  est  inutile  de  dire  qu'elle  est  réglée 
avec  un  soin  méticuleux  et  particulièrement  artistique.  Mais  ce  qui 
n'est  pas  inutile,  c'est  de  remarquer  combien  est  joli  le  décor  si 
frais  el  si  printanier  du  second  tableau,  celui  du  Clos-Marie.  C'est 
un  vrai  petit  chef-d'œuvre.  Ah!  si  la  musique  avait  de  ces  clartés!... 

Arthur  Pougin. 

Chatelet.  —  Tout-Paris,  pièce  à  grand  spectacle,  en  5  actes  et  M  tableaux, 
de  M.  G.  Duval,  musique  de  M.  Ganne. 

Cette  fois  le  Chatelet  a  su  mettre  la  main  sur  la  vraie  pièce  d'été. 
faite  exclusivement  pour  les  étrangers  qui  choisissent  les  deux 
mois  de  juin  et  de  juillet  pour  faire  leur  petite  visite  à  la  ville- 
lumière.  Je  défie,  en  ,  effet,  n'importe  quel  Parisien,  fùl-il  le  plus 
malin  du  monde,  de  s'intéresser  à  cette  succession  essentiellement 
banale  de  tableaux  et  surtout  à  l'espèce  d'intrigue  délayée  par 
l'auteur,  tandis  que  les  clients  de  Cook  pourront  jouir,  en  une  seule 
soirée,  de  spectacles  qui  leur  auraient  demandé  un  supplément  de 


séjour  parmi  nous.  Sans  quitter  leur  fauteuil,  ils  verront,  comme 
s'ils  y  étaient,  l'intérieur  d'un  tripot  rastaquouère,  les  coulisses  d'un 
théâtre  à  femmes,  une  représentation  du  Chat-Noir,  un  bal  au  Moulin- 
Rouge,  un  rallye-paper  et  même  une  ,fête  dans  le  monde  de  la 
haute  !  S'ils  ont  la  chance  de  ne  point  comprendre  le  français,  ils 
se  laisseront  séduire  par  la  seule  mise  en  scène,  et  mille  fois  plus 
heureux  que  nous,  n'auront  pas  les  oreilles  assassinées  par  d'insi- 
pides calembredaines  qui  ne  riment  à  rien,  car,  il  faut  bien  l'avouer, 
M.  G.  Duval,  qui  est  capable  de  beaucoup  mieux,  il  nous  l'a  déjà 
prouvé,  me  semble,  en  la  circonstance,  avoir  trop  peu  compté 
avec  ses  compatriotes  ;  il  ne  devrait  pas  être  permis  d'abuser  ainsi 
de  la  candeur  d'un  public  trop  bon  enfant.  M.  Ganne,  un  favori 
du  café-concert,  a  voulu  «  soupirer  plus  haut  que  sa  guitare  »,  et 
l'essai  n'a  pas  réussi;  vite!  monsieur,  retournez  aux  refrains  illustrés 
parles  Paulus  et  laissez  là  la  musique  de  ballet,  qui,  jusqu'à  plus 
ample  informé,  n'est  point  votre  fait.  D'une  interprétation  nombreuse 
il  faut  nommer  MM.  Germain,  Rosny,  Peutol,  Scipion  et  M'""  Gilberte, 
Destrées  et  N.  Vernon,  qui  ont  fait  de  leur  mieux,  et  complimenter 
les  décorateurs  et  metteurs  en  scène,  qui  ont  fait  souvent  très 
bien. 

Paul-Émile  Chevalier. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


VIII 

LES  BULLETINS  DE  LA  GRANDE  ARMÉE  MUSICALE 

Malgré  le  succès  des  Bardes  et  la  gloire  qui  en  rejaillit  sur 
l'Opéra,  l'empereur  ne  se  laisse  point  prendre  à  l'étiquette,  et, 
fouillant  par  le  menu  ce  qui  se  passe  dans  ce  théâtre  privilégié,  il  y 
trouve  des  abus,  dont  il  admoneste  sévèrement  son  représentant  : 

«  A  M.  Luçay, 

«  Paris,  24  nivôse  an  XIII  (14  janvier  1803). 
»  Monsieur  Luçày,  mon  premier  préfet  du  Palais,  je  ne  puis 
qu'être  mécontent  de  l'état  des  pensions  que  vous  avez  soumises  à 
mon  approbation.  Mon  intention  est  qu'aucun  artiste  de  mon  Aca- 
démie impériale  de  musique  ne  soit  mis  hors  de  service  sans  mon 
ordre.  M.  Benoit  n'a  pas  le  temps  nécessaire  pour  avoir  droit  à  une 
pension.  MM.  Simon  Denèle  et  Gerval  Durand  en  ont  déjà  obtenu 
une  par  un  arrêté  du  27  ventôse  an  XII;  je  ne  vois  pas  déraison 
de  leur  en  accorder  d'autre.  Mon  intention  est  que  M""  Boullet 
soit  placée  de  manière  à  ne  pas  être  à  charge  au  théâtre » 

Cette  lettre  est  imbue  d'un  esprit  nouveau,  qui,  chez  Napoléon, 
n'existait  pas  au  temps  où  nous  l'avons  vu  demander  modestement 
au  directeur  d'un  théâtre  de  jouer  pour  lui  quelques  pièces  du 
répertoire,  «  si  toutefois  cela  était  possible  ».  Bonaparte  tranche  main- 
tenant de  l'autocrate,  et  ses  bulletins  de  théâtre,  comme  ses  ordres 
du  jour,  sont  marqués  au  sceau  d'un  commandement  bref  et  sans 
réplique,  avec,  en  plus,  un  coin  à'a?icienne  cour  qui  fait  songer  au 
temps,  tout  de  bon  plaisir,  de  l'Œil  de  Bœuf.  Témoin  ce  billet, 
daté  de  Lyon,  21  germinal  an  XIII  (11  avril  1805)  : 

«  A  M.  Cambacérès, 
)i  Mon  cousin,  je  vous  renvoie  un  mémoire  qui  m'est  adressé  par 
les  chefs  de  la  danse  de  l'Opéra.  Il  me  parait  inconvenable,  au  pre- 
mier aperçu,  de  laisser  faire  des  ballets  à  Duport  :  ce  jeune  homme 
n'a  pas  encore  un  an  de  vogue.  Quand  on  réussit  d'une  manière 
aussi  éminente  dans  un  genre,  c'est  un  peu  précipité  que  de  vou- 
loir enlever  celui  de  gens  qui  ont  blanchi  dans  le  travail.  Quant 
aux  réformes,  faites-moi  un  rapport  détaillé.  Quant  aux  règlements, 
proposez-m'en  une  nouvelle  rédaction,  afin  qu'ils  se  trouvent  ra- 
fraîchis. 1)  Napoléon.  » 

Deux  mois  après,  l'empereur  est  à  Milan.  Une  plainte  est  parvenue 
à  son  oreilie,  et  il  fait  trêve  aux  apothéoses  qui  l'entourent  pour 
s'occuper  d'un  détail  infiniment  petit,  sur  lequel  il  marque,  en  ces 
termes  non  équivoques,  son  mécontentement  : 

«  A  M.  Champagny, 

»  Milan,  19  prairial  an  XIII  (8  juin  1805). 

1)  M.  Champagny,  il  me  revient  que  le  Te  Deum  qui  a  été  chanté 

à  Marseille  pour  célébrer  le  couronnement  de  Paris,  n'a  pas  été  payé 

aux  musiciens.  Le  Te  Deum  qui  a  été  chanté  pour  le  couronnement 

du  roi  d'Italie  éprouvera  sans  doute  autant  de  retard  à  l'être.  Les 


LE  MENtiSTRtL 


197 


autorités  militaires  n'y  ont  pas  été  invitées.  Écrivez  au  préfet  de 
ce  département  qu'il  se  hâte  de  faire  disparaître  ces  iDconvénients. 
Il  ne  faut  pas  donner  de  fêtes  si  on  n'a  pas  le  moyen  de  les  payer. 
Il  est  incroyable  qu'une  ville  comme  Marseille  donne  lieu  à  des 
plaintes  aussi  honteuses. 

»    N.VPOLÉON.    » 

Au  commencement  de  1806,  nous  trouvons  cette  note,  représentant 
la  volonté  souveraine,  et  dictée  par  l'empereur  en  conseil  d'admi- 
nistration : 

(I  A  M.  de  Lugay,  premier  préfet  du  palais,  chargé  de  la  direction 
de  la  surveillance  de  l'Opéra,  l'Empereur  prescrit  l'achat,  dans  la 
partie  de  la  rue  de  Louvois  non  bâtie,  de  l'emplacement  nécessaire 
pour  la  construction  d'un  magasin  de  décors.  Celte  dépense  ne 
devra  excéder  sous  aucun  prétexte  130,000  francs. 

»  La  salle  Favart  sera  louée  pour  les  répétitions,  pas  plus  de 
36,000  francs  par  an.  La  construction  de  petites  loges  au  i'  est 
consentie,  mais  ne  devra  pas  coûter  plus  de  10,000  francs  pris  sur 
les  fonds  généraux  du  budget. 

»  M.  de  Luçay  devra,  sur  les  mêmes  fonds,  prélever  un  traitement 
annuel  de  3,000  francs  pour  un  maître  de  danse  chargé  de  compléter 
l'instruction  des  élèves  de  danse  au  sortir  de  l'École. 

»  A  dater  du  l"'  mars,  il  y  aura  à  l'Opéra  quatre  représentations 
par  semaine,  et  des  mesures  seront  prises  de  manière  à  pouvoir, 
dans  les  temps  d'aflluence,  et  notamment  à  l'époque  des  fêtes  du 
mois  de  mai,  donner  cinq  représentations. 

»  On  représentera  dans  le  courant  de  l'année  huit  nouveautés, 
parmi  lesquelles  seront  comprises  la  Médée  de  M.  Fontenelle  et  les 
Danaïdes  de  Salieri.  La  liste  de  ces  nouveautés  et  les  dispositions  à 
prendre  pour  l'exécution  de  cet  ordre  seront  arrêtées  dans  le  cou- 
rant de  mars.  On  fera  connaître  ces  dispositions  par  le  moyen  des 
papiers  publies. 

»  Le  jury  pour  la  réception  des  ouvrages  sera  réorganisé.  M.  de 
Lacépède  sera  invité  à  le  présider.  » 

Dans  la  même  séance,  Talleyrand  et  Rémusat  firent  leur  rapport,  l'un 
pour  l'Opéra-Comique,  l'autre  pour  l'Opéra-Bouffe  et  le  Théâtre  de 
l'Impératrice,  dont  la  direction  et  la  surveillance  leur  incombaient. 

La  discussion  s'étendant  sur  les  autres  théâtres  de  la  capitale, 
Napoléon  décida  que,  celte  concurrence  étant  très  nuisible  pour  les 
quatre  théâtres  subventionnés  et  pour  l'exploitalion  en  général  des 
autres  scènes  privilégiées,  les  exploitations  théâtrales  en  déficit 
seraient  invitées  à  liquider  à  bref  délai,  et  qu'après  leur  chute,  tout 
nouveau  théâtre  autorisé  paierait  à  l'Opéra  une  rétribution  qui  serait 
déterminée. 

Vers  le  môme  temps,  la  direction  de  l'Opéra-Comique  demandant 
des  subsides.  Napoléon  renvoie  cette  requête  à  Talleyrand.  11  accorde 
cent  mille  francs,  «  mais  à  condition  que  les  meilleurs  artistes 
rentrent  à  ce  théâtre  et  qu'il  soit  digne  de  son  ancienne  réputa- 
tion ».  Sinon,  «  il  refuse  tout  secours  ». 

Du  29  juin,  bien  autre  histoire  !  L'Opéra  menace  de  se  dépeupler. 
D'oîi,  cette  lettre  au  roi  de  Naples  : 

«  Saint-Cloud,  29  juin  1806. 
1)  M.  Celérier  débauche  les  acteurs  et  actrices  de  Paris  pour  Naples. 
Déjà  une  ou  deux  artistes  de  l'Opéra  ont  fait  connaître  qu'elles  vou- 
laient se  rendre  à  Naples.  Vous  sentez  tout  ce  que  cette  conduite 
a  de  ridicule.  Si  vous  voulez  des  acteurs  de  l'Opéra,  pardiue,  je  vous 
en  enverrai  tant  que  vous  voudrez;  mais  il  n'est  pas  convenable  de 
les  débaucher.  C'est  ainsi  qu'en  a  agi  la  Russie,  et  je  fus  tellement 
choqué,  dans  le  temps,  de  cette  conduite,  que  je  fis  écrire  à  l'em- 
pereur de  Russie  que  je  lui  enverrais  toutes  les  danseuses  de  l'Opéra, 
s'il  le  voulait,  hormis  M°"^  Gardel...  » 

Mais  les  événements  se  précipitent.  La  campagne  de  Prusse  est 
proche,  et  Napoléon  prend  congé  de  l'Opéra  dans  une  représenta- 
tion où  l'on  donne  un  divertissement  composé  par  Esménard,  que 
venait  de  mettre  en  relief  son  poème  de  la  Navigation. 

«  La  décoration  de  l'Opéra,  nous  apprend  M"'=  de  Rémusat,  repré- 
sentait le  Pont-Neuf.  Des  personnages  de  toutes  les  nations  s'y  réjouis- 
saient ensemble  et  chantaient  des  vers  en  l'honneur  du  vainqueur.  Le 
parterre  y  joignit  ses  chants  ;  des  branches  de  laurier  se  trouvèrent 
distribuées  tout  h  coup  dans  toutes  les  parties  de  la  salle  et  agitées 
ensemble  aux  cris  de  :  Vive  l'Empereur  I  II  fut  ému;  il  dut  l'être. 
Ce  fut  peut-être  une  des  dernières  fois  que  l'enthousiasme  public  ne  fut 
point  commandé.  » 

A  pas  de  géant,  Napoléon  pénètre  au  cœur  de  la  Prusse.  Il  est 
à  Potsdam,  et  dicte  de  là  des  bulletins  demeurés  célèbres.  Mais  les 
petits  côtés  de  sa  grande  administration  centrale  ne  lui  échappent 


point  pour  cela.  De  la  ville  des  premiers  rois  de  Prusse,  il  adresse 
ce  mot  à  Fouché  : 

«  Potsdam,  25  octobre  1806. 

»  Je  vous  envoie  mon  approuvé  de  la  dépense  relative  à  la  mise 
en  scène  du  ballet  du  Retour  d'Ulysse.  Faites-vous  rendre  compte  en 
détail  de  ce  ballet,  et  voyez-en  la  première  représentation  pour 
vous  assurer  qu'il  n'y  a  rien  de  mauvais,  vous  comprenez  dans 
quel  sens.  Ce  sujet  me  paraît  d'ailleurs  beau;  c'est  moi  qui  l'ai 
donné  à  Gardel.  » 

Malgré  ses  débuts  inespérés,  la  campagne  de  1806  se  prolonge 
au  delà  des  prévisions  de  l'empereur.  Après  léna,  l'on  prépare 
Eylau  et  Friedland.  Entre  temps,  à  Paris,  l'enthousiasme  a  débordé 
quand  on  a  su  l'écrasement  de  la  Prusse.  Mais  les  bardes  officiels 
n'ont,  paraît-il,  pas  su  s'élever  à  la  hauteur  des  circonstances. 
C'est,  du  moins,  ce  qui  ressort  des  lettres  qu'on  va  lire. 

«  Berlin,  21  novembre  1806- 
»  A  M.  Cambacérès. 

»  Si  l'armée  tâché"  d'honorer  la  nation  autant  qu'elle  peut,  il  faut 
avouer  que  les  gens  de  lettres  font  tout  pour  la  déshonorer.  J'ai  lu 
hier  les  mauvais  vers  qui  ont  été  chantés  à  l'Opéra.  En  vérité, 
c'est  une  dérision.  Comment  soufTrez-vous  qu'on  chante  des  im- 
promptus à  l'Opéra.  Cela  n'est  bon  qu'au  Vaudeville.  Témoignez-en 
mon  mécontentement  à  M.  de  Luçay.  M.  de  Luçay  et  le  ministre 
de  l'intérieur  pouvaient  bien  s'occuper  de  faire  faire  quelque  chose 
de  passable  ;  mais  pour  cela  il  ne  faut  vouloir  le  jouer  que  trois 
mois  après  qu'on  l'a  demandé.  On  se  plaint  que  nous  n'avons  pas 
de  littérature;  c'est  la  faute  du  ministre  de  l'intérieur.  Il  est  ridicule 
de  commander  une  églogue  à  un  poète  comme  on  commande  une 
robe  de  mousseline.  Le  ministre  aurait  dû  s'occuper  de  faire  prépa- 
rer des  chants  pour  le  2  décembre.  S'il  ne  l'a  pas  fait  cette  année, 
chargez-le  de  s'en  occuper,  dès  à  présent,  pour  l'année  prochaine.  » 

Du  même  jour  : 

«  A  M.  Champagny. 

»  Défendez  qu'il  soit  rien  chanté  à  l'Opéra  qui  ne  soit  digne 
de  ce  grand  spectacle...  Ls  littérature  étant  dans  votre  département, 
je  pense  qu'il  faudrait  vous  en  occuper;  car,  en  vérité,  ce  qui  a 
été  chanté  à  l'Opéra  est  par  trop  déshonorant...  » 

Ces  lettres  ont  produit  leur  effet;  car  à  la  date  du  16  janvier  sui- 
vant, Napoléon,  plus  satisfait,  écrit  de  Varsovie  au  même  M.  de 
Champagny : 

«  J'ai  lu  avec  plaisir  ce  qui  a  été  chanté  à  l'Opéra.  Témoignez-en 
ma  satisfaction  à  l'auteur.  J'avais  ordonné  qu'on  lui  fît  un  cadeau 
pour  sa  pièce  de  Joseph.  Rendez-moi  compte  de  tout  cela.  Toutefois, 
donnez-lui  une  gratification .  En  général,  la  meilleure  manière  de 
me  louer  est  de  faire  des  choses  qui  inspirent  des  sentiments 
héroïques  à  la  nation,  à  la  jeunesse  et  à  l'armée.  » 

Ici  se  place  une  correspondance  intime  qui  a  son  coin  marqué 
dans  ce  chapitre.  D'Ostérode,  Napoléon  adresse  plusieurs  lettres  à 
l'impératrice.  La  première  est  pour  sa  fête.  On  y  trouve  ces  lignes: 

«  Je  m'ennuie  fort  d'être  loin  de  toi.  L'âpreté  de  ces  climats 
retombe  sur  mon  âme  ;  nous  désirons  tous  Paris,  ce  Paris  qu'on  re- 
grette partout  et  pour  lequel  on  ne  cesse  de  courir  après  la  gloire; 
et  tout  cela,  Joséphine,  au  bout  du  compte,  afin  d'être  applaudi,  au 
retour,  par  le  parterre  de  l'Opéra» . 

Du  même  endroit,  en  date  du  17  mars  1807  : 

«  Mon  amie,  il  ne  faut  pas  aller  en  petite  loge  aux  petits  spec- 
tacles. Cela  ne  convient  pas  à  votre  rang.  Vous  ne  devez  aller  qu'aux 
quatre  grands  théâtres, et  en  grande  loge.  Faites  comme  vous  le  fai- 
siez quand  j'étais  à  Paris». 

Quelques  jours  après,  l'empereur  revient  sur  le  même  sujet: 

«  Je  vois  avec  plaisir  que  tu  as  été  à  l'Opéra  et  que  tu  as  le  projet 
de  recevoir  toutes  les  semaines.  Va  quelquefois  au  spectacle  et 
toujours  en  grande  loge.   » 

(A  suivre.)  Edmond  Neckomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


On  vient  de  célébrer  à  Vienne  le  vingt-cinquième  anniversaire 
d'une...  valse,  le  Beau  Danube  bleu,  de  Strauss.  Cette  jolie  composition, 
dont  la  vogue  demeure  si  exceptionnelle,  avait  été  exécutée  pour  la  pre- 
mière fois,  en  février  1866,  à  un  bal  costumé  du  Viiener-Gesang-Vereiii. 
Elle  avait  été  primitivement  écrite  pour  chœur  et  orchestre  sur  des  paroles 


198 


LE  MENESTREL 


quelconques,  inspirées  par  la  circonstance.  Ce  ne  fut  que  deux  ans  plus 
tard  qu'un  poète  du  cru  y  adapta  des  paroles  moins  carnavalesques.  Le 
succès  fut  énorme  dès  la  première  exécution  au  liai  de  1866,  et  le  mor- 
ceau fut  bissé  d'acclamation.  L'œuvre  a  fait  depuis  un  joli  chemin.  On 
peut  dire  qu'il  n'est  pas  un  orchestre  d'Europe  ou  d'Amérique  qui  ne  l'ait 
jouée,  pas  un  salon  où  elle  n'ait  été  exécutée  au  piano.  C'était  hien  le 
moins  qu'on  célébrât  son  vingt-cinquième  anniversaire. 

—  On  nous  mande  de  Berlin  le  triomphe  éclatant  obtenu  dans  Lnkmé 
par  M""^  Marcella  Sembrich.  Jamais  on  n'a  vu  foule  pareille  et  recettes 
aussi  fortes.  La  cantatrice  est,  à  chaque  représentation,  l'objet  d'applaudis- 
sements répétés,  d'ovations  bruyantes,  de  rappels  sans  fin,  sans  compter 
les  fleurs  qui  lui  sont  prodiguées  de  toutes  parts. 

—  L'empereur  d'Allemagne  vient  de  conférer  à  Antoine  Rubinstein,  à 
Saint-Pétersbourg,  la  croix  de  l'ordre  du  Mérite  :  c'est  la  distinction  la 
plus  élevée  des  ordres  prussiens  qui  puisse  être  accordée  à  un  civil.  Quel- 
ques jours  auparavant,  le  tsar  avait  conféré  à  Rubinstein  la  croix  de 
Saint-André.  C'est  à  l'occasion  de  sa  retraite  du  Conservatoire  que  ces 
distinctions  accablent  l'illustre  pianiste. 

—  La  Société  de  musique  de  chambre  de  Saint-Pétersbourg  ouvre  un 
concours  pour  la  composition  d'un  quatuor  pour  instruments  à  cordes, 
concours  dont  voici  les  conditions  :  1"  Le  concours  est  international  ;  les 
compositeurs  de  tous  les  pays  y  pourront  prendre  part.  —  2"  Une  com- 
mission compétente  est  nommée  à  l'effet  d'examiner  les  compositions.  — 
3°  Les  deux  meilleurs  quatuors  reçoivent  des  prix  :  le  premier  de  SoO  rou- 
bles, le  second  de  150  roubles.  Les  autres  compositions  pourront,  selon 
leur  mérite,  être  l'objet  de  mentions  honorables.  —  4°  Pour  le  cas  où  le 
premier  ou  même  les  deux  premiers  prix  ne  pourraient  être  distribués, 
la  Société  paie  des  compensations  pour  les  quatuors  qui,  sans  avoir  mé- 
rité les  prix,  présenteront  le  plus  de  qualités,  —  S"  Les  compositions 
envoyées  devront  porter  une  devise  qui  sera  inscrite  également  sur  l'en- 
veloppe renfermant  le  nom  et  l'adresse  du  compositeur.  —  6"  Il  est  expres- 
ment  recommandé  d'envoyer  les  compositions  en  partition  et  en  parties 
séparées.  —  7"  Le  dernier  délai  pour  l'envoi  des  compositions  est  le 
l'i'janvier  1892.  La  décision  de  la  commission  sera  publiée  vers  le  i<"  avril 
1892.  -^  8»  Les  compositions  qui  n'auront  obtenu  ni  prix  ni  mention 
seront  rendues  à  leurs  auteurs,  sur  la  présentation  du  reçu  à  eux  délivré 
par  la  Société  au  moment  où  les  manuscrits  lui  auront  été  remis.  — 
9°  Les  compositions  devront  être  adressées  au  magasin  de  musique  Buttner, 
perspective  Nevsky,  22  (Société  de  musique  de  chambre  à  Saint-Péters- 
bourg). 

—  Un  fait  assez  singulier  s'est  produit  récemment  à  Brunswick,  à  la 
première  représentation  d'un  opéra  nouveau,  Loreley,  dû  à  M.  Sommer, 
compositeur  qui  est  depuis  plus  de  vingt  ans  le  benjamin  du  public  de 
cette  ville,  où  il  est  né.  Malgré  la  défiance  ordinaire  du  public  alle- 
mand, le  théâtre  était  comble  et  l'ouvrage  allait  commencer,  lorsqu'une 
chute  assez  grave  faite  par  le  premier  ténor,  M.  Hermann  Schrcetter,  le 
mit  dans  l'impossibilité  de  se  présenter  en  scène.  L'administration  eut 
alors  l'idée,  et  une  annonce  fut  faite  en  ce  sens,  de  remplacer  le  ténor 
invalide  par  un  simple  acteur  dramatique  qui  déclamerait  son  rôle  au 
lieu  de  le  chanter.  Quelque  étrange  que  lût  cette  proposition,  les  specta- 
teurs l'acceptèrent,  et  la  représentation  eut  lieu  dans  ces  conditions  inso- 
lites —  et  peu  musicales.  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux,  c'est  qu'on 
applaudit  frénétiquement  l'ouvrage,  qu'on  applaudit  le  faux  ténor  réci- 
tant, et  qu'on  applaudit  enfin  le  compositeur,  qui  fut  rappelé  plusieurs 
fois  avec  vigueur.  C'est  le  cas  de  dire  que  tout  est  bien  qui  finit  bien. 

—  Le  fameux  bras  articulé  du  ténor  Roger  est  distancé  de  beaucoup.  Il 
y  a  en  ce  moment  au  théâtre  de  Leitomischl,  petite  ville  de  la  Bohème, 
une  forte  chanteuse  de  très  grand  talent  qui  a  une  jambe  de  bois!  La 
place  de  cette  artiste  serait  à  l'Opéra  de  Vienne,  sans  le  malheur  qui  l'a 
frappée,  et  qui  la  force  à  courir  les  obscures  bourgades,  où  d'ailleurs, 
elle  fait  fureur. 

—  Du  Strad,  de  Londres:  Le  violoncelliste  David  Popperse  promenait  un 
jour  à  Garlsbad  eu  compagnie  d'un  compositeur  dramatique  très  connu. 
Ils  passèrent  devant  les  maisons  de  Goethe,  Laube  et  autres  célébrités  en 
l'honneur  desquelles  on  avait  apposé  à  l'extérieur  des  plaques  commémo- 
ratives.  Arrivés  devant  la  demeure  du  compositeur,  Popper  dit  à  celui-ci  : 
Vous  me  croirez  si  vous  voulez,  mon  cher  ami,  mais  dans  quelques  années 
cette  maison  aussi  portera  au-dessus  de  la  porte  un  tableau  avec  cette  ins-' 
cription...  —  Que  dites -vous  là?  interrompit  vivement  le  compositeur, 
qui  paraissait  offensé  dans  sa  modestie.  Certainement  je  ne  méconnais  pas 
mon  talent  et  je  travaille  de  mon  mieux,  mais  quant  à  supposer  qu'une 
pareille  chose  puisse  advenir...  —  Permettez-moi  d'achever  ma  phrase, 
cher  ami,  reprit  Popper.  Je  répète  qu'un  jour  viendra  où  l'on  placera  au- 
dessus  de  la  porte  d'entrée  de  cette  demeure  un  tableau  avec  l'inscription  : 
Appartements  à  louer  ! 

—  A  Amsterdam,  la  troupe  d'opéra  néerlandais  a  représenté,  dans  ces 
derniers  temps,  deux  opéras  nouveaux  de  compositeurs  nationaux;  Albert 
Beijlingh,  de  M.  Brandts  Buijs,  et  Fleur  d'Islande,  de  M.  Vaut  Krujs.  Ni 
l'un  ni  l'autre  de  ces  deux  ouvrages  n'a  réussi.  On  avait  donné  aupara- 
vant, avec  un  très  grand  succès,  la  Muette  de  Portiei,  d'Auber,  dont  l'etécu- 
tion  d'ailleurs  était    excellente.   A  Rotterdam,    la  troupe   allemande  qui 


exploitait  le  théâtre  de  cette  ville  a  du    quitter  la  place  devant  l'indiffé- 
rence du  public. 

—  Les  principaux  ouvrages  choisis  pour  la  prochaine  saison  de  la 
Scala  de  Milan,  sont  :  Tannliàuser,  Hamlet,  Carmen,  les  Huguenots,  et  un 
opéra  nouveau  de  M.  Alfredo  Catalano,  intitulé  Vally.  On  avait  paru  songer 
un  instant  au  Néron  de  M.  Boito,  mais  c'est  décidément  là  l'opéra  impos- 
sible, et  on  commence  à  croire  que  son  auteur  ne  le  terminera  pas  avant 
le  XX'' siècle.  Parmi  les  artistes  engagés  jusqu'à  ce  jour,  on  signale  les 
noms  de  M"'"^  Arket  et  Theodorini,  de  MM.  Negri  et  Mariacher,  ténors, 
Blanchart,  baryton,  et  Boudouresque,  basse.  Le  chef  d'orchestre  sera 
M.  Mascheroni. 

—  Le  conseil  communal  de  Milan  vient  de  décider  la  mise  en  vente  aux 
enchères  du  théâtre  de  la  Canobbiana,  pour  un  prix  qui  ne  devra  pas  être 
inférieur  à  400,000  francs.  Le  produit  de  la  vente  sera  partagé  entre  le 
Domaine,  la  commune,  la  maison  royale  et  les  patchettistes,  c'est-à-dire  les 
propriétaires  de  loges.  Le  théâtre  de  la  Canobbiana,  l'un  des  plus  anciens 
de  l'Italie,  ne  compte  pas  moins  de  cent  douze  années  d'existence.  Pen- 
dant ce  long  espace  de  temps  il  a  servi  à  des  spectacles  de  toute  sorte  : 
opéras,  ballets,  tragédies,  opérettes,  etc.  Toutefois,  c'est  l'opéra  et  le  ballet 
qui  lui  ont  valu  le  meilleur  de  sa  renommée.  C'est  là  que  Donizetti  a 
donné  son  Elisir  d'amore,  Vaccai  Giulietla  e  Romeo,  Lauro  Rossi  il  Domino 
ncro.  M.  Pedrotti  Guerra  in  quattro...  A  la  suite  de  l'horrible  catastrophe 
du  Ring-Theater  de  Vienne,  les  représentations  lyriques  furent  défendues 
à  la  Canobbiana,  qui  depuis  lors  resta  presque  constamment  fermée.  Le 
nom  de  ce  théâtre  lui  venait  de  ce  qu'il  avait  été  construit  sur  le  terrain 
où  se  trouvaient  auparavant  plusieurs  écoles  fondées  par  Paolo  Canobbio, 
et  qui  avaient  pris  elles-mêmes  le  nom  de  Canobbiane. 

—  Le  conseil  communal  de  Naples  a  décidément  voté,  par  28  voix  contre 
12,  la  suppression  de  la  subvention  pour  le  théâtre  San-Carlo,  en  mainte- 
nant seulement  une  somme  de  34,000  francs  pour  ce  qu'on  appelle  là-bas 
les  masses,  c'est-à-dire  l'orchestre  et  les  chœurs.  Dans  ces  conditions  peu 
brillantes,  on  craint  fort  qu'il  ne  se  présente  pas  un  imprésario  sérieux 
pour  tenter  l'aventure,  et  que,  par  conséquent,  le  théâtre  San-Carlo,  l'une 
des  quatre  grandes  scènes  lyriques  de  la-  Péninsule,  ne  soit  obligé  de 
tenir  ses  portes  closes  p-mdant  la  prochaine  saison  d'hiver. 

—  Un  orchestre  de  chiens  !  Il  parait  qu'à  Londres,  le  pays  de  l'excen- 
tricité, un  entrepreneur  de  curiosités,  nommé  Louis  Lavater,  fait  voir  en 
ce  moment  un  orchestre  de  ce  genre,  auquel  il  donne  le  nom  harmonieux 
de  Cagliostromantheon.  Les  aimables  quadrupèdes  qui  composent  cette 
compagnie   musicale  d'un  nouveau  genre,   vêtus  de  costumes  grotesques, 

■  arrivent  sur  la  scène  en  marchant  sur  leurs  pattes  de  derrière  et  vont 
gagner  méthodiquement  la  place  assignée  à  chacun  d'eux.  Chaque  chien 
est  porteur  d'un  instrument  (?)  et  d'un  pupitre,  et,  sur  un  signe  donné 
par  leur  maître,  tous  ensemble  attaquent  leur  symphonie...  canine. 
L'effet,  dit-on,  n'est  pas  précisément  flatteur  pour  les  oreilles  quelque 
peu  délicates,  mais  les  spectateurs  rient  à  gorge  déployée. 

—  Le  succès  que  P.  Tschaïkowsky,  le  célèbre  compositeur  russe, 
vient  de  remporter  à  New-York,  a  surpassé  l'attente  de  ses  amis  même 
les  plus  optimisles.  Un  imprésario  s'est  empressé  d'engager  le  maître  à 
venir  diriger  lui-même  l'exécution  de  ses  œuvres  à  Washington,  à  Phila- 
delphie et  à  Baltimore.  M.  Tschaïkowsky  reviendra  en  Europe  dans  le 
courant  de  ce  mois. 

—  Un  nouveau  système  musical  a  pris  naissanre  en  Amérique.  C'est 
M.  Julius  Klauser,  de  Milwaukee,  qui  en  est  l'auteur  et  il  l'expose  avec 
toute  la  conviction  de  la  foi  dans  un  volume  de  trois  cents  pages  in-S", 
intitulé  le  Septonat  et  la  centralisation  du  système  tonal,  aperçu  nouveau  des 
relhtions  fondamentales  des  sons  entre  lUX  et  simplification  de  la  théorie  et  de  la 
pratique  musicales.  C'est  le  renversement  complet  du  système  actuel.  Au 
principe  de  la  gamme  M.  Klauser  substitue  celui  de  septonat  (du  latin 
septem,  tonus  et  natura)  qui  est  la  réunion  de  sept  tons  classés  dans  l'ordre 
naturel  et  dont  le  centre  est  formé  par  la  tonique.  En  d'autres  termes,  le 
septonat  est  formé  par  la  réunion  de  deux  tétracordes  partant  de  la  toni- 
que pour  aller  l'une  vers  l'aigu,  l'autre  vers  le  grave.  Le  mouvement  simul- 
tané des  deux  tétracordes  présente  le  principe  fondamental  de  l'harmonie. 
M.  Julius  Klauser  pense  avoir  trouvé,  avec  le  septonat,  la  formule  qui 
résume  toute  la  théorie  musicale  et  en  permet  l'application  la  plus  facile, 
la  plus  rationnelle  et  la  plus  logique. 

—  Aux  Etats-Unis,  c'est  la  saison  des  festivals  de  musique.  Un  des 
derniers  a  été  celui  de  Buffalo.  On  y  a  donné  six  grands  concerts,  dont 
le  premier  a  seul  été  véritablement  intéressant,  étant  consacré  en  grande 
partie  à  l'audition  de  l'oratorio  Èveàe  M.  Massenet.  Les  chœurs  (cinq  cents 
exécutants)  ont  fait  d'excellente  besogne  sous  la  direction  de  M.  Lund. 
L'orchestre  de  la  Société  symphonique  de  Boston,  dirigé  par  M.  Nikisch, 
s'est  moins  bien  comporté.  Dans  la  même  séance,  M"'=  De  Vère  a  rem- 
porté un  succès  avec  l'air  i'Hamlet. 

—  La  ville  de  Providence,  qui  est  la  deuxième  de  la  Nouvelle-Angle- 
terre sous  le  rapport  de  la  population  et  de  la  richesse,  était  jusqu'à  ce  jour 
très  en  arrière  en  ce  qui  touche  l'organisation  musicale.  Elle  ne  possède 
qu'une  seule  société  chorale,  dont  les  progrès,  lents  d'abord,  ont,  après 
dix  années  de  fonctionnement,  pris  une  extension  considérable,  si  bien 
que  grâce  à  ses  efforts  intelligents,  guidée  par  un  excellent  chef,  M.  Zer- 


LE  MENESTREL 


199 


rahn,  elle  a  pu  organiser  un  festival  de  musique  très  remarquable  et  dont 
la  réussite  a  été  complète.  L,'Arion  Club,  —  c'est  le  nom  de  cette  société  — 
avait  fait  appel  à  l'excellent  orchestre  de  Boston  et  à  des  solistes  dis- 
tingués, à  la  tète  desquels  brillaient  M™  Emma  Juch,  MM.  A.  Dippel, 
Guille,  Ludwig  et  le  pianiste  Aus  der  Ohe.  Le  festival  a  duré  trois  jours, 
et  parmi  les  meilleures  œuvres  qui  y  ont  été  exécutées  on  cite  surtout 
la  Damnation  de  Faust,  dirigée  par  M.  Jordan,  la  Belle  Hélène,  cantate  de 
M.  Max  Bruch,  le  Dernier  Sommeil  di  la  Vierge,  de  M.  Massenet,  l'intermezzo 
de  la  Source,  de  Léo  Delibes,  GalUa,  de  M.  Gounod,  le  concerto  pour  piano 
de  M.  Tschaïkowsky  et  VÉlie  de  Mendelssohn.  C'est  une  grande  victoire 
pour  l'Arion  Club  et  ses  trois  cent  cinquante  chanteurs.  Il  est  question 
d'ériger  le  festival  de  Providence  en  institution  permanente,  qui  tiendra 
des  réunions  musicales  tous  les  ans. 

—  Le  violon  enchanté.  C'est  le  titre  qu'on  pourrait  donner  à  un  fait 
divers  très  authentique  qu'on  nous  envoie  d'Amérique  et  où  il  est  question 
d'un  pauvre  chauffeur  du  district  de  Bergen  (New-Jersey)  et  d  un  violon 
bourré  de  billets  de  banque.  Clément,  c'est  le  nom  du  chauffeur,  avait 
acheté  l'instrument  à  une  vente  du  Mont-de-Piété  pour  la  somme  de 
quatre  francs.  Rentré  chez  lui,  il  voulut  l'essayer,  mais  n'en  put  tirer  le 
moindre  son.  De  dépit  il  brisa  le  violon,  de  l'intérieur  duquel  tomba  tout 
à  coup  une  liasse  de  billets  de  banque.  Il  y  en  avait  pour  1,700  dollars 
(environ  8,600  francs).  Gela  ne  ressemble-t-il  pas  à  un  conte  de  fées  ? 

PARIS    ET   DEPARTEMENTS 

Aujourd'hui  dimanche,  l'Opéra  donnera  Faust,  en  représentation  popu- 
laire, à  prix  réduits. 

—  Le  ténor  Van  Dyck  a  passé  cette  semaine  par  Pari.s,  pour  s'entendre 
sur  certains  points  de  la  mise  en  scène  de  Lohengrin  avec  les  directeurs 
de  l'Opéra.  Après  les  deux  mois  qu'il  passera  à  Paris  en  septembre  et 
en  octobre,  le  ténor  Van  Dyck  retournera  à  Vienne  pour  y  créer  très  pro- 
bablement le  Werther  de  M.  Massenet,  dont  l'étranger  aurait  ainsi  la 
primeur,  ainsi  qu'il  advint  pour  Hérodiade,  du  même  compositeur.  Le 
désir  de  M.  Van  Dyck  serait  de  passer  à  l'Opéra  de  Paris  les  quelques 
mois  que  lui  laissent  ses  engagements  de  Vienne  et  de  Londres;  nul 
doute  que  M.  Bertrand,  le  nouveau  directeur  de  l'Opéra,  ne  se  prétft  à 
un  désir  aussi  agréable  pour  les  Parisiens.  M.  Van  Dyck  demanderait  à 
chanter,  entre  autres  ouvrages,  ÏHérodiadc  de  M.  Massenet,  qui,  dans  les 
projets  de  M.  Bertrand,  doit  venir  immédiatement  après  la  Salautmbû  de 
M.  Reyer.  Il  serait  également  un  très  beau  Kéron  pour  l'opéra  de  Rubins- 
tein,  qui  figure  aussi  au  programme  de  l'Opéra. 

—  Nous  avons  donné  les  dates  des  prochains  concours  du  Conservatoire. 
Voici  maintenant  la  liste  des  morceaux  choisis  pour  être  exécutés,  dans 
ces  concours,  par  les  élèves  des  classes  de  piano  et  d'instruments  à  cordes  : 

Piano  (hommes)  :  Sonate  en  la  bémol,  de  Weber  ; 

Piano  (femmes)  :  Allegro  de  concert,  de  M.  Ernest  Guiraud  ; 

Piano  (classes  préparatoires,  hommes)  :  4"  concerto  de  Moschelès; 

Piano  (classes  préparatoires,  femmes)  :  2"  concerto  de  Field  ; 

Violon  :  19'=  concerto  de  Viotli  ; 

Violon  (classes  préparatoires):  7"  concerto  de  Rode; 

Violoncelle:  2°  concerto'  de  Gollermann; 

Harpe  :  concerlino,  op.  175,  d'Oberthur. 

—  Les  exigences  du  mouvement  musical  à  la  fin  d'une  saison  très 
chargée  sont  telles  que  les  journaux  spéciaux,  en  dépit  de  leurs  désirs, 
ne  peuvent  toujours  suffire  à  la  tâche.  C'est  ainsi  que  nous  sommes  en 
retard  avec  un  bon  nombre  de  publications  importantes,  et  que,  particu- 
lièrement, l'espace  nous  a  manqué  jusau'à  ce  jour  pour  annoncer  l'appa- 
rition du  nouveau  livre  de  notre  collaborateur  et  ami  Arthur  Pougin: 
L'Oj)éra-Comique  pendant  la  Révolution,  de  I78S  à  4801,  qui  remonte  déjà  à 
quelques  semaines.  Il  en  résulte  qu'avant  même  que  nous  en  ayons  pu 
parler,  l'ouvrage  est  parvenu  à  sa  seconde  édition,  si  bien  que  nous  avons 
à  en  constater  le  succès  en  même  temps  que  la  publication  (un  volume 
in-12,  Savine,  éditeur).  Les  lecteurs  de  ce  journal  ont  eu  d'ailleurs  la 
primeur  de  ce  travail  intéressant,  et  ce  n'est  pas  à  eux  que  nous  avons  à 
en  faire  l'éloge.  Ils  savent  que  ce  livre,  fort  important  par  son  sujet,  et 
qui  joint  à  un  grand  intérêt  artistique  un  véritable  intérêt  politique  et 
social,  offre  un  caractère  entièrement  nouveau.  C'est  la  première  fois  en 
effet  qu'on  trace  ainsi  l'histoire  d'un  des  grands  théâtres  parisiens  et  des 
plus  aimés  du  public  pendant  cette  époque  si  troublée,  si  mouvementée 
et  si  dramatique,  et,  en  dehors  des  faits  nouveaux  que  présente  cette 
histoire  au  point  de  vue  particulier  du  théâtre  qui  en  fait  l'objet,  elle 
groupe  tout  un  ensemble  d'incidents  plus  généraux  se  rapportant  à  tous 
les  établissements  du  même  genre,  qui,  aidés  d'une  nombreuse  série  de 
pièces  officielles  inédites,  de  documents  complètement  inconnus, jettent  un 
jour  particulier  sur  l'histoire  même  de  la  Révolution.  L'auteur  n'a  pas 
failli  d'ailleurs  à  sa  coutume  :  il  a  revu  et  remanié  son  travail  à  l'occa- 
sion de  sa  publication  en  volume,  en  l'augmentant  encore  d'un  grand 
nombre  de  pièces  très  curieuses  et  du  plus  vif  intérêt.  Il  était  juste  que 
le  succès  vint  couronner  ses  efforts  et  on  nous  permettra  de  le  constater 
avec  plaisir. 

—  La  dernière  audition  des  élèves  de  M.  Charles  René  à  l'institut  Rudy 
a  surpassé  encore  les  précédentes  par  l'intérêt  du  programme  et  le  nombre 
des  jeunes  artistes  remarquables  qui  y  ont  été  entendus.  Après  les  œuvres 
de  Beethoven,  Chopin,  Humrael,  on  a  particulièrement  applaudi  les  belles 


études  artistiques  de  M.  B.  Godard  (Cavalier  fantastique.  Jonglerie),  l'exquise 
Barcarolle  de  Diémer,  plusieurs  morceaux  de  Sylvia  et  la  Romance  hongroise 
de  Léo  Delibes,  la  Valse-arabesque  de  Lack  et  la  Gigue  américaine  de  Redon. 
Il  faudrait  citer  une  vingtaine  de  noms  pour  signaler  les  personnes  qui 
se  sont  distinguées  par  l'originalité  de  l'exécution  et  l'excellence  du  style. 
Dans  cette  brillante  audition  de  trente-huit  jeunes  pianistes,  bornons-nous 
à  nommer  celles  qui  se  destinent  à  la  carrière  artistique  ou  à  l'ensei- 
gnement :  M"=s  Dardel,  Barth,  Szymansky,  Bœswillwald,  Schein,  Le  Che- 
valier, Rennesson  et  surtout  M.  Georges  Hébert,  un  artiste  au  jeu  correct 
et  sûr.  Une  mention  spéciale  à  M""^  Hochet,  élève  de  M™<î  René  de  Groot. 

—  Très  intéressante  audition,  dimanche  dernier,  par  les  élèves  de 
M^J"  Louise  Aubry,  des  œuvres  pour  piano  de  M""  Filliaux-Tiger.  Plusieurs 
de  ces  jeunes  élèves  sont  déjà  en  passe  de  devenir  des  artistes  distingués, 
et  les  œuvres  de  M'"'^  Filliaux-Tiger  sont  charmantes.  On  a  particulière- 
ment goûté  deux  arrangements  à  quatre  mains  de  la  Vieille  Chanson  et  de 
la  Danse  russe  d'Armingaud. 

—  On  nous  écrit  de  Lille  :  «  La  présence  de  Cossira,  l'artiste  aimé  du 
public  lillois,  avait  attiré  dimanche  au  Palais-Rameau  tous  les  habitués 
de  nos  concerts;  la  salle  était  magnifique.  Cossira  possède  toujours  cette 
voix  chaude  et  sympathique  qui  avait  enthousiasmé  ses  auditeurs  lors 
de  sa  première  séance  à  Lille  pour  la  création  i'Hérodiade.  Il  a  chanté 
avec  art  et  pureté  un  air  de  Sigurd,  un  air  i'Ascanio,  les  Enfants  de  Massenet 
et  le  grand  duo  du  premier  acte  du  Trouvère  avec  M""  Emma  Cossira,  dont 
la  magnifique  voix  de  contralto  a  étonné  l'auditoire;  ses  belles  notes 
graves  sont  d'une  grande  sonorité.  Le  public  a  fait  fête  aux  deux 
artistes.  » 

—  C'est  avec  plaisir  que  nous  venons  d'apprendre  le  succès  remporté  par 
M.  Gibaux-Battraann,  le  fils  du  sympathique  directeur  de  l'école  normale 
de  Dijon,  au  concours  de  composition  organisé  par  l'Académie  de  musi- 
que de  Toulouse.  Non  seulement  son  travail  (Marche  romaine,  chœur  avec 
orchestrej  a  été  couronné,  mais  il  a  été  fort  remarqué  du  jury,  qui  a  tenu 
à  adresser  ses  félicitations  à  l'auteur,  qui  n'est  encore  âgé  que  de  dix- 
sept  ans. 

—  CoœERTS  ET  soiBÉiîS.  —  La  dernière  séance  de  la  Société  des  Enfants  d'Apollon , 
qui  a  eu  lieu  dimanclie  dernier,  a  été  très  brillante.  Parmi  les  artistes  qui  se 
sont  fait  entendre  avec  succès,  nous  avons  remarqué  M.  Sigbicelli,  le  sympathi- 
que violoniste,  qui  a  exécuté  plusieurs  morceaux  classiques  avec  une  rare  per- 
fection, M.  Lopez,  qui  a  fait  entendre  plusieurs  de  ses  compositions  charmantes 
et  originales,  et  M""  Félicienne  Jarry,  qui  a,  entre  autres,  délicieusement  inter- 
prété, avec  sa  jolie  voix  de  mezzo,  le  Mve  du  prisonnier,  de  Kubinstein.  —  Beau- 
coup remarqués  et  applaudis,  au  concert  du  It  juin,  dans  les  salons  Rudy,  le 
brillant  morceau  de  piano  (arrangé  à  i  mains),  Dansuns  la  tarentelle  de  A.  Trojelli, 
exécuté  par  l'auteur  et  sa  fille,  ainsi  que  les  PizzicaLi  de  Sijlvia,  (transcription 
d'Emma),  supérieurement  interprétés  par  l'excellent  mandoliniste  Talamo.  —  Les 
trois  matinées  annuelles  de  l'excellent  professeur  Al""  Chapuis  viennent  d'avoir 
le  même  succès  que  les  années  précédentes.  Les  auteurs  classiques  et  modernes 
y  ont  été  interprétés  d'une  manière  brillante  et  ont  montré  une  fois  de  plus  l'en- 
seignement supérieur  de  ses  cours. 

NÉCROLOGIE 
Les  journaux  ont  annoncé  ces  jours  derniers  la  mort  du  comte  Nicolà 
Gabrielli,  compositeur  médiocre  mais  singulièrement  prolifique,  qui,  après 
avoir  inondé  l'Italie  de  ses  œuvres,  vint  à  Paris,  où,  protégé  du  second 
empire  comme  son  confrère  en  noblesse  et  en  musique,  le  prince  Ponia- 
towski,  il  se  vit  ainsi  que  lui  ouvrir  les  portes  de  tous  nos  théâtres  au 
détriment  de  nos  artistes  nationaux,  dont  la  valeur  était  autrement  appré- 
ciable. On  a  peine  à  comprendre  comment  un  musicien  aussi  médiocre  à 
tous  égards  a  pu  fournir  une  carrière  aussi  active,  et  comment  il  s'est 
trouvé  tant  de  théâtres  importants  pour  accueillir  les  fruits  de  son  imagi- 
nation débile.  On  assure  pourtant  que  le  comte  Gabrielli,  qui  était  né  à 
Naples  le  21  février  1814,  avait  étudié  la  composition  avec  Zingarelli  et 
Donizetti.  Toujours  est-il  qu'il  trouva  le  moyen  de  faire  représenter  vingt- 
deux  opéras,  dont  dix-neuf  à  Naples  et  trois  à  Paris,  et  qu'il  n'écrivit  pas 
moins,  dit-on,  de  soixante  ballets  pour  les  théâtres  italiens!  Voici  une 
liste  presque  complète  de  ses  opéras  :  i  Dotti  per  /anad'smo, -1833;  la  Lettera 
pcrduta,  1836;  la  Parola  di  matrimonio,  1837;  l'Âmericano  in  fiera,  1838;  l'Affa- 
malo  senza  danaro,  1839;  il  Padre  délia  débutante,  1839;  la  Marchesa  e  la  Bel- 
lerina,  1840  ;  il  Condannato  di  Saragossa,  '1842  ;  Saria,  oisia  la  Passa  délia 
Scozia,  1843;  i;  Gemello,  184b;  ™a  Passeggiata  sidpalchetto  avapore,  1846  ;  Giulia 
di  Tolosa,  1847;  Ester;  il  Bugiardo  veritiero;  Don  Gregoriû,  trois  actes,  Opéra- 
Comique,  1861;  les  Mémoires  de  Fanchette,  un  acte,  Théâtre-Lyrique,  1863; 
enfin  le  Petit  Cousin,  opérette  en  un  acte  donnée  vers  la  même  époque 
aux  Bouffes-Parisiens.  11  serait  bien  impossible  de  citer  les  titres  de  tous 
ses  ballets  italiens;  en  voici  toutefois  quelques-uns  :  la  Sposa  ceneziana; 
Edwige;  Paquita;  Nadan;  il  Baijat  di  Benares,  donnés  à  Naples;  l'Assedio  di 
Schiras,k  la  Scala  de  Milan;  puis,  Yotte,  à  Vienne;  les  Aimées,  au  Grand- 
Théâtre  de  Lyon  ;  et  enfin,  à  l'Opéra  de  Paris,  Gemma,  deux  actes,  18S4, 
sur  un  livret  de  Théophile  Gautier;  les  Elfes,  trois  actes,  1836,  sur  un  livret 
de  Saint-Georges,  et  l'Etoile  de  Messine,  deux  actes  et  six  tableaux,  1861, 
dont  les  principaux  rôles  étaient  tenus  par  Mérante,  M""  Ferraris  et 
M"»  Marquet.  Le  comte  Gabrielli  est  mort  à  Paris,  dans  un  appartement 
qu'il  occupait,  rue  Saint-Roch,  depuis  de  longues  années. 

—  De  Marseille  est  arrivée  cette  semaine  la  nouvelle  de  la  mort  de 
M.  Gauthier,  directeur   du  théâtre  des  Variétés  de   cette   ville,  qui  fut  à 


200 


LE  MENESTREL 


Paris,  pendant  quelques  années,  directeur  des  Folies-Dramatiques.  C'est 
lui  qui  monta  à  ce  théâtre,  entre  autres,  Rip,  les  Petits  Mousquetaires,  la 
Fauvette  du  Temple,  Fanfan  la  Tulipe,  François  les  Bas  Bleiis. 

—  A  Lisbonne,  où  il  était  fixé  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  est  mort 
le  i  juin,  à  l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans,  un  compositeur  italien  nommé 
Angelo  Frondoni,  qui  s'était  établi  en  cette  ville  à  l'époque  où  un  grand 
seigneur  fort  riche,  le  comte  de  Farrobo,  avait  voulu  y  créer  un  opéra 
national,  tâche  dans  laquelle  il  l'aida  de  toutesses  forces.  Frondoni  fut, 
croyons-nous,  chef  d'orchestre  au  théâtre  San  Carlos,  pour  lequel  il  écri- 
vit un  opéra  intitulé  Os  Profugos  de  Parga;  il  remplit  les  mêmes  fonctions 
au  théâtre  de  la  Trinité,  où  il  lit  jouer  une  opérette,  0  Rouxinol  das  salas. 
Il  fit  représenter  encore  d'autres  opérettes,  entre  autres,  0  Beijo,  qui 
obtint  un  très  grand  succès,  et  le  Fils  de  il/""°  Angot,  qu'il  donna  au 
théâtre  du  Prince-Royal.  Lors  de  la  révolution  de  1846,  Frondoni  avait 
écrit  la  musique  d'un  chant  politique  de  circonstance,  l'Hymne  de  Maria 
da  Fonte,  qui   ne  fut  pas  sans  lui    causer  par  la  suite    quelques  désagré- 


ments, mais  qui  n'entrava  pas  sa  carrière  en  Portugal,  dont  il  ne  devait 
jamais  s'éloigner. 

—  A  Bergame  est  mort  le  7  juin,  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans,  Adeodato 
Bossi,  l'un  des  premiers  facteurs  d'orgue  d'Italie  et  le  dernier  descendant 
d'une  famille  qui  depuis  trois  siècles  s'est  rendue  fameuse  par  sa  rare 
habileté  dans  la  construction  de  ces  instruments.  Bossi,  qui  avait  été  le 
premier  dans  son  pays  à  appliquer  l'électricité  à  l'action  de  l'orgue,  avait 
obtenu  de  nombreuses  récompenses  dans  les  Expositions,  particulièrement 
à  Bologne  en  185S  et  à  Milan  en  1881. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  Vient  de  paraître,  chez  Firmin-Didot,  l'Écho  des  fauvettes,  recueil 
d'études  et  de  mélodies  par  MIVl.  H.  Bradey  et  L.  Fontbonne,  illustrations 
de  Chatinière. 


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Dimanche  28  Juin  1891. 


3143  -  S7-  ANNÉE  -  N°  26.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesteel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemeaC. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  tr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIRE-TEXTE 


-I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (15'  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.—  II.  Semaine  théâtrale:  Le  banquet  du  Bève,  H.  Mokeno;  premières 
rdprésentatiuns  des  Avanlures  de  M.  }fartin,[\  la  Gaîté,  et  des  Héritiers  Gulchard, 
aux  Variétés,  Pall-Éiiile-Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante  (13'  article),  ED.M0Nn 
Neiikomu  et  Paul  d'Esirée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AUX    CERISES    PROCHAINES 

n"  2  des  Rondes  et  Chansons  d'avril,  de  Claudus  Blanc  et  Léopold  Daithix. 
—  Suivra  immédiatement  :  Aimer,  nouvelle  mélodie  de  Balthazar Florence. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Réveil,  allegretto  scherzando,  pièce  caractéristique  pour  piano, 
de  Théodore  Durois.  —  Suivra   immédiatement  :   Myosotis,    romance   sans 
jjaroles,  de  Théodore  Lack. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A.llbert  SOUBIJES   et  Cliarles   MALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  II 

(Suite.) 


Dans  cette  aventure,  l'Opéra-Gomique  ne  changea  pas  de 
■genre,  et  le  29  décembre,  il  présentait  dans  son  cadre  naturel 
'un  opéra-comique  en  trois  actes,  répété  sous  le  titre  du 
■■iJapilaine  Gaston,  sur  lequel  on  pouvait  à  bon  droit  fonder 
quelques  espérances,  le  Capitaine  Henriot.  La  pièce  de  Gustave 
^^aëz,  avait  été  terminée  par  Victorien  Sardou,  etM.Gevaert  en 
avait  écrit  la  musique.  Dans  ce  capitaine  Henriot  s'incarnait 
Henri  de  Navarre,  qui,  assiégean'c  Paris,  se  trouvait  mêlé  à 
une  double  aventure  politique  et  galaote,  où  il  risquait  son 
amour  et  sa  liberté.  Le  dévouement  d'un  ami  le  tirait  à 
temps  d'un  mauvais  pas,  et  l'habile  Béarnais  trouvait  un  stra- 
tagème opportun  pour  sauver  à  son  tour  celui  qui  l'avait 
sauvé.  La  pièce  était  amusante,  la  partition  intéressante,  l'in- 
terprétation remarquable,  avec  Gouderc,  Crosti  et  Achard,  que 
'Gapoul  devait  remplacer  à  l'improviste  à  l'une  des  dernières 
représentations,  M™"^  Bélia  et  Galli-Marié.  Nous  oublions 
Ponchard,  à  qui  il  arriva  certain  soir  d'être  applaudi  au  lieu 
et  place  d'un  autre.  11  était  chargé  du  rôle  de  Bellogarde  et 
;se  trouvait  très  enrhumé  ;  le  dialogue  ^xi/'/c  ne  l'embarrassait 


point  ;  mais  le  chant  l'effrayait  ;  aussi,  chaque  fois  qu'il  sor- 
tait de  scène,  ne  manquait-il  pas  de  dire  au  régisseur  :  «  Tu 
sais  que  je  passe  mon  air  (qu'il  chantait  d'ailleurs  à  la  can- 
tonade), fais  donc  une  annonce.  »  Et  Mocker  répondait  avec 
calme  :  «  Va  toujours  !  le  reste  me  regarde.  »  Arrive  l'ins- 
tant fatal.  Bellogarde  se  disposait  à  entrer  en  scène  en  esca- 
ladant le  balcon  de  Blanche  d'Étianges,  sans  plus  se  soucier 
de  la  sérénade  qu'il  devait  dire  auparavant  et  qu'il  croyait 
supprimée,  lorsque  le  malheureux  Ponchard  s'aperçoit  que 
ses  avertissements  avaient  été  vains  :  l'orchestre  attaquait  la 
ritournelle  du  morceau  en  question.  Mais  son  émoi  se  change 
en  stupéfaction  lorsqu'une  voix  se  fut  entendre  et  entonne 
l'air.  [1  se  retourne  et  regarde  :  c'était  Potel  qui,  paraissant 
dans  la  coulisse,  suppléait  son  camarade,  rendant  ainsi  ser- 
vice à  tout  le  monde  et  donnant  une  nouvelle  preuve  de 
son  obligeance  et  de  cette  souplesse  qui  a  permis  à  ce  brave 
artiste  de  tenir  très  honorablement,  et  pendant  longtemps, 
ses  modestes  emplois. 

Malgré  de  nombreux  éléments  de  succès,  le  Capitaine  Henriot 
ne  put  s'imposer  aussi  longtemps  qu'on  l'avait  supposé  d'a- 
bord à  l'attention  du  public.  Il  chantait  gaiement  :  «  Il  faut 
que  tout  le  monde  vive  »,  et  lui-même  il  dut  mourir  au  bout 
de  quarante-huit  représentations  et  ne  fui  jamais  repris,  bien 
que  la  reprise  en  eût  été  projetée  comme  celle  des  Absents, 
en  1869,  avec  Melchissédec  dans  le  rôle  créé  par  Crosti. 

Faut-il  atlribuer  à  cette  déception  ou-  à  son  goût  pour 
d'autres  travaux  la  résolution  prise  alors  par  le  compositeur 
de  renoncer  au  théâtre'/  Le  fait  est  que,  depuis  cet  ouvrage, 
M.  Gevaert  n'a  plus  abordé  la  scène  et  a  renoncé  notamment 
à  écrire  un  opéra  du  Cid,  dont  il  avait  ébauché  les  grandes 
lignes  en  collaboration  avec  M.Sardoa  ;  lorsque  nous  l'avons 
interrogé  à  ce  sujet,  voici  la  lettre  aimable  par  laquelle 
il  a  pris  la  peine  de  nous  répondre  :  «  Vous  voulez  bien 
vous  informer  des  causes  qui  m'ont  fait  abandonner  l'idée  de 
composer  le  Cid  et  la  carrière  de  compositeur  dramatique  en 
général.  Puisque  vous  avez  la  bonté  de  vous  souvenir  encore 
de  ces  détails  peu  intéressants,  sachez  que  la  nouvelle 
direction  donnée  à  mon  activité  tient  à  des  causes  diverses 
et  complexes  :  mes  fonctions  de  directeur  de  la  musique  à 
l'Opéra  (de  1866  à  1870),  très  absorbantes;  puis,  mon  départ 
de  Paris  et  l'acceptation  de  la  place  de  directeur  du  Conser- 
vatoire de  Bruxelles  en  1871;  enfin  et  surtout,  mon  tempé- 
rament personnel,  très  objectif,  comme  disent  les  Allemands. 
C'est  une  détestable  disposition  d'esprit,  pour  un  compositeur, 
de  se  juger  comme  s'il  était  un  autre.  » 

Il  n'appartient  à  personne  de  critiquei  une  décision  prise 
en  pleine  force  d'âge  et  de  talent.  Lors  de  la  retraite  de 
M.  Gevaert,  le  théâtre  a  perdu  un  compositeur  d'un  réel  mé- 
rite ;  la  musique  a  gagné  un  historien  de   haute  valeur,   un 


202 


LE  MÉNESTREL 


pédagogue  et  un  théoricien,  un  savant  qui  a  pu  mener  à  bonne 
fin  l'essai  de  musicologie  le  plus  important  et  le  plus  ardu 
peut-être  qu'on  ait  entrepris  de  nos  jours,  reconstituant  la 
musique  antique,  commentant  des  textes  qui  semblaient  pres- 
que inexplicables,  et  faisant  œuvre  de  vrai  bénédictin;  car 
son  aptitude  au  travail  est  merveilleuse,  son  érudition  indé- 
niable, sa  logique  claire  et  précise;  on  peut  dire  de  lui  que 
rien  de  ce  qui  touche  à  son  art  ne  lui  est  étranger.  Par  une 
coïncidence  singulière,  au  moment  où.  M.  Gevaërt  laissait  de 
côté  le  Cid,  que  lui  offrait  M.  Sardou,  Maillart  recevait  d'Au- 
guste Maquet  un  Cid  Campéador  qu'il  destinait  à  l'Opéra.  Le 
temps  ou  les  forces  lui  manquèrent  pour  accomplir  sa  tâche. 
La  chevaleresque  figure  de  Don  Rodrigue  devait,  ainsi  que 
l'a  raconté  ici  même  M.  Louis  Gallet,  séduire  aussi  Bizet  ; 
mais  en  réalité  vingt-trois  années  se  passèrent  avant  que  le 
héros  populaire  de  Guilhem  de  Castro  et  de  Corneille  fit,  pré- 
senté par  M.  Massenet,  son  apparition  ou  plutôt  sa  réappa- 
rition sur  notre  première  scène. 

Un  souvenir  qui  se  rattache  à  l'histoire  de  la  salle  Favart 
appartient  encore  au  bilan  de  l'année  1864.  Au  lendemain  de 
la  mort  d'Halévy,  ses  admirateurs  et  ses  amis  avaient  décidé 
qu'un  monument  lui  serait  élevé  dans  le  cimetière  Montmar- 
tre, où  il  était  inhumé,  et  qu'une  souscription  serait  organisée 
pour  en  couvrir  les  frais.  On  obtint  ainsi  36,276  fr.  80  c, 
chiffre  bien  suffisant,  puisque  le  terrain  était  donné  par  la 
Ville,  le  marbre  par  l'État,  et  que  ses  deux  collègues  de  l'Ins- 
titut, l'architecte  Lebas  et  le  sculpteur  Duret,  n'avaient  rien 
demandé  pour  la  confection  du  piédestal  et  de  la  statue. 
L'inauguration  solennelle  eut  lieu  le  17  mars  ;  M.  de  Nieu- 
werkerque,  représentant  l'administration,  prononça  le  dis- 
cours d'usage  ;  les  élèves  du  Conservatoire  chantèrent  un 
chœur  de  Guido  et  Ginevra,  et  la  musique  de  la  garde  de  Paris 
exécuta  la  marche  de  la  Reine  de  Chypre.  Deux  mois  plus  tard, 
le  27  mai,  l'Opéra-Comique  s'associait  indirectement  à  cet 
hommage  en  fêtant  avec  non  moins  d'éclat  l'anniversaire  de 
la  naissance  du  maître  regretté.  L'empereur  et  l'impératrice 
honorèrent,  comme  on  disait  alors  en  style  officiel,  la  repré- 
sentation de  leur  présence.  Le  Tableau  parlant  et  l'Édair  figu- 
raient au  programme,  ainsi  que  des  stances  écrites  par  Léon 
Halévy  à  la  mémoire  de  son  frère,  mises  en  musique  par  M.  J. 
Cohen  d'après  des  motifs  de  ses  œuvres  célèbres,  et  exécutées 
par  Couderc,  Ponchard  et  M^'»  Revilly.  Le  buste  du  compo- 
siteur fut  couronné  en  scène;  l'orchestre  joua  l'ouverture  des 
Mousquetaires  de  la  Reine  et  la  garde  de  Paris  re-exécuta  sa 
marche  de  la  Reine  de  Chypre;  c'était  décidément  le  morceau 
favori  de  son  répertoire  ! 

Entre  ces  deux  solennités  des  17  mars  et  27  mai,  un  évé- 
nement s'était  produit  qui  avait  jeté  comme  un  voile  funèbre 
sur  deux  de  nos  grands  théâtres  et  douloureusement  ému  le 
monde  musical  tout  entier  :  Meyerbeer  était  mort  le  2  mai, 
à  cinq  heures  du  matin  dans  la  maison  qu'il  occupait  depuis 
quelques  mois,  2,  rue  Montaigne,  presque  tout  à  côté  de 
celle  où,  plusieurs  années  auparavant,  était  décédé  un  de  ses 
plus  illustres  compatriotes,  Henri  Heine.  La  maladie  d'intes- 
tins dont  il  soufi'rait  depuis  longtemps  avait  pris  tout  à  coup 
une  gravité  imprévue,  et  l'avait  enlevé  au  moment  où  il  se 
disposait  à  livrer  à  l'Opéra  son  Africaine,  tant  de  fois  annon- 
cée et  sans  cesse  retardée.  Dans  son  testament,  il  demandait 
à  être  inhumé  à  Berlin.  C'est  donc  à  la  gare  du  Nord,  trans- 
formée pour  la  circonstance  en  chapelle  ardente,  qu'eurent 
lieu,  le  6  mai,  ces  obsèques  imposantes,  et  son  collaborateur, 
son  ami  Emile  Deschamps,  pouvait  alors  tristement  s'écrier  : 

Sur  son  champ  de  bataille,  en  pleine  France,  il  tombe  ! 
Berlin  lui  donna  l'âme  et  lui  reprend  son  corps  ; 
Mais  Paris,  s'il  n'a  point  son  berceau  ni  sa  tombe. 
Fut  le  trône  adoptif  de  ce  roi  des  accords... 

Tout  ce  qui  de  près  ou  de  loin  tenait  aux  lettres,  aux 
sciences,  aux  arts,  voire  même  au  monde  officiel,  avait  tenu 
à  s'associer  à  ces  honneurs  suprêmes.  Devant  le  cercueil, 
les  artistes  Je  l'Opéra  chantèrent  des  fragments  du  Prophète, 


ceux  de  l'Opéra-Comique  les  chœurs  du  Pardon  de  Ploermel, 
et  Beulé,  Saint-Georges,  Emile  Perrin,  Taylor,  Camille  Dou- 
cet,  Cerfbeer,  présidentdu  consistoire  Israélite,  Ulmann,  grand 
rabbin,  Emile  Ollivier  enfin,  prirent  la  parole  pour  célébrer 
dignement  la  gloire  du  maître  disparu  et  à  jamais  regrettable, 
car,  suivant  la  formule  éloquente  et  juste  d'un  de  ces  ora- 
teurs, M.  Camille  Doucet,  il  s'agissait  d'un  malheur  national. 
«  Ce  n'est  pas  un  étranger,  qui  nous  quitte,  disait-il,  c'est 
un  Français  que  nous  pleurons,  puisque  depuis  trente  ans, 
par  une  préférence  volontaire  et  qui  nous  honore,  Meyerbeer 
avait  adopté  la  France  en  la  dotant  de  ses  chefs-d'œuvre.  » 
Eloges  mérités,  regrets  sincères  !  car,  en  dépit  de  critiques 
plus  ou  moins  acerbes  qui,  par  la  suite,  se  sont  produites  en 
Allemagne  comme  en  France,  l'auteur  des  Buyuenols  comptera 
longtemps  encore  parmi  les  premiers.  Il  se  peut  qu'avec  l'âge 
quelques  rides  marquent  ses  partitions;  il  songeait  trop,  en 
effet,  aux  moyens  d'en  assurer  le  succès  immédiat,  pour  ne 
pas  réserver  une  part  toujours  contestable  au  goût  du  jour. 
Mais  depuis  Gluck  jusqu'à  Berlioz,  quel  maître  n'a  pas  connu 
de  pareilles  faiblesses!  Ce  qu'il  faut  voir  et  savoir,  c'est  si 
dans  l'œuvre  entier  bon  nombre  de  pages  sont  capables  de 
résister  à  l'actfon  débilitante  et  destructive  du  temps.  Comme 
Weber,  Rossini  et  Wagner,  il  aura  été  chef  d'école  ;  il  aura 
laissé,  sinon  des  élèves,  du  moins  des  imitateurs  qui  auront 
vécu  de  ses  formules;  c'est  assez  dire  qu'il  demeure  l'une' 
des  grandes  figures  de  la  musique  dramatique  au  X1X'=  siècle. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


On  a  banqueté,  jeudi  dernier,  sous  les  ombrages  de  Madrid  en 
l'honneur  du  nouveau  Messie  de  la  musique,  gui  n'est  rien  autre, 
parait-il,  que  le  divin  Bruneau,  compositeur  du  Révc.  S'il  n'y  avait 
là  qu'une  simple  partie  de  campagne  où  les  amis  d'un  artiste  célè- 
brent, entre  le  melon  et  le  fromage,  les  mérites  et  la  gloire  d'un 
de  leurs  camarades,  rien  de  mieux,  et  nous  ne  pourrions  qu'applaudir 
à  une  aussi  louchante  réunion.  Mais,  du  moment  qu'on  a  voulu 
faire  de  ce  déjeuner  champêtre  une  manifestation  publique  destinée 
«à  marquer  une  étape  glorieuse  dans  l'histoire  de  la  musique  fran- 
çaise »,  du  moment  que  M.  Bruneau  passe  à  l'état  de  «  porte- 
drapeau  de  la  jeune  école  musicale  »,  il  est  bien  permis  de 
s'en  égayer  quelque  peu.  Gela  devient  alors  une  des  plus  plaisantes 
joyeuselés  de  notre  époque  de  déliquescence,  qui  pourtaut  abonde 
en  drôleries  de  toutes  sortes.  M.  Bruneau,  que  nous  tenons  pour  un 
homme  d'esprit,  s'en  amusera  sans  doute  avec  nous  ;  il  est  bien  trop 
avisé  pour  prendre  au  sérieux  toutes  ces  billevesées  et  pour  ne  pas 
chercher  à  se  garer  des  pavés  sous  lesquels  on  cherche  à  écraser  sa 
célébrité  naissante. 

Qu'on  veuille  voir  dans  le  Rêve  une  tentative  curieuse,  nous  y 
consentons  ;  encore  le  titre  de  «  précurseur  »  qu'on  donne  volontiers  au 
jeune  «  apôtre  »  est-il  bien  contestable.  Car,  pour  les  gens  de  bonne 
foi,  le  Rêve  procède  directement  de  Manon,  opéra  de  M.  Massenet, 
avec  cette  seule  différence  que,  dans  l'un  des  deux  ouvrages,  il  y 
a  beaucoup  de  talent,  et  que  dans  l'autre  il  y  en  a  ...  moins.  Au 
résumé,  tous  les  systèmes  sont  bons,  pourvu  qu'on  mette  quelque 
chose  dedans.  Nous  cherchons  en  vain  ce  qui  se  trouve  dans  le 
grand  vide  musical  que  M.  Bruneau  a  creusé  autour  du  charmant 
poème  de  MM.  Emile  Zola  et  Louis  Gallet.  Nous  y  cherchons  en 
vain  l'imagination,  la  fantaisie,  la  couleur,  les  idées  enfin,  qui  font 
les  œuvres  d'art.  Si  le  rôle  de  la  musique  doit  se  borner,  désor- 
mais, à  souligner  la  parole  déclamée  de  quelques  accords  d'une 
justesse  contestable,  avouez  qu'elle  n'a  plus  qu'à  disparaître.  Dans 
le  Rêve,  elle  est  tout  le  temps  une  gêne  et  un  embarras;  elle  arrive 
à  faire  de  ce  joli  songe  d'amour  un  véritable  cauchemar.  Débar 
rassez  le  drame  de  cette  harmonie  désagréable  et  embroussaillée,  et 
vous  le  verrez  immédiatement  s'élever  d'une  aile  plus  rapide.  La 
partition  de  M.  Bruneau  joue  donc  là  le  rôle  d'un  lest  inutile  qui 
empêche  les  envolées. 

Voilà  ce  que  nous  tenions  à  dire  en  quelques  mois,  estimant 
qu'en  de  pareilles  occasions  c'est  un  devoir  de  proclamer  bien  haut 
et  bien  nettement  sou  opinion.  Notre  collaborateur  Arthur  Pougin 
a    dit   dimanche  dernier,    en  un   article  très  sensé  et  1res  modéré 


LE  MENESTREL 


203 


dans  la  forme,  ce  qu'il  pensait  de  la  nouvelle  oeuvre;  nous  avons 
voula  nous  ranger  à  ses  côtés,  étant  avec  lui  sur  ce  point  en  par- 
faite conformité  de  vues. 

M.  Bruneau  sera  peut-être  un  musicien  dont  nous  pourrons  un 
jour  nous  enorgueillir;  mais  il  faudra  pour  cela  qu'il  commence 
par  apprendre...  la  musique. 

H.    MORENO. 

Gaité. — Les  Aventures  de  il/.  il/a»-(î»i,  folie-vaudeville  en  quatre  actes  et  cinq 
tableaux,  de  M.  Albin  Valabrègue. —  Variétés.  Les  Héritiers  Guichard,\a,u- 
deville  en  trois  actes,  de  M.  Gaston  Marot. 

Et  la  série  des  pièces  d'été  continue  toujours  !  M.  Albin  Valabrègue, 
qui  avait  déjà  accaparé  le  Vaudeville,  s'empare  encore  de  la  Galle,  où 
il  vient  de  faire  représenter  une  pochade  amusante  en  plus  d'un 
endroit,  et  dont  les  deux  premiers  tableaux,  très  bien  venus,  sem- 
blaient vouloir  nous  promettre  une  vraie  comédie;  mais  l'auteur  a 
sans  doute  pensé  que  la  folie  seule  devait  être  de  saison  alors  que 
Paris  commence  à  déménager  et  n'est  presque  plus  dans  Paris. 
Donc,  ce  M.  Martin  est  un  brave  bonnetier,  dont  le  frère,  explora- 
teur et  coureur  d'aventures,  vient  de  se  faire  nommer  roi  d'une 
peuplade  quelconque  de  l'Afiique  centrale.  M.  Martin,  devenu  héri- 
tier présomptif  de  la  couronne,  veut  absolument  s'embarquer;  mais 
ce  départ  précipité  vient  entraver  les  projets  de  mariage  de  sa  fille, 
Julie,  avec  son  premier  commis,  Alfred  ;  aussi,  tous  deux  se  liguant 
et  s'adjoignant  même  un  bon  fumiste  très  riche,  vont  berner  le 
pauvre  bonhomme  en  le  promenant  plusieurs  jours  en  mer,  en  lui 
faisant  traverser  la  fête  des  Loges  à  Saint-Germain,  qu'à  l'aide  de  sal- 
timbanques complaisants,  on  lui  fait  prendre  pour  le  Congo  français, 
enfin  en  l'échouant  au  Jardin  d'acclimatation,  qu'on  lui  désigne 
comme  son  palais  royal.  M.  Martin,  avec  une  candeur  et  une  naïveté 
bien  digues  d'un  sort  meilleur,  ne  s'aperçoit  que  lorsqu'il  faut  que  la 
pièce  finisse  combien  il  a  été  joué;  comme  il  apprend  en  même 
temps  que  'son  frère  a  été  massacré  par  son  peuple,  il  se  réjouit 
d'avoir  été  trompé  et  d'avoir  ainsi  échappé  au  scalp.  MM.  Malard, 
Fugère,  Alexandre  et  M""  Toudouze  et  Avocat  jouent  gaiement  celte 
fantaisie  que  la  direction  de  la  Gailé  a  très  heureusement  mise  en 
scène.  Un  des  clous  du  spectacle  est  l'exhibition  de  ces  deux  sœurs 
Josepba  que  dame  nature  s'est  plu  à  lier  de  si  étroite  manière.  Ces 
sortes  de  monstruosités,  n'aj^ant  rien  à  voir  avec  l'art  dramatique,  on 
me  permettra  de  n'en  point  parler  davantage. 

Aux  Variétés,  c'est  un  gros  vaudeville  de  M.  Gaston  Marot  qui  est 
chargé  de  lutter  contre  la  chaleur  ;  il  est  plus  ou  moins  bien  dé- 
fendu par  MM.  Barrai,  Lanàrin  et  M'"'^^  Irma  Aubrys  et  Bl.  Miroir. 
Je  ne  puis  même  essayer  de  vous  dire  ce  que  sont  ces  Héritiers  Gui- 
chard,  qui  courent  après  une  succession  illusoire,  inventée  par  un 
notaire  aux  abois.  Le  public  a  paru  prendre  quelque  plaisir  à  difîé- 
rentes  scènes  :  je  crois,  pour  ma  part,  que  la  pièce  aurait  beaucoup 
plus  porté  si  l'auteur  s'était  raisonnablement  contenté  de  la  faire 
jouer  à  Cluny  ou  à  Déjazet. 

Paul-Emile  Chevalier. 


NAPOLEON  DILETTANTE 


(Suite.) 

Dans  le  même  temps  survint  un  incident  à  l'Opéra,  qui  fit  grand 
bruit  à  Paris,  sans  doute  à  raison  de  certaines  intimités  dont  il  ne 
nous  appartient  pas  de  soulever  le  voile.  Une  danseuse  d'une  grande 
beauté  . —  ses  contemporains  disent:  d'une  beauté  incomparable  — 
qui  avait,  en  1793  et  1794,  personnifié  dans  les  cérémonies  publiques 
la  déesse  de  la  Raison,  fut  victime  de  la  maladresse  d'un  machi- 
niste. Représentant  la  Gloire,  dans  la  pièce  de  Minerve,  elle  fut 
précipitée  d'un  praticable  et  se  cassa  le  bras. 

C'était  là  un  de  ces  accidents,  fréquents  authéàtre,  qui  ne  laissent 
que  le  souvenir  d'un  émoi  passager.  Mais  la  personnalité  de  la  blessée 
provoqua  des  alarmes  auxquelles  on  était  loin  de  s'attendre.  Il  sem- 
blait que  Mars  en  personne  était  frappé  dans  cette  Gloire,  et,  comme 
tous  redoutaient  sa  colère,  il  en  résulta  que  chacun,  dans  l'admi- 
nistration comme  dans  les  services  de  l'Opéra,  rejetait  sur  son 
voisin  la  responsabilité  de  la  chute  de  M""  Aubry. 

Napoléon,  informé  du  fait,  en  écrivit  tout  d'abord  à  l'impératrice  : 

«  Je  reçois  ta  lettre  du  l"  mars,  oii  je  vois  que  tu  as  été  fort  émue 
de  la  catastrophe  de  l'Opéra...  Ne  prêle  aucune  foi  à  tous  les  mau- 
vais bruits  que  l'on  pourrait  faire  courir.  Ne  doute  jamais  de  mes 
sentiments  et  sois  sans  aucune  inquiétude». 


Par  le  même  courrier,  Fouché  recevait  de  son  maître  ce  mot  où 
perce  un  mécontentement  qui  était  loin,  toutefois,  d'atteindre  la 
colère  redoutée: 

«  Je  reçois  votre  lettre  du  8  mai.  Je  sais  que  l'alTaire  de  M""  Au- 
bry occupe  plus  les  Parisiens  que  toutes  les  pertes  que  l'on  peut 
faire  à  l'armée.  M.  de  Luçay  a  eu  tort  de  ne  pas  lui  témoigner  tout 
l'intérêt  que  son  état  devait  inspirer.  » 

Après  cette  letlre.  on  pourrait  croire  que  l'afTaire  Aubry  est  ou- 
bliée, enterrée.  Mais  il  n'en  est  rien.  Ce  sont  maintenant  les  ma- 
chinistes qui  se  chamaillent.  Tout  le  monde  s'en  môle:  les  uns 
tiennent  pour  Boutron,  premier  machiniste,  les  autres  pour  son 
assesseur  Gromaire.  On  glose,  on  ergote,  on  répand  des  flots  d'encre. 
Et  ces  clabaudages  parviennent  jusqu'à  Napoléon,  en  son  quartier 
général  de  Finkenstein. 

Aussitôt  il  prend  la  plume  et  trace  ces  lignes,  datées  du  12  avril 
1807: 

«  A  Fouché. 

«  Toutes  ces  intrigues  de  l'Opéra  sont  ridicules.  L'affaire  de 
M"'  Aubry  est  un  accident  qui  serait  arrivé  au  meilleur  mécanicien 
du  monde,  et  je  neveux  pas  que  M.  Boutron  profite  de  cela  pour 
intriguer.  Faites-le  lui  connaître  de  ma  part;  qu'il  vive  bien  avec 
son  second,  —  ne  dirait-on  pas  que  c'est  la  mer  à  boire  que  de  faire 
mouvoir  les  machines  de  l'Opéra  !  que  je  ne  veux  pas  que  M.  Gro- 
maire soit  victime  d'un  accident  fortuit!  Mon  habitude  est  de  sou- 
tenir les  malheureux  :  or,  certainement,  il  n'y  a  là  que  du  malheur. 
Trois  mots  de  vous  suffiront  pour  tout  arranger,  ou  je  mettrai  M.  Bou- 
tron à  la  porte,  et  je  mettrai  tout  entre  les  mains  de  M.  Gromaire. 
Les  actrices  monteront  dans  les  nuages  ou  n'y  monteront  pas.  Sou- 
tenez M.  de  Luçay.  Je  verrai  ce  que  j'ai  à  faire  quand  je  serai  à 
Paris.  Mais  on  pousse  trop  loin  l'indécence.  Parlez-en  à  qui  de 
droit  pour  que  cela  finisse...  » 

Napoléon.  » 

Luçay,  mis  en  cause,  s'adresse  directement  à  l'empereur,  qui, 
fatigué  de  toute  cette  affaire,  envoie  à  son  grand-chancelier  cette 
missive  datée  de  Finkenstein,  18  avril: 

«  A  M.  Cambacerès, 

«  Mon  cousin,  je  vous  envoie  une  lettre  de  M.  de  Lucay.  Vous 
sentez  que,  quel  que  soit  le  plaisir  que  j'aie  de  m'occuper  de  tout  ce 
qui  peut  concerner  le  bien  de  mes  peuples  et  des  détails  de  l'admi- 
nistration, ce  serait  cependant  aller  trop  loin  que  de  me  mêler  des 
querelles  de  théâtre.  Je  vous  charge  donc  exclusivement  de  la  sur- 
veillance de  l'Opéra  jusqu'à  mon  retour.  Je  ne  veux  plus  en  entendre 
parler.  Faites-y  régner  nne  sévère  discipline,  faites-y  respecter  l'au- 
torité, et  que  le  spectacle  qui  intéresse  les  plaisirs  de  la  capitale 
soit  maintenu  dans  sa  prospérité. 

»  Gomme  mon  inleution  est  que  vous  ne  fassiez  jamais  rien  direc- 
tement, vous  vous  servirez  du  canal  du  ministère  de  la  police,  au- 
quel j'en  écris,  pour  toutes  les  mesures  que  vous  croirez  nécessaire 
de  prendre.  » 

Fouché  est  prévenu  de  cette  substitution.  Ennuyé  des  tracas- 
series de  l'Opéra  ,  l'empereur  l'avise  que  Cambacerès  lui  fera  con- 
naître ses  vues  «  par  une  résolution  qui  restera  secrète  »,  mais  d'après 
laquelle  il  agira  comme  si  c'était  par  son  ordre  directement. 

Le  2  mai,  nouvelle  lettre  à  Fouché,  dans  laquelle  Napoléon  se 
montre  fort  irrité  «dos  menées  de  l'Opéra».  Il  reproche  à  Bonnet, 
le  directeur,  et  à  Boutron,  le  machiniste  en  chef,  de  se  poser  en 
persécuteurs,  et  de  susciter  des  ennuis  à  Luçay  »,  qui  n'a  pas  été 
désavoué  officiellement  »...  «  Si  cela  ne  cesse  pas,  continue  l'em- 
pereur, je  leur  donnerai  un  bon  militaire  qui  les  fera  marcher  tam- 
bour battant...»  S'ils  continuent.  Bonnet  et  Boutron  «se  feront  met- 
tre à  la  porte  »...  Et  Napoléon  conclut:  «  Arrangez-vous  de  manière 
à  ce  que  je  n'entende  plus  parler  de  tout  cela.  » 

Deux  jours  après,  nouvel  incident,  dont  l'origine  se  trouve  expli- 
quée par  ces  lignes  : 

«  A  Cambacerès, 
»...  Je  trouve  que  vos  observations  sur  les  spectacles  gratis  sont 
fondées.  Mais  qui  donne    les  autorisations?  On  dit  que  M.  Bonnet 
commet  aussi  beaucoup  de  dilapidations  en  accordant  des  billets  et 
des  loges  gratis.  » 

II  faut  croire  que  cette  question  des  billets  de  faveur  revint  sou- 
vent à  l'esprit  de  Napoléon  pendant  la  dernière  période  de  sa  cam- 
pagne de  1807,  car,  à  son  retour,  son  premier  soin  fut  d'envoyer  ce 
mot  à  Cambacerès: 


504 


LE  MKiNESTllEL 


«  Saint-Cloud,  2o  aoùl. 
n  Je  vous  adresse  un  état  des  billets  gratis  et  des  billets  payants 
de  l'Opéra,  peudant  le  mois  dernier  ;  cela  me  parait  énorme.  Failes- 
mûi  connailre  le  pris  des  différentes  places.  Ne  pourrait-on  pas 
les  mettre  au-dessous  du  prix  des  autres  spectacles,  et  par  là  sup- 
primer les  billets  gratis.  » 

La  paix  signée,  JVapoléon,  en  voie  de  composition  avec  la  Russie, 
se  distrait  momentanément  des  questions  administratives,  pour 
écrire  au  général  Savary,'  en  mission  à  Saint-Pétersboorg  : 

«  Je  ne  vous  connaissais  pas  aussi  galant  que  vous  l'êtes  devenu. 
Toutefois,  les  modes  pour  vos  belles  Russes  vont,  être  expédiées.  Je 
veux  me  charger  dés  frais.  Vous  les  remettrez,  en  disant  qu'ayant 
ouvert  par  hasard  la  dépèche  par  laquelle  vous  les  demandez,  j'ai 
voulu  en  faire  moi-même  le  choix. 

»  Vous  savez  que  je  m'entends  1res  bien  en  toilette. 

0  Talleyrand  enverra  des  acteurs  et  des  actrices..» 

Mais  celte  diversion  n'est  que  momentanée.  L'empereur,  esprit 
pratique,  revient  promptement  à  ses  chiffres.  Le  21  octobre,  il 
épluche  les  comptes  de  1806,  que  lui  a  envoyés  Fouché,  et  re- 
proche au  minisire  de  la  police  plusieurs  irrégularité?.  Ainsi,  dans 
son  budget,  il  avait,  lui,  Napoléon,  porté  1,SOO,000  francs  pour  la 
caisse  des  Ihéàties,  et  Touché  ne  leur  a  fait  payer  que  100,000  francs 
par  mois.  Alor.'',  d'office,  l'empereur  porte  200,000  francs  pour  l'ar- 
riéré des  théâtres  de  1800,  avec  cet  avis  à  Fouché: 

«  J'autorise  la  Caisse  d'amortissement  à  vous  avancer  cette 
somme,  parce  que  l'Opét-a  a  des  besoiiu  ;  mais  il  faut  que  vous  les 
remplaciez  le  plus  prouiptement  possible  à  la  Caisse  d'amortissement». 

Puis,  ce  sont  les  billets  de  faveur  qui  reviennent  sur  l'eau  : 

«  Les  billels  gralis  délivrés  dans  ces  quatre  grands  ihéàties  sont 
la  principale  cause  de  désordres  qui  ont  souvent  lieu  au  parterre. 
Mou  intention  est  que  l'usage  de  la  distribution  des  billets  cesse 
entièrement  au  1'^'' novembre.  » 

Cette  lettre  étant  datée  du  27  octobre,  on  voit  que  la  mesure  ne 
souffrait  aucune  tergiversation.  Au  retour  de  Napoléon,  tout  marche  à 
souhait,  et  nos  Bulletins  deviennent  moins  nombreux.  De  1807,  nous 
sautons  à  1809,  où,  le  1"  jançier,  l'eiripereur,  malgré  les  réceptions 
du  nouvel  an,  trouve,  à  propos  d'uu  incident  iniime,  le  temps  d'écrire 
de  Benevent,  à  Fouché  : 

«  Je  trouve  ridicule  que  le  préfet  de  Nice  ait  ordonné  qu'à 
l'avenir  il  ne  sera  pas  permis  au  public  de  faire  répéter  une  ariette. 
Un  peu  de  tapage  au  théâtre  n'est  pas  une  chose  assez  importante 
pour  qu'on  doive  intervenir  dans  les  plaisirs  du  public.  Je  veux 
qu'on  jouisse  en  France  d'autant  de  liberté  qu'il  est  possible.  Témoi- 
gnez monmécontentem«nt  à  ce  préfet.  J'approuve  qu'il  ait  fait  arrètei 
les  trois  jeunes  gens  qui  ont  crié  bis  pour  narguer  le  maire,  mais 
aussi  pourquoi  ce  magistrat  se  mêle-l-il  dans  les  querelles  des 
jeunes  gens  et  de  coulisses?  Veillez  à  ce  que  l'autorité  se  fasse 
sentir  le  moins  possible  et  ne  pèse  pas  inutilement  sur  les'  peuples.  » 

De  nouveau,  les  documents  relatifs  aux  théâtres  deviennent  rares  ; 
mais  à  l'approiihe  de  son  mariage  avec  Marie-Louise,  Napoléon  re- 
commence à  s'occuper  de  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  sa  splen- 
deur. Et  d'abord,  il  entend  reprendre  la  haute  main  en  tout  ce  qui 
concerne  l'Opéra:  «J'apprends,  écrit-il  à  Rémusat,  chargé  doré- 
navant des  théâtres  subventionnés,  que  la  Mort  d'Abel  et  un  ballet 
sont  mis  à  l'étude.  Vous  ne  devez  mettre  aucune  pièce  nouvelle  à 
l'étude  sans  mon  consentement.  Faites-moi  un  rapport  là-dessus.  » 

Sans  doute,  ce  rapport  a  satisfait  l'empereur;  car  il  ne  s'occupe 
plus  maintenant  que  du  répertoire  à  venir,  dont  il  règle  minutieu- 
sement l'ordre,  en  vue  surtout  des  fêtes  qui  doivent  accompagner  le 
mariage. 

Voici  ce  qu'il  écrit  au  comte  de  Rémusat  : 

^1  Paris,  2  mars  1810. 

»  M.  de  Rémusat,  mon  premier  chambellan,  il  faudrait  donner  la 
Mort  d'Abel  le  26  mai  ;  donner  le  ballet  de  Perséeet  Andromèdele  lundi 
de  Pâques;  donner  les  Bayadères  quinze  jours  après  Sophocle,  Armide 
dans  le  courant  de  l'été,  les  Danaïdes  dans  l'automne,  les  Sabines 
à  la  fin  de  mai. 

•)  En  général,  mon  intention-  est  que  dans  le  mois  de  Pâques,  il 
y  ait  le  plus  de  nouveautés  possible,  vu  qu'il  y  aura  un  grand 
nombre  d'étrangers  à  Paris  à  cause  des  fêtes.  » 

Cette  lettre  est  bien,  parla  solennité  et  l'exagération  de  l'étiquette 
qu'on  y  remarque,  l'iudice  d'une  nouvelle  ère  qui  va  commencer.  Pour 
les  théâtres,  comme  pour  toutes  choses,  on  se  dispose  à  tout  renou- 


veler, atout  établir  sur  un  pied  plus  luxueux  encore.  La  salle  des 
l'Opéra  ne  suffit  plus,  et  l'empereur  songe  à  en  faire  construire  une 
nouvelle.  Le  10  mars,  il  adresse  une  note  à  Grétet,  ministre  de  ^ 
l'intérieur,  pour  différentes  recommandations  relatives  à  divers  Ira- 
vaux,  entre  autres:  «  que  M.  Fontaine  fasse  en  relief  un  beau  projet 
d'Opéra  à  faire  n'importe  où.  Il  sera  exposé  à  la  critique.  Il  faut, 
une  salle  sans  colonnes,  favorable  à  la  vue  et  à  l'oreille  ;  grande 
logo  au  milieu  pour  l'Empereur  ;  petite  loge  avec  un  appartement; 
à  peu  près  comme  celle  de  Milan.  » 

Pendant  les  fêtes,  il  n'est  pas  une  solennité  qui  ne  soit  accom- 
pagnée de  bals,  de  concerts  ou  de  représentations,  mettant  en  relief 
les  principaux  artistes  de  l'Opéra.  Ils  figurent  également  à  cette  fameuse 
fête,  si  lugubrement  terminée,  du  prince  Schwartzenberg,  ambassa-- 
deur  d'Autriche,  en  l'honneur  du  mariage  de  Napoléon.  Les  réjouis- 
sances avaient  commencé  par  des  danfes  exécutées  parles  premiers 
sujets  au  milieu  des  jardins  de  l'ambassade,  superbement  illuminés. 
Puis,  on  était  passé  dans  la  salle  de  bal,  dont  la  décoration  était  une 
merveille  de  luxe  et  de  goût.  Ce  fut  un  courant  d'air,  ménagé  dans 
cette  salle  pour  en  tempérer  la  chaleur,  qui  fut  cause,  en  poussant 
un  rideau  contre  un  faisceau  de  bougies,  de  l'un  des  plus  effroyables 
incendies  dont  on  ait  gardé  la  mémoire.  En  moins  de  trois  minutes 
le  feu  avait  envahi  tous  les  plafonds,  garnis  de  papier  verni,  qui, 
en  s'écroulant,  ensevelirent  la  foule  des  invités,  tandis  que  les 
femmes  qui  avaient  pu  gagner  le  dehors  se  précipitaient,  pour  la 
plupart,  comme  des  torches  vivantes,  à  travers  les  jardins,  dont  les 
arbres  eux-mêmes  brûlaient.  L'empereur,  après  avoir  sauvé  l'impé- 
ratrice, la  reconduisit  aux  Tuileries,  puis  revint  sur  le  lieu  du 
sinistre,  où  il  ne  trouva  plus  que  des  tas  de  cendres  et  des  cadavres 
carbonisés. 

La  première  fois  que  Marie-Louise  vint  à  l'Opéra,  ce  fut  à  la 
pi'emiêre  de  Pei'sée  et  Andromède.  Le  scénario  était  plein  d'allusions  à 
l'impérial  mariage.  Suivant  l'expression  d'un  témoin.  Napoléon- 
«  exultait.  » 

Puis,  le  répertoire  se  déroula  dans  l'ordre  indiqué  par  l'empereur, 
mais   non  sans  quelques    difficultés,  comme  on    peut    le    voir   par- 
cette  note  remise  au  souverain,  en    octobie,  par  le  grand  maréchal' 
du  Palais,  duc  de  Frioul  : 

«  S.  Jl.  a  ordonné  que  l'on  remonte  cette  année  l'opéra  à' Armide,  - 
et  Elle  a  bien  voulu  accorder  à  cet  effet  un  secours  extraordinaire 
de  ir,000  francs. 

»  Les  ouvrages  nouveaux  que  l'on  prépare  ne  permettent  pas, 
d'ici  à  la  fin  de  l'année,  la  reprise  de  cet  opéra.  On  demande  que. 
S.  M.  veuille  bien  permettre  que  le  secours  de  10,000  francs  soit 
réversible  sur  l'opéra  as  Sémiramis,  quia  été  ïe-pxis par  ordre  et  qui- 
a  exigé  beaucoup  de  dépenses,  vu  le  laps  de  temps  considérable  de- 
puis le  temps  qu'il  n'avait  pas  été  donné.  » 

A  cette  requête,  Napoléon  répond  simplement  :  «  Refusé!  Si  l'on  ne- 
donne  pas  Armtrfe,  je  ne  donnerai  pas  les  10.000  francs.  ».Et  l'on  joua 
Armide!  ce  qui  était  une  attention  particulière  pour  Marie-Louise,^ 
Gluck  ayant  été  l'auteur  préféré  de  la  cour  de  Vienne  et  le  com- 
mensal habituel  de  la  famille  impériale. 

De  même,  Napoléon  avait  permis  à  l'impératrice  de  recevoir  fré- 
quemment Paër,  qui  avait  été,  dans  sa  jeunesse,  attaché  à  la  maison 
de  sa  mère.  C'était  une  grande  marque  de  faveur;  car,  par 
principe,  et  pour  l'honneur  de  son  rang,  il  n'entendait  pas  qu'un 
homme  pût  se  vanter  d'être  resté  deux  secondes  seul  avec  l'im- 
péiatrice.  Un  jour,  comme  il  donnait  des  ordres  à  ce  sujet  à  la 
baronne  Durand,  il  lui  dit  ce  mot  renouvelé  de  César  : 

—  Madame,  j'honore  et  je  respecte  l'impératrice;  mais  la  souve- 
raine d'un  grand  empire  doit  être  placée  hors  de  l'atteinte  de  tout 
soupçon. 

Nous  nous  sommes  arrêtés  au  mois  d'octobre  1810.  A  partir  de 
cette  époque.  Napoléon  devient  plus  sobre  de  détails  à  propos  des 
théâtres  et  de.  la  musique.  La  machine  est  si  bien  établie  qu'elle 
marche  d'elle-même,  sans  qu'aucune  pierre  vienne  entraver  ses 
rouages.  Et  puis,  d'autres  soucis  hantent  l'esprit  de  l'empereur- 
dilettante. 

D'un  bond,  nous  nous  portons  au  retour  de  la  campagne  de- 
Russie,  où  l'empereur  assiste  à  une  représentation  de  la  Jérusalem 
délivrée,  à  l'Opéra.  Une  réception  enthousiaste  lui  eslfaite;  et  il  en 
est  de  même  à  la  première  du  ballet  de  Nina,  avant  le  départ  pour  la 
campagne  de  France.  C'était  M.  de  Rémusat  qui  organisait  ces 
représentations,  pour  lesquelles  il  distribuait  personnellement  ces 
billets  de  faveur  contre  lesquels  son  maître  avait  fulminé  si  fort 
peu  de  temps  auparavant. 

Dans  le  même  temps,  Napoléon  avait  accompagné  l'impératrice  au 
Théâtre  Italien  de   la  place  de  i'Odéon,  où  l'on  donnait  une  repré- 


LE  MENtSTREL 


205 


sentalion  extraordinaire    de  la    Cléopùtre  de   Nasolini,  au    bénéfice 
de  M™  Grassini  : 

«  II  y  avait  longtemps,  nous  apprend  Constant,  que  l'empereur 
ne  la  recevait  plus.  En  cette  occasion,  il  se  montra  très  généreux 
pour  la  bénéficiaire,  mais  il  n'en  résulta  aucune  entrevue  :  car, 
ainsi  que  l'avait  dit  un  poète  de  l'époque,  la  Gléopâtre  de  Paris 
n'avait  pas  affaire  à  un  nouvel  Antoine.  » 

Nous  retrouverons  bientôt  théâtre  et  musique  pendant  les  jours 
tristes  de  l'invasion  et  de  l'exil.  Mais  pour  le  moment,  nous  n'avons 
pas  encore  épuisé  les  années  heureuses.  Hàtons-nous  d'en  montrer 
quelques  coins  encore,  avant  que  l'heure  fatale  ait  sonné  à  l'horloge 
du  destin. 

(A  suivj-e.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres  (2b  juin)  : 

Favorisé  par  le  beau  temps,  le  festival  Ihendel  attire  en  ce  moment 
une  foule  considérable  au  Crystal  Palace.  Voici  le  chiffre  d'entrées  des 
trois  premières  journées  :,  répétition  générale,  16,807;  h  Messie,  20,S87  ; 
programme  coupé,  21,483.  Reste  l'exécution  d'Israël  en  Egypte,  qui  clôturera 
demain  le  festival.  Quelques  chiffres  sur  la  composition  de  cette  grande 
masse  d'exécutants  ne  manqueront  pas  d'intérêt.  Les  chœurs  sont  consti- 
tués comme  suit  :  754  soprani,  790  contralti,  700  ténors  et  800  basses, 
ensemble  3,050  c'noristes,  dontbOO  pris  en  province  et  le  reste  fourni  par 
les  grandes  sociétés  chorales  de  la  capitale.  L'orchestre  comprend  .502 
musiciens,  dont  114  premiers  violons,  106  seconds  violons,  65  altos, 
72  violoncelles,  61  contrebasses,  13  flûtes,  9  clarinettes,  14  hautbois,  12 bas- 
sons, 3  contra-iâgotti,  10  cors,  7  trompettes  et  cornets  à  pistons,  9  trom- 
bones, 3  tubas,  3  jeux  de  timbales  et  une  grosse  caisse.  Si  les  solistes 
ont  parfois  laissé  à  désirer  dans  cette  immense  nef  du  Crystal  Palace, 
l'exécution,  considérée  dans  ses  grandes  lignes,  ne  mérite  que  des  éloges. 
L'effet  imposant  de  ces  grandes  masses  chorales  n'a  d'équivalent  nulle 
part  ailleurs.  Il  faut  aussi  louer  M.  Manns,  l'éminent  chef  d'orchestre  du 
Crystal  Palace,  auquel  on  doit  la  suppression  de  ces  horribles  serpents 
qui  étaient  autrefois  postés  au  milieu  des  choristes  pour  indiquer  les 
entrées  et  soutenir  les  voix.  Trois  fragments  d'orchestre,  presque  inédits, 
ont  été  un  des  gros  succès  du  festival  :  c'est  l'ouverture  de  Giustino  avec 
son  délicieux  trait  pour  les  hautbois,  un  gracieux  menuet  extrait  de 
l'opéra  de  Bérénice  et  une  ravissante  bourrée  composée  en  171S  pour  une 
fête  royale  sur  l'eau.  Je  recommande  ces  trois  morceaux  à  MM.  Colonne 
et  Lamoureux. 

Calme  plat  à  Govent  Garden,  où  la  direction  a  eu  recours  aux  deux  re- 
prises bien  inutiles  de  Lucie  et  de  Martha,  en  attendant  celle,  autrement 
intéressante,  de  l'OteWo  de  Verdi,  qui  est  fixée  à  samedi  prochain. 

A.  G.  N. 

—  On  a  donné  l'autre  semaine,  à  l'Alhambra  de  Londres,  la  première 
représentation  d'un  ballet  nouveau  en  quatre  tableaux,  Oriella,  dont  le 
scénario  a  été  tracé  par  M.  Carlo  Coppi  et  la  musique  écrite  par  M.  Georges 
Jacobi.  Très  gros  succès,  paraît-il,  et  pour  les  danses,  et  pour  la  musique, 
et  pour  la  mise  en  scène,  qui  est  d'une  éclatante  richesse. 

—  Vers  la  fin  de  cemois  paraîtra  le  catalogue  descriptif  des  instruments 
de  musique  exposés  à  l'Exposition  royale  militaire  de  Londres,  en  1890. 
Cet  ouvrage  est  d'un  très  grand  intérêt.  Les  différents  instruments  sont 
classés  par  ordre  chronologique  autant  qu'il  a  été  possible  de  le  faire,  et 
dans  leur  famille  et  classe  respectives.  La  description  de  chaque  famille 
est  précédée  d'une  préface  soigneusement  écrite.  Pour  rendre  le  livre  d'un 
intérêt  plus  grand,  il  est  orné  de'  douze  planches  artistiques  en  hélio- 
gravure et  de  plusieurs  gravures  sur  bois. 

— Les  fabricants  de  pianos  de  Liverpool  font  assaut  de  courtoisie  envers 
leurs  clients.  Une  des  premières  maisons  de  la  ville  a  annoncé  récem- 
ment que  tout  achat  de  ses  instruments  (pianos,  orgues  ou  harmoniums), 
au-dessus  de  vingt-cinq  livres  sterling,  donnait  droit  à  un  trimestre 
d'enseignement  musical.  Un  concurrent  est  allé  encore  plus  loin.  Il  offre 
en  prime  à  tous  ses  acheteurs  une  éducation  musicale  «  complète  »  en 
six  mois.  Par  exemple,  on  ne  fait  pas  connaître  le  nom  du  professeur  qui 
sera  chargé  de  donner  les  leçpns.  Sera-ce  Rubinsteiu  ou  Planté? 

—  De  notre  correspondant  de  Bruxelles  (25  juin)  :  —  La  saison 
d'été  ne  nous  prive  pas  tout  à  tait  de  musique.  Nous  voici  notamment 
en  pleins  concours  du  Conservatoire.  Je  vous  dirai  plus  lard,  quand  ils 
seront  terminés,  s'ils  nous  ont  apporté  l'espoir  de  quelques  artistes  sortant 
de  l'ordinaire  et  quels  en  ont  été  les  principaux  résultats.  Tous  les  ans, 
vous  le  savez,  ils  s'ouvrent  par  un  petit  concert  dont  le  but  est  de  faire 
entendre  les  classes  d'ensemble  instrumental  et  vocal,  qui  ne  concourent 
pas.  —  M.  Arthur  de  Greef,  le  très  renommé  professeur  de  la  classe  de 
piano,  a  remporté,  au  'Wanx-Hall,  un  nouveau  et  très  vif  succès  ;  l'œuvre 
nouvelle  qu'y  a  exécutée  l'orchestre  de  la  Monnaie  est  une  symphonie, 
d'un  caractère  tout  particulier  et  dont  le  titre  explique  suffisamment  les 
tendances  :  Symphonie  flamande,  œuvre,  en  effet,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 


flamande,  par  la  robustesse,  la  santé  et  la  vie.  Bâtie  sur  des  thèmes 
populaires,  elle  est  en  quelque  sorte  la  transposition  musicale  de  ces 
joyeuses  et  truculentes  kermesses  dont  Rubens  et  Téniers  firent,  des 
chefs-d'œuvre.  Cela  est  tout  plein  de  sève  et  de  jeunesse,  et,  en  outre, 
d'une  très  remarquable  o  écriture  »,  pour  se  servir  du  mot  à  la  mode. 
M.  Arthur  de  Greef  n'a  pas  trente  ans  ;  c'est  dire  assez  qu'il  a  l'avenir 
devant  lui,  et  tout  porte  à  croire,  avec  de  si  belles  promesses,  qu'il  saura 
le  remplir  glorieusement.  Ces  succès  sont  d'heureux  augure  pour  l'école 
belge;  car  M.  de  Greef,  qui  est  parmi  les  premiers,  n'est  pas  le  seul  de 
qui  l'on  espère  quelque  chose.  Après  MM.  Emile  Mathieu,  Blockx,  Tinel, 
etc.,  qui  ont  donné  déjà  des  preuves  de  talent,  nous  possédons  une  petite 
phalange  de  «  nouveaux  »,  tout  disposés  à  bien  marcher.  L'un  d'eux 
encore,  M.  Emile  Agniez,  joint  à  ses  qualités  de  compositeur  un  talent 
et  un  dévouement  d'initiateur;  au  Conservatoire,  où  il  dirige  une  des 
classes  d'orchestre,  et  dans  un  cercle  particulier,  le  Club  symphonique,  il 
fait  exécuter  publiquement,  à  maintes  reprises,  des  œuvres  de  tous  ces 
jeunes-là.  Récemment,  un  concert  organisé  par  lui  nous  en  a  fait  con- 
naître quelques-unes,  de  peu  d'importance,  mais  de  réel  mérite,  et  les 
moins  bonnes  n'étaient  pas  les  siennes,  à  lui,  —  œuvres  instrumentales 
et  vocales,  d'un  joli  sentiment  et  d'une  inspiration  sincère.  —  A  part 
cela,  je  ne  vois  rien,  en  attendant  la  fin  des  concours  du  Conservatoire, 
qui  soit  de  nature  à  vous  intéresser.  L.  S. 

—  Le  comité  de  l'Exposition  musicale  qui  va  s'ouvrir  prochainement  à 
Vienne,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Mozart,  vient  de  se  réunir  sous  la 
présidence  de  la  princesse  de  Metternich,  pour  arrêter  définitivement  le 
programme  des  tètes,  ainsi  que  les  bases  du  service  d'organisation.  On  a 
nommé  une  commission  executive,  chargée  de  toutes  les  questions  d'admi- 
nistration. L'entreprise  portera  le  titre  d'Exposition  internationale  du  monde 
musical  et  théâtral  en,  4892  et  Exposition  industrielle  spéciale.  Les  bâtiments 
s'élèveront  dans  les  jardins  environnant  la  «  Rotonde  ».  L'Exposition 
ouvrira  le  9  juillet  et  fermera  le  9  octobre  1892. 

—  Le  troisième  festival  de  musique  de  Stuttgart  vient  d'avoir  lieu,  sous 
le  patronage  du  roi  de  Wurtemberg  et  la  direction  artistique  des  docteurs 
Faisst  et  Paul  lîlengel.  Le  premier  concert  était  consacré  à  une  très  re- 
marquable exécution  de  Judas  Machabée,  de  Hœndel.  A  la  deuxième  séance, 
qui  a  duré  de  six  heures  à  dix  heures  et  demie  du  soir,  tous  les  solistes 
du  festival  se  sont  fait  entendre  dans  différentes  œuvres  et  ont  été  acclamés 
par  deux  mille  auditeurs  intrépides,  et  décidés  à  étouffer  de  chaleur  plu- 
tôt que  de  perdre  une  note  de  ce  concert  interminable  que  couronnait  la 
9"  symphonie  de  Beethoven.  Les  honneurs  du  concert  suivant  ont  été  pour 
l'hymne  royal  composé  par  M.  J.  Faisst,  à  l'occasion  du  vingt-cinquième 
anniversaire  de  l'accession  au  trône  du  roi  Charles  de  Wurtemberg.  A 
l'issue  du  festival,  un  banquet  et  une  fête  de  nuit  ont  été  offerts  par  le 
souverain,  dans  son  château  Wilhelma,  aux  organisateurs  et  aux  artistes. 

—  La  saison  lyrique  du  théâtre  de  Halle,  qui  vient  de  prendre  fin,  a  dé- 
passé en  éclat  toutes  les  saisons  précédentes.  Le  répertoire  s'est  enrichi 
de  plusieurs  œuvres  nouvelles  à  succès.  Parmi  les  meilleures  représenta- 
tions de  la  saison  on  cite  Fidélio  (avec  M°"=  Moran-Olden),  les  Noces  de 
Figaro,  Don  Juan,  Loreley  (de  Mendelssohn),  les  Joyeuses  Commères  de  Windsor 
et  Mignon  (avec  M™'*  Pleschner  et  Polsoher).  C'est  l'ouvrage  de  M.  Ambroise 
Thomas  qui  a  obtenu  le  plus  grand  nombre  de  représentations,  ayant  été 
joué  huit  fois  ;  ensuite  vient  l'opéra  de  Wagner,  les  Maîtres  Chanteurs,  avec 
six  représentations. 

—  Un  journal  étranger  nous  fournit  ce  renseignement  sur  le  Conserva- 
toire de  Dresde  :  «  On  parle,  au  Conservatoire  d'une  innovation  utile  qui 
intéresse  les  élèves  d'opéra  et  de  comédie,  à  savoir:  un  cours  de  coupe  pour 
costumés  de  théâtre.  C'est  là  une  idée  pratique.  On  sait,  du  reste,  que 
beaucoup  d'éminents  artistes  italiens  et  français  ne  dédaignent  pas  de 
tenir  l'aiguille  pour  la  confection  de  leur  garde-robe.  » 

—  Les  journaux  de  Prague  parlent  avec  beaucoup  d'éloges  d'un  mélo- 
drame, une  tragédie  dont  toutes  les  situations  sont  illustrées  musicale- 
ment par  un  accompagnement  orchestral.  L'œuvre  nouvelle,  qui  a  obtenu 
un  très  gros  succès  au  dire  de  nos  confrères,  est  la  seconde  journée  d'une 
trilogie  antique  et  a  pour  titre  Smir  Tantaluv  (l'Expiation  de  Tantale).  Le 
nom  de  l'auteur  présente  quelques  difficultés  de  prononciation  pour  qui 
n'est  pas  initié  aux  beautés  de  la  langue  tchèque:  J.  Vrchlicky.  On  se 
figure  difficilement  qu'avec  un  nom  semblable,  cet  émule  de  Shakespeare 
arrive  à  la  célébrité  universelle  de  son  modèle.  La  musique  du  mélodrame, 
qu'on  dit  remarquable,  est  de  M.  Zdenck  Fibich. 

—  Les  journaux  de  Pologne  sont  tous  d'accord  pour  constater  le  grand 
succès  que  vient  de  remporter  à  Varsovie  M""  Louise  Heymann,  une  des 
plus  charmantes  élèves  de  l'école  Marchesi  ;  la  charmante  cantatrice  a  chanté 
Lucie,  la  Somnambule  et  Mignon. 

—  On  se  rappelle  que  le  Grand-Théâtre  de  Zurich  a  été  détruit  récem- 
ment par  un  incendie.  On  s'est  mis  à  l'œuvre  aussitôt  pour  en  construire 
un  nouveau,  et  ce  sont  deux  architectes  viennois,  MM.  Fellver  et  Helmer, 
qui  ont  été  chargés  de  ce  travail.  L'œuvre  est  aujourd'hui  tort  avancée,  et 
l'on  espère  pouvoir  faire,  dès  le  1"  octobre  prochain,  l'inauguration  du 
nouveau  théâtre.  Celui-ci  n'aura  coûté,  dit-on  que  900,000  francs,  et  il 
pourra  contenir  1,300  spectateurs. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  Verdi  a  envoyé  à  la  biblio- 
thèque du  Lycée  musical  de  Bologne  un  fragment  autographe  important 
de  la  partition  de  sa  Messe  de  Requiem. 


206 


LE  MENESTREL 


—  Comme  on  pouvait  s'y  attendre,  la  décision  du  conseil  comrannal, 
supprimant  brutalement  la  subvention  du  théâtre  San  Carlo,  a  fail  jeter 
les  hauts  cris  à  la  population  de  Naples,  menacée  de  rester  privée  de  sa 
grande  scène  lyrique,  l'orgueil  et  la  gloire  d'une  ville  de  700,000  habitants. 
De  tous  côtés  on  proteste,  on  récrimine,  et  l'on  prépare,  avec  des  listes  de 
souscription,  des  réunions  et  des  meetings  de  protestation. 

—  Les  Milanais,  ne  pouvant  décidément  avoir  le  Néron  de  M.  Arrigo 
Boito,  qui  passe  à  l'état  de  mythe,  vont  être  appelés  à  se  régaler  d'un 
autre  Néron.  Celui-ci  est  l'œuvre  de  M.  Riccardo  Rasori  et  sera  représenté 
l'automne  prochain  au  théâtre  Carcano,  avec  le  ténor  Vincentelli  dans  le 
rôle  principal. 

—  Nous  faisions  ressortir  récemment  le  côté  antimnsical  de  la  petite 
débauche  à  laquelle  se  livraient  certaines  troupes  italiennes,  en  repré- 
sentant le  Barbier  de  Séville  de  Rossini  avec  une  interprétation  complète- 
ment féminine.  Cette  aimable  fumisterie  artistique  vient  d'obtenir  au 
théâtre  Victor-Emmanuel,  de  Turin,  tout  le  succès  qu'elle  mérite  ;  elle  a  été 
sifflée  à  outrance,  et  fort  justement.  Mais  voici  qu'on  parle  maintenant 
d'une  contre-partie  tout  aussi  sotte,  c'est-à-dire  d'un  Barbier  entièrement 
masculin,  dans  lequel  le  rôle  de  Rosine  serait  tenu  par  un  ténor.  Sans 
parler  du  caractère  grotesque  d'une  telle  interprétation,  nous  renouvelle- 
]-ons  nos  observations  ce  que  deviennent,  en  pareille  occurrence,  l'échafau- 
dage harmonique  et  le  groupement  rationnel  des  voix. 

—  «  Succès  splendide  »  au  théâtre  National  de  Rome,  disent  les  jour- 
naux italiens,  pour  le  Domino  noir  d'Auber  et  pour  M"'=  Linda  Brambilla, 
chargée  dans  cet  ouvrage  du  rôle  d'Angèle.  «  La  charmante  Philine  de 
Mignon,  dit  l'Italie,  joue  la  comédie  avec  grâce,  élégance  et  brio  ;  elle 
chante  délicieusement  les  belles  mélodies  d'Auber.  On  l'a  vivement  ap- 
plaudie au  premier  acte  et  encore  plus  à  la  chanson  espagnole  el  à  la  ro- 
mance (bissée)  du  second  acte;  aux  brillants  couplets  (bissés)  et  à  la  belle 
prière  du  troisième  » 

—  Rossini  retrouve  décidément  faveur  en  Italie,  et  ses  compatriotes  lui 
font  fête  en  ce  moment.  A  Rome,  le  Barbier  de  Séville,  à  Turin,  Vllaliana 
in  Algcri,  à  Milan,  la  Cenercntola  attirent  de  tous  côtés  la  foule  et  reçoivent 
des  applaudissements.  Gela  vaut  mieux  assurément  que  certaines  opérettes 
ineptes,  qui  ne  font  que  paraître  et  disparaître,  mais  qui  ne  pervertissent 
pas  moins  le  goût  du  public. 

—  On  a  exécuté  récemment  à  Bologne,  dans  la  chapelle  de  l'Institut 
d'éducation  féminine,  une  nouvelle  messe  pour  orgue,  chœur  et  soli  de 
voix  d'enfants  de  la  composition  de  M.  Filippo  Brunetti,  ex-directeur  du 
Lycée  musical  de  cette  ville.  Les  journaux  font  de  grands  éloges  de  cette 
œuvre  importante,  dont  l'effet  parait  avoir  été  considérable. 

—  Nos  confrères  italiens  se  plaignent,  non  sans  quelque  raison,  du  dé- 
veloppement excessif  que  prennent  là-bas  les  cafés-concerts.  L'un  d'eux 
jette  à  ce  sujet  à  un  cri  d'alarme  :  «  La  rage  des  cafés-chantants  prend  à 
Milan  des  proportions  alarmantes...  pour  les  propriétaires  de  théâtres. 
Chaque  jour  il  en  surgit  quelqu'un  de  nouveau,  et  tous  font  largement  leurs 
aflaires.  Mont-Thabor,  Aurora,  Francescano,  Colombo,  ÎJnioue,  San  Mar- 
tine sont  toujours  combles,  et  les  danses,  les  canzonettistes  plus  ou  moins 
jolies...  et  internationales,  recueillent  des  applaudissements  et  des  bravos 
en  abondance.  » 

—  A  Viterbe,  ces  jours  derniers,  première  représentation  d'un  ballet 
nouveau,  Zariga,  du  chorégraphe  Giuseppe  Polozzi,  musique  de  M.  Ro- 
mualdo  Marenco.  Cette  musique,  selon  les  journaux  italiens,  serait  la 
meilleure  qu'ait  encore  écrite  le  compositeur — ce  qui  ne  voudrait  pas 
dire  que  ce  soit  un  chef-d'œuvre. 

—  Succès  à  Madrid,  pour  un  petit  opéra  en  un  acte,  Raquel,  paroles  de 
M.  Lasso  delà  Vego,  musique  d'un  jeune  compositeur, M.  Taboada  Steger, 
avec  M"e  Carrera  pour  principale  interprète. 

—  Le  Gymnase  de  Lisbonne  a  donné,  ces  jours  derniers,  la  première 
représentation  d'une  grande  pièce  fantastique  et  musicale  en  trois  actes 
et  douze  tableaux,  um  Sonho  de  ventura,  de  MM.  Soller  et  José  Ignacio 
d'Araujo,  musique  de  M.  Stichini,  dont  les  principaux  rôles  sont  tenus 
par  M"'"  Ernesta  Cerri  et  MM.  Joaquim  Silva,  Diniz  et  Marcellino  Franco. 

—  Lasse  d'être  tributaire  de  l'étranger  en  matière  musicale,  l'Amérique 
réclame  enfin  sa  place  au  soleil  de  l'art.  Un  journal  de  Chicago  vient  de 
lever  l'étendard  de  la  révolte,  et  voici  en  quels  termes  il  fait  entendre  les 
doléances  des  artistes  ses  concitoyens  :  «  La  grande  question  est  de  savoir 
si  les  compositeurs  américains  sont  capables  de  produire  des  œuvres 
d'art.  Un  Américain,  c'est-à-dire  un  homme  qui  a  dans  les  veines  le  sang 
de  la  liberté  (sic),  peut-il  diriger  un  orchestre?  Est-il  à  même  de  com. 
muniquer  une  instruction  musicale  supérieure?  Si  la  question  est  réso- 
lue afhrmativement,  qu'on  cesse  les  importations  de  «  Marches  du  Cente. 
naire  »  et  qu'on  s'abstienne  de  faire  venir  d'Allemagne  un  chef  d'orchestre 
pour  nous  montrer  comment  il  ne  faut  pas  jouer  les  symphonies  de 
Beethoven Lors  des  fêtes  du  Centenaire,  en  1876,  le  comité  de  Phila- 
delphie, dans  le  but  d'ajouter  un  attrait  apparent  à  la  solennité,  expédia 
à  Richard  Wagner  la  commande  d'une  marche,  accompagnée  de  six  mille 
dollars  en  or  américain.  Wagner  empocha  les  ducats,  bâcla  quelques  me- 
sures d'une  musique  tapageuse  et  banale,  avec  beaucoup  de  cuivres  et  de 
grosse  caisse,  et  se  prit  à  sourire  malignement  en  songeant  au  festival, 
tout  en  dégustant  son  Johannisberg.  Nous  ne  l'en  blâmons  pas  d'ailleurs. 
Il  ne  connaissait  pas  la  patrie  de  Washington.  Et  comment  n'aurait-il 


pas  éprouvé  du  dédain  pour  une  nation  qui  se  croit  forcée  de  s'adresser  à 
l'Europe  pour  avoir  une  marche?  et  quelle  marche!  Si  jamais  un  Paine, 
un  Buck,  un  Bristow,  un  Gleason,  un  Chadwick  ou  tout  autre  parmi  nos 
meilleurs  compositeurs  s'avisait  de  confectionner  une  pareille  œuvre 
cacophonique,  c'en  serait  fait  de  leur  réputation!...  Devrons-nous,  dans 
cette  grande  ville  de  Chicago  où  se  prépare  une  exposition  destinée  à 
faire  briller  le  génie,  les  ressources  et  l'esprit  d'entreprise  de  la  plus 
grande  nation  du  globe,  devrons-nous,  ici-même,  insulter  et  décourager 
les  compositeurs  américains  en  invitant  un  musicien  étranger  à  écrire 
une  cantate  ou  une  symphonie  appropriée  à  la  circonstance?  Non;  si 
l'inspiration  musicale  n'est  pas  un  vain  mot,  nous  prétendons  que  nul 
autre  qu'un  compositeur  américain  n'est  à  même  de  célébrer  dignement 
cet  événement,  »  etc.,  etc.. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

C'est  avant-hier  vendredi  qu'a  eu  lieu  au  Conservatoire  l'exécution 
des  cantates  des  cinq  concurrents  au  prix  de  Rome,  exécution  qui  s'est 
renouvelée  hier  samedi  à  l'Institut,  en  présence  de  l'Académie  des  beaux- 
arts,  appelée  à  rendre  son  jugement  et  à  décerner  les  récompenses.  Voici 
dans  quel  ordre,  fixé  par  le  sort,  les  cantates  ont  été  entendues,  et  les 
noms  de  leurs  interprètes  : 

1°  M.  Lulz,  premier  second  grand  prix  en  1890.  Interprètes  :  M}^'  Blanc, 
MM.  Vergnet  et  Renaud  ; 

2»  M.  Fournier,  second  grand  prix  en  1889.  Interprètes  :  Mn"=deNuovina, 
MM.  Piroia  el  Dubulle; 

3°  M.  Andrès.  Interprètes:  M"''  Simonnet,  MM.  Clément  et  Dubulle; 

4°  M.  Silver,  deuxième  second  grand  prix  en  1890.  Interprètes  :  M""=Fie- 
rens,  MM.  Gossira  et  Fournets  ; 

5"  M.  Bondon.  Interprètes:  M"'=  Pregi,  MM.  Baudoin  et  Lorrain. 

Il  n'a  pas  fallu  moins  de  huit  tours  de  scrutin  pour  amener  un  résul- 
tat. Voici  les  récompenses  qui  ont  été  décernées  : 

Premier  grand  prix  :  M.  Silver,  élève  de  M.  Massenet  ; 

Premier  second  grand  prix  :  M.  Fournier,  élève  de  Léo  Delibes  et  de 
M.  Théodore  Dubois; 

Mention  honorable  :  M.  Andrès,  élève  de  M.  Ernest  Guiraud. 

—  L'Opéra-Comique  fermant  ses  portes  le  1"'  juillet,  le  Rêve  ne  pourra 
plus  être  joué  que  deux  fois  avant  la  clôture.  L'œuvre  de  MM.  E.  Zola, 
L.  Gallet  et  Bruneau  sera  représentée  lundi  et  mardi.  Aujourd'hui 
dimanche,  dernière  représentation  de  Lakmé. 

—  jvXmo  Tarquini  d'Or,  qui  a  remporté  de  grand  succès,  pendant  plusieurs 
saisons,  au  théâtre  municipal  de  Nice,  vient  de  signer  avec  l'Opéra-Co- 
mique.  Elle  débutera  dans  Carmen.  MM.  Mouliérat  et  Carbonne  ont  renou- 
velé leur  engagement  avec  M.  Carvalho.  M.  Gobalet,  au  contraire,  ne  s'est 
pas  entendu  pour  de  nouvelles  conditions  avec  la  direction  et  quitte  le 
théâtre  de  ses  premiers  succès.  On  parle  aussi  du  départ  de  M.  Delaquer- 
rière  et  de  M"=  Auguez. 

—  L'Orphelinat  des  Arts  a  tenu  cette  semaine,  au  loyer  du  Vaudeville, 
son  assemblée  générale  annuelle.  M°"^  Marie  Laurent  présidait,  assistée  de 
Unies  Coquelin  et  Louise  Abbéma,  vice-présidentes.  Dans  l'assistance, 
très  nombreuse,  on  remarquait  M'"'^^  Raphaël-Félix,  Doche,  Rachel  Boyer, 
Alice  Lody,  Brandès,  etc.  M""*  Coquelin  a  ouvert  la  séance  en  lisant  son 
rapport  sur  la  situation  financière,  situation  des  plus  prospères,  puisque 
les  recettes  se  sont  élevées  à  75,075  francs  et  les  dépenses  à  60,931  francs. 
M™  Marie  Laurent  a  donné  lecture  du  rapport  administratif.  On  a  procédé 
ensuite  à  la  nomination  de  onze  membres  du  comité.  Ont  été  élues: 
jjmcs  Doche,  P.  Viardot,  Abbéma,  Sisos-Boulenger,  Brandès,  Raphaël- 
Félix,  Lagrange-Bellecour,  Rachel  Boyer,  Roosewelt,  Scalini  et  Simon  Girard. 

—  Sous  ce  titre:  Un  opéra  français  composé  en  illi  pour  le  théâtre  de  la 
Monnaie,  à  Braœete  (Paris,  Pion,  in-8"  de  60  pp.),  M.  Alphonse  Goovaerts, 
chef  de  section  aux  Archives  générales  de  Belgique,  publie  une  brochure 
substantielle  et  intéressante  dans  laquelle  il  reprend  un  sujet  qui  avait  déjà 
donné  lieu  à  une  communication  fort  curieuse,  faite  il  y  a  quelques  années, 
par  M.  Charles  Piot,  à  l'Académie  royale  de  Belgique.  11  s'agit  d'un  opéra- 
comique  en  trois  actes  intitulé  Berthe,  resté  complètement  inconnu  jus- 
qu'à ces  derniers  temps,  dont  le  livret  était  écrit  par  un  nommé  Plein- 
chêne,  l'un  des  auteurs  familiers  de  la  Comédie-Italienne,  et  dont  la  mu- 
sique réunissait  les  noms  de  quatre  compositeurs:  Philidor  et  Gossec, 
déjà  célèbres  alors,  Vitzthumb,  à  cette  époque  chef  d'orchestre  et  co- 
directeur de  la  Monnaie,  et  un  musicien  obscur  nommé  Bodson.  C'est  là 
un  petit  chapitre  très  curieux  d'histoire  musicale  internationale,  que 
M.  Goovaerts  a  pu  rendre  tout  partlculièçement  intéressant  à  l'aide  de 
nombreuses  lettres  inédites  de  Pleinchêne  et  de  Vitzthumb,  et  aussi 
d'autres  lettres  de  Philidor,  de  Gossec  et  de  Compain,  l'associé  de  Vitz- 
thumb dans  la  direction  de  la  Monnaie.  Et  cela  nous  prouve  que  dès 
cette  époque  ce  théâtre  avait  volontiers  recours  au  talent  des  compositeurs 
français  (ou  établis  en  France,  car  Gossec  était  Belge),  et  que  Philidor  et 
son  ami  ont  été  les  devanciers,  en  ce  genre,  de  MM.  Reyer,  Massenet, 
Chabrier  et  Hillemacher.  A.  P. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  est  de  retour  à  Paris  depuis  quelques  jours.      | 
L'auteur  à'Ascanio  est  enchanté  de  son  séjour  en  Egypte,  en  Tunisie  et  en     !■ 
Algérie.  Il  rapporte  de  nombreux  manuscrits  de  son  voyage.  Quant  à  sa   'ni 
santé,  elle  est  parfaite.  M.  Camille  Saint-Saëns  va  séjourner  à  Paris  jus-    'SÎl 
qu'à  l'automne.  Il  a  pris  part,  cette  semaine,   au  jugement  des  cantates 
pour  le  prix  de  Rome. 


LE  MÉNESTREL 


207 


—  M"'!  Charton-Demeur,  la  grande  cantatrice  qui  lut  l'admirable  Didon 
des  Troijens  de  Berlioz,  à  l'ancien  Théâtre-Lyrique,  et  la  touchante  Béa- 
trice de  Béatrice  et  Bénédict  au  théâtre  de  Bade,  vient,  dit-on,  d'être  atteinte 
d'une  légère  attaque  de  paralysie.  On  attribue  ce  fâcheux  accident  aux 
suites  d'une  frayeur  éprouvée  récemment.  M'""  Gharton-Demeur  avait  été, 
il  y  a  peu  de  temps,  renversée  par  un  vélocipède. 

—  Mercredi  dernier,  à  la  salle  Erard,  a  eu  lieu  la  séance  annuelle  d'au- 
dition des  élèves  de  M™  Marchesi.  La  salle  était  absolument  comble; 
gros  succès  notamment  pour  M"'^  Sears,  qui  a  fait  preuve  d'une  grande 
agilité;  Mâcha  Mataftine,  qui  a  chanté  avec  beaucoup  de  brio  l'air  des 
Péchnirs  de  perles;  Hollm,  qui  a  dit  avec  un  style  parfait  l'air  du  Rossii/nol, 
de  Ilipndel;  Lilian  Devlin,  une  diseuse  charmante  {Chant  d'exil,  de  Paul 
Vidal)  ;  Jeanne  Girard,  une  chanteuse  légère  de  beaucoup  d'avenir  ;  lihodes, 
une  remarquable  Lucie  ;  Brauwer,  Tosti,Mearns,  Redner,  Loidore,  Schjel- 
drup,  Lutka,  Methot,  Deville,  Drake,  Rowe,  etc.,  etc.  M.  Taffanel  a  accom- 
pagné merveilleusement  l'air  de  Lucie  et  celui  du  Rossignol.  Le  piano  était 
tenu  par  MM.  Mangin  et  Penzani.  Une  surprise  :  M"""  Jane  Horwitz,  an- 
cienne élève  de  l'école,  a  tenu  à  s'y  faire  entendre  encore  une  fois  dans 
l'air  du  Mysoli;  elle  a  été  très  applaudie. 

—  La  réunion  des  élèves  de  M^'^  de  Bonduwe  a  eu  lieu  dimanche  der- 
nier avec  un  plein  succès.  Elle  était  consacrée  aux  œuvres  de  MM.  Georges 
Pfeiffer  et  Théodore  Lack.  Du  premier,  nous  avons  particulièrement 
remarqué  la  Chanson  de  Henri  IV,  la  Sérénade  tunisienne,  le  2"  trio.  Bruit 
d'ailes,  Idylle  ;  et  du  second,  Tziganyi,  Mazurka  éolienne.  Chant  d'amil  et  la 
célèbre  Valse-Àrabesque.  Cett  intéressante  séance  fait  le  plus  grand  honneur 
au  parfait  enseignement  de  M""^^  Bonduvi'e. 

—  Cette  semaiue  a  eu  lieu  chez  le  docteur  B.-D.,  dans  sa  belle  villa 
d'Auteuil,  une  soirée  artistique  des  plus  réussies,  dans  laquelle  on  a  sur- 
tout applaudi  M.  Devilliers,  très  en  voix,  dans  le  grand  air  du  Mage  et 
Pensée  d'Automne,  de  J.  Massenet,  M.  Scaramberg  dans  l'aubade  du  Roi 
d'Ys,  et  avec  M'"=  Bilbaut-Vauchelet  dans  le  duo  de  Lahné,  M""  Van  Aoker 
dans  l'air  du  Tasse,  de  Benjamin  Godard,  et  M""  Dreux,  dans  les  couplets 
«  Dans  la  forêt  »  de  Lakiné.  —  M.  Delaunay,  qui  a  dit  plusieurs  poésies, 
a  partagé  avec  M.  Devilliers  les  ovations  de  cette  réunion  dont  le 
succès  a  été  absolument  complet. 

—  La  Société  de  Sainte-Cécile  de  Bordeaux  vient  d'être  particulièrement 
bien  inspirée  en  plaçant  comme  directeur  à  la  tête  de  son  Ecole  de  musique, 
qui  est  un  véritable  et  très  important  conservatoire,  un  artiste  de  la  valeur 
de  M.  Charles  Constantin.  Ancien  second  prix  du  concours  de  Rome  (1863) 
dans  la  classe  de  M.  Ambroise  Thomas,  chef  d'orchestre  qui  fit  ses  preuves 
éclatantes  naguère  aux  Fantaisies-Parisiennes,  à  l'Athénée  et  à  l'Opéra- 
Gomique,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  intéressants,  entre  autres  Dans  la 
forêt,  opéra-comique  représenté  à  l'Athénée,  et  Bak-Bek,  ballet  joué  à  Lyon, 
M.  Constantin,  qui  joint  à  une  intelligence  très  ouverte  une  rare  conscience 
artistique,  est  appelé  à  rendre  de  grands  services  dans  la  situation  im- 
portante qu'on  vient  de  lui  confier  et  dont,  plus  que  tout  autre,  il  était 
digne. 

— Dimanche  a  eu  lieu,  à  la  cathédrale  de  Moulins,  la  première  audition 
d'une  cantate  composée  à  l'occasion  du  troisième  centenaire  de  saint  Louis 
de  Gonzague  par  M.  l'abbé  Ghérion,  directeur  de  la  maîtrise.  Grand 
événement  dans  une  petite  ville  comme  Moulins  !  L'exécution  de  cette 
œuvre  a  été  de  tous  points  remarquable  :  deux  cents  choristes  et  cinquante 
musiciens  d'orchestre  ont  interprété  cette  cantate,  où  l'auteur  a  révélé  les 
plus  sérieuses  qualités.  M.  Chérion  sait,  en  effet,  être  très  moderne  dans  ses 
compositions,  néanmoins  empreintes  d'un  profond  sentiment  religieux.  On 
sait  que  la  maîtrise  de  Moulins  estl'une  des  premières  de  France.  Le  résultat 
obtenu  a  été  des  plus  artistiques  et  fait  grand  honneur  à  M.  l'aljbé  Chérion. 


NÉCROLOGIE 

De  Belgique  on  annonce  la  mort  de  M.  Armand  Toussaint,  capitaine 
commandant  l'école  régimentaire  du  13=  de  ligne.  C'était  un  musicien 
amateur  pratiquant,  à  la  fois  pianiste  habile  et  compositeur,  à  qui  l'on 
doit  de  nombreux  morceaux  de  piano  et  de  chant,  des  ouvertures  et 
marches  pour  orchestre,  plusieurs  cantates  importantes  pour  voix  seules, 
chœurs  et  orchestre,  et  enfin  un  opéra-comique  intitulé  l'Horloger  de  la  Cour. 
Né  à  Liège  le  10  marslS  iSi,  il  est  mort  à  Leupegem  (Audenarde)  le  8  juin. 

—  D'Italie,  on  signale  la  perte  de  deux  artistes  qui  ont  eu  jadis  leur 
heure  de  renommée.  L'une  est  M"°  Fanny  Donatelli,  une  cantatrice  qui 
devait  être  fort  âgée,  puisque  c'est  elle  qui  créa  à  Venise,  le  6  mars  183b, 
le  rôle  de  Violetta  dans  la  Traviata  de  Verdi.  Elle  est  morte  cas  jours  der- 
niers à  Milan.  L'autre  est  une  ancienne  basse  comique,  Giuseppe  Scheggi, 
dont  la  jeunesse  fut  très  brillante  et  qui  fut  l'un  des  meilleurs  Bartholos 
qu'on  ait  connus  en  Italie  pour  le  Barbier  de  Rossini.  Il  créa  plusieurs 
rôles  importants  dans  divers  opéras  de  Donizetti  et  des  frères  Ricci. 
Scheggi  ,qui  était  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans,  est  mort  à  Florence. 

—  Enfin,  de  Lisbonne,  nous  apprenons  la  mort,  à  la  date  du  10  juin, 
de  Francisco  Gomes,  ex-chef  d'orchestre  au  théâtre  Dona  Maria  II,  depuis 
lors  alto  à  l'orchestre  du  théâtre  de  San  Carlos,  et  second  maître  de  cha- 
pelle à  la  cathédrale  où  pendant  longtemps,  grâce  à  une  singulière  faculté 
vocale,  il  avait  chanté  la  partie  de  soprano.  On  rappelle,  à  ce  propos,  une 
parodie  qui  obtint  un  grand  succès  au  San  Carlos  en  1866,  et  qui  consis- 
tait dans  une  scène  du  Faust  de  Gounod,  où  les  rôles  de  Faust  et  de  Mé- 
phistophèlès  étaient  tenus  par  deux  violonistes  de  l'orchestre,  MM.  Fer- 
reira  et  Sergio,  et  celui  de  Marguerite  par  Francisco  Gomes.  Cette  scène 
excita  un  tel  fou  rire  que  depuis  lors  les  amis  de  ce  dernier  ne  l'appe- 
lèrent plus  autrement  que  Marguerite.  Cet  artiste  était  âgé  seulement  de 
cinquante-quatre  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

AVIS  AU  COMMERCE  DE  MUSIQUE 

M.  Henri  Heug-el,  éditeur-propriétaire  de 
la  maison  du  MÉNESTREL,  porte  à  la  connais- 
sance de  ses  confrères  et  correspondants  qu'à 
partir  du  1"  juillet  1891  il  prend  pour  asso- 
cié son  neveu  M.  Paul-Émile  Chevalier,  déjà 
acquéreur  de  l'ancienne  maison  IIART.MIM  et  Ô'^ 
Les  deux  maisons  n'en  feront  donc  plus 
qu'une  sous  la  raison  sociale  :  HECGEL  cl  C'^ 
Le  siège  unique  de  la  Société  est  au  Méneslrel, 
2  bis.  rue  Vivienne,  où  toute  demande  de 
musique  devra  être  adressée  pour  les  deux 
fonds.  Les  conditions  de  vente  sont  exacte- 
ment les  mêmes  que  celles  qu'on  faisait  au- 
paravant au  .Ménestrel.  Prière  d'en  prendre 
bonne  note. 


En  pente,  AU  MÉNESTREL,  2'"%  me  Vii'ienne,   HEUGEIj   et   C",   éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 


PARTITION  CHAM  ET  PIANO 

Prix  set  :  20  fr. 

PARTITION  POUR  CHANT  SEUL 
Pkis  net  :  4  fr. 


LE  MAGE 

Grand  opéra  en  cinq  actes 

DE 

JEAN     RICHEPIN 

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PARTITION  POIR  PIANO  SOLO 

Prix  net  :  12  fr. 


BALLET    EXTRAIT 
Prix  net  :  3  fu. 


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208  LE  MENESTREL 


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PAR 

THÉODORE    DUBOIS 

Professeur  d'Harmonie  an  Conservatoire  dJ  Paris 
Insiieoteui-    de    l'Enseignement    nmsical 


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(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestebl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrite,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  ïexle  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  su». 


SOMMIIEE- TEXTE 


1.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (16"  article),  Albert  Soubies  et  Ch.irles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Louis  Lacombe,  Louis  Gallet.  —  III.  Na- 
poléon dilettante  {14'  article),  Edmond  Neukomm  et  P.tuL  d'Estrée.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 

RÉVEIL 

allegretto  scherzando,  pièce  caractéristique  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra 
immédiatement  :  Mijosotis,  romance  sans  paroles,  de  Théodore  Lack. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :   Aimer,    nouvelle   mélodie   de   Balthazar    Florence.  —  Suivra 
immédiatement  :    le  Chant   touranien    du    Mage,    chanté  par  M™   Lureau- 
EscALAÏs,  musique  de  J.  Massenet,  poésie  de  Je.w  Richepin. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAYART 


Albert  SOUBtES   et  Charles   ]M:A.L:HEFtBE 


DEUXIEME  PARTIE 

(Suite.) 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur, 

(1865-1868) 

Le  période  comprise  entre  la  fln  de  l'année  1863  et  le  com- 
meucement  de  l'année  1868  est  marquée  par  un  fait  curieux. 
En  moins  de  trois  ans,  trois  grands  ouvrages  sont  donnés, 
qni  rapidement,  presque  sans  arrêt,  arrivent  à  la  centième 
représentation,  et  finissent  par  la  dépasser  plus  ou  moins  : 
■le  Voyage  en  Chine  (9  décembre  186S),  Mignon  (17  novembre  1866) 
le  Premier  Jour  de  bonheur  (lo  février  1868).  Or,  ce  chiffre  cent, 
si  fréquent  lorsqu'il  s'agit  de  vaudevilles  ou  d'opérettes,  est 
à  ce  point  exceptionnel  en  matière  d'opéra-comique,  qu'il 
faudra  attendre  désormais  sept  années  avant  de  retrouver  une 
fiièce  centenaire.  Et  encore,  en  1875,  Carmen  ne  franchit-elle 
pas  du  premier  coup  cette  étape  décisive. 

L'ordre  habituel  de  notre  travail  obligerait  à  signaler  sépa- 
rément, suivant  leur  date  de  naissance,  ces  trois  jumeaux 
■du  succès  ;  la  rareté  du  fait  nous  invite  à  déroger  pour  une 
fois  à  ce  principe.  Ainsi  rapprochées,   ces  trois  pièces    s'op- 


posent mieux;  il  devient  plus  facile  d'en  faire  ressortir  les 
diversités  de  caractère,  de  valeur  et  même  de  fortune,  si 
l'on  compte  leur  durée  d'existence  et  le  produit  de  leurs 
recettes. 

Toutes  les  trois,  remarque  singulière,  sont  les  avant-derniers 
ouvrages  de  leurs  auteurs  à  l'Opéra-Comique  :  Bazin  ne 
devait  plus  donner  que  l'Ours  et  le  Pacha,  Ambroise  Thomas 
que  Gilles  et  Gillotin,  Auber  que  Rêve  d'amour. 

Toutes  les  trois  diffèrent  singulièrement  et  représentent  en 
quelque  sorte  une  forme  d'art  spéciale.  Le  Voyage  en  Chine  est 
une  farce,  un  vaudeville,  traité  par  les  procédés  de  l'opéra 
bouffe,  et  presque  la  dernière  manifestation  heureuse  du 
genre  très  (/a*  dans  ce  théâtre.  Mignon  est  l'oeuvre  de  demi- 
caractère,  plus  fine  et  plus  délicate,  relevant  de  ce  genre 
tempéré  que  nous  avons  essayé  de  définir  en  terminant  la 
première  partie  de  notre  travail,  tenant  encore  au  passé  par 
l'invention  de  l'idée  mélodique,  appartenant  au  présent,  sinon 
à  l'avenir,  par  le  soin  de  la  facture  et  la  poésie  du  sentiment: 
un  modèle  qui  a  fourni  de  nombreuses  copies,  une  branche 
sur  laquelle  se  sont  greffés  bien  d'autres  ouvrages  d'allure 
et  de  tendances  analogues.  Le  Premier  Jour  de  bonheur  est 
l'opéra-comique  au  vrai  sens  du  mot,  avec  son  mélange  d'é- 
légance un  peu  mièvre,  de  sensibilité  un  peu  précieuse, 
d'aimable  gaieté  que  traverse  une  pointe  d'émotion;  mais  un 
soufQe  plus  moderne  semble  déjà  tendre  à  le  renouveler; 
l'élément  pittoresque  y  trouve  sa  juste  place,  et  l'on  ne  saurait 
ainsi  méconnaître  une  certaine  parenté  entre  l'avant-dernier 
ouvrage  d'Auber  et  le  dernier  de  Léo  Delibes  :  le  ciel  de 
l'Inde  encadre  l'un  et  l'autre;  l'ofiicier  français  et  l'officier 
anglais  se  font  pendant;  la  prêtresse  d'Indra  qui  «  vient 
chercher  le  lotus  »  ressemble  â  la  fille  du  brahme  qui  se 
cache  au  fond  des  grands  bois  de  palmiers  ;  Djelma  est  la 
sœur  de  Lakmé. 

La  renommée  conquise  par  ces  trois  pièces  dispense  d'en 
raconter  longuement  l'intrigue.  Dans  le  Voyage  en  Chine,  il 
s'agit  de  l'entêtement  féroce  de  deux  Bretons  dont  l'un  refuse 
sa  fille  à  l'autre,  qui  l'attire  sur  son  navire,  lui  fait  croire 
qu'on  est  eu  route  pour  Pékin  tandis  qu'on  navigue  en  vue 
de  Cherbourg  et  finalement  lui  arrache  son  consentement, 
comme  rançon  de  délivrance,  comme  prix  du  retour  à  terre. 
Cette  fantaisie,  taillée  quelque  peu  sur  le  modèle  du  Voyage 
à  Dieppe,  était  pour  Labiche  et  Delacour  leur  début  de  colla- 
boration à  rOpéra-Comique.  Des  le  o  mai,  ils  avaient  lu  aux 
artistes  leur  comédie,  qui  devait  prendre  rang  après  Fior 
d'Aliza.  Victor  Massé  ayant  tardé  à  livrer  sa  partition,  le  Voyage 
en  Chine  passa  le  premier  et  remporta  dès  le  premier  soir  un 
éclatant  succès.  Le  livret  surtout  réunit  tous  les  suffrages  : 
presse  et  public  furent  d'accord  pour  applaudir  à  la  gaieté 
des  situations  et  à  l'esprit  du  dialogue.  La  musique  ne  déplut 


210 


LE  MÉNESTREL 


pas,  si  l'oQ  ea  juge  au  succès  populaire  qu'obtinrent  les  cou- 
plets des  cailloux,  la  marche,  le  duo  des  Bretons  :  «  la  Chine  est 
un  pays  charmant  »,  et  le  chœur  du  cidre  de  Normandie. 
Peut-être  se  montra-t-on  moins  sévère  qu'on  ne  le  serait 
aujourd'hui;  dans  son  compte  rendu,  pourtant,  M.  Auguste 
Duraud  qualifiait  cette  musique  avec  autant  de  justesse  que 
d'esprit,  en  écrivant  qu"  «  elle  ne  gênait  aucunement  la  pièce». 
IL  laissait  entendre  ainsi  que  les  mots  l'emportaient  sur  les 
notes,  et  l'on  en  vit  la  preuve  le  jour  oîi  la  partition  parut 
chez  Lemoine  :  par  une  exception,  flatteuse  pour  les  libret- 
tistes, mais  contraire  aux  usages,  tout  le  texte  parlé  y  avait  été 
gravé  ! 

Une  grosse  part  de  la  réussite  revint  d'ailleurs  aux  inter- 
prètes, qui,  dans  cette  pièce  se  passant  de  nos  jours,  avec 
des  costumes  modernes,  trouvèrent  tous  des  rôles  appropriés 
à  leur  talent.  Du  côté  des  femmes  :  M""'*  Gico,  Revilly  et 
Camille  Gontié,  une  débutante  dont  le  rôle  de  Berthe  était 
la  première  création  ;  du  côté  des  hommes  :  MM.  Montaubry, 
toujours  élégant  chanteur,  Couderc,  excellent  et  trop  tôt 
remplacé  par  Polei,  le  13  janvier,  à  la  quatorzième  représen- 
tation ;  Prilleux,  notaire  prud'hommesque  qui  vantait  si  plai- 
samment le  mérite  de  ses  filles,  «  deux  bonnes  natures  », 
enfin  Sainte-Foy,  de  qui  MM.  Yveling  Rambaud  et  E.  Coulon 
ont  pu  justement  dire  dans  leurs  Théâtres  en  robe  de  chambre  : 
a  II  faut  lui  rendre  cette  justice  que,  dans  ces  derniers  temps, 
il  a  laissé  de  côté  les  traditions  de  la  vieille  école  comique 
à  laquelle  il  appartient  de  cœur,  pour  chercher  des  effets  à 
la  manière  de  la  génération  nouvelle.  L'Opéra-Comique  sans 
Sainte-Foy  est  un  dîner  sans  vin.  »  Quant  à  Ponchard,  il 
avait  dû  céder  le  9  janvier  le  rôle  du  jeune  Fréval  à  Leroy 
à  cause  de  la  mort  de  son  père,  le  vieux  Ponchard,  décédé  à 
Paris,  le  6  janvier,  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf  ans,  Ponchard, 
qui  s'était  retiré  de  l'Opéra-Comique  en  1837,  mais  n'avait 
donné  sa  représentation  de  retraite  qu'en  mai  1851,  Ponchard, 
le  créateur  de  la  Dame  blanche  et  de  tant  d'autres  ouvrages 
célèbres,  Ponchard  enfin,  le  premier  comédien  qui  ait  été 
décoré  de  la  Légion  d'honneur. 

Interrompu  seulement  au  mois  de  juin  pendant  le  temps  des 
vacances,  le  Voyage  en  Chine  reparut  le  20  octobre  avec  sa  dis- 
tribution originelle,  sauf  M"»  Marie-Roze,  qui  remplaçait 
M"«  Gico  et  fut  elle-même  remplacée,  le  25,  par  M"''  Dupuy.  Le 
souvenir  de  tous  les  artistes  qui  avaient  concouru  au  succès  de 
l'œuvre  est  d'ailleurs  consigné  dans  le  toast  «  poétique  »  que 
porta  le  brave  Prilleux  dans  le  banquet  offert  par  les  auteurs 
à  l'occasion  de  la  centième  représentation  : 

Déjà  plus  de  cent  fois,  à  bord  de  la  Pintade, 
Nous  avons  cru  voguer  vers  l'empire  cliinois  : 
Plus  de  cent  fois  déjà,  Sainte-Foy  fut  malade, 
Et  Montaubry  nous  a  jugés  plus  de  cent  fois. 

Notre  excellente  camarade 
RéviUy  répéta  plus  de  cent  fois  déjà  : 
«  Je  n'avais  vu  jamais  Auguste  comme  ça!  >' 
Cico,  Roze,  Dupuy,  trois  charmantes  Maries, 
Ont  été  tour  à  tour,  toutes  trois,  applaudies; 
Et  Couderc,  puis  Potel,  chacun  en  vrai  BVeton, 
Aux  oui  de  Montaubry  ripostèrent  des  non  ! 
Ponchard,  comme  officier,  bravement  se  signale!... 

Dans  la  garde  nationale 

Quelquefois  seulement 

Il  eut  un  remplaçant, 

Dans  Leroy,  son  sous-lieutenant. 

Gontié,  Sévesle,  aimables,  gracieuses, 

Ont,  l'une  après  l'autre,  lutté 

De  gentillesse  et  d'ingénuité... 
En  se  montrant  pourtant  quelque  peu  répondeuses! 

Le  beau  Bernard,  marin  loustic,  narquois, 
A  fait  la  traversée  aussi  plus  de  cent  fois. 
Enfin,  si  vous  vouliez  qu'à  mon  tour  prenant  place 

Parmi  vous  tous,  je  m'immisçasse 
Dans  le  bilan  qu'ici  je  viens  de  relater, 

J'oserai.s  encor  constater 
Que  j'ai  plus  de  cent  fois,  —  et  je  m'en  glorifie  — 
Vanté  les  qualités  d'Agathe  et  de  Sophie! 
Nous  voilà  tous  rentrés  sains  et  saufs  dans  le  port; 
Mais  le  repos  sied  mal  à  des  âmes  vaillantes. 


Car  de  l'oisiveté  les  heures  sont  trop  lentes 

Et  je  suis  sur  que  quelque  jour 
Nous  nous  retrouverons  sur  la  plage  à  Cherbourg. 

Oui,  j'en  conçois  l'agréable  présage, 
Sur  ta  Pintade  encor,  passagers,  équipage 

S'embarqueront  plus  de  cent  fois. 

En  attendant,  messieurs,  je  bois 

A  mes  compagnons  de  voyage. 

Les  vœux  du  <  poète  »  ne  furent  pas  pleinement  exaucés. 
L'ouvrage  était  «  bien  parti  »,  malgré  une  indisposition  de 
Montaubry,  qui,  pendant  la  seconde  représentation,  forçait 
d'interrompre  le  spectacle  et  de  rendre  l'argent,  —  un  peu  plus 
qu'on  n'en  avait  reçu,  comme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas. 
Dès  la  quatrième,  le  Voyage  en  Chine  dépassait  le  chiffre  de 
7,000,  et,  les  recettes  se  maintenant  au  beau  fixe,  on  attei- 
gnait la  centième  le  ï)  décembre  1866,  c'est-à-dire  presque 
jour  pour  jour,  un  an  après.  Mais  à  partir  de  ce  moment, 
l'élan  se  ralentit;  en  1868  il  s'arrête  brusquement.  Une  re- 
prise organisée  neuf  ans  après,  en  1876,  ne  fournit  que  dix- 
sept  soirées,  et  l'œuvre  de  Bazin,  arrêtée  au  chiffre  de  137, 
disparait,  on  peut  ajouter  pour  toujours;  car  il  est  invrai- 
semblable que  la  troisième  salle  Favart,  si  jamais  elle  est 
construite,  l'admette  aux  honneurs  de  son  répertoire.  La 
pièce  se  maintient  encore  en  province;  mais  elle  risque  de 
ne  plus  être  entendue  par  les  Parisiens  qu'au  Chàteau-d'Eau. 
Elle  partage,  avec  le  Trouvère  et  Roland  à  fioncevaux,  le  privilège 
d'occuper  pendant  l'été  les  loisirs  de  ces  directeurs  auda- 
cieux qui  se  livrent  à  des  essais  variés  de  Théâtre-Lyrique. 
Ils  risquent  le  Voyage  en  Chine  et  n'en  reviennent  plus. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


Je  me  souviens  qu'au  lycée  Bonaparte,  aujourd'hui  lycée  Condor- 
cet,  —  dame,  il  y  a  longtemps  de  cela  — nous  avions  un  professeur 
d'histoire  —  c'était  parbleu  bien  Camille  Rousset  —  qui,  lorsque  la 
matière  historique  venait  à  lui  faire  défaut,  ouvrait  tout  simple- 
ment son  Molière  aux  bons  endroits  et  nous  en  faisait  des  lectures 
pour  terminer  son  cours.  Cela  sans  doute  n'avait  guère  de  rapport 
avec  la  mission  exacte  du  professeur,  ce  n'en  était  pas  moins  un  des 
meilleurs  quarts  d'heure  de  la  classe.  Car  M.  Rousset  savait  y  mettre 
l'accent  et  le  geste  ;  c'était  de  la  bonne  Comédie-Française,  dix  ans 
avant  la  venue  des  frères  Coquelin.  Et  puis,  quoi  qu'il  soit  de 
mode  d'en  dire  aujourd'hui,  Molière  n'était  assurément  pas  le  pre- 
mier venu. 

C'était  un  précédent  qu'il  était  bon  d'invoquer  pour  un  disciple 
aussi  respectueux  que  je  me  pique  de  l'être  :  comme  la  matière 
théâtrale  fait  complètement  défaut  cette  semaine,  moi  aussi,  je 
vais  vous  faire  une  lecture.  J'avais  d'abord  résolu  de  reproduire  ici 
une  bonne  partie  de  l'article  spirituel  et  raisonné  de  mon  confrère 
Camille  Bellaigue  sur  le  Rêve,  de  M.  Adrien  Bruneau,  puisque  cela 
paraît  la  grande  question  artistique  du  moment,  ce  qui  est  bien 
étrange  vraiment;  mais  on  dirait  que  j'y  mets  de  l'acharnement,  ce 
qui  est  bien  loin  de  ma  pensée.  Car  si  je  trouve  l'œuvre  détestable 
ou  plutôt  absolument  médiocre,  je  n'en  ai  pas  moins  beaucoup  de 
sympathie  pour  la  personne  même  du  compositeur.  C'est  d'abord  un 
homme  d'esprit,  qui  a  su  jouer  de  son  époque  admirablement  et 
saisir  le  juste  moment  oii  on  pouvait  risquer  une  œuvre  aussi  vide 
en  la  faisant  croire  remplie  des  plus  merveilleuses  innovations.  Rien 
que  cette  joie  d'avoir  pu  abuser  quelques-uns  de  nos  forts  critiques 
en  er,  c'est  déjà  quelque  chose!  Mais  laissons  cela;  nous  vou- 
lons parler  pour  aujourd'hui  d'un  musicien  vraiment  convaincu,  qui 
ne  pensait  guère  à  berner  la  critique  de  son  temps  et  qui  a  simple- 
ment accompli  une  grande  lâche  artistique,  sans  avoir  passé  à  travers 
des  cerceaux  ni  battu  de  grosse  caisse  pour  mieux  attirer  l'attention. 
Ce  n'était  pas  un  malin;  aussi  les  critiques  qui  se  pâment  devant  les 
accords  faux  d'un  jeune  homme  qui  leur  déchire  délicieusement  les 
oreilles,  n'ont  pas  été  chercher  dans  sa  retraite  ce  laborieux  mo- 
deste auquel  on  doit  tout  de  même  quelque  estime.  Peut-être 
croirez-vous  qu'il  s'agit  ici  de  César  Franck,  auquel  ces  paroles 
pourraient  aussi  s'appliquer:  non,  c'est  seulement  de  Louis Lacombe 
que  nous  venons  parler. 
■   Notre  collaborateur,  Louis  Gallet,  l'a  connu  seulement  sur  le  tard. 


LE  MENESTREL 


211. 


mais  il  s'est  voué  avec  toute  l'opiniâtreté  du  Bourguigaon    au    re- 
haussement de  sa  mémoire. 

Il  lui  a  consacré  ici-même,  dans  ses  Notes  d'un  librettiste,  des  pages 
émues  qui  n'ont  certes  pas  passé  inaperçues.  Tout  récemnaent 
encore  il  vient  de  faire  sur  ce  sujet  qui  lui  est  cher  une  conférence 
éloquente,  dont  nous  sommes  heureux  de  reproduire  d'importants 
fragments.  C'était  à  Bourges,  qui  eut  l'honneur  de  compter  Louis 
Lacombe  parmi  ses  enfants.  Commençons  sans  plus  attendre.  Après 
avoir  relaté  les  années  d'enfance  de  Lacombe,  puis  ses  triomphes 
de  virtuose  —  car  il  fut  un  pianiste  égal  à  Thalherg  et  à  Liszt 
—  M.  Gallet  s'exprime  ainsi  : 

.. .  Bientôt  le  grand  pianiste  Louis  Lacombe  n'exista  plus.  D'aucuns  ont 
cru  longtemps  qu'il  était  mort.  Seuls,  les  amis,  les  confidents  de  sa  pen- 
sée savaient  qu'il  avait  rejeté  sa  première  gloire  comme  un  lien  fait  pour 
]e  retenir  loin  des  sommets  de  la  grande  composition,  où  il  devait  avoir 
enfin  la  joie  d'atteindre. 

Cette  route  lui  devait  être  dure.  —  Tout  le  monde  ne  vit  pas  d'un  œil 
également  satisfait  cette  incarnation  nouvelle  s'accomplir. —  A  notre  épo- 
que, ce  qu'on  appelle  la  spécialité  est  devenu  tantôt  un  moyen  de  succès, 
tantôt  un  obstacle  au  succès.  —  On  s'était  habitué  à  considérer  Lacombe 
comme  un  grand  pianiste  ;  on  n'admettait  pas  volontiers  qu'il  pût  être  en 
même  temps  un  grand  compositeur.  —  Partout,  en  tout,  se  retrouve 
aujourd'hui  cet  esprit  de  localisation  qui  entend  verrouiller  l'artiste,  l'écri- 
vain, l'avocat,  le  médecin  même  dans  le  genre,  dans  la  spécialité  où  il 
s'est  fait  une  place.  Cela  vient  peut-être  de  ce  que  le  talent  abonde  à 
notre  époque.  Quand  tout  le  monde  a  du  talent,  un  certain  talent,  veux-je 
dire,  c'est  alors  qu'on  trouve  impertinent  et  indiscret  que  quelqu'un  ait 
du  génie  ! 

Or,  Lacombe  avait  du  génie  !  —  Son  cerveau  était  de  ceux  qui  s'assi- 
milent tout  avec  une  égale  puissance.  Né  compositeur,  il  n'avait  été  vir- 
tuose que  parce  que  ses  succès  d'enfant  l'avaient  tout  d'abord  entraîné 
fatalement  à  l'être,  que  les  besoins  de  la  vie  matérielle  l'avaient  attardé 
dans  cette  voie.  Quand  il  voulut,  quand  il  put  se  reprendje,  comme  je 
l'ai  dit,  il  n'entendit  plus  être  qu'un  compositeur. 

Il  venait  après  la  grande  révolution  littéraire  des  romantiques.  S'il  a 
cherché  l'affranchissement  de  la  forme,  s'il  a  été  l'un  des  précurseurs  de 
ceux  qui,  comme  Berlioz,  ont  précipité  le  mouvement  de  la  musique  fran- 
çaise vers  un  progrès  qui  lui  assure  aujourd'hui  en  Europe  une  influence 
considérable  et  incontestable,  il  n'a  pas  du  moins  renié  ses  origines. 

Il  est  resté,  comme  les  romantiques,  épris  d'action,  de  passion,  de  mou- 
vement; comme  Berlioz,  que  je  viens  de  nommer,  il  a  toujours  éclairé  ses 
compositions  d'une  pensée  dramatique,  poétique  ou  philosophique.  La 
musique  n'était  pas  pour  lui  un  simple  jeu  de  combinaisons  plus  ou  moins 
agréables  :  il  y  voulait  un  sens  précis,  une  âme  présente,  même  dans  ses 
■compositions  purement  instrumentales. 

Son  œuvre  est  un  monument  d'une  grande  hauteur,  d'une  rare  variété 
d'aspect,  et  toujours  d'une  superbe  ordonnance.  Ce  qu'on  en  connaît  a 
suffi  pour  classer  le  maître  dans  l'estime  des  musiciens;  la  foule  sera 
initiée  peu  à  peu  à  la  connaissance  de  ces  belles  choses  :  l'avenir  fera  à 
Lacombe  la  place  qui  lui  est  légitimement  due. 

Nous  sautons  l'analyse  et  l'appréciation  des  œuvres  principales 
de  Louis  Lacombe,  dont  M.  Louis  Gallet  nous  a  déjà  parlé  dans  ses 
Notes  d'un  librettiste,  pour  en  arriver  au  Lacombe  philosophe  : 

...  J'ai  dit  ce  qui  se  rapportait  surtout  au  compositeur;  je  voudrais 
■maintenant  vous  faire  entrevoir  ce  qu'était  en  Louis  Lacombe  l'homme 
intime,  l'artiste,  le  penseur,  le  moraliste  et  le  poète;  car  il  a  touché  à 
toutes  les  formes  de  l'idée  humaine.  Et  quand  je  suis  entré,  comme  je 
vous  le  disais  tout  à  l'heure,  dans  le  cabinet  de  travail  où  sont  gardés 
tous  ses  souvenirs  et  toutes  ses  œuvres,  je  suis  resté  confondu  en  présence 
de  ce  formidable  amas  de  documents,  la  plupart  très  complets,  accusant 
la  puissance  créatrice,  l'incessante  production  de  cet  homme,  que  sa 
nature  silencieuse  et  discrète  ne  révélait  point  tel  que  réellement  il  était. 

Et  en  mesurant  alors  tout  ce  qu'il  a  produit,  tout  ce  qu'il  a  demandé  à 
son  large  esprit,  je  me  suis  moins  étonné  qu'il  n'ait  pas  eu  le  loisir,  ni 
peut-être  le  goût  de  s'occuper  de  sa  renommée. 

Il  doit  y  avoir  d'ailleurs,  ce  me  semble,  une  sorte  de  joie  hautaine  dans 
•cette  négligence  ou  ce  dédain  des  suiîrages  de  la  foule. 

La  plus  grande  somme  de  satisfaction  que  puisse  donner  une  œuvre  au 
véritable  artiste,  n'est-ce  pas,  tout,  d'abord  et  surtout,  de  l'avoir  conçue  et 
■exécutée  selon  son  vœu?  N'y  a-t-il  pas  une  prudence  salutaire  dans  cette 
crainte  qui  parfois  la  retient  entre  les  mains  de  son  auteur;  la  troublante 
pensée  qu'elle  va  s'émietter  sous  les  critiques  ou  se  froisser  à  la  rudesse 
■des  jugements  sommaires  ? 

Louis  Lacombe  avait  sur  l'art  en  général  des  idées  que  je  trouve  assez 
nettement  formulées  dans  l'introduction  inédite  d'un  grand  ouvrage  qu'il 
préparait,  aux  dernières  heures  de  sa  vie,  pour  que  je  puisse  vous  donner 
■cette  page  comme  sa  personnelle  profession  de  foi  artistique,  en  même 
temps  qu'elle  fera  connaître  l'écrivain  : 

«  L'art  est  du  ciel  ou  de  la  terre,  divin  ou  humain,  absolu  ou  relatif. 

»  L'art  absolu  se  dérobant  à  la  vue  dans  les  profondeurs  de  l'Incréé, 
nous  n'en  contemplerons  jamais  tous  les  aspects,  nous  n'en  embrasserons 
jamais   l'ensemble   magnifique.  Quant  à  l'art  relatif,  il  vise  à  réaliser  la 


beauté  parfaite  éternellement  vivante,  épanouie  en  l'Être  suprême.  Son 
mérite  principal  consiste  à  tendre  vers  l'absolu,  à  ouvrir  sur  Dieu  de 
nouveaux  horizons,  à  réconforter  les  âmes  en  les  faisant  vibrer  au  contact 
du  beau,  du  vrai,  du  bien.  Son  but  est  d'initier  les  peuples  aux  mys- 
tères d'une  existence  supérieure,  de  les  y  préparer,  de  les  en  rendre 
dignes. 

»  Considérer  l'art  comme  un  moyen  de  satisfaire  l'amour-propre  des 
artistes  et  de  procurer  au  public  des  jouissances  superficielles  et  passa- 
gères, c'est  donc  le  méconnaître  étrangement,  le  rabaisser,  le  calomnier. 
Non  !  l'architecture,  la  sculpture,  la  peinture,  la  musique,  la  littérature, 
qui  ont  leurs  bases  incommensurables  dans  le  sein  de  Dieu  et  leur  puis- 
sance relative  dans  le  sein  de  l'humanité,  ne  sont  pas  de  simples  passe- 
temps  propres  seulement  à  réjouir  la  multitude  et  à  flatter  la  vanité.  L^rt 
est  un  grand  missionnaire.  Il  a  charge  d'âmes.  Aussi  ne  demande-t-il  pas 
simplement  du  génie  à  ses  adeptes  ;  il  exige  d'eux  de  sérieuses  études, 
une  conscience  scrupuleuse,  un  sens  moral  profond,  il  attend  de  ses  pro- 
phètes qu'ils  se  dévouent  à  sa  cause,  qu'ils  supportent  pour  lui  la  souf- 
france, le  sacrifice,  le  martyre.  Homère,  obligé  de  mendier,  savait  cela  ; 
Dante  persécuté  savait  cela  ;  Shakespeare  faisant  représenter  ses  drames 
dans  une  grange  devant  des  spectateurs  qui  parlaient,  riaient,  buvaient, 
se  querellaient,  qui  jouaient  aux  cartes  et  aux  dés  pendant  la  représen- 
tation ;  le  vieux  Corneille  forcé,  après  avoir  écrit  le  Cid,  Cinna.  les  Horaœs, 
Polyeucle,  de  raccommoder  ses  chaussures  et  ne  continuant  à  recevoir  une 
modique  pension  de  Louis  XIV  qu'à  la  prière  de  Boileau  ;  Molière  insulté 
par  les  petits  marquis,  calomnié  par  les  taux  dévots  ;  J.-S.  Bach  gravant 
sa  musique  faute  d'éditeur  et  laissant  des  manuscrits  non  encore  publiés  ; 
Beethoven  tourné  en  ridicule  par  ses  contemporains  savaient  cela.  Ils  ont 
tous  su  cela,  ces  maîtres  prodigieux,  ces  Christs  de  la  pensée  que  l'avenir 
adorera,  que  le  présent  outrage.  François  Schubert  meurt  de  faim  ;  Fré- 
déric Chopin  succombe  :  ses  amis  se  cotisent  pour  le  faire  enterrer  ; 
Berlioz,  presque  fou  de  douleur,  s'affaisse  sous  l'indifférence  de  son  pays... 
Pourquoi  ces  travailleurs  n'auraient-ils  pas  suivi  les  chemins  frayés  par 
la  vulgarité,  par  la  basse  complaisance,  par  la  fortune  acquise  au  prix  du 
reniement,  s'ils  avaient  pensé  que  l'art  peut  sans  remords  se  borner  à 
charmer  les  loisirs  des  badauds,  des  ignorants  et  des  imbéciles  ?  Pour- 
quoi, s'ils  n'avaient  pas  cru  remplir  une  mission  sacrée,  auraient-ils 
consenti  à  supporter  mille  maux,  mille  injustices,  mille  critiques  efïi'on- 
tées,  ineptes  !  Ah  !  croyez-le  !  si  les  riches  et  superbes  individualités 
savent  qu'elles  portent  la  lumière  qui  dissipera  les  ténèbres  ,  si  elles 
savent  qu'elles  offrent  aux  masses  le  pain  de  vie,  elles  savent  également 
que  marcher  dans  la  véritable  voie  c'est  souffrir,  que  le  Calvaire  est  sur 
leur  route,  et  qu'elles  devront  y  monter  pour  avoir  affirmé  le  vrai. 

»  A  cette  hauteur,  mais  à  cette  hauteur  seulement,  l'artiste  devient  le 
collaborateur  de  Dieu;  il  aide  l'absolu  à  s'incarner  dans  le  réel,  il  donne 
une  forme  sensible  à  la  pensée,  et  cette  forme  devenant  de  jour  en  jour 
plus  transparente,  voile  de  moins  en  moins  le  modèle  suprême  dont  les 
initiés  sont  éblouis  et  dont  ils  mettent  sous  les  yeux  de  la  foule  les  impé- 
rissables et  fécondes  beautés.  Ainsi  —  et  pour  tout  dire  en  un  mot  — 
l'art  est  l'éclosion  de  l'invisible  dans  le  visible.  » 

Voilà  de  nobles  paroles,  de  hautes  pensées!  Douloureuses  aussi,  car  on 
sent  combien  celui  qui  les  a  formulées  a  souffert  de  cette  souffrance  qu'il 
étudie  chez  les  autres  et  jusqu'à  quel  point  comme  eux  il  a  gravi  le  Cal- 
vaire de  l'Humanité  et  de  l'Idéal. 

Enfin,  voici  Louis  Lacombe  poète  : 

Poète,  il  l'était  réellement,  et  je  dis  cela  sans  même  me  soucier 

de  la  forme  dont  il  revêtait  sa  poésie,  en  m'inspirant  seulement  de  sa 
tendance,  partout  accusée,  vers  ce  qui  est  noble,  beau,  touchant  et  char- 
mant, dans  la  nature  et  dans  la  vie. 

Il  reste  dans  son  cabinet  de  travail  une  série  de  cahiers  couverts  de  son 
écriture,  terme  et  nette  comme  son  esprit.  Ce  sont  des  sonnets,  des  poèmes, 
des  pensées  philosophiques  ou  poétiques,  et  aussi  des  liasses  de  lettres 
où  s'accuse  la  tendresse  de  son  cœur. 

Dans  ses  poésies,  comme  dans  ses  considérations  sur  l'art,  il  m'apparaît 
animé  du  plus  pur  libéralisme  chrétien.  C'était  un  homme  de  l'Evangile, 
tout  à  coup  transporté  dans  la  corruption  du  siècle.  Il  haïssait  toute 
oppression,  il  glorifiait  toute  bonté.  Ayant  beaucoup  souftert  de  la  vie,  il 
était  ainsi  très  compatissant  à  la  soufl'rance  des  autres. 

Je  prendrai,  parmi  ses  poésies,  deux  ou  trois  pages,  dont  la  première, 
encore  bien  que  très  chrétienne,  est  empreinte  d'une  certaine  amertume, 
d'un  arrière-goùt  de  scepticisme.  C'est  celle  qu'il  a  intitulée  le  Dernier 
Soupir  du  Christ.  Il  semble  qu'il  ait  mis  dans  cette  pièce,  qui  n'est  point 
de  ses  meilleures  dans  la  forme,  comme  un  âpre  regret  des  sacrifices  inu- 
tiles. Les  chrétiens  purs  la  lui  pardonneront,  en  considération  de  sa  foi 
profonde  ;  elle  n'a  peut-être  pas  eu  dans  son  esprit,  d'ailleurs,  le  sens 
désolant  qu'on  lui  peut  prêter.  La  voici  : 

Le  ciel  était  en  deuil  et  la  terre  tremblait  ; 
Les  imprécations  de  la  foule  profonde 
Montaient  jusqu'à  Jésus  en  qui  rien  n'est  immonde 
Et  que  ton  propre  sang  à  cette  heure  aveuglait. 

En  voyant  onduler  les  fronts  que  son  œil  sonde. 
Le  sublime  martyr  en  lui-même  parlait. 
Disant,  tandis  qu'au  loin  le  peuple  grommelait  : 
a  Père,  je  vjis  mourir.  Ai-je  sauvé  le  monde?  « 


^12 


LE  MEINESTIŒL 


Ce  doute  l'absorbail  quand  la  mort  s'approcha. 
Un  long  frémissement  parcourut  tout  son  être, 
Son  visage  pâlit,  sa  tète  se  pencha  ; 

Et  le  .Crucifié  que  la  douleur  pénètre, 

Sombre  comme  la  mer  et  plus  grand  que  les  cieux, 

Sentit,  eu  expirant,  deux  larmes  dans  ses  yeux. 

...Détournons-nous  maintenant  des  sévérités  de  cette  muse  qui  souvent 
hantait  le  poète  ;  voyons-le,  avant  de  prendre  congé  de  lui,  s'égarer  dans 
les  sentiers  fleuris  de  l'idylle.  —  Là,  sa  grâce  native  reprend  le  dessus: 
après  les  cordes  d'airain  il  fait  vibrer  les  cordes  d'or. 

Je  ne  vous  dirai  qu'un,  simple  sonnet  :  les  Mûres.  Il  vous  montrera  la 
physionomie  souriante  du  compositeur  poète  dont  nous  n'avons  eu  jusqu'ici 
sous  les  yeux  que  la  figure  grave  parfois  jusqu'à  l'austérité  : 

Viens!  déjà  noircissent  les  mûres, 
yVllons  dépouiller  les  buisson.^. 
Le  flot  nous  promet  ses  murmures, 
L'oiseau  nous  dira  ses  chansons. 

Perdons-nous  parmi  les  ramures 
D'où  l'on  aperçoit  les  moissons. 
Où  le  vent  fait  un  bruit  d'armures 
Dans  les  sentiers,  où  nous  passons, 

Avec  les  branches  remuées 
Qui  s'agitent  vertes  nuées, 
Quand  la  brise  aux  senteurs  de  miel. 

Entr'ouvrant  le  feuillage  sombre, 
Sépare  les  rameaux  pleins  d'ombre 
Pour  nous  faire  entrevoir  le  ciel. 

Octobre  1865. 
Puis  la  péroraison  ; 

...Louis  Lacombe  a  beaucoup  lutté,  beaucoup  souffert;  mais  il  a  goûté 
la  joie  intime  delà  conviction,  de  la  foi  en  son  incessant  labeur.  L'avenir 
le  récompensera  de  ses  efforts;  la  mort  esl  la  grande  justiciêre  qui  remet 
tout  à  sa  vraie  place. —  Les  hommes  de  sa  valeur  peuvent  disparaître  ;  les 
sommets  de  l'œuvre  qu'ils  ont  édiBée  brillent  plus  purs  de  tout  le  suprême 
resplendissement  de  l'astre  qui  s'est  éteint  pour  jamais. 

Pour  copie  conforme  : 

H.    MORENO. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite.) 


IX 

NAPOLÉON   ET  lA  DANSE 

En  prenant  pied  ù  Saint-Gloud.  après  avoir  abandonné  la  Mal- 
maison, Joséphine  avait  tenté  d'y  établir  la  comédie,  comme  à 
Trianon.  On  se  réunissait  dans  la  petite  salle  de  spectacle,  au- 
dessus  de  la  chapelle,  où  on  jouait  généralement  des  chaïades  en 
action,  des  proverbes  et  des  comédies  en  un  acte.  Les  acteurs 
étaient  1  impératrice,  sa  fille,  la  reine  Hortense,  quelques  dames 
du  palais,  Regoault  de  Saint-Jean  d'Angély,  Fontanes.  quelques 
chambellans,  et  enfin  Talma,  qui  était  le  régisseur  de  cette  petite 
troupe.  Mais  ces  soirées  déplurent  à  Napoléon;  il  n'y  venait  qu'un 
instant  et  se  retirait  généralement  de  très  mauvaise  humeur.  Bien- 
tôt l'on  choisit  Je  préférence  les  momenls  où  il  était  absent,  puis 
l'on  renonça  complèlemetit  à  ces  innocents  passe-temps.  Ce  fut  à  la 
suile  d'une  représenlaliou  où  l'empereur  avait  outrageusement  sifflé 
Joséphine,  en  disant  tout  haut,  en  s'en  allant: 

—  Il  faut  convenir  que  c'est  impérialement  mal  joué. 

Cette  boutade  n'était  point  sans  fondement,  paraît-il:  Joséphine 
chantait  faux  et  ne  savait  jamais  donner  la  réplique  à  temps. 

Quelques  jours  après,  raconte  Marco  Saint-Hilaire,  Napoléon, 
assistant  selon  son  habitude  à  sa  toilette  du  soir,  rappela  à  l'impé- 
ratrice, en  badinant,  cette  représentation. 

—  Que  veux-tu,  Bonaparte,  répondit  la  souveraine,  j'étais  sur  le 
théâtre,  el,  il  faut  bien  être  applaudie  ou  sifflée  ! 

Et  sur  ce  qu'elle  lui  fit  observer  que  la  reine  Marie-Antoinetle 
avait  joué  la  comédie  devant  sa  cour.  Napoléon  l'interrompit  en  lui 
disant  : 

—  Je  le  sais,  mon  amie,  et  cela  n'en  était  pas  mieux  :  Louis  XIV 
dausa  même  dans  un  ballet  à  Versailles  ;  mais  il  renonça  à  cet 
amusement,  dès  qu'il  eut  entendu  réciter  les  beaux  vers  où"  Racine 
lui  représentait  combien  un  pareil  passe-temps  était  indigne  d'une 
lète  couronnée  ;  la  première  fois  que  Talma  viendra,  dites-lui  de 
vous  les  lire,  ces  vers  ;  libre  à  vous  ensuite  de  jouer,  et  à  moi  de 
siffler. 


Napoléon  n'eut  garde  d'imiter  Louis  XIV,  mais  dans  la  suile,  il 
permit  aux  altesses  de  son  entourage  de  figurer  dans  les  ballets 
renouvelés  du  grand  siècle.  M™''  d'Abrantès  nous  a  conservé  le 
tableau  d'une  fête  de  ce  genre.  On  était  en  1811  : 

0  Le  ciel  de  France  était  à  cette  époque  partout  nébuleux.  Celait 
vainement  que  l'empereur  ordonnait  des  fêtes,  des  quadrilles,  qu'il 
réunissait  autour  de  l'impératrice  Marie-Louise  une  coujç^ composée 
de  jeunes  femmes  chargées  de  la  distraire...  Ces  mêmes  jeunes 
femmes  étaient  inquiètes...  elles  avaient  là  autour  d'elles  des  frères, 
des  maris,  des  pères,  et  la  perspective  d'une  nouvelle  guerre  était 
odieuse...  Mais  on  sait  que,  lorsque  l'empereur  avait  parlé,  il  fallait 
obéir;  et  quand  il  commandait  d'être  gai.  il  fallait  rire  et  montrer 
un  semblant  de   joie,  quoiqu'on    n'en  eût  pas  an  cœur. 

»  Ce  fut  à  peu  près  vers  celle  époque  qu'il  y  eut  à  la  cour,  dans 
la  salle  de  spectacle  du  château,  un  quadrille  oi.i  les  sœurs  de  l'em- 
pereur jouèrent  le  principal  rôle  :  le  quadrille  lui-même  était  insi- 
gnifiant ;  il  n'y  avait  de  charmant  à  voir  que  les  deux  princesses; 
mais  la  princesse  Borghèse   était  idéale  surtout  de  beauté. 

»  Elle  représentait  l'Italie,  et  sous  ce  costume  purement  de  fan- 
taisie, et  créé  avec  le  goût  le  plos  parfait,  elle  était  ravissante.  Elle 
avait  sur  la  tête  un  léger  casque  d'or  bruni,  sur  lequel  étaient  quel- 
ques légères  têtes  de  plumes  d'autruche,  d'un  blanc  éblouissant  ;  sa 
poilriue  était  couverte  par  une  petite  égide  à  écailles  d'or,  de  laquelle 
partait  une  tunique  de  Tiousseiiue  de  l'Inde,  brodée  de  lames  d'or; 
mais  ce  qui  était  ravissant,  c'étaient  ses  bras  et  ses  jambes!...  ses 
bras  entourés  de  larges  bracelets  d'or,  où  se  voyaient  les  plus  beaux 
camées  delà  maison  Borghèse,  la  plus  riche  en  ce  genre  de  bijoux;... 
ses  petits  pieds  chaussés  par  des  brodequins  à  bandes  de  pourpre 
brodées  d'or,  et  dont  chaque  croisement  sur  la  jambe  était  arrêté 
par  un  camée...  La  plaque  qui  réunit  Végide  et  la  fixe  sur  .«a  poitrine, 
était  un  magnifique  camée  représentant  Méduse  mourante.  Enfin,  le 
costume  de  la  princesse  était  complété  par  une  demi-pique  d'or 
qu'elle  tenait  à  la  main. 

0  II  est  impossible  de  rendre  l'effet  qu'elle  produisit  à  son  arrivée 
sur  la  scène,  où  elle  joua  une  très  courte  pantomime  avec  sa  sœur, 
qui  représentait  la  Fiance.  La  princesse  Pauline  avait  l'air  de  ces 
apparitions  fantastiques  évoquées  comme  une  intelligence  céleste... 
C'était  un  ange  descendant  du  ciel  sur  un  rayon  lumineux.  Cette 
idéale  créature,  toute  suave,  toute  sylphide,  avec  ce  casque  et  cette 
lance,  et  ce  léger  nuage  blanc  ondulant  sur  cette  surface  étincelante 
du  casque  d'or,  et  puis  ces  mouvements  doux  et  moelleux,  parce  que 
son  corps  fatigué  et  surtout  paresseux  n'avait  pas  la  volonté  de  se 
mouvoir,  tout  en  elle,  jusqu'à  cette  nonchalance,  était  adorable.  Ahî 
si  jamais  sa  sœur  fut  jalouse  de  sa  gracieuse  beauté,  cette  soirée  n'a 
pas  dû  éteindre  son  envie...  J'ignore  comment  la  reine  de  Naples  a 
pu  être  assez  mal  conseillée  pour  adopter  un  costume  aussi  ridicule 
que  celui  qu'elle  avait,  surtout  avec  sa  taille,  qui  était  déjà  à  celle 
époque  courte  et  ramassée.. .  Elle  avait  une  lobe  assez  longue,  avec 
un  manteau  de  pourpre  brodé  d'or;  el  puis  sa  tête  était  surmontée 
d'un  casque,  d'un  panache  ;  tout  cela  était  lourd,  sans  gtàce,  et  si  de 
ce  milieu  de  dorure,  de  perles,  de  joyaux  el  de  mauvais  goût,  il 
n'était  pas  sorti  une  charmante  tête,  bien  fraîche  et  bien  gracieuse- 
ment jolie,  c  était  à  faire  un  trop  bizarre  contraste  avec  cette  appari- 
tion lumineusement  belle  dont  sa  sœur  faisait  le  prestigieux  effet.... 
Elles  dansèrent  toutes  deux  dans  une  manière  de  pas  que  Despréaux 
leur  composa,  el  dans  lequel  la  princesse  Pauline  eut  encore  tout 
l'avantage  par  la  légèieté  de  son  costume  et  la  grâce  qu'il  permettait 
à  bes  altitudes. 

0  Et  puis  il  y  eut  un  autre  quadrille,  celui  des  Saisons,  qui  fut 
charmant  et  par  la  fraîcheur  des  costumes,  leur  richesse,  le  soin 
avec  lequel  tout  était  fait;  el  ce  qui  était  bien  aussi  remarquable» 
parce  que  cette  magnificence-là  est  impossible  à  imiter,  c'était  la 
multitude  de  ravissantes  personnes  qui  formaient  le  groupe  des 
fleurs  suivant  le  soleil. 

»  Ge  soleil,  c'était  quelqu'un  qui  avait  le  surnom  de  beau,  c'était 
un  aide  de  camp  de  Berlhier,  M.  Charles  de  Legrange.  11  était  sans 
doute  fort  bien  ;  il  avait  une  belle  tournure,  même  une  belle  figure- 
quoique  ses  yeux  ne  fussent  pas  toujours  d'accord;. ..  enfin  il  était 
fort  bien...  toujours  est-il  qu'il  faisait  Apollon,  qu'il  avait  un  iri- 
cot  couleur  de  chair,  qu'il  était  couronné  de  l'alloro  obligé,  et  qu'il 
portait  la  lyre.  Par  exemple,  si  les  femmes  étaient  charmantes  sous 
tous  les  costumes  qui  étaient  mis  en  réquisition  pour  les  quadrilles,. 
rien  n'était  plus  ridicule  que  les  hommes.  Ils  avaient  l'air  de 
mardi-gras,  et  depuis  j'ai  bien  ri  devant  une  caricature  ravissante, 
qui  est,  je  crois,  du  crayon  admirable  de  Charlet,  el  qui  représente 
un  Turc  arrêté  dans  le  carnaval  par  un  gendarme,  avec  iiii  Pierrot 
de  aa  comiai.^saiwe.  C'est  absolument  cela. 


LE  MENESTREL 


213 


(i  M.  de  Gais  de  Malvirade,  alors  premier  page  de  l'empe- 
reur, faisait  Zéphyre  ;  une  femme  bien  charmante.  M"°  de  Mes- 
grigni,  sous-gouvernante  du  roi  de  Rome,  était  son  printemps  ou 
sa  Flore,  comme  on  voudra  ;  et  jamais  plus  joli  visage,  plus  doux 
sourire  n'ont  été  à  Flore. . .  si  tant  est  qu'il  y  ait  eu  une  Flore.  Parmi 
les  Heures,  c'étaient  toujours  les  belles  personnes  connues  :  c'était 
M"'^  Regnault  de  Saint-Jean  d'Angély,  M"""  de  Rovigo,  M""=  Duchâtel, 
M""   G-azani,  M°"=  de  Bassano,  et  une  foule  d'autres.  » 

Parmi  ces  autres,  que  M"'"  d'Abranlès  ne  cite  pas,  il  convient  de 

faire  mention  d'une  dame  de  Cr couverte  de  crêpe  noir  parsemé 

d'étoiles  d'argent,  et  qui  avait  été  choisie  pour  représenter  l'heure  de 
Minuit,  ce  qui  donna  lieu  à  mille  plaisanteries.  Elle  n'était  point 
jolie,  et  de  plus  elle  était  1res  bourgeonnée.  En  la  voyant  en  scène, 
un  spectateur  ne  put  s'empêcher  de  dire:  Minuit  passé!  Le  nom  en 
resta  à  M'"=  de  Cr. . .,  dont  le  caractère  peu  aimable  frétait  ii  cette 
plaisanterie. 

Dans  le  public,  on  connaissait  la  prédilection  de  Napoléon  pour  le 
spectacle  de  la  danse.  Aussi  des  scènes  chorégraphiques  lui  étaient- 
elles  offertes  en  toutes  circonslanees.  Voyageant  dans  le  sud-ouest 
de  la  France,  avec  Jcséphine,  il  prit  grand  plaisir  à  voir  danser,  à 
Bayonne,  la  pamperruque. 

Constant,  qui  était  du  voyage,  nous  a  laissé  la  description  de  cette 
danse  populaire  des  Basques  : 

»  Les  danseuses  avaient  des  tambours  de  basque  et  les  danseurs 
des  castagnettes  :  des  flûtes  et  des  guitares  composaient  l'orchestre... 
Les  femmes  avaient  des  petits  jupons  en -soie  bleue  brodés  en  argent 
et  des  bas  roses  également  brodés  en  argent.  Elles  étaient  coiffées 
de  rubans,  et  avaient  des  bracelets  noirs  très  larges  qui  faisaient 
ressortir  la  blancheur  de  leurs  bras  nus.  Les  hommes  étaient  eu  cu- 
lottes blanches  justes,  avec  des  bas  de  soie  et  des  grandes  aiguillettes, 
une  veste  lâche  en  étoffe  de  laine  rouge  très  fine  chamarrée  d'or  et 
les  cheveux  enveloppés  dans  une  résille  comme  les  Espagnoles.  » 

Dans  le  même  voyage,  sur  les  limites  du  département  des  Hautes- 
Pyrénées,  lorsque  l'empereur  et  l'impératrice  parurent,  on  vit  s'é- 
lancer d'un  bois  voisin  des  balladeurs,  ou  danseurs  du  pays,  cos- 
tumés de  la  manière  la  plus  pittoresque,  portant  des  bérets  de  dif- 
férentes couleurs,  et  reproduisant,  avec  une  souplesse  et  une  vigueur 
peu  communes,  la  danse  traditionnelle  des  montagnards  méridio- 
naux. 

Etant  donné  ce  goùl  prononcé  de  Napoléon  pour  les  plaisirs  de  la 
danse,  on  ne  s'étonnera  pas  de  l'àpreté  du  morceau  qu'on  va  lire, 
et  dans  lequel  passe  comme  un  souffle  avant-coureur  du  célèbre 
pamphlet  de  Paul-Louis  Courier  : 

«  A  M.  Ghampagnj-. 

»  Boulogne,  18  thermidor  an  XIII  (6  août  180S). 
»  Plusieurs  préfets  ont  écrit  et  imprimé  des  circulaires  pour  dé- 
fendre de  danser  près  des  églises.  Je  ne  sais  où  cela  conduit.  La 
danse  n'est  pas  un  mal.  Veut-on  nous  ramener  au  temps  où.  l'on 
défendait  aux  villageois  de  danser  ?  Je  suis  fâché  que  M.  Bureau  de 
Puzy,  qui  plusieurs  fois  s'est  tenu  trop  loin  de  la  ligne  religieuse, 
s'en  tienne  trop  près  aujourd'hui.  MM.  les  vicaires  pouvaient  dire 
ce  qu'ils  auraient  voulu.  Si  l'on  croyait  tout  ce  que  diraient  les  evêques, 
il  faudrait  défendre  les  bals,  les  spectacles,  les  modes,  et  faire  de 
l'empire  un  grand  couvent. . . 

»  Napoléon.    » 
(A  suivre.) 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  (2  juillet): 

Après  deux  renvois  successifs,  la  reprise  d'Otello  (une  vraie  première  en 
ce  qui  concerne  Govent-Garden)  a  complètement  disparu  de  l'affiche.  La 
raison  invoquée  est  une  indisposition  de  M.  Jean  de  Reszké,  qui  cepen- 
dant ne  semble  pas  devoir  l'empêcher  de  chanter  Carmen  après-demain, 
en  compagnie  de  M.  Lassalle  et  de  M"''^  Melba  et  Zélie  de  Lussan.  Je  ne 
veux  pas  me  faire  l'écho  des  rumeurs  de  toute  espèce  en  cours  en  co  mo- 
ment. Je  me  borne  à  constater  le  désarroi  du  répertoire  qu'entraîne 
l'éloignement  de  M.  Jean  de  Reszké.  La  Traviata,  avec  M"'  Albani,  est 
un  expédient  fort  coùteuxpour  la  direction,  qui,  avec  les  reprises  de  Lvcie 
et  de  Martiui,  a  fort  mal  commencé  le  dernier  mois  de  la  saison. 

Le  nombre  total  d'entrées  au  Crystal  Palace,  pour  les  quatre  journées 
du  festival  Htendel,  est  de  80,796,  en  diminution  sensible  sur  le  chifTre  du 
précédent  festival  de  1888,  qui  s'était  élevé  à  86,337. 

La  saison  des  concerts  touche  à  sa  fin,  et  elle  aura  été  une  des  moins 
satisfaisantes  de  ces  dernières  années,  sous  le  double  rapport  financier  et 


artistique.  Les  nouveautés  ont  été  des  plus  rares,  et  aucune  d'elles  n'a 
laissé  une  impression  favorable.  Parmi  les  solistes,  le  grand  triomphateur 
de  la  saison  est  assurément  M.  Paderewski.  dont  le  succès  n'a  tait  que 
s'accentuer  à  chaque  nouvelle  audition,  réduisant  à  néant  les  sévérités  de 
la  critique  locale  lors  de  ses  débuts  l'année  passée.  A  la  demande  géné- 
rale, le  brillant  pianiste  donnera  un  dernier  concert,  dont  le  programme 
sera  composé  exclusivement  d'œuvres  de  Chopin.  A.  G.  N. 

—  Au  théâtre  royal  de  Cambridge  on  vient  de  représenter  avec  succès 
une  opérette  nouvelle  dont  la  musique  a  été  écrite  par  un  jeune  compo 
siteur,  M.  G.  Berkeley.  Le  sujet  de  ce  petit  ouvrage,  intitulé  tlw  Help,  a 
pour  thème   la  vie  universitaire,    et  les   deux   auteurs,  poète  aussi  bien 
que  musicien,  sont  étudiants  à  l'Université  de  Cambridge. 

—  Le  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg  est  plus  avancé  que  le  nôtre  ; 
il  vient  déjà  de  procéder  à  sa  distribution  des  prix,  laquelle  a  donné  lieu 
à  un  fort  beau  concert,  dans  lequel  on  a  entendu,  entre  autres,  deux  can- 
tates écrites  sur  le  même  texte,  une  ballade  intitulée  la  Tour  de  Gori,  par 
deux  jeunes  compositeurs,  MM.  Dloussky  et  Bravtchinsky.  Le  rapport  sur 
les  études  scolaires  constate,  pour  l'année  qui  vient  de  s'écouler,  la  pré- 
sence au  Conservatoire  de  560  élèves,  dont  262  pour  le  piano  (ô  Reyer!), 
153  pour  les  diverses  classes  instrumentales,  88  pour  le  chant,  42  pour  la 
théorie  musicale  et  13  pour  l'orgue.  26  élèves  ont  achevé  leurs  cOurs  et 
terminé  cette  année  leur  éducation  musicale. 

—  La  persécution  dont  les  juifs  sont  l'objet  en  Russie  l'ait,  parait-il,  un 
tort  considérable  aux  intérêts  et  au  progrès  de  l'art  musical  dans  ce  pays. 
Un  grand  nombre  de  musiciens  russes  sont  en  effet  de  religion  Israélite, 
et  c'est  par  centaines  qu'on  compte  les  institutions  d'enseignement  et  les 
sociétés  philharmoniques  qui  se  sont  vues  privées  de  leurs  plus  fermes 
soutiens.  Il  est  certaines  villes  dont  l'organisation  musicale  a  été  absolu- 
ment anéantie;  on  en  cite  une  où  tous  les  membres  de  l'orchestre  muni- 
cipal ont  été  chassés  de  l'empire,  à  l'exception  du  chef. 

—  C'est  incessamment  que  vont  s'ouvrir  à  Salzbourg  les  fêtes  du  cente- 
naire de  Mozart.  Ces  fêtes  auront  lieu  les  15,  16  et  17  juillet.  Elles  seront 
dirigées  par  îi'.  W.  Jahn,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Vienne,  et  M.  J.-F. 
Hummel,  directeur  du  Mozarteum  de  Salzbourg,  avec  le  concours  de  l'or- 
chestre de  Vienne,  des  chœurs  de  Salzbourg  et  des  artistes  de  chant  les 
plus  renommés  :  M""^  Bianca  Biancbi,  Brandt-Forster,  Anna  Hauser, 
Marie  Wilt,  de  MM.  Krolop,  von  Reicbenberg,  Schuttenhelra,  V.  Scbmitt, 
G.  VValter,  etc.  Pour  la  partie  instrumentale,  les  solistes  sont  M™  An- 
nette  Essipoff,  pianiste,  et  le  quatuor  Hellmesberger.  Un  tel  ensemble 
d'exécutants  promet  une  exécution  di  primo  carlello  aux  œuvres  de  Mozart 
qui  figurent  au  programme.  Le  Ib,  à  la  cathédrale,  on  exécutera  le  iJe^Micm. 
dont  l'oliice  sera  célébré  par  le  prince-évèque  de  Salzbourg  en  personne  ; 
le  soir,  cortège  aux  flambeaux  autour  du  monument  de  Mozart.  Le  16, 
concert  comprenant  des  fragments  de  la  Flûte  enchantée,  le  concerto  en  ré 
mineur,  joué  par  M"'«  Essipoiî,  et  la  symphonie  en  so/.  Le  17,  dans  l'après- 
midi,  deuxième  concert-festival:  quatuor  en  ré  mineur;  air  de  Cosi  fan 
tulle  ;  adagio  du  quintette  en  sol  mineur  par  l'orchestre  des  cordes  ;  air  de 
l'Enlèvement  au  sérail;  lieder  et  symphonie  en  ut.  Le  soir,  représentation 
de  gala  des  Noces  de  Figaro.  Des  trains  spéciaux  sont  organisés  vers  Salz- 
bourg de  toutes  les  grandes  villes  voisines:  Dresde,  Munich,  Vienne,  etc. 

—  A  l'issue  des  travaux  de  l'année  scolaire  et  après  la  clôture  des  cours, 
la  Société  4?ïibrosm.s,  de  Vienne,  a  décidé  de  provoquer,  une  grande  réunion 
des  organistes  et  facteurs  d'orgues  résidant  en  Autriche,  à  l'effet  d'ouvrir 
la  discussion  et  de  s'entendre  au  sujet  des  propositions  suivantes  :  1»  quel 
procédé  doit-on  recommander  relativement  au  décret  du  ministre  des 
cultes  et  de  l'instruction  publique  du  23  juillet  1890,  concernant  l'intro- 
duction du  diapason  normal  aux  orgues  existant  déjà  dans  les  églises  ? 
2°  quelles  récentes  inventions  et  améliorations  dans  la  fabrication  des 
orgues  sont  à  considérer  d'une  façon  spéciale  dans  la  construction  des 
orgues  nouvelles  ou  à  restaurer  ?  3"  les  facteurs  d'orgues  devraient-ils 
être  légalement  tenus  de  construire  les  claviers  selon  l'extension  normale? 
4"  y  aurait-d  lieu  de  conseiller  l'introduction  dans  les  églises  des  orgues 
électro-pneumatiques,  et  d'après  quels  principes  devrait-on  procéder? 
•5°  enfin,  ne  serait-il  pas  désirable  et  possible  d'établir  une  statistique  de 
toutes  les  orgues  existant  dans  les  églises? 

—  Un  épisode  ignoré  de  la  vie  de  Meyerbeer.  Le  docteur  Schuch,  bio- 
graphe et  ami  du  grand  compositeur,  raconte,  dans  la  Nene  Musikzeitung , 
l'histoire  d'une  vengeance  féminine  qui  coûta  la  vie...  à  une  des  œuvres 
de  Meyerbeer.  En  voici  la  traduction  :  «  En  1818  —me  dit  un  jour  Meyer- 
beer— lors  des  répétitions  de  mon  opéra  Romilda  e  Constanza  à  Padoue,  la 
prima  donna  chargée  du  rôle  principal  se  miten  tête  de  vouloir  m'épouser 
dans  le  plus  bref  délai  possible,  même  avant  la  première  représentation, 
bien  que  rien  dans  mon  attitude,  n'eût  pu  lui  donner  le  moindre  espoir. 
A  mesure  que  ses  intentions  m'apparaissaient  plus  claires,  je  devenais 
plus  réservé  à  son  égard,  mais  je  ne  soupçonnais  pas  qu'elles  pussent 
avoir  des  conséquences  fâcheuses  pour  le  sort  de  mon  ouvrage,  d'autant 
moins  que  la  répétition  générale  se  passadans  des  conditions  excellentes. 
Vint  le  soir  de  la  représentation.  Malgré  la  chaleur  accablante  d'nne  jour- 
née de  juin,  tout  Padoue  était  accouru  au  théâtre  pour  connaître  l'opéra 
du  jeune  compositeur  allemand.  Le  rideau  se  leva,  mais,  ô  terreur!  voilà 
que  les  artistes  se  mettent  à  chanter  comme  s'ils  ne  pouvaient  se  tenir 
de  souffrance  et  de  fatigue.   Le  désastre  fut  complété   par  les  trombones, 


214 


LE  MENESTREL 


les  trompettes,  le  timbalier  et  le  tambour.  Tantôt  ce  fut  une  trompette 
qui,  rompant  le  silence  indiqué  dans  sa  partie,  se  mettait  à  souffler  dans 
son  instrument  au  beau  milieu  d'une  aria,  tantôt  un  trombone  qui  atta- 
quait de  travers  ou  les  cors  qui  partaient  trop  tôt,  puis  ce  fut  le  tour  du 
tambour  et  des  timbales  à  faire  irruption  et  à  éclater  comme  une  décharge 
de  mousqueterie.  Le  public,  qui  avait  commencé  par  rire  et  se  divertir  de 
ce  charivari,  finit  à  la  longue  par  se  fatiguer  de  la  plaisanterie  et  manifesta 
son  déplaisir  de  la  plus  cruelle  façon.  Je  fus  me  plaindre  auprès  du  di- 
recteur et  des  artistes,  mais  je  n'en  pus  tirer  que  cette  excuse  invariable: 
la  chaleur  !  Que  les  chanteurs  et  les  membres  de  l'orchestre  se  fussent 
ligués  contre  moi,  c'est  ce  dont  je  ne  pouvais  douter,  mais  la  raison  de 
ce  complot,  je  ne  parvenais  pas  à  la  découvrir,  d'autant  moins  que  tous 
avaient  paru  me  témoigner  beaucoup  de  sympathie.  Ce  ne  fut  que  plus 
tard  que  je  connus  la  vérité.  La  prima  donna  régnait,  parait-il,  en  maî- 
tresse sur  tout  le  personnel,  et  c'était  elle  qui  avait  suscité  le  scandale, 
menaçant  chacun  de  révocation  s'il  ne  chantait  ou  ne  jouait  pas  selon  ses 
instructions.  C'est  ainsi  que  j'appris  ce  qu'était  une  vengeance  d'amour. 
Quant  à  mon  opéra,  il  était  irrémédiablement  perdu,  car  il  ne  se  trouva 
pas  un  directeur  pour  tenter  de  monter  un  ouvrage  qui  avait  déplu  lans 
une  autre  ville.  » 

—  Genève.  —  La  bibliothèque  du  Grand-Théâtre  vient  de  recevoir  de 
M.  Léon  Massol,  le  don  important  de  plusieurs  partitions  d'orchestre  et  d'un 
curieux  portrait-charge  de  Spontiui,  par  Pradier.  L'éminent  sculpteur 
s'ennuyait,  parait-il,  un  jour,  à  une  séance  de  l'Académie  des  Beaux-Arts. 
Pour  passer  le  temps,  il  dessina  à  l'encre,  sur  la  première  feuille  de 
papier  venue,  les  traits  sévères  de  son  collègue,  l'auteur  de  la  Vestale.  Ce 
spirituel  portrait,  rehaussé  de  teintes  plates  posées  avec  le  bout  du  doigt, 
est  certainement  un  spécimen  unique  dans  l'œuvre  de  Pradier.  Le  maître, 
après  l'avoir  signé  et  daté  du  Samedi  6  février  4Si1,  en  fit  cadeau  au  sortir 
de  la  séance  à  Massol,  le  célèbre  chanteur  qui,  après  avoir  été  son  ami 
pendant  de  longues  années,  fut  son  exécuteur  testamentaire.  E.  D. 

—  L'Académie  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  vient  de  publier 
le  vingt-neuvième  recueil  annuel  de  ses  Actes.  Ce  recueil  contient,  comme 
à  l'ordinaire,  divers  travaux  intéressants  insérés  à  la  suite  du  rapport  de 
M.  Tacchinardi,  secrétaire,  sur  les  travaux  de  la  compagnie  pendant  l'année 
écoulée,  travaux  et  mémoires  lus  précédemment  en  séances  de  l'Académie. 
Le  premier  a  pour  titre  :  Sur  quelques  questions  relatives  à  lalulherie  italienne, 
et  pour  auteur  M.  Angiolo  Filippi  ;  le  second,  relatif  au  même  sujet,  est 
une  réponse  de  M.  Luigi  Bicchierai  aux  questions  posées  par  M.  Filippi; 
enfin,  le  troisième,  remarquable  à  beaucoup  d'égards,  et  dû  à  M.  Paolo 
Fodale,  est  ainsi  intitulé  :  Sur  la  recherche  du  vrai  et  du  neuf  dans  les  arts 
et  spécialement  dans  le  drame  lyrique.  —  En  même  temps  que  sa  section  aca- 
démique publiait  ce  compte  rendu  annuel  de  ses  travaux,  l'Institut  de 
musique  de  Florence  ouvrait  un  nouveau  concours  de  composition,  avec 
un  prix  de  300  francs  pour  le  vainqueur.  Il  s'agit  cette  fois  de  la  mise  en 
musique  du  chœur  final  de  la  première  partie  de  la  Morte  d'.ibele,  drame 
lyrique  de  Métastase.  Le  morceau  doit  être  écrit  pour  un  chœur  à  cinq 
parties  réelles  :  soprani,  contralti,  ténors,  premières  et  secondes  basses  :  de 
plus,  les  concurrents  devront  faire  un  choral  sur  les  quatre  avant-derniers 
vers  du  chœur,  et  enfin,  ils  devront  développer  une  fugue  sur  le  dernier 
vers.  Il  est  certain  qu'une  composition  de  ce  genre  ne  manquera  pas 
d'intérêt,  et  qu'elle  sera  un  excellent  travail  pour  les  artistes  qui  prendront 
part  au  concours. 

—  Les  Italiens  eux-mêmes  n'en  reviennent  pas,  et  cela  se  conçoit,  après 
une  plaisanterie  de  plusieurs  années  de  longueur.  Voici  la  nouvelle  stu- 
péfiante qu'on  lit  dans  l'Italie  de  ces  derniers  jours  ;  «  On  a  tant  de  fois 
annoncé  que  M.  Boito  avait  terminé  la  partition  du  Nerone,  à  laquelle  on 
dit  qu'il  travaille  depuis  dix  ans,  que  personne  n'ajoutait  plus  foi  à  cette 
nouvelle.  Maintenant,  cependant,  elle  est  donnée  sous  une  forme  officielle 
parles  amis  de  l'éminent  compositeur  et  par  son  éditeur.  On  assure  même 
que  Nerone  sera  joué  l'hiver  prochain  à  la  Scala  de  Milan  et  au  théâtre 
Communal  de  Bologne.  Bien  plus,  le  conseil  municipal  de  cette  dernière 
ville  aurait  décidé  de  tenir  fermé  le  théâtre  durant  l'automne,  afin  de 
donner  la  subvention  à  l'imprésario  qui  montera  l'opéra  de  Boito  ».  Et 
l'Italie  ajoute  :  «  Ce  sera  certes  un  grand  événement  pour  l'art  italien.  Le 
succès  obtenu  par  le  Mefistofele  rend  encore  plus  vif  le  désir  d'entendre  cette 
nouvelle  œuvre.  M.  Boito,  dans  ces  derniers  temps,  n'a  donné  pour  le 
théâtre  que  des  vers,  et  le  public,  tout  en  admirant  des  ouvrages  littéraires 
comme  le  libretto  de  l'Otello,  celui  à'Ero  e  Leandro  et  l'autre  pour  la  Gio- 
conda,  déplorait  non  sans  raison  qu'un  compositeur  de  ce  talent  perdit 
ainsi  son  temps  à  écrire  des  libretti  pour  les  autres  maîtres.  »  Il  va  sans 
dire  que  M.  Boito  a  écrit  non  seulement  la  musique,  mais  aussi  les 
paroles  de  son  opéra.  Comme  on  l'a  vu,  son  Nerone  parait  devoir  être  joué 
simultanément  à  Milan  et  à  Bologne,  et  l'on  désigne  déjà  l'artiste  qui 
serait  chargé  de  créer  le  rôle  principal  dans  cette  dernière  ville.  C'est  le 
ténor  Lucignani,  qui  y  a  chanté  avec  le  plus  grand  succès  la  Gioconda  de 
Ponchielli  et  l'Africaine. 

—  Les  Italiens,  avons-nous  dit,  se  reprennent  à  la  musique  de  Rossini 
avec  une  sorte  ^e  fureur.  A  Rome,  à  Florence,  à  Milan,  à  'Venise,  à 
Faenza  et  ailleurs  on  ne  jure  en  ce  moment  que  par  Rossini,  et...  (wa"- 
nériens,  mes  frères,  voilez-vous  la  face!)  Rossini  fait  de  l'argent.  Le  suc- 
cès de  la  compagnie  d'opéra  rossinien  qui  opère  en  ce  moment  au  Dal 
V«rme  de  Milan  avec  Cenerentola,  t'Ualiana  in  Algeri,  est  tel  qu'elle  est  appelée 


à  aller  donner  six  représentations  de  ces  deux  ouvrages  à  la  Fenice  de 
'Venise.  Elle  a  d'ailleurs  attiré  l'attention  de  Verdi  lui-même,  qui,  l'autre 
dimanche,  est  allé  entendre  la  Cenerentola  avec  son  collaborateur  et  ami 
Boito.  A  Faenza,  ville  de  25,000  âmes  à  peine,  trois  représentations  du 
Barbier  ont  produit  une  recette  de  plus  de  12,000  francs.  A  Rome,  ce  même 
Barbier  est  un  triomphe  pour  ses  interprètes,  le  ténor  Stagno,  le  baryton 
Cotogni,  la  basse  Nannetti,  et  surtout  M"«  Linda  Brambilla,  qui  a  eu 
l'idée  (wagnériens,  ceci  est  le  coup  mortel  !)  d'allier  Auber  à  Rossini,  et 
de  faire  applaudir  le  maître  français  à  l'égal  du  maître  italien.  «  La 
Brambilla,  nous  dit  le  Trovatore,  a  exécuté  et  bissé,  dans  la  scène  de  la 
leçon  de  chant,  le  fameux  racconto  du  Domino  noir.  Quel  malheur  que  la 
gentille  artiste  n'ait  pas  cru  devoir  chanter  aussi  la  valse  qui  termine  si 
bien  ce  morceau  et  qui  aurait  aussi  terminé  à  souhait  la  leçon  !  » 

—  Sur  le  théâtre  particulier  de  la  Société  Christophe  Colomb  à  l'Acqua- 
sola,  de  Gênes,  on  a  fait  représenter  par  de  jeunes  enfants  une  opérette 
en  deux  actes  :  Dal  detto  al  fatto  corre  un  gran  tratto  (Du  dire  au  faire  il  y 
a  une  grande  distance),  dont  la  musique  est  due  à  M.  Pienzo  Masutto, 
chef  de  musique  du  23"  régiment  d'infanterie. 

—  Parmi  de  nombreux  legs  de  bienfaisance  inscrits  sur  son  testament 
par  un  dilettante  italien  mort  récemment,  M.  Giuseppe  Mambretti,  de 
Crémone,  on  signale  une  somme  de  30,000  francs  dont  la  rente  devra 
servir  à  envoyer  chaque  année  au  Conservatoire  de  Milan  un  jeune 
homme  se  destinant  à  l'étude  de  la  musique,  et  particulièrement  du  piano. 

—  Les  impresari  italiens  ne  sont  pas  plus  ennemis  d'une  douce  réclame 
que  les  directeurs  français,  et  ils  ont,  parfois  aussi,  d'ingénieux  moyens 
pour  attirer  l'attention  du  public.  Celui  du  théâtre  Bellini,  de  Naples, 
s'apprêtant  à  représenter  un  petit  opéra  de  M.  Scarano,  una  Tazza  di  thé, 
qui  n'avait  pas  encore  été  joué  en  cette  ville,  a  fait  afficher,  quelques 
jours  auparavant,  cet  avis  préventif  aux  spectateurs  :  —  «  Finalement,  le 
Thé  est  arrivé,  et  qui  en  voudra  goûter  una  Tazza  savoureuse  se  rendra 
au  théâtre  Bellini  le  mercredi  17  juin.  »  Plein  d'esprit,  ce  directeur,  et 
artiste  jusqu'au  bout  des  ongles. 

—  Voici  que  la  Fille  de  Madame  .Inqot  s' a\ise  d'exciter  les  nerfs  de  la  po- 
lice sicilienne!  Qui  s'en  serait  jamais  douté  ?  «  ACatane,  il  y  a  quelques 
soirs,  dit  un  journal  italien,  pendant  qu'au  théâtre  du  Prince  de  Naples 
le  public  applaudissait  le  chœur  des  conspirateurs  de  Madame  Angot,  un 
délégué  de  la  sécurité  publique  se  mitàharanguer  les  spectateurs  du  haut 
de  la  loge  de  la  questure,  en  leur  intimant  l'ordre  de  ne  point  applaudir 
et  en  menaçant  de  faire  cesser  le  spectacle.  »  Et  comme  il  parait  qu'à 
Catane  le  public  professe  le  plus  grand  respect  pour  la  police  et  la  ques- 
ture, celui  du  Prince  de  Naples,  en  réponse  à  la  harangue  officielle,  s'est 
borné...  à  redemander  et  à  faire  exécuter  quatre  fois  de  suite  le  chœur  en 
litige.  Ce  que  le  délégué  de  la  sécurité  publique  devait  être  furieux!... 

—  La  musique  aux  îles  Sandwich.  Les  journaux  américains  annoncent 
qu'aux  récentes  funérailles  du  roi  des  îles  Sandwich,  on  a  exécuté  entre 
autres  pièces  musicales  un  Domine  refugium  composé  par  Sa  Majesté  la 
reine  Lilinokalani.  La  ville  d'Honolulu  est,  paraît-i),  très  fière  des  aptitu- 
des musicales  de  sa  souveraine,  qui  a  déjà  doté  la  capitale  d'une  fanfare 
municipale,  ainsi  que  d'une  maîtrise  dirigée  par  un  organiste  anglais. 

PIRIS    ET    DEPARTEMENTS 

C'était  fête  et  grande  liesse,  mercredi  dernier,  au  Château -d'Eau,  où 
le  »  Théâtre  National  Lyrique  >>  faisait  sa  petite  réouverture  estivale  de 
chaque  année.  On  nous  avait  mis  l'eau  à  la  bouche  depuis  quinze  jours,  en 
nous  promettant  la  première  représentation  d'un  opéra  inédit  et  devenu 
depuis  longtemps  d'autant  plus  légendaire  qu'il  s'appelle  la  Légende  de  l'On- 
dine.  Mais  il  parait  que  des  difficultés  ont  surgi,  et  au  dernier  moment 
on  s'était  rabattu  sur  le  Freischûtz,  annoncé  dans  tout  Paris  par  des  affi- 
ches de  deux  mètres  de  haut,  et  si  grandes,  si  grandes...  qu'on  n'avait 
même  pas  trouvé  la  place  nécessaire  pour  y  mettre  les  noms  des  interprètes 
Mais  quel  Freischiitz,  mes  amis  !  On  se  serait  cru  à  une  représentation  du 
Palais-Royal,  tellement  la  gaieté  de  la  salle  était  débordante.  L'infortuné 
Weber,  qui  ne  s'était  certainement  pas  imaginé  faire  un  opéra  bouffe,  a 
dû  frémir  dans  sa  tombe,  du  caractère  nouveau  et  essentiellement  parti- 
culier donné  à  son  œuvre.  Quels  chœurs,  grand  Dieu!  quel  orchestre,  quels 
décors,  quelle  mise  en  scène!...  Les  choristes  du  beau  sexe  avaient  une 
sorte  d'uniforme  rouge  de  l'aspect  le  plus  piquant,  et  quant  à  la  Gorge  aux 
loups,  elle  était  figurée  par  un  bel  etïet  de  neige  que  le  décorateur  de 
céans  avait  peint  jadis  pour  le  fameux  drame  de  Sainte  Russie,  avec  les 
couleurs  russes  sur  un  poleau,  ce  qui  faisait  on  ne  peut  mieux  dans  ce 
milieu  germanique.  J'ai  cru  tout  d'abord  qu  on  n'irait  même  pas  jusqu'à 
la  fin  du  premier  acte,  tellement  l'accord  des  chœurs  et  de  l'orchestre  se 
faisait  remarquer  par  ses  aspérités.  Le  tableau  de  la  Gorge  aux  loups,  avec 
ses  apparitions  et  ses  fantômes,  a  amené  sur  les  lèvres  des  spectateurs 
un  de  ces  rires  joyeux  qui  entretiennent  la  santé,  pour  ce  que  le  rire, 
comme  a  dit  Rabelais,  est  le  propre  de  l'homme.  Mais  c'est  au  troisième 
acte  que  la  gaieté  publique  n'a  plus  connu  de  bornes.  Elle  venait  déjà 
d'être  excitée  par  une  exécution  inénarrable  du  chœur  des  chasseurs,  qui 
avait  arraché  à  un  dilettante  farouche  ce  cri  plein  de  douleur  :  «  C'est 
honteux!  »,  lorsque  le  fusil  de  Max  se  met  à  rater  au  moment  psycholo- 
gique, ce  qui  n'empêche  pas  Agathe  de  venir  lui  dire  «  Arrête  !  »  et  Cas- 
par  de  tomber  mortellement  frappé.  Ici,  l'hilarité  des  spectateurs  a  fait  une 


LE  MENESTREL 


215 


explosion  beaucoup  plus  bruyante  que  celle  du  fusil  en  question,  et  c'est 
au  milieu  d'un  véritable  fou  rire  que  la  représentation  s'est  terminée. 
Soyons  juste,  et  tirons  de  pair  au  moins,  dans  cette  débâcle,  ce  qui  vaut 
un"  peu  la  peine  d'être  sauvé.  C'est  d'abord  M"'  Baliste  (Agathe),  première 
chanteuse,  m'a-t-on  dit,  du  théâtre  de  Dijon,  qui  n'est  certainement  pas 
sans  valeur  et  dont  la  voix  est  d'une  jolie  qualité;  puis  M'io  Nazem  (An- 
nette),  une  dugazon  fort  adroite,  chantant  très  gentiment  et  qui  est  assu- 
rément excellente  musicienne.  Je  me  bornerai  à  signaler  M.  Bermond,  le 
ténor  qui  jouait  Max,  et  à  plaindre  de  tout  mon  cœur  le  jeune  chef  d'or- 
chestre qui  présidait  à  cette  cérémonie  funèbre  en  l'honneur  de  "Weber. 
Ce  n'est  pas  sa  faute  s'il  avait  sous  ses  ordres  un  personnel  aussi  exécrable, 
et  je  suis  convaincu  qu'il  a  par  lui-même  tout  ce  qu'il  faut  pour  tirer  un 
bon  parti  d'éléments  seulement  sulfisants.  A.  P. 

—  Quelques  renseignements  complémentaires  sur  la  séance  de  l'Aca- 
démie des  beaux-Arts  dans  laquelle  a  été  jugé  le  concours  de  Rome.  Il  y 
avait,  comme  on  le  sait,  cinq  concurrents.  Dans  la  première  séance  d'au- 
dition qui  avait  eu  lieu  la  veille  au  Conservatoire,  devant  les  seuls  mem- 
bres de  la  section  de  musique  de  l'Académie  assistés  des  trois  jurés 
adjoints  :  MM.  Lalo,  Paladilhe  et  Lenepveu,  le  résultat  avait  été  celui-ci  : 
premier  grand  prix,  M.  Lutz  ;  premier  second  grand  prix,  M.  Fournier; 
mention  honorable.  M.  Andrès.  Dans  la  séance  plénière  de  samedi,  toutes 
sections  réunies,  l'Académie,  chose  extrêmement  rare,  a  cassé  le  jugement 
de  sa  section  spéciale  en  ce  qui  concerne  le  premier  grand  prix,  qui, 
comme  on  l'a  vu,  a  été  attribué  à  M.  Silver,  M.  Lutz  restant  par  ce  fait 
sur  le  carreau.  Les  deux  autres  nominations  ont  été  ratifiées  par  elle. 
Rappelons  que  la  lutte  a  d'ailleurs  été  très  vive,  et  qu'il  n'a  pas  fallu  moins 
de  huit  tours  de  scrutin  pour  établir  la  situation.  Ce  n'est  qu'au  huitième 
tour  que  M.  Silver  l'a  définitivement  emporté  par  lo  voix,  contre  M  suf- 
frages réunis  sur  le  nom  de  M.  Lutz.  Le  premier  second  grand  prix  a  été 
décerné  à  M.  Fournier  par  ^3  voix  contre  2  à  M.  Andrés,  à  qui  une  men- 
tion honorable  a  été  attribuée  ensuite  à  l'unanimité.  —  M.  Silver,  l'heu- 
reux vainqueur  du  concours,  élève  de  M.  Massenet,  est  un  jeune  Israélite 
de  vingt-trois  ans,  actuellement  soldat  au  72=  de  ligne,  en  garnison  à 
Amiens.  Il  avait  obtenu  de  son  colonel  une  permission  spéciale  pour  venir 
prendre  part  au  concours,  où  l'on  voit  qu'il  n'a  pas  perdu  son  temps.  Il 
est  né  à  Paris  le  16  avril  1868,  et  a  obtenu  en  1889,  dans  la  classe  de 
M.  Tiiéodore  Dubois,  un  premier  prix  d'harmonie.  Sa  cantate,  exécutée 
sous  le  n°  4,  avait  pour  interprètes  M°='^  l'ierens,  MM.  Cossira  et  Fournets. 

—  M.  Gounod  n'a  pas  pu  assister  aux  séances  du  concours  de  Rome. 
L'illustre  auteur  de  Faust  est  assez  sérieusement  malade  depuis  environ 
trois  semaines  dans  sa  propriété  de  Saint-Gloud,  où  il  garde  le  lit  et  où 
aucun  visiteur  n'est  admis  à  pénétrer.  Nous  avons  le  regret  d'être  obligé 
de  constater  que  sa  situation  n'est  pas  satisfaisante. 

—  La  série  des  grandes  épreuves  de  fin  d'année  scolaire  s'est  ouverte 
cette  semaine  au  Conservatoire.  Nous  avons  à  faire  connaître  aujourd'hui 
les  résultats  des  premiers  concours  à  huis  clos,  ceux  qui  concernent  la 
théorie  musicale.  Voici  la  liste  des  récompenses  décernées  dans  ces  pre- 
mtères  séances  : 

Harmonie  (hommes).  — Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  directeur,  prési- 
dent; J.  Massenet,  Ernest  Guiraud,  Barthe,  Fissot,  Ch.  Lefebvre,  Gh.  Le- 
nepveu, P.  V.  de  la  Nux,  Paul  Vidal. 

^«■s  p-ix  "  MM.  Malherbe,  élève  de  M.  Taudou;  Delafosse  et  JoUy,  élèves 
de  M.  Lavignac  et  d'abord  de  M.  Théodore  Dubois. 

2^^  prix  !  MM.  Gaussade.  élève  de  M.  Taudou,  et  Schmitt,  élève  de 
MM.  Lavignac  et  Th.  Dubois. 

i<"^  accessit  :  M.  Hahn,  élève  de  MM.  Lavignac  et  Th.  Dubois. 

2"  accessit  :  MM.  Tournemine  et  Lebailly,  élèves  de  M.  Taudou. 

Solfège  des  instrumentistes  (hommes).  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Tho- 
mas, président;  Barthe,  Canoby,  Heyberger,  Mangin,  Mouzin,  P.  V.  de  la 
Nux,  Salomé,  Sieg. 

1'^  médailles  :  MM.  Rinsgdorff,  élève  de  M.  GrandJany;  Cortot,  élève 
de  M.  Bougnon;  Wurmser  et  Haas,  élèves  de  M.  GrandJany. 

2=5  médailles  ;  MM.  Bleuzet,  élève  de  M.  de  Martini;  Mulet,  élève  de 
M.  Rougnon;  Ponsot,  élève  de  M.  GrandJany,  et  Macquart,  élève  de  M.  de 
Martini. 

3=5  médailles  :  MM.  Gharinier,  élève  de  M.  GrandJany;  Casadesus,  Has- 
selmans,  élèves  de  M.  Kaiser;  Inghelbrecht,  élève  de  M.  Rougnon;  Sizes, 
élève  de  M.  de  Martini. 

(Les  concurrents  étaient  au  nombre  de  39). 

Solfège  des  instrumentistes  (femmes).  Même  jury. 

1^"^  médailles  :  M"=*  Bourgoin,  élève  de  M'"«  Maury;  Ponsa,  élève  de 
M""-  Leblanc;  Meyer,  élève  de  M""  Donne;  Campagna,  élève  de  M"''  Papot; 
Roux,  élève  de  M"«  Donne;  Condette,  élève  de  M'™  Leblanc;  DoUet,  élève 
de  M"'"  Donne  ;  Lopès,  élève  de  M"'-  Hardouin  ;  Heidet  et  Morlet,  élèves 
de  M"=  Donne. 

2«  jnédailles  :  M"'*  Ruzé,  élève  de  M""-'  Devrainne;  Arger,  élève  de 
M"«  Hardouin;  Denis,  Chéné,  Ortiz,  élèves  de  M"«  Donne;  Deparis,  élève 
de  M""  Vernant;  Debrie,  élève  de  M""  Donne. 

.3<»  méd'nlles  :  M"''  Pelette,  élève  de  M""  Gennaro-Chrétien;  Legendre. 
élève  de  M"''  Hardouin;  Rigalt,  élève  de  M""  Donne;  Witzig,  élève  de 
M™  Maury;  Grumbach,  élève  de  M™  Devrainne;  Deslandes,  élève  de 
M""=  Maury;  Cohen  et  Boudât,  élèves  de  M"»  Donne. 

La  leçon  de  lecture  à  déchiffrer  à  première  vue  était  de  la  composition 


de  M.  Ambroise  Thomas;  elle  ne  comprenait  pas  moins  de  six  pages  (an- 
dante  et  allegro)  et  elle  était  hérissée  de  difBcultés  d'intonation  et  de 
rythme  qui  n'ont  cependant  pas  empêché  un  certain  nombre  d'élèves  de 
la  lire  sans  commettre  une  seule  erreur. 

Le  concours  a  été,  paraît-il,  absolument  supérieur.  Un  fait  est  à  remar- 
quer, c'est  le  succès  toujours  croissant  de  la  classe  de  M""  Donne,  qui, 
sur  vingt-cinq  récompenses  décernées,  s'en  est  vu  attribuer  douze  à  elle 
seule,  c'est-à-dire  la  moitié. 

Les  concurrentes  n'étaient  pas  moins  de  60. 

Solfège  des  chanteurs. —Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Ch.  Lenepveu, 
Barthe,  Canoby,  0.  Gomettant,  Gastinel,  P.-V.  de  La  Nux,  Salomé  et 
Weckerlin. 

Classes  des  élèves  hommes,  20  concurrents. 

^re  médaille  :  M.  Berton,  élève  de  M.  Danhauser. 

2*5  médailles  :  MM.  Dufour  et  Thomas,  élèves  de  M.  Heyberger. 

3«  médailles  :  MM.  Lefeuve  et  Ghasne,  élèves  de  M.  Heyberger. 

Classes  des  élèves  femmes,  28  concurrentes. 

■/res  médailles  :  W^'^^  Cholain  et  Mante,  élèves  de  M.  Mangin. 

2=s  médailles  :  W^"^  Michel,  élève  de  M.  Mangin  ;  Nathan  et  Blankaërt, 
élèves  de  M.  Mouzin. 

3=s  médailles  :  M'"*  Grandjean,  élève  de  M.  Mangin;  Roulleau  et  Four- 
nier, élèves  de  M.  Mouzin. 

—  Pour  la  seconde  fois  plusieurs  journaux  ont  raconté  qu'une  véritable 
épidémie  de  diphtérie  aurait  éclaté  au  Conservatoire,  spécialement  dans 
la  classe  de  M.  A.  Duvernoy.  Il  y  a  quelque  temps  déjà  ce  bruit  avait 
couru,  aussitôt  démenti.  Cette  fois  le  bruit  était  encore  absolument  faux. 
Il  est  exact  qu'une  élève  de  M.  Duvernoy,  M"=  Gay,  est  morte  dernièrement 
d'une  affection  de  la  gorge.  C'était  une  enfant  extrêmement  délicate.  Mais 
c'est  là  un  cas  tout  à  fait  fortuit,  et  l'aménagement  du  Conservatoire  n'y 
est  pour  rien.  Aucune  de  ses  collègues  de  la  même  classe  n'a  été  victime 
de  la  moindre  indisposition,  pas  plus  qu'aucune  d'une  classe  quelconque, 
et  l'on  sait  qu'étant  donné  le  peu  d'espace  dont  dispose  l'administration 
du  Conservatoire,  il  y  a  plusieurs  cours  dans  chaque  salle.  Le  Conserva- 
toire a  été,  cette  année,  particulièrement  éprouvé  :  il  a  perdu  six  profes- 
seurs. S'est-on  jamais  avisé  de  dire  qu'ils  avaient  succombé  aux  atteintes 
d'une  maladie  contagieuse?  Et  parce  qu'une  pauvre  enfant,  très  délicate, 
a  contracté  on  ne  sait  où  le  germe  d'une  alYection  mortelle,  on  se  répand 
en  racontars  sans  fin. 

—  Comme  d'ordinaire,  des  représentations  gratuites  auront  lieu  dans 
nos  grands  théâtres  à  l'occasion  de  la  fête  du  14  juillet.  A  l'Opéra,  l'ou- 
vrage choisi  pour  la  circonstance  est  Guillaume  Tell,  tandis  qu'à  l'Opéra- 
Comique  on  jouera  les  Dragons  de  Vi'lars;  il  va  sans  dire  que,  d'une  et 
d'autre  part,  la  Marseillaise  sera  de  la  fête.  On  a  fait,  à  ce  sujet,  le  relevé 
des  pièces  qui  ont  été  représentées  à  l'Opéra  pour  les  spectacles  gratuits 
du  14  juillet  depuis  1881,  année  où  ces  spectacles  ont  été  institués;  en 
voici  la  liste  :  1881,  Robert  le  Diable;  1882,  Françoise  de  Rimini;  1883,  les 
Huguenots;  1884.  la  Favorite,  Coppélia;  1885,  Guillaume  Tell;  1886,  la  Juive; 
1887,  Patrie;  1888,  Sigurd:  1889,  l'Africaine;  1890,  Rigolelto  et  le  Rêve. 

—  L'Opéra-Comique  a  fermé  ses  portes  mardi  dernier  avec  deux  suc- 
cessives représentations  du  Beue,  l'opéra-étape  du  jeune  porte-drapeau  de 
l'école  française,  nous  avons  nommé  M.  Bruneau:  Au  programme  de  la 
prochaine  saison  figurent  l'/ini/Kerrnnde de  M.  Chapuis,  la  reprise  de  Manon 
pour  la  rentrée  de  M"=  Sybil  Sanderson,  la  première  représentation  de 
Cavalleria  ruslicana  pour  les  débuts  de  M"=  Calvé;  puis  la  Kassya  de  Léo 
Delibes,  qui  sera  la  grande  attraction  de  la  saisan.  Il  est  bien  probable 
aussi  que  nous  verrons  la  Carmosine  de  M.  Poise,  M.  Carvalho  en  ayant 
fait  la  promesse  au  pauvre  compositeur,  toujours  si  souffrant.  C'est  une 
justice  qui  est  due  à  l'auteur  des  Surprises  de  l'amour,  de  Joli  Gilles,  de 
l'Amour  médecin  et  de  tant  d'autres  petites  œuvres  exquises. 

—  C'est  mercredi  l<"  juillet  que  M.  Lamoureux  a  pris  officiellement  (on 
pourrait  dire  repris)  possession  de  ses  fonctions  de  chef  d'orchestre  à 
l'Opéra.  Son  prédécesseur,,  M.  "Vianesi,  avait  dirigé  pour  la  dernière  fois 
la  représentation  de  Sigurd.  Le  l"'  juillet  M'""  Rose  Caron  a  pris  son 
congé,  ce  qui  interrompt  forcément  la  carrière  du  bel  ouvrage  de  M.  Er- 
nest Reyer.  Mais  celui-ci  sera  repris  dès  le  retour  de  l'excellente  canta- 
trice, car  on  assure  que  MM.  Rilt  et  Gailhard,  qui  ont  si  délibérément 
laissé  émigrer  Salammbô  à  Bruxelles,  «  tiennent  à  honneur  «  de  donner  la 
centième  représentation  de  Sigurd  avant  de  passer  la  main  à  M.  Bertrand, 
et  il  n'en  faut  plus  que  huit  pour  atteindre  ce  chiffre.  Cette  centième  à 
l'Opéra  sera  certainement  un  événement.  Depuis  trente  ans,  cinq  ouvrages 
ont  seulement  atteint  et  dépassé  ce  chiffre  :  l'Africaine,  Hamlet,  Faust,  Aida  et 
Copjiélia;  Sigurd  sera  donc  le  cinquième  durant  cette  période  {Le  Cid  est 
aussi  bien  près  de  sa  centième  représentation,  à  peu  près  au  même  point 
que  Sigurd).  Les  trente  années  précédentes  avaient  été  plus  abondantes  en 
centenaires,  comme  le  prouve  ce  tableau  :  le  Dieu  et  la  Bayadére  (157  repré- 
sentations), te  Philtre  (242),  Robert  le  Diable,  la  Tentation  (104),  le  Serment  (102), 
Gustave  //7(169),  la  Juive,  les  Huguenots,  la  Xacarilla  (112),  la  Favorite,  la  Reine 
de  Chijprc  (118)  Lucie  de  Lammermoor,  le  Prophète  et  le  Trouvère.  Et  comme 
ballets:  la  Sylphide (111),  Giselle  (126),  et  le  Diable  à  quatre  (iOl). 

—  L'administration  de  la  Caisse  d'épargne  publie  la  liste  des  déposants 
à  la  Caisse  d'épargne  qui,  depuis  l'année  1861,  n'ont  point  modifié  leur 
dépôt,  soit  pour  se  faire  rembourser,  soit  pour  opérer  un  versement  nou- 
veau. En  vertu  de  la  loi,  les  sommes  ainsi   délaissées  sont  versées  à  la 


21(i 


LE  MÉNESTREL 


Caisse  des  dépols  el  consignations,  ol  le  service  des  arrérages  de  la  rente 
est  supprimé.  Cette  liste  comprend  environ  9,000  noms,  parmi  lesquels 
nous  relevons  les  suivants:  M.  Ch.-Adrien  Lacressonnière,  artiste  drama- 
tique, né  en  1820,  14  fr.  35  c;  M.  Léo  Delibes,  compositeur  de  musique, 
né  en  1836,  70  fr.  84  c;  M""^  Izambard,  artiste  musicienne,  née  en  1842, 
30  fr.  ol  c;  M.  Edouard  Colonne,  artiste  musicien,  né  en  1838,  14  fr.  30  c. 

—  Parmi  les  peintres  français  qui  ont  envoyé  de  leurs  œuvres  à 
l'Exposition  des  Beaux-Arts  de  Barcelone  et  qui  ont  été  récompensés, 
nous  remarquons  le  nom  de  M.José  Eugel,le  fils  de  l'excelient  ténor.  Le 
jeune  artiste,  qui  expose,  croyons-nous,  pour  la  première  fois,  a  envoyé 
à  Barcelone  deux  toiles  qui  témoignent  de  sérieuses  dispositions  et  de 
réelles  qualités,  et  deux  dessins  absolument  parfaits.  L'un  de  ces  dessins 
a  d'ailleurs  été  acheté  par  la  municipalité.  A.  fi.  B. 

—  M.  Gigout  nous  revient  de  Barcelone  chargé  de  lauriers.  Il  y  était 
allé  sur  l'invitation  de  la  municipalité  pour  donner  deux  concerts  clas- 
siques d'orgue  et  orchestre  à  l'occasion  de  l'Exposition  générale  des  beaux- 
arts.  Une  magnifique  couronne  lui  a  été  offerte  au  nom  des  artistes  et 
de  la  municipalité.  A  son  passage  à  Toulouse,  M.  Gigout  a  joué  l'orgue 
monumental  de  la  basilique  de  Saint-Sernin,  récemment  reconstruit  par 
M.  Cavaillé-Goll.  Il  s'est  également  fait  entendre  dimanche  dernier  à  la 
Métropole,  pendant  la  messe  paroissiale. 

—  Dimanche  dernier,  38  juin.  M""»  Dignat  réunissait,  16,  rue  d'Auteuil, 
les  élèves  de  ses  cours  pour  l'examen  mensuel  passé  par  Marmontel  père. 
En  lisant  le  programme  si  éclectique  de  cette  audition,  il  est  facile 
d'apprécier  les  cotés  sérieux  et  brillants  de  cet  enseignement  vraiment 
exceptionnel,  chaque  élève  devant  exécuter  une  étude  d'agilité,  une  étude 
expressive  et  un  morceau  de  style  et  de  bravoure.  Czei'ny,  Cramer,  Hummel, 
Moscheles,  Mozart,  Beethoven,  Mendelssohn,  Weber,  Chopin,  Schumann, 
Schuloff,Blumentha!,  Marmontel,  ont  été  interprétés  avec  une  remarquable 
perfection,   une  entente   parfaite  des  nuances  et  du  phrasé  musical. 

—  M""»  Méreaux,  la  vaillante  artiste  qui  continue  à  Rouen  avec  tant 
d'autorité  l'enseignement  de  son  mari,  l'ami  regretté  à  qui  le  Ménestrel  est 
redevable  de  la  splendide  publication  des  Clavecinistes,  a  donné  le  jeudi  :2b 
juin  une  très  intéressante  audition  d'élèves,  toutes  initiées  aux  traditions  des 
maîtres  anciens  et  modernes.  Cette  réunion  annuelle  n'a  pas  été,  comme 
d'habitude,  présidée  par  Marmontel  père,  qui  suit  avec  un  vif  intérêt  les 
progrès  de  ces  jeunes  pianistes:  mais  nous  pouvons  affirmer  que  profes- 
seur et  élèves  ont  rivalisé  de  talent  et  de  bien  dire,  pour  prouver  au 
maitre  absent  que  son  souvenir  et  ses  encouragementj  guidaient,  ani- 
maient leur  bon  vouloir,  et  leur  donnaient  toute  confiance. 

—  A  la  grande  fête  de  bienfaisance  du  Palais  des  Arts  libéraux,  grand 
succès  pour  M.  Caron,  qui  a  chanté  admirablement  fes  .E/ifaii/s  de  MM.  Mas- 
senet  et  Georges  Boyer,  et  la  Charité  de  Faure.  Au  même  concert,  M.  Co- 
balet,  très  applaudi  dans  les  stances  de  Lakmé. 

—  Qui  le  croirait?  malgré  la  saison  si  avancée,  les  artistes  ne  se  lassent 
pas  de  donner  des  concerts,  et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant,    c'est   qu'il 


y  en  ait  qui  remplissent  leurs  salles  d'un  public  i|ui  s'éponge,  mais  sait  . 
écouter  et  applaudir.  Samedi  dernier,  M'"'  Marie  Rueff  nous  avait  prié 
de  venir  entendre  un  de  ses  élèves,  M.  Gauthier,  {|ui  donnait  un  concert 
avec  le  concours  de  MM.  Sellier,  Affre,  Garon,  etc.  Le  bénéficiaire,  un 
ténor  doué  d'une  voix  charmante,  a  su  se  faire  acclamer  à  côté  des  bril- 
lants chanteurs  qui  avaient  tenu  à  figurer  au  programme.  —  Le  même 
soir,  M""'  Rudy  nous  convoquait  à  la  séance  de  clôture  de  ses  cours;  j'y 
arrivai  à  temps  pour  entendre  le  Baiser,  fort  bien  joué  par  des  élèves  de 
M.  Dupont-"Vernon  et  le  Noël  païen  de  Massenet,  très  bien  chanté  par 
M"''  Maria  Genoud,  une  élève  de  M""=  Marie  Rueff.  Le  restant  du  pro- 
gramme avait  été,  parait-il,  aussi  brillammant  exécuté. 

—  L'inauguration  des  nouvelles  orgues  électriques  construites  par  la 
maison  Merklin  pour  l'église  Notre-Dame  de  Valenciennes,  a  eu  lieu  les 
24  et  2S  juin,  avec  le  concours  de  l'éminent  organiste  de  Saint-Eustache,' 
de  Paris,  M.Dallier,  qui  a  tenu  son  auditoire  sous  le  charme  de  ses  mélo- 
dies et  par  l'exécution  magistrale  des  œuvres  des  grands  maîtres. 

NÉCROLOGIE 

Lin  dilettante  passionné,  qui  depuis  plusieurs  années  s'était  fait 
remarquer  par  la  publication  de  divers  travaux  solides  et  intéressants 
d  histoire  et  de  littérature  musicales,  M.  Alessandro  Ademollo,  conseiller 
à  la  Cour  des  comptes,  est  mort  le  22  juin  dernier  à  Florence,  où  il  était 
né  le  22  novembre  1826.  Parmi  ses  écrits  très  nombreux  en  divers  genres, 
nous  n'avons  à  signaler  ici  que  ceux  qui  ont  spécialement  trait  à  la  mu- 
sique et  à  l'art  lyrique  :  1°  i  Primi  Fasti  délia  musica  italiana  in  Parigi,  l6io- 
'I6f)2  :  2»  i  Primi  Fasti  del  tealro  délia  Pergola,  di  Firenze;  3°  La  belV  Adriana 
à  Milan,  iSU  ;  4°  Bibliografia  délia  cronistoria  teatrale  italiana;  3°  G.-F.  Hœndel 
in  Italia:  6°  i  Primi  Fasti  del  tcatro  di  Tordi  None,  diRoina;  7°  le  Grandi  Cantanti 
italiane  del  secolo  XVUI.  Vittoria  Tosi,  la  Moretta  fiorentina;  8°  Cristoforo  Gluck 
in  Italia;  9°  Pietro  Pulli  ed  il  suo  »  Vologeso.  »  Tous  ces  écrits  ont  été  publiés 
chez  l'éditeur  Ricordi. 

—  De  Parme  on  annonce  la  mort  de  Paride  Berzioli,  chef  d'une  impor- 
tante fabrique  de  pianos,  qui  a  laissé  une  grande  partie  de  sa  très  grande 
fortune  à  l'hôpital  civil  de  cette  ville,  afin  qu'on  y  fonde  une  salle  qui 
portera  son  nom. 

—  Il  parait  que  la  reine  d'Angleterre  avait  un  joueur  de  cornemuse 
attaché  à  sa  personne.  On  signale  en  effet  la  mort,  à  Londres,  d'un  artiste 
nommé  "VS'illiam  Ross,  qui  avait  le  titre  de  joueur  de  cornemuse  de  la 
reine.  Il  était  âgé  de  soixante-neuf  ans.  et  depuis  vingt-sept  ans  était  en 
possession  de  cet  emploi,  qui  ne  devait  pas  sans  doute  le  fatiguer  outre 
mesure. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

ON  DEMANDE  dame  très  bon  professeur  ch.  et  piano,  et  dame  bon 
professeur  guitare.  Leçon  d'une  heure  à  domicile  S  francs.  S'adr.  M.,  17, 
rue  Gustave-Courbet,  Passy. 


En  l'ente,  AU  MÉNESTREL,  2'"%  rue  Vivienne,   BIEUeEIi   et    C,   éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 


nmmm  i:h4\t  et  pi4.\o 

PfilX   .NET  :    20    FR. 


LE  MAGE 

Grand  opéra  en  cinq  actes 


Prix  net  :  12  fr. 


PARTITION  POUR  CHANT  SEUL 
Prix  net  :  4  fr. 


JEAN     RICHEPIN 


BALLET    EXTRAIT 
Prix  net  :  3  fr. 


J.   MASSENET 


Morceaux  de  chant  détachés.    —    Transcriptions  et  arrangements  pour  piano  et  instruments  divers. 


;   FER.   — ^IHPIUMEHIE  CIIAi\,   20     HUE 


Dimanche  12  Juillet  1891, 


3145  -  57-  mm  -  I\°  28.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    fiEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  BIénestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMi,IRE-TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (17"  article),  Albeut  Soudies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Un  acte  de  vandalisme  musical  au 
xviii"  siècle,. H.  be  CunzoN.  —  lil.  Napoléon  dilettante  (lô"  aiticle),  Edmond 
Neukoum  et  Pacl  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AIMER 

nouvelle    mélodie    de    Balthazar    Florence.   —    Suivra    immédiatement: 

le  Chant  touranien    du    Mage,    chanté  par  M'°°   Lcreau-Escalaïs,  musique 

de  J.  Massenet,  poésie  de  Jean  Richepin. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour,  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :    Mijosotis,  romance  sans    paroles,   de  ThéoDvIre   Lack.  —   Suivra 
immédiatement:  Airs  de  ballet  du  Mage,  par  J.  Massenet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allier-t   SOUBtES    et   Charles    :MAL,HEFIBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

•îuois  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voijuge  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(1865-1868) 
(Suite.) 

Tout  autre  devait  être  la  fortune  de  Mignon.  De  tous  les 
•succès  remportés  à  la  seconde  salle  Favart,  celui-là  en  effet, 
a  été  le  plus  continu,  le  plus  assuré,  le  plus  grand.  Avant  la 
représentation,  il  se  rencontrait  bien  des  gens  pour  croire 
qu'Ambroise  Thomas  avait  donné  sa  mesure  et  qu'il  resterait 
■éternellement  l'auteur  du  Cdid  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été.  On 
constatait  même  un  temps  de  repos  après  une  période  singu- 
lièrement active,  car,  à  l'Opéra  ou  à  l'Opéra-Comique,  il  avait 
depuis  1837  jusqu'à  1851  (sauf  en  1847  et  en  1848)  donné  un 
'Ouvrage  tous  les  ans,  puis  tous  les  deux  ans  en  1853, 1855, 1857, 
année  même  où  il  avait  livré  double  bataille  avec  Psyclié  et  le 
Carnaval  de  Venise.  Or,  depuis  le  Roman  d'Elvire,  qui  datait  de 
1860.  il  se  taisait,  ou,  pour  mieux  dire,  il  se  recueillait  et 
préparait  dans  l'ombre  ses  deux  œuvres  maîtresses,  Mignon  et 
Jlamlet. 

Chose  curieuse,   nul  alors  ne  doutait  plus    de  la    réussite 


que  l'auteur  lui-même;  une  série  de  demi-succès,  dont  plus 
d'un  immérité,  l'avaitsans  doute  attristé,  rendu  timide,  presque 
découragé.  Il  hésitait  et,  le  soir  de  la  répétition  générale,  il 
pariait  avec  une  personne  de  nos  amis  que  la  pièce  nouvelle 
n'aurait  pas  cinquante  représentations.  Elle  les  eut,  très  vite; 
le  compositeur  s'exécuta  galamment  et  put  constater,  par  la 
même  occasion,  de  quelles  sympathies  dans  la  presse  et  dans 
le  public  sa  personne  était  entourée.  Dès  le  mois  d'aoiit  pré- 
cédent, les  journaux  commençaient  à  insérer  les  notes  et 
informations  aimables  :  «  Nul  mieux  que  l'auteur  du  Songe 
d'une  nuit  d'été  ne  pouvait  traiter  le  sujet  poétique  emprunté 
à  Gœthe,  et,  si  l'on  en  croit  les  indiscrétions,  il  n'aura 
jamais  été  mieux  inspiré...  »  ou  encore  :  «  On  assure  que  le 
directeur  de  rOpéra-Gomique  a  commandé  pour  cet  important 
ouvrage  des  décorations  splendides  qu'il  a  confiées  au  pin- 
ceau de  MM.  Desplechin,  Rubé  et  Cfctaperon.  Pour  un  com- 
positeur de  la  valeur  d'Ambroise  Thomas,  on  ne  saurait  être 
trop  prodigue  de  luxe  et  de  soins —  »  etc. 

C'est  ainsi  que  M.  Arthur  Pougin  se  faisait  le  juste  écho 
de  l'opinion  publique  en  traçant  pour  les  lecteurs  de  la  France 
musicale  un  portrait  du  compositeur  oii  il  louait  son 
talent  «  à  la  fois  élevé  et  gracieux,  énergique  et  tendre,  dra- 
matique et  plaisant.  Souple,  varié,  divers,  il  sait  tirer  parti 
de  toutes  les  situations  aussi  bien  que  se  plier  à  toutes  les 
exigences  du  drame...  Ses  harmonies  sont  fines,  délicates, 
souvent  imprévues,  et  son  instrumentation  travaillée  avec  un 
art  exquis,  est  pleine  d'accent,  de  relief  et  de  nouveauté, 
lînfin,  les  caractères  de  ses  personnages  sont  tracés  de  main 
de  maître...,  et  chacun  de  ses  ouvrages  a  une  couleur  parti- 
culière et  essentiellement  personnelle.  »  Il  ajoutait  :  «  J'es- 
père bien  que  ce  sera  un  succès  et  tout  le  monde  l'espère 
de  même,  car  M.  Ambroise  Thomas  ne  compte  que  des  amis.» 
Le  lendemain  de  la  première  représentation  de  Mignon,  le 
compositeur  assistait  en  effet  au  concert  dos  Champs-Elysées 
dans  le  théâtre  du  Prince-Impérial,  et,  après  l'ouverture  du 
Carnaval  de  Venise,  toute  la  salle  se  levait  spontanément  et 
l'acclamait,  comme  pour  confirmer  avec  plus  d'éclat  le  succès 
de  la  veille.  Bientôt  les  reporters  se  mettaient  en  quête 
d'annoncer  les  œuvres  qui  allaient  suivre  ;  ils  parlaient  d'un 
livret  des  auteurs  du  Vogage  en  Chine,  Labiche  et  Delacour, 
qu'allait  mettre  en  musique  M.  Ambroise  Thomas,  aspirant 
ainsi  aux  lauriers  de  Bazin.  Puis,  ils  mentionnaient,  en  racon- 
tant déjà  le  scénario,  sa  Françoise  de  Rimini,  qui  devait  venir 
au  monde  quelque  quinze  ans  plus  tard. 

C'est  que,  le  succès  allant  toujours  croissant,  l'auteur  de 
Mignon  était  devenu  l'homme  du  jour,  le  musicien  non  plus 
seulement  estimé  des  connaisseurs,  mais  populaire  et  par 
conséquent  célèbre. 

On  a  répété  volontiers  que  la  presse  avait  méconnu  l'œuvre 


218 


LE  MENESTREL 


à  son  apparition.  C'est  une  légende  qu'il  importerait  de  dé- 
truire, comme  tant  d'autres  du  même  genre.  La  presse,  au 
contraire,  se  montra  des  plus  clairvoyantes.  Elle  sut  distin- 
guer ce  qui  était  et  demeure  critiquable  ;  elle  fit  la  part  du 
connu  et  du  convenu,  mais  elle  n'omit  aucune  page  dont  la 
valeur  devait  s'imposer  et  son  mérite  alors  était  d'autant 
plus  grand  que  les  partitions  ne  se  publiaient  pas,  comme 
aujourd'hui,  avant  la  représentation.  Les  journalistes  n'avaient 
donc  d'autre  critérium  à  leur  jugement  que  l'unique  audition 
du  premier  soir,  et  pourtant  presque  tous,  par  exemple,  se 
rencontrèrent  pour  formuler  un  reproche:  c'est  que  le  poème 
avait  perdu,  dans  les  exigences  de  son  adaptation  lyrique, 
«  son  goût  de  terroir  »  disaient  les  uns,  «  son  parfum  ger- 
manique »  disaient  les  autres.  Peut-être  gagnait-il  ainsi  plus 
sûrement  son  droit  de  cité  à  Paris! 

Le  sujet,  tiré  des  Années  d'apprentissage  de  Wilhelm  Meister, 
avait  été  traité,  en  effet,  comme  celui  de  Faust,  à  la  manière 
française,  c'est-à-dire  avec  un  mélange  de  grâce  aimable  et 
de  logique  un  peu  bourgeoise.  De  même,  pour  la  partie  mu- 
sicale, la  critique  aperçoit  des  points  d'ombre  et  les  signale: 
ils  disparaissent  peu  à  peu.  Dès  la  deuxième  représentation 
on  pratiquait  des  coupures  dans  le  second  acte  ;  d'autres 
venaient  par  la  suite,  comme  au  premier  acte  le  rondo  que 
chantait  Wilhelm  à  son  entrée,  et  le  ballet  qui  précédait  la 
danse  de  Mignon.  Le  second  tableau  du  troisième  acte  avec 
sa  foiiane  chantée  et  dansée,  avec  sa  scène  cruelle  de  la  ren- 
contre de  Philine  avec  Mignon,  avait  déplu  à  quelques-uns. 
Le  rédacteur  de  la  Revue  et  Gazette  musicale,  notamment,  plein 
d'admiration  pour  le  grand  trio  du  précédent  tableau,  s'écriait: 
«  Combien  j'eusse  préféré  rester  sous  l'impression  de  mon 
cher  trio  et  de  sa  simple  prière  !  »  Ce  vœu  musical  devait 
être  exaucé.  Le  dernier  tableau,  d'abord  raccourci,  a  fini  par 
être  complètement  supprimé. 

Toutefois,  si  le  dénouement  s'est  quelque  peu  modifié, 
jamais  plus  il  n'est  revenu  à  son  terme  logique,  à  la  mort 
de  l'héroïne,  telle  que  l'avaient  présentée  le? librettistes  dans 
une  version  primitive  dont  le  manuscrit  est,  par  le  hasard 
des  circonstances,  devenu  notre  propriété.  L'étude  d'un  tel 
document  aurait  son  prix  et,  retraçant  la  genèse  d'une  œuvre 
célèbre,  montrerait  par  quelles  modifications  peut  passer  un 
livret  avant  d'atteindre  sa  forme  définitive.  Qu'il  nous  suffise 
de  dire  ici  que  la  pièce  avait  alors  quatre  actes  au  lieu  de 
trois  et  qu'en  regard  du  nom  de  Mignon  on  lisait  celui  de... 
M"*'  Miolan-Carvalho  !  Une  histoire  presque  aussi  curieuse 
serait  celle  de  cet  ouvrage  et  de  bien  d'autres  d'ailleurs, 
après  la  représentation,  changeant  d'aspect  peu  à  peu,  comme 
l'homme  lui-même  qui  se  transforme  avec  Tàge,  mais  par 
degrés  presque  insensibles.  Le  succès  impose  à  l'objet  une 
physionomie  nouvelle  ;  on  supprime  d'abord  quelques  mesures 
dans  une  scène,  puis  la  scène  tout  entière  ;  par  une  sorte  de 
convention  tacite  entre  les  auteurs,  le  directeur  et  le  public, 
l'action  se  resserre  et  les  effets  se  déplacent.  La  Mignon  que 
nous  voyons  aujourd'hui,  et  qui  nous  satisfait  pleinement, 
diffère  quelque  peu  de  la  Mignon  qu'applaudissaient  les  spec- 
tateurs de  1866,  et  il  en  est  ainsi  de  maint  chef-d'œuvre, 
depuis  les  iSuguenois  jusqu'à  Faust,  dont  l'introduction  a  gardé 
la  trace  d'un  air  de  Talentin  définitivement  supprimé.  Mireille, 
par  exemple,  comporte  toute  une  série  d'avatars,  et  la  parti- 
tion à  quatre  mains  du  Trouvère  contient,  après  le  Miserere,  un 
allegro  qui  non  seulement  n'est  jamais  exécuté,  mais  qui  ne 
figure  même  plus  dans  aucune  autre  édition!... 

Avec  le  temps,  l'interprétation  se  trouve  plus  bouleversée 
que  l'œuvre  elle-même.  Les  premiers  rôles  avaient  été  établis 
par  d'incomparables  interprètes.  Préférée,  et  avec  raison,  à 
M"«  Marie-Rôze,  que  voulait  essayer  d'imposer  un  groupe 
d'admirateurs,  M"«  GaUi-Marié  avait  trouvé  dans  Mignon  le 
plus  grand  succès  de  sa  carrière  dramatique,  sans  en  excepter 
Carmen,  pour  laquelle  elle  n'avait  plus  au  même  degré,  quoique 
parfaite  encore,  la  jeunesse  d'organe  et  la  sveltesse  physique. 
Les  chanteuses  qui  lui  ont  succédé  dans    ce  rôle    poétique, 


plein  de  rêverie  langoureuse,  d'espièglerie  naïve  et  de  puis- 
sance dramatique,  ont  pu  l'imiter,  mais  aucune  ne  l'a  sur- 
passée. Achard  était  le  plus  charmant  des  'Wilhelm,  Couderc 
le  plus  spirituel  des  Laôrte,  et  M""«  Cabel  la  plus  coquette 
des  Philine,  sans  oublier  un  artiste  alors  désigné  sous  le 
nom  de  Voisy  et  qui  plus  tard,  sous  celui  de  Vois,  acquit  un 
certain  renom  dans  l'opérette.  Il  jouait  le  personnage  de 
Frédéric,  lequel  partage  avec  celui  de  Paiiope  dans  Phèdre,  de 
Pygmalion  dans  Galnï/u'e,  de  Virgile  dans  Françoise  de  Rimini  et 
d'autres  encore,  le  singulier  privilège  d'être  tour  à  tour  mas- 
culin ou  féminin,  autrement  dit,  d'appartenir  indifféremment 
à  un  homme  ou  à  une  femme.  C'est  ainsi  que  le  IS  mars  1874 
M"'=  Ducasse  reprenait  ce  rôle,  réservé  jusque-là  au  sexe  fort, 
et  y  intercalait  une  gavotte  composée  d'abord  pour  M™^  Tre- 
belli,  tandis  que  M"''  Chapuy,  qui,  le  même  soir,  succédait  à 
M""'  Galli-Marié,  ajoutait  à  son  rôle  une  styrienne  primitive- 
ment écrite  pour  M"*'  Nilsson. 

Dès  1867,  M"'f  Cabel  était  remplacée  par  M"°  Cico  (12  mars); 
Achard  cédait  le  pas  à  Capoul  (6  août),  Couderc  à  Ponchard, 
Battaille  à  Melchissédec.  En  1868,  après  une  interruption  de 
huit  mois.  Mignon  reparaissait,  le  -i  novembre,  sur  l'afBche 
avec  Couderc  et  tous  les  artistes  de  la  créalion.  En  1869, 
Gailhard  succédait  à  Battaille,  et  le  nouveau  Lothario  obte- 
nait un  succès  qui  lui  valait  un  réengagement;  et  le  30  août 
de  cette  même  année,  Philine  se  montrait  sous  les  traits 
d'une  débutante,  M'"^  Moreau,  qui,  après  un  séjour  au 
Théâtre-Lyrique,  avait  quitté  Paris  pour  Bruxelles.  Au  sur- 
plus, il  est  presque  impossible  et  surtout  il  serait  fastidieux 
d'entreprendre  le  dénombrement  de  tous  les  artistes  qui  ont 
prêté  au  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  le  concours  de 
leur  talent.  Il  n'est  pas  un  ténor  élégant,  pas  un  soprano 
agile,  pas  un  comique  noble  qui  n'ait  paru  plus  ou  moins 
longtemps  sous  les  traits  de  Wilhelm,  de  Philine  et  de 
Laërte,  et  l'incomparable  Galli-Marié  elle-même  a  pu  voir  sa 
robe  de  bure  et  son  costume  de  page  endossés  par  des  suc- 
cesseurs qui  ne  la  valaient  pas.  Mais  qu'importe?  Après  un 
quart  de  siècle  la  fortune  de  Mignon  n'a  pas  subi  la  moindre 
atteinte,  et  elle  s'est  maintenue  au  répertoire  avec  une 
fixité  telle  que  l'année  1871,  où  le  théâtre  resta  fermé  pen- 
dant six  mois ,  fut  la  seule  où  l'Opéra-Comique  n'ait  pas  vu 
son  nom  sur  une  de  ses  affiches. 

Quant  aux  recettes,  elles  présentent  un  chiffre  énorme  et 
peut-être  le  plus  gros,  par  sa  continuité  même,  qu'une  pièce 
ait  fait  tomber  dans  la  caisse  du  théâtre.  La  Revue  et  Gazette 
nii(Sica/e  parlait  avec  enthousiasme  d'une  moyenne  de  6,000  fr. 
La  vérité  est  que  tout  d'abord  ce  chiffre  ne  fut  dépassé  que 
deux  fois:  le  1<"  décembre  avec  6,118  fr.  20  c,  et  le  8  avec 
6,312  fr.  70  c,  résultat  déjà  fort  satisfaisant.  D'ailleurs,  à 
titre  de  curiosité,  nous  publions  plus  loin  un  tableau  relatif 
aux  quinze  premières  soirées  des  trois  œuvres  centenaires 
qui  forment  le  principal  objet  du  présent  chapitre.  Si  les  re- 
cettes de  Mignon  furent  d'abord  inférieures  à  celles  du /•/■emfe?- 
Jour  de  bonheur,  il  n'en  faut  pas  absolment  conclure  à  un 
succès  moindre  dans  l'opinion  du  public;  c'est  que  Mignon 
parut  presque  au  mois  de  décembre,  le  mois  où,  pour  cause 
d'approche  du  jour  de  l'an  et  de  ses  dépenses  obligées,  les 
bénéfices  des  spectacles  s'abaissent  sensiblement.  A  partir  de 
la  fin  de  janvier  1867,  l'ascension  régulière  commençait  à  se 
produire  ;  le  mardi  gras  on  réalisait  7,300  fr.,  et,  pendant, 
cette  année,  l'Opéra-Comique  encaissait  la  somme  colossale 
de  1,566,928  fr.  80  c. 

L'Exposition  universelle  était  bien  pour  quelque  chose 
dans  un  tel  résultat;  mais  une  large  part  en  devait  revenir 
à  l'œuvre  nouvelle,  à  l'œuvre  d'attraction  pour  les  étrangers. 
Mignon,  qui,  le  18  juillet  1867,  huit  mois  presque  jour  pour 
jour  après  la  première  représentation,  atteignait  la  centième, 
et  se  jouait  cent  trente  et  une  fois  dans  le  cours  de  cette  même 
année. 

En  1873  on  atteignait  la  trois-centième,  et  chaque  année  a^ 
depuis  lors,  apporté  un  contingent  de  représentations  qui  n'a 


LE  MENESTREL 


21& 


jamais   été  inférieur  à  douze  et   qui  s'est  élevé   jusqu'à  rin- 
quante-huit. 

Certes,  M.  Ambroise  Ttiomas  peut  encore  prétendre  à  de 
longs  jours,  s'il  suit  l'exemple  des  octogénaires  qui  l'ont 
précédé  dans  la  direction  du  Conservatoire ,  et  surtout 
l'exemple  de  sa  mère  qui,  presque  à  la  veille  des  répétitions 
de  Mignon,  s'éteignait  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans.  Encore 
quelques  années,  et  le  maître  aura  la  joie  d'assister  au 
triomphe  que  n'ont  connu  avant  lui  ni  Boieldieu  avec  la 
la  Dame  blanche,  ni  Herold  avec  le  Pré  aux  Clercs,  ni  Adam  avec 
le  Chalet;  il  verra  la  milUème  représentation  que  son  œuvre  at- 
teindra sûrement. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


UN  PROJET  DE  VANDALISME  MUSICAL  AU  XVIII'  SIÈCLE 

Le  vandalisme  en  musique  est  de  toutes  les  époques.  Depuis  les 
arrangements  de  'Weber  par  Gaslil  Blaze,  jusqu'à  la  réduction 
à' Henry  VIII  a  trois  tableaux,  en  passant  par  Guillaume  Tell,  servi  comme 
lever  de  rideau  avant  un  ballet,  les  exemples  ne  manquent  pas  à 
l'appel  et  sont  aisés  à  récolter.  C'est  une  vraie  maladie  d'esprit  chez 
quelques-uns,  et  en  face  de  certaines  de  ces  décisions  sereines  et 
sûres  d'elles-mêmes,  on  n'a  plus  qu'à  s'incliner  et  admirer.  Mais  je 
doute  que  jamais  idée  plus  caractéristique  en  ce  genre  ait  germé 
dans  une  tète  directoriale,  jamais,  si  elle  avait  abouti,  tentative  plus 
digne  d'admiration,  que  celle  dont  je  veux  parler  ici  :  de  faire  tout 
simplement  refondre  et  remanier  au  goût  du  jour  le  Castor  et  Pollux 
de  Rameau,  par  cinq  compositeurs  à  la  mode. 

Ceci  se  passe  en  1784.  Pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  peut- 
être  parce  que  la  reine  a  témoigné  prendre  un  grand  plaisir  à  cet 
opéra,  la  direction  de  l'Opéra,  prise  d'un  beau  zèle,  veut  donner  à 
cette  œuvre  un  éclat  nouveau,  et,  persuadée  d'ailleurs  que  tout  son 
succès  lui  vient  du  poème,  n'imagine  rien  de  mieux  pour  l'accom- 
plissement de  son  dessein,  que  de  donner  chaque  acte  à  dépecer  à 
un  musicien  particulier,  avec  ordre  de  ne  garder  rien  ou  peu  de 
chose,  mais  surtout  de  faire  du  neuf,  et  néanmoins  de  s'inspirer  de 
quelques  pages  qu'on  veut  bien  épargner,  pour  rester  dans  les  don- 
nées du  vieux  maître,  auquel  le  mérite  devra  demeurer  presque  tout 
entier.   (Arrangez  cela  comme  vous  pourrez.) 

De  là,  le  rapport  que  je  publie  ici  ;  simple  affaire  de  curiosité  du 
reste,  mais  qui  parait  fort  peu  connue.  Je  dois  dire  que  la  pièce 
n'est  pas  signée  :  c'est  une  copie,  et  il  est  assez  difficile  de  lui  as- 
signer une  attribution  certaine.  Ily  a  toutefois  quelque  probabilité 
que  c'est  une  lettre  adressée  à  Papillon  de  la  Ferté,  le  tout-puissant 
commissaire  du  roi,  et  qu'elle  a  été  écrite  par  le  directeur  d'alors, 
Morel,  d'intrigante  mémoire,  qui  gouvernait  l'Opéra  dans  l'interrègne 
de  Dauvergne,  entre  1782  et  178.5.  —  Il  est  certain,  de  plus,  qu'on 
parla  de  ce  projet,  qu'on  fit  des  propositions  aux  musiciens,  que 
Gossec  au  moins  fut  très  particulièrement  prié;  et,  si  nous  n'avons 
pas  sa  réponse,  qui  eût  été  piquante  à  coup  sûr,  nous  savons  qu'après 
l'avoir  reçue,  le  Comité  de  l'Opéra  s'empressa  de  déclarer  au  ministre 
(le  baron  de  Breteuil),  qu'il  y  avait  dans  cette  entreprise  autant 
d'injure  à  la  mémoire  de  Rameau  que  de  sottise  matérielle,  l'œuvre 
faisant  toujours  de  fort  belles  recettes. 

Et  l'on  en  resta  là,  pour  le  moment  du  moins,  heureusement  pour 
l'honneur  de  notre  Académie  de  musique. 

Voici  maintenant  les  deux  pièces  : 

I 
Monsieur, 

Après  avoir  examiné  tous  les  moyens  possibles  pour  reproduire  sur  la 
scène  l'opéra  de  Castor,  je  me  suis  enfin  arrêté  à  celui-cy,  que  je  vous 
soumetz. 

Il  n'est  point  sans  dillîcultés,  mais  elles  disparoîtront  par  le  désir  d'être 
agréable  à  la  Reine  ou  avec  ce  grand  moteur  des  actions  humaines  :  l'argent. 

On  ne  peut  se  dissimuler  qu'il  doit  être  très  intéressant  et  très  piquant 
de  voir  dans  un  seul  ouvrage  les  talents  réunis  des  plus  célèbres  compo- 
siteurs de  l'Europe,  distribués  de  manière  que  chaque  auteur  y  peut  pa- 
roître  avec  avantage.  Le  poème  de  Castw  est  le  seul  drame  lyrique  qui 
puisse  permettre  cette  variété.  Chaque  acte  pris  isolément,  offre  un  spec- 
liii-le  entier,  et  l'ensemble  du  tout  est  le  chef-d'œuvre  de  l'opéra.  C'est  ce 
Miii  m'a  déterminé  à  donner  à  chaque  auteur  un  acte  entier  à  faire,  en 
lui  observant  cependant  quels  sont  les  morceaux  de  l'ouvrage  de  Rameau 
'|ui  doivent  être  conservés.  J'ai  aussi  observé  quel  étoit  le  genre  de   mu- 


sique le  plus  convenable  au  génie  de  mes  auteurs,  et  c'est  ce  qui  a  déter- 
miné la  distribution  suivante  : 


Examen  de  l'ouvrage.  CIwix  des  auteurs  et  des  morceaux  à  conserver. 


Premier  acte. 


M.   L.INGLÉ. 


Le  premier  acte  est  beau  à  faire,  il  contient  à  lui  seul  tous  les  beaux 
mouvements  de  la  tragédie,  et  cependant  c'est  le  plus  foible  de  l'ouvrage 
de  Rameau.  Je  ne  vois  rien  à  conserver  dans  le  chant,  ni  même  dans  les 
ballets,  à  moins  que  ce  ne  soitle  premier  menuet  etle  premier  tambourin.^ 
M.  Langlé,  dont  je  connois  les  talents,  doit  bien  s'acquitter  de  cet  ouvrage. 


Second  acte. 


M.  Gossec. 


C'est  celui  qui  contientle  plus  de  beaux  morceaux  dans  l'ancien  ouvrage. 
Il  est  difficile  de  mieux  faire  le  chœur  Que  tout  gémisse.  Cependant  il  peut 
produire  beaucoup  plus  d'effets  lorsque  l'on  aura  rempli  avec  des  instru- 
ments à  vent  l'harmonie,  souvent  trop  foible  ;  et  que  dans  le  chant  on 
aura,  en  changeant  quelques  notes,  supprimé  d'ennuyeuses  cadences,  qui 
gâtent  la  belle  simplicité  de  ce  morceau.  L'air  suivant  :  Tristes  apprêts, 
pâles  flambeaux,  est  de  la  même  beauté  et  veut  les  mêmes  changements. 
Le  chœur  de  la  troisième  scène,  Que  l'Enfer  applaudisse,  et  la  marche  des 
lutteurs,  sont  tout  ce  qu'il  faut  conserver. 

Cet  acte  sera,  je  crois,  très  bien  fait  par  M.  Gossec.  Je  lui  ai  destiné 
cet  acte  parce  qu'il  a,  plus  que  tous  les  autres  auteurs,  beaucoup  d'habi- 
tude de  la  scène  :  il  faut  aussi  qu'il  n'ait  en  vue  que  la  réussite  de 
l'ouvrage,  sans  songera  son  amour  propre  particulier,  car  le  mérite  restera 
presque  en  entier  à  Rameau,  %t  par  cela  même  sa  besogne  est  la  plus 
difficile  et  la  plus  ingrate  de  tout  l'ouvrage. 

Troisième  acte.  M.  Piccinni. 

M.  Piccinni  sera  sûrement  satisfait  d'avoir  cet  acte  à  faire  en  entier;  il 
s'y  trouve  précisément  des  situations  où  cet  auteur  a  toujours  parfaitement 
réussi.  L'on  se  récriera  sans  doute  sur  ce  que  l'on  ne  conserve  point  le 
fameux  air  Présent  des  dieux,  mais,  n'en  déplaise  à  ses  partisants,  je  doute 
que  l'on  puisse  an  faire  un  plus  mauvais. 

Quatrième  acte.  M.  S.vcchini. 

L'acte  des  enfers  et  des  Champs-Elysées  sera  sûrement  bien  traité  par 
M.  Sacchini.  Il  seroit  à  souhaiter  qu'il  voulût  conserver  le  chœur  Brisons 
tous  nos  fers  et  la  gavotte  en  ré  du  divertissement  des  ombres  heureuses. 

Cinquième  acte.  M.  Grétry. 

Il  est  froid,  sans  intérêt,  et  fort  désagréable  à  faire.  Il  n'a  dû  son  succès 
qu'à  la  pompe  du  spectacle.  Ce  qui  peut  le  rendre  intéressant,  c'est  beau- 
coup de  variété  dans  les  airs  de  ballets.  M.  Grétry,  s'il  voviloit  s'en 
charger,  pourroit  nous  faire  espérer  de  terminer  agréablement  cet  ouvrage. 

II 

Rapport  que  lu  Comité  fait  au  Ministre  sur  ce  qui  s'est  passé  en  son  Assemblée 
du  six  décembre  I78i. 

Il  a  été  tait  lecture  d'un  mémoire  de  M.  Gossec  en  réponse  aux  propo- 
sitions qui  lui  ont  été  faites  de  retoucher  l'opéra  de  Castor. 

Le  Comité  a  été  unanimement  d'avis  que  les  recettes  de  cet  ouvrage 
étant  encore  une  preuve  trop  marquée  de  l'estime,  et,  pour  ainsi  dire, 
du  respect  dont  il  jouit  de  la  part  du  public,  il  n"était  pas  encore  tems 
de  risquer  cette  entreprise. 

Ces  pièces  se  trouvent  dans  un  des  cartons  provenant  des  archives 
de  l'Opéra  dont  le  fond  est  resté  aux  Archives  nationales  (0'  626). 

Il  y  aurait  de  la  naïveté  à  prendre  la  peine  de  discuter  les 
termes  impertinents  de  la  proposition  de  Morel.  Quelques  remarques 
s'imposent  cependant  au  moins  sur  l'ordonnance  même  de  cette 
partition,  le  chef-d'œuvre  de  Rameau  peut-être,  qu'on  voulait  si 
plaisamment  émonder.  Elle  comprend  dans  son  ensemble  un  pro- 
logue et  cinq  actes,  et  c'est  dans  le  prologue,  assez  court  et  tout 
mythologique,  que  se  trouvent  le  menuet  et  le  tambourin  auxquels 
le  censeur  veut  bien  faire  grâce  (à  la  rigueur),  et  où  l'Amour  chante 
la  jolie  phrase  :  «  Naissez,  dons  de  Flore  »,  que  l'on  entend  encore 
aujourd'hui  partout,  mais  avec  les  paroles  :  «  Dans  ces  doux  asyles  ». 
Or,  en  1784,  le  prologue  ne  se  jouait  plus  depuis  longtemps,  et  d'ail- 
leurs ce  n'est  pas  lui  qui  «  contient  tous  les  beaux  mouvements  de 
la  tragédie  ».  Alors,  qu'est-ce  que  ce  premier  acte  que  le  censeur  dit 
qu'il  «  est  le  plus  foible  de  l'ouvrage  de  Rameau?  »  —  Le  vrai  pre- 
mier acte,  lui,  contient  le  chœur  :  «  Que  tout  gémisse  »,  l'air  de 
Téla'ire  et  le  chœur  des  athlètes,  que  le  censeur  attribue  au  second 
acte.  Comme  ces  morceaux  font  d'ailleurs  à  peu  près  tout  l'acte 
il  faut  avouer  que  le  censeur  propose  en  efl'et  une  «  besogne  » 
aussi  «  ino-rate  »  que  «  difficile  »  à  Gossec,  en  lui  demandant  de  le 
transformer  tout  en  en  laissant  le  mérite  à  Rameau. 

Le  censeur  réprouve  avec  indignation  «  le  fameux  air  Présent  des 
Dieux  ».  Mais  qu'est-ce  que  cet  air?  Il  n'y  a  pas  trace  de  ces  paroles 


±20 


LE  MEiNESTKEL 


dans  la  partition.  Est-il  au  second  acle?  Cet  acte,  dans  le  temple  de 
Jupiler,  conlienl  d'aLord  de  belles  phrases  de  Pollux  :  «  Nature, 
amour,  qui  partagez  mon  cœur...  »,  puis  une  scène  entre  Pollux  et 
Télaïre,  un  air  du  grand  prêtre  et  l'apparition  de  Jupiter  et  sa 
grande  scène  avec  Pollux,  que  terminent  dos  chœurs  et  des  danses 
de  Plaisirs  célestes. —  Quant  au  troisième  acte,  il  représente  l'entrée 
de  Pollux  aux  Enfers;  les  larmes  de  Phébé,  son  amante,  et  les 
chœurs  furieux  des  démous  :  «  Brisons  tous  nos  fers  »,  tableau 
plein  de  vie  et  de  puissance  avec  lequel  contraste  très  heureusement 
le  suivant,  le  quatrième  acte,  où  se  trouve  le  divertissement  des 
Ombres  heureuses,  qu'absout  encore  le  censeur,  tout  en  jetant  par- 
dessus bord  un  air  de  Castor  :  «  Séjour  de  l'éternelle  paix  ».  et  la 
rencontre  émue  des  deux  frères,  —  Le  cinquième  acte,  enfin,  qu'il 
prétend  froid  et  sans  intérèl,  nous  amène  un  air  de  Phébé,  le  grand 
duo  de  Castor  et  de  Téla'ire  :  «  Castor,  et  vous  m'abandonnez'?...  » 
puis,  le  retour  de  Pollux  amené  par  Jupiter,  et  l'air  majestueux 
aux  sons  duquel  le  ciel  s'ouvre  pour  le  grand  divertissement  mytho- 
logique final. 

Tout  ce  beau  projet,  je  l'ai  dit,  échoua  donc,  comme  il  convenait. 
Mais  qui  pourrait  afïirmer  que  ce  fut  bien  le  respect,  —  sans 
parler  d'un  sentiment  artistique  quelconque  —  qui  arrêta  l'affaire, 
et  non  simplement  le  ridicule  de  la  proposition  ?  Car  l'idée  laissa  sa 
trace,  et  cette  histoire,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  a  eu  son  épilogue  peu 
d'années  après,  en  1791,  avec  le  Castor  et  Pollux  de  Candeille. 
Mais,  plus  avisée  cette  fois,  l'Académie  de  musique  abandonna  au 
musicien  le  livret  pour  le  reprendre  entièrement  à  son  compte  ;  elle 
lui  demanda  simplement  de  garder  les  deux  ou  trois  pages  princi- 
pales de  la  première  partition.  En  quoi  elle  savait  bien  ce  qu'elle 
faisait,  et  l'on  ne  saurait,  à  coup  sur,  l'accuser  de  sottise,  car  l'effet 
de  ces  pages  était  assuré  d'avance  et  elles  eurent  naturellement 
devant  le  public  leur  triomphe  accoutumé;  triomphe  d'autant  plus 
éclatant,  sans  nul  doute,  que  leur  entourage  nouveau  était  plus  paie. 
—  Candeille  en  bénéficia  d'ailleurs,  et  son  œuvre  eut  ainsi  un  gros 
succès  :  il  aurait  eu  mauvaise  grâce  à  se  plaindre  de  la  collaboration 
forcée! 

Mais  Rameau?  —  Eh  bien!  n'était-ce  pas  là  respect  insigne, 
déférence  émue  pour  sa  mémoire,  manière  éloquente  et  neuve  de 
faire  éclater  sa  gloire?...  JN"importe  !  le  vieux  maître,  au  fond  de 
sa  tombe,  n'en  a  pas  moins  dii  tressaillir  sous  le  soufîlet...  Ai-je 
eu  tort  déparier  de  vandalisme,  et  trouvera-t-on   le  mol  trop  vif? 

H.    DE    CURZON. 


NAPOLEON  DILETTANTE 


NAPOLÉON  ET  LA  DANSE 
(Suite.) 

Pour  le  ballet,  on  connaît  la  sollicitude  de  l'empereur  à  son  éo-ard, 
ainsi  que  ses  procédés  envers  le  personpel  dont  il  se  composait.  Les 
trois  Vestris,  pour  leur  part,  eurent  souvent  à  -se  louer  de  ses  bonnes 
grâces. 

Vestris  l,  le  Diou  de  la  Danse,  qui  ne  reconnaissait  que  trois 
grands  hommes  en  Europe  :  «  Frédéric,  roi  de  Prusse,  'Vollaire  et 
lui  »,  quitta  la  scène  de  l'Opéra  en  ITSL  II  s'aftligeait  de  voir  le 
grand  art  dégénérer  en  gambades  et  en  pirouettes.  Il  ne  reparut  que 
quatre  ou  cinq  fois  sur  la  scène  do  l'Opéra,  et  notamment,  dit  la 
Biographie  portative,  en  4800,  pour  le  début  de  son  petil-fils.  Cette 
représentation,  où  l'on  vit  figurer  trois  générations  de  "l'estris,  fut 
annoncée  pour  un  jour  où  le  premier  consul  devait  présider  une 
séance  de  l'Insti.ut.  On  l'avança  d'un  jour  afin  que  l'un  des  trois 
grands  hommes  du  XVIIP  siècle  ne  fût  pas  en  concurrence  avec  le 
plus  grand  homme  du  XIX=. 

Vestris  II  ou  Vestrallard  (il  était  fils  naturel  de  Vestris  et  de  la 
danseuse  Allard)  fut  encore  plus  fort  que  sou  père.  Il  effleurait  à 
peine  les  planches,  et  en  deux  enjambées  il  arrivait  du  fond  du 
théâtre  à  la  rampe.  <i  Si  .Augouste,  disait  le  père,  ne  craignait  pas 
d'houmiler  les  camarades,  il  resterait  toujours  en  l'air.» 

A  propos  des  dettes  que  faisait  ordinairement  Vestris  II,  le  père, 
très  économe,  lui  dit:  «  Mousu  Âugouste,  zo  suis  très  mécontent 
de  TOUS.  Ze  veux  bien  pour  celte  fois  payer  vos  dettes,  mais  n'y 
retournez  plous,  ou  ze  vous  ferai  renfermer  :  apprenez  que  ze  ne 
veux  point  de  Guéménée  dans  ma  famille.  »  Ceci  se  passait  en  1783, 
à  l'époque  de  la  fameuse   faillite  Rohan-Guéménée,  qui  engloutit  là 


fortune  d'un  grand  nombre  de  familles  appartenant  i  la  plus  haute 
noblesse. 

Dans  la  suite,  ce  même  Vestris  II,  loin  de  se  corriger,  fut  obligé, 
en  1802,  de  demander  une  permission  de  six  mois  pour  aller  en. 
Angleterre,  où  on  lui  offrait  1,300  guinées.  Ses  deltes  —  il  en 
avait  pour  'lO.OOO  francs  —  l'obligeaient  à  ce  déplacement.  Mais 
Bonaparte,  à  qui,  nous  le  savons,  tous  les  incidents  des  grands 
théâtres  étaient  soumis,  renvoya  la  requête  du  grand  danseur  au 
ministre  de  l'Intérieur,  en  lui  demandant  un  rapport  sur  les  dettes 
de  Vestris,  qu'il  paya,  en  ajoutant  de  sa  main  au  bas  de  l'état  :  «  Je 
désire  que  lorsqu'il  ne  jouera  plus,  il  lui  soit  accordé  une  pension 
convenable.» 

Gardel,  maître  de  ballet,  eut  également,  et  à  plusieurs  reprises, 
l'occasion  d'éprouver  la  faveur  du  maître,  mais  au  point  de  vue 
purement  professionnel.  Son  ballet  de  Pà/'w,  représenté  en  1804,  ren- 
fermait, dans  l'acte  du  Bain,  des  eifets  d'un...  naturalisme  assez 
prononcé,  pour  que,  sur  le  rapport  de  ses  inspecteurs,  Napoléon  ait 
cru  devoir  en  ordonner  la  suppression.  Mais  le  célèbre  mimographe, 
froissé  dans  sa  dignité  d'artiste,  en  appela  direclement  à  l'empereur, 
qui  voulut  se  rendre  compte  des  choses  de  visu,  ce  qui  le  fît  revenir 
sur  sa  décision.  Ciardel  lui  sut  gré  toute  sa  vie  de  cette  résolution, 
qui  sauvegardait  sa  renommée  et  ses  allures  correctes.  Car  il  était 
resté  l'homme  de  l'ancien  régime,  ne  paraissant  aux  répétitions  qu'en 
habit  noir,  avec  la  perruque  poudrée  â  frimas  et  l'épée  au  eôté. 
Pour  le  voir  passer,  les  artistes  et  les  élèves  formaient  la  baie  et 
s'inclinaient  profondément  devant  lui. 

Aimant  la  danse  comme  il  l'aimait,  on  peut  s'étonner  que  Napo- 
léon, même  jeune,  ne  se  soit  jamais  livré  à  ce  plaisir.  Peut-être 
même  mettra-t-on  celle  abstention  sur  le  compte  d'un  penchant  inné 
chez  lui  four  l'observance  d'une  étiquette  scrupuleuse?  Mais  il 
n'en  est  rien  :  la  vérité  est  que  Napoléon  ne  dansait  pas,  parce 
qu'il  n'avait  jamais  pu   apprendre  à  danser. 

A  la  Malmaison,  dans  de  petits  bals  qu'on  donnait  le  dimanche, 
il  s'émancipait  parfois  jusqu'à  risquer  une  contredanse  ;  mais  il  s'y 
montrait  fort  gauche  et  embrouillait  si  fort  les  figures,  que  José- 
phine le  priait  en  riant  de  n'inviter  personne  pour  les  danses  sui- 
vantes. Alors,  il  demandait  la  Monaco,  parce  qu'il  s'y  reconnaissait. 
«  L'empereur  avait  de  bonnes  raisons  pour  cela,  nous  apprend 
Marco  Saint-Hilaire,  parce  que  c'est,  de  toutes  les  contredanses,  ■ 
celle  où  la  figure  ne  varie  pas,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la 
fin.  » 

Au  bal  de  noces  de  M"°  Permon,  la  future  duchesse  d'Abrantès, 
Bonaparte,  premier  consul,  invité,  fut  pendant  quelque  temps  une 
cause  d'interruption.  Il  était  arrivé  au  milieu  d'une  danse,  et  tout 
le  monde  s'était  arrêté  pour  lui  faire  la  révérence. 

—  Je  vous  prie,  madame,  s'empressa-t-il  de  dire  à  la  mère  de 
M""  Junot,  faites  recommencer  la  danse;  il  ne  faut  pas  que  ma  pré- 
sence interrompe  un  des  passe-temps  que  préfèie  la  jeunesse.  On 
Ait  que  voire  tille  danse  comme  M"'^  Ghameroy;je  serais  bien  aise 
de  m'en  assurer.  Si  vous  voulez,  nous  danserons  ensemble  la  Mo- 
naco: c'est  la  seule  danse  que  je  connaisse.  » 

]\jme  Junot  s'exécuta  de  bonne  grâce,  bien  qu'elle  eût  un  certain 
dépit;  car  elle  ne  pouvait  oublier  que  dans  le  temps,  Bonaparte, 
général  de  brigade,  l'avait  demandée  en  mariage,  et  qu'elle  l'avait 
refusé.  Et  main  cnant,  voilà  qu'il  était  en  pleine  gloire.  On  pouvait 
même  pronostiquer,  à  son  ondroil,  un  avenir  qui,  sans  viser  les 
hauteurs  atteintes  depuis,  devait  assurer  à  une  femme  l'auréolei' 
d'une  célébrité  sans  partage...  Cette  sensation  se  reproduisit  peiiî' 
de  temps  après,  plus  intime  encore  et  plus  vive,  au  moment  du 
sacre. 

Mais  laissons  la  parole  à  la  duchesse  d'Abrantès  : 

«  Au  moment  où  Napoléon  descendit  de  l'autel  pour  retourner  à 
son  trône,  lorsque  le  clergé  et  toutes  ces  voi.x  enchanteresses,  choi- 
sies par  l'abbé  Rose  pour  chanter  son  Vivat,  entonnèrent  cet  hymne 
admirable,  mes  yeux  se  voilèrent  et  je  fus  tout  émue.  L'empereurJ 
dont  le  regard  d'aigle  parcourait  tout  ce  qui  était  autour  de  lui,  ma 
reconnut  dans  l'angle  de  la  travée  que  j'occupai.  L'expression  di| 
regard  qu'il  me  lança  est  impossible  à  rendre...  » 

Une  autre  prouesse  chorégraphique  de  Napoléon  se  rapporte  à  un 
grand  bal  militaire  donné  par  les  généraux  du  camp  de  Boulogne 
aux  dames  de  la  ville. 

«  L'orchestre,  nous  apprend  Constant,  était  composé  des  musiques 
de  vingt  régiments  qui  jouaient  à  tour  de  rôle.  Au  commeneemenl 
du  bal  seulement,  elles  exécutèrent  toutes  ensemble  une  marche 
triomphale,  tandis  que  les  aides  de  camp,  habillés  de  la  manière  la 
plus  galante  du  monde,  recevaient  les  dames  invitées  et  leur' 
donnaient  des  bouqr^ets.    » 


LE  MEi^LSlllEL 


2^1 


Pour  être  admis  à  ce  bal,  il  fallait  avoir  au  moins  le  grade  de 
commandant.  L'empereur  y  passi  une  heure,  et  dansa  la  Boulangère 
avec  M""  Bertrand.  Il  était  en  colonel  de  la  garde  à  cheval. 

M""  Soult,  la  reine  du  bal,  porlait  une  robe  de  velours  noir,  cons- 
tellée de  cailloux  du  Rhin. 

Et  comme,  en  France,  le  côté  gai  ne  perd  jamais  ses  droits,  Cons- 
tant remarqua  qu'au  souper  les  Boulonnaises  remplissaient  leurs  ridi- 
cules —  ce  précurseur  du  cabas  et  de  l'aumônière  —  de  débris  de 
f.nandiscs  et  de  tucreries,  le  plus  ouvertement  du  monde. 

Plus  tard,  en  mars  ■1810,  à  l'approche  du  mariage  avec  Marie- 
Louise,  dans  le  grand  salon  des  Tuileries,  la  princesse  Stéphanie, 
nièce  de  l'empereur,  lui  persuade  qu'il  devrait  apprendre  la  valse 
pour  plaire  à  sa  future,  qu'il  venait,  par  le  fait,  d'épouser  par  pro- 
curation, et  qu'il  attendait  impatiemment. 

Marco  Saint-Hilaire,  témoin  du  fait,  nous  le  raconte  :  Napoléon, 
pour  prendre  .'a  première  leçon,  enlace  do  ses  bras  la  taille  de  sa 
nièce  el  fait  quelques  pas  avec  elle,  en  fredonnant  la  fameuse  valse 
de  la  Reine  de  Prusse,  mais  à  peine  a-t-il  fait  assez  gauchement  deux 
ou  trois  tours  dans  le  salon  que  la  tête  lui  tourne  et  que,  n'y  voyant 
plus,  il  est  obligé  de  s'arrêter  et  de  s'appuyer  contre  une  console 
pour  ne  pas  tomber.  Mural,  l'ayant  aidé  à  s'appuyer,  lui  dit,  en  sou- 
riant : 

—  Sire,  en  voilà  bien  assez  pour  nous  convaincre  que  vous  ne 
serez  jamais  qu'un  mauvais  écolier.  Votr^i  Majesté  est  faite  pour 
donner  des  leçons  et  non  pour  en  recevoir. 

Constant  confirme  cet  épisode  de  la  première  valse  dansée  par  Na- 
poléon, et  !e  complète  d'une  façon  assez  pittoresque  : 

«  L'empereur  était  seul  avec  la  reine  Hortense  et  la  princesse  Sté- 
phanie. Celle-ci  lui  parla  do  valse,  i-t  Napoléon  lui  raconta  qu'à 
Brienne  il  n'avait  pu  supporter  le.s  étourdissements  causés  par  la 
valse.  —  Notre  maître  de  danse,  disait-il,  nous  avait  conseillé  de 
prendre,  pour  valser,  une  chaise  entre  nos  bras,  en  guise  de  dame. 
Je  ne  manquais  jamais  de  tomber  avec  la  chaise  que  je  serrais 
amoureusement  et  de  la  briser.  Les  rhaises  de  ma  chambre  et  celles 
de  deux  ou  trois  camarades  y  passèrent  l'une  après  l'autre...  C'est 
alors  que  Siéphanie  lui  offrit  d'être  la  chaise,  et  que  l'accident 
prévu  arriva.  » 

L'un  des  grands  plaisirs  de  Napoléon  était  le  bal  masqué.  Il  y  en 
avait  à  la  cour  ;  el,  de  plus,  du  temps  de  Joséphine,  le  ménage 
impérial  se  rendait  incognito  aux  bals  de  l'Opéra.  Un  jour  même, 
ils  se  perdirent  et  ne  se  retrouvèrent  que  chez  eux,  bien  que  l'impé- 
ratrice ait  intrigué  son  mari,  sans  le  savoir,  comme  la  chose  se 
trouva,  le  lendemain.  Puis,  les  courtisans  s'en  mêlant,  ce  ne  fut, 
pendant  quelques  hivers,  qu'une  succession  continue  de  bals  parti- 
culiers, oii  le  masque  était  de  rigueur.  Seulement,  l'empereur  ne  pou- 
vait y  conserver  son  incognito,  parce  qu'on  le  reconnaissait  facile- 
ment à  son  habitude  de  croiser  ses  mains  derrière  le  dos.  Une  nuit, 
il  y  eut  chez  la  princesse  Caroline  un  bal  d'après  la  Vestale.  On  y 
admira  fort  un  quadrille  de  prêtres  et  de  vestales,  auquel  succé- 
dèrent une  noce  suisse,  des  fiançailles  tj-rolienoes,  et  d'autres  scè- 
nes du  même  genre.  Pour  favoriser  des  imprévus  et  des  imbroglios, 
on  avait  installé  dans  le  palais  un  magasin  de  costumes,  oîi  les 
invités  pouvaient  eu  changer  plusieurs  fois. 

Grâce  à  ces  déguisements  variés,  l'empereur  espérait  reprendre 
son  incognito  ;  mais  ses  malheureuses  mains  le  trahissaient  toujours. 
Aussi  les  vrais  courtisans  ne  lui  ménageaient-ils  pas  les  insultes 
tolérées  sous  le  masque,  pour  lui  faire  croire  qu'on  ne  le  reconnaissait 
pas.  Un  soir,  chez  Cambacérès.  une  dame  lui  ayant,  sur  une  galan- 
terie qu'il  lui  avait  débitée,  dit  qu'il  y  avait  certaines  gens  à  faire 
mettre  h  la  porte,  parce  qu'ils  avaient  assurément  volé  leur  billet, 
il  fut  ravi  du  compliment  el  eu  lit  de  bon  cœur. 

Il  n'en  fut  pas  de  même,  dans  une  fête  à  Neuilly,  chez  le  comte 
Marescalchi,  secrétaire  d'État  du  royaume  d'Italie.  Napoléon,  en 
domino  noir,  y  fut  accosté  par  un  domino  rose  qui  lui  dit  tout 
bas  : 

—  Us  te  trahiront,  profite  de  tes  cinq  ans  de  fortune. 

Un  geste  de  l'empereur  effraya  le  masque,  qui  lâcha  la  main  de 
Napoléon  et  se  perdit  dans  la  foule. 

Depuis  ce  jour,  le  souverain,  vivement  frappé,  prit  en  aversion  les 
bals  masqués  qu'il  avait  tant  aimés.  Il  n'assistait  plus  qu'à  ceux 
des  Tuileries  ;  encore  s'y  faisait-il  surveiller  par  une  véritable  garde 
du  corps,  sous  les  ordres  de  Rovigo,  préfet  de  police. 

1809-1814!...  Le  domino  rose  avait  raison:  il  ne  lui  restait  plus 
que  cinq  ans  de  fortune. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paix  d'Estisée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Nouvelles  de  Londres  (9  juillet)  : 

Brillante  représentation  de  Carmen  samedi  dernier  à  Covent-Garden,  du 
moins  en  ce  qui  concerne  la  plupart  des  principaux  sujets.  Les  honneurs 
de  la  soirSe  reviennent  à  M.  Lassalle,  qui  a  été  un  Escamillo  tout  à  fait 
irréprochable.  Bien  que  n'ayant  pas  sacrifié  sa  barbe,  comme  l'année  der- 
nière, l'éminent  baryton  s'est  depuis  tout  à  fait  incarné  dans  le  rôle  du 
toréador,  et  il  l'a,  de  plus,  chanté  d'une  façon  vraiment  superbe.  Le  rôle  de 
José  n'est  pas  un  des  meilleurs  de  M.  Jean  de  Reszké,  qui,  du  reste,  se 
ressentait  encore  de  sa  récente  indisposition.  De  là,  un  peu  de  réserve 
dans  les  deux  premiers  actes,  quelques  notes  esquivées  ou  mal  venues. 
L'excellent  artiste  s'est  relevé  à  partir  du  troisième  et  il  a  trouvé  des 
accents  poignants  dans  la  scène  finale,  qui  lui  a  valu  un  beau  succès. 
M"'  Melba  chante  d'une  façon  charmante  le  rôle  de  Micaela.  M"«  Zélie 
de  Lussan  n'est  pas  en  progrès;  elle  a  au  contraire  pris  de  mauvaises 
habitudes  en  province,  et  elle  introduit  un  tas  de  variantes  de  sa  façon 
dans  le  rôle  de  Carmen,  qui  peut  certainement  s'en  passer.  Toucher  à  une 
pareille  création  lyrique  ne  serait  excusable  que  si  l'effet  produit  était 
artistique:  or,  ce  n'est  pas  le  cas  ici.  M""=  de  Lussan  a  une  fort  jolie  voix. 
Il  serait  bien  temps  qu'elle  se  mit  à  étudier  ses  rôles,  d'une  façon  défini- 
tive, avec  un  professseur  sérieux.  Les  petits  rôles  sont  mal  tenus  :  le 
même  artiste  double  Morales  et  Zuniga,  sans  avoir  assez  de  voix  pour  un. 
Ici  s'arrête  l'interprétation  française  de  l'ouvrage.  Les  deux  contreban- 
diers et  les  chœurs  ont  chanté  presque  invariablement  en  italien.  Le 
fameux  quintette  a  été  également  chanté,  ou  plutôt  massacré,  en  italien. 

Le  pire  coupable,  dans  le  cas  présent,  est  le  chef  d'orchestre,  M.Randegger, 
qui  a  donné  à  cette  page  géniale  un  mouvement  tout  à  fait  insensé. 
Quand  donc  aura-t-on,  à  Covent-Garden,  des  chefs  d'orchestre  en  commu- 
nion d'idées  avec  les  œuvres  qu'ils  sont  appelés  à  diriger? 

Montée  à  la  bâte,  la  reprise  de  Fidelio  n'offrait  pas  grand  intérêt  sous  le 
rapport  de  l'interprétation.  Seul,  M.  Plançon  s'est  taillé  un  vif  succès  dans 
le  rôle  de  Rocco,  qu'il  avait  appris,  en  italien,  en  quelques  jours. 

La  première  d'Oletlo  est  de  nouveau  annoncée  pour  samedi  prochain. 

La  représentation  de  gala  n'a  été  qu'un  beau  spectacle  hier  soir  à 
Covent-Garden.  La  partie  musicale  n'offrait  pas  grand  intérêt,  et  l'indispo- 
sition de  M.  Jean  de  Reszké  lui  a  encore  enlevé  un  de  ses  principaux 
attraits.  Le  fameux  ténor  n'a  chanté  que  le  duo  de  l'Ahuette,  en  français,  se 
faisant  remplacer  par  M.  Perotti  da.ns  Lohengrin  el  signor  Ravelli  (M.  Ravel) 
dans  tes  Huguenots.  Deux  débutants,  M.  Alec  Marsh  et  M.  Franceschetti, 
chantaient  au  pied  levé  les  rôles  de  Telramund  et  de  Nevers.  Détail  assez 
curieux  :  une  grande  partie  du  public  a  quitté  le  théâtre  avant  la  fin, 
devançant  ainsi  le  départ  des  personnages  officiels.  A.  G.  N. 

—  Un  de  nos  confrères  de  Bruxelles,  l'Éventail,  donne  en  ces  termes  la 
nouvelle  que  voici  :  «  Le  Rêve,  de  Bruneau,  sera  donné  à  la  Monnaie,  pen- 
dant le  cours  de  la  saison  prochaine,  sans  aucune  des  coupures  inintelli- 
gentes qu'il  a  fallu  faire  à  lOpéra-COmique,  afin  de  ne  pas  froisser  les 
philistins  qui  fréquentent  habituellement  ce  théâtre.  »  Il  parait  que  tous 
ceux  qui  ne  se  sont  pas  fortement  réjouis  à  l'audition  du  Rêve  (que  quel- 
ques-uns ont  irrévérencieusement  traité  de  cauchemar)  sont  des  «  philis- 
tins ».  Il  faut  croire  qu'il  n'y  a  pas  mal  de  philistins  à  Paris.  Notre  confrère 
s'en  consolera  en  entendant  le  Rêve  à  sou  tour.  Il  l'entendra,  et  il  l'enten- 
dra sans  coupures,  et  ce  sera  bien  fait  pour  lut. 

—  l'Opéra  de  Vienne  vient  de  publier  l'état  de  son  répertoire  pendant 
l'exercice  1890-1891.  L'auteur  le  plus  souvent  joué  a  été  Wagner  (41  re- 
présentations avec  dix  ouvrages);  M.  Massenet  a  eu  28  représentations  avec 
deux  ouvrages,  Manon  et  le  Cid  ;  Verdi,  16  représentations,  avec  cinq 
ouvrages;  Meyerheer,  IS  représentations  avec  quatre  ouvrages;  M.  Gounod, 
•14  représentations,  trois  ouvrages;  Mozart,  11  représentations,  quatre  ou- 
vrages ;  Gluck,  8  représentations,  trois  ouvrages;  Donizetti,  7  représenta- 
tions, trois  ouvrages;  "Weber  et  Halévy,  chacun  7  représentations;  Ros- 
sini,  6  représentations;  Beethoven,  Liszt,  M.  Ambroise  Thomas  et  Bizet, 
chacun  5  représentations.  L'ouvrage  qui  a  eu  le  plus  grand  nombre  de  re- 
présentations est  la  jI/oîîoîi  de  M.  Massenet,  2b  fois  ;  puis  viennent:  Caualleria 
riisticana,  22  fois  et  Loliengrin,  10  fois. 

—  Le  28"  congrès  de  l'Association  des  musiciens  allemands,  qui  s'est 
tenu  pour  la  première  fois  à  Berlin,  au  mois  de  juin,  n'a  pas,  à  beaucoup 
près,  répondu  à  l'attente  des  organisateurs.  On  avait  compté  sur  l'appui  da 
l'empereur,  sur  des  manifestations  grandioses,  sur  une  afUuence  exception- 
nelle, et  rien  de  tout  cela  ne  s'est  produit.  L'annonce  de  solistes  tels  qua 
M""»  Lily  Lehmann,  MM.  Joachim,  Kalisch,  d'Albert,  M™"  Carreno,  etc.,  n'a 
pas  suffi  à  attirer  le  public  berlinois,  habitué  à  entendre  ces  artistes  d'un 
bout  de  l'année  à  l'autre.  Une  nouvelle  composition  chorale  de  M.  Ger- 
nsbeim,  Ha/ir,  exécutée  par  la  société  Stern,  n'a  laissé  qu'une  impression 
douteuse  ;  il  en  a  été  de  même  pour  toute  une  séance  de  musique  de  cham- 
bre, qui  a  duré  trois  heures  sans  interruption.  Il  a  fallu  la  participation  de 
M.  Joachim  et  de  M"«  Garreûo  pour  donner  quelque  éclat  au  deuxième 
concert.  M.  Joachim  a  exécuté  le  concerto  pour  violon  de  Dvorak,  et 
M'"«  Carreno  un  concerto  d'un  jeune  compositeur  américain,  M.  Mas 
Dowell.  La  brillante  pianiste  a  su,  par  son  jeu  captivant  et  son  étincelanta 


LE  MENESTREL 


virtuosité,  secouer  la  torpeur  du  public  et  lui  arracher  bis  et  rappels.  Le 
succès  du  dernier  concert  a  été  pour  les  fragments  des  Troyens,  de  Berlioz, 
qui  ont  profondément  impressionné  l'auditoire.  Par  contre,  la  Kaiser-Marsch 
de  Wagner  a  été  écoutée  avec  la  plus  parfaite  indifférence,  ainsi  que  le 
constate  le  correspondant  d'un  journal  de  Leipzig.  Le  festival  avait  été 
précédé,  la  veille,  d'une  représentation  de  Tannhduser  à  l'Opéra  royal,  repré- 
sentation que  toute  la  presse  flétrit  d'un  blâme  unanime.  Les  membres  de 
l'Association  se  sont  donné  rendez-vous  pour  l'année  prochaine  à  Munich, 
en  se  souhaitant  mutuellement  meilleure  chance. 

—  Le  Conservatoire  royal  de  Dresde  vient  de  publier  son  rapport  pour 
l'année  scolaire  1890-1S91.  Le  chiffre  des  élèves  qui  ont  fréquenté  l'insti- 
tution pendant  cette  période  s'est  élevé  à  835,  soit  une  augmentation  de 
80  sur  l'exercice  précédent.  Les  classes  de  piano  ont  reçu  S29  élèves,  celles 
de  violon  126  et  celles  de  chant  109.  L'ensemble  de  l'enseignement  com- 
prenait -44  facultés.  Le  recensement  des  élèves  d'après  leur  nationalité 
accuse  :  SOI  saxons,  IbO  allemands  des  autres  états,  30  autrichiens, 
13  suisses,  46  anglais,  S  Scandinaves,  3  italiens,  1  français,  26 russes,  1  turc, 
1  roumain,  38  américains  du  nord,  6  américains  du  sud,  9  indiens  anglais, 
1  arabe,  2  africains  et  2  australiens. 

—  Voici  qui  n'est  pas  pour  réjouir  nos  wagnériens  les  plus  farouches, 
ceux  pour  qui  les  premières  œuvres  du  maître  ne  sont  maintenant  que 
du  «  vieux  jeu  »  et  qui  ne  veulent  voir  et  admirer  en  lui  que  l'auteur  de 
Tristan  et  Yseult,  de  Parsifal  et  de  l'Anneaxi  du  Nibelung.  Or,  sait-on  ce  qui 
se  passe  à  Berlin,  où  le  public  ne  saurait  sans  doute  passer  pour  être  hostile 
de  parti  pris  au  grand  musicien  saxon?  "Voici  comiaent  se  répartissent  ses 
ouvrages  pour  les  81  représentations  wagnériennes  qui  ont  été  données  au 
cours  de  la  dernière  année  théâtrale  :  Tannhduser,  29  représentations  ; 
Lohengrin,  24  ;  les  Maîtres  Chanteurs,  9  ;  le  Vaisseau  fantôme,  6  ;  Tristan  et 
Yseult,  4  ;  la  Valkiire,  4  ;  Wteingold,  2  ;  le  Crépuscule  des  dieux,  2  ;  et  Sieg- 
fried... 1!  Donc,  o3  soirées  consacrées  au  Tannhduser  et  Lohengrin,  contre 
28  partagées  entre  les  sept  autres  ouvrages.  D'où  il  appert  que,  même  à 
Berlin,  ce  ne  sont  pas  les  oeuvres  les  plus  rébarbatives  du  maître  qui 
obtiennent  le  plus  grand  succès.  Il  s'en  faut  de  tout.  Ajoutons  que  VObe- 
ron  de  Weber  prime  encore  la  plus  fortunée  des  œuvres  de  Wagner,  car 
il  a  été  joué  36  fois,  et  constatons  que  Carmen,  Mignon  et  Fra  Diavolo  font 
encore  assez  bonne  figure  sur  le  répertoire  du  théâtre  royal  de  Berlin. 

—  La  saison  lyrique  1890-1891  en  Scandinavie  :  A  l'Opéra-Royal  de 
Stockholm,  le  répertoire  de  cette  saison  s'est  composé  de  vingt-huit  œuvres, 
parmi  lesquelles  10  françaises,  9  italiennes  et  7  allemandes.  Viennent  en 
tête  la  Cavalleria  rusticana  avec  16  représentations  et  Mignon  avec  15.  A 
l'Opéra  de  Copenhague,  13  ouvrages  ont  été  offerts  au  public,  dont  3  fran- 
çais :  Mignon,  jouée  6  fois,  Fra  Diavolo,  5  et  les  Contes  d'Hoffmann,  2.  A 
l'Opéra  de  Christiania,  3  ouvrages  seulement,  tous  trois  français  :  le 
Domino  noir,  avec  22  représentations,  Carmen,  avec  13,  Faust,  avec  9.  Ces 
chiffres  sont  d'autant  plus  remarquables  qu'il  ne  s'agit  ici  que  de  reprises 
d'œuvres  depuis  longtemps  connues.  Et  si  le  nombre  des  pièces  est  bien 
restreint  à  Christiania,  les  cantatrices  norvégiennes  ont  pris  leur  revanche 
en  se  faisant  une  large  part  dans  l'interprétation  des  opéras  français  re- 
présentés à  Stockholm  cette  année;  en  effet,  quatre  d'entre  elles  s'y  sont 
produites  dans  Angèle  du  Domino  noir,  Carmen,  Mignon,  etc.,  dont  elles 
avaient  été  parfois  les  créatrices  en  Scandinavie. 

—  On  a  donné  avec  succès  au  théâtre  Goldoni,  de  Florence,  une  opérette 
nouvelle,  i  Quattro  Ruitici,  dont  le  sujet  est  tiré  d'une  comédie  de  Goldoni. 
La  musique,  écrite  sur  un  livret  de  M.  Pontecchi,  est  l'œuvre  d'une  «  com- 
positrice »,  la  maestra  Adolfa  Galloni.  Une  autre  maestra.  M"'  Teresa 
Guidi,  vient  de  terminer  un  opéra  sur  un  poème  intitulé  Don  Cesare  di 
Bazan,  de  M.  Francesco  Guidi,  auteur  déjà  d'une  Regina  di  Cipro  et  d'un 
Birraio  di  Preston,  dont  l'invention  n'a  pas  dû  lui  coûter  beaucoup,  sans 
doute. 

—  La  petite  ville  de  Fontanetto,  en  Piémont,  vient  de  rendre  à  un  ar- 
tiste illustre,  à  l'admirable  violoniste  Viotti,  un  hommage  assurément 
légitime  et  dix  fois  mérité.  La  Société  ouvrière  de  cette  ville  a  fait  placer 
récemment,  sur  la  façade  de  la  maison  où  il  est  né,  une  pierre  commé- 
morative  portant  cette  inscription  : 

In  quesla  casa 
Il  23  Maggio  1753 
nasceva 
G.  B.  Viotti 
violinista 
La  Societa  Operaia 
Addi  31  Giugno  iS9i 
Pose 
Durant  les  modestes  fêtes  que  le  municipe,  la  Société  ouvrière  et  quelques 
particuliers  à  la  tête  desquels  se  trouvait  le  docteur  Faldella,  avaient  pré- 
parées à  cette  occasion,  M.  Caligari  a  prononcé  un  bel  éloge  de  Viotti.  Au 
banquet  qui,    selon  la  coutume,   faisait  partie    du   programme  artistique 
M.  Faldella  prit  la  parole   et    se  réjouit  avec  les  ouvriers    de  Fontanetto 
de  la  gracieuse  pensée  qu'ils  avaient  eue  de  rappeler  i  la  postérité  le  nom 
d'un  «    si  vaillant  ouvrier  de  l'art,  »  auquel  l'Italie  doit    une  si  grande 
gloire.  Pendant  le  hanquet  arrivèrent  des  télégrammes  de  MM.  Di  Collo- 
biano  et  Lucca,  députés  du  collège,  des  sénateurs  Guala,  Verga  et  Bertole- 
Viale,  et  de  la  comtesse  Franchi  Verney,  c'est-à-dire  la  violoniste  ïeresina 
Tua. 


—  Le  théâtre  ApoUo,  de  Madrid,  vient  de  remporter  un  énorme  succès 
avec  une  zarzuela  nouvelle,  Trafalgar,  paroles  de  M.  Javier  Burgos,  musique 
de  M.  Jimenez,  décors  de  MM.  Bussato  et  Fontana,  jouée  pour  les  rôles 
principaux  par  W..  Julian  Bomea  et  M"'»  Gorriz  et  Romero.  La  presse 
espagnole  est  enthousiaste  au  sujet  de  cet  ouvrage,  et  elle  nous  apprend 
que  le  premier  soir,  le  poète,  le  musicien,  les  peintres,  les  artistes  ont 
été  rappelés  plusieurs  fois  sur  la  scène.  Il  n'y  manquait  que  les  machinistes. 

—  On  prépare,  dans  un  des  théâtres  de  Lisbonne,  la  première  représen- 
tation d'une  opérette  nouvelle,  intitulée  0  burro  do  sr.  Alcaide,  dont  les 
paroles  ont  pour  auteurs  MM.  Gervasio  Lobalo  et  Joao  de  Camara  et  la 
musique  M.  Lyriaco  de  Cardoso. 

—  Encore  une  tentative  originale  à  l'actif  des  Américains.  Celle-ci  a 
pour  instigatrice  miss  Amy  Fay,  de  Chicago,  qui  après  avoir  été  une  pia- 
niste distinguée  et  une  femme  de  lettres  dont  les  écrits  sur  la  musique  sont- 
fort  appréciés,  veut  à  présent  consacrer  ses  efforts  au  relèvement  de  l'art 
chorégraphique.  Dans  ce  but,  elle  vient  de  donner  au  Ghickering  Hall,  de 
New-York,  un  concert-conférence  où  les  auditions  de  piano  alternaient 
avec  des  danses  exécutées  par  miss  Hélène  Willis,  qui  s'intitule  «  danseuse 
d'après  la  méthode  de  Delsarte.  »  On  sait  que  ce  célèbre  esthéticien  consi- 
dérait le  corps  humain  comme  le  voile  de  l'esprit  et  que  la  base  de  son 
enseignement  était  fondée  sur  cette  théorie  unique  :  Pour  atteindre  la  per- 
fection dans  le  beau,  il  faut  que  nos  facultés  et  nos  fonctions  physiques 
se  fondent  avec  nos  facultés  et  nos  fonctions  morales  et  intellectuelles.  » 
C'est  l'application  chorégraphique  de  cette  théorie  que  miss  Willis  est 
venue  exposer  aux  yeux  du  public  convoqué  par  miss  Fay  à  Ghickering 
Hall,  avec  un  succès  que  la  presse  de  New-York  a  été  unanime  à  constater. 
On  lui  a  bissé  le  pas  de  Naïla  dans  la  Source  (de  Delibes)  et  une  danse 
espagnole  de  Sliasny.  Miss  Fay  compte  introduire  son  innovation  dans  les 
grands  concerts  symphoniques  et,  par  là,  rendre  indissoluble  l'union  du 
rythme  et  de  la  mélodie. 

—  Nous  laissons  au  Musical  Standard  la  responsabilité  de  ce  qui  suit  : 
«  Parmi  les  merveilles  de  l'Exposition  de  1802-93  à  Chicago,  figurera  une 
pièce  mécanique  représentant  M'"'^  Patti  en  grandeur  naturelle.  Les  gestes, 
le  sourire  et  les  mouvements  musculaires  du  visage  particuliers  à  la  diva 
seront  reproduits  automatiquement  par  un  procédé  d'électricité.  A  l'inté- 
rieur de  la  pièce,  sera  dissimulé  un  phonographe  muni  de  clichés  ayant 
enregistré  la  voix  de  la  cantatrice.  Les  visiteurs  de  l'Exposition  seront 
donc  à  même  d'entendre  M^^  Patti  à  tout  instant  de  la  journée.  » 

PARIS   ET    DEPiRTEIIIENTS 

Voici  les  résultats  des  concours  à  huis  clos,  dont  la  série  s'est  con- 
tinuée cette  semaine  au  Conservatoire  : 

Harmonie  (femmes).  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Ernest  Guiraud, 
Théodore  Dubois,  Fissot,  Marty,  Pierné,  Raoul  Pugno,  Taudou,  F.  Thomé. 

1"'  prix  :  M"=  Thouvenel. 

3«s  prix  :  M"==  Renié  et  Laville. 

1'^'  accessit  :  M"=  Alexandre. 

2=  accessit  :  M""  Robert-Bellevaut. 

Toutes  élèves  de  M.  Ch.  Lenepveu.  Les  concurrentes  étaient  au  nombre 
de  10. 

Fugue.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Benjamin  Godard,  Fissot, 
Dallier,  Raoul  Pugno,  Taudou,  Paul  Vidal,  Widor. 

I"''  prix  :  M"'-  Jaëger  et  M.  Bûsser,  élèves  de  M.  Ernest  Guiraud. 

2=  prix  :  M.  Briouse,  élève  d'abord  de  Léo  Delibes,  puis  de  M.  Théodore 
Dubois. 

y»'  accessit  :  M""  Jeanne  Rivinach,  élève  de  M.  J.  Massenet. 

2"  accessit  :  M.  Maurel,  élève  de  M.  Ernest  Guiraud. 

L'épreuve  réunissait  15  concurrents  et  concurrentes,  et  l'on  voit  que  ces 
dernières  n'ont  pas  manqué  de  se  distinguer  comme  elles  le  font  depuis 
quelques  années  dans  ce  concours,  qui  couronne  superbement  la  série  des 
grandes  études  théoriques  musicales.  On  a  remarqué  d'ailleurs  avec  raison 
que  le  premier  prix  de  fugue  décerné  à  une  femme  n'est  pas  une  nouveauté 
dans  la  classe  de  M.  Guiraud  :  c'est  la  quatrième  fois  que  ce  prix  d'ordre 
supérieur  est  remporté  par  une  des  élèves  de  ce  professeur.  Quant  à 
M"«  Jaëger,  couronnée  cette  fois,  elle  a  fait  toute  son  éducation  au  Con- 
servatoire; elle  y  est  entrée  enfant,  il  y  a  une  douzaine  d'années,  et  elle 
a  obtenu  tous  les  premiers  prix  des  cours  qu'elle  y  a  suivis. 

Piano,  classes  préparatoires  (femmes).  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas, 
Th.  Dubois,  Delaborde,  Alphonse  Duvernoy,  Fissot,  Emile  Bernard,  P.  V. 
de  la  Nux,  I.  Philipp,  Raoul  Pugno. 

'/™s  médailles  :  M"'-=  C.  Bonnard,  Belville,  Rheims,  élèves  de  M°"'Ghéné; 
Mezard,  Jacquinot,  Boissée,  élèves  de  M™»  Tarpet. 

2"'  médailles  :  M""*  Heidet,  Ruckert,  élèves  de  M""*  Chéné;  Roux.  Sola- 
coglu,  Bourgeois,  élèves  de  M™'  Tarpet. 

3"s  médailles  :  M"«*  Paltot,  Oberlé,  élèves  de  M"i«  Chéné;  Bailé,  élève 
de  M""'  Tarpet;  Pennetot,  élève  de  M"""  Trouilleberl;  Rennessou,  Trevis 
et  Laugé,  élève  de  M"'"  Chéné. 

Les  concurrentes  étaient  au  nombre  de  23.  Le  morceau  d'exécution  était 
le  2=  concerto  de  Field;  le  morceau  à  déchiffrer  avait  été  écrit  par  M.  Henri 
Fissot. 

Violon,  classes  préparatoires.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Charles 
Dancla,  Sauzay,  Maurin,  Madier  de  Montjau,  Ferrand,  Gastinel,  Hayot, 
Pénavaire. 


LE  MENESTREL 


223. 


/■■es  médailles  :  U"<^  Roussillon,  Périgot,  élèves  de  M.  Bérou;  M.  Fleur- 
delys,  élève  de  M.  Desjardins. 

^^ médailles:  M.  Bosc,  élève  de  Bérou;  M.  Touche,  M»"  Linder  et  M.  Mar- 
tinet, élèves  de  M.  Desjardins. 

3«  médailles  :  M""  Grigné,  élève  de  M.  Desjardins,  et  M.  Sachiari,  élève 
de  M.  Bérou. 

17  concurrents  des  deux  sexes. 

Piano  préparatoire  (hommes).  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  Théodore 
Dubois,  Diémer,  Gh.  de  Bériot,  Mangin,  Auzende,  Th.  Lack,  Charles  René, 
Fr.  Thomé. 

4^  médaille  :  M.  Ravel,  élève  de  M.  Anthiome. 

2»  mérfuitos  :  MM.  Cortot,  Galton,  élèves  de  M.  Decombes;  Hobichon, 
élève  de  M.  Anthiome. 

3'  médaille:  M.  Ringsdorff,  élève  de  M.  Anthiome. 

Orgue  et  improvisation  :  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  E.  Guiraud, 
Th.  Dubois,  Fissot,  Gigoul,  Dallier,  Pierné,  R.  Pugno  et  Salomé. 

t<"  prix  :  M.  Tournemire. 

Pas  de  second  prix. 

4"  accessit  :  M.  Berger. 

2»  accessit  :  MM.  Vierne  et  Bouval. 

Tous  les  élèves  récompensés  font  partie  de  la  classe  de  M.  Ch.-M.  Widor, 
tenue  antérieurement  par  César  Franck. 

—  Voici  la  liste  des  élèves  qui  prendront  part  aux  concours  de  chant, 
avec  les  titres  des  ouvrages  dans  lesquels  ils  se  feront  entendre  : 

Concours  des  hommes.  —  1.  M.  Barthet  (élève  de  M.  Barbot),  cavatine  de 
Za'irc  ;  2.  M.  Bérard  (M.  Duvernoy),  le  Valet  de  chambre  ;  3.  M.  Grimaud 
(M.  Warot),  le  Bal  masqué  ;  i.  M.  Victor  Petit  (M.  Archaimbaud),  Œdipe  à 
Colone  ;  S.  M.  Cadio  (M.  Boulanger),  Iphigénie  en  Aulide  ;  6.  M.  Silvestre 
(M.  Archaimbaud),  les  Saisons,  de  Massé  ;  7.  M.  Périer  (M.  Bussine), 
Othello:  8.  M.  Albert  Petit  (M.  Duvernoy),  Iphigénie  en  Aulide;  9.  M.  Villa 
(M.  Archaimbaud),  les  Abencérages  :  10.  M.  Montégut  (M.  Barbot),  le  Chalet  ; 
H.  M.  Artus  (M.  Crosti),  le  Siège  de  Corinthe  ;  12.  M.  Nivette  (M.  Duvernoy), 
Sardanapale ;  13.  M.  Dufour  (M.  Bax),  Richard  Cœur  de  Lion;  14.  M.  Castel 
(M.  Bax),  Iphigénie  en  Tauride  ;  lo.  M.  Ghasne  (M.  Bussine),  le  Siège  de  Co- 
rinthe ;  10.  M.  Commène  (M.  Boulanger),  les  Abencérages  ;  17.  M.  David 
(M.  Warot),  Roméo  et  Juliette;  18.  M.  Chassaing  (M.  Warot),  les  Abencérages  ; 
19.  M.  Delpouget  (M.  Duvernoy),  le  Bravo. 

Concours  des  femmes.  —  1.  M"»^  Mèdart  (élève  de  M.  Barbot),  Hamlet  ; 
2.  Solange  (M.  Archaimbaud),  le  Serment  ;  3.  Mathieu  (M.  Archaimbaud), 
Robert  le  Diable;  i.  Joudeleski  (M.  Barbot),  fe  Bal  masqué;  S.  Vautrin 
(M.  Barbot),  le  Pardon;  6.  Pacary  (M.  Warot),  le  Freischiitz  ;  7.  Jeniez 
(M.  Archaimbaud),  Lucie:  S.  Blanckaert  (M.  Duvernoy,  la  Flûte  enchantée; 
9.  Guillou  (M.  Warot),  la  .luive  :  10.  Crehange  (M.  Bussine),  Ernani; 
11.  Giovanetti  (M.  Duvernoy),  la  Flûte  enchantée;  12.  Brelay  (M.  Crosti),  les 
Huguenots;  13.  Issaurat  (M.  Duvernoy),  Fidelio  ;  14.  Audran  (M.  Archaim- 
baud), les  Saisons  ;  13.  Selma  (M.  Warot),  Fidelio;  16.  Hanez  (M.  Barbot), 
Ernani;  17.  Desparsac  (M.  Bax),  Alceste  :  18.  Wyns  (M.  Crosti),  la  Reine  de 
Chypre;  19.  Thommerel  (M.  Bussine),  Mdise ;  20.  Cléry  (M.  Bussine),  le  Frei- 
schiitz ;  21.  Lemeignan  (M.  Warot),  Hamlet;  22.  Michel  (M.  Crosti),  h  Fée 
auj;  roses  ;  23.  Cru/.oac  (M.  Barbot),  les  Huguenots;  24.  Brillant  (M.  Duver- 
noy), il  Crociatio  ;  23.  Morel  (M.  Boulanger),  Lalia-Roukli  ;  26.  Laisné 
(M.  Boulanger),  le  Comte  Ory. 

—  Au  Conservatoire  de  musique,  un  cours  de  physiologie  et  d'hy- 
giène de  la  voix  vient  d'être  créé.  C'est  le  docteur  Gougenheim,  médecin 
du  Conservatoire  depuis  de  longues  années,  qui  est  chargé  de  cet  ensei- 
gnement. 

—  Nous  n'avons  malheureusement  pas  de  nouvelles  satisfaisantes  de 
la  santé  de  M.  Gounod.  Le  maitre  est  toujours  à  Saint-Cloud,  toujours  au 
lit,  toujours  souffrant  de  la  maladie  de  cœur  dont  il  est  atteint  et  qui 
l'affaiblit  considérablement.  Les  médecins  lui  interdisent  toujours  de  rece- 
voir des  visites,  qui  ne  pourraient  que  le  fatiguer  inutilement,  et  lui 
recommandent  un  repos  complet  et  absolu.  Nous  faisons  des  vœux  pour  le 
rétablissement  de  l'illustre  malade. 

— En  annonçant,  ce  qui  est  déjà  assez  douteux,  que  M.  Massenet  travaillait 
à  un  opéra  intitulé  .img  Robsart,  dont  le  sujet  était  tiré  d'un  roman  de 
Walter  Scott,  le  Château  de  Kenilwm'th,  un  reporter  en  peine  de  nouvelles 
disait  ces  jours  derniers  :  «  Or,  sait-on  que  le  premier  opéra-comique  en 
trois  actes  dû  à  la  collaboration  d'Auber,  de  Scribe  et  de  Mélesville  est 
précisément  intitulé  :  Am%j  Robsart  ?  Il  n'eut  d'ailleurs  qu'un  médiocre  succès. 
Heureusement  que  les  auteurs  étaient  des  hommes  d'esprit  qui  prirent 
maintes  fois  leur  revanche  par  la  suite.  »  Quelques-uns  de  nos  confrères 
ont  reproduit  cette...  découverte;  d'autres  se  sont  méfiés,  mieux  avisés. 
C'est  qu'en  effet,  jamais  Scribe  et  Auber  n'ont  écrit  d'opéra  sous  ce 
titre  d'Amy  Robsart,  qni  n'a  d'ailleurs  jamais  été  celui  d'aucun  ouvrage 
lyrique. 

^-  La  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique,  si 
excellemment  dirigée  par  M.  Victor  Souchon,  vient  de  perdre  pour  la  troi- 
sième fois  en  Angleterre,  devant  la  «  Cour  suprême  »,  le  procès  qu'elle 
avait  malencontreusement  engagé  contre  un  chef  d'orchestre  de  Brighton. 
Toujours  des  dépens  au  compte  de  la  Société  et,  au  bout  de  tout  cela,  la  dé- 


nonciation de  la  convention  de  Berne  par  l'Angleterre,  en  1892.  Voilà  de 
la  jolie  besogne.  Et  dire  que,  non  corrigé  par  l'expérience,  on  se  dispose 
à  commencer  une  campagne  semblable  en  Allemagne.  C'est  beau,  l'intel- 
ligence et  l'activité! 

—  Sait-on  quels  sont  les  instruments  préférés  des  souverains  et  princes 
régnants?  La  reine  des  Belges  est  une  harpiste  remarquable;  la  reine 
d'Italie,  outre  son  talent  de  chanteuse  et  de  pianiste,  pince  avec  grâce 
de  la  mandoline  ;  presque  toutes  les  princesses  anglaises  touchent  du 
piano;  la  princesse  Béatrice  joue  de  l'harmonium  avec  une  rare  maestria; 
leczar  de  toutes  les  Russies  joue  volontiers  les  instruments  de  cuivre  et 
gratte  du  banjo  ;  la  reine  Victoria  et  sa  lille  Lucy  jouent  fort  bien  de 
l'orgue  ;  le  prince  de  Galles  est  d'une  virtuosité  peu  commune  sur  le 
banjo;  la  princesse,  sa  femme,  est  une  pianiste  distinguée;  la  flûte  charme 
les  loisirs  du  duc  de  Connaught  ;  le  violon  est  l'instrument  préféré  du 
duc  d'Edimbourg;  le  prince  Henri  de  Prusse  compose  et  joue  du  piano 
et  du  violon;  l'impératrice  du  Japon  est  une  virtuose  sur  le  koto,  espèce 
de  harpe,  qui  est  l'instrument  national  de  ses  sujets  ;  la  reine  Elisabeth 
de  Roumanie  joue  habilement  du  piano  et  de  la  harpe;  enfin,  le  roi 
Georges  de  Grèce  s'applique  aux  expériences  acoustiques  avec  des  cloches 
et  des  verres  et  obtient  des  effets  extraordinaires;  il  touche  aussi  du 
cymbalum,  l'instrument  des  Tsiganes  de  la  Hongrie. 

—  M.  Henri  Lavoix,  à  qui  ses  importantes  fonctions  administratives 
n'ont  enlevé  ni  le  sentiment  de  l'art,  ni  le  goût  des  travaux  qui  s'y  rat- 
tachent, vient  de  publier,  dans  la  Bibliothèque  de  l'enseignement  des 
beaux-arts  (Quantin,  éditeur),  un  nouveau  volume  qui  a  pour  titre  et  pour 
objet  la  Musique  française.  Ce  nouveau  volume  est  comme  une  sorte  de 
complément  indirect  à  celui  que  sous  ce  titre  :  Histoire  ds  la  musique,  il 
avait  donné  précédemment  dans  la  même  collection.  L'ensemble  produit 
par  la  réunion  de  l'un  et  de  l'autre  forme  ainsi,  dans  une  étendue  res- 
treinte, comme  un  manuel,  un  précis  aussi  net  et  aussi  complet  que 
possible  de  l'histoire  générale  de  la  musique  chez  les  peuples  européens. 
Ainsi  condensée  dans  le  court  espace  des  trois  cents  pages  illustrées  du 
livre  que  M.  Lavoix  vient  de  mettre  au  jour.  l'histoire  si  intéressante  et  si 
substantielle  de  la  musique  française  se  présente  au  lecteur  dans  toute  la 
grâce  et  toute  la  fraîcheur  de  cet  art  que  nos  artistes  ont  su  rendre  si 
charmant,  si  expressif  et  si  personnel,  quoi  qu'en  aient  pu  dire  certains 
détracteurs  maladroits  ou  intéressés.  C'est  avec  un  vif  plaisir  que,  pour 
ma  part,  moi  qui  n'ai  jamais  cessé  de  prendre  en  mains,  en  toute  occa- 
sion, la  cause  de  l'art  national  et  de  ceux  qui  depuis  si  longtemps  l'ont 
porté  à  un  haut  point  de  splendeur,  j'ai  vu  M.  Lavoix  le  défendre  et  le 
rehausser  aux  yeux  de  tous  avec  une  ardeur  et  une  chaleur  de  conviction 
tout  à  fait  communicatives.  Nous  avons,  en  vérité,  sans  courir  le  risque 
d'être  injustes  envers  nos  émules  et  nos  rivaux,  le  droit  d'être  fiers  de 
notre  musique  et  de  nos  musiciens,  et  ceux  qui  liront  le  livre  dont  je 
parle  y  trouveront,  accumulées,  les  preuves  de  la  grandeur  de  l'une  et  du 
génie  des  autres.  Que  sur  quelques  points  de  détail  on  se  trouve  parfois 
avec  l'auteur  en  un  léger  désaccord,  cela  n'a  rien  qui  doive  surprendre, 
certains  sentiments  différant  toujours,  au  moins  en  leurs  nuances,  selon 
les  individus.  Mais  au  point  de  vue  général,  nul  ne  peut  nier  que  le 
tableau  tracé  par  M.  Lavoix  ne  soit  très  exact, et  très  fidèle,  en  même 
temps  que  tout  à  l'honneur  de  notre  pays.  En  dehors  de  sa  valeur  propre, 
la  Musique  fraru;aise  acquiert  un  attrait  particulier  par  les  nombreuses 
illustrations  dont  elle  est  ornée,  illustrations  toutes  documentaires,  con- 
sistant en  reproductions  de  neumes,  estampes  allégoriques  ou  historiques, 
décorations  théâtrales,  portraits,  autographes,  cho-^sis  et  réunis  avec  le 
plus  grand  soin.  Cela  complète  et  agrémente  le  volume  de  la  façon  la  plus 
heureuse.  A.  P. 

—  .Académie  de  musique  de  Lille,  succursale  du  Conservatoire  de  Paris,  tel  est 
le  titre  d'un  livre  de  M.  A.  Gaudefroy,  qui  vient  de  paraître  à  Lille,  à  la 
librairie  Quarré.  C'est  l'histoire  d'un  des  premiers  conservatoires  créés  en 
France  à  la  suite  de  celui  de  Paris,  car  sa  fondation  remonte  à  l'année 
1801.  Il  est  même  juste  de  faire  remarquer  que  le  premier  projet  d'une 
école  de  musique  à  Lille,  projet  dû  à  la  Société  du  Grand  Concert  de  cette 
ville,  date  de  1785,  et  que  les  événements  politiques  en  retardèrent  seuls 
la  réalisation.  On  sait  qu'aujourd'hui,  et  depuis  longtemps  déjà,  l'Académie 
de  musique  de  Lille  est  une  de  nos  écoles  départementales  les  plus  flo- 
rissantes. Érigée  en  1826  en  succursale  du  Conservatoire  de  Paris,  et 
dirigée  pendant  un  demi-siècle  par  une  commission  spéciale,  elle  a  eu 
pour  directeurs,  depuis  sa  réorganisation  en  1832,  Toury,  Henri  Cohen, 
V.  Magnien  et  M.  Ferdinand  Lavainne,  aujourd'hui  encore  en  exercice. 
L'euseignementy  est  complet  et  fortement  organisé.  Le  livre  de  M.  Gaude- 
froy, fait  avec  soin,  à  l'aide  de  documents  officiels  dont  un  grand  nombre 
sont  reproduits,  en  retrace  fidèlement  l'historique.  Il  se  termine  par  une 
série  de  notices  biographiques  sur  les  principaux  élèves  qui  sont  sortis 
de  l'école  et  où  nous  remarquons  les  noms  de  M""=  Iweins-d'Hennin,  de 
M"=s  Louise.Lavoye,  Rouvroy,  Simonnet,  de  M""  Landouzy,  et  de  MM.  Edouard 
Lalo,Th.  Semet,  Franchomme,  Obin,  Riquier-Delaunay,  Clément  Broutin, 
Gustave  Charpentier,  Sinsoilliez,  Ferdinand  Lavainne,  Victor  Delannoy, 
etc.  C'est  le  premier  ouvrage  aussi  important  que  nous  voyons  consacrer 
à  une    de  nos  grandes  écoles  musicales  de  province.  A.  P. 

—  M"""  Marchesi  a  quitté  Paris  dimanche  dernier,  se  rendant  à  Bade. 
L'éminent  professeur  sera  de  retour  dès  le  premier  septembre,  pour 
reprendre  ses  cours  et  ses  leçons. 


LE  MENESTREL 


—  La  Société  nationale  d'encouragement  au  bien  (section  de  l'instruction  et 
lie  l'éducation)  vient  de  décerner  une  médaille  d'honneur  à  la  Chanson  des 
Écoles,  le  joli  petit  recueil  illustré  de  MM.  Frédéric  Bataille  et  Paul  Rou- 
gnon,  où  l'on  trouve  tous  les  vieux  airs  de  nos  campagnes  adaptés  sur 
des  poésies  charmantes  et  moralisatrices.  Ce  petit  livre  en  est  d'ailleurs 
à  sa  2^'  édition.  Le  premier  tirage  de  5,000  exemplaires  a  été  enlevé  en 
quelques  mois. 

—  Académie  de  musique  de  Toulouse.  Concours  de  1891.  L'Académie, 
réunie  en  Assemblée  générale,  a  décerné  les  récompenses  suivantes  : 
N"  1.  Elégie,  mention.  C'est  li  soir,  par  M.  0.  Rigot  (Epernay).  —  N"  2. 
Concerto,  pour  piano  et' orchestre,  pas  de  récompense.  —  N"  3.  Choeur 
avec  orchestre,  2=  prix,  Patrie,  par  M.  Paul  Marthe  (Clermont-Ferrand); 
mention,  Marche  romaine,  par  M.  Giboux  Battmann  (Dijon).  —  N"  i.  SÉnÉ- 
NADE,  une  œuvre  'aurait  mérité  un  1"  prix,  l'Assemblée  a  du  le  refuser, 
l'auteur  n'étant  pas  resté  dans  les  limites  du  programme.  —  N°  5.  Duo 
pour  voix  do  femmes,  2^'  prix,  à  l'unanimité,  Sotei(,  par  M.  E.  Ratez  (Paris); 
P"  mention,  Sommeil  de  l'iniiocenev,  par  M.  l'abbé  Boyer  (Bergerac);  i'^  men- 
tion, Siriiis,  par  M.  0.  Gourgues  (Paris).  —  N°  6.  Polonaise  pour  musique 
d'harmonie,  1"  prix,  Sélika,  par  M.  A.  Fouquet  (Mamers)  ;  2'^  prix,  Viiam 
impendere  vero,  par  M.  Paul  Marthe  (Clermont-Ferrand).  —  N"  7.  LinnETïO 
diopéra-comique,  2'  prix,  Aristomenès,  par  M.  Terrier  (Alger);  mention,  la 
Léyende  de  Castelnoir,  par  M.  de  Beltout  (Hérault);  mention,  le  Racoleur, 
par  M.  E.  Lambert  (Toulouse).  La  distribution  des  prix  et  le  concert  où  seront 
exécutées  les  œuvres  couronnées,  auront  lieu  dans  le  courant  de  novembre. 
Les  manuscrits  couronnés  resteront  au  siège  de  l'Académie  jusqu'à  cette 
date.  Les  épigraphes  des  autres  manuscrits  ne  devant  pas  être  ouvertes, 
les  auteurs  voudront  bien  réclamer  leur  œuvre  en  envoyant  le  montant 
des  frais  de  retour.  L'Académie  décline  toute  responsabilité  pour  les  ma- 
nuscrits qui  ne  seraient  pas  retirés  avant  le  31  décembre  1891. 

—  A  Nice,  on  vient  de  placer  une  plaque  de  marbre,  avec  une  inscrip- 
tion commémorative  en  italien,  sur  la  maison  où  mourut,  en  1840,  l'incom- 
parable violoniste  Isioolo  Paganini.  L'inscription  italienne  dit  que  «  au 
déclin  du  vingt-septième  jour  de  mai  1840,  l'esprit  de  Nicolo  Paganini 
est  retourné  se  confondre  aux  sources  de  l'éternelle  harmonie.  L'archet 
puissant  aux  notes  magiques  git,  inerte,  mais  la  douceur  suprême  en  vit 
encore  dans  les  brises  parfuniées  de  Nice  ».  Voilà  assurément  un  modèle 
d'épigraphie  poétique  et  colorée. 

—  Au  concert  de  charité  organisé  dimanche  par  M'"'^'  Wilbrod-Lautier. 
grand  succès  pour  l'impromptu-valse  de  Diémer.  exécutée  par  M"'"  "Vil- 
brod-Lautier,  pour  la  Pensée  d'Automne,  de  Massenet,  admirablement 
interprétée  par  M"""^  Marie  Ruetf,  et  pour  MM.  Charles  René,  Belhomme, 
Ten  Brinck  et  Dumoulin,  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  bonne 
œuvre.  ' 

—  De  Boulogne-sur-Mer  :  La  représentation  de  Mireille  qui  a  eu  lieu 
hier  soir  au  Casino,  devant  une  fort  belle  salle,  pour  les  débuts  de  la  nou- 
velle troupe  lyrique,  a  été  un  brillant  succès.  Les  honneurs  de  la  soirée 
reviennent  à  M""  Jane  Duran,  qui,  dans  le  rôle  de  Mireille,  a  développé 
les  remarquables  ressources  d'un  organe  flexible,   mélodieux  et   se  prêtant 


merveilleusement  aux  plus  charmantes  fantaisies  d'une  facile  vocalisation. 
Très  applaudie  après  la  valse  du  premier  acte,  M"=  Duran  a  vu  son  succès 
s'affirmer  encore  après  l'air:  Je  suis  sa  femme,  et  le  duo  avec  Vincent,  dans 
lequel  elle  a  positivement  enthousiasmé  l'auditoire  par  le  charme 
exquis  de  sa  virtuosité  et  le  goût  dont  elle  fait  preuve  dans  l'interpréta- 
tion des  moindres  nuances.  A  bientôt  Manon,  Lakmé,  Mignon,  le  Roi  d  Ys,  etc. 

—  Les  concerts  organisés  par  M.  Oscar  Petit  au  Jardin  Vauhan,  de  Lille, 
jouissent  toujours  d'une  très  grande  vogue  et  attirent  un  nombreux  public. 
Nous  relevons,  sur  le  dernier  programme,  les  noms  de  M""  Yvel,  très  fêtée 
dans  le  duo  d'Hainlet  avec  M.  Minssart,  un  baryton  de  grand  talent,  et  de 
M.  Imbart  de  la  Tour,  qui  a  délicieusement  soupiré  l'aubade  du  Roi  d'Ys  et 
très  artistiquement  chanté  la  prière  du  Cid.  L'orchestre,  sous  la  direction 
de  son  habile  chef,  a  fort  bien  accompagné  les  chanteurs  et  a  obtenu  un 
très  beau  succès  en  exécutarft  les  airs  du  ballet  de  Coppélii. 

—  Nous  apprenons  que  M""  veuve  Henri  Herz  vient  de  céder  sa  célèbre 
manufacture  de  pianos  Henri  Herz  à  M.  Amédée  Thibout  lils,  qui  se 
trouve  déjà  à  la  tète  de  l'importante  maison  Amédée  Thibout  et  C'".  Par 
ce  fait,  la  maison  Henri  Herz  est  transférée  28,  rue  Victor-Masse. 

—  Le  maire  de  Saint-Etienne  faitsavoir  que  l'emploi  de  chef  d'orchestre 
au  théâtre  de  cette  ville  est  vacant  en  ce  moment,  et  que  les  demandes 
à  ce  sujet  doivent  être  adressées  directement  à  la  mairie. 

NÉCROLOGIE 

L Italie  vient  de  perdre,  à  1  âge  de  soixante-douze  ans,  un  de  ses 
artistes  les  plus  renommés,  le  pianiste  compositeur  Stefano  Golinelli, 
celui  que,  dans  leur  emphase  habituelle,  ses  compatriotes  ne  craignaient 
pas  d'appeler  parfois  le  Bach  de  l'Italie.  En  réalité,  Golinelli  était  un  ar- 
tiste remarquable,  au  talent  sérieux  et  élevé,  qui  avait  conquis  une  re- 
nommée légitime  non  seulement  pour  ses  grandes  qualités  de  virtuose, 
mais  encore  pour  les  rares  facultés  dont  il  faisait  preuve  dans  les  com- 
liositions  qu'il  consacrait  à  son  instrument.  La  plupart  de  ces  composi- 
tions, dont  le  nombre  ne  s'élève  guère  à  moins  de  trois  cents,  se  distinguent, 
dit-on.  autant  par  l'élégance  et  la  grâce  de  la  forme  que  par  l'élévation  du 
style  et  de  la  pensée.  On  remarque  parmi  elles  .5  sonates,  3  toccates,  2  fan- 
taisies romantiques,  un  recueil  de  12  éludes,  48  préludes  en  deux  livres, 
un  livre  d'Esquisses  pianistiques,  un  Allmm  dédié  à  Mercadante,  etc.  Depuis 
longtemps  professeur  au  Lycée  musical  de  Bologne,  où  il  était  né  le  26  oc- 
tobre 1818,  Golinelli  est  mort  en  cette  ville  le  3  juillet. 

—  Un  chanteur  qui  naguère  s'était  fait  quelque  peu  connaître  à  Paris, 
et  qui  ensuite  avait  fourni  une  carrière  brillante  sur  la  plujiart  de  nos 
grandes  scènes  départementales,  le  ténor  Gabriel  de  Quercy,  s'est  suicidé 
cette  semaine.  Il  était  revenu  depuis  quelques  années  à  Paris  et  remplis- 
sait les  fonctions  de  régisseur  aux  Bouffes-Parisiens,  où  on  le  vit  même 
tenir  un  rôle  dans  Joséphine  vendue  par  sis  sœurs.  Assez  souffrant  depuis 
plusieurs  jours,  de  Quercy,  qui  habitait  au  parc  Saint-Maur,  a  été  atteint 
d'un  accès  de  fièvre  chaude  et  s'est  tué  d'un  couji  de  pistolet.  Il  était  âgé 
de  soixante-deux  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  l'ente,  AU  MÉNESTREL,  2''",  me  Vivicnne,   HJEÏJGBîHj   et   C"-",   édileiirs-propriétaires  pour  tous  pays. 


PARTITION  mm  ET  nm 

Pris  net  :  20  fr. 

PARTITION  POUR  CHANT  SEUL 
Prix  net  :  4  fr. 


LE  MAGE 

Grand  opéra  en  cinq  actes 


JEAN     RIOHEPIN 


PARTITION  POIR  PIANO  SOlO 
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Prix  net  :  12  fr. 

BALLET    EXTRAIT 
Prix  net  :  3  fr. 


J.   MASSENET 


Morceaux  de  chant  détachés.    —    Transcriptions  et  arrangements  pour  piano  et  instruments  divers.  J 


Dimanche  19  Juillet  1891. 


3146  -  57-  AN»  -  N"  29.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL.,     Direcieur 

Adresser  pbanco  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenC 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (18"  article),  Albert  Souhies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Les  représentations  gratuites  du  14  Juillet; 
débuts  du  baryton  Renaud  à  l'Opéra;  première  représentation  de  l'Article  231, 
k  la  Comédie-Française,  Paul -Emile  Chevalier.  —  III.  Napoléon  dilettante 
(IG"  article),  Edmond  Neukomm  et  Paijl  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et 
concerts . 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

MYOSOTIS 

romance  sans  paroles,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement:  Airs 
de  ballet  du  Mage,  par  J.  Massenet. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  le  Chant  touranien   du    Mage,    chanté  par  M™"  Lureau-Escalaïs, 
musique  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jean  Richepin.  —  Suivra  immédiate- 
ment une  mélodie  de  Alph.  Duvernoy. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et   Cliarles    MiA-LHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voijage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur.' 

(1865-1868) 
(Suite.) 

Le  Premier  Jour  de  bonheur  était  appelé  à  un  succès  moins  du- 
rable, malgré  l'éclat  indéniable  de  son  apparition  et  le  charme 
réel  de  sa  musique.  On  l'avait  annoncé  dès  le  mois  de 
septembre  1866,  sous  son  vrai  titre,  lequel  fut  momentané- 
ment remplacé  aux  répétitions  par  celui  d'Bélène  et  d'un  Jour 
de  bonheur,  pour  revenir  finalement  au  premier  choisi.  Mais 
sous  la  plume  de  l'infatigable  vieillard  les  ouvrages  se  succé- 
daient avec  une  trop  grande  continuité  pour  piquer  bien 
longtemps  d'avance  la  curiosité  générale.  On  les  voyait  tou- 
jours avec  plaisir,  on  les  attendait  sans  impatience  :  c'était 
un  capital  assuré  dont  on  touchait  les  intérêts  annuels;  mais 
chaque  fois  quelque  enthousiaste  se  rencontrait  pour  écrire 
des  couplets  dithyrambiques  dans  le  genre  de  celui-ci,  que 
signa  Paul  Bernard  :  «  Les  exemples  de  longévité  artistique 
aussi  prolongée  sont  assez  rares  pour  qu'on  les    salue  avec 


vénération.  Cependant,  ces  considérations  ne  devraient  pas 
entrer  dans  la  balance  si  l'œuvre  produite  était  inférieure  et 
se  ressentait  du  poids  des  ans.  L'art  passe  avant  la  créature. 
Mais  si,  au  contraire,  cette  œuvre  est  pleine  de  vie,  de  talent 
et  de  génie,  si  elle  est  plus  fraîche  que  le  printemps,  plus  riche  que 
l'été,  PLUS  EXPÉRIMENTÉE  QUE  l'automne.  Si  l'hiver  scul  y  fait  défaut, 
oh  !  alors,  on  peut  s'extasier  sur  une  telle  exception,  et  jeter 
une  double  dose  d'admiration  dans  la  coupe  du  succès  !  » 

Cette  fois  cependant,  l'attention  était  plus  éveillée  que  de 
coutume  ;  le  vieil  Auber  avait  perdu  son  vieux  collaborateur 
Scribe,  et  l'on  pouvait  se  demander  qui  assumerait  la  tâche 
de  le  remplacer.  On  savait  que  dès  1865,  M.  Victorien  Sardou 
lui  avait  remis  un  scénario;  on  apprit  enfin,  par  la  lecture 
faite  aux  artistes,  le  15  octobre  1867,  que  la  pièce  nouvelle 
était  pour  les  paroles  de  MM.  d'Ennery  et  Cormon,  deux  vété- 
rans du  théâtre,  deux  habitués  du  succès.  De  plus,  un 
incident  d'ordre  judiciaire  ne  contribua  pas  peu  à  faire  par- 
ler de  l'œuvre  avant  sa  naissance.  Le  rôle  d'Hélène  devait 
servir  aux  débuts  d'une  brillante  élève  d'Eugénie  Garcia, 
Une  femme  du  monde  qui  voulait  aborder  la  scène,  M"""  Mon- 
belli,  alors  M™^  Crémieux,  et,  depuis,  la  générale  Bataille.  Mais 
les  parents,  peu  flattés  sans  doute  d'une  pareille  résolution, 
firent  défense  à  la  jeune  cantatrice  de  monter  sur  les  plan- 
ches. Un  jugement  du  tribunal  de  première  instance  leur 
donna  tort;  ils  interjetèrent  appel,  et,  le  3  janvier  1868,  un 
arrêt  de  la  cour,  réformant  ce  jugement,  leur  donnait  gain  de 
cause.  M™  Monbelli  ne  put  donc  pas  plus  débuter  alors  à 
rOpéra-Comique,  que  l'année  suivante  à  l'Opéra.  Entre  temps, 
le  directeur  avait  redouté  sans  doute  les  complications  qu'al- 
lait entraîner  l'engagement  d'une  artiste,  ainsi  contrariée  dans 
sa  vocation  ;  il  jeta  les  yeux  sur  M""  Brunet-Lafleur,  qui  avait 
débuté  avec  succès  le  18  décembre  1867  dans  le  rôle  d'Angèle, 
du  Domino  noir,  après  avoir  remporté  aux  derniers  concours 
du  Conservatoire  le  deuxième  prix  d'opéra-comique  (classe 
Mocker),  le  premier  prix  de  chant  (classe  Revial)  et  le  pre- 
mier prix  d'opéra  (classe  Duvernoy).  Finalement  il  se  décida 
pour  une  actrice  plus  expérimentée,  pour  M'">=  Cabel,  et  le 
personnage  d'Hélène  subit  d'importantes  modifications  :  la 
jeune  Anglaise  sentimentale  devint,  pour  la  circonstance, 
une  jeune  veuve  romanesque. 

La  pièce,  d'ailleurs,  gardait  assez  les  allures  de  l'ancien 
opéra-comique  pour  ne  pas  heurter  les  goûts  du  compositeur. 
Elle  empruntiit  son  sujet  à  une  comédie  représentée  avec 
succès  à  rOdéon  en  1816,  le  Chevalier  de  Canolle,  par  Souques, 
et  devenue,  depuis,  l'objet  de  plusieurs  autres  adaptations 
dramatiques.  On  y  voyait  le  jeune  officier  français,  coureur 
d'aventures,  brave  et  galant  suivant  la  tradition.  Tombé  au 
pouvoir  des  Anglais,  il  serait  fusillé,  si  le  fiancé  de  celle 
qu'il  aime,  prisonnier  des  Français,  était  passé  par  les  armes. 


226 


LE  MENESTREL 


La  victoire  des  soldats  de  Sa  Majesté  Louis  XV  mettait  fin  à 
cette  cruelle  incertitude  en  séparant  les  deux  fiancés  pour 
unir  les  deux  amants.  Le  mérite  d'un  tel  livret  résidait 
moins  dans  le  nœud  de  l'intrigue  que  dans  le  choix  du  cadre. 
€e  paysage  indien,  ces  militaires,  cette  prétresse,  fille  de 
brahmines,  tout  cela  pouvait  donner  comme  un  avant-goùt 
■de  Lakiné  :  c'était,  comme  on  a  dit,  «  un  canevas  à  la  Scribe  », 
mais  rehaussé  par  quelques  touches  plus  pittoresques  et  par 
conséquent  plus  modernes. 

Le  succès  des  répétitions  faisait  présager  un  succès  de 
première.  Malgré  son  âge,  Auber  déployait  une  activité  de 
jeune  homme,  ne  manquant  aucune  de  ces  séances  prépara- 
toires, toujours  debout  à  l'avant-scène,  dirigeant  du  regard 
et  de  la  parole;  puis,  le  travail  de  la  journée  fini,  il  revenait 
le  soir  au  théâtre,  et  souvent  il  lui  arrivait  de  causer  avec  les 
directeurs  jusqu'à  deux  heures  du  matin,  insensible  à  la  fa- 
tigue, lui  qui  venait  d'entrer  dans  sa  quatre-vingt-septième 
année.  Tous  les  acteurs  étaient  ravis  de  leurs  rôles,  et  ceux 
qui  n'en  avaient  pas  lui  témoignaient  leur  regret  de  n'en 
pas  avoir,  témoin  M.  Gailhard,  qui  venait  de  débuter  brillam-, 
ment  dans  k  Songe  dune  nuit  d'été,  et  qui  lui  disait  :  «  Ah  ! 
monsieur  Auber,  je  vous  en  supplie,  à  votre  prochaine  pièce, 
xéservez-moi  un  rôle.»  —  «Oui,  oui,  répondit  le  maestro,  avec 
un  fin  sourire,  je  vou£\  l'enverrai  de  Montmartre!  »  En  quoi 
il  se  trompait,  car  il  devait,  un  an  plus  tard,  lui  confier  le 
personnage  du  marquis  dans  Rêve  d'amour. 

On  avait  espéré  représenter  l'ouvrage  le  27  janvier,  jour 
anniversaire  de  sa  naissance,  ou,  plutôt,  le  29,  car  cette 
•dernière  date  est  la  seule  exacte,  comme  l'a  prouvé  depuis 
M.  Arthur  Pougin.  Mais  quelques  pages  d'orchestration  restaient 
encore  à  terminer,  et  l'on  se  contenta  de  fêter  le  jour  anni- 
versaire par  une  aubade  qu'avait  organisée  le  générai  Mellinet, 
commandant  en  chef  de  la  garde  nationale.  Une  musique 
vint  dans  la  cour  de  sa  maison,  au  numéro  24  de  la  rue  Saint- 
Georges,  et  exécuta  l'ouverture  de  la  Muette,  plus  une  Marche 
composée  pour  piano  par  Auber  à  l'âgé  de  quatorze  ans,  et 
arrangée  par  M.  Jonas  pour  musique  militaire. 

Il  était  écrit  du  l'este  que  la  première  soirée  coïnciderait 
avec  quelque  anniversaire  heureux.  En  effet,  lorsque  le  rideau 
se  leva,  le  15  janvier  1868,  il  y  avait  cinquante-cinq  ans  moins 
douze  jours  qu'Auber  avait  vu  son  nom,  pour  la  première 
fois,  sur  l'affiche  de  l'Opéra-Comique.  Il  y  eut  des  applau- 
dissements enthousiastes,  et  la  qualité  de  l'interprétation 
répondit  assez  bien  au  genre  de  l'œuvre.  C'était  M^^^  Cabel, 
dite  le  rossignol  de  la  salle  Favarl,  c'étaient  Sainte-Foy,  Mel- 
chissédec,  Bernard,  Prilleux.  C'était  M"'=  Marie  Rôze,  dans 
tout  l'éclat  de  sa  jeunesse  et  de  sa  beauté,  la  jolie  Djelma, 
que,  dans  son  spirituel  volume  de  portraits  intitulé  Derrière 
la  toile,  M.  Albert  Yizentini  définissait  ainsi:  «  M"e  Marie  Rôze, 
charmante  vignette  anglaise,  qui  retrouve  au  théâtre  ses  suc- 
cès du  Conservatoire  et  dont  la  position  se  fait  aussi  vite  que 
les  embellissements  du  nouveau  Paris.  »  C'était  enfin  le  sé- 
duisant, l'irrésistible  Gapoul,  auquel  le  vieux  maître  donnait 
alors  cet  amusant  conseil  ;  «  Voyez-vous,  mon  cher  Capoul, 
ne  vous  mariez  pas,  ne  vous  mariez  jamais!...  Au  théâtre, 
il  faut  garder  son  indépendance.. .  Si  vous  saviez  comme  je 
me  réjouis  d'être  resté  garçon!...  Pensez  donc!  Marié,  j'au- 
Tais  aujourd'hui  une  femme  de  soixante-quinze  ans...  Non! 
je  ne  pourrais  plus,  le  soir,  rentrer  chez  moi!...  » 

Le  courant  d'idées  qui  nous  pousse  aujourd'hui  vers  la 
musique  complexe  et  rafBnée  ne  nous  permet  plus  d'émettre, 
sur  une  partition  comme  le  Premier  Jour  de  bonheur,  un  juge- 
ment aussi  favorable  que  celui  des  contemporains.  Mais  il 
y  aurait  injustice  à  lui  refuser  tout  mérite.  On  y  rencontre 
plus  d'une  page  gracieuse  et  pimpante  ;  le  premier  acte,  pres- 
que entier,  garde  encore  une  certaine  couleur;  tout  le  rôle 
de  Djelma  est  même  empreint  d'une  mélancolie  poétique  qui 
n'est  pas  la  note  habituelle  d'Auber.  L'ouvrage  porte,  moins 
que  bien  d'autres,  les  traces  de  la  sénilité.  «  On  croirait  vo- 
lontiers que  le  maître  a  trouvé  ces  mélodies  dans  les  heures 


les  plus  riantes  de  sa  jeunesse,  mais  qu'il  les  avait  mises 
en  réserve  dans  un  herbier  pour  en  parfumer,  un  jour,  les 
œuvres  de  sa  vieillesse.  »  En  écrivant  cette  phrase  quelques 
années  auparavant,  Gustave  Bertrand  ne  savait  peut-être  pas 
la  part  exacte  de  vérité  qu'elle  contenait.  C'est  dans  le  passé 
qu'il  faut  en  effet  chercher  le  secret  de  celte  apparente 
jeunesse,  et  le  Premier  Jour  de  bonheur  en  fournit  une  preuve 
ignorée,  jusqu'ici,  du  public. 

La  chanson  des  Djinns,  dite  par  M"*  Marie  Rôze,  fut,  comme 
on  le  sait,  le  clou  de  la  pièce,  le  çjlanzpunct,  diraient  les  Alle- 
mands; or  ce  morceau,  devenu  rapidement  populaire,  ne 
fut  intercalé  qu'après  coup,  presque  à  la  dernière  heure.  On 
répétait  le  second  acte,  et  les  auteurs,  remarquant  certain 
vide  dans  la  scène  du  bal,  imaginèrent  de  le  combler  au 
moyen  d'une  mélodie.  «  C'est  bon,  fit  le  compositeur  aux 
librettistes  qui  lui  exprimaient  leur  désir;  venez  demain 
matin;  je  vous  donnerai  ce  que  vous  demandez.  »  Et  le  len- 
demain, M.  Cormon  se  présentait  chez  Auber,  qui  ouvrit  une 
grande  armoire,  pleine  de  manuscrits,  en  choisit  deux  qu'il 
joua  tour  à  tour  à  son  piano,  puis,  s'étant  prononcé  pour 
l'un  d'eux  :  «  Il  me  faudrait  là,  dit-il,  des  paroles  inlerroga- 
tives ;  une  jeune  fille  qui  demanderait  à  ses  compagnes:  Ta 
ta  ta  ta-a-a-a-a-a  Oui!  Ta  ta  ta  ta-a-a-a-a-a  Non!  »  Et  le  vieil- 
lard mimait  la  chose  en  la  fredonnant.  «  C'est  convenu  » 
répondit  son  interlocateur  qui,  peu  après,  ajustait  sur  la  mu- 
sique ces  paroles  : 

Crains-tu  l'amour?  —  Oui. 
Veux-tu  le  fuir?  —  Non. 

Or,  qu'était-ce  que  cette  chanson  des  Djinns  ainsi  improvisée? 
Une  mélodie  composée  pour  le  Cheval  de  bronze,  et  non 
utilisée  jadis.  L'air  applaudi  comme  une  nouveauté  en  1868 
datait  de  18351 

C'est  ainsi  qu'on  peut  reconstituer  par  la  pensée  le  travail 
du  compositeur  à  la  fin  de  sa  carrière.  Il  arrangeait  plus 
qu'il  n'inventait.  Il  fouillait  dans  cette  armoire,  qu'il  avait 
abondamment  remplie  de  matériaux  aux  heures  de  la  jeu- 
nesse et  de  l'inspiration.  Et  l'armoire  n'était  pas  encore  vidée 
au  lendemain  de  sa  mort!  et  seuls  maintenant,  ses  héritiers, 
M.  Chrestien  de  PoUy,  son  neveu,  et  M"«=  G.  de  Vallois,  sa 
nièce,  pourraient  nous  dire  ce  qu'elle  contenait.  Ils  se  sont 
partagé  par  moitié  ces  manuscrits,  et  dans  cette  masse  de 
papiers  inédits  peut-être  se  trouve-t-il  quelque  autre  chanson 
des  Djinns,  quelque  perle,  attendant,  pour  briller,  l'heure  où 
s'ouvrira  l'écrin  qui  la  tient  enfermée. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Comme  tous  les  ans,  nous  empruntons  à  notre  ami  Nicolet,  du  Gaulois, 
la  narration  vive  et  fidèle  des  représentations  gratuiles  données  dans  les 
théâtres  subventionnés  le  14  juillet,  jour  de  fête  nationale: 

Beaucoup  de  monde.  Toutes  les  salles  sont  pleines  et  leur  phy- 
sionomie est  très  variable.  La  foule  se  hiérarchise,  pour  ainsi  dire. 

A  rOpÉRA,  oîi  la  queue  s'était  formée  dès  minuit,  salle  très  pitto- 
resque. A  midi  et  demi,  on  a  ouvert  les  grilles  et  dirigé  le  public 
de  Ijas  en  haut,  au  fur  et  à  mesure  qu'il  arrivait.  Les  fauteuils 
d'orchestre,  les  amphithéâtres,  les  loges  sont  garnis  d'une  foule 
relativement  élégante.  11  y  a  même  des  habits  noirs  et  des  cravates 
blanches.  C'est  à  peu  près  le  même  public  bourgeois  qu'aux  repré- 
sentations du  samedi.  Aux  premières  loges,  un  sous-lieutenant,  à 
barbe  blanche,  portant  un  uniforme  dataot  de  Louis-Philippe.  C'est 
sans  doute  un  pensionnaire  de  rbôtel  des  Invalides.  A  l'orchestre, 
un  capitaine  datant  de  la  même  époque.  Cela  donne  la  jauge  du 
public,  un  public  de  petite  bourse,  et  qui  profile  de  ces  libéralités 
patriotiques  pour  venir  écouter  un  chef-d'œuvre. 

M.  Lamoureux  prenait,  pour  la  première  fois,  possession  du  bâton 
de  chef  d'orchestre.  Il  attaque  l'ouverture  de  Gui/laume  Tell,  qui 
est  acclamée  par  un  public  enthousiaste,  à  qui  la  partition  de 
Rossini  ne  paraît  pas  étrangère  et  qui  fait  de  véritables  ovations  aux 
artistes.  M"""  Lureau-Escalaïs,  MM.  Escalaïs,  Bérardi,  Dubulle  y 
vont  de  tout  leur  cœur,  littéralement  électrisés  par  cette  salle  chauffée 


LE  MENESTREL 


227 


à  blanc.  Le  grand  finale  du  second  acte  produit  un  effet  immense. 

Pais  le  rideau  se  relève  sur  la  place  publique  d'Altorf,  au  milieu 
de  laquelle  on  a  dressé,  entouré  de  drapeaux,  le  buste  de  Marianne; 
Melchissédec,  habillé  en  troupier,  se  tient  au  pied  de  l'estrade, 
entouré  de  tous  les  interprètes  de  Guillaume  Tell.  Cela  produit  un 
singulier  effet.  C'est  l'alliance  de  la  France  avec  la  Suisse.  Au  pied 
de  celte  même  colonne  où  Guillaume  va  défier  Gessler,  le  jeune 
baryton  jette  à  pleins  poumons  le  cri  patriotique  de  la  Marseillaise. 
Inutile  de  dire  que  chaque  strophe  soulève  dans  la  salle  des  applau- 
dissements sans  fin. 

A  la  Cojiéme-Framçaise,  même  afQuence.  Dès  le  matin,  le  public 
se  classait  sous  les  colonnades,  en  attendant  patiemment  l'heure 
fixée  pour  l'ouverture  des  portes.  Il  n'y  a  pas  eu  de  place  pour 
tout  le  monde,  et  il  fallait  voir  la  mine  déconfite  de  tous  ces  retar- 
dataires à  qui  il  ne  serait  pas  permis  d'applaudir  Rui/  Blas.  Le  drame 
de  Victor  Hugo,  avec  sa  distribution  des  meilleurs  jours,  a  été  écouté 
jusqu'au  bout  avec  une  attention  soutenue,  et  les  artistes  ont  dû 
reparaître,  après  chaque  acte,  devant  un  public  qui  s'est  montré 
fort  enthousiaste  de  l'œuvre  et  de  ses  interprètes. 

Nous  n'avons  que  quelques  pas  à  faire,  et  nous  voilà  à  I'Opéra- 
CoMiQUE,  où  l'on  donne  les  Dragons  de  Villars.  Salle  bondée  et  public 
de  choix,  qui  n'a  pas  marchandé  ses  applaudissements  aux  inter- 
prètes de  cette  œuvre  populaire.  M"=  Chevalier,  dans  le  rôle  de  Rose 
Friquel;  M.  Fugère,  dans  celui  de  Belamy;  le  ténor  Carbonne, 
M'"  Degrandi,  M.  Barnolt,  ont  été  tout  particulièrement  choyés  par 
ce  public,  qui  ne  se  lassait  ni  de  les  rappeler,  ni  de  les  applaudir. 
Ici,  c'est  un  dragon  de  Louis  XIV  qui  a  chanté  l'hymne  de  la  Mar- 
seillaise, ô  ironie  1  M.  Fugère,  dans  l'interprétation  de /a  Morsei/teise, 
a  montré  un  sentiment  parfait  des  nuances,  et  son  succès  a  été 
considérable. 

En  résumé,  malgré  le  beau  temps,  malgré  les  attractions  de  la 
revue,  en  dépit  des  séductions  d'une  villégiature  suburbaine,  la 
population  parisienne  a  largement  profité  des  plaisirs  qui  lui  étaient 
offerts.  Panem  et  circenses  !  cette  devise  est  toujours  vraie. 

NiCOLET. 

MM,  Ritt  et  Gailhard,  non  contents  de  la  soirée  gratuite  donnée 
cette  semaine,  en  l'honneur  du  14  juillet,  et  mettant  leurs  bouchées 
doubles  pour  essayer  de  bien  terminer  leur  direction  avec  l'éclat 
réclamé  par  le  cahier  des  charges,  nous  ont  conviés  vendredi  aux 
débuts  de  M.  Renaud  dans  Nélusko  de  l'Africaine.  Précédé  d'une 
belle  réputation  conquise  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  M.  Renaud 
vient  de  faire  une  saison  à  rOpéra-Comique,au  cours  de  laquelle  les 
applaudissements  ne  lui  manquèrent  pas  ;  le  public  de  l'Opéra  l'a 
fort  gracieusement  accueilli,  et  pourtant,  nous  nous  demandons  si 
l'artiste  a  bien  donné,  en  cette  première  soirée,  tout  ce  qu'on  at- 
tendait de  lui.  La  voix  reste  fort  belle  et  d'une  grande  homogé- 
néité, l'homme  est  sympathique  d'aspect  et  le  comédien  est  moins 
emprunté  déjà  ;  mais  du  côté  du  style  et  surtout  de  la  prononciation, 
l'artiste  a  encore  à  gagner.  Le  cantabile  du  deuxième  acte  et  prin- 
cipalement la  phrase  de  sortie  de  ce  même  acte,  ainsi  que  la  cava- 
line  du  quatrième  acte,  ont  été  bien  chantés  ;  la  ballade  d'Adamastor, 
au  contraire,  a  manqué  d'éclat,  et  cependant,  M.  Renaud  semble 
plus  à  son  aise  dans  les  passages  de  force  que  dans  ceux  de  dou- 
ceur. M.  Vergnel  a  chanté  avec  toute  sa  bravoure  habituelle  le  rôle 
de  Vasco,  lançant  à  toute  volée  les  notes  élevées.  M™"^  Lureau- 
Escalaïs,  Fierens,  et  M.  Dubulle,  avec  quelques  seigneurs  de 
moindre  importance,  complétaient  un  ensemble  que  nous  connaissions 
déjà. 

Comédie-Française.  —  L'Article  231,  comédie  en  trois  actes 
de  M.  Paul  Terrier. 
M.  Paul  Ferrier,  qui  est,  sans  contredit,  l'un  de  nos  auteurs 
modernes  dont  la  production  est  la  plus  volumineuse  et  qui  sait  son 
métier  autant  qu'homme  de  théâtre,  vient  de  donner  à  la  Comédie- 
Française  une  comédie  nouvelle  en  trois  actes,  fort  divertissante, 
vraiment;  mais  peut-être  eût-elle  été  mieux  placée  au  Gymnase  ou 
au  Vaudeville.  Après  un  premier  acte  très  bien  venu,  H'une  trame 
soignée  et  d'un  faire  savant,  n'excluant  cependant  ni  la  fantai- 
sie ni  l'esprit  léger  et  facile,  M.  Paul  Ferrier  semble  avoir  oublié 
toul  à  coup  pour  quelle  scène  il  travaillait,  et,  laissant  sa  plume 
courir  au  gré  de  son  caprice,  il  s'est  porté  une  fois  de  plus  vers  la 
bouffonnerie,  qui  lui  avait  si  bien  réussi  en  d'autres  théâtres.  Si, 
malgré  le  plaisir  que  nous  avons  pu  prendre  à  plus  d'une  scène  de 
l'Article  231 ,  nous  croyons  devoir  faire  des  réserves,  c'est  que  nous 
tenons  M.  Ferrier  pour  très  supérieur  aux  aimables  produclions 
auxquelles  il  se  p'.alt  d'habitude,  et  que  nous  aimerions  le  voir  se 


vouer  de  temps  à  autre  à  des  besognes  plus  sérieuses.  Nous  ne 
sommes  nullement  l'ennemi  des  pièces  gaies  et  légères  d'allures  même 
à  la  Comédie-Française,  bien  au  contraire  ;  des  deux  mains  nous 
avons  battu  lorsqu'on  a  eu  la  bonne  idée  d'y  donner  le  Député  de 
Bombignac;  mais  il  faut  que  les  auteurs  apportent  là,  en  dehors 
de  leur  fantaisie  ou  de  leurs  bons  mots,  un  fond  d'observation  et  un 
respect  de  la  vraisemblance  absolument  indispensables  à  la  comédie 
moderne. 

Nos  grands  confrères  vous  ont  déjà  conté  par  le  menu  les  aven- 
tures de  M.  et  M""  Verpineau  qui,  au  lever  du  rideau,  s'entêtent  à 
divorcer  et  qui  finalementse  réconcilient;  n'y  insistons  pas  autrement. 
M.  Got  a  composé  d'une  science  merveilleuse  un  amusant  type  de 
vieux  noceur,  et  M"°  Ludwig  nous  a  paru  très  séduisante.  MM.  de 
Féraudy,  Prudhon,  Truffier,  Boucher,  Laugier,  Berr  et  M"°^  Kalb 
et  Hadamard  ont  fait  de  leur  mieux. 

Paul-Emile  Chevalier. 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite) 


X 

MUSIQUE  DE  CIRCONSTANCE 

On  lit  dans  les  mémoires  de  Bourienne,  au  passage  relatif  à 
l'expédition  d'Egypte  : 

«  Les  musiciens  à  bord  de  l'Orient  donnaient  quelquefois  des  au- 
bades, mais  seulement  sur  l'enlre-pont.  Bonaparte  n'aimait  pas 
encore  assez  la  musique  pour  l'entendre  dans  son  appartement.  On 
peut  dire  que  son  goût  pour  cet  art  s'est  accru  en  raison  directe  de 
sa  puissance.» 

Nous  avons,  par  anticipation,  fait  justice  de  cet  avis.  Nous  avons 
vu  Napoléon  aimant  de  tout  temps  la  musique  ;  mais,  ce  qui  est  à 
considérer,  c'est  que,  au  fur  et  à  mesure  que  sa  puissance  aug- 
mentait, il  se  servait  davantage  de  la  musique  comme  moyen  ac- 
cessoire, propre  à  favoriser  ses  vues  et  ses  plans. 

C'est  ainsi  qu'en  Egypte  la  musique  joua  un  rôle  très  important, 
parce  que  là,  plus  que  partout  ailleurs,  elle  était  utile  pour  soutenir 
le  moral  des  troupes.  L'Egypte,  c'était  l'inconnu,  et  dans  sa  volonté 
de  faire  réussir  par  tous  les  moyens  possibles  celte  expédition,  sur 
laquelle  tant  d'avis  étaient  partagés,  Bonaparte  avait  un  jour  répondu 
à  Bourienne,  qui  lui  demandait  combien  de  temps  il  comptait 
rester  sur  la  terre  des  Pharaons  : 

—  Peu  de  mois,  ou  six  ans.  Tout  dépend  des  événements.  Je 
coloniserai  ce  pays  ;  je  ferai  venir  des  artistes,  des  ouvriers  de 
tout  genre,  des  acteurs,  des  femmes. . . 

Et  il  fit  comme  il  avait  dit.  Car,  peu  de  temps  après  son  débar- 
quement sur  le  sol  africain,  il  écrivait  au  Directoire  : 

«  Il  faudrait  envoyer  Perrée  avec  trois  frégates  portant  :  munitions, 
troupes,  armes,  médicaments,  officiers  de  santé,  jardiniers,  etc.  .■ , 
plus  : 

1°  Une  troupe  de  comédiens  ; 

2°  Une  troupe  de  ballerines  ; 

3°  Des  marchands  de  marionnettes  pour  le  peuple,  au  moins  trois 
ou  quatre; 

4°  Une  centaine  de  femmes  françaises.   » 

Un  peu  plus  tard,  le  1.5  novembre  1799,  il  revient  sur  cette  com- 
mande, en  renouvelant  au  citoyen  Laplace,  ministre  de  l'intérieur, 
l'ordre  d'envoyer  en  Egypte  une  troupe  de  comédiens,  et  d'y  joindre 
quelques  danseuses.  Enfin,  le  14  janvier  1800,  parmi  les  ouvrages 
qu'il  fait  adresser  à  Kleber,  commandant  en  chef  l'armée,  se  trouve 
le  Chant  du  combat,  avec  la  musique. 

L'orchestre,  sur  le  vaisseau  l'Orient,  avait  principalement  pour  but 
de  distraire  l'équip'age  et  d'abréger  aux  troupes  les  ennuis  de  la  tra- 
versée. H  n'était  pas  le  seul;  car  sur  plusieurs  autres  navires  bien 
partagés,  d'autres  musiques  faisaient  entendre  des  hymnes  patrio- 
tiques, que  les  soldats  répétaient  en  chœur.  Par  contre,  sur  le  vais- 
seau qui  portait  César  et  sa  fortune,  on  jouait  des  morceaux  d'opéra, 
et  surtout  la  marche  de  Tamerlan,  pour  laquelle  le  général  avait  une 
prédilection  marquée. 

Lorsque  l'armée  française  fit  son  entrée  au  Caire,  au  bruit  des 
fanfares,  elle  attira  sur  ses  pas  la  foule  des  habitants,  qui,  saisis 
d'étonnemeut,  venaient  examiner  curieusement  les  armes,  les  cos- 
tumes, les  canons,  et  surtout  les  instruments  de  musique  de  leurs 
nouveaux  maîtres. 

Bonaparte  fut    très  frappé  de  cette  eitccnatance,  qui  le  confirma 


228 


LE  MENESTREL 


danssîs  idées  de  propagation  de  la  musique  militaire,  pour  laquelle 
il  avait  déjà  fait  beaucoup.  Aussitôt  après  le  18  brumaire,  il  crée 
la  musique  de  la  garde  des  consuls,  pour  laquelle  le  Conservatoire 
fournit  vingt-cinq  de  ses  meilleurs  élèves.  Puis,  il  veille  à  ce  que  les 
musiques  soient  très  répandues  dans  l'armée.  Cependant,  en  1802, 
il  dut  supprimer  toutes  les  musiques  de  cavalerie,  bien  qu'elles 
fussent  entretenues,  pour  la  plupart,  aux  frais  des  colonels.  Mais  il 
avait  calculé  que  les  chevaux  employés  pour  le  service  des  musi- 
ciens pouvaient  monter  quatre  régiments,  c'est-à-dire  environ  trois 
mille  hommes,  et  c'était  un  chiffre  à  cette  époque,  où  les  pénuries 
de  l'armée  étaient  extrêmes. 

D'ailleurs,  aussitôt  que  ces  motifs  d'urgence  cessèrent,  les  mu- 
siques équestres  fureot  rétablies.  Sous  l'empire,  une  fanfare  à 
cheval  était,  en  général,  composée  de  16  trompettes,  6  cors,  3  trom- 
bones. La  garde  impériale,  ainsi  que  les  carabiniers,  avaient,  on 
outre,  des  timbales.  De  plus,  on  avait  attribué  aux  régiments  de  ca- 
valerie, sans  préjudice  de  la  musique  qui  leur  était  affectée  spécia- 
lement, une  harmonie  un  peu  moins  nombreuse,  mais  organisée  de 
la  même  manière  que  celle  de  l'infanterie.  Celle-là  ne  jouait  que 
dans  les  circonstances  solennelles,  en  dehors  des  péripéties  guerrières 
du  régiment. 

D'après  Fétis,  un  orchestre  militaire  se  composait,  en  1809,  de  : 
6  ou  8  clarinettes,  1  petite  clarinette  en  mi  bémol,  1  petite  flûte, 
2  cors,  2  bassons,  1  trompette,  2  ou  3  trombones,  1  ou  2  serpents, 
grosse  caisse,  cymbales,  caisse  roulante,  chapeau  chinois,  —  en  tout 
22  ou  24  musiciens,  dont  10  ou  12  soldats  et  8  ou  10  gagistes. 

On  sait  quel  soin  prenait  Napoléon  de  l'équipement  des  musiciens 
militaires.  Hyppolite  Bellangé  nous  a  laissé  l'image  d'une  musique, 
avec  ses  chamarrures  et  ses  dorures,  dans  sa  belle  toile  :  Une  revue 
au  Carrousel.  Mais  ce  n'était  pas  seulement  pour  le  décor  que  le 
maître  tenait  à  ce  luxe.  Il  voulait  que  ses  musiciens  aimassent  leur 
métier,  afin  de  les  avoir  toujours  sous  la  main;  car  en  mainte  occa- 
sion, ils  décidèrent  de  situations  compromises  ou  difficiles. 

Au  passage  du  mont  Saint-Bernard,  lorsque  les  paysans  suisses, 
payés  pour  transporter  à  travers  les  neiges  les  jiièces  de  canon  au 
faîte  de  la  montagne,  eurent  refusé  de  pousser  plus  loin  leurs  tenta- 
tives infructueuses,  déclarant  qu'une  pareille  tàcheétait  au-dessus  de 
leurs  forces,  on  fit  appel  au  courage  et  à  la  bonne  volonté  des  sol- 
dats. Mais  ces  malheureux,  harassés  de  fatigue,  désespéraient  eux- 
mêmes  de  pouvoir  jamais  accomplir  cette  rude  corvée.  Tout  à  coup 
la  musique  retentit;  elle  fait  entendre  ses  airs  les  plus  vifs  et  les 
plus  joyeux;  ces  sons  excitent  et  encouragent  les  travailleurs;  ils 
sentent  leurs  forces  renaître;  et  bientôt  ils  parviennent,  comme  par 
enchantement,  à  hisser  jusqu'à  la  cime  de  la  montagne  les  lourdes 
pièces  d'artillerie,  sous  le  poids  desquelles  ils  avaient  pensé  suc- 
comber peu  d'instants  auparavant. 

Bien  d'autres  fois,  la  musique  servit  à  relever  le  moral  de  l'armée. 
Aussi,  dans  les  années  de  revers,  Napoléon  l'utilisait-il  à  bon  escient.. 
Le  19  octobre  1812,  après  l'incendie  de  Moscou,  et  à  la  suite  d'une 
fausse  alerte  qui  avait  mis  en  péril  la  fermeté  et  la  discipline  de 
l'armée,  en  pleine  retraite,  l'empereur,  au  milieu  de  sa  vieille  garde, 
cherchait  à  relever  les  courages,  disant  à  ses  grognards  «  qu'il 
comptait  sur  leur  résignalion,  leur  bravoure  et  leur  fidélité  accou- 
tumées. ï> 

Alors,  après  ce  discours,  dit  un  témoin  oculaire,  «  la  musique  de 
la  garde  fit  entendre  l'air  :  Où  peut-on  être  mieux  qu'au  sein  de  sa  famille; 
mais  comme,  au  milieu  de  ces  déserts  glacés,  l'application  pouvait 
en  être  à  double  sens,  l'empereur  dit  sur-le-champ:  «  Vous  feriez 
mieux  de  jouer  :  Veillons  au  salut  de  l'Empire  »,  ce  qui  fut  fait,  pour 
le  contentement  de  tous.   » 

Pendant  la  malheureuse  campagne  de  1813,  l'empereur  se  préoccupe 
beaucoup  des  musiques  militaires.  A  plusieurs  reprises  il  en  réclame, 
pour  des  régiments  en  voie  de  formation.  Après  la  funeste  bataille 
de  Leipzig,  il  écrit  au  ministre  de  la  guerre: 

«  J'ai  passé  en  revue  plusieurs  régiments  qui  n'avaient  pas  de 
musique.  C'est  une  chose  intolérable.  Hàtez-vous  de  m'en  envoyer.» 

De  Mayence,  oii  l'armée  se  refoime,  il  insist",  auprès  de  Duroc, 
devenu  grand-maréchal  du  palais,  pour  que  les  régiments  de  la 
vieille  garde  possèdeut  chacun  leur  musique  et  que  les  autres  aient 
un  orchestre  par  six  bataillons,  soit  :  pour  l'arme  des  chasseurs  six 
musiques;  et  six  musiques  également  pour  les  grenadiers. 

Parfois  aussi,  les  instruments  lui  furent  d'un  véritable  secours 
effectif,  lui  fournissant  au  besoin  des  résultats  aussi  brillants  que 
les  meilleures  dispositions  stratégiques.  Thiers,  dans  son  Histoire  de 
la  Révolution,  rappelle  que  Bonaparte,  ayant  à  repousser  les  Autri- 
chiens sur  les  bords  de  l'Adige,  près  d'Arcole,  eut  l'idée  de  semer 
à  l'aide  d'un  stratagème  l'épouvante  dans  leurs  rangs. 


«  Un  marais  plein  de  roseaux,  nous  apprend  le  grand  historien, 
couvrait  l'aile  gauche  de  l'ennemi  :  il  ordonne  au  chef  de  lataillon 
Hercule  de  prendre  avec  lui  vingt-cinq  de  ses  guides,  de  filer  à 
travers  les  roseaux  et  de  charger  à  l'improviste  avec  un  grand  bruit 
de  trompettes.  Ces  vingt-cinq  braves  s'apprêtent  à  exécuter  l'ordre. 
Bonaparte  donne  alors  le  signal  à  Masséna  et  à  Augereau.  Ceux-ci 
chargent  vigoureusement  la  ligne  autrichienne  qui  résiste;  mais 
tout  à  coup  on  entend  un  grand  bruit  de  trompettes  ;  et  les  Autri- 
chiens, croyant  être  chargés  par  toute  une  division  de  cavalerie, 
cèdent  le  terrain.   » 

A  la  suite  de  ce  succès.  Napoléon  prit  la  trompette  en  estime, 
sinon  en  affection,  car  elle  ne  cadrait  guère  avec  son  go4t  pour  la 
mélodie  pure. 

«  A  cette  époque  glorieuse,  dit  Kastner  dans  son  Manuel  de  mu- 
sique militaire,  tout  ce  qui  touchait  à  l'intérêt  et  à  la  splendeur  des 
armées  ne  pouvait  manquer  d'être  l'objet  d'une  active    sollicitude. 

»  Les  signaux  d'instruments  qui  devaient  aider  à  l'exécution  prompte 
et  habile  des  manœuvres,  les  marches  faites  pour  conduire  les 
braves  au  champ  d'honneur,  enfin  les  brillantes  fanfares  destinées  à 
célébrer  les  victoires  gagnées  sous  nos  drapeaux,  éveillèrent  l'intérêt 
des  autorités  supérieures. 

»  L'an  XIII,  une  nouvelle  ordonnance  de  trompettes  pour  les, 
troupes  à  cheval  fut  adoptée  par  le  ministre  de  la  guerre.  Elle  lui 
avait  été  présentée  par  David  Buhl,  artiste  français,  aussi  bon 
musicien  que  brave  soldat,  qui  dut  à  son  talent  précoce  d'entrer  L 
.dès  l'âge  de  dix  ans  comme  trompette  dans  la  compagnie  d'hon- 
neur, et  qui,  plus  tard,  ayant  reçu  la  charge  d'instructeur  à  l'école 
de  Versailles,  forma  pour  nos  armées,  sous  l'empire,  plus  de  six 
cents  musiciens. 

»  Admis  à  sonner  celte  ordonnance  devant  une  commission 
dont  les  généraux  Ganclaux,  Bourlier  et  d'Hautpoul  faisaient  partie, 
il  obtint  un  tel  succès  que  ce  dernier,  lui  entendant  exécuter  la 
charge,  qui,  sur  un  champ  de  bataille,  retentissait  toujours  si 
agréablement  à  son  oreille  et  n'avait  jamais  en  vain  sollicité  son 
courage,  ne  put  s'empêcher  de  s'écrier  :  //  me  semble  que  j'y  suis/ 

»  Cette  exclamation,  échappée,  dans  un  moment  d'enthou- 
siasme, à  un  si  grand  général,  est  la  meilleure  preuve  que  la  com- 
position et  l'exécution  de  Buhl  avaient  parfaitement  atteint  le  but. 
Mais  un  suffrage  encore  plus  précieux  et  bien  plus  difficile  a 
obtenir  vint  récompenser  l'artiste  des  peines  que  lui  avait  eolitées 
son  travail.  L'emjjereur  lui-même,  qui,  au  dire  de  certaines  per^ 
sonnes,  n'aimait  pas  la  trompette,  daigna  cependant  faire  complimen- 
ter l'auteur  de  l'ordonnance,  signalant  même  comme  parfaite  la 
sonnerie  pour  éteindre  les  feux,  ainsi  que  la  marche  sur  l'air  de 
la  victoire  de  la  Caravane,  de  Grétry. 

»  En  1806,  Buhl  composa  l'ordonnance  des  trompettes  pour  les 
compagnies  de  voltigeurs.  On  lui  doit,  en  outre,  les  six  premières 
fanfares  pour  quatre  trompettes,  sonnées  en  1799  dans  la  garde 
consulaire,  aiusi  que  la  plupart  des  morceaux  de  musique  militaire 
exécutés  par  nos  troupes  sous  le  Consulat  et  l'Empire.  » 

Dans  l'estime  où  Napoléon  tenait  la  musique  militaire,  on  doit 
penser  qu'il  surveillait  minutieusement  son  répertoire.  Jusque-là, 
les  régiments,  étrangers  ou  provinciaux,  avaient  joué  des  airs  de 
leur  pays,  sauf  les  Suisses,  auxquels  il  avait  fallu  retirer  les  échos 
de  leurs  montagnes,  parce  qu'ils  causaient  dans  leurs  rangs  de 
nombreuses  désertions.  Avec  le  Consulat  et  l'Empire,  c'est  la  note 
héroïque  qui  surgit,  et  qui  bientôt  domine  tous  les  autres  genres.  Il 
n'est  pas  un  fait  d'armes,  pas  une  conquête,  qui  ne  trouve  son 
barde  inspiré.  Dans  son  dernier  livre  si  inléressant,  le  Nouveau  Mu- 
siciana,  M.  Weckerlin  a  dressé  la  liste  de  ces  productions  guerrières. 
On  y  trouve,  entre  autres  curiosités,  une  Bataille  de  Marengo,  par 
Viguerie,  une  Bataille  d'Austerlit:-,  musique  de  Jadin  (deux  éditions 
allemandes,  à  Berlin),  la  Journée  d'Ulm,  par  Steibelt,  arrangée  pour 
deux  flûtes  par  Fuchs,  la  Bataille  d'Iéna.  par  Lemière,  dédiée  à  la 
Grande  Armée  (Francfort,  chez  Lespinkel). 

Puis,  avec  les  revers,  le    répertoire  change.  Voici  maintenant  la 

Victoire    de    Wellington  ou  la  Bataille  de    Vittoria,   musique    de 

Beethoven!  Les  Anglais  y  sont  désignés  par  l'air  de  Raie  Britannia  et 
les  Français  par  Malbroug  s'en  va-t'-en  guerre.  Nous  sommes  loin  de 
la  symphonie  héroïque  dédiée  à  la  gloire  d'un  héros,  qui  dans  la 
pensée  de  son  auteur,  était  primitivement  Bonaparte...  Wagner  n'est 
pas  le  premier  qui  ait  bavé  sur  la  France,  à  ses  heures  de  détresse. 

A  citer  encore,  dans  cette  série  noire,  la  Bataille  de  Leipzig  ou  la 
Délivrance  de  l'Alleinagne,  musique  de  Riotte  (publiée  à  Bonn),  Voyage 
de  Napoléon  à  Sainte-Hélène,  par  H.  Lense  (Mayence,  avec  image  sur 
le  titre),  et  enfin,  un  Air  de  chasse,  avec  vahe  et  marche  funèbre  de 
Napoléon  Ronaparte,  né  à  Ajaccio  le  1S  août  I76S,  mort  à  Sainte-Hélène 


LE  MENtSmi- L 


229 


le  S  mars  iSH ,  qu'on  trouve  en  Europe,  chez  tous  les  marchands  de 
musique  funèbre. 

Il  y  avait  donc  de  la  musique  militaire  pour  tous  les  goûts,  pen- 
dant répopée  napoléonienne  ;  mais  au  milieu  de  cette  avalanche 
plus  ou  moins  mélodique,  le  souverain  n'admettait  qu'un  choix 
restreint,  d'une  valeur  épurée,  et  toujours  en  situation  avec  les 
événements. 

Nous  avons  vu  combien  Napoléon  tenait  à  cette  dernière  condi- 
tion, qu'il  étendait  volontiers  aux  arts  en  général,  et  surtout  au 
théâtre  et  à  la  musique. 

Le  théâtre  était,  à  ses  yeux,  non  seulement  une  distraction,  mais 
un  élément  dont  il  fallait  jouer  avec  prudence.  S'il  s'y  produisait 
une  note  douteuse,  les  plus  graves  conséquences  pouvaient,  croyait- 
il,  en  résulter.  Grétryle  supplia  pendant  longtemps  d'ordonner  une 
reprise  de  Richard  Cœur  de  Lion;  mais  Napoléon  hésitait.  Il  voyait  une 
épreuve  redoutable,  vu  les  menées  légitimistes,  à  laisser  chanter  sur 
la  scène  :  0  Richard,  ô  mon  roi,  l'univers  t'abandonne  1  Et  nombre  de 
gens  de  son  entourage  lui  prédisaient  de  gros  scandales,  au  bout  de 
l'air  favori  du  trouvère  Blondel.  Cependant  Napoléon  se  rendit.  A 
Sainte-Hélène,  plus  tard,  il  dicta  : 

0  La  représentation  eut  lieu,  sans  nul  inconvénient.  Alors,  j'or- 
donnai de  la  répéter  huit  jours  de  suite,  jusqu'à  indigestion...  Le 
charme  rompu,  Richard  a  continué  d'être  joué  sans  qu'on  y  songeât 
davantage.  » 

Une  autre  fois.  Napoléon  —  il  n'était  alors  que  premier  consul  — 
crut  à  une  satire  dirigée  contre  lui,  personnellement.  Après  la  re- 
présentation, à  rOpéra-Comique,  d'un  ouvrage  de  Dupaly,  portant 
le  titre  de  V Antichambre,  ou  te  Valets  maîtres,  de  trop  zélés  cour- 
tisans voulurent  persuader  à  Bonaparte  que  cette  pièce  était  dirigée 
contre  l'institution  du  Consulat.  Les  personnages  portaient,  disait- 
on,  les  mêmes  vêtements  que  ceux  des  trois  consuls,  et  l'on  ajoutait 
que  Chenard,  le  chanteur  en  vogue,  singeait  l'allure  et  les  attitudes 
du  premier  consul. 

Bonaparte,  furieux,  exigea  que  la  coupe  et  la  couleur  des  cos- 
tumes fussent  vérifiés,  et  que  s'ils  ressemblaient  à  la  coupe  et  à  la 
couleur  des  vêtements  consulaires,  les  acteurs  en  fussent  revêtus 
sur  la  place  de  Grève  et  qu'ensuite  le  bourreau  déchirât  sur  eux 
ces  costumes. 

Puis,  il  demandait  que  Dupaly  fût  envoyé  à  Saint-Domingue, 
comme  réquisitionnaire  à  la  disposition  du  général  en  chef,  et  que 
cette  décision  fût  mise  à  l'ordre  de  l'armée. 

Heureusement  pour  l'auteur,  pour  les  comédiens  et  pour  la  pièce, 
l'enquête  établit  que  celle-ci  avait  été  écrite  avant  le  Consulat  et  que 
les  costumes  incriminés  ne  ressemblaient  en  rien  à  ceux  des  consuls. 
La  pièce  fut  reprise  sous  le  nom  de  Picaros  et  Diego. 
On  a  pu  voir,  dans  les  Mémoires  de  Talleyrand,  combien  Napoléon 
comptait  sur  ses  comédiens  pour  éblouir  «  son  bon  frère  »  Alexandre, 
à  l'entrevue  d'Erfurl.  Pour  le  choix  de  la  pièce  d'ouverture,  le 
sociétaire  Dazincourt  avait  timidement  proposé  Athalie. 

—  Athalie/  û  donc  !  s'éci'ia  l'empereur.  Vais-je  à  Erfurt  pour  mettre 
quelque  Joas  dans  la  tête  de  ces  Allemands?  Athalie/  Que  c'est 
bête!  Mon  cher  Dazincourt,  on  voilà  assez!  Prévenez  vos  meilleurs 
acteurs  tragiques  qu'ils  se  disposent  â  aller  à  Erfurt;  je  vous  ferai 
donner  mes  ordres  pour  le  jour  de  votre  départ  et  pour  les  pièces 
qui  doivent  être  jouées...  Allez...  Que  ces  vieilles  gens-là  sont 
bêtes!...  Athalie/  Il  est  vrai  aussi  que  c'est  ma  faute,  pourquoi  les 
consulter?  Je  ne  devrais  consulter  personne.  Encore,  s'il  m'avait  dit 
Cinna;  il  y  a  de  grands  intérêts  en  action,  et  puis  une  scène  de  clé- 
mence, ce  qui  est  toujours  bon.  J'ai  su  presque  tout  Cinna  par  cœur, 
mais  je  n'ai  jamais  bien  déclamé.  Rémusat,  n'est-ce  pas  dans  Cinna 
qu'il  y  a  : 

Tous  ces  crimes  d'Etat,  qu'on  fait  pour  la  couronne, 
Le  ciel  nous  en  absout,  lorsqu'il  nous  la  donne? 

Je  ne  sais  pas  si  je  dis  bien  les  vers? 

—  Sire,  c'est  dans  Cinna,  mais  je  crois  qu'il  y  a  :  alors  qu'il  nous 
la  donne. 

— •  Comment  sont  les  vers  qui  suivent?  Prenez  un  Corneille. 

—  Sire,  c'est  inutile,  je  me  les  rappellerai  : 

Le  ciel  nous  en  absout,  alors  qu'il  nous  la  donne; 
Et,  dans  le  sacré  rang  où  sa  faveur  l'a  mis. 
Le  passé  devient  juste  et  l'avenir  permis. 
Qui  peut  y  parvenir  ne  peut  être  coupable; 
Quoi  qu'il  ait  fait  ou  fasse,  il  est  inviolable. 

■  —  C'est  excellent,  et  surtout  pour  ces  Allemands,  qui  restent  tou- 
jours sur  les  mêmes  idées  et  qui  parlent  encore  de  la  mort  du  duc 
d'Eughicn  :  Il  faut  agrandir  leur  morale.  Je  ne  dis  pas  cela  pour 


l'empereur  Alexandre  ;  ces  choses-là  ne  font  rien  à  un  Russe,  mais 
c'est  bon  pour  les  hommes  à  idées  mélancoliques  dont  l'Allemagne 
est  remplie.  On  donnera  donc  Cinna;  voilà  une  pièce  ;  ce  sera  pour 
le  premier  jour.  Rémusat,  vous  chercherez  quelles  sont  les  tragé- 
dies que  l'on  pourrait  donner  les  jours  suivants,  et  vous  m'en  ren- 
drez compte  avant  de  rien  arrêter. 

—  Sire,  Votre  Majesté  voudra  qu'on  laisse  quelques  acteurs  pour 
Paris? 

—  Oui,  des  doublures;  il  faut  emmener  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon, 
il  vaut  mieux  en  avoir  de  trop. 

Ainsi  fut  fait,  ce  qui  assura  la  splendeur  légendaire  des  représen- 
tations d'Erfurt. 

Dans  cette  même  circonstance,  la  musique  ne  fut  pas  oubliée.  Ce 
fut  Martin,  de  l'Opéra-Comique,  qui  fut  chargé  de  son  organisation. 
Il  prit  avec  lui  une  troupe  capable  de  fixer  l'attention  des  augustes 
hôtes  de  Napoléon,  et  réussit  pleinement  dans  sa  mission.  Pour 
avoir  une  salle  digne  des  artistes  et  du  répertoire  français,  Martin 
s'improvisa  décorateur,  architecte,  et  mit  en  état,  en  trois  jours,  une 
salle  abandonnée,  qui  apparut  aux  spectateurs  surpris,  éblouissante 
de  dorures  et  de  lumières.  Alexandre  fut  si  charmé  de  ces  repré- 
sentations qu'il  en  témoigna,  de  toutes  les  façons  et  à  plusieurs 
reprises,  sa  gratitude  à  l'excellent  artiste. 

En  aucune  occasion.  Napoléon  ne  négligea,  d'ailleurs,  de  se  faire 
suivre  de  troupes  dramatiques  et  lyriques  dans  ses  voyages  à  travers 
l'Europe.  Le  baron  Peyrusse,  payeur  impérial,  qui  accompagnait 
partout  l'empereur,  ce  qui  lui  a  donné  matière  à  de  bieii  curieux 
mémoires,  consacre  un  long  passage  aux  représentations  françaises 
à  Vienne,  en  1809.  Le  spectacle  commença  le  2  août,  sur  le  théâtre 
de  la  Cour,  où  l'on  débuta  par  Phèdre  et  un  petit  ballet.  Mais  ce 
n'était  là  qu'un  coin  des  manifestations  artistiques  promises.  En  effet, 
nous  lisons  ces  lignes  à  la  date  du  19  septembre:  «  Il  vient  de  nous 
arriver  un  nouveau  renfort  de  chanteurs  et  de  chanteuses  pour  le 
théâtre  de  Schœnbrunn.  Sa  Majesté  nourrit  bien  notre  corps  et  notre 
âme.  » 

A  Dresde,  en  1813,  Napoléon  voulait  que  Rémusat  lui  envoyât  des 
acteurs  de  la  Comédie-française  et  de  Feydeau,  «  pour  faire  croire 
aux  ennemis  que  les  Français  s'amusaient  à  Dresde».  Une  salle  de 
spectacle,  communiquant  aux  appartements  de  l'empereur  et  pou- 
vant contenir  deux  cents  spectateurs,  fut  construite,  en  vue  de  ces 
réjouissances,  dans  l'orangerie  du  palais  Marcolini.  La  troupe  italienne 
du  roi  de  Saxe  y  donna  trois  représentations,  pour  permettre 
d'attendre  les  artistes  parisiens,  qui  arrivèrent  le  19  juin. 

Enfin,  à  Moscou,  après  l'incendie  du  Kremlin  et  de  la  ville,  et 
alors  qu'on  ne  croyait  pas  tout  perdu,  c'est  encore  à  la  musique 
que  Napoléon  fit  appel  pour  remonter  le  moral  de  ceux  qui  l'entou- 
raient. Le  préfet  de  sa  maison,  Bausset,  mis  en  campagne  pour 
arrivera  ce  but,  découvrit  un  chanteur  habile,  le  signor  Tarquini, 
qui,  depuis  quelques  années,  s'était  fait  une  brillante  réputation 
en  Italie  dans  les  rôles  de  Crescentini.  Il  habitait  Moscou  depuis 
deux  ans  et  y  donnait  des  leçons  de  chant.  M"""  Busset,  la  direc- 
trice d'une  troupe  française,  indiqua  à  Bausset  un  excellent  accom- 
pagnateur dans  la  personne  d'un  fils  du  célèbre  Martini,  ce  qui  lui 
permit,  selon  son  expression,  «  de  mêler  quelques  délassements  aux 
grandes  occupations  de  Napoléon  ». 

Nous  avons  vu  la  musique  militaire  jouer  un  rôle  analogue,  à 
l'égard  de  l'armée,  pendant  la  retraite  de  Russie.  Ce  fut  une  rude 
et  triste  campagne.  On  étaitloin  de  l'époque  oit  l'empereur,  victorieux, 
écrivait  de  Fontainebleau,  le  31  octobre  1807,  à  Crétet,  ministre  de 
l'intérieur,  pour  lui  enjoindre  de  préparer  l'entrée  triomphale  de  «  sa 
garde  »  à  Paris.  Il  lui  recommandait  de  ne  ménager  ni  les  cris  de 
triomphe,  ni  les  banquets,  ni  les  bals,  et  surtout  de  faire  composer 
des  chansons  et  des  airs,  «  pour  que  la  cérémonie  fût  la  plus  touchante 
et  la  flus  efficace  possible.  » 

Ces  sortes  de  commandes  avaient  été  plus  fréquentes  qu'on  ne  le 
pense  au  temps  de  la  splendeur  napoléonienne.  Au  hasard  de  nos 
notes,  nous  retrouvons  ce  billet  à  Chaptal,  ministre  de  l'intérieur: 

«  Paris,  T  frimaire  an  M  (19  novembre  1803). 

»  Je  désire,  citoyen  ministre,  que  vous  fassiez  faire,  sur  l'air  du 
Chant  du  départ,  un  chant  pour  la  descente  en  Angleterre. 

1)  Faites  faire  également  plusieurs  chants  sur  le  même  sujet  sur 
différents  airs. 

»  Je  sais  qu'il  a  été  présenté  plusieurs  comédies  de  circonstance, 
il  faudrait  en  faire  un  choix  pour  les  faire  jouer  sur  différents  théâtres 
de  Paris  et  surtout  aux  camps  de  Boulogne,  Bruges  et  autres  lieux 
où  est  l'aror.ée. 

a    BùNAPAlirE.     » 


230 


LE  MENESTRa 


Mais  qu'allons-uous  parler  de  Boulogne,  et  de  l'éblouissanle  expé- 
dition qui  suivra  de  près,  alors  qu'il  ne  nous  reste  plus  à  nous  entre- 
tenir que  dos  années  sombres  qui  vont  clôturer  l'épopée  impériale. 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Pail  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (16  juillet).  —  Les  concours  du 
Conservatoire  se  sont  terminés  hier.  Ils  ont  été,  en  général,  d'une  hono- 
rable moyenne.  La  plupart  des  classes,  même  de  celles  qui,  les  années 
précédentes,  avaient  formé  des  éléments  sortant  de  l'ordinaire,  n'ont 
donné,  cette  fois,  que  des  résultats  tranquilles  et  n'ont  présenté  que  des 
sujets  de  talent  secondaire.  Je  ne  vois  pas  qu'un  avenir  extraordinaire 
soit  réservé,  par  exemple,  aux  lauréats  des  classes  de  violoncelle  et  d'orgue; 
la  contrebasse  et  la  clarinette  n'ont  rien  à  leur  envier.  L'enseignement  y 
suit  d'ailleurs  son  cours  normal.;  il  y  est  presque  toujours  excellent;  et 
ce  n'est  pas  la  faute  des  professeurs  si  les  «  génies  »  n'abondent  pas  tous 
les  ans.  Les  classes  de  piano  et  de  violon  ont  été  un  peu  plus  heureuses, 
Au  milieu  des  nombreuses  médiocrités  que  le  jury  a  couronnées  ou  en- 
couragées, il  nous  faut  distinguer,  parmi  les  pianistes  du  sexe  faible,  que 
M.  Gurickx,  succédant  otlicieusemeut  à  M.  Auguste  Dupont,  en  attendant 
qu'il  lui  succède  ofBciellement,  avait  préparées,  une  jeune  fille  de  talent 
très  fin  et  très  aimable,  M"'*  Blés;  et  parmi  les  jeunes  gens,  dans  la 
classe  de  jour  en  jour  plus  brillante  de  M.  Arthur  de  Greef,  je  dois  mettre 
surtout  hors  pair  un  pianiste  tout  à  fait  extraordinaire,  un  Danois, 
M.  Storck,  qui  a  remporté,  au  milieu  d'un  véritable  enthousiasme  du  jury 
et  de  l'auditoire,  un  premier  prix  «  avec  la  plus  grande  distinction  ». 
Ce  M.  Storck  a  été  l'événement,  le  triomphateur  du  concours  de  cette 
année;  ce  n'est  plus  un  élève,  c'est  déjà  un  artiste,  ayant  tout  à  la  fois  le 
charme  et  la  puissance,  un  jeu  d'une  délicatesse  merveilleuse  et  une  vi- 
gueur rare.  Figurez-vous,  à  bien  peu  de  chose  près.  M,  Paderewski  ;  c'est 
beaucoup  dire,  sans  doute;  mais  les  qualités  sont  étonnamment  sem- 
blables, chez  l'un  et  chez  l'autre.  Je  souhaite  que  M.  Storck  continue  à 
mériter  la  comparaison;  et  je  crois  certainement  qu'il  fera  parler  de  lui. 
Le  succès  de  M.  Storck  a  été  partagé,  dans  la  classe  de  violon  de  M.  Cu- 
lyns,  par  une  toute  jeune  fille,  M"»  Blés,  —  la  sœur  de  W"  Blés,  cou- 
ronnée dans  la  classe  de  piano;  —  et  celle-là  aussi  a  soulevé  des  trans- 
ports d'enthousiasme,  par  ses  qualités  réellement  hors  ligne  de  sentiment 
et  de  virtuosité;  nature  exceptionnellement  bien  douée,  et  vrai  tempé- 
rament artistique.  Pour  le  chant  :  M""^  Cornélis-Servais  et  M.  Warnots,  ont 
aligné  une  légion  de  concurrentes.  Bien  peu  se  sont  réellement  distin- 
guées, soit  par  la  voix,  soit  par  des  mérites  de  cantatrice  suffisamment 
remarquables  pour  valoir  ici  une  mention  spéciale.  Signalons  cependant, 
dans  la  nuée  de  lauréates  écrasées  sous  le  poids  des  premiers  prix, 
M"*  Parentani,  qui  fera  au  théâtre  une  dugazon  très  délurée  et  très 
vivante;  ^P'^  de  Haen,  une  précieuse  virtuose  de  concert,  vocaliste  très 
exercée,  stylée  à  ravir;  et  M"'^  Flament,  pour  ses  trois  ou  quatre  notes 
superbes  de  contralto.  Enfin,  de  la  déclamation,  il  n'y  aurait  absolument 
rien  à  dire  si,  en  dehors  du  concours  ordinaire,  qui  a  été  d'une  déplo- 
rable insignifiance,  une  jeune  artiste,  M"*  Parys,  lauréate  des  concours 
précédents,  ne  s'était  présentée  pour  remporter  le  diplôme  spécial,  nou- 
vellement institué,  «  de  virtuosité  »,  remplaçant  l'habituel  diplôme 
d'excellence  et  de  capacité;  elle  l'a  remporté  «  avec  la  plus  grande  distinc- 
tion »,  et  l'a  bien  mérité.  C'est  une  charmante  comédienne,  diseuse 
exquise,  faite  pour  tenir  sa  place  dans  les  rôles  d'ingénues,  en  attendant 
qu'elle  le  tienne  avec  honneur  dans  les  premiers  rôles.  —  Tel  est  le  bilan 
des  concours  et  ce  qu'ils  ont  produit  de  mieux.  L.    S. 

—  Nouvelles  de  Londres  (16  juillet)  : 

Après  une  nouvelle  remise,  la  première  d'Otello  a  été  donnée  hier  soir 
à  Govent-Garden,  presque  à  l'improviste,  alors  qu'on  n'y  comptait  plus 
pour  cette  saison.  Tout  a  été  dit  sur  le  dernier  opéra  de  Verdi,  œuvre 
venue  sur  le  tard,  souvent  mal  équilibrée  et  laborieuse.  Les  réserves  qui 
avaient  accueilli  OieWo  lors  de  son  apparition,  chaque  nouvelle  auditionne 
fait  que  les  confirmer.  Les  pages  saillantes  de  cette  partition  inégale  restent 
toujours  le  fameux  Credo,  le  duo  de  la  jalousie,  le  monologue  d'Otello,  et 
dans  son  ensemble  tout  le  dernier  acte.  Le  grand  intérêt  de  la  distribu- 
tion actuelle  se  portait  sur  le  nom  de  M.  Jean  de  Reszké,  surtout  après 
les  potins  de  coulisses  qui  transformaient  la  récente  indisposition  de  l'ar- 
tiste eu  simple  hésitation  de  sa  part.  L'événement  vient  de  prouver  que 
cette  hésitation,  si  elle  avait  jamais  existé,  n'avait  pas  sa  raison  d'être,  et 
le  rôle  d'Otello  est  un  nouveau  succès  à  l'actif  du  brillant  ténor.  Certes 
rOtello  de  M.  Jean  de  Reszké  n'est  pas  le  sauvage  presque  hystérique  de 
M.  Tamagno,  mais  il  n'en  est  que  beaucoup  plus  humain  et  plus  vrai.  Sa  con- 
ception du  personnage  est  bien  observée  et  se  soutient  à  travers  toutes  les 
péripéties  de  l'action.  Sous  le  rapport  vocal,  M.  Jean  de  Reszké  n'avaitpas 
grande  difficulté  à  faire  oublier  le  très  surfait  ténor  italien.  Si  nous  y 
manquons  quelques  éclats  de  voix,  le  rôle  ne  pouvait  que  gagner  à  être 
chanté  avec  l'ampleur  de  style  et  l'élégance  de  déclamation  de  M.  Jean 
de  Reszké.  Cette  nouvelle  création  comptera  dans  sa  carrière  artistique. 
L'Iago  de  M.  Maurel  avait  déjà  obtenu  un  énorme  succès  lors  des  repré- 


seotations  â'Otello,  il  y  a  deux  ans,  au  Lyceum,  dont  il  constituait  le- 
principal  attrait.  C'est  toujours  une  des  créations  les  plus  fouillées,  les 
plus  pittoresques,  les  plus  complètes  de  l'opéra  moderne.  C'est  à  cause 
de  cela  même  qu'on  a  le  droit  de  s'étonner  qu'un  artiste  de  la  valeur  de 
M.  Maurel  abuse  souvent  de  la  rampe,  au  point  de  faire  sortir  le  per- 
sonnage hors  de  son  cadre.  lago  n'est  fort  dans  sa  duplicité  que  parce 
qu'il  sait  se  maîtriser  et  se  tenir  à  sa  place,  ce  que  M.  Maurel  semblé 
parfois  oublier.  M"*  Albani  n'est  plus  faite  pour  personnifijr  les  héroïnes 
de  Shakespeare.  Sa  façon  de  chanter  le  rôle  de  la  douce  Desdemone, 
presque  invariablement  à  pleins  poumons,  lui  enlève  son  charme  et  son 
caractère.  Il  est  vrai  que  lorsque  la  chanteuse  a  recours  à  la  demi-teinte, 
sa  voix  lui  joue  souvent  de  vilains  tours,  témoin  son  exécution  de  l'Ave 
Maria,  qui  a  été  une  torture  pour  les  oreilles  délicates.  M""  Passama  est 
une  Emilia  consciencieuse  :  les  autres  petits  rôles  sont  mal  tenus,  sur- 
tout celui  de  Cassio,  si  nécessaire  à  l'action.  L'orchestre  et  les  chœurs 
n'ont  pas  le  fondu  de  ceux  de  Milan,  que  conduisait  avec  tant  de  sou- 
plesse, au  Lyceum,  le  pauvre  Faccio.  M.  Mancinelli  n'est  pas  maître 
de  ses  cuivres,  et  son  orchestre  a,  selon  son  habitude,  joué  trop  fort. 

La  reprise  d'Aida  a  servi  de  rentrée  à  M""»  Nordica,  dont  la  voix  toujours 
fraîche  et  le  talent  gracieux  avaient  souvent  manqué  à  cette  dernière  sai- 
son d'opéra.  L'oratorio  de  M.  Isidore  de  Lara  «  la  Lumière  d'Asie  »,  trans- 
formé en  opéra  italien,  est  annoncé  pour  lundi  prochain  et  terminera  la 
saison  avec  les  représentations  i'Olello. 

L'ovation  qui  a  été  faite  à  M.  Paderewski  à  la  fin  de  son  dernier  concert, 
pendant  lequel  il  ;.  exécuté  avec  un  brio  incomparable  plus  de  vingt  mor- 
ceaux de  Chopin,  était  aussi  remarquable  par  sa  chaleur  que  par  sa  spon- 
tanéité. Le  brillant  artiste,  qui  entreprendra  bientôt  le  tour  du  monde, 
s'p.st  conquis  en  deux  saisons,  dans  la  faveur  du  public  de  Londres,  une 
place  égale  à  celle  des  grands  maîtres  du  piano.  A.  G.  N, 

—  M"""  Lemmens-Sherrington,  veuve  du  grand  organiste  belge  Lem- 
mens,  vient  d'être  nommée  professeur  de  chant  à  l'Académie  royale  de 
Londres,  «  Les  Anglais,  dit  à  ce  propos  notre  confrère  de  Bruxelles  l'É- 
ventail, savent  mieux  apprécier  que  nous  les  mérites  de  cette  femme  de 
talent,  qui  n'a  pas  su  trouver  à  Bruxelles  les  succès  sur  lesquels  elle- 
comptait.  »  M""  Lemmens,  qui  a  été  en  effet  l'une  des  premières  canta- 
trices de  ce  temps  (elle  est  née  en  1834),  a  obtenu,  comme  chanteuse  de 
concerts;  des  succès  aussi  brillants  que  mérités.  Mais  on  ne  doit  pas- 
oublier  qu'elle  est  de  naissance  et  d'origine  anglaises  ;  il  n'est  donc  pas 
étonnant  que  ses  compatriotes  se  soient  souvenus  d'elle,  et  qu'ils  aient 
songé  à  lui  ofi'rir  l'importante  situation  qu'elle  est  appelée  à  occuper  à 
l'Académie  royale  de  musique  de  Londres. 

—  Le  chanoine  anglais  Harford  vient  de  mettre  en  avant,  dans  le  jour- 
nal médical  The  Lancet,  une  idée  assez  singulière,  celle  d'une  association 
musicale  thérapeutique.  Le  digne  prélat  est  persuadé  que  la  musique 
possède  des  propriétés  cui'atives  agissant  sur  certains  tempéraments;  ainsi,. 
il  a  su  calmer  les  douleurs  dont  souffrait  son  amie  la  vicomtesse  Coniber- 
mere  en  lui  jouant  un  morceau  de  violon,  avec  sourdine.  Il  développe  son- 
système  avec  un  très  grand  sérieux,  l'accompagnant  d'indications  pratiques 
suivant  le  caractère  de  la  maladie  et  y  ajoutant  même  un  tarif  détaillé  ! 
Nous  ne  résistons  pas  à  la  tentation  de  communiquer  à  nos  lecteurs  un 
des  conseils  du  chanoine  Harford  :  «  Pour  guérir  une  maladie  très  répandue, 
l'insomnie,  dît-il,  il  suffit  de  se  faire  chanter  un  duo  par  un  soprano  et 
un  contralto,  avec  accompagnement  de  violon.  »  Comme  on  le  voit,  c'est 
très  simple  et  à  la  portée  de  chacun  ! 

—  L'Armée  du  Salut  vient  de  fêter  au  Cryslal  Palace,  de  Londres,  son 
26'=  anniversaire.  Comme  bien  on  pense,  la  musique  a  été  de  la  fête.  Nous- 
ignorons  ce  qu'a  dû  être  cette  musique,  mais  voici  en  quels  termes... 
menaçants  elle  était  annoncée  sur  le  programme  :  •,(  Festival  à  grand 
orchestre.  Musique  joyeuse.  Harmonies  célestes.  Sonnerie  de  trompettes 
tendres  (sic)  et  sonores,  douces  et  éclatantes.  Flots  de  mélodies  réconfor- 
tantes. Cyclone  choral  (!!)  etc..  Bataille  de  chansons,  par  un  chœurs  d'adultes 
et  d'enfants  (10,000  voix),  accompagné  par  les  plus  doux  accords  du  grand 
orgue.  »  La  félicité  des  auditeurs  a  dû  être  grande. 

—  A  partir  de  l'année  prochaine,  l'Université  'Victoria,  de  Manchester,, 
conférera  des  grades  en  musique,  depuis  le  baccalauréat  jusqu'au  doctorat, 
L'Angleterre  possède  donc  désormais  cinq  universités  où  la  musique  a 
droit  de  cité:  Londres,  Oxford,  Cambridge,  Durham  et  Manchester. 

—  Un  des  spectacles  favoris  de  lo.  Cour  du  roi  d'Angleterre  Jacques  1", 
le  jeu  du  Masque  des  fkurs  (Maske  of  flowers),  vient  d'être  reconstitué  à  l'occa- 
sion d'une  fête  de  bienfaisance  donnée  au  collège  des  échevins,  à  Londres, 
sous  le  patronage  de  la  femme  du  lord  chancelier.  Le  texte  fut  composé 
par  Ben  Johnson  en  1613,  en  l'honneur  du  mariage  du  comte  de  Somerset 
avec  lady  Frances  Howard  ;  il  a  été  remanié  par  M.  Arthur  à  Beckelt  pour 
les  fêtes  du  jubilé  de  la  reine  Victoria  en  ISS";  c'est  donc  la  deuxième  fois 
que  le  Masque  des  (leurs  est  présenté  au  public  dans  sa  nouvelle  version.  En 
ce  qui  concerne  la  musique,  composée  par  J.  Coperario  (Jean  Gooper)  maî- 
tre de  musique  des  enfants  de  Jacques  I"',  en  société  avec  Lanière  et  quel- 
ques autres  artistes,  on  n'a  pu  en  retrouver  qu'un  seul  fragment,  appar- 
tenant à  ce  compositeur,  le  chœur  de;  «  partisans  du  vin  et  du  tabac  ». 
C'est  M.  A,-H.-D.  Prendergast  qui  s'est  chargé,  en  ISS7,  d'écrire  une  nou- 
velle partition,  qu'on  dit  très  réussie.  A  l'époque  de  sa  première  appari- 
tion, te  Masque  des  fleurs  a  eu  un  certain  retentissement;  il  faisait  partie  de 


LE  MENESTREL 


231 


toutes  les  grandes  fêtes  de  la  Cour  et  de  la  noblesse  anglaise,  c'Olait  une 
sorte  de  divertissement  carnavalesque  où  la  danse,  le  chant,  la  satire  et 
les  évocations  mythologiques  s'unissaient  dans  un  ensemble  plus  ou  moins 
•harmonieux.  Pour  la  représentation  qui  vient  d'avoir  lieu,  on  avait  établi 
une  mise  en  scène  très  luxueuse.  L'orchestre,  dirigé  par  M.  Arthur  Haden, 
■  était  composé  d'un  double  quatuor  et  de  deux  clavecins  sortis  des  ateliers 
de  la  maison  Broadwood. 

—  C'est  aujourd'hui  dimanche  que  commence,  à  Bayreulh,  la  série  des 
représentations  wagnériennes,  qui  se  continueront  jusqu'au  19  août.  Nous 
•avons  fait  connaître  les  dates  de  chacune  de  celles  des  trois  ouvrages  : 
Parsifal,  TannhâuscT,  Tristan  et  Yseull,  qui,  cette  fois,  sont  olïerts  à  la 
vénération  des  fidèles.  "Voici  la  distribution  de  ces  trois  ouvrages  : 

Parsifal. 
Parsifal  :  MM.  "Van  Dick  et  Gruning. 
Gurnemanz  :  MM.  Grengg  et  Wiegand. 
Amfortas  :  MM.  Reichmann  et  Scheidemantel. 
Klingsor  :  MM.  Fuchs  et  Plank. 
Kundry  :  M»"  Meilhac,  Malien  et  Materna. 

Tristan  et  iscutt. 
Tristan,  M.  Alvary;  Marke,  M.  Wiegand;  Kurvenal,  M.  Plauk;  Iseult,  M""  Su- 
■cher;  Brangiene,  M""  Staudigl. 

Tannhïiu&er. 

Le  landgrave,  M.    Boring;   Tannhàuser,  MM.  Alvaîy  et  Van   Dick;  Wolfram, 

MM.  Reichmann  et   Schei  demanlel;  Walther,  M.  Giûning;   Biterolf,   M.  Lipe; 

Henri,  M.  Zeller  ;  Reinmar,  M.  Schlosser  ;  Elisabeth,  M"°  ***  ;  Vénus,  M""  Meilhac 

et  Sucher;  le  pâtre,  M"°"  de  Anna  et  Herzog. 

L'orchestre  sera  dirigé  par  MM.  Lévi  et  Félix  Mottl,  les  chœurs  par 
M.  J.  Kniese.  C'est  la  fameuse  danseuse  italienne.  M""  Virginia  Zucchi, 
qui  est  chargée  de  régler  les  scènes  chorégraphiques  du  Tannhduseï: 

—  Une  dépêche  télégraphique  parvenue  cette  semaine  à  Paris  nous 
.apportait  les  nouvelles  suivantes  de  l'Exposition  organisée  à  Vienne  par 
lies  soins  et  sur  l'initiative  de  M"*  la  princesse  de  Metternich  : 

Vienne,  13  juillet.  —  Le  projet  d'une  Exposition  internationale  théâtrale  et 
musicale  prend  de  grandes  proportions.  Presque  tous  les  musées  et  les  conser- 
vatoires de  l'Europe  y  prendront  part.  Des  artistes  célèbres  de  toutes  les  nations 
■donneront  des  représentations  au  graud  théâtre  de  l'Exposition. 

La  Comédie-Française  donnerait  quatorze  représentations.  On  entendrait  éga- 
ilement  une  troupe  italienne,  dirigée  par  Rossi,  et  la  troupe  d'Irving,  le  célèbre 
artiste  anglai?. 

Il  y  aura  aussi  un  festival  de  musiques  auquel  toutes  les  sociétés  musicales  les 
plus  connues  seront  conviées. 

Les  membres  délégués  des  comilés  do  Paris  et  de  Londres  arriveront  dans 
quelques  jours  pour  régler  définitivement,  avec  le  comité  central,  leur  participa- 
tion à  l'Exposition. 

En  ce  qui  concerne  les  représentations  que  donnerait  la  Comédie-Fran- 
çaise à  'Vienne,  la  vérité  est,  dit  notre  confrère  du  Temps,  qu'il  n'a  été 
■question  jusqu'ici  que  d'une  seule  représentation.  M"'"  de  Metternich  a 
pressenti  à  cet  effet  notre  ambassadeur  à  Vienne  et  a  écrit  à  l'administra- 
teur général,  mais  sans  qu'il  soit  question  de  plus  d'une  représentation. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Berlin;  A  l'occasion  du  centenaire 
de  Meyerbeer,  au  mois  de  septembre  prochain,  on  prépare  à  l'Opéra  royal, 
outre  une  représentation  de  gala,  tout  un  cycle  des  principaux  ouvrages 
du  maître  (Robert  le  Diable,  les  Huguenots,  l'Étoile  du  Nord,  lePdrdon  de  Ploërmcl 

et  l'Africaine).  Au  théâtre  Kroll,  belle  représentation  de  Josejyh,  le  chef- 
d'œuvre  de  Méhui,  au  bénéfice  des  proscrits  russes.  Le  ténor  Birrenkoven 
remplissait  le  rôle  de  Joseph,  M""  Sehacko  celui  de  Benjamin.  Le  théâtre 
Lessing  fait  salle  comble  tous  les  soirs  avec  CavuUerià  rusticana,  de  Mas- 
•cagni  et  le  Barbier  de  Bagdad  de  Cornélius.  —  C^ssel  :  On  signale  le  succès, 
au  Théâtre  royal,  d'un  nouvel  opéra,  Vineta,  livret  de  M.  E.  Volfram, 
musique  de  M.  R.-L.  Hermann.  C'est  une  œuvre  très  poétique  et  très 
inspirée,  à  laquelle  on  prédit  une  fructueuse  carrière. — Damistadt  :  La  saison 
lyrique  vient  de  prendre  fin  avec  la  production  de  Cavalleria  rusticana,  qui 
a  réussi  d'.une  façon  éclatante.  —  Dresde  :  Le  théâtre  de  la  Cour  vient  de 
■donner  la  première  représentation  d'un  opéra  en  un  acte,  les  Pieux  Bergers, 
livret  de  M.  E.  Wichert,  musique  d'O.  Fiebach.  Il  ne  paraît  pas  que  les 
auteurs  se  soient  mis  en  grands  frais  d'imagination;  la  pièce,  pas  plus 
que  la  partition,  n'a  éveillé  le  moindre  intérêt.  —  Francfort  :  La  Cavalleria 
rusticana  vient  de  faire  une  première  apparition  à  l'Opéra,  et  a,  comme 
partout  ailleurs,  subjugué  le  public.  M™  Schrôder-Hanfstângl  a  été  admi- 
rable dans  le  rôle  de  Santuzza.  —  Leipzig  :  La  célèbre  cantatrice  M™=  Moran- 
Olden,  vient  de  faire  ses  adieux  au  public  du  théâtre  inunioipal,  après  sept 
années  de  service.  Elle  a  tenu  à  ce  que  son  dernier  rôle  à  Leipzig  fût  le 
même  que  celui  de  ses  débuts  :  Fidclio.  La  direction,  de  son  côté,  avait  tenu 
à  apporter  le  plus  d'éclat  possible  à  cette  représentation  d'adieux,  à  laquelle 
participaient  tous  les  premiers  sujets.  La  soirée  n'a  été  qu'une  suite 
d'ovations  et  de  démonstrations  sympathiques  à  l'adresse  de  M""  Moran- 
Oldeu. 

—  L'intendance  du  théâtre  de  la  cour,  à  Manheim,  faisait  insérer 
récemment,  dans  les  journaux  de  cette  ville,  la  note  suivante  :  —  «  Au- 
jourd'hui, dans  la  représentation  de  la  il/o)ie  Stuart  de  Schiller,  on 
exécutera  au  dernier  acte,  quand  Marie  marche  au  supp-Uee^  Isr  A/«i'e/i«- 
historique  des  Sorcières.  Cette  marche  est  ainsi  intitulée  parce  que  jadis, 


en  Angleterre,  elle  était  jouée  quand  on  brûlait  les  sorcières.  Elle  fut 
exécutée,  par  dérision,  au  supplice  de  Marie  Stuart.  »  Voilà  ce  qu'on 
peut  appeler  de  la  couleur  locale. 

—  Un  important  festival  de  musique  a  été  célébré  à  "Wiesbaden  du  21 
au  23  juin,  avec  le  concours  des  premiers  solistes  de  l'Allemagne,  d'un 
chœur  de  neuf  cent  cinquante  voix  recrutées  dans  treize  villes  de  la  région, 
et  d'un  orchestre  de  cent  vingt  instrumentistes  éprouvés.  Le  premier  con- 
cert était  consacré  à  l'audition  du  Messie,  le  deuxième  à  celle  des  œuvres 
suivantes  de  Beethoven  :  ouvertures  de  Coriolan  et  do  Léonore  [n"  3)  ;  air  de 
Fidelio  par  M""=  Maria  Wilhelmj  ;  concerto  en  mi  bémol,  par  le  pianiste 
Eugène  d'Albert;  symphonie  avec  chœurs;  le  tout  sous  la  direction  de 
M.  Jahn,  de  l'Opéra  de  Vienne.  Le  troisième  concert  se  distinguait  des 
deux  précédents  par  son  programme  varié,  où  figuraient:  Malinconia,  poème 
symphonique  (K»  audition)  dirigé  par  l'auteur,  M.  B.  Scholz;  chœur  de  la 
Création  de  Haydn,  dirigé  par  le  chef  d'orchestre  Wallenstein;  puis  diffé- 
rentes pièces  de  Brahms,  Liszt,  Wagner,  etc.,  etc.,  pour  l'audition  des 
solistes. 

—  La  Bibliothèque  impériale  de  Vienne  vient  d'acquérir  la  très  riche 
collection  de  raretés  musicales  recueillie  par  le  savant  docteur  Ambros, 
mort  il  y  a  quelques  années,  laissant  inachevée  la  publication  d'une  excel- 
lente Histoire  de  la  musique,  qui  depuis  lors  a  été  terminée.  Ambros,  qui 
avait  été  professeur  de  théorie  et  d'histoire  de  la  musique  à  l'Université 
de  Prague,  et  ensuite  â  l'Université  de  Vienne,  avait  formé  cette  superbe 
collection  de  manuscrits,  qui  ne  contenait  pas  moins  de  1,017  numéros. 
De  ces  mille  et  quelques  pièces,  38B  n'étaient  que  des  copies  de  manuscrits 
originaux  qui  se  trouvent  précisément  dans  la  Bibliothèque  de  Vienne; 
mais  les  032  manuscrits  restants  y  manquaient.  Parmi  ceux-ci  se  trouvent, 
entre  autres,  une  série  de  douze  cantates  de  Porpora,  que  l'on  croit  écrites 
de  la  main  même  du  compositeur;  la  partition  i'Ifigenia  in  Tauride,  opéra 
de  Léonard  de  Vinci,  représenté  à  Venise  en  172S,  et  qui  est  considéré 
comme  le  chef-d'œuvre  de  ce  maître;  celle  i'Alcibiade,  opéra  de  Ziani, 
organiste  de  l'église  Saint-Marc  à  Venise,  dont  la  représentation  remonte 
à  16U7;  celle  de  Cyrus,  opéra  de  Hasse,  époux  de  la  célèbre  cantatrice 
p'austina,  etc.  La  collection  Ambros  était  devenue  la  propriété  de  l'écri- 
vain musical  M.  Albert  Hermann. 

—  Le  répertoire  du  théâtre  Regio  de  Turin,  pendant  la  prochaine  saison 
de  carnaval,  comprendra  les  quatre  ouvrages  suivants  :  la  Valkirie,  i  Puri- 
tani,  la  Gioconda  et  la  Manon  Lescaut  du  jeune  maestro  Puccini;  rien  pour- 
tant n'est  encore  définitivement  arrêté  au  sujet  de  ce  dernier.  Quelques 
artistes  seulement  sont  engagés  jusqu'à  ce  jour  :  M'"'^'  Elvira  Repetto-Trî- 
solini,  Ortensia  Synnerberg,  Gipa  Oselio  et  la  basse  Broglio.  Le  chef 
d'orchestre  sera  M.  Vanzo. 

—  Les  journaux  de  Naples  accusent  un  succès  très  vif  pour  une  opé- 
rette nouvelle,  l'Ambasciatore,  qui  vient  d'être  représentée  au  Politeama 
de  cette  ville.  Ils  disent  le  plus  grand  bien  de  la  musique,  qui  est  l'œuvre 
de  M.  Luigi  Mantegna. 

—  A  Rome,  un  concours  a  été  ouvert  à  l'Académie  de  Sainte-Cécile 
pour  le  prix  Liszt,  consistant  en  un  superbe  piano  offert  par  M.  Boisselot, 
de  Marseille.  Sept  concurrents  se  présentaient,  dont  six  jeunes  filles,  tous 
élèves  de  la  classe  de  M.  Sgambati.  Le  premier  prix,  emportant  l'attri- 
bution du  piano,  a  été  remporté  par  M'"  Polacco;  un  premier  accessit 
a  été  décerné  à  M"=  GeruUi,  un  second  à  M"|=  Amat  di  San  Giuseppe.  Le 
concours  a  été  très  brillant. 

—  Les  journaux  américains  annoncent  le  mariage  du  violoniste  belge 
Ovide  Musin  avec  une  de  ses  jeunes  compatriotes,  M"«  Juliette  Folville, 
dont  nous  avons  eu  souvent  à  enregistrer  les  succès  de  compositeur  et  de 
virtuose.  Les  deux  artistes  fixeront  leur  résidence  à  New-York. 

—  A  Parme  on  vient  d'inaugurer,  par  les  soins  et  sur  l'initiative  de 
Société  orchestrale  Parmesane,  sur  la  maison  qui  porte  le  n"  120  de 
la  rue  Farini,  où  demeura  et  mourut  il  y  a  deux  ans  le  fameux  contre- 
bassiste et  compositeur  Bottesini,  une  pierre  commémorative  du  décès  de 
cet  artiste  extrêmement  distingué.  La  pierre  est  de  marbre  blanc,  très 
simple,  haute  de  l'",25  et  large  de  8b  centimètres,  ornée  à  chaque  angle 
d'une  agrafe  de  bronze,  et  porte  cette  inscription,  due  à  M.  Alberto 
Amadei,  architecte  de  l'État  : 

En  cette  maison 
vécut  dans  les  dernières  années  de  sa  vie 

Giovanni  Bottesini 

que  Parme  accueillit,   fière   et  heureuse, 

directeur  du  Conservatoire  Royal  de  musique. 


La  Société  Orchestrale  Parmesane 

qui    l'eut    pour   son   premier   président 

a  consacré  ce  souvenir. 

Le  correspondant  de  la  Gazzetta  musicale  de  Milan  se   plaint,  non  sans 

quelque  raison,  que  cette  inauguration  se  soit  fa,ite  le  soir,  sans  aucun 

apparat,  sans  l'ombre  d'une  cérémonie,  en  présence  seulement  de  quelques 

membres  du  comité  promoteur,  de  cette  œuvre  modeste,  et  sans  l'inter- 

■vention  d'aucun. représentant,  ni  de  la  Société  orchestrale,  ni  du  Conser- 

—vatoire,  Bottesini  ayant  été   directeur  de  l'une  et  de  l'autre.  Le  fait  peut 

!      effectivement  paraître  assez  singulier. 


232 


LE  MENESTREL 


PARIS   ET   DËPIRTEMENTS       . 

Le  théâtre  et  la  musique  ont  eu  cette  fois  leur  part"  dans  les  largesses 
officielles,  et  nous  avons  à  enregistrer  quelques  promotions  et  nominations 
dans  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur.  Constatons  avant  tout  que  M.  Gustave 
Larroumet,  directeur  des  beaux-arts,  est  promu  officier,  de  même  que 
M.  Henri  de  Bornier,  l'auteur  de  la  Fille  de  Roland,  et  M.  Eugène  Ritt,  di- 
recteur de  l'Opéra,  pour  l'éclat  exceptionnel  qu'il  a  su  donner  à  notre  pre- 
mière scène  lyrique,  pendant  sa  trop  courte  gestion.  Le  tour  de  M.  Gailhard 
viendra  au  !«'■  janvier  prochain.  La  musique  est  cette  fois  représentée  par 
MM.  Paul  Lacome  et  André  Messager,  qui  sont  nommés  chevaliers.  Pour 
M.  Ch.-M.  Widor,  il  continuera  à  n'être  pas  décoré,  ce  qui  le  distinguera  de 
beaucoup  d'autres  musiciens  de  son  époque.  Citons  encore  MM.  Edouard 
Cadol,  Louis  Legendre  et  Edmond  Haraucourt,  auteurs  dramatiques,  qui 
décrochent  à  leur  tour  le  ruban  rouge. 

—  Au  Conservatoire,  la  série  des  concours  à  huis  clos  s'est  terminée 
par  le  concours  d'accompagnement  au  piano,  pour  lequel  le  jury  était 
ainsi  composé  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président,  Ernest  Guiraud,  Théo- 
dore Dubois,  Em.  Jonas,  Lavignac,  Ed.  Mangin,  Marty,  Raoul  Pugno  et 
Francis  Thomé.  "Voici  les  résultats  de  la  séance,  qui  réunissait  cinq 
concurrents  ou  concurrentes  : 

Previier  prix,  à  l'unanimité  :  M.  Galand. 
Pas  de  second  prix. 
Premier  aœessit  :  M.  Guignache. 

On  sait  que  la  classe  d'accompagnement,  tenue  naguère  par  le  regretté 
Bazille,  est  aujourd'hui  confiée  à  M.  L.  Delahaye. 

—  Nous  avons  donné  précédemment  la  liste  complète  des  concours 
publics,  avec  la  date  de  chacun  d'eux;  nous  n'y  reviendrons  pas;  ces 
concours  ont  commencé  hier  samedi,  par  la  séance  consacrée  à  la  contre- 
basse et  au  violoncelle.  Nous  avons  aussi  donné  le  programme  des  deux 
concours  de  chant,  hommes  et  femmes;  voici  celui  du  concours  d'opéra- 
comique  : 

M"«  Tréhange  (élève  de  M.  Taskin)  concourra  dans  le  Pré  aux  Clercs. 

M.  Nivette  (M.  Achard),  dans  le  Songe. 

M"»  Demours  (M.  Taskin),  la  Fille  du  régiment. 

M"»  Clery  (M.  Achard),  le  Val  d'Andorre. 

M.  Villa  (M.  Taskin),  Haydée. 

M'i'ii  Beauvais  et  Vautrin  (M.  Taskin),  le  Pré  aux  Clercs. 

M.  Petit  Victor  (M.   Achard),  Gilles  ravisseur. 

M.  Bérard  (M.  Achard),  le  Pardon. 

M.  Ghasne  (M.  Taskin),  le  Chien  du  jardinier. 

M"«  Morel  (M.  Achard),  l'Irato. 

M"^  Audran  (M.  Taskin),  la  Fée  aux  roses. 

M.  David  (M.  Achard),  la  Déesse  et  le  Berger. 

M.  Périer  (M.  Taskin),  les  Noces  de  Jeannette. 

Mi'<î  Lemeignan  (M.  Achard),  Mireille. 

—  En  rectifiant  une  nouvelle  qui  avait  été  donnée  par  quelques  jo  ur- 
naux,  nous  avons  été  amenés  à  dire  que  Scribe  et  Auber  n'avaient  jamais 
écrit  d'opéra  sous  le  titre  i'Amy  Robsart,  et  qu'il  n'existait  d'ailleurs  aucun 
ouvrage  lyrique  sous  ce  titre.  Un  de  nos  confrères  réplique  à  ca  sujet  en 
disant  que  nous  avons  «  raison  et  tort  è  la  fois  ».  Raison  en  ce  sens  qu'il 
n'existe  point  d'opéra  intitulé  Amij  Robsart,  tort,  parce  que  l'ouvrage  en 
question,  tiré,  comme  on  l'avait  dit,  du  Eenilworth,  de  Walter  Scott,  a 
bien  été  fait  par  Scribe  et  Auber  et  représenté  à  l'Opéra-Comique,  le 
25  janvier  1823,  sous  le  titre  de  Leicester  ou  le  Clmteau  de  Kenikvorth.  Or, 
ceci,  nous  ne  l'avons  jamais  nié  ;  nous  nous  sommes  borné  à  affirmer 
qu'il  n'existait  point  d'opéra  intitulé  Amy  Robsart,  et  l'on  voit  que  nous 
étions  dans  l'exacte  vérité.  Notre  confrère  ajoute  que  Leicesterou  le  Château 
de  Kenihoorth  «.  est  tiré  du  roman  célèbre  de  Walter  Scott,  et  qu'il  est 
probable  qu'Jmi/  Robsart  y  joue  le  principal  rôle.  »  Ceci  est  de  toute 
évidence,  étant  donné  le  titre,  —  le  vrai  cette  fois  —  de  l'ouvrage,  et  ce 
qui  le  prouve,  c'est  la  distribution  de  celui-ci,  que  nous  mettons  avec 
plaisir  sous  ses  yeux  : 

Leicester,  Huet. 

Sir  Raleigh,  Ponchard. 

Robsart,  Darancourl. 

Lord  Schrewsbury,  Louvet. 

Doboobi,  Henri. 

Lord  Stanley,  Belnie. 
Elisabeth,                                               M""  Lemonnier. 

Cycily,  Ponchard. 

Amy  (Robsart),  Prévost. 

Ce  qui  est  assez  singulier,  c'est  qu'on  n'ait  pas  rappelé  à  ce  sujet  le 
souvenir  d'une  véritable  Amy  Robsart,  c'est-à-dire  du  fameux  drame  de 
Victor  Hugo  et  Paul  Foucher,  fameux  par  la  chute  retentissante  qu'il 
subit  à  l'Odéon  le  13  février  1828,  cinq  ans  après  le  demi-succès  de  l'opéra 
de  Scribe  et  Auber. 

—  Voici  qu'on  parle  d'une  véritable  révolution  dans  la  machinerie  scé- 
nique,  révolution  dont  le  Ghâteau-d'Eau  va  être  le  théâtre—  c'est  le  cas  de 
le  dire,  —  et  qui  pourrait  bien  être  appelée  à  se  propager  rapidement  sur 


toutes  nos  grandes  scènes  parisiennes.  C'est  te  Figaro  qui  nous  apprend  ce 
fait.  Un  inventeur,  un  audacieux,  M.  Henri  Giulietti,  vient  de  trouver  la 
moyen  d'appliquer  la  force  hydraulique  à  la  scène.  Grâce  à  un  double, 
voire  même  à  un  quadruple  plancher,  il  sera  possible  de  représenter  si- 
multanément plusieurs  actions  dramatiques  et  chorégraphiques,  et  cela 
sans  que  le  public  subisse  des  entr'actes  interminables.  M.  Giulietti,  sou- 
tenu par  une  puissante  société,  prend  l'exploitation  du  Ghâteau-d'Eau,  qui 
a  été  généralement  peu  prospère  jusqu'ici.  H  refait  la  salle  de  fond  en 
comble  et  l'aménage  sur  le  pied  des  théâtres  les  plus  élégants  de  Paris. 
Les  dessous  afférents  à  son  système  remplaceront  les  dessous  actuels. 
Quant  à  la  scène,  elle  sera  agrandie  en  long  et  en  large,  de  manière  à  se 
prêter  à  tous  les  développements  de  la  réforme  projetée.  Le  Ghâteau- 
d'Eau,  qui  n'était  qu'un  théâtre  de  quartier,  veut  devenir  l'émule  de  la 
Porte-Saint-Martin  et  du  Chàtelet.  Avant  peu  nous  donnerons  des  détails 
sur  sa  première  féerie,  qui  passera  fin  octobre. 

—  L'état  de  santé  du  compositeur  Henri  Litolff,  si  précaire  depuis  long- 
temps, s'est  aggravé  brusquement,  ces  jours  derniers,  à  la  suite  des  fati- 
gues que  le  courageux  artiste  s'était  imposées  pour  terminer  l'orchestra- 
tion de  sa  partition  du  Roi  Lear.  Le  docteur  Delfosse,  appelé  près  du 
malade,  a  jugé  nécessaire  de  pratiquer,  coup  sur  coup,  deux  opérations 
très  douloureuses,  bien  qu'elles  aient  été  très  habilement  faites  par  cet 
éminent  chirurgien.  L'état  du  grand  artiste,  âgé  aujourd'hui  de  soixante- 
treiz'i  ans,  ne  laisse  pas  que  d'inquiéter  vivement  sa  famille  et  ses  amis. 
On  constatait  pourtant,  il  y  a  deux  jours,  une  légère  tendance  à  l'amélio- 
ration. 

—  M.  Paul  Puget  vient  de  terminer  un  opéra  en  quatre  actes,  sur  un 
livret  de  M.  Edouard  Blau,  inspiré  d'une  des  plus  charmantes  comédies 
de  Shakespeare  :  Beaucoup  de  bruit  pour  rien.  Les  quelques  personnes  auto- 
risées qui  ont  été  à  même  d'entendre  la  nouvelle  partition,  disent  que  le 
jeune  musicien  a  été  des  mieux  inspirés  et  que  la  scène  qui  l'accueillera 
sera  bien  avisée,  car  il  y  a  là  certainement  un  véritable  succès. 

—  On  annonce,  pour  la  fin  de  ce  mois,  le  mariage  de  M.  Henri  Fissot, 
l'excellent  professeur  de  piano  au  Conservatoire,  avec  M""Hortense-Camille 
Touzard. 

—  La  16'  année  (1890)  des  Annales  du  théâtre  et  de  la  musique,  par 
MM.  Edouard  Noël  et  Edmond  Stoullig,  vient  de  paraître  dans  la  Biblio- 
thèque Charpentier.  Cet  intéressant  ouvrage,  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire, 
offre  le  tableau  le  plus  exact  et  le  mieux  étudié  du  mouvement  dramatique 
de  notre  époque.  M.  Ludovic  Halévy,  de  l'Académie  française,  dans  une 
spii'ituelle  préface,  «  une  Directrice  de  la  Comédie-Française  »,  présente 
cette  année  l'ouvrage  aux  lecteurs. 

—  La  représentation  de  gala  qui  a  été  donnée  dimanche  dernier  au  Cirque 
d'Été  par  la  Société  fraternelle  des  anciens  officiers,  membres  de  la  Légion 
d'honneur,  a  été  une  des  plus  brillantes  de  l'année.  Le  programme  était 
fort  bien  composé.  La  partie  vocale  était  confiée  à  M™  Martinez,  qui  a 
chanté  l'air  de  Sigurd  et  a  obtenu  des  applaudissements  et  des  bravos  bien 
mérités. 

—  Le  théâtre  des  Bouffes  a  repris  cette  semaine  «ra  Modèle,  le  charmant 
petit  opéra-comique  en  un  acte  de  MM.  Degrave,  Lerouge  et  Léon  Schle- 
singer,  qui  est  joué  à  présent  par  M"'  Deberio,  MM.  Philipon  et  Valéry. 
L'œuvre  de  M.  Schlesinger  atteindra  dans  quelques  jours  sa  centième 
représentation. 

—  Samedi  prochain,  2b  juillet,  à  trois  heures  précises,  audition,  chez 
M.  Eugène  Gigout,  des  élèves  de  son  école  d'orgue.  Cette  audition  sera 
la  dernière  de  l'année  scolaire.  Elle  aura  lieu  avec  le  concours  de 
M'™  Gramaccini,  de  M.  Warmbrodt,  de  MM.  Berthelier  et  Loëb  et  de 
M.  Boëllmann. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 
On    DEMANDE   A   CONNAÎTRE    LE     NOM   ET   l'aDRESSE    DE    l'aUTEUR   d'cNE 

POÉSIE  ixTiTULÉE  :  Le  Poète  et  le  Fantôme,  envoyée  a  un  de  nos  compo- 
siteurs POUR  ÊTRE  MISE  EX  MUSIQUE. 

Adresser  le  renseignement  Au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Viviexxe. 


Nous  sommes  avisés  qu'un  éditeur  de   musique   de  Moscou  offre 
AU  RARAis  UNE  ÉDITION  CONTREFAITE  DE  l'opéra  Covalleria  rusticaiia, 

DE  PlETRO  MaSC.AGNT.  NOUS  METTONS  NOS  CONFRÈRES  EX  GARDE  CONTRE 
CETTE   COXTHEFAÇOX    QUI    NE    DOIT  AVOIR   NUL   COURS    LÉGITIME   EX  FRANCE 

ET  EN  Belgique,  où  la  propriété  artistique  italienne  est  parfai- 
tement SAUVEGARDÉE.  NOUS  LEUR  RAPPELONS,  DE  PLUS,  QUE  NOUS  SOMMES 
LES    SEULS    DÉPOSITAIRES    AUTORISÉS    POUR   LA   VENTE    DE    Cavallei'ia    EN 

France  et  en  Belgique,  et  que  nous  leur  compterons  partitions  et 
arrangements  au.\  mêmes  conditions  que  notre  propre  musique. 

HEUGEL  ET  C". 


;  CnEMl.\â  DE  FER. 


A,  20     HUE 


3147  —  S?"""  ANNÉE  —  I\»  30. 


Dimanche  H  Juillet  1891. 


PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesteel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement» 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (19*  article),  Albebt  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  A  Bayreuth,  Julien  Tiersot.  —  III.  Napoléon 
dilettante  (  17'  article  ),  Edmond  Neukohm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  le 

CHANT    TOURANIEN 

chanté  dans  le  Mage,  par  M"""  Lureal-Escalaïs,  musique  de  J.  Massenet, 
poésie  de  Jean  Richepin.  —  Suivra  immédiatement  une  mélodie  de  Alph. 

DUVERNOÏ. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Airs  de  ballet   du  Mage,  par  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiate- 
ment: Marie-Louise,  gavotte  de  Gh.  Neustedt. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Altoert  SOU3BIES   et  Charles   MA.L.HER.BB 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(186S-1868) 
(Suite.) 
Le  Premier  Jour  de  bonheur  fut  d'abord  pour  la  salle  Favart 
un  gros  succès  d'argent,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte 
par  le  tableau  suivant,  donnant  les  recettes  des  quinze  pre- 
mières représentations  pour  les  trois  ouvrages  centenaires  dont 
nous  nous  occupons  depuis  le  commencement  du  présent 
chapitre. 

le  Voyage  en  Chine  Mignon.         le  Premier  Jour  de  bonheur. 

9  décembi-e  iS65       17  novembre  1866      i 5  février  1 868 


A  reporter 


1 

3.044  70 

3.043  70 

3.542  » 

2 

4.193  60 

3.484  20 

4.876  » 

3 

5.171  10 

5.169  20 

6.587  .. 

4 

5.799  10 

5.319  70 

7.279  » 

5 

6.463  10 

5.701  70 

7.977  25 

6 

S. 018  60 

5.445  70 

7.547  50 

er. 

29.690  20 

28.164  20 

37.808  75 

•t.   . 

29.690  20 

28.164  20 

37.808  75 

7 

5.611  10 

6.118  20 

7.523  50 

8 

7.596  20 

5.737  95 

7.322  50 

9 

6.869  20 

5.712  20 

7.500  » 

10 

6.273  20 

6.312  70 

7.493  50 

11 

6.004  20 

4.767  20 

7.660  50 

12 

5.268  70 

4.949  95 

7.541  50 

13 

5.957  20 

4.920  95 

7.596  » 

14 

5.776  70 

4.670  95 

7.646  50 

15 

6.150  70 

3.994  70 

7.563  » 

84.197  40 

75.349  » 

105.655  75 

Mais  les  premiers  résultats  donnent  souvent  une  fausse 
idée  de  la  durée  du  succès.  Mignon  eut  tôt  fait  de  rattraper 
l'avance  perdue  ;  le  Premier  Jour  de  bonheur  déclina  visiblement 
le  jour  où  il  perdit  ses  interprètes  de  la  création.  M'''=  Marie 
Rôze  partit  la  première  avec  la  couronne  d'or  qu'un  admi- 
rateur avait  jetée  à  ses  pieds  lors  de  sa  dernière  représen- 
tation, le  30  juin  1868.  Elle  prenait  ses  vacances,  ainsi  que 
Gapoul  :  la  pièce  fut  interrompue.  A  la  rentrée,  Gapoul  revint 
seul;  on  annonça  que  M""  Marie  Rôze  voulait  compléter  ses 
études  vocales  sous  la  direction  de  'Wartel,  et  le  rôle  de 
Djelma  fut  disputé  par  deu.v  lauréats  des  précédents  concours 
du  Conservatoire,  M"'^*'  Moisset  et  Guillot,  toutes  deux  élèves 
de  Masset  pour  le  chant  et  de  Mocker  pour  l'opéra-comique, 
toutes  deux  ayant  obtenu  le  deuxième  prix  de  chant  et  le 
premier  prix  d'opéra-comique.  M"'^  Moisset,  la  plus  jolie  des 
deux,  fut  choisie  naturellement  par  le  compositeur  el  débuta 
ainsi,  pour  le  plus  grand  plaisir  des  yeux,  le  19  septembre. 
Peu  de  temps  après,  M"'^  Cico  remplaçait  M""=  Cabel,et  le  Premier 
Jour  de  bonheur  atteignait  ainsi  le  14  décembre  sa  centième,  ce 
qui  fut  pour  l'orchestre  un  prétexte  d'aller  galamment  à 
minuit  sous  les  fenêtres  du  compositeur,  afin  de  lui  jouer 
son  ouverture  en  guise  de  sérénade.  Eeroy,  qui,  dès  le  24  dé- 
cembre, avait  inopinément  pris  la  place  de  Gapoul  indisposé, 
lui  succéda  définitivement  à  partir  du  28  janvier  suivant. 
L'ouvrage  ût  encore  bonne  figure  en  1869  ;  l'empereur,  qui 
avait,  avec  l'impératrice,  assisté  à  la  quatrième  représentation, 
le  faisait  jouer  par  ordre  le  27  novembre,  afin  d'y  conduire 
le  prince  impérial.  L'année  1870  mit  fin  aux  représentations 
de  celte  série.  A  la  un  de  1871  ou  au  commencement  de  1872, 
il  fut  question  d'une  reprise  avec  Leroy,  qui  aurait  rejoué  le 
rôle  de  Gapoul  déjà  devenu  sien,  et  M""'  de  Presles  (M»'^  de 
Pommeyrac,  plus  tard  M""^  Prelly)  qui  aurait  débuté  dans  celui 
de  M''"=  Gabel  ;  mais  ces  projets  n'aboutirent  que  le  18  février 
1873,  avec  Lhérie,  M""  Priola  comme  Hélène,  et,  comme 
Djelma,  M"'^  Guillot,  l'ancienne  rivale  de  M"'-'  Moisset.  Or, 
l'interprétation  nouvelle  ne  valait  pas  l'ancienne,  et  puis, 
dans  l'intervalle,  Auber  était   mort,  et  puis  surtout,  un  vent 


ni 


LE  MÉNESTREL 


de  renouveau  commençait  alors  à  souiller  dans  la  salle 
Favart.  La  pièce  n'eut  que  huit  réprésentations  et  disparut  du 
répertoire. 

Un  soir  qu'il  causait  avec  M.  Escudier,  Auber  le  remercia 
des  compliments  qu'il  lui  adressait  sur  son  Premier  Jour  de 
bonheur,  mais  en  ajoutant  :  «  Il  faut  voir  ce  qui  adviendra 
lorsque,  après  une  interruption  de  quelques  mois,  le  théâtre 
reprendra  mon  ouvrage.  Ce  nest  qu'aux  reprises  quon  peut  défi- 
nitivement connaître  le  sort  d'une  œuvre  lyrique.  »  Ce  mot  si  juste 
trouve  ici  sa  cruelle  application  et  fournit  le  meilleur  des 
commentaires  au  tableau  suivant,  qui  montre  par  année  le 
nombre  des  représentations  pour  les  trois  ouvrages  cente- 
naires : 


CD  Chioe. 

le 

"ïe'oT 

LcVojauc 
eu  Chiue. 

Le  Premier  Jou 
UignoD.      de  buabour. 

1865 

8 

» 

» 

Report  . 

.   137 

411        175 

-1866 

95 

17 

» 

1877 

» 

45 

■1867 

16 

131 

» 

1878 

„ 

51 

1868 

1 

,  25 

107 

1879 

„ 

12               y> 

1869 

»■ 

38 

51 

1880 

» 

40 

1870 

>T    " 

,.   24    - 

9 

1881 

,> 

27 

1871 

» 

» 

» 

1882 

„ 

41 

1872 

» 

48 

„ 

1883 

„ 

32 

1873 

» 

15 

8 

1884 

» 

24 

1874 

B 

58 

» 

1885 

„ 

20 

1875 

» 

34 

» 

1886 

„ 

26 

1876 

17 

21 

» 

1887 

» 

15 

A  repoi-ter.  137         411         175 


Total.     137 


175 


En  revenante  l'ordre  chronologique  pour  poursuivre  notre 
récit,  il  faut  d'abord  constater  un  fait  exceptionnel,  sinon 
même  unique  dans  l'histoire  de  la  seconde  salle  Favart  : 
c'est  qu'au  cours  de  l'année  1865  il  ne  fut  donné  que  deux 
ouvrages,  le  Saphir  (8  mars)  et  le  Voyage  en  Chine  (9  décembre), 
soit  six  actes,  en  tout  et  pour  tout.  Pas  le  plus  petit  acte, 
pas  le  plus  simple  lever  de  rideau,  pas  le  moindre  os  à 
ronger  jeté  à  ces  affamés  qui  s'appellent  les  jeunes  compo- 
siteurs. Pareille  avarice  ne  s'est  jamais  rencontrée  depuis, 
et,  si  grande  qu'ait  été  parfois  l'inactivité  de  FOpéra-Comique, 
elle  n'a  jamais  eu  pour  résultat  de  livrer,  en  douze  mois, 
deux  seules  pièces  en  trois  actes,  à  la  curiosité  du  public. 
Et  pourtant,  on  comptait  alors  presque  deux  directeurs  ;  car 
M.  de  Leuven  s'était  adjoint  comme  administrateur  M.  Ritf, 
de  même  que,  quelque  vingt  ans  plus  tard,  M.  Rilt  devait 
associer  M.  Gailhard  à  sa  direction  de  l'Opéra.  Mais  M.  de 
Leuven  se  consacrait  à  la  littérature,  et,  usant  d'un  droit 
qu'on  a  refusé  depuis  aux  directeurs,  il  faisait,  précisément 
en  1865,  représenter  sur  son  théâtre  un  ouvrage,  le  Saphir, 
dont  il  avait  écrit  les  paroles  avec  MM.  Michel  Carré  et  Hadot. 

Le  sujet  était  celui  de  la  comédie  de  Shakespeare  :  Tout 
est  bien  qui  finit  bien,  et  avait  même  été  répété  sous  ce  titre; 
seulement,  Bertrand  de  Roussillon  avait  fait  place  à  Gaston 
de  Lusignan,  la  belle  Hélène  à  la  belle  Hermine,  et  le  roi  de 
France,  qui  dirige  l'intrigue  et  amène  le  dénouement,  était 
devenu  sous  les  traits  de  M''-^  Baretti  une  jeune  reine.  D'ail- 
leurs on  avait  conservé,  pour  le  confier  à  Gourdin,  le  fameux 
capitaine  Parole,  ce  type  de  hâbleur  et  de  poltron  que  notre 
vieille  comédie  appelait  matamore. 

Mais  le  Saphir  était  né  sous  une  mauvaise  étoile.  Son  auteur, 
Félicien  David,  avait  fait,  en  l'écrivant,  une  assez  grave  ma- 
ladie. A  peine  revenait-il  à  la  santé,  que  le  feu  prend  à  son 
appartement;  un  instant  même  il  tremble  de  voir  sa  partition 
devenir  la  proie  des  flammes,  et  l'émotion  ressentie  lui  donne 
une  rechute  qui  retarde  les  répétitions.  La  pièce  est  jouée, 
enfin,  mais  on  rend  peu  justice  au  mérite  de  certaines  pages, 
tant  estimables  pourtant,  comme  le  chœur  du  premier  acte, 
le  joli  quatuor  et  la  charmante  sérénade  du  second.  Bien 
plus,  Paul  de  Saint-Victor  exprime  le  regret  que  Félicien 
David  soit  «  descendu  de  son  chameau  »,  et  le  mot  fait  for- 
tune :  chacun  s'en  empare  pour  frapper  sur  l'auteur  et  sur 
l'œuvre,  qui  se  traîne  péniblement  jusqu'à  la  vingtième  repré- 
sentation. Ce  jour-là  (l^"'  mai),  la  déveine  s'accentue.    Avant 


le  spectacle,  un  craquement  se  produit  sur  la  scène,  le  rideau 
s'agite  violemment  sous  le  manteau  d'arlequin  et  brusquement 
se  déchire  :  c'était  un  lourd  châssis  qui,  mal  manœuvré, 
avait  crevé  la  toile  et  failli  tuer,  en  tombant,  le  régisseur, 
qui  allait  frapper  les  trois  coups.  Pendant  le  premier  acte, 
la  chute  d'un  autre  portant  provoque  une  nouvelle  émotion. 
Enfin,  pendant  le  second  acte,  une  odeur  de  fumée  se  répand 
dans  la  salle.  Montaubry,  qui  chantait  en  scène,  s'interrompt 
et  parlemente  avec  le  personnel  des  coulisses  ;  mais  la 
fumée  redouble  et,  s'échappant  des  portes  latérales,  envahit 
le  trou  du  souffleur  et  remonte  vers  les  frises.  Toutes  les 
loges  se  dégarnissent  et  le  sauve-qui-peut  commence,  lorsque 
enfin  Montaubry  rétablit  l'ordre  en  jetant  au  milieu  du  tu- 
multe ces  paroles  rassurantes  et  mémorables  :  «  Il  n'y  a  rien 
à  craindre  ;  cette  fumée  provient  d'un  feu  de  cheminée  al- 
lumé par  les  pompiers.  »  Peu  à  peu  chacun  reprit  sa  place, 
et  tout  finit  par  un  procès-verbal  que  le  commissaire  dressa 
contre  les  pompiers.  Ils  avaient  allumé  le  feu;  vingt  ans 
après  ils  devaient,  hélas!  ne  pas  réussir  à  l'éteindre!  Cette 
fois  le  théâtre  était  sauvé,  mais  la  pièce  était  perdue  ;  la 
vingt-etrunième  n'eut  jamais  lieu.  Et  pour  comble  d'ironie, 
il  arriva  au  Saphir  ce  qui  était  arrivé  aux /)«))?«  capitaines  avec 
la  Guerre  joyeuse  et  à  la  Circassienne  avec  Fatinitza  :  il  devint 
Gillette  de  Narbonne;  la  musique  d'Audran  lui  valut  en  France 
et  à  l'étranger  les  représentations  par  centaines,  et  l'opérette 
rapporta  à  ses  auteurs  les  milliers  de  francs  que  l'opéra- 
comique  n'avait  jamais  rapportés  aux  siens. 

Faut-il  attribuer  à  cet  échec  le  silence  gardé  depuis  par 
Félicien  David  ?  Le  fait  est  qu'il  ne  retravailla  plus  pour  la 
scène.  On  a  bien  parlé  de  la  Captive,  et,  dans  son  supplémeut 
à  la  Biographie  des  musiciens,  M.  Arthur  Pougin  parait  croire 
que  cet  ouvragedut  être  représenté  après  u  le  Saphir»;  c'est  avant 
qu'il  faut  lire.  Il  était  question  de  la  Captive  du  temps  de 
VErostrale  de  Reyer,  que  le  Théâtre-Lyrique  annonçait  pour 
1857  et  qui  devait  attendre  1871  pour  être  joué  deux  fois  à 
l'Opéra,  ia  Captive,  d'abord  en  deux  actes,  avait  été  augmentée 
d'un  troisième  acte  avec  ballet;  ses  interprètes  s'appelaient 
M°"'-'  Saunier  et  Hébrard,  MM.  Montjauze  et  Petit.  L'éditeur 
Gambogi  annonçait  «  pour  paraître  le  lendemain  de  la  repré- 
sentation :  La  Captive,  grand  opéra  en  trois  actes,  paroles  de 
Michel  Carré,  musique  de  Félicien  David  »  ;  bien  plus,  cette 
première  représentation  était  fixée  au  23  avril  1864.  Une  ré- 
pétition générale  eut  lieu  et,  chose  curieuse,  brusquement, 
sans  explications  données  à  la  presse,  ni  au  public,  la  pièce 
fut  retirée  par  ses  auteurs.  M.  Arthur  Pougin  nous  apprend 
qu'un  autre  opéra  a  dû  rester  encore  dans  le  portefeuille  du 
compositeur,  car  un  chœur  tiré  de  cet  ouvrage,  dont  il  ignore 
le  titre,  un  «  chant  de  guerre  des  Palicares  »  a  été  exécuté 
au  grand  théâtre  de  Lyon  en  1871. 

Cette  exécution  a  été  la  dernière  d'un  fragment  inédit  de 
Félicien  David.  L'auteur  du  Désert  est  mort  dans  une  obscu- 
rité que  ne  pouvaient  faire  prévoir  ses  succès  d'antan.  Les 
éditeurs  ont  encore  dans  leurs  magasins  des  mélodies  signées 
de  lui,  qu'ils  dédaignent  de  publier;  on  a  tenté  de  lui  ériger 
un  monument  sans  trouver  assez  de  souscripteurs  pour  fournir 
la  somme  nécessaire  ;  on  a  mis  en  vente  quelques-uns  de 
ses  manuscrits,  c'est  ainsi  que  le  compositeur  M.Albert  Cahen 
s'est  vu  adjuger  pour  un  prix  dérisoire  la  partition  d'orchestre 
autographe  du  Saphir;  ni  l'État,  ni  les  particuliers  n'o-nt  voulu 
acquérir  cet  héritage  artistique  et  subvenir  ainsi  aux  frais  de 
ce  monument  que  les  elïorts  d'une  main  amie  voulaient  lui 
dresser  :  Félicien  David  attend  encore  sa  statue. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


A    BAYREUTII 


Les    représentations   de    Bayreulh    ont  recommencé,  et  la  petite 
capitale  des   margraves  de  Franconie   a  repris   son  apparence  de 


LE  MÉNESTREL 


235 


ville  cosmopolite.  Je  n'irai  pas  jusqu'à  prétendre  qu'on  y  parle 
aujourd'hui  toutes  les  langues,  hormis  l'allemand  :  outre  que,  pour 
ces  quatre  semaines  qui,  seules  en  deux  années, donnent  à  la  ville 
sa  complète  animation,  toute  la  population  est  sur  pied,  il  n'est  pas 
douteux  que  les  Allemands  accourent  en  foule  pour  assister  à  cette 
manifestation  de  leur  art  national,  la  seule,  en  vérité,  dont  ils  soient 
en  droit  de  s'enorgueillir.  Mais  en  même  temps,  dans  les  rues  et 
au  théâtre,  les  types  anglais  et  américains  se  font  reconnaître  en 
grand  nombre  —  Bayreuth  n'est-il  pas  à  la  mode  ?  —  et  la  langue 
française  n'est  pas  sans  résonner  maintes  fois  à  nos  oreilles,  bien 
qu'à  cette  première  série  des  représentations,  il  soit  venu  un  moins 
grand  nombre  de  nos  compatriotes  que  je  n'en  ai  vu  d'autres  fois. 
Ils  se  réservent  pour  les  représentations  suivantes,  et  n'ont  pas  tort, 
car  celles-ci  seront  certainemeat  d'une  exécution  mieux  assise  et 
plus  assurée  :  on  ^n  annonce  pour  les  prochaines  semaines  des  arri- 
vages considérables  (si  j'osais  m'oxprimer  ainsi),  et  alors  la  ville 
acquerra  sonsummum  d'animation  ;  car  nul  n'ignore  que  les  Français 
sont,  entre  tons,  ceux  dont  l'enthousiasme  est  le  plus  exubérant: 
pour  l'instant,  ils  ne  sont  guère  représentés  ici  que  par  des  gens 
tranquilles  et  des  sages  ;  mais  vienne  l'ouverture  officielle  de  nos 
vacances,  et  cela  va  changer  ! 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  ville  de  Bayreuth  est  toute  à  Wagner.  Dans 
les  magasins,  on  ne  voit  partout  que  souvenirs  du  maître  et  de  son 
théâtre.  Ce  no  sont  pas  seulement  des  photographies,  des  livres, 
des  albums,  mais  une  infinité  d'objets  dans  lesquels  le  goût  alle- 
mand se  révèle  dans  toute  sa  candeur.  Le  succès  de  l'année  paraît 
être  un  certain  «  Gral  »,  dont  on  voit  chez  les  marchands  des  modèles 
divers  :  l'un  est  une  réduction  «  aux  deux  tiers  de  la  grandeur  na- 
turelle »  et  «  garanti  d'après  l'original  »  du  calice  de  Parsifal; 
l'autre,  un  simple  verre  à  pied,  avec  des  tons  roses  et  des  reliefs 
dorés  parmi  lesquels  figure  en  belle  place  la  notation  du  «motif  du 
Gral  ».  Pais,  ce  sont  des  objets  de  toilette  et  de  ménage.  Les  maris 
allemands  venus  à  Bayreuth  en  laissant  la  famille  au  logis  (le  fait 
serait-il  sans  exemple  ?)  peuvent  rapporter  en  souvenir  à  leurs  Frauen 
de  petits  tabliers  blancs  sur  lesquels  sont  brodés  en  rouge  le  portrait 
de  Wagner,  ou  le  théâtre,  ou  la  Wahnfried,  avec  des  fragments  mé- 
lodiques du  maître:  thème  de  Parsifal,  commencement  de  la  romance 
de  l'Étoile,  etc.;  ils  trouveront  même,  s'ils  veulent  être  plus  pratiques 
encore,  des  serviettes,  des  mouchoirs,  des  nappes  pour  tables  de  toi- 
lette, avec  les  mêmes  ornements  ou  des  devises  appropriées.  Je  ne 
suis  même  pas  bien  sûr  de  n'avoir  pas  va  des  ronds  de  servietles 
«  au  Saint-Gral  ».  Pour  les  devises,  dont  l'usage  sévit  avec  insistance 
dans  toute  l'Allemagne,  elles  sont  utilisées  surtout  comme  en-têtes  de 
•cartes  postales.  En  France,  nous  mettons  ces  choses  sur  les  mirli- 
■tons  ;  les  gens  de  Bayreuth  les  inscrivent  sur  les  cartes  postales, 
avec  le  "  Salut  de  Bayreuth  »  d'usage  et  quelques  dessins  plus  ou 
moins  simples,  répandant  ainsi  la  bonne  parole  à  tous  les  coins  du 
monde.  Ces  devises  sont  naïves.  J'en  copie  deux,  les  premières  qui 
me  tombent  sous  la  main  parmi  une  quantité  considérable  : 
Wilst  du  dich  laben  am  herrlidisten  Klang, 
Hôre  des  Meisters  Schivanengesang  ! 

«  Veux-tu  te  récréer  par  les  sons  les  plus  magnifiques?  Écoute  le 
•chant  du  cygne  da  maître  !  »  Conseil  excellent  et  auquel  il  n'y  a 
l'ien  à  redire. 

Nach  Mekkah  pilgern  die  Muhamedaner , 
Nach  Baijreuth  aile  icaynerianer. 

«  A  la  Mecque  vont  les  mahométans,  à  Bayreuth  tous  les  wagné- 
riens  »,  parole  d'une  vérité  profonde,  et  que  certains  musiciens  fran- 
çois  de  ma  connaissance  ont  dévotement  pratiquée. 

S'il  faut  le  dire,  ces  traits  de  mœurs  très  particuliers,  qui  nous 
amusaient  les  premières  fois  par  la  nouveauté  et  l'imprévu,  ne  tardent 
.guère,  à  présent,  à  laisser  notre  attention  assez  indifférente.  Et  puis 
il  y  a  les  détails  de  la  vie  matérielle,  qui  n'ont  décidément  rien 
d'agréable.  Dans  cette  cohue  de  ville  assiégée,  l'on  ne  saurait  trouver 
qu'avec  peine  le  calme,  le  recueillement  rêvés.  Ce  n'est  plus  le 
Bayreuth  des  premières  années,  que  je  n'ai  pas  connu,  mais  que 
je  devine  sans  peine  avec  ce  qui  en  reste.  Alors  Bayreuth  n'était  pas 
un  rendez-vous  mondain,  une  sorte  de  ville  d'eaux  peuplée  de  gens 
venus  uniquement  parce  que  c'est  le  genre  ;  mais  toutes  les  pensées 
•étaient  confondues  en  une  seule,  celle  de  l'œuvre  qu'on  allait  con- 
templer, et  rien  n'en  pouvait  distraire.  Et  comme,  après  cela,  on 
•comprend  bien  le  roi  de  Bavière,  se  faisant  donner  la  représenta- 
lion  pour  lui  seul!  Enfin,  et  c'est  le  principal,  il  nous  reste  toujours 
le  théâtre,  sur  la  colline  désormais  sacrée.  Là,  par  les  artifices  de 
mise  en  scène  bien  connus,  dont  je  ne  crois  pas  que  personne 
•conteste   les  avantages,  du  moins  parmi  les  gens  qui  prennent  l'art 


pour  une  chose  sérieuse,  mais  qui  ne  sont  encore  réalisés  qu'ici, 
l'orchestre  invisible,  la  salle  obscure,  tous  les  spectateurs  placés  face 
à  la  scène,  l'attention  est  impérieusement,  exclusivement  sollicitée 
par  l'œuvre.  Et,  dans  les  entr'actes,  après  que  l'on  a  ressenti  des 
émotions  que  l'on  ne  trouve  que  là,  c'est  une  merveille  de  se  re- 
trouver dans  le  calme  d'une  nature  douce  et  reposante,  parmi  les 
arbres,  les  champs,  les  bois;  voir  au  loin  se  profiler  les  tours  elles 
toits  de  la  ville,  dont  les  bruits  ne  peuvent  plus  arriver  jusqu'ici; 
contempler  au  soleil  couchant  les  lignes  onduleuses  des  collines 
et  les  étendues  vertes  des  prairies.  Qai  pourrait  rêver  un  cadre  mieux 
approprié  à  de  pareilles  œuvres  d'art  ? 


Je  ne  saurais,  dans  un  article  de  proportions  forcément  restreintes, 
et  dont  ces  préliminaires  ont  déjà  pris  une  grande  partie,  me  livrer 
à  une  étude  sérieuse  des  œuvres  qui  forment  le  programme  des  fêtes 
de  cette  année  :  je  dois  me  borner,  en  conséquence,  à  résumer  des 
impressions,  en  même  temps  qu'à  rendre  compte  de  l'interprétation 
générale.  A  l'heure  où  j'écris,  nous  avons  eu  les  premières  repré- 
sentations des  reprises  de  Parsifal  et  de  Tristan  et  Yseult,  puis  bientôt 
nous  aurons  la  première  du  Tannhauser  à  Bayreuth,  une  vraie  pre- 
mière, qui  intéresse  infiniment  un  certain  nombre  de  spectateurs, 
et  dont  j'aurai  à  vous  entretenir  dans  un   second  article. 

Pour  Parsifal,  il  est  très  certain  qu'il  n'existe  pas  une  seule  œuvre 
plus  capable  de  nous  arracher  en  un  instant  à  toute  préoccupation 
extérieure,  de  nous  placer  comme  de  force  dans  un  nouveau  milieu 
supérieur,  où  l'esprit  se  dégage  de  toute  autre  attache,  où  l'on  ne  vit 
plus  que  pour  l'art,  où  l'on  oublie.  Je  sais  bien  que  cet  état  n'est 
pas  celui  que  recherchent  dans  l'art  beaucoup  de  fort  honnêtes 
gens,  qui  ne  tiennent  pas  à  être  élevés  si  haut,  et  qui  trouvent 
même  fort  ridicules  ceux  qui  font  l'aveu  de  telles  sensations,  à  leurs 
yeux  anormales  puisqu'elles  leur  sont  inconnues.  Il  faut  pourtant 
bien  qu'ils  pardonnent  à  ceux  qui  les  ressentent  et  qui  pensent 
que  c'est  précisément  le  suprême  but  de  l'art  de  nous  sortir  de 
nous-mêmes,  fût- ce  pour  un  instant.  Or,  avec  Parsifal,  on  est  absorbé, 
on  est  pris  dès  la  première  note.  Dans  le  silence  sombre  et  recueilli 
de  la  salle  soudain  plongée  dans  l'obscurité,  c'est  d'abord  le  premier 
chant  du  prélude  qui  s'élève,  calme,  soutenu,  se  développant  avec 
l'ampleur  d'un  beau  vêtement  antique  ;  puis  les  arpèges  séraphiques 
des  violons  s'entrelacent,  s'enchevêtrent,  enveloppant  la  mélodie 
comme  d'une  atmosphère  impalpable  d'encens.  Les  appels  lointains 
des  trompettes  à  la  prière,  l'explosion  soudaine  des  cuivres  lançant 
à  pleines  voix  le  «  thème  de  la  fin,  »  avec  un  accent  convaincu, 
plein  d'affirmation;  enfin,  sans  que  le  mouvement  s'anime  un  instant, 
pour  ainsi  dire  sans  développement,  par  de  simples  répétitions  des 
trois  thèmes,  formant  comme  les  degrés  successifs  de  l'entrée  d'un 
monument  dont  ou  entrevoit  déjà  les  proportions  magnifiques,  la 
reprise  du  premier  chant,  avec  des  tons  plus  sombres,  des  accents 
moins  hiératiques,  plus  humains,  tout  cela  forme  une  introduction 
si  admirable  qu'avant  même  que  le  drame  ait  commencé,  l'on  est 
conquis. 

Et  la  première  scène,  avec  son  lever  d'auro.re  sur  le  lac  sacré,  ses 
chants  de  trompettes  dans  le  lointain,  sonnant  le  réveil  des  che- 
valiers et  leur  prière  muette,  à  genoux  du  côté  du  soleil  levant, 
tandis  que  les  violons  de  l'orchestre,  exprimant  leur  pensée  religieuse, 
redisent  très  doucement,  avec  un  sentiment  très  intime,  ce  thème 
de  la  foi  si  suave  et  si  éclatant  tour  à  tour,  —  après  quoi,  sur  un 
dernier  mouvement  ascendant  de  la  musique,  les  mains  se  tendent 
vers  le  ciel,  et  tous  adorent,  —  n'est-ce  pas  là,  pour  commencer,  un 
tableau  d'une  beauté  et  d'une  sérénité  incomparables? 

Mais  le  chef-d'œuvre  de  Parsifal,  c'est  la  scène  religieuse  du  pre- 
mier acte.  La  musique  en  est  fort  belle  ;  mais  elle  ne  forme  qu'un 
seul  de  tous  les  éléments  dont  se  compose  ce  tableau  unique  eu 
son  n-enre,  où  le  décor,  les  évolutions  scéniques,  la  plastique  des 
personnages,  loat  cela  mû  par  une  inspiration  supérieure  et  donnant 
une  impression  de  vérité  et  de  vie  intense,  s'unissent  en  un  ensemble 
dont  aucune  partie  ne  saurait  être  distraite  sans  lui  faire  tort.  Ici, 
il  y  a  absorption  complète  de  tout  l'être,  tension  de  toutes  les  facultés 
du  spectateur  vers  la  scène  qui  se  déroule.  Ce  que  je  disais  tout  à 
l'heure  être  le  vrai  but  do  l'art  est  ici  pleinement  atteint  :  on  ne 
vit  que  pour  l'œuvre,  rien  autre  ne  peut  exister. 

Le  seul  défaut  des  représentations  de  Bayreuth,  c'est  que  le 
spectacle  est  si  long  et  la  tension  d'esprit,  dès  le  début,  si  violente 
et  si  soudaine,  que  véritablement  la  fatigue  vient  avant  la  fin,  et 
que  parfois  l'on  n'est  plus  capable  de  suivre  avec  l'attention  suf- 
fisante les  dernières  scènes.  Le  troisième  acte  de  Parsifal  est  peut- 
être  plus   admirable  encore  :  il  est    d'une   élévation,    d'une   beaut^ 


236 


LE  MEiNESTllEL 


plastique,  d'une  grandeur  de  sentiment,  d'une  intensité  de  poésie  à 
laquelle  Wagner  même  n'a  pas  atteint  une  autre  fois.  L'idéal  serait 
d'entendre  cet  acte  isolé  avec  toute  la  fraîcheur  d'une  attention  non 
surmenée  par  tant  d'émotions  antérieures.  Ce  serait  encore  un  nou- 
veau système  de  drame  musical  en  plusieurs  soirées  que  je  recom- 
mande aux  amateurs  :  je  ne  Joute  pas  qu'ils  y  trouvent  pleine 
satisfaction. 

N'en  serait-il  pas  encore  de  même  pour  Tristan  et  Yseult,  avec 
son  troisième  acte  qui  est  bien,  certes,  la  chose  la  plus  profondé- 
ment tragique  qui  ait  été  portée  sur  aucun  théâtre!  On  l'a  comparé 
à  de  l'Eschyle  :  certes,  par  la  puissance  tragique,  la  comparaison 
peut  être  admise,  mais  le  drame  grec  a  quelque  chose  de  plus 
hiératique,  de  plus  immobile,  même  dans  l'expression  des  sentiments 
les  plus  humains;  je  lui  comparerais  plutôt  Pnr.s(7a^;  quant  au  troi- 
sième acte  de  Tristan,  il  ne  peut  évoquer  en  moi  que  l'idée  d'un  seul 
nom,  Shakespeare,  et  d'une  seule  œuvre,  le  Roi  Lear,  dont  il  a, 
avec  la  couleur  légendaire,  la  profondeur  dramatique  et  la  psycho- 
logie à  la  fois  simple  et  d'une  extraordinaire  intensité.  Dans  cette 
œuvre,  inspirée  d'une  de  nos  plus  antiques  légendes  ayant  toujours 
symbolisé  les  plus  ardents  mystères  de  l'amour,  un  seul  sentiment 
domine  :  une  passion  d'une  véhémence,  d'une  violence  inouïe,  vers 
laquelle  tout  revient  sans  cesse.  Voyez,  au  dernier  acte,  les  trois 
longs  monologues  de  Tristan  blessé,  couché  sur  son  lit  dans  son 
vieux  manoir  de  Bretagne,  morceau  d'un  réalisme  effrayant,  oii  le 
côté  musical  s'efface  d'une  façon  presque  absolue,  pour  faire  place 
à  l'expression  exclusive  du  sentiment,  à  l'accent  de  la  passion  et 
de  la  douleur.  Ces  trois  monologues  commencent  par  des  idées 
étrangères  à  Yseult  et  à  l'amour.  Dans  le  premier,  Tristan,  reve- 
nant de  son  long  évanouissement,  demande  oîi  il  est,  d'où  il  vient  : 
lui-même  croit  revenir  d'un  monde  inconnu,  le  monde  de  la  nuit; 
et  Yseult  est  encore  dans  le  monde  du  soleil  ;  et  cette  idée  le 
reprend  tout  entier.  Plus  loin,  c'est  au  tidèle  Kun-enal  que  s'adres- 
sent d'abord  ses  paroles  de  reconnaissance  et  de  joie  ;  mais  pourquoi 
serait-il  joyeax,  si  ce  n'est  parce  qu'il  va  revoir  Yseult?  Et,  de  nou- 
veau, elle  saisit  toute  sa  pensée.  Enfin,  le  troisième  monologue,  le 
plus  long  et  le  plus  important,  commence  par  le  retour  du  chant 
du  berger,  ce  chant  si  triste  qui  symbolise  pour  Tristan  toutes  les 
douleurs  de  sa  vie,  qui  lui  apprit  la  mort  de  son  père,  celle  de  sa 
raère,  qui  lui  dit  maintenant  que  la  destinée  est  de  désirer,  désirer 
toujours,  puis  de  mourir;  et  comment,  de  là,  revient-il  encore  à 
Yseult?  je  ne  le  sais,  mais  cette  idée  s'acharne  sur  lui,  plus  passion- 
nément que  jamais,  et,  dans  un  véritable  délire,  il  va  jusqu'à  blas- 
phémer, à  maudire  l'amour  qui  est  une  telle  souffrance,  maudire 
le  breuvage  amer  qui  a  versé  dans  son  sang  une  telle  passion, 
maudire  celle  qui  l'a  broyé  !... 

Je  n'apprendrai  rien  à  personne  en  disant  que  toutes  les  scènes 
de  Tristanet  l'ww/f  sont  fort  développées.  Dans  le  second  acte  il  n'y 
en  a  que  trois,  et  cet  acte  dure  environ  une  heure  et  demie  :  la  seule 
scène  d'amour  ne  doit  pas  durer  beaucoup  moins  d'une  heure.  Avec 
la  prolixité  germanique,  Wagner  s'est  étendu  sur  certains  sentiments 
et  certaines  considérations  que,  nous  autres  Français, aurions  aimé 
à  voir  exprimer  un  peu  plus  brièvement.  J'avoue,  cependant,  qu'il 
est  impossible  de  trouver  une  seule  longueur  daas  le  troisième  acte, 
bien  que  ce  ne  soit  pas  l'avis  de  ceux  qui  elierchent  le  côté  musical. 
Ce  côté,  je  l'ai  dit,  s'efface  devant  l'expression  de  la  passion  vio- 
lente et  excessive  du  personnage;  mais  il  y  a  une  telle  pénétration 
des  divers  éléments,  la  poésie,  la  déclamation,  lés  dessins  et  les 
harmoniîs  de  l'orchestre,  enfin  tout  le  mouvement  scénique,  que 
je  ne  crois  pas  qu'il  eût  été  possible  de  traiter  la  scène  avec  plus 
d'intensité. 

Il  n'en  est  pas  absolument  de  même  dans  les  deux  premiers  actes. 
Mais  ici,  les  scènes  qui  nous  laissent  une  impression  de  longueur 
sont  placées  de  telle  manière  qu'elles  précèdent  presque  toujours  les 
moments  les  plus  beaux,  ceux  oii  l'attention  lassée  se  ranime  forcé- 
ment. Je  ne  parle  pas  de  l'allocution  du  roi  Marke,  qui,  sans  même 
parler  du  sentiment  général,  est  au  moins  d'une  longueur  un  peu 
exagérée  dans  la  situation  où  elle  est  mise  ;  mais,  dans  ce  même 
acte,  après  la  scène  si  poétique  d'Yseult  et  de  Brangœne  et  cette 
entrée  prodigieusement  passionnée  de  Tristan,  il  y  a  un  long  dia- 
logue entre  les  deux  amants,  où  ils  dissertent  subtilement  "sur  le 
jour  et  la  nuit,  cela  non  sans  une  complaisance  excessive;  mais 
aussitôt  après  vient  la  sublime  invocation  à  la  nuit  chantée  en  duo, 
avec  l'appel  de  Brangœne  du  haut  de  la  tour,  pendant  qu'à  l'or- 
chestre tous  les  bruits  de  la  nuil  s'enchevêtrent  et  se  combinent 
avec  une  poésie  délicieuse,  et  toute  la  fin  du  duo,  la  musique  pas- 
sionnée, la  plus  abondante,  la  plus  soutenue  qui  fût  écrite  jamais. 
De  même  au  premier  acte,  après    l'exposition  si  riche  en  épisodes 


divers,  au  moment  où  l'action  définitive  va  s'engager  entre  Tristan 
et  Yseult,  après  cette  puissante  symphonie  de  l'orchestre  à  l'entrée 
de  Tristan,  où  l'on  sent  qu'il  va  se  passer  des  choses  énormes,  il  y 
a  une  scène  d'explications  qui,  vraiment,  dure  un  peu  trop  ;  mais, 
aussitôt  après,  Tristan  et  Yseult  boivent  le  philtre,  etl'amour  irré- 
sistible se  déclare  et  chante  en  eux;  et  en  même  temps  les  bruits 
populaires  se  font  entendre  au  dehors,  le  navire  aborde  au  château 
du  roi  Marke,  cependant  que  les  deux  amants,  uniquement  absorbés 
par  leur  passion  naissante,  oublient  tout  au  monde  et  ne  connais- 
sent plus  rien  en  dehors  d'eux-mêmes  ;  et  cela  est  admirable,  pro- 
digieux, d'une  beauté  scénique  extraordinaire,  l'impression  la  plus 
profonde  et  la  plus  complète  que  l'art  nous  ait  jamais  fait  ressentir. 


Aux  deux  premières  représentations  de  Bayreuth  de  cette  année, 
nous  avons  eu  à  admirer  tout  d'abord  trois  très  grands  artistes. 
D'abord  M'""  Sueher,  qui  est  bien,  certes,  la  plus  belle  Yseult  que 
l'on  puisse  rêver  :  elle  est  superbe  d'attitudes  et  de  physionomie, 
avec  une  voix  pleine,  homogène  et  d'un  beau  timbre,  et  surtout  un 
sentiment  parfait  du  rôle  et  de  toute  l'œuvre.  Puis  M.  Van  Dyck, 
l'idéal  du  Parsifal,  qu'il  incarne  avec  une  rare  intelligence,  et  auquel 
il  donne  un  charme,  une  jeunesse  merveilleusement  en  rapport  avec 
le  personnage  du  «  pur  simple  »  ;  auprès  de  lui,  M.  Scheidemantel, 
qui  met  au  premier  plan,  dans  Parsifal,  le  rôle  d'Amfortas,  tant  sa 
voix  est  belle,  sa  diction  parfaite,  ses  gestes  expressifs  et  justes. 
Il  serait  injuste  de  n'y  pas  joindre  M""^  Materna,  que  nous  avons 
entendue  à  Paris  dans  des  fragments  wagnériens  qu'elle  a  inter- 
prétés, on  s'en  souvient,  avec  une  supériorité  incomparable  ;  mais, 
dans  le  rôle  de  Kundry,  de  Parsifal,  nous  sommes  malheureusement 
gênés  par  le  souvenir  de  M'"  Malien,  qui  lui  donnait  bien  plus  de 
vie,  de  charme  et  de  poésie  féminine.  M""''  Materna  l'interprète  d'ail- 
leurs avec  son  admirable  voix  et  en  compose  les  traits  principaux 
avec  beaucoup  d'autorité  et  de  science.  Un  nouveau  ténor,M.  Alvary, 
a  interprété  Tristan  avec  beaucoup  d'art  et  d'intelligence,  mais 
sans  le  sentiment  profond  du  personnage  que  M.  Vogl,  avec  moins 
de  voix  assurément,  mais  plus  de  sincérité,  savait  nous  faire 
éprouver.  Dans  Parsifal,  particulièrement,  tous  les  rôles  secondaires 
ont  été  remarquablement  tenus  :  Gurnemanz  par  M.  Grengg,  Klingsor 
par  M.  Liefe,  et  la  scène  des  Blumen-Mœdchen  a  été  interprétée  avec 
un  ensemble,  une  vivacité  et  un  charme  exquis.  Mais  pourquoi, 
dans  ,  le  finale  du  premier  acte,  les  cloches  ne  peuvent-elles  donc 
jamais  aller  en  mesure  avec  l'orchestre?  Cela  est  d'un  effet  déplo- 
rable et  d'une  fort  mauvaise  impression  au  début  d'une  scène  où  tout 
devrait  être  parfait.  D'ailleurs,  exécution  d'ensemble  toujours  dans 
un  mouvement  et  un  sentiment  excellents,  celle  de  Parsifal  soiis  la 
direction  de  M.  Herman  Lévy,  celle  de  Tristan  et  Yseult  avec 
M.  Mottl. 

Julien  Tiersot 


NAPOLEON  DILETTANTE 

(Suite) 


XI 

LES  DERNIERS  ACCORDS 

Dans  son  curieux  recueil  intitulé  Macédoine,  La  Bretonnière  nous 
apprend  que  lorsque  Napoléjn  quitta  Paris  en  1814,  pour  aller  au- 
devant  de  l'invasion,  les  «bardes  de  la  police»,  comme  il  appelle 
les  agents  de  la  préfecture,  organisèrent  et  firent  chanter  par  tous 
les  carrefours  des  hymnes  populaires,  dont  ce  couplet  donne  la  note 

exacte  : 

Travaillons 
Tous  en  vrais  lurons 
Les  casaques 
Des  Cosaques. 
Fussent-ils  gros  comm'des  éléphants, 
Ils  u'font  peur  qu'aux  petits  enfants. 

«  A  ce  chaleureux  appel  de  l'Ossian  officiel,  ajoute  l'auteur  de  la 
Macédoine,  joignez  l'air  de  la  Mère  Camus  avec  orgue  de  Barbarie,  et 
vous  aurez  facilement  une  idée  de  l'enthousiasme  qu'il  savait  ins- 
pirer. » 

Dans  les  théâtres,  ce  furent  également  des  vers  et  de  la  musique  de 
commande  qui  firent  les  frais  de  cette  préface  de  la  défense  natio- 
nale. A  l'Opéra,  c'était  l'Oriflamme,  «  qu'on  détachait  des  voûtes 
royales  de  Saint-Denis,  pour  enflammer  une  jeunesse  fort  mauvaise 


LE  MENESTREL 


237 


chrétienne.  »  Cette  pièce  de  circonstance  avait  pour  auteurs  Etienne 
et  Baour-Lormian,  avec  musique  de  Méhul,  Paër,  Berton  et  Kreutzer  ; 
il  en  fut  donné  onze  représentations,  dont  la  dernière  eut  lieu  le 
IS  mars.  A  Feydeau,  e'élait  «  Bayard  sauvant  Mézières,  au  milieu 
d'une  intrigue  mesquine  calquée  sur  toutes  les  fadaises  d'amourettes 
et  de  travestissements  faisant  alors  le  fond  de  ce  théâtre.  »  Bayard 
à  Mésières,  opéra-comique  en  un  acte,  paroles  de  Dupaty  et  Chazet, 
musique  deBoieldieu,  Cafel,  Nicole  et  Gherubini,  avait  été  représenté 
le  12  février. 

Mais  en  dépit  de  ces  divertissements  l'émotion  était  grande,  car 
l'on  ne  voyait  pas  degaîlé  de  cœur  se  dresser  le  spectre  terrifiant  de 
l'invasion.  Cependant,  la  régence  sut  à  un  moment  réveiller  l'enthou- 
siasme. On  jouait  J?'mirfe  à  l'Opéra.  Une  brigade  de  l'armée  du  Midi 
était  arrivée  ce  jour-là  précisément,  et  de  nombreux  officiers  garnis- 
saient l'amphithéâtre  et  le  parterre.  On  était  au  premier  acte,  et 
Renaud  était  couché  aux  pieds  d'Armide  (M™°  Branchu),  quand  on 
vit  s'avancer  soudainement  Derivis,  superbe  sous  son  armure  de 
chevalier,  et  tenant  à  la  main  un  papier:  c'était  le  bulletin  de  la 
victoire  de  Champ-Auberl  !...  Les  applaudissements  éclatèrent  de  toutes 
parts,  et  la  foule  criait,  sans  interruption.  Vive  l'Empereur  !  tandis 
que  l'orchestre  jouait  La  victoire  est  à  nous! 

Bientôt,  en  effet,  le  favori  de  cette  victoire  si  longtemps  chantée 
prenait  le  chemin  de  l'exil,  où  la  musique  devait  lui  souhaiter  la 
bienvenue,  mais  cette  fois  si  mauvaise,  que  le  sort  de  Napoléon  dut 
lui  en  paraître  plus  dur  encore.  C'est  du  moins  ce  qui  ressort  de  ce 
passage  des  Mémoires  de  la  baronne  Durand  : 

«  Lorsque  l'Empereur  aborda  dans  l'île,  —  il  s'agit  de  File  d'Elbe. 
—  on  le  conduisit,  sous  un  dais  fait  à  la  hâte  et  orné  de  papier 
doré  et  de  morceaux  d'étoffe  éearlate,  dans  le  lieu  de  sa  résidence  : 
c'était  à  l'Hôtel  de  Ville  qu'il  devait  provisoirement  loger.  On  avait 
orné  la  salle  qui  servait  ordinairement  pour  les  réunions  publiques 
et  les  bals,  avec  quelques  tableaux  et  des  candélabres  en  cristal. 
Une  espèce  de  trône  avait  été  élevé  ;  il  était  paré  dans  le  même  genre 
que  le  dais.  La  musique  de  la  chapelle  l'accompagna  jusque-là; 
elle  joua  des  airs  nationaux  si  peu  mélodieux  que  Napoléon  demanda 
bien  vite  à  être  conduit  dans  l'appartement  qui  lui  était  destiné.  » 

Pour  se  distraire  de  cette  désagréable  impression,  le  souverain  de 
cet  État  microscopique,  que  baignait  de  tous  côtés  la  mer,  se  donna 
souvent  le  plaisir  d'écouter  de  meilleure  musique.  Le  détail  ne  nous 
en  est  point  parvenu,  mais  nous  relevons  dans  le  Mémorial  de  Pey- 
russe  celte  indication  au  chapitre  des  comptes  apurés  à  l'île  d'Elbe 
et  contresignés  Napoléon,  à  Porfo-Ferrajo,  le  24  juin  1814; 
Dépenses  pour  7  mois  : 
Frais  de  théâtre  et  de  concerts 0,000  francs. 

A  la  même  source,  nous  puiserons  le  chiffre  de  subventions  aux 
théâtres  (Opéra,  Opéra-Comique,  Opéra-Bouffe  et  Théâlre  de  l'Impé- 
ratrice) pendant  les  Cent  jours.  Il  se  monte  à  148,000  francs,  sans 
compter  1,000  francs  à  Campenon  et  Jouy,  commissaires  à  l'Opéra- 
Comique,  et  5,000  francs  aux  acteurs  et  auteurs  de  l'Opéra  et  de 
l'Opéra-Comiquo. 

Ces  dernières  sommes  se  rapportent  sans  doute  à  une  gratification 
exceptionnelle,  comme  Napoléon  avait  coutume  d'en  donner  souvent 
aux  artistes,  en  dehors  de  tout  budget  officiel,  ainsi  que  le  prouve 
cette  lettre  adressée  au  général  comte  Bertrand,  grand  maréchal  du 
palais,  le  S  mai  181.5: 

«  Je  viens  d'arrêter  le  budget  des  théâtres.  Il  y  a  un  article  assez 
fort  pour  location  de  loges,  et  je  crois  avoir  fait  des  fonds  pour  la 
même  dépense  au  budget  de  ma  maison  ;  voyez  s'il  y  a  double  em- 
ploi. Je  donne  dans  le  budget  de  ma  maison  200,000  francs  à  des 
musiciens,  à  des  chanteurs,  etc..  Il  faudrait  que  dans  les  distri- 
butions que  vous  faites  il  n'y  eût  pas  de  doubles  emplois. 

»  Vous  trouverez  ci-joint  l'état  des  gratifications  à  payer  pour  le 
reste  de  l'année  aux  acteurs.  » 

Lorsque  l'empereur  fit  son  entrée  à  Paris,  par  Grenelle,  les  jeunes 
gens  de  la  banlieue,  portant  des  rubans  tricolores  à  leurs  chapeaux, 
le  précédaient  en  chantant  la  Marseillaise  et  le  Chant  du  départ.  Plus 
loin,  ce  fut,  d'après  Marco  de  Saint-Hilaire,  une  marche  «  grave  et 
presque  religieuse  »  de  Lesueur,  et  non  les  airs  accoutumés,  qui 
l'accueillirent.  Enfin,  le  retour  de  Napoléon  fut  célébré  par  un  grand 
concert  dans  le  jardin  des  Tuileries,  où  l'orchestre  était  adossé  au 
château. 

Dans  le  cortège,  les  musiques  militaires  jouaient  Veillons  au  salut 
de  l'empire.  A  ces  accents,  les  vieux  débris  de  Marengo  ajoutaient 
tout  bas  : 

Si  le  despotisme  conspire. 
Conjurons  le  despotisme  des  rois 


et,  parvenus  au  refrain,  chacun  répétait  avec  la  musique  : 

La  mort  plutôt  que  l'esclavage, 
C'est  la  devise  des  Français. 

Peu  de  jours  après,  une  grande  cérémonie  se  tint  au  Champ  de 
Mars,  où  Napoléon  jura  l'acte  additionnel.  Il  était  vêtu  d'une  tunique 
de  satin  cramoisi,  avec  une  toque  de  velours  à  la  Henri  IV.  Ses 
frères  Lucien,  Louis  et  Jérôme,  qui  étaient  à  ses  côtés,  portaient  un 
costume  identique,  mais  en  blanc,  avec  un  pantalon  de  tricot  de 
soie.  Une  cantate  fut  chantée  par  deux  chœurs,  l'un  d'hommes, 
l'autre  de  femmes  ;  on  avait  ressuscité,  pour  la  circonstance,  une 
composition  intitulée  la  Lyonnaise,  datant  de  l'année  précédente,  et  où 
il  était  dit  : 

Napoléon,  roi  d'un  peuple  fidèle. 

Tu  veux  borner  la  course  de  ton  char. 

Tu  nous  montras  Alexandre  et  César 

Nous  reverrons  Trajan  et  MarcAurèle. 

Chœur  : 
Que  les  cités  s'unissent  aux  soldats. 
Rallions-nous  pour  les  derniers  combats. 
Français,  la  paix  est  aux  champs  de  la  gloire, 
La' douce  paix,  fille  de  la  victoire. 

Mais  l'horizon  se  rembrunissait  à  vue  d'oeil.  Le  22  juin  eut  lieu  le 
défilé  de  la  garde  nationale  devant  l'empereur,  qui  ne  pouvait,  dit- 
on,  retenir  ses  larmes.  Le  lendemain,  il  envoyait  ces  braves  soldats- 
citoyens  travailler  aux  fortifications  de  la  ville,  en  vue  d'un  nou- 
veau siège.  Tous  les  fédérés  des  faubourgs  Saint-Antoine  et  Saint- 
Marceau  gagnaient  en  chantant  leur  poste,  soit  à  Vincennes,  soit  à 
Montmartre,  où,  pour  les  encourager.  Napoléon  leur  envoya  la  mu^ 
sique  des  grenadiers  de  la  garde. 

La  Bretonnière  nous  a  laissé  le  tableau  de  la  dernière  apparition 
de  l'empereur  au  théâtre,  avant  de  partir  pour  Waterloo. 

Au  Théâtre-Français  on  jouait,  par  ordre,  la  pièce  d'Hector,  de 
Luce  de  Lancivai,  que  le  souverain  affectionnait  très  particulière- 
ment. La  foule  était  si  considérable  que  l'orchestre  fut  envahi,  ce 
qui  força  les  musiciens  à  se  réfagier  sous  la  scène...  On  attendait 
l'empereur  pour  commencer,  mais  il  n'arrivait  pas.  Alors,  pour 
passer  le  temps,  on  dematda  la  Marseillaise,  dont  les  accents  arri- 
vèrent au  public  par  le  trou  du  souffleur,  fort  amoindris  par  cette 
circonstance,  sans  compter  que  l'orchestre  de  la  Comédie,  ne  se 
composait  que  d'instruments  à  cordes. 

A  un  moment,  on  aperçoit  Gavaudan  à  la  galerie.  Aussitôt,  oa 
lui  demande  la  Marseillaise.  Gavaudan  objecte  qu'il  s'est  retiré  depuis 
longtemps  du  théâtre.  Mais  la  foule  insiste.  Alors  il  propose  de 
chanter  une  chanson  de  l'époque.  Le  vol  de  l'aigle  de  clocher  en  clocher, 
qui  se  terminait  par  un  joyeux  lianlanplan,  tambour  battant,  C4avau- 
dan  mime  la  scène.  Quand  vient  «  un  sourd  roulement  apporté  par 
la  bise  d'Italie  »,  il  tend  l'oreille,  et  se  redressant  joyeusement, 
il  s'écrie  : 

Je  reconnais  ce  tambour, 
Qui  du  monde  a  fait  le  tour. 

Alors,  toute  la  salle,  électrisée,  reprend  en  chœur,  au  milieu  des 
applaudissements,  Rantanplan,  tambour  battant,...  et  à  ce  moment 
apparaît  enfin  l'empereur. 

«  Toutes  les  allusions  de  la  pièce,  saisies  avec  transport,  dit  La 
Bretonnière,  furent  autant  d'ovations  pour  Napoléon,  cjui  saluait  avec 
émotion,  comme  les  premiers  sujets  du  théâtre  ». 

Quatre  mois  à  peine  se  sont  écoulés.  Celui  qui  a  régné  sur  le 
monde  est  en  mer,  à  bord  du  Northumberiand,  qui  fait  voile  vers 
Sainte-Hélène. 

Le  jour  de  son  arrivée  à  bord,  nous  apprend  le  docteur  Wajrden, 
dont  la  correspondance  &  élé  publiée  par  le  comte  d'Hérisson  dans 
son  Cabinet  noir,  l'empereur  montre  beaucoup  d'appétit;  le  bordeaux 
lui  plaît;  il  passe  la  soirée  sur  le  tillac,  où  la  musique  du  53"  vient 
jouer  pour  son  plaisir  ;  il  demande  deux  airs  :  le  God  save  the  king  et 
le  Rule  Britanniu.  Dans  les  intervalles,  il  cause  gaiement  avec  les 
officiers  qui  savent  et  parlent  le  français. 

Plus  tard,  ce  sera  le  chirurgien  de  la  marine  anglaise,  Tyder,  qui 
donnera  ce  tableau  du  débarquement  à  Sainte-Hélène,  le  17  oc- 
tobre ISlo  : 

«  Le  tambour  bat,  la  troupe  présente  les  armes,  Bonaparte  se  dé- 
couvre, salue  le  gouverneur,  et  lui  dit  quelques  mots  que  je  n'ai  pu' 
entendre.  Alors  tout  le  cortège  se  met  en  marche,  sans  musique  (en 
italiques  dans  le  texte),  et  l'on  arrive  à  l'hôlel  du  gouverneur,  où  un 
dîner  splendide  termine  la  cérémonie.  » 


238 


LE  MENESTREL 


Du  2  novembre  : 

«  Napoléon  a  donné  une  fête  le  12  novembre.  Elle  consiste  en 
uu  festin,  un  concert  et  un  bal.  M""*  Bertrand  brille  sur  le  piano. 
M""  de  Montholon  cbante  d'une  manière  ravissante  en  s'accompa- 
gnant  sur  la  harpe,  M"°  Sophie  N.....  ci-devant  soubrette,  exécute 
fort  bien  une  ariette  italienne;  les  généraux,  le  chambellao,  trois 
officiers  anglais  et  moi,  nous  faisons  danser  les  dames  anglaises  et 
françaises.  Mais  Bonaparte  ne  dansa  point.  » 

Le  piano,  que  faisait  valoir  si  bien  M™'  Bertrand,  avait  été,  sans 
doute,  emprunté  pour  la  circonstance;  car  il  existe  une  lettre  du 
docteur  O'Meara.  médecin  de  Napoléon,  à  sir  Thomas  Reade,  lieute- 
nant-colonel, où  il  se  plaint  du  refus  essuj'é  par  le  général  Montholon, 
qui  demandait  un  piano  pour  distraire  l'empereur. 

Il  faut  dire  que  cette  lettre  est  datée  du  24  janvier  1817,  c'est-à- 
dire  à  une  époque  où  les  relations  de  Napoléon  avec  ses  geôliers 
commençaient  à  se  tendre.  Les  officiers  l'appelaient,  il  est  vrai, 
toujours  Excellence;  mais  là  se  bornaient  leur  prévenance  envers 
lui.  Tristement,  il  passait  sa  vie  entre  quelques  promenades  à 
cheval  et  des  séjours  prolongés  dans  sa  bibliothèque,  où  il  lisait  ou 
dictait.  Souvent  aussi.  M™' Bertrand  lui  tirailles  cartes.  Puis,  c'étaient 
de  longues  rêveries,  durant  lesquelles  il  sifflait  ou  fredonnait  de 
sa  voix  fausse,  suivant  son  habitude. 

Un  voyageur  anglais  qui  a  publié  son  carnet  de  notes  à  son 
retour  de  Sainte-Hélène,  l'a  vu  souvent,  à  Longwood,  se  prome- 
nant, la  tête  coiffée  d'un  madras  rouge,  dans  la  galerie  touchant  à 
la  salle  de  billard  : 

»  Son  tic,  dit-il,  consiste  à  froncer  les  sourcils  et  à  prononcer,  la 
bouche  fermée,  de  ces  sons  brefs  et  inarticulés  qu'on  ne  peut 
désigner  autrement  que  par  le  mot  de  grognements.  Quand  Bonaparte 
éprouve  quelques  contrariétés  nouvelles,  ces  grognements  deviennent 
plus  fréquents;  quelquefois  il  les  accompagne  par  des  marques 
d'impatience,  quelquefois  aussi  il  les  modifie  sur  une  marche  de 
tambour,  et  il  va  même  jusqu'à  les  moduler  sur  un  de  ces  airs 
favoris  que  l'enfance  imprima  dans  sa  mémoire,  alors  que  la  chanson 
joyeuse  pouvait  arriver  jusqu'à  lui.  Cette  manière  de  fredonner,  qui 
participe  également  de  la  tristesse  et  de  la  gaité,  de  la  résignation 
et  de  l'impatience,  a  quelque  chose  d'amer  et  de  funeste  qui  déchire 
l'âme  des  spectateurs.    » 

Un  jimr  que  M"-  Bertrand  devait  lire  une  tragédie.  Napoléon  dit, 
en  souriant  : 

—  Nous  allons  ce  soir  aux  Français. 

Puis  il  tomt)a  dans  un  profond  abattement  où  tout  un  monde  de 
souvenirs  devait  avoir  sa  place. 

L'un  des  derniers  journaux  qu'il  reçut  portait,  sous  la  rubrique  : 
Annonce  de  notweautés,  qu'on  venait  de  mettre  en  vente  chez  les  mar- 
chands de  musique,  à  Paris,  une  hymne  guerrière  avec  une  musique 
nouvelle  d'un  de  nos  plus  célèbres  compositeurs. 

Ces  mots  d'Hymne  guerrière  lui  firent  éprouver  une  singulière  sen- 
sation. Mais  il  fut  bien  plus  vivement  ému  en  lisant  le  litre  de 
cette  production;  c'était  :  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas. 

—  Braves  soldats  français,  dit-il  en  soupirant.  Quels  hommes!... 
Us  se  sont  tous  rendus  immortels.  Toute  l'armée  sera  mentionnée 
dans  les  Annales  de  la  France;  mais  ce  n'est  pas  assez;  chacun 
d'eux  devrait  occuper,  seul,  une  page  dans  l'Histoire. 

Peu  de  temps  après,  il  mourait,  emportant  dans  la  tombe  le  far- 
deau d'une  vie  glorieuse  et   remplie  jusque  dans  ses  moindres  dé- 
tails, comme  on  l'a  vu  par  l'étude  toute  spéciale  que  nous  terminons. 
Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  : 

L'opéra  de  M.  Isidore  de  Lara  a  été  abandonné  dès  avant  la  répétition 
générale,  et  la  saison  finit  à  Covent-Garden  d'une  façon  peu  brillante. 
Cette  saison,  qui  a  dû  coûter  pas  mal  d'argent  à  la  direction,  n'a 
satisfait  personne  :  ni  les  abonnés,  qui  ne  s'étaient  engagés  pour  une 
aussi  longue  série  de  représentations  qu3  sur  les  promesses  les  plus 
mirobolantes,  ni  le  gros  public,  qui  a  trop  souvent  manifesté  son 
opinion  sur  plusieurs  ouvrages  de  l'ancien  répertoire  par  son  abstention 
bien  marquée,  ni  même  les  agences  (marchands  de  billets),  cet  auxiliaire 
puissant  de  l'Opéra  à  Londres,  dont  les  relations  avec  la  direction  ont  été, 
à  maintes  reprises,  des  plus  tendues.  Les  seules  quasi-nouveautés  de  la 
saison  ont  été  les  reprises  de  Manon,  de  Mireille  et  i'OleUo.  Par  contre,  la 


direction  a  failli  à  ses  promesses  en  ce  qui  concerne  les  ouvrages  sui- 
vants :  Siegfried,  Cavalleria  rusticana,  Philcinon  et  Baucis,  la  Juive,  le  Vais- 
seau Fantôme  et  enfin  la  Lumière  d'Asie,  l'œuvre  de  M.  de  Lara  qui  aurait 
constitué  la  seule  nouveauté  absolue  depuis  le  régime  de  M.  Harris. 

Les  représentations  données  cette  saison  se  décomposent  comme  suit  : 
Faust,  12  fois;  Lohengrin,  9  fois:  Roméo,  8  fois;  les  Huguenots,  8  fois; 
Carmen,  7  fois  :  Orphée,  6  fois  ;  Rigolelto,  S  fois  ;  Tannhduser,  S  fois  ;  Don 
Giovanni,  S  fois;  Manon,  i  fois;  Otetlo,  i  fois;  la  Traviata,  4  fois;  le  Pro- 
phète, 3  fois;  Mireille,  3  fois;  Mefistofele,  2  fois;  les  Maîtres  chanteurs,  2  fois; 
Aida,  2  fois;  Marttia,  2  fois;  Lucie,  2  fois,  Fidelio,  \  fois.  On  remarquera 
la  prépondérance  bien  tranchée  du  répertoire  français. 

Le  niveau  artistique  de  la  saison  n'a  pas  été  très  élevé,  la  troupe 
étant  incomplète  et  mal  équilibrée  ;  comme  cela  arrive  trop  souvent  à 
Covent-Garden.  Parmi  les  rares  débutants  de  la  saison,  la  palme  revient  à 
MM.VanDyck  et  Plançou,  que,  malgré  leur  succès,  la  direction  n'a  pas 
su  utiliser.  La  question  de  l'idiome  est  une  des  grosses  difficultés  de 
l'exploitation  de  l'opéra  en  ce  moment  à  Londres.  Si  aucun  changement 
ne  survient  dans  la  composition  des  troupes,  le  français  devra  s'imposer 
de  plus  en  plus.  Seulement,  il  faudrait  alors  procéder  méthodiquement, 
faire  apprendre  les  chœurs,  remplacer  tous  les  petits  rôles,  et  plus  d'un 
ouvrage,  tel  que  les  Huguenots,  Faust,  Carmen,  se  trouverait  transformé  de  la 
sorte,  surtout  sous  la  sympathique  direction  d'un  chef  d'orchestre  fran- 
çais. 

A  l'Opéra  national  anglais, /raji/iod,  grâce  à  une  réduction  des  prix,  aura 
bientôt  atteint  sa  130'=  représentation,  et  le  théâtre  fermera  jusqu'en 
automne.  La  Basoche  sera  le  spectacle  de  réouverture. 

Miss  Hetyett,  devenue  Miss  Décima,  sera  jouée  bientôt  au  Criterion.  Une 
note  publiée  dans  les  journaux  est  chargée  de  calmer  les  susceptibilités 
britanniques  au  sujet  de  l'étrange  aventure  de  l'héroïne,  qui,  dans  la 
nouvelle  version  anglaise  reste,  parait-il,  dans  les  limites  de  la  respectabilitg. 

A.  G.  N. 

—  Mme  patti  inaugurera  le  12  août  son  nouveau  théâtre  privé  de  Craig- 
y-Nos.  M°"=  Patti  paraîtra  avec  M.  Nicolini  dans  Roméo  et  Faust,  et  avec 
M.  Lely  dans  Martha  et  la  Traviata.  On  espère  avoir  le  grand  tragédien 
Irving  pour  réciter  un  prologue  de  bienvenue. 

—  Tandis  que  les  pieux  wagnériens  s'en  allaient  faire  leurs  dévotions  à 
la  chapelle  de  Bayreuth,  les  dévots  de  Mozart  (pèlerinage  contre  pèlerinage) 
se  rendaient  en  foule  au  temple  de  Salzbourg,  où  se  préparaient  des  fêtes 
brillantes  à  l'occasion  du  centenaire  du  maître  immortel,  plus  rayonnant 
encore  en  son  génie,  après  un  silence  de  cent  années,  qu'alors  même  qu'il 
enfantait  ses  incomparables  chefs-d'œuvre.  A  quoi  servirait  d'opposer 
Don  Juan  à  Parsifal  et  les  Noces  de  Figaro  aux  Maîtres  chanteurs?  Compa- 
raison n'est  pas  raison,  dit  fort  justement  la  sagesse  des  nations.  Mais  il 
il  est  bon  de  rappeler,  devant  les  tendances  exclusives  d'un  art  tyrannique 
et  absolu,  les  bienfaits  d'un  art  plus  accessible,  plus  humain,  et  dont  les 
partisans  n'ont  pas  l'humeur  sectaire  et  farouche  des  grands  prêtres  du 
dieu  nouveau.  Donc  on  a  fêté  dignement  Mozart  à  Salzbourg,  et  les  têtes 
qui  viennent  d'être  célébrées  en  son  honneur  dans  la  vieille  cité  souabe 
sont  venues  à  point  pour  montrer  que  toutes  les  admirations  ne  vont  pas^ 
quoique  certains  en  disent,  d'un  seul  et  même  coté,  et  qu'il  y  a  place 
encore  pour  un  enthousiasme  étranger  à  celui  de  Bayreuth.  Les  innom- 
brables vers  consacrés  à  Mozart  et  qu'ont  publiés  pendant  huit  jours  tous 
les  journaux  de  Vienne  et  de  Salzbourg,  suffiraient  à  le  prouver.  La  place 
nous  manquerait  pour  donner  un  compte  rendu  complet  et  détaillé  des 
fêtes,  et  nous  devons  nous  borner  à  en  signaler  les  principaux  épisodes. 
Elles  se  sont  ouvertes  par  un  grand  discours  très  étudié  sur  Mozart,  pro- 
noncé dans  l'ancienne  salle  d'honneur  de  l'Université,  aujourd'hui  trans- 
formée en  église,  par  M.  Hirschteld,  un  professeur  très  connu  et  très 
estimé  à  Vienne.  Un  tonnerre  d'applaudissements  a  salué  un  passage  de 
ce  discours  dans  lequel  l'orateur  rendait  justice  à  un  de  nos  maîtres 
actuels,  M.  Gounod,  pour  la  belle  étude  qu'il  a  publiée  récemment  sur  le 
Don  Juan  de  Mozart.  C'est  dans  cette  même  salle,  où  les  auditeurs  étaient 
pressés  jusqu'à  s'étouffer,  qu'ont  eu  lieu  les  deux  concerts,  dont  le  premier 
comprenait  l'ouverture  et  plusieurs  morceaux  de  la  Flûte  enchantée,  le 
concerto  de  piano  en  mi  bémol  et  la  symphonie  en  sol  mineur,  et  le  second 
des  fragments  de  Cosi  fan  tutte  et  de  l'Enlèvement  au  sérail  et  la  symphonie 
Jupiter.  L'orchestre  ne  comptait  pas  moins  de  300  exécutants,  parmi  les- 
quels tous  les  membres  de  la  Société  philharmonique  de  Vienne.  La  repré- 
sentation des  Noces  de  Figaro  organisée  au  théâtre,  avec  un  soin  religieux, 
par  M.  Wilhelm  Jahn,  directeur  de  l'OpiSra  impérial  de  Vienne,  a  été 
superbe  et  a  obtenu  un  succès  éclatant.  Le  chef-d'œuvre  avait  pour  inter- 
prètes tout  un  groupe  d'artistes  de  premier  ordre  :  M""^  Bianca  Biancbi 
(Suzanne),  Eude-Andriesseu  (la  comtesse),  Braust-Forster  (Chérubin)  et 
M"«  Kaulich  (Marceline),  et  MM.  Krolop  (Figaro),  Bitter  (Almaviva)  et 
Frenq  (Bartholo).  L'exécution,  merveilleuse,  était  dirigée  par  M.  Hummel. 
Nous  ne  saurions  parler  des  deux  jours  de  promenade  employés  à  visiter 
tous  les  endroits   illustrés  par  Mozart,  des   magnifiques  illuminations  du 

■  Mirabell-Garten,  de  la  richesse  et  de  la  curiosité  de  V Album  Mozart,  enfin 
du  banquet  cordial  et  joyeux  qui  a  eu  lieu  à  l'issue  de  la  représentation 
de  gala.  A  ce  banquet,  qui  était  égayé  par  la  musique  du  59«  régiment 
(archiduc  René),  de  nombreux  toasts  ont  été  portés,  dont  un,  le  fait  est  à 
remarquer,  adressé  à  la  France.  En  résumé,  les  fêtes  de  Salzbourg  n'ont 
rien  laissé  à  désirer,  et  le  nom  de  Mozart,  son  souvenir,  son  génie,  ont 
été  célébrés  comme  ils  méritaient   de  l'être.  On    assure    qu'elles    doivent 


LE  MENESTREL 


'239 


maintenant  être  renouvelées  chaque  anaée.  C'est  fort  bien  fait,  et  personne 
ne  s'en  plaindra. 

—  Après  le  départ  de  11'"=  Sembrich.  unejeune  débutante,  M"':  Piazza, 
•vient  de  reprendre  à  Berlin  le  rôle  de  Lakmé  avec  un  vif  succès.  Tous  les 
journaux  soat  pleins  de  son  éloge.  Il  paraît  que  l'altitude  et  la  légèreté 
de  la  voix  sont  tout  à  fait  surprenantes.  W-^"  Piazza  est  élève  de  M""  De- 
reims-Devriès.  Gomme  elle  est  d'origine  javanaise,  le  rôle  lui  convient 
particulièrement.  Ses  allures  et  son  teint  naturellement  bistré  y  font  mer- 
veille. Aussi,  de  tous  les  coins  d'Allemagne,  lui  fait-on  des  propositions 
pour  chanter  l'opéra  de  Delibes. 

—  On  écrit  d'Allemagne  à  l'Étoile  belge  que  des  documents  intéressants 
viennent  d'être  découverts  à  Bonn,  au  sujet  de  l'existence  en  Belgique 
de  quelques-uns  des  ancêtres  de  Beethoven.  Il  résulte-  déjà,  des  travaux 
d'Edouard  Gregoir  que  l'origine  flamande  de  l'illustre  compositeur  est 
aujourd'hui  indiscutable.  On  l'avait  longtemps  cru  de  souche  hollandaise. 
Mais  Gregoir  a  prouvé  qu'en  1650  un  des  membres  de  la  famille  de 
Beethoven,  musicien,  bisaïeul  du  grand  artiste,  avait  un  fils  nommé 
Louis,  qui  quitta  Anvers  par  suite  de  différends  avec  sa  famille  et  entra, 
en  1660,  comme  ténor  à  la  chapelle  de  l'électeur  de  Bonn.  Jean,  fils  de 
Louis  et  père  de  l'auteur  de  la  Symphonie  héroique,  fut  également  chanteur 
à  la  même  chapelle.  Le  dernier  membre  anversois  de  la  famille  Beethoven 
a  été  la  mère  du  peintre  de  marine  Jacob  Jacobs,  qui  a  joui,  il  y  a  quel- 
ques années,  d'une  grande  notoriété.  Cette  dame  était  née  Marie-Thérèse 
van  Beethoven,  et  est  morte  à  Anvers  le  23  janvier  1824.  Mais,  en  1630 
jusqu'à  1824,  des  ascendants  et  des  descendants  directs  de  Beethoven  ont 
habité  Anvers.  C'est  là  que  se  trouvait  le  berceau  de  la  famille  illustrée 
par  le  grand  homme. 

—  La  National  Zeitxwg,  en  annonçant  que  M.  Angelo  Neumann,  direc- 
teur delà  scène  allemande  de  Prague,  est  allé,  avec  sa  troupe,  donner  au 
Lessing-Théàtre  de  Berlin  des  représentations  de  la  Cavalieria  rusiicana  de 
M.  Mascagni,  prétendait  que  la  même  troupe  devait  aller  jouer  ce  même 
ouvrage,  en  allemand,  à  Venise,  Bologne,  Rome  et  Turin.  Les  journaux 
italiens  traitent  cette  nouvelle  de  canard,  et  il  est  à  croire  qu'ils  n'ont 
pas  tout  à  fait  tort.  Cet  essai  de  germanisation  musicale  de  l'Italie  serait 
sans  doute  trop  complet,  quelle  que  soit  l'intimité  qui  unisse  en  ce  moment 
les  deux  peuples  frères.  Il  faudrait  entendre  les  cris  de  gardiens  du  Capitole 
que  pousseraient  les  Allemands  si  leurs  bons  amis  les  Italiens  s'avisaient 
de  vouloir  aller  leur  faire  entendre  Tannhciuser  et  Lohengrin  dans  la  langue 
de  Dante  et  de  M.  Crispi. 

—  A  propos  de  Cavalieria  rusiicana,  dont  le  succès,  d'ailleurs,  continue 
partout  où  on  la  représente,  on  vient  d'en  donner,  au  théâtre  Fiirst,  de 
'Vienne,  un  petit  théâtre  situé  sur  le  Prater  et  consacré  aux  pièces  en 
dialecte,  une  parodie-opérette  intitulée  Artigiieria  rusiicana. 

—  On  lit  dans  le  Temps  :  «  Le  célèbre  compositeur  autrichien  Suppé  a 
célébré  hier  ses  noces  d'argent.  De  nombreuses  ovations  lui  ont  été  faites. 
Une  députation  du  conseil  municipal  de  la  ville  de  Gars,  où  il  est  en 
villégiature,  lui  a  offert  le  diplôme  de  citoyen  d'honneur.  » 

—  M.  Cari  Goldmark,  le  compositeur  allemand,  auteur  d'un  Merlin  dont 
le  succès  n'a  jamais  été  brillant,  vient,  paraît-il,  de  se  décider  à  raccourcir 
et  à  refondre  entièrement  cet  ouvrage,  dont,  eu  particulier,  il  aurait  re- 
fait presque  entièrement  le  troisième  acte.  Ainsi  réduit  et  remanié,  Merlin, 
sous  sa  nouvelle  forme,  ferait  prochainement  son  apparition  à  Berlin. 

—  Petites  nouvelles  d'Italie.  L'Académie  philharmonique  de  Rome  a 
décidé  de  prendre  l'initiative  de  fêtes  à  célébrer  ea  cette  ville  à  l'occasion 
du  double  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  et  de  la  naissance  de  Rossini. 

■ —  C'est  à  Rome  aussi,  au  théâtre  Manzoni,  que  se  donnent  en  ce  moment 
des  représentations  de  Fra  Diavolo  dans  des  conditions  nouvelles  et  par- 
ticulières. Le  joli  chef-d'œuvre  d'Auber  est  joué  par  une  troupe  d'enfants 
dont  l'aîné  n'a  pas  treize  ans.  Ces  enfants  joueront  ensuite  le  Barbier  de 
Rossini. —  On  assure  que  le  chef  d'orchestre  Mascheroni  se  proposerait  de 
faire  dans  le  courant  de  l'hiver  prochain,  à  la  Scala  de  Milan,  une  reprise 
éclatante  du  Fernand  Goriez  de  Spontini.  —  Nous  avons  dit  déjà  que  le 
conseil  municipal  s'était  refusé  à  voter  la  subvention  accordée  d'ordinaire 
à  la  direction  du  théâtre  San  Carlo  de  Naples.  Il  parait  que  le  commissaire 
royal  lui-même,  vu  l'état  déplorable  des  finances  de  la  municipalité,  ne 
se  montra  pas  plus  disposé  qu'elle  à  donner  cette  subvention.  —  C'est  le 
3  octobre  prochain  que  doit  être  inaugurée  la  nouvelle  saison  musicale 
au  théâtre  Brunetti,  de  Bologne.  Cette  inauguration  se  fera  avec  la  pre- 
mière représentation  d'un  opéra  nouveau  intitulé  Vindice,  dont  l'auteur 
est  le  maestro  Umberto  Massatti.  —  On  annonce  que  le  compositeur  Ca- 
gnoni,  l'un  des  artistes  les  plus  justement  estimés  de  l'Italie,  écrit  en  ce 
moment  la  musique  d'un  nouvel  opéra  qui  aura  pour  titre  il  Carabiniere. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

Voici  les  résultats  des  premiers  concours  publics  qui  ont  eu  lieu  cette 
semaine  au  Conservatoire: 

Contrebasse  (classe  de  M.  Verrimst).  6  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
solo  de  M.  Verrimst;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Ernest  Gui- 
raud.  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  président;  Garcin,  E.  Guiraud, 
de  Bailly,  Loys,  Tubeuf,  Lebouc,  Cros-Saint-Ange. 


Pas  de  1'"'  ni  de  "2°  prix. 
•/=■'  accessit.  —  M.  Leduc. 
2's  accessits.  —  MM.  Delahaigne  et  Nauny. 

Violoncelle.  14  concurrents.  Morceau  de  concours  :  Concerto  en  ré  mineur, 
de  Goltermann  ;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Ernest  Guiraud. 
Méine  jury  que  pour  le  précédent. 

pis  prix.  —  MM.  Carcanade  (élève   de   M.   Rabaud)   et  Furet  (élève  de 
M.  Delsart). 
2=s  prix.  —  MM.  Touche  (Rabaud)  et  Choinet  (Delsart). 
^"^  accessits.  —  MM.  Hasselmans  (Delsart)  et  Ghys  (Rabaud). 
2"^=  accessits.  —  MM.  Hérouard  (Delsart)  et  Feuillard  (id.). 
Chant  (hommes).  19  concurrents.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Masse- 
net,  Ernest  Guiraud,  Gh.  Lenepveu,  Nicot,  Capoul,  Gailhard,  Vergnet. 
Pas  de  i"'  prix. 

2=s  prix.  —  MM.  Grimaud  (Warot)  et  Bérard  (Duvernoy), 
^«'■s  accessits.  —  MM.  Artus  (Crosti)  et  Nivette  (Duvernoy). 
2«  accessits.  —  MM.  David  CWarot),  Michel  Dufour  (Bax)  et  Périer  (Bus- 
sine). 
Chant  (femmes).  23  concurrentes.  Même  jury  que  pour  le  précédent. 
ii:^^  prix.  —  M"™  Issaurat  (Duvernoy)  et  Lemeignan  CWarot). 
2's  prix. —  Mi'es  Wyns  (Crosti)  et  Brelay  (id.). 
l=''s  accessits. —  M"=s  Cléry  (Bussine)  et  Médard  (Barbot). 
2ra  accessits.  —  M'i=s  Laisné  (Boulanger),  Pauline  Michel  (Crosti),  Morel 
(Boulanger)  et  Vauthrin  (Barbot). 

Tragédie.  10  concurrents  et  concurrentes.  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas, 
Camille  Doucet,  Alexandre  Dumas,  Ludovic  Halévy,  Jules  Glaretie,  Porel, 
Henry  de  Lapommeraye,  Jules  Barbier,  Deschapelles,  Mounet-Sully. 
Hommes  : 

i<"prix.  —  M.  de  Max  ("Worms). 
Pas  de  2=  prix. 

1'=''  accessit.  —  M.  Fenoux  (Maubant). 
2'  accessit.  —  M.  Gauley  (Got). 
Femmes  : 

i"^  prix.  —  M"«  Dufrène  (Worms)  et  Dux  (Got). 
2'  prix.  —  M'"=  Haussmann  (Got). 

l"s  accessits.  —  W"^  Hartmann  (Delaunay)  et  Mellot  (Worms). 
Pas  de  2=  accessit. 

Comédie.  22  concurrents  et  concurrentes.  Même  jury  que  pour  le  précédent. 
Hommes  : 

■)«■  prix.  —  M.  de  Max  (Worms). 
2=s  prix. —  MM.  Lugné-Poé  (Worms)  et  Baron  (Got). 
1"'  accessit,  à  l'unanimité.  —  M.  Veyret  (Maubant). 
2'^  accessits.  —  MM.  Fenoux  (Maubant)  et  Coste  (Delaunay). 
Femmes  : 

l^prioj.  —  M"':  Dux  (Got). 

2=»  prix.  —  M"=s  Thomsen  (Worms)  et  Piernold  (Got). 
l=''s  accessits.  —  M"«s  Laurent-Ruault  (Maubant)  et  Vernon  (Worms). 
2«s  accessits.— U"'^  Chapelas  (Maubant),  Suger  (id.),  et  Béry  (Delaunay). 
Harpe  (classe  de  M.  Hasselmans).  6  concurrents.  Jury  :  MM.  Ambroise 
Tiiomas,  Ernest  Guiraud,  Théodore    Dubois,  Mangin,' Widor,  Delahaye, 
Nollet,  Pierné,  Th.  Lack. 

1"-'^  prix.  —  M"''  Hardy  et  Bressler. 
2''^  prix.  —  M.  Fernand  Maignien  et  M"<^  Achard. 
■/er  accessit.  —  M"»  Rolland. 

Piano   (hommes).  Même  jury  que  pour  le  précédent.  Morceau  de  con- 
cours :  sonate  en  la  bémol,  de  Weber;  morceau  a  déchiffrer,  composé  par 
M.  Th.  Dubois. 
■/'=■■  prix.  —  MM.  Quévremont  (Diémer)  et  Pierret  (idj. 
Pas  de  second  prix. 

/ère  accessits.  —  MM.  Morpain  (de  Bériot),  de  Martini  (id),  et  JoUy  (id.). 
2"^*  accessits.  —  MM.  Vinès  (de  Bériot)  et  Wurmser  (id). 
Piano  (femmes). — Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président;    Massenet, 
E.  Guiraud,  Th.  Dubois,  L.  Delahaye,  P.  V.  de  la  Nux,  G.  Pfeiffer,  R.  Pu- 
gno,  Gh.-M.  Widor.  Morceau  de  concours  :  Allegro  de  concert,  de  M.  E.  Gui- 
raud; morceau  de  lecture  à  vue  composé  par  M.  J.  Massenet. 

^'"^  prix  :  M'i'iî  Charmois   et  Quanté,  (Alph.  Duvernoy),  Buval  et  Long, 
(Fissot),  Journault,  (Duvernoy),  et  Da  Silva,  (Delaborde). 
2'^  prix  :  M}^"^  Bonnard  (Delaborde),  et  Eytmin,  (Fissot). 
/"^  accessits  :  M"»*  Desmoulin,  (Fissot),  Mate,  (Duvernoy),  Weingaertner 
et  Dron,  (Delaborde),  Roit,  (Fissot). 

2es  accessits:  M"«  Dox,  (Duvernoy),  Chambroux,  (Delaborde)  et  de  Ligny, 
(Duvernoy). 

—  Nous  avons  enregistré  les  nominations  faites  dans  l'ordre  de  la  Lé- 
gion d'honneur  à  l'occasion  du  14  juillet.  Mais  il  va  sans  dire  que  le  ruban 
violet  a  été  distribué  avec  plus  d'abondance  que  le  ruban  rouge,  et  nous 
avons  à  faire  connaître  aujourd'hui  les  nombreuses  distinctions  académi- 
ques dont  la  musique  et  le  théâtre  ont  été  l'ohjet  à  la  même  occasion.  Sont 
nommés  officiers  de  l'instruction  publique  :  MM.  Colomer,  de  Lagoanère, 
Woog,  compositeurs;  Canoby,  inspecteur  de  l'enseignement  musical; 
M°"=  Roger-Miclos,  professeur  de  musique;  M.  Pezzani,  professeur  de 
chant;  M""^  Fuchs,  M.  Melchissédec,  artistes  lyriques;  MM.  Goud.  pro- 
fesseur à  l'école  do  musique  de  Besançon  ;  Mohr,  professeur  de  solfège 
au  lycée  d'Amiens  ;  Le  Bargy,  Prudhon,  Silvain,  sociétaires  de  la  Comé- 


240 


LE  MENESTREL 


die-Française  ;  Marx,  directeur  de  théâtre  à  Paris;  Le  Noir,  médecin  du 
tliéâtre  de  l'Odéon  ;  Mobisson,  secrétaire  du  théâtre  de  l'Opéra.  —  Sont 
nommés  otlîciers  d'académie  :  MM.  Ghansarel,  Paul  Delmet,  composi- 
teui's  ;  Emile  Bollaërt,  professeur  de  musique  ;  Emile  Gouget,  M"°  Mar- 
guerite Gey,  professeurs  de  chant;  M™»  Grossetête-Galliano.  professeur 
de  piano;  M™*  Chabert,  née  Daubancourt,  professeur  de  musique;  M.Ga- 
sadesus,  auteur  de  publications  musicales  ;  M"'  DepuiUe,  professeur  de 
chant  aux  écoles  de  la  ville  de  Paris  ;  MM.  Paul  Brossa,  premier  violon 
à  l'Opéra  ;  Girod.  violoncelliste  ;  Goudesonne,  chef  d'orchestre  au  Chàtelet; 
Goullet.  critique  musical;  Auguez,  M™"*  Emilie  Ambre,  Fursch-Madi, 
artistes  lyriques;  MM.  Bouvet,  Delaquerrière,  artistes  de  l'Opéra-Comique; 
GaissOj  professeur  à  l'école  de  musique  de  Montpellier;  Durand,  profes- 
seur à  l'école  de  musique  d'Aix  ;  Contât,  professeur  de  violon  à  Nîmes  ; 
Edmond  Deren,  artiste  musicien  à  Lille;  Depéronne,  vice-président  du 
comité  du  Conservatoire  de  Nancy;  Delmas,  directeur  de  l'Union  musicale 
de  Nangis  ;  Cooper,  Alphonse  Dieudonné,  Fabrègues,  Galipaux,  artistes 
dramatiques  ;  Bourillon,  dit  Sirday,  auteur  dramatique  ;  Leclert,  compo- 
siteur, Huber,  chef  de  musique  au  31'=  de  ligne  ;  Lorrain,  M^'^  Leavington- 
Dedebat,  artistes  lyriques  ;  M.  Victor  Lazard,  M""  Habert,  M"«  Louise 
Koch,  professeurs  de  piano  ;  M"«  Lafont,  professeur  de  chant  ;  M""'  Lhérie, 
professeur  de  musique  ;  MM.  Jumel,  chef  de  la  musique  municipale  de 
Sainte-Geneviève  (Oise);  Eugène  Larcher,  professeur  de  diction' et  direc- 
teur de  théâtre  ;  Jalabert,  directeur  du  théâtre  du  Gymnase,  à  Marseille  ; 
j([mes  Molé-Truffier,  Terrier- Vicini,  artistes  lyriques;  MM.  Albert  Millet, 
MouUé,  Savoye,  Raynal,  M™"  RoUé-Jacqaes,  compositeurs  ;  M""=  Morio- 
Hirsch,  professeur  de  chant;  MM.  Pierre  WolflF,  auteur  dramatique;  Salzédo, 
professeur  de  chant  à  l'école  de  musique  de  Bayonne;  Signaire-Divoire, 
compositeur,  à  Lille  ;  Tailbades,  directeur  de  la  Lyre  Houennaise  ;  Reichardt, 
secrétaire  de  l'Harmonie  du  Raincij  ;  Mazet,  membre  fondateur  de  plusieurs 
sociétés  musicales;  M""*  Pilet,  née  Comettant,  professeur  de  piano; 
MM.  Peutat,  artiste  dramatique  ;  Paradis,  musicien  de  la  garde  républi- 
caine; M"<'  Mallet,  professeur  de  piano. 

—  Sur  les  vives  instances  du  directeur  du  Grand  Cercle,  M.  Massenet 
s'est  décidé  à  partir  hier  samedi  pour  Aix-les-Bains,  où  il  va  conduire  un 
concert  à  orchestre.  Il  assistera  aussi  à  l'une  des  représentations  de  Manon, 
qui  vient  d'être  l'occasion  d'un  si  grand  succès  pour  M}^"  Sanderson  et  le 
ténor  Degenne.  Il  n'est  donc  nullement  question  pour  lui,  comme  quelques- 
uns  de  nos  confrères  l'ont  annoncé,  de  s'en  aller  à  présent  du  côté  de 
Vienne  pour  y  surveiller  les  dernières  répétitions  de  M'erlher.  L'Opéra  de 
Vienne  est  encore  fermé  pour  deux  mois  et  ce  n'est  qu'au  mois  de  janvier 
prochain  qu'on  espère  donner  le  nouvel  opéra  de  M.  Massenet.  Ajoutons 
enfin  qu'il  n'a  nullement  terminé  récemment  de  nouvelle  partition,  puisque 
Werther  remonte  déjà  à  plus  de  six  années  et  qu'il  n'a  rien  autre  en  prépa- 
ration. Il  est  bien  vrai  qu'il  songe  à  un  nouvel  ouvrage,  comme  c'est  son. 
devoir  de  compositeur,  mais  le  choix  du  sujet  n'est  même  pas  arrêté. 

— ,  M.  Eugène  Bertrand,  le  nouveau  directeur  de  l'Opéra,  aura  appris  à 
Londres,  où  il  se  trouvait  pour  engager  de  sérieux  pourparlers  avec 
jjme  Melba  et  M.  Lassalle,  qu'il  venait  de  nouveau  d'être  père.  Un  gros 
garçon  lui  est  survenu.  Mère  et  enfant  se  portent  à  merveille,  ce  dont  nous 
les  complimentons. 

—  Quelques-uns  de  nos  confrères  ont  publié  ces  jours  derniers  la  note 
suivante,  qui  a  tout  un  parfum  de  littérature  officieuse,  sinon  ofGcielle  : 
CI  Pour  donner  satisfaction  aux  réclamations  des  habitants  de  la  place 
Boieldieu,  il  sera  procédé,  en  attendant  la  reconstruction  de  l'Opéra- 
Gomique,  à  la  démolition  des  baraquements  élevés  sur  l'emplacement  du 
théâtre  incendié  et  au  déblaiement  complet  du  terrain.  Le  sous-sol  sera 
maintenu  dans  son  état  actuel.  »  Nous  compléterons  cette  nouvelle  en 
annonçant  que,  d'après  nos  informations  particulières,  on  a  tout  lieu 
d'espérer  que  les  travaux  de  reconstruction  de  l'Opéra-Comique  pourront 
être  entrepris  vers  le  commencement  du  vingtième  siècle,  et  nous  ajoute- 
rons qu'on  pense  les  mener  assez  vivement  pour  que  l'inauguration  de  la 
nouvelle  salle  puisse  être  faite  le  16  décembre  197S,  deuxième  anniversaire 
centenaire  de  la  naissance  de  Boieldieu.  Ce  jour-là,  Paris  sera  tout  en 
fête,  et  l'on  voit  que  les  habitants  de  la  place  Boieldieu,  dont  l'impatience 
est  peut-être  excessive,  n'auront  rien  perdu  pour  attendre. 

—  Deux  paragraphes  des  curieuses  «  éphémérides  du  théâtre  de  Lille  » 
que  la  Semaine  musicale  de  cette  ville  publie  dans  chacun  de  ses  numéros. 

1800.  —  Première  représentation  des  Deux  Journées,  comédie  lyrique  en  trois 
actes,  musique  de  Gherubini,  paroles  de  Bouilly,  créée  à  Paris,  au  théâtre  Feydeau, 
le  16  janvier  précédent.  Pendant  trente  années,  la  belle  partition  de  Gherubini 
tint  le  répertoire;  tombée  aujourd'hui  dans  l'oubli,  elle  eut  cependant  un  succès 
inouï  ;  en  août  1819,  elle  atteignit  aa  centième  représentation  à  Lille  et  jusqu'en 
1830  elle  fut  une  des  œuvres  préférées  du  public  lillois. 

1812.  —  G'était  un  dimanche,  et  le  célèbre  EUeviou  était  en  cours  de  repré- 
sentations. Le  directeur  Duverger  espérait  une  recette  fructueuse ,  mais  il 
avait  compté  sans  la  ducasse  de  la  Madeleine  et  sans  le  bal  du  Moulin  d'Or, 
alors  très  fréquenté;  il  en  résulta  qu'au  lever  du  rideau,  à  5  heures,  la  salle 
était  déserte.  Que  fit  Duverger?  Craignant,  avec  raison,  que  l'amour-propre  de 
l'artiste  fût  blessé,  il  se  rendit  en  toute  hite  chez  les  marchands  de  modes  et  de 
nouveautés  dont  les  magasins  environnaient  le  théâtre  et  offrit  aux  demoiselles 
des  billets  gratis  ;  quand  EUeviou  parut  dans  Joseph ,  il  fut  accueilli  par  de  vifs 
et  chaleureux  applaudissements  et  chanta  devant  une  salle  comble. 


—  Nous  trouvons  dans  un  recueil  spécial  depuis  longtemps  disparu, 
VAtmanach  des  Théâtres  de  1837,  un  souvenir  de  trois  grands  artistes  qui 
n'est  pas  sans  quelque  intérêt.  Il  s'agit  du  Grand-Théâtre  de  Lyon,  dont 
le  directeur  alors  se  nommait  Provence  :  —  «  M.  Provence,  disait  VAlma- 
aach,  procura  au  public  lyonnais  de  grandes  jouissances  pendant  la  saison 
d'été  :  1"  en  lui  offrant  le  sublime  talent  de  M.  Ad.  Nourrit  ;  ce  grand 
artiste  donna  en  juillet  et  août  dix-neuf  ou  vingt  représentations,  toujours 
salle  pleine,  et  obtint  un  succès  pyramjdal  dans  tous  les  opéras  où  il  a 
chanté.  Ainsi  la  Juive,  Robert,  Guillaume  Tell  furent  donnés  plusieurs  fois, 
et  les  //uguCTOfs  pendant  sept  soirées  emplirent  la  salle.  Rien  ne  peut  égaler 
l'effet  produit  par  Nourrit  dans  le  rôle  de  Raoul.  Lyon  se  ressouviendra 
toujours  de  sa  magnifique  scènfe  du  quatrième  acte.  Ad.  Nourrit  et  Liszt, 
célèbre  pianiste,  se  réunirent  pour  donner  un  concert  au  bénéfice  des 
ouvriers  sans  travail,  et  ce  fut  une  belle  et  productive  soirée  dont  ces 
deux  grands  artistes  firent  si  bien  les  honneurs.  Nourrit  ne  voulut  point 
quitter  Lyon  sans  donner,  seul,  une  autre  représentation  au  profit  de  ces 
mêmes  ouvriers;  noble  et  généreux  emploi  de  son  talent.  Fin  d'août  est 
apparue,  au  Grand-Théâtre,  M"»  Falcon,  autre  riche  talent,  dans  la  Juive 
et  Robert;  elle  a  produit  un  effet  immense,  ainsi  que  dans  tous  les  autres 
opéras  où  elle  s'est  montrée  jusqu'au  15  septembre,  quittant  Lyon  chargée 
de  couronnes  et  de  bouquets...  M.  Dérivis  fils,  du  Grand-Opéra,  est  venu 
en  octobre  donner  des  représentations  qui  ont  été  également  très  suivies, 
et  son  talent  a  été  fort  goûté.   » 

NÉCROLOGIE 

FRANCO       FACCIO 

L'art  italien  vient  de  faire  une  perte  éminemment  sensible,  quoique 
malheureusement  prévue,  dans  la  personne  de  l'infortuné  Franco  Faccio, 
mort  mardi  dernier  21  juillet,  à  Monza,  près  de  Milan,  dans  la  maison  de 
santé  du  docteur  Biffi,  où  il  avait  dû  être  interné  au  mois  de  février  1890. 
Faccio  était  précisément  âgé  de  cinquante  ans,  étant  né  à  Vérone  le 
8  mars  1841,  d'un  simple  garçon  d'hôtel  qui  s'imposa  les  plus  dures  pri- 
vations pour  subvenir  aux  frais  de  son  éducation  musicale.  Admis  en 
1855  au  conservatoire  de  Milan,  où  il  devint,  en  même  temps  que  pianiste 
fort  habile,  l'un  des  meilleurs  élèves  de  composition  de  Ronchetti  et  de 
Mazzucato,  il  s'y  fit  remarquer  au  point  que  lorsqu'il  eut  terminé  ses 
études,  le  gouvernement  lui  accorda  un  subside  pour  faire  un  voyage  à 
l'étranger  et  se  perfectionner  dans  un  art  qu'il  semblait  appelé  à  illustrer. 
De  retour  en  Italie  à  la  suite  de  ce  voyage,  il  eut  la  chance,  singulière- 
ment rare,  de  faire  ses  débuts  de  compositeur,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans 
à  peine,  sur  la  scène  si  importante  de  la  Scala.  Malheureusement,  cette 
première  épreuve  ne  lui  fut  qu'à  demi  favorable,  et  son  opéra  i  Profughi 
Fiamminghi  (les  Proscrits  flamands)  fut  plus  discuté  qu'appplaudi.  Il  fut 
moins  heureux  encore  avec  son  Amleto,  ouvrage  dont  son  ancien  condis- 
ciple au  Conservatoire,  M.  Arrigo  Boito,  lui  avait  fourni  le  livret.  Pour 
des  raisons  très  complexes  et  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici,  cet 
ouvrage,  après  avoir  été  assez  favorablement  accueilli  d'abord  à  Florence, 
fut  outrageusement  sifîlé  lorsqu'il  parut  ensuite  à  la  Scala,  où  le  public 
le  reçut  avec  une  brutalité  sans  exemple.  Mais  ce  n'est  pas  comme  com- 
positeur, bien  qu'il  fût  loin  d'être  sans  valeur  sous  ce  rapport,  que  Faccio 
devait  se  faire  un  nom  ;  c'est  comme  chef  d'orchestre  surtout  que  la 
renommée  devait  s'attacher  à  lui.  Après  avoir  été  nommé  professeur 
d'harmonie,  puis  de  contrepoint  et  fugue  au  conservatoire  de  Milan,  il 
était  devenu  chef  d'orchestre  au  théâtre  Carcano,  et  bientôt  était  appelé  à 
remplir  les  mêmes  fonctions  à  la  Scala.  C'est  là  qu'à  peine  âgé  de  trente 
et  un  ans,  en  1872,  il  succéda  à  Terziaui,  et  se  mit  immédiatement  hors 
de  pair;  je  fus  frappé,  pour  ma  part,  lorsque  je  le  vis  pour  la  première 
fois  à  la  tête  de  son  orchestre,  de  ses  rares  et  puissantes  qualités.  En 
dépit  de  sa  petite  taille  et  de  son  apparence  chétive,  il  savait  inspirer 
aussitôt  la  confiance  et  imposer  son  autorité  :  il  avait  la  main,  l'entraî- 
nement, la  chaleur  et  la  décision,  et,  de  plus,  il  excellait  à  diriger  les 
études  et  à  préparer  l'exécution  des  œuvres.  Les  Italiens  aiSrmaient,  et 
je  le  crois  sans  peine,  que,  depuis  la  mort  d'Angelo  Mariani,  celui  qu'ils 
appelaient  il  Garibaldi  deW  orchestra,  ils  n'avaient  pas  eu  un  chef  d'orchestre 
de  la  valeur  de  Faccio.  On  put  jusqu'à  un  certain  point  se  rendre 
compte  ici  de  son  talent,  lorsqu'il  vint  diriger,  à  l'Exposition  de  1878,  les 
concerts  de  l'orchestre  de  la  Scala.  —  On  se  rappelle  que  le  pauvre  Faccio 
fut  atteint  presque  subitement,  il 'y  a  environ  dix-huit  mois,  d'une  ma- 
ladie mentale  qui  lui  enleva  tout  emploi  de  ses  facultés.  Il  fallut,  après 
tous  les  efforts  possibles  pour  le  soigner  au  milieu  de  sa  famille,  le 
placer  dans  une  maison  de  santé,  où  l'on  perdit  bientôt  tout  espoir  de 
le  ramener  à  la  raison.  Ce  petit  homme  élégant  et  vif,  à  l'œil  plein  de 
feu,  à  l'âme  ardente,  à  la  conversation  pleine  de  charme,  si  soigné  et  si 
gracieux  de  sa  personne,  était  devenu  tout  à  coup  absolument  mécon- 
naissable. Sa  longue  agonie  vient  de  se  terminer,  après  dix-huit  mois 
d'un  reste  d'existence  végétative  et  douloureuse.  Faccio  sera  certainement 
regretté  de  tous  ceux  qui  l'ont  connu,  car  c'était,  en  même  temps  qu'un 
grand  artiste,  un  homme  fort  distingué  et  de  relations  exquises. 

Arthur  Pougin. 


He.nri  Heugel,  directeur-gérant. 


IMPaiHlERlE  CENTBALE  I 


;  FER,   —    lïlPIUUElUE  CQAJ.V,  20 


Dimanche  2  Août  1891. 


3148  —  57-  ANNÉE  -  ^  31.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sa». 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (20"  article),  Aleeut  Sodbies  et  Charles 
Malherbe.—  II.  Bulletin  théâtral:  Choses  et  autres,  H.  M.;  reprise  de  la  Goguette, 
aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Histoire  anecdotique  du 
Conservatoire  (I"  article),  André  Mariinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour, 

TROIS    AIRS    DE    BALLET 

extraits  du  Ma^e,  de  J.  Massenet. —  Suivra  immédiatement:  Marie-Louise, 
gavotte  de  Ch.  Neustedt. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT,  une  mélodie  de  Alph.  Duvernoy.  —  Suivra  immédiatement:  Un 
baiser,   nouvelle   mélodie  de   Chakles   Grisart,   poésie   de  Le   Lassen   de 
Rauzay. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allbert  SOUBIES   et  cnarles   aiALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(186S-1868) 

(Suite.] 

Outre  ces  deux  nouveautés,  cinq  reprises  peuvent  être 
mises  à  l'actif  de  l'année  1865  :  le  Pré  aux  Clercs  (4  mai)  ;  les 
Mousquetaires  de  la  Reine  (20  juin);  Marie  (10  juillet);  les  Deux 
Chasseurs  et  la  Laitière  (3  août);  les  Porcherons  (26  août);  l'Am- 
bassadrice (23  décembre). 

Pour  le  Pré  aux  Clercs,  l'administration  s'était  mise  en  frais 
de  décors  et  de  costumes  nouveaux,  bien  que  la  dernière  re- 
prise ne  remontât  qu'à  trois  années.  Gouderc  et  Sainte-Foy, 
un  Comminge  et  un  Cantarelli  qui  n'ont  jamais  été  égalés, 
gardaient  leurs  rôles  ;  Achard  (Mergy),  bientôt  remplacé  par 
Capoul,  Crosti  (Girot),  M"^^  Cico  (Isabelle),  Monrose  (la  reine), 
Girard  (Nicette)  complétaient  un  ensemble  excellent,  tel  que 
le  succès  se  traduisit  par  58  représentations  dans  les  huit 
mois,  et  produisit,  comme  à  la  sixième,  des  recettes  de 
6,000  francs  par  soirée.  Abd-el-Kader,  qui  vint  à  Paris  à 
cette  époque,  manifesta  même  le  désir  de  voir  cet  ouvrage, 


bien  qu'on  le  dut  supposer  peu  sensible  aux  charmes  de  la 
musique  européenne.  Ce  soir-là,  il  est  vrai,  M"''  Dupuy  rem- 
plaça M"8  Cico.  Estima-t-il  qu'il  perdait  au  change,  ou  plutôt 
la  pièce  ne  répondit-elle  point  à  son  attente?  bref,  le  fameux 
émir  n'attendit  pas  la  fin  du  spectacle  et  partit  au  milieu  du 
second  acte.  Mais  une  mention  spéciale  était  due  à  cette  reprise; 
d'abord  parce  que,  depuis  lors,  le  Pré  aux  Clercs  n'a  plus  jamais 
quitté  le  répertoire,  ensuite  parce  qu'elle  avait  donné  lieu  à  un 
procès  entre  le  directeur  de  l'Opéra-Comique  et  M'^''  Monrose. 
Cette  dernière  s'était  refusée  à  chanter  le  rôle  de  la  reine 
qui  lui  avait  été  distribué,  sous  prétexte  qu'il  ne  rentrait 
pas  dans  son  emploi.  Elle  plaida  et  perdit,  attendu,  disait  le 
jugement,  qu'il  appert  de  la  partition  mise  sous  les  yeux  du 
tribunal,  que  ce  rôle  est  bien  celui  d'une  première  chanteuse 
soprano,  écrit  pendant  tout  le  cours  de  l'opéra,  sur  la  pre- 
mière portée  (?!).  Détail  amusant,  car  il  prouve  que  les  juges 
s'entendaient  mieux  au  code  qu'à  la  musique  :  ils  avaient 
évidemment  confondu  ligne  et  portée!... 

Les  Mousquetaires  de  la  Reine  ne  présentaient  d'autre  intérêt 
que  celui  de  montrer  pour  la  première  fois  Achard  dans  le 
personnage  d'Olivier;  seule.  M""  Belia  était  une  Berlhe  de 
Simiane  digne  de  son  partenaire;  Ponchard  (Biron)  manquait 
de  voix.  Bataille  (Roland)  de  rondeur,  et  M"«  Baretti  (Solange) 
d'autorité.  La  modestie  du  succès  répondit  à  celle  de  l'inter- 
prétation. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  de  Marie,  dont  la  reprise  offrait 
presque  l'attrait  d'une  nouveauté!  On  ne  l'avait  plus  revue 
depuis  1849,  si  ce  n'est  dans  un  exercice  d'élèves  au  Conserva- 
toire le  29  juin  1861,  et  on  l'accueillit  avec  une  grande  faveur. 
M"«  Galli-Marié,  qui  personnifiait  l'héroïne,  fut  bien  jugée  un 
peu  trop  tragique  ;  mais  Capoul  ravit  tous  les  cœurs  par  la 
façon  dont  il  «  soupirait  »,  disait  M.  de  Pêne,  Une  robe  légère, 
propos  que  deux  gens  d'esprit,  MM.  Yveling  Rambaud  et 
E.  Coulon,  rectifiaient  ainsi  dans  leurs  Théâtres  en  robe  de 
chambre  :  «  Capoul  aspire  plutôt  qu'il  ne  soupire;  mais  il  fait 
soupirer  les  autres.  »  A  côté  de  lui,  Ch.  Achard  débutait 
officiellement  dans  le  rôle  d'Adolphe;  jusque-là,  nous  l'avons 
dit,  il  jouait  pour  le  compte  de  son  frère  ;  cette  fois  il  parut 
pour  son  propre  compte.  Duvernoy  (le  baron),  Nathan 
(Georges),  Sainte-Foy  (Lubin),  M'^^^  Révilly  (la  baronne),  Ba- 
retti  (Emilie),  Girard  (Suzette),  se  partageaient  les  autres 
personnages.  Un  mois  après,  cette  première  distribution  se 
trouvait  modifiée  par  suite  d'un  fait  dont  les  théâtres,  quels 
qu'ils  soient,  présentent  des  exemples  bien  rares  :  la  même 
pièce  servant  de  début  à  trois  artistes  dans  la  même  soirée. 
Le  16  août,  en  effet,  Leroy  prit  le  rôle  de  Ch.  Achard, 
M""^  Camille  Gontié  celui  de  M"«  Baretti,  et  M'"^  Marie  Rôze 
celui  de  M"""  Galli-Marié.  Leroy  avait  obtenu,  la  même  année, 
aux  concours  du  Conservatoire,  le  deuxième  prix  d'opéra-co- 


242 


LE  MENESTREL 


mique  (classe  Mocker),  mais  il  avait  déjà  joué  l'année  précé- 
dente, au  Vaudeville,  le  rôle  de  Colin  dans  le  Devin  du  village, 
qu'on  essayait  d'y  implanter.  Sa  petite  voix  le  prédestinait 
aux  seconds  ténors,  et  le  Chalet  lui  fournit,  pendant  long- 
temps, un  de  ses  rôles  favoris.  M"<>  Camille  Gontié  s'était 
jusque-là  consacrée  à  l'enseignement  du  chant,  et  n'avait  ja- 
mais paru  sur  un  théâtre.  Entraînée,  disait-on,  par  «  une 
vocation  irrésistible  »,  elle  débuta,  fournit  une  carrière  ho- 
norable, et  maintenant  elle  finit,  comme  elle  a  commencé, 
par  le  professorat,  ayant  eu  la  douleur  de  voir  toujours  mal- 
traitée l'orthographe,  de  son  nom,  que  les  journaux,  revues  ou 
livres  écrivaient  indifféremment  Gontié,  Gontier,  Gonthié, 
Gonthier.  Quant  à  M"*'  Marie  Rôze,  qui  avait  paru  pour  la 
première  fois  à  la  salie  Favart,  on  se  la  rappelle,  comme 
élève  du  Conservatoire,  dans  un  des  pages  de  la  Fiancée  du 
Roi  de  Garbe;  elle  avait  obtenu,  au  dernier  concours,  le  pre- 
mier prix  de  chant  (classe  Grosset)  et  le  premier  prix  d'opéra- 
comique  (classe  Mocker).  Quelques  jours  après,  la  nouvelle 
Marie  devenait  Zerline  dans  Fra  ûiavolo,  et  s'élevait  peu  à  peu 
au  rang  d'étoile  dans  ce  théâtre,  auquel  elle  a  appartenu  pen- 
dant trois  ans  et  qu'elle  devait  quitter  seulement  après  son 
triomphe  dans  le  Premier  Jour  de  bonheur.  Avec  ses  nouveaux 
interprètes,  Marie  obtint  44  représentations  en  celte  première 
année,  et  82  pendant  les  quatre  suivantes  :  c'était  un  véri- 
table succès  de  reprise. 

Les  Deux  Chaxseurs  et  la  Laitière  n'atteignirent  pas  ce  chiffre; 
mais  n'était-ce  pas  déjà  bien  heureux  de  vivre  encore  après 
plus  de  cent  ans?  Le  petit  ouvrage  de  Duni  datait  en  effet 
du  23  juillet  1763,  et  ne  semblait  pas  appelé  d'abord  à  une 
aussi  longue  existence.  Les  Mémoires  secrets  disent  :  «  On  re- 
gardait cette  nouveauté  comme  si  peu  de  chose  qu'on  ne 
l'avait  point  affichée.  Elle  a  pris  avec  succès,  à  la  faveur  de 
la  musique  qui  fait  tout  passer  à  cet  heureux  théâtre.  »  Dans 
sa  Correspondance  secrète,  Grimm  loue  d'ailleurs  poème  et  mu- 
sique, observant  que  la  pièce  est  du  genre  de  celles  de  Se- 
daine,  «  qui  à  la  lecture,  ne  promettent  pas  l'effet  qu'elles  font 
à  la  représentation.  »  Sainte -Foy  (Collas),  Bataille  (Guillot), 
M""  Girard  (Pierrette),  se  partagèrent  les  rôles  primitivement 
établis  par  Laruette,  Caillot  et  M""-'  Laruette,  et  Trillet  figurait 
un  personnage  nouveau,  car  MM.  Jules  Adenis  et  Gevaert 
avaient  été  chargés  de  rajeunir  l'un  les  paroles,  l'autre  l'or- 
chestre, travail  qui  valut  à  chacun  d'eux  un  droit  de  un  jwur 
cent  sur  la  recette.  Les  retouches  s'imposaient  presque  ;  car, 
à  l'origine  même,  l'intrigue  avait  paru  si  peu  compliquée 
que  la  presse  proposait  à  l'auteur,  Anseaume,  un  dénouement 
plus  heureux  en  ajoutant  une  troisième  fable  de  La  Fontaine 
(l'Avare  qui  a  perdu  son  trésor) ,  aux  deux  dont  il  s'était 
déjà  servi.  Il  n'en  fut  rien,  cependant,  et  l'on  renonça  à  dé- 
molir une  masure  dont  la  disparition  aurait  amené  la  dé- 
couverte d'un  trésor,  servant  à  enrichir  les  deux  chasseurs 
et  à  faciliter  le  mariage  de  la  laitière  avec  l'un  d'eux.  A  la 
suite  du  décret  de  janvier  1791  proclamant  la  liberté  des 
théâtres,  les  Deux  Chasseurs  et  la  Laitière  furent  une  des  pièces 
dont  les  petits  théâtres  s'emparèrent  et  qu'ils  jouèrent  le 
plus  fréquemment,  ainsi  que  la  Servante  maîtresse.  Rappelons, 
pour  terminer,  que  la  reine  Marie-Antoinette,  en  société  du 
comte  d'Artois  et  de  M.  de  Vaudreuil,  se  plaisait  à  chanter 
l'ouvrage  de  Duni  aur  sa  scène  minuscule  de  Triânon.  La 
reine  se  montra,  parait-il,  fort  gracieuse  en  laitière;  mais  la 
légende  veut  que  le  comte  d'Artois  n'ait  jamais  su  son  rôle  ; 
il  le  brodait  à  sa  fantaisie,  et  n'en  faisait  qu'à  sa  tête  ;  il  de- 
vait en  agir  de  même,  malheureusement  pour  lui,  le  jour 
où  il  porta  la  couronne. 

La  reprise  des  Porcherons,  non  joués  depuis  1856,  fut  la 
dernière  qui  eut  lieu  à  la  salle  Favart,  et  fournit  un  com- 
plément de  trente  représentations.  Sainte-Foy  seul  et  Palianti 
conservaient  leurs  anciens  rôles;  les  autres  étaient  distribués 
à  M'"«='  Galli-Marié  (M"^  de  Bryane),  Révilly  (xM"=  de  Jolicourt) 
Bélia  (Florine),  MM.  Crosti  (Desbruyères),  Bataille  (Giraumont), 
et  Montaubry  (Antoine),  chez   qui  l'on  remarqua   le   premier 


soir,  comme  on  l'avait  déjà  remarqué  dans  le  Saphir,  les  pre- 
miers symptômes  de  cette  maladie  du  larynx  qui  devait  un 
jour  si  fâcheusement  entraver  sa  carrière. 

EnfiD,  r Ambassadrice  ramena  une  cantatrice  qui  partageait 
avec  M""<=  Ugalde  le  privilège  de  1'  «  intermittence  ».  M"»»  Cabel, 
pour  laquelle  il  avait  été  question  de  remonter  l'Étoile  du 
Nord,  fit  une  rentrée  des  plus  brillantes  par  le  rôle  d'Hen- 
riette. Capoul  (Bénédict)  avait  été  gratifié  d'un  air  au  second 
;icte,  emprunté  au  Duc  d'Olonne.  Leurs  partenaires  s'appe- 
laient Ponchard  (l'ambassadeur),  M^^*  Bélia  (Charlotte), 
Casimir  (une  excellente  M""^'  Barneck),  Marie  Rôze  (un  peu 
sacrifiée  en  comtesse);  Foitunatus  était  représenté  par  un 
nouveau  venu,  Falchieri,  qui,  le  14  octobre  précédent,  avait 
débuté  dans  les  Porcherons  (rôle  de  Giraumont).  C'était  une 
basse  chantante  qui,  sous  les  traits  de  Bartholo,  s'était  fait 
remarquer  dans  le  Barbier  de  Séville,  à  la  Porte-Saint-Martin, 
alors  que  Capoul,  dans  une  fugue  dont  nous  avons  parlé,  y 
personnifiait  Almaviva... 

A  ces  noms  de  débutants  pour  l'année  1865,  il  convient 
d'en  ajouter  deux  :  M"' Flory  et  M.  Melchissédec.  La  première 
venait  de  Versailles  et  avait  appartenu  l'année  précédente 
au  théâtre  de  cette  ville.  Intelligente  et  jolie,  elle  parut  le 
4  juin  dans  Betly  du  Chalet,  et  à  la  fin  de  l'année  dans  Anna 
de  la  Dame  blanche.  Le  second,  qui  a  conquis  depuis  une  place 
très  honorable  parmi  les  chanteurs  de  son  temps,  arrivait  du 
Conservatoire,  oii  il  avait  remporté  le  deuxième  accessit  de 
chant  (classe  Laget),  le  deuxième  prix  d'opéra  (classe  Levas- 
seur)  et  le  deuxième  prix  d'opéra-comique  (classe  Mocker). 
Il  débuta  le  12  août  dans  le  Toréador  (rôle  de  don  Belflor),  et 
le  lendemain  dans  le  Chalet  (rôle  de  Max);  mais,  chose  bizarre, 
ses  débuts  furent  tellement  modestes,  qu'on  ne  les  annonça 
même  pas  sur  l'afBche.  Plusieurs  critiques  le  confondirent 
avec  son  oncle,  un  baryton  du  même  nom,  fort  applaudi  alors 
en  province;  et  lorsque,  quelques  mois  plus  tard,  il  se  pro- 
duisit dans  le  José  Maria  de  Cohen,  il  sembla,  aux  compli- 
ments mérités  qu'on  lui  adressa,  que  jamais  jusqu'alors  on 
ne  l'eût  entendu. 

Parmi  les  allants  et  venants,  rappelons  enfin  Carrier,  qui, 
de  passage  à  Paris,  joua  le  7  mai  Ali-Bajou  du  Cnïrf,  et  sur- 
tout M"'=  Dupuy,  qui  arrivait  de  Strasbourg.  Elle  avait  quitté 
rOpéra-Comique,  y  rentra  la  2  juillet  avec  Haydée,  partit  le 
l'-''  octobre  pour  Toulouse,  où  l'appelait  un  engagement  anté- 
rieur, et  revint  en  juillet  1866  faire  partie  de  la  salle  Favart. 
Elle  ne  manquait  ni  de  talent,  ni  de  courage,  comme  on  le 
vit  un  soir  où,  s'étant  démis  le  pouce,  à  la  suite  d'une  chute 
de  voiture,  elle  joua  quand  même  Galathée  avec  un  bras 
en  écharpe,  donnant  ainsi  à  la  statue  de  Pygmalion  une 
attitude  obligée  que  le  sculpteur  n'avait  point  prévue. 
Elle  comptait  d'ailleurs  de  chauds  admirateurs,  ainsi  que  le 
prouve  ce  fragment  de  feuilleton  paru  dans  l'Aigle,  après  une 
représentation  du  Songe  dune  nuit  d'été  :  «  Sans  parler  de  la 
richesse  de  son  costume,  —  ce  qui  témoigne  une  grande 
conscience  d'artiste  et  un  légitime  respect  pour  le  public, 
—  disait  le  critique,  M'"^  Mathilde  Dupuy  a  tiré  parti  de  son 
rôle  ingrat  en  excellente  comédienne  et  en  cantatrice  de 
premier  ordre...  Tour  à  tour,  sa  voix,  au  timbre  argentin  et 
sonore,  exprime  la  passion  fougueuse,  la  coquetterie,  la  ten- 
dresse ou  l'ironie,  et  cela  sans  effort,  tout  naturellement. 
Puis,àun  moment  donné,  s'échappent  de  ce  gosier  de  rossignol,  comme 
un  bouquet  de  feu  d'artifice,  les  roulades,  les  vocalises,  et  les 
notes  perlées  qui  éblouissent  et  transportent  l'auditoire 
charmé  et  presque  suspendu  aux  lèvres  de  l'adorable  artiste.» 
Ajoutons,  pour  tout  expliquer,  que  le  journal  l'Aigle  parais- 
sait à  Toulouse. 

Ces  venants  et  revenants  avaient  mission  de  remplacer  : 
1°  les  partants,  qui  pour  1865  s'appellent  M"''  Baretti,  engagée 
à  Marseille,  M"''  Tuai,  au  Théâtre -Lyrique,  M""=  Gennetier,  à 
la  Haye  ;  2°  les  morts,  Lemaire  et  Gourdin.  Lemaire,  décédé 
le  5  janvier  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  appartenait  à  la 
salle  Favart  depuis  le  24  mai  1848,  et  réalisait  le  type  parfait 


LE  MENESTREL 


243 


du  «  bailly  »  de  l'ancien  répertoire.  Gourdin,  remplacé  à  la 
dernière  représentation  du  Saphir  par  Bataille,  avait  joué 
encore  le  26  avril  ;  malade  depuis  quelque  temps,  il  prit  un 
congé,  et  mourut  le  28  juillet  suivant.  En  quatre  ans  de  séjour 
à  rOpéra-Comique,  il  avait  joué  Maître  Claude,  Max  du  Chalet, 
Michel  du  Caid,  Pandolphe  de  la  Servante  maîtresse  et  créé 
Baskir  dans  Lalla  Roiikh,  Lambro  dans  Lara,  le  capitaine  Parole 
dans  le  Saphir,  toujours  applaudi  du  public,  remarqué  dans 
tous  ses  rôles  et  promettant  un  sujet  remarquable,  car  il  ne 
pouvait  avoir  encore  donné  toute  sa  mesure  :  il  n'avait  que 
vingt-trois  ans! 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THEATRAL 


Le  Mage  a  été  joué  cette  semaine  à  l'Opéra,  avec  deux  change- 
ments importants  dans  la  distribution  primitive. 

M"'  Bosman  a  chanté  avec  beaucoup  de  lalent  le  rôle  d'Anahita, 
créé  par  M"""  Lureau-Escalaïs,  et  M"=  Mélanie  Hirsch  a  succédé 
dans  le  bailet  à  M"°  Mauri,  qui  est  en  ce  moment  en  vacances 
ainsi  que  M"'"  Lureau. 


La  première  représentation  de  Loliengrin,  à  l'Opéra,  parait  fixée 
provisoirement  au  30  août.  MM.  Gailhard  et  Lamoureux  ont  donc 
encore  un  mois  devant  eux  pour  faire  répéter  la  partition  de 
Wagner,  qui  est  sue  d'ailleurs  depuis  longtemps  et  qui  a  déjà  été 
chantée  fréquemment  par  les  deux  plus  importants  interprètes  de 
l'œuvre,  M"»  Caron  et  M.  Van  Dyck. 

On  sait  que  l'opéra  de  Wagner  ue  comporte  pas  de  ballet,  pas 
même  le  moindre  divertissement. 


On  va  bientôt  s'occuper,  à  l'Opéra,  de  la  représentation  du  cente- 
naire de  Meyerbeer.  Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  on  jouera  le  qua- 
trième et  le  cinquième  acte  des  Huguenots,  avec  le  tableau  du  bal 
supprimé  depuis  longtemps. 

Pour  le  quatrième  acte,  le  rôle  de  Catherine  de  Médicis,  qui  a  été 
coupé  avant  la  première  représentation,  sera  rétabli  en  entier.  Cet 
4Cte  se  trouve  ainsi  modifié  : 

Saint-Bris  chante  seulement  les  premières  strophes  : 

Ma  lille,  sortez... 

Aussitôt  après,  parait  Catherine  de  Médicis,  qui  chante  : 

Des  troubles  renaissants  et  d'une  guerre  impie 
Comme  moi  voulez-vous  délivrer  le  pays? 

Et  ensuite  Catherine  de  Médicis  conduit  tout  le  chœur  de  la  béné- 
diction des  poignards. 

Cette  reconstitution  de  la  partition  primitive  promet  d'être  fort 
intéressante.  Le  rôle  de  Catherine  de  Médicis  sera  chanté  par 
M™=  Deschamps-Jehin.  On  sait  que  l'excellente  artiste  est  engagée 
à  l'Opéra  depuis  le  d"  juillet.  Il  est  possible  néanmoins  qu'elle 
reste  à  l'Opéra-Gomique  jusqu'au  l"'  janvier  prochain  ;  en  ce  cas 
elle  ne  paraîtrait  sur  la  scène  de  l'Opéra  que  lorsque  la  direction 
en  aurait  absolument  besoin,  notamment  pour  le  centenaire  de 
Meyerbeer. 

Le  reste  de  cette  représentation  se  composera  de  l'acte  de  la 
cathédrale  du  Prophète,  d'un  acte  de  l'Africaine,  d'un  acte  de  Robert 
le  Diable  et  d'une  marche  triomphale  du  maître. 

On  semble  avoir  renoncé  à  l'idée  saugrenue  de  faire  paraître  dans 
cette  soirée  les  créateurs  survivants  de  Robert  et  des  Huguenots. 


A  l'Opéra-Comique,  nous  aurons  cette  année  une  saison  d'hiver 
particulièrement  animée  et  élégante.  M.  Carvalho,  avec  le  gracieux 
appui  de  plusieurs  grandes  personnalités  mondaines,  vient  en  effet 
de  décider  que  son  théâtre  aurait  désormais  deux  jours  d'abonne- 
ment par  semaine  ;  la  brillante  clientèle  que  l'éminent  directeur 
avait  su  attirer  à  la  salle  Favart  se  trouvera  ainsi  réunie  de  nou- 
veau, encore  augmentée,  à  la  place  du  Chàletet,  en  attendant  qu'elle 
reprenne  la  possession  définitive  de  son  ancien,  théâtre  reconstruit. 


Les  samedis  de  l'Opéra-Comique  existant  déjà,  M.  Carvalho  a  formé 
un  nouveau  groupe  d'abonnés  en  vue  de  constituer  les  jeudis,  et  les 
souscriptions  sont  arrivées  en  tel  nombre  que  presque  tout  a  été 
retenu  sur  l'heure.  Nous  ne  donnerons  pas  ici  la  liste  de  tous  les 
abonnés,  que  notre  confrère  le  Figaro  a  déjà  donnée  en  détail.  On 
y  trouve  tous  les  pins  beaux  noms  de  l'aristocratie  française,  et  en 
tête  presque  tous  ceux  qui  patronnent  la  Société  des  grandes  auditions 
musicales  de  France  présidée  par  M""=  la  comtesse  Greffulhe  et  M.  Gou- 
nod.  Cette  Société  a  pour  but,  ou  le  sait,  de  faire  exécuter  les 
œuvres  de  nos  maîtres,  malheureusement  restés  un  peu  en   oubli. 

Aussi  ces  grandes  personnalités,  en  aidant  à  la  création  des 
jeudis,  ont-elles  eu  l'excellente  pensée  de  faire  profiter  leur  société 
de  ce  mouvement  artistique  ;  et  elles  ont  demandé  à  M.  Carvalho  de 
monter,  pour  cet  hiver  même,  l'une  des  pièces  que  les  grandes  audi- 
tions tenaient  le  plus  à  faire  entendre  en  France  :  les  Troyens,  de 
Berlioz. 

L'accord  n'a  pas  tardé  à  se  faire  entre  les  représentants  des  grandes 
auditions  et  M.  Carvalho,  à  qui  il  ne  pouvait  être  qu'agréable  de 
remonter  le  chef-d'œuvre  de  Berlioz,  sur  cette  même  scène  où  il 
l'avait  fait  entendre  déjà  en  1862. 

Nous  pourrons  donc  applaudir  les  Troyens,  cette  année,  à  côté  du 
Rive,  de  Manon,  dont  on  prépare  une  brillante  reprise  avec  M'"  San- 
derson,  à'Enguerraiide  (l'œuvre  d'un  jeune,  M.  Chapuis),  de  Carmo- 
sine,  une  œuvre  exquise  de  Ferdinand  Poise,  de  la  Cavalleria  rusti- 
cana,  pour  qui  M.  Carvalho  a  engagé  la  créatrice,  M"<=  Calvé,  et  enfin 
et  surtout  de  la  Kassya,  de  Detibes,  si  impatiemment  attendue. 

Voilà  donc  une  saison  superbe  en  perspective. 

Quant  à  la  saison  théâtrale  mondaine,  la  voici  donc  complètement 
reconstituée  désormais  comme  aux  époques  les  plus  brillantes,  puis- 
que nous  aurons,  à  partir  du  1"  décembre:  les  lundi,  mercredi, 
vendredi.  Opéra  ;  le  mardi,  Français  ;  les  jeudi  et  samedi,  Opéra- 
Comique. 

A  propos  de  l'Opéra-Comique,  il  nous  semble  intéressant  de  repro- 
duire, d'après  M.  Georges  Boyer,  du  Figaro,  le  bilan  artistique  de 
la  saison  qui  vient  de  s'écouler  (1"  septembre  1890-30  juin  1891). 

Pendant  ces  dix  mois  (matinées  et  soirées),  l'Opéra-Comique  a 
représenté  trente  œuvres  de  vingt-sept  compositeurs  différents. 

Les  voici,  avec  le  chiffre  des  représentations  :  Mireille  56,  la  Ba- 
soche il,  Carmen  44,  Mignon  40,  les  Noces  de  Jeannette  37.  le  Chalet  23, 
Laknié  22,  la  Cigale  madrilène  19,  le  Barbier  de  Séville  17,  le  Roi  d'Ys  14, 
Zampa  13,  les  Folies  amoureuses  13,  Fra  Diavolo,  le  Pré  aux  Clercs,  la  Fille 
du  régiment,  Colombine  et  les  Amoureux  de  Catherine  12,  Benvenuto  11, 
Philémon  et  Baucis,  la  Dame  blanclie,  Ricliard  cœur  de  lion,  le  Maître  de 
Chapelle,  l'Amour  médecin,  la  Nuit  de  la  Saint-Jean,  l'Amour  vengé  10,  le 
Rêve  et  le  Domino  noir  7,  les  Rendez-vous  bourgeois  6,  Dimitri  et  les 
Dragons  de  Villars,  S. 

Passant  aux  compositeurs,  nous  voyons  que  M.  Gounod  a  été 
joué  66  fois.  Messager  47.  Bizet  44,  Ambroise  Thomas  40,  Victor 
Massé  37,  Herold  2S,  Adam  23,  Léo  Delibes  22,  Auber  19,  Perronnet 
19.  Rossini  17,  Lato  14,  Pessard  13,  Maréchal,  Michiels  et  Donizetti 
12,  Diaz  11,  Boieldieu,  Grétry,  Paër,  Poise,  Lacôme,  Maupeou  10, 
Bruneau  7,  Nicolo  6,  Joncières  et  Maillart  S. 

H.  M. 

Folies-Dramatiques.  —  La  Goguette,  vaudeville  en  trois  actes  de 
MM.  Raimond  et  P.  Burani,  airs  nouveaux  de  M.  A  Louis. 

M.  Vizentini,  dans  l'impossibilité  de  poursuivre  la  série  des  re- 
présentations de  la  Plantation  Thomassin  par  suite  de  congés,  vient 
d'avoir  la  très  heureuse  idée  de  reprendre  une  ancienne  pièce  du 
petit  théâtre  de  l'Athénée,  la  Goguette,  trois  actes  de  MM.  Raimond 
et  Burani,  qui  eurent  leur  heure  de  vogue  sous  la  direction  Mont- 
rouu'e  et  qui  vont  certainement  faire  florès  à  nouveau  aux  Folies- 
Dramatiques.  C'est  un  vaudeville  très  bon  enfant,  très  gai  et  très 
vivant,  auquel  on  s'amuse  très  franchement;  bref,  par  ce  temps  froid 
et  pluvieux,  une  fort  agréable  soirée  à  passer  à  rire  sainement.  Si 
la  troupe  de  la  rue  de  Bondy  ne  compte  aucune  étoile  de  première 
grandeur,  elle  a  du  moins  le  rare  avantage  d'être  bien  d'ensemble. 
M.  Guyon  fils  est  aussi  amusant  en  jeune  premier  qu'en  prince, 
M.  Herbert  a  composé  un  très  drolatique  type  de  Cent-Suisse  et 
M.  Duhamel  est  impayable  en  homme  qui  a  une  balle  voyageuse 
dans  le  corps.  Très  adroite  M"'=  Guitty,  et  bien  en  scène  M™"  Cuinet 
et  M"""  Bellucci.  Comme  la  pièce,  les  airs  nouveaux  de  M.  A.  Louis 
sont  sans  aucune  prétention  et  d'un  rythme  populaire  assez  agréable. 

Paul-Emile  Chevalier. 


244. 


LE  MEiNESTlŒL 


HISTOIRE   ANECDOTIQUE 

111 

CONSERVATOIRE    OE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 


INTRODUCTION 

LE    CHANT    RELIGIEUX.    —   l" ÉCOLE   DE    CHANT   DE   L'OPÉRA.    —   LE   MAGASIN. 

Les  encyclopédies  les  plus  diverses  s'accordent  à  faire  remonter 
aux  maîtrises  les  origines  du  Conservatoire,  mais  sont  moins  una- 
nimes à  nous  fi.xer  sur  la  fondation  de  ces  maîtrises. 

Sans  vouloir,  par  delà  le  cours  des  siècles,  redire  l'histoire  du  roi 
David  confiant  à  Idythun  la  direction  des  musiciens  réunis  autour  de 
l'autel,  on  peut  citer  au  passage  les  traditions  attribuant  la  création 
du  chaut  religieux  tour  à  tour  à  saint  Ignace,  évêque  d'Antioche,  en 
68,  aux  papes  Silvestre  (330)  ou  Hilaire  (460)  à  saint  Ambroise. 

Le  règne  de  Grégoire  le  Grand  (o90-604)  n'aurait  donc  été  qu'une 
reslauration  pour  les  hymnes  sacrées,  si  les  soins  que  le  pontife  pro- 
digua à  ses  écoles,  «  TAnliphonaire  Centon  »,  sur  lequel  il  écrivit 
tous  les  chants  de  l'Église,  ne  suifisaient  à  le  consacrer  comme  le 
père  de  la  musique  religieuse. 

Se  vouant  tout  entier  à  l'œuvre  entreprise,  il  vit,  avant  de  mourir 
l'école  romaine  briller  de  tout  son  éclat. 

Etablie  à  Paris  par  saint  Germain,  la  musique  y  traverse  des 
épreuves  diverses  et  s'éloigne  souvent  du  but  rêvé  par  le  pieux 
évêque.  ' 

Séduit  par  la  voix  de  deux  suivantes  d'Ingoberge,  Gharibert  ré- 
pudie la  reine  pour  épouser  les  cantalrices;  Dagobert,  après  avoir 
entendu  Nantilde,  l'enlève  de  l'abbaye  de  Romilly. 

«Les  Gaulois  ne  soot  pas  aptes  à  la  musique  sacrée,  écrivait  le 
diacre  Jean;  leurs  gosiers  habitués  aux  boissons  enivrantes  ne 
peuvent  se  plier  aux  tours  de  voix  que  réclame  l'exécution  d'une  mé- 
lodie suave  et  douce  ».  Et  ils  s'écarlèrent  si  bien  de  la  version  primi- 
tive que  force  fut  à  Pépin,  en  l'an  732,  de  demander  au  pape  Élienne 
l'envoi  de  douze  musiciens  qui  répareraient  les  dommages  causés  à 
l'A?itiphonaife. 

Des  chantres  francs  ont  accompagné  Charlemagne  dans  un  de  ses 
voyages  à  Rome.  Deux  d'entre  eux  y  demeurent  quelques  années, 
puis,  maîtres  de  la  tradition,  emportant  la  copie  de  l'Antiphonaire, 
regagnent  leur  patrie  pour  fonder,  l'un,  Romain,  l'école  de  Saint- 
Gall,  l'autre,  Pierre,  l'école  de  Metz. 

Désormais  la  musique  aura  tous  les  soins  des  rois  de  France  :  leur 
chapelle  les  suit  jusque  dans  les  guerres.  A  Bouvines,  les  chantres 
entonnent  le  psaume  Benediatus ;  c'est  aux  accents  du  Veni  Creator 
que  la  flotte  de  saint  Louis  sort  d'Aignes-Mortes  ;  après  Agnadel,  un 
Te  Deum  est  célébré  sur  le  champ  de  bataille. 

Elle  figurera  solennellement  dans  des  circonstances  moins  meur- 
trières :  à  Bologne,  lors  de  l'entrevue  du  pape  Léon  X  avec  Fran- 
çois P'-,  au  camp  du  Drap  d'Or,  où  les  voix  françaises  et  anglaises 
alternent  durant  la  messe  du  cardinal  "Wolsey. 

*'* 

Chaque  cathédrale  a  son  école,  et  le  chanoine  Jean  de  Bordenave, 
dans  son  volumineux  ouvrage  sur  «  l'Estat  des  Eglises  »,  dépeint 
le  travail  des  élèves,  c<  des  enfants  du  chœur,  qui,  comme  l'âme  de 
la  musique,  tiennent  le  dessus,  sous  la  direction  de  leurs  maîtres 
symphoniaques.  Ils  donnent  tant  de  grâce  au  chant  et  une  vigueur 
si  grande  pour  exciter  le  peuple  à  la  dévotion,  qu'ils  ornent  et  accom- 
plissent toute  l'harmonie  par  leurs  tons  angéliques.  » 

L'auteur  semble  tenir  en  médiocre  estime  le  caractère  des  musi- 
ciens de  son  temps,  «  de  leur  nature  fantasques  et  capricieux,  en 
telle  sorte  qu'ils  assomment  ces  petits  corps,  pour  un  pied  de 
mouche  ;  n'y  ayant  condition  plus  misérable  et  à  regretter,  qu'est 
celle  d'un  enfant  du  chœur  novice  et  apprenlif.  » 

Sous  Charles  IX,  Baïf  fonde,  dans  son  réduit  du  faubourg  Saint- 
Marcel,  une  académie  de  musique  et  de  poésie  aux  séances  de 
laquelle  le  roi  se  plaît  à  assister  une  fois  la  semaine;  Henri  III  suit 
l'exemple  de  son  frère. 

Le  goût  du  chant  s'est  répandu  en  France  :  les  mélodies  populaires 
abondent  et  telle  est  bientôt  leur  vogue,  que,  pour  se  conformer  au 
goût  du  jour  et  attirer  plus  sûrement  les  fidèles,  les  Pères  de  l'Ora- 
toire font  célébrer  l'Office  sur  les  vaudevilles  à  la  mode.  Ainsi,  au 
dire  de  Castil-Blaze,  les  musiciens  d'une  église  chantaient  tour  à 
tour  les  messes  et  les  motets  de  Madelon,  de  Yidei  vos  flacons,  A 
l'ombre  d'un  buissonnet,  Amour  me  bat. 


La  recherche  de  l'actualité  est  poussée  à  tel  point  que  lorsque 
Louis  XIII  envoie  des  secours  en  Crète,  le  Kyrie  s'attaque  sur  le 
motif,  partout  fredonné  dans  les  rues,  «  Allons  à  Candie  ». 


Mais  voici  venir  l'ancêtre  direct  de  notre  Conservatoire:  en  1669, 
l'abbé  Perrin  obtient  des  lettres-patentes  «  portant  permission  d'éta- 
blir dans  la  ville  de  Paris  et  autres  du  royaume,  des  académies  de 
musique  pour  chauler  en  public  des  pièces  de  théâtre,  comme  „il  se 
pratique  en  Italie,  en  Allemagne  et  en  Angleterre.   » 

Aidé  de  son  associé  Cambert,  il  appelle  du  Languedoc  les  plus 
illustres  musiciens  des  églises  cathédrales;  parmi  eux  Beaumavielle 
et  Gledière,  qui,  l'un  et  l'autre,  furent  les  soutiens  les  plus  solides 
de  son  théâtre. 

Pendant  que  se  construit  la  salle  de  la  rue  Mazarine,  les  répéti- 
tions ont  lieu  à  l'hôtel  de  Nevers.  Mais  ce  que  les  chanteurs  de 
lutrin  avaient  de  moins  contestable,  c'était  la  sonorité  du  timbre, 
leur  unique  visée  ayant  été  jusque-là  de  remplir  la  nef  des  cathé- 
drales ;  et  quand  Lully  prend  possession  du  théâtre  (16"2j  il  se  hâte 
d'y  fonder  une  école  de  chant  et  de  déclamation. 

«  Lully,  écrit  Durey  de  Noirville,  n'excellait  pas  seulement  dans 
l'art  de  la  composition  de  ses  opéras,  il  savait  aussi  parfaitement  les 
faire  exécuter  et  en  gouverner  les  exécuteurs.  Du  moment  qu'un 
chanteur  ou  une  chanteuse  de  la  voix  desquels  il  était  content,  lui 
étaient  tombés  entre  les  mains,  il  s'attachait  à  les  dresser  avec  une 
affection  merveilleuse,  il  leur  enseignait  lui-même  à  marcher  sur 
le  théâtre,  à  leur  donner  la  grâce  du  geste  et  de  l'action.  » 

En  tête  des  interprètes  formés  par  le  maître  italien,  citons 
Duménil,  M'"  Saint-Christophe,  et  surtout  Marthe  Le  Rochois,  la 
créatrice  d'Armide. 

Retirée  du  théâtre  en  1698,  avec  une  pension  de  l'Opéra,  elle 
ouvrit  une  école  de  chant  dans  son  appartement  de  la  rue  Saint- 
flonoré  et  consacra  le  reste  de  sa  vie  à  ses  élèves. 

Quelques-unes  s'illustrèrent  :  Louison  et  Fanehon  Moreau; 
M"'  Maupin,  de  tapageuse  mémoire  ;  M"^  Antier  qui  couronna  le 
maréchal  de  Villars  quand  il  parut  à  l'Opéra  après  la  victoire  de 
Denain  et  reçut  une  tabatière  d'or  en  échange  de  ses  lauriers  ;  enfin 
cette  triomjihante  M""  Desmatins,  à  laquelle  on  attribue  le  joli  billet  : 
«  Noire  an  fan  ai  maure,  vien  de  boneure,  le  mien  ai  de  te  voire.  » 

Lully  voulait  le  chant  si  uni,  qu'on  prétend  «  qu'il  allait  se  le 
former  à  la  Comédie-Française  sur  les  tons  de  la  Champmêlé.  » 
—  Ce  fut  donc  comme  une  lévélation  quand  M'"'  Carie  Van  Loo, 
la  femme  du  peintre,  et  musicienne  de  race,  ouvrit  une  école  vers 
la  même  époque  et  enseigna  les  vocalises  à  M""  Fel  et  Petitpas. 


N'ayant  plus  Lully  pour  le  conduire,  l'Opéra,  à  peine  né,  sem- 
blait déjà  menacé  d'une  mort  prochaine,  et  le  11  janvier  1713, 
Louis  XIV  signait  à  Versailles  un  règlement,  vérilable  cri  d'alarme. 

«  S.  M.  étant  informée  que,  depuis  le  décès  du  feu  S'  LuHy,  on 
s'est  relâché  insensiblement  de  la  règle  et  du  bon  ordre  dans  l'in- 
térieur de  l'Académie  Roy'''  de  Musique, et  que   le  public  est 

exposé  à  la  privation  d'un  spectacle  qui  depuis  longtemps  lui  est 
toujours  également  agréable,  Décrète  :  , 

»  1°  Le  sieur  de  Francine,  Donataire  du  privilège  de  ladite  Aca- 
démie et  Directeur,  aura  soin  de  choisir  les  meilleurs  sujets  qu'il 
pourra  trouver,  tant  pour  la  voix  que  pour  la  danse  et  les  instru- 
ments. Aucun  desdits  sujets  ne  sera  reçu  sans  l'approbation  du 
s''  Destouches,  Inspecteur  g"'. 

»  2°  Pour  parvenir  à  élever  des  sujets  propres  à  remplir  ceux  qui 
manqueront,  sera  établie  une  école  de  musique,  une  de  danse  et  une 
d'instruments;  et  ceux  qui  y  auront  été  admis  y  seront  enseignés 
gratuitement,  etc.  » 

Ainsi  fut  officiellement  fondée  l'École  de  l'Opéra  dite  le  Magasin, 
du  nom  de  l'hôtel  où  logeaient,  rue  Saint-Nicaise,  le  directeur  et 
les  personnes  attachées  à  l'Académie  Royale. 

En  novembre,  autre  ordonnance,  qui  fixe  l'emploi  du  maître  de 
musique.  Il  se  trouvera,  au  moins  trois  fois  la  semaine,  le  matin  à 
9  heures  précises  à  son  poste.  Dans  une  salle  destinée  aux  répéli- 
tions  il  fera  étudier  leurs  rôles  aux  actrices  et  devra  montrer  la  musi- 
que à  celles  qui  ne  la  savent  pas.  Même  prescription  au  maître  des 
salles,  chargé  de  l'éducation  des  danseuses. 

Sont  dès  lors  baptisées  filles  du  magasin,  toutes  les  élèves  qui, 
n'ayant  pas  achevé  leurs  études,  figuraient  sur  la  scène  avant  leur 
engagement  définitif.  Le  seuil  de  l'hôtel  franchi,  elles  éobappaient 
à  l'autorité  de  leur  famille,  devenaient  sujettes  de  l'Opéra,  qui  avait 
hâte  de  les  utiliser,  bien  ou  mal  dégrossies. 


LE  MENESTREL 


243 


Le  remède  feaible  accroître  le  mal,  puisque  les  historiens  de 
Gluck  se  confondent  en  lamentations  sur  les  tracas  multipliés  dont 
abondèrent  ses  premières  répétilions.  A  grand'peine  le  maître  au- 
trichien secoua  cette  mafse  inerte,  fit  déclamer  avec  sincérité. 

Ginguené,  retraçant  la  vie  de  Piccinni,  est  plein  d'amertume  pour 
les  voix  pesantes  et  volumineuses  des  premiers  sujets,  les  chœurs 
discordants  et  immobile?,  l'oreheslre  inhabile,  assourdissant  et 
monotone,  même  pour  le  public  habitué  à  des  cris  dépourvus  de 
chant,  de  rythme  el  de  mesure. 

Sur  co  point,  nous  avons  encore  le  témoignage  de  Grétry.  Une 
anecdote  de  ses  Essais  prouve  combien  la  mesure  était  chose  secon- 
daire dans  le  Temple  de  la  musique:  c'est  un  fragment  de  dialogue 
entre  Franeœur  à  la  tète  de  son  orchestre,  et  Sophie  Arnould. 

Le  batteur  de  mesure  répond  à  un  reproche  de  la  cantatrice  : 
«  —  Cependant,  mademoiselle,  nous  allons  de  mesure  !  » 

—  «  De  mesure  !  quelle  bête  est-ce  là?  Suivez-moi,  monsieur, 
et  sachez  que  votre  symphonie  est  la  très  humble  servante  de  l'ac- 
trice qui  récite.   » 

Si  du  magasin  étaient  sortis  des  artistes  comme  Larrivée  (1735), 
Laînez  (1773.1,  présenté  par  Berton  (frappé  de  la  voix  qu'il  déployait 
en  vendant  des  bottes  d'asperges),  semblable  aubaine  était  rare. 
Une  viole  à  la  main,  Rodolphe  prodiguait  en  vain  des  leçons  ;  il  y 
avait  disette  de  chanteurs  à  l'Académie,  menacée  d'une  famine 
complète. 

En  1772,  n'ayant  point  de  haute-contre,  l'Opéra  avait,  usant  de 
son  droit  de  réquisition,  enlevé  à  la  cathédrale  de  La  Rochelle,  par 
lettre  de  cachet  en  bonne  et  due  forme,  un  chantre  dont  la  réputa- 
tion était  parvenue  jusqu'à  Paris. 

Et  la  débâcle  financière  menaçait  plus  encore  que  la  ruine  artis- 
tique ;  les  combinaisons  les  plus  diverses  étaient  tentées,  on  essa- 
yait sans  succès  des  modes  variés  de  direction. 

Quand  vient  1784,  il  faut  augmenter  le  tribut  exigé  des  théâtres 
par  l'Opéra!  «  L'homme  ventriloque  paiera  &  livres  par  an,  le 
sieur  Nicoud,  6  livres  pour  avoir  droit  de  faire  voir  son  singe  ;  la 
machine  hydraulique,  2  sous  par  jour.  »  Montreurs  de  puces  sa- 
vantes, jouteurs,  saltimbanques,  tous  étaient  mis  à  rançon  sans 
ralentir  la  marche  du  péril,  quand  Gossec  effrayé  sollicita  une  au- 
dience de  M.  de  Breteuil  et  réclama  son  appui  pour  la  réalisation 
d'un  projet  qui  pourrait  conjurer  la  catastrophe  prochaine. 

(.l  suivre.)  AiSDRK  Martlnet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


La  discorde  est  au  camp  d'Agramant,  et  la  guerre  pourrait  bien  ne 
pas  tarder  à  éclater.  Il  paraît  qu'à  Bayreuth  on  en  prend  un  peu  trop  à 
son  aise  avec  les  souscripteurs  wagnériens,  les  premiers  et  vrais  soutiens 
de  l'œuvre,  qui  seraient  assez  disposés  à  montrer  les  dents.  Voici  ce  que 
dit  à  ce  sujet  un  ami  de  la  première  heure,  le  Guide  musical  deBruxelles, 
qui  ne  saurait  être  soupçonné  de  tiédeur  à  l'égard  de  la  grande  entreprise: 
—  «  Dans  les  conversations,  autour  du  théâtre,  pendant  les  entr'actes,  il 
n'y  avait  qu'une  voix  pour  protester  contre  le  procédé  du  comité  de  Bay- 
reuth à  l'égard  des  Wagnervereine .  Dans  une  lettre  qu'elle  a  adressée  à 
M.  Munclier,  bourgmestre  de  Bayreuth  et  président  du  comité,  TA'^"  Wa- 
gner dénie  tout  droit  aux  membres  des  associations  wagnériennes  à  des 
faveurs  dans  la  distribution  des  places.  Cette  affirmation  est  vivement 
contestée.  L'article  4  des  statuts  de  l'Association  universelle  wagnérienne 
porte  explicitement  que  des  avantages  (Begunstigungen)  seront  accordés  aux 
membres  des  associations,  pour  leur  permettre  d'assister  aux  fêtes  de 
Bayreuth  ;  et,  jusqu'à  ce  jour,  l'usage  avait  été  que  les  membres  des  asso- 
ciations avaient  un  droit  de  priorité  sur  les  spectateurs  étrangers.  Ce  qui 
irrite  surtout,  c'est  que  les  associations  n'aient  pas  été  prévenues  en 
temps  utile  de  cette  modification  dans  les  pratiques  jusqu'ici  suivies.  Il 
y  a  là  tout  au  moins  un  manque  d'égards  envers  ceux  qui  ont,  les  premiers 
et  pendant  de  longues  années,  soutenu  l'œuvre  de  Bayreuth  de  leurs  coti- 
sations, alors  que  les  représentations  annuelles  laissaient  des  déficits 
assez  importants.  L'affaire,  qui  est  discutée  par  tous  les  journaux  allemands, 
viendra,  du  reste,  prochainement  devant  le  comité  central  des  ]Vagnerve~ 
reine.  Une  scission  et  des  démissions  en  masse  sont  probables,  tant  en 
Allemagne  qu'à  l'étranger,  si  la  thèse  insoutenable  de  M'""=  Wagner  devait 
l'emporter.  »  Un  autre  journal  de  Bruxelles,  l'Éventail,  précise  et  complète 
le  grief  et  les  renseignements:  «  Les  membres  des  sociétés  wagnériennes 
(Wagner-Vercine),  dit  celui-ci,  ne  sont  pas  contents,  et  il  y  a  de  quoi.  On 
les  a  traités  cette  année  avec  un  sans-gêne  extraordinaire.  Pour  avoir 
accordé,  pour  20  marks,  à  n'importe  quel  Snob  des  deux  hémisphères  des 
cartes  d'entrée  aux  Festspiele,  on  n'en  a  pas  gardé  assez  pour  ceux  à  qui 


elles  revenaient  en  tout  premier  lieu.  Conséquence  :  il  n'y  a  eu  qu'une 
carte  à  tirer  au  sort  par  treize  membres,  ayant  versé  4  marks  deux  an- 
nées consécutives,  soit  une  somme  de  104  marks  déboursée  pour  une  fa- 
veur que  n'importe  qui  a  pu  se  procurer  pour  20  marks  seulement  !  La 
(f  mère  Cosima  »,  comme  on  l'appelle  familièrement,  a  écrit  aux  comités 
que  l'argent  qu'ils  rassemblaient  devait  servir  surtout  pour  «  la  propaga- 
tion des  idées  exposées  dans  les  œuvres  complètes  de  Wagner.  »  Les  co- 
mités l'ont  trouvé  mauvaise.  On  a  pu  pardonner  au  Maître  le  sans-gène 
de  ses  procédés  à  cause  de  son  génie,  mais  sa  veuve  ni  le  bourgmestre  de 
Bayreuth  n'ont  cette  «  excuse  »  à  faire  valoir.  Aussi  leur  en  veut-on  à 
tous  deux,  mais  on  ne  le  dira  pas  trop  cependant,  parce  que  l'Allemand 
sait  souffrir  et  se  taire  sans  murmurer.  » 

—  Le  ténor  allemand  Nacbbaur,  dont  nous  avons  annoncé  récemment 
la  retraite,  vient  de  publier  dans  un  journal  de  Munich  quelques  souve- 
nirs assez  curieux  sur  ses  rapports  avec  le  défunt  roi  de  Bavière.  Louis  II, 
toujours  excessif  en  ses  afl'eclions,  traitait  le  ténor  presque  en  camarade. 
CI  Nous  sommes  tous  deux  ennemis  de  ce  qui  est  vil,  lui  écrivait  le  roi  ; 
nous  brûlons  tous  deux  de  cette  flamme  pure  et  sacrée  de  l'idéal  ;  c'est 
pourquoi  nous  resterons  amis  toute  notre  vie.  »  Nacbbaur  a  monté  tout 
un  musée  avec  les  cadeaux  que  lui  a  offerts  son  royal  protecteur;  ce  sont 
pour  la  plupart  des  souvenirs  relatif  à  Lohengrin  :  des  barques  au  cygne 
en  or  massif  portant  I.obengrin  sous  les  traits  de  Nacbbaur,  des  épingles, 
des  broches,  des  plats  et  jusqu'à  une  pipe  portant  les  attributs  du  héros. 
On  remarque  aussi  deux  tables  en  or  massif  sur  lesquelles  sont  ciselées 
les  principales  scènes  de  Parsifal  et  à'Aîda,  enfin  une  quantité  prodigieuse 
de  montres  à  l'effigie  du  souverain,  de  portraits  et  de  bagues.  Lorsque 
Nacbbaur  quittait  Munich,  appelé  par  des  engagements,  Louis  II languis- 
sait d'ennui,  et  il  lui  arrivait  souvent  de  payer  le  dédit  de  son  chanteur 
favori  pour  le  ravoir  près  de  lui.  Un  jour,  ils  se  promenaient  ensemble 
sur  le  lac  artificiel  du  fameux  jardin  d'hiver.  La  barque  qui  les  portait 
était  dorée  et  avait  la  forme  d'un  cygne.  Des  voix  mystérieuses  se  fai- 
saient entendre,  paraissant  sortir  de  l'eau.-  Le  roi  était  debout  dans  la 
barque,  prêtant  l'oreille  et  comme  perdu  dans  un  rêve.  Soudain  il  se 
tourna  vers  le  ténor  et  lui  dit  d'une  voix  très  douce:  «Ah!  que  ne  sommes- 
nous  dans  la  baie  de  Naples  !  que  ne  pouvons-nous  glisser  sur  ses  vagues, 
comme  à  présent,  et  écouter  le  chant  éloigné  des  gondoliers  (sic)  !  »  Et  il 
décida  que  tous  deu-:  partiraient  ensemble  pour  ce  pays  ensoleillé,  mais 
au  dernier  moment  il  abandonna  son  projet.  Autant  Louis  II  aimait  con- 
férer des  faveurs,  autant  il  était  sensible  aux  marques  de  gratitude.  A 
l'issue  des  représentations  de  gala  données  en  son  honneur,  il  fallait  que 
tous  les  artistes  auxquels  il  avait  offert  des  cadeaux,  lui  fissent  parvenir 
sans  retard  des  remerciements.  Malheur  à  ceux  qui  ne  se  conformaient 
pas  à  cet  usage  !  Ils  commettaient,  à  ses  yeux,  une  offense  impardonnable.  » 
«  Un  jour,  bien  après  minuit,  écrit  Nacbbaur,  le  roi  me  fit  appeler.  Il 
souffrait  d'un  violent  mal  de  tête.  Je  lui  chantai  l'air  du  sommeil  de  la 
Muette  et  la  prière  de  Stradella.  A  deux  heures,  je  m'en  retournais  chez 
moi  et,  immédiatement,  je  lui  écrivis  une  lettre  pour  le  remercier  de  ses 
bontés  à  mon  égard.  Plus  tard  j'appris  que,  malgré  sa  migraine,  il  se  re- 
leva anxieux  et  ne  voulut  pas  se  recoucher  avant  d'avoir  reçu  ma  lettre.  » 

—  Au  théâtre  Friedricb-Wilhelmstadt ,  de  Berlin,  on  a  donné  la  pre- 
mière représentation  d'une  opérette  nouvelle,  le  Page  Fritz,  qui  parai 
avoir  fait  un  four  complet,  et  qui  ne  méritait  pas  mieux.  Pièce,  musique 
et  interprètes  ont  été  au-dessous  de  tout  ce  qu'on  peut  imaginer.  Les  au- 
teurs sont  MM.  Alexandre  Landesberg  et  Richard  Gênée  pour  les  paroles 
et  MM.  Alfred  Strasser  et  de  Weinzierl  pour  la  musique. 

—  Toujours  le  favoritisme  allemand.  On  lit  dans  le  journal  suédois 
Wart  Loiid  ;  Bien  que  cent  vingt-deux  musiciens  allemands  eussent  postulé 
pour  la  place  de  chef  de  l'orchestre  municipal  de  Baden-Baden,  la  mu- 
nicipalité a  offert  ce  poste  au  compositeur  et  chef  d'orchestre  suédois 
M.  Andréas  Tallen,  sous  la  condition  d'avoir  à  se  fixer  à  Baden-Baden. 
Néanmoins  les  autorités,  obéissant  à  l'ordre  exprès  de  l'empereur,  ont 
installé  à  sa  place  le  jeune  A.  Frédéric  Koch,  de  l'Opéra  royal  de  Berlin. 

—  Antoine  Rubinstein  vient  de  quitter  Saint-Pétersbourg,  où  il  ne 
reviendra  pas  avant  plusieurs  mois.  Il  va  |:asser  quelque  temps  à  Dresde, 
où  il  compte  terminer  à  la  campagne  un  nouvel  oratorio  intitulé  Moise  et 
un  opéra  russe  dont  le  titre  n'est  pas  encore  arrêté.  Le  maître  mettra  éga- 
lement la  dernière  main  à  un  volume  de  pensées  et  d'appréciations  sur 
la  musique.  Ce  volume  aura  pour  titre  il  propos  de  musique,  et  sa  publi- 
cation ne  peut  manquer  d'attirer  l'attention. 

—  On  écrit  de  Saint-Pétersbourg  que  la  Société  Impériale  de  musique  de 
cette  ville  a  décidé  d'inviter  M.  Massenet  à  diriger  son  orchestre  pour  une 
série  de  concerts  sympboniques  qui  seront  donnés  à  la  salle  de  l'Assem- 
blée de  la  Noblesse  au  mois  de  janvier  1892. 

—  Un  incident  typique  vient  de  se  produire  à  Kieff,  en  Russie,  à  l'occa- 
sion de  l'expulsion  des  juifs.  Tous  les  artistes  engagés  dans  les  théâtres, 
cafés-chantants,  etc.,  étant  Israélites,  il  a  fallu  fermer  les  établissements. 
Le  jour  de  l'expulsion  on  avait  annoncé  Robert  le  Diable  à  l'Opéra,  mais 
pour  jouer  l'œuvre  de  Meyerbeer,  il  ne  restait  que...  le  chef  d'orchestre. 
Les  habitants  envoyèrent  une  pétition  au  czar  demandant  le  retour  des 
artistes,  mais  la  réponse  fut  négative. 

—  Au  Grand-Théâtre  de  Buoharest  on  a  résolu  d'abandonner,  vu  leur 
peu  de  succès,  l'opéra  roumain  et  l'opérette  pour  leur  substituer  l'opéra 


MO 


LE  MENESTREL 


italien.  Deux  candidats  Olaient  sur  les  rangs  pour  l'obtenir,  M.  Serghiad 
et  M.  Hartulary,  t'poux  de  l'aimable  cantatrice  que  nous  avons  connue 
sous  le  nom  de  M"""  Dardée.  C'est  le  premier  qui  l'a  emporté.  Ce  que 
voyant,  M.  Hartulary  s'est  mis  en  tète  de  faire  concurrence  à  son  rival 
avec  une  troupe  d'opéra  français,  qu'il  est  en  train  déjà  de  constituer 
et  dont  les  représentations  commenceraient  au  mois  de  novembre  pro- 
chain, dans  le  nouveau  théâtre  en  construction,  qu'il  inaugurerait  de  la 
sorte. 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  M.  Gilson,  le  brillant  prix  de 
Rome  de  l'année  dernière,  et  M.  Eddy  Levis,  préparent  en  ce  moment 
une  œuvre  symphonique  et  littéraire,  en  trois  parties,  d'un  genre  nouveau, 
qui  sera  exécutée  probablement  dans  le  courant  de  cette  saison  à  Spa,  à 
Ostende  et  à  Blankenberglie.  Le  sujet,  tout  descriptif,  est  intitulé  la  Mer. 
Les  vers  de  M.  Eddy  Levis  seront  déclamés  avant  chaque  partie,  puis  la 
symphonie  commentera  le  poème.  Le  même  musicien  et  le  même  poète 
travaillent  également  à  une  œuvre  d'un  caractère  dramatique  très  puis- 
sant :  Caïn  devant  la  mer,  qui  ne  sera  guère  terminée  que  dans  le  courant 
de  l'année  prochaine.  » 

—  M.  Bussac,  le  nouveau  directeur  du  Théâtre  royal  de  Liège,  vient 
de  terminer  la  composition  de  sa  troupe  pour  la  saison  d'hiver  1891-92. 
Parmi  les  artistes  engagés,  citons  MM.  Joël  Fabre,  Lamarche  et  P.  Claeys, 
tous  trois  ayant  appartenu  à  l'Opéra;  M.  Galand  (de  l'Opéra-Gomique), 
Mmcs  Baliste  (Théâtre-Lyrique),  Bouvière,  C.  BlOch,  etc.  Outre  le  réper- 
toire courant,  M.  Bussac  reprendra  Hérodiade,  Sigurd.  le  Roi  d'Ys,  Lakmé, 
probablement  iofteiîjrm.  Ajoutons  que  M.  Bussac  a  l'intention  de  monter 
un  grand  opéra  inédit  en  trois  actes,  qui  ne  serait  autre  que  le  Sardana- 
pale  de  M.  Alphonse  Duvernoy,  dont  M.  Lamourôux  a  fait  entendre 
naguère  de  beaux  fragments  dans  ses  concerts,  et  qu'enfin  il  compte,  au 
mois  de  février,  célébrer  l'anniversaire  de  la  naissance  de  Grétry,  le  plus 
illustre  enfant  de  Liège,  par  une  reprise  éclatante  de  Richard  Cœur  de 
lion,  qui  n'a  pas  été  joué  en  cette  ville  depuis  plus  de  vingt  ans,  et  que 
précéderait  une  conférence  sur  le  maître  et  sur  son  chef-d'œuvre.  C'est 
notre  collaborateur  Arthur  Pougin  qui  serait  chargé  de  faire  cette  confé- 
rence. 

—  Nous  avons  annoncé  la  représentation,  sur  un  petit  théâtre  de  "S'^ienne, 
d'une  parodie  de  la  Cavalleria  rusticana  intitulée  Artiglieria  ruslicana.  II  est 
probable  que  c'est  de  ce  même  ouvrage  que  le  Trovatore  nous  annonce, 
peut-être  tardivement,  l'apparition  au  Politeama  de  Naples,  en  nous 
faisant  savoir  que  la  musique  est  de  MM.  Luigi  Mantegna  et  Tartarin  (?). 
«  Cette  Artiglieria  ruslicana,  dit-il,  est  une  parodie,  souvent  réussie,  de  la 
fameuse  Cavalleria,  avec  le  récit  correspondant,  Vintermezzo  correspondant, 
le  brindisi  correspondant,  et  la  déclaration  finale  correspondante.  « 

—  La  bande  municipale  de  Milan  a  exécuté  pour  la  première  fois,  avec 
succès,  un  poème  symphonique  de  son  directeur,  le  maestro  Guai-neri. 
Cette  composition,  écrite  pour  servir  d'introduction  au  Jules  César  de 
Shakespeare  et  qui  semble  un  peu  compliquée,  est  ainsi  divisée  :  Apothéose 
de  César:  —  Conjuration  contre  sa  vie;  —  Prédiction  sinistre;  —  Marche  triom- 
phale au  Capitole;  —  Sa  mort;  —  Bataille  à  Philippes  et  mort  de  Brutus. 

—  L'infortuné  Franco  Faccio,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort,  a 
laissé  un  testament,  qui  a  été  ouvert  ces  jours  derniers.  Sa  fortune  s'éle- 
vait à  200,000  francs  environ,  sans  compter  les  bijoux,  qui  représentent 
une  valeur  d'une  cinquantaine  de  mille  francs.  C'est  son  père,  fou  lui- 
même,  et  qui  ignore  le  sort  de  son  fils,  que  Faccio  a  institué  son  léga- 
taire universel;  à  la  mort  de  celui-ci,  les  biens  seront  partagés  entre  la 
sœur  et  les  neveux  de  Faccio.  Deux  legs  importants  sont  faits  en  faveur 
de  la  Société  orchestrale  de  Milan  et  du  Pieux  Institut  philharmonique. 

—  Au  Conservatoire  de  Milan,  où  il  n'y  a  point  de  concours  comme  chez 
nous,  on  vient  de  procéder  aux  trois  saggi  (exercices)  réglementaires  de 
fin  d'année.  On  a  l'excellente  habitude  de  faire  entendre  dans  ces  séances, 
avec  le  concours  des  élèves  des  classes  vocales  et  instrumentales,  les  tra- 
vaux des  élèves  de  composition.  Voici  la  liste  de  ceux  qui  ont  été  cette 
fois  exécutés  :  1»  Symphonie  en  quatre  parties  et  morceau  de  concert  pour 
clarinette,  de  M.  Mario  Tarenghi  (le^prix),  élève  de  M.  Catalani  ;  2°  Scène 
de  M.  Luigi  Marzani  (1"  prix),  élève  de  M.  Ferroni;  3°  Cristoforo  Colombo, 
scène  dramatique  de  M.  Luigi  Galli  (2»  prix),  élève  de  M.  Ferroni;  i"  Suite 
d'orchestre  de  M.  Gaetano  Luporini  (2»  prix)  élève  de  M.  Catalani; 
5°  Sull'Atpi,  scène  lyrique  de  M.  Zaccharia  Levi  (diplôme),  élève  de  M.  Fer- 
roni; 6»  Scène  pour  ténor,  chœur  et  orchestre  de  M.  Cecilio  Manfredi 
(diplôme);  7°  enfin  la  Natte  dei  Morti,  scène  pour  soli,  chœur  et  orchestre 
de  M.  Arnaldo  Galliera,  élève  d'orgue.  Il  parait  que  là-bas,  bien  plus 
encore  qu'ici,  ce  qui  n'est  pas  peu  dire,  les  jeunes  compositeurs  ont  l'es- 
prit hanté  par  les  idées  et  les  doctrines  wagnériennes  et  qu'ils  en  sont  à 
ce  point  troublés  que  leur  musique  souvent  n'a  pas  le  sens  commun.  La 
critique  compatriote  n'est  pas  tendre  pour  leurs  essais.  «  Oh!  wagnériens 
lilliputiens,  dit  un  journal,  belliqueux  et  redoutables  comme  des  soldats 
de  plomb,  ne  comprenez-vous  pas  que  le  souffle  d'un  enfant  qui  jouerait 
avec  vous  serait  plus  que  suffisant  pour  vous  renverser  l'un  après  l'autre"? 
Et  n'avez-vous  pas  vu  que  le  chemin  que  vous  suivez  follement  ne  réus- 
sit à  vous  faire  conquérir  ni  l'applaudissement  du  public,  ni  celui  de  la 
critique?  »  Un  autre  se  demande  si  c'est  bien  là  de  la  musique:  «En  en- 
tendant ce  charivari  d'accords,  dit-il,  de  modulations,  avec  un  mépris  qu'on 
dirait  calculé  de  la  forme,  de  la  carrure  musicale,  du   véritable  sens  har- 


monique, nous  nous  demandions  si  cela  méritait  véritablement  une  exé- 
cution publique.  »  (Il  nous  semble  entendre  parler  du  Rêve  de  M.  Bruneau.) 
En  résumé,  l'impression  parait  avoir  été  pitoyable.  On  ne  fait  exception 
—  exception  qui,  dit-on,  confirme  la  règle  —  que  pour  l'élève  Luporini, 
dont  la  Suite  d'orchestre  a  fait  vraiment  plaisir. 

—  On  lit  dans  l'Italie  :  «  On  annoncé  que  M.  Giulio  Cottrau  donnera,  au 
grand  théâtre  de  Syracuse,  un  nouvel  opéra  :  Imelda,  sur  un  livret  écrit 
par  le  regretté  poète  Peruzzini.  Le  sujet  est  tiré  des  chroniques  de  Vérone 
et  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  Rojnco  et  Juliette;  mais  le  drame  se 
développe  dans  la  période  historique  du  serment  de  Pontida  à  la  bataille 
de  Legnano,  ce  qui  donne  l'occasion  au  poète  de  faire  vibrer  en  même 
temps  la  note  sentimentale  patriotique -et  guerrière.  M.  Giulio  Cottrau, 
en  prenant  l'inspiration  dans  ce  sujet,  aura  certainement  écrit  un  opéra 
d'art  au  niveau  de  sa  Griselda,  qui  a  eu  tant  de  succès.  » 

—  En  Portugal,  comme  en  France,  comme  en  Italie,  comme  partout,  les 
économies  sont  à  l'ordre  du  jour.  Tandis  qu'ici  nos  législateurs  ne  veulent 
pas  comprendre  l'immense  intérêt  non  seulement  artistique,  mais  «  éco- 
nomique »  qui  s'attache  à  la  reconstruction  de  notre  malheureux  Opéra- 
Comique,  à  Lisbonne  deux  députés  ont  présenté  à  la  Chambre  une  motion 
tendant  à  supprimer  la  subvention  du  théâtre  San  Carlos,  la  grande  scène 
lyrique  du  Portugal.  La  Chambre,  moins  réfractaire  que  ces  deux  mélo- 
phobes  à  tout  sentiment  artistique,  a  repoussé  leur  proposition  à  une 
immense  majorité. 

—  Le  fameux  quatuor  Ilellmesberger,  de  Vienne,  s'est  fait  entendre 
dernièrement  au  harem  du  sultan,  dans  des  conditions  très  pittoresques. 
Bien  qu'ils  eussent  donné  deux  concerts  de  trois  heures  chacun,  aucun 
des  artistes  n'a  pu  apercevoir  ni  le  sultan,  ni  les  assistantes,  dissimulés 
derrière  des  grillages  et  des  tentures.  Avant  la  seconde  séance  on  leur  fit 
servir  à  dîner  dans  de  la  vaisselle  en  or.  Derrière  chaque  siège  se  tenait 
un  eunuque,  noir  comme  de  l'ébène.  On  n'en  était  encore  qu'au  poisson 
quand  le  sultan  fit  prévenir  les  artistes  qu'il  les  attendait  dans  son  théâtre. 
En  hâte,  il  fallut  se  lever  de  table.  A  l'issue  du  concert,  Munir-Pacha  se 
présenta  avec  une  petite  sacoche  de  soie  rose  pleine  d'or  et  cachetée  au 
sceau  impérial.  Il  la  remit  aux  musiciens  en  les  invitant  à  baiser  le  sceau 
que  le  sultan  avait  apposé  de  ses  propres  mains.  Il  ajouta  que  son  maître 
était  fort  satisfait  dej  l'audition.  La  sacoche  contenait,  outre  une  somme 
d'or  en  espèces,  une  médaille  en  or  grand  module  et  l'ordre  du  Medjidjé 
pour  chaque  exécutant. 

—  Le  Savoy  Théâtre  de  Londres  vient  de  donner,  avec  un  résultat  dou- 
teux, la  première  représentation  d'une  opérette  indienne,  The  Nautchgirl, 
établie  sur  le  type  des  opérettes  de  Gilbert  et  Sullivan.  Le  compositeur 
de  cette  nouveauté  est  M.  Solomon. 

—  Nous  lisons  dans  le  Musical  News  qu'une  entreprise  vient  de  se 
monter  ayant  pour  but  de  fournir  aux  organisateurs  de  concerts  et  au 
public  des  chanteurs  automatiques,  c'est-à-dire  des  reproductions  méca- 
niques des  célébrités  de  l'art  du  chant.  Par  exemple,  une  de  ces  pièces 
reproduira  les  traits  du  ténor  Lloyd,  à  l'intérieur  on  placera  un  phono- 
graphe et,  après  que  la  compagnie  aura  payé  un  cachet  convenable  au 
modèle  vivant,  l'automate  égrènera  devant  un  auditoire  ébahi,  mais 
enthousiaste,  les  meilleurs  airs  de  ténor  du  Messie  ou  A'Elie.  Voilà  qui  ne 
sera  pas  pour  réjouir  les  débutants  dans  la  carrière.  Comment  soutenir  la 
concurrence  d'un  de  Reszké  tiré  à  des  milliers  d'exemplaires  ? 

—  La  langue  simiesque  est  l'objet  d'une  étude  assez  curieuse  et  originale 
publiée,  par  le  professeur  R.-L.  Garner,  dans  la  Nouvelle  Revue  de  Londres. 
Des  recherches  laborieuses  faites  à  l'aide  du  phonographe  ont  amené 
M.  Garner  à  découvrir  que  les  singes  avaient  un  langage  à  eux,  qu'ils 
comprenaient  clairement  et  au  moyen  duquel  il  se  promit  de  se  faire 
comprendre  d'eux.  Le  côté  intéressant  de  cette  découverte,  pour  les  musi- 
ciens, est  que  tous  les  sons  dont  se  compose  la  langue  des  singes  font, 
parait-il,  partie  de  l'accord  de  fa  dièse.  Ainsi,  c'est  sur  la  note  de  fa  dièze 
et  la  syllabe  «  whuy  »  que  le  singe  chante  sa  soif.  Pour  donner  l'alarme 
il  lance  un  sifflement  sur  le  fa  dièse  le  plus  aigu  du  piano.  Le  professeur 
Garner  a  compté  jusqu'à  neuf  intonations  différentes,  qu'augmentent  encore 
les  altérations;  mais  tous  les  sons,  quels  qu'ils  soient,  s'harmonisent 
naturellement  avec  celui  de  fa  dièse.  Voilà  des  notions  que  les  composi- 
teurs hantés  de  réalisme  pourront  utiliser  avec  profit.  Avis  à  M.  Bruneau. 

—  Nous  laissons  au  journal  étranger  qui  la  publie  la  responsabilité  de 
la  nouvelle  que  voici.  Selon  ce  journal,  un  riche  citoyen  de  New-York, 
nommé  Oscar  Hammerstein,  a  formé  le  projet  de  doter  chacune  des  grandes 
avenues  de  sa  ville  natale  d'une  vaste  salle  d'opéra.  Peut-être  est-ce  beau- 
coup. Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Hammerstein,  archimillionnaire  un  peu  excen- 
trique, et  qui  est  déjà  propriétaire  de  l'Harlem  Opéra  House  et  du  théâtre 
Colombo,  vient  de  poser  la  première  pierre  d'un  nouvel  Opéra  dans  la 
34°  avenue,  à  l'ouest  de  Broadway,  et  il  en  annonce  l'inauguration  pour 
le  !"■  novembre  prochain  (époque  où  l'on  commence  à  désespérer  de  voir 
inaugurer  ici  notre  Opéra-Comique).  L'Opéra  de  la  34°  avenue  pourra 
contenir  2,600  spectateurs.  Le  prix  d'abonnement  pour  soixante  représen- 
tations sera  de  18,000  francs  seulement  pour  une  loge  et  de  2,000  francs 
pour  un  fauteuil,  sans  compter  un  droit  d'entrée  fixe  de  10  francs  par 
personne.  Ajoutons  que  la  nouvelle  salle  doit  être  consacrée  à  l'opéra 
allemand,  malgré  l'énorme  four  qui  a  accueilli  les  campagnes  lyriques 
allemandes  de  ces  dernières  années.  Hourrah  pour  l'Amérique  ! 


LE  MENESTREL 


247 


—  Les  journaux  américains  aunoQçaient  avec  persistance,  depuis  quel- 
que temps,  le  prochain  mariage  d'un  violoniste  belge  fort  distingué, 
M.  Ovide  Musin,  qui  a  conquis  là-bas  une  grande  réputation,  avec  une  de 
ses  jeunes  compatriotes,  M»=  Juliette  Folville,  pianiste  remarquable  elle- 
même  et  compositeur.  M"<=  Folville  nous  écrit  de  Liège  ponr  nous  dire 
que  cette  nouvelle  est  inexacte  et  nous  prier  de  la  démentir. 

—  L'invention  du  bicycle  à  musique  est  un  fait  accompli.  C'est  natu- 
rellement à  un  américain  qu'il  était  réservé  de  prendre  le  brevet  de  cette 
géniale  et  réconfortante  invention,  hes  mélo-vetocemen  sont  dans  la  joie! 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Les  concours  publics  du  Conservatoire  ont  pris  fin  mercredi  dernier, 
par  la  séance  consacrée  aux  instruments  à  vent.  Voici  la  liste  des  récom- 
penses décernées  dans  ces  dernières  journées. 

Opéra-Comique.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Ernest  Guiraud,  Théo- 
do  re  Dubois,  Jules  Barbier,  Carvalho,  Capoul,  Deschapelles. 

Hommes  : 

Pas  de  premier  prix. 

a^spria:.  — MM.Ghasne(élèvedeM.Taskin),David(Achard),Périer(Taslî.in). 

y»"'  accessit.  —  M.  Bérard  (Achard). 

2=  accessit.  —  M.  Victor  Petit  (Achard). 

Femmes  :  ' 

Pas  de  premier  ni  de  deuxième  prix. 

y«'  accessit.  —  M""  Morel  (Achard). 

Pas  de  deuxième  accessit. 

Violon.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  White,  Nadaud,  Berthelier, 
Gastinel,  Altès,  Th.  Dubois,  Turban. 

i"'^  prix.  —  M""  Vormèse  (Garcin),  MM.  Quanté  (Garcin),  André  (Maurin). 

%"■  prix.  —  MM.  Roillet  (Dancla),  Boucherit  (Garcin),  Tracol  (Garcin). 

■/ers  accessits.  —  M"=  Arton  (Garcin),  MM.  Lépine  (Dancla),  Lebreton 
(SauzayJ. 

2'-^  accessits. —  MM.  Aubert  (Sauzay),  Willaume  (Garcin),  Bastien 
(Dancla). 

Opéra.  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  Jules  Barbier,  Ernest  Bertrand, 
Gailhard,  Ernest  Guiraud,  Paladilhe,  Gh.  Lenepveu,  Joncières,  Deschapelles. 

Hommes  : 

1"'  prix.  —  M.  Grimaud. 

Pas  de  deuxième  prix, 

1<"  accessit.  —  M.  Villa. 

Pas  de  deuxième  accessit. 

Femmes  : 

i''^  prix  (à  l'unanimité).  —  M"«  Issaurat. 

Pas  de  deuxième  prix. 

1"^  accessit.  —  M""  Lemeignan. 

2=  accessit.  —  M""^  Youdeleski,  Wyns. 

(Tous  élèves  de  M.  Giraudet.) 

Flûte.  —  Professeur  :  M.  Henri  Altès.  S  concurrents.  Jury  (pour  ce 
concours  et  tous  les  suivants)  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Jonas,  Joncières, 
Ch.  Lenepveu,  Garcin,  Taffanel,  Turban,  Dupont,  Wettge.  Morceau  de 
concours  :  2=  solo  de  Demerssmannn;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par 
M.  Barthe. 

y=  ■  prix.  —  MM.  Verroust,  Balleron. 

Pas  de  second  prix. 

1"  accessit.  —  M.  Maquarre. 

Hautbois.  —  Professeur  :  M.  Gillet.  10  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
6"  solo  de  Gh.  Colin;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Taffanel. 

4"  frix.  —  M.  Barthel. 

^'-  prix.  —  MM.  Foucault,  Derlique. 

4''-'  accessit.  —  M.   Duverger. 

2=s  accessits.  —  MM.  Malezieux,  Bleuzet. 

Clarinette.  —  Professeur  ;  M.  Rose.  9  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
2e  concerto  de  Weber  ;  morceau  à  déchifi'rer,  composé  par  M.  Taffanel. 

4<"  prix.  —  M.  Pujol. 

ge  prix.  —  M.  Stiévenard. 

4"'  accessit.  —  M.  Baudouin. 

Pas  de  2"  accessit. 

Basson.  — Professeur  :  M.  Jancourt.  5  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
9e  concertino  de  M.  Jancourt;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Guiraud. 

^ef  prix.  —  M.  Cundde. 

Pas  de  second  prix. 

yers  accessits.  —  MM.  Bulleau,  Bretenaker. 

Pas  de  2=  accessit. 

Cor.  —  Professeur  :  M.  Brémond.  S  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
1er  concerto  de  Dauprat  ;  morceau  à  déchili'rer,  composé  par  M. Barthe. 

yer»  prix.  —  MM.  Legros,  Brin. 

2=5  prix.  —  MM,  Goyaux,  Vialet. 

Pas  d'accessits. 

Cornet  à  pistons.  —  Professeur  :  M.  Mellé.  8  concurrents.  Morceau  de 
concours  :  solo  de  Forestier  ;  morcçau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Jonas. 

Pas  de  premier  prix. 

2"  prix.  —  MM.  Grenaud,  Lubineau. 

<ers  accessits.  —  MM.  Deprinoz,  Courtade. 

2e  accessit.  —  M.  André. 


Trompette.  —  Professeur  :  M.  Gerclier.  5  concurrents.  Morceau  de 
concours  :  solo  de  M.  Charles  Dubois. 

Pas  de  premier  prix. 

2'  prix.  —  M.  Lambert. 

4"  accessit.  —  M.  Bâton. 

Pas  de  2e  accessit. 

Trombone.  —  Professeur  :  M.  AUard.  4  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
solo  de  M"'"  Gennaro-Ghrétien  ;  morceau  à  déchiffrer,  composé  par  M.  Le- 
nepveu. 

4"'  prix.  —  M.  Rose. 

2"  prix.  —  M.  Delapard. 

Pas  d'accessits. 

—  C'est  demain  lundi,  à  une  heure,  qu'a  lieu,  au  Conservatoire,  la 
séance  do  la  distribution  des  prix. 

Cette  séance  sera  présidée  par  M.  Larroumet,  directeur  des  beaux-arts, 
qui  prononcera  le  discours  d'usage.  Voici  le  programme  du  concert  qui 
aura  lieu  à  l'issue  de  la  distribution  des  récompenses  : 

l"  Allegro  de  concert M.  E.  Guiraud. 

M"°  Charmois. 
2°  Air  d'Hamlet M.  Ambroise  Thomas. 

M""  Lemeignan. 
3°  Fantasia  appassionata Vieuxtemps. 

M.  Quanté. 
4°  Scène  du  2e  acte  du  Bajazet Racine. 

Roxane M"°   Dufhène. 

Bajazet .    .     MM.  de  Max. 

Acomat Lxigné-Poé. 

5»  Scène  du  3''  acte  de  la  Princesse  Georges   ...     M.  Alexandre  Dumas. 

Séverine M"°  Dux. 

Le  prince  de  Byrac M.     Gauley. 

6°  Scène  de  Gringoire Th.  de  Banville. 

Louis  XI MM.  DE  Max. 

Gringoire Veyret. 

Olivier  le  Daim Barré. 

Loyse M'"    Thohsen. 

7°  Scène  du  le''  acte  du  Roi  de  Lahore M.  J.  Massenet. 

Sila M"°   Issaurat. 

Scindia M.     Grimaud. 

—  Une  bonne  nouvelle,  et  toute  récente,  relative  à  la  reconstruction  de 
rOpéra-Comique  :  «  Dans  sa  dernière  séance,  le  conseil  d'hygiène  et  de 
salubrité  de  la  Seine  a  approuvé  l'établissementd'un  tir  à  la  carabine  Gif- 
fard  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Opèra-Goraique.  »  Si  après  ça,  les  ha- 
bitants du  quartier  Favart  ne  sont  pas  contents!... 

—  On  écrit  de  Genève  que  M.  Camille  Saint-Saëns  est  actuellement  en 
villégiature  sur  les  bords  du  lac,  et  travaille  à  différents  morceaux  de 
piano  et  orchestre. 

—  Hier  samedi,  on  a  dû  reprendre  à  l'Hippodrome  la  grande  pantomime 
musicale  :  Jeanne  d'Arc,  dont  la  vogue  avait  été  si  vive  la  saison  dernière. 
La  remarquable  partition  de  M.  Widor  retrouvera  certainement,  dans  cette 
nouvelle  série  de  représentations,  tout  le  succès  qui  l'avait  accueillie  à 
son  début.  Dans  le  courant  de  cette  semaine,  M.  Widor  partira  pour  Aix- 
les-Bains,  afin  d'y  assister  à  la  première  représentation  en  cette  ville  de 
Conte  d'avril,  la  jolie  comédie  de  M.  Dorchain  qu'il  a  illustrée  de  la  char- 
mante musique  qu'on  sait. 

M.  Emmanuel  Latarge,    le  créateur  de  Sainson,  et  Dalila  à  Rouen  et 

de  Siegfried  à  Bruxelles,  vient  de  signer  un  brillant  engagement  avec 
M.  Carvalho.  L'excellent  ténor  débutera  à  l'Opéra-Comique  au  mois  de 
mai  1892,  après  sa  saison  d'hiver  à  la  Monnaie  de  Bruxelles.  Le  premier 
rôle  qu'il  interprétera  sera  celui  d'Énée  dans  les  Troijens  de  Berlioz. 

M"°  Sibyl  Sanderson,  la  brillante  créatrice  d'Esclarmonde,  vient  d'être 

engagée,  à  de  fort  beaux  appointements,  au  théâtre  impérial  Marie,  de 
Saint-Pétersbourg,  pour  y  créer,  dans  l'opéra  de  M.  Massenet,  le  rôle  qui 
a  consacré  sa  réputation  à  Paris. 

M.  Victor  Souchon,  agent-directeur  de  la  Société  des  auteurs,  com- 
positeurs et  éditeurs  de  musique,  mécontent  des  procès  qu'il  vient  de 
perdre  coup  sur  coup  en  Angleterre,  «  bien  qu'il  eût  prévu  ce  résultat  », 
annonce  aux  journaux  qu'à  présent  il  va  faire  «  marcher  la  diplomatie  ». 
Tout  à  fait  étonnant,  cet  agent  fin  de  siècle  qui  engage  des  procès  en  sa- 
chant d'avance  qu'il  les  perdra  !  On  voit  bien  que  ce  n'est  pas  lui  qui 
paie  les  pots  cassés.  Et  quel  joli  sujet  de  statue  que  celui  de  «  M.  Souchon 
faisant  marcher  la  diplomatie  »  !  Et  quel  joli  pendant  que  cet  autre  sujet: 
(I  la  Diplomatie  envoyant  promener  M.  Souchon  »!  Ce  n'est  pas  tout. 
M.  Souchon-Bouche  d'Or  annonce  qu'il  montera  à  la  tribune  de  tous  les 
congrès  de  propriété  artistique  et  littéraire  pour  y  exposer  ses  griefs  et 
qu'il  fera  tant  et  tant....  qu'à  la  fin  tous  les  pays  obsédés  des  incessantes 
réclamations  de  la  France  dénonceront  purement  et  simplement  la  con- 
vention de  Berne,  cause  de  tant  de  soucis.  Très  adroit,  notre  agent! 

—  La  distribution  des  prix  de  l'École  de  musique  classique  L.  Nieder- 
màyer,  dirigée  par  son  gendre,  M.  Gustave  Lefèvre,  a  eu  lieu  le  27  juillet, 
sous  la  présidence  de  M.Georges  Graux,  député  dùTas-de-Calais.  Dans  un 
discours  éloquent,  fréquemment  applaudi,  M.  Graux  a  rappelé  les  éminents 


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LE  MENESTREL 


services  rendus  à  l'arl  par  celle  inslitulion  renommée,  les  nombreux  et 
excellents  organistes,  maîtres  de  chapelle  et  compositeurs  qu'elle  a  formés 
et  placés,  et  le  dévouement  du  savant  directeur  qui  la  dirige  avec  une  rare 
abnégation  depuis  vingt-six  ans  passés.  Après  une  allocution  très  émue 
du  directeur  et  l'audition  des  lauréats  des  classes  de  piano  et  de  fragments 
d'un  Te  Deum  qui  a  valu  à  son  auteur,  l'élève  Létorcq,  un  deuxième  prix 
de  composition  musicale,  la  distribution  a  commencé. 

—  Parmi  les  lauréats  de  l'école  de  musique  classique  (Niedermayer), 
nous  remarquons  le  nom  de  M.  Joseph  GoUin,  qui  a  obtenu  le  l^^''  prix 
d'orgue  du  ministre,  le  1"'  prix  de  piano  avec  couronne  d'or,  le  •l'^''  prix 
décomposition  et  le  1"  accessit  de  contrepoint.  M.  Joseph  CoUin  est  le  fils  de 
M.  Pierre  Collin,  organiste  à  Saint-Brieuc.  Il  appartient,  du  reste,  à  une 
famille  où  se  perpétuent,  de  père  en  fils,  les  vraies  traditions  de  l'art  musical. 

—  Les  concours  du  Conservatoire  de  Lyon,  qui  ont  duré  toute  la 
semaine,  viennent  de  se  terminer,  et  ont  été  en  général  assez  brillants. 
Pour  ne  parler  que  des  premières  récompenses,  nous  citerons  :  M.  Mou- 
lin, l"  prix  de  flûte  (classe  de  M.  Ritter);  M.  Lesur,  l<^  prix  de  hautbois 
(classe  de  M.  Targues);  M.  Gibert,  ■1°''  prix  de  clarinette  (classe  de 
M.  Cousin);  2  premiers  prix  de  piano,  M"'s  Gouraud  et  Calvin,  élèves  de 
M.  Jemain  ;  2  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra,  M"'^*  Lespinasse  et 
Bailly,  la  première  élève  de  M"«  Mauvernay,  la  seconde  de  M.  Grillon. 
Ces  deux  jeunes  artistes  sont  déjà  engagées,  l'une  à  Saigon,  l'autre  au 
Grand-Théâtre  de  Lyon.  La  classe  de  déclamation  que  dirige  si  habile- 
ment M.  Belliard,  n'a  pas  obtenu  de  récompense  suprême,  mais  il  faut 
dire  que  presque  tous  les  élèves  en  étaient  à  leur  premier  concours.  En 
somme,  les  concours  ont  couronné  de  sérieux  travaux,  qui  font  honneur  à 
M.  Aimé  Gros,  le  sympathique  directeur  du  Conservatoire. 

—  A  Lille  aussi,  la  série  des  concours  vient  de  se  terminer,  et  de  la 
façon  la  plus  brillante.  Ils  ont  eu  lieu  comme  d'habitude,  mais  pour  la 
dernière  fois,  sous  la  présidence  de  M.  Ferdinand  Lavainne.  En  effet, 
l'excellent  directeur  du  Conservatoire,  fatigué  par  l'âge,  s'est  démis  depuis 
quelque  temps  déjà  de  ses  fonctions,  et  n'attendait,  pour  les  résigner 
définitivement,  que  la  fin  de  l'année  scolaire. 

—  M.  Eugène  Gigout,  dans  une  intéressante  séance  donnée  le  2.3  juil- 
let a  fait  entendre  les  meilleurs  élèves  de  son  école  d'orgue.  M.  Guit- 
tard  a  exécuté  avec  intelligence  et  une  complète  possession  de  lui-même 
six  des  Cent  piiccs  brèves  dans  la  tonalité  grégorienne  de  M.  Gigout,  ainsi 
qu'une  Canzona  de  Bach;  M.  Vuillane,  la  Rapsodie  sur  des  cantiques  bre- 
tons de  M.  Saint-Saëns  et  un  Prélude  de  Mendelssohn:  M.  Guivièr  une 
belle  Marche  religieuse  et  une  Communion  de  M.  Gigout.  M.  Vivet  a  inter- 
prété remarquablement  la  Toccata  et  fugue  en  ut  de  Bach,  morceau  hérissé 
de  difficultés.  Le  trio  de  M.  Boëllmann,  joué  en  perfection  par  l'auteur, 
MM.  Berthelier  et  Loéb,  est  une  œuvre  de  premier  ordre  qui  mérite  une 
mention  spéciale.  M'"'=  Grammacini,  très  en  voix,  s'est  fait  applaudir 
dans  la  Mort  d'Ophélie  de  M.  Saint-Saëns,  et  M.  Warmbrodt  a  eu  une 
grande  part  du  succès  dans  l'air  â'Iphigénie  en  Tauride  et  le  Domine  de  la 
messe  en  si  mineur  de  Bach.  A  citer  encore  MM.  Verdeau,  Nomet  -et 
Harris,  Kunc,  qui  sont  d'excellents  musiciens  et  de  bons  organistes,  et 
surtout  M.  Rousse,  qui  a  enlevé  la  Fantaisie  de  Saint-Saëns  avec  une  vir- 
tuosité exceptionnelle.  H.  Eymieu. 

—  Les  concours  publics  de  l'Ecole  classique  de  musique  et  de  déclama- 
tion de  la  rue  Charras  viennent  de  se  terminer,  et  ont  donné  les  résultats 
les  plus  satisfaisants.  Pour  la  déclamation,  le  jury,  présidé  par  M.  Edouard 
Ghavagnat,  se  composait  de  M''"  Bernage,  de  MM.  Lardoze,  Leneka,  Maury, 
Sarter,  Deval,  Desvalières,  Gildes  et  Hugonnet.  Un  deuxième  prix  de  tra- 
gédie a  été  décerné  à  l'unanimité  à  M.  Jarry  ;  M"«s  Roskidi  et  Bertin- 
champ  ont  obtenu  un  premier  accessit.  Pour  la  comédie  (hommes)  il  a 
été  attribué  un  deuxième  accessit  à  M.  Lemarchand,  et  pour  la  comédie 
(femmes)  un  premier  prix  à  M"=^  Roger  et  Barbier,  un  deuxième  prix  à 
M""*  du  Louez  et  Uaxel,  ainsi  qu'un  premier  accessit  àMiii^^Luce  Daxel  et 
Roskildi,  tous  élèves  de  M.  Sadi  Pety.  Le  piano  supérieur  avait  pour 
juges  :  M.  A.  Rabuteau,  président;  M""""*  Edouard  Lyon,  Elise  Leduc, 
MM.  Joncières,  Ravina,  Delioux,  Neustedt  et  A.  Benoit.  Morceau  d'exé- 
cution :  concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven.  M""=  Hardel  (élève  de  M.  Gha- 
vagnat) a  obtenu  un  premier  prix  à  l'unanimité;  un  premier  second  prix  a 
été  accordé  à  M"'"  Lundh  (élève  de  M^^s  Balutet),  Martin  et  Roger  (élèves 
de  M.  Ghavagnat),  et  un  premier  accessit  à  M"=  Legendre  (élève  de  M.  Gha- 
vagnat), et  à  M""=  Leroux  (élève  de  M"'  Hélène  Collin).  Le  concours  de 
chant,  présidé  par  M.  Ed.  Ghavagnat,  était  jugé  par  M""»  Fierens,  M"°  Cre- 
mer,  MM.  Vergnet,  Duc,  Renaud  et  Fournets.  Il  a  été  décerné  à  l'unani- 
mité un  premier  prix  à  M"=  'Vives  (élève  de  M,  Marcel);  un  second  prix  à 
M"'  Melcourt,  M'^"  Talboni  Richard  (élèves  de  M.  Marcel);  un  premier 
accessit  à  M^'^  Loumian  et  Henriette  Papillaud  (élèves  de  M.  Genevois); 
un  second  à  M"«  Donop  (élève  de  M"""^  Sallard),  et  Laval  (élève  de  M.  Ge- 
nevois). 

—  Dimanche  dernier,  la  Chambre  syndicale  de  l'horlogerie  de  Paris, 
présidée  par  M.  Floquet,  président  de  la  Chambre  des  députés,  a  distri- 
bué ses  récompenses  à  l'École  d'horlogerie  fondée  par  M.  Rodanet  ; 
cette  cérémonie  a  été  suivie  d'un  concert  dans  lequel  nous  avons  entendu 
le    duo   du     Crucifix    de    Faure,   chanté   par  M.  Houdin,  de  l'Opéra,   et 


M.  Gallois.  MM.  Goquelin   cadet,  Duchcsne,  de   l'Opéra-Gomique.  M'""  Te- 
brey  et  M.  Brun,  prêtaient  leurs  concours  à  cette  fête  de  famille. 

—  Constatons  le  succès  que  vient  de  remporter  M"«  Magdeleine  Barlels 
dans  une  séance  de  musique  de  chambre,  au  casino  de  Royan.  Au  pro- 
gramme, le  quintette  de  Sgambati,  plusieurs]pièces  de  Schumann  et  Men- 
delssohn, et  la  Valse  arabesque  de  M.  Th.  Lack,  à  laquelle  le  public  a  fait 
les  honneurs  du  bis.  Tous  nos  compliments  à  la  brillante  virtuose,  qui  a 
bien  voulu  ajouter  au  programme  Chant  d'amil,  du  même^auteur. 

—  Les  concerts  Vauban,  de  Lille,  si  bien  dirigés  par  M.  Oscar  Petit, 
continuent  leur  très  brillante  carrière.  Nous  relevons,  sur  les  derniers 
programmes,  les  noms  de  M"°  Antoinette  Bot,  lauiéate  du  Conserva- 
toire de  Lille,  qui  a  fort  bien  chanté  l'air  de  Suzanne,  de  Paladilhe,  de 
M""  Archainbaud,  de  la  Monnaie,  très  applaudie  dans  le  bel  air  d'Hérodiade, 
de  Massenet,  et  enfin  celui  de  M.  Duo,  le  brillant  ténor  de  l'Opéra,  auquel 
on  a  fait  d'interminables  ovations  après  sa  remarquable  interprétation 
des  deux  airs  du  Mage  :  «  Soulève  l'ombre  de  ces  voiles  »  et  «  Heureux 
celui  dont  la  vie.  » 

—  On  nous  signale  de  Versailles,  comme  véritablement  artistique,  la 
matinée  donnée  l'autre  dimanche  par  M"=  Laure  Taconet,  l'excellent 
professeur,  élève  elle-même  de  M"'  'Viardot,  avec  le  concours  de  MM.  Dé- 
rivis,  Loys  et  Brun.  Qn  a  fêté  M"=  Taconet  comme  pianiste  et  comme  can- 
tatrice. Puis,  ses  nombreuses  élèves,  formant  un  chœur  des  plus  gracieux, 
lui  ont  donné  la  réplique  dans  diverses  scènes  de  M"=  Chaminade,  de 
MM.  Th.  Dubois,  Widor  et  Charles  Lefebvre,  que  les  auteurs  dirigeaient 
ou  accompagnaient  eux-mêmes. 

—  L'Académie  de  tnusique  de  Toulouse  ouvre,  pour  l'année  1S9'2,  une 
série  de  concours  décomposition  dont  voici  le  programme.  N°  1.  Trio  pour 
piano,  violon  et  violoncelle  eu  quatre  parties;  —  N°  2.  Magnificat  pour 
soprano,  contralto,  ténor  et  basse,  avec  orchestre,  soli  et  chœurs;  — 
N"  3.  Solo  de  concert  pour  flûte,  avec  accompagnement  de  piano  ;  —  N"  4. 
Sclierzo  pour  deux  pianos;  —  N"  b.  Nocturne  pour  violon  avec  accompagne- 
ment de  piano;  —  N"  6.  Mélodie  pour  chant  et  violon  obligé,  avec  accom- 
pagnement de  piano;  — N^T.  Un  Libretlo  de  la  durée  d'un  acte.  Sujet  libre, 
ainsi  que  le  nombre  de  personnages.  —  Les  manuscrits  devront  être  en- 
voyés franco  jusqu'au  .31  mars  1892  inclus,  au  siège  social,  72,  rue  de  la 
Pomme,  Toulouse,  à  M.  le  Secrétaire  général  de  l'Académie  (sans  nom  de 
personnes),  qui  fournira  aux  concurrents  tous  les  renseignements  néces- 
saires et  le  règlement  du  concours. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'apprendre  la  mort  de  M.  Pierre-René  Hirsch, 
à  l'âge  de  21  ans,  lauréat  du  Conservatoire,  où  il  avait  obtenu  plusieurs 
premiers  prix;  virtuose  souvent  applaudi,  il  avait  fait  paraître  déjà  des 
compositions  et  aussi  des  essais  littéraires  qui  promettaient  à  la  musique 
et  à  la  poésie  de  belles  œuvres. 

—  On  lit  dans  la  Gironde  :  «  Nous  apprenons  avec  un  vif  regret  la  mort 
subite  de  M.  Gobert,  l'éminent  directeur  de  notre  Conservatoire  et  de  la 
Société  Sainte-Cécile.  M.  Henri  Gobert  était  né  à  Liège  en  1831.  Après 
avoir  remporté  le  premier  prix  de  violon  et  d'harmonie  au  Conservatoire 
de  cette  ville,  il  devint  violon  solo  au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux,  qu'il 
quitta  pour  aller  occuper  les  mêmes  fonctions  au  Grand-Théâtre  de  Lille. 
Il  fut  également  premier  violon  au  Théâtre-Lyrique  de  Paris  et  au  théâtre 
des  Italiens,  puis  violon  solo  et  sous-chef  des  concerts  Besselièvre  et 
du  Casino  Cadet,  à  Paris.  M.  Gobert  continua  sa  carrière  parla  direction  du 
Casino  de  Bagnères-de-Bigorre,  où  il  était  en  même  temps  chef  d'orchestre, 
et  par  celle  du  Casino  Gassion,  de  Pau,  et  du  Casino  de  Biarritz.  Enfin, 
il  était  directeur  à  Sainte-Cécile  depuis  1883.  La  nouvelle  imprévue  de  la 
mort  de  M.  Gobert  a  causé  une  douloureuse  émotion  dans  Bordeaux,  où  il 
était  très  estimé  et  très  aimé.  Frappé  par  la  mort  subite  du  directeur 
de  son  Conservatoire,  le  comité  a  décidé  que  la  solennité  de  la  distri- 
bution des  prix,  qui  devait  avoir  lieu  aujourd'hui  dimanche,  ne  sera  pas 
faite  cettte  année.  Les  diplômes  seront  tenus  à  la  disposition  des  lauréats, 
au  siège  de  la  Société. 

—  De  Nice  on  annonce  la  mort  de  M.  Joseph  Gouirand,  e.x-chef  de 
musique  d'artillerie,  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  M.  Gouirand  avait 
écrit  beaucoup  pour  les  harmonies  militaires,  et  de  nombreuses  œuvres 
de  lui  sont  au  répertoire  des  bonnes  sociétés.  Depuis  longtemps  il  souf- 
frait d'une  terrible  maladie,  et  il  s'était  réfugié  à  Nice,  croyant  que  le 
climat  l'aiderait  à  triompher  du  mal, 

—  On  signale,  de  Gênes,  le  suicide,  à  l'âge  de  52  ans,  de  Carlo  Erba, 
contrebassiste  au  théâtre  Gaiio-Felice. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

DRESDE.—  Conservatoire  royal  de  musique  et  de  théâtre.—  Le  1=''  sep- 
tembre nouveaux  cours;  entrée  également  à  toute  autre  date,  ia  branches 
d'enseignement,  763  élèves  (1890-91),  87  professeurs,  entre  autres:  Dœring, 
Draeseke,  Gruetzmacher,  Krantz,  Rappoldi,  Scharpe,  Mi"=Orgeni,  M™  Otto 
Alosleben,  M"":  Rappoldi-Kahrer.  Prospectus  et  liste  des  professeurs  par  le  Pro- 
fesseur-Directeur KRANTZ. 


IMPHLIIEHIE  GnAIX,   20 


Dimanche  9  Août  1891 


3149  -  57-  xmm  -  ^°  32.         parait  tous  les  dimanches 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemend 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  La  Distribution  des  Prix  au  Conservatoire,  AuTHun  Pougin.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Tamihiiuser  à  Bajreuth,  Julien  Tiersot  ;  reprise  de  Jeanne  d'Arc  à 
l'Hippodrome,  Paul-Ésiile-Chevalieh.  —  III.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour, 
une 

MÉLODIE 

de  Alph.  'Duveknoy.  —  Suivra  immédiatement  :  Un  baiser,  nouvelle  mélodie 
de  Charles   Gkisart,   poésie   de  Le   Lassen   de  Rauzav. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Marie-Louise,  gavotte  de  Gh.  Neustedt.  —  Suivra  immédiate- 
ment: L'Étudiant  en  goguette,  nouvelle  marche  de  Philippe  Fahrrach. 


DISTRIBUTION  DES  PRIX 


C'est  lundi  dernier  qu'a  eu  liea  au  Conservatoire,  avec  le  cérémo- 
nial et  l'éclat  accoulutnés,  la  distribution  des  prix  aux  élèves  cou- 
ronnés dans  les  derniers  concours.  C'est  toujours  là  une  séance  par- 
ticulièrement intéressante  et  instructive,  à  laquelle  il  n'est  pas  besoin 
de  le  dire,  tout  le  monde  accourt  avec  empressement.  Tout  d'abord, 
il  y  a  le  discours  officiel,  dans  lequel  se  trouvent  généralement 
d'excellentes  choses;  et  quand  ce  discours  émane  d'un  esprit  avisé 
et  aiguisé  comme  celui  de  M.  Larroumet,  d'un  esprit  h  la  fois  libre 
et  chercheur,  exempt  de  certaines  routines  tout  en  restant  attaché 
aux  plus  nobles  traditions  et  s'eflforçant  judicieusement  de  relier 
celles-ci  aux  progrès  rationnels  qu'exigent  l'évolution  incessante  de 
l'art  et  sa  marche  vers  un  idéal  toujours  plus  élevé,  on  peut  être 
certain  d'avance  qu'il  abondera  en  aperçus  piquants,  en  vues  ingé- 
nieuses, en  remarques  pleines  de  sens  et  en  conseils  pratiques 
d'une  véritable  valeur.  C'est  en  efifet  ce  qui  s'est  produit  cette  fois 
encore,  dans  le  dernier  discours  que  M.  Larroumet  prononçait  en 
celte  circonstance,  —  car,  comme  on  le  verra,  M.  le  directeur  acluel 
des  Beaux-Arts  a  saisi  cette  occasion  pour  annoncer  à  son  auditoire 
qu'il  résignait  ses  fonctions  pour  reprendre  le  cours  de  sa  carrière 
universitaire,  interrompue  depuis  quelques  années.  On  regrettera  la 
parole  chaude,  jeune  et  imagée  de  M.  Larroumet. 

Puis  il  y  a  le  concert  qui  suit  la  distribution,  et  qui  offre  un  in- 
térêt tout  spécial,  en  ce  sens  qu'on  peut  juger  plus  librement  et 
d'une  façon  plus  certaine  les  jeunes  artistes  qui  s'y  font  entendre. 
Ceux-ci,  en  possession  de  tous  leurs  moyens,  n'étant  plus  sous  le 
coup  de  l'émotion  de  la  grande  épreuve,  heureux  de  leur  succès  et 
délivrés  de  la  crainte  d'un  échec  possible,  se  montrent  vraiment  ce 
qu'ils  sont  et  déploient  leur  habileté,  on  peut  souvent  dire  leur 
talent,  dans  tout  son  éclat.  Aussi  est-ce  là  surtout  qu'on  peut  voir 
réellement  ce  dont  ils  sont  capables.  Voilà  pourquoi,  je  le  répète, 
cette  séance  est  instructive,  je  dirais  volontiers  suggestive,  si  l'on 
ne  commençait  à  abuser  un  peu  de  trop  de  cette  expression. 


Elle  était,  cette  fois  encore,  présidée  par  M.  Larroumet,  assisté  de 
M.  Ambroise  Thomas,  directeur  du  Conservatoire,  et  de  M.  des  Cha- 
pelles, chef  du  bureau  des  théâtres.  A  ses  côtés  avaient  pris  place 
M.  Ernest  Guiraud,  le  nouveau  membre  de  l'Institut,  M.  Carvalho, 
directeur  de  l'Opéra-Comique,  M.  Gailhard,  directeur  de  la  scène  de 
l'Opéra,  M.  Emile  Réty,  chet  du  secrélariat  du  Conservatoire,  et  sur 
l'estrade  les  membres  des  comités  des  études  et  le  personnel  des  pro- 
fesseurs, presque  au  grand  complet. 

Voici  le  texte  entier  du  discours  de  M.  le  Directeur  des  Beaux- 
Arts  ; 

Mesdemoiselles  et  messieurs, 

Depuis  que  j'ai  l'honneur  de  vous  distribuer  vos  récompenses  annuelles, 
je  n'ai  jamais  plus  vivement  ni  plus  sincèrement  désiré  qu'aujourd'hui 
m'aoquitter  de  ce  devoir  en  vous  adressant  quelques  conseils  utiles  et 
d'une  impression  durable.  C'est  la  dernière  fois,  en  effet,  que  je  pourrai 
vous  témoigner  officiellement  mon  intérêt.  A  la  veille  de  reprendre  une 
carrière  que  j'avais  interrompue  avec  l'intention  arrêtée  d'y  revenir,  je 
remercie  le  ministre  de  m'avoir  délégué  la  présidence  de  cette  cérémonie. 
C'est  ici  que  j'avais  commencé  l'exercice  public  de  ma  fonction;  au  mo- 
ment de  la  quitter,  il  m'est  particulièrement  agréable  de  pouvoir  attester 
encore  une  fois  ma  conviction  protonde  des  services  que  le  Conservatoire 
rend  à  l'enseignement  et  à  l'art  dans  notre  pays. 

Vous  me  reprocheriez  de  ne  pas  joindre  au  témoignage  de  mon  estime 
pour  la  maison  celui  de  mon  affectueux  attachement  pour  le  maître  illustre 
qui  la  dirige.  Dès  le  premier  jour,  M.  Ambroise  Thomas  m'avait  traité 
en  ami  ;  cette  amitié,  de  plus  en  plus  cordiale  de  sa  part,  de  plus  en  plus 
reconnaissante  de  la  mienne,  a  rendu  ma  tâche  facile.  Le  plus  grand 
honneur  attaché  aux  fonctions  d'un  directeur  des  beaux-arts,  c'est  de 
compter  parmi  ses  collaborateurs,  comme  chefs  des  grandes  écoles  dont  la 
haute  direction  lui  est  confiée,  des  maîtres  qui  sont  en  même  temps  la 
gloire  artistique  du  pays.  Travailler  à  une  œuvre  commune  avec  des 
hommes  tels  que  M.  Hébert  et  M.  Guillaume  à  l'Académie  de  France, 
M.  Paul  Dubois  à  l'École  des  beaux-arts,  M.  Ambroise  Thomas  au  Con- 
servatoire, c'est  de  quoi  alléger  les  plus  lourdes  taches  et  compenser 
quelques  ennuis.  Je  vous  remercie,  mon  cher  maître,  et  je  suis  heureux 
de  pouvoir  attester  ici  ma  reconnaissance  envers  vous. 

Ge  n'est  que  justice  de  déclarer  les  mêmes  sentiments  pour  ceux  qui 
composent  les  corps  enseignants  de  ces  écoles.  Des  hommes,  dont  beau- 
coup jouissent  d'une  réputation  européenne,  tiennent  à  honneur  de  former 
des  jeunes  gens  aux  premiers  éléments  de  leur  art:  avec  le  désintéresse- 
ment qui  est  la  première  vertu  de  tout  professeur  dans  notre  pays,  ils 
acceptent  l'obligation  la  plus  laborieuse,  je  crois,  qu'il  y  ait  au  monde. 
Vous  n'aurez  jamais  trop  de  gratitude  pour  eux,  mes  chers  amis,  et  sur- 
tout vous  ne  les  écouterez  jamais  avec  une  déférence  trop  docile.  C'est 
pour  vous  un  devoir  ;  c'est  aussi  une  nécessité  au  moment  où  vous  allez 
entrer  à  votre  tour  dans  la  carrière  qui  les  a  illustrés. 

Car  l'heure  présente  n'est  pas  sans  danger  pour  les  jeunes  artistes  et  ils 
rencontrent,  dès  leurs  débuts,  un  redoutable  écueil.  La  musique  et  le  théâ- 
tre, comme  la  peinture  et  la  sculpture,  comme  les  lettres,  traversent  une 
période  de  transition  et  de  crise.  Un  besoin  de  nouveauté,  c'est-à-dire, 
je  suis  des  premiers  à  le  reconnaître,  d'observation  plus  profonde,  de 
vérité  plus  exacte  et  de  liberté  plus  hardie,  les  trouble  et  les  tourmente. 
J'ai  la  ferme  conviction  que,  de  cette  fièvre,  sortira  le  calme  d'une  pro- 
duction riche  et  durable;  mais,  en  attendant,  bien  des  choses  sont  atta- 
quées qui  méritent  d'être  défendues,  beaucoup  sont  niées  dont  la  vérité 
est  éternelle.  Le  désir  de  la  nouveauté  est  l'aiguillon  nécessaire  de  chaque 
génération;  mais  il  est  des  principes  qu'on  ne  saurait  changer,  car  ils 
comptent  parmi    les   nécessités  primordiales  de   la  nature  humaine,   et. 


2d0 


LE  MÉNESTREL 


aussi  longtemps  que  les  hommes  seront  des  hommes,  il  faudra  bien  s'y 
soumettre.  Or,  vous  entendez  discuter  ces  principes,  —  très  élémentaires 
et  très  simples,  pour  la  plupart,  car  ils  résultent  du  sens  commun  éclairé 
par  l'expérience,  —  avec  une  assurance  et  une  vivacité  de  nature  à  vous 
abuser  étrangement. 

On  vous  déclare,  d'abord,  qu'il  est  non  seulement  inutile  mais  nuisible 
d'avoir  les  qualités  de  l'élève  avant  de  devenir  un  maître:  que  le  talent, 
le  génie,  sont  choses  rebelles  à  toute  culture  ;  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
d'apprendre  la  grammaire  et  l'orthographe  d'un  art  avant  de  le  pratiquer 
et  que  ces  qualités  modestes,  qui  s'appellent  la  correction  et  la  justesse, 
constituent  simplement  une  médiocrité  incurable.  On  vous  pousse  donc  à 
dégager  au  plus  tôt  les  qualités  éminentes,  que  l'on  vous  suppose,  d'une 
discipline  qui  met  en  péril  leur  originalité.  Cette  originalité  consisterait, 
premièrement  à  n'imiter  personne,  puis  à  montrer  du  nouveau  à  notre 
siècle  finissant  et  blasé. 

Or,  par  une  contradiction  singulière,  il  se  trouve  que  jamais  le  désir 
de  recruter  des  disciples  et  de  faire  école  n'a  été  plus  vif  qu'au  temps 
présent.  Il  n'est  si  mince  théoricien  et  si  pauvre  d'idées  qui  ne  vise  à 
constituer  autour  de  lui  un  cénacle  de  talents  dociles,  à  diriger  l'opinion 
et  à  se  constituer  le  pontife  d'une  religion  intolérante. 

Pour  vous,  mesdemoiselles  et  messieurs,  vous  êtes  l'objet  d'une  atten- 
tion particulière,  privilège  flatteur  de  l'art  que  vous  allez  pratiquer.  Cet 
art  est  celui  qui  s'adresse  le  plus  directement  au  public  et  qui,  pour  divers 
motifs,  sollicite  son  attention  et  son  intérêt  de  la  manière  la  plus  immé- 
diate et  la  plus  pressante.  On  s'efforce  donc  avec  insistance  de  vous 
gagner  aux  idées  nouvelles.  Prenez  garde  et  réfléchissez  bien  avant  de 
courir  les  aventures  à  la  suite  de  guides  qui  n'ont  rien  à  perdre,  tandis 
que  vous  jouez,  vous,  tout  votre  avenir. 

Pendant  longtemps,  il  était  admis  qu'un  futur  comédien  ou  un  futur 
chanteur  doit  apprendre  à  dire  et  à  chanter  juste.  Or,  ou  vous  conseille 
surtout  de  jouer,  ce  qui  est  impossible  ici,  et  de  crier, ce  qui  est  blâmable 
partout.  L'art  à  la  mode  consisterait,  pour  le  comédien,  à  parler  de  dos, 
dans  l'obscurité,  au  milieu  de  beaucoup  d'accessoires,  en  disant  d'une 
voix  peu  distincte  des  choses  très  fortes.  Le  chanteur,  au  contraire,  devrait 
s'efîorcer  de  surprendre  l'oreille  en  dominant,  par  une  série  d'escalades 
vocales,  une  orchestration  généralement  bruyante.  Conseils  contradictoires 
mais  également  périlleux.  Je  crois  que  l'auditeur  ne  se  résignera  jamais 
à  souffrir  avec  le  chanteur  et  que  le  spectateur  voudra  toujours  voir  en 
face  et  entendre  sans  effort  celui   qui  prétend  lui  dire  quelque  chose. 

On  vous  demande  aussi  d'apporter  dans  chaque  œuvre  une  interprétation 
personnelle  et  d'en  faire  sortir  ce  que  personne  avant  vous  n'y  avait  su 
trouver;  rôles  du  répertoire  ou  créations  nouvelles,  on  vous  demande  de 
nous  les  montrer  sous  un  aspect  imprévu.  Je  suis,  je  l'avoue,  pour  l'an- 
cien système,  qui  subordonne  modestement  l'interprète  à  l'œuvre  et  qui  le 
tient  quitte  lorsqu'il  l'a  rendue  telle  que  l'auteur  l'a  conçue,  sans  rien 
ajouter,  sans  rien  retrancher,  dans  l'exacte  vérité  des  indications  fournies 
par  l'œuvre  elle-même.  On  nous  dit  bien  que  tel  acteur  de  génie  a  fait  il- 
lusion sur  des  pièces  médiocres  par  une  création  divine,  c'est-à-dire  qu'il 
tirait  tout  de  rien  ou  de  peu  de  chose.  Je  veux  le  croire,  mais  ce  genre 
d'interprétation  est  à  la  portée  d'un  très  petit  nombre  et  il  est  sage  de  ne 
pas  trop  y  viser,  ni  surtout  de  trop  bonne  heure. 

Enfin,  on  demande  au  Conservatoire  de  produire  en  grand  nombre  des 
artistes  parfaits  et  on  critique  avec  une  sévérité  particulière  tout  ce  qui 
s'y  fait;  d'autre  part,  le  plus  grand  prix  s'attache  aux  récompenses  qu'il 
décerne  et  aux  privilèges  qu'il  confère.  Il  y  a  là  une  contradiction  qui 
risquerait  de  vous  abuser,  si  vous  n'aviez,  vous,  et  c'est  là  votre  honneur 
comme  votre  sauvegarde,  la  conviction  profonde  que  vos  maîtres  sont  de 
premier  ordre  et  vos  exercices  excellents.  Jusqu'à  ce  qu'on  nous  ait  révélé 
des  méthodes  nouvelles  de  chant  ou  de  déclamation,  nous  nous  en  tenons 
aux  anciennes,  uniformes  dans  leurs  principes,  variées  par  l'originalité 
propre  de  chaque  maitre  et  qui  ont  fait  leurs  preuves  par  le  très  grand 
nombre  d'artistes  excellents  qu'elles  ont  produit.  Je  constate  que,  sauf 
exceptions  bien  rares,  tous  ceux  qui,  depuis  un  siècle,  ont  marqué  dans 
l'art  lyrique  ou  dramatique  ont  étudié  ici  et  qu'il  y  a  lieu  do  défendre, 
de  maintenir,  d'améliorer  une  maison  je  ne  dis  pas  utile,  mais  indispen- 
sable. Tous  nos  prédécesseurs  ont  essayé  de  la  perfectionner,  d'après  l'ex- 
périence acquise  et  les  besoins  constatés;  nous  avons  fait  comme  eux; 
nos  successeurs  feront  comme  nous  et  le  Conservatoire,  —  où  la  réforme 
la  plus  urgente,  je  crois,  consisterait  à  reconstruire  les  bâtiments  avant 
qu'ils  s'écroulent,  —  demeurera  ce  qu'il  est  pour  l'honneur  de  l'art  fran- 
çais, une  de  nos  maisons  d'étude  les  mieux  conçues,  les  plus  fortes  et  les 
plus  laborieuses. 

Messieurs,  la  période  qui  s'est  écoulée  depuis  notre  réunion  annuelle  a 
été  particulièrement  cruelle  pour  les  artistes  français,  et  je  dois  rappeler 
brièvement  les  regrets  douloureux  que  tant  de  pertes  nous  ont  laissés. 
L'art  dramatique  a  perdu  l'écrivain  exquis  et  fort  qu'était  Octave  Feuillet; 
la  Comédie-Française  n'oubliera  de  longtemps  ce  que  la  mort  lui  a  pris  de 
jeunesse  et  de  force  comique  en  la  personne  de  Jeanne  Samary,  de  bonne 
humeur  et  d'aimable  franchise  avec  Céline  Montaland.  Ilosine  Bloch 
venait  de  créer  Samson  et  Dalila  avec  une  autorité  et  une  force  des  plus 
méritoires,  lorsqu'elle  a  été  frappée  en  plein  talent.  Parmi  vos  maîtres, 
vous  regrettez  Léo  Delibes,  le  professeur  dévoué  et  l'artiste  gracieux  dont 
la  mémoire  survit  par  tant  d'élèves  excellents  et  tant  d'œuvres  si  françaises; 
César  Franck  qui  occupe  une  place  d'honneur  dans   l'évolution   contem- 


poraine de  la  musi(iue  par  la  sincérité  et  la  nouveauté  de  son  inspiration; 
Ponchard  dont  le  modeste  et  long  dévouement  sur  la  scène  de  l'Opéra- 
Gomique  avait  fait  le  collaborateur  de  tant  d'œuvres  applaudies  ;  Auguste 
Bazille,  Mohr,  M""'  Marquet,  professeurs  excellents  et  appréciés. 
■  En  revanche,  le  temps  a  fait  des  gloires  avec  des  deuils  plus  anciens. 
Le  grand -nom  d'Hector  Berlioz  a  reçu  dans  son  pays  natal,  à  la  Côte- 
Saint-André,  par  les  soins  du  ministre  des  beaux-arts,  une  consécration 
qui  complète  celle  que  Paris  lui  avait  assurée  déjà.  La  presse,  le  public 
parisien  et  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  se  sont  associés  pour  rendre  à 
Georges  Bizet,  désormais  admis  au  rang  des  maîtres  incontestés,  l'hon- 
neur national  que  mérite  l'auteur  des  Pêcheurs  de  perles  et  de  Carmen. 

Après  une  longue  carrière,  où  il  a  prodigué  son  labeur,  en  méritant 
l'estime  et  la  reconnaissance  de  tous  ceux  qui  ont  servi  l'art  avec  lui, 
M.  Edouard  Thierry  a  voulu  résigner  les  fonctions  qu'il  remplissait  dans 
les  conseils  du  Conservatoire  et  jouir  enfin  d'un  repos  bien  mérité  ;  nous 
lui  adressons,  dans  sa  retraite,  l'expression  de  notre  gratitude  et  nous 
souhaitons  la  bienvenue  à  son  successeur,  un  de  vos  maîtres  les  plus  ap- 
préciés, un  confrère  aimé  de  tous,  M.  Henri  de  Lapommerave. 

Un  autre  de  vos  maîtres,  M.  Ernest  Guiraud,  a  reçu  de  ses  pairs  le  plus 
grand  honneur  que  leur  suffrage  puisse  conférer  à  un  artiste.  Je  n'ai  pas 
le  droit  de  dire  tout  le  prix  qui  s'y  attache,  mais  je  félicite  cordialement 
mon  cher  et  éminent  confrère  de  son  élection  à  l'Institut. 

Une  importante  libéralité  est  venue  s'ajouter  à  toutes  celles  que  de 
généreux  donateurs  consacrent  à  l'art  français.  Tout  récemment  le  secré- 
taire perpétuel  de  l'Académie  des  beaux-arts  donnait  lecture  à  la  Compa- 
gnie de  l'extrait  suivant  du  testament  laissé  par  M.  Joseph  Pinette,  de 
Versailles  : 

a  Désirant,  dit  le  testateur,  encourager  les  jeunes  gens  qui  se  consacrent 
à  la  composition  musicale,  et  voulant  les  aider  dans  les  débuts  difficiles 
de  leur  vie  d'études,  je  donne  et  lègue  à  titre  particulier,  à  l'Institut  de 
France,  la  somme  nécessaire  afin  de  constituer  12,000  francs  de  rente  sur 
l'État  français  3  0/0. 

»  Cette  rente  sera  divisée  en  quatre  parties  égales  de  3.000  francs 
chacune,  qui  seront  servies  durant  quatre  années  consécutives  aux  pen- 
sionnaires musiciens  de  l'Académie  de  France,  dès  qu'il  auront  terminé 
leur  temps  de  pension  tant  à  Rome  que  dans  les  autres  pays  qui  leur 
sont  indiqués  par  les  règlements.» 

Tout  remerciement  aU'aiblirait  l'impression  que  nous  laisse  une  aussi 
noble  pensée.  Grâce  à  M.  Pinette,  nos  jeunes  compositeurs,  dont  les 
débuts  sont  d'habitude  si  difficiles  et  leur  coûtent  inutilement  tant  de  cou- 
rage et  de  force,  pourront  préparer  leurs  premières  œuvres  dans  le  calme 
et  la  sécurité.  Ils  lui  devront  un  bienfait  égal  à  celui  que  leurs  camarades 
peintres  et  sculpteurs  reçoivent  de  M"'  de  Caen. 

Cette  année,  messieurs,  l'Etat  a  témoigné  d'une  façon  particulièrement 
flatteuse  et  libérale  sa  reconnaissance  envers  ceux  qui  servent  et  honorent 
l'art  français.  Si  M.  Camille  Doucet  a  reçu  la  plaque  de  grand  olHcier  dé 
la  Légion  d'honneur  comme  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  française, 
c'est-à-dire  pour  la  plus  haute  fonction  dont  un  homme  de  lettres  puisse 
être  investi,  nous  avons  le  droit  de  réclamer  comme  un  des  nôtres  l'au- 
teur dramatique  délicat  qui  honore  sa  profession  ;  quant  à  l'administration 
des  beaux-arts,  elle  ne  saurait  oublier  qu'elle  a  eu  l'honneur  de  le  compter 
au  nombre  de  ses  chefs  de  service. 

L'auteur  de  la  Fille  de  Roland  et  d'Attila,  que  nous  avons  applaudis,  et 
d'un  Mahomet  que  nous  avons  dû  nous  contenter  de  lire,  M.  Henri  de 
Bornier,  a  reçu  la  croix  d'officier  de  la  Légion  d'honneur,  en  récompense 
d'une  carrière  où  marque  un  des  plus  grands  succès  du  théâtre  contem- 
porain, et  qui  est  un -modèle  de  travail,  de  probité  artistique  et  de  dé- 
vouement à  la  l'orme  la  plus  élevée  et  la  plus  noble  de  l'art  dramatique. 
La  même  distinction,  conférée  à  M.  Ritt,  directeur  de  l'Opéra,  prouve  qu'en 
toutes  choses  l'Etat  s'efforce  de  faire  exacte  justice,  et  consacre  une  lon- 
gue suite  de  services  rendus  à  l'art  théâtral. 

Musicien  instruit  et  compositeur  ingénieux,  M.  Lacome  d'Estalenx  a 
reçu  la  croix  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  en  même  temps  que 
l'auteur  de  la  Basoche,  M.  Messager,  à  qui  nous  devons  une  preuve  nou- 
velle que  l'opéra-comique  français  est  un  genre  toujours  jeune  et  toujours 
fécond. 

Il  ne  me  reste  plus,  messieurs,  qu'à  proclamer  les  distinctions  que  le 
Président  de  la  République  et  le  ministre  des  beaux-arts  ont  bien  voulu 
me  charger  de  conférer  en  leur  nom. 

Par  décret  du  Président  de  la  République,  rendu  sur  la  proposition  du 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  en  date  du  1"'  août 
1891,  M.  Duvernoy  (Alphonse),  professeur  au  Conservatoire  national  de 
musique  et  de  déclamation,  est  nommé  chevalier  de  l'ordre  national  de  la 
Légion  d'honneur. 

Par  arréi.é  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
rendu  sur  la  proposition  du  directeur  des  beaux-arts,  sont  nommés  olflciers 
de  l'instruction  publique  : 

M.  Hasselmans,  professeur  de  harpe. 

M.  Warot,  professeur  de  chant, 

Sont  nommés  ofEciers  d'académie  : 

jjme  Devrainne,  professeur  agrégé  de  solfège. 

M""  Hardouin,  professeur  agrégé  de  solfège. 

Beaucoup  de  succès,  et  très  mérité  :  ce  discours  est  fréquemment 
interrompu  par  les    applaudissements.  Signalons   surtout,  sous    ce 


LE  MENESTREL 


251 


rapport,  l'hommage  bien  mérité  rendu  à  M,  Ambroise  Tliomas  et 
l'éloge  adressé  à  M.  Ernest  Guiraud  au  sujet  de  son  élection  à 
l'Institut.  Les  bravos  ont  éclaté  aussi  à  l'annoace  du  legs  si  intel- 
ligent et  si  généreux  de  M.  Pinette,  ainsi  que  lorsque  M.  Larrou- 
met  a  donné  l'accolade  a  M.  Alphonse  Duvernoy,  on  lui  remettant 
les  insignes  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Puis,  après  l'appel  des  lauréats  fait  d'une  voix  ferme  par  M.  de 
Max,  premier  prix  de  tragédie  et  de  comédie,  les  occupants  de 
l'estrade  se  sont  rendus  dans  la  loge  officielle,  les  élèves  ont  pris 
leur  place  habituelle  sur  les  bancs  de  l'orchestre,  et  le  concert  a 
commencé.  C'est  M""  Charmois  qui  a  ouvert  le  programme  en  exé- 
cutant avec  beaucoup  de  grâce  et  de  délicatesse  l'aliegro  de  con- 
cert de  M.  Guiraud  qui  avait  servi  de  morceau  de  concours  aux 
classes  féminines  de  piano.  Après  elle,  est  venu  le  jeune  Quanté, 
un  bambin  de  treize  ans  qui  a  exécuté  d'une  façon  vraiment  prodi- 
gieuse la  Fantasia  appassionata  de  Vieuxtemps,  avec  une  sûreté 
de  doigts,  une  justesse  d'intonation,  une  facilité  d'archet  absolu- 
ment surprenantes.  Il  faut  convenir  que  cet  enfant  est  doué  comme 
bien  peu,  et  que  l'avenir  semble  s'ouvrir  brillamment  devant  lui. 
Aussi,  quel  triomphe!  On  remarquait  d'ailleurs  à  son  sujet  ce  fait 
intéressant,  que  tandis  qu'il  obtenait  le  premier  prix  de  violon,  sa 
sœur  remportait  le  premier  prix  de  piano.  Un  des  grands  succès 
de  la  séance  a  été  aussi  pour  M"°  Lemeignan,  qui  a  chanté  l'air 
du  quatrième  acte  d'Hamlet  non  seulement  avec  une  virtuosité 
rare,  mais  avec  une  grâce,  un  goût,  un  sentiment,  une  délicatesse 
de  nuances  et  une  élégance  de  phrasé  qu'on  ne  saurait  trop  applau- 
dir chez  une  artiste  qui,  hier  encore,  n'était  qu'une  élève. 

Venaient  ensuite  les  scènes  dramatiques  qui  avaient  valu  à  leurs 
princijiaux  interprètes  les  honneurs  des  concours  :  la  scène  du 
2""°  acte  de  Bajazei,  avecM'"Dufrène,  qui  y  a  fait  preuve  de  vigueur, 
dans  le  rôle  de  Roxane,  MM.  de  Max  et  Lugné-Poé;  la  scène  du 
3°"=  acte  de  la  Princesse  Georges,  où  M"°  Dus  a  déployé  des  qualités 
vraiment  remarquables  et  fait  entendre  des  accents  d'une  tendresse 
touchante  ou  d'une  passion  intense;  enfin,  une  scène  de  Gringoirc 
de  Théodore  de  Banville,  qui  a  mis  en  relief  les  qualités  et  les  dé- 
fauts de  M.  de  Max;  il  me  semble  que  c'est  là  jouer  la  comédie  au 
rebours  du  sens  commun,  mais  non  pas  certes  au  rebours  de  l'intel- 
ligence, car  si  cela  est  faux,  et  je  le  crois,  cela  est  très  étudié  et, 
chose  singulière,  malgré  tout  très  curieux  et  très  intéressant.  La 
séance  s'est  terminée  par  la  belle  scène  du  l"  acte  du  Roi  de  Lahore, 
où  ont  brillé  M.  Grimaud  et  M"=  Issaurat.  Voilà  deux  sujets  qui 
sont  évidemment  tout  prêts  pour  la  scène.  M""  Issaurat,  qui,  sans 
être  jolie,  possède  une  physionomie  très  expressive,  qui  occupe  bien 
la  scène  et  dont  le  geste  est  remarquablement  juste,  a  dit  et  chanté 
toute  cette  scène  avec  une  incontestable  supériorité,  avec  un  goût, 
un  sentiment  vrais  et  une  sobriété  rare.  Il  me  semble  que  quand 
même  le  Conservatoire,  dont  les  ignorants  médisent  un  peu  trop,  et 
à  tort  aussi  bien  qu'à  travers,  n'aurait  produit  cette  année  que  les 
sujets  dont  je  viens  de  parler,  il  n'aurait  pas,  quoi  qu'on  en  puisse 
dire,  tout  à  fait  perdu  son  temps. 

Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THEATRALE 


TANNB.EUSER    A   BAYREUTH 

La  représentation  de  Tannhduser  à  Bayreulh  avait  excité  dans  le 
public  allemand  une  curiosité  très  vive,  et,  je  ne  crains  pas  de  le 
dire,  hors  de  proportion  avec  l'importance  de  l'événement.  Car 
c'était,  pour  ce  public,  un  événement  véritable,  une  date  dans  l'his- 
toire de  Bayreuth  :  non  qu'il  vît  dans  cette  introduction  d'une  des 
premières  œuvres  de  Wagner  un  changement  profond  de  la  manière 
■d'être  habituelle  du  théâtre;  il  ne  considérait  qu'une  chose  :  le 
plaisir  d'entendre  exécuter  sur  le  théâtre  modèle  une  de  ses  œuvres 
favorites . 

Il  n'y  a  pas  à  le  dissimuler,  en  elïet  :  bien  que  toutes  les  œuvres 
de  Wagner,  jusques  et  y  compris  la  tétralogie,  les  Maîtres  chan- 
teurs et  Tristan  et  Yseult  soient  au  répertoire  des  grands  théâtres 
allemands,  les  préférences  du  public  vont,  sans  conteste,  à  celles 
de  sa  jeunesse,  Tannhâuser  et  Lohengrin,  les  seules  qui  soient  réel- 
lement devenues  populaires.  En  constatant  cela,  je  ne  prétends 
exprimer  ni  un  regret  ni  une  surprise.  II  est  tout  naturel  que  des 
œuvres  se  rattachant  encore  au  passé,  imparfaitement  dégagées  des 
anciennes  formules,  d'une  valeur  d'ailleurs  incontestable,  aient  sé- 
duit le  public  de  préférence  à  celles  où  le  génie  du  maître,  ayant 
pris  son  essor  définitif,  s'élève   à  des  régions  inconnues,    inacces- 


sibles pour  la  généralité,  où  une  élite  seule  peut  parvenir  à  le 
suivre.  Mais,  à  côté  de  cette  observation  qui  est  d'une  portée  géné- 
rale, il  en  est  une  autre  qui  s'adresse  plus  particulièrement  au 
public  allemand.  Par  quelle  singularité,  tandis  qu'en  musique,  on 
littérature,  en  philosophie,  l'Allemagne  est  le  pays  qui  a  produit  les 
esprits  les  plus  transcendants,  les  plus  puissants  génies,  ceux  qui 
se  sont  élevés  aux  plus  hautes  altitudes  et  qui  ont  le  plus  contribué 
à  élever  l'esprit  de  l'humanité,  —  tout  au  contraire  l'ensemble  de 
la  nation,  les  classes  même  les  plus  éclairées  se  tiennent-elles  à  un 
niveau  de  médiocrité  bourgeoise  si  au-dessous  des  régions  aux- 
quelles atteignent  ses  grands  hommes?  Il  semble,  en  vérité,  que  le 
public  allemand  n'ait  pas  la  conscience  de  ces  hauteurs  auxquelles 
atteignent  des  hommes  sortis  de  lui  et  vivant  avec  lui,  et  surtout 
qu'il  ne  fasse  aucun  effort  pour  s'élever  à  leur  suite.  Et  voilà  qu'au 
contraire,  avec  des  tendances  natives  toutes  différentes,  mais  un 
esprit  vif,  une  intelligence  ouverte,  surtout  une  merveilleuse  faculté 
d'assimilation,  les  Français  perçoivent  clairement  et  rapidement  ce 
qui  échappe  à  la  grande  majorité  du  public  allemand,  et  que  ce 
sont  eux  qui  ont,  aujourd'hui,  le  sentiment  le  plus  juste  de  l'art 
wagnérien  dans  ce  qu'il  a  de  plus  avancé. 

Wagner,  déjà,  l'avait  remarqué  de  son  vivant  même,  et  il  s'en  est 
plus  d'une  fois  expliqué  nettement.  Même  après  l'échec  de  Tannhâuser 
à  Paris  en  18(31,  il  rend  pleine  justice  à  l'esprit  du  public  français, 
du  vrai  public  :  au  sujet  de  celte  trop  célèbre  représentation,  racon- 
tant à  un  ami,  dans  une  lettre  personnelle,  les  incidents  et  les  in- 
trigues au  milieu  desquelles  son  œuvre  s'était  trouvée  étouffée,  il 
écrit  :  «  Je  persiste,  au  contraire,  à  reconnaître  au  public  parisien 
des  qualités  très  sympathiques,  notamment  une  compréhension  très 
vive,  et  un  sentiment  de  la  justice  vraiment  généreux  »  (I).  Dans 
sa,  lettre  à  M.  Gabriel  Monod,  écrite  après  la  première  représentation 
de  l'Anneau  du  Niebelung  à  Bayreuth,  il  dit  :  «  Mes  représentations 
de  Bayreulh  ont  été  mieux  jugées,  et  avec  plus  d'intelligence,  par 
les  Anglais  et  les  Français  que  par  la  plus  grande  partie  de  la  presse 
allemande  »  (2).  Même  observation  au  sujet  de  l'accueil  fait  à  la 
première  représenlation  des  Maîtres  chanteurs  à  Munich  :  «  Chose 
singulière,  parmi  les  assistants,  ce  furent  quelques  Français  venus 
à  Munich  qui  se  montrèrent  le  plus  vivement  frappés  de  cet  élé- 
ment national  de  mon  œuvre  et  le  saluèrent  de  leurs  applaudisse- 
ments; au  contraire  rien  ne  trahit  une  impression  semblable  à 
l'observateur  de  la  portion  du  public  munichois  »  (3). 

Et  voilà  comment  les  Français,  devenus  les  plus  fermes  soutiens 
du  wagnérisme,  après  avoir  acclamé  avec  enthousiasme  Parsifal  et 
Tristan  et  Yseult,  ont  fait  assez  froid  accueil  à  Tannhduser,  tandis  que 
les  Allemands  venaient  chercher,  dans  la  représentation  de  cette 
œuvre,  leur  suprême  jouissance  !  Triste  sort,  en  vérité,  que  celui 
de  cette  malheureuse  partition  qui,  en  1861,  a  échoué  à  Paris  comme 
étant  trop  avancée,  et  qui,  maintenant,  laisse  complètement  froide  la 
partie  française  de  l'auditoire  parce  qu'elle  l'est  insuffisamment  ! 


Je  voudrais,  sans  chercher  à  me  lancer  dans  une  critique  transcen- 
dante, noter  au  passage  les  différentes  impressions  ressenties  soit 
par  le  public,  soit  par  moi-même,  au  cours  de  la  première  représen- 
tation de  Tannhâuser  à  Bayreulh.  Ce  sera,  je  pense,  la  meilleure  ma- 
nière d'apprécier  l'œuvre  et  d'en  connaître  le  succès. 

Comme  toujours,  la  représentation  est  annoncée  à  l'extérieur  par 
une  fanfare  exécutée  par  les  «  musiciens  de  ville  »,  et  dont  la  mu- 
sique est  tirée  de  l'acte  qu'on  va  représenter.  On  a  choisi,  pour 
Tannhâuser,  le  thème  de  la  fanfare  de  chasse  du  second  acte  ;  il  est 
exécuté  par  les  trompettes  seules  ;  par  une  innovation  qu'on  ne  sau- 
rait d'ailleurs  blâmer,  les  instruments  ne  se  bornent  pas,  comme 
pour  les  autres  ouvrages,  à  faire  entendre  un  thème  simplement  mé- 
lodique, mais  ils  exécutent  la  fanfare  en  parties  harmonisées  comme 
elle  est  écrite  pour  les  cors.  —  Au  second  acte,  nous  entendrons  la 
fanfare  d'entrée  de  la  marche  ;  an  troisième,  le  thème  du  récit  du 
voyage  à  Rome,  à  six-quatre. 

Le  public  entre  dans  la  salle,  bientôt  absolument  comble,  l'obs- 
curité se  fait,  et  l'ouverture  sort  de  l'orchestre  invisible,  dirigée  par 
M.  Mottl.  Elle  est  admirablement  jouée,  avec  un  sentiment  des 
nuances  absolument  parfait  et  une  souplesse  en  même  temps  qu'une 
précision  remarquables.  Déjà  cependant  il  nous  semble  que  quelques 
parties  intermédiaires,  écrites  en  vue  de  l'orchestre  ordinaire,  sont 


(1)  On  pourra  lire  le  passage  entier,  fort  intéressant,  mais  trop  long  pour  être 
reproduit  ici,  dans  le  volume  de  Sounenirs  de  Richard  Wagner,  traduits  par  Ca- 
mille Benoît,  p.  170  et  suivantes. 

(2)  R.  Wag.neii,  Souvenirs  traduits  pu'  Camille  Benoit,  p.  273. 

(3)  R.  Wagnek,  Musiciens,  poêles  et  pliilosophes ,  traduit  par  Camille  Benoît,  p.  292. 


25^ 


LE  MEiNESTlŒL 


un  peu  trop  atténuées  par  la  cloison  qui  cache  l'orchestre  aux  spec- 
tateurs, et,  plus  d'une  fois  encore,  il  y  aura  lieu  d'en  renouveler 
l'observation.  Ce  ne  sont  d'ailleurs  là  que  de  très  petits  détails,  rien 
d'important  ne  se  perd.  Après  la  seconde  reprise  de  l'ode  de  Tann- 
hauser  à  'Vénus,  chantée  par  les  violons  avec  un  élan  superbe,  alors 
que  les  thèmes  de  la  bacchanale  sont  joués  à  plein  orchestre,  avec 
le  plus  grand  éclat,  le  rideau  s'ouvre  sur  le  tableau  du  Vénusberg, 
l'ouverture  s'enchaînant  ainsi  à  la  première  scène  sans  finir  par  la 
reprise  du  chœur  des  pèlerins,  conformément  à  une  tradition  établie 
par  Wagner  pour  l'Opéra  de  Vienne;  el,  si  l'on  peut  regretter  de 
ne  pas  entendre  la  splendide  péroraison  que  nous  connaissons  (à 
cela  d'ailleurs  il  n'y  a  que  demi-mal,  puisque  l'ouverture  nous  reste 
dans  son  intégrité  comme  morceau  de  concert),  il  faut  convenir 
d'autre  part  que  ce  lever  de  rideau,  sur  la  partie  la  plus  éclatante 
de  la  symphonie,  est  d'un  grand  effet. 

Le  décor  est  bon,  bien  que,  par  endroits,  de  tons  unpeu  criards. 
Au  premier  plan,  Vénus  repose  sur  un  lit  formé  par  une  grande 
conque  ;  Tannhâuser  est  à  ses  pieds.  Toute  l'attention  est  attirée 
d'ailleurs  par  les  mouvements  de  la  danse  qui  s'agite  au  deuxième 
plan,  et  par  le  fond  du  tableau  représentant  un  lac  bleu  éclairé  de 
lumières  très  vives.  Les  danses  des  nymphes  et  des  naïades,  aux- 
quelles se  mèlenl  bientôt  les  satyres  et  les  bacchantes,  s'animent  de 
plus  en  plus  sans  que  les  groupes  sortent  jamais  d'un  espace  assez 
resserré,  au  second  plan,  et  aillent  jamais  jusqu'à  l'avant- scène, 
ce  qui  donne  une  impression  assez  heureuse  d'une  foule  grouillante 
et  d'un  mouvement  très  animé.  Au  moment  le  plus  tumultueux  de 
la  danse,  de  petits  Amours  que  l'on  avait  déjà  aperçus  à  gauche,  sur 
des  rochers,  s'enlèvent  soudain  jusqu'aux  frises,  tendent  leurs  arcs 
et  lancent  leurs  flèches  sur  les  personnagts  en  scène.  Ils  ont  l'air 
très  embarrassés,  les  pauvrets,  avec  leurs  petites  ailes  en  carton,  et 
aimeraient  bien  mieux  être  par  terre.  Heureusement  pour  eux  qu'un 
rideau  d'avant-scène  vient  cacher  tout  le  fond  du  tableau,  la  scène 
devant  prendre  peu  à  peu  un  caractère  moins  bruyant  et  plus  vo- 
luptueux. Trois  femmes,  fort  belles,  vêtues  de  longues  robes  antiques, 
—  les  trois  Grâces,  apparemment,  —  s'avancent  vers  Vénus  et 
Tannhâuser  toujours  immobiles  ;  puis  commencent  une  série  de  ta- 
bleaux vivants  sur  des  sujets  mythologiques,  que  les  femmes  (M"« 
Virginia  Zuechi,  qui  a  dirigé  toute  cette  partie  chorégraphique, 
n'était-elle  pas  une  de  ces  Grâces?)  commentent  par  leurs  gestes 
souples  et  harmonieux.  Le  premier  tableau  a  passé  très  vite  et  a 
été  généralement  mal  compris  :  quelque.s-uns  ont  cru  y  reccnnaitre 
l'enlèvement  d'Europe.  Le  second  était  Léda  :  une  femme  cou- 
chée au  milieu  du  tableau,  à  peu  près  dans  la  position  del'Antiope 
du  Titien,  mais  plus  vêtue;  le  cygne  entre  lentemeni,  s'avancejus- 
qu'à  la  hauteur  de  sa  poitrine,  fait  un  demi  à  gauche,  allonge  le 
cou,  la  toile  tombe,  un  léger  frémissement  court  dans  l'auditoire,  et 
les  trois  Grâces  continuent  à  prendre  des  poses  plastiques.  Pendant 
tout  ce  temps-lâ,  on  écoutait  peu  la  musique.  Puis  la  grotte  se 
montre  de  nouveau  tout  entière,  avec  les  lumières  bleues  qui  en 
éclairent  le  fond,  et  le  chant  des  sirènes  retentit  harmonieusement, 
tandis  que  l'orchestre  y  répond  par  ses  accents  les  plus  expressifs 
et  les  plus  voluptueux,  comme  ce  dessin  d'une  seule  mesure,  que 
le  violoncelle  et  le  violon  se  renvoient  l'un  à  l'autre  et  où  se  trouve 
déjà  l'embryon  d'un  des  plus  beaux  thèmes  d'amour  de  Tristan  et 
Yse.ult.  Les  trois  Grâces  s'éloignent,  l'orchestre  se  lait  peu  à  peu  et 
la  grotte  reste  occupée  seulement  par  Tannhâuser  et  par  Vénus. 

Toute  cette  scène  est  intéressante  assurément  et  est  peut-être  la 
plus  curieuse  de  l'œuvre  entière.  Pourtant,  s'il  faut  le  dire,  celte 
fantasmagorie  compliquée  est  loin  d'avoir  produit  une  impression 
analogue  à  celle  que  laissent  après  elles,  les  «  théories  »  impo- 
santes et  nobles  de  Parsifal,  ou  la  mise  en  scène,  si  bien  réglée 
dans  sa  simplicité,  de  Tristan  et  YseuU.  El  déjà  l'on  sent  qu'il  n'y  a 
pas  cohésion  parfaite,  équilibre  absolu  entre  la  musique  el  le  mou- 
vement scénique,  ce  dernier,  dans  cette  première  scène,  absorbant  la 
plus  grande  partie  de  l'attention. 

Celle  impression  s'accusera  encore  davantage  dans  les  scènes 
suivantes. 

C'est  d'abord  le  duo  de  Vénus  et  de  Tannhâuser,  avec  les  strophes 
du  chevalier  reprises  par  trois  fois,  sur  un  Ion  toujours  plus  élevé, 
beau  chant  qui  évoque  doublement  le  souvenir  de  Weber  :  d'abord 
par  sa  contexture  mélodique  qui,  sans  qu'il  y  ail  réminiscence 
proprement  dite,  et  par  la  simple  analogie  de  l'accent,  fait  songer 
au  chant  bien  connu  de  l'ouverture  d'Eunjanthe;  puis  par  la  situa- 
tion même,  qui  rappelle  celle  d'Adolar,  au  commencement  de  cette 
même  Euryantlie,  saisissant  sa  harpe  et  chantant  les  souvenirs  de  la 
(  patrie  lointaine,  de  la  bien-aimée  absente.  Vénus  répond  par  des 
phrases  dont  une,  au  moins,  est  expressive  :  c'est  celle  que  la  clari- 


nette a  déjà  fait  entendre  au  milieu  de  l'ouverture.  Mais  tout  cela 
est  relié  par  des  récitatifs  insiguifianl?,  à  la  manière  ancienne,  bien 
réellement  incompatible  avec  ces  nouvelles  formes  ;  les  dessous 
sont  peu  intéressants  ;  des  cadences  vulgaires  terminent  les  phrases 
de  chant;  enfin,  malgré  toutes  les  grandes  qualités  de  la  scène, 
on  n'est  pas  conquis,  entraîné,  comme  à  l'audition  des  autres  œuvres 
du  répertoire  de  Bayreuth. 

Le  décor  change  el  représenle  le  vallon  du  Hœrselberg,  au  pied 
de  la  Wartbourg.  Au  milieu  des  noirs  sapins,  des  bouleaux  aux 
tons  clairs,  des  chênes  à  l'abondante  et  verte  frondaison,  le  château 
s'élève  au  sommet  de  la  montagne.  Les  premiers  plans  sont  char- 
mantSj  pleins  de  fraîcheur  et  de  poésie  :  sur  la  toile  de  fond,  seu- 
lement, la  montagne  et  le  chàleau  ne  se  détachent  que  médiocre- 
ment, et  il  règne  sur  le  tout  un  certain  ton  jaune  qui  n'est  ni  natu- 
rel ni  agréable  à  l'œil.  Le  berger,  assis  sur  un  rocher  à  gauche  et 
tournanl  à  demi  le  dos  au  public,  joue  de  la  musette  et  chante  sa 
chanson.  Par  moments  on  entend  des  bruits  de  clochettes  de  trou- 
peaux, ce  qui  a  évidemment  pour  but  de  donner  une  impression  de 
vie  champêtre  et  pastorale,  mais  donne  tout  simplement  une  im- 
pression de  sons  faux  venant  déranger  le  rythme  de  la  chanson.  Je 
ne  pense  pas  que  cette  faute  de  gotit  soit  imputable  à  Wagner  : 
s'il  avait  voulu  un  accompagnement  de  clochettes  à  la  chanson  du 
berger,  il  l'aurait  probablement  écrit  ;  en  tout  cas,  il  n'en  a  pas 
commis  d'analogue  dans  aucune  autre  partie  de  son  œuvre. 

Le  berger  joue  de  la  musette  et  le  premier  chœur  des  pèlerins  se 
fait  entendre  au  dehors  ;  chaque  vers  est  suivi,  en  manière  de  ritour- 
nelle, par  une  reprise  ou  une  variante  du  chant  pastoral.  Les  pèle- 
rins entrent  par  le  fond  à  droite,  toujours  chantant,  ressortent  du 
même  côté  cl  s'éloignent  ;  leur  voix  se  perd  dans  le  lointain. 

A  ce  moment,  d'un  autre  côté,  et  toujours  au  loin,  retentit  une 
fanfare  de  cors.  Des  chasseurs  arrivent  en  scène,  on  se  retrouve,  on 
se  reconnaît,  et  l'on  attaque  un  septuor.  Le  morceau  se  déroule 
conformément  aux  règles  du  genre  :  d'abord,  premier  ensemble, 
dans  le  style  pathétique  ;  puis,  cantabile  par  le  baryton,  repris  en- 
semble par  tous  les  chanteurs,  le  chant  étant  fait  surtout  par  les 
violons  se  doublant  à  l'octave;  enflo,  allegro  final,  le  ténor  prend  le 
centre  de  la  file,  entouré  de  tous  les  autres  chanteurs  rangés  à  ses 
côtés,  trois  à  droite,  trois  à  gauche,  toutes  ces  voix  s'harmonisant 
du  mieux  qu'il  leur  est  possible,  pour  conclure  en  une  strelte  so- 
nore et  chaleureuse.  Lorsqu'ils  voient  que  cette  strelte  est  sur  le 
point  de  finir,  les  figurants  envahissent  le  théâtre  en  habits  de 
chasse  et  tenant  des  chiens  en  laisse  ;  sur  les  rochers,  des  deux 
côtés  de  la  scène,  des  joueurs  de  trompe  prennent  place,  trois  à 
droite,  trois  à  gauche;  ils  sonnent  une  fanfare,  d'abord  séparément, 
puis  ensemble,  l'orchestre  termine  par  des  accords  brillants  et  la 
toile  tombe...  non,  elle  se  ferme.  Elle  pourrait  tomber. 

A  ce  moment,  les  applaudissements  du  public  allemand  éclatent 
avec  une  chaleur  à  laquelle  ils  étaient  fort  loin  d'atteindre  à  la  repré- 
sentation de  rn'ston  e<  Kseit//.  Que  manque-t-il  à  son  bonheur,  à  ce 
public,  après  un  premier  acte  où  il  a  pu  tour  à  tour  contempler  un 
ballet  mythologique,  entendre  une  chanson  de  berger,  un  chœur  de 
pèlerins,  des  fanfares  de  chasse  et  un  septuor,  le  tout  terminé  par 
un  défilé  de  chiens,  sur  la  scène  où,  l'avant-veille,  s'avançait  len- 
tement, en  pas  cadencés,  le  cortège  des  chevaliers  du  Grâl  ! 

Il  faut  dire,  au  contraire,  que  parmi  les  Français  l'impression 
était  tout  autre  et  parfaitement  unanime.  Tous  s'accoidaient  pour 
dire  qu'ils  n'étaient  pas  venus  à  Bayreuth  pour  entendre  des  septuors, 
mais  bien  plutôt  pour  n'en  pas  entendre;  qu'apiès  les  soirées  de 
ravissement  complet,  absolu  de  Tristan  et  Yseult  et  de  Parsifal,  où 
même  les  plus  rebelles,  les  moins  préparés  à  entrer  du  premier  coup 
jusqu'au  fond  de  cet  art  complexe,  ne  pouvaient  se  défendre  d'une 
émotion  intense,  profonde,  quelle  que  fût  la  forme  sous  laquelle  elle 
se  manifestât,  une  représentation  comme  celle  de  Tannhâuser  ne 
pouvait  avoir  d'autre  avantage  que  de  reposer  l'esprit,  mais  qu'après 
tout  il  serait  plus  agréable  d'entendre  cette  œuvre  à  l'Opéra  de  Paris, 
où  elle  serait  beaucoup  mieux  à  sa  place,  où  on  la  pourrait  voir 
avec  moins  de  dérangement,  où  les  décors  seraient  d'un  meilleur 
goût  et  la  musique  probablement  mieux  chantée.  Car  si,  dans  la 
suite  du  lôle  de  Tannhâuser,  M.  Winkelmann  a  trouvé  de  beaux  ac- 
cents et  s'il  a  donné  au  personnage  une  physionomie  remarquable, 
il  faut  avouer  que  n'importe  lequel  de  nos  ténors  parisiens  chanterait 
avec  plus  de  charme  les  strophes  à  Vénus  de  la  première  scène  ;  et, 
malgré  toutes  les  qualités  de  M.  Reichmann,  j'avoue  qu'ayant  en- 
tendu M.  Faure  chanter  dans  les  concerts  de  Paris  les  principaux 
morceaux  de  Wolfram,  il  m'a  été  impossible  de  goûter  dans  ce  rôle 
le  chanteur  allemand. 
L'impression  s'est  sensiblement  améliorée  au  second  acte,  et  sur- 


LE  MENESTREL 


253 


tout  au  troisième,  qui  est  fort  beau,  et,  dans  son  genre,  intermé- 
diaire entre  l'ancien  opéra  et  le  drame  musical  moderne,  un  vrai 
chef-d'œuvre. 

Du  second,  je  ne  veux  citer  que  les  scènes  d'ensemble  dont  le 
concours  des  Minnesànger  forme  le  point  culminant.  D'abord  la 
marche,  dont  je  ne  parlerai  pas  au  point  de  vue  musical,  ne  fût-ce 
qu'à  cause  de  l'exécution,  qui  a  montré  que  l'orchestre  invisible  ne 
convient  pas  à  toute  musique  :  la  péroraison  y  a  perdu  tout  son 
éclat,  et  les  chœurs,  fails  pour  accompagner  l'orchestre  bien  plus 
que  pour  les  dominer,  en  étouffaient  complètement  les  parties  mélo- 
diques ;  mais  la  mise  en  scène  est  charmante,  pleine  de  vie  et 
d'originalilé.  Ce  n'est  pas  un  vulgaire  cortège  d'opéra.  Dans  la  grande 
salle  de  la  Wartbourg  où  le  combat  des  chanteurs  d'amour  va  se 
livrer,  le  landgrave  et  sa  nièce  attendent  les  invités.  A  la  première 
fanfare,  ils  prennent  place,  et  reçoivent  les  arrivants  avec  la  cour- 
toisie des  anciens  chevaliers  :  saluts,  présentations,  défilés  des 
groupes,  entrées  de  familles  nobles,  de  .seigneurs  de  province,  pour 
lesquels,  dans  la  monotonie  de  la  vie  de  château,  la  fête  du  land- 
grave est  une  distraciion  inespérée,  tout  ce  cérémonial  de  noble 
compagnie  occupe  la  scène,  et  de  la  façon  la  plus  heureuse,  pen- 
dant la  durée  de  la  marche,  à  la  fin  de  laquelle  tous  se  trouvent 
très  habilement  groupés  sur  des  gradins  occupant  la  droite  de  la 
scène.  Aussitôt  après  la  marche,  une  phrase  douce  et  largement  déve- 
loppée, une  des  plus  belles  mélodies  qu'ait  trouvées  Wagner,  accom- 
pagne l'entrée  des  chanteurs:  ils  se  présentent  ensemble,  portant 
leur  harpe  à  la  main,  personnages  historiques  pour  la  plupart. 
Tannhàuser,  type  peut-être  plus  légendaire  qae  réel,  dont  le  nom  s o 
trouve  pourtant  dans  les  anciennes  chroniques;  Wolfram  d'Eschen- 
bach,  le  plus  célèbre  des  poètes  allemands  du  moyen  âge  ;  Walter 
de  la  Vogelweide,  dont  il  est  question  dans  les  Maîtres  chanteurs, 
car  c'est  lui  qui  a  été  le  maître  et  le  modèle  du  héros  de  la  comédie, 
et,  sur  son  nom,  Beckmesser  se  livre  à  des  calembours...  alle- 
mands. Les  premières  formalités  du  concours  occupent  la  scène 
encore  un  instant  :  les  pages  font  circuler  une  coupe,  chacun  des 
concurrents  inscrit  son  nom  et  le  dépose,  on  tire  au  sort  pour  savoir 
qui  chantera  le  premier  :  petits  détails  de  la  vie  réelle  dans  lesquels 
Wagner  eicelle  et  qui  donnent  aux  scènes  beaucoup  de  mouve- 
ment et  de  réalité. 

Je  craignais  que  ce  concours  des  chanteurs  ne  parût  trop  long  à 
la  scène,  et  ne  lassât  l'attention,  d'autant  plus  que  toutes  ses  par- 
ties mélodiques  ne  sont  pas  de  première  qualité:  il  n'en  a  rien  été. 
La  scène  est  au  contraire  très  vivante  et  se  développe  avec  une 
animation  croissante  qui  en  soutient  constamment  l'intérêt.  Chaque 
fois  que  Tannhiiuser  prend  la  parole,  l'orchestre  fait  pressentir  le 
ton  et  l'accent  de  ses  chants  en  faisant  entendre  les  rythmes  les 
plus  caractéristiques  de  la  scène  de  Vénusberg;  dès  le  début  de  la 
scène,  il  paraît  être  en  proie  à  une  surexcitation  qui  grandit  sans 
cesse  ;  il  interpelle  les  autres  chanteurs,  il  les  défie  ;  et  c'est  plaisir 
de  voir  comment  ce  poète  décadent  du  treizième  siècle  s'évertue  à 
scandaliser  ses  auditeurs  naïfs  et  stupéfaits  :  cela  est  si  moderne! 
Ce  qui  l'est  moins,  par  exemple,  c'est  l'effet  produit  par  ses  paroles 
inconsidérées  sur  la  partie  féminine  de  son  auditoire:  aujourd'hui, 
elle  se  contenterait  de  se  cacher  derrière  les  éventails;  ici,  elle  se 
lève  indignée,  poussant  des  cris  d'horreur,  et  s'enfuit  au  plus  vite 
en  exécutant  un  mouvement  d'ensemble  qui,  admirablement  rendu, 
a  terminé  le  plus  heureusement  du  monde  cette  intéressante  résur- 
rection des  scènes  des  anciens  temps.  Il  y  a  bien  encore,  après 
cela,  un  finale,  fort  long  même,  et  dans  lequel  se  trouve  une  phrase 
admirable,  mais  qui,  comme  les  morceaux  du  premier  acte  ,  a  le 
défaut  de  rentrer  dans  le  cadre  de  l'opéra  ordinaire  et  de  ne  pas 
s'adapter  au  cadre  de  Bayreulh. 

Du  troisième  acte,  tous  les  morceaux  sont  connus  par  le  concert  : 
l'enti'acte,  le  récit  de  Wolfram  et  le  chœur  des  pèlerins,  la  prière 
d'Elisabeth,  très  touchante  d'accent,  mais  dont  les  dessous  sont  vrai- 
ment trop  peu  intéressants,  la  romance  de  l'étoile,  et  le  grand  et 
admirable  récit  de  Tannhàuser  au  retour  de  son  pèlerinage  à  Rome. 
Il  règne,  sur  tout  cela,  une  impression  profonde  de  tristesse,  de 
désespoir,  de  néant.  Mais  ce  qui  a  produit  peut-être  la  plus  grande 
impression,  c'est  la  scène  finale,  quand,  après  la  dernière  interven- 
tion de  Vénus,  le  cortège  funèbre  d'Elisabeth  s'avance,  accompagoé 
par  les  pèlerins:  Tannhàuser  tombe  à  genoux  et  expire  auprès  du 
cercueil  où  repose  celle  qui  est  morte  d'amour  pour  lui  ;  et  voilà 
'  qu'à  ce  moment  paraissent  d'autres  pèlerins  (des  voix  de  femmes) 
annonçant  que  le  miracle  est  accompli  et  que  le  pécheur  est  par- 
donné ;  et  elles  chantent  un  chœur  harmonieux  et  expressif,  où, 
chose  singulière,  on  peut  déjà  reconnaître  une  esquisse,  et  parfois 
fort  bien  formée,   des  plus  beaux  endroits  de  Parsifal!  Ce  sont  les 


mêmes  rythmes,  c'est  surtout  le  même  accent  mystique  et  élevé;  et, 
quand  ce  beau  chœur  est  achevé,  toutes  les  voix  d'hommes  repren- 
nent à  l'unisson,  accompagnées  à  plein  orchestre,  le  thème  du 
chœur  des  pèlerins.  C'est  une  conclusion  admirable  à  l'œuvre.  Je 
ne  sais  pourquoi,  en  l'entendant,  j'ai  pensé  tout  aussitôt  au  chant 
final  de  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz,  le  serment  de  réconciliation. 
Comme  ici,  c'est  le  même  sentiment  de  pardon  et  de  clémence,  la 
même  noblesse  de  forme  et  la  même  grandeur  d'inspiration. 

Que  l'œuvre  soit  belle  et  grande,  cela  n'est  donc  pas  en  question; 
mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai,  je  le  répète,  qu'elle  n'avait  rien  à  faire 
à  Bayreuth,  à  côté  de  Tristan  et  Yseult  et  de  Parsifal.  Elle  est  fort  bien 
à  sa  place  à  l'Opéra  de  Vienne  ou  de  Berlin;  elle  pourrait  l'être  à  celui 
de  Paris,  ou  dans  quelqu'une  de  nos  villes  de  province  qui  ont  déjà 
tenté  l'expérience  de  Lohengrin  —  bien  que  cette  dernière  œuvre  se 
rapproche  davantage  des  ouvrages  postérieurs  de  Wagner  et  marque 
sur  Tannhàuser  un  progrès  certain.  Qu'elle  reste  donc  au  répertoire, 
mais  qu'elle  ne  reparaisse  plus  à  Bayreuth.  Bayreuth,  en  effet,  n'est 
pas  un  théâtre  ordinaire  ;  c'est,  en  quelque  sorte,  un  théâtre  d'excep- 
tion. Il  est  fait  pour  un  certain  nombre  d'œuvres  qui,  précisément, 
ne  sauraient  trouver  leur  place  ailleurs.  On  ne  va  pas  à  Bayreuth 
comme  on  va  à  un  théâtre  quelconque,  le  soir,  pour  se  reposer  d'une 
journée  de  travail,  chercher  une  distraction  de  quelques  heures,  et 
n'y  plus  songer  après  ;  on  y  va  pour  trouver  des  impressions  tout 
à  fait  particulières,  qui  ne  peuvent  être  procurées  que  par  de  cer- 
taines œuvres  exécutées  dans  de  certaines  conditions.  J'avoue  que  je 
n'éprouve  aucun  désir  de  voir  Parsifal  ailleurs  qu'à  Bayreuth.  El  si, 
par  la  suite  des  temps,  il  prenait  fantaisie  à  quelque  directeur  de 
l'Opéra  de  monter  Tristan  et  Yseult,  fût-ce  avec  une  interprétation 
parfaite  et  dans  une  traduction  excellente,  je  crois  que  je  souffrirais 
beaucoup  de  l'entendre  au  milieu  du  public  habituel  de  l'endroit, 
arrivant  eu  retard,  causant  dans  les  loges,  et  lorgnant  la  salle,  en 
attendant  le  ballet,  qui  ne  viendrait  pas.  Il  y  a  des  choses  qu'il  ne 
faut  pas  songer  à  faire  venir  chez  soi,  mais  qu'il  faut  aller  chercher 
où  elles  se  trouvent.  Si  l'on  veut  voir  le  Mont  Blanc,  il  faut  aller 
soi-même  à  la  montagne,  ce  n'est  pas  la  montagne  qui  viendra  à 
nous.  De  même,  il  ne  faut  pas  songer  à  voir  les  grandes  œuvres  de 
Wagner  autre  part  que  dans  leur  cadre  approprié,  qui  leur  convient 
si  merveilleusement.  Mais,  par  contre,  il  ne  faut  pas  chercher  à  faire 
entrer  dans  ce  cadre  des  œuvres  qui  ne  sont  pas  de  taille  à  y  tenir. 
C'est  le  cas  pour  Tannhàuser,  dont  la  représentation  nous  a  démontré 
que  ce  n'est  pas  l'orchestre  invisible  ni  l'obscurité  dans  la  salle  qui 
font  le  vrai  Bayreuth,  mais  tout  simplement  les  œuvres  qu'on  y  a 
jusqu'ici  seules  représentées. 

Il  serait  injuste  de  terminer  cet  article  sans  citer  les  noms  des 
deux  principales  interprètes  des  rôles  de  femmes  à  la  première  de 
Tannhàuser  :  d'abord  M"""  Sucher,  l'admirable  Yseult,  non  moins 
remarquable  Vénus,  et,  bien  certainement,  une  des  plus  grandes 
artistes  que  j'ai  jamais  vues  au  théâtre  ;  puis,  dans  le  rôle  d'Elisa- 
beth, une  jeune  cantatrice  venue  des  pays  du  Nord  (Suède  ou  Dane- 
mark, je  ne  sais)  et  qui  a  donné  une  physionomie  très  expressive 
au  personnage,  dont  elle  a  de  même  interprété  la  partie  musicale 
avec  un  sentiment  très  juste  ;  elle  se  nomme  M""'  Wiborg. 

Julien  Tiersot. 

P. -S.  —  Ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  l'Hippodrome  a  repris, 
le  samedi  de  la  semaine  précédente,  la  Jeanne  d'Arc,  de  M.  Ch.-M. 
Widor.  Le  succès  fait  à  cette  reprise  a  dépassé  encore  celui  qui 
avait  accueilli  la  première  représentation  et  la  salle,  bondée  depuis 
le  bas  jusqu'en  haut,  a  confondu  dans  ses  bravos  frénétiques  et  le 
musicien,  dont  la  partition  contient  des  pages  de  premier  ordre,  et 
le  metteur  en  scène  qui  a  su  rendre  attrayants  et  captivants  ces 
trois  tableaux  si  mouvementés.  L'orchestre  de  M.  Wittmann  et  les 
chœurs  dirigés  par  M.  Georges  Marty,  bien  en  possession  de  la  partition 
de  M.  Cb.-M  .Widor,  ont  supérieurement  marché  et  contribué  pour 
leur  grande  part  au  très  grand  succès  de  la  représentation.  Voilà 
donc  l'Hippodrome  sûr  de  son  été,  car  si  cette  pantomime  de  Jeanne 
d'Arc  est  un  merveilleux  spectacle,  c'est  aussi  une  sublime  page  de 
notre  histoire  que  tous  les  Français  voudront  faire  applaudir  à 
leurs  enfants.  Paul-Emile  Chevaliek. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (6  août).  —  La  troupe,  renouve- 
lée, de  la  Monnaie  est  aujourd'hui  au  complet,  et  les  répétitions  vont 
bientôt  commencer.  Voici  les  noms  des  artistes  nouveaux,  parmi  lesquels 


LE  MENESTREL 


il  y  a  beaucoup  d'inconnus,  de  débutants  n'ayant  jamais  paru  sur  la  scène 
et  à  qui  la  direction  confie  cependant,  avec  quelque  audace,  les  premiers 
emplois.  Il  va  sans  dire  que  ces  débutants-là  sont  des  étrangers.  Gomme 
falcons,  ou  tout  au  moins  comme  chanteuses  de  caractère,  nous  avons 
M""  Dexter,  une  Américaine,  et  M""  Chrétien  ;  comme  chanteuses  légères 
d'opéra-comique.  M""  Darcelle  et  M"""  Smiths.  Vous  le  voyez,  ces  quatre 
principales  pensionnaires  de  la  Monnaie  sont  toutes  quatre  absolument 
inédites.  Elles  n'en  seront,  peut-être,  que  plus  intéressantes.  Le  nouveau 
contralto  est  M"''Benendès,  et  la  première  dugazon  M'i'=  Savine.  Puis,  dans 
les  emplois  secondaires,  M"=  Darcelle,  la  sœur  de  la  chanteuse  légère,  et 
M""^  Gorroy.  Du  côté  des  hommes,  M.  Leprestre,  le  ténor  d'opéra-comique 
très  applaudi  à  Rouen  l'année  dernière,  succède  à  M.  Delmas  ;  M.  Ramat, 
comme  basse  de  grand  opéra,  remplace  M.  Vérin,  et  M.  Seguin  succède 
à  M.  Bouvet.  La  direction  a  aussi  engagé  pour  doubler  M.  âentein,  comme 
basse  chantante,  M.  Danlée,  un  compatriote.  Les  artistes  qui  nous  restent 
de  l'an  dernier  sont,  je  vous  l'ai  déjà  dit,  M™=  deNuovina,  qui  ambitionne 
de  jouer  tour  à  tour  des  rôles  de  demi-caractère  et  des  rôles  de  chanteuse 
légère.  M"'  Carrère,  les  ténors  Lafarge,  Dupeyron  et  Isouard,  les  barytons 
Badiali,  Besnard,  et  M.  Sentein.  —  La  réouverture  aura  lieu  probablement 
le  b  ou  le  6  septembre  par  Roméo  et  Juliette,  avec  M.  Lafarge  et  M'™  dû 
Nuovina  dans  le  rôle  joué  l'an  dernier  par  M""  Sanderson;  le  lendemain 
Robert  le  Diable,  pour  les  débuts  de  M"*  Ghrétien  et  de  M.  Ramat;  puis, 
Mireille,  par  M"''  Smiths,  le  Rarbier  par  M"- Darcelle,  Don  Juan,  où  M.  Badiali 
reprendra  le  rôle  chanté  par  M.  Bouvet,  Obéron,  pour  les  débuts  de 
M""  Benendès,  etc..  Vous  savez  déjà  que,  en  fait  de  nouveautés,  on  nous 
promet  le  Rêoe  de  MM.  Bruneau,  Zola  et  Gallet,  et  la  Cavalleria  rusticana, 
de  Mascagni  ;  nous  aurons  aussi  un  ballet  inédit  de  M.  Léon  Dubois, 
second  chef  d'orchestre  à  la  Monnaie;  on  a  parlé  de  VOthello  de  Verdi,  où 
M.  Lafarge  eût  été  superbe,  et  de  Samson  et  Dalila  avec  le  même  artiste; 
mais  les  études  préparatoires  d'Othello  ont  été  interrompues,  et  nous  ne 
savons  quel  mystère,  qui  exile  de  la  Monnaie  toutes  les  œuvres  de 
M.  Saint-Saëns,  en  tiendia  également  éloigne  Samson;  tout  le  monde  le 
regrettera.  En  revanche,  les  reprises  de  la  Flûte  enchantée  et  de  Lohengrin 
sont  certaines,  et  l'on  nous  assure  que  celle  d'Armide  est  très  probable, 
grâce  à  M..Gevaert.  qui,  un  instant  éloigné  du  théâtre  de  la  Monnaie,  à 
la  suite  de  discussions  personnelles,  s'y  est  laissé  ramener  et  se  propose 
de  s'y  consacrer  à  nouveau  avec  son  ardeur  et  son  autorité  habituelles.  — 
Un  mot  maintenant  de  la  province.  Les  concours  du  Conservatoire  de 
Liège  et  de  Gand,  qui  ont  eu  lieu  ces  jours  derniers,  ont  été  très  remar- 
quables. Les  classes  de  chant,  dirigées  dans  ces  deux  conservatoires  par 
M.  Georges  Bonheur,  se  sont  particulièrement  distinguées;  nous  avons  pu, 
par  nous-même,  nous  rendre  compte  des  excellents  résultats  produits  par 
l'enseignement  de  M.  Bonheur;  ces  concours  ont  mis  en  relief  plusieurs 
sujets  d'un  réel  avenir,  doués  de  voix  superbes,  très  bien  conduites  et 
auxquelles  un  travail  intelligent  a  su  donner  des  qualités  de  style  et  de 
diction  tout  à  fait  rares  chez  déjeunes  élèves.  Il  y  en  a  là  quelques-uns 
qui  feront  parler  d'eux  certainement.  Quant  au  théâtre,  on  ne  sait  rien 
encore  de  bien  précis,  si  ce  n'est  qu'à  Liège,  la  direction  nouvelle  de 
MM.  Bussac  et  Fabre  projette  des  merveilles,  malgré  les  difficultés  habi- 
tuelles d'exploitation  que  toutes  les  entreprises  théâtrales  rencontrent  dans 
cette  ville;  on  parle  de  jouer  de  nombreuses  nouveautés,  voire  des  œuvres 
inédites;  le  Ménestrel  eu  a  donné,  d'ailleurs,  le  détail.  A  Anvers,  à  côté 
du  Théâtre-Royal,  qui  annonce  parmi  les  nouveautés  l'Aben-Hamet  de  Théo- 
dore Dubois,  il  y  a  un  théâtre  flamand,  Nederlanschi  Schonburg,  qui  se 
propose  de  monter  «  le  drame  lyrique  »,  dans  tous  les  langues  ;  l'an  der- 
nier déjà,  il  avait  joué  des  œuvres  de  M.  Peter  Benoit,  telles  que  le  beau 
mélodrame  de  Charlotte  Corday;  cette  année,  je  viens  d'apprendre  qu'il 
compte  mettre  à  la  scène  la  plupart  des  œuvres  de  ce  genre  écrites  par 
le  compositeur  danois  Edvard  Grieg.  La  tentative  sera  d'un  grand  intérêt, 
surtout  si  l'exécution,  comme  on  nous  le  promet,  est  digne  des  œuvres. 
A  Gand,  le  théâtre,  dirigé  par  M.  Van  Ilame,  n'a  pas  fait  connaître 
encore  ses  projets.  L.  S. 

—  Un  comité  vient  de  se  former  à  Amsterdam  pour  essayer  de  relever 
l'Opéra  allemand  dans  cette  ville.  La  nouvelle  entreprise  serait  placée 
sous  la  direction  de  M.  L.  Schwarz  et  commencerait  à  l'automne  prochain 
dans  la  salle  du  Paleis  voor  Volksvlijt.  Au  terme  de  son  contrat,  M.  L. 
Schwarz  devra  donner  trois  représentations  par  mois  à  l'Opéra  de  Rotter- 
dam. 

—  Echos  de  Bayreuth,  recueillis  par  l'Indépendance  belge,  le  moniteur 
oiriciel  en  Belgique  du  vvagnérisme  intransigeant  :  —  «...  Le  28  juillet, 
admirable  audition  musicale  chez  M'"=  Gosima  Wagner,  à  Wahnfried  :  Le 
Tasse  de  Liszt,  pour  deux  claviers,  par  MM.  Mottl  et  Baumgartner  ;  du 
même  la  Mort  de  Sainte  Elisabeth,  chantée  par  M"=  Mailhac  ;  de  Wagner, 
le  récit  de  Loge,  dans  le  Rheingold,  par  M.  Van  Dyck  ;  la  scène  finale  de 
la  Gœtterdœmmerung,  par  M""=  Materna  ;  et  la  scène  finale  de  la  Walkûre 
par  M.  Reichmann.  Tous  ces  artistes  se  sont  surpassés,  et  l'accompagna- 
teur, M.  Mottl,  le  capellmeister  du  Tristan  et  du  Tannhauser,  a  partagé 
leur  succès.  'Jeudi,  on  donnait  le  Tannhauser  avec  une  nouvelle  Elisabeth. 
M"«  de  Ahna,  qui  a  joué  et  chanté  avec  autant  de  justesse  dans  le  senti- 
ment que  dans  l'intonation.  Voix  très  pure,  encore  quelque  inexpérience 
de  chanteuse,  mais  déjà  beaucoup  d'art.  Pas  de  mauvaises  habitudes  de 
princesse  d'opéra,  de  la  simplicité  dans  l'émotion.  Le  troisième  acte  est 
allé  aux  nues.  M.  Colonne,  qui  a  assisté  à  deux  représentations,  annon- 
çait pour  le  12   août,  l'arrivée  de  M.   Bertrand,    le  nouveau  directeur  de 


l'Opéra  de  Paris,  qui  serait  disposé  à  traiter  avec  les  ayants  droit  de  Wa- 
gner pour  les  représentations  parisiennes  du  Vaisseau  Fantôme  et  des 
Maîtres  chanteurs.  —  L'anniversaire  de  la  mort  de  Franz  Liszt,  décédé  à  Bay- 
reuth où  il  est  inhumé,  a  été  célébré  le  31  juillet  dans  la  petite  église 
catholique  de  cette  ville  protestante  :  à  8  b.  1/2  une  messe  basse  à  laquelle 
assistaient  M""  Gosima  Wagner,  sa  famille  et  quelques  rares  invités  ;  à 
11  heures,  dans  la  même  chapelle  bondée  de  monde,  un  grand  concert 
religieux  entièrement  composé  d'œuvres  d'église  de  Liszt,  le  psaume  121 
pour  chœur,  orgue,  trompettes,  trombones  et  timbales  ;  le  psaume  129,  , 
contralto  solo  et  orgue  ;  deux  chœurs  pour  voix  d'hommes  ;  Spoz-alisio, 
contralto  solo  et  chœur  de  femmes  ;  deux  solos  de  baryton;  et  enfin  le 
psaume  137...  Un  wagnérien  de  la  vieille  roche  nous  signale  une  particu- 
larité qui  nous  avait  échapé,  et  pour  cause  :  dans  la  coda  du  finale  du 
deuxième  acte  de  Tannhauser,  aussitôt  avant  le  cri:  «  Nach  Rom!  »  on  a 
rétahli  le  trait  pour  violon  et  alto  unisuono,  écrit  à  Paris,  exécuté  à  la 
première  représentation  de  l'Opéra,  13  mars  1861,  et  supprimé  dès  la  se- 
conde, à  cause  des  rires  homériques  qu'il  avait  provoqués.  Il  est  étince- 
lant  et  merveilleusement  approprié  à  l'explosion  enthousiaste  qui  le  suit. 
On  a  peine  à  comprendre  qu'on  s'en  soit  moqué  jadis.  Il  est  vrai  qu'alors 
on  se  moqua  aussi  de  la  naïve  chanson  du  pâtre,  des  tintements  des  clo- 
chettes des  troupeaux,  des  chants  de  Vénus,  et  de  bien  d'autres  choses!... 
Le  passage  qui  nous  est  signalé  n'a  été  reproduit  ni  dans  la  partition 
française,  ni  dans  la  petite  partition  allemande  piano  et  chant;  mais  il 
est  textuellement  noté  dans  la  partition  piano  et  chant,  grand  format,  don- 
née par  Joseph  Rubinstein.  » 

—  A  propos  de  Bayreuth,  voici  quelques  renseignements  relatifs  au 
personnel  actuel  des  exécutions  wagnériennes.  L'orchestre,  à  lui  seul, 
comprend  108  artistes.  Naguère,  du  vivant  de  Wagner,  c'était  l'Opéra  de 
Munich  qui  fournissait  presque  exclusivement  cet  ensemble  d'exécutants 
symphoniques.  Aujourd'hui,  un  seul  artiste  appartient  à  ce  théâtre,  les 
autres  viennent  de  Pesth,  d'Amsterdam,  de  Washington,  d'Aberdeen,  de 
Moscou,  etc.  C'est  donc  au  point  de  vue  de  cosmopolitisme,  le  plus  curieux 
assemblage  qui  se  puisse  rencontrer.  Le  personnel  du  chant  et  de  la  danse 
offre  une  égale  variété  et  se  décompose  ainsi  :  Chœurs  :  ,S8  femmes  et 
34  hommes.  Total  :  72  personnes.  Ballet  :  ,34  femmes  et  30  hommes.  Total  : 
64  personnes,  dont  58  appartiennent  à  l'Opéra  de  Berlin.  Rappelons  main- 
tenant, avec  l'indication  des  pays  d'où  ils  viennent,  le  nom  de  quelques- 
uns  des  collaborateurs  qui  concourent  aux  représentations  modèles.  Pre- 
mières danseuses  :  M'''^  Virginia  Zucchi,  Gannela  Pesca,  Rosine  Pesca  et 
Pilota  Venere  (Milan),  Emilie  Delcliseur  et  Doris  Kaselowsky  (Berlin). 
Premiers  danseurs  :  MM.  Reichard  (Gobourg),  Spange  (Hambourg).  Chefs 
d'orchestre  :  MM.  Hermann  Lévy  et  Félix  Mottl.  Chefs  des  chœurs  : 
MM.  Jules  Kniese  (Bayreuth)  et  Heinrich  Forges  (Munich).  Répétiteurs  et 
aides  musicaux  :  MM.  Richard  Strauss  (Weimar),  Hans  Steiner  (Carlsruhe), 
Karl  Armsbruster  (Londres),  Albert  Gorter  (Elberfeld),  Engelbert  Humper- 
dinck  (Francfort),  Otto  Lohse  (Riga),  Oscar  Merz  (Munich),  Baumgartner 
(Vienne),  Hugo  Rohr  (Breslau).  Régisseur  :  M.  Fuchs  (Munich).  Inspec- 
teurs :  MM.  Ernest  Braunschvi'eig  (Berlin)  et  Michel  Gstetteubauer  (Ham- 
bourg). Chef  machiniste  :  M.  F.  Kranicb  (Darmstadt). 

—  Dans  son  assemblée  générale  qui  vient  de  se  tenir  à  Bayreuth,  l'Asso- 
ciation universelle  wagnérienne  a  discuté  chaudement  l'affaire  des  billets 
pour  le  Fcstpielhaus,  que  nous  avons  fait  connaître  en  détail  dans  notre 
numéro  de  dimanche  dernier.  La  séance  s'est  terminée  par  un  ordre  du  jour 
en  vertu  duquel  le  comité  central  est  chargé,  l'année  prochaine,  de  se  mettre 
en  rapport  avec  l'administration  du  Fcstpielhaus  ;  1°  pour  assurer  aux 
membres  de  l'Association  la  réserve  d'une  partie  des  places  jusqu'à  une 
époque  déterminée,  le  15  mai  par  exemple  ;  2"  pour  être  tenu  au  courant 
de  la  vente  des  billets  et  communiquer  tous  les  renseignements  adminis- 
tratifs aux  sociétaires  par  la  voie  des  journaux  de  Bayreuth.  Un  bureau 
spécial  de  surveillance  et  de  renseignements  sera  établi  à  Bayreuth  pen- 
dant toute  la  période  des  Festpiele.  —  Dans  une  nouvelle  séance,  qui  a  eu 
lieu  le  même  jour  dans  l'après-midi,  le  docteur  Boller,  de  Vienne,  a  lu  le 
compte  rendu  des  travaux  de  l'Association  depuis  la  dernière  assemblée  et 
le  rapport  statistique.  Ce  dernier  n'a  pas  été  sans  causer  quelque  déception 
aux  assistants.  En  1889,  l'Association  comptait  203  sociétés  et  7926  socié- 
taires et  présentement  le  nombre  des  sociétés  est  tombé  à  192,  et  celui 
des  sociétaires  à  7620.  Ont  été  dissoutes  par  suite  de  l'insuffisance  des 
souscriptions  les  sociétés  de  Regensburg,  Kissingen,Carlsbad,  Bartenstein, 
Dobeln,  Gobourg,  Solingen,  Straubing,  Landau,  Reuthlingen,  Schaffouse, 
Lobau,  Mayence,  Ilechingen,  Wûnsohelburg,  Goslar  et  Zittau.  La  Société 
de  Gorz  s'est  réunie  à  celle  de  Klagenfurt.  Par  contre,  il  s'est  formé  de 
nouvelles  sociétés  dans  d'autres  villes,  mais  le  vide  laissé  par  les  défections 
n'est  pas  comblé. 

—  hSi  Jlusikalisches  Wochenbtatt  annonce  que  les  Festpiele  de  Bayreuth  re- 
commenceront l'année  prochaine  et  que  la  composition  en  sera  identique 
à  celle  de  cette  année.  Le  même  journal  annonce,  mais  sous  toutes  réserves, 
qu'il  est  question  de  monter  Rienzi  l'année  suivante,  c'est-à-dire  en  1893. 

—  Le  nouveau  théâtre  de  Zurich  sera  consacré  solennellement  le  30  sep- 
tembre prochain,  et  l'inauguration  aura  lieu  le  l'=''  octobre  avec  Lohengrin. 
Le  jour  de  la  consécration  on  lira  un  prologue  en  vers  de  M.  C.-F.  Meyer. 

—  La  Société  de  chant  de  la  ville  de  Fribourg  a  fêté,  le  26  juillet  der- 
nier, le  cinquantième  anniversaire  de  sa  fondation.  Les  sociétés  de  Berne, 


LE  MENESTREL 


235 


de  Zurich  et  de  beaucoup  d'autres  villes  de  Suisse  avaient  envoyé  des 
délégations.  Un  concert  superbe  a  eu  lieu,  dans  lequel  on  a  exécuté  la 
belle  cantate  Hdvétie,  du  compositeur  Plumhof,  de  Vevey.  On  a  beaucoup 
applaudi  le  chœur  d'Hérodiade,  de  Massenet.  Mais  le  grand  succès  du 
concert  a  été  pour  l'air  de  Marie-Madeleine,  bissé  aux  acclamations  de  la 
salle  entière  et  remarquablement  chanté  par  M""'  la  comtesse  de  Romain. 
L'orchestre  était  dirigé  par  MM.  Koch,  de  Berne,  et  Edouard  'Vogt,  l'émi- 
nent  et  célèbre  organiste  de  Fribourg. 

—  On  sait  que  le  pauvre  Franco  Faccio,  qui  vient  de  mourir,  avait  été 
peu  de  temps  avant  d'être  atteint  du  mal  terrible  qui  a  fini  par  l'emporter, 
nommé  directeur  du  Conservatoire  de  Parme,  et  que  c'est  son  ami  dévoué, 
son  compagnon  de  jeunesse  et  son  collaborateur,  M.  Arrigo  Boito,  qui 
s'était  chargé  depuis  lors,  et  à  titre  purement  affectueux,  de  la  direction 
intérimaire  de  cet  important  établissement.  Cette  situation  va  forcément 
changer,  et  certains  journaux  croient  pouvoir  annoncer  aujourd'hui  que 
la  direction  définitive  du  Conservatoire  de  Parme  sera  confiée  à  M.  Galli- 
gnani,  maître  de  chapelle  du  dôme  de  Milan,  qui  se  trouvera  ainsi  suc- 
céder réellement  au  regretté  Bottesini,  le  dernier  directeur  effectif. 

—  On  a  remarqué,  non  sans  quelque  regret,  que  la  Société  orchestrale 
de  Milan,  dont  Faccio  fut  l'âme  pendant  de  longues  années,  n'avait  pas 
donné  signe  de  vie  et  n'avait  organisé  aucune  manifestation  artistique  à 
l'occasion  des  funérailles  de  son  malheureux  chef.  Aujourd'hui,  il  est 
question  d'une  comméaioration  solennelle  en  son  honneur,  d'une  grande 
séance  musicale  dans  laquelle  on  n'exécuterait  que  des  compositions  de 
Faccio  pour  chant  et  pour  orchestre.  —  On  raconte  aussi  que  Verdi, 
chose  assez  singulière,  n'aurait  appris  que  par  les  journaux  la  mort  de 
l'éminent  artiste  qui  avait  eu  l'honneur  de  diriger  les  études  et  les  repré- 
sentations de  son  dernier  opéra,  Otello.  Verdi  aurait  aussitôt  écrit  à 
M.  Boito  pour  lui  exprimer  tous  les  regrets  que  lui  cause  la  mort  de 
leur  ami,  qu'il  qualifie  de  «si  brave  et  si  bon». 

—  Le  gouvernement  italien  a  accordé  une  somme  de  20,000  francs  pour 
l'achèvement  des  travaux  de  la  grande  salle  des  séances  du  Lycée  musical 
Sainte-Cécile,  à  Rome.  Si  le  gouvernement  français  voulait  bien  s'occuper 
un  peu  des  travaux  nécessaires  au  Conservatoire  de  Paris!... 

—  Voici  des  renseignements  précis  sur  la  nouvelle  campagne  lyrique 
américaine  que  préparent,  pour  l'hiver  prochain,  MM.  Henry  Abbey  et 
Maurice  Grau.  La  troupe  formée  pour  cette  campagne  jouera  d'abord 
pendant  cinq  semaines  à  l'Auditorium  de  Chicago ,  à  partir  du  9  no- 
vembre prochain.  Ensuite,  pendant  treize  semaines,  à  partir  du  14  dé- 
cembre, elle  jouera  au  Metropolitan  Opéra  House  de  New-York.  Les 
affiches  porteront  :  Grand  opéra  en  français  et  en  italien.  La  troupe  compren- 
dra entre  autres  :  sopràni  :  M""=^  Albani,  Lili  Lehmann,  Eames,  etc.,  et, 
en  vedette,  M"=  Marie  Van  Zandt;  contralti  :  M^'^  Scalchi,  de  Vigne  et 
Ravogli  ;  ténors:  MM.  Gapoul,  Valero,  Gianini-Grifoni,  Kalisch,  etc., 
et,  en  vedette,  M.  Jean  de  Reszké  ;  barytons  :  MM.  Martapoura,  Car- 
bonne,  elc.  ;  basses  :  MM.  Vinche,  Serbolini,  Viviani,  Vaschetti,  et,  en 
vedette.  M,  Edouard  de  Reszké.  80  choristes,  6b  instrumentistes,  32  dan- 
seuses, 30  musiciens  (bande  militaire);  Chef  d'orchestre  :  M.Vianesi;  sous- 
chef  :  M.  Saar.  Le  répertoire  devra  être  choisi  dans  les  ouvrages  suivants  ; 
Ouvrages  français  :  Doméo  et  Juliette.  Faust,  de  Gounod  ;  les  Huguenots, 
l'Africaine,  le  Prophète,  le  Pardon  de  Ploërmel,  de  Meyerbeer;  Carmen,  de 
Bizet;  le  Cid,  de  Massenet;  Sigurd,  de  Reyer;  Mignon,  d'Ambroise' Tho- 
mas ;  Lakmè,  de  Delihes  :  Fra  Diavoto,  d'Auber  ;  la  Juive,  d'Halévy  ;  et 
Orphée,  de  Gluck.  Ouvrages  italiens  :  Cavalleria  rusticana,  de  Mascagni  ; 
Aida,  Otello,  Rigolelto,  la  Trauiata,  le  Trouvère,  de'  Verdi,  la  Somnambule,  la 
Norma,  de  Bellini;  le  Barbier  de  Séville,  de  Rossini  ;  Mefistofele,  de  Boito  ;  la 
Gioconda,  de  Ponchielli  ;  Lucrèce  Borgia,  la  Favorite,  de  Donizetti.  Ou- 
vrages allemands:  Lohengrin,  les  Maîtres  chanteurs,  de  Wagner;  les  Noces 
de  Figaro,  Don  Juan,  de  Mozart  ;  Fidelio,  de  Beethoven.  En  tout  trente- 
deux  ouvrages. 

—  A  Boston,  une  troupe  d'opéra  hébraïque  qui  prend  le  titre  de  the 
Vnited-Hebrew  Opéra  Company,  a  donné  deux  représentation  d'un  grand 
drame  lyrique  intitulé  Judith  et  Holopherne  ou  le  Siège  de  Béthulie,  dont  on 
ne  nous  fait  pas  connaître  les  auteurs.  Les  programmes  étaient  imprimés 
en  hébreu,  ce  qui  ne  devait  pas  élre  bien  commode  pour  la  masse  des 
spectateurs,  mais  le  spectacle  avait  lieu  en  allemand. 

-^  L'Université  de  Manchester  vient  d'être  autorisée  à  conférer  des  grades 
musicaux.  L'Angleterre  possède  donc  actuellement  cinq  universités  ayant 
des  chaires  de  musique.  Ce  sont  :  Londres,  Oxford,  Cambridge,  Durhara 
et  Manchester. 

—  Sir  AugustusHarris,  le  directeur  du  théâtre  Covent-Garden,  à  Londres, 
ne  perd  pas  de  temps.  Il  n'a  pas  plutôt  clôturé  la  saison  de  1891,  qu'il 
s'occupe  déjà  de  préparer  celle  de  1892  et  de  faire  connaître  quelques- 
unes  des  innovations  qu'il  a  en  vue.  Il  se  propose  par  exemple  de  reculer 
l'ouverture  au  16  mai  et  de  réduire  le  nombre  des  représentations.  L'a- 
bonnement ne  sera  plus  que  pour  cinquante  soirées  au  lieu  de  cent. 
MM.  Maurel  et  Lassalle  ne  feront  pas  partie  de  la  troupe  de  1892,  mais 
des  renouvellements  ont  déjà  été  conclus  avec  les  sœurs  Ravogli,  M"«  Eames, 
Farini  et  Mravina,  MM.  Van  Dyck,  Plançon,TschernelT,  Ceste  et  Dufriche. 
On  ajoute  que  M.  Van  Dyck  se  fera  entendre  au  début  de  la  saison. 


—  Un  festival  de  musique  assez  brillant  vient  d'être  célébré  àChesteren 
Angleterre,  avec  le  concours  d'artistes  de  premier  ordre  :  M"»*  Anna 
Williams,  Damian  et  Mac  Kenzie,  MM.  E.  Lloyd,  A.  Black,  Pierpoint 
entre  autres.  Trois  concerts  ont  eu  lieu  dans  la  cathédrale  et  deux  au 
Mmic  Hall.  Citons  parmi  les  meilleures  œuvres  exécutées,  Paulus  et  Elle, 
de  Mendelssohn  ;  une  nouvelle  cantate  (l'^  audition)  du  docteur  Bridge, 
intitulée  Rudel;  le  Stabat  Mater,  de  Dvorak  :  le  psaume  Cœli  enarent,  de 
M.  Saint-Saèns  ;  des  fragments  de  l'Enfance  du  Christ  et  la  Damnation  de 
Faust,  de  Berlioz  ;  la  Chanson  de  Mijriam,  de  Schubert  ;  le  Dernier  Jugement, 
de  Spohr;  la  Messe  solennelle,  de  M.  Gounod;  la  symphonie  Jupiter,  de  Mo- 
zart, et  le  cotwerto  en  ut  majeur,  pour  deux  violons  et  violoncelle,  avec 
accompagnement  d'orchestre,  de  Hœndel.  L'audition  de  ce  dernier  mor- 
ceau a  été  contrariée  —  ou  égayée,  comme  l'on  voudra  —  par  la  mise  en 
branle  de  toutes  les  cloches  de  la  cathédrale  :  une  distraction  du  sonneur. 
Quand  le  calme  s'est  trouvé  rétabli,  le  chef  d'orchestre  a  fait  recom- 
mencer le  morceau,  sans  accompagnement  de  cloches,  cette  fois. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Lundi  dernier.  M""  Caron  a  fait  une  rentrée  triomphale  dans  Sigurd  ; 
la  grande  artiste  reste  la  merveilleuse  Brunehild  que  l'on  sait  et  que 
l'on  ne  se  lasse  pas  d'applaudir;  mercredi,  M.  Plançon  a  repris,  avec 
son  succès  habituel,  possession  du  rôle  de  Méphistophélès  dans  Faust; 
vendredi,  enfin,  c'était  le  tour  de  M""  Subra,  charmante  et  charmeuse 
toujours    dans    Coppélia. 

—  On  commence  à  connaître  les  engagements  de  quelques-uns  des  lau- 
réats des  derniers  concours  du  Conservatoire.  M"»  Issaurat  entre  à  l'Opéra, 
demandée  par  M.  Bertrand  et  engagée  dès  le  l"  août  par  M.  Ritt,  à  raison 
de  1,000  francs  par  mois.  —  M.  Porel  a  réclamé,  pour  l'Odéon,  MM.  de 
Max,  Lugné-Poë,  Baron,  M'i^s  Dux  et  Piernold.  —  M.  Claretîe  a  fait  savoir 
que  les  cadres  de  la  Comédie-Française  se  trouvant  plus  que  complets, 
il  ne  prendrait  personne.  Pour  M.  Lugné-Poë  il  s'élève  une  grosse  difS- 
culté  en  ce  que  le  jeune  artiste  est  sous  le  coup  de  la  loi  militaire  et  doit 
rejoindre  son  régiment  très  prochainement.  Il  est  donc  probable  que 
M.  Lugné-Poë  restera  une  année  encore  au  Conservatoire  avec  l'espoir  d'y 
décrocher  l'année  prochaine  un  premier  prix,  qui  l'exemptera  de  ses  trois 
années  de  service.  M.  Baron  doit,  croyons-nous,  se  trouver  dans  le 
même  cas. 

—  On  annonce  aussi,  à  l'Opéra,  l'engagement  de  M°>=  Dufrane,  par  la 
nouvelle  direction.  M"»  Dufrane  a  déjà  appartenu  pendant  plusieurs  an- 
nées à  l'Académie  Nationale  de  Musique.  En  revanche,  M.  Fabre,  engagé 
l'année  dernière  à  la  suite  de  ses  succès  aux  concours  du  Conservatoire, 
n'a  pas  renouvelé  son  engagement  et  vient  de  signer  avec  le  Grand- 
Théâtre  de  Genève,  où  il  tiendra  l'emploi  des  basses  nobles.  De  même 
pour  M.  et  M™"  Escalaïs  dont  l'engagement  expirait  fin  juillet,  mais  que 
nous  réentendrons  sous  la  direction  Bei'trand.  M.  Vergnet,  le  brillant 
créateur  de  Zarâstra  du  Mage,  a  resigné  pour  trois  années. 

—  On  sait  que  le  Conservatoire  est  le  dispensaire  d'un  certain  nombre 
de  dons  et  de  legs  établis  par  divers  fondateurs  en  faveur  d'élèves  couron- 
nés dans  les  concours.  Voici  comment,  cette  année,  ont  été  attribuées  ces 
récompenses  spéciales  :  Prix  Nicodami  (500  francs),  partagé  entre  MM.Bar- 
thel,  premier  prix  de  hautbois,  et  Legros,  premier  prix  de  cor  ;  —  Prix 
Guérineau  ('S.IO  francs),  partagé  entre  M.  Grimaud  et  M"«  Issaurat,  premiers 
prix  d'opéra  ;  —  Prix  Georges  Hainl  (900  francs),  à  M.  Carcanade,  premier 
prix  de  violoncelle  ;  —  Prix  Popelin  (1,200  francs),  partagé  entre  W^'^  Char- 
mois,  Quanté,  Buval,  Lang,  Journault  et  Da  Silva,  premiers  prix  de  piano  ; 
—  Prix  Provost-Ponsin  (400  francs),  à  M"«  Hartmann,  premier  accessit  de 
tragédie  ;  —  Pria;  Henri  Herz  (300  francs),  à  M"=  Buval,  premier  prix  de 
piano  ;  —  Prix  Doumic  (120  francs),  à  M"»  Thouvenel,  premier  prix  d'har- 
monie. D'autre  part,  et  selon  leur  généreuse  habitude,  MM.  Gand  et  Ber- 
nadet  font  don  d'un  violon  à  chacun  des  premiers  prix  de  violon,  cette 
année  au  nombre  de  trois  :  M''^  Vormèse,  MM.  Quanté  et  André,  et  d'un 
violoncelle  à  M.  Furet,  qui  a  obtenu  le  premier  prix  de  violoncelle  avec 
M.  Carcanade  (ce  dernier  bénéficiant  du  prix  George  Hainl).  Enfin,  les 
maisons  Erard  etPleyel,  suivant  les  mêmes  traditions,  offrent,  la  première, 
deux  pianos  à  M.  Quévremont  et  à  M''»  Charmois,  la  seconde  deux  pianos 
à  M.  Pierret  et  à  M"=  Quanté,  premiers  prix  de  piano. 

—  Ce  n'est  que  mardi  prochain  que  M.  Widor  quittera  Paris  pour  aller 
à  Aix  surveiller  les  dernières  répétitions  et  assister  à  la  première  repré- 
sentation de  Conte  d'avril,  sous  la  conduite  de  M.  Ed.  Colonne,  qui  aura 
lieu  le  15. 

—  On  a  vu  plus  haut,  dans  le  compte  rendu  de  la  distribution  des  prix 
au  Conservatoire,  que  M.  Alphonse  Duvernoy  est  nommé  chevalier  de  la 
Lésion  d'honneur.  Voici  le  texte  du  décret  relatif  à  sa  nomination,  tel  qu'il 
a  pliru  dans  le  Jcurnal  officiel:  c<  Par  décret  en  date  du  1«  août  1891,  rendu 
sur  la  proposition  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
et  suivant  la  déclaration  du  Conseil  de  l'ordre  national  de  la  Légion 
d'honneur  portant  que  la  nomination  ci-après  est  faite  en  conformité  des 
lois,  décrets  et  règlements  en  vigueur,  est  nommé  chevalier  dans  l'ordre 
de  la  Légion  d'honneur,  M.  Duvernoy  (Alphonse),  professeur  de  piano  au 
Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation,  compositeur  de 
-musique,  lauréat  du  grand  prix   de   composition  musicale  de  la  ville  de 

Paris  en  1880.  » 


256 


LE  MENESTREL 


—  C'est  parla  dépêche  que  voici,  publiée  cette  semaine  par  l'agence 
télégraphique  Dalziel,  qu'on  a  appris  à  Paris  le  mariage  inattendu  de 
M""  Eames  :  —  «  M""!  Emma  Eames  a  épousé,  samedi,  le  peintre  améri- 
cain Julian  Story  dans  une  petite  église  des  environs  de  Londres.  Ils 
s'étaient  mariés  devant  l'officier  de  l'état  civil  le  mercredi  précédent.  La 
mère  de  miss  Eames  étant  opposée  à  cette  union,  l'affaire  a  été  faite  se- 
crètement et  sans  que  la  famille  Eames  ait  été  prévenue.  Il  y  a  quelques 
jours,  les  Eames  avaient  prévenu  le  propriétaire  de  l'appartement  qu'ils 
habitaient  à  Clarges  street,  44,  qu'ils  comptaient  aller  passer  quelques 
jours  au  bord  de  la  mer.  Mercredi  dernier,  M.  Stoi-y  vint  à  Clarges  street 
et  emmena  miss  Emma  Eames  au  bureau  de  l'état  civil,  où  ils  furent 
mariés.  Le  lendemain  matin.  M""  Eames  mère  faisait  ses  malles  et  par- 
tait, furieuse,  pour  Paris.  La  nouvelle  mariée  a  également  quitté  Clarges 
street  et  demeure  actuellement  avec  des  amis  de  M.  Story  à  Cowley 
street  (Westminster).  Tout  s'est  passé  dans  le  plus  grand  mystère.  La  pro- 
priétaire a  dit  à  un  représentant  de  l'agence  Dalziel  que  M™"  Eames  mère 
s'était  formellement  opposée  au  mariage.  » 

—  Nous  avons  dit  que  la  distribution  des  prix  de  l'École  de  musique 
classique  avait  eu  lieu  la  semaine  dernière.  Nous  ne  pouvons  donner  la 
liste  de  tous  les  lauréats,  mais  nous  nous  faisons  un  plaisir  de  nommer 
particulièrement  M.  Albert  Lefèvre,  élève  de  la  division  supérieure  qui  a 
remporté  très  brillamment,  à  Vunanimité,  le  premier  prix  de  piano,  et  qui 
ayant  obtenu  plusieurs  autres  premiers  prix  —  harmonie,  accompagne- 
ment —  a  reçu  h  prix  d'honneur  du  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des 
beaux-arts.  M.  Albert  Lefèvre  est  déjà  un  artiste. 

—  L'audition  des  élèves  de  M"'  de  Tailhardat,  qui  a  eu  lieu  chez  Erard, 
a  été  des  plus  intéressantes.  Quelques-unes  des  jeunes  Biles  qu'on  y  a 
entendues  sont  déjà  presque  des  artistes  et  font  grand  honneur  à  leur 
professeur.  Les  œuvres  de  Chopin  et  de  Beethoven  ont  été  parfaitement 
interprétées  ainsi  que  l'ouverture  du  Frekchuts  et  le  passepkd  de  Delibes 
arrangés  à  douze  maias  pour  deux  pianos.  On  a  aussi  applaudi  le  talent 
de  M.  A.  Turban  et  la  jolie  voix  de  M"^  Brémond  qui  a  chanté  les  solis 
de  deux  chœurs  de  Mendelssohn  et  de  Rossini. 

—  M.  Maurice  Barbot,  l'éditeur  d'estampes  de  la  rue  de  l'Échiquier, 
vient  de  publier  une  très  belle  photogravure  de  Meyerbeer  d'après  le  ta- 
bleau de  E.  Vallon  appartenant  à  M.  F.  Deslandes.  Le  maître,  assis  sur 
un  fauteuil,  une  feuille  de  papier  à  musique  à  la  main,  est  encadré  d'un 
côté  par  un  orchestre  exécutant  quelqu'une  de  ses  pages  sublimes  et  de 
l'autre  par  les  principaux  héros  de  ses  ouvrages.  La  ligure  principale  res- 
sort bien  nettement  et  l'ensemble  est  d'un  très  heureux  ordonnancement. 

—  La  municipalité  de  Rouen  vient, de  choisir  comme  directeur,  pour 
la  saison  prochaine,  M.  Taillefer,  ancien  directeur  du  Grand-Théâtre  de 
Nice.  Parmi  les  concurrents  qui  restent  sur  le  carreau,  se  trouve  M.  Syl- 
vestre, ce  jeune  et  étonnant  directeur  marseillais,  dont  les  bons  mots  ont 
fait  la  joie  des  Parisiens  lors  de  sa  courte  apparition  à  la  Renaissance. 
On  prête  à  M.  Taillefer,  qui  est  un  audacieu.x,  de  très  grands  projets;  on 
ne  parle  déjà  de  rien  moins,  pour  le  Théâtre  des  Arts,  que  de  la  Walkûre 
et  des  Maîtres  Chanteurs. 

—  Tout  dernièrement  a  eu  lieu  à  Caen,  dans  la  salle  des  fêtes  de 
l'hôtel  de  ville,  un  très  brillant  concert  organisé  par  M.  Cobalet,  de 
l'Opéra-Comique,  avec  le  concours  de  M">«  Mélodia-Kerkhoff,  Henriot, 
MM.  Rondeau,  Sady-Petit,  Brun,  Boussagol,  Vial,  et  la  musique  du  3=  ré- 
giment de  ligne.  Une  foule  élégante  et  choisie  n'a  pas  ménagé  ses  applau- 
dissements aux  artistes.  Le  Crucifix  de  Faure,  chanté  par  MM.  Rondeau 
et  Cobalet,  a  été  bissé  avec  enthousiasme.  Très  grand  succès  également 
pour  la  i1/arc/ie  vers  l'avenir  de  Faure,  chantée  d'une  façon  magistrale  par 
M.  Cobalet,  accompagné  par  le  violoniste  Brun,  et'M"<=  de  Corteuil. 
M'"=  Kerkhoff  s'est  également  fait  rappeler  après  Pensée  d'automne  de 
Massenet  et  Ariette  de  Paul  Vidal.  —  La  musique  militaire  a  très  bien 
enlevé  le  Cortège  de  Bacchus,  de  Sylvia. 

—  La  ville  d'Antibes  s'apprête  à  célébrer,  avec  éclat,  les  fêtes  féli- 
bréennes.  Une  cantate  a  été  spécialement  écrite  par  M.  Ed.  Guinand  et 
mise  en  musique  par  M.  Ch.  René.  Elle  est  intitulée  :  A  la  mémoire  d'un 
héros,  et  sera  chantée  par  quatre-vingts  voix  d'hommes  devant  la  tombe  du 
général  Championnet. 

—  Très  grande  vogue  à  Dieppe  pour  les  concerts  du  Casino  si  bien  diri- 
gés et  organisés  par  M.  Ad.  Bourdeau.  Aux  derniers  programmes  nous 
relevons  les  noms  de  M""  Baldo  qui  a  été  couverte  d'applaudissements 
après  avoir  chanté  Aux  Lilas,  Chant  d'automne,  de  Flégier,  et  Fabliau  de 
Paladilhe,  de  M"«=  Tarquini  d'Or  à  qui  on  a  redemandé  la  plupart  de' ses 
morceaux,  principalement  la  romance  de  Mignon,  et  de  M.  Portejoie  dont  la 
très  jolie  voix  a  fait  merveille  dans  l'arioso  de  Sigurd,  l'air  de  Jean  d'Héro- 
diade,  le  grand  air  du  Cid  et  l'Aubade  du  Roi  d'Ys.  L'orchestre,  très  bien 
conduit  par  son  habile  chef,  exécute  très  artistiquement,  entre  autres  mor- 
ceaux, l'Aubade,  de  Lalo,  le  ballet  du  Cid,  de  Massenet,  des  fragments  de 
la  Korrigane,  de  Widor,  la  Danse  des  bergers  hongrois,  Gamerra-M arche,  Rêve 
sur  l'Océan,  de  Gung'l,  la  Marche  hongroise,  Széchényi,  de  Fahrbach,  le  'oiable 
est  mort,  de  Strobl,  etc.. 


NÉCROLOBIE 


HENRI    LITOLFF 


Henri  Litolff  qu'un  mal  cruel  minait  depuis  longtemps  est  mort  jeudi 
à  Colombes.  Quelle  existence  active,  disons  même  agitée  que  la  sienne! 
Né  à  Londres,  en  1818,  d'un  père  alsacien  et  d'une  mère  anglaise,  Litolft' 
montra  tout  jeune  de  merveilleuses  dispositions  pour  la  musique.  Mos- 
chclès.lui  fit  travailler  le  piano;  quant  à  la  composition,  il  l'apprit  un  peu 
de  tous  côtés,  sans  avoir  jamais  une  direction  régulière.  C'est  en  France, 
à  Melun,  après  son  premier  mariage  avec  une  jolie  miss,  que  le  fougueux 
artiste  passa  le  temps  le  plus  paisible  et  le  plus  fécond  de  sa  vie.  Là,  il 
travailla  sérieusement  et  devint  virtuose  et  styliste.  Mais  le  calme  d'une 
petite  ville  ne  pouvait  longtemps  convenir  à  sa  nature.  Il  partit,  se  fit 
chef  d'orchestre  en  Pologne,  donna  des  concerts  un  peu  partout  et  enfin 
retourna  à  Londres  où,  sur  l'instance  des  parents  de  sa  femme,  on  l'incar- 
céra. De  Londres  il  s'échappa,  gagna  l'Allemagne  et  se  lia  avec  M"*  V 
Meyer  qui  devint  sa  seconde  épouse  et  l'associa  dans  sa  maison  d'édition 
de  Brunswick.  Litolff  parut  alors  devenir  très  sérieux  et  il  lança  les  col- 
lections à  bon  marché  auxquelles  est  resté  attaché  son  nom.  Ce  temps  de 
repos  dura  trois  à  quatre  ans,  puis  le  démon  des  aventures  reprit  son 
empire.  Litollî  parcourut  l'Europe  en  donnant  des  concerts  et  en  écrivant 
des  œuvres  dont  plusieurs  vivront.  En  même  temps  il  se  créait  une  renom- 
mée d'excentricité  dont  l'oubli  ne  fut  pas  facile  à  obtenir.  En  1838,  il 
revint  à  Paris  et  se  fit  entendre  aux  concerts  des  jeunes  artistes,  dirigés 
par  Pasdeloup,  puis  enfin  au  Conservatoire.  Quoique  pianiste  nerveux  et 
souvent  inégal,  il  produisit  grand  effet.  Alors  il  se  décida  à  rester  en 
France,  divorça  avec  sa  seconde  femme  et  épousa  M'^"  Louise  de  LaRoche- 
foucauld,  son  élève,  une  charmante  personne  qui  mourut  après  quelques 
années  de  mariage,  malheur  qui  permit  à  Litolff  de  contracter  une  qua- 
trième union.  Les  premières  œuvres  du  musicien  furent  des  concertos, 
de  grandes  fantaisies  et  de  charmantes  petites  pièces  dont  la  maison  Girod 
a  édité  la  majeure  partie.  Plus  tard,  vint  la  retentissante  ouverture  des 
Girondins,  que  le  compositeur  aimait  fort  à  diriger  lui-même,  avec  quelque 
exagération  musculaire.  Au  théâtre,  Litolff  a  donné  Nahel,  opéra  joué  à 
Bade;  l'Escadron  volant  de  la  Reine,  à  l'Opéra-Comique;  la  Boîte  de  Pandore, 
Héldbe  et  Abélard,  la  Fiancée  du  roi  de  Garbe,  aux  Folies-Dramatiques;  la 
Belle  au  bois  dormant,  au  Châtelet;  la  Mandragore  Elles  Templiers,  à  Bruxelles. 
Tout  cela  représente  une  grande  somme  de  travail  et  contient  beaucoup 
de  pages  hors  ligne.  Il  est  certain  que  si  le  célèbre  artiste  se  fût,  à  l'heure 
de  la  maturité,  recueilli  comme  doit  le  faire  l'homme  qui  veut  avant  tout 
produire,  il  laisserait  au  moins  un  chef-d'œuvre,  car  il  était  supérieure- 
ment doué.  Les  obsèques  de  Litolff  ont  eu  lieu  hier  à  Bois-Colombes. 

J.  R. 
AUGUSTE    VITU 

M.  Auguste  Vitu,  le  critique  dramatique  renommé  du  Figaro  et  l'un  des 
vétérans  du  journalisme  parisien,  auquel  il  appartenait  depuis  un  demi- 
siècle,  est  mort  mercredi  dernier  à  Paris,  dans  le  petit  hôtel  qu'il  habitait 
au  numéro  36  de  l'avenue  de  Wagram.  Il  ne  s'était  pas  remis  de  la  chute 
douloureuse  qu'il  avait  faite  il  y  a  quelques  mois  et  dont  les  suites  étaient 
venues  compliquer  une  maladie  dont  il  souffrait  depuis  longtemps  déjà. 
Malgré  tout,  il  faisait  preuve  d'un  grand  courage,  et  jusqu'au  dernier  mo- 
ment il  resta  sur  la  brèche  ;  —  Auguste-Charles-Joseph  Vitu  était  né, 
dit-on,  à  Meudon,  le  7  octobre  1823.  Il  n'avait  pas  encore  vingt  ans 
que  déjà  il  s'occupait  de  théâtre,  faisait  jouer  de  petites  pièces  sur  de 
petites  scènes,  et  collaborait  au  fameux  journal  de  Charles  Maurice,  le 
Courrier  des  théâtres,  qu'il  signa  même  un  instant  comme  gérant.  Plus 
tard,  sous  l'Empire,  il  se  lança  dans  la  politique  et  la  finance.  C'est  à 
partir  de  1871  qu'il  fut  chargé  de  la  critique  dramatique  du  Figaro,  y 
joignant  ensuite,  après  la  disparition  et  la  mort  de  B.  Jouvin,  la  partie 
musicale.  Une  érudition  théâtrale  véritable,  jointe  à  l'élégance  de  la 
forme  littéraire,  lui  valut  rapidement  la  réputation  ;  nous  n'étonnerons 
personne  en  constatant  que  sous  le  rapport  musical  il  était  beaucoup 
moins  à  son  aise.  Depuis  quelques  années  il  avait  commencé  la  publica- 
tion en  volumes,  sous  ce  titre  assez  original  :  les  Mille  et  une  nuits  du, 
théâtre,  de  ses  articles  de  critique  ;  huit  volumes  ont  paru  de  cette  publi- 
cation. Ce  n'est  pas  là  son  seul  bagage  littéraire  en  ce  qui  concerne  le 
théâtre;  on  lui  doit  deux  écrits  intéressants  :  Maison  mortuaire  de  Molière 
et  le  Jeu  de  paume  de  Meslaije7-s,  recherches  sur  le  théâtre  au  XVIP  siècle. 
Il  a  donné  aussi  des  éditions  nouvelles  des  œuvres  de  Crébillon  et  de 
Beaumarchais,  ainsi  qu'une  édition  de  Molière,  dont  il  publiait  chaque 
pièce  séparément,  accompagnée  d'une  notice  étudiée  et  substantielle. 
Enfin,  il  y  a  deux  ou  trois  ans,  lors  de  la  reprise,  à  la  Comédie-Française, 
d'une  comédie  de  Poinsinet  dont  le  succès  jadis  fut  considérable  :  le  Cer- 
cle ou  la  Soirée  à  la  mode,  il  en  fit  aussi  une  nouvelle  édition,  précédée 
d'une  préface  très  intéressante.  Il  est  certain  que  peu  d'écrivains  connais- 
saient, comme  Vitu  et  d'une  façon  aussi  solide,  l'histoire  du  théâtre  eu 
France.  Nous  ne  saurions  énumérer  ici  ses  écrits  en  dehors  de  cette 
spécialité;  nous  rappellerons  cependant,  en  terminant,  le  beau  volume, 
splendidement  illustré,  qu'il  fit  paraître  il  y  a  deux  ans  sous  ce  titre 
suffisament  significatif  :  Paris.  Arthur  Pougin. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Dimanche  16  Août  1891. 


3150  -  Sî-"'  mm  —  I\°  33.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  rBANCO  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bans-paste  d'abonnemenC 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  eu  sni. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (21'  article),  Aldert  Souries  et  Charles 
Malhehre.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Petites  nouvelles  de  l'Opéra,  Jules  Ruelle; 
reprise  du  Voyage  en  Suisse,  aux  FolieB-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier.  — 

III.  Histoire  anecdotique   du  Conservatoire  (2^  article),   André  Martinet.   — 

IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour; 

MARIE-LOUISE 

gavotte  de  Gh.  Neustedt.  —  Suivra  immédiatement:  L'Étudiant  en  goguette, 
nouvelle  marche  de  Philippe  Fahrbach. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Un  baiser,  nouvelle  mélodie  de   Charles  Grisart,  poésie  de  Le 
Lassen  de  Rauzay.  —  Suivra  immédiatement:  Pour  vous  I  nouvelle  mélodie 
de  Paul  Rougnon,  poésie  de  Roger  Miles. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Alljert  SOUBIES   et  CHarles   JVIA.LHEIIBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(186S-1868) 

(Suite.) 

L'année  1866  débuta  par  un  échec  fort  inattendu,  celui  de 
Fior  iVAliza.  On  comptait  sur  l'ouvrage  à  ce  point  qu'il  avait 
été  question  d'engager  à  l'Opéra-Comique  M'"=  Adelina  Patti, 
qui  aurait  joué  le  rôle  principal  une  douzaine  de  fois.  En  fait 
les  négociations  furent  entamées,  mais  n'aboutirent  pas.  Les 
journaux  n'en  continuèrent  pas  moins  à  exulter  d'avance, 
proclamant  bien  haut:  «  On  s'attend  à  un  magnifique  succès 
musical  »  et  «  ce  sera,  si  nous  sommes  bien  renseignés,  une 
des  soirées  qui  marquent  dans  les  fastes  de  l'art  et  laissent 
une  grande  œuvre  au  répertoire  d'un  théâtre.  »  Et  M.  de 
Lamartine  lui-même,  assistant  à  une  répétition,  adressait  à 
Victor  Massé  ces  paroles  soigneusement  recueillies  par  la 
presse  :  «  Monsieur,  votre  œuvre  est  de  celles  qui  ennoblis- 
sent et  agrandissent  le  domaine  de  l'art.  Je  suis  fier  non  seu- 
lement pour  moi,  mais  pour  mon  pays  »  ! 

Lamartine  était  d'ailleurs  pour  quelque  chose  dans  la  pièce. 


puisque  les  librettistes  Michel  Carré  et  Hippolyte  Lucas  avaient 
tiré  leurs  quatre  actes  d'un  épipode  de  ses  Confidences.  Mail- 
lart  s'en  était  quelque  peu  emparé  déjà  avec  ses  Pêcheurs  de 
Catane,  et  M.  Antony  Choudens  devait  y  revenir  plus  tard 
avec  GrazieUa.  Pourtant  le  sujet  semblait  peu  favorable  à  la 
scène,  et  tandis  que  Dumanoir  lui  offrait  un  Lutrin,  et  Meil- 
hac  une  Péruvienne,  sans  parler  d'une  Speranza,  annoncée  de- 
puis longtemps,  on  peut  s'étonner  que  le  choix  de  "Victor 
Massé  se  soit  porté  sur  un  tel  livret. 

Son  tableau  revêtait  les  couleurs  les  plus  sombres  ;  on  y 
pleurait  plus  que  de  raison  ;  la  moitié  du  spectacle  se  passait 
dans  une  prison,  et  la  pièce  n'avait  guère  de  comique  que  le 
nom  du  théâtre  oîi  elle  se  jouait.  De  plus,  bien  des  scènes 
rappelaient  des  situations  connues.  Exemples  :  Fior  d'Aliza 
se  déguisant  en  homme  pour  entrer  dans  la  prison  de  Lac- 
ques et  en  faire  évader  son  amant  —  Fidelio;  Fior  d'Aliza 
jouant  un  air  de  zam-pogna  pour  se  faire  entendre  de  Gero- 
nimo  captif  —  Richard  Cœur  de  Lion  ;  Fior  d'Aliza,  conduite  au 
supplice,  après  s'être  substituée  à  son  amant,  et  sauvée  à 
l'instant  où  l'exécution  allait  avoir  lieu,  par  la  grâce  du  cou- 
pable qu'a  obtenue  le  père  Hilario  —  le  Déserteur.  En  revanche 
un  personnage  était  de  l'invention  des  librettistes,  et  Lamar- 
tine n'oublia  pas  de  les  en  féliciter  quand  il  leur  écrivit  dans 
une  lettre  alors  rendue  publique  :  «  Je  n'ai  été  que  l'occa- 
sion et  nullement  l'auteur  de  votre  pièce.  Le  troisième  acte 
entre  autres,  le  plus  charmant,  est  entièrement  de  vous.  Le 
personnage  de  la  folle  est  une  invention  à  laquelle  f  avais  eu  la 
maladresse  de  ne  pas  songer.  » 

L'épisode  auquel  le  poète  fait  allusion,  quelque  peu  ana- 
logue d'ailleurs  à  celui  de  Lara,  était  à  la  vérité  un  triomphe 
pour  M""«  GdUi-Marié  qui,  par  l'énergie  de  son  jeu,  avait  mis 
ce  rôle  secondaire  au  premier  plan.  Mais  la  plupart  des  au- 
tres interprètes  manquaient  d'entrain  et  de  passion,  Achard 
(Geronimo),  Crosti  (Hilario),  bientôt  remplacé  par  Bataille, 
et  M""'^  Vandenheuvel-Duprez,  réengagée  pour  la  circons- 
tance, et  dont  on  admirait  toujours  la  méthode  parfaite, 
sans  pouvoir  constater  une  augmentation  dans  le  volume 
de  sa  voix. 

La  première  représentation,  retardée  par  les  modifications 
qu' Achard  avait  demandées  dans  sa  partie,  eut  lieu  le  5  février 
1866.  La  presse  se  montra  des  plus  favorables.  Un  journal 
imprimait  ceci:  «  Nous  avons  assisté  à  un  magnifique  succès, 
un  de  ces  succès  qui  sont  à  la  fois  l'honneur  et  la  fortune 
d'un  théâtre.  Nous  avons  été  rarement  témoin  d'un  triomphe 
plus  complet!...  C'est  avec  joie  que  nous  enregistrons  tou- 
jours les  solennités  de  l'art.  »  Théophile  Gautier  disait  : 
«  Le  succès  a  été  complet,  éclatant  »  et,  suivant  l'enlraine- 
ment  général,  Azevedo,  critique  peu  indulgent  d'ordinaire, 
soutenait  que  Victor  Massé  désormais  était  «   capable  de  se 


"2158 


LE  MENESTREL 


tirer  à  son  honne<ir  de  la  lâche  de  composer  un  grand  opéra. 
Il  a  le  souffle,  l'énergie,  la  passion  que  ce  genre  réclame  ».  A 
tous  ces  beaux  discours  le  public,  trop  sévère  peut-être,  répondit 
par  trente-trois  représentations.  Vainement  on  essaya  de  lancer 
en  dehors  de  Paris  cette  œuvre  nouvelle  qui,  disait  une  note 
officieuse  et  bizarre  envoyée  alors  aux  journaux,  «  fei-a  la  fortune 
des  directeurs  de  province.  Fior  d'AUza,  œuvre  de  maître  par 
son  sentiment  re//(7iei(j;  et  exalté,  son  intérêt  poétique  et  atten- 
drissant, est  admirablement  disposée  pour  plaire  au  public  de  pro- 
vince, qui  réagit  en  faveur  de  l'art  sérieux  et  des  bonnes 
mœurs,  contre  le  j^oivre  et  le  piment  de  beaucoup  de  pièces 
modernes  destinées  pour  la  plupart  aux  désœuvrés  et  aux 
étrangers  blasés  de  la  capitale.  Elle  relève  le  goût  et  raffermit  les 
saines  traditions.  »  Le  boniment  est  complet;  mais  il  s'excuse 
par  les  circonstances  qui  l'ont  provoqué.  Fior  d'AUza  n'avait 
pas  trouvé  d'éditeur,  et  ne  fut  publiée  que  plus  tard.  «  Je  n'ai 
pas  voulu,  nous  avouait  M.  Choudens  père,  qu'une  œuvre  de 
Victor  Massé  ne  fût  pas  gravée.   » 

Quoique  publiée  plus  tôt,  la  partition  de  Zilda  ne  valait 
guère  mieux.  Cet  opéra-comique  en  deux  actes  avait  pour 
auteurs  d'une  part  de  Saint-Georges  et  Ghivot,  de  l'autre 
Flotow.  C'est  un  conte  des  .Ville  et  une  nuits,  proche  parent  de 
la  nouvelle  de  Voltaire  Cosi  sanc.ta  ou  un  peu  de  mal  pour  un 
grand  bien,  une  histoire  d'Orient  où  l'on  voit  le  fameux  calife 
de  Bagdad  parcourant  incognito  les  rues  de  sa  ville,  pro- 
tégeant les  innocents  et  punissant  les  coupables.  L'innocente 
ici  est  une  jeune  fille,  venue  à  Bagdad  pour  réclamer  au 
docteur  Babouc  mille  écus  d'or  qui  lui  sont  dus,  mais,  comme 
elle  est  jolie,  le  docteur  émet,  avant  de  rendre  l'argent,  des 
prétentions  qu'on  devine.  La  malheureuse  s'adresse  au  cadi 
qui  pour  lui  rendre  justice,  émet  les  mêmes  prétentions, 
puis  au  vizir  lui-même  qui  ne  veut  pas  se  montrer  plus  dé- 
licat. C'est  le  calife  en  personne,  qui,  à  la  faveur  d'un  dégui- 
sement, se  mêle  à  l'intrigue,  et  amène  par  son  mariage  avec 
la  jeune  victime  le  plus  heureux  des  dénouements.  En  reli- 
sant cet  ouvrage  oublié,  on  devine  aisément  qu'il  se  confond 
avec  la  Nuit  des  Dupes,  pièce  commandée  p^tr  Perrin  à  Flotow 
en  1862,  lors  d'un  passage  du  compositeur  à  Paris,  et  distri- 
buée à  MM.  Gourdin,  Couderc,  Lemaire,  M™^  Marlmon  et 
Révilly.  Cette  dernière  seule  avait  gardé  son  rôle;  celui  de 
Gourdin  avait  passé  à  Crosti,  celui  de  Couderc  à  Prilleux,  et 
celui  de  Lemaire  à  Sainte-Foy  qui  représentait  un  im- 
payable cadi,  surtout  lorsque  Zilda  le  bernait  en  le  faisant 
danser.  C'était  le  temps  où  l'on  se  pressait  au  Gymnase  pour 
voir  dans  les  Curieuses,  de  Meilhac  et  Halévy,  le  vieux  Derval 
faire  le  petit  chien  devant  une  jeune  «  cocodette  ».  Les  deux 
scènes  avaient  quelque  analogie;  mais  le  succès  fut  bien  dif- 
férent, car  Zilda  ne  dépassa  pas  vingt-trois  représentations. 

Plus  triste  parut  encore  la  destinée  de  José-Maria,  opéra- 
comique  en  trois  actes  de  Cormon  et  Meilhac,  musique  de 
Jules  Cohen,  répété  sous  le  titre  du  Salteador  et  représenté  le 
16  juin  1866.  José-Maria  est  un  bandit  qui  épouvante  la  ville 
mexicaine  dans  laquelle  se  passe  l'action,  mais  que  jamais 
personne  n'a  vu.  Un  certain  Carlos,  amoureux  d'une  jeune 
veuve,  a  la  singulière  idée,  pour  se  faire  épouser  de  sa 
belle,  de  lui  voler  toute  sa  fortune,  sauf  à  la  lui  rendre  au 
dénouement,  en  lui  apprenant  en  même  temps,  qu'il  n'est  pas, 
comme  elle  le  croyait,  le  brigand  redouté  de  tous.  José  Maria 
pourrait  s'appeler  la  deuxième  incarnation  de  Fra  Diavolo, 
car  on  n'a  plus  revu  depuis  à  la  salle  Favart,  ce  type  usé 
déjà,  tant  il  avait  servi,  mais  que  sauvait  encore  l'élégance 
de  son  interprète,  Montaubry.  Melchissédec,  Ponchard,  Na°han, 
M-°"  Galli-Marié  et  Bélia  défendirent  la  pièce  de  leur  mieux: 
mais  le  compositeur  ne  put  encore  atteindre  au  succès. 

L'année  s'annonçait  mal,  car  Gounod  lui-même  ne  fut  guère 
plus  heureux  avec  sa  Colombe,  deux  petits  actes  durant  à 
peine  une  heure  et  demie,  bijou  plus  charmant  qu'il  n'est 
gros,  badinage  aimable  où  la  légèreté  de  touche  s'unit  à  l'ins- 
piration. La  Fontaine  en  avait  fourni  le  sujet,  puisque  la 
Colombe  n'est  qu'une  adaptation  de  son    naïf  et  joli   conte,   le 


Faucon.  Jules  Barbier  et  Michel  Carré  en  avaient  tiré  un  petit 
acte  d'abord  joué  à  Bade,  sur  le  théâtre  de  M.  Benazet,  fer- 
mier des  jeux,  par  Roger,  Balanqué,  M™"  Carvalho  et  Faivre. 
Puis  ce  premier  acte  s'était,  sans  grande  utilité  d'ailleurs,, 
augmenté  d'un  second,  et  dans  cette  version,  l'ouvrage  fut 
servi  au  public  parisien  le  7  juin  1866  par  Gapoul,  Bataille, 
M'™'  Girard  et  Cico,  bientôt  remplacée  par  M""  Bélia.  La  Co- 
lombe s'envola,  bien  loin  au  bout  de  vingt-neuf  représentations- 
et  no  reparut  plus  qu'au  théâtre  Tailbout,  transformé  en 
«  Nouveau-Lyrique  »  le  4  novembre  1879,  avec  Gruyer,  Morras 
M™'  Peschard  et  Parent.  A  treize  ans  de  distance,  les  résul- 
tats ne  différaient  guère  ;  vingt-quatre  soirées  seulement  don- 
nèrent alors  le  maigre  chiffre  de  8,3lo  francs.  Au  reste,  en 
1866,  la  représentation  de  cet  ouvrage  ressemblait  à  un  souhait 
de  bienvenue  au  nouveau  membre  de  l'Institut  qui,  le  12  mai 
précédent,  avait  été  élu  en  remplacement  de  Clapisson  par 
19  voix  contre  16  données  à  Félicien  David.  L'auteur  de  Faust 
quoiqu'il  fût  déjà  en  pleine  possession  de  sa  célébrité,  n'avait 
jamais  frappé  à  la  porte  de  l'Opéra-Gomique.  On  parlait,  il 
est  vrai,  l'année  précédente,  dn  Médecin  malgré  lui  dont  l'heure 
ne  devait  sonner  qu'en  1872.  Mais  la  fermeture  du  Théâtre- 
Lyrique  et  la  guerre  devaient  éloigner  Gounod  de  la  place 
du  Chàtelet  où  il  avait  obtenu  des  retentissants  triomphes;, 
et  c'est  alors  seulement  qu'on  put  tour  à  tour  applaudir  à  la 
salle  Favart  Roméo  et  Juliette,  Mireille,  Philémon  et  Baucis,  Cinq- 
Mars. 

Les  reprises  de  cette  année  1866  offrent  un  intérêt  médio- 
cre. Avec  Crosti  (Frontin),  Nathan  (le  bailli)  et  M"«  Girard 
(Babet),  le  Nouveau  Seigneur  du  village,  parti  depuis  18o6,  reve- 
nait le  1'"' janvier,  jour  mal  choisi  pour  faire  fêter  dignement 
son  retour.  Le  6  juillet,  on  essayait  les  Sabots,  de  Duni,fort  usés 
depuis  le  temps  qu'ils  avaient  servi,  une  des  pièces  les  plus 
anciennes  du  répertoire,  puisqu'elle  date  de  l'année  1768,  et 
que  la  verve  de  M"''  Girard  était  insuffisante  à  rajeunir.  Le  public 
resta  indifférent,  et  quelques  journalistes,  Nestor  Roqueplan 
entre  autres,  dans  le  Constitutionnel,  protestèrent  énergique- 
ment  contre  cette  exhumation  inutile.  Leur  voix  eut  de  l'écho, 
malheureusement  peut-être,  car  il  est  à  remarquer  que  les  Sa- 
bots sont  la  dernière  pièce  antérieure  à  l'ouverture  de  la  salle 
Favart,  et  remise  à  la  scène  dans  ce  théâtre.  C'est  presque,. 
si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  la  suprême  lueur  jetée  par  le 
répertoire  primitif,  jugé  désormais  trop  dépourvu  d'intérêt 
dramatique  et  musical. 

Joseph,  dont  la  dernière  apparition  remontait  à  1852,  eut  un 
meilleur  sort.  Le  principal  rôle  était  confié  à  Gapoul,  le 
charmant  ténor  qu'une  maladie  avait  éloigné  de  la  scène 
pendant  l'hiver,  et  que  l'Ambassadrice  avait  ramené  dès  les 
premiers  jours  de  mai.  Comme  autrefois  Mario,  il  était  alors 
l'objet  de  compétitions  nombreuses,  et  le  Théâtre-Lyrique 
notaonmenl  essayait  de  l'arracher  à  l'Opéra-Comique  :  on 
cherchait  un  interprète  pour  le  Roméo  et  Juliette.  On  racontait 
que  M.  Carvalho  payait  son  dédit  de  quarante  mille  francs 
et  lui  offrait  cinq  mille  francs  par  mois.  Ce  qu'il  y  a  de  cer- 
tain, c'est  que  des  pourparlers  furent  engagés,  mais  n'abou- 
tirent pas.  Gounod  écrivit  une  lettre  et  choisit  Michot  pour 
interprète;  Gapoul  ne  quitta  point  la  salle  Favart,  et  si,  plus 
tard,  il  parut  sous  le  pourpoint  de  Roméo,  ce  fut  en  chantant 
la  musique  du  marquis  d'Ivry  et  non  celle  de  Gounod.  A 
côté  du  séduisant  Joseph,  M"'  Marie  Rôze  représentait  un  dé- 
licieux Benjamin,  et  parmi  les  fils  de  Jacob,  personnifié  par 
Bataille,  figuraient  bien  modestement  sous  les  traits  de  Gad 
et  de  Ruben,  deux  artistes  dignes  de  mention.  L'un  débutait 
ce  soir-là,  M.  Vois  qui,  quelques  mois  plus  tard,  allait  créer 
le  rôle  de  Frédéric  da.ns  Mignon;  l'autre,  Lhérie,  avait  débuté 
le  23  février  dans  r.Unbassadrice,  nouveau  Bénédict  qui  sor- 
tait du  Conservatoire  avec  un  simple  deuxième  accessit 
d'opéra-comique.  Alors  on  ne  le  remarqua  guère,  sauf  peut- 
être  dans  le  Songe  d:une  Nuit  d'été,  où  le  2  octobre  de  la  même 
année,  il  fit  applaudir  un.Latimer,  plein  de  chaleur  et  d'en- 
train, à  côté  d'Âchard,  de  Crosii,  et  de  M"'=  Gabel  qui  abor- 


LE  MENESTREL 


259 


<lait  avec  succès  le  rôle  d'Elisabeth.  Dix  ans  plus  tard,  Lhérie 
avait  rhonneur  d'être  le  premier  Benoît  du  Roi  l'a  dit  et  le 
premier  Don  José  de  Carmen.  Ces  deux  créations  marquaient 
le  point  culminant  de  sa  carrière,  et  le  ténor  se  transformait 
depuis  en  baryton  !  —  La  place  est  peut-être  opportune,  puis- 
qu'on parle  de  Joseph,  pour  rappeler  ici  les  vers  qui  paru- 
rent sous  le  nom  d'un  homme  grave,  M.  Guizot,  dans  un 
journal  non  moins  grave,  les  Débals.  Ils  étaient  adressés  à 
iîéhul  lui-même  et  commençaient  ainsi  : 

Sublime  élève  d'Apollon, 
0  toi,  dont  l'Europe  charmée 
Inscrit  la  mémoire  et  le  nom 
Aux  portes  de  la  renommée  ; 
Dont  le  talent  toujours  égal 
Répand  partout  les  mêmes  charmes. 
Toi,  qui  nous  arrachas  des  larmes 
Dans  Stratonice  et  dans  Vlhal 
Rival  heureux  de  Linus  et  d'Orphée, 
A  tant  de  triomphes  si  beaux, 
Tu  viens,  par  des  succès  nouveaux, 
D'ajouter  un  nouveau  trophée! 
Joseph  reparaît  à  ta  voix. 
Et,  contant  sa  touchante  histoire. 
Vient  t'assurer  de  nouveaux  droits 
A  nos  respects  comme  à  la  gloire. 
Dans  cet  ouvrage  séducteur 
Brille  le  feu  de  ton  génie; 
Partout  ta  divine  harmonie 
Entraîne  et  ravit  notre  cœur... 


De  ton  génie  la  sublime  puissance 
Habilement  a  su  nous  retracer 
Le  langage  de  la  nature. 
Et  les  pleurs  que  tu  fais  verser 
Sont  ta  louange  la  plus  sûre. 


ha  pensée  n'est  pas  très  originale,  ni  la  rime  bien  rare  ; 
^ais  il  faut  excuser  le  poète  :  il  n'avait  quand  il  les  écrivit, 
que  vingt  ans  ! 

(A  suivre.) 


i 


BULLETIN    THEATRAL 


L'Opéra  a  donné  cette  semaine  Faust,  les  Huguenots  et  Sigurd.  Dans 
les  Huguenots,  mercredi,  la  jeune  troupe  féminine  a  essayé  ses  forces. 
Ou  a  entendu  M"»'  Pack,  Lovenlz  et  Falize  chantant  les  rôles  de 
Valentine,  de  Marguerite  et  d'Urbaiu.  Le  soleil,  même  grisâtre 
comme  en  l'été  qui  nous  afflige,  aide  à  l'éclosion  des  talents  en 
bouton. 

Onparail  fort  indécis  au  sujet  delà  date  de  la  première  représentation 
de  Lohengrin.  Les  uns  disent  que  ce  sera  le  31  aovlt,  les  autres,  le  2  sep- 
tembre; d'autres  encore  le  4  ou  le  7  septembre.  A  l'Opéra  on  parle  du 
31  courant  ou  du  2  septembre  au  plus  tard.  Les  travaux  sont  poussés 
avec  une  grande  activité;  tous  les  chefs  de  service  font  preuve 
d'un  zèle  immense  afin  que  ne  soit  pas  relardé  cet  événement  artis 
tique  qui  doit,  on  l'espère  du  moins,  remplir  jusqu'au  bord  la  caisse 
directoriale.  La  sérieuse  difficulté  actuelle,  c'est  de  bien  établir  les 
mouvements  de  la  partition  de  Wagner.  MM.  Gailhard  et  Lamoureux 
y  donnent  tous  leurs  soins. 

Quelques  engagements  et  réengagements  ont  été  conclus  par  la 
nouvelle  direction  de  l'Opéra.  M""  Issaurat,  Lemeignan  et  M.  Gri- 
maud,  premiers  prix  des  concours  de  ISOl,  ont  traité  aux  conditions 
ordinaires  du  Conservatoire,  soit  pour  deux  ans,  à  raison  de  S, 000, 
puis  de  7,000  francs.  M"»  Wyns  est  engagée  aussi.  MM.  Duc  et 
Delmas  ont  renouvelé.  Quant  aux  autres  engagements,  dont  il  a  été 
parlé,  nous  ne  croyons  pas  qu'ils  soient  conclus  encore. 

Il  est  probable  qu'avant  de  quitter  la  direction  de  l'Opéra, 
MM.  Ritt  et  Gailhard,  rappelés  à  leurs  devoirs  par  le  ministre, 
représenteront  l'ouvrage  en  deux  actes  de  M.  Bourgault-Ducoudray: 
Tamara,  qui  serait  mis  à  l'étude  dès  que  Lohengrin  aura  vu  le  feu. 
Quant  à  la  nouvelle  direction,  la  première  partie  de  son  programme 
comprend,  jusqu'à  présent,  Salammbô,  Hérodiade  et  Don  Quichotte, 
ballet  de  M.  Wormser. 

A  l'Opéra-Gomique,  les  peintres  et  les  tapissiers  sont  actuelle- 
ment maîtres  de  la  salle.  M.  Carvalho,  en  partant  pour  la  Bretagne, 
a  donné  des  ordres  pour  que  pinceaux  et  tentures  fissent  une  nou- 
velle  toilette   à    ce    théâtre    municipal.    Gela  ne   signifie  nullement 


qu'on  va  s'empresser  de  reconstruire  la  salle  Favart.  Que  disons 
nous,  la  reconstruire  ?  Mais  un  tir  à  la  carabine  Gifïard  va  y  être 
bientôt  installé.   Quelle  musique  pour  le  quartier  ! 

Jules  Ruelle. 

Folies-Dramatiques. —  Le  Voyage  en  Suisse,  pièce  en  trois  actes  de  MM.  Blum 
et  Toché,  musique  de  M.  M.  BouUard. 
Ce  M.  Vizentini  est  décidément  un  homme  entreprenant  et  son 
activité  devrait  être  donnée  en  exemple  à  tous  ses  coufrères  de 
Paris.  Il  y  a  une  quinzaine  de  jours,  il  donnait  une  reprise  de  la 
Goguette  et,  le  ciel  inclément  aidant,  les  recettes  se  maintenaient  à 
uu  taux  plus  que  normal  pour  un  mois  d'août.  Mais  voilà  que 
notre  directeur  entend  dire  que  la  célèbre  troupe  des  Renad's  tra- 
verse Paris  et  peut  y  séjourner  quelques  jours;  vite,  il  signe  un 
traité  avec  les  fameux. acrobates  pour  le  peu  de  temps  qu'ils  ont 
de  libre,  met  en  répétition  le  Voyage  en  Suisse,  fait  travailler  sa 
troupe  d'arrache-pied  et  affiche  la  première  de  l'amusante  pièce  de 
MM.  Blum  et  Toché.  Et  le  public,  charmé  de  cette  variété,  et  sa- 
chant que  dans  peu  on  lui  rendra  le  vaudeville  de  MM.  Burani  et 
Raymond,  applaudit  des  deux  mains  au  changement  de  spectacle. 
Le  succès  du  Voyage  en  Suisse  a  été  tel  qu'il  devait  être;  cette 
étonnante  bouffonnerie,  faite  beaucoup  plus  pour  les  clowns  que 
pour  les  comédiens,  a  trouvé  rue  de  Bondy  une  interprétation 
d'ensemble  agréable  et  souvent  même  drolatique.  M.  Guyon  est 
un  fort  divertissant  Gorgoloin ,  et  plus  encore  que  l'hôtelier  du 
Righi,  il  semble  né  à  Uri;  M""  Guitty,  qui  fait  son  petit  trou  et 
finira  par  percer  tout  à  fait,  n'est  pas  sans  agrément.  MM.  Bellucci 
et  Mesmaëcker,  aidés  des  trois  frères  Renad's,  contribuent  à  mener 
rondement  la  pièce  agrémentée  de  quelques  couplets  spirituellement 
arrangés  par  M.  Marius  Boullard. 

Paul-Emile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

uu 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

(Suite) 


CHAPITRE  I 


l'école   royale   de   chant   et   de   DliCLAJLATION 

Ministre  de  la  Maison  du  Roi,  après  avoir  brillamment  représenté 
la  France  dans  la  conclusion  du  traité  de  Teschen,  le  baron  de 
Breteuil  s'était  rapidement  attiré  la  sympathie  des  artistes. 

En  ces  temps  oîi  les  gazettes  semblaient  imprimées  au  Parnasse, 
l'encens  des  sonnets  s'élevait  fréquemment  jusqu'à  lui,  les  poètes  le 
chantaient;  le  il/(?rcM?'e,  inaugurant  l'année  l'784,  offrait  au  fils  d'Apol- 
lon un  chapelet  d'hémistiches  dont  il  suffit  de  citer  la  chute  : 

Sage  Breteuil,  de  votre  ministère 

Que  le  destin  protège  l'heureux  cours! 

Que  la  santé  de  sa  coupe  légère 

Verse  longtemps  le  nectar  sur  vos  jours! 

Ami  des  arts,  comblez  leur  espérance 

Vivez  pour  eux,  pour  Louis  et  la  France. 

Un  tel  ministre  devait  sans  hésitation  appuyer  les  plans  de  Gos- 
see,  prendre  en  main  les  intérêts  des  Muses  menacées  de  l'exil;  aussi 
le  .3  janvier,  obtenait-il  de  Louis  XVI  l'ordonnance  appelée,  croyait- 
on,  à  sauver  l'Opéra. 

«  Le  Roi  ayant  reconnu  que  ce  qui  pourrait  contribuer  le  plus  effi- 
cacement à  donner  à  un  spectacle  aussi  intéressant  pour  le  public, 
un  nouveau  degré  de  perfection,  ce  serait  d'établir  une  école  oh 
l'on  pût  former  tout  à  la  fois  des  sujets  utiles  à  l'Académie  nationale 
de  Musique  et  des  élèves  propres  au  service  de  la  chapelle  de  Sa 
Majesté...   Ordonne  : 

Article  premier.  —  A  compter  du  i"  août  prochain,  il  sera  pourvu 
à  l'établissement  d'une  Ecole  tenue  par  d'habiles  maîtres  de  musique, 
de  clavecin,  de  déclamation,  de  langue  française,  et  autres,  char- 
gés d'y  enseigner  la  musique,  la  composition  et,  en  général,  tout  ce 
qui  peut  servir  à  pertéctionner  les  différents  talents  propres  à  la 
musique  du  Roi  et  de  l'Opéra.  » 

Le  premier  nom  mis  en  avant  pour  le  poste  d'administrateur  avait 
été  celui  de  Piccinni. 

A  la  lettre  de  M.  de  la  Ferté,  Intendant  des  Menus,  qui  lui^en 
faisait  l'offre,  le  maître  italien  répondit  qu'il  désirait  avoir  le  titre 


260 


LE  MEiNESÏREL 


de  directeur  et  être  logé  avec  sa  famille.  Les  négociations  furent 
vites  rompues  sur  l'ordre  du  baron  de  Breteuil.  —  «  Il  faut  en  res- 
ter là  vis-à-vis  de  cet  artiste  et  ne  pas  le  presser  davantage  sur  la 
place  qu'on  lui  a  offerte.  Je  ne  regretterai  point  du  tout  qu'il  ne 
l'accepte  pas,  parce  que,  connaissant  comme  je  le  sais  l'avidité  ita- 
lienne, il  y  trouverait  sans  cesse  de  nouveaux  motifs  d'augmenter 
ses  demandes.  »  —  Et  le  chois  du  ministre  se  porta  sur  Gossec. 

Sont  nommés  maîtres  pour  la  perfection  et  le  goût  du  chant, 
Piccinni,  Langlès  et  Guichard;  Rigel,  Saint-Amand  et  Méou  pour 
le  solfège  ;  Gobert  et  Rodolphe  sont  titulaires  du  clavecin  et  de  la 
composition;  Mole  et  Pillol  enseigneront  la  déclamation  et  le  jeu  du 
théâtre,  Guériu  le  violon,  et  Rochez  la  basse.  La  langue  française 
et  l'histoire  sont  confiées  à  Rosset,  les  armes  à  Donadieu  et  la  danse 


Ainsi  composée,  l'École  ouvre  ses  portes  le  !"■  avril  1784,  en 
l'hôtel  des  Menus-Plaisirs,  rue  Poissonnière,  et  le  Journal  de  Paris 
songe  le  19  mai  seulement  à  annoncer  cet  événement  à  ses  lecteurs. 

Les  Tablettes  de  renommée  des  musiciens,  parues  vers  la  fin  de  l'an- 
née, donnent  quelques  renseignements  aux  aspirants  chanteurs  : 

«  L'École  lient,  excepté  les  dimanches  et  fêtes,  fous  les  jours  do 
la  semaine  ;  le  matin,  depuis  8  heures  jusqu'à  1  heure,  et  l'après- 
diner,  depuis  3  heures  jusqu'à  o  heures. 

»  On  admet  à  cette  école  des  jeunes  gens  des  deux  sexes,  toutefois 
qu'ils  se  présentent  avec  une  belle  voix,  d'heureuses  dispositions 
pour  le  chant  et  qu'ils  tiennent  à  d'honnêtes  gens  qui  répondent 
de  leur  conduite  et  de  leur  assiduité.  Les  sujets  ne  peuvent  être 
reçus  qu'après  avoir  été  présentés  à  M.  Gossec  et  avoir  été  entendus 
par  tous  les  maîtres  de  chant  et  de  musique  :  et  l'ordre  le  plus 
sévère  règne  à  cette  École,  tant  du  côté  du  devoir  que  de  celui  de 
l'honnêteté  et  de  la  décence.  » 

A  peine  inaugurée,  la  nouvelle  institution  vient  au  secours  do 
l'Opéra.  Les  débuts  de  M""  Dozon  dans  Chimène,  le  17  septembre, 
sont  salués  avec  enthousiasme;  il  n'est  bruit  que  de  sa  voix,  de  sa 
sensibilité,  de  son  aisance;  déjà  on  s'extasie  sur  l'utilité  de  l'École 
011  a  été  formée  cetle  émule  de  la  Saint-Huberti,  on  oublie  que  depuis 
deux  ans  elle  reçoit  les  conseils  de  Laj-s. 

Puis,  tout  ce  bruit  s'apaise  et  1785  s'écoule  sans  que  l'hôtel  des 
Menus-Plaisirs  semble  occuper  outre  mesure  l'attention  du  public. 

Nous  retrouvons  trace  de  son  existence  le  o  avril  de  l'année  sui- 
vante, quand  on  essaie  pour  la  première  -fois  devant  le  public,  le 
talent  des  élèves  dans  une  représentation  de  Roland  donnée  sur  le 
théâtre  des  Menus. 

MM.  Dessaules  et  Lefèvre  chantent  Roland  et  Médor  ;  les  rôles 
d'Angélique  et  de  Thémire  sont  échus  à  M»"  Mulot  et  Delillette. 
Les  chœurs  sont  le  partage  des  élèves  dont  beaucoup  n'ont  pas 
dépassé  la  douzième  année  —  et  le  succès  de  cette  tentative  est 
tel  que  Piccinni  avoue  qu'il  vient,  pour  la  première  fois,  de  recon- 
naître dans  Texécution  de  sa  musique  les  intentions  qu'il  y  avait 
mises. 

Aux  promesses  de  l'École  royale,  l'Opéra  répond  par  un  appel  au 
pays.  Les  journaux  de  juillet  insèrent  une  note,  réclamant  une 
voix  de  haute-contre;  on  s'adresse  à  Paris,  aux  provinces,  on  fait 
miroiter  une  rente  viagère  de  300  livres  pour  qui  présentera  l'oiseau 
rare. 

Mais  que  de  qualités  exigées!  Savoir  la  musique  au  point  de 
solfier  couramment,  ne  pas  dépasser  22  à  23  ans,  avoir  atteint  au 
moins  sa  18«  année,  taille  de  cinq  pieds  quatre  pouces,  figure  agréable, 
des  yeux  sans  défauts,  la  jambe  bien  faite,  moyennant  quoi,  le  maître 
assez  heureux  pour  contenter  l'Académie  aura  voyage  et  séjour 
payés,  plus  la  pension  promise. 

*  * 

L'École  de  chant  a  entraîné  de  nombreuses  dépenses  et  on  saisit 
avec  empressement  la  première  occasion  qui  s'offre  de  subvenir  à 
ses  besoins  sans  aggraver  plus  longtemps  l'état  désastreux  du  bud- 
get. 

Le  IS  septembre  1786,  le  Roi  désireux  d'éviter  à  l'avenir  les  con- 
trefaçons dont  se  plaignent  les  compositeurs  et  les  marchands  de 
musique,  établit  à  l'hôtel  des  Menus-Plaisirs  un  bureau  oîi  sera 
timbrée  toute  pièce  destinée  à  la  vente.  Un  professeur  y  fera  le  ser- 
vice tous  ies  jours  ouvrables  de  10  heures  à  2  heures.  Le  produit  du 
timbre  et  des  amendes  infligées  aux  contrevenants  sera  employé  à 
l'entretien  de  l'école. 

Les  charges  en  effet  augmentent  chaque  jour.  Un  règlement   du 


24  mai  avait  ajouté  une  classe  de  déclamation  confiée  à  Mole,  Du- 
gazon  et  Fleury.  Le  cours  oîi  les  t''ois  célèbres  comédiens  donnaient, 
à  tour  de  rôle,  leçon  à  tous  les  élèves,  est  inauguré  le  18  mai  et  le 
nom  de  Talma  figure  au  nombre  des  inscriptions. 


L'École  a  traversé  deux  années  de  calme;  maintenant  elle  va 
connaître  les  luttes,  et  la  première  escarmouche  est  soulevée  par  un 
des  siens. 

Il  n'est  pire  ennemi  qu'un  ami  maladroit.  M.  le  Prévôt  d'Exmes, 
professeur  de  langue  française  aux  Menus-Plaisirs,  n'a  pas  suffi- 
samment médité  cet  axiome  le  jour  où,  piqué  du  silence  gardé 
par  le  Mercure  lors  de  l'exercice  public,  il  lui  adresse  un  long  mé- 
moire vantant  les  élèves,  chantant  la  méthode,  glorifiant  les  maîtres. 

0  ...Les  chœurs  ont  été  entendus  avec  un  intérêt  si  vif  qu'il 
allait  jusqu'à  l'attendrissement...  si  M""  Delillette  a  paru  inférieure 
à  sa  camarade,  cela  peut  provenir  de  ce  que  son  rôle  de  suivante 
n'exigeait  pas  qu'elle  développât  entièrement  sa  voix...  » 

Quelques  réflexions  du  journal  suivent  le  plaidoyer  :  «  Nous 
sommes  loin  d'improuver  ces  éloges:  nous  aurions  désiré  seulement 
qu'ils  eussent  été  dispensés  avec  plus  de  réflexion.  Il  fallait,  par 
exemple,  louer  M.  Gossec  de  sa  grande  habileté,  de  son  intelligence 
dans  la  conduite  des  élèves,  de  sa  prudence,  toutes  qualités  essen- 
tielles pour  la  place  de  directeur;  mais  i!  est  fort  iudifférent  pour 
cet  emploi  que  son  0  salutaris  sans  accompagnement  soit  un  chef- 
d'oeuvre  ou  simplement  un  morceau  bien  fait...  Loin  d'être  étonné 
de  ce  que  cette  école,  au  bout  de  deux  ans,  ail  déjà  produit  des  su- 
jets capables  d'exécuter  un  opéra  tout  entier,  on  pourrait  l'être  que 
parmi  tant  d'élèves  il  ne  s'en  soit  pu  trouver  que  deux,  au  bout  d'un 
pareil  terme,  qui  méritassent  d'être  distingués,  et  l'on  se  demande- 
rait si  l'avantage  que  procureront  ces  sujets  peut  balancer  les 
sommes  que  cet  établissement  coilte.  » 


Le  28  novembre,  débats  à  l'Académie  de  Musique  des  élèves  de 
l'école  dans  le  Roland  de  Piccinni,  déjà  joué  sur  la  scène  des  Menus- 
Plaisirs. 

Grand  scandale  et  cris  d'indignation  parmi  les  pensionnaires  de 
l'Opéra  qui  déclarent  qu'en  cas  d'indisposition  des  intrus,  personne 
ne  consentira  à  les  doubler.  Plutôt  que  de  se  compromettre  aux 
côtés  du  sieur  Dessaules,  la  dame  Saint-Amand  qui  leprésente  Logis- 
tille,  veut  être  hissée  dans  une  gloire  pour  attaquer  les  derniers 
vers  de  l'ouvrage  : 

Roland,  courez  aux  armes! 
Que  la  gloire  a  de  charmes! 

Malgré  tant  de  mauvais  vouloir,  en  dépit  de  ces  obstacles,  le  suc- 
cès a  été  complet  pour  Dessaules  et  M"'=  Mulot,  même  accueil  fa- 
vorable à  Lefèvre,  élève  de  l'école  depuis  dix-huit  mois  seulement, 
enlevé  au  régiment  de  dragons  de  Ségur.  —  «  On  sait,  écrit  fort 
ingénieusement  un  gazetier,  quelle  est  la  manière  de  chanter  des 
garnisons  et  combien  l'éducation  ordinaire  d'un  dragon  est  différente 
de  celle  qu'on  exige  au  théâtre.   » 


Le  calme  renaît  et  si  on  travaille  avec  ardeur  à  l'hôtel  des  Menus, 
le  publie  ne  semble  y  prendre  qu'un  intérêt  médiocre,  à  en  juger 
par  le  silence  des  journaux.  Ils  tiennent  leurs  lecteurs  au  courant 
des  événements  de  l'Opéra,  sont  remplis  de  lettres  d'amateurs  de 
théâtre,  mais  l'Ecole  y  est  oubliée  jusqu'au  21  novembre  1787,  si- 
gnalé par  l'entrée  de  Talma  à  la  Comédie- Française. 

«  Un  acteur  qui  n'a  paru  sur  aucun  théâtre  débutera  par  le  rôle 
de  Séïde  dans  la  tragédie.  »  (Mahomet.) 

Le  jeune  acteur  a  été  goûté,  on  croit  qu'avec  du  travail  il  peut 
espérer  de  brillants  succès,  son  jeu  a  plu  généralement,  telle  est, 
en  résumé,  l'impression  des  gazettes.  Et,  à  l'occasion  du  début,  on 
reparle  de  l'Ecole  avec  une  pointe  d'amertume. 

«  Un  avantage  de  cet  établissement,  c'est  qu'une  foule  de  jeunes 
gens  de  l'un  et  l'autre  sexe,  qui  prennent  tous  les  jours  pour  le 
talent  des  disposilions  équivoques  ou  une  facilité  d'imitation  très 
commune,  souvent  même  le  seul  goût  de  l'indépendance,  y  seront 
bientôt  détrompés  de  leur  illusion  et  pourront  rentrer  dans  des  pro- 
fessions où  ils  exerceront  des  talents  utiles.   » 

La  semaine  suivante,  deux  autres  recrues  des  Menus-Plaisirs 
paraissent  avec  éclat  à  l'Opéra  :  M""  Lillette  dans  Dardanus  ;  M.  Re- 
naud, haute-contre  de  dix-huit  ans,  dans  Phèdre. 

En  même  temps,  les  élèves  sont  demandés  dans  les  églises,  aux 


LE  MENESTREL 


261 


fêtes   parlieulières,    réclamés    par   le    Théâtre-Français  quand   son 
programme  exige  la  présence  d'un  chœur. 

* 

Désormais,  silence  complet  autour  de  l'Ecole  de  chant  et  de  dé- 
clamation. Sauf  quelques  lignes  qu'ils  lui  consacrent  à  l'apparition 
d'un  des  siens  sur  la  scène  de  l'Académie  ou  de  la  Comédie,  les 
journaux  semblent  ignorer  son  existence. 

M""  des  Garsins  entre  triomphalement  au  Théâtre-Français  en 
mars  1"Î88.  Les  poésies  s'amoncellent  à  ses  pieds  et  l'hôtel  des 
Menus-Plaisirs  resterait  oublié  dans  l'enthousiasme  général  si  la 
débutante,  rappelée  à  grands  cris,  ne  paraissait  «  conduite  par  un 
des  maîtres  de  l'Ecole,  M.  Mole,  qui  a  joui  d'une  des  plus  douces 
récompenses  du  talent  en  voyant  les  transports  qu'excitait  cette 
jeune  élève.  » 

Arrive  1789.  La  lettre  du  roi  convoquant  les  Etats-Généraux  paraît 
le  6  février  ;  chaque  semaine  apporte  une  liste  de  réformes  faites  au 
budget;  le  froid  le  plus  affreux  désole  Paris  menacé  de  famine. 

C'est  au  milieu  de  toutes  ces  tristesses  que  débute   à  l'Opéra,  le 
20  mars,  M"=  Delatour,  la  dernière  élève  sortie  de  l'Ecole  royale. 
(A  suivre.)  André';  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

M.  Mascagni,  l'auteur  de  la  triomphante  Cavalleria  rusticana,  vient  de 
terminer  la  partition  de  l'Ami  Fritz.  L'œuvre  nouvelle  ne  comporte  aucun 
chœur  en  scène. 

—  Il  est  à  remarquer  qu'en  ce  moment  l'Italie  revient  à  ses  vieux 
maîtres  avec  une  persistance  caractéristique.  Dans  tous  les  théâtres  de  la 
péninsule,  il. y  a  comme  un  renouveau  en  faveur  de  Rossini,  Donizetti, 
Bellini  et  de  Verdi  première  manière.  Ainsi  nous  citerons  Rome,  qui 
après  avoir  applaudi  le  Barbier,  vient  de  fêter  la  Norma,  dont  trois  mor- 
ceaux ont  été  bissés.  Deux  jours  après,  on  donnait  la  Favorite,  puis  ve- 
naient i  Masnadieri.  L'Italie,  qui  produit  peu  depuis  quelques  années,  vit 
surtout  du  répertoire  français.  Elle  a  essayé  de  l'Allemagne;  l'expérience 
ne  parait  pas  avoir  réussi.  Nos  voisins  en  combinant  habilement  les  nou- 
velles œuvres  françaises  avec  les  grandes  œuvres  de  leurs  vieux  maîtres, 
feraient  acte  de  sagesse  et  pourraient,  ainsi  traverser  les  années  maigres, 
lesquelles  passeront  vite,  car  le  génie  italien  reprendra  possession  de  lui- 
même. 

—  On  annonce  comme  devant  être  représenté  au  théâtre  Dal  Verme  de 
Milan,  au  cours  de  la  saison  prochaine,  un  opéra  nouveau  intitulé 
Maruzsa,  dont  les  auteurs  sont  M.  Luigi  Capuana  pour  les  paroles,  et 
M.  Francesco  Paolo  Frontini  pour  la  musique. 

—  Deux  compositions  nouvelles  ont  été  exécutées  à  l'occasion  de  la  so- 
lennelle distribution  des  prix  qui  a  eu  lieu  à  l'Académie  de  Sainte-Cécile 
de  Rome  :  Andante  et  menuet  d'un 'quatuor  en  sol  de  M.  Setacoidi,  élève  de 
M.  Cesare  De-Sanctis,  et  adagio  et  scherzo  d'un  quatuor  en  mi  b  de 
M.  Baiardi,  élève  de  M.  Falcbi.  Ces  compositions  ont  eu  un  grand  succès. 
M.  "Villari,  ministre  de  l'instruction  publique,  qui  assistait  à  la  distribu- 
tion des  prix,  a  fait  les  plus  vifs  éloges  aux  deux  jeunes  compositeurs. 

—  Au  théâtre  Bellini,  de  Naples,  fiasco  complet  pour  deux  opérettes 
nouvelles,  l'une,  Vieni  sul  mare,  du  compositeur  Grassi,  l'autre,  la  Maestra 
del  villaggio,  du  maestro  Vincenzo  Billi. 

—  On  lit  dans  il  Mondo  arti^tico  :  «  Un  comité,  composé  du  comte  Colta- 
bellotto,  du  marquis  Brancaccio  di  Triggiano,  du  marquis  Filiasi,  de 
MM.  Alfonso  Compagna  et  Pierino  Fioeca,  dans  le  but  de  faire  encore  une 
fois  refleurir  l'orchestre  napolitain,  a  cherché  à  réunir  une  masse,  sur  la 
base  de  cent  instruments  à  archet,  et  en  a  confié  la  direction  au  maestro 
Nicole  van  Werterhout.  Ceux  qui  aiment  l'art  et  s'en  occupent  à  Naples 
se  promettent  de  grands  avantages  de  cette  institution,  qui  aspire  à  réunir 
toutes  les  forces  juvéniles,  toutes  les  activités  qui  ont  besoin  d'expansion, 
les  talents  qui  attendent  l'occasion  pour  s'affirmer.  La  nouvelle  institution 
a  déjà  fait  un  essai  en  donnant  un  concert  dans  lequel  elle  a  développé 
un  programme  intéressant,  et  qui  a  eu  un  succès  magnifique.  • 

—  Nouvelle  liste  d'opéras  italiens  soigneusement  emmagasinés  dans 
les  cartons  de  leurs  auteurs,  en  attendant  que  puisse  luire  pour  eux  le 
grand  jour  de  la  représentation:  Ivanhoé,  paroles  de  M.  Golisciani,  musi- 
que de  M.  Vito  Fedeli  ;  Gianfrè,  musique  de  M.  Silvio  Danieli  ;  il  Caslello 
di  Brivio,  musique  de  M.  Antonio  Fissore;  il  Bandito,  musique  de  M.  Ar- 
turo  Berutti  ;  il  Re  di  Samarcanda,  musique  de  M.  Ercole  Grandi  ;  enfin, 
una  Tazza  di  brodo,  opérette,  musique  de  M.  Giovani  Amich. 

—  Carême  d'amour!...  tel  est  l'étrange  titre  d'une  nouvelle  opérette  du 
prince  de  Tora,  dont  la  représentation  est  prochaine  en  Italie. 

—  A  la  quatrième  page  de  l'Italie,  grand  journal  qui  se  publie  en  fran- 
çais à  Rome,  on  lit  en  ce  moment  une  annonce  assez  originale.  A  droite. 


un  cliché  légèrement  usé  mais  qui  représente  encore  la  Mignon  d'Ary 
Schefîer.  A  gauche,  cinq  fois  Mignon  suivi  de  ces  mentions  mirifiques: 
«  Savon  d'un  parfum  des  plus  délicats.  —  Rend  la  peau  fraîche  et  velou- 
tée. —  Son  prix  est  sans  rivaux.  —  Le  plus  économique.  —  Quiconque 
l'essaie,  l'adopte  ! . . .  »  Suivent  le  prix  du  savon  et  l'adresse  du  dépositaire, 
lequel  tient  aussi  la  Veloutine  Mignon.  Dans  ses  plus  hauts  rêves  de 
gloire,  Gœthe  n'alla  certainement  jamais  jusqu'à  supposer  qu'une  telle 
illustration  était  réservée  à  son  héroïne. 

—  Le  Collier  de  saphirs,  pantomime  en  deux  tableaux  de  M.  G.  Mendès, 
musique  de  M.  Gabriel  Pierné,  a  été  représentée  lundi  au  théâtre  de  Spa, 
devant  une  salle  comble  où  l'élément  parisien  ne  manquait  pas.  La  partition 
a  eu  grand  succès.  On  a  beaucoup  applaudi  la  légère  et  charmante 
Invernizzi  et  M'""  Garbagnati  qui  ont  mimé  à  ravir  toutes  leurs  scènes. 

—  Le  Musée  Grétry,  de  Liège,  vient  de  s'enrichir  de  quelques  dons 
d'une  précieuse  valeur  historique.  M.  Radoux,  directeur  du  Conservatoire 
a  reçu  pour  ce  musée,  entre  autres  choses:  l"  deux  portraits  de  Grétry,  par 
Isabey  et  Flatters,  dons  de  MM.  Joseph  et  Draner;  2»  un  ouvrage  en 
quatre  volumes,  de. I.-N.  Bouilly,  intitulé  Mes  Récapitulations,  dont  le  premier 
volume  renferme  un  chapitre  où  il  est  longuement  question  de  Grétry,  de 
sa  fille  Antoinette  et  de  Pierre  le  Grand,  opéra  de  l'illustre  compositeur. 
Entre  autres  choses,  l'auteur  fait  savoir  que  Marie-Antoinette,  reine  de 
France,  était  la  marraine  d'Antoinette  Grétry,  à  laquelle  elle  portait  une 
grande  affection;  3°  Hommage  aux  mânes  de  Grétry,  une  brochure  par 
J.  FrémoUe,  Bruxelles,  chez  Versé,  imprimeur,  18°28;  i"  Remise  solennelle  du 
cœur  de  Grétry  à  la  ville  de  Liège,  brochure  în-8°,  Liège,  CoUardin,  1829  ; 
5"  une  afEcbe  annonçant  la  représentation  à  Liège  de  Sylvain,  comédie 
lyrique  de  Grétry;  6°  quatre  programmes  de  concerts  des  années  1793  et 
1794  contenant  des  morceaux  de  Grétry. 

—  M.  Jules  Ghymers,  professeur  au  conservatoire  de  Liège,  et  chroni- 
queur musical  de  la  Gazette  de  Liège,  consacre  un  long  article  à  la  dernière 
œuvre  de  M.  H.  Balthasar-Florence,  le  compositeur  belge  bien  connu. 
Voici  un  extrait  de  cette  appréciation  :  «  Cantate  jubilaire  namuroise  de 
M.  Balthasar-Florence,  éditée  tout  récemment  par  la  maison  Schott  frères 
de  Bruxelles,  avec  un  luxe  des  plus  marquants  et  enrichie  du  portrait  de 
l'auteur,  très  ressemblant,  est  écrite  pour  solo,  chœur  à  voix  égales,  grand 
orchestre  symphonique  et  trompettes.  C'est  une  œuvre  sérieuse  et  char- 
mante tout  à  la  fois,  méditée  et  ciselée  avec  amour,  douée  enfin  de  cette 
puissance  et  de  cette  vitalité  que  M.  Balthasar-Florence  imprime  à  toutes 
ses  conceptions,  qu'elles  soient  sévères  comme  la  messe  solennelle  à 
grand  orchestre  interprétée  il  y  a  quelques  années  par  la  maîtrise  de 
notre  cathédrale  Saint-Paul,  qu'elles  soient  gracieuses,  pompeuses  ou 
légères,  comme  le  magnifique  concerto  de  violon  joué  avec  tant  de  succès 
dans  les  concerts  Pasdeloup  à  Paris  par  la  célèbre  violoniste  Tayau.  » 

—  La  première  représentation  de  Santa  Chiara,  l'opéra  du  duc  Ernest 
de  Saxe-Gobourg-Gotha,  a  eu  lieu  au  Krolls-Theater  de  Berlin.  L'œuvre 
a,  paraît-il,  obtenu  un  grand  succès;  le  nom  de  l'auteur  a  été  chaleureu- 
sement applaudi,  et  le  public  a  seulement  regretté  que  le  duc  de  Saxe- 
Cobourg-Gotha  n'assistât  pas  à  la  représentation. 

—  La  première  nouveauté  que  montera  l'Opéra  de  Francfort-sur-le-Mein, 
est  un  opéra-comique  du  compositeur  Mamzer,  un  jeune,  et  qui  porte  le 
titre  bizarre  de  :  In  die  Maclischove  (Dans  la  Machschovej.  On  dit  merveille  de 
l'instrumentation,  très  neuve  et  très  piquante.  Quant  à  l'œuvre  elle-même, 
c'est  un  essai  de  retour  aux  morceaux  à  forme  consacrée,  mais  dans  une 
note  originale.  Nous  verrons  bien. 

—  Le  document  historique  au  théâtre.  Le  directeur  du  théâtre  de  la  cour 
de  Mannheim  a  fait  publier  dernièrement  dans  les  journaux  de  la  ville  la 
note  suivante  :  «  Ce  soir,  pendant  la  représentation  de  Marie  Stuart,  de 
Schiller,  on  jouera  la  Marche  historique  des  sorcières.  Cette  marche  est  ainsi 
nommée  parce  qu'on  la  jouait  en  Angleterre  quand  on  brûlait  une  sor- 
cière; par  dérision,  elle  fut  jouée  aussi  lors  de  l'exécution  de  Marie 
Stuart.   » 

—  Nous  trouvons,  dans  la  Gazzetta  leatrale  du  5  août,  une  partie  du  pro- 
gramme des  fêtes  qui  auront  lieu  l'an  prochain  à  New- York  en  l'hon- 
neur de  Christophe  Colomb  :  la  partie  théâtrale  et  musicale.  I.e  détail  en 
vaut  la  peine  d'être  traduit  ;  le  voici  un  peu  abrégé  :  1,  Présentation  de 
Christophe  Colomb  à  la  cour  d'Espagne  ;  2,  Tournoi  ;  3,  La  Rose  de  Gre- 
nade ;  4,  Signature  du  traité  entre  Colomb  et  les  souverains  espagnols; 
o,  Le  départ  pour  le  Nouveau  Monde  ;  6,  Réception  de  Colomb  à  Barce- 
lone et  présentation  des  trésors  et  des  Indiens  au  roi  Ferdinand  et  à  la 
reine  Isabelle.  Une  masse  d'hommes,  de  femmes,  d'enfants  et  toutes  les 
sociétés  musicales  de  New-York  donneront  leur  concours  à  ce  spectacle 
extraordinaire,  pendant  lequel  des  compositions  nouvelles  seront  exécu- 
tées. Le  tableau  historique  le  plus  important,  celui  du  triomphe  de  Chris- 
tophe Colomb,  se  développera  au  Central  Park  :  il  représentera autant 

que  possible  «  les  bienfaits  qui  résultèrent  pour  l'humanité  de  la  décou- 
verte de  l'Amérique  ».  La  colonie  italienne  érigei-a  un  monument  gran- 
diose, qui  sera  inauguré  après  la  représentation  du  Triomphe,  et,  quand 
on  découvrira  la  statue,  un  chœur  de  mille  voix  chantera  un  hymne  de 
gloire  au  grand  navigateur.  Parfait...  Nous  pensons  seulement  que  mille 
voix  ce  sera  maigre  :  l'humanité,  comme  dit  le  programme,  sera  chiche- 
ment représentée. 


265 


LE  MENESTREL 


—  Prodigieux,  ces  Anglais!  Ils  ne  se  contentent  plus  d'appliquer  le 
téléphone  au  théâtre,  ils  veulent  aujourd'hui  le  faire  servir  d'auxiliaire  à 
leurs  ardeurs  religieuses,  et  à  cet  effet  le  font  entrer  au  temple.  Après 
l'opéra,  le  sermon,  après  les  éclatantes  sonorités  de  l'orchestre,  la  majesté 
sereine  de  l'orgue;  c'est  le  mélange,  à  doses  égales,  du  sacré  et  du  pro- 
fane. ■\'ûici  ce  qu'on  lit,  à  ce  sujet,  dans  une  correspondance  anglaise  du 
Temps:  «  A  Birmingham,  dans  une  des  paroisses  les  plus  considérables 
de  la  ville,  Christ-Church,  un  téléphone  vient  d'être  attaché  à  l'établisse- 
ment. La  plaque  de  l'appareil  est  placée  dans  la  chaire,  devant  le  prédica- 
teur. Les  fidèles  peuvent  donc  désormais  jouir  de  la  bonne  parole  à  do- 
micile, moyennant  un  abonnement  à  prix  réduit  ;  on  entend  tout,  les 
■versets,  les  répons,  et  même  la  toux  des  personnes  enrhumées  qui  ont 
attrapé  des  courants  d'air.  » 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

M.  Carvalho  vient  de  réclamer,  pour  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique, 
M,  Léon  David  qui,  aux  derniers  concours  du  Conservatoire,  a  obtenu 
un. second  prix.  Le  jeune  élève  de  M.  "Warot,  aux  termes  du  règlement 
du.  Conservatoire,  a  signé  un  engagement  de  deux  années. 

—M.  Antony  de  Choudens  a  offert,  au  Conservatoire,  un  très  beau  portrait 
dei  Martin,  le  célèbre  chanteur.  M.  Ambroise  Thomas  lui  a  adressé  la 
lettre  suivante  : 

Cher  monsieur, 

Vous  avez  eu  l'obligeance  de  m'offrir,  pour  le  Conservatoire,  le  portrait  de  Mar- 
tin, le  célèbre  baryton  du  commencement  du  siècle.  Je  suis  très  sensible  à  cette 
proposition,  et  j'accepte  votre  don  avec  le  plus  grand  empressement.  Nous  serons 
d'auiant  plus  heureux  de  posséder  l'image  de  celui  qui  fut  le  brillant  interprèle 
des  œuvres  de  Boieldieu,  que  Martin  fut,  à  deux  reprises  différentes,  professeur 
au  Conservatoire,  et  que  par  conséquent  son  portrait  sera  chez  nous  parfaitement 
à  saiplace. 

Boivous'  remerciant,  etc., 

Ambkoise  Thomas. 

—  M.  Ambroise  Thomas  qui  a  quitté  Paris  après  la  distribution  des 
prix  du  Conservatoire  pour  se  rendra  dans  sa  villa  d'Argenteuil,  est  eu 
ce.  momentdans  les  Pyrénées.  11  a  du  s'arrêter,  cette  semaine,  à  Argelès- 
Gazost. 

—  Nouvelles  de  l'Association  littéraire  internationale.  M.  Lermina, 
secrétaire  de  cette  Association,  a  demandé  l'insertion  de  la  note  suivante, 
parue  dans  le  Figaro  de  mercredi  :  «  Ainsi  qu'on  l'a  annoncé,  la  Société 
des  auteurs  italiens  s'était  mise  à  la  disposition  de  l'Association  litté- 
raire internationale  pour  organiser  le  congrès  de  1891  :  mais  à  la  suite 
d'une  entente  personnelle  avec  le  délégué  de  l'Association,  M.  Lermina,  il 
a  été  décidé  que  le  congrès  de  Milan  serait  reculé  à  l'année  1893.  Le 
congrès  littéraire  international  de  1892  ouvrira  sa  session  le  26  septembre, 
à.Neuchàtel  (Suisse),  où  sont  préparées  des  excursions  à  l'île  Saint- 
Pierre,  à  la  Chaux-de-Fonds  et  au  Saut-du-Doubs.  »  D'autre  part  nous 
lisons  dans  le  Mondo  arlislico  du  8  août,  que  le  congrès  sera  décidément  tenu 
à  Milan,  en  1892.  On  n'en  sait  pas  plus.  En  passant,  notre  confrère  ita- 
lien fait  remarquer,  sans  trop  d'amertume,  que  la  Société  française,  par 
le  nombre  de  voix  dont  elle  dispose,  est  à  peu  près  souveraine  en  la  ques- 
tion. C'est  que  nous  avons  beaucoup  plus  de  littérateurs,  d'auteurs  dra- 
matiques et  d'artistes  en  France  que  partout.  La  production  est  énorme 
en  France  ;  cette  production  alimente  l'univers. 

—  Le  Figaro  a  annoncé  lundi  que  l'héritage  de  M.  'Vitu  sera  partagé 
entre  MM.  Albert  Wolff  et  Darcours  (Charles  Réty).Ge  dernier  sera  spécia- 
lement chargé  de  la  partie  musicale.  La  décision  est  unanimement  approu- 
vée. On  connaît  l'esprit  de  M.  Albert  Wolff;  quant  à  M.  Charles  Rétv, 
c'est  un  musicien,  un  vrai  musicien  dont  le  jugement  est  sûr  et  qui  joint 
à  beaucoup  de  savoir  un  sage  éclectisme  et  la  plus  complète  courtoisie. 

—  Luudi  dernier,  à  l'assemblée  générale  de  la  chambre  syndicale  des 
artistes  dramatiques,  lyriques  et  musiciens,  MM.  Devaux,  Maugé,  Bartel, 
Simon  Max,  de  Féraudy,  Henri  Deschamps,  Howey,  Stainville,  Maurel  et 
Martel  ont  été  élus  membres  du  conseil  syndical  pour  trois  ans,  et 
M.  Dar.vel  pour  deux  ans.  MM.  Maty,  Giliio,  Dalleu  et  d'Herbilly  ont  été 
nommés  membres  de  la  commission  de  contrôle. 

—  M.  Porel  monterait,  l'hiver  prochain,  à  l'Odéon,  une  adaptation,  par 
M.  Léon  Hennique,  de  VOthello  de  Shakespeare.  Cet  ouvrage  comportera 
une  partie  musicale  très  importante  qui  sera  confiée  au  compositeur 
Henri  Maréchal. 

—  On  annonce  au  Vaudeville,  comme  devant  passer  tout  au  début  de 
la  saison,  un  drame  nouveau  de  M.  Paul  Delair,  Hélène,  qui  contiendra  une 
partie  musicale  composée  de  musique  de  scène,  entr'actes,  et  d'un  Noël, 
qui  sera  chanté  par  M"°  Éliaue.  C'est  M.  Messager  qui  a  été  choisi  pour 
composer  cette  petite  partition. 

—  La  direction  du  Théâtre  d'Art  nous  communique  la  liste  des  ouvrages 
qu'elle  a  reçus  pour  la  saison  prochaine.  Dans  la  nomenclature  très  lon- 
gue, et  que  nos  lecteurs  ont  trouvée  chez  nos  grands  confrères,  les  tra- 
ductions semblent  tenir  une  place  assez  respectable  avec  des  œuvres  de 
Marlowe,  Dostoiewsky,  Ipsch  et  même  d'Homère,  de  Virgile,  de  Milton, 
de  Dante,  d'Eschyle,  de  Shakespeare,  de  Schiller,  etc.,  etc.  Deux  pièces 
inédites  comportent  une  partie  musicale  :  le  Songe  d'une  nuit  d'hiver,  poème 
lunatique  (!)  par  MM.  Gaston  et  Jules   Couturat,  musique  de  M""  Marie 


Krysinska,    et   les   Fêtes  galantes,    d'après   M.    Paul  Verlaine,   musique  de 
M.  Adrien  Remàcle. 

—  L'assemblée  générale  du  5  août  n'ayant  pu  avoir  lieu  par  suite  du 
nombre  insuffisant  d'actions,  les  actionnaires  de  la  Société  anonyme  de 
l'Éden-Tnéàtre  sont  convoqués  de  nouveau  en  ass3mblée  générale  extraor- 
dinaire pour  le  samedi  22  août,  à  quatre  heures,  au  théâtre,  rue  Boudreau. 
Les  résolutions  prises  par  cette  assemblée  seront  valables,  quel  que  soit 
le  nombre  d'actions  représentées. 

—  Le  romancier  illustre  qui  vient  de  mourir  en  Espagne,  don  Pedro 
de  Alarcon,  membre  de  l'Académie  espagnole,  est  l'auteur  du  célèbre 
roman,  El  Sombrero  de  très  piecos,  dont  MM.  Gallet  et  Bonnemère  ont  tiré 
un  scénario  pour  une  comédie  musicale.  La  musique  est  du  compositeur 
espagnol  Manuel  Giro,  auteur  du  recueil  des  charmantes  mélodies  espa- 
gnoles, Tras  los  montes.  Quelques  auditions  de  ce  très  intéressant  ouvrage, 
données  dans  un  cercle  d'amis  et  de  connaisseurs,  ont  eu  un  tel  succès 
que  nous  espérons  bientôt  l'entendre  sur  une  de  nos  scènes  parisiennes. 

—  Un  concert  en  plein  mois  d'août  n'est  pas  chose  ordinaire  ;  il  est 
vrai  que  l'été  de  1891  est  un  extraordinaire  été.  Le  concert  en  question 
a  été  donné  vendredi  au  Cirque  des  Champs-Elysées,  avec  le  concours  de 
M""*  Dufrane,  Élena  Sanz,  Duhamel,  MM.  Gogny,  Lauwers  et  Piccaluga. 
Le  programme  en  était  très  artistique,  très  varié  surtout,  car  il  allait  de 
Gallia  à  Miss  Helyett  et  jusqu'aux  chansons  de  Kam-HiU  et  de  M""  Kanja- 
rowa  ;  trop  de  variété.  M'""  Sanz  s'est  fort  distinguée  dans  l'air  de  Samson 
et  Dalila.  M.  Gogny,  remplaçant  Sellier  indisposé,  a  chanté  avec  beaucoup 
de  sentiment  la  romance  i'Aïda,  celle  de  Mignon  et  le  duo  de  Sigurd,  avec 
M""  Dufrane.  Cette  dernière  s'est  fait  applaudir  et  rappeler  après  l'air  du 
Cid,  «  Pleurez,  mes  yeux  ».  M.  Gogny  a  vaillamment  soutenu  sa  partie 
dans  le  beau  duo  de  Sigurd.  La  note  gracieuse  a  été  donnée  d'une  façon 
charmante  par  M""  Duhamel  et  M.  Piccaluga. 

—  La  colonie  suisse  de  Paris  a  fêté  le  2  août  le  600i=  anniversaire  de  la 
première  alliance  helvétique.  Après  un  très  beau  banquet,  a  eu  lieu  un 
concert  organisé  par  M.  A.  Brody  et  qui  a  obtenu  beaucoup  de  succès. 
Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  la  romance  de  Mignon, 
chantée  par  M.  Chiantini,  la  vision  à'Hérodiade,  chantée  par  M.  Genecand, 
et  un  Chant  du  Devoir,  de  M.  Brody, 

—  M.  Isnardon,  l'ancien  artiste  de  l'Opéra-Comique,  qui,  depuis  son 
départ  de  Paris,  a  obtenu  de  si  grands  succès  à  Bruxelles,  à  Londres  et 
à  Monte-Carlo,  se  fait  applaudir  en  ce  moment  à  Boulogne-sur-Mer,  où  il 
donne  une  série  de  représentations.  Son  apparition  dans  le  Méphisto- 
phélès  de  Faust  lui  a  valu  un  véritable  triomphe,  constaté  par  toute  la 
presse. 

—  Le  Wagnériyme  hors  d'Allemagne,  Bruxelles  et  la  Belgique,  par  Edmond 
Evenepoel,  tel  est  le  titre  d'un  volume  intéressant  et  curieux  qui  vient  de 
paraître  à  la  librairie  Fischbacher.  L'auteur,  qui,  si  j'ai  bonne  mémoire, 
fait  partie  de  l'administration  supérieure  d'un  des  ministères  belges,  est 
en  même  temps  critique  musical  d'un  des  grands  journaux  de  Bruxelles. 
Il  est  bon  musicien  d'ailleurs,  et  c'est  un  avantage  qu'il  possède  sur  la  plu- 
partde  nos  excellents  wagnériens  de  Paris,  j'entends  de  ceux  qui  écrivent, 
et  qui  généralement  discutent  des  choses  de  la  musique  avec  autant  de 
compétence  qu'un  aveugle  pourrait  le  faire  de  la  forme  et  de  la  couleur  des 
objets.  M.  Evenepoel  peut  au  moins  appuyer  sur  des  raisonnements  logi- 
ques les  causes  de  son  admiration  pour  les  œuvres  et  les  doctrines  de  Ri- 
chard "Wagner.  Ce  n'est  peut-être  pas  une  raison  pour  dénier  à  tous  ceux 
qui  ne  pensent  pas  exactement  comme  lui  non  seulement  toute  espèce  de 
compétence,  mais  aussi  d'intelligence,  de  bon  sens  et  de  bonne  foi.  Selon  la 
coutume  wagnérienne,  l'écrivain  belge  est  bien  près,  dans  son  long  dithy- 
rambe de  trois  cents  pages,  de  considérer  comme  des  malfaiteurs  tous  ceux 
qui  ont  le  malheur  de  ne  point  partager  complètement  son  enthousiasme. 
Sous  une  apparence  de  froide  impartialité  et  sous  une  impassibilité  de  plume 
très  calculée,  il  cache  d'ailleurs  un  fonds  de  passion  très  intense  et  très 
vive.  On  ne  saurait  lui  en  vouloir  ;  sans  passion  il  n'est  pas  de  véritable 
amour  de  l'art  ;  mais  alors  il  ne  faut  pas  poser  pour  le  sang-froid  et  l'in- 
sensibilité. M.  Evenepoel,  que  je  tiens  pour  un  très  aimable  et  fort  galant 
homme,  mais  qui,  la  plume  à  la  main,  se  laisse  aller  volontiers  aux  intem- 
pérances de  langage  communes  aux  wagnériens  de  tous  les  pays,  dit  carré- 
ment leur  fait  à  ceux  qu'il  considère  comme  ses  adversaires.  Pour  ma  part, 
je  ne  suis  pas  épargné  dans  son  livre,  et  il  me  reproche  particulièrement 
un  article  sur  la  représentation  des  Maîtres  chanteurs  à  Bruxelles,  que  je 
publiai  naguère  dans  ce  journal  et  qui  ne  fut  pas  sans  faire  alors  quelque 
bruit.Il  affirme  qu'à  ce  propos  je  rééditai  «  les  banalités  et  les  redites  inspirées 
par  mon  hostilité  aux  tendances  ^Yagnériennes  ».  C'est  fort  bien  dit,  mais 
il  est  plus  facile  de  traiter  de  niais  les  gens  qui  ne  pensent  pas  comme 
vous  que  de  répondre  à  leurs  arguments.  Or,  pour  se  dispenser  d'y  répon- 
dre et  d'entrer  en  discussion,  M.  Evenepoel  se  garde  bien  de  citer  une  ligne 
dudit  article.  Il  en  est  de  même  pour  d'autres  que  moi,  on  peut  le  croire 
sans  peine.  M.  Evenepoel  se  montre  très  fier  du  rôle  très  important  et  très 
réel  que  la  Belgique  a  joué  dans  l'expansion  du  mouvement  wagnérien.  Je 
n'y  vois  aucun  mal.  Je  n'en  vois  pas  davantage  à  affirmer  l'intérêt  de  son 
livre,  précisément  destiné  à  constater  l'importance  de  ce  mouvement  wag- 
nérien belge,  et  qui  restera  en  somme,  sous  ce  rapport,  une  page  d'histoire 
artistique  utile  à  consulter.  Je  lui  souhaite  seulement,  en  une  autre  occa- 
sion, plus  de  charité  envers  d'honnêtes  gens   qui   ne  sont   peut-être  pas 


LE  MENESTREL 


263 


aussi  sots  qu'il  le  pense  tout  en  ayant  le  malheur  de  différer  d'opinion 
avec  lui  sur  certaines  matières.  A  cet  égard,  certaines  paroles  de  l'Evan- 
gile lui  seraient  bonnes  à  méditer.  A.  P. 

—  La  distribution  des  prix  du  Conservatoire  de  Nantes  vient  d'avoir 
lieu  sous  la  présidence  de  M.  Linger,  adjoint-délégué  aux  Beaux-Arts, 
assisté  de  M.  A.  Weingaertner,  directeur  de  l'École.  Dans  un  très  char- 
mant discours,  M.  Linger  a  fait  ressortir  l'importance  considérable  qu'avait 
prise  l'Ecole  sous  l'impulsion  de  son  dévoué  directeur.  Rappelant  la  visite 
du  dernier  inspecteur,  M.  H.  Maréchal,  il  s'est  plu  à  constater  que  son 
rapport  plaçait  l'école  de  Nantes  parmi  les  meilleures  succursales  du 
Conservatoire  de  Paris.  Un  brillant  concert,  dans  lequel  se  sont  fait 
entendre  les  principaux  lauréats,  terminait  la  séance.  A  signaler,  parmi 
les  plus  applaudis  :  M""  Blanche  Aubineau,  1"'  prix  de  violon,  élève  de 
M.  A.  Weingaertner,  qui  a  interprété  magistralement,  et  avec  le  beau 
style  de  son  maître,  le  19""^  concerto  de  Viotti,  et  M"'  A  Girard,  l™  prix 
de  chant,  élève  de  M.  Montaubry,  le  renommé  chanteur  que  nous  avons 
applaudi  autrefois  à  l'Opéra-Comique,  et  que  l'école  de  Nantes  a  la  bonne 
fortune  de  compter  au  nombre  de  ses  professeurs. 

—  Le  conseil  municipal  de  Bordeaux  vient  de  voter  une  augmentation 
de  23,000  francs  à  la  subvention  du  Grand-Théâtre,  et  la  réduction  de  la 
saison  lyrique  de  huit  mois  à  sept  mois. 

—  Une  scène  lyrique  avec  choeur  et  orchestre,  intitulée  Balthazar,  de 
M.  Alexandre  Guilmant,  vient  d'être  exécutée  avec  grand  succès  à  Nar- 
bonne.  Ajoutons  que  M.  Guilmant  est  parti  pour  Bayreuth  où  il  doit 
donner  un  Récital  d'orgue  pour  1I"=  Wagner  et  les  amateurs  de  la  grande 
musique  de  Bach. 

—  L'église  de  Caudebec-lès-Elbeuf  n'a  rien  à  envier  aux  églises  les 
mieux  dotées  du  département.  Elle  a  aujourd'hui  un  orgue  superbe  de 
quinze  jeux,  construit  par  Gavaillé-CoU,  —  c'est  tout  dire,  —  avec  buffet  et 
galerie  exécutés  sur  les  dessins  de  M.  Barthélémy.  L'inauguration  de  ce 
magnifique  instrument  avait  lieu  lundi,  en  présence  de  M.  Thomas,  arche- 
vêque de  Rouen;  M.  Raoul  Pugno,  organiste  de  Saint-Eugène,  à  Paris, 
tenait  l'orgue  et  en  a  fait  ressortir  toutes  les  sonorités,  toutes  les  richesses, 
toutes  les  ressources,  tant  dans  l'exécution  des  œuvres  de  quelques  maîtres, 
que  dans  ses  improvisations  personnelles. 

— M.  Baume,  le  très  excellent  professeur  de  Toulouse,  vient  de  clore  son 
année  d'étude  par  une  matinée  des  plus  brillantes  qui  a  fait  valoir,  non 
seulement  les  excellentes  qualités  des  élèves,  mais  aussi  la  parfaite  mé- 
thode du  maître.  Il  nous  faudrait  citer  tout  le  programme,  si  nous  vou- 
lions nommer  tous  les  interprètes  applaudis.  Citons  toutefois,  parmi  les 
gros  succès,  les  jeunes  artistes  qui  ont  joué  les  morceaux  suivants  :  le 
Menuet  de  Manon,  de  Massenet,  la  Chanson  arabe  et  Autrefois,  de  A.  Marmontel, 
Valse  des  Olivettes  et  Valse  des  Ames  infidèles  de  la  Farandole,  de  Théodore 
Dubois,  1''  Gavotte,  l'olketta,  Humoresque,  de  Raoul  Pugno,  l'Oiseau-mouche, 
Cloches  lointaines,  1"'  solo  de  concours.  Mazurka  éolienne ,  Valse  rapide,  de 
Théodore  Lack,  Mascarade,  Valse  des  fdeuses,  de  Paul  Rougnon,  Gigue,  de 
A.  Wormser,  Chaconne,  de  Victor  Roger,  Passepied,  Gaillarde,  de  V.  Dolmetsch, 
lia  Mouche,  de  Delahaye,  Valse  interrompue,  de  P.  Wachs. 

—  On  nous  écrit  du  Mont-Dore  :  La  saison  est  extrêmement  brillante 
[cette  année,  et  beaucoup  d'artistes  sont  ici  en  ce  moment  :  M">'^  Albani, 
[Gonneau;  MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké,  Lassalle,  Vianesi,  le  pianiste 
fLéon  Delafosse,  Ibos,  etc.  Les  baigneurs  n'auront  pas  à  se  plaindre  ! 

—  On  nous  écrit  de  Ghâteauroux  :  Le  concert  donné  au  théâtre 
ipar  M"''  Sophie  Delerue,  a  été  un  succès  sans  précédent  dans  les  annales 
Fde  notre  ville.  M"^  Delerue,  rappelée  après  le  Chant  de  Pdque,  de  Rougnon, 
ia  prouvé  la  souplesse  de  son  talent  en  détaillant  parfaitement  la  chanson 

à  boire  des  Bavards,  d'Ofîenbach.  M"°  Maria  Genoud,  dans  le  Noël  paien, 
de  Massenet,  la  Sérénade,  de  Thomé  et  le  duo  du  Bot  d'Vs,  avec  M"=  De- 
lerue, a  charmé  le  public  par  sa  voix  argentine  et  si  bien  dirigée.  Ces 
excellentes  artistes  sont  toutes  deux  élèves  de  M""  Marie  RuetT.  Puis 
M.  Baudin,  le  ténor  que  les  Parisiens  ont  souvent  applaudi,  nous  a  fait 
entendre  Les  myrtes  sont  flétris,  de  Faure,  et  le  grand  air  de  l'Africaine, 
M""  Dinet  les  variations  de  Saint-Saëns  sur  un  thème  de  Beethoven, 
etc.,  etc.  Salle  comble  et  très  enthousiaste. 

NÉCROLOGIE 

Un  jeune  violoniste  de  talent,  M.  Chauvat,  qui  faisait  partie  de  l'or 
chestre  du  casino  de  Saint-Malo,  vient  de  se  noyer  en  prenant  un  bain 
de  mer.  Il  n'avait  que  vingt-quatre  ans.  C'était  un  Angevin,  récemment 
encore  secrétaire  de  M.  Jules  Bordier,  président  des  Concerts  populaires 
d'Angers. 

—  L'Espagne  vient  de  perdre,  en  la  personne  de  M.  José  Inzenga,  un 
artiste  fort  distingué,  à  la  fois  compositeur,  professeur  et  écrivain  musi- 
cal. Fils  d'un  maître  de  chant  qui  était  aussi  compositeur  et  d'une 
excellente  cantatrice  amateur,  Inzenga  qui  était  né  à  Madrid,  le  3  juin  1828, 
commença  ses  études  musicales  avec  son  père  et  vint  les  continuer  au 
Conservatoire  de  Paris,  où  il  obtenait,  aux  concours  de  1846,  un  accessit 
de  piano ,  et  un  accessit  d'harmonie .  Après  avoir  rempli  pendant 
quelque  temps  les  fonctions  d'accompagnateur  à  l'Opéra-Cofnique,  il 
retourna  à  Madrid,  où,  en  1830,  il  prenait  une  part  active  à  la  fondation 
du  théâtre  de  Zarzuela.  Dans  l'espace  de  quelques  années,  il  écrivit  pour 


ce  théâtre,  soit  seul,  soit  en  société  avec  MM.Barbieri,  Oudrid,  Hernando 
ou  Gaztambide,  un  certain  nombre  de  zarzuelas,  entre  autres  Por  seguir  a 
una  mujer  (1831), '  Don  Simplicio  Bobaditla  (18o3);  un  Dia  de  reinado  (1834); 
Cubierlos  a  cuatro  reaies  ;  Oro,  astucia  y  amor  ;  Si  yo  fuera  rey,  etc.  En  1833, 
Inzenga  fut  un  des  fondateurs  de  la  Gaceta  musical  de  Madrid,  et  en  1838,  il 
était  nommé  professeur  surnuméraire  de  chant  au  conservatoire  de  cette 
ville,  pour  devenir,  deux  ans  plus  tard,  titulaire  de  sa  classe.  En  1837,  il 
avait  été  expressément  chargé  par  le  ministre  de  l'instruction  publique 
de  recueillir  dans  une  importante  publication  les  airs  des  chansons  et 
des  danses  populaires  de  l'Espagne,  si  riche  sous  ce  rapport.  Il -s'occupa 
avec  ardeur  de  remplir  cette  mission  et  entreprit  en  effet  sous  ce  titre  : 
Cantos  y  Bailes  populares  de  Espana,  la  publication,  d'un  ouvrage  très  pré- 
cieux dont  trois  volumes  ont  paru,  consacrés  aux  provinces  de  Galice,  de 
Murcio  et  de  Valence;  sa  mort  laisse  inachevé  un  quatrième  volume, 
destiné  à  la  Catalogne.  Comme  compositeur  et  comme  professeur,  on  doit 
à  Inzenga  diverses  œuvres  de  musique  religieuse  écrites  pour  le  service 
de  la  chapelle  royale,  un  grand  nombre  de  morceaux  de  piano  etâe  chant 
et  un  manuel  intitulé  :  Quelques  observations  sur  l'art  de  l'accompagnement  au 
piano.  A  ia  suite  d'un  voyage  artistique  en  Italie,  il  a  publié  aussi  sous 
ce  titre  :  Impresionas  de  un  artista  en  Italia,  un  livre  qui  renferme,  dit-on, 
de  bonnes  vues  sur  l'art  lyrique  et  sur  l'art  du  chant.  Lorsque  le  gouver- 
nement espagnol  créa  à  l'académie  des  beaux-arts  de  Saint-Ferdinand  une 
section  musicale,  Inzenga  fut  nommé  membre  de  cette  section  de  l'aca- 
démie par  décret  du  28  mai  1873.  A.  P. 

—  D'Anvers  on  annonce  la  mort  d'un  excellent  musicien  qui,  bien 
qu'ayant  passé  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  en  Amérique,  a  pourtant 
laissé  des  traces  de  son  activité  dans  plusieurs  pays  européens.  Nous  vou- 
lons purler  du  D''  F.  L.  Ritter,  de  son  vrai  nom  Caballero,  né  à  Strasbourg 
en  1834,  de  parents  espagnols.  Hauser  et  Schlesherer  furent  ses  premiers 
maîtres  ;  il  poursuivit  ses  études  à  Paris  et  plus  tard  en  Allemagne.  En 
1832,  il  fut  appointé  professeur  de  musique  dans  un  séminaire  protestant 
à  Fénestrange,  en  Lorraine.  Il  s'embdrqua  pour  l'Amérique  en  1836  et  se 
fixa  d'abord  à  Cincinnati  où  il  fonda  plusieurs  associations  musicales  au- 
jourd'hui florissantes,  ensuite  à  New-York  qu'il  n'a  plus  quitté  que  pour 
se  rendre  en  Belgique  au  mois  de  juin  dernier.  Il  jouissait  d'une  grande 
notoriété  à  New-York,  comme  professeur,  compositeur  et  littérateur.  En 
1878  l'Université  de  cette  ville  lui  conféra  le  grade  de  docteur  en  musique. 
Ses  ouvrages  d'enseignement  sont  aussi  favorablement  connus  en  Angle- 
terre qu'en  Amérique:  on  cite  parmi  les  plus  répandus  la  Musique  en 
Amérique,  la  Musique  en  Angleterre,  Manuel  d'histoire  musicale  et  -surtout 
l'Histoire  de  la  musique,  dédiée  aux  étudiants.  11  a,  de  plus,  publié  d'innom- 
brables articles  sur  la  musique  dans  les  revues  françaises,  allemandes, 
anglaises  et  américaines.  Son  bagage  de  compositeur,  un  peu  moins  con- 
séquent, comprend  quelques  pièces  et  ouvertures  symphoniques,  un  sep- 
tuor, des  quatuors,  des  pièces  pour  orgue  et  piano  et  différentes  compo- 
sitions vocales,  pour  la  plupart  d'un  caractère  religieux.  11  s'était  marié 
en  secondes  noces,  avec  M""=  Fanny  Raymond,  morte  il  y  a  environ  six  mois, 
qui  s'était  fait  connaître  par  sa  traduction  anglaise  de  l'ouvrage  de  Schu- 
mann,  Essais  et  Critiques. 

—  Ippolito  Stefanini,  peintre  décorateur  renommé,  vient  de  mourir,  âgé 
de  70  ans,  à  Milan.  Il  avait  brossé  la  majorité  des  décors  des  théâtres  de 
Constantinople,  du  Caire,  de  Buenos-Ayres,  de  Guatemala,  de  Calcutta  et 
de  Rio-Janeiro.  Stefanini  avait  aussi  travaillé  pour  la  Scala. 


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Sicilianne  pour  ténor  .   .     Chant  et  piaDo  1  50 

Scène  d'^i/ïo  pour  baryton           —  2  50 

Romance  et  scène,  soprano           —  2    » 

Brindisi  de  TuriddOjXéuov           —  3    " 

Azzoni.   .    .    .  Petite  transcription  pour  piano.    .   .  2    >> 

Albano    .    .   .    Transcription  pour  harpe 2    « 

Celega.  .    .    .  Grand  Morceau  pour  piano    ....  5    u 

—            Transcription^  piano  à  quatre  mains  .  4  50 


l'rix  Quls. 


Gorrado  .   .   .    Transcription,  mandoline  el  piano    .     4    i> 
De-Simone.    .  Chœur  dHntroduzione .      Piano  solo.     3    » 

—  Sicilianne —  1  50 

—  Strophes  d'Aîfio ....  —  2    >j 

—  Homance  de  Santuzza .  —  1  50 

—  Scelle,  chœur  et  brindisi              —  2  50 
Fumagalli .    .  Intermezzo  pour  piano.    • 1  50 

—  Transcription  pour  piano 4     » 

Furino.  .   .   .   Transcription,  violoncelle  et  piano.    .     4    s 

EN  PRÉPARATION  :  Bouquet  de  mélodies  pour  piano,  par  J.  A.  Anschûtz;  Fantaisie-transcription  pour  piano,  par  Ch.  Neustedt;  Silhouette  pour  piano  de  G.  Bull; 
Miniature  de  A.  Trojelli;  Fantaisie  pour  violon  et  piano  (Soirées  du  jeune  violoniste),  par  A,  Hermann,  etc.,  etc. 


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Dimanche  23  Août  i891. 


3151  -  57""^  ANNÉE  -  N°  34.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fhanco  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Teste  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIRE -TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (22»  article),  Albert  Souries  et  Chaules 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale...  espagnole,  Arthur  Pougin.  —  III.  His- 
toire anecdotique  du  Conservatoire  (3"  article),  Aîs'dré  Martinet.  —  W.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

UN    BAISER 

nouvelle  mélodie  de  Charles  Gbisart,  poésie  de  Le  Lasseur  de  Rauzay.  — 
Suivra  immédiatement  :  Pour  vous  !  nouvelle  mélodie  de  Paul  Rougnon, 
poésie  de  Roger  Miles. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIAN'O:  L'Étudiant  en  goguette,  nouvelle  marche  de  Philippe  Fahrbach. — 
Suivra  immédiatement:  Gaillarde,  de  V.  Dolmetsch. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   IVIA.LHEItBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 


TROIS  PIÈCES  CENTENAIBES  :  Le  Voijuje  en  Chins,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(1860-1868) 
(Suite.) 
Le  3  septembre,  la  reprise  de  l'Épreuve  villageoise,  qu'on 
n'avait  pas  jouée  depuis  1861,  servit  au  début  de  M"e  Seveste, 
artiste  intelligente,  dont  le  jeu  l'emportait  sur  la  voix.  Se- 
cond prix  de  chant  et  d'opéra-comique  au  Conservatoire 
(classes  Giulani  et  Mocker),  en  1863,  premier  prix  d'opéra- 
comique  en  1866,  M"-;  Séveste  était,  si  l'on  peut  dire,  de 
lignage  artistique.  Son  père  et  son  oncle  avaient  dirigé  jadis 
le  Théâtre-Lyrique,  et  pour  frère  elle  'avait  ce  jeune  comé- 
dien da  Théâtre-Français,  Seveste  qui  mourtit  sur  le  champ 
de  bataille  en  1870.  Ce  début  de  la  nouvelle  Denise  fournit 
l'occasion  de  montrer  de  quelle  faveur  régulière  et  continue 
jouissait  l'Epreuve  villageoise  à  la  salle  Favart. 


1833  —  28  représentalions. 
1854  —  14  — 


1853  —  12  —  1S61 

1856  -    8  -  1866  -  12 

1857  -  10  -  1867  -  27 
1838  —  16           —  1868  —  1 1 

Soit  un  total  de  133  représentations. 


1839  —    6  représenlations. 
1860  —     7  — 


A  part  une  interruption  de  1862  à  1866,  l'ouvrage  de 
Grétry  s'était  donc  maintenu  presque  vingt-cinq  ans  de  suite. 
Depuis  la  guerre,  on  l'a  revu,  mais  au  Châtelet,  et  avec  des 
interprètes  tels  que  tout  succès  devenait  impossible. 

Les  deux  dernières  reprises  le  même  soir,  10  décembre, 
n'avaient  qu'un  intérêt  de  distribution  :  le  Chien  du  jardinier, 
négligé  depuis  cinq  ans,  avec  M'"'  Seveste  (Catherine),  Bélia 
(iVIarcelle),  IVIM.  Crosti  (Justin),  Ponchard  (François),  et  Lalla- 
Roukh,  avec  M'"^^  cico  et  Bélia,  MM.  Gapoul  et  Melchissédec, 
qui,  pour  la  première  fois,  tenaient  les  rôles  de  Nourredin  et 
de  Baskir. 

Pour  compléter  le  journal  du  théâtre  à  cette  époque,  il 
reste  à  mentionner  la  mort  de  Lejeune,  artiste  modeste  qui 
jouait  les  utilités,  le  début  malheureux  de  M^"^  Labat,  le 
26  juillet,  dans  la  Fille  du  régiment,  et  la  rentrée  de  M"i«  Ugalde 
dins  Galathée,  le  6  juillet,  puis  dans  le  Caid,  retour  d'Orléans, 
bientôt  suivi  de  départ,  puisque  l'inconslante  cantatrice  re- 
tournait aux  Bouffes-Parisiens.  D'autres  retraites  se  produisent 
encore,  laissaat  quelques  vides,  par  exemple  celles  de 
M.  Nathan  et  de  M'^^^  Decroix  et  Monrose,  et  surtout  de  la 
vieille  M"*  Casimir,  celle  que  Crosti  baptisait  plaisamment 
M'™  Quasi  mir  et  qui  tenait  avec  bonhomie  et  sans  voix  les 
rôles  de  duègne,  après  avoir  si  brillamment  créé  Zampa  et  le 
Pré  aux  Cleixs,  dont  le  7  octobre  on  donnait  la  883"  représen- 
tations avec  la  413'^  de  Marie. 

De  tels  chevrons  n'étaient  pas  réservés  au  Fils  du  brigadier. 
Cet  opéra-comique  en  trois  actes,  joué  pour  la  première  fois 
le  2j  février  1867,  avait  pour  librettistes  Labiche  et  Delà- 
court,  et  les  deux  noms  faisaient  espérer  quelque  pendant 
au  Voyage  en  Chine;  il  n'en  fut  rien.  La  pièce  met  en  scène 
un  père  et  un  fils,  servant  sous  le  môme  drapeau  français 
pendant  les  guerres  d'Espagne,  l'un  comme  brigadier,  le 
père  ;  l'autre  comme  oflicier,  le  fils.  On  devine  que  pour 
avoir  obtenu  si  peu  d'avancement  dans  sa  carrière,  le  père 
doit  cacher  quelque  défaut;  il  se  grise  en  effet,  et,  le  soir 
d'une  bataille,  il  a  levé  la  main  sur  son  supérieur,  sur  son 
fils  !  Les  péripéties  par  lesquelles  passent  les  deux  héros  de 
cette  aventure  dont  un  adjudant  a  été  témoin,  et  qui  doit  se 
dénouer  au  conseil  de  guerre,  —  favorablement,  bien  entendu  — 
forment  l'intrigue  de  cette  comédie  dramatique,  ou  de  ce  drame 
comique.  La  partition  n'était  pas  dénuée  de  valeur;  on  pourrait 
citer  le  rondo  bouffe  dit  par  Leroy  (Frédéric),  «  Ah!  qui  me 
rendra  maman  et  papa!  »,  l'invocation  au  vin  et  au  cigare 
spirituellement  dite  par  M'"^  Girard  (l'hôtelière  Catelina),  un 
charmant  duo  de  femmes,  une  romance  bien  chanlée  par 
Crosti  qui,  pour  le  rôle  du  brigadier,  avait  pris  la  place  de 
Gouderc,  alors  indisposé.  Mais  l'ensemble  de  la  partiiion  de- 
meurait terne.  Montaubry,  chargé  du  rôle  principal  (Emile), 
lui  prétait  le  faible  appui  d'une  voix  1res  fatiguée;  in  levan- 


266 


LE  MÉNESTREL 


che,  le  chapeau  que  portait  M""  Marie  Rôze  (Thérèse),  au  se- 
cond acte,  fit  à  ce  point  sensation  qu'il  excita  la  verve  d'un 
journal  plus  sérieux  d'ordinaire,  le  Temps.  Il  semblait  d'ail- 
leurs qu'à  cette  époque  Victor  Massé  ne  put  retrouver  sa 
verve  d'antan.  La  malchance  s'acharnait  après  lui.  Il  traite 
un  sujet  poétique,  Fior  d'Aliza,  et  se  heurte  au  succès  du 
Voyage  en  Chine,  une  pièce  gaie  ;  il  veut  traiter  un  sujet  gai, 
en  s'adressant  à  Labiche  et  Delacour,  et  se  heurte  au  triom- 
phe de  Mignon,  une  pièce  poétique,  et  n'obtient  que  vingt-deux 
représentations.  Désormais  la  fécondité  du  compositeur  se 
ralentit;  Paul  et  Virginie,  le  nouvel  ouvrage  qu'il  met  aussitôt 
sur  chantier,  ne  voit  le  jour  que  neuf  ans  plus  lard  ;  et  la 
Nuit  de  Cléopâtre,  son  chant  du  cygne,  ne  parait  à  l'Opéra- 
Comique  qu'après  sa  mort.  Gomme  on  le  voit,  le  goût  des 
grands  ouvrages  le  hantait  à  la  fin  de  sa  carrière.  Les  succès 
ou  demi-succès  de  la  Reine  Topaze  et  des  Saisons  lui  faisaient 
oublier  les  échecs  de  la  Fée  Carabosse,  de  la  Fiancée  du  Diable, 
de  Fior  d'Aliza.  Il  dédaignait  ce  genre  léger  auquel  il  devait 
sa  plus  pure  gloire.  Théophile  Gautier  disait  :  «;  Le  vrai  accom- 
pagnement d'un  opéra  en  un  acte,  ce  sont  les  bancs  qui  re- 
tombent, les  portes  qui  s'ouvrent  et  les  gens  qui  se  mou- 
chent. »  Victor  Slassé  partageait  cette  manière  de  voir,  et 
depuis  longtemps,  il  n'admettait  plus,  pour  son  usage  per- 
sonnel, que  les  pièces  de  longue  haleine,  comme  le  prouve 
ce  fragment  d'une  de  ses  lettres  portant  la  date  de  1858.  «  Si 
je  continuais  à  écrire  des  levers  de  rideau,  je  serais  bientôt 
parqué  dans  ce  genre,  comme  Ziem  dans  ses  vues  de  Venise, 
Jacque  dans  ses  cochons,  Corot  dans  ses  effets  du  matin. 
Quand  Meissonier  fait  un  tableau,  malgré  sa  petitesse,  on 
connaît  sa  grande  valeur.  Il  n'en  est  pas  ainsi  des  opéras- 
comiques  en  un  acte.  Le  public  me  croira  donc  plus  fort 
maintenant  que  je  quitte  les  soi-disant  petites  choses  pour  les 
grandes.  En  musique  le  préjugé  delà  tragédie  existe  encore.  » 
Erreur  ou  illusion,  quelque  succès  qu'aient  obtenu  certains 
de  ses  ouvrages  en  trois  actes,  ce  sont  les  JS'oces  de  Jeannette  et 
Galathée  qui  feront  vivre  sa  mémoire. 

Quatre  jours  avant  le  Fils  du  brigadier,  une  représentation 
extraordinaire  avait  été  donnée  au  bénéiice  de  la  caisse  de 
secours  des  artistes  de  l'orchestre.  Ces  séances,  aujourd'hui 
relativement  rares  dans  les  théâtres  subventionnés,  se  pro- 
duisaient alors  volontiers.  On  en  compte  une  en  J86o,  le 
9  janvier,  pour  la  caisse  de  secours  des  artistes  dramatiques 
et  trois  en  1867.  Celle  de  I86S  offrait  comme  principale  at- 
traction la  célèbre  Frezzolini,  chantant  un  air  de  la  Somnam- 
bule et  un  air  de  ifartha.  Le  programme  réunissait,  en  outre, 
les  concours  de  l'Opéra-Gomique  pour  le  deuxième  acte  de 
Galathée  (Gourdin,  Ponchard,  Sainte-Foy,  M""-'Gabel)  ;  de  l'Opéra 
pour  un  pas  de  trois,  dansé  par  M.  Coralli,  M"'*  Villiers  et 
Fiocre  ;  des  Variétés,  pour  Un  gardon  de  chez  féry  (Potier, 
Courtes,  M"«  Bader);  des  Français,  pour  la  Famille  Poisson 
(Provost  père  et  fils,  Talbot,  Barré,  M"«  Emilie  Dubois)  ;  en- 
fin, de  Levassor,  qui  récita /es  Rêves  d'un  Anglais,  et  de  Sarasale 
qui  exécuta  une  fantaisie  sur  Faust.  En  1867,  des  trois  repré- 
sentations extraordinaires  la  plus  brillante  comme  recette 
fut  celle  qui  eut  lieu  le  25  mars,  au  bénéfice  de  M™  Galli- 
Marié  ;  on  avait  doublé  le  prix  des  places  et  réalisé  la  somme 
de  32,114  fr.  60  c.  M""^  Nilsson  (air  de  la  Flûte  enchantée  et 
deux  mélodies  suédoises),  M""^  Cabel,  MM.  Caron,  Sainte-Foy, 
Ritter,  accompagnaient  sur  l'afBchele  premier  acte  de  Mignon, 
et  les  Rendez-vous  bourgeois  joués  en  travesti  et  distribués  ainsi: 
M™  Ugalde  (Bertrand)  parfaite  et  notamment  dans  la  scène 
de  la  peur  ;  M»'  Marie  Rôze  (Charles),  charmante  dans  son 
costume  de  satin  rose  ;  M™  Alphonsine  (Dugravier),  un  peu 
trop  caricaturale;  M™  Galli-Marié  (César),  très  menue  et  in- 
I  férieure  à  ce  que  l'on  attendait  d'elle  ;  M"''  Seveste  (Jasmin), 
MM.  Bataille  (Reine);  Capou)  (Louise),  portant  à  ravir  la  robe 
blanche;  Crosti  (Julie),  excellent  et  rappelant  à  s'y  méprendre 
la  mère  Boisgontier.  Maigre  l'attrait  de  celte  distribution  cu- 
rieuse et  injustement  critiquée  par  la  presse,  la  tentative  ne 
se  renouvela  pas,  et  le  14  mai,  la  représentation   extraordi- 


naire au  profit  de  la  caisse  de  secours  des  auteurs,  ramena 
les  Rendez-vous  bourgeois,  mais  non  travestis,  en  compagnie  du 
quatrième  acte  de  la  Juive  (Villaiet  et  M""  Mauduit),  et  du 
Cas  de  conscience  (Bressant,  Mirecourt  et  M'"«  Plessy);  M""^^  Nil- 
sson et  Vandenheuvel-Duprez  participèrent  à  cette  séance  qui 
produisit  7,051  francs.  La  représentation  du  21  février  fut  la 
plus  modeste,  puisqu'elle  ne  produisit  que  3,486  fr.  50  c.  de 
recette.  Les  Deux  Sourds,  joués  par  la  troupe  des  Variétés,  le 
Legs,  par  la  troupe  des  Français,  le  premier  acte  de  Joseph, 
par  la  troupe  de  l'Opéra-Comique,  des  chansonnettes  dites 
par  Sainte-Foy  et  les  frères  Lionnet,  un  duo  pour  violon  et 
piano  sur  des  motifs  de  Gounod  exécuté  par  Sarasate  et  Diémer 
se  partageaient  les  honneurs  du  programme.  On  y  entendit 
une  cantatrice  suédoise,  M''"^  Mina  Gelhaar,  premier  soprano 
de  l'Opéra  de  Stocliholm,  qui,  dans  les  variations  de  Rode, 
l'air  de  la  Reine  Topaze,  une  mélodie  suédoise  et  une  mélodie 
norvégienne,  ne  parvint  pas  à  éclipsersacompatrioteet  rivale, 
Nilsson.  Ce  même  soir,  les  prix  de  Rome  virent  se  produire 
un  essai  qui  ne  devait  pas  se  renouveler.  Tandis  que  les 
cantates  couronnées  par  l'Institut  sont  aujourd'hui  uniformé- 
ment interprétées  à  l'Institut  même,  dans  la  grande  salle  des 
séances,  au  mépris  des  lois  les  plus  élémentaires  de  l'acous- 
tique, alors  on  cherchait  un  local  propre  à  ces  auditions,  et 
chaque  année  amenait  son  déplacement. 

La  cantate  de  1864,  Ivanhoé,  poème  de  Roussy,  musique  de 
Sieg,  fut  exécutée  le  18  novembre,  à  l'Opéra;  celle  de  1865, 
Renaud  dans  les  jardins  d'Armide,  poème  de  Camille  du  Locle, 
musique  de  Ch.  Lenepveu,  élève  d'Ambroise  Thomas,  fut 
exécutée  par  Capoul,  Petit,  M"'^  Marie  Rôze,  le  4  janvier  1866, 
dans  la  salle  du  Conservatoire  ;  celle  de  1866,  Dcdila,  poème  de 
Vierne,  musique  d'Emile  Pessard,  élève  de  Carafa  et  Bazin,  fut 
exécutée  par  Caron,  Ponsard,  M'"  Éléonore  Peyret,  rempla- 
çant M"'8  Marie  Sasse  alors  malade,  le  21  février  à  VOpéra- 
Comique.  Celle  de  1867,  le  Dernier  Abencérage,  poème  de  Cicil, 
ne  fut  jamais  exécutée,  le  prix  n'ayant  pas  été  décerné  cette 
année-là  :  les  concurrents  malheureux,  dont  deux  devaieot 
prendre  leur  revanche,  et  les  deux  autres  se  faire  tout  de 
même  une  place  dans  le  monde  musical,  s'appelaient  Salvayre, 
Henri  Maréchal,  Benjamin  Godard  et  Emile  Bernard  I 

(A  suivre.) 

SEMAINE    THÉÂTRALE... 

ESPAGNOLE 


Lorsqu'un  critique  fait  tant  que  de  s'éloigner  de  Paris  poar 
quelques  semaines,  qu'il  se  rende  à  la  montagne  ou  à  la  mer,  ce 
n'est  généralement  pas  pour  rechercher  ce  qu'il  vient  de  quitterai 
qu'il  sait  bien  devoir  retrouver  à  son  retour.  Théâtre  ou  musique, 
il  est  certain  que  nous  en  avons  été  saturés  au  cours  de  la  longue 
saison  parisienne,  et  si  nous  fuyons  momentanément  Paris  qui  nous 
est  si  cher,  et  à  tant  de  titres,  c'est  pour  chercher  au  grand  air  un 
peu  de  repos  et  de  tranquillité  d'esprit  qui  nous  permettra  de  re- 
prendre ensuite  avec  une  nouvelle  vaillance  le  cours  de  nos  exploits 
ordinaires. 

Depuis  dix  jours  que  je  suis  dans  les  Pyrénées,  où  j'ai  fait  à 
pied,  le  bâton  à  la  main,  une  assez  jolie  course  de  près  de  trois  cents 
liilomèlres,  je  suis  cependant  incessamment  poursuivi  par  les  souve- 
nirs de  notre  vie  parisienne.  Si  j'ai  pu  visiter  el  admirer  successive- 
ment l'incomparable  gorge  de  Pierretitte,  la  route  austère  et  superbe 
qui  mène  à  Cauterets,  el  celle  de  Barèges,  elle  cirque  deGavarnie, 
el  les  jolis  entours  d'Argelez,  el  la  terrasse  de  Pau,  et  la  plage  de 
Biarritz,  et  celle  de  Saint-Jean-de-Luz,  et  l'adorable  village  de  Saint- 
Sauveur,  el  la  barre  de  l'Adour  à  Bayonne,  —  si  j'ai  pu  voir  tout 
cela  el  d'autres  choses  encore,  c'est  que  j'étais  bien  décidé  à  fuir 
toute  espèce  de  casino,  et  à  passer  indifférent,  à  côté  de  toute  sorte 
de  centre  artistique  estival.  Et  Dieu  sait  pourtant  si  j'en  ai  ren- 
contré, el  si  j'étais  sollicité  de  toutes  parts  !  A  Argelez,  c'était 
l'orchestre  de  notre  ami  Danbé  ;  à  Cauterets,  c'était  la  troupe  de 
M.  Frédéric  Aehard;  à  Biarritz,  c'était  celle  de  M"'=  Reichenberg  ; 
à  Bayonne,  c'étaient  les  concerts  classiques  de  M.  Arthur  Steck;  à 
Saint-Jean-de-Luz,  c'étaient  ceux,  moins  austères,  de  MM.  Fournets 
el  Clément,  que  sais-jeî... 


LE  MENESTREL 


267 


Voici  pourtant  que,  dès  mon  arrivée  à  Bayonne,  la  rage  du  spec- 
tacle me  reprend.  Pourquoi  donc?  Ah!  c'est  qu'il  s'agit  cette  fois 
d'un  spectacle  d'une  nature  et  d'un  relief  tout  particuliers,  d'un 
spectacle  sui  generis,  qu'il  faut  voir  dans  son  milieu  pour  l'avoir 
complet  et  le  pouvoir  bien  juger;  car  ici  les  spectateurs  sont  aussi 
intéressants  à  observer  que  ce  qu'ils  viennent  contempler  eux-mêmes. 
Or,  on  n'est  pas  toujours  aux  portes  de  l'Espagne,  et  l'on  n'a  pas, 
par  conséquent,  loujours  la  possibilité  d'assister  à  une  course  de 
taureaux  à  Saint-Sébastien,  la  ville  par  excellence  des  grandes  et 
brillantes  courses  de  taureaux.  Celles  dont  on  nous  gratifie  aux 
arènes  de  la  rue  Pergolèse  ressemblent  à  celles-ci  à  peu  près  comme 
la  butte  Montmartre  ressemble  au  pic  de  Bergons  ou  nos  fontaines 
Wallace  aux  cascades  de  Gavarnie. 

Depuis  mon  arrivée  dans  la  contrée,  j'étais  poursuivi  par  les 
affiches  annonçant  toute  une  série  de  courses  devant  avoir  lieu  à 
Saint-Sébastien  les  3,  10,  15,  16,  23  et  30  août,  aflTicbes  qui.  en  pu- 
bliant le  programme  complet  de  ces  aimables  fêtes  de  boucherie, 
nous  donnaient  les  portraits  (pas  flatteurs,  je  dois  le  dire)  des 
principaux  bouchers  qui  devaient  les  illustrer,  je  veux  dire  des 
héros  chargés  d'occire  les  infortunés  taureaux,  soit  le  fameux  Lagartijo, 
le  non  moins  fameux  Luis  Mazzantini,  puis  Angel  Paslor,  Espartero 
et  quelques  autres.  Une  publicité  énorme  avait  été  faite,  en  effet, 
à  celte  occasion,  dans  tout  le  midi  de  la  France,  depuis  Bordeaux 
jusqu'à  Marseille,  et  des  trains  de  plaisir  avaient  été  organisés  de 
Bordeaux,  d'Agen,  de  Toulouse  et  d'ailleurs,  à  prix  extrêmement 
réduits,  pour  affrioler  les  populations,  qui,  d'ailleurs,  ont  vigoureu- 
sement répondu  à  l'appel.  De  fait,  tant  d'étrangers  avaient  pris 
rendez-vous  à  Bayonne  à  ce  sujet,  que  lorsque  j'arrivai  le  samedi 
soir,  c'est  par  une  sorte  de  grâce  d'étal  que  je  réussis  à  trouver  une 
chambre,  tandis  que  plus  de  deux  cents  personnes  en  étaient 
réduites  à  passer  la  nuit  dans  les  salles  de  la  gare. 

Le  dimanche  matin,  à  huit  heures,  nous  nous  entassons  dans  un 
train  formidable,  composé  pour  une  certaine  partie  d'Espagnols  qui 
viennent  passer  l'été  dans  nos  stations  tiiermales  des  Pyrénées,  mais 
dont  tous  les  autres  voyageurs  étaient  des  Français  accourus  de 
divers  côtés.  Le  trajet  est  superbe.  Nous  passons  devant  Biarritz,  et 
à  chaque  station  c'est  un  afflux  d'amateurs  qui  viennent  combler 
encore  un  train  déjà  bondé  de  toutes  parts.  Le  soleil  est  superbe 
et  brille  de  tout  son  éclat.  Nous  atteignons  bientôt  le  joli  petit 
village  de  Guelhary,  type  du  vrai  village  basque,  qui  s'étage  gen- 
timent sur  de  petits  mamelons  au  bord  de  la  mer,  gai,  souriant, 
avec  ses  petites  maisons  coquettes  aux  murs  tout  réchampis  de 
blanc,  aux  volets  verts,  aux  toits  recouverts  de  tuiles  rouges  qui 
reluisent  aux  feux  du  soleil,  le  tout  aimable,  gracieux  et  brillant  de 
propreté,  avec,  tout  au  fond,  la  mer  s'étendant  à  perte  de  vue,  la 
mer,  dont  l'azur  profond  semble  celui  de  la  Méditerranée  et  se 
Iconfond  en  quelque  sorte  avec  le  bleu  du  ciel.  Je  revois  ensuite, 
■en  passant,  la  belle  rade  de  Saint-Jean-de-Luz,  puis  nous  traversons 
la  dernière  gare  française,  celle  de  Hendaye,  et,  après  avoir  franchi 
la  Bidassoa,  qui  forme  la  frontière  naturelle  des  deux  pays,  nous 
atteignons  la  première  gare  espagnole,  celle  d'Iran,  où  se  fait  le 
transbordement.  Je  dois  dire  que  te  changement  n'est  pas  en  faveur 
de  l'Espagne.  Ici,  les  ■wagons  sont  sales,  délabrés,  sans  confort  ni 
propreté.  Enfin,  ce  n'est  par  pour  la  contemplation  du  matériel  de 
la  Compagnie  du  Nord  de  l'Espagne  que  nous  allons  à  Saint- 
Sébastien!  J'aime  mieux  considérer  les  miquelets,  garde  de  police 
provinciale,  dont  l'uniforme  assez  singulier  se  compose  d'un  pantalon 
garance,  d'une  espèce  de  blouse  de  laine  bleue  avec  large  pèleriue, 
serrée  à  la  ceinture,  et  d'un  béret  rouge  comme  le  pantalon. 

A  onze  heures,  nous  arrivons  à  Saint-Sébastien.  La  course  n'est 
que  pour  quatre  heures.  On  a  le  temps  de  flâner  un  peu  par  la 
ville  ;  j'en  profite.  La  gare  est  en  dehors  de  la  ville.  Pour  pénétrer 
dans  celle-ci,  il  faut  franchir  le  Loyola  sur  un  beau  pont  de  pierre 
au  delà  duquel  on  aperçoit  la  mer  dans  toute  sa- splendeur.  Je  vague 
au  hasard,  à  droite  et  à  gauche,  pendant  quelques  heures,  parcou- 
rant de  beaux  boulevards,  puis  des  rues  étroites,  traversant  quel- 
ques larges  places,  entre  autres  la  place  de  la  Constitution,  oîi  je 
vois  les  belles  dames  espagnoles,  au  sortir  de  la  messe,  venir  s'as- 
seoir à  l'ombre  des  grands  arbres,  étaler  leurs  brillantes  toilettes, 
moins  jolies  qu'elles  encore,  et  organiser  une  potinière  fort  animée. 
Mais  il  est  temps  de  penser  au  déjeuner,  ce  qui  n'est  pas  très 
'facile  à  exécuter  dans  cette  ville  de  vingt-cinq  mille  habitants  prise 
d'assaut  par  vingt  mille  étrangers.  J'y  parviens  cependant,  non 
sans  peine  d'ailleurs,  puis,  en  fumant  une  cigarette,  je  me  rends 
à  l'arène,  après  m'êlre  muni,  au  prix  de  9  francs,  d'un  billet  d'en- 
trée dont  le  coût  assez  élevé  m'assure  au  moins  que  je  serai  placé 
de  façon  à  n'être  ni  brûlé  ni  aveuglé  par  le  soleil. 


L'arène  de  Saint-Sébastien,  incendiée  il  y  a  quelque  dix  ans,  a 
été  reconstruite  par  les  soins  des  principaux  toreros  d'Espagne,  les 
Lagartijo  et  outres,  qui  ont  formé  entre  eux  une  association  —  on 
dirait  aujourd'hui  un  syndicat  —  pour  exploiter  eux-mêmes  leurs 
talents  et  se  faire  les  chefs  de  leur  entreprise.  Elle  contient  dix  mille 
spectateurs  et  réalise  chaque  fois  une  recette  de  30,000  francs.  A 
supposer  que  les  frais  de  chaque  coriida  s'élèvent  à  13,000  francs, 
c'est,  pour  une  seule  série  de  six  séances  comme  celle  qui  se  pour- 
suit en  ce  moment,  un  bénéfice  net  de  90,000  francs,  ce  qui  ne  laisse 
pas  d'être  agréable.  On  ne  peut  guère  évaluer  ces  frais  aune  somme 
moindre,  si  l'on  songe  que  chaque  taureau  coûte  en  moyenne 
2,000  francs,  et  qu'on  en  sacrifie  six  dans  chaque  course.  Il  est  vrai 
que  ces  infortunés  animaux  sont  dépecés  séance  tenante,  et  que  leur 
chair  est  vendue  le  lendemain  au  marché.  Mais  il  faut  compter 
aussi  avec  les  trente  chevaux  éventrés,  bien  que  ces  chevaux  soient 
assurément  des  descendants  directs  de  Rossinante. 

La  vue  de  l'arèue  est  saisissante  pour  qui  y  pénètre  sans  être 
accoutumé  à  un  tel  spectacle.  Au-dessus  de  l'amphithéâtre  qui  borde 
la  piste,  s'élèvent  trois  vastes  galeries  qui,  comme  lui,  regorgent 
de  spectateurs  ;  il  n'y  a  pas  une  place  libre,  et  comme,  d'ailleurs, 
toutes  ces  places  sont  numérotées,  depuis  la  première  jusqu'à  la 
dix  millième,  tout  se  fait  avec  un  ordre  parfait  et  sans  la  moindre 
confusion.  Il  ne  faudrait  pas  croire,  par  exemple,  à  une  apparence 
même  de  confortable:  on  ne  connaît  là  ni  fauteuils,  ni  banquettes 
quelque  soit  peu  rembourrées  ;  de  simples  bancs  de  bois,  sur  les- 
quels sont  peints  les  numéros,  et  c'est  tout.  Mais  la  construction, 
aussi  simple  que  possible,  est  si  bien  entendue,  que  de  partout  on 
voit  merveilleusement;  l'essentiel  est  de  ne  pas  être,  autant  que 
faire  se  peut,  du  côté  du  soleil.  Mais,  je  le  répète,  la  vue  de  cette 
immense  salle  est  superbe,  avec  cette  multitude  bruyante,  animée, 
bigarrée,  et  ivre  en  quelque  sorte  par  avance  de  l'hoi'rible  plaisir 
qu'elle  se  promet. 

Un  palco  est  réservé,  au  second  étage,  pour  l'orchestre,  qu'on  n'a 
guère  l'occasion  d'entendre,  au  milieu  des  cris  et  des  vociférations 
des  spectateurs.  Tout  à  côté,  un  autre  imko  est  occupé  par  un  déta- 
chement de  cinq':ante  gendarmes,  précaution  qui,  paraît-il,  n'est 
pas  toujours  inutile.  Sur  le  devant  de  ces  deux  vastes  loges,  on  a 
peint  le  programme  de  cette  série  de  courses,  avec  le  nom  de  chaque 
spada  qui  doit  l'illustrer  :  le  9  aoûl.  Luis  Mazzantini  ;  le  13  et  le  16, 
Lagartijo  et  Angel  Pastor  ;  le  23,  Falco  et  Golorn  ;  le  30  Espartero 
et  Guerrita.  El  comme  il  faut  être  prudent,  bien  que  les  accidents 
humains  soient  et  doivent  être  extrêmement  rares,  un  prêtre  est  tou- 
jours en  permanence  dans  le  local  des  toreros  pour  assister  celui 
auquel  il  arriverait  malheur. 

Le  personnel  de  combat  esl  nombreux.  En  dehors  des  deux  person- 
nages principaux,  des  deux  héros,  qui  ont  charge  de  percer  le  tau- 
reau de  leur  épée,  il  y  a  les  banderilleros,  qui  doivent  lui  planter 
des  flèches  (banderilles)  dans  les  épaules,  puis  les  picadores,  à  cheval, 
qui  le  piquent  à  la  face  de  leur  lance,  et  enfin  ceux  qui  sont  particu- 
lièrement chargés  de  l'exciter  à  l'aide  des  draperies  flottantes  qu'ils 
déploienl  de  tous  côtés  devant  lui.  Ceux-ci  sont  remarquables  par 
l'étonnante  agilité  dont  ils  font  preuve  lorsque,  poursuivis  par  l'ani- 
mal, ils  franchissent  d'un  saut  la  barrière  de  la  piste  pour  retomber 
dans  le  couloir  qui  entoure  celle-ci  et  où  ils  se  trouvent  à  l'abri. 
Les  uns  et  les  autres  ont  les  riches  costumes  que  l'on  connaît: 
culotte  de  soie  ou  de  velours,  de  couleurs  diverses,  brillamment 
soulachéj  sur  le  côté  ;  bas  de  soie  blancs  et  escarpins  ;  veste  riche- 
ment brodée  aussi,  sur  une  chemise  d'une  blancheur  éclatante,  avec 
cravate  noire  ;  pour  coiffure,  le  sombrero  national.  Les  picadores 
portent  la  veste  de  même  genre  ;  mais  la  culotte  esl  de  peau  molle, 
avec  jambières  par-.dlles,  et  le  sombrero  est  remplacé  par  un  large 
chapeau  de  feutre  gris.  Enfin,  la  piste  est  encore  occupée  par  un 
certain  nombre  de  servants,  les  uns  en  pantalon  et  chemises  blancs, 
ceux-là  bleus,  d'autres  rouges,  tous  avec  le  béret  rouge. 

La  première  et  la  seconde  course  sont  relativement  peu  animées. 
Acteurs  et  spectateurs  ne  sont  pas  encore  échauffés.  Mais  peu  à  peu 
la  vue  du  sang  grise  les  uns  et  les  autres,  et  bientôt  cela  devient 
une  véritable  orgie  de  sauvagerie  cruelle.  Le  taureau  esl  superbe 
lorsqu'il  se  présente  sur  la  piste,  la  démarche  puissante,  le  regard 
fier,  ne  sachant  rien  évidemment  du  drame  dont  il  va  être  en  même 
temps  le  héros  et  la  victime,  mais  conscient  de  sa  force  et  prêt  à 
tout.  Tout  d'abord,  ce  ne  sont  que  jeux  d'enfants,  destinés  à  l'émons- 
liUer  et  à  l'exciter  quelque  peu  à  l'aide  des  draperies  de  toutes 
couleurs  qu'on  déploie  rapidement  devant  lui  de  tous  côtés  et  qu'il 
cherche  à  poursuivre  inutilement.  Quand  on  l'a  mis  ainsi  un  peu  en 
train,  l'action  se  prépare.  Un  picador  se  présente  sur  son  cheval,  la 
lance  à  la  main,  et  s'apprête  à  la  lutte.  Il  cherche  à  joindre  le  tau- 


2J8 


LE  MEiNESflŒL 


reau,  puis,  une  fois  près  de  lui,  attend,  au  milieu  de  diverses  évolu- 
tioDS,  le  moment  de  le  frapper.  Les  voici  l'un  devant  l'autre;  la  lance 
fend  l'air,  glisse  sur  le  front  de  l'animal,  le  coup  est  manqué;  c'fst 
le  malheureux  cheval  qui  va  payer  la  maladresse  de  son  cavalier. 
Immédiatement  le  taureau  se  jette  sur  lui,  lui  enfonce  ses  cornes 
dans  le  ventre,  le  soulève  et  le  retourne:  le  cheval  tombe  sur  le  dos, 
le  cavalier  restant  sous  lui.  Aussitôt  les  draperies  de  recommencer 
leur  jeu  pour  attirer  ailleurs  l'altention  du  taureau  et  l'empêcher  de 
s'attaquer  au  picador,  qu'on  relève  pendant  ce  temps.  A  celui-ci  un 
autre  succède,  puis  un  autre,  et  j'ai  vu  ainsi  dans  une  seule  course, 
jusqu'à  sept  chevaux,  morts  ou  mourants,  dans  l'arène;  l'un  de  ces 
malheureux,  je  ne  sais  par  quel  effort,  s'est  relevé  et  s'est  mis  à 
courir  encore,  seul  et  affolé,  au  milieu  de  l'arène,  ses  entrailles 
pendantes  sous  lui,  pour  enfin  retomber  et  expirer  dans  un  spasme 
suprême.  C'est  honible! 

Toutefois,  ce  n'est  encore  là  que  le  commencement,  une  sorte  de 
mise  en  train.  Le  taureau,  à  peine  touché  ou  non  touché  encore,  est 
néanmoins  très  excité  et  n'a  rien  perdu  de  sa  force.  Voici  venir  le 
tour  des  banderilleros.  L'un  d'eux  s'avance,  une  flèche  dans  chaque 
main,  tt  se  présente  aux  regards  de  l'animal.  L'assistance  commence 
à  s'animer;  on  crie,  on  applaudit,  on  vocifère,  c'est  par  instants  un 
vacarme  effroyable.  Si  le  taureau  n'a  pas  l'air  de  s'occuper  de  son 
nouvel  adversaire,  on  le  siJIle;  si  celui-ci  manque  son  coup,  c'est  lui 
qu'on  siffle  avec  rage.  Enfin,  les  voici  l'un  et  l'autre  en  présence  • 
l'homme  avance,  recule,  fait  des  sauts  de  toute  sorte,  selon  les  divers 
mouvements  de  l'animal  ;  enfin,  d'un  mouvement  lesle,  et  tout  en 
évitant  les  cornes,  il  lui  plante  ses  deux  flèches  dans  les  épaules 
et  s'éloigne  avec  rapidité.  Une  immense  clameur  d'enthousiasme 
s'élève  alors  de  la  foule,  qui  applaudit  frénétiquement. 

Mais  le  taureau  a  senti  son  sang  couler;  la  colère  le  prend,  et  ses 
bonds  deviennent  furieux.  Un  autre  banderillero  se  présente,'  après 
lui  un  autre,  puis  un  autre  encore.  Deux,  quatre,  six,  huit  flèches 
so::t  enfoncées  successivement  dans  son  cou,  et  son  sang  coule  de 
toules  ses  blessuies.  Sa  fureur  est  bientôt  à  son  comble.  C'est  le  tour 
de  la  spada  et  du  duel  final.  Lagartijo  s'avance,  un  drapeau  roun-e 
dans  la  main  gauche  pour  exciter  encore  l'animal,  son  épée  dansia 
main  droite,  qu'il  doil  lui  planter  entre  les  deux  épaules,  à  l'endroit 
précis  qui  doit  le  faire  tomber.  Le  moment  est  suprême;  le  combat 
se  prolonge  souvent  pendant  plusieurs  minutes,  et  pendant  tout 
ce  temps  les  hurlements,  les  applaudissements,  les  cris  :1e  cette 
foule  bestiale,  ivre  de  sang,  saoule  de  cet  immonde  plaisir,  ne 
cessent  d'excit.r  l'un  contre  l'autre  l'homme  et  la  bête.  L'homme 
manque-t-il  son  coup?  Un  ouragan  de  sifilets  s'élève  aussitôt,  dont 
on  ne  saurait  se  faire  une  idée.  Plante-t-il  enfin  son  épée  d'ans  le 
cou  du  taureau  de  façon  à  ce  qu'elle  ressorte  par  devant,  et  celui-ci 
tombe-t-il  comme  une  masse,  en  pous.^ant  un  rugissement  de 
douleur?  il  faut  voir  l'enthousiasme,  il  faut  voir  les  chapeaux  et 
les  mouchoirs  s'agiter,  il  faut  voir  tous  ces  hommes  debout,  criant 
clamant,  hurlant,  gesticulant,  absolument  fous  d'une  joie'  que  je 
me  refuserai  toujours  à  coraprendie,  tandis  que  sous  forme  de  coup 
de  grâce  on  plante  un  dernier  poignard  dans  le  cou  de  l'animal 
dont  le  sang  inonde  l'arène. 

Mais  après  chaque  course,  il  faut  vider  cette  arène  et  la  nettoyer 
de  ce  qui  l'encombre.  C'est  l'affaire  des  servants,  et  la  chose  est 
faite  en  deux  minutes.  Pour  cela  on  voit  venir  tour  à  four  autant 
d'attelages  de  trois  mules  caparaçonnées  qu'il  y  a  de  corps  d'ani- 
maux morts  sur  la  piste;  ces  attelages  entrent  au  grand  o-alop 
chacun  d'eux  est  muni  d'un  crochet  qui  s'accroche  à  chaque  corp«' 
et  lorsque  ce  crochet  est  fixé,  l'attelage,  entraînant  sur  le  sable  lé 
corps  de  la  bête  dont  il  est  chargé,  fait,  au  même  grand  galop  le 
tour  de  la  piste,  excité  par  les  cris  et  les  coups  de  fouet ^des  ser- 
vants, et  transporte  au  dehors  ;  on  fardeau. 

Il  va  sans  dire  qu'il  se  présente  des  incidents.  Le  taureau  a  la 
vie  dure,  et  la  difficulté  d'en  venir  à  bout  est  parfois  extraordinaire 
J'en  ai  vu  un,  frappé  tout  d'abord  de  trois  coups  de  lance  ayant 
huit  banderdles  fixées  dans  les  épaules,  l'épée  plantée  dans' le  cou 
ruisselant  de  sang,  éeumant  de  rage,  de  fatigue  et  do  douleur  à  bout 
de  forces  mais  non  de  courage,  luttant  encore,  ne  voulaut' pas  se 
rendre,  et  d'un  bond  furieux  franchi.ssani,  en  l'écrasant  la  barrière 
de  la  piste,  pour  tomber,  épuisé  enfin,  dans  le  couloir  Circulaire  oii 
il  fallut  l'achever.  Je  garantis  que  pendant  un  instant  ses  voisins 
n'ont  pas  été  à  la  noce.  Pour  le  moment,  ils  ne  pensaient  sucre  à 
applaudir,  j'en  réponds. 

Voilà  ce  que  c'est  que  les  vraies  courses  de  taureaux  espao-uoles 
tel  est  le  spectacle  qu'elles  offient  aux  regards  de  l'amateur''  telles 
sont  les  aimables  jouissances  qu'elles  lui  proeurent.  Lorsqu'on  en 
irouve  l'occasion,  il  faut  les  voir,  parce  qu'il   faut  tout  voir    Mais 


en  ce  qui  nous  concerne,  nous  autres  Français,  je  crois  que  peu 
seront  lentes  d'y  retourner,  et  ce  qui  a  fait  ma  joie,  c'est  l'unani- 
mité avec  laquelle,  au  retour  à  Bayonne,  dans  le  train,  et  malgré  la 
présence  de  nombreux  Espagnols,  on  exprimait  le  sentiment  d'é- 
cœurement et  de  dégoût  que  faisait  naître  un  tel  spectacle.  Non,  je 
ne  crois  pas  que  jamais  on  parvienne  à  acclimater  cela  en  France. 
Dieu  merci,  nous  n'en  sommes  pas  encore  là. 

Abtuur  Pougin. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

(Suite) 


CHAPITRE  II 


L  INSTITUT  NATIONAL  DE  MUSIQUE 

(1790-1793) 

Les  théâtres  marchent  de  concert  avec  les  manifestations  popu- 
laires; leurs  programmes  en  soat  comme  un  écho.  Voici  que  les 
comédiens  du  Roi  représentent  en  janvier,  Epiménide  ou  le  Réveil  de 
la  Liberté;  tandis  que  s'entasse  à  la  Monnaie,  la  vaisselle  d'argent, 
sacrifiée  à  l'envi  par  le  clergé,  par  la  noblesse  et  la  bourgeoisie, 
les  Dangers  de  l'opinion  apparaissent  sur  l'affiche  de  la  Nation. 

Bientôt,  à  l'Opéra,  on  osera  mettre  Louis  IX  en  scène  ;  Talma 
adressera  une  plainte  contre  le  curé  de  Saint-Sulpice  qui  a  refusé 
de  le  marier. 

La  misère  grandit  et,  par  ordre  de  la  Municipalité,  oa  multiplie  les 
représentations  au  profit  des  pauvres.  Puis  les  journaux,  tout  entiers 
au  formidable  bouleversement  qui  menace,  abandonnent  musique  et 
théâtres.  Une  note  apprend  que  dans  le  Despotisme  renversé,  l'or- 
chestre a  joué  le  Ça  ira,  mais  on  néglige  de  rendre  compte  des 
opéras  nouveaux;  on  nous  annonce  que,  le  â  avril  1791,  toutes  les 
scènes  parisiennes  font  relâche  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  Mirabeau, 
et  on  s'occupe  à  peine  de  la  séparation  survenue  entre  les  comédiens. 


Quand  commence  l'année  1792,  le  sieur  Dorfeuille  réussit  à  inté- 
resser quelques  gazettes  à  un  projet  gigantesque.  Il  veut  fonder 
un  grand  théâtre  embrassant  tous  les  genres,  théâtre  de  la  Réunion 
des  Aits,  auquel  serait  attachée  une  École  de  chant,  de  déclamation 
et  de  danse.  Il  suffirait  pour  réaliser  ce  plan,  d'une  souscription  de 
3,000  billets  à  3,000  livres. 

Le  versement  proposé  rencontre  peu  d'amateurs  ;  il  n'était  plus 
question  de  musique. 

La  garde  nationale  a  tous  les  sourires  de  la  foule  :  c'est  son 
uniforme  que  porte  le  Dauphin,  lors  de  la  dernière  revue  passée 
par  le  Roi  et  la  Reine  dans  les  Champs-Elysées;  c'est  pour  sa  musi- 
que que,  dès  la  fin  de  1789,  Bernard  Sarrette,  capitaine  d'état-major, 
a  léuni  quarante-cinq  hommes,  leur  a  donné  des  maîtres,  les  a  fait 
instruire.  L'année  suivaute,  la  Municipalité  les  prend  à  sa  cliarge. 

Un  arrêté  de  la  Commune,  daté  du  9  juin  1792,  institue  :  l'École 
gratuite  de  Musique  de  la  Garde  nationale  parisienne. 

Les  soixante  bataillons  présentent  cent  vingt  élève.»,  fils  de  gardes 
nationaux.  Les  uns,  âgés  de  10  à  16  ans,  n'ont  encore  aucune  con- 
naissance musicale,  tandis  qu'une  certaine  instruction  est  exigée  des 
autres,  ayant  de  18  à  20  ans. 

Les  élèves  doivent  se  pourvoir  d'un  uniforme,  se  fournir  d'instru- 
ments, de  papier  à  musique  sur  lequel  ils  transcriront  durant  une 
heure,  chaque  jour,  les  ouvrages  nécessaires  à  leurs  études.  Ils 
recevront,  par  semaine,  deux  leçons  de  solfège,  trois  d'instruments. 


La  République  veut  multiplier  les  fêtes,  les  cérémonies  imitées 
de  l'antique,  et  la  musique  figurera  au  premier  rang  de  ses  pro- 
grammes. 

Le  20  brumaire,  an  II  (10  novembre  1793),  dans  Notre-Dame, 
nouvellement  épurée,  un  hymne  à  la  déesse  Raison  souligne  l'enthou- 
siasme des  adorateurs. 

Dix  jours  plus  taid,  l'École  de  la  Garde  Nationale  donna  son 
premier  exercice  public,  sur  le  théâtre  de  la  rue  Feydeau.  Un 
discours  de  Sarrette,  vantant  les  mérites  et  l'utilité  de  l'institution, 
remplit  l'entr'acLe  du  concert  dans  lequel  on  a  remarqué  une  ouver- 
ture de  Catel  «  élève  de  Gossec,  si  universellement  connu,  soit 
comme   le    premier  harmoniste    de    France,    soit   comme   excellent 


LE  MENESTREL 


269 


républicain.  »  Accueillis  avec  une  faveur  marquée  le  ci-devant  0 
Salutaris  de  Gosseo  encore,  exécuté  à  trois  cors,  et,  du  même,  une 
symphonie  concertante  pour  onze  instruments  à  vent. 

La  prise  de  Toulon  est  célébrée  le  10  nivôse  (30  décembre). 
Dans  le  cortège,  organisé  par  David,  prennent  place  SO  tambours, 
les  musiques  de  la  force  armée  parisienne,  les  artistes  chargés  de 
l'exécution  des  hymnes. 

Choeur  au  départ,  chœur  au  temple  de  l'Humanité,  où  les  Inva- 
lides se  joignent  au  défilé,  chœur  au  Champ-de-Mars  devant  l'autel 
de  l'Immortalité. 

Chants  et  instruments  vont  prendre  une  telle  importance  dans  les 
cérémonies,  qu'un  magasin  de  musique  à  l'usage  des  files  nalionales 
s'établit  rue  Joseph,  section  de  Brutus.  On  y  annonce  la  publi- 
cation de  l'hymne  à  la  Divinité  par  Bruny,  de  l'hymne  à  l'Être  suprême 
composé  par  Gossec: 

Ton  temple  est  sur  les  monts,  dans  les  airs,  sur  les  ondes, 
Tu  n'as  point  de  passé,  tu  n'as  point  d'avenir. 
Et  sans  les  occuper  tu  remplis  tous  les  mondes 
Qui  ne  peuvent  te  contenir. 

La  mise  en  scène  de  la  fête  du  19  prairial  a  été  minutieusement 
réglée  d'avance  par  David.  Cent  tambours  et  les  élèves  de  l'Institut 
national,  qui  vieni,  par  décret  de  la  Convention,  de  remplacer 
l'Ecole  de  Musique,  accompagneront  le  peuple  dans  l'hommage 
rendu  à  l'Être  suprême.  «  Les  jeunes  filles  jetteront  des  fleurs  vers 
te  ciel  et,  simultanément,  les  adolescents  tireront  leurs  sabres  et 
jureront  de  rendre  partout  leurs  armes  victorieuses.  Les  vieillards 
ravis  apposeront  leurs  maius  sur  leurs  lètes.  Après  la  dernière 
strophe,  loas  les  Français  confondant  leurs  sentiments  dans  un 
embrassement  fraternel,  termineront  la  fête  en  faisant  retentir  les 
ail  s  du  cri  général  :  Vive  la  République!  » 

La  victoire  de  Fleurus  donne  prétexte  à  une  fête  à  laquelle  est 
convié  l'Institut  national;  Catel  est  désigné  pour  écrire  le  chœur 
patriotique  : 

Soleil,  témoin  de  la  victoire. 
Sois  fier  d'éclairer  des  Français  ! 

Les  élèves  de  la  Patrie  qui  apprennent  la  natation  à  l'école  du 
citoyen  Tarquin,  réclament  eux  aussi  un  orchestre  pour  célébrer, 
comme  leurs  aines,  les  lauriers  de  Fleurus.  s  II  y  a  eu  danse  dans 
le  bassin  par  un  grand  nombre  de  nageurs,  ce  qui  a  rendu  cette  fête 
des  plus  agréables.  » 

Hymne  de  Méhul  pour  la  l'ète  de  Barra  et  de  Viala,  chœur  de 
Catel  le  23  thermidor,  chants  de  victoire,  fanfares  de  trompettes  se 
suivent  de  près. 

Le  deuxième  jour  des  sans-culotlides,  apparaît  le  nom  de  Chéru- 
bin!, célébrant,  sur  une  pièce  de  Chéuier,  la  gloire  des  martyrs  de 
la  Liberté  et  de  ses  défenseurs.  Le  corps  de  Marat  est  porté  au 
Panthéon;  «  une  musique  mélodieuse,  dont  le  caractère  doux  et 
tranquille  peindra  l'immortalité  »,  salue  le  cortège  à  l'entrée  du 
Temple. 

"Vient,  avec  l'an  III,  le  tour  de  Rousseau.  Ses  restes  vont  être 
transportés  sous  le  dôme  consacré  aux  grands  hommes;  on  veut 
honorer  à  la  lois  l'auteur  d'Emile  el  le  compositeur  du  Devin  du 
village. 

La  fête  commence  aux  Tuileries,  oix  le  corps  a  passé  la  nuit  sur 
un  bassin  orné  de  lampions,  rappelant  par  une  décoration  ingéuieuse, 
l'île  d'Ermenonville. 

Le  rôle  de  l'Institut  national  commence  dès  l'arrivée  de  la  Conven- 

llion,  saluée  par  l'air:  «  J'ai  perdu  tout  mon  bonheur.  »  Après  la  lec- 

[ture  du  décret  accordant  aux  cendres   les  honneurs   de   l'apothéose, 

fàutre    mélodie   emprunlée,  elle   aussi,  à  l'œuvre  de  Jean-Jacques  : 

«  Dans  ma  cabane  obscure  ».  Enfin,  quand  le  cercueil  paraît  à  l'entrée 

fei   Panthéon,  éclate   le    motif  connu  :    «   Je    l'ai  planté,   je   l'ai   vu 

ré  ». 

rPour  terminer  la  cérémonie,  hymne  de  Gossec  : 

Toi  qui  d'Emile  et  de  Sophie 
Dessinas  les  traits  ingénus, 

dont  les  différentes  strophes  sont  chantées  tour  à  tour  par  les  vieil- 
lards et  les  mères  de  famille,  les  représentants  du  peuple,  les  enfants, 
les  jeunes  filles  et  les  Genevois. 


Nous  retrouvons  l'Institut  national  donnant,    le    18   brumaire,  un 
exercice  public  ;   «  tirant  les  larmes  des  yeux  attendris  de  la  Con- 


vention et  renouvelant  par  ses  accents  la  tristesse  dans  tous  les 
cœurs  »,  le  jour  oîi  on  célèbre  pompeusement  les  funérailles  de 
Féraud  ;  exécutant,  dans  d'innombrables  cérémonies,  les  œuvres  de 
circonstance  dues  à  Lesueur,  Gossec,  Méhul,  Catel,  jusqu'au  16  ther- 
midor, où  Chénier,  a'a  nom  du  Comité  d'instruction  publique,  pro- 
pose le  décret,  aussitôt  adopté,  qui  organise  le  Conservatoire  natio- 
nal de  musique. 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Rome  a  eu  une  dose  suffisante  de  musique  et  de  spectacles  en  Tété 
de  1891.  Il  faut  croire  que  la  villégiature  a  moins  d'attraits  pour  les  habi- 
tants de  la  capitale  italienne  que  pour  les  Parisiens,  car  les  théâtres  mu- 
sicaux n'y  chôment  guère  en  la  belle  saison,  hormis  l'Apollo  et  le  Gos- 
tanzi.  Ainsi  le  programme  de  la  dernière  huitaine  contient  :  au  Quirino, 
la  Favorila,  Béatrice  di  Tenda,  Norma;  au  Manzoni,  la  Forza  del  Destina;  au 
Politeama,  Lucrezia  Borgia;  au  Nazionale,  les  Cloches  de  Corneville  et  la  Fille 
de  JI7""=  Angot.  Joignant  à  cela  Carto  il  Guastaiore,  la  Maestrina,  ballet  et  drame, 
puis  des  concerts  assez  variés,  on  reconnaîtra  que,  pour  que  tout  cela  vive, 
il  faut  que  le  public  romain  aime  beaucoup  le  théâtre,  même  en  été. 
Nous  ferons  remarquer,  comme  il  y  a  huit  jours,  que  le  vieux  répertoire 
italien  forme  la  majorité  des  spectacles  ;  une  reprise  de  la  très  antique 
Béatrice  di  Tenda  est,  sous  ce  rapport,  très  caractéristique.  Dans  les  autres 
villes  d'Italie,  où  l'on  chante,  même  remarque. 

—  Un  nouvel  orgue, monumental,  commandé  à  la  maison  Marettini  de 
Pérouse,  doit  orner  la  basilique  du  Vatican.  En  ce  moment  on  travaille  à 
préparer  l'emplacement  de  cet  instrument.  A  cet  effet,  une  cloison  en 
marbre  est  élevée  pour  séparer  le  monument  de  Pie  VII  du  chœur  de  la 
chapelle  Clémentine.  L'inauguration  du  nouvel  orgue  sera  signalée  par 
une  grande  fête  musicale  et  religieuse. 

—  Si  à  Rome  les  théâtres  jouent,  malgré  l'été,  il  n'en  est  pas  de  même 
à  Milan,  véritable  capitale  artistique  de  l'Italie  pourtant.  Là,  rien  ou 
presque  rien!  Au  Dal  Verme,  une  ménagerie!...  au  Fossati,  un  modeste 
ballet,  mais  on  annonce  un  drame  à  sensation  intitulé  Jack  l'éventreurt... 

—  Un  comité  se  forme  en  ce  moment  à  Florence  pour  célébrer,  en 
février  1892,  le  centenaire  de  la  naissance  de  Rossini,  dont  les  cendres 
sont  conservées  au  Panthéon  de  Santa-Croce..  De  grandes  fêtes  musicales 
et  civiques  auront  lieu  à  cette  occasion. 

—  Les  exercices  publics  du  Lycée  musical  Rossini,  dePesaro,  que  dirige 
le  maestro  Pedrotti,  ont  eu  lieu  dernièrement.  Les  résultats  ont  pu  suffi- 
samment satisfaire  les  examinateurs  et  la  foule.  Les  chanteurs  et  surtout 
les  chanteuses  ont  fait  plaisir  :  il  y  a  quelques  belles  voix  dans  cette 
jeunesse,  mais  que  vieille  est  la  musique  entendue  !...  Les  instrumentistes 
ont  surpris  par  le  nombre  et  le  mérite,  on  a  même  applaudi  un  basson 
virtuose,  tellement  virtuose  qu'il  a  exécuté  un  solo  avec  accompagnement 
d'orchestre,  en  plein  public!  Que  dire  de  plus.  Comme  composition,  la 
symphonie  l'a  emporté  sur  le  chant,  ce  fait  n'est  plus  rare  en  Italie.  En 
somme,  le  lycée  Rossini  progresse  et  n'est  pas  infécond.  M.  Pedrotti  a 
droit  à  de  réels  éloges. 

—  Le  théâtre  Communal  de  Trieste  est  à  prendre.  Malgré  une  belle 
subvention  et  d'autres  avantages  considérables,  les  amateurs  manquent  et 
pour  sortir  de  ce  chaos,  on  parle  d'une  combinaison  d'amateurs  formant 
conseil  directorial.  C'est  que  Trieste  n'est  plus  une  ville  facile  pour  un 
imprésario.  L'antagonisme  de  l'élément  italien  et  de  l'élément  autrichien 
fait  naître  de  continuels  périls.  Art  et  politique  vont  mal  ensemble,  même 
au  sein  de  la  Triplice. 

—  Il  y  a  encore  de  belles  nuits  à  Venise,  et  les  échos  des  lagunes,  si 
toutefois  les  lagunes  ont  des  échos,  entendent  de  temps  en  temps  de  mé- 
lodieux accords.  Ainsi  la  semaine  dernière,  de  neuf  heures  à  minuit,  une 
grande  barque  pleine  de  symphonistes  a  promené  un  concert  que  les 
feuilles  du  pays  déclarent  charmant.  Au  programme  :  le  Menuet  de  Boccbe- 
rini.  Danse  circassienne  de  Delibes,  divers  autres  morceaux  et  enfin  la  pre- 
mière audition  d'il  Sogno,  rêverie  du  comte  Pietro  Biancbini,  élève  du 
maestro  Coccon  qui  dirigeait  ce  concert  aquatique.  Les  gondoles  rejoi- 
gnirent bien  vite  la  barque  qui  portait  les  musiciens,  et  alors  les  gondo- 
liers, imitant  nos  cochers  quand  un  encombrement  se  produit,  mêlèrent 
leurs  voix  aux  douces  harmonies.  L'Adriatique  entendit  un  tutti  fortement 
pittoresque  et  l'on  s'amusa  énormément  sur  le  grand  canal. 

—  Piano  !...  Tel  est  le  nom  d'un  colonel  italien  qui  vient  d'être  appelé 
devant  un  conseil  pour  divers  manquements  à  la  discipline  pendant  son 
séjour  sur  la  terre  africaine.  Le  lieutenant-colonel  Piano  aurait,  parait-il, 
procédé  crescendo  et  frisé  le  fortissimo  quand  un  larghetto  d'ordre  supérieur 
signifia  l'inflexible  a  tempo  l  La  cadenza  finale  s'accentue  en  ce  moment. 

—  Le  31  juillet  a  eu  lieu,  dans  l'église  de  Bayreuth,  un  service  à  la 
mémoire  de  Liszt,  dont  la  partie  musicale,  très  importante,  avait  été 
organisée  par  MM.  Kniese  et  GôUericb.  Au  programme  figurait  une  com 


270 


LE  MENESTREL 


position  inodile  de  Liszt,  trouvée  dans  les  papiers  de  Ricliard  "Wagner  : 
le  12I«  psaume,  où  se  trouvent  intercalés  des  motifs  de  Parsifnl.  Un  grand 
nombre  d'artistes  du  Fetspielhaus  avaient  pris  part  à  la  cérémonie,  ainsi 
que  les  membres  de  la  Société  chorale  de  Bayreuth  et  l'organiste  D''  F. 
Stade.  L'église  était  comble  ;  on  remarquait  dans  les  premiers  rangs  la 
famille  "Wagner  au  complet. 

—  M.  Goldmark,  l'auteur  d'une  Reine  de  Saba  assez  célèbre  en  Italie  et 
en  Allemagne,  vient  de  récrire  en  grande  partie  son  Mej-hn,  opéra  moins 
heureux.  La  première  représentation  du  nouveau  Merlin  aura  lieu  à  Ber- 
lin pendant  la  saison  prochaine. 

—  L'auberge  du  Caféier,  à  Leipzig,  que  Schuman  a  rendue  célèbre,  vient 
de  recevoir  une  plaque  commémorative  très  élégante  portant  cette  inscrip- 
tion :  «  Dans  ce  local  Robert  Schumann  se  tenait  tous  les  soirs,  depuis 
•1833  jusqu'à  1840,  entouré  de  ses  compagnons,  les  Damdsbïindler .  Même 
après  son  mariage,  il  fréquentait,  quoique  plus  irrégulièrement,  le  Caféier, 
qui  a  toujours  conservé  pour  lui  un  attrait  particulier.  Plus  tard,  quand 
il  venait  de  Dresde  à  Leipzig,  en  simple  visite,  il  ne  manquait  pas  de  se 
rendre  ici  pour  y  retrouver  ses  anciens  et  plus  chers  souvenirs.  »  Cette 
plaque,  qui  porte  les  trois  signatures  :  Florestan,  Maiti-e  Raro  et  Eusébius, 
a  été  apposée  dans  la  partie  de  l'immeuble  connue  sous  le  nom  de  <(  coin 
Schumann  ». 

—  Les  théâtres  municipaux  de  Hambourg  et  Altona,  réunis  sous  la  di- 
rection Pollini,  ont  donné,  dans  le  courant  de  la  dernière  saison,  un 
total  de  o46  représentations,  soit  276  pour  Hambourg  et  270  pour  Altona. 
A  Hambourg,  il  y  a  eu  199  représentations  lyriques  et  à  Altona  71.  Il  y  a 
eu  huit  nouveautés  musicales  :  Santa  Chiara,  du  duc  de  Saxe-Gobourg;  les 
Chevaliers  de  Marienburg,  de  Geissler  ;  le  Fifre  de  Dusenbach,  de  Kleinmichel; 
Cavalleria  rusticana,  de  Mascagni  ;  le  Crépuscule,  de  G.  Coronaro  ;  Sainte 
Elisabeth,  de  Lizt,  et  Sur  le  lac  de  Worth,  de  Ivoschat.  Les  ouvrages  qui  on 
atteint  le  plus  grand  nombre  de  représentations  sont  :  Lohengrin  (14  fois). 
Mignon  et  Cavalleria  rusticana  (chacun  13  fois),  les  Noces  de  Figaro,  la  Flûte 
enchantée  et  Fidelio  (chacun  5  fois). 

—  Faut-il  ou  ne  faut-il  pas  permettre  les  rappels?  Telle  est  la  ques- 
tion qui,  actuellement,  remplit  de  perplexité  les  intendants  des  théâtres 
de  l'Allemagne.  Si  on  s"en  souvient,  c'est  le  théâtre  de  la  Cour  de  Munich 
qui  le  premier  a  eu  l'idée  de  proscrire  les  rappels,  les  bis  et  les  bouquets. 
Les  scènes  de  Dresde,  Weimar,  Carlsruhe  et  Stuttgard  l'ont  bientôt  suivi 
dans  cette  voie  réformatrice.  Enfin,  le  comte  de  Hochberg,  intendant 
des  théâtres  royaux  de  Berlin,  vient  à  son  tour  de  se  rallier  à  cette  ligue 
d'un  nouveau  genre  en  édictant  l'ordre  suivant  :  ««Par  suite  du  désir 
spécial  exprimé  par  les  artistes-sujets  des  théâtres  royaux,  j'ai  décidé, 
qu'à  partir  de  la  prochaine  saison,  il  ne  sera  plus  donné  suite  aux  rappels 
demandés  par  le  public,  sauf  pour  les  auteurs  et  compositeurs  ou,  quand 
ceux-ci  ne  sont  pas  présents  aux  premières,  pour  les  régisseurs  de  service. 
En  ce  qui  concerne  spécialement  l'Opéra  royal,  j'ai  décidé  de  plus  que  les 
bis  seraient  dorénavant  abolis.  »  En  même  temps  que  les  membres  des 
théâtres  royaux  de  Berlin  recevaient  communication  de  cet  avis  formel, 
ceux  du  théâtre  de  la  Cour  de  Munich  étaient  informés  par  leur  intendant 
que,  «  conformément  à  une  entente  avec  tout  le  personnel  »,  les  rappels 
seraient  rétablis  à  dater  de  l'ouverture  de  la  prochaine  saison.  On  a  re- 
connu que  l'ancien  système  était  préférable,  comme  mettant  les  artistes 
plus  étroitement  en  communication  avec  le  public.  Voilà  qui  va  donner  à 
réfléchir  aux  théâtres  qui  ont  suivi  l'exemple  de  Munich. 

—  Cologne,  cité  qui  fut  chère  à  Jean-Marie  Farina,  est  dans  le  deuil. 
Le  ténor  aimé  a  porté  ses  pénates  à  Berlin  :  Goetze  a  quitté  les  bords  du 
Rhin  pour  ceux  de  la  Sprée.  Le  jour  où  il  est  parti,  ses  nombreux 
admirateurs  sont  venus  lui  serrer  la  main  à  la  gare  et  lui  adresser  des 
speechs.  Pour  remercier  ces  zélés  thuriféraires,  sait-on  ce  que  Goetze  a 
fiit?  Debout  sur  le  marchepied  du  coupé  qui  devait  l'emporter  vers  le 
nord,  il  a  chanté  de  sa  plus  belle  voix  l'adieu  au  cygne  de  Lohengrin.  Les 
Golonnais  étaient  ravis. 

—  La  correspondance  viennoise  du  Figaro  nous  apprend  que  M.  Mas- 
cagni se  montrerait  fort  exigeant,  après  le  triomphe  de  sa  Cavalleria  rus- 
ticana. Il  ne  demanderait  pas  moins,  à  l'Opéra  de  "Vienne,  pour  laisser 
monter  l'Ami  Fritz,  qu'une  prime  de  10,000  florins  (20,000  francs  passés) 
et  8  0/0  de  droits  d'auteur  sur  chaque  recette. 

—  La  dernière  saison  lyrique  au  théâtre  royal  hongrois  de  Pesth  a  été 
défrayée  par  42  opéras  et  10.  ballets  formant  un  ensemble  de  187  repré- 
sentations sur  lesquelles  63  ont  eu  lieu  au  théâtre  de  la  Forteresse  d'Ofen. 
Les  nouveautés  s'intitulaient:  Asraël,  de  Franchetti,  Cavalleria  rusticana, 
de  Mascagni,  Waffenschmied,  de  Lortzing,  Czclrdds,  ballet  de  Sztojanovits 
et  Viora,  ballet  de  Szabados.  Le  bilan  otBciel  établit  comme  suit  l'état  du 
répertoire  pendant  l'exercice  écoulé:  le  compositeur  Verdi  a  eu  26  repré- 
sentations avec  Aida,  le  Trouvère,  le  Bal  masqué  (b  fois),  Rigolelto,  Othello  et 
la  Traviata  ;  Mascagni  a  eu  22  représentations  avec  Cavalleria  rusticana  ; 
Ambroise  Thomas,  13  représentations.  Mignon  9,  Hamlet  4;  "Wagner,  11  ré- 
présentations. Lohengrin,  le  Vaisseau  fantôme,  Tannhciuser,  la  Vatkyrie  ;  Doni- 
zetti,  10  représentations,  Lucie,  la  Fille  du  régiment,  Lucrèce;  Meyerboer, 
9  représentations,  les  Htcguenots,  l'Étoile  du  Nord,  le  Prophète;  Rossini,  8  re- 
présentations, le  Barbier,  Guillaume  Tell;  Mozart,  7  représentations,  Don 
Juan;  Goldmark,  6,  la  Reine  de  Saba,  Merlin  ;  Massé,  6,  les  Noces  de  Jeannette  ; 


Bellini,  6,  la  Somnambule,  Norma  ;  Erkel,  5,  Bankbau,  Hunyadi  Ldszlo; 
Nicolaï,  o,  les  Joyeuses  Commères  ;  Beethoven,  4,  Fidelio  ;  Franchetti,  4,  Asraêl  ; 
Gounod,  4,  Faust  ;  Lortzing,  i,  Waffenschmied  ;  Halévy,  3,  la  Juive  ;  Kreutzer, 
3,  le  Camp  de  Grenade  ;'Bizel,'i.  Carmen  ;  Grisar,  2,  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon; 
Maillard,  2,  /es  Dragons  de  Villars  ;  Mendelssohn,  2,  Loreley  ;  Delibes,  1, 
Lakmé  ;  Flotow,  1,  Martha.  Ballets:  Csdrdàs,  22  représentations;  ta  Fée  des 
poupées,  13  ;  Soleil  et  Terre,  Valse  viennoise,  Viora,  chacun  9  ;  Excelsior,  6  : 
Coppélia,  Itobei-t  et  Bertrand,  chacun  3;  Sylvia,  2  ;  et  /e  Peintre  parisien,  1. 
De  plus  on  a  joué  trois  fois  le  deuxième  acte  de  Coppélia,  et  une  fois  le  troi- 
sième tableau  de  Cdrdàs. 

—  Le  Fremdenblatt  de  Vienne  publie  quelques  renseignements  intéres- 
sants sur  la  «  claque  »  à  l'Opéra  de  cette  ville.  II  paraît  que  les  quinze 
chanteuses,  les  dix-huit  chanteurs  et  les  dix  membres  du  ballet  dont  se 
compose  le  grand  personnel  de  l'Opéra,  paient  chacun  au  chef  de  claque 
une  redevance  mensuelle  de  S  à  bO  guldens  suivant  les  appointements.  En 
établissant  la  moyenne  à  20  guldens  par  tête,  on  arrive  au  chiffre  de 
800  guldens  par  mois,  soit  10,000  guldens  par  an.  On  ne  sera  pas  étonné 
d'apprendre  que  le  chef  de  claque  en  question  vient  d'acquérir  avec  ses 
économies  une  somptueuse  propriété  en  Hongrie. 

—  Vienne  vient  de  perdre  un  de  ses  plus  joyeux  enfants,  auteur  de 
vaudevilles  locaux  qui  ont  fait  rire  aux  larmes  plusieurs  générations 
d'habitués  du  Carl-Theater.  Ce  Labiche  an-der-"Wien  était  à  la  fois  auteur 
dramatique  et...  fumiste,  fumiste  dans  la  véritable  acceptation  du  mot.  Il 
était  Rauchfangkehr-Meister  (maître  ramoneur)  à  la  ville,  sous  le  nom  de 
Cari  Giugno,  et  émule  de  Scribe  à  la  scène,  sous  le  pseudonyme  de  Cari 
Juin,  le  même  nom  francisé. 

—  Lu  dans  les  annonces  du  Courrier  de  Hanovre  :  o  A  vendre  un  piano 
de  qualité  supérieure,  joué  pendant  quelque  temps  par  un  baron...  » 
Quelle  occasion  pour  les  simples  bourgeois  ! 

—  M""  Louise  Heymann  vient  de  donner  une  série  de  brillantes  repré- 
sentations au  théâtre  impérial  de  Varsovie.  Elle  s'est  surtout  distinguée 
dans  Lucie,  la  Somnambule  et  Mignon. 

—  Nos  confrères  politiques  ont  eu  des  colonnes  entières  consacrées  à  la 
réception  enthousiaste  faite  à  notre  escadre  du  Nord  à  Gronstadt;  consa- 
crons aussi  quelques  lignes  à  ces  fêtes  magnilîques  en  donnant  le  pro^ 
gramme  du  beau  concert  exécuté,  le  jour  de  la  réception,  par  l'orchestre 
de  la  Société  musicale  Impériale  russe  :  1"  partie.  I<  Glinka.  Ouverture  de 
la  Vie  pour  le  Tsar.   —  II.  Hlawac.  Salut  à  la  France,  marche  solennelle. 

—  III.  Gounod.  Entr'acte  et  danse  des  Bacchantes   de  Philémon  et  Baucis. 

—  IV.  Tschaïkowsky.  Valse  de  la  Belle  au  bois  dormant.  —  V.  Saint-Saëns. 
Danse  de  la  Gypsy  d'Henry  VIll  ;  marche  militaire  de  la  Suite  algé7'ienne., — 
2'™  partie.  VI.  A.  Thomas.  Ouverture  de  Mignon.  —  VII.  Seroff.  Danse 
russe  de  Roghneda.  —  VIII.  Massenet.  Prélude  du  S°"î  acte  à'Hérodiade.  — 
IX.  Solovieiî.  Ballet  du  Forgeron  Vakoula.  —  X.  Bizet.  Prélude  et  chœur 
de  Carmen.  —  3™°  partie.  XI.  Delibes.  Ouverture  de  le  Roi  l'a  dit.  — 
Xri.  Iwanofî.  Sevillana.  —  XIII.  Godard.  Deuxième  Valse.  —  XIV.  Rimsky- 
Korsakofl'.  Banse  caractéristique.  —  XV.  Berlioz.  Marche  troyenne.  Comme 
on  le  voit,  les  deux  écoles  musicales  russe  et  française  n'étaient  point  trop 
mal  représentées  sur  ce  programme  très  habilement  composé.  M.  Hlawac, 
qui  est  le  chef  de  cette  très  belle  phalange  artistique,  a  d'ailleurs  l'habi- 
tude de  faire,  dans  ses  concerts,  très  large  place  à  nos  compositeurs  ; 
c'est  ainsi  que  nous  relevons,  pour  les  séances  musicales  du  dernier  mois, 
les  noms  de  Berlioz,  Litolff,  de  MM.  Ambroise  Thomas,  Saint-Saëns, 
Massenet,  "Widor,  Lefebvre,  Bernard  et  Wormser,  dont  plusieurs  repré  - 
sentes  par  trois  ou  quatre  compositions. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  de  l'Indépendance,  en  Suisse,  on  vient  d'exé- 
cuter sur  le  Grutli  même  une  cantate  dont  le  texte  a  été  tiré  du  Guillaume 
Tell  de  Schiller  et  qui  a  été  composée  par  M.  le  chef  de  musique  Arnold, 
de  Lucerne.  Les  chanteurs  étaient  au  nombre  de  six  cents  ot  appartenaient 
aux  principales  sociétés  chorales  de  la  Suisse.  — A  Berne,  la  cantate  de 
fête  a  été  écrite  par  le  pasteur  Webber  de  Hôngg  et  composée  par  le  direc- 
teur de  musique  Munzinger.  Il  y  a  eu  deux  représentations,  avec  le 
concours  de  M'"=  Olga  Blotnitzki,  d'un  chœur  de  sept  cents  voix  et  de 
cent  vingt  instrumentistes,  parmi  lesquels  les  musiciens  du  régiment  de 
Constance. 

—  Le  théâtre  de,  la  Monnaie  de  Bruxelles  a  enfin  un  rideau  de  fer  : 
cet  appareil  toujours  merveilleux,  à  condition  qu'on  n'oublie  pas  de  l'uti- 
liser à  temps,  vient  d'être  essayé  et  l'épreuve  a  complètement  réussi. 

—  Les  concours  du  Conservatoire  de  Gand  ont  été  clôturés  par  celui  ds 
la  fiasse  de  maintien  et  de  mimique  théâtrale  dirigée  par  M.  Rey.  L'ex- 
cellent professeur  a  présenté  ses  élèves  dans  des  fragments  à'Hérodiade, 
de  Faust,  i'Aida  et  d'Hamiet,  exécutés  avec  costumes  et  décors.  Le  jury, 
dont  taisait  partie  M.  Joseph  Dupont,  a  accordé  le  premier  prix  par  accla- 
mations et  avec  distinction  à  M.  De  Sulter,  un  baryton  bien  doué,  deux 
premiers  prix  à  M"'  Van  Besien  et  M.  Bresson,  et  un  premier  accessit  à 
M.  Peeters. 

—  La  ville  de  Tournai  avait  organisé  un  concours  pour  la  composition 
d'une  cantate  devant  être  exécutée  à  l'inauguration  du  monument  Gallait. 
L'oeuvre  choisie  est  celle  de  M.  Julien  .Simar,  directeur  de  l'Académie  de 
Charleroi    et  ancien  chef  de  musique  au  8=  régiment  de   ligne.  Une  mé- 


LE  MENESTREL 


271 


daille  d'or  a  été  remise  à  M.  Wambach,  d'Anvers,  qui  avait  aussi  envoyé 
une  œuvre  de  mérite. 

—  Le  célèbre  quatuor  Heellmesberger,  de  Vienne,  s'est  fait  entendre 
dernièrement  au  harem  du  Sultan,  à  Gonstantinople.  Il  a  donné  deux 
longs  concerts  sans  voir  le  moindre  auditeur  :  Sa  Hautesse,  ses  invités  et 
les  dames  étaient  cachés  à  tous  les  regards  et  les  artistes  eussent  pu  croire 
qu'ils  jouaient  dans  le  désert.  Seulement,  la  preuve  qu'ils  avaient  plu  beau- 
coup leur  fut  donnée  après  un  banquet  composé  exclusivement  de  pois- 
son et  servi  par  de  solennels  eunuques  noirs,  à  l'issue  duquel  Munir- 
Pacha  apporta  une  sacoche  de  soie  contenant  une  belle  somme  en  or, 
plus  le  Medjidié,  grand  module,  pour  chaque  exécutant.  Cela  ne  valaitpas 
absolument  les  bravos  enthousiastes  d'une  foule,  mais  c'était  bon  à  pren- 
dre. Le  quatuor  Heellmesberger  a  digéré  le  poisson  et  fêté  les  livres 
turques. 

—  Lecélèbrechef  d'orchestre  Antoine  Seidl,  vient  d'organiser,  àBrighton 
Beach  (Etats-Unis),  avec  le  concours  de  l'orchestre  du  Metropolilan  Opéra 
de  New-York,  une  série  de  concerts  cosmopolites  qui  ont  eu  un  retentis- 
sement considérable  dans  toute  l'Amérique.  ILes  journaux  en  parlent 
comme  d'un  grand  événement  artistique  à  l'occasion  duquel  l'art  des 
jeunes  maîtres  français  s'est  manifesté  dans  tout  son  éclat.  Le  cycle,  qui 
a  duré  du  27  au  31  juillet,  comprenait  dix  concerts  désignés  comme  suit  : 
1»  compositeurs  français,  (Méditation  de  Gounod,  ouverture  de  Mignon,  la 
Korrigane,  ballet  de  M.  Widor,  etc.,  etc.);  2"  œuvres  de  Delibes  et  de 
M.  B.  Godard,  (ballets  de  Sijlvia  et  Coppélia,  valse  de  la  Source,  Symphonie 
orientale,  etc.,  etc.);  3"  compositeurs  russes;  i"  œuvres  de  M.  Massenet 
(Scènes  de  féerie,  le  Dernier  Sommeil  de  lavierge,  ballet  du  Cid,  suite  sur  Esclar- 
monde,  Scènes  napolitaines)  ;  S°  œuvres  de  Wagner;  G"  œuvres  de  M.  Saint- 
Saèns;  7"  œuvres  de  Liszt;  8°  œuvres  de  Bizet  et  de  M.  Chabrier; 
9"  œuvres   de  MM.  Lalo  et   Gillet  (ouverture  du  Roi  d'I's,   Divertissement, 

e,  Loin  du  bal,  etc  )  ;  10°  concert  classique. 


—  Le  critique  musical  du  Daily  Telegraph,  M.  Clément  Scott,  et  le  musi- 
cographe Willie  "Wilde,  de  Londres,  viennent  d'être  bien  agréablement 
surpris  par  la  nouvelle  fout  à  fait  inattendue  d'un  legs  fait  à  chacun  d'eux 
par  une  dilettante  passionnée  nommée  miss  Drew.  Au  premier  elle  lais- 
sait une  somme  de  300,000  francs  ;  au  second,  une  précieuse  collection 
d'instruments  de  musique,  le  tout  «  en  reconnaissance  du  plaisir  que  lui 
avaient  fait  éprouver  leurs  écrits  s. 

PIRIS   ET    DEPIRTEMENTS 

Vendredi  dernier,  à  l'Académie  nationale  de  musique,  très  brillante 
représentation  du  Mage  à  laquelle  assistait,  dans  l'avant-scène  présiden- 
tielle, le  roi  de  Serbie.  Le  jeune  monarque,  arrivé  au  commencement  du 
second  tableau,  a  paru  prendre  grand  plaisir  à  l'audition  de  la  belle 
œuvre  de  MM.  Richepin  et  Massenet  et  n'a  quitté  le  théâtre  qu'à  la  fin 
de  l'ouvrage.  M""=  Lureau-Escalaïs,  qui  faisait  sa  rentrée,  a  été  couverte 
d'applaudissements  dans  le  rôle  d'Anahita  qui  est,  sans  contredit,  celui 
où  elle  a  su  mettre  le  plus  en  lumière  ses  brillantes  qualités;  la  salle 
entière  lui  a  bissé  le  si  poétique  Chant  touranien  du  quatrième  acte  qu'elle 
chante  à  ravir.  MM.  Vergnet  et  Delmas  ont  eu  également  leur  part  de 
succès.  M™  Fierens,  prise  par  les  répétitions  de  Lohcngrin,  avait  cédé  le 
rôle  de  Varehda  à  M"=  Domenech,  qui  nous  a  semblé  bien  bien  jeune. 
Mlles  Hirsch  et  Grange,  sous  les  traits  de  la  Charmée  et  de  la  Charmeuse, 
remplaçaient  M""  Mauri  et  Torri  ;  à  M''^  Hirsch,  on  a  redemandé  ses 
secondes  variations  qu'elle  a  fort  bien  dansées. 

—  A  la  même  Académie  nationale  de  musique,  mercredi  dernier,  change- 
ment de  spectacle  :  on  a  dû  donner  fausî  à  la  place  de  Robert.  MM.  les  direc- 
teurs éprouvent  donc,  encore  moins  qu'auparavant,  le  besoin  de  se  conformer 
à  leur  cahier  des  charges  qui  les  oblige, à  avoir  toujours  trois  artistes  prêts 
pour  chacun  des  rôles  du  répertoire. 

—  Une  fois  la  question  des  mouvements  de  Lohengrin  à  peu  près  éta- 
blie, et  non  sans  peines,  voilà  qu'une  autre  difficulté  a  failli  tout  gâter. 
M.  Gailhard  ayant  manifesté  le  désir  que  l'on  pratiquât  quelques  coupures, 
M.  Laraoureux  a  fait  la  grosse  voix.  C'est  le  chef  d'oVchestre  qui  l'a 
emporté  et  l'œuvre  de  Wagner  sera,  parait-il,  représentée  telle  qu'elle  a 
été  écrite. 

—  A  propos  de  Lohengrin  \oici  quelle  en  fut  la  distribution  lors  de  sa 
toute  première  apparition  à  Weimar,  le  28  août  18.50:  Henri  l'Oiseleur, 
M.  Hœfer;  Lohengrin,  M.  Ch.  Beck;  Frédéric  von  Telramund,  M.  Fédor 
von  Milde;  Eisa,  M.""  Rosalie  Aghte  ;  Ortrud,  M"«  Fastlinger.  M.  Genast 
était  régisseur  de  la  scène  et  Liszt  dirigeait  l'orchestre. 

—  La  saison  d'abonnement  à  l'Opéra-Comique  commencera  le  jeudi 
3  décembre  avec  deux  jours  d'abonnement  par  semaine,  le  jeudi  et  le 
samedi.  H  y  aura  en  tout  vingt-cinq  représentations  par  chaque  sérié, 
ajoutons  que  le  théâtre  ouvrira  ses  portes  le  i"  septembre  avec  le  Rêve  ; 

lie  lendemain  on  donnera  Lakmé. 

-A  propos  du  quatre-vingt-sixième  anniversaire  de  M.  Ambroise  Tho- 

f  mas,  le  maître  étant  né  en  ISll,  les  journaux  viennois  ont  fait  la  petite 
statistique  suivante:  six  de  ses  ouvrages  se  trouvent  au  répertoire  de 
l'Opéra  de  Vienne;  il  a  été  joué  2S1  fois  (Mignon  figure  dans  ce  chiffre 
pour  133  représentations).  C'est 'avec  la  Double  Echelle,  en  1838,  que  son 
nom  a  paru  pour  la  première  fois  au  théâtre  à  Vienne. 


Nous  avons  dit  dernièrement  qu'avant  de  prendre  ses  grandes  vacan- 
ces, M.  Ambroise  Thomas  était  allé  passer  quelques  jours  à  sa  villa 
d'Argenteuil.  Volontiers  nous  revenons  sur  ce  détail,  car  il  a  son  impor- 
tance artistique,  si  l'on  veut  bien  admettre  que  tout  ce  qui  intéresse  un 
homme  comme  M.  Ambroise  Thomas  est  intéressant  pour  le  monde  des 
arts.  Cette  jolie  villa  d'Argenteuil  est  très  aimée  du  maître.  Il  l'a  fait 
construire,  il  l'a  vue  sortir  de  terre,  il  a  vu  la  terre  ravagée  par  les  maçons 
recevoir  des  plantes,  puis  ces  plantes  grandir,  fleurir;  bref  c'est  par  lui 
et  sous  ses  yeux  que  ce  coin  aride  de  la  route  de  Bezons  est  devenu  un 
frais  abri  parfumé.  Cette  transformation  s'opéra  à  une  époque  heureuse 
de  la  vie  du  maître.  Fier  des  succès  de  Mignon  et  à'Hamlet,  en  possession 
d'une  célébrité  que  plus  rien  ne  pouvait  obscurcir,  il  allait  parfois  voir 
son  ami  et  collaborateur  Michel  Carré,  propriétaire  d'un  joli  nid  sur  la 
même  route  de  Bezons.  Michel  Carré,  qui  était  un  peu  sauvage  de  sa 
nature,  vivait  là  en  famille,  heureux...  autant  que  l'asthme  le  lui  permet- 
tait, et  avec  son  bon,  mais  pas  beau  chien  Mourzouck,  compagnon  de  ses 
promenades.  M.  Ambroise  Thomas  venait  donc  deux  ou  trois  fois  par 
semaine.  On  causait  de  Françoise  de  Rimini  qui  se  terminait  alors;  puis 
quand  le  soleil  commençait  à  décliner,  M.  Ambroise  Thomas  allait  voir  si 
ses  maçons  avançaient,  ensuite,  il  reprenait  tranquillement  le  train  à 
Argenteuil  pour  regagner  Paris  avec  la  satisfaction  d'avoir  constaté  que 
la  villa  s'était  élevée  de  quelques  centimètres  ;  et  les  deux  amis  se  ser- 
raient la  main  en  se  disant  «  à  bientôt  !...  ».  Michel  Carré  est  mort,  le 
bon  Mourzouck  a  suivi  son  maître.  La  villa  d'Argenteuil  est  gaie,  fleurie; 
M.  Ambroise  Thomas  est  arrivé  à  la  plus  haute  situation  qu'un  artiste 
puisse  rêver  et  je  suis  sur  que,  comme  moi  qui  ai  vu  tout  cela,  il  n'a  rien 
oublié.  Mais  le  temps  a  respecté  cette  grande  intelligence  et  ce  corps  vi- 
goureux. Comme  autrefois  le  maître  s'en  va  alerte  et  solide  à  cette  villa 
d'Argenteuil,  si  pleine  de  bons  souvenirs.  Que  joie  et  santé  l'y  accompa- 
gnent longtemps  encore  ! 

—  Suite  des  engagements  contractés  par  les  lauréats  dés  derniers  con- 
cours du  Conservatoire  :  M.  Bérard,  premier  accessit  d'opéra-comique  et 
second  prix  de  chant,  vient  de  signer  avec  les  Bouffes-Parisiens.  M.  For- 
dyce  a  signé  avec  l'Odéon  un  engagement  de  deux  ans. 

—  M.  Ch.-M.  Wrdor,  non  content  d'être  un  des  tout  premiers  musiciens 
de  la  jeune  école  moderne,  tient  encore  à  se  bien  placer  comme  écrivain. 
L'auteur  de  la  Korrigane  a  débuté  dans  le  journalisme.  Au  Soleil  du  dimanche 
du  16  août.  Il  y  a  écrit  une  très  intéressante  et  fort  élégante  chronique 
sur  la  distribution  des  prix  du  Conservatoire. 

—  M.  Raoul  Pugno,  qui  vient  d'acheter  le  bel  orgue  qui  se  trouvait 
chez  la  pauvre  Rosine  Bloch,  compte  au  mois  d'octobre  prochain,  ouvrir 
chez  lui  un  cours.  L'instrument  est  signé  de  Cavaillé-CoU,  comprend  dix 
jeux,  deux  claviers  et  un  pédalier. 

—  L'Association  littéraire,  artistique  et  internationale  nous  écrit  que 
c'est.bien  le  26  septembre  1891,  que  s'ouvrira,  à  Neufchatel,  le  Congrès. 
Une  réunion  préparatoire  aura  lieu  le  samedi  26,  à  dix  heures  du  matin 
au  Cercle  du  Musée.  La  séance  solennelle  de  réception  des  membres  du 
Congrès  se  passera  dans  la  salle  des  Etats,  au  château  de  Neufchatel  ;  les 
séances  plénières  et  les  commissions  se  tiendront  dans  l'ancienne  salle  du 
Conseil  d'Etat.  Le  dimanche  27  on  excursionnera  sur  le  lac  de  Neufchatel, 
visite  à  l'île  Saint-Pierre  ;  le  29  la  Ville  offrira  un  grand  banquet  ;  le 
1™  octobre  on  excursionnera  de  nouveau  à  la  Chaux-de-Fonds  et  au  Saut- 
du-Doubs  ;  enfin,  le  samedi  3,  on  clôturera  les  séances  et  on  se  réunira 
dans  un  banquet  d'adieux.  —  Le  Congrès  de  1892  tiendra  sa  session  à 
Milan. 

—  Le  comité  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique  rappelle  que 
les  concours  ouverts  pour  un  septuor  pour  piano,  instruments  à  cordes  et 
instruments  à  vent  ;  une  scène  à  deux  ou  trois  personnages,  avec  accom- 
pagnement de  piano,  et  une  sonate  pour  piano,  seront  clos  le  31  décembre 
prochain.  En  conséquence,  les  concurrents  sont  invités  à  déposer  leurs 
manuscrits,  avant  cette  date,  au  siège  de  la  société,  rue  de  Roche- 
chouart,  22,  maison  Pleyel,  Wolff  et  C'".  Pour  tous  renseignements,  s'a- 
dresser à  M.  D.  Balleyguier,  secrétaire  général,  entrepôt  de  Bercy,  pavil- 
lon Grépier. 

—  L'hynane  russe,  que  jouent  en  ce  moment  toutes  les  musiques  de 
Paris  et  de  province,  a  pour  auteur  le  général  Lwof,  qui  l'a  composé  il  y 
a  environ  soixante  ans,  sous  le  règne  et  par  ordre  du  tsar  Nicolas.  En 
récompense,  le  tsar  offrit' au  général  Lwof  une  tabatière  d'or  enrichie  de 
diamants  et  décréta  que  désormais  les  premiers  mots  de  l'hymne  :  «  Dieu 
garde  l'empereur  »,  serviraient  de  devise  à  la  famille  Lwof. 

Question  posée  par  l'Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux,   dans    son 

dernier  numéro  :  «  —Quel  était  ce  «  clavecin  brisé  »  dont  parle  la  Palatine 
dans  sa  lettre  du  18  juin  1712,  et  que  le  duc  d'Orléans  avait  envoyé  à  la 
reine  de  Prusse?  —  Le  facteur  de  cet  instrument  était  en  même  temps  un 
mécanicien  d'imagination  féconde,  s'il  faut  en  croire  la  Palatine  qui  lui 
attribue  encore  l'invention  d'un  «  parasol  expéditif  qu'on  peut  emporter 
»  partout,  au  cas  où  la  pluie  viendrait  vous  surprendre  en  pleine  prome- 
»  nade  ».  Quinnet. 

—  La  distribution  des  prix  de  l'Ecole  classique  de  musique  et  de  décla- 
mation de  la  rue  Charras  vient  d'avoir  lieu  sous  la  présidence  de  M.  Geor- 
ges Berry.  Allocution  du   président  de  l'Ecole,   M.  Ed.  Chavagnat,  allô- 


LE  MÉNESTREL 


cution  de  M.  Berry,  enfin  concert  donné  par  les  principaux  lauréats,  tout 
a  merveilleusement  marché. 

—  D'Aix  on  nous  télégraphie  le  très  grand  succès  obtenu  par  la  jolie 
comédie  de  M.  A.  Dorchain,  Conte  d'avril,  illustrée  de  l'exquise  partition 
de  M.  Gh.-M.  Widor.  Une  seconde  représentation,  donnée  jeudi  dernier, 
n'a  fait  que  confirmer  la  complète  réussite  de  la  première.  M.  Colonne,  à 
la  tête  de  son  excellent  orchestre,  a  remarquablement  interprété  la  partie 
musicale.  Mise  en  scène  absolument  réussie,  avec  son  rideau  de  salin 
bleu  s'ouvrant  par  le  milieu.  Gros  effet  produit  par  M.  Marquet  et 
M"=  Defresne.  M.  Widor,  qui  a  assisté  à  la  première  représentation,  a  re- 
passé cette  semaine  par  Paris,  se  rendant  dans  sa  propriété  des  environs 
de  Lyon,  où  il  va  travailler  à  Nerto. 

—  De  Royan,  on  nous  fait  part  des  très  grands  succès  remportés  par  le 
ténor  Dereims,  appelé  en  représentation.  Il  a  chanté  cette  semaine  Hamlet, 
la  version  pour  ténor,  au  milieu  des  ovations  d'un  public  enthousiaste. 

—  On  nous  écrit  de  Cauterets  que  le  17  août  a  eu  lieu,  à  l'hôtel  d'An- 
gleterre, un  concert  de  bienfaisance  qui  a  pleinement  réussi.  Prêtaient 
leur  gracieux  concours,  M"=  Dartoy,  de  l'Opéra,  très  fêtée  dans  les  Enfants, 
de  Boyer  et  Massenet,  Si  lu  veux,  mignonne,  de  Massenet,  l'air  d'Hérodiade  et, 
avec  M.  Saléza,  de  l'Opéra-Comique,  dans  le  duo  de  Sigurd:  M.  Saléza 
qui  a  chanté  seul  Fous  ne  m'avez  jamais  souri,  de  Verdalle,  M"'=  Hebenstreet 
très  applaudie  dans  l'Alléluia  du  Cid,  enfin  M.  Brémond  dont  le  cor  a 
fait  merveille  dans  des  transcriptions  des  stances  du  Songe  d'une  nuit  d'été 
et  delà  cantilène  ûeLakmé. 

—  A  Argelès-Gazost  l'orchestre  dirigé  par  M.  Danbé  fait  merveille.  Sur 
un  des  programmes  que  nous  avons  entre  les  mains,  nous  relevons  comme 
solistes  les  noms  de  M.  Brémond,  Steiger,  Italandier,  Roux,  etc..  et, 
bien  entendu,  de  M.  Danbé  lui-même.  I^'Ave  Stella,  de  Faure,  arrangé 
pour  flûte,  cor,  piano  et  orgue  produit  un  grand  effet. 

—  On  nous  écrit  de  Châteaudun  :  «  Samedi,  à  l'occasion  de  la  fête  de 
l'Assomption,  M.  l'abbé  Desvaux,  curé  de  la  Madeleine,  avait  organisé 
une  très  belle  cérémonie  religieuse.  M.  Rondeau  a  magistralement  chanté 


le  Sancta  Maria,  de  Faure,  et  ['Ave  Maria,  de  Gounod.  accompagné  par 
M.  Pestrel,  organiste  de  la  cathédrale,  qui  a  lui-même  exécuté  plusieurs 
morceaux  avec  un  réel  talent.  » 

—  De  Laval,  on  nous  signale  le  brillant  succès  obtenu  par  un  concert  dans 
lequel  se  sont  fait  applaudir  M"«  Bonnefoi,  avec  la  Requête  aux  Étoiles,  de 
Flégier,  M.  Berny,  avec  des  morceaux  classiques  et  les  Pizzicati  de  Sylvia, 
et  enfin  la  Lyre  lavallaise  avec  un  allegro  les  Diablintes,  de  M.  Morton.  son 
chef  émérite. 

NÉCROLOGIE 

Mme  Agar,  la  tragédienne  au  grand  tempérament  et  qui  eut  tant  de 
succès  sur  les  scènes  françaises,  vient  de  mourir  à  .\lger  :  elle  a  succombé 
à  la  paralysie.  Agar,  dont  le  vrai  nom  était  Léontine  Charvin,  naquit  à 
Saint-Claude  (Jura)  en  1836.  La  nature  lui  avait  donné  la  beauté,  l'intelli- 
gence et  une  rare  richesse  d'organe.  Elle  fit  ses  premiers  pas  à  la  Tour- 
d'Auvergne  puis  brilla  à  l'Odéon,  au  Théâtre-Français,  à  la  Porte-Saint- 
Martin.  Bien  que  l'une  des  plus  remarquables  comédiennes  de  l'époque, 
elle  ne  put  se  créer  une  situation  et  elle  vient  de  mourir  pauvre,  loin  de 
la  terre  natale. 

—  Le  Nestor  des  organistes  allemands,  le  professeur  Auguste  Haupt, 
est  mort  dernièrement  à  Berlin  dans  sa  quatre-vingt-unième  année.  Il 
était  connu  pour  être  l'interprète  par  excellence  de  Bach  et  son  ensei- 
gnement était  universellement  recherché.  Elève  de  Bernard  Klein,  Zeller 
et  A.-W.  Bach,  il  succéda  en  1870,  à  ce  dernier  comme  directeur  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique  religieuse  à  Berlin.  Avant  d'occuper  ce  poste 
élevé,  il  avait  été  organiste  des  principales  paroisses  de  Berlin,  ville  où, 
pendant  plus  de  soixante  années,  s'est  écoulée  toute  sa  carrière  d'orga- 
niste. Il  a  compté  parmi  ses  élèves  la  plupart  des  célébrités  musicales 
actuelles  de  l'Allemagne.  Son  érudition  était  très  grande,  son  affabilité 
extrême,  aussi  sa  perte  est-elle  vivement  ressentie  par  tous  ceux  qui  l'ont 
connu.  Il  laisse  un  nombre  considérable  de  compositions  religieuses, 
très  estimées  des  véritables  connaisseurs. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  pente  AU  MÉNESTREL,   s'",    rue   Vivienne,    HEUGEL  et  C'%  Éditeurs. 

NOTES  ET  ETUDES  D'HARMONIE 


UN  FORT  VOL.  IN-S» 
Prix  net  :  15  fr. 


POUR    SERVIR    DE    SUPPLEMENT    AU    TRAITE    DE 

H.    REBER 


UN  FORT  VOL.  IN-8» 
Prix  net:  15  fr. 


THÉODORK    DUBOIS 

Professeur  de  Composition  au  Conservatoire  dî  Paris 
Iiispeoteiir"    de    l'Enseignement    niixsïeal 


LES  PETITS  DANSEURS 


L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


—     \ii 

STREABBOG. 
.  STREABBOG. 

—    2. 

FAUGIER.   . 

—    3. 

TROJELLI.  . 

—     4. 

TROJELLI.  . 

—     .5. 

STREABBOG. 

—     (j. 

FAUGIER  .   . 

—     7. 

FAUGIER  .  . 

—    8. 

FAUGIER  .  . 

—     9. 

STREABBOG. 

—  10. 

STREABBOG. 

—  11. 

FAUGIER.  . 

—  12. 

FAUGIER  .  . 

Le  beau  Danube  bleu,  valse  (Johann  Strauss) 

La  même  à  i  mains 

Tout  à  la  joie  !  polka  (Ph.  Fahrbach).  .   .   . 

Yalse  du  Couronnement  (Strauss)  ...... 

Orphée  aux  Enfers,  quadrille  (Offenbach).  . 
La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss).  .  . 
Pour  les  Bambins,  polka  (Ph.  Fahrbach)  .    . 

Les  Ivresses,  valse  (S.  Pillevesse) 

La  Dame  de  cœur,  polka  (Ph.  Fahbbach)  .   . 
Les  Feuilles  du  matin,  valse  (Johann  Strauss) 
Le  sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  .   . 
Mam'zelle  Nitouche,  quadrille  (Hervé)  .    .    .    , 
Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schixdler)  .    . 


N-s  13. 

—  14. 

—  15. 

—  16. 

—  17. 

—  18. 

—  19. 

—  20. 

—  21. 

—  22. 

—  23. 

—  24. 


VALIQUET.  . 
TROJELLI.  . 
VALIQUET.  . 
STREABBOG. 
VALIQUET.  . 
FAUGIER.  . 
STUTZ.  .  . 
STUTZ.  .  . 
GODARD  .  . 
GODARD  .  . 
VALIQUET.  . 
VALIQUET.  . 
TROJELLI.  . 


jLe  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)  .  . 
Gloire  aux  dames!  mazurka  (Strobl).  .  .  . 
La  Journée  de  i)/""  Lili,  valse.  .  .  ^  .  .  .  . 
Aimer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss 

Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 

Le  Verre  en  main,  polka  (Fahrbach)  .   .   .   . 

Les  Petites  Reines,  valse 

Les  Jeunes  Valseurs,  valse  .......... 

Bébé-Polka 


Bébé-Valse 

Dans  mon  beau  château,  quadrille 
La  Journée  de  Af'  Lili,  polka  .  . 
Les  Cancans,  galop  (Strauss)  .   . 


3  .) 
3  » 
2  50 
2  50 


L'ALBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  de  BOUISSET,  prix  net:  lO  fr. 


:  cnAix,  20   uue 


3iS2  —  57™  ANNÉE  —  N°  35. 


Dimanche  30  Août  1891. 


PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,,     Directeur 

Adresser  niANCo  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement» 

On  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (23»  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Senaaine  théâtrale  :  Notes  sur  la  reprise  de  quelques  instru- 
ments anciens  :  la  viole  d'amour,  Léon  Pillaut.  —  III.  Histoire  anecdotique 
du  Conservatoire  {4°  article),  André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

L'ÉTUDIANT    EN    GOGUETTE 

nouvelle  marche  de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement:  Gaillarde, 

de  V.   DOLMETSCH.  

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Pour  vous!  nouvelle  mélodie  de  Paul  Rougnon,  poésie  de  Roger 
Miles.  —  Suivra  immédiatement  :  Défi  !  nouvelle  mélodie  de  Joan.mi  Per- 
RONNET,  poésie  d'AsiÉLiE  Perronnet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Ciiarles   IVIALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(1865-1868) 

(Suite.) 

Si,  par  l'exécution  de  sa  cantate,  Emile  Pessard  était  entré 
à  la  salle  Favart  en  quelque  sorte  indirectement,  J.  Massenet  y 
entra  directement  le  3  avril,  avec  la  Gi'and' Tante,  opéra-comique 
en  un  acte,  paroles  de  MM.  J.  Adenis  et  Gh.  Grandmougin. 
C'était  l'un  des  trois  levers  de  rideau  commandés  en  1866 
par  M.  de  Leuven  pour  satisfaire  l'opinion,  qui  protestait 
contre  l'injuste  oubli  où  le  théâtre  laissait  les  lauréats 
académiques.  Conte,  Samuel  David  et  J.  Massenet  furent  dé- 
signés ;  ils  se  mirent  à  l'œuvre,  et  J.  Massenet,  l'homme 
exact  et  actif  par  excellence,  arriva  bon  premier,  en  vertu 
du  principe  qui  a  toujours  été  la  règle  de  sa  vie  artistique  : 
travailler,  travailler  sans  cesse  et  ne  jamais  remettre  au  len- 
demain ce  qu'on  peut  faire  le  jour  même.  Le  libretto  de  la 
Grand'Tante,  annoncé  d'abord  sous  le  nom  d'Alice,  n'était  pas 
une  merveille  d'invention.  La  scène  se  passe  en  Bretagne, 
dans  un  vieux  château  que  le  jeune  de  Kerdrel  prétend  faire 
vendre,    après    la  mort  de  son  grand-oncle  ;   il    vient  d'en 


hériter,  parce  que  le  vieillard  n'a  pas  eu  le  temps  de  signer 
le  testament  qu'il  voulait  faire  en  faveur  de  la  marquise,  sa 
femme.  Mauvais  sujet,  le  jeune  homme  a  quitté  sa  famille; 
il  croit  donc  avoir  affaire  à  une  grand'tante  laide  et  vieille. 
Tout  au  contraire,  c'est  une  jeune  fille  charmante  et  pauvre 
que  le  marquis  avait  recueillie,  et  qui  a  consolé  les  der- 
nières années  de  son  existence.  Le  jeune  homme  la  voit, 
l'aime  et  finit  par  l'épouser  après  les  petites  péripéties  qu'a- 
mène l'histoire  d'un  testament  tour  à  tour  signé  faussement, 
puis  déchiré.  Le  compositeur  avait  vingt-deux  ans,  et  faisait 
ainsi  ses  premiers  pas  dans  un  théâtre  où  il  devait  compter  un 
jour  un  nombre  considérable  de  représentations  avec  Esclar- 
monde  et  Manon,  tandis  qu'il  n'en  obtenait  alors  que  dix-sept; 
mais  déjà  l'on  rendait  justice  à  ses  qualités  scèniques  et  à 
l'adresse  de  sa  facture.  La  Revue  et  Gazette  des  Théâtres  écrivait 
notamment  que  cette  partition  «  vive,  charmante,  spirituelle, 
révèle  un  compositeur  habile  et  bien  doué  ;  on  y  sent  déjà 
la  personnalité  du  musicien.  Elle  a  de  la  distinction  et  de  la 
grâce.  La  pièce  est  légère  et  M.  Massenet  a  bien  écrit  la  mu- 
sique qui  convenait  à  cet  agréable  poème.  Un  maître  expé- 
rimenté n'aurait  pas  fait  preuve  de  plus  de  tact  et  de 
goût.  »  Cette  petite  pièce,  dans  laquelle  un  rôle,  confié 
d'abord  à  Prilleux,  avait  été  coupé  pendant  les  répétitions, 
était  d'ailleurs  finement  interprétée  par  Gapoul,  M"«  Girard, 
et  une  débutante,  une  élève  de  Duprez,  appelée  plus  tard  à 
faire  parler  d'elle,  M'^^  Heilbron.  «  Une  toute  jeune,  toute 
frêle,  toute  mignonne  et  très  adorable  personne  ;  dix-sept  ans, 
une  physionomie  fine  et  douce,  une  vraie  vignette,  une  voix 
facile  et  agréable,  de  l'intelligence,  de  l'acquis  déjà;  de  la 
distinction,  de  l'aisance!  »  Voilà  le  portrait-carte,  «  l'ins- 
tantané »,  dirait-on  aujourd'hui,  que  certain  journal  traçait 
alors  de  la  débutante. 

En  évoquant  ce  nom,  on  ne  peut  s'empêcher  de  faire  re- 
marquer combien  vers  cette  époque  la  beauté  se  rencontrait 
fréquemment  à  la  salle  Favart.  11  semblait  que  la  troupe 
mit  une  certaine  coquetterie  à  voir  se  maintenir  et  se  renou- 
veler sans  cesse  l'essaim  de  jolies  femmes  dont  elle  était  com- 
posée; les  nouvelles  sur  ce  point  ne  le  cédaient  en  rien  aux 
anciennes.  Le  27  janvier  débutait  dans  le  Maçon  (rôle  d'Irma) 
M"'  Léon  Duval,  qui  avait  obtenu  aux  concours  du  Conser- 
vatoire, en  1866,  le  1«'  accessit  de  chant  (classe  Battaille),  et 
le  2"  prix  d'opéra-comique  (classe  Gouderc)  ;  ses  avantages 
physiques  n'avaient  pas  été  moins  remarqués  que  son  intelli- 
gence dramatique.  Le  13  septembre  débutait  dans  le  Pré  aux 
Clercs  (rôle  d'Isabelle)  M'"^  Dorasse,  qui  venait  de  remporter 
dans  le  même  établissement  en  1867  les  trois  premiers  prix 
de  chant,  d'opéra  et  d'opéra-comique  (classes  Révial,  Duver- 
noy  et  Mocker);  elle  était  grande,  bien  proportionnée  et  de 
physionomie  agréable.  Le  18  décembre,  enfin,  débutait  dans 


L 


274 


LE  MÉNESTREL 


le  Domino  noir  (rôle  d'Angèle),  un  autre  lauréat  de  ces  mêmes 
concours,  M"«  Brunet-Lafleur,  qui  avait  mérité  le  premier  prix 
de  chant  (classe  Révial),  le  premier  prix  d'opéra  (classe  Du- 
vernoy)  et  le  second  prix  d'opéra-comique  (classe  Mocker)  ; 
elle  non  plus  n'était  pas  indigne  de  prendre  rang  dans  cette 
galerifl  oii  se  faisaient  admirer  M™^  Monrose,  Cico,  Bélia, 
Gontié,  Marie  Rôze,  Dupuy,  Flory,  dont  plusieurs  auraient 
passé  pour  «  professionnal  beauty  »  si  cette  «  profession  » 
eût  alors  été  inventée.  Le  côté  des  hommes  laissait  lui-même 
peu  de  chose  à  désirer.  Le  4  décembre  paraissait  pour  la 
première  fois,  dans  /e  Songe  d'une  Nuit  d'été,  l'un  des  plus 
brillants  lauréats  du  Conservatoire,  Gailhard,  qui  s'était  vu 
décerner,  comme  sa  camarade  M"^  Derasse,  en  cette  même 
année  1867,  les  trois  premiers  prix  de  chant,  d'opéra  et  d'o- 
péra-comique (classe  Révial,  Duvernoy  et  Gouderc);  le  nou- 
veau Falstaff  fit  applaudir,  outre  sa  belle  voix,  une  pres- 
tance qui  lui  permettait  de  rivaliser  avec  les  succès  d'un 
Monlaubry  et  d'un  Capoul. 

Rappelons,  parmi  les  mêmes  faits  de  l'année,  une  reprise 
des  Sabots  de  la  marquise,  non  joués  depuis  1863  et  donnés  le 
'13  septembre  avec  Grosti,  Sainte-Foy,  Palianti,  M™=  Bélia  et 
Séveste  ;  la  rentrée  de  Gouderc  dans  les  Noces  de  Jeannette,  le 
16  décembre,  après  une  assez  longue  absence  que  la  maladie 
avait  motivée  ;  le  Postillon  de  Lonjumeau  (août)  avec  une  nou- 
velle Madeleine,  M'"'  Girard  ;  le  Pré  aux  Clercs  avec  une  nou- 
velle reine,  M"^  Bélia,  le  même  soir  où  débutait  M""  Derasse; 
Maître  Palhelin  (23  décembre),  avec  une  nouvelle  Bobinette, 
W-"  Séveste.  Une  seule  reprise  domine  toutes  les  autres , 
celle  de  l'Étoile  du  Nord,  qu'on  n'avait  pas  revue  depuis  1861, 
avec  Battaille  et  M™^  Lïgalde,  remplacés  sur  la  fin  par  Troy 
et  M'"=  Saint-Urbain;  elle  reparut  le  6  juin  avec  une  distri- 
hution  toute  nouvelle,  qui  n'avait  conservé  de  l'ancienne 
que  le  brave  Duvernoy  dans  son  rôle  d'utilité  du  général 
Tchérémétefl'.  C'est  la  rentrée  de  M"'*  Gabel  qui  avait  donné 
l'idée  de  cette  reprise  ;  mais  depuis  dix-huit  mois  on  la  retar- 
dait sans  cesse,  faute  de  s'entendre  sur  le  choix  des  inter- 
prètes, et  par  suite  aussi  d'une  indisposition  de  Grosti  qui 
le  força  de  renoncer  au  rôle  de  Peters.  Battaille,  désigné 
d'abord  comme  Gritzenko,  monta  en  grade  et  devint  le  tzar, 
tout  comme  à  la  création,  son  presque  homonyme  Battaille, 
et  fut  remplacé  par  Beckers,  un  ex-pensionnaire  de  l'Opéra- 
Comique,  qui  fut  réengagé  pour  la  circonstance,  et  céda  lui- 
même  sa  place  à  Nathan,  avant  la  fin  de  l'année.  Capoul 
(Danilowilz),  bientôt  doublé  par  Lhérie,  chanta  pour  la  pre- 
mière fois,  à  l'Opéra-Gomique,  une  romance  écrite  autrefois 
pour  Mario  et  depuis  interprétée  par  Gardoni,  lors  des  repré- 
sentations de  l'ouvrage  à  Londres.  Citons  enfin  les  noms  de 
Leroy  (Georges),  Lhérie  (un  cavalier),  M"|=  Bélia  (Prascovia), 
à  laquelle  succéda  M"<=  Heilbron,  M^^s  Séveste  et  Duval  (les 
deux  vivandières).  Il  était,  semble-t-il,  dans  la  destinée  de 
l'Etoile  du  Nord  de  briller  plus  particulièrement  les  années 
d'Exposition  universelle  ;  on  l'avait  donnée  en  1855,  dans  tout 
l'éclat  de  sa  nouveauté  ;  on  la  revoyait  en  1867,  et  on  la 
revit  en  1878.  La  première  série  de  représentations  (1854-61) 
avait  produit  262  représentations;  la  seconde,  pour  1867,  en 
produisit  39;  la  troisième,  1878-80,  70;  enfin,  1883  et  1887 
fournirent  un  regain  de  32  et  de  3  matinées,  ce  qui  donne  un 
total  de  406  représentations  à  la  salle  Favart  pour  l'ouvrage 
de  Meyerbeer. 

Le  dernier  événement  important  de  l'année  est,  à  la  date 
du  23  novembre,  la  première  de  Robinson  Crusoe,  opéra-comique 
en  trois  actes,  paroles  de  Gormon  et  Crémieux,  musique 
d'Offenbach.  L'auteur  de  cette  Grande-Duchesse  qui  atteignait 
alors  sa  deux-centième,  était  hanté  par  le  désir  d'obtenir  un 
vrai  succès  dans  un  théâtre  plus  sérieux  que  ceux  où  il  fré- 
quentait d'ordinaire.  Dès  1862,  il  avait  été  vaguement  question 
pour  lui  d'un  ouvrage  avec  MM.  Meilhac  et  Halévy  ;  puis,  quand 
on  eut  reçu  Robinson  Crusoé,  il  eut  soin  de  se  défendre  par 
avance  auprès  de  la  presse  et  du  public  d'avoir  écrit  un  «  opéra 
boulîon  ».  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les  auteurs  avaient 


d'abord  songé  aux  Bouffes-Parisiens  pour  y  porter  leur  pièce, 
et  il  est  non  moins  vrai  que  les  morceaux  les  plus  réussis  de 
la  partition  furent  les  couplets,  les  ariettes  qui  auraient  con- 
venu à  un  petit  théâtre.  Le  premier  soir,  la  salle  contenait 
bien  des  amis,  car  tous  les  interprètes  eurent  leur  bis, 
Mi''=  Cico  (Edwidge)  avec  sa  ronde  :  «  Debout,  c'est  aujourd'hui 
dimanche  »  et  son  arioso  :  «  Si  c'est  aimer  »;  M"'=  Galli-Marié, 
un  charmant  Vendredi,  avec  sa  berceuse  ;M"«  Girard  (Suzanne)- 
avec  ses  couplets  :  «  C'est  un  beau  brun  »;  Sainle-Foy  (Jyns  Goks> 
avec  sa  chanson  du  «  Pot-au-feu  »;  n'oublions  pas  M""!^  Revilly, 
Ponchard  et  Grosti,  qui,  ayant  eu  le  malheur  de  perdre  une 
petite  fille,  quelques  jours  après,  fut  remplacé  par  Melchis- 
sédec;  tous  furent  chaleureusement  accueillis,  sauf  le  pro- 
tagoniste Montaubry,  dont  la  décadence  apparut  assez  visible- 
ment pour  causer  un  désappointement,  voisin  de  la  conster- 
nation. 7Jo&Hiso«  mourut  au  bout  de  trente-deux  représentations. 
Au  reste,  le  succès  n'avait  pas  besoin  de  «  nouveautés  »  pour 
remplir  la  caisse  du  théâtre  en  cette  année  de  plaisirs  et  de 
richesse.  Le  succès  était  partout  dans  ce  Paris,  envahi  par 
les  étrangers,  et  tout  rempli  par  le  bruit  joyeux  de  fêtes- 
resplendissantes.  Devant  les  recettes  toujours  croissantes,  on 
s'explique  la  libéralité  du  directeur,  M.  de  Leuven,  qui  ac- 
corda une  augmentation  de  dix  pour  cent,  à  partir  du  1«^  juillet 
jusqu'à  la  fin  de  l'Exposition,  à  tous  ses  artistes  et  employés 
dont  les  appointements  ne  dépassaient  pas  2,000  francs.. 
Petites  et  grandes  scènes  se  disputaient  la  faveur  du  public, 
et  toutes  étaient  plus  ou  moins  «  honorées  »  parla  présence 
de  quelque  auguste  visiteur.  La  salle  Favart  eut,  comme  les- 
autres,  ses  soirées  «  par  ordre  ».  Dès  le  10  juin  le  roi  de 
Prusse,  le  prince  royal  de  Prusse,  le  grand-duc  de  Saxe- 
Weimar,  assistaient  au  Voyage  en  Chine,  et  se  faisaient  pré- 
senter le  compositeur,  qu'ils  félicitaient  chaudement;  l'un 
des  grands-ducs  de  Russie  et  le  comte  Tolstoï  étaient  venus 
également  ce  même  soir,  mais  sans  apparat,  sur  le  désir 
exprimé  par  eux  de  jouir  des  bénéfices  de  l'incognito.  Mignoir 
est  donnée  le  17  juin  pour  le  prince  Georges  de  Mecklembourg- 
Schwerin,  le  21  pour  le  grand-duc  et  la  grande-duchesse  de 
Bade,  le  25  pour  le  prince  Arthur  d'Angleterre;  l'Etoile  du 
Nord  est  offerte  le  1"  juillet  au  vice-roi  d'Egypte,  et  le  5  au 
sultan;  Mignon  encore  attire  le  9  le  grand-duc  de  Saxe.  Et 
la  foule  se  pressait  pour  apercevoir  le  visage  de  tous  ces 
hôtes.  On  put  croire  qu'il  avait  obéi  à  une  curiosité  de  ce 
genre,  le  malheureux  qui,  un  soir  de  septembre,  se  pencha 
hors  de  sa  loge  et  tomba  du  cintre  sur  la  scène.  Renseigne- 
ments pris,  il  s'agissait  simplement  d'un  figurant,  qui,  n'ayant 
pas  été  admis  à  paraître,  pour  cause  d'ivresse,  s'était  intro- 
duit dans  la  salle  pour  y  voir  le  spectacle  auquel  son  état, 
ne  lui  avait  pas  permis  de  prendre  part. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


NOTES  SUR  LA  REPRISE  DE  QUELQUES  INSTRUMENTS  ANCIENS 
LA    VIOLE    D'AMOUR 

L'histoire  de  la  viole  d'amour  n'est  pas  très  longue  ;  elle  commence 
vers  le  milieu  du  XVII"  siècle  pour  finir  avec  le  X"\^III«,  qui  fat  son 
beau  moment.  C'est  au  moins  ce  que  fait  présumer  le  nombre  assez 
considérable  de  belles  violes  d'amour  qui  portent  la  date  du  dix- 
huilième  siècle.  C'est  le  seul  témoignage  qu'on  puisse  invoquer 
comme  preuve  de  la  faveur  dont  cet  inslrument  jouissait  alors,  car 
il  ne  reste,  pour  ainsi  dire,  pas  de  musique  écrite  pour  la  viole 
d'amour. 

A  la  fin  du  siècle  dernier,  un  certain  Milandre  a  publié  une  mé- 
thode de  viole  d'amour;  dans  les  temps  modernes,  le  Viennois 
Kraal  fît  paraître,  en  1870,  une  autre  méthode  pour  le  même  instru- 
ment; enfin,  en  1883,  M.  Cari  Zœller  a  publié  aussi  une  nouvelle, 
méthode  de  viole  d'amour,  précédée  d'une  notice  historique. 

Après  avoir  été  délaissé,  cet  instrument  retrouve  en  ce  moment  un 
certain  regain  de  succès  ;  le  goîît  que  le  public  a  manifesté  depuis 
quelques   années    pour    la    musique    ancienne   s'est   compliqué    du 


LE  MENESTREL 


275 


désir  de  l'entendre  exécuter  par  les  vieux  instruments  pour  lesquels 
elle  était  écrite.  Le  clavecin,  interprète  authentique  des  ouvrages 
des  maîtres  du  XVII"  et  du  XVIIP  siècle,  a  repris  faveur  auprès 
d'auditeurs  délicats  qui  ont  goûté  la  netteté  et  le  timbre  coloré  de 
ses  sons  un  peu  maigres.  La  viole  d'amour  et  la  viola  di  gamba  ou 
basse  de  viole,  ont  recommencé  à  chanter  comme  autrefois. 

La  viole  d'amour  n'avait  jamais  cependant  été  aussi  abandonnée 
que  la  basse  de  viole  ;  celle-ci  avait  été  complètement  éteinte  par 
l'énergique  et  passionné  violoncelle ,  tandis  qu'il  s'est  toujours 
trouvé  quelque  amateur,  artiste  ou  érudit,  qui,  pour  son  propre 
agrément,  cultivait  la  viole  d'amour,  épris  de  sa  sonorité  pénétrante 
et  de  sa  facilité  d'expression. 

Cependant  elle  n'est  jamais  entrée  dans  l'usage  courant;  c'est  un 
instrument  d'exception  dont  le  caractère  n'a  pas  été  bien  compris. 
Au  XVIIP  siècle  on  l'employait   à    l'exécution  de  petits  menuets 
fades  ou  de  sautillantes  gavottes,  d'un  style  très  mesquin. 

La  viole  d'amour  vaut  mieux  que  cela.  Ses  sons  doux  et  mordants, 
un  peu  mystiques,  conviennent  aux  élancements  passionnés  de  la 
mélodie  romantique  aussi  bien  qu'à  la  sereine  expression  d'une 
religieuse  contemplation. 

Sa  dénomination  n'est  pas  trompeuse  et  répond  bieu  à  ce  que  l'on 
en  attend. 

Cependant,  bien  qu'il  nous  en  coûte  de  porter  atteinte  à  cette 
gracieuse  appellation  de  viole  d'amour,  nous  ne  croyons  pas  que 
telle  fut  à  l'origine  sa  première  désignation. 

Pour  plus  d'explication,  il  nous  faut  reprendre  les  choses  d'un 
peu  loin. 

La  viole  d'amour  ne  se  distinguerait  pas  essentiellement  des 
autres  violes,  sans  un  appareil  spécial  de  cordes  métalliques  dont 
la  vibration,  influencée  par  le  son  des  cordes  ébranlées  par  l'areliet, 
s'y  mêle  en  lui  donnant  une  couleur  particulièrement  douce  et 
argentine  ;  ces  cordes  métalliques,  au  nombre  de  six  et  quelque- 
fois plus,  partant  de  l'extrémité  du  chevillier,  passent  sous  la  touche, 
dans  le  manche  qui  est  creux,  traversent  le  chevalet  en  s'y  appuyant 
et  viennent  s'attacher  au  cordier  ou  au  bouton.  Lorsque  l'archet 
fait  résonner  les  cordes  supérieures,  les  cordes  métalliques  infé- 
rieures entrent  en  vibration  et  joignent  discrètement  leur  murmure 
au  timbre  mordant  de  l'archet.  C'est  la  mise  en  pratique  musicale 
du  phénomène  connu  en  physique  sous  le  nom  de  vibration  par 
influence. 

Cet  effet,  à  vrai  dire,  n'est  pas  très  frappant  pour  l'auditeur;  il  est 
surtout  très  sensible  pour  l'exécutant.  Le  public  perçoit  seulement 
un  son  charmant  et  expressif,  sans  se  rendre  compte  des  moyens 
employés  pour  le  produire. 

Cette  combinaison  n'est  pas  d'invention  européenne;  elle  a  été 
appliquée  aux  instruments  à  archet  autrefois,  dans  l'Inde  et  en 
Egypte.  Elle  a  pour  but  de  remédier  à  la  sécheresse  du  son  des 
instruments  à  archet  en  y  ajoutant  une  résonance  plus  prolongée. 
Les  Hindous  ont  parmi  leurs  instruments  d'un  usage  assez  ancien 
une  sorte  de  violon  de  forme  cubique,  appelé  sarungie,  qui  a  quatre 
•cordes  de  boyaux  et  onze  cordes  métalliques  de  résonance. 

Deux  autres  instruments,  le  Alabu  sarungie  et  le  chikara,  ont  un 
appareil  semblable.  Leurs  cordes  métalliques  sont  accordées  de 
façon  à  renforcer  les  sons  principaux  du  mode  de  la  mélodie. 

D'une  autre  part,  Villoteau  rapporte,  dans  son  travail  sur  l'état 
de  la  musique  en  Egypte,  qu'il  trouva  dans  ce  pays  des  instru- 
ments à  archet  de  grandeurs  et  de  formes  diverses  qui  avaient  des 
■cordes  métalliques  de  résonance  ;  on  les  appelait  kemangeh  roumy, 
Tioles  grecques. 

il  n'y  a  pas  lieu  de  croire  que  les  Hindous  aient  connu  autrefois 
notre  viole  d'amour,  qui  est  d'origine  récente,  et  que  leur  sarungie 
en  soit  une  imitation;  pour  ce  qui  est  des  Egyptiens  modernes,  on 
■en  pourrait  douter.  Est-ce  l'Orient  qui  nous  a  copiés,  ou  bien  est-ce 
nous  qui  avons  imité  la  kemangeh  roumy?  Le  nom  de  viola  d'amore, 
appliqué  en  Italie  à  notre  instrument  européen,  nous  fait  croire  que 
c'est  nous  qui  sommes  des  imitateurs  et  que  la  viola  d'amore  a  dû 
porter  d'abord  en  Italie  le  nom  de  viola  da  moro,  viole  de  Maure,  ou 
à  la  façon  du  Maure. 

Les  Italiens  désignent  sous  le  nom  de  moro  tout  individu  au  teint 
basané,  appartenant  aux  races  qui  habitent  les  rivages  africains  de 
la  Méditerranée. 

La  préposition  da,  d'autre  part,  signifie  de,  à  la  façon  de,  à  l'u- 
sage de. 

On  voit  de  suite  que  la  viola  da  moro  n'a  eu  que  peu  de  chemin 
à  faire  pour  devenir  la  viola  d'amore. 

Il  est  donc  probable  que  les  luthiers  italiens,  après  avoir  ajouté  à 
une  viole  ordinaire  un  appareil  de   cordes   métalliques  semblable  à 


celui  de  la  kemangeh  roumy,  l'auront  nommée  viola  da  moro  ;  ensuite, 
l'imagination  populaire,  peu  soucieuse  des  étymologies  et  impres- 
sionnée par  les  sons  doux  de  la  viola  da  moro  l'aura  vite  transfor- 
mée en  viola  d'amore.  viole  d'amour. 

Cette  dénomination  d'amour  s'est  ensuite  étendue  à  d'autres  ins- 
truments n'ayant  aucun  rapport  avec  la  viole  ;  on  eut  des  hautbois 
d'amour,  des  flûtes  d'amour,  même  des  clarinettes  d'amour.  La 
tablature  de  ces  instruments  est  d'une  tierce  mineure  plus 
basse  que  leur  diapason  ordinaire.  On  sait  que  les  instruments  dont 
la  gamme  occupe  l'étendue  moyenne  des  sons  ont  plus  de  douceur 
que  d'éclat.  On  pourrait  déduire  de  l'étymologie  que  nous  avons 
donnée  plus  haut  que  c'est  en  Italie  qu'on  a  fabriqué  les  premières 
violes  d'amour;  il  n'en  existe  pas  pour  le  moment  d'autre  preuve. 
Cet  instrument  parait  même  avoir  été  beaucoup  plus  apprécié  en 
Allemagne  qu'en  Italie.  Il  reste  encore  aujourd'hui  un  assez  grand 
nombre  de  belles  violes  allemande.»;  leur  aspect  pittoresque,  leur 
tête  sculptée,  les  proportions  harmonieuses  de  leurs  diverses  parties, 
les  ont  mieux  préservées  que  leurs  qualités  musicales. 

Elles  portent  les  étiquettes  des  plus  célèbres  luthiers  allemands  du 
XVIP  et  du  XVIII"  siècle:  Tielke,  Hambourg,  1680.—  Mathias  Klotz, 
Mittenvald.  —  Weigert,  Leinz.  —  Aman,  Augspurg,  l'725.  —  Giesser, 
Insprueht.  —  Ostler,  Breslau.  —  Jauck,  Dresde.  —  Eberle,  Prague. 
—  Parti,  Vieune,  etc. 

Nous  n'avons  pas  connaissance  que  les  grands  luthiers  italiens 
aieut  fait  des  violes  d'amour  ;  les  violes  italiennes  sont  souvent  très 
belles,  comme  proportions  et  vernis.  On  en  cite  qui  portent  les  éti- 
quettes de  Gagliano,  de  Carcassi  et  d'autres  moins  connus. 

Les  principaux  luthiers  français  auteurs  de  violes  d'amour  sont 
Guersant,  Salomon,  Bertrand.  Lupot  a  fabriqué  la  dernière  peut-être; 
elle  appartient  à  son  petit-fils,  M.  Eugène  Gand. 

Abstraction  faite  des  cordes  métalliques  vibrant  par  influence,  le 
son  de  la  viole  d'amour  est  celui  des  anciennes  violes  ordinaires  à 
six  ou  sept  cordes  ;  il  se  distingue  de  celui  du  violon  par  un  timbre 
plus  coloré,  plus  nasal,  tenant  du  timbre  du  violoncelle  et  ayant 
la  même  faculté  d'expression  ;  n'ayant  pas  l'éclat  du  violon,  mais 
possédant  sur  celui-ci  l'avantage  d'un  son  plus  aisé,  plus  naturel- 
lement agréable. 

En  somme,  les  proportions  de  cet  instrument  font  autant  d'hon- 
neur aux  luthiers  anciens  qui  les  ont  établies  que  celles  du  violon, 
qui  reste  comme  le  prototype  des  instruments  à  archet.  Ayant  à  faire 
parler  un  instrument  qui  a  quatre  octaves  d'étendue  et  plus,  ils  ont 
déterminé  très  heureusement  les  dimensions  de  la  caisse  et  des 
diverses  parties,  de  façon  à  obtenir  une  sonorité  homogène.  La  viole 
d'amour  est  un  instrument  très  supérieur  à  l'alto,  dont  elle  a  à  peu 
près  l'étendue  ;  mais  les  sons  de  sa  chanterelle  sont  bien  meilleurs 
iusque  dans  les  notes  aiguës,  et  aussi  chantants  que  sur  la  chante- 
relle du  violon.  Ces  avantages  résultent  des  proportions  que  l'on 
donnait  autrefois  aux  instruments  de  la  famille  des  violes,  qui 
diffèrent  sensiblement  de  celles  du  violon.  Ils  s'en  distinguaient 
particulièrement  par  une  caisse  plus  volumineuse,  dont  la  capa- 
cité semble  donner  au  son  plus  de  rondeur  et  une  émission  plus 
facile. 

Bien  que  les  luthiers  anciens  n'aient  pas  rationnellement  formulé 
les  règles  précises  qui  président  à  la  construction  des  instruments 
à  archet,  ils  sont  arrivés  cependant  à  déterminer  au  mieux,  par 
tâtonnements,  les  proportions  de  la  caisse  par  rapport  à  l'étendue 
des  sons  de  l'instrument,  et  sa  situation  sur  l'échelle  générale  des 
sons  musicaux,  c'est-à-dire  qu'à  mesure  que  les  sons  qu'un  instru- 
ment à  cordes  est  destiné  à  produire  deviennent  plus  graves,  et  ont 
par  conséquent  un  moindre  nombre  de  vibrations,  la  caisse  de 
l'instrument  doit  s'accroître  en  capacité. 

Par  exemple,  le  volume  d'air  enfermé  dans  la  caisse  du  violon 
est  d'environ  2  décimètres  122  centimètres  cubes;  celui  de  l'alto  est 
de  3  décimètres  cubes  approximativement.  On  remarquera  que  ces 
deux  volumes  représentent  presque  le  rapport  inverse  de  l'intervalle 
de  quinte  4  qui  sépare  l'accord  des  deux  instruments.  Pour  être 
exacte,  il  faudrait  que  la  capacité  de  l'alto  fût  de  3  décimètres 
180  centimètres  cubes. 

Ce  rapport  cesse  avec  le  violoncelle,  dont  la  caisse  prend  des 
proportions  plus  considérables.  Allant  à  l'octave  au-dessous 
et  ayant  un  nombre  de  vibrations  moindre  de  moitié  que 
celles  de  l'alto,  le  volume  de  la  caisse  devrait  être,  si  on  suit 
la  progression  indiquée  par  le  violon  et  l'alto,  de  6  décimètres 
360  centimètres.  Il  dépasse  beaucoup  ce  chiffre,  et  s'élève  à  plus 
de  26  décimètres  cubes.  La  caisse  de  la  viole  d'amour  à  sept  cordes, 
si  on  la  compare  avec  celle  du  violon,  est  dans  un  rapport  presque 
exact  avec  l'intervalle  de   septième   mineure   que   forme    sa   corde 


276 


LE  MEiNESTREL 


grave  avec  celle  du  violon.  Sa  capacité  est  de  3  décimètres  610  cen- 
timètres environ. 

Ces  proportions  varient  sensiblement  dans  les  violes  françaises, 
mais  elles  sont  assez  constantes  dans  les  violes  allemandes.  Nous 
pensons  que  les  rapports  du  volume  de  la  caisse  et  ceux  de  la 
longueur  des  cordes  ont  une  part  notable  dans  la  supériorité  carac- 
téristique du  timbre  des  violes.  D'ailleurs,  les  conditions  d'excel- 
lence du  timbre  des  instruments  à  archet  reposent  encore  sur  beau- 
coup d'autres  considérations. 

L'accord  des  six  ou  sept  cordes  de  la  viole  d'amour  est  aussi  un 
facteur  important  dans  la  physionomie  originale  de  cet  instrument. 
Elle  s'accorde  généralement  en  ré  majeur,  c'est-à-dire  en  partant 
de  la  chanterelle,  ré,  la,  fa  dièse,  ré,  la,  ré.  Quand  elle  a  sept 
cordes,  la  plus  grave  est  un  la. 

On  accorde  de  plusieurs  façons  les  cordes  métalliques:  soit  à 
l'unisson  des  cordes  supérieures,  soit  diatoniquement,  de  façon  à 
produire  un  hexacorde  mineur  depuis  le  si  grave  de  la  clef  de  sol 
jusqu'au  la,  contenant  Vitt  dièse  et  le  fa  dièse.  Ce  dernier  procédé 
convient  mieux  à  la  tonalité  de  l'instrument. 

En  effet,  le  genre  d'accord  de  la  viole  d'amour  lui  interdit  un 
certain  nombre  de  modulations.  Ses  meilleures  tonalités  sont  :  ré 
majeur,  si  mineur,  fa  dièse  mineur,  qui  est  très  caractéristique,  sol 
majeur. 

Les  tons  à  bémols  sont  sourds  et  ne  présentent  pas  les  avantages 
caractéristiques  des  sons  de  la  viole  d'amour  ;  ils  ne  mettent  pas 
en  vibration  les  cordes  métalliques.  On  peut  modifier  cet  inconvé- 
nient en  baissant  la  corde  fa  dièse  en  fa  naturel.  La  viole  se  trouve 
alors  accordée  en  ?•<;  mineur. 

Ce  procédé  implique  un  changement  dans  les  intervalles  que  cette 
corde  produit  avec  ses  deux  voisines,  le  ré  et  le  la.  Lorsque  la 
troisième  corde  est  en  fa  dièse,  on  peut  facilement  produire,  en 
glissant  le  doigt  sur  cette  corde  et  le  la,  une  suite  de  tierces  mineures, 
et  avec  le  ré  des  tierces  majeures.  Si  on  baisse  le  fa  dièse  d'un 
demi-ton,  la  combinaison  inverse  se  produit  et  certaines  tonalités 
deviennent  faciles  ;  celles  de  ré  mineur,  si  bémol,  sol  mineur,  fa 
majeur,  et  quelques  autres. 

Aussi,  malgré  son  accord  spécial,  la  viole  d'amour  est  cependant 
très  apte  à  interpréter  un  très  grand  nombre  de  pièces  anciennes 
écrites  soit  pour  le  violon,  soit  pour  la  basse  de  viole  à  sept  cordes. 
La  musique  ancienne  est,  on  le  sait,  très  souvent  écrite  dans  le  ton 
de  ré,  qui  était  un  des  meilleurs  et  des  plus  usités  qu'on  pouvait 
obtenir  sur  le  clavecin  et  l'orgue,  par  suite  du  tempérament  inégal 
suivant  lequel  on  les  accordait  alors.  L'usage  de  cette  tonalité 
s'étendait  aux  autres  instruments. 

On  trouvera  un  très  grand  plaisir  à  faire  chanter  à  la  viole  d'a- 
mour les  anciennes  mélodies  des  maîtres  du  passé,  quelques-uns 
des  adagios  de  violon  de  Bach,  par  exemple;  il  y  a  une  très  sensible 
corrélation  entre  le  timbre  de  la  viole  et  le  caractère  de  ces  mélodies. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  dans  la  musique  du  passé  qu'il  fau- 
drait étendre  l'usage  de  cet  instrument.  Il  a  encore  une  affinité 
très  grande  avec  le  sentiment  musical  moderne  dans  ce  qu'il  a  de 
passionné,  de  douloureux  et  de  mystique  tendresse. 

Berlioz,  pour  qui  les  timbres  musicaux  des  instruments  avaient 
une  valeur  objective  considérable,  écrit  dans  son  Traité  d'instrumen- 
tation, a  propos  de  la  viole  d'amour:  o  Quel  ne  serait  pas  l'effet  d'une 
masse  de  violes  d'amour  chantant  une  belle  prière  à  plusieurs  parties, 
ou  accompagnant  de  leurs  harmonies  soutenues  un  chant  d'alto  ou 
de  violoncelle  ou  de  cor  anglais  ou  de  flûte  dans  le  médium,  mêlé 
à  des  accords  de  harpes  !  Il  serait  vraiment  bien  dommage  de  laisser 
perdre  ce  gracieux  instrument.  » 

Les  objections  qu'on  peut  faire  à  l'admission  de  la  viole  d'amour 
comme  instrument  d'orchestre  reposent  sur  ce  que  son  doigter  n'est 
pas  le  même  que  celui  des  autres  instruments  à  archet  ;  il  est  évi- 
dent que  cela  déroute  un  peu  ,  mais  on  peut  être  assuré  qu'il  n'est 
pas  de  violoniste  ou  d'altiste  un  peu  habile  qui  ne  parvienne,  au 
bout  de  quelques  mois  d'études,  à  jouer  facilement  de  la  viole  d'a- 
mour. On  s'apercevra  bientôt  que  ce  charmant  instrument  possède 
plus  de  ressources  qu'on  ne  le  croit  au  premier  abord,  et  qu'il  semble 
avoir  été  combiné  beaucoup  plus  en  vue  des  affections  musicales 
modernes  que  pour  les  effets  qu'on  demandait  autrefois  à  la  musique. 

Bach,  cependant,  parait  en  avoir  eu  le  pressentiment,  car  il  intro- 
duisit plusieurs  fois  la  viole  d'amour  dans  ses  compositions,  notam- 
ment dans  la  cantate  Tritt  auf  die  Glaubensbahii:  mais  généralement, 
elle  était  employée  comme  instrument  solo. 

L'exemple  le  plus  remarquable  qu'on  en  puisse  citer  parmi  les 
plus  récents  est  celui  de  la  romance  de  Raoul  dans  les  Huguenots,  de 
Meyerbeer.  Mais  l'emploi  de  la  viole  d'amour,  dans  ce  cas,  est  plutôt 


un  effet  de  couleur  locale  ;  il  se  borne  d'ailleurs  à  quelques  me- 
sures de  ritournelle.  Ce  serait,  d'autre  part,  un  anachronisme  musical; 
car  au  XVP  siècle  la  viole  d'amour  n'était  pas  encore  inventée. 

Depuis  les  Huguenots,  il  serait  difficile  de  citer  une  autre  utilisation 
de  la  viole  dans  des  ouvrages  de  théâtre  ou  de  symphonie  ;  il  ne 
faut  cependant  pas  confondre  la  viole  d'amour  avec  les  instruments 
anciens  que  leurs  imperfections  condamnent  à  l'oubli  ;  c'est  au 
contraire  un  des  instruments  à  archet  les  mieux  combinés  que  les 
luthiers  aient  construits,  et  son  abandon  est  dû  plutôt  à  une  indiffé- 
rence regrettable  qu'à  une  difficulté  réelle  d'appropriation  au  carac- 
tère moderne  de  la  musique.  11  y  a  dans  le  passé  de  l'art  musical 
bien  des  choses  dont  la  conservation  n'offre  qu'un  intérêt  historique, 
mais  il  en  est  d'autres  qu'il  est  tout  à  fait  fâcheux  de  ne  pas  uti- 
liser, et  la  viole  d'amour  est  de  ce  nombre. 

Léon  Pillaut 

Conservateur  dumusée  instrumental  du  Conservatoire  TMtional  de  musique. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATIOM 

(Suite) 


CHAPITRE  III 


LE   DIRECTOIRE    ET   LE    CONSULAT 


Batailles  et  victoires  sont  devenues  l'unique  préoccupation  de  la 
France.  L'apaisement  se  fait  à  l'intérieur,  bientôt  le  Directoire  va, 
avec  ses  allures  de  carnaval  grec,  ramener  le  luxe  et  l'éclat  dans 
Paris  ;  mais  vers  les  armées,  par  delà  la  frontière  s'envolent  les 
pensées. 

Odes  ou  impromptus  s'abattent  autour  de  Bonaparte,  son  nom 
inspire  poètes  ou  rimeurs,  dont  les  journaux  accueillent  les  impro- 
visations avec  une  déplorable  bienveillance. 

Animé,  lui  aussi,  par  l'enthousiasme  guerrier,  Chénier,  dans  son 
rapport  à  la  Convention,  insistait  sur  ce  point  que  «  de  l'Ecole  de 
musique  étaient  partis  ceux  qui,  par  leurs  accents  belliqueux,  ani- 
maient l'intrépide  courage  de  nos  armées  »,  et  un  crédit  de  240,000  fr. 
avait  assuré  l'existence  du  Conservatoire. 


En  récompense  de  nombreux  services  rendus  à  l'art,  Sarrette  était 
nommé  commissaire  chargé  de  l'organisation.  A  Gossec,  Grétry, 
Lesueur,  Méhul,  Cherubini  on  confiait  l'inspection  de  l'enseigne- 
ment, et  quatre  professeurs  leur  él aient  adjoints  pour  les  aider  dans 
l'administration  du  Conservatoire. 

Une  collection  complète  des  partitions  et  ouvrages  relatifs  à  la 
musique,  une  réunion  d'instruments  antiques  et  modernes  formaient 
la  Bibliothèque,  remise  aux  mains  de  Frédéric  Eler. 

Le  nombre  des  professeurs  est  ainsi  fixé  :  le  solfège  a  14  titu- 
laires, la  clarinette  19;  6  pour  la  flûte,  4  pour  le  hautbois.  Le  bas- 
son en  possède  12,  le  premier  cor  6;  même  nombre  pour  le  second 
cor.  Moins  favorisés  sont  le  serpent  avec  4  maîtres,  les  trompettes 
avec  2  seulement.  Un  pour  les  buccines,  et  1  pour  les  timbales. 
Huit  au  violon,  4  à  la  basse,  1  à  la  contrebasse.  Six  artistes  d'é- 
lite guideront  les  études  des  clavecinistes.  Ceux-là  qui  aspirent  à 
la  succession  de  Lays  ou  de  la  Saint-Huberty  auront  3  maîtres 
de  vocalisation,  4  pour  le  chant  simple,  2  pour  le  chant  déclamé. — 
Pour  terminer  la  liste,  7  professeurs  de  composition,  13  d'accom- 
pagnement, 1  organiste.  —  L'étude  de  la  harpe  est  admise,  mais 
les  élèves  entretiendront  l'instrument  confié  à  leurs  soins. 

D'après  le  règlement  du  15  Messidor  an  IV,  les  membres  du 
Conservatoire  doivent  contribuer  à  l'exécution  des  fêtes,  assurer  le 
service  de  la  musique  auprès  du  Corps  législatif. 

Quatre  leçons  par  décade  sont  assurées  aux  élèves,  pour  lesquels 
un  examen  d'admission  est  établi  chaque  trimestre. 

Dans  les  deux  mois  qui  suivirent  la  publication  de  la  loi,  les 
inscriptions  se  multiplièrent.  La  Seine  envoya  131  concurrents; 
Seine-et-Oise,  la  Seine-Inférieure,  la  Gironde,  les  Ardennes,  la 
Marne,  l'Oise,  le  Jura  se  distinguent  à  sa  suite. 


Les  amis  de  la  musique  attendent  avec  impatience  l'ouverture 
de  la  nouvelle  École,  et  déjà  ils  escomptent  ses  résultats.  C'est  en 
elle  qu'ils  mettent  leur  espoir,  c'est  à  elle  qu'ils  demandent  de  leur 


LE  MENESTREL 


277 


rendre  la  musique  des  grands  maîtres,  «  car  bientôt,  pour  en  prendre 
une  idée,  il  faudra  les  lire  et  renoncer  à  les  entendre.  » 

«  Dans  quel  spectacle  nous  est  venue  celle  réflexion  ?. . .  A  l'Opéra. 
On  ne  reconnaît  plus  rien  aux  morceaux...  L'orchestre  non  plus 
n'est  pas  irréprochalDle.  Quand  Rey  le  conduit,  la  pièce  finit  une 
demi-heure  plus  tôt  que  quand  c'est  Rochefort.  Lequel  des  deux  a  le 
mouvement  juste?  ou  le  mouvement  vrai  est-il  entre  l'un  et  l'autre?...  » 
—  (Journal  de  Paris  ) 

Le  premier  brumaire  an  V  (samedi  22  octobre),  inauguration  solen- 
nelle du  Conservatoire. 

A  dix  heures  du  matin,  le  ministre  de  l'intérieur  arrive  rue  Ber- 
gère, suivi  d'une  députalion  de  l'Institut  National.  On  y  vante  à 
l'envi  l'organisation  de  l'Ecole,  «  d'oîi  seront  bannis  et  le  déver- 
gondage des  innovations  et  la  tyrannie  des  routines,  où  on  main- 
tiendra le  respect  dû  aux  œuvres  des  maîtres,  sans  refuser  un  bon 
accueil  aux  hardiesses  du  génie.   » 

Viennent  ensuite  un  interminable  discours  de  Sarrette  et  un  ma- 
nifeste de  Gossec,  qui  a  oublié  déjà  et  l'École  Royale  et  les  bien- 
faits de  Louis  XVI.  —  «  Mes  collègues,  s'écrie-t-il,  une  honorable 
carrière  est  ouverte  et  c'est  nous  qui  sommes  appelés  à  la  parcou- 
rir, nous  qui  avons  su  conserver  notre  art  avili  par  le  despotisme 
en  le  vouant  au  triomphe  de  la  Liberté.   » 

Première  apparition  en  public,  le  26  messidor.  On  fête  l'anniver- 
saire du  14  juillet  et  une  estrade  est  élevée  pour  le  Conservatoire 
dans  la  petite  cour  du  Palais  directorial  (le  Luxembourg),  aux  côtés 
des  ministres  et  du  corps  diplomatique. 

Le  chœur  inévitable  de  Ghénier  et  Gossec,  puis  le  Chant  du  départ 
sont  au  programme. 

«  Cinquante  jeunes  filles  de  douze  à  dix-huit  ans,  vêtues  de  blanc, 
la  plupart  couronnées  de  fleurs  et  annonçant  par  leur  maintien  la 
décence  et  la  pudeur,  écrit  un  témoin  de  la  cérémonie,  ont  paru, 
accompagnées  de  leurs  parents,  au  milieu  des  professeurs  du  Con- 
servatoire dont  elles  sont  élèves;  derrière  elles  était  un  égal  nombre 
de  jeunes  garçons  à  peu  près  du  même  âge.  Il  est  difficile  d'expri- 
mer la  sensation  que  la  réunion  de  ces  voix  fraîches  et  pures, 
accompagnéespar  leurs  habiles  professeurs,  a  produite  sur  l'auditoire: 
elle  rappelait  ces  chœurs  divins  que  les  Grecs  employaient  dans 
leurs  fêtes,  et  qui  sont  décrits  avec  tant  de  charme  par  l'auleur  du 
Voyage  d'Anacharsis.  » 

La  première  semaine  de  l'an  VI  revoit  les  mêmes  robes  blanches 
agrémentées  cette  fois  d'une  ceinture  de  crêpe,  à  la  cérémonie  funè- 
bre de  Hoche. 

Après  avoir  brillamment  contribué  à  l'éclat  des  fêtes  poliliques, 
après  s'être  promené  des  Tuileries  à  l'Ecole  Militaire,  des  Menus- 
Plaisirs  au  Luxembourg,  le  Conservatoire  se  chante  lui-même, 
convie  Paris  à  son  apothéose,  à  la  distribution  des  prix,  célébrée 
le  3  brumaire  dans  la  salle  de  l'Odéon. 

Le  Directoire  et  le  Corps  diplomatique  occupent  une  vaste  tribune 
construite  pour  la  circonstance;  les  loges  environnantes  sont  dis- 
tribuées à  l'Institut,  aux  autorités  constituées. 

«  Le  reste  de  la  salle  est  rempli  par  une  grande  quantité  de 
femmes,  dont  la  beauté  et  la  parure  ajoutaient  au  spectacle,  et  par 
une  affluence  considérable  qui  éclate  eu  applaudissements  quand 
les  directeurs  apparaissent,  précédés  de  leur  cortège.  On  se  rappe- 
lait les  services  rendus  à  la  Révolution  par  le  Conservatoire  et  on 
était  touché  de  la  reconnaissance  du  Gouvernement.  » 

Sur  la  scène,  ornée  de  colonnes  reliées  entre  elles  par  des  guir- 
landes de  fleurs,  prennent  place  les  professeurs  et  les  meilleurs 
élèves,  au  nombre  de  cent  cinquante. 

L'ouverture  du  Jeune  Henri  commence  le  concert.  La  citoj'enne 
Chevalier,  premier  prix  de  chant,  se  tait  acclamer  dans  un  air 
à'Elisa  de  Cherubini,  accompagnée  par  le  hautbois  du  citoyen  Lau- 
rent. Grand  succès  aussi  dans  Alceste,  pour  la  citoyenne  Moreau. 
Cinquante  jeunes  filles  attaquant  le  chœur  des  Dandides,  soulèvent 
les  mêmes  transports  et,  quand  le  ministre  a  terminé  la  distribu- 
tion des  prix  et  achevé  son  discours,  on  ne  se  lasse  pas  d'entendre 
les  airs  civiques  entonnés  par  les  ensembles. 

La  séance  a  duré  quatre  heures  et  demie. 

*  '* 
Après  une   semblable  ovation,   le    Conservatoire   aurait  mauvaise 
grâce  à  résisler  au  Corps  Législatif,  qui  le  réclame  pour  embellir  de 
ses  accents  la  fête  offerte  au  vainqueur  de  l'Italie. 


Paris  est  tout  entier  à  Bonaparte,  qui  ne  peut  sortir  sans  être  en- 
touré; si  bien  qu'il  se  dissimule  au  théâtre  il  est  reconnu,  et  cette 
adoration  grandira  encore  le  9  thermidor,  qui  vit  l'entrée  triom- 
phale des  objets  d'arl  recueillis  en  Italie. 

Vingt-neuf  chars  s'avancent  leutemeut,  escortés  de  toute  une 
armée,  suivis  d'un  peuple  entier.  Les  premiers  portent  des  plantes-- 
étrangères,  des  blocs  de  cristal,  des  lions,  des  dromadaires,  des  ma- 
nuscrits et  des  livres  rares. 

La  poésie  contribue  à  l'éclat  du  cortège,  comme  en  témoigne  le- 
dlstique  brodé  sur  une  bannière  : 

La  Grèce  les  céda;   Rome  les  a  perdus; 

Leur  sort  changea  deux  fois,  il  ne  changera  plus. 

Les  chevaux  de  la  place  Saint-Marc,  le  «  Gladiateur  mourant  »,. 
la  «  Vénus  du  Capitole  »,  Vu  Antinoiis  »,  l'a  Apollon  du  Belvédère  » 
suivent  l'oriflamme. 

Second  étendard  et  troisième  vers  : 

Artistes  accoui-ez  !  Vos  maîtres  sont  ici! 

Voici  la  «  Transfiguration  de  Raphaël  »,  des  toiles  du  Titien,  de 
Véronèse,  enfin  le  buste  de  Brutus. 

Au  Champ-de-Mars,  où  tous  les  chars  se  réunissent,  le  Conser- 
vatoire exécute  le  Poème  séculaire  d'Horace,  musique  de  Philidor,  puis 
l'Ode  de  Lesueur. 

Le  lendemain,  pour  la  continuation  de  la  cérémonie,  Invocation  à 
la  Liberté,  Symphonie,  deuxième  audition  du  Poème  séculaire,  tandis 
que  les  Directeurs  entassent  des  lauriers  devant  le  buste  de  Brutus; 
enfin  le  Chant  du  départ,  au  moment  où  un  magnifique  aérostat 
s'élève  au-dessus  de  l'autel. 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (26  août).  —  Le  théâtre  de  la' 
Monnaie  vient  de  publier  le  tableau  complet  de  son  personnel  pour  la^ 
saison  1891-1892  : 

Chefs  de  service  :  MM.  Edouard  Barwolf,  premier  chef  d'orchestre;  P. 
Flon,  chef  d'orchestre;  Léon  Dubois,  chef  d'orchestre  ;  Gravier,  régisseur 
général;  Léon  Herbaut,  régisseur;  Laffont,  maître  de  ballet;  F.  Duchamps,. 
régisseur  du  ballet;  Louis  Macs  et  P.  Mailly,  pianistes-accompagnateurs  ;: 
Louis  Barwolf,  bibliothécaire  ;  Lynen  et  Devis,  peintres-décorateurs. 

Artistes  du  chant  :  Ténor.'!,  MM.  Lafarge,  Dupeyron,  Leprestre,  Isouard,. 
Stéphane,  Barbery,  Gillon.  Barytons,  MM.  Seguin,  Badiali,  Béral.  Basses, 
MM.  Ramat,  Sentein,  Dinard,  Gilibert,  Danlée,  Deltombe.  Chanteuses; 
]y[mes  de  Nuovina,  d'Exter,  Carrère,  Chrétien,  Smith-Bauvelt,  Darcelle,  de 
Bèridès,  Savine,  Wolf,  Dalraont,  Gorroy,  Walter. 

Artistes  de  la  danse  :  MM.  Laffont,  Duchamps,  Ph.  Hansen,  Desmet, 
]y[mcs  Térésita,  Riccio,  Isolina  Straraezzi,  Louisan,  Dierickx. 

Comme  je  vous  l'ai  annoncé  déjà,  la  saison  s'ouvrira,  le  S  septembre, 
par  Roméo  et  Juliette,  avec  M.  Lafarge,  M""  de  Nuovina  et  la  nouvelle  du- 
gazon,  M""  Savine  ;  le  lendemain,  Robert  le  Diable,  pour  les  débuts  de  la 
falcon,  M"^  Chrétien,  et  de  la  basse,  M.  Raraat.  Puis,  viendront  successi- 
vement Mireille  Lakmé,  la  Basoche  et  le  Barbier;  on  essaiera  aussi  de  re- 
prendre Siegfried,  dont  la  vogue  nous  paraît  bien  épuisée  pourtant,  et 
Lohcngrin  sera  retardé  quelque  peu.  Les  premiers  temps  seront  donc 
consacrés  à  la  revue  du  répertoire  courant,  et  elle  pourrait  bien  se  pro- 
longer, cette  année  encore,  un  peu  plus  qu'on  ne  l'eût  désiré.  Mais  il  faut 
essayer  les  nouveaux  venus  et  «  tasser  »  la  troupe.  Tout  cela  permettra 
d'attendre  patiemment  le  Rêve.  Jusqu'à  présent,  c'est  la  seule  nouveauté 
qu'on  entrevoie,  toutes  celles  qui  étaieni  plus  ou  moins  espérées  ou 
promises,  Samson  et  Dalila,  Chevalerie  rustique,  Othello,  les  Troyens  à  Carthage, 
te  Crépuscule  des  Dieux  même,  ayant  été  déjà  abandonnées.  Par  quoi  seront- 
elles  remplacées?  Nous  l'ignorons.  Il  ne  serait  pas  de  son  intérêt  que  la 
direction  se  contentât  de  reprises,  même  intéressantes,  telles  que  la  Flûte 
enchantée.  Actuellement,  un  théâtre  lyrique  ne  peut  vivre  qu'en  suivant  le- 
«  mouvement  »  et  en  renouvelant  son  répertoire;  c'est  le  seul  moyen  de 
s'attacher  le  public,  de  vivre  bien  et  de  vivre  longtemps.  —  En  même 
temps  que  se  rouvriront  les  portes  de  la  Monnaie  se  fermeront  celles  du 
Vaux-Hall,  où,  tous  les  ans,  l'orchestre  du  théâtre  convie  le  public  à  des- 
concerts très  intéressants  et  très  suivis,  â  condition  que  le  beau  temps 
les  favorise.  Cette  année,  sous  la  direction  de  MM.  Léon  Dubois  et  Lapon, 
ils  nous  ont  donné  l'occasion  d'entendre  un  assez  grand  nombre  d'œuvres 
symphoniques,  non  seulement  de  maîtres  étrangers,  parmi  lesquels- 
Wagner  tient  toujours  une  large  place  à  côté  de  l'école  française  et  de 
l'école  russe,  mais  aussi  de  compositeurs  belges.  Il  y  en  a  eu  dans  le 
nombre  d'excellentes, notamment  une  Symphonie  ftamande  \Aeine  de  couleur 
et  de  mouvement,  de  M.  Arthur  De  Greef,  et  diverses  compositions  de 
MM.  Dubois,  Agniez,  Lapon,  Jacob,  etc.  Les  concerts  du  Vaux-Hall   ont 


278 


LE  MENESTREL 


aussi  corsé  leurs  programmes  de  parties  vocales  qui  n'en  ont  pas  été  les 
moindres  attractions  ;  on  a  particulièrement  applaudi  M'''=  Dyna  Beumer, 
la  virtuose  très  connue,  M""  Yvel,  de  l'Opéra-Comique,  M""  Rachel  Neyt, 
qui  a  fait  entendre  des  lieder  nouveaux  de  Grieg,  orchestrés  par  M.  De 
Greef;  puis,  M"«s  Gorroy  et  Milcamps,  MM.  Gilibert,  Imbart  de  la  Tour, 
etc..  C'a  été,  pendant  l'été,  le  seul  endroit  où  l'on  ait  fait  de  la  bonne 
musique  à  Bruxelles.  L.  S. 

—  On  assure  qu'il  est  question,  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  de  monter, 
dans  le  courant  de  la  prochaine  saison,  le  Collier  de  aaphirs.  la  pantomime 
jouée  récemment  avec  un  si  vif  succès  au  théâtre  de  Spa.  Le  cas  échéant, 
M.  Pierné,  l'auteur  de  la  musique,  ajouterait  au  second  tableau  un  grand 
divertissement. 

—  On  lit  dans  l'Eventail,  de  Bruxelles  :  «  La  mère  Cosima,  comme  dit 
un  de  nos  plus  spirituels  confrères  (c'est  le  nom  qu'on  donne  irrévéren- 
cieusement, en  Belgique,  à  M"""  veuve  Wagner),  travaille  à  l'achèvement 
d'une  partition  dont  Richard  "Wagner  n'a  composé  que  des  fragments 
telle  est  du  moins  la  nouvelle  stupéfiante  qu'on  mande  de  Bayreuth.  Si 
nous  ne  l'avions  pas  péchée  dans  un  journal  de  musique  très  sérieux, 
nous  n'eussions  pas  osé  l'insérer.  » 

—  A  Vienne,  comme  à  Paris,  on  s'apprête  à  fêter  dignement,  en  dépit 
du  mépris  des  wagnériens  outranciers,  le  centenaire  de  la  naissance  de 
Meyerbeer.  On  donnera  à  cet  effet,  le  o  septembre,  une  représentation 
solennelle  du  Prophète,  entièrement  remonté,  avec  des  artistes  de  premier 
ordre,  même  dans  les  rôles  secondaires.  Des  décors  nouveaux  sont  peints 
expressément,  et,  pour  la  scène  de  la  cathédrale,  le  décorateur  Antoine 
Brioschi  a  copié  fidèlement  et,  parait-il,  d'une  façon  admirable,  l'intérieur 
de  la  célèbre  cathédrale  de  Munster. 

—  L'Opéra  de  Vienne  a  donné  ce  mois-ci  une  représentation  à  la  mé- 
moire de  Liszt.  Le  spectacle  choisi  était  Sainte  Elisabeth,  l'oratorio  du 
maître,  transformé  en  opéra.  Dans  la  dernière  correspondance  musicale 
envoyée  par  M"""  Mathilde  Marchesi  aux  Signale  de  Leipzig,  il  est  question 
de  cette  représentation,  et,  à  cette  occasion,  l'éminente  artiste  publie  les 
anecdotes  suivantes  qu'elle  tient  de  la  bouche  même  de  Liszt  :  II  y  avait 
soirée  musicale  à  la  cour  de...,  connue  pour  son  étiquette  rigoureuse,  et 
Liszt  venait  de  quitter  le  piano  au  milieu  d'acclamations  enthousiastes. 
Les  seigneurs  du  lieu  s'étaient  même  avancés  vers  l'artiste  pour  lui  adresser 
leurs  félicitations.  Puis,  suivis  de  leurs  invités,  ils  se  dirigèrent  du  côté 
de  la  salle  voisine  pour  prendre  des  rafraîchissements,  laissant  Liszt  et 
les  autres  artistes  seuls  dans  le  salon  de  musique.  On  devine  la  stupeur 
du  maître,  mais  sa  résolution  fut  vite  prise.  Tranquillement,  il  se  coifl'a 
de  son  chapeau,  sortit  son  étui  à  cigares,  alluma  un  londrès,  à  l'ébahis- 
sement  des  laquais,  et  sortit  pour  ne  plus  revenir.  —  Une  autre  fois,  il 
fut  invité  à  déjeuner  chez  un  riche  banquier.  Le  repas  terminé,  la  maî- 
tresse de  la  maison  le  pria  de  se  mettre  au  piano.  Il  s'inclina  et  joua, 
ainsi  qu'on  le  lui  demandait  ;  puis,  saluant  respectueusement  son  hôtesse  : 
«  Je  suis  votre  serviteur,  madame,  lui  dit-il,  mon  beefteak  est  payé  !  »  — 
Sa  bienfaisance  envers  les  jeunes  gens  était  proverbiale.  Un  jour,  un 
jeune  homme  se  fit  annoncer  à  lui,  qui  désirait  obtenir  un  secours  pou- 
vant lui  permettre  d'achever  ses  études  de  piano.  —  «  Volontiers,  fit  Liszt 
en  ouvrant  son  piano,  mais  veuillez  me  jouer  quelque  chose.  »  L'épreuve 
terminée,  il  dit  au  jeune  homme,  qui  tremblait  de  tous  ses  membres  : 
o  Comme  artiste  vous  ne  valez  rien,  mais  si  vous  voulez  devenir  cordon- 
1)  nier  ou  tailleur,  je  suis  disposé  à  vous  servir  une  allocation  mensuelle.» 

—  On  nous  écrit  de  Munich  que  l'Opéra  royal  vient  d'engager  pour  trois 
ans  une  toute  jeune  et  ravissante  artiste  polonaise,  M""=  Irène  Abendroth, 
à  laquelle  ses  brillants  débuts  dans  le  Barbier  de  Séville  et  dans  Lucia  di 
Lammermoor  ont  déjà  valu  le  surnom  de  et  fauvette  polonaise  >. .  Le  surin- 
tendant des  théâtres  royaux,  M.  le  baron  de  Perfall,  a  l'intention  de 
monter  Lakmé  avec  M"<=  Abendroth. 

—  Meyerbeer  victime  de  l'amour  !...  Le  docteur  Schuch,  qui  fut  l'ami 
du  maître,  raconte  qu'en  sa  jeunesse,  à  Padoue,  Meyerbeer  inspira  une 
telle  passion  à  la  prima  donna  ttu  théâtre,  que  celle-ci  voulut  absolument 
devenir  sa  légitime  épouse.  Le  jeune  compositeur  résistait  énergique- 
ment,  tout  en  préludant  à  la  représentation  de  son  dernier  opéra,  inti- 
tulé Costanza  e  Romilda,  dont  la  tenace  cantatrice  devait  créer  le  principal 
rôle.  A  la  répétition  générale,  tout  marcha  bien  ;  mais  à  la  première  re- 
présentation, désarroi  complet  :  les  chanteurs  toussent  et  soupirent,  les 
trompettes  attaquent  à  faux,  les  timbales  font  rage  au  milieu  d'un  andante 
amoroso,  les  choristes  s'endorment  contre  les  portants  de  coulisses  ;  grosse 
caisse,  tambour,  triangle  se  livrent  à  d'intempestifs  tutti  :  bref  un  cha- 
rivari complet.  Tout  le  grand  monde  de  Padoue  était  là.  Le  scandale  fut 
monumental,  et  l'opéra  ne  s'en  releva  pas.  La  prima  donna,  dédaignée 
comme  épouse,  avait  admirablement  préparé  tout  cela. 

—  Le  Courrier  du  Rhin  annonce  que  le  D''  Alfred  Stelzner,  de  Wiesbaden, 
vient  d'inventer  un  nouvel  instrument  à  cordes,  nommé  violotta,  qui  tient 
le  milieu  entre  l'alto  elle  violoncelle.  La  cause  de  la  violotta  a  été  prise  en 
mains  par  l'illustre  violoniste  Joachim,  quiaparticipé  dernièrement  à  l'exé- 
cution d'un  quatuor  du  D"'  Stelzner  en  se  chargeant  de  la  partie  de  violotta. 
Le  D"'  Stelzner  se  déclare  en  outre  l'inventeur  d'une  nouvelle  méthode 
pour  construire  les  instruments  à  cordes,  méthode  basée  sur  des  principes 
scientifiques.  Quelques  éclaircissements  sur  la  nature  de  ces  principes  ne 
seraient  pas  mal  accueillis  dans  le  monde  de  la  facture  instrumentale. 


—  Antoine  Rubinstein  est  en  ce  moment  dans  le  Caucase,  aux  environs 
de  Tiflis.  Le  célèbre  maître  doit  aller  passer  la  saison  d'automne  à  Dresde, 
où  il  mettra  la  dernière  main  à  trois  œuvres  qui  le  préoccupent  vivement. 
On  sait  que  Rubinstein  a  commencé  un  oratorio  qui  portera  le  nom  de 
Mom  ;  il  veut,  en  outre,  entreprendre  dans  le  plus  bref  délai  unopéra  dont 
le  livret  sera  tiré  d'un  épisode  de  l'histoire  de  la  Russie. 

—  Voici  que  les  compositeurs  italiens  s'en  prennent  à  notre  Molière, 
et  tentent  ce  que  n'a  jamais  osé  essayer  un  musicien  français.  L'un  d'eux, 
M.  Scarano,  n'a  pas  craint  de  s'attaquer  à  ce  chef-d'œuvre  qui  a  nom 
Tartujfe,  et  vient  de  terminer  une  partition  sur  ce  sujet  traité  en  opéra. 
Nous  verrons  ce  qu'il  en  résultera,  et  si  l'on  pourra  dire  du  compositeur  : 
Audaces  fortuna  juvat . 

—  La  section  académique  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence 
ouvre,  au  nom  du  regretté  pianiste  compositeur  Stefano  Golinellî,  un 
concours  pour  la  composition  d'un  concerto  pour  piano  et  orchestre,  avec 
cette  particularité  que  l'auteur  couronné  sera  tenu  d'exécuter  lui-même 
son  œuvre  dans  une  séance  publique  de  l'Académie.  Le  prix  est  de  600  fr., 
et  le  concours  est  réservé  aux  seuls  compositeurs  italiens  ou  ayant  fait 
leurs  études  en  Italie. 

—  Au  théâtre  de  Mondovi,  on  annonce  la  première  représentation  d'un 
opéra  semi-seria  en  deux  actes,  la  Rapita,  paroles  de  M.  G.-A.  Durante, 
musique  de  M.  A.  Sanfelice.  —  A  l'Alhambra  de  Florence,  on  signale  une 
nouvelle  opérette  mythologique,  Venere  e  Cupido,  avec,  dit  le  Trovatore, 
l'inévitable  cancan.  Mais  on  ne  nous  fait  pas  connaître  les  auteurs  de 
celle-ci. 

—  Le  Conseil  communal  de  Rome,  dit  l'Italie,  doit  être  dans  la  joie.  Il  a 
enfin  trouvé  pour  le  théâtre  Argentina  l'imprésario  rêvé.  Le  marquis  Gino 
Monaldi,  grand  amateur  d'art,  s'est  engagé  à  donner  trente-deux  représen- 
tations au  théâtre  municipal,  et  cela  sans  subvention.  Il  aurait  déjà  en- 
gagé le  ténor  Stagno  et  M"""  Bellincioni.  Le  programme  n'est  pas  encore 
fixé,  mais  on  nous  assure  que  le  premier  opéra  sera  Roberlo  il  Diavolo,  puis 
Giulietta  e  Romeo,  de  Gounod,  nouveau  pour  Rome  ;  ensuite  la  Muta  di 
Porlici  et  le  Nozze  di  Figaro,  ce  délicieux  chef-d'œuvre  classique.  La  saison 
de  l'Argentina  promet  donc  d'être  brillante. 

—  M""  Patti  et  M.  Nicolini  ont  inauguré  dernièrement  leur  théâtre 
privé  de  Graig  y  Nos  devant  un  groupe  d'invités  de  marque.  L'adresse  de 
bienvenue  a  été  récitée  par  l'acteur  Terriss,  remplaçant  M.  Irving,  em- 
pêché. M™«  Patti  s'est  fait  entendre  dans  l'acte  du  jardin  de  Faust  et  le 
premier  acte  de  la  Traviata;  le  lendemain,  dans  des  scènes  de  Marlha  et 
de  Roméo  et  Juliette,  en  compagnie  de  son  mari  et  de  plusieurs  artistes  de 
Londres.  L'orchestre  était  dirigé  par  le  maestro  Arditi. 

—  L'Avenue-Théâtre  de  Londres  doit  donner  très  prochainement  la 
première  représentation  d'une  nouvelle  pantomime,  intitulée  Ycette,  due 
à  deux  auteurs  français,  M.  Fabrice  Carré  pour  le  scénario  et  M.  Gédalge 
pour  la  musique,  et  jouée,  pour  le  principal  rôle,  par  une  actiice  française, 
M"^  Avocat,  de  la  Gaité. 

—  Le  National  Eisteddfod  of  Wales  ou  concours  annuel  de  musique  du  pays 
de  Galles,  vient  d'être  célébré  à  Swansea,  avec  le  cérémonial  d'usage.  Les 
présidents  étaient  le  maire  de  Swansea,  lord  Windsor,  et  le  prince  de 
Battenberg,  remplaçant  M.  Stanley  indisposé.  Il  y  a  eu,  cette  année,  trois 
séries  de  concours  qui  ont  rempli  chacune  une  journée.  La  valeur  des 
objets  d'art  donnés  en  prix  atteignait  la  somme  de  1,400  livres  sterling; 
indépendamment  de  ceux-ci,  il  y  avait  des  médailles  d'or  et  d'argent  en 
quantité,  et  des  prix  en  espèces.  Parmi  les  vainqueurs  des  concours,  on 
cite  les  sociétés  chorales  de  Morriston,  Glantawe,  Llanelly  et  Garnavon  et 
les  sociétés  symphoniques  de  Gardifî  et  Swansea.  Le  prix  du  concours  de 
piano  a  été  remporté  par  miss  Marj'  Howard,  de  Pontypridd,  et  le  révé- 
rend G.  Griffiths  s'est  vu  décerner  un  prix  de  dix  livres  sterling  pour 
son  mémoire  sur  l'Hijmnologie  celtique,  son  histoire,  ses  particularités  et  son 
influence.  Le  lendemain  de  chaque  concours,  il  y  avait  un  concert  avec  la 
participation  des  principaux  artistes  de  Londres  et  du  chœur  de  ï'Eisteddfod, 
dirigé  par  Eos  Morlais.  Les  fêtes,  qui  ont  duré  cinq  jours,  se  sont  ter- 
minées par  l'audition  de  l'oratorio  Emmanuel,  du  D''  J.  Parry,  et  le  cou- 
ronnement du  i  Barde  »  élu  la  veille. 

—  Les  caprices  du  téléphone.  Un  journal  hebdomadaire  de  Londres  ra- 
conte l'histoire  suivante,  dont  il  garantit  l'authenticité.  «Lorsque  fut  achevée 
la  pose  du  cible  téléphonique  reliant  le  bureau  central  de  Londres  au 
château  de  Windsor,  la  reine  Victoria  exprima  le  désir  d'avoir  une 
audition  musicale  par  le  téléphone.  On  commanda  pour  le  soir  même  un 
orchestre  et  un  chanteur.  Par  malheur,  un  accident  survint  au  câble 
dans  le  parc  de  Windsor,  et,  après  une  heure  d'efforts  vains  pour  réta- 
blir la  communication,  le  directeur  du  bureau  central  renvoya  chanteur 
et  instrumentistes.  Tout  à  coup  la  sonnette  d'appel  se  fait  entendre. 
C'est  Windsor  qui  informe  Londres  que  la  voie  est  enfin  libre,  et  que 
Sa  Majesté  est  à  l'appareil,  disposée  à  entendre  l'audition.  Le  directeur 
est  dans  la  plus  grande  perplexité.  Comment  va-t-il  se  tirer  de  là.  Après 
avoir  bien  cherché,  il  s'arrête  à  un  moyen  extrême:  il  chante  lui-même! 
Et  quand  il  a  fini  son  air,  il  sent  que  le  courage  lui  est  revenu  et  il  se 
hasarde  à  demander  :  —  Votre  Majesté  a-t-elle  pu  reconnaître  la  mé- 
lodie ?  —  Parfaitement,  fut  la  réponse.  C'était  God  save  the  queen,  et 
jamais  je  ne  l'ai  entendu  aussi  mal  chanter.  » 


LE  MENESTREL 


279 


—  M.  Harrisson  se  prépare  à  entreprendre,  en  octobre  prochain,  une 
tournée  de  concerts  dans  les  principales  villes  d'Angleterre,  d'Ecosse  et 
d'Irlande,  avec  M™^  Adelina  Patti.  Parmi  les  autres  artistes  engagés 
ligure  M"»  Isabelle  Levallois,  une  remarquable  violoniste,  qui  s'est  acquis 
une  très  grande  réputation  dans  les  pays  d'outre-Manche. 

—  A  l'Alhambra  de  Londres,  première  représentation  d'une  pantomime 
comique  en  un  acte,  le  Sculpteur  et  son  Caniche,  scénario  de  M.  Charles  Lauri, 
musique  de  M.  Mariotti,  qui,  paraît-il,  a  excité,  du  commencement  jusqu'à 
la  fin,  un  fou  rire  général. 

—  On  nous  écrit  de  Berne  :  La  Suisse  est  le  pays  des  grandes  fêtes 
populaires;  mais,  plus  que  jamais,  il  semble  que  ces  fêtes  tendent  à 
revêtir  un  caractère  artistique  qu'on  ne  leur  connaissait  pas  autrefois  ;  la 
musique,  cette  année,  y  a  occupé  une  place  considérable.  Après  les  fêtes 
universitaires  de  Lausanne  et  les  fêtes  séculaires  de  la  Confédération,  qui 
ont  donné  jour  à  deux  œuvres  importantes  pour  chœurs,  soli  et  orchestre, 
les  fêtes  du  sept-centième  anniversaire  de  la  fondation  de  Berne  ont  inspiré 
une  volumineuse  partition  à  IVI.  Munzingen.  Cette  partition  accompagnait 
les  diverses  scènes  de  l'histoire  nationale  représentées  dans  le  «Festspiel» 
écrit  à  cette  occasion  par  M.  Weber.  L'œuvre,  un  peu  grise  dans  son 
ensemble,  ne  manque  cependant  pas  de  grandeur.  Exécutée  par  six  cents 
chanteurs  et  cent  vingt  musiciens,  elle  a  produit  un  grand  effet.  Par  un 
hasard  dû  à  l'heureuse  disposition  de  l'amphithéâtre,  l'acoustique  ne 
laissait  rien  à  désirer  et  les  moindres  détails  de  la  musique  sont  parvenus 
aux  oreilles  des  spectateurs.  A  cette  occasion,  une  merveilleuse  cantatrice, 
M""  Uzielli-Haering,  originaire  de  Genève,  s'est  révélée  comme  une  artiste 
d'un  puissant  tempérament  dramatique.  Elle  joint  à  une  excellente  émis- 
sion une  justesse  parfaite.  Sa  voix  chaude  et  vibrante  a  vivement  ému  la 
foule.  Gomment  se  fait-il  que  nous  ne  l'ayons  pas  encore  entendue  chez 
MM.  Colonne  ou  Lamoureux?  Depuis  quelques  années  elle  fait  triompher 
à  Berlin,  Leipzig,  Francfort,  les  œuvres  de  l'école  française,  qu'elle  in- 
terprète remarquablement.  Paris  consacrera  ce  grand  talent  si,  comme 
nous  l'espérons.  M""  Uzielli  est  engagée  un  jour  pour  nos  grands  concerts 
symphoniques  du  dimanche.  G.  D. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

M.  Massenet  est  rentré  à  Paris  lundi  derni.îr  dans  la  matinée,  après 
une  absence  d'un  mois  II  rapporte,  complètement  terminée,  l'esquisse  du 
ballet  en  un  acte  qu'il  écrit  pour  l'Opéra  de  Vienne,  sur  un  scénario  de 
MM.  de  Roddaz  et  Van  Dyck. 

—  Nos  lecteurs  auront  rectifié  d'eux-mêmes  l'erreur  typographique  qui 
s'est  glissée  dans  une  nouvelle  de  notre  dernier  numéro  concernant 
M.  Ambroise  Thomas.  C'est  quatre-vingtième  anniversaire  qu'il  faut  lire, 
et  non  quatre-vingt-sixième,  ainsi  qu'on  nous  l'a  fait  écrire.  L'étonnante 
verdeur  de  l'illustre  maître  n'en  est  pas  d'ailleurs  à  quelques  années  près, 
et  tout  fait  espérer  que  son  quatre-vingt-sixième  anniversaire  le  trouvera 
toujours  aussi  actif  et  aussi  vaillant  qu'il  l'est  aujourd'hui. 

—  M.  Van  Dyck  est  arrivé  à  Paris  le  samedi  22  et,  à  peine  débarqué 
du  chemin  de  fer,  s'est  rendu  à  l'Opéra,  où  l'on  répétait  précisément  les 
ensembles  de  Lohengrin,  M.  Affre  tenant  le  rôle  de  Lohengrin.  M.  Van  Dyck, 
qui  possède  merveilleusement  les  traditions  de  l'ouvrage  de  Wagner,  n'a 
pas  semblé  absolument  satisfait  des  mouvements  adoptés,  et  tout  le  long 
travail,  élaboré  non  sans  peine  par  M.  Lamoureux,  s'est  donc  trouvé  à 
refaire  en  grande  partie.  On  a  travaillé  toute  la  semaine  avec  une  furia 
extraordinaire,  répétant  même  les  soirs  de  représentations;  mais  la  date 
fixée  n'a  pu  être  maintenue.  On  parle  maintenant,  bien  que  les  décors 
soient  prêts,  on  les  a  tous  équipés  dimanche,  du  7  septembre  comme  très 
probable.  La  première  répétition  d'ensemble,  avec  mise  en  scène,  est 
annoncée  pour  le  mardi  1"  septembre.  En  attendant,  M.  Lamoureux,  non 
content  de  bouleverser  les  cadres  des  instrumentistes  et  des  choristes, 
avec  l'autorisation  du  ministère,  dit  il,  a  fait  encore  modifier  l'élévation 
du  plancher  de  l'orchestre.  Il  parait  que  la  hauteur  rectifiée  dernièrement 
par  MM.  Gailhard  et  Vianesine  vaut  rien,  et  on  a  surélevé.  Bien  entendu, 
la  disposition  des  pupitres  est  changée  aussi;  M.  Lamoureux  conduira 
l'orchestre  comme  il  en  a  l'habitude  à  l'Odéon  :  il  aura  tous  ses  musiciens 
sous  les  yeux;  c'est  à  peine  s'il  aura  quelques  violons  derrière  lui. 

—  Lohengrin  n'a  pas  encore  vu  le  grand  jour  de  la  rampe  et  voici  que 
[déjà  des  accidents  se  produisent.  C'est  M.  Gailhard  lui-même  qui,  cette 

emaine,  pendant  une  repétition,  a  été  la  victime  d'un  de  ces  accidents, 
ant  le  combat  entre  MM.  Van  Dyck  et  Renaud,  il  a  saisi  un  bou- 
clier dont  le  bord  était  coupant  et,  en  l'élevant  brusquement  devant  son 
visage,  il  s'est  blessé.  Le  fer  a  coupé  les  chairs  et  les  muscles  du  nez  ; 
une  hémorragie  abondante  s'en  est  suivie.  On  a  dû  transporter  M.  Gailhard 
chez  lui;  le  médecin  a  rapproché  les  chairs  et  fait- la  suture  nécessaire. 
M.  Gailhard  va  se  trouver  condamné  à  plusieurs  jours  de  repos. 

—  On  sait  que  c'est  M.  Van  Dyck  qui  doit  créer  cet  hiver,  à  Vienne,  le 
Werther  de  M.  Massenet.  Dès  après  la  première  représentation  de  Lohengrin, 
il  se  mettra  à  la  disposition  de  M.  Massenet  pour  travailler  avec  lui  non 
seulement  son  rôle,  mais  encore  la  partition  eiitière  pour  pouvoir  indi- 
quer bien  exactement,  lors  des  premières  répétitions,  toutes  les  intentions 
de  l'auteur. 

—  Le  programme  de  nos  théâtres  pour  la  saison  qui  s'ouvre.  A  l'Opéra, 
MM.   Ritt    et  Gailhard   nous  ont  déjà    fait  savoir  qu'ils  termineront    la 


dernière  année  de  leur  exploitation  avec  Lohengrin  et  le  répertoire ,  et 
qu'ils  donneront  l'opéra  de  Bourgault-Ducoudray ,  Tamara.  Quant  à 
M.  Bertrand,  qui  prendra  possession  du  théâtre  à  partir  du  1"  janvier,  la 
première  nouveauté  dont  il  compte  s'occuper  est  la  Salammbô  de  M.  Ernest 
Reyer.  Viendra  ensuite  un  ballet  tiré  de  Don  Quichotte,  pour  M"'  Mauri, 
qui  sera  donné  soit  avec  la  Prise  de  Troie,  de  Berlioz,  soit  avec  Fidelio,  de 
Beethoven.  Puis  viendra  le  tour  d'Hérodiade,  qui  sera  bientôt  suivie  d'un 
ballet  pour  M"=  Subra.  Un  opéra  nouveau  sera  donné  dans  le  courant  de 
l'année  1892. 

Al'Opéra-Gomique,  la  réouverture  se  fera  mardi  prochain,  1"  septembre, 
avec  le  Héve,  de  M.  Bruneau.  Dès  le  lendemain  mercredi,  aura  lieu  la 
reprise  de  Lakmé,  du  regretté  Delibes,  qui  alternera  avec  le  Rêve  pendant 
les  premiers  jours.  On  préparera  ensuite  une  brillante  reprise  de  Manon,  de 
M.  Massenet,  pour  M"'  Sibyl  Sanderson  (la  pièce  doit  passer  le  1"  no- 
vembre), et  l'œuvre  nouvelle  de  MM.  Bergerat,  Wilder  et  Chapuis,  Enguer- 
rande,  qui  doit  passer  en  octobre.  On  s'occupera  ensuite  de  la  Cavalleria 
rusticana,  de  M.  Mascagni ,  pour  qui  M.  Carvalho  a  engagé  la  créatrice, 
M"=  Calvé,  et  de  h'assya,  l'œuvre  posthume  de  Léo  Delibes.  En  dehors  de 
ce  programme  et  avec  lui  figurent  Carmosine,  de  M.  Poise,  et  les  Troyens,  de 
Berlioz,  qui  seront  montés  avec  le  concours  de  la  Société  des  grandes  audi- 
tions musicales.  Quant  aux  matinées  du  dimanche,  si  recherchées  par  la 
jeunesse  des  écoles,  elles  seront  reprises  dès  le  troisième  dimanche  de 
septembre. 

A  l'Odéon,  M.  Porel,  qui  vient  de  publier  le  programme  très  intéressant 
de  sa  saison,  compte  faire,  cette  fois  encore,  diverses  incursions  dans  le 
domaine  musical.  Tout  d'abord,  il  annonce  la  mise  à  la  scène  de  St'uensée. 
le  drame  de  Michel  Béer,  traduit  par  M.  Jules  Barbier,  avec  la  superbe 
musique  de  Meyerbeer  ;  puis  il  promet  une  traduction  en  prose  de 
VOthello  de  Shakespeare,  en  dix  tableaux,  et  une  adaptation  du  Faust  de 
Gœthe,  vers  et  prose,  en  douze  tableaux,  l'une  et  l'autre  avec  une  partie 
musicale  importante,  dont  la  première  est  due  à  M.  Henri  Maréchal. 
L'orchestre  et  les  chœurs  seront,  comme  par  le  passé,  ceux  de  M.  La- 
moureux. 

—  Voici  maintenant,  en  ce  qui  concerne  la  musique,  les  projets  de  nos 
scènes  de  genre.  La  Gaité  se  propose  de  monter  une  pièce  à  grand  spec- 
tacle, le  Voyage  en  Amérique,  de  MM.  Chivot  et  Vanloo.  avec  musique  de 
M.  Léon  Vasseur.  Les  Bouffes-Parisiens  monteront  Eros,  opéra-comique  de 
MM.  J.  Noriac  et  Jaime,  mis  en  vers  par  M.  Maurice  Bouchor,  musique 
de  M.  Paul  Vidal,  qui  sera  suivi  d'une  pièce  en  trois  actes  de  M.  Maxime 
Boucheron,  musique  de  M.  Audran.  A  la  Renaissance,  dont  la  réouver- 
ture se  fera  par  une  revus,  on  compte  donner  ensuite  une  opérette  en 
trois  actes  et  cinq  tableaux.  Mademoiselle  Asmodée,  paroles  de  M.  Paul  Fer- 
rier,  musique  de  M.  Victor  Roger.  Enfin,  aux  Folies-Dramatiques,  M.  Vi- 
zentini,  qui  ne  perd  pas  son  temps,  a  l'intention  de  monter  successive- 
ment le  Mitron,  vaudeville-opérette  en  trois  actes,  de  MM.  Maxime  Bou- 
cheron et  Antony  Mars,  musique  de  M.  André  Martinet,  pour  les  représen- 
tations de  M™"  Grisier-Montbazon  ;  Cliquette,  comédie-vaudeville  en  trois 
actes,  de  M.  William  Busnach,  avec  airs  nouveaux  de  M.  Varney,  pour 
la  rentrée  de  M.  Gobin  ;  la  Fille  à  Fanchon,  opéra-comique  en  trois  actes, 
de  M.  Armand  Liorat,  partition  de  M.  Louis  Varney,  dans  lequel  M"=  Zélo 
Duran  et  M.  Larbaudière  feront  leur  rentrée  ;  la  Cocarde  tricolore,  opérette 
en  trois  actes,  d'après  la  pièce  portant  le  même  titre  des  frères  Cogniard, 
musique  de  M.  Robert  Blanquette. 

—  M"e  Hartmann,  premier  accessit  de  tragédie  aux  derniers  concours 
du  Conservatoire,  vient  de  signer  un  engagement  avec  l'Odéon. 

—  M""ï  Auguez,  la  charmante  artiste  de  l'Opéra-Comique,  quitte  pour  la 
seconde  fois  ce  théâtre  et  va  tenter  une  nouvelle  apparition  sur  une  de 
nos  scènes  de  genre  :  elle  est  engagée  aux  Variétés  à  partir  du  !«'■  sep- 
tembre. 

—  L'un  de  nos  jeunes  musiciens  les  mieux  doués  et  les  plus  distin- 
gués, l'un  de  ceux  qui  se  font  remarquer  par  les  tendances  élevées  de 
leur  esprit  et  leurs  recherches  des  horizons  nouveaux,  M.  Arthur  Goquard, 
vient  de  publier  sous  ce  titre  :  De  la  musique  en  France  depuis  Rameau 
(Galmann  Lévy,  éditeur),  un  livre  qui  n'est  point  sans  intérêt  et  qui  est  la 
mise  au  point  du  mémoire  présenté  par  lui  à  l'Académie  des  beaux-arts 
sur  ce  sujet  mis  au  concours  par  l'illustre  oompagnie  :  «  De  la  musique 
en  France  et  particulièrement  de  la  musique  dramatique,  depuis  le  milieu 
du  dix-huitième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  en  y  comprenant  les  œuvres  des 
compositeurs  étrangers  jouées  ou  exécutées  en  France.  »  L'Académie  des 
beaux-arts  semble  avoir  cette  spécialité  de  tracer  des  programmes  d'une 
largeur  exceptionnelle  et  d'une  rare  envergure,  en  ne  laissant  aux  con- 
currents dont  elle  provoque  les  travaux  qu'un  temps  manifestement  in- 
suffisant pour  les  remplir.  Celui-ci  ne  comprenait  guère  autre  chose,  en 
effet,  qu'une  histoire  générale  et  complète  de  la  musique  en  France  pen- 
dant l'espace  de  cent  cinquante  ans  environ,  et  l'on  avouera  que  la  tâche 
était  d'autant  plus  ardue  qu'elle  accordait  une  année  aux  concurrents  pour 
un  travail  qui,  pour  un  écrivain  tout  d'abord  bien  outillé  au  point  de  vue 
de  la  mémoire  et  des  documents,  en  exigerait  au  moins  cinq  ou  six  pour 
être  bien  préparé,  bien  dirigé  et  bien  mis  eu  œuvre.  Il  n'est  donc  pas 
étonnant  que  le  livre  de  M.  Coquard,  en  dépit  de  ses  réelles  qualités  et 
de  l'intérêt  qu'il  présente,  soit  incomplet  dans  son  ensemble,  présente  de 
fâcheuses  lacunes  et  ne  nous  donne  qu'une  vue  très  superficielle  de  l'his- 
toire et  de  l'état  de  la  musique  française  pendant  la  période  indiquée.  Le 


280 


LE  MÉNESTREL 


principal  défaut  de  ce  livre  est  de  manquer  d'aplomb  et  d'équilibre.  Il  y 
parait  très  évident  que  l'auteur  n'a  pas  eu  le  temps  de  lire  ou  de  relire 
l'énorme  quantité  de  musique  qu'il  faut  absolument  connaître  et  savoir 
pour  écrire  un  ouvrage  de  ce  genre.  De  là,  certains  jugements  hâtifs  ou 
incomplets,  prenant,  dans  la  rapidité  forcée  du  récit,  un  caractère  en 
quelque  sorte  absolu  qui  n'est  point  sans  quelque  danger.  Ainsi  en  ce 
■  qui  concerne  Dauvergne,  l'auteur  des  Troqneurs,  dont  la  valeur  est  beau- 
coup plus  grande  que  ne  le  semble  croire  M.  Coquard,  et  aussi  Catel,  qui 
était  presque  un  musicien  de  génie,  et  Philidor,  qui  en  était  un  véritable, 
•et  dont  il  paraît  n'avoir  jamais  lu  une  note.  Et  quand  on  voit  les  noms 
•de  musiciens  aussi  aimables  que  Délia  Maria,  Mengozzi,  Floquet,  sans 
■compter  Marais,  Lemoyne,  Méreaux  et  quelques  autres,  absents  complète- 
■ment  du  livre  de  M.  Coqiiard,  on  se  demande  ce  qu'y  vient  faire,  par 
exemple,  celui  de  M.  Serpette,  qui,  avouons-le,  n'appartient  guère  à  l'bis- 
'toire  de  la  musique.  Ce  qu'il  faut  louer  dans  ce  livre,  c'est  l'esprit  dont 
'il  est  animé,  ce  sont  les  bonnes  traditions  qu'il  représente,  c'est  enfin  le 
'respect  très  louable  avec  lequel  y  sont  en\isagés  les  travaux  de  nos  mu- 
•«iciens,  bien  que  je  ne  sois  pas,  pour  ma  part,  toujours  d'accord  avec 
'l'écrivain  en  ce  qui  concerne  les  jugements  portés  sur  quelques-uns 
■d'entre eux,  particulièrement  Boieldieu,  Cherubini  etHerold,  dont  la  valeur 
■me  paraît  plus  grande  que  celle  qu'il  prétend  leur  donner.  Son  travail, 
je  l'ai  dit,  me  semble  trop  hàtif  par  le  fait  des  conditions  qui  lui  ont 
donné  naissance,  mais  il  a  du  moins  pour  qualités  la  conscience  artis- 
tique, le  respect  de  soi-même  et  un  sentiment  élevé  des  véritables  condi- 
-tions  de  l'art.  A.  P. 

—  M"=  Henrion,  l'excellent  professeur  de  chant,  s'est  vu  décerner  une 
■médaille  d'argent  au  concours  de  composition  de  la  Revue  littéraire,  à 
Toulouse. 

—  Très  belle  solennité  musicale  le  25  août  dans  l'église  Notre-Dame, 
•  d'Etretat.  Faure,  notre  grand  chanteur,  a  bien  voulu  prêter  son  précieux 

concours  pour  venir  en  aide  aux  pauvres  du  pays,  et  il  n'est  pas  besoin 
de  dire  que  si  le  succès  artistique  a  été  colossal,  le  succès  financier  ne 
lui  a  cédé  en  rien.  Le  remarquable  artiste,  toujours  aussi  en  voix  que 
dans  les  plus  beaux  jours,  a  dit  merveilleusement  un  Agnus  Dei  de  Mo- 
zart, son  0  Salularis,  avec  M.  Blum  son  Crucifix,  et  avec  M""  Delaquer- 


rière,  de  Miramont  et  M.  Blum  le  trio  de  Curschmann,  Ti  prego,  madré 
fia.  M""  Miramont-Delaquerrière  a  fait  admirer,  seule,  le  charme  de  sa 
belle  voix  et  sa  maestria;  M""^  Renié,  l'exquise  harpiste,  dont  on  se 
rappelle  le  succès  aux  concours  du  Conservatoire  d'il  y  a  deux  ans,  a  tenu 
son  auditoire  sous  le  charme,  ainsi  que  MM.  Baretti,  un  excellent  violo- 
niste, Brehmer  et  Houfflack.  Grand  et  légitime  succès. 

—  On  annonce  que  M.Gustave  Lelong,  chef  d'orchestre  de  l'Association 
artistique  d'Angers,  vient  d'être  nommé  directeur  du  Conservatoire  de 
Bordeaux,  en  remplacement  de  M.  Henri  Gobert,  décédé. 

—  Les  concerts  Vauban,  de  Lille,  placés  sous  l'habile  direction  de 
M.  0.  Petit,  viennent  de  clôturer  leur  saison  d'été.  M""!  Tarquini  d'Or  et 
M.  Victor  Staub  défrayaient  le  programme,  et  on  a  fait  ovations  sur  ova- 
tions aux  deux  excellents  artistes.  M°"=  Tarquini  d'Or  a  délicieusement 
chanté  la  romance  de  Mignon  et  les  Ailes,  de  Louis  Diémer,  et  M.  Staub  a 
joué  en  véritable  artiste  la  grande  Valse  de  concert  et  le  Chant  du  nautonier, 
de  Louis  Diémer  également. 

—  Charmante  soirée  dimanche  dernier,  au  Mont-Dore.  M.  Léon  Delatosse 
a  eu  un  très  grand  succès  dans  plusieurs  pièces  qu'il  a  magistralement 
interprétées,  ainsi  que  M°"^  Gonneau,  qui  avait  bien  voulu  se  faire  entendre. 

—  On  nous  écrit  de  Gapvern-les-Bains  :  Très  intéressant  salut  en  mu- 
sique à  la  chapelle  de  la  localité.  Le  Crucifix  et  les  Rameaux,  de  Faure, 
chantés  par  l'abbé  M...  et  l'abbé  F...  accompagnés  et  soutenus  par  l'har- 
monium et  l'éloquent  violon  de  M.  Gh.  Dancla.  La  quête  pour  les  pauvres  a 
été  fructueuse. 

NÉCROLOGIE 
De  Londres,  on  annonce  la  mort  d'un  pianiste-compositeur  italien  fort 
distingué,  Angelo  Gunio,  depuis  longtemps  fixé  comme  professeur  en 
cette  ville  d'abord,  à  Edimbourg  ensuite.  Il  était  né  à  Vigevano  et  avait 
fait  ses  études  musicales  au  Conservatoire  de  Milan,  où  il  était  entré  en 
1848  pour  en  sortir  en  1852.  Il  avait  publié,  tant  à  Paris  qu'à  Milan  et  à 
Londres,  un  grand  nombre  de  compositions  pour  son  instrument,  qui  se 
faisaient  remarquer  par  l'élégance  de  la  forme  et  la  grâce  de  l'inspiration. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Paris,    AU    MENESTREL,    2 


rue    Vivienne,    HEXJOEL    et    C^ 


Editeurs. 


EXTRAIT  DU  CATALOGUE  DES  ŒUVRES  POUR  PIANO 

CH.    NEÙSTEDT 


BLUETTES  MUSICALES 

SOLOS   DE   CONCOURS 
(faciles) 

.J.  Gavotte  du  Bon  Vieux  Temps 3  » 

.2.  Andantino  de  Sonatine 3  » 

3.  Menuet  d'Enfants 3  » 

i.  Deuxième  Thème  varié 3  » 

■g.  Rondo  brillant 3  » 

6.  Chasse  à  courre 3  » 

:7.  Simple  Chanson 3  » 

8.  Menuet  du  Petit  Trianon 3  » 

9.  Chanson  hongroise 3  » 

10.  Souvenir  d'Enfance 3  » 

11.  Rondo  de  Sonatine 3  » 

A-2.  Ronde  de  Nuit 3  « 

13.  Berceuse  de  Bébé 3  » 

14.  Les  Cloches  du  Couvent 3  » 

.15.  Tyrolienne  variée 3  » 

.16.  Rondo  villageois 3  » 

17.  Petite  Peureuse 3  » 

18.  Pavane  Pompadour 3  » 

.19.  Canzonetta 3  » 

20.  Chanson  de  Chasse 3  » 

PENSÉES  MUSICALES 

1.  Pavane 5  » 

2.  Chanson  d'autrefois o  » 

3.  Sérénade  espagnole g  » 

4.  Gigue g  » 

j.  Simple  Mélodie g  » 

\).  Chaconne g  » 

TRANSCRIPTIONS  CLASSIQUES 

1.  Romanc3  de  Wedeu 3  7g 

2.  Sonatine  de  Beetuove.v 6  » 

3.  Les  Saisons  de  Haydn g  » 


i.  La  Romanesca 4 

5.  Andante  de  Mozart 6  » 

6.  AUegro-Agitato  de  Mendelssohn 6  a 

7.  Chaconne  de  Haendel 5  » 

COURS  DE  PIANO 

ÉLÉMENTAIRE    ET    PROGRESSIF 

1.  Méthode  de  Piano 12  » 

2.  Gymnastique  des  Pianistes 9  » 

3.  Le  Progrès  (vingt-cinq  études  pour  les  petites  mains) 12  » 

4.  Vingt-cinq  Etudes  de  Mécanisme 12  » 

5.  Vingt-cinq  Etudes  de  Vélocité 15  » 

6.  Vingt-cinq  Etudes  Variations  classiques  .   .  ' 12  » 

7.  Préludes  Improvisations  (1''  Livre) 6  » 

8.  Préludes  Improvisations  (2=  Livre) 9  » 

Trois  Concertinos  (Solos  de  Concours) chaque    g  » 

Trois  Sonatines                  d"                    chaque    5  » 

Thème  varié                     d"                     S  » 

Première  Rêverie 5  » 

Deuxième  Nocturne 5  » 

Primavera  (i'  Idylle) 5  » 

Fête  des  fiançailles 5  » 

La  Ballerina  (Air  de  ballet) 5  » 

Harpe  éolienne 6  » 

Carillon  de  Louis  XIV 5  » 

i>  .')  à  quatre  mains 7  SO 

»               »      Orchestre  complet  net 2  » 

Pavane,  Orchestre  net 2  » 

Romance  de  Garai 5  » 

Marche  de  Rakocsy 5  i> 

»  »        à  quatre  mains 7  50 

Fantaisie  sur  Obéron 7  50 

Fantaisie  sur  Sylvana 7  50 


UERI£  CE\TBALE  I 


X,  -20. 


:   BEBGHB£,   PARIS. 


Dimanche  6  Septembre  I89i. 


3153  -  57-  ANNÉE  -  N"  36.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIEE-TESTE 


\.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (24°  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Une  dynastie  dansante,  Arthur  Pougin  ; 
première  représentation  de  Madame  Agnès,  au  Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier. 

III.  Histoire  anecdotique   du   Conservatoire  (5°  article),  André  M.iRTiNET.   — 

IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

POUR    VOUS  ! 

nouvelle  mélodie  de  Paul  Rougnon,  poésie  de  Roger  Miles.  —  Suivra 
immédiatement  :  Défi  !  nouvelle  mélodie  de  Joanni  Perronnet,  poésie 
d'AniÉLiE  Perronnet. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO;  Gaillarde,  de  V.  Douietsch.  —  Suivra  immédiatement:  Tricotels, 
de  Broustet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A.llbert  SOTJBIJES   ©t  Charles   M:A.LHEnBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  III 

TROIS  PIÈCES  CENTENAIRES  :  Le  Voyage  en  Chine,    Mignon, 
le  Premier  Jour  de  bonheur. 

(1865-1868) 
(Suite.) 

Cette  année-là,  on  devine  que  les  fêtes  du  15  août  furent 
brillantes,  et  les  cantates  d'usage  applaudies.  A  l'Opéra- 
Comique,  celle  de  1863  s'appelait  France  et  Algérie,  paroles  de 
Jules  Adenis,  musique  d'Adrien  Boieldieu  ;  celle  de  1866,  les 
3Ioissonneiirs,  paroles  de  Boys,  musique  de  M.  Ferdinand  Poise; 
celle  de  1867,  Paris  en  i861 ,  paroles  de  Gustave  Ghouquet, 
musique  de  M.  Laurent  de  Rillé,  cantate  chantée  par  M"« Marie 
Rôze,  M.  Crosti  et  les  chœurs  de  l'Opéra-Comique  au.xquels 
s'étaient  joints,  pour  l'ensemble  final,  «  l'Hymne  à  la  Paix  » 
cent  orphéonistes  de  la  Société  des  Enfants  de  Lutèce.  M.  J. 
Massenet  avait  écrit,  lui  aussi,  sur  des  paroles  de  M.  Jules 
Adenis,  une  cantate  pour  le  Théâtre-Lyrique,  Paix  et  Liberté, 
dont  le  manuscrit,  transporté  plus  tard  à  l'Opéra-Comique,  a 
malheureusement  disparu  dans  l'incendie,  sans  que  l'auteur 
en  eût  conservé  copie.  Rossini,  enfin,  le  vieux  Rossini  ne 
dédaignait  pas  ce  genre  de  besogne  «  ofiicielle  >-,  composant, 
pour  la    distribution  des  récompenses  au  Palais  de    l'Indus- 


trie, son  hymne  dédié  «  à  Napoléon  III  et  à  son  vaillant 
peuple  »,  morceau  bizarre  sur  le  manuscrit  duquel  se  trouve, 
au-dessous  de  la  mention  :  «  avec  accompagnement  de  mu- 
sique symphonique,  de  musique  militaire  et...  de  canons  », 
le  fameux  «  Excusez  du  peu!  »  tant  de  fois  cité  depuis. 

C'était  la  dernière  œuvre  d'un  maître  dont  les  jours  étaient 
comptés,  puisqu'il  mourait  le  13  novembre  1868,  après  avoir 
vu,  le  10  février,  l'Opéra  donner  la  500'*  représentation  de 
son  chef-d'œuvre,  Guillaume  Tell.  Une  couronne  d'or  lui 
avait  été  offerte  à  cette  occasion,  et  tout  le  personnel, 
artistes,  orchestre  et  chœurs,  était  venu  lui  donner  une  séré- 
nade, dans  la  cour  de  sa  maison  de  la  Chaussée-d'Antin, 
ainsi  qu'il  lui  était  arrivé,  trente-neuf  ans  auparavant,  à 
l'issue  de  la  première  représentation. 

Ce  même  soir,  l'Opéra-Comique  affichait  la  856<^  représen- 
tation du  Chalet  et  la  1166'*  de  la  Dame  blanche  et,  treize  jours 
aprè?,  un  autre  illustre  vieillard,  Auber,  donnait  encore  un 
ouvrage  nouveau  qui  allait  être  le  grand  succès  de  l'année. 
A  Paris  le  Premier  Jour  de  bonheur,  à  Munich  les  Maîtres  Chan- 
teurs de  Nuremberg,  voilà  le  curieux  contraste  qu'offre  en 
1868  l'histoire  musicale  de  deux  peuples  qui  naguère  se 
traitaient  en  amis,  et  que  la  guerre  devait,  quelques  mois 
plus  tard,  jeter  l'un  contre  l'autre,  aux  jours  sombres  et  dou- 
loureux de  l'Année  terrible. 

CHAPITRE  IV 

AVANT     LA     GUERRE 

1868-1870. 

Cette  période  est  une  des  moins  brillantes  qu'ait  traversées 
la  salle  Favart.  C'est  la  fin  d'un  régime  politique  qui  s'ef- 
fondre dans  la  plus  terrible  des  guerres;  c'est  la  fin  d'une 
direction  qui  voit,  le  20  janvier  1870,  M.  Du  Locle  prendre 
à  côté  de  M.  de  Leuven  la  place  de  M.  Ritt  comme  associé, 
substitution  grosse  de  conséquences  pour  l'avenir;  c'est  presque 
même  la  fin  d'un  genre  musical,  en  ce  sens  que  le  succès  se 
détourne  de  plus  en  plus  des  œuvres  applaudies  naguère. 
L'heure  n'a  pas  encore  sonné  d'une  révolution  artistique  ; 
mais  déjà  le  public  se  lasse  des  formes  consacrées  et  aspire 
vaguement  à  quelque  renouveau.  De  là  sa  froideur,  de  là 
cette  longue  hécatombe  de  pièces,  qu'elles  soient  longues  ou 
courtes,  qu'elles  soient  tristes  ou  gaies,  qu'elles  soient  écrites 
par  de  nouveaux  venus,  comme  Samuel  David,  M'""  de 
Grandval,  Nibelle,  Emile  Pessard,  ou  par  des  auteurs  connus 
comme  Offenbach,  Poise,  Semet,  Bazin,  Guiraud  et  même 
Auber,  dont  le  Rêve  d'amour  ne  fut,  pour  ainsi  dire,  que  le 
rêve  d'un  jour.  A  cette  règle  de  l'insuccès,  deux  ouvrages 
seuls  font  exception  :  l'un,  qui  ne  saurait  compter  à  l'actif 
de  la  salle  Favart,  puisqu'il  était  déjà  centenaire  avant  d'y 
entrer,  les  Dragons  de  Villars  ,  l'autre,  qui  est  joué  en  1870,  à 


282 


LE  MENESTREL 


la  veille  de  la  guerre  franco-allemande,  et  qui,  par  une 
singulière  ironie  du  sort  avait  pour  auteur  un  Allemand, 
l'Ombre,  de  Flotow. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  la  troupe,  qui  ne  tende  à  se  transformer 
comme  le  répertoire  lui-même;  rarement,  en  effet,  départs 
et  débuts  ont  été  aussi  nombreux.  Signalons  parmi  les  artistes 
qui  cessent  d'appartenir  au  tbéâtre  :  en  1868,  outre  M'™  Ca- 
simir, dont  nous  avons  déjà  parlé;  Montaubry,  qui  chanta 
pour  la  dernière  fois  Robiuson  Crusoé  le  '13  février,  et,  ayant 
résilié  moyennant  un  dédit  de  30,000  francs  à  lui  payés,  se 
dirige  vers  Toulouse,  où  il  prétend  tenir  non  seulement  les 
rôles  de  son  emploi,  mais  encore  ceux  de  Faust  et  de  Roméo, 
malgré  le  fâcheux  état  de  sa  voix  ;  M'™  Ferdinand  Sallard,  qui 
revient  le  5  juillet  pour  donner  quelques  représentations  de 
Ga?ortee  et  prend  bientôt  le  chemin  de  Bruxelles;  M"''  Léon 
Duvat,  engagée  au  Théâtre-Lyrique  ;  Vois,  qui  joue  l'année 
suivante  à  Bordeaux;  M"^  Marie  Rôze,  qui  se  retire  au  mois 
de  juillet  pour  compléter,  nous  l'avons  dit,  ses  études  vocales 
avec  son  maître  Wartel,  et  qu'on  revoit  en  1870;  Lhérie,  qui 
subit  avec  le  «  Ra  ta  plan  »  des  Huguenots  une  audition  à 
l'Opéra,  et  finalement  signe  avec  les  directeurs  de  Marseille 
et  de  Lyon;  Nathan,  qui  passe  en  septembre  de  la  salle 
Favart  aux  Bouffes-Parisiens  et  Crosli,  qui  s'embarque  pour 
l'Angleterre;  —  en  1869,  M"*  Heilbron,  qui  émigré  une  saison 
à  La  Haye  et  revient,  il  est  vrai,  au  printemps  suivant  ; 
M"''  Tuai,  qui  fait  la  navette  entre  le  Théâtre-Lyrique  et  la 
salle  Favart,  car  elle  reparait  le  13  mai  1868  à  la  place  Boiel- 
dieu  pour  chanter  le  rôle  de  Louise  dans  les  Rendez-vous 
bourgeois  et  se  retire  avec  l'année  de  la  guerre  ;  M"""  Gabel, 
que  l'état  de  sa  santé  oblige  à  quitter  la  scène;  M'"^  Derasse, 
engagée  à  Bruxelles;  M"*  Brunet-Lafleur,  qui,  le  14  novembre 
précédent,  avait  épousé  un  compositeur  de  musique,  M.  Ar- 
mand Roux,  et  qui  passe  au  Théâtre-Lyrique,  oîi  elle  va 
créer  un  des  principaux  rôles  de  la  Bohémienne,  de  Balfe  ;  — 
en  1870,  M""=  Ugalde,  qui  redisparait,  à  peine  rentrée  !  enfla, 
Sainte-Foy  qui,  bien  avisé,  choisit,  pour  se  produire  à  Saint- 
Pétersbourg,  l'année  même  où  la  guerre  allait  fermer  à  Paris 
les  portes  de  son  cher  théâtre.  Si  l'on  ajoute  à  tous  ces  noms 
ceux  des  artistes  que  la  modestie  de  leur  talent  empêchait 
de  rester  attachés  à  la  scène  sur  laquelle  ils  avaient  débuté, 
on  comprendra  de  quelle  importance  fut  en  ces  trois  années 
le  mouvement  du  personnel. 

Qu'on  en  juge  par  ce  seul  fait  que  1868  n'amena  pas  moins 
de  sept  nouvelles  recrues  à  1^  salle  Favart  :  le  2  mars,  dans 
Zampa,  M.  Hayet,  un  ténor  qui  venait  de  province  après  avoir 
appartenu  jadis  à  l'Opéra,  et  dont  l'apparition  fut  assez  mal- 
heureuse pour  n'avoir  pas  de  lendemain;  le  5  juin,  dans  les 
Dragons  de  Villars  (rôle  de  Bélamy),  M.  Barré,  qui  venait  du 
Théâtre-Lyrique,  où  l'on  avait  applaudi  déjà  sa  bonne  voix  de 
baryton  et  son  jeu  intelligent;  le  2S  juillet,  dans  Galathée  (rôle 
de  Midas)  et  le  3  novembre  dans  Mignon  (rôle  de  Frédéric), 
MM.  Lignel  et  Baretti,  un  trial  et  un  ténorino  dont  la  carrière 
n'a  pas  eu  d'éclat;  le  19  septembre,  dans  le  Premier  Jour  de 
Bonheur  (rôle  de  Djelma)  et  le  1"  novembre  dans  le  Chalet{eôle 
de  Betly),  M"''  Morisset  et  M'"'  Guillot,  toutes  deux  sortant  du 
Conservatoire,  où  elles  venaient  d'obtenir  les  mêmes  récom- 
penses, un  premier  prix  d'opéra-comique  et  un  deuxième 
prix  de  chant,  toutes  deux  bien  accueillies,  la  première  pour 
sa  beauté,  qui  l'emportait  sur  son  talent,  la  seconde  pour  sa 
voix  sympathique  et  flexible,  qui  lui  permit  de  tenir  hono- 
rablement plusieurs  rôles  du  répertoire  et  de  faire  même, 
l'année  suivante,  quelques  créations;  enfln,  le  28  novembre, 
dans  le  Corricolo  (rôle  de  Gaston  de  Nerville),  M.  Charles 
Laurent,  un  ténorino  qui  venait  des  Fantaisies-Parisiennes 
et  dont  les  moyens  parurent  d'autant  plus  petits  que  le  nou- 
veau cadre  était  plus  grand. 

Il  arrive  souvent,  dans  les  théâtres  lyriques,  que  lorsqu'on 
monte  l'ouvrage  nouveau  d'un  compositeur  passé  maître, 
on  lui  fait  la  politesse  de  reprendre  un  de  ses  ouvrages 
anciens;  nous  l'avons  pu  vérifier  maintes  fois,  au  cours  de 


notre  récit.  Pour  Auber  en  particulier,  on  manquait  rarement 
à  cet  acte  de  courtoisie.  C'est  ainsi  que,  cinq  semaines  après 
le  Premier  Jour  de  bonheur,  le  25  mars,  on  revit  la  Part  du 
Diable,  négligée  depuis  1861.  Cette  reprise  était  projetée  depuis 
longtemps  avec  M"'«  Cabel  et  Bataille,  dans  les  rôles  de  Carlo 
et  du  roi;  le  départ  de  ces  anciens  permit  le  succès  de  deux 
des  plus  vaillants  parmi  les  nouveaux  de  la  jeune  troupe, 
Mue  Brunet-Lafleur  et  M.  Gailhard;  à  côté  de  Prilleux  (Gil- 
Vargas),  Bernard  (Antonio),  M"'  Bélia  (Gasilda),  Achard  fit  un 
excellent  Raphaël,  chanteur  et  comédien  également  expéri- 
menté. Une  seule  interprète  restait  de  l'origine,  M™  Révilly, 
un  peu  «  marquée  »  alors,  il  faut  l'avouer;  mais  sa  belle 
tenue  corrigeait  en  partie  les  outrages  du  temps,  et  elle  n'en 
joua  pas  moins  vingt-neuf  fois,  en  cette  seule  année,  le  rôle 
de  la  reine,  qu'elle  avait  créé  vingt-cinq  ans  auparavant. 

Ce  chiffre  ne  fut  pas  atteint  par  la  première  nouveauté 
donnée  un  mois  plus  tard,  le  17  avril,  i¥"«  Sylvia,  un  petit 
acte  appelé  d'abord  les  Deux  Fées,  puis  Sijlvia  tout  court.  Le 
livret,  dû  à  M.  Marins  Fournier,  n'était  autre,  suivant  une  re- 
marque de  Nestor  Roqueplan,  que  celui  de  «  la  Marquise, 
complètement  retourné  et  dont  les  personnages  ont  changé 
de  sexe  ».  Il  suffisait,  en  somme,  pour  faire  apprécier  l'agréable 
musique  de  M.  Samuel  David,  un  «  jeune  »  qui  avait  obtenu 
le  prix  de  Rome  en  18S8.  Les  critiques  furent  généralement 
favorables.  L'un  d'eux  s'éleva  même  jusqu'au  lyrisme  en 
écrivant  :  «  C'est  une  petite  perle  archaïque  du  meilleur 
goût.  Elle  ne  serait  pas  déplacée  dans  l'écrin  de  Rameau. 
Peut-être  en  vient-elle.  »  De  tels  éloges  sembleraient  outrés 
pour  une  œuvre  appelée  à  n'être  représentée  que  vingt  fois 
en  deux  années,  si  l'on  n'y  voyait  un  juste  excès  de  bien- 
veillance, une  marque  d'encouragement  pour  le  premier  essai 
d'un  compositeur  voué  à  la  triste  destinée  des  pensionnaires 
de  la  villa  Médicis,  parmi  lesquels  on  en  voit  tant  passer 
leur  vie  à  attendre  une  heure  de  chance  qui  ne  sonne  jamais. 

Huit  jours  après  cette  petite  nouveauté,  le  26  avril,  avait 
lieu  une  petite  reprise  des  Voitures  versées  qu'on  avait  remisées 
depuis  18S5  ;  car  on  ne  peut  que  citer  pour  mémoire  une 
audition  de  cet  ouvrage  donnée  en  1862,  comme  pour  Marie, 
dans  un  exercice  d'élèves  au  Conservatoire.  Cette  fois  Crosti, 
Potel,  Nathan,  Leroy,  Ponchard,  M""^*  Gico,  Derasse,  Séveste, 
Heilbron,  faisaient  cortège  à  leur  doyenne.  M"'  Casimir,  qui 
touchait  à  la  fin  de  sa  carrière,  et  présentaient  un  ensemble 
honorable  sans  doute,  mais  sans  grand  attrait  pour  le  public,  il 
faut  le  croire,  puisque  le  charmant  ouvrage  de  Boieldieu  ne 
fut  joué  que  onze  fois;  avec  les  soixante-trois  représentations 
obtenues  autrefois,  de  1852  à  18S5,  on  arrive  au  chiffre  de 
soixante-quatorze,  qui  limite  exactement  le  service  des  Voilures 
versées  à  la  salle  Favart. 

Cette  reprise  avait  été  le  «  clou  »  d'une  représentation  à 
bénéfice  donnée  pour  un  artiste  que  les  affiches  ne  nommaient 
pas  ;  iW"*  Sylvia  et  le  Pré  aux  Clercs  complétaient  le  spectacle. 
Le  18  mars  précédent,  une  autre  représentation  extraordinaire 
avait  eu  lieu  au  profit  de  la  caisse  de  secours  des  auteurs  et 
compositeurs  dramatiques;  le  programme,  un  peu  plus  com- 
pliqué, comprenait  le  Chalet,  joué  par  la  troupe  de  l'Opéra- 
Comique,  im  Baiser  anonyme,  joue  par  la  troupe  des  Français, 
la  Vieillesse  de  Brididi,  jouée  par  la  troupe  des  Variétés,  le  duo 
de  l'Africaine,  chanté  par  Villaret  et  M™''  Sasse,  et  divers  in- 
ter;Tièdes  exécutés  par  Bataille,  Guyon,  Potel,  M""^^  Galli-Marié 
et  Schrœder;  la  recette  fut  de  3,297  fr.  70  c,  bien  inférieure 
à  celle  du  23  décembre,  donnée  au  bénéfice  de  M™  Ugalde, 
qui  reparaissait  une  fois  de  plus  sur  le  théâtre  de  ses  anciens 
succès.  On  jouait  ce  soir-là  Comme  elles  sont  toutes,  le  premier 
acte  du  Domino  noir  et  le  premier  acte  de  Galathée,  tous  deux 
avec  la  bénéflciaire  ;  en  outre,  M""  Wertheimber  chanta  une 
scène  du  Roméo  de  Vaccaï,  M"'«  Cabel,  un  air  de  l'Ambassadrice, 
M""  Galli-Marié,  la  chanson  arabe  de  Lara,  Capoul,  la  romance 
du  Bornéo  de  Gounod,  M'"'=  Ugalde  enfin,  divers  fragments  de 
Gîi^/as,  et  l'on  encaissa  la  somme  respectable  de  8, 41o  francs. 

(A  suivre.) 


i 


LE  MÉNESTREL 


283 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


UNE  DYNASTIE  DANSANTE 

Une  véritable  dynastie  dans  l'art  de  Terpsichore,  que  celle  qui  a 
rendu  célèbre  ce  nom  de  Taglioni,  remis  en  lumière  ces  jours  der- 
niers par  la  mort  i^e  la  princesse  Marie  de  Windischgraetz,  la  der- 
nière qui  l'ait  porté  au  lliéàlre  avant  d'épouser  un  militaire  de  grande 
race,  général  de  cavalerie  de  l'armée  autrichienne.  Pendant  un  siècle 
entier  ce  nom  est  resté  fameux  dans  les  fastes  de  la  danse,  et  il 
n'est  pas  très  facile  aujourd'hui  d'établir  avec  une  précision  rigou- 
reuse la  généalogie  de  cette  famille  illustre  en  son  genre. 

Toutefois,  c'est  par  erreur  qu'on  a  dit,  il  y  a  peu  de  jours,  que  le 
premier  des  danseurs  de  ce  nom  était  Philippe  Taglioni,  né  en  1TÎ7 
et  mort  presque  centenaire  en  ISTl.  Le  véritable  chef  de  la  dynastie 
fut  Carlo  Taglioni,  danseur  et  chorégraphe  déjà  célèbre  en  Italie, 
et  qui  devait  être  ou  le  père  ou  le  frère  aîné  de  celui-ci.  Si  j'en 
crois  un  biographe  son  compatriote,  c'est  ce  Carlo  qui,  en  1799,  fut 
chargé  par  le  gouvernement  français  de  recruter  la  troupe  chantante 
italienne  qui  vint  s'établir  à  cette  époque  dans  la  superbe  salle  du 
théâtre  Olympique,  située  rue  de  la  Victoire,  sur  l'emplacement  où 
se  trouve  aujourd'hui  un  grand  établissement  de  bains,  et  qui  comp- 
tait dans  ses  rangs  ces  grands  artistes  nommés  Raffanelli,  Lazzerini, 
Parlamagni,  M"'"  Strinasacchi,  Parlamagni  et  autres.  Carlo  Taglioni 
ne  parait  pourtant  pas  être  venu  en  France  à  cette  occasion,  et  il  se 
contenta  de  confier  à  Raiïanelli  son  fils  Salvatore,  pour  lui  faire 
achever,  à  l'école  de  danse  de  l'Opéra,  son  éducation  chorégraphique. 

Quant  à  Filippo  Taglioni,  qui  était  né  à  Milan  en  1777,  il  se  fit 
une  très  grande  réputation,  et,  fort  jeune,  devint  premier  danseur 
et  maître  de  ballet  au  Grand-Théâtre  de  Stockholm,  sous  le  règne  de 
Gustave  III,  après  quoi  il  alla  remplir  les  mêmes  fonctions  à  Cassel, 
sous  le  roi  Jérôme,  pour  enfin  devenir  maître  de  ballet  à  Varsovie, 
où  il  resta  jusqu'en  1833.  Il  avait  épousé  à  Stockholm  M"'  Karsten, 
fille  du  plus  célèbre  acteur  tragique  de  la  Suède,  et  en  cette  année 
1833  il  retourna  avec  elle  en  Italie,  où  tous  deux  célébrèrent  leurs 
noces  d'or.  Il  fut  le  père  de  Marie  Taglioni  I",  surnommée  la  grande 
Taglioni,  et  de  Paul  Taglioni. 

Le  fils  de  Carlo,-  Salvatore  Taglioni,  né  à  Palerme  aux  environs 
de  1785,  fut,  nous  l'avons  vu,  confié  par  son  père  à  Raffanelli,  ej, 
amené  à  Paris  par  celui-ci.  Il  est  bien  certain  qu'il  était  accompagné 
de  sa  sœur  Luigia,  car,  dès  1799,  nous  trouvons  celle-ci  à  l'Opéra, 
où  Salvatore.  devenu  élève  de  Coulon,  ne  tarda  pas  à  la  suivre. 
Luigia,  qui  obtint  de  vrais  succès  à  ce  théâtre,  si  fameux  alors  sous 
le  rapport  de  la  danse,  y  resta  jusqu'en  1807.  Elle  s'y  fit  remarquer 
non  seulement  comme  danseuse,  mais  aussi  comme  mime  dans  plu- 
sieurs ballets  :  Anaa-éon,  le  Retour  de  Zéphyre,  Acis  et  Galathée,  et  se* 
montra  dans  les  divertissements  de  divers  opéras  :  les  Mystères  d'Isis, 
Sémiramis,  Tamerlan,  Don  Juan.  etc.  A  partir  de  1807  on  perd  momen- 
tanément sa  trace.  On  sait  seulement  qu'elle  retourna  dans  sa  patrie, 
où  elle  poursuivit  sa  carrière.  Nous  allons  la  retrouver. 

Salvatore  passa  aussi  quelques  années  à  l'Opéra,  qu'il  quitta  pour- 
tant avant  sa  sœur.  Il  s'y  montra  pour  la  première  fois  en  dansant 
avec  elle  un  pas  de  deux  dans  OEdipe  à  Colone.  On  le  voit  ensuite 
remplir  des  rôles  importants  dans  plusieurs  ballets,  entre  autres  la 
Dansomanie,  de  Gardel  et  Méhul,  les  Noces  de  Gamache,  le  Retour  de 
Zéphyre...  De  l'Opéra,  il  fut  engagé  à  Bordeaux,  puis  à  Lyon,  deux 
villes  où  le  ballet  était  alors  en  grand  honneur.  C'est  à  Lyon  qu'il 
s'éprit  d'une  de  ses  camarades,  la  première  danseuse  Adélaïde 
Péraud,  qu'il  épousa.  Appelé  en  1808  au  théâtre  San  Carlo  de  Naples, 
comme  premier  danseur,  c'est  là  qu'il  commença  son  immense  répu- 
tation. Il  débuta  à  ce  théâtre,  avec  un  grand  succès,  en  dansant 
un  pas  de  trois,  avec  sa  femme  et  sa  sœur,  dans  un  ballet  d'Henry, 
Paul  et  Virginie.  Accueilli  avec  une  sorte  d'enthousiasme,  il  donna 
bientôt  une  preuve  de  son  talent  de  chorégraphe  en  faisant  repré- 
senter un  ballet  intitulé  le  Barbier  de  Séville,  puis,  par  un  ordre  sou- 
verain, il  fut  chargé,  avec  Henry,  de  fonder  l'école  royale  de  danse 
du  théâtre  San  Carlo,  école  dont  il  fut  nommé  professeur  de  per- 
fectionnement en  1812.  Ces  fonctions  ne  l'empêchèrent  point  de 
continuer  ses  exploits  de  chorégraphe,  et  sa  fécondité  sous  ce  rap- 
port fut  telle  que,  dans  le  cours  de  sa  longue  carrière,  il  ne  fit  pas 
représenter  moins  de  cent  quarante-huit  ballets  de  divers  genres, 
héroïques,  comiques,  fantastiques,  etc. 

Sa  renommée  avait  grandi  à  ce  point  qu'en  1831  des  propositions 
brillantes  lui  étaient  faites  de  Berlin  pour  l'engager  à  aller  fonder, 
à  l'Opéra  royal  de  cette  ville,  une  école  de  danse.  Mais  le  roi  de 
Naples  Ferdinand  II  tenait   à    son    maître  de   ballet,  et  ne   voulait 


pas  le  laisser  s'éloigner.  Dès  qu'il  eut  connaissance  des  offres  qui 
lui  étaient  faites,  il  le  nomma  compositeur  de  ballets  à  vie  pour  les 
deux  théâtres  royaux  de  San-Carlo  et  du  Fonde,  en  lui  assignant 
un  traitement  superbe.  Salvatore  continua  donc  sa  carrière  à  Naples, 
où  deux  de  ses  ballets  surtout,  fnès  de  Castro  et  Faust  (les  Italiens 
ne  sont  pas  peu  fiers  de  constater  qu'il  fut  le  premier  à  traiter  ce 
sujet  chorégraphiquement),  obtinrent  des  succès  éclatants.  Parmi 
ses  autres  ouvrages  en  ce  genre,  trop  nombreux  pour  être  men- 
tionnés tous  ici,  on  cite  tout  particulièrement  Hippoméne  et  Ata- 
lante,  les  Portugais  aux  Indes,  la  naissance  de  Flore,  Castor  et  Pollux, 
Gustave  Wasa,  la  Fête  de  Terpsicliore,  Sésostris,  le  Paria,  la  Fée  Urgéle, 
les  Montagnes  russes,  Christine  de  Suéde,  l'Amour  et  Psyché,  les  Noces  de 
Figaro,  les  Fiancés,  Marco  Vtsconli,  Don  Quichotte,  le  Siège  de  Leyde, 
le  Cid,  le  Vampire,  Bradamante,  la  Cour  d'amour,  les  Adorateurs  du 
Soleil,  etc.,  etc. 

Nous  voici  arrivés  à  celui  des  membres  de  la  famille  Taglioni 
dont  la  renommée,  on  peut  le  dire,  a  été  la  plus  éclatante  et  la 
plus  universelle.  Je  veux  parler  de  cette  adorable  Marie  Taglioni, 
première  du  nom  (sa  nièce  s'appelait  aussi  Marie),  fille  de  Philippe 
et  sœur  de  Paul,  qui  naquit  à  Stockholm  en  1804  et  mourut,  com- 
tesse Gilbert  des  Voisins,  il  y  a  quelques  années  à  peine  :  celle 
dont  un  critique  a  dit  :  «  Marie  Taglioni,  c'était  avant  tout  la  danse, 
la  poésie  de  la  danse;  plus  qu'aucune  autre  elle  tranchait  avec  la 
vile  prose,  qui  retient  plus  ou  moins  les  pieds  humains  à  la  terre. 
Elle  semblait  née  pour  une  sphère  plus  élevée  ;  elle  y  planait  sans 
effort  et  n'en  redescendait  qu'à  regret.  Elle  en  redescendait  dou- 
cement, mollement  et  n'en  retombait  pas,  comme  le  plus  grand 
nombre  des  danseuses  connues  et  applaudies...  » 

Marie  Taglioni  avait  été  l'élève  chérie  de  son  père,  et  était  à  peine 
âgée  de  quatorze  ans  lorsqu'elle  parut  pour  la  première,  fois  à  la 
scène.  Jolie,  svelte,  élégante,  gracieuse  autant  qu'on  peut  l'être, 
elle  réunissait  tous  les  dons  de  la  femme,  et  elle  apportait  dans 
son  art  une  note  bien  rare  :  la  chasteté  la  plus  accomplie  unie  à 
une  légèreté  telle  qu'elle  semblait  tenir  du  prodige.  On  a  raconté 
à  ce  sujet  une  anecdote  assez  originale.  Elle  avait  fait  disposer, 
dans  une  pièce  de  son  appartement,  un  plancher  incliné  et  recou- 
vert de  plâtre  ;  c'est  là  que,  dans  le  silence  de  la  nuit,  elle  étudiait 
ses  pas  et  les  poses  si  pudiques  qui  enchantaient  ses  admirateurs. 
Précisément  au-dessous  d'elle  demeurait  un  Anglais,  qui,  ayant  eu 
connaissance  de  ces  travaux  et  sachant  quelles  étaient  ses  études, 
lui  fit  dire  qu'elle  ne  s'occupât  do  lui  en  aucune  façon,  qu'elle  ne 
craignît  point  de  l'importuner,  et  qu'il  lui  était  parfaitement  indif- 
férent d'être  réveillé  par  elle.  A  quoi  son  père  répondit,  avec  une 
emphase  italienne  qui  rappelait  celle  du  fameux  Vestris  :  —  «  Mon- 
sieur, si  vous  aviez  le  malheur  d'entendre  danser  ma  fille,  j'en 
serais  désolé  et  je  lui  donnerais  ma  malédiction.  Car  moi,  son  père, 
je  n'ai  jamais  pu  l'entendre.  » 

C'est  dès  l'âge  de  huit  ans  que  Marie  Taglioni  avait  commencé 
avec  son  père  l'étude  de  la  danse,  et  c'est  au  mois  de  juin  1822 
qu'elle  débuta  au  théâtre  impéiial  de  Vienne  dans  un  ballet  de  celui- 
ci,  intitulé  Réception  d'une  jeune  nymp>lie  à  la  cour  de  Terspsichore.  Cette 
première  apparition  réalisa  d'un  seul  coup  toutes  ses  espérances  de 
succès,  grâce  surtout  à  un  incident  particulier.  Au  moment  où  elle 
s'avançait  sur  la  scène  à  côté  de  son  père,  qui  avait  réglé  tous  les 
exercices  du  rôle,  son  émotion  fut  si  grande  qu'elle  perdit  subite- 
ment la  mémoire  de  ce  qu'elle  avait  appris  aux  répétitions  et  impro- 
visa son  premier  pas  devant  le  public.  Ce  fut  une  inspiration  où  se 
révéla  tout  à  coup  son  talent  naturel,  et  le  succès  fut  immense.  Les 
acclamations  des  spectateurs  la  rappelèrent  huit  fois  sur  la  scène. 
Ou  ne  se  lassait  ni  de  la  voir  ni  de  l'admirer. 

Après  s'être  fait  applaudir  avec  fureur  de  1822  à  1826,  non  seule- 
ment à  Vienne,  mais  à  Stuttgard,  à  Munich,  à  Berlin,  à  Londres,  à 
Saint-Pétersbourg,  le  bruit  de  sa  renommée  la  fit  appeler  à  l'Opéra 
de  Paris,  où  elle  vint  débuter  avec  son  frère  Paul,  le  23  juillet  1827; 
dans  un  pas  de  deux  intercalé  à  leur  intention  dans  le  ballet  du 
Sicilien.  Elle  excita  aussitôt  l'enthousiasme  et  devint  rapidement  la 
favorite  du  public  parisien,  qu'enchantait  littéralement  son  merveil- 
leux talent  plein  de  poésie,  de  grâce  et  de  langueur.  Le  soir  même 
de  sa  première  représentation,  plusieurs  personnages  de  distinction 
sollicitèrent  la  faveur  de  lui  être  présentés,  et  au  nombre  des  pre- 
miers admirateurs  de  sa  gloire  se  trouvait  M.  Thiers,  alors  simple 
avocat  et  journaliste.  La  presse  fut  unanime  à  constater  son  succès, 
et  un  chroniqueur  disait  :  «  Avant  elle,  nous  connaissions  les  cabrioles, 
les  sauts  périlleux,  les  ronds  de  jambe,  les  pirouettes,  les  jetés- 
battus  ;  aujourd'hui,  nous  connaissons  l'art  de  la  danse.  Cet  art  nous 
a  été  révélé  par  Taglioni.  C'est  Terspsichore  elle-même,  descendue 
de  l'Olympe  pour  charmer  les  mortels.  » 


284 


LE  MENESTREL 


Les  triomphes  de  Marie  Taglioni  furent  chaque  jour  plus  écla- 
tants pendant  les  dis.  années  qu'elle  passa  à  l'Opéra.  Elle  parut 
dans  presque  tous  les  ballets  créés  à  cette  époque  :  la  Fille  mal 
gardée,  la  Belle  au  bois  donnant,  Manon  Lescaut,  la  Sylphide,  où  elle 
était  inimitable,  Nathalie  ou  la  Laitière  suisse,  la  Révolte  au  sérail, 
Bréz-ilia  ou  la  Tribu  des  Femmes,  la  Fille  du  Danube.  Son  succès  fut 
immense  dans  son  rôle  muet  du  Dieu  et  la  Bayadère,  et  son  nom  est 
resté  attaché  au  personnage  d'Héléna,  la  reine  des  Nonnes,  dans 
Robert  le  Diable,  par  le  caractère  étonnant  d'originalité  qu'elle  sut 
lui  donner. 

Il  est  bon  d'ajouter  que  la  conduite,  la  modestie  et  la  vertu  de 
M""  Taglioni  entouraient  son  talent  d'une  véritable  auréole,  et  aug- 
mentaient encore  l'admiration  dont  elle  était  l'objet.  Recherchée 
bientôt  par  un  jeune  homme  d'une  grande  famille,  le  comte  Gilbert 
des  'Voisins,  elle  l'épousa  en  1832.  Mais  cette  union  ne  fut  pas  plus 
heureuse  que  la  plupart  de  ce'les  du  même  genre,  et  fut  assez 
rapidement  suivie  d'une  séparation  (1).  La  grande  arliste  fit  ses 
adieux  au  publie  parisien  le  22  avril  1837,  et  alla  retrouver  ses 
succès  à  l'étranger,  notamment  à  Berlin,  à  Londres  et  à  Saint- 
Pétersbourg.  En  1844  elle  revint  faire  une  trop  courte  apparition  à 
l'Opéra,  où  elle  donna  sept  représentations  qui  furent  de  véritables 
fêtes.  Je  crois  que  c'est  peu  après  qu'elle  quitta  la  scène  pour 
toujours,  et  alla  se  retirer  dans  une  superbe  propriété  qu'elle  pos- 
sédait sur  les  rives  du  lac  de  Corne. 

Son  frère  Paul  n'avait  fait  à  l'Opéra  que  paraître  et  disparaître. 
Né  à  Vienne  en  1808,  il  avait  fait  de  bonnes  études  à  Paris,  au 
collège  Bourbon,  après  quoi  il  était  devenu  l'élève  de  Coulon.  Après 
s'être  montré  avec  sa  sœur  dans  le  Sicilien,  il  obtint  des  succès  à 
Vienne  et  à  Stuttgard,  et  signa  ensuite  un  brillant  engagement 
avec  le  théâtre  royal  de  Berlin,  dont  il  épousa  bientôt  la  première 
danseuse.  M""  Amélie  Goslter.  Il  devint  ensuite  maître  de  ballet 
à  Londres,  où  il  resta  plusieurs  années,  puis,  en  18o3,  alla 
remplir  les  mêmes  fonctions  au  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  et  un 
peu  plus  tard  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  Gomme  son  grand-père 
et  son  oncle,  il  fut  aussi  un  chorégraphe  distingué,  et  composa  de 
nombreux  ballets,  parmi  lesquels  on  cite  ceux  intitulés  les  Flibus- 
tiers, les  Patineurs,  Tea  ou  la  Fille  des  Fleurs,  Satanella,  Morgane.  l'Ile 
d'amour,  le  Lac  des  Amazones,  Coraly,  etc.  Il  fit  aussi  d'excellents 
élèves,  entre  autres  Ebel  et  £arl  MuUer,  du  théâtre  impérial  de 
Vienne,  et  surtout  sa  fille,  Marie  Taglioni  deuxième,  celle-là  même 
qui  vient  de  mourir. 

Cette  seconde  Marie  Taglioni  était  née  à  Berlin  en  1833.  Elle  n'avait 
que  quatorze  ans,  comme  sa  tante,  lorsque,  sous  la  direction  de  son 
père,  elle  débuta  à  Londres  en  1847.  Elle  chassait  de  race,  et  son 
succès  fut  très  grand.  De  Londres  elle  se  rendit  à  Vienne,  où  en 
18S3,  elle  remplissait  le  rôle  principal  d'un  nouveau  ballet  de  son 
père,  Satanella,  dans  lequel  elle  se  fit  vivement  applaudir.  Elle 
resta  plusieurs  années  en  celte  ville,  alla  ensuite  à  Berlin,  puis  au 
théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  et  revint,  je  crois,  à  Vienne,  où  elle 
épousa  le  prince  Windischgraetz,  et  quitta  le  théâtre  à  la  suite  de 
son  mariage.  On  a  fait  à  son  sujet  une  confusion,  en  la  disant  fille 
de  la  grande  Marie  Taglioni;  elle  n'était  que  sa  nièce.  Elle  est  morte 
le  27  août  dernier,  en  son  domaine  d'Aigen,  dans  la  basse  Autriche. 

Il  a  encore  existé  une  autre  Taglioni,  dont  j'ignore  le  prénom  et 
qui  fut  loin  aussi  d'être  sans  talent.  Mais  celle-ci,  je  crois  (bien 
que  je  n'en  sois  pas  sûr),  ne  parut  jamais  en  France.  Sa  carrière, 
qui  fut  brillante,  s'écoula  à  l'étranger,  et  elle  obtint  particulière- 
ment des  succès  retentissants  en  Amérique.  Elle  mourut  au  mois  dé 
mai  ou  de  juin  1882,  et  les  journaux  allemands,  trompés  par  ce 
nom  de  Taglioni,  établirent  une  confusion  et  répandirent  alors  le 
bruit  de  la  mort  de  la  grande  Taglioni,  qui  pendant  ce  temps,  pres- 
que octogénaire  déjà,  était  fort  bien  portante  à  Marseille,  où  elle 
était  venue  se  fixer  auprès  de  son  fils,  M.  le  comte  Gilbert  des  Voi- 
sins. Celle-ci  ne  mourut  que  deux  ans  après,  en  1884,  la  même 
année  qu'une  autre  danseuse  particulièrement  célèbre,  Fanny  Elssler. 
qui  avait  été  une  des  gloires  de  notre  Opéra  ,  où  elle  lui  avait 
presque  immédiatement  succédé. 


(1)  Un  fils  naquit  pourtant  do  ce  mariage,  qui  fut  officier  dans  l'armée  française 
et  fit  bravement  son  devoir  pendant  la  dernière  guerre.  Blessé  et  fait  prisonnier 
à  "Wœrth,  le  bruit  courut  de  sa  mort,  qui  fut  même  annoncée  par  lettre  à  sa  mère. 
Elle  le  pleura  pendant  plusieurs  jours,  lorsqu'elle  apprit  qu'il  y  avait  eu  confusion, 
et  que  c'était  un  autre  officier  d'un  nom  presque  semblable  qui  avait  été  tué.  La 
courageuse  mère,  malgré  son  grand  âge,  voulut  alors  se  mettre  à  la  rechercbe 
de  son  fils,  partit  pour  l'Allemagne  et  courut  les  hôpitaux.  Elle  découvrit  enfin 
à  Dusseldort  son  cher  blessé,  qui  se  rétablit  au  bout  de  quatre  mois,  grâce  aux 
soins  maternels.  M.  le  comte  Gilbert  des  Voisins,  qui  depuis  lors  a  épousé  une 
Anglaise,  est  devenu  le  chef  d'une  puissante  entreprise  industrielle  à  Marseille. 


On  voit  ce  que  ce  nom  de  Taglioni  rappelle  de  souvenirs,  quelle 
place  il  tient  dans  l'histoire  moderne  de  la  danse,  et  comme  il  se 
rattache  à  celle  même  de  notre  grande  scène  lyrique  —  et  choré- 
graphique. 

Arthur  Pougin. 

Gymnase.  —  Madame  Agnès,  comédie  en  trois  actes,  de  M.  Berr  de  Turique. 

M  Berr  de  Turique,  qui,  au  mois  de  juin  dernier,  nous  avait  déjà 
donné  à  la  Comédie-Française,  s'il  vous  plaît,  un  petit  acte,  le  Rez- 
de-chaussée,  continue  ses  débuts,  comme  auteur  dramatique,  sur  la 
scène  du  Gymnase  avec,  cette  fois,  trois  actes.  Cette  seconde  ten- 
tative n'a  rien  pour  nous  faire  revenir  sur  notre  impression  pre- 
mière :  M.  Berr  de  Turique  fait  propret  et  gentil,  spirituel  à  la 
manière  des  boulevardiers  aimables  et  a  même  l'avantage  de  n'être 
point  systématiquement  ennuyeux;  mais  il  ne  faudrait  chercher, 
dans  ces  premiers  essais,  ni  une  note  originale,  ni  le  souci  de  la 
réalité,  ni  encore  une  idée  forte 'Ou  une  étude  curieuse.  Je  vous  l'ai 
dit,  c'est  convenable,  d'une  audition  qui  n'a,  en  somme,  absolu- 
ment rien  de  désagréable  et  qui  même  séduit  par  moments,  d'unfr 
langue  honnêtement  correcte,  et  là  s'arrêtent  les  qualités  de  l'écri- 
vain. 

L'histoire  de  Madame  Agnès  est  des  plus  simples,  si  simple  même 
qu'on  pourrait  s'étonner  qu'elle  ait  donné  naissance  à  trois  actes,  si- 
quelques  détails  bien  venus  n'étaient  là  pour  faire  un  peu  pardon- 
ner cet  excès  de  prolixité  dans  le  conventionnel  et  le  trop  connu. 
Donc,  le  comte  Henrj-  de  Triveley,  marié  depuis  deux  ans,  est  sur 
le  point  de  tromper  sa  femme  dont  il  ne  se  défie  absolument  pas, 
ayant  confiance  dans  sa  parfaite  innocence.  Mais  madame  Agnès, 
toute  naïve  qu'elle  paraît,  a  compris  et  souffre.  Aidée  de  sa  maman, 
elle  se  vengera  de  l'infidèle  et  le  ramènera  à  elle  en  le  rendant  ja- 
loux, une  lettre  écrite  alors  qu'Henry  n'était  que  fiancé  devant  ser- 
vir d'instrument  de  torture.  Le  piège  réussit,  grâce  beaucoup  à  la 
niaiserie  du  jeune  comte,  qui  ne  reconnaît  pas  son  écriture  et  se- 
laisse  berner  avec  une  désinvolture  tout  à  fait  étonnante.  Madame 
Agnès  reconquiert  son  mari,  qu'elle  saura,  dorénavant,  garder  bien 
à  elle.  Autour  du  mari,  de  la  femme  et  de  la  belle-maman,  gravi- 
tent quelques  personnages  d'ordre  moindre,  la  jolie  Américaine  qui 
met  le  trouble  dans  le  ménage,  l'ami  qui  revient  de  faire  son  petit 
tour  du  monde  juste  à  point  pour  tomber  amoureux  fou  de  la  pe- 
tite sœur,  un  expert  en  écriture  atteint  de  surdité,  etc.,  etc.,  tons 
gens  de  connaissance  que  nous  sommes  accoutumés  à  rencontrer 
plus  ou  moins  souvent. 

La  troupe  du  Gymnase  a  fort  heureusement  aidé  le  jeune  auteur 
dans  sa  tâche.  M.  Noblet  et  M™  Desclauzas  sont  toujours  des  ar- 
tistes très  fins  ;  M"=  R.  Sisos  est  charmante  et  douce  à  ravir, 
MM.  Burguet  et  Numès  font  ce  qu'ils  peuvent  de  rôles  assez  ingrats, 
enfin,  M"=^  Lécuyer  et  Lucy  Gérard  sont  de  fort  avenantes  per- 
sonnes qu'on  est  très  satisfait  de  trouver  au  bout  de  sa  lorgnette.  Un 
seul  décor,  mais  très  réussi  avec  sa  perspective  étendue  prise  de  la 
terrasse  de  Saint-Germain. 

Paul-Émile  Chev.a.lier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATlOf 
(Suite) 


CHAPITRE  III 


LE   MRECTOIRE   ET   LE   CONSULAT 


L'an  VI  a  fini  sur  la  première  Exposition  des  pi-oduits  de  l'In- 
dustrie. Mars  semble  disposé  à  partager  le  sceptre  de  la  France 
avec  Apollon  ;  on  voit  renaître  les  concerts  olympiques,  où  les 
symphonies  d'Haydn  obtiennent  les  suffrages  des  véritables  amateurs.. 

Foule  aux  portes  de  l'Opéra,  le  14  frimaire  ;  c'est  la  seconde 
distribution  des  prix  aux  élèves  du  Conservatoire,  qui  ouvrent  la 
séance  «  par  le  chant  sublime  des  combats  «. 

«  Comme  l'a  si  élégamment  observé  le  citoyen  François  (de  Neuf- 
chateau),  écrit  le  Courrier  des  spectacles,  cet  hymne,  pour  avoir  été' 
chanté  quelquefois  par  des  bouches  impures  et  sanglantes,  n'en  est 
pas  moins  un  chef-d'œuvre,  et  les  accents  d'Apollon  furent  toujours 
des  accents  divins  après  que  Néron    eut  touché  la  lyre.  » 

Piccinni,  rentré  la  veille  à  Paris,  se  cachait  modestement  dans  la 
foule;  il  est  reconnu,  conduit  sur  la  scène  où  on  l'acclame. 

L'ex-rival    de    Gluck   voit    renaître   ses  jours  de  popularité  à  en 


I 


LE  MENESTREL 


285 


juger  par  la  réceplion  solennelle  qui  lui  est  faite  aux   Menua-PIai- 
sirs,  le  9  nivôse  suivant. 

Pendant  que  Méhul,  Cherubiai,  Lesueur  vont  à  sa  rencontre, 
Sarrelle  réunit  les  élèves  dans  la  cour,  leur  retrace  en  quelques 
phrases  la  carrière  du  compositeur,  son  œuvre  prodigieuse,  ses 
cent  quarante  partitions.  Des  fanfares  annoncent  l'approche  de  Pic- 
cinni.  Membres  des  deux  conseils,  délégation  de  l'Institut,  musi- 
ciens célèbres  l'attendent  dans  une  salle  ornée  d'emblèmes;  ban- 
quet, concert  improvisé,  échange  de  paroles  émues,  rien  ne  manque 
au  programme. 

*  '  * 

Le  secrétariat  de  la  rue  Bergère  n'enregistre  pas  seulement  les 
demandes  d'admission  aux  classes  de  l'Ecole;  il  inscrit  également 
tous  ceux  qui  aspirent  à  faire  partie  de  l'Opéra.  Il  communique 
aux  journaux  la  note  demandant  :  «  Une  femme  pour  remplir  les 
rôles  d'enfants,  tels  que  l'Amour  dans  Orphée.  »  Il  fait  savoir  que 
le  théâtre  de  la  République  et  des  Arts  est  à  la  recherche  d'un 
ténor;  qu'une  place  est  vacante  dans  l'orchestre. 

Le  Conservatoire  nomme  les  jurés  qui  décideront  le  concours. 
«  On  voit  ainsi  se  réaliser  cette  époque  tant  désirée  où  le  talent, 
en  obtenant  tout  de  lui-même,  ferme  la  porte  à  l'intrigue,  à  l'igno- 
rance et  aux  caprices  de  l'homme  puissant.   » 


«  Que  les  Beaux-Arts  soient  médiateurs  entre  les  factions  !  Que 
la  lyre  d'Apollon  fléchisse  le  cœur  des  Euménides  !  que  le  génie, 
la  beauté,  les  vertus,  les  talents  environnent  enfin  la  République!  » 
C'est  en  ces  termes  choisis  que  Lucien  Bonaparte,  ministre  de 
l'intérieur,  terminait  son  discours  aux  élèves  du  Conservatoire,  le 
29  nivôse  de  l'an  VIII. 

Le  frère  du  premier  Consul  se  livrait  ce  jour-là  à  un  singulier 
gaspillage  d'éloquence,  et  tout  lui  était  matière  à  quelque  phrase 
heureusement  trouvée.  Une  scène  de  Médée  ayant  valu  un  triomphe 
à  la  citoyenne  Chevalier,  il  lui  remet  en  récompense  les  tragiques 
français  et  accompagne  le  prix  de  ces  paroles  chaleureusement 
applaudies  :  «  Corneille  à  Médée  vindicative,  Racine  à  Médée  sup- 
pliante ». 

Suivant  l'usage  récemment  établi,  tout  élève  couronné  est  conduit 
par  son  professeur  jusqu'à  l'estrade  occupée  par  le  ministre  sur  ia 
scène  de  l'Opéra  ;  «  ainsi  le  maître  prend  sa  part  d'une  gloire  dont 
il  est  le  premier  auteur  ». 

Deux  musiciens  disparaissent  à  quelques  jours  de  distance:  Délia 
Maria,  enlevé  au  début  d'une  carrière  marquée  dès  son  aurore  par 
l'éclatant  succès  du  Prisonnier;  Piccinni,  s'éteignant  après  des  alter- 
natives de  triomphe  et  d'oubli,  d'éclat  et  de  misère. 

Dès  le  lendemain  du  18  Brumaire,  Bonaparte  avait  créé,  pour 
l'auteur  de  Roland,  une  sixième  place  d'inspecteur  au  Conserva- 
trire.  C'était,  sous  les  dehors  d'une  récompense  nationale,  un  don 
de  5,000  francs  qui  venaient  adoucir  ses  derniers  instants. 

Monsigny  ne  lui  succède  qu'à  cette  condition  expresse  d'aban- 
donner la  moitié  du  traitement  à  la  veuve  du  maestro. 


L'an  VIII  assiste  à  une  nouvelle  organisation  du  Conservatoire, 
gouverné  désormais  par  un  directeur,  cinq  inspecteurs  de  l'ensei- 
gnement (Méhul,  Lesueur,  Gherubini,  Martini,  Monsignyj.  On  leur 
adjoint  un  secrétaire  et  un  bibliothécaire  (Langlé). 

Trente  professeurs  de  première  classe,  quarante-quatre  de  la 
seconde  guident  dans  les  sentiers  d'Apollon  quatre  cents  élèves 
pris  en  nombre  égal  dans  chaque  département. 

Catel  et  Berton  sont  titulaires  de  l'harmonie.  Garât  figure  au  nom- 
bre des  maîtres  de  chant,  Dugazon  enseigne  la  déclamation.  Piano  : 
Boieldieu,  Jadin,  Ladurner.  —  Violon  :  Rode,  Baillot,  Kreutzer.  — 
Flûte  :  Devienne,  etc. 

Les  professeurs  sont  nommés  à  la  suite  d'un  concours  public 
passé  devant  le  jury  nommé  par  le  ministre  de  l'intérieur.  Déehif- 
frage  dans  toutes  les  clefs,  exécution  d'un  morceau  choisi  par  le 
candidat,  interrogatoire  sur  la  marche  des  accords,  tel  est  le  pro- 
gramme habituel  de  l'examen. 

Le  règlement  intérieur  a  une  certaine  couleur  militaire  :  les 
parents  des  élèves  femmes  exclus  des  classes,  sauf  de  celles  où  la 
réunion  des  deux  sexes  est  autorisée;  les  délits  punis  par  l'ins- 
cription sur  le  registre  de  police,  dont  un  extrait,  affiché  durant  dix 
jours,  est  adressé  à  la  famille  des  coupables.  Quatre  absences  in- 
expliquées dans  le  mois  entraînent  le  bannissement  ;  la  même  peine 


est  infligée  aux  élèves  qui  manifesteraient  des  sentiments  antirépu- 
blicains. 

Dans  le  cours  de  l'année  suivante,  le  Conservatoire  se  signale  par 
les  fréquentes  auditions  de  ses  élèves. 

Le  16  brumaire,  en  présence  du  premier  Consul,  accompagné  de 
M""  Bonaparte,  dont  chaque  jour  accroît  la  popularité,  exécution 
du  Miserere  de  Léo.  Le  Journal  de  Paris  termine  par  une  réflexion  le 
compte  rendu  de  la  séance  :  «  On  a  reproché  au  Conservatoire  d'ad- 
mettre les  enfants  des  riches  de  préférence  à  ceux  des  pauvres.  S'il 
était  vrai  que  les  riches  briguassent  pour  leurs  enfants  les  places  de 
notre  Conservatoire,  ce  serait  faire  le  plus  bel  éloge  de  l'enseigne- 
ment qu'on  y  reçoit,  ainsi  que  de  la  noblesse  et  de  la  bonne  tenue 
de  cet  établissement.  » 

Nouveau  concert  le  23  nivôse  ;  on  y  remarque  le  «  citoyen  »  Ealk- 
brenner,  dont  la  Décade  vanterait  la  grande  supériorité  si  elle  ne 
craignait  d'ôter  à  cet  intéressant  élève  l'idée  qu'il  peut  s'élever 
encore  plus  haut. 

Le  Conservatoire  prête  ses  meilleurs  élèves  au  Théâtre-Français 
pour  les  représentations  du  Bourgeois  gentilhomme,  mais  le  public  ne 
se  lasse  pas  de  les  entendre  et  accourt  en  foule,  le  23  germinal,  à 
leur  troisième  exercice. 

Cette  fois,  le  succès  est  pour  le  basson  du  «  citoyen»  Judas  et  le 
ministre  de  l'intérieur,  adressant  un  ordre  du  jour  aux  jeunes  artis- 
tes, fait  don  au  triomphateur  d'un  instrument  «  pour  le  dédommager 
de  celui  qu'il  avait  perdu  à  Marengo  ». 

En  thermidor,  enfin,  l'Ecole  fêle  l'anniversaire  de  sa  fondation  et 
la  pose  de  la  première  pierre  de  la  Bibliothèque.  Après  le  concert, 
un  dîner  très  brillant  réunit  musiciens  et  fonctionnaires  publics, 
dont  le  ravissement  est  porté  à  son  comble  quand  Dugazon  impro- 
vise des  couplets  que  l'assistance  répète  en  chœur.  Pour  couronner 
la  soirée,  bal  dans  les  jardins  du  Conservatoire. 

L'an  IX  a  été  marqué  d'une  pierre  blanche  par  les  amis  des 
Arts,  et  quand  l'opéra  fait  entendre  la  Création  du  Monde,  un  gaze- 
tier,  transporté  par  l'œuvre  de  Haydn,  n'hésite  pas  à  écrire  :  «  Trois 
faits  à  jamais  mémorables  auront  illustré  la  fin  du  dix-huitième 
siècle  :  le  passage  des  Alpes,  l'inauguration  de  l'Apollon  du  Bel- 
védère et  l'oratorio  exécuté  sur  le  théâtre  de  la  République.   » 


Si  grande  est  la  foule,  le  10  nivôse  suivant,  à  l'Opéra,  que  le 
représentant  du  Journal  des  Débats  ne  peut  y.  trouver  place,  malgré 
les  cinq  billets  dont  il  s'était  prudemment  muni. 

A  6  heures  et  demie,  des  applaudissements  enthousiastes  saluent 
l'eutrée  du  premier  Consul  dans  la  grande  loge  sur  le  théâtre  :  le 
commandant  de  sa  garde  et  trois  aides  de  camp  l'accompagnent. 
Un  peu  plus  loin.  M™'  Bonaparte,  avec  sa  famille  et  plusieurs  gé- 
néraux. L'ambassadeur  ottoman  et  le  prince  de  Nassau  sont  à  peine 
remarqués. 

Chaptal,  ministre  de  l'intérieur,  commence  par  les  louanges  de 
la  paix  le  traditionnel  discours  ;  mais,  sauf  un  éloge  du  cor, 
l'illustre  chimiste  fait  dans  son  allocution  la  part  très  mince  à  la 
musique;  il  en  explique  le  motif  :  «  Je  craindrais  d'afl'aiblir  les 
douces  impressions  qu'ont  laissées  dans  vos  cœurs  enivrés  les  sons 
harmonieux  de  la  flûte,  du  hautbois,  du  basson,  de  la  harpe,  si 
j'essayais  de  vous  en  retracer  le  souvenir.   » 

Nicolas  Roland,  un  Ardennais  qui  a  triomphé  à  la  classe  de  Ga- 
rât, débute  bientôt  après  dans  la  Sé/niramis  de  Catel,  à  l'Opéra.  On 
signale  au  même  théâtre  l'apparition  ducomédiea  Bonnet,  qui  chan- 
tait la  haute-contre  au  Vaudeville  pour  gagner  sa  vie  et  la  basse- 
taille  au  Conservatoire  pour  suivre  "sa  vocation.  Enfin,  un  autre 
élève  est  enlevé  à  coups  de  roubles  par  la  Russie  :  c'est  le  premier 
hommage  rendu  à  l'Ecole  par  l'étranger. 


Mais  le  Conservatoire  va  connaître  l'adversité.  L'horizon  se  charge 
de  nuées  menaçantes  ;  le  gouvernement  songe  «  qu'il  a  encore 
plus  besoin  de  flottes  que  de  concerts,  que  notre  marine  importe 
plus  que  la  musique  au  bonheur  de  tous  »,  et  l'an  XI  voit  l'École 
bien  amoindrie. 

Sarrette,  qui  en  conserve  la  direction,  n'a  plus  auprès  de  lui  que 
trois  inspecteurs  ;  Gossec,  Méhul  et  Gherubini.  Le  nombre  des 
élèves  est  réduit  à  300,  celui  des  professeurs  à  3o,  et  encore  faut- 
il,  pour  atteindre  ce  dernier  chiffre,  compter  deux  surveillants  et 
le  conservateur  de  la  musique.  Plus  de  classe  de  serpent;  le  trom- 
bone et  la  trompette  sont  délaissés. 

Le  Journal  des  Débats  s'abandonne   au   désespoir   et,  entraîné   par 


2S6 


LE  MENESTREL 


l'indigaation,  l'écrivain  se  risque  sur  un  terrain  hrùlant.  «  Si  les 
anciennes  maîtrises  ont  fourni  des  élèves  de  talent,  c'est  que  les 
enfants  de  chœur,  élevés  à  l'ombre  du  sanctuaire,  se  formaient 
une  bonne  constitution  en  même  temps  qu'ils  recevaient  de  bons 
principes.  Aujourd'hui,  les  élèves  du  Conservatoire  jetés  au  milieu 
d'une  immense  capitale  avec  une  liberté  dont,  à  leur  âge,  on  ne 
sait  encore  qu'abuser,  pourront  devenir   des   musiciens,  mais    non 

pas  des  chanteurs »  Après  cette  conclusion  qu'ils  sont  de  grands 

hommes  à  seize  ans,  des  vieillards  et  des  imbéciles  à  quarante,  le 
moraliste,  peu  conséquent  avec  sa  péroraison,  se  plaint  que  les 
plus  vieux  serviteurs  aient  été  renvoyés. 


Silence  complet  autour  du  Conservatoire  en  1803. —  L'année  sui- 
vante ne  nous  fournit  pas  plusd'anecdotes.  —  Puis  vient  le  18  mai, 
qui  confère  au  premier  Consul  la  dignité  impériale;  la  France  en- 
tière suit  les  préparatifs  du  sacre,  les  journaux  content,  étape  par 
étape,  le  voyage  du  souverain  pontife. 

Le  2  décembre,  quand,  dans  Notre-Dame,  l'empereur  reçoit  la 
consécration  du  Pape,  la  musique  n'est  pas  oubliée.  Trois  cents 
artistes,  dirigés  par  Rey  et  Persuis,  exécutent  les  œuvres  de  Pai- 
siello  et  de  Lesueur.  Aux  côtés  de  Laïs,  de  l'Opéra,  Kreutzer  et 
Baillot,  attachés  à  la  chapelle  impériale,  représentent  le  Conser- 
vatoire. 

(A  suivre.)  André  Martlnet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Le  répertoire  lyrique  français  en  Allemagne.  Relevé  des  dernières 
listes  des  spectacles  :  Berlin,  Opéra  :  le  Prophète,  la  Fille  du  régiment,  Miqnon 
(2  fois),  Fra  Diavolo,  Coppélia,  Carmen,  la  Juive.  Théâtre  Kroll  :  Joseph,  la 
Permission  de  dix  heures  (3  fois),  le  Postillon  de  Lonjumemi  (4  fois),  la  Juive, 
Fra  Diavolo  (2  fois),  Lakmé  (3  fois),  Guillaume  Tell.  —  Leipzig  :  Les  Dragons 
de  Villars  (2  fois),  la  Fille  du  régiment,  le  Prophète,  Hamlet.  la  Belle  Hélène.  — 
Mannheim  :  Fra  Diavolo,  la  Juive.  —  Vienne  :  Les  Deux  Journées,  l'Africaine, 
Bonsoir,  monsieur  Pantalon,  Hamlet,  la  Juive. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  L'Opéra  de  Berlin  et  celui  de 
Vienne  ne  seront  pas  les  seules  scènes  allemandes  qui  célébreront  le 
centenaire  de  Meyerbeer.  ^  Munich,  Dresde  et  Stuttgart  on  prépare 
également  des  représentations  de  gala  à  la  mémoire  du  grand  compo- 
siteur. On  croit  que  toutes  les  autres  grandes  scènes  lyriques  de  l'Alle- 
magne suivront  l'exemple  de  Berlin,  où  aura  lieu  un  cycle  des  ouvrages 
célèbres  de  Meyerbeer.  Berlin  :  L'Opéra  royal  a  rouvert  ses  portes  avec 
le  Freisckiit:.  Hier  soir  a  dû  avoir  lieu  la  première  soirée  du  Metjerbeer- 
Cyclus;  le  spectacle  était  composé  d'un  prologue  et  de  Robert  le  Diable. 
Le  30  de  ce  mois  on  célébrera  le  centenaire  de  la  Flûte  enchantée,  à 
l'occasion  duquel  la  pièce  sera  remontée  à  neuf;  au  mois  de  décembre 
aura  lieu  un  cycle  des  œuvres  de  Mozart.  La  première  nouveauté  sera 
l'Ami  Fritz,  de  M.  Mascagni;  Ivanhoé,  de  M.  Sullivan,  sera  également 
monté  bientôt,  sur  le  désir  exprès  de  l'empereur  Guillaume.  Le  ténor 
Gœtz  vient  d'effectuer  un  début  triomphal  au  théâtre  Kroll,  dans  le 
Prophète.  Le  compositeur  Maurice  Mozkowski  vient  de  terminer  un 
grand  opéra  intitulé  Boabdil,  qui  est  destiné  à  l'Opéra  royal.  —  Gassel  : 
Un  nouvel  opéra  romantique  en  trois  actes,  Vineta,  du  compositeur 
R.  L.  Hermann,  livret  de  M.  S.  Wolfram,  a  trouvé  bon  accueil  au 
théâtre  de  la  Cour.  —  Chemnitz  :  Même  sort  favorable,  au  théâtre  Thalia, 
pour  une  opérette  en  trois  actes  intitulée  la  Fille  de  la  prairie,  musique 
de  M.  F.  VVeissleder,  livret  de  M.  H.  Bohrmann.  — Cobourg  :  Le  gouver- 
nement vient  d'augmenter  de  30,000  marks  la  subvention  du  théâtre  de  la 
Cour,  qui  s'élève  à  présent  à  74,000  marks.  De  son  côté,  le  duc  régnant 
donne  à  son  théâtre  une  allocation  annuelle  de  150,000  marks.  —  Franc- 
fort :  L'intendance  du  théâtre  municipal  fait  savoir  que,  déférant  à  la 
demande  générale  du  public,  il  organisera  cet  hiver  quatre  concerts  par 
abonnement,  sous  la  direction  du  chef  d'orchestre  Dessoff. —  Lubeck  :  Au 
mois  d'octobre,  le  théâtre  municipal  offrira  à  son  public  la  première 
représentation  d'un  nouvel  opéra  en  un  acte  de  M.  A.  von  Fielitz,  intitulé 
Vendetta.—  Munich  :  Le  théâtre  de  la  Cour  a  effectué  sa  réouverture  avec 
la  Légende  de  sainte  Elisabeth,  de  Liszt.  —  Pesth  :  Sous  le  titre  de  Roi  et 
Ménétrier,  le  théâtre  Gbristinenstadt  a  produit  une  nouvelle  œuvre  lyrique 
dont  le  sujet  est  tiré  de  la  légende  de  Richard  Cœur  de  Lion.  L'auteur 
de  cette  adaptation  est  M.  X.  Klein,  et  le  compositeur  se  nomme  Joseph 
Kerner.  Le  succès  de  cette  nouveauté  a  été,  païaît-il,  très  vif. 

—  On  mande  de  Bayreutb  à  tous  les  journaux  allemands  :  Aux  termes 
de  la  loi  sur  les  professions,  il  faut  que  l'entrepreneur  d'une  exploitation 
théâtrale  justifie  de  ses  capacités  artistiques.  Or,  comme  le  conseil  d'ad- 
ministration (Verwallungsralh)  du  Festspielhaus,  composé  d'une  réunion  de 
personnes,  n'est  pas  à  même  de  fournir  cette  preuve,  au  sens  visé  par 
le  texte  de  loi,  il  a  été  décidé  que  pour  satisfaire  à  cette  exigence  légale 


M""^  Cosinia  Wagner  prendrait  et  affermerait,  en  son  nom  personnel,  la 
direction  de  l'entreprise,  que  lui  céderait  le  Verwaltungsrath.  Si  toutef<ds 
une  entente  dans  ce  sens  n'arrivait  pas  à  se  faire,  ce  serait  un  banquier 
du  nom  deGross  qui  se  substituerait  à  l'administration  actuelle,  à  la  con- 
dition, bien  entendu,  qu'il  plaira  au  gouvernement  de  reconnaître  ses 
aptitudes  artistiques. 

—  Les  journaux  de  Vienne  annoncent  que  la  direction  de  l'Opéra  a 
décidé  de  célébrer  le  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  en  représentant  avec 
le  plus  grand  éclat  possible  les  œuvres  du  célèbre  compositeur.  On  assure 
même  que  le  Burg-théâtre,  qui  est  à  Vienne  la  scène  classique  de  la 
comédie,  prendrait  sa  part  de  ces  manifestations.  Il  y  aurait  des  prologues, 
des  tableaux  vivants  et  des  épilogues.  De  leur  côté,  les  sociétés  philhar- 
moniques organiseront  des  concerts  où  les  œuvres  sympboniques  seront 
exécutées.  Enfin,  un  comité  s'est  constitué,  sous  la  présidence  du  docteur 
Prix,  bourgmestre  de  Vienne,  pour  s'occuper  de  l'organisation  de  l'expo- 
sition Mozart. 

—  Par  contre,  une  nouvelle  assez  singulière,  à  laquelle  se  trouve  mêlé 
le  nom  de  Mozart,  est  télégraphiée  de  Prague  aux  journaux  français.  Il 
parait  qu'on  prépare,  dans  la  capitale  de  la  Bohême,  des  fêtes  destinées  à 
célébrer  le  centième  anniversaire  du  couronnement  de  l'empereur  Léopold, 
et  qu'on  avait  projeté  de  représenter  à  cette  occasion  un  opéra  aujour- 
d'hui peu  connu  de  Mozart,  la  Clémence  de  Titus.  Or,  la  censure  théâtrale 
aurait,  sur  un  ordre  même  de  la  commission  executive  de  la  diète  de 
Bohême,  formellement  interdit  la  représentation  de  cet  ouvrage.  Serait-ce 
qu'on  aurait  découvert,  à  la  longue,  des  traces  de  socialisme,  voire  même 
d'anarchisme,  dans  cette  musique  depuis  longtemps  oubliée  de  la  Clémence 
de  Titus'! 

—  On  lit  dans  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  L'Exposition 
internationale  de  théâtre  et  de  musique  —  la  nouvelle  entreprise  de  la 
princesse  Metternich  —  marche  de  mieux  en  mieux.  Un  comité  italien 
s'est  constitué  sous  la  présidence  du  comte  Nigra,  ambassadeur  du  roi 
Humbert  à  Vienne,  ce  qui  fait  espérer  que  l'appel  de  l'infatigable  prin- 
cesse trouvera  un  écho  retentissant  au  delà  des  monts.  J'ai  déjà  dit  qu'il 
existe  un  comité  français  sous  la  présidence  de  M.  Georges  Berger,  un 
comité  anglais  sous  la  présidence  du  duc  d'Edimbourg  —  ajoutons-y  tous 
les  diables  que  la  princesse  Pauline  a  au  corps  et  ce  sera  bien  étonnant 
si  cette  exposition  projetée  pour  l'an  prochain  ne  réussit  pas.  » 

—  A  Baden,  près  Vienne,  lit-on  dans  le  Journal  de  Dresde,  vit  actuellement 
une  vieille  femme  qui  a  été  la  servante  de  Beethoven.  Elle  a  été  long- 
temps à  l'hôpital,  mais  à  présent  elle  sert  dans  la  maison  où  Beethoven 
a  composé  la  fameuse  «  Neuvième  symphonie  ».  L'immeuble  n'appartient 
nullement  à  la  municipalité  et  n'a  même  jamais  été  restauré:  il  est  oc- 
cupé par  des  ateliers  de  couture.  La  vieille  se  souvient  très  bien  de 
Beethoven,  «  ce  musicien  maniaque  et  détraqué  »,  comme  elle  l'appelle. 
«  Si  les  gens  n'étaient  pas  si  sots,  dit-elle  avec  humeur  aux  pèlerins  de 
la  chambre  de  Beethoveti,  ils  verraient  bien  qu'aucuns  de  ses  portrait  ne  lui 
ressemble.  Beethoven,  qui  ne  se  peignait  jamais,  avait  un  aspect  sauvage 
et  sombre.  » 

—  La  Neue  Musikzeitung  publie  l'amusante  anecdote  que  voici  :  Un  de 
nos  premiers  chanteurs  de  concerts,  M.  S...,  était  un  jour  descendu  à 
l'unique  hôtel  d'une  petite  ville  de  province  où  il  devait  se  faire  entendre 
le  soir  même.  11  venait  de  déjeuner  très  copieusement  et,  un  peu  alourdi 
par  la  bonne  chère,  s'étendit  sur  un  canapé  et  s'assoupit  dans  une  demi- 
somnolence.  Tout  à  coup  il  fut  arraché  de  sa  torpeur  par  le  son  d'une 
magnifique  voix  de  ténor  qui,  dans  la  pièce  à  côté,  chantait  le  Voyageur 
de  Schubert.  C'était  une  voix  comme,  de  sa  vie,  il  n'en  avait  entendu,  de 
pareille.  Et  avec  cela  une  souplesse  d'intonation,  une  pureté  de  style  et 
d'émission  I...  Il  y  avait  de  quoi  être  transporté,  si  on  n'était  soi-même 
ténor  et  si  l'orgueil  artistique  le  permettait  !  Serait-ce  un  rival...  et  la 
petite  ville  de  ...  aurait-elle  la  bonne  fortune  de  posséder  dans  ses  murs 
et  dans  la  même  journée  deux  étoiles  de  cette  grandeur?  Cela  n'était  pas 
croyable.  C'était  là  sûrement  un  amateur  et,  dans  ce  cas,  on  pouvait  se 
montrer  indulgent.  —  N'importe,  il  faut  que  j'en  ai  le  cœur  net,  s'écria  S. 
A  ce  moment,  la  romance  touchait  à  sa  fin,  elle  ténor  mystérieux  en  avait 
détaillé  chaque  strophe  avec  une  égale  perfection.  On  entendait  aussi  un 
accompagnement  au  piano,  mais  si  voilé,  si  discret  et  d'un  timbre  si  par- 
ticulier que  S.  en  aurait  été  frappé  si  son  attention  n'avait  pas  été  absor- 
bée entièrement  par  le  chant.  Il  fit  monter  le  propriétaire  de  l'hôtel.  — ■ 
c<  Monsieur  l'hôtelier,  qui  est-ce  qui  loge  dans  la  pièce  à  côté  ?  demanda- 
t-il.  —  Je  n'en  sais  rien,  fut  la  réponse.  Ce  monsieur  est  également  arrivé 
aujourd'hui  et  ne  s'est  pas  encore  fait  inscrire  au  registre  des  étrangers. 
—  Y  aurait-il  moyen  de  lui  parler  ?  —  Mais  certainement.  Qui  ne  serait 
honoré  de  converser  avec  un  célèbre  artiste  tel  que  vous?  Je  vais  faire  le 
nécessaire.  »  Et  il  quitta  la  chambre  avec  force  saints.  Cinq  minutes  après 
on  frappe  à  la  porte.  L'inconnu  entre.  C'était  un  homme  de  petite  taille, 
dont  la  physionomie  était  ordinaire.  Il  parut  très  ému  et  assura  S.  que 
ce  jour  était  le  plus  beau  de  sa  vie.  «  —  Voulez-vous  me  permettre  de 
vous  demander  votre  nom?  dit  S.  —  Je  suis  le  courtier  en  vins  Karl 
Meier.  »  S.  commença  à  respirer  plus  librement.  Ce  n'était  effectivement 
qu'un  amateur  !...  —  »  Je  suis  heureux,  reprit  S.  avec  complaisance,  de 
faire  la  connaissance  du  possesseur  d'une  voix  de  ténor  aussi  extraordi- 
naire. —  Vous  vous  trompez.  Je  n'ai  jamais  chanté  de  ma  vie  et  je  suis  si 


LE  MENESTREL 


287 


peu  musicien  qu'il  me  serait  impossible  de  distinguer  une  sonate  de 
Bethoven  d'une  valse  de  Chopin.  —  Mais  qui  était  avec  vous  dans  votre 
chambre?  —  A  part  le  garçon  et  la  femme  de  chambre,  personne,  à  ma 
connaissance,  n'a  pénétré  aujourd'hui  chez  moi.  —  Mais,  mille  diables, 
s'écria  S.  impatienté,  c'est  donc  le  garçon  d'hôtel  qui  a  chanté  et  la 
femme  de  chambre  qui  l'a  accompagné?  —  Vous  êtes  de  nouveau  dans 
l'erreur,  dit  tranquillement  le  petit  homme.  Il  n'y  a  pas  de  piano  dans  ma 
chambre,  —  Vraiment,  cela  devient  fantastique,  Serez-vous  assez  bon 
pour  me  dévoiler  le  secret  de  cette  énigme  ?  —  «  Très  volontiers.  La  per- 
sonne que  vous  avez  entendue  chanter  arrive  d'Amérique  et  se  nomme 
Monsieur  Phonographe!  » —  Monsieur  P/joJiojrajjAe/  répète  S...  en  riant  aux 
éclats.  Voilà  donc  le  mystère  éclairci.  Mais  dites  moi,  continua  S...  pouvez- 
vous  me  nommer  l'artiste  qui  a  transmis  au  phonographe  ces  sons 
enhcanteurs?  «  Je  vais  vous  le  dire  aussi.  Ce  n'est  pas  un  autre  que... 
vous-même,  monsieur  S...  !  Bien  que  je  ne  sois  pas  musicien,  j'aime 
beaucoup  la  musique  et  j'admire  les  grands  artistes.  Dans  mes  voyages 
d'affaires,  je  ne  manque  jamais  une  occasion  d'aller  au  concert.  Or,  j'as- 
sistais à  celui  où  vous  vous  êtes  fait  entendre  à  M...  Assis  au  premier 
rang,  près  de  l'estrade,  j'ai  sorti,  avec  beaucoup  de  précaution,  un  pho- 
nographe de  ma  poche  et,  sans  être  vu  de  personne,  j'ai  recueilli  un  pho- 
nogramme du  célèbre  chanteur  S...  Maintenant,  sachant  que  vous  logiez 
à  côté  de  moi,  j'ai  mis  tout  à  l'heure  l'appareil  eu  mouvement  pour  voir 
si  les  savants  ont  raison  lorsqu'ils  prétendent  que  l'homme  ne  sait  pas 
reconnaître  le  son  de  sa  propre  voix.  Vous  le  voyez,  les  savants  sont  dans 
le  vrai.  Il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  prier  d'excuser  mon  audace.  »  S... 
était  muet  d'étonnement.  Ainsi,  il  s'était  entendu  chanter  lui-même,  et  il 
n'avait  pas  reconnu  sa  voix! 

—  Correspondance  de  Christiania  :  La  jeune  cantatrice  M"»  Viborg,  qui, 
selon  M.  Tiersot,  a  si  bien  rempli  le  rôle  d'Elisabeth  dans  Tannhâuser  à 
Bayreuth,  est  norvégienne  (M.  Tiersot  dit:  dans  son  article:  Suède  ou 
Danemark,  je  ne  sais).  —  L'année  prochaine  on  verra  cependant  une 
jeune  Suédoise  à  Bayreuth.  M"""  Wagner  vient  en  effet  de  choisir,  pour 
succéder  à  M"'"  Materna  dans  Parsifal,  M"i=  Ellen  Gulbransoa,  qui  a  créé  la 
Walkijrie  à  Copenhague,  cette  année,  mais  qui  réside  à  Christiania,  épouse 
d'un  officier  norvégien.  M'""  Gulbranson,  élève  de  M"'«  Marches!,  n'appar- 
tient au  théâtre  que  depuis  deux  ans,  et  elle  fera  ses  débuts  en  Allemagne 
à  Bayreuth.  Vous  savez  que  la  prochaine  W'alkyrie  de  Turin  sera  une 
Norvégienne,  M""  Oselio.  —  Et  vous  savez  sans  doute  la  grosse  nouvelle  : 
C'est  M"'=  Sigrid  Arnoldson  qui,  cet  hiver,  créera  le  rôle  féminin  principal 
du  nouvel  opéra  de  Verdi.  M.  Boito  vient  d'entrer  en  pourparlers  avec  la 
direction  de  la  Scala  pour  qu'elle  engage  M'"'=  Arnoldson  pour  vingt  repré- 
sentations à  raison  de  3,000  francs  l'une.  M'"=  Arnoldson  chante  actuellement  à 
Gothembourg  et  à  Christiania  (Mignon,  Barbier,  Traviaia).  C'est  sa  première 
apparition  au  théâtre  en  Scandinavie,  et  c'est  naturellement  un  délire. 
L'imprésario,  M.  Lindberg,  directeur  des  théâtres  unis  de  Gothembourg, 
est  lui-même  un  excellent  acteur,  le  premier  créateur  d«s  Revenants  d'Ibsen. 

H.  H. 

—  On  écrit  de  Milan  à  l'Italie  que  le  programme  de  la  prochaine  saison 
de  la  Scala  est  à  peu  près  fixé  comme  siiit  :  Tannhâuser,  opéra  d'ouver- 
ture, avec  le  ténor  De  Negri,  le  baryton  Reichmann,  un  des  maîtres  de  la 
dernière  saison  wagnérienne  à  Bayreuth,  et  Arkel.  La  Muta  di  Portici,  avec 
la  Zucchi  dans  le  rôle  de  Fenella  et  MM.  De  Negri  et  Boudouresque. 
Gli  Vgonotti,  avec  le  ténor  Mariacher,  la  Theodorini,  la  Stehle  et  M.  Bou- 
douresque. Valu,  opéra  nouveau  de  M.  Alfredo  Catalani,  et  probablement 
Carmen,  avec  la  Theodorini  et  le  ténor  De  Marchi,  et  enfin  Samson  et  Da- 
lila,  de  M.  Saint-Saëns,  qui  sera  une  nouveauté  pour  les  spectateurs  mila- 
nais. Comme  ballets,  Rodope,  de  M.  Grassi,  et  Ermanzia,  de  M.  Pratesi. 
C'est  M,  Mascheroni  qui  sera  chef  d'orchestre. 

—  La  saison  d'automne  promet  l'apparition  de  quelques  ouvrages  nou- 
veaux sur  les  théâtres  italiens.  A  la  Pergola  de  Florence  ce  sera  Tilda, 
opéra  du  maestro  Gilea  ;  au  Costanzi  de  Rome,  Farnese,  drame  lyrique  de 
M.  Costantino  Palurabo  ;  enfin,  sur  l'une  des  scènes  secondaires  de  Flo- 
rence, Quaresima  d'amore,  opérette  du  prince  de  Teora,  dilettante  opulent  à 
qui  l'on  doit  déjà  un  ou  deux  ouvrages  du  même  genre. 

—  On  s'entretient  avec  animation,  à  Venise,  d'un  scandale  qui  vient 
de  se  produire  en  cette  ville.  Un  artiste  fort  connu,  M.  Luigi  Malipiero, 
qui  dirigeait  le  petit  orchestre  du  café-concert  de  l'établissement  du  Lido, 
aurait  emprunté  une  somme  importante,  avec  laquelle  il  se  serait  enfui 
en  compagnie  d'une  chanteuse  de  ce  café.  Or,  le  susdit  Malipiero  a  femme 
et  enfants,  et  il  était  à  la  tète  d'un  important  magasin  de  pianos  de 
Venise,  où  il  jouissait  jusqu'à  ce  jour  d'une  excellente  réputation.  De  là  de 
vifs  commentaires,  qui,  on  le  comprend,  ne  sont  pas  tous  à  son  avantage. 

—  Les  journaux  italiens  se  plaignent  de  l'incessant  envahissement  des 
cafés-chantants,  qui  font  tort  aux  théâtres  et  pervertissent  le  goût  public. 
A  Milan  seulement,  le  Trovatore  en  compte  dix,  dont  voici  les  titres  : 
l'Edcii.  r.l»/ïi/ï/,  le  Mont-Thabor,  le  Caffè  Unione,  le  Salon  ViUoria,  la  bras- 
serie San  Marlino,  le  Ca/fè  Otello,  le  Caffé  Roma,  le  Bottegone  et  le  Caffè  Fran- 
co forte. 

—  De  grandes  fêtes  viennent  d'avoir  lieu  à  Mondovi  à  l'occasion  de 
l'inauguration  de  la  statue  de  Charles-Albert  1='',  roi  de  Sardaigne.  Durant 
la  cérémonie,  on  a  exécuté  une  grande  cantate  de  circonstance  due  au 
maestro  Agnolucci  et  qui,  paraît-il,  a  obtenu  un  grand  succès. 


—  En  Italie,  les  refus  de  subventions  aux  théâtres  se  généralisent  de  la 
part  des  municipalités,  toutes  désireuses  de  réaliser  des  économies  dont 
le  principe  n'est  que  trop  justifié  par  un  état  financier  déplorable.  Reste 
à  savoir  si  celles-ci  sont  les  plus  heureuses.  Toujours  est-il  que  le  con- 
seil communal  de  Parme  a  résolu  de  ne  point  accorder,  cette  année,  la 
subvention  de  30,000  francs  dont  jouissait  d'ordinaire  le  grand  théâtre  de 
cette  ville,  l'une  des  scènes  les  plus  importantes  de  l'Italie  au  point  de  vue 
musical,  si  bien  que  ce  théâtre  devra  rester  fermé  durant  la  prochaine 
saison  de  carnaval.  Le  rrouatoie,  justement  afQigé  de  cette  nouvelle,  s'écrie 
à  ce  propos  :  «  Qu'on  ferme,  qu'on  ferme  les  théâtres,  et  l'on  en  verra 
l'avantage  !  » 

—  A  Palerme,  où  la  prochaine  Exposition  fait  espérer  une  saison  bril- 
lante, on  prépare  au  grand  théâtre  un  spectacle  grandiose  d'opéra,  tandis 
que  le  théâtre  Mangano  s'ouvrira  avec  la  compagnie  d'opérette  Scogna- 
miglio  et  qu'une  compagnie  napolitaine  s'emparera  du  théâtre  Bellini. 

—  La  manie  du  suicide  semble  sévir  en  ce  moment  sur  les  musiciens 
italiens.  Nous  annoncions  récemment  deux  morts  de  ce  genre,  nous  en 
avons  deux  autres  à  enregistrer  :  à  Gênes,  celle  de  Giuseppe  Bosi,  alto  à 
l'orchestre  d'un  des  théâtres  de  cette  ville,  et,  à  Venise,  celle  d'un  jeune 
compositeur  à  peine  âgé  de  vingt-sept  ans,  Carlo  Wirtz,  qui,  dit-on,  donnait 
de  sérieuses  espérances.  Fils  d'un  conseiller  communal,  ce  jeune  artiste 
avait  fait  d'excellentes  études  au  Lycée  musical  Benedetto  Marcello,  où 
il  avait  eu  pour  maître  M.  Reginaldo  Grazzini,  et  il  s'était  fait  connaître 
avantageusement  déjà  par  quelques  coiiipositions  importantes.  Il  s'est  tué 
dans  un  accès  de  fièvre  chaude. 

—  Au  grand  théâtre  du  Lycée  de  Barcelone,  on  annonce,  pour  la  saison 
prochaine,  les  engagements  de  M""^  Arkel,  Carrera  et  Bonaplata,  soprani  ; 
Mata,  mezzo-soprano  ;  du  ténor  Grani  et  de  la  basse  Meroles.  C'est  le 
maestro  Goula,  très  renommé,  qui  sera  chef  d'orchestre. 

—  S'il  faut  en  croire  la  Gaceta  musical  de  Lisbonne,  le  gouvernement 
portugais  aurait  l'intention,  vu  la  fâcheuse  situation  financière  dont  le 
pays  souffre  en  ce  moment,  de  réduire  notablement  la  subvention  accor- 
dée d'ordinaire  au  théâtre  San  Carlos,  la  grande  scène  lyrique  de  la  capi- 
tale. De  25  millions  de  reis  (chiffre  d'apparence  formidable  qui  se  traduit 
par  133,000  francs  environ),  cette  subvention  serait  diminuée  d'un  quart 
et  ramenée  à  18  millions  de  reis.  D'autre  part,  le  même  journal  prétend 
que  les  artistes  engagés  jusqu'à  ce  jour  pour  la  prochaine  saison  du 
théâtre  San  Carlos,  seraient  disposés  à  demander  la  résiliation  de  leurs 
contrats,  pour  cette  raison  qu'ils  ne  pourraient  être  payés  en  or,  et  que 
la  dépréciation  du  papier  leur  ferait  perdre  vingt-cinq  pour  cent  sur  le 
montant  de  leurs  traitements. 

—  Deux  opérettes  viennent  encore  d'éclore  nouvellement  à  Lisbonne  : 
l'une,  0  Reino  dos  homcns,  musique  de  M.  Ptichini,  au  théâtre  de  la  Rua 
dos  Candes  ;  c'est  une  sorte  de  contre-partie  du  Ro\jaunie  des  femmes,  joué 
récemment,  un  peu  roide,  paraît-il,  en  ce  qui  concerne  les  paroles,  mais 
charmante  quant  à  la  musique  ;  l'autre,  o  Burro  do  s'  Alcaide,  paroles  de 
MM.  Gervasio  Lobato  et  Joàs  da  Camara,  musique  de  M.  Gyriaco  de 
Gardoso,  au  théâtre  de  l'Avenida. 

—  On  doit  jouer  prochainement,  à  Londres,  une  grande  revue  avec 
musique  nouvelle,  dont  les  auteurs  seront  MM.  Paul  Ferrier  et  Gaston 
Serpette. 

—  Les  plus  célèbres  maîtres  de  ballet  du  monde  entier  vont  être  convo- 
qués à  un  Congrès  des  maîtres  de  danse,  qui  va  se  tenir  à  Londres  pendant 
l'été  de  1892.  Les  délibérations  porteront  principalement  sur  l'adoption 
d'une  méthode  unique  de  chorégraphie  à  l'usage  de  tous  les  corps  de  Jjallet 
du  monde.  Tant  pis!  C'est  surtout  dans  le  ballet,  il  nous  semble,  que 
devrait  régner  la  fantaisie  et  l'imagination.  Une  seule  méthode,  ce  sera 
bien  monotone. 

PARIS  ET  DEPARTEMENTS 
A  l'Opéra,  on  pense  pouvoir  faire  passer  Lohengrin  le  vendredi  U, 
mais  plus  probablement  le  lundi  14  ou  même  le  vendredi  18.  —  Immédia- 
tement après  on  s'occupera  de  Tamara,  l'opéra  en  deux  actes  de  MM.  Louis 
Gallet  et  Bourgault-Ducoudray,  dont  le  principal  rôle  sera  créé  par 
M.  Vergnet. 

—  L'Opéra-Comique  a  rouvert  ses  portes  cette  semaine  avec  le  Rêve, 
l'opéra  si  discuté  de  M.  Bruneau.  Le  jeune  compositeur  n'eùt-il  obtenu 
que  ce  résultat,  celui  de  se  faire  discuter,  que  ce  serait  déjà  un  grand 
point.  M.  Bruneau,  pour  arriver  à  la  notoriété,  emploie  les  procédés  d'Al- 
cibiade.  Il  a  commencé  par  écrire  une  partition  pour  les  chats,  moyen 
infaillible  et  original  d'attirer  l'attention  déchirante  de  ses  contempo- 
rains. Cela  lui  permettra  de  composer  la  prochaine  fois  pour  les  humains, 
sans  risquer  de  passer  inaperçu.  Très  malin,  M.  Bruneau  !  —  Le  lende- 
main on  a  repris  Lakmé,  qui  se  laisse  entendre  encore,  même  après  les 
fantaisies  abracadabrantes  du  jeune  novateur.  Cela  paraissait,  du  moins, 
être  l'avis  du  public  arriéré  qui  remplissait  la  salle  et  qui  ne  paraissait 
pas  autrement  l'ennemi  des  douces  harmonies  de  Léo  Delibes.  Elles  sem- 
blaient même  le  reposer  agréablement  du  bruit  de  casseroles  déchaînées 
qui  l'avait  fait  sursauter  la  veille.  Et  vous  savez,  la  recette  ne  s'en  por- 
tait pas  plus  mal,  ah  !  mais  non. 

—  On  lit  dans  les  journaux  judiciaires,  sous  la  rubrique  :  «  Liquidations 
judiciaires  converties  en  faillites  »  la  note  suivante  :  «  L.  Paravey  et  G'=, 


288 


LE  MÉNESTREL 


socitMé  en  commandite  ayant  pour  objet  l'exploitation  d'un  théâtre,  avec 
siège  à  Paris,  avenue  Victoria,  15;  composée  de  :  1°  Paravey  (Louis), 
demeurant  au  siège  social,  et  2»  de  commanditaires.  —  Ouverture  au 
7  mars  1S91.  —  Nomme  M,  Bernhard,  juge-commissaire,  et  M.  Bonneau, 
6,  rue  de  Savoie,  syndic  provisoire.  »  —  Ainsi  passent  les  gloires  de  ce 
monde. 

—  On  nous  communique  une  lettre  inédite  et  intéressante  de  Méhul, 
que  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  n'a  pu  que  mentionner  dans  le 
livre  si  attachant  qu'il  a  consacré  à  ce  grand  maître,  en  en  reproduisant 
seulement  quelques  lignes  publiées  naguère  dans  un  catalogue  d'auto- 
graphes. Le  nom  du  destinataire  de  C'-tte  lettre,  à  qui  le  compositeur 
donne  le  titre  d'Altesse  Royale,  reste  à  l'état  d'énigme,  mais  c'était  évi- 
demment un  prince  souverain,  puisque  Méhul  lui  propose  de  faire  jouer 
«  à  sa  cour  »  son  opéra  d'Adrien,  tout  en  déclarant  implicitement  qu'il 
n'est  qu'à  moitié  satisfait  de  cet  ouvrage.  Voici  le  texte  de  cette  lettre  : 
Monseigneur, 

Depuis  trop  longtems  le  travail  était  moins  un  plaisir  pour  moi  qu'une  habi- 
tude, qu'un  moyen  d'échapper  à  l'ennui,  et  mon  imagination  flétrie  au  milieu 
des  orages  politiques  n'enfantait  plus  qu'avec  efiort.  Mais  la  lettre  dont  votre 
Altesse  Royale  a  daigné  m'honorer,  dissipe  cette  langueur  et  ranime  mon  cou- 
rage. L'espoir  d'occuper  quelquefois  les  loisirs  d'un  prince  éclairé,  ami  et  pro- 
tecteur des  arts,  d'un  prince  qui  a  laissé  parmi  les  artistes  françois  un  nom 
vénéré  et  chéri,  va  me  rendre  l'amour  de  l'étude  et  m'inspirer  des  ouvrages  digne^ 
de  lui  être  offerts. 

Je  doute.  Monseigneur,  que  vous  soyez  content  de  mon  Adrien,  mslgré  le 
succès  qu'il  a  obtenu  à  Paris.  Il  est  du  genre  admicatif,  et  ce  genre  est  natu- 
rellement froid  ;  d'ailleurs,  Monseigneur,  j'avoue  que  je  n'ai  jamais  bien  conçu 
comment  il  était  possible  de  traduire  en  accens  mélodieux  les  passions  romaines. 

Si  votre  Altesse  Royale  le  permet,  j'aurai  l'honneur  de  lui  adresser  un  aulre 
opéra  que  j'ai  donné  depuis  Adrien  et  que  j'estime  davantage  (il  s'agit  ici  d'Ario- 
dant,  dont  le  succès  fut  éclatant,).  Ce  nouvel  ouvrage  est  tiré  de  l'Ariosle,  les 
personnages  principaux  tiennent  à  l'ancienne  chevalerie,  et  j'ai  éprouvé  plus 
d'une  fois  qu'il  était  plus  aisé  de  faire  chanter  des  paladins  que  des  sénateurs  et 
des  consuls. 

Cependant,  Monseigneur,  si  malgré  les  accens  un  peu  sauvages  de  mon  empe- 
reur Adrie7i,  vous  voulez  le  présenter  à  votre  cour,  et  que  vos  maîtres  de  mu- 
sique ayent  besoin  de  quelques  renseignements,  ordonnez. 

L'emploi  de  mon  toms  me  serj.  ctier,  lorsqu'il  pourra  vous  prouver  mon  entier 
dévouement. 

Je  suis,  avec  un  profond  respect.  Monseigneur,  de  votre  Altesse  Royale, 

Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

MÉHUL, 

Paris,  le  i"  février  1800. 

—  M.  André  Messager  est  rentré  à  Paris  cette  semaine,  rapportant  de 
ses  vacances,  complètement  terminée,  une  nouvelle  partition  écrite  sur  un 
livret  tiré,  par  MM.  Georges  Hartmann  et  André  Alexaudre,  du  roman 
de  M.  Pierre  Loti,  Madame  Chrysanihéme. 

Dimanche    dernier,  M.  Danbé   a   clôturé    la   série   de    ses   brillants 

concerts  à  Argelès  par  une  soirée  exceptionnelle  qu'il  a  eu  l'heureuse  idée 
de  donner  au  bénéfice  de  la  caisse  de  l'Association  des  artistes  musiciens 
et  dans  laquelle  M.  Saléza,  de  l'Opéra-Gomique,  M'"  Brelay,  2=  prix  de 
chant  du  Conservatoire,  M"'  Louise  Steiger,  la  charmante  pianiste,  ont 
prêté  gracieusement  le  concours  de  leur  talent.  Ces  excellents  artistes  ont 
récolté  de  vifs  applaudissements,  dont  notre  grand  maître  Ambroise  Thomas 
était  le  premier  à  donner  le  signal. 

NÉCROLOGIE 

C'est  certainement  le  doj'en  des  lauréats  du  grand  prix  de  composition 
musicale  de  l'Institut  qui  vient  de  disparaître  en  la  personne  de  l'excel- 
lent Nargeot,  l'ancien  chef  d'orchestre  des  Variétés,  mort  dimanche  der- 
nier, 30  août,  à  Passy,  âgé  de  quatre-vingt-douze  ans.  Pierre-Julien 
Nargeot  était  né  à  Paris  le  7  janvier  1799.  Élève  de  Rodolphe  Kreutzer 
au  Conservatoire,  pour  le  violon,  il  fit  d'abord  partie  de  l'orchestre  de 
l'Opéra-Gomique,  pour  passer  ensuite  aux  Italiens,  puis  à  l'Opéra.  Il  ren- 
tra au  Conservatoire  en  1823,  comme  élève  de  composition,  y  reçut  des 
leçons  de  Barbereau,  puis  de  Reicha  et  de  Lesueur,  et  concourut  en  1828 
à  i'Institut,  où  il  obtint  le  deuxième  second  grand  prix  de  Rome,  tandis 
que  Ross-Despréaux  remportait  le  premier  grand  prix,  et  que  le  premier 
second  grand  prix  était  décerné  à  Berlioz.  La  cantate  de  concours,  intitulée 
Herminie,  était  de  Vieillard,  l'ami  de  Méhul.  Nargeot  fit  comme  tant  d'au- 
tres et  essaya,  bien  inutilement,  de  se  faire  jouer  à  l'Opéra-Gomique.  Ce 
que  voyant,  il  accepta,  vers  1840,  la  place  de  chef  d'orchestre  qui  lui  était 
offerte  aux  Variétés  et  qu'il  conserva  pendant  près  de  vingt-cinq  ans, 
écrivant  pour  les  vaudevilles  joués  à  ce  théâtre,  où  l'on  jouait  encore  le 
vaudeville,  une  foule  d'airs  et  de  couplets  charmants  qui  obtenaient  le 
plus  vit  succès.  Un  entre  autres,  une  petite  chanson  à  boire  dont  le  re- 
frain était  Drin,  drin,  drin,  courut  tout  Paris  pendant  plus  de  dix  ans  et 
fut  moulu  à  l'époque  par  toutes  les  orgues  de  Barbarie.  Nargeot  a  cepen- 
dant écrit  la  musique  d'un  assez  grand  nombre  d'opérettes  qui  furent 
jouées  sur  divers  petits  théâtres  :  1"  los  Contrahandislm,  Théâtre  féerique, 
1861;  2°  la  Volonté  de  mon  oncle,  un  acte.  Vaudeville,  1862;  3°  les  Exploits 
de  Silvcstre,  théâtre  Saint-Germain  (Gluny),  1863;  4°  un  Vieux  Printemps, 
Luxembourg,  1863;  3°  Z)a«s  fe  pétrin,  Folies-Marigny,  iSGQ;  ii"  Jeanne,  Jean- 
nette  et  Jeanneton,  id.,   1876;   7°  Trois    Troubadours,   Folies-Nouvelles;  8"  i 


Pifl'erari,  théâtre  Deburau  ;  9°  le  Docteur  Frontin;  10"  les  Ouvrières  de  qualité. 
—  Nargeot  avait  un  frère,  Jean-Denis,  mort  il  y  a  quelques  années,  qui 
fut  un  graveur  en  taille-douce  fort  distingué,  et  à  qui  l'on  doit,  entre 
autres,  quelques-unes  des  plus  jolies  planches  du  joli  recueil  de  Dumer- 
san,  Chant  et  Chansons  populaires  de  la  France,  publié  chez  l'éditeur  Delloye, 
vers  1842. 

—  On  a  annoncé  cette  semaine  la  mort  subite,  à  Hennequeville  (Calvados), 
d'un  jeune  compositeur  à  peine  âgé  de  vingt-huit  ans,  M.  Albert  Millet, 
qui  avait  donné  l'an  dernier  à  l'Opéra-Gomique,  le  15  janvier,  un  petit 
ouvrage  en  un  acte  intitulé  Hilda.  Toiit  d'abord  on  affirmait  que  le  jeune 
artiste  avait  succombé  à  la  rupture  d'nn  anévrisme;  puis,  la  vérité  se  fit 
jour  et  l'on  apprit  que  M.  Millet,  atteint  d'une  maladie  incurable  et  exas- 
péré par  ses  souffrances,  s'était  suicidé  en  se  tirant  un  coup  de  revolver 
entre  les  deux  yeux.  Le  fait  est  d'autant  plus  douloureux  qu'il  laisse  une 
jeune  veuve  et  une  fillette  de  huit  mois.  Le  compositeur  s'occupait  active- 
ment, dit-on,  d'un  nouvel  ouvrage,  de  proportions  considérables,  intitulé 
le  Sculpteur  de  Bruges. 

—  A  Baden-Baden  est  mort,  le  3  août  dernier,  le  prince  Nicolas  Youssou- 
poff,  bien  connu,  en  France  et  en  Russie,  sa  patrie,  par  son  goût  vit  et 
éclairé  pour  les  arts  et  les  lettres.  Né  vers  1820,  ce  prince,  qui  dans  son 
palais  de  Saint-Pétersbourg  possédait  une  admirable  galerie  de  tableaux, 
véritable  musée  comprenant  plus  de  trois  cents  toiles  des  plus  grands  [ 
maîtres  anciens  et  modernes,  s'était  aussi  distingué,  dès  sa  jeunesse,  par 
son  ardent  amour  de  la  musique,  qu'il  avait  étudiée  avec  passion.  A  la 
fois  violoniste  amateur,  compositeur  et  écrivain  spécial,  il  entretint  pen- 
dant plusieurs  années,  dans  son  palais,  un  orchestre  de  musiciens  russes 

et  étrangers.  Il  a  publié  à  Paris,  qu'il  habita  pendant  un  certain  temps, 
un  concerto  symphonique  pour  violon  et  orchestre  qui  lui  valut  une 
mention  honorable  de  la  Société  néerlandaise  pour  l'encouragement  de  la 
musique;  il  composa  ensuite  une  sorte  de  symphonie  historique,  aussi 
pour  violon  et  orchestre,  à  laquelle  il  donna  le  titre  de  Gonzalvc  de  Cordoue 
et  qu'il  fit  connaître  par  un  programme  très  détaillé.  On  lui  doit  enfin  deux 
ouvrages  écrits  et  publiés  en  français  :  l'un,  intitulé  Luthomonographie 
historique  et  raisonnée,  essai  sur  l'histoire  du  violon  et  sur  les  ouvrages  des 
anciens  luthiers  célèbres  du  temps  de  la  Renaissance,  par  un  amateur  i 
(Francfort-sur  le-Mein,  Ch.  Jugel,  16o6,  in-8°  avec  planches),  aujourd'hui 
devenu  très  rare  ;  l'autre,  sous  ce  titre  :  Histoire  de  la  musique  en  Russie, 
première  partie,  Musique  sacrée,  suivie  d'an  choix  de  morceaux  de  chants  d'église 
anciens  et  modernes  (Paris,  Saint-Jorre,  1862,  in-i").  Nous  ne  savons  si  cet 
ouvrage  a  été  terminé. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

7  septembre  à  8  h.  1/2  du  soir,  Société  lyrique  les  Epicuriens,  réou- 
verture des  soirées  chantantes  hebdomadaires  du  lundi,  à  son  siège  social  : 
33,  boulevard  Sébastopol  (café  des  Bords  du  Rhin.) 

La  Société  de  musique  de  chambre  de  Saint-Pétersbourg  ouvre  un  CONCOURS 
DE  QUATUORS  d'instruments  à  cordes. 
Conditions  essentielles: 

1)  Les  compositeurs  de  toutes  nationalités  sont  invités  à  prendre  part 
au  concours. 

2)  Une  commission  compétente  est  nommée  à  l'effet  d'examiner  les  com- 
positions. 

3)  Les  deux  meilleurs  quatuors  reçoivent  des  prix;  le  meilleur  de 
350  roubles,  le  second  —  un  prix  de  150  roubles.  Les  autres  compositions 
pourront,  selon  leur  mérite,  être  l'objet  de  mentions  honorables. 

4)  Pour  le  cas  où  le  premier  ou  même  les  deux  premiers  prix  ne 
pourraient  être  distribués,  la  société  paie  des  compensations  pour  les 
quatuors,  qui,  sans  avoir  mérité  les  prix,  présenteront  le  plus  de  qualités. 

3)  Les  compositions  envoyées  devront  porter  une  devise  qui  sera  inscrite 
également  sur  l'enveloppe  renfermant  le  nom  et  l'adresse  du  compositeur. 

6)  Il  est  expressément  recommandé  d'envoyer  les  compositions  en  parti- 
tion et  en  parties  séparées. 

7)  Le  dernier  délai  pour  l'envoi  des  compositions  est  le  1=''  janvier  1892. 
La  décision  de  la  commission  sera  publiée  vers  le  1^  avril  1892. 

8)  Les  compositions  qui  n'auront  obtenu  ni  prix,  ni  mention  seront 
rendues  à  leurs  auteurs,  sur  la  présentation  du  reçu  à  eux  délivré  par  la 
société  au  moment  où  les  manuscrits  lui  auront  été  remis. 

9)  Les  compositions  devront  être  adressées  au  magasin  de  musique 
A.  BûTTNER,  Perspective  Nevsky,  22  (Société   de  musique  de  chambre  à  Saint- 


nte  au  MÉNESTREL,  2  bis,  rue   Virienne 


MÉTHODE    DE    DANSE 

PAR 

PRIX  NET:  7  FR.  Q-       X)  E  S  R  ^  T  PRIX  NET:  7  FR. 

TEXTE  —   DESSINS    —  MUSIQUE 

Ifouvelle  édition  augmentée  des  nouTelles  danses  à,  la  mode. 


1>1UHE1UE  CIIAIX,  20     IHJE  ItERGÈRE,    PARIS. 


Dimanche  13  Septembre  1891. 


3154  -  57-  AOTE  -  î\"  37.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fbanco  i  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménbstrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,  Paris  et  Province. 

Ahonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sa». 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (25°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Les  Théâtres  de  Paris  il  y  a  cent  ans, 
Arthur  Pougin;  Carmen,  à  l'Opéra-Comique,  Paul-Êmile  Chevalier.  —  III.  His- 
toire anecdotique  du  Conservatoire  '6'^  article),  Anoré  Martinet.  —  IV.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
GAILLARDE 
de  V.  DoLMETSCH.  —  Suivra  immédiatement:  Tricotets,  de  Broustet. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Défi!  nouvelle  mélodie  de  Joanni  Perronnet,  poésie  de  Amélie 
Perronnet.  —  Suivra  immédiatement  :  Papillon,  nouvelle  mélodie  de  Ed. 
Chavagnat. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  diarles   M:ALHEPIBB 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  IV 

AVANT     LA     GUERRE 

1868-1870. 

(Suite.) 

Entre  temps,  le  13  mai,  s'était  glissé  sur  l'affiche  un  acte 
qui  n'avait  pas  fait  antichambre  moins  de  deux  ans,  et  qui 
s'était  va  affubler  des  titres  les  plus  divers,  'car  on  l'appela 
tour  à  tour  les  Mariés  sans  mariage,  le  Pâté  de  grives,  le  Zapateyo, 
et,  finalement,  la  Pénitente.  En  1866,  la  presse  annonçait  la 
pièce  comme  prête  à  passer,  avec  M™^  Girard,  Révilly,  Gontié, 
Collas,  MM.  Lhérie,  Falchieri  et  Potel  ;  en  1868,  le  même 
acte,  autrement  dénommé,  n'était  plus  joué  que  par  Leroy, 
Potel  et  M"<=  Cico.  Plus  de  la  moitié  des  personnages  était 
donc  restée  en  chemin,  et  cette  disparition  laisse  à  deviner 
par  quels  remaniements  l'œuvre  avait  dû  passer.  Quant  à  la 
bizarrerie  de  litres  ayant  si  peu  de  corrélation  entre  eux, 
elle  s'explique  par  le  choix  du  sujet.  Tout  tourne  en  effet 
autour  d'un  pâté  que  l'estomac  du  sieur  Torribio  s'efforce  de 
digérer.  Lequel  des  deux  passera,  du  gourmand  ou  du  pâté? 
grave  question  pour  la  femme,  que  le  mari  s'est  mis  en  tête 
d'envoyer  dans  un  couvent,  s'il  meurt,  afin  de  l'empêcher 
de  convoler   à  d'autres  noces.    Cette   perspective  lui    sourit 


d'autant  moins  que  le  petit  abbé  Eugénio,  chargé  de  prépa- 
rer la  future  pénitente,  se  montre  plus  disposé  à  la  mener 
vers  l'amour  que  vers  le  Seigneur.  Un  livret  aussi  gastro- 
nomique ne  pouvait  manquer  d'obtenir  l'agrément  d'un  gas- 
tronome tel  que  Gh.  Monselet.  Aussi  écrivait-il  :  «  Tout  le 
monde  ne  peut  pas  faire  un  pâté;  mais  tout  le  monde  peut 
faire  un  opéra-comique  à  propos  d'un  pâté;  c'est  ce  qu'ont  fait 
MM.  Henri  Meillhac  et  William  Busnach.  »  C'était  même 
d'autant  plus  facile  qu'ils  avaient  simplement  transformé  un 
ancien  vaudeville  de  Désaugiers.  Le  spirituel  écrivain  ne 
manquait  pas  de  constater,  en  outre,  parmi  les  interprètes, 
la  présence  de  «  Potel  (rien  de  Chabot,  malgré  le  pâté!)  » 
et  il  ajoutait,  ce  à  quoi  nous  ne  contredisons  pas,  que  sur 
cette  situation  grivoise  l'auteur  avait  brodé  une  musique 
«  légère  et  gracieuse  ».  Or  cet  auteur  mérite  une  mention 
à  part,  car  c'est  la  première  et  la  dernière  fois  que  nous 
rencontrons  à  la  salle  Favart  le  nom  d'une  dame,  parmi  ceux 
des  compositeurs.  La  partition  de  la  Pénitente  était  due  à  la 
plume  de  M"»  la  vicomtesse  Eulart  de  Grandval,  née  de 
Reiset.  Au  moins  donnons-nous  là  son  vrai  nom,  afin  que 
les  historiens  futurs  ne  puissent  errer  entre  les  diverses 
variantes  qu'elle-même  lui  a  prêtées.  En  1863,  elle  faisait 
représenter,  au  Théâtre-Lyrique,  un  acte,  les  Fiancés  de  Rosa, 
signé  Constance  Yalgrand  et,  vingt-huit  ans  plus  tard,  on 
devait  jouer  d'elle,  aux  Concerts  du  Ghâtelet,  des  œuvres  que 
l'affiche  a  attribuées  à  E.  de  Granval,  puis  à  Grandval  tout 
court,  sans  M'""  et  sans  de. 

La  Pénitente  n'avait  obtenu,  avec  ses  treize  représentations, 
qu'un  succès  d'estime.  Les  Dragons  de  Villars,  qui  vinrent  le 
5  juin  suivant,  remportèrent  une  victoire  plus  sérieuse.  Ils  pas- 
saient, armes  et  bagages,  du  Théâtre-Lyrique,  où  ils  étaient 
campés  depuis  le  19  septembre  18o6,  à  l'Opéra-Comique,  où 
ils  auraient  dû  tenir  garnison  primitivement,  si  les  circons- 
tances l'avaient  permis  ;  car  l'histoire  suivante ,  qui  n'a 
jamais  été  publiée,  est  propre  à  démontrer  une  fois  de  plus 
la  malchance  qui  s'attache  aux  meilleurs  ouvrages  et  les 
obstacles  qui  surgissent  sous  les  pas  des  auteurs  les  plus  en 
renom. 

Donc,  poème  et  musique  étant  terminés,  MM.  Lockroy  et 
Cormon  se  rendirent  chez  Emile  Perrin,  alors  directeur  de 
rOpéra-Comique,  et  lui  soumirent  leur  travail.  Premier  désap- 
pointement :  Perrin  ne  comprit  pas  la  pièce;  il  la  trouva 
<i  trop  sombre  »,  ce  fut  son  mot;  il  ne  vit  point  ce  qu'il  y 
avait  d'émotion  douce  et  tendre  dans  le  rôle  de  Rose  Friquet. 
«  Enfin,  dit-il,  par  manière  de  consolation;  amenez-moi  votre 
musicien,  nous  verrons!  »  Second  désappointement:  Maillart 
joua  sa  partition,  Perrin  ne  la  comprit  pas  davantage,  et  re- 
fusa tout,  les  notes  aussi  bien  que  les  paroles. 

Fort  dépités,  les   auteurs  se  tournèrent  vers  Séveste,  alors 


290 


LE  MÉNESTREL 


directeur  du  Théâtre-Lyrique.  Même  comédie  :  une  lecture 
eut  lieu  et  aboutit  au  rejet  pur  et  simple.  Ce  double  échec 
avait  découragé  les  auteurs,  qui,  se  tenant  cois  pendant  plu- 
sieurs années,  ne  renouvelèrent  plus  leurs  démarches.  Or, 
un  jour,  M.  Carvalho  rencontre  l'un  d'eux;  il  venait  de  pren- 
dre la  direction  du  Théâtre-Lyrique,  et  le  dialogue  suivant 
s'engage  : 

—  Vous  n'avez  rien  pour  moi? 

—  Mais  si,  j'ai  toujours  quelque  chose. 
--  Quoi  donc'^ 

—  Trois  actes,  écrits,  orchestrés,  prêts  à  passer. 

—  Bon,  je  les  prends.  Et  votre  musicien,  qui  est-ce? 

—  Mailiart. 

—  Parfait,  je  les  prends  d'autant  plus. 

Attendez!  je  ne  veux  pas  vous  tromper,  ils  ont  été  refu- 
sés déjà  deux  fois,  par  Perrin  et  par  Séveste. 

Deux  fois?  Bah  !  la  troisième  sera  la  bonne.  A  demain  1 

M.  Carvalho  était  le  plus  malin  des  trois  ;  son  flair  ne 
l'avait  pas  trompé.  Il  monta  les  Dragons  de  Villars  immédiate- 
ment, en  cette  année  1856,  florissante  entre  toutes,  puisqu'elle 
vit  éclore  aussi  le  l"  mars  la  Fanchonmtte,  et  le  27  décembre 
la  Reine  Topaze;  même  il  fallut  qu'il  quittât  le  Théâtre-Lyrique 
pour  consentir  à  se  dessaisir  d'un  ouvrage  qu'il  avait  si  légi- 
timement découvert  et  conquis.  Emile  Perrin  n'aimait  pas 
qu'on  lui  rappelât  ce  souvenir;  il  lui  en  coûtait  de  reconnaî- 
tre là  une  des  rares,  mais  aussi  des  plus  étranges  erreurs 
de  sa  carrière  directoriale. 

Peu  d'opéras-comiques,  en  effet,  ont  été  et  sont  encore  plus 
populaires  que  celui-là.  Ses  représentations  se  comptent  par 
centaines  en  province  et  à  l'étranger,  en  Allemagne  notam- 
ment, t)ù  il  se  maintient  avec  une  persistance  digne  de  remar- 
que. A  la  salle  Favart,  l'autorité  et  l'originalité  de  M"^  Galli- 
Marié,  sous  les  traits  de  Rose  Friquet,  amenèrent  un  regain  de 
succès,  58  représentations  en  1868  et  1869,  162  de  1872  à 
1886  sans  interruption,  soit  un  total  de  220  pour  ces  deux 
campagnes.  L'ouvrage  est  assez  important  pour  mériter  qu'on 
mette  en  regard  les  noms  des  artistes  qui  tinrent  pour  la 
première  fois  les  rôles  dans  les  deux  théâtres  : 

Théâtre-Lyrique  Opéra-Cojuque 


Thibaut. 
Sylvain, 
Bélamy, 


MM.  Girardot, 
Scott, 
Grillon, 


MM.  Ponchard. 

Lhérie,    puis  Leroy. 

Barré    (début),    puis 
Melchissédec. 
Un  pasteur,  H.  Adam,  Bernard. 

Georgette,         JVP'^^  Girard,  W"^  Girard. 

Rose  Friquet,  Juliette  Borghèse,         Galli-Marié. 

Un  dragon,    MM.  Quinchez,  MM.  Michaud. 

Un  lieutenant,        Garcin,  Eugène. 

Une  paysanne,       ?.....  M'"^  Goraly. 

A  dessein  nous  citons  ces  trois  derniers  noms  dont  l'obs- 
curité est  notre  excuse,  si  nous  avons  négligé  de  signaler 
les  débuts  de  tels  acteurs,  lors  de  leur  entrée  au  théâtre. 
D'autres  partagent  d'ailleurs  avec  ceux-ci  les  emplois  dits 
(ïutililé,  et  nous  avons  retrouvé  pour  cette  époque  par 
exemple  :  M.  Damade  (Melchior,  dans  le  Domino  noir,  un 
caporal,  dans  la  Fille  du  régiment,  Gabriel,  dans  la  Dame 
blanche);  M'"^  AUiaume  (le  jockey,  dans  l'Épreuve  villa- 
geoise); M"'-  Marie  (Petit -Jean,  dans  les  Noces  de  Jeannette, 
Gertrude,  dans  le  Domino  noir);  M""  Estelle  (le  jockey,  dans 
l'Épreuve  villageoise);  M"«  Brière,  une  ancienne  qui  n'avait  point 
monté  en  grade,  puisqu'elle  était  réduite  à  jouer  le  rôle  de  la 
duchesse  dans  la  Fille  du  régiment.  Ce  sont  là  des  serviteurs 
modestes,  mais  utiles,  les  rouages  indispensables  de  la  ma- 
chine théâtrale.  Qu'on  nous  pardonne  de  les  avoir  tirés  de 
la  pénombre  où  ils  se  cachaient:  une  fois  n'est  pas  coutume  1 

Le  succès  des  Dragons  de  Villars  ne  se  renouvela  pas  pour 
une  autre  reprise,  celle  du  Docteur  Miroholan,  qui  eut  lieu  le 
11  juillet.  Dû  rit  moins  que  par  le  passé  à  cette  bouffonnerie 
qui  disparut  alors  du  répertoire,  et  la  pièce  d'Eugène  Gautier, 


qni  avait  été  jouée  soixante-sept  fois  de  1860  à  1863,  n'obtint 
que  dix  représentations  en  1868,  malgré  le  mérite  des  inter- 
prètes :  M"«  Heilbron  (Alcine),  MM.  Prilloux  (le  docteur), 
Gouderc  (Scapin),  Bernard  (Lisidor)  et  Leroy,  ce  jeune  ténor 
qui,  quelques  jours  plus  tard,  était  victime  d'une  aventure 
assez  singulière,  ainsi  racontée  par  les  journaux  du  temps. 
A  sept  heures  du  soir,  il  reçoit  un  bulletin  de  son  régisseur 
l'invitant  à  se  rendre  au  théâtre  pour  remplacer  Lhérie,  su- 
bitement indisposé.  Leroy  obéit;  mais  à  peine  est-il  sorti, 
qu'un  visiteur  sonne  à  la  porte.  La  bonne  ouvre  et  dit  que 
son  maître  est  absent.  «  Je  le  sais  bien,  répond  l'inconnu, 
puisque  je  viens  de  sa  part  vous  demander  son  pardessus  le 
plus  chaud  ;  il  craint  de  prendre  froid  en  sortant  du  théâtre.  » 
La  bonne  remet  le  vêtement  demandé  et  très  comp'aisamment 
éclaire  jusqu'au  bas  de  l'escalier  l'adroit  voleur,  qui  remercie 
et  disparaît  sans  laisser  son  adresse.  Le  pardessus,  comme 
on  pense,  ne  s'est  pas  retrouvé. 

Vers  le  même  temps  (2  septembre),  une  petite  pièce  suivit 
le  même  chemin  que  les  Dragons  de  Villars,  et,  non  sans  suc- 
cès, émigra  à  la  place  Boieldieu.  C'était  le  Café  du  Roi,  joué 
primitivement  à  Ems  le  17  août  1861  et  au  Théâtre-Lyrique 
de  Paris  le  16  novembre  de  la  même  année.  Louis  XV,  pris 
pour  un  simple  seigneur  par  une  jeune  fille  qui  sollicite  sa 
protection  afin  de  faire  représenter  l'opéra  du  pauvre  compo- 
siteur aimé  par  elle,  puis  poussant  l'amabilité  jusqu'à  lui 
préparer  son  café,-  et  la  sagesse  jusqu'à  veiller  chastement 
la  nuit  sur  son  sommeil,  se  montre  ainsi  sous  un  jour  in- 
connu de  l'histoire.  Mais  l'invraisemblance  n'avait  pas  plus 
effrayé  le  librettiste,  M.  Henri  Meilhac,  que  ses  devanciers; 
car  on  ne  saurait  méconnaître  une  certaine  parenté  entre  le 
Café  du  Roi  et  les  Beignets  du  Roi,  transformés  plus  tard  en  opé- 
rette. Des  trois  personnages  de  la  pièce,  Gilberte  et  le  mar- 
quis eurent  pour  interprètes  au  Théâtre-Lyrique  M''^^  Baretti 
et  Wartel,  à  l'Opéra-Gomique  M"'=  Heilbron  et  Bernard;  ce 
dernier  avait  appris  le  rôle  en  quatre  jours  et  remplacé  au 
dernier  moment  un  nouveau  pensionnaire  qui  avait  perdu 
courage  à  la  veille  de  son  début  et  résilié  son  contrat. 
Quant  au  rôle  du  baron,  il  demeurait,  ici  comme  là,  confié 
à  Mi'«  Girard,  une  spirituelle  soubrette,  qui  s'y  montra  fine 
comédienne  et  excellente  chanteuse. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


LES  THEATRES  A  PARIS  IL  Y  A  CENT  ANS 
SEPTEMBRE    1791 

Il  n'est  pas  sans  quelque  intérêt,  je  crois,  de  rechercher  ce  qu'était 
Paris,  au  point  de  vue  du  théâtre,  il  y  ajuste  cent  ans,  c'est-à-dire 
au  mois  de  septembre  1791.  On  est  un  peu  trop  accoutumé  à  se 
figurer  que  la  rage  parisienne  du  théâtre  est  une  chose  toute  mo- 
derne, tandis  que  le  panem  et  circenses  des  Romains  aurait  pu  de  tout 
temps  lui  êlre  appliqué.  A  partir  de  l'époque  oii  les  Confrères  de  la 
Passion  commencèrent  leurs  brillants  exploits  scéniques,  on  vit  tou- 
jours se  multiplier  des  tentatives  plus  ou  moins  heureuses  pour  l'éta- 
blissement de  nouveaux  théâtres  dans  la  grand'ville.  Le  dix-septiè- 
me siècle  en  vit  plusieurs,  et  ce  fut  biea  pis  au  dix-huitième,  oii  les 
théâtres  et  spectacles  de  tout  genre  poussaient  comme  champignons 
sur  couche  dans  la  double  enceinte  des  foires  Saint-Germain  et 
Saint-Laurent,  ot  cela  "en  dépit  des  réclamations  constantes  de 
l'Opéra,  de  la  Comédie-Française  et  de  la  Comédie-Italienne.  C'est 
à  la  foire  que  naquirent  l'Opéra-Comique,  et  les  Grands  Danseurs 
du  Roi,  et  le  théâtre  d'Audinot,  qui  vivent  encore  à  l'heure  présente, 
les  derniers  sous  les  noms  de  Gailé  et  d'Ambigu-Comique.  Et  cela 
sans  compter  les  autres. 

Dès  les  dernières  années  du  règne  de  Louis  XVI,  il  semble  qu'une 
plus  grande  facilité  ait  été  accordée  aux  entreprises  de  ce  genre  ; 
car,  outre  les  trois  grands  théâtres,  outre  ceux  de  Mcolet  (les  Gfrands 
Danseurs)  et  d'Audinot,  on  voyait  à  Paris  les  Variétés-Amusantes, 
le  Théâtre-Français  comique  et  lyrique,  le  théâtre  des  Associés,  les 
Délassements-Comiques  et  une  ou  deux  scènes  enfantines.  Mais  la 
Révolution  allait    bientôt  les    multiplier    outre    mesure,  et  lorsque 


LE  MENESTREL 


291 


ft 


l'Assemblée  uatiùDale,  par  son  décret  de  janvier  1T91,  eat  établi  la 
liberté  complète  de  l'industrie  théâtrale,  on  vit  surgir  de  tous  côtés 
■comme  une  légion  do  théâtres  de  tout  genre,  de  tout  ordre  et  de 
toute  nature.  Eq  moins  de  six  mois  Paris  en  fut  littéralement  cou- 
vert, et  le  spectateur,  sollicité  de  toutes  parts,  ne  sut  plus  auquel 
entendre.  Certains  historiens  de  rencontre  ont  pourtant  exagéré  en 
affirmant  qu'à  un  moment  donné  Paris  s'était  trouvé  à  la  tète  de 
itrente-cinq  théâtres.  Gela  n'a  jamais  été  vrai.  Mais  le  nombre  en 
était  grand  néanmoins,  et,  pour  le  prouver,  je  n'ai  qu'à  dresser  ici 
la  liste,  très  exacte,  de  ceux  qui  existaient  en  l'an  de  fureur  scé- 
nique  1791.  Voici  cette  liste: 

1.  —  L'Opéra,  à  la  porte  Saint-Martin  ; 

2.  — Le  Théâtre  delà  Nation  (Comédie-Française),  faubourg  Saint- 
Germain  ; 

3.  — La  Comédie-Italienne  (théâtre  Favart),  rue  Favart  ; 

4.  —  Le  Théâtre  de  Monsieur,  rue  Feydeau  ; 

5.  —  Le  Théâtre  Montansier  (Variétés  actuelles),  au  Palais-Royal  ; 

6.  —  Le  Théâtre-Français  de  la  rue  de  Richelieu  (dans  la  salle 
-actuelle  de  la  Comédie-Française)  ; 

7.  —  Le  Théâtre  Louvois,  rue  deLouvois  (magasin  actuel  de  décors 
•de  rOpéra-Comique)  ; 

8.  —  Le  Théâtre  du  Marais,  rue  Culture-Sainte-Cat'aerine  (actuel- 
lement rue  de  Sévigné),  sur  l'emplacement  de  la  maison  des  bains  ; 

9.  —  Le  Théâtre  Molière,  rue  Saint-Martin,  passage  des  Nour- 
rices ("aujourd'hui  passage  Molière,  du  nom  même  de  ce  théâtre, 
qui  devint  plus  tard  le  bal  Molière  et  dont  la  salle  existe  encore); 

10.  —  Le  Théâtre-Français  comique  et  lyrique,  rue  de  Bondy,  à 
l'angle  de  la  rue  de  Lancry  ; 

11.  —  Les  Grands  Danseurs  du  Roi  (théâtre  de  Nicolel),  boulevard 
du  Temple  ; 

12.  —  L'Ambigu-Comique,  boulevard  du  Temple  ; 
tl3.  —  Le  Théâtre  Patriotique,  boulevard  du  Temple  ; 

14.  —  Le  Cirque  du  Palais-Royal  ; 

15.  —  Le  Lycée  dramatique,  boulevard  du  Temple  ; 

16.  —  Les  Délassements-Comiques,  boulevard  du  Temple  ; 

17.  —  Théâtre  des  Élèves  de  Thalie,  boulevard  du  Temple  ; 

18.  —  Théâtre  de    la  Concorde,  rue  du  Renard-Saint-Merri  ; 

19.  —  Théâtre  de  la  Liberté,  à  la  Foire  Saint-Germain  ; 

20.  —  Variétés  comiques  et  lyiiques,  à  la  Foire  Saint-Germain  ; 

21.  —  Théâtre  d'Emulation,  rue  Notre-Dame  de  Nazareth  ; 

22.  —  Théâtre  Mareux,  rue  Saint-Antoine  ; 

23.  —  Théâtre  de  l'Estrapade,  près  l'église  Sainte-Geneviève  ; 

24.  —  Théâtre  du  Mont-Parnasse,  boulevard  Neuf; 

25.  —  Théâtre,  des  Petits  Comédiens  Français,  boulevard  du 
Temple. 

26.  —  Théâtre  des  Petits  Comédiens  du  Palais-Royal  ; 

27.  —  Théâtre  des  Champs-Elysées,  place  Louis  XV. 

Je  n'afiirmerais  pas  que  tous  ces  théâtres  aient  tous  été  ouverts 
simultanément;  mais  ce  que  je  puis  assurer,  c'est  que  tous  ont 
existé  dans  le  cours  de  l'année  1791.  Combien  de  temps,  pour  quel- 
ques-uns d'entre  eux?  Ceci  est  une  autre  affaire.  Il  y  avait  là- 
dedans  nombre  de  bouis-bouis, dont  la  durée  fut  assurément  éphémère. 
Mais  il  y  avait  aussi,  parmi  les  entreprises  nouvelles,  des  théâtres 
très  sérieux,  importants,  et  qui  s'étaient  fondés  avec  de  vastes 
capitaux,  tels  que  Montansier,  où  l'on  jouait  tragédie,  comédie, 
opéra-comique  et  vaudeville,  Louvois  qui  était  dans  les  mêmes  con- 
ditions, le  Marais,  consacré  surtout  à  la  haute  comédie,  Molière,  oii 
brillait  le  drame  révolutionnaire,  le  Cirque  du  Palais-Royal,  destiné 
spécialement  à  l'opéra-comique  et  au  ballet-pantomime.  Quant 
-au  Théâtre-Français  de  la  rue  Richelieu,  qui  avait  remplacé  les 
Variétés-Amusantes  et  qui  devait  prendre  bientôt  le  titre  de  Théâtre 
de  la  République,  il  avait  acquis  une  importance  exceptionnelle  à  la 
suite  de  la  scission  qui  s'était  produite  à  la  Comédie-Française  et 
qui  lui  avait  valu  le  concours  des  dissidents  de  cette  dernière,  les- 
quels n'étaient  autres  que  Talma,  Dugazon,  Grandmesnil,  M""  Des- 
garcins,  M"''  Vestris  et  M"°  Lange.  Pour  ce  qui  est  du  théâtre  de 
Monsieur  ou  théâtre  Feydeau,  on  sait  ce  qu'il  était  au  point  de  vue 
musical  et  quelle  était  sa  valeur  artistique.  Eniin,  parmi  les  anciens, 
■et  dans  un  rang  secondaire,  le  théâtre  de  Nicolet,  l'Ambiga-Comique 
et  le  Théâtre-Français  comique  et  lyrique  tenaient  dignement  leur 
place  dans  le  concert  des  plaisirs  parisiens. 

La  troupe  de  l'Opéra  réunissait  à  cette  époque,  pour  le  chant,  des 
artistes  tels  que  Chéron,  Lays,  Lainez,  Rousseau,  Adrien,  Chardiny, 
M""  Saint-Huberty,  Maillard,  Chéron,  Rousselois,  Ponteuil  ;  pour 
la  danse,  Gardel,  Vestris,  Nivelon,  Goyon,  Didelot,  M"">'  Saulnier, 
Miller,  Ghevigny,  Colomb.  Le  personnel  admirable  de  la  Comédie- 
Française  comprenait  Mole,  Fleury,  Dazincourt,   Desessarts,  Van- 


hove,  Saint-Prix,  Saint-Fal,  Naudet,  La  Rochelle,  M'"'''  Raucourt, 
Contât,  Devienne,  Jolly,  Suin,  La  Chassaigne,  Petit  (plus  tard 
M™'  Talma),  Mézeray.  Le  Théâtre  Favart  n'était  pas  moins  bien 
partagé,  avec  Clairval,  Trial,  Elleviou,  Narbonne,  Michu,  Ménier, 
Chenard,  Solié,  Dorsonville,  Granger,  Philippe,  M^'^*  Dugazon,  Gar- 
line,  Saint-Aubin,  Desbrosses,  Adeline,  Crétu,  Rose  Renaud.  Au 
théâtre  Feydeau,  c'était,  pour  l'opéra  italien,  Raffanelli,  Mandini, 
Mengozzi,  Morelli,  Rovedini,  Viganoni,  M"°«=  Morichelli,  Mandini, 
Raffanelli,  et  pour  l'opéra  français  Martin,  Gavaudan,  Juliet,  Le- 
sage,  Vallière,  Gaveaux,  M°"==  Justalle,  Rolandeau,  Lesage,  Ver- 
teuil.  Enfin,  au  théâtre  de  la  rue  Richelieu,  on  trouvait  avec  Talma, 
Dugazon  et  Grandmesnil,  Monvel,  Dumaniant,  Michot,  Fusil,  et 
avec  M™"^  Vesiris,  Desgarcins  et  Lange,  M'"=  Julie  Candeille,  M"'  Gi- 
verne,  M"'=  Saint-Clair,  etc.  Les  troupes  des  théâtres  du  Marais, 
Louvois,  Molière  étaient  elles-mêmes  fort  remarquables  et  comp- 
taient nombre  d'artistes  qui,  plus  tard,  devinrent  fameux  et  con- 
quirent une  grande  renommée.  Il  me  suffira  de  citer,  au  hasard,  les 
noms  de  Baptiste  aine  et  cadet,  Damas, Volange,  Perlet,  Lazozelière, 
Fleuriot,  Perroud,  Bourdais,  de  M""  Mars,  de  M"»  Sainval,  de 
M"»'  Barroyer,  dont  plusieurs  firent  la  gloire  de  la  Comédie-Française. 

A  cette  époque,  où  les  pièces  n'avaient  pas  couramment,  comme 
aujourd'hui,  deux  et  trois  cents  représentations,  on  les  renouvelait 
plus  fréquemment,  et  les  nouveautés  étaient  moins  rares.  A  l'Opéra 
on  donne,  le  13  septembre,  la  première  représentation  d'un  petit 
ouvrage  dont  l'insuccès  fut  complet  :  l'Heureux  Stratagème,  «  comé- 
die lyrique  »  en  deux  actes,  paroles  de  Saulnier,  musique  de 
Jadin.  Trois  soirées  suffisent  à  consacrer  la  naissance,  l'existence 
et  la  mort  de  cet  opéra  mal  venu,  dont  nous  ne  connaissons  même 
pas  les  interprètes.  Quelques  jours  auparavant,  le  2,  le  danseur 
Didelot,  qui  avait  quitté  ce  théâtre  depuis  plusieurs  années,  y 
rentre  avec  succès  en  dansant  un  pas  dans  le  ballet  du  Premier 
Navigateur.  Le  21,  toute  la  famille  royale  vient  assister  au  spectacle 
de  l'Opéra,  et  le  Journal  de  Paris  nous  l'apprend  en  ces  termes  :  — 
«  Le  roi,  la  reine,  le  prince  royal,  Madame  et  Madame  Elisabeth 
sont  venus  hier  à  la  19=  représentation  de  Castor  et  Pollux.  La  foule 
sur  leur  passage,  et  singulièrement  sur  les  boulevards,  étoit  si 
grande  que  les  chevaux  n'ont  pu  être  conduits  qu'au  pas,  et  par- 
tout la  famille  royale  a  été,  pour  ainsi  dire,  poursuivie  de  cris 
répétés  :  Vive  le  Roi!  Vive  la  Reine!  La  salle  contenoit  tout  ce 
qu'elle  peut  contenir  de  spectateurs.  Le  plus  grand  silence  a  régné 
au  moment  où  les  tambours  ont  annoncé  l'arrivée  de  LL.  MM.  A 
leur  entrée  dans  leur  loge,  les  applaudissements  et  les  cris  répétés 
de  Vive  le  Roi!  Vive  la  Reine!  n'ont  cessé  que  lorsque  les  forces 
épuisées  n'ont  plus  permis  de  les  continuer.  » 

Quant  au  répertoire  de  l'Opéra,  je  le  vois  un  peu  restreint  pendant 
ce  mois  de  septembre  1791,  où  les  programmes  mentionnent  seu- 
lement Iphigénie  en  Tauride,  OEdipe  à  Colone,  Colinette  à  la  Cour, 
Castor  et  Pollux  et  Démo-phon,  comme  ouvrages  lyriques,  avec  deux 
ballets,   Télémaque  et  h  Premier  Navigateur. 

Il  est  beaucoup  plus  varié,  comme  toujours,  à  !a  Comédie-Fran- 
çaise, bien  que,  momentanément,  la  tragédie  s'en  montre  complè- 
tement absente  par  suite  de  la  défection  de  quelques-uns  de  ses 
principaux  interprètes,  Talma,  M""  Vestris  et  M""  Desgarcins, 
ainsi  que  M"''  Sainval  aînée,  qui  s'en  est  allée  au  théâtre  Montansier. 
Molière  occupe  fréquemment  l'affiche  avec  l'École  des  Femmes,  V Avare, 
le  Médecin  malgré  lui,  les  Femmes  savantes  et  le  Ukantlirope;  puis, 
c'est  l'École  des  bourgeois,  de  d'Allainval,  la  Partie  de  chasse  de 
Henri  IV,  de  Collé,  la  Pupille,  de  Fagan,  la  Fausse  Agnès,  de  Des- 
toiiches,  le  Consentement  forcé,  de  Guyot  de  Merville,  Turcaret,  de  Le 
Sage,  le  Babillard,  de  Boissy,  le  Galant  Jardinier,  Colin-Maillard, 
le  Mari  retrouvé,  de  Dan  court,  etc.  Comme  nouveauté,  je  ne  vois  à 
signaler  que  le  Conciliateur  ou  l'Homme  aimable,  comédie  en  cinq 
actes  et  en  vers  de  Demoustier,  l'auteur  trop  vanté  des  Lettres  à 
Emilie.  Ce  Conciliateur,  joué  pour  la  première  fois  le  19,  obtient  du 
reste  un  véritable  succès,  que  l'auteur  partage  avec  ses  deux  prin- 
cipaux interprètes,  l'illustre  Fleury  et  la  toute  charmante  M"'  Mé- 
zeray, alors  à  laurore  de  sa  brillante  carrière. 

Peu  de  jours  après,  la  Comédie-Française,  comme  l'Opéra,  rece- 
vait à  son  tour  la  visite  de  la  famille  royale,  ainsi  que  nous  l'apprend 
encore  le  Journal  de  Paris,  qui,  en  sa  qualité  d'organe  «  constitu- 
tionel,  »  ne  manquait  jamais  de  faire  ressortir  les  manifestations 
favorables  à  la  royauté.  Après  avoir  constaté  le  chaleureux  accueil 
fait  par  le  public  aux  souverains,  il  dit  :  «  On  a  donné  la  Gouver- 
nante, comédie  de  La  Chaussée  ;  ce  choix  paroissait  devoir  éloigner 
toute  allusion,  mais  l'orchestre  y  a  suppléé  en  jouant  des  airs  qui 
dans  chaque  acte  ont  vivement  renouvelé  le  témoignage  des  mêmes 
sentiments  :  Oii  peut-on  être  mieux  qu'au  sein  de  sa  famille?  Aimons 


292 


LE  MENESTREL 


notre  Roi.'  Que  d'attraits,   que  de  majesté!   Chantons,  célébrons   notre 
Reine...  » 

Pour  le  théâtre  Favart  on  ne  trouve  à  enregistrer,  au  compte  du 
mois  de  septembre,  qu'un  ouvrage  en  trois  actes,  fes  Espiègleries  de 
garnison,  paroles  de  Favières,  musique  de  Champein,  représenté 
le  21.  Le  livret  n'était  pas  bon,  et  la  musique  ne  parait  pas  avoir 
été  beaucoup  meilleure.  Ce  qu'il  y  avait  de  mieux  dans  cette  pièce 
c'était  l'interprétation,  oii  se  faisaient  surtout  remarquer  Michu, 
Solié,  et  la  toute  charmante  Carline,  adorable  dans  un  rôle  tra- 
vesti et  sous  un  costume  d'officier.  A  ce  théâtre,  deux  débuts  sont 
à  signaler,  bien  que  les  deux  artistes  qui  en  étaient  l'objet  n'aient 
laissé  aucun  souvenir  :  M"°  Sylvain  se  montre  le  7,  dans  le  rôle 
de  Lucetle  du  Si/ivain,  et  M""  Jenny  le  13,  dans  celui  de  Lucette 
de  la  Fausse  Magie.  Pour  ce  qui  est  du  répertoire,  très  abondant, 
il  comprend  les  Deux  Avares,  les  Evénements  imprévus,  Zémire  et  Azor, 
Sylvain,  la  Fausse  Magie,  Raoul  Barbe-Rleue,  Richard  Cœur  de  Lion, 
le  Tableau  parlant,  de  Grétry  ;  les  Deux  Tuteurs,  Camille  ou  te  Sou- 
terrain, Asémia,  la  Soirée  orageuse,  la  Dot,  les  Deux  Petits  Savoyards, 
Nina  ou  la  Folle  par  amour,  Raoul  sire  de  Créqui,  de  Dalayrac  ; 
Alexis  et  Justine,  les  Trois  Fermiers,  Biaise  et  Babel,  de  Dézèdes; 
Rose  et  Colas,  le  Déserteur,  de  Monsigny  ;  les  Femmes  vengées,  de 
Philidor;  Euphrosine  et  Coradin,  de  Méhul;  les  Dettes,  la  Mélomanie, 
de  Champein;  Lodoiska,  Paul  et  Virginie,  de  Kreutzer.  Avec  cela, 
quelques  comédies,  telles  que  les  Etourdis,  d'A.ndrieux  ^  le  Bon  Père 
et  les  Deux  Billets,  de  Florian,  etc. 

Au  théâtre  Feydeau,  ouvert  depuis  moins  de  trois  ans  et  dont 
l'activité  était  prodigieuse,  nous  avons  à  signaler  les  premières 
représentations  de  quatre  ouvrages  de  quatre  genres  différents  : 
le  4,  la  Passa  per  amore,  opéra  italien  de  Paisiello,  sur  le  sujet  de 
la  Nina  de  Daiayrac  ;  le  14,  l'Hôtel  prussien,  comédie  en  cinq  actes 
et  en  prose,  de  Ponteuil;  le  18,  les  Vengeances,  opéra-comique  fran- 
çais en  deux  actes,  paroles  d'Oguerre,  musique  pastichée  de  diffé- 
rents auteurs;  enfin,  le  24,  le  Club  des  bonnes  gens,  opéra-vaude- 
ville en  deux  actes,  du  Cousin-Jacques  pour  les  paroles  et  la 
musique;  ce  dernier  obtint  un  énorme  succès.  Au  répertoire  on 
trouve,  pour  l'opéra  italien,  il  Finto  Cieco,  de  Gazzaniga,  la  Frasca- 
tana  et  la  Molinarella,  de  Paisiello;  pour  l'opéra  français,  Lodoiska, 
de  Cherubini;  le  Nouveau  Don  Quichotte,  de  Champein;  l'Histoire 
universelle,  du  Cousin-Jacques  ;  pour  la  comédie,  le  Divorce,  en 
vers,  la  Toilette  de  Julie,  aussi  en  vers,  de  Demoustier;  Amélie  ou 
le  Couvent,  de  Pajoulx,  avec  chœurs  de  Martini,  Mirabeau  à  son  lit 
de  mort,  du  même. 

Le  Théâtre-Français  de  la  rue  Richelieu,  dont  la  rivalité  avec  la 
Comédie-Française  était  directe,  lui  empruntait  tout  son  répertoire 
classique  dans  les  deux  genres.  Avec  Andromaque  et  les  Horaces,  il 
jouait  les  Plaideurs,  les  Fausses  Confidences,  les  Folies  amoureuses,  la 
Mère  confidente,  Crispin  rival  de  son  maître,  Nanine,  l'Ecole  des  maris, 
la  Comtesse  d'Escarbagnas,  les  Bourgeoises  de  qualité,  la  Feinte  par 
amour,  le  Baron  d'Albicrac,  etc.  Dans  ce  mois  de  septembre  nous 
n'y  voyons  paraître  aucune  nouveauté,  mais,  à  la  date  du  3,  une 
reprise  fort  importante  due  à  Talma,  celle  du  Charles  IX  de  Marie- 
Joseph  Ghénier,  que  le  grand  artiste  avait  créé  deux  ans  aupara- 
vant à  la  Comédie-Française  et  qui  avait  été  la  cause  des  premiers 
troubles  intérieurs  de  ce  théâtre.  L'ouvrage  est  accueilli  avec  en- 
thousiasme. 

Je  ne  saurais  suivre  les  autres  théâtres  dans  leurs  travaux.  Je 
me  contenterai,  pour  terminer,  de  quelques  notes  rapides  sur  les  plus 
importants  d'entre  eux.  Au  théâtre  Montansier,  où  la  tragédie  était 
jouée  presque  avec  éclat,  grâce  à  M""  Sainval  aînée,  à  Grammont 
et  à  Damas,  qui  se  montraient  dans  Iphigénie  en  Aulide,  l'Orphelin 
de  la  Chine,  Iphigénie  en  Tauride,  l'opéra  et  la  comédie  n'étaient  pas 
traités  avec  moins  de  soins  et  d'intelligence.  Isabelle  de  Salisbury, 
opéra  de  Mengozzi,  obtint  un  succès  éclatant,  de  même  que  l'excel- 
lente comédie  de  Desforges,  le  Sourd  ou  l'Auberge  pleine.  Le  mois 
de  septembre  y  voit  éclore  quelques  nouveautés  :  l'Epouse  impru- 
dente, comédie  en  cinq  actes  et  en  vers  de  Desforges;  l'Otaïtien 
Picard,  comédie  en  un  acte,  de  Desmaillots;  le  Jeune  Homme  à  l'é- 
preuve, comédie  en  cinq  actes  et  en  prose  ;  les  Deux  Morts,  vaude- 
ville. —  A  signaler  au  théâtre  Louvois  quelques  premières  repré- 
sentations :  les  Alchimistes,  opéra-comique  en  deux  actes,  d'auteurs 
restés  inconnus  (le  3)  ;  le  Sourd  et.  l'Aveugle,  comédie  en  un  acte, 
de  Patrat  (le  12)  ;  Trente  et  un  ou  la  Joueuse  corrigée,  comédie  (ano- 
nyme) en  un  acte  et  en  prose  (le  17).  —  Au  théâtre  Molière,  Nico- 
dème  de  retour  du  soleil,  comédie  en  un  acte,  de  Courtois  (le  1")  ; 
lee  Rivaux  ou  la  Peau  de  l'ours,  opéra  bouffe,  musique  d'Arquier 
(le  6)  ;  la  France  régénérée,  comédie  en  un  acte  et  en  vers,  de 
Chaussard,  avec  musique  de  Scio  (le  14).  C'est  à  ce  théâtre,  essen- 


tiellement révolutionnaire,  qu'on  jouait  alors  le  fameux  drame  du 
trop  fameux  Ronsin,  la  Ligue  des  fanatiques  et  des  tyrans.  — Enfin, 
au  théâtre  du  Marais,  on  donnait,  le  10  septembre,  la  première 
représentation  d'un  drame  de  Mercier,  l'auteur  du  Tableau  de  Pa- 
ris; ce  drame  qui  était  depuis  longtemps  imprimé,  était  intitulé 
Jean  Hennuyer,  évéque  de  Lisieux,  mais  le  public,  qui  n'y  prit  qu'un 
plaisir  médiocre,  ne  la  désigna  plus  bientôt  que  sous  le  nom  de 
Jean  Ennuyeux. 

On  voit  ce  qu'était,  par  rapport  au  théâtre,  le  Paris  de  1791.  J'ai 
dit  qu'il  ne  le  cédait  en  rien  au  Paris  d'aujourd'hui,  et  l'on  peut 
facilement  s'en  convaincre  par  les  notes  très  rapides  que  j'ai  grou- 
pées dans  cet  article.  Environ  vingt-cinq  théâtres  ouverts,  sans 
compter  les  spectacles  de  curiosité,  tels  que  le  Cirque  Franconi, 
les  Ombres  chinoises  de  Séraphin  et  bien  d'autres,  dans  une  ville 
qui  comptait  à  peine  alors  600,000  habitants!  C'était  presque  autant 
que  ce  qu'elle  en  possède  aujourd'hui,  avec  les  deux  millions  et 
demi  d'êtres  vivants  qui  se  pressent  dans  son  enceinte.  Il  est  juste 
de  constater  que  cent  ans  écoulés  ne  lui  ont  rien  enlevé  de  sa 
fureur  scénique,  et  que  sous  ce  rapport  1791  et  1891  n'ont  rien  à 
s'envier  —  ou  à  se  reprocher. 

Arthur  Pougin. 

Carmen,  à  l'Opéra-Gomique. 

Jeudi  l'Opéra-Gomique,  nous  a  conviés  à  une  représentation  'le 
Carmen,  destinée  à  nous  présenter  deux  débutants,  M"""  Tarquini 
d'Or  et  M.  Fierens,  et  un  rentrant,  M.  Lubert.  M™"  Tarquini  d'Or, 
qui  arrive  de  province  avec  une  très  heureuse  réputation  gagnée 
par  des  succès  remportés  principalement  sur  les  grands  théâtres  de 
Lille  et  de  Nice,  est  une  artiste  de  mérite  et  d'une  très  réelle  intel- 
ligence scénique;  à  cette  première  audition,  la  voix  a  paru  un  peu 
frêle  pour  le  vaisseau  de  l'Opéra-Comique  et  les  notes  graves  pas 
tout  à  fait  assez  caractérisées  pour  le  rôle  de  Carmen  :  l'adroite 
artiste  n'en  a  pas  moins  été  fort  bien  accueillie  et  si,  dès  aujourd'hui, 
nous  pouvons  porter  un  jugement  certain  sur  la  comédienne  et  la 
diseuse,  qui  a  complètement  réussi,  nous  réserverons,  à  une  autre 
occasion  très  certainement  plus  propice,  notre  appréciation  sur  la 
chanteuse,  empêchée  par  la  peur  de  se  livrer  complètement.  M.  Fierens, 
qui  paraissait  pour  la  première  fois  dans  le  petit  rôle  de  l'officier 
Zuniga  et  est  le  frère  de  M""=  Fierens,  la  créatrice  de  Varedha  du 
Mage,  nous  vient,  croyons-nous,  en  droite  ligne  du  Conservatoire 
de  Bruxelles  ;  bon  organe,  qui  demande  encore,  comme  le  comédien 
d'ailleurs ,  quelques  exercices  d'assouplissement.  M.  Lubert,  qui 
faisait  sa  rentrée  après  une  assez  longue  absence,  motivée  par 
les  tracasseries  de  la  précédente  direction,  a  été  le  vrai  triompha- 
teur de  la  soirée;  sa  voix,  moins  gutturale  que  par  le  passé,  a  très 
sérieusement  gagné,  sa  diction  a  pris  de  l'ampleur  et  l'artiste 
a  acquis  beaucoup  d'aisance  en  scène.  Uoe  très  bonne  acquisition 
pour  M.  Carvalho.  L'ensemble  de  l'interprétation  du  chef-d'œuvre, 
confié  à  M.  Taskin,  un  toréador  plein  de  fougue,  à  M"""  Molé- 
Truffier,  charmante  et  douce  en  Micaëla,  à  M'"^  Elven  et  Falize  et 
à  MM.  Grivot,  Barnolt  et  Bernaert,  ainsi  que  les  détails  très  soignés 
de  la  mise  en  scène,  font  grand  honneur  à  la  direction  de  noire 
seconde  scène  lyrique.  L'orchestre  de  M.  Daubé,  qui  possède  merveil-. 
leusement  cette  partition,  l'a  rendue  avec  la  perfection  à  laquelle  nous 
sommes  accoutumés. 

P.\ul-Émile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

(Suite) 


CHAPITRE  IV 


LE     PREMIER    EMPIRE 


Quelques  jours  avant  le  sacre,  le  bruit  de  la  mort  de  Haydn 
s'était  répandu  dans  Paris  et  le  Conservatoire, jaloux  d'honorer  «le 
dieu  de  la  symphonie  »,  résolut  de  faire  célébrer  un  service  funèbre, 
d'y  exécuter  avec  les  plus  belles  œuvres  du  maître,  le  Requiem  de 
Mozart,  et  le  De  Profundis  de  Gluck. 

La  nouvelle  parvint  aux  oreilles  de  Haydn,  fort  surpris  mais  très 
flatté  de  cet  honneur  prématuré.  Le  trépas  fut  démenti  —  mais  le 
Conservatoire  tenait  son  Requiem  et  le  produisit  quand  même,  avec 
une  succès  prodigieux. 

L'orchestre  de  la  rue  Bergère  atteint  k  cette  époque  une  telle  re- 


LE  MENESTREL 


293 


nommée,  le  publie  montre  un  si  vif  désir  d'applaudir  le  merveilleux 
ensemble  des  élèves  de  l'École,  que  les  exercices  se  multiplient  et 
deviennent  de  véritables  concerts.  On  se  dispute  les  places,  dont  le 
tarif  est  établi  pour  1805  aux  prix  suivants  : 

Parquet  et  galerie  du  rez-de-chaussée  :  3  francs. 

Loges  da  rez-de-chaussée  :  4  francs. 

Premières  loges  :  S  francs. 

Première  galerie  :  4  francs. 

D'anciens  élèves  de  la  rue  Bergère  ne  dédaignent  pas  de  figurer 
au  programme.  Voulant  prouver  sa  reconnaissance  au  Conservatoire, 
qu'elle  a  quitté  pour  l'Opéra,  M™"  Branchu  prend  part  au  septième 
exercice  de  la  rue  Bergère. 

Le  26  avril,  à  la  demande  des  dilettantes  qui  n'ont  pas  trouvé 
place  à  la  première  exécution  du  Requiem,  l'Ecole  réclame  l'hospi- 
talité de  Saint-Germain  l'Auxerrois.  Un  pris  unique  de  6  francs  est 
établi  pour  toutes  les  places,  et  la  recette  est  consacrée  aux  fa- 
milles des  artistes  décédés. 

Eo  1806,  les  exercices  reprennent,  aussi  fréquents,  mais  toujours 
retardés  «  par  les  maladies  régnantes,  »  par  l'indisposition  de 
jimo  Duret  Saint-Aubin,  par  l'étude  de  la  Bataille  d'Ausierlilz,  sym- 
phonie militaire  de  M.  Jadin. 

Le  9  février,  l'Empereur  a  accordé  audience  au  directeur  et  aux 
inspecteurs  du  Conservatoire.  Il  assure  que  sa  protection  leur  sera 
conlinuée,  et  accepte  la  collection  des  ouvrages  élémentaires  com- 
posés pour  les  différentes  classes. 

L'Italie,  qui  avait  été  l'inspiratrice  de  l'école  royale,  prend,  à  son 
tour,  exemple  sur  la  rue  Bergère.  Au  mois  d'avril  ISOo,  Marescalchi, 
ministre  des  relations  extérieures,  écrivait  à  Sarrette  qu'un  Conser- 
vatoire allait  être  établi  à  Milan  et  qu'il  ne  saurait  prendre  de  plus 
parfait  modèle  que  celui  de  Paris. 

Un  hommage  plus  précieux  encore  va  être  rendu  par  Haydn,  dont 
les  symphonies  figurent  à  chaque  exercice.  CherubiDi,  chargé  par 
le  Conservatoire  de  lui  remettre  nue  médaille  d'or,  rapporte,  en 
mars  1806,  une  lettre  reconnaissante  du  maître  autrichien.  —  «  Je 
vous  prie,  messieurs,  de  recevoir  mes  remerciements  et  de  les  faire 
agréer  aux  membres  du  Conservatoire,  au  nom  desquels  vous  avez 
eu  la  bonté  de  m'écrire.  Ajoutez  bien  que  tant  qu'Haydn  vivra,  il 
portera  dans  son  cœur  le  souvenir  de  l'intérêt  et  de  la  considération 
qu'ils  lui  ont  témoignés.   » 

Revues  et  journaux,  au  commencement  de  1807,  appartiennent 
aux  bulletins  de  la  Grande  Armée,  aux  décrets  signés  de  Varsovie. 
Les  innombrables  victoires,  les  triomphes  ininterrompus  de  l'Empe- 
reur n'empêchent  pourtant  pas  Paris  de  prendre,  en  rangs  serrés,  le 
chemin  de  la  rue  Bergère,  où  le  premier  exercice  est  donné  le 
11  janvier. 

Eu  février,  l'encombrement  est  plus  grand  encore  pour  entendre 
le  Requiem  de  Mozart  e(  une  symphonie  de  Beethoven;  «  il  y  avait 
dans  la  salle  beaucoup  de  monde  et  de  très  beau  monde,  et,  de  l'avis 
général,  les  exercices  acquièrent  chaque  jour  un  nouveau  degré 
d'intérêt.  »  Au  cinquième  concert,  l'afîluence  sera  telle  que  le  même 
programme  doit  être  affiché  pour  le  dimanche  suivant. 

Le  Journal  de  Paris  enregistre  une  attristante  nouvelle  :  «  Le  cé- 
lèbre Haydn  ne  voit  pas  sans  une  mélancolie  profonde  s'éteindre  le 
beau  génie  qu'il  a  reçu  de  la  nature.  » 

Résultat  inattendu  de  cette  funèbre  annonce  :  exécution  d'une 
symphonie  de  Mozart  et  de  l'ouverture  de  la  Clémence  de  Titus. 

Accompagnée  des  dames  de  la  cour  et  du  ministre  de  l'intérieur, 
l'Impératrice  vient  au  neuvième  exercice  pour  l'audition  du  Stabat 
de  Pergolèse.  La  salle  se  lève  et  l'acclame  quand  elle  parait. 

Retardée  par  la  translation  aux  Invalides  de  l'épée  de  Frédéric  le 
Grand,  la  douzième  et  deruière  séance  offre  au  public  une  sonate  de 
piano  composée  et  exécutée  par  Zimmermann,  un  air  varié  pour 
violon  dont  Habeneck  aîné  est  à  la  fois  l'auteur  et  l'interprète.  — 
Tout,  en  blâmant  l'étrangeté  de  cette  exhibition,  les  critiques  n'ont 
pas  assez  de  fleurs  pour  le  Conservatoire,  si  bien  que  l'administra- 
tion de  l'école  se  plaint  en  une  lettre  adressée  aujoxtrnal  de  l'Empire: 
«  Les  artistes  ne  verront-ils  pas  un  outrage  dans  ces  éloges  accordés 
à  des  élèves  "?  » 

Décrété  le  3  mars  1806,  pour  l'enseignement  spécial  du  chant,  le 
pensionnat  ne  date  réellement  que  du  1""'  janvier  1808.  —  Douze 
hommes,  six  femmes  sont  instruits,  nourris,  logés  rue  Bergère  par 
le  gouvernement.  Une  circulaire  adressée  aux  préfets  les  prie  de 
signaler  au  ministère  ceux  de  leurs  administrés  qui  ont  de  la  voix 
et  désirent  suivre  la  carrière  lyrique. 


Les  exercices  se  succèdent,  plus  suivis  encore.  Au  troisième,  on 
fait  un  bienveillant  accueil  à  un  concerto  de  violon  joué  par 
M.  Mazas  ;  l'auteur,  dont  nous  aurons  plus  d'une  fois  à  reparler, 
est  un  jeune  amateur:  M.  Auber. 

Les  élèves  sont  parfois  autorisés  à  se  faire  entendre  en  dehors  des 
murs  de  l'école  ;  ils  sont  le  grand  attrait  du  concert  donné  par 
Habeneck  à  la  salle  Olympique. 

Des  classes  de  déclamation  ont  été  fondées,  rue  Bergère,  l'année 
précédente  et  confiées  à  Monvel,  Talma,  Dazincourt,  Lafoiid  et 
Fleury.  —  Le  19  mai  1808  a  eu  lieu  le  premier  examen  ;  M""'  Rose 
Dupuis  et  Maillard  s'y  font  remarquer,  mais  leur  succès  disparaît 
devant  celui  du  jeune  Bican,  âgé  de  douze  ans,  «  qui  a  un  excellent 
masque  de  Grispin  et  une  vérité  parfaite  ». 

Un  petit  prodige  chasse  l'autre  :  on  oublie  Bican  pour  vanter 
Cornu,  premier  enfant  de  chœur  de  Notre-Dame,  dont  la  chapelle  a 
fait  entendre  une  messe  surprenante. 

La  distribution  des  prix  est  le  dénouement  obligé  de  toute  année 
musicale.  —  Elle  se  célèbre  à  l'Institut.  Élèves  médecins,  pharma- 
ciens, lycéens,  peintres,  sculpteurs,  architectes  sont  mêlés  aux 
lauréats  du  Conservatoire.  Satisfaire  toutes  ces  républiques  en  un 
seul  discours  serait  impraticable,  et  l'oraison  ministérielle  est  rem- 
placée par  un  petit  concert  longuement  applaudi. 


Le  monde  musical  est  en  émoi.  Des  affiches  posées  à  travers 
Paris  annoncent  que  le  sieur  Dabasse,  traiteur,  rue  des  Prouvaires, 
offre  des  repas  en  musique  sans  rétribution  spéciale  ;  l'orchestre, 
qui  se  fait  entendre  de  1  à  10  dans  ses  salons,  est  composé  d'élèves 
du  Conservatoire.  —  Comment  le  ministre  a-t-il  accordé  aux  jeunes 
artistes  la  permission  de  charmer  les  clients  du  restaurateur? 

On  fut  vite  rassuré:  il  s'agissait  d'anciens  élèves  —  et  le  1"  fé- 
vrier 1809  les  mélomaues  retrouvaient  leurs  chers  exercices,  se  pâ- 
maient à  un  allegro  d'Haydn  et  à  un  air  de  la  Création. 

Mais  le  maître  viennois  a  un  rival  :  Méhul  veut  se  risquer  dans  la 
symphonie  et  les  élèves  ont  la  gloire  d'interpréter  cet  essai  déclaré 
sublime.  La  seconde  symphonie  est  donnée  une  semaine  après,  avec 
un  succès  tel  qu'on  la  redemande. 

Méhul  ne  laisse  pas  refroidir  l'enthousiasme  des  Parisiens  ;  la  troi- 
sième symphonie  leur  est  offerte  le  21  mai  el  on  s'accorde  à  dire  qu'elle 
fait  époque.  Kreutzer,  entraîné  par  l'exemple,  confie  aux  musiciens 
favoris  des  fragments  de  son  opéra  d'Abel. 

Le  Conservatoire  a  une  si  haute  réputation  à  présent  qu'il  fera 
seul  les  frais  du  concert  donné  par  l'Hôtel  de  Ville  pour  l'anniver- 
saire du  couronnement  et  d'Austerlitz.  Devant  l'Empereur  et  l'Impé- 
ratrice, qu'entourent  le  roi  et  la  reine  de  Westphalie,  le  roi  et  la 
reine  de  Hollande,  la  reine  d'Espagne,  le  roi  et  la  reine  de  Naples, 
les  rois  de  Wurtemberg  et  de  Saxe,  l'orchestre  et  les  chœurs  des 
élèves  attaquent  le  Chant  triomphal  de  Catel. 

Le  premier  exercice  donné  en  1810  est  une  apothéose  d'Haydn, 
mort  au  moment  oii  Napoléon  entrait  dans  "Vienne. 

Un  écusson,  soutenu  par  des  guirlandes,  suspend  au-dessus  de 
l'orchestre  le  nom  du  musicien,  et  le  concert  débute  par  un  chant 
funèbre  écrit  pour  la  circonstance  par  Gherubini.  —  L'auteur  du 
poème  a  voulu  garder  l'anonyme,  malgré  la  beauté  de  vers  fort  ap- 
préciés, parmi  lesquels  on  cite  : 

Ce  cygne,  dont  la  gloire  avait  rempli  le  monde, 
Expire  en  murmurant  des  sons  harmonieux. 

Viennent  ensuite  les  chœurs  i'Orfeo,  le  Benedicliis,  un  concerto  de 
violon  arrangé  par  Kreutzer  sur  des  motifs  du  maestro. 

A  cette  manifestation,  Méhul  riposte  par  une  quatrième  sympho- 
nie. Les  habitués  du  Conservatoire,  surpris  à  la  premiàret,  ransportés 
à  la  deuxième,  ravis  aux  cieux  par  la  troisième,  semblent  un  peu 
apaisés  cette  fois,  et  quelques  journaux  déclarent  l'œuvre  nouvelle 
inférieure  aux  productions  allemandes. 

Trois  jours  avant  le  mariage  de  l'empereur  avec  l'archiduchesse 
Marie-Louise,  sixième  exercice,  dont  les  honneurs  sont  faits  aux 
compositeurs  autrichiens. 

Les  attaques  recommencent  dans  certaines  feuilles  contre  le 
Conservatoire.  On  accorde  que  la  œusique  instrumentale  y  est  suf- 
fisante, mais,  en  revanche,  quels  sujets  remarquables  a-t-il  donnés 
à  la  scène  ?  —  Les  partisans  de  l'Ecole  répondent  par  une  kyrielle  de 
noms  illustres.  Mais  la  meilleure  défense  sera  l'exercice  du  6  mai, 
où  nombre  d'auditeurs  ne  peuvent  pénétrer,  et  où  des  fragments 
d'Idoménée  sont  écoulés  avec  transporis. 


294 


LE  MENESTREL 


Uue  semaine  après  la  douzième  et  dernière  séance,  les  élèves  et 
les  pensionnaires  sont  convoqués  de  nouveau  à  l'Hôtel  de  Ville,  oîi 
Leurs  Majestés  arrivent  après  avoir  traversé  aux  flambeaux  une 
partie  de  la  capitale.  Une  cantate  d'Arnault,  mise  en  musique  par 
Méhul,  ouvre  le  concert. 

1811.  —  Paris,  l'empire  entier  attendent  avec  anxiété  la  prochaine 
délivrance  de  l'Impératrice,  et  les  nouvelles  du  Conservatoire  tien- 
nent peu  de  place  dans,  les  journaux.  —  En  s'écrasant  devant  la 
terrasse  des  Tuileries  pour  voir  passer  Marie-Louise,  on  raconte 
qu'au  dernier  exercice  de  longs  applaudissements  ont  encouragé  le 
jeune  Herold,  qui  a  supérieurement  joué  le  concerto  de  Dussek. 

Le  20  mars,  les  salves  d'artillerie  annoncent  la  naissance  du  Roi 
de  Rome  ;  M"=  Blanchard  s'élève  en  ballon  pour  répandre  sur  son 
chemin  la  bonne  nouvelle  ;  Paris  s'illumine,  un  feu  d'artifice  éclate 
place  de  la  Concorde.  On  devine  que  le  concert  du  24  passe  fort 
inaperçu. 

Les  huit  séances  suivantes  se  donnent  devant  des  salles  combles; 
on  en  commente  les  programmes,  mais  ces  monceaux  de  critiques, 
fort  louangeuses  d'ordinaire,  présentent,  un  médiocre  intérêt. 

Pour  célébrer  le  baptême  du  Prince  Impérial  (9  juin),  l'Hôlel  de 
Ville  reçoit  les  souverains.  Le  Conservatoire  y  interprète,  avec  Lays, 
le  Chant  d'Ossian  de  Méhul.  Une  partie  des  choristes  est  cachée  dans 
une  tribune  élevée  ;  l'effet  ainsi  obtenu  est  fort  admiré. 

La  semaine  suivante,  même  cantate  dans  le  même  Hôtel  de  Ville 
devant  le  maire  de  Rome,  le  podestat  de  Milan,  les  députés  des 
grandes  cités  de  l'empire. 

Inauguration  de  la  nouvelle  salle  d'exercices,  construite  sur  les 
plans  de  Delannoy,  le  7  juillet.  Une  composition  en  l'honneur  du  roi 
de  Rome  a  été  écrite  par  Cherubini,  Méhul  et  Gatel. 

Les  plus  brillants  artistes  sortis  de  l'Ecole,  M™'  Branchu  et  Duret, 
M""  Himm  et  Goria,  Nourrit,  Eloy,  Dérivis,  ont  tenu  à  honneur  d'y 
reparaître  ce  jour-là. 

C'est  aussi  dans  la  nouvelle  salle  qu'est  célébrée  la  distribution  des 
prix,  présidée  par  M.  de  Rémusat. 


11  est  temps  d'apporter  quelque  variété  aux  séances;  le  Conserva- 
toire prévient  les  amis  de  la  musique  qu'ils  entendront  chez  lui  des 
concerts  «  à  grands  chœurs  »  ;  aux  fervents  de  l'art  dramatique,  on 
offrira  les  classes  de  déclamation. 

La  Création,  de  Haydn,  est  donnée  le  46  février  1812,  sous  la  direc- 
tion d'Habeneck,  qui,  depuis  quelque  temps,  conduit  tous  les  exer- 
cices. Pour  la  circonstance,  la  salle  a  été  repeinte;  cette  restauration, 
sept  mois  après  l'ouverture,  donne  une  idée  rassurante  des  ressources 
de  la  rue  Bergère. 

Le  dimanche  suivant,  séance  dramatique.  Fragments  de  P/»erfre  et  de 
l'Obstacle  imprévu  ;  pour  la  déclamation  lyrique,  le  deuxième  acte  des 
Danaïdes  et  une  scène  du  Magnifique. 

Jusqu'à  la  fin  de  mai,  les  deux  genres  alternent  avec  des  fortunes 
diverses.  Passages  d'Athalie  ou  scène  de  l'enfer  d'Orphée,  Festin  de 
Pierre  ou  Tableau  partant,  les  opéras  les  plus  pompeux,  les  tragédies 
grecques  et  romaines  se  jouent  sans  décors,  avec  les  costumes  du 
jour.  —  Quelques  donneurs  de  conseils  proposent  de  confier  à  un 
simple  lecteur  les  classes  de  déclamation,  tout  disciple  s' obstinant  à 
imiter  son  professeur  jusque  dans  ses  défauts;  mais  on  ne  prête  iiulle 
attention  à  de  semblables  avis. 

De  l'uniformité  des  séances  naît  cependant  un  ennui  qui  va  gran- 
dissant, et,  à  l'un  des  derniers  exercices,  la  voix  de  Levasseur  arri- 
vée fort  à  propos  pour  secouer  l'engourdissement  du  public. 

En  septembre,  le  prix  de  composition  est  décerné  à  Herold;  c'est 
aussi  le  moment  où  Franconi  entreprend  une  tournée  à  travers  la 
France,  et  on  songe  au  cerf  Coco  infiniment  plus  qu'au  jeune  musi- 
cien. 

Citons  au  passage  le  décret  de  Moscou,  qui  porte  à  36  le  nombre  des 
pensionnaires  entretenus  au  Conservatoire  :  dix-huit  pour  le  chant, 
autant  à  destination  du  Théâtre-Français. 


La  musique  perd  de  ses  droits  en  1813;  villages  et  cités  se  cotisent 
pour  offrir  à  l'Empereur  des  chevaux  équipés;  le  clergé,  la  banque, 
les  avocats,  les  campagnes  et  les  préfectures  l'aident  à  fortifier  son 
armée.  —  Les  exercices  du  Conservatoire  reprennent  quand  même  le 
21  février,  panachés  de  musique  et  de  prose,  de  poésie  et  de  concertos. 
P~rmi  les  élèves  de  comédie.  M""  Thénard  et  Samson,  absolument 
éclipsé  par  son  camarade  Perlet,  un  comique  déjà  plein  de  génie. 

L'aflluence  est  toujours  énorme,  et  l'Ecole  a  soin  de  multiplier  les 


symphonies,  sachant  combien  le  public  aime  son  jeune  orchestre  plein 
de  feu  et  de  talent,  trouvant  un  bonheur  d'artistes  là  où  d'autres  ne 
voient  qu'un  travail. 

Aucun  ministre  à  la  distribution  des  prix,  célébrée  le  13  décembre 
seulement.  Baptiste  aîné  pleure  Grétry  et  les  maîtres  morts  dans 
l'année,  Sarretle  distribue  les  lauriers,  et  un  exercice  entremêlé  de 
musique  et  de  déclamation  termine  la  journée. 

Les  alliés  pénètrent  en  France,  chaque  jour  les  rapproche  de  Paris 
et  les  bals  masqués  continuent  à  l'Opéra.  Nicole  fait  applaudir 
Joconde,  la  vogue  des  pantomimes  équestres  reste  la  même  au  Cirque; 
seul,  le  Conservatoire  demeure  silencieux. 

Le  i"  avril  1814,  dans  un  entr'acte  du  Triomphe  de  Trajan,  on  force 
Lays  à  chanter  la  gloire  du  roi  de  Prusïe  et  de  l'empereur  Alexandre 
sur  l'air  «  Vive  Henry  IV  »,  les  théâtres  font  assaut  de  pièces  de 
circonstance.  Redevenue  «  royale,  »  l'École  ouvre  ses  portes  au 
public,  qui  témoigne  peu  d'empressement  (10  avril). 

Invité  à  prendre  sa  part  des  réjouissances  organisées  pour  l'entrée 
de  Louis  XVIII,  le  Conservatoire  se  réunit  autour  de  la  statue  du 
Béarnais;  tandis  qu'il  exécute  «  les  morceaux  les  plus  chers  à  la 
nation  »,  de  jeunes  demoiselles  vêtues  de  blanc  présentent  des  fleurs 
et  M"'^  Blanchard  s'élève  vers  l'azur. 

L'empereur  de  Russie  et  le  roi  de  Prusse  sont  reçus  solennellement 
au  quatrième  exercice,   dont  le  grand  succès  est  pour  Habeneck. 

Dernière  réunion  le  13  juin.  La  rue  Bergère  n'est  pas  plus  épargnée 
que  tant  d'autres  créations  de  la  République  ou  de  l'Empire;  sup- 
primée en  décembre,  elle  ne  reprend  sa  place  au  soleil  que  durant 
les  Cent  jours. 

*'  * 

Un  décret  impérial  du  26  mars  rend  au  Conservatoire  ses  anciens 
domaines;  Sarrette,  les  inspecteurs  et  les  professeurs  sont  rétablis 
à  leurs  postes  et  la  grande  salle  voit  reparaître  le  buste  de 
Napoléon. 

11  faut  regagner  en  hâte  le  temps  perdu  :  les  prix  décernés  en 
1814  sont  distribués  ;  on  presse  les  répétitions  des  exercices,  et 
le  30  avril,  l'orchestre  des  élèves  prouve  qu'il  a  conservé  sa  même 
perfection. 

Le  11  juin,  troisième  exercice  dans  lequel  la  musique  et  la  dé- 
clamation fraternisent  avec  un  inégal  succès.  —  Quelques  jours 
après,  l'Empereur  n'était  plus  que  Bonaparte,  et  le  Conservatoire 
allait  une  seconde  fois,  expier  sa  fidélité. 

(À  suivre.)  Aiv'DKÉ  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Courrier  de  Belgique.  —  La  réouverture  des  théâtres.  —  La  réouverture 
de  la  Monnaie  s'est  faite  dans  de  très  bonnes  conditions  ;  les  trois  pre- 
mières soirées  ont  été  en  général  excellentes;  la  direction  y  a  produit 
fort  habilement  la  plupart  de  ses  meilleurs  artistes  de  l'an  dernier  et  la 
plupart  des  nouveaux  venus  sur  lesquels  elle  comptait  le  plus.  Le  public 
a  donc  paru  enchanté,  et  il  n'a  pas  eu  tort.  Souhaitons  que  l'enchante- 
ment continue.  Le  premier  spectacle  a  été  Roméo  et  Juliette,  avec  M.  La- 
farge,  qui  est,  artistiquement  sinon  plastiquement,  le  plus  délicieux  des 
Roméo,  et  qui  a  remporté,  cette  fois  encore,  un  triomphe  justifié  par  son 
exquise  façon  de  phraser,  sa  chaleur  communicative  et  son  charme  cap- 
tivant. C'est  M™  de  Nuovina  qui  reprenait  le  rôle  de  Juliette,  chanté 
l'an  dernier,  avec  tant  de  grâce  et  de  distinction,  par  M"«  Sybil  Sander- 
son  ;  elle  a  essayé  de  donner  au  rôle  un  caractère  et  une  physionomie 
tragiques  qui  ne  lui  conviennent  guère.  Le  lendemain,  la  Basoche  nous  a 
présenté  la  nouvelle  dugazon.  M"'  Savine,  une  gentille  personne,  chan- 
tant avec  goût,  et  qui  s'est  fait  applaudir  par  des  qualités  sinon  supé- 
rieures à  celles  de  M""!  Nardi,  dans  le  rôle  de  Colette  où  elle  lui  succéda, 
du  moins  différentes.  M"'  Savine  avait  paru  déjà,  la  veille,  fort  agréa- 
blement, dans  Roméo,  sous  les  traits  du  page  Stéphane.  Nous  avons  fait 
également,  ce  soir-là,  connaissance  avec  M.  Gilibert,  appelé  à  tenir  une 
place  distinguée  dans  l'emploi  des  Fugères;  sa  voix  est  jolie,  il  chante  bien, 
et  le  comédien  n'est  pas  maladroit.  —  Enfin,  la  troisième  soirée  nous  a  rendu 
Robert  le  Diable,  rajeuni  par  une  interprétation  jeune  et  vivante,  et  qui  a 
été  pour  la  nouvelle  basse,  M.  Ramat,  et  surtout  pour  la  nouvelle  talcon, 
M"'  Chrétien,  l'occasion  d'un  succès  bruyant.  M.  Ramat  est  un  chanteur 
de  la  bonne  école,  ayant  du  style,  avec  une  voix  suffisante.  M"''  Chrétien 
n'avait  jamais  paru  au  théâtre;  ses  qualités  très  évidentes  de  bonne 
musicienne,  sa  jeunesse,  son  assurance,  sa  voix  solide,  étendue,  éclatante, 
tout  cela  a  fait  sur  le  public  une  impression  très  vive  ;  de  plus,  M"<=  Chré- 
tien nous  semble  avoir  ce  qu'on  appelle  une  «  nature  »;  si  elle  ne  se 
laisse  pas  griser  par  le  premier  succès,  si  elle  ne  prend  des  éloges  dity- 


LE  MENESTREL 


295 


rambiques  dont  on  l'a  si  maladroitement  accablée  que  ce  qu'il  lui  faut 
pour  se  trouver  encouragée  à  mieux  faire,  si  elle  travaille  à  se  créer  la 
personnalité  et  l'autorité  qui  manquent  naturellement  à  son  inexpérience, 
elle  arrivera,  je  crois,  à  faire  parler  d'elle.  —  A  côté  de  ces  nouveaux 
venus,  dans  la  Basoche  et  dans  Robert  le  Diable,  quelques-uns  de  nos 
artistes  de  l'an  dernier  n'ont  pas  été  oubliés.  On  a  retrouvé  notam- 
ment, plus  «  artistes  »  que  jamais,  plus  dignes  aussi  d'être  fêtés,  la  toute 
charmante  M""  Carrère,  qui,  avec  une  rare  souplesse  de  talent  et  de 
voix,  passe  tour  à  tour,  en  y  mettant  toujours  un  sentiment  particuliè- 
rement individuel  et  pénétrant,  des  princesses  d'opéra-comique,  dans  la 
Basoche,  aux  princesses  de  grand  opéra,  dans  Robert,  et  M.  Badiali,  un 
Clément  Marot  exquis,  le  meilleur  baryton  d'opéra-comique  que  nous 
ayons  eu  depuis  bien  longtemps,  chanteur  accompli  et  parfait  diseur.  Je 
crains  bien  que  Paris  ne  nous  enlève  encore  bientôt  ces  deux  artistes-là, 
comme  il  a  fait  de  tant  d'autres,  en  ces  derniers  temps,  sans  compter 
M.  Lafarge,  que  l'Opéra-Gomique  attend  pour  le  mois  de  mai  prochain, 
et  M.  Dupeyron,  engagé  à  l'Opéra  pour  la  même  époque.  M.  Dupeyron 
a  la  voix  chaude,  claironnante,  une  vraie  voix  de  fort  ténor,  qui  produira 
grand  effet  dans  la  salle  de  l'Académie  nationale  ;  son  succès  dans  Robert 
le  Diable  a  été  très  mérité.  —  J'oubliais  un  ou  deux  autres  débutants,  dont 
la  première  apparition  a  été  favorablement  accueillie  :  M.  Dinard,  une 
basse  richement  timbrée,  applaudie  dans  Roméo,  et  M.  Danlée,  une  basse 
également,  doublée  d'un  bon  musicien.  Il  nous  reste  à  entendre  mainte- 
nant, ces  jours  prochains.  M™"  Smith  et  le  ténor  Leprestre,  dans  Mireille, 
M'i«  Darcelle  dans  Lakmé,  M"''  Dexter  et  M.  Seguin  dans  Siegfried,  dont  on 
prépare  décidément  la  reprise  pour  bientôt. 

Les  autres  théâtres,  à  Bruxelles,  se  rouvrent  successivement.  En  atten- 
dant que  la  comédie  reprenne  ses  droits  au  théâtre  du  Parc  et  que  la 
grande  opérette  se  réinstalle  aux  Galeries,  la  comédie  bouffe  a  reconquis 
son  empire  au  Vaudeville  et  les  «  spectacles  variés  »  font  florès  à  l'Alca- 
zar  royal.  Ce  dernier  théâtre,  un  des  plus  intelligemment  dirigés  et  des 
plus  prospères  de  Bruxelles,  ne  se  contente  pas  d'exploiter  la  chanson- 
nette, en  appelant  chez  lui  les  maîtres  eux-mêmes,  Pradels,  Xanrof, 
Meusy,  etc.,  il  cultive  aussi  tous  les  ans  la  grande  revue  de  fin  d'année, 
et  fait  d'habituelles  incursions  dans  le  domaine  du  ballet  et  de  l'opé- 
rette. Nous  aurons  prochainement  une  œuvrette  charmante  de  M.  Messa- 
ger, Fleur  d'oranger,  qui  fut  jouée  pour  la  première  fois  à  l'inauguration 
de  l'Eden,  aujourd'hui  démoli.  Mais  une  tentative  plus  curieuse  encore 
à  signaler,  c'est  celle  que  poursuit  l'Alcazar  en  nous  rendant  une  série 
d'opérettes  anciennes,  en  un  acte,  dont  plusieurs,  trop  oubliées  souvent, 
sont  de  petits  chefs-d'œuvre,  —  et  non  seulement  celles  d'Offenbach ,  la 
Chanson  de  Fortunio,  Tromb-al-Cazar,  etc.,  mais  aussi  ces  jolies  partition- 
nettes  qui  commencèrent  la  réputation  de  Léo  Delibes,  le  Serpenta  plumes, 
l'Écossais  de  Chatou,  l'Omelette  à  la  FoUembuche,  etc.  Vous  dire  le  succès  que 
ces  dernières  remportent  en  ce  moment,  ici,  est  invraisemblable.  C'est 
toute  une  mine  à  exploiter,  et  le  public  bruxellois  s'y  prête  avec  enthou- 
siasme, car  il  y  retrouve  le  meilleur  de  l'esprit  français,  le  plus  léger,  le 
plus  joyeux,  quelque  chose  de  cette  gaité  folle  et  insouciante  dont  cette 
fin  de  siècle  morose  et  guindée  ne  nous  a  pas  gardé  le  secret. 

Lucien  Solvaï. 

—  Le  Guide  musical  se  congratule  naturellement  de  ce  que  la  saison  de 
Bayreuth  a  été  cette  année  très  fructueuse,  j  Elle  a  produit  plus  de 
600,000  francs,  dit-il,  c'est-à-dire  quêtons  les  frais  de  l'exploitation  et  ceux 
de  la  mise  en  scène  de  Tannhâaser,  qui  s'élevaient  à  400,000  francs  se  trou- 
vent couverts  ou  à  peu  prè,s.  Jamais  l'on  n'avait  vu  pareille  afflue nce 
de  spectateurs.  Pour  la  première  fois  depuis  l'inauguration  du  théâtre 
Wagner,  la  salle  s'est  trouvée  louée  pour  chacune  des  vingt  représenta- 
tions données,  et  la  moyenne  des  recettes  a  été  de  32,000  francs  par  repré- 
sentation. ))  Mais  il  y  a  une  ombre  à  ce  tableau,  et  le  Guide  musical,  de  sa 
nature  difficile  à  contenter,  et  qui  défend  son  Capitol  e  avec  l'énergie  que 
l'on  sait,  se  chargeait  lui-même  de  la  faire  ressortir  dans  son  avant- 
dernier  numéro. Il  ne  paraît  pas,  en  efîet,  que  ce  soient  les  wagnériens  qui 
augmentent,  mais  bien  les  philistins,  qui  viennent  jeter  un  élément 
impur  au  milieu  de  la  troupe  des  fidèles  pénitents.  Ecoutez  plutôt  :  — 
0  Un  t'ait  nouveau  et  peut-être  regrettable  a  frappé  cette  fois  les  anciens 
fidèles  :  s'ils  ont  pu  constater  avec  satisfaction  que  jamais  il  n'y  avait  eu 
une  affluence  aussi  grande  de  spectateurs,  ils  ont  aussi  pu  remarquer 
l'envahissement  d'un  élément  mondain,  dont  la  frivolité  et  la  tapageuse 
exubérance  semblent  menacer  l'austérité  artistique  qui,  jusqu'ici,  avait 
dominé  à  Bayreuth.  La  curiosité  des  inactifs  et  des  désœuvrés  s'est  lente  • 
ment  éveillée  et  elle  s'exerce  maintenant  avec  une  avidité  croissante 
autour  de  cette  œuvre  sainte,  jusqu'ici  vierge  de  tout  contact  avec  le  vul- 
gaire, Porsi/ai.  On  a  pu  entendre,  cette  année,  à  la  porte  du  théâtre,  sur 
le  terre-plein  d'où  l'on  domine  Bayreuth  et  la  "vallée  du  Meiu  rouge,  les 
mérites  des  ténors  débattus  et  discutés  comme  en  des  loges  de  théâtre  de 
province.  De  la  poésie  de  l'œuvre,  du  souffle  passionnel  qui  anime  les 
héros  Tristan,  Yseult,  Parsifal,  Kundry,  rien  n'a  passé  en  ces  âmes  de 
spectateurs  empapillonnés  selon  la  dernière  mode,  mais  inaccessibles  à 
l'émotion  du  drame.  Wagner,  qui  demandait  et  qui  cherchait  les  âmes 
simples,  a  toujours  tourné  ie  dos  avec  horreur  à  ce  public  éteint  et  sans 
cœur  ;  et  ce  serait  la  perte  de  l'œuvre  de  Bayreuth,  si,  comme  on  semble 
y  avoir  manifesté  quelque  tendance  dans  ces  derniers  temps,  on  laissait 
l'aristocratie  du  dollar  et  du  florin  se  substituer  à  la  noblesse  du  cœur  et 
de  l'intelligence  jusqu'ici  particulièrement  privilégiée.  Bayreuth  doit  de- 


meurer un  lieu  d'exception  et  non  une  curiosilé  offerte  à  prix  d'or  aux 
touristes  en  quête  d'émotions  originales,  une  distraction  recommandée  aux 
malades  des  stations  balnéaires  voisines...  Sans  doute,  nul  ne  doit  être 
exclu  du  festin  artistique  de  Bayreuth,  mais  il  serait  fâcheux  que  cet 
élément  nouveau  prît  le  dessus,  et  écartât  peu  à  peu  —  ce  qui  arriverait 
fatalement  —  ceux  qu'une  admiration  profondément  ressentie  attirait  depuis 
longtemps  et  régulièrement  à  ces  fêtes  rares  de  l'esprit  comme  à  un  déli- 
cieux et  saint  mystère.  »  Comme  nous  le  disions,  on  voit  que  notre 
confrère  est  difficile  à  contenter.  Il  n'y  a  pourtant  pas  de  milieu  :  ou 
accepter  de  l'argent  d'où  qu'il  vienne,  afin  de  couvrir  les  frais  de  «  ces 
fêtes  rares  —  mais  coûteuses  —  de  l'esprit  »,  ou  se  condamner  à  un 
déficit  très  appréciable,  que  M"'  veuve  Wagner  ne  se  montrerait  peut-être 
pas  fort  disposée  à  combler.  «  La  mère  Cosima  »  comme  l'appellent  nos 
voisins  de  Bruxelles,  doit  avoir  son  idée  là-dessus. 

—  A  propos  de  Bayreuth,  dit  encore  le  Guide  musical,  à  qui  nous  lais- 
sons la  responsabilité  de  son  langage,  o  un  journal  de  Berlin  a  mis  en 
circulation  une  rumeur  ridicule.  Il  a  raconte  que  le  gouvernement  alle- 
mand, conformément  aux  lois  réglementant  l'exercice  d'une  industrie  ou 
d'une  profession,  avait  fait  demander  à  l'administration  du  théâtre  de 
Bayreuth  de  justifier  des  raisons  pour  lesquelles  M'»"=  Cosima  Wagner  se 
croit  en  droit  de  prendre  en  location  le  théâtre  et  de  se  mettre  comme 
directrice  à  la  tête  de  cotte  entreprise.  Le  gouvernement  lui  aurait 
demandé,  en  conséquence,  de  fournir  un  certificat  de  capacité.  Il  n'y  a 
pas  un  mot  de  vrai  dans  cette  histoire,  qui  a  été  reproduite  par  presque 
tous  les  journaux.  M"""  Wagner  n'a  reçu  aucune  invitation  du  genre  de 
celle  dont  on  parle.  La  note  parue  dans  le  Bœrsen  Courier,  de  Berlin,  n'est 
très  probablement  qu'une  petite  vilenie  d'un  intendant  ou  d'un  directeur 
de  théâtre  de  province,  pour  appeler  l'attention  des  autorités  sur  la  situa- 
tion exceptionnelle  du  théâtre  de  Bayreuth  et  lui  susciter  des  difficultés. 
Les  intendants  et  les  directeurs  «  de  profession  »  ont  d'excellentes  rai- 
sons d'être  jaloux  du  théâtre  de  Bayreuth.  Les  représentations  qu'on  y 
voit  sont  si  parfaites  qu'on  en  revient  tout  dégoûté  de  ce  qu'on  voit  sur 
les  scènes  ordinaires,  et  les  recettes  de  celles-ci  s'en  ressentent.  Cela 
suffit  pour  expliquer  l'aversion  des  «  directeurs  de  profession  »  pour  ce 
théâtre  de  Bayreuth,  que  l'un  d'eux  naguère  déclarait  n'être  qu'un 
«  théâtre  d'amateurs  ». 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Breslau  :  Le  théâtre  municipal, 
auxquel  est  attachée  à  présent  une  subvention  de  cent  mille  francs,  vient 
de  passer  dans  les  mains  du  D^  Lowe  et  de  M.  F.  Witte-Wild.  Ce  dernier 
était  déjà  directeur  du  Lobe-Theater  de  la  même  ville.  Il  conservera  cette 
scène  pour  les  représentations  d'opéras-comiques  et  d'opérettes,  tandis 
que  la  scène  municipale  ne  servira  plus  désormais  qu'au  grand  répertoire 
d'opéra.  —  Charlottenbourg  (près  Berlin)  :  Une  jeune  fille  de  quatorze 
ans,  M'i^-Sophie  David,  vient  de  débuter  avec  un  succès  prodigieux  dans 
le  rôle  de  Chérubin  des  Noces  de  Figaro  au  théâtre  Flora,  converti  depuis 
peu  en  Opéra  populaire.  C'est,  dit-on,  une  future  grande  étoile  qui  se 
lève.  —  Hambourg  :  Le  théâtre  municipal  a  vu  partir,  à  la  fin  de  sa  der- 
nière saison,  plusieurs  de  ses  meilleurs  artistes  du  chant.  Ce  sont, 
f/lmes  Rosa  Sucher  (appelée  à  l'Opéra  de  Berlin)  et  Mathilde  Brandt-Gortz 
(réclamée  par  le  théâtre  de  Hanovre),  le  baryton  Joseph  Ritter,  engagé 
à  Vienne,  et  le  ténor  L.  Gritzinger,  à  Dresde,  enfin  les  basses-boufîes 
Ehrke  et  R.  Freny.  Ce  dernier  quitte  définitivement  la  scène,  après  plus 
de  quarante  années  de  service;  il  appartenait  au  théâtre  municipal  depuis 
vingt-deux  ans.  —  MEININGE^J  :  L'intendance  du  théâtre  de  la  Cour  est  confiée 
pour  une  année  à  M.  Paul  Richard.  —  Prague  :  Au  théâtre  national 
tchèque,  belle  réussite  d'un  mélodrame  en  quatre  actes  intitulé  le  Supplice 
de  Tantale,  livret  de  M.  J.  Brchlicky,  musique  de  Zdenck-Fibich.  Ce  mélo- 
drame forme  la  deuxième  partie  d'une  trilogie  portant  le  titre  de  Hippodamia. 
La  première  partie  avait  été  jouée  avec  succès  sous  le  titre  des  Fiançailles 
de  Pélops.  —  Salzbourg  :  La  municipalité  a  voté  la  subvention  nécessaire 
à  la  construction  d'un  nouveau  théâtre  qui  s'élèvera  sur  l'emplacement 
de  l'ancien. 

—  On  lit  dans  la  correspondance  berlinoise  du  Figaro,  à  propos  de  la 
célébration  récente  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Meyer- 
jjeer  :  —  «  Le  génial  auteur  des  Huguenots  fit  bien  d'aller  assurer  sa 
gloire  chez  les  Français,  qui  en  font  bonne  garde.  Les  Allemands,  ses 
compatriotes,  tout  en  continuant  d'ailleurs  à  jouer  et  à  entendre  ses  opé- 
ras, ne  lui  assignent  plus  aujourd'hui  qu'une  place  secondaire.  Pourquoi 
cetie  sévérité  pour  des  partitions  qu'à  l'étranger  on  admet  encore  comme 
les  plus  belles?  C'est,  je  crois,  à  la  divinité  absorbante  de  Wagner  qu'il 
faut  l'attribuer.  Meyerbeer  et  Wagner  étaient  en  somme  des  rivaux.  De- 
puis quelque  temps,  en  Allemagne,  on  afi'ecte  de  faire  un  peu  trop  fi  de 
Meyerbeer,  en  lui  reprochant  d'avoir  manqué  de  personnalité,  d'avoir  subi 
l'influence  d'écoles  difierentes.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  n'est-ce  pas? 
que  depuis  Meyerbeer  personne  n'a  fait  plus  beau  que  le  quatrième  acte 
des  Huguenots.  Gela  n'ôte  rien  au  génie  de  Wagner.  On  a  bien  été  obligé 
de  le  reconnaître  à  l'occasion  de  son  centenaire,  qui  a  été  célébré  par 
une  représentation  à  l'Opéra.  —  Je  suis  allé  visiter,  au  cimetière  Israélite 
de  la  Schœnhauser  Allée,  la  tombe  de  Meyerbeer.  Chaque  famille  a  son 
carré  où  les  morts  sont  placés  à  côté  les  uns  des  autres  et  recouverts 
seulement  d'un  tertre  de  terre  de  la  longueur  du  corps.  La  tombe  de 
Meyerbeer  est  comme  toutes  les  autres  ;  au-dessus  de  la  tète  seulement 
une  plaque   de   marbre   portant   l'inscription  :  Giacomo  Meyerbeer,  avec  la 


296 


LE  MÉNESTREL 


date  lie  l;i  naissance  el  de  la  mort,  indique  que  là  repose  le  grand  musi- 
cien. Rien  de  plus,  si  ce  n'est  les  couronnes  apportées  ces  jours-ci  par  la 
famille  et  par  les  artistes  de  l'Opéra  et  la  direction  de  quelques  théâtres. 
A  côté  9t  en  face  de  lui,  dans  le  petit  carré,  reposent  sa  mère,  sa  femme 
et  ses  frères.  Dans  un  carré  voisin  sont  deux  de  ses  enfants  morts  en  bas 
âge.  Meyerbeer  n'a  pas  de  statue  en  Allemagne.  » 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  «  L'éditeur  Edoardo  Sonzogno  a  assumé 
pour  cinq  années  l'entreprise  de  la  Pergola,  de  Florence.  Dans  l'automne 
prochain  il  mettra  en  scène  la  Tilda  du  maestro  Gilea,  la  Mala  Vita  du 
maestro  Giordano,  la  Manon  de  Massenet,  le  Réi-e  de  Bruneau,  et,  pour 
complément,  l'Amico  Frits  de  Mascagni,  ouvrage  pour  lequel  M.  Sonzogno 
organisa  trois  auditions  particulières  réservées  à  de  seuls  invités.  » 

—  On  vient  de  donner  à  Londres,  à  l'Empire-Théàtre,  la  première  repré- 
sentation d'un  nouveau  ballet,  .-1»  bord  de  ta  mer,  scénario  de  &!""=  Kath 
Lanner,  musique  de  M.  Léopold  "VVenzel,  qui  a  brillamment  réussi.  Le 
Figaro  donne  à  ce  sujet,  dans  sa  correspondance  anglaise,  un  détail  assez 
curieux  :  «  M"»  Palladino,  la  prima  ballerina  do  l'Empire,  faisait  une  ren- 
trée triomphale  par  ce  nouveau  ballet,  dans  un  pas  qu'elle  danse  mer- 
veilleusement. M"'^^  Palladino  s'empare  du  drapeau  tricolore  qu'elle  fait 
flotter  à  côté  du  drapeau  anglais.  La  salle  entière  menace  de  crouler  sous 
les  applaudissements,  beaucoup  plus  sincèrement  enthousiastes  que  ceux 
qui,  à  Drury  Lane,  ont  éclaté  au  souvenir  de  la  bataille  de  "Waterloo.  » 
Serait-ce  un  dernier  résultat  des  fêtes  de  Portsmouth? 

—  Sir  Arthur  Sullivan,  le  compositeur  anglais  bien  connu,  travaille  en 
ce  moment  à  un  nouvel  opéra  romantique  sur  un  sujet  britannique,  dans 
le  genre  de  VIvanlioe  qu'il  a  donné  récemment  avec  un  si  grand  succès. 
Ce  nouvel  ouvrage  ne  sera  terminé  toutefois  que  l'année  prochaine  et  ne 
pourra,  par  conséquent,  être  joué  que  dans  le  courant  de  1892.  En  atten- 
dant, l'Eiiglisli  Opcra  Hoiise  de  Londres  se  prépare  à  représenter...  deux 
ouvrages  français.  D'abord  la  Basoclie,  de  M.  André  Messager,  avec  la- 
quelle se  fera  le  mois  prochain  la  réouverture,  puis,  aussitôt  après,  un 
opéra  inédit  de  M.  Bemberg,  intitulé  Elaine.  Viendront  ensuite  deux  ou- 
vrages anglais  nouveaux,  l'un  de  M.  Frédéric  Gowen,  l'autre  de  M.  Hamish 
Mac  Cunn,  ce  dernier  ayant  pour  titre  Cléopdlre.  On  parle  aussi  vague- 
ment d'une  partition  que  M.  Goring  Thomas,  l'auteur  applaudi  de 
Nadishda  et  à'Esmeralda,  a  été  chargé  d'écrire  pour  VEnglish  Opéra  House, 
mais  il  parait  que  pour  celui-ci  le  sujet  même  n'est  pas  encore  choisi,  si 
bien  que  le  compositeur  n'est  pas  près  de  se  mettre  au  travail. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

La  première  de  Loliengrin,  qui  avait  été  affichée  pour  vendredi  der- 
nier, a  dû  être  remise  par  suite  d'une  indisposition  de  M.  Van  Dyck. 
L'œuvre  de  Wagner  passera  mercredi  prochain  ainsi  que  nous  l'apprend 
la  note  officielle  suivante  :  n  Le  Conseil  des  ministres,  ayant  décidé  que 
les  funérailles  de  M.  Jules  Grévy,  qui  doivent  avoir  lieu  lundi,  seraient 
faites  aux  frais  de  l'Etat,  la  direction  de  l'Opéra,  d'accord  avec  le  ministre 
des  beaux-arts,  a  iixé  au  mercredi  16  la  première  représentation  de 
Lohengrin.  j> 

—  M.  Bertrand  a  eu  une  excellente  idée,  et  très  pratique,  qui  lui  per- 
mettra de  former  un  personnel  choral  non  seulement  solide,  instruit  et 
expérimenté,  mais  renouvelable  selon  les  besoins  et  les  nécessités  du 
service  d'un  théâtre  tel  que  l'Opéra.  Il  fonde  à  ce  théâtre  une  classe  de 
chœurs,  comme  il  existe  une  école  de  danse,  et  déjà  des  auditions  ont 
lieu  à  l'Eden,  dans  le  but  de  choisir  les  sujets  appelés  à  faire  partie  de 
cette  classe. 

—  Lundi,  à  l'Opéra,  rentrée  de  la  toute  charmante  M"=  Marcelle  Dartoy 
dans  ta  Favorite,  que  les  habitués  ont  revue  et  réentondue  avec  grand 
plaisir.  Le  même  soir,  triomphe  pour  M"«  Subra,  qui  a  dansé  avec  la  per- 
fection et  la  grâce  qu'on  lui  connaît  le  rôle  de  Swanilda  dans  Coppétia. 

—  Jeudi  M.  Carvalho  a  signé  l'engagement  de  W^"  Nardi  à  l'Opéra- 
Comique.  La  jeune  et  intelligente  artiste,  que  M.  Paravey  avait  laissé, 
comme  tant  d'autres,  quitter  son  théâtre,  vient  de  faire  une  saison  à  la 
Monnaie  de  Bruxelles,  et  nous  ne  doutons  pas  que  le  public  parisien 
ne  réentende  avec  satisfaction  cette  c'nanteuse  dont  on  se  rappelle  encore 
les  succès. 

—  A  l'Opéra- Comique  on  s'occupera,  dès  mardi  prochain,  des  répéti- 
tions de  Manon;  M.  Carvalho,  qui  veut  donner  à  cette  reprise  tous  ses 
soins,  ne  compte  passer  que  dans  la  première  quinzaine  d'octobre.  Manon 
servira  de  rentrée  à  M"«  Sanderson  et  de  début  à  M.  Delmas,  un  jeune 
ténor  qui  vient  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  M.  Taskin  sous  l'uniforme 
de  Lescaut,  M.  l<'ugère  dans  le  rôle  du  comte  des  Grieux  et  M"=s  Elven, 
Falize  et  Leclerc,  ainsi  qu'un  Bréligny  qui  n'est  point  encore,  croyons- 
nous,  désigné,  formeront  un  ensemble  digne  de  l'œuvre  de  M.  J.  Massenet. 
A  ce  même  théâtre,  M"<'  Horvitz  répète  le  rôle  de  Mignon. 

—  Parmi  les  ouvrages  que  M.  Carvalho  a  entendus  récemment,  citons 
un  drame  lyrique  en  deux  actes  de  M.  Henri  Maréchal,  intitulé  Ping-Sin. 
Le  livret  de  cette  œuvre  lyrique,  d'un  puissant  intérêt  dramatique,  a  été 
lire  par  M.  Louis  Gallet  d'une  nouvelle  japonaise  publiée  par  lui,  il  y  a 
quelques  années,  dans  la  Nouvelle  Revue. 


3.999.221  7o 

2.902.036  31 
1.911.196  16 

2.396.417  20 

1.9S-i..986  70 

1.459.963  15 

82S.039  1-2 

610.281  11        ' 
914.094  50 

1.153.462  50 

783.099  » 

1.000.300  50 

9oi.737  » 

912.880  30 

1.414.039  SO 

1.173.321  » 

1.175.031  2o 

1.403.138  » 

795.338  50 

.334.926  76 

1.122.093  73 

1.137.139  » 
774.077  25 

2.000.730  73 

317.474  » 

466.876  » 

429.240  33 

289.976  75 

430.914  30 

764.781  » 

702.363  20 

473.491  55 

804.948  50 

383.735  73 

1.654.038  30 

362.314  » 

116.870  73 

169.822  23 

220.968  73 

162.301  73 
331.517  25 

307.592  50 

23  380.612  07 

18  140.222  73 

—  M"=  Berthe  Haussmann,  qui  a  obtenu  aux  derniers  concours  du 
Conservatoire  un  second  prix  de  tragédie,  vient  de  signer  un  brillant  en- 
gagement avec  M.  Rochard,  le  nouveau  directeur  de  la  Porte-Saint-Martin. 
La  jeune  comédienne  est  la  sœur  de  M""  Virginie  Haussmann,  une  chan- 
teuse de  beaucoup  de  talent,  premier  prix  aussi  du  Conservatoire,  qui  a 
obtenu  de  très  grands  succès  en  Italie  et  que  les  Parisiens  n'ont  malheu- 
reusement pas  eu  le  temps  d'apprécier  â  sa  juste  valeur  lors  de  son  pas- 
sage à  l'éphémère  Théâtre-Lyrique  de  l'Eden. 

—  Notre  collaborateur  Albert  Soubies  vient  de  faire  paraître  à  la  librai- 
rie des  Bibliophiles  le  tome  XVII  de  son  Abnanach  des  spectacles.  Rédigé  avec 
grand  soin,  très  élégamment  imprimé  et  orné  d'une  jolie  eau-forte  de 
M.  Lalauze,  qui  nous  donne  un  portrait  charmant  de  la  regrettée  Céline 
Montaland,  ce  nouveau  volume  n'aura  pas  moins  de  succès  que  ses  aînés. 
Nous  y  relevons  ce  curieux  tableau  comparatif  des  recettes  des  théâtres  de 
Paris,  pendant  l'année  de  l'Exposition  et  la  suivante  : 

1889  1890 


Comédie-Française. 
Opéra-Comique.   . 

Odéon 

Gymnase 

Vaudeville  .... 
Palais-Royal  .   .    . 

Variétés 

Porte-Saint-Martin 
Ambigu-Comique . 

Gaîté 

Ghâtelet 

Renaissance  .  .  . 
Menus-Plaisirs  .  . 
Bouffes-Parisiens  . 
Folies-Dramatiques 
Nouveautés.  .  .  . 
EdenThéàtre.  .  . 
Château-d'Eau  .   . 

Déjazet 

Cluny 


Soit,  une  différence  de  3  millions  440,389  fr.  34  c.  au  détriment  de 
l'année  1890.  Toutefois,  on  remarquera  que  sept  théâtres  n'ont  pas  été  fa- 
vorisés par  l'Exposition,  et  que  leurs  recettes  ont  été  moins  fortes  en  1889 
qu'en  1890  ;  ces  sept  théâtres  sont  le  Vaudeville,  la  Porte-Saint-Martin,  la 
Gaîte,  la'  Renaissance,  les  Bouffes-Parisiens,  le  Château-d'Eau  et  Cluny. 
En  revanche,  l'Opéra,  qui  en  1889  n'a  manqué  son  quatrième  million  que 
de  quelques  centaines  de  francs,  a  fait  en  cette  année  d'Exposition  1  mil- 
lion 097,165  fr.  24  c.  de  plus  qu'en  1890.  Pour  le  Châtelet,  la  différence  est 
plus  forte  encore,  puisqu'elle  est  de  1  million  226,653  fr.  30  c.  Quant  à  la 
Comédie-Française  et  à  l'Opéra-Comique,  ils  ont  fait  l'un  et  l'autre  tout 
près  de  500,000  francs  de  plus  en  1889  qu'en  1890. 

—  Des  concours,  pour  des  places  vacantes  à  l'orchestre  des  concerts 
Colonne  doivent  avoir  lieu  prochainement.  Les  artistes  qui  désireraient 
y  prendre  part  peuvent,  dès  maintenant,  se  faire  inscrire  au  siège  de 
l'administration,  12,  rue  Le  Peletier,  le  matin,  de  10  heures  à  midi. 

—  M""«  Marie  Sasse  a  repris  ses  leçons  depuis  mercredi  2  septembre  ; 
la  première  matinée  pour  l'audition  de  ses  élèves  aura  lieu  fin  octobre, 
dans  ses  salons  de  la  rue  Nouvelle. 

—  Le  5  septembre  dernier  a  eu  lieu,  à  l'église  d'Etretat,  une  seconde 
solennité  artistique  au  profit  de  l'orphelinat  de  Saint-Martin-du-Bec.  On 
y  a  entendu  un  nouvel  Ave  Maria  de  Faure,  d'une  inspiration  absolument 
touchante  et  qui  a  produit  très  grand  effet,  chanté  merveilleusement  par 
M""  Delaquerrière,  accompagnée  par  le  violoncelle  de  M.  Samatti.  Et  dans 
cettemèmechapelle,  où  quelques  jours  aup  a-avant  on  écoutait  religieusement 
notre  grand  chanteur,  les  assistants  ont  été  charmés  par  la  jolie  voix  et  la 
méthode  impeccable  de  son  propre  fils,  M.  Maurice  Faure,  un  jeune 
peintre  d'avenir,  qui  adit,  avec  M"'"  Delaquerrière,  un  Ave  Verum  deMéhul. 

—  D'Aulus,  on  nous  écrit  que  M.  Luigini  et  son  orchestre  viennent 
d'exécuter,  dans  la  chapelle,  la  belle  page  musicale  écrite  par  M.  Henri 
Maréchal  sur  les  Vivants  et  les  Morts,  de  M.  Philippe  Gille,  qui  a  produit  un 
très  grand  effet  et  une  impression  profonde  sur  un  public  très  nombreux. 
Le  quatuor  vocal  était  composé  d'artistes  de  talent,  parmi  lesquels  nous 
relevons  le  nom  de  M™  Leavington. 

—  Concert  classique  des  plus  brillants,  lundi  dernier,  au  Casino  de 
Royan.  Au  programme,  les  Cinq  pièces  brèves  de  M.  J.  Guy  Ropartz  ;  le 
n"  3  (Page  d'amour),  a  produit  sur  le  public  une  profonde  sensation,  et 
c'est  justice  que  de  constater  ici  le  succès  de  l'œuvre  en  général.  Nul 
doute  qu'une  seconde  audition  en  soit  donnée.  Chaleureuse  ovation,  dans 
le  même  concert,  au  violoniste  F.  de  Guarnieri,  qui  a  joué  en  grand  artiste. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


IMPRJMEKIE    I 


;    BERGEBE,    PARIS. 


3155  —  57"''  AME  —  r  38. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Diinaiiclie  20  Septembre  1891. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  \/'ivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Mésestrel,  2  bis, 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  lAIusîque  de 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30 


rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Cr,,    l*ans  et   Province.  —  l^our  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMi.IEE- TEXTE 


1.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (2f5'  article),  ALiii^ivr  Soubies  et  Chaules 
Malherbe.  —  IL  Semaine  théâtrale:  première  représentation  de  Lohengrin,  à 
rOpérj,  Arthur  Pougin;  première  représentation  de  Compère  GiiUleii,  aux 
Menus-Plaisirs;  reprise   de   CendrlUou,   au   Cbàtelet,    Paul-Emile   Chevalier.   — 

III.  Histoire   anecdolique   du    Conservatoire   ("'■   article),   André   Mautlnet.   — 

IV.  Nouvelles  diverses  et  necroo,;^ie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DÉFI  ! 

■nouvelle  mélodie  de  Joanni   Perronnei,  poésie  de  Amélie  Perronnet.  — 

Suivra   immédiatement  :    Papillon,    nouvelle   mélodie   de   Ed.   Ch.avagnat, 

poésie  de  M.  Mon-.n'ier. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche   procliain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
■de  PIANO:  Tricotets,  de  Broustet.  —  Suivra  immédiatement  :  Parmi  tr  llujin 
H  la.  rosée,  de  Paul  Roognox. 


HISTOIRE  DE  LÀ  SECONDE  SALLE  FÂYART 


^A.H>©rt   SOUBtBS    et    Charles    ]VIA.L,HEIÎ,BB 


I 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  IV 


AVANT     LA     GUE;;ltE 


18GS-i870. 
(Suite.) 

'  Venant  après  i)/a  tante  dort,  Au  Irauers  du  mur,  les  Charmeurs, 
'ies  Amours  du  Diable  et  les  Dragons  de  Villars,  le  Café  du  Roi  est 
le  sixième  emprunt  et  Jaguarita,  l'année  suivante,  sera  le  sep- 
.tième  fait  avant  '1870  par  l'Opéra -Comique  au  répertoire 
du  Théâtre-Lyrique,  dans  lequel  il  devait,  après  la  guerre, 
puiser  si  largement  et  si  fructueusement.  Ce  sont  là  autant 
de  «gains»,  pour  employer  une  expression  de  M.  Nisard  dans 
son  Histoire  de  la  littérature  française,  qui  malheureusement  se 
trouvent  compensés  par  des  pertes.  En  celte  seule  année  1868 
plusieurs  œuvres,  sans  parler  des  récentes,  bien  entendu, 
voient  s'achever  leur  carrière  :  les  Deux  Chasseurs  et  la  Laitière, 
Rose  et  Colas,  l'Epreuve  villageoise,  les  Voitures  versées,  Marie,  la 
Part  du  Diable,  le  Chien  du  jardinier,  le  Docteur  Miroholan,  en  tout 
huit  ouvrages,  charmants  pour  la  plupart  et  disparus  peut- 
être  pour  avoir  été  négligés  trop  longtemps.  Car  l'expérience 
a  démontré  qu'il  est  plus   diflicile  de  remettre   des   pié.,es  au 


répertoire  que  de  les  y  laisser;  on  accepte  ea  effet,  sans  les 
discuter,  les  œuvres  qu'on  a  coutume  de  voir  sur  l'affiche;  on 
critique  avec  indépendance  celles  qu'on  soumet  de  nouveau 
à  voire  jugement;  les  yeux  et  les  oreilles  sont  prévenus 
d'avance,  ainsi  que  l'esprit,  et  l'on  est  tenté  de  trouver 
démodés  ces  pauvres  revenants  que  souvent  les  nouveaux  venus 
ne  valent  pas. 

Témoin  ce  Corricolo,  qui  commença  de  rouler  le  28  novembre 
et  qui  s'arrêta  net  au  bout  de  douz-e  représentations.  Il  sor- 
tait de  chez  les  bons  faiseurs;  Labiche  et  Delacour  lui  avait 
prêté  tous  les  ressorts  de  leur  esprit;  mais  depuis  le  Voyage 
en  Chine,  les  produits  portant  cette  marque  de  fabrique  bais- 
saient visiblement  de  qualité.  C'était  la  course  folle  d'une 
femme  qui  vient  en  Italie  chercher  son  mari,  tandis  que  de 
son  côté  le  mari  lui  envoyait  un  sien  ami  pour  l'empêcher 
de  venir,  et  garder  un  champ  plus  libre  à  ses  fredaines 
amoureuses.  L'ami  s'éprend  de  la  femme. et  l'enlève  en  corri- 
colo ;  le  mari  les  rejoint  à  Rergame  (d'où  le  nom  primitif  de 
la  pièce)  et  le  podestat  de  ce  pays  trouve  un  prétexte  pour 
jeter  tout  le  monde  en  prison.  Il  y  avait  là  môme  une  scène 
très  amusante,  où  ces  prisonniers  de  hasard,  appelés  dans  un 
divertissement  de  la  cour  à  figurer  des  captifs,  jouaient  leurs 
rôles  avec  tant  de  naturel  que  le  podestat,  Sainte-Foy,  s'y 
laissait  prendre  et  dans  son  enthousiasme  ordonnait  la  mise 
en  liberté  que  naguère  il  refusait.  M"'".^  Cabel  et  Heilbron, 
MM.  Barré,  Prilleux  et  le  débutant  Laurent  jouaient  de  leur 
mieux;  mais  ces  trois  actes  ressemblaient  plus  à  un  vaude- 
ville du  Palais-Royal  qu'à  un  livret  d'opéra-comique;  la 
musique  semblait  presque  dépaysée  au  milieu  de  ces  calem- 
bredaines, et,  biel^  que  signée  Poise,  ne  fut  pas  gravée. 

Plus  heureuse  fut  la  destinée  de  Vert-Vert,  d'Ofi'enbach, 
qui,  joué  le  10  mars  1869,  obtint  S8  représentations;  il  y 
avait  là  un  progrès  réel,  puisque  Rarkouf  n'en  n'avait  eu 
que  7  et  Robinson  32.  Les  10  représenlations  de  Fantasia  de- 
vaient interrompre  après  la  guerre  cette  progression  ascen- 
dante, qui  reprendra  plus  lard  avec  les  cent  représentations 
des  Contes  d Hofmann ;  seulement,  le  compositeur  alors  ne  sera 
plus.  Pour  ces  trois  actes,  tires  d'un  vaudeville  de  Desforges 
et  de  I.euven  joué  jadis  avec  succès  par  Déjazet  en  1832, 
i\Ieilhrtc  et  Ntiiiter  touchèrent  des  droits  et  furent  nommés; 
Halévy  cl  Desforges  en  touchèrent  aussi,  mais  ne  le  furent 
point.  Seul,  Gresset  ne  toucha  rien,  quoiqu'il  eût  au  moins 
fourni  le  litre  de  la  pièce;  c'est  d'ailleurs  à  peu  près  tout  ce 
qui  subsistait  de  son  poème.  Yert-Yert  était  non  plus  un 
perroquet,  mais  un  jeune  et  naïf  adolescent,  devenu  la  co- 
queluche des  demoiselles  dans  un  singulier  pensionnat  où 
la  sous-direclrice  flirte  avec  le  maître  de  danse,  où  les  jeunes 
filles  ont  des  amoureux  parmi  les  garnisaires  d'une  ville 
voisine   et  finissent  par  se  laisser  enlever,  aubaine  dont  pro- 


298 


LE  MENESTREL 


fite  Vert-Vert  qui,  entre  le  premier  et  le  troisième  acte,  a 
trouvé  moyen  de  se  «  déniaiser  »  près  d'une  cantatrice  de 
province  à  côté  de  laquelle  le  hasard  des  circonstances  l'a 
forcé  de  chanter  un  soir.  La  partition  valait  mieux  que  ses 
ainées,  parues  sur  le  même  théâtre;  quelques  jolis  passages 
en  demi-teinte  méritaient  au  moins  l'attention.  Et  puis,  Ca- 
poul  chantait  à  ravir;  il  avait  bien  fait  le  sacrifice  de  ses 
moustaches,  au  grand  désespoir  des  dames  d'alors;  mais  il  de- 
meurait séduisant  quand  même,  faisant  bisser  au  premier 
acte  sa  romance  ;  <s  et  l'oiseau  reviendra  dans  sa  cage  »  et  au 
deuxième  acte  son  Alléluia;  le  quatuor  final  du  premier  acte 
recueillait  aussi  des  applaudissements  mérités,  et  l'on  rede- 
manda sa  romance  à  Gailhard,  dont  le  talent  et  la  voix  se 
développaient  de  jour  en  jour,  car  il  avait,  le  S  août  précé- 
dent, joué  le  Toréador  avec  une  pleine  réussite  et  devenait 
peu  à  peu  l'un  des  plus  solides  piliers  de  la  maison.  A  côté 
des  deux  Toulousains,  citons  M"'  Gico,  bientôt  remplacée  par 
jjue  Dorasse,  enfin  M'"*^  Moisset,  Girard,  Révilly,  Tuai, 
MM.  Sainte-Foy,  Potel,  Leroy  et  Ponchard,  qui  jouait  au  na- 
turel un  rôle  de  ténor  sans  voix.  Le  grand  succès  de  l'ouvrage 
fut,  au  troisième  acte,  la  leçon  de  danse,  exécutée,  chantée 
et  mimée  par  Couderc,  le  vieux  Gouderc,  toujours  jeune,  in- 
gambe et  spirituel  comédien.  Les  critiques  cependant  ne  man- 
quèrent pas,  et  une  reprise  de  Verl-Vert,  le  16  mai  1870,  où 
Capoul  était  remplacé  par  M"«  Girard,  Mi"=  Girard  par  M'"^' Bélia, 
M"«  Gico  par  M"'^  Fogliari,  et  Saint-Foy  par  Lignel,  n'aboutit 
qu'à  trois  représentations,  donnant  ainsi  raison  aux  détrac- 
teurs. 

Des  critiques  se  produisirent  aussi  lors  de  la  remise 
à  la  scène  de  Jaguariia ,  donnée  le  10  mai,  au  bénéfice  de 
M™  Gabel,  de  sorte  que  le  service  de  la  presse  n'eut  lieu 
qu'à  la  seconde  représentation.  L'ouvrage  d'Halévy,  qui,  pri- 
mitivement, s'appelait  Jaguariia  l'Indienne,  datait  du  15  mai 
18§§.  M™''  Gabel  avait  créé  le  rôle  principal  au  Théâtre- 
Lyrique  et  le  recréait  à  l'Opéra-Gomique,  quatorze  ans  plus 
tard;  Achard,  Bataille,  Barré  et  Prilleux  tenaient  les  rôles  de 
Montjauze  (Maurice),  de  Junca  (Marna  Jumbo),  de  Meillet 
(Hector)  et  de  Golson  (Petermann).  Comme  l'écrivait  spiri- 
tuellement Elie  de  Lavallée  :  «  Jaguariia  est  une  Indienne  qui 
n'a  rien  de  farouche.  On  ne  s'explique  pas  très  bien  com- 
ment les  auteurs  ont  compris  le  caractère  de  cette  reine  de 
sauvages  qui  trame  sans  cesse  de  sombres  projets  et  qui  en 
réalité  ne  s'occupe  guère  que  de  faire  les  gammes  les  plus 
étonnantes  et  les  cadences  les  plus  pures  sur  les  notes  éle- 
vées. Jaguarita  semble  bien  plutôt  la  reine  des  rossignols  que 
celle  des  Anacolas,  et  quand  elle  chante  sur  de  gracieux 
motifs  «  l'Oiseau  moqueur  »  ou  bien  «  Le  soir,  j'irai  tremper 
mon  aile  »,  ou  bien  «  le  Colibri  »,  ou  bien  encore  «  Je  te 
fais  roi  y>,  on  a  peine  à  se  figurer  qu'on  a  devant  soi  une 
reine  indienne  commandant  une  Iribu  révoltée  contre  les 
Hollandais,  qu'elle  cherche  à  faire  prisonniers,  qu'elle  veut 
mettre  à  mort,  et  qu'à  la  rigueur  elle  mangerait,  car  elle  doit 
être  anthropophage  comme  ses  sujets.  »  Ce  médiocre  livret 
de  Saint-Georges  et  de  Leuven,  qui  ressemble  par  certains 
côtés  à  celui  de  V Africaine,  fit  tort  à  la  partition  d'Halévy,  qui 
contenait  notamment  un  remarquable  finale.  Jaguarita  dispa- 
rut de  l'aSîche  après  18  représentations,  sans  que,  quelque 
vingt  ans  plus  tard,  les  pénibles  essais  lyriques  du  Ghâteau- 
d'Eau  aient  pu  l'y  maintenir  à  nouveau. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra.  —  Première  représentation  de  Lolungrin,  opéra  romantique  en  trois 
actes  et  quatre  tableaux,  de  Richard  Wagner,  traduction  française  de 
M.  Charles  Nuitter.  (16  septembre.) 

C'était  vers  le  milieu  de  l'année  1849.  Toute  l'Europe  était  sous 
le  coup  de  la  fièvre  révolutionnaire  qui,  quinze  mois  auparavant, 
avait  éclaté  à  Paris.  Le  i"'  mai,  les  socialistes  et  les  radicaux 
saxons,   impatients  du  joug  monarchique,  avaient  pris  les  armes  à 


Dresde  pour  chasser  leur  roi,  qui  s'était  en  efïet  enfui  de  sa  capi- 
tale, et  Richard  Wagner,  qui  avait  le  litre  et  remplissait  les  fonc- 
tions de  maître  de  chapelle  de  la  cour,  n'en  avait  pas  moins  été 
l'un  des  premiers  à  prendre  les  armes  contre  sou  souverain.  L'ar- 
senal pillé  el  incendié,  l'armée  régulière  chassée  par  les  insurgés, 
l'Opéra  royal,  qui  avait  vu  naître  Rienzi,  le  Hollandais  volant  el 
Tannhùuser,  réduit  en  ceudres  et  hiùlé  jusqu'à  ses  fondations,  tout 
semblait  indiquer  le  succès  complet  du  mouvement,  lorsqu'au  bout 
de  trente-six  heures  les  troupes  prussiennes  se  mirent  de  la  partie. 
Elles  eurent  bientôt  rétabli  le  roi  sur  son  trône  et  obligé  les  révo- 
lutionnaires à  fuir  à  leur  tour,  ceux  du  moins  qui  n'avaient  été  ni 
tués  ni  faits  prisonniers. 

Richard  Wagner  était  parmi  ceux-là.  Il  put  échapper  à  la  répres- 
sion et  réussit  à  se  réfugier  à  Weimar,  auprès  de  Liszt,  qui  pen- 
dant vingt  ans  devait  lui  donner  tant  de  preuves  do  son  ardente 
affeclion,  de  son  désintéressement  et  de  son  inépuisable  bonté. 
Mais  la  police  saxonne  n'était  point  disposée  à  laisser  jouir  en 
Allemagne  d'une  douce  quiétude  ceux  qui  avaient  si  profondément 
troublé  le  pays,  et  elle  se  mit  à  les  traquer  dans  toute  l'étendue 
de  la  Confédération  germanique.  Obligé  de  s'enfuir  de  nouveau, 
grâce  à  un  passeport  que  Liszt  sut  lui  procurer,  Wagner  s'en  vint 
d'abord  à  Paris,  qu'il  voyait  pour  la  seconde  fois,  puis  bientôt  alla 
se  fixer  à  Zurich,  oîi  son  exil  devait  durer  plusieurs  années  et  d'oii 
commença,  entre  Liszt  et  lui.  une  correspondance  dont  l'activité  ne 
se  ralentit  pas  pendant  douze  anuées.  Celle  correspondance,  dont 
on  peut  facilement  imaginer  le  puissant  intérêt,  a  été  publiée 
récemment  en  Allemagne  (1).  J'en  vais  extraire  ici  certaines  parti- 
cularités relatives  à  Lohengrin. 

Lorsque  Wagner  s'était  vu  forcé  de  quitter  Dresde  précipitam- 
ment, il  avait  pu  cependant  emporter  son  manuscrit  de  Loheng?nn, 
qu'il  avait  achevé  depuis  peu  et  qui  était  terminé  jusqu'en  ses 
moindres  détails.  Il  avait  laissé  sa  partition  à  Liszt,  avec  prière  de 
s'en  occuper  et  d'employer  tous  ses  efforts  à  obtenir  la  représenta- 
tion de  son  œuvre.  Plusieurs  lettres  s'échangèrent  aussitôt  entre 
eux  à  ce  sujet,  lettres  d'autant  plus  pressantes  de  la  part  de  Wag- 
ner que  non  seulement  il  désirait  entretenir  le  public  de  sa  per- 
sonne, mais  que  sa  situation  matérielle  à  Zurich,  dans  les  condi- 
tions où  il  s'y  trouvait,  était  loin,  on  le  conçoit,  d'être  florissante. 
«  ...  Je  ne  puis  pourtant  pas,  écrit-il  à  son  ami,  laisser  pourrir 
ainsi  mon  Lohengrin;  je  me  suis  accoutumé  à  l'idée  de  le  présenter 
au  monde  d'abord  dans  une  langue  étrangère,  et  je  reviens  à  ta 
proposition  de  le  traduire  en  anglais.  Pourrais-tu  écrire  à  Londres 
pour  remettre  celte  affaire  entre  bonnes  mains?...   » 

Mais  le  moment  n'était  favorable  alors  ni  pour  Paris  ni  pour 
Londres.  Wagner  se  rabat  donc  sur  l'Allemagne,  bien  que  les  diffi- 
cultés, eu  raison  des  circonstances  qui  lui  étaient  personnelles, 
parussent  grandes  aussi  de  ce  côté.  De  nouveau  il  s'adresse  à  Liszt, 
dont  le  dévouement  pour  lui  ne  connaissait  pas  de  bornes  :  a  Je 
viens  de  lire  dans  ma  partition  de  Lohengrin,  contrairement  à  toutes 
mes  habitudes.  J'ai  été  pris  d'un  désir  immense,  ardent  que  cet 
ouvrage  soit  représenté.  Je  t'adresse  maintenant  cette  prière  :  fais 
représenter  mon  Lohengrin,  tu  es  le  seul  auquel  je  pourrais  adresser 
cette  requête.  Je  ne  confie  la  création  de  cet  opéra  à  personne  d'autre 
qu'à  toi.  Mais  à  toi,  je  le  remets  avec  une  entière  et  joyeuse  tran- 
quillité. Représente-le  oii  tu  voudras,  ne  fût-ce  même  qu'à  Weimar  1 
Que  la  vie  de  mon  opéra  soit  ton  œuvre.  » 

Liszt,  dont  la  bonté  n'avait  pas  besoin  d'être  aiguillonnée,  Liszt, 
ainsi  mis  en  demeure,  fit  feu  des  quatre  pieds  pour  réaliser  le 
désir  de  son  ami  et  donner  un  corps  à  son  projet.  C'est  à  Weimar, 
en  effet,  qu'il  conçut  l'idée  de  faire  représenter  Lohengrin,  sous  sa 
propre  direction,  et  en  l'entourant  de  tous  les  soins  possibles.  Ses 
démarches  finirent  par  aboutir,  et  bientôt  il  écrivait  à  Wagner: 

...  Cette  représentation  sera  un  événement.  Elle  aura  lieu  le  28  août 
(1850),  anniversaire  de  la  naissance  de  Gœthe,  trois  jours  après  l'inaugu- 
ration du  monument  de  Herder  ;  à  cette  occasion  nous  aurons  ici  un  assez 
grand  concours  de  monde.  Il  va  sans  dire  que  uous  ne  retrancherons  pas 
une  note,  pas  un  iota  de  votre  œuvre  (2),  et  que  nous  la  donnerons  dans 
son  beau  absolu,  autant  qu'il  nous  sera  possible  de  le  faire...  Mais  voici 
à  quoi  je  pense.  Le  succès  de  Lohengrin  une  fois  bien  établi,  je  proposerai 


(1)  Briefwechsel  zwischen  Wagner  und  Liszt,  Leipzig,  Breitkoff  et  Hartel,  1887, 
2  volumes  in-8°.  Un  excellent  résumé  de  cette  correspondance,  dû  à  M.  Wil- 
liam Cart,  a  paru  récemment,  en  français,  dans  quatre  numéros  de  la  Bibliothèque 
universelle  cl  Meuve  suisse,  de  Lausanne  (janvier-avril  1890). 

(2)  Cette  letlre  est  en  français.  Par  une  anomalie  assez  singulière,  lorsque  Liszt 
écrivait  à  Wagner  en  français,  il  lui  disait  vous,  tandis  qu'en  allemand  il  le 
tutoyait. 


LE  MENESTREL 


29-9 


à  Leurs  Altesses  de  m'autoriser  à  vous  écrire  pour  vous  engager  à  termi- 
ner aussi  promptement  que  possible  votre  Siegfried,  et  de  vous  envoyer  à 
cet  effet  un  honoraire  convenable  à  l'avance,  afin  que  vous  puissiez  tra- 
vailler quelque  six  mois  à  l'achèvement  de  cette  œuvre  sans  préoccupa- 
tions matérielles.  Ne  parlez  à  personne  de  ce  projet.  Ecrivez  à  notre  inten- 
dant une  lettre  un  peu  longue  et  amicale;  il  est  feu  et  flamme  pour 
Lohengrin  et  partage  complètement  ma  sympathie  et  mon  admiration  pour 
votre  génie. 

Bientôt  les  études  commencent  à  Weimar,  et  Wagner,  nerveux, 
anxieux,  impressionnable,  témoigne  d'une  impatience  qu'on  ne  peut 
s'empêcher  de  trouver  assez  naturelle  : 

Écris-moi,  dit-il  à  Liszt,  écris-moi  souvent  quelques  lignes  sur  la  marche 
des  répétitions.  Je  prends  sur  moi  autant  que  je  puis,  et  je  lâche  d'être 
fort  vis-à-vis  des  autres  ;  mais,  je  te  le  dis  à  toi,  je  suis  profondément  triste 
de  ne  pas  pouvoir  entendre  mon  œuvre  sous  ta  direction.  Toutefois,  je 
supporte  bien  des  choses,  et  je  supporterai  aussi  cela.  Je  me  dis  que  je 
suis  mort...  Quels  hommes  nous  sommes  !  Nous  ne  pouvons  être  heureux 
qu'en  dépensant  notre  être  tout  entier  ;  être  heureux  signifie  pour  nous 
ne  plus  rien  savoir  de  soi-même.  Pourtant,  écoute,  si  bête  que  cela 
semble,  ménage-toi  autant  que  tu  le  peux. 

Le  jour  de  la  représentation  arrive  enfin.  Tandis  qu'elle  a  lieu  à 
la  date  indiquée,  "Wagner  va  faire  une  excursion  au  Rigi  avec  sa 
femme,  et  à  son  retour  à  Zurich  il  trouve  une  lettre  de  Liszt  qui 
lui  en  rend  compte:  «  ...Votre  Lohengrin,  lui  dit  son  ami,  est  un 
ouvrage  sublime  d'un  bout  à  l'autre  ;  les  larmes  m'en  sont  venues 
au  cœur  dans  maint  endroit.  Tout  l'opéra  étant  une  seule  et  indivi- 
sible merveille,  je  ne  saurais  m'arrêter  à  détailler  tel  passage,  telle 
combinaison,  tel  effet.  Ainsi  qu'il  est  arrivé  à  un  pieux  ecclésiastique 
de  souligner  mot  par  mot  toute  l'Imitation  de  Jésus-Christ,  il  pourrait 
bien  advenir  que  je  souligne  note  par  note  tont  volie  Lohengrin...  » 

Mais  Liszt  ne  se  contente  pas  de  faire  représenter  Lohengrin  sous 
son  admirable  direction  ;  il  veut  encore  en  assurer,  et  surtout  en 
étendre  le  succès.  Dans  ce  but,  il  écrit  et  publie  à  son  sujet  un  ar- 
ticle débordant  d'enthousiasme,  et  le  fait  connaître  à  Wagner,  en 
lui  disant  :  —  «  Mon  article  a  été  fait  uniquement  dans  l'intention 
de  servir  autant  qu'il  dépendait  de  moi  la  grande  et  belle  cause  de 
l'art  vis-à-vis  du  public  français.  Si  vous  étiez  d'avis  que  j'y  ai  mal 
réussi,  je  vous  prie  instamment  de  ne  vous  gêner  en  aucune  ma- 
nière pour  me  le  dire  très  franchement.  Pas  plus  en  ceci  qu'en 
d'autres  choses  vous  ne  rencontrerez  chez  moi  de  sot  amour-propre, 
mais  bien,  très  modestement,  le  sincère  désir  de  conformer  mes 
paroles  et  mes  actions  à  mes  sentiments.  » 

Bst-il  possible  d'obliger  plus  noblement,  et  d'une  façon  plus 
■exquise?  Wagner,  cet  égoïste  immense  et  incorrigible,  en  parait 
touché  lui-même,  et  répond  à  Liszt  : 

Tu  me  fais  rougir!  Je  ne  puis  pas  lire,  sans  rougir,  ce  que  tu  veux  dire 
de  moi  au  monde!  Ton  article  m'a  rendu  de  l'ardeur  et  m'a  relevé.  Je 
suis  touché  d'une  émotion  bienfaisante  en  voyant  que  j'ai  réussi  à  faire 
sur  toi  une  telle  impression  que  tu  -veux  bien  consacrer  une  forte  partie 
de  tes  dons  extraordinaires  à  frayer  les  voies  à  mes  tendances  artistiques. 
Il  me  semble  voir  en  nous  deux  hommes  qui,  partis  des  pôles  opposés 
pour  pénétrer  au  cœur  de  l'art,  s'y  rencontrent  et,  dans  la  joie  de  leur 
découverte,  se  tendent  une  main  fraternelle.  Ce  n'est  que  dans  ce  sentiment 
de  joie  que  je  puis  accepter,  sans  confusion,  tes  admirations.  Je  me  sens 
maintenant  plus  que  récompensé  pour  mes  efforts,  pour  mes  sacrifices. 
Mon  unique  désir  était  d'être  compris  aussi  entièrement;  avoir  été  com- 
pris, c'est  la  satisfaction  de  mon  désir,  c'est  mon  plus  grand  bonheur.  » 

Mais  ces  protestations  n'avaient  qu'un  défaut,  celui  de  manquer 
de  sincérité.  Et  pendant  qu'il  parlait  ainsi  ù  Liszt,  Wagner  écrivait 
à  un  autre  de  ses  amis,  Uhlig,  qui  faisait  partie  de  l'admiDistration 
du  théâtre  de  Dresde  :  —  «  Je  n'ai  pas  besoin  de  te  dire  qu'à  pro- 
prement parler,  quand  j'ai  permis  que  Lohengrin  fût  représenté  à 
Weimar,  je  l'ai  sacrifié...  »  Un  ange,  ce  Wagner! 

Pourtant,  quelque  chose  jetait  en  lui  une  tristesse  invincible. 
•C'était  le  sentiment  de  l'impossibilité,  cruelle  assurément,  où  il  se 
trouvait  d'entendre  son  œuvre,  lui,  exilé  de  sa  patrie  et  n'y  pouvant 
rentrer.  «  Je  serai  bientôt  le  seul  Allemand  qui  n'ait  pas  entendu 
Lohengrin,  écrivait-il  à  Liszt  lorsque  l'ouvrage  commençait  à  se  ré- 
pandre par  toute  l'Allemagne.  Mon  désir  de  pouvoir  jouir  de  mon 
œuvre,  qui  ne  m'a  vainque  les  douleurs  de  l'enfantement,  augmente 
de  la  manière  la  plus  pénible.  Le  triste  sentiment  d'être  condamné 
à  rester  sourd  et  aveugle  vis-à-vis  de  mes  créations  s'empare  tou- 
jours davantage  de  moi  et  me  remplit  d'abattement.  L'impossibilité 
de  voir  et  d'entendre  une  exécution  de  mes  œuvres  m'ôte  l'envie  de 
créer  quelque  chose  de  nouveau,  si  bien  que  je  n'y  pense  qu'avec 
un  sentiment  d'indescriptible  amertume.  » 

Mais  bientôt,  l'immense  orgueilleux  reparaît.  On  sait  que  Wagner 


ne  pouvait  pas  supporter  l'idée  de  voir  représenter  ses  œuvres  dans 
les  mêmes  conditions  que  les  autres  compositeurs.  Le  besoin  d'ar- 
gent l'avait  pourtant  obligé  à  les  abandonner  à  tous  les  théâtres  ; 
mais  c'était  la  rage  au  cœur,  et  il  s'en  expliquait  ainsi  à  Liszt,  avec 
l'emportement  qui  lui  était  'nabituel  : 

Ecoute-moi.  Tannhauser  et  Lohengrin,  je  les  ai  jetés  à  tous  les  vents;  je 
ne  veux  plus  en  entendre  parler.  Quand  je  les  ai  livrés  aux  tripotages 
des  théâtres,  je  les  ai  répudiés.  Je  les  ai  maudits,  je  les  ai  condamnés  à 
aller  mendier  pour  moi,  et  à  ne  me  rapporter  que  de  l'argent,  seulement 
de  l'argent.  Je  ne  les  aurais  pas  même  employés  à  cela,  si  je  n'y  avais 
pas  été  forcé... 

Et  plus  loin,  se  plaignant  que  cet  argent  qu'il  en  espérait  n'était 
tnême  pas  assez  abondant  : 

...J'ai  renoncé  à  ma  fierté  et  j'ai  appris  à  plier  l'échiné  sous  le  joug 
des  juifs  et  des  philistins.  Mais  quelle  honte!  Après  avoir  prostitué  ce 
que  je  possède  de  plus  noble,  je  ne  reçois  pas  même  le  salaire  convenu  ! 
Je  reste  ce  que  j'étais,  un  mendiant.  Il  ne  se  passe  plus  d'année  sans 
que  je  me  sois  trouvé  fermement  décidé  à  mettre  fin  à  ma  vie... 

Et  plus  loin  encore,  les  plaintes  s'accentuent  de  plus  en  plus  : 
En  abandonnant  Tannhauser  et  même  Lohengrin  aux  théâtres,  j'ai  fait  à 
la  réalité  de  nos  misérables  institutions  artistiques  des  concessions  si  pro- 
fondément humiliantes,  que  je  ne  puis  pas  tomber  plus  bas.  Oh!  comme 
j'étais  fier  et  libre,  alors  que  je  ne  les  avais  donnés  qu'à  toi  pour  Weimar. 
Maintenant,  je  suis  esclave  et  entièrement  impuissant.  Une  inconséquence 
en  amène  une  autre,  et  je  ne  puis  étouffer  cet  affreux  sentiment  qu'en 
devenant  encore  plus  fier  et  encore  plus  méprisant.  Je  me  dis  que  j'en  ai 
fini  avec  Tannhauser  et  Lohengrin  :  ils  ne  me  regardent  plus.  Mes  nouvelles 
créations  me  sont  d'autant  plus  sacrées;  je  les  conserve  religieusement 
pour  mcii  et  mes  amis.  Ce  que  je  crée  actuellement  ne  verra  jamais  le 
jour,  à  moins  que  re  ne  soit  dans  des  circonstances  convenant  absolu- 
ment à  mes  nouvelles  œuvres.  C'est  dans  ce  but  que  je  veux  réunir 
toutes  mes  forces,  toute  ma  fierté,  toute  ma  résignation.  Si  je  meurs  sans 
les  avoir  représentées,  je  te  les  léguerai.  Si  tu  meurs  sans  avoir  pu  les 
représenter  dignement,  tu  les  brûleras.  Que  ce  soit  une  affaire  entendue.... 

J'ai  mieux  aimé  retracer,  à  l'aide  de  cette  correspondance  inté- 
ressante, l'historique  de  la  naissance  et  de  l'expansion  rapide  de 
Lohengrin,  que  de  m'appesantir  sur  la  nature  et  la  portée  musicale 
de  l'œuvre,  si  connue  aujourd'hui.  U  y  a  longtemps  qu'on  en  a  dit 
ce  qu'il  y  avait  à  en  dire,  que  la  glose  est  ouverte  sur  elle,  et 
une  analyse  serrée  de  la  partition  me  semblerait  bien  inutile  à 
l'heure  présente.  On  ira  l'enteadre,  et  le  jugement  personnel  de 
l'oreille  remplacera  enfin,  pour  ceux  qui  n'avaient  pu  la  voir  encore 
à  la  scène,  les  apologies  ou  les  critiques  outrées  que  tel  ou  tel  en 
ont  fait  jusqu'à  ce  jour,  d'après  leur  propre  sentiment  ou  parfois 
d'après  une  opinion  absolument  préconçue. 

Écartant  de  parti  pris  tout  récit  relatif  aux  incidents...  extrin- 
sèques qu'a  fait  naître  depuis  le  premier  jour  l'annonce  de  l'appa- 
rition de  Lohengrin  à  l'Opéra,  Je  me  bornerai  à  rapporter,  d'un  com- 
plet sang-froid,  l'impression  que  j'ai  reçue  et  celle  que  le  public  me 
semble  avoir  reçue  de  la  première  représentation.  Il  ne  faut  pas  ici 
se  payer  de  mots,  relativement  au  triomphe  et  à  l'enthousiasme 
annoncés  à  grands  coups  de  trompettes  par  quelques  admirateurs 
acharnés.  Je  ne  crois,  pour  ma  part,  ni  à  l'un,  ni  à  fautre.  J'ai 
même  la  persuasion  que  Lohengrin  pourra  s'acclimater  à  l'Opéra  et 
entrer  comme  il  le  doit  dans  le  répertoire,  mais  à  la  condition,  sine 
qudnon,  qu'on  pratiquera  dans  cette  partition  fatigante  et  trop  touffue 
dans  son  ensemble  les  coupures  absolument  indispensables  destinées 
à  l'éclairer,  à  l'alléger,  et  qui  se  font  même  en  Allemagne.  C'est, 
à  mon  sens,  une  insigne  maladresse  que  d'avoir  voulu  exécuter 
cette  œuvre  dans  son  intégralité,  et  d'avoir  obligé  les  spectateurs 
(je  parle  ici  des  spectateurs  sincères  et  sans  parti  pris)  à  bâiller 
discrètement  pendant  un  bon  quart  de  la  soirée.  Tous  les  dithy- 
rambes n'y  feront  rien,  et  je  tiens  pour  certain  que  la  suite  des 
représentations  donnera  complètement  raison  au  sentiment  que  j'ex- 
prime ici. 

Il  faut  bien  dire  que,  prise  dans  son  ensemble,  la  partition  de 
Lohengrin  est  à  la  fois  fort  inégale  et  singulièrement  éclectique, 
pour  ne  pas  dire  composite.  A  côté  de  pages  superbes  comme  celles 
que  contient  le  premier  acte  :  le  merveilleux  prélude,  le  chœur 
si  curieux  qui  annonce  l'arrivée  du  chevalier  au  cygne,  le  finale,  dont 
on  ne  saurait  nier  la  grandeur  et  la  puissance,  il  y  en  a,  comme  on 
en  rencontre  trop  au  second  acte,  d'absolument  insupportables  par 
leur  longueur  et  leur  peu  d'intérêt  ;  dans  le  nombre  il  faut  citer 
Vinfmissable  duo  d'Ortrude  et  de  Frédéric,  celui  des  deux  femmes, 
qui  n'est  s^uère  moins  développé,  et,  pour  vous  remettre  de  ces  deux 


■■U)0 


LE  MEiNESlKEL 


moiceaus  vraiment  cruels,  le  dialogue  peu  récréatif  du  héraut  avec 
le  chœur.  Il  l'aut  faire  dans  toul  cela  des  coupes  sombres  ;  c'est  une 
forêt  impénétrable,  dans  laquelle  le  public,  un  public  français  sur- 
tout, ne  parviendra  jamais  h  s'engager.  Les  coupures,  d'ailleurs,  sont 
indiquées  sur  les  parties  d'orchestre  re»nni  rf'.lWe?H(?j(îc,-  pourquoi  ne 
pas  s'y  référer? 

Il  est  à  remarquer  que  les  pages  qui  ont  produit  le  plus  d'effet 
sont  celles  qui  se  rapprochent  le  plus  de  nos  coutumes  musicales 
et  des  formes  consacrées.  Ainsi  le  prélude,  qui  est  vraiment  un 
chef-d'œuvre,  ainsi  la  romance  d'Eisa  au  balcon,  et  la  plupart  des 
chœurs,  et  le  grand  finale  du  premier  acte,  si  bien  construit  à  l'ita- 
lienne qu'on  en  dirait  la  première  partie  écrite  par  Donizclti  cl  la 
seconde  par  Rossini,  sans  oublier  le  crescendo  de  l'auteur  du  Barbie?- 
et  la  cadence  t'aditiounello. 

Ce  qui  paraît  bieu  long  encore,  c'est  tout  le  lécit  de  Lohengrin 
à  Eisa  au  premier  acte,  et,  quoi  qu'on  en  puisse  dire,  le  récit  du 
Graal  au  troisième.  Et  ce  qui  paraît  enfantin,  roeoco  et  vide  de 
sens,  c'est  cotle  pièce  qui  n'a  ni  queue  ni  lôte,  ni'  action,  ni  mou- 
vement, ni  intrigue,  c'est  cetle  féerie  qu'on  dirait  conçue  pour  le 
théâtre  de  feu  Séraphin  et  dans  laquelle  l'intéiêt  brille  par  son 
absence  la  plus  complète.  G  est  même  un  prodige,  et  c'est  là  ce  qui 
prouve  la  haute  valeur  musicale  de  Waguer,  qu'il  ait  pu  soutenir 
l'attention  de  l'auditeur  à  l'aide  d'une  partition  écrite  sur  un  pareil 
sujet. 

L'exécution  actuelle  à  l'Opéra  ne  vaut  pas,  à  mon  sens,  comme 
détails  et  comme  ensemble,  colle  que  M.  Lamoureux  nous  avait 
offerte  il  y  a  quatre  ans  à  l'Éden.  L'orchestre  est  superbe,  absolu- 
ment superbe,  et  l'on  ne  saurait  rien  imaginer  de  mieux  ;  mais  les 
chœurs,  au  moins  eu  ce  qui  concerne  les  femmes,  sont  loin,  fort 
loin  d'être  toujours  excellents  ;  au  troisième  acte  particulièremeut, 
les  oreilles  les  moins  exigeantes  eussent  eu  de  la  peine  à  se  tenir 
pour  satisfaites.  Puis,  il  faut  bien  le  dire,  la  plupart  des  mouvements 
sont  trop  lents,  et  il  en  résulte,  dans  l'allure  générale  de  l'œuvre, 
une  lourdeur,  une  épaisseur  extrêmement  l'àcheuses.  On  pourra  me 
parler,  à  ce  sujet,  des  traditions  de  Bayreuth  ;  cela  me  laissera 
absolument  froid.  Nous  ne  sommes  pas  à  Bayreuth  ici,  nous  sommes 
à  Paris;  nous  chantons  en  français,  sur  une  scène  française,  devant 
un  public  français,  et  les  conditions  d'exécution  se  modifient  forcé- 
ment. C'est  affaire  de  iact,  d'intelligence  et  de  vrai  sentiment  artis- 
tique. 

Celte  lourdeur  que  je  signale  dans  l'exécution  générale,  je  la 
reprocherai  aussi  un  peu  à  M.  Van  Dyck,  qui  a  toujours  sa  bePe 
voix,  éclatante  et  sonore,  mais  qui  traîne  les  sons  et  la  mesure 
peut-être  plus  qu'il  ne  faudrait;  malgré  son  beau  talent  et  son 
autorité,  n'enlève-t-il  pas  ainsi  à  la  musique  de  £o/(e)i(/r/»  une  partie 
de  son  caractère  mâle  et  héro'ique?  M.  Van  Dyck  —  ceci  n'est  pas 
sa  faute  —  est  d'ailleurs  costumé  de  la  façon  la  plus  élrange. 

La  nature  tendre  et  poétique  de  M""'  Caron  convient  merveilleu- 
sement au  personnage  d'Eisa,  qu'elle  joue  et  chante  avec  le  talent 
qu'on  lui  connaît.  Il  est  fâcheux  que,  pour  cette  musique,  sa  voix 
manque  un  peu  de  puissance  et  d'ampleur.  M""  Fierens,  qui  est 
fort  belle  sous  le  costume  d'Ortrude,  y  a  trouve  des  accents  pleins 
de  chaleur  et  de  véhémence  ;  il  faut  seulement  qu'elle  s'attache  à 
articuler  les  paroles  d'une  façon  plus  nette.  M.  Renaud  mérite  des 
éloges  pour  la  manière  dont  il  a  compris  et  chanté  le  rôle  de  Fré- 
déric, et  M.  Delmas  est  parfait  dans  celui  du  roi.  Quant  au  héraut, 
dont  la  tâche,  si  difficile,  est  si  importante,  —  je  crois  qu'il  vaut 
mieux  n'en  point  parler. 

Et  maintenant,  messieurs  les  wagnériens  vont-ils.  jjour  quelque 
temps,  nous  laisser  un  peu  de  tranquillité? 

Arthuh  Polgin. 

Menus-Plaisirs.  Compère  G uiUeri,  opéra-comique  en  trois  actes,  de  MM.  Bu- 
rani  et  Jean  Cavalier,  musique  de  M.  Henry  Perry.  —  Chatelet.  Ceniril- 
lon,  féerie  en  cinq  actes  et  trente  tableaux,  de  MM.  Glairville,  Monnler 
et  E.  Blum. 

Il  était  un  p'tit  homme 
Pas  plus  gros  qu'un'  souris, 
Garrabi. 

C'est  parce  refrain  enfantin  et  populaire  que  s'ouvre  la  partition, 
assez  fournie  en  numéros,  que  les  Menus-Plaisirs  nous  ont  conviés 
à  entendre  vendredi  dernier.  Il  s'agit  donc,  sans  qu'on  puisse  en 
douter  une  seconde,  de  la  légende  de  ce  seigneur  breton,  ayant 
pactisé  avec  le  diable,  qui  avait  la  faculté  de  se  métamorphoser  en 
berger,  moine  ou  capitaine,  pour  pressurer  plus  librement  les  vas- 
saux de  son  petit  domaine.  Compère  Guilleri  est  mort  depuis 
longtemps  lorsque  se  lève  le  rideau  ;  mais  il  a  laissé  un  fils,  berger 
de  son  état,  ignorant  son  illustre  naissance,  et  dont  deux   aventu- 


riers se  servent  pour  faire  croire  aux  paysans  que  le  p'Iit  homme 
est  ressuscité.  MM.  Burani  et  Jean  Cavalier  ont,  là-dessus,  bâti 
trois  actes  qui,  très  certainement,  n'ajouteront  pas  grand'chose  à 
leur  gloire  d'auteurs  dramatiques.  M.  Henry  Perry,  chargé  de  la 
partie  musicale,  pas  plus  que  ses  collaborateurs,  n'a  su  trouver 
le  filon  heureux  qui  devait  le  conduire  au  succès;  malgré  une 
romance  sentimentale  bissée  au  second  acte  et  assez  bien  chantée 
par  M.  Dastrez,  un  lénorino  agréable,  sa  partition  reste  incolore 
et  fade.  Il  est  juste  de  dire  qu'il  s'est  trouvé  assez  mal  défendu 
par  une  interprétation  fort  défectueuse  surtout  du  côté  féminin  ; 
M"'^  S.  de  Lys  et  Arnij'  ont  pu  séduire  les  yeux,  mais  je  crois  que 
là  s'arrêtent  leurs  facultés  artistiques.  Deux  comiques  qui  savent 
leur  métier,  MM.  Perrin  et  Gaillard,  ont  vaillamment  et  inutile- 
ment lutté.  Vite,  monsieur  de  Lagoanère,  vous  avez  une  revanche  à. 
prendre,  car,  comme  dit  la  chanson,  Compère  Guilleri  me  fait  dia- 
blement l'effet  de  s'être  laissé  mourir. 

Les  vacances  n'élant  point  encore  finies,  le  Chàlelet  en  a  profité" 
pour  faire  une  reprise  de  la  légendaire  Cendrillon.  M"""  Simon-Giraid- 
toul  à  fait  charmante  en  Cendrillon,  M"'°  Mary-Alberl,  que  les  Pari- 
siens n'ont  que  de  trop  rares  occasions  d'applaudir,  M.  Simon-Max, 
un  amusant  Riquiqui,  M.  Gardel,  un  Hurluberlu  très  rond,  et 
M.  Scipion,  un  la  Pinchonnière  trè.s  long,  seront  très  certainement 
un  des  attraits  des  représentations.  La  mise  en  scène,  comme  tou- 
jours chez  M.  Fioury,  est  variée  et  luxueuse.  Petits  enfants,  qui 
avez  été  bien  sages  au  bord  de  la  mer  et  que  les  premières  fraî- 
cheurs de  septembre  forcent  à  rentrer  à  Paris,  demandez  bien  vite- 
à  vos  mamans  de  vous  mènera  Cendrillon;  c'est  surtout  pour  vous- 
que  se  donne  le  spectacle. 

Paul-Emile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 


CONSERVATOIRE    DE 


lUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

(Suite) 


CHAPITRE  V 

LA     HESTALRATION    (181S-I830) 

«  Vous  devez,  monsieur,  quitter  sans  délai  l'appartement  que  vous- 
occupez,  et  vous  regarder  dès  ce    nioinent   comme   n'ayant  plus    la 
direction   du  Conservatoire.  «    —    Transmise    à    la  rue  Bergère,  le 
Îi8    décembre    1814,    cette    révocation  peu   déguisée    inaugurait  les 
rapports  officiels  de  Sarretle  avec  la  Restauration. 

Les  Cent  jours  ne  devaient  pas  apaiser  l'hostilité  de  Louis  XVIIL. 
et,  le  17  novembre  181S,  un  nouveau  décret  arrachait  le  directeur  à 
l'école  qu'il  avait  gouvernée  durant  vingt-six  ans. 

Les  mots  «  Conservatoire  de  Musique  »,  gravés  à  l'entrée  de  la  rue 
Bergère,  fout  place  à  l'inscription  ((Intendance  des  Menus-Plaisirs 
du  Roi.  »  Faubourg  Poissonnière,  des  lettres  d'or  indiquent  au 
passant  la  porte  des  «Magasins  des  Menus-Plaisirs». 

Pour  rendre  la  transformation  plus  coiuplète,  on  annonce  que 
l'École  sera  probablement  transportée  au  petit  hôtel  Labriffe,  rue 
de  Bourbon,  faubourg  Saint-Germain. 


Désormais  les  journaux  ne  s'occupent  plus  de    la   maison,   jadis- 
sujet  de  tant  de  cop'e.  Une  ligne  pour  citer  quelque  projet  de  réor- 
ganisation, pour  discuter  un  budget.  Et  quand,  le  1""'  avril,  l'Ecole 
royale  de  chant  et  de  déclamation  ressuscite  avec  une  allocation  de 
80,000  francs,  bientôt  réduite,  la  nouvelle  cause  peu  d'émotion. 

Perne,  nommé  administrateur  et  inspecteur  général,  n'était  pas 
un  inconnu  pour  les  musiciens.  Choriste,  puis  contrebassiste  à. 
l'Opéra,  professeur  adjoint  au  Conservatoire  impérial,  auteur  d'une 
messe  de  Sainte-Cécile,  il  était  renommé  pour  son  savoir,  une  éru- 
dition telle  qu'il  avait  eu  cette  étrange  fantaisie  de  transcrire  Iphi— 
génie  en  Tauride  avec  la  notation  grecque. 

Nommés  aux  classes  de  composition  :  Cherubini  et  Méhul  ;  fugue 
et  contrepoint:  Eler;  harmonie:  Dourlen  ;  accompagnement  pra- 
tique :  Daussoigne.  —  Au  chaut:  Garât,  Blangini,  Martin  et  Gui- 
chard  ;  Halévy,  professeur  adjoint  de  solfège. 

Piano:  Pradher,  Louis  Adam,  Zimmermanu  et  M""  Michu.  Violon  : 
Kreutzer  et  Baillot,  ayant  pour  survivanciers  Kreutzer  jeune  et  Ha- 
beneck. —  Titulaires  de  la  déclamation  :  Saint-Pris.  Fleury,  Baptiste 
aîné,  Miehelot. 


LE  MENESTREL 


301 


L'École,  où  le  pfnHonnat  est  aboli,  dépend  de  Papillon  de  la 
Ferlé,  intendaLt  de  l'argenterie,  Menus  Plaisirs  et  affaires  de  la 
chambre  da  Roi. 

L'Hôtel  de  la  rue  Bergère,  la  grande  salle  des  exercices  serviront 
souvent  à  des  exhibitions  variées.  —  Le  3  juin,  la  l'aniille  royale  y 
visite  la  corbeille  de  noces  de  la  duchesse  do  Berry  et  passe  deux 
heures  «dans  ce  lieu  enchanté!  »  —  Au  mois  d'août,  pour  inau- 
gurer le  busle  de  Louis  XVIII,  grande  soleunité,  pièce  allégorique 
de  Dé^augiers,  ornée  de  force  couplets  dont  la  prosodie  sonne  étran- 
gement soiis  les  lambris  du  Gouservat.iite.  Témoio  celte  strophe, 
chantée  sur  l'air  du  «  Parnasse  des  Dames  »  : 

Sous  quelque  forme  qu'il  paraisse. 
Dans  tout  pays  on  trouvera 
Qu'  l'esprit,  la  bonté,  la  sagesse 
Sont  la  monnaie  de  ce  Louis-là. 

Ballet  par  les  élèves  de  rAcadéiiiie,  bouquets  offerts  aux  dames 
et  nombreux  rafraîchissements. 

Une  simple  mention  pour  l'orchestre  des  élèves  dans  la  distribu- 
tion dei  prix  de  l'Institut. 

Même  disetle  l'année  suivante. 

Appelé  pour  une  fête  de  charité.  Munito  triomp'  e,  rue  Bergère. 
Le  célèbre  caniche  joue  aux  dominos,  distingue  les  couleurs, 
additionne  et  multiplie  :  son  succès  surpasse  celui  des  arti-tes  du 
ïnéàtre-italicn  . 

Le  19  mai,  un  concours  est  ouvert  pour  les  admissions  à  l'École 
primaire  de  chant  fondée  par  Choron  et  regardée  comme  classe  de 
l'Ecole  royale.  «  Dix  élèves,  de  7  à  IS  ans,  y  seront  élevés,  éduqués. 
logés  et  nourris  aux  frais  du  Roi.  Les  parents,  en  présentant  leurs 
enfants,  souscriront  un  acte  d'apprentissage.   » 

Exercices  musicaux  des  jeunes  aveugles,  Société  des  Enfants 
d'Apollon,  points  d'orgue  de  M"'°  Cata'ani  et  autres  annonces  de 
concerts  emplissent  les  journaux;  mais  nous  ne  retrouvons  le  Con- 
servatoire qu'à  l'Institut,  ovi  il  exécute  une  symphonie  du  comte 
Lacépède,  amateur,  puis,  le  21  octobre,  à  Saint-'^incent-de-Pau!, 
où  il  est  représenté  aux  obsèques  de  Méhul.  —  Extrait  de  l'oraison 
funèbre  prononcée  ce  jour-là,  par  Bouilly,  de  l'Académie  française, 
s'adressant  aux  jeunes  compositeurs  :  «  Quand  il  déposait  sur  vos 
fronts  modestes  les  lauriers  du  premier  triomphe,  oh!  retracez-nous 
bien  l'ivresse  qui  se  peignait  sur  tous  ses  traits,  les  pleurs  déli- 
cieux qui  s'échappaient  de  ses  yeux  pleins  de  flammes.  » 

Silence  complet  autour  des  élèves,  durant  les  sept  premiers  mo's 
de  1818.  Vers  la  fin  d'août  seulement,  au  rélablisseni  nt  de  la 
statue  d'Henri  IV,  ils  paraissent  sur  le  Pont-Neuf,  et,  dirigés  par 
Berton,  jouent  des  airs  nationaux  «  et  autres  morceaux  analogues  à 
la  fête.  0 

Le  8  septembre,  exercice  rue  Bergère  :  son  résultat  est  fort  mé- 
diocre. Salle  piesque  vide;  au  programme,  deux  actes  de  la  Vestale, 
fragments  d'Orphée,  de  Diclon,  du  Rossignol,  choisis  parmi  les  plus 
difficiles,  faiblement  interprétés  par  M""  KalfTer  et  Dupont.  L'or- 
chestre joue  trop  vite  et  ou  attribue  cet  allegro  ininterrompu  au 
feu  de  la  jeunesse.  Le  .'uccès  de  la  séance  va  à  la  harpe  de  M.  Pru- 
mi(r. 

Depuis  trois  ans,  les  concours  étaient  supprimés;  novembre  voit 
leur  résurrection;  mais  les  prix  ne  sont  distribués  que  le  14  jan- 
vier 1819,  sous  la  présidence  de  M.  de  Pradel,  directeur  général 
de  la  maison  du  Roi.  Un  discours  retrace  l'histoire  de  l'École  à  sa 
création,  glisse  rapidement  sur  l'intérim  de  l'Empire  et  chante  les 
nombreuses  faveurs  accordées  à  la  musique  par  Louis  XVIII. 

Les  variations  composées  et  exécutées  par  le  jeune  Herz  obtien- 
nent tous  les  suffrages. 

Les  marques  de  la  sympathie  royale  n'abondent  pas  durant  l'an- 
née. Un  exercice,  le  4  avril,  puis  le  calme  le  plus  complet.  — • 
Annonce  de  la  prochaine  construction  du  Gymnase  Dramatique,  qui 
s'attachera  les  élèves  de  l'Ecole  et  deviendra  une  pépinière  pour  le 
Théâtre-Français  et  les  scènes  lyriques.  Le  prix  de  Rome  décerné 
à  Halévy,  le  Barbier  de  Rossini  alternant  avec  celui  de  Paisiello,  la 
visite  de  Choron  et  de  Plantade  à  l'École  de  musique  de  Lille,  dont 
le  budget  a  été  porté  a  4,000  francs,  tels  sont  les  principaux  évé- 
nements de  1819,  couronnés  le  i  décembre  par  la  distribution  des 
prix.  Toute  fière  du  succès  de  Tilmani,  qu'elle  pensionnait  à  Paris, 
la  ville  de  Valenciennes  lui  fait  remettre  une  médaille. 


1820.   On  désire  vivement  que  le  fils  de  Mozart,  qui  étonne  l'Alle- 


magne par  ses  compositions,  vienne  à  Paris,  où  les  concerts  vont 
être  nombreux.  Mais  l'assassinat  du  duc  de  Berry  éteint  tous  les 
bruits  de  fête. 

Relâche  de  neuf  jours  dans  les  théâtres.  La  Comédie-Française 
et  Feydeau  reçoivent  -30,000  francs  d'jndemnité,  l'Odéon,  20,000,  les 
autres  scènes  13,000.  Étant  à  la  charge  de  la  liste  civile,  l'Opéra 
et  les  Italiens  n'ont  pas  part  aux  largesses. 

Egaré  certain  soir  d'août  dans  les  jardins  de  Tivoli,  un  journaliste 
y  aperçoit  Choron  escorté  de  ses  vingt  élèves,  et  le  désigne  aux 
promeneurs.  Entouré,  supplié,  le  maîlre  consent  à  organiser  un  con- 
cert dans  lequel  «  ses  intéressants  virtuoses  »  font  merveille. 

Des  troubles  éclatent  en  province  :  des  explosions  jettent  la  terreur 
dans  les  Tuileries;  au  milieu  du  calme  le  plus  profond,  l'École 
poursuit  sa  monotone  existence. 

L'Hôtel  de  Ville  fête,  le  2  mai  1821,  le  baptême  du  duc  de  Bor- 
deaux ;  l'Opéra  et  l'Opéra-Coraique  font  seuls  les  frais  de  l'intermède 
musical.  Si  les  exercices  reprennent,  nul  ne  songe  à  s'en  inquiéter 
et.  aux  concours,  force  est  d'avouer  que  jamais  les  éludes  n'ont 
été  plus  faibles.  On  ne  trouve  à  citer  que  le  jeune  Alkan,  lauréat 
de  solfège,  à  peine  âgé  de  huit  ans.  Les  classes  de  chant  ont  été 
désespérantes.  Quant  à  la  fugue,  elle  inspire  celte  réflexion  à  un 
critique:  «  Pourquoi  former  des  compositeurs  dans  un  pays  où  la 
CD  mposilion  ne  mène  à  rien  ». 

La  note  gaie  de  l'année  nous  est  fournie  par  le  Journal  des  Deux- 
Sèvres.  Eu  novembre,  parait  une  annonce  dont  se  sont  inspirés,  par 
la  suite,  les  dentistes  en  villégiature  ;  «  Choroa  va  passer  à  Niort 
le  21.  Ceux  qui  ont  de  la  voix  peuvent  se  faire  inscrire  à  la  mairie. 
Qualités  requises  :  extérieur  agréable,  très  belle  voix,  grandes  dis- 
positions, intelligence,  goût,  âme,  sagesse,  docilité,  principes  moraux 
el  religieux.  » 

Musique  partout,  sauf  au  Conservatoire,  eu  1822.  Chez  les  aveugles, 
dans  les  lycées,  au  cercle  des  Arts,  les  séances  sont  innombrables; 
le  Gymnase  lui-même  donne  des  concerts  spirituels,  «  dans  lesquels 
reparaîtra  une  artiste  aimée,  après  une  absence  justifiée  par  le  titre 
d'épouse  ».  Les  comédiens  anglais  sont  hués  à  l'Ambigu  par  une 
salle  qui  ne  peut  supporter  ce  langage  barbare. 

La  retraite  de  Perne,  remplacé  par  Cherubini,  rappelle  l'attention 
sur  l'Ecole  royale.  Le  nouveau  directeur  veut  rétablir  le  pensionnat, 
en  ayant  soin  que  les  élèves  des  deux  sexes  n'aient  de  communi- 
cation qu'à  l'heure  des. cours,  et  ne  voient  les  externes  que  dans 
les  classes.  Des  inspections  journalières  rétabliront  la  discipline. 

Le  jeune  Alkan,  qui  a  commencé  le  piano  il  y  a  dix  mois  seule- 
ment, est  jugé  digne  d'un  accessit. 

Voyant  que  le  Conservatoire  suit  une  route  nouvelle,  les  redresseurs 
d'abus  s'attaquent  aux  théâtres.  —  «  L'Académie  royale  de  musique 
ne  tombe  plus;  elle  s'écroule. . .  On  ne  devrait  pas  pousser  l'impru- 
dence jusqu'à  admettie  les  étrangers  aux  représentations  aciuelles  ; 
il  est  des  choses  qu'il  faut  faire  en  famille.  »  On  propose  de  graver 
au  fronton  de  l'Opéra  :  «  C'est  le  paradis  des  yeux  et  l'enfer  des 
oreilles.   » 

(A  suivre.)  André  Martiket. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (17  septembre)  :  —  Après  trois 
premières  soirées,  très  satisfaisantes  pour  le  public  et  fort  heureuses  pour 
les  débutants  que  la  Monnaie  nous  a  présentés,  nous  en  avons  eu  une 
quatrième,  beaucoup  moins  favorable.  Elle  servait  de  début  à  iM™^  Smilh- 
Bauvelt,' une  Américaine  n'ayant  jamais  paru  sur  la  scène  et,  qui  pis  est, 
ne  sachant  pas  un  seul  mot  de  français.  Et  quand  je  vous  aurai  dit  que 
c'est  Mireille,  œuvre  de  diction  et  de  charme,  que  la  nouvelle  venue 
nous  a  chantée,  avec  cet  accent  particulier  aux  jeunes  misses  qui  voyagent 
sur  le  continent,  vous  aurez  une  idée  de  l'étrangeté  de  cette  représentation. 
Pour  comble  d'ennui.  M™  Smith  n'a  pas  suffisamment  racheté  ce  défaut 
par  d'autres  qualités.  On  aurait  pardonné  tout  à  une  Melba,  —  et  le  public 
bruxellois  pardonna,  en  effet,  bien  volontiers  son  accent  à  la  diva  quand 
elle  parut  pour  la  première  fois  devant  lui,  il  y  a  trois  ans;  —  il  n'y  avait 
vraiment  pas  lieu,  cette  fois,  d'être  aussi  clément.  Dans  cette  même  soi- 
rée, on, a  entendu  le  nouveau  ténor  d'opéra-comique,  M.  Leprestre,  qui 
succède  à  M.  Delrnas.  On  a  apprécié  et  applaudi  sa  jolie  voix  et  son  habi- 
leté à  la  conduire;  mais  de  quel  provincialisme  cela  est  déparé!  quelle 


302 


LE  MENESTREL 


afl'ectation  et  quel  maniérisme  dans  le  jeu  et  dans  le  chant  !  M.  Leprestre 
devra  se  déshabituer  bien  vite  de  ces  gros  défauts  s'il  veut  arriver  à 
plaire.  Le  reste  de  cette  représentation  de  Mireille,  —  qui  a  bien  fait  pen- 
ser à  M"°  Sanderson  et  l'a  fait  beaucoup  regretter,  —  a  marché  convena- 
blement; M.  Badiali,  particulièrement,  a  retrouvé  son  grand  et  mérité 
succès  de  l'an  dernier  dans  le  rôle  d'Ourrias,  rendu  fort  important,  comme 
vous  savez,  par  la  restitution  du  tableau  du  Val  d'Enfer.  —  Lundi  enfin, 
très  bonne  reprise  de  Faust,  avec  M""=  de  Nuovina,  et  M.  Seguin,  dont  la 
rentrée,  fixée  primitivement  dans  Siegfried,  avait  été  avancée.  M.  Seguin 
est  toujours  l'artiste  de  grande  allure  qu'il  était  lorsqu'il  nous  a  quittés; 
c'est  un  des  meilleurs  Méphistophélès  que  nous  ayons  eus;  il  donne  au 
rôle  un  très  beau  caractère  et  une  expression  saisissante.  M""  Savine  a 
fait  un  charmant  Siebel,  et  M.  Sentein  un  Valentin  assez  pénible.  — 
La  reprise  de  Lakmé,  qui  servira  de  début  à  M"=  Darcelle,  est  retardée 
par  suite  des  représentations  que  vient  nous  donner,  la  semaine  prochaine, 
;Mme  Melba.  L'aubaine  est  précieuse,  et  le  public  bruxellois  se  fait  une 
fête  de  revoir  l'artiste  aimée  qu'il  a  été  le  premier  à  acclamer. 

Il  restera  encore  à  entendre,  après  cela,  deux  ou  trois  autres  nouveaux 
venus,  notamment  M^'"  Dexter  dans  Aida  ou  dans  Siegfried,  et  M"=  de  Be- 
ridès  dans  Carmen.  On  ne  parle  pas  encore  de  nouveautés  ;  on  n'annonce 
que  des  reprises,  Jérusalem,  les  Huguenots,  la  Juive,  que  sais-je?  Et  le  Rêve, 
qu'on  nous  promettait  comme  très  prochain,  n'est  pas  même  en  répé- 
titions. L.  S. 

—  On  lit  dans  l'Indépendance  belge  :  «  M.  Guillaume  Lekeu,  de  Verviers, 
nous  écrit  qu'il  a  refusé  le  deuxième  second  prix  de  Rome  qui  lui  a  été 
décerné  par  le  jury  du  concours  de  composition  musicale.  Nous  ne  nous 
expliquons  pas  bien  ce  refus.  Le  proverbe  dit  que  tout  condamné  a  vingt- 
quatre  heures  pour  maudire  ses  juges.  Oui,  mais  un  lauréat?  Et  un  lauréat 
qui,  volontairement,  a  couru  la  chance  du  jugement?  Car  enfin  personne 
n'est  obligé  de  concourir  pour  le  prix  de  Rome.  Si  M.  Lekeu  n'avait  rien 
obtenu,  dirait-il  qu'il  se  refuse  à  rentrer  bredouille  à  Verviers?  Et  à  quoi 
cette  déclaration  l'avancerait-elle  ?  11  obtient  le  deuxième  second  prix,  c'est- 
à-dire  la  troisième  nomination,  c'est  déjà  quelque  chose,  et  il  aura  beau 
repoussé  ce  présent  d'Artaxerce,  le  troisième  rang  lui  est  acquis,  il  y  est 
rivé  pour  deux  ans  (le  concours  de  Rome  n'a  lieu  en  Belgique  que  tous  les 
deux  ans)  sauf  à  prendre  au  prochain  concours  la  revanche  que  nous  lui 
souhaitons  de  grand  cœur.  Peut-être  a-t-il  voulu  seulement  proclamer  que, 
d'après  lui,  son  Andromède  méritait  mieux.  Mais  à  quoi  bon?  Ces  choses- 
là  sont  prévues.  Il  y  a  cent  à  parier  contre  un  que  le  second  grand  prix 
se  juge  digne  du  premier,  et  que  le  premier  lui-même  ne  félicite  pas  le 
jury  de  lui  avoir  fait  attendre  deux  ans  la  récompense  décisive  qu'il  em- 
porte aujourd'hui.  Mais  quand  on  est  aussi  convaincu  de  sa  supériorité, 
fût-ce  légitimement,  on  ne  concourt  pas.  » 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Le  théâtre  KroU  vient 
de  produire  comme  nouveauté  Esmeralda,  l'opéra  du  compositeur  anglais 
A.  Goring  Thomas.  L'œuvre  et  son  principal  interprète,  M.  Gœtze,  ont 
été  chaleureusement  accueillis.  L'ancien  Kœnigstadt-théàtre,  devenu  l'an 
dernier  théâtre  de  drame  populaire,  vient  de  rouvrir  ses  portes  sous  le 
nouveau  titre  d'Alexanderplatz-théâtre  et  la  direction  du  chef  d'orchestre 
et  compositeur  viennois  Gothow-Grûnecke.  Celui-ci  a  écrit  lui-même  la 
musique  de  la  pièce  d'ouverture,  intitulée  les  Frères  noirs.  —  Cologne  :  Dé- 
rogeant à  la  tradition,  le  théâtre  Municipal  n'a  pas  inauguré  sa  nouvelle 
saison  avec  un  opéra  du  répertoire  classique  allemand  ou  un  ouvrage  de 
Wagner;  c'est  avec  le  Trouvère  que  s'est  effectuée  la  réouverture;  le  len- 
demain a  eu  lieu  la  première  représentation  de  Cavalteria  rmticana,  qui 
servait  de  débuts  à  quatre  nouveaux  pensionnaires  du  chant.  Le  charme 
qui  est  répandu  dans  la  partition  de  M.  Mascagni  a  agi  très  puissamment 
sur  le  public.  —  Hambourg  :  Le  théâtre  Municipal,  remis  à  neuf  et  em- 
belli, a  rouvert  ses  portes  avec  Fidelio.  —  Stettin  :  Le  chef  d'orchestre 
Cari  Krafft-Lortzing,  petit-fils  du  célèbre  compositeur  dont  il  porte  le 
nom,  vient  de  terminer  la  musique  d'un  opéra-comique  romantique  inti- 
tulé les  Trois  Empreintes,  qui  sera  représenté  au  Théâtre-Municipal  sous  la 
direction  de  l'auteur.  —  Stuttgard  :  A  la  suite  d'une  triomphale  série 
de  représentations  données  au  théâtre  de  la  cour  par  M"s  Jenny  Broch, 
dans  le  Barbier,  la  Fille  du  régiment  et  Lucie,  la  charmante  artiste  a  été 
engagée  par  la  direction  dudit  théâtre  comme  première  chanteuse  légère, 
en  remplacement  de  M}^'  Dietrich,  partie  pour  l'Opéra  royal  de  Berlin. 

—  Les  parodies  de  la  Cavalleria  rusticana  de  M.  Mascagni  pleuvent  en  ce 
moment  eu  Allemagne.  On  en  signale  deux  nouvelles.  Au  théâtre  An  der 
Wien,  de  Vienne,  Krawalleria  mxisikaiia,  opérette,  musique  de  M.  Raoul 
Mader,  et  au  théâtre  Wallner,  de  Berlin,  Cavalleria  berolina,  opérette,  pa- 
roles de  M.  Maximilien  Kraemer,  musique  de  M.  Zoppler,  qui  a  gardé 
l'anonyme. 

—  Un  luthier  de  Berlin,  M.  Karl  Feravezy,  a  été  chargé  récemment  de 
restaurer  un  violon  de  Stradivarius  daté  de  1713,  que  son  propriétaire, 
M.  Sinshaimer,  avait  acheté  peu  de  temps  auparavant,  à  Munich,  pour  la 
modique  somme  de  12,300  marks,  soit  13,625  francs  ! 

—  On  lit  dans  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  Le  centenaire 
de  Meyerbeer  a  été  solennellement  célébré  par  notre  Grand-Opéra.  On  a 
donné  le  Propliéte,  mais  un  Prophète  soigneusement  revu  et  corrigé,  dont 
on  avait  rétabli  les  coupures,  pour  lequel  on  avait  fait  brosser  de  nou- 
veaux décors,  et  surtout  qu'on  avait  minutieusement  répété,  comme  s'il 
s'agissait  d'une  partition  entièrement  nouvelle.  Les  opéras  de  Meyerbeer, 


depuis  si  longtemps  les  piliers  de  tout  répertoire  dramatique,  sont  au- 
jourd'hui représentés  avec  une  grande  noncbalance.  Il  en  est  ainsi  un 
peu  partout.  «  Ce  ne  sont  plus  que  des  caricatures  »,  m'a  dit  un  jour 
M.  Jahn,  directeur  de  l'Opéra  de  Vienne,  qui,  depuis  fort  longtemps,  a 
l'intention  de  refaire  une  virginité  à  ces  partitions  maltraitées  par  la 
routine.  Il  a  commencé  par  le  Prophète.  Les  Huguenots  suivront,  et  peu  à 
peu  on  verra  reparaître,  dans  sa  fraîcheur  première,  tout  l'œuvre  de 
Meyerbeer.  Ce  sera  comme  une  résurrection.  Le  Prophète  a  été  joué  pour 
la  première  fois  à  Vienne  en  1830.  Le  compositeur  conduisait  alors  l'or- 
chestre en  personne.  Les  vieux  mélomanes  parlent  encore,  les  larmes 
aux  yeux,  de  cette  représentation  modèle.  Les  artistes  qui  y  ont  concouru 
sont  tous  morts.  Le  dernier  survivant,  le  vieux  Draxler,  une  basse-taille 
magnifique,  mourut  le  5  de  ce  mois,  le  jour  même  du  jubilé.  C'est  déci- 
dément un  monde  qui  s'éteint.  Dans  le  public  même  il  n'y  a  plus  per- 
sonne qui  se  souvienne  du  premier  séjour  que  Meyerbeer  fit  à  Vienne. 
Il  y  est  venu  pour  la  première  fois  eu  1814  —  comme  pianiste.  Ses  dé- 
buts comme  compositeur  étaient  fort  malheureux.  Un  premier  opéra  ne 
fut  joué  qu'une  fois,  un  second  n'obtint  qu'un  succès  d'estime.  C'est  à 
peine  si  on  se  rappelle  encore  les  titres  de  ses  œuvres  de  jeunesse.  Ce- 
pendant, en  18i6,  Meyerbeer  revint  en  triomphateur  dans  la  cité  impé- 
riale. C'était  maintenant  l'auteur  de  Robert  le  Diable  et  des  Huguenots,  qui 
conquit  jusqu'aux  suffrages  de  la  police  viennoise,  alors  la  plus  ombra- 
geuse et  la  plus  bête  des  polices  européennes.  La  taxe  sur  les  juifs  exis- 
tait encore  à  ce  moment.  Pour  pouvoir  séjourner  à  Vienne,  un  juif 
autrichien  avait  à  payer  3  florins,  un  juif  étranger  le  double.  Meyerbeer 
se  présenta  à  la  police  pour  déposer  ses  six  florins.  C'était  déjà  l'illustre 
maître  acclamé  de  tout  l'univers  artistique.  Il  voulut,  néanmoins,  se 
conformer  à  la  loi.  Mais,  pour  cette  fois,  la  police  viennoise  eut  de  l'esprit 
et  refusa  d'accepter  la  taxe.  Le  président  de  la  police  avait  reçu  l'ordre 
de  traiter  Meyerbeer  en  gentilhomme. 

—  Mendelssohn  en  état  d'arrestation.  Dans  son  volume  des  Souvenirs, 
le  critique  allemand  Auguste  Lesimple  rappelle  le  fait  suivant  :  a  En  1845, 
Mendelssohn  quitta  l'Allemagne  pour  se  rendre  à  Manchester,  où  il  devait 
diriger  des  concerts.  Arrivé  à  Herbesthal,  il  fut  accosté  par  un  gendarme 
qui  lui  demanda  s'il  était  le  docteur  Mendelssohn,  —  «  Je  le  suis,  en 
elïet,  fut  la  réponse.  »  —  «  Dans  ce  cas,  il  faut  me  suivre,  dit  le  représen- 
tant de  la  loi.  »  —  «  Il  doit  y  avoir  erreur,  fit  le  compositeur  tout  trem- 
blant; il  n'est  pas  possible  que  cela  puisse  me  concerner!  »  —  «  Il  n'y  a 
pas  d'erreur,  répliqua  imperturbablement  le  gendarme,  j'ai  un  mandat 
d'arrêt  très  formel.  »  Toute  résistance  étant  inutile,  bon  gré  mal  gré  il 
fallut  retourner  à  Aix-la-Chapelle  avec  ce  désagréable  compagnon.  On 
fit  venir  le  chef  de  gare,  et  tout  finit  par  être  éclairci.  Le  docteur  Men- 
delssohn que  la  police  recherchait  était  un  escroc  mêlé  à  des  tripotages 
berlinois  et  n'avait  de  commun  avec  l'auteur  i'Elie  que  le  nom  qu'il- 
portait.  » 

—  Cette  réponse  d'un  coiff'eur  à  Joseph  Joachim,  le  roi  du  violon,  fait 
en  ce  moment  le  tour  de  la  presse  allemande  :  «  Vous  devriez  me  laisser 
couper  vos  cheveux  un  peu  plus  court,  monsieur,  sans  cela  on  va  vous 
prendre  pour  un  violoniste  !  » 

—  ]Vjme  Trebelli,  le  contralto  autrefois  si  célèbre,  a  dû  abandonner  d'une 
façon  définitive  la  carrière  artistique,  la  paralysie  dont  elle  est  atteinte 
depuis  quelque  temps  ayant  envahi  maintenant  tout  un  côté  du  corps.  Sa 
dernière  apparition  en  public  à  Copen'uague  a  été  un  spectacle  vraiment 
pénible;  il  lui  a  fallu  près  de  cinq  minutes  pour  traverser  la  scène,  sou- 
tenue par  deux  personnes,  et  sa  voix  a  perdu  le  charme  magique  des 
anciens  jours.  M™  Trebelli,  qui  est  à  présent  âgée  de  cinquante-cinq  ans, 
s'est  retirée  dans  son  château  de  Pyrmont. 

—  On  vient  seulement  de  choisir,  à  Copenhague,  l'artiste  appelé  à  suc- 
céder au  célèbre  compositeur  Niels  Gade  comme  directeur  de  la  Société 
musicale.  C'est  M.  Emile  Hartmann,  l'un  des  artistes  les  plus  justement 
renommés  du  Danemark,  l'auteur  de  plusieurs  ouvrages  représentés  au 
théâtre  royal  de  Copenhague  :  Elverpigen,  grand  opéra,  les  Corsaires,  opéra- 
comique,  Fjcldstuen,  ballet,  laNixe,  scène  lyrique,  ainsi  que  d'une  sympho- 
nie, d'une  ouverture  et  de  plusieurs  autres  compositions  importantes. 
M.  Emile  Hartmann  avait  pour  compétiteur  un  ancien  membre  de  la  cha- 
pelle royale,  le  violoncelliste  Franz  Neruda. 

—  C'est  un  opéra  français,  Faust,  qui  a  été  choisi  à  Christiania  pour  la 
représentation  de  gala  donnée  au  Théâtre-Royal  en  l'honneur  du  prince 
de  Naples.  L'artiste  qui  jouait  le  rôle  de  Marguerite,  M"«  Oselio,  a  été, 
paraît-il,  comblée  d'ovations. 

—  Les  théâtres  impériaux  de  Pétersbourg  ont  rouvert  leurs  portes  le 
30  août  (12  septembre),  la  Scène  dramatique  russe  par  le  Revisor  de  Gogol, 
rOpéra-Russe  par  la  Vie  pour  le  Tsar  de  Glinka.  A  Moscou,  la  troupe  dra- 
matique du  Petit-Théâtre  a  déjà  inauguré  ses  spectacles  par  cette  même 
pièce,  et  l'Opéra  a  commencé  aussi,  le  30,  par  la  Vie  pour  le  Tsar.  A  la 
même  date  a  eu  lieu  l'inauguration  du  Grand-Théâtre  de  Varsovie,  recons- 
truit à  neuf.  On  a  joué  le  Mefislofele  de  Boito.  Les  nouveautés  de  la  saison 
seront  la  Reine  de  Saba  de  Goldmark  et  la  Cavalleria  rusticana  de  Mascagni. 
L'Opéra-Russe  de  Kiew,  qui  rouvre  également,  sera  dirigé,  cette  année 
encore,  par  M,  Prianischnikow. 

—  Rubinstein  vient  de  passer  quelques  jours  dans  le  midi  de  la  Russie. 
Dernièrement  il  a  donné  un  concert  à  Tiflis.  Le  programme  était  composé 


LE  MENESTREL 


303 


de  la  sonate  op.  Ml  de  Beethoven,  des  Faniaisieslûclœ  et  du  Carnaval  de 
Schumann,  et  d'un  choix  de  morceaux  de  Chopin,  de  Liszt  et  de  Rubins- 
tein  lui-même;  dans  le  nombre,  la  transcription  du  Roi  des  Autnes  et  la 
Valse-Caprice.  Tous  les  billets  étaient  vendus  d'avance,  et  la  foule  se  pres- 
sait non  seulement  sur  la  scène  et  dans  l'orchestre,  mais  aussi  dans  tous 
les  couloirs  du  théâtre.  L'énorme  recette  du  concert  a  été  oflerte  par  l'il- 
lustre virtuose  à  l'école  musicale  de  Tiflis.  Rubinstein  est  parti  pour  Ber- 
lin, où  il  va  surveiller  les  répétitions  de  son  opéra  les  Macchabées. 

—  Il  faut  convenir  qu'à  Milan  on  peut  se  donner,  sans  risquer  de  se 
ruiner,  le  plaisir  du  spectacle.  Voici  les  prix  d'abonnement  de  quatre  théâ- 
tres, tels  que  les  publie  un  journal  de  cette  ville.  Au  théâtre  Manzoni, 
8  francs  pour  quinze  représentations,  soit  53  centimes  par  soirée  ;  au  théâtre 
Philodramatique,  8  francs  pour  vingt  représentations,  ou  40  centimes  pour 
chacune  d'elles;  à  la  Commenda,  4  francs  pour  dix-huit  représentations, 
ce  qui  les  met  à  22  centimes  l'une  ;  enfin  au  théâtre  Pezzana,  trois  francs 
four  vingt-cinq  représentations,  c'est-à-dire  vingt  centimes  par  soirée  !  A  ces 
prix-là,  voilà  des  théâtres  qui  auront  de  la  peine  à  faire  des  «  affaires  d'or  ». 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  que  M.  Sonzogno,  le  grand  éditeur  italien, 
allait  prendre  la  direction  de  la  Pergola,  la  grande  scène  musicale  de 
Florence,  où  il  se  propose,  entre  autres,  de  donner  Hamlet  d'Ambroise 
Thomas,  Manon  de  Massenet  et  le  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  CAmico 
Fritz.  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  aujourd'hui  que  M.  Sonzogno 
devient  aussi  directeur  du  Pagliano,  le  second  théâtre  lyrique  de  la  capi- 
tale de  la  Toscane,  et  qu'il  prépare  déjà  très  activement  la  grande  saison 
d'opéra  qu'il   compte    donner   à  ce  dernier  pendant  la  saison  d'automne. 

—  D'autre  part,  T/tafe  nous  fait  connaître  que  le  sort  des  deux  grandes 
scènes  lyriques  de  Rome  vient  enfin  d'être  fixé.  «  M.  Monaldi,  dit  ce  jour- 
nal, le  critique  musical  du  Popolo  romano,  a  signé  hier  le  contrat  avec  la 
municipalité  pour  l'exploitation  du  théâtre  Argentina.  Il  avait  déjà  depuis 
quelques  mois  conclu  un  contrat  de  louage  du  théâtre  Costanzi  à  partir 
du  1.5  décembre  prochain,  jour  d'échéance  du  loyer  de  M.  Sonzogno.  Notre 
collègue  sera  donc  maître  des  deux  grands  théâtres  lyriques  de  la  capitale. 
En  prenant  cette  direction  il  assume  une  grande  responsabilité.  Nous  ne 
connaissons  pas  encore  ses  idées,  mais  il  est  certain  qu'il  a  accepté 
presque  les  yeux  fermés  le  contrat  formulé  par  la  municipalité  pour  l'Ar- 
gentina,  pour  se  garantir  de  toute  concurrence.  Imprésario  et  maître 
absolu  pour  une  longue  période  du  Costanzi  et  de  l'Argentina,  il  a  la  cer- 
titude que  tous  ceux  qui  voudront  entendre  à  Rome  de  la  bonne  musique 
au  théâtre  devront  lui  payer  leur  impôt.  Mais  ce  monopole  à  Rome  ne 
suffit  pas  pour  assurer  le  succès  d'une  entreprise.  Si  le  spectacle  est  bon 
la  recette  est  sûre,  mais  si  le  spectacle  ne  plaît  pas  on  se  passe  facilement 
du  grand  théâtre.  La  dilficulté  de  donner,  sans  subvention,  de  bons  spec- 
tacles est  telle  qu'elle  mettra  à  de  dures  épreuves  le  talent  de  M.  Monaldi. 
Comme  imprésario  il  a  fait  ses  preuves  avec  succès  à  Pérouse  et  à  Orvieto. 
Nous  lui  souhaitons  la  même  fortune  à  Rome.  Lui,  tout  comme  M.  Canori, 
sort  du  journal  qui  connaît  le  mieux  les  conditions  réelles  de  Rome.  Le 
Popolo  romano,  transformé  en  une  pépinière  d'impresarî  de  théâtre,  donne 
à  ses  collaborateurs  le  sens  pratique.  Espérons  que  M.  Monaldi  en  aura 
fait  une  large  provision  pour  sa  nouvelle  carrière.  » 

—  Une  saison  lyrique  se  prépare  sur  un  autre  théâtre  de  Naples,  le 
théâtre  Sannazzaro,  sons  la  direction  de  M.  Alfred  Prestreau.  On  cite  déjà 
parmi  les  artistes  engagés  M^^^  Garagnani  et  Jossa,  les  ténors  Lomhardi 
et  De  Salvin  et  le  chef  d'orchestre  Lombardi.  Le  répertoire  comprendra 
le  Don  Juan  de  Mozart,  Philémon  et  Baucis  et  Mireille  de  M.  Gounod,  et 
deux  opéras  de  Donizetti.  L'ouverture  est  fixée  au  l^''  octobre. 

—  Les  Italiens  continuent  de  manifester  leur  enthousiasme  d'une  façon 
expressive  —  et  excessive.  —  A  Lucques,  pendant  la  représentation  d'un 
opéra  du  jeune  compositeur  Puccini,  Edgar,  le  public  a  rappelé  quarante- 
deux  fois  l'auteur  et  a  fait  bisser  sept  morceaux  de  sa  partition. 

—  Mascagni  est  aimé  des  dieux,  et  sa  Cavalleria  rusticana  a  tous  les 
bonheurs.  Les  accidents  même  lui  sont  favorables,  et  donnent  à  la  réclame 
une  forme  nouvelle  que  l'ingéniosité  la  plus  grande  serait  inhabile  à 
obtenir.  Témoin  le  fait  qui  vient  de  se  produire  à  Macerata,  dont  les  ha- 
bitants ont  assisté  ces  jours  derniers  à  un  spectacle  vraiment  exceptionnel: 
celui  d'un  opéra  chanté  par  un  ténor  porté  sur  la  scène  et  chantant  son 
rôle  mollement  assis  dans  un  fauteuil,  tandis  que  ses  partenaires  évoluent 
autour  de  lui.  Un  congrès  de  médecins  se  tient  en  ce  moment  à  Macerata 
et,  pour  honorer  les  membres  de  ce  congrès,  on  avait  annoncé  une  repré- 
sentation de  Cavalleria  rusticana.  Mais  voici  que  la  veille  du  grand  jour,  le 
ténor,  M.  Russitano,  se  foule  le  pied.  Que  faire?  Manquer  une  si  belle 
soirée?  Jamais!  On  a  mis  le  ténor  dans  un  fauteuil  et  on  l'a  porté  sur  la 
scène.  De  ce  fauteuil,  Turiddu-Russitano  a  chanté  son  rôle  donnant  la 
réplique  aux  autres  artistes.  Rien  de  plus  grotesque  ne  s'est  jamais  vu 
au  théâtre.  Les  congressistes  qui  avaient  soigné  l'infortuné  ténor  ont  été 
les  premiers  à  l'applaudir,  mais  il  paraît  que  beaucoup  ont  eu  de  la  peine 
à  tenir  leur  sérieux. 

—  A  propos  de  M.  Mascagni,  on  lit  dans  un  autre  journal  italien  : 
«  Nous  savons  que  MM.  Targioni-Tozzetti  et  Menasci,  les  auteurs  du 
livret  de  Cavalleria  rusticana,  ont  déjà  terminé  un  paquet  de  17  —  nous 
disons  dix-sept  —  livrets  pour  M.  Mascagni.  »  Voilà  des  librettistes  qui 
n'y  vont  pas  de  plume  morte! 


On  sait  quel  est  le  succès,  à  Londres,  des  grands  spectacles  de  danse 

et  de  curiosités.  On  en  peut  trouver  une  preuve  éclatante  dans  la  pros- 
périté du  fameux  Albambra,  dont  les  actionnaires  se  sont  réunis  ces  jours 
derniers  en  assemblée  générale  pour  entendre  le  compte  rendu  de  la  si- 
tuation pour  le  premier  semestre  de  1891.  Des  chiffres  et  des  documents 
communiqués  à  l'assemblée  par  le  secrétaire  de  l'administration,  il  résulte 
que,  pour  cette  période  d'exploitation,  le  nombre  des  spectateurs  s'est 
élevé  à  276,000,  et  que  les  recettes  ont  atteint  le  chiffre  de  33,000  livres 
sterling,  soit  825,000  francs,  tandis  que  les  dépenses  n'ont  pas  dépassé  • 
27,000  livres,  c'est-à-dire  675,500  francs,  d'où  un  bénéfice  de  6,000  livres 
ou  150,000  francs.  L'assemblée  a  décidé  qu'une  somme  de  huit  pour  cent 
serait  affectée  à  chaque  action  comme  dividende,  pour  le  premier  semestre 
de  1891,  ce  qui,  joint  aux  huit  pour  cent  déjà  payés  pour  le  second  se- 
mestre de  1890,  donne  un  honni  de  seize  pour  cent,  net  de  toute  taxe. 
L'opération  n'est  pas-  mauvaise  sans  doute,  et  l'on  gagne  peut-être  plus 
à  montrer  des  jambes  de  danseuses  ou  des  minstrels  au  noir  de  fumée,  qu'à 
faire  de  bonne  musique  ou  de  bonne  littérature. 

—  Un  joueur  d'orgue  de  Barbarie,  lisons-nous  dans  le  Musical  News, 
comparaissait  dernièrement  devant  le  tribunal  correctionnel  de  Londres, 
pour  refus  d'obéissance  aux  injonctions  de  partir  que  lui  avait  adressées 
un  locataire  antiméloraane.  —  «  Pourquoi  ne  vous  êtes-vous  pas  éloigné? 
lui  demande  le  magistrat.  »  —  «  Je  ne  comprends  qu'à  peine  l'anglais,  » 
répond  l'inculpé,  qui  est  italien.  —  «  Pourtant,  vous  avez  du  comprendre 
les  signes  que  vous  faisait  le  plaignant  ;  il  est  même  descendu  dans  la  rue 
et,  avec  de  grands  gestes,  vous  a  intimé  l'ordre  de  partir.  »  —  «  Excusez- 
moi,  mon  président,  ce  sont  précisément  les  grands  gestes  qui  m'ont 
trompé  ;  j'ai  cru  que  ce  monsieur  voulait  danser  !  » 

—  Les  Américains  aiment  à  faire  grand.  Une  nouvelle  preuve  en  est  dans 
l'orchestre  de  quatre  cents  pianos  qu'ils  viennent  d'imaginer  et  qui  sera  — 
c'est  Y  Express- Agence  qui  parle  —  l'une  des  grandes  attractions  de  la  future 
Exposition  universelle  de  Chicago.  Des  concerts  monstres  (oh  !  oui)  seront 
donnés  en  effet,  par  un  seul  pianiste,  qui  fera  résonner  simultanément 
quatre  cents  pianos  à  queue.  Ces  instruments  seront  disposés  et  superposés 
en  pyramide,  et  un  appareil  électrique  en  permettra  facilement  le  manie- 
ment à  l'artiste  assis  au  bas  de  la  formidable  colonne  instrumentale.  On 
frissonne  rien  que   d'y  penser.  Ernest,  qui  l'eût  dit?  Reyer,  qui  l'eût  cru? 

M.  Frank  Singer,  directeur  du  Broadway-Théâtre,  le  plus  important 

de  New-York,  a  signé,  dit-on,  à  Londres,  un  contrat  important  avec 
deux  de  ses  confrères  de  cette  ville,  les  directeurs  de  la  Gaité  et  du  Lyric- 
Théâtre,  pour  la  formation  d'un  Office  théâtral  international.  Le  but  de 
cette  nouvelle  association  serait  d'assurer  un  système  de  relations  inter- 
nationales pour  faciliter  le  succès  des  représentations  musicales  et  dra- 
matiques, et  de  mettre  en  relations  entre  eux  acteurs,  auteurs,  etc.,  des 
divers  pays.  Les  principaux  offices  seraient  à  New-York,  Londres  et 
Paris. 

PARIS   ET    DEPARTEBENTS 

Quelques  journaux  —  et  cela  avec  un  luxe  et  une  précision  de  détails 
qui  démontrent  la  fertilité  d'imagination  de  leurs  reporters  —  ayant  cru 
devoir  mettre  sur  le  dos  des  éditeurs  de  musique  parisiens  la  responsa- 
bilité des  événements  qui  se  passent  en  ce  moment  autour  de  Lohengrin, 
les  éditeurs  ripostent  par  la  protestation  suivante  : 

Devant  la  persistance  des  attaques  dont  ils  sont  l'objet  dans  plusieurs  journaux, 
les  éditeurs  de  musique  Irançais  déclarent  de  la  manière  la  plus  formelle  qu'ils 
sont  absolument  étrangers  aux  manoeuvres  dont  on  les  accuse  pour  mettre 
obstacle  aux  représentations  de  Lohengrin. 

Ils  regrettent  qu'on  les  mette  dans  l'obligation  do  se  défendre  contre  de  telles 

^°^'  '  Alphonse  Leduc,  Heugel  et  C",  Léon  Grus, 

Lemoine  et  fils,  RicHAULT  et  G",  A.  Le  Beau, 
Choudens  fils,  P.  Maquet  et  G°. 
Tout  le   syndicat   y  est,  moins   son   honorable  président,  M.   Auguste 

Durand  ;  mais  comme  celui-ci  est  lui-même  l'éditeur  de  Lohengrin  pour  la 

France,  il  est  probable   qu'on  le  tiendra  à  l'abri  de  tout  soupçon.  Nous 

vivons  à  une  bien  jolie  époque. 

—  Le  Figaro  publiait  cette  semaine  une  lettre  de  Richard  Wagner,  que 
l'auteur  de  Lohengrin  adressait,  au  commencement  de  1870,  à  Champfleury, 
avec  lequel  il  était  lié  depuis  longtemps  et  qui  était,  on  le  sait,  un  de 
ses  plus  fervents  admirateurs.  Cette  lettre,  relative  au  projet  qu'avait 
Champfleury  de  fonder  un  journal  intitulé  Vimaqerie  nouvelle,  est  curieuse 
en  ce  sens  qu'elle  est  un  hommage  rendu  au  goût  artistique  de  la  France, 
et  qu'elle  exprime  un  véritable  sentiment  d'admiration  pour  l'un  de  nos 
plus  grands  maîtres,  pour  Méhul,  dont  Wagner  se  dit  en  quelque  sorte 
le  disciple  indirect.  En  voici  le  texte  : 

Mon  cher  ami, 

Ges  lignes  vous  seront  remises  par  un  de  mes  bons  amis,  M.  Schuré,  dont 
vous  avez  peul-èlre  lu  l'étude  sur  mes  écrits  (dans  la  Revue  des  Deux  Moiides),  et 
que  je  vous  recommande  cbaleureusenient  comme  un  des  meilleurs. 

J'applaudis  de  tout  mon  cœur  à  la  fondation  du  journal  dont  le  programme 
me  paraît  un  point  de  départ  vers  la  réahsation  d'une  de  mes  espérances  favo- 
rites :  la  fusion  de  l'esprit  français  et  de  l'esprit  germanique. 

Vous  savez  que  j'ai  toujours  eu  l'idée  de  l'érection  à  Paris  d'un  théâtre  inter- 
national, où  seraient  données,  dans  leurs  langues,  les  grandes  œuvres  des  diverses 
nations.  Seule  la  France,  et  Paris  en  particulier,  saurait   réaliser  en   un  faisceau 


w\ 


LE  MÉNESTREL 


Jei    produclious  hétérogiines  en    apparence,  dont   U   connaissance  exacte  est, 
selon  moi,  indispensable  an  développement  inlellecluel  et  moral  d'un  peuple. 

Parmi  les  œuvres  françaises  qui  devraient  être  données  sur  cette  scène  excep- 
tionnelle, très  indépendante  des  intérêts  du  jour,  celles  de  Méhul  tiendraient 
une  première  place,  et  je  vous  félicite  d'avoir  songé  à  ce  grand  artiste,  que  je 
comp'e  au  nombre  de  mes  i>récepteurs,  et  dont  la  vie  et  les  compositions  sont 
beaucoup  trop  peu  connues  encore  en  France. 

C'est  en  souhaitant  tout  le  succès  possible  à  votre  louable  entreprise,  que  je 
TOUS  série  la  main  très  affectueusement. 

A  vous  cordialement,  mon  cher  Champfleury, 

Richard  Wagner. 

Lucerne,   16  mars  1870. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  211  septembre,  l'Opéra  donnera  Siyurd  en  re- 
présentation à  prix  réduits. 

—  Cette  semaine  ont  commencé,  à  l'Opéra-Comique,  les  répétitions  de 
Manon,  dont  la  reprise  aura  lieu  dans  la  première  quinzaine  d'octobre. 
Toici  la  distribution  de  l'œuvre  de  M.  Massenet  :  nous  croyons  devoir 
rappeler  en  même  temps  les  noms  des  artistes  qui  créèrent  Manon,  place 
Favart,  le  17  janvier  18S4: 


1891 


Des  Grieux 

Lescaut 

Comte  des  Grieux 

Do  Mortfontaine 

De  Brétigny 

Manon 

Poussette 

.Javotte 

Rosette 


MM. 


M" 


Delmas. 

Taskin. 

Fugère. 

Giivot. 

Challet. 

Sanderson. 

Falize. 

Leclerc. 

Elven. 


MM.  Talazao. 
Taskin. 
Cobalet. 
Grivot. 
CoUin. 
■  Heilbron. 
Moté 

Chevalier. 
Rémy 

On  voit  que  MM.  Taskin  et  Grivot  restent  seuls  des  interprètes  de  la 
création.  M.  Challet,  qui  débutera  dans  le  rôle  de  Brétigny,  est  un  ancien 
artiste  de  la  Monnaie. 

—  La  question  de  l'Eden-Théàtre  est  aujourd'hui  tranchée  ou  à  peu 
près.  Par  suite  de  conventions  adoptées  à  l'unanimité  par  les  actionnaires 
et  les  obligataires,  réunis  dans  des  conditions  déterminées,  l'Eden  est  tout 
entier  désormais  dans  les  mains  de  MM.  Bertrand  et  Gantin,  qui  vont 
immédiatement  procéder  aux  diflérentes  transformations  dont  nous  avons 
parlé,  et  dont  la  principale  est  la  reconstruction  de  la  salle  sur  de  nou- 
veaux plans.  Bien  des  compétitions  s'agitent  autour  de  cette  entreprise. 
Il  n'est  pas  probable  que  MM.  Bertrand  et  Gantin  entreprennent  de  la 
diriger  eux-mêmes.  Il  est  plutôt  certain  qu'ils  choisiront  un  directeur 
responsable. 

—  Deux  lettres  publiées  dans  le  Courrier  des  théâtres  du  Figaro: 

Mon  cher  M.  Boyer, 

Je  lis  dans  le  Figaro  d'hier  que  M.  Salvayre  vient  de  remettre  au  directeur  de 
rOpéra-Comique  la  partition  de  Myrto,  ouvrage  tiré  de  la  comtidie  de  Shakespeare, 
Beaucoup  de  bruit  pour  rien.  Ur,  il  y  a  plus  de  trois  ans  que  j'ai  commencé  avec 
Elouard  Blau  un  opéra  —  aujourd'hui  terminé  —  sur  le  même  sujet  et  portant  le 
titre  même  de  la  pièce  de  Shakespeare. 

Cet  ouvrage  m'avait  été  demandé  par  M.  Paravey  eu  janvier  18S8  :  le  Figaro  et 
toute  la  presse  l'ont  annoncé,  aucune  réclamation  de  priorité  ne  s'est  produite 
alors.  J'étais  donc  le  premier.  Depuis  ce  temps,  et  à  plusieurs  reprise?,  le  Figaro 
et  d'autres  journaux  ont  reparlé  de  mon  opéra  Beaucoup  de  bruit  pour  rien  ;  M.  Sal- 
vayre n'a  pu  l'ignorer  et  a  gardé  le  silence.  C'est  donc  que,  résolument,  il  se 
décidait  à  travailler  sur  un  sujet  choisi  par  un  camarade,  comptant  sans  doute, 
pour  arriver  bon  premier,  sur  la  notoriété  qu'il  doit  à  son  talent  et  à  ses  succès 
au  théâtre. 

Ceci  soit  dit  pour  qu'il  ne  me  soit  pas  un  jour  reproché  ce  que  je  lui  reproche 
aujourd'hui. 

Si  vous  insérez  ce  mot,  vous  me  ferez  le  plus  grand  plaisir,  et  je  vous  prie  de 
recevoir,  mon  cher  monsieur  Boyer,  avec  mes  remerciements  aaticipés,  l'assu- 
rance de  mes  meilleurs  sentiment--. 

Paul    PUGET. 

Réponse  de  M.  Salvayre  : 
Mon  cher  Boyer, 

Shakespeare  appartient  à  tout  le  monde  !  J'étais  en  possession  du  livret  de 
Myrto,  que  M.  Louis  Gallet  a  tiré,  pour  moi,  de  la  comédie  Beaucoup  de  bruit  pour 
rien,  bien  avant  que  le  musicien  qui  réclame  n'ait  fait  annoncer  son  intention  de 
traiter  ce  sujet...  Mon  collaborateur,  M.  Louis  GdUet,  et  M.  Paul  de  Choudeus, 
mon  éditeur,  pourraient,  au  besoin,  en  témoigner. 

Du  reste,  au  moment  oii  j'écris,  j'ai  déjà  reçu  deux  lettres  d'autres  compositeurs, 
m'informant  qu'ils  viennent  de  terminer  des  partitions  tirées  de  la  charmante 
fantaisie  shakespearienne. 

Nous  voilà  donc  quatre  aujourd'hui!...  Et  dire  que  le  champ  reste  encore 
ouvert  à  tous  les  autres...  et  que  c'est  leur  droit  absolu. 

A  qui  le  tour  ? 

Cordialement  à  toi, 

J.  S.vi.vayk:-:. 

En  présence  d'autant  de  partitions  écrites  sur  le  même  sujet,  il  y  aurait 
un  moyen  aussi  simple  qu'équitable  pour  M.  Garvalho  de  sortir  d'embar- 
ras, ce  serait  d'instituer  un  jury  de  musiciens  qui  aurait  à  statuer  sur  la 
v-aleur  réelle  de  chacune  de  ces  œuvres  et  de  décerner  la  pomme  à  qui  la 
mériterait.  Il  n'est  pas  douteux  que  le  talent  éprouvé  de  l'auteur  d'Egmont 
et  de  la  Dame  de  Monsoreau  ne  sortit  vainqueur  d'un  pareil  tournoi.  Nous 
devons  dire  pourtant  que  nous  connaissons  la  partition  de  M.  Paul  Pu^et  et 
que  nous  la  tenons  pour  très  remarquable  et  tout  à  fait  digne  du  succès. 


—  Le  vaste  établissement  de  la  rue  Blanche,  à  qui  la  fortune  a  toujours 
été  si  contraire  et  sous  le  nom  de  Skating  et  sous  celui  de  Casino  de 
Paris,  va,  parait-il,  réouvrir  ses  portes  dès  le  mois  prochain.  Après  avoir 
vainement  essayé  d'installer,  dans  le  grand  hall,  un  patinage  sur  la  glace 
naturelle,  on  s'est  décidé  à  conserver  l'immeuble  à  peu  près  tel  qu'il  est, 
quelques  modifications  d'aménagement  occupent  en  ce  moment  les 
ouvriers,  avec  ses  deux  salles  de  spectacle  et  ses  deux  orchestres  dis- 
tincts, qui  seront  très  vraisemblablement  confiés,  l'un,  celui  du  théâtre, 
à  M.  Gannc,  l'autre,  celui  du  hall,  à  M.  Doussaint.  On  compte  inaugurer 
le  petit  théâtre  avec  un  ballet  nouveau  en  deux  actes,  de  M.  André  Mes- 
sager. 

—  On  nous  écrit  de  Biarritz  :  Enormément  de  monde  au  G'=  concert 
classique  de  musique  ancienne  et  moderne,  sous  la  direction  de  M.  Stock. 
Le  clou  du  concert  a  été  le  grand  duo  pour  violon  et  contrebasse  de  Bot- 
tesini.  Le  contrebassiste  Franchi,  le  seul  élève  façonné  par  Bottesini,  a 
obtenu  le  plus  grand  succès.  Le  public  a  été  étonné  et  charmé  par 
M.  Franchi,  qui  possède  l'art  de  faire  chanter  son  ingrat  instrument. 

—  Les  concerts  du  Casino  de  Royan,  sous  l'habile  direction  de  M.  Jehin, 
chef  d'orchestre,  ont  été  pendant  cette  saison  particulièrement  remarquables. 
Concerts  classiques,  concerts  de  musique  de  chambre,  concerts  de  musique 
moderne,  se  sont  succédé  sans  interruption  et  se  prolongeront  jusqu'à  la 
fin  du  mois.  Bach,  LuUi,  Mozart,  Beethoven  n'ont  pas  été  moins  applaudis 
que  Wagner,  Tohaîkowsky  et  Johann  Strauss.  M.  Jehin  a  fait  une  part 
aux  jeunes  auteurs,  et  nous  avons  entendu  avec  le  plus  grand  plaisir 
l'œuvre  si  originale  de  M.  Daniel  Van  Goens  :  L'ongarezza.  pour  grand  or- 
chestre, ainsi  que  deux  pièces  du  même  artiste  pour  instrument  à  cordes. 
Aria  et  Gavotte.  M.  Van  Goens  est  un  jeune  violoncelliste  dont  les  compo- 
sitions ont  été  très  remarquées  au  concert  d;  musique  hollandaise  donné 
à  Paris  à  l'époque  de  l'E.xposition.  H.  B. 

—  A  Bagnères-de-Bigorre,  très  belle  fête  de  charité  au  profit  des  pau- 
vres. MM.  Devriès  et  Sentenac  ont  dit  le  Crucifix,  de  Faure,  avec  l'auto- 
rité d'artistes  que  comporte  cette  pièce  émouvante.  La  Rê'jerie,  l'flymne  à 
sainte  Cécile,  pour  violon,  de  Ch.  Dancla,  exécutés  par  l'auteur,  ont  aussi 
vivement  impressionné  l'auditoire  nombreux  qui  se  pressait  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Vincent. 

—  M"e  Edouard  Colonne  reprendra  ses  cours  et  leçons  de  chant  chez  elle, 
12,  rue  Le  Peletier,  à  partir  du  l"  octobre. 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  allemand  qui  s'était  fait  en  Angleterre  une  situation  assez 
importante,  Ferdinand  Praeger,  violoniste,  compositeur  et  écrivain  sur  la 
musique,  est  mort  récemment  à  Londres.  Né  à  Leipzig  en  181S,  il  avait 
été  élève  de  Spohr,  de  Moschelès  et  d'Aloys  Schmidt.  Il  n'avait  pas  vingt 
ans  lorsqu'on  1834  il  se  rendit  en  Angleterre,  où  bientôt  il  se  fixa  d'une 
façon  définitive.  Ses  compositions,  morceaux  symphoniques,  sonates, 
concertos  de  piano  ou  de  violon,  figurèrent  assez  fréquemment  sur  les 
programmes  des  concerts  au  temps  où  Mendelssohn,  Berlioz  et,  plus  tard, 
Wagner  y  passèrent.  C'est  ainsi  que  Praeger  se  trouva  naturellement  en 
rapport  avec  ces  maîtres  et  établit  avec  eux  d'intimes  relations.  Ses 
œuvres  sont  pourtant  aujourd'hui  bien  oubliées,  si  on  en  excepte  un 
Praeger-Album  qui  rencontre  encore  quelques  amateurs.  Comme  écrivain 
spécial,  Praeger  laisse  un  assez  grand  nombre  d'écrits  d'histoire  et  d'es- 
thé.ique  musicales,  enire  autres  une  Histoire  de  la  musique,  une  étude  sur 
la  fusion  dus  deux  écoles  classique  et  romantique,  d'autres  études  sur  la 
forme  et  le  slijie,  et  enfin  une  notice  sur  Richard  Wagner  qui  porte  ce 
titre  :  Wagner  tel  que  je  t'ai  connu. 

—  A  Naples  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  soixante-seize  ans,  un  professeur 
au  Conservatoire  de  cette  ville,  Domenico  Gatti,  qui  était  en  même  temps 
directeur  d'une  bande  musicale.  Il  était  auteur  de  divers  ouvrages  d'ensei- 
gnement, entre  autres  d'une  MéllurJe  d'instrumental  ion  pour  bande,  c'est-à-dire 
pour  musique  d'harmonie. 

—  D'Anvers  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  bien  connu  et  fort  estimé 
en  cette  ville,  Jean  Van  den  Dries,  flûtiste,  compositeur  et  critique  mu- 
sical. Attaché  pendant  plusieurs  années  au  théâtre  royal  d'Anvers  en  qua- 
lité de  flûtiste,  il  se  fit  ensuite  connaître  comme  compositeur.  On  lui 
doit  sous  ce  rapport  une  cantate  pour  soli  et  chœurs,  exécutée  à  Deurne  ; 
une  grande  scène  pour  chœurs,  orchestre  et  orgue  ;  un  chant  patriotique 
inlilulé  llominageà  S.  M.  Léopold  II,  exécuté  au  théâtre  d'Anvers  le  22  avril 
l.si;ri:i't  enfin  plusieurs  motets  avec  orchestre,  diverses  autres  compositioss 
relii-'it'uses,  des  mélodies  vocales,  et  quelques  morceaux  pour  piano, 
pour  llûte  et  pour  cornet  à  pistons.  Devenu  directeur-gérant  du  journal 
l'Escaut,  l'une  des  principales  feuilles  politiques  d'Anvers,  il  y  publia, 
pendant  longues  années,  un  feuilleton  musical  et  théâtral  remarqué  et 
connu  pour  sa  profonde  honnêteté. 

Henbi  Heugel,  directeur-gérant. 

—  Nous  recommandons  aux  llûtistes  deux  intéressantes  compositions 
avec  piano  de  Fa.n-xçois  BoiixE  :  .Ulegrezza,  grande  valse  (4  francs)  et 
Mazurka  di  concert  (3  francs),  éditées  par  Clôt,  à  f^yon. 


3156  —  57""  AWiÉE  —  N°  39. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  27  Septembre  1891. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


ENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonné  ment. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ;20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Ctiant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMIIKE- TEXTE 


.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (27"  article),  Albert  Soobies  et  Charles 
Malherde.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Premières  représentations  de  l'IIerbager,  à 
rOdéon,  des  Marionnettes  de  l'Amiée,  à  la  Renaissance,  du  Mitron^  aux  Folies- 
Dramatiques,  et  de  H5,  rue  Pifjalle,  au  Palais-Royal,  Paul-Émile  Chevalier.  — 
III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (8"  article),  André  Martlnet.  — 
ÎV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

TRICOTETS 

•de  Ed.  Broustet.  —  Suivra  immédiatement  :  Parmi  le  thym  et  la  rosée,  de 
Paul  Roijonox. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :  Papillon,  nouvelle  mélodie  de  Ed.  Ghavagnat,  poésie  de 
M.  MoNNiER.  —  Suivra  immédiatement  :  Au  rossignol,  nouvelle  mélodie 
•de  Robert  Fischhof,  traduction  française  de  Pierre  Barbier. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAYART 


^Itoor-t  SOUBIES   et  Charles   ]m:ALHER,BE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  IV 

AVANT     LA     GUERRE 

1868-1870. 
(Siiile.) 

Rappelons  en  passant  l'honorable  accueil  fait,  le  2  juin,  à 
ta  Fontaine  de  Berny,  un  agréable  lever  de  rideau  dont  Albéric 
Second  avait  écrit  le  livret.  Le  sujet  traité  par  lui  offre  quelque 
analogie  avec  l'histoire  que  Gustave  Droz  nous  a  contée  depuis 
dans  son  roman  Autour  d'une  source.  Le  célèbre  docteur 
Tronchin,  s'étant  laissé  choir  dans  une  fontaine,  reconnaît 
par  un  cadeau  sui  cjeneris  le  service  du  paysan  qui  l'en  a  tiré; 
il  attribue  à  ces  eaux  une  vertu  curative  et  y  attire  sa  clien- 
tèle, qui  devra  s'arrêter  chez  son  sauveur,  lequel  fournira 
contre  écus  sonnants  les  gobelets  nécessaires.  Le  compositeur 
de  cette  petite  partition,  M.  Adolphe  Nibelle,  est  un  musicien 
qui  ne  manque  pas  de  mérite  ;  mais  il  est  aussi  de  ceux  qui 
gardent  éternellement  des  ouvrages  en  portefeuille,  alors  que 
plusieurs  d'entre  eux  ne  demandent  qu'à  en  sortir.  Sa  con- 
solation, si  c'en  est  une,  est  de  pratiquer  en  fin  gourmet 
l'art  culinaire  ;  il  démontre  ainsi  par  expérience  qu'il  est  plus 


facile  et  plus  agréable  de  servir  de  petits  plats  à  des  invités 
qui  les  agréent,  que  de  gros  ouvrages  à  des  directeurs  qui 
les  dédaignent. 

Théophile  Semet  aura  du  moins  été  plus  heureux;  nom- 
breuses sont  celles  de  ses  œuvres  qui  ont  vu  le  feu  de 
la  rampe  :  les  Nuits  d'Espagne,  la  Demoiselle  d'honneur,  Gil  Bios, 
rOndine,  enfin  la  Petite  Fadette,  donnée  le  11  septembre  1869. 
L'histoire  de  ce  dernier  ouvrage  est  assez  singulière,  si  l'on 
songe  qu'une  pièce  de  ce  nom,  et  tirée  elle-même  du  célèbre 
roman  de  George  Sand,  avait  été  jouée  aux  Variétés,  ea 
1850  ;  ses  auteurs  s'appelaient  Anicet  Bourgeois  et  Charles 
Lafont  et  dans  cette  églogue  dialoguée  ils  avaient  intercalé 
quelques  mélodies  dont  la  composition  était  échue  à  un  jeune 
musicien  fort  inconnu  alors,  M.  Th.  Semet.  Cette  paysannerie 
réussit  et  fut  l'objet  de  plusieurs  reprises.  Ce  succès  donna 
sans  doute  l'idée  de  transformer  le  vaudeville  en  opéra-comique. 
Lorsqu'on  1868,  on  annonça  cette  Petite  Fadette  avec  musique 
de  Semet,  M.  Martinet,  directeur  des  Fantaisies-Parisiennes, 
protesta  par  lettre,  disant  qu'elle  appartenait  à  son  théâtre 
depuis,  six  mois.  On  passa  outre,  et,  lors  des  représentations, 
on  reconnut  que  George  Sand  avait  repris  son  bien  et  re- 
travaillé d'après  son  propre  roman  ces  trois  actes  et  cinq 
tableaux  ;  seulement  elle  s'était  adjoint  Michel  Carré,  lequel 
ne  fut  pas  nommé.  Quant  à  Semet,  it  avait  récrit  son  œuvre, 
et  rien  ne  restait  plus  de  la  partitionnette  qui  avait  marqué 
ses  premiers  pas  dans  la  carrière  dramatique.  Les  applaudis- 
sements ne  manquèrent  pas  le  premier  soir,  car  on  bissa 
même  la  ronde  campagnarde  de  M'"'  Bélia  (bientôt  remplacée 
par  M""*  Moisset  dans  le  rôle  de  Madeleine),  l'ariette  de 
M"'=  Réviliy  (la  mère  Fadet),  les  couplets  de  Potel  (Gadet- 
Caillaux),  et  la  charmante  romance  de  Barré  (Landry).  De 
plus,  M""^  Galli-Marié  s'y  montrait  une  protagoniste  remarquable 
malgré  le  malaise  ou  l'émotion  qui,  ce  môme  premier  soir, 
la  fit  s'évanouir  pendant  un  entr'acte  ;  mais  la  critique  regar- 
dait au  delà  de  l'interprétation;  elle  découvrit  des  points  de 
ressemblance  avec  les  Dragons  de  Villars  et  autres  œuvres 
connues;  elle  observa  ainsi  que  l'illustre  romancier  avait 
été  souvent  obligé  de  passer  à  côté  de  son  œuvre  même,  pour 
ne  pas  paraître  le  plagiaire  de  ses  imitateurs  ;  elle  trouva  la 
pièce  trop  longue  pour  un  sujet  assez  monotone  in  se;  enfin 
elle  remarqua,  non  sans  raison,  que  le  groupement  des  voix 
choisies  nuisait  à  l'effet  de  la  partition,  puisque  le  soprano 
(M"'^  Guillot-Sylvinet),  n'ayant  qu'une  partie  secondaire,  on 
n'entendait  d'un  bout  à  l'autre  que  deux  mezzo,  un  baryton, 
une  basse  et  un  trial  pour  tout  ténor. 

Dans  son  feuilleton  du  Journal  des  Débats,  M.  Ernest  Reyer 
a  raconté  jadis,  avec  son  esprit  habituel,  certaine  aventure 
dont  Th.  Semet  fut  le  héros  malheureux.  On  jouait  Robert  le 
Diable  à  l'Opéra,  et  l'auteur  de  la  Petite  Fadette,  qui  remplaçait 


no(î 


LE  MÉNESTREL 


au  pupitre  des  timbalns  le  chef  d'emploi,  M.  Emmery,  vint  à 
manquer  une  des  rentrées.  Meyerbeer  se  trouvait  dans  la 
salle;  fort  étonné,  il  dépécha  son  compagnon  de  loge  pour 
jouer  le  rôle  de  juge  instructeur,  et  voici  ce  que  M.  Ernest 
Reyer  lui  rapporta  ;  «  Quelquesjours  auparavant,  M.  Semet, 
placé  perpendiculairement  au-dessous  des  loges  d'avant-scène 
avait  reçu  sur  la  tète  un  étui  de  lorgnette,  et,  pendant  la 
représentation  de  lîobert,  au  moment  où  les  quatre  timbales 
de  l'orchestre  doivent  exécuter  seules  le  thème  du  tournoi, 
cet  accident  lui  étant  revenu  en  mémoire,  un  instant  de  vague 
appréhension  avait  suffi  pour  lui  faire  oublier  sa  rentrée  : 
«  Il  m'a  semblé,  me  dit-il,  que  cette  fois  j'allais  recevoir  sur 
la  tête  la  lorgnette  avec  l'étui  !  » 

Ce  timbalier  ainsi  «  échaudé  »  n'eut  pas  l'heur  de  revoir 
sa.  Petite  Fadetle  à  la  salle  Favart;  elle  a  élé  reprise  dernière- 
ment, il  est  vrai,  mais  au  Ghâteau-d'Eau,  refuge  suprême  des 
oubliés  et  des  dédaignés  I  Les  vingt-cinq  représentations 
de  cet  ouvrage  à  l'Opéra-Comique  ne  constituent,  en  somme, 
qu'un  succès  d'estime.  C'est  du  reste  le  sort  de  la  plupart 
des  pièces  données  pendant  cette  période;  toutes  avaient  des 
qualités  réelles,  plus  ou  moins  nombreuses,  et  l'on  n'enregistre 
_guère  parmi  elles  un  véritable  «  four  ».  Toutefois,  pour  Auber, 
un  simple  succès  d'estime  ne  pouvait  tenir  lieu  de  victoire. 
Les  vingt-neuf  représentations  de  son  Rêve  d'amour  marquent 
donc  d'un  caillou  noir  la  flu  de  sa  glorieuse  carrière.  Il  y 
avait  encore  quelques  pages  aimables,  puisque  tout  d'abord 
on  bissa  la  strette  du  duo  de  M"»  Priola  (Henriette)  et  de 
Capoul  (Marcel),  les  couplets  de  U^'"-  Girard  (ilarion),  la  chanson 
militaire  dans  le  finale  du  deuxième  acte,  et,  dans  le  troisième 
acte,  le  trio  entre  Capoul,  M"<=  Girard  et  Sainte-Foy  qui,  au 
bout  de  cinq  représentations  céda  son  rôle  d'Andoche  à  Potel 
et  partit  pour  la  Russie,  où  l'appelait  un  engagement. 
MM.  d'Ennery  et  Cormon  avaient  d'ailleurs  donné  au  compo- 
siteur un  livret  très  inférieur  à  celui  du  Premier  Jour  de  bonheur. 
Quoi  de  plus  «  vieux  jeu  »  en  effet  que  ce  paysan  devenant 
amoureux  d'une  grande  dame,  ayant  l'audace  de  l'embrasser 
un  soir  qu'elle  s'est  endormie  au  pied  d'un  arbre,  suh  tegmine 
[agi,  et,  depuis,  dédaignant  la  petite  paysanne  qui  l'aime,  jus- 
qu'au moment  où  ladite  grande  dame  sacrifiant  l'amour 
qu'elle  ressent,  elle  aussi,  se  laisse  toucher  par  le  désespoir 
de  la  paysanne  et,  pour  créer  un  obstacle  infranchissable 
entre  elle  et  Marcel,  lui  fait  croire  qu'elle  est  sa  propre  sœur. 
Comme  toujours,  de  longues  hésitations  avaient  présidé  au 
choix  des  interprètes,  et  retardé  la  mise  à  l'étude;  comme 
toujours  aussi,  Auber  avait  suivi  la  méthode  qui  lui  était 
chère  et  dont  il  s'était  presque  fait  une  règle  :  choisir  les 
débutantes,  et  parmi  ces  débutantes  choisir  les  plus  jeunes  et 
les  plus  jolies.  C'est  ainsi  que  M""  PHola  et  Nau  eurent 
l'honneur  de  paraître  pour  la  première  fois  dans  la  dernière 
œuvre  du  vieux  maitre. 

L'année  1869  pourrait  du  reste  s'appeler  l'année  des  débuts, 
car  ils  atteignirent  le  chiffre  assez  rare,  sinon  même  unique, 
de  onse,  presque  un  par  mois  !  Citons-les  pour  mémoire,  dans 
leur  ordre  chronologique.  Le  29  février,  dans  le  Pré  aux  Clercs 
(rôle  de  Mergy),  M.  Nicot,  qui  en  1868  avait  obtenu  au  Con- 
servatoire le  2"  prix  de  chant  et  le  l^''  prix  d'opéra-comique, 
avec  une  scène  du  Caid  où  il  tenait  l'emploi  d'Ali -Bajou, 
souvenir  humiliant  dont  l'élégant  ténor  a  toujours  eu  peine 
à  se  consoler.  Bien  ému  le  soir  de  son  début,  il  laissa  deviner 
pourtant  une  agréable  voix  et  une  intelligence  scénique  qui 
devaient  lui  permettre  de  rendre  de  sérieux  services  à  la  salle 
Favart,  mais  plus  tard  ;  car  il  commença  par  voir  son  enoa- 
gement  résilié  parce  qu'il  refusait  un  rôle  à  lui  confié;  le 
Mergy  du  Pré  aux  Clercs  ne  voulait  pas  devenir  le  Frédéric 
de  Mignon.  Gagnant  en  instance,  il  perdit  en  appel;  mais  les 
directeurs  se  montrèrent  bons  princes  et  renoncèrent  à  la 
clause  du  traité  qui  fixait  à  20,000  francs  le  dédit  en  cas 
d'infraction.  Le  31  mars,  dans  le  Postillon  de  Lonjumeau  (rôle 
de  Biju),  M.  Thierry,  un  baryton,  basse  chantante,  qui  venait 
des  Fantaisies-Parisiennes,  et  ne  fit  que  passer  alors  à  la  salle 


Favart,  où  il  revint  après  la  guerre.  Le  28  mai,  dans  Vert- 
Vert  (rôle  de  Mimi),  M"«  Fogliari,  une  élève  de  Duprez,  telle- 
ment intimidée  qu'on  la  jugea  d'abord  insuffisante,  mais  se  rele- 
vant ensuite  dans  le  Pré  aux  Clercs  (rôle  d'Isabelle),  assez  pour 
rester  au  théâtre  jusqu'à  la  guerre,  après  laquelle,  sous  le  nom 
de  Foliari,  elle  chanta  en  1871,  à  Paris,  dans  des  concerts  parti- 
culiers et  en  1872  au  théâtre  de  Saint-Pétersbourg.  Le  24  juin, 
dans  le  Domino  noir  (rôle  d'Angèle),  et  le  17  juillet  dans  la 
Fille  du  régiment  (rôle  de  Marie),  M"'=  Arnaud  qui  venait  de 
province  où  elle  avait  chanté  l'année  précédente  à  Metz,  et 
qui  partit  bientôt  pour  l'étranger.  Le  2  août,  dans  Mignon 
(rôle  de  Frédéric),  M.  Gaston  Mirai,  un  élève'  du  Con- 
servatoire qui,  dans  la  classe  de  Couderc,  avait  remporté 
un  l^"-  accessit  d'opéra- comique  sous  le  nom  de  Nolsag 
(anagramme  de  Gaston)  et  qui,  plus  tard,  échangea  ses 
appointements  de  médiocre  trial  contre  les  bénéfices  d'un 
directeur  de  province.  Le  3  octobre,  dans  le  Chalet  (rôle  de 
Daniel),  M.  Idrac,  autre  lauréat  du  Conservatoire,  ténor 
d'extérieur  peu  avantageux,  mais  doué  d'une  assez  bonne 
voix  qui  lui  permit  de  faire  sa  carrière  en  province  et  à 
l'étranger.  Le  30  août,  dans  Mignon  (rôle  de  Philine),  M"«  Mo- 
reau,  artiste  consciencieuse  à  la  voix  souple  mais  froide, 
qui  avait  tenu  l'emploi  de  chanteuse  légère  en  province  et 
en  Belgique  et  ne  tarda  pas  à  retourner  dans  les  parages  d'où 
elle  venait.  Le  20  octobre,  dans  Galathée,  M'^'^  Daniele,  qu'on 
avait  applaudie  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  à  qui  l'on  confia 
le  rôle  d'Henriette  dans  l'Éclair,  repris  le  17  novembre  après 
une  interruption  de  huit  années  avec  Achard  (Lionel),  Leroy 
(Georges)  et  M""  Bélia  (M™  Darbel).  Le  7  novembre,  M'"!  Reine, 
chanteuse  suffisante  et  jolie  femme,  qui  avait  obtenu  quel- 
ques mois  auparavant  un  2'^  prix  d'opéra-comique  au  Conser- 
vatoire (classe  Mocker),  et  que  nous  retrouverons  par  la 
suite  au  cours  de  cette  histoire.  Le  20  décembre,  dans  Bêve 
d'amour,  M""  Nau  (rôle  de  Denise),  une  jeune  personne  de 
dix-huit  ans,  fille  de  l'ancienne  cantatrice  de  l'Opéra,  et 
jyjiie  Priola  (rôle  d'Henriette)  élève  de  Couderc,  transfuge  du 
Théâtre-Lyrique,  où  elle  s'était  fait  remarquer  dans  Miensi 
avec  le  petit  rôle  d'un  messager  de  la  Paix.  Citons  enfin 
M.  Raolt  qui,  engagé  en  1868,  ne  débuta  qu'une  année  plus 
tard. 

En  terminant  cette  longue  et  monotone  énuméralion  d'ar- 
tistes de  passage  dont  l'éclat,  pour  la  plupart,  n"a  guère  illu- 
miné le  ciel  dramatique,  n'est-on  pas  lente  de  rappeler  le 
veis  des  Plaideurs  et  de  s'écrier  aussi  : 

Pas  une  étoile  fixe  et  tant  d'astres  errants  ! 

On  a  pu  remarquer  qu'en  1869  une  seule  pièce  en  un  acte 
avait  été  donnée  :  la  Fontaine  de  Bemy ;  car  on  ne  saurait 
compter  à  l'actif  du  théâtre  une  cantate  de  l'Institut  sur  des 
paroles  de  M.  Cicile,  intitulée  Daniel.  Deux  élèves  d'Ambroise 
Thomas  s'étaient  partagé  le  prix  de  Rome  l'année  précédente, 
MM.  Wintzweiller  et  Rabuteau.  La  cantate  du  premier  fut 
exécutée  le  8  janvier  au  Théâtre-Lyrique,  et  celle  du  second 
le  19  janvier  à  l'Opéra-Comique,  par  Ponsard,  Grisy  et 
M"«  Levielli,  de  l'Opéra. 

C'est  apparemment  pour  venir  en  aide  aux  prix  de  Rome 
et  autres  «  jeunes  »  que  la  Société  des  auteurs  et  composi- 
teurs dramatiques  avait  entamé  alors  des  négociations  avec 
les  directeurs  de  l'Opéra-Comique  pour  les  rappeler  à  l'ob- 
servance de  leurs  cahiers  des  charges.  Ils  devaient  en  effet 
vingt  actes  par  an,  mais  ne  les  avaient  jamais  donnés.  Mieux 
valait  donc  se  montrer  moins  tyrannique  et  exiger  la  tenue 
des  engagements  pris.  "Voici  quelles  bases  nouvelles  avaient 
élé  adoptées:  1°  la  Société  touchera  12  0/0  sur  la  recette 
brute,  c'est-à-dire  avant  le  prélèvement  des  droits  des  pauvres; 
2"  l'Opéra-Comique  jouera  chaque  année  doiae  actes  nouveaux, 
dont  trois  ouvrages  en  un  acte  ;  3"  innovation  fort  importante, 
les  pièces  tombées  dans  le  domaine  public  toucheront 
12  0/0,  absolument  comme  les  pièces  nouvelles.  Ce  traité, 
exécutoire  à  partir  du  1"  août  1868,  annulait  le  précédent, 
qui  avait  encore  dix-huit  mois  à  courir.  Or,  l'année  1869  s'é- 


LE  MENESTREL 


307 


coula  sans  que  ces  conditions  fussent  rigoureusement  obser- 
vées, car  si  l'on  avait  obtenu  le  chiffre  de  treize  actes,  c'était 
en  comptant,  comme  nouveauté,  Jaguarila,  qui  venait  du 
Théâtre-Lyrique.  Alors  les  discussions  reprirent,  pour  aboutir 
en  1870  au  renouvellement  du  traité  de  12  0/0  avec  neuf 
actes  seulement  au  lieu  de  douze. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


Odéon.  L'Herbagei;  comédie  en  3  actes,  en  vers,  de  M.  Paul  Harel.  — 
Renaissance.  Les  Marionnettes  de  l'année,  revue  en  3  actes  et  12  tableaux, 
de  M.  Charles  Clairville.  —  Folies-Dramatiqies.  Le  Mitron,  vaudeville- 
opérette  en  3  actes  de  MM.  Boucheron  et  A.  Mars,  musique  de  M.  André 
Martinet.  —  Palais-Royal.  IIS,  rue  Pigalle,  comédie  en  3  actes  de 
M.  A.  Bisson. 

Des  vers  et  de  la  prose,  de  la  comédie,  du  drame,  du  vaudeville, 
de  l'opéretle,  de  la  revue,  genre  indéfini,  et  de  la  tragédie,  presque 
des  chansons,  des  romances  et  des  ponts-neufs,  du  triste  et  du  gai. 
de  la  blague  el  de  la  morale,  grands  ou  petits  descendants  des  Labiche, 
Ponsard,  Offenbach,  Dumanoir,  Clairville  I",  etc.,  s'esbattant  sur  les 
théâtres  de  notre  bonne  ville  de  Paris,  en  voilà,  certes,  plus  qu'il 
n'en  faut  !  Que  le  lecteur,  donc,  soit  indulgent  au  pauvre  chroniqueur 
surmené  ;  el  si,  au  cours  de  ses  récils,  il  lui  arrivait  de  confondre 
quelque  peu  les  genres  ou  les  auteurs  et,  par  une  inadvertance  qu'on 
voudra  trouver  pardonnable  en  la  circonstance,  d'habiller  de  jupes 
transparentes  un  La  Hanterie  ou  de  mettre  dans  la  jolie  bouche  de 
M'""  la  Revue  des  alexandrins  qui,  sans  doute,  ne  se  plaindraient 
pas  d'être  si  aimablement  gités,  qu'on  l'excuse. 

Pour  éviter,  autant  que  faire  se  pourra,  tout  malentendu,  nous 
procéderons,  si  vous  le  voulez  bien,  par  ordre  chronologique.  Ce 
sera  le  seigneur  aubergiste  normand  qui  ouvrira  le  feu.  Je  ne  vous 
redirai  certes  pas  tout  ce  que  de  nombreuses  interviews  vous  ont 
déjà  appris  sur  M.  Paul  Harel,  lauréat  de  l'Institut  pour  un  volume 
de  vers  et,  dans  la  vie  privée,  logeant  ù  pied  et  à  cheval  sur  une 
grande  route  de  la  vallée  d'Auge.  Paysan  par  goût  autant  que  par 
naissance,  il  a  voulu  nous  montrer  ce  qu'est  la  vie  des  champs  et 
ce  qu'elle  devrait  être  toujours.  Un  herbager,  La  Hanterie,  qui  vient 
de  se  faire  nommer  conseiller  générai,  et  son  beau-frère,  Beaufer- 
mant,  laboureur  de  son  état,  serviront  à  la  démonstration.  Le  pre- 
mier, fier  des  écus  amassés,  joue  à  l'homme  des  grandes  villes  et  fait 
de  son  fils  un  «  monsieur  »  ;  jodishien  de  «  son  fils  »,  car  La  Hanterie 
n'admet  à  aucun  prix  les  nombreuses  familles  qui  morcellent  les 
héritages  et  détruisent  la  propriété.  Le  second,  tout  au  contraire, 
est  père  d'une  nombreuse  progéniture  qu'il  élève  pour  la  terre  et 
aussi  pour  la  patrie.  Et  c'est,  entre  les  deux  parents,  une  polémique 
acharnée,  chacun  s'entêtant  à  défendre  avec  plus  ou  moins  d'acri- 
monie ses  théories  humanitaires  et  socialistes.  La  discussion  est  vive 
souvent,  empreinte  d'orgueil,  de  jalousie  et  d'égoïsrae  d'un  côté, 
presque  toujours  calme,  sensée  el  virile  de  l'autre.  Or,  le  fils  de 
La  Hanterie  aime  la  fille  de  Beaufermant  et,  comme  il  sait  bien  qu'on 
ne  la  lui  donnera  que  s'il  veut  rester  attaché  à  la  terre,  il  renie  les 
théories  paternelles.  Après  quelques  scènes  violentes,  auxquelles 
l'auteur  n'a  pas  jugé  à  propos  de  nous  faire  assister,  Octave  La  Han- 
terie s'enfuit  à  Paris,  oîi  il  se  met  à  brasser  des  affaires  qui  tournent 
fort  mal.  Le  vieux  conseiller  pleure  son  fils  parti,  mais  refuse  de 
vendre  son  bien  pour  le  sauver  du  déshonneur  inévitable  jusqu'au 
moment  oii  l'enfant  prodigue,  rentrant  à  la  maison,  tout  s'arrange 
au  milieu  de  larmes  générales. 

Je  n'oserais  affirmer  que  M.  Paul  Harel  ait  complètement  atteint 
le  but  qu'il  se  proposait  d'atteindre;  son  Herbager  me  semble  un 
drame  quelconque,  dans  lequel  les  paysans  pourraient  fort  bien  être 
remplacés  par  des  citadins  sans  qu'il  soit  besoin  de  bieu  grandes 
modifications.  Quelques  vers  sonores  rachetant,  en  partie,  trois  actes 
de  versification  bourgeoise  et  prosaïque;  quelques  belles  idées 
noblement  dites,  pouvant  à  la  rigueur  faire  oublier  l'insignifiance 
et  l'impersonnalilé  de  l'œuvre,  voilà  ce  dont  il  faut  tenir  compte  à 
M.  Paul  Harel.  De  l'interprétation,  il  convient  de  citer  en  bonne 
place  M.  Montbars,  qui  nous  a  donné  un  La  Hanterie  très  vivant. 
M"""  Crosnier,  Raucourt,  MM.  Cabel,  Maury,  Duparc,  Duard  jouent 
avec  toutes  les  saines  traditions  de  l'art  odéonesque. 

Et  maintenant,  vite  au  rideau!  la  scène  change,  et  voici  paraître 
Madame  la  Revue  prenant  son  inévitable  compère  dans  la  salle  même 
de  la  Renaissance.  Ici,  rien  de  préparé,  rien  de  voulu,  ou  du  moins 
rien  ne  semblant  tel  ;  les  scènes  ont  l'air  de  s'improviser  sur  place 


et  au  petit  hasard.  Les  Marionnettes  de  l'année,  mises  en  mouvement 
par  M.  Charles  Clairville,  vont  défiler  devant  nous,  joyeuses  et  décolle- 
tées. Aux  affiches  coloriées,  dont  les  murs  de  Paris  sont  pittoresque- 
ment  bariolés,  succèdent  le  garçon  de  café  à  moustaches  et  tous  les 
corps  de  métier  se  mettant  en  grève  :  une  entrée  sensationnelle 
pour  les  petites  dames,  mécontentes  aussi,  et  dont  les  costumes 
extra-simples  font  sortir  toutes  les  lorgnettes  de  leurs  étuis.  Puis, 
exhibition  des  gens  du  grand  monde  donnant  un  five  o'clock,  auquel 
on  applaudit  la  chanteuse  à  la  mode,  le  poète  hirsute,  gloire  de 
Montmartre,  les  lions  présentés  en  liberté  et  celte  Rosa-Josépha, 
beaucoup  plus  drôle,  je  vous  assure,  à  la  Renaissance  qu'à  la 
Gaîté.  Enfin,  la  chronique  vivante  des  théâtres  avec  des  parodies  très 
amusantes  du  iMâle  ei.  du  Rêve.  Le  tout  très  bon  enfant,  entremêlé 
de  couplets  égrillards  et  donnant  lieu  à  des  apothéoses  dignes  d'un 
grand  théâtre  de  féerie. 

La  commère,  c'est  la  belle  M"»  Gilberle,  dont  la  jambe  a  énormé- 
ment de  talent;  le  compère,  c'est  M.  Regnard,  la  coqueluche  du 
boulevard  Saiut-Martiu.  MM.  Georges  étViclorin,  en  Rosa-Josépha, 
MM.  Gildès,  Violet,  Garby,  M"'"  Berthier,  Rolland,  Gallois,  Vialda, 
et  tout  un  essaim  d'aimables  [i}aillots,  ne  sont  pas  sans  faire  valoir 
les  calembredaines  humoristiques  de  M.  Charles  Clairville.' 

Faisons,  je  vous  prie,  quelques  pas  sur  le  boulevard  dans  la  direc- 
tion de  la  Bastille,  et  nous  arriverons,  de  compagnie,  chez  M.  Vizen- 
tini,  l'aimable  directeur  qui  préside  aux  destinées  dos  Folies-Dra- 
matiques. MM.  Maxime  Boucheron  et  Antony  Mars,  deuxnomstrès 
en  vogue,  doivent  nous  y  présenter  certain  Mitron  de  leur  façon. 
N'allez  pas  croire  qu'il  s'agit  ici  de  l'un  de  ces  bouillants  patriotes 
pour  qui,  hélas!  «  Laur  n'est  qu'une  chimère  ».  Que  non  point! 
Balthazar  est  mitron  chef  chez  la  belle  boulangère  Madelon,  dont 
la  boutique  très  achalandée  est  bien  connue  dans  le  quartier  du 
Temple.  Balthasar  aime  Madelon  —  son  amour  ne  lui  laisse  pas  le 
loisir  de  manifester —  et  Madelon  aime  aussi  Balthazar;  cependant, 
sept  fois  déjà  le  mariage  projeté  a  manqué,  la  jolie  patronne 
s'apercevant,  au  moment  propice,  que  son  fiancé  a  trop  de  dispositions 
à  courir  après  tous  les  cotillons.  Cette  fois  encore,  la  chose  est 
absolument  décidée  et  tout  semble  marcher  à  merveille,  lorsque  fait 
irruption  dans  la  boutique  le  duc  Saladin  de  Paramé,  tenant  dans 
ses  bras  la  comtesse  Diane  de  Clagny  évanouie.  Un  drame  ds  l'adul- 
tère. Comme  Balthazar  a  bon  cœur,  il  cache  les  deux  malheureux 
pour  les  soustraire  aux  recherches  du  mari  courroucé  ;  mais  Madelon, 
qui  découvre  la  coupable,  croit  que  c'est  une  bonne  amie  de  son 
futur  époux  et  chasse  de  chez  elle  et  le  mitron  et  la  belle  dame. 
Balthazar,  trompé  par  des  remerciements  chaleureux  et  habitué 
aux  conquêtes  faciles,  se  croit  aimé,  se  cramponne  à  la  comtesse  de 
Clagny  et  s'installe  même  en  son  hôtel.  C'est  là  que  Madelon  viendra 
le  relancer;  c'est  là  aussi  que  commencera  la  série  ininterrompue 
d'imbroglios  impossibles  à  raconter.  Au  milieu  des  chasses-croisés  et 
des  tours  de  passe-passe  exécutés  par  tous  les  personnages  de  la 
pièce,  surgit  la  silhouette  très  amusante  d'un  vieil  oncle  breton  qui 
vient  pour  protéger  la  vertu  défaillante  de  sa  nièce  Diane,  et  qui, 
voulant  remettre  tout  en  ordre,  embrouille  les  fils  de  plus  en  plus. 
«  Réconciliation,  »  annonce  le  programme-  pour  le  troisième  acte;  de 
fait,  Madelon  reprend  Balthazar,  le  comte  de  Clagny  reprend  sa 
femme,  qu'il  avait  quittée  pour  une  iriégulière  chipée  au  duc  de 
Paramé,  et  le  duc  de  Paramé  retourne  à  cette  irrégulière.  Tout  est 
bien  qui  finit  bieu. 

M.  Gobin  s'est  taillé  un  succès  d'hilarité  à  son  entrée  en  mitron; 
il  a  soutenu  la  pièce  entière  avec  sa  bonne  grosse  jovialité  et  ses 
mines  ahuries  sans  faiblir  une  seconde.  M°"=  Grisier-Montbazon  est 
une  très  accorte  boulangère  et,  qui  mieux  est,  une  comédienne  adroite. 
M.  Guyon  a  composé  un  très  caractéristique  type  de  vieux  noble 
breton,  et  M.'""^  Berny,  Guitty,  MM.  Sanson,  Bellucci,  Lacroix,  Mes- 
macker,  forment  une  troupe  très  agréable,  comme  on  n'en  avait  pas 
encore  vu  rue  de  Bondy.  Mise  en  scène  très  soignée,  luxueuse  même, 
et  couplets  agréablement  tournés  par  notre  excellent  collaborateur, 
André  Martine!,  et  qu'ont  su  faire  bisser  M""''  Grisier-Montbazon 
et  Guitty. 

Pour  terminer,  j'enregistre,  non  sans  plaisir,  un  bulletin  de  vic- 
toire. Le  Palais-Royal  a  eu  la  très  excellente  idée  de  prendre  au 
théâtre  Gluny  une  pièce  ancienne  de  M.  Alexandre  Bisson,  IIS,  rue- 
Pigalle,  et  je  crois  qu'il  n'aura  pas  lieu  de  le  regretter.  Le  public 
s'est,  en  effet,  fort  diverti  à  l'histoire  de  ce  pauvre  jeune  veuf 
remarié,  Bernard,  pris,  par  suite  de  faux  renseignements,  pour  un 
de  ses  homonymes  qui  a  tué  à  coups  de  revolver  sa  première 
femme.  Les  transes  épouvantables  par  lesquelles  passent  M.  el 
M""  Loriot,  le  nouveau  beau-père  et  la  nouvelle  belle-mère,  craignant 


308 


LE  MEiNESTllEL 


pour  les  jours  de  leur  fille;  l'enlètement  avec  lequel  un  vieil  ami 
de  la  famille,  Quiquemel,  prend  plaisir  à  augmenter  leur  terreur, 
et  l'ahurissement  de  Bernard  qui  ne  comprend  rien  à  la  conduite 
jjlus  que  singulière  de  ses  beaux-parents  ont,  à  maintes  reprises, 
secoué  la  salle  d'un  fou  rire  d'autant  plus  bienfaisant  qu'on  y  est 
moins  accoutumé.  La  comédie  de  M.  Bisson  est  d'ailleurs  enlevée  de 
verve  par  M.  Galipaux  que,  jamais  encore,  nous  n'avions  vu  aussi 
entraînant  et  d'une  gaité  aussi  communicative;  quelle  fougue,  mes- 
dames! MM.  Saint-Germain  et  Milher  sont  parfaits  et  MM.  Des- 
champs et  Garandet  plaisants.  M""  Cheirel  est  tout  à  fait  charmante 
et  comme  femme  et  comme  comédienne;  M°'^'  Franck-Mel  et  I.  Aubrys 
restent  des  mères  dans  le  ton  de  la  maison,  tandis  que  M""=  Froraant 
s'essaie  dans  les  rôles  de  coquette. 

Paul-Émile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 


CONSERVATOIRE    DE   MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 


[Suite) 


CHAPITRE  V 

LA    RESTAURATION    ('181S-1830) 

Pour  les  exercices  de  l'année  1823,  la  rue  Bergère  reprend  le 
système  inauguré  par  l'empire  :  musique  alternant  avec  la  déclama- 
lion.  Le  nom  d'Auber  figure  sur  plusieurs  programmes. 

Lays  quitte  la  scène  après  quarante-trois  ans  de  service;  Garât 
meurt;  M""  Mézeray  s'éteint;  le  jeune  Massart,  de  Liège,  qui  compte 
dix  printemps,  donne  un  concert  au  Vaux-Hall. 

Signalée  vers  la  fin  de  l'année,  l'invention  de  M.  Sudre,  une  )ano-ue 
musicale,  s'appliquant  à  tous  les  instruments.  Plusieurs  virtuoses 
soutiennent  une  longue  conversation  restée  fort  mystérieuse  pour 
les  invités. 


Faisant  suite  au  défilé  des  petits  prodiges,  Liszt  vient  étonner 
Paris  (mars  1824).  La  pianiste  île  l'impératrice  de  Russie  riposte 
par  un  concert  auquel  l'orchestre  de  l'École  prête  son  concours  • 
c'est  alors  la  Lyre  harmonique  qui  convoque  les  amateurs  à  ses 
séances.  Enfin,  pour  couronner  cette  orgie  musicale,  les  concours 
(le  piano  sont  si  brillants  qu'il  faut  décerner  six  premiers  prix  : 
deux  à  la  classe  d'Adam;  quatre  à  celle  de  Zimmermann. 

12  septembre.  —  Louis  XVIII  agonise  ;  par  ordre  du  ministre  de 
l'intérieur,  tous  les  théâtres  du  royaume  font  relâche.  La  Bourse 
les  musées  demeurent  fermés  jusqu'au  24. 

Tandis  que  Monsieur  est  salué  du  nom  de  Charles  X,  que  Victor 
Hugo  consacre  une  ode  enthousiaste  à  la  mémoire  du  feu  roi.  des 
messes  solennelles  s'organisent  de  toutes  parts,  dans  lesquelles  la 
musique  n'est  pas  oubliée. 

Orchestre  et  artistes  de  l'Odéon  exécutent  à  Saint-Sulpice  le 
Requiem  de  Vergue,  élève  de  Reicha  ;  la  messe  de  Desvio-nes  est 
chantée  à  Notre-Dame,  et  les  frais  sont  payés  par  les  loueurs  de 
voitures  de  place.  Les  agents  de  change  font  célébrer  un  service 
aux  Petits-Pères,  musique  de  Plantade  et  de  Lesueur.  Le  roi  décore 
Sébastien  Erard ,  Cherubini  compose  la  messe  des  funérailles,  Spon- 
lini  écrit  plusieurs  morceaux  pour  les  prières  dites  à  Berlin. 

Entraînés  par  l'exemple,  les  élèves  de  l'Ecole  royale,  auxquels 
se  joignent  les  artistes  les  plus  connus,  donnent  à  Saint-Sulpice 
le  19  septembre,  le  Requiem  de  Mozart,  mais  seulement  en  mémoire 
des  condisciples  récemment  décédés. 

Huit  jours  plus  tard,  le  secrétaire  chargé  du  département  des 
beaux-arts  déclare  en  son  discours  que  «  ce  bel  établissement  doit 
être  de  nouveau  l'admiration  des  étrangers  et  l'orgueil  de  la  France.  « 
Barbereau  reçoit  le  premier  prix  de  composition  ;  le  second  est 
décerné  à  Le  Couppey,  élève  de  Pradher.  Dans  le  concert  qui  clôt 
la  cérémonie,  on  admire  la  magnifique  voix  de  Serda,  et  Beauvallet 
est  applaudi  dans  le  rôle  d'Hamlet. 

Rossini  est  le  dieu  des  Parisiens  ;  interprétés  par  Pasta,  Mombelli, 
Cinli,  par  Zuchelli  et  Bordogni,  ses  ouvrages  se  succèdent  à  l'Opéra- 
lialien.  A  l'Ecole  royale,  Habeneck,  nommé  directeur  honoraire, 
renonce  à  son  titre  devant  les  réclamations,  les  mauvaises  volon- 
tés, les  dissentiments  auxquels  il  ouvrirait  carrière. 


182S.  L'année  du  sacre.  —  On  est  tout  aux  apprêts  de  la  solen- 
nité: les  ambassadeurs  extraordinaires  arrivent,  les  Franconi  sont 
appelés  à  Reims  ;  aux  Menus-Plaisirs,  exposition  des  ornements 
sacerdotaux  ;  dernières  répétitions  par  les  musiciens  du  roi  de  la 
messe  de  Lesueur,  de  celle  du  Sacre,  de  Cherubini,  du  Te  Deum  de 
Plantade. 

Charles  X  rentre  à  Paris,  et  les  spectacles  de  circonstance  de 
pleuvoir;  cantate  de  Soumet  et  Lesueur,  à  l'Hôtel  de  Ville;  Phara-^ 
mond,  à  l'Opéra  et,  remarqué  entre  tous,  //  Viaggio  a  Reims,  de 
Rossini,  chanté  par  M""'  Pasta  et  toutes  les  gloires  du  Théàlre-Ila- 
lien.  L'Ecole  royale  reste  muette. 


La  retraite  de  M"'^  Branchu,  qui  parait  une  dernière  fois  sur  la 
scène  de  l'Opéra,  entourée  de  Talma,  de  Lays,  de  M""  Mars,  de 
Vestris  ;  le  succès  de  fanatisme  de  la  Dame  blanche  ;  l'incendie  du 
Cirque  Olympique,  au  bénéfice  duquel  tous  les  ihéàlres  vont  jouer; 
Marguerite  d'Anjou,  de  Me3'erbeer,  à  l'Odéon  ;  des  concerts  a  en  faveur 
des  malheureux  Grecs  »,  voilà  le  bilan  de  1826. 

Une  élève  de  l'Ecole,  M"'=  Bibre.  admise  à  débuter  à  l'Opéra, 
n'ajoule  rien  à  la  gloire  de  la  rue  Bergère,  puisqu'  «  elle  n'est  remar- 
quable que  par  les  avantages  physiques  ». 

Pour  la  première  fois  cependant,  depuis  plusieurs  années,  les 
classes  de  chant  sont  jugées  dignes  de  premiers  et  de  seconds  prix, 
mais  cette  décision  semble  dictée  au  jury  par  le  désir  de  cacher 
au  profane  la  décadence  de  l'Ecole.  Le  nom  de  Chevillard,  dans  la 
classe  de  violoncelle,  surnage  seul  parmi  des  tlots  de  lauréats  ignorés. 

Aussi  la  faveur  publique  va  à  l'Institution  royale  de  Musique 
religieuse,  où  les  élèves  de  Choron  font  merveille,  où  les  abonne- 
ments aux  six  exercices  sont  rapidement  souscrits. 

Les  examens  de  1827  sont  un  désastre. 

«  La  décadence  du  Conservatoire  ne  laisse  aucun  espoir  pour 
l'avenir.  Le  dernier  concours  a  fait  connaître  l'affreux  déficit  des 
classes  de  chant.    » 

Le  vol  des  diamants  de  M"°  Mars  arrive  à  point  pour  fournir  aux 
journaux  d'autres  variations. 

Un  coup  d'État  inaugure  l'année  1828;  le  Moniteur  l'annonce  en 
ces  termes  : 

«  Depuis  longtemps,  on  critiquait  le  mode  d'enseignement  de  la 
déclamation.  Ou  l'a  séparée  de  l'établissement  pour  la  rattacher  au 
Théâtre -Français  et  la  placer  sous  la  direction  du  Commissaire  royal 
près  ce  théâtre.  Par  ce  moyen,  les  élèves  seront  appelés  aux  repré- 
sentations publiques^  à  proportion  de  leur  intelligence  et  de  leurs 
progrès,  et  la  pratique  deviendra  la  base  du  nouvel  enseignement.» 

Les  classes  de  déclamation  lyrique  conservées  Faubourg-Poisson- 
nière, sont  confiées  à  Adolphe  Nourrit  et  à  Michelot  :  le  piano, 
considéré  comme  «  une  source  de  misère  plutôt  qu'un  bienfait  »,  a 
ses  cours  réduits  de  moitié .  Parmi  les  professeurs  admis  à  la 
retraite:  Saint-Prix,  Plantade,  BlaLgini,  Berton  fils,  Pradher. 

Le  Corafli'/'e,  journal  des  théâtres,  blâme  fort  le  gouvernement  d'avoir 
sacrifié  le  Conservatoire  à  une  économie  de  13,000  francs,  «  tandis 
qu'on  paye  30,000  francs  à  M.  Rossini  le  titre  lidieule  d'inspecteur 
du  chant  en  France.  »  Mais  la  vogue  du  maestro  est  sans  égale;  le 
Siège  de  Corinthe,  Othello,  la  Donna  del  Lago,  Moïse,  Sémiramide,  le 
Barbier,  Tancredi,  la  Gazza  Ladra,  Cenerentola,  l'italiana  in  Algérie 
alternent  dans  l'espace  d'un  mois  sur  les  affiches  de  l'Opéra  et  du 
Théâtre-Italien.  Dans  un  bal  masqué,  il  arrive  sous  le  costume 
d'Orphée  et  le  déguisement  semble  tout  naturel. 


Une  date  célèbre  :  le  9  mars,  qui  voit  la  première  réunion  de  la 
Société  des  concerts.  On  a  voulu  rendre  à  l'École  son  ancienne 
splendeur,  et  grands  et  petits,  maîtres  ou  élèves,  ont  rivalisé  d'ardeur. 

Le  rédacteur  des  Débats  ne  peut  maîtriser  sou  enthousiasme  au 
sortir  de  la  séance  consacrée  à  l'apothéose  de  Beethoven:  «  Après  un 
trop  long  interrègne,  Euterpe  a  ressaisi  le  sceptre  de  l'harmonie;  sa 
maison  de  plaisance  est  toujours  dans  la  rue  Bergère...  » 

Le  cor  à  ventilles,  admirablement  joué  par  Meifred.  un  concerto 
de  Rode  interprété  par  Sauzay.  et  surtout  la  Symphonie  héroïque,  que 
conduisait  Habeneck,  ont  été  acclamés. 

A  la  même  époque,  ouverture  de  la  classe  de  déclamation  dirigée,, 
rue  Chanlereine,  par  Cartigny,  sociétaire  du  Théâtre-Français  ;  exer- 
cices publics,  représentations  fréquentes  auxquelles  la  presse  prend 
grand  intérêt.  Nous  lisons   que  M'""  Jules  a  devant  elle  un  avenir 


LE  MENESTREL 


309 


I 


hrillant;  qu'il  faut  beaucoup  attendre  de  M"°  Amélie,  de  MM.  Henry 
et  Auguste;  c'est  un  défilé  complet  du  calendrier. 

L'aunée  1828  est  aux  innovations.  Après  les  grandes  séances  qui 
ramènent  là  foule  à  l'hôtel  des  Menus-Plaisirs,  voici  les  concerts 
d'émulation  (19  juin)  qui  mettent  en  ligne  tous  les  jeunes  élèves. 
Chef  d'orchestre,  solistes,  instrumentistes  et  choristes  font  partie  de 
l'école  ;  au  pupitre,  conduisant  deux  ouvertures  de  Tliys  et  de  Pré- 
vost, Elwart,  qui,  avec  Le  Couppey,  a  eu  la  première  idée  de  ces 
concerts. 

A  la  veille  du  quatrième,  interdiction  faite  aux  élèves-femmes  de 
prendre  part  aux  exercices;  leurs  rôles  seront  confiés  aux  «  ténors 
aigus  » . 

Cette  méthode  inattendue  donne  d'assez  piètres  résultats,  et  le 
concours  de  chant  n'est  pas  moins  lamentable  que  les  années  pré- 
cédentes. 

A  la  distribution  des  prix,  le  violon  d'honneur  est  partagé  entre 
Arlot  et  Milault.  On  les  a  vigoureusement  applaudis,  mais,  de 
l'avis  de  tous,  ils  sont  loin  d'égaler  le  jeune  Sivori  et  le  jeune 
Massart,  dont  les  concerts  ont  fait  fureur  dans  le  courant  de 
l'hiver. 

La  vogue  croisssante  des  séances  de  musique  inspire  à  M.  Pas- 
lou,  professeur  d'harmonie,  de  guitare,  de  violon,  etc.,  l'idée 
d'une  école  destinée  aux  amateurs.  Le  Conservatuire  de  la  lyre 
harmonique  promet  monts  et  merveilles  dans  son  installation  de 
la  galerie  Vivienne. 

1829.  —  Le  torrent  musical  est  déchaîné.  A  l'Opéra,  à  l'Opéra- 
Comique  et  au  Théâtre-Italien,  vient  se  joindre  une  troupe  alle- 
mande qui  donne  Fidelio,  die  Zauberflote,  Freisckulz  ;  déjà  on  parle 
de  la  prochaine  apparition  de  Guillaume  Tell.  Représentation  à  bé- 
néfice, exercices  de  musique  religieuse.  Enfants  d'Apolloo,  Gymnase 
musical  battent  leur  plein  ;  et,  dans  cet  encombrement,  il  est  place 
encore  pour  les  concerts  d'émulation.  Les  amateurs  restent  fidèles 
aux  séances  de  la  rue  Bergère  :  ils  se  plaisent  à  encourager  dans 
ces  fêtes  de  famille  le  talent  naissant  de  Barroilhet. 

Les  programmes  y  sont  moins  pompeux  qu'à  la  société;  certain 
jour,  «  Tolbecque  a  excité  l'hilarité  dans  une  chansonnette  de  Bé- 
ranger^  l'Aveugle  de  Bagiiolet,  en  imitant  la  vielle  sur  son  violon  ». 

Parmi  les  élèves  de  l'École,  Berlioz  choisira  ses  premiers  inter- 
prètes, leur  confiera  le  concert  des  Elfes  (sextuor  de  Faust)  exécuté 
à  son  audition  du  premier  novembre,  entre  l'ouverture  des  Francs- 
Juges  et  le  Resurrexit. 

La  lutte  romantique  est  vive  quand  s'ouvre  1830.  Hernani  au 
Théàtre-P'raDçais  :  à  l'Odéon  Stockholm  et  Fontainebleau  ;  YicÂov  Hugo 
et  Alexandre  Dumas  se  maintiennent  sur  l'affiche,  malgré  les 
attaques  les  plus  violentes.  M™"  Schrœder-Devrient  brille  à  l'Opéra 
allemand;  miss  Smithon  est  l'étoile  du  théâtre  anglais.   ■ 

La  Société  des  coocerts  retrouve  le  succès  de  l'année  précé- 
dente. La  duchesse  de  Berry  est  parmi  les  plus  transportées,  et  tous 
les  dileltanli  partagent  si  bien  son  enthousiasme,  qu'à  la  séance -du 
30  mai,  deux  couronnes  géantes  sont  offertes  à  Habeneck  :  sur 
l'une,  le  nom  de  Beethoven  ;  l'autre  est  un  hommage  au  vaillant 
orchestre. 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


L'article  que  j'ai  publié  récemment  sur  la  famille  Taglioni  a  eu 
quelque  retentissement  en  Italie  et  m'a  valu,  de  Naples  particuliè- 
rement, diverses  lettres  dans  lesquelles  d'obligeants  correspondants 
me  communiquent  d'intéressants  renseignemenis  complémentaires 
sur  celte  grande  riynastie  artistique.  Je  reviens  donc  sur  ce  sujet 
pour  compléter  rapidement   l'ensemble  des  faits  qui  la  concernent. 

Carlo  Taglioni,  le  chef  de  la  dynastie,  était  bien  réellement  le 
père,  et  non  le  frère  de  Philippe.  Son  autre  fils,  Salvatore,  naquit  en 
1789,  à  Païenne,  et  sa  fille  Luigia  serait  née  à  Ravenne,  en  l'7ST, 
dit-on.  L'un  et  l'autre  furent  engagés  en  180"  au  théâtre  San  Carlo 
de  Naples,  que  Luigia  quitta  pour  épouser  un  riche  gentilhomme 
de  Lyon,  le  comte  Aimé  du  Bourg.  Une  seconde  lille  de  Carlo  (dont 
un  petit-fils  existe  encore  à  Naples),  CTiuseppina  Taglioni,  dont  je 
n'avais  pas  eu  connaissance,  fut  danseuse  aussi  et  débuta  à  Venise, 
mais  abandonna  presque  aussitôt  la  carrière  pour  épouser,  elle 
aussi,  à  Tréviso,  un  gentilhomme,  le  comte  Antonio  Contarini.  Elle 
est  morte  à  Trévise,  il  y  a  peu  d'années. 

Salvatore,  qui  avait  bien  épousé,  comme  je  l'ai  dit,  une  de  ses 
camarades  nommée  Adélaïde  Perraud,  eut  quatre  enfants  :Ferdinando, 


né  le  IS  septembre  1810,  qui  devint  professeur  de  chant  à  Naples 
et  à  Florence,  et  qui  se  fit  connaître  avantageusement  aussi  comme 
critique  musical  ;  Marietia,  née  le  27  décembre  1812,  qui  possédait 
une  belle  voix  de  contralto  et  fournit  comme  cantatrice  dramatique 
une  carrière  fort  honorable;  Erminia,  née  le  8  octobre  181.3,  qui  se 
distingua  encore  à  la  scène,  où  elle  apportait  une  belle  voix  de- 
soprano  ;  enfin,  Luisa,  née  le  14  mars  182.3,  qui  fut  une  danseuse 
très  renommée.  Cette  dernière,  après  avoir  débuté  au  théâtre  San 
Carlo,  fut  engagée  au  Majesty's  Théâtre  de  Londres,  puis  au  Théâtre 
Impérial  Je  Vienne,  où  elle  obtint  surtout  un  grand  succès  dans  le 
Lac  des  Fées,  ballet  du  chorégraphe  Fuchs.  qu'elle  épousa  quelques 
années  après  ;  de  18i8  à  18ol  elle  appartint  à  notre  Opéra,  retourna 
à  Naples,  au  théâtre  San  Carlo,  en  1833,  se  produisit  ensuite  à 
Trieste  (1838),  de  nouveau  à  Naples  (1837),  à  la  Pergola  de  Florence 
(1838)  et  enfin  fut  nommée,  en  1861,  directrice  de  l'école  de  danse 
à  Naples. 

On  m'assure  que  Paul  Taglioni  n'a  jamais  été  à  Naples,  comme  je 
l'ai  dit,  ni  en  1833,  ni  à  aucune  autre  époque.  A  part  quelques 
voyages  qu'il  fit  à  Vienne,  pour  la  représentation  de  ses  ballets,  il 
ne  quitta  jamais  Berlin,  où  il  est  mort  le  7  janvier  1884.  Il  a  eu 
une  fille,  Augusta,  qui  a  joué  la  comédie. 

Enfin,  Marie  Taglioni  la  grande  eut,  elle  aussi,  une  fille,  qui  a 
épousé  le  prince  Tcoubotzkoy.  De  sorte  que  quatre  Taglioni  sont 
devenues  grandes  dames  :  1°  Luigia,  fille  de  Carlo,  qui  fut  comtesse 
du  Bourg;  2»  Giuseppina,  sa  sœur,  qui  devint  comtesse  Contarini  ; 
3"  Maria  la  grande,  qui  fut  comtesse  Gilbert  des  Voisins;  4"  et  la 
fille  de  celle-ci,  aujourd'hui  princesse  Troubetzkoy. 

Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

A  l'Opéra  royal  de  Berlin  on  a  fêté,  le  b  septembre,  le  centième 
anniversaire  de  la  naissance  de  Meyerbeer  par  une  très  belle  représenta- 
tion de  Robert  le  Diable,  précédée  d'un  prologue  de  circonstance  et  de  l'exé- 
cution de  l'ouverture  de  Slrueiisée.  L'empereur  Guillaume  a  fait  déposer, 
à  cette  occasion,  une  couronne  d'or  sur  la  tombe  de  l'illustre  compositeur. 

A   Vienne  aussi,    à  l'Opéra  impérial,    on  a   célébré   le   centenaire  de 

Meyerbeer.  Ici,  les  frais  de  la  soirée  étaient  faits  par  le  Prophète,  dont 
c'était  la  trois-cent-vingt-troisième  représentation  (la  première  fut  donnée 
à  Vienne  le  28  février  1830),  et  qui  était  joué,  même  pour  les  rôles  secon- 
daires, par  les  meilleurs  artistes  du  théâtre.  La  mise  en  scène  avait  été 
complètement  renouvelée  et  remise  à  neuf  pour  cette  circonstance. 

—  Autre  centenaire.  Celui  de  l'apparition  au  théâtre  An  der  "Wien,  de 
Vienne,  de  la  Flûte  enchantée  de  Mozart,  sous  la  direction  personnelle  de 
l'auteur.  C'est  le  30  septembre  que  ce  centenaire  s'accomplira,  et  à  cette 
occasion  on  donnera  à  Vienne  non  pas  une,  mais  simultanément  deux 
représentations  du  chef-d'œuvre,  l'une  au  théâtre  An  der  "Wien,  l'autre  à 
l'Opéra.  Le  fait  est  au  moins  curieux,  et  peut-être  sans  exemple  dans  l'his- 
toire de  l'art. 

—  Sur  la  tombe  de  Meyerbeer,  à  Berlin,  s'élève  une  pierre  de  granit 
avec  cette  inscription  :  Ici  repose  Jacques  Meyerbeer,  né  le  3  septembre  4191, 
mort  le  2  mai  IS6i.  Au-dessous,  se  trouve  répété  le  nom  du  maître,  en 
caractères  hébraïques.  Un  monument  semblable  s'élève  sur  la  tombe  de  sa 
femme,  située  vis-à-vis,  et  sur  lequel  on  a  gravé  ces  mots  :  L'amour  ne 
cesse  jamais.  Tout  auprès  repose  aussi  le  frère  de  Meyerbeer;  l'astronome 
Wilhelm  Béer,  né  le  i  janvier  1797,  mort  le  27  mars  1830.  Quant  au 
troisième  frère,  Michel  Béer,  l'auteur  du  drame  de  Struensée,  le  poète 
célèbre,  sa  tombe  est  à  Munich. 

—  Le  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  sera  célébré  à  Vienne  non 
seulement  par  la  Société  des  amis  de  la  musique,  mais  encore  par  la 
municipalité  elle-même,  qui  veut  honorer  d'une  façon  toute  spéciale  la 
mémoire  de  son  glorieux  concitoyen  d'adoption.  Il  avait  été  d'abord  ques- 
tion d'organiser  une  Exposition-Mozart,  mais  il  a  fallu  y  renoncer  en  pré- 
sence des  réclamations  des  administrateurs  de  l'Exposition  universelle  de 
musique  en  voie  d'organisation,  et  oii  une  place  d'honneur  sera  naturelle- 
ment réservée  à  Mozart.  Le  D''  Prix,  bourgmestre  de  la  ville  de  Vienne, 
proposera  au  conseil  de  louer  le  Burgtheater  le  soir  de  l'anniversaire,  et 
d'y  faire  représenter  un  Festspiel  où  sera  retracé  un  des  épisodes  de  la  vie 
de  Mozart.  Le  spectacle  serait  précédé  d'un  prologue  et  finirait  avec  une 
apothéose.  Pendant  les  entr'actes,  l'orchestre  de  l'Opéra  de  la  Cour  ferait 
entendre  des  œuvres  instrumentales  du  maître. 

—  Nouvelles  théâtrales  de  Vienne.  —  Pendant  les  quinze  premiers  jours 
de  la  nouvelle  saison  de  l'Opéra  impérial,  la  chorégraphie  y  a  régné  sans 
partage.  L'inauguration  de  la  saison  lyrique  proprement  dite  a  eu  lieu 
avec  le  Barbier  et  Cavalleria  rusticana.  La  première  nouveauté  de  la  saison 
sera  l'opéra  de  M.  Breton,  les  Amants  de  Terruel,  dont  la  première  est  fixée 


310 


LE  MENESTREL 


au  4  octobre,  jour  do  la  fête  de  l'empereur.  Le  compositeur  Johann  Strauss 
fera  sa  première  apparition  à  l'Opéra  le  19  novembre,  avec  son  nouvel 
opéra,  le  Chevalier  Pazmann.  Pour  le  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  (5  dé- 
cembre), on  prépare  une  représentation  extraordinaire  à  la  mémoire  de 
ce  maître  ;  cette  représentation  inaugurera  un  cycle  des  œuvres  dramati- 
ques de  Mozart  qui  comprendra,  outre  les  cbefs-d'œuvre  consacrés  tels 
que  Don  Juan  et  la  FlCitc  cncluintiie,  d'autres  opéras  et  opérettes  moins  con- 
nus, comme,  par  exemple,  la  Clémence  de  Titus,  Basiien  cl  Bastienne,  laFinta 
Giardinicra,  etc.  On  s'occupera  ensuite  des  deux  nouvelles  œuvres  de 
M.  Massenet  :  l'opéra  Werther  et  le  ballet  le  Carillon.  —  Richard  Gênée, 
l'auteur  de  tant  de  joyeuses  opérettes,  vient  de  terminer  un  opéra  sérieux 
en  trois  actes  intitulé  Margit,  dont  le  sujet  a  été  tiré  par  M.  Joseph  Brak 
d'un  drame  d'Ibsen,  la  Fête  de  Solhang.  —  M">=  Rosal  Papier,  le  célèbre 
contralto  de  l'Opéra  impérial,  s'est  vue  forcée,  pour  dos  raisons  de  santé, 
de  prendre  prématurément  sa  retraite.  On  assure  que  le  Conservatoire  de 
Vienne  a  offert   à  la  cantatrice  une  de  ses   classes  de  chant 

—  Le  répertoire  lyrique  français  en  Allemagne.  Relevé  sur  les  dernières 
listes  de  spectacles  :  Cologne  :  Le  Prophète,  Guillaume  Tell.  —  Francfort  : 
Joseph  (-2  fois),  les  Huguenots,  Mignon,  Robert.  —  Hambourg  :  Les  Deux  Jour- 
nées ("2  fois),  Fra  Diavolo.  —  Leipzig  :  La  Dame  blanche.  —  Vienne  :  La  Fille 
du  régiment  (2  fois),  Robert  le  Diable,  le  Prophète  (2  fois),  l'Africaine,  Hamlet. 

—  La  Gazette  des  arts  et  du  théâtre,  de  Munich,  vient  de  publier  un  article 
très  commenté  par  la  presse  allemande  en  général,  et  où  l'avenir  des 
Festspiele  de  Bayreuth  n'est  pas  envisagé  sous  les  couleurs  les  plus  roses. 
Il  paraîtrait  que  le  sans-gêne  avec  lequel  l'administration  a  traité  cette 
année  ses  patrons  de  la  première  heure,  les  membres  des  sociétés  wagné- 
riennes,  a  soulevé  du  mécontentement  jusqu'au  sein  des  directions  des 
théâtres  impériaux,  royaux  et  ducaux,  auxquelles  le  Festspielhaus  est  rede- 
vable de  ses  plus  sûrs  éléments  de  succès,  nous  voulons  parler  des  artistes 
du  chant  que  lesdites  directions  mettent  gracieusement  à  sa  disposition. 
Les  théâtres  de  la  cour  de  Berlin,  Vienne,  Munich,  Dresde,  Caiisruhe, 
Hanovre,  Weimar  et  Cobourg  se  seraient  enân  rendu  compte  du  préju- 
dice considérable  que  leur  causaient  les  représentations  de  Bayreuth,  et 
auraient  fini  par  s'en  émouvoir.  Tous  les  artistes  sans  exception  apparte- 
nante ces  théâtres  sont  appointés,  même  pendant  la  période  des  vacances, 
lesquelles  sont  consacrées  à  un  repos  qui  leur  est  pour  ainsi  dire  imposé. 
C'est  donc  en  vertu  d'une  autorisation  spéciale  de  la  part  des  souverains 
et  des  intendants,  et  par  déférence  pour  le  génie  de  Wagner,  que  ces 
artistes  ont  pu  jusqu'à  présent  apporter  aux  organisateurs  des  Festspiele 
l'appoint  de  leur  concours,  sans  lequel  l'entreprise  n'aurait  pu  se  soutenir 
d'une  façon  honorable.  Or,  il  est  arrivé  ceci,  que  la  plupart  des  chanteurs, 
brisés  par  le  dur  travail  que  leur  imposaient  deux  mois  de  répétitions  et 
de  représentations,  ne  se  trouvaient  plus  en  état  de  reprendre  régulière- 
ment leur  service  lors  de  la  réouverture  de  leurs  théâtres  ordinaires  et 
demandaient  un  supplément  de  congé  pour  cause  de  maladies.  Tant  qu'il 
ne  s'agissait  de  représenter  à  Bayreuth  que  Parsifal  et  l'Anneau  des  Niebe- 
lungen,  on  pouvait  comprendre  le  sacrifice  que  s'imposaient  les  directions 
en  question  pour  honorer  dignement  l'art  vvagnérien,  mais  à  présent  que 
l'administration  du  Festspielliaus  se  met  à  exploiter  commercialement  tout 
le  répertoire  de  Wagner,  ce  serait  vraiment  folie  de  la  part  des  directeurs 
de  continuer  à  se  créer  une  concurrence  en  prêtant  bénévolement  les 
artistes  mêmes  qui  soutiennent  ce  répertoire  sur  leurs  propres  scènes.  On 
se  demande  à  présent  ce  que  deviendront  les  Festspiele  livrés  à  leurs  propres 
ressources  ! 

—  On  écrit  de  Vienne  à  l'Indépendance  belge  :  «  La  représentation  de 
Lohengrin  ricochette  ici  d'une  manière  fort  vive.  Outre  que  les  wagnériens 
ne  manquent  pas  dans  la  capitale  de  l'Autriche,  le  public  entier  de  l'Opéra 
s'intéresse  vivement  aux  bronches  et  aux  cordes  vocales  du  ténor  Van 
Dyck,  qui  est  l'enfant  chéri  de  l'orchestre  et  des  loges.  C'est  après  avoir 
pris  part  à  la  tentative  brillante,  mais  sans  lendemain,  de  M.  Lamoureux, 
à  l'Éden-Théâtre,  en  1887,  que  M.  Van  Dyck  a  été  recueilli  par  la  direc- 
tion de  l'Opéra  viennois,  et  en  peu  de  temps  il  s'est  taillé  ici  une  assez 
jolie  collection  de  succès  —  dont  le  plus  éclatant  fut  l'an  dernier  le  Des- 
grieux  dans  Manon  de  Massenet.  Pendant  le  duo  du  i"  acte  avec  Manon- 
Renard  on  eût  entendu  un  souffle  dans  la  vaste  salle  de  notre  académie 
de  musique.  Ce  n'est  pas  de  l'attention,  c'est  du  recueillement  —  qui  se 
change  en  applaudissements  délirants,  lorsque  le  morceau  est  fini.  Et  on 
ne  se  contente  pas  d'acclamer  l'heureux  ténor  et  de  lui  tresser  des  cou- 
ronnes :  il  est  de  bon  ton  dans  le  meilleur  monde,  côté  féminin,  de 
s'intéresser  pour  lui  et  d'en  rêver  quelque  peu,  en  tout  bien  tout  hon- 
neur. Aussi  a-t-on  appris  avec  satisfaction  comment  tout  s'est  terminé  à 
Paris  par  un  gros  succès,  et  l'on  espère  que  dans  un  bref  délai  M.  Van 
Dyck  pourra  accrocher  aux  panoplies  l'armure  d'argent  du  chevalier  lé- 
gendaire et  reprendre  le  petit  collet  du  héros  de  l'abbé  Prévost.  Pour  en 
finir  avec  cette  représentation  de  Lohengrin,  que  l'on  a  suivie  avec  tant 
d'attention  à  Vieane,  on  pourrait  faire  la  remarque  à  MM.  les  braillards 
que  la  police  a  si  vivement  secoués  sur  la  place  de  l'Opéra  qu'ils  n'ont 
rien  inventé  en  mettant  en  scène  des  émeutes  à  propos  et  contre  M^agner. 
Ils  ont  été  devancés  dans  cette  voie  —  chose  pénible  pour  des  patriotes 
aussi  échauffés  —  par  de  vulgaires  Allemands,  de  lourds  Munichois  pleins 
de  cette  bière  maudite  qui  est  devenue  le  nectar  des  boulevards.  C'était 
en  186o  ou  1866,  peu  de  temps  api'és  l'avènement  du  roi  Louis  II  la  ro- 
manesque victime  du  lac  de  Starenberg.  Le  jeune  monarque  avait  appelé 


à  sa  cour  le  musicien-poète,  qui  végétait  sur  territoire  suisse,  où  il  s'était 
mis  à  l'abri  de  ses  créanciers.  Louis  II  paya  les  dettes  du  grand  homme, 
le  combla  de  cadeaux  et  de  pensions  et  lui  assura  le  repos  moral  néces- 
saire pour  terminer  la  «  Tétralogie  i.  A  la  cour,  un  parti  voyait  de  fort 
mauvais  œil  l'influence  que  Wagner  prenait  sur  l'esprit  de  son  royal  ami  ; 
on  prit  prétexte  de  ces  libéralités  pour  dénoncer  le  compositeur  comme 
un  insatiable  polype  qui  pompait  l'or  des  contribuables  bavarois.  Le  moyen 
réussit,  il  y  eut  des  attroupements,  des  charivaris  et  finalement  des 
émeutes  au  cri  de  :  A  bas  Wagner!  La  police  dut  occuper  les  abords  de 
la  villa  qu'il  habitait  —  tout  comme  à  l'Opéra  de  Paris  —  pour  empêcher 
le  pillage.  Pour  rétablir  l'ordre  il  fallut  que  Wagner  consentit  à  quitter 
Munich  pour  quelque  temps  ;  il  retourna  en  Suisse  en  attendant  que 
l'orage  fût  passé.  » 

—  Comme  exemple  de  l'enthousiasme  que  professe  l'Empereur  pour 
Richard  Wagner,  dit  une  dépèche  de  Berlin,  il  est  à  rappeler  que  l'année 
même  de  son  avènement  au  trône,  Guillaume  II  créa  un  corps  de  héraults 
d'armes  portant  un  costume  moyen  âge,  dont  les  fonctions  consistent  à  se 
tenir  dans  les  salles  des  châteaux  royaux  pour  annoncer  l'entrée  et  la 
sortie  de  l'Empereur  par  des  sonneries  de  fanfares.  Ces  sonneries  sont 
tirées  des  opéras  de  Wagner  et  sont  exécutées  avec  des  trompettes  d'ar- 
gent doré.  Le  corps  de  ces  hérauts  comprend  quarante  hommes  qui  sont 
commandés  par  M.  de  Chelius,  chef  d'escadron,  et  en  même  temps  un 
virtuose  de  la  trompette.  Dix  de  ces  hérauts  accompagnent  l'empereur 
dans  ses  voyages.  Une  des  grandes  joies  de  l'Empereur  est  de  revêtir  la 
cuirasse  de  Lohengrin  et  d'écouter,  au  milieu  de  ses  hérauts,  les  fanfares 
vvagnérienues. 

—  Voici  que  la  triple  alliance,  qui  en  a  dans  l'aile,  passe  de  la  poli- 
tique dans  la  musique.  Les  journaux  de  Vienne  nous  apprennent  que 
M.  Richard  Gênée  vient  de  terminer  la  musique  d'une  opérette  qui  porte 
précisément  pour  titre  la  Triple  Alliance.  Le  sujet  ne  nous  parait  pas 
pourtant  d'une  gaité  folle,  et  nous  ne  voyons  pas  trop  le  parti  qu'on  en  a 
pu  tirer  scéniquement  et  musicalement. 

—  L'orchestre  de  l'Opéra  royal  de  Berlin  doit  donner  à  ce  théâtre,  dans 
le  cours  de  la  saison  d'hiver,  une  série  de  neuf  concerts  symphoniques 
qui  auront  lieu  sous  la  direction  de  MM.  Sucher  et  Weingartner.  Dans 
cette  série  de  concerts  on  exécutera  les  neuf  symphonies  de  Beethoven,  la 
Symphonie  fantastique  de  Berlioz,  le  Faust  de  Liszt,  etc.  La  première 
séance  est  fixée  au  2  octobre  prochain,  la  dernière  au  7  janvier  1892.  Celle 
du  4  novembre  sera  entièrement  consacrée  à  Mozart  et  celle  du  16  dé- 
cembre à  Beethoven. 

—  Une  correspondance  de  Stockholm,  en  date  du  12  septembre,  nous 
apprend  que  M°"=  Sigrid  Arnoldson,  qui  pour  la  première  fois  se  faisait 
entendre  dans  sa  ville  natale,  a  soulevé  dans  Mignon  un  enthousiasme  in- 
descriptible au  Tl^éâtre  Royal.  Bien  qu'il  s'agît  d'une  représentation  de 
gala,  à  laquelle  assistait  le  roi  Oscar,  ce  prince  a  donné  lui-même  à  plu- 
sieurs reprises  le  signal  des  applaudissements,  qui  se  sont  changés  en 
ovations  «  frénétiques  ».  La  cantatrice  a  été  rappelée  vingt  fois  sur  la 
scène  au  cours  de  la  soirée,  et  au  sortir  du  théâtre  elle  a  été  acclamée 
par  la  foule. 

—  M"'  Chrétien,  la  jeune  artiste  qui  vient  de  débuter  avec  un  très 
grand  succès  à  la  Monnaie,  de  Bruxelles,  est  élève  de  M.  Léon  Melchissé- 
dec,  de  l'Opéra. 

—  Les  nouvelles  les  plus  fantaisistes  circulent  dans  certaines  feuilles 
italiennes  relativement  au  Falstaff  de  Verdi,  à  la  date  de  la  représentation 
de  l'ouvrage,  à  ses  interprètes  probables,  etc.,  etc.  La  Gazzetta  musicale, 
organe  de  l'éditeur  de  Verdi,  coupe  court  à  ces  racontars  en  publiant,  en 
tète  de  son  dernier  numéro,  la  note  suivante  :  «  Plusieurs  journaux  re- 
produisent diverses  nouvelles  relatives  à  Falstaff.  Nous  ne  savons  quelle 
est  la  feuille  qui  a  lancé  la  première  ce  vrai  canard  à  l'américaine.  Quoi 
qu'il  en  soit,  nous  sommes  en  mesure  de  démentir  de  la  façon  la  plus  for- 
melle les  nouvelles  données.  Il  n'y  a  pas  l'ombre  de  vérité  ni  en  ce  qui 
regarde  l'ouvrage,  ni  en  ce  qui  concerne  les  intentions  du  maestro  Verdi.» 

—  Les  journaux  italiens  tiennent  pour  avéré  que  la  première  repré- 
sentation du  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  l'Amico  Fritz,  aura  lieu  dans 
les  derniers  jours  d'octobre,  au  théâtre  Costanzi  de  Rome,  ou  il  aura  pour 
interprètes  principaux  M"'  Calvé,  MM.  de  Lucia  et  Lhérie. 

—  On  s'était  trop  pressé  d'annoncer  que  le  théâtre  San  Carlo  de  Naples 
avait  enfin  trouvé  une  direction  qui  se  chargeait  de  ses  destinées.  Des 
deux  associés  qui  paraissaient  s'être  entendus  pour  se  charger  de  l'en- 
treprise, l'un,  M.  Musella,  se  retire  purement  et  simplement,  l'autre, 
M.  Russo-Galeata,  demande  de  graves  modifications  aux  conditions  qu'il 
avait  d'abord  acceptées  de  la  municipalité.  Entre  autres,  il  voudrait  que 
celle-ci  prenne  à  sa  charge  les  frais  de  l'éclairage  électrique  pour 
soixante-quinze  représentations,  et  que  le  cautionnement,  qui  avait  été 
fixé  à  30,000  francs,  soit  réduit  à  10,000.  Les  choses  en  sont  là.  Pauvre 
San  Carlo  ! . . . 

—  Le  ministère  de  l'instruction  publique  eu  Italie  vient  d'ouvrir  un 
concours  pour  la  gravure  sur  cuivre  d'un  portrait  de  Verdi,  d'après  une 
photographie  offerte  au  ministère  par  le  maître  lui-même.  .Le  travail  sera 
fait  pour  le  compte  de  la  calcographie  royale  de  Rome. 


LE'  MENESTREL 


311 


—  La  ville  de  Catane,  qui  naguère  a  donné  le  jour  à  Bellini,  auquel  elle 
a  rendu  les  honneurs  que  l'on  sait,  ne  veut  pas  être  en  reste  avec  ses  plus 
jeunes  enfants.  Pour  rendre  hommage  à  l'un  de  ceux-ci,  le  compositeur 
Platania,  parfaitement  vivant,  la  municipalité  vient  de  décider  de  donner 
son  nom  à  l'une  des  rues  de  la  ville,  la  via  Caprai,  qui  s'appellera  désor- 
mais via  Platania. 

—  A  Catane  aussi  on  a  exhumé,  le  29  août,  les  restes  mortels  de 
Raffaele  Goppola,  l'auteur  de  la  Passa  per  amore,  mort  en  cette  ville  au 
mois  de  novembre  1877,  pour  les  transporter  dans  le  lieu  où  la  municipa- 
lité a  décidé  d'élevé  un  monument  à  la  mémoire  de  cet  artiste  longtemps 
populaire.  A  ce  propos,  un  journal  de  Catane,  il  Carrière  dell'Isola,  écrit  ce 
qui  suit  :  o  On  aurait  dû  trouver  le  corps  du  défunt  intact,  car,  si  nous 
ne  nous  trompons,  il  avait  dû  être  embaumé  par  les  soins  du  municipe. 
Au  lieu  de  cela,  on  n'a  retrouvé  dans  le  cercueil  qu'un  amas  d'os  et  des 
débris  de  vêtements.  » 

—  Le  Trovalore,  en  constatant  l'éclat  avec  lequel  on  vient  de  célébrer 
en  Allemagne  le  centenaire  de  Meyerbeer,  rappelle  que  c'est  au  mois  de 
février  prochain  que  se  présente  le  centenaire  de  Rossini  et  fait  remarquer 
qu'aucun  théâtre  italien  dicoi7rf!o,  à  l'exception  d'un  seul,  celui  de  Palerme, 
n'a  songé  à  introduire  à  ce  sujet,  dans  son  répertoire,  un  opéra  de  l'auteur 
du  Barbier,  de  Semiramide  et  de  la  Cenerentola.  «  C'est  ainsi,  dit  ce  journal, 
que  l'Italie  fête  ses  gloires  artistiques  !  » 

^ —  Yoici  le  tableau  de  la  troupe  italienne  du  Théâtre  Royal  de  Madrid 
pour  la  prochaine  saison  :  Prime  donne,  M""i*  Eva  Tetrazzini,  Valentina 
Mendioroz,  Regina  Pacini,  Giuseppina  Buti  ;  mezso  soprano  :  Giuseppina 
Pasqua  ;  contralto  :  Giuseppina  Zeppilli-"Willani  ;  tén:>rs  dramatiques  : 
MM.  Tamagno,  Marconi,  Durot,  Callioni,  De  liucia.  ;  té  nors  demi-cara  clère  : 
Zerni-Bernardi,  Bernardo  ;  barytons  :  Gotogni,  Scotti,  Tabuyo  ;  basses:  Uetam, 
Boruchia,  Verdagùer  ;  basse  comique  :  Baldelli  ;  rôles  secondaires  :  M™'^  Garrido, 
Aponte,  Tauci,  Ciliaui,  Poncini,  Fuster.  Les  chefs  d'orchestre  sont 
MM.  Mancinelli  et  Perez. 

—  Le  lieutenant  Daniel  Godfrey,  chef  de  musique  des  grenadiers  de  la 
garde  à  Londres,  célébrera  dans  quelques  semaines  son  soixantième  anni- 
versaire et  sera  alors  atteint  par  la  limite  d'âge  fixée  par  les  règlements 
pour  le  service  actif  des  chefs  de  musique  dans  l'armée  anglaise.  Bien 
que  quelques  journaux  aient  déjà  nommé  son  successeur  (ce  serait  M.  Miller, 
de  la  marine  royale),  on  espère  que  le  gouvernement  maintiendra  M.  Da- 
niel Godfrey  dans  le  poste  qu'il  a  tenu  avec  tant  d'éclat  depuis  trente- 
cinq  ans,  et  où  il  s'est  acquis  une  célébrité  universelle.  M.  Daniel  Godfrey 
est  l'auteur  d'un  grand  nombre  de  morceaux  dansants  dont  la  vogue  a  été 
retentissante.  Plusieurs  membres  de  sa  famille  ont  tenu,  dans  l'armée 
anglaise,  un  emploi  analogue  au  sien;  son  père,  d'abord,  Charles  Godfrey, 
chef  de  musique  des  Coldstream  Guards,  mort  en  1863  à  l'âge  de  soixante- 
treize  ans,  puis  ses  frères  Frédéric  et  Charles.  Le  premier,  mort  aujourd'hui, 
a  succédé  à  son  père  comme  chef  de  musique  des  Coldstream  Guards;  le 
second  dirige  encore  actuellement  la  musique  des  Royal  Horse  Guards. 

—  La  grande  compagnie  lyrique  formée  par  MM.  Grau  et  Abbey  pour 
la  prochaine  saison  du  Metropolitan  Opéra  de  New- York  est  ainsi  composée  : 
Scprani,  M^^^^  Adelina  Patti,  Emma  Albani,  Marie  Van  Zandt,  Lehmann, 
Eames,  Pettigiani,  Ravogli  ;  messo-soprani  et  contralli,  Scalchi-LoUi,  Fabbri, 
Ravogli,  De  Vigne  ;  ténors,  MM.  de  Reszké,  Valero,  Gianni-Grifoni,  Capoul, 
Kalisch,  Vanni  ;  barytons,  Lassalle,  Caméra,  Magini,  Coletti,  Martapoura; 
basses.  Ed.  de  Reszké,  Serbolini,  Vinche,  Carbone,  Viviani,  Vaschetti. 
Le  chef  d'orchestre  est  M.  Vianesi,  le  chorégraphe  M.  Francioli. 

—  Un  entrepreneur  américain,  M.  Rodolphe  Aronson,  qui  vient  de 
passer  quelque  temps  à  Munich,  a  formé  en  cette  ville  un  orchestre  fémi- 
nin qu'il  se  prépare  à  emmener  à  New-York  pour  le  produire  dans  le 
théâtre  qu'il  dirige. 

—  La  Reine  Indigo,  la.  joyeuse  opérette  de  Johann  Strauss,  vient  de  paraître 
pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Casino  de  New-York  et  y  a  obtenu 
le  plus  franc  succès.  Le  rôle  de  Fantasca  était  tenu  par  M™  Pauline 
L'Allemand,  la  créatrice  de  Lakmé  en  Amérique;  c'est  dire  l'importance 
qui  a  été  donnée  à  l'interprétation.  Détail  typique  ;  l'orchestre  n'était  com- 
posé que  d'instrumentistes...  féminins,  sous  la  direction  de  miss  Matera 
Kranisch. 

—  Un  chef  de  musique  militaire  très  renommé,  M.  Komzak,  chef  de  la 
musique  du  82°  régiment  d'infanterie  autrichienne,  vient,  dit-on,  d'être 
engagé  par  un  entrepreneur  américain,  M.  Blakeley,  pour  diriger,  pen- 
dant plusieurs  années,  un  nombreux  corps  de  musique  à  la  tète  duquel  il 
donnera  une  longue  série  de  concerts  dans  les  principales  villes  des  Etats- 
Unis.  Le  traitement  de  M.  Komzak  ne  sera  pas  moindre  de  60,000  francs 
par  an.  Gela  ne  lui  fera  sans  doute  pas  regretter  le  service  de  l'Autriche, 
où,  comme  il  est  dit  dans  le  Chalet,  «  le  militaire  n'est  pas  riche.  » 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  les  représentations  de  Lohengrin  semblent  devoir  désormais 
se  poursuivre  assez  paisiblement  sous  l'œil  vigilant  de  la  force  armée. 
Quelques  boulettes  à'assa  fœtida  répandues  plus  ou  moins  généreusement 
dans  la  salle  ne  sont  pas  faites  assurément  pour  éloigner  les  fervents  de 
la  musique  de  Wagner,  et  l'on  compte  sur  des  salles  garnies  quand  on 
n'aura   plus    besoin    de    composer   l'assistance    d'amis  à   toute    épreuve. 


Néanmoins,  en  vue  du  public  impartial  et  désintéressé  qui  va  survenir,  il 
a  fallu  entrer  résolument  dans  la  voie  des  coupures,  afin  de  ne  pas  écraser 
d'un  seul  coup  les  spectateurs  innocents,  encore  peu  familiarisés  avec  les 
manières  prolixes  du  grand  musicien  allemand.  Quelle  est  l'importance 
des  coupures  pratiquées?  Si  on  en  croit  M.  Lamoureux,  le  farouche  chef 
d'orchestre  intérimaire  de  l'Opéra,  qui  a  été  interrogé  par  un  rédacteur  du 
Figaro,  elles  se  borneraient  à  quelques  suppressions  à  la  fin  du  dernier  acte, 
au  moment  des  adieux  de  Lohengrin.  Mais,  si  on  s'en  rapporte  à  M.  Van 
Dyck,  qui  a  été  interwievé  par  le  Gaulois,  les  coupures  sembleraient  plus 
importantes  :  «  Au  premier  acte,  déclare  le  sympathique  artiste,  pas  de 
changement;  au  deuxième  acte,  coupure  dans  le  premier  duo  entre  Fré- 
déric de  Telramund  et  Ortrude,  et  dans  l'autre  duo  d'Ortrude  et  d'Eisa;  au 
troisième  acte,  on  supprime,  après  le  récit  du  Saint-Graal,  tout  le  grand 
ensemble  et  la  prophétie  de  Lohengrin  au  roi  pour  reprendre  à  l'arrivée 
du  cygne.  »  Et  l'interlocuteur  de  M.  Van  Dyck  de  terminer  l'entretien  par 
ces  simples  mots  :  «  C'est  bien,  mais,  à  mon  avis,  il  faudrait  encore  sup- 
primer quelque  chose.  »  Voilà  qui  est  bien  impertinent,  en  vérité. 

—  Des  coupures,  c'est  bien,  mais  il  fallait  au  moins  compenser  cet 
attentat  à  la  partition  du  grand  homme  par  quelque  coup  d'éclat  qui  lui 
rendit  d'autre  part  toute  sa,  splendeur.  L'esprit  ingénieux  de  M.  Ritt  a 
trouvé  tout  de  suite  ce  qu'il  fallait.  Il  a  décidé  que  si  on  retranchait  pour 
vingt  minutes  de  musique  dans  le  spectacle,  on  rétablirait  en  revanche  la 
superbe  barbe  que  doit  porter  Lohengrin  dans  la  pièce,  obligation  à 
laquelle  M.  Van  Dyck  avait  cru  pouvoir  se  soustraire.  Donc,  depuis  avant 
hier  vendredi,  nous  avons  vu  un  Lohengrin  barbu  et  moustachu  qui  ne  laisse 
plus  rien  à  désirer.  Reste  à  savoir  si  Richard  Wagner,  qui  était  l'homme 
de  la  vérité,  aurait  approuvé  les  procédés  artificiels  qu'on  a  employés 
pour  rendre  à  son  héros  la  virilité  qui  lui  était  due. 

—  Petit  point  d'histoire  rétrospective.  Le  Journal  des  Débats,  dans  son 
feuilleton  musical  de  dimanche,  disait,  à  propos  de  la  représentation  de 
Lohengrin  donnée  en  1887  à  l'Éden  :  «  Lohengrin  fut  joué  ;  mais  le  gou- 
vernement cédant  aux  menaces,  peu  effrayantes  pourtant,  d'une  poignée 
de  jeunes  siffleurs,  ordonna  au  vaillant  chef  de  faire  disparaître  Lohengrin 
de  l'aflîche  de  l'Eden.  »  M.  Goblel,  qui  était  alors  président  du  conseil  et 
ministre  de  l'intérieuï,  s'est  ému  de  cette  note  ;  il  a  écrit  à  notre  confrère: 
i(  La  vérité  est  que,  dans  les  derniers  jours  du  mois  d'avril,  en  plein 
incident  Sîhnœbelé,  j'avais  obtenu  de  M.  Lamoureux  qu'il  ajournât  la 
représentation  de  l'opéra  de  Wagner.  La  représentation  eut  lieu  le  mardi 
3  mai.  Il  se  produisit  autour  de  l'Éden-Théâtre  quelques  désordi'es  d'ail- 
leurs peu  graves,  qui  se  renouvelèrent  dans  la  soirée  du  lendemain,  bien 
qu'on  ne  jouât  pas  ce  jour-là.  M.  Lamoureux  vint  alors  me  trouver  le 
jeudi  matin  5  mai,  avant  la  séance  du  conseil,  pour  me  déclarer  que,  ne 
voulant  pas  être  une  cause  de  trouble,  il  renonçait  pour  le  moment  à 
continuer  ses  représentations,  et,  malgré  l'assurance  que  je  lui  donnai  que 
des  mesures  énergiques  seraient  prises  pour  assurer  le  libre  accès  du 
théâtre,  il  persista  dans  sa  résolution.  » 

—  Dès  qu'on  parle  de  Lohengrin,  il  semble  que  tout  doive  prendre  une 
importance  extraordinaire,  tant  les  esprits  sont  surexcités.  Voilà-t-il  pas 
que  l'éditeur  delà  partition  en  France,  M.  Durand,  s'émeut  d'une  phrase  de 
l'article  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  dans  laquelle  celui-ci  disait, 
sans  aucune  malice  (d'après  les  renseignements  d'un  musicien  de  l'or- 
chestre de  l'Opéra,  à  qui  se  fier!)  que  sur  les  parties  d'orchestre  venant 
d'Al'emagne,  les  coupures  indispensables  étaient  toutes  indiquées.  Elles 
ne  viennent  pas  d'Allemagne,  s'écrie  M.  Durand  ;  elles  ont  été  bel  et  bien 
oravées  et  imprimées  à  Paris,  dont  acte  à  l'honorable  éditeur.  — Mais  cela 
ne  change  rien  à  la  thèse.  Qu'elles  viennent  "de  Berlin  ou  de  Paris,  ce 
qui  nous  chaut  fort  peu,  la  nécessité  des  coupures  ne  s'en  est  pas  moins 
imposée.  M.  Durand  sait  bien  que  nous  ne  sommes  pas  ici  tellement 
chauvins  que  nous  répudiions  tout  ce  qui  nous  arrive  d'Allemagne.  Ah  ! 
mais  non.  Lui  non  plus,  d'ailleurs,  et  son  amour  pour  les  éditions  Peters, 
de  Leipzig,  qu'il  importe  si  généreusement  en  France,  le  prouve  sura- 
bondamment. 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Les  Parisiens  qui  ont  applaudi 
M.  Van  Dyck  mercredi  soir,  ignorent  fort  probablement  que  notre  compa- 
triote, avant  d'embrasser  la  carrière  du  chant,  faisait  un  doigt  de  cour 
aux  belles-lettres.  Nous  avons  sous  les  yeux  une  brochurette  de  cinquante- 
quatre  pages,  publiée  en  1880  chez  Palmé  et  intitulée  :  Le  Joli  Château, 
drame  fantastique  en  trois  actes  mêlés  de  chant  d'après  une  légende  de  Paul  Féval 
par  MM.  E.  Van  Dyck  et  F.  Heuvelmans.  »  La  scène  se  passe  «  au  joli 
château  de  Coquerel,  en  Bretagne,  vers  l'an  l-ibO.  »  Musique  de  Wambach. 
Si  nous  ne  nous  trompons,  le  Joli  Château,  qui  ne  contient  aucun  rôle  de 
femme,  a  été  représenté  au  collège  Saint-Louis.  En  cherchant  bien,  nous 
retrouverions  encore  les  traces  d'une  collaboration  de  M.  Van  Dyck  à  un 
journal  d'étudiants  aux  idées  très  avancées  en  littérature.  Les  succès  de 
Vienne  et  de  Bayreuth  auront  fait  oublier  à  M.  Van  Dyck  ces  épisodes 
de  jeunesse;  peut-être  ces  souvenirs  lointains  évoqueront-ils  de  joyeuses 
années  d'université.  » 

—  Il  y  a  loin  de  Lohengrin  au  Rêve  de  M.  Gastinel  (si  encore  c'était  celui 
de  M.  Bruneau  !).  Annonçons  pourtant,  mais  non  sans  confusion,  la  reprise 
de  ce  charmant  ballet  à  VOpéra.  Il  a  servi  de  rentrée  à  Mi"=  Mauri,  1res 
applaudie.  Le  fameux  pas  de  la  «  Mikagouva  »  est  certainement  une  de 
ses  créations  les  plus  exquises. 


312 


LE  MENESTREL 


—  A  rOpéra-Comique,  on  répète  tous  lesjours  Mmwn,  sous  la  surveillance 
directe  de  M.  Carvalho  et  des  auteurs.  Ces  répétitions  marchent  à  souhait  et 
on  espère  pouvoir  passer  dans  la  première  semaine  d'octobre.  M.  Carvalho 
s'occupera  ensuite  de  remettre  à  la  scène  Lalla  Roukii,  qui  n'a  pas  été  repré- 
sentée depuis  bien  des  années  et  qui  servira  de  début  à  M"''  Vuillefroy.  On 
va  reprendre  aussi  prochainement  Richard  Cœur  de  Lion.  M.  Bouvet  reprendra 
le  rôle  de  Blondel;  celui  de  Richard  sera  joué  par  M.  Gogny,  le  jeune  ténor 
que  M.  Carvalho  a  récemment  engagé,  après  son  grand  succès  d'Aix-les- 
Bains.  Mentionnons  encore  l'engagement,  à  l'Opéra-Comique,  de  M""'  Renée 
Richard,  l'ex-artiste  de  l'Opéra,  et  celui  de  M.  Marc  Nohel,  qui  a  appartenu 
au  théâtre  de  la  Gaité,  où  on  l'a  vu  surtout  dans  le  Bossu,  de  Charles  Grisart, 
rôle  de  Chaverny.  —  Bonne  reprise  de  Mignon,  cette  semaine,  avec  M""*  Si- 
monnet  et  Landouzy  et  M.,  Queyla  CWilhem  Meister),  un  artiste  qui  est  en 
train  dese  faire  une  bonne  place  à  l'Opéra-Comique.  Bonne  reprise  aussi  de 
Carmen  pour  la  rentrée  de  M"»  Nardi,  que  l'on  a  fêtée  tout  particulièrement. 

—  Voici  les  dates  au.vquelles  sont  fixées,  au  Conservatoire,  les  prochains 
concours  d'admission. 

Mardi  20  octobre,  déolamaliou  (hommes)  ; 

Mercredi  21,  déclamation  (femmes); 

Vendredi  23,  déclamation  (admissibles)  ; 

Mardi  20,  chant  (hommes)  ; 

ilercredi  28,  chant  (femmes); 

Mercredi  'i  novembre,  piano  (femmes); 

Samedi  7,  violoncelle; 

Lundi  9,  piano  (hommes); 

Mercredi  11,  violon; 

\'eDdredi  13,  instruments  k  vent. 

La  rentrée  des  classes  est  iixée  au  lundi  S  octobre. 

—  M.  Hector  Salomon,  l'auteur  de  Bianca  Capello,  de  l'Aumônier  du  Régiment, 
des  Dragées  de  Suzeiie,  de  l'Extase  et  de  nombreuses  œuvres  applaudies,  qui 
a  rempli  pendant  vingt  années  les  délicates  fonctions  de  chef  du  chant 
à  l'Opéra,  a  pi-ié  MM.Ritt  etGailhard  de  vouloir  bien  faire  valoir  ses  droits 
à  la  i-etraite.  Cette  détermination  de  M.  Hector  Salomon,  dont  le.  talent  est 
très  apprécié,  causera  beaucoup  de  regrets  parmi  les  artistes  de  l'Opéra. 

—  M""  Emma  Eames,  ou  plutôt  M>^'^  Eames-Story,  qui  achève  son 
voyage  de  noces  à  Venise  avant  de  partir  pour  l'Amérique,  vient  de  rece- 
voir de  M.  Léon  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique,  les  palmes 
d'ofûcier  d'académie.  Le  ministre  a  voulu  récompenser  ainsi  le  zèle  mon- 
tré par  l'ancienne  pensionnaire  de  l'Opéra,  et  en  même  temps  se  montrer 
gracieux  envers  le  grand  public  de  Londres,  où  M"'»  Eames-Story  vient  de 
terminer  une  très  brillante  saison  sur  la  scène  de  Covent-Garden. 

—  Un  correspondant  nous  écrit  que  M°"=  Trebelli  n'est  pas  aussi  malade 
qu'on  a  bien  voulu  le  dire  et  qu'elle  ne  songe  nullement  à  la  retraite  : 
'<.  La  légère  attaque  de  paralysie  .dont  elle  a  été  atteinte,  il  y  a  denx  ans, 
ne  l'empêchera  ni  de  chanter  ni  de  donner  des  leçons  très  suivies  par  la 
noblesse  anglaise  ».  Réjouissons-nous-en  avec  notre  correspondant. 

—  Notre  éminent  professeur,  M.  Marmontel,  est  de  refour  à  Paris.  Les 
cours  supérieurs  de  piano  à  l'Institut  Musical  recommenceront  le  vendredi 
9  octobre  prochain.  On  s'inscrit  à  l'Institut  Musical,  13,  Faubourg-Mont- 
martre, tous  les  jours  de  trois  à  cinq  heures. 

—  On  écrit  de  Saint-Raphaël  qu'une  foule  évaluée  à  trois  mille  personnes 
a  envahi  dimanche  la  nouvelle  basilique  de  Saint-Raphaël  pour  assister  à 
l'inauguration  de  la  statue  de  Notre-Dame  de  la  Victoire,  offerte  par 
M"»  de  ChifTreville.  M°>s  Miolan-Carvalho,  l'hôte  assidue  de  Valescure,  a 
chanté  l'hymne  à  sainte  Cécile  et  VAve  Maria  de  Gounod.  M<^'  Carvalho  a 
été  acclamée  à  la  sortie. 

—  L'intelligente  et  courageuse  Associationartistique  d'Angers  a  fait  choix, 
parait-il,  d'un  nouveau  chef  d'orchestre.  C'est  M.  Paul  Frémaux.  artiste  de 
l'Opéra,  qui  est  appelé  à  remplacer  dans  ces  difficiles  fonctions  M.  Gustave 
Lelong. 

—  La  ville  de  Bapaume  honore  dignement  aujourd'hui  la  mémoire  du 
général  Faidherbe  en  inaugurant  sa  statue.  M.  Léon  Vasseur  a  écrit  k 
cette  occasion  une  cantate  sur  une  poésie  de  M.  Ed.  Guinand. 

—  Des  stations  balnéaires  de  Biarritz  et  de  Saint-Jean-de-I^uz,  on 
nous  écrit  pour  nous  signaler  le  grand  succès  remporté,  dans  chacun  de 
ses  concerts,  par  M"»  Marie  Masson  ;  le  Noël  paien,  de  J.  Massenet,  lui  est 
régulièrement  redemandé  chaque  fois  qu'elle  le  chante.  A  côté  d'elle,  on 
s'amuse  beaucoup  des  scènes  et  chansonnettes  de  M''^  Croix-Meyer  et  de 
M.  Baret,  des  Variétés. 

NÉCROLOGIE 
Glest  un  grand  artiste  qui  vient  dé  mourir  en  la  personne  de  Jean- 
Baptiste  Lavastre,  qui  fut  sans  contredit  le  premier  peintre  décorateur  de 
ce  temps  et  dont  on  ne  saurait  trop  déplorer  la  perte  inattendue.  Cet  art 
si  fugitif  du  peintre  décorateur  n'en  exige  pas  moins,  avec  de  vastes  con- 
naissances, un  talent  éprouvé,  et  le  public  ne  se  doute  pas  de  l'immense 
somme  de  difficultés  que  l'artiste  qui  l'exerce  est  obligé  de  vaincre  ou  de 
tourner  pour  obtenir  les  effets  prodigieux  qu'on  admire  à  la  scène.  J.-B. 
Lavastre  avait  été  l'habile  successeur  des  grands  maîtres  en  ce  genre,  les 
Cicëri,  les  Daguerre,  les  Thierry,  les  Wagner,  les  Séchan,  les  Poisson,  les 


Despléchin,  les  Zara,  et  l'on  peut  dire  qu'il  les  avait  même  dépassés. 
Elève  précisément  de  Despléchin,  dont  il  était  devenu  plus  tard  l'associé, 
pour,  à  la  mort  de  celui-ci,  s'associer  ensuite  M.  Carpezat.  Lavastre,  on 
peut  le  dire,  a  produit  dans  nos  grands  théâtres,  à  l'Opéra,  à  la  Comédie- 
Française,  à  l'Opéra-Comique,  à  l'Odéon,  toute  une  série  de  véritables 
chefs-d'œuvre.  Qui  ne  se  rappelle  le  lac  à'HamIet,  le  palais  d'Indra  du 
Roi  de  Lahore,  la  Memphis  A' Aida,  le  second  acte  du  Tribut  de  Zamora,  (deux 
merveilles),  le  premier  acte  de  Sigurd,  le  quatrième  de  Patrie,  le  bal  de 
Don  Juan,  les  décors  de  Coppélia,  de  Sijlcia,  de  la  Korrigane,  de  Yedda,  de  la 
Farandole,  de  la  Tempête?...  A  l'Opéra-Comique,  on  lui  doit  ceux  de  Cinq- 
Mars,  de  la  Nuit  de  Cléopàtre,  de  Jean  de  Nivelle,  de  Manon,  de  Lahmé,  à  la 
Comédie-Française  ceux  de  Ruy  Blas,  i'Hamlet,  du  Roi  s'amuse,  de  Jean  Bau- 
dry,  de  Thermidor,  et  de  combien  d'autres,  sans  compter  l'admirable  tableau 
dans  lequel  il  sut  encadrer  aux  Champs-Elysées,  en  ISSO,  l'ode  de  M"'  Au- 
gusta  Holmes.  Justement,  sa  double  exposition  au  Champ-de-Mars  en  1889 
lui  valut  une  médaille  d'or  et  la  rosette  d'olficier  de  la  Légion  d'honneur. 
Je  ne  saurais  énumérer  ici  tous  les  travaux  de  cet  artiste  si  bien  doué, 
d'un  talent  si  exceptionnel,  et  qui  sera  vivement  regretté  de  tous  ceux  qui 
l'ont  connu  et  qui  ont  été  à  même  de  l'approcher.  Grand  artiste  et  honnête 
homme  dans  toute  l'acception  du  mot,  Lavastre  meurt  trop  jeune,  pour  lui 
et  pour  ses  amis.  Il  n'avait  en  effet  que  cinquante-sept  ans,  étant  né  à 
Nîmes  en  1834.  '  A.  P. 

—  M"'"  Witt,  qui  fut,  pendant  plus  de  vingt-cinq  ans,  une  des  premières 
cantatrices  de  l'Opéra  de  Vienne  et  qui  eut  aussi  de  nombreux  triomphes 
sur  les  principales  scènes  de  l'Allemagne,  s'est  suicidée  en  cette  ville, 
jeudi  dernier,  en  se  précipitant  du  cinquième  étage  d'une  maison  située 
près  de  l'église  Saint-Etienne.  M""=  "VVitt,  qui  s'était  séparée  de  son  mari 
à  la  suite  d'un  procès  retentissant  (si  retentissant  qu'elle  dut  renoncer  à 
chanter  à  Vienne),  avait  donné,  depuis  plusieurs  années,  des  signes  in- 
quiétants d'un  dérangement,  au  moins  momentané,  de  ses  facultés  men- 
tales. Sa  famille  la  fit  même  interner  pendant  quelque  temps  dans  une 
maison  de  santé  prés  de  Gratz.  Mais  elle  en  sortit  bientôt,  et  tout  récem- 
ment elle  prit  part  au  festival  donné  en  l'honneur  de  Mozart,  à  Salzbourg. 
Sa  voix  était  encore  magnifique,  mais  elle  paraissait  en  proie  à  une 
exaltation  toujours  croissante.  H  y  a  deux  jours,  elle  s'était  décidée  à 
entrer,  de  son  gré,  cette  fois,  dans  une  maison  de  santé  située  à  Hacking, 
près  Vienne,  et  dirigée  par  M.  HoUander.  Sous  prétexte  d'aller  consulter 
son  dentiste,  elle  sortit  de  l'établissement  et  se  fit  conduire  en  voiture 
par  le  docteur  HoUander  jusqu'à  la  place  Saint-Etienne,  promettant  de 
rentrer  à  Hacking  dans  la  soirée.  C'est  à  cinq  heures  du  soir  qu'elle  s'est 
tuée.  Avant  d'entrer  dans  la  maison,  on  l'avait  vue  se  promener  devant  la 
porte  avec  un  jeune  homme.  L'entretien  paraissait  très  vif,  et,  à  plusieurs 
reprises,  les  éclats  de  voix  attirèrent  l'attention  des  marchands  sur  le  pas 
de  leurs  magasins.  M""'  "Witt  était  âgée  de  cinquante-sept  ans,  disent  les 
uns,  d'autres  prétendent  de  soixante-sept.  Elle  avait  gagné,  pendant  sa 
carrière  artistique,  une  grosse  fortune,  dont  la  disposition  lui  était  restée 
après  son  procès.  Il  y  a  quelques  années,  elle  consacra  100,000  florins  à 
la  création  d'un  fonds  de  secours  pour  les  étudiants  sans  ressources  de 
l'université  de  Gratz,  où  elle  habitait  alors. 

—  Le  Journal  de  Saint-Pétersbourg  dit  que  le  maître  de  la  courBakhmetiew 
est  mort  dans  cette  ville  le  31  août,  à  l'âga  de  quatre-vingt-quatre  ans. 
Le  défunt  avait  servi  d'abord  dans  les  gardes  à  cheval,  puis  il  fut  maréchal 
de  noblesse  du  gouvernement  de  Saratow.  C'est  comme  amateur  de  mu- 
sique surtout  qu'on  l'a  beaucoup  connu  dans  les  salons  de  Saint-Péters- 
bourg. Tout  enfant,  il  se  distinguait  déjà  par  son  talent  de  violoniste.  Il 
était  élève  de  Bœhm.  Comme  compositeur,  il  s'est  essayé  d'abord  à  écrire 
des  romances,  dont  quelques-unes,  empreintes  de  cachet  russe,  ont  eu  de 
la  vogue.  En  18G1,  Bakhmetievi'  succéda  à  Alexis  Lvow  (l'auteur  de 
l'hymne  national  russe)  dans  la  direction  de  la  chapelle  des  chantres  de 
la  cour,  pour  laquelle  il  écrivit  un  grand  nombre  de  compositions  sacrées. 
On  ne  peut  leur  refuser  une  certaine  virtuosité  de  facture,  mais  le  style 
religieux  fait  absolument  défaut. 

—  On  annonce  la  mort  à  Leipzig  de  M"«=  Livia  Virginie  von  Frege  qui, 
sous  le  nom  de  Livia Gerhardt,  s'était  acquis  une  grande  renommée  comme 
cantatrice,  il  y  a  une  cinquantaine  d'années.  C'était  une  amie  de  Mendels- 
sohn  et  de  Sohumann.  Mendelssohn  l'a  mentionnée  dans  plusieurs  de  ses 
lettres;  dans  l'une  d'elles,  adressée  à  un  ami,  se  trouve  ce  passage:  «Vous 
ne  connaissez  pas  mes  mélodies?  Allez  à  Leipzig  et  entendez  M"""  von 
Frege  ;  vous  vous  rendrez  un  compte  e.xact  de  mes  intentions  relativement 
à  leur  interprétation.  »  M""  von  Frege  reçut  ses  premières  leçons  de  mu- 
sique de  Pohlenz  à  Leipzig,  et  travailla  ensuite  avec  la  célèbre  Schrœder- 
Devrient.  Ses  premiers  débuts  eurent  lieu  à  Leipzig,  à  l'âge  de  quatorze 
ans,  dans  un  concert  donné  par  Clara  Wieck  (plus  tard  M^i^Schumann),  qui 
était  alors  également  âgée  de  quatorze  ans.  C'est  en  1833,  et  toujours  à 
Leipzig,  qu'elle  parut  pour  la  première  fois  sur  les  planches,  dans  la  Jes- 
sonda  de  Spohr.  Deux  ans  après,  elle  devint  membre  de  l'Opéra  royal  de 
Berlin,  d'où  elle  fut  éloignée  l'année  suivante  par  son  mariage  avec  M.  von 
Frege.  Dès  lors,  elle  se  consacra  aux  concerts  et  au  professorat.  M""  von 
Erege  était  née  à  Géra,  en  1818. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


SIERIE  CE\TRA] 


3158  —  57-  mm  —  A'°  40. 


Dimanche  i  Octobre  1891. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (28"  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Senaaine  théâtrale  :  Lohengrin  devant  le  public  parisien,  H. 
Moreno  ;  reprise  de  Nuinu  Roumestan,  au  Gymnase,  de  la  Cigale,  aux  Variétés, 
et  du  Voyage  de  Suzeile,  à  la  Gaité,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Histoire 
anecdotique  du  Conservatoire  (9'  article),  André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PAPILLON 

nouvelle  mélodie  de  Ed.  Chavagnat,  poésie  de  M.  Monnier.  —  Suivra 
immédiatement  :  Au  Rossignol,  nouvelle  mélodie  de  Robert  Fischhof, 
traduction  française  de  Pierre  Barbier. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de    piano  :  Parmi  le   thym  et  la  rosée,    de  Paul  Rougnon.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Carillon,  petite  pièce  pour  piano  de  Robert  Fischhof. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOXJBIES   et  Cliarles   JVtALHEFlBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  IV 


AVANT     LA     GUERRE 


1868-1870. 
(Suite.) 

Mais,  entre  temps,  la  direction  de  l'Opéra-Gomique  s'était 
modifiée,  M.  Rilt  cédait  la  place  à  M.  Du  Locle,  ainsi  qu'il 
résulte  d'un  acte  dont  vcici  les  dispositions  principales  : 
«  Il  a  été  formé  une  société  en  nom  collectif  sous  la  raison 
sociale  de  Leuven  et  du  Locle,  ayant  pour  objet  l'exploita- 
tion du  théâtre  impérial  de  l'Opéra-Gomique.  Cette  société 
commencera  le  20  janvier  1870  pour  se  terminer  le  20  jan- 
vier 1874...  Le  capital  social  est  fixé  au  chiffre  de  500,000  fr. 
M.  de  Leuven  apporte  une  somme  de  250,000  francs  à  four- 
nir en  matériel,  argent  et  cautionnement,  M.  du  Locle  ap- 
porte une  somme  de  250,000  francs  en  espèces.  »  Le  plus 
avisé  des  trois  était  celui  qui  partait,  car  il  «  passait  la  main  » 
au  bon  moment;  aussi,  laissera-t-il  le  souvenir  d'un  direc- 
teur heureux,  puisqu'ayant  administré  trois  théâtres,  l'Am- 
bigu, l'Opéra-Gomique  et,  vingt  ans  après,  l'Opéra,  il  aura 
toujours  trouvé  le  moyen  de  gagner  de  l'argent,  là  môme  où 


ses  prédécesseurs  en  perdaient  ;  ces  chances-là  n'arrivent 
qu'aux  habiles. 

M.  Du  Locle  devenait  co-directeur,  à  la  veille  d'événements 
que  rien  ne  faisait  prévoir ,  et  dont  les  théâtres  devaient 
fatalement  ressentir  le  douloureux  contre-coup.  Sinistre 
présage  :  presque  au  seuil  de  cette  année  1870,  les  morts  se 
succèdent  et  se  pressent  !  Bien  des  gens  disparaissent  alors 
qui  tiennent  à  l'histoire  de  ce  même  théâtre,  par  leurs  ser- 
vices et  par  leurs  œuvres.  C'est  Rossini,  mort  à  Passy  le  13  no- 
vembre 1868,  chargé  d'ans  et  de  gloire,  mais  pour  les  obsè- 
ques duquel  l'Opéra-Gomique  s'abstint  de  faire  relâche,  car 
il  n'avait  jamais  ouvert  la  porte  à  ses  ouvrages  et  ne  devait 
admettre  son  Barbier  de  Séuille  que  beaucoup  plus  tard,  lors 
d'une  soirée  tristement  mémorable.  C'est  Berlioz,  s'éteignaut 
à  Paris  le  5  mars  1869,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  aigri,  dé- 
couragé, le  cœur  et  le  corps  également  brisés.  C'est  Albert 
Grisar,  enlevé  presque  subitement  à  Asnières  le  13  juin  1869, 
jeune  encore,  car  il  ne  comptait  que  soixante  et  un  ans, 
l'un  des  fournisseurs  les  plus  heureux  de  l'Opéra-Comique, 
presque  un  maître  en  son  petit  genre,  et  qui  avait  eu  la  su- 
prême consolation  de  voir  remettre  au  répertoire,  le  31  mars 
précédent,  avec  Ponchard  (Lélio),  (le  rôle  avait  été  attribué 
d'abord  àM"'=  Seveste,  puisa  M'"'  Revilly),  Prilleux(le  docteur), 
M""  Guillot  (Isabelle)  M"'*  Bélia  (Golombine),  son  Bonsoir 
Monsieur  Pantalon,  délaissé  depuis  1861  .à  Paris,  mais  toujours 
conservé  en  Allemagne,  oii  sa  popularité  se  maintient  encore 
aujourd'hui.  Ce  sont  d'anciens  artistes  décédés ,  comme 
M"<^  Darcier  (mars  1870)  et  M'"*  Angèle  Cordier  (avril  1870). 
Ce  sont  trois  anciens  directeurs,  Basset,  devenu  membre  de 
la  commission  d'exqmen  des  ouvrages  dramatiques,  et  Nestor 
Roqueplan,  tous  deux  morts  à  Paris  en  avril  1870  ;  et  précé- 
demment, en  septembre  1869,  Alfred  Beaumont,  mort  à  Caen, 
où,  depuis  sa  faillite,  il  s'occupait  d'affaires  industrielles 
pour  le  compte  d'une  maison  de  Madrid.  C'est  enfin  le  chef 
d'orchestre  Tilmant,  frappé  d'une  congestion  le  3  octobre 
1868 ,  en  pleine  représentation,  rétabli  depuis,  il  est  vrai, 
mais  forcé  de  donner  sa  démission  et  de  céder  le  bâton  à 
M.  Deloffre,  qui  venait  du  Théâtre-Lyrique. 

Après  les  gens  qui  meurent,  les  pièces  qui  tombent.  Celles 
de  1870  n'échappent  pas,  sauf  une,  au  triste  sort  qui  avait 
frappé  celles  de  1869.  Les  deux  premières  nouveautés  de 
l'année  furent  données  le  même  soir,  21  février;  l'une, 
l'Ours  et  le  Pacha,  avait  pour  auteur  Bazin  ;  l'autre,  la  Cruche 
cassée,  M.  Emile  Pessard,  prix  de  Rome  en  1866,  et  précisé- 
ment élève  de  Bazin. 

La  Cruche  cassée  forme  un  gentil  lever  de  rideau,  dans  le- 
quel MM.  Hippolyte  Lucas  et  Emile  Abraham  ont  représenté 
la  sentimentale  et  sceptique  Dorothée  qui ,  après  avoir  fait 
languir  pendant  vingt  ans  son  adorateur,  cède  à  ses  instances 


31-'i 


LE  MENESTREL 


le  jour  où  il  lui  montre  l'exemple  d'un  amour  vrai,  sous 
l'aspect  de  deux  tourtereaux,  contrariés  par  un  vieil  oncle 
avare  et  un  rival  cousu  d'or,  mais  tenant  bon,  et  si  ferme 
que  devant  la  fontaine,  témoin  de  cette  idylle,  la  cruche  se 
casse,  gage  et  symbole  d'une  aventure  dont  le  dénouement 
aura  lieu  chez  M.  le  maire.  C'était  le  début  au  théâtre  de 
M.  Emile  Pessard,  un  compositeur  de  talent  que  la  chance  a 
mal  servi.  Partout  oîi  il  a  passé,  à  Ventadour,  à  l'Opéra,  à 
l'Opéra-Comique,  toujours  une  fermeture  de  salle,  une  insuf- 
fisance de  poème  ou  d'interprétation ,  un  changement  de 
direction,  sont  venus  contrarier  sa  fortune  et  relarder  pour 
lui  l'heure  du  vrai  succès. 

Dans  l'Ours  et  le  Pacha,  Scribe  et  Saintine  n'avaient  vu  jadis 
qu'une  folie  de  carnaval,  émaillée  de  certaines  plaisanteries 
dont  quelques-unes  comme  «  Prenez  mon  ours  »  sont  deve- 
nues célèbres.  Cette  farce  au  gros  sel  pouvait-elle  se  trans- 
former en  comédie  musicale  ?  Bazin  l'avait  cru  ;  mais  ses 
personnages  s'étaient  glacés  au  cours  de  cette  adaptation  : 
sauf  Potel,  ni  Ponchard  ni  M""  Bélia,  substitués  à  Sainte- 
Foy  et  à  M'"«  Ugalde  qui  devaient  créer  deux  des  principaux 
rôles,  ni  Gouderc,  n'avaient  Fexubérance  nécessaire  à  de  telles 
bouffonneries,  et  sa  musique  elle-même  était  déjà  celle  d'un 
homme  avisé  qui,  jetant  les  yeux  du  côté  de  l'Institut,  con- 
traint sa  nature,  afin  de  mieux  affecter  les  belles  manières. 
Le  soir  de  ces  deux  petits  actes,  ce  fut  l'élève  qui  battit  le 
maître,  puisque  la  Cruche  cassée  devait  obtenir  vingt  et  une 
représentations  et  l'Ours  et  le  Pacha  cinq  seulement.  Mais  le 
battu  n'était  pas  content  et,  profitant  de  quelques  coupures 
faites  malgré  lui  avec  l'espoir  de  renflouer  son  ouvrage,  il 
intenta  un  procès  à  la  direction.  Le  tribunal  de  commerce 
ne  lui  accorda  pas  les  dommages-intérêts  qu'il  demandait, 
attendu,  disait-il,  «  que  Bazin  ne  saurait  imputer  à  de  Leuven 
d'avoir,  par  son  seul  fait,  occasionné  l'interruption  dans  les 
représentations  dont  il  s'agit;  qu'il  est  constant,  en  effet, 
qu'en  refusant  absolument  d'examiner  les  modifications  qui 
lui  étaient  proposées  par  la  direction  dans  l'intérêt  même  de 
l'œuvre,  et  confoj-mément  à  l'usage  suivi  en  cette  matière,  il  a  mo- 
tivé la  décision  prise  par  de  Leuven  ».  Seulement,  on  faisait 
défense  au  directeur  de  représenter  l'Ours  et  le  Pacha  avec 
les  coupures  pratiquées  et  on  le  condamnait  aux  dépens.  Celui-ci 
fit  disparaître  non  pas  les  coupures,  mais  la  pièce  elle-même, 
de  sorte  que  le  malheureux  plaideur  perdit  son  procès  tout 
en  ayant  l'air  de  le  gagner  :  sort  fatal  et  commun  au  pot 
de  terre  de  l'artiste,  toutes  les  fois  qu'il  voudra  se  heurter 
au  pot  de  fer  du  directeur. 

Les  semaines  qui  suivent  sont  occupées  par  deux  reprises 
d'ouvrages  d'Auber,  les  dernières  faites  au  théâtre,  de  son 
vivant  :  l'une,  le  24  février,  du  Premier  Jour  de  bonheur,  men- 
tionnée déjà  et  d'ailleurs  médiocre  par  l'interprétation  ;  l'autre, 
le  20  mars,  de  Fra  Diavolo,  intéressante  au  contraire  à  cause 
des  artistes,  qui  presque  tous  jouaient  leur  rôle  pour  la  pre- 
mière fois  :  Gapoul  (Fra  Diavolo),  Potel  (Cokbourg),  Leroy 
(Lorenzo),  Mirai  et  Masson  (deux  brigands)  M'"^  Priola  (Zer- 
line)  et  Cico  (Paméla).  Auber  lui-môme  avait  jugé  cette  re- 
prise assez  importante  pour  ajouter  à  son  ancienne  partition 
deux  morceaux  nouveaux  qui  peuvent  à  bon  droit  passer 
pour  son  chant  du  cygne.  Citons  aussi  pour  mémoire  une 
représentation  dite  extraordinaire,  et  assez  extraordinaire  en 
effet,  puisque  entre  Mignon  et  le  Café  du  Roi,  M"-  Patti  vint 
chanter  en  ilalien,  et  avec  la  troupe  des  Italiens,  le  second 
acte  de  la  Figliadel  reggimento.  C'était  le  prix  d'une  concession 
faite  à  M.  Bagier,  qui  voulait  donner  à  la  salle  Ventadour 
des  représentations  de  l'œuvre  de  Donizetti  avec  la  Patti 
comme  on  en  avait  donné  en  1850  avec  la  Sontag.  Il  fallait 
pour  cela  l'autorisation  de  l'Opéra-Comique,  lequel  l'accorda, 
mais  à  la  condition  que  la  première  aurait  lieu  chez  lui' 
combinaison  ingénieuse  qui  lit  tomber  dans  sa  caisse  en  un 
soir  13,278  fr.  80  c. 

Un  tel  bénéfice  compensait  presque  la  perte  que  devaient 
causer  au  théâtre  quelques  jours  plus  tard,  le  30  avril,  les 


deux  actes  de  la  malheureuse  Dea.  MM.  Cormon  et  Michel 
Carré  avaient  imaginé  un  livret  assez  bizarre,  montrant  dans 
les  pampas  une  pauvre  mère  qui  pleure  la  perte  de  sa  fille,, 
autrefois  ravie  par  les  Indiens.  Le  fils,  pour  consoler  la  mère, 
lui  présente  une  jeune  Indienne  qu'il  fait  passer  sans  trop 
de  peine  pour  la  jeune  Déa  retrouvée  ;  mais  lui-même  il 
s'éprend  de  cette  jeune  fille,  et  il  ne  peut  l'épouser  qu'en 
révélant  à  tous  le  secret  de  cette  supercherie  qu'il  avait  es- 
péré pouvoir  cacher.  Les  journalistes  furent  sévères  pour 
les  versificateurs  de  cette  comédie  sentimentale,  et  cruels 
pour  le  compositeur.  Les  plus  polis  dirent  que  M.  Jules  Cohen 
était  «  un  aimable  musicien  dont  la  plume  facile  et  élégante 
sent  son  boulevard  des  Italiens  d'une  lieue,  dont  la  phrase 
bien  coupée  parait  sortir  des  ateliers  de  Dusautoy  lui-même 
et  qui  semble  écrire  d'une  main  habile,  toujours  gantée  de 
blanc  ». 

jfme  Ugalde,  qui  «  rentrait  »  une  fois  de  plus  par  le  rôle 
de  la  mère,  ne  réunit  pas  l'unanimité  des  suffrages,  non  plus 
que,  six  semaines  après,  Montaubry,  «  rentrant  »  lui  aussi, 
après  avoir  composé  des  opérettes,  dirigé  les  Folies-Marigny, 
et  perdu  son  argent  sans  retrouver  sa  voix,  reparaissant 
le  12  juin  dans  le  Postillon  de  Lonjumeau,  puis  dans  Fra 
Diavolo,  et  donnant  ainsi  une  douzaine  de  représentations. 
Dans  la  pièce  de  M.  Jules  Cohen,  ce  fut  encore  une  débutante 
qui  tira  le  mieux  son  épingle  du  jeu,  M'"^  Zina  Dalti.  Elle 
arrivait  de  Bruxelles,  et  avait  assez  de  talent  pour  se  faire 
une  place  à  Paris,  comme  nous  aurons  l'occasion  de  le 
constater  parla  suite,  bien  qu'un  ac(;ident  de  fâcheux  présage 
eût  marqué  ses  premiers  pas  dans  la  salle  Favart.  Le  12  mai, 
en  effet.  Béa  ne  put  s'achever  ;  la  jeune  cantatrice  avait  été 
prise  d'une  indisposition  telle  qu'on  dut  la  transporter  à  son 
domicile,  et  que,  pendant  plusieurs  jours,  on  craignit  pour 
sa  vie.  Un  événement  analogue  s'était  produit,  le  23  sep- 
tembre précédent,  lors  d'une  représentation  de  la  Petite  Fadette; 
Barré,  entrant  en  scène,  avait  perdu  la  mémoire  et  presque 
l'usage  de  la  parole;  il  avait  fallu  baisser  le  rideau  et  rendre 
l'argent.  A  côté  de  ces  deux  artistes,  qui  jouaient  précisément 
dans  Déa,  un  débutant  avait  dû  se  produire,  qui,  tombé  ma- 
lade, lui  aussi,  fut  remplacé  au  dernier  moment  par  Leroy . 
C'était  un  nommé  Ghelly,  élève  de  Faure,  un  ténor  d'origine 
française,  mais  faisant  partie  d'une  troupe  italienne  qui  était 
allée  donner  des  représentations  à  Nantes.  Il  parut  enfin,  le 
12  juin,  dans  la  Fille  du  régiment  (rôle  de  Tonio),  à  côté  de 
M"''  Heilbron,  qui,  revenue  de  la  Haye,  chantait  Marie  pour 
la  première  fois,  et  bientôt  après  Philine  dans  Mignon. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


LOHENGRIN  DEVANT  LE  PUBLIC  PARISIEN 
Le  temps  était  beau,  l'autre  soir  ;  ot  sur  la  place  de  l'Opéra,  — 
chose  assez  extraordinaire  de  nos  jours  —  il  n'y  avait  pas  tant 
d'agents  de  police  que  la  circulation  en  pût  être  sérieusement  gênée. 
On  n'arrêtait  plus  les  promeneurs  et  j'en  ai  profité  pour  me  glisser 
dans  le  monument  de  M.  Garnier,  avec  l'espoir  d'y  goûter  en  paix 
les  doiiceurs  d'un  chef-d'œuvre  de  la  musique.  Car,  ai-je  besoin  de 
vous  le  dire,  on  jouait  Lohengrin. 

Oh  !  la  soirée  fut  très  calme.  Je  n'y  vis  pas  d'enthousiasme  débor- 
dant. Il  est  vrai  qu'on  y  musiquait  sous  l'oeil  sévère  de  gardes  muni- 
cipaux flanqués  aux  quatre  coins  de  la  salle  et  que,  quelque  admi- 
ration qu'on  puisse  avoir  pour  l'armée  française,  cela  jette  toujours 
un  certain  froid  de  voir  l'état  de  siège  transporté  en  plein  Opéra. 
Non,  ce  n'était  pas  de  l'enthousiasme;  le  wagnérisme  étant  pour 
beaucoup  une  sorte  de  religion,  on  nous  dira  peut-être  que  les 
spectateurs  méditaient  sévèrement  sous  l'empire  d'un  pieux  recueil- 
lement. Religion,  si  l'on  veut,  mais  religion  qui,  à  coup  sûr,  ne 
s'amusait  pas. 

Et  cette  impression  morne  n'avait  rien  vraiment  pour  nous  sur- 
prendre. Pourquoi  ne  pas  le  dire"?  Lohengrin  a  été  une  déception  pour 
les  Parisiens,  et  cela  devait  être.  Non  pas  que  cet  opéra  soit  si  fort 


LE  MENESTREL 


315 


à  dédaigner,  et  qu'avec  plusieurs  de  ses  très  belles  pages  il  ne  puisse 
tenir  très  dignement  sa  place  au  répertoire  de  l'Opéra  non  pas  au-dessus, 
mais  à  côté  de  Guillaume  Tell,  des  Huguenots,  de  Faust  ou  de  Roméo. 
Mais  voici  si  longtemps  qu'à  Paris  un  petit  clan  de  critiques  et  de 
musiciens  enragés  battent  la  grosse  caisse  autour  du  nom  de  Wagner, 
en  le  présentant,  non  sans  raison  d'ailleurs,  comme  un  révolutionnaire 
dans  le  drame  lyrique,  comme  un  destructeur  des  anciennes  formes 
usitées  et  un  novateur  extraordinaire,  qu'il  y  a  eu  une  surprise 
générale  pour  les  non  initiés,  —  c'est  le  plus  grand  nombre  —  en  se 
trouvant  vis-à-vis  d'un  opéra  qui  n'a  rien  de  subversif  et  qui  suit, 
la  plupart  du  temps,  les  sentiers  battus.  Le  public  a  retrouvé  là  les 
■chœurs  d'entrée  et  de  sortie,  les  ensembles  construits  selon  le  mode 
ancien  auquel  il  est  accoutumé  ;  par  instants  même  —  pi-oh  jmdor !  — 
il  s'est  senti  roulé  dans  des  formules  qui  lui  rappelaient  les  plus 
mauvais  temps  de  l'art  italien.  De  là  un  malentendu,  une  gêne  entre 
l'œuvre  et  ses  auditeurs^  et  comme  une  sorte  de  glace  réfrigérante 
qui  est  tombée  sur  des  esprits  qui  ne  demandaient  pourtant  qu'à 
s'exciter.  J'ai  entendu  traiter  Loheiigrin  «  d'œuvre  déjà  démodée  »  ! 

Il  est  probable  qu'avec  le  temps  —  et  même  très  prochainement 
—  celte  glace  se  fondra  d'elle-même  et  qu'on  rendra  plus  de  justice 
aux  véritables  mérites  de  Lohengrin,  en  plaçant  cette  œuvre  au  rang 
qu'elle  doit  occuper  légitimement  au  répertoire  de  tout  théâtre  de 
musique,  c'est-à-dire  ni  trop  haut  ni  trop  bas.  Elle  peut  vivre  en 
bonne  intelligence  avec  les  partitions  que  nous  avons  coutume 
d'applaudir  depuis  plus  de  trente  années.  Elle  est  de  la  même 
■époque  et  aussi  de  la  même  famiUe,  à  bien  peu  de  chose  près. 

Nous  comprenons  fort  bien  que  Richard  Wagner  et  ses  partisans 
les  plus  exaltés  aient  toujours  fait  assez  peu  de  cas  de  cet  ouvrage. 
■C'était  tout  au  plus  une  œuvre  de  transition,  et  ce  n'est  pas  là  qu'il 
faut  chercher  la  loi  nouvelle  et  son  prophète. 

MM.  Rilt  et  Gailhard  pourraient  bien  s'être  trompés  dans  leurs 
calculs  en  représentant  Lohengrin  et  n'en  pas  tirer,  malgré  la  parci- 
monie de  leur  mise  en  scène  (quels  costumes  et  quels  décors!), 
tous  les  bénéfices  qu'ils  en  espéraient.  Il  fallait  laisser  Lohengrin  à 
la  province  et,  par  un  coup  d'audace,  trancher  de  suite  dans  le 
vif  en  nous  donnant  Parsifal  ou  la  Valkyrie.  Un  souffle  d'art 
nouveau  eût  alors  passé  sur  Paris  et,  au  milieu  des  ennuis  incom- 
mensurables inhérents  à  toute  œuvre  de  Wagner,  au  travers  de 
brumes  souvent  épaisses,  on  eût  du  moins  découvert  à  trois  ou  à 
■quatre  reprises  des  sommets  d'art  tellement  élevés  que  l'admiration  en 
eût  été  forcée.  Je  ne  suis  pas  convaincu  que  les  drames  de  Wagner 
puissent  en  leur  entier  s'acclimater  facilement  en  France.  Wagner 
a  tenu  à  créer  un  «  art  essentiellement  allemand  »  et  il  y  a  réussi  à 
■ce  point  que  son  œuvre,  même  dans  ses  beautés,  semble  une  pro- 
vocation constante  au  génie  des  races  latines.  Mais  il  y  eût  eu 
honneur  à  nous  présenter  le  grand  musicien  tel  qu'il  fat  dans  son 
épanouissement,  et  non  lorsqu'il  hésitait  encore  sur  la  route  à 
suivre. 

La  timidité  de  M.  Rilt  —  on  n'est  pas  audacieux  à  cet  âge  — 
n'a  pas  cru  devoir  aller  au  delà  de  Lohengrin.  Encore  eût-il  dû 
nous  présenter  cette  œuvre  dans  les  meilleures  conditions  possibles 
•d'exécution.  Y  a-t-il  réussi?  Non.  Pour  tout  esprit  impartial,  l'in- 
terprétation de  Lohengrin  n'est  rien  moins  qu'excellente.  Et  c'est 
surtout  du  côté  de  l'orchestre,  ce  facteur  principal  des  œuvres  de 
Wagner,  qu'elle  laisse  tout  à  fait  à  désirer.  Nous  avons  bien  eu  la 
note  impeccable  et  rigide  de  la  partition,  mais  nous  n'eu  avons 
pas  eu  l'âme.  Précision  louable  assurément,  mais  aussi  séche- 
Tesse  désespérante.  Et  que  de  lourdeur  partout  répandue  !  Nulle 
envolée,  nulle  flamme,  rien  enfin  de  ce  qui  anime  une  œuvre  et  la 
fait  vivre.  Encore  une  légende  qui  s'en  va  que  celle  de  M.  Lamou- 
reux  grand  chef  d'orchestre  ! 

H.    MORENO. 

Gymnase.  Numa  Roumestan,  pièce  en  i  actes  et  o  tableaux,  de  M.  A.  Daudet. 
—  Variétés.  La  Cigale,  comédie  en  3  actes,  de  MM.  II.  Meilhac  et  L. 
Halévy. —  Gaité.  Le  Voyage  de  Suzette,  pièce  à  grand  spectacle  en  3  actes, 
et  12  tableaux,  de  MM.  Duru  et  Chivot. 

Le  Gymnase  vient  de  donner  Numa  Roumestan,  la  pièce  de  M.  Al- 
phonse Daudet  applaudie  an  février  1887  à  l'Odéon,  et  la  réussitejde 
l'œuvre  au  Théâtre  de  Madame  ne  nous  a  pas  semblé  aussi  com- 
plète qu'il  y  a  quatre  ans  au  second  Théâtre-Français.  Les  défauts 
de  la  comédie,  principalement  dans  les  deux  premiers  actes,  nous 
ont  para  cette  fois  beaucoup  plus  tangibles.  Est-ce  la  faute  de 
l'auteur,  qui  a  resserré  son  action  autant  que  faire  se  pouvait,  en 
sacrifiant  des  détails  qui  n'étaient  point  indispensables?  Est-ce 
plutôt  la  faute  des  interprètes"?  Il  est  absolument  certain  que,  mal- 


gré tout  le  talent  déployé  par  M.  Duflos,  dans  le  rôle  créé  par 
M.  Paul  Mouuet,  Numa  Roumestan  nous  a  fait  l'effet  d'être  un  peu 
trop  poussé  à  la  caricature.  Ce  qui  produit  toujours  grande  sensa- 
tion, et  ce  qui  assure  le  succès,  ce  sont  les  deux  émouvants  ta- 
bleaux du  troisième  acte,  dans  lesquels  M""  Sisos  et  son  partenaire, 
ont  fait  preuve  d'une  grande  sûreté  de  jeu  et  d'une  émotion  complète- 
ment sincère.  Un  rôle  de  la  version  primitive  a  disparu,  celui  de  la 
mère  d'Hortense  Duquesnoy,  la  pauvre  petite  poitrinaire,  entraînant 
avec  lui  la  suppression  d'une  scène  qui  n'était  point  sans  intérêt. 
En  dehors  de  M"""  Sisos  et  de  M.  Duflos,  que  j'ai  déjà  nommés,  il 
est  ds  toute  justice  de  complimenter  MM.  Burguet  et  Hirsch,  l'un 
bon  vivant  et  l'autre  très  naturel,  MM.  Nertann,  Plan,  Masset  etNoël. 
M"""  Desclauzas  nous  a  donné  une  très  amusante  tante  Portai, 
M"'^  Depoix  une  ravissante  Hortense,  tandis  que  M""  Lécuyer,  sous 
les  traits  de  la  petite  Bachellery,  n'a  pu  que  nous  faire  regretter 
M"'=  Cerny. 

«  Je  t'aima,  ma  petite  Cigale  »...  et  le  public  s'associe  grande- 
ment à  ce  cri  du  cœur  poussé  par  Marignan-Dupuis;  et  non  seule- 
ment, il  aime  la  Cigale-Réjane,  mais  il  aime  encore  ses  deux  pères, 
MM.  Meilhac  et  Halévy,  le  susnommé  Mariguan,  Carcassonne-Baron 
et  Edgar-dLassouche.  M"^  Réjane  a  été,  toute  la  soirée,  absolument 
exquise;  bohémienne,  demoiselle  du  grand  monde,  amoureuse,  elle 
a  détaillé  tous  les  côtés  de  son  rôle  avec  un  esprit,  un  charme  et 
une  maestria  tout  à  fait  surprenants.  M.  Dupuis  demeure  un  Mari- 
gnan  étonnant  de  naturel,  tandis  que  M.  Baron  est  bien  le  plus 
étourdissant  directeur  de  baraque  foraine  que  l'on  puisse  rêver  et 
que  M.  Lassouche  est  l'amoureux  comique  par  excellence.  MM.  Chal- 
min,  Raiter,  Duplay,  M"''  Crouzel,  Verlival  et  Claudia  pâlissent 
bien  un  peu  d'un  tel  voisinage;  leur  bonne  volonté  et  leur  grâce 
n'en  aident  pas  moins  au  succès  de  la  si  amusante  comédie  de 
MM.  Meilhac  et  Halévy.  Voilà  le  théâtre  des  Variétés  assuré  d'une 
bonne  série  de  Teprésentations,  et  la  Cigale  certaine  de  ne  point  se 
trouver  dépourvue  quand  la  bise  sera  venue. 

A  la  Gaîté,  on  a  repris  le  Voyage  de  Suzette,  l'amusante  pièce  à 
spectacle  de  MM.  Duru  et  Chivot.  L'attrait  de  la  soirée  consistait 
dans  les  débuts  de  M"«  Gassive,  une  étoile  de  café-concert  fort 
remarquée  lors  de  la  dernière  reprise  du  Petit  Faust  à  la  Porte-Saint- 
Martin,  dans  un  tout  petit  bout  de  rôle,  et  aussi  dans  l'exhibition, 
sur  la  scène  même,  des  étonnants  éléphants  de  Sam  Lockharl.  J'en 
fais  toutes  mes  excuses  à  la  nouvelle  et  ravissante  Suzelte,  mais  la 
vérité  m'oblige  à  dire  que  le  publie  a  fêté  surtout  ces  très  curieux 
pachydermes  dont  le  dressage  est  merveilleux.  M""  Cassive,  qui  est 
une  fort  jolie  personne,  douée  d'une  petite  voix  que  l'émotion  déna- 
turait le  soir  de  la  première,  a  vaillamment  soutenu  la  lourde  tâche 
de  succéder  à  M""  Simon-Girard.  MM.  Vauthier,  Alexandre,  Fugère, 
Dacheux  et  M"=  Gélabert  enlèvent  avec  leur  entrain  habituel  ces 
trois  actes  qu'on  a  déjà  vus  et  revus  et  qu'on  ira,  très  certaine- 
ment, revoir  encore. 

P:>.ul-Éjiile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE   MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATlOf 

(Suite) 


CHAPITRE  VI 


LOUIS-PHILIPPE   ET   LA   II"   RÉPUBLIQUE 

Réduits  au  silence  par  le  bruit  de  la  fusillade,  les  archets  ne  tar- 
dent pas  à  prendre  leur  revanche,  et  les  théâtres,  rouverts  le  4  août, 
luttent  entre  eux  à  coups  de  nouveautés.  Drames,  comédies,  opéras- 
comiques,  vaudevilles,  ne  vont  avoir  qu'un  héros  dont  les  ovations 
sans  fin  salueront  l'apothéose  :  l'Empereur,  incarné  par  Virginie  Dé- 
jazet,  Gobert,  Francisque,  Frederick  et  tant  d'autres. 

L'École  royale,  qui  a  repris  son  enseigne  d'autrefois,  reste  modes- 
tement à  l'écart.  Parmi  les  soixante  lauréats  récompensés  le  28  no- 
vembre, relevons  les  noms  de  Dolphin  Alard  et  de  Dérivis.  Hector 


31  () 


LE  MEiNESTlŒL 


Berlioz,  grand  prix  de  Kome  de  l'année,  offre  aux  mélomanes  une 
audition  ûe  ses  œuvres  le  S  décembre  au  bénéfice  des  blessés  de 
juillet. 

Tout  régime  nouveau  a  soif  de  réformes;  respectueux  de  la  tra- 
dition, Louis-Philippe  apportera  plus  d'une  modification  au  Conser- 
vatoire en  1831. 

Placée  sous  la  dépendance  du  ministre  du  commerce  et  des 
travau.\  publics,  dotée  d'un  conseil  de  surveillance  que  présidera 
le  duc  de  Choiseul,  l'Ecole  verra  la  suppression  de  la  classe  spé- 
ciale de  déclamation  fondée  l'année  précédente,  mais  en  échange 
de  celte  perte,  deux  classes  nouvelles  seront  instituées  «  pour  les 
personnes  des  deux  sexes  qui  voudraient  se  consacrer  à  la  profes- 
sion de  choristes.  »  Permission  est  accordée  aux  élèves  de  paraître 
sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique,  en  qualité  do  choryphées. 


La  garde  nationale  est  l'idole  du  jour,  encensée  dans  les  théâtres, 
adorée  dans  les  rues.  Le  Conservatoire  sacrifie,  lui  aussi,  au  nouveau 
culte,  et  tous  les  musiciens  de  l'orchestre  ont  revêtu  l'uniforme  vé- 
néré le  30  janvier,  pour  la  séance  de  réouverture,  au  bénéfice  des 
blessés  de  juillet. 

Paganini  triomphe  à  l'Opéra  en  une  série  de  concerts  dont  les  re- 
cettes sont  si  brillantes,  qu'au  dire  d'un  calculateur,  chaque  mesure 
rapporte  12  francs  au  célèbre  violoniste;  le  quart  de  soupir  est 
coté  7S  centimes. 

Choron,  auquel  le  nouveau  régime  a  retiré  toute  subvention,  s'en- 
tend avec  la  direction  de  Tivoli  pour  organiser  trois  fois  la  semaine, 
durant  l'été,  de  grands  concerts  de  musique  classique. 

Les  élèves  du  Conservatoire  paraissent  pour  la  première  fois  dans 
la  cérémonie  funèbre  du  27  juillet,  au  Panthéon,  mêlés  aux  SOO  mu- 
siciens qui  exécutent,  en  présence  du  roi  et  de  l'empereur  du  Brésil, 
la  Marche  de  Cherubini,  l'Hymne  écrit  par  Herold  sur  le  poème  de 
Victor  Hugo,  la  prière  de  Moise  et  le  chœur  de  Caslor  et  Pollux. 

L'impression  laissée  par  les  concours  de  1831  sera  médiocre,  au 
dire  des  feuilles  spéciales  qui  colportent  avec  plaisir  cette  définition 
du  Conservatoire  :  «  Une  cage  où  l'on  élève  des  canards  qu'on  nous 
vend  pour  des  rossignols.  »  Parmi  les  prétendus  palmipèdes,  figurent 
cependant  Prosper  Derivis,  Revial,  M'i»  Cornélie  Falcon.  A  citer 
aussi  Lecarpenlier,  Deldevez,  Pasdeloup,  Prudent,  Besozzi. 

«  C'était  une  véritable  fête  de  famille,  écrit  l'Eiitr'acle,  bien 
niaise,  bien  paternelle;  c'était  une  comédie  bien,  bourgeoise,  et  vous 
savez  comme  il  est  peu  amusant  d'assister  à  la  comédie  en  plein 
jour —  Les  jurés,  ces  hommes  qui  sont  tenus  de  ne  pas  se  livrer  à 
leurs  émotions,  d'après  le  règlement,  prennent  le  parti  de  dormir, 
jusqu'au  moment  oîi  il  faut  choisir  le  lauréat....   » 

On  accuse  Cherubini  de  ne  pouvoir  souffrir  la  Marseillaise  et  de 
mal  dissimuler  sa  froideur  pour  la  Parisienne. 

Quelques  fragments  de  dialogue  nous  donnent  l'opinion  du  public 
dilettante: 

—  On  parle  de  la  réforme  du  Conservatoire  ? 

—  Elle  se  borne  à  réformer  cinq  professeurs.  » 

—  Entre  nous,  dites-moi  donc  ce  qu'il  conserve? 

—  L'habitude  d'aller  mal,  et  rien  de  plus.  » 

Malgré  les  troubles  constants,  les  craintes  causées  par  l'approche 
du  choléra,  l'année  théâtrale  a  fourni  Tr2  ouvrages,  dus  à  172  au- 
teurs :  2  tragédies,  27  drames,  19  comédies,  21  opéras,  30  mélo- 
drames, 2  ballets,  171  vaudevilles. 


Dans  la  soirée  du  28  mars  1832,  tandis  que  M'"  Taglioni  danse 
la  Sylphide,  le  bruit  se  répand  à  l'Opéra  que  la  présence  du  choléra- 
morbus  est  officiellement  constatée.  Un  homme  est  mort  dans  la  rue 
Mazarine  ;  quelques  heures  plus  tard,  neuf  malades  sont  reçus  à 
l'Hôtel-Dieu. 

Le  fléau  va  se  propager,  frappant  de  droite  et  de  gauche,  affolant 
la  population.  Contre  cette  terreur  on  voudrait  réagir:  pas  un  théâtre 
ne  ferme,  les  nouveautés  se  multiplient  mais  rien  ne  peut  contre 
l'effrayante  éloquence  des  chiffres  publiés  chaque  jour. 

Il  se  trouve  cependant  encore  des  mélomanes  intrépides  pour 
remplir  la  salle  des  Menus-Plaisirs,  oîi  la  société  joue  au  bénéfice 
des  anciens  pensionnaires.  Un  concerto,  composé  et  exécuté  par 
Alkan,  remporte  un  succès  si  brillant  qu'il  est  désigné  comme  mor- 
ceau de  concours  pour  le  mois  d'aoùl. 

Cette  année-là,  le  grand  prix  de  Rome  est  décerné  à  M.  Ambroise 
Thomas,  élève  de  Lesueur   et  de  Barbereau,  déjà  jugé  digne  d'une 


mention.  Son  concurrent  Lagrave  meurt  de  chagrin  quelques  jours 
après. 

Puis  voici,  le  choléra  disparu,  le  triomphant  début  do  M""  Falcon 
dans  Robert  le  Diable,  les  fêtes  données  pour  le  mariage  du  roi  Léo- 
pold  avec  la  princesse  Louise,  tout  un  renouveau  de  théâtre,  de 
musique,  de  mouvement.  Dans  l'Odéon  réparé,  la  Comédie-Française 
avec  M"'  Mars,  jouera  deux  fois  chaque  semaine,  et  l'Opéra-Comique 
autant. 

Les  concours  avaient  mis  en  lumière  Ravina,  Leudet,  Potier.  Mar- 
monlel  et  surtout  M""  Doulx,  à  laquelle  on  promettait  une  éblouis- 
sante carrière.  Les  prix  sont  distribués  le  5  décembre  par  le  duc 
de  Choiseul,  qui  rend  un  public  hommage  à  M""  Damoreau,  «  le  charme 
et  la  gloire  de  la  scène  »,  nommée  à  une  classe  de  chant  en  rem- 
placement de  Rigaud. 

«  Le  Conservatoire,  annonce  le  président,  possède  en  ce  moment 
304  élèves  :  196  hommes  et  108  jeunes  demoiselles  :  102  ont  été 
admis  au  concours,  et  48  prix  et  S  accessils  ont  été  décernés.   » 


Les  aimées  se  suivent  et  se  ressemblent  :  concerts  sur  concerta, 
le  bénéfice  de  M''"  Dorval  à  l'Opéra  succédant  à  celui  de  M""  Déja- 
zet  à  Tivoli,  symphonies  de  Beethoven  alternant  avec  des  frag- 
ments de  Cherubini,  et  nous  arrivons  au  28  juillet  1833,  signalé  par 
le  festival  monstre  des  Tuileries.  Sous  la  conduite  d'Habeneck, 
5U0  musiciens,  parmi  lesquels  de  nombreux  élèves  du  Conservatoire, 
attaquent  l'ouverture  de  la  Gazz.a  Ladra,  la  prière  de  la  Muette,  le 
chœur  de  et  Tarare  la  prière  de  Berlioz.  Un  roulement  exécuté  par 
300  tambours  a  annoncé  le  commencement  de  la  fête. 

Succès  tel  que  l'Opéra  s'empare  du  programme  et  l'offre  le  9  août, 
diminué  du  tonnerre  de  ra  et  de  fia,  entre  deux  actes  de  Guillaume 
et  des  fragments  de  Mars  et  Vénus. 

Dans  la  liste  des  lauréats,  M""  Nau,  Prudent,  Groisilles,  Clapisson, 
Labro,  Nargeot,  Croharé. 

Quelques  jours  avant  la  distribution  des  prix,  on  signale  aux  ama- 
teurs les  Etudes  de  Frédéric  Chopiu,  jeune  compositeur  polonais, 
remarquables  parla  progression  habile  dans  les  difficultés. 


1834.  —  Un  événement  inattendu  :  l'École,  rompant  avec  la  rou- 
tine, ouvre  aux  amateurs,  le  27  mai,  la  salle  des  Menus-Plaisirs 
transformée  en  théâtre.  Tout  étonnés  de  pouvoir  pratiquer  en  public 
les  leçons  qu'ils  reçoivent  dans  les  classes,  les  élèves  jouent  la  Fête 
du  village  voisin  et  les  Maris  garçons,  soutenus  par  un  orchestre  que 
dirige  Habeneck. 

Le  lo  juillet,  nouvelle  expérience.  Dans  le  Tableau  parlant,  les 
applaudissements  vont  droit  à  M""  Fargueil.  «  Cette  jeune  élève, 
écrit  le  Ménestrel,  est  remarquable  par  la  pureté  de  son  chant  et 
l'expression  de  son  dialogue  ;  il  y  a  un  bel  avenir  musical  chez 
cette  enfant.  » 

Dans  l'intervalle  des  deux  exercices,  l'Institut  couronne  la  can- 
tate d'Elwart,  œuvre  de  circonstance  s'il  en  fut  jamais  :  L'entrée  en 
loge  d'un  jeune  compositeur  qui  aspire  au  grand  prix.  Alexis  Dupont 
interprète  à  merveille  les  transes  et  l'espoir  du  candidat. 

La  salle  des  Menus-Plaisirs  est  encore  livrée  aux  ouvriers  quand 
arrive  le  moment  des  concours  ;  force  est  de  se  contenier  du  petit 
théâtre  et  de  limiter  à  l'excès  le  nombre  des  spectateurs.  Peu 
d'assistants  sont  appelés  à  entendre  la  harpe  de  Godefroid  ou 
l'orgue  de  Lefébure,  la  vocalisation  de  M"'  Fargueil,  M""  Nau  ou 
M"=  Calvé. 

L'intimité  de  ces  réunions  a  rendu  le  jury  moins  implacable  :  à 
l'issue  d'un  concours,  la  pluie  de  récompenses  est  telle  que  l'huis- 
sier, un  brave  homme  adorant  les  élèves,  ouvre  à  deux  battants  la 
porte  du  petit  foyer  et  crie  d'une  voix  éperdue  :  «  Venez  tous  ' 
venez  tous  !   » 

Tandis  que  les  couronnes  s'entassaient  rue  Bergère,  on  célébrait 
aux  Invalides  le  service  solennel  de  Choron,  ce  grand  ennemi  du 
Conservatoire.  Les  cent  jeunes  élèves  de  son  institution  chantaient 
sans  accompagnement  le  Alla  riva  de  Palestrina. 

Dans  la  même  église,  le  13  octobre,  entrait  le  cercueil  de  Boiel- 
dieu,  précédé  de  la  musique  de  la  garde  nationale,  suivi  d'une 
foule  innombrable.  Les  artistes  de  l'Opéra  trouvaient  aux  Invalides 
seulement  l'indépendance  du  programme  et  ce  jour-là,  réunis  à 
l'Opéra-Comique  et  au  Conservatoire,  ils  allaient  rendre  un  éclatant 
hommage  au  maître  tant  acclamé.  Martin,  Ponchard,  Nourrit,  Thé- 
narJ,  Dérivis,  Habeneck,  Baillot,  étaient  aux  côtés  de  leurs  jeunes 
camarades. 


LE  MENESTREL 


317 


Les  Mémoires  de  Berlioz,  si  débordants  de  rancune  pour  l'injus- 
tice de  ses  contemporains,  s'accordent  mal  avec  les  feuilletons  de 
l'époque.  Les  trois  concerts  donnés  en  novembre  sont  fort  encou- 
ragés, encaissent  d'honorables  recettes,  et  le  duc  d'Orléans  a  voulu 
assister  à  la  séance. 


(A  suivre.) 


André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (J"'  octobre).  —  La  chance  qui  avait 
favorisé  la  direction  au  début  de  la  saison  théâtrale  semble  l'abandonner 
un  peu  maintenant.  Le  répertoire  d'opéra-comique  semble  particulière- 
ment compromis.  Je  vous  ai  dit  l'échec  complet  de  M"""  Smith-Bauvelt 
dans  Mireille,  qu'elle  a  chantée  deux  fois  pour  disparaître  ensuite  défini- 
tivement. M"«  Darcelle,  dans  Lakmé,  n'a  réussi  qu'à  moitié.  Sa  jolie  voix, 
bien  assouplie,  a  paru  bien  mince  sur  la  vaste  scène  de  la  Monnaie,  et 
son  interprétation  incolore  n'a  pu  efl'acer  le  souvenir  des  précédentes  in- 
terprètes. Dans  le  Barbier,  M""  Darcelle  sera  mieux  à  sa  place  ;  mais  ne 
va-t-on  jamais  jouer  que  ceb,  cette  année,  à  la  Monnaie?  En  résumé,  la 
direction  se  trouve  fort  embarrassée  ;  elle  a  perdu  beaucoup  de  temps  à 
préparer  des  ouvrages  qu'elle  doit  abandonner;  et  elle  n'a  rien  pour  les 
remplacer.  Aussi  hâte-t-on  la  reprise  des  Huguenot':.  Ce  n'est  pas  tout  à 
fait  une  nouveauté,  direz-vous  ;  mais  la  principale  interprète  sera 
M"=  Chrétien,  la  seule  nouvelle  venue  qui  ait  réellement  réussi  jusqu'à 
présent.  Autre  malchance,  avec  M™  Melba.  La  diva,  qui  devait  nous 
donner  trois  représentations,  est  arrivée  à  Bruxelles  affligée  d'un  rhume 
qui,  après  avoir  fait  retarder  sa  première  apparition  et  lui  avoir  enlevé 
la  moitié  de  ses  moyens  le  jour  où  elle  a  chanté  Rigoletto,  l'a  forcée  fina- 
lement à  interrompre  ses  représentations  et  à  quitter  Bruxelles;  le  bureau 
de  location  avait  été  assiégé;  on  a  dû  lever  le  siège  et  rendre  l'argent. 
Ajoutez  à  tout  cela  le  beau  temps,  qui  n'est  guère  favorable  aux  théâtres. 
—  Je  vous  parlais  plus  haut  de  Lakmé.  Cette  reprise,  à  part  M"=  Darcelle 
et  quelques  petits  rôles,  assez  mal  tenus,  n'a  pas  été  mauvaise  cependant; 
on  a  fait  un  certain  succès  au  ténor,  M.  Leprestre,  toujours  terriblement 
affecté,  mais  dont  la  jolie  voix  ne  manque  pas  d'agrément;  et  M.  Badiali 
est  excellent  dans  le  rôle  de  Frédéric,  qui,  bien  que  secondaire,  devient, 
grâce  à  lui,  l'un  des  plus  intéressants  de  l'œuvre.  L'orchestre,  dirigé  cette 
fois  par  M.  Flon,  dont  c'était  «  la  rentrée  »,  a  eu  des  nuances,  de  la  dé- 
licatesse et  de  la  couleur,  toutes  choses  qui  lui  avaient  totalement  manqué 
l'an  dernier.  L.  S. 

—  A  propos  du  centenaire  de  la  naissance  de  Rossini,  qui,  on  le  sait, 
tombe  le  29  février  1892,  nous  lisons  ce  qui  suit  dans  l'Adriatico,  de 
Pesaro,  ville  natale  du  maitre  :  —  «  Notre  junte  municipale,  bien  que 
depuis  peu  au  pouvoir,  travaille  activement,  avec  beaucoup  d'ardeur  et 
d'amour  de  la  patrie,  à  rendre  dignes  de  Pesaro  et  du  grand  cygne  pésa- 
rais  les  fêtes  prochaines  du  centenaire  de  la  naissance  de  Rossini.  Dans 
ce  but,  la  junte  a  provoqué  la  formation  d'un  comité  citoyen,  que  l'on 
peut  considérer  déjà  comme  constitué,  et  qui  certainement,  étant  donnés 
les  noms  des  personnes  qui  en  font  partie,  lui  prêtera  un  concours  très 
efficace.  Coopéreront  en  outre  au  succès  des  fêtes  le  Lycée  musical  Ros- 
sini, qui  sent  toute  l'importance  de  ce  qu'il  doit  faire  pour  honorer  de  la 
meilleure  façon  la  mémoire  de  celui  auquel  il  doit  la  vie,  et  l'Acadé-mie 
Rossini,  qui,  nous  en  sommes  certain,  déploiera  en  cette  circonstance  tout 
son  zèle  et  toute  son  ardeur.  Nous  savons  aussi  qu'avec  la  junte  munici- 
pale et  les  représentants  du  Comité  citoyen,  de  l'Académie  et  du  Lycée 
Rossini  on  constituera  un  comité  organisateur  des  fêtes,  comité  qui  s'oc- 
cupera promptement  de  dresser  un  programme  que  nous  serons  chargés 
de  porter  à  la  connaissance  de  nos  lecteurs.  Ce  ne  sont  ici  que  les  pre- 
mières nouvelles  du  commencement  de  ce  qu'on  doit  faire  et  que  l'on  fera 
pour  solenniser  dignement  le  centenaire  de  la  naissance  du  maitre,  et 
nous  sommes  assurés  que  tout  concourra  à  la  gloire  de  celui  qu'on  veut 
honorer...  Dans  d'autres  villes  italiennes,  dans  d'autres  villes  européen- 
nes et  nous  dirons  même  du  monde  entier,  on  prépare  de  grandes  fêtes  et 
des  honneurs  solennels  à  la  mémoire  de  Gioacohino  Rossini.  Ce  fait  nous 
réjouit  l'âme  et  nous  enorgueillit,  parce  qu'il  nous  prouve  toujours  da- 
vantage que  Rossini  est  un  génie  universel  que  tout  l'univers  artisti- 
que honore  et  admire.  Mais  la  véritable  fête,  celle  qui  à  tous  égards  doit 
être  surtout  considérée  et  sur  laquelle  tous  les  regards  doivent  se  fixer, 
est  précisément  celle  qui  sera  célébrée  ici,  dans  notre  Pesaro,  dans  la 
ville  qui  a  donné  le  jour  au  maitre  immortel,  dans  la  ville  que  Rossini 
aima  tant  et  préféra  toujours,  dans  la  ville  où  il  a  voulu,  par  l'institution 
du  Lycée  musical,  élever  son  plus  beau  et  son  plus  grandiose  monument. 
Et  nous  avons  la  confiance  que  partout  sera  reconnu  le  droit  de  préséance 
que  revendique  Pesaro,  et  que  de  partout  nous  sera  donné  un  large  et 
puissant  concours  pour  que  la  fête  de  Pesaro  soit  la  fête  du  monde  artis- 
tique tout  entier.  » 

—  Le  théâtre  Valle,  de  Rome,  qui  comptait  jadis  au  nombre  des  scènes 
lyriques  italiennes  les  plus  importantes  et  qui  depuis  vingt  ans  s'était 
consacré   au   genre   de   la  comédie,  retourne  à  ses   premières  amours  et 


redevient  un  théâtre  musical.  Il  rouvrira  ses  portes  dans  le  courant  du 
mois  d'octobre,  avec  un  répertoire  comprenant  Faust,  la  Favorite,  les  Puri- 
tains, et  un  opéra  nouveau,  Albina,  du  au  compositeur  Ernesto  Rossi  — 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le  célèbre  tragédien  du  même  nom. 

—  Voilà  qui  devient  grave.  Le  Trovatore  nous  apprend  qu'une  grande 
mandolinata  aura  lieu  à  Palerme  lorsque  le  roi  et  la  reine  iront  inaugurer 
l'Exposition  de  Palerme  et  qu'à  ce  concert  de  mandolines  prendront  part 
cent  cinquante  jeunes  filles  I  On  exécutera  à  cette  occasion  les  œuvres  sui- 
vantes :  Inno  alla  Regina,  de  M.  Graziani  "Walter  ;  Sérénade  de  circonstance, 
de  M.  Miceli,  directeur  du  conservatoire  de  Palerme;  puis,  une  Gavotte  à 
grand  orchestre  de  M.  La  Verde,  et  des  Scènes  pastorales  pour  douze  harpes 
de  M.  Bellotta.  A  la  suite  de  l'inauguration,  le  concert  sera  exécuté  une 
seconde  fois  dans  les  locaux  de  l'Exposition,  avec  adjonction  de  deux  mor- 
ceaux nouveaux  :  Vita  Palermitana,  valse  de  circonstance  de  M.  Graziani 
Walter,  et  Salut  à  Cadix,  sérénade  à  grand  orchestre  de  M.  Stroncone. 

—  Les  Palermitains  ne  se  refusent  rien,  d'ailleurs,  pour  leur  Exposition. 
C'est  avec  un  accent  de  véritable  fierté  que  les  journaux  italiens  nous  font 
connaître  le  coup  d'éclat  par  lequel  1  avocat  Carlo  di  Giorgi,  imprésario  du 
Politeama  de  Palerme,  vient  de  se  di-stinguer.  M.  di  Giorgi,  en  effet,  vient 
d'engager  pour  six  représentations  M"»  Melba,  et  l'un  d'eux  s'écrie  à  ce 
sujet  :  «  Les  Palermitains  auront  donc  la  fortune  d'entendre,  les  premiers 
en  Italie,  cette  jeune  artiste  splendide  par  sa  beauté  et  par  son  grand  ta- 
lent, et  qui  aujourd'hui  est  comptée  parmi  les  dive...  qui  sont  bien  peu 
nombreuses.  Combien  et  combien  de  grands  théâtres  d'Italie  envieront 
Palerme  pour  cette  précieuse  acquisition  !  » 

—  C'est  vendredi  dernier  que  le  théâtre  de  la  Pergola,  de  Florence,  a  fait 
sa  réouverture  avec  Hamlel,  joué  par  M""  Calvé  et  M.  Lhérie,  sous  la  nouvelle 
direction  de  M.  Sonzogno.  Brillant  succès.  La  troupe  de  la  Pergola  doit 
aussi  se  rendre  prochainement  au  Gostanzi  de  Rome,  où  elle  doit  offrir  au 
public  le  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  l'Amico  Frits.  A  ce  sujet,  on  écrit 
de  Rome  à  un  journal  de  Milan  que  l'ouvrage  sera  joué  par  M""  Calvé 
(Suzel),  M.  De  Lucia  (Fritz),  et  M.  Lhérie  (le  rabbin),  en  place  de 
M.  Maurel,  primitivement  désigné;  rien  ne  paraît  encore  fixé  définitive- 
ment quant  au  rôle  du  bohémien,  bien  qu'on  assure  cependant  que 
M.  Mascagni  et  M.  Sonzogno  sachent  parfaitement  à  quoi  s'en  tenir  à 
ce  sujet.  M.  Mascagni,  en  ce  moment  à  Cerignola,  met  la  dernière  main 
à  l'instrumentation  de  sa  partition  ;  il  se  rendra  prochainement  à  Rome, 
pour  surveiller  les  répétitions.  L'Amico  Fritz  ne  sera  plus  précédé  du 
poème  symphonique  avec  chœur  Invisible  intitulé  la  Primavera,  dont  le 
compositeur  avait  déjà  établi  le  thème  ;  celui-ci  sera  remplacé  par  un 
simple  prélude.  Pour  le  reste,  l'ouvrage  n'a  subi  aucune  modification  de- 
puis l'audition  particulière  qui  en  a  été  donnée  il  y  a  quelques  mois 
dans  un  des  foyers  du  Gostanzi. 

—  On  annonce  comme  prochaine  au  théâtre  Spence,  de  Fiesole,  l'ap- 
parition d'un  opéra  nouveau,  Nelhj,  dû  à  la  collaboration  de  MM.  Nen- 
ciani  pour  les  paroles  et  Icilio  Monti  pour  la  musique.  Les  interprètes 
seront  M™  Baldelli,  le  ténor  Galamari,  le  baryton  Burci  et  le  bouffe  AUegri. 

—  A  Varèse,  première  représentation  de  Roncisval,  opéra  en  trois  actes 
du  maestrio  Enrico  Bertini,  tort  bien  chanté  par  M"=  Mazzi,  MM.  Maina, 
Ratti  et  Castagnoli.  Bonne  interprétation,  très  bonne  exécution  de  la  part 
de  l'orchestre  et  des  chœurs,  très  belle  mise  en  scène,  succès,  12  rappels 
au  compositeur.  —  A  Cittadella,  première  représentation  d'une  «  idylle  » 
en  un  acte,  Alba,  paroles  de  M.  Gustave  Zambusi,  musique  de  M.  Giuseppe 
Pavan.  Succès  aussi. 

—  M.  Giovanni  Masutto,  à  qui  l'on  doit  déjà  plusieurs  travaux  intéres- 
sants sur  l'histoire  de  la  musique  italienne,  vient  de  publier  sous  ce 
titre  :  Délia  musica  sacra  in  Italia  (Venise,  Visentini,  3  vol.  grand  in-S"), 
un  ouvrage  fort  important,  qui  résume  d'une  façon  aussi  complète  que 
possible  l'histoire  de  la  musique  religieuse  dans  la  patrie  de  Saint-Philippe 
deNéri,  d'Animuccia  et  de  Palestrina.C'étaitlà  une  entreprise  considérable, 
qui  exigeait  de  vastes  recherches,  fort  difficiles  dans  un  pays  morcelé  de 
tout  temps  comme  l'Italie  et  possédant,  par  conséquent,  des  centres  artis- 
tiques nombreux  et  importants,  dans  un  pays  qui  a  vu  naître  tant  de  mu- 
siciens illustres  et  qui  a  été,  au  point  de  vue  de  la  musique  sacrée,  le 
théâtre  de  l'admirable  mouvement  réformateur  opéré  par  Palestrina.  L'au- 
teur a  pris,  me  semble-t-il,  le  meilleur  moyen  pour  mener  son  œuvre  à 
bien.  Après  un  coup  d'œil  d'ensemble  très  bref  et  aussi  rapide  que  pos- 
sible, il  a  divisé  son  .travail  par  régions,  ce  qui  était  le  seul  procédé  à 
employer  pour  faire  la  clarté  dans  un  sujet  de  sa  nature  aussi  divisé  et 
aussi  compliqué.  Il  a  retracé  l'historique  des  grands  centres  de  musique 
religieuse  et  des  institutions  célèbres,  chapelle  ducale  de  Saint-Marc  à 
Venise,  chapelle  de  San  Petronio  à  Bologne,  de  Sant'Antonio  de  Pa- 
doue,  de  Sant'Eusebio  à  Verceil,  des  cathédrales  d'Udine,  de  Vérone  et 
de  Plaisance,  du  dôme  de  Milan,  chapelles  de  Lucques,  de  Pistoie,  de 
Ferrare,  chapelle  royale  de  Turin,  chapelle  de  la  maison  d'Esté,  etc., 
donnant  les  listes  du  personnel  de  ces  institutions,  des  notices  biogra- 
phiques sur  les  grands  artistes  qui  les  ont  illustrées,  rappelant  les 
œuvres  qui  les  ont  rendues  célèbres.  Puis,  il  a  groupé  les  faits  relatifs  à 
l'histoire  de  la  musique  sacrée  dans  les  grandes  villes  et  les  résidences 
souveraines,  à  Rome,  Florence,  Naples,  Parme,  Venise,  Bergame,  Bres- 
cia,  Mantoue,  Novare,  Sienne,  Gênes,  Crémone,  Vicence,  multipliant  les 
renseignements  :    époques,    dates,   notes    biographiques,    œuvres  impor- 


318 


LE  MÉNESTREL 


tantes...  Ce  qui  manque  peut-être,  au  point  de  vue  d'ensemble,  c'est  une 
vaste  conclusion  donnant  comme  une  sorte  de  philosophie  de  l'histoire 
générale  de  la  musique  religieuse  en  Italie  et  faisant  saisir  toute  l'impor- 
tance du  mouvement  admirable  qui  s'est  surtout  opéré  sous  ce  rapport  à 
l'époque  de  la  Renaissance.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  le  livre  de 
M.  Masutto  est  une  œuvre  fort  importante  en  ce  qui  touche  toute  une 
branche  si  considérable  de  l'histoire  de  l'art  italien,  et  qu'on  n'en  saurait 
exagérer  la  valeur  et  l'utilité.  L'auteur,  en  le  publiant,  a  rendu  un 
signalé  service  et  dont  on  ne  peut  que  lui  savoir  beaucoup  de  gré.  Un 
tel  livre  n'existait  pas,  et  il  vient  combler  une  véritable  lacune.        A.  P. 

—  Plus  de  quatre  cent  mille  demandes  de  participation  ont  déjà  été 
adressées  au  comité  de  l'Exposition  universelle  de  la  musique  et  du 
théâtre  qui  va  s'ouvrir  à  Vienne  en  1892;  les  adhésions  arrivent  de  toutes 
parts.  La  commission  du  budget  du  gouvernement  français  a  voté  une 
subvention  de  13,000  francs,  les  États-Unis  du  Nord  de  l'Amérique  seront 
représentés  officiellement  par  M.  Bennett,  qui  a  l'intention  de  réunir  des 
éléments  exceptionnels  destinés  à  présenter  le  tableau  du  développement 
de  l'art  dramatique  aux  Etats-Unis.  Pour  mener  cette  œuvre  à  bonne  fin, 
il  n'a  pas  hésité  à  faire  le  sacrifice  d'un  demi-million  sur  sa  fortune 
personnelle  ;  des  pourparlers  sérieux  sont  engagés  avec  le  célèbre  tragé- 
dien E.  Booth  pour  des  représentations  au  théâtre  international.  A  la  tète 
du  comité  belge  se  trouvent  le  prince  de  Chimay  et  M.  G-evaert.  directeur 
du  Conservatoire  de  Bruxelles.  Des  invitations  spéciales  seront  adressées 
aux  sociétés  artistiques  et  chorales  pour  les  prier  d'exposer  leurs  ban- 
nières, emblèmes,  etc.,  ainsi  que  les  diplômes,  médailles,  couronnes  et 
autres  prix  qui  leur  auront  été  décernés  dans  le  courant  de  l'année.  On 
annonce  encore  que  la  partition  autographe  de  Don  Juan,  qui  est  la  pro- 
priété de  M""!  Viardot,  sera  exposée  dans  une  cassette  spéciale  et  rendue 
ininflammable  au  centre  du  pavillon  Mozart. 

—  On  annonce  que  le  fameux  compositeur  Dvorak,  qui  est  une  des 
gloires  de  la  Bohême  contemporaine,  quitte  Prague  et  va  partir  pour  al- 
ler prendre,  en  Amérique,  la  direction  du  Conservatoire  de  New-York. 

—  Nous  empruntons  à  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  ces  dé- 
tails sur  M°"=  Wilt,  la  célèbre  chanteuse  dont  nous  annoncions  dernière- 
ment le  suicide  :  —  «  La  Wilt  a  chanté  à  Londres,  en  Italie,  en  Allema- 
gne, un  peu  partout.  Elle  n'a  jamais  chanté  à  Paris,  bien  qu'on  lui  eût 
fait  des  offres  et  qu'elle  parlât  couramment  le  français.  La  grande  ville, 
sans  doute,  lui  faisait  peur.  Puis  elle  craignait  d'y  déplaire  par  son  exté- 
rieur, qui  était  disgracieux.  Il  y  a  environ  dix  ans,  elle  quitta  brusque- 
ment l'Opéra  de  Vienne  et  s'en  alla  chanter  à  Leipzig.  Là,  elle  apprit  le 
rôle  de  Brunehilde  de  la  Valhjrie  en  trois  semaines.  «  Gela  m'a  donné  le 
»  coup  de  grâce  »,  disait-elle  souvent.  Ces  énormes  rôles  wagnériens  ont 
en  effet  leur  côté  pathologique.  Qu'on  se  souvienne  du  ténor  Schnoor, 
mort  à  Munich  après  le  Tannhduser,  du  ténor  Ander,  de  Vienne,  pris  de 
folie  pendant  les  études  de  Tristan,  sans  parler  du  grand  nombre  de  ceux 
qui  doivent  à  ces  «  rôles  sudorifiques  »  —  l'expression  est  de  Wagner  — 
des  bronchites  et  des  pleurésies.  «  Toutes  les  fois  que  je  chante  Tristan, 
»  m'a  dit  un  jour  notre  ténor  Winkelmann,  il  me  semble  le  lendemain 
»  que  j'ai  reçu  un  coup  de  massue  sur  la  tète.  »  La  Wilt  y  a  gagné  la 
folie,  pour  laquelle  elle  était  malheureusement  prédisposée.  » 

—  La  censure  autrichienne,  si  justement  célèbre  jadis,  recommence  à 
faire  des  siennes;  c'est  l'Indépendante  de  Trieste  qui  nous  l'apprend  : 
K  Nous  savons,  dit  ce  journal,  que  la  direction  de  la  Fenice,  avant  d'éta- 
blir son  répertoire ,  s'est  informée  auprès  de  la  direction  de  police  pour 
savoir  si  la  représentation  à'Ernani  rencontrerait  quelque  obstacle.  La 
réponse  fut  qu'on  ne  permettrait  pas  la  réapparition  à'Ernani  sur  notre 
théâtre.  Nous  serions  curieux  de  savoir  de  quand  date  la  prohibition  de 
cet  opéra,  alors  que  l'on  peut  constater  positivement  qu'il  se  trouve  tou- 
jours au  répertoire  des  théâtres  de  Graz,  de  Prague,  et  même  du  théâtre 
impérial  et  royal  de  la  cour  de  Vienne.  »  La  triple  alliance  n'en  fait  ja- 
mais d'autres. 

—  A  l'Opéra  de  Buda-Pesth,  où  un  nouveau  chef  d'orchestre,  M.  Rebic- 
zek,  vient  de  faire  avec  le  plus  grand  succès  ses  premières  armes,  on 
annonce  comme  prochaine  l'apparition  d'un  nouvel  opéra,  dont  la  mu- 
sique est  due'  au  fameux  violoniste  Jeno  Hubay,  ainsi  que  l'exécution 
d'un  Hymne  royal  du  compositeur  Mihalovich. 

—  Deux  souvenirs  anecdotiques  de  la  Neue  Musikzcitung  :  1°  Pendant 
son  séjour  à  Paris,  en  1830,  Ferdinand  Hiller  fut  invité  à  diuer  chez  le 
baron  de  Rothschild.  Celui-ci  accueillit  de  la  façon  la  plus  affable  le 
jeune  artiste,  qui,  comme  l'on  sait,  appartenait  à  une  très  riche  famille  de 
Francfort.  Il  le  présenta  à  ses  convives  en  ces  termes  :  «  M.  Ferdinand 
Hiller,  de  Francfort,  excellent  pianiste,  —  mais  n'a  pas  besoin  de  cela  !  » 
A  quelque  temps  de  là,  Hiller  donna  un  déjeuner  que  le  vieux  baron  ho- 
nora de  sa  présence.  Quand  vint  le  moment  des  présentations,  l'artiste, 
qui  voulait  sa  revanche  du  compliment  un  peu  brusque  du  baron,  présenta 
ce  dernier  en  ces  termes  :  «  M.  le  baron  de  Rothschild,  célèbre  banquier, 
également  mécène,  mais  n'a  pas  besoin  de  cela  !  »  —  2°  Rubinstein  avait 
un  jour  consenti  à  jouer,  au  bénéfice  d'une  bonne  œuvre,  dans  un  petit 
village  russe,  où,  jusqu'alors,  on  ignorait  ce  que  c'était  qu'un  artiste  et 
un  concert.  Il  parut  donc  sur  l'estrade  et,  suivant  l'usage  consacré,  salua 
le  public  en  s'inclinant.  Mais  ne  voilà-t-il  pas  que  toute  l'assemblée  se 


lève  à  son  tour  et  s'écrie  comme  un  seul  homme,  sur  le  ton  le  plus  aima- 
ble :  (c  Bonsoir,  monsieur  Rubinstein  !  »  Le  maître  crut  à  une  manifesta- 
tion sympathique  et  de  nouveau  s'inclina  très  profondément.  Les  audi- 
teurs de  répéter  encore  avec  un  sourire  poli  :  «  Bonsoir,  monsieur  Ru- 
binstein !  «  Le  maître  se  rendit  compte  de  la  situation  et  ne  salua  plus 
pendant  tout  le  reste  de  la  soirée. 

—  La  musique  se  mêlant  partout,  aujourd'hui,  aux  fêtes  officielles,  il  en 
résulte  parfois  de  curieux  incidents.  En  voici  un  assez  piquant  que  ra- 
conte l'Indépendance  belge,  et  qui  est  relatif  au  voyage  en  Danemark  du 
prince  de  Naples,  fils  du  roi  d'Italie.  Tout  récemment,  le  prince  arrivait 
à  Copenhague,  et,  le  soir  même,  un  dîner  était  donné  en  son  honneur  à 
l'hôtel  de  l'ambassade  d'Italie.  Or,  au  moment  où  le  prince  entra  dans  la 
salle  à  manger,  l'ambassadeur,  M.  Catalini,  fit  un  signe  au  chef  de  l'or- 
chestre dissimulé  derrière  un  échafaudage  de  fleurs  et  plantes  ornemen- 
tales et  lui  cria  en  français  :  la  Marche I  la  Marche!  On  entendit  alors  écla- 
ter derrière  les  fleurs  un  hymne  national  que  l'on  ne  s'attendait  certai- 
nement pas  à  entendre  en  cette  circonstance  :  la  Marseillaise  !  Le  garçon 
d'orchestre  avait  confondu  les  parties,  et  au  lieu  de  la  Marche  royale  d'I- 
talie, avait  placé  l'hymne  français  sur  les  pupitres  des  musiciens.  On 
imagine  la  confusion  que  cette  méprise  jeta  dans  l'assemblée.  On  voulut 
faire  interrompre,  mais  une  fois  lancés,  les  braves  musiciens  danois  ne 
purent  plus  être  arrêtés,  et  il  fallut  que  le  prince  entendît  l'hymne  fran- 
çais d'un  bout  à  l'autre.  On  ne  dit  pas  s'il  était  enchanté  de  l'aventure. 

—  Les  journaux  de  Bruxelles  nous  font  connaître  les  résultats  du 
concours  de  Rome,  qui,  on  le  sait,  n'a  lieu  en  Belgique  que  tous  les 
deux  ans.  Le  jury  du  concours  était  composé  de  MM.  Gevaert,  Benoît, 
Radoux,  Samuel,  Van  den  Eeden  et  Mathieu.  M.  Lebrun,  de  Gand,  a 
obtenu  le  premier  prix,  par  4  voix  contre  3;  M.  Smulders,  de  Liège,  a 
été  proclamé  deuxième  par  S  voix  contre  2  ;  et  M.  Lekeu,  de  Verviers, 
deuxième  second  prix  par  S  voix  contre  2.  Une  mention  honorable  est 
échue  à  M.  Van  der  Meulen. 

—  La  ville  de  Tournai  a  inauguré  ces  jours  derniers  avec  discours, 
cantate  et  sonneries  de  trompettes,  la  statue  qu'elle  a  élevée  à  un  de  ses 
enfants,  l'excellent  peintre  Louis  Gallait,  qui  fut  comme  une  sorte  de 
Devéria  de  la  Belgique.  A  l'occasion  de  cette  cérémonie,  un  concours 
avait  été  ouvert  en  effet  par  la  ville  pour  la  composition  d'une  cantate 
de  circonstance,  et  le  premier  prix  avait  été  décerné  à  celle  que  M.  Ju- 
lien Simar,  ancien  prix  de  Rome,  directeur  de  l'Académie  de  musique 
de  Charleroi,  avait  écrite  sur  les  vers  de  M.  Paul  Deshaye,  tandis  que 
M.  Emile  Wanibach,  d'Anvers,  obtenait  le  second  prix.  C'est  donc  la 
cantate  de  M.  Simar  qui  a  été  exécutée,  avec  un  grand  succès,  par  un 
chœur  de  350  chanteurs  et  chanteuses  et  un  orchestre  de  100  musiciens 
dont  l'effet  a  été  rehaussé  par  des  sonneries  de  trompettes  antiques  et 
le  carillon  des  cloches  du  beffroi,  accompagnement  trouvé  pour  la  pre- 
mière fois  par  le  célèbre  compositeur  Peter  Benoit  dans  sa  cantate  à 
Anvers. 

—  M"°  Decré  vient  de  se  faire  entendre  avec  grand  succès  au  casino  de 
Blankenberghe,  où  elle  a  chanté  un  air  i'Hérodiade  et  Pensée  d'automne,  de 
Massenet,  le  rêve  de  Tristan  et  Yseult,  de  Wagner,  et  une  mélodie  de  Dubois. 
Les  journaux  sont  pleins  de  son  éloge. 

—  Voici  la  composition  de  la  troupe  du  grand  théâtre  du  Lycée,  de 
Barcelone,  pour  la  prochaine  saison  :  soprani,  M™^  Teresa  Arkel,  Carmen 
Bonaplata,  Bau,  Linda  Rebuffini,  Avelina  Carrera;  me;:zo-soprani,  Irma 
Monti,  Baldini,  Luisa  Mata  ;  ténors,  MM.  Marconi,  Giannini,  Raffaele 
Grani,  Vincenzo  Maina  ;  barytons,  Ughetto,  Laban  ;  basses,  Wulraan,  Me- 
roles.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Goula. 

—  Mme  Patti-Nicolini  vient  de  signer  un  engagement  pour  l'Amé- 
rique à  des  conditions  splendides;  elle  s'embarquera  dans  les  premiers 
jours  de  décembre  sur  le  paquebot  City  of  Paris,  et  ne  reviendra  qu'au 
mois  d'avril  1892.  Avant  son  départ  pour  les  Etats-Unis,  la  célèbre  diva 
fera,  du  26  octobre  au  27  novembre,  une  tournée  de  concerts  dans  les  pro- 
vinces anglaises  et  en  Irlande;  M""=  Patti-Nicolini,  qui  pour  le  moment 
se  repose  au  milieu  des  fêtes  de  son  merveilleux  château  du  pays  de 
Galles,  semble  ne  pouvoir  rester  oisive  plus  longtemps.  Il  est  vrai  qu'à 
23,000  francs  par  soirée,  il  y  a  bien  des  artistes,  et  des  meilleurs,  qui  con- 
sentiraient à  se  déplacer. 

—  M.  Ernest  de  Munck,  veuf  de  M'"":  Carlotta  Patti  et  violoncelliste 
distingué,  a  été  nommé  professeur  de  violoncelle  à  l'Ecole  de  musique 
du  Guildhall,  à  Londres.  M.  Ernest  de  Munck,  Belge  de  naissance,  en 
1832,  à  douze  ans,  jouait  pour  la  première  fois  en  Angleterre  aux  concerts 
de  JuUien,  fameux  à  cette  époque.  L'Ecole  de  musique  du  Guildhall  est 
une  institution  très  importante,  créée  et  entretenue  par  la  cité  de  Londres. 
M.  E.  de  Munck  est  pour  l'établissement  une  très  précieuse  acquisition. 

—  Une  découverte  intéressant  à  un  haut  degré  le  monde  musical  à  titre 
rétrospectif  vient  d'être  faite  par  un  certain  professeur  Dowden,  dans  une 
librairie  d'occasion  à  Dublin.  Il  s'agit  du  livret  original  du  Messie,  im- 
primé à  l'occasion  de  la  première  audition  à  Dublin  le  13  avril  17i3,  et 
dont  pas  un  exemplaire  n'avait  pu  être  retrouvé.  Le  principal  intérêt 
qu'off're  cette  découverte,  c'est  qu'elle  révèle  d'une  façon  précise  l'état  de 
l'ouvrage  lors  de  sa  première  apparition  et  détruit  une  foule  de  légendes 
erronées  que  les  biographes  ont  laissé  répandre  à  ce  sujet,  faute  de  rensei- 
gnements authentiques.  L'exemplaire  est  relié  en   veau   et  porte   sur   le 


LE  MENESTREL 


319 


plat  les  initiales  J.  M.  En  marge  se  trouvent  des  annotations  au  crayon, 
dont  quelques-unes  ont  malheureusement  été  rognées  par  le  relieur.  Ces 
annotations  se  rapportent  principalement  aux  interprètes,  dont  les  noms 
ont  été  scrupuleusement  marqués  en  regard  des  différents  airs  qui  leur 
étaient  échus.  A  cet  égard  surtout,  les  renseignements  laissés  par  les  bio- 
graphes seraient  inexacts.  Une  particularité  à  noter,  c'est  que  différents 
airs  chantés  actuellement  par  le  ténor  l'étaient  alors  par  le  soprano  (miss 
Macl'aine)  ;  d'autre  part,  certain  solo  important  noté  dans  les  éditions 
modernes  pour  voix  de  contralto  était,  paraît-il,  confié  à  l'origine  à  une 
basse.  Enfin,  contrairement  aux  afïïrmations  de  notre  compatriote  M.  Schœl- 
cher,  premier  biographe  de  Hœndel,  il  est  avéré  que  le  fameux  chœur 
Alléluia  s'est  toujours  chanté  à  la  fin  de  l'ouvrage,  à  la  place  qu'il  occupe 
dans  les  partitions.  M.  Schcelcher  affirmait  qu'après  la  première  audition 
à  Londres  Hœndel  avait  immédiatement  transféré  YAlleluia  au  commen- 
cement de  la  première  partie,  afin  de  sauver  l'ouvrage. 

—  La  Paît  Mail  Gazette,  de  Londres,  annonce  qu'un  munager  américain, 
M.  Rudolphe  Aronson,  a  acheté,  au  prix  de  4,000  livres  sterling,  soit 
100,000  francs,  le  droit  exclusif  de  représentation,  en  Amérique,  de  la 
Cavalleria  rusticana,  de  M.  Mascagni.  Il  est  difficile  de  concilier  cette 
nouvelle  avec  le  compte  rendu  qui  nous  arrive  de  la  représentation  de 
ladite  Cavalleria  au  Grand  Opéra  House  de  Philadelphie,  où  l'ouvrage  vient 
d'être  joué  en  anglais,  par  M°«^s  ICronold  et  Campbell,  Mltf.  Guille  et  Del 
Puente. 

—  M.  J.  P.  Sousa,  de  "Washington,  un  des  premiers  chefs  de  musique 
de  l'armée  américaine,  vient  de  rentrer  dans  son  pays  après  une  tournée 
d'observation  en  Europe.  Son  avis  sur  les  principales  musiques  militaires 
vient  d'être  publié  par  les  journaux  des  Etats-Unis.  Le  voici  :  «  Les  meil- 
leures musiques  sont  les  musiques  françaises  ;  les  allemandes  sont  trop 
cuivrées  et  bruyantes  ;  quant  aux  anglaises,  elles  sont  d'un  caractère  in- 
descriptible (nondescript  character).  » 

—  M.  A.  Willhartitz  publie  dans  le  Musical  Courier  un  petit  fragment 
de  l'encyclopédie  musicale  à  laquelle  il  travaille  :  c'est  la  liste  des  cent 
grands  opéras  dont  le  sujet  a  été  emprunté  à  l'Odyssée  d'Homère.  Le  premier 
a  été  composé  par  Monteverde,  il  y  ajuste  deux  cent  cinquante  ans  (1641) 
et  porte  le  titre  de  il  Ritorno  d'Vlisse. 

—  Les  journaux  américains  assurent  qu'à  Chicago,  durant  tout  le  cours 
de  la  future  Exposition,  un  théâtre  sera  exclusivement  consacré  à  la 
représentation  des  œuvres  de  Wagner. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  sont  des  gens  fort  avisés,  comme  chacun 
sait,  avaient  proposé  à  leurs  successeurs,  MM.  Bertrand  et  Campocasso, 
de  leur  livrer  dès  à  présent  la  scène  de  l'Opéra  pour  y  commencer  les 
répétitions  de  Salammbô,  à  la  condition  que  ceux-ci  prendraient  à  leur 
charge  l'ouvrage  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  Tamara,  imposé  à  la  di- 
rection actuelle  par  le  ministère.  M.  Bertrand  n'a  pas  cru  devoir  accepter 
cette  offre,  qui  ne  lui  apportait  aucun  avantage.  Son  privilège  ne  commence 
que  le  !<:■'  janvier  prochain.  C'est  à  cette  date  seulement  qu'il  compte 
s'installer.  S'il  a  besoin  de  faire  répéter  une  œuvre  nouvelle,  il  est  pro- 
bable qu'il  se  servira  de  la  scène  de  l'Eden,  où  les  travaux  projetés 
ne  seront  pas  entrepris  avant  le  mois  de  février.  Du  reste,  le  minis- 
tère a  signifié  formellement  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  que  Tamara  devait 
être  monté  par  eux  et  avoir,  au  moment  où  ils  quitteront  l'Opéra,  un 
nombre  normal  de  représentations.  L'intention  de  la  direction  est  de 
faire  jouer  Tamara  vers  le  15  décembre.  Voilà  une  situation  agréable  pour 
le  compositeur,  M.  Bourgault-Ducoudray.  Il  va  se  trouver  pris  entre  la 
fin  d'une  direction  et  le  commencement  d'une  autre,  la  première  le  jouant 
contrainte  et  forcée,  sans  espoir  de  récolter  pour  elle-même  le  béné- 
fice d'un  succès,  si  succès  il  y  avait,  la  seconde  devant  faire  grise  mine 
à  un  ouvrage  monté  à  la  diable  par  ses  prédécesseurs  et  dont  elle  n'a  pas 
voulu  se  charger  pour  son  compte.  Être  prix  de  Rome,  attendre  trente 
ans  son  tour  pour  avoir  deux  actes  joués  à  l'Opéra  et  ne  pouvoir  s'y  pré- 
senter pourtant  qu'à  l'état  de  victime  sacrifiée  d'avance,  voilà  qui  est  fait 
vraiment  pour  enchanter  M.  Bourgault-Ducoudray.  Joli  état  que  celui  de 
musicien! 

—  M"""  Melba  devait  effectuer  sa  rentrée  à  l'Opéra  vendredi  dernier,  dans 
Eamlet;  mais  on  avait  compté  sans  la  fâcheuse  grippe,  qui  s'est  installée 
dans  ce  gosier  de  choix  et  n'en  veut  plus  sortir.  Toutefois,  M.  Constans 
s'est  concerté  avec  ses  bons  amis  Ritt  et  Gailhard  pour  chasser  l'intruse  ; 
il  se  propose  à  cet  effet  de  mobiliser  les  mêmes  troupes  qui  lui  ont  déjà 
si  bien  servi  lors  des  premières  représentations  de  Lohcngrin.  Tout  fait 
donc  espérer  que  la  célèbre  cantatrice,  débarrassée  d'une  hôtesse  impor- 
tune, pourra  reprendre  dans  le  courant  de  cette  semaine  le  cours  de  ses 
exploits.  En  attendant,  le  baryton  Lassalle,  qui  devait  reparaître  avec  elle 
dans  Hamlet,  a  effectué  tout  seul  sa  rentrée  dans  Guillaume  Tell,  où  il  a 
retrouvé  son  habituel  succès. 

—  M.  Gailhard,  après  les  émotions  de  Lohengrin,  a  éprouvé  le  besoin 
naturel  d'aller  prendre  quelques  jours  de  repos  à  Biarritz.  Il  va  méditer 
là-bas  sur  les  splendeurs  que  devra  apporter  l'Opéra  à  la  célébration  du 
prochain  centenaire  de  Meyerbeer.  Il  prétend  surpasser  encore,  parait-il, 
les  merveilles  du  centenaire  de  Don  Juan,  qui  sont  restées  dans  toutes  les 
mémoires.  Gela  ne  lui  sera  pas  possible. 


—  A  propos  de  Meyerbeer,  voici  une  lettre  inédite  de  sa  façon,  adressée 
à  son  biographe  et  ami  M.  .T.  Schult.  Il  y  a  certainement  à  Paris  des 
chefs  d'orchestre  qui  feront  bien  de  la  méditer  et  d'en  faire  leur  profit  : 
«  Je  ne  suis  pas  fait  pour  bien  diriger.  Un  bon  chef,  dit-on,  doit  être  un 
peu  grossier;  je  ne  veux  pas  l'affirmer,  mais  cette  grossièreté  a  toujours 
été  contraire  à  ma  nature.  J'éprouve  une  impression  très  désagréable  à 
voir  traiter  des  artistes  distingués  comme  on  ne  traiterait  pas  un  domes- 
tique. Je  ne  demande  pas  à  un  chef  d'orchestre  d'être  grossier,  mais  il 
doit  se  montrer  énergique,  pouvoir  faire,  sans  grossièreté,  de  sévères 
observations  et,  même  dans  ses  réprimandes  les  plus  dures,  ne  jamais  se 
départir  des  convenances.  En  même  temps,  il  faut  qu'il  ait  assez  de  bonne 
humeur  pour  s'attirer  l'amour  de  tous  les  artistes,  qui  doivent  à  la  fois 
l'aimer  et  le  craindre.  Il  faut  aussi  qu'il  ne  montre  pas  de  faiblesse  de 
caractère,  sous  peine  de  voir  beaucoup  diminuer  le  respect  qui  lui  est  dû. 
Pour  moi,  je  ne  saurais  être  assez  énergique,  assez  tranchant  pendant  le 
temps  des  études,  voilà  pourquoi  je  laisse  très  volontiers  le  bâton  au  chef 
d'orchestre.  La  plupart  du  temps,  les  répétitions  m'ont  rendu  malade.  » 

—  Elle  n'a  fait  que  passer,  elle  n'est  déjà  plus.  Nous  voulons  parler  de 
la  superbe  barbe  que,  sur  les  instances  juvéniles  de  M.  Ritt,  le  ténor 
Van  Dyck  avait  cru  devoir  arborer  dans  l'une  des  dernières  représenta- 
tions de  Lohengrin.  Il  parait  que  M^^  Cosima  n'est  pas  pour  cet  appendice, 
qu'elle  trouve  hors  de  saison  en  la  circonstance.  Un  héros  divin,  traîné 
par  un  cygne  d'éclatante  blancheur,  dont  il  a  lui-même  toute  la  pureté, 
ne  doit  pas,  selon  elle,  porter  cette  sorte  de  tare  terrestre.  Tout  aussitôt 
M.  Van  Dyck  s'est  empressé  de  se  débarrasser  d'un  postiche  encombrant, 
pour  lequel  il  n'avait  que  de  la  répugnance.  M.  Ritt  continuera  seul 
désormais  à  porter  cet  emblème  de  la  force  et  de  la  virilité  qui  fait  l'or- 
nement de  son  noble  visage. 

—  C'est  le  31  octobre  qu'aura  lieu  la  séance  publique  annuelle  de  l'Aca- 
démie des  beaux-arts.  Elle  aura  été  précédée,  le  24,  de  la  séance  publique 
annuelle  des  cinq  Académies,  dont  l'ensemble,  on  le  sait,  compose  l'Ins- 
titut de  France. 

—  M.  Cobalet,  qui  fut  longtemps  l'un  des  meilleurs  artistes  de  l'Opéra- 
Comique,  vient  de  signer  un  engagement  avec  M.  Campocasso,  directeur 
du  grand  théâtre  de  Marseille  pour  l'instant  et  bientôt  co-directeur  avec 
M.  Bertrand  de  l'Opéra  de  Paris.  Après  une  saison  à  Marseille,  M.  Coba- 
let reviendra  donc  à  Paris  sur  la  grande  scène  de  l'Académie  nationale  de 
musique.  Signalons  aussi  l'engagement  à  l'Opéra  (direction  Bertrand)  de 
M.  Paulin,  fort  ténor  qui  fit  les  beaux  jours  de  Marseille  dans  Sigifrd  et 
qui  va  chanter  d'abord  à  la  Nouvelle-Orléans,  pour  revenir  ensuite  à  Paris. 

—  Après  M.  Melchissédec,  c'est  à  présent  M.  Raoult  Delaspre  qui  re- 
vendique l'honneur  d'avoir  été  le  professeur  de  M''^  Chrétien,  la  nouvelle 
chanteuse  à  sensation  du  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  Que  ces 
deux  messieurs  veuillent  bien  s'arranger  entre  eux  sur  ce  point.  Pour  nous, 
nous  désirons  ne  plus  nous  occuper  de  ce  point  d'histoire  musicale,  après 
tout  peu  important. 

—  Les  concerts  du  Châtelet  feront  leur  réouverture  le  dimanche  18  oc- 
tobre, sous  la  direction  de  M.  Edouard  Colonne.  Huit  jours  plus  tard,  le 
dimanche  23,  ce  sera  le  tour  des  concerts  Lamoureux,  qui  reprendront 
leur  cours  au  Cirque  des  Champs-Elysées. 

—  Dimanche  dernier,  à  l'église  de  Maisons-LafStte,  solennité  musicale. 
Messe  inédite  de  M.  Albert  Renaud  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  exécutée 
avec  le  concours  de  M"«  S.  Lacombe,  de  MM.  Melchissédec  et  Rinaldi,  de 
MM.  Verrimst  et  Debruille,  de  la  Société  des  Concerts,  et  d'une  élite  d'a- 
mateurs qui  chantaient  les  chœurs.  L'auteur  tenait  l'orgue.  Grand  succès 
pour  les  interprètes.  Quant  à  l'œuvre  de  M.  Albert  Renaud,  elle  a  produit 
une  réelle  impression. 

—  Il  nous  revient  beaucoup  de  bien  du  baryton  Vautier,  qui  chante  en 
ce  moment  au  casino  d'Etretat.  Fort  jolie  voix  et  bonne  manière  de  s'en 
servir.  Une  nouvelle  mélodie  de  Faure,  Regarde-toi,  lui  vaut  surtout  le  plus 
grand  succès. 

—  Ce  n'était  pas  une  séance  ordinaire  que  le  spectacle  de  réouverture 
du  théâtre  de  Montpellier,  qui  a  eu  lieu  le  1°''  octobre.  Ce  spectacle  com- 
prenait tout  simplement  le  Rarbier  de  Séville  et...  les  Huguenots.  Si  les  ama- 
teurs ne  sont  pas  contents,  c'est  qu'ils  seront  difl:ciles.  A  défaut  de  la 
qualité,  ils  sont  sûrs  d'avoir  au  moins  la  quantité. 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Valery-en-Caux  qu'un  très  intéressant  con- 
cert-festival a  été  donné  récemment  au  casino,  entièrement  composé 
d'oEjuvres  de  M.  Adrien  Bérou,  professeur  au  Conservatoire,  qui  en  diri- 
geait lui-même  l'exécution.  On  a  particulièrement  applaudi  l'ouverture  du 
Chat  botté  et  une  Danse  cannibale  pour  orchestre,  Staccato-Polka,  fort  joliment 
exécutée  par  un  jeune  élève  de  l'auteur,  M.  Henri  de  Martini,  la  valse  du 
Chat  botté,  chantée  par  M""=  L.  H.,  une  romance  du  Seci-ei  de  Rouddha  opéra- 
comique  inédit,  dite  par  M.  Bordes-Pène,  et  un  solo  de  cornet  à  pistons, 
Castagnettes,  exécuté  par  M.  Bruguière.  Compositeur  et  interprètes  ont  été 
justement  et  vigoureusement  applaudis. 

—  On  lit  dans  la  Semaine  musicale,  de  Lille  :  «  La  Commission  de  patro- 
nage et  de  surveillance  du  Conservatoire  de  Lille  s'est  réunie  samedi  der- 
nier à  l'effet  d'examiner  les  titres  d'un  candidat  proposé  par  M.  le  maire 
de  Lille  pour  le  poste  de  directeur  en  remplacement  de  M.  Lavainne.  Ce 


320 


LE  MÉNESTREL 


candidat  est  M.  Emile  Ratez,  né  le  5  novembre  1851  à  Besançon,  où  il  fit 
ses  Otudes  au  lycée  et  obtint  son  diplôme  de  fin  d'études.  M.  Ratez  vint 
ensuite  à  Paris  suivre  les  cours  du  Conservatoire  et  fut  élève  de  MM.  Mas- 
senet  et  Bazin;  lauréat  du  concours  de  fugue  en  1876,  il  fut,  deux  années 
de  suite,  en  1879  et  1880,  admis  en  loge  pour  le  prix  de  Rome;  depuis, 
M.  Ratez  a  fait  partie  de  l'orchestre  de  l'Opéra-Comique,  et  a  été  le  chef 
des  chœurs  des  concerts  Colonne.  Compositeur  de  talent,  M.  Ratez  a  déjà 
produit  beaucoup  de  morceaux  pour  piano,  violoncelle,  violon,  de  la  mu- 
sique religieuse,  un  quatuor  et  un  opéra  en  deux  actes.  Ruse  d'amour, 
qui  fut  représenté  en  1886  au  théâtre  de  Besançon.  M.  E.  Ratez  a  donné 
à  la  salle  Pleyel  six  concerts  dans  lesquels  il  a  fait  entendre  ses  œuvres, 
qui  ont  été  fort  goûtées  du  public.  A  la  suite  de  ces  concerts,  M.  le  mi- 
nistre des  beaux-arts  a  accordé  au  compositeur  les  palmes  académiques. 
En  présence  de  ces  divers  titres,  la  commission  n'a  pas  hésité,  et,  daus 
un  rapport  adressé  à  M.  le  maire  de  Lille,  elle  a  émis  un  avis  très  favo- 
rable à  la  nomination  de  M.  Ratez  au  poste  de  directeur.  Il  est  donc  de 
toute  probabilité  qu'à  la  réouverture  des  cours  du  Conservatoire,  M.  Ratez 
sera  installé  dans  ses  nouvelles  fonctions,  le  ministre  accueillant  toujours 
favorablement  les  propositions  des  municipalilés  en  ce  qui  concerne  les 
nominations  de  ce  genre. 

—  Béziers.  —  Un  concours  musical  et  orphéonique  aura  lieu  le  24  avril 
prochain,  à  l'occasion  de  l'inauguration  du  Titan  d'Enjalbert.  Nous  don- 
nerons ultérieurement  le  programme  du  concours,  ainsi  que  la  liste  du 
jury- 

—  M""  Taehel,  élève  de  M.  Cobalet,  vient  d'être  engagée  comme  pre- 
mière chanteuse  falcon  à  Nice. 

—  L'Institut  musical  (21"=  année),  fondé  et  dirigé  par  M.  et  M""'  Oscar 
Comettant  pour  les  dames,  les  demoiselles  et  les  jeunes  enfants,  fera  sa 
réouverture  le  vendredi  9  octobre  par  le  cours  supérieur  de  piano  fait  par 
M.  Marmontel.  Comme  les  années  précédentes,  M.  V.  Dolmetsch  fera  le 
cours  de  piano  du  deuxième  degré;  M.  Garcin,  le  cours  d'accompagne- 
ment; M""!  Jeanne  Lyon,  le  cours  de  chant;  M"""  Maury-Renaud,  le  cours 
d'harmonie  et  M"">  Louise  Comettant  le  cours  de  solfège  et  de  piano  élé- 
mentaire. Des  certificats  d'étude  et  des  diplômes  d'honneur  sont  décernés 
aux  élèves  à  la  fin  de  chaque  année.  On  reçoit  les  inscriptions  pour  toutes 
les  branches  de  l'enseignement  musical  à  l'Institut  musical,  13,  rue  du 
Faubourg-Montmartre. 

—  Cours  et  leçons.  —  W"  Donne,  professeur  au  Conservatoire,  reprendra  ses 
cours  chez  elle,  50,  rue  de  Paradis,  à  partir  du  lundi  6  octobre.  —  M.  A.  Decq, 
organiste  de  Saint-Honoré,  professeur  de  musique  dans  les  écoles  de  la  Ville  de 
Paris,  reprendra,  le  1"  octobre  prochain,  ses  cours  complets  de  musique,  131,  bou- 
Ifrvard  Péreire.  —  Les  cours  et  leçons  de  chant  de  M—  Marie  Ruefi  sont  rouverts 


depuis  le  25  septembre,  chez  elle,  22,  cité  Trévise,  et  à  l'instilut  Rudy,  7,  rue 
PigaUe.  —  M'"  Marie  Garnier  a  repris  ses  leçons  et  cours  de  chant,  52,  rue  de 
Caumartin  ;  le  cours  de  chœur  et  de  chant  d'ensemble  est  fait  par  M.  Carré,  chef 
des  chœurs  de  l'Opéra-Comique.  —  M""  M.  et  G.  Coevoet  reprendront  leurs 
cours  le  1"  octobre,  piano  et  solfège,  36,  rue  du  Chàteau-d'Eau.  —  M""  Ros;er- 
Miclos,  de  retour  à  Paris,  reprend  ses  leçons  particulières  chez  elle,  62,  avenue 
de  Wagram,  et  fixe  la  réouverture  de  ses  cours  au  mardi  6  octobre,  à  2  heures. 
—  Le  10  octobre  s'ouvriront  les  cours  de  musique  de  W"  Alice  Sannezio,  ton- 
dés  sous  la  direction  de  César  Franck.  Les  auditions  seront  présidées  par  M.  E. 
Guiraud,  membre  de  l'Institut,  les  cours  de  solfège  seront  examinés  par  M"°  Donne, 
professeur  au  Conservatoire,  et  les  cours  de  chant  dirigés  par  M""  Cécile  B.  de 
Monvel.  Lundi  et  jeudi,  salle  Wetzels-Eslin,  7,  rue  Bonaparte  ;  les  autres  jours, 
99,  rue  Lafayette.  —  L'excellent  professeur-compositeur  Victor  Dolmetsch  re- 
prendra ses  leçons  particulières  chez  lui,  175,  rue  de  Courcelles,  à  partir  du 
15  octot)re.  —  La  réouverture  de  VEcole  préparatoire  au  professorat  du  piano,  fondée 
et  dirigée  par  M""  Hortense  Parent,  aura  lieu  le  16  octobre,  2,  rue  des  Beaux-Arls. 

NÉCROLOGIE 

A  Naples  est  mort,  le  18  septembre,  un  artiste  qui  avait  été  un  enfant 
prodige,  le  pianiste  Michelangelo  Russo,  et  qui,  après  avoir  obtenu  dans 
ses  jeunes  années  d'éclatants  triomphes  par  toute  l'Europe,  s'était  laissé 
depuis  longtemps  oublier  et  était  tombé  dans  une  obscurité  complète.  Né 
en  1830  d'une  famille  juive  (son  père,  Josué  Russo,  était  ingénieur),  il 
se  produisit  dès  l'âge  de  neuf  ans,  à  Naples,  dans  un  concert  donné  au 
théâtre  des  Fiorentini,  avec  un  succès  prodigieux.  L'année  suivante  il  se 
fit  entendre  à  Florence,  à  Gênes  et  à  Marseille,  vint  en  1841  à  Paris,  et, 
après  s'être  produit  plusieurs  fois  à  la  cour,  donna  un  concert  qui  lui 
valut  de  vifs  éloges  de  la  part  de  Liszt  et  de  Chopin.  A  Londres,  où  il 
excita  ensuite  de  véritables  transports,  il  reçut  quelques  leçons  de  Mos- 
chelès.  Après  être  repassé  par  Paris,  où  il  eut  le  malheur  de  perdre  sa 
mère  et  sa  sœur,  qui  voyageaient  avec  lui,  il  entreprit  une  grande  tour- 
née artistique  qui  dura  plusieurs  années,  donna  une  longue  série  de  con- 
certs à  Leipzig,  à  Dresde,  à  Berlin,  à  Hambourg,  et  poussa  jusqu'en 
Russie,  en  Danemark  et  en  Suède.  Il  ne  fut  de  retour  à  Naples  qu'en 
1846,  et  depuis  lors,  se  livrant  à  l'enseignement,  il  ne  fit  plus  parler  de  lui. 

—  De  Vitry-le-François  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  modeste  et  méri- 
tant, M.  Herzog,  violoncelliste,  ancien  élève  de  Franchomme.  Professeur 
de  musique  au  collège,  directeur  des  classes  de  chant  à  l'école  communale 
de  garçons,  directeur  des  cours  gratuits  de  violon,  M.  Herzog  avait  rendu 
de  véritables  services,  et  il  avait  fondé  à  Vitry  une  fanfare  et  une  société 
chorale,  l'orphéon  de  Sainte-Cécile,  qu'il  dirigeait  avec  une  véritable  ha- 
bileté. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  l'ente,  AU  MENESTREL,  2*",  me   Vivienne. 


CHEVALERIE    RUSTIQUE 


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Sicilienne  pour  ténor.   .    .  (Ihaiil  et  piaDO 
Scène  d'A^^o,  pourbaryton         — 
Romance  etscène, soprano.  — 

Drindiside  Twiddo,iévoi'. 

.  Petite  transcription  pour  piano.    . 

,    Transcription  pour  harpe 

.  Grand  Morceau  pour  piano    .   .   . 
Transcription,  piano  à  quatre  main 


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Transcription,  mandoline  et  piano    . 

Chœur  d'introduction.      Piano  solo. 

Sicilienne — 

Strophes  d'Aifio.  ...  — 

liomance  de  Santusza.  — 

Scène,  chœur  et  brindisi  — 

Intermezzo  pour  piano.   • 

Transcription  pour  piano 

Transcription,  violoncelle  el  piano .   . 

PREPARATION  :  Bouquet  de  mélodies  pour  piano,  par  J.  A.  Anschûtz;  Fantaisie-transcription  pour  piano,  par  Ch.  Neostedt;  Silhoueile  pour  piano,  de  G.  Bull; 
re,  de  A.  Trojelli;  Fantaisie  pour  violon  et  piano  (Soirées  du  jeune  violoniste),  par  A.  Heriuann,  etc.,  etc. 


Fumagalli . 


Furino. 


1  50 


1  50 


1  50 


Menozzi.   .   .  Fantaisie  pour  piano 

Mugnone    .   .  il/o/i/s  pour  piano 

—  r™nscnpii'oii  pour  violon  et  piano.   . 

Pastori  Rusca  Motifs  pour  mandoline  et  piano  .   .   . 
Pratesi   .   .   .   Transcription,  piano  à  quatre  mains. 

Libratto  italien 

Libretto  français 


X,  20, 


3159  —  57 


-  I\°  i\. 


Dimanche  11  Octobre  1891. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrei,,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  .Manuscrits,  lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Hisloire  de  la  seconde  salle  Favart  (29"  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  A  propos  de  Manon,  H.  M.;  premières  repré- 
sentations de  la  Mer,  à  l'Odéon,  et  de  VAmi  de  la  maison,  à  la  Comédie-Française, 
Paul- EMILE  Chevalier.  —  III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (10"  article), 
André  Martiset.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  pia.no  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PARMI    LE   THYM    ET   LA    ROSÉE 

idylle  de  Paul  Rougxon.  —  Suivra  immédiatement  :  Carillon,  petite  pièce 
pour  piano  de  Robert  Fischhof. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 

de    CHANT  :  Au  rossignol,  nouvelle  mélodie  de  Robert  Fischhof,  traduction 

française   de   Pierre   Barbier.  —   Suivra  immédiatement  :  Beaux  yeux  que 

j'aime,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de   Th.  M.\quet. 


HISTOIRE  DE  L4  SECONDE  SALLE  FAVART 


A-lbert   SOUBIES    et   Charles   MALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  IV 

AVANT     LA     GUERRE 

1868-1870. 

(Suite.) 

Nos  derniers  articles  sur  la  seconde  salle  Favart  nous  ont 
valu  une  lettre  doublement  précieuse  :  d'abord  parce  qu'elle 
nous  est  adressée  par  un  homme  de  talent  et  d'esprit, 
M.  Emile  Pessard;  puis  parce  qu'elle  confirme  une  fois  de 
plus  la  justesse  d'une  remarque  que  nous  avons  souvent  faite 
au  cours  de  notre  travail,  c'est  que,  lorsque  l'on  est  soucieu.x 
de  l'exactitude,  il  faut  le  moins  possible  interroger  les  inté- 
ressés; le  souci  de  leur  cause  rend,  involontairement,  leur 
mémoire  complaisante  à  ce  qu'ils  désirent  montrer  et  rebelle 
à  ce  qu'ils  préfèrent  cacher. 

Voici  la  lettre  en  question  : 

«  Ah  I  mon  cher  confrère,  vous  avez,  pour  la  première  fois, 
été  mal  renseigné.  Dans  le  chapitre  Avant  la  guerre  de  l'étude 
que  vous  faites  paraître  dans  le  Ménestrel  et  qui  est  joliment 
intéressante,  vous  dites  :  «  déjà  le  public  se  lasse  des  formes 
consacrées  et  aspire  à  du  renouveau.  De  là  sa  froideur,  de 
là  cette  longue  hécatombe  d'oeuvres,  qu'elles  soient  sio-nées 


par    des  auteurs    connus ou    par    des    nouveaux   venus 

comme  Nibelle,  M""=  de  Grandval,  Emile  Pessard,  etc.   Or,  la 
Cruche  cassée,  à  laquelle  vous  faites  allusion,  a  été  jouée  pour 
la  première  fois  au  temps  de  Ritt  et  de  Leuven  avant  l'arrivée 
de  Du  Locle  (la  date  précise  m'échappe),  par  Moisset,  Révilly, 
Leroy,  Nathan,  Bernard  et  Barnolt  et  est  restée  au  répertoire. 
Idrac  a  doublé  Leroy  et  Lignel  a  doublé  Barnolt,  si  j'ai  bonne 
mémoire.  La  pièce  a  été  jouée,  pendant   plus  de  deux  ans, 
quatre-vingts  fois.  Ce  n'est  pas  un  four,  celai  Elle  a  été  jouée 
en  Allemagne,  en  Belgique,  et  pas  mal  en  province.    Quand 
vous  réunirez   votre  étude    en    volume,    réparez   une  erreur 
qui  m'atteint  trop,  et  croyez  à  mes  sentiments  très  affectueux.» 
Ainsi,  M.  Pessard,  tout    en  nous  rectifiant,  ne  se  rappelle 
pas  la  date  précise  de  la  première  œuvre  qu'il  a  fait  repré- 
senter, et  celle-là  aurait  dû  marquer  tout  spécialement  dans 
sa   mémoire.    Il    dit    que   sa    pièce  a   été   montée  avant  l'ar- 
rivée de  Bu  Locle,  et  la  Cruche  cassée  a  été  jouée  le  21  février 
1870,    quand   M.    Du   Locle    était    associé  et   avait  remplacé 
M.   Ritt  depuis    le  26  janvier:   première  erreur.   Ce  n'est  pas 
Lignel  qui  a  doublé  Barnolt,  mais  Barnolt  qui  a  doublé  Li- 
gnel :  deuxième  erreur.  Restent  les  représentations,  qui,  hélas! 
se    réduisent    au  chiffre  de   trente-cinq ,   réparties    entre  trois 
années  :  vingt  et  une,  comme  nous  l'avons  dit,  pour  la  première 
douze  pour  la  seconde,  et   deux  seulement  pour  la  troisième. 
M.  Pessard  comprendra  donc  que  nous  ayons  rangé  sa  Cruche 
cassée  dans  la  même  série  que  Vert-Vert,  par  exemple,  qui  a 
été  joué  cinquante-cinq  fois,  et  qui  cependant  n'a  pas  été  non 
plus  ce  qu'on  appelle  un  succès.  Ajoutons  qu'ici  nous  ne  ju- 
geons pas,  mais  que  nous  constatons  purement  et  simplement 
quitte  à  regretter,  à  part  nous,  qu'un  joli  lever  de  rideau  tel 
que  la  bluette  de  MM.  Emile   Abraham  et  Pessard  n'ait  pas 
eu  les  quatre-vingts  représentations  auxquelles,  en    somme 
il  pouvait  prétendre. 

Tandis  que  l'Opéra-Comique  luttait  péniblement  contre  la 
mauvaise  fortune,  le  Théâtre-Lyrique,  plus  malheureux  encore 
s'effondrait  subitement  ;  Pasdeloup  s'était  retiré,  et  les  artistes 
en  société  avaient  essayé  vainement  de  conjurer  le  mauvais 
sort  en  montant  Charles  VI.  Par  une  singulière  ironie  on  se 
trouvait  donc  chanter  à  la  veille  de  la  guerre  : 

La  France  a  l'horreur  du  servage. 
Et  si  grand  que  soit  le  danger 
Plus  grand  encore  est  son  courage 
Quand  il  faut  chasser  l'étranger. 

Non  seulement,  hélas!  la  France  ne  devait  pas  «  chasser 
l'étranger  »,  mais  encore  elle  l'accueillait  chaleureusement 
en  la  personne  d'un  Allemand  que  ses  fonctions  attachaient 
même  à  un  souverain  dont  les  troupes  allaient  fouler 
notre  sol.  M.  de  Flotow  avait  eu  la  singulière  fortune  de 
voir  réclamer  son  œuvre  d'abord  par  l'Opéra-Comique,  oîi  l'on 


322 


LE  MENESTREL 


distribua  les  rôles  à  Achard,  à  M"«^  Ugalde  et  Galli-Marié  ; 
par  le  Théâtre-Lyrique,  où  on  la  répéta  avec  Monjauze,  Meillet, 
M'"^*  Cabel  et  Marie  Rôze.  A  la  fermeture  de  ce  dernier  théâ- 
tre, rOmbi-e  s'installa  définitivement  à  la  salle  Favart  ;  M""  Priola 
remplaça  M""^  Cabel,  et  c'est  ainsi  que,  le  7  juillet,  sur  qua- 
tre artistes,  trois  chantèrent  qui  n'appartenaient  point  au 
personnel  ordinaire  de  l'Opéra-Comique.  Le  poème  de  Saint- 
Georges  plut  généralement.  On  s'intéressa  au  sort  de  cette 
jolie  servante  aimant  en  secret  son  maître,  un  noble  qu'elle 
croit  depuis  avoir  été  fusillé,  lors  de  la  guerre  des  Gévennes, 
et  dont  elle  retrouve  ,«  l'ombre  »  en  la  personne  d'un  jeune 
ouvrier  sculpteur.  Ce  n'est  pas  une  ombre,  c'est  bien  lui,  et, 
lorsqu'il  apprend  que  l'ami,  auquel  il  a  dû  son  salut,  va  payer 
à  sa  place,  il  part  se  livrer  et  d'abord  épouse  celle  dont  il 
devine  et  partage  l'amour.  L'intervention  d'un  haut  person- 
nage amène  le  dénouement  favorable  et  contribue  au  bon- 
heur des  deux  amants.  Une  musique  gracieuse  avec  des 
refrains  aisés  à  relenir,  tels  que  les  couplets  de  «  Cocotte  « 
et  la  chanson  «  Midi-Minuit,  »  assura  bien  vite  la  popularité 
de  ces  trois  actes  sans  chœurs,  comme  l'Éclair;  la  pièce  fut 
traduite  presque  aussitôt  en  quatre  ou  cinq  langues  et, 
bien  lancée,  commença  une  tournée  triomphale  dans  les 
deux  mondes.  Mais  dès  ce  moment  Paris  commençait  à  se 
désintéresser  du  théâtre  ;  la  guerre  avec  la  Prusse  venait 
d'être  déclarée,  et  l'attention  des  esprits  se  tournait  moins 
vers  les  choses  de  Fart  que  vers  celles  de  l'armée.  Au  milieu 
de  ces  préoccupations  patriotiques,  on  comprend  de  quelle 
oreille  distraite  fut  écouté  le  Kobold  lorsqu'il  eut  le  courage 
de  se  présenter  au  public  le  26  juillet.  Tout  en  lui  est  curieux 
du  reste  et  mérite  d'être  conté,  sa  naissance  et  sa  mort. 

On  se  proposait  de  monter  à  l'Opéra-Comique  le  Timbre  d'argent, 
comédie-ballet  de  M.  Saint-Saëns,  jouée  depuis,  mais  à  la  Gaité. 
On  avait  engagé  à  cet  eiïet  une  danseuse  italienne  assez 
réputée,  W'^^  Trevisan  (Trevisani,  au  delà  des  Alpes),  et,  en 
vue  de  la  produire,  on  la  fit  débuter  le  13  juin  dans  un 
divertissement  composé  pour  Lalla-Roukh,  reprise  alors  avec 
Capoul,  Gailhard,  M°'«>^  Zina-Dalti  et  Bélia.  Le  Timbre  d'argent 
étant  retardé,  et  Lalla-Roukh  ne  sufBsant  pas  à  l'activité  d'une 
ballerine,  M.  de  Leuven  convoqua  un  soir  MM.  Ernest  Guiraud, 
Nuitter  et  Louis  Gallet,  afin  de  leur  commander  un  opéra- 
ballet  en  un  acte  ;  une  légende  fournit  le  scénario,  qu'on 
ébaucha  sur-le-champ,  et  chacun  de  son  côté  se  mit  à  l'œu- 
vre ;  quotidiennement,  les  librettistes  envoyaient  un  morceau 
au  musicien  qui  le  renvoyait  non  moins  quotidiennement 
composé  à  la  copie,  d'où  il  partait  pour  aller  dans  les  mains 
des  artistes;  en  dix-huit  jours,  la  partition  fut  ainsi  écrite, 
orchestrée,  copiée  et  répétée. 

Le  Kobold  était,  suivant  les  auteurs,  un  génie  domestique, 
un  serviteur  invisible  qui  fait  la  besogne  à  sa  guise,  range 
tout  lorsqu'il  est  content  et  met  tout  en  désordre  lorsqu'il 
se  fâche.  Amoureux  de  son  maître,  ce  Kobold  féminin  lui 
fait  manquer  son  mariage  au  moment  même  de  la  cérémo- 
nie, et  lui  donne  un  anneau  magique  qui  lie  leurs  deux 
destinées,  jusqu'à  l'heure  fatale  où  la  fiancée  du  jeune 
homme,  revenue  de  sa  jalousie,  rompt  le  charme  et  cause 
ainsi  involontairement  la  mort  du  pauvre  Kobold  qui  s'éteint 
au  milieu  des  flammes  fantastiques  du  foyer.  La  musique 
légère  et  habilement  improvisée  par  Ernest  Guiraud  permit 
d'applaudir  la  gracieuse  Trevisan,  M'"^  Heilbron,  et  le  ténor 
Leroy,  révélant  alors  des  qualités  de  danseur  qu'on  ne  lui 
connaissait  pas  ;  il  faisait  le  grand  écart,  enlevait  sa  danseuse 
à  la  force  du  poignet,  et  la  soutenait  à  demi  renversée,  tout 
comme  s'il  eût  pris  des  leçons  d'un  Saint-Léon  ou  d'un 
Mérante.  Forcément  interrompu  alors,  le  Kobold  faillit  repa- 
raître après  la  guerre  ;  M"«  Fonta,  de  l'Opéra,  devait  rempla- 
cer M""' Trevisan,  qui  avait  quitté  Paris  pour  retourner  dans  son 
pays;  mais  l'Assemblée  Nationale  ayant  jugé  bon  de  retran- 
cher 130,000  francs  à  la  subvention  de  l'Opéra-Comique,  des 
économies  s'imposaient,  et  la  première  fut  la  suppression  du 
corps  de  ballet;  plus  de  danseuses  et  plus  de  Kobold!  Détail 


curieux  :  la  partition,  réduite  au  piano  par  Soumis,  accom- 
pagnateur du  théâtre,  fut  gravée;  le  compositeur  corrigea  les 
épreuves,  et  jamais  l'éditeur  Hartmann  ne  la  fit  paraître  ! 
Autre  aventure  :  un  jour,  l'ouverture  fut  exécutée,  depuis  la 
guerre,  dans  un  concert  donné  par  la  Société  Nationale,  lors 
de  sa  fondation  ;  M.  Ernest  Guiraud,  qui  avait  prêté  pour  la 
circonstance  la  partition  autographe  de  son  «norceau,  ne  la 
revit  jamais;  est-elle  tombée  entre  les  mains  d'un  ignorant? 
a-t-elle  été  recueillie  par  un  connaisseur  qui  sait  le  prix  de 
son  butin?  le  fait  est  qu'aujourd'hui  elle  manque  au  manus- 
crit orginal  de  l'auteur;  il  était  écrit  que,  mort  ou  vivant, 
le  Kobold  aurait  toutes  les  malchances. 

Et  les  débutants  débutaient  toujours!  en  juillet,  on  voit 
encore  un  certain  Augier  s'essayer  dans  GahUhi'e  (rôle  de 
Pygmalion),  et,  le  soir  même  de  la  première  représentation 
du  Kobold,  M.  Coppel  jouer  le  rôle  de  Tonio  dans  la  Fille  du 
régiment.  Ce  ténor  nouveau  venu  était  un  amateur  bordelais, 
affligé,  disait-on,  d'une  quarantaine  de  mille  livres  de  rente 
et  cultivant  la  musique  pour  son  plaisir.  Comme  il  possédait 
une  certaine  voix,  il  avait  travaillé  quelque  temps  avec  Du- 
prez  ;  la  tarentule  du  théâtre  l'avait  piqué,  et  Pasdeloup  lui 
avait  permis  de  chanter  en  1869  Rigoletto  au  Théâtre-Lyrique. 
Bien  plus,  le  9  août,  M.  Emmanuel,  celui-là  venu  de  province, 
où  il  avait  eu  quelques  succès,  notamment  à  Bordeaux  et  à 
Strasbourg,  ne  craignait  pas  de  se  produire  dans  le  Chalet 
(rôle  de  Daniel),  et  même  le  24  août,  Barnolt,  transfuge  du 
Théâtre-Lyrique,  un  de  ceux  qui  devaient  compter  parmi  les 
plus  utiles  et  fidèles  serviteurs  de  l'Opéra-Comique,  abordait 
le  rôle  de  Dandolo  dans  Zampa.  C'était  choisir  étrangement  une 
heure  in  extremis  pour  se  faire  apprécier  ;  mais,  d'autre  part, 
on  croyait  si  peu  à  la  suite  de  la  guei're,  qu'aux  Italiens, 
M.  Bagier  préparait  avec  tranquillité  ses  engagements  pour 
la  saison  suivante  et  qu'à  l'Opéra-Comique  on  répétait  le 
Fantasio  d'Ofïenbach,  annoncé  déjà  pour  le  mois  de  septem- 
bre. Toutefois,  cette  année,  le  15  août  se  passa,  comme  bien 
on  pense,  de  la  cantate  tra'ditionnelle.  Les  deux  dernières 
avaient  eu  pour  auteur.  Chariot,  un  ancien  prix  de  Rome, 
un  oublié  réduit  aux  fonctions  de  chef  de  chant  à  l'Opéra- 
Comique  et  à  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire.  L'une, 
celle  de  1868,  s'appelait  la  Bonne  Moisson  et  contenait  un  solo 
fort  bien  dit  par  Gailhard;  l'autre,  celle  de  1869,  s'appelait 
le  Centenaire  et  formait,  pour  Gailhard  et  Sainte-Foy,  une  pe- 
tite scène  où  l'auteur  avait  spirituellement  intercalé  un  cou- 
plet des  Souvenirs  du  peuple,  de  Béranger. 

Cependant,  on  chantait  au  théâtre  et  dans  la  rue,  toujours 
et  partout,  cette  Marseillaise,  longtemps  interdite,  et  entonnée 
par  M™  Marie  Sasse  un  soir  à  l'Opéra.  Et  depuis,  ce  cri  de  guerre 
avait  été  répété  à  l'Opéra-Comique  par  M™  Galli-Marié,  le 
21  juillet  par  Montjauze,  le  30  par  M"«  Marie  Rôze,  le  3  août 
par  Gailhard,  qui  déjà  portait  le  costume  de  mobile  avec  le- 
quel il  allait  faire  campagne;  puis  par  M"''  Danièle,  par  tous 
enfin  ;  c'était  de  l'enthousiasme,  du  délire,  puisque  la  foule, 
reconnaissant  un  jour  Capoul  qui  passait,  le  forçait  de  s'ar- 
rêter pour  interpréter  le  chant  de  Rouget  de  l'isle  en  plein 
boulevard.  Une  autre  fois  c'était  Melchissédec  qui  disait  les 
vers  de  Béranger  :  «  En  avant.  Gaulois  et  francs,  »  appelés 
pour  la  circonstance  «  Serrons  les  rangs  »  et  mis  en  musique 
par  Léo  Delibes,  puis,  venait  lire  en  scène  un  bulletin  de  l'ar- 
mée comme  au  temps  du  premier  empire.  Une  autre  fois  encore, 
c'était  Achard,  qui  faisait  bisser  le  Rhin  allemand  de  Félicien 
David,  chanté  dans  un  décor  représentant  un  camp  où 
chaque  choriste  figurait  avec  un  des  uniformes  de  notre  ar- 
mée. Ensuite  M™  Galli-Marié,  costumée  en  génie  de  la 
France,  le  drapeau  tricolore  à  la  main,  avait  chanté  trois 
strophes  de  la  Marseillaise.  Au  couplet  «  Amour  sacre,  »  une 
voix  ayant  crié  :  <  Debout  !  debout  !  »  toute  la  salle  s'était  levée 
pendant  que  l'artiste  et  les  chœurs  mettaient  un  genou  en 
terre,  et  l'assemblée  entière  avait  repris  avec  un  incroyable 
élan  le  refrain  du  dernier  couplet.  Dans  le  journal  où  il 
racontait    ces    faits,    certain  rédacteur  ajoutait   comme  mot 


LE  MENESTREL 


323 


de  la  fin  :  «  Et  maintenant,  à  quand  la  première  victoire  !  » 
Triste  ironie  !  cette  première  victoire  ne  devait  pas  venir, 
et  les  chants  patriotiques  disparaissant  successivement, 
correspondaient  presque  aux  diverses  phases  de  la  campa- 
gne ;  le  6  août,  plus  de  Rhin  allemand,  le  48  plus  de  «  Ser- 
rons les  rangs  »,  le  22  plus  de  Marseillaise  au  théâtre,  qui  se 
dégarnissait  de  plus  en  plus,  quoique  l'Etat-major  eût  re- 
tenu un  certain  nombre  de  loges  et  de  fauteuils  d'orchestre 
pour  les  militaires  de  la  garnison,  et  quoiqu'on  préparât  une 
représentation  extraordinaire  dont  le  produit  serait  versé  au 
ministère  de  la  guère  afin  de  défrayer  «  les  défenseurs  que 
la  province  envoie  à  Paris.  »  Les  recettes  baissaient  de  plus 
en  plus,  et  l'on  ne  lira  pas  sans  curiosité  le  tableau  suivant, 
qui  nous  les  montre  jusqu'à  la  clôture: 


21 

août 

1,193  50 

28 

août 

1,207  » 

22 

— 

927  50 

29 

— 

52S  75 

23 

— 

1,216  50 

30 

— 

672  50 

24 

— 

.898  ^ 

31 

— 

718  V, 

23 

— 

975  50 

lev 

septembre 

697  50 

26 

— 

948  75 

2 

— 

606  50 

27 

— 

618  50 

De  tels  chiffres  n'étaient  point  pour  améliorer  le  bilan  an- 
nuel, qui,  en  quatre  exercices,  avait  suivi  une  marche  régu- 
lièrement descendante.  On  avait  encaissé  pour  les  huit  pre- 
miers mois  d'exploitation  : 

En  1867  :  970,555  fr.  65 

En  1868  :  871,800      15 

En  1869  :  783,151       35 

En  1870  :  639,241 

Il  était  temps  d'arrêter  des  frais  devenus  inutiles.  Tout  ce 
qui  touche  au  théâtre  et  à  la  musique  s'effaçait  d'ailleurs 
peu  à  peu;  la  France  musicale  cessait  de  paraître  définitive- 
ment ;  la  Revue  et  Gazette  musicale  de  Paris  s'arrêtait  le  28  août, 
avec  un  numéro  contenant,  sur  les  princes  musiciens,  une 
étude  de  notre  ami  Henri  Lavoix  qu'il  devait  l'interrompre  au 
milieu  d'un  chapitre  consacré  justement  à  Frédéric  II.  Le 
l^'  septembre  on  donna  encore  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon  et  Fra 
Diavolo  ;  le  2,  Zampa,  et  le  3,  la  salle  Favarl  ferma  définitive- 
ment ses  portes.  La  troupe  était  d'ailleurs  en  partie  désorga- 
nisée. Parmi  les  artistes  qui  généreusement  avaient  versé 
une  somme  de  3,102  francs  à  la  souscription  nationale,  plu- 
sieurs, comme  Gapoul,  Gailhard,  Leroy,  Idrac,  Julien,  Emma- 
nuel, étaient  devenus  soldats  et  partaient  le  sac  au  dos.  L'heure 
avait  sonné  des  résolutions  viriles  et  des  dévouements  héroï- 
ques ;  la  patrie  était  en  danger.  Le  siège  et  la  Commune 
allaient  faire  connaître  aux  Parisiens  ces  «  Horreurs  de  la 
guerre  »  dont  ils  avaient  ri  l'année  précédente  à  l'Athénée, 
dans  une  opérette  ainsi  dénommée.  Désormais  les  flonflons 
de  l'Opéra-Gomique  s'accordaient  mal  avec  les  appels  aux 
armes.  Le  sifflement  des  balles  et  le  grondement  du  canon 
devaient  former  le  seul  accompagnement  musical  du  drame 
terrible  où  la  France,  jouant  sa  vie,  devait  par  son  courage 
sauver  au  moins  l'honneur  du  drapeau. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


A  PROPOS  DE  MANON 

C'est  demain  lundi  qu'aura  lieu,  à  r0pÉii.v-C0MiQLE,  la  reprise  de 
Manon,  la  plus  séduisante,  sinon  la  plus  élevée,  des  œuvres  de 
M.  J.  Massenet.  Représentée  pour  la  première  fois,  à  l'ancienne 
salle  Favart,  le  19  janvier  1884,  elle  suivait  de  près  sur  l'affiche  la 
charmante  Lakmé  de  Léo  Delibes.  On  peut  donc  marquer  d'une 
pierre  blanche  cette  saison  1883-1884,  qui  vit  naître  presque  coup 
sur  coup  deux  partitions  qui  comptent  parmi  les  meilleures  de  la 
nouvelle  école  française.  Et,  comme  si  leur  sort  paraissait  lié 
toujours,  c'est  encore  au  moment  oli  l'on  vient  de  reprendre  Lakmé 
à  rOpéra-Comique  du  Ghâtelet  qu'on  y  reprend  Manon,  h  quelques 


mois  d'intervalle.  Ces  œuvres  sont  amies  et  marchent  côle  à  côlei 
comme  leurs  auteurs  oni  marché  toujours  dans  la  vie  jusqu'à  l'heure 
douloureuse  où  la  mort  brusquement  est  venue  emporter  l'un  d'eux 
dans  le  plein  épanouissement  de  son  talent.  Kassya  prouvera  de 
nouveau,  avant  qu'il  soit  longtemps,  quelle  perte  a  faite,  ce  triste 
jour,  la  musique  française. 

Nous  sommes  bien  certain  que  Manon  aussi,  comme  Lakmé,  re- 
trouvera demain  son  succès  d'anlan,  sans  qu'il  soit  nécessaire  pour 
cela  de  mobiliser  tout  un  corps  d'armée  ni  d'imposer  l'admiration 
par  la  force  des  baïonnettes.  C'est  une  partition  sortie  du  cœur  de 
son  auteur,  et  c'est  pour  cela  qu'elle  trouve  facilement  le  chemin 
de  celui  de  ses  auditeurs. 

Dans  le  Gaulois  de  vendredi,  M.  Edouard  Noël,  qui,  à  l'époque  où 
parut  Manon  pour  la  piemière  fois,  était  secrétaire  de  l'Opéra-Co- 
mique, note  quelques-uns  de  ses  «  souvenirs  »,  qui  sont  restés  très 
précis.  Nous  en  reproduisons  ici  des  fragments  qui  peuvent  être 
utiles  à  l'histoire  de  l'œuvre  : 

...  On  parlait  depuis  longtemps  déjà  de  cette  Manon,  qui  devait  être  un 
des  événements  de  l'hiver  1883-84.  Bien  des  compétitions  étaient  nées  au- 
tour de  la  création  de  ce  personnage.  Qui  serait  la  Manon  de  Massenet? 
Les  rôles  masculins  étaient  distribués.  A  Talazac,  dans  toute  la  maturité 
de  son  beau  talent  de  chanteur,  était  échu  le  rôle  du  chevalier;  Taskin 
avait  en  sa  possession  celui  de  Lescaut.  Mais  Manon?  Les  ambitions  fé- 
minines cherchaient  à  se  faire  jour.  M'"»^  Jeanne  Granier,  Bilhaut-Vau- 
chelet,  Vaillant-Couturier  étaient  sur  les  rangs,  et  d'autres  encore.  Mais 
les  auteurs  avaient  fixé  leur  choix  de  longue  date  sur  M™"  Heilbron. 

On  n'a  pas  oublié  ce  qu'elle  fut  dans  ce  rôle.  La  curiosité  publique  la 
guettait.  On  racontait  qu'un  riche  mélomane  américain  avait  loué  un  ap- 
partement contigu  à  celui  qu'elle  occupait  à  l'hôtel  Suffren,  pour  l'écouter 
dans  la  préparation  de  son  personnage  musical  et  connaître  avant  tous  la 
partition  si  impatiemment  attendue. 

Les  répétitions  suivaient  leur  cours.  Meilhac,  qui  n'a  jamais  été  un  fa- 
natique de  musique,  les  abandonnait  à  ses  collaborateurs.  Il  y  vint 
quelquefois,  cependant,  et  donna  son  avis,  toujours  écouté.  Un  jour  que 
Massenet  se  félicitait  du  superbe  résultat  qu'il  avait  obtenu  dans  l'explosion 
orchestrale  du  quatrième  acte,  d'un  elîet  si  grandiose,  le  spirituel  auteur 
riposta  par  cette  boutade,  dont  il  ne  pensait  certainement  pas  un  mot  : 

—  Parfaitement...  mais  un  capitaine  d^rtillerie  qui  fait  tirer  le  canon 
réalise  ce  rêve-là  bien  mieux  que  vous-même. 

Manon  parut. 

—  C'est  de  la  toute  petite  musique,  delà  musique  de  gamin  de  Paris, 
avait  dit  préalablement  Massenet  de  sa  partition. 

Pas  plus  que  Meilhac,  il  ne  pensait  un  mot  de  ce  qu'il  disait.  Il  l'aurait 
pensé  que  le  public  lui  eût  donné  tort.  L'œuvre  nouvelle  fut  accueillie 
avec  enthousiasme.  Elle  n'était  ni  allemande  ni  italienne,  mais  bien  fran- 
çaise. Elle  comprenait  une  quinzaine  de  motifs  dans  lesquels  s'incarnait 
chaque  personnage.  Manon  seule,  dont  le  type  est  un  mélange  de  mélan- 
colie et  de  gaîté.  en  avait  deux,  pour  bien  préciser  cette  alternance.  La 
pièce,  la  partition,  l'interprétation  allèrent  aux  nues.  Le  compositeur 
stéréotypa  ce  brillant  résultat  dans  les  dédicaces  musicales  qu'il  adressa 
à  ses  interprètes,  en  leur  rappelant  la  phrase-type  de  leur  rôle  : 

A  M™  Heilbron,  après  cette  phrase  du  rôle  de  Manon  :  N'est-ce  plus  ma 
main  que  cette  main  presse...  n'est-ce  plus  ma  voix?...  »  il  disait  :  «  Pourquoi 
citer  ce  passage,  madame,  n'êtes-vous  pas  pendant  les  six  tableaux  de 
cette  existence  ;  émouvante,  adorable,  cruelle,  enchanteresse?...  A  vous, 
à  Manon,  mon  admiration  reconnaissante.  » 

A  Talazac,  après  :  a  Ah  I  fuyez,  douce  image  à  mon  âme  trop  chère  »,  il 
ajoutait  :  i  A  Talazac,  à  l'artiste  incomparable,  à  mon  cher  chevalier  Des 
Grieux...  souvenir  de  vive  reconnaissance  et  d'affection...  » 

A  Taskin,  après  le  madrigal  d'un  style  si  élégant  et  si  léger  :  «  Ma 
Rosalinde...  ma  Bosalinde...  »,  sa  plume  laissait  échapper  ce  compliment  de 
reconnaissance  :  «  Merci,  mon  cher  Taskin,  merci  de  tout  cœur...  Ah  ! 
quel  artiste  vous  êtes  !  » 

Enfin,  à  Danbé,  sous  les  yeux  de  qui  il  remettait  adroitement  la  dernière 
phrase  orchestrale  de  sa  partition,  il  disait,  dans  un  élan  de  reconnais- 
sance affectueuse  ;  «  C'est  après  cette  dernière  mesure,  cher  ami,  que  je 
te  devais  la  plus  grande  part  de  reconnaissance  pour  la  façon  splendide 
dont  tu  nous  a  menés  à  la  victoire...  Merci  de  tout  cœur,  mon  cher  Danbé!» 

Victoire  !  Oui,  certes,  ce  fut  une  victoire,  une  victoire  dans  la  plus 
grande  acception  du  mot. 

L'œuvre  a  fait  depuis  le  tour  du  monde,  partout  applaudie  et  acclamiée. 
Une  jeune  artiste  américaine,  qui  rêvait  les  applaudissements  parisiens, 
s'était  éprise  du  rôle...  Elle  le  chanta  à  La  Haye  sous  le  nom  de  Palmer... 
Mais  bientôt,  reprenant  son  véritable  nom  de  SibylSanderson,sous  lequel 
elle  devait  être  l'éblouissante  Esclarmonde,  elle  enchaînait  l'admiration  de 
tous  à  son  admirable  personne  et  à  son  beau  talent.  Avec  elle,  Manon 
connut  à  Bruxelles  et  à  Genève  les  rayonnements  du  triomphe,  et  c'est 
cette  fée  enchanteresse  que  nous  entendrons  bientôt  à  l'Opéra-Comique, 
dans  ce  rôle  qui  semble  avoir  été  écrit  exprès  pour  sa  beauté,  pour  sa 
nature  et  pour  sa  voix. 

Noël,  vous  avez  raison. 

H.  M. 


3  M 


LE  MEiNESlIU'L 


OrÉON.  La  Mer,  pièce  en  trois  actes  de  M.  Jean  Jullien.  —  Comédie-Fban- 
çAiSE.  L'Ami  de  la  maison,  comédie  en  trois  actes  de  MM.  H.  Raymond 
et  M.  Boucheron. 

Je  me  trouve  très  ea  retard  pour  parler  de  la  Mer  de  M.  Jean 
Jullien  et  j'eu  fais  toutes  mes  excuses  au  lecteur.  Aussi  bien,  ce 
défaut  de  ponctualité  me  sera  d'un  certain  secours  en  ce  qu'il  me 
permettra  de  ne  point  appuyer  outre  mesure  sur  les  détails  de  la 
pièce,  tous  mes  confrères,  grands  et  petits,  les  ayant  dits  et  redits 
depuis  plus  d'une  semaine  déjà  ;  je  sais,  d'ailleurs,  plus  d'une  oreille 
délicate  qui  n'aura  pas  lieu  de  s'en  plaindre. 

L'action  se  passe  en  Bretagne,  de  nos  jours  vraisemblablement, 
ea  un  hameau  perché  à  mi-côte  sur  une  falaise  de  rochers  roses  et 
parmi  les  ajoncs  et  les  bruyères  de  la  lande.  Un  des  gas  du  pays, 
Yves  Hemell,  rentre,  libéré  de  son  service,  et  apprend  que  sa  promise, 
Marie-Jeanne,  a  été  séduite  par  son  propre  beau-frère  à  lui.  Le 
premier  mouvement  d'Yves  est  de  tuer  l'enjôleur,  Kadik  ;  mais  on  lui 
fait  entendre  raison  :  la  sagesse,  parait-il.  veut  que  tout  soit  oublié, 
qu'Yves  épouse  Marie-Jeanne,  malgré  l'enfant  qu'elle  élève,  et  même 
que  tous,  Yves  et  Marie-Jeanne,  Kadik  et  Elisabeth,  sa  femme,  vivent 
en  commun  sous  le  même  toit.  Une  semblable  existence,  ainsi  qu'il 
était  facile  de  ie  prévoir,  n'est  rien  moins  qu'agréable  et,  un  beau 
jour,  Kadik  jette  par-dessus  les  bastingages  de  la  gabarre,  dans 
laquelle  ils  faisaient  la  pêche,  son  beau-frère  Yves. 

Si  je  vous  ai  raconté,  brièvement,  ce  petit  fait  divers,  ce  n'est 
point  pour  l'intérêt  que  vous  pourrez  y  prendre,  mais  bien  pour  vous 
prouver  que  l'auteur  ne  va  point,  pour  intéresser  le  public,  chercher 
les  intrigues  embrouillées  et  les  combinaisons  chères  aux  anciens 
dramaturges.  Il  prend  un  fait  quelconque  de  la  vie  courante,  —  je 
suis  de  ceux  qui  admettent  que  la  vie  brutale  des  paysans  puisse 
présenter  des  cas  aussi  contraires  à  la  morale  et  à  la  raison  que 
celui  qui  nous  occupe  —  et  son  travail  d'homme  d'art  consiste  à  le 
rendre  intéressant  à  l'aide  des  personnages  qu'il  met  en  scène.  C'est 
donc  surtout,  principalement,  les  acteurs,  non  l'action,  que  M.  Jul- 
lien s'étudie  à  nous  présenter. 

Dans  celte  partie  de  sa  lâche,  l'auteur  fait  preuve  de  talent,  st  j'ajou- 
terai même,  quitte  à  me  faijje  mal  voir  ds  certaines  gens,  preuve  de 
métier  ;  de  fait,  Yves,  Kadik,  Marie-Jeanne,  Elisabeth,  la  Mengoy, 
aubergiste,  le  père  Le  Braz,  vieux  loup  de  mer,  sont  vigoureusement 
campés  et  d'un  dessin  certain.  Je  me  permettrai  seulement  do 
regretter  que  l'auteur  ne  se  soit  pas  attaché  davantage  à  nous  faire 
entendre  des  choses  un  peu  moins  vulgaires  que  celles  qu'il  met 
dans  leur  bouche  ou  à  nous  faire  assister  à  une  action  moins  quel- 
conque et  surtout  moins  languissante  et  moins  délayée  que  celle 
de  ce  petit  drame. 

Des  trois  actes  de  la  Mer,  le  premier  est  réellement  intéressant 
et  le  troisième  contient  deux  scènes  fort  habiles  ;  quant  au  second, 
il  est  franchement  ennuyeux.  Reproche  excessivement  grave,  sur- 
tout s'il  s'adresse  à  l'écrivain  qui  se  pose  bravement  eu  rénovateur 
de  l'art  dramatique.  Bien  entendu,  les  théories  du  «  théâtre  vivant  » 
n'ont  pas  été,  celte  fois  encore,  sans  jouer  quelques  vilains  tours 
à  M.  Jean  Jullien,  bien  qu'il  semble  vouloir  s'aflranchir  peu  à  peu 
de  règles,  qu'il  a  pourtant  pris  soin  de  noter  lui-même,  se  rendant 
compte,  probablement,  que  si  les  anciens  procédés  dramatiques 
étaient  imparfaits,  ils  avaient  du  moins  quelques  avantages.  Le 
jargon  qu'il  fait  parler  à  ses  interprètes,  sous  prétexte  de  couleur 
locale,  est  vraiment  insupportable  sans  avoir  le  mérite  d'une  exac- 
titude rigoureuse. 

La  nouvelle  étude  de  l'auteur  du  Maître  est  excellemment  défen- 
due par  la  troupe  de  l'Odéon.  M"^«  Lerou,  qui  fut  à  la  Comédie- 
Française,  Dorsy,  qui  vient  du  Théâtre-Libre,  Marty  et  MM.  P.  Reney, 
Marquet  et  Cornaglia,  n'ont  droit  qu'à  des  compliments.  La  mise  en 
scène,  très  curieuse,  et  aussi  scrupuleusement  exacte  qu'il  est 
possible,  n'est  pas  un  des  moindres  attraits  de  la  représentation. 

Je  me  reprocherais  d'insister  longuement  sur  l'erreur  de  MM.  Hip- 
polyle  Raymond  et  Maxime  Boucheron,  présentant  leur  Ami  de  la 
maison  à  la  Comédie-Française  et  sur  la  faute  commise  par  le 
Comité  de  lecture  de  cette  même  Comédie-Française,  acceptant  et 
montant  celte  comédie  faite  évidemment  pour  une  autre  scène. 
D'ailleurs  les  deux  auteurs,  hommes  d'esprit,  viennent  de  reprendre 
leur  pièce,  et  je  suis  bien  convaincu,  qu'avec  quelques  retouches 
presque  insignifiantes,  ils  pourront  en  faire  trois  actes  divertissants 
pour  le  Palais-Royal  ou  les  Variétés.  MM.  Le  Bargy,  Coquolin  cadet, 
do  Féraudy,  Prudhon  et  M"""»  Reichenberg,  Bertiny,  Ludwig  et 
Lynnès  ont  joué  d'une  façon  quelconque;  le  public  n'a  pas  eu  la 
force  de  leur  en  vouloir.  Paul-Éjiile  CiiEVALiEn. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET   DE    DÉCLAMATION 


CHAPITRE  VI 


LOUIS-PHILIPPE   ET   LA   11°   RÉPUBLIQUE 

(Suite) 

«  Qui  croirait  que  cette  enfant,  qui  est  une  grande  tragédienne, 
n'a  jamais  vu  jouer  Talma  ?»  —  C'est  l'opinion  toute  franche  d'un 
critique  au  sortir  de  la  première  représentation  de  la  Juive  (23  fé- 
vrier 183.5).  La  nouvelle  victoire  de  M"*^  Falcon,  aux  côtés  de 
Nourrit,  vient  à  point  pour  rehausser  le  prestige  de  l'École,  toujours 
attaquée,  vilipendée,  raillée. 

On  lui  propose  pour  modèle  le  Conservatoire  de  Bagnères-de- 
Bigorre  (?),  qui  sera  eu  mesure  d'envoyer  cent  jeunes  chanteurs  aux 
fêtes  de  Toulouse  ;  d'autres  déclarent  trouver  plus  d'avenir  aux 
musiciens  du  Jardin  turc  ou  du  bazar  Saint-Honoré. 

Il  est  à  supposer  cependant  que  la  croche  conserve  de  nombreux 
dévots  dans  Paris,  puisque  Becquié  de  Peyréville,  un  ancien  élève 
de  la  rue  Bergère,  peut  composer  un  honorable  orchestre  nour  l'éta- 
blissement des  Champs-Elysées,  puisque  Tilmant  recrute  pour  le 
Gymnase  musical  du  boulevard  Bonne-Nouvelle  une  phalange  re- 
marquable. 

Piqué  de  la  même  tarentule,  le  Ménestrel  annonce  à  ses  abonnés 
qu'il  leur  sera  offert  chaque  année  un  concert;  au  premier  pro- 
gramme :  Liszt,  Adam,  Inchindi,  Couderc. 

Pour  assurer  au  festival  de  Juillet  une  allure  suffisamment  artis- 
tique, le  gouvernement  avait  confié  à  Mej'erbeer  et  à  Adolphe  Adam 
le  soin  d'en  composer  le  programme.  L'attentat  de  Fieschi  coupe 
court  aux  réjouissances  ;  ouvertures  et  chœurs  projetés  cèdent  le  pas 
au  Requiem  de  Chorubini,  exécuté  sans  grand  effet  aux  Invalides,  au 
Te  Deum  de  Lesueur,  qui  sonne  magnifiquement  sous  les  voûtes  de 
Notre-Dame. 

La  venue  des  concours  est  un  renouveau  pour  toutes  les  attaques. 
Liszl,  dans  la  Gazette  musicale,  constate  sans  trop  protester  qu'on  a 
baptisé  le  Conservatoire  :  «  la  salle  d'asile  des  momies  et  l'apo- 
théose des  perruques».  Pourquoi  les  élèves  qui  veulent  travailler  eu 
dehors  de  la  classe  sont-ils  obligés  de  demander  à  leur  même 
professeur  des  Isçons  supplémentaires  ?  Pourquoi  multiplier  les  prix 
au  point  de  transformer  en  encouragements  d'écoliers  ce  qui  devrait 
être  un  brevet  d'artiste  ? 

Au  jour  de  la  distribution,  par  un  froid  intense,  les  appareils  de 
chauffage  se  livrent  à  d'étranges  fantaisies,  et  c'est  à  travers  la 
fumée  qu'on  entend  les  variations  à  huit  mains  sur  il  Crociato, 
jouées  par  M'"  Klotz,  MM.  Lefébure,  Honoré  et  Goria,  lauréats  du 
piano,  et  les  vocalises  de  M""  Flécheux,  qui  sera  bientôt  le  page 
des  Huguenots. 

Une  longue  plainte  s'élève  de  Paris,  murmure  attristé  des  direc- 
teurs de  concerls.  Un  décret  prélève  le  huitième  de  la  recette  brute, 
et  voici  que  ces  institutions,  si  prospères  jadis,  jonchent  le  sol  de 
leurs  cadavres.  Mort  le  Gymnase  musical,  fermée  la  salle  Montes- 
quieu, dispersé  l'orchestre  de  l'hôtel  Laffille.  Rue  Bergère,  la  Société 
hésite  à  reprendre  ses  séances,  mais  les  recottes  s'annoncent  assez 
belles  pour  braver  le  nouvel  impôt. 

L'émeute  est  au  Conservatoire  :  cette  nouvelle  se  répand  à  tra- 
vers la  ville,  un  beau  matin  de  juillet  1836.  On  court  aux  renseigne- 
ments, on  apprend  que  les  mères  des  élèves  assiègent  le  cabinet  de 
Cherubini,  mêlant  les  prières  aux  imprécations.  On  vient  de  leur 
interdire  l'accès  des  classes,  assourdies  par  leur  bavardage  ;  elles 
crient,  elles  protestent,  tant  et  si  bien  que  le  maestro  cousent  à 
parlementer.  Le  traité  de  paix  est  vite  conclu  :  une  mère,  une  seule, 
la  première  arrivée,  sera  admise  dans  le  sanctuaire;  les  autres  atten- 
dront dans  une  salle  voisine,  où  elles  pourront  tout  à  l'aise  échanger 
leurs  vues  sur  l'art  et  la  politique.  Entrée  libre,  les  jours  oii  les 
élèves  des  deux  sexes  sont  réunis. 

Le  calme  renaît,  et  on  peut  pousser  les  répétitions  du  Requiem,  exé- 
cuté le  28  juillet,  au  service  anniversaire,  dans  l'église  des  Invalides. 

Cette  année-là,  les  concours  de  chant  et  d'opéra-comique  sontune 
véritable  revue  du  répertoire  contemporain  ;  le  Barbier,  le  Chalet, 
Leicester,  l'Eclair,  la  Fiancée,  la  Marquise,  défilent  à  tour  de  rôle  de- 
vant les  auditeurs,  qui  applaudissent  Alizard  et  M"=  Castellau. 
M.  Groisilles  est  parmi  les  lauréats  du  violon. 


LE  MENESTREL 


325 


La  mélancolique  histoire  des  prix  de  Rome  est  le  thème  choisi 
par  M.  de  Gasparin  pour  son  discours  de  la  distribution  des  prix.  Les 
hésitations  des  directeurs  à  monter  des  œuvres  de  musiciens  inconnus 
étant  chose  naturelle,  «  il  faudrait  un  établissement  où,  après  un 
examen  destiné  à  écarter  les  incapacités  ambitieuses,  on  exécuterait 
habituellemecit  de  la  musique  nouvelle;  ce  serait  une  chapelle,  car  la 
musique  sacrée  est  un  genre  sérieux  ou  il  faut  faire  preuve  de 
science,  mais  qui  n'exclut  pas  les  développements  de  l'imagina- 
tion. » 

La  confiance  renaît  aux  prix  de  Rome. 


L'hiver  1837  débute  par  une  bonne  action:  aidés  de  Ponchard  et 
de  M""=  Casimir,  quelques  élèves  du  Conservatoire  organisent  une 
séance  musicale  qui  rachètera  de  la  conscription  un  jeune  flûtiste 
de  l'École. 

C'est  la  série  des  concerts  qui  recommence,  à  peine  troublée  par 
l'influenza  qui  fait  rage,  le  flot  de  symphonies,  de  chœurs  et  d'ou- 
vertures qui  envahit  toutes  les  salles  jusqu'à  la  fête  inouïe  donnée 
le  10  juin  au  palais  de  Versailles  restauré.  —  Cherubini,  Lesueur, 
Berton,  Auber,  Paër,  Halévj  et  Mèyerbeer  représentent  la  musique 
au  banquet  et  au  spectacle.  Le  Mùanthrope,  avec  M"«*  Mars,  Mante 
et  Plessy  ;  le  trio  de  Robert,  chanté  par  Duprez,  Levasseur  et 
M"'  Falcon,  un  ballet  où  paraissent  Thérèse  et  Fanny  Elssler, 
M""  Noblet  et  Fitz-James  composent  le  programme.  En  entr'acle, 
la  Symphonie  allégorique  d'Auber,  contant  les  vicissitudes  de  la 
France  de  la  Régence  à  1830,  faisaut,  après  les  chants  révolution- 
naires, éclater  à  l'orchestre  Veillons  au  salut  de  l'empire,  aboutissant  à 
la  Parisienne. 

Deux  concurrents  acclamés  aux  séances  publiques  d'août  :  Roger, 
premier  prix  de  chant,  Francis  Berton,  vainqueur  dans  la  comédie. 

L'Institut  est  réuni  pour  distribuer  solennellement  les  prix  de 
Rome,  le  premier  à  M.  Besozzi,  le  second  à  M.  Gounod,  quand 
arrive  un  attristant  message  :  Lesueur  est  mort.  Ce  seul  nom  évoque 
une  longue  suite  de  souvenirs  ;  on  se  redit  les  étapes  de  cette  carrière 
toute  d'honneur  et  de  gloire,  attachée  à  l'histoire  de  l'École  depuis 
n9S.  C'était  le  musicien  favori  de  l'Empereur,  celui  qui,  le  soir  de 
la  première  représentation  des  Bardes,  parut  dans  la  loge  impériale 
entre  Napoléon  et  Joséphine. 

A  l'église  Saint-Roch,  le  Conservatoire  est  réuni  tout  entier 
pour  les  funérailles.  Auprès  de  la  musique  du  mort,  des  compo- 
sitions de  ses  élèves  favoris,  entre  autres  un  Agims  Dei  d'Ambroise 
Thomas,  chanté  par  Duprez. 

La  distribution  des  prix  est  marquée  chaque  année  par  de  belles 
promesses  :  M.  de  Montalivet  ne  saurait  faillir  à  celte  tradition,  et 
les  aspirants  compositeurs  reçoivent  la  formelle  assurance  de  trouver 
un  livret  remarquable  à  leur  retour  d'Allemagne. 

L'orateur  déclare  encore  que  le  rétablissement  du  pensionnat  pour 
les  hommes  est  d'absolue  nécessité;  il  constate  enfin  que,  très  pro- 
chainement, «  les  élèves  du  Conservatoire  exécuteront  des  chants 
qui  seront  l'œuvre  d'un  élève  du  Conservatoire  ».  —  Allusion  au 
Requiem  de  Berlioz,  donné  aux  Invalides  pour  les  obsèques  solennelles 
du  firénéral  Damrémont. 


1838.  Les  anciens  élèves  du  Conservatoire  se  distinguent  particu- 
lièrement celte  année-là.  C'est  d'abord  la  messe  d'Elwart,  chantée  à 
Sainl-Eustache  ;  Dietsch  conduit  l'orchestre,  l'orgue  est  tenu  par 
Ambroise  Thomas.  Encouragé  par  ce  succès,  le  jeune  compositeur 
écrit  un  morceau  que  les  élèves  de  Saint-Denis  chanteront  le  jour 
où  la  reine  les  vient  visiter.  Cette  incursion  sur  le  domaine  politique 
lui  fait  retirer  le  feuilleton  de  l'Ewope  monarchique. 

Le  6  avril,  à  l'Opéra-Comique,  le  Perruquier  de  la  Régence.  Les 
espérances  de  la  Double  Echelle  se  réalisent.  «  Il  n'y  a  pas  longtemps, 
déclare  le  Co/wZi/M^îonne/,  M.  Ambroise  Thomas  était  tout  simplement 
un  lauréat  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  no  sachant  trop  à  quelle 
fortune  son  étoile  le  réservait...  On  a  remarqué  dans  son  nouvel 
ouvrage  des  morceaux  qui  pourraient  bien  lui  frayer  la  roule  de 
l'Opéra-Cjmique  à  l'Académie  royale  de  Musique  ». 

ijj  Accueilli  le  plus  fraîchement  dn  monde,    le   Benvenuto  Cellini   de 

JK       Berlioz,  le  IS  septembre  à  l'Opéra. 

U  Les  concerts  ont  déchaîné  sur  la  France  un  tel  envahissement  de 

pianistes,  qu'une  violente  réaction  est  inévitable.  On  affirme  que 
M.  de  Salvandy  a  rendu  un  arrêt  interdisant  formellement  le  moindre 
morceau  de  piano  aux  distributions  des  prix.  Ce  décret  s'étend  à 
tout  le  royaume. 


Un  recensement  du  Conservatoire  en  1839  nous  est  t'ourni  par  le 
speech  de  M.  de  Kératry  :  37S  élèves  (239  hommes  et  1.36  femmes) 
reçoivent  les  leçons  de  l'École.  Sur  ce  total,  149  seront  admis  à 
concourir  et  87  nominations,  dont  37  premiers  prix,  seront  accordées. 

Parmi  les  élus,  les  théâtres  font  une  moisson  brillante  :  l'Opéra 
s'attache  M""  Dobrée  ;  Masset  et  Marié  entreut  à  l'Opéra-Comique. 
La  Comédie-Française  enlève  M"=  Doze,  transfuge  des  cours  de 
harpe,  et  M""  Augustine  Brohan. 

Pour  compléter  la  stalistique,  ajoutons  que  le  matériel  de  l'Ecole, 
mobilier,  instruments,  bibliothèque,  vient  d'être  évalué  à  1,114,860 
francs. 

Par  trois  fois,  le  Conservatoire  entonne  le  Requiem  :  aux  obsèques 
de  Paër,  au  service  funèbre  de  Nourrit,  auprès  du  cercueil  de  Plan- 
tade. 

Rappelons  enfin  que  la  Gipsy,  dansée  par  Fanny  Elssler,  met  le 
nom  de  M.  Ambroise  Thomes  sur  les  affiches  de  l'Ojiéra,  et  que 
M"^  Pauline  Garcia  débute  au  Théâtre-Italien,  dirigé  par  M.  Viardot. 

Les  deux  premiers  actes  de  la  Juive,  le  quatrième  des  Huguenots, 
Duprez,  Dérivis,  Massol,  Alexis  Dupont,  M""'  Dorus-Gras,  les  débuts 
de  Lucile  Grahn,  tel  est  le  programme  qui  suffirait  à  remplir  la 
salle  de  l'Opéra,  le  14  mars  1840;  et  à  lant  de  séductions  s'enjoint 
une  plus  irrésistible  encore  :  Gornélie  Falcon  va  reparaître  dans  la 
soirée  donnée  à  son  bénéfice. 

Qu'elle  est  morne  et  attristée,  cette  représentation  qu'on  se  pro- 
mettait triomphale!  A  peine  entrée  en  scène,  M"=  Falcon,  trahie 
par  sa  voix,  éclate  en  sanglots,  tombe  évanouie  dans  les  bras  de 
Duprez.  On  l'acclame  pourtant;  les  fleurs  et  les  couronnes  s'amon- 
cellent, Paris  veut  donner  à  son  idole  l'illusion  d'une  suprême 
victoire. 

Une  certaine  agitation  règne  parmi  le  public  des  concours.  Avant 
l'ouverture  de  chaque  séance,  le  secrétaire  du  Conservatoire  a  soin 
d'avertir  les  auditeurs,  par  une  formule  empruntée  au  répertoire 
des  cours  d'assises,  que  «  tout  signe  d'improbation  ou  d'approba- 
»  lion  est  formellement  interdit  ».  On  n'en  applaudit  pas  moins  la 
clarinette  de  M.  Blançon  avec  une  furia  contre  laquelle  la  sonnette 
et  les  cris  de  Cherubini  restent  impuissants  ;  au  chant,  les  ovations 
deviennent  si  bruyantes  après  un  air  de  Joseph,  que  le  président, 
hors  de  lui,  menace  de  faire  évacuer  la  salle  et  de  terminer  les 
concours  à  huis  clos. 

Peut-être,  en  réprimant  le  tapage,  le  maestvo  n'était-il  pas  guidé  par 
le  seul  respect  du  lèglement.  La  salle  menace  ruine;  quelques 
lézardes  la  sillonnent  déjà,  et  le  ministère  est  resté  sourd  aux 
plaintes  réclamant  de  promptes  réparations. 

Sous  ces  lambris  menaçants,  on  proclame  les  premiers  prix  de 
Leroux  et  de  M"=  Augustine  Brohan,  exquise  d'esprit,  do  vivacité. 
Au  second  rang,  M""  Denain,  qui,  ainsi  que  W  Begbeder,  est  à  la 
fois  élève  de  l'école  et  pensionnaire  du  Théâtre-Français.  César 
Franck,  élève  de  Leborne,  est  le  vainqueur  de  la  fugue  et  du  contre- 
point, suivi  de  près  par  M.  Prumier  ;  M'i«  Revilly  remporte,  avec 
M"'  Descot,  la  couronne  de  chant. 

Pour  la  première  fois,  les  prix  sont  distribués  sur  la  scène  le 
22  -novembre,  sous  la  présidence  du  duc  de  Coigny.  Ou  signale 
«  l'excellente  attitude  des  élèves,  rangés  dans  l'ordre  le  plus  parfait 
et  le  plus  moral:  les  hommes  occupant  un  côté  et  les  jeunes  demoi- 
selles, l'autre.   » 

La  fin  de  la  séance  est  un  peu  gâtée  par  l'économie  de  l'adminis- 
tration, qui  n'a  pas  mesuré  le  luminaire  au  programme  :  les  bougies 
du  lustre  n'éclairent  que  de  lueurs  expirantes  la  scène  de  comédie 
qui  termine  la  fête. 

Jamais  Paris  ne  contemplera  cérémonie  funèbre  plus  grandiose 
que  celle  du  lo  décembre.  Dans  un  rayonnement  d'apothéose,  les 
cendres  de  l'Empereur  sont  portées  aux  Invalides  ;  Napoléon  rentre 
en  vainqueur  parmi  les  étendards,  les  trophées,  et  la  musique  a  sa 
part  dans  cette  inoubliable  journée.  Auber.  Halévy  et  Adam  ont 
écrit  les  marches  qui  sonneront  sur  le  passage  du  char  ;  pour  l'é 
glise.  on  a  fait  choix  du  Requiem  de  Mozart.  Chaque  voix  sera 
quadruplée  :  Duprez,  Rubini,  Ponchard,  Alexis  Dupont  chanteront 
la  partie  de  ténor;  la  basse  est  distribuée  à  Lablache,  Levasseur, 
Barroilhet  et  Tamburini  ;  soprano:  M">«  Damoreau,  Dorus,  Grisi, 
Persiani;  contralto:  M°"=^  Stolz,  Albertazzi,  Eugénie  et  Pauline 
Garcia.  Parmi  les  trois  cents  exécutants,  dans  l'orchestre  et  les 
chœurs,  le  Conservatoire  est  largement  représenté. 

Dans  l'église,  revêtue  de  drap  violet  aux  arabesques  d'or,  l'effet 
est  inimaginable,  et  pourtant  —  les  journaux  sont  unanimes  à  le  re- 
connaître —  «  le  cercueil   faisait  oublier  Mozart  »  ;  tous   les  regards 


326 


LE  MÉNESTREL 


étaient  t'asciués  par  le  catafalque,  haut  de  cinquante  pieds,  entouré 
des  drapeaux  d'Auslerlitz. 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne  :  Berlin  :  Le  théâtre  KroU  a  clôturé  sa 
saison  lyrique  sur  une  représentation  donnée  au  profit  des  chœurs  et  de 
l'orchestre,  avec  le  concours  de  M'""  Moran-Older  et  de  M.  Gœtze.  Le  spec- 
tacle était  composé  de  différents  actes  détachés  d'opéras  :  Eurijanthe,  Faust, 
Obéron.  Carmen  Yient  de  reparaître  sur  la  scène  de  l'Opéra  royal;  à  cette 
occasion  on  a  remplacé  le  dialogue  par  les  récitatifs.  Ce  changement  est 
généralement  blâmé  par  la  presse.  — Brunswick:  crise  administrative  au 
théâtre  ducal.  Le  prince  régent  a  relevé  de  ses  fonctions  l'intendant  von 
Lohneysen  et  nommé  à  sa  place  le  maréchal  de  la  cour  von  der  Mtilbe. 

—  DussELDORF  :  le  théâtre  municipal  vient  de  rouvrir  ses  portes  avec 
Tannhaxiseï;  sous  la  nouvelle  direction  Stîegemann.  —  Hambourg  :  le  Démon, 
de  Rubinstein,  va  paraître  bientôt  sur  la  scène  municipale.  On  espère  que 
le  maître  consentira  à  venir  diriger  la  première  représentation. —  Munich  : 
le  spectacle  donné  au  théâtre  de  la  cour  en  l'honneur  de  l'empereur 
Guillaume  était  composé  de  Cavalteria  rusticana  et  du  Cid,  de  Cornélius. 
On  prépare  une  reprise  de  Coppélia,  sous  la  direction  de  la  maîtresse  de 
ballet,  M™°  Jungmann.  Au  théàti'e  Gartnerplatz,  la  représentation  de  la 
nouvelle   opérette  de   Dellinger,  Saint-Cyr,  a  abouti  à  une  lourde  chute. 

—  Prague  :  le  théâtre  allemand  a  célébré  avec  éclat  le  centenaire  de 
Meyerbeer;  il  y  a  eu  sept  soirées  de  gala  consacrées  aux  grandes 
œuvres  du  maître,  y  compris  Struensée  ;  les  Huguenots  ont  été  représentés 
dans  leur  intégrité,  d'après  la  version  originale.  —  Wiesbaden  :  un  essai 
malheureux,  et  assez  bizarre,  vient  d'être  fait  au  théâtre  de  la  cour;  on 
représentait  le  premier  acte  d'un  opéra  inédit  en  trois  actes,  intitulé 
Elfenliebe.  Le  compositeur,  M.  Jean  Grimm,  voulait,  par  ce  moyen,  pres- 
sentir l'accueil  que  ferait  le  public  à  l'ouvrage  complet.  L'expérience  ne 
lui  a  pas  été  favorable. 

—  Un  incident  assez  singulier  s'est  produit,  le  2  octobre,  à  l'Opéra  impé- 
rial de  Vienne,  pendant  la  répétition  générale  des  Amants  de  Téruel,  l'opéra 
du  compositeur  espagnol  Thomas  Breton,  dont  le  succès  a  été  si  grand 
dans  sa  patrie.  Au  dernier  acte,  le  héros,  Marsilla,  meurt,  et  on  l'enterre 
dans  l'église  de  Téruel.  Ou  apporte  le  cercueil  ouvert,  et,  dans  ce  cercueil, 
on  voit  le  mort  revêtu  d'une  chemise  blanche  et  la  figure  couverte  d'un 
masque  en  cire.  Le  masque  présentait  un  aspect  si  terrible  de  réalité  que 
la  partenaire  du  héros,  M"°  Schlœger,  en  l'apercevant,  a  été  prise  d'une 
syncope  et  s'est  affaissée  sur  la  scène,  la  tète  frappant  le  parquet  avec 
une  violence  telle,  qu'au  premier  moment  on  a  été  très  inquiet  au  sujet 
des  suites  que  cette  chute  pourrait  avoir.  Transportée  dans  sa  loge,  l'artiste 
s'est  remise  lentement  et  a  pu  quitter  le  théâtre  après  deux  heures  de 
repos. 

—  Il  y  a  eu,  le  30  septembre  dernier,  cent  ans  que  la  Flûte  enchantée, 
de  Mozart,  a  paru  pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Wiedener- 
Theater,  à  Vienne.  L'affiche  de  cette  première  représentation  était  ainsi 
conçue  :  «  Théâtre  impérial  royal  privilégié.  —  Aujourd'hui  vendredi, 
30  septembre  1791,  les  comédiens  du  théâtre  impérial  royal  privilégié 
auront  l'honneur  de  représenter  au  Wieden,  pour  la  première  fois,  la 
Flûte  enchantée,  grand  opéra  en  deux  actes,  de  Emmanuel  Schikaneder.  » 
(Suit  la  distribution.)  Puis,  au-dessous,  en  plus  petits  caractères  :  «  La 
musique  est  de  M.  Wolfgang-Amédée  Mozart,  capellmeister  et  compositeur 
authentique  (sic)  de  la  Chambra.  Par  déférence  pour  un  public  clément 
et  respecté,  et  par  amitié  pour  l'auteur,  M.  Mozart  dirigera  lui-même 
l'orchestre  ce  soir.  Les  livrets  de  l'opéra,  ornés  de  deux  dessins  sur  zinc 
représentant  M.  Shikaneder  dans  son  costume  de  Papageno,  sont  vendus 
trente  kreutzers  à  la  caisse  du  théâtre.  M.  Gayl,  peintre  du  théâtre,  et 
M.  Mellsthaler  se  flattent  d'avoir  exécuté  leurs  travaux  avec  le  zèle  le 
plus  artistique,  suivant  les  indications  de  l'auteur.  » 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  prépare  une  reprise  qui  ne  saurait  man- 
quer d'exciter  un  vif  intérêt,  celle  du  fameux  ballet  de  Prométliée,  dont 
Beethoven  a  écrit  la  musique.  Mais,  chose  assez  singulière,  il  a  été  im- 
possible de  retrouver  la  moindre  trace  du  scénario  original  ;  si  bien  qu'on 
a  dû  charger  un  poète,  M.  Taubert,  d'en  construire  un  absolument  nou- 
veau pour  cette  reprise.  Il  est  probable,  toutefois,  qu'on  a  dû  retrouver 
au  moins,  à  l'aide  des  journaux  du  temps,  la  marche  générale  de  l'action 
du  drame  dansé. 

—  L'Association  des  artistes  musiciens  de  Vienne  vient  de  décider  la 
création  d'une  bourse  où  l'on  concentrera  les  demandes  et  les  offres  rela- 
tives à  la  musique.  Les  chefs  d'orchestre  et  de  bandes  musicales  auront 
leur  entrée  libre,  tandis  que  les  musiciens  devront  payer  un  florin  d'en- 
trée, ce  qui  peut  sembler  un  peu  cher.  La  bourse  sera  ouverte  la  veille 
de  chaque  jour  de  fête  et  ces  mêmes  jours.  A  la  séance  de  fondation 
étaient  présents  les  délégués  et  représentants  de  trente  orchestres. 

—  Voici  la  liste  des  conférences  qui  seront  faites  à  l'Université  de 
Vienne  au  cours  de  la  saison  'd'hiver  1891-1892  :  L'histoire  de  l'opéra  en  Italie 


et    en  France,  par  M.  Edouard   Ilanslick,  noire  excelleul  et  renommé  con-  1] 

frère  de  la  Neue  frei  Presse  ;  de  l'in/luence  de  l'idéal  antique  sur  le  développement  | 

de  l'art  musical,  par  M.  Max  Dietz  ;  et  la  science  de  l'harmonie,  par  M.  Anton  <' 
Bruckner. 

—  Le   célèbre    collectionneur   allemand    Paul   de   Witt   présentera   à 
l'Exposition  de  musique  de  Vienne  une  série  de  deux  cents  instruments 
anciens,  tous  en  état  d'être  joués.  C'est  la  troisième   collection  d'instru- 
ments rares  et  anciens  que  M.  de  Witt  a  pu  réunir  ;  les  deux  premières  j 
ont  été  acquises  par  l'État  prussien.  Les  visiteurs  de  l'Exposition  auront,  \. 
parait-il,  sous  les  yeux,  à  l'aide   de  cette  collection,  un  fidèle  tableau  du  | 
développement   de   la   facture  instrumentale   dans    toutes    ses  branches. 

M.  de  Witt  fera  entendi-e  une  partie  de  ses  instruments  dans  un  concert 
historique  spécial.  Lui-même  jouera  d'une  viole  di  gamba. 

—  Nous  avons  publié,  d'après  les  journaux  allemands,  l'état  financier 
des  derniers  Feiispiele  de  Bayreuth.  Rappelons  que  le  total  des  recettes 
s'est  élevé  à  huit  cent  mille  marks.  Veut-on  savoir  maintenant  quelle  a 
été  la  part  de  M""  Gosima  dans  ce  magnifique  butin  !  Cent  mille  francs  net, 
représentant  dix  pour  cent  sur  la  recette  brute. 

—  Le  dramaturge  allemand,  Ernest  Pasqué,  vient  de  faire  paraître  un 
nouveau  livret  en  langue  allemande  des  Deux  Journées,  le  célèbre  opéra  de 
Cherubini  dont  l'abandon  par  nos  scènes  lyriques  françaises  demeure 
inexplicable.  M.  Pasqué  s'est  attaché,  le  plus  possible,  à  suivre  le  texte 
original,  mais  il  l'a  faitprécéder  d'un  prologue  de  son  cru,  destiné  â  rendre 
l'exposition  plus  claire  et  qu'il  a  intitulé  le  Passage  du  Saint-Bernard.  La 
musique  qui  devra  servir  à  ce  prologue  est  celle  d'un  autre  opéra  de  Che- 
rubini, Elisa  ou  le  Voyage  au  Mont  Saint-Bernard,  créé  comme  le  précédent 
au  théâtre  Feydeau,  à  l'époque  de  la  Révolution,  et  dont  le  retentis- 
sement fut  immense. 

— Schubert,  on  le  sait,  a  laissé  inachevée  une  symphonie  dont  les  mor- 
ceaux existants  ont  été  fréquemment  exécutés  dans  les  concerts,  aussi 
bien  en  France  qu'en  Allemagne.  Il  paraît  qu'il  vient  de.se  trouver,  dans 
ce  dernier  pays,  un  musicien  exempt  de  modestie  comme  de  préjugés  qui 
a  assumé  la  tâche,  assurément  délicate,  d'achever  cette  symphonie,  ce 
qu'il  fait  annoncer  urbi  et  orbi,  à  l'aide  de  toutes  les  feuilles  musicales 
possibles.  Ce  «  continuateur  »  de  Schubert  s'appelle  modestement  Auguste 
Louis. 

—  C'est  le  Nord  qui  nous  raconte  cette  petite  mystification  d'un  chan- 
teur à  l'égard  du  public  :  —  a  Je  cueille  dans  un  journal  de  province  la 
piquante  fumisterie  imaginée  récemment  à  Kharkof  par  un  artiste  d'opé- 
rette très  connu  à  Pétersbourg,  M.  Davydof.  Le  jour  de  son  bénéfice 
approchant,  on  vit  paraître  sur  tous  les  murs  de  cette  ville  une  gigan- 
tesque affiche  promettant  au  public  l'entrée  libre  à  l'occasion  de  cette 
solennité.  Naturellement  il  y  eut  foule  énorme  aux  abords  du  théâtre, 
car  les  amateurs  ne  manquent  jamais  pour  ce  qui  ne  coûte  rien;  mais 
ceux  qui  avaient  eu  la  naïveté  de  se  présenter  éprouvèrent  la  désagréable 
déception  de  devoir  passer  avec  monnaie  et  roubles  en  main  par  le  con- 
trôle. Et  comme  la  plupart  se  révoltaient  contre  cette  exigence  de  l'admi- 
nistration en  invoquant  la  mirifique  affiche  de  bénéfice,  on  les  pria  poli- 
ment, mais  non  sans  ironie,  de  la  lire  avec  plus  d'attention,  et  ils  purent 
alors  constater  que  sous  la  colossale  inscription  d'entrée  libre  se  trouvaient 
imprimés,  en  caractères  microscopiques,  ces  mots  complémentaires  : 
Jusqu'à  la  caisse.  Nos  mystifiés  eurent  cependant  le  bon  esprit  de  ne- 
pas  prendre  en  mauvaise  part  la  plaisanterie  un  peu  trop  sans-façon  de 
M.  Davydof,  et  au  lieu  de  se  fâcher,  le  public  applaudit  plus  chaleureuse- 
ment que  jamais  son  comédien  favori. 

—  Comme  nous  l'avons  annoncé,  c'est  le  30  septembre  qu'à  eu  lieu,  à 
Zurich,  l'inauguration  du  nouveau  théâtre  qui  succède  à  l'édifice  récem- 
ment incendié.  A  cinq  heures,  les  invités  étaient  réunis.  Après  l'exécu- 
tion d'une  ouverture  de  Beethoven,  M"'  Clara  Markwart  est  venue  réciter, 
avec  beaucoup  de  succès,  une  pièce  de  vers  de  circonstance,  puis  on  a  re- 
présenté une  comédie  fantastique  mêlée  de  danses  qui  a  produit  un  grand 
effet.  Le  lendemain,  1"' octobre,  le  cours  des  spectacles  réguliers  a  com- 
mencé par  une  représentation  de  Loliengrin. 

—  On  nous  écrit  de  Berne  ;  —  »  A  la  suite  des  fêtes  séculaires  de  Berne, 
où  l'on  a  tant  joué  la  Marche  bernoise  (Bernermarsch),  il  est  curieux  de 
rechercher  d'où  vient  cet  air,  guerrier  et  enfantin  tout  à  la  fois,  qui  éveille 
dans  l'âme  des  fils  de  Zaehringen  des  sentiments  d'orgueil  et  des  souve- 
nirs de  gloire.  Un  des  historiens  bernois  les  plus  autorisés  en  fait  remonter 
les  origines  au  général  anglais  Edmond  Ludlow,  conseiller  de  Gromwell, 
qui  aurait  rapporté  cette  mélodie  en  Suisse  en  1660.  Ludlow  s'était  enfui 
d'Angleterre  lors  de  la  restauration  des  Stuarts,  et  fut  enterré  en  l'église 
de  Saint-Martin,  à  Vevey.  Selon  d'autres  historiens,  la  marche  bernoise 
serait  beaucoup  plus  ancienne  et  daterait  de  lo"2'2,  lorsque,  après  la  bataille 
de  la  Bicoque,  les  Suisses  au  service  du  roi  de  France  marchèrent  sur 
Rome.  Elle  aurait  été  jouée  aussi  plus  tard  à  Londres,  en  1614,  par  un 
corps  de  Bernois  engagés.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  servit  de  marche 
de  ralliement  aux  Bernois  lors  de  l'invasion  française  en  1798.  Dans  la 
nuit  du  4  au  5  mars,  la  ville  de  Laupen  fut  surprise  par  les  troupes  fran- 
çaises ;  un  bataillon  oberlandais  venait  au  secours  de  la  petite  cité.  Du 
haut  des  murs  de  Laupen,  on  avait  pris  la  colonne  amie  pour  une  colonne 


LE  MENESTREL 


327 


française  et  on  allait  la  receYoir  à  coups  de  feu,  lorsque  éclata,  sonore  et  ^ 
gaie,"  la  marche  guerrière  des  fifres  et  tambours  avec  ce  cri  :  OberlandI 
-Obetiand!  Dans  le  sanglant  combat  qui  eut  lieu  le  même  jour  sous  les 
bois  de  'Neuenegg,  l'adjudant  général  Weber  s'en  servit  pour  rallier, 
sous  l'épais  rideau  des  arbres,  sa  troupe  en  déroute.  Après  la  victoire  des 
Français,  la  Marche  bernoise  tut  bannie  jusqu'en  1802,  lors  de  la  guerre 
du  Steckli.  On  la  maintint  jusqu'en  1849,  et  elle  fut  fréquemment  jouée 
dans  certaines  circonstances  patriotiques.  Depuis,  elle  a  perdu  sa  valeur 
politique  et  sert  uniquement  de  souvenir  à  l'ancien  régime  belliqueux 
bernois.  C'est  à  bon  droit  que,  ces  dernières  années,  on  lui  a  rendu  sa 
place  d'honneur.  Nous  n'avons  en  Suisse  qu'un  très  petit  nombre  d'an- 
ciennes mélodies  populaires  originales;  on  ne  peut  guère  comparer  à  la 
Bernermarsh  que  quelques  vieux  airs  bâlois  et  la  «  Marche  des  armuriers 
de  Neufchàfel.  »  A  l'origine,  la  marche  bernoise  n'était  exécutée  que  par 
des  tambours  et  des  fifres  Depuis  lors,  on  l'a  transcrite  pour  orchestre, 
musique  militaire,  fanfare,  etc.,  etc.  On  a  même  composé  une  chanson, 
guerrière  dont  le  texte  est  bien  adapté  au  rythme  lourd,  mais  énergique, 
de  la  mélodie  qui  caractérise  si  parfaitement  le  vrai  Bernois.  —  G.  Doret. 

—  De  notre  correspondant  de  Genève  (8  octobre)  :  L'ouverture  de  la  sai- 
son théâtrale  s'est  faite  avec  Boccace  et  les  Huguenots,  qui  ont  permis  de  jeter 
un  premier  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  la  troupe  d'opéra  et  d'opérette 
réunie  par  M.  Dauphin,  notre  sympathique  directeur.  Je  dois  vous  signa- 
ler en  premier  lieu  le  succès  obtenu  par  le  baryton  Labis,  qui  peut  se 
considérer  d'ores  et  déjà  comme  ayant  conquis  droit  de  cité  chez  nous.  Il 
a  fait  preuve,  dans  le  rôle  de  Nevers,  de  sérieu  ses  qualités  de  chanteur  et 
de  comédien.  A  citer  également  les  débutsd'une  jeune  et  gentille  artiste, 
M""  Lemeignan,  lauréate  toute  récente  de  votre  Conservatoire.  M.  "Warot, 
dont  nous  gardons  à  Genève  le  meilleur  souvenir,  apprendra  avec  plaisir 
la  réussite  pleine  et  entière  de  son  élève,  qui  promet  pour  d'ici  peu  de 
temps  une  charmante  chanteuse  légère.  L.  M. 

—  Extrait  du  Journal  des  Étrangers,  de  Spa  :  «  Le  concert  de  dimanche 
soir,  dirigé  par  Jules  Lecocq,  a  été  fort  intéressant.  Nous  y  avons  entendu 
et  applaudi  une  jeune  violoniste  de  grand  talent,  M"°  Balthasar-Florence. 
Cette  charmante  artiste  manie  supérieurement  l'archet  ;  son  jeu  est  d'une 
couleur  et  d'une  justesse  incroyables  ;  on  sent  en  elle  une  artiste  et  une 
artiste  de  race,  dans  toute  l'acception  du  mot.  Son  succès  a  été  aussi  vif 
que  mérité,  car  il  est  impossible  de  mieux  jouer  l'andante  et  le  finale  du 
concerto  de  Mendelssohn,  le  Zigeunerweisen  de  Sarasate,  et  la  berceuse  de  la 
Vision  d'Harry  de  H.  Balthasar-Florence,  ajoutée  au  progra  mme  comme 
morceau  de  bis.  M.  Balthasar-Florence  père,  qui  est  un  grand  artiste,  peut 
à  bon  droit  être  fier  de  sa  fille.  » 

-■  Pour  savoir  au  juste  ce  qu'il  en  est  de  Falslaff,  l'opéra-comique  de 
Verdi,  s'il  est  prêt  et  où  il  sera  donné,  notre  confrère  Lauzières  de  Thé- 
mines  s'est  adressé  directement  au  maestro;  et  voici  un  passage  de  la 
lettre  que  "Verdi  écrit,  de  Bussetto,  à  son  ami  : 

5  octobre. 

C'est  parfaitement  vrai  1  Je  m'occupe  à  mettre  des  notes  sur  un  beau  librelto 
<ie  Boito,  tiré  de  Shakespeare  :  Faktaff. 

Quand  l'ouvrage  sera  achevé,  oii  et  à  quel  théâtre  il  sera  représenté,  c'est  ce 
■que  je  ne  saurais  vous  dire. 

J'écris  pour  m'amuser  —  et  le  sujet  m'amuse  bien,  —  ainsi  que  pour  passer 
le  temps. 

Pour  le  moment,  je  ne  saurais  et  ne  pourrais  vous  en  dire  davantage. 

Je  vous  serre  les  mains  de  tout  cœur. 

Votre  G.  Verdi. 

—  On  sait  que  l'illustre  compositeur  connu  sous  le  nom  de  Palestrina, 
le  grand  réformateur  de  la  musique  religieuse,  s'appelait  en  réalité  Gio- 
vanni Pierluigi,  et  qu'il  prit  ce  nom,  comme  tant  d'artistes  de  ce  temps, 
de  celui  de  la  ville  où  il  était  né.  C'est  en  effet  dans  la  jolie  petite  ville 
de  Palestrina,  l'antique  Preneste,  qu'il  avait  vu  le  jour,  et  c'est  elle  qui 
songe  maintenant  à  honorer  la  gloire  du  plus  illustre  de  ses  enfants  en  lui 
élevant  un  monument  à  l'occasion  du  troisième  anniversaire  de  sa  mort, 
advenue  le  2  février  1894.  Il  vient  donc  de  se  former  à  Palestrina  un 
comité  désireux  de  provoquer  de  grandes  fêtes  en  l'honneur  de  l'immortel 
auteur  de  la  Messe  du  pape  Marcel,  et  ce  comité  fait  déjà  circuler  des  listes 
de  souscription  qu'il  espère  voir  promptement  et  abondamment  remplies. 

—  On  a  donné  ces  jours  derniers,  au  théâtre  Brunetti,  de  Bologne,  la 
première  représentation  d'un  opéra  nouveau,  Vindice,  qui  paraît  avoir  reçu 
du  public  un  accueil  très  favorable.  L'auteur,  le  maestro  Masetti,  ancien 
élève  du  Lycée  musical  de  Bologne,  n'était  connu  jusqu'ici  que  par  quel- 
ques compositions  symphoniques.  On  assure  que  son  opéra  révèle  un 
véritable  talent, 

—  Un  congrès  de  musique  religieuse  se  tiendra  à  Milan  les  10,  Il  et  12 
novembre  prochain,  sous  la  présidence  de  son  Éminence  l'archevêque 
Calabiana,  représenté  par  le  prêtre  professeur  Giuseppe  Poggi.  Chaque 
jour  auront  lieu  des  messes  en  musique  exécutées  dans  l'église  de  Sant*- 
Antonio,  dépendante  de  la  paroisse  de  San  Nazaro,  sous  la  direction  ar- 
tistique de  M.  Gallignano,  maître  de  chapelle  du  dôme  de  Milan. 

—  Au  petit  thé  âtre  de  la  Fenice,  à  Naples,  on  a  donné  récemment 
une  opérette  nouvelle,  Biondino,  dont  la  musique  est  due  au  compositeur 
Buongiorno. 


PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Après  la  reprise  de  Manon  à  l'Opéra-Gomique,  on  commencera  les 
répétitions  de  Cavalleria  rusticana,  de  Mascagni,  qui  doit  passer  vers  le 
milieu  de  novembre.  C'est  M"'=  Calvé,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  qui 
doit  créer  le  rôle  de  Santuzza,  qu'elle  a  chanté  en  Italie  avec  succès.  La 
jolie  artiste,  actuellement  à  Florence,  se  rendra  bientôt  à  Rome  pour  y 
créer,  au  théâtre  Costanzi,  le  rôle  de  Suzel  dans  le  nouvel  opéra  de  Mas- 
cagni, l'Ami  Frits,  qui  sera  joué  vers  la  fin  du  mois  d'octobre.  Après  les 
six  premières  représentations  de  l'Ami  Fritz,  M"=  Calvé  sera  doublée  à 
Rome  et  viendra  à  Paris  pour  assister  aux  répétitions  de  Cavalleria  rusti- 
cana. On  compte  sur  un  succès  et  on  a  remis  au  printemps  la  première 
représentation  A'Enguerrande. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix 
réduits.  On  donnera  le  Mage. 

—  Juste  récompense  des  efforts  consacrés  par  M.  Gailhard  au  rehausse- 
ment de  l'art  lyrique  à  l'Académie  nationale  de  musique.  L'éminent  direc- 
teur vient  d'acheter  une  fort  belle  villa  à  Biarritz,  où  il  a  l'intention  de 
passer  une  grande  partie  de  l'année.  Bien,  cela  !  qu'il  y  reste  le  plus 
longtemps  possible. 

—  Du  Gil  Blas  :  «  Mardi,  à  la  salle  Pleyel,  M.  Bertrand,  le  nouveau 
directeur  de  l'Opéra,  a  entendu  plusieurs  fragments  d'un  nouvel  opéra, 
grand  ouvrage  en  quatre  actes,  paroles  et  musique  du  même  auteur... 
Qui?  un  homme?  une  femme?  Cherchez.  II  est  probable  que  cette  œuvre 
nouvelle  sera  jouée  par  M.  Bertrand.  »  Auteur  :  M""  Augusta  Holmes; 
titre  de  l'opéra  :  la  Montagne  noire.  Si  nous  avons  deviné,  que  le  Gil  Blas 
nous  envoie  un  lapin. 

—  M.  Jules  Cohen  vient  de  prier  MM.  Ritt  et  Gailhard  de  demander 
au  ministre  le  règlement  de  sa  pension  à  partir  du  l«r  janvier  1892,  l'état 
de  sa  santé  ne  lui  permettant  plus  de  remplir  les  fonctions  de  chef  des 
chœurs,  qu'il  occupait  depuis  de  longues  années  à  l'Opéra.  C'est  M.  Léon 
Delahaye  qui  succédera  à  M.  Jules  Cohen  dans  la  place  qu'il  laisse  vacante 
à  l'Opéra. 

—  Le  Conservatoire  a  fait  sa  rentrée  lundi  dernier  5  octobre.  A  partir 
de  ce  jour-là,  sa  riche  bibliothèque  musicale  est  ouverte  au  public,  depuis 
dix  heures  du  matin  jusqu'à  quatre  heures. 

—  Dans  les  éphémérides  parfois  très  curieuses,  du  théâtre  de  Lille  que 
donne  la  Semaine  musicale  de  cette  ville,  nous  trouvons,  à  la  date  du  4  oc- 
tobre 1813,  le  souvenir  d'une  représentation  extraordinaire  donnée  à  la 
mémoire  de  Grétry,  mort  le  24  septembre  précédent  à  l'Ermitage  de  Mont- 
morency. On  donnait  Sylvain  et  l'Amant  jaloux,  deux  de  ses  chefs-d'œuvre, 
et  la  note  suivante,  vraiment  originale,  était  publiée  à  ce  sujet:  «  Les  ac- 
teurs seront  en  deuil  ou,  selon  le  costume  de  leur  rôle,  porteront  un  crêpe 
au  bras.  On  commencera  à  6  heures  par  l'ouverture  de  Pien-e  le  Grand, 
l'une  des  belles  compositions  de  ce  grand  maître,  et  entre  les  deux  opéras, 
l'orchestre  exécutera  en  harmonie  le  trio  de  Zémire  et  Azor  :  a  Ah!  laissez- 
moi,  laissez-moi  la  pleurer  !  Aux  sons  de  cette  musique  suave,  les  artistes 
déposeront  sur  le  buste  du  grand  homme,  des  branches  et  des  couronnes 
de  laurier.  » 

On  nous  écrit  de  Strasbourg  :  Le  premier  concert  d'abonnement  de 

notre  orchestre  municipal  sera  donné  avec  le  concours  de  M"=  Leisinger, 
cantatrice  de  Vienne.  Au  second  concert,  qui  aura  lieu  le  mercredi  18  no- 
vembre, Joachira  viendra  jouer  le  troisième  concerto  pour  violon  de 
Max  Bruch,  œuvre  nouvelle  dont  on  dit  le  plus  grand  bien.  M.  Gustave 
VS''uliï  ténor,  qui  avait  chanté  avec  succès  les  soli  d'oratorios,  vient 
d'abandonner  le  concert  pour  le  théâtre.  Il  a  débuté  avec  succès  sur  notre 
scène  municipale  en  chantant  le  rôle  de  Max  dans  le  Freischutz.  L'autre  soir, 
M.  Marie-Joseph  Erb,  jeune  compositeur  strasbourgeois  qui  a  fait  ses 
études  à  l'école  Niedermeyer,  à  Paris,  a  donné  une  audition  de  ses  nou- 
velles œuvres.  M™'  Jeanne  Meyer,  violoniste,  professeur  à  la  maison  de 
la  Légion  d'honneur,  en  vacances  à  Strasbourg,  prêtait  son  concours  à 
M.  Erlj.  Dans  le  conrant  de  la  saison,  le  théâtre  municipal  donnera  der 
Kœnig  hafs  gesagt  (le  Roi  l'a  dit)  de  Léo  Delibes.  On  annonce,  en  outre, 
Cavalleria  rusticana,  de  Mascagni,  et  l'Enfant  prodigue,  de  Wormser. 

—  Cours  et  leçons.  —  M'""  Augustine  Warambon  annonce  pour  le  15  octobre  la 
réouverture  de  ses  cours  et  lerons,  29,  rue  de  Douai.—  M'"  Henriette  Thuillier  reprend 
ses  cours  de  piano  chez  elle,  24,  rue  Le  Peletier,  et  chez  M"°  des  Essarts  Boblet, 
108,  rue  du  Bac.  Les  examens  sont  faits  par  MM.  Diémer  et  Benjamin  Godard. 
Ijfmo  Edouard  lyon  fait  connaître  la  reprise  immédiate  de  ses  leçons  particu- 
lières, et  pour  le  1"'  novembre  la  réouverture  de  ses  cours  de  piano,  13,  rue  de 
Londres.  Cours  d'accompagnement  par  M.  Ed.  Nadaud  ;  cours  de  chant  par 
M'"  Jeanne  Lyon.  —  Reprise  des  cours  de  M"°  Alice  Sauvrezis,  salle  'Wetzels- 
Eslin,  7,  rue  Bonaparte,  et  99,  rue  Lafayette.  Auditions  présidées  par  M.  E.  Gui- 

raud  membre  de  l'Institut;  cours  de  solfège  esaminés  par  M"»  Donne,  professeur 
au  Conservatoire;  cours  de  chant  fait  par  M"°  Cécile  B.  de  Mouvel.  —  Réouver- 
ture des  cours  de  piino  et  de  chant  de  M"°  Grenier  George- Halnl. —  M""  Lafaix- 
Gontié  reprend  ses  cours  et  leçons  particulières,  chez  elle,  37,  rue  de  Passy,  et 
à  l'inslitul  Rudy,  7,  rue  Royale.  —  M""  Marie  Henrion,  de  l'Opéra-Comique,  reprend 
ses  cours  et  leçons  particulières  de  chant  et  de  diction,  à  partir  du  15  octobre, 
86  avenue  de  Villiers.  —  La  réouverture  des  cours  de  musique  de  M""  Breton- 
Halmagrand  (anciens  cours  Lebouc),  3,  place  des  Victoires,  aura  lieu  le  mardi, 
3  novembre,  avec  le  concours  de  M""  Cécile  Boutet  de  Monvel,  de  MM.  Ch.  Le- 
febvre  Alph.  Duvernoy,  professeur  au  Conservatoire,  et  Paul  Viardot.  Cours 
spéciaux  pour   les  jeunea  enfants  d'après  les  lanleaux- calques  de  M"»   Lebouc- 


3â8 


LE  MENESTREL 


Nourrit.  Leçons  particulières  à  partir  du  ISoclobre.  —  M""  Weingartner,  l'excellent 
professeur,  reprend  ses  cours  et  ses  leçons  de  solfège  et  de  piano,  36,  rue  d'En- 
ghien.  —  Le  professeur-compositeur  Ch.  Neustedt  vient  de  rentrer  à  Paris  et 
reprend  ses  cours  et  leçons,  5,  rae  Treilhard.  —  M.  Alexandre  Brody  a  repris  ses 
cours  et  leçons  do  chant,  44,  rue  de  Uaubeuge.  —  La  réouverture  de  l'Ecole 
classique  de  musique  et  de  déclamation  de  la  rue  Charras  a  eu  lieu  le  5  de  ce  mois. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  l'8o;c  chez  SAUVAIIRB,  72,  boalevm-l  Haussraao.i 

CHARLES    GOUNOD,  sa  Vie  et  ses  Œuvres 

Pak  Louis  P.iC.NER'RE,  Grand  in-S".  Prix  :  5  francs. 

Variations.   —  Avenir  de  notre  tonalité.  Prix  :   3  francs. 
De  la  mauvaise  influmce  du  Piano  sur  l'Art  musical,  in-8°,  prix  :  4  francs. 


Études  de  M''  Fbojugeot,  avoué  à  Paris,  rue  Joubert,  w^S,  et  de  M"  Laruy, 
notaire  à  Paris,  rue  du  Faubourg-Saint-Honoré,  n»  S. 
en  l'Étude  de  M"  Lardy, 
le  jeudi  22  octobre  1S91,  à  2  heures. 

EN   UN   LOT 

des 


VENTE 


DROITS  D'AUTEUR 


de  feu  M.  Alary, 

Compositeur  de  musique, 

et  de  la 

PROPRIÉTÉ  DES  PLANCHES  ET  EXEMPLAIRES  DE  SES  OEUVRES 

Mise  à  prix,  pouvant  être  baissée  :   1,200  francs. 

Consignation  préalable  :  300  francs. 

Enchères  de  20  francs  au  moins. 

S'adresser  auxdits  M^^  Fromageot  et  Lardy. 


Paris,  au  MENESTREL, 


7-ue  Vipicjiiw,  HEUGEL  et  O'^ ,  éditeurs-propriétaires. 


Partition  piano  et  chant 

Texte  français 
Prix  net  :  30  fr. 

Partition  piano  solo 
Prix  net:  lO  fr. 


MANON 

opéra-comique  en  3  actes  et  6  tableaux 
De  mm.  Henri  MEILHAC  &.  Philippe  OILLE 

MUSIQUE    DE 

J.   MASSENET 


Partition  piano  et  chant 

Texte  italie» 
Pi-ix  net  :  20  fr. 

Partition  chant  seul 
Prix  net  :  4  fr. 


lORCEAUX  DE  CHANT  DÉTACHÉS 


Arrivée  de  Manon.  Je  suis  encore  tout  étourdie  {S.) .      6     » 

Conseils  de  Lescaut.  Regardez-moi  bien  dans  les  yeux  (B.).   .   .   .      6    » 

Regrets  de  Manon.  Voyons,  Manon,  plus  de  chimères  (S.) 6     » 

Duo  de  la  rencontre.  El  je  sais  votre  notn.  —  On  m'appelle  Manon  (S. T.)      9    » 
Duo  de  la  lettre.  On  l'appelle  Manon,  elle  eut  hier  seize  ans  (S.  T.)      7.S0 

Adieux  de  Manon.  Adieu,  notre  petite  table  (S.) S    » 

Le  rêve  de  Des  Grieux.  En  fermant  les  yeux,  je  vois  là-bas  (T.).   .      5    » 
Duo  de  la  promenade.  La  charmante  promenade  (M. -S.  S.)  .   .   .   .       6    » 

17.  Gavotte.  Obéissons  quand  leur  voix  appelle  (en  fa) 
La  même,  transposée  en  sol 


N^s  9.  A  quoi  bon  l'économie  (B.) : 

10.  Manon  au  Cours  la  Reine.  Je  marche  sur  tous  les  chemins  (S.).   .   . 

11.  Duo.  Epouse  quelque  braiye  fille  {T.  B.) 

12.  Ah!  fuyez,  douce  image  (T.) 

13.  Duo  du  séminaire.  Pardunnez-moi,  Dieu  de  toute-puissance  (S.  T.). 
1-i.  Scène  de  la  séduction.  N'est-ce  plus  ma  main  (S.) 

15.  Trio  du  jeu.  Manon.  Sphinx  étonnant  [S.  T.  B.) 

16.  A  nous  les  amours  et  les  roses  (S.) 


Prix. 

6       B 

7.S0 
5    » 


TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  A  DEUX  MAINS 


BATTMANN  (J.-L 
BULL  (G.).  .  . 
CRAMER  (A.).   . 


DAM ARE.  .   . 
LAMOTHE  (G  : 

MASSENET  (J, 


Les  SiKcès  modernes.  N°  7  (facile) 5     » 

Nouvelles  Silhouettes.  N»  2fi  (  d»  ) S    ,, 

Premier  Bouquet  de  mélodies 7  50 

Deuxième  Bouquet  de  mélodies 7  50 

Polka 5     » 

Suite  de  valses 6     » 

Ballet  du  Roy 7  50 

Entracte  du  deuxième  acte 4     » 

Entr' acte-Chanson 3     » 


MASSENET  (J.) 


NEUSTEDT  (Ch. 
TAVAN  (E.)  . 


TROJELLI  (A.; 
VIDAL  (Paul) 


Gavotte 

Menuet 

Fantaisie-Transcription 

Pages  enfantines.  N"    1.  Menuet.   .   .   . 

—  N»  le.  Ail-  de  Manon. 
Les  Miniatures.      N°  81.  Menuet.    .    .    . 

—  N"  86.  Gavotte  .  .  ,  . 
Entr' acte-Chanson,  improvisation.  .  .  . 
Scène  de  la  séduction 


Prix. 
6  » 
6  » 
6  » 
2  50 

2  50 

3  » 
3  . 
5  » 
3    » 


TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  A  QUATRE  MAINS 


BULL  (G.).    .   .    .     Nouvelles  Silhouettes,  l^o  if> 

MASSENET  (J.).   .     Menuet 


MASSENET  (J.) 


Ballet  du  Roy 


FANTAISIES  ET  TRANSCRIPTIONS  POUR  INSTRUMENTS  DIVERS 


DAMARÉ Fantaisie  facile,  pour  flûte  et  piano 7  30 

GUILBAUT  (E.).    .  Fantaisie  pour  violon  seul 6    » 

—  .    .  Fantaisie  pour  flûte  seule 6    » 

—  .    .  Fantaisie  pour  cornet  seul 6    » 


HERMAN  (Ad.)  .   .     Les  Soirées  du  Jeune  Violoniste.  N"  27,  pour  violon  et 

PIANO 9 

—  .    .     Les  Soirées  du  Jeune  Flûtiste.  N"  27,  poui  FLUTE  et 

piano 9 


MASSENET  (J.).   .     Menuet  pour  violon  et  piano 7  30 


FANTAISIES  ET  TRANSCRIPTIONS  POUR  ORCHESTRE 


AUVRAY  (G.) 
DAMARÉ  .  . 


Fantaisie.  Parties  d'orchestre   .... 

—         Piano  conducteur 

Polka.  Parties  d'orchestre 

—     Chaque  partie  supplémentaire 


MASSENET  (J.; 


Gavotte.  Partition  et  parties  séparées 10 

—  Chaque  partie  supplémentaire 1 

Menuet.  Partition  et  parties  séparées 10 

—  Chaque  partie  supplémentaire 1 


FANTAISIE  POUR  MUSIQUE  D'HARMONIE 


CHIC  (L.).    .    .    .     Fantaisie,  en  partition 


Pn.K  net.     12 


Pour  la  location  de  la  . 


nie  partition  et  des  parties  d'orchestre  de  Manon,  s'adresser  à  AIÀI.  HEUGEL  cl  C",  2I"',  rue  }':ricnnc,  seuls  éditeurs propriétair 


3160  —  57"^ 


—  N"  U. 


Dimanche  18  Octobre  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉA^TRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  me  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  fr.incs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMIIEE- TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (30"  article),  Albert  Souries  et  Charles 
iMalherbe.  —  IT.  Semaine  théâtrale:  Reprise  de  Manon,  à  l'Opéra-Comique, 
Arthur  Pougin  ;  reprise  de  Kean,  à  l'Odéon,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  His- 
toir.^  anecdotique  du  Conservatoire  (11"  article),  André  Martinet.  —  IV.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

No!i  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AU    ROSSIGNOL 

nouvelle  mélodie    de    Robert  Fischhof,   traduction    française    de    Pierre 

Barbier.  —  Suivra  immédiatement  :  Beaux  yeux  que  j'aime,  nouvelle  mélodie 

de  J.  Massenet,  poésie  de  Th.  Maquei. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Carillon,  petite  pièce  de  Robert  Fischhof.   —  Suivra  immédia- 
tement :  Par  les  bois,  scherzo  d'ANTON'iN  Marmontel. 


HISTOIRE  ftE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A.lljer-t    SOtJBCES    et    Charles    MA.LHEFIBE3 


DEUXIEME  PARTIE 

(Suite.) 


.       ,     CHAPITRE  V 

l'héritage  m  THÉÂTRE-LYRIQUE.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Mattre  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette. 

1871-1874 
L'année  terrible  marque  une  dale  douloureuse  pour  l'his- 
toire de  noLre  pays.  Mais  c'est  le  propro  de  certaines  crises 
politiques  et  sociales,  d'avoir  leur  contre-coup  non  seulement 
dans  les  institutions,  mais  encore  dans  les  goûts,  les  mœurs, 
et  presque  la  vie  intellectuelle  d'une  nation.  Sans  la  guerre 
civile  succédant  à  la  guerre  étrangère  et  forçant  une  nation 
■  réputée  légère  à  envisager  plus  gravement  l'avenir;  sans  cette 
mulilalion  de  la  patrie,  obligeant  tout  un  peuple  à  se  tenir 
sous  les  armes;  sans  cette  rançon  formidable  faisant  à  la  for- 
tune publique  une  brèche  qu'il  a  fallu  réparer  à  force  d'éco- 
nomies et  d'activité  commerciale,  bien  des  idées  n'auraient 
pas  cours  à  l'heure  actuelle,  el,  pour  rester  sur  le  terrain 
artistique,  le  seul  ici  qui  nous  intéresse,  bien  des  théories 
musicales,  généralement  admises  aujourd'hui,  seraient  encore 
l'objet  de  graves  discussions. 


Sans  doute,  l'esthétique  ne  se  transforme  pas  du  jour  au 
lendemain  ;  les  formules  consacrées  persistent  longtemps,  par 
la  force  même  de  l'habitude.  Toutefois,  des  dates  comme  celle 
de  1870 constituent  des  points  de  repère,  et,  pour  mainte  ques- 
tion, on  oserait  dire  qu'il  n'en  alla  pas  de  même  après 
qu'avant.  En  musique,  par  exemple,  les  tendances  n'ont  pas 
été  renouvelées,  à  proprement  parler,  par  le  fait  même  de  la 
guerre:  les  théories  de  Berlioz  et  de  Wagner  avaient  exercé 
déjà  une  action  lente,  mais  certaine,  sur  l'esprit  de  plusieurs 
compositeurs.  Et  pourtant,  c'est  depuis  la  guerre  que  les  œu- 
vres de  Wagner  n'ont  plus  été  sifflées  aux  concerts  Pasdeloup 
et  que  la  foule,  grâce  aux  efforts  intelligents  de  M.  Edouard 
Colonne,  a  reconnu  le  génie  de  Berlioz.  C'est  depuis  la  guerre 
que  dans  les  ballets  de  l'Opéra,  ce  qui  était  l'exception  est 
devenu  la  règle,  et  que  le  niveau  de  la  musique  de  danse  s'est 
élevé  jusqu'à  la  symphonie;  depuis  la  guerre,  que  nos  théâ- 
tres subventionnés  ont  repoussé  les  riches  amateurs  el  nobles 
étrangers,  jadis  trop  aisément  admis;  depuis  la  guerre,  enfin, 
que  l'Opéra-Comique,  où  déjà  soufflait,  nous  l'avons  dit,  un 
vent  de  réforme,  a  modifié  (juelque  peu  son  caractère  en 
recueillant  définitivement  l'héritage  du  Théâtre-Lyrique. 

Ce  dernier  fait  a  son  importance,  et  si  l'opéra  sérieux  s'est 
acclimaté  peu  à  peu  à  la  salle  Favart,  c'est  à  l'incendie  du 
théâtre  de  la  place  du  Ghâtelet  et  à  l'initiative  de  M.  Du  Locle 
qu'on  le  doit. 

Le  Théâtre-Lyrique  représentait,  ne  l'oublions  pas,  un  ca- 
pital artistique  d'une  réelle  importance  et  d'une  indiscutable 
valeur;  la  fortune  n'avait  pas  souri  toujours  à  ses  divers 
directeurs;  mais  il  avait  du  moins  donné  le  jour  à  nombre 
d'ouvrages  dignes  de  vivre.  Il  puisait  une  partie  de  sa  force 
dans  le  droit  qu'il  avait  de  monter  les  œuvres  traduites  de 
l'étranger,  et  les  véritables  opéras  ou  pièces  sans  «  parlé  », 
privilège  refusé  à  l'Opéra-Comique,  et  suffisant  à  différencier 
les  deux  répertoires.  Il  pouvait  ainsi,  tout  en  assurant  ses 
lendemains  par  des  succès  plus  ou  moins  consacrés,  donner 
asile  aux  jeunes,  aux  inconnus  qui  frappaient  à  sa  porte.  Peut- 
être  même  ne  lira-t-on  pas  sans  intérêt  la  liste  de  ces  compo- 
siteurs, dont  beaucoup,  sauf  erreur,  firent  là  leurs  premières 
armes  ou  gagnèrent  leurs  premières  batailles.  Les  voici  rangés 
par  ordre  alphabétique  :  Béer,  Bizet,  Gaspers,  Gherouvrier,  Dau- 
tresme,  S.  David,  Debillemont,  Defîès,  Déjazet,  Delavault,  Deli- 
lies,Douay,  Dufresne,  Gaslinel,  E.  Gautier,  Gevaert,  Godefroid, 
de  HarLog,  Henrion,  A.  Hignard,  V.  Joncières,  Labbey,  La- 
combe,  de  Lajarte,  MaiUart,  Marcelli  (M"'«),  iMontuoro,  Ortolan, 
Paillard,  Pascal,  Poise,  E.  Reyer,  Rivay  (M"''),  Salomon,  Th. 
Semet,  P.  Thys  (M""»),  Usépy,  Varney,  Vogel,  Ymbert.  Et,  mal- 
gré leurs  succès,  nous  oublions  ici  des  maîtres  comme  Gh. 
Gounod  et  Victor  Massé,  dont  ailleurs  on  avait  acclamé  déjà 
le  nom  et  les  oeuvres. 


330 


LE  MÉNESTREL 


Il  y  avait  là,  pour  ainsi  parler,  un  héritage  à  recueillir, 
une  fortune  qui,  bien  administrée,  pouvait  rapporter  de  gros 
intérêts.  Déjà  malade  en  1870,  le  Théâtre-Lyrique  avait,  de- 
puis, reçu  le  coup  de  grâce.  Il  disparut  dans  les  incendies 
de  la  Commune.  Les  tentatives  de  M.  Martinet,  l'ancien  di- 
recteur de  l'Athénée,  ne  devaient  point  le  ressusciter;  sans 
subvention,  il  ne  pouvait  renaître  que  pour  mourir  encore.  Il 
restait  donc  à  se  partager  ses  dépouilles,  et  l'Opéra-Gomique 
se  présentait  le  premier,  naturellement.  Les  Noces  de  Figaro, 
Mireille,  Roméo  et  Juliette  semblaient  dans  le  jeu  des  directeurs 
d'incomparables  atouts.  Et  pourtant  il  n'en  fut  pas  ainsi;  ces 
pièces  ne  connurent  les  belles  recettes  à  la  salle  Favart 
qu'assez  longtemps  après,  et  Mireille,  si  productive  aujour- 
d'hui, ne  rapporta  rien  tout  d'abord.  C'est  que  le  change- 
ment de  cadre  a  son  importance  pour  les  ouvrages  drama- 
tiques, comme  pour  les  tableaux;  il  fallait  laisser  aux  œuvres 
le  temps  de  s'acclimater  sur  ce  nouveau  sol  pour  permettre 
de  les  goûter  pleinement. 

De  même,  les  auteurs,  nouveaux  ont  besoin  d'un  certain 
crédit  pour  réussir  à  se  faire  agréer  par  la  foule,  et  dans 
son  empressement  à  renouer  les  traditions  du  Théâtre-Ly- 
rique, l'Opéra-Comique  accueillit,  avec  une  générosité  plus 
méritante  que  lucrative,  tous  les  talents  «  disponibles.  »  11  y 
eut  dans  la  période  qui  nous  occupe  une  véritable  poussée 
de  jeunes,  dont  le  plus  grand  nombre  a  conquis  depuis 
mieux  même  que  la  notoriété.  Il  suffît  de  citer,  par  ordre  de 
date,  Paladilhe  avec  le  Passant,  Bizet  avec  Djatnileh,  Saint- 
Saëns  avec  la  Princesse  Jaune,  Massenet  avec.  Don  César  de  Basan, 
Delibes  avec  le  Roi  Va  dit,  Lenepveu  avec  le  Florentin,  sans 
parler  des  débutants  de  moindre  marque,  comme  ce  pauvre 
Conte,  dont  M.  Louis  Gallet,  ici-même,  a  raconté  la  doulou- 
reuse histoire  dans  ses  Notes  d\m  librettiste. 

C'était  peut  être  un  danger  de  lancer  ainsi  tant  de  noms 
nouveaux  à  la  foule,  qui,  parinstinct,  se  méfîe  généralement 
des  auteurs  qu'elle  ignore;  les  recettes  devaient  s'en  ressen- 
tir. Il  convenait  de  mélanger  prudemment  le  connu  avec 
l'inconnu  ;  or,  les  maîtres  faisaient  défaut.  Auber  et  Maillart 
étaient  morts  en  1872,  le  premier  à  Paris,  le  second  à  Mou- 
lins; Ambroise  Thomas,  Yictor  Massé,  Bazin  se  tenaient  à 
l'écart  ou  se  reposaient,  et  Gounod  s'occupait  plus  de  trans- 
planter son  répertoire  que  de  l'accroître.  C'est  donc  avec  les 
ouvrages  du  «  vieux  fonds  »  que  les  nouveaux  entraient  en 
comparaison,  et  ceux-ci  paraissaient  d'autant  plus  avancés 
que  le  contraste  avec  les  autres  était  plus  grand.  En  outre, 
la  plupart  des  débutants  manquaient  forcément  d'expérience 
et  ne  pouvaient  encore  donner  le  meilleur  de  leur  talent. 
De  ce  côté,  le  théâtre  éprouva  donc,  au  point  de  vue  de  ses 
intérêts  matériels,  une  certaine  déception. 

En  somme,  le  Théâtre-Lyrique  était  une  école,  et  pour  le 
public,  auquel  on  apprenait  la  musique  étrangère  par  la  voie 
des  traductions,  et  pour  les  auteurs,  auxquels  on  ouvrait  un 
sérieux  débouché.  Une  telle  situation  offrait,  comme  toute 
chose,  avantages  et  inconvénients.  La  sagesse  aurait  con- 
seillé de  n'accepter  cette  succession  que  sous  bénéfice  d'in- 
ventaire. Malheureusement,  M.  du  Locle,  celui  des  deux  as- 
sociés qui  représentait  l'élément  réformateur,  eut  le  tort, 
grave  pour  lui,  de  ne  pas  tenir  assez  compte  des  traditions 
et,  par  conséquent,  des  conditions  mêmes  d'existence  de  la 
scène  qu'il  administrait.  Au  lieu  d'annexer  simplement  à 
rOpéra-Comique  ce  qu'il  y  avait  de  bon  dans  le  Théâtre-Ly- 
rique, il  rêva  de  substituer  réellement  le  Théâtre-Lyrique  à 
rOpéra-Comique  :  ce  rêve  lui  coûta  sa  fortune. 

Ajoutons  que  le  danger  apparut  surtout  en  1874,  lorsque 
M.  du  Locle  demeura  seul  directeur.  Jusque-là  M.  de  Leuven, 
en  homme  avisé,  luttait  de  son  mieux  contre  les  «  emballe- 
ments artistiques  »  de  son  associé  et  servait  de  contrepoids. 
Au  lendemain  de  la  guerre,  d'ailleurs,  tous  deux  ne  pou- 
vaient que  s'entendre  pour  rassembler  les  éléments  épars  de 
la  troupe  et  remettre  peu  à  peu  en  scène  les  ouvrages  classi- 
ques. La  tâche  était  sérieuse  et  lourde.  Pendant  le  siège,  la 


musique  avait  presque  partout  chômé,  et  dans  le  Figaro,  par 
exemple,  la  revue  alimentaire  remplaçait  le  courrier  théâtral. 
Pasdeloup  avait  lutté  tant  bien  que  mal,  en  octobre  et  no- 
vembre ;  M.  Bourgault-Ducoudray  continuait  à  faire  chanter 
bravement  des  oratorios  par  la  société  qu'il  avait  fondée,  et 
l'étonnant  Elwart  poussait  l'inconséquence  jusqu'à  composer 
et  faire  exécuter  un  Te  Deum  de  la  délivi-ance!  A  l'Opéra,  aux 
Bouffes,  aux  Menus-Plaisirs,  au  Cirque  d'hiver,  les  concerts 
avaient  fait  place  à  des  conférences  plus  ou  moins  entre- 
mêlées de  chants  et  de  poésies  déclamées  en  l'honneur  de 
telle  ou  telle  œuvre  patriotique.  C'est  ainsi,  qu'à  côté  de 
jyjme  Marie  Rôze  et  plusieurs  de  ses  camarades  de  l'Opéra- 
Comique,  Melchissédec,  Idrac,  Potel,  par  exemple,  quittaient 
les  remparts  pour  venir  en  capote  ou  en  vareuse  se  faire  enten- 
dre dans  des  concerts  à  la  porte  desquels  il  n'était  pas  rare, 
vu  la  difficulté  des  temps  et  la  cherté  des  choses,  de  lire 
une  affiche  comme  celle-ci  :  «  La  salle  sera  chauffée  et 
éclairée  sans  odeur.   i> 

Place  Boieldieu,  les  portes  étaient  restées  closes,  lorsqu'enfln 
on  annonça  la  réouverture  avec  Zampa,  pour  la  rentrée  de 
M''^  Monrose  ;  des  affiches  même  furent  posées;  mais  on  ne 
pouvait  choisir  un  plus  mauvais  jour;  c'était  le  18  mars!  Le 
matin  la  Commune  éclatait,  et  le  soir,  naturellement,  on  ne 
joua  pas.  La  salle  Favart  ne  rouvrit  définitivement  que  le 
3  juillet,  avec  le  Domino  noir  et,  comme  hommage  à  la  mé- 
moire d'Auber,  des  stances  de  M.  Louis  Gallet,  dites  par 
Montaubry  devant  le  buste  du  compositeur,  et  accompagnées 
en  sourdines  par  des  morceaux  empruntés  au  répertoire  du 
maître  disparu.  La  fermeture  avait  duré  dix  mois,  jour  par 
jour,  et  grevé  le  théâtre  d'une  lourde  charge  ;  car  il  conti- 
nuait à  payer  un  loyer  énorme,  et  la  subvention  était  vive- 
ment menacée  devant  la  Commission  du  budget.  Aussi,  les 
directeurs  avaient-ils  décidé  les  artistes  à  se  former  en  société 
et  à  se  partager  au  prorata  les  bénéfices.  Pendant  les  deux 
premiers  mois,  les  sociétaires  s'appelaient  Montaubry,  Mon- 
jauze,  Coppel,  Ponchard,  Potel,  Meillet,  Nathan,  Bernard, 
]Vj;mc5  Priola,  Monrose,  Faivre,  Bélia,  Révilly,  Guillol,  Tuai, 
Reine  et  Fogliari  ;  deux  se  retirèrent  d'ailleurs  sans  avoir 
joué,  M"«  Bélia  et  Meillet,  qui  mourut  peu  après,  à  l'âge  de 
quarante-cinq  ans. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra-Comique.  —  Beprise  de  Manon,  opéra-comique  en  cinq  actes  et  six 
tableaux,  paroles  de  MM.  Henri  Meilhac  et  Pliilippe  Gille,  musique  de 
M.  J.  Massenet. 

Je  n'ai  jamais  pu  songer  à  Manon  Lescaut  sans  me  rappeler  l'exis- 
tence agitée,  troublée,  aventureuse,  aussi  bien  que  la  fin  étonnante 
et  tragique  de  l'auteur  de  ce  chef-d'œuvre.  On  connaît  peu  l'abbé 
Prévost,  on  connaît  encore  moins  ses  Mémoires  d'un  homme  de  quaiité. 
auxquels  il  donna  pour  complément  celte  Histoire  de  Manon  Lescaut 
et  du  chevalier  des  Grieux,  dans  laquelle  il  s'est  peint  lui-même  avec 
tant  de  fidélité  et  d'exactitude.  Car  des  Grieux,  c'est  lui,  et  lorsque 
l'abbé  se  portraiturait  ainsi,  lorsqu'il  écrivait  ce  roman  merveilleux 
tout  empr-o-inl  d'une  passion  brûlante,  lorsqu'il  racontait,  dans  une 
langue  véritablement  fort  belle  en  sa  simplieilé,  ses  amours  impures 
avec  la  séduisante  Manon,  il  ne  se  doutait  pas  peut-être  que  ce 
seul  livre  lui  garantirait  l'immortalité,  tandis  que  les  deux  cents 
autres  volumes  publiés  par  lui  seraient  engloutis  sous  le  poids  de 
ce  chef-d'œuvre,  où,  en  dépit  de  son  caractère  immoral,  l'intérêt 
pathétique  est  si  puissant  et  si  intense. 

Qui  croirait  que  c'est  en  rédigeant  chez  les  bernardins  de  l'abbé 
de  Monlfaucon  le  huitième  volume  de  la  Gallia  christîana,  ce  modèle 
d'érudition  historique,  que  Pi'évost  se  préparait  indirectement  à 
écrire  le  roman  le  plus  voluptueusement  passionné  du  dix-huitième 
siècle?  Telle  est  pourtant  la  vérité.  Fils  d'un  procureur  du  roi  de 
l'Artois,  élevé  au  collège  d'Harcourt,  chez  les  jésuites,  il  passa  ses 
jeunes  années  tantôt  au  couvent,  tantôt  à  l'armée,  quittant  à  seize 
ans  les  jésuites  pour  s'engager,  rentrant  chez  eus  au  bout  de  peu 
de  temps  comme  novice,  puis  se   faisant   de  nouveau  soldat,  et,  à 


LE  MENESTREL 


331 


la  suite  d'une  affaire  d'amour,  prononçant  ses  vœux  chez  les  béné- 
dictins, sur  la  menace  de  son  père,  s'il  ne  le  faisait  point,  de  lui 
brûler  la  cervelle.  Il  y  avail  évidemment  là  quelque  scandale  à 
éviter,  quelque  faute  à  réparer,  et  l'histoire  de  Manon,  écrite  bien 
longtemps  après,  n'est  certainement  qu'un  écho  de  cette  grave 
aventure  de  jeunesse. 

Je  n'ai  pas  à  suivre  ici  Prévost  dans  le  cours  de  son  existence  si 
singulièrement  orageuse,  je  n'ai  pas  à  rappeler  ses  efforts  pour 
rompre  des  vœux  qu'il  avait  prononcés  avec  une  restriction  mentale 
apprise  sans  doute  chez  les  jésuites,  à  raconter  son  exil  en  Hollande 
et  en  Angleterre,  son  retour  en  France,  son  entrée  dans  la  maison 
du  prince  de  Gonti,  dont  il  devient  l'aumônier,  aumônier  singulier, 
qui  échangeait  avec  son  maître  ce  curieux  dialogue  :  —  «  L'abbé, 
disait  le  prince,  vous  savez  que  je  ne  vais  jamais  à  la  messe.  —  Moi, 
monseigneur,  répondait  l'autre,  je  ne  dis  jamais  la  mienne.  »  Mais 
je  veux  rappeler  en  deux  mots  sa  fin  étrange  et  dramatique.  Il  avait 
soixante-six  ans,  et  il  appartenait  encore  au  prince  de  Conti,  lors- 
qu'un jour,  le  23  novembre  1T63,  comme  il  se  rendait  à  pied  à  Saint- 
Firmin,  où  il  avait  acheté  une  petite  maison,  il  tomba  dans  la  forêt 
de  Chantilly,  frappe  d'apoplexie.  Son  corps  fut  trouvé,  près  d'un 
fossé,  par  des  paysans.  La  justice  fut  saisie,  crut  à  un  crime  et  se 
mit  en  devoir  de  faire  procéder  à  l'autopsie.  Un  barbier  fut  chargé 
de  ce  soin,  et,  lorsqu'il  fit  pénétrer  le  fer  dans  les  chairs,  un  grand 
cri  s'échappa  de  la  poitrine  de  l'abbé  —  le  dernier.  Le  barbier  l'avait 
tué! 

C'est  évidemment  un  problème  difficile  à  résoudre  que  celui  de 
transporter  à  la  scène  et  de  rendre  acceptable  au  public  un  sujet 
aussi  scabreux  que  celui  de  Manon  Lescaut.  Théodore  Barrière  s'y 
efforça,  il  y  a  quelque  quarante  ans,  dans  une  comédie  représentée 
au  Gymnase,  où  le  rôle  de  Manon  était  tenu  par  Rose  Chéri,  celui  de 
des  Grieux  par  Bressant  et  celui  de  Lescaut  par  Geoffroy.  Scribe 
ensuite  fit  avec  Auber  une  Manon.  Lescaut  en  trois  actes  et  cinq  tableaux, 
■qui  fit  son  apparition  le  2.3  février  18oG,  à  l'Opéra-Comique,  où  elle 
était  jouée  par  Faure  et  M'"'  Cabel  pour  les  deux  personnages  princi- 
paux, et  pour  les  autres  par  Pugel,Beckers,Jourdan,  Nathan,  M"'*  Le- 
mercier  et  Bélia.  Nous  avons  raconté  dimanche  dernier  comment  ce 
fut  précisément  l'exécution  d'un  morceau  de  cet  ouvrage  qui  avait 
donné  iiM.  Carvalho  l'idée  d'une  nvjuvelle  Manon,  et  comment  celle-ci 
était  née  de  la  collaboration  de  MM.  Meilliac,  Gille  et  Massenet. 

Les  deux  premières  Manons  n'avaient  obtenu  qu'un  succès  relatif. 
Il  était  réservé  à  celle-ci  de  forcer  les  sympathies  du  public,  et 
tout  semblait  concourir  à  ce  résultat.  Les  librettistes  avaient  traité 
leur  sujet  avec  une  dextérité,  une  discrétion,  une  délicatesse  qui 
non  seulement  le  rendaient  parfaitemeut  acceptable  à  la  scène,  mais 
qui  ne  pouvaient  effaroucher  les  oreilles  les  plus  chastes,  tout  en 
lui  conservant  un  rare  intérêt  et  de  réelles  qualités  pathétiques.  Le 
musicien  avait  écrit  une  partition  exquise,  qui  joignait  à  des  grâces 
séduisantes  une  forme  essentiellement  nouvelle  faite  pour  piquer  la 
curiosité  en  même  temps  qu'elle  charmait  les  plus  difficiles  et  les 
plus  délicats.  Enfin,  une  interprétation  supérieure,  confiée  pour  les 
deux  rôles  principaux  à  M.  Talazac  et  à  la  bien  regrettée  Marie 
Heilbron.  était  de  nature  à  faire  ressortir  toute  la  valeur  de  l'œuvre 
et  à  mettre  en  relief  toutes  ses  beautés.  Le  succès,  on  se  le  rappelle, 
fut  bruyant  et  spontané,  et  se  traduisit  par  une  série  de  quatre- 
vingt-huit  représentations,  dont  soixante-dix-huit  en  1884  (la  pre- 
mière était  donnée  le  19  janvier)  et  dix  eu  188S. 

Ce  succès  était  loin  d'être  épuisé.  Mais  l'apparition  d'ioie  Nuit  de 
Cléopâtre,  dont  Marie  Heilbron  était  la  protagoniste,  vint  l'inter- 
rompre, et  bientôt  la  mort  de  cette  artiste  remarquable  empêcha  la 
reprise  de  Manon.  Survint  enfin  le  désastre  de  la  salle  Favart,  qui 
bouleversa  toutes  choses.  Bref,  Manon  demeura  silencieuse  pendant 
six  années,  les  auteurs  ne  trouvant. pas  à  leur  gré  une  interprète  ca- 
pable de  personnifier  l'héroïne  de  l'abbé  Prévost.  La  voici  qui  repa- 
raît enfin  après  cette  longue  éclipse,  parée  encore  de  toutes  les 
grâces  de  la  jeunesse  et  entourée  de  toutes  ses  séductions,  et  le 
public  l'accueille  et  lui  fait  fête  comme  aux  premiers  jours,  lui  ma- 
nifestant toutes  ses  sympathies  et  ne  lui  marchandant  pas  les  preu- 
ves du  plaisir  qu'il  ressent  à  la  revoir,  à  l'entendre  et  à  l'applaudir 
de  nouveau. 

C'est  qu'elle  est  charmante,  en  vérité,  cette  partition  de  Manon, 
toute  pleine  de  jeunesse  et  de  fraîcheur,  par  instants  empreinte 
d'une  verve  et  d'une  gaité  folle,  dans  d'autres  empruntant  le  lan- 
gage de  la  tendresse  la  plus  touchante,  ou  bien  encore  faisant  en- 
tendre le  cri  de  la  passion  la  plus  violente  et  la  plus  désordonnée. 
M.  Massenet  n'avait  pas  encore  rompu,  lorsqu'il  l'écrivit,  avec  les 
anciennes  traditions  de  l' opéra-comique,  et  l'on  y  trouve,  bien  dis- 
tincts les  uns  des  autres,  des  airs,  des  couplets,    des  duos  et    des 


morceaux  d'ensemble;  seulement,  il  avait  rafraîchi  et  renouvelé 
jusqu'à  un  certain  point,  à  l'aide  d'un  accent  très  personnel,  ces 
formes  consacrées,  et  il  avail  introduit  une  innovation  piquante  en 
soulignant  tout  le  dialogue  parlé  par  un  accompagnement  sympho- 
nique  aussi  discret  qu'élégant.  Ce  fut  là  pour  l'auditoire  une 
véritable  surprise,  qui  produisit,  grâce  à  la  délicatesse  avec  la- 
quelle le  procédé  était  mis  en  œuvre,  le  plus  heureux  effet.  Il  y 
avait  bien  de  la  nouveauté  dans  tout  cela,  une  véritable  recherche 
du  bien  dire  et  du  bien  faire,  mais  dans  des  conditions  toujours 
vraiment  scéniques  et  musicales,  avec  une  inspiration  abondante  et 
facile  qui  caressait  et  charmait  l'oreille  de  la  façon  la  plus  déli- 
cieuse. Ah!  que  nous  voilà  loin  des  cruautés  barbai  es,  des  audaces 
maladroites,  des  sottises  volontaires  et  douloureuses  de  quelques- 
uns  ! 

Combien  de  morceaux  seraient  à  citer  dans  cette  œuvre  si  fine  et 
si  élégante  !  Tout  le  premier  acte  d'abord  y  passerait.  C'est  le  chœuf 
si  mouvementé,  si  gai.  si  grouillant,  si  plein  de  verve,  de  l'arrivée 
du  coche,  dont  l'effet  est  absolument  irrésistible.  C'est  ensuite  l'air 
de  Manon  :  Je  suis  encor  tout  étourdie,  d'un  caractère  si  plein  de 
grâce  et  de  langueur.  Puis,  la  scène  de  Lescaut  et  de  ses  deux  com- 
pagnons. Puis,  le  terzetto  charmant  et  pimpant  des  grisettes  : 
Revenez,  Guillol,  revenez,  qui  sonne  gaîment  comme  le  ramage  mati- 
nal des  oiseaux  dans  la  forêt.  Puis  encore,  les  couplets  de  Lescaut: 
Ne  bronchez  pas,  soyez  gentille,  dont  la  franchise  est  tout  à  fait  carac- 
téristique. Et  enfin,  après  la  cantilène  charmante  de  Manon  : 
Voyons,  Manon,  plus  de  chimères...,  le  joli  duo  de  la  rencontre,  qu'elle 
chante  avec  des  Grieux,  et  qui  est  bien  le  plus  tendre  et  le  plus 
aimable  dialogue  amoureux  qu'on  puisse  rêver. 

Le  second  acte,  tout  intime  et  bien  différent  du  premier,  ne  lui 
cède  en  rien.  Après  le  prélude  piquant  qui  lui  sert  d'introduction, 
vient  la  scène  de  la  lettre  et  la  lecture  de  celle-ci  par  les  deux 
amants;  c'est  une  page  tout  empreinte  d'une  tendresse  pénétrante. 
Le  quatuor  qui  suit,  morceau  d'une  facture  excellente  et  solide, 
écrit  dans  le  vrai  style  de  l'opéra-eomique,  offre  un  contraste  com- 
plet avec  ce  duo,  et  la  romance  de  Manon  :  Adieu,  notre  petite  table! 
est  comme  mouillée  de  larmes  et  d'une  expression  absolument 
touchante. 

Au  troisième  acte,  après  un  entr'acte  pimpant,  dont  l'orchestre 
est  écrit  comme  l'auteur  sait  l'écrire,  il  faut  distinguer  le  petit  duetto 
des  grisettes,  la  chanson  franche  et  bienvenue  de  Lescaut  :  0  Rosa- 
linde,  puis  l'air  brillant  de  Manon,  que  M.  Massenet  a  fait  suivre, 
pour  cette  reprise,  d'une  page  nouvelle,  une  gavotte  chantée,  hérissée 
de  toutes  sortes  de  difficultés  vocales,  que  M"^  Sanderson  a  dite 
avec  un  brio,  une  crânerie,  une  bravura  qui  ont  littéralement 
enlevé  la  salle. 

Au  quatrième  acte  enfin  (le  dernier  est  peu  important),  nous 
avons  la  scène  austère  et  caractéristique  de  des  Grieux  avec  son 
père  et  la  grande  scène  dans  laquelle  Manon  vient  chercher  son 
amant  jusque  sous  les  voûtes  de  Saint-Sulpice,  qui  est,  au  point 
de  vue  dramatique  et  d'ailleurs  à  tous  les  points  de  vue,  l'épisode 
le  plus  important  et  le  point  culminant  de  l'œuvre.  Là,  le  compo- 
siteur a  déployé  toute  sa  puissance  pathétique,  il  a  placé  dans  la 
bouche  de  ses  héros  les  accents  de  la  passion  la  plus  humaine  et 
la  plus  intense,  et  il  a  atteint  les  dernières  limites  de  l'émotion,  de 
l'émotion  la  plus  profonde  et  la  plus  oommunicative.  C'est  à  propos 
do  cette  page  superbe  qu'on  pourrait  répéter  le  mot  du  duc  d'Or- 
léans â  Louis  XVI  après  la  représentation  du  Mariage  de  Figaro. 
Je  ne  sais  ce  qu'il  faut  le  plus  apprécier  dans  cette  partition  de 
Manon  :  ou  de  la  pureté  du  style,  ou  de  la  grâce  et  de  la  fraîcheur 
de  l'inspiration,  ou  de  la  justesse  du  sentiment  scénique,  ou  de  la 
finesse  et  du  piquant  des  harmonies,  ou  des  jolies  trouvailles  sym- 
phoniques  qui  se  révèlent  à  chaque  pas,  ou  de  l'ensemble  magistral 
qui  règne  sur  l'œuvre  entière.  Je  me  contente  de  trouver  cette  œuvre 
exquise,  achevée  dans  toutes  ses  parties,  et  de  constater  le  plaisir 
délicat  et  raffiné  que  j'éprouve  à  l'entendre,  plaisir  que  je  ne  suis 
certainement  pas  le  seul  à  ressentir. 

L'interprétation  est  presque  entièrementrenouvelée,  et  des  créateurs 
de  Manon,  je  ne  vois  debout  aujourd'hui  que  M.  Taskin  et  M.  Grivot, 
qui  continuent  de  personnifier  le  cousin  Lescaut,  (car  les  auteurs 
ont  fait  du  frère  un  cousin)  et  Guillot  de  Morfonlaine  Les  deux  rôles 
principaux,  ceux  de  Manon  et  de  des  Grieux,  établis  naguère  par 
M.  Talazac  et  M"'=  Heilbron,  sont  le  partage  maintenant  de  M.  Delmas 
un  débutant,  et  de  M"=  Sybil  Sanderson,  qui  tous  deux  ont  joué 
l'ouvrage  à  Bruxelles  au  cours  de  la  saison  dernière.  M"°  Sanderson 
a  gagné  peut-être  encore  en  beauté,  depuis  que,  pour  la  première 
fois,  elle  nous  était  apparue  dans  Esclarmonde  ;  elle  a  gagné  certai- 
nement en  talent.  Sa  voix  a  pris  du  corps,  de  l'égalité,  et  si  l'agilité 


332 


LE  MEiNESTKEL 


est  toujours  ia  même,  le  phrasé  est  plus  uet,  l'articulation  plus  souple, 
et  les  notes  de  l'échelle  inférieure  sont  plus  pleines  et  plus  corsées 
qu'elle  n'étaient  naguère.  Elle  a  eu  des  accents  très  heureux  tout  le 
long  de  ce  rôle  si  difficile,  et  son  succès  a  élé  complet.  Elle  s'est 
fait  surtout  très  vivement  applaudir  dans  l'air  et  la  gavotte  du  troi- 
sième acte,  dont  j'ai  déjà  signalé  de  sa  part  la  brillante  exécution. 

Il  serait  injuste  peut-être  do  juger  complètement  son  partenaire, 
M.  Delmas,  sur  cette  première  épreuve.  Etranglé  par  la  peur,  un 
peu  souffrant  avec  cela,  dit-on,  ce  jeune  chanteur  était  loin  de  jouir 
de  tous  ses  moyens.  Ceux  qui  l'avaient  entendu  aux  répétitions 
s'accordaient  à  dire  qu'il  s'y  était  montré  bien  supérieur  à  ce  que 
nous  l'avons  pu  juger  le  soir  de  la  représentation.  Il  n'en  reste  pas 
moins  que  M.  Delmas  a  fait  preuve,  même  daos  ces  conditions,  de 
réelles  qualités,  qui  se  montreront  certainement  d'une  façon  plus 
complète  lorsqu'il  se  sera  un  peu  familiarisé  avec  la  scène  et  le 
public  parisiens. 

On  sait  quelle  excellente  et  remarquable  création  M.  Taskin  avait 
faite  du  rôle  de  Lescaut.  Il  y  a  retrouvé  tout  son  succès  des  pre- 
miers jours  et  s'y  est  fait  de  nouveau  chaleureusement  applaudir. 
Toutefois,  je  voudrais  le  voir  se  retenir  un  peu  par  instants,  car  il 
me  semble  qu'il  lui  arrive  parfois,  en  voulant  trop  bien  faire,  de 
dépasser  le  but.  M.  Grivot  est  toujours  plaisant  et  amusant  sous  la 
perruque  du  vieux  beau  Guillot  de  Morfontaine.  Quant  à  M.  Fugère, 
qui  a  hérité  de  M.  Cobalet  le  rôle  de  des  Grieux  père,  il  s'y  est 
montré  si  remarquable  que  dans  la  courte  scène  du  quatrième  acte 
il  a  su  s'attirer  les  applaudissements  de  toute  la  salle,  qui  lui  a  fait 
une  véritable  ovation.  L'ensemble  est  très  bien  complété  par  M.  Marc 
Kohel  dont  la  tenue  est  excellente  dans  le  rôle  de  Brétigny  ;  par 
M.  Bernaert,  plein  de  rondeur  daas  le  petit  personnage  de  l'auber- 
giste, et  par  M""  Leclerc,  Falize  et  Elven,  les  trois  grisettes,  qui 
ont  dit  d'une  façon  charmante  le  trio  du  premier  acte  ;  M"'  Leclerc 
•surtout  est  tout  à  fait  aimable.  Nous  n'avons  plus  à  faire  l'éloge  de 
l'orchestre  et  des  chœurs,  non  plus  que  de  leurs  chefs,  MM.  Danbé 
et  Carré.  Ils  se  sont  cette  fois  encore  surpassés. 

Artiiuh  Pougin. 

Odéon.  —  Kean  ou  Désordre  et  Gcnie,  comédie  en  cinq  actes  et  six  tableaux, 
d'Alexandre  Dumas. 

Cette  saison  encore,  l'éclectisme  de  M.  Porel  semble  vouloir  nous 
promettre  des  soirées  d'une  variété  infinie.  Voici,  en  effet,  coup  sur 
coup,  l'Herbager,  de  M.  Harel,  la  Mer,  de  M.  Jean  JuUien,  et  Eean, 
d'Alexandre  Dumas;  trois  pièces  de  tendance  absolument  différentes. 
C'est  à  la  rentrée  en  France  de  M.  Guitry,  un  artiste  qui  obtint 
pendant  toutes  ces  dernières  années  de  retentissants  succès  à  Sainl- 
Pélersbourg,  que  nous  devons  la  reprise  de  la  pièce  du  grand  Du- 
mas. Le  public  n'a  pas  paru  mécontent  de  cetto  circonstance  qui 
lui  permet  d'applaudir  un  drame  plein  d'idées  et  d'invention,  inté- 
ressant malgré  quelques  procédés  devenu's  vieillots  par  suite  de 
l'abus  que  l'on  en  a  fait  depuis.  Les  aventures  romanesques  du  célèbre 
tragédien  anglais,  mauvais  sujet,  mais  bon  cœur,  rencontreront  long- 
temps des  spectateurs  tout  disposés  à  applaudir  des  deux  mains  et,  de 
même  que  la  touchante  Anna  Damby  amènera  souvent  encore  des 
larmes  furtives  à  l'œil  des  femmes  sensibles,  de  même  la  gaité  du 
petit  pitre  Pistol  trouvera  toujours  un  écho  dans  les  cœurs  contents. 

Le  rôle  de  Kean  est  un  des  plus  complexes  et  par  suite  des  plus 
difficiles  à  rendre  que  nous  sachions  ;  M.  Guitry  s'en  est  tiré  tout  à 
'  sa  louange,  bien  qu'il  lui  manque  l'éclat  de  l'organe  et  aussi  cette 
fougue  romantique  avec  laquelle  Frederick  Lemaltre  soulevait , 
paralt-il,  une  salle  entière.  M"=  Hartmann,  très  charmante  comme 
femme,  nous  a  paru  nu  peu  hésitante  en  Anna  Damby  ;  il  est  de 
toute  justice  de  tenir  compte  que  c'était  là  son  premier  début.  MM.  P. 
Reney,  Gautier,  Montbars,  Gornaglia,  Calmettes,  Matrat  et  M""'  Ger- 
faut entourent  très  heureusement  les  deux  protagonistes. 

Paul-Émile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

CHAPITRE  VI 

LOmS-PHILIPPE   ET   LA   H'   RÉPUBLIQUE 

(Suite) 
Les  premiers  concerts    de    l'hiver   1841    mettent   en  vedette  quel- 
ques artistes    inconnus    jusque-là  :  le  violoncelliste   Jacques  Olîen- 
bach,  qui  joue  un  menuet  de  Beethoven  avec  le  jeune  Rubinstein, 


âgé  de  dix  ans,  les  sœurs  Milanollo.  Et  Paris  va  partager  ses  bravos 
entre  les  étoiles  qui  se  lèvent  et  celles  qui  s'éteignent,  s'écraser  à 
la  représentation  de  retraite  do  M"'  Mars,  applaudir  une  dernière  fois 
M™'  Damoreau. 

A  la  veille  des  concours,  une  modification,  depuis  longtemps  ré- 
clamée, est  apportée  au  règlement.  Les  prix  ne  seront  pins  partagés 
en  dehors  des  classes  de  solfège  et  de  chant;  les  professeurs  de  dé- 
clamation lyrique  sont  priés  de  sacrifier  au  genre  national  plutôt 
que  de  verser  dans  le  répertoire  italien. 

Trois  concurrents  paraissent  qui  ont  souvent  déjà  affronté  la 
rampe  :  M"'^  Olivier,  depuis  longtemps  aux  Variétés,  M""  Atala  Beau- 
chêne,  connue  des  amateurs  de  drame  et  de  vaudeville,  enfin  M"'' Na- 
thalie Fitz-James,  qui  abandonne  le  foyer  de  la  danse  pour  la  classe 
de  la  rue  Bergère. 

Très  appréciés,  Laget,  qui  obtient  le  second  prix  de  chant,  Pon- 
chard,  proclamé  en  tête  des  élèves  de  comédie,  M.  Maubant,  dans  le 
second  acte   d'Horace. 

Un  certain  trouble  s'est  manifesté  dans  la  salle  quand,  au  cours 
d'une  séance,  on  apprend  que  le  plancher  de  la  loge  27  a  fléchi. 


1842  —  ou  le  commencement  d'un  règne.  Cherubini  abdique,  après 
vingt  années  de  pouvoir  et  un  nombre  à  peu  près  égal  de  démis- 
sions toujours  retirées. 

Les  prétendants  sont  nombreux  ;  on  discute  les  chances  d'Habe- 
neck,  d'Halévy,  d'Auber,  de  Carafa,  de  Berton,  de  Spontini.  La 
candidature  du  premier  est  fort  soutenue  et,  s'il  réunit  les  suffrages, 
la  combinaison  suivante  est  déjà  prête  :  le  pupitre  de  l'Opéra  serait 
dévolu  à  Hector  Berlioz,  qui  introduirait  la  vapeur  à  l'orchestre,  et 
le  feuilleton  des  DébaU  passerait  aux  mains  de  Jules  Maurel. 

La  nomination  d'Auber,  connue  le  7  février,  anéantit  toutes  les 
espérances.  Installé  le  11,  par  le  duc  de  Coigny,  le  directeur  annonce 
tout  un  plan  de  réformes,  la  résurrection  des  exercices,  une  vie 
nouvelle  donnée  au  Conservatoire. 

Cherubini  ne  sera  pas  témoin  de  cette  révolution.  Le  19  mars,  son 
cercueil  est  porté  à  Saint-Roch,  déposé  sous  un  dais  de  velours 
noir  parsemé  d'étoiles  d'argent,  avec  pendants  brodés  d'hermine; 
l'orchestre  des  élèves,  réuni  à  la  Société  des  concerts,  exécute  son 
Requiem.  En  signe  do  deuil,  l'École  reste  fermée  deux  jours. 

Un  exercice  ou  juin:  l'Épreuve  et  des  fragments  d'Horace,  par 
MM.  Maubant,  Ponehard,  Got  ;  deux  actes  du  Barbier,  chantés  par 
Gassier  et  M"°  fiouvroy;  symphonie  de  Haydn,  sous  la  direction 
d'Alard.  Force  a  été  de  donner  l'exercice  dans  la  petite  salle,  caries 
bâtiments  du  Conservatoire  se  tassent  et  la  reconstruction  s'impose 
si  urgente  que  les  concours  sont  renvoyés  au  mois  de  novembre. 

Dans  l'intervalle,  le  duc  d'Orléans  périt  sur  la  route  de  Neuilly. 
Pour  la  cérémonie  funèbre  qui  se  prépare  à  Notre-Dame,  Auber  et 
Halévy  écrivent  des  marches  ;  deux  cent  cinquante  musiciens  répètent 
le  Requiem  de  Mozart,  quand  survient  un  contre-ordre  :  la  messe 
sera   en  plaiu-chant  et  le  Conservatoire  n'aura  pas  à  y  paraître. 

Le  2  novembre,  quand  s'ouvrent  les  concours,  on  peut  contem- 
pler la  façade  nouvelle  construite  par  Debret  sur  le  faubourg  Pois- 
sonnière ;  la  salle  a  été  refaite  par  Fontaine,  décorée  par  Cicéri. 

«  Le  vénérable  et  patriarchal  M.  Adam  »  présente  pour  la  der- 
nière fois  ses  élèves  au  jury  de  piano.  Après  quarante-quatre  années 
de  services,  il  songe  à  la  retraite,  et  sa  classe  dédoublée  aura  pour 
titulaires  M"""  Farrenc  et  Herz.  Tulou  présente  un  unique  flûtiste: 
M.  Altès,  qui  remporte  le  premier  prix,  «  récompense  due  à  son 
seul  mérite,  ajoute  un  feuilletoniste,  car  il  n'est  que  son  maître  qui 
puisse  lutter  contre  lui.  » 

Dans  la  liste  des  lauréats,  relevons  les  noms  d'Augustin  Savard, 
élève  de  Deborne,  de  Dancla  et  de  Maurin,  de  Jacquart,  de  Ver- 
roust.  M.  Got  remporte  un  prix  de  comédie  ;  la  tragédie  favorise 
Randoux. 

Pour  la  séance  de  déclamation  lyrique,  la  salle  a  des  airs  de  fête, 
les  lustres  scintillent  ;  un  orchestre  complet,  dirigé  par  Habeneck, 
accompagne  les  élèves.  Chacun  remarque  l'émotion  de  M"'-'  Rachel, 
venue  pour  encourager  sa  sœur,  M"«  Sarah-Félix,  jugée  digne  du 
prix  après  une  scène  de  la  Favorite. 

Les  récompenses  sont  distribuées  le  4  décembre  seulement. 
M.  de  Kératry  salue  de  paroles  sympathiques  les  nominations  de 
Duprez  et  de  Manuel  Garcia  aux  classes  de  chant,  déplore  la  perte 
de  Baillot,  couvre  de  fleurs  M"°  Mars,  élevée  à  la  dignité  d'inspec- 
trice des  études  dramatiques.  «  Pour  bien  enseigner,  dit  l'orateur, 
il  lui  suffflra  de  s'interrroger,  de  se  souvenir  d'elle-même.  » 

L'eau  bénite  pour  prix  de  Rome  est  encore  du  programme:  devant 
les  difficultés  qu'éprouvent  les  jeunes  compositeurs  à  se  faire  jouer, 


LE  MEiNLSlUEL 


333, 


la  Commission  demande  au  ministère  d'autoriser  chaque  trimestre 
«  une  représentation  lyrique  dans  laquelle  les  élèves  présenteront 
au  public  les  œuvres  de  pensionnaires  de  l'Académie  ».  La  péro- 
raison vaut  aussi  qu'on  la  cite  :  «  Les  jouissances  de  la  famille  et  du 
toit  domestique  vous  attendent,  à  la  seule  condition  d'y  arriver  par 
des  talents  acquis  et  par  une  moralité  dont  personne  n'a  le  droit  de 
demander  l'exemption.  » 

MM.  Dancla,  Alard,  Roberetchs,  Massart,  Mazas,  Haumano,  com- 
posent la  liste  des  candidats  proposés  au  ministre  pour  la  succes- 
sion de  Baillot.  La  classe  est  partagée  entre  MM.  Alard  et  Massart. 
Dissertations  indignées  :  on  n'a  plus  maintenant  que  des  moitiés 
ou  des  quarts  de  professeurs  ;  le  Conservatoire  est  une  Babel  et  les 
traditions  s'en  vont. 

Tandis  que  les  plus  exaltés  vont  jusqu'à  demander  la  démission 
du  directeur,  Auber  continue  en  silence  son  œuvre  de  réforme.  Les 
fonds  manquant  pour  toutes  les  modifications  qu'il  rêve,  il  a  re- 
cours à  la  cassette  royale,  et  bientôt  la  salle  est  machinée  ;  un 
magasin  de  costumes  est  établi  rue  Bergère,  et  au  premier  exer- 
cice donné  en  1843,  la  Pie  voleuse  est  jouée  par  M""  Vauchelet 
etZévacoet  M.  Gassier. 

(t  Tant  que  je  serai  directeur,  aucune  de  mes  partitions  ne  sera 
exécutée  au  Conservatoire,  »  a  déclaré  Auber.  Cette  modestie,  jugée 
un  peu  excessive,  ne  semble  pas  un  motif  suffisant  pour  mettre  au 
programme  des  traductions  plus  ou  moins  incolores. 

Le  second  acte  du  Dépit  amoureux,  joué  dans  un  élégant  décor  de 
place  publique,  met  en  lumière  le  jeune  talent  pleiu  d'avenir  de 
M.  Got  :  dans  un  palais  de  noble  architecture,  Randoux  ei 
Ponchard  déclament  des  fragments  de  Britanniùiis. 

«  La  tragédie  n'est  pas  le  côté  brillant  du  Conservatoire,  remar- 
quent les  Débats,  mais  si  vous  en  exceptez  Rachel,  elle  n'est  pas 
non  plus  celui  du  Théâtre-Français.  » 

La  Chambre  des  députés  a  refusé  les  fonds  demandés  jjar  les  suc- 
cursales de  province  et  retranché  6,000  francs  à  la  subvention  de 
la  rue  Bergère.  Pourtant,  le  nombre  des  concurrents  s'est  accru  ; 
deux  cents  dix-huit  élèves  (parmi  eux,  Renaud  de  Vilbac,  Massé, 
Deffès,  Prumier,  Lebouc,  Maurin)  entrent  en  ligne  pour  se  disputer 
les  récompenses. 

Pensant  qu'au  régime  autoritaire  de  Cherubini,  il  est  bon  d'op- 
poser un  gouvernement  libéral,  Auber  lève  l'interdit  qui  pesait  sur 
les  applaudissements.  Le  public  pourra  manifester  à  son  aise,  faire 
un  succès,  même  à  M"'  Klotz,  dont  le  piano  lient  la  partie  des 
instruments  à  vent  dans  le  petit  orchestre  conduit  par  Habeneck. 
Le  premier  prix  de  comédie  est  remporté  par  M.  Got,  fort  remar- 
qué dans  une  scène  de  Beaumarchais  ;  M"«  Duval  et  M.  Gassier 
chantent  à  ravir  un  duo  du  Barbier. 

Au  jour  solennel  des  récompenses,  le  concert  commence  et  finit 
par  deux  ouvertures  admirablement  enlevées  ;  elles  ont  été  écrites 
par  MM.  Massé  et  Gautier,  les  prix  de  Rome.  On  les  compare  à  une 
œuvre  symphonique  de  M.  Gounod,  jouée  le  7  octobre  à  l'Institut, 
déclarée  incolore  et  qui  ne  laisse  rien  espérer  de  l'avenir  du  jeune 
musicien. 

Pour  terminer  l'année,  apparition  des  pensionnaires  du  Conser- 
vatoire aux  obsèques  de  Casimir  Delavigne,  puis  exercice  le  2i  dé- 
cembre. 

On  a  négligé  de  convoquer  la  presse,  et  pourtant  jamais  les  élèves 
n'ont  déployé  pareil  talent  :  ils  ont,  dans  le  premier  acte  de  Don 
Juan,  fait  preuve  d'un  éclat  et  d'une  puissance  remarquables. 
M°"=  Beaussire,  M""  Mondutaigny  et  Duval,  MM.  Gassier,  Chaix, 
Mathieu,  soulèvent  des  transports;  les  chœurs  sont  entraînés  par 
l'exemple. 

Des  fragments  du  Chaperon  rouge  et  le  premier  acte  de  Tartuffe 
complètent  le  programme. 

(A  suivre.)  Akdré  Martlnet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

( 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (15  octobre).  —  L'es  nouvelles 
que  j'ai  à  vous  donner  de  la  Monnaie  ne  sont  pas  bien  intéressantes.  Tou- 
jours lie  répertoire  ;  toujours,  dirais-je  même,  les  débuts.  La  seconde 
apparition  de  M""  Chrétien  —  la  jeune  cantatrice  que  tant  de  professeurs 
se  disputent  l'honneur  d'avoir  formée  —  a  été,  à  peu  de  chose  près,  aussi 
favorable,  dans  les  Huguenots,  que  l'avait  été  sa  première  apparition,  dans 
Robert  ;  l'autorité  et  l'expérience  qui  manquent  encore  naturellement  à  une 


aussi  jeune  débutante  sont  suffisamment  compensées  par  une  voix  superbe 
et  des  qualités  naturelles  qui,  doublées  par  une  vive  intelligence  et  des 
mérites  de  bonne  musicienne,  continuent  à  justifier  l'espoir  qu'on  a  en 
elle  pour  l'avenir.  M'"'  Chrétien  soutient,  presque  à  elle  seule,  —  avec,  de 
temps  en  temps.  M"'"  de  Nuovina,  —  le  poids  du  grand  opéra.  L'opéra- 
comique  n'est  pas  aussi  heureux;  M'^^  Darcelle  n'a  réussi  qu'à  moitié, 
hier,  dans  le  Barbier,  et  le  ténor,  M.  Leprestre,  y  a  été  franchement  détes- 
table. Tout  cela  ne  fait  pas  augurer  une  saison  aussi  fructueuse  que  celle 
de  l'an  dernier,  à  moins  que  les  intelligents  directeurs  de  la  Monnaie 
n'aient  recours  à  des  moyens  énergiques.  Espérons  en  leur  habileté  et 
en  leur  bonne  étoile.  Nous  aurions  eu  déjà  la  reprise  de  Carmen,  avec 
M"'=  de  Béridès,  si  celle-ci  n'avait  été  victime  d'un  accident  qui  la  retien- 
dra enfermée  chez  elle  pendant  plusieurs  jours  encore.  Nous  avons  aussi 
à  faire  la  connaissance  de  M"":  Dexter;  sera-ce  dans  iïrfaoudans  Siegfried? 
L'un  et  l'autre  sont  retardés.  On  parle  de  monter  VArmide,  de  Gluck,  sous 
la  direction  musicale  de  M.  Gevaert  ;  mais  je  ne  vois  guère  l'interprète 
capable  de  chanter  ce  rôle  redoutable.  En  attendant,  nous  aurons,  ces 
jours  prochains,  des  reprises  de  Satammbû,  pour  M.  Bertrand,  qui  a  exprimé 
le  désir  de  voir  l'œuvre  de  M.  Beyer  avant  de  la  monter  à  Paris,  et  de 
Don  Juan,  avec  M.  Badiali.  Le  ballet  inédit  de  Léon  Dubois,  l'Ile,  est  en 
répétitions  et  passera  d'ici  à  trois  semaines.  Il  est  question,  enfin,  de 
monter  une  autre  œuvre  inédite,  un  opéra-comique  en  deux  actes,  Barbe- 
rine,  d'un  am  .teur,  M.  de  Saint-Quentin,  très  connu  dans  le  monde  diplo- 
matique français.  Quant  au  Rêve,  il  parait  que  les  études  en  vont  être 
poussées  très  activement.  Les  auteurs  sont  attendus.  —  Le  théâtre  des 
Galeries-Saint-Hubert  a  fait,  cette  semaine,  sa  réouverture  avec  le  Royaume 
des  femmes,  très  luxueusement  monté.  L'interprétation  était  un  peu  pâle 
le  premier  soir;  depuis,  elle  s'est  améliorée  et  la  pièce  marche  aussi  bien 
que  peut  marcher  une  pièce  de  ce  genre,  où  l'invention  est  mince  et 
l'esprit  médiocre.  L.  S. 

—  La  classe  des  beaux-arts  de  rAcadémie  royale  de  Belgique  avait 
ouvert,  pour  l'année  1S91,  un  concours  de  composition  musicale  pour  une 
symphonie  à  grand  orchestre,  concours  dont  le  jugement  vient  d'être 
prononcé,  d'après  le  rapport  de  M.  Adolphe  Samuel,  chargé  de  cet  office 
par  la  section  de  musique  de  la  classe.  Quatre  manuscrits  avaient  été 
envoyés.  Le  prix,  qui  était  de  mille  francs,  a  été  partagé  entre  M.  Paul 
Lebrun,  grand  prix  de  Rome  de  cette  année,  et  M.  Louis  Mortelmans, 
d'Anvers,  second  prix  du  concours  de  liome  de  1889.  L'envoi  de  M.  Lebrun 
se  fait  remarquer,  paraît-il,  par  la  correction  de  la  forme  classique,  ob- 
servée avec  une  science  qui  d'ailleurs  n'est  pas  la  seule  qualité  de  l'œuvre^ 
dans  celui  de  M.  Mortelmans,  on  signale  de  la  vigueur  et  des  promesses 
d'avenir.  Une  mention  honorable  a  été  accordée  à  une  troisième  symphonie., 
dont  l'auteur  ne  sera  connu  que  s'il  autorise  la  publication  de  son  nom. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  vient  de  fêter  dignement  le  centenaire  de 
la  Flûte  enchantée.  L'œuvre  avait  été  remontée  à  neuf  pour  la  circonstance, 
et  l'exécution,  sous  la  direction  de  M.  Weingartner,  a  été  très  remar- 
quable. Le  spectacle  avait  commencé  par  un  prologue  de  fête,  de  M.  Tau- 
bert,  où  figuraient  tous  les  personnages  de  la  Flûte  enclianlce.  —  Au  même 
théâtre,  on  répète  un  nouveau  ballet  dont  la  musique  est  empruntée 
entièrement  aux  célèbres  Danses  hongroises  de  Brahms.  Le  titre  de  cette 
œuvre  chorégraphique,  dont  le  scénario  a  été  fourni  par  le  maître  de 
ballet  Graeb,  sera  celui  de  jVoce  hongroise. 

—  La  commission  des  théâtres  de  Vienne  a  examiné  le  plan  de  la  salle 
qu'on  doit  bâtir  au  Prater  pour  l'Exposition  internationale  des  théâtres, 
organisée  sous  les  auspices  de  la  princesse  de'Metternich.  Les  plans  de 
MM.  Feller  et  Gseller  ont  été  approuvés.  Le  théâtre,  où  l'on  donnera  des 
représentations  dans  toutes  les  langues,  pourra  contenir  quinze  cents  spec- 
tateurs. Comme  à  Bayreuth,  il  y  aura  un  amphithéâtre  et  une  seule  gale- 
rie. La  construction  va  commencer  le  mois  prochain. 

—  Le  musée  Richard  Wagner,  organisé  à  Vienne  par  M.  Oesterlein, 
vient  de  s'enrichir  d'une  foule  de  documents  relatifs  à  la  production  de 
Lohengrin  à  l'Opéra  de  Paris  :  affiches,  articles  de  journaux,  carica- 
tures, etc.  Pour  compléter  la  collection,  il  manque  encore  une  boulette 
infectante  et  l'uniforme  d'un  agent  de  police.  Tous  les  imprimés  parus  à 
l'occasion  des  derniers  Festspiele  viennent  également  de  prendre  place 
dans  les  vitrines  du  Musée. 

—  La  célèbre  symphonie  en  mi  bémol  de  Schumann  porte,  comme  l'on 
sait,  le  numéro  -4,  bien  qu'elle  ait  été  composée  immédiatement  après  la 
première.  La  raison  de  cette  interversion  est  que  Schumann  n'était  pas 
satisfait  de  son  instrumentation  primitive  et  ne  laissa  produire  son 
œuvre  que  dix  ans  plus  tard,  après  l'avoir  instrumentée  à  nouveau.  Or, 
le  compositeur  Brahms,  qui  est  actuellement  possesseur  de  la  partition 
d'origine,  vient  de  l'examiner  très  attentivement  avec  le  chef  d'orchestre 
WuUner,  et  ces  deux  musiciens,  frappés  par  l'allure  brillante  et  prime- 
sautière  de  l'orchestration,  ont  décidé  de  la  présenter  prochainement  au 
public,  convaincu  que  ce  dernier  la  trouvera  de  son  goût,  malgré  Schu- 
mann lui-même. 

—  L'admiration  bien  connue  de  l'empereur  Guillaume  pour  la  musique 
de  Wagner,  s'est  manifestée  de  nouveau  sous  une  forme  curieuse  et  ca- 
ractéristique. Quarante  chefs  de  musique  de  l'armée  ont  été,  dit  le  Man- 
chester  Guardian,  envoyés  à  Bayreuth  pour  s'initier  à  la  connaissance  par- 
faite des  œuvres  de  Wagner  et  arriver  ainsi  à  taire  exécuter  celles-ci 
d'après  les  vraies  traditions  du  maître. 


334 


LE  MÉNESTREL 


—  Grave,  très  grave!  L'empereur  d'Allemagne,  qui  est,  comme  chacun 
sait,  un  mélomane  fini,  vient  de  se  faire  fabriquer  un  piano  tout  entier  en 
bois  de  cerfs  :  «  Il  paraît  que  la  confection  du  couvercle,  nous  dit  un  con- 
frère, a  pris  un  temps  infini,  l'Empereur  ayant  voulu  que  tous  les  bois 
employés  s'appliquassent  exactement  les  uns  aux  autres.  »  Cet  enfantil- 
lage royal  et  même  impérial  dénote  un  état  d'esprit  qui  nous  parait  bien 
inquiétant  pour  la  solidité  de  la  paix  européenne. 

—  Les  journaux  allemands  annoncent  qu'Antoine  Rubinstein  vient 
d'achever  la  composition  d'un  nouvel  opéra  russe  :  les  Tsiganes,  d'après 
le  poème  de  Pouschkine.  Toujours  d'après  la  même  source,  cet  opéra, 
traduit  en  allemand,  serait  représenté  d'abord  en  Allemagne. 

—  Le  nouveau  Grand-ïhéàtre  de  Varsovie  a  été  inauguré  le  11  sep- 
tembre, jour  anniversaire  de  la  naissance  du  czar.  C'est  un  somptueux 
édifice  pourvu  de  tous  les  avantages  qui  garantissent  la  sécurité  et  le 
confort  du  spectateur.  La  nouvelle  salle  a  été  consacrée  aux  sons  de 
l'hymne  impérial;  le  spectacle  d'inauguration  se  composait  d'un  prologue 
de  Gawalewicz,  d'une  comédie  du  comte  Fredro,  Pan  Benêt,  du  quatrième 
acte  de  Mefistofele,  de  Boite,  et  d'un  ballet-divertissement. 

—  On  assure  que  le  théâtre  d'Athènes,  qui  devait  s'ouvrir  avec  une 
troupe  et  un  répertoire  lyrique  français,  restera  fermé  pendant  six  mois, 
en  signe  de  deuil,  par  suite  de  la  mort  de  la  jeune  princesse  royale,  IlUe 
du  roi  de  Grèce  et  cousine  du  czar  Alexandre. 

—  L'enthousiasme  des  wagnériens  ne  se  manifeste  pas  toujours  d'une 
façon  aussi  chaleureuse  que  celle  dont  vient  de  donner  l'exemple  un  brave 
habitant  de  Zurich.  A  l'occasion  de  la  représentation  de  Lohcngrin  qui  a 
eu  lieu  pour  l'inauguration  du  nouveau  théâtre  de  cette  ville,  le  dilettante 
en  question  a  fait  remettre  fort  gracieusement  à  l'administration  de  ce 
théâtre  une  somme  de  10,000  francs.  Le  fait  est  d'autant  plus  remarqua- 
ble que  cette  représentation  est  loin,  dit-on,  d'avoir  été  complètement 
satisfaisante  au  point  de  vue  de  l'exécution  générale. 

—  Un  nouvel  orgue  pour  Saint-Pierre  de  Rome.  On  lit  dans  la  Gazette 
de  la  facture  instrumentale  publiée  à  Leipzig  :  l'église  Saint-Pierre  de  Rome, 
la  plus  grande  et  la  plus  belle  du  monde,  sera  dotée  bientôt  d'un  nouvel 
orgue  ;  mais  il  reste  à  savoir  si  le  choix  auquel  on  s'est  arrêté,  quant  au 
constructeur  de  l'instrument,  se  trouve  en  rapport  avec  l'importance  de 
l'entreprise.  Jusqu'à  présent,  il  n'y  a  pas  eu  de  grand  orgue  fixe  dans  la 
basilique,  il  ne  s'y  trouve  que  deux  petits  buffets  d'orgue  très  simples  et 
assez  misérables  d'aspect,  que  l'on  peut  rouler  de  chapelle  en  chapelle. 
Ces  orgues  ont  un  son  mince  et  criard  et  produisent,  sous  ces  voûtes  im- 
menses, un  effet  qui  n'est  rien  moins  qu'imposant.  Tous  les  grands  fac- 
teurs d'orgue  ont,  de  leur  propre  initiative,  élaboré  des  plans  et  projets 
en  vue  d'une  construction  digne  d'orner  cet  auguste  lieu,  notamment  le 
maitre  facteur  Cavaillé-CoU,  de  Paris,  qui,  depuis  de  longues  années,  a 
travaillé  à  cette  tache,  qu'il  considère  comme  la  plus  élevée  qu'il  soit 
donné  à  un  constructeur  d'orgue  d'entreprendre.  Mais  au  lieu  de  confier 
ce  travail  a  une  maison  célèbre  comme  Cavaillé-CoU ,  Merklin,  Wal- 
cker,  etc.,  c'est  à  un  facteur  tout  à  fait  obscur  que  le  pape  s'est  adressé, 
à  un  nommé  Morestini,  de  Pérouse.  C'est  lui  qui  a  été  officiellement 
chargé  de  livrer  un  grand  orgue  pour  la  basilique  de  Saint-Pierre.  Il  faut, 
comme  nous,  avoir  été  témoins  des  productions  pitoyables  des  facteurs 
italiens  pour  déplorer  la  décision  papale. 

—  Le  maestro  Mascagni  vient  de  remettre  à  sou  éditeur,  M.  Sonzogno, 
l'orchestration  complète  de  son  nouvel  opéra  l'Ami  Frits,  qui  aura  été 
ainsi  composé  en  quelques  mois.  L'Ami  Fritz  sera  une  sorte  de  comédie 
lyrique  en  trois  actes,  avec  prélude  et  intermède  orchestral  entre  le  ^^  et 
le  3'^  acte.  Mise  en  scène  très  facile.  Les  personnages  sont  au  nombre  de 
sept  :  quatre  premiers  rôles  pour  soprano,  mezzo-soprano,  ténor  et  bary- 
ton et  trois  rôles  secondaires.  Pour  le  surplus,  il  n'est  besoin  que  de 
quelques  bons  choristes  pour  l'exécution,  dans  la  coulisse,  de  deux  chœurs 
très  courts,  et  d'une  «  bande  »  de  musiciens,  toujours  dans  la  coulisse, 
pour  simuler  le  passage  d'une  fanfare  de  village  à  la  fin  du  premier  acte. 
Deux  seuls  décors  :  l'intérieur  de  la  maison  de  Fritz  (je'  et  2°  actes)  et 
une  ferme  (3«  acte).  M""  Calvé  interprétera  le  rôle  de  Suzel,  le  ténor  Di 
Lucia  celui  de  Fritz  et  M.  Lhérie  celui  du  rabbin  David.  Le  compositeur 
dirigera  probablement  lui-même  les  trois  premières  représentations  de 
son  œuvre,  dont  l'apparition  est  fixée  à  la  fin  de  ce  mois  d'octobre. 

—  Le  très  grand  et  très  réel  succès  obtenu  à  Florence  par  l'opéra  de 
M.  Puccini,  Edgar,  a  été  l'occasion  d'un  banquet  offert  à  ce  jeune  composi- 
teus  par  les  artistes  de  cetie  ville.  Ce  banquet,  auquel  assistaient  M.  Al- 
berto Franchetti,  auteur  d'Asrael,  et  M.  Pietro  Mascagni,  l'auteur  de 
Cavalleria  rusticana,  s'est  terminé  par  une  sorte  de  concert  intime,  dans 
lequel  les  trois  compositeurs  ont  exécuté  successivement,  au  piano,  divers 
morceauic  des  trois  opéras  qu'ils  viennent  tout  récemment  de  terminer, 
savoir  :  M.  Puccini,  Manon  Lescaut;  M.  Franchetti,  Cristoforo  Colombo,  et 
M.  Mascagni,  l'Amico  Fritz,  sans  compter  quelques  fragments  de  son  autre 
opéra,  les  Rantzau. 

—  C'est  décidément  et  officiellement  M.  Giuseppe  Gallignani,  directeur 
de  la  chapelle  du  Dôme  de  Milan,  qui  devient  directeur  du  Conservatoire 
de  Parme,  en  remplacement  du  regretté  Franco  Faccio.  Sa  nomination 
vient  d'être  approuvée  par  la  commission  gouvernative  du  ministre  de 
instruction  publique  à  Rome. 


—  Au  théàlre  Partenope,  de  Naples,  oir  vient  de  mettre  en  répétitions, 
pour  être  jouée  très  prochainement,  une  opérette  nouvelle,  Canarina,  dont 
l'auteur  est  le  maestro  Scagnamiglio. 

—  L'imprésario  Lago  inaugurera  la  semaine  prochaine  au  Shaftesbury- 
Théàtre,  de  Londres,  une  saison  italienne  dont  Cavalleria  rusticana  formera 
le  principal  attrait.  Le  répertoire  sera  très  varié  et  comprendra  plusieurs 
ouvrages  qui  avaient  disparu  do  la  scène  anglaise  depuis  quelque  temps, 
tels  que  la  Cenerentola,  de  Rossini,  il  Matrimonio  segreto,  de  Cimarosa ,  le 
Vaisseau  fantôme,  de  Wagner,  Armide,  de  Gluck,  et  un  Ballo  in  maschera,  de 
Verdi.,  Pour  cette  dernière  œuvre,  à  la  représentation  de  laquelle  on  veut 
donner  tout  l'éclat  dont  elle  est  digne.  M"'"  Valda  a  été  spécialement 
engagée.  L'orchestre  sera  d  rigé  par  M.  Arditi. 

— Les  concerts-promenade  du  théâtre  Covent-Garden,  à  Londres,  vont  se 
terminer  prématurément  pour  céder  la  place  aux  représentations  lyriques 
italiennes,  que  M.  Harris  veut  y  donner  concurremment  avec  l'entreprise 
de  M.  Lago.  C'est  la  première  fois  depuis  plus  de  vingt  ans  que  Londres 
possède  deux  théâtres  italiens  pendant  la  saison  d'automne.  Dans  le  tableau 
de  la  troupe  de  M.  Harris  figurent  MM.  Engel,  Cossira,  Dufriche,  Abramoff, 
Castelmary,  Miranda,  M"'«*  Simonnet,  F'arini,  Janssen  et  Martini.  Il  est 
aussi  vaguement  question  de  l'engagement  de  M.  Maurel.  Le  répertoire 
français  occupera  une  place  prépondérante  dans  le  programme  de  la  sai- 
son. M.  Harris  compte  monter  aussi  la  Valkyrie,  Siegfried,  Tannhduser,  la 
Cenerentola,  ainsi  que  le  Trompette  de  Sackingen  de  Nessler. 

—  Voici  le  résultat  des  trois  premières  journées  du  grand  festival  de 
musique  qui  vient  de  se  tenir  à  Birmingham.  Le  premier  concert  était 
consacré  exclusivement  à  VElie  de  Mendelssohn,  dirigé  par  le  D'  Richter, 
de  Vienne  ;  le  deuxième  offrait  plus  de  variété  :  on  y  a  entendu  un  duo 
pour  deux  voi.x  de  femmes,  de  M.  Goring  Thomas,  intitulé  le  Crépuscule, 
«  un  excellent  produit  de  l'école  française  »,  dit  le  Musical  Standard  ;  le 
concerto  pour  violon  de  Beethoven  ,  exécuté  par  Joachim  ;  la  3"  sym- 
phonie de  Brahms  ;  enfin  une  œuvre  nouvelle  du  D''  Mackenzie,  une  can- 
tate adaptée  a  la  paraphrase  de  Dryden  sur  l'hymne  Veni  Creator  spiritust 
composition  où  domine  le  style  contrapuntique  et  que  termine  une  fugue 
d'un  effet  superbe,  paraît-il.  M.  Mackenzie  qui  dirigeait  lui  même,  a  été  ' 
vigoureusement  applaudi  et  rappelé.  La  Passion  selon  saint  Mathieu,  de  Bach, 
remplissait  la  matinée  du  lendemain.  Les  deux  orchestres  et  les  deux 
chœurs  nécessités  pour  cette  œuvre  étaient  disposés  séparément,  de 
chaque  côté  de  l'estrade.  Les  soli  de  violon  obbligato  étaient  exécutés 
par  Joachim  et  ceux  de  chant  étaient  aux  mains  de  M™"^  Macintyre, 
H.  Wilson,  MM.  Lloyd,  Mills  et  Santley.  Dans  la  soirée,  première  au- 
dition du  nouvel  oratorio  de  M.  Stanford,  VÉden,  dont  le  mérite  est 
très  contesté.  L'emploi  exagéré  des  motifs  caractéristique  a  produit  une 
impression  de  lassitude  que  le  public  a  eu  peine  à  dissimuler ,  sur- 
tout dans  la  première  partie,  où  il  a  fallu  absorber  cinquante-cinq  mi- 
nutes de  «  musique  céleste  »  sans  interruption.  Détail  particulier  :  les 
voix  de  basse  sont  totalement  exclues  de  toute  cette  partie  de  l'œuvre. 
Mais  en  revanche,  dans  la  deuxième  partie  (l'Enfer),  elles  dominent  avec 
rage  ;  dans  la  troisième  partie,  l'auteur  a  trouvé  quelques  accents  lyriques 
pour  dépeindre  les  amours  d'Adam  et  Eve.  L'oratorio  se  termine  sur  un 
épilogue  prophétique  où  une  vision  révèle  à  Adam  toutes  les  calamités 
réservées  à  l'humanité.  Le  public  a  beaucoup  applaudi  un  chœur  guerrier 
très  à  effet.  Dans  son  ensemble,  l'œuvre  de  M.  Stanford,  qu'il  dirigeait 
lui-même,  pèche  surtout  par  l'absence  d'oppositions  et  le  manque  de  re- 
lief. L'interprétation  a  été  très  remarquable  de  la  part  de  M"<=  Anna  Wil- 
liams, remplaçant  M™'^  Albani,  M""'*  Brereton,  Hope  Glenn,  MM.  Lloyd 
et  Henschel.  Le  Messie,  de  Hiendel,  qui  figurait  au  programme  suivant, 
a  été  pour  la  première  fois,  depuis  six  ans,  exécuté  avec  l'orchestration 
de  Mozart,  au  lieu  de  celle  de  Robert  Franz. 

—  Le  Grand  Théâtre  Khédivial  de  l'Opéra  du  Caire  esi,  cette  année 
encore,  dirigé  par  MM.  Ullmann  et  Lamare;  c'est  dire  que  la  troupe  et 
le  répertoire  sont  essentiellement  français.  Parmi  les  artistes  engagés 
par  les  excellents  impressarî,  nous  relevons  les  noms  très  connus  de 
Mmes  Rose  Delaunay  et  Félicie  Arnaud,  de  MM.  Frédéric  Boyer,  Balleroy, 
Devineau  et  Bonhivers  ;  parmi  les  ouvrages  qui  seront  montés  au  cours 
de  la  saison,  sous  la  direction  de  M.  Edouard  Brunel,  chef  d'orchestre, 
nous  voyons  figurer  Hamlet,  Gille  et  Gillotin,  d'Ambroise  Thomas,  Faust, 
Roméo  et  Juliette,  Mireille,  de  Ch.  Gounod,  Carmen,  les  Pécheurs  de  perles,  de 
Bizet,  Lakmé,  de  Léo  Delibes,  Manon,  Don  César  de  Bazan,  deJ.  Massenet, 
le  Roi  d'Ys,  de  Lalo,  la  Reine  Topaze,  de  V.  Massé,  les  Contes  d'Hoffmann, 
d'Offenbach  et  une  grande  partie  de  l'ancien  répertoire  d'Auber,  d'Adam, 
d'Herold,  de  Boieldieu,  d'Halévy,  de  Maillart,  etc..  Grâce  à  l'intelligente 
initiative  de  MM.  Ullmann  et  Lamare,  l'Opéra  du  Caire  compte  mainte- 
nant parmi  les  grandes  scènes  importantes  de  l'étranger. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

On  dit  que  le  successeur  de  M.  Larrouraet  aux  Beaux-Arts  est  déjà 
désigné  dans  l'esprit  du  ministre  et  que  ce  sera  M.  Christian,  qui  fut 
préfet  de  la  Charente  et  de  la  Somme  et  aussi,  pendant  quelques  mois, 
directeur  de  la  Sûreté  générale  au  ministère  de  l'Intérieur.  Ce  sont  là,  en 
effet,  des  titres  sérieux  à  la  direction  des  beaux-arts  en  France.  M.  Chris- 
tian sera  comme  ce  critique  musical  qui  ne  savait  rien  de  la  musique  et 
en  concluait  qu'il  était  bien  plus  fort  que  les  autres,  puisqu'il  ne  se  lais- 
sait pas  influencer  par  elle.  Après  tout,  le  maréchal  Vaillant  était  minis- 


LE  MENESTREL 


333 


tre  des  beaux-arts  sous  l'Empire.  Pourquoi  un  préfet  de  la  République  ne 
s'en  mêlerait-il  pas  aussi  un  peu? 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  que  la  séance  annuelle  de  l'Académie  des 
beaux-arts  aurait  lieu  le  31  de  ce  mois.  L'un  des  grands  attraits  de  cette 
séance  sera,  dit-on,  l'exécution  d'un  très  remarquable  morceau  iatitulé 
Napoli,  dû  au  jeune  compositeur  Gustave  Charpentier,  ex-pensionnaire  de 
la  villa  IMédicis.  Ajoutons  que  le  Conservatoire  nous  donnera  également, 
cet  hiver,  une  symphonie  du  même  compositeur  Gustave  Charpentier, 
la  Vie  du  poète. 

—  Le  centenaire  de  Meyerbeer  sera,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  annoncé, 
célébré  le  14  novembre.  Dans  cette  représentation,  exclusivement  com- 
posée de  fragments  des  œuvres  du  maître,  sera  exécutée  la  scène  de  la 
bénédiction  des  poignards  des  Huguenots,  telle  que  l'avait  conçue  primiti- 
vement Meyerbeer,  c'est-à-dire  que  toute  la  partie,  confiée  dans  la  version 
définitive  à  Saint-Bris,  était  dans  l'origine  écrite  pour  un  mezzo-soprano, 
qui  devait  représenter  Catherine  de  Médicis.  Ce  rôle  servira  de  début,  à 
l'Opéra,  à  M"«  Deschamps-Jehin.  Dans  la  même  soirée.  M™  Caron  et 
M.  Vergnet  chanteront  le  duo  des  Huguenots. 

—  A  l'Opéra,  vendredi  dernier,  rentrée  de  M""=  Melba  dans  Hamlet, 
L'étincelante  virtuose  a  été  acclamée  après  la  scène  de  la  folie,  qu'elle 
chante  de  si  admirable  façon.  A  côté  d'elle,  Lassalle  a  retrouvé  dans  le 
personnage  d'Hamlet  son  succès  habituel. 

—  M.  Bertrand,  le  nouveau  directeur  de  l'Opéra,  avait  dès  les  premiers 
jours,  manifesté  l'intention  de  remonter  un  des  ballets  de  Léo  Delibes. 
Son  choix  s'est  définitivement  porté  sur  la  Source.  La  Source,  bien,  mais 
Sylvia,  qui  est  un  pur  chef-d'œuvre,  est-ce  qu'on  va  l'abandonner  tout  à 
fait?  Rappelons  d'ailleurs  à  M.  Bertrand  que,  sur  les  trois  actes  de  in  Source, 
un  seul  a  été  composé  par  M.  Delibes.  Les  deux  autres  sont  dus  à  la  col- 
laboration de  M.  Minkous. 

—  Il  est  probable  que  la  place  de  chef  du  chant  à  l'Opéra,  laissée  va- 
cante par  suite  de  la  nomination  de  M.  Delabaye  aux  fonctions  de  chef 
des  chœurs,  sera  confiée  à  M.  Paul  'Vidal,  en  ce  moment  second  chef  des 
chœurs. 

—  Dès  le  lendemain  de  la  reprise  de  Manon,  M.  Carvalho  est  parti  pour 
Saint-Raphaël,  où  il  est  allé  prendre  quelques  jours  de  repos,  le  succès  si 
vif  de  l'œuvre  de  M.  Massenet  lui  laissant  des  loisirs.  Les  feuilles  de 
location  s'emplissent,  en  effet,  comme  par  enchantement.  A  la  seconde 
représentation  le  jeune  ténor  Delmas,  que  la  peur  avait  si  complètement 
paralysé  le  premier  soir,  a  retrouvé  tous  ses  moyens  et  sa  jolie  voix.  On 
l'a  fort  applaudi,  à  côté  de  M"=  Sanderson,  toujours  très  fêtée  et  ovationnée. 

—  L'excellent  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique,  M.  Danbé,  vient  de 
décider  que  désormais,  les  jours  de  premières  représentations,  les  artistes 
de  cet  orchestre  devraient  se  présenter  en  habit  noir  et  cravate  blanche. 

—  Nous  ne  croyons  pas  inutile  de  rappeler  aux  intéressés  que  les 
poèmes  destinés  au  huitième  concours  Cressent  doivent  être  déposés  ou 
envoyés  par  la  poste  et  franco  au  ministère  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts,  .3,  rue  de  'Valois,  du  16  au  31  octobre  inclusivement. 

—  Ce  n'est  pas  sans  regret  que  les  artistes  au  courant  des  choses  de 
l'enseignement  apprendront  la  retraite  de  M.  Jancourt,  qui  a  cru  devoir, 
en  raison  de  son  âge  avancé,  donner  sa  démission  de  professeur  de  basson 
au  Conservatoire.  M.  Jancourt  a  été  l'un  des  artistes  les  plus  réellement 
distingués  de  son  temps.  Élève  couronné  de  l'école  dont  il  devint  plus  tard 
un  des  meilleurs  professeurs,  virtuose  justement  remarqué,  occupant  les 
fonctions  de  premier  basson  tour  à  tour  à  l'Opéra,  au  Théâtre-Italien,  à 
rOpéra-Comique,  à  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire,  il  trouva 
encore  le  temps,  non  seulement  de  publier,  outre  une  méthode  excellente, 
de  nombreuses  compositions  pour  son  instrument,   mais  encore  de  s'oc- 

,cuper  avec  activité,  pendant  plus  de  trente  ans,  des  améliorations  à  ap- 
porter dans  la  facture  et  la  construction  de  cet  instrument,  jusqu'alors  très 
imparfait  et  d'une  sonorité  très  inégale.  C'est  à  M.  Jancourt,  en  effet, 
qu'on  doit  la  plupart  des  perfectionnements  successifs  qui  ont  fait  du 
basson  l'instrument  excellent  qu'on  connaît  aujourd'hui  et  qui  est  en 
usage  au  Conservatoire.  C'est  en  I87S,  à  la  mort  de  Cokkeu ,  que 
M.  Jancourt  avait  été  nommé  professeur  dans  cet  établissement. 

—  Par  arrêté  de  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux- 
arts,  M.  Eugène  Bourdeau,  premier  basson  à  l'orchestre  de  l'Opéra- 
Comique  et  organiste  du  grand  orgue  de  l'église  Saint-Philippe  du  Roule, 
est  nommé  professeur  de  basson  au  Conservatoire,  en  remplacement  de 
M.  Jancourt. 

—  C'est  aujourd'hui,  dimanche,  que  les  concerts  Colonne  font  leur  réou- 
verture, à  deux  heures  un  quart,  au  Ghâtelet.  'Voici  le  programme  du  pre- 
mier concert  : 

Premièi'e  symphonie  (Beethoven)  ;  Air  d'Etienne  Marcel  (Saint-  Saëns),  par 
M""  Berthe  de  llontalant  ;  fragments  symphoniques  à'Esclarmonde  (J.  Massenet)  ; 
fragment  des  Maîtres  Chanteurs  (R.  "Wagner)  ;  l'Esclave  (Ed.  Lalo)  et  Villanelle 
(H.  Berlioz),  chantés  par  M"°  Berthe  Monlalant  ;  Marche  slave  (Tsoha'ikovsky). 

—  Voici  les  projets  de  M. Edouard  Colonne  pour  sa  prochaine  campagne 
de  concerts  au  Chàtelet  :  au  point  de  vue  classique,  il  a  l'intention,  no- 
tamment, de  reprendre  toute  la  série  des  symphonies  do  Beethoven,  et  de 
les  exécuter  dans  leur  ordre  chronologique.  Parmi  les  nouveautés,  il  a  la 


promesse  d'une  œuvre  inédite  de  M.  Ernest  Reyer,  d'une  œuvre  inédite 
de  M.  Massenet,  intitulée  Vision,  et  qui  est  écrite  sur  la  poésie  d'Alfred 
de  Musset.  Il  compte  jouer  aussi  la  partition  que  M.  "Widor  a  composée 
pour  Conte  d'avril,  et  qui  a  été  exécutée,  l'hiver  dernier,  à  l'Odéon,  et 
Hélène,  la  partition  que  M.  Messager  a  écrite  sur  le  drame  de  M.  Delair, 
joué  au  "Vaudeville.  M.  Saint-Saëns  a  promis  à  M.  Colonne  le  morceau 
qu'il  a  composé  l'hiver  dernier,  et  qui  a  pour  titre  Africa.  Il  a  aussi  écrit 
quelques  mélodies,  qui  porteront  probablement  le  titre  de  Mélodies  persanes, 
et  qui  seront  sans  doute  exécutées  l'hiver  prochain.  Rappelons  à  ce  propos 
à  M.  Saint-Saëns  qu'il  existe  déjà  un  recueil  de  mélodies  de  Rubinstein 
intitulé  Mélodies  persanes.  Elles  sont  bien  connues  des  musiciens.  Peut- 
être  M.  Saint-Saëns  trouvera-t-il  alors  à  propos  de  modifier  son  titre. 
M.  Colonne  fera  jouer  aussi  la  partition  du  Collier  de  saphirs,  le  ballet  de 
MM.  Catulle  Mendès  et  Pierné,  et  de  nombreuses  œuvres  inédites  de 
jeunes  auteurs,  notamment  de  MM.  Pugno  et  Paul  Puget.  Enfin  M.  Co- 
lonne fera  une  place  très  grande  aux  productions  de  l'école  russe,  qui 
est,  en  ce  moment,  très  intéressante. 

—  Jeudi  prochain  22,  à  une  heure,  au  Trocadéro,  aura  lieu  une  très 
belle  matinée  au  bénéfice  de  l'Association  des  artistes  dramatiques. 
Grande  attraction:  on  y  entendra  M.  Faure,  qui  avait  pourtant  bien  juré 
de  ne  plus  chanter  en  public  ;  mais  le  célèbre  artiste  fait  partie  du  comité 
de  l'Association  et  n'a  pas  pu  résister  aux  prières  de  ses  collègues,  ce 
dont  il  faut  nous  féliciter.  "Voici  le  magnifique  programme  de  la  matinée  : 

Duo  de  Mireille  (Ch.  Gounod).  par  M.  Faure  et  M""  Rose  Caron. 

Ave  Maria  d'Olello  (Verdi),  par  M"'°  Rose  Caron. 

Air  d'Ilérodiade  (Massenet),  par  M.  Faure. 

Scène  de  la  Folie,  de  Lucie  de  Lammermoor,  (Donizetti),  par  M—  Melba  ;  lé"  solo 
de  flûte  par  M.  TaBanel. 

Air  du  Prinlemps  de  la  VaUyrie  (R.  "Wagner),  par  M.  VanDyck. 

Poésie,  par  M.  Got. 

Poésie,  par  M.  Mounet-SuUy. 

Première  audition.  Monologue  (Paul  BiUiaud),  par  MM.  Coquelin  cadet,  Coque- 
lin  aîné,  Jean  Coquelin. 

Crucifix!  poésie  de  Victor  Hugo,  musique  de  Faure,  accompagné  au  grand 
orgue  par  M.  Guilmant,  et  chanté  à  l'unisson  par  17  ténors  et  basses  :  MM.  Duc, 
Sellier,  Vergnet,  Vaguet,  Faure,  Melcbissédec,  Plançon  et  DubuUe,  de  l'Opéra, 
MM.  Talazac,  Mouliérat,  Clément,  Carbonne,  Gogny,  Bouvet,  Soulacroix,  Bou- 
douresque  et  Morlet,  de  l'Opéra-Comique. 

Première  audition,  Une  Valse  (Paul  Bilhaud),  dansée  par  M.  Coquelin  cadet  et 
M""  Reichenberg. 

Le  Drapeau,  par  M.  Paul  Mounet. 

Chanson  comique,  par  M.  Biron. 

A.  L'Étoile  (Diaz);  d.  Aubade  du  Roi  d'Ys  (Lalo),  par  M.  Talazac, 

A.  Entente  (V.  Hugo)  ;  b.  Kosilla,  chanaon  espagnole  (Yradier),  par  M.  Soulacroix. 

Pus  d'  Bon  Dieu,  poésie  de  Fuchs.  —  Fable  de  Napoléon  I"  Le  Chien,  le  Lapin, 
et  le  Chasseur,  par  Saint-Germain. 

M.  Tarride,  chanson  et  scène  comique. 

M.    Kam-Hill,  dans  son  répertoire. 

Dernière  scène  de  Miss  Helijett  (Audran),  par  M""  Biana  Duhamel  et  M.  Picca- 
luga,  accompagnée  par  l'auteur. 

Accompagnateurs:  MM.  Mangin,  Bourgeois,  Adrien  Ray. 

—  Il  n'est  si  grand  plaisir  que  de  rencontrer,  en  matière  de  discussions 
artistiques,  des  gens  sincères  et  de  bonne  foi  —  ce  qui  est  parfois  plus 
rare  qu'on  ne  le  suppose — des  esprits  élevés  et  vraiment  amoureux  d'art, 
qui,  cherchant  avec  ardeur  la  vérité,  se  tenant  également  éloignés  des 
enthousiasme  de  commande  (j'allais  dire  de  coterie)  et  des  dénigrements 
systématiques,  disent  franchement  et  ouvertement  leur  pensée,  sans  s'in- 
quiéter de  ce  qui  en  pourra  résulter.  Je  reçois  une  petite  brochure  mys- 
térieuse, anonyme,  sans  nom  de  ville  ni  d'éditeur,  portant  ce  simple  titre  : 
Bayreuth,  iS9l,  par  *'^*,  et  je  puis  dire  que  sa  lecture  m'a  procuré  le  plus 
vif  plaisir.  C'est  un  petit  écrit  vif,  alerte,  plein  tout  à  la  fois  de  bonne 
humeur  et  de  réflexions  sensées,  qui  nous  donne  le  récit  des  impressions 
ressenties  par  un  musicien  —  un  vrai,  j'en  réponds  !  —  aux  dernières  fêtes 
de  Bayreuth.  A  la  bonne  heure  !  voilà  donc  un  critique  qui  sait  admirer 
sans  fétichisme  comme  il  sait  blâmer  sans  parti  pris,  qui  sait  mettre  en 
relief  les  immenses  qualités  de  Wagner,  rendre  justice  à  son  génie,  sans 
se  croire  tenu  de  tomber  à  genoux  même  devant  ses  erreurs  et  de  le  con- 
sidérer comme  un  dieu  impeccable  et  parfait.  "Voilà  un  écrivain  qui  ose 
déclarer  que  l'auteur  de  Parsifal  n'a  pas  tout  inventé  dans  la  musique,  qu'il 
a  considérablement  profité  du  travail  de  ses  devanciers,  et  que  même  il 
pourrait  bien  avoir  conservé  quelque  chose  de  leurs  procédés  en  même 
temps  que  de  leurs  défauts.  Certes,  cet  écrivain  ne  cache  pas  son  admira- 
tion, et  elle  est  grande  ;  mais,  d'une  part  il  sait  la  raisonner,  de  l'autre, 
elle  ne  l'empêche  pas  de  voir  les  taches  qui,  par  instants,  troublent  la  lu- 
mière du  soleil.  Je  regrette  qu'un  tel  écrit,  qui  pourrait  être  si  utile,  ne 
soit  pas  mis  en  vente,  et  que  tout  le  monde  ne  puisse  le  lire,  car  on  ne 
saurait  trop  le  recommander  à  l'attention.  Quant  au  mystère  dont  s'entoure 
l'auteur,  il  me  paraît  bien  impénétrable.  En  tout  cas,  ce  n'est  pas  moi  qui 
le  dévoilerai.  A.  P. 

—  M.  Léon  Schlesinger,  le  compositeur  applaudi  d'un  Modèle,  ans 
Bouffes-Parisiens,  vient  de  faire  recevoir,  aux  Menus-Plaisirs,  un  nouveau 
vaudeville-opérette,  dont  il  a  écrit  la  musique  sur  les  paroles  de  M.  An- 
dré Degrave.  Titre  :  le  Casque. 

—  M"=  Félioie  Arnaud,  une  de  nos  cantatrices  très  distinguées,  réclame 
l'honneur  d'avoir  créé  Manon  à  Bruxelles  et  à  Genève.  Dont  acte. 


330 


LE  MENESTRI^L 


—  Aujourd'hui  dimanche,  l'Association  artistique  d'Angors  donne  son 
premier  concert  de  la  saison,  sous  la  direction  de  M.  Frémaux,  son  nou- 
veau chef  d'orchestre. 

—  Le  Caveau  lyonnais,  réuni  sous  la  présidence  de  Gustave  Nadaud, 
vient  de  proclamer  le  résultat  de  son  concours  annuel  de  chansons. 
MM.  Emile  Normand  et  Henri  Berson  ont  obtenu  le  ["' prix  (ex  a'quo)  :  le 
2"  prix  (ex  ii'qiio)  a  été  attribué  à  MM.  Henri  Corbel  et  Carolus  Tenib.  Des 
mentions  honorables  ont  été  décernées  par  ordre  de  mérite  à  MM.  d'.-^r- 
magnac,  Gabriel  Monavon,  Remy  Félix,  Achille  Méry,  Louis  Trémeau, 
Jules  Baron. 

—  De  Bayonne,  on  nous  signale  le  très  beau  succès  d'un  salut  orga- 
nisé par  M.  A.  Masson,  le  frère  du  professeur  de  chant  au  Conservatoire, 
à  l'église  Saint-André,  à  l'occasion  de  la  fête  du  Rosaire.  L'O  Saliitaris 
et  le  Sancta  Maria,  de  Faure,  très  bien  chantés,  ont  produit,  comme  tou- 
)Ours,  une  profonde  impression. 

—  Cours  et  leçons.  —  M"°  Lauro  Brandin  reprend  ses  cours  et  leçons  de  piano, 
3,  fioulevard  Magenta.  —  M"°  C.  de  Tannenberg  a  repris  ses  cours  el  leçons  chez 
elle,  7,  rue  Nouvelle,  depuis  le  15  octobre.  —  M""  Hortense  Parent  ouvre,  le 
3  novembre  prochain,  de  nouveaux  cours  de  piano  et  de  solfèj^e  à  tous  les  degrés, 
pour  les  jeunes  filles.  Ces  cours  dépenaent  de  l'Associaiion  pour  l'enseignement 
professionnel  du  piano  fondé  par  M""  Parent  et  complètent  cette  œuvre.  Ils  sont 
faits  par  des  professeurs  expérimentés  sortis  depuis  longtemps  de  l'école  prépara- 
toire au  professorat  du  piano.  Les  jeunes  professeurs  sont  également  attachés  au 
cours  pour  y  faire  leur  stage  en  donnant  aux  élèves  des  répétitions  supplémen- 
taires et  gratuites.  M""  Parent  donne  à  cette  œuvre  nouvelle  le  concours  désin- 
téressé de  sa  grande  expérience.  Elle  dirige  l'enseignement,  inspecte  les  cours  et 
examine  périodiquement  tous  les  élèves.  On  s'inscrit  2,  rue  des  Beaux-Arts,  chez 
M'"  Parent,  tous  les  jours  de  9  à  11  heures  du  matin  et  de  5  à  6  heures  du  soir. 
—  M"'  et  M""  Steiger  ont  repris  leurs  cours,  39,  rue  de  Moscou.  —  Lundi 
19  octobre,  réouverture  des  cours  de  musique  de  l'Institut  Rudy,  7,  rue  Royale. 
Professeurs  :  piano,  M""^'  Riss-Arheau,  Saillard-Dietz,  comtesse  de  Brzowska, 
MM.  Mathia  Lussy,  Ch.  René,  Porter  et  Frêne;  accompagnement  et  harmonie, 
M.  René  Lenormand;  solfège,  M"°  Agirony  de  Perelti  ;  violon,  MM.  Marsick  et 
Magnus;  violoncelle,  MM.  Dresstn  et  Querrion  :  harpe,  M"°  Spencer-Owen; 
orgue,  MM.  Guilmant  et  Mac  Master;  mandoline,  M.  Talamo  ;  chant  spécial  et 
scénique.  M""  d'Alvar,  MM.  Rodier  et  Martapoura  ;  diction,  M"°  du  Minil, 
M.  Dupont- Vernon.  —  M.,  M"'"  et  M"''  Chevé  ont  repris  leurs  cours  de  piano,  de 
solfège  et  de  chant.  Prochainement,  reprise  des  cours  gratuits  du  soir  de  l'école 
Chevé  ;  musique  vocale  et  instrumentale.  —  M"^  L.  Desrousseaux,  professeur  de 
chant  et  de  diction,  reprendra  ses  cours  bimensuels  d'ensemble  à  partir  du  10  no- 
vembre 1S91.—  M""  Roger-Miclos  annonce  la  réouverture  de  ses  cours  pour  le  jeudi 
15  octobre,  chez  elle,  6^,  avenue  de  "^^agram.  —  La  réouverture  des  cours  et 
leçons  de  solfège  de  M""  Cazelar  aura  lieu  SI,  rue  de  Courcelles.  —  M.  Lucien 
Lefort  a  repris  ses  cours  de  violon  et  d'accompagnement  10,  rue  de  Gonstanti- 
nople.—  Les  cours  de  U""  Tribou,  33,  avenue  d'Aiitin,  sont  repris  depuis  le  1"  oc- 
tobre, sous  l'excellente  direction  des  mêmes  professeurs  que  les  années  précé- 
dentes :  Piano,  cours  supérieur,  M.  Falkenbeig;  cours  moyen,  M.  Falcke  ;  cours 
élémentaire,  une  élève  de  M.  Falkenber.;;  chant,  M.  Hettich;  accompagnement, 
M.  L.  Dancla;  diction,  M.  de  Féraudy  ;  harmonie,  M.  Falkenberg  ;  solfège. 
M"'  Papot,  professeur  du  Conservatoire.  —  M.  Charles  René  a  repris  ses  cours 
de  piano  et  d'harmonie  à  Tlnstitut  Rudy,  7,  rue  Royale,  et  ses  leçons  particu- 
lières, 36  bis,  rue  Ballu.  —  M.  Ezio  Ciampi  et  M""  Ritter-Ciampi  ont  repris  Iturs 
cours,  ainsi  que  leurs  leçons  particulières,  à  leur  nouveau  domicile,  66,  rue  de 
Rome.  —  M""  Félicienne  Jarry,  professeur  de  chant  et  de  piano,  a  repris  ses 
cours,  22,  rue  Troyon.  —  MM.  F.  de  Guainieri,  Fernand  Pélat  et  Huck  fondent 
à  la  salle  Pleyel,  22,  rue  Rochechouart,  un  cours  de  musique  de  chambre, 
comprenant  tous  les  quatuois  à  cordet,  iiuciens  et  modernes,  ainsi  que  les 
quatuors  et  quintettes  avec  piano.  Il  y  aura,  au  mois  d'avril,  trois  séances 
publiques  données  par  les  élèves  qui  auront  suivi  régulièrement  les  études  pen- 
dant siz  mois. 

NÉCROLOGIE 

Antoine  Rubinstein  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  sa  mère,  morte, 
à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans,  à  Odessa.  Après  avoir  habité  Moscou,  elle 
a  passé  à  Odessa  les  vingt  dernières  années  de  sa  vie.  Cette  femme  intel- 
ligente et  énergique  a  eu  une  grande  influence  sur  le  développement 
premier  du  talent  de  ses  deux  célèbres  fils,  Antoine  et  Nicolas  Rubins- 
tein. Antoine,  le  plus  grand  des  deux,  lui  avait  conservé  une  tendresse 
qui  ne  s'est  jamais  démentie.  C'est  la  seule  personne  avec  laquelle  il  se 
trouvait  en  correspondance  suivie,  et,  quelques  jours  avant  sa  mort,  la 
vieille  dame  avait  encore  reçu  de  lui  une  lettre,  datée  de  Dresde,  qu'elle 
n'était  plus  eu  état  de  lire.  Elle  n'a  pas  voulu  cependant  laisser  sa  fille 
le  faire  pour  elle  :  «  Attendons  plutôt,  disait  la  malade,  dans  quelques 
jours  je  me  sentirai  mieux  et  je  lirai  sa  lettre  ».  Il  n'y  a  pas  longtemps 
que  le  grand  artiste,  en  revenant  du  Caucase,  a  passé  quelques  jours  au- 
près de  sa  mère,  â  Odessa.  Cette  année  il  l'a  visitée  trois  fois  et,  en 
général,  chaque  année  il  faisait  le  voyage  d'Odessa  pour  la  voir. 

—  Un  compositeur  américain,  Gaspard  'Villate,  né  à  Cuba,  le  17  janvier 
■1831  et  depuis  près  de  vingt  ans  fixé  à  Paris,  est  mort  en  cette  ville  le 
10  octobre.  Possesseur  d'une  grande  fortune  et  pratiquant  l'art  en  amateur 
très  actif,  il  commença  dans  sa  patrie  son  éducation  musicale,  qu'il  vint 
terminer  en  France.  11  publia  d'abord  quelques  romances,  puis  écrivit  un 
opéra  italien  en  quatre  actes,  Zilia,  qu'il  fit  représenter  le  1<=''  décembre 
1877  sur  notre  Théâtre-Italien,  où  sa  valeur  négative  lui   valut  un  insuc- 


cès complet,  bien  que  les  deux  rôles  principaux  en  fussent  tenus  par 
Tamherlick  et  M""  Elena  Sanz.  Le  2  février  1880,  "Villate  donnait  au 
théâtre  royal  de  La  Haye  un  opéra  français  en  quatre  actes  et  sept  ta- 
bleaux, la  Czarine,  qui  parait  avoir  été  mieux  accueilli.  Depuis  lors  il  a 
encore  donné  à  Madrid  un  drame  lyrique  intitulé  Ballhasar.  On  doit  en- 
core à  ce  compositeur  une  messe  et  plusieurs  autres  œuvres,  entre  autres 
une  Marche  funèbre  écrite  par  lui  à  l'occasion  de  la  mort  du  roi  d'Espagne 
Alphonse  XII. 

—  Un  artiste  aussi  modeste  qu'honorable  et  distingué,  Adrien-Pierre 
Limagne,  qui,  pendant  de  longues  années,  remplit  les  fonctions  de  secré- 
taire général  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique,  est  mort  à  Paris 
ces  jours  derniers.  Ayant  depuis  longtemps  consacré  sa  vie  à  l'enseigne- 
ment, Limagne  n'avait  pourtant  cessé  de  se  livrer  à  des  travaux  de  com- 
positions. Lorsqu'en  dSbC  Offenbach  eut  l'idée  d'ouvrir  un  concours  aux 
Bouffes-Parisiens  pour  la  composition  d'une  opérette  sur  le  livret  du 
Docteur  Miracle,  et  que  sur  les  soixante-dix-huit  partitions  envoyées  à  ce 
concours,  six  furent  réservées  pour  un  examen  définitif,  celle  de  Limagne 
fut  au  nombre  de  ces  six  considérées  comme  les  meilleures,  avec  celles 
de  Bizet,  Demersseman,  Charles  Lecocq,  Erlanger  et  Manniquet.  On  sait 
que  ce  sont  celles  de  Bizet  et  de  M.  Lecocq  qui  obtinrent  le  prix  et  qui 
furent  l'une  et  l'autre  exécutées.  —  Limagne  était  âgé  de  soixante-deux 


—  On  annonce  la  mort  de  M.  Feustel,  député  au  Reichstag.  M.  Feustel 
n'était  pas  un  inconnu  pour  les  wagnériens  qui  se  rendent  à  Bayreuth.  Il 
était  à  la  tète  de  la  principale  maison  de  banque  de  cette  ville,  et,  en 
cette  qualité,  chargé  de  l'administration  des  représentations  wagnérien- 
nes.  C'est  également  lui  qui  s'occupait  de  «  loger  chez  l'habitant  »  les 
nombreux  mélomanes  qui  ne  pouvaient  trouver  place  dans  les  hôtels  de 
cette  petite  ville  bavaroise. 

—  Un  professeur  de  chant  très  renommé  en  Italie,  Domenico  Scafati,  est 
mort  à  Naples  dans  les  derniers  jours  de  septembre.  Né  à  Lugnano,  dans 
rOmbrie,  en  1819,  il  avait  été  lui-même  élève  de  Busti,  et  était  en 
quelque  sorte  considéré  comme  le  continuateur  de  la  grande  école  de 
Crescentini.  On  cite  parmi  ses  meilleurs  élèves  M'"^  Eleonora  Grossi, 
un  contralto  que  nous  avons  entendu  naguère  à  notre  Théâtre-Italien, 
M"":  Anna  "Williams,  cantatrice  anglaise,  le  baryton  Franco  Novara,  les 
ténors  Graziani,  Baucardé,  De  Lucia,  et  enfin  les  deux  frères  de  Reszké, 
qui,  nous  écrit-on  de  Naples,  avaient  travaillé  aussi  en  cette  ville  avec 
Busti.  mais  sans  faire  connaître  leur  nom  véritable. 

—  A  Buenos-Ayres  est  mort,  dans  l'incendie  du  théâtre  San  Martin,  le 
baryton  Spinelli.  Les  guichets  du  théâtre  (entièrement  construit  en  bois) 
étaient  à  peine  ouverts,  et  une  centaine  de  spectateurs  seulement  avaient 
pris  place,  lorsque  les  cris  :  Au  feu  I  se  firent  entendre,  en  même  temps 
que  les  flammes  se  manifestaient  sur  la  partie  supérieure  du  rideau 
d'avant-scène.  Elles  s'étendirent  aussitôt  avec  une  effroyable  rapidité. 
Ce  fut  dans  la  salle  un  sauve-qui-peut  général,  et  les  rares  spectateurs 
qui  s'y  trouvaient  eurent  bientôt  fait  d'en  sortir.  Mais  sur  la  scène,  où 
se  trouvaient  réunis  artistes,  musiciens,  choristes,  comparses,  machi- 
nistes, le  désarroi  était  général.  Le  chanteur  Milzi,  qui  s'habillait  dans 
sa  loge,  dut  s'enfuir  en  chemise  (c'était  sa  représentation  à  bénéfice), 
tandis  que  sa  camarade,  tii"'^  Umberto,  semblait  frappée  de  folie.  La 
prima  donna.  M""  Spinelli,  était  aussi  dans  sa  loge,  où  son  mari,  qui  ne 
jouait  pas,  l'avait  accompagnée,  s'endormant  sur  un  canapé  tandis  qu'elle 
endossait  son  costume.  Prévenue  du  danger,  elle  l'éveille  aussitôt  en  lui 
montrant  la  lueur  de  l'incendie  et  lui  dit  :  «  Regarde  !  Fuyons  vite  !  » 
Spinelli  jette  rapidement  un  manteau  sur  les  épaules  de  sa  femme,  qui 
s'échappe  rapidement,  pensant  qu'il  la  suivait.  Que  iit-il  alors?  on  ne 
sait,  et  l'on  suppose  qu'il  voulut  prendre  le  temps  de  sauver  les  bijoux 
de  M""^  Spinelli.  Toujours  est-il  qu'on  ne  le  revit  pas  et  que,  le  lende- 
main, on  retrouva  son  corps  carbonisé  et  absolument  méconnaissable.  Il 
ne  fut  reconnu  par  son  ami  Milzi  que  par  une  montre  qu'on  retrouva 
auprès  de  lui  et  que  celui-ci  précisément  lui  avait  donnée  peu  de  temps 
auparavant.  Bien  que  plusieurs  artistes  aient  couru  de  grands  dangers 
dans  ce  sinistre  et  n'aient  été  sauvés  que  grâce  au  courage  de  leurs 
camarades,  le  malheureux  Spinelli  est  la  seule  victime  de  la  catastrophe. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

jliks  ORTH  etTRÉTANT  ouvriront,  à  partir  du  1»'' novembre  prochain, 
un  cours  de  piano  et  de  solfège  dans  les  salons  Gaveau,  8,  boulevard 
Montmartre.  Tous  les  mois,  audition  des  élèves  présidée  par  M.  Paul 
Rougnon,  professeur  au  Conservatoire  de  musique. 

En  veille  niiez  SAUTAITRE,  7S,  bouleriM  Saussmatii 

CHARLES    GOUNOD,  sa  Vie  et  ses  Œuvres 

Paii  Louis  PAGNERRE,  Grand  in-S°.  Prix  :  5  francs. 

DU   MÉ.ME   AUTEUR  : 

Variations.   —  Avenir  de  noire  tonalilé.  Prix  :   3  francs. 
De  la  itmuvaise  influence  du  Piano  sur  l'Art  musical,  in-8°,  prix  ;   4  francs 


20, 


3i6i  -  57-  AliÉE  —  n°  43. 


Dimanche  2S  Octobre  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


NESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  10  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus- 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (31°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe. —  II.  Semaine  théâtrale:  Sca;-aHiouc//e,  ballet  de  MM.  André  Messager 
et  Georges  Street;  réouverture  du  Casino  de  Paris,  Paul-Émile  Chevalier.   — 

III.  Histoire   anecdotique  du  Conservatoire   (12"  article),  André  Martinet.  — 

IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
CARILLON 
petite  pièce  de  Robert  Fischhof.   —   Suivra  immédiatement  :  Par  tes  bois, 
scherzo  d'ANTONiN  Mawiontel. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  CHANT  :  Beaux  yeux  que  j'aime,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie 
de  Th.  Maquet.  —  Suivra  immédiatement  :  Regarde-toi,   nouvelle  mélodie 
de  J.  Faure,  poésie  de  E.-J.  Gatelain. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allbert  fSOUBIJES   et  Charles   ]VI:A.L,h:eRBE3 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  V 

l'héritage  ï>v  théâtre-lyrique.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette. 

1871-1874 

(Suite.) 

La  situation  ne  tarda  pas  à  s'améliorer,  et  s'il  fallait  dé- 
montrer le  goût  d'une  population  pour  le  théâtre,  sa  soif  de 
plaisirs  musicau.x,  son  désir  de  sécher  ses  larmes  et  d'oublier 
ses  tristesses,  il  suffirait  de  noter  leschifl'res  des  recettes  en 
cette  fin  d'année  1871   : 

Juillet S7.0S:3    » 

Août 53.294    » 

Septembre 72.022  50 

Octobre 139.768  7o 

Novembre 130.642  25 

Décembre .     102.808  75 

555.589  25 

Un  tel  total  est  d'autant  plus  respectable,  qu'on  l'obtenait 
sans  le  prestige  d'aucune  étoile,    sans   l'attraclioa    d'aucune 


pièce  nouvelle!  On  se  contentait  de  réorganiser  le  répertoire, 
ne  jouant  même  pendant  les  premiers  mois  que  cinq  ou  six 
fois  par  semaine,  et  l'on  remontait  ainsi  peu  à  peu  :  le 
3  juillet  le  Domino  noir,  avec  11'"=  Cico  (Angèle)  et  Montaubry 
(.Juliano),  qui,  se  retrouvant  un  reste  de  voix,  était  venu 
l'apporter  au  théâtre  de  ses  anciens  succès  ;  le  11,  Zampa, 
avec  deux  autres  revenants,  Lhérie  (Zampa)  et  M'"'  Monrose 
(Camille),  bientôt  engagée  à  la  Monnaie  de  Bruxelles;  le  15, 
Fra  Diavolo,  avec  Montaubry,  M""  Priola  (Zerline)  et  M'"^  Reine 
(Paméla);  le  18,  les  Noces  de  Jeannette,  avec  une  nouvelle 
recrue,  M'"''  Réty-Fai\re  ;  le  20,  le  Maître  de  Chapelle,  avec 
M""  Douau,  une  débutante  qui  chanta  une  seule  fois  le  rôle 
de  Gertrude  et  fut  engagée  pai-  M.  Martinet;  le  22,  la  Dame 
blanche,  avec  Monjauze  (Georges)  et  M"'"  Tuai,  qui  tint  le  rôle 
de  Jenny;  le  27,  Bonsoir,  monsieur  Pantalon;  le  29,  Galathée, 
encore  avec  deux  revenants,  Falchieri  (Pygmalion),  qui  repartit 
presque  aussitôt  pour  Lyon,  et  M""*  Ferdinand  Sallard;  le 
môme  soir,  la  Fille  du  régiment,  avec  Goppel  (ïonio)  et 
jjue  Priola  (Marie);  le  6  août,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  avec 
M"«  Nordet,  autre  débutante  qui  chanta  deux  fois  le  rôle  de 
Madeleine  et  les  Noces  de  Jeannette,  partit  pour  Bruxelles,  d'où 
elle  venait  après  avoir  traversé  les  Bouffes,  et  reparut  à  la 
salle  Favart  en  1873  ;  le  8,  le  Chalet,  avec  Idrac  (Daniel)  et 
M""  Perret,  jolie  femme  qu'Offenbach  devait  attirer  en  1874  à 
la  Gaité  pour  une  reprise  à" Orphée  aux  Enfers;  le  22,  la  Ser- 
vante Maîtresse,  pour  la  rentrée  de  M"""  Galli-Marié,  et  les 
Rendez-vous  bourgeois  dans  une  représentation  extraordinaire  au 
bénéfice  des  orphelins  de  la  guerre  ;  le  24,  le  Café  du  Roi  ; 
le  9  septembre,  IJaydée,  avec  Lhérie  (Lorédan);  le  12  septem- 
bre, la  Cruche  cassée,  avec  Barnolt  succédant  à  Lignel  ;  le  30, 
rOmbre.  où  Ismaël  et  M"*  Reine  avaient  repris  les  rôles  de 
MeiUet  et  de  M"«  Marie  Rôze.  Telle  était  la  faveur  en  province 
et  à  l'étrauger  de  cet  ouvrage  devenu  rapidement  populaire, 
que,  l'année  suivante,  pendant  les  vacances  du  théâtre,  quatre 
artistes,  Ismaël  et  Lhérie,  M"^^^  Galli-Marié  et  Priola,  or- 
ganisaient à  travers  la  France  une  tournée  dont  "Ombre  seule 
fit  les  frais.  Au  Centre,  au  Midi  comme  à  l'Otiest,  le  succès 
fut  général  et  se  traduisit  par  une  recette  de  120,000  francs. 
Au  retour,  le  quatuor  qui  avait  si  fructueusement  travaillé, 
ne  manqua  pas  de  continuer  ses  exploits  à  la  salle  Favart; 
c'est  ainsi  que  Lhérie  se  trouva  succéder  à  Monjauze  et 
àM'"«  Galli-Marié  M"^=  Marie  Rôze  et  Reine. Soixante-sept  repré- 
sentations, dont  vingt  avant  la  guerre  et  quarante-sept  dans 
les  quatre  années  suivantes,  limitent  à  la  salle  Favart  la  car- 
rière de  cette  pièce,  qu'on  a  revue  depuis  d'une  façon  inter- 
mittente soit  au  Château- d'Eau,  soit  à  la  salle  de  l'Opéra- 
Comique  du  Chàlelet,  mais  qui,  .finalement,  n'a  pas  tenu  à 
Paris  ce  que  tout  d'abord  elle  avait  promis.  On  en  pourrait 
conclure  que  lorsqu'il  s'agit  d'applaudir  à  l'œuvre  d'un  véri- 


338 


LE  MÉNESTREL 


table  Allemand,  la  capitale  a  le  patriotisme  plus  impres- 
sionnable que  la  province,  et  l'histoire  de  Lohengrin  confir- 
merait au  besoin  cette  hypothèse. 

Les  changements  de  distribution  que  FOmbre  avait  subis  se 
produisirent  alors  un  peu  dans  tout  le  répertoire.  Le  per- 
sonnel s'était  renouvelé  en  partie.  On  en  jugera  par  le 
tableau  suivant  où  sont  réunis  :  dans  la  première  colonne, 
ceux  qui  appartenaient  à  l'Opéra-Comique  en  1870  et  qui  n'y 
reparurent  plus  en  1871;  dans  la  seconde,  les  anciens  qui 
reprirent  leur  place;  dans  la  troisième,  les  nouveaux  qui 
venaient  ou  revenaient.  Les  noms  marqués  d'un  astérisque 
sont  ceux  qui  avaient  déjà  chanté  à  la  salle  Favart  avant  1870: 


PARTIS 

ANCIENS 

NOUVEAUX 

Ténors 

Ténors. 

Ténors. 

Achard. 

Montaubry. 

Lhérie*. 

Couderc. 

.  Ponchard. 

Duchesne. 

Capoul. 

Monjauze. 

Ketten. 

Leroy. 

Idrac. 

Laurent*. 

Chelii. 

Coppel. 

Verdellet. 

Ligne). 

Mirai. 

Peschard. 

Emmanuel. 

Barnolt. 
Potel. 

Barytons  et  Basses. 

Barytons  et  Basses. 

Barytons  et  Basses. 

Gailhard. 

Melchissédeo. 

Ismaël. 

Meillet. 

Falchieri. 

Neveu. 

Barré. 

Nathan. 

Augier. 

Thierry. 
Bernard. 
Prilleux. 

Soprani. 

Soprani. 

Sojirani. 

"=5  Marie  Rôze. 

M"«  Cico. 

Mmes  Miolan-Carvalho  * 

Heilbron. 

Galli-Marié. 

Monrose  *. 

Zina  Dalti. 

Priola. 

Ferdinand  Sallard 

Danièle. 

Moisset. 

Baretti  *. 

(ruillot. 

Ducasse. 

Decroix. 

Réty-Faivre. 

Révilly. 

Nordet. 

Reine. 

Perret. 

Fogliari. 

.  Douau. 

Tu  ah 

Gayet. 

Parmi  les  artistes  de  la  première  catégorie,  Achard,  Leroy 
et  M"^^  Marie  Rôze  et  Danièle  embrassaient  la  carrière  ita- 
lienne ;  Capoul  et  Barré  se  laissaient  tenter  par  un  engage- 
ment de  Slrakosch  pour  New-York;  Couderc,  malade,  avait 
pris  sa  retraite  ;  Meillet  était  mort  ;  Gailhard  avait  passé  à 
l'Opéra,  Ghelli  et  M""  Zina  Dalti  en  province,  Emmanuel  en 
Belgique,  et  M"^  Heilbron  allait  risquer  une  incursion  dans 
le  domaine  de  l'opérette. 

Parmi  ceux  de  la  seconde  et  de  la  troisième  catégorie, 
Laurent  ne  donne  que  quelques  représentations,  et,  dès  l'an- 
née suivante,  Montaubry  retentera  la  fortune  directoriale  au 
théâtre  des  Arts  de  Rouen,  simple  étape  avant  de  tomber 
dans  l'opérette,  ainsi  que  M"''  Cico,  qui,  en  1874,  chantera  dans 
Orphée  aux  Enfers  le  rôle  d'Eurydice,  tandis  que  son  camarade 
y  figurera  comme  Aristée  ;  Idrac  et  Mirai  quitteront  Paris 
pour  la  province;  M"<=  Fogliari  ira  jouer  l'opérette  à  Saint- 
Pétersbourg;  et  Prilleux  deviendra  secrétaire  général  de  la 
Monnaie  à  Bruxelles. 

Quant  aux  débutants,  outre  ceux  dont  nous  avons  parlé  en 
énumérant  les  pièces  remises  au  répertoire,  voici  :  le  26  juillet 
dans  la  Dame  blanche  (rôles  de  Jenny  et  de  Gaveston)  M"'=  Du- 
casse et  M.  Neveu,  deux  bonnes  recrues,  enlevées  au  Théâtre- 
Lyrique  ;  le  15  août,  dans  la  Dame  blanche  encore,  M.  Pes- 
chard, un  ténor  venu  de  Bruxelles  et  qui  partit  pour  Lyon 
après  avoir  tenu  peu  de  soirs  le  rôle  de  Georges  ;  le  22,  dans 
le  même  rôle,  Léopold  Ketten,  un  excellent  musicien,  qui, 
après  avoir  été  accompagnateur  au  Théâtre-Lyrique,  avait 
débuté  aux  Italiens,  puis  chanté  à  l'Athénée,  à  la  Nouvelle- 
Orléans,  à  Liège,  et  finalement,  à  la  salle  Favart,  où  il  fit  une 
courte  station  ;  le  26,  dans  le  Chalet  (rôle  de  Daniel),  Verdel- 
let, un  jeune  premier  qui,  s'étant  découvert  une  voix  de  téno- 
rino,  faible  d'ailleurs,  avait  quitté  la  Comédie-Française  où  il 


était  pensionnaire,  pour  le  Théâtre-Lyrique  d'abord,  puis 
pour  la  salle  Favart,  où  il  ne  se  maintint  pas;  le  16  septem- 
bre, dans  le  Domino  noir  (rôle  de  Gertrude),  M"'=  Gayet,  une  in- 
connue qui  a  passé  sans  laisser  de  traces;  le  30,  dans  l'Ombre, 
Ismaël.  un  ancien  du  Théâtre-Lyrique  encore,  dont  la  voix 
fatiguée  suffisait  bien  juste  au  rôle  du  docteur,  mais  qui 
avait  du  moins  toute  l'autorité  d'un  comédien  expérimenté. 

De  tous  ces  débuts  et  rentrées,  les  plus  importants  peut- 
être  se  produisirent  le  10  octobre.  Ce  soir-là  on  donnait  la 
millième  représentation  du  Pré  aux  Clercs,  accompagné  de  stro- 
phes à  Herold,  poétiquement  écrites  par  M.  Louis  Gallet  et 
chaleureusement  dites  par  M"'^  Galli-Marié.  L'œuvre  avait  été 
remontée  avec  le  plus  grand  soin  et  le  Tout-Paris  artistique 
s'était  donné  rendez-vous  pour  fêter,  comme  il  convenait,  le 
retour  de  la  nouvelle  Isabelle,  M""^  Miolan-Carvalho.  A  ses 
côtés,  M"«  Cico  figurait  une  reine  fort  distinguée,  et  Melchis- 
sédec  un  excellent  Girot;  Ponchard  et  Potel  succédaient,  sans 
les  faire  oublier,  à  Couderc  et  à  Sainte-Foy  ;  M"<=  Baretti, 
qui,  le  14  octobre,  avait  reparu  à  la  salle  Favart  dans  la  Fille  du 
régiment,  après  avoir  couru  la  province  et  l'étranger,  tenait  le 
rôle  de  Nicette,  qui  n'était  pas  de  son  emploi  et  qu'elle  céda 
bientôt  à  M"^  Ducasse.  Mergy,  enfin,  était  représenté  par  un 
nouveau  venu,  Duchesne,  à  la  voix  sonore  et  timbrée,  dont  l'his- 
toire était  bien  faite  pour  rallier  d'avance  toutes  les  sympathies. 
Il  avait  autrefois  traversé  le  Théâtre-Lyrique,  sans  y  briller 
d'un  éclat  spécial,  lorsque,  la  guerre  éclatant,  il  s'engagea 
comme  franc-tireur,  se  battit  en  héros  à  Châteaudun,  fut 
blessé,  et  décoré  de  la  médaille  militaire.  Pendant  sa  conva- 
lescence il  se  trouvait  à  Bordeaux  et,  le  bras  encore  en 
écharpe,  il  eut  l'occasion  d'y  chanter  Faust  et  les  Mousquetai- 
res de  la  Reine.  La  faveur  qui  l'avait  accueilli  en  province  lui 
fut  renouvelée  à  Paris,  et  l'on  peut  dire  que  par  le  succès 
de  l'ouvrage  et  de  ses  interprètes,  cette  reprise  du  Pré  aux 
Clercs  fut  l'événement  musical  de  la  saison  1871. 

Quelque  temps  après,  le  fils  du  compositeur  donnail,  au 
Grand-Hôtel,  un  banquet  en  l'honneur  de  tous  les  artistes  qui 
avaient  prêté  leur  concours  à  ces  mille  représentations.  Il 
aurait  pu  y  avoir  là,  si  nos  calculs  sont  exacts,  cent  invités 
dont  nous  épargnons  au  lecteur  la  monotone  énumération, 
car  nous  avons  compté  21  Mergy,  8  Comminges,  5  Cania- 
relli,  15  Girot,  4  un  Exempt,  4  un  Chevau-léger,  18  Isabelle, 
11  Marguerite,  13  Nicette,  en  tout  cent  artistes,  dont  sept 
avaient  joué  deux  rôles,  et  l'un  même  trois,  Palianti.  Mais 
l'absence,  et  surtout  la  mort,  avaient  forcément  diminué  le 
nombre  des  invitations.  On  remarqua  pourtant  que  parmi  les 
interprètes  de  l'origine,  six  vivaient  encore  :  les  deux  pre- 
mières Isabelle,  celle  du  premier  soir.  M""'  Casimir,  et  celle 
du  second.  M™'-'  Dorus-Gras;  la  première  Marguerite,  M™  veuve 
Ponchard;  la  première  Nicette,  M'"^  |Hébert-Massy  ;  le  pre- 
mier Comminges,  Lemonnier,  et  même  l'exempt  qui  paraît 
au  troisième  acte,  Victor.  Étaient  morts  Thénard  (Mergy), 
Fargueil  (Girot)  et  Féréol  (Cantarelli),  ce  dernier  tout  récem- 
ment. Si  l'on  songe  que  le  Pré  aux  Clercs  remontait  au 
15  décembre  1832,  on  conclura  que  le  chef-d'œuvre  d'Herold 
avait  donné  comme  un  brevet  de  longue  vie  à  ses  premiers 
interprètes. 

Glissons  vite  sur  une  reprise  du  Mariage  extravagant,  faite 
le  27  octobre  avec  Nathan  (le  docteur),  Verdellet  (Edouard), 
Barnolt  (Simplet),  Davoust  (Darmancé),  et  M""  Guillot  (Betzy), 
presque  tous  nouveaux  dans  leurs  rôles,  et  arrivons  à  la 
seule  œuvre  inédite  de  l'année,  non  point  un  opéra-comique, 
mais  une  sorte  d'oratorio,  qualifié  par  son  auteur  de  «  lamen- 
tation »  et  dénommé  sur  l'afiiche  «  Ode  symphonique  en 
un  acte  ».  Gallia  avait  été  exécutée  pour  la  première  fois  à 
l'Albert-Hall  de  Londres  pour  inauguration  de  FExposition 
Universelle,  le  1"  mai  1871.  Transplantée  au  Conservatoire 
de  Paris  le  29  octobre  suivant,  l'œuvre  avait  eu  pour  interprète 
une  artiste  choisie  con  amore  par  l'auteur,  M'™  Weldon.  Du 
Conservatoire,  Gallia  passa,  le  8  novembre,  à  l'Opéra-Comique 
et  V  l'ut  l'objet  de  huit  auditions,  on  pourrait  dire  représen- 


LE  MENESTREL 


339 


tations;  car  les  scènes  se  chantaient  dans  un  décor  spécial, 
avec  une  vue  de  Jérusalem  en  ruines,  et  l'apparition,  sous  la 
lumière  électrique,  des  deux  génies  auxquels  s'adresse  le 
beau  cri  final  d'espérance  et  de  foi  ;  là,  parut  sous  le 
costume  biblique,  telle  qu'une  Rebecca  descendue  d'un  cadre 
d'Horace  Vernet,  M""^  Georgina  Weldon,  et,  sur  cette  scène 
habituée  au  rire,  on  vit  les  pleurs  de  la  prophétesse  d'Israël. 
Toute  la  partition  était  d'ailleurs,  volontairement  tenue  dans 
une  demi-teinte  religieuse,  suivant  un  goût  cher  au  musicien 
dont  l'op.  11,  Offices  de  la  Semaine  sainte,  a  été  publié  chez 
Richault  avec  cette  mention  :  «  par  Vabbé  Gounod,  maître  de 
chapelle  à  l'église  des  Missions  étrangères  ».  Ajoutons  que 
l'ouvrage,  écrit  primitivement  sur  un  texte  latin,  était  traduit 
en  français  par  le  compositeur  lui-même,  sous  forme  de  vers 
libres,  sans  rimes.  Somme  toute,  le  succès  de  cette  tentative 
ne  fut  pas  assez  décisif  pour  résoudre  la  questioa  délicate 
soulevée  par  l'adaptation  scénique  d'une  œuvre  symphonique. 
A  l'étranger  on  a  joué  le  Désert  ;  on  joue  encore  la  Sainte  Elisa- 
beth de  Liszt,  et  la  Damnation  de  Faust  a  tenté  plus  d'un  direc- 
teur parisien.  Mais  l'éditeur  s'est  toujours  refusé  à  cette 
version  nouvelle,  disant:  «  Ou  le  changement  sera  bon,  et 
l'œuvre  donnée  quelquefois  au  théâtre  se  donnera  moins 
souvent  au  concert,  dont  le  cadre  ne  paraîtra  plus  aussi 
brillant  ;  ou  il  sera  mauvais,  et  l'œuvre  alors,  perdant  son 
prestige,  ne  se  donnera  plus  nulle  part.  »  C'est  le  raisonne- 
ment d'un  homrae  pratique,  et  c'est  peut-être  aussi  l'expres- 
sion de  la  vérité. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


Nouveau-Théâtre.  —  Scaramouche,  pantomime-ballet  en  deux  actes  et  cinq 
tableaux,  de  MM.  Maurice  Lefèvre  et  Vuagueux,  musique  de  MM.  An- 
dré Messager  et  Georges  Street  ;  Casino  de  Paris,  réouverture. 

J'ai  l'air  d'annoncer  deux  solennités,  et  de  fait  l'ancien  Casino  de 
Paris,  tout  en  demeurant  sous  une  seule  et  même  direction,  s'est 
néanmoins  dédoublé:  le  Casino  de  Paris  proprement  dit  restant  l'apa- 
nage des  danses,  des  chanteurs  de  cafés-concerts  et  des  acrobates,  la 
jolie  salle  de  spectacle,  sous  la  dénomination  de  Nouveau-Théâtre, 
ayant  son  entrée  particulière  et  son  public  spécial  auquel  ne  pourra 
pas  se  mélanger  l'autre.  L'idée  me  semble  fort  heureuse,  et  je 
souhaite  très  vivement  que  le  double  établissement  de  la  rue  Blan- 
che soit,  celte  fois,  définitivement  installé  et  vive  de  longs  jours 
prospères. 

Car  ce  petit  théâtre,  si  l'on  voulait,  pourrait  rendre,  aux  musi- 
ciens et  aux  auteurs  dramatiques,  des  services  inespérés,  si  la  di- 
rection s'attachait  à  rester  dans  la  note  absolument  artistique  que 
nous  avons  pu  apprécier  le  premier  soir.  Je  parle,  bien  entendu, 
du  ballet,  ou  mieux  de  la  pantomime  de  MM.  Lefèvre,  Vua- 
gneux,  Messager  et  Street,  laissant  exprès  de  côté  les  deux  piètres 
vauJevilles  que  l'on  nous  a  fait  la  grâce  de  nous  servir  avant  Scara- 
mouche. 

Ni  M.  Messager,  ni  M.  Street  ne  sont  des  inconnus  pour  le  public  ; 
tou  s  deux  musiciens  très  fins,  très  adroits,  essentiellement  distingués, 
sachant  merveilleusement  leur  art  et  s'en  servant  avec  une  délicatesse 
de  touche  et  un  raffinement  de  détails  tout  à  fait  exquis,  devaient 
forcément  nous  donner  un  ouvrage  tout  de  distinction  et  d'un  aspect 
absolument  aimable  et  séduisant;  ils  n'y  ont  pas  manqué.  Leur 
partition,  écrite  avec  un  constant  souci  de  la  forme,  est  charmante 
et  d'une  audition  fort  agréable,  et  si,  au  milieu  de  ces  éloges  très 
mérités,  je  me  permettais  une  critique,  je  dirais  qu'avec  un  peu  plus 
d'inspiration  mélodique  et  un  peu  plus  aussi  le  désir,  une  fois  la 
phrase  musicale  heureuse  trouvée,  de  la  suivre  et  de  la  développer, 
nous  aurions  eu  là  une  petite  œuvre  à  peu  près  complète.  Parmi 
les  pages  saillantes,  remarquées  à  une  première  audition,  je  citerai 
une  jolie  phrase  d'amour  confiée  aux  violons  au  premier  tableau, 
au  second  tableau  un  spirituel  divertissement  accompagné  par  les 
cors,  les  trompettes  et  les  bassons,  une  valse  d'un  rythme  très 
dansant  et,  enfin,  au  troisième  tableau,  la  scène  d'hypnotisme  et 
les  apparitions  des  Gilles  et  des  Colombines  traitées  de  façon  très 
divertissante. 

Il  serait  injuste  de  ne  point  tenir  compte  aux  librettistes  de  la 


très  grande  part  qu'ils  ont  prise  à  cette  victoire.  Les  misères  faites 
pEir  Scaramouche  à  Gilles  qui  vient  d'épouser  Golombine,  l'idylle 
amoureuse  poursuivie  entre  Golombine  et  le  séduisant  Arlequin, 
mille  inventions  aimables  ou  drolatiques,  font  de  Scaramouche  un 
spectacle  varié,  amusant,  chatoyant.  M""  Félicia  Mallet,  MM.  Krauss, 
Glerget,  Paul  Legrand  et  Mondes  ont  enlevé  la  pantomime  avec  une 
verve  charmante;  la  direction  s'était  chargée  de  lui  donner  un  cadre 
digne  d'elle. 

Je  ne  voudrais  pas  terminer  sans  envoyer,  à  qui  de  droit,  toutes 
mes  félicitations  pour  la  façon  très  heureuse  dont  le  grand  hall  a 
été  transformé.  C'est  absolument  réussi.  Pris  par  le  spectacle  du 
Nouveau-Théâtre,  je  ne  puis  vous  dire  de  quoi  se  composent  les 
divertissements  offerts  aux  liôtes  du  Casino  de  Paris,  mais  j'y  ai  en- 
tendu un  orchestre  sonore  et  vivant,  très  heureusement  conduit  par 
M.  Doussaint.  un  chef  d'une  correction  parfaite  et  qui  sait  enlever 
non  seulement  ses  artistes,  mais  encore  son  public. 

Paul-Émile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 


CHAPITRE  VI 


LOUIS-PHILIPPE   ET   LA   11*^   REPUBLIQUE 

(Suite) 

Les  promesses  d'Auber  n'étaient  pas  paroles  vaines  :  la  rue 
Bergère  a  secoué  l'engourdissement  des  dernières  années;  son  ar- 
deur se  réveille.  Comme  au  temps  de  l'empire,  on  se  dispute  les 
places  aux  exercices,  dans  les  concerts  oîi  paraissent  les  élèves. 

Les  voici  à  la  séance  donnée  par  Ponchard,  chantant  le  finale  du 
Mont  Saint-Bernard  ;  à  Saint-Roch,  pour  l'enterrement  de  Berton  ; 
chez  eux,  avec  le  deuxième  acte  des  Noces  de  Figaro  ,  une  scène 
i'Armide  et  les  Héritiers,  d'Alexandre  Duval., 

Joie  des  prix  de  Rome,  le  19  mai  1844:  on  inaugure  le  système 
souvent  réclamé  ;  le  Conservatoire  annonce  l'Hôtesse  de  Lyon,  une 
œuvre  inédite  de  Georges  Bousquet.  Le  résultat  est  si  lamentable  (mal- 
gré l'appoint  de  Laget,  prêté  par  l'Opéra-Comique)  qu'on  ne  songera 
guère  à  renouveler  pareille  tentative,  dans  laquelle  peut  sombrer  à 
jamais  l'avenir  des  jeunes  compositeurs.  Il  faut  le  succès  de  M.  Obin- 
au  premier  acte  du  Comte  Ory,  et  les  efforts  déployés  dans  des  scènes 
du  Mahomet  de  Voltaire,  pour  dissiper  la  mauvaise  impression  du 
public. 

Les  concours  mettent  en  évidence  les  immenses  progrès  des 
classes  et,  malgré  le  règlement,  il  faut  partager  plus  d'un  prix.  La 
renommée  de  la  rue  Bergère  se  répand  d'un  tel  essor  à  travers  les 
départements  que  les  candidats  accourent  aux  examens  d'admission 
en  bataillons  serrés:  ils  seront  quatre-vingts  pour  les  six  places  va- 
cantes du  piano. 

Les  attaques  ne  cesseront  pas  pour  si  peu,  mais,  M.  de  Kératry 
le  remarque  fort  judicieusement:  «  On  ne  discute  que  ce  qui  existe, 
et  par  conséquent  résiste.  »  Cette  pensée  suffit  à  rassurer  les 
soixante-dix  professeurs  et  les  cinq  cents  élèves  :  ils  coûtent 
Ioo,oOO  francs  à  l'Etat;  leur  existence  ne  semble  pas  un  danger 
public. 

Comme  pour  le  protéger  mieux  encore  contre  les  menées  hostiles, 
Louis-Philippe  appelle  le  Conservatoire  à  Saint-Cloud,  le  25  no- 
vembre. En  présence  de  la  famille  royale,  les  élèves  jouent  Raoul 
de  Créqmj,  et  le  plaisir  de  l'auditoire  est  tel  que  des  fragments  de 
l'ouvrage  sont  encore  au  programme  du  château  la  semaine  sui- 
vante. 

Le  dernier  exercice  (décembre)  offre  aux  mélomanes  parisiens 
quelques-uns  des  morceaux  applaudis  par  la  Cour,  des  scènes 
d'Orphée  et  le  quatrème  acte  d'And/vmaque,  avec  M}^'  Rimblot,Worms, 
MM.  Chéry  et  Dupuis. 

Appelés  aux  concerts  des  Tuileries,  occupés  par  les  répétitions 
de  la  Société,  les  élèves  du  Conservatoire,  en  184o,  n'ouvrent  leur 
salle  au  public  que  le  25  mai,  pour  faire  entendre  le  i"  acte  du 
Comte  Ory,  le  i"  acte  d'Horace  et  les  Suites  d'un  bal  masqué.  Le  mois 
suivant,  précédé  de  Brueys  et  Palaprat,  Fidelio,  répété  des  semaines 
entières,  remporte  un  éclatant  succès. 

C'est  le  moment  choisi  par  Habeneck  pour  soulever  un  conflit  et 


340 


LE  MEiNESTllEL 


menacer  l'école  de  sa  démission.  Le  jour  venu  de  désigner  le  mor- 
ceau de  concours  des  violonistes,  il  réclame  un  concerto  de  Viotti, 
appuyant  sa  demande  sur  un  usage  consacré  par  vingl-cinq  ans. 
C'est  le  même  molif  qu'invoque  M.  Massart  pour  proposer  un  mor- 
ceau de  Kreulzer,  estimant  qu'il  serait  bon  de  varier  le  répertoire. 
Auber  renvoie  la  question  devant  le  comilé  et,  après  raùre  délibéra- 
tion, ou  décide  que  chaque  professeur  choisira  le  morceau  de  sa 
classe. 

Le  directeur,  très  souffrant,  est  forcé  de  renoncer  à  la  présidence 
des  jurys.  Halévy,  Garafa,  Habeneck,  désignés  pour  le  remplacer  à 
tour  de  rôle,  annoncent  les  récompenses  de  MM.  Grévecœur,  Bazille, 
Hisnard,  Verrimsl,  proclament  les  pris  de  M""  Dameron,  Gourtot, 
Grimm,  Pijon,  de  MM.  Bussine,  .lourdan,  Darbot,  Mathieu,  Blaisot. 
l'accessit  de  M.  Delaunay. 

Voici  que  le  violon  est  pour  la  seconde  fois  un  instrument  de  dis- 
coïde. A.  l'issue  d'une  journée  houleuse,  le  public,  qui,  en  son  âme 
et  conscience,  décernait  le  deuxième  prix  à  M.  Dumas,  élève  d'Alard, 
éclate  en  protestations  bruyantes  quand  il  entend  appeler  M.  Cham- 
penois, de  la  classe  Massart.  Carafa  veut  parler  à  l'émeute  :  «  Mes- 
sieurs, nous  ne  sommes  pas  ici  au  spectacle.  »  Sa  voix  se  perd  dans 
le  tumulte. 

En  un  instant  la  salle  est  vide,  et  tous  les  mécontents,  rangés  au 
pied  de  l'escalier  d'honneur,  oh  ils  ont  voulu  porler  Dumas  eu 
triomphe,  saluent  la  sorlie  du  tribunal  par  une  symphonie  de 
sifflets. 

Les  haines  sont  apaisées  au  jour  de  la  distribution  des  prix;  le 
public  écoute  avec  recueillement  un  discours  rayonnant  de  la  plus 
pure  morale,  où  il  est  déclaré  que  «  la  sagesse,  chez  la  jeune  tille 
destinée  au  théâtre,  n'est  pas  seulement  une  vertu,  mais  une  néces- 
sité.» Un  chœur  du  Christ  aux  Oliviers,  une  scène  des  Voitures  versées, 
chantée  par  M"' Dameron  et  M.  Bussine,  l'octuor,  écrit  par  Prumier 
fils  pour  la  harpe  et  les  instruments  à  vent,  sont  parmi  les  morceaux 
les  plus  applaudis  du  concert. 

M.  Guizot,  recevant  l'ambassadeur  marocain  en  janvier  1846,  ne 
trouve  rien  de  mieux  à  lui  offrir  dans  les  salons  du  ministère  des 
affaires  étrangères,  qu'un  choix  de  symphonies.  Les  sociétaires  et 
les  élèves  du  Conservatoire  se  distinguent  dans  cette  soirée. 

On  a  tant  abusé  du  Comte  Ory  dans  les  exercices,  qu'Auber  re- 
doute, pour  la  séance  de  mars,  une  nouvelle  intervention  du  page 
Isolier.  Sur  son  conseil,  la  fête  sera  réduite  aux  proportions  d'un 
concert:  quinze  jours  après,  le  théâtre  prend  sa  revanche:  des  frag- 
ments de  Moise  accompagnent  te  Fausses  Infidélités,  remarquablement 
rendues  par  Chéry,  Taillade,  Larochelle,  M""  Marchai  et  Lemerle. 

Puisqu'ils  ont  su  charmer  l'envoyé  du  Maroc,  les  élèves  du  Con- 
servatoire sont  désignés  d'avance  pour  enchanter  les  oreilles  d'Ibra- 
him Pacha,  et  M.  de  Salvandy  appelle  le  jeune  orchestre  à  la  fête 
du  ministère. 

Les  succès  remportés  par  l'école  dans  les  cérémonies  officielles, 
ne  font  pas  augmenter  sa  subvention.  Plus  d'une  fois,  durant  l'hiver, 
le  combustible  a  failli  manquer,  et  pourtant  la  seuls  mise  en  scène 
de  l'exercice  de  mai  émerveille  les  spectateurs  les  plus  difficiles. 
Chant^ements  à  vue,  charmants  décors,  costumes  chatoyants,  rien 
ne  manque  à  la  représentation  de  Zémire  et  Azor.  M"'  Lemercier, 
(engagée  à  l'Opéra-Comique),  y  paraît  pour  la  dernière  fois  auprès  de 
ses  camarades. 

Un  détail  invraisemblable  des  concours  de  1846:  jury  et  public 
ont  été  d'accord.  Sans  protestations,  MM.  Montaubry,  Gri^non,  Bar- 
bol,  Battaille,  Gueymard,  Maury,  Rose,  Gerclier,  NoUet,  M"'^  Poinsot, 
Grimm,  Gourtot,  Mercier,  ont  été  récompensés  et  des  acclamations 
unanimes  ont  salué  le  premier  prix  d'Henri  Wieniawski,  un  violoniste 
de  onze  ans,  élève  de  M.  Massart. 

Les  journaux  ne  sont  pas  désarmés  par  ces  résultats  brillants. 
Pour  les  uns,  nul  artiste  d'avenir  n'est  sorti  du  Conservatoire;  les 
autres  déclarent  que  les  sujets  remarquables  n'ont  pas  manqué, 
mais  qu'ils    se    seraient  tout  aussi  bien   formés   loin   de  l'école. 

Troisième  visiteur  venu  d'Orient,  troisième  convocation  des  élèves, 
qui  vont  chanter  plusieurs  chœurs  à  Saint-Cloud,  en  l'honneur  du 
bey  de  Tunis. 

Docile  au  mouvement  qui  multiplie  les  représentations  au  bénéfice 
des  inondés  delà  Loire,  Auber  faisait  répéter  un  superbe  programme 
qui  mettrait  en  relief  les  classes  diverses  du  Conservatoire,  quand 
soudain  les  études  sont  suspendues.  On  a  craint  les  manifestations 
enthousiastes  ou  hostiles  d'un  public  payant,  qui  inspireraient  aux 
jeunes  musiciens  orgueil  immodéré  ou  découragement  profond.  Et 
la  rue  Bergère    ne  donne  d'autre  programme   musical   que  celui  de 


la    distribution   des  prix,  retardée  d'un  mois   par   ces   alternatives. 
Ernani   et  i  due  Foscari  ont,  dans  le  cours  de  l'année,  alfirmé  la 
naissante  renommée  de  Verdi. 


De  la  variété  dans  les  programmes  des  exercices  !  c'est  le  mot 
d'ordre  pour  1847.  Une  représentation  complète  de  Cendrillon  pré- 
pare le  public  à  la  séance  triomphale  du  6  juin. 

Les  larmes  coulent  ce  jour-là  au  troisième  acte  des  Enfants  d'Edouard  : 
W"  Favart  est  un  travesti  idéal,  M™°  Crosnier  joue  le  rôle  de  la 
reine  en  actrice  éprouvée,  Gibeau  et  Beauvallet  complètent  bril- 
lamment la  distribution.  Au  drame  de  Casimir  Delavigne  succèdent 
des  fragments  importants  du  Siège  de  Coriiithe.  M""  Poinsot, 
MM.  Evrard,  Barbot,  Balanqué  et  Gueymard  (un  simple  pâtre,  il  y  a 
deux  ans  encore)  font  assaut  de  verve  et  de  flamme.  Tous  les  élèves 
du  chant,  enrôlés  dans  les  chœurs,  enlèvent  la  Bénédiction  des  Dra- 
et  peaux  la  Scène  du  conseil.  «  Ces  choristes  par  circonstance,  écrit 
un  journal,  ont  le  bâton  de  maréchal  dans  leur  giberne.  »  L'orchestre 
d'Habeneck  n'est  pas  oublié  dans  le  bulletin  de  victoire. 

Les  ensembles  du  Conservatoire  se  signalent  de  nouveau  (juin)  en 
exécutant  les  chants  religieux  et  historiques  couronnés  au  concours 
institué  pour  enrichir  le  répertoire  des  orphéons. 

M""^  Félix  Miolan  remporte  à  l'unanimité  le  premier  prix  de  chant. 
Dans  la  France  musicale,  Escudier  déplore  que  la  faiblesse  de  ses 
moyens  lui  ferme  à  jamais  le  théâtre  ;  mais  elle  sera  une  charmante 
cantatrice  de  salon.  Ex  œquo  avec  elle,  M"'^  Rouaux;  au  second  rang, 
M""'  Duez  et  Poinsot.  —  Dans  les  classes  des  hommes,  Battaille  et 
Barbot  reçoivent  la  récompense  suprême  ;  après  eux,  Gueymard  et 
Reynard,  Balanqué  et  Meillel.  M""  Decroix  est  parmi  les  accessits 
d'opéra-comique,  et  il  s'en  faut  d'un  suffrage  que  M.  Garfalho  figure 
à  ses  côtés.  —  Comédie:  1"  prix,  Larochelle;  "1^,  M""  Favart  ; 
accessits,  MM.  Passerai  et  Thiron.  —  Orgue  :  M.  Bazille.  Cor: 
M.  Mohr. 

MM.  Deffos  et  Grévecœur,  prix  de  Rome  de  l'année,  partagent  la 
joie  de  leurs  aines  quand  l'Opéra  National,  dirigé  par  Adolphe  Adam, 
ouvre  ses  portes  en  novembre.  C'est  la  représentation  assurée  pour  tous, 
et  le  succès  de  Gastilbelza  est  d'un  heureux  présage  pour  le  théâtre. 

A  deux  reprises,  Paris  a  fêté  M"'  Alboni:  à  l'Opéra  d'abord,  oli 
elle  a  paru  dans  quelques  concerts,  puis  au  Théâtre-Italien,  oii  son 
début  dans  Semiramide  a  été  l'événement  musical  de  la  saison.  On 
ne  lui  reproche  que  les  fines  moustaches  dont  elle  a  agrémenté  les 
lèvres  d'Arsace. 

Jérusalem  est  une  nouvelle  victoire  pour  Verdi;  Haydée  mellra.  un 
laurier  de  plus  à  la  couronne  d'Auber. 

C'est  une  véritable  oraison  funèbre  que  prononce  M.  de  Kératry 
en  distribuant  les  prix  :  le  basson  se  meurt,  représenté  par  un  seul 
concurrent  ;  la  tragédie  agonise. 

Emu  par  cette  prophétie,  le  Charivari  brode  quelques  variations 
sur  le  thème  de  la  Bonne  Vieille:  «  La  tragédie  n'est  plus,  mais  on 
parlera  de  sa  gloire  sous  le  chaume  bien  longtemps  ;  l'humble  toit, 
dans  cinquante  ans,  ne  connaîtra  plus  d'autre  histoire.  Là,  les  vil- 
lageois viendront  dire  à  quelque  bonne  vieille  :  «  Vous  l'avez  connue, 
«  gl-and'mère  ?  vous  l'avez  connue  ?  » 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres.  —  Les  deux  Opéras  italiens  ont  ouvert  leurs 
portes  cette  semaine,  celui  de  Shaftesbury  avec  Cavalleria  ruslicana,  celui 
de  Govent-Garden  avec  Roméo  et  Juliette,  chanté  en  français  par  M""  Si- 
monnet  et  M.  Gossira,  et  dirigé  par  M.  Jehin.  Il  avait  été  un  instant 
question  de  la  fusion  des  deux  entreprises  en  une  seule;  mais  l'entente 
n'a  pu  s'établir  d'une  façon  complète,  et  en  fin  de  compte  MM.  Lago  et 
Harris  ont  préféré  rester  maîtres  chacun  de  leur  troupe  et  de  leur  réper- 
toire. Tous  deux  intitulent  leur  entreprise  Royal  Italian  Opéra.  —  M""  Al- 
bani,  dont  l'état  de  santé  avait  inspiré  des  inquiétudes,  est  à  présent 
complètement  rétablie,  et  elle  â  pu  prendre  part  au  concert  de  la  Cour  qui 
a  eu  lieu  en  présence  de  la  reine,  au  palais  de  Balmoral.  —  Les  célèbres 
concerts  symphoniques  du  Grystal  Palace  viennent  de  rouvrir  pour  la 
saison.  Le  répertoire  comprendra  plusieurs  nouveautés,  comme,  par 
exemple, l'ouverture  de  Don  Juan  d'Autriche,  du  compositeur  tchèque  Hans 
Sitt;  l'ouverture  de  concert  Tom  o'Shanter,  de  M.  L.  Drysdale,  de  l'Académie 
royale  de  musique  à  Londres,  et  une  œuvre  chorale  de  M.  G.  A.  Lidgey, 
intitulée  Femmes  et  Roses,  poème  de  Robert  Bl'0^vning.  Le  5  décembre,  on 
donnera  un  festival  en  l'honneur  de  Mozart,  à  l'occasion  du  centième 
anniversaire    de   sa   mort;  la   messe    de  Requiem  sera  naturellement    au 


LE  MENESTREL 


34] 


programme.  Au  concert  suivant  on  entendra  notre  jeune  compatriote, 
M""  Clotilde  Kleeberg,  qui,  entre  autres  œuvres,  exécutera  le  premier 
concerto  de  Beethoven. 

—  Les  dernières  séances  du  festival  de  Birmingham  ont  été  marquées 
par  l'audition  des  œuvres  suivantes  :  Tanlum  ergo  et  Offcrloire  de  Schubert, 
parles  chœurs;  le  concerto  hongrois  de  Joachim,  exécuté  par  l'auteur; 
le  Requiem  de  Dvorak,  œuvre  de  grandes  dimensions,  qui  a  produit  un 
puissant  efîet,  dirigée  par  le  compositeur  et  chantée  par  M^^  Anna  "Wil- 
liam et  Wilson,  MM.  Mackay  et  W.  Mills.  Le  festival  a  pris  fin  avec  la 
Damnalion,  de  Faust,  dont  les  interprètes  principaux  étaient  M'i^Mac  Intyre, 
MM.  Lloyd  et  Henschel.  Les  organisateurs  peuvent  se  féliciter  du  résultat 
de  l'entreprise  ;  depuis  bien  des  années,  le  festival  n'avait  réalisé  un 
bénéfice  aussi  considérable. 

—  Il  est  question  d'instituer  à  Dublin  un  festival  triennal  de  musique 
sur  le  modèle  de  ce  qui  existe  dans  les  grandes  villes  d'Angleterre.  Le 
promoteur  de  ce  projet  est  M.  Houston  Collisson.  La  première  réunion 
aurait  lieu  en  1893  et  durerait  trois  jours;  on  exécuterait  une  œuvre 
importante  d'un  compositeur  irlandais.  Ce  désir  de  s'ériger  en  centre 
artistique  tourmente  aussi  deux  autres  villes  du  Royaume-Uni,  Gardiff 
et  Porsmouth,  où  viennent  de  surgir  des  projets  de  festivals  pour  le 
printemps  prochain. 

—  Les  plans  de  l'Exposition  internationale  de  musique  et  de  théâtre 
qui  doit  s'ouvrir  l'année  prochaine  à  Vienne,  sont  définitivement  adoptés, 
et  les  travaux  de  construction  sont  entamés  depuis  les  premiers  jours  de 
ce  mois.  La  salle  de  spectacle  contiendra  deux  rangs  de  loges  ;  la  sortie 
en  sera  facilitée  par  quarante  portes,  ce  qui  écarte  toute  possibilité  de 
danger  en  cas  d'incendie  ;  la  scène  a  été  l'objet  d'une  attention  spéciale, 
et  son  mécanisme,  dit-on,  fera  l'objet  de  l'admiration  des  spectateurs. 
C'est  du  l"  au  IS  mai  1892  qu'y  sera  donnée  la  première  représentation. 
Pour  le  grand  concours  musical  qui  sera  tenu  du  15  mai  au  1"  octobre, 
six  États  ont  envoyé  déjà  leur  adhésion.  Chaque  orchestre  pourra  donner 
dans  le  pavillon  musical  une  demi-douzaine  de  concerts.  Haydn,  Gluck, 
Mozart,  Beethoven,  Weber,  Schubert,  Wagner,  Strauss,  Lanner,  sont  les 
noms  surtout  recommandés  pour  la  partie  musicale  en  ce  qui  concerne 
l'Allemagne,  et  pour  la  partie  dramatique  Gœthe,  Schiller,  Grillparzer, 
Nestry  et  Reimund.  On  assure  déjà  que  le  nombre  des  autographes  expo- 
sés s'élèvera  à  3,600  et  celui  des  portraits  d'artistes  à  1,200.  Parmi  les 
exposants  on  remarque,  entre  autres,  :  l'archiduc  Ferdinand  d'Esté,  qui 
mettra  à  la  disposition  du  Comité  sa  riche  et  précieuse  collection  d'ins- 
truments de  musique  ;  le  prince  de  Schwarzenberg,  qui  non  seulement 
permettra  à  ce  Comité  de  puiser  largement  dans  ses  archives  de  Frauen- 
berg,  de  "Wittingau,  de  Kruman,  où  se  trouvent  nombre  de  manuscrits 
des  plus  rares,  mais  qui,  en  outre,  enverra  une  foule  d'objets  curieux 
que  contient  le  fameux  théâtre  rococo  lui  appartenant,  situé  dans  les 
environs  de  Vienne  ;  le  prince  Lichnowsky,  qui  exposera  le  piano,  décoré 
d'ornements  de  bronze,  sur  lequel  Beethoven  a  composé  la  célèbre  sonate 
dédiée  au  prince  Lichnowsky  son  aïeul  ;  enfin,  M.  Artaria,  qui  possède 
la  plus  nombreuse  collection  connue  d'autographes  de  Beethoven,  et  qui 
enverra  deux  manuscrits  d'un  prix  inestimable,  savoir  :  celui  de  la  Neu 
vième  Symphonie  et  celui  de  l'admirable  Messe  en  îr'.  S'il  faut  en  croire 
les  on-dit,  plus  de  qualre  cent  mille  demandes  de  participation  ont  été  déjà 
envoyées  au  Comité,  et  les  adhésions  continuent  d'arriver  de  toutes 
parts.  Des  invitations  spéciales  sont  adressées  par  le  Comité  à  toutes  les 
grandes  Sociétés  artistiques  et  chorales,  pour  les  prier  d'exposer  leurs 
bannières,  emblèmes,  ainsi  que  les  diplômes,  médailles,  couronnes  et 
récompenses  de  toutes  sortes  qui  leur  auraient  été  attribuées  dans  le 
cours  de  l'année.  On  croit  enfin  que  M™  Viardot  n'hésitera  pas  à  expo- 
ser le  fameux  autographe  de  la  partition  de  Don  Juan,  de  Mozart,  qui 
sera  l'un  des  joyaux  de  l'Exposition,  et  qui  trouvera  place  dans  une 
élégante  vitrine,  au  centre  même  du  pavillon  Mozart. 

--  Un  compositeur  italien,  M.  Antonio  Smareglia,  vient  de  terminer, 
sur  un  livret  de  M.  Luigi  Hlica,  la  partition  d'un  drame  lyrique  intitulé 
Corcill  Schut,  qui  doit  être  représenté  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne. 

—  La  Société  philharmonique  de  Vienne  vient  de  faire  connaître  le 
programme  de  sa  saison  concertante,  qui  comprendra  huit  grandes  exécu- 
tions à  orchestre.  En  tète  de  ce  programme  figure  Beethoven  avec  trois 
symphonies  (1,  3,  7)  et  l'ouverture  op.  Ub.  Puis  viennent:  Berlioz,  ouver- 
ture du  Roi  Lmr  ;  Brahms,  sérénade  op.  16  ;  Bruckner,  symphonie  n"  1,  en 
ut  mineur  (1™  exécution);  Gheruhini,  ouverture  de  Médée  ;  Dvorak,  Scherzo 
capriccioso;  Fuchs,  sérénade  n»  3;  Grieg,  suite  de  Peer  Gijnt  ;  Haydn,  sym- 
phonie; Liszt,  Rapsodic  n"3;  Massenet,  suite  sur  Escto-monde  (nouveauté)  ; 
Mendelssohn,  symphonie  en  la  majeur  ;  Mozart,  symphonie  en  mi  bémol 
et  Marche  funèbre  mauresque  ;  Schubert,  symphonie  en  si  mineur  ;  Schumanu, 
symphonie  en  ré,  d'après  le  manuscrit  original,  et  ouverture  pour  la  Fian- 
cée de  Messine;  Volkmann,  sérénade  n°  2;  Weber,  ouverture  d'Obéron.  C'est, 
on  le  sait,  HansRichter  qui  dirige  ces  concerts.  La  Wiener  Sing-Akademie, 
de  son  côté,  annonce  une  série  de  séances  fort  intéressantes  de  musique 
ancienne,  et  notamment  des  chœurs  a  capella  de  Prœterius,  Hassler,  Fre- 
derici,  Antoine  Scandellus,  Roland  de  Lattre,  Palestriua,  Hœndel,  etc. 
Parmi  les  curiosités  de  ce  répertoire,  il  faut  signaler  le  Misericordias  Domine 
de  Mozart  et  le  fameux  Miserere  d'AUegri. 


—  Les  surintendants  des  théâtres  royaux  de  Berlin  ont  décidé  qu'à  l'a- 
venir les  portes  de  ces  théâtres  seraient  fermées  dès  que  le  spectacle  se- 
rait commencé,  pour  n'être  rouvertes  que  lorsqu'il  aurait  pris  fin.  Ils 
comptent,  par  cette  mesure,  éviter  l'ennui  et  le  trouble  causés  par  les 
spectateurs  retardataires,  et  assurer  au  public  attentif  l'audition  complète 
des  ouvrages  représentés,  depuis  l'ouverture  jusqu'à  la  dernière  note  du 
finale,  sans  que  le  bruit  des  portes  et  le  va-et--vient  continuel  puissent 
porter  préjudice  à  l'effet  des  morceaux.  Ils  ont  peut-être  compté  aussi  sans 
la  baisse  probable  des  recettes.  C'est  égal,  la  discipline  est  une  belle 
chose,  même  au  théâtre! 

—  On  vient  de  vendre  à  Berlin,  chez  Léo  Liepmannsohn,  le  libraire 
expert  bien  connu,  une  collection  d'autographes  de  poètes  et  de  musiciens 
qui  offraient  beaucoup  d'intérêt.  Dans  le  nombre,  il  y  avait  une  série  fort 
curieuse  de  lettres  de  Wagner.  Citons  d'abord  une  lettre  du  maitre,  datée 
du  21  mars  1847,  au  capellmeister  Joseph  Kittl,  à  Prague,  lequel,  plus  tard, 
mit  en  musique  un  livret  de  Wagner,  les  Français  à  Nice.  Dans  cette  lettre, 
Wagner  se  plaint  amèrement  de  sa  situation  financière.  Il  avoue  qu'il  a  tou- 
ché d'avance  tout  son  traitement,  qu'il  vient  de  changer  d'appartement  parce 
qu'il  ne  pouvait  plus  payer  ses  220  thalers  de  loyer,  et  qu'il  ne  sait  plus 
où  donner  de  la  tête.  Finalement,  il  accepte  avec  une  vive  reconnaissance 
l'offre  de  Kittl  de  lui  avancer  une  certaine  somme.  Autre  lettre,  au  critique 
d'art  et  musicologue  Ambros,  à  Prague.  Wagner  exprime  son  regret  de 
ne  pouvoir  donner  à  Dresde  l'opéra  Zamora,  de  Stephen  Heller.  Il  prie 
toutefois  Ambros,  afin  de- ne  pas  froisser  l'auteur,  d'employer  des  péri- 
phrases pour  lui  annoncer  ce  refus.  <■  Peut-être,  dit-il,  la  plus  banale,  celle 
qu'on  m'a  opposée  à  moi-même  si  souvent,  serait-elle  la  mieux  en  situa- 

.  tion.  Dites-lui  que  le  répertoire  est  déjà  fixé  pour  longtemps  et  qu'on  ne 
peut,  en  ce  moment,  accepter  de  nouvelles  obligations.  »  Il  y  a  enfin  une 
lettre  de  Wagner  à  la  direction  du  théâtre  de  Leipzig,  où  il  propose  à 
celle-ci  un  petit  opéra  dont  il  indique  le  titre  ainsi  :  le  st.  G.  A  quel  ouvrage 
ces  lettres  énigmatiques  s'appliquent-elles?  Aucune  indication  ne  permet 
de  le  deviner.  Il  s'agit,  en  tous  cas,  d'une  œuvre  de  jeunesse.  Serait-ce 
d'un  Saint-Graal,  d'une  première  ébauche  de  Lohc7igrin  ?  Peut-être.  Dans 
la  même  lettre,  Wagner  annonce  qu'il  passera  bientôt  par  Leipzig,  attendu 
qu'il  doit  se  rendre  à  Dresde  pour  y  monter  un  grand  opéra  en  cinq  actes 
(Rienzi  ?}. 

—  Les  événements  de  Lohengrin  à  Paris  ont  trouvé  de  l'écho  jusque  dans 
une  petite  bourgade  de  Hongrie  nommée  Plojescht,  ainsi  qu'on  va  en  ju- 
ger par  l'extrait  suivant  du  journal  Democralul,  publié  dans  cette  localité  : 
(S  A  Paris,  vient  d'être  produite  une  nouvelle  pièce  de  théâtre  intitulée 
Lohengrin,  qui,  le  jour  de  sa  première  représentation  au  Gr«ind-Opéra,  a 
soulevé  dans  la  population  une  agitation  immense.  Nous  ne  connaissons 
pas  le  sujet  de  la  pièce,  mais  l'effervescence  était  telle  qu'il  a  fallu  mettre 
toute  la  police  sur  pied  et  que  les  arrestations  se  sont  élevées  à  plus  de 
mille.  »  0.  candeur  des  champs  ! 

—  Nous  avons  annoncé  récemment  que  la  célèbre  cantatrice  M"'=  Lem- 
mens-Sherrington  quittait  Bruxelles  pour  aller  se  fixer  à  Londres.  On 
assure  aujourd'hui  que  c'est  M"=  EUy  Warnots,  fille  de  l'excellent  chan- 
teur de  ce  nom,  qui  va  recueillir,  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  la  suc- 
cession de  M°"=  Lemmens-Sherrington. 

—  Le  théâtre  royal  d'Anvers  donnera,  dans  le  courant  du  mois  de  no- 
vembre, la  première  représentation  d'un  grand  ballet  en  deux  actes.  Au 
pays  noir,  dont  la  scénario  est  dû  à  M.  Armand  Laffrique  et  la  musique  à 
M.  Justin  Clérice.  M.  Clérice  est  un  jeune  compositeur  argentin,  élève 
de  M.  Emile  Pessard,  qui  a  déjà  eu  deux  petits  actes  représentés  aux 
Bouffes-Parisiens. 

—  Ouvrages  nouveaux  représentés  en  Italie.  A  Fiesole,  Nelly,  paroles 
de  M,  Nencioni,  musique  de  M.  Iciiio  Monti  (tous  deux  natifs  de  Fiesole), 
chanté  par  M""»  Baldelli,  MM.  Calamari,  Burci  et  Allegri.  La  musique,  dit 
un  journal,  «  est  un  joyau  d'inspiration  ».  —  Au  théâtre  Mercadante,  de 
Naples,  il  Nuovo  Don  Giovanni,  opérette,  paroles  de  M.  Giovanni  Gargano, 
musique  de  M.  Francesco  Palmieri.  Succès.  —  A  la  Fenice,  de  la  même 
ville,  il  Timpano,  autre  opérette,  musique  du  maestro  Forte.  Chute.  —  Ou- 
vrages nouveaux  devant  être  représentés  prochainement.  Au  théâtre  de 
la  Fenice,  de  Venise,  Violante,  opéra  du  maestro  vicentin  Ludovico  Alberti. 
Au  théâtre  Carlo  Felice,  de  Gènes,  un  opéra  «  grandiose,  »  dont  le  titre 
est  encore  un  mystère  et  qui  a  pour  auteur  le  maestro  Ettore  Perioso.  — 
Ouvrages  nouveaux  non  encore  sortis  des  cartons  de  leurs  auteurs  :  Suor 
Estella,  musique  de  M.  Giuseppe  D'Angelo,  qui  doit  être  présenté  au  concours 
Sonzogno;  Déruchette,  drame  lyrique,  paroles  de  M.  Angelo  Bignotti,  mu- 
sique de  M.  Alfredo  Dooizetli;  A  Santa  Lucia,  opéra  en  deux  actes,  paroles 
de  M.  Golisciani,  musique  de  M.  Pierantonio  Tasca  ;  Carofin,  opéra  bouû'e, 
paroles  de  M.  Bignotti,  musique  de  M.  Federico  Rossi  ;  Sirena,  opéra, 
musique  de  M.  G.  Branca;  Teresa  Raquin,  opéra  en  deux  actes  et  un  pro- 
logue, d'après  le  roman  de  M.  Zola,  paroles  de  M.  Golisciani,  musique  de 
M.  Coop;  la  Giarreltiera,  opérette,  musique  de  M.  Cesare  Bacchini;  A  Basso 
Porto,  opéra  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Eugenio  Checchi,  musique  de 
M.  Niccola  Spinelli;  enfin,  Gian  Luigi  Fieschi,  drame  lyrique,  musique  de 
M.  Enrico  Bignami.  Selon  toute  apparence,  le  public  italien  n'est  pas 
près  de  chômer  d'œuvres  musicales. 

--  L'orchestre  du  théâtre  de  la  Scala,  de  Milan,  est  en  ce  moment  en 
proie  à  une  vive  émotion.  On  annonce  en  effet  que  la  nouvelle  impresa  de 


342 


LE  MENESTREL 


ce  théâtre  serait  clans  l'intention  d'opérer  une  grande  réforme  au  sujet  de 
cet  orchestre.  D'une  part,  on  prétend  qu'elle  voudrait  congédier  et  rem- 
placer une  cinquantaine  des  artistes  qui  en  font  partie,  ce  qui  semble 
un  peu  excessif;  de  l'autre,  on  assure  qu'elle  voudrait  obliger  les  pre- 
miers solistes  à  jouer  dans  le  ballet  comme  dans  l'opéra,  ce  qui  n'est 
point  là-bas  la  coutume.  Bref,  la  Société  orchestrale  de  la  Scala  s'en  est 
émue,  et  elle  a  adressé  aux  conseillers  communaux,  à  la  presse,  à  la 
commission  artistique  du  théâtre,  une  circulaire  dans  laquelle  elle  pro- 
teste avec  vigueur  contre  les  projets  attribués,  en  ce  qui  la  concerne,  à  la 
nouvelle  direction. 

—  A  Rome,  la  saison  du  théâtre  Costanzi  s'est  ouverte  jeudi  dernier  par 
une  représentation  d'Hamlet,  chanté  par  M"«  Calvé,  M.  Lhérie  (Hamlet)  et 
M.  Bottero  (le  roi).  Après  une  seconde  représentation  du  chef-d'œuvre 
d'Ambroise  Thomas,  le  théâtre  fera  relâche  jusqu'au  31  octobre,  jour  fixé 
pour  l'apparition  du  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  t'Amico  Fritz,  joué, 
nous  l'avons  dit  déjà,  par  M"fs  Calvé  et  Synnerberg,  MM.  De  Lucia  et 
Lhérie.  Les  représentations  de  cet  ouvrage  seront  interrompues  le  19  no- 
vembre, M"°  Calvé  devant  alors  quitter  Rome  pour  venir  à  Paris,  où  elle 
doit  jouer  Cavalhria  rusticana  à  l'Opéra-Comique.  On  donnera  alors  au  Cos- 
tanzi un  autre  opéra  nouveau,  Pier  Luigi  Fariiese,  paroles  de  M.  Tobbia 
Gorrio  (Arrigo  Boito),  musique  de  M.  Costantino  Palumbo,  qui  aura  pour 
interprètes  M""'^  Toresella  et  Synnerberg,  et  MM.  Lazzarini  et  Lhérie. 

—  Quelques  nominations  de  professeurs  dans  les  écoles  musicales  d'Ita- 
lie. M.  Scontrino  est  nommé  professeur  de  composition  au  Conservatoire 
de  Palerme  ;  la  célèbre  cantatrice  Barbara  Marchisio  devient  professeur  de 
chant  au  Conservatoire  de  Naples;  enfin,  le  violoniste  Rinaldo  Franci  est 
nommé  maître  de  l'École  d'instruments  à  archet  à  Sienne. 

— Le  répertoire  du  théâtre  Rossini,  de  Venise,  pour  la  saison  d'automne, 
sous  la  direction  de  M.  Pantaleoni,  se  composera  de  trois  opéras  fran- 
çais :  Mignon,  de  M.  Ambroise  Thomas,  Faust  et  Roméo  et  Juliette,  de 
M.   Gounod. 

—  Il  vient  de  paraître  en  Italie  le  premier  volume  d'un  ouvrage  excel- 
lent et  d'une  solidité  à  laquelle  les  écrivains  de  ce  pays  ne  nous  ont 
guère  habitués  jusqu'ici  en  matière  d'histoire  musicale.  Cet  ouvrage  a 
pour  titre  :  il  Padre  G.-B.  Martini,  musicista-lattcrato  del  sccolo  XVIIl,  et  pour 
auteur  M.  Leonida  Busi.  On  sait  que  le  P.  Martini  fut  tout  à  la  fois  un 
historien  musical  remarquable,  l'un  des  théoriciens  les  plus  fameux  de 
son  temps  et  l'un  des  compositeurs  les  plus  étonnamment  féconds  qu'ait 
produits  l'Italie.  Si  l'on  voulait  une  preuve  de  cette  fécondité  vraiment 
prodigieuse,  on  n'aurait  qu'à  consulter  le  catalogue  des  œuvres  du  vieux 
maître  que  M.  Busi  a  dressé  avec  beaucoup  de  soin  et  qu'il  donne,  sous 
forme  d'appendice,  à  la  fin  du  présent  volume  ;  ce  catalogue  ne  contient 
pas  moins  de  neuf  cent  cinquante-cinq  numéros,  comprenant  opéras,  orato- 
rios, cantates,  arie,  concertos  d'orchestre  ou  de  piano,  symphonies  pour 
divers  instruments,  sonates  pour  orgue  seul  ou  avec  piano,  messes,  mo- 
tets, vêpres,  séquences,  litanies,  canons,  etc.  Encore  faut-il  dire  que  ce 
catalogue  n'est  pas  complet,  puisqu'il  ne  comprend  que  les  œuvres 
conservées  dans  la  bibliothèque  du  Lycée  musical  de  Bologne,  et  que 
l'on  sait  pertinemment  qu'il  en  existe  nombre  d'autres  dans  diverses 
collections  publiques  ou  particulières.  Le  P.  Martini,  qui  vécut  fort 
vieux  et  dont  la  renommée  était  européenne,  fut  activement  mêlé  au 
grand  mouvement  musical  de  son  temps  et  entretenait  avec  beaucoup  de 
grands  artistes,  italiens  ou  étrangers,  une  correspondance  pleine  d'intérêt. 
On  comprend  donc  facilement  celui  qui  s'attache  à  l'histoire  de  sa  vie  et 
de  ses  œuvres,  et  qui  s'étend  bien  au  delà  de  sa  propre  personne.  M.  Busi 

a  encore  élargi  par  ses  recherches  un  cadre  déjà  si  vaste  par  lui-même,  ■ 
et  son  livre,  littéralement  bourré  de  faits,  de  notes  et  de  renseignements 
de  toutes  sortes,  prend  presque  l'importance  et  les  allures  d'une  histoire 
générale  de  l'art  musical  italien  pendant  la  fin  du  dix-septième  siècle  et 
presque  tout  le  dix-huitième.  C'est  réellement  là,  dans  son  genre,  un 
livre  de  premier  ordre,  dont  les  matériaux  abondants  ont  été  puisés  aux 
sources  les  plus  sûres,  qui  relève  bon  nombre  d'erreurs  trop  accréditées 
jusqu'ici,  en  même  temps  qu'il  met  en  lumière  quantité  de  faits  ignorés 
ou  peu  connus.  J'ajoute  que  le  plan  de  l'ouvrage  est  bien  conçu,  d'une 
clarté  parfaite,  et  que  son  ordonnance  ne  laisse  rien  à  désirer.  Après 
avoir  loué  comme  il  convient  le  premier  volume  que  j'ai  sous  les  yeux, 
il  ne  me  reste  qu'à  former  le  souhait  de  voir  le  second  paraître  rapide- 
ment. Cet  ouvrage  ainsi  complété  constituera,,  on  peut  le  dire  sans  exagé- 
ration, un  véritable  monument  élevé  à  la  gloire  d'un  des  plus  admirables 
artistes  dont  l'Italie  puisse  être  justement  fière  et  que  ses  compatriotes 
ne  pourront  jamais  trop  exalter.        '  A.  P. 

—  Au  théâtre  royal  de  Barcelone  on  annonce  la  représentation,  au  cours 
de  la  prochaine  saison  d'hiver,  d'un  opéra  nouveau  dû  à  deux  auteurs 
-espagnols  :  Raguel,  paroles  de  M.  Mariano  Capdepon,  musique  de 
M.  Santamaria. 

—  La  ville  de  Lisbonne  va  se  trouver  probablement  privée  d'Opéra  cet 
hiver,  par  suite  du  refus  du  gouvernement  de  prendre  plus  longtemps  à 
sa  charge  les  frais  de  l'éclairage  électrique.  Le  directeur,  de  son  côté, 
n'étant  pas  en  état  de  grever  son  entreprise  d'une  nouvelle  charge,  aurait 
décidé  de  ne  pas  ouvrir  le  théâtre.  Le  gouvernement  économisera  de  ce 
fait  la  subvention  annuelle. 


—  Un  entrepreneur  américain  vient  d'offrir  à  Johann  Strauss  un  brillant 
engagement  pour  cinquante  concerts  à  donner  dans  les  principales  villes 
des  États-Unis.  Conditions  :  130,000  florins  (plus  de  400,000  francs),  plus 
les  frais  de  voyage,  de  logement  et  de  nourriture  pour  cinq  personnes. 

—  L'imprésario  américain  Hammerstein,  acquéreur  des  droits  de  re- 
présentation de  Cavalteria  rusticana  pour  l'Amérique,  n'a  pu  faire  reconnaître 
sa  propriété  par  les  tribunaux  de  son  pays,  et  l'œuvre  de  Mascagni  est 
maintenant  représentée  à  iHev.'-York  simultanément  par  la  troupe  de 
M.  Hammerstein,  au  Lenox  Lyceum,  et  par  celle  de  M.  Aronson,  au  Casino', 
avec  une  traduction  anglaise  dans  les  deux  établissements.  Les  places  pour 
la  première  l'eprésentation  au  Casino  ont  été  vendues  à  l'enchère;  la 
direction  a  réalisé  10,400  francs  de  bénéfice  sur  les  prix  habituels  de 
location.  Certaine  loge  a  été  adjugée  avec  2,12S  francs  de  prime. 

PARIS    ET    DEPIRTEWENTS 

M.  Gustave  Larrouraet,  dont  la  délégation  a  pris  fin,  est  décidément 
remplacé  à  la  direction  des  beaux-arts,  et  c'est  cette  semaine  que  le  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  a  soumis  à  la  signature  du  chef  de  l'État 
la  nomination  du  nouveau  directeur,  nomination  qui  n'a  pas  été  sans  cau- 
ser quelque  surprise,  tellement  elle  était  inattendue.  Depuis  plusieurs 
mois,  en  effet,  on  avait  mis  en  avant  quelques  noms  qui  semblaient  réu- 
nir de  véritables  chances  de  succès,  entre  autres  celui  de  notre  excellent 
confrère  M.  Henri  de  la  Pommeraye,  qui  semblait  tout  d'abord  devoir  arri- 
ver bon  premier.  Dans  ces  derniers  temps,  le  vent  avait  tourné,  et  l'on  assu- 
rait que  le  ministre  avait  fixé  son  choix  sur  un  ancien  préfet,  M.  Chris- 
tian, dont  on  donnait  la  nomination  comme  certaine.  Puis,  il  y  a  peu  de 
jours,  un  décret  nous  apprend  que  c'est  dans  ses  bureaux  mêmes  que 
M.  Bourgeois  a  cherché  le  successeur  de  M.  Larroumet,  et  que  l'heureux 
élu  est  M.  Henry  Roujon,  chef  de  bureau  au  ministère  de  l'instruction 
publique.  On  dit  d'ailleurs  le  plus  grand  bien  de  M.  Henry  Roujon,  qui, 
après  avoir  débuté  dans  le  journalisme,  est  entré  par  concours  au  minis- 
tère, en  1876,  et  y  a  fourni  une  carrière  rapide  et  brillante,  sans  cesser 
d'écrire,  car  il  a  donné  à  la  Revue  bleue  une  série  d'articles  remarqués  sous 
le  pseudonyme  d'Henry  Laujol.  Administrateur  expérimenté,  esprit  alerte 
et  vif,  très  ouvert  aux  choses  d'art,  on  fonde  les  plus  grandes  espérances 
sur  M.  Henry  Roujon,  qui  saura  sans  doute  les  justifier. 

—  C'est  M.  Camille  Oudinot  qui  est  nommé  secrétaire  de  la  direction 
des  beaux-arts.  M.  Camille  Oudinot  est  depuis  douze  ans  attaché  au  minis- 
tère des  beaux-arts  et  est  l'auteur  de  plusieurs  romans. 

—  Les  Petites  Affiches  publient  l'acte  de  société  formée  entre  M.  Eugène 
Bertrand  et  ses  commanditaires  pour  l'exploitation  du  théâtre  de  l'Opéra. 
La  durée  de  la  société  est  fixée  à  sept  années  entières  et  consécutives,  à 
partir  du  1°'  janvier  1892.  La  raison  et  la  signature  sociales  sont  :  «  Eu- 
gène Bertrand  et  O^  ».  Le  siège  de  la  société  est  établi  dans  l'immeuble 
concédé  par  l'État.  Le  fonds  social  est  fixé  à  1,100,000  francs.  M.  Bertrand, 
en  dehors  de  son  industrie  et  de  ses  soins,  a  apporté  à  la  société  une 
somme  de  100,000  francs.  L'apport  d'un  million  de  francs  a  été  fait  déjà 
par  divers  commanditaires  indiqués  aux  statuts,  jusqu'à  concurrence  de 
430,000  francs,  et  le  surplus,  est-il  dit,  sera  versé  par  d'autres  associés, 
également  simples  commanditaires,  lesquels  seront  admis  à  compléter 
la  somme  d'un  million  de  francs,  en  souscrivant  et  versant  en  numéraire 
les  mises  qu'ils  devront  fournir  aux  mains  de  la  gérance.  Dans  le  cas  où 
les  mises  de  nouveaux  souscripteurs  ne  compléteraient  pas  la  somme  d'un 
million  de  francs,  M.  Bertrand  devra  parfaire  le  capital  social  et  sera  dans 
les  mêmes  conditions  que  les  autres  commanditaires  pour  cette  mise 
complétive.  M.  Eugène  Bertrand  a  seul  la  gestion  et  la  signature  de  la 
société  ;  il  ne  peut  faire  usage  de  cette  signature  que  pour  les  affaires  de 
la  société.  Il  s'est  substitué,  par  l'acte  de  société  même,  M.  Auguste 
Deloche-Gampocasso,  directeur  du  grand  théâtre  municipal  de  Marseille, 
demeurant  à  Paris,  avenue  de  Villiers,  14,  son  collaborateur,  qui  a  accepté 
et  qui  aura  les  mêmes  pouvoirs  que  lui  sous  sa  seule  responsabilité.  Il  a 
été  dit  que  l'exercice  de  cette  gérance  aura  lieu  collectivement  pour 
MM.  Bertrand  et  Gampocasso,  sauf  vis-à-vis  de  l'Etat,  aux  droits  duquel 
il  ne  pouvait  être  porté  aucune  atteinte  et  qui  ne  reconnaissait  que  M.  Ber- 
trand comme  titulaire  de  la  concession. 

—  Le  programme  de  la  représentation  solennelle  organisée  par  la  direc- 
tion de  l'Opéra,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Meyerbeer,  est  définitivement 
arrêté.  Il  se  composera  de  tous  les  quatrièmes  actes  des  ouvrages  de  l'il- 
lustre compositeur  qui  ont\  été  représentés  à  l'Académie  nationale  de 
musique,  soit:  le  quatrième  acte  des  Huguenots,  avec  le  personnage  de 
Catherine  de  Médicis,  rétabli  dans  les  conditions  dont  nous  avons  parlé 
déjà;  l'acte  de  la  cathédrale  du  PropMle  ;  le  quatrième  acte  de  Robert  le 
Diable,  auquel  on  rattachera  le  ballet  du  troisième,  et  enfin  le  quatrième 
acte  de  l'Africaine,  avec  le  grand  ballet  indien.  Une  grande  pièce  de  vers 
de  M.  Jules  Barbier,  écrite  en  l'honneur  de  Meyerbeer,  sera  récitée  au 
cours  de  la  soirée. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  l'Opéra  donnera  Hamlet,  en  représentation 
populaire  à  prix  réduits,  avec  M"^  Melba  et  M.  Lassalle. 

—  On  a  donné  à  l'Opéra-Comique,  mercredi  dernier,  la  500"  représen- 
tation de  Carmen,  le  chef-d'œuvre  du  regretté  Bizet,  dont  l'apparition  re- 
monte au  3  mars  1873.  Deux  jours  après,  vendredi,  le  même  théâtre  don- 
nait la  914'=  représentation  de  Mignon,  le  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas. 


LE  MENESTREL 


343 


Voilà  deux  chiffres    qui  dispensent  les  chroniqueurs  de   toute  espèce   de 
commentaires. 

—  Pour  la  reprise  du  joli  petit  chef-d'œuvre  de  Molière,  le  Sicilien  ou 
l'Amour  peintre,  qu'on  médite  à  la  Comédie-Française,  M.  J.  Glaretie  a 
demandé  à  M.  Saint-Saëns  de  bien  vouloir  arranger  la  musique  que 
Lully  composa  naguère  pour  cet  ouvrage.  M.  Saint-Saëns  a  naturelle- 
ment accepté.  Si,  d'un  autre  côté,  M™"  Fonta,  comme  nous  croyons  le  savoir, 
est  chargée  de  restituer  les  entrées  et  les  pas  des  Maures  et  des  Esclaves 
—  tels  que  les  dansaient  Louis  XIV  et  mademoiselle  de  La  Vallière  en 
personne  —  nous  aurons  là  une  curieuoe  et  artistisque  restitution  d'une 
comédie-ballet  du  temps  passé. 

—  L'un  des  critiques  les  plus  autorisés  de  province,  M.  L.  Ménard, 
vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Marseille  musical,  une  brochure  courte,  mais 
substantielle,  sur  l'état  actuel  de  la  musique  dans  la  grande  cité  phocéenne, 
qui  s'est  toujours  distinguée  par  son  amour  de  l'art.  M.  Ménard  nous 
apprend  que  le  Conservatoire  «  municipal  »  de  Marseille,  dans  lequel  se 
délivre  un  enseignement  aussi  complet  et  étendu  que  possible,  est  aujour- 
d'hui dans  un  état  florissant,  en  dépit  des  vicissitudes  par  lesquelles  il  a 
passé  pendant  plusieurs  années.  Il  reçoit  de  la  ville  une  subvention  an- 
nuelle de  41,500  francs,  ce  qui  est  assurément  remarquable.  Le  Grand- 
Théâtre,  dont  l'existence  remonte  à  l'année  1787,  et  qui  est  uniquement 
consacré  au  genre  lyrique,  reçoit,  de  son  côté,  une  subvention  de  210,000  fr., 
que  divers  avantages  élèvent  au  chiffre  de  287,300  francs.  A  côté  de  lui,  le 
Gymnase,  destiné  au  drame  et  à  la  comédie,  reçoit  un  encouragement  de 
2,000  francs  par  mois.  Un  troisième  théâtre,  celui  des  Variétés,  cultive 
uniquement  le  genre  de  l'opérette,  lequel  n'a  certainement  pas  besoin 
d'être  encouragé.  En  dehors  des  théâtres,  l'institution  la  plus  intéressante 
est  l'Association  artistique,  dont  les  grands  concerts  symphoniques,  diri- 
gés par  M.  Jules  Lecoq,  un  artiste  de  talent,  obtiennent toutle  succès  qu'ils 
méritent.  Enfin,  cette  petite  statistique  musicale  de  la  ville  de  Marseille 
se  termine  par  l'énumération  des  sociétés  orphéoniques  autorisées  dans  la 
commune,  et  qui  ne  sont  pas  moins  de  69,  dont  21  sociétés  chorales 
et  48  fanfares  ou  harmonies.  La  notice  de  M.  L.  Ménard,  brève  et 
intéressante,  est  extraite  du  «  volume  offert  par  la  ville  de  Marseille 
au  XX'  congrès  de  l'Association  française  pour  l'avancement  des 
sciences.  » 

—  Concerts  du  Chatelet.  —  Très  brillante  réouverture,  avec  un  pro- 
gramme vraiment  éclectique.  Pleine  de  chaleur  et  d'entrain  a  été  l'exé- 
cution de  la  première  symphonie  de  Beethoven,  dans  laquelle  le  maître 
semble  avoir  voulu  rattacher  ses  traditions  à  celles  d'Haydn,  de  Mozart  et 
même  de  quelques  musiciens  français  qui  lui  ont  fourni  une  ou  deux 
formules.  M.  Colonne  a  lancé  le  finale  dans  un  mouvement  vertigineux, 
faisant  apprécier  ainsi  la  solidité  de  son  orchestre  et  la  verve  entraînante 
avec  laquelle  il  sait  le  conduire.  Les  fragments  symphoniques  d'Esclarmonde 
renferment  des  morceaux  d'un  rythme  original  et  d'une  gracieuseté  naïve, 
mais  se  distinguent  surtout  par  l'éblouissante  richesse  du  coloris  orchestral, 
qui  donne  à  l'ensemble  une  expression  intense,  presque  incisive.  La 
Pastorale,  d'une  teinte  exceptionnellement  douce,  d'une  extrême  simplicité, 
d'une  exécution  irréprochable,  a  été  l'objet  d'une  prédilection  toute  parti- 
culière. M"=  Berihe  de  Montalant  a  chanté  avec  une  voix  juste,  bien  posée 
et  toujours  pleine  de  charme  dans  ses  inflexions,  un  air  d'Etienne  Marcel, 
la  jolie  viUanelle  de  Berlioz  (hissée)  et  l'Ksclave,  mélodie  de  M.  E.  Lalo, 
d'un  caractère  simple,  d'une  forme  musicale  très  pure  et  d'une  mélancolie 
pénétrante.  Les  fragments  connus  des  Maîtres  Chanteurs  ont  été  rendus  par 
l'orchestre  tantôt  avec  une  vivacité  charmante,  tantôt  avec  ampleur,  selon 
les  exigences  de  détail  d'une  mise  en  scène  qu'il  est  nécessaire  d'avoir 
présente  à  l'esprit,  même  au  concert,  car,  au  point  de  vue  strict  de 
l'architecture  musicale,  ces  fragments  ne  constituent  pas  un  tout  homogène. 
La  Marche  slave  de  M.  Tschaïkowsky  semble  écrite  uniquement  en  vue 
d'obtenir  de  l'effet  par  des  moyens  vulgaires.  Les  formules  d'accompa- 
gnement connues  et  banales  s'y  succèdent  les  unes  après  les  autres  et 
reviennent  dans  le  même  ordre  ;  pourtant,  un  assez  joli  thème,  avec  un 
dessin  de  fanfare  superposé,  est  intéressant  à  suivre.  Vers  la  fin,  le  com- 
positeur jette  au  milieu  de  ses  harmonies  des  notes  suraiguës  qui  pro- 
duisent une  impression  inattendue,  mais  peu  agréable. 

A.MliDÉE   BOUTAREL. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Châlelet,  concert  Colonne.  —  Deuxième  symphonie,  en  ré  (Beethoven)  ;  ta  Nuit 
et  l'Amour,  fragment  symphonique  de  Ludus  pro  Patria  (Augusta  Holmes)  ;  les 
Deux  Ménétriers  (César  Gui),  chantés  par  M.  Auguez  ;  Africa,  fantaisie  poui-  or- 
chestre et  piano  (Saint-Saëns),  par  M"°  Roger-Miclos  ;  fragments  de  Loheni-rin 
(Wagner);  Myrlo  (Léo  Delibes),  chanté  par  M""  Berthe  de  Montalant;  Marche 
slave  (Tchaïkowsky). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux.  —  Ouverture  de  Ruy  Blas 
(Mendelssohn)  ;  deuxième  symphonie,  en  ré  majeur  (Beethoven);  la  Jeunesse  d'Her- 
cule (Saint-Saëns);  ouverture  d'Hermann  et  Dorothée  (Schumann);  le  Venusberg  ei 
la  Marche  de  Tannhiiuser  (R.  Wagner). 

—  M.  et  M""=  Escalaïs-Lureau  quittent  décidément  l'Opéra.  Les  deux 
excellents  artistes  vont  entreprendre  en  province  une  tournée  qui  com- 
mencera par  Lyon,  où  ils  sont  engagés  au  Grand-Théâtre  pour  deux  mois. 
Ils  chanteront  les  différents  ouvrages  de  leur  répertoire  :  Guillaume  Tell, 
les  Huguenots,  la  Juive,  Robert  le  Diable,  Sigard,  Roméo  et  Juliette,  Faust,  Hamlet, 
RigokUo.  Après  Lyon,  M.  et  M"":  Escalaïs  poursuivront  leur  route  à  travers 


les  départements  et  donneront  soit  des  concerts,  soit  des  représentationsi 
Nous  leur  souhaitons  bon  succès  et  surtout  prompt  retour. 

Un  compositeur  bien  connu,  M.  Salvayre,  a  été,  ces  jours  derniers, 

victime  d'une  méprise  aussi  désagréable  que  singulière.  M.  Lafforgue, 
restaurateur  à  Toulouse,  avait  été  volé  en  1890  par  deux  Espagnols,  ses 
pensionnaires,  qui,  après  avoir  fait  leur  coup,  s'étaient  enfuis  en  Espagne. 
Le  tribunal  correctionnel  de  Toulouse  les  avait  condamnés  par  défaut  à 
dix-huit  mois  de  prison.  Ces  jours  derniers,  M.  Lafforgue  rencontra  en 
ville  un  monsieur  correctement  vêtu,  décoré  de  la  Légion  d'honneur,  et 
crut  reconnaître  en  lui  l'un  de  ses  deux  escrocs.  Il  en  fit  part  à  la  police 
de  sûreté,  qui  rechercha  le  monsieur  et  finit  par  l'aborder  un  jour,  au 
moment  où  il  sortait  de  chez  lui.  Légèrement  interloqué,  celui-ci  déclina 
ses  nom  et  qualités,  au  grand  étonnement  des  agents,  qui  se  confondirent 
en  excuses.  Le  monsieur  si  légèrement  pris  pour  l'un  des  voleurs  de 
M.  Lafforgue  n'était  autre  que  M.  Salvayre. 

—  La  direction  de  l'école  Niedermeyer  vient  de  s'attacher  comme  pro- 
fesseur de  piano  M.  I.  Philipp,  le  brillant  virtuose  dont  les  remarquables 
ouvrages  d'enseignement  sont  appréciés  à  si  juste  titre. 

—  Parmi  les  œuvres  nouvelles  que  l'Association  artistique  d'Angers, 
qui  a  donné  dimanche  dernier  son  premier  concert,  se  propose  de  faire 
entendre  au  cours  de  la  saison,  on  signale  une  symphonie  de  M.  Savard, 
l'un  de  nos  prix  de  Rome  de  ces  dernières  années.  A  propos  de  l'Asso- 
ciation artistique,  nous  signalons  avec  plaisir  la  réapparition,  comme 
chaque  hiver,  du  journal  Angers-Artiste,  qui  est  l'excellent  et  vigoureux 
organe  du  mouvement  musical  en  cette  ville.  Si  nous  ne  sommes  pas  tou- 
jours d'accord,  en  matière  de  principes,  avec  notre  intéressant  confrère, 
nous  ne  saurions  méconnaître  les  excellents  services  qu'il  rend  à  l'art 
musical  et  sa  façon  élevée  de  traiter  les  grandes  questions  artistiques. 

—  La  rentrée  de  l'école  d'orgue,  d'improvisation  et  de  plain-chant,  fondée 
en  188o  par  M.  Eugène  Gigout,  s'est  faite  le  3  octobre  dernier.  Un  des 
élèves  de  cette  école,  M.  Pierre  Kunc,  vient  de  recevoir  sa  nomination  de 
maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Versailles.  Ce  jeune  artiste  est  le 
fils  aîné  du  sympathique  directeur  de  la  Musica  sacra  de  Toulouse. Il  succède 
à  M.  Planchet,  nommé  au  grand  orgue  de  la  même  église.  M.  Planchet, 
lui-même  ancien  élève  de  M.  Gigout  à  lÉcole  de  musique  r.-ligieuse,  est 
l'auteur  d'une  des  deux  partitions  que  le  jury  du  dernier  concours  de  la 
Ville  de  Paris  avait  réservées. 

—  On  a  beaucoup  remarqué,  aux  deux  derniers  concerts  de  l'Exposition 
d'horticulture  au  Champ-de-Mars.  les  morceaux  de  piano  à  quaire  mains 
de  A.  Trojelli  ;  la  Marche  des  Étudiants,  les  transcriptions  de  la  Parade 
militaire  de  Massenet,  de  l'Avant-Garde  de  Gralf,  et  de  la  Farandole  de  Théo- 
dore Dubois. 

NÉCROLOGIE 

Cette  semaine  est  mort,  des  suites  d'une  congestion  pulmonaire, 
M.  Marins  BouUard,  ancien  chef  d'orchestre  des  Variétés  et  compositeur  de 
musique  non  sans  talent.  C'est  lui  qui  avait  composé,  entre  autres  choses, 
la  musique  des  opérettes  Niniche  et  la  Roussette,  sans  compter  bien  des 
chansons  devenues  populaires  et  même  des  mélodies  fort  distinguées. 

—  A  Parme,  le  1'=''  octobre,  est  mort  un  artiste  fort  distingué,  le  vio- 
loniste et  chef  d'orchestre  Giulio  Cesare  F^errarini,  qui  était  né  à  Bologne 
le  2  mars  1802.  Il  avait  été  élève,  au  lycée  musical  de  Bologne,  du  grand 
violoniste  Antonio  RoUa,  et,  dès  l'âge  de  dix-neuf  ans,  il  se  fit  connaître 
comme  chef  d'orchestre,  non  seulement  en  Italie,  mais  à  Corfou,où  il  resta 
sept  ans  et  où  il  étudia  l'harmonie  et  le  contrep.oint  avec  un  musicien  grec 
nommé  Nicolas  Calichiopula  Manzaro.  De  retour  en  Italie,  il  fut  successi- 
vement chef  d'orchestre  à  Ferrare,  Rome,  Florence,  Turin,  Gênes,  Venise, 
etc.,  puis  se  fixa  à  Parme,  où  il  devint  professeur  de  violon  au  Conserva- 
toire, en  même  temps  qu'il  dirigeait  l'orchestre  du  Théâtre  Royal. 

—  A  Spilimbergo  (province  d'Udine),  où  il  était  né,  est  mort,  à  l'âge  de 
soixante-dix  ans,  le  chef  d'orchestre  et  compositeur  Luigi  Pittana,  qui 
était  aussi  un  violoniste  distingué.  Il  était  l'auteur  d'un  opéra  intitulé  la 
Befana  (la  Poupée),  d'une  opérette  :  Don  Pirlone,  et  de  diverses  autres 
compositions. 

—  Un  compositeur  danois,  Joseph  Glaeser,  fils  d'un  ancien  chef  d'or- 
chestre du  théâtre  de  Copenhague,  est  mort  en  cette  ville  le  !<"'  octobre. 
Né  à  Berlin  en  1833,  il  avait  composé  de  nombreux  lieder  et  romances  qui 
avaient  popularisé  son  nom  dans  tous  les  pays  Scandinaves. 

—  De  Stockholm  on  annonce  la  mort,  à  la  date  du  6  octobre,  d'un 
chanteur  distingué,  le  ténor  L.  Labatt,  qui,  après  s'être  fait  connaître 
avantageusement  au  théâtre  royal  de  Dresde,  avait  appartenu  durant 
quatorze  années  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  où  il  chantait  à  la  fois 
l'opéra  et  l'opéra-comique.  Il  avait  débuté  à  ce  dernier  théâtre  le  7  juillet 
186v)  dans  le  rôle  de  Vasco  de  l'Africaine,  et  s'était  retiré  le  22  mai  1883, 
après  avoir  chanté  celui  de  "VValther  de  Stolzing  des  Maîtres  Chanteurs  de 
Nuremberg. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Mlles  ORTH  et  TRITANT  ouvriront,  à  partir  du  1"  novembre  prochain, 
un  cours  de  piano  et  de  solfège  dans  les  salons  Gaveau,  8,  boulevard 
Montmartre.  Tous  les  mois,  audition  des  élèves  présidée  par  M.  Paul 
Rougnon,  professeur  au  Conservatoire  de  musique. 


3/i4 


LE  MÉNESTREL 


E.N  vExrt-  AI  MÈXESTKEl,  2  bis,  uui;  Vivikn.ne.  HEUGEL  et  C'",  KiiniîURS-i'uoPWÉTAUiEs 


CONCERTS   DU   CIIA.TELET 

PUEMIKKE    ACDITIOS    LE    DIMANClIlî   23   OCTODRE    1891 

M  Y  R  T  O 


ARMAND    SILVESTRE 

MUSIQUE    DE 

LÉO     DELIEES 

Prix,  arec  accompagnement  île  piano  :  5  francs. 

Partition  d'orchestre,  net:  5  francs.  —  Parties  séparées,  net:  10  francs. 

Chaque  partie. supplémentaire,  net:  1  franc. 


En  vente  au  ÏÈSESTIIEI,  2  l«s,  ree  Vivienne,  HEUGEL  et  C'",  ÉDrrEuus-PROPniÉTAiRES 


CONCERTS   DU    CHATELET 

PREMIÈRE    ADDITION    LE    DIMANCHE    Si!)    OCTOBRE    1891 

LES    DEUX    MÉNÉTRIERS 

POÉSIE   DE 

JEAN    RIGIIEPIN 

MUSIQUE    DE 

CÉSAR     CUI 

OP.  42 

Prix,    avec   accompagnement  de   piano  :    7   fr.   50   c. 

Partition  d'orchestre,  net:  5  francs.  —  Parties  séparées,  net:  10  francs. 

Chaque  partie  supplémentaire,  net:  1  franc. 

DU    MÊME   AUTEUR  : 

Op.   44.  —    Vingt  foémes  de  Jean   RICHEPIN 
Boléro,  chanté  par  M""=  M.  Sembrich.  —  Ave  Maria,  à  une  ou  deux  voix. 


Paris,  au  MENESTREL,  2*".  rue  Viricnne,  HEUGEL  et  C" ,  éditeurs-propriétaires. 

M  A  N  O  N 


Partition  piano  et  chant 

Tcdie  français 
Prix  net  :  20  fr. 

Partition  piano, solo 

Pris  net;  lO  fr. 


opéra-comique  en  5  actes  et  6  tableaux 
De  mm.  Henri  MEILHAC  &  Philippe  OILLE 

MUSIQUE   DE 

J.   MASSENET 


Partition  piano  et  chant 

Texte  itaiien 
Prix  net  ;  30  fr. 

Partition  chant  seul 
Prix  net  :  4  fr. 


Tirée  à  cent  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  format  grand  in-quarto,  avec  sept  eaux-forles  hors  texte  et  huit  illustrations  en  tête  d'acte, 

lAii  Paul  AVRIL 

Tirage   en  taille  douce  à  grandes  marges,  encadrements  couleur. 

PRIX  NET  (en  feuille)  ;  100  francs 

MORCEAUX  DE  CHANT  DÉTACHÉS 


Arrivée  de  Manon.  Je  suis  encore  tout  étourdie  (S.) 6     » 

Conseils  de  Lescaut.   Regardez-moi  bien  dans  les  yeux  (B.).    ...       6     » 

Regrets  de  Manon.  ^'olJons,  Manon,  plus  de  chimères  (S.) 6     » 

Duo  de  la  rencontre.  El  je  sais  mire  nom.  —  On  m'appelle  Manon  (S.T.)      9     » 
Duo  de  la  lettre.  On  l'appelle  Manon,  elle  eut  hier  seize  ans  (S.  T.)       7  bO 

Adieux  de  Manon,  .idieu.  notre  petite  table  (S.) g    » 

Le  rêve  de  Des  Grieux.  En  fermant  les  yeux,  je  vois  là-bas  (T.).   .      S    » 
Duo  de  la  promenade.  La  charmante  promenade  (M. -S.  S.)  .   .   .   .       (i     » 

17.   Gavotte.  Obéissons  quand  leur  voix  appelle  (en  fa 
La  même,  transposée  en  sol 


N"s  9.  A  quoi  bon  l'économie  (B.) 

10.  Manon  au  Cours  la  Reine.  Je  marche  sur  tous  tes  chemins  (S.).   . 

11.  Duo.  Epouse  quelque  bravi:  fille  [T.  B.) 

12.  Ah!  fuyez,  douce  image  (T.) 

13.  Duo  du  séminaire.  Pard'inncs-moi,  Dieu  de  toute-puissance  (S.  T. 

1.4.  Scène  (le  la  séduction.  N'est-ce  plus  ma  7nain  (S.) 

Ib.  Trio  du  jeu.  Manon.  Spliinx  étonnant  (S.  T.  B.) 

16.  A  nous  les  amours  et  les  roses  (S.) 

....      b     » 


Prix. 

6  y. 

7  bO 


TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  A  DEUX  MAINS 


BATTMANN  (J.-L. 
BULL  (G.).   .   . 
CRAMER  (A.).  . 


DAM ARE.  .  .  . 
LAMOTHE  (G.)  . 
MASSENET(J.}. 


Les  Succès  modernes.  N"  7  (facile) b 

Xouvelles  Silhouettes.  N"  2(i  (  d"  ) b 

Premier  Bouquet  de  mélodies 7 

Deuxième  Bouquet  de  mélodies 7 

Polka b 

Suite  de  valses 5 

Ballet  du  Roy 7 

Entr'acte  du  deuxième  acte .J. 

Entr' acte-Chanson b 


MASSENET(J.).  .     Gavotte 

—  .  .     Menuet 

MEUSTEDT  (Ch.)  .     Fantaisie-Transcript'ion 

TA  VAN  (E.)  .   .  .  Pages  enfantines.  N°    1 .  Menuet .   .   .   . 

—  ...  —  N"  16.  Air  de  Manon. 
TROJELLI  (A.  )  .  .  Les  Miniatures.      N»  81.  Menuet .    .    .    . 

—  .  .  —             N"  86.  Gavotte  .   .   .   . 
VIDAL  (Paul)    .  .  Entracte-Chanson,  improvisation.    .    .    . 

—  .  .     Scène  de  la  séduction 


BULL  (G.). 


TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  A  QUATRE  MAINS 

....       6     .)       I      MASSENET  (J.j.    .     Bail,  l  du  Roy 


Nouvelles  Silhouelles.  ?\"  iii 

MASSENET  (J.) 


FANTAISIES  ET  TRANSCRIPTIONS  POUR  INSTRUMENTS  DIVERS 


DAMARE.  .  .  . 
GUILBAUT  (E.J. 


AUVRAÏ  (G.) 
DAMARÉ  .  . 


Fantaisie  facile,  pour  flute  et  piano 7  .30 

Fantaisie  pour  violon  seul 6     » 

Fantaisie  pour  flute  seule 6     » 

Fantaisie  pour  cornet  seul 6     » 

MASSENET  (J.).    .     Menuet  pour  violon  et  piano 


HERMAN  (Ad.)  .    .     Les  Soirées  du  Jeune  Violoniste.  N"  -27,  pour  violon  et 

PIANO 

—  .    .     Les  Soirées  du  Jeune  Flûtiste.  N"  27,  pour  flute  et 

PIANO 

7  50 


9  » 
b  » 
7  .bO 


Prix. 
6  » 
6  » 
6    » 

i  m 

-2  bO 

3  » 

3  » 

b  » 

b  » 


Prix. 
9     » 

9     » 


FANTAISIES  ET  TRANSCRIPTIONS  POUR  ORCHESTRE 


Fantaisie.  Parties  d'orchestre b  » 

—         Piano  conducteur i  » 

Polka.  Parties  d'orchestre 1  ,. 

—     Chaque  partie  supplémentaire »  20 


MASSENET  (J.) 


Gavotte.  Partition  et  parties  séparées.   . 

—  Chaque  partie  supplémentaire. 
Menuet.  Partition  et  parties  séparées   . 

—  Chaque  partie  supplémentaire. 


FANTAISIE  POUR  MUSIQUE  D'HARMONIE 

CHIC  (L.j.    .    .    .     FunUuaie,  on  partition Prix  nel.      12     » 

Pour  Li  location  de  la  granJe  partition  cl  des  parties  d'ordicslre  de  Manon,  s'adresser  â  M.V.  HEUGEL  cl  0\  ^'"s,  rue  Vi 


cals  éditeurs  proprlcta 


Dimanche  l"  Novembre  1891. 


3162  -  57-  AME  -  r  U.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  PRAhxo  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Cn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   l'aris  et  Province.  —  Pour  l'iîtranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (32'  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale;  A  propos  du  centenaire  de  Meyerbeer, 
Arthur  Podgin  ;  première  représentation  de  h  Coq,  aux  Menus-Plaisirs,  P.wl- 
ÉuiLE  Chevalier.  —  III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (13"  article), 
André  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  ctncerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
BEAUX  YEUX  QUE  J'AIME 

nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Th.  Maquet.  —  Suivra  immé- 
diatement: Regarde-toi!  nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  E.-J. 
Catelain. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Par  les  bois,  scherzo  d'ANxONiN  Marmontel.  —  Suivra  immédia- 
tement :  Sur  le  pont  d'Avignon,  fantaisie  nouvelle  de  Paul  Wachs. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert   SOUBIJBS    et   Charles    M:A.L.HEIIBB 


DEUXIEME  PARTIE 

CHAPITRE  V 

l'héritage  nv  théâtre-lyrique.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette. 

-1871-1874 
(Suite.) 

En  1872,  les  directeurs  déployèrent  autant,  sinon  plus 
d'activité  qu'en  1871,  et  les  résultats  linanciers  répondirent 
à  leurs  efforts,  car,  en  dépit  d'une  fermeture  de  deux  mois, 
pendant  juillet  et  août,  on  encaissa  1,229,SM  francs.  Le 
répertoire  était  reconstitué  ;  il  ne  s'agissait  plus  que  de 
l'enrichir  et  de  le  renouveler  un  peu  ;  c'est  ainsi  que  le  début 
de  l'année  fut  marqué  par  la  représentation  de  deux  ouvrages 
aussi  différents  par  leur  mérite  que  par  leur  forlune:  l'un, 
pièce  inédite,  Fantasio,  d'Olîenbach  ;  l'autre,  pièce  ancienne, 
mais  nouvelle  à  la  salle  Favart,  les  Noces  de  Figaro. 

Pour  Fantasio,  l'entreprise  était  téméraire,  et  d'avance  on 
pouvait  craindre  qu'un  tel  sujet  ne  fiit  ni  compris  ni  goûté. 
Tout  le  monde  connaît  ou  doit  connaître  les  courses  vaga- 
bondes du  prince  de  Mantoue  avec  l'étudiant  fantasio,  et 
l'humoristique  imbroglio  qu'en  a  tiré  Alfred  de  Musset.  Dans 


cet  ouvrage  plein  de  saillies  curieuses  et  de  raffinements 
délicieux,  le  poète  a  dépensé  une  bonne  part  de  sa  verve  et 
de  son  esprit;  c'est  un  régal  exquis  pour  le  lettré  qui,  livre 
en  mains,  jouit  du  «  spectacle  dans  un  fauteuil  ».  Mais  la 
scène  grossit  les  personnages  en  les  simplifiant  ;  elle  exige 
une  logique  assez  précise  dans  l'action,  une  marche  régulière 
souvent  convenue,  qui  s'accommodentmal  avec  l'excès  d'origi- 
nalité. Fantasio  avait  traversé  la  Comédie-Française,  sans  succès  ; 
Ofïenbach  semblait  bien  hardi  de  lui  vouloir  faire  un  sort  à 
rOpéra-Comique.  Il  est  vrai  qu'on  avait  eu  recours  au  talent 
d'Alexandre  Dumas  pour  retoucher  un  peu  le  livret  dont 
Alfred  de  Musset  était  désigné  sur  l'affiche  comme  seul  au- 
teur. Enfin,  l'on  «  passa  »  le  18  janvier,  près  de  deux  ans 
après  avoir  répété  pour  la  première  fois  !  car  on  s'occupait 
de  l'ouvrage  au  printemps  de  1870  et  les  personnages  étaient 
alors  distribués  ainsi:  Gapoul  (Fantasio),  Gouderc(le  Prince), 
Potel(Marinoni),  Gailhard  (Spark),  M"«  Dalti  (Elsbeth),  Moisset 
(le  Page).  Cette  dernière  et  Potel  avaient  seuls  gardé  leur 
rôle,  celui  de  Capoul  était  passé  à  M"^  Galli-Marié,  celui  de 
Couderc  à  Ismaël,  celui  de  Gailhard  à  Melchissédec,  celui  de 
M'"=  Dalti  à  M"'=  Priola.  Sauf  le  premier  acte,  la  partition  ne 
présentait  qu'une  suite  de  couplets,  d'tine  assez  faible  inspira- 
tion, et  l'on  dut  s'arrêter  avec  la  dixième  représentation. 

Pour  faire  oublier  cette  mésaventure,  les  directeurs  remon- 
tèrent Fra  Diavolo,  le  7  février,  avec  Lhérie  dans  le  rôle  prin- 
cipal, M"'^  Reine  dans  celui  de  Milady,  et,  comme  Zerline, 
jjmepfelly,  à  la  vlUe,  M™'' de  Presles,  une  jeune  femme  du  monde 
qui,  lorsqu'elle  s'appelait  M'"'^  de  Pomayrac,  avait  compté 
parmi  les  beautés  du  second  Empire.  Elle  avait  dû  paraître 
dans  le  Premier  Jour  dehonheur  avec  le  ténor  Leroy,  qui  serait 
rentré  pour  être  son  partenaire,  lorsqu'on  s'aperçut  que  le 
rôle  dépassait  les  limites  de  sa  voix,  et  la  Djelma  se  trans- 
forma en  Zerline,  rôle  moins  difficile,  où  la  beauté  devenait, 
particulièrement  au  second  acte,  une  chance  de  succès.  Pour- 
tant, son  séjour  à  l'Opéra-Gomique  fut  de  courte  durée;  au 
mois  d'octobre,  elle  résilia,  et,  après  avoir  eu  l'honneur  comme 
nous  allons  le  voir,  de  créer  la  Djamileh  de  Bizet,  elle  alla, 
triste  déchéance,  jouer  aux  Bouffes  la  Timbale  d'argent!  Plus- 
tard  on  l'a  revue,  belle  encore,  aux  Folies-Dramatiques,  jus- 
qu'au jour  où,  veuve  et  quittant  la  scène,  elle  épousa  en 
seconde  noces  M.  Détaille,  le  père  du  célèbre  peintre,  et 
connut  ainsi,  dans  l'ombre  du  ménage,  le  calme  après  la 
tempête,  les  jours  heureux  après  les  années  d'adversité. 

Plus  que  fra  Diavolo  3.wec  M»-"  Prelly,  les  Noces  de  Figaro  avec 
M'"'^  Miolan-Carvalho  marquent  une  date  dans  l'histoire  de  la 
seconde  salle  Favart  ;  non  point  que  le  succès  de  la  représen- 
tation du  24  février  ait  été,  éclatant,  ou  du  moins  aussi  pro- 
ductif qu'il  devait  l'être  quelques  années  plus  tard,  mais 
parce  que,  pour  la  première  fois,  le  nom  de  Mozart  apparaît 


346 


LE  MENESTREL 


sur  une  affiche  de  ce  théâtre.  Le  chef-d'œuvre  de  Mozart 
manquait  à  notre  seconde  scène  lyrique,  alors  qu'on  l'avait 
joué  à  la  place  du  Chàtelet,  à  la  place  Ventadour,  et  même 
à  l'Opéra,  la  première  fois  qu'il  avaitété  importé  d'Allemagne, 
en  pleine  Terreur,  le  20  mars  \19'd.  Ajoutons  que  peu  d'ou- 
vrages ont  subi  plus  que  celui-là  les  tortures  des  transforma- 
tions partielles.  Du  vivant  même  de  l'auteur,  on  intervertissait 
l'ordre  des  airs,  on  ajoutait  des  ûoritures  sans  nécessité,  on 
donnait  à  chanter  à  l'un  ce  qui  revenait  à  l'autre,  et  Mozart 
prêtait  la  main  à  ces  modifications,  poussant  la  complaisance 
jusqu'à  composer  des  morceaux  supplémentaires  quand  les 
directeurs  et  les  artistes  le  demandaient.  Profitant  de  cette 
latitude  et  s'autorisant  de  cette  tradition  sans  doute,  les 
théâtres  admettent,  chacun  suivant  les  ressources  dont  il 
dispose,  bien  des  altérations  regrettables,  et  l'on  peut  dire  que 
si  la  partition  était  exécutée  conformément  au  manuscrit 
original,  aujourd'hui  propriété  de  M.  N.  Simrock,  à  Bonn,  elle 
étonnerait  bien  des  gens. 

Bien  que  les  rôles  ne  fussent  pas  tenus  en  1872,  à  la  salle 
Favart,  comme  ils  l'avaient  été  en  1858  au  Théâtre- Lyrique, 
du  moins  l'ensemble  demeurait  presque  satisfaisant.  M^Miolan- 
Garvalho  se  retrouvait,  comme  quatorze  ans  auparavant,  un 
Chérubin  adoré  du  public  et  digne  de  l'être;  M"«  Gico  repré- 
sentait une  Suzanne  un  peu  froide;  M"''^  Ducasse  disait  bien 
ses  couplets  de  Barberine,  et  Nathan  trouvait  plus  simple  de 
passer  l'air  de  Bartholo.  Ce  soir-là,  deux  nouveaux  venus 
furent  applaudis  qu'on  avait  applaudis  ailleurs,  et  qui  d'ail- 
leurs n'ont  jamais  réussi  à  se  fixer  nulle  part:  Bouhy,  un 
Figaro  manquant  d'entrain,  mais  bon  chanteur;  M"'^  Marie 
Battu,  une  comtesse  bonne  chanteuse  aussi,  mais  gênée  dans 
le  dialogue  parlé,  un  soprano  qui  avait  conquis  sa  réputation 
aux  Italiens  et  à  l'Opéra.  Le  17  octobre  suivant,  M''''^^  Ghapuy 
et  Ganetti,  deux  recrues  nouvelles,  remplaçaient  M'"^  Gico  et 
Battu,  et  l'ouvrage,  ainsi,  poursuivait  sa  carrièie  assez  brillante, 
comme  en  témoigne  le  tableau  suivant  : 


1872  —  34  représentations. 

1882  —  34  représentations. 

1873  —    1            — 

1883  —  23             — 

1874  —  13            — 

1886  —    5             — 

Soit,  en  tout,  130  représentations,  chiffre  élevé  si  l'on  songe 
aux  difficultés  de  distribution  dont  cet  ouvrage  est  l'objet, 
car  les  rôles  de  jeunes  y  sont  nombreux  et  tous  exigent  des 
premiers  sujets  :  de  là  sa  rareté  à  Paris,  et,  l'on  peut  dire, 
son  oubli  complet  en  province.  Seule,  l'Allemagne  a  gardé, 
comme  il  convenait,  ce  trésor  musical,  et  l'a  toujours  main- 
tenu au  répertoire,  même  de  ses  petites  villes. 

Rendant  compte  de  cette  soirée  du  24  février  1872,  un  cri- 
tique autorisé  terminait  son  article  en  demandant  que  l'Opéra- 
Gomique  laissât  *  à  d'autres  scènes  les  partitions  étrangères 
pour  consacrer  ses  laborieux  eS'orts  à  l'étude  d'ouvrages 
nouveaux.  Ouvrez  la  porte  à  deux  battants,  messieurs  les 
directeurs,  et  appelez  à  vous  les  jeunes  auteurs!  »  Les  direc- 
teurs ne  demandaient  pas  mieux,  puisqu'en  cette  même  année 
1872,  ils  montèrent,  outre  Fantasio  déjà  nommé,  le  Passant, 
Djamikh,  la  Princesse  jaune  et  Don  César  de  Bazan;  et  ce  n'était 
pas  leur  faute,  après  tout,  si  ces  quatre  pièces  ne  valaient  pas 
encore  celles  que  chacun  des  «  jeunes  auteurs  »  devait  écrire 
un  peu  plus  tard.  Pairie,  Carmen,  Henry  Vlll  et  le  Roi  de  Lahore. 

Pour  le  Passant  surtout,  l'épreuve  fut  lamentable.  On  avait, 
pour  la  première  représentation,  choisi  le  24  avril,  jour  oii  se 
donnait  une  représentation  au  bénéfice  de  GhoUet.  En  l'hon- 
neur du  vieil  artiste,  Roger  revenait  chanter  la  Dame  blanche; 
la  Comédie-Française  jouait  un  Caprice,  le  Gymnase,  la  Cravate 
blanche  de  Gondinet;  Monlaubry,  Ismaël,  M""='^  Rosine  Bloch  et 
Judic,  le  violoncelliste  Sighicelli  et  le  pianiste  Th.  Ritter  se 
faisaient  entendre  dans  divers  intermèdes,  et  apportaient  leur 
concours  amical  au  créateur  de  Zampa,  qui,  malgré  son  âge, 
reparut  sur  la  scène  qu'il  avait  illustrée,  et,  avec  M"""  Ducasse, 
joua  plus  qu'il  ne  rechanta  le  Maître  de  chapelle.  La  soirée,  qui 
produisit  une  recette  de  13,119  francs,  n'était  pas  heureuse- 
ment choisie  pour  lancer  une  œuvre  nouvelle,   mais  ce    petit 


acte  était  signé  de  deux  noms  sympathiques  :  le  Passant  avait 
fait,  à  l'Odéon,  la  réputation  de  M.  Coppée,  et,  depuis  qu'il  avait 
écrit  Mandolinaia,  tout  le  monde  connaissait  le  nom  de  M.  Pala- 
dilhe.  En  outre,  les  jolis  vers,  le  cadre  gracieux  où  résonnent 
doucement  des  paroles  d'amour,  le  talent  de  M""=  Galli-Marié 
et  de  M"'=  Priola,  auxquelles  étaient  confiés  les  rôles  du  page 
et  de  la  courtisane,  tout  semblait  présager  un  succès  ;  au 
bout  de  trois  représentations  le  Passant  avait  passé!  Et,  lors- 
qu'on rolit  les  jugements  portés  alors  par  ia  presse,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  sourire  en  voyant,  à  propos  de  M  Paladilhe, 
jurgir  la  critique  qui  attend  désormais  toute  œuvre  nouvelle, 
en  entendant  accuser  de  wagnérisme  des  auteurs  et  des  ou- 
vrages qui  sont  si  peu  wagnériens  1  «Presque  tous  nos  jeunes 
musiciens,  écrivait  Paul  Bernard,  ambitionnent  le  baiser  de 
la  muse  germanique  moderne,  et  cette  muse-là  me  semble 
bien  peu  fille  d'Apollon  et  beaucoup  trop  parente  de 
MM.  Wagner  et  consorts.  Il  en  résulte  ce  que  j'appellera 
l'école  du  Labyrinthe  musical,  n  .aujourd'hui,  nous  nous  de- 
mandons quels  étaient  ces  «  consorts  »,  mais  le  critique  ne 
s'arrêtait  pas  pour  nous  l'expliquer,  et  préférait  offrir  à  sa 
victime  une  gerbe  de  conseils  (gerbe  est  le  mot,  car  ces  con- 
seils sont  tout  enguirlandés  de  fleurs...  de  rhétorique)  et 
naïvement  il  s'écriait.  «  Pourquoi  briser  la  pensée  dans  son 
germe  plutôt  que  de  la  laisser  s'élancer,  fleurir  et  fructifier?' 
etc.,  etc.  » 

Les  mêmes  questions  se  posèrent  le  22  mai,  à  propos  de 
Djamikh,  et  le  compositeur  était  représenté  comme  «  voulant 
étonner  le  public  plutôt  que  passer  inaperçu,  se  posant  en 
novateur  et  rêvant  dans  son  sommeil  fiévreux  d'arracher 
quelques  rayons  à  la  couronne  du  prophète  Richard  Wagner. 
M.  Georges  Bizet  s'est  lancé  à  corps  perdu  dans  ce  Maelstrom 
sonore  (?I),  au  risque  d'y  laisser  ses  ailes  de  néophyte  et 
surtout  les  oreilles  de  ses  auditeurs.  »  Et,  pour  appuyer  son 
dire,  le  même  chroniqueur  signalait  à  l'indignation  du  lecteur 
les  mesures  11  et  12  delà  page  20,  et  beaucoup  d'autres  du 
même  genre,  qui  lui  paraissaient,  «  bien  qu'il  eût,  dit-il,  pro- 
gressé dans  l'art  d'écouter  des  dissonances  et  de  manger  du 
piment  sans  sourciller,  »  l'abomination  de  la  désolation.  M.  Louis 
Gallet  a  raconté  ici-même,  dans  ses  Notes  d'un  librettiste, 
l'histoire  de  cet  acte,  par  lequel  il  débutait,  ainsi  que  Bizet, 
sur  la  scène  de  l'Opéra-Gomique.  Par  lui,  nous  savons  que 
la  pièce,  appelée  alors  iVfwwouna,  avait  été  primitivement  confiée 
à  M.  Duprato  et  qu'on  la  lui  avait  retirée  parce  que  le  pares- 
seux ne  se  décidait  pas  à  terminer  sa  partition.  Mais  ce 
que  M.  Louis  Gallet  ne  pouvait  pas  dire,  c'est  que  ce 
premier  essai,  malgré  quelques  gaucheries,  laissait  deviner 
un  librettiste  habile,  ayant  des  qualités  lyriques,  promettant 
d'être  enfin  ce  qu'il  a  été  depuis,  l'un  des  plus  précieux  col- 
laborateurs pour  les  musiciens  dramatiques  de  notre  temps. 
Défendu  par  une  jolie  femme.  M'"-  Prelly,  et  par  un  solide  ténor, 
Duchesne,  Djamileh,  malgré  des  qualités  qui  aujourd'hui  nous 
apparaissent    incontestables,    ne    vécut    pourtant    que    onze 

soirées. 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


A  PROPOS  DU  CENTENAIRE  DE  MEYERBEER 
Notre  Opéra,  toujours  en  retard  avec  l'accomplissement  de  ses- 
devoirs,  depuis  qu'il  jouit  de  l'excellenle  direction  que  vous  savez 
et  qui  fort  heureusement  touche  à  sa  fin,  va  se  décider  enfin  à 
célébrer  le  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Mc^'erbeer, 
alors  que  tous  les  grands  théâtres  d'Europe  l'auront  devancé  dans 
cet  hommage,  qu'il  eût  dû  èlre  le  premier  à  rendre  à  l'illustre  maître 
dont  il  a  eu  le  premier  l'honneur  et  la  gloire  de  représenter  les 
chefs-d'œuvre.  Puisque  aussi  bien  nos  habiles  administrateurs  se 
sont  dit  que  quelques  semaines  de  plus  ou  de  moins  ne  font  rieu  à 
l'affaire,  je  ne  serai  pas  en  relard  moi-même  pour  consigner  ici 
quelques  souvenirs  relatifs  au  grand  homme. 
Est-on  d'ailleurs  fixé  d'une  manière   absolue  sur  la  date    précise 


LE  MENESTREL 


347 


de  sa  naissance?  Meyerbeer,  on  le  sait  aujourd'hui,  avait  la  coquet- 
terie de  se  rajeunir.  C'est  lui-même  qui  avait  fourni  à  Fétis,  pour 
sa  Biographie  universelle  des  musiciens,  la  date  du  S  septembre  1794, 
enregistrée  par  celui-ci.  Mais  le  jour  même  de  sa  mort  (2  mai  1864), 
■on  écrivait  de  Berlin  à  la  Revue  et  Gazette  musicale:  «  ...  D'après 
les  registres  de  la  commune  Israélite,  le  célèbre  compositeur  est  né 
le  23  septembre  1791,  et  non  en  1794,  comme  l'annoncent  la  plupart 
des  biographes  du  maître.  »  Je  consignai  moi-même  cette  nouvelle 
■date,  il  y  a  quelques  années,  dans  mon  Supplément  à  l'ouvrage  de 
Félis,  mais  depuis  lors,  on  semble  en  avoir  adopté  définitivement 
une  troisième,  celle  du  S  septembre  1791.  «  Par  les  registres  Israé- 
lites authentiques,  disait  à  ce  sujet  un  journal  (les  premiers  ne 
l'étaient  donc  pas?),  il  est  prouvé  que  Meyerbeer  est  né  le  6  ellul  oSSl, 
qui  correspond  au  .'J  septembre  1791.  »  Mon  inexpérience  est  trop 
grande,  je  l'avoue,  en  ce  qui  touche  la  concordance  du  calendrier 
Israélite  avec  le  calendrier  grégorien,  pour  que  je  puisse  confirmer 
ou  infirmer  cette  assertion.  Je  constate  seulement  qu'en  Allemagne 
on  s'est  arrêté  à  la  date  du  S  septembre,  ce  qui  me  donne  lieu  de 
croire  que  c'est  bien  la  vraie. 

Puisque  l'Opéra  laissait  passer  cette  date  et  retardait  de  plusieurs 
semaines  l'hommage  qu'il  destinait  au  maître,  il  aurait  dû  choisir  au 
moins  non  le  14,  mais  le  21  novembre  pour  cette  solennité,  cette 
dernière  dale  étant  le  soixantième  anniversaire  de  la  première  repré- 
sentai ion  de  Bobert  le  Diable,  dont  l'apparition  remonte  au  21  no- 
vembre 1831.  Quand  on  est  si  près  d'une  mesure  intelligente,  on  ne 
la  devrait  point  manquer.  Il  y  aura  soixante  ans,  en  effet,  le  21  de 
ce  mois,  que  Robert  parut  sur  noire  grande  scène  lyrique,  avec  ce 
quatuor  d'admirables  interprètes  :  Nourrit,  Levasseur,  M""  Dorus, 
M""  Damoreau.  auxquels  il  n'est  que  juste  de  joindre  le  nom  de 
Marie  Taglioni.  De  ces  cinq  artistes,  nous  ne  voyons  survivre  aujour- 
d'hui que  M™°  Dorus,  depuis  bien  longtemps  paisiblement  retirée  en 
-Normandie. 

11  est  bien  probable  que  si  Robert  le  Diable  avait  conservé  sa  forme 
première,  il  n'aurait  pas  obtenu  le  succès  si  retentissant  et  si  pro- 
longé qui  tout  d'abord  rendit  populaire  le  nom  de  Meyerbeer  dans 
les  deux  mondes.  On  sait,  en  effet,  que  l'ouvrage  prit  d'abord  nais- 
sance sous  la  forme  d'un  opéra-comique  en  trois  actes,  qui  devait  être 
représenté  au  théâtre  Feydeau  (1),  placé  alors  sous  la  direction  du 
fameux  dramaturge  Guilbert  de  Pixérécourt.  Mais  bien  des  erreurs 
ont  été  répandues  à  ce  sujet,  qu'il  est  peut-être  temps  de  rectifier  à 
l'aide  de  documents  précis  et  inconnus,  ce  que  je  vais  m'efforcer  de 
faire. 

Il  est  à  peu  près  de  notoriété  publique  que  Robert  le  Diable  de- 
vait être  joué  à  l'Opéra-Comique  par  Ponchard  (Robert),  Huet 
(Bertram),  M"""  Boulanger  (Alice)  et  M""  Rigaud  (Isabelle).  Mais  on 
a  dit,  d'une  part,  que  l'ouvrage  avait  été  reçu  à  ce  théâtre  en  1829, 
■de  l'autre,  que  Meyerbeer,  voyant  l'ampleur  qu'il  avait  donnée 
à  sa  musique,  avait  compris  qu'elle  ne  pouvait  convenir  à  un  tel 
théâtre,  et  que  c'est  alors  qu'il  avait  songé  à  transformer  son  opéra- 
comique  en  un  grand  drame  lyrique.  Or,  par  quelques  lettres  de 
Meyerbeer  lui-même,  on  va  voir  ce  qu'il  en  est. 

Ces  lettres  sont  adressées  à  Guilbert  de  Pixérécourt,  et  par  la  pre- 
mière on  verra  qu'il  était  tout  d'abord  question  à  l'Opéra-Comique 
d'une  adaptation  d'un  opéra  italien  de  Meyerbeer,  J/or^'/iento  d'Angik, 
dont  le  sujet  avait  été  précisément  emprunté  à  un  drame  de  Pixé- 
récourt portant  le  même  titre.  Meyerbeer  était  alors  à  Paris  : 

Paris,  30  octobre  182b. 
Mon  cher  et  aimable  ami, 
Je  me  suis  présenté  dernièrement  à  votre  théâtre  p''  avoir  l'honneur  de 
v^  voir,  mais  vous  n'y  étiez  pas.  Je  voulais  vous  dire  que  je  dois  dîner 
aujourd'hui  avec  ma  femme  chez  Madame  la  comtesse  de  Bruce,  à  sa 
campagne  à  Aulnay,  et  vous  demander  si  vous  y  alliez  aussi.  Dans  ce 
cas,  je  serais  bien  heureux  si  v^  vouliez  me  faii-e  l'honneur  d'accepter 
une  place  dans  ma  voiture.  La  route  me  paraîtrait  de  moitié  raccourcie, 
si  je  la  faisais  dans  votre  aimable  compagnie;  chemin  faisant,  nous  nous 
occuperions  de  notre  Marguerite  d'Anjou.  Veuillez  me  faire  dire  si  vous 
acceptez,  et  dans  ce  cas,  j'aurai  l'honneur  de  venir  v'  prendre  à  trois 
heures  et  demie. 

Agréez  l'assurance  des  sentiments  distingués  de  votre  très  humble  et 
très  dévoué  serviteur. 

Jacques  Meyerbeer. 

La  combinaison  de  Marguerite  cT Anjou  n'était  pas  destinée  à  réussir. 
Mais  vingt  mois  après,  Meyerbeer  était  en  possession  du  premier 
poème  de  Robert  le  Diable,   qu'il    avait  emporté  à  Berlin  et   dont  la 

(1)  L'Opéra-Comique  occupait  alors  la  salle  de  la  rue  Feydeau,  depuis  longtemps 
détruite. 


musique  était  déjà  bien  avancée.  C'est  ce  qui  résulte  de  cette 
seconde  lettre,  adressée  justement  de  Berlin  à  Pixérécourt,  et  dans 
laquelle  le  jeune  maître  prodigue  à  son  correspondant  les  flatteries 
et  les  cajoleries  dont  il  était  si  prodigue  envers  qui  pouvait  lui 
être  utile  peu  ou  prou  : 

Berlin,  20  juin  1827. 
Mon  cher  et  aimable  directeur, 

Je  travaille  sans  relâche  à  notre  Robert  le  Diable,  et  j'y  suis  bien  avancé; 
tout  sera  fait  pour  mon  arrivée  à  Paris,  au  premier  novembre,  époque  où 
j'aurai  l'honneur  de  me  présenter  à  vous  avec  ma  partition.  Au  reste,  je 
viens  de  lire  dans  vos  journaux  que  vous  préparez  les  Deux  Nuits  de 
M.  Boieldieu  p'  la  fin  de  l'été,  et  je  crains  bien  que  cela  ne  recule  de 
plusieurs  mois  l'époque  où  vous  comptiez  donner  Robert.  Veuillez  me  dire 
votre  opinion  là-dessus,  non  comme  directeur,  mais  comme  mon  sincère 
ami,  tel  que  v!!  v^  êtes  toujours  montré  envers  moi.  Veuillez  me  dire  aussi 
si  v^  avez  déjà  fini  vos  Natchez,  et  quand  vous  comptez  les  donner;  tout  ce 
qui  sort  de  votre  plume  m'intéresse  prodigieusement,  et  je  suis  sûr  que 
j'en  ferai  un  opéra  p'  l'Italie,  quand  v^  les  aurez  fait  imprimer.  Il  y  a 
plus  de  quinze  ans  que  je  suis  amoureux  de  vos  drames  ;  ils  ont  été  tous 
traduits  en  Allemagne,  en  Italie,  et  mis  en  musique  avec  un  succès 
formidable.  Y"  ne  sauriez  v^  imaginer  quelle  immense  réputation  v^  avez 
à  l'étranger.  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  le  dire  souvent,  je  n'ai  jamais  laissé 
échapper  une  seule  de  vos  pièces  sans  la  lire,  et  j'en  ai  composé  beau- 
coup; elles  sont  toutes  merveilleusement  coupées  p^  la  musique. 

Veuillez  me  rappeler  au  souvenir  de  Madame  la  comtesse  de  Bruce,  et 
de  la  jolie  et  spirituelle  baronne  de  Jomini. 

Agréez  l'expression  des  sentiments  les  plus  distingués  de  votre  dévoué 
serviteur. 

Jacques  Meyerbeer. 

Cette  lettre  nous  prouve  suffisamment,  par  sa  date  que  Robert  était 
reçu  à  l'Opéra-Comique  bien  avant  1829,  par  son  contenu  que  Meyer- 
beer n'était  nullement  effrayé  de  l'ampleur  de  sa  partition,  puisque 
cello-ci  était  presque  terminée  et  que  pourtant  il  n'était  nullement 
question  pour  lui  de  transformer  l'ouvrage  en  vue  de  l'Opéra. 

Mais  un  événement  allait  se  produire,  qui  allait  tout  mettre  en 
question  et  amener  même  Meyerbeer  à  interrompre  un  travail  déjà 
si  avancé.  Cet  événement,  c'était  la  retraite  de  Guilbert  de  Pixéré- 
court, retraite  inattendue,  bien  que  depuis  longtemps  déjà  cet  ad- 
ministrateur vécût  en  assez  mauvaise  intelligence  avec  les  sociétaires 
de  l'Opéra-Comique.  Le  jour  même,  20  juin  1827,  où  Meyerbeer  lui 
écrivait  la  lettre  qu'on  vient  de  lire,  une  sorte  de  petit  scandale  se 
produisait  à  ce  théâtre.  M"""  Ponchard,  jouant  dans  Maison  à  vendre, 
se  voyait,  j'ignore  pour  quelle  raison,  mal  accueillie  du  public,  et 
quittait  la  scène  sans  finir  la  pièce.  Le  duc  d'Aumont,  représentant 
l'autorité  supérieure  à  l'Opéra-Comique,  la  condamnait  pour  ce  fait 
à  n'y  point  reparaître  pendant  trois  mois,  ses  appointements  étant 
suspendus  le  premier  mois,  réduits  de  moitié  le  second,  et  lui  étant 
rendus  le  troisième,  mais  .'ians  feux.  Là-dessus,  révolte  de  la  presque 
totalité  des  sociétaires  :  Huet,  Ponchard,  Lafeuillade,  Valère,  ChoUet, 
et  M"»'  Boulanger,  Rigaud,  Prévost  et  Jenny  Colon,  qui  cessent  de 
jouer  et  adressent  au  roi  un  Mémoire  demandant  qu'on  les  réintègre 
dans  tous  leurs  droits,  méconnus,  disent-ils,  par  Pixérécourt.  Celui- 
ci  répond  par  un  contre-Mémoire  dans  lequel  il  rend  compte  de  sa 
gestion  et  publie  le  tableau  des  recettes  et  des  dépenses.  La  guerre 
se  continua  pendant  deux  mois,  mais  se  termina  enfin  à  l'avantage 
des  artistes,  par  la  mise  à  la  retraite  de  Pixérécourt,  remplacé  à  la 
tête  du  théâtre  Feydeau  par  Bernard,  ancien  directeur  de  l'Odéon. 

Meyerbeer,  toujours  à  Berlin,  semble  singulièrement  troublé  par 
ce  fâcheux  incident,  qu'il  apprend  non  seulement  par  les  journaux 
français,  mais  par  une  lettre  de  Pixérécourt.  En  effet,  celle  qu'on  va 
lire  et  qu'il  adressait  de  nouveau  à  son  ami,  trahit  une  certaine  in- 
cohérence  dans  les  idées  et  le  montre  quelque  peu  désarçonné  : 

Berlin,  S  septembre  1827. 
Mon  cher  et  aimable  ami. 

Je  savais  déjà  par  les  gazettes  françaises  que  vs  aviez  renoncé  à  la  di- 
rection du  théâtre  Feydeau.  Vs  auriez  peine  à  v^^  imaginer  quelle  dou- 
loureuse impression  cette  nouvelle  m'a  faite.  Outre  l'estime  et  l'admiration 
que  je  vous  professe,  l'idée  que  vous  prêteriez  à  la  mise  en  scène  de 
Robert  votre  expérience  théâtrale  et  le  goût  que  vous  possédez  à  un  si  haut 
degré  p' l'arrangement  scénique,  m'avait  singulièrement  encouragé  à  entre- 
prendre ce  travail.  Jugez  si  j'ai  été  désappointé, quand  j'ai  vu  qu'il  fallait 
renoncer  à  l'appui  de  votre  amitié  et  de  votre  inimitable  talent.  Ce  qui 
m'a  fait  presque  plus  de  peine  encore,  c'est  de  voir,  par  votre  lettre,  que 
vous  êtes  tellement  dégoûté  des  affaires  directoriales  dramatiques,  que 
vous  n'en  voulez  plus  rien  savoir  p^  la  vie.  Moi,  je  m'étais  imaginé,  au 
contraire,  que  vous  tâcheriez  d'obtenir  le  privilège  d'un  second  théâtre 
lyrique,  pf  montrer  au  monde  entier  ce  que  vous  sauriez  faire  d'un  théâtre 
d'opéra-comique  que  vous  pourriez  gouverner  librement  et  sans  entraves 
aucunes.  Au  reste,  si,  p''  mon  bonheur  vous  vouliez  consentir  à  reprendre 


348 


LE  MEi\ESÏllEL 


le  théâtre  royal  de  l'Opéra-Gomique,  vous  n'auriez  pas  besoin  de  m'exciter 
au  travail;  vous  savez  comme  j'aime  ce  théâtre,  et  comme  j'aime  le 
poème  de  Robert  te  Diable.  V*  devez  connaître  aussi  les  sentiments  d'estime 
et  d'amitié  que  je  vous  professe,  et  qui  me  font  doublement  désirer  de 
travailler  p''  le  charmant  théâtre  que  vous  avez  dirigé  avec  un  si  grand 
succès;  aussi,  n'ai-je  commencé  aucun  travail  depuis  que  j'ai  interrompu 
celui  de  Robert,  et  je  m'y  remettrai  de  suite,  dès  que  vous  pourrez  m'as- 
surer  que  les  voix  p"'  lesquelles  je  dois  composer  ma  musique  sont  là  p'' 
l'exécuter.  Quant  à  votre  proposition  de  vous  envoyer  les  morceaux  de 
musique  au  fur  et  à  mesure,  p''  les  faire  étudier  en  attendant  mon  arrivée 
à  Paris,  permettez-moi  de  vous  rappeler  que  vous-même  avez  condamné 
tout  à  fait  cette  manière,  puisque  vous  m'avez  raconté  que  vous  vous  êtes 
opposé,  dans  les  temps,  à  ce  qu'on  commençât  les  répétitions  de  la  Dame 
blanohe,  quoiqu'il  n'y  manquât  alors  que  six  morceaux.  Je  partage  là- 
dessus  entièrement  votre  opinion  d'alors. 

Ma  femme  vous  remercie  p''  l'aimable  souvenir  que  vous  avez  bien 
voulu  lui  garder  :  elle  partage  la  haute  estime  et  la  sincère  admiration 
que  je  vous  professe,  et  avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'être  votre  tout 
dévoué  serviteur. 

Jacques  Meyerbeer. 

On  n'a  jamais  eu  beaucoup  de  détails  relatifs  à  la  transformation 
de  Robert  en  grand  opéra.  Mais  on  n'en  avait  guère  non  plus  jus- 
qu'ici en  ce  qui  concerne  la  l'orme  première  sous  laquelle  il  avait 
été  conçu.  Les  lettres  publiées  ici  ne  sont  pas  sans  intérêt  sous  ce 
rapport,  puisqu'elles  nous  montrent  bien  que  Meyerbeer  avait  complè- 
tement adopté  cette  forme,  et  qu'il  ne  songeait  nullement  à  la  modi- 
fier. C'est  la  retraite  seule  do  Guilbert  de  Pixérécourt  et  les  incidents 
qui  la  suivirent  qui  firent  naître  évidemment  chez  les  auteurs  l'idée 
d'une  transformation.  Mais  il  parait  bien  certain  que  sans  cet  événe- 
ment, c'est  bien  à  l'Opéra-Comique  que  l'ouvrage  aurait  été  joué. 
Qui  peut  dire  ce  qu'il  en  serait  résulté,  si  sa  fortune  eût  été  aussi 
considérable,  et  si  la  carrière  même  de  Meyerbeer  ne  s'en  fût  pas 
ressentie  ? 

Arthur  Pougin. 

Menos-Plaisirs. —  Le  Coq,  opérette  en  trois  actes  de  MM.   Paul  Ferrier  et 
Ernest  Depré,  musique  de  Victor  Roger. 

Ce  coq  n'est  point,  comme  on  pourrait  se  l'imaginer  de  prime- 
abord,  un  inoffensif  volatile  de  basse-cour.  Eu  l'espèce,  c'est  un 
garçon  de  café,  Isidore  Pavillon,  chargé  par  un  vieil  oacle  assez 
ricbe,  Valmajour,  de  venger  l'honneur  de  la  famille  outragé  par 
un  sien  ami,  Bouquillard.  L'histoire  remonte  à  la  plus  haute 
antiquité.  Sous  un  Philippe  le  Bel  quelconque,  une  Valmajour  a  été 
détournée  de  ses  devoirs  par  un  Bouquillard  et,  depuis  cette  époque 
reculée,  à  chaque  génération  nouvelle,  les  deux  familles  s'ingénieot 
à  se  tromper  mutuellement.  Jusqu'alors,  les  choses  se  sont  passées 
avec  une  ponctualité  parfaite,  la  peine  du  ta'ion  ayant  été  appliquée 
très  régulièrement.  Mais  voilà  que,  maintenant,  Valmajour.  le  dernier 
attaqué,  ne  peut  plus  se  défendre;  c'est  donc  Isidore  qui  sera 
chargé  de  le  suppléer.  M°"=  Bouquillard  est  charmante  et  le  drôle 
s'emballe  de  belle  façon,  lorsqu'il  est  rappelé  à  la  raison  par  sa 
gentille  fiancée,  Thérésette,  assez  à  temps  pour  que  rien  ne  se  soit 
passé  contre  la  morale  et  assez  adroitement  aussi  pour  que  Val- 
majour renonce  à  sa  vengeance. 

Le  vaudeville  de  MM.  Ferrier  et  Depré,  d'une  donnée  assez  raide, 
dont  j'ai  pris  soin  de  ne  vous  donner  qu'un  très  vague  aperçu  et 
dont  j'ai  omis  tous  les  détails  avec  préméditation,  contient  plusieurs 
scènes  d'une  invention  cocasse.  Les  auteurs  ont  trouvé  en  M.  Hu- 
guenel  un  interprète  qui  a  très  adroitement  défendu  leur  cause  et 
les  a  fortement  aidés  à  tjagner  la  partie  engagée.  M""  Auguez, 
transfuge  de  l'Opéra-Comique  et  faisant  une  seconde  incursion  dans 
le  domaine  de  l'opérette,  reste  une  fort  jolie  femme  doublée  d'une 
excellente  musicienne;  il  est  malheureux  qu'il  lui  manque  le  «  chien  » 
qui  fait  les  étoiles  d'opéretle  et  aussi  lanetteté  de  la  prononciation. 
M"'  Méaly,  à  l'inverse  de  sa  camarade,  avec  une  voix  assez  fausse 
s'est  néanmoins  fait  applaudir  précisément  parce  que  le  public  ne 
perd  pas  une  de  ses  paroles.  MM.  Perrin,  Saint-Léon,  Vandenne  et 
Mme  Legrand  ne  sont  pas  déplaisants. 

M.  Victor  Roger  a  composé  pour  le  Coq  une  gentille  partition- 
nette  qui  contient  plusieurs  loniances  aimables  et  bien  venues,  un 
joli  duetlo,  deux  finales  très  gais,  dont  l'un  semble  bien  proche 
parent  de  celui  écrit  dans  Adam  et  Eve  par  M.  Serpette  :  «  Auguste, 
Auguste,  ce  n'est  pas  juste  »,  et  un  entr'acte  symphonique  avec 
une  phrase  très  chantante  de  violon.  M.  Lagoanère  a  conduit  cette 
musique  légère  et  distinguée  avec  légèreté  et  distinction ,  faisant 
répéter  avec  une  satisfaction  légitime  les  couplets  applaudis  par 
une  salle  très  bien  disposée. 

Paul-É.'hile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 


CHAPITRE  VI 


LOUIS-PHILIPPE   ET   LA    Ir    REPUBLIQUE 

(Suite) 

...  ('  Tout  ce  qu'a  fait  Louis-Philippe  a  été  de  supprimer  la  cha- 
pelle de  Charles  X.  »  C'est  l'unique  adieu  jeté  au  roi  par  un  journal 
de  musique. 

L'Opéra  devient  le  théâtre  de  la  Nation  ;  la  Gomédie-Franoaise  se 
place  sous  le  vocable  de  la  République  et  fait  chanter  la  Marseillaise 
par  Brindeau,  en  attendant  que  Rachel  la  déclame,  enveloppée  des 
plis  du  drapeau;  les  airs  patriotiques  servent  d'cntr'actes  aux  vau- 
devilles. —  Une  légère  retouche  à  la  façade  du  faubourg  Poisson- 
nière, et  le  Conservatoire,  devenu  national,  sera  jugé  digne  de  toute 
!a  sollicitude  du  gouvernement  provisoire. 

En  mars,  Ledru-Rollin,  ministre  de  l'Intérieur,  convoque  directeur 
et  professeurs  et  les  charge  de  nommer  une  commission  qui  étudiera 
diverses  améliorations  proposées.  Halévy,  Le  Gouppey,  Panseron, 
Levasseur,  Samson,  Benotst,  Girard,  Bazin,  Provost  composent  l'aréo- 
page présidé  par  Auber,  tandis  qu'une  autre  assemblée  bouleversera 
les  règlements  de  l'école  de  Rome. 

Les  griefs  sont  nombreux  contre  la  rue  Bergère.  D'abord,  sa  mora- 
lité est  fort  suspectée  par  des  esprits  sérieux  qui  réclament  le  chan- 
gement des  professeurs,  l'institution  de  nombreux  surveillants;  pour 
obtenir  un  établissement  où  la  mère  puisse  sans  danger  conduiie  sa 
fiîle,  il  serait  à  désirer  que  chaque  élève  travaillât  dans  une  cellule. 

A  côté  de  ces  puritains  féroces,  des  âmes  plus  libérales  deman- 
dent simplement  qu'on  ne  continue  pas  à  museler  le  génie,  immortel 
par  son  essence  mèm3;  le  Conservatoire  a  besoin  de  développements, 
il  faut  lui  multiplier  les  subsides,  mais  diminuer  certains  traite- 
ments. 

Pour  bien  établir  la  fraternité  qui  régnera  désormais  entre  les 
artistes,  le  gouvernement  provisoire  décide  que  la  grande  salle  sera 
donnée  gratuitement  à  tout  musicien  qui  en  fera  la  demande. 

Au  premier  rang  des  cérémonies  étranges  que  voit  défiler  1848, 
brille  la  fête  donnée,  le  2  avril,  dans  la  cour  de  l'Opéra.  M.  l'abbé 
More),  curé  de  Saint-Roch,  arrive  croix  en  tète,  au  milieu  de  son 
clergé.  Il  est  reçu  par  Ledru-Rollin,  Caussidière,  Duponchel,  en 
garde  national  à  cheval.  —  Le  but  de  cette  rencontre"?  Bénir  l'arbre 
de  la  liberté  planté  par  l'Académie  de  musique. 

Aux  paroles  du  prêtre,  le  ministre  de  l'intérieur  répond  en  galants 
termes.  La  réunion  est  des  plus  cordiales,  et  on  apprend  avec  joie 
que  le  Prophète  sera  donné  l'année  suivante. 

Le  soir,  représentation  gratuite  ;  la  Muette  de  Porlici,  suivie  de 
la  Marseillaise  mise  en  action.  Une  scène  de  pantomime  soulignera 
chaque  couplet  :  c'est  la  résurrection  d'une  tentative  faite  en  1791, 
l'exhumation  d'une  antique  partition  de  Gossec,  retrouvée  sur  les 
quais  par  Leborne.  Echec  complet. 

Réformer  partout  et  quand  même!  c'est  le  mot  d'ordre  de  l'année, 
la  marotte  des  journaux  grands  ou  petits;  on  vogue  en  pleine  utopie, 
nul  ne  peut  parler  simplement  de  choses  simples.  «  Une  vraie  répu- 
bliaue,  s'exclame  la  France  musicale,  déteste  les  minauderies  dans 
le  chant  comme  dans  la  société  ;  vous  ressemblez,  à  l'heure  actuelle, 
à  Louis-Philippe  la  veille  de  son  départi  »  —  Le  Conservatoire  a 
sa  place  dans  les  modifications  levées  parle  journal,  écho  de  plus 
d'un  mécontent:  les  12,000  francs  de  traitement  directorial  seront 
rognés  d'un  sixième,  les  élèves  de  composition  auront  une  loge  atti- 
trée dans  les  théâtres  subventionnés,  comme  ils  l'ont  déjà  au  troi- 
sième Théâtre-Ljrrique;  enfin  les  membres  du  jury  seront  priés,  aux 
jours  de  concours,  d'être  présents  dès  le  début  de  la  séance. 

Par  décret  du  30  avril,  le  Gouvernement  provisoire,  considérant 
que  «  le  Conservatoire,  par  sa  destination,  se  rattache  étroitement 
au  théâtre,  dont  il  est  pour  ainsi  dire  le  seuil,  arrête  qu'il  figurera 
désormais  dans  les  attributions    de  la  librairie  et  du  théâtre  ». 

Jalouse  d'imiter  son  aînée,  la  République  veut  frapper  le  monde 
par  l'éclat  de  ses  fêtes.  Le  Champ  de  Mars  voit  célébrer  le  triomphe 
de  la  G)ncorde;  réunis  sur  une  estrade,  le  Conservatoire  et  le 
Gymnase  militaire  essaient  en  vain  de  faire  entendre  des  morceaux 
de  circonstance. 

Tous  les  musiciens  français  sont  appelés  au  concours  qui  mettra 
en    lumière  les   meilleurs   chants    nationaux.    Huit   cents   ouvrages 


LE  MENESTREL 


349 


sont  présentés  et  le  jury  se  réunit  deux  mois  et  demi  durant. 
Déclarées  hors  ligne  les  compositions  de  MM.  Ermel,  Elwart  et 
Crest-Fanlander;  parmi  les  concurrents  favorisés  d'une  médaille 
de  bronze,  on  remarque  Ambroise  Thomas,  (V Harmonie  des  peuples) ; 
M'""  Viardot,  (la  Jeune  République);  Oscar  Gomeltant,  (la  Marclie  des 
Travailleurs) ;\ic[OT  Massé,  (l'Hymne  à  la  Fralernité)  ;  Duprato  (une 
Nuit  républicaine);  'Va.vaey,  (le  Chant  de  la  blouse);  Isidore  Huot  et 
Victor  Lefebvre,  élèves  du  Couservatoire,  obtiennent  la  même  ré- 
compense. 

La  subvention  de  l'école  est  en  péril,  attaquée  par  les  réformateurs 
auxquels  on  objecte  en  vain  que  le  chiffre  en  a  déjà  diminué  depuis 
l'Empire  qui  accordait  200,000  francs,  la  Restauration  dont  le  subside 
montait  à  115,000  francs,  —  aujourd'hui  130,000.  Pour  apaiser  leurs  ad- 
versaires, les  élèves  se  surpassent  aux  concours  :  Wieuiawski  deuxième 
se  signale  dans  la  classedeZimmermann;  Portéhaut,  Altès,  Chéri,  frère 
de  l'exquise  comédienne  du  Gymnase,  etGarciD,son  cousin,  brillent 
parmi  les  violonistes.  Le  chant  met  en  vedette  M"°  Lefebvre,  Ribes 
et  Balanqué.  Meillet,  qui  a  renoncé  au  droit  et  suit  depuis  quinze 
mois  seulement  la  carrière  musicale,  remporte  les  prix  d'opéra  et 
d'opéra-comiqne,  auprès  de  M""  Meyer;  un  accessit  récompense 
M.  Carvalho. —  Prix  de  Rome,  M.  Duprato,  dont  trois  conservaloriens 
(M""  Grimm,  MM.  Bussine  et  Battaille)  interprètent  la  cantate. 

Un  groupe  de  musicien?,  parmi  lesquels  Massé,  Membrée,  Lalo, 
Delioux,  signe  un  projet  d'association  nationale,  qui  exécuterait  et 
éditerait  tout  ouvrage  reconnu  digne  de  l'art  par  un  jury  élu.  Pour 
mener  l'œuvre  à  bonne  fin,  on  réclamerait  la  part  à  laquelle  on  a 
droit  sur  les  200,000  francs  votés  par  l'Assemblée  à  titre  d'encou- 
Tagement  aux  beaux-arts. 

Le  24  septembie,  grande  fête  dans  les  jardins  de  l'Elysée,  «rede- 
venu propriété  de  tous  »,  au  bénéfice  de  la  Caisse  de  secours  des 
Artistes  musiciens.  Entrée,  1  franc;  fête  forains,  concert  gigantesque  : 
300  instrumentistes,  900  choristes.  Le  Conservatoire,  dirigé  par 
Batiste,  est  à  la  tète  de  cette  armée. 

Quelques  jours  plus  tard,  dans  la  chapelle  de  Versailles,  les 
lauréats  de  l'année  chantent  la  messe  d'Adam  ;  l'orgue  est  tenu  par 
M.  Ambroise  Thomas. 

Ces  manifestations  variées  n'empêchent  pas  l'Assemblée  de  discuter 
une  forte  diminution  du  budget  des  Beaux-Arts.  Une  protestation 
circule  à  travers  Paris,  se  couvre  de  signatures  :  Léo  Lespës,  Adam, 
E.  de  Mirecourt,  Francis  Wey,  Berlioz,  Auguste  Vitu,  Prumier, 
Gonzalès,  Bayard,  Duprez,  Ciceri,  Léon  Cogniet,  etc.  —  Victor  Hugo 
s'en  faille  champion  à  la  tribune,  et  les  crédits  restent  intacts. 

A  la  distribution  des  prix,  M.  Dufaure,  ministre  de  l'intérieur,  se 
fait  représenter  par  M.  Charles  Blanc,  qui,  peu  soucieux  de  l'ac- 
tualité, a  pris  pour  thème  de  son  discours  :  «  le  rôle  de  la  musique 
à  Sparte.  » 

Dans  les  derniers  jours  de  l'année,  le  prince-président  fait  louer 
à  l'Opéra,  à  la  Comédie-Française  et  à  l'Opéra-Gomique  l'ancienne 
loge  du  duc  d'Orléans. 

Inauguré  par  le  succès  éclatant  du  Caïd  (3  janvier),  l'an  1849  est 
marqué,  un  mois  plus  tard,  par  la  résurrection  des  exercices.  La 
Pie  voleuse,  qui  semble  faire  partie  du  matériel  de  l'école,  a  été 
montée  en  quatorze  jours  par  Moreau-Sainti. 

La  séance  suivante  sera  moins  bien  accueillie.  Si  ThironetM""^  Fix 
ont  été  applaudis  dans  les  Folies  amoureuses,  les  fragments  d'Orphée 
laissent  une  impression  lamentable,  que  le  troisième  exercice  fera 
heureusement  oublier.  Le  Dépit  amoureux  (M"'  Goblcntz),  le  Calife  de 
Bagdad  {M"""  Lefebvre  et  Lemaire,  MM.  Riquier  et  Ribes)  encadrés 
dans  de  charmants  décors,  rehaussés  de  costumes  joliment  dessinés, 
réconcilient  le  Conservatoire  avec  son  public  ordinaire. 

(A  suivre.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (29  octobre).  —  Les  nouvelles  sont 
rares,  même  dans  nos  théâtres,  et  même  à  la  Monnaie.  La  grippe  s'est 
abattue  sur  les  artistes  et  a  achevé  le  désarroi  que  les  débuts  incertains 
de  ces  derniers  temps  avaient  commencé  de  jeter  dans  le  répertoire.  Gela  a 
beaucoup  retardé  même  les  simples  reprises  des  ouvrages  courants.  Mais 
enfin  la  guérison  semble,  peu  à  peu,  calmer  toutes  ces  misères.  Hier, 
nous  avons  eu  la  reprise  de  Salammbô,  avec  la  plupart  des  interprètes  de 
l'an  dernier,  MM.  Seguin  et  Badiali,  seuls  nouveaux,  remplaçant  MM.  Val- 
lier  et  Bouvet.  L'ensemble  de  la  représentation   a   été  satisfaisant,  mais 


très  froid.  En  s'en  allant,  M^e  Caron  a  beaucoup  emporté  avec  elle  de  ce 
qui  avait  fait,  tout  d'abord,  le  charme  de  l'œuvre,  —  très  estimable  d'ail- 
leurs, —  de  M.  Reyer.  M'"'^  de  Nuovina  et  les  autres  sont  très  appliqués  ; 
plusieurs  sont  excellents,  notamment  M.  Lafarge,  qui  est  un  superbe 
Matho,  d'une  énergie  sauvage  et  magnifique,  chanteur  remarquable  et 
comédien  irréprochable.  Mais  la  flamme  parait  éteinte.  Est-ce  la  fiiute  de 
l'interprétation  ou  la  faute  de  l'œuvre?  —  Pour  le  reste,  la  Monnaie,  qui 
répète  le  Rêve,  sous  la  surveillance  des  auteurs,  nous  promet  les  débuts 
de  la  contralto  M""  de  Beridès  samedi,  dans  Carmen,  et  retarde  ceux  d'une 
autre  artiste,  américaine  d'origine,  M"'  Dexter,  qu'on  n'a  pas  encore 
entendue.  Vous  voyez  que  la  troupe  a  encore,  à  l'heure  qu'il  est,  pour 
nous,  des  surprises.  Espérons  qu'elles  seront  agréables. —  Je  ne  veux  pas 
quitter  la  Monnaie  sans  vous  dire  deux  mots  d'un  incident  qui  paraît 
devoir  faire  quelque  bruit...  au  tribunal  de  commerce.  Un  journal  de 
théâtres  et  d'art  bien  connu,  l'Éventail,  avait  raconté,  dans  son  dernier  nu- 
méro, que  M.  Reyer,  n'étant  pas  satisfait  des  répétitions  de Sa/ammiô,  avait 
fait  entendre  coram  populo  aux  directeurs,  avec  sa  franchise  habituelle,  de 
dures  paroles  sur  leur  gestion  et  le  rang  actuef  de  leur  théâtre  ; 
MM.  Stoumon  et  Galabresi  se  sont  fâchés  et  intentent  à  l'Éventail  un 
procès  en  dommages -intérêts  à  raison  du  préjudice  moral  qui  leur  serait 
causé  par  ce  récit,  qu'ils  assurent  dénué  de  tout  fondement.  Voilà  du 
pain  sur  la  planche  pour  les  avocats.  Le  procès,  en  tout  cas,  sera  piquant 
et  promet  des  plaidoiries  à  plus  d'un  titre  intéressantes.  —  Les  autres 
ihéàtres  s'apprêtent  à  renouveler  leurs  affiches.  Aux  Galeries,  la  Demoiselle 
du  téléphone  va  succéder  au  Royaume  des  femmes,  et  l'Alcazar  royal  donne 
ce  soir-méme  la  «  première  »  de  sa  grande  revue  d'année,  Bruxelles  fin  de 
siècle.  —  A  l'Académie  royale  (classe  des  beaux-arts),  on  a  exécuté  diman- 
che la  cantate  du  nouveau  prix  de  Rome,  M.  Paul  Lebrun,  Andromède, 
couronnée  au  grand  concours  de  composition  musicale.  L'œuvre  ne  brille 
pas  par  l'originalité  ;  mais  elle  est  habilement  écrite,  très  dramatique  et 
d'un  bon  effet.  Excellent  travail  d'un  excellent  élève,  appelé  à  nous  don- 
ner peut-être  d'aimables  compositions  et  à  devenir  dans  tous  les  cas  un 
1res  bon  chef  d'orchestre.  Lucien  Solvay. 

—  Voici  la  distribution  complète  de  l'Amico  Fritz,  le  nouvel  opéra  de 
M.  Mascagni,  dont  la  première  représentation,  attendue  avec  une  vérita- 
ble impatience,  a  dû  avoir  lieu  hier  samedi  à  Rome,  au  théâtre  Costanzi  : 
Fritz  Kobus,  M.  De  Lucia;  le  rabbin,  M.  Lhérie  ;  Hanezo,  M.  Gremona; 
Federico,  M.  Bessi  ;  Suzel,  M""  Galvé  ;  Beppe,  M"«  Synnerberg  ;  Gaterina, 
M""  Parpagnoli.  Les  nouvelles  de  la  répétition  générale  étaient  excellentes 
et  faisaient  présager  un  grand  succès. 

—  Les  inondations  causent  de  grands  ravages  et  des  catastrophes  dans 
la  haute  Italie.  A  Penzano,  près  I.ecco,  la  maison  du  célèbre  ténor  Masini 
s'est  écroulée  ;  il  y  a  eu  deux  morts  et  sept  blessés. 

—  Ou  a  exécuté  à  Naples,  dans  l'église  de  Sainte-Brigitte,  une  nouvelle 
Messa  di  vivo,  pour  chœurs  et  petit  orchestre,  de  la  composition  de  M.  Garlo 
Sabastiano.   L'œuvre  parait  avoir  produit  une   impression  très  favorable. 

—  A  San  Gemini,  province  de  Terni,  on  a  représenté  avec  succès  une 
nouvelle  opérette,  il  Carnevale  del  villaggio,  musique  de  M.  Bernardine 
Lanzi. 

—  La  section  musicale  de  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin  est  très 
riche,  on  le  sait,  en  manuscrits  et  en  autographes  précieux  des  plus 
grands  maîtres.  Entre  autres,  elle  possède  une  collection,  que  l'on  peut 
croire  unique  par  le  nombre  et  la  qualité,  des  manuscrits  autographes  de 
Mozart.  Cette  collection  comprend  en  effet  plus  de  deux  cents  numéros, 
parmi  lesquels  se  trouvent  les  partitions  de  sept  opéras,  dont  la  Flûte  en- 
chantée, et  de  vingt-trois  symphonies. 

—  A  signaler  une  reprise  particulièrement  intéressante  qui  vient  d'avoir 
lieu  au  théâtre  grand-ducal  de  Garlsruhe,  celle  d'un  opéra  en  un  acte  de 
Méhul,  Uthal,  dont  la  première  représentation  à  l'Opéra-Gomique  remonte 
au  17  mai  1806.  C'est  dans  cet  ouvrage,  qui  était  joué  par  Solié,  Gavaudan, 
Gavaux,  Saînt-Aubin,  Baptiste,  Darancourt,  Richebourg  et  M™  Scio,  que 
Méhul,  pour  donner  une  teinte  plus  sombre  à  son  orchestre,  jugea  à  pro- 
pos d'en  supprimer  les  violons  et  de  les  remplacer  par  des  altos,  ce  qui 
motiva  la  boutade  devenue  célèbre  de  Grétry  :  »  J'aurais  donné  un  louis 
pour  entendre  une  chanterelle.  »  C'est  à  M.  Félix  Mottl,  le  fameux  chef 
d'orchestre,  qu'on  doit  cette  reprise  de  l'ouvrage  de  Méhul,  si  oublié  chez 
nous,  et  qu'il  avait  déjà  fait  remettre  à  la  scène  en  1869.  En  enregistrant 
ce  fait,  le  Guide  musical  de  Bruxelles  croit  devoir  faire  remarquer  «  qu'on  ne 
trouve  que  fort  peu  de  détails  sur  Uthal  dans  la  monographie  de  M.  Arthur 
Pougin  sur  le  maître  de  Givet.  »  Si  notre  confrère  veut  bien  prendre  la 
peine  d'ouvrir  le  livre  de  notre  collaborateur,  ce  qu'il  a  peut-être  négligé 
de  faire,  il  y  trouvera,  de  la  page  248  à  la  page  253,  tous  les  renseigne- 
ments qu'il  était  possible  de  réunir  sur  Uthal  et  sa  représentation  à  l'Opéra- 
Gomique. 

—  Le  ministre  de  la  guerre  de  Saxe  vient  de  décider  que  dorénavan 
tous  les  postulants  aux  fonctions  de  chef  de  musique  de  l'armée  seront 
tenus  de  suivre,  pendant  trois  années,  les  classes  du  Conservatoire  de 
Dresde,  avant  de  se  présenter  au  concours  réglementaire.  Cet  établisse- 
ment devient,  de  ce  fait,  pour  l'armée  saxonne,  ce  qu'est  l'Ecole  supé- 
rieure (Hochschule)  de  Berlin  pour  l'armée  prussienne. 

—  L'opéra  du  compositeur  espagnol  Breton,  les  Amants  de  Teruel,  repré- 
senté dernièrement  au  théâtre  de  la  Cour  de  Vienne,  par  ordre  du  gouver- 


350 


LE  MENESTREL 


nement,  n';i  pas  Irouvi^  bon  accueil  auprès  du  public,  bien  que  l'interpréta- 
tion de  cet  ouvrage  eût  été  confiée  à  l'élite  de  la  troupe.  L'intrigue,  dit-on, 
est  peu  intéressante;  la  partition  manque  d'unité  et  de  style;  par  contre, 
elle  abonde  en  réminiscences  du  répertoire  de  Meyerbeer,  de  Verdi,  de 
Wagner  et  même  d'Offenbach,  une  vraie  macédoine  cosmopolite. 

—  CavaUeria  nisticana  vient  défaire,  au  théâtre  de  la  Cour  de  Garlsrube, 
une  nouvelle  et  glorieuse  étape.  L'ouvrage  de  M.  Mascagni  avait  été  très 
soigneusement  monté  sous  la  direction  du  kapellmeister  Mottl. 

—  Une  nouvelle  scène  vient  d'être  inaugurée  à  Hambourg,  sous  le  titre 
du  Nouœau  Théâtre.  MM.  J.  Perger  et  H.  Horn  en  sont  les  directeurs.  Ils 
y  cultiveront  le  genre  de  la  comédie-ballet.  Comme  premier  spectacle,  ils 
ont  donné  la  pièce  viennoise  te  Monde  à  vol  d'oiseau. 

—  A  son  tour,  le  théâtre  royal  de  Copenhague  vient  de  produire  Cacal- 
kria  rusticana,  et,  comme  partout  ailleurs,  le  succès  a  été  prodigieux.  Le 
public  a  surtout  goûté  le  gi-and  duo  entre  Turiddu  et  Santuzza.  C'est  le 
vieux  poète  danois  Erich  Bogh  qui  s'était  chargé  de  la  traduction;  il  a 
intitulé  la  pièce  E'n  Sicile.  —  La  prochaine  nouveauté  du  théâtre  royal 
sera  la  Sorcière,  du  compositeur  Auguste  Enna.  On  fonde  de  très  grandes 
espérances  sur  cet  ouvrage. 

—  Il  paraît  que  le  chanteur  Gayarre,  bien  que  mort  fort  jeune,  n'en  a 
pas  moins  trouvé  le  temps  d'écrire  des  Mémoires,  qui,  dit-on,  renferment 
des  particularités  très  intéressantes  sur  sa  vie  intime.  C'est  du  moins  ce 
que  nous  apprennent  les  journaux  espagnols,  qui  annoncent  comme  im- 
minente la  publication  de  ces  Mémoires. 

—  Nouvelles  de  Londres  (29  octobre).  —  Les  amateurs  d'opéra  ne  peuvent 
que  se  féliciter  de  la  rivalité  survenue  entre  les  deux  entreprises  lyriques 
de  Shaftesbury-Theatre  et  de  Covent-Garden.  Elle  leur  aura  valu  en  moins 
de  deux  semaines  trois  nouveautés  des  plus  intéressantes  :  CavaUeria  rus- 
ticana, Philémon  et  Baucis  et  le  Rêve.  C'est  M.  Lago  qui  a  ouvert  le  feu 
avec  l'opéra  tant  vanté  de  Mascagni.  L'interprétation  de  la  CavaUeria  rus- 
ticana au  Shaftesbury  est  loin  d'être  irréprochable  :  seul,  le  ténor  Vignas 
a  réussi  franchement.  Aux  imperfections  des  autres  chanteurs,  il  faut 
ajouter  les  défaillances  trop  nombreuses  des  chœurs  et  de  l'orchestre.  Des 
fragments  de  Crispino  e  la  Cmnare  accompagnaient  d'une  façon  malencon- 
treuse sur  l'affiche  l'opéra  de  Mascagni.  M.  Lago  a  été  également  mal 
inspiré  dans  le  choix  de  ses  reprises.  Celles  de  Cenerentola  et  d'Ernani  ont 
paru  décidément  démodées.  Quant  au  Vaisseau-Fantôme,  qui  servait  de 
rentrée  à  M"»  Macintyre,  il  faudra  attendre  que  des  répétitions  supplé- 
mentaires assurent  à  l'ouvrage  une  exécution  plus  suffisante.  ACovent  Gar- 
don l'opéra  français  triomphe  plus  complètement,  grâce  à  une  excellente 
troupe  d'ensemble,  recrutée  principalement  parmi  les  artistes  de  l'Opéra- 
Gomique,  grâce  aussi  à  la  direction  artistique  d'un  chef  d'orchestre  très 
compétent,  M.  Jehin,  tel  que  nous  en  avons  souvent  réclamé  pendant  la 
saison  régulière.  Dans  ces  conditions,  les  reprises  de  Roméo  avec  M.Cossira  et 
M"=  Simonnet  et  de  Carmen  avec  MM.  Engel,  Lorrain,  M"''  Deschamps  et 
Simonnet  ont  obtenu  un  succès  complet.  Il  en  a  été  de  même  de  Philémon 
et  Baucis,  qui  n'avait  jamais  encore  été  représenté  à  Londres.  La  charmante 
idylle  de  Gounod  ne  gagne  certes  pas  à  être  transportée  sur  une  aussi 
grande  scène.  Mais  la  partition  reste  une  des  plus  fraîches,  des  plus  gra- 
cieuses du  maître,  et  interprétée  par  M"«  Simonnet,  MM.  Engel,  Bouvet  et 
Lorrain,  son  succès  ne  pouvait  faire  doute  un  instant.  Ce  soir,  première 
du  Rêve,  avec  la  distribution  de  la  création.  —  L'Opéra  national  anglais 
rouvre  ses  portes  la  semaine  prochaine  avec  la  première  de  la  Basoche,  dont 
la  version  anglaise  est  due  à  la  collaboration  de  M.  Eugène  Oudin  et  de 
sir  Aug.  Harris.  L'Enfant  prodigue  est  sur  le  point  de  terminer  sa  carrière, 
203  représentations.  A.  G.  N. 

—  Miss  Macintyre,  la  cantatrice  anglaise  que  le  récent  festival  de  Bir- 
mingham a  mis  en  évidence,  vient  d'être  l'héroïne  —  sans  le  vouloir  — 
d'une  aventure  romanesque  dont  le  récit  a  fait  le  tour  de  la  presse  an- 
glaise et  qui  s'est  dénouée  au  tribunal  de  police  de  Westminster.  C'est 
en  effet  devant  cette  juridiction  que  la  belle  miss  Macintyre  a  traîné  un 
de  ses  adorateurs,  trop  exalté,  un  Américain  qui  s'intitule  «  organiste  et 
chanteur  de  profession  ».  Elle  était  depuis  longtemps  en  butte  aux  obses- 
sions de  cet  étrange  individu  ;  tant  qu'il  ne  s'en  était  tenu  qu'aux  épitres 
suppliantes,  miss  Macintyre  s'était  contentée  de  ne  pas  répondre:  mais 
un  jour  vint  où  elle  reçut  le  billet  suivant  :  «  Il  faut  que  je  vous  épouse 
ou  que  je  vous  tue.  Vous  avez  dédaigné  mon  amour.  Vengeance  !  ven- 
geance !  vengeance!  Ou  je  vous  épouserai  ou  je  vous  tuerai.  Ou,  alors,  je 
me  ferai  tuer  dans  ma  tentative.  »  C'est  alors  que  la  mère  de  miss  Ma- 
cintyre intervint  et  signala  le  cas  à  la  police,  qui  ne  tarda  pas  à  mettre  la 
main  sur  l'irascible  Américain.  Un  premier  jugement  de  la  Cour  de  police 
vient  de  le  déférer  au  tribunal  correctionnel. 

—  On  a  vu  des  rois  épouser  des  bergères,  pourquoi  une  choriste  n'é- 
pouserait-elle pas  un  archi-millionnaire  ?  C'est  ce  qui  vient  de  se  pro- 
duire en  Amérique,  ce  pays  de  tous  les  prodiges.  On  raconte  en  effet 
que  miss  Bessie  Booth,  simple  choriste  dans  la  A'ew-Yorlc-Casino-Opera- 
Company,  qui  donne  en  ce  moment  des  représentations  à  Montréal  (Cana- 
da), vient  d'épouser  en  cette  ville  M.  A. -F.  Henriques,  fils  de  feu  William 
Henriques,  agent  de  change,  dont  il  a  hérité  une  fortune  de  bOO,000  livres 
sterling,  soit  12  millions  et  demi  de  francs.  Les  deux  jeunes  gens  s'é- 
taient rencontrés  pour  la  première  fois  un  mercredi,  dans  un  dîner;  le 
samedi  suivant  ils  étaient  mariés  et  le  second  mercredi  ils  s'embarquaient 
pour  l'Europe.  Tout  à  la  vapeur  dans  ce  pays  singulier  ! 


—  Un  journal  de  Buenos-Ayres,  la  Palria,  rapporte  une  aventure  au 
moins  étrange  dont  un  de  nos  compatriotes,  le  ténor  Prévost,  aurait  été 
victime,  o  Pendant  que  le  ténor  Prévost,  dit  ce  journal,  .'.e  rendait,  sur 
le  petit  vapeur  Orden,  à  bord  du  Nord-America,  en  partance  pour  Rio-Janeiro, 
il  fut  victime  d'un  attentat.  Il  fut  garrotté,  fouillé  et  volé  de  divers  objets, 
puis  mis  à  bord  du  Nord-America,  après  quoi  le  vapeur  Orden  s'enfuvait 
vivement  vers  le  port.  Prévost  raconta  aussitôt  le  fait,  et,  du  bord  du 
Nord-America,  envoya  une  énergique  protestation  au  commandant  de  la 
marine,  en  dénonçant  les  violences  dont  il  avait  été  l'objet.  »  Nous  rap- 
portons l'incident,  tout  en  le  trouvant,  nous  le  répétons,  au  moins  étrange. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

—  Hier  samedi,  à  l'Institut,  distribution  des  prix  du  concours  de  Rome, 
sous  la  présidence  de  M.  Bailly.  La  séance  a  commencé  par  l'exécution  de 
Napoli,  composition  symphonique  de  M.  Gustave  Charpentier,  grand  prix 
de  l'année  1887.  Après  la  distribution  des  prix,  les  allocutions  d'usage  et 
la  lecture  d'une  notice  de  M.  le  comte  Delaborde  sur  la  vie  et  les  ouvra- 
ges de  Robert  FJeury,  on  a  exécuté  la  cantate  de  M.  Silver,  qui  a  rem- 
porté le  grand  prix  au  concours  de  cotte  année.  Le  livret  de  cette  scène 
lyrique,  intitulé  l'Interdit,  est,  comme  on  le  sait,  de  notre  confrère  Edouard 
Noël.  Les  rôles  étaient  interprétés  par  MM.  Muratet,  Fournets  et  M""  Is- 
saurat,  l'orchestre  dirigé  par  M.  Lamoureux.  A  dimanche  prochain  les 
détails. 

—  Nous  avons  dit  que,  pour  célébrer  le  centenaire  de  la  naissance  de 
Meyerbeer,  le  14  novembre  prochain,  la  direction  de  l'Opéra  ferait  figurer 
au  programme  le  quatrième  acte  des  Huguenots,  conforme  à  la  version 
primitive,  c'est-à-dire  avec  Catherine  de  Médicis,  organisant  elle-même 
et  commandant  le  massacre  des  protestants.  C'est  sur  l'ordre  de  la  censure 
que  Scribe  et  Meyerbeer  durent,  au  dernier  moment,  supprimer  le  per- 
sonnage de  Catherine  et  faire  présider  par  le  comte  de  Saint-Bris  la 
fameuse  scène  de  la  «  Bénédiction  des  poignards  ».  Nous  retrouvons  à  ce 
sujet,  dans  un  journal  du  temps,  un  article  fort  curieux  qui  rejette  sur 
M.  Thiers,  président  du  conseil,  l'initiative  de  cette  mesure  et  qui  nous 
apprend  en  même  temps  que  M.  Thiers  s'était  opposé  à  ce  que  l'ouvrage 
de  Scribe  et  Meyerbeer  portât  le  titre  de  la  Saint-Barthélémy.  Voici  ce  que 
disait  le  journal  la  Quotidienne,  le  2  mars  1836,  deux  jours  après  la  première 
représentation  des  Huguenots  :  «  Cet  opéra  a  éprouvé  de  grandes  tribula- 
tions avant  de  paraître  au  grand  jour  de  la  représentation.  Les  sentiments 
religieux  et  monarchiques  de  M.  Thiers  lui  ont  fait  prendre  en  main  la 
défense  de  la  mémoire  de  Catherine  de  Médicis,  fort  compromise  dans  les 
vers  lyriques  de  son  collègue  de  l'Académie,  M.  Scribe.  M.  Thiers,  qui  a 
trouvé  de  si  bonnes  raisons  pour  justifier  les  massacres  de  septembre, 
n'a  pas  voulu  que  le  titre  de  la  Saint-Barthélémy  fut  donné  à  l'ouvrage 
nouveau.  L'associé  de  Simon  Deutz  s'est  ému  à  l'idée  de  voir  outrager  la 
réputation  de  la  mère  d'un  roi  de  France;  il  n'a  pas  voulu  que  Catherine 
de  Médicis  fût  mise  en  scène  et  vînt  faire  de  la  politique  religieuse  en 
cavatine  et  en  rondeau.  Tout  cela  est  très  édifiant  et  doit  donner  à  l'Eu  - 
rope  une  haute  idée  de  la  morale  du  président  du  conseil.  »  Il  sera  inté- 
ressant de  voir  l'effet  produit  en  1891  par  une  scène  que  M.  Thiers  jugeait 
si  dangereuse  en  1836. 

—  C'est  le  Temps  qui  nous  apporte  des  nouvelles  de  la  reconstruc-  • 
tion  ('?■?■?)  de  la  salle  Favart.  La  question  de  l'Opéra-Comique,  dit  ce  jour- 
nal, revient  encore  sur  l'eau,  et  plusieurs  journaux  ont  annoncé  que 
M.  Bourgeois  allait  déposer,  sur  le  bureau  de  la  Chambre,  un  projet 
tendant  à  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique  :  ce  projet  ne  serait  autre 
que  celui  dont  les  plans  ont  été  présentés  par  M.  Guillotin,  l'ex-président 
du  tribunal  de  commerce,  et  dont  nous  avons  déjà  parlé.  D'après  les  ren- 
seignements que  nous  avons  recueillis  à  bonne  source,  cette  affaire  n'est 
pas  tout  à  fait  aussi  avancée  qu'on  le  dit.  Il  est  bien  exact  que  le  projet 
présenté  par  M.  Guillotin  a  paru  à  M.  Bourgeois  digne -d'un  examen  sé- 
rieux; mais  le  ministre  des  beaux-arts  a  pensé  qu'au  point  de  vue  finan- 
cier et  technique,  il  serait  utile  d'avoir  l'avis  du  ministre  des  finances  et 
du  ministre  des  travaux  publics.  Il  a  été  répondu  au  ministre  que  le 
projet,  très  intéressant  d'ailleurs,  de  M.  Guillotin,  pourrait  encore  subir 
une  diminution  très  notable  au  point  de  vue  des  dépenses  ;  cette  dimi- 
nution équivaudrait  à  peu  près  à  sept  cent  mille  francs.  Le  ministre  des 
beaux-arts  a  communiqué  cet  avis  à  M.  Guillotin  et  lui  a  fait  demander 
s'il  acceptait.  L'affaire  en  est  exactement  à  ce  point.  Cette  diminution 
vaut  la  peine  qu'on  la  prenne  en  considération,  mais  toutes  ces  tergiver- 
sations ne  sont  pas  faites  pour  nous  rendre,  dans  un  temps  rapproché, 
l'Opéra-Comique  sur  le  boulevard. 

—  L'examen  d'admission  pour  les  classes  de  chant  a  eu  lieu  cette  se- 
maine au  Conservatoire,  où  il  a  pris  les  deux  journées  de  mardi  et  de 
mercredi.  Dans  cette  double  séance  formidable,  le  jury  n'a  pas  entendu 
moins  de  quatre-vingt-dix  jeunes  chanteurs  et  de  cent  trente-quatre  chan- 
teuses. Aussi  ses  décisions  n'ont-elles  été  rendues  que  mercredi,  à  onze 
heures  et  demie  du  soir.  Ont  été  admis,  quinze  élèves  hommes  :  MM.  Paty, 
Courtois,  Lussiez,  Maciet,  Taveau,  Delrieu,  Eternod,  Greil,  Bégué,  Dantu, 
Féraud,  Morand,  Rivière,  Gaidau  et  Vais.  Dix-sept  élèves  femmes  ad- 
mises :  M"=s  Combe,  Laffargue,  Boitolle,  F.  Dubois,  Guenia,  Vauthier, 
Maugery,  Brunel,  Riou  de  Lagesse,  Berges,  Delaras,  Bez,  Vonès,  Sirbain, 
Hellidonne,  Bonnessieu  et  France.  Le  jury  qui  a  procédé  aux  opérations 
de  ce  laborieux  concours  était  composé  de  MM.  Ambroise  Thomas, 
Deschapelles,    Massenet,  E.  Guiraud,  Th.  Dubois  et  des  huit  professeurs 


LE  MENESTREL 


351 


de  chant  au  Conservatoire.  La  mission  d'accompagner  au  piano  les  deux 
cent  vingt-quatre  élèves  entendus  avait  été  dévolue  à  M.  Edouard  Mangin, 
qui  s'en  est  acquitté  avec  le  talent  et  le  zèle  qu'on  lui  connaît. 

—  Voici  les  résultats  des  mêmes  examens  pour  la  tragédie  et  la  comé- 
die :  Ont  été  admis  élèves  titulaires,  dans  les  classes  de  MM.  Got,  De- 
launay,  Worms  et  Maubant  :  MM.  Bénédict,  Mitrecey,  Monteux,  Valmont, 
Melchissédec,  Prince,  Dauvillier,  Garbagny  et  Jahyer;  M"  ^^  Roskilde,  Bar- 
sanges,  Marsa,  Thomsen,  Bouchetal,  Salmon,  Boissy  et  Camm.  Ont  été 
ensuite  admis  élèves  stagiaires,  pour  une  année,  dans  les  classes  prépa- 
ratoires de  MM.  Silvain  et  Dupont-Vernon  :  MM.  Bell,  Dorival,  Gabel, 
Marié,  Mars,  Michel;  M"^'  Dunoyer,  Dreyfus,  Lara,  Poraye,  Rex  et  Willis. 

—  Notre  confrère  NicoUet  annonce,  dans  le  Gaulois,  que  M.  Gailhard, 
d'accord  avec  M.  Lamoureux,  songerait  à  faire  construire  à  Versailles,  un 
nouveau  théâtre  modelé  sur  celui  de  Bayreuth  et  où  l'on  jouerait  princi- 
palement les  œuvres  de  Wagner.  M.  Aderer,  du  Temps,  a  demandé  à  M.  Gail- 
hard confirmation  de  cette  nouvelle,  et  voici  ce  qu'a  répondu  le  brillant 
directeur  ; 

11  est  exact  qu'un  certain  nombre  de  personnes  sont  venues  me  trouver  et 
m'ont  ottert  la  direction  d'un  théâtre  nouveau  qui  serait  conslruil,  à  Versailles, 
sur  le  modèle  de  celui  de  Bayreuth.  L'une  de  ces  personnes  offre  même  un  grand 
terrain,  situé  près  de  la  gare.  Mais  le  théâtre  ne  serait  pas  réservé  uniquement 
aux,  opéras  de  Wagner.  Il  serait  ouvert  aux  tentatives  des  jeunes  composileurs 
qui  se  tournent  particulièrement  vers  l'œuvre  qui  paraît  Stre  celle  de  l'avenir,  oii 
la  mélodie  simple  et  primitive  s'unit  à  la  science  la  plus  complète  de  l'orchestra- 
tien.  C'est  pendant  les  quatre  mois  d'été  que  les  repiésentalions  auraient  lieu. 
l.a  salle  serait  très  luxueusement  aménagée;  l'orchestre  et  la  scène  seraient  amé- 
nagés sur  le  modèle  de  Bayreuth.  Mais  une  tentative  de  ce  genre  demande  de 
gros  capitaux.  Il  ne  faut  pas  qu'elle  avorte  au  bout  d'un  an.  Il  faut  qu'elle  dure. 
Je  ne  consentirais,  pour  ma  part  à  m'en  occuper,  que  si  l'œuvre  était,  dès  le 
premier  jour,  assurée  d'une  durée  de  dix  années  environ. 

Pour  ce  genre  d'affaires,  ce  sont,  en  effet,  toujours  les  fonds  qui  man- 
quent le  plus.  On  a  pu  voir  déjà  à  différentes  reprises  des  projets  de  ce 
genre  avorter  entre  les  mains  de  M.  Lamoureux,  faute  de  souscriptions 
suffisantes.  Il  est  vrai  qu'alors  Gailhard  n'en  était  pas,  ce  qui  change  bien 
des  choses. 

—  Il  y  a  encore  du  bonheur  pour  les  Parisiens.  L'éminent  ténor  M.  Van 
Dyck  peut  en  effet  prolonger  encore  son  séjour  d'une  semaine  parmi  nous, 
ce  qui  nous  vaudra  deux  nouvelles  représentations  de  Lohengrin  avec  son 
concours,  le  4  et  le  6  novembre.  Après  quoi,  il  regagnera  l'Opéra  impé- 
rial de  Vienne,  pour  y  interpréter  Manon  d'abord,  puis  Werther  de  M.  Mas- 
senef,  dont  il  sera  le  premier  créateur. 

—  Nous  avons  dit  que  M.  Camille  Saint-Saëns  mettait  la  dernière  main 
a  la  revision  et  à  l'adaptation  de  la  musique  de  Lulli,  pour  la  prochaine 
reprise  de  la  comédie-ballet  de  Molière,  le  Sicilien  ou  l'Amour  peintre,  au 
Théâtre-Français.  Ce  petit  chef-d'œuvre  de  comique  aimable  et  de  grâce 
séduisante  remonte,  non  à  1669,  comme  on  l'a  dit  par  erreur,  mais  au 
14  février  1667,  jour  où  il  fut  joué  pour  la  première  fois,  à  Saint-Germain, 
devant  Louis  XIV  et  toute  la  cour,  dans  une  représentation  du  grand 
Ballet  des  iJuses,  dont  il  formait  la  quatorzième  entrée.  On  trouve  tous  les 
renseignements  relatifs  à  ce  joli  badinage  dans  une  brochure  bien  inté- 
ressante publiée,  il  y  a  quelques  années,  par  notre  collaborateur  Arthur 
Pougin  et  déjà  devenue  fort  rare.  Dans  cette  brochure,  intitulée  Molière 
ET  L'opÉtiA-cOiMiQUE  :  Le  Sicilien  oîj  l'Amour  peintre,  notre  ami  soutient  pour 
la  première  fois  cette  thèse  que,  par  le  Sicilien,  Molière  a  deviné  la  forme 
de  l'opéra-comique  et  en  a  donné  presque  un  modèle,  cent  ans  avant  la 
véritable  éclosion  de  celui-ci.  «  Je  me  suis  efforcé,  dit-il  dans  la  conclu- 
sion de  sa  brochure,  de  prouver  qu'en  écrivant  le  Sicilien  Molière  avait 
eu,  si  l'on  peut  dire,  la  prescience  du  genre  de  l'opéra-comique,  qu'il  en 
avait  tracé  le  plan  typique,  qu'il  en  avait  deviné  la  forme  ,  établi  les 
dispositions  principales,  qu'enfin,  le  mot  et  la  chose  n'étant  pas  encore 
inventés,  il  avait  fait  de  l'opéra-comique  sans  le  savoir,  précisément  comrne 
son  ami  monsieur  Jourdain  faisait  de  la  prose.  Il  me  semble  absolument 
rationnel  de  rattacher  directement  le  Sicilien  à  l'histoire  de  notre  opéra- 
comique,  comme  on  doit  rattacher  les  grands  ballets  de  cour  des  règnes 
de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV  à  l'histoire  de  notre  opéra.  Par  cette 
introduction  de  sa  muse  dans  l'histoire  de  notre  musique  dramatique,  la 
gloire  de  Molière  ne  sera  ni  plus  grande,  ni  plus  pure,  ni  plus  lumi- 
neuse ;  son  rayonnement  est  tellement  puissant  que  rien  aujourd'hui  ne 
saurait  l'augmenter.  Mais  le  souci  seul  de  la  vérité  doit  suffire  pour  nous 
faire  revendiquer  Molière  comme  un  des  pères  de  la  scène  lyrique  fran- 
çaise, et  après  tout,  les  musiciens  qui  l'admirent  —  et  j'en  connais  —  ne 
seront  pas  fâchés  de  savoir  qu'ils  lui  doivent  quelque  chose.  »  —  Pour  en 
revenir  à  M.  Saint-Saëns,  son  travail  consiste  surtout  à  renforcer  la  partie 
symphonique  de  l'ouvrage  de  façon  à  rendre  la  charmante  musique  de 
Lulli  appréciable,  dans  la  salle  de  la  rue  Richelieu,  aux  oreilles  d'un  pu- 
blic habitué  aux  grandes  sonorités.  Le  clavecin  joue  dans  cette  composi- 
tion un  rôle  important,  niais  qui,  probablement,  dans  les  soli  serait  un 
peu  trop  grêle.  En  tout  cas,  l'association  des  instruments  à  cordes  et  du 
clavecin  a  beaucoup  de  couleur  et  de  charme  archaïque,  et  M.  Saint-Saëns 
travaille  avec  amour  à  cette  besogne,  qui  lui  a  fait  retarder  son  départ 
pour  l'Algérie. 

—  Dimanche  dernier,  nous  avons  eu  à  l'Opéra-Gomique  les  débuts  in- 
téressants du  jeune  ténor  Gogny   dans  Richard  Cœur  de  Lion.  On  l'a  fort 


applaudi  dans  son  grand  air:  Si  l'univers  m'abandonne  et  dans  le  fameux 
duo  d'une  fièvre  brûlante.  M.  Gogny  est,  selon  les  uns,  élève  de  M""  Marie 
Rueff  et,  selon  les  autres,  de  M.  Berthemet.  Il  a  probablement  reçu  des 
conseils  de  tous  les  deux  et  il  fait  honneur  à  ses  professeurs. 

—  Le  concert  donné  au  Châtelet,  dimanche  dernier,  sous  la  direction 
de  M.  Edouard  Colonne,  débutait  par  la  2'=  symphonie  (en  ré),  de  Beetho.' 
ven.  Ce  n'est  pas  une  des  plus  vastes  du  grand  musicien;  elle  se  rattache 
encore  directement  à  la  manière  de  Haydn  et  de  Mozart,  avec  une  puis- 
sance plus  accusée  cependant.  Telle  qu'elle  est,  elle  ferait  pourtant  bonne 
figure  dans  le  bagage  de  nos  petits  crevés  de  la  musique  moderne,  qui 
cependant  en  plaisantaient  volontiers  dans  les  couloirs.  Evidemment,  il 
il  n'y  a  pas  là,  à  leur  gré,  assez  de  déliquescence,  et  les  formes  arrêtées 
des  anciens  maîtres  ont  le  don  de  les  horripiler.  —  Venait  ensuite  un 
fragment  symphonique  d'un  charme  pénétrant  de  M'^"  Augusta  Holmes  : 
l'Amour  et  la  Nuit.  C'est  encore  de  la  musique  bien  simple,  bâtie  presque 
exclusivement  sur  une  longue  phrase  de  mélodie  confiée  aux  instruments 
à  cordes.  Pouah!  de  la  mélodie,  n'en  parlons  pas  plus  longtemps,  s'il 
vous  plait.  —  Nous  aurons  cependant  la  candeur  de  trouver  encore  du 
mérite  à  cette  page  puissante  de  César  Cui,  intitulée  les  Deux  Ménétriers, 
sorte  de  large  récit  expressif  composé  sur  une  poésie  de  Jean  Richepin. 
L'orchestration  en  est  curieuse,  avec  des  effets  de  timbres  et  des  accouple- 
ments d'instruments  tout  à  fait  nouveaux.  C'est  là  l'œuvre  d'un  musicien 
peu  banal  et  qui  mérite  de  prendre  une  place  marquante  parmi  les 
compositeurs  modernes.  Il  l'a  emportée  d'assaut  du  premier  coup,  ce  qui 
n'est  pas  étonnant  si  l'on  songe,  qu'eu  même  temps  que  musicien,  M.  César 
Gui  est  l'un  des  généraux  en  évidence  de  l'armée  russe.  Borodine  était 
bien  chimiste!  M.  Auguez  s'était  fait  l'interprète  de  cette  scène.  Sa  voix 
manque  un  peu  de  mordant  pour  le  début  du  morceau,  mais  il  a  dit  avec 
beaucoup  de  charme  la  phrase  amoureuse  du  milieu.  —  Après  quoi, 
M'"""  Roger-Miclos,  tout  de  vert  habillée,  est  venue  nous  faire  entendre 
une  nouvelle  composition  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Camille  Saint- 
Saëns.  C'est  une  sorte  de  badinage  africain,  où  les  petits  oiseaux  du  désert 
nous  ont  paru  jouer  un  rôle  important.  Il  y  a  là  peut-être  un  papillotage 
de  piano  excessif;  mais,  en  revanche,  bien  des  détails  ingénieux  seraient  à 
relever  dans  l'orchestration.  M"""  Roger-Miclos  amis  toute  sa  grâce  à  l'in- 
terprétation de  ce  gracieux  morceau,  avec  un  son  quelque  peu  grêle  cepen- 
dant. —  Nous  avons  eu  ensuite  des  fragments  symphoniques  de  Lobengrin  : 
le  prélude  du  premier  acte  et  l'introduction  symphonique  du  troisième 
acte,  l'un  et  l'autre  enlevés  de  verve  par  l'orchestre  de  M.  Colonne.  Cela 
nous  a  légèrement  changés  de  l'interprétation  languissante  donnée  à  ces 
mêmes  morceaux  par  l'orchestre  de  M.  Lamoureux  à  l'Opéra,  où  la  marche 
nuptiale  se  trouve  transformée  en  marche  funèbre,  de  par  la  volonté  sin- 
gulière du  grand  chef  d'orchestre  in  extremis  de  MM.  Ritt  et  Gailhard.  — 
La  douce  et  poétique  mélodie  de  Delibes,  Mijrto,  venait  mal  après  ce 
déchaîneriient  de  forces  cuivrées  et  cordées.  L'interprétation  hésitante  et 
pâle  de  M"=  de  Montalant,  qui  d'ailleurs  paraissait  fort  émue  dans  sa  jolie 
robe  rose,  n'a  pas  aidé  à  la  mettre  en  relief.  —  N'insistons  pas,  à  cause 
de  l'alliance  russe  qui  pourrait  en  être  compromise,  sur  la  Marche  slave, 
de  M.  Tschaïkowsky,  qui  terminait  le  concert.  H.  M. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  deuxième  symphonie  de  Beethoven  ne 
laisse  que  faiblement  pressentir  l'originalité  toute  puissante  de  celles  qui 
l'ont  suivie,  mais  elle  est  d'une  allure  énergique  et  fière,  et  rappelle,  par 
un  motif  du  premier  allegro,  les  cavatines  chevaleresques  des  premiers 
opéras  de  Rossini.  Quelques  personnes  ont  trouvé  un  peu  lent  le  mouve- 
ment pris  pour  le  second  morceau.  Il  s'agit  ici,  non  pas  d'un  andante, 
mais  d'un  larghetto,  qui  ne  renferme  pas  beaucoup  moins  de  trois  cents 
mesures  ;  l'interprétation  parait  donc  fidèle.  —  La  Jeunesse  d'Hercule,  poème 
symphonique  moins  connu  que  les  autres  œuvres  similaires  de  M.  Saint- 
Saêns,  semble  aussi  d'une  facture  moins  concise,  d'une  allure  moins  ra- 
pide. Les  mélodies  dominantes  s'y  présentent  avec  un  relief  moins  intense, 
un  contour  moins  net,  moins  précis.  Cependant,  l'intérêt  de  l'ouvrage  ne 
faiblit  pas,  malgré  l'indécision  probablement  voulue  de  certaines  de  ses  par- 
ties. Dès  le  début,  on  est  captivé  parle  charme  des  harmonies  dans  lesquel- 
les oncroit  sentir  l'influence  de  Weber.  Viennent  ensuite  les  thèmes  delà 
séduction,  tantôt  pleins  d'une  douce  langueur,  tantôt  se  précipitant  dans 
un  rythme  presque  échevelé.  Une  péroraison  musicale  imposante  doit 
nous  montrer,  à  la  fin,  Hercule  victorieux  de  toutes  les  chaînes  volup- 
tueuses, suivant  désormais  la  voie  des  luttes  et  des  combats  au  bout  de 
laquelle  il  entrevoit,  à  travers  les  flammes  du  bûcher,  l'immortalité  qui 
doit  être  sa  récompense.  —  Le  petit  poème  symphonique  :  Hermann  et 
Dorothée,  renferme  peu  de  substance  musicale,  mais  il  est  d'une  grâce 
exquise,  et  Schumann  semble  avoir  voulu  nous  présenter  ici  des  mélodies 
plus  petites  que  nature,  des  miniatures  musicales,  de  façon  à  ne  pas 
détruire  l'harmonie  du  cadre  minuscule  dans  lequel  Gœthe  a  renfermé  sa 
charmante  idylle.  La  Marseillaise,  qui  tient  une  large  place  dans  la  trame 
musicale,  se  fait  toujours  douce  et  gracieuse,  et  le  rôle  peu  sympathique 
qu'elle  joue,  en  représentant  l'invasion,  est  indiqué  avec  une  discrétion 
toute  charmante.—  La  scène  du  «  Venusberg  »,  dans  Tannhduser,  ofl're  à 
l'esprit  le  spectacle  bizarre  d'une  scène  de  mythologie  grecque  transpor- 
tée dans  un  décor  germanique.  La  musique  de  Wagner  n'a,  du  moins 
dans  ce  morceau,  rien  de  la  plasticité  calme  et  grandiose  des  créations 
artistiques  de  la  Grèce;  en  lui  accordant  même  des  qualités  d'inspiration 
que  beaucoup  de  wagnériens  s'efforcent  en  vain  de  découvrir  ici,  il  n'en 
reste  pas  moins  vrai  que  son  caractère  dominant,  dans  la  scène  du  «  Ve- 


352 


LE  MÉNESTREL 


nusberg  »,  est  une  recherche  d'expression  lascive  poussée  jusqu'à  Texas- 
péralion,  plus  réaliste  par  conséquent  que  ne  le  permet  l'idéal  noble  et 
pur  du  génie  hellénique.  Reste  l'interprétation  orchestrale,  qui  a  été 
parfaite.  —  L'ouverture  de  Ruy  Bios,  de  Mendelssohn,  et  la  Marche  de 
Tannhâuseï-  complétaient  le  programme  de  cette  première  séance. 

AmÉDÉE   BoUTAIiEL. 

—  M.  Colonne  étant  parti  pour  Saint-Pétersbourg,  où  il  dirige,  aujour- 
d'hui même,  un  grand  concert  symphonique,  il  n'y  a  point  de  concert 
aujourd'hui  au  Chàtelet.  Voici  le  programme  du  concert  Lamoureux,  au 
Cirque  des  Champs-Elysées  : 

Ouverture  de  Slruensée  (Meyerbeer);  deuxième  symphonie,  en  ré  majeur  (Bee- 
thoven) ;  Concerto  (lliendei);  la  Jeunesse  d'Hercule  (Saint-Saëns)  ;  Siegfried-Idijll 
(Wagner)  ;  marche  de  Tar.-.liïMser  (Wagner). 

Nous  sommes  un  peu  en  retard  pour  parler  du  grand  concert  qui  a 

été  donné  au  Trocadéro,  l'autre  semaine,  par  les  soins  et  au  bénéfice  de 
l'Association  des  artistes  dramatiques.  Il  est  difficile  cependant  de  passer 
sous  silence  l'effet  considérable  produit  par  le  Crucifix  de  Faure,  chanté 
par  dix-sept  ténors  di  cartello  et  autant  de  barytons  qui  n'étaient  pas  de 
moins  bonne  marque.  Toutes  ces  voix  chaudes  et  pures,  soutenues  par 
J'orgue  de  M.  Guilmant,  ont  soulevé  la  salle,  comme  on  peut  se  l'imagi- 
ner, et  un  bis  formidable,  sorti  de  toutes  les  poitrines  des  spectateurs,  leur 
a  répondu  immédiatement.  Un  des  numéros  à  etîet  du  programme  a  été 
encore  le  duo  de  Lakmé,  merveilleusement  chanté  par  M"""  Landouzy  et 
Talazac,  qui  a  dit,  seul,  d'une  façon  charmante  l'aubade  du  Roi  d'Ys.  Dans 
la  note  comique  Kam-Hill,  avec  les  étonnantes  chansons  de  Mac-Nab,  a 
eu  les  honneurs  de  la  séance. 

—  M.  Gélestin  Bourdeau,  maitre  de  chapelle  de  l'église  russe  de  la  rue 
Daru  et  de  l'ambassade  de  Russie,  prépare  une  série  de  six  grands  concerts 
franco-russes  avec  chants,  orchestre  et  chœurs.  Le  but  de  M.  Bourdeau 
est  de  faire  connaître  au  public  parisien  les  chefs-d'œuvre  de  musique 
ancienne  et  moderne,  religieuse,  symphonique  ou  théâtrale,  des  plus 
célèbres  compositeurs  russes  et  français. 

—  M.  Holmann,  le  renommé  violoncelliste,  est  de  retour  à  Paris,  où  il 
compte  passer  tout  l'hiver.  Nous  espérons  que  nous  pourrons  l'entendre 
cette  saison  dans  un  de  nos  grands  concerts. 

—  Comme  nous  l'avons  fait  pressentir,  c'est  M.  Emile  Ratez,  ancien 
élève  de  Bazin  et  de  M.  Massenet  au  Conservatoire,  ancien  lauréat  du 
■concours  de  fugue,  qui  est  nommé  directeur  du  Conservatoire  de  Lille, 
en  remplacement  de  M.  Ferdinand  Lavainne,  démissionnaire.  L'arrêté 
Tninistériel  portant  sa  nomination  a  été  signé  le  22  octobre  par  M.  Bour- 
geois. 

—  Strasbourg.  —  La  Cavalleria  rusticana  de  Mascagni  vient  d'être  très 
chaleureusement  accueillie  sur  la  scène  municipale  de  Strasbourg.  Il  est 
vrai  que  rien  n'avait  été  négligé  pour  faire  de  la  Cavalleria  rusticana  un 
spectacle  attrayant.  Les  chœurs  ont  été  bien  travaillés  et  l'orchestre,  de 
son  côté,  a  fait  des  études  détaillées  de  la  partition  de  l'heureux  compo- 
siteur italien.  Avec  cela  une  mise  en  scène  très    soignée  et,  de   plus,  de 

-frais  et  jolis  costumes,  et  l'œuvre  ainsi  préparée  ne  pouvait  manquer 
d'obtenir,  dès  le  premier  soir,  les  faveurs  d'un  public  avide  d'entendre  et 
de  voir  du  nouveau.  La  Cavalleria  rusticana  nous  a  été  offerte  suivant  une 
adaptation  allemande  très  savamment  faite  par  M.  Oscar  Berggruen,  d'a- 
près le  libretto  original  de  MM.  Targioni-Tozzetti  et  G.  Menasci. 

A.  Oderdoeffer. 

—  On  fait  parfois  de  la  bonne  musique  à  Biarritz,  surtout  depuis  que 
M"""  de  Serres  habite  dans  les  environs.  Les  échos  de  la  villa  Carina  restent 
encore  charmés  de  la  jolie  séance  où  la  grande  pianiste  a  fait  entendre, 
avec  M"«  de  Lisboa,  les  séduisantes  Variations  pour  deux  pianos,  de  Robert 
Fischbof,  qu'on  a  déjà  tant  applaudies  l'hiver  dernier  aux  concerts  du 
Chàtelet,  et,  aussi,  la  piquante  Sérénade  iltyrienne  de  Conte  d'avril  (Ch.-M. 
Widor),  toujours  pour  deux  pianos  et  qu'il  a  fallu  bisser  au  milieu  d'una- 
nimes acclamations.  A  la  même  matinée,  plusieurs  poésies  récitées  à  mer- 
veille par  M"=  Montigny,  une  bien  fine  diseuse,  et  un  air  de  Psyché 
(A.  Thomas),  chanté  de  belle  façon  par  M"°«  de  Santos  Suarès. 

—  On  nous  écrit  d'Angers  que  le  premier  et  le  second  concerts  de 
l'Association  artistique  (390'  et  391=  concerts  populaires)  ont  renoué  de 
la  façon  la  plus  heureuse  les  traditions  de  ce  bel  orchestre,  fort  bien 
dirigé  par  son  nouveau  chef,  M.  Paul  Frémaux,  dont  le  succès  personnel 
a  été  très  vif.  Le  .public  a  surtout  applaudi,  au  second  concert,  la  char- 
mante suite  d'orchestre  de  la  Source,  de  Léo  Delibes,  et  Espana,  de 
M.  Chabrier.  M.  Massenet  doit  aller  présider,  le  27  décembre  prochain, 
la  quatre-centième  séance  de  l'Association  artistique,  dans  laquelle  plu- 
sieurs de  ses  œuvres  seront  exécutées. 

—  M'"^  Andrée-Louis-Lacombe  est  de  retour  chez  elle,  4,  rue  Pierre-le- 
Grand,  où  elle  a  repris  ses  cours  et  ses  leçons  si  recherchés  des  élèves  et 
•des  artistes. 

—  M.  et  M"'  Henri  Ravina  ont  recommencé  leurs  leçons  de  musique  d'en- 
semble à  quatre  mains,  deux  pianos,  piano  et  orgue,  quatre  mains  etorgue, 
les  mardis,  jeudis  et  samedis,  de  une  à  six  heures.  S'inscrire  chez 
M.  Ravina,  lo,  rue  de  La  Bruyère. 


NÉCROLOGIE 

C'est  avec  un  très  vif  regret  que  nous  annonçons  la  mort  d'un  artiste 
extrêmement  distingué,  dont,  chose  bien  rare,  la  modestie  égalait  le  talent. 
Charles  Constantin  est  mort  ces  jours  derniers  à  Pau,  où  l'état  toujours 
précaire  de  sa  santé  l'avait  conduit  à  se  fixer  depuis  une  quinzaine  d'an- 
nées. On  se  rappelle  la  campagne  si  artistique  et  si  vraiment  intelligente 
que  Constantin  fît,  il  y  a  quelque  vingt-cinq  ans,  comme  chef  d'orchestre 
du  gentil  petit  théâtre  des  Fantaisies-Parisiennes,  dont  on  peut  dire  qu'il 
était  l'âme  et  le  moteur.  C'est  sous  sa  direction  qu'eurent  lieu  les  reprises 
d'anciens  jolis  chefs-d'œuvre  tels  que  les  Rosières,  le  Déserteur,  le  Calife  de 
Bagdad,  le  Sorcier,  le  Nouveau  Seigneur,  la  Fée  du  village  voisin,  le  Muletier,  etc., 
ainsi  que  les  adaptations  de  l'Oie  du  Caire,  de  Mozart,  de  la  Croisade  des 
dames,  de  Schubert,  de  Sylvana,  de  Weber,  et  d'autres  encore.  Avec  quel 
soin,  quelle  conscience,  quel  souci  de  l'exactitude  et  de  l'interprétation 
tous  ces  ouvrages  furent  montés  par  lui,  ceux  qui  l'ont  vu  à  l'œuvre 
peuvent  se  le  rappeler  et  lui  rendre  la  justice  qui  lui  est  due.  A  son 
grand  sentiment  de  l'art,  Constantin  joignait  d'ailleurs  une  haute  culture 
musicale.  Comme  élève  de  M.  Ambroise  Thomas  au  Conservatoire,  il 
avait  obtenu  une  mention  honorable  au  concours  de  Rome  en  1861  et  le 
second  grand  prix  en  1863,  l'année  même  où  M.  Massenet  obtenait  le 
premier;  comme  violoniste,  il  avait  appartenu  aux  orchestres  du  Théâtre- 
Lyrique  et  du  Théâtre-Italien,  ce  qui  lui  avait  permis  de  se  familiariser 
avec  les  grandes  œuvres  des  diverses  écoles;  d'où  résultait  chez  lui  un 
éclectisme  très  sage  et  très  raisonné.  Devenu  plus  tard  chef  d'orchestre 
de  la  Renaissance,  puis  de  l'Opéva-Comique,  d'où  l'éloigna  un  changement 
de  direction,  ayant  conduit  un  instant  les  concerts  du  Casino,  il  avait  dû 
ensuite  se  réfugier  dans  le  Midi,  dont  le  climat  était  nécessaire  à  sa 
santé.  Depuis  lors,  il  dirigeait  les  concerts  du  Casino  de  Royan  et  l'or- 
chestre du  théâtre  de  Pau.  Comme  compositeur,  il  a  fait  représenter  à 
Lyon  un  ballet  intitulé  Balc-Bek  (1867),  et  à  l'Athénée  uu  gentil  petit 
opéra-comique  :  Dans  la  forêt  (1872).  Né  à  Marseille  le  7  janvier  183b,  il 
n'avait  pas  encore  accompli    sa  cinquante-septième  année. 

Arthur  Pougin. 

—  A  Rouen  vient  de  mourir,  dans  un  âge  avancé,  M.  Joseph-Ernest 
Dassier,  artiste  qui  se  fit  connaitre  naguère  par  la  composition  d'un  grand 
nombre  de  romances  dont  plusieurs  obtinrent  de  vifs  succès.  C'était  à 
l'époque  où  Masini,  Frédéric  Bérat,  Clapisson,  Aristide  de  Latour,  Théo- 
dore Labarre,  M'""  Victoria  Arago,  M.  Paul  Henrion,  publiaient  chaque 
année  un  album  de  romances;  M.Ernest  Dassier,  qui,  quoique  négociant, 
s'occupait  de  musique  avec  ardeur,  faisait  comme  eux  et  donnait  son  recueil 
annuel.  On  citait,  entre  autres,  parmi  ses  romances  :  Marcel  le  marin, 
Venise  et  Bretagne,  Ce  que  j'aime... 

—  Il  parait  que  le  ténor  Lahatt,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort  d'a- 
près les  journaux  allemands,  se  porte  au  contraire  à  merveille,  et  ne  songe 
nullement  à  quitter  ce  monde. 

—  A  Anvers  est  mort,  le  9  octobre,  à  l'âge  de  soixante-dix- neuf  ans, 
le  compositeur  Jean-Simon  Eykens,  qui  était  né  en  cette  ville  le  13  octo- 
bre 1812.  Elève  du  Conservatoire  de  Liège,  il  y  fit  de  bonnes  études  sous 
la  direction  de  Daussoigne-Méhul,  et  fit  représenter  en  cette  ville,  à  peine 
âgé  de  dix-sept  ans,  un  petit  opéra-comique  en  un  acte  intitulé /e  De;jart  de 
Grélry.  Deux  ans  après,  il  retournait  à  Anvers,  qu'il  ne  devait  plus  quitter, 
et  où  il  se  livra  à  l'enseignement  et  à  la  composition.  On  connaît  dé  cet 
artiste  deux  autres  opéras-comiques,  le  Bandit,  en  deux  actes,  et  la  Clé  du 
jardin,  en  un  acte,  qui  furent  représentés  à  Anvers  en  1836  et  1837,  ainsi 
qu'une  grande  cantate  avec  orchestre,  écrite  sur  un  texte  de  Bogaerts  et 
exécutée  pour  l'inauguration  de  la  statue  de  Rubens,  le  16  août  ISiO.  On 
lui  doit  aussi  plusieurs  messes  et  autres  compositions  religieuses,  quelques 
romances,  de  nombreux  chœurs.pour  voix  d'hommes  avec  ou  sans  orchestre, 
et  des  morceaux  de  genre  pour  piano. 

—  De  Gento  on  annonce  la  mort  d'un  jeune  artiste  de  famille  noble,  le 
marquis  Antonio  Plattis,  qui  avait  à  peine  accompli  sa  vingt-huitième 
année  et  qui  donnait  de  sérieuses  espérances.  Ancien  élève  du  Lycée 
musical  Benedetto  Marcello,  de  Venise,  et  du  Conservatoire  de  Milan,  il 
avait  fait  exécuter  en  1889  à  la  Fenice,  de  Venise,  une  scène  lyrique  pour 
soprano,  chœur  et  orchestre,  Ora  triste,  et  il  y  a  un  mois  à  peine,  à  Cento, 
un  Hymne  au  Guerchin,  à  l'occasion  du  centenaire  de  l'illustre  peintre.  Il  a 
succombé  en  quelques  heures  aux  suites  d'une  méningite. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Nous  prions  le  commerce  de  musique  de  vouloir  bien  adresser  directe- 
ment ses  commandes,  à  MM.  Mackar  et  Noël,  éditeurs  à  Paris,  22,  Pas- 
sage des  Panoramas,  pour  les  œuvres  de  GIULIO  ALARY,  dont  ils 
viennent  de  se  rendre  acquéreurs. 

AVIS 

La  Société  philharmonique  d'Arras  demande  un  chef  d'orchestre. 
Une  place  de  professeur  de  violon  est  également  vacante  à  l'École  de  mu- 
sique de  la  Ville. 

S'adresser  pour  tous  renseignements  à  M.  le  Sechétaire  de  la  Société,  //,  rue 
de  Beaufort,  Arras. 


Dimanche  8  Novembre  1891. 


3163  -  57""=  ANNÉE  —  N°  4S.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonnemenU 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  t'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Hi'toire  de  la  seconde  salle  Favart  (33'  article),  Albert  Souries  et  Cbarles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Premières  représentations  de  Norah  la 
dompteuse,  aux  Nouveautés,  de  la  Fille  de  Fanchoii  la  Vielleuse,  aux  Folies- 
Dramatiques,  du  Collier  de  saphirs,  au  Nouveau-Théàlre,  et  de  Mil  Oncle 
Barliassoii,  au  Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Histoire  anecdotique  du 
Conservatoire  (14'  article),  André  M.artinet. —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

PAR    LES    BOIS 

scherzo    d'ANTONiN    Marmontel.    —    Suivra    immédiatement  :   Sur   le  pont 

d'Avignon,  fantaisie  nouvelle  de  Paul  Wachs. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de    chant:    Regarde-loi}    nouvelle    mélodie    de    J.   Faure,  poésie   de   E.-J. 
Catelain.  —  Suivra  immédiatement  :  Fabliau,   valse   chantée   par  M"«   M. 
Ugalde,  dans  Mon  Onde  Barbassou,  musiiiue  de  Raoul  Pugno. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAYART 


Albert  SOUBIES   et  Cbarles   JMALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 

CHAPITRE  V 

l'héritage  nv  théâtre-lyrique.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette 

1871-1874 

(Suite.) 

Pour  se  consoler,  Bizet  pouvait  se  dire  qu'il  l'emportait 
encore  sur  Gounod;  car,  en  même  temps  qu'on  donnait  son 
ouvrage,  on  remontait  le  Médecin  malgré  lui,  emprunté  au 
■répertoire  du  Théâtre-Lyriqtie  ;  or,  cette  œuvre-de  tout  point 
charmante  n'obtenait  que  dix  représentations,  et  plus  tard 
dix  autres  encore,  lorsqu'on  en  fit  à  la  salle  Favart  une 
seconde  et  dernière  reprise.  Peut-être  aussi  la  distribution 
manquait-elle  un  peu  d'éclat;  M™"  Ducasse,  Decroix,  Guillot, 
et  MM.  Nathan,  Bernard,  Barnolt,  ne  formaient  en  somme  que 
la  «  petite  troupe  ».  Quant  au  principal  interprète,  il  donnait 
quelque  lourdeur  et  quelque  monotonie  au  rôle  de  Sganarelle; 
Ismaël,  avec  toute  sa  bonne  volonté,  n'avait  point  la  gaieté 
simple  et  franche  d'un  Meillet,  ni  la  fantaisie  d'un  Sainte- 
Foy.  De  plus,  certaines  comédies  musicales  ont  la  malchance, 


celle-là  semble  être  du  nombre.  Nul  ne  conteste  sa  valeur 
et  personne  ne  peut  constater  son  succès. 

Tout  au  contraire,  un  simple  acte  dntt  les  paroles  n'étaient 
point  de  Molière,  mais  de  Brunswick  et  A.  de  Beauplan, 
dont  la  musique  n'était  pas  l'œuvre  d'un  maître  reconnu, 
mais  le  premier  essai  d'un  élève  à  ses  débuts,  Bonsoir  Voisin, 
a  eu  la  bonne  fortune  de  rétissir  partout  où  il  était  représenté: 
d'abord  au  Théâtre-Lyrique,  le  18  septembre  1852,  avec  le 
couple  Meillet;  puis  aux  Fantaisies  -  Parisiennes ,  avec 
Meillet  et  M"e  Castello  ;  enfin,  le  12  juin  1872,  à  la  salle 
Favart,  avec  Thierry  et  M"'  Reine.  Non  seulement  l'ouvrage 
de  M.  Ferdinand  Poise  reçut  l'accueil  qui  convenait  à  cette 
aimable  partition,  qu'i^dolphe  Adam  aurait  pu  signer,  mais 
encore  il  ne  se  maintint  pas  moins  de  six  années  au  réper- 
toire, ce  qui  témoigne  à  tout  le  moins  d'une  certaine  dose 
de  vitalité. 

Le  même  jour,  Bonsoir  Voisin  accompagnait  sur  l'afiiche  un 
autre  acte,  nouveau  celui-là,  le  deuxième  livret  de  M.  Louis 
Gallet  et  le  premier  opéra-comiqùe  de  M.  Camille  Saint-Saëns. 
A  cette  collaboration,  l'avenir  réservait  d'heureuses  batailles; 
le  présent  ne  lui  permit  qu'un  malheureux  combat.  Et  pour- 
tant, la  Princesse  jaune  méritait  de  vaincre.  La  fantaisie  de 
l'idée  fondamentale  était  fort  acceptable,  et  le  poète,  dans 
cet  acte  écrit  tout  entier  en  vers,  avait  su  masquer  habile- 
ment la  transition  de  la  réalité  au  rêve  et  du  rêve  à  la 
réalité,  lorsqu'il  nous  montrait  ce  savant  hollandais,  épris 
d'une  figurine  japonaise,  se  croyant,  après  l'absorption  de 
certain  narcotique,  transporté  au  pays  des  magots,  et  se 
trouvant  au  réveil  près  de  sa  cousine  qui  l'aime.  La  cou- 
leur locale  devait  fournir  à  un  musicien  tel  que  M.  Saint- 
Saëns  le  prétexte  d'une  musique  pittoresque;  aussi,  la  Prin- 
cesse jaune  abondait  elle  en  traits  fins  et  ingénieux  qui  pouvaient 
lui  concilier  la  faveur  des  gens  de  gotit.  Elle  n'eut  pourtant 
que  cinq  représentations,  un  peu  plus  que  le  Passant,  un 
peu  moins  que  Djamileh;  et,  depuis,  par  un  oubli  qui  surprend 
à  une  époque  où  le  Japon  est  devenu  à  la  mode,  où  Pierre 
Loti  nous  a  conté  l'histoire  de  Madame  Chnjsanthème,  on  ne 
s'est  plus  souvenu  de  ce  lever  de  rideau  artistiquement  in- 
terprété par  Lhérie  et  M"^  Ducasse. 

Dix  jours  après  cette  œuvre  nouvelle,  une  œuvre  ancienne 
était  remise  au  répertoire,  les  Dragons  de  Villars,  avec  MM.  Mel- 
chissédec  (Belamy),  Lhérie  (Sylvain),  Barnolt  (Thibaut), 
M"<!  Priola  (Rose  Friquet)  et  M'"^  Ducasse  (M'"^  Thibaut),  dis- 
tribution qui  devait,  avant  la  fin  de  l'année,  se  modifier  un 
peu,  M"«  Chapuy  succédant,  le  20  novembre,  à  M'"'  Priola, 
Goppel  et  M"'=  Reine  remplaçant,  le  2  décembre,  Lhérie  et 
M'"^  Ducasse.  Cette  reprise  du  22  juin  était  interrompue  par 
une  fermeture  de  deux  mois,  fermeture  assez  productive 
nous  l'avons  dit,   puisque  le  quatuor  Ismaël,    Lhérie,   Galli 


354 


LE  MÉNESTREL 


Marié  et  Priola  promena  l'Ombre  à  tra^fers  la  France,  et 
récolta  dans  sa  tournée  exactement  108,000  francs  dont  les 
artistes  se  partagèrent  48,000  comme  bénéfice  net.  Remar- 
quons que  cette  clôture  n'avait  pas  alors,  comme  aujourd'hui, 
un  caractère  régulier.  C'est  seulement  depuis  '1873  que 
rOpéra-Gomique  a  pris  l'habitude  d'interrompre  sa  vie  pen- 
dant deux  mois  d'été,  sauf  les  années  d'Exposition  Universelle 
(1878  et  1889),  alors  que  des  recettes  supplémentaires  sollici- 
tent en  effet  son  activité.  Jusqu'à  cette  époque,  la  salle  Favart 
ne  fermait  ses  portes  qu'exceptionnellement,  en  cas  de 
troubles  politiques  ou  de  réparations  urgentes.  Celte  dernière 
cause  se  produisit  en  1872.  Le  repos  n'est  pas  un  moyen 
de  gagner  de  l'argent,  et  la  direction  avait  besoin  d'en  gagner; 
car  si,  par  arrêté  ministériel  du  30  mars,  M.  de  Leuven  avait 
vu  renouveler  son  privilège,  jusqu'au  1"  janvier  1880,  d'autre 
part,  l'Assemblée  nationale  avait  notablement  diminué  la 
subvention  et,  pour  1873  comme  pour  1872,  n'accordait  que 
140,000  francs,  au  lieu  de  240,000.  Cette  clôture,  du  1"  juillet 
au  1'^''  septembre,  ne  réjouissait  pas  non  plus  les  artistes  de 
l'orchestre,  qui  écrivaient  au  ministre  pour  demander  la  ga- 
rantie de  leurs  appointemenis  pendant  ce  temps,  rappelant 
qu'en  1853,  sous  la  direction  Perrin,  et  en  1864,  sous  la 
direction  de  Leuven  et  Ritt,  le  théâtre  était  resté  fermé  pour 
réparations  quinze  jours  la  première  fois,  deux  mois  la 
seconde,  et  que  le  paiement  des  appointemenis  n'avait  pas 
été  suspendu.  On  parlait  également  de  donner  en  septembre 
une  représentation  à  leur  bénéfice  et  à  celui  des  choristes, 
pour  les  indemniser  de  leur  inaction  ;  mais,  comme  il  arrive 
trop  souvent,  on  s'en  tint  à  la  générosité  de  l'intention,  et 
les  pauvres  instrumentistes  se  bornèrent  à  concourir,  pendant 
la  clôture,  à  des  concerts  organisés  au  Palais  de  l'Industrie, 
où  s'était  ouverte  une  exposition  d'encouragement  des 
Travailleurs  industriels. 

Pendant  ce  temps,  l'architecte  de  l'Opéra,  M.  Ch.  Garnier, 
avait  pris  possession  du  théâtre,  pour  y  pratiquer  les  répara- 
tions jugées  nécessaires.  Tout  avait  été  repeint,  rafraîchi,  le 
plancher  du  théâtre  était  entièrement  renouvelé  et  celui  de 
la  salle  en  partie  refait,  et  c'est  dans  ce  local  ainsi  restauré 
que  les  Dragons  de  Villars  continuèrent,  en  septembre,  le  cours 
interrompu  de  leurs  exploits.  Ce  mois  de  septembre  fut  aussi 
celui  des  débuts,  car,  laissant  de  côté  M'"^  Chauveau,  qui 
avait  profité  de  la  fermeture  annuelle  du  théâtre  de  Lyon 
pour  venir  à  Paris  chanter  Mignon  et  obtenir  un  succès  d'estime 
dans  un  rôle  où  jusqu'alors  M™  Galli-Marié  demeurait  sans 
rivale,  nous  trouvons  comme  débutants  :  le  1"  septembre, 
dans  le  Chalet  (rôle  de  Daniel),  M.  Raoult,  élève  de  Dupuy,  un 
ténorino  qui  avait  dû  débuter  en  1870,  avait  quitté  l'Opéra- 
Comique  pour  les  Folies-Bergère,  où  il  chanta  en  1871  une 
opérette  de  M.  Ch.  Grisart,  Memnon,  que  le  talent  de  M""=  Judic 
ne  contribua  pas  peu  à  faire  réussir,  et,  de  nouveau  laissant 
rOpéra-Comique,  alla  jouer  en  1874  la  Fille  de  madame  Angot 
aux  Folies-Dramatiques;  le  3  septembre,  dans  la  Bameblanche 
(rôle  d'Anna),  M'"^  Ganetti,  ancienne  élève  du  Conservatoire, 
dont  la  voix  souple  et  légère  avait  réussi  au  Théâtre-Lyrique 
de  l'Athénée,  et  qui  avait  paru  déjà,  bien  modestement  il  est 
vrai,  sur  la  scène  de  la  salle  Favart,  car  elle  faisait  partie  des 
pages  de  la  Fiancée  du  Roi  de  Garbe,  véritable  pépinière  de  can- 
tatrices d'où  étaient  sorties  avant  elle  M""  IVIarie  Rôze  et 
Mauduit;  le  12  septembre,  dans  Eaydée,  M"°  Chapuy,  fille 
d'un  ancien  danseur  de  l'Opéra,  et  elle-même  ancienne  artiste 
du  Vaudeville,  une  cantatrice  émérite,  pleine  de  charme  et 
de  distinction,  qui  devait  attacher  son  nom  à  plusieurs  créa- 
lions  importantes,  comme  celle  de  Micaëla  dans  Carmen,  et 
que  le  mariage  devait  enlever  trop  tôt  à  une  scène  où  bien 
des  succès  lui  semblaient  réservés;  enfin,  le  14  septembre, 
le  Pré  aux  Clercs  ramenait  M"«  Garvalho,  qui  avait  été  faire  une 
courte  saison  à  Londres,  et  Sainte-Foy,  qui  s'était  trop  long- 
temps et  bien  inutilement  attardé  en  Russie,  où  le  répertoire 
en  honneur  convenait  peu  à  son  genre  de  talent.  Ainsi  se 
comblaient  les  vides  laissés  par  M""»'  Marie  Battu  et  Moisset, 


toutes  deux  parties  pour  Bruxelles,  et  M.  Montjauze  pour 
Nantes,  M"^  Prelly  et  M.  Potel,  engagés  aux  Bouffes-Parisiens, 
ce  dernier  pour  une  année  seulement,  car  il  rentrait  dans 
Zampa  le  23  juillet  1873  par  le  rôle  de  Dandolo  et  devait  four- 
nir une  longue  carrière  à  la  salle  Favart. 

La  fin  de  l'année  réservait  la  surprise  d'un  grand  ouvrage 
composé  par  un  jeune  musicien  dont  le  bagage  dramatique 
ne  comptait  encore  qu'un  lever  de  rideau,  la  Grande  Tante. 
Cette  fois,  trois  actes  écrits  par  M.  Chantepie  lui  avaient  été 
confiés,  ei  Don  César  de  Bazan  fut  représenté  le  30  novembre. 
Tout  le  monde  a  vu  jadis  l'inimitable  Frédérik  Lemaître  dans 
ce  drame,  où  Dupeuty  et  Dennery  avaient  si  originalement 
complété  la  figure  du  personnage  inventé  par  Victor  Hugo; 
on  se  rappelle  comment,  à  la  veille  d'être  fusillé  pour  s'être 
battu  en  duel,  le  bohème  grand  d'Espagne  épouse  une  femme 
voilée  à  laquelle  il  laissera  son  nom,  la  bohémienne  Maritana, 
qui  a  touché  le  cœur  du  roi,  et  comment,  sauvé  de  la  mort 
par  le  dévouement  d'un  serviteur,  il  retrouve,  avec  la  clémence 
royale,  la  fortune  et  la  possession  de  l'inconnue  qu'il  ne 
devait  épouser  qu'm  parlibus. 

L'action  ne  manquait  pas  d'intérêt  dramatique ,  et 
M.  Massenet,  sans  donner  là  encore  toute  la  mesure  de 
ses  moyens,  savait  déjà  conquérir  l'estime  des  connaisseurs 
et  même  la  faveur  du  public  par  quelques  morceaux  de 
choix,  comme  la  jolie  berceuse  de  M™  Galli-Marié,  et  l'amu- 
santentr'acte  «  Sevillana».  La  critique,  généralement  favorable, 
sut  gré  au  compositeur  de  n'avoir  pas  «  sacrifié  le  moins  du 
monde  aux  fétiches  d'Outre-Rhin.  »  Pour  s'être  soi-disant 
rapproché  de  'Wagner,  Djamileh  n'avait  eu  que  anse  représen- 
tations ;  pour  s'en  écarter  ostensiblement,  Don  César  de  Bazan 
en  recueillait  treize.  L'écart  demeurait  peu  sensible,  et  l'on 
pouvait,  semble-t-il,  espérer  mieux  avec  une  partition  très 
intéressante  en  somme,  et  confiée  à  de  bons  interprètes, 
comme  M°"=^  Galli-Marié  (Lazarille),  Priola  (Maritana), 
MM.  Bouhy  (Don  César),  Lhérie  (le  roi)  et  Neveu  (Don  José). 
Dès  la  seconde  représentation,  on  avait  allégé  l'ouvrage  de 
deux  chœurs,  dont  celui  des  juges,  et  sans  doute,  en  cher- 
chant bien,  on  aurait  distingué  çà  et  là  quelques  traces  de 
la  hâte  avec  laquelle  il  avait  été  écrit;  mais  le  compositeur 
aurait  pu  répondre  qu'après  tout  mieux  valait  se  presser 
pour  arriver  au  jour  de  la  représentation  que  de  s'endormir 
dans  de  douces  rêveries  comme  M.  Duprato,  auquel  on  avait 
confié  d'abord  le  même  livret  en  vue  de  l'Opéra,  et  qui, 
chemin  faisant,  l'avait  abandonné. 

Veut-on  d'ailleurs  une  preuve  de  la  conscience  avec  la- 
quelle travaille  l'auteur  de  Marie-Magdeleine  et  de  Manon?  En 
voici  une,  que  nous  fournit  précisément  la  partition  de  Don 
César  de  Bazan.  Un  seul  morceau,  pour  orchestre,  en  avait  été 
primitivement  gravé,  l'Entr'acte-Sévillana.  Le  manuscrit  de 
l'auteur  servait  aux  représentations  ;  on  le  conserva  donc 
dans  la  bibliothèque  du  théâtre,  et  il  disparut  malheureuse- 
ment dans  la  fournaise,  lorsque  fut  brûlée  la  salle  dont  nous 
racontons  ici  l'histoire.  En  1889,  il  arriva  que  l'Opéra  de 
Genève  eut  l'idée  de  reprendre  cet  ouvrage  oublié  d'un 
maître  classé  désormais  parmi  les  premiers.  M.  Massenet 
dut  reprendre  sa  partition  piano  et  chant  et  instrumenter  à 
nouveau,  travail  minutieux  et  ennuyeux,  mais  auquel  il  ne 
ménagea  ni  le  soin  ni  la  peine.  Gomme  un  jour  nous  le 
voyions  plongé  dans  la  lecture  d'une  de  ses  premières  suites 
d'orchestre,  nous  lui  demandâmes  la  cause  de  cette  étude 
rétrospective.  «  C'est,  nous  dit-il,  que  je  n'écris  plus  aujour- 
d'hui comme  il  y  a  quinze  ans  ;  alors,  pour  que  l'instrumen- 
tation nouvelle  s'accorde  avec  les  idées  premières,  je  reprends 
une  œuvre  composée  à  peu  près  dans  le  même  temps,  et  je 
me  remets  en  têle  mes  procédés  d'alors,  je  rapprends  mon  or- 
chestre. »  Ajoutons  qu'il  profita  de  la  circonstance  pour  aug- 
menter son  ouvrage;  la  version  de  Genève,  adoptée  depuis 
dans  plusieurs  grandes  villes  de  province,  comprend  deux 
morceaux  qui  ne  figuraient  point  dans  la  version  de  Paris. 

(A  suivre.) 


LE  MENESTREL 


355 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Nouveautés  :  Norah  la  dompteuse,  yaudeville  en  trois  actes  de  MM.  Grenet- 
Dancourt  et  G.  Bertal.  —  Folies-Dramatiques  :  La  Fille  de  Fanchon  la  Viel- 
leuse, opéra-comique  en  quatre  actes  et  cinq  tableaux  de  MM.  Liorat, 
Busnach  et  Fonteny,  musique  de  M.  L.  Varney.  —  Nouveau-Théâtre  : 
Le  Collier  de  saphirs,  pantomime  en  deux  tableaux  de  M.  G.  Mendès, 
musique  de  M.  G.  Pierné.  —  Gymnase  :  il/on  onde  Barbassou,  comédie 
fantaisiste  en  quatre  actes,  tirée  du  roman  de  M.  Mario  Uchard,  par 
MM.  Emile  Blavet  et  Fabrice  Carré,  musique  de  M.  Raoul  Pugno. 

Voilà,  vraiment,  un  petit  sommaire  assez  respectable  et  qui  prou- 
verait péremptoirement,  si  la  température  ne  se  mêlait  aussi  de  nous 
le  faire  sentir,  que  l'hiver  est  décidément  revenu.  Les  théâtres  de 
Paris  lancent  à  foison  leurs  nouveautés;  heureux  ceux  qui,  dès 
maintenant,  mettent  dans  le  mille  ! 

Aux  Nouveautés,  j'ai  bien  peur  que  le  point  ne  soit  pas  merveil- 
leux. Il  s'agit  là  d'une  Américaine,  dompteuse  de  son  état,  Norah 
de  son  nom,  belle  de  par  la  volonté  de  dame  Nature,  qui  fait  tourner 
la  tête  à  tous  ceux  qui  ont  l'heur  de  l'approcher.  Les  galants  se 
précipitent  en  foule  dans  son  boudoir,  où  les  maris  sont  réclamés 
par  leurs  épouses.  Deux  d'entre  eux,  pour  s'échapper,  s'affublent  de 
peaux  de  fauves.  Bien  entendu,  ils  mettent  en  fuite  tous  les  assis- 
tants, non  sans  s'effrayer  fortement  l'un  l'autre. 

Si  la  pochade  de  MM.  Grenet-Dancourt  et  G.  Bertal  est  plutôt  insi- 
gnifiante, nous  n'avons  pas  la  force  de  leur  en  vouloir,  leur  tenant 
compte  d'un  bon  quart  d'heure  de  rire  sain  et  joyeux  qu'ils  nous  ont 
procuré  en  nous  montrant  les  deux  maris  enfermés  dans  une  cage 
avec  de  vrais  carnassiers.  Folie,  si  vous  voulez,  mais  bonne  folie. 
M"'"  Mathilde,  Jane  Pierny,  dont  les  jambes,  sous  le  maillot  de  la 
dompteuse,  ont  fait  sensation,  Chassin  et  Narlaj',  MM.  Mallard,  abu- 
sant d'effets  toujours  semblables,  Calvin  fils,  Mallarmé  et  M.  Dupuis, 
avec,  au  dernier  tableau,  un  essaim  de  charmants  petits  clo-\vns  très 
joliment  costumés  par  Henry  Gerbault,  présentent  en  liberté  Norah 
la  dompteuse  aux  hôtes  du  théâtre  des  Nouveautés. 

Mes  grands  et  illustres  confrères  vous  ont  tous  dit,  ou  à  peu  près, 
qu'ils  tenaient  la  Fille  de  Fanchon  la  Vielleuse  pour  un  digne  pendant 
de  la  Fille  de  Madame  Angol.  Je  ne  voudrais  pas  m'inscrire  en  faux 
contre  cette  déclaration;  mais  je  me  demande  vraiment  si  la  pièce 
nouvelle  de  MM.  Liorat,  Busnach  et  Fonteny  a  la  verve  et  la  fan- 
taisie de  celle  de  MM.  Glairville,  Siraudin  et  Koning  et  si,  malgré 
les  deux  premiers  actes  qui  sont  absolument  réussis,  la  musique  de 
M.  Louis  Varney  se  soutient,  du  commencement  ù  la  fin  de  l'ou- 
■vrage,  aussi  heureusement  que  celle  de  M.  Lecocq.  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  Folies-Dramatiques  tiennent  là  un  véritable  succès,  et 
M.Vizentini,  qui  est  un  artiste  de  race,  a  lieu  de  se  féliciter  d'avoir 
gagné  la  bataille  avec  une  œuvre  qui  s'écarte  des  insipidités  musicales 
à  la  réussite  desquelles,  hélas  !  nous  assistons  de  temps  àautre. 

Fanchon  la  Vielleuse  vient  de  mourir  en  Amérique,  confiant  au 
chevalier  Saint-Florent,  parti  pour  le  Nouveau-Monde  afin  d'y  refaire  sa 
fortune,  tout  son  petit  héritage,  renfermé  en  une  caisse,  pour  qu'il  le 
remette  à  sa  fille  Javotle,  restée  en  France.  Javelle  est  donc  convo- 
quée chez  le  notaire  Bellavoine  :  on  fait  sauter  les  scellés...  la  caisse 
ne  contient  que  la  vielle  de  la  musicienne  ambulante  !  Saint-Florent, 
habilement  interrogé  par  le  notaire,  avoue  que  Fanchon  lui  avait 
remis  trente  mille  livres,  mais  qu'à  peine  arrivé  à  Paris,  il  les  a 
risquées  au  jeu  et  perdues.  Il  promet  de  rembourser  Javotte,  qui 
n'en  est  pas  moins  obligée  de  renoncer  à  son  fiancé  Jacquot,  faute 
de  la  dot  convoitée  par  le  père,  et  de  courir  Paris  en  chantant  pour 
gagner  son  pain  quotidien.  Bellavoine,  qui,  bien  que  notaire  res- 
pectable et  marié,  ne  dédaigne  pas  les  jeunesses,  courtise  fortement 
la  jolie  Savoyarde,  pendant  que  sa  femme  se  laisse  conter  fleu- 
rette par  un  fliitiste  déliquescent,  Zéphirin.  Et  la  double  intrigue 
marche  parallèlement,  Javotte  résistant  à  Bellavoine,  M°"-  Bellavoine 
se  montrant,  par  contre,  beaucoup  moins  intraitable  avec  l'eulre- 
prenant  Zéphirin,  jusqu'au  moment  oîi  tout  se  découvre.  Tout  serait 
gâté  irrémédiablement  si  le  bon  Bellavoine  ne  consentait  à  prendre 
des  vessies  pour  des  lanternes  et  si  Je  père  de  Jacquot  ne  consen- 
tait au  mariage  de  son  fils  avec  Javotte,  Saint-Florent  ayant  rem- 
boursé les  trente  mille  livres,  regagnées  au  jeu  à  l'aide  d'une  au- 
mône que  lui  a  faite  en  cachette  la  fille  de  Fanchon. 

Tout  ceci,  vous  le  voyez,  n'a  rien  d'absolument  original  et,  n'é- 
taient plusieurs  détails  charmants  et  quelques  scènes  amusantes,  la 
pièce  ne  se  distinguerait  guère  de  ce  que  nous  avons  l'habitude  de 
voir.  La  musique,  au  contraire,  nous  a  fort  agréablement  surpris. 
Foin  de  l'opérette  et  des  flonflons  faciles  du  vaudeville,  M.  Varney 
fait  de  l'opéra-comique  et,  dans  plus  d'une  page,  du  meilleur.  J'ai 


cité  déjà  les  deux  premiers  actes,  et  j'y  reviendrai  pour  mentionner 
tout  particulièrement,  au  premier,  un  chœur  charmant:  «  La  voilà 
cette  caisse  mystérieuse,  »  dont  l'accompagnement  d'orchestre  est 
tout  à  fait  exquis,  et  une  romance:  «  Aux  montagnes  de  la  Savoie,  » 
d'une  allure  naïve  et  simple  réellement  séluisante;  au  second  acte, 
un  duetto  dans  lequel  l'auteur  s'est  adroitement  servi  de  refrains 
populaires,  un  amusant  petit  quartuetto  et  une  scène  adorable  dans 
laquelle  M"""  Thuilier-Leloir  s'est  fait  acclamer  en  modulant  à  ravir 
des  traits  et  des  phrases  chantés  par  la  flûte.  J'aime  moins  les  deux 
derniers  actes,  bien  qu'au  troisième  le  public  ait  redemandé  à  grands 
cris  une  chansonnette  comique  dont  l'effet,  je  crois,  est  dû  surtout 
à  la  façon  très  drôle  dont  elle  est  dite  par  MM.  Gobin  et  Guyon, 
et  ait  bissé  encore  un  rondo  détaillé  avec  goût  par  M""  Zélo  Duran. 
J'ai  nommé  M"""  Thuilier-Leloir,  la  triomphatrice  de  la  soirée,  qui 
s'est  montrée  comédienne  charmante  et  chanteuse  tout  à  fait  hors 
pair.  M"'  Zélo  Duran,  une  belle  personne,  MM.  Gobin  et  Guj'on, 
toujours  de  joyeux  compères.  Je  dois  aussi  des  bravos  à  M.  Larbau; 
dière,  un  fort  agréable  ténorino,  à  MM.  Belluci,  Lacroix,  M.  Lamy, 
Mesmacker,  à  M"°  Freder,  une  petite  artiste  intelligente  qui  fera 
son  chemin,  à  M.  Baggers,  qui  a  conduit  son  orchestre  avec  beau- 
coup de  sentiment  artistique,  enfin  au  directeur,  M.  Vizentini,  qui  a 
monté  la  Fille  de  Fanchon  la  Vielleuse  avec  beaucoup  de  luxe  et  de 
goût  et  sera  récompensé  de  ses  efforts  par  un  succès  que  nous 
prévoyons  des  plus  durables. 

Encouragée  par  l'accueil  fait  au  Scamarouche  de  MM.  Messager  et 
Streel,  la  direction  du  Nouveau-Théâtre  vient  de  monter,  pour 
quelques  représentations  seulement,  le  Collier  de  saphirs,  pantomime 
en  deux  tableaux  de  M.  Catulle  Mendès,  musique  de  M.  Gabriel 
Pierné,  qui  fut  représentée  l'été  dernier  à  Spa,  si  nous  avons  bonne 
mémoire.  Ainsi  donc,  la  coquette  salle  de  la  rue  Blanche  semble 
maintenant  se  vouer  à  la  véritable  et  saine  musique,  et  nous  nous 
en  réjouissons,  applaudissant  des  deux  mains  à  cette  métamorphose. 

La  fable  inventée  par  M.  Catulle  Mendès  peut  tenir  en  quelques 
mots  :  Gilles  aime  Gillette,  mais  Gilles  est  pauvre  et  Gillette  court 
après  la  richesse  ;  aussi  la  coquette  se  donnera-t-elle  à  un  vieux 
seigneur  du  voisinage  qui  lui  promet  fortune  et  hommages,  si  Gilles 
ne  peut  lui  offrir  un  collier  de  saphirs  dont  elle  a  envie.  Après  de 
vaines  supplications,  Gilles,  essayant  de  payer  le  marchand  avec 
des  vers  et  des  chansons,  se  décide  à  le  tuer  pour  entrer  en  pos- 
session du  précieux  joyau.  Son  crime  commis,  il  est  en  proie  au 
remords  et  se  pend.  Le  second  tableau  nous  le  montre  au  Paradis, 
pardonné,  parce  qu'il  a  tué  par  amour,  et  retrouvant  sa  Gillette  telle 
qu'il  la  désirait.  C'est  là  de  la  morale  de  poète. 

Le  côté  gracieux  de  cette  petite  légende  est  malheureusement  gâté 
par  des  développements  inutiles  et  des  scènes  trop  longues.  La  par- 
tition de  M.  Pierné,  d'une  orchestration  chatoyante  et  ingénieuse, 
et  d'une  grâce  souvent  captivante,  n'a  pu  suffire  à  masquer  ce  gros 
défaut,  non  plus  que  la  gentillesse  et  l'adresse  de  M"'  Peppa 
Invernizzi,  un  Gilles  très  séduisant.  Il  n'en  reste  pas  moins,  à  l'actif 
du  Nouveau-Théâtre,  un  effort  artistique  'très  appréciable. 

Ce  n'était  point  tâche  facile  que  de  tirer  une  pièce  du  roman  de 
M.  Mario  Uchard,  Mon  Oncle  Barbassou,  et,  en  relisant  ces  jours  der- 
niers le  volume,  je  me  demandais,  non  sans  craintes,  comment  les 
deux  auteurs  pourraient  arriver  à  condenser  en  quatre  actes  cette 
histoire  assez  compliquée.  MM.  Emile  Blavet  et  Fabrice  Carré  qui, 
tous  deux,  sont  gens  d'infiniment  d'esprit,  ont  fort  adroitement  résolu 
la  difficulté.  Ne  voulant  point  tromper  leur  public  ils  ont  ajouté  au 
mot  «  comédie  »  le  qualificatif  «  fantaisiste  »  et,  de  fait,  c'est  là 
surtout  une  fantaisie  aimable,  spirituelle  et  d'un  aspect  chatoj'ant. 

Du  livre,  MM.  Blavet  et  Carré  n'ont  gardé  que  les  grandes  lignes 
de  l'amour  d'André  de  Peyrade  pour  la  préférée  de  ses  houris, 
Koudjé.  Car  André  vient  d'hériter  d'un  sien  oncle,  Barbassou,  ori- 
ginal s'il  en  fut,  qui  avec  une  fortune  colossale,  lui  laisse  un 
harem  garni  de  quatre  fort  jolies  personnes.  Eoudjé  a  vite  fait  la 
conquête  de  son  nouveau  maître  qui,  par  dilettantisme,  la  sépare 
des  autres  femmes  et  la  fait  élever  dans  une  pension  de  Paris.  Un 
beau  soir,  tous  deux  se  rencontrent  dans  le  monde,  et  Koudjé,  pous- 
sée par  la  jalousie,  croyant  à  un  mariage  projeté  pour  André,  avoue 
devant  tous  les  invités  sa  véritable  position  sociale.  Le  scandale  est 
grand.  André  se  voit  obligé  de  licencier  son  harem,  non  sans  garder 
auprès  de  lui  Koudjé  dont  il  fera  M'"°  de  Peyrade.  Voilà  le  fonds. 
Les  détails  sont  fournis  par  Barbassou  lui-même  qu'on  a  cru  mort 
à  tort,  par  l'une  de  ses  épouses  légitimes,  la  comtesse  de  Monteclaro, 
et  par  le  grand  maître  du  sérail,  Mohammed. 

M""  Marguerite  Ugalde  nous  a  donné  une  tout  à  fait  charmante 
Koudjé  et,  déplus,  bous  avons  eu  le  plaisir  de  l'applaudir  dans  deux 


356 


LE  MEiNESrili:L 


fort  jolies  romances  de  M.  Raoul  Pugao  :  une  chanson  orientale 
au  rythme  langoureux  et  une  valse  que  la  salle  entière  a  rede- 
mandée. M.  Noblet  est  un  André  mondain  et  spirituel,  M.  Numès, 
un  Mohammed  absolument  impayable  et  M'""  Desclauzas  une  com- 
tesse de  Monleclaro  parfaite.  MM.  Nocl,  Hirsch  et  les  jolies  M"°*  De- 
marsy,  Lucie  Gérard,  Lécuyer  et  Bertine,  forment  un  excellent 
■ensemble.  Le  sujet  prêtait  à  la  mise  en  scène  et  M.  Koning  n'a  eu 
garde  d'y  manquer;  les  quatre  tableaux  sont  variés  et  absolument 
exquis.  Paul-Émile  Chevalier. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

CHAPITRE  VI 

LOUIS-PHILIPPE    ET   LA    II'   RÉPUBLIQUE 

(Suite) 

Les  élèves  ont  souvent  quitté  le  territoire  de  la  rue  Bergère  du- 
rant l'hiver;  on  les  a  entendus  chez  le  prince-président,  aux 
obsèques  d'Habeneck,  même  dans  les  ateliers  Gtiaix,  oîi  ils  ont 
organisé  un  concert  devant  la  statue  de  Gutenberg. 

Le  Prophète  à  l'Opéra,  à  l'Opéra-Comique  le  Toréador,  le  succès 
croissant  de  Rose  Chéri  au  Gymnase,  les  représentations  de 
M"°  Aline  Duval  au  théâtre  Montansier,  l'existence  éphémère  de 
l'opéra  boulTe  français  installé  dans  la  salle  Beaumarchais,  les 
essais  littéraires  de  M""  Augustine  Brohan  avec  un  proverbe  : 
Compter  sans  son  hôte,  joué  au  concert  de  M.  Samary,  ces  événements 
petits  et  grands  se  succèdent  jusqu'à  l'ouverture  des  concours. 

MM.  Silas  et  Saint-Saëns  se  révèlent  brillants  organistes  ;  Bizet 
et  Delibes  remportent  les  prix  de  solfège;  Wienia-wski  et  Thurner 
sont  proclamés  ex  œquo  après  la  séance  de  piano.  Un  accessit  de 
chant  récompense  M"=  Wertheimber,  MM.  Bussine  et  Depassio. 

Classe  d'opéra  :  dans  une  scène  du  Prophète,  M""  Nantier  est 
interrompue  par  les  acclamations,  puis  la  salle  entière  se  tourne 
vers  Meyerbeer,  qu'elle  associe  à  ce  triomphe.  Même  manifestation 
à  l'adresse  d'Halévy,  après  la  scène  des  cartes  de  Charles  VI. 

Le  concours  de  comédie  fait  sortir  du  rang  M"''  Fix,  Bilhaut, 
Savary,  Goblentz,  MM.  Thiboust  et  Morin. 

Pétitions,  doléances,  observations,  avis  sont  recueillis  par  M.  Du- 
fanre  dans  la  visite  qu'il  fait  au  Conservatoire  le  2  septembre.  De 
nouvelles  réparations  sont  jugées  nécessaires  et  retardent  la  rentrée 
des  classes. 

Cent  soixante-treize  prix  et  accessits  sont  proclamés  le  2  décembre; 
M.  Charles  Blanc  annonce  un  supplément  de  crédits,  parle  des  ré- 
formes projetées,  fait  espérer  le  rétablissement  du  pensionnat  pour 
les  femmes. 

Dans  la  salle  de  l'Opéra,  les  adieux  de  Duprez.  Au  deuxième 
acte  de  la  Juive,  M'"'  Miolan  et  Gastellan  entourent  leur  maître  ; 
M°"«  Viardot  lui  donne  la  réplique  dans  des  fragments  d'Othello.  La 
scène  des  tombeaux  de  Lucie,  un  Tigre  du  Bengale,  Geneviève  et  le  bal- 
let de  Gustave  complètent  le  programme. 

18S0.  —  La  discorde  est  au  camp  des  musiciens  ;  de  la  rue  Ber- 
gère est  partie  l'étincelle  qui  allume  la  guerre. 

La  comtesse  Rossi,  qui  fut  M"»  Sonlag,  tant  acclamée,  tant  fêtée, 
▼a  reparaître  devant  le  public  parisien  après  un  silence  de  vingt 
ans  ;  M.  Lumley,  son  imprésario,  demande  la  grande  salle  du  Con- 
servatoire pour  six  représentations  italiennes,  dites  concerts  costu- 
més, et  M.  Ferdinand  Barrot  l'accorde,  au  grand  scandale  de  la 
Société  des  concerts. 

Réuni  d'urgence,  le  Comité  signe  une  protestation  au  nom  de  tous 
les  membres,  professeurs  ou  élèves  de  l'École.  On  crie  au  sacrilège, 
à  la  violation  de  tous  les  droits,  au  renversement  des  traditions.  Le 
ministre  répond  que  la  salle  ne  sera  prise  qu'aux  jours  vacants, 
qu'il  s'agit  d'une  question  d'art,  que  le  «  patronage  du  gouverne- 
faient  ne  saurait  aller  jusqu'à  respecter,  comme  un  monopole,  ce 
qui  était  dans  l'origine  une  concession  gracieuse  de   souverains.  » 

Battus  sur  ce  point,  les  partisans  de  la  rue  Bergère  s'en  prennent 
à  M""'  Sontag.  On  a  dit  qu'elle  chanterait  eu  italien,  en  allemand, 
en  anglais,  en  français?  Le  beau  prodige!  Ne  se  souvient-on  plus 
déjà  que  la  Malibran,  certain  jour,  se  fît  entendre  en  sept  langues 
différentes,  joua  de  deux  instruments,  improvisa  une  romance,  et 
couronna  ces  exercices  variés  par  une  promenade  à  cheval  dans 
Hyde  Park? 


La  séance  du  19  mars  voit  l'opéra-comique  écrasé  par  la  comé- 
die. Au  sortir  du  Conservatoire,  nul  ne  parle  des  deux  actes 
d'Othello;  un  seul  nom  est  sur  toutes  les  lèvres  :  Madeleine  Brohan, 
la  Sylvia  du  Jeu  de  l'amour  et  du  hasard.  «  Elle  a  quatorze  ou  quinze 
ans  à  peine  ;  elle  est  jolie  à  dire  d'experts,  jolie  saus  contradiction 
comme  la  Suzanne  du  Figaro,  riante,  verdissante,  pleine  de  gaité, 
d'esprit.  » 

La  musique  a  bientôt  sa  revanche  avec  Joseph,  chanté  par  M"' Tille- 
mont,  Riquier,  Merly  et  Sujol. 

Des  noms,  souvent  relus  depuis,  sont  au  palmarès  de  1830  :  Lecocq, 
Planté,  âgé  de  onze  ans  et  trois  mois,  Jules  Cohen.  Le  violon  a, 
comme  le  piano,  son  petit  prodige,  Paul  Jullien,  chargé  de  dix 
printemps.  Chant  et  comédie  :  Chapuis,  Merly,  M""  Wertheimber, 
Metrème,  M""  Brohan,  Périga,  Jouassain,  Théric. 

Redingote  bleue,  la  lyre  d'or  brodée  au  collet,  des  lyres  encore  sur 
les  boutons,  vêtemeot  coquet  pour  un  collégien,  mais  sous  lequel 
basses  et  tiagédiens  avaient  étrange  tournure,  (el  élait,  au  Conser- 
vatoire, l'uniforme  des  pensionnaires. 

Désireux  de  se  présenter  au  public  en  plus  galant  appareil,  deux 
concurrents  réunissent  leurs  économies  do  l'année  et  font  emplette 
d'un  habit.  Très  applaudi,  le  premier  rentre  précipitamment  dans 
la  coulisse,  et,  reprenant  l'uniforme  délesté,  abandonne  frac  et  le 
reste  à  son  camarade.  —  Celui-là  est  moins  heureux  et,  son  air  fini, 
désespéré  de  la  froideur  de  la  salle,  s'élance  hors  du  Conservatoire, 
laissant  son  compagnon  effaré  et  anéanti  devant  la  fuile  du  costume 
de  gala.  —  C'est  ainsi  qu'on  explique,  dans  les  couloirs,  comment  un 
des  lauréats  du  chant  ne  répondit  pas,  ce  jour-là,  à  l'appel  de  son  nom. 

Tandis  qu'on  signale  les  nouvelles  éioiles,  des  gloires  du  temps 
jadis  disparaissent.  Mortes  M"'"  Gavaudan,  Boulanger,  Saint-Aubin;, 
enterrée,  aux  sons  du  Salutaris  de  Gossec,  M°"  Branchu,  une  des 
premières  élèves  de  Garai. 

A  la  distribution  des  prix,  présidée  par  M.  Baroche,  la  liste  des 
lauréats  semble  si  longue  qu'un  nouveau  règlement,  édicté  dès  le 
22  novembre,  défend  de  doubler  les  récompenses.  Seul,  le  premier 
prix  pourra  être  partagé,  si  le  jury  est  unanime  à  le  décider;  en  cas- 
de  partage  des  voix,  il  sera  attribué  au  concurrent  le  plus  âgé. 

Décorés  par  décret  du  prince-président,  Albert  Grisar  et  Alard. 


Plus  d'un  apprenti  comédien,  en  se  rendant  à  la  classe  aux  jours 
d'hiver  de  18S1,  fait  halte  devant  les  affiches  du  Gymnase  :  Geoffroy, 
Lafontaine,  Lesueur,  Dupuis,  Brossant,  Numa  y  sont  réunis  auprès- 
de  Rose  Cbéri  et  de  Mélanie,  de  M""  Luther  et  Anna  Chéri;  la  petite 
Céline  Montaland  attire  Paris  au  tliéâtre  Montansier  (Palais-Royal). 
On  annonce  les  débuts  prochains  de  M"»  Alboni  à  l'Opéra,  dans 
Zerline,  qu'Auber  termine  pour  elle  ;  M""  Sophie  Cruvelli  va  entrer  aux 
Italiens.  Ponchard,  resté  sur  la  brèche  depuis  1812,  prépare  sa 
représentation  de  retraite  :  il  sera  une  dernière  fois  le  George  Brown 
de  la  Dame  blanche. 

Dans  cette  même  année,  M.  Gounod  donnera  Sapho  à  l'Opéra  et 
M.  Ainbroise  Thomas,  .successeur  de  Spontini  à  l'Institut,  enrichira 
rOpéra-Comique  avec  Raymond  ou  le  Secret  de  la  Reine. 

La  presse  commence  à  murmurer  contre  le  sempiternel  répertoire 
de  la  rue  Bergère,  et  pourtant  la  salle  semble  insuffisante  à  contenir 
les  spectateurs  accourus  en  foule  à  l'exercice  de  mars.  Dans  l'Épreuve^ 
on  leur  présente  pour  la  première  fois  M.  Gilles  de  Saint-Germain, 
auprès  de  M'"*  Valérie  et  Savary;  deux  actes  de  Don  Juan  conduits 
par  Girard,  font  valoir  Bussine  jeune  et  Merly,  M"'"'^  Chambard  et  Til- 
lemont.  Le  mois  suivant,  une  partie  des  Noces  de  Figaro  (M""  Lareena) 
et  des  fragments  d'Orphée.  Sous  les  traits  de  l'époux  d'Eurydice 
M""  Wertheimber  est  jugée  remarquable,  rappelée,  applaudie  furieu- 
sement. Aussi  reparait-elle  dans  la  séance  de  mai,  ayant  pour  parte- 
naire M"'*  Boubert  (l'Amour).  Le  Tableau  parlant  complète  le  pro- 
gramme, avec  le  Dépit  amoureux  ;  M.  Gilles  de  Saint-Germain  a 
composé  un  Masoarille  tout  de  finesse. 

Nous  retrouvons  tous  ces  jeunes  artistes  aux  jours  solennels  des 
concours.  En  tête  des  classes  d'opéra-comique.  M""  Tillemont  et 
M.  Bussine  ;  1"'  accessit  :  M.  Faure  ;  la  séance  d'opéra  est  un  succès 
incontestable  pour  M"'  Wertheimber.  M'"  Périga  et  M.  Charles 
Lemaitre  défendent  le  drapeau  de  la  tragédie.  M""  Savary  et  Valérie, 
MM.  Lesage  et  Gilles  de  Saint-Germain  reçoivent  les  suffrages  du 
jury  de  comédie,  au  sein  duquel  trône  M""  Georges,  entourée  de 
MM.  Got  et  Leroux. 

Pour  pernKiltre  aux  voix  de  se  reposer,  les  concours  de  chant, 
d'opéra-comique  et  d'opéra  ont  été  mêlés  à  ceux  des  instruments  ; 
auprès  de  MM.  Colin,  Boutmy,  Ferrand,Llorenz,Garcin,de  M"'' Jaurès, 
nous   trouvons    M.    Bonnehée,     M""'    Wertheimber,    Loustauneau , 


LE  MEiNhSlilLiL 


357 


Ghambard,  Boulard  et  Geismar.  M.  Saint-Saëns  a  le  prix  d'orgue, 
M.  Leeocq  remporte  un  accessit  de  contrepoint  et  M.  Bizet  arrive 
le  second  parmi  les  pianistes  lécompensés. 

Prix  do  Rome  de  18SI  :  M.  Delehelle,  dont  les  interprètes  ont  été 
M"=''  Miolan,  Merly  et  Boulo. 

*  * 

Les  critiques  l'emportent;  Auber  se  résigne  à  varier  le  programme 
des  exercices,  tout  en  bannissant  impitoyablement  ses  œuvies  de  la 
scène  du  Conservatoire. 

Voici,  en  18S2,  les  Folies  amoureuses,  précédées  d'une  ouveiture  rie 
M.  Jonas,  et  Jean  de  Paris  (MM.  Sapin,  Bonnehée,  Faure;  M""  Lar- 
cena  et  Boulait). 

L'orchestre  des  é  èves,  sous  la  direction  de  M.  Massart,  est  en 
progrès  constants  ;  il  fait  merveille  dans  Vlrato  (11"°  Girard)  ;  son 
entrain  est  plus  remarqué  encore  à  la  séance  du  18  juin.  Joconde 
est  un  double  succès  pour  M.  Sapin,  «  né  acteur,  chanteur  char- 
mant »  ;  M.  Faure  paraît  dans  uu  rôle  sacrifié.  Avec  les  Précieuses 
ridicules,  la  musique  ne  perd  pas  complètement  ses  droits  ;  des  ap- 
plauflissements  prolongés  prouvent  à  M.  Gilles  de  Saint-Germain 
combien  on  apprécie  son  goût  et  son  adresse  dans  la  chanson 
impromptu  :  «  Ohl  oh!  je  n'y  p-enais  pai  garde.  » 

Peu  d'inconnus  d'aujourd'hui  parmi  les  lauréats  :  nomination  dans 
la  classe  de  contrepoint,  M.  Jules  Cohen.  Prix  de  piano  :  Bizet  et 
Savary  ;  accessit:  Ketlerer.  Les  meilleurs  violonistes  s'appellent 
Lancien  et  Viault;  M.  Lamoureux  figure  aussi  au  palmarès.  Chant  : 
pas  de  l"  prix  pour  les  femmes;  le  second  est  accordé  à  M"°  Boular', 
qui  a,  dans  Actéoyi.  partagé  le  succès  de  M.  Faure  (l"'  prix).  A  citer 
encore  dans  les  classes  d'opéra  et  d'opéra-coraique  MM.  Faure, 
déjà  couronné,  Beckers,  Bonnehée,  Sapin,  M"''  Geismar. 

La  tragédie  ne  brille  pas  d'un  vif  éclat,  et  n'obtient  qu'un  second 
accessit,  en  la  personne  de  M.  Vonoven.  En  revanche,  la  comédie 
remporte  quatre  premiers  prix  :  M""  Valérie  et  Arsène,  MM.  Lesage 
et  Gilles  de  Saint-Germain;  2"  prix  :  M""  Emilie  Dubois; 
accessits  :  M"'=*  Feraudy  et  Rousselle. 

Au  jour  de  la  distribution,  l'Ecole  est  redevenue  «  Conservatoire 
Impérial  de  musique  et  de  déclamation  »  ;  M.  Romieu,  directeur 
des  Beaux-Arls,  attache  le  ruban  rouge  à  la  boutonnière  de  Leborne, 
le  maître  d'Aimé  Maillart,  le  musicien  érudit  dont  les  élèves  s'ap- 
pellent Duprato,  Savard,  Franck,  Poisot. 

(A  suivre.)  André  M.4rtinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Les  journaux  italiens  sont  unanimes  à  constater  le  très  grand  succès 
du  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  l'Amico  Fritz,  dont  la  représentation  au 
Costanzi  de  Rome,  après  le  triomphe  de  sa  Cavalkria  rusticana,  était  une 
nouvelle  et  décisive  épreuve  à  subir  pour  le  talent  du  jeune  compositeur. 
Celui-ci  n'a  pas  faibli  dans  ce  combat  si  important,  et  il  en  est  sorti  com- 
plètement vainqueur.  Voici  comment  l'un  des  premiers  critiques  d'outre- 
monts,  M.  Zuliani,  apprécie,  dans  l'Italie,  la  valeur  de  la  partition  de 
l'Amico  Fritz,  qui  a  été  accueillie  par  le  public  avec  d'unanimes  applau- 
dissements :  —  «  L'Amico  Fritz  signale  un  progrès  remarquable  sur  la 
Cavalleria  rusticana;  l'inspiration  en  est  plus  élevée,  plus  idéale,  la  mélo- 
die est  spontanée,  originale,  expressive,  caractéristique;  la  forme,  dans 
les  morceaux  qui  ont  le  plus  frappé  le  public,  est  plus  choisie  ;  l'orcties- 
tration  plus  élégante,  plus  fine.  Le  musicien  s'est  révélé  sous  un  aspect 
nouveau  :  cciui  de  l'artiste  qui  sent  toute  la  délicatesse  d'un  sujet  poé- 
tique, idyllique,  et  sait  trouver  dans  son  cœur  les  notes  pour  l'exprimer. 
La  romance  pathétique  et  très  belle  de  Suzel  dans  le  premier  acte  ;  le 
charmant  et  délicieux  duo  des  cerises,  ainsi  que  le  duo  qui  le  suit;  le 
finale  du  second  acte  ;  la  romance  du  ténor  au  troisième  acte,  sont  des 
morceaux  d'une  très  grande  valeur  comme  inspiration,  sentiment  exquis 
et  facture.  On  y  trouve  le  sou01e  divin  de  l'âme,  et  c'est  avec  raison  que 
M.  Levi  dit  :  i  Si  nous  n'avons  pas  le  chef-d'œuvre,  nous  avons  le  com- 
positeur de  génie.  »  La  vive  et  profonde  émotion  que  ces  morceaux  ont 
soulevée  dans  le  public  ne  peut  se  décrire  :  critiques  sévères  et  érudits, 
professeurs  de  musi  que,  artistes,  dames  de  la  plus  haute  aristocratie,  applau- 
dissaient et  demandaient  le  bis  avec  une  ardeur  et  une  chaleur  égales  à  celles 
de  la  foule  qui  se  pressait  au  parterre  et  aux  galeries  ;  c'était  une  explosion 
d'enthousiasme  qui  s'est  reproduite  à  la  seconde  représentation,  pour  les 
mêmes  morceaux.  Que  pouvait-on  espérer  de  plus  de  M.  Mascagni '?  Un  chef- 
d'œuvre?  Il  en  écrira  peut-être,  nous  l'espérons,  mais  aujourd'hui  nous 
n'en  demandons  pas  tant  et  la  belle  musique  nous  suffit,  comme  elle  a 
suffi  au  public  intelligent  ;  c'est  l'affirmation  d'un  talent  réel  et  sympa- 
thique, la  confirmation  que  le  jeune  maestro  a  vraiment  la  veine  de  la 
mélodie  et  possède,  avec  la  faculté  de  créer  de  belles  mélodies,  l'art  et  le 


goût  de  les  présenter  dans  la  forme  artistique  la  plus  sympathique.  <» 
Ajoutons  que  l'interprétation  de  l'œuvre  nouvelle  a  été  excellente  dans 
toutes  ses  parties.  M""  Galvé  s'est  montrée  extrêmement  remarquable  dans 
le  rôle  de  Suzel,  où  elle  a  excité  toutes  les  sympathies  ;  M.  De  Lucia  a 
chanté  celui  de  Fritz  avec  un  sentiment  exquis,  M.  Lhérie  a  fait  une 
excellente  création  de  celui  du  rabbin,  et  M'"'  Synnenberg  est  charmante 
dans  celui  de  Beppe.  Enfin,  M.  Sonzogno  a  déployé  pour  l'Amico  Fritz  une 
mise  en  scène  qui  fait  honneur  au  théâtre  Costanzi,  et  rien  n'a  été  négligé 
pour  assurer  te  succès  de  l'ouvrage,  aujourd'hui  certain. 

—  On  sait  qu'il  arrive  souventen  Italie  qu'un  journal  artistique  se  fonds 
en  prenant  pour  titre  celui  d'un  ouvrage  dramatique  à  grand  succès.  C'est 
ainsi  qu'on  a  eu  tour  à  tour  le  Trovatore,  Rigolelto,  Carmen,  Fra  Diavolo  et 
bien  d'autres.  Cette  consécration  d'un  nouveau  genre  ne  devait  pas  man- 
quer au  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni.  Voici  qu'on  annonce  l'apparitioE 
à  Milan  d'une  nouvelle  feuille  théâtrale  qui  se  publiera  sous  le  titre  de 
l'Amico  Fritz. 

—  Tout  en  s'occupant  de  la  célébration  du  centenaire  de  la  naissance 
de  Rossini,  la  Philharmonique  de  Florence  n'oublie  pas  celle  du  cente- 
naire de  la  mort  de  Mozart.  Une  grande  réunion  a  eu  lieu,  à  cet  effet, 
dans  la  salle  de  l'Institut  musical,  à  laquelle  ont  pris  part  MM.  Gandolfi, 
Vanuccini,  Cortesi,  Buonamici,  Sbolgi,  le  marquis  Philippe  Torrigiani, 
président  de  l'Institut,  le  marquis  G-ino  Maria  de'  Mari,  et  quelques  autres 
sommités  de  l'art  florentin.  Il  a  été  décidé  que  l'on  donnerait  deux 
grandes  séances  de  musique  de  Mozart,  une  de  musique  de  chambre  et  de 
chant,  dans  laquelle,  entre  autres,  M.  Buonamici  exécuterait  la  grande  Fan- 
(rtisi'e  ei /'uffue  du  maitre,  tandis  que  diverses  œuvres  instrumentales  seraient 
interprétées  par  le  Trio  Florentin  composé  de  MM.  Osvald  et  Gajani  et  de 
Mlles  Gordigiani  et  Galeotti,  l'autre  de  musique  symphonique  et  vocale. 
Dans  le  programme  de  celle-  ci,  dirigée  par  M.  Jefte  Sbolgi,  seraient  compris 
la  symphonie  en  iit  mineur,  le  Dies  irœ  du  Requiem  et  le  Magnificat.  De 
nombreux  amateurs  de  Florence,  hommes  et  femmes,  se  sont  déjà  fait 
inscrire  pour  chanter  dans  les  chœurs,  qui  seront  placés  sous  la  directioe 
de  M.  Landini. 

—  Il  est  question  de  donner  au  théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  l'opéra  de 
M.  Jules  Gottrau,  GriseMa,  dont  le  succès  a  déjà  été  très  vif  à  Florence,  i 
Malte  et  à  Turin.  M.  Cottrau  est  un  compositeur  d'origine  française,  donït 
le  grand-père  fut  secrétaire  général  du  ministère  de  la  marine  sous  \z 
Convention  et  sous  le  Directoire. 

—  A  Milan,  le  théâtre  Garcano  se  prépare  à  ouvrir  une  saison  musicale 
et  vient  de  publier  son  cartellone.  Parmi  les  ouvrages  annoncés,  se  trouvent 
Néron,  non  celui  de  M.  Boito,  comme  on  pourrait  le  croire,  mais  un  opéra, 
nouveau  de  M.  Riccardo  Rasori,  et  Otello,  non  celui  de  Verdi,  mais  le 
vieil  opéra  de  Bossini. 

—  On  a  représenté  avec  succès  au  théâtre  Parthénope,  de  Naples,  une 
nouvelle  opérette,  Canerina,  musique  de  M.  Gaetano  Scognamiglio,  et  k 
Turin,  au  théâtre  turinois,  une  autre  opérette,  la  Figlia  del  Sole,  musique 
de  M.  Pasquale  Rispetto.  On  annonçait  pour  le  31  octobre,  au  théâtre 
Mercadante,  de  Naples,  un  troisième  ouvrage  du  même  genre,  il  Sultano 
di  Schabahama,  paroles  de  M.  Gennaro  Pastore,  musique  de  M.  Nino 
Gisobava,  et  pour  le  1"'  novembre,  au  théâtre  d'Esté,  la  première  repré  • 
sentation  d'^nnmrt, opéra  nouveau  du  maestro  Deola,  directeur  de  l'Institat 
philharmonique  de  cette  ville. 

—  On  a  dû  exécuter  le  4  novembre,  à  Rovalo  (province  de  Brescia),  un« 
nouvelle  messe  inédite  du  maestro  Antonio' Cagnoni,  l'auteur  applaudi 
de  Don  Bucefalo,  de  Michèle  Perrinet  d'autres  ouvrages  fort  estimés  en  Italie. 
L'exécution  de  cette  messe  était  confiée  à  un  ensemble  de  cinquante  ins- 
trumentistes et  chanteurs.  Les  soli  devaient  être  chantés  par  un  ténor 
renommé  de  Brescia,  M.  Pasini. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (b  novembre).  —  M.  Brunea.u 
préside,  à  la  Monnaie,  aux  répétitions  du  Rêve,  dont  la  première  aura  lieu 
la  semaine  prochaine,  et  dont  l'interprétation  est  confiée  à  M"«  Chrétien 
et  de  Béridès,  à  MM.  Leprestre,  Seguin  et  Dinard.  On  attend  aussi  M.  Gal- 
let,  et  M.  Emile  Zola  lui-même  a  promis  de  venir.  Les  éludes  de  cet 
opéra  fin  de  siècle  auront  été,  comme  vous  voyez,  singulièrement  vite 
menées,  et  aucun  élément  d'attraction  personnelle  ne  lui  manquera.  A 
Bruxelles,  M.  Bruneau  a  été,  parait-il,  émerveillé  de  la  façon  dont  l'or- 
chestre de  la  Monnaie  a  lu,  dès  la  première  répétition,  son  ouvrage;  étant 
données  les  difficultés  qui  y  sont  accumulées,  son  émerveillement  constitue 
un  éloge  d'une  singulière  valeur.  On  est  assez  curieux  de  voir  comment 
le  Rêve  sera  accueilli  ici,  où  les  intransigeances  et  les  audaces  ne  font  pas 
peur;  déjà  les  discussions  vont  leur  train;  et,  à  ce  point  de  vue,  la  «  pre- 
mière »,  devant  un  public  ordinairement  éclairé,  impartial,  et  très  franc 
dans  les  manifestations  de  ses  sentiments,  aura  peut-être  quelque  portée. 
—  En  attendant,  nous  avons  eu  l'autre  jour  Carmen,  pour  les  débuts  de 
M"'  de  Béridès.  La  nouvelle  venue  est  étrangère,  comme  plusieurs  autres 
artistes  de  la  Monnaie;  on  s'en  aperçoit  à  son  accent,  et  cela  a  nui  quelque 
peu  à  la  composition  du  rôle  et  à  son  interprétation  scénique;  mais  la 
voix  est  d'un  beau  timbre,  sympathique  et  chaud,  et  l'artiste  n'en  tire  pas 
un  trop  mauvais  parti.  Dans  cette  reprise,  assez  inégale,  quoique  d'un  bon 
ensemble  dans  les  rôles  secondaires,  on  a  fêté  surtout  M"^  Carrère  (Mi- 
caëla),  qui,  cette  fois  encore,  a  eu  les  honneurs  de  la  soirée,  avec  M.  Ba- 


358 


LE  MÉNESTREL 


diali,  un  excellent  Escamillo.  Après  le  Rcoc,  nous  aurons  Barbcrine, 
l'opéra-comique  inédit  de  M.  de  Saint-Quentin,  et  le  ballet,  également 
inédit,  de  notre  compatriote  M.  Léon  Dubois,  dont  je  vous  ai  parlé,  mais 
qui  changera  de  titre;  au  lieu  de  l'Ile,  il  s'appellera  décidément  Smylis. 
Mais  il  y  aura  une  ile  tout  de  même.  Pour  votre  gouverne,  File  dont  il 
s'agit  n'est  autre  que  l'île  de  Lesbos.  De  là,  sans  doute  la  difiSculté  de 
trouver  un  titre  suffisamment  explicatif  et  sufEsamment...  discret.  Nous 
verrons  comment  les  axiteurs  se  seront  tirés  d'affaire.  Enfin,  il  n'est  pas 
certain  du  tout  que  nous  n'aurons  pas  Chevalerie  rustique;  les  pourparlers 
ont  été  repris,  et  aboutiront  sans  doute.  —  Au  moment  de  fermer  ma 
lettre,  j'apprends  l'engagement  de  M"=  Carrère  à  l'Opéra,  pour  la  saison 
prochaine.  M'"  Carrère  remplacera,  parait-il,  M'"=  Lureau-Escalaïs  dans 
ses  rôles  et  dans  son  emploi;  elle  y  sera  bien  à  sa  place,  et  ne  manquera 
pas  de  rendre  à  l'Académie  nationale  les  services  qu'elle  a  rendus  ici 
depuis  deux  ans,  toujours  sur  la  brèche  et  sans  cesse  en  progrès,  —  une 
vraie  artiste,  doublée  d'une  fort  jolie  femme.  Elle  laissera  un  vide  à  la 
Monnaie  et  y  sera  fort  regrettée.  ,  L.  S. 

—  A  Bruxelles,  trois  nominations  de  professeurs  au  Conservatoire. 
M.  Camille  Gurickx  succède  définitivement  au  regretté  Auguste  Dupont 
comme  professeur  d'une  classe  féminine  de  piano,  qu'il  dirigeait  déjà 
comme  intérimaire  depuis  la  mort  du  titulaire.  M.  Alphonse  Goeyens  est 
"nommé  professeur  de  trompette,  et  M.  Emile  Agniez  professeur-adjoint  de 
la  classe  d'ensemble  instrumental. 

—  Le  théâtre  royal  de  Liège  a  rouvert  très  heureusement  ses  portes 
avec  une  reprise  d'Hérodiade,  qui  paraît  avoir  eu  le  plus  brillant  succès, 
si  l'on  en  croit  les  feuilles  de  l'endroit.  Le  directeur,  M.  Bussac,  un  artiste 
soigneux,  n'a  rien  négligé  pour  donner  à  la  mise  en  scène  et  à  l'interpré- 
tation tout  le  lustre  possible  avec  les  ressources  dont  il  pouvait  disposer. 
C'est  le  ténor  Lamarche  qui  tenait  le  rôle  de  Jean,  et  M.  Glaeys,  que  l'on 
a  entendu  quelque  temps  à  l'Opéra  de  Paris,  celui  d'Hérode.  Une  basse 
de  talent,  M.  Joël  Fabre,  représentait  Phanuel,  M"»  Balliste,  Salomé,  et 
M""  Bouvière,  Hérodiade.  C'est  là  un  ensemble  d'artistes  de  véritable  mérite, 
comme  on  en  trouve  rarement  réunis  sur  une  même  scène  de  province. 

—  Un  directeur  de  théâtre  qui  laisse  ses  artistes  en  gage!  Il  a  paru 
dernièrement  dans  les  journaux  belges  une  annonce  par  laquelle  M.  D., 
directeur  de  théâtre,  demandait  des  artistes  pour  une  tournée  lyrique  dans 
des  villes  de  premier  ordre.  Treize  chanteurs  et  chanteuses  se  présentèrent 
et  furent  agréés.  La  compagnie  se  réunit  à  Bruxelles  et  logea  dans  un  des 
premiers  hôtels.  Dès  le  lendemain  de  son  séjour,  le  directeur  alla  trouver 
le  propriétaire  de  l'hôtel  et  lui  dit  d'un  ton  dégagé  :  «Auriez-vous  par 
hasard  10,000  francs  de  disponibles?  —  10,000  francs,  pourquoi  faire? 
—  Voilà  ;  mon  banquier  de  Milan  me  fait  attendre.  Prétez-moi  cette 
somme  jusqu'à  demain  ou  après-demain.  —  Oui,  mais  contre  quelle 
garantie?  —  Quelle  garantie?  mais  celle  que  vous  offrent  quatorze  artistes 
qui  habitent  sous  votre  toit.  Il  me  semble  que  cela  suffit.  Les  bagages 
seuls...  —  C'est  parfait,  interrompit  l'aubergiste,  je  m'en  rapporte  à 
vous.  Dans  un  quart  d'heure  je  vous  remets  la  somme.  »  —  Ce  que  le  lec- 
teur a  déjà  prévu  et  ce  que  l'aubergiste  avait  oublié  de  prévoir  arriva  : 
Deux  jours  après,  l'imprésario  avait  disparu,  abandonnant  tout  son  monde, 
qui  pouvait  désormais  se  considérer  comme  doublement  rai/njé.  Les  artistes 
n'étaient  d'ailleurs  pas  trop  à  plaindre  :  ils  étaient  nourris  et  logés  gratis, 
le  propriétaire  ne  pouvant  les  laisser  mourir  de  faim  sans  diminuer  con- 
sidérablement leur  valeur.  Pourtant,  au  bout  d'une  semaine,  quand  il  fut 
persuadé  que  son  débiteur  ne  reviendrait  jamais,  et  que  ses  otages  fini- 
raient bientôt  par  le  ruiner,  il  les  remit  tous  en  liberté,  à  l'exception  tou- 
tefois d'une  jeune  prima  donna,  alsacienne  de  naissance,  qui  avait  con- 
senti à  lui  tenir  lieu  de  dommages-intérêts  ! 

—  Nouvelles  de  Londres.  —  L'Opéra  Royal  anglais  faisait  sa  réouverture 
avant  hier  par  la  première  représentation  de  la  version  anglaise  de  la 
Basoche.  Le  charmant  opéra-comique  de  MM.  Carré  et  Messager  a  triomphé 
bien  facilement  sous  sa  nouvelle  forme.  Son  succès  sera  encore  plus  mar- 
qué lorsque  l'action  sera  menée  plus  vivement,  et  surtout  lorsqu'on  se 
décidera  à  supprimer  les  épisodes  comiques  de  l'aubergiste,  amplifiés 
outre  mesure  par  les  traducteurs  ou  l'interprète  du  rôle.  L'exécution  de 
la  Basoche  est  excellente  dans  son  ensemble.  Il  ne  manque  à  M""'  Lucile 
Hill  qu'un  peu  plus  de  vivacité  pour  être  une  Colette  tout  à  fait  char- 
mante :  sa  jolie  voix  s'est  fait  justement  applaudir  dans  les  divers  mor- 
ceaux du  rôle.  M"=  Palliser  est  une  fort  gentille  Marie  d'Angleterre, 
chantant  très  agréablement.  La  voix  courte  de  ténor  de  M.  Ben  Davies  se 
prête  facilement  et  avec  de  rares  changements  au  rôle  créé  par  M.  Sou- 
lacroix.  M.  Ben  Davies  est  un  chanteur  de  goût,  bien  que  comédien 
médiocre,  et  son  succès  a  été  considérable.  Il  faut  cependant  lui  rappeler 
que  son  Clément  Marot,  barbu,  est  tout  à  fait  invraisemblable.  M.  Van 
Dyck  n'avait  pas  hésité  à  sacrifier  sa  moustache  au  rôle  de  Des  Grioux  ; 
M.  Ben  Davies  devrait  en  faire  autant,  s'il  a  souci  de  la  composition  de 
son  personnage.  Un  débutant,  M.  Bispham,  a  remporté  un  franc  succès 
dans  le  rôle  du  duc  de  Longueville,  qu'il  a  joué  et  chanté  d'une  façon  très 
artistique.  La  Basoche  est  montée  d'une  façon  irréprochable  :  les  décors 
et  les  costumes  sont  éblouissants  et  sont  une  reconstitution  fidèle  de 
l'époque.  On  peut  même  se  demander  si  la  somptuosité  du  cadre  ne  nuit 
pas  quelque  peu  à  l'effet  de  la  fantaisie  historique  de  M.  Carré,  qu'on  est 
tenté  de  prendre  trop  au  sérieux  et  dont  l'invraisemblance  ne  choque  que 
davantage.  A.  G.  N. 


—  Mœurs  cléricales  en  Angleterre.  —  Un  journal  de  Londres,  le  Monde 
chrétien,  discute  gravement,  dans  un  de  ses  derniers  numéros,  la  question 
de  savoir  s'il  est  convenable  pour  un  prêtre  de  chanter  en  public,  —  en 
dehors  de  l'église,  bien  entendu.  Tous  les  intéressés  ont  été  invités  à  s'ex- 
pliquer sur  ce  cas,  monstrueux  à  nos  yeux,  mais  qui  chez  nos  voisins  n'a 
rien  d'extraordinaire.  Un  des  révérends  mis  en  cause  se  disculpe  en  ces 
termes  :  «  Je  suis  un  ministre  chanteur,  je  l'ai  toujours  été  et  j'espère 
bien  le  rester  toujours.  Chanter  est  pour  moi  un  besoin  :  à  la  chaire,  au 
pupitre,  chez  moi,  sur  l'estrade,  au  concert  et  dans  les  réunions  sociales, 
partout  je  chante.  Pourquoi  Dieu  m'a-t-il  gratifié  d'une  voix  de  baryton, 
si  ce  n'est  pour  m'en  servir?  Si  je  chante  de  la  musique  séculière,  me 
demandez-vous?  Mais  certainement.  Il  existe  un  très  grand  nombre  de 
chansons  d'un  sentiment  foncièrement  honnête  et  élevé,  qui  valent  la 
peine  d'être  chantées,  et  quand  ma  vie  en  dépendrait,  je  ne  vois  pas  ce 
qu'il  y  a  de  mal  pour  un  prêtre  à  chanter  en  public,  pas  plus  que  de 
jouer  au  tennys,  au  cricket,  à  monter  à  cheval,  à  conduire,  à  ramer, 
à  marcher,  à  manger  et  boire  en  public,  du  moment  que  ce  n'est  pas 
dans  une  maison  publique  (terme  anglais  pour  débit  de  vins).  Pourquoi 
serions-nous  tenus  en  servage  à  cause  de  quelques  vieilles  prudes 
d'esprit  étroit?  » 

—  Le  Guide  musical  nous  apporte  des  détails  assez  curieux,  et  qui  ne 
sont  pas  à  l'honneur  de  la  presse  allemande,  sur  la  saison  musicale  de 
Berlin,  en  ce  qui  concerne  les  concerts.  «  La  saison  des  concerts,  dit  ce 
journal,  vient  à  peine  de  s'ouvrir  à  Berlin,  et  déjà  les  critiques  se  plai- 
gnent d'être  mis  à  contribution  d'une  façon  excessive.  Il  parait  que  jamais 
on  n'a  vu  pareil  chiffre  de  concerts  annoncés,  et  chaque  jour  de  nouvelles 
entreprises  viennent  s'ajouter  à  celles  qui  sont  depuis  longtemps  en  pos- 
session de  la  faveur  publique.  Le  nombre  des  artistes  qui  voudraient  se 
faire  entendre  à  Berlin,  cette  année,  dépasse  toutes  les  prévisions.  Tout 
ce  qui,  en  Allemagne,  tapote  du  piano,  tient  un  archet,  racle  du  violon- 
celle ou  joue  du  gosier,  converge  vers  la  capitale,  afin  d'y  obtenir  la  con- 
sécration du  grand  public  de  la  Welstadt.  La  plupart  de  ces  malheureux 
sont  obligés  de  jouer  pour  rien  et  de  faire  même  les  frais  de  location 
d'une  salle,  d'affichage,  d'impression  des  programmes,  etc.  Pour  beaucoup, 
c'est  la  ruine.  Mais  la  grande  aft'aire  pour  tous  est  de  pouvoir,  rentrés 
dans  leur  province,  montrer  un  bout  d'article  de  journal  mentionnant 
qu'ils  ont  joué  devant  le  public  berlinois  et  qu'ils  y  ont  obtenu  du  suc- 
cès. Pour  certains  journaux,  la  réclame  aux  artistes  novices  est  devenue 
une  véritable  mine  d'or.  Les  éloges  sont  tarifés  ;  c'est  tant  pour  tel  adjec- 
tif simple,  tant  pour  un  comparatif,  tant  pour  un  superlatif.  Les  journaux 
de  musique  déplorent  avec  raison  cette  situation,  qui  n'est  pas  pour  re- 
hausser la  renommée  artistique  de  la  capitale  allemande.  » 

—  Nous  signalions  récemment  la  reprise,  au  théâtre  grand-ducal  de 
Carlsruhe,  d'un  opéra  de  Méhul,  Uthal.  Aujourd'hui  nous  avons  à  enre- 
gistrer la  réapparition,  à  Leipzig,  du  chef-d'œuvre  du  vieux  maître,  Joseph 
en  Egypte,  selon  le  titre  généralement  adopté  en  Allemagne. 

—  Le  prix  annuel  de  composition  de  la  fondation  Mendelssohn,  insti- 
tuée à  Berlin,  vient  d'être  décerné  à  M.  Edouard  Behm,  de  Stettin.  Le 
lauréat  est  un  ancien  élève  du  Conservatoire  de  Leipzig  et  de  l'Ecole 
supérieure  de  musique  de  Berlin.  Le  prix  d'exécution  au  piano,  de  la 
même  fondation,  a  été  partagé  entre  M"'  Felice  Kirchdorffer,  élève  du 
Conservatoire  Hoch,  à  Francfort,  et  M"«  Betty  Schwab,  élève  de  l'Ecole 
supérieure  de  musique  de  Berlin.  Des  allocations  ont,  de  plus,  été  ac- 
cordées à  M.  R.  Lentz,  de  Budapesth,  élève  de  l'Ecole  supérieure  de 
Berlin,  et  à  M"=  Minna  Rode,  élève  du  Conservatoire  Hoch,  à  Francfort- 
sur-le-Mein. 

—  La  Musikalische  Rundschau,  de  Vienne,  publie  un  article  assez  curieux 
sur  les  coutumes  théâtrales  de  la  capitale  autrichienne  au  siècle  dernier. 
Le  célèbre  théâtre  do  la  Porte  de  Carinthie,  dont  les  Viennois  se  montrent 
si  fiers,  avait,  en  1783,  la  spécialité  des  pièces  carnavalesques,  d'où  le 
dialogue  était  presque  totalement  exclu  ;  on  le  remplaçait  par  de  la  mi- 
mique, des  cris  d'animaux,  des  contorsions  et  des  axeroices  de  gymnas- 
tique en  tous  genres.  Le  public  accourait  en  foule  à  ces  représentations 
et  la  direction  faisait  de  superbes  affaires.  Les  artistes  étaient  rétribués 
d'une  façon  tout  à  fait  originale  ;  ni  cachets,  ni  mensualités,  mais  des 
primes  pour  chaque  catégorie  de  gestes  et  de  mouvements,  suivant  un 
tarif  établi  d'avance.  Pour  chaque  saut  en  l'air,  l'artiste  touchait  un  gul- 
den;  tombait- il  dans  l'eau,  on  lui  attribuait  la  même  somme;  recevait- 
il  une  volée  de  coups  de  bâton,  il  avait  droit  à  21  kreuzers  ;  une  claque 
ou  un  coup  de  pied  étaient  taxés  à  30  kreuzers,  et  ainsi  de  suite.  Les 
artistes  privilégiés  étaient  nécessairement  ceux  qui  subissaient  le  plus 
de...  désagréments:  à  la  fin  de  la  soirée,  ils  s'en  retournaient  moulus, 
mais  la  sacoche  pleine.  Certaine  affiche  de  1767,  ornée  de  caricatures 
suivant  l'usage  de  l'époque,  était  ainsi  conçue  :  «  Aujourd'hui,  on  repré- 
sentera une  pièce  de  haut  burlesque,  pleine  d'intrigues,  de  gaieté,  digne 
d'être  vue  en  un  mot,  intitulée  :  //  n'y  a  rien  de  plus  fou  au  monde  qu'une 
jalousie  sans  raison  entre  époux  raisonnables,  —  avec  Arlequin,  un  aubergiste  plai- 
sant, un  mari  jaloux,  un  grotesque  procurateur  de  la  paix  domestique  (?),  des 
femmes  à  la  mode,  des  tableaux  nuptiaux  (1 1}  et  un  commissaire  brutal.  L'em- 
pereur Joseph  essaya  d'affiner  le  goût  du  public  en  accordant  son  pro- 
tectorat au  Burg-Theater  et  en  n'y  autorisant  que  de  bonnes  pièces,  mais 
la  conséquence  de  cette  mesure  fut  que  la  plupart  des  abonnés  se  reti- 
rèrent. Le  souverain   ne  se  découragea   pas    pour  cela.  Il  récompensa  le 


LE  MENESTREL 


339 


zèle  des  artistes  d'une  façon  magnifique  ;  à  celui-ci,  qui  s'était  particuliè- 
rement distingué,  il  remit  la  recette  totale  de  la  soirée,  à  celui-là  il  fit 
faire  son  portrait  par  un  peintre  célèbre  et  en  orna  le  foyer  du  théâtre. 

—  M.  "Werner,  organiste  à  Baden-Baden,  et  élève  de  M.  Alexandre 
Guilmant,  vient  d'introduire  l'orgue  Mustel  en  Allemagne,  dans  deux 
concerts  qu'il  a  donnés  avec  grand  succès  à  Baden-Baden  et  à  Carlsruhe. 
«  L'instrument  Mustel,  dit  le  Journal  de  Baden-Baden,  se  fait  remarquer  par 
jine  intonation  parfaite  et  caractéristique,  et  développe  une  finesse  d'ex- 
pression comme  nous  n'en  avons  pas  encore  entendu  jusqu'ici  de 
semblables  instruments,  grâce  à  son  invention  de  la  double  expression. 
M.  Werner,  qui  le  possède  à  fond,  a  exécuté  en  maître  des  compositions 
de  Haendel,  LuUi,  Guilmant  et  Godard,  et  a  été  l'objet  de  plusieurs  rap- 
pels. C'est  un  succès  pour  la  facture  française  et  nous  sommes  heureux 
de  l'enregistrer.  » 

—  Des  dépêches  parvenues  de  Russie  nous  ont  apporté  l'écho  de  l'écla- 
tant succès  remporté  par  M.  Colonne  et  par  les  concerts  de  musique 
française  que  l'éminent  artiste  est  allé  diriger  dans  les  deux  capitales  de 
l'empire.  La  première,  datée  de  Saint-Pétersbourg,  en  constatant  le  suc- 
cès de  la  séance,  nous  apprend  qu'à  la  fin  de  cette  séance  M.  Colonne  a 
été,  de  la  part  du  public,  l'objet  d'une  ovation  enthousiaste.  La  seconde, 
expédiée  de  Moscou,  est  ainsi  conçue  :  «  Le  succès  du  concert  donné 
par  M.  Colonne  a  été  très  grand  ;  on  a  offert  trois  couronnes  au  chef 
d'orchestre  français,   que  les  étudiants  ont  porté  en  triomphe.  » 

—  A  Saint-Pétersbourg,  l'Opéra  russe  vient  de  reprendre  avec  un  très 
grand  succès  deux  ouvrages  de  M.  Tscbaïkowsky,  la  Dame  de  pique  et 
Eugène  Oupguine.  Le  théâtre  était  littéralement  comble  à  ces  deux  repré- 
tations;  en  ce  qui  concerne  Eugène  Onéguine,  les  demandes  du  public  en 
faveur  d'une  représentation  hors  d'abonnement  ont  été  si  nombreuses  que 
l'administration  a  dû  modifier  un  de  ses  spectacles  et  remplacer  sur  l'affi- 
che le  Prince  Igor,  de  Borodine,  par  l'opéra  de  M.  Tschaïkowsky,  dont 
c'était  la  9^"  représentation. 

—  Les  exploits  meurtriers  de  la  maudite  influenza  n'ont  pas  encore  pris 
fin.  Certaines  parties  de  la  Russie  sont  en  ce  moment  sous  le  coup  de  la 
cruelle  maladie,  et  on  annonce  de  Kieff  qu'elle  y  sévit  de  telle  façon  que 
tous  les  théâtres  de  cette  ville  ont  dû  fermer  leurs  portes. 

—  M.  H.  Kling,  le  distingué  professeur  du  Conservatoire  de  Genève, 
donnera  demain  lundi,  puis  mercredi,  à  l'Aula  de  l'Université,  deux  inté- 
ressantes conférences  sur  deux  compositeurs  genevois  :  Bovy-Lysberg  et 
Franz  Grast.  Chaque  séance  sera  terminée  par  l'exécution  de  quelques- 
unes  des  œuvres  de  ces  deux  maîtres,  dont  le  premier  nous  est  connu 
surtout  par  de  vraiment  charmantes  compositions  de  piano,  qui  méritent 
de  lui  survivre. 

—  On  a  dit,  et  nous  avons  annoncé  nous-mêmes  que  M.  Anton  Dvorak, 
le  compositeur  bohème  dont  le  nom  est  devenu  si  justement  célèbre  en  ces 
dernières  années,  venait  d'être  appelé  à  New- York  pour  prendre  la  direc- 
tion artistique  du  Conservatoire  de  cette  ville.  D'autres  journaux  préten- 
dent maintenant  que  c'est  à  Chicago  que  s'est  rendu  M.  Dvorak.  Il  aurait 
été  engagé  comme  professeur  de  composition  et  d'orchestration  au  Conser- 
vatoire, en  même  temps  que  comme  directeur  de  dix  concerts  à  donner 
au  cours  de  la  saison,  avec  un  traitement  annuel  de  45,000  francs.  Nous 
saurons  sans  doute  prochainement  à  quoi  nous  en  tenir  d'une  façon  précise 
au  sujet  de  ces  informations  contradictoires. 

—  Une  dépêche  du  New-York-Herald  annonce  que  la  direction  générale  de 
l'Exposition  universelle  de  Chicago  est  en  pourparlers  sérieux  avec  M.  An- 
gélo  Neumann,  pour  l'organisation  de  Festspiele  wagnériens  avec  tout  le 
matériel  de  Bayreuth  et  dans  un  local  construit  d'après  le  modèle  du  Fest- 
spielhaus.  Tout  le  répertoire  wagnérieny  passerait,  à  l'exception  de  Parsifal, 
depuis  les  Fées  jusqu'à  la  Tétralogie.  Il  y  aurait  quatre  soirées  et  deux 
matinées  par  semaine. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Le  programme  de  là  représentation  du  li  novembre  à  l'Opéra,  pour 
4e  centenaire  deMeyerbeer,  a  subi  diverses  modifications.  On  a  dû  renoncer, 
en  raison  de  certaines  difficultés  matérielles,  à  l'idée,  assez  singulière 
d'ailleurs,  de  donner  la  série  des  quatrièmes  actes  des  quatre  grands  ou- 
vrages du  maître.  Voici  de  quelle  façon  définitive  le  programme  a  été 
arrêté  par  la  direction  de  l'Opéra,  d'accord  avec  M.  Béer,  neveu  de  l'illustre 
compositeur  : 

1°  Ouverture  de  Struensee. 

2°  Premier  acte  de  l'Africaine  (M""  Adiny  ;  MM.  Lassalle,  Duc,  Plançon). 

3°  Quatrième  acte  du  Prophète  (M"°  Deschamps;  MM.  Vergnet,  DubuUe,  Bal- 
lard,  Tcqui)  ;  la  Marche  du  Sacre  sera  chantée  par  vingt-quatre  jeunes  filles,  élè- 
ves du  Conservatoire,  et  les  enfants  de  chœur, 

i"  La  Cérémonie  (prélude  du  cinquième  acte  de  l'Africaine)  ;  poésie  de  M.  Jules 
Barbier,  dite  par  M.  Mouuet-Sully  ;  Marche  aux  flambeaux. 

5°  Troisième  acte  de  Robert  le  Diable  (MM.  Duc,  Grosse,  M"°  Subra  et  le  corps 
de  ballet). 

6"  Quatrième  acte  des  Huguenots  (MM.  Duc,  Plançon,  Renaud,  M""  Adiny); 
le  rôle  de  Catherine  de  Médicis  sera  rétabli  et  chanté  par  M"*  Deschamps;  la 
Bénédiction  des  poignarda  sera  chantée  par  les  chœurs  de  l'Opéra  et  les  élèves 
du  Conservatoire. 

—  Les  auteurs  de  Tamara,  MM.  Louis  Gallet  et  Bourgault-Ducoudray, 
ont  lu  cette  semaine  leur  œuvre  aux  directeurs  et  aux  artistes  de  l'Opéra. 


Les  études  des  chœurs  ont  commencé  hier;  quant  aux  principaux  inter- 
prètes, M"=  Domenech,  MM.  Vergnet  et  Dubulle,  ils  sont  depuis  quelques 
temps  déjà  en  possession  de  leurs  rôles;  la  pièce  pourra  donc  prochaine- 
ment descendre  en  scène  et  sera  prête  à  passer  dans  la  première  quin- 
zaine de  décembre.  On  sait  que  par  une  clause  du  cahier  des  charges, 
Tamara  doit  être  montée  par  la  direction  actuelle  et  avoir  été  jouée  un 
certain  nombre  de  fois  avant  le  31  décembre.  Pour  compléter  les  rensei- 
hnements  que  nous  avons  déjà  donnés  il  y  a  quelques  semaines  sur 
l'œuvre  de  MM.  Bourgault-Ducoudray  et  Louis  Gallet,  ajoutons  que  la 
partie  chorégraphique  y  occupe  une  certaine  place,  notamment  au  2=  ta- 
bleau, le  harem  de  Noureddin,  animé  par  des  danses  persanes.  Signalons 
encore  un  détail  assez  curieux:  le  1"  et  le  ■4'=  tableau  représentent  une 
ville  assiégée  — la  ville  de  Bakou,  dans  la  Russie  asiatique;—  les  habi- 
tants, comme  tous  assiégés,  ne  sont  donc  pas  dans  une  situation  floris- 
sante ;  aussi  MM.  Louis  Gallet  et  Bourgault-Ducoudray,  voulant  autant 
que  possible  se  rapprocher  de  la  réalité,  ont-ils  demandé  à  la  direction 
de  l'Opéra  de  ne  donner  aux  habitants  de  Bakou  que  des  vêtements  et  des 
armes  en  rapport  avec  leur  situation  d'assiégés  réduits  à  la  dernière  extré- 
mité, au  lieu  des  brillants  costumes,  des  armes  et  des  armures  toutes 
neuves  généralement  employés.  Voilà  qui  fait  joliment  l'affaire  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard  ! 

—  M.  Van  Dyck  a  chanté  Lohengrin  cette  semaine  pour  la  dernière  fois  ; 
c'est  M.  Vergnet  qui  prendra  le  rôle  à  partir  de  lundi  prochain.  En  re- 
tournant à  Vienne,  où  il  va  continuer  les  représentations  de  ilanon  arrêtées 
en  plein  succès,  M.  Van  Dyck  emporte  dans  ses  malles  la  partition  ma- 
nuscrite du  nouveau  ballet  de  M.  Massenet  :  le  Carillon,  qu'il  va  re- 
mettre entre  les  mains  du  directeur,  M.  Jahn;  les  représentations  du  Carillon 
suivront  de  près  celles  de  Werllier. 

—  C'était  hier  samedi,  à  l'OpéraComique,  la  centième  représentation  de 
Manon,  dont  le  succès  continue  si  brillamment  avec  des  recettes  toujours 
croissantes  et  une  location  à  l'avance  vraiment  formidable.  Nous  connais- 
sons peu  de  reprises  qui  aient  été  si  chaudement  accueillies  du  public. 
Et  c'est  là  une  pierre  de  touche  pour  l'œuvre  si  séduisante  de  M.  Massenet, 
qui  va  s'établir  solidement  au  répertoire,  comme  Mignon,  Carmen  et  Lakmé. 
Peu  de  partitions  ont  été  aussi  fêtées  par  la  presse.  Nous  avons  bien  lu 
cent  feuilletons  sur  le  livret  et  la  musique,  tous  favorables.  Une  seule 
note  discordante,  celle  de  l'éminent  critique  du  Gantois,  notre  ami  Fourcaud, 
qui  sort  d'ailleurs  de  maladie  et  semble  venir  là  fort  à  propos,  au  milieu 
de  ce  concert  d'éloges,  pour  tenir  le  rôle  de  l'antique  joueur  de  flûte  et 
rappeler    aux  auteurs  triomphants  qu'ils  ne  sont  que  des  hommes. 

—Vendredi  dernier,  à  l'Opéra-Comique,  M"i=  Jane  Horwitz  a  pris  posses- 
sion du  rôle  de  Mignon,  qu'elle  a  chanté  avec  beaucoup  de  goût.  On  l'a  fort 
applaudie  et  c'était  justice. 

—  Mardi  dernier,  grand  émoi  au  Conservatoire,  où  venaient  de  se  pré- 
senter inopinément  S.  A.  R.  Damrong  et  les  deux  fils  du  roi  de  Siam, 
désirant  visiter  le  célèbre  établissement  artistique.  M.  Ambroise  Thomas, 
après  leur  avoir  fait  parcourir  les  différentes  salles,  les  a  introduits  dans 
la  classe  de  M.  Maubant,  à  qui  ils  ont  demandé  de  vouloir  bien  continuer 
sa  leçon.  L'ancien  pensionnaire  de  la  Comédie-Française  était  précisé- 
ment en  train  de  faire  jouer  la  grande  scène  des  Fâcheux  par  MM.  Veyret 
et  Paul  Franck.  Leurs  Altesses  siamoises' ont  paru  vivement  s'intéresser 
à  Molière  et  se  sont  retirées  en  félicitant  M.  Maubant  et  ses  élèves  et  en 
remerciant  M.  Ambroise  Thomas. 

—  M'^'î  Patti  a  gagné  son  procès  contre  M.  Zet,  qui  lui  avait  réclamé 
une  forte  indemnité  lors  de  ses  représentations  à  Berlin,  sous  le  prétexte 
qu'elle  avait  rompu  un  contrat  qui  l'engageait  à  Saint-Pétersbourg  et  à 
Moscou.  En  première  instance,  M.  Zet  avait  gagné  son  procès,  mais  cette 
décision  vient  d'être  annulée  par  la  cour  d'appel. 

—  Le  deuxième  concert  de  M.  Lamoureux  débutait  par  la  belle  ouverture 
de  Meyerbeer  :  Slniensée  ;  cette  page  profondément  tragique  n'a  pas  été 
dite  avec  le  sentiment  qu'elle  comporte.  Certes,  l'orchestre  de  M.  Lamou- 
reux est,  à  de  certains  points  de  vue,  impeccable.  La  note  y  est,  le  mou- 
vement aussi,  les  nuances  sont  faites  avec  exactitude.  Mais  il  manque  le 
je  ne  sais  quoi  qu'on  ne  peut  définir,  et  qu'on  ne  rencontre  que  lorsqu'un 
orchestre  est  pénétré  de  la  musique  qu'il  interprète,  qu'il  l'anime  et  qu'il 
la  joue  comme  une  émanation  de  lui-même.  Cet  orchestre  a  été  légère- 
ment éloigné  de  la  voie  qu'il  suivait  autrefois  par  l'abus  des  sonorités 
waguériennes  et  les  recherches  maladives  de  nos  modernes  compositeurs. 
On  dirait  qu'il  s'est  dégoûté  des  œuvres  qui  faisaient  l'admiration  des 
musiciens  d'autrefois.  Je  n'en  voudrais  pour  preuve  que  la  mollesse  et  l'in- 
différence avec  laquelle  il  a.  dit  le  délicieux  andante  de  la  symphonie  en 

.  ré,  de  Beethoven  ;  meilleure  a  été  l'exécution  du  concerto  en  si  bémol  de 
Hœndel,  très  bien  dit  par  le  hautboïste,  M.  Dorel,  et  les  instruments  à 
cordes.  La  Jeunesse  d'Hercule,  de  M.  Saint-Saëns,  a  été  également  bien  inter- 
prétée. Ce  poème  symphonique  n'est  peut-être  pas  le  meilleur  de  tous 
ceux  qu'a  composé  le  maître  français,  mais  la  trame  en  est  si  délicate, 
l'orchestration  si  fine  et  si  ingénieuse,  la  mélodie  en  est  si  distinguée, 
si  claire,  que  c'est  un  grand  plaisir  que  d'écouter  semblables  œuvres.  (Quoi- 
que d'une  nouveauté  parfois  hardie,  les  compositions  de  M.  Saint-Saëns 
tranchent  sur  la  généralité  des  œuvres  modernes  auxquelles  manque  le 
fond  solide  qui  résulte  d'une  forte  instruction  musicale  et  dont  les  auteurs 
se  complaisent  plus  à  l'étrangeté  et  à  l'incohérence  qu'à  une  ordonnance 


360 


I.E  MÉNESTREL 


rfHéchie  et  logique.  —  Passons  sur  Siegfried  Idyll,  de  Wagner,  qui  gagne- 
rait à  être  raccourcie  des  deux  tiers,  et  sur  la  marche  du  rannliatiscr, 
qui  terminaient  le  concert  et  ne  sont  des  nouveautés  pour  personne. 

H.    BAnBEUETTE.  1 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche. 

CHATEI.ET.  —  Concert  Colonne  :  Symplionie  héroïque,  n"  3  (Beethoven)';  Lamenta 
(G.Fduré)  et  chanson  florenlino  d'Ascanio  (Sainl-Sacn»),  chantés  par  M"'  M.  Progi; 
Africa  (Saint-Saëns),  exécuté  sur  le  piano  pir  M'™  Roger  Miclos  ;  fragments  de 
Lohengrin  (R.  "Wagner);  Hai  Liili  (Arthur  Coquard),  chanté  par  W"  M.  Pregl  ; 
fragments  symphoniques  û' Esclarynondii  (Masseuel). 

Cirque  dks  Cha.mps-Élïsées.  —  Concert  Lamoureux  :  Ouverture  de  Strmnsée 
(Meyerbeer) ;  Sijmplionie-reformation  (Mendelssoha)  ;  concerto  en  sol  pour  violon 
(Mai  Bruch),  exécuté  par  M.  Albert  C.eioso;  valse  de  Méphislo (Ijszl)  ;  les  Murmures 
de  la  Forêt  de  Sieyfried  ('«'agner)  ;  Marche  militaire  française  de  la  Suite  algérienne 
(Saint-Saëns). 

—  La  semaine  dernière  a  eu  lieu,  à  la  Madeleine,  le  mariage  de  M.  F. 
Ronchini  avec  M"=  Marie  Veyssier,  ces  deux  charmants  artistes.  MM.  Th. 
"Dubois,  Melchissédec  et  Delsart  se  sont  fait  entendre  pendant  la  céré- 
monie religieuse.  Le  soir,  charmante  réunion,  dans  laquelle  ont  triomphé 
d'abord  la  jeune  mariée,  puis  M""»^  Ratisbonne.  MM.  Léon  Delafosse,  Gregh 
st  Melchissédec  fils. 

—  Echange  de  bons  procédés.  La  Belgique  accueille  nos  compositeurs  à 
Bras  ouverts;  à  notre  tour,  nous  donnons  aux  siens  l'hospitalité,  ce  qui 
n'est  pas  une  nouveauté  d'ailleurs,  témoin  les  noms  fameux  de  Grétry, 
de  Gossec,  de  Grisar.  de  Fétis,  de  Gevaert  et  de  tant  d'autres.  11  s'agit 
aujourd'hui  d'une  jeune  artiste  qu'on  dit  fort  distinguée,  née  à  Liège 
comme  Grétry,  M»=  Juliette  Folville,  qui  vient  de  faire  recevoir  et  va  faire 
jouer  au  Grand  Théâtre  de  Lille. un  opéra  en  deux  actes,  Alala,  écrit  par 
elle  sur  un  poème  de  M.  Paul  CoUin,  lequel  s'est  assuré  par  avance  la 
collaboration  de  Chateaubriand. 

—  L'Association  artistique  d'Angers  fait  connaître  à  ses  souscripteurs 
nne  partie  du  programme  de  la  saison  qu'elle  vient  d'ouvrir.  Nous  avons 
déjà  dit  qu'un  de  ses  concerts  sérail  spécialement  consacré  à  l'audition 
d'oeuvres  de  M.  Massenet,  et  qu'on  exécuterait  une  symphonie  nouvelle 
de  M.  Savard.  On  annonce  aussi  une  suite  d'orchestre  que  M.  Wormser 
a  tirée  de  sa  partition  de  l'Enfant  prodigue.,  et  diverses  compositions  nou- 
Telles  de  MM.  Bourgault-Ducoudray,  Vincent  d'Indy,  Alfred  Bruneau  et 
Chevillard.  De  plus,  M.  Jules  Garcin,  chef  d'orchestre  de  la  Société  des 
concerts,  a  promis  d'aller  diriger  l'exécution  de  la  jolie  suite  d'orchestre 
que  le  Conservatoire  a  fait  entendre  l'hiver  dernier  avec  un  si  vif  succès. 
En  ce  qui  concerne  les  virtuoses,  l'Association  artistique  s'est  assuré  le 
concours  de  MM.  Louis  Diémer,  Alphonse  Duvernoy,  Delsart,  Berthelier, 
Kémy,  Henri  Marteau,  Geloso,  Marsick,  et  de  M°='=*  Duvernoy-Viardot, 
Steiger,  Roger-Miclos,  Hulmann,  Freddie,  Yrrac,  etc.  "Voilà  certes  une 
saison  qui  promet  d'être  brillante. 

—  Très  belle  réussite  à  Nîmes  du  Cid,  l'opéra  de  M.  Massenet,  qui  n'y 
avait  pas  encore  été  représenté.  Cinq  rappels  pour  les  artistes,  M™»^  Mar- 
liinon  et  Desgoria,  MM.  Dutrey  et  Plain. 

M.  Gobalet  a  adressé  à  M.  Campocasso,  directeur   du  Grand-Théâtre 

d'e  Marseille,  la  lettre  suivante  i  ,.      .on. 

Marseille,  2  novembre  1891. 
Mon  cher  directeur. 

Sur  votre  charmante  insistance,  je  suis  venu  à  Marseille  pour  jouer  principale- 
ment toutes  mes  créations,  notamment  Lakmé,  Manon,  le  Roi  d'Ys,  etc.,  etc.,  et 
pnis  jouer  Mignon,  Carmen  et  autres,  que  j  ai  tenus  en  chef  à  l'Opéra-Comique. 

Or,  on  me  dit  que  je  dois  immédiatement  jouer  du  grand  opéra.  Je  m'étais,  en 
effet,  préparé  pour  ce  genre  ;  mais,  je  vois  que  je  ne  puis  jouer  de  suite  tous 
les  rôles  qu'on  me  demande,  n'ayant  pas  le  temps  voulu  pour  y  mettre  tous  les 
soins  que  j'ai  l'habitude  d'apporter  à  mes  rôles,  vu  les  exigences  des  débuis. 

Je  vous  avouerai  que  j'ai  été  un  peu  surpris  par  ce  travail  hâtif,  et,  dans  ces 
conditions,  pour  ne  léser  ni  vos  intérêts  ni  ceux  du  public,  je  viens  vous  prier 
de  bien  vouloir  accepter  la  résiliation  de  mon  engagement,  ainsi  que  tous  mes 
lemerciements  et  transmettre  aussi  au  public  toute  ma  reconnaissance  pour  son 
accueil  absolument  charmant  et  qu'il  m'a  fait  encore  hier  soir  dans  ma  représen- 
tation de  Lakmé. 

Me  tenant  toujours  à  votre  disposition  jusqu'à  mon  remplacement.  Celui  qui  se 

dit  votre  tout  dévoué, 

A.  CoBALET,  de  l  Opera-Comigue. 

—  Enorme  succès,  à  Strasbourg,  pour  le  concert  donné  par  la  Société 
de  musique  de  chambre  pour  instruments  à  vent,  représentée  par  MM.  Taf- 
îànel,  Gillet,  Charles  Turban,  Grisez,  Garigues,  Brémond,  Espaignet  et 
Bourdeau,  auxquels  s'était  joint  M.  Louis  Diémer.  Au  programme,  quin- 
tette de  Mozart,  ottetto  de  M.  Th.  Gouvy,  andante  cantabilede  M.  Gounod, 
scherzo  et  finale  de  la  sérénade  en  rê  majeur  de  Mozart,  andante  et  finale 
du  duo  de  "Weber  pour  clarinette  et  piano,  Variations  de  Schubert  pour 
flûte  et  piano,  duo  de  M.  Diémer  pour  hautbois  et  piano.  Triomphe  pour 
l'ensemble  des  exécutants,  pour  chaque  soliste  en  particulier,  et  aussi 
pour  M.  Diémer,  qui  s'est  prodigué  en  jouant,  seul,  plusieurs  morceaux 
avec  le  talent  qu'on  lui  connaît.  En  quittant  Strasbourg,  où  ils  doivent 
revenir,  nos  excellents  artistes  sont  allés  se  faire  entendre  à  Francfort, 
où  leur  succès  n'a  pas  été  moindre.  Avant  de  se  rendre  à  Strasbourg,  ils 
avaient  fait  une  tournée  triomphale  en  Suisse,  et  s'étaient  fait  entendre 


àBàle,  Berne,  Neufchitel  et  Lausanne. Ce  n'était  pas  cette  fois  M.  Diémer 
mais  M.  Raoul  Pugno,  qui  tenait  la  partie  de  piano,  avec  le  talent  et  la 
virtuosité  qu'on  lui  connaît.  Ajoutons  que  tout  ce  voyage  a  été  aussi 
fructueux  au  point  de  vue  matériel  que  brillant  et  flatteur  en  ce  qui 
concerne  la  haute  valeur  de  l'art  français. 

—  La  petite  Naadin  vient  de  conclure  un  engagement  exceptionnelle- 
ment brillant  pour  une  grande  tournée  en  province  et  à  l'étranger,  que 
l'imprésario  d'Orval  va  entreprendre  avec  elle.  La  petite  artiste  chantera 
en  tournée  plusieurs  morceaux  exquis  que  MM.  Gounod,  Massenet  et 
Faure  ont  spécialement  composés  pour  elle  et  qu'elle  interprète  à  ravir. 
Citons  notamment  le  Poêle  et  le  Fantôme,  de  Massenet,'  et  l'Enfant  au  jardin, 
de  Faure. 

—  Le  nombre  des  admissions  à  l'Ecole  d'orgue  de  M.  Gigout  étant 
limité,  il  ne  pourra  pas  être  procédé,  avant  le  mois  de  mars  prochain, 
à  de  nouveaux  examens  pour  l'obtention  des  bourses  que  le  directeur- 
fondateur  met  à  la  disposition  des  jeunes  artistes. 

—  Nous  apprenons  que  l'Ecole  classique  de  musique  et  de  déclamation 
de  la  rue  Charras,  qui  vient  de  rouvrir  ses  cours  le  o  coura-nt,  va  mettre 
au  concours  en  novembre  prochain  des  bourses  pour  le  chant,  l'opéra, 
l'opéra-comique,  le  piano,  la  harpe,  le  violon,  le  violoncelle,  la  flûte,  le 
hautbois,  la  clarinette,  ainsi  que  pour  la  déclamation.  Nous  ferons  con- 
naître prochainement  la  date  du  concours.  On  peut  dès  à  présent  se  faire 
inscrire  à  l'administration,  tous  les  jours  de  10  heures  à  midi  et  de  2  à 
4  heures,  le  dimanche  excepté. 

—  M.  Léon  Achard,  professeur  au  Conservatoire,  reprendra  ses  leçons 
particulières  de  chant,  chez  lui,  164,  rue  du  Faubourg-Saint-Honoré, 
à  partir  du  15  novembre. 

—  CouBS  ET  Leçons.  —  M"'  Jules  Bjschet,  professeur  de  piano,  a  repris  ses  cours, 
4",  rue  Bonaparte.  —  M""  Gartelier  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  chant,  19,  rue 
de  Berlin.  —  Réouverture  des  cours  de  perfectionnement  de  chant  de  M""  Ronzi, 
272,  Faubourg-Saint-IIonoré,  et,  même  adresse,  reprise  des  cours  de  M"'  P.  Roozi 
(études  complètes  et  graduées  de  pian>  et  solfège,  élémentaires  et  supérieures, 
musique  d'ensemble  vocale  et  instrumentale).  —  M""  Éoiile  Ratisbonne  annonce 
pour  le  1"  novembre,  à  la  maison  Erard,  13,  rue  du  Mail,  la  reprise  de  ses  cours 
et  leçons  de  piano. 

NÉCROLOGIE 

Ija  Comédie-Française  vient  de  faire  une  perte  bien  sensible  dans 
la  personne  d'un  de  ses  plus  anciens  sociétaires,  l'excellent  Thiron,  qui 
d'ailleurs,  frappé  de  paralysie  naguère,  en  plein  spectacle,  était  éloigné 
de  la  scène  depuis  trois  ans.  Fils  d'un  petit  bonnetier  de  la  rue  Saint-Denis, 
Thiron  avait  été.  au  Conservatoire,  l'un  des  meilleurs  élèves  de  Provost. 
Après  avoir  débuté  obscurément  à  la  Comédie-Française,  il  avait  été 
faire  un  assez  long  stage  à  l'Odéon,  puis  était  revenu  dans  la  maison  de 
Molière,  où  il  avait  trouvé,  dans  l'emploi  des  financiers,  l'occasion  de 
déployer  ses  remarquables  qualités  de  verve  et  de  diction.  Thiron  était 
âgé  de  soixante  ans. 

C'est  avec  un  sentiment  de  regret  bien  sincère  que  nous  annonçons 

la  mort  de  M"'°  Auguez,  la  jeune  femme  de  l'excellent  baryton  auquel, 
depuis  tant  d'années,  le  public  ne  cesse  de  prodiguer  sa  sympathie  et  ses 
applaudissements.  M™  Auguez,  qui  était  une  femme  charmante,  mère  de 
cinq  enfants,  est  morte  à  peine  âgée  de  trente-cinq  ans.  Ses  obsèques 
ont  eu  lieu  jeudi  dernier. 

A  Mendrisio,  dans  le  canton  du  Tessin,  est  mort  assassiné  le  chef  de 

la  musique  municipale,  nommé  Paolo  Bernasconi. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


A 


'VENDRE  D'OCCASION,  deux  belles  harpes,  dont  une  d'Érard. 
S'adresser  :  U,  place  de  la  Madeleine. 


La^  maison  Paul  Dupont  vient  de  publier,  sous  le  titre  de  le   Chant 

et  la  voix,  un  nouveau  traité  de  l'art  du  chant  dû  à  M.  J.  M.  Mayan,  un 
chanteur  expérimenté.  L'ouvrage  est  précédé  d'une  lettre-préface  de 
M.  Henry  Gréville  (Prix  net  12  francs.) 


En  rente  AU  MÉNESTEEL,  2"'',  rue  ïiriennc,  HEUGEL  et  C'\  cdilcurs-propriéliiires. 
THÉÂTRE    DU    GYMNASE 

MON   oncle"  BARB ASSOIT 

Comédie    de    MM.    EMILE    BL.iVET   et    FABRICE    CARRE 
DEUX   MÉLODIES 

CHANTÉES   PAR   m"' 

MAROUERITE    UGALDE 

N"  1.  CHANSON   ORIENTALE P"^-     ^     ' 

N°  2.  FABLIAU,  valse  chantée P'''^-     ^    " 

Chaque  numéro,  sans  accompagnement  de  piano,  prix  :  1  fr. 

MUSIQUE    DE 

I^aovrl     JPXJOIVO 


;  FER.  -  imprihekie  chai.v,  20,  ituE  bergère,  paris. 


Dimanche  iS  Novembre  i891. 


•nu  -  S?-  ANNÉE  -  N°  46,  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  !\ïanuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonnement. 

Cn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  .^lusique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  comjilet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE- TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (34'  article),  Albert  Soubies  et  CniRLES 
M.tLBERBE.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  subvention  de  l'Opéra;  le  centenaire 
de  .Meverbeer,  H.  Morexo.  —  III.  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire  (15"  ar- 
ticle), .iNDRÉ  Martinet.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour; 
REGARDE-TOI  ! 
nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  E.-J.  Catelai.n".  —  Suivra  im- 
médiatement :   Fabliau,  valse  ebantée  par  M"*  Marguerite  Ugalde,  dans 
Mon  Oncle  Barbassou,  musique  de  Raoul  Pugno. 


PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Sur  le  ponl  d'Avignon,  fantaisie  nouvelle  de  Paul  Wachs.  — 
Suivra  immédiatement  :  Danse  des  nymphes,  de  Théodore  Dubois. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


All>ert  SOUBIES   et  Charles   ]MA.L,HEnBE 


DEUXIEME  PARTIE 


:  donnée  le 
%ître  de  Cha- 


CHAPITRE  V 

l'héritage  pv  THÉÂTRE-LYRIQUE.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoi7-  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette 

1871-1874 

(Suite.) 

Une  représentation  produisant  6,089  fr.  50  c. 
30  décembre  au  bénéfice  des  inondés,  avec  le  . 
pelle,  le  deu.\.ième  acte  du  Pré  aux  Clercs,  les  Brebis  de  Panurge, 
jouées  par  la  troupe  du  Vaudeville,  et  un  intermède  auquel 
prit  part  Th.  Rilter,  ainsi  que  la  musique  de  la  deu.xième 
légion  de  la  garde  républicaine,  marque  le  passage  de  l'année 
1872  à  l'année  1873,  où  M.  Gounodallaitretrouver  ses  succès  du 
Théâtre-Lyrique.  Nous  ne  nous  trompions  pas  en  disant  plus 
haut  qu'il  s'occupait  de  «  transplanter  »  son  répertoire  de 
la  place  du  Châtelet  à  la  place  Boieldieu,  puisque,  en  effet, 
nous  trouvons  àl'Opéra-Comique,  en  1872  le  Médecin  malgré  lui, 
en  1873  Roméo  et  Juliette,  en  1874  Mireille,  en  1876  Philémon  et 
Baucis. 

Parmi  les  reprises,  celle  de  Roméo  et  Juliette  fut  la  plus 
importante  non  seulement  par  son  succès,  mais  par  l'influence 
qu'elle  e.verça  sur  la  nature  des  futurs  ouvrages  de  la  salle 
Favart.  C'était  en  quelque  sorie    le    premier  opéra   qu'où   y 


admettait,  c'est-à-dire  la  première  partition  sans  prir^e,  et  cette 
innovation  allait  insensiblementmodifler  les  goùls  du  public, 
comme  aussi  le  caractère  des  exécutions  vocales.  Déjà 
Duchesne  avait,  le  premier,  chanté  le  Pré  aux  Clercs  lors  de  la 
millième,  en  fort  ténor,  donnant  la  voix  de  poitrine,  par 
exemple,  dans  la  romance:  «  0  ma  tendre  amie!  »  oii  jusque- 
là  suffisait  la  voix  de  tête  ;  les  Gouderc  et  les  Capoul  cédaient 
la  place  aux  Monjauze  et  aux  Talazac.  Plus  qu'aucune  autre, 
l'œuvre  de  Gounod  était  propre  à  faciliter  cette  transition  : 
elle  ressemble,  en  effet,  à  ces  plantes  vivaces  qui  poussent 
en  toute  terre,  et  s'est  acclimatée  avec  un  égal  succès  sur 
trois  points  à  Paris  :  au  Théâtre-Lyrique,  le  27  avril  1867; 
à  l'Opéra-Comique,  le  20  janvier  1873;  à  l'Opéra  enfin,  le 
28  novembre  1888. 

Dès  1869,  Emile  Perrin  avait  tenté  de  se  l'approprier,  des- 
tinant le  rôle  de  Juliette  à  M"*  Miolan-Carvalho,  celui  de 
Roméo  à  Colin,  mort  depuis,  et  celui  de  Capulet  à  Faure. 
Plus  heureux  ou  plus  habiles,  de  Leuven  et  Du  Locle  réali- 
sèrent leur  intention  avec  la  même  M'"^  Miolan-Carvalho, 
Melchissédec  et  Duchesne  qui,  excepté  à  la  troisième  repré- 
sentation où,  subitement  indisposé,  il  fut  remplacé  par 
Lhérie,  tint  le  personnage  de  Roméo  une  centaine  de  fois  de 
suite,  et  avec  une  réelle  autorité.  Le  premier  soir,  à  côté  de 
M'"«  Ducasse  (le  page)  et  d'Ismaël  (frère  Laurent),  deux  dé- 
butants complétaient  la  distribution  :  _M.  Bach  (Tybalt),  un 
ancien  premier  prix  de  chant  au  Conservatoire,  ténor  possé- 
dant «  une  grosse  voix  dans  un  petit  corps  »  et  d'ailleurs 
bientôt  disparu;  et  M.  Edmond  Duvernoy  (Mercutio),  fils  de 
l'ancien  et  excellent  acteur  de  l'Opéra-Comique,  doué  d'une 
voix  relativement  faible  qu'il  maniait  avec  goût,  ayant,  au 
surplus,  assez  de  talent  pour  devenir  plus  tard,  au  Conserva- 
toire, un  des  professeurs  de  chant  les  plus  estimés. 

On  pourrait  croire  que  cette  reprise  obtint  auprès  des  cri- 
tiques l'assentiment  général.  Pourtant,  paroai  les  rebelles  se 
distingua  Albert  de  Lasalle,  qui,  dans  son  Mémorial,  fait 
cette  étonnante  réflexion  :  «  H™  Carvalho,  avec  son  dévoue- 
ment pour  la  gloire  de  M.  Gounod,  a  depuis  entraîné  l'Opéra- 
Comique  à  une  reprise  de  Roméo  et  Juliette.  »  Cet  «  entraîne- 
ment »,  on  le  sait,  n'a  été  fâcheux  ni  pour  l'ouvrage  ni 
pour  le  théâtre,  car  l'un  n'a  quitté  les  affiches  de  l'autre  que 
pendant  les  années  1876,  77,  78  et  81,  atteignant  le  total  de 
deux  cent  soixante-quatorze  représentations.  Si  ce  chiffre 
ne  s'est  pas  encore  accru  après  l'incendie  de  la  salle  Favart, 
c'est  qu'un  jour  M.  Paravey  eut  la  faiblesse  de  se  laisser 
dépouiller  par  le  compositeur  et  par  l'Opéra.  Il  fit  un  marché 
de  dupe  en  troquant  la  certitude  de  Roméo  et  Juliette  contre 
l'incertitude  d'une  Charlotte  Cordatj ,  laquelle  pfirait  devoir 
rester  condamnée  à  l'éternelle  prison  du  portefeuille,  malgré 
la  passion  de  certain  duo  que  le  musicien,  dans  son  langage 


362 


LE  MENESTREL 


pittoresque,  déclarait  «  sentir  dans  les  reins  ».  Le  directeur, 
lui,  n'a  «  senti  »  que  le  néant  de  ce  bon  billet  renouvelé  de 
celui  de  La  Châtre. 

Entre  la  plus  importante  reprise  et  la  plus  importante 
nouveauté  de  l'année  1873,  se  place,  au  1"''  mars,  le  début 
d'une  chanteuse  qui  avait  conquis  sur  une  autre  scène  quel- 
que notoriété.  M"«Vanghell  avait  créé  aux  Folies-Dramatiques 
le  rôle  de  Méphistophélès  dans  le  Petit  Faust  d'Hervé;  en 
adroite  musicienne,  elle  usait  de  sa  petite  voix  avec  succès, 
mais  les  Dragons  de  Villars  différaient  de  son  répertoire  habi- 
tuel et  la  nouvelle  Rose  Friquet  était  un  peu  dépaysée  ; 
bientôt  reconquise  par  l'opérette,  elle  céda  le  rôle  à  M-'^  Cha- 
puy,  qui  d'ailleurs  s'y  essaya  sans  éclat  et  le  rendit  l'année 
suivante  (5  octobre  1874),  à  M"«=  Galli-Marié,  sa  véritable  in- 
terprète, revenue  d'une  station  à  Bordeaux,  où  elle  avait 
chanté  Mignon,  Lara  et...  Faust,  pour  répondre,  parait-il,  aux 
attaques  de  certains  journaux  qui  disaient  la  sympathique 
artiste  «  brouillée  avec  les  vocalises  et  le  chant  di  bravura.  » 
Au  reste,  la  presse  et  le  public  ont  parfois  des  goûts,  ou 
plutôt  des  aberrations  de  goût,  qui  surprennent  à  distance  et 
paraissent  inexplicables.  Gomment  justifier,  par  exemple, 
l'accueil  relativement  réservé  fait  le  24  mai  à  cette  œuvre 
charmante  qui  s'appelle  le  Moi  l'a  dit.  La  date  était  malheu- 
reuse, soit,  puisque,  le  premier  soir,  on  s'occupait  plus  de 
la  chute  de  M.  Thiers  à  Versailles  que  de  l'œuvre  nouvelle  ; 
mais  le  lendemain,  la  présidence  du  maréchal  de  Mac- 
Mahon  ne  pouvait  à  ce  point  occuper  les  spectateurs  qu'ils 
ne  vissent  point  le  charme  exquis  d'un  ouvrage  où  poème  et 
musique  s'accordent  si  heureusement.  Quarante  représenta- 
tions en  1873,  et  dix-muf,  lors  d'une  seule  et  unique  reprise 
qui  eut  lieu  douze  ans  plus  tard,  voilà  pourtant  le  bilan,  ho- 
norable sans  doute  pour  l'œuvre,  mais  à  coup  sûr  fort  au- 
dessous  de  sa  valeur. 

Rien  de  plus  spirituel  et  de  plus  fin  que  la  donnée  de  cette 
pièce,  où  l'on  voit  le  marquis  de  Moncontour  victime  de  son 
émotion,  car  au  Roi-Soleil  qui  lui  demandait  s'il  avait  un  fils, 
il  a,  par  mégarde  et  par  flatterie,  répondu  oui,  tandis  que  sa 
progéniture  ne  se  compose  que  de  quatre  filles.  Le  pauvre 
homme  se  résout  à  adopter  un  rustaud  qu'il  façonnera  aux 
belles  manières  et  présentera  à  son  souverain,  aimant  mieux 
le  tromper  ainsi  que  le  détromper  ;  mais  il  est  tombé  sur 
un  mauvais  sujet  qui  fait  les  cent  coups,  gaspiïle  l'argent, 
veut  marier  ses  quatre  sœurs  à  des  coquins,  jusqu'au  jour 
où,  devant  se  battre  en  duel  et  pris  de  peur,  ce  garnement 
fait  le  mort.  La  nouvelle  du  décès  parvient  au  roi,  qui  envoie 
un  compliment  de  condoléance,  et,  puisque  le  roi  l'a  dit,  le 
père  se  débarrasse  au  plus  vite  de  ce  fils  d'emprunt  qu'il 
renvoie  au  village  avec  la  servante  Javotte,  sa  fiancée.  Les 
trois  actes  de  cette  comédie  en  vers  avaient  pour  auteur 
Gondinet,  dont  la  verve  s'était  largement  dépensée,  et  qui 
n'avait  paru  embarrassé  que  pour  le  choix  d'un  compositeur, 
car  on  s'était  d'abord  adressé  en  1871  à  Ofîenbach,  et  d'un 
titre,  car,  outre  le  Talon  rouge,  sous  lequel  l'œuvre  fut  répétée, 
on  l'appela  tour  à  tour  si  le  Moi  le  savait,  k  Moi  lésait,  et  finale- 
ment le  Moi  Ta  dit,  variantes  correspondant  à  des  modifications 
de  texte  qui  devaient  continuer  par  la  suite,  puisqu'à  la  re- 
prise de  188S  tout  le  poème  avait  été  remanié,  sans  avan- 
tage bien  sérieux  à  notre  avis. 

La  distribution  première  n'était  pas  sans  mérites  avec  la 
marquise  et  ses  quatre  filles,  M'''^^  Révilly,  Ghapuy,  Guillot,  et 
deux  débutantes  M"«'  Nadaud  et  Blanche  Thibault,  cette  der- 
nière, sœur  de  la  cantatrice  de  l'Opéra  et  titulaire  d'un  premier 
accessit  d'opéra-comique,  l'année  précédente  aux  concours  du 
Conservatoire;  avecM"<'s  Reine  et  Ganetti,  celle-ci  engagée  en 
septembre  à  Bruxelles  et  remplacée  alors  par  M"'-  Ducasse 
(deux  petits  marquis);  avec  M""  Priola  (Javotte),  MM.  Ismaël 
(le  marquis), Lhérie  (Benoit),  Barnolt  etSainte-Foy,  qui,  en  cette 
année  1873,  allait  quitter  définitivement  la  scène,  et  dont  le 
rôle  du  maître  à  danser  Miton  Eut  la  dernière  et  toujours 
amusante  création. 


En  relisant  cette  partition,  où  la  finesse  des  mélodies  est, 
comme  disent  les  peintres,  mise  en  valeur  par  une  expérience 
de  la  scène  déjà  consommée,  on  s'étonne  que  Léo  Delibes 
n'ait  pas  abordé  plus  tôt  l'opéra-comique.  Les  journaux  de 
1869  avaient  bien  annoncé  un  certain  Moi  des  montagnes,  dont 
MM.  Edmond  About  et  Gormon  s'occupaient  de  lui  disposer 
le  livret;  mais  depuis  la  guerre,  il  n'en  était  plus  question. 
Sa  défiance  de  lui-même  et  sa  timidité  avaient  dû  contribuer 
à  faire  avorter  le  projet.  Comme  un  jour  nous  l'interrogions: 
«  Moi,  répondit-il,  je  n'aurais  pas  écrit  le  Moi  l'a  dit  sans  Cop- 
pélia,  et  je  n'aurais  jamais  écrit  Coppélia,  si  M.  Emile  Perrin 
n'était  venu  me  chercher  et  presque  me  prendre  de  force.  Son- 
gez donc,  je  fabriquais  de  la  musiquette  pour  des  scènes  de 
genre;  jamais  je  n'aurais  osé  frapper  à  la  porte  des  théâtres 
subventionnés!  »  Le  demi-succès  à  Paris  d'un  ouvrage  qui 
se  maintenait  au  répertoire  de  plusieurs  villes  d'Allemagne 
apparaissait  comme  un  point  noir  dans  son  passé;  il  aurait 
souhaité  une  nouvelle  reprise  qui  fût  sa  revanche;  il  est  mort 
sans  l'avoir  obtenue  ;  peut-être  l'avenir  la  réserve-t-il  à  sa 
mémoire. 

La  seconde  partie  de  l'année  1873  ne  devait  être  signalée 
que  par  quelques  reprises  peu  importantes  et  quelques  débuts, 
dont  la  plupart  se  produisirent  coup  sur  coup  pendant  le 
mois  de  juillet.  Ainsi,  le  l'^'',  dans  la  Fille  du  régiment,  M"''  Isaac^ 
ancienne  élève  de  Duprez,  qui  venait  de  la  Monnaie  où  elle 
s'était  fait  remarquer  dans  le  pâtre  de  Tannhàuser,  comme 
autrefois,  au  Théâtre-Lyrique,  M""^  Priola  dans  le  messager  de 
Rienzi,  et  qui,  cette  fois,  traversa,  simplement  comme  en, 
passant,  la  salle  Favart  où  l'attendaient,  lors  de  son  second 
séjour,  de  si  brillants  succès  ;  le  2,  dans  Galathée,  à  côté  de 
Bouhy  (Pygmalion)  et  Duvernoy  (Ganymède),  son  futur  époux, 
M"''  Franck,  chanteuse  au  talent  sérieux  et  correct  ;  le  même 
soir,  M.  Vicini,  un  trial  qui,  sous  les  traits  de  Midas,  se 
montra  d'une  insuffisance  assez  notoire  pour  disparaître  bien 
vite  de  la  troupe  ;  le  5,  dans  la  Dame  Manche,  M.  Dekéghel, 
un  Georges  Brown  chez  lequel  le  volume  de  la  voix  n'éga- 
lait pas  celui  du  corps ,  qui  arrivait  de  Belgique  comme 
Mi'«  Isaac,  et  qui  passa  comme  M.  Vicini;  enfin  le  16,  dans 
la  Fille  du  régiment  (rôle  de  Tonio),  M.  Félix  Puget,  doué  d'un 
organe  un  peu  faible,  mais  acteur  expérimenté,  fils  de  l'an- 
cien chanteur  du  Théâtre-Lyrique,  et  frère  de  Paul  Puget, 
qui,  cette  année  même,  avait  remporté  le  prix  de  Rome  avec 
une  remarquable  cantate  appelée  Mazeppa  et  interprétée  par 
Bouhy,  Bosquin  et  M™'  Fidès-Devriès.  Signalons  encore,  un 
peu  plus  tard,  au  mois  d'août,  le  retour  d'ailleurs  très  pro- 
visoire de  M'"^  Nord  et  dans  Zampa,  la  Dame  blanche,  Michard 
Cœur  de  Lion,  et  surtout,  le  5  octobre,  dans  le  Domino  noir  (rôle 
d'Angèle),  le  début  de  M"''  Chevalier,  élève  de  M.  Saint-Yves- 
Bax,  qui,  au  précédent  concours  du  Conservatoire,  avait 
remporté  les  deux  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra-comique, 
artiste  intelligente  et  précieuse  pour  le  théâtre  où,  pendant  de 
longues  années,  elle  allait  tenir  les  rôles  les  plus  divers, 
passant  de  la  grande  dame  à  la  soubrette,  figurant  tour  à 
tour  la  reine  du  Pré  aux  Clercs  ou  l'une  des  bohémiennes 
dans  Carmen,  et  trouvant  moyen  de  se  faire  remarquer  même 
dans  les  petits  rôles  où  on  ne  lui  demandait  que  de  rendre 
service. 

Quant  aux  reprises,  sans  parler  des  Deux  Journées,  de  Gheru- 
bini,  qu'il  avait  été  question  de  remettre  à  la  scène  avec  une  ver- 
sion nouvelle  de  M.  Jules  Barbier,  demeurée  malheureusement 
inédite,  elles  se  bornent  à  trois,  Zampa  (23  juillet),  Michard 
Cœur  de  Lion  (18  octobre),  l' Ambassadrice  (10  novembre),  ou  à 
quatre,  si  l'on  y  joint  Maître  Wolfram,  pièce  ancienne,  mais 
nouvelle  pour  la  salle  Favart.  Zampa  avait  pour  interprètes 
M""*  Ganetti,  Ducasse,  MM.  Bach,  Potel,  et,  comme  protago- 
niste, Melchissédec.  C'était  la  première  fois  qu'à  Paris,  on 
confiait  à  un  véritable  baryton  ce  rôle  écrit  pour  ChoUet, 
c'est-à-dire  pour  une  voix  mixte,  et  l'usage  s'est  maintenu 
depuis  en  France,  comme  en  Allemagne,  de  ne  plus  le  con- 
fier à  un  ténor.  Michard  Cœur  de  Lion,  joué  parDuchesne,  Mel- 


LE  MÉNESTREL 


363 


chissédec,  Neveu,  Bernard,  Nathan,  Barnolt,  Teste,  Davoust, 
jlmes  Nordet,  Thibault,  Isaac,  Nadaud,  Decroix  et  Rizzio,  re- 
venait en  scène  après  une  absence  de  dix-sept  ans  ;  on  ne 
l'avait  pas  revu  depuis  18S6,  et  il  reprenait  au  répertoire  une 
place  qu'il  n'a  presque  plus  quittée  désormais.  L'Ambassadrice 
était  représentée  pour  faire  briller  la  vocalisation  brillante 
et  pure  de  M°"=  Garvalho,  autour  de  laquelle  gravitaient  Cop- 
pel,  Ponchard,  Thierry,  M"^  Chapuy  et  la  vieille  M™  Casimir, 
qui,  sous  les  traits  de  11""=  Barneck,  risquait  une  courte  et 
suprême  rentrée.  Maître  Wolfram  datait  du  20  mai  18S4  et 
présentait  comme  un  tableau  intime,  où  le  poète  Méry  et  le 
J  compositeur  Ernest  Reyer  avaient  heureusement  mélangé  les 
couleurs  simples  et  expressives.  On  s'était  jadis  ému  devant 
l'amour  discret  de  l'organiste  Wolfram  pour  cette  Hélène 
avec  laquelle  il  a  été  élevé  et  qui  lui  préfère  le  soldat 
Fritz;  on  avait  applaudi  aux  accents  si  touchants  de  ce  petit 
acte,  et  avec  Bouhy,  Goppel,  Nathan  et  M"«  Chapuy,  le  succès 
se  retrouvait  à  l'Opéra-Comique,  tel  qu'on  l'avait  connu  au 
Théâtre-Lyrique,  plus  grand  même,  en  ce  sens  qu'on  applau- 
dit deux  morceaux  de  plus,  ajoutés  à  cette  occasion,  un 
duetto,  et  le  délicieux  arioso  «  des  larmes  »  que  devait 
chanter  Melchissédec,  désigné  d'abord  pour  le  rôle,  et  qui 
finalement  fut  dit,  et  excellemment  dit,  par  Bouhy. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


C'est  l'époque  où,  sous  couleur  de  Budget,  les  «  honorables  »  du 
Palais-Bourbon  discutent  gravement  des  questions  d'art,  comme  s'ils 
y  entendaient  quelque  chose.  S'il  sont  aussi  forts  que  cela  sur  la 
politique,  on  peut  être  assuré  que  les  intérêts  de  la  France  sont 
entre  bonnes  mains.  Il  s'agissail  de  savoir,  jeudi  dernier,  si  on 
voterait,  oui  ou  non,  les  subventions  accordées  aux  théâtres  natio- 
naux. Comme  d'habitude,  M.  Gousset,  député  de  la  Creuse,  a  donné 
de  la  voix,  et  sa  verve  s'est  surtout  acharnée  contre  la  subvention 
accordée  à  l'Opéra.  Ce  n'est  pas  que  M.  Gousset  soit  déplaisant  à 
entendre,  tant  s'en  faut;  il  est  certainement  l'un  des  moins  ennuyeux 
de  cette  Chambre  mortuaire  où  les  compères  de  sa  façon  sont  vrai- 
ment trop  rares  :  bonne  jovialité  rurale,  qui  ne  s'embarrasse  de  rien 
et  dit  tout  ce  qui  lui  passe  par  la  tète.  Cette  année,  il  en  a  trouvé 
une  bien  bonne.  Il  estime  que  l'on  doit  supprimer  la  subvention  de 
l'Opéra  pai'ce  que  ce  prétendu  établissement  artistique  contient  des 
danseurs  —  il  ne  parle  pas  des  danseuses,  pour  lesquelles  il  a  une 
estime  toute  particulière  —  et  que  ces  danseurs,  avec  «  leurs  grâces 
callipyges  »,  sont  des  êtres  éminemment  disgracieux.  M.  Gousset 
croit  qu'on  pourrait  les  remplacer  avec  avantage  par  «  des  conduc- 
teurs d'omnibus  »,  qui,  tout  aussi  bien  qu'eux,  pourraient  soutenir 
le  poids  des  danseuses  dans  leurs  ébats  chorégraphiques.  Et  ça  ne 
coûterait  que  «  quatre  francs  »  par  séance!  Tontes  ces  belles  choses 
sont  à  l'Officiel,  uu  journal  gai  par  excellence,  comme  chacun  sait. 

Mais  le  ministre  des  Beaux-Arls  n'entend  pas  la  plaisanterie.  Il 
s'est    élevé  tout  de  suite   en    Don    Quichotte   enflammé  contre   les 

moulins  à  vent  de  M.  Gousset  et  il  a  posé   ni  plus  ni    moins la 

0  question  de  confiance  »  !  Tout  à  fait  extraordinaire,  n'est-ce  pas  ? 
Je  vous  le  dis,  en  vérité,  cela  a  été  une  séance  de  joie  tout  à  fait 
exceptionnelle.  M.  Bourgeois  —  pour  ceux  qui  l'auraient  oublié  c'est 
le  nom  du  ministre  —  a  exposé  qu'il  venait  de  régénérer  l'Opéra  par 
un  nouveau  règlement  qui  allait  en  ouvrir  les  portes  à  «  l'ouvrier 
parisien  »,  que,  tous  les  dimanches,  cet  honnête  prolétaire  pourrait 
se  prélasser,  à  raison  de  2  fr.  SO  par  séant,  sur  des  banquettes  de 
bois  hygiéniques,  qui  viendraient  remplacer  les  affreux  fauteuils 
capitonnés  qu'on  sert  aux  aristos,  et  que  là,  à  la  dure  d'un  côté, 
mais  le  front  dans  les  nuages  d«  l'idéal,  il  pourrait  goûter  en  paix 
les  douceurs  des  Huguenots  ou  de  Guillaume  Tell.  Et  c'est  le  moment 
qu'on  choisirait  pour  supprimer  la  subvention  !  M.  le  ministre  en 
lâcherait  plutôt  son  portefeuille.  Il  ne  manquerait  certainement  pas 
de  mains  pour  le  ramasser.  Néanmoins,  la  Chamhre,  à  ce  ministre 
peu  badin,  accorde  .326  voix  contre  139. 

L'an  dernier,  la  subvention  de  l'Opéra  n'avait  eu  pour  elle  que 
269  vois  contre  2-30;  le  déplacement  d'une  vingtaine  de  voix  eût 
suffi  pour  qu'elle  fût  supprimée.  Aujourd'hui,  elle  est  beaucoup  plus 
solide,  comme  on  voit,  ce  qui  tient  tout  simplement  à  la  chute  des 


anciens  directeurs  Ritt  et  Gailhard.  Si  le  ministre  avait  eu  la 
fâcheuse  idée  de  les  maintenir  à  leur  poste,  pour  complaire  à  leurs 
puissants  protecteurs,  c'en  était  fait,  cette  fois,  des  subventions  aux 
théâtres  nationaux.  Voilà  ce  qu'on  peut  affirmer  ;  que  M.  Bourgeois 
se  félicite  donc  de  la  sage  et  saine  résolution  qu'il  a  prise. 

mM  ***  m 

En  attendant,  les  deux  copains,  le  fin  renard  et  le  royal  gascon, 
—  nous  avons  nommé  nos  éternels  amis  Ritt  et  Gailhard  —  ont 
dû  célébrer  à  leur  façon  hier  au  soir  le  centenaire  de  Meyerbeer. 
Nous  vous  dirons  dimanche  prochain  ce  qu'ils  ont  hien  pu  imaginer 
pour  ternir  la  mémoire  du  grand  compositeur.  Nous  les  avons  vus 
à  l'oeuvre,  il  y  a  quelques  années,  quand  il  s'agissait  de  «célébrer» 
le  souvenir  de  Mozart.  Ce  fut  une  piteuse  soirée,  qu'on  n'a  pas  ou- 
bliée. Et  nous  serions  bien  étonné  que  Meyerbeer  se  trouvât  mieux 
de  leur  sollicitude  parcimonieuse. 

Cependant  nous  pouvons,  dès  à  présent  et  sans  plus  attendre, 
donner  à  nos  lecteurs  la  primeur  de  la  pièce  de  vers  de  M.  Jules 
Barbier,  qui  a  élé  récitée  à  cette  occasion  par  M.  Mounet-Sully,  en 
manière  d'intermède.  La  poésie  est  belle  et  dépasse  certainement  les 
sornettes  prétentieuses  qu'on  a  l'habitude  de  prononcer  en  pareille 
circonstance  : 

MEYERBEER 

<(  J'ai  des  poètes,  dit  la  muse  de  l'iiistoire; 
»  Des  peintres,  des  sculpteurs  travaillent  à  ma  gloire; 
»  Je  veux  que  la  musique  y  rayonne  à  son  tour.  » 
—  Et  Meyerbeer  pour  elle  ouvrit  les  yeux  au  jour. 

C'est  le  musicien  de  l'histoire,   qui  trace 

A  grands  traits  une  époque,  et  l'éclairé,  et  l'embrasse 

D'un  immense  réseau  de  notes  et  d'accords; 

Qui  fait,  à  son  appel,  surgir  l'âme  des  corps, 

Et,  réveillant  Lazare,  évoque,  exalte,  anime 

De  tout  un  passé  mort  la  vision  sublime. 

Esprit  souple  et  profond,  cerveau  de  conquérant, 

11  naquit  loin  de  nous  ;  c'est  chez  nous  qu'il  fut  grand. 

L'art  n'a  pas  de  patrie,  il  est  vrai  ;  mais  peut-être, 

La  patrie  a  son  art  inéluctable,  ô  maître!... 

Le  nôtre,  éblouissant  de  grâce  et  de  clarté. 

Conquit  ton  âme  ;  et  toi,  domptant  qui  t'a  dompté, 

Le  transformant  sans  lui  ravir  sa  propre  vie, 

T'appuyant  de  sa  force  à  la  tienne  asservie. 

Tu  fis  à  ton  génie  agrandir  l'art  nouveau 

Qui  transfusait  le  sang  français  dans  ton  cerveau  ; 

Et  la  France  a  couvé  ta  gloire  sous  son  aile 

Et  t'a  rendu  l'amour  dont  tu  brûlas  pour  elle. 

Aussi,  cœur  d'honnête  homme,  as-tu  voulu  payer 

En  chefs-d'œuvre  le  prix  de  son  lait  nourricier. 

Quels  tableaux  !  Quel  foyer  de  clartés  fulgurantes! 

Quel  pinceau  souverain!  quelles  couleurs  vibrantes I 

Quel  faisceau  de  rayons  éclairant  l'Auxerrois 

Dont  le  glas  obéit  à  Médicis!  La  croix 

Où  de  l'Esprit  du  mal  affrontant  le  blasphème 

Alice  s'agenouille  aux  cris  de  l'Enfer  même. 

Et  Munster  que  Fidès,  attestant  TEternel, 

Ébranle  des  sanglots  de  son  cœur  maternel  ! 

Toi,  noir  mancenillier  aux  ombres  redoutables; 

Vous,  fins  tissus,  brodés  sur  de  légères  fables. 

Qui  des  dolmens  bretons  jusqu'aux  steppes  du  Nord 

Tendez  de  la  Russie  à  la  France  un  lit  d'or!... 

Quelle  richesse!  Soit  qu'à  la  foule  insensée 

Dans  son  manteau  de  pourpre  il  jette  Struensée, 

Soit  qu'en  un  chant  profane  ou  dans  l'hymne  vainqueur 

Il  verse  son  esprit  ou  répande  son  cœur; 

Et  toujouTs  dans  notre  àme  où  dorment  les  ivresses 

Cherchant,  faisant  jaillir  la  source  des  tendresses; 

Ne  croyant,  ne  voyant  qu'un  Dieu  sur  son  chemin  ; 

Aimant,  pleurant,  vivant,  humain!..,.  Toujours  humain!... 

Et  la  mort  a  touché  ce  grand  esprit!...  —  que  dîs-je? 

La  mort  tuant  la  vie?..  Impossible  prodige! 

C'est  le  jour  qui  jaUlit  des  ombres  du  trépas! 

C'est  la  vie  éternelle  où  l'homme  ne  meurt  pas! 

Où  ce  qui  fut  en  lui  d'amour  et  de  lumière 

Chante,  rayonne,  pense,  échappe  à  la  poussière! 

L'auteur  de  Faust  a  dit  un  jour  ces  vérités  : 

«  —  Les  hommes,  fils  de  Dieu,  sont  des  ressuscites 

»  Qui  pour  quelques  instants  habitent  leur  cadavre; 

»  Eu  vain  la  mort  paraît,  et  les  frappe,  et  les  navre, 

j  L'âme  surgit,  se  plonge  au  sein  même  du  jour, 

»  Et  du  foyer  divin  retombe  en  chants  d'amour!  » 


•'ÎCi 


LE  MEiNESTlŒL 


Vis  Jonc,  et  ropands-nous  ton  âme  et  ton  génie. 
Maître  aimé!..  Répands-nous  cette  clarté  bénie 
Où  des  haines  d'antan  s'apaise  le  transport! 
Jette  des  chants  d'oiseau  dans  les  bruits  de  l'orag 
D'un  rayon  souriant,  conjure  le  naufrage!.. 
IjS.  colère  est  l'écueil,  le  génie  est  le  port! 

Il  sourit,  il  attire,  il  unit,  il  console 
Et  rassérène  l'air  du  bruit  de  sa  parole; 
Il  dissipe  des  nuits  les  nuages  épais; 
II  émerge  du  sein  de  l'océan  sonore; 
Dans  les  cieux  dévastés  il  ramène  l'aurore 
Et  blanchit  l'horizon  des  lueurs  de  la  paix  ! 

0  paix  divine,  viens,  descends,  fais  le  silence! 
La  voix  du  maître  chante,  et  plane,  et  se  balance 
Gomme  un  appel  que  Dieu  fait  à  l'humanité! 
Elle  échaufl'e  les  cœurs  de  ses  divines  flammes, 
Domine  les  esprits  et  fait  voguer  les  âmes 
Sur  des  flots  d'harmonie  et  de  fraternité! 


Voilà  qui  a  du  souffle  et  de  l'envergure.  Il  n'y  avait  guère  que 
Gailhard  lui-même  qui  pût  prétendre  à  mieux  faire.  Mais  il  nous 
ré.-erve  ses  soupirs  poétiques  pour  le  moment,  très  proche  d'ailleurs, 
où,  débarrassé  des  soucis  du  pouvoir  direcloriH],  il  pourra  leprendie 
le  cours  de  ses  chères  études  et  doter  sa  pairie  de  quelques  chefs- 
d'œuvre  littéraires.  Il  a  déjà  sur  le  chantier  plusieurs  sujets  d'opéras 
et  de  ballets.  Après  Gailhard  directeur,  nous  allons  avoir  Gailhard 
homme  de  lettres.  Mais  dans  quelle  langue  écrira-l-il?  Il  n'en  sait 
rien  encore.  Le  français  le  gêne  un  peu,  à  cause  de  l'onhographe. 

H.    MOREiX'û. 


HISTOIRE  ANECDOTIQUE 

DU 

CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 

(Suite) 


Deux  accessits  dans  les  concours  à  huis  clos  :  Olivier  Métra  pour 
l'harmonie,  Bizet  dans  la  classe  d'orgue.  Bonnehée  remporte,  à 
l'unanimité,  le  prix  de  rhant;  honorée  d'une  moindre  récompense, 
mais  plus  applaudie  encore,  M""=  Girard.  Les  vainqueurs  de  l'archet 
s'appellent  Fournier,  Garcin  et  Lolto.  un  vio'onisie  de  douze  ans, 
Lamoureux,  Accursi;  MM.  Sapin,  Bonnehée  et  Achard  sont  à  la 
lèle  des  classes  d'opéra-eomiqne.  Comédie:  Grenier,  Roger,  M"''*  De- 
laislre  et  Delaporte. 

Un  vétéran  de  l'École  prend  sa  retraite  vers  la  iin  de  l'année  ; 
M.  Vogt,  entré  rue  Bergère  en  1816,  après  avoir  fait  partie  de  la 
chapelle  impériale,  suivi  Napoléon  à  Ulm  et  à  Austerlitz,  abandonne 
la  clatse  de  hautbois.  M.  Verroust  lui  succède. 

Le  11  décembre,  au  lendemain  de  l'inauguration  du  boulevard 
de  Strasbourg,  M.  Achille  Fould  préside  la  dislribulion  des  prix. 
Eu  présence  du  piince  Napoléon,  qu'accompagne  M.  Troplong,  le 
minisire  assure  le  Conservatoire  de  la  haute  piotection  de  l'Empe- 
reur. Les  cours  supprimés  par  la  Reslauralion  seront  rétablis;  la 
classe  de  littérature  et  d'histoire  va  renaître. 

La  cérémonie  est  égayée  par  le  discours  inattendu  du  jeune  Lolto, 
qui,  ne  figurant  pas  au  programme,  demande  au  ministre  l'auto- 
risation de  jouer  le  Mouvement  perpétuel  de  Paganini.  Permission 
aussitôt  accordée  et  succès  maguifîque. 


CHAPITRE  VII 
NAPOLÉON    III 

Le  .30  janvier  1833,  Paris  s'éveille  au  bruit  du  canon-  c'est  le 
mariage  de  Napoléon  III.  De  l'Elysée  aux  Tuileries,  du  château  à 
la  cathédrale,  la  foule  se  presse  derrière  la  haie  des  troupes  avide 
d'admirer  l'adorable  beauté  de  la  souveraine,  jalouse  d'acclamer 
l'héritier  de  «  l'Empereur  ». 

Dans  Notre-Dame,  cinq  cents  musiciens  sont  réunis,  el  le  Conser- 
vatoire figure  en  bon  rang  à  l'orchestre  ou  sur  les  bancs  des  cho- 
ristes. Le  cortège  entre  aux  sons  de  la  iMarche  de  Schneitzhœffer  • 
puis  viennent  le  Credo  et  VO  Salutaris  de  Spontini,  ie  Sunctus 
d'Adam,  le  Te  Deum  de  Lesueur  et  le  Domini  salviun,  instrumenté 
par  Auber. 

Reconstituée  par  le  directeur  du  Conservatoire,  la  chapelle  impé- 
riale se  fait  entendre,  pour  la  première  fois,  à  la  messe  du  1.3  février- 
tous  anciens  [.remiers  prix,  ces  artistes  de  race  conduits  pjr  Girard' 
Voici  Alard,  Tilmant,  Dancla,  Sauzay,  Maurin,  Leudet  Battu  Fran- 
ehorame,  Samary,  Chevillard,  Labro,  Dorus,  Altès,  KIosé,  Ve'rroust 
Gallay;  Benoist  est  à  l'orgue,  Plantade  et  Leboiue  mènent  les 
chœurs. 

Reprise  des  exercices  le  24  avril.  La  musique  n'y  est  représentée 
que  par  une  ouverture  de  Victor  Chéri,  tandis  que  la  comédie 
triomphe  avec  des  fragments  de  rartuffc  et  du  Barbier.  On  y  re- 
trouve avec  le  plus  vif  intérêt  MM.  Gilles  de  Saint-Germain,  Lesage 
Gren.er,^  M"^  Grange  ;  il  n'est  qu'une  voix  pour  vanter  la  ber-uté  de 
M"°  Arreiip. 

Le  6  mai,  soirée  qui  marque  dans  les  fastes  de  l'École.  En  pré- 
sence du  pnoee  Luc:ea  Bonaparte,  de  M.  Achille  Fould,  devant  les 
ministres,  les  ambassadeurs,  les  maréchaux,  applaudi,  par  tous  les 
Pansions  de  marque,  les  élèves  jouent  un  acte  du  Barbier,  précédé 
d  un  prologue  de  M.  Camille  Doucet,  dit  par  M"'  Arrène.  A  Beau- 
marchais succède  Rossini;  Ze  Comte  Ory  a  pour  interprètes  Bonnehée, 
Ferrand  et  M"e  Rey  qui  avait,  quelques  jours  plus  tôt,  dans  là 
chapelle  du  château,  fait  entendre  des  fragments  du  Stabat 

Apres  avoir  brillé  à  l'église  et  sur  la  scène,  Je  Conservatoire  va 
se  signaler  en  plein  air  ;  ses  meilleurs  élèves  sont  parmi  les  trois 
cents  exécutants  qui,  le  lo  août,  sous  la  conduite  d'Auber,  donnent 
un  concert  splendide  dans  le  jardin  des  Tuileries. 


Les  promesses  de  M.  Fould  n'étaient  pas  paroles  vaines  ;  le 
4  février  18o4,  une  sixième  classe  de  piano  est  fondée  et  confiée  à 
Félix  Le  Couppey.  Presque  en  même  temps,  la  commission  qui  doit 
reviser  le  règlement  commence  ses  travaux  :  présidée  par  Alfred 
Blanche,  elle  réunit  les  noms  d'Auber,  Scribe,  Halévy,  Roqueplan, 
Emile  Perriu,  Samsou,  Camille  Doucet  et  A.  de  Beaucbesne. 

Reprise  des  exercices.  La  compo.-ition  du  premier  programme  ne 
témoigne  pas  d'une  grande  recherche  de  la  nouveauté:  l'Épreuve  et 
le  2'  acte  du  Comte  Orij,  avec  une  ouverture  de  M.  Jules  Cohen. 

Trois  mois  sont  nécessaires  pour  préparer  la  représentation  de 
Marie  (!1  juiu).  PasdeJoup  conduit  l'orchestre.  Les  auditeurs  s'ac- 
cordent à  reconnaître  les  plus  belles  <lisposilions  à  M.  Nicolas,  un 
jeune  ténor  qui,  itialianisé,  figurera  un  jour  parmi  les  favoris  du 
succès. 

Que  de  noms  entendus  pour  la  première  fois  à  l'is.'iue  des  con- 
cours, vantés,  célébrés,  partout  ledits  depuis  lors  !  C'est  l'accessit 
de  piano  de  M.  Massenet,  ca/narade  de  classe  de  Ghys.  de  Fissot, 
de  Duvernoy,  premiers  prix  ex  œquo  ;  un  accessit  à  M.  Danbé  et 
un  prix  à  M.  Lamoureux.  Olivier  Métra,  Léo  Delibes,  J.  Cohen  et 
Bizet  sont  ciiés  à  l'ordre  du  jour;  M.  Achard  l'emporte  sur  tous 
ses  rivaux  en  opéra- comique.  Tragédie  et  comédie  sont  d'une  in- 
croyable faiblesse  ;  on  n'y  peut  citer  que  M"'  Stella  Colas  ou 
M"*^  Delaporte. 

Le  discours  de  la  distribution  des  prix,  déclamé  par  M.  Blanche, 
secrétaire  général  du  ministre  d'Éial.  est  d'un  médiocre  intérêt. 
Relevons-y  l'annonce,  chaleureusement  accueillie,  suivant  la  tradi- 
tion, du  remplacement,  par  Régnier,  de  Samson,  appelé  à  la  classe 
d'histoire  et  de  littérature. 

1835.  Xa  guerre  de  Crimée  et  l'Exposition,  bruits  de  conquêtes 
ou  manifestation  pacifique,  ne  font  pas  négliger  la  musique.  Con- 
certs au  château,  chez  les  ministres,  représentations  de  gala,  spec- 
tacles gratuits.  L'année  passera  en  un  tourbillon  de  fêtes. 

Dans  ses  appartements  du  Louvre,  le  comte  de  Nieuwerkerke 
appelleia  à  mainte  reprise  les  élèves  du  Conservatoire;  les  pro- 
grammes fort  artistiques  de  ces  soirées  sont  composés  par  Pasdeloup. 

L'Opéra  fait  applaudir  les  Vêpres  siciliennes,  et  réunit  dans  le  Prophète 
M""'  Alboni  et  Roger;  Jacjuarita  au  Lyrique,  /e  Z)emî-i1/o«rfe  au  Gym- 
nase, les  fantaisies  d'Hervé  aux  Folies -Nouvelles,  encaissent  des 
recettes  mirifiques.  Les  abonnés  du  Théâtre-Italien  applaudissent 
Maiio,  M'""''  Peneo,  Borghi-Mamo,  Viardot;  c'est  aussi  l'époque  de 
la  lulle  ouverte  entre  Rachel  et  M'"'  Ristori. 

Le  public  ne  réserve  pas  ses  bravos  pour  ses  étoiles;  pour  faire 
entendre  son  Décameron  dans  le  concert  donné  au  mois  d'avril. 
Jacques  Ofl'enbach  appelle  à  lui  les  élèves  du  Conservatoire.  Aux 
côtés  de  M"«  Poinsot,  de  Ch.  Bouchard,  de  M"«  Luther  et  Marie  Damo- 
reau,  voici  M""*  Désolée,  Stella  Colas,  Fleury,  Rey-Balla. 

Elles  sont  de  nouveau  applaudies  par  le  ministre  d'Etat,  sur  la 
scène  de  l'Ecole.  Entre  M""  Desclée  (la  comtesse)  et  M.  Fournier 
(Almaviva),  M""  Delaporte  incarne  le  plus  gracieux  Chérubin  qui 
se  puisse  rêver.  D'ailleurs,  les  encouragements  officiels  ne  feront 
pas  défaut  cette  année  aux  sujets  d'.^uber  :  pour  entendre  le  troi- 
sième acte  iïArmide,  chanté  par  M""^  Rey-Balla  et  La   Pommeraye, 


LE  MEiNESTREL 


365 


MM.  Cœilte  et  Lamazou,  le   président  du  Sénat   et  le   préfet  de  la 
Seine  prennent  place  dans  la  loge  d'honneur. 

Réapparition  des  enfants  prodiges  au  concours  de  piano  :  deux 
musiciens  qui  n'ont  pas  atteint  la  douzième  année,  Duvernoy  et 
Fissot,  se  partagent  les  lauriers.  Accessits  :  MM.  Guiraud  et  Diémer. 
Il  n'est  pas  une  voix  pour  protester  contre  le  premier  prix  donné 
au  violoniste  Romeo  Accursi.  MM.  Canoby,  Ben-Tayoux,  Planté  et 
Dubois  brillent  au  solfège  et  à  l'harmonie.  M"'  Dalmont  chante  à 
ravir  une  scène  du  Caid,  qui  lui  vaut  un  tiioraphal  exeat;  M""  De- 
voyod  ranime  un  instant  les  auditeurs  de  la  tragédie.  Prix  de 
comédie  :  M.   Roger  et  M""  Stella  Colas. 

Pour  beaucoup  d'élèves  du  Conservatoire,  les  vacances  n'ont  été 
qu'un  repos  fort  incomplet.  Il  faut  être  prêt  à  reparaître  brillam- 
ment devant  les  mélomanes  qui,  depuis  le  mois  de  janvier,  suivent 
régulièrement  les  concerts  de  la  Société  des  jeunes  artistes,  dirigée 
par  Pasdeloup.  Une  symphonie  de  M.  Gounod,  écrite  spécialement 
pour  elle,  a  été  le  morceau  de  résistance  de  la  saison,  redemandé, 
acclamé.  —  A  la  nouvelle  de  la  prise  de  Sébastopol,  décision  minis- 
térielle prolongeant  les  congés  de  huit  jours. 

C'est  au  tour  des  manifestations  pacifiques.  Le  dS  novembre,  dans 
le  Palais  de  l'Iadustrie,  distribution  des  médailles  aux  exposants. 
Berlioz  a  dressé  un  fantastique  programme  à  double  choeur  et 
double  orchestre;  sur  des  paroles  du  commandant  Lafont  il  a  écrit 
une  cantate,  l'Impéi'iale,  attaquée  à  l'entrée  des  souverains.  Mais 
alors  de  tels  hurrahs  éclatent  de  toutes  parts,  les  cris  «  Vive  l'Km- 
pereur  »  se  déchaînent  si  assourdissants,  que  du  balcon  où  sont 
les  douze  cen!s  exécutants,  aucun  son  distinct  n'arrive  jusqu'au 
publie. 

Le  lendemain,  on  donnait  à  Hector  Berlioz  la  consolation  d'une 
seconde  exécution.  Auprès  de  l'Impériale,  figurent  la  Bénédiction 
des  poignards,  la  Prière  de  Moïse,  le  Te  Deum. 

M.  Ambroise  Thomas  est,  en  décembre,  nommé  inspecteur  géné- 
ral des  écoles  de  musique  des  départements,  en  remplacement  de 
M.  Balton;  venue  de  la  même  succession,  la  classe  d'ensemble  vocal 
pour  laquelle  Pasdeloup  est  désigné.  Cette  double  nomination, 
annoncée  au  début  de  la^  distribution  des  prix,  vaut  une  longue 
salve  au  compositeur  et  au  chef  d'orchestre. 

(A  suivi-e.)  André  Martinet. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (12  novembre).  —  La  première  du 
Rêve  vient  d'avoir  lieu,  ce  soir,  à  la  Monnaie.  Il  y  aurait,  de  ma  part,  une 
véritable  outrecuidance  à  vous  parler  encore  de  l'œuvre  de  MM.  Zola, 
Gallet  et  Bruneau,  après  l'article  substantiel  et  raisonné  que  lui  a  consa- 
cré naguère,  ici-méme,  avec  son  autorité  habituelle,  mon  collaborateur 
et  ami,  M.  Arthur  Pougin.  Cette  œuvre,  la  Monnaie  nous  l'a  donnée 
absolument  telle  que  les  Parisiens  l'ont  vue,  à  la  «  première  »,  avec 
les  suppressions  et  les  modifications  pratiquées  après  la  répétition  géné- 
rale —  et  en  costumes  de  ville,  comme  à  l'Opéra-Gomique.  La  seule 
chose  dont  j'aie  à  vous  parler,  c'est  de  l'impression  produite  sur  le 
public  bruxellois.  Cette  impression  a  été  généralement  excellente.  Il 
est  bien  certain,  tout  d'abord,  que  l'agrément  et  la  sensibilité  du  sujet 
y  ont  été  pour  une  large  part;  on  a  pleuré,  ou  a  été  ému,  et,  des 
galeries  supérieures  jusqu'aux  fauteuils  d'orchestre,  bien  des  mouchoirs 
ont  essuyé  bien  des  larmes.  Quant  à  la  musique,  elle  a  bien  un  peu 
crispé,  étonné  ou  inquiété  un  certain  nombre  de  spectateurs;  mais  je  dois 
à  la  vérité  de  dire  qu'il  n'y  a  guère  paru,  et  que  l'intérêt  musical  que  la 
majeure  partie  du  public  y  a  trouvé,  dans  les  bonnes  pages  de  la  parti- 
tion, a  aflîrmé  le  succès,  au  milieu  même  des  inévitables  discussions. 
Le  public  bruxellois  était,  d'ailleurs,  préparé  à  toutes  les  audaces;  lui,  que 
n'ont  rebuté  ni  Siegfried,  ni  la  Watkyrie,  ni  les  Maîtres  Chanteurs,  pouvait 
supporter  le  Rêve  avec  sérénité.  Il  va  sans  dire  que  personne  ne  songe  à 
établir  la  moindre  comparaison  entre  Wagner  et  M.  Bruneau.  Bien  que, 
en  apparence,  il  y  ait  quelques  «  similitudes  »  dans  leur  systèm'e  de 
déclamation  lyrique  et  dans  l'emploi  qu'ils  font  tous  deux  du  leitmotiv,  il 
s'en  faut  que  ces  similitudes  soient  très  étroites  ;  M.  Bruneau,  par  exemple, 
est  loin  d'avoir  la  puissance  de  développement  et  de  transformation  du 
leilmotiv  si  admirable  chez  Wagner  ;  il  se  contente  d'apporter  de  l'ingénio- 
sité et  du  pittoresque  où  le  maître  de  Bayreuth  va  jusqu'à  la  profondeur. 
Les  deux  arts  sont  essentiellement  différents;  M.  Bruneau  se  froisserait  si 
on  lui  disait  le  contraire  ;  il  aurait  raison;  et  le  public  l'a  compris  ainsi 
également.  Celui-ci  a  applaudi,  dans  la  partition  de  M.  Bruneau,  les  jolis 
détails,  les  scènes  émues,  la  nouveauté  de  l'action,  l'intérêt  d'une  orches- 
tration curieuse  jusqu'en  ses  recherches  et  ses  barbarismes,  et,  avant  tout, 
la  couleur  de  l'ensemble  qui,  à  coup  sur,  n'a  rien  de  banal.  Il  n'a  pas  tout 
applaudi,  ni  tout  acclamé  ;  il  a  eu  de  la  réserve  pour  certaines  choses,  et 


de  l'enthousiasme  pour  d'autres;  et,  finalement,  il  a  fait  fête  aux  auteurs. 
L'interprétation  du  Rêve  est,  du  cô(é  de  l'orchestre,  tout  à  fait  excellente  ; 
du  côté  des  chanteurs,  elle  est  très  satisfaisante.  Il  faut  cependant  tirer 
hors  de  pair  M.  Séguin,  qui  a  été  admirable  dans  le  rùle  de  l'évêque. 
M"»  Chrétien  n'a  pas  la  voix  qui  convient  à  celui  d'Angélique,  qu'elle 
chante  avec  plus  d'intelligence  que  de  vrai  sentiment;  mais  ses  qualités 
de  bonne  musicienne  l'ont  fort  servie  en  cette  occasion  ;  M"'=  de  Beridez, 
MM.  Leprestre  et  Dinard  sont  sufQsants.  Demain  vendredi,  nouvelle 
0  première  »,  celle  de  Smylis,  le  ballet  inédit  de  M.  Léon  Dubois. 

L.  S. 

—  Neuf  représentations  de  l'Amico  Fritz  ont  eu  lieu  déjà  au  théâtre 
Costanzi,  de  Bome,  avec  un  succès  toujours  croissant.  M.  Sonzogno  ne 
s'en  occupe  pas  moins  déjà  d'un  nouvel  ouvrage,  Piei'  Luigi  Farnese,  opéra 
de  M.  CostantinoPalumbo,  dont  les  répétitions  ont  commencé  cette  semaine 
et  qu'il  compte  faire  passer  incessamment. 

—  Aux  premiers  jours  de  décembre,  l'orchestre  et  tout  le  personnel  du 
Costanzi  iront  à  Naples  pour  donner  quelques  représentations  de  l'Amico 
Fritz  au  théâtre  San  Carlo.  On  portera  aussi  décors  et  accessoires.  Les 
premiers  rôles  seuls  seront  changés.  A  Naples,  les  principaux  interprètes 
seront  ;  M""=  Bellincioni,  M.  Stagne  et  M.  Kaschmann. 

—  Les  journaux  italiens  continuent  de  s'entretenir  du  succès  du  nouvel 
opéra  de  M.  Mascagni,  l'Amico  Fritz,  qui  parait  en  effet  très  considérable. 
Le  prix  des  places  avait  été  à  ce  point  augmenté  au  théâtre  Costanzi,  pour 
la  première  représentation,  que  certains  journaux  vont  jusqu'à  dire  que 
la  recette  s'est  élevée  ce  jour-là  au  chiffre  de  40,000  francs  ;  d'autres, 
plus  raisonnables  et  plus  près  de  la  vérité  sans  doute,  se  bornent  à  la 
fixer  à  20,000  francs.  Le  journal  te  Secolo,  de  Milan,  publie  la  dépêche  sui- 
vante de  Rome  :  —  «  Les  Napolitains  venus  ici  pour  la  première  repré- 
sentation de  l'Amico  Fritz  et  qui,  enthousiasmés,  ont  assisté  encore  à  la 
troisième,  ont  offert  à  Mascagni  un  superbe  banquet,  dans  lequel  ils  ont 
bu  à  la  santé  de  l'auteur  de  la  Cavalleria,  de  Fritz  et  des  Ranlzau  (le  pro- 
chain ouvrage  de  M.  Mascagni)  et  à  celle  de  l'éditeur  des  œuvres  du  jeune 
maestro  italien.  » 

—  Le  Comité  exécutif  de  l'Exposition  de  Palerme,  nous  l'avons  dit 
naguère,  avait  chargé  M.  Mascagni  de  composer  l'hymne  qui  devait  être 
exécuté  lors  de  la  cérémonie  d'inauguration  de  cette  Exposition,  dont 
l'ouverture  est  très  prochaine.  A  la  suite  de  diverses  sollicitations  du 
Comité,  M.  Mascagni  finit  par  répondre  qu'il  n'avait  pas  fait  ce  morceau 
à  cause  d'une  maladie  dont  son  bras  droit  avait  été  atteint  (?).  Celui-ci 
lui  fixa  alors  une  date  ferme,  mais  le  morceau  n'arriva  point,  et  l'on  vit 
bien  qu'il  fallait  s'en  passer.  Une  Exposition  sans  cantate  !  Le  cas  était 
douloureux.  L'anxiété  fut  heureusement  de  courte  durée.  Si  M.  Mascagni 
ne  travaillait  pas,  un  de  ses  confrères  mettait  à  profit  sa  négligence  et 
travaillait  en  secret.  Ce  confrère  est  un  maestro  du  nom  de  Maggio,  qui 
a  fait  répéter,  ces  jours  derniers,  une  cantate  qu'il  avait  écrite  discrète- 
ment pour  la  circonstance,  et  qui,  parait-il,  a  satisfait  tous  les  auditeurs. 
Si  bien  que,  comme  toute  Exposition  qui  se  respecte,  l'Exposition  de 
Palerme  aura  sa  cantate  inaugurale.  Tout  est  bien  qui  finit  bien. 

—  Nous  avons  parlé,  il  y  a  quelques  mois,  d'un  concours  ouvert  à  Bolo- 
gne, au  nom  de  M.  Baruzzi,  pour  la  composition  d'un  opéra  destiné  à  être 
représenté  au  Théâtre  communal,  le  plus  important  de  cette  ville  et  l'une 
des  quatre  grandes  scènes  lyriques  de  l'Italie.  Trois  artistes  ont  pris  part 
à  ce  concours  :  M.  Francesco  Declementi,  de  Teramo,  aved  un  opéra  eu 
trois  actes  intitulé  Elluaria  ;  M.  Pucci,  de  Cava  dei  Tirreni,  av3C  un  opéra 
en  trois  actes  intitulé  nn  Curioso  Accidente;  M.-Oronzio  Sbavaglia,  de  (rir- 
genti,  avec  un  opéra  en  trois  actes  intitulé  la  Fuggitiva  delt'Harem.  Le  prix 
de  ce  concours,  qui  est  de  5,500  francs,  doit  servir  aux  frais  de  l'exécution 
de  l'ouvrage  couronné,  à  moins,  dit  le  Trovatore,  que  la  direction  du  théâtre 
prenne  ces  frais  à  sa  charge,  auquel  cas  la  somme  appartiendrait  au  for- 
tuné vainqueur.  —  Va-t-en  voir  s'ils  viennent,  Jean... 

—  A  peine  arrivé  à  Vienne,  le  ténor  Van  Dyck  a  continué,  avec  la 
charmante  M''=  Renard,  la  série  des  représentations  de  Manon.  Voici  la 
dépêche  que  nous  recevons  :  «  Hier,  Manon,  succès  encore  plus  grand  qu'à 
la  première  représentation.  Réception  enthousiaste,  trente  rappels  dans 
la  soirée.  » 

—  Dernières  nouvelles  relatives  à  la  future  Exposition  théâtrale  et  mu- 
sicale de  Vienne,  données  par  le  correspondant  viennois  du  Figaro:  Voici 
les  dernières  nouvelles  sur  l'exposilion  internationale  de  musique  et  de 
théâtre  projetée,  on  le  sait,  pour  l'année  prochaine.  La  construction  du 
théâtre  avance  rapidement.  Le  Théâtre-Français  y  donnera  dix  représen- 
tations dans  le  courant  du  mois  de  juin.  Les  théâtres  de  Vienne  y  joue- 
ront pendant  les  mois  de  mai  et  de  septembre,  trois  théâtres  de  Berlin  au 
mois  de  juillet.  On  est  en  pourparlers  avec  l'Opéra  de  Milan,  avec  des 
théâtres  hongrois,  tchèques  et  polonais.  A  la  Tonhalle,  immense  hall  de 
musique,  on  organisera  une  vingtaine  de  grands  concerts,  dirigés  par  les 
plus  célèbres  compositeurs  et  chefs  d'orchestre.  Hans  Richter,  Biilow, 
Verdi  ont  déjà  promis  leur  concours.  H  est  probable  qu'on  aura  également 
Mascagni.  L'Exposition  contiendra  tout  ce  qui  se  rapporte,  de  près  ou  de 
loin,  à  la  musique  et  au  théâtre.  Il  y  aura  des  souvenirs  des  grands 
compositeurs.  Le  prince  Lichnowski  exposera  le  beau  piano  sur  lequel 
Beethoven   aimait  jouer  ;  le  comte  Esterhazy   prêtera    ses   souvenirs   dé 


366 


LE  MENESTREL 


Haydn:  le  baron  N.  Rothschild,  sa  magnifique  collection  d'instruments  de 
musique. Toutes  les  grandies  familles  de  la  monarchie  mettront  leurs  archi- 
ves, leurs  galeries,  leurs  collections  artistiques  à  la  disposition  du  comité. 
On  arrivera  à  reconstruire  les  cabinets  de  travail  de  Gœthe,  de  Richard 
Wagner,  de  Beethoven,  de  Schubert,  etc.  Enfin,  ce  sera  uue  exposition 
des  plus  complètes,  des  plus  originales  et  qui  promet  d'attirer  toute  l'Eu- 
rope artistique  dans  la  vieille  cité  impériale. 

— L'Université  de  Vienne  vient  de  conférer /ionoris  causa  le  titre  de  docteur 
en  philosophie  à  W.Antoine  Bruckner,  un  des  plus  remarquables  compo- 
siteurs contemporains  de  l'Allemagne.  M.  Bruckner  est  professeur  de 
composition  à  l'Université  devienne  et  au  Consei-vatoire  de  cette  capitale; 
il  remplit  depuis  trente  ans  les  fonctions  d'organiste  à  la  cathédrale  de 
Vienne.  Ses  œuvres  principales  sont  les  sept  symphonies  pour  grand 
orchestre  qu'il  a  publiées  jusqu'à  présent  et  son  Te  Daim.  On  le  considère 
en  Allemagne  comme  le  plus  docte  organiste  de  notre  temps  et  comme  le 
plus  magistral  contrapuntiste.  Certaines  influences  ont  su  empêcher  la 
propagation  de  ses  œuvres,  mais  depuis  quelques  années  ses  sjTnphonies, 
notamment  la  romantique  (la  quatrième),  ont  été  jouées  avec  un  succès 
énorme  en  Allemagne  et  en  Angleterre,  et  son  Te  Dcum  a  été  récemment 
accueilli  avec  un  véritable  enthousiasme  à  Berlin.  Les  universités  autri- 
chiennes n'ont  pas  le  droit  de  conférer  le  titre  de  docteur  en  musique, 
dont  Cambridge  et  Oxford  disposent  assez  souvent  ;  la  philosophie,  qui 
joue  en  Allemagne  le  rùle  de  la  bonne  à  tout  faire,  a  donc  dû  se  prêter 
à  ce  que  M.  Bruckner  pût  obtenir  la  distinction  honorifique  qu'il  a  am- 
plement méritée. 

H  paraît  que  les  choses  de  la  musique  sont  loin  d'être  toujours  irré- 
prochables, même  en  Allemagne,  même  dans  les  centres  de  ce  pays  les 
plus  renommés  à  ce  point  de  vue.  Témoin  ce  qu'on  écrit  de  Leipzig,  tou- 
chant la  société  si  célèbre  du  Gswandhaus  à  notre  confrère  le  Guide 
musical:  sLa  mortinopinée  deM.  Limburger,  présidentdela  commission  du 
Gewandhaus,  —  on  sait  que  cette  institution  est  dirigée  par  un  comité  de 
notables  (non  de  musiciens  ou  d'artistes),  —  et  son  remplacement  par 
M.  Gunther,  un  avocat,  directeur  du  Conservatoire,  ont  produit  un  mou- 
vement considérable  dans  les  administrations  qui  gouvernent  l'art,  La  der- 
nière nomination  etla  façon  inconvenante  dont  quelques  jouTnanx(en  parti- 
culier le  Musikalische  Wochenblatt)  se  sont  exprimés  sur  le  compte  de  l'an- 
cien président,  homme  peu  sjTnpathique,  mais  doué  de  grandes  qualités 
et,  de  son  vivant,  prôné  comme  aucun,  tout  cela  a  fait  crier,  et  non  sans 
raison.  Le  fait  de  cette  nomination  malencontreuse  transforme  le  Gewan- 
dhaus en  salle  de  parade  pour  le  Conservatoire.  Si  bien  que  deux  jeunes 
filles.  M"'  Koberstein  (élève  de  W^'  Gœtze,  qui  a  remplacé  la  très  regrettée 
Schimon-Regan,  démissionnaire),  une  chanteuse  sans  grande  voix  et  sans 
méthode,  pas  autrement  musicienne,  et  M^ii^Méta  VÇ'alter,  une  pianiste  qui 
pourrait  avoir  un  certain  succès  dans  un  salon  d'amateur,  se  sont  produites 
sur  le  «  podium  j  du  Gewandhaus.  Autre  changement  :  Reinecke  ne  dirige 
plus  l'accompagnement  des  soli  ;  on  a  nommé  à  cet  effet  nn  jeune  homme, 
M.  Prill,  dont  le  bâton  indécis  est  pitoyable  à  regarder.  César  Thomson, 
qui  a  remporté,  jeudi,  un  succès  inouï  dans  les  annales  du  public  froid 
et  retenu  du  Gewandhaus,  a  dû  être  pas  mal  gêné  par  un  semblable  chef 
d'orchestre.  N'ayant  pu  lui  faire  diriger  sufQsamment  le  concerto  de  Dam- 
rosch,  il  a  pris  le  quatrième  de  Vieuxtemps,  également  inconnu  du  jeune 
maestroetlamentablementaccompagné.  Quelle  décadence  depuis  trois  ans!» 

—  Antoine  Rubinstein,  qui  vient  de  rentrer  à  Saint-Pétersbourg,  s'est 
beaucoup  occupé  de  composition  dans  sa  retraite  de  Dresde.  Il  a  achevé 
son  grand  opéra  sacré  Moïse,  en  huit  parties,  dont  les  six  premières  sont 
déjà  publiées.  De  plus,  il  a  écrit,  outre  six  romances,  une  cantate  pour 
voix  de  femmes,  qui  sera  exécutée  dans  les  instituts  de  demoiselles  de 
Saint-Pétersbourg  le  jour  des  noces  d'argent  de  Leurs  Majestés  Impériales. 
L'illustre  maître  passera  les  fêtes  de  Noël  à  Saint-Pétersbourg,  après  quoi 
il  viendra,  dit-on,  s'établir  à  Paris. 

—  Un  ténor  trop  fougueux,  M.  Figner,  chantait  Faust  dernièrement  à 
l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg.  Au  dernier  acte,  il  entraîna  Marguerite 
avec  tant  de  violence  qu'il  blessa  sa  camarade  au  pied.  Il  a  été  mis,  de  ce 
fait,  à  l'amende  de  trois  cents  roubles. 

—  Edouard  Grieg  se  trouve  en  ce  moment,  parait-il,  à  Christiania.  Le 
maître  de  Bergen  assiste  aux  répétitions  de  quelques-unes  de  ses  grandes 
œuvres  symphoniques,  dont  une  exécution  se  prépare  dans  la  capitale 
nor'wégienne. 

—  La  troupe  de  l'Opéra  allemand  d'Amsterdam  est  de  nouveau  en 
détresse.  Dès  la  fin  du  premier  mois  de  son  exploitation,  le  directeur, 
M.  Schwarz,  fut  déclaré  insolvable.  Aucun  membre  de  son  personnel  n'a 
touché  un  centime  d'appointements.  Les  artistes  veulent  continuer  l'en- 
treprise à  leur  compte. 

—  On  ne  dira  pas  que  les  Espagnols  restent  indifférents  aux  plaisirs  de 
la  scène.  Il  n'y  a  pas  en  ce  moment,  à  Madrid,  moins  de  douze  théâtres 
ouverts  et  fonctionnant  régulièrement:  le  Théâtre  royal,  où  l'on  joue 
l'opéra  ;  la  Zarzuela,  l'Apolo,  l'Eslava,  le  Price,  consacrés  à  l'opérette  et 
à  la  zarzuela  ;  enfin  la  Comédie,  le  théâtre  de  la  Princesse,  le  théâtre 
Lara,  le  théâtre  du  prince  Alphonse,  les  Nouveautés,  le  théâtre  Martin  et 
le  théâtre  Romea,  occupés  par  des  troupes  de  drame  et  de  comédie. 

—  Il  est  question,  paraît-il,  de  fonder  en  Angleterre  une  institution 
analogue  à  celle  qui  existe  en  France  et  en   Belgique,   sous  le  nom  de 


«  Concours  pour  le  prix  de  Rome  ».  Le  Musical  Standard  appuie  chaleu- 
reusement l'idée  d'une  fondation  de  ce  genre,  les  fondations  de  l'espèce, 
mais  d'un  caractère  moins  général,  qui  existent  en  Angleterre,  par  exemple 
la  fondation  Mendelssohn,  ne  lui  paraissant  pas  suffisantes.  Le  Musical 
Standard  ne  fait  pas  appel  à  l'intervention  directe  de  l'Etat,  qui  est  une 
idée  peu  populaire  en  Angleterre,  mais  il  pense  qu'une  partie  des  sommes 
consacrées  annuellement  à  l'organisation  de  festivals  qui  ne  produisent 
rien  pourrait  être  utilement  appliquée  à  la  constitution  d'un  capital  des- 
tiné à  favoriser  les  études  et  les  débuts  de  jeunes  compositeurs  dont  le 
talent  se  serait  affirmé  dans  un  concours  public,  ouvert  à  tous. 

—  Pour  faire  suite  à  l'Exposition  navale  et  militaire  anglaise  qui  vient 
d'avoir  lieu  à  Londres,  le  Standard  met  en  avant  l'idée  d'une  Exposition 
«  ecclésiastique  »  pour  l'année  prochaine.  La  musique  étant,  de  tous  les 
arts,  celui  qui  a  le  plus  contribué  à  l'éclat  et  au  prestige  des  cultes,  une 
place  prépondérante  lui  sei-ait  réservée,  etl'on  espère  arriver  à  placer  sous 
les  yeux  des  amateurs  et  des  érudits  un  tableau  aussi  complet  que  pos- 
sible du  développement  de  la  musique  religieuse  à  travers  les  âges. 

—  C'est  bien  décidément  au  Conservatoire  de  New-York  que  le  compo- 
siteur Dvorak  est  engagé  comme  professeur  de  composition.  Aux  termes 
de  son  contrat,  M.  Dvorak  devra  diriger  quatre  concerts  d'élèves  tous  les 
ans.  11  n'a  jamais  été  question  de  Chicago,  ainsi  que  quelques  journaux 
européens  l'avaient  annoncé. 

—  Le  Musical  Courier,  de  New- York,  vient  d'être  informé  que  le  manus- 
crit d'une  ouverture  inédite  de  Cherubini,  composée  en  1815  pour  la 
Société  philharmonique  de  Londres,  vient  d'être  découvert  par  M,  Grûtz- 
macher,  maître  de  concerts  à  Dresde.  Cette  œuvre,  qu'on  dit  remarquable, 
va  paraître  prochainement  chez  l'éditeur  Kahnt,  à  Leipzig, 

PARIS    ET    DÉPiRTEMENTS 

Dans  sa  dernière  séance  publique  annuelle,  l'Académie  des  beaux- 
arts  a,  selon  sa  coutume,  distribué  un  certain  nombre  de  prix  provenant 
de  fondations  particulières,  et  dont  la  musique  avait  sa  part.  Le  prix 
Trémont,  dont  la  valeur  est  de  2,000  francs,  a  été  partagé  entre  M.  Lenoir, 
peintre,  M.  Belloc,  sculpteur,  et  M.  Ferdinand  Poise,  compositeur.  Le 
prix  Chartier,  pour  l'encouragement  de  la  musique  de  chambre,  a  été 
décerné  à  M.  Deldevez,  l'ancien  chef  d'orchestre  de  l'Opéra.  On  sait  déjà 
que  le  prix  Rossini  n'a  pas  eu  de  titulaire  cette  année.  Le  rapport  s'ex- 
prime ainsi  en  faisant  connaître  les  résultats  négatifs  du  concours  relatif 
à  ce  prix  :  «  L'Académie,  vu  la  faiblesse  des  œuvres  adressées  au 
concours  ouvert  en  1890  pour  la  composition  musicale,  a  prorogé  le 
concours  au  31  décembre  1891,  en  maintenant  comme  livret  la  pièce  de 
poésie  intitulée  Isis,  de  MM.  Eugène  et  Edouard  Adeuis.  Un  nouveau 
concours  est  ouvert  pour  la  production  d'une  œuvre  poétique  destinée  à 
être  mise  en  musique.  Les  manuscrits  devront  être  déposés  au  secrétariat 
de  l'Institut  avant  le  .31  décembre  1891,  »  Ajoutons  que  l'Académie  se 
trouve  en  possession  d'une  nouvelle  fondation,  le  prix  Kastner-Boursault, 
dû  à  la  libéralité  de  la  veuve  de  Georges  Kastner,  le  fameux  musicographe 
qui  fut  l'un  des  membres  associés  de  l'Académie.  Le  rapport  l'annonce 
en  ces  termes  :  «  Par  son  testament,  en  date  du  17  juin  1889,  M™  Bour- 
sault,  veuve  Kastner,  a  légué  à  l'Académie  des  beaux-arts  une  somme 
suffisante  pour  la  fondation  d'un  prix  triennal  de  2,000  francs  destiné  à 
récompenser,  la  première  année,  le  meilleur  ouvrage  de  littérature  musicale 
fait  en  France  ou  à  l'étranger  qui  traitera  de  l'influence  de  la  musique  sur  le 
développement  de  la  civilisation  dans  la  vie  2}ublique  et  dans  la  vie  privée.  Aux 
termes  du  testament,  l'Académie,  après  avoir  décerné,  la  première  année, 
le  prix  sur  la  question  ci-dessus,  posée  par  la  fondatrice  elle-même,  aura 
la  faculté  de  choisir  les  sujets  des  concours  suivants.  Ce  prix  sera  décerné 
pour  la  première  fois  en  1894.  » 

—  Afin  de  donner  plus  d'éclat  à  la  cérémonie  qui  devait  suivre  le 
couronnement  du  buste  de  Meyerbeer,  à  l'Opéra,  la  direction  avait  cru 
devoir  adresser  la  lettre  suivante  aux  artistes  qui  ont  créé  ou  interprété, 
à  l'Opéra,  les  principaux  rôles  dans  les  ouvrages  de  Meyerbeer  : 

Nous  avons  l'honneur  de  faire  appel  à  votre  concours  pour  la  représentation 
qui  doit  être  donnée,   samedi  prochain,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Meyerbeer. 

La  présence,  devant  le  buste  du  maître,  des  grands  artistes  qui  ont,  comme 
vous,  contribué  au  succès  de  ses  œuvres,  donnera  à  cette  cérémonie  l'éclat 
qu'elle  doit  comporter,  et  nous  espérons  que  vous  voudrez  bien  reparaître,  eu 
l'honneur  de  Meyerbeer,  sur  cette  scène  de  l'Opéra  oii  vous  avez  laissé  de  si  vite 
retrrets. 

^■euiUe^  agréer.  M...,  l'expression  de  nos  sentiments  les  plus  distingués. 

E.  RiTT  et  Gailhabd. 

Ces  artistes  étaient  :  M"'»  Viardot,  Marie  Sasse,  Krauss,  Carvalho, 
Dorus-Gras,  Battu,  Poinsot,  Mauduit,  Isaac,  Dufrane,  Ploux;  MM.  Du- 
prez,  Faure,  Obin,  Boudouresque.  Villaret,  VS'arot,  Bosquin,  Giraudet  et 
Caron.  Nous  saurons  combien  parmi  eus  auront  jugé  bon  de  répondre  à 
l'appel  de  MM,  Ritt  et  Gailhard.  Les  deux  directeurs  excitent  si  peu  de 
sympathie  dans  le  monde  des  artistes  qu'il  est  bien  à  craindre  qu'ils  se 
soient  exposés  là  à  une  véritable  suite  de  camouflets. 

—  Nous  avons  dit  déjà,  à  maintes  reprises,  que  M.  Bertrand  comptait 
inaugurer  sa  direction  à  l'Opéra  par  la  représentation  de  Salammbô.  Un 
de  nos  confrères  du  matin  ayant  avancé  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  avaient 
refusé  à  leur   successeur  «  tout  foyer,  tout   coin,    si  petit   fùt-il  »,  pour 


LE  MENESTREL 


367 


procéder  aux  études  de  l'œuvre  de  Reyer,  M.  Aderer  a  interrogé  M.  Gail- 
hard  sur  cette  nouvelle,  et  voici  ce  qui  lui  a  été  répondu  : 

M.  Ernest  Reyer  a  eSectivement  demandé  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  un  foyer 
pour  les  études  de  Salammbô.  Les  directeurs  de  l'Opéra  ont  répondu  qu'ils  se- 
raient heureux  de  déférer  au  désir  du  compositeur  et  de  mettre  leur  théHtre  à  la 
disposition  de  M.  Bertrand  pour  préparer  l'ouverture  de  la  prochaine  direction. 
Ils  ont  fait  simplement  observer  à  M.  Ernest  Rejer  que  le  personnel  de  l'Opéra 
va  être  de  jour  en  jour  plus  occupé  par  les  répétitions  de  Tamara,  de  M.  Bour- 
gault-Ducoudray.  On  ne  peut  imposer  aux  chœurs  l'obligation  de  mener  de  front 
les  études  de  Tamara  et  de  Salammbô.  Si  M.  Bertrand  veut  se  charger  de  Ta- 
mara et  nous  dégager  à  l'égard  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  nous  n'y  ferons 
aucune  opposition.  Ce  sera  à  lui  de  décider  de  la  priorité  entre  ces  deux  ou- 
vrages, et  nous  nous  empresserons  de  lui  donner  toutes  les  facilités  qu'il  pourra 
désirer. 

Prenez  notre  ours,  ont  l'air  de  dire  MM.  Ritt  et  Gailhard  à  M.  Ber- 
trand, et  nous  vous  ferons  des  grâces.  Gomme  tout  cela  est  aimable, 
vraiment,  pour  MM.  Bourgault-Ducoudray  et  Louis  Gallet,  auteurs  de 
Tamara!  MM.  Ritt  et  Gailhard  ne  sont  même  pas  capables  d'un  bon  sen- 
timent à  l'expiration  d'une  direction  qui  les  a  couverts  d'or.  Ils  auront 
été  mesquins,  ridicules  et  inconvenants  jusqu'au  bout. 

—  Avant  de  quitter  Paris,  le  ténor  Van  Dyck  a  signé  un  engagement 
avec  M.  Charles  Lamoureux  pour  trois  concerts  à  donner  durant  la  se- 
maine sainte.  M.  Berti'and  s'est  assuré  également  son  concours  pour  trois 
ans,  mais  il  ne  pourra  le  posséder  que  quatre  mois  de  l'année,  à  cause 
des  engagements  antérieurs  du  célèbre  artiste. 

—  La  commission  du  budget  a  rétabli  hier,  au  budget  des  dépenses  de 
■1892,  les  crédits  nécessaires  au  fonctionnement  de  la  censue  dramatique. 
Ces  crédits  avaient  été  primitivement  supprimés,  en  prévision  de  l'adop- 
tion, par  la  Chambre,  du  rapport  de  M.  Guillemet,  tendant  à  la  suppres- 
sion temporaire  de  la  censure.  Mais  le  ministre  des  beaux-arts  a  fait 
observer  à  la  commission  que,  si  la  Chambre  repoussait  les  conclusions 
du  rapport  Guillemet,  il  lui  faudrait  demander,  dans  ce  cas,  des  crédits 
supplémentaires.  Il  a  expliqué  qu'il  lui  paraissait  préférable  d'inscrire  dès 
maintenant  au  budget  les  crédits  habituels;  si  le  Parlement,  après  les 
avoir  votés,  décide  la  suppression  de  la  censure,  rien  ne  sera  plus  simple 
que  de  les  annuler.  La  commission  s'est  rangée  à  l'avis  de  M.  Bourgeois, 
et  c'est  dans  ces  conditions  qu'ont  été  rétablis  les  crédits  d'abord  sup- 
primés. 

—  A  rOpéra-Comique,  on  a  distribué,  cette  semaine,  les  rôles  de  Ping- 
Sin,  l'opéra  en  deux  actes  de  M.  Henri  Maréchal,  sur  un  livret  de 
M.  Louis  Gallet,  qui  doit  passer  le  même  soir  que  Chevalerie  rustique  (Ca- 
valleria  rusticana),  de  M.  Pierre  Mascagni.  Le  rôle  de  Ping-Siu  sera  tenu 
par  M^s  Landouzy  ;  celui  de  Kam-Si  par  M.  Fugère  ;  celui  du  prêtre 
Siang  par  M.  Fierons.  Quant  au  rôle  de  Yao,  il  sera  probablement  créé 
par  M.  Lubert. 

o—  En  1726,  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  de  la  foire  Saint-Laurent, 
où  l'on  ne  jouait  alors  que  des  parodies  et  des  pièces  en  vaudevilles, 
était  placé  sous  la  direction  d'un  nommé  Honoré,  maître  chandelier  de 
Paris,  qui,  après  l'avoir  fourni  de  lumières  pendant  plusieurs  années, 
s'était  mis  à  la  tète  de  ce  théâtre.  C'était  l'époque  de  la  grande  vogue  des 
pièces  de  Le  Sage,  Fuzelier  et  d'Orneval,  fournisseurs  en  quelque  sorte 
attitrés  de  ce  spectacle  chéri  des  Parisiens,  qui  y  donnèrent  en  cette 
année  1726,  avec  un  énorme  succès,  un  vaudeville  en  trois  actes  intitulé 
les  Pèlerins  de  la  Mecque.  Ce  succès  se  prolongea  pendant  plus  de  quarante 
ans,  au  cours  desquels  on  fit  de  nombreuses  reprises  de  l'ouvrage.  Ce 
qui  le  prouve,  c'est  que  Gluck  en  fit  un  opéra-comique  qu'il  fît  repré- 
senter au  théâtre  de  la  cour,  à  Vienne,  vers  1764.  Il  avait  demandé  pour 
cette  circonstance  un  poème  à  Dancourt  (non  point  le  Dancourt  de  notre 
Comédie-Française,  l'auteur  du  Chevalier  à  la  mode  et  des  Bourgeoises  de 
qualité,  mort  alors  depuis  longtemps,  mais  Dancourt  l'Arlequin,  qui 
fournit  presque  toute  sa  carrière  en  Allemagne),  et  celui-ci  lui  avait 
arrangé  les  Pèlerins  de  la  Mecque,  que  Gluck,  après  en  avoir  écrit  la  mu- 
sique, fit  représenter  en  français,  à  Vienne,  sous  le  titre  de  la  Rencontre 
imprévue,  et  qui  fut  joué  ensuite  pendant  plus  de  vingt  ans  sur  une  tra- 
duction allemande  :  Die  Pilgrime  von  Mekka.  L'ouvrage  fit  un  retour  en 
France  sous  cette  forme  et,  intitulé  cette  fois  les  Fous  de  Mcdine  ou  la  Ren- 
contre imprévue,  parut  à  l'Opéra-Comique  le  1™  mai  1790.  Mais  des  rema- 
niements tellement  fâcheux  avaient  été  faits  à  la  pièce  qu'elle  n'obtint 
alors  aucun  succès,  en  dépit  du  bon  effet  qu'avait  produit  la  musique. 
«  La  seconde  représentation  des  Fous  de  Médine,  disait  le  Journal  de  Paris, 
est  retardée  par  les  changements  que  l'on  se  propose  d'y  faire,  d'après 
les  indications  que  le  public  a  semblé  donner  lui-même  en  imposant  plu- 
sieurs situations  et  incorrections  dans  le  dialogue,  mais  aussi  en  applau- 
dissant nombre  de  morceaux  de  musique  que  l'on  espère  mieux  enca- 
drer. »  Or,  jamais  cette  seconde  représentation  n'eut  lieu,  et  l'on  n'en- 
tendit plus  parler  de  l'ouvrage.  Peut-être  fùt-il  à  jamais  resté  oublié,  si 
M.  Wekerlin  n'avait  eu  l'idée  de  le  publier  à  nouveau.  L'habile  bibliothé- 
caire du  Conservatoire  avait  eu  la  chance  de  mettre  la  main,  naguère, 
sur  un  des  exemplaires,  devenus  rarissimes,  de  la  partition  de  Gluck. 
Sur  la  demande  de  M.  Bagier,  alors  directeur  de  notre  Théâtre-Italien, 
il  avait  réduit  cette  partition  au  piano  avec  le  goût  et  le  soin  qu'il  apporte 
à  ces  sortes  de  travaux,  M.  Bagier  ayant  eu  l'idée,  à  cette  époque,  de 
mêler  à  son  répertoire    italien   quelques    ouvrages   français,   et   désirant 


mettre  celui-ci  à  la  scène.  Puis  M.  Bagier  disparut,  et  M.  Wekerlin 
resta  avec  sa  partition  sur  les  bras.  Il  vient  enfin  de  la  publier,  et  l'on 
peut  dire  que  c'est  une  bonne  fortune  pour  les  admirateurs  de  Gluck, 
car  elle  est  charmante,  cette  musique  des  Pèlerins  de  la  Mecque,  et  elle  a 
l'avantage  de  nous  montrer  le  génie  du  maître  sous  un  aspect  absolument 
nouveau  pour  nous,  l'œuvre  ayant  bien  le  style,  la  couleur  et  le  caractère 
du  genre  de  l'opéra-comique.  Il  a  voulu  se  faire  souple,  gracieux,  léger, 
et  l'on  peut  dire  qu'il  y  a  pleinement  réussi.  C'est  du  Gluck  mozartisé,  si 
l'on  peut  ainsi  parler,  et  je  serais  bien  étonné  si  l'auteur  de  Bon  Juan 
n'avait  pas  connu  cet  ouvrage  de  son  Illustre  devancier  et  si  le  souvenir 
ne  lui  en  avait  pas  été  présent  lorsqu'il  écrivit,  par  exemple,  l'Imprésario 
ou  l'Enlèvement  au  sérail.  A.   P. 

—  M,  Colonne  a  en  l'excellente  idée  de  faire  entendre,  à  ses  concerts,  les 
symphonies  de  Beethoven  dans  leur  ordre  chronologique.  On  peut  mesurer, 
par  cette  succession  d'auditions,  les  étapes  de  ce  prodigieux  génie.  Après 
la  première,  en  ut  majeur,  qui  est  toute  charmante  et  très  simple,  la  seconde 
en  ré,  qui  est  déjà  pleine  de  grandeur  et  dont  les  développements  sont 
considérables,  puis  la  troisième,  en  mi  bémol,  que  nons  avons  entendue 
dimanche  et  qui  est  déjà  tout  un  monde.  Nous  ne  redirons  pas  la  légende 
qui  s'est  faite  sur  la  Symplwnie  hérdique;  constatons,  seulement,  une  fois  de 
plus,  que  c'est  une  merveille  d'imagination,  de  sentiment,  de  grandeur, 
un  poème  épique,  qui  a  été  supérieurement  rendu  par  l'orchestre  du  Chà- 
telet.  Après  cette  tempête  d'harmonie,  Mii<=  Marcella  Pregi,  dont  la  voix: 
est  très  étendue  et  d'un  timbre  charmant,  a  su  se  faire  écouter  dans  le 
Lamenlo  de  M,  Fauré,  dans  la  chanson  florentine  à.'Ascanio,  qui  est 
plutôt  un  morceau  de  scène  que  de  concert,  et  surtout  dans  Haï-Luli,  de 
M.  Coquard,  qui  est  une  œuvre  remarquable,  admirablement  écrite  pour 
la  voix  et  l'orchestre.  M.^"  Pregi  a  obtenu,  dans  ce  morceau,  un  succès 
mérité.  —  Non  moins  grand  a  été  le  succès  de  M""  Roger-Miclos,  qui  a 
interprété  avec  le  beau  talent  qu'on  lui  connaît  Africa,  la  fantaisie  pour 
piano  et  orchestre  de  M,  Saint-Saëns,  sur  des  mélodies  orientales.  Les  airs 
d'Orient  ont  exercé  une  sorte  de  fascination  sur  nombre  de  nos  composi- 
teurs. On  sait  quel  parti  en  avait  tiré  Félicien  David;  Bizet  en  avait 
ressenti  une  impression  profonde;  on  en  trouve  des  traces  dans  son 
Hôtesse  arabe,  dans  maints  passages  de  Carmen,  quoique  ce  soit  une  œuvre 
consacrée  à  l'Espagne.  La  musique  espagnole,  par  infiltration,  s'est  appro- 
prié bien  des  rythmes,  bien  des  tonalités  qui  viennent  des  Arabes. 
M.  Saint-Saëns,  dans  sa  Suite  algérienne,  avait  déjà  fait  un  emploi  heu- 
reux de  ces  éléments.  Sa  nouvelle  œuvre,  Africa,  est  intéressante,  et 
]y[me  Roger-Miclos  l'a  bien  fait  valoir.  L'orchestre  du  Chàtelet  a  rendu 
avec  un  sentiment  excellent  le  caractère  mystique  du  prélude  de  lAihengrin 
et  avec  une  verve  peu  commune  la  Marche  des  Fiançailles  du  même  opéra. 
Le  concert  se  terminait  par  une  suite  d'orchestre  tirée  de  Y Esclarmonde  de 
M.  Massenet,  Le  second  numéro,  l'Ile  magique,  a  beaucoup  plu  ;  il  y  a  là  un 
joli  chant,  et  des  passages  d'une  ténuité  extrême,  qui  ont  eu  les  suffrages 
du  nombreux  public  qui  remplissait  la  vaste  salle  du  Chàtelet. 

H.  Bareedette. 

Concerts  Lamoureux.  —  L'ouverture  de  Struensée,  de  Meyerbeer,  est  un 
tableau  musical  fait  d'oppositions  plus  ou  moins  vives,  de  contrastes  plus 
ou  moins  heureux,  bien  mélodique  d'ailleurs,  mais  dans  lequel  manque 
entièrement  ce  que  nous  appellerons  Tatmosphère  symphonique.  On  pour- 
rait la  comparer  à  un  paysage  sans  perspective,  dont  le  premier  plan,  le 
seul,  serait  dessiné  avec  une  grande  netteté,  La  rigidité  rythmique  de  l'or- 
chestre du  Cirque  accentue  cruellement  ce  défaut.  L'ouvrage  tire  ses  déve- 
loppements, non  pas  de  son  propre  fonds,  par  la  mise  en  œuvre  de  ses 
thèmes  présentés  symphoniquement,  mais  d'artifices  de  contrepoint  ayant 
toujours  un  arrière-goùt  d'école,  de  telle  sorte  que  les  motifs  ne  sont  pas 
développés  au  moyen  de  leur  propre  substance,  mais  accompagnés  par  des 
formules  connues  et  juxtaposées  avec  habUeté.  Où  le  génie  de  Meyerbeer 
se  retrouve,  c'est  dans  l'art  souverain  avec  lequel  il  gradue  ses  forces  et 
sait  obtenir  un  effet  d'entraînement  sur  l'auditoire,  cet  auditoire  fùt-il  aussi 
peu  partial  en  sa  faveur  que  celui  du  Cirque.  Cette  ouverture  a  été  très 
applaudie.  Beaucoup  plus  même  que  la  Reformation-Symphomj  de  Mendels- 
sohn,  qui  a  été  mieux  rendue,  cependant,  mais  froidement  reçue.  Exception 
a  été  faite  pour  le  scherzo,  dont  la  finesse  de  touche  et  l'élégance  ont  été 
placées,  par  l'excellence  de  l'exécution,  dans  un  relief  éclatant.  —  M.  Ge- 
loso  a  fait  admirer  son  phrasé  plein  d'ampleur  et  d'autorité  dans  le  con- 
certo en  sol  mineur  de  Max  Bruch;  il  a  surtout  bien  rendu  certaine  phrase 
qui  vient  immédiatement  avant  le  chant  principal,  et  par  laquelle  l'auteur 
semble  avoir  voulu  commander  l'attention  à  ce  moment  décisif.  La  jus- 
tesse et  la  beauté  du  son,  surtout  dans  les  mouvements  calmes,  ont  été 
particulièrement  appréciées  chez  le  violoniste,  dont  le  succès  a  été  très 
grand  et  très  mérité.  —  La  Valse  de  Mephislo,  de  Liszt,  peut  être  considérée 
comme  une  excentricité  :  pourtant  la  substance  musicale  n'y  manque  pas, 
et  les  effets  d'orchestre  y  sont  prodigués  au  point  de  causer  à  quelques 
auditeurs  un  certain  agacement.  Contrairement  aux  indications  du  pro- 
gramme, il  parait  difficile  de  découvrir  ici  des  phrases  passionnées;  du 
moins,  si  elles  existent,  faut-il  chercher  beaucoup  et  être  doué  d'une  per- 
sistante bonne  volonté  pour  les  découvrir.  —  La  Marche  militaire  française, 
extraite  de  la  Suite  algérienne  âe  M.  Saint-Saëns,  respire  une  gaieté  franche, 
sans  violence  ni  brutalité.  On  se  croit  de  suite  en  pays  de  connaissance, 
et  l'on  se  demande  avec  curiosité  quelle  partie  de  la  mélodie  appartient 
au  fonds  populaire  et  quelle  partie  appartient  en  propre  au  compositeur. 


3  68 


LE  MÉNESTRl^L 


Ce  morceau,  d'une    importance  relative,  est   excellent  clans  son  genre.  Le 
programme  comprenait  encore  les  Murmures  de  la  fora,  de  Wagner. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Cbâtelet,  concert  Colonne  :  Quatrième  symphonie,  en  si  bémol  (Beethoven); 
Sicilienne  (Pergolèse),  par  M""  Pregi;  Conte  (Taoril  (Widor)  ;  Lamenta  (Fauré)  et 
chanson  florentine  i'Ascanio,  par  M""  Pregi;  prélude  de  Tristan  et  YseuU  (Wagner) 
et  marche  de  Lohengrin  (Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureax  :  Cinquième  symphonie  (Refor- 
mafioiii  (^lendelssohn);  ouverture  d'Hermann  et  Dorotliée  (Sehumann)  ;  première 
audition  de  NapoH  (G.  Charpentier)  ;  fragments  de  Siegfried  (R.  Wagner);  fragment 
de.  Tannhauser  (R.  Wagner);  valse  di  Méphislo  (Liszt). 

—  Une  Association  musicale  vient  de  se  fonder  à  Paris  pour  la  propa- 
gation des  œuvres  inédites  des  grands  compositeurs  et  la  révélation  des 
œuvres  des  jeunes  musiciens  déjà  connus.  Le  siège  social  se  trouve  20,  rue 
Bonaparte,  et  les  concerts  se  donneront  hebdomadairement,  le  jeudi,  dans 
la  salle  du  théâtre  de  la  Gaité.  Les  personnalités  les  plus  marquantes  du 
monde  musical  s'intéressent  â  cette  entreprise,  qui  ne  manquera  pas 
d'être  soutenue  par  tous  les  amateurs  français. 

—  M""  Clotilde  Kleeberg,  qui  nous  revient  d'Allemagne,  chargée  de  nou- 
veaux lauriers,  nous  quittera  ces  jours-ci  pour  aller  remplir  divers  enga- 
gements à  Londres  et  dans  les  principales  villes  d'Angleterre.  Nous  espé- 
rons que  la  sympathique  artiste  trouvera,  cette  année,  le  temps  de  se  faire 
entendre  dans  un  de  nos  grands  concerts  symphoniques,  car  depuis  ses 
derniers  succès  de  la  Société  des  concerts,  nous  n'avons  pas  eu  l'occasion 
de  l'applaudir  à  Paris. 

• —  Notre  maître  et  ami  Marmontel  père,  dont  l'énergie  et  l'activité  sem- 
blent augmenter  avec  les  années,  a  non  seulement  repris  ses  leçons  par- 
ticulières,toujours  si  recherchées,  mais  aussi  ses  cours  à  l'Institut  musical 
Comettant,  et  ses  examens  mensuels  chez  M""  Dignat,  dont  l'enseignement 
éclectique  donne  de  si  précieux  résultats.  Là,  comme  au  cours  de  l'Institut, 
chaque  élève  exécute  des  exercices  de  doigts,  des  études  de  style,  une 
pièce  classique  et  une  composition  moderne,  (/émulation  des  élèves, 
stimulée  par  les  encouragements  et  les  conseils  du  maitre,  donne  des 
résultats  surprenants,  tant  les  progrès  sont  appréciables  à  chaque  leçon. 

—  Ce  soir  dimanche,  à  l'église  de 'Pentemont,  inauguration  du  nouvel 
orgue  Cavaillé-GoU,  avec  le  concours  de  MM.  Ch.-M.  Widor  et  J.  Delsart. 

—  Nous  apprenons  que  la  critique  dramatique  et  musicale  de  la  Revue 
des  revues  est  confiée  à  notre  excellent  confrère  et  collaborateur  Victor 
Dolmetsch. 

—  La  Société  chorale  d'amateurs,  fondée  par  A.  Guillot  de  Saint-Bris, 
reprend  ses  séances  hebdomadaires  les  mercredis,  à  trois  heures  et  demie, 
salle  Ph.  Herz,  20,  rue  Saint-Lazare.  Cette  excellente  et  très  ancienne 
Société,  qui  compte  aujourd'hui  vingt-huit  années  d'existence,  a  pour 
président  M.  Guinand  et  pour  chef  d'orchestre  M.  A.  Maton. 

— Les  concours  de  l'Ecole  classique  de  musique  et  de  déclamation  pour 
l'obtention  de  bourses  que  nous  avons  annoncés,  auront  lieu  aux  dates 
suivantes  :  lundi,  16  novembre  :  violon,  violoncelle,  chant,  opéra  et  opéra- 
comique;  mardi,  17  :  flûte,  hautbois  et  clarinette;  jeudi,  19  :  déclamation; 
vendredi,  20  :  harpe  et  piano.  Les  inscriptions  sont  reçues  à  l'adminis- 
tration de  l'école,  4,  rue  Chai-ras,  jusqu'à  la  veille  au  soir  de  chacun  des 
concours. 

—  A  Lille,  superbe  reprise  des  Concerts  populaires,  sous  la  direction 
de  M.  Paul  Viardot,  l'excellent  violoniste.  Au  programme,  la  Symphonie 
écossaise  de  Mendelssohn,  l'air  du  quatrième  acte  d'Hamlet,  supérieure- 
ment chanté  par  M^'Lureau-Escalaïs,  à  qui  il  a  valu  une  bruj'ante  ovation, 
l'ouverture  du  Roi  d'Ys,  le  Sancta  Maria  de  Faure,  par  M"'^  Escalaïs,  et  le 
ballet  d'Etienne  Marcel,  de  Saint-Saëns.  A  l'issue  du  concert,  dont  le  succès 
a  été  éclatant,  l'orchestre  a  offert  une  couronne  à  son  chef. 

—  La  fête  patronale  de  la  Saint-Martin,  organisée  à  Saint-Augustin  par 
ja  Société  fraternelle  des  anciens  officiers,  membres  de  la  Légion  d'hon- 
neur, a  complètement  réussi.  La  messe  en  musique  à  laquelle  MM.  Garon, 
Warmhrodt,  Bernaert  et  Dupuy  prêtaient  leur  concours,  a  été  fort  bien 
exécutée;  M.  Garon,  avec  YAgnus  Dei  de  Faure,  a  produit  une  profonde 
impression. 

—  Belle  fête  musicale,  la  semaine  dernière,  à  la  mairie  du  troisième 
arrondissement,  au  profit  de  l'œuvre  des  Crèches.  On  a  particulièrement 
applaudi  M.  Georges  Clément  dans  le  Rêve  du  prisonnier,  de  Rubinstein  ; 
M"»  Vincent,  dont  le  beau  contralto  se  prête  admirablement  aux  accents 
de  l'air  du  Cid  ;  M"'  Jeanne  Duet  d'Arbel,  qui  a  vocalisé  dans  la  perfec- 
tion une  jolie  valse  chantée  de  M.  Léon  Schlesinger,  Voici  le  printemps; 
enfin  M.  Raynaly,  un  très  divertissant  chanteur  comique. 

—  Samedi  prochain  aura  lieu,  au  théâtre  de  la  Galerie-Vivienne,  une 
représentation  de  bienfaisance  dont  le  produit  est  destiné  à  aider  dans  ses 
études  une  jeune  pianiste  de  treize  ans,  élève  au  Conservatoire.  Au  pro- 
gramme :  Un  Modèle,  opéra-comique  en  un  acte  de  MM.  Degrave  et  Lerouo-e 


musique  de  M.  Léon  Schlesinger,  et  les  Beauplumard  dans  l'embarras,  opé- 
rette de  MM.  Géo  et  Regnisel.  Ont  promis  leurs  concours  :  MM.  Carbonne, 
de  rOpéra-Comique,  Lepers,  Chardot,  Magnus,  Géo,  M'"™  Cécile  Bernier 
et  Jeanne  Duet  d'Arbel. 

—  M""  Emilie  Ambre,  la  cantatrice  que  ses  succès  ont  fait  connaître  à 
Paris,  en  France  et  à  l'étrangei',  vient  de  fonder  une  école  de  chant  et  de 
mise  eu  scène  pour  le  répertoire  français  et  italien,  dans  les  salons  Flax- 
land,  48,  rue  de  Chàteaudun.  La  partie  musicale  est  confiée  à  M.  Emile 
Bouichère,  jeune  compositeur  de  talent. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  la  mort  du  comte  d'Osmond,  un  gentilhomme  qui,  sous  le 
second  empire,  donna,  dans  son  hôtel  du  boulevard  Maillot,  des  fêtes 
l'estées  célèbres.  Le  comte  d'Osmond  était  un  dilettante.  Il  fonda  le  cercle 
de  l'Union  artistique.  Ecrivain  et  musicien  lui-même,  il  est  l'auteur  d  un 
volume:  iîe<(7«ese( /mpressions  dont  M.  Alexandre  Dumas  écrivit  la  préface, 
et  d'un  opéra  en  trois  actes,  le  Partisan,  qui  fut  joué  il  y  a  trois  ou  quatre 
ans  à  Nice,  et  que  l'auteur  avait  fait  entendre  antérieurement,  sous  forme 
de  concert,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire. 

—  C'est  avec  un  vif  regret  que  nous  avons  appris  cette  semaine  la  mort 
de  M"""  Gevaert,  femme  de  l'éminent  compositeur  qui,  après  avoir  occupé 
à  notre  Opéra  les  importantes  fonctions  de  directeur  de  la  musique,  est 
aujourd'hui  directeur  du  Conservatoire  royal  de  musique  de  Bruxelles. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 
En  vente  AU  MÉNESTREL,  2'"',  rue  Vivieime,  HEUGEL  et  C'°,  cditeurs-propricliiii-cs. 


87    LEÇONS    D'HARMONIE 

BASSES    ET    CHANTS 
par 

THÉODORE    DUBOIS 

PROFESSEUR  DE  COMPOSITION  AU  CONSERVATOIRE 
SUIVIES   DE 

far  les  fremiei  s  prix 

de  sa  classe  d'harmonie  aux  concours  du  Conservatoire 

(iSja-iSgi) 

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DU  MEME  AUTEUR  : 
ISrOTES   ET   ÉTXJI3ES   D'H^f^I^DVEOISriE 

Prix  net:   15  Francs 


MARIE    JAELL 

LE     TOUCHER 

Noureaux  principes  élémentaires 
POUR  L'ENSEIGNEMENT  DU  PIANO 

Vol.  I.  Nouveaux  principes  élémentaires Prix  net:  5  francs. 

YoL.  II.  Leur  application  à  l'étude  des  morceaux.    .  —         5  francs. 

Les  deux  volumes  réunis,  prix  net;  8  francs. 

CONCERTS   DU   CHATELET 

Première  audition   le  dimanche   15  novembre  1S91 

CONTE     D'AVRIL 

Musique  pour  la  Coméuie  d'.\.  DORCIIAIX 


CH.-M.    WIDOR 


DEXJS:     SUITES      13  ■  OK,C  HESTKE 
1"-  Suite. 

1 .  Ouverture. 

2.  Romance. 

3.  Appassionato. 

4.  Sérénade  illyrienne. 

5.  Marche  nuptiale. 


2'  Suite. 
1.  Allegro. 

i.  La  Rencontre  des  Amaats. 
3.  Guitare, 
l.  Aubade, 
o.  Marche  nuptia'e. 


Partition  d'orchestre prix  net    2b  francs 

Parties  séparées  d'orchestre —         30      — 

Chaque  partie  supplémentaire —  i      — 


C  CE\ThALE  DES 


IMPRlMEtUG  1 


Dimanche  22  Novembre  1891 


316S  —  57""  ANNÉE  —  N°  47.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dci  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'anonnemeat. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Citant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  coni|ilel  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (35"  article),  Albert  Souries  et  Ch.\rles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  de  la  Mégère 
■apprivoisée,  à  la  Comédie-Française,  de  Pinces  !  aux  Variétés,  de  Monsieur  l'Abbé, 
au  Palais-Royal,  et  reprise  de  Coquard  et  Bicoquet,  aus  Nouveautés,  Paul-Ëmile 
Chevalier.  —  III.  Musique  de  table:  Chez  les  anciens  (1"  article),  Ebuiond 
Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SUR   LE   PONT   D'AVIGNON 

fantaisie  nouvelle  de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Danse  des 
nymphes,  de  Théodore  Dubois. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 

de  chant:  Fabliau,  valse  chantée  par  M}'"  Marguerite  Ugalde,  dans  Mon 

Oncle  Barbassou,  musique  de  Raoul  Pugno.  —  Suivra  immédiatement  :   le 

Poète  et  le  Fantôme,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


All>ert   SOUBIES    et   Charles    IVlALHEIVBEî 


DEUXIEME  PARTIE 

CHAPITRE  V 

l'héritage  n^  THÉÂTRE-LYRIQUE.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette 

1871-1874 
(Suite.) 
La  seconde  nouveauté  de  l'année  avait  paru  quelque  temps 
auparavant,  dans  une  représentation  au  bénéfice  de  la  caisse 
de  secours  des  artistes  dramatiques,  encadrée  entre  les  Noces 
de  Jeannette,  Toto  chez  Tata  et  le  premier  acte  du  Pré  aux 
Clercs.  C'était  un  lever  de  rideau  de  M.  Adenis  pour  les  paroles, 
et  de  M.  Poise  pour  la  musique,  les  Trois  Souhaits.  Cette  his- 
toire bien  connue,  empruntée  aux  Mille  et  une  Nitits,  avait 
fourni  déjà  le  sujet  d'un  opéra-comique  allemand  de  Lowe  ; 
elle  ne  trouva  grâce  devant  le  public  qu'à  raison  de  l'adap- 
tation musicale,  où  se  reconnaissait  la  touche  fine  et  délicate 
du  compositeur.  Il  faut  dire  aussi  que,  pour  les  Trois  Souhaits 
comme  pour  le  Roi  l'a  dit,  la  date  de  la  représentation  était, 
par  le  fait  du  hasard,  malheureusement  choisie.  La  veille, 
28  octobre,  l'Opéra  venait  de  disparaître  dans  un  incendie, 
et   les    spectateurs  se  pressaient  moins  dans  la  salle  Favart 


que  dans  la  rue  Le  Peletier  où  les  décombres  fumaient  en- 
core sinistrement. 

Ce  désastre  devait,  au  moins  pour  un  temps,  changer  la 
fortune  des  deux  théâtres.  L'Opéra,  forcé  de  s'exiler  à  Ven- 
tadour,  allait  subir  une  crise,  ou,  si  l'on  veut,  une  éclipse 
momentanée.  L'Opéra-Gomique,  au  contraire,  paraissait  (illu- 
sion trop  tôt  dissipée!)  marcher  alors  vers  la  prospérité,  car 
l'année  1873  se  soldait  en  bénéfices  par  un  excédent  de 
37,922  fr.  60  c.  sur  l'année  précédente.  C'était,  on  le  voit,  le 
résultat  moins  des  nouveautés  que  de  quelques  heureuses 
reprises  et  du  répertoire,  où  l'on  avait  inscrit  notamment  le 
S  février,  la  millième  du  Clmlet,  le  30  août  la  trois-centième  de 
Mignon,  le  16  octobre  la  onze-centième  du  Pré  aux  Clercs,  en 
attendant,  aux  mois  d'août  et  septembre  de  l'année  suivante, 
la  centième  des  Dragons  de  Villars  et  la  centième  de  Roméo  et 
Juliette. 

Le  hasard  même  se  montrait  favorable,  en  ce  sens  que  le 
théâtre  gagnait  alors  un  procès  dont  la  perte  eût  porté  un 
bien  grave  préjudice  à  ses  finances.  Les  propriétaires  de  la 
salle  Favart,  M.  J.  Masson  et  M""^  veuve  Grosnier,  ne  se  pro- 
posaient rien  moins  en  elîet  que  d'expulser  les  directeurs  de 
rOpéra-Gomique,  s'appuyant  sur  un  acte  du  ministre  des 
Beaux-Arts,  en  date  du  7  août  1839,  qui,  après  l'incendie  de 
la  première  salle,  avait  réglé  les  conditions  de  la  seconde.  Ils 
soutenaient  que  cet  acte  ne  conférait  pas  au  directeur  nommé 
par  l'État  le  droit  d'occuper  l'immeuble  sans  le  consente- 
ment des  propriétaires,  et  que  ce  droit,  en  admettant  même 
son  existence,  avait  été  frappé  de  déchéance  par  la  loi  pro- 
clamant la  liberté  des  théâtres. 

A  cette  occasion,  la  Revue  et  Gazette  musicale  publia  un  article 
très  complet  auquel  nous  croyons  devoir  emprunter  les  dé- 
tails suivants,  car  il  fixe  certains  points,  négligés  par  nous 
ou  laissés  dans  l'ombre  au  cours  de  notre  récit,  et,  somme 
toute,  d'une  réelle  i.nportance  pour  l'histoire  administrative 
delà  salle  Favart.  En  1839  l'État,  qui  accordait  une  subvention 
de  240,000  francs  à  l'Opéra-Gomique,  avait  intérêt  à  ce  que 
cette  subvention  ne  fût  pas  diminuée  par  les  exigences  des 
gros  loyers  à  payer  aux  propriétaires.  D'un  autre  côté,  comme 
la  reconstruction  aux  frais  de  l'Étal  de  la  salle  incendiée  eût 
été  trop  onéreuse,  on  avait  adopté  l'adjudication  publique, 
l'adjudicataire  devant  avoir  la  jouissance  de  l'immeuble  pen- 
dant un  nombre  d'années  dont  la  durée  serait  fixée  au 
rabais. 

L'adjudicataire  avait  droit  d'exiger  un  loyer  minimum  de 
70,000  francs  par  an  pendant  la  durée  de  l'emphyléose  et 
le  maintien  de  la  subvention  administrative.  Si  le  minimum 
de  70,000  francs  était  insuffisant,  l'évaluation  du  loyer  devait 
être  faite  par  trois  arbitres  désignés  par  le  ministre. 
L'adjudicataire    fut    M.  Gerfbeer,   pour    une    emphytéose   de 


370 


LE  MENESTREL 


quarante  ans.  La  construction  coûta  1,050,000  francs,  déduc- 
tion faite  de  certaines  sommes  avancées  par  l'État.  Cinq  ans 
après  la  reconstruction,  et  lorsque  le  directeur  fut  remplacé, 
le  loyer  fut  fixé  à  105,000  francs,  il  fut  porté  plus  tard  à 
HS,000  francs;  en  1862,  à  120,000;  en  1868,  à  133,000;  enfin, 
■  e  1"' février  1870,  sans  compter  les  charges  laissées  au  direc- 
leur  et  qui  élevaient  la  location  de  la  salle,  à  205,000  francs. 

En  1872,  lorsque  la  Commission  du  budget  voulut  réduire 
le  chiffre  de  la  subventioD ,  le  directeur  établit  qu'il  était  écrasé 
par  ce  loyer  de  205,000  francs.  On  remonta  à  l'origine  des 
choses,  et  le  vice  du  bail  apparut.  M.  Beulé,  rapporteur  du 
budget,  conclut  à  une  diminution  de  100,000  francs  sur  la 
subvention,  diminution  qui  serait  compensée  par  une  fixation, 
à  dire  d'arbitres,  du  prix  du  bail.  C'était  rentrer  dans  la  loi 
de  1839.  Le  pouvait-on?  M=  de  Vallée,  au  nom  des  proprié- 
taires de  la  salle,  soutenait  le  contraire  ;  la  loi,  disait-il,  était 
tombée  en  désuétude. 

Les  arbitres  fixèrent  le  loyer,  à  partir  de  1874,  à  105,000  fr., 
plus  les  charges;  les  propriétaires  signifièrent  alors  un  congé 
à  MM.  de  Leuven  et  du  Locle. 

Le  tribunal,  après  avoir  entendu  M"*  de  Vallée  et  M''  Templier, 
rendit  un  jugement  qui  déclarait  formelles  et  impératives  les 
dispositions  du  cahier  des  charges  rédigé  en  vertu  de  la 
loi  de  1839,  dispositions  qui  obligent  les  concessionnaires, 
sans  aucune  restriction  ni  réserve,  à  louer  la  salle  Favart  au 
directeur  de  l'Opéra-Comique  ;  établit  qu'il  n'a  été  dérogé  par 
aucune  loi  à  celle  de  1839  ; 

Dit  que  la  Société  des  propriétaires  de  la  salle  Favart  devra 
tenir  la  salle  à  la  disposition  de  de  Leuven  et  du  Locle,  direc- 
teurs de  l'Opéra-Comique,  au  prix  fixé  par  la  décision  arbitrale 
du  17  août  1872,  et  celajusqu'au  1«''  janvierl880,  terme  de  la 
concession  accordée  pour  l'exploitation  du  théâtre; 

Condamne  Masson  es  nom  en  tous  les  dépens. 

Ce  jugement  du  tribunal  fut  d'ailleurs  confirmé  par  un 
arrêt  de  la  Cour,  au  début  même  de  l'année  1874,  presque  à 
la  veille  de  la  représentation  d'un  ouvrage  écrit  depuis  long- 
temps, sans  cesse  retardé,  et,  en  quelque  sorte,  imposé  au 
directeur  plus  que  choisi  par  lui.  Le  Florentin  était  né  d'un 
concours:  il  devait  donc,  bon  gré  mal  gré,  voir  le  jour  sur 
la  scène  en  vue  de  laquelle  il  avait  été  conçu.  On  sait  que, 
par  décret  en  date  du  3  août  1867,  pour  satisfaire  l'opinion 
et  répondre  à  un  besoin  de  protection^  artistique  dont  les 
journaux  s'étaient  faits  les  porte-voix,  le  ministère  des 
Beaux-Arts  avait  organisé  d'un  seul  coup  trois  concours  de 
musique  dramatique  :  le  premier  à  l'Opéra,  avec  libretto  mis, 
lui  aussi,  au  concours;  le  second  au  Théâtre-Lyrique,  avec 
libretto  choisi  par  les  concurrents;  le  troisième  à  l'Opéra- 
Comique  avec  libretto  imposé. 

Le  premier  donna  la  Coupe  du  Roi  de  Thulé,  de  MM.  Louis 
Gallet  et  Edouard  Blau,  et  quatre  lauréats  furent  nornmés 
dans  l'ordre  suivant:  Eugène  Diaz,  J.  Massenet,  Ernest  Gui- 
raud,  Barthe  ;  un  simple  amateur  l'avait  emporté  sur  trois 
prix  de  Rome,  et  même  sur  quatre,  car  Bizet  n'avait  pas 
même  obtenu  l'honneur  d'une  mention.  Le  deuxième  donna  le 
Magnifique,  de  Philippot,  puis  la  Coupe  et  les  Lèvres,  de  M.  Ganoby, 
et  la  Conjuration  de  Fiesque,  de  M.  Edouard  Lalo.  Le  troisième, 
pour  lequel  de  Saint-Georges  avait  apporté  le  Florentin,  devait 
être  ouvert  le  30  août  1867  et  fermé  le  30  avril  1868.  La 
livraison  du  poème  ayant  subi  quelques  retards,  la  clôture 
définitive  fut  reportée  au  30  juillet,  et  cinquante-trois  parti- 
tions arrivèrent  au  ministère,  parmi  lesquelles  une  de  Bizet: 
voilà  du  moins  ce  que  nous  a  rapporté  un  de  ses  amis  in- 
times, car  nul  de  ses  biographes  ne  l'a  jamais  ni  su,  ni  dit. 
Le  vainqueur  fut  M.  Gh.  Lenepveu,  élève  d'Ambroise  Thomas, 
prix  de  Rome  en  1865  et  nouveau  venu  dans  la  carrière 
dramatique;  mais,  la  guerre  et  la  Commune  aidant,  il  dut 
s'armer  de  patience  et  attendre  son  tour.  Dans  ses  Soirées 
parisiennes,  Arnold  Mortier  nous  l'a  montré  faisant  la  navette 
entre  les  deux  directeurs  maîtres  de  sa  destinée,  allant  de 
Gaïphe  à  Pilate,  demaadant  des  nouvelles  de  son  opéra  à  du 


Locle,  qui  lui  répondait  :  «  Allez  voir  de  Leuven!  »  Le  com- 
positeur s'empressait  alors  de  suivre  ce  bon  conseil,  et  de 
Leuven  le  recevait  en  disant  :  «  Allez  voir  du  Locle  !  »  De  de 
Leuven  à  du  Locle  et  de  du  Locle  à  de  Leuven,  le  Flo- 
rentin annoncé,  remis,  distribué,  retardé,  tournait  à  l'élat  lé- 
gendaire. Cette  légende  prit  fin  le  25  février,  et  l'on  connut 
ce  livret  médiocre,  bien  qu'imposé,  ce  poème  de  concours 
qui  mettait  précisément  en  scène  un  concours...  de  peinture 
à  la  cour  des  Médicis.  Le  vieux  et  célèbre  Galeotti  y  disputait 
à  son  jeune  et  inconnu  élève  non  seulement  la  palme,  mais 
encore  le  cœur  de  sa  pupille  Paola.  Grâce  à  l'insigne  mala- 
dresse d'un  subalterne ,  le  tableau  d'un  des  concurrents 
était  détruit,  et  le  vieux  se  trouvait  recevoir  la  récompense 
pour  le  tableau  que  le  jeune  avait  peint.  Le  dénouement 
amenait  la  découverte  et  le  pardon  de  ce  quiproquo,  avec 
l'union  obligée  de  l'élève  et  de  la  pupille,  ce  qui  faisait  dire 
à  la  sortie  par  un  plaidant  que  la  pièce  terminait  bien,  car 
on  y  voyait  à  la  fin  Paola  mariée!  La  toile,  objet  du  débat, 
constituait  un  accessoire  de  luxe;  elle  avait  été  peinte  par 
Carolus  Duran  et  représentait  une  Hébé,  fort  décolletée,  de- 
bout sur  un  aigle  et  versant  le  nectar.  Volontiers  le  public 
lui  aurait  prêté  plus  d'attention  qu'à  la  partition  primée. 
Non  point  que  ces  trois  actes  parussent  une  trop  lourde 
charge  pour  les  épaules  du  débutant  ;  au  contraire,  on  ren- 
dithommage  à  son  sentiment  dramatique  et  à  sa  connaissance 
du  métier;  mais  quelques-uns  blâmèrent  une  abondance  mé- 
lodique où  la  facilité  tenait  plus  de  place  que  la  person- 
nalité. De  toute  façon,  il  y  avait  là  un  efi"ort  que  les  direc- 
teurs n'ont  pas  encouragé  depuis;  car,  si  M.  Lenepveu  a  eu 
l'honneur  de  voir  un  soir,  à  l'Opéra  de  Londres,  le  principal 
rôle  de  sa  Velléda  créé  par  la  Patti,  il  n'a  jamais  eu  la  chance 
de  revoir,  depuis  le  Florentin,  son  nom  sur  les  affiches  d'un 
théâtre  parisien. 

Avec  ses  neuf  représentations,  Beppo  termina  l'année  le 
30  novembre,  comme  le  Florentin  l'avait  commencée,  par  un 
insuccès.  L'an  dernier,  dans  le  Ménestrel,  M.  Louis  Gallet  a 
raconté  en  termes  émus  l'histoire  obscure  et  triste  du  com- 
positeur de  ce  petit  acte,  Jean  Conte.  On  doit,  du  reste, 
rendre  cette  justice  à  M.  Louis  Gallet  qu'il  n'a  jamais  hésite 
à  mettre  son  talent  au  service  des  inconnus;  il  avait  accepté 
alors  comme  collaborateur  musical  un  vieux  prix  de  Rome, 
de  même  qu'il  en  accepta  depuis  un  jeune,  M.  Alfred  Bruneau, 
lorsqu'il  adapta  si  excellemment  à  la  scène  le  Rêve  de  Zola. 
Son  livret,  vaguement  inspiré  par  un  poème  de  Byron,  mon- 
trait un  noble  Vénitien  qui,  après  avoir  été  capturé  par  les 
pirates  et  avoir  fait  fortune  dans  les  États  barbaresques, 
revenait  auprès  de  sa  femme,  serrée  alors  de  près  par  un 
galant  ridicule.  Sous  son  costume  de  Turc,  le  mari  d'abord 
n'était  pas  reconnu,  mais  il  rapportait  des  écus  qui  touchaient 
le  cœur  de  la  belle,  et,  écartant  le  patito,  il  reprenait  sa 
place  au  foyer  conjugal.  Voilà  du  moins  le  souvenir  qui  nous 
est  resté  de  cet  opuscule,  le  livret  n'ayant  jamais  été  publié, 
pas  plus  d'ailleurs  que  la  partition,  où  se  remarquaient  une 
ouverture-tarentelle  et  un  trio  avec  romance  pour  soprano  : 
«  Si  vous  étiez  ce  que  vous  n'êtes  pas  »,  écrits  d'une  plume 
assez  ingénieuse.  Élève  de  Carafa  et  prix  de  Rome  en  18S5,. 
Jean  Conte,  par  une  bizarre  rencontre  de  noms,  avait  débuté 
comme  chef  d'orchestre  au  petit  théâtre  Comte;  il  devait 
finir  comme  second  violon  à  l'Opéra,  et.  il  occupait  encore 
cet  emploi  l'tnnée  même  où  Beppo,  joué  par  Neveu,  Gharelli 
(et  non  Chelly  comme  l'a  dit  par  erreur  M.  Gallet)  et 
M'"^  Franck,  lançait  à  la  foule  le  nom  d'un  compositeur 
ignoré  d'ailleurs  par  elle  après  comme  avant. 

Deux  autres  nouveautés  se  rapportent  à  l'année  1874,  l'une, 
Gille  et  Gillolin,  le  22  avril,  l'autre,  le  Cerisier,  le  24  mai,  deux 
levers  de  rideau  et  deux  succès  moyens  puisque  le  premier 
obtint  vingt-sept  représentations  et  le  second  viiigt  et  une. 

Le.  Cerisier  ne  portait  sur  l'afiîche  que  le  nom  de  Jules 
Prével  comme  librettiste;  mais  une  part  de  collaboration 
revenait  à  la  célèbre   reine  Marguerite    de    Navarre,  dont  la 


LE  MENESTREL 


371 


cinquième  journée  de  son  Heptaméron  fournit  la  donnée  de 
l'imbroglio  mis  en  musique  par  M.  Duprato.  Ce  n'était  qu'un 
aimable  pastel,  mais  suffisant  en  son  genre  et  adroitement 
encadré.  Il  semblait  piquant  de  voir  une  jeune  femme  cueillir 
des  cerises  au  haut  de  l'échelle  et  tomber  dans  les  bras  d'un 
galant,  mais  plus  piquant  encore  de  voir  cette  scène  se  re- 
nouveler trois  fois  de  suite  entre  personnages  différents, 
d'abord  entre  le  mari  et  la  servante,  puis  entre  la  femme 
naïve  et  son  mari,  enfln  entre  la  servante  et  son  benêt  de 
fiancé.  La  musique,  un  peu  incolore,  rappelait,  par  ses  pro- 
portions exiguës,  les  opuscules  de  l'ancien  répertoire,  et  ins- 
pirait à  Paul  Bernard  des  réflexions  dont  le  temps  n'a  fait 
que  confirmer  la  justesse  :  c  II  est  certain,  disait-il,  que 
rOpéra-Comique  semble  relever  son  niveau;  peut-être  est-il 
permis  de  dire  qu'il  traverse  une  époque  de  transition,  sans 
trop  savoir  toutefois  où  il  va  ni  ce  qu'il  deviendra.  L'épreuve 
de  l'autre  soir,  quoique  fort  satisfaisante,  semblerait  prouver 
une  chose  :  c'est  que  ce  théâtre  affirmant  chaque  jour  des 
tendances  plus  poétiques,  plus  lyriques,  les  œuvres  de  petite 
envergure  qui  viennent  s'y  présenter  se  trouvent  forcément 
écrasées.  » 

(A  suivre.) 


SEMAINE    THEATRALE 


Comédie-Française  :  La  Mégère  apprivoisée  (Taining  of  the  strew),  comédie 
en  quatre  actes  de  M.  Paul  Delair,  d'après  Shakespeare.  —  Variétés  : 
Pinces!  comédie  en  trois  actes  de  M.  Albert  Millaud.  —  Palais-Royal  : 
Monsieur  l'Abbé,  comédie  en  trois  actes  de  MM.  Henri  Meiliiac  et  A.  de 
Saint-Albin.  —  Nouveautés  :  Coquard  et  Bicoquet,  comédie-vaudeville  en 
trois  actes  de  MM.  H.  Raymond  et  M.  Boucheron. 

Quel  vent  contraire  a  donc  soufflé  cette  semaine  sur  les  théâtres 
parisiens  dont  nous  avons  à  nous  occuper,  pour  que  ce  soient  les 
Variétés  et  le  Palais-Royal  qui  nous  convient  à  des  comédies,  alors 
que  la  Comédie-Française  nous  offre  une  véritable  farce  ;  j'en 
demande  pardon  à  la  docte  Maison  et  à  l'illustre  Comité,  pour 
rendre  ma  pensée,  je  ne  trouve  d'autre  mot  que  celui-là  ;  faree  lit- 
téraire si  l'on  veut,  mais  farce  quand  bien  même.  Et  voilà  pourquoi 
le  public,  en  sortant  des  Variétés  ou  du  Palais-Royal,  trouvait  que 
Pinces!  et  Monsieur  l'Abbé  étaient  d'une  allure  un  peu  bien  sérieuse 
pour  les  scènes  oii  on  les  représentait,  et,  en  sortant  de  la  Comédie- 
Française,  que  la  Mégère  apprivoisée  semblait  d'une  trame  bien  légère 
pour  le  premier  Théâtre-Français.  Je  me  hâte  de  dire  que  ces 
réflexions  n'enlèvent  à  aucune  de  ces  pièces  rien  des  mérites  qui 
leur  sont  propres;  je  constate  simplement  que  la  fantaisie,  ou  la 
bonne  folie,  si  vous  l'aimez  mieux,  a  déserté  ses  pénates  ordinaires 
pour  se  réfugier  là  où  on  la  cherchait  le  moins. 

La  Mégère  apprivoisée,  dont  M.  Paul  Delair  a  emprunté  le  sujet  à 
une  des  premières  productions  de  Shakespeare,  Taming  o/'  the  streiv, 
rappelle  par  plus  d'un  point  les  tomes  premières  farces  de  notre 
grand  Molière,  alors  qu'il  s'essayait  dans  son  art.  Gatarina  est  une 
jeune  personne  d'humeur  acariâtre,  semant  partout  la  crainte  autour 
d'elle  ;  son  père,  Batista,  sa  jeune  sœur,  Bianca,  le  maître  de 
musique,  Gambio,  les  gens  de  la  maison,  tous  souffrent  de  son  exé- 
crable caractère.  Gomme  elle  est  fort  belle  et  fort  riche,  les  préten- 
dants ne  manquent  pas;  mais,  dès  la  première  entrevue,  ils 
prennent  leurs  jambes  à  leur  cou  pour  ne  plus  revenir,  à  moins 
que  ce  ne  soit  pour  courtiser  la  douce  et  séduisante  Bianca,  qui  ne 
pense  guère  à  eux,  son  maître  de  musique  lui  ayant  appris  musique 
et  amour  tout  en  même  temps.  Or,  un  beau  jour,  se  présente  un 
noble  chevalier,  Petruccio,  absolument  décidé  à  dompter  cette  sau- 
vage et  à  l'épouser  de  force,  s'il  le  faut.  Petruccio,  pour  arriver  à  ses 
fins,  emploiera  précisément  les  mêmes  armes  dont  se  sert  Catarina 
pour  rendre  la  vie  insupportable  autour  d'elle.  Criant,  jurant,  tem- 
pêtant, Petruccio,  qui  ne  peut  rester  une  minute  en  place  et  qui 
force  sa  jeune  femme  à  la  même  gymnastique,  trouve  tout  mal, 
tout  de  travers,  tout  ridicule,  dit  blanc  à  ceux  qui  lui  disent  noir, 
veut  que  chacun  plie  devant  son  autorité  hargneuse,  cogne  à  droite 
et  à  gauche  et  fatigue  tellement  Gatarina  de  ses  courses,  de  ses 
hurlements,  de  ses  colères,  que  les  yeux  de  la  belle  enfant  s'ou- 
vrent en  même  temps  que  son  esprit  et  que  la  mégère  devient  la 
plus  aimable  et  la  plus  accommodante  des  épouses.  Cependant,  Bianca, 
la  paisible,  a  quitté  le  toit  paternel  pour  aller  épouser-  en  cachette 


l'aimable  Cambio,  un  seigneur  de  qualité  déguisé  en  guitariste,  ce 
qui  fait  que  le  vieux  bonhomme  Batista  n'a  pas  le  droit  de  se 
fâcher  de  cette  escapade. 

Les  quatre  actes  de  la  Mégère  apprivoisée  sont  remplis,  au  début, 
des  frasques  tempétueuses  de  Gatarina,  et  par  la  suite,  de  celles,  car- 
navalesques et  tonitruantes  de  Petruccio,  et  je  crois  bien  que  si 
M.  Goquelin  n'avait  été  là  pour  enlever  merveilleusement  ce  rôle 
écrit  pour  lui  et,  dit-on,  sur  son  propre  désir,  la  pièce  aurait  paru, 
pour  le  moins,  étrange.  Le  grand  talent  du  protagoniste  fait  admet- 
tre cette  fantaisie  qui,  d'ailleurs,  est  divertissante.  M""  Marsy  a  très 
heureusement  composé  le  personnage  de  Gatarina;  c'est  la  première 
bonne  victoire  qu'elle  remporte  sur  le  théâtre  de  la  rue  Richelieu; 
nous  sommes  convaincu  qu'elle  ne  s'en  tiendra  pas  là.  Dans  les 
rôles  de  second  plan,  M"«  Muller,  Amel,  MM.  Goquelin  cadet.  Béer, 
Langier,  Jean  Goquelin,  Leitner,  Joliet,  ne  sont  point  pour  faire 
perdre  le  renom  mérité  de  notre  Comédie-Française.  La  mise  en 
scène  est  d'un  goût  siir  ;  les  trois  décors  ont  fait  sensation  et  les 
costumes,  dessinés  par  le  jeune  maître  Edel,  sont  d'un  effet  parfait; 
il  y  a  notamment,  au  second  acte,  des  accoutrements  burlesques  et 
dépenaillés,  portés  par  les  deux  frères  Goquelia,  qui  sont  de  vraies 
trouvailles.  Comme  pour  Grisélidis,  M.  Léon  a  écrit  là  quelque 
musique  d'une  allure  aimable  et  d'une  sonorité  discrète. 

Sans  chercher  de  transitions,  je  passerai  aux  Variétés,  où  M.  Albert 
Millaud  vient  de  faire  représenter  une  vraie  comédie,  aussi  éloignée 
du  genre  auquel  il  nous  avait  accoutumé  que  Taming  of  Ihe  strew 
l'est  de  Macbeth  ou  d'Othello.  Pinces!  c'est  l'histoire  assez  simple  d'un 
mari,  M.  Goussainville,  et  d'une  femme.  M""»  Lehuchois,  qui  se  mettent 
en  campagne,  avec  un  avoué  commun,  pour  surprendre,  l'une  son 
époux,  l'autre  son  épouse,  qu'ils  soupçonnent  d'entretenir  ensemble 
des  relations  coupables.  La  fatalité  veut  que  M.  Goussainville  trouve 
M"°=  Lehuchois  de  son  goût  et  s'attarde  à  le  lui  faire  comprendre  d'une 
façon  si  éloquente  que  lorsque  le  commissaire  de  police,  requis  par 
eux,  se  présente  pour  verbahser  contre  M"'  Goussainville  et  M.  Lehu- 
chois, c'est  contre  eux-mêmes  qu'il  dresse  procès-verbal.  Bien 
entendu,  M^"  Goussainville  et  M.  Lehuchois  se  prévaudront  de  cette 
méprise  pour  demander  le  divorce.  Mais  le  cœur  humain  est  ainsi 
fait  qu'au  moment  décisif,  chacun  regrette  sa  chacune,  et  que,  comme 
il  ne  s'est  rien  passé  de  grave,  tout  rentre  dans  l'ordre  plus  parfai- 
tement encore  qu'avant  cet  incident. 

M.  Albert  Millaud  semble  avoir  voulu  nous  prouver  que  s'il  est  humo- 
riste de  sa  nature,  il  est  fort  capable  aussi  de  dire  des  choses 
sérieuses  tout  en  leur  conservant  l'aspect  aimable  et  gai.  Il  a  voulu 
faire  du  théâtre  autre  que  celui  des  vaudevilles  à  grand  succès  qu'il 
avait  signés  jusque-là,  et  il  y  a  pleinement  réussi.  Il  y  a  dans  ces 
trois  actes  des  scènes  tout  à  fait  heureuses;  je  n'en  veux  pour  preuve 
que  celle  entre  Goussainville  et  M"«  Lehuchois,  au  premier  acte, 
lorsqu'ils  se  rencontrent  chez  leur  avoué,  Métivert,  celle  entre 
M""  Goussainville  et  M'"»  Lehuchois  la  première  fois  qu'elles  se 
trouvent  face  à  face  dans  la  villa  de  Dieppe,  celle,  enfln,  au  dernier 
acte,  où  les  sentiments  vrais  de  chacun  des  époux  se  fait  jour  malgré 
eux.  De  l'interprétation,  il  faut  mettre  hors  de  page  MM.  Baron,  Las- 
souche  et  Gooper,  il  faut  faire  de  mérités  compliments  à  M""  Lender, 
très  en  progrès  comme  comédienne,  et  à  M""  Magnier,  toujours  fort 
belle. 

Au  Palais-Royal,  ainsi  qu'aux  Variétés,  on  semble  faire  fî  des 
faridondaines  eoutumières  pour  s'adonner,  cette  fois,  à  une  esthétique 
plus  relevée  ;  MM.  Henri  Meilhac  et  A.  de  Saint-Albin,  emboîtant  le 
pas  à  M.  Albert  Millaud,  ont  fait  faux  bond  à  la  grivoiserie,  or- 
dinairement maltresse  de  la  maison.  M"'"  de  Closrobin  vient  de 
marier  sa  fille,  Lucienne,  à  un  gendre  choisi  avec  soin,  Yvon,  qui  a 
promis  de  vivre  avec  sa  belle-mère,  au  Vésinet,  pour  ne  point  sépa- 
rer la  mère  de  l'enfant  et  pour  ne  point  souiller,  au  contact  des 
plaisirs  mondains,  l'ange  qu'on  vient  de  lui  donner.  Bien  vite,  les 
deux  jeunes  mariés  sentent  le  poids  monotone  de  cette  vie  austère, 
partagée  entre  les  lectures  réconfortantes  et  la  confection  des  ca- 
misoles et  chaussettes  pour  l'œuvre  des  petits  abandonnés.  Yvon 
lâche  bientôt  le  toit  patriarcal  pour  louer,  dans  le  voisinage,  une 
maisonnette  où  Lucienne  viendra  le  rejoindre  et  où  l'on  mènera 
joyeuse  vie.  M"''  de  Closrobin,  avertie,  par  d'adroits  détectives,  que 
son  gendre  mène  une  existence  de  bâtons  de  chaise  avec  une  mai- 
tresse  inconnue,  se  lance  à  sa  poursuite  pour  l'arracher  aux  mains 
de  l'irrégulière.  Mais  la  maîtresse  en  question  n'est  autre  que  sa 
propre  fille,  la  propre  femme  d'Yvon,  at  M"'"  de  Glosrobin  est  obli- 
gée de  capituler  et  de  permettre  au  plaisir  d'entrer  dans  une  mai- 
son d'où  on  n'a  pas  le  droit  de  la  chasser. 

El  l'abbé,  me  direz-vous?  Monsieur  l'Abbé?  C'est  parfaitement  juste. 


37-2 


LE  MEJNESTREL 


et  si  je  ne  vous  en  ai  pas  parlé  au  cours  de  cette  très  succincte 
analyse,  c'est  que,  vraisemblablement,  sa  présence  n'est  pas  indis- 
pensable. Puisque  vous  êtes  curieuse,  madame,  je  vous  dirai,  ce- 
pendant, que  cet  abbé  est  un  ancien  précepteur  d'Yvon  et  que, 
d'après  les  déclarations  de  M'"''  de  Glosrobin,  croj'anl  à  la  culpabi- 
lité de  son  élève,  il  se  rend  aussi  dans  la  maisonnette  clandestine, 
non  sans  effroi,  et  que,  même,  la  première  personne  entrevue  par 
M"""  de  Glosrobin,  à  une  table  gaiment  garnie  oîi  l'on  sable  bruyam- 
ment le  Champagne,  est  l'abbé  lui-même  !  J'ajouterai  aussi  que  l'abbé 
c'est  M.  Daubray,  et  qu'il  est  impossible  d'être  plus  fin,  plus  ar- 
tiste sincère  que  ce  comédien  auquel  la  Comédie-Française  pourrait 
faire  une  boune  place  dans  les  rangs  de  ses  pensionnaires,  tout  au 
moins  pour  commencer.  M'"''  Chaumont,  qui  s'écrie  si  drôlement: 
«  Qui  m'aurait  dit,  il  y  a  vingt  ans,  que  je  jouerai  les  belles- 
mères!  »,  M'"° Chaumont  met  au  service  du  rôle  de  M""  de  Glosrobin  le 
même  talent  qu'elle  a  apporté  à  tous  les  rôles  créés  par  elle.  A  si- 
gnaler un  très  heureux  début,  celui  de  M"'=  L.  Yahne,  qui  a  été 
exquise  sous  les  traits  de  Lucienne,  Galvin,  un  vieux  beau  épique, 
Raimond,  toujours  amusant,  et  M"'-  Lavigne,  une  musicienne  tzigane 
capable  de  vous  réconcilier  avec  celle  gent  envahissante.  Deux 
intérieurs  élégants  à  l'actif  de  la  direction. 

Pour  terminer,  laissez-moi  vous  dire  deux  mots  du  succès  qui  a 
salué ,  aux  Nouveautés,  la  reprise  de  Coqiiard  et  Bicoquet,  le  très 
amusant  vaudeville  de  MM.  Raymond  et  Boucheron,  joué  il  y  a 
quelques  années  à  la  Renaissance.  Vous  vous  rappelez  le  sujet  : 
Bicoquet  faisant  des  farces  sous  le  nom  de  Coquard,  et  accusé  pré- 
cisément d'avoir  assassiné  Coquard.  On  a  ri,  comme  au  premier  jour. 
M'""^  Mathilde  a  été  la  joie  de  la  soirée  ;  sa  M""  Triuglot  est  sans 
contredit  le  rôle  le  meilleur  de  son  amusant  répertoire.  M.  Tarride 
nous  a  donné  un  Bicoquet  un  peu  correct,  MM.  Germain,  Guy, 
Montcavrel,  M""  Leriche  et  Marianne  Ghassin  ne  laissent  point 
tomber  la  verve  des  auteurs. 

Si  maintenant,  pour  conclure,  je  me  permettais  encore  une  petite 
réflexion,  j'avancerais  que,  peut-être,  en  y  changeant  bien  peu  de 
choses,  et  en  augmentant  encore  les  chances  de  réussite,  on  aurait 
pu  donner  la  Mégère  apprivoisée  au  Vaudeville  ou  l'envoyer  à  l'Odéon, 
cil  M.  Porel  s'est  fait  la  spécialité  des  traductions;  Pinces!  au 
Gymnase,  Monsieur  l'Abbé  a  la  Comédie-Française.  Quant  à  Coquard  et 
Bicoquet,  il  aurait  pu  trouver  sa  place  au  Palais-Royal,  laissant  aux 
Nouveautés  les  pièces  à  musiquette  qui  semblent  y  réussir  plus 
spécialement.  Vent  contraire,  répéterai-je  ! 

Pall-Émile  Cuev.\lier. 


MUSIQUE  DE  TABLE 


I 

CHEZ  LES  ANCIENS 

Parmi  les  phrases  toutes  faites  qui  surnagent  de  notre  érudition 
première,  l'une,  qui  est  de  Martial,  semble  donner  tort  à  tout  ce 
qui  va  suivre  :  Musica  in  epulis  ingrata,  — la  musique  ne  plaît  pas  à 
table. 

Aussi  nous  sentirions-nous,  sur  ce  début,  presque  disposés  à 
porter  nos  recherches  sur  d'autres  sujets,  si  toute  l'épigraphie  de 
l'antiquité  ne  s'élevait  contre  cette  hérésie  gastronomique  et  musi- 
cale. Nous  en  pourrions  dresser  la  liste;  mais  elle  serait  trop  longue. 
Contentons-nous  de  dire  qu'elle  célèbre,  chez  les  convives  anciens, 
une  double  jouissance,  appuyée  d'un  but  utile,  dont  un  épicurien 
moderne,  le  docteur  Véron,  a  fait  l'éloge,  en  déclarant  qu'il  ne  pou- 
vait digérer  sans  musique. 

D'aucuns  allaient  plus  loin  :  il  leur  fallait  un  genre  spécial  de 
musique,  pour  savourer  convenablement  leur  repas.  Un  étranger 
qui,  dans  un  festin  grec,  avait  trop  fait  honneur  au  doux:  vin  de 
Chio,  montra  subitement  une  grande  surexcitation.  Bientôt  on  s'a- 
perçut que  cet  état  redoublait  quand  un  joueur  de  flùle,  préposé 
au  divertissement  de  la  table,  employait  le  mode  phrygien.  Alors, 
Pythagore,  qui  se  trouvait  au  nombre  des  convives,  donna  l'ordre 
au  musicien  de  jouer  gravement,  et  l'étranger  retrouva  le  calme  et 
la  raison. 

L'ébriété  n'était,  d'ailleurs,  pas  exclue  des  festins  grecs.  Elle  y 
faisait  même  partie  du  programme,  pour  les  impromptus  de  la  fin. 
A  l'issue  des  repas  de  noces,  on  faisait  entrer  des  danseurs  et  des 
joueurs  d'instruments,  auxquels  les  convives,  légèrement  émus, 
faisaient  fête. 


Xénophon  nous  a  laissé  ce  tableau  des  divertissements  qui  sui- 
vaient les  agapes  nuptiales  : 

«  Après  qu'on  eut  desservi,  qu'on  eut  fait  les  libations  et  chanté 
l'hyménée,  on  vit  entrer  un  Syracusain,  accompagné  d'une  joueuse 
de  flûte  fort  bien  faite,  d'une  danseuse  qui  faisait  des  sauts  périlleux 
et  d'un  joli  petit  garçon  qui  jouait  admirablement  de  la  lyre...  Cela 
inspira  l'envie  de  danser  à  une  espèce  de  bouffon  parasite  qui  était 
du  repas,  et  qui,  s'élant  levé  de  sa  place,  fit  quelques  tours  à  travers 
la  salle,  imitant  la  danse  du  petit  garçon  et  celle  de  la  jeune  fille... 
Ariane,  parée  de  tous  les  ornements  qu'ont  d'ordinaire  les  nouvelles 
mariées,  entra  dans  la  salle  et  s'assit  sur  un  siège.  Un  moment 
après  ,  parut  Bacchus,  et  en  même  temps  on  joua  sur  la  flûte  un 
des  airs  consacrés  aux  fêtes  de  ce  dieu.  Cj  fut  alors  qu'on  admira 
l'habileté  du  Syracusain  dans  son  art;  car  Ariane,  à  l'audition  de 
cet  air,  fit  aussitôt  connaître  par  ses  gestes  combien  elle  était  char- 
mée. Mais,  loin  de  se  précipiter  au-devant  de  son  époux,  elle  ne  se 
leva  même  pas,  tout  en  faisant  paraître  combien  elle  se  contraignait...  » 

Quelquefois  les  convives,  dans  leur  exaltation  bachique,  excités 
par  le  son  des  instruments  et  le  brio  des  chansons,  faisaient  leur 
partie  dans  la  bacchanale  qui  terminait  le  repas.  Ils  se  démenaient 
comme  de  simples  histrions,  et  faisaient  valoir  des  talents  qu'ils 
n'avaient  pas  l'occasion  de  montrer  ordinairement.  Il  est  vrai  que 
le  résultat  ne  répondait  pas  toujours  au  but  qu'ils  s'étaient  proposé  : 

Un  prince  de  Sicyone,  Clisthènes.  désire  marier  sa  fille.  Elle  sera 
au  plus  vaillant  des  Grecs.  Des  invitations  sont  lancées,  et  de  tous 
côtés  accourent  les  prétendants..  Alors  le  prince  les  retient  pour  les 
juger.  Mais  bientôt  son  choix  se  restreint  à  deux  d'entre  eux.  Toutes 
les  chances  sont  pour  Hypoclides,  fils  de  Tysandre.  Encore  faut-il 
qu'une  épreuve  suprême  décide  de  son  sort  :  comment  se  tiendra-t-il 
au  festin  où  le  nom  de  l'heureux  vainqueur  sera  proclamé? 

Le  repas  est  splendide.  On  chante  au  milieu  des  libations.  Les 
danses  succèdent  aux  jeux  de  toute  espèce,  en  sorte  que  les  têtes 
ne  tardent  point  à  s'échauffer...  Tout  va  bien  cependant,  jusqu'au 
moment  où  Hypoclides,  danseur  émérite,  a  la  malencontreuse  inspi- 
ration de  demander  à  se  produire.  Il  réclame  d'abord  un  air  grave 
et  austère,  et  se  livre  à  une  pantomime  de  haut  caractère.  Mais  avec 
le  succès  il  s'enhardit.  Il  fait  apporter  une  table  sur  laquelle  il 
saute  lestement,  pour  danser  la  Spartiate  et  VAthénieiine.  Puis,  enivré 
de  son  triomphe,  el  sous  l'impulsion  maligne  des  instruments,  il 
exécute  la  danse  sur  les  mains,  à  la  manière  des  pitres. 

Pour  le  coup,  l'assemblée  trépigne  et  fait  une  ovation  au  brillant 
amateur.  Mais  Clisthènes,  qui  a  suivi  ce  ballet  improvisé,  ne  partage 
pas  l'allégresse  générale.  Dès  le  commencement,  il  a  froncé  le  sour- 
cil ;  maintenant  il  éclate,  et,  devançant  une  parole  de  vaudeville, 
il  s'écrie  : 

—  Tout  est  rompu,  mon  gendre! 

Et  comme  Hypoclides  demande  des  explications  : 

—  Tu  viens  de  danser  le  pas  des  funérailles  de  ton  hymen. 

Ce  fut  Mégalès,  fils  d'Alcmène,  qui  devint  l'heureux  époux  de  la 
princesse  de  Sicyone. 

Dans  les  temps  modernes,  on  s'est  souvent  inspiré  de  ces  souve- 
nirs de  la  Grèce  antique  pour  organiser  des  festins  copiés  sur  le 
modèle  des  agapes  athéniennes.  L'un  des  plus  réussis  fut  assuré- 
ment celui  que  M"°  Vigée-Lebrun,  peintre  célèbre,  improvisa  dans 
son  alelier  de  la  rue  de  Gléry  en  l'honneur  de  quelques-uns  de  ses- 
intimes. 

«  Un  soir,  dit-elle,  que  j'avais  invité  douze  ou  quinze  personnes 
à  venir  entendre  une  lecture  du  poète  Lebrun,  mon  frère  me  lut 
pendant  mon  calme  quelques  pages  des  Voyages  d'Anacliarsis.  Quand 
il  arriva  à  l'endroit  où,  en  décrivant  un  dîner  grec,  on  explique  la 
manière  de  faire  plusieurs  sauces  :  —  Il  faudrait,  me  dit-il,  faire 
goûter  cela  ce  soir.  Je  fis  aussitôt  monter  ma  cuisinière,  je  la  mis 
bien  au  fait;  et  nous  convînmes  qu'elle  ferait  une  certaine  sauce 
pour  la  poularde,  et  une  autre  pour  l'anguille. 

Il  Comme  j'attendais  de  fort  jolies  femmes,  j'imaginai  de  nous 
costumer  t>us  à  la  grecque,  afin  de  faire  une  surprise  à  M.  de  Vau- 
dreuil  et  à  M.  Fontin,  que  je  savais  ne  devoir  venir  qu'à  dix  heures. 
Mon  atelier,  plein  de  tout  ce  qui  me  servait  à  draper  mes  modèles, 
devait  me  fournir  assez  de  vêtements,  et  le  comte  de  Parois,  qui 
logeait  dans  ma  maison,  avait  une  superbe  collection  de  vases 
étrusques.  Je  lui  fis  part  de  mon  projet,  en  sorte  qu'il  m'apporta 
une  quantité  de  coupes,  de  vases,  parmi  lesquels  je  choisis.  Je  net- 
toyai tous  ces  objets  moi-même  et  je  les  plaçai  sur  une  table  d'aca- 
jou, dressée  sans  nappe. 

»  Cela  fait,  je  plaçai  derrière  les  chaises  un  immense  paravent, 
que  j'eus  soin  de  dissimuler  en  le  couvrant  d'une  draperie,  atta- 
chée de  distance  eu  distance,  comme  on  en  voit  dans  les  tableaux 


LE  MENESTREL 


373 


de  Poussin.  Une  lampe  suspendue  donnait  une  forte  lumière  sur  la 
table  ;  enfin  tout  était  prépaie,  jusqu'à  mes  costumes,  lorsque  la  fille 
de  Joseph  Vernet,  la  charmante  M°"=  Ghalgrin,  arriva  la  première. 

»  Aussitôt  je  la  coiffe,  je  l'habille.  Puis  vint  M™  de  Bonneuil,  si 
remarquable  par  sa  beauté  ,  M""'  Vigée,  ma  belle-sœur,  qui,  sans 
être  jolie  avait  les  plus  beaux  yeux  du  monde,  et  les  voilà  toutes 
trois  métamorphosées  en  véritables  Athéniennes.  Lebrun  entre  ;  on 
lui  ôte  sa  poudre,  on  défait  ses  boucles  de  côté,  et  je  lui  ajuste  sur 
la  tète  une  couronne  de  laurier,  avec  laquelle  je  venais  de  peindre 
le  jeune  prince  Henri  Lubomirsky  en  Amour  de  la  Gloire.  Le  comte 
de  Parois  avait  justement  un  grand  manteau  de  pourpre,  qui  me 
servit  à  draper  mon  poète,  dont  je  fis  en  un  clin  d'oeil  Pindare, 
Anacréon.  Puis  vint  le  marquis  de  Cubières.  Tandis  qu'on  va  cher- 
cher chez  lui  une  guitare  qu'il  avait  fait  monter  en  lyre  dorée,  je  le 
coslume  ;  je  costume  aussi  MM.  de  Rivière,  Guinguéné  et  Ghaudet, 
le  fameux  sculpteur. 

«  L'heure  avançait;  j'avais  peu  de  temps  pour  penser  à  moi; 
mais  comme  je  perlais  toujours  des  robes  blanches  en  forme  de 
tunique  (ce  qu'on  appelle  à  présent  des  blouses),  il  me  suffit  de 
mettre  un  voile  et  une  couronne  de  fleurs  sur  ma  tête.  Je  soignai 
principalement  ma  fille,  charmante  enfant,  et  M""  de  Bonneuil,  qui 
était  belle  comme  un  ange.  Toutes  deux  étaient  ravissantes  à  voir, 
portant  un  vase  antique  très  léger,  et  s'apprêtant  à  nous  servir  à 
boire. 

«  A  neuf  heures  et  den-ie  les  préparatifs  étaient  terminés,  et  dès 
que  nous  fûmes  tous  placés,  l'effet  de  cette  table  était  si  neuf,  si 
pittoresque,  que  nous  nous  levions  chacun  à  notre  tour,  pour  aller 
regarder  ceux  qui  étaient  assis. 

«  A  dix  heures,  nous  entendîmes  entrer  la  voiture  du  comte  de 
Vaadreuil  et  de  Fontin,  et  quand  ces  deux  messieurs  arrivèrent  de- 
vant la  porte  de  la  salle  à  manger,  dont  j'avais  fait  ouvrir  les  deux 
battants,  il  nous  trouvèrent  chantant  le  chœur  de  Gluck  :  le  dieu  de 
Paphos  et  de  Guide,  que  M.  de  Cubières  accompagnait  avec  sa  lyre. 

«  De  mes  jours  je  n'ai  vu  deux  figures  aussi  étonnées,  aussi 
stupéfaites  que  celles  de  M.  de  Vaudreuil  et  de  son  compagnon.  Ils 
étaient  surpris  et  charmés,  au  point  qu'ils  restèrent  un  temps  infini 
debout,  avant  de  se  décider  à  prendre  les  places  que  nous  avions 
gardées  pour  eux.. .» 

Enfin,  on  se  mit  à  table.  Les  sauces  furent  trouvées  exquises  ; 
mais  les  honnenrs  du  festin  furent  pour  un  gâteau  de  raisins  de 
Gorinthe  et  de  miel  arrosé  de  vieux  Ghypre.  Après  chaque  libation, 
on  chantait  un  choeur  sur  un  mode  plus  ou  moins  phrygien  ;  puis 
Lebrun  récita  plusieurs  odes  d'Anacréon,  qu'il  avait  traduites  ;  de 
sorte  qu'on  ne  songea  au  départ  que  lorsque  Phœbus  avait  déjà  par- 
couru sa  première  étape. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (19  novembre)  :  —  La  «  pre- 
mière »  du  Rêve  a  été  suivie,  comme  je  vous  l'avais  annoncé,  le  lende- 
main, de  la  CI  première  »  de  Smylis,  la  ballet-divertissement  inédit  de 
M.  Théo  Hannon  pour  le  scénario,  et  de  M.  Léon  Dubois  pour  la  musi- 
que. La  direction  de  la  Monnaie  avait  entouré  l'œuvre  de  nos  compatriotes 
de  soins  inhabituels,  et  comme  cette  œuvre  prêtait  à  d'aimables  déve- 
loppements chorégraphiques,  elle  a  obtenu  un  fort  joli  succès.  Sur  un 
libretto  peu  compliqué,  dontl'ile  de  Lesbos,  où  se  passe  l'action,  n'est  que 
le  prétexte,  et  dont  la  moralité,  malgré  le  choix  de  ce  lieu  de  perdition, 
est  à  l'abri  de  toute  critique  (la  mère  la  plus  rigide  en  permettrait  la  vue 
à  sa  fille),  M.  Léon  Dubois  a  écrit  une  partition  vraiment  intéressante  ; 
son  seul  défaut  est  d'être  un  peu  chargée,  un  peu  solennelle  même  par- 
fois, pour  un  ballet  qui  s'accommoderait  de  plus  de  discrétion  et  de  grâce 
légère.  Mais  le  compositeur  est  d'une  habileté  technique  remarquable  ; 
ses  idées  sont  élégantes  et  distinguées;  il  les  traite  avec  une  science 
d'orchestration  peu  ordinaire  ;  et  toutes  ces  qualités  ont  déterminé,  en 
somme,  la  réussite  de  l'ouvrage.  Smylis  est  la  première  œuvre  d'auteur 
belge  que  la  Monnaie  ait  jouée  cette  année.  On  parle  de  l'Enfance  de  Ro- 
land, l'opéra  nouveau  de  M.  Emile  Matbieu,  l'auteur  de  Richilde,  créée  ici, 
il  y  a  trois  ans,  victorieusement,  par  M™  Caron,  MM.  Engel  et  Renaud  ; 
mais  il  est  probable  que,  si  on  le  monte,  ce  ne  sera  que  l'an  prochain.  — 
La  série  des  concerts  d'hiver  a  recommencé;  mais  il  y  en  a  eu  peu.  jus- 
qu'à présent,  de  bien  marquants,  si  ce  n'est  le  premier  des  Concerts  clas- 
siques organisés  tous  les  ans  par  la  maison  Schott  ;  cette  première  séance 
a  été  un  triomphe  pour  notre  jeune  et  excellent  pianiste,  M.  Arthur  De 
Greet,  professeur  au  Conservatoire.  J'apprends  que  M.  De  Greef  va  donner, 
au  mois  de  février,  à  Paris,  salle  Pleyel,  une  série  de  quatre  «  i-écitals  », 


dont  l'intérêt  sera  très  vif  et  qui  comprendront  en  quelque  sorte  l'histoire 
complète  des  maîtres  du  clavecin  et  du  piano,  représentée  par  leurs  œuvres 
les  plus  caractéristiques.  —  Les  Concerts  populaires  recommenceront  an 
mois  de  décembre  :  parmi  les  éléments  d'attraction  qui  nous  sont  promis, 
je  note  M"'  Sucher,  la  fameuse  tragédienne  lyrique  wagnérienne,  qui  ne 
s'est  pas  encore  fait  entendre  do  ces  côtés-ci  du  Rhin.  —  Les  concerts  du 
^  Conservatoire,  retardés  un  peu  par  suite  de  la  perte  douloureuse  que 
M.  Gevaert  vient  de  faire,  reprendront  aussi  bientôt;  mais  il  se  pourrait 
que  le  nombre  en  fût  limité.  La  distribution  des  prix,  avec  le  concert  d'u- 
sage consacré  à  l'audition  de  lauréats  et  d'œuvres  orchestrales  de  nos  jeunes 
compositeurs,  aura  lieu  dimanche.  —  De  la  province,  vous  savez  déjà 
l'heureusa  réouverture  du  théâtre  de  Liège,  depuis  longtemps  condamné 
aux  faillites  et  qui  semble  enfin  s'être  relevé,  grâce  à  l'activité  et  à  l'intel- 
ligence des  deux  nouveaux  directeurs,  MM.  Bussac  et  Fabre  ;  la  première 
soirée,  avec  Hérodiade,  a  été  un  vrai  succès  ;  et  les  soirées  suivantes,  me 
dit-on,  n'ont  pas  été  indignes  de  celle-là.  Ailleurs,  les  choses  ne  vont  pas 
aussi  bien.  Le  théâtre  de  Gand,  découragé  de  voir  l'opéra  ne  pas  produire 
tout  ce  qu'on  est  en  droit  d'en  attendre  habituellement,  s'est  voué  en  grande 
partie  à  l'opérette,  qui  lui  est  moins  rebelle,  et,  avec  une  troupe  suffi- 
sante, cela  va  cahin-caha.  A  Anvers,  presque  toutes  les  représentations 
sont  des  orages;  après  avoir  tour  à  tour  admis  et  rejeté  certains  artistes, 
le  public  des  habitués,  composé  en  bonne  partie  de  jeunes  tapageurs,  a 
fini  par  faire  un  holocauste  de  toute  la  troupe,  en  bloc;  il  y  a  eu,  notam- 
ment, une  soirée  mémorable,  une  représentation  des  Huguenots  qui  a  donné 
lieu  à  des  scènes  inénarrables...  dans  la  salle,  les  spectateurs  interpellant 
les  artistes,  lançant  aux  femmes  les  plus  grossières  injures,  les  artistes 
répliquant,  le  régisseur  cherchant  en  vain  à  rétablir  le  calme...  Gela  a 
été  si  loin  qu'un  artiste  qui  venait  d'être  engagé  et  qui,  avant  de  débuter, 
avait  trouvé  curieux  d'assister  de  la  salle  à  la  représentation,  en  conçut 
une  telle  pour  qu'il  prit,  séance  tenante,  le  premier  train  quittant  la  ville 
et  qu'on  ne  l'a  plus  revu  !...  11  paraît  cependant  que,  à  l'heure  qu'il  est,  le 
public  s'est  un  peu  apaisé;  il  a  fini  même  par  signer  des  pétitions  deman- 
dant le  réengagement  de  certaines  victimes  mêmes  dont  il  avait  exigé  tout 
d'abord  la  résiliation!...  Et  dire  que  les  Anversois  passent  pour  être  des 
gens  calmes  !  Que  serait-ce  s'ils  étaient  du  Midi  '....  L.  S. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu,  au  théâtre  royal  d'Anvers,  la  première 
représentation  du  grand  ballet  inédit  en  deux  actes  que  nous  avions 
annoncé  déjà  :  Au  pays  noir,  scénario  de  M.  Armand  Laffrique,  musique 
de  M.  Justin  Glérice.  Le  rôle  principal  de  cet  ouvrage  était  rempli  par 
M"=  Adelina  Gedda,  qui,  de  plus,  en  avait  réglé  toutes  les  danses.  Le 
succès  de  l'œuvre  et  de  son  interprète  a  été  complet. 

—  L'Exposition  internationale  de  musique  et  de  théâtre,  à  Vienne, 
s'organise  d'une  façon  vraiment  admirable,  sous  la  direction  de  la  prési- 
dente d'honneur,  M""=  de  Metternich,  dont  le  zèle  infatigable  se  commu- 
nique à  tous  les  membres  de  l'administration.  Afin  d'assurer  à  l'entre- 
prise toute  les  chances  possibles  de  réussite,  la  princesse  vient  de  constituer 
un  comité  de  trois  cents  dames  appartenant  à  l'aristocratie,  à  la  finance, 
au  commerce  et  au  monde  artistique  de  Vienne,  avec  la  mission  de  gagner 
à  l'œuvre,  par  tous  les  moyens  dont  elles  disposent,  les  sympathies  et 
l'appui  du  monde  entier.  La  première  séance  de  ce  comité  aimable,  mais 
babillard,  a  été  ouverte  par  M""^'  de  Metternich,  qui,  après  une  allocution 
très  brillante,  a  proposé  comme  présidente  la  femme  du  gouverneur  comte 
Kielmannsegg,  que  l'on  a  acceptée  à  l'unanimité.  La  délibération  a  porté 
sur  les  attributions  spéciales  des  dames  du  comité.  On  a  décidé  qu'elles 
seraient  chargées  du  placement  des  cartes  d'abonnement  et  des  billets  de 
spectacle  et,  lorsque  l'Exposition  serait  ouverte,  d'en  faire  les  honneurs 
aux  exposants  étrangers.  La  présidente  a  rappelé  à  ses  collègues  que  les 
profits  de  l'entreprise  sont  destinées  â  augmenter  les  ressources  d'institu- 
tions musicales  et  philanthropiques,  comme,  par  exemple,  la  Société  des 
amis  de  la  musique,  dont  les  charges  sont  devenues  très  lourdes,  l'hôpital 
de  la  polyclinique,  le  Musée  du  travail  autrichien  en  voie  de  formation 
et  la  Caisse  de  secours  des  ouvriers  malades.  Après  avoir  discuté  sur 
différents  points  d'un  intérêt  secondaire,  on  s'est  séparé  l'emplies  des 
meilleures  intentions. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Berlin  :  Cavalleria  rmlicana,  que 
les  Berlinois  connaissaient  déjà  pour  l'avoir  entendue  au  LessingTheater, 
vient  de  paraître  sur  la  scène  de  l'Opéra  royal,  avec  une  double  interpré- 
tation, les  artistes  se  remplaçant  les  uns  les  autres  toutes  les  trois  repré- 
•sentations.  La  seconde  distribution  a  fait  meilleure  impression  que  la 
première.  L'orchestre  s'est  montré  remarquable,  sous  la  direction  de 
M.  "Weingiertner.  Le  spectacle  était  complété  par  la  première  représen- 
tation d'un  ballet  de  M.  Taubert,  les  Créatures  de  Prométliée  (imité  de  Vigano), 
avec  la  musique  du  Promélhée  de  Beethoven.  La  tentative  a  échoué 
complètement.  —  Bulnswick  :  Un  nouvel  opéra  de  A.  R.  Hermann  (livret  de 
M.  E.  Wolffram),  intitulé  Lancelot,  a  réussi  très  brillamment  au  théâtre 
municipal.  Le  deuxième  acte  a  soulevé  un  véritable  enthousiasme.  Les 
chœurs,  qui  interviennent,  comme  dans  le  théâtre  antique,  pour  commenter 
l'action,  sont  traités  magistralement. — Cologne  :  le  Roi  malgré  lui,  de  M.  Cha- 
brier,  n'a  réussi  qu'à  moitié  au  théâtre  municipal.  — Hambourg  :  Le 
public  du  théâtre  municipal  a  fait  un  accueil  simplement  courtois  à 
l'opéra-comique  de  M.  Messager,  la  Basoche. 

—  Gomment  on  calme  une  panique.  Un  rare  et  en  même  temps  très 
amusant  exemple  de  sang-froid  au  milieu  du  danger  nous  est  signalé  de 


374 


LE  MENESTREL 


Munich.  Dernièrement,  pendant  une  repri^sentation  de  la  Yalkijrk  au  théà- 
ti-e  de  la  Cour,  le  fond  du  décor,  où  figurait  un  àtre  fumant,  vint  à  prendre 
feu.  L'émoi  commençait  à  s'emparer  des  spectateurs;  pourtant  l'orchestre, 
sous  la  direction  de  M.  Lévi,  n'en  continua  pas  moins  déjouer;  M""^We- 
kerlin  et  H.  Yogi,  qui  étaient  en  scène,  ne  bronchèrent  pas  non  plus. 
Tandis  que  sa  camarade  continuait  sa  phrase,  VogI  se  contenta  de  crier 
dans  la  coulisse  :  «  Apportez-moi  de  l'eau!  »  puis  il  reprit  sa  place  et  donna 
sa  réplique.  Voyant  que  le  secours  n'arrivait  pas,  il  cria  de  nouveau:  «  De 
l'eau!  de  l'eau!  »  Plusieurs  personnes  dans  la  salle  s'étaient  levées,  bien 
que  M""'  Wekerlin  continuât  à  chanter;  Vogl,  d'une  voix  énergique,  somma 
les  spectateurs  de  rester  assis.  Enfin,  on  lui  tendit  de  la  coulisse  une  cru- 
che pleine  d'eau.  Sans  interrompre  le  récit  qu'il  venait  de  commencer,  il 
versa  le  contenu  de  la  cruche  dans  l'àtre,  qui  s'éteignit  immédiatement, 
et  cela  aux  applaudissements  frénétiques  du  public. 

—  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  mort  de  Mozart,  on 
annonce  que  le  chef  d'orchestre  et  compositeur  Karl  Reinecke  va  publier, 
à  Leipzig,  un  écrit  qui  intéressera  surtout  les  pianistes  et  les  admirateurs 
du  maître.  Cet  opuscule  sera  intitulé  :  Pour  la  vwification  des  concertos  de 
piano  de  Mosart. 

—  A  l'Opéra  ds  Saint-Pétersbourg,  où  l'on  vient,  après  une  longue 
éclipse,  de  reprendre  avec  succès  le  Prophète  de  Meyerbeer,  on  attend  avec 
quelque  impatience  le  nouvel  opéra  de  M.  Rimsky-KorsakofT,  Mlada,  dont 
la  mise  en  scène,  dit-on,  effacera  en  splendeur  tout  ce  qu'on  a  vu  jusqu'à 
ce  jour  à  ce  théâtre.  S'il  en  faut  croire  les  bruits  préventifs,  cet  ouvrage 
serait  conçu  entièrement  dans  le  style  de  la  déclamation  pure,  ce  qui  ne 
plaît  que  médiocrement  au  public  russe.  A  cet  opéra,  succédera  une 
étude  lyrique  en  un  acte  du  compositeur  Krotkoff,  à  trois  personnages 
seulement,  dont  on  ne  connaît  pas  encore  le  titre,  après  quoi  viendront 
VEsclarmondc  et  la  Manon  de  M.  Massenet,  avec  M.^''  Sanderson  pour  in- 
terprète. 

—  Le  Figaro  a  reçu  de  Stockholm  la  dépêche  suivante  :  «  A  la  suite  de 
la  brillante  représentation  de  Lakmé,  le  roi  Oscar  de  Suède  a  conféré  à 
M°">  Sigrid  Arnoldson  l'ordre  Litleris  et  Artibus,  une  des  plus  rares  dis- 
tinctions en  Suède.  » 

—  Trois  compagnies  lyriques  se  disputent  en  ce  moment  les  suffrages 
des  dilettantes  d'Amsterdam:  une  troupe  néerlandaise,  qui  jusqu'ici  n'a 
joué  que  des  ouvrages  français  :  Guillaume  Tell,  Fra  Diavolo,  Lakmé,  Mignon 
et  la  Muette  de  Portici;  la  compagnie  royale  française,  habilement  dirigée 
par  un  compositeur  belge  distingué,  M.  Joseph  Mertens,  et  qui  a  obtenu 
de  grands  succès  avec  la  Traviata,  la  Juive  et  les  Huguenots  ;  et  enfin  une 
troupe  allemande,  qui  s'est  produite  dans  Fidelio,  Norma  et  Don  Juan.  On 
voit  qu'il  y  en  a  pour  tous  les  goûts,  et  que  le  public  hollandais  n'a  que 
l'embarras  du  choix. 

—  L'Académie  royale  d'archéologie,  lettres  et  beaux-arts  de  Naples 
vient  d'avoir  une  pensée  touchante.  Pour  éterniser  le  rare  témoignage 
d'aiïection  dont  le  regretté  Francesco  Florimo,  ancien  archiviste  du  Con- 
servatoire et  membre  de  cette  Académie,  a  donné  tant  de  preuves  envers 
la  mémoire  de  son  condisciple  Bellini,  dont  il  n'a  cessé  toute  sa  vie 
d'exalter  la  gloire  et  le  génie,  cette  compagnie  a  résolu  de  placer  à  la 
base  du  monument  élevé  au  souvenir  de  l'auteur  de  Norma,  précisément 
par  les  soins  de  Francesco  Florimo,  un  médaillon  qui  rappelle  la  conduite 
de  celui-ci  envers  l'ami  qu'il  avait  perdu  si  jeune  et  à  la  renommée 
duquel  il  s'était  entièrement  consacré.  Le  travail  a  été  confié  au  sculpteur 
Alfonso  Balzico,  membre  de  l'Académie,  et  un  autre  membre,  M.  Vito 
Fornari,  a  été  chargé  de  rédiger  une  courte  épigraphe  destinée  à  expliquer 
la  pensée  de  la  compagnie. 

—  Nous  avons  dit  que  le  succès  du  nouvel  opéra  du  jeune  Mascagni, 
l'Amico  Fritz,  avait  fait  éclore,  à  Milan,  un  journal  de  théâtre  sous  ce  litre. 
On  annonce  à  celui-ci  la  prochaine  naissance  d'un  petit  frère,  et  Livourne, 
ville  natale  de  M.  Mascagni,  va  avoir  son  Amico  Fritz  hebdomadaire.  A  ce 
sujet,  nous  avions  constaté  que  c'était  volontiers  une  coutume,  en  Italie, 
de  prendre  le  titre  d'un  opéra  en  vogue  pour  le  donner  à  un  journal,  et 
nous  avions  cité,  à  titre  d'exemples  et  sans  prétendre  à  être  complet,  le 
Trovatore,  Rigoletto,  Carmen  et  Fra  Diavolo.  Noire  confrère  le  Trovatore  juge 
à  propos  de  parfaire  la  liste  en  y  ajoutant  le  Don  Bucefalo,  VOlello,  ilPirata, 
il  Piccolo  Faust,  Flora  Mirabilis  et  Mefistofele. 

—  La  bibliothèque  du  Conservatoire  de  Milan  s'est  enrichie  récemment; 
et  d'un  seul  coup,  d'une  façon  importante,  ainsi  que  nous  l'apprend 
l'Annuaire  de  cet  établissement.  Le  ministère  de  l'instruction  publique  a 
ordonné  le  transfert,  dans  cette  bibliothèque,  de  toutes  les  œuvres  musi- 
cales qui  faisaient  partie  de  celle  de  l'Université  de  Pavie,  où  elles  n'of- 
fraient d'utilité  pour  personne.  C'est  un  ensemble  de  dix  mille  numéros  envi- 
ron de  musique,  parmi  lesquels  se  trouvent  bon  nombre  d'œuvres  fort  utiles 
et  très  importantes,  qui  viennent  enrichir  les  collections  du  Conservatoire 
de  Milan,  lequel  a  encore  reçu,  d'autre  part,  une  série  de  six  cent  quarante- 
sept  volumes.  —  Un  mouvement  vient  de  se  produire  dans  le  personnel 
enseignant  de  cette  école  importante.  Tandis  que  M.  Sangiorgio  donnait 
sa  démission,  M.  Guglielmo  Andreoli  était  nommé  professeur  d'harmonie 
et  M.  Togneri  professeur  de  contrebasse. 

—  Un  imprésario  bien  connu  en  Italie,  M.  Canori,  se  prépare  à  prendre 
la  direction  du  Théâtre  National  de  Rome,  où  il  compte  faire,  au  prochain 


carnaval,  une  saison  exclusivement  consacrée  à  la  remise  en  lumière  de 
divers  opéras  du  XVIIP  siècle,  pour  la  plupart  entièrement  oubliés.  Avec 
le  Nozzc  di  Figaro  de  Mozart,  avec  il  Matrimonio  segreto  et  Giannina  e  Bernar- 
dine de  Cimarosa,  M.  Canori  se  propose  en  effet  d'offrir  au  public  la  Serva 
padrana  de  Pergolèse,  la  Cufliara  et  gli  Zingari  in  fiera  de  Paisiello,  la  Cecchina 
ziiella  de  Piccinni,  l'Inganno  amoroso  de  Guglielmi,  et  le  Déserteur  de  Mon- 
signy.  Il  serait  difficile,  sans  doute,  de  prédire  ce  que  vaudra  cette  tenta- 
tive au  point  de  vue  matériel,  et  de  quel  effet  elle  sera  sur  le  public; 
mais,  quoi  qu'en  puisse  penser  le  Trovatore,  qui  la  tourne  dès  l'abord  en 
ridicule,  nous  la  trouvons  très  curieuse  et  fort  intéressante  au  point  de 
vue  artistique.  Il  nous  semble  que  l'audition  d'un  petit  chef-d'œuvre  oublié 
de  Pergolèse  ou  de  Paisiello  est  de  beaucoup  préférable  à  celles  des  nom- 
breuses opérettes  sans  valeur  et  sans  saveur  qui  inondent  depuis  quelques 
années  les  répertoires  de  certains  théâtres  italiens. 

—  On  lit  dans  l'Adriatico,  de  Venise  :  a  Le  comte  Hochberg,  intendant 
impérial  des  théâtres  de  Berlin,  est  arrivé  à  Venise  et  est  descendu  à 
VAlbergo  Italia,  de  retour  de  Rome,  où  il  s'était  rendu  pour  assister  à 
l'Amico  Fritz  et  pour  inviter,  d'ordre  de  l'empereur  Guillaume,  le  maestro 
Mascagni  à  se  rendre  à  Berlin.   » 

—  Au  théâtre  Rossini  de  Rome,  on  annonce  la  prochaine  apparition  de 
deux  opérettes  nouvelles  :  i  Bocci  innamorali,  musique  du  maestro  G.  Ro- 
mano,  et  Cavalleria  rustico-romhna,  nouvelle  imitation  de  l'œuvre  envogue, 
musique  de  M.  Angelo  Piarangeli.  L'affiche  du  théâtre  annonce  que 
cette  dernière  Cavalleria  est  «  la  plus  grande  attraction  du  jour,  »  Alors, 
que  va  devenir  l'autre,  la  première,  la  vraie? 

—  Dans  une  soirée  donnée  au  théâtre  Ristori,  de  Vérone,  le  d2  no- 
vembre, au  bénéfice  d'un  jeune  compositeur  nommé  Perigozzo,  on  a 
exécuté  sous  ce  tilre  :  Apothéose  à  Rossini,  une  cantate  de  cet  artiste. 

—  Un  ténor  qui  se  fait  éditeur  de  musique  !  C'est  le  chanteur  Oltavio 
Nouvelli,  qui,  nous  apprend  un  journal  italien,  doit  ouvrir  incessamment 
à  Turin,  dans  la  Galerie  nationale,  un  grand  magasin  de  musique.  On 
assure  pourtant  qu'il  ne  renoncera  pas  pour  cela  à  ses  succès  scéniques. 

—  Le  Néron  du  maestro  Riccardo  Rasori,  qui  vient  d'être  représenté  au 
théâtre  Garcano,  de  Milan,  n'est  pas  un  opéra  nouveau,  comme  plusieurs 
journaux  italiens  l'avaient  dit  par  erreur.  Cet  ouvrage  a  été  donné  pour 
la  première  fois  en  1888,  au  théâtre  Carignan,  de  Turin.  Malgré  les  quinze 
rappels  dont  l'auteur  a  été  l'objet  à  Milan  et  les  quatre  bis  qui  ont  été 
demandés  au  cours  de  la  soirée,  le  résultat  ne  paraît  être  qu'un  succès 
d'estime,  et  la  critique,  qui  n'est  pas  très  favorable  à  l'œuvre,  lui  reproche 
surtout  un  manque  trop  absolu  d'inspiration  et  de  nouveauté.  A  ce  sujet, 
les  journaux  rappellent  les  divers  Nérons  qui,  jusqu'à  cette  heure,  ont  paru 
à  la  scène  lyrique,  et  dont  voici  la  liste  :  Néron,  de  Corradi  (1679)  ;  Néron, 
de  Perti  (1693)  ;  Néron,  de  Haendel  (1705)  ;  Néron,  de  Reissiger  (1822)  ; 
Néron,  d'Orlandini  (1721)  ;  Néron,  de  Duni  (1730)  ;  Néron,  de  Rubinstein 
(1879);  enfin,  Néron,  de  Rasori  (1838).  Quant  à  celui  de  M.  Arrigo  Boito, 
depuis  si  longtemps  attendu,  et  si  vainement,  on  ne  sait  encore  si  on 
le  verra  briller  aux  feux  de  la  rampe  avant  l'aurore  du  vingtième  siècle. 

—  Heureux  le  chanteur  qui,  en  cas  d'insuccès,  peut  se  transformer  et 
changer  sa  carrière.  C'est  ce  qui  vient  d'arriver,  en  Italie,  à  un  ténor, 
M.  Giacomo  Kœbler,  qui,  après  avoir  éprouvé  de  la  part  du  public  de 
Padoue  d'assez  graves  désagréments  dans  l'Ebreo,  s'est  décidé  à  renoncer 
au  théâtre  et  à  reprendre  sa  première  profession  d'ingénieur. 

—  Tandis  que  la  Carmen  de  Bizet,  qui  continue  sa  carrière  triomphale 
en  Italie,  est  reprise  pour  la  douzième  fois  à  Turin,  où  elle  menace  de 
furoreggiere,  c'est-à-dire  de  faire  fureur  de  nouveau,  un  journal  de  Novi, 
la  Sociétà,  assure  que  le  livret  de  cet  ouvrage  est  une  «  monstruosité  ». 
Monstruosité  est  peut-être  excessif,  et  en  tout  cas  le  critique  paraît  ne  pas 
devoir  trouver  beaucoup  de  compatriotes  pour  partager  ses  sc'rupules. 

—  L'épidémie  d'opérettes  continue  à  sévir  en  Italie,  plus  encore  que  chez 
nous.  Au  théâtre  Rossini,  de  Rome,  on  en  a  donné  une  nouvelle  en  trois 
actes  et  en  dialecte  romanesque,  intitulée  er  Codicillo  dcr  l.estamento,  dont  la 
musique  a  pour  auteur  le  maestro  Bardai.  On  eu  attend  une  autre,  au 
même  théâtre,  sous  ce  tilre  :  l'Ereditrc  de  Pipello. 

—  Du  fantaisiste  Trovatore  :  «  Celle-ci  est  à  raconter.  (Juand  les  Par- 
mesans ont  exprimé  le  désir  d'avoir  un  spectacle  d'opéra  à  leur  théâtre 
pour  la  saison  de  carnaval,  leurs  Pères  conscrits  refusèrent  la  dote  (sub- 
vention). Ensuite,  ceux-ci  ont  fait  un  acte  de...  conirition,  et  ont  accordé 
la  dote.  Et  maintenant  qu'il  y  a  une  dote,  on  ne  trouve  pas  un  chien  pour 
se  charger  de  l'entreprise  du  théâtre  !  » 

—  Un  paiement  en  musique.  Le  gérant  d'un  des  principaux  cercles  de 
Londres,  dont  les  réunions  musicales  sont  très  courues,  a  été  poursuivi 
dernièrement  à  la  requête  d'un  groupe  d'artistes  auxquels  il  devait  des 
cachets.  L'affaire  s'est  arrangée  à  l'amiable,  les  membres  du  cercle  s'étant 
engagés  devant  le  tribunal  à  donner  satisfaction  aux  réclamants.  Il  ne 
restait  donc  plus  à  régler  que  les  frais  de  justice.  C'est  là  que  la  musique, 
cause  première  du  différend,  intervînt  en  médiatrice.  Le  cercle  proposa 
aux  hommes  de  loi  de  leur  offrir  un  smoking-concert  (concert  où  il  est  per- 
mis de  fumer)  en  guise  d'honoraires,  ce  qui  fut  immédiatement  accepté. 
Chez  nous,  c'est  le  rire  qui  désarme;  en  Angleterre,  c'est  l'excentricité. 


LE  MENESTREL 


375 


—  Un  chef  d'orchestre  prinmer.  Le  duc  d'Edimbourg,  dont  le  talent  de 
violoniste  a  été  méconnu  par  la  foule,  ne  paraît  pas  lui  avoir  gardé  ran- 
cune. Il  se  présente  maintenant  à  elle  comme  chef  d'orchestre.  En  effet, 
pour  remercier  la  ville  de  Bristol  de  l'avoir  admis  en  qualité  de  citoyen 
d'honneur,  le  23  octobre  dernier,  il  a  consenti  à  diriger,  le  soir,  le  concert 
donné  par  une  des  sociétés  musicales  de  la  ville  au  profit  de  l'asile  Sainte- 
Agnès.  On  lui  a  fait  une  ovation  à  son  arrivée  au  pupitre. 

—  Une  nouvelle  grève,  mais  pas  en  Europe.  Cette  fois,  c'est  le  Nou- 
veau Monde  qui  est  atteint,  et  les  victimes  sont  les  administrations  théâ- 
trales de  la  grande  métropole  américaine,  qui  se  trouvent  tout  à  coup 
privées  de  leurs  machinistes  et  de  leurs  charpentiers.  Voici,  en  effet,  le 
texte  d'une  dépêche  télégraphique  expédiée  de  New-York  le  17  novembre  : 
»  L'Union  mutuelle  des  gens  de  théâtre  a  déclaré  la  grève  des  machi- 
nistes et  charpentiers  de  l'Académie  de  musique  de  Niblo's  Garden,  de 
Peopl's  Theater  et  de  Colombus  Theater,  à  la  suite  du  refus  de  ces  éta- 
blissements de  faire  une  avance  d'un  demi-dollar  par  nuit.  Hier  soir, 
dans  ces  théâtres,  il  n'y  avait  ni  machinistes,  ni  charpentiers  ;  les  ac- 
teurs et  les  directeurs  ont  été  forcés  de  manoeuvrer  les  décors,  d'où 
longs  retards  et  grande  joie  du  public.  »  La  joie  des  artistes  et  des  di- 
recteurs a  dû  être  moins  vive  et  moins  expansive. 

—  Dépêche  de  Chicago  :  «  W"  Marie  Van  Zandt  a  débuté  jeudi  soir, 
au  théâtre  de  cette  ville,  par  le  rôle  d'Amina  de  la  Somnambule.  Bravos, 
rappels,  bouquets  et  couronnes,  rien  n'a  manqué  au  succès  de  la  brillante 
cantatrice.  » 

—  Les  événements  et  les  troubles  politiques  qui  ont  éclaté  au  Brésil 
n'ont  pas  tardé,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  à  atteindre  les  théâtres. 
La  saison  d'opéra  italien  qui  s'était  entamée  à  Rio-Janeiro  et  qui  devait 
se  poursuivre  à  Montevideo,  a  été  brusquement  interrompue,  et  la  com- 
pagnie a  dû  être  dissoute  par  cas  de  force  majeure.  Les  imp-esarl  Ciacchi 
et  Ducci  ont  subi  de  grosses  pertes,  et  les  pauvres  artistes  sont  restés  en 
plan  là-bas. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Nous  n'avions  que  trop  raison  d'être  remplis  de  défiance  sur  la  ma- 
nière dont  MM.  Ritt  et  Gailhard  se  préparaient  à  «  célébrer  »  le  centenaire 
de  Meyerbeer.  La  soirée  a  été  simplement  scandaleuse.  Voilà  ce  qui  nous 
revient  de  tous  côtés.  En  ne  convoquant  pas  la  presse  à  cette  «  solennité», 
les  deux  mécréants  d'art  pensaient  pouvoir  accomplir  leur  forfait  dans 
l'ombre  et  le  m.ystère.  Mais  les  choses  ont  été  poussées  à  un  tel  point  de 
ridicule  que  les  spectateurs  même  payants  —  ceux  dont  se  moquent 
habituellement  les  deux  tenants  de  l'Opéra  —  ont  fini  par  se  révolter  et 
la  soirée  s'est  terminée  au  milieu  des  chuts  et  des  sifflets.  Faire  siffler 
Meyerbeer  à  l'occasion  de  son  centenaire,  voilà  tout  ce  que  MM.  Ritt  et 
Gailhard  ont  pu  trouver  de  plus  nouveau  en  cette  circonstance  solennelle. 
Quel  malheur  qu'on  ne  puisse  pas  les  chasser  une  seconde  fois  de  l'Opéra! 

—  On  sait  que  le  jury  du  grand  concours  musical  de  la  ville  de  Paris 
a  décidé,  au  mois  de  mai  dernier,  de  ne  point  décerner  le  prix  attribué  à 
ce  concours,  aucune  des  œuvres  envoyées  ne  lui  semblant  présenter  des 
qualités  suffisantes  pour  justifier  ses  préférences  et  légitimer  une  récom- 
pense aussi  considérable.  On  assure  que,  depuis  plusieurs  années  déjà,  le 
niveau  de  ce  concours  s'est  sensiblement  abaissé,  et  le  jury,  tout  naturel- 
lement appelé  à  rechercher  les  causes  de  l'infériorité  ainsi  constatée,  a 
cru  les  découvrir  dans  les  conditions  du  programme  imposé  aux  concur- 
rents. On  sait,  en  effet,  que  ce  programme  exige  que  les  compositions 
présentées  soient  écrites  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  mais  en  excluant 
les  œuvres  théâtrales  proprement  dites  et  celles  présentant  un  caractère 
religieux.  C'était  donc  condamner  les  jeunes  artistes  au  poème  lyrique 
ou  à  la  symphonie-cantate  à  perpétuité,  c'est-à-dire  à  des  compositions 
d'un  genre  hybride,  sans  caractère  propre  et  nettement  déterminé,  et  dont, 
en  dehors  du  prix  olïert  par  la  Ville,  ils  ne  pouvaient  guère  ensuite  tirer 
parti  d'une  façon  profitable.  Le  jury  a  donc  pensé  qu'il  était  indispensable, 
si  l'on  voulait  que  le  concours  ne  restât  pas  éternellement  improductif, 
d'en  modifier  le  programme,  et  il  propose  que  les  trois  premiers  articles 
de  ce  programme  soient  désormais  rédigés  ainsi  : 

Ariicle  premier.  — ^.  Un  coDcours  est  ouvert  par  la  Ville  de  Paris,  entre  tous 
les  musiciecs  français,  pour  la  composition  d'une  œuvre  musicale  de  haut  style 
et  de  grandes  proporlions,  avec  soli,  chœurs  et  orchestre. 

Art.  2,  —  Les  concurrents  seront  fibres  de  faire  composer  ou  de  composer 
eux-mêmes  leur  poème,  dont  le  sujet  sera  pris  de  préférence  dans  les  légendes 
de  l'histoire  de  France. 

Arl.  3.  —  Sont  exclues  de  ce  concours  les  œuvres  déjà  exécutées.  Sont  exclues 
également  les  œuvres  présentant  un  caractère  liturgique. 

On  voit  que,  si  cette  modification  est  adoptée,  la  restriction  relative  aux 
œuvres  théâtrales  n'existera  plus,  non  plus  que  celle  qui  excluait  les  com- 
positions d'un  caractère  religieux,  le  mot  liturgique  s'appliquant  à  la  mu- 
sique d'église  proprement  dite.  L'oratorio  sera  donc  parfaitement  de  mise 
dans  le  programme  ainsi  renouvelé  et  élargi,  de  même  que  l'opéra  et  le 
drame  lyrique  y  pourront  trouver  leur  place.  C'est  notre  confrère  Victor 
■Wilder  qui  a  été  chargé  de  la  rédaction  du  rapport  relatif  au  dernier 
concours,  rapport  dans  lequel  il  insiste  tout  particulièrement  sur  ce  point 
important. 

—  Un  comité  vienl  de  se  former  à  La  Flèche,  dans  le  but  d'ériger,  à 
l'aide  d'une   souscription  publique,   une  statue  au  regretté   Léo  Delibes, 


auteur  de  tant  d'œuvres  exquises,  qui  était  né  à  quelques  kilomètres  de 
La  Flèche,  à  Saint-Germain-du-Val.  MM.  Ambroise  Thomas,  Gounod,  Mas- 
senet,  Saint-Saëns,  etc.,  ont  accepté  le  patronage  de  l'œuvre.  Le  montant 
des  souscriptions  devra  être  adressé  à  M.  Tramond,  receveur  des  finances 
à  La  Flèche. 

—  M.  Pierre  Mascagni,  l'auteur  de  Chevalerie  rustique,  doit  arriver  à 
Paris  à  la  fin  du  mois,  pour  surveiller  lui-même  les  études  de  son  ou- 
vrage, qu'on  répète  en  ce  moment  à  l'Opéra-Gomique. 

—  Au  théâtre  de  l'Opéra-Gomique  on  répète  activement  iaW«  iîou/c/i,  qui 
doit  passer  vers  le  1"'  décembre.  On  se  rappelle  que  dans  cet  opéra- 
comique  de  Félicien  David  doit  débuter  M"*  Villefroy,  lauréate  des  der- 
niers concours  du  Conservatoire.  Quant  à  Haydée,  la  reprise  en  a  lieu 
aujourd'hui  même,  dimanche. 

—  M.  Edouard  Lalo,  dont  M.  Diémer  exécute  aujourd'hui  même  au 
concert  du  Ghâtelet  le  beau  concerto  de  piano,  était  depuis  quelque 
temps  très  souffrant.  Les  dernières  nouvelles  annoncent  un  mieux  sen- 
sible dans  l'état  du  compositeur.  M.  Lalo  est  entré  en  pleine  convales- 
cence. 

—  Le  réengagement  de  M.  Lassalle,  par  la  nouvelle  direction  de  l'O- 
péra, est  aujourd'hui  un  fait  accompli.  C'est  au  mois  d'avril,  après  son 
retour  d'Amérique,  que  cet  artiste  fera  sa  rentrée  à  l'Opéra. 

—  Concerts  du  Ghâtelet.  —  La  musique,  si  délicate  et  si  fine,  composée 
par  M.  Ch.-M.  "Widor  pour  la  comédie  de  M.  Dorchain,  Conte  d'avril,  a  été  pré- 
sentée aux  concerts  du  Châtelet  sous  la  forme  de  deux  suites  d'orchestre.  Une 
exécution  parfaite  et  colorée  en  a  fait  valoir  les  qualités  exquises  :  d'abord  le 
charme,  la  distinction  de  la  phrase  mélodique,  tantôt  empreinte  de  ten- 
dresse et  de  sentiment  comme  dans  le  Nocturne  avec  solo  de  flûte  délicieu- 
sement joué  par  M.  Cantié,  tantôt  d'une  légèreté  originale  et  spirituelle 
comme  dans  la  Sérénade  itlyrienne,VAllegro  giocoso, la.  Guitare;  puis,  l'orches- 
tration, d'allure  vive  et  dégagée,  faisant  contraster  entre  eux,  avec  une 
dextérité  charmante,  les  divers  groupes  d'instruments,  trame  toujours 
claire  et  vive  où  circulent  abondamment  et  avec  mille  reflets  l'air  et  la 
lumière.  Le  public  a  fait  un  accueil  chaleureux  à  tous  les  morceaux  de 
ces  deux  suites,  se  montrant  particulièrement  charmé  par  l'ouverture, 
écrite  d'une  main  ferme,  sans  violence  et  sans  mièvrerie,  par  l'aubade 
Clair  de  lune,  avec  solo  de  violon  fort  bien  dit  par  M.  Pennequin,  par  la 
jolie  marche  nuptiale  et  surtout  par  le  nocturne.  —  M"'  Marcella  Pregi  a 
chanté  avec  beaucoup  de  grâce  et  de  goût  une  jolie  Sicilienne  de  Pergolèse. 
Elle  a  su  faire  valoir  aussi  par  son  excellente  diction  un  Lamento  de  M.  G. 
Fauré,  d'une  inspiration  aussi  charmante  que  discrète,  mais  d'une  fac- 
ture un  peu  fragile,  qui  en  rend  l'interprétation  difficile.  La  jeune  artiste 
a  fait  apprécier  les  qualités  solides  et  brillantes  de  sa  voix  dans  les  des- 
sins énergiquement  rythmés  de  la  Chanson  florentine  de  M.  Saint-Saëns, 
extraite  i'Ascanio.  M"=  Pregi  a  été  très  applaudie  et  rappelée  plusieurs 
fois.  L'orchestre  a  exécuté  avec  une  grande  précision  la  symphonie  en  si 
bémol  de  Beethover,  qui  renferme  un  adagio  d'une  admirable  simplicité 
et  d'une  grande  élévation  d'idées,  mais  dans  laquelle  on  ne  rencontre  pas 
la  puissante  originalité  de  la  plupart  des  autres  œuvres  du  maître.  Le 
concert  s'est  terminé  par  le  prélude  de  Tristan  et  Yseult  et  par  l'introduc- 
tion du  troisième  acte  de  Loliengrin.  Amédée  Boutarel. 

—  L'orchestre  de  M.  Lamoureux,  plus  chaleureux  que  d'habitude,  a 
donné,  dimanche  dernier,  une  très  bonne  interprétation  de  la  symphonie 
de  la  Réformation,  de  Mendelssohn.  Ce  n'est  pas  la  meilleure  symphonie 
du  maître,  mais  elle  renferme  des  beautés  de  premier  ordre  et,  si  elle  est 
convenablement  exécutée,  elle  produit  un  grand  effet.  —  L'ouverture 
d'Hirmann  et  Dorotlice,  œuvre  posthume  de  Schumann,  est  une  page  que  l'on 
devrait  laisser  dans  l'ombre  par  respect  pour  l'auteur  de  tant  de  sublimes 
compositions.  Style  vieillot,  développements  enfantins,  emprunt  de  notre 
air  national  sous  la  forme  vulgaire  d'un  avant-deux  de  contredanse,  ce 
n'est  pas  là  le  Schumann  qui,  dans  les  Deux  Grenadiers,  avait  fait  un 
emploi  si  grandiose  de  l'hymne  français  ;  nous  ne  comprenons  pas  que 
M.  Lamoureux,  le  chef  d'orchestre  aux  grandes  conceptions,  persiste  à 
faire  figurer  cette  ouverture  dans  ses  programmes.  —  L'œuvre  de  M.  Char- 
pentier, Napoli,  a  paru  un  peu  longue,  quoique  ce  ne  fût  que  la  cin- 
quième partie  d'une  suite  d'orchestre.  Mais  que  de  choses  M.  Charpentier 
avait  à  décrire  (c'est  le  programme  qui  le  dit)  !  Jugez  un  peu  :  o  Les  vi- 
brations de  la  chaleur,  celles  de  la  lumière,  le  soleil,  la  lune,  les  étoiles, 
le  grouillement  des  foules,  les  chants,  les  danses,  les  amoureuses  langueurs 
des  violons,  les  grincements  des  guitares,  le  ronflement  intermittent  du 
Vésuve,  et,  pour  finir,  un  feu  d'artifice.  »  Il  faut  du  temps  pour  ex- 
exprimer  tout  cela,  et  voilà  pourquoi  Najioli  a  paru  un  peu  long.  En  vérité, 
on  ne  sait  pas  trop  où  s'arrêteront  les  descriptifs  en  musique.  Nous  ne 
doutons  pas  qu'on  n'arrive  à  peindre  un  jour  d'une  façon  très  satisfaisante 
l'explosion  d'une  locomotive,  les  souffrances  d'un  cholérique,  les  amours 
d'un  microbe  et  les  pensées  intimes  d'un  crocodile.  Le  malheur  est  qu'il 
faut  des  programmes  pour  expliquer  tout  cela;  sans  quoi  nous  ne  devine- 
rions peut-être  pas  à  première  audition  les  harmonies  de  la  Forêt  que 
reproduit  le  fragment  de  Siegfried,  non  plus  que  les  divertissements 
voluptueux  que  représente  la  Bacchanale  du  Vemisbei-g  de  'V\'agner.—  Quant 
à  la  valse  de  Méphisto,  de  Liszt,  «  valse  vertigineme  et  passionnée  »,  nous 
avons  vainement  cherché  où  était  le  vertige,  ou  était  la  passion.  Nous 
n'avons  ressenti  qu'un  remarquable  agacement  nerveux.  Voilà  une   valse 


376 


LE  MÉNESTREL 


dont  M.  Gharcot  devrait  expérimenter  l'effet  sur  ses  malades  !  En  exaspé- 
rant les  troubles  cérébraux,  peut-être,  par  homéopathie,  arriverait-il  à 
les  annihiler!  Il  y  a  de  tout  là-dedans,  excepté  delà  musique.  C'est  peut- 
être  ce  qui  en  a  fait  le  succès  relatif.  H.  Barbedette. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

ChâLelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  ut  mineur  (Beethoven);  première 
audition  de  l'Angélus,  mélodie  bretonne  (Bourgault-Ducoudray),  et  les  Deux  Méné- 
triers, deuxième  audition  (César  Cui),  chantés  par  M.  Numa  Auguez;  Conte  d'avril, 
première  et  deuxième  suite  (Widor);  concerto  pour  piano  et  orchestre  (Ed.  Lalo). 
par  M.  L.  Diémer;  prélude  de  Tristan  et  Iseult  (Wagner);  la  Chevauchée  des  Wal- 
kyries  [Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Symphonie  pastorale  (Beetho- 
ven); Napoli  (Charpentier);  concerto  en  sol  mineur,  pour  piano  jSaint-Saëns), 
exécuté  par  M.  Staub;  Lustspiel-Ouuerture  (Smetana);  prélude  de  Tristan  et  Iseult 
(R.  Wagoer);  introduction  du  troisième  acte  de  Lohengrin  (Wagner). 

—  Sous  ce  titre  :  Wagner  et  Meyerbeer,  MM.  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe  publient  aujourd'hui  une  intéressante  brochure,  extraite  de  la 
Revue  d'art  dramatique,  où  nous  trouvons  une  appréciation  inédite  et  très 
curieuse  de  l'auteur  de  Lohengrin  sur  le  quatrième  acte  des  Huguenots, 
qu'on  a  joué  à  l'occasion  du  centenaire  :  o  Voyez  la  sobriété  des  moyens 
employés  par  Meyerbeer  dans  la  célèbre  scène  de  la  Bénédiction  des  poi- 
gnards. Combien  clair  et  simple,  plein  de  distinction  et  de  véritable  valeur 
est  le  thème  principal  avec  lequel  il  commence  et  termine  son  morceau  ! 
avec  quelle  prudence  et  quelle  convenance  le  maître  fait  grossir  le  tor- 
rent qu'il  ne  laisse  point  perdre  en  un  tourbillon  confus,  mais  qu'il  mène 
à  une  mer  imposante.  En  ce  sens  on  ne  peut  rien  concevoir  de  plus  élevé. 
Nous  comprenons  que  le  point  culminant,  dans  toute  l'acception  du  mot, 
a  été  atteint,  et  de  même  que  le  plus  grand  génie  éclaterait  s'il  voulait, 
dans  l'ordre  d'idées  de  Beethoven,  non  pas  même  enchérir  sur  sa  dernière 
symphonie,  mais  seulement  essayer  de  partir  de  là  pour  aller  plus  loin, 
de  même  il  paraît  impossible  que  dans  cet  ordre  d'idées  où  Meyerbeer  a 
touché  la  limite  extrême,  on  veuille  encore  s'avancer  au  delà!  » 

—  MM.  I.  Philipp,  Berthelier,  J.  Loëb  et  Balbreck  organisent,  pour 
cette  saison,  dix  séances  de  musique  de  chambre,  qui  auront  lieu  l'après- 
midi,  dans  la  petite  salle  Erard,  et  dont  l'intérêt  sera  particulièrement 
grand.  On  y  entendra,  en  effet,  les  productions  les  plus  importantes  de  la 
musique  de  chambre  moderne,  et  l'on  pourra  y  applaudir,  à  côté  des  œu- 
vras de  l'école  française  (Saint-Saëns,  Lalo,  Widor,  Emile  Bernard,  Go- 
dard, Castillon,  G.  Fauré,  etc.),  celles  des  écoles  étrangères  (Rubinstein, 
Brahms,  Gernsheim,  Glazounow,  Villiers-Stanford,  Grieg,  etc.). 

—  Dans  son  intéressante  Histoire  anecdotique  du  Conservatoire,  notre  excel- 
lent collaborateur,  M.  André  Martinet,  s'aperçoit  qu'il  n'a  cité,  parmi  les 
prix  de  violon  marquants  de  l'année  1833,  ni  M.  Dancla,  ni  M.  Deldevez 
et  il  nous  écrit  pour  réparer  cette  omission,  ce  que  nous  nous  empressons 
de  faire.  Il  nous  fait  part  en  même  temps  de  son  fâcheux  état  de  santé, 
qui  l'oblige  à  interrompre  momentanément  son  intéressante  Histotre  du 
Consei-valoire.  Nous  en  donneions  la  fin  au  cours  de  l'été  prochain. 

—  Echos  de  la  soirée  musicale  donnée  jeudi  dernier  à  la  présidence  de 
la  République.  L'orchestre  Danbé  y  a  fait  merveille  avec  VAiéade  de  Lalo, 
la  Source  de  Delibes,  la  Koirigane  de  Widor,  la  Danse  des  Aimées  de  Joncières, 
tandis  que  M.  Delmas  y  chantait  avec  le  plus  vif  succès  un  air  de  Sigiird, 
M.  Soulacroix  l'air  d'Hérodiade  (Vision  fugitive)  et  la  chanson  bachique 
d'Hamlet.  M"";  Richard  a  été  très  applaudie  dans  le  duo  de  Joseph  avec 
M.  Delmas  :  0  toi,  le  digne  appui  d'un  -père.  M.  et  M""=  Carnot  ont  chaude- 
ment félicité  M.  Danbé  de  la  bonne  organisation  de  ce  concert. 

—  Le  ténor  Rondeau,  rétabli  d'une  longue  et  douloureuse  maladie  qui 
l'a  forcé  de  garder  la  chambre  pendant  plus  de  deux  mois,  reprendra  ses 
leçons  de  chant  à  partir  du  20  novembre,  13,  rue  Mansart. 

—  L'Association  des  artistes  musiciens,  fondée  par  le  baron  Taylor, 
célébrera  cette  année,  selon  sa  coutume,  la  fête  de  Sainte-Cécile,  en  faisant 
exécuter  en  l'église  Saint-Eustache,  le  mercredi  2b  novembre,  la  deuxième 
messe  solennelle  de  C.-M.  de  Weber,  pour  soli,  chœurs,  orgue  et  orchestre. 
Les  soli  seront  chantés  par  MM.  Warmbrodt  et  Auguez,  et  l'exécution  sera 
dirigée  par  M.  Edouard  Colonne.  A  l'offertoire,  Contemplation,  prière  pour 
violon  avec  accompagnement  d'orchestre,  de  M.  Henri  Dallier,  exécutée 
par  M.  Remy.  La  messe  sera  suivie  de  la  Marche  héroïque  de  M.  C.  Saint-Saéns. 

Conas  ET  Leçons.  —  M"°  Mary-Mol!  a  repris  ses  cours  et  leçons  particulières 
de  musique  chez  elle,  17,  rue  de  Cbâteaudun.  Le  cours  spécial  de  chant  est  fait 
par  M"=  Reine  Laurent  et  celui  d'accompagnement  pir  M.  Charles  Dancla.  — 
M"»  Chapuii  a  repris  ses  cours  de  musique  à  paiiir  du  mardi  3  novembre.  — 
M""  Augustine  Yon,  79,  boulevard  de  Courcelles,  à  repris  depuis  le  1"  novembre 
ses  cours  d;  chant,  de  piano,  de  déclamation  et  d'accompagnement,  avec  le 
concours  de  professeurs  distingués.  —  U.  Ed.  Nadaud.  de  retour  à  Paris,  a 
repris  ses  leçons  de  violon  et  d'accompagnement  à  sou  nouveau  domicile,  85, 
boulev.,rd  de  Courcelles.  —  M-'  "Veyssier-Ronchini  reprend  ses  leçons  de  chan'i 
chez  elle,  faubourg  Saint-IIonoré,  11.  —  M«=  Rin-Arbeau  vient  de  fonder  un 
cours  de  piano  qui  sera  inauguré  demain  lundi  à  l'Institut  Rudy,  7,  rue  Royale. 
—  Le  violoni.-to  Gorski,  dé'  retour  à  Paris  après  une  tournée  en  Angleterre  et  en 
Ecosse,  où  il  remporta  aux  côtés  du  pianiste  PadereT\-ïl;i,  un  grand  et  légitime 
succès,  ouvrira  chez  lui,  59,  rue  Boissière,  un  cours  de  musique  d'ensemble  pour 
piano,  violon  et  violoncelle,  avec  le  concours  de  M.  J.  Salmon  et  de  M""  Szumowska. 


NÉCROLOGIE 

De  Bologne,  où  il  était  né  en  1810,  on  annonce  la  mort  subite  d'un 
artiste  qui  fut  jadis  un  chanteur  distingué  et  qui,  en  renonçant  au  théâtre, 
s'était  consacré  à  l'enseignement.  Fils  d^un  chorégraphe  et  d'une  danseuse, 
Raffaele  Ferlotti,  qui  était  doué  d'une  belle  voix  de  baryton,  avait  obtenu 
de  vifs  succès  sur  de  nombreuses  scènes  italiennes  et  étrangères,  où  il  était 
aussi  remarqué  comme  acteur  que  comme  chanteur.  Il  se  fit  applaudir 
particulièrement  à  Rome,  à  Milan,  à  Madrid,  à  Barcelone,  à  Londres  et  à 
Vienne.  Il  avait  une  sœur,  Santina  Ferlotti-Sangiorgi,  qui,  née  à  Cesena 
le  13  février  1803  et  morte  le  23  septembre  1853,  fut  une  artiste  douée  de 
la  façon  la  plus  heureuse.  A  dix  ans  elle  se  faisait  applaudir  comme  pia- 
niste dans  les  concerts,  à  douze  ans  elle  écrivait  la  musique  d'un  ballet 
dont  son  père  était  l'auteur,  et  à  quinze  ans  elle  se  produisait  comme 
prima  donna  au  théâtre,  où  elle  devait  parcourir  une  brillante  carrière.  Elle 
devint  plus  tard  professeur  de  chant  à  l'Académie  philharmonique  de  Tu- 
rin. Quant  à  Raffaele  Ferlotti,  qui,  nous  l'avons  dit,  s'était  aussi  consacré 
à  l'enseignement,  et  qui  était  conseiller  de  l'Académie  philharmonique  de 
Bologne,  il  est  mort  tout  à  coup,  assis  à  son  piano,  pendant  qu'il  donnait 
une  leçon,  le  H  novembre. 

—  A  Madrid  est  mort  un  écrivain  distingué,  l'académicien  Manuel 
Ganete,  critique  théâtral  du  journal  la  Ilustracion  espaïiola  y  amerieana. 

^  On  a  retiré  ces  jours  derniers  des  eaux  du  Cavo  Borgognone,  près 
de  Milan,  le  cadavre  d'un  vieux  professeur  de  musique,  nommé  Luigi 
Colombo  et  âgé  de  soixante-dix  ans.  On  ne  dit  pas  s'il  s'agissait  d'un 
accident  ou  d'un  suicide. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  vente  chez  MACKAR  et  NOËL,  éditeurs  des  œuvres  de  P.   TchaVcowsky  : 
Th.  LACK.  Op.  30.  Études  élégantes prix  :     Ib    » 

—  Op.  43.  Études  de  bravoure —        2b     » 

—  Op.  50.  ia  te(jrère((?,  études  de  mécanisme.     —        12    » 
A.  CHAUVET.  13  Études  préparatoires  à  Bach.  .   .     —        10    » 

A.'VIS    I]VCI»OI^TA.3\rT 

^^XJ    OOIMIiytEÎ^OE     DE     MIXJSIQXJE 


Par  traité  en  date  du  16  novembre,  passé  avec  les  auteurs  de 
l'opéra  Paul  el  l'ii'ffittie  et  les  héritiers  de  'Victor  Maîsé,  les 
éditeurs  du  MÉiVESTKEl,,  MM.  HEUGEL  et  C'-,  se  sont  ren- 
dus acquéreurs  de  cette  partition.  Ils  seront  en  mesure  de 
fournir,  sous  quelques  jours,  toutes  les  demandes  de  musique 
concernant  l'œuvre  de  'Victor  Massé. 


^A,-XJ2^    IDIPÎ.ECTETJR,S    IDE    TH:É^^TP2,E 


Par  traité  en  date  du  16  novembre,  passé  avec  les  auteurs  jie 
l'opéra  JPau!  el  l'ifginie  et  les  héritiers  de  Victor  Massé,  les 
éditeurs  du  IIÉ^'Ef!iXRE:I>.  MM.  HEUGEL  et  G'S  s'étant  rendus 
acquéreurs  de  cette  partition,  toute  demande  valable  pour  la 
représentation  de  cette  œuvre  doit  désormais  leur  être  adressée. 

En  vente  AU  MÉNESTREL,  2'",  rue  ïivirnnc,  HEUGEL  et  c-',  fdiloji's-propriclaire-s. 


ACADÉMIE     DES     BEAUX-ARTS 

COMPOSITION     MUSICAL!; 

PREMIER    GRAND    PRIX    DE    ROME    189  1 

L'Il^TEEDIT 

Scèns  lyrique 

ni' 

EDOUARD    NOËL 

ml'si(3i;e  de 


O  H- 


31.  Tri3  I^ 


Partition  piano  et  chant,  })ill-  nvi :  5  IV. 


UEBIE   CE\ThALE  I 


Dimanche  29  Novembre  1891. 


3166  -  57™  ANNEE  -  N"  48.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (36»  article),  Albert  Souries  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  le  centenaire  de  M.  Ritt,  H.  Moreno; 
premières  représentations  de  VutjaQcs  dans  Paris,  à  la  Porte- Saint-Martin,  et  de 
Mademoiselle  Asmodée.  à  la  Renaissance,  reprise  de  Michel  Slrogoff,  au  Châtelet, 
Pall-Émile  Chevalier.  —  III.  Musique  de  table:  Chez  les  ancieus  (2"  article), 
ED5I0ND  Neukomm  et  Paul  d'Esthée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

FABLIAU 

valse  chantée  par  M""   Marguerite  Ugalde,     dans  Mon    Oncle    Barbassou, 

musique  de  Raoll  Pugno.  —  Suivra  immédiatement:  le  Poète  et  le  Fantôme, 

nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  :  Danse  des  nymphes,  de  Théodore  Dubois.  —   Suivra   immédiate- 
ment :  Danse  slave,  de  Théodore  Lack. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allbert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


DEUXIEME  PARTIE 


CHAPITRE  V 

l'héritage  du  THÉÂTRE-LYRIQUE.  Les  Noces  de  Figaro,  Bonsoir  Voisin, 
Maître  Wolfram,  Mireille,  Roméo  et  Juliette. 

1871-1874 

(Suite.) 

C'était  peut-être  aussi  ce  que  pensait  tout  bas  M.  Ambroise 
Thomas,  lorsqu'il  se  refusait  si  énergiquement  à  laisser  monter 
Gilleet  GiUotin.  Présenté  et  reçu  à  l'Opéra-Comique  en  1859,  sous 
le  nom  de  GiUotin  et  son  père,  cet  acte  comptait  alors  près  de 
seize  années  d'existence.  Quelques  changements  dans  la  par- 
tition a-saient  amené  d'abord  le  retard  de  la  représentation, 
puis  le  retrait  de  l'ouvrage,  et  l'auteur  à'Hamlel,  occupé  par 
des  travaux  plus  importants,  avait  négligé  ce  lever  de  rideau. 
Mais  le  librettiste,  Thomas  Sauvage,  entendait  profiter  au 
contraire  de  la  renommée  conquise  par  son  collaborateur 
musical,  et,  devant  les  refus  de  ce  dernier,  les  procès  com- 
mencèrent. On  en  compte  trois,  ou  du  moins  on  eut  à  enre- 
gistrer trois  décisions  juridiques.  En  1872,  le  tribunal  de  la 
Seine  juge  que  «  A.  Thomas  ne  peut  être  tenu  de  consentir 
à  la  représentation  »,  mais  le  condamne  «  à  tels  dommages- 


intérêts  donnés  par  état,  et  en  outre  aux  dépens  envers 
Sauvage.  »  En  1S73,  la  cour  d'appel  arrête  que  Sauvage,  au 
lieu  d'une  indemnité,  sera  autorisé  à  faire  représenter  sa  pièce 
avec  la  musique  écrite  d'abord  par  A.  Thomas,  et  sans  les 
modifications  que  les  changements  d'interprètes  et  d'autres 
considérations  devaient  forcément  amener.  La  même  année. 
Sauvage  plaidait  encore  contre  de  Leuven  afin  d'obtenir  la 
représentation  immédiate,  à  peine  de  100  francs  de  dommages- 
intérêts  par  jour  de  retard;  mais  Sauvage  perdit,  de  Leuven 
ayant  prouvé  qu'après  le  premier  arrêt  il  avait  prévenu 
Sauvage  que  sa  pièce  serait  représentée  dans  le  délai  d'un 
an,  bien  qu'un  traité  avec  la  Société  des  auteurs  lui  accordât 
deux  ans. 

Finalement,  ce  fut  le  public  qui  paya  les  dommages  et 
intérêts  aux  plaideurs  sous  forme  de  bravos,  car  l'œuvre  fut 
chaleureusement  accueillie.  Le  père  Gille  et  le  fils  GiUotin 
sont  au  service  de  M.  Roquentin,  dont  la  nièce  a  épousé 
secrètement  un  sergent  aux  gardes.  Une  souquenille  appar- 
tenant à  GiUotin  et  découverte  dans  la  chambre  de  la  jeune 
femme  prête  d'autant  plus  aux  soupçons  qu'on  trouve  l'im- 
prudent valet  aux  genoux  de  sa  maltresse.  Il  implorait  tout 
simplement  la  faveur  d'épouser  Jacquette,  la  servante  qu'il 
aime;  mais  son  attitude  laisse  deviner  tout  autre  chose;  le 
quiproquo  force  le  sergent  à  dévoiler  sa  qualité  d'époux,  et 
Gille  remet  au  bon  moment  une  lettre  d'oià  il  résulte  que  ce 
militaire  est  le  fils  même  du  triste  Roquentin,  devenu  joyeux 
au  souvenir  de  ce  péché  de  jeunesse. 

Lestement  enlevée  par  M"»  Ducasse,  spirituelle  et  gentiment 
délurée  sous  les  traits  de  GiUotin,  bien  chantée  par  Ismaël, 
qui  figurait  Gille,  et  par  tous  les  interprètes.  Neveu,  Thierry, 
M"'^*  Nadaud  et  Reine,  la  pièce  réussit  et,  le  soir  de  la  pre- 
mière, on  faillit  redemander  toute  la  partition,  car  on  bissa 
les  couplets  de  GiUotin  :  «  Oh!  oh!  oh!  quel  gâteau  !  »,  les 
couplets  de  Gille  :  «  Faut-il  rire,  faut-il  pleurer?  »,  la  chanson 
du  sergent,  et  même  l'ouverture,  chose  rare  dans  les  fastes 
du  théâtre ,  mais  très  naturelle  lorsqu'on  entend  ce  joli 
morceau  oii  certaine  retraite  militaire  fournit  le  prétexte 
d'ingénieux  développements  et  d'amusantes  sonorités  d'or- 
chestre. 

On  se  demande  comment  un  tel  lever  de  rideau  n'a  jamais 
été  repris,  sauf  en  1877,  où  il  fut  donné  cinq  fois;  peut-être 
le  compositeur  s'en  souciait-il  peu;  en  tout  cas,  il  avait 
maintenu  jusqu'au  bout  son  attitude  hostile,  comme  le  prouva 
une  lettre  adressée  par  lui  à  M.  du  Locle,  le  lendemain  de 
la  répétition  générale,  et  oîi  il  protesta  une  dernière  fois 
contre  les  prétentions  de  Thomas  Sauvage. 

Quatre  jours  avant  Gille  et  GiUotin,  le  18  avril,  avait  eu  lieu 
une  reprise  de  Joconde  avec  Coppel  (Robert),  Laurent  (Lucas), 
Nathan  (le  bailli).  Teste  (Lysandre),  M""  Chapuy  (Jeannette), 


378 


LE  MÉNESTREL 


Isaac  (Edile),  Thibault  (Mathilde),  et,  dans  le  rôle  principal, 
Bouhy,  inférieur  à  Faure,  sans  doute,  mais  cependant  assez 
remarquable  pour  bien  mettre  en  valeur  le  chef-d'œuvre  de 
Nicolo.  En  trois  ans,  cette  reprise  fournit  un  total  de  cin- 
quante-sept représentations,  et  depuis,  l'ouvrage  n'a  plus 
attiré  l'attention  des  directeurs,  oubli  regrettable  en  somme 
et  synonyme  de  faute.  Les  autres  reprises  de  l'année  1874 
présentent  encore  quelque  intérêt,  grâce  à  la  nouvelle  inter- 
prétation de  certains  rôles  et  à  quelques  débuts. 

Le  7  mai,  par  exemple,  on  revit  les  Noces  de  Figaro  avec 
une  distribution  très  modifiée  :  M™  Carvalho  quittait  le  pour- 
point de  Chérubin  pour  la  robe  de  la  comtesse,  et  M'"'  Priola 
abordait  le  rôle  de  Suzanne.  Quant  au  jeune  page,  il  avait 
pour  interprète  une  débutante,  M"'=  Breton,  qui  venait  de 
l'Athénée  après  avoir  obtenu  au  Conservatoire,  en  -1873,  un 
second  prix  de  chant  (classe  Roger)  et  un  second  prix  d'opéra- 
comique  (classe  Mocker).  Il  avait  été  question  de  reprendre 
en  son  honneur  Actéo7i,  puis  on  choisit  l'ouvrage  de  Mozart 
pour  ses  débuts,  qu'elle  continua  le  8  juillet  avec  Fra  Diavolo, 
et  l'année  suivante  l'Opéra-Comique  ne  la  compta  plus  parmi 
ses  pensionnaires.  Elle  n'avait  fait  que  passer,  comme  son 
camarade  Anthelme  Guillot,  qui,  venu  de  Lyon,  où  il  avait 
chanté  plusieurs  années,  parut  le  26  mai  dans  Mignon  (rôle 
de  Wilhelm)  et  ne  fixa  point  l'attention. 

La  reprise  du  Pardon  de  Ploërmel  offrait  la  réunion  d'un  per- 
sonnel entièrement  nouveau,  puisque  nul  ne  restait  alors  des 
interprètes  de  la  création,  et  depuis  4860  l'ouvrage  de  Meyer- 
beer  n'avait  plus  reparu  sur  l'affiche.  En  1869,  il  avait  bien 
été  question  de  le  remettre  à  l'étude;  mais,  faute  d'inter- 
prètes suffisants,  ce  projet  ne  se  trouva  réalisé  que  le  27  août 
4874.  Bouhy  succédait  à  Faure,  à  Troy,  et  à  M"«=  Wertheimber 
dans  le  rôle  d'Hoël,  et  Lhérie  ne  dédaignait  pas  d'aborder  le 
personnage  comique  de  Corentin,  établi  primitivement  par 
Sainte-Foy  ;  la  partie  importante  de  Dinorah  était  dévolue 
à  M"«  Zina  Dalti.  qui  avait  appartenu  en  4870  à  l'Opéra-Co- 
mique et  qui  rentrait  ainsi  dans  son  ancien  théâtre  après 
une  campagne  italienne  dont  Florence  avait  été  la  dernière 
étape.  Les  petits  emplois  étaient  tenus,  les  deux  chevriers 
par  M"^'  Reine  et  Chevalier,  les  deux  pâtres  par  M"es  Ducasse 
et  Lina  Bell,  cette  dernière  qui  venait  des  Variétés  et  pour 
le  début  de  laquelle  on  avait  ajouté  au  second  acte  la  petite 
mélodie  écrite  par  Meyerbeer  en  vue  des  représentations  de 
Londres  et  chantée  jadis  par  M™  Nantier-Didiée.  Enfin,  le 
faucheur  et  le  chasseur  étaient  encore  représentés  par  deux 
nouveaux  venus  :  le  premier,  Charelli,  ténorino  de  province, 
qui  avait  déjà  paru  le  30  janvier  dans  la  Fille  du  régiment  afin 
de  remplacer  à  l'improviste,  comme  Tonio,  un  camarade  in- 
disposé, et  avait  aussi  quitté,  pour  la  capitale,  Versailles  oii 
il  jouait  alors;  le  second,  Dufriche,  basse  chantante  à  la  voix 
chaude  et  au  jeu  intelligent,  un  artiste  qui  a  fait  son  che- 
min dans  la  carrière  italienne  et  que  plus  d'une  fois  à  Paris 
les  directeurs  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique  ont  pu  re- 
gretter de  ne  pas  s'être  alors  définitivement  attaché.  Outre 
ces  débutants  dignes  au  moins  d'une  mention,  qu'il  nous  soit 
permis  de  rappeler,  sans  plus  de  commentaires,  des  artistes 
de  second  plan  dont  l'apparition  ne  comportait  pas  le  carac- 
tère de  début,  et  qui  tenaient,  en  4874  par  exemple,  MM.  Sa- 
cley,  d'Herdt  et  M''«  Rizzio  les  rôles  de  Tybalt,  du  duc  de  Vérone 
et  de  Tysbé  dans  Moméo  et  Juliette;  Laurens,  ceux  de  Pietrino  dans 
le  Florentin  et  de  Lucas  dans  Joconde;  Vallé,  ceux  de  Mac-Irton 
dans  la  Dame  blanche,  de  Melchior  dans  le  Domino  noir  et  du 
corsaire  dans  Zampa;  W"  Sacré,  celui  de  la  duchesse  dans 
la  Fille  du  régiment.  Le  public  n'a  point  gardé  leur  souvenir  ; 
mais  l'historien  doit  à  son  exactitude  d'enregistrer  au  moins 
leur  nom,  si  obscur  qu'il  demeure  dans  les  fastes  du  théâtre 
auquel  ils  ont  appartenu  plus  ou  moins. 

Le  Pardon  de  Ploërmel  avait  été  remonté  sans  difficultés.  Il 
n'en  fut  pas  de  même  de  Mireille,  dont  la  mise  au  répertoire 
de  l'Opéra-Comique  se  heurta  non  seulement  à  l'indifférence 
du  public,  mais  encore   à   la   résistance    d'un   des   auteurs. 


Alléché  par  le  succès  de  Roméo,  le  directeur  avait  jeté  bien 
vite  les  yeux  sur  Mireille.  Les  héritiers  du  librettiste  dirent 
oui  ;  le  compositeur  dit  non.  M.  Gounod,  habitant  Londres 
alors,  ou  se  rendait  mal  compte  des  ressources  du  théâtre, 
ou  rêvait  pour  son  œuvre  une  autre  destination  ;  bref,  il 
offrait  à  la  place,  d'abord  un  George  Dandin,  puis  un  Enfant 
prodigue,  deux  pièces  qui  n'ont  jamais  vu  le  jour,  et  dont  la 
première  a  seule  été  complètement  écrite.  Il  fallut  la  menace 
d'un  procès  pour  le  décider  à  donner  son  consentement,  et 
le  40  novembre,  Mireille  entra  enfin  à  la  salle  Favart  avec  le 
concours  de Duchesne  (Vincent),  Melchissédec(Ourrias),  Ismaël 
(maître  Ramon),  ]Vi"'<=s  Carvalho  (Mireille),  Galli-Marié  (Taven 
et  Audrelouu),  Chevalier  (Vincenette),  et  Nadaud  (Clémence). 
S'il  fallait  chercher  un  exemple  caractéristique  des  modi- 
fications que  peut  subir  un  opéra  pendant  le  cours  de  sa  car- 
rière, à  part  Sapho,  qui  connut  successivement  le  triple  état 
de  trois,  deux  et  quatre  actes,  on  en  trouverait  difficilement 
un  plus  curieux  que  celui  de  Mireille.  Il  a  fallu  en  effet  plus 
de  vingt-cioq  ans  pour  lui  donner  une  forme,  qui  n'est  certes 
pas  la  meilleure,  et  qui  pourtant  est  celle  dont'le  public  s'est 
le  mieux  accommodé.  Tout  d'abord,  au  Théâtre-Lyrique,  le 
49  mars  4864,  Mireille  comptait  cinq  actes  et  sept  tableaux; 
un  peu  plus  tard,  M.  Carvalho  lui  retrancha  deux  actes; 
en  4874,  M.  du  Locle  les  lui  rendit,  non  sans  modifications, 
puisque  la  scène  des  moissonneurs  au  début  du  quatrième 
acte,  par  exemple,  avait  été  retranchée  pour  faire  place  à  une 
scène  nouvelle,  et  que  l'air  de  Mireille:  «  Trahir  Vincent  1  » 
était  passé  du  deuxième  au  septième  tableau.  Lors  de  son 
retour  au  lieu  d'origine,  c'est-à-dire  lors  de  sa  dernière  re- 
prise à  la  place  du  Chàtelet,  la  partition  s'est  de  nouveau 
réduite.  La  charmante  figure  de  Vincenette  a  disparu  et  s'est 
refondue  dans  celle  de  Taven;  disparus  aussi  et  le  sombre 
tableau  de  la  danse  des  Trêves,  et  cette  page  symphonique 
qui  accompaguait  si  expressivement  le  passage  des  cadavres 
sur  les  flots  du  Rhône.  Plus  d'une  fois,  le  cœur  du  compo- 
siteur a  saigné,  quand  on  l'obligeait  à  mutiler  son  œuvre  si 
pittoresque,  si  riche  de  sève  mélodique,  si  réussie  en  somme, 
et  naguère  il  s'en  exprimait  non  sans  une  certaine  tristesse 
dans  une  lettre  rendue  publique.  Enfin,  certaine  question 
exerçait  son  influence  sur  le  sort  de  l'ouvrage  :  à  l'origine, 
Mireille  mourait;  en  4874,  elle  mourait  encore  et  la  pièce 
n'obtint  que  vingt-deux  représentations;  en  4890,  Mireille 
épouse  Vincent,  et  la  pièce  dépasse  la  centaine.  Tant  il  est 
vrai  que  le  public  de  l'Opéra-Comique  reste  fidèle  aux  vieilles 
traditions,  et,  sans  souci  de  la  logique  et  de  la  poésie,  se 
complaît  volontiers   dans  les  dénouements  heureux  ! 

Pour  compenser  ces  résultats  médiocres,  la  direction  cher- 
chait «  à  côté  »  et  tâchait  d'augmenter  la  source  de  ses  pro- 
fits. C'est  ainsi  qu'à  la  fin  de  l'année,  des  bals,  les  premiers 
depuis  la  guerre,  se  donnèrent  dans  la  salle  Favart,  et,  par 
un  contraste  singulier,  la  danse  y  avait  été  précédée,  cette 
année  même,  par  la  musique  religieuse,  avec  deux  œuvres 
de  haute  valeur  et  de  très  vif  intérêt  :  Marie-Magdckine  et 
la  Messe  de  Requiem  en  l'honneur  de  Manzoni.  En  même 
temps  les  deux  compositeurs,  l'un  presque  au  début,  l'autre 
presque  à  la  fin  de  sa  carrière,  avaient  mis  au  service  de  la 
religion  leur  talent  musical,  et  traité,  M.  Massenet  les  vers  de 
M.  Louis  Gallet,  et  Verdi  le  texte  sacré,  avec  leur  tempérament 
spécial,  mais  non  sans  analogie.  Marie-Magdeleine,  dont  le  sous- 
titre  est  d'ailleurs  drame  sacré,  reflète  un  coin  de  l'Orient,  et 
certaines  pages,  faites  de  douceur  et  de  charme,  racontent 
l'histoire  de  Jésus  comme  les  dessins  de  Bida  traduisaient 
la  Bible,  avec  un  mélange  de  couleurs  réalistes  et  de  poésie 
très  intime.  La  Messe  de  Requiem  transforme  le  Dies  irœ  en  un 
drame  émouvant  et  met  en  scène  tous  les  épisodes  de  la 
mort  et  du  jugement  avec  cette  intensité  d'expression,  cette 
vigueur  et  cette  fougue  qui  marquent  le  génie  musical  de 
Verdi,  un  peu  assagi  et  mesuré  toutefois  depuis  Don  Carlos  et 
Aïda.  Duchesne,  Bouhy,  M™"  Carvalho  et  Franck  chantaient 
les  quatre  parties  de  Jésus,  Judas,  La  Magdaléenne,  Myriam, 


LE  MENESTREL 


379 


et  M.  Colonne  dirigeait  avec  deux  cents  exécutants,  comme 
il  l'avait  fait  l'année  précédente,  lorsque  l'ouvrage  avait  été 
donné  pour  la  première  fois  à  l'Odéon  en  avril  1873.  Capponi, 
Maini,  M""  Stolz  et  Waldmann  formaient  le  quatuor  vocal 
du  Requiem,  conduit  par  Verdi  lui-même,  à  qui  Delofîre  avait 
cédé  le  bâton  de  chef  d'orchestre,  quatuor  remarquable,  et 
même,  du  côté  des  femmes,  incomparable.  M™  Teresina  Stolz 
possédait  un  des  plus  beaux  sopranos  dramatiques  qu'il  nous 
ait  été  donné  d'entendre,  et  M""'  Waldmann  un  des  derniers 
contraltos  vraiment  graves  et  sonores  que  le  théâtre  ait  con- 
nus, brillants  météores  bien  vite  et  trop  tôt  disparus  :  la 
première  perdit  sa  voix  presque  subitement,  et  la  seconde  a 
quitté  la  scène  en  se  mariant. 

Ces  auditions,  au  nombre  de  six  pour  Marie-Magdeleine 
(24,  26,  28,  31  mars,  4  et  9  avril),  au  nombre  de  sept  pour 
le  Requiem  (9,  H,  12,  15,  18,  20,  22  juin,  les  six  premières 
en  matinée),  firent  tomber  dans  la  caisse  un  argent  dont  on 
avait  grand  besoin,  et  qui  explique  le  joli  mot  d'un  journa- 
liste à  la  sortie  :  «  C'est  drôle,  il  a  fallu  la  messe  des  morts 
pour  rendre  la  vie  à  l'Opéra-Gomique.» 

La  situation  financière  ne  s'était  pas  améliorée  en  efîet, 
depuis  le  19  janvier  1874,  jour  où  M.  du  Locle  avait  remplacé, 
seul  et  sans  partage,  de  Leuven.  Jusqu'alors  il  n'était  que 
son  associé,  tenant  la  place  que  devaient  tenir  plus  tard  à 
l'Opéra,  M.  Gailhard,  dans  la  direction  Ritt,  et  M.  Gampocasso, 
dans  la  direction  Bertrand.  De  Leuven  était  seul  responsable 
aux  yeux  du  ministre  ;  c'est  à  lui  seul  que,  par  décret  du 
30  mars  1872,  le  privilège  de  l'Opéra-Comique  avait  été 
renouvelé  jusqu'au  1"  janvier  1880. 

Vers  la  fin  de  l'année  précédente,  des  bruits  avaient  couru 
qui  faisaient  croire  à  une  série  de  mutations  parmi  les  di- 
recteurs parisiens.  M.  Halanzier  parlait  de  quitter  l'Opéra,  et 
l'on  désignait  comme  son  successeur  Emile  Perrin,  auprès 
duquel  M.  du  Locle  aurait  repris  son  ancien  poste  de  secré- 
taire général,  laissant  la  place  à  M.  Cantin,  qui  serait  devenu 
l'associé  de  de  Leuven.  Cette  combinaison  ne  se  réalisa  pas, 
et  M.  du  Locle,  préférant  acheter  300,000  francs  sa  part  à 
de  Leuven,  ce  qui  semblait  cher  payer,  se  vit  enfin  nommer 
officiellement  par  le  ministre  au  lieu  et  place  de  son  pré- 
décesseur. 

Mais  son  goût  artistique  et  son  désir  de  bien  faire  ne 
suffisaient  pas  à  assurer  des  bénéfices,  et  le  tableau  des 
recettes  présente,  en  l'espace  de  quelques  années,  des  chiffres 
tristement  éloquents  : 


En  1872 

1,229,341  » 

1873 

1,267,463  60 

1874 

1,053,238  63 

1875 

947,263  85 

1876 

912,774  8S 

La  seconde  partie  de  notre  travail  se  termine  ici,  et,  par 
une  singulière  coïncidence,  s'achève,  comme  la  première, 
au  milieu  d'une  crise  ;  mais  par  une  coïncidence  non  moins 
remarquable,  cette  crise  aura  la  même  issue  que  la  précé- 
dente :  elle  se  dénouera  favorablement  et  précédera  l'une 
des  époques  les  plus  florissantes  de  ce  théâtre.  Le  premier 
sauveur  avait  été  Perrin;  le  second  sera  M.  Garvalho.  Au 
premier  et  à  ses  successeurs  immédiats  on  avait  dû  Lalla- 
Roukh  et  Mignon;  au  second  on  devra  Manon  et  Lakmé;  désor- 
mais, grâce  à  son  intelligence  artistique  et  à  son  activité, 
l'ère  de  prospérité  se  maintiendra  jusqu'à  la  disparition 
fortuite  et  malheureuse  de  la  seconde  salle  Favart,  point 
final   où   doit  s'arrêter  l'histoire  que  nous  avons  entreprise. 

FIN    DE    LA   DEUXIÈJIE    PARTIE 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


LE  CENTENAIRE  DE  M.  RITT 
MM.  Bitt  et  Gailhard  sont  probablement  des    inconscients.  C'est 
leur  seule  excuse.   Voilà  ce  qu'ils  viennent  d'imaginer  pour  le  cou- 


ronnement de  leur  brillante  direction  à  l'Opéra,  pendant  les  sept 
années  maigres  que  l'art  vient  d'y  traverser.  C'est  le  Gil  Blas  qui 
nous  fait  cette  révélation  : 

L'Opéra  est  autorisé  à  donner  cent  quatre-vingt-douze  représentations 
dans  le  courant  de  l'année.  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  réservé  cette  cent 
quatre-vingt-douzième  pour  le  31  décembre,  leur  dernier  jour  à  l'Opéra. 
Cela  sera  une  soirée  solennelle  et  de  gala  à  l'occasion  de  leur  adieu  au 
public  et  aux  abonnés  de  l'Opéra.  Ils  en  profiteront  en  donnant  un  spec- 
tacle bien  cboisi,  qui  mettra  en  lumière  encore  les  grands  artistes  qui 
ont  aidé  à  leur  fortune,  et  dont  ils  vont  se  séparer. 

Il  faut  tout  goûter  dans  cette  note  administrative,  qui  sort  évi- 
demment de  l'officine  littéraire  de  M.  Mobisson,  secrétaire  intime 
autant  que  général  de  la  Direction  de  l'Opéra.  Ce  «  dernier  jour  »  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard  ressemble  fort  au  dernier  jour  des  condamnés, 
car  il  y  a  peu  de  directeurs  qui  l'aient  été  autant  par  l'opinion 
publique  tout  entière.  Et  cependant  ils  éprouvent  le  besoin  de  nous 
tirer  leur  révérence,  avant  de  se  confiner  dans  la  juste  retraite  qui 
leur  a  été  infligée  par  le  ministre  des  Beaux-Arts.  La  soirée  promet 
d'èlre  drôle,  surtout  si  les  «  grands  artistes  »  qu'ils  nous  prom.ettent 
sont  les  mêmes  qu'on  a  siffles  au  récent  centenaire  de  Meyerbeer. 

Mais  ces  directeurs  ont  le  «  gala  »  chevillé  dans  l'ùme.  Il  leur 
en  faut  tant  et  plus.  Après  avoir  «  célébré  »  Mozart  et  Meyerbeer, 
ils  éprouvent  le  besoin  de  se  célébrer  eux-mêmes.  Le  centenaire  de 
M.  Ritt  (déjàl),  ne  voilà-t-il  pas  une  belle  occasion  de  manifester? 

D'ailleurs,  depuis  quelque  temps,  Gailhard  était  fort  sombre  et 
son  digne  asfocié  s'en  inquiétait.  Était-ce  donc  l'heure  fatale  du 
départ,  à  présent  si  proche,  qui  remplissait  de  brumes  ce  front  à 
l'ordinaire  si  serein  et  si  rempli  d'assurance?  Était-ce  le  souvenir 
des  grasses  lippées  à  jamais  perdues,  des  écus  qui  s'envolaient,  des 
joies  paradisiaques  du  foyer  de  la  danse  qui  disparaissaient  comme 
dans  un  crépuscule? 

«  Frère,  qu'as-tu  donc?  murmurait  timidement  le  vénérable  Ritt.  » 
Et  Gailhard  répondait  sourdement:  «  Rossini  m'échappe!  »,  paroles 
incohérentes,  auxquelles  on  ne  comprit  rien  tout  d'abord.  Enfin,  on 
finit  par  découvrir  que  le  co-associé  était  tourmenté  de  l'idée  qu'il 
ne  serait  plus  là,  le  29  février,  pour  «  célébrer  »  à  son  tour  Rossini, 
comme  il  avait  fait  déjà  pour  Mozart  et  Meyerbeer.  L'illustre  com- 
positeur italien,  dont  la  carrière  fut  si  heureuse,  a  de  la  chance  encore 
même  après  sa  mort.  Il  échappe  à  Gailhard! 

«  Deux  mois  encore  de  direction,  disait  notre  ami  infortuné,  et 
j'étais  là  pour  faire  à  Rossini  les  honneurs  de  son  centenaire.  Et 
quel  programme  !  J'avais  imaginé  de  reconstituer  à  l'Opéra  la  pre- 
mière représentation  du  Barbier  de  Séville  à  Rome,  avec  tous  les 
cris  et  toutes  les  huées  de  la  foule  qui  vilipenda  ce  chef-d'œuvre  à 
son  origine.  Je  n'aurais  eu  pour  cela  qu'à  laisser  chanter  nos  chan- 
teurs ordinaires,  ceux-là  mêmes  que  j'ai  employés  déjà  si  heureu- 
sement pour  le  centenaire  de  Meyerbeer.  Les  pommes  cuites  seraient 
tombées  d'elles-mêmes  sur  la  scène,  et  Rossini  n'aurait  plus  rien  eu 
à  envier  à  Mozart  et  à  Meyerbeer,  glorieuse  trilogie  dont  ainsi 
j'aurais  été  le  héraut  ». 

...  Et  c'est  alors  que,  pour  faire  diversion  aux  tristes  pensées  de 
son  compère,  M.  Rilt  imagina  la  «  soirée  de  gala  »  donnée  en  leur 
propre  honneur.  Comme  cela,  rien  de  changé  au  programme.  Les 
pommes  cuites  seront  pour  les  directeurs,  bien  plus  justement, 
avouons-le.  que  pour  le  pauvre  Rossini. 

H.    MORENO. 


Porte-Saini-Martix.  Voyages  dans  Paris,  pièce  nouvelle  à  grand  spectacle, 
en  cinq  actes  et  quinze  tableaux,  de  MM.  E.  Blum  et  R.  ïoché.  —  Cha- 
TELET.  Michel  Slrogoff,  pièce  à  grand  spectacle,  en  cinq  actes  et  seize 
tableaux,  de  MM.  A.  d'Ennery  et  Jules  Verne.  —  Renaissance.  Mademoi- 
selle Asmodée,  opéra-comique  en  trois  actes  et  cinq  tableaux,  de  MM.  P. 
Ferrier  et  Ch.  Clairville,  musique  de  MM.  P.  Lacome  et  V.  Roger. 

En  inscrivant,  en  tête  de  ce  compte  rendu,  ce  petit  sommaire,  je 
m'aperçois  qu'il  mentionne,  pour  treize  actes,  le  chiffre  respectable 
de  trente-six  tableaux.  C'est  donc  beaucoup  plus  des  décorateurs  que 
des  auteurs  dont  nous  allons  avoir  à  nous  occuper;  et,  sincèrement, 
cela  se  trouve  à  merveille,  car  si,  tout  au  moins  pour  les  deux  œuvres 
nouvelles,  les  premiers  se  sont  mis  en  frais  et  ont  fait  preuve 
d'idées  originales,  les  seconds,  comptant  trop  certainement  sur  leurs 
collaborateurs  du  pinceau,  n'ont  pas  fait  d'efforts  pour  nous  racon- 
ter du  nouveau. 

C'est  d'ailleurs  une  chose  avérée  que  la  pièce  dite  à  spectacle  est 
faite  avant  tout  par  les  peintres,  costumiers,  machinistes  et  choré- 
graphes, et  que  l'auteur  ne  vient  que  bien  ensuite  pour  faire  mou- 
voir, dans  des  tableaux  habilement  coordonnés,  quelques  bonshommes 


380 


LE  MEiNESTREL 


qui  parleront  pour  qu'on  n'ait  pas  l'air  de  donner  une  pantomime. 

Dans  Voyages  dans  Paris,  MM.  Blum  et  Toché,  dont  les  succès 
anciens  sont  de  sûrs  garants  de  leur  savoir-faire,  n'ont  point  voulu, 
ce  me  semble,  rompre  complètement  avec  cette  coutume;  'je  vois, 
pourtant,  qu'ils  ont  fait  un  tout  petit  effort,  en  essayant  de  combi- 
ner ensemble  les  effets  du  drame  et  ceux  de  la  féerie.  De  fait,  nous 
assistons  à  deux  pièces  dans  la  même  soirée  :  les  tribulations  d'un 
bon  bourgeois  qui  se  fait  traîner  dans  Paris  par  un  guide  ignorant; 
l'empoisonnement,  par  son  mari,  d'une  jeune  femme  que  sauvera 
une  fille  de  chambre  fidèle.  Les  deux  actions  n'ont  aucune  espèce  de 
rapports  entre  elles,  ou  du  moins,  s'il  y  en  a,  je  m'accuse  de  ne 
point  les  avoir  saisis;  mais  il  fallait  nous  faire  voir  la  cour  du 
Grand-Hôlel,  l'escalier  de  la  Madeleine,  un  salon  demi-mondain  en 
vogue,  le  boulevard  Montmartre,  un  bouge  du  boulevard  de  la  Vil- 
letle,  le  panorama  de  Paris,  et  nous  avons  vu  tout  cela.  Nous  avons 
vu,  de  plus,  deux  ballets,  fort  bleu  réglés  par  M.  E.  Rossi,  qui 
sont  les  clous  de  la  soirée  :  le  premier  se  dansant  dans  le  salon 
demi-mondain;  le  second,  ayant  pour  prétexte  les  visions  enivrantes 
occasionnées  par  la  morphine,  d'un  ensemble  tout  à  fait  agréable. 
D'une  interminable  liste  d'artistes,  il  faut  nommer  MM.  Dailly, 
Péricaud,  Desjardins,  Pougaud,  Romain,  Leitner,  Deval  et  M""''  An- 
tonia  Laurent,  Leconte,  une  genlille  débutante  pleine  d'adresse, 
France,  Montcharmont,  qui  forment  une  troupe  très  complète. 

Malgré  tout  cela,  le  jour  de  la  réouverture,  le  spectacle  était  dans 
la  salle,  ou,  plus  exactement,  le  spectacle  était  la  salle  elle-mèoie. 
M.  Rochard,  en  prenant  possession  de  la  Porte-Saint-Martin,  a  voulu 
en  faire  un  théâtre  d'un  genre  tout  nouveau,  et  il  y  a  pleinement 
réussi.  Rien  de  joli  comme  ces  velours  et  ces  draps  bleus  de  France 
rompant  heureusement  la  monotonie  habituelle,  rien  de  luxueux 
comme  ces  loges  toutes  tendues  de  soies,  et  rien  de  confortable 
comme  ces  dégagements  immenses.  L';  nouveau  directeur  a  rem- 
porté là  un  succès  absolument  complet. 

Le  Châtelet,  qui  semble  ignorer  qu'il  peut  se  faire  des  pièces  nou- 
velles, vient  de  reprendre  l'immortel  Michel  Strogoff,  et,  grâce  à 
l'exubérance  d'un  monsieur  fort  respectable  placé  juste  à  côté  de 
moi,  j'ai  ressaisi  toutes  les  beautés  palpitantes  et  poignantes  du 
drame  de  MM.  d'Eanery  et  Jules  Verne.  M.  Garnier  a  hérité  le  rôle 
créé  par  ce  pauvre  Marais  et  l'a  joué  très  vigoureusen-eot.  M"»  Marie 
Laurent,  le  modèle  de  toute  Marfa  Strogoff  avenir,  MM.  Saint-Ger- 
main, Rosny,  Montai,  M""  Angèle  Moreau  et  de  Pontry  ont  bien 
mérité  du  tzar,  de  même  que  le  directeur,  M.  Floury,  qui  nous  a 
montré,  au  dernier  tableau,  une  rade  de  Cronstadi,  remplie,  à 
inonder  Paris,  de  bâtiments  russes  et  français,  sur  lesquels  amiraux 
et  matelots  hurlent  à  bouche  que  veux-tu  la  Mai'seillaise  et  l'Hymne 
impérial. 

A-  la  Renaissance,  comme  à  la  Porte-Saint-Martin,  ce  qu'il  y  a 
certainement  de  plus  réussi,  c'est  la  mise  en  scène  de  Mademoiselle 
Asmodée,  dont  au  moins  deux  décors  sont  fort  originaux  et  dont 
les  costumes  sont  fort  jolis.  M.  Lerville  est  un  prodigue,  et  les 
auteurs  qu'il  reçoit  chez  lui  n'ont,  certes,  point  à  se  plaindre  de 
son  hospitalité.  Cette  fois,  surtout,  il  leur  a  donné  une  interprète 
tout  à  fait  exquise,  M°"=  Simon-Girard,  la  divette  d'opérette  la  plus 
fêtée  du  moment. 

La  fable  imaginée  par  MM.  Ferrier  et  Glairville  ne  se  recommande 
pas  par  une  nouveauté  ou  une  originalité  transcendante.  Une  dan- 
seuse de  l'Opéra,  Rosette,  aime  un  jeune  seigneur,  le  marquis  Flo- 
restan,  et  la  rouée  commère,  pour  se  faire  épouser,  détournera  le 
jouvenceau  de  toutes  les  femmes  qu'il  voudra  courtiser.  Tour  à  tour, 
Asmodée  lui-même,  soubrette,  tourière,  danseuse  foraine,  étoile 
chorégraphique,  paysanne,  Rosette  arrachera  Florestan  à  des  amours 
dont  elle  ne  veut  pas.  MM.  Paul  Lacome  et  Victor  Roger  ont  écrit, 
pour  ces  trois  actes,  une  partition  assez  importante,  d'un  faire  adroit, 
mais  d'une  allure  toujours  un  peu  grise.  Il  est  bizarre  que  cette 
collaboration  de  deux  musiciens  dont  l'un  est  un  artiste  véritable 
et  dont  l'autre  a  fait  montre  très  souvent  d'aimables  idées,  n'ait 
rien  produit  de  nouveau.  La  science  ds  M.  Lacome  a-t-elle  effa- 
rouché M.  Victor  Roger,  ou  la  facilité  de  M.  Victor  Roger  a-t-elle 
dérouté  M.  Lacome? 

J'ai  nommé  M™'  Simon-Girard  ;  elle  est,  à  elle  seule,  la  pièce  en- 
tière, et  le  public  lui  a  redemandé  plusieurs  couplets.  MM.  Simon- 
Max,  Regnard,  Edouard  Georges,  Victorin  et  M""  A.  Berthier  profi- 
tent des  applaudissements  prodigués    à    leur  séduisante  camarade. 

Pal:l-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE  DE  TABLE 


CHEZ  LES  ANCIENS 
(Suile.) 

L'exemple  de  M"'  Vigée-Lebrun  a  été  souvent  suivi.  Dans  les 
commencements  du  second  empire ,  les  fêtes  pompéiennes  du 
prince  Napoléon  donnèrent  lieu  à  une  foule  d'imitations.  Les  dîners 
à  l'antique  furent  à  la  mode.  On  tira  des  magasins  d'accessoires  les 
péplum  et  les  buccines,  sans  préjudice  des  timbales  et  des  luths, 
et  l'on  se  mit  à  célébrer  avec  rage  le  falerne  et  le  sécube.  Cela  valait 
bien,  à  tout  prendre,  les  dîners  à  têtes  d'aujourd'hui. 

Nous  trouvons  dans  le  journal  l'Entremets  du  gastronome,  Je  1832, 
cette  relation  d'une  fête  épicurienne  offerte  à  ses  amis  par  un 
seigneur  de  la  nouvelle  cour  : 

«  Dans  la  salle  du  festin  se  trouvaient  des  lits  moelleux  destinés 
à  remplacer  nos  chaises  Je  salle  à  manger;  des  roses  devaient  orner 
le  front  des  convives,  une  lyre  devait  vibrer  pendant  le  repas.  Lorsque 
tous  furent  réunis,  on  approcha  des  tables  et  on  servit  du  vin  miellé 
dans  des  coupes  ciselées.  Des  enfants  tondus  très  court  circulaient 
avec  des  amphores  pleines  d'un  sécube  dont  un  bibliophile  a  retrouvé 
la  fabrication.  On  s'est  régalé  de  volailles  engraissées  par  le  procédé 
d'Apicius,  d'œufs  de  paon,  et  de  tranches  de  saumon,  baptisé  du 
nom  de  murène.  Un  sanglier  servi  tout  entier  avec  son  poil  est 
resté  intact;  les  couteaux  d'origine  romaine  se  sont  brisés  sur  ces 
plats.  Toutes  les  sauces  étaient  au  pavot  et  il  a  fallu  servir  à  Ilots 
le  falerne  écumeux,  ce  Champagne  des  anciens,  pour  réveiller  les 
sens  engourdis  de  Lucullus  et  de  ses  compagnons.  On  a  joué  aux 
dés  le  reste  de  la  soirée.   « 

A  quelques  anachronismes  près,  ce  repas  pouvait  passer  pour  une 
imitation  de  ce  qui  se  passait  dans  la  Rome  des  Césars.  Mais  que 
ces  agapes,  dans  une  pièce  meublée  selon  le  goût  du  Directoire, 
étaient  loin  des  festins  antiques,  ayant  pour  cadre  les  douces  nuits 
d'Italie  : 

«  Cependant  le  soleil  se  couchait  dans  la  mer  d'Ostie.  Le  jour 
pâlissait  malgré  les  teintes  empourprées  de  l'Occident.  Des  esclaves 
apportaient  des  lampadaires,  sur  lesquels  brûlaient  des  lampes  à 
deux  becs,  remplies  d'huiles  parfumées,  pendant  que  de  jeunes 
Nubiens,  à  demi  vêtus  d'étoffes  à  bandes  chatoyantes,  s'espaçaient 
autour  de  la  salle,  tenant  au-dessus  de  leur  tête  des  candélabres 
garnis  de  bougies  de  cire  aromatique 

»  C'est  alors  qu'entraient  les  mimes,  les  citharistes,  les  tibicinœ 
jouant  de  leurs  doubles  flûtes,  et  les  danseuses  de  Gadès,  à  demi 
voilées  dans  la  coa-vestis,  draperie  d'un  tissu  si  ténu  qu'elle  re- 
haussait les  charmes  secrets  des  belles  filles  de  l'Ibérie,  plutôt 
qu'elle  ne  les  cachait  aux  yeux  des  convives. 

»  On  apportait  alors  le  troisième  service,  composé  de  pâtisseries 
et  de  fruits,  et  le  repas  continuait  et  s'achevait  au  milieu  des  chants, 
des  mélodies  des  doubles  flûtes  et  des  cithares,  auxquelles  se  mê- 
laient les  cris  et  les  rires  des  convives  applaudissant  à  l'adresse  des 
histrions,  ou  aux  poses  lascives  des  danseuses.  » 

Ces  danses,  ces  jeux,  ces  chants,  nous  les  retrouvons  chez  tous 
les  peuples  de  l'antiquité.  Les  Hébreux  eux-mêmes,  qui  forment, 
avec  les  Grecs  et  les  Romains,  la  trilogie  des  peuples  généralement 
cités,  en  étaient  friands.  Voyez  Isaïe,  voyez  Mathieu,  ils  vous  par- 
leront de  divertissements  mélodieux  et  chorégraphiques  pendant  les 
repas  des  riches  : 

La  harpe  et  le  luth,  le  tambourin,  le  luth  et  le  vin,  animent  leurs  festins; 
mais  ils  ne  prennent  point  garde  à  l'œuvre  de  l'Éternel.  (Isaïe,  V,  2.) 

. . .  Or,  lorsqu'on  célébra  l'anniversaire  de  la  naissance  d'Hérode,  la  fille 
d'Héfodias  dansa  au  milieu  des  convives  et  plut  à  Hérode,  de  sorte  qviUl 
promit  avec  serment  de  lui  donner  ce  qu'elle  demanderait. {M.'lIbiev.XTV,^.) 

Eût-on  un  doute,  que  le  célèbre  tableau  des  Noces  de  Cana  le  dis- 
siperait. Ce  n'est  pas  sans  raison  que  son  auteur  a  placé,  devant 
la  table,  des  instrumentistes  destinés  à  distraire  les  convives. 

On  sait  que  Paul  Véronèse  avait  eu  la  singulière  idée  de  grouper 
les  souverains  de  son  époque  dans  cette  toile  exécutée  pour  le 
réfectoire  du  couvent  de  San  Giorgio  Maggiore.  Sauf  le  marié,  qui 
représentait  Alphonse  d' Avales,  marquis  du  Guast,  et,  parmi  les 
invités,  la  belle  Victoria  Colonna,  tenant  un  cure-dents  à  la  main, 
les  autres  figures  de  cette  vaste  composition  personnifiaient  des 
rois,  des  reines  et  des  princes.  La  mariée  n'est  autre  qu'Eléonore 
d'Autriche,  reine  de  France  ;  près  d'elle,  François  I"',  avec  un 
chapeau  extraordinaire  ;  puis.  Marie  Tudor.  fille  d'Henri  VIII  ;  plus 


LE  MENESTREL 


381 


loin,  le  sultan  Soliman,  assis  près  d'un  prince  nègre  ;  et  enfin,  après 
une  série  de  notables  convives,  de  profil,  à  l'angle  de  la  table, 
Gbarles-Quint,  portant  la  Toison  d'Or. 

Plus  intéressant  est  le  groupe  des  musiciens.  L'auteur  s'y  est 
représenté  lui-même  avec  trois  de  ses  confrères  et  compatriotes 
véronais.  C'est  lui  qui  est  en  blanc,  jouant  de  la  viole  ;  le  Tintoret, 
assis  près  de  lui,  promène  l'archet  sur  son  violoncelle;  en  face,  le 
Titien,  avec  sa  basse,  et  Jacopo  Bassano  le  vieux,  avec  sa  flûte. 

Eûtre  tous,  le  peuple  hébraïque  est  celui  qui  a  le  moins  changé 
ses  coutumes.  Il  n'est  donc  pas  besoin  de  remonter  à  un  chroni- 
queur chaldéen  ou  égyptien  pour  avoir  le  récit  d'un  festin  mitigé  de 
musique  et  de  danses  chez  les  enfants  d'Israël.  Veut-  on  de  la 
couleur,  du  mouvement,  de  la  vie  ?  Nous  trouverons  tout  cela  dans 
une  page  que  le  grand  peintre  Eugène  Delacroix  a  consacrée  à  une 
nocejuive  au  Maroc,  pour  accompagner  un  de  ses  dessins  représentant 
un  vieux  juif  raclant,  avec  un  archet  en  forme  d'are,  une  petite 
guitare  qui  ressemble  à  une  moitié  de  poire. 

Après  avoir  fait  observer  «  que  les  grands  événements  de  la  vie 
juive  sont  marqués  par  des  actes  extérieurs  qui  se  rattachent  aux 
usages  les  plus  anciens  »,  l'auteur  nous  fait  assister  aux  fiançailles, 
entourées  d'un  grand  apparat.  Pendant  plusieurs  journées  c'est  un 
mouvement  perpétuel  d'allées  et  de  venues  dans  la  maison  de  la 
jeune  fille,  au  milieu  de  repas  interminables,  qu'accompagnent,  jour 
et  nuit,  les  chants  et  les  danses.  Mais  la  fiancée  n'assiste  pas  à 
ces  fêtes.  Reléguée  dans  une  chambre  obscure,  enveloppée  d'une 
grande  étoffe  qui  la  dérobe  presque  entièrement  aux  regards,  elle 
se  tient,  les  yeux  constamment  fermés,  au  milieu  de  ses  compagnes 
parées  de  leurs  plus  beaux  atours,  mais  qui  n'ont  pas  l'air  de  s'oc- 
cuper d'elle.  Parfois,  les  parents,  avec  quelques  invités  de  choix, 
viennent  se  réfugier  dans  cette  pièce,  pour  se  mettre  momentané- 
ment à  l'abri  des  bacchanales  ambiantes,  mais  ils  aflfectent  le  même 
dédain  à  l'égard  de  la  recluse.  Dans  le  reste  de  la  maison,  les 
visiteurs  s'entassent  et  banquettent  sans  cesse,  au  son  des  instru- 
ments criards  et  des  voix  nasillardes,  qui  font  rage. 

Enfin  le  grand  jour  est  arrivé...  Mais  laissons  la  parole  à  notre 
grand  peintre  : 

«  A  l'une  de  ces  noces  où  j'allais  comme  tout  le  monde,  je  trouvai 
le  passage  sur  la  rue  et  à  l'intérieur  de  la  cour  tellement  encombré 
que  j'eus  toutes  les  peines  du  monde  à  pénétrer.  Les  musiciens 
étaient  adossés  à  l'un  des  côtés  de  la  muraille,  et  tout  le  tour  de  la 
cour  était  de  même  garni  de  spectateurs.  D'un  côté  étaient  les  femmes 
juives  accroupies,  dans  une  toilette  de  circonstance,  ayant  particu- 
lièrement sur  la  tète  une  grande  étoffe  empesée,  posée  en  travers 
au-dessus  d'un  turban  très  élevé  et  très  gracieux,  qu'elles  ne  met- 
tent qu'à  l'occasion  des  noces. 

»  Du  côté  opposé  se  trouvaient  des  Maures  de  distinction,  debout 
ou  assis,  qui  étaient  censés  honorer  la  noce  en  y  assistant.  On  se 
ferait  diflicilement  une  idée  du  vacarme  que  faisaient  les  musiciens 
avec  leurs  voix  et  leurs  instruments.  Ils  raclaient  impitoyablement 
d'une  espèce  de  violon  à  deux  cordes,  qui  est  particulier  à  ce  pays 
et  qui  ne  rend  que  du  bruit  et  que  du  son.  Ils  avaient  aussi  la  gui- 
lare  mauresque,  qui  est  un  instrument  très  gracieux  par  sa  forme, 
et  dont  les  sons  ressemblent  à  ceux  de  la  mandoliriC.  Ajoutez  à  cela 
le  tambour  de  basque  qui  accompagne  tous  les  chants.  Mais  ces 
chants,  dont  le  mérite  semble  consister  à  être  criés,  sont  la  partie 
vraiment  assourdissante  du  concert;  leur  monotonie  contribue  aussi 
à  les  rendre  fatigants. 

»  C'est  avec  tout  cet  accompagnement-là  que  viennent  tour  à  tour 
se  produire  les  danseuses.  Je  dis  les  danseuses,  parce  que  les  femmes 
seules  se  livrent  à  cet  exercice  que,  sans  doute,  la  gravité  des  hommes 
est  censée  leur  interdire.  Toutes  les  personnes  qui  ont  été  à  Alger 
connaissent  celte  danse,  qui  est,  je  crois,  commune  à  tous  les  pays 
orientaux,  et  qui  serait  regardée  chez  nous,  au  moins  dans  les  socié- 
tés qui  se  respectent,  comme  de  très  mauvais  goût. 

»  Il  ne  faut  qu'un  très  petit  espace  pour  les  danseuses,  qui  ne 
paraissent  qu'une  à  une.  Quand  chacune  d'elles  a  fini  cette  courte 
représentation,  qu'elle  varie  suivant  son  goût  et  son  art  particulier, 
les  personnes  de  l'assistance  qui  veulent  bien  marquer  de  l'intérêt 
cherchent  dans  leur  poche  quelque  argent  destiné  à  récompenser  les 
musiciens.  Mais  il  est  d'usage,  avant  de  déposer  l'offrande  dans  un 
plat  qui  est  disposé  à  cet  effet,  d'aller  toucher  de  la  pièce  de  mon- 
naie l'épaule  de  la  danseuse  qu'on  préfère. 

»  Quand  arrive  la  fin  du  dernier  jour  que  l'épouse  doit  passer 
sous  le  toit  de  ses  parents,  et  avant  d'aller  habiter  avec  son  mari, 
on  la  pare,  on  lui  met  sur  la  tète  une  espèce  de  mitre  composée 
d'une  quantité  de  fichus  qui  s'entassent  les  uns  sur  les  autres,  mais 
de  manière  à  ce  qu'on   ne  voie  passer  qu'une  très   petite  partie  de 


chacun.  Elle  est  placée  sur  une  table,  assise  contre  la  muraille  et 
aussi  immobile  qu'un  terme  égyptien.  On  lui  tient  élevés  près  de  la 
figure  des  chandelles  et  des  flambeaux,  pour  que  l'assistance  jouisse 
à  son  aise  de  toute  la  cérémonie  de  cette  toilette.  De  vieilles 
femmes  font  à  côté  d'elle  un  bruit  continuel  en  frappant  avec  leurs 
doigts  sur  des  petits  tambours  formés  avec  du  parchemin  tendu  sur 
des  espèces  de  pots  en  terre,  peints  de  diverses  couleurs.  D'autres 
vieilles  lui  peignent  les  joues,  le  front  avec  du  cinabre  ou  du 
henné,  ou  lui  noircissent  l'intérieur  des  paupières. 

»  Au  bout  d'un  certain  nombre  de  pratiques  qui  se  rattachent  à 
sa  parure,  elle  est  enlevée  de  cette  espèce  de  tribune,  comme  on 
ferait  d'une  statue,  et  voici  le  moment  de  l'entraîner  hors  de  la 
maison  paternelle.  A  moitié  posant  sur  ses  pieds,  à  moitié  soulevée 
par-dessous  les  bras,  elle  avance,  suivie  et  entourée  de  tous  les  assis- 
tants. Au-devant  d'elle  marchent  à  reculons,  jusqu'à  la  demeure  du 
mari,  des  jeunes  gens  portant  des  flambeaux.  On  retrouve  ici, 
comme  à  chaque  pas,  dans  ce  pays,  les  traditions  antiques.  Rien 
n'est  singulier  comme  la  marche  de  cette  malheureuse,  qui,  les 
paupières  toujours  closes,  semble  ne  faire  aucun  mouvement  qui 
naisse  de  sa  volonté  ;  ses  traits  sont  aussi  impassibles  devant  cette 
procession  que  pendant  tout  le  temps  de  ses  autres  épreuves. 

»  C'est  en  cet  équipage  qu'elle  arrive  chez  l'époux,  où,  sans  doute, 
elle  doit  regarder  comme  son  plus  grand  bonheur  d'être  débarrassée 
de  tant  d'assiduités.   » 


(A  suivre.) 


Edmond  Neuko.m.-u  et  Paul  d'Estiiée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


Nouvelles  de  Londres  :  La  courte  série  de  représentations  françaises  à 
Covent-Garden  a  pris  fin  la  semaine  dernière  avec  Philémon  et  Baucis,  le 
Rèce  et  Carmen.  Le  succès  remporté  à  Londres  par  les  excellents  artistes 
de  rOpéra-Gomique,  M""«  Deschamps  et  Simonnet  et  MM.  Bouvet,  Engel 
et  Lorrain,  auxquels  il  faut  ajouter  le  chef  d'orchestre  M.  Jehin,  ne  s'est 
pas  démenti  un  instant.  Dans  une  courte  allocution  prononcée  le  dernier 
soir,  sir  Aug.  Harris  a  proclamé  son  intention  de  nous  ramener  ces 
artistes  français,  accompagnés  d'autres  encore.  Il  a  aussi  posé  le  principe 
que  les  opéras  des  grands  maîtres  devaient  être  représentés  dans  leur 
langue  d'origine.  Après  cette  double  déclaration,  il  est  permis  de  supposer 
que  l'élément  et  le  répertoire  français  tiendront  une  place  importante  dans 
la  grande  saison  de  l'été  1892  à  Covent-Garden.  Il  est  cependant  ques- 
tion d'y  organiser  également  une  série  de  représentations  allemandes, 
principalement  wagnériennes,  avec  M.  Van  Dyok  dans  la  lla/Ai/ne  et 
Siegfried.  Une  entreprise  rivale  s'occupe,  dit-on,  aussi  d'une  saison  d'opéra 
allemand  qui  précéderait  celle  de  Covent-Garden,  et  pour  laquelle  on 
serait  en  pourparlers  avec  M'"=s  Sucher,  Meilhac,  Stautigl,  MM.  Alvary, 
Reichmann  et  autres  artistes  distingués.  —  La  saison  italienne  de 
M.  Lago,  qui  se  termine  samedi,  a  été  marquée  par  le  succès  très  soutenu 
de  la  Cavatteria  rusticana.  Toutes  les  autres  tentatives  de  résurrection  de 
M.  Lago,  y  compris  celles  de  la  Cenerentola,  d'Orphée  et  du  Matrimonio 
segreto  ont  échoué  et  n'ont  servi  qu'à  fournir  des  fragments  en  guise  de 
lever  de  rideau  à  l'opéra  de  Mascagni,  qui  a  aussi  obtenu  la  faveur  spé- 
ciale d'une  représentation  devant  la  reine,  à  "Windsor.  —  L'Ojxto  rojjal 
Anglais  annonce  brusquement  sa  fermeture  pour  la  fin  de  la  semaine.  La 
direction  n'aurait  pas  réussi  à  obtenir  la  résiliation  à  l'amiable  des  artistes 
devenus  inutiles  par  l'abandon  i'Ivanhoc,  et,  ne  pouvant  tenir  tête 
avec  un  budget  aussi  exorbitant,  elle  a  eu  recours  à  ce  moyen  extrême. 
Il  est  cependant  question  de  réorganiser  la  troupe,  diminuer  les  frais  et 
reprendre  plus  tard  les  représentations  de  la  Basoche.  Ce  qui  aurait  encore 
mieux  valu,  c'est  un  répertoire  de  cinq  ou  six  opéras  dès  le  début  de 
l'entreprise.  A.  G.  N. 

—  Les  journaux  anglais  publient  la  note  suivante,  que  les  auteurs  fran- 
çais feront  bien  de  méditer:  «  Au  programme  du  concert  donné  le  18  cou- 
rant par  M"*  Ethel  Bauer  et  son  frère  Harold,  figuraient  trois  duos  pour 
violon  avec  accompagnement  de  piano  de  M.  Benjamin  Godard.  M"=  et 
M.  Bauer  ont  reçu  de  M.  Moul,  agent  des  compositeurs  français,  un  avis 
portant  que  ces  pièces  ne  pouvaient  être  jouées  en  public  sans  l'acquitte- 
ment d'un  droit.  Gomme  il  était  trop  tard  pour  changer  le  programme, 
M""  Bauer  paya  la  somme  demandée  et  pria  M.  Moul  do  lui  remettre  la 
liste  des  œuvres  soumises  à  un  droit  d'exécution,  afin  qu'à  l'avenir  elle 
s'abstienne  de  les  jouer  publiquement.  M.  Moul  refusa  de  communiquer 
cette  liste.  Avec  tous  le  respect  qu'on  doit  au  génie  des  compositeurs 
français,  nos  contemporains,  il  faut  leur  faire  observer  qu'en  réclamant 
une  somme  d'ailleurs  dérisoire  pour  l'e-xécution  de  leurs  œuvres,  ils 
prennent  le  moyen  le  plus  sûr  de  limiter  ici  la  vente  de  ces  œuvres  et 
de  s'aliéner  les  personnes  qui  seules  seraient  à  même  de  provoquer 
l'extension  de  cette  vente  !  » 


38â 


LE  MENESTREL 


—  Les  Iriandais  ne  peuvent  se  passer  de  musique,  même  en  voyage.  La 
Compagnie  du  chemin  de  fer  de  Waterford  et  Limerick,  soucieuse  du  bien- 
être  de  ses  voyageurs,  vient  de  s'attacher  une  armée  de  musiciens  qui 
accompagneront  tous  les  trains  de  son  réseau.  Espérons  que  cela  ne  don- 
nera pas  de  distractions  aux  mécaniciens  ! 

—  La  treizième  et  dernière  représentation  de  l'Ainico  Frit::,  de  M.  Mas- 
cagni,  qui  devait  être  donnée  l'autre  samedi  au  Costanzi  de  Eome,  n'a  pu 
avoir  lieu,  l'interprète  principal,  le  ténor  De  Lucia,  ayant  perdu  son  père. 
La  direction  a  du  rembourser  le  prix  des  places  retenues  d'avance.  La 
première  représentation  de  l'ouvrage  n'a  pas  produit  moins  de  17,b00  francs  ; 
les  huit  suivantes  ont  donné  une  recette  totale  de  38,000  francs,  soit  une 
moyenne  de  7,208  francs  par  soirée;  la  première  de  l'Amico  Fritz  à  la  Per- 
gola de  Florence,  a  dû  avoir  lieu  jeudi  dernier,  avec  M""  Dardée  dans  le 
rôle  de  W<^  Calvé,  appelée  à  Paris  pour  les  répétitions  de  Cavalleria  rusti- 
cana  àrOpéra-Comique;  toutes  les  places  étaient  retenues  depuis  plusieurs 
jours  déjà. 

—  Puisque  nous  parlons  encore  du  jeune  Mascagni,  qui  décidément  est 
né  sous  une  heureuse  étoile,  rapportons  ce  que  dit  à  son  sujet  un  journal 
de  Florence,  il  Baiardo  :  —  «  Bien  que  le  maestro  Mascagni  ait  dit  l'autre 
jour,  en  dînant  avec  deux  de  ses  amis  et  des  nôtres,  qu'il  désirait  voir 
donner  la  première  représentation  de  son  opéra  les  Rantzau  sur  notre  théâtre 
de  la  Pergola,  il  ne  s'en  montrait  pas  pourtant  certain,  cet  ouvrage  étant 
déjà  vendu  par  lui  à  l'éditeur  Sonzogno  ;  celui-ci  pourtant  ne  voudra  sans 
doute  pas  contrarier  le  désir  de  son  ami,  ni  refuser  une  primeur  si  savou- 
reuse à  Florence,  devenue  maintenant  sa  ville  d'adoption.  Nous  savons 
néanmoins  encore  que  la  partition  des  Rantzau  sera,  d'après  une  aimable 
et  gracieuse  pensée,  dédiée  par  Mascagni  à  la  ville  de  Rome,  qui  l'a 
déclaré  et  proclamé  grand  artiste.  L'Amico  Fritz  a  été  dédié  par  Mascagni 
à  son  mécène  Sonzogno,  et  celui-ci  l'en  a  remercié  gracieusement  par  un 
don  princier  de  40,000  francs,  lui  constituant  une  rente  viagère  de  deux 
mille  francs  par  an.  Sonzogno  a,  en  outre,  après  la  première  représenta- 
tion de  l'Amico  Fritz,  fait  un  riche  et  joli  présent  à  la  signera  Mascagni, 
consistant  en  une  broche  de  superbes  émeraudes  qui  vient  compléter  une 
belle  parure  qu'elle  tenait  déjà  de  son  mari.  » 

—  Et  voici  qu'un  journal  lâche  Mascagni  pour  Verdi.  Nous  avons  dit 
qu'un  journal  venait  de  se  fonder  à  Milan  sous  le  titre  de  l'Amico  Fritz,  et 
qu'un  autre  se  préparaît  à  paraître  à  Livourne  sous  le  même  titre.  Mais 
celui-ci  a  craint  les  elïets  d'une  confusion  inévitable,  et  pour  les  éviter, 
il  s'est  décidé  à  abandonner  ce  titre  pour  celui  de  Falstaff.  C'est-à-dire  qu'il 
a  pris  )e  nom  d'un  opéra  qui  n'existe  pas  encore,  du  moins  pour  le 
public. 

—  Au  Costanzi  de  Rome,  les  représentations  de  l'Amico  Fritz  ayant  pris 
fin,  on  devait  donner  cette  semaine  la  première  d'un  autre  opéra  nouveau, 
Pier  Luigi  Farnese,  paroles  de  M.  Tobia  Gorrio  (Arrigo  Boito),  musique  de 
M.  Costantino  Palumbo.  Les  rôles  de  cet  ouvrage  étaient  distribués  à 
M"^  Toresella  et  Synnerberg,  au  ténor  Lazzarini,  au  baryton  Pignalosa  et 
à  la  basse  Bottero.  Mais,  par  suite  d'une  indisposition  du  ténor,  la  re- 
présentation n'a  pu  avoir  lieu. 

—  Il  paraît  que  M.  Riccardo  Rasori,  l'auteur  du  iVëron  récemment  repré- 
senté, avec  un  succès  douteux,  au  théâtre  Carcano  de  Milan,  s'était  fait 
directeur  de  ce  théâtre  pour  livrer  son  œuvre  au  public.  Or,  une  maladie 
du  principal  interprète  est  venue  interrompre  les  représentations  de  l'ou- 
vrage après  la  seconde,  et  les  deux  premières  n'avaient  été  rien  moins  que 
fructueuses.  Si  bien  que  l'infortuné  compositeur  en  est,  dit-on,  pour 
quelque  chose  comme  10  ou  l-ijOOO  francs.  Ce  n'est  pas  un  métier  fort 
agréable  que  celui  de  compositeur  en  Italie! 

—  Deux  frères,  deux  Italiens,  tous  deux  compositeurs,  cherchent  à  se 
lancer  l'un  et  l'autre  dans  la  carrière.  Le  premier,  M.  P. -A.  Tirindelli, 
professeur  de  violon  au  lycée  Marcello  de  Venise,  vient  de  terminer,  sur 
un  poème  de  M.  Corrado  Ricci,  un  opéra  intitulé  Atenaide;  l'autre,  M.  Giulio 
Tirindelli,  directeur  de  la  musique  municipale  de  Trévise,  vient  d'achever 
de  son  côté  la  partition  d'un  opéra  dont  le  livret  lui  a  été  fourni  par 
M.  Zanardini,  et  qui  a  pour  titre  Sakuntala.  Lequel  des  deux  arrivera  le 
premier?  Peut-être  ni  l'un  ni  l'autre. 

■ —  Au  théâtre  Métastase,  de  Rome,  apparition  d'une  nouvelle  opérette, 
Sanlarella,  paroles  de  M.  E  Minichini,  musique  de  M.  Buongiorno. 

—  Le  grand  spectacle  de  gala  donné  au  Politeama  de  Palerme,  à  l'occasion 
de  l'ouverture  de  l'Exposition,  a  produit,  paraît-il,  une  jolie  recette  de 
34,000  francs.  Voilà  un  imprésario  qui  doit  se  frotter  les  mains. 

—  Au  théâtre  Quirino,  de  Rome,  on  a  donné,  ces  jours  derniers,  la 
première  représentation  d'une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  i  Granatieri, 
dont  la  musique,  peu  originale,  mais  bien  faite  et  empreinte  de  gaité,  est 
due  à  M.  Valente.  Un  livret  amusant  et  une  bonne  interprétation  ont 
contribué  au  succès. 

—  Au  théâtre  Social  d'Esté  on  a  représenté  un  nouvel  opéra,  intitulé 
Aunina,  dont  l'auteur  est  le  docteur  (?)  maestro  Deola. 

—  La  Wiener  Allgcmcine  Zcitmig  annonce  que  M'"^  Cosima  Wagner  a 
passé  quelques  jours  à  Vienne  et  y  a  fait  d'importants  engagements  pour 
la  prochaine  saison  de  fêtes  théâtrales  de  Bayreuth.  M"""  Materna  et 
M.  Van  Dyck  ont  signé.  Il  serait  décidé  qu'il  y  aura  vingt  représenta- 


tions, comme  cette  année,  du  21  juillet  au  ::il  août,  et  que  quatre  ouvrages 
formeront  le  répertoire  :  Parsifal,  Tristan,  Tannliduser  et  les  Miiilro:  Chan- 
teurs. M.  Van  Dyck  chanterait  pour  la  première  fois  le  rôle  de  Walther 
de  Stolzing.  Les  autres  engagements  ne  seront  faits  qu'au  courant  de 
l'hiver.  A  ces  nouvelles,  le  Guide  musical  de  Bruxelles,  toujours  informé 
sous  ce  rapport,  croit  devoir  faire  une  rectification.  «  A  propos  de 
Bayreuth,  dit-il,  des  journaux  français  et  allemands  ont  reproduit  un 
bruit  d'après  lequel  M""  Cosima  Wagner  aurait  touché  des  droits  d'au- 
teur considérables  sur  les  représentations  de  cette  année,  qui  auraient 
laissé  un  gros  bénéfice.  Cette  information  est  de  tous  points  inexacte  : 
1"  Parce  qu'il  n'y  a  pas  eu,  cette  année,  un  bénéfice  énorme,  comme  on 
l'a  dit.  Les  recettes  ont  été  considérables,  mais  elles  ont  été  entièrement 
affectées  à  payer  la  mise  en  scène  de  Tannliduser,  dont  les  frais  ont  été 
entièrement  couverts,  ce  qui  est  déjà  un  résultat  magnifique;  2°  M""=  Wag- 
ner n'a  jusqu'ici  prélevé  aucun  tantième  sur  les  recettes  du  théâtre  de 
Bayreuth,  ce  théâtre  étant  considéré  par  elle,  non  comme  une  entreprise 
industrielle,  mais  comme  une  œuvre  exclusivement  artistique.  Quand  une 
année  laisse  un  bénéfice,  ce  bénéfice  est  mis  en  réserve,  afin  d'assurer 
l'exploitation  l'année  suivante  et  de  couvrir  les  frais  d'amélioration  et 
de  renouvellement  du  matériel,  ainsi  que  l'entretien  du  théâtre.  » 

—  Au  nombre  des  œuvres  que  l'Opéra  de  Vienne  compte  faire  repré- 
senter au  Cycle  Mozart  à  l'aide  duquel  il  célébrera  le  centenaire  de  la  mort 
du  maître,  se  trouvent  deux  petits  opéras  datant  de  sa  première  jeunesse. 
L'un,  la  Finla  Giardiniera,  fut  écrit  par  lui  à  l'âge  de  douze  ans  seulement; 
l'autre,  Bastien  und  Basticnne,  dont  le  poème  est  d'origine  française,  fut 
composé  pour  les  fêtes  du  carnaval  de  Munich,  en  1774. 

—  Liste  des  ouvrages  du  répertoire  français  représentés  dernièrement 
dans  quelques-uns  des  principaux  théâtres  d'Allemagne  :  Berlin  :  Carmen, 
le  Prophète.  —  Cassel  :  Robert  le  Diable,  les  Huguenots  (2  fois),  l'Africaine.  — 
Cologne  :  Le  Prophète,  le  Roi  malgré  lui.  —  Dresbe  ;  Faust,  le  Maçon,  Robert  le 
Diable,  Guillaume  Tell,  Zampa.  —  Francfort  :  La  Juive,  Faust,  le  Prophète, 
Mignon,  Lakmé.  —  Leipzig  :  Faust,  Jean  de  Paris  (3  fois),  le  Prophète,  la  Dame 
blanche,  Carmen.  —  Manniieim  :  le  Maçon  (2  fois),  le  Prophète,  les  Huguenots.  — 
Munich  :  le  Postillon  de  Lonjwneau,  Faust,  le  Prophète.  —  Pestii  :  Sylvia  (2  fois), 
Carmen,  les  Huguenots  (2  fois),  Faust  (2  fois),  Guillaume  Tell. — Vienne  :  la  Fille 
du  régiment  (2  fois),  les  Dragons  de  Tillars,  la  Juive,  Manon  (2  fois),  Coppélia, 
les  Deux  Journées. 

—  Le  nouvel  édifice  de  l'Opéra  allemand,  le  plus  somptueux  de  toute  la 
Hollande,  vient  à  peine  d'être  inauguré  qu'on  en  annonce  déjà  la  vente  aux 
enchères  publiques.  On  croit  qu'il  n'abritera  plus  d'entreprise  artistique. 

—  Le  premier  des  quatre  concerts  populaires  de  la  saison  aura  lieu  à 
Bruxelles  le  6  décembre.  Le  programme  comprendra  nombre  d'œuvres 
nouvelles  :  En  Italie,  symphonie  de  Richard  Strauss,  jeune  compositeur 
allemand  qui  s'est  fait  en  ces  dernières  années  une  grande  et  rapide 
renommée;  une  Rêverie  orientale  et  la  Première  sérénade  d'Alexandre  Glazou- 
noff,  le  plus  jeune  et  le  plus  audacieux  des  musiciens  russes  contempo- 
rains ;  le  concerto  de  piano  dédié  par  Tschaïkowsky  à  Hans  de  Billow, 
exécuté  par  M.  Camille  Gurickx,  le  successeur  du  regretté  Auguste  Dupont 
au  Conservatoire  de  Bruxelles  ;  l'ouverture  de  Sakountala,  de  Cari  Gold- 
mark;  enfin,  la  Lustpiel-Ouverture]  de  Smetana,  le  fameux  compositeur 
tchèque. 

—  On  est  en  train  de  placer,  dans  la  cathédrale  d'Anvers,  un  orgue 
monumental  de  quatre-vingt-dix  jeux,  sortant  des  ateliers  de  M.  Schyven, 
le  renommé  facteur  belge.  M.  Gh.-M.  Widor  a  été  prié  d'aller  inaugurer 
ce  nouvel  instrument,  à  une  séance  solennelle  qui  aura  lieu,  à  cet  effet, 
le  17  décembre  prochain. 

—  Ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  M.  H.  Kling  a  donné  à  l'Aula,  de 
Genève,  deux  conférences  intéressantes  sur  deux  musiciens  genevois, 
Bovy-Lysberg,  l'auteur  de  tant  de  jolies  compositions  pour  le  piano  que  les 
artistes  français  apprécient  depuis  longtemps,  et  Franz  Grast,  un  musicien 
fort  remarquable,  quoique  moins  connu  de  notre  public.  «  D'après  la  cri- 
tique actuelle,  dit  M.  Kling,  tout  ce  qui  a  été  fait  avant  Wagner  doit  être 
considéré  comme  des  essais  plutôt  que  comme  des  œuvres  d'art  ayant 
quelque  valeur.  Cette  critique  admire  ou  feint  d'admirer  les  génies  qui 
ont  précédé  l'auteur  de  Lohengrin.  On  parle  avec  complaisance  de  la 
naïveté  d'Haydn,  de  la  tendresse  de  Mozart,  des  élans  sublimes  de  Beetho- 
ven, mais  parce  que  ces  génies  sont  encore  debout  et  qu'on  n'ose  pas 
encore  les  attaquer.  A  entendre  ces  mêmes  critiques,  Rossini  était  un 
farceur  et  Auber  ne  savait  que  composer  des  contredanses.  Il  y  a  donc  du 
courage,  dit  le  conférencier,  à  venir  parler  et  évoquer  le  nom  et  les  œu- 
vres d'un  compositeur  genevois,  d'un  auteur  vieux-jeu,  comme  le  diront 
certaines  gens,  qui  eut  pourtant  son  heure  de  célébrité  et  était  doué  d'un 
talent  peu  commun.  Bovy  a  laissé  des  œuvres  lumineuses,  bien  ordonnées, 
d'une  facture  élégante,  toutes  empreintes  de  sa  personnalité  séduisante.  » 
L'appréciation  du  talent  de  Bovy-Lysberg,  accompagnée  de  l'exécution  de 
plusieurs  de  ses  morceaux,  a  été  vivement  applaudie.  M.  Kling  n'a  pas 
obtenu  moins  de  succès  dans  la  seconde  conférence  qu'il  a  consacrée  à 
Franz  Grast,  auteur  de  mélodies  vocales  charmantes  et  pleines  de  saveur 
et  qui  doit  surtout  sa  renommée,  dans  sa  patrie,  aux  deux  partitions 
extrêmement  remarquables  qu'il  écrivit  pour  les  deux  grandes  fêtes  des 
vignerons  de  Vevey,  en  1831  et  en  1863.  L'audition  de  divers  morceaux 
tirés  de  ces  deux  œuvres  importantes  a  produit  le  plus  grand  effet. 


LE  MENESTREL 


383 


—  Le  16  novembre  a  eu  lieu  à  Zurich  l'inauguration  d"un  monument 
élevé  à  la  mémoire  d'un  des  artistes  les  plus  distingués  de  la  Suisse, 
Guillaume  Baumgartner,  qui,  né  vers  1820,  mourut,  dans  toute  la  force  de 
l'âge,  au  mois  de  mars  1867.  Baumgartner  s'acquit  une  grande  renommée 
dans  sa  patrie,  par  la  composition  d'un  grand  nombre  de  chants  à  une  ou 
-plusieurs  voix,  avec  ou  sans  accompagnement,  chansons  comiques,  chœurs, 
etc.,  dont  la  plupart  ont  été  publiés  à  Saint-Gall,  où  il  fut  directeur  de 
musique,  à  Ofïenbach  et  à  Leipzig.  L'un  de  ses  plus  grands  succès  fut  le 
chant  patriotique:  0  inein  Heimatland,  o  inein  Vateiiandl  Le  monument 
qu'on  vient  de  lui  élever  sur  la  Platz  promenade  de  Zurich  consiste  en  un 
buste  grandiose,  placé  sur  un  piédestal  de  marbre  noir.  La  cérémonie  a 
eu  lieu  en  présence  de  plus  de  vingt  sociétés  chorales  zuricoises,  des  dé- 
légués d'un  grand  nombre  de  sociétés  chorales  et  musicales  des  diverses 
parties  de  la  Suisse  et  d'une  foule  immense  de  spectateurs  désireux  de 
rendre  hommage  à  l'un  des  compositeurs  les  plus  populaires  du  pays.  Il 
va  sans  dire  que  la  musique  était  de  la  fête  et  que  plusieurs  sociétés  se 
sont  fait  entendre,  aux  grands  applaudissements  des  assistants. 

—  La  Société  des  facteurs  d'instruments  de  musique  de  New-York  vient 
de  prendre  une  décision  tendant  à  l'adoption  du  diapason  normal.  La  plu- 
part des  grands  orchestres  des  théâtres  et  concerts  américains  avaient 
.déjà  devancé  cette  résolution.  A  ce  sujet,  le  Dailtj  Neivs  lait  remarquer 
qu'en  Angleterre,  et  notamment  à  Londres,  la  question  de  l'uniformité  du 
diapason  en  est  à  peu  près  au  même  point  qu'il  y  a  vingt  ans.  Les  fac- 
teurs de  piano  emploient  généralement  un  diapason  élevé  pour  les  instru- 
ments de  concerts  et  un  autre  plus  bas  pour  ceux  qu'on  livre  aux  particuliers. 
La  grande  difBculté  qui  s'oppose  à  l'adoption  du  diapason  normal  dans 
les  concerts  symphoniques  vient  des  facteurs  d'orgues,  qui  ne  peuvent  se 
résoudre  à  la  dépense  considérable  que  nécessiterait  pour  eux  l'abaisse- 
ment du  diapason  au  niveau  normal.  Dans  les  théâtres  anglais,  c'est  l'a- 
narchie complète.  Chaque  établissement  a  son  diapason  spécial  ;  encore 
varie-l-il  souvent  selon  les  saisons  ou  le  caprice  des  chanteuses.  En  1878, 
les  changements  effectués  à  Govent-Garden  sur  les  instances  de  M°"=  Patti 
ont  coûté  plus  de  2b,000  francs.  L'année  suivante,  les  chanteurs  et  les 
instrumentistes  à  vent  réclamaient  un  diapason  plus  élevé,  et  de  nouveau 
il  a  fallu  tout  bouleverser.  Un  fait  identique  s'est  produit  au  théâtre  de 
Sa  Majesté,  pour  satisfaire  aux  exigences  de  M""  Nilsson.  D'une  année  à 
l'autre,  le  diapason  du  la  avait  été  élevé  de  872  vibrations  à  890.  Malheu- 
reusement, ce  fâcheux  état  de  choses  ne  pourra  cesser  tant  que  les  fac- 
teurs anglais  n'auront  pas  conclu  entre  eux  une  convention  semblable  à 
celle  de  leurs  confrères  américains. 

—  A  peu  de  distance  de  San  Francisco  se  trouve  un  collège  connu  sous 
le  nom  de  Stanford  University,  qui  a  été  fondé  il  y  a  quelques  années  et 
est  entretenu  par  un  archiraillionnaire  intelligent,  M.  Stanford.  On 
annonce  que  sous  peu  un  conservatoire  de  musique  sera  annexé  à  ce 
collège,  grâce  à  la  libéralité  du  même  personnage,  qui  prétend  faire  de 
ce  conservatoire  le  centre  des  études  musicales  en  Amérique.  Voilà  certes 
une  noble  ambition.  —  On  assure  que  dans  la  bibliothèque  publique  de 
San  Francisco  se  trouve  un  monument  singulièrement  précieux,  c'est-à- 
dire  la  partition  autographe  de  VEuridice  de  Caccini,  l'un  des  premiers 
opéras  représentés  à  Florence  au  seizième  siècle.  Comment  peut-il  se 
faire  qu'un  manuscrit  d'une  telle  importance  pour  l'histoire  des  commen- 
cements de  l'art  musical  en  Europe,  et  particulièrement  en  Italie,  ait 
ainsi  passé  les  mers  et  se  trouve  aujourd'hui  dans  un  des  plus  grands 
dépôts  publics  de  l'Amérique"? 

—  Une  dépêche  télégraphique  signale  le  succès  obtenu  à  Mexico  par 
un  nouvel  opéra  de  M.  Melesio  Morales,  professeur  de  composition  au 
Conservatoire  de  cette  ville.  L'ouvrage  a  pour  titre  Cléopàlre.  Trois  mor- 
ceaux ont  été  bissés,  et  l'auteur  a  été  l'objet  de  vingt  et  un  rappels. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Aujourd'hui,  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix  réduits  ;  on 
donnera  Sigurd.  A  l'Opéra-Comique,  en  matinée,  Lalla  Roukh  et  Mireille; 
le  soir,  Richard  cœur  de  lion  et  Lakmé. 

—  La  première  représentation  de  Tamara,  à  l'Opéra,  semble  d'ores  et 
déjà  fixée  au  14  décembre  prochain.  Les  répétitions  d'ensemble  sont  com- 
mencées. Le  même  soir,  reprise  du  ballet  la  Tempête,  d'Ambroise  Thomas. 

—  Toujours  grande  activité  à  l'Opéra-Comique.  Aujourd'hui  dimanche, 
reprise  de  Lalla  Roukh,  A  l'étude,  le  Càid.  En  projet,  l'Éclair  et  Paul  et 
Virginie.  Ce  dernier  ouvrage  n'a  pas  été  joué  à  Paris  depuis  douze  ans 
déjà,  et  M.  Carvalho  désirerait  en  faire  une  reprise  solennelle.  M.""  Richard 
ferait  ses  débuts  dans  le  rôle  de  Méala.  Les  représentations  de  Cavalleria 
ruslicana  seront  probablement  retardées  jusqu'à  la  fin  de  décembre, 
M""  Calvé  ayant  demandé  quelque  repos  après  les  représentations  de  l'Ami 
Fritz,  à  Rome,  qui  se  sont  succédé  bien  rapidement  les  unes  sur  les 
autres,  sans  laisser  aux  artistes  le  temps  de  souffler. 

—  M.  Rubinstein,  le  célèbre  artiste,  est  de  passage  à  Paris  pour  quel- 
ques jours.  Il  retournera  dès  cette  semaine  à  Pétersbourg,  en  passant 
toutefois  par  Milan,  où  il  est  appelé  par  diverses  affaires.  Il  a  remis  entre 
-les  mains  des  éditeurs  du  Mérteslrel  le  manuscrit  de  son  intéressante  étude  ; 

la  Musique  et  ses  Représentants.  Bonne  fortune  pour  nos  lecteurs  qui  auront 
ainsi  cette  curieuse  primeur.  L'ouvrage  doit  paraître  simultanément  en 
russe,  en  français,  en  anglais  et  en  allemand.  C'est  M.  Michel  Delines  qui 
écrit  la  traduction  française. 


■ —  Le  ténor  Van  Dyck  et  la  cantatrice  Marcella  Sembrich  ont  été 
nommés  «  chanteurs  de  la  chambre  »  de  l'empereur  d'Autriche-Hongrie, 
à  la  suite  du  concert  donné  le  20  novembre  à  la  cour,  la  veille  du  mariage 
du  prince  Frédéric-Auguste  de  Saxe  avec  l'archiduchesse  Louise  de  Tos- 
cane. C'est  un  honneur  très  recherché  des  artistes  et  qui  ne  compte 
guère  plus  d'une  vingtaine  de  titulaires,  parmi  lesquels  notre  grand  chan- 
teur français  Faure. 

—  M.  Colonne  poursuit  avec  persévérance  la  mission  qu'il  s'est  donnée 
de  faire  entendre  les  symphonies  de  Beethoven  dans  leur  ordre  chronolo- 
gique. L'exécution  de  la  symphonie  en  ut  mineur  a  été  excellente.  C'est 
du  reste  une  de  celles  dont  l'exécution  offre  le  moins  d'efforts  :  sobre  de 
développements,  admirablement  conçue,  marchant  au  but  dans  un  ordre 
serré,passionnée,  énergique,  elle  emporte  malgré  lui  l'interprète,  le  pénètre  et 
fait  qu'il  arrive  sans  efl'orts  à  la  plus  admirable  des  conclusions.  M.  Auguez 
a  dit  d'une  façon  remarquable  /fs  Deux  Ménétriers,  de  César  Gui,  composi- 
tion qui  renferme  des  passages  d'une  rare  délicatesse  et  mérite  les  applau- 
dissements qu'on  lui  a  donnés.  —  Un  des  grands  intérêts  du  concert  était 
la  deuxième  audition  de  la  suite  d'orchestre  de  M.  Widor,  Conte  d'avril. 
Cette  musique,  faite  pour  être  adaptée  à  une  pièce  de  Shakespeare  traduite 
par  M.  Dorchain,  est  intéressante  au  plus  haut  degré.  Le  Ménestrel  en  a 
déjà  fait  l'analyse.  Disons  seulement  que  les  fragments  les  plus  applaudis 
ont  été  le  Nocturne,  très  mélodieux,  qui  a  été  l'objet  d'un  très  grand  succès 
pour  le  flûtiste  Cantié,  la  gracieuse  Sérénade  illijrienne,  l'Aubade,  et  surtout 
les  derniers  morceaux  de  la  seconde  partie:  le  Mélodrame,  la  Guitare  et  la 
Marche  nuptiale.  Le  succès  de  la  musique  de  M.  Widor  a  été  très  grand 
et  très  légitime.  —  M.  Diémer  a  dit  avec  son  talent  accoutumé  le  beau 
concerto  de  M.  Lalo,  qui  est  plutôt  une  symphonie  avec  piano  qu'un 
concerto  pour  piano.  C'est  là  une  œuvre  sérieuse,  exempte  de  tout  char- 
latanisme, et  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à  M.  Lalo,  un  des  maîtres  de 
l'école  moderne.  Le  concert  se  terminait  par  deux  fragments  de  Wagner, 
le  prélude  de  Tristan  et  la  Chevauchée  des  Walkyries  sur  lesquels  nous  avons 
si  souvent  donné  notre  avis  qu'il  nous  semble  inutile  de  le  répéter. 

H.  Barbedette. 

Concerts  Lamoureux. — La  Symphonie  pastorale  a  été  rendue  avec  une 
si  minutieuse  précision  que  les  lignes  les  plus  tenues  delà  trame  orches- 
trale ont  été  placées  dans  dans  un  relief  intense.  Le  célèbre  poème  pas- 
toral de  Beethoven,  ainsi  interprété,  vit  dans  la  mémoire  et  y  reste  gravé 
avec  ses  moindres  détails.  Nous  avons  été  heureux  d'entendre  un  fragment 
intitulé  Napoli,  extrait  d'une  suite  d'orchestre  de  M.  Gustave  Charpentier, 
prix  de  Rome  de  1887.  L'ouvrage  dénote  une  certaine  abondance  d'idées, 
il  est  bien  construit  dans  une  forme  toute  moderne,  et  son  orchestration 
est  claire,  colorée  et  vibrante.  Le  motif  de  début,  assez  semblable  comme 
rythme  à  ceux  qui  occupent  une  si  large  place  dans  la  musique  populaire, 
devient  ici  un  élément  pittoresque  dont  il  était  difficile  de  se  passer.  Les 
parties  intermédiaires  de  l'œuvre  présentent  des  mélodies  larges,  très 
expressives  et  d'un  caractère  rêveur  et  contemplatif.  Le  public  a  été  cha- 
leureux à  juste  titre  pour  cette  œuvre  écrite  avec  autant  de  goût  que  de 
réelle  inspiration.  —  M.  Victor  Staub  a  fait  entendre  le  concerto  en  ut 
mineur  de  M.  Saint-Saëns.  Le  virtuose  possède  un  jeu  correct,  générale- 
ment bien  équilibré,  précis  et  sur,  avec  des  qualités  brillantes  de  style  et 
de  composition  qui  se  révèlent  par  intermittences.  L'œuvre  de  M.  Saint- 
Saëns  présente  un  ensemble  plein  de  cohésion  et  remarquable  par  l'aisance 
avec  laquelle  se  modifie  et  se  transforme  la  substance  musicale  pour 
aboutir  à  une  péroraison  imprévue  et  saisissante  au  moment  où  tous  les 
motifs  déjà  entendus  semblent  se  concentrer  dans  le  dernier  allegro  et 
prendre  tout  à  coup  une  allure  plus  entrainante  et  plus  impétueuse.  — 
Une  «  Ouverture  pour  comédie  »  de  Smetana  (1824-1884)  a  été  accueillie 
avec  un  peu  de  froideur.  Elle  est  brillante,  et  la  mélodie  s'y  développe 
avec  un  caractère  d'imprévu  à  cause  du  déplacement  de  quelques  accents, 
mais  on  est  déjà  familier  avec  ce  procédé,  et  l'ouvrage  ne  semble  pas 
suffisamment  consistant  pour  prendre  place  au  grand  répertoire  sympho- 
nique.  Le  prélude  de  Tristan  et  Yseult  et  l'introduction  du  3'^  acte  de  Lolien- 
grin  terminaient  le  concert.  Amédée  Bouwrel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourdhui  dimanche  : 

Chatelet.  —  Concert  Colonne  :  Symphonie  pastorale  (Beethoven)  ;  air  d'Hérodiade 
(Massenet),  par  M.  Manoury;  Kennesse  (B.  Godard);  te  Collier  de  Saphirs  (Pierné); 
Ravissement  (Paul  Puget)  et  le  Message  (P.  Puget),  chantés  par  M.  Manoury  ;  prélude 
de  Parsifal  (Wagner)  ;  la  Chevauchée  des  Valkyries  (Wagner) . 

Cirque  des  Champs-Elysées.  —  Concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Freischiitz 
(Weber)  ;  symphonie  pastorale  (Beethoven);  Don  Juan  (Richard  Strauss);  ouver- 
ture de  Manfred  (Schumann)  ;  prélude  de  Tristan  et  Iseutl  (Wagaer)  ;  marche  mi- 
litaire fcançaise  de  la  Suite  algérienne  (Saint-Saëns). 

—  C'est  dimanche  prochain,  6  décembre,  qu'aura  lieu  la  reprise  des 
séances  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  sous  la  direction  de 
M.  J.  Garcin.  Les  études  des  chœurs  se  font  en  ce  moment  sous  la  direc- 
tion de  M.  Paul  Vidal,  M.  Heyberger  étant  très  souffrant  depuis  plusieurs 
mois. 

—  Loliengrin,  de  R.  Wagner,  tel  est  le  titre  d'une  étude  vraiment  inté- 
ressante que  M.  Maurice  Kulferath  vient  de  publier  à  la  librairie  Fisch- 
baoher.  La  première  partie,  «  la  Légende  et  le  Drame  »,  est  surtout  pré- 
cieuse, au  point  de  vue  historique,  par  les  recherches  littéraires  dont  elle 
abonde  concernant  les  sources  diverses  où  Wagner  a  puisé  pour  établir  le 
sujet  de  son  poème,  sources  françaises  et  allemandes,  poèmes  et  légendes 


384 


LE  MENESTREL 


se  succédant,  s'entre-oroisant,  s'enchevètrant  dans  les  deux  pays,  avec  leur 
caractère  moral  et  religieux,  leur  philosophie,  leur  psychologie  passion- 
nelle. Il  va  sans  dire  que  l'écrivain,  qui  est  un  wagnérien  de  la  première 
et  de  Ja  dernière  heure,  admire  sans  restriction  le  parti  que  Wagner  a 
su  tirer  de  ces  éléments  divers,  et  qu'il  considère  le  livret  de  Lohengrin 
comme  un  modèle  scénique  à  suivre  et  comme  un  chef-d'œuvre  accompli. 
Ceux  qui  me  connaissent, savent  déjà  que  je  ne  partage  guère  son  avis  sur 
ce  point  ;  mais  son  travail  littéraire  n'en  est  pas  moins,  lui-même,  un 
modèle  d'érudition  et  de  critique  historique.  La  seconde  partie,  consacrée 
à  la  partition,  n'est  autre  chose,  on  le  pense  bien,  qu'un  long  dithy- 
rambe et  un  cantique  d'admiration  continue.  Mon  admiration  n'est  pas 
assurément  aussi  complète,  bien  qu'elle  soit  profonde  pour  certaines 
parties  de  l'œuvre.  Mais,  ici  encore,  il  faut  louer  l'auteur  pour  le  carac- 
tère serré  de  son  analyse,  dont  la  clarté  s'augmente  encore  de  nombreuses 
citations  musicales  qui  en  aident  puissamment  la  compréhension  et  qui 
étaient  loin  d'être  inutiles  en  un  tel  sujet.  En  résumé,  à  part  ses  tendan- 
ces excessives  et  un  courant  d'enthousiasme  vraiment  fatigant  par  ins- 
tants parce  qu'il  est  trop  préconçu,  c'est  là  un  écrit  excellent  en  son 
genre  et  d'un  intérêt  artistique  absolument  indéniable.  A.  P. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu,  aux  Menus-Plaisirs,  la  première  représen- 
tation d'une  opérette  en  un  acte,  un  Gars  normand,  paroles  de  M.  Armand 
Véry,  musique  de  M.  Charles  André. 

—  Mme  jaêll  a  fait  entendre,  lundi  dernier,  petite  salle  Pleyel,  plusieurs 
élèves  formés  d'après  la  méthode  «  Le  Toucher,  »  qui  ont  exécuté  avec 
des  qualités  sérieuses  plusieurs  morceaux  classiques  et  modernes.  L'as- 
sistance s'est  montrée  surtout  sympathique  à  deux  petites  pianistes  de  dix 
ans,  M""  Jeanne  Caillate  et  M"'=  Eva  Boutarel,  qui  ont  joué  deux  œuvres 
de  Liszt  :  la  Consolation  et  la  légende  de  Saint  Françoise  d'Assise,  Prédication 
aux  oiseaux. 

—  Une  très  jolie  matinée  a  eu  lieu  dimanche  dernier  chez  M""=  Rosine 
Laborde.  M""=  Emile  Ratisbonne  et  M.  Ronchini  ont  exécuté  plusieurs 
morceaux  pour  piano  et  violoncelle.  M""!  de  Riva  Berni  a  dit  avec  beau- 
coup de  grâce  et  de  finesse  plusieurs  charmantes  poésies,  et,  parmi  les 
jeunes  élèves,  on  a  distingué  M"'  Léa  de  SùdlotT,  douée  d'une  voix  solide 
et  résistante,  W^'  Bourgeois,  qui  a  bien  chanté  un  air  des  Pêcheurs  de -perles 
et  M""  Maugé,  qui  a  obtenu  un  succès  de  chanteuse  et  de  diseuse  dans 
deux  airs  de  Manon  et  dans  une  scène  du  Toréador.  Cette  jeune  cantatrice 
va  chanter  le  répertoire  français  à  Florence  et  dans  d'autres  villes  d'Italie. 
M.  de  Riva  Berni  a  tenu  le  piano  d'accompagnement.  —  Am.  B. 

—  Il  était  de  tradition  autrefois  à  La  Rochelle  de  faire  exécuter  une 
messe  le  jour  de  Sainte-Cécile;  cet  usage,  abandonné  depuis  près  de  vingt 
ans,  a  été  repris  cette  année  par  M.  Guthmann,  le  professeur  distingué 
de  la  ville.  Le  dimanche  2'2,  à  l'église  Saint-Sauveur,  une  messe  pour 
soli,  orchestre  et  chœurs,  de  M.  Guthmann,  a  été  exécutée  sous  la  direction 
de  l'auteur  avec  beaucoup  de  succès. 

—  Le  dimanche  22  novembre,  à  l'occasion  de  la  fête  de  Sainte-Cécile, 
le  comité  de  l'Association  des  artistes  musiciens  à  Nancy  a  fait  célébrer 
une  messe  en  musique  au  profit  de  l'œuvre.  On  y  a  entendu  le  Kyrie, 
le  Sanctus  et  le  Benedictus  de  la  messe  de  Nolre-Dame-de-Sion,  de  M.  René 
de  Boisdeffre,  dédiée  à  Mgr  Turinaz,  évêque  de  Nancy,  et  dont  la  première 
exécution  a  eu  lieu  l'an  dernier  à  Paris,  en  l'église  Saint-Eustache,  le 
jour  de  la  Sainte-Cécile.  L'accueil  le  plus'  flatteur  a  été  fait  à  cette  œuvre 
par  le  public  et  par  toute  la  presse  de  Nancy,  et  le  succès  obtenu  l'année 
dernière  à  Paris  n'a  fait  encore  que  s'accroitre.  L'exécution,  habilement 
dirigée  par  M.  Gluck,  directeur  du  Conservatoire,  a  été  excellente,  et  la 
quête  remise  par  le  délégué  Albert  Jacquot,  au  comité  de  Paris,  a  été 
très  fructueuse. 

—  On  nous  écrit  de  Moulins  :  «  Notre  Société  symphonique  a  donné  sa 
trente  et  unième  audition  générale  le  19  novembre.  Concert  tout  à  fait 
réussi,  où  l'on  a  chaleureusement  applaudi,  entre  autres  œuvres  intéres- 
santes, le  charmant  ballet  du  Roi  s'amuse, de  Delibes,  qui  a  été  réellement 
bien  exécuté  sous  la  très  habile  direction  de  M.  Louis  Pimbel,  fondateur 
de  la  Société.  Nous  avions  obtenu  le  précieux  concours  du  ténor  Warra- 
brodt,  auquel  on  a  fait  un  magnifique  succès...» 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu,  à  f,evallois,  une  très  brillante  matinée 
donnée  par  M"''  Menon,  fondatrice  des  cours  artistiques  professionnels, 
jlme  Thénard,  de  la  Comédie-Française,  et  M.  Veyret  s'y  sont  fait  entendre 
dans  la  partie  littéraire.  M""  Brémond  a  fait  applaudir  sa  voix  fraîche  et 
sympathique.  M"'  de  Tailhardat  a  joué  avec  son  talent  si  élégant  et  si  fin, 
plusieurs  pièces  de  Chopin,  Schulofl'  et  Godard. 

—  La  jeune  pianiste  W"'  Henriette  Delattre  s','st  fait  très  vivement 
applaudir  à  son  charmant  concert  du  théâtre  Vivienne,  le  samedi  21  no- 
vembre. Elle  était  entourée  d'un  groupe  d'excellents  artistes  :  M'i^Maguéra, 
qui  a  dit  d'une  voix  vibrante  une  poésie  de  M.  Degrave;  le  violoniste 
Magnus;  le  baryton  Chardot,  qui  a  rendu  avec  expression  la  mélodie  Si  tu 
voulais,  de  M.  Léon  Schlesinger,  et  l'arioso  du  Roi  de  Lahore  ;  les  divertis- 
sants chanteurs  de  genre  Raynaly  et  Launay.  La  soirée  s'est  terminée  par 
la  représentation  de  l'opéra-eomique  de  MM.  Degrave  et  Lerouge,  un  Modèle, 
musique  de  M.  Léon  Schlesinger. 


—  M.  A.  Lefort  reprend  le  jeudi  10  décembre  à  8  h.  1/2,  à  la  salle  de 
la  Société  de  géographie,  ses  auditions  d'œuvres  anciennes  et  modernes 
pour  instruments  à  cordes,  instruments  à  vent,  piano  et  chant.  Il  y  aura 
huit  concerts  pendant  la  saison  d'hiver. 

—  Cours  et  leçons.  —  M.  Geloso  reprend  ses  leçons  de  violon  et  d'accompagne- 
ment, 12,  rue  Barye,  et  se  propose  d'ouvrir,  le  15  janvier  prochain,  un  cours 
spécial  d'accompagoement.  —  M"»  Alice  Sauvrezis  vient  de  joindre  à  ses  cours 
de  piano  et  de  solfège  un  cours  de  chant  d'ensemble  (chœur  de  temmes),  salon 
■Wetzels-Colin,  7,  rue  Bonaparte,  le  lundi,  de  2  à  4  heures. 

NÉCROLOGIE 

De  Honfleur,  on  nous  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  63  ans,  de  M.  Franz 
Hitz,  qui  a  écrit  un  grand  nombre  de  charmantes  compositions  pour  le 
piano,  dont  plusieurs  jouissent  encore  d'une  vogue  très  méritée. 

—  De  Saint-Sébastien ,  on  annonce  la  mort  d'un  violoniste  habile, 
Fermin  Barec,  directeur  de  l'Académie  de  musique  de  cette  ville.  Il  avait 
fait  son  éducation  musicale  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  où  il  avait 
remporté  un  premier  prix  de  violon. 

—  Un  ancien  chanteur  qui  parait  n'avoir  pas  été  sans  talent,  Giuseppe 
Mazzi,  est  mort  victime  d'un  assassinat,  dans  un  pays  du  Trentin  dont  les 
journaux  ne  nous  font  pas  connaître  le  nom. 

—  La  malheureuse  troupe  que  les  impresari  Ducci  et  Ciacchi  avaient  em- 
menée à  Rio-Janeiro  n'a  pas  seulement  été  victime  des  événements  poli- 
tiques qui  troublaient  le  Brésil;  la  fièvre  jaune  l'a  décimée  aussi  d'une 
façon  terrible  et  ne  lui  a  pas  enlevé  moins  de  quatorze  des  artistes  qui  la 
composaient.  Parmi  ces  infortunés,  on  cite  deux  danseuses,  M"|=s  Bavagnoli 
et  Lovera,  le  premier  violoncelle  de  l'orchestre,  nommé  Asioli,  le  chef 
machiniste  Tancredi  Osti,  quatre  choristes  hommes,  une  choriste  femme 
et  divers  autres  dont  on  ne  donne  pas  les  noms. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A    CÉDER:    FONDS  DE  PIANO  ET   MUSIQUE.  —    Location   impor- 
tante. —  "Ville  balnéaire  du  Nord.  —  Ancienne  maison.  —  Facilités  de 
paiement.   —  S'adresser  à  M.  Parvy,  80,   rue  Bonaparte.   Paris. 


En  vente  au  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,   HEUGEL  et  C'°,  iditeurs-propriélai 


CONCERTS     DU     CHATELET 


IPreuxière    autliti 


le    dimatxclae    39    novcnx'brc     1891. 


PAULJPTJQET 

RAVISSEMENT 

Deux    mélodies    chantées   par    M.    M.iNOURY 

EXTRAITES   DES  RECUEILS 

AMOUR    D'HIVER 

ET 

CHANSONS    BRUNES    ET    BLONDES 

DEUX  VOLUMES  IN-S",  CHAQUE,  NET  :  5  FR. 

CONCERTS    DU    CHATELET 

Troisième  audition  le  dimanche  22  novembre  1891 

CONCERTO 

Exécuté  par  M.  LOUIS  DIÉMER 

DE 

Partition  d'orchestre,  prix  net 12  francs. 

Parties  séparées,  prix  net 20      — 

Chaque  partie  supplémentaire,  prix  net 2      — 

VIENT  DE  PARAITRE  : 
CARLOS  de  MESQUITA.  Le  Meilleur  Moment  des  amours,  p'a  net:  1  fr.  50  c. 


IMPRIMEH1£  I 


Dimanche  6  Décembre  1891. 


3167  -  57-  ATOE  -  I\°  49.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonneraeat. 

Cn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMA.IRE- TEXTE 


l.  La  musique  et  ses  représenlants  (1"  article),  Antoine  RuniNSTiiiN. —  II.  Bulletin 
théâtral,  H.  M.  —  III.  Musique  de  table  :  En  Orient  (3'  article),  Edmond  Ni;u- 
KOMM  et  Paul  d'Estiiée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
DANSE    DES    NYMPHES 

de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Danse  slave,  de  Théodore 
Lack.  

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 

de  CHANT  :  le  Poêle  et  le  Fantôme,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet.  —  Suivra 

immédiatement:   Ravissement,  nouvelle  mélodie  de  Paul  Pl'cet,  poésie  de 

Armand  Silvestre,  chantée  par  M.  Manoury  aux  Concerts  du  Chàtelet. 


NOS  PRIMES  ET  NOS  PROJETS 

POUR    L'ANNÉE    1892 


On  trouvera  à  la  81=  page  de  ce  numéro  la  liste  des  Primes  gratuites 

que  nous  offrons  à  nos  abonnés  du  1"',  2«  et  3"  mode  pour  l'année  1892,  la 
cinquante-huitième  de  la  publication  du  MÉNESTREL.  Comme  toujours 
nous  avons  cherché  à  donner  à  ces  primes  le  plus  d'intérêt  et  de  variété 
possible.  On  y  trouve  réunis  les  mélodies  du  maitre  Massenet  et  sa  dernière 
partition  LE  MAGE  ;  une  pantomime  et  un  NOËL  de  Paul  Vidal,  ce  même  Noël 
qui  l'a  placé  de  suite  en  si  grande  évidence;  la  délicieuse  partitionnette  de 
CONTE  D'AVRIL,  de  Ch.-M.  Widor,  dont  le  succès  a  été  si  vif  aux  derniers  concerts 
du  Chàtelet  ;  un  ballet,  LE  RÊVE,  de  M.  Gastinel  ;  une  opérette  de  Victor  Roger  ; 
LA  CHANSON  DES  JOUJOUX,  de  Blanc  et  Dauphin,  recueil  dont  les  cent  dessins- 
aquarelles  d'Adrien  Marie  font  une  véritable  œuvre  d'art;  et  enfin  l'humoriste 
Mac-Nab  lui-même,  avec  le  '2'  volume  de  ses  CHANSONS  DU  CH4T  NOIR  illus- 
trées par  Gerbault,  un  éclat  de  rire  en  douze  chansons.  Voilà  certes  de  la 
diversité. 

Nous  avons  en  préparation,  pour  l'année  prochaine,  nombre  de  travaux 
littéraires  de  nature  à  intéresser  nos  lecteurs  musiciens.  Dès  aujourd'hui, 
nous  avons  la  bonne  fortune  de  leur  offrir  une  étude  à  sensation  d'Antoine 
Rubinstein  sur  LA  MUSIQUE  ET  SES  REPRÉSENTANTS  ;  le  grand  artiste  s'y  exprime 
librement  sur  les  choses  de  son  art,  avec  une  franchise  et  une  fermeté 
qui  indisposeront  peut-être  certaines  gens,  mais  qui  rempliront  d'aise  le 
cœur  des  autres.  Nous  avons  la  coquetterie  de  faire  observer  que  c'est  là 
une  œuvre  complètement  inédite,  une  primeur  de  haut  goût,  dont  M.  Delines 
a  bien  voulu  faire  pour  nous  la  traduction  française  d'après  le  manuscrit 
russe  lui-même.  Nous  terminerons  ensuite  la  curieuse  HISTOIRE  D2  LA 
SECONDE  SALLE  FAVART,  de  MM.  Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe,  si  pleine  de 
documents  pour  l'histoire  de  la  musique,  et  nous  reprendrons  l'HISTOIRE 
ANECDOTIQUE  DU  CONSERVATOIRE  DE  MUSIQUE,  de  M.  André  Martinet,  qu'une 
fâcheuse  indispostion  de  notre  collaborateur  nous  a  contraints  d'inter- 
rompre. On  a  déjà  lu  les  iiremiers  chapitres  d'une  amusante  étude  sur  la 
MUSIQUE  DE  TABLÉ  de  MM.  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée,  ceux-mêmes  qui 
nous  avaient  donné  cette  autre  suite  d'articles  si  attachants  sur  NAPOLÉON 
DILETTANTE,  dont  le  succès  n'a  pas  été  oublié.  Enfin,  M.  Charles  Darcours,  le 
critique  musical  si  remarquable  du  Figaro,  nous  prépare  une  HISTOIRE  DES 
PRIX  DE  ROME,  qui  nous  sera  également  précieuse.  Nous  espérons  ainsi 
continuer  à  mériter  l'estime  et  la  faveur  do  nos  fidèles  abonnés. 


LA  MUSIQUE  ET  SES  REPRÉSENTANTS 

ENTRETIE.N  SUR  LA  MUSIQUE 

P.iR 


M""^  de  ***,  m'ayant  honoré  d'une  visite  à  ma  villa  de 
Peterhof,  exprima  le  désir,  après  les  compliments  d'usage,  de 
visiter  ma  demeure.  Dans  la  salle  de  musique,  elle  remarqua 
sur  les  murs  les  bustes  de  Bach,  de  Beethoven,  de  Schubert, 
de  Chopin  et  de  Glinka  et,  très  étonnée,  me  demanda: 

—  Pourquoi  ces  bustes,  et  pas  ceux  de  Hœndel,  de  Haydn, 
de  Mozart  et  autres  maîtres? 

—  Ces  bustes  sont  ceux  des  maîtres  que  je  vénère  le  plus 
dans  mon  art. 

—  Vous  n'avez  pas  de  vénération  pour  Mozart  ? 

—  L'Himalaya  et  le  Ghimboraço  sont  les  plus  hautes  cimes 
de  la  terre,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  le  mont  Blanc  soit 
une  petite  montagne. 

—  Mais  tous  voient  en  Mozart  cette  cime  dont  vous  parlez, 
car,  dans  ses  opéras,  il  nous  a  donné  ce  que  l'art  musical 
peut  exprimer  de  plus  beau. 

—  Je  considère  l'opéra  comme  un  genre  secondaire  dans  la 
musique. 

—  Alors,  vous  êtes  en  opposition  avec  les  idées  modernes, 
d'après  lesquelles  la  musique  vocale  est  la  plus  haute  expres- 
sion de  l'art  musical. 

—  Oui,  je  suis  en  opposition  avec  ces  idées:  1»  parce  que 
la  voix  humaine  limite  la  mélodie,  ce  que  ne  fait  pas  l'ins- 
trument et  ce  qui  est  une  contrainte  pour  les  libres  disposi- 
tions de  l'âme,  joie  ou  douleur;  2"  parce  que  les  paroles, 
fussent-elles  des  plus  belles,  ne  peuvent  exprimer  les  senti- 
ments qui  remplissent  l'âme,  ce  qu'on  a  appelé  très  justement 
«  r inexprimable  »  ;  3°  parce  que,  dans  la  joie  la  plus  vive  comme 
dans  la  douleur  la  plus  profonde,  l'homme  peut  bien  entendre 
chanter  en  lui-même  une  mélodie,  mais  qu'il  ne  pourra  ni 
ne  voudra  y  adapter  des  paroles;  4°  parce  que  jamais,  dans 
aucun  opéra,  on  n'a  entendu  et  on  n'entendra  le  tragique  que 
nous  trouvons,  par  exemple,  dans  la  seconde  partie  du  trio 
en  ré  majeur  de  Beethoven,  ou  dans  ses  sonates  op.  106, 
seconde  partie^  et  op.  MO,  troisième  partie,  ou  dans  ses  qua- 
tuors pour  instruments  à  cordes,  dans  les  adagios  en  fa  ma- 
jeur, en  mi  majeur  et  fa  mineur,  ou  dans  le  prélude  en  mi 
bémol  mineur  du  «  clavecin  bien  tempéré  »  de  Bach,  ou  dans 
le  prélude  en  i)ii  mineur  de  Chopin,  etc.,  etc..  De  même, 
aucun  Requiem,  même  celui  de  Mozart  (à  l'exception  du  Confu- 
tatis  lacrimosa),  ne  produit  cette  impression  poignante  que 
donne  la  seconde  partie  de  la  Symphome  héroïque  de  Beethoven, 
qui  est  à  elle  seule  tout  un  requiem.  Je  ne  vous  dissimulerai 


386 


LE  MENESTREL 


pas  que,  pour  moi,  l'ouverture  de  Léonore  n"  3  et  l'introduc- 
tion  du  deuxième  acte  de  Fidelio  expriment  ce  drame  avec 
plus  d'intensité  que  l'opéra  tout  entier. 

—  Mais  il  y  a  des  compositeurs  qui  n'écrivent  que  de  la 
musique  vocale.  Est-ce  que  pour  cette  raison  vous  ne  les 
estimez  pas? 

—  Ils  sont  à  mes  yeux  comme  un  homme  qui  n'aurait  que 
le  droit  de  répondre  aux  questions  qu'on  lui  pose  et  nulle- 
ment d'interroger,  ni  d'exprimer  ses  idées  propres. 

—  Pourquoi  donc  tous  les  compositeurs  et  même  Beethoven 
ont-ils  tenu  à  écrire  des  opéras? 

—  Ils  sont  séduits  par  l'espoir  d'être  appréciés  plus 
promptement  du  public  et  aussi  par  cette  idée  qui  les  flatte 
de  voir  des  dieux,  des  rois,  des  évêques,  des  héros,  des 
paysans,  en  un  mot  des  hommes  de  tous  les  pays  et  de  tous 
les  temps,  agir  et  chanter  à  leur  gré,  d'après  leurs  propres 
mélodies.  Mais  pour  moi,  j'apprécie  davantage  la  faculté  que 
possède  le  musicien  de  raconter  lui-même,  sans  passer  par  la 
parole,  leurs  faits,  leurs  gestes  et  leurs  pensées,  et  cela  n'est 
possible  que  dans  la  musique  instrumentale. 

—  Mais  le  public  préfère  l'opéra  à  la  symphonie. 

—  Parce  que  le  public  comprend  plus  facilement  l'opéra. 
Outre  l'intérêt  qu'excite  chez  lui  le  sujet  de  la  pièce  et  la 
marche  de  l'action,  les  paroles  viennent  encore  lui  révéler 
le  sens  de  la  musique  sans  qu'il  puisse  s'y  tromper.  Pour 
goûter  pleinement  une  symphonie,  il  faut  avoir  une  réelle 
initiation  musicale;  une  partie  infime  du  public  a  seule 
cette  compréhension.  La  musique  instrumentale  est  l'âme  de  la 
musique,  mais  il  faut  savoir  pénétrer,  pressentir,  fouiller  cette 
âme  ;  le  public  n'est  pas  toujours  capable  d'un  tel  travail 
de  psychologie.  Les  beautés  des  œuvres  classiques  lui  sont, 
il  est  vrai,  indiquées  dès  l'enfance  par  l'admiration  des  pa- 
rents et  par  les  explications  des  professeurs.  C'est  pourquoi 
il  les  écoute  volontiers  avec  un  enthousiasme  préparé  et  tout 
de  convention.  Mais  s'il  avait  aujourd'hui  à  découvrir  lui- 
même  ces  beautés,  les  œuvres  des  classiques  risqueraient 
fort  de  rester  dans  l'ombre. 

—  Je  vois  que  vos  préférences  sont  toutes  pour  la  musique 
instrumentale. 

—  Pas  exclusivement,  mais  en  tout  cas  au  plus  haut  degré. 

—  Mais  Mozart  aussi  a  écrit  beaucoup  de  musique  instru- 
mentale, et  dans  tous  les  genres. 

—  Et  de  l'infiniment  belle  musique,  mais  le  mont  Blanc 
n'est  pas  une  cime  aussi  élevée  que  le  Ghimboraço. 

—  Pourquoi  alors  les  bustes  de  Chopin  et  de  Gluck? 
«  Comment  Saiil  se  trouve-t-il  au  nombre  des  prophètes   ?  » 

—  Je  risquerai  de  vous  fatiguer  et  de  peu  vous  intéresser 
en  vous  expliquant  tout  cela. 

—  Continuez,  je  vous  prie,  mais  à  condition  que  je  ne  sois 
pas  obligée  d'être  de  votre  avis  en  tout. 

—  Au  contraire,  je  désire  vivement  entendre  vos  objections  ; 
seulement  ne  vous  laissez  pas  effaroucher  par  mes  paradoxes. 

—  Je  vous  écoute. 

—  Je  me  suis  toujours  demandé  si  la  musique  peut,  —  et 
dans  quelle  mesure  —  non  seulement  rendre  l'individualité  et 
l'état  d'âme  du  compositeur,  mais  encore  être  en  quelque  so  rte 
comme  l'écho  du  temps  où  elle  se  produit,  le  reflet  des 
événements  contemporains,  et  même  donner  l'indication  du 
degré  de  culture  de  la  société  qui  l'a  vue  naître.  Je  suis 
arrivé  à  la  conclusion  qu'elle  peut  faire  tout  cela  jusqu'au 
moindre  détail;  on  peut  presque  reconnaître  dans  la  mu- 
sique jusqu'aux  modes  et  aux  costumes  de  son  époque,  sang 
parler  du  «  Zopf  »  (catogan)  qui  est  le  signe  caractéristique 
de  toute  une  période  de  l'art  musical.  Mais  tout  cela  n'est 
possible  qu'à  partir  du  moment  où  la  musique  est  devenue 
une  langue  indépendante  et  non  un  simple  commentaire 
des  paroles,  c'est-à-dire  depuis  l'avènement  de  la  musique 
instrumentale . 

—  Mais  on  dit  que  la  musique  en  général  ne  comporte  pas 
de    caractéristique   précise,    et  que  la    même    mélodie    peu 


aussi  bien  exprimer  la  joie  ou  la  douleur,  selon  le  sens  des 
paroles  qu'on  y  met. 

—  Pour  moi,  la  musique  instrumentale  seule  peut  servir  de 
critérium,  et  je  trouve  que  cette  musique  est  une  langue  en 
son  genre,  une  langue  hiéroglyphique,  une  langue  des  sons.  Il 
suffit  de  savoir  déchiffrer  ces  hiéroglyphes  pour  lire  cou- 
ramment ce  que  le  compositeur  a  voulu  exprimer.  Reste 
alors  le  commentaire,  et  c'est  en  quoi  consiste  la  tâche  de 
l'exécutant.  Ainsi,  dans  la  sonate  en  mi  bémol  majeur  op.  81 
de  Beethoven,  la  première  partie  est  intitulée  les  Adieux.  Pourtant^ 
le  caractère  du  premier  allegro,  après  l'introduction,  ne  répond 
pas  à  l'idée  qu'on  se  fait  généralement  de  la  douleur  des 
adieux.  Que  devons -nous  lire  dans  ces  hiéroglyhes  ? 
L'agitation  et  les  préparatifs  qui  précèdent  un  voyage,  les 
adieux  sans  fin,  la  sympathie  de  ceux  qui  restent,  les  diffé- 
rentes idées  qu'évoque  un  long  voyage,  les  souhaits  de 
bonheur,  et  enfin  tous  les  sentiments  qu'on  ressent  quand  on 
quitte  un  être  aimé.  —  La  seconde  partie  est  intitulée 
V Absence;  si  l'exécutant  est  capable  de  rendre  l'angoisse  et  la 
douleur  poignantes,  il  n'a  pas  besoin  d'autres  commentaires. 
—  Dans  la  troisième  partie,  le  Retour,  l'interprète  doit  détailler 
pour  l'auditoire  tout  un  poème  sur  la  joie  du  revoir.  Le  pre- 
mier thème  est  d'une  tendresse  ineffable  (on  y  voit  presque  le 
regard  humide  de  bonheur  du  retour);  ensuite  vient  le  con- 
tentement de  se  retrouver  fort  et  en  santé,  l'intérêt  avec  le- 
quel on  écoute  le  récit  des  aventures  et  de  la  vie  qu'on  a 
menée  pendant  la  séparation,  et  avec  cela  toujours  et  tou- 
jours: «  Quel  bonheur  de  nous  revoir,  maintenant  tu  ne 
m'abandonneras  plus,  je  ne  te  laisserai  plus  partir!  etc.,  etc.  » 
Vers  la  fin  encore  un  regard  de  tendresse,  puis  des  embras- 
sements  et  le  bonheur  complet.  Peut-on  après  cela  nier  que 
la  musique  soit  une  langue?  Sans  doute,  si  l'on  se  contente 
de  jouer  la  première  partie  dans  un  mouvement  vif,  la  se- 
conde dans  un  mouvement  lent  et  la  troisième  de  nouveau 
dans  un  temps  rapide.  Si  l'exécutant  n'éprouve  aucune  néces- 
sité d'exprimer  quelque  chose,  alors,  en  effet,  la  musique 
instrumentale  n'exprime  rien  et  la  musique  vocale  seule  peut 
rendre  les  sentiments  humains.  Prenons  encore  pour  exemple 
la  Ballade  en  la  majeur  n"  2  de  Chopin.  Est-il  possible  que 
l'exécutant  ne  songe  pas  à  montrer  successivement  par  son  jeu 
à  l'auditoire:  d'abord  une  fleur  des  champs,  puis  le  souffle 
du  vent,  la  causerie  du  vent  avec  la  fleur,  la  résistance  de 
la  fleur,  les  emportements  du  vent,  les  supplications  de  la 
fleur  qui  demande  qu'on  l'épargne,  et  enfin  son  agonie.  On 
pourrait  encore  l'interpréter  de  cette  façon  :  la  fleur  des 
champs  deviendrait  une  belle  de  village,  et  le  vent  un 
jeune  chevalier  qui  passe.  Tout  morceau  de  musique  ins- 
trumentale peut  être  expliqué  de  la  sorte. 

—  Alors,  vous  êtes  partisan   de  la  musique   à  programme? 

—  Pas  tout  à  fait.  Je  suis  pour  laisser  à  l'auditeur  un  pro- 
gramme à  deviner,  mais  non  pour  lui  imposer  un  programme 
déterminé  à  l'avance.  Je  suis  persuadé  que  tout  compositeur 
non  seulement  écrit  dans  un  certain  ton,  une  certaine  me- 
sure et  avec  un  certain  rythme  ;  mais  encore  qu'il  met  dans 
son  œuvre  une  certaine  disposition  d'âme,  c'est-à-dire  un 
programme  avec  la  conviction  que  l'exécutant  et  l'auditeur 
sauront  le  pénétrer.  Souvent,  il  donne  à  son  œuvre  un  titre  gé- 
néral qui  est  une  indication  pour  l'exécutant  et  pour  l'auditeur; 
c'est  d'ailleurs  tout  ce  qu'il  faut,  car  on  ne  peut  prétendre 
exprimer  par  la  parole  tous  les  détails  d'un  sentiment.  C'est 
ainsi  que  je  comprends  la  musique  à  programme  et  non 
comme  une  imitation  voulue,  à  l'aide  des  sons,  de  certaines 
choses  ou  de  certains  événements.  Cette  imitation  n'est 
admissible  que  dans  le  genre  naïf  ou  comique. 

—  Mais  la  Symphonie  pastorale  de  Beethoven  est  une  onoma- 
topée musicale. 

—  La  «  Pastorale  »,  dans  la  musique   occidentale  (1),  est 


(1)  La  Pastorale  russe,  c'est-à-dire  la  musique  villageoise   de  ce  pays 
est  d'un  tout  autre  caractère,  restant  avant  tout  une  musique  chorale. 


LE  MÉNESTREL 


387 


une  caractéristique  déterminée  de  la  vie  champêtre  simple, 
gaie,  gauche  et  un  peu  rude,  qui  est  exprimée  par  une 
quinte  tenue  sur  la  tonique  de  la  basse,  sous  forme  de  point 
d'orgue.  L'imitation  dans  la  musique  des  phénomènes  de  la 
nature,  comme  l'orage,  le  tonnerre,  l'éclair,  etc.,  etc.,  est 
précisément  une  de  ces  naïvetésdont  je  viens  de  parler  et  qui 
■est  cependant  admise  dans  l'art,  ainsi  que  l'imitation  du 
coucou  et  du  gazouillement  des  oiseaux,  etc.,  etc.  En  dehors 
de  ces  imitations,  la  symphonie  de  Beethoven  ne  rend  que 
la  disposition  d'âme  des  villageois  et  de  la  nature,  et  voilà 
pourquoi  cette  symphonie  est  une  musique  à  programme 
dans  l'acception  la  plus  logique  du  terme. 

—  Mais  le  monde  romantique,  fantastique  —  comme  les 
elfes,  les  sorcières,  les  fées,  les  ondines,  les  sirènes,  les 
gnomes,  les  démons,  les  bons  et  les  mauvais  génies  —  ne 
serait  pas  saisi  sans  programme  dans  son  expression  musi- 
cale. 

—  C'est  tout  à  fait  juste,  car  l'existence  de  ce  monde  fan- 
tastique repose  précisément  sur  la  naïveté  de  l'auteur  et  des 
auditeurs. 

—  Pourquoi  alors,  toute  œuvre  musicale  de  notre  temps 
(à l'exception  de  celles  dont  le  nom  indique  la  forme,  comme 
la  sonate)  a-t-elle  un  titre,  c'est-à-dire  une  dénomination 
programmatique  ? 

—  Dans  la  plupart  des  cas,  c'est  pour  satisfaire  à  un  désir 
des  éditeurs.  Ils  demandent  aux  compositeurs  de  baptiser 
leurs  œuvres  pour  épargner  au  public  la  peine  de  chercher 
le  sens  du  morceau.  En  outre,  certaines  dénominations 
comme  :  nocturne,  romance,  impromptu,  barcaroUe,  caprice, 
sont  devenus  des  noms  stéréotypés,  qui  facilitent  au  public 
la  compréhension  et  l'exécution  du  morceau  ;  sans  cela,  ces 
•œuvres  risqueraient  d'être  baptisées  par  le  public  lui-même, 
■et  il  suffit  d'un  exemple,  celui  de  la  Sonate  du  clair  de  lune  de 
Beethoven,  pour  voir  à  quels  contresens  ridicules  cela  pour- 
rait conduire.  Le  clair  de  lune  demande  en  effet  dans  son 
expression  musicale  quelque  chose  de  rêveur,  de  mélanco- 
lique, de  pensif,  de  paisible,  en  un  mot  de  tendrement  lu- 
mineux. Or,  la  première  partie  de  la  sonate  en  m«  dièse  mineur 
est  tragique  de  la  première  jusqu'à  la  dernière  note  (ce  qui 
est  d'ailleurs  indiqué  par  le  mode  mineur),  et  par  là-même 
•représente  bien  plutôt  un  ciel  couvert  de  nuages  —  une  sombre 
■disposition  d'âme  ;  la  dernière  partie  est  orageuse,  passion- 
née, par  conséquent  tout  l'opposé  d'une  tendre  clarté  ;  il 
n'y  a  que  la  seconde  partie,  très  courte,  qui  puisse,  à  la 
rigueur,  rappeler  le  rayonnement  discret  de  la  lune,  et  pour- 
tant c'est  cette  sonate  qu'on  a  surnommée  Sonate  du  clair  de 
lune  ! 

—  Vous  trouvez  alors  que  les  titres  donnés  par  les  com- 
positeurs sont  les  seuls  justes  ? 

—  Non,  je  ne  dirai  pas  cela.  Je  ne  saisis  pas  entière- 
ment les  dénominations  données  par  Beethoven  à  ses  œuvres, 
à  l'exception  de  la  Symphonie  pastorale  et  de  la  sonate  les 
Adieuœ,  l'Absence  et  le  Retour.  J'accorde  qu'il  a  le  plus  souvent 
dénommé  ses  œuvres  d'après  le  caractère  d'une  seule  de  leurs 
parties,  d'un  seul  motif  ou  d'un  seul  épisode.  Ainsi  la  Sonate 
pathétique  a  sans  doute  été  ainsi  nommée  seulement  à  cause  de 
son  introduction,  et  de  la  répétition  épisodique  qui  se  trouve 
dans  la  première  partie.  Car  le  thème  du  premier  allegro  est 
d'un  caractère  vif  et  dramatique,  et  le  second  thème,  avec 
ses  «  mordente  »,  est  de  tous  les  caractères  qu'on  voudra, 
■excepté  du  caractère  pathétique.  Et  qu'y  a-t-il  de  pathétique 
dans  la  dernière  partie  ?  Seule,  la  seconde  partie  de  la  sonate 
pourrait,  si  Ton  veut,  en  justifier  le  titre.  —  Je  pourrais  en 
dire  autant  de  la  Symphonie  héroïque.  L'expression  musicale 
de  l'idée  d'héroïsme  exige  de  la  bravoure,  de  l'éclat,  de  la 
majesté  ou  du  tragique.  Or,  la  première  partie  n'a  aucun 
caractère  tragique,  ce  qui  est  déjà  indiqué  par  le  mode 
majeur.  De  même,  la  mesure  à  3/4  est  en  contradiction 
avec  le  caractère  tragi-héroïque.  En  outre,  le  legato  du 
premier  thème  indique  clairement  son    lyrisme.   Le  second 


thème  a  un  caractère  intime...,  le  troisième  est  triste.  La 
symphonie  a  des  passages  de  «  forte  »,  mais  cela  ne  prouve 
rien  ;  on  trouve  aussi  des  passages  forts  dans  des  œuvres  de 
caractère  mélancolique.  Une  composition  dont  tous  les 
thèmes  sont  de  caractère  antihéroïque  peut-elle  donc  être 
nommée  héroïque?  La  troisième  partie  de  la  symphonie 
est  de  caractère  gai,  et  même  de  caractère  cynégétique. 
Dans  la  dernière  partie,  le  thème  (qui  aurait  pu  être  du 
caractère  héroïque,  s'il  était  introduit  par  les  cuivres  <  forte») 
se  présente  avec  des  variations  dont  deux,  tout  au  plus,  ont  le 
caractère  héroïque.  Ainsi,  le  nom  d'héroïque  a  sans  doute  été 
donné  à  cette  symphonie  uniquement  d'après  le  caractère 
de  la  seconde  partie  qui,  en  effet,  répond  entièrement  à  ce 
titre,  mais  dans  le  sens  tragique.  Cela  nous  prouve  qu'à 
cette  époque  on  pouvait  donner  à  une  œuvre  un  titre  auquel 
ne  répondait  qu'une  partie  de  l'œuvre.  Aujourd'hui,  nous 
en  jugeons  différemment,  peut-être  avec  plus  de  raison  :  le 
caractère  de  l'œuvre  doit  être  en  harmonie  avec  son  titre 
du  commencement  à  la  fin. 

(Traduit  du  manuscrit  russe  par  Michel  Delines.) 

(A  suivre.) 


BULLETIN   THÉÂTRAL 


A  rOpÉRA,  la  direction  sortante  renonce  au  ridicule  de  donner, 
le  31  décembre,  un  festival  en  son  propre  honneur.  Elle  garde  ses 
«  grands  artistes  »  pour  une  meilleure  occasion,  celle  de  la  centième 
représentation  de  Sigurd,  qui  est  proche.  Cela  vaut  infiniment  mieux, 
et  nous  estimons  que  ces  artistes  seront  plus  à  leur  aise  pour  chanter 
la  noble  partition  de  M.  Ernest  Reyer  que  pour  célébrer  la  gloire 
de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  ce  qui  n'eût  pu  aboutir  qu'à  une  série 
de  couacs  lamentables. 

La  direction  entrante  prépare  tout  doucement  sa  prise  de  pos- 
session pour  le  1"  janvier.  M.  Bertrand  essaie  déjà  ses  plus  gracieux 
sourires  et  M.  Campocasso  a  commandé  un  habit  de  gala  chez  un 
tailleur  à  la  mode.  Cet  habit  de  fête,  si  on  en  croit  des  bruits  de 
coulisses,  M.  Gailhard  voudrait  bien  l'endosser  à  sa  place.  Mais 
M.  Bertrand  est  un  esprit  trop  fin  pour  le  laisser  faire  et  s'associer 
un  collaborateur  dont  le  poids  d'impopularité  ne  pourrait  que  faire 
chavirer  sa  barque,  dès  la  sortie  du  port. 

A  rOpÉRA-CoMiQUE,  peu  d'histoire,  donc  théâtre  heureux.  Les  résul- 
tats de  la  reprise  de  Manon  sont  surprenants.  Les  «  maximums  » 
s'entassent  sur  les  «  maximums  »,  et  on  n'en  voit  pas  la  fin.  Malheu- 
reusement M""  Sanderson,  la  fée  aux  œufs  d'or  du  théâtre,  va 
quitter  Paris  au  commencement  de  janvier  pour  remplir  l'engage- 
ment qui  la  lie  pour  deux  mois  à  l'Opéra  de  Pétersbourg.  Manon 
s'en  va,  mais  elle  nous  reviendra  promptement. 

Les  représentations  de  Cavalleria  rusticana,  l'opéra  talisman  qui 
révolutionne  en  ce  moment  les  deux  hémisphères,  sont  retardées 
par  suite  d'un  peu  de  fatigue  de  M""  Calvé,  sa  principale  interprète. 
En  attendant,  on  nous  a  servi  deux  reprises  d'Haydée  et  de  Lalla 
Rouhh,  qui  réalisent  de  belles  recettes.  Voilà  qui  est  fait  pour  dé- 
concerter les  prophètes  de  Wagner. 

Nous  avons  eu,  cette  semaine,  les  premières  soirées  d'abonnement 
du  jeudi  et  du  samedi.  Salles  bondées  et  extrêmement  sélect.  On 
se  serait  cru  aux  «  Italiens  »  de  l'ancienne  salle  Ventadour.  Manon 
et  M"°  Sanderson  étaient  de  la  fête,  et  on  a  fort  acclamé  la  partition 
et  sa  ravissante  interprète.  M.  Carvalho,  le  gentleman  directeur, 
entend  se  mettre  à  la  hauteur  d'une  si  belle  clientèle,  et  il  a  fait 
dans  les  coulisses  et  à  l'entrée  de  son  théâtre  des  aménagements 
nouveaux  d'un  confortable  très  apprécié.  De  plus,  il  admet  les  dames 
aux  fauteuils  d'orchestre,  à  la  condition  qu'elles  ne  portent  pas  la 
colonne  Vendôme  sur  leur  tète. 

Quoi  encore?  On  pense  à  Kassya  et,  à  ce  propos,  les  journaux  ont 
bien  mal  raconté  comment  aujourd'hui  M.  Massenet  se  trouve  sub- 
stitué à  M.  Guiraud  pour  terminer  l'orchestration  de  l'opéra  de  Léo 
Delibes.  Nos  confrères,  assurément  mal  informés,  laissaient  entendre 
qu'il  y  avait  eu  des  discussions  d'intérêt  entre  M.  Guiraud  et  l'édi- 
teur de  l'ouvrage  et  que,  finalement,  on  n'avait  pu  parvenir  à  s'en- 
tendre, tandis  qu'au  contraire  M.  Guiraud  a  fait  preuve  dès  le 
début  de  cette  affaire  du  plus  complet  désintéressement.  Seulement, 
il  fallait  être  prêt    à    tout    événement  et   pour   cela   marcher   vite. 


388 


LE  MEiNESTlŒL 


M.  Guiraud  n'eut  peut-être  pas  demandé  mitus,  mais  il  avait  lui- 
même  sur  le  chantier  un  grand  ouvrage  en  collaboration  avec  un  poète 
pratique  (^il  yen  a),  qui  n'a  pas  voulu  laisser  de  répit  au  compositeur,  et 
voilà  comment  M.  Guiraud  s'est  vu  dans  la  nécessité  de  prier  son 
ami  M.  Massonet  de  bien  vouloir  le  suppléer  en  la  circonstance. 
Celui-ci  y  a  consenti  avec  une  grande  abnégation  et  au  mépris  même 
de  tous  ses  intérêts,  tant  il  a  senti  qu'il  y  avait  là  un  devoir  à 
remplir  envers  la  mémoire  de  Delibes,  qui  avait  été  pour  lui,  durant 
la  vie,  un  compagnon  dévoué  et  rempli  d'aflection.  Et  voilà  comme 
tout  simplement  un  ami  se  trouve  substitué  à  un  autre  pour  terminer 
la  tâche  d'orchestration  laissée  inachevée  par  notre  pauvre  et  cher 
Delibes. 

Il  était  bon  que  les  faits  fussent  rétablis  dans  leur  entière  vérité. 

H.    MORENO. 


MUSIQUE  DE   TABLE 

(Suite.) 


Il 
EN  ORIENT 


L'auteur  de  la  Noce  juive  au  Maroc  nous  a  conduits  aux  pays  enso- 
leillés ,  restons-y.  Aussi  bien,  un  autre  peintre  de  la  même  époque, 
Hippolj'te  Flandrin,  nous  mènera,  d'un  coup  de  plume,  dans  le 
royaume  des  contes  et  des  rêves,  —  nous  avons  nommé  la  Perse,  — 
où  le  décorateur  de  Saint-Vincent-de-Paul  accompagna  une  ambas- 
sade française  en   1840. 

Durant  son  séjour  à  Téhéran,  notre  compatriote  prit  part  à  une 
fête  en  l'honneur  de  notre  envoyé,  qui  eut  lieu  dans  un  des  plus 
beaux  palais  de  la  ville. 

»  Ce  fut,  nous  apprend  Flandrin,  un  très  grand  dîner,  auquel 
avaient  été  conviés  tous  les  hauts  fonctionnaires  et  plusieurs  khans 
attachés  au  service  du  roi. 

»  Le  repas  fut  très  gai,  et  nous  fûmes  très  cordialement  traités 
par  les  Persans  auxquels  nous  étions  mêlés.  La  musique  d'un  régi- 
ment de  la  garde,  qui  n'était  vraiment  pas  mauvaise,  joua  tout  son 
répertoire  pendant  le  dîner.  L'ordonnateur  de  la  fête  avait  eu  la  bizar- 
rerie de  suspendre,  par  des  fils  invisibles,  au  plafond,  un  soldat  assis 
sur  un  tonneau  où  il  jouait  du  fifre;  ce  malheureux  abusait  des  sons 
aigres  de  son  instrument  et  nous  assourdissait. 

»  Pendant  ce  temps-là,  de  jeunes  danseuses  tournaient  autour  de 
la  table  en  dansant  et  s'accompagnant  de  leurs  castagnettes  de 
cuivre.  Le  bruit  et  le  vin,  que  les  musulmans  ne  se  refusaient  pas, 
en  grisèrent  un  grand  nombre  ;  et  plus  d'un  pouvait  à  peine  tenir 
son  verre  quand  la  santé  du  Shah  fut  portée  par  l'ambassadeur.   <> 

De  tout  temps,  les  Perses  furent  grands  amateurs  de  musique,  et 
de  musique  bruyante,  comme  tous  les  Orientaux.  Un  ambassadeur 
d'Espagne  au  dix-septième  siècle,  don  Garcia  Figueron,  nous  a  laissé 
cette  description  de  leur  instrument  favori  : 

»  Leurs  tambours  de  Biscaye,  dit-il,  sont  de  la  forme  des  sas  dont 
l'on  sasse  la  farine  en  Espagne,  sinon  qu'ils  sont  beaucoup  plus  grands, 
et  que  le  cercle  qui  les  ceint  n'est  pas  si  large,  ayant  sur  le  côté  une 
peau  clouée  sur  le  bord  et  tendue  comme  celle  de  nos  tambours;  et 
c'est  là  que  ceux  qui  en  jouent  touchent  des  doigts  de  toute  leur  force. 
Il  est  découvert  de  l'autre  côté  et  sans  peau,  et  il  a,  à  l'entour,  le 
cercle  chargé  de  sonnettes  do  cuivre.  Il  y  a  grande  apparence  que 
cet  instrument  barbare,  et  ordinaire  néanmoins  par  tout  l'Orient,  a 
passé  en  Espagne  avec  les  Maures,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  long- 
temps que  l'on  s'en  servait  en  plusieurs  villages  de  l'Estramadure, 
en  tous  les  festins  et  en  toutes  les  assemblées  de  paysans.  Mais  il 
est  si  commun  en  Perse,  et  les  Persans  trouvent  son  harmonie  si 
charmante,  que  le  roi  même  ne  fait  pas  de  festins  ou  d'assemblées 
de  divertissements,  qu'il  ne  fasse  venir  quantité  de  danseuses  qui  le 
divertissent  au  son  de  cet  instrument.  » 

Vers  le  même  temps,  un  autre  diplomate.  Thomas  Herbert,  put 
apprécier  les  mérites  du  tambour  persan,  auquel  se  mêlaient  une 
foule  d'autres  instruments  non  moins  charivariques.  Voici  comment 
il  raconte  son  débarquement  à  Laar,  ville  située  sur  le  golfe  Per- 
sique  : 

«  Le  Cousy,  les  Calentes  et  quelques-uns  des  principaux  de  la  cité 
vinrent  au-devant  de  nous  et  nous  apportèrent  un  présent  de  vin 
de  Schiraz  et  plusieurs  autres  rafraîchissants.  A  peine  avions-nous 
cheminé  un  demi-mille  plus  avant,  qu'un  vieux  poète  fit  et  chanta 
des  vers  à  notre  louange,  auxquels  répondait  un   bruit  enragé  de 


leurs  timbales  et  autres  inslruments  barbares,  de  sonnettes,  tam- 
bours, cymbales  de  cuivre,  flûtes  et  autres,  qui  faisaient  un  tinta- 
marre qui  nous  ôtourdissail,  en  sorte  que  nous  n'eussions  pu  ouïr 
le  tonnerre.  Cette  musique  était  accompagnée  d'un  ballet  composé' 
de  plusieurs  danseuses  qui  accommoiaient  la  cadence  à  ce  beau  con- 
cert, et  d'une  beuverie  excessive  de  quelques  gens,  qui,  après  avoir 
vidé  leurs  bouteilles,  les  cassaient  les  unes  contre  les  autres,  et 
tenaient  par  ce  moyen  leur  partie  en  cette  musique,  aussi  bien  que 
les  mulets  et  les  ânes,  dont  le  braiement  n'est  guère  plus  désagréable 
que  tout  le  resle.   » 

De  Perse  en  Tartarie,  la  distance  n'est  pas  grande,  —  les  Russes 
se  sont  même  chargés  de  la  réduire.  Que  n'évoque  pas  le  souvenir 
du  grand  Khan  de  Tartarie,  faisant  sonner  ses  trompettes  aux  quatre 
coins  de  son  palais,  pour  annoncer  au  monde  qu'il  avait  dîné  et 
que  le  resle  des  rois  de  la  terre  pouvait  se  mettre  à  table!  Mainte- 
nant il  y  a  des  sous-préfefs  chez  les  Tartares,  et  quand  leurs 
administrés  donnent  un  grand  dîner,  il  leur  arrive  par  voie  ferrée, 
tout  cuit,  de  chez  Chevet,  qui  le  leur  doit  bien,  pour  leur  inven- 
tion de  l'anguille...  à  la  Tarlare. 

Au  temps  de  saint  Louis  ce  mets  délectable  n'existait  pas,  et 
cependant  la  civilisation  européenne  avait  déjà  pénétré  dans  la 
Grande  Tarlaiie;  car  l'ambassadeur  du  roi  Très  Chrétien,  le  moine 
franciscain  Rubruquis,  rencontra  dans  ce  pays,  encore  peu  connu, 
deux  Français  :  un  Picard  orfèvre  et  une  Bretonne  fermière. 

Il  s'arrêta  chez  ces  braves  gens  et  y  fut  bien  traité.  Cette  villé- 
giature le  reposa  même  des  rudes  assauts  auxquels  son  estomac  se- 
trouvait  livré  depuis  quelques  temps. 

«  D'ordinaire,  nous  apprend  notre  compatriote,  ils  boivent  une 
eau  faite  de  riz,  de  millet  et  de  miel,  très  claire,  quelquefois  du 
vin  qu'on  importe  de  pays  très  éloignés;  mais,  l'été,  ils  ne  se  sou- 
cient que  d'ingurgiter  du  Cosmos  (du  Koumis),  dont  il  y  en  a  toujours 
de  prêt  à  l'entrée  de  la  porte;  et  près  de  là,  il  y  a  nu  joueur 
d'instrument  avec  sa  guitare.  Je  n'y  ai  point  vu  de  nos  cistres  et 
violes;  mais  ils  ont  beaucoup  d'autres  instruments  que  nous  n'avons 
point. 

«Quand  ils  commencent  à  boire,  un  des  serviteurs  crie  tout  haut 
ce  mot  :  Ah!  et,  soudain,  le  ménétrier  joue  de  son  instrument; 
mais,  quand  c'est  en  une  grande  fête,  ils  frappent  tous  des  mains 
et  dansent  au  son  de  la  guitare,  les  hommes  devant  le  maître  et  les 
femmes  devant  la  maîtresse.  Après  que  le  maître  a  bu,  l'échanson 
s'écrie,  comme  auparavant  :  Ali!  et  le  ménétrier  se  tait;  et  lors  tous- 
les  hommes  et  femmes  boivent  par  tour,  et  quelquefois  à  qui  mieux 
mieux,  mais  fort  salement  et  vilainement.  » 

Le  signal  se  donne  parfois  d'une  façon  assez  pittoresque,  comme 
il  ressort  de  celte  description  d'une  fontaine  d'argent,  fabriquée 
sans  doute  par  Picard  : 

«  C'était  un  grand  arbre  tout  en  argent,  au  pied  duquel  étaient 
quatre  lions,  aussi  en  argent,  ayant  chacun  un  canal  d'où  sortait  du 
lait  de  jument.  Quatre  pipes  étaient  cachées  dans  l'arbre,  montant 
jusqu'au  sommet.  Sur  chacun  de  ces  canaux  il  y  avait  dos  serpents 
doiés,  dont  les  queues  venaient  environner  les  branches.  De  l'une 
de  ces  pipes  coulait  du  vin,  de  l'autre  du  caracosinos,  de  la  troisième 
du  bail  ou  boisson  faite  de  miel,  et  de  la  dernière  de  la  terracine 
(eau  de  riz).  Au  pied  de  l'arbre,  chaque  boisson  avait  son  vase 
d'argent  pour  la  recevoir.  Entre  ces  quatre  canaux,  tout  en  haut, 
était  un  ange  d'argent,  tenant  une  trompette  que  l'on  devait  faire 
sonner  avec  des  soufflets,  lorsque  le  moment  de  boire  serait  arrivé.  » 

La  veille  de  la  Pentecôte,  par  ordre  du  Grand  Khan  de  Tartarie 
Mangu-Cham,  il  y  eut  une  discussion  religieuse  entre  Rubruquis  et 
trois  secrétaires  du  prince  de  trois  sectes  différentes,  qui  eurent 
droit  de  réunir  leurs  partisans.  Mais  le  souverain  avait  pris  soin 
d'ordonner  «  sous  peine  de  mort  >>  que  la  discussion  fût  courtoise. 
Le  moine  eut,  paraît-il,  la  palme  du  triomphe  :  il  convainquit  ses 
adversaires  par  la  puissance  de  son  argumentation  ;  puis,  tout  le 
monde  se  mit  à  chanter  et  à  boire  largement. 

Nous  ne  quitterons  pas  ces  zones  enchantées  de  la  grande  et  de 
la  petite  Tartarie  sans  évoquer  le  souvenir  de  Tamerlan.  Celui-là 
savait  donner  des  fêtes  telles  que  nous  n'en  saurions  retracer  de 
pareilles  au  cours  de  ces  articles.  Après  le  départ  de  Bajazel,  le- 
Roi  des  Rois,  devenu  maître  tout-puissant  de  l'Orient  jusqu'aux 
murailles  de  la  Chine,  voulut  se  délasser  pendant  deux  mois,  durant 
lesquels  tout  son  peuple  fût  en  liesse.  Il  avait,  on  en  conviendra, 
bien  gagné  ce  repos. 

La  fête  royale  fut  célébrée  à  Samarkande,  dans  une  sorte  d'Eden, 
au  milieu  de  jardins  immenses,  au  centre  desquels  un  architecte 
avait,  spécialement  pour  cette  circonstance  improvisé  un  palais  de 
marbre   d'une  richesse  inouïe.   Los  colonnes  étaient    couvertes  de 


LE  MENESTREL 


389 


pierreries,  el  l'on  maioliait  sur  des  parquets  d'ébène  el  d'ivoire. 
Pour  les  invités,  qui  étaient  accourus  de  Chine,  de  Russie,  des 
Indes  et  d'Egypte,  on  avait  dressé  deux  cents  lentes,  dont  chacune 
était  soutenue  par  douze  colonnes  d'argent  doré.  Tout  autour  de 
cette  ville  d'or  et  de  brocart  se  dressaient  de  somptueuses  bou- 
tiques, où  s'entassaient  les  produits  les  plus  raffinés  de  l'art  orien- 
tal, objets  précieux,  parures,  perles,  bijoux,  parmi  lesquels  chacun 
avait  droit  de  choisir  â  sa  fantaisie.  Des  représentations  drama- 
tiques et  des  concerts  se  succédaient  sans  inlerruplion  sur  cent 
théâtres  à  la  fois  ;  des  cortèges  d'hommes  et  de  femmes,  déguisés 
en  anges,  en  fous,  en  fauves  et  en  brebis,  circulaient  le  soir,  au 
son  des  instruments  et  à  la  clarté  de  milliers  de  lumières  ;  enfin,  de 
tous  côtés,  des  baladins,  des  charmeurs  de  serpents  et  des  jongleurs 
organisaient  leurs  tours  en  plein  vent. 

Trois  fois  par  jour,  ce  monde  entier  se  mettait  à  table.  Les 
champs,  les  prés  disparaissaient  sous  les  nappes,  sous  les  dressoirs 
chargés  de  vaisselle  et  de  victuailles.  On  avait  abattu  des  forêts 
entières  pour  cuire  la  venaison.  Et  l'on  buvait,  au  son  des  or- 
chestres et  au  spectacle  des  danses  exécutées  par  des  régiments 
entiers  de  bayadères,  le  koumis,  l'hydromel  et  le  vin  étendu  de 
gelées,  dans  des  coupes  d'or  enrichies  de  pierres  précieuses. 

Un  édit  du  prince  avait  ordonné  pour  loule  la  durée  de  cette  fêle 
la  concorde  générale  et  la  liberté  la  plus  entière,  la  déférence  des 
riches  pour  les  pauvres  et  la  douceur  des  puissants  envers  les  fai- 
bles. Aucun  incident  n'en  troubla  donc  la  majesté. 

La  relation  de  l'envoyé  de  saint  Louis,  dont  nous  avons  fait  men- 
tioQ  plus  haut,  date  de  1233  ;  mais  elle  ne  fat  imprimée  qu'en  1634, 
époque  à  laquelle  on  commençait  à  s'occuper  des  pays  d'extrême- 
Orient,  el  surtout  de  la  Tarlarie,  qui  en  élait  l'ouvrage  avancé.  Un 
peu  plus  lard,  le  grand  roi,  qui  avait  envoyé  des  ambassadeurs 
extraordinaires  en  Chine  pour  se  rendre  compte  des  maguificenees 
de  la  cour  de  Pékin,  dont  l'entretenaient  chaque  jour  des  relations 
de  voyage,  recherchait  tous  les  documents  propres  à  le  renseigner 
sur  un  pays  et  un  prince  qui  excitaient  si  fort  sa  curiosité.  En- 
tre autres  pièces  qui  lui  furent  soumises  se  trouvaient  les  lettres 
d'un  père  jésuite  relatant  un  voyage  qu'il  avait  entrepris  dans  la 
Tartarie  occidentale,  à  la  suite  de  l'empereur  de  la  Chine. 

Ces  lettres,  qui  furent  publiées  en  1682,  sont  d'une  lecture  at- 
trayante. On  voit  que  le  R.  P.  Verbiest  fut  loin  de  s'ennuyer  en 
compagnie  du  céleste  souverain  ;  mais  il  faut  dire  que  celui-ci  n'a- 
vait négligé  aucune  attraction  propre  à  tromper  les  longueurs  de  la 
route.  U  avait  notamment  emmené  toute  sa  musique,  composée  de 
tambours,  trompettes,  timbales  et  autres  instruments,  «  qui  for- 
maient des  concerts  pendant  qu'il  était  à  table,  et  au  bout  desquels 
il  entrait  dans  son  palais  et  en  sortait  ». 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (  3  décembre  ).  —  La  marche  du 
répertoire  de  la  Monnaie  a  subi  quelque  contrariété,  en  ces  derniers  jours, 
parsuile  d'une  indisposition  assez  persistante  dont  souffre  notre  excellent 
ténor,  M.  Lafarge.  Après  avoir  essayé  vainement  de  la  surmonter,  l'artiste 
s'est  vu  forcé  de  prendre  un  repos  nécessaire  et  d'aller  se  soigner  à  Pa- 
ris. Cela  retarde  la  reprise  de  Lohengrin  et  a  retardé  aussi  celle  de  Don 
Juan.  La  direction,  en  attendant  le  rétablissement  de  M.  Lafarge,  s'est  vue 
forcée  de  faire  appel  à  un  autre  ténor  pour  le  remplacer  momentanément, 
et  elle  a  engagé  M.  Duzas.  La  reprise  de  Don  Juan  a  donc  pu  avoir  lieu 
hier,  M.  Duzas  chantant  le  rôle  de  don  Otiavio,  et  le  chantant  de  façon  à 
faire  regretter  plus  que  jamais  que  M.  Lafarge  fût  indisposé.  Heureusement, 
le  rôle  a  peu  d'importance  et  tout  le  reste  a  bien  marché.  M"°  Carrère 
a  retrouvé  son  grand  succès  de  l'an  dernier  dans  le  rôle  d'Elvire,  où  elle 
met  un  style  et  un  sentiment  remai-quables  ;  M.  Sentein  est  resté  un  très 
amusant  Leporello  et  M"'=  de  Nuovina  une  Zerline  toujours  gracieuse.  L'in- 
térêt de  cette  reprise  était  surtout  d'entendre  M.  Badiali  dans  le  rôle  de 
Don  Juan,  chanté  ici  l'hiver  dernier  si  excellemment  par  M.  Bouvet  :  il  a 
été  excellent  aussi,  de  façon  très  différente,  avec  plus  de  sobriété  et  non 
moins  d'autorité,  donnant  au  personnage  une  allure  plutôt  sérieuse  que 
fringante,  accusant  les  grandes  lignes  plutôt  que  s'attardant  aux  menus 
détails;  et,  avec  cela,  une  voix  charmante.  Le  succès  du  jeune  artiste, 
mis  désormais  en  plein  relief,  a  été  très  vif.  On  a  beaucoup  applaudi  aussi 
M"=  Chrétien  dans  dona  Anna  ;  il  s'en  faut  cependant  que  ce  soit  pour 
son  style  et  les  qualités  de  sentiment  et  d'émotion  qu'on  eût  souhaitées; 
sa  belle  voix  a  sur  le  parterre  une  action  puissante,  et  c'est  elle  seule  qui 
a  tout  fait,  cette  fois  encore  ;  seulement,  M"=  Chrétien  agirait  avec  prudence 
en  la  ménageant  un  peu,  et  en  cherchant  le  saccès  ailleurs  que  dans  les 


cris.  —  On  annonce  pour  bientôt  Barbcrinc,  l'opéra-comique  inédit  de  M.  de 
Saint-Quentin,  et  nous  aurons  Lohenç/rin  dès  que  M.  Lafarge  sera  rétabli, 
en  attendant  Chcvakrw  ruslique,  qui  sera  chaulé  par  M"'=  de  Nuovina  et 
M.  Seguin.  A  signaler  aussi  une  reprise  de  Mireille,  avec  M"^  Darcelle, 
qui  y  est  charmante  et  a  fait  oublier  facilementla  malheureuse  M°"=  Smilh- 
Blauvelt,  et  la  résiliation  de  M"°  Dexter,  qui  nous  a  quittés  avant  même 
d'avoir  débuté.  Certains  journaux  étrangers  ont  annoncé  que  le  Rèoe 
venait  d'être  interdit  par  l'autorité  ecclésiastique.  Est- il  besoin  devons  dire 
que  cette  nouvelle  est  de  pure  fantaisie?  L'autorité  ecclésiastique  n'a  au- 
cun droit  de  censure  sur  le  théâtre,  en  Belgique.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que 
l'archevêque  de  Matines,  consulté  sur  le  point  de  savoir  s'il  convenait  aux 
bons  catholiques  d'aller  voir  fc  Rêve,  a  répondu  non.  La  raison?  c'est  qu'il 
y  a  un  prêtre  en  scène,  et  il  parait  que,  sur  ce  point,  le  clergé  est  devenu 
depuis  quelque  temps  exti-émement  susceptible;  ce  qui  était  permis  aux 
opéras  de  Meyerbeer,  de  Donizetti,  d'Halévy,  etc.,  on  ne  le  permet  plus 
aux  opéras  contemporains;  et,  bien  que  fc  i?éM  soit  une  œuvre  extrêmement 
respectueuse  des  choses  de  la  religion,  cela  n'a  pas  suffi  pour  que  l'ar- 
chevêque de  Matines  l'ait  jugée  bonne  à  entendre.  Il  est  vrai  que,  géné- 
ralement, le  théâtre  est  proscrit;  le  récent  Congrès  l'a  proclamé  solennel- 
lement. Bien  que  la  grande  majorité  du  public  ne  s'en  soit  pas  ému, 
quelques  personnes  pieuses  se  sont  inclinées  cependant;  et,  donnant  le 
bon  exemple,  la  reine,  qui  est  une  fervente  habituée  de  Ja  Monnaie, 
s'abstient  de  paraître  au  théâtre  chaque  fois  qu'on  joue  le  Rêve.  Cela  n'a 
pas  empêché  notre  souveraine  d'assister  aux  répétitions  générales  et  de 
féliciter  beaucoup  les  auteurs;  ceux-ci  doivent  èti-e  satisfaits.  —  Autre 
incident.  Je  vous  ai  parlé  du  ballet  de  MM.  Hannon  et  Dubois,  Smylis, 
joué  avec  succès  il  y  a  quelques  jours.  Un  procès  vient  d'être  intenté  aux 
auteurs  par  un  M.  Defaive,  qui  prétend  que  ce  ballet  ressemble  beaucoup 
plus  qu'il  ne  faudrait  à  un  autre  ballet,  de  lui,  Esbah,  que  M.  Dubois  avait 
naguère  mis  aussi  en  musique;  la  musique  d'Esbah  a  servi  au  scénario 
dsSmylis,  c'est  exact,  mais  M.  Defaive  prétend  que  son  sujet  y  a  servi  éga- 
lement. Les  tribunaux  décideront.  On  assure  que  les  juges,  fort  embar- 
rassés de  décider  la  question,  feront  danser  devant  eux  les  deux  ballets, 
au  palais  de  Justice.  Ce  jour-là,  la  salle  d'audience  sera  trop  petite.  — 
Le  théâtre  des  Galeries  représentera  la  semaine  prochaine  la  Fille  de  Fan- 
clionla  Vielleuse,  de  M.  Varney  :  c'est  M"«  Samé  qui  créera  ici  le  rôle  prin- 
cipal. —  En  province,  les  théâtres  continuent  à  faire  parler  d'eux.  Je  vous 
disais  la  semaine  dernière  que  celui  deGand  était  relativement  assez  calme: 
à  peine  formulais-je  ce  jugement  un  peu  téméraire  que  les  événements 
se  chargeaient  de  me  donner  tort.  Il  y  a  eu  notamment  une  représen- 
tation de  Guillaume  Tell,  remarquable  par  les  cris  et  les  sifflets  qui  l'ont 
signalée;  les  abonnés  ont  demandé  la  résiliation  de  «  tous  les  artistes,  » 
en  masse  !  Un  autre  soir,  on  jouait  l'Africaine  ;  le  spectacle  a  dri  être  inter- 
rompu, et  l'on  a  rendu  l'argent.  Le  public  est  d'autant  plus  excité  que  la 
police  s'en  mêle,  parait-il.  La  salle  est  garnie  d'agents  en  bourgeois.  Cela 
provoque  des  tumultes,  et  parfois  des  batailles.  On  crie  «  A  bas  les  mou- 
chards! »  pendant  que  le  ténor  chante  «  0  Sélika  !  «  Finalement,  la  police 
dresse  des  procès-verbaux,  et  les  juges  condamnent  silîleurs  et  rebelles. 
Voilà  où  en  est  l'art  dramatique  à  Gand.  —  En  fait  du  concert,  le  Con- 
servatoire de  Bruxelles  donnera  sa  première  séance  d'abonnement  le  20 
de  ce  mois:  mais  M.  Gevaert,  retenu  par  son  deuil,  ne  la  dirigera  pas; 
ce  sera  en  quelque  sorte  une  seconde  édition  du  concert  d'élèves,  mais 
renfoi-cé  par  les  artistes  et  les  professeurs  habituels,  qui  a  suivi,  l'autre 
jour,  la  distribution  des  prix.  Dans  ce  concert  d'élèves,  on  avait  fait  fête  à 
une  œuvre  nouvelle  d'un  jeune  compositeur  belge,  M.  'Van  Dam,  Dans 
la  forêt,  toute  pleine  de  couleur  et  de  mouvement,  et  remarquablement  di- 
rigée par  M.  Agniez.  Une  autre  œuvre,  d'un  autre  compositeur  belge, 
M.  Gilson,  la  remplacera  probablement.  Lucien  Solvay. 

Dans  une  séance  tenue  cette  semaine,  en  comité  secret,  le  conseil 

communal  de  Bruxelles  a  résolu  à  l'unanimité  de  renouveler  pour  trois 
ans,  à  partir  delà  saison  théâtrale  de  1892-1893,  la  concession  de  MM.  Stou- 
mon  et  Calabresi,  directeurs  actuels  du  théâtre  de  la  Monnaie. 

—Nouvelles  de  Londres, 3  décembre.— L'Opéra  Royal  Anglais  fera  sa  réou- 
verture samedi  et  reprendra  les  représentations  de  la  Basoche.  Le  directeur, 
M.  D'Oyly  Carte,  adresse  une  lettre  aux  journaux,  dans  laquelle  il  se  défend 
de  l'accusation  portée  contre  lui  d'avoir  trahi  sa  mission  en  accueillant, 
dès  le  début  de  son  entreprise,  une  œuvre  étrangère.  Il  soutient  que  les 
opéras  de  toutes  les  écoles  seront  à  leur  place  à  l'Opéra  Royal  Anglais,  à 
condition  d'être  chantés  en  anglais.  U  est  tout  disposé  à  donner  la  préfé- 
rence aux  compositeurs  indigènes,  mais  aucun  d'eux  n'étant  prêt,  il  a  dû 
tout  naturellement  avoir  recours  à  un  ouvrage  français  dont  le  saccès  était 
déjà  consacré.  Cette  dernière  raison  me  parait  convaincante.  —La  repré- 
sentation devant  la  reine  de  la  Cacalleria  rusticana  a  été  une  puissantt- 
réclame  pour  l'opéra  de  Mascagni,  et  M.  Lago  s'est  décidé,  au  dernier 
moment  à  prolonger  sa  saison  de  deux  semaines,  jusqu'au  15  décembre. 
—  Le  centième  anniversair-e  de  la  mort  de  Mozart  sera  célébré  le  samedi 
5  décembre  presque  simultanément  au  Crystal  Palace,  dans  l'après-midi, 
et  à  l'Albert  Hall,  le  soir.  Par  une  étrange  coïncidence,  les  programmes 
de  ces  deux  solennités  sont  identiques  et  se  composent  do  la  grande  sym- 
phonie en  ut  (Jupiter)  et  du  Requiem.  Le  programme  du  concert  populaii-e 
de  musique  de  chambre  de  Saint-James-Hall  est  aussi  entièrement  consacré 
aux  œuvres  de  Mozart.  —  Sir  Charles  Halle  et  son  magnilique  orchestre  de 
Manchester  ont  repris  leurs  excursions  périodiques  à  Londres.  Le  pro- 
gramme de  leur  concert  de  demain  comprend  une  sérénade  de  Saint-Saëns, 


390 


LE  MENESTREL 


le  concerto  en  mi  de  Vieuxtemps   et  la  symphonie  de  Berlioz,  Roméo  et 
JuliclU:  '  A.  G.  N. 

—  L'Amico  Frit:  à  Florence.  On  télégraphie  de  cette  ville  à  l'Italie,  de 
Rome  :  «  Théâtre  splendide  à  la  première  de  l'opéra  de  Mascagni  ;  on  a 
bissé  l'air  des  violettes,  au  premier  acte,  et  le  finale;  le  duo  des  cerises  au 
deuxième,  le  prélude  orchestral,  la  romance  et  le  duo  du  troisième  acte. 
Une  partie  du  public  ne  voulait  pas  le  bis  de  ce  dernier  morceau,  mais 
toute  la  salle  a  été  unanime  dans  les  acclamations  au  deuxième  acte.  » 
C'est,  comme  on  voit,  ajoute  l'Italie,  à  peu  près  le  même  jugement  donné 
à  Rome  à  la  première.  Nous  attendons  des  détails  et  l'opinion  de  la  cri- 
tique de  Florence. 

—  Un  journal  italien,  il  Caffaro,  qui  publiait  sous  ce  titre  :  Genova-Iberia, 
un  numéro  extraordinaire  au  bénéfice  des  victimes  des  inondations 
d'Espagne,  avait  sollicité  de  Verdi  une  composition  inédite  destinée  à  être 
reproduite  dans  ce  numéro.  L'auteur  d'Aïda  lui  a  adressé  la  lettre  assez 
singulière  que  voici  : 

Sant'Agata,  21  octobre  1891. 
Cher  monsieur, 
Je  n'ai  rien  d'inédit  à  vous  offrir  pour  le  numéro  unique  de  Genova-Iberia.  Mais 
puisque  vous  me  parlez  d'agriculture,  dont  je  ne  suis  qu'un  simple  amateur,   je 
voudrais  que  cette  très  noble  science  fût  cultivée  davantage  parmi  nous.  Quelle 
source  de  richesse  pour  notre  patrie  ! 

Un  peu  moins  de  musiciens,  d'avocats,  de  médecins,  etc.,  etc.,  et  un  peu  plus 
d'agriculteurs  !  Voilà  le  vœu  que  je  forme  pour  mon  pays. 
Avec  toute  estime,  votre  très  dévoué, 

G.  Verdi. 

—  Nous  avions  annoncé,  d'après  les  journaux  italiens,  la  prochaine 
représentation,  au  théâtre  Costanzi,  de  Rome,  d'un  opéra  nouveau  de 
M.  Gostantino  Palumbo,  Pier  Luigi  Farnese.  A  la  veille  même  de  son  appa- 
rition, cet  ouvrage  a  été  remis  indéfiniment,  pour  des  causes  que  le  journal 
l'Italie  rapporte  en  ces  termes  :  «  Le  nouvel  opéra  Pier  Luigi  Farnese  ne  se 
jouera  plus.  La  cause  de  cette  décision  serait  Tindispositiou  du  ténor 
Lazzarini  et  l'impossibilité  matérielle  de  le  remplacer  dans  quelques  jours. 
On  sait  que  l'orchestre  doit  aller  à  Florence  pour  quatre  représentations  de 
l'Ainico  Fritz,  et  que  le  10  décembre  il  doit  être,  rentré  à  l'Argentina  pour  les 
répétitions  des  opéras  qu'on  doit  y  donner.  L'indisposition  du  ténor  est 
donc  une  raison  suffisante,  et  on  pourrait  s'en  contenter;  mais  on  dit 
assez  haut  que  si  M.  Lazzarini  était  très  bien  portant,  il  en  serait  de 
même.  Il  paraît  qu'on  s'est  aperçu  un  peu  tard  que  cet  artiste  (un  ténor 
léger)  n'était  pas  du  tout  adapté  pour  le  rôle  très  fort  que  lui  avait  des- 
tiné M.  Palumbo.  On  a  même  fait  une  observation  pareille  à  propos  du 
rôle  destiné  à  M"«  Toresella.  Il  est  donc  tout  à  fait  naturel  qu'on  n'ait  pas 
présenté  cet  opéra  dans  ces  conditions.  M.  Sonzogno  l'avait  mis  en  scène 
d'une  façon  splendide  ;  à  la  répétition  générale  les  décors  et  les  costumes 
ont  eu  un  grand  succès.  Bien  que  nous  y  ayons  assisté,  nous  ne  voulons 
pas  porter  un  jugement  sur  la  musique,  nous  nous  bornons  seulement  à 
constater  la  bonne  impression  faite  par  les  morceaux  les  mieux  exécutés 
et  que  la  partition  révèle  un  compositeur  éminent,  un  musicien  d'élite. 
Notons  aussi  que  M.  Pignalosa,  qui  avait  étudié  soigneusement  le  rôle 
du  protagoniste,  s'était  préparé  un  succès  certain.  » 

—  Les  journaux  de  Rome  publient  le  cartellone  du  théâtre  Argentina. 
La  répertoire  comprend  trois  opéras  français  :  Roméo  et  Juliette,  la  Muette 
de  Portici  et  Robert  le  Diable,  un  opéra  inédit  de  M.  Van  Westerhout  :  Cim- 
belino,  qui,  après  avoir  été  répété  pendant  plusieurs  semaines  au  San  Carlo, 
de  Naples,  n'a  pu  être  représenté  à  ce  théâtre,  enfin  la  Traviata,  Gioconda 
et  le  Freischûts.  Voici  le  tableau  de  la  troupe  :  M""^*^  Barberini,  Gemma 
Bellincioni,  Bonner,  Teresa  Brambilla,  Filipponi,  Frauchini  et  Mariotti; 
MM.  Colli,  Lucignani,  Pelagalli-Rossetti,  Stagno,  ténors,  Beltrami, 
Celani  et  Fumagalli,  barytons,  Nicoletti,  Rapp,  basses.  Chef  d'orchestre, 
M.  Podesti. 

—  Le  programme  de  la  prochaine  saison  de  la  Scala,  de  Milan,  com- 
prend les  ouvrages  suivants  :  Tannlmuser,  il  Figliiml  prodigo,  Vally,  la  Basoclie, 
les  Huguenots  et  Norma.  Les  artistes  engagés  sont  M"''^  Arkel,  Dardée, 
Stehle  et  Guerrini  ;  MM.  De  Negri,  Suagnes,  Mariacher  et  Avedano,  ténors, 
Blanchart,  Pessina  et  Scheidemantel,  barytons,  Boudouresque,  Silvestri, 
Contini  et  Brancaleoni,  basses.  Les  journaux  spéciaux  ne  paraissent  pas 
complètement  satisfaits  du  choix  de  ce  personnel. 

—  Le  centenaire  de  la  mort  de  Mozart  en  Allemagne.  A  l'Opéra  de 
Berlin,  bien  que  les  fêtes  proprement  dites  ne  dussent  commencer  qu'hier 
soir,  on  n'avait  pas  attendu  cette  date  pour  honorer  la  mémoire  de  Mozart 
par  des  représentations  de  gala  de  ses  œuvres.  Le  13  novembre  a  eu  lieu 
la  reprise  de  la  Clémence  de  Titus,  qui  n'avait  pas  été  donnée  à  Berlin  depuis 
1883.  On  sait  que  cet  ouvrage  a  été  composé  en  1791,  à  l'occasion  de  l'ac- 
cession au  trône  royal  de  Bohême  de  l'empereur  Léopold.  A  citer  aussi 
une  reprise  solennelle  de  l'Enlèvement  au  sérail.  —  Au  théâtre  municipal  de 
Leipzig,  toute  une  semaine  sera  consacrée  aux  œuvres  de  Mozart.  Les 
représentations  auraient  lieu  dans  l'ordre  suivant  :  la  Flûte  enchantée,  l'En- 
lèvement ausérail,  DonJuan,Cosi  fan  lutte,  les  Noces  de  Figaro,  avec  une  pièce  de 
circonstance  du  docteur  H.  Ilenzen,  intitulée  la  Baguette  magigue.—A  Vienne, 
plusieurs  sociétés  musicales  de  la  ville  se  sont  jointes  à  la  troupe  de 
l'Opéra  pour  fêter  avec  éclat  le  centenaire.  Voici  l'ordre  des  spectacles  : 
le  28  novembre,  Idoménée  ;  le  29,  concert  philharmonique  :  la  Marche  funèbre 
d'un  franc-maçon,  concerto  pour  piano,   symphonie  en  mi  bémol  ;  le  30, 


l'Enlèvement  au  sérail  ;  le  1'''  décembre.  Prologue,  de  M.  R.  Specht,  récité  par 
jyjue  Pospichil,  quatuor  en  la,  quintette  en  mi  bémol,  quintette  en  sol 
mineur;  le  3  décembre,  les  Noces  de  Figaro;  le  5,  Don  Juan;  le  6,  concert 
festival  de  la  Société  des  amis  de  la  musique  :  Ave  verum,  chœur  sans 
accompagnement  ;  Prologue,  composé  et  récité  par  M.  F.  Krastel  ;  Requiem, 
dirigé  par  M.  W.  Gericks  ;  le  8  décembre,  2«  concert  de  la  Société  des 
amis  de  la  musique:  ouverture  de  la  Flûte  enchantée;  concerto  pour  piano 
en  ré  mineur;  air  de  l'Enlèvement  au  séraU;  concerto  pour  violon  et  alto; 
chœur  de  la  Flûte  enchantée  ;  Chanson  du  soir  ;  V  audition  de  la  symphonie 
en  sol,  composée  à  Salzbourg  en  1779  (chefs  d'orchestre  :  D.  Richter  et 
E.  Kremser);  le  10,  séance  du  quatuor  Hellmesberger (musique  de  chambre); 
je  11  décembre,  Cosi  fan  lutte;  le  13,  la  Flûte  enchantée;  le  16,  la  Clémence  de 
Titus  ;  le  23,  la  Finta  Giardiniera  et  Bastien  et  Bastknne,  opérettes. 

—  L'Eventail  nous  apporte  le  récit  des  hauts  faits  de  M.  Pollini,  direc- 
teur des  théâtres  de  Hambourg,  dont  le  personnel  parait  être  singulière- 
ment nombreux,  à  en  juger  par  l'exploit  que  rapporte  ainsi  notre  con- 
frère. Vendredi  dernier,  «  jour  de  pénitence  et  de  prière  »  à  Hambourg, 
ses  théâtres  étant  fermés,  il  a  donné,  avec  le  concours  de  ses  artistes,  des 
représentations  ou  des  concerts  dans  six  villes  différentes  :  à  Brème, 
Lohengrin,  avec  le  ténor  Alvary,  M'"=^  Bettagne  et  Klafsky;  à  Lubeck,  un 
concert  vocal  et  instrumental  par  son  orchestre,  le  ténor  D'  Seidl  et  la 
chanteuse  Wolfî-Kauer  ;  à  Lunebourg,  un  concert  par  le  ténor  Bœtel  et 
plusieurs  autres  chanteurs;  à  Kiel,  l'Orphée  de  Gluck,  avec  M™=  Heinck 
dans  le  rôle  du  protagoniste;  à  Flensbourg,  Czar  et  Charpentier  de 
Lortzing,  par  M.  et  M™'  Lissmann,  plus  un  ballet.  Enfin,  la  troupe  de 
drame  et  de  comédie  a  joué  à  Altona  une  tragédie  de  Hebhel  et  Divorçons, 
de  Sardou. 

PARIS  ET  DEPiRTEMENTS 
Le  centenaire  de  Meyerbeer  parait  avoir  été  célébré  sur  nos  grandes 
scènes  de  province  avec  plus  de  goût  et  de  succès  qu'à  l'Opéra  de  Paris. 
Au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux,  il  a  excité  l'enthousiasme  d'une  s  aile 
pleine  jusqu'au  faite.  Le  programme  comprenait  :  l'ouverture  du  Pardon 
de  Ploërmel,\e  second  acte  des  Huguenots,  l'évocation  et  la  scène  des  nonnes 
de  Robert,  le  tableau  de  la  cathédrale  du  Prophète  et  le  quatrième  acte  de 
l'Africaine,  suivis  de  l'apothéose  de  Meyerbeer.  Tous  les  artistes  ont  été 
acclamés  :  M™""  Bréjean-Gravière,  Passama,  Devianne,  Reggia  Baudino 
(danseuse),  MM.  Jérôme,  Sylvestre  etRaynaud.  «  L'apothéose  de  Meyerbeer, 
dit  notre  excellent  confrère  de  la  Gironde,  M.  Paul  Lavigne,  a  été  très 
réussie.  On  voyait,  au  fond,  Meyerbeer;  au  premier  plan,  à  gauche, 
Catherine, Pierre  et  les  soldats  de  l'Étoile  du  Nord.  Adroite, 'Roè\,  Dinorah 
et  les  Bretons  du  Pardon  de  Ploërmel.  Au  fond,  Robert,  Bertram  et  Alice,  — 
Raoul,  Marcel  et  Valentine,  —  Jean  de  Leyde,  Fidès  et  les  anabaptistes,  — 
Nélusko,  Vasco  de  Gama  et  Sélika.  Le  quatre-temps  si  beau  de  la  pré- 
diction de  la  mère  de  Catherine,  dans  l'Étoile  du  Nord,  exécuté  en  sourdine 
par  un  petit  orchestre,  était  d'autant  mieux  choisi  qu'on  a  entendu  ainsi, 
hier  soir,  réellement  des  fragments  des  six  opéras  français  de  Meyerbeer. 
Les  morceaux  divers  exécutés  pendant  cette  apothéose  font  vraiment 
honneur  au  goût  éclairé  du  directeur  du  Grand-Théâtre.  Les  vers  très 
réussis  de  mon  collaborateur  Paul  Berthelot,  dits  par  M.  Nerval,  de  ma- 
nière qu'on  n'en  perde  pas  une  syllabe,  ont  été  particulièrement  goûtés. 
On  a  remarqué  dans  cette  pièce  les  deux  principales  qualités  du  talent 
de  leur  auteur  :  une  verve,  une  originalité  de  bon  aloi,  et  l'horreur  du 
banal.  »  — A  Lille,  le  spectacle  était  ainsi  composé  :  ouverture  de  l'Étoile 
dwiVbrd,  troisième  acte  de  iîoberj,  troisième  Marche  aux  flambeaux,  deuxième 
et  quatrième  acte  des  Huguenots,  Marche  du  sacre  du  Prophète.  «  C'est  au 
son  de  cette  musique  grandiose  et  magistrale,  dit  la  Semaine  musicale  de 
Lille,  qu'a  eu  lieu,  devant  le  buste  de  Meyerbeer,  l'imposant  défilé  de 
tous  les  artistes  lyriques,  revêtus  de  costumes  de  personnages  de  toutes 
les  œuvres  du  maître.  C'était  un  fort  beau  coup  d'œil  que  ce  groupe  de 
danseuses  entourant  de  palmes  d'or  le  buste  dominant  la  scène^  et  devant 
lequel  M.  Bras,  premier  rôle,  a  lu  les  strophes  de  circonstance  composées 
par  M.  A.  de  Meunynck.  En  un  mot,  la  manifestation  a  été  digne  de  l'il- 
lustre Meyerbeer.  »  Là  aussi,  grand  succès  et  applaudissements  pour  tous 
les  artistes,  M"'^^  Van  Daelen,  Barety,  Verheyden,  Dhasti,  Gisèle  Viola 
(danseuse),  et  MM.  VanLoo,  Degrave,  Montfort  et  Gornubert.  Décidément, 
les  choses  ont  été  mieux  faites  en  province  qu'à  Paris. 

—  Antoine  Rubinstein,  dont  nous  publions  aujourd'hui  même  en  pre- 
mier article  l'étude  si  intéressante  la  Musique  et  ses  Représentants,  a  quitté 
Paris  mercredi  dernier  pour  se  rendre  à  Milan,  où  l'appelaient  quelques 
affaires.  De  là,  il  retournera  à  Dresde  où  il  s'installera  tout  l'hiver,  pour 
suivre  les  études  de  son  opéra  nouveau  iV/oïsc.G'estDresde  qui  aura,  eu  effet, 
la  primeur  de  cette  œuvre,  dont  la  représentation  occupera  deux  soirées 
consécutives. 

—  Concerts  du  Châtelet.  —  L'école  française  était  représentée,  sur  un 
programme  d'une  attrayante  variété,  par  l'air  A'Hérodiade  :  «  Vision  fugi- 
tive »,  chanté  avec  beaucoup  d'autorité,  de  goût  et  de  méthode  par  M.  Ma- 
noury,  qui  a  fait  ensuite  applaudir  une  ballade  mouvementée  et  entraînante 
de  M.  Paul  Puget  :  le  Message,  et  une  délicieuse  mélodie  :  Ravissement,  dans 
laquelle  une  phrase  musicale  pleine  de  langueur  et  d'élégance  accentue 
discrètement  chacune  des  nuances  de  sentiment  e.xprimées  par  la  poésie 
et  s'achève,  à  l'orchestre,  dans  une  sorte  d'extase  longtemps  après  que  la 
voix  a  cessé  de  se  faire  entendre.  M.  Manoury  a  obtenu  un  grand  succès 


LE  MENESTREL 


391 


dans  ces  morceaux  de  caractères  différents  dans  lesquels  sa  voix,  très 
assouplie,  s'est  prêtée  aux  inflexions  délicates  de  la  mélodie  et  a  su,  au 
besoin,  trouver  la  vigueur  et  la  force.  —  Kermesse,  de  M.  Benjamin  Godard, 
est  un  tableau  orchestral  d'une  coloration  intense  et  d'une  coupe  très  libre. 
L'œuvre  renferme  des  pages  vraiment  belles,  les  rytbmes  y  sont  très  va- 
riés, l'orchestration  compacte,  et  les  parties  destinées  à  peindre  les  débor- 
dements de  la  joie  populaire  avec  ses  vulgarités  tumultueuses  passent 
rapidement  comme  de  simples  épisodes.  L'impression  dernière  reste  bonne, 
car  le  motif  dominant  de  l'œuvre  est  large,  suffisamment  noble,  et  em- 
preint de  vigueur  et  d'énergie  sans  violence  inutile.  —  M.  Gabriel  Pierné, 
qui  écrit  d'une  main  d'autant  plus  assurée  que  ses  succès  présents  le 
dispensent  de  chercher  de  nouvelles  voies,  a  obtenu  beaucoup  d'applau- 
dissements avec  la  Suite-pantomime  du  Collier  de  saphirs.  L'introduction 
est  brillante,  avec  de  gracieux  détails  d'instrumentation  ;  mais  la  Sérénade 
de  GillesYa.  bientôt  fait  oublier,  tant  elle  a  paru  charmante  avec  ses  piquantes 
oppositions  de  timbres,  ses  rythmes  empreints  d'une  gaieté  mutine,  et 
ses  phrases  remplies  d'un  sentimentalisme  qui  semble  flotter  entre  le  rire 
et  les  larmes.  Cette  petite  pièce,  toute  débordante  de  fantaisie  et  de  grâce, 
a  été  bissée.  Le  finale  a  été  aussi  très  apprécié,  car  on  y  retrouve  les  qua- 
lités principales  du  jeune  compositeur:  sa  grande  facilité  d'invention,  qui 
semble  exclure  l'effort,  et  l'aisance  avec  laquelle  il  oppose  entre  eux  les 
timbres  variés  de  l'orchestre.  Le  concert  avait  commencé  par  une  excel- 
lente exécution  de  la  Symphonie  pastorale  ;  il  s'est  terminé  avec  le  prélude 
de  Parsifal  et  la  ChevaucMe  des  Walkyries.  Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  L'exécution  de  la  Symphonie  pastorale  de 
Beethoven  eût  été  parfaite  si,  dans  la  troisième  partie,  les  cuivres  n'avaient 
pas  absolument  couvert  les  autres  instruments.  La  musique  de  Beethoven 
ne  se  prête  pas  à  ces  exagérations.  Je  n'y  vois  aucun  inconvénient  dans 
la  musique  qui  a  les  préférences  de  l'éminent  chef  d'orchestre.  Dans  la 
musique  des  anciens  maîtres,  elles  sont  déplacées.  L'ouverture  de  Manfred, 
de  Schumann,  a  été  bien  dite;  nous  regrettons  que,  de  la  Suite  algérienne  de 
M.  Saint-Saëns,  on  ne  nous  ait  donné  que  le  dernier  morceau,  alors  que  tous 
sont  remarquables  et  forment  un  ensemble  qu'il  ne  faudrait  pas  diviser. 
On  nous  dit  que  la  nécessité  de  répéter  une  fois  de  plus  le  Don  Juan  de 
M.  Richard  Strauss  a  empêché  l'exécution  de  l'ouverture  de  Freisehiitz,  qui 
figurait  originairement  au  programme  ;  c'est  d'autant  plus  regrettable  que 
nous  n'avons  pas  gagné  au  change,  et  que  M.  Strauss  ne  nous  a  pas  fait 
oublier  Weber.  Comme  notre  esprit  un  peu  borné  ne  nous  permettait  pas  de 
saisir  le  sens  de  cette  composition,  nous  avons  dû,  après  coup,  recourir 
au  programme  explicatif.  Nous  y  avons  vu  que,  dans  le  premier  fragment, 
le  Héros  «  plaide  en  faveur  de  sa  frivolité,  sa  justifie  et,  en  termes  brûlants, 
expose  la  nature  de  la  passion  qui  le  dévox'e  »  ;  dans  le  second,  Don  Juan 
K  Assagi,  apaisé,  mélancolique,  ironique,  n'accuse  plus  le  destin  et  ne  songe 
qu'à  revivre,  par  la  pensée,  les  belles  ardeurs  de  jadis  ».  En  vérité,  si 
nous  n'approuvons  pas  toujours  la  musique  dont  se  délectent  les  habitués 
du  Cirque,  nous  sommes  toujours  infiniment  réjoui  par  les  programmes 
qui  en  précisent  le  sens  et  en  donnent  l'explication.  Ces  programmes  sont 
presque  toujours  plus  amusants  que  la  musique,  et  nous  aimerions  à  les 
entendre  déclamer  par  M.  Lamoureux  avant  chaque  morceau.  Ce  serait 
une  belle  alliance  de  la  littérature  et  de  la  musique.  —  H.  Barbedette. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire,  premier  concert  de  la  Société  :  Symphonie  avec  chœurs  (Beetho- 
ven), soli  par  M"''  Leroux-Ribeyre  et  Boidin-Puisais,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez  ; 
ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal  (Mendelssohn)  ;  duo  nocturne  de  Béafrice  et  Béné- 
dict  (Berlioz),  par  M""  Leroux-Ribeyre  et  Boidin-Paisais  ;  marche  de  Tanrihâuser 
(Wagner) . 

Châtelet,  concert  Colonne  :  septième  symphonie,  en  la  (Beethoven);  introduc- 
tion, récit  et  air  d'Erostrale  (Reyer),  par  M.  Delmas;  sérénade  de  Gilles,  du  Collier 
de  saphirs    (Pierné);  Polonaise  (Paul   Vidal);  ouverture  de  Tannliimer  (Vf ngnev]   • 
■  l'Homme,  scène  lyrique  (Ernest  Reyer),  poésie  de  M.  Georges  Boyer,  chantée  par 
M.  Delmas;  ballet  d'Ascanio  (Saint-Saens). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  symphonie  en  si  bémol 
(Schumann);  Siegfried  Idyll  (Wagner);  Rapsodie  slave,  n»  5  (Dvorak);  Don  Juan _ 
(Richard  Strauss);  Danse  macabre  (Saint-Saëns);  ouverture  de  Tannh'duser 
(Wagner). 

—  Une  tentative  intéressante  en  province.  M.  Gravière,  l'intelligent  et 
sympathique  directeur  du  grand  théâtre  de  Bordeaux,  va  mettre  à  la  scène 
l'Hérode  de  MM.  "William  Chaumet  et  Georges  Boyer,  qui  remporta  le  prix 
du  concours  Rossini,  il  y  a  quelques  années.  C'était  là  d'ailleurs  un  acte 
véritable  de  grand  opéra,  bien  plus  qu'une  cantate  dans  le  genre  de  celles 
qu'on  couronne  ordinairement,  et  la  transplantation  à  la  scène  en  sera  des 
plus  aisées. 

—  Les  privilégiés  qui  ont  été  conviés,  mardi  dernier,  à  la  messe  de 
mariage  de  M""  Sedelmeyer,  à  l'église  de  la  Trinité,  ont  eu  la  bonne  for- 
tune, si  rare  aujourd'hui,  d'entendre,  pendant  le  service  religieux,  notre 
grand  chanteur  Faure.  Il  a  dit  le  Pater  Noster  de  Niedermeyer  et  son 
0  Salutaris  (n"  lO)  ;  sa  voix  toujours  merveilleuse,  son  style  absolument 
impeccable  ont  fait,  encore  une  fois,  regretter  la  retraite  prématurée  qu'il 
semble  s'être  imposée. 

—  M.  Philippe  Maquet,  le  sympathique  directeur  de  l'ancienne  maison 
Brandus,  a  été  élu  cette  semaine  président  de  la  chambre  syndicale  des 
Éditeurs  de  musique,  en  remplacement  de  M.  Auguste  Durand,  dont  les 
fonctions  expiraient  cette  année. 


—  Un  groupe  de  dilettantes  vient  de  constituer  à  Paris  une  nouvelle 
société  musicale  sous  le  titre  d'Union  artistique.  Cette  Société  a  pour  but 
l'étude  et  l'exécution  d'œuvres  surtout  françaises  pour  chœurs  et  orches- 
tre, et  le  taux  très  minime  de  la  cotisation  permettra  à  tous  les  amateurs 
de  bonne  musique  d'en  faire  partie.  Le  chef  d'orchestre  sera  M.  Ferdinand 
de  la  Tombelle.  Les  personnes  qui  voudraient  faire  partie  de  l'Union 
artistique  peuvent  se  faire  inscrire  ou  envoyer  leur  adhésion  chez 
M.  Henri  Brody,  44,  rue  de  Maubeuge. 

—  M.  Delsart  a  passé  la  Manche  pour  aider  de  son  talent  son  collègue 
M.David  Popper;  dans  la  première  partie  du  trio  pour  trois  violoncelles, 
l'éminent  professeur  du  Conservatoire  de  Paris  a  eu  un  véritable  triomphe 
au  Saint-Jame's  Hall,  triomphe  qui  fait  espérer  le  retour  de  M.  Delsart 
pendant  la  grande  saison.  Le  lendemain  du  concert  de  M.  Popper,  M.  Del- 
sart s'est  fait  entendre  de  nouveau  avec  un  grand  succès,  principalement 
en  exécutant  sa  jolie  transcription  du  Conte  d'avril  de  M.  Widor.  Un  mot 
aussi  pour  M"»  Clotilde  Kleeberg,  l'excellente  pianiste  qui  s'est  fait  entendre 
au  Prince's  Hall  dans  deux  récitatifs  et  qui  y  a  été  très  vivement  applaudie. 

—  Mercredi  prochain,  9  décembre,  aura  lieu  au  Cercle  Saint-Simon  une 
audition  de  musique  française  du  xyiii^  siècle  pour  le  chant,  le  clavecin, 
la  flûte,  la  viole  d'amour  et  la  viole  de  gambe,  donnée  avec  le  concours 
de  M""=  Paulin-Archaimbaud,  de  MM.  Diémer,  Taffanel,  Van  "Waefelghem  et 
Delsart.  On  y  entendra  pour  la  première  fois,  entre  autres  choses,  une 
cantate  française  de  Campra,  Daphné,  pour  soprano,  clavecin  et  basse  de 
viole,  dont  l'exécution  sera  précédée  d'une  conférence  sur  les  cantates 
françaises  du  xviii"  siècle,  par  M.  Julien  Tiersot. 

NÉCROLOGIE 

L'agent  général  des  auteurs  français  en  Belgique,  M.  Louis  Cattreux,  qui 
rendit  de  très  grands  services  à  la  Société  des  auteurs,  vient  de  mourir 
près  de  Bruxelles.  C'était  un  homme  sympathique  et  des  plus  intelligents. 
11  connaissait  admirablement  toutes  les  questions  de  propriété  artistique 
internationale  et  n'agissait  jamais  qu'avec  la  plus  rare  prudence.  Cela  le 
distinguait  avantageusement  d'un  autre  agent  de  notre  connaissance,  qui 
se  donne  beaucoup  d'importance  depuis  quelque  temps  et  qui  par  son 
ardeur  intempestive  et  sa  connaissance  superficielle  des  choses,  compro- 
mait  la  cause  qu'il  devrait  servir.  M.  Cattreux  sera  regretté  de  tous  et  ne 
sera  pas  remplacé  malheureusement. 

—  A  Vienne  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans.  M""' Ca- 
roline van  Beethoven,  veuve  du  neveu  de  l'auteur  de  Fidelio  et  de  la  Sym 
phonie  héroïque.  Avec  elle  s'éteint  complètement  la  descendance  et  jus- 
qu'au nom  du  grand  homme.  Très  peu  fortunée,  elle  vivait  d'une  modeste 
pension  que  lui  faisaient  deux  admirateurs  du  génie  du  maître  et  qui  lui 
était  régulièrement  servie,  chaque  année,  le  jour  anniversaire  de  sa  mort. 

—  C'est  de  Bordeaux  que  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  de  Ponsard, 
un  chanteur  que  les  habitués  de  l'Opéra  n'ont  pas  encore  oublié  et  qui  a 
tenu  à  ce  théâtre,  pendant  plusieurs  années,  l'emploi  des  basses  nobles. 
Élève  de  Laget  et  de  Levasseur  au  Conservatoire,  Ponsard  y  avait  obtenu 
en  186o  un  second  prix  de  chant  et  un  premier  prix  d'opéra,  et  le  premier 
prix  de  chant  l'année  suivante.  Il  avait  été  engagé  et  avait.débuté  presque 
aussitôt  à  l'Opéra.  Peu  de  temps  après,  il  épousait  M"=  de  Beaunay,  qui 
avait  été  sa  camarade  de  classe  au  Conservatoire,  et  qui  était  la  nièce  de 
Perrière,  surveillant  des  classes  de  cet  établissement.  Depuis  quelques 
années  Ponsard,  qui  avait  quitté  le  théâtre,  s'était  fixé  à  Bordeaux,  où  il 
avait  ouvert  un  cours  de  chantet  était  devenu  professeur  au  Conservatoire  . 
Il  a  succombé  aux  suites  d'une  affection  de  cœur  dont  il  souffrait  depuis 
longtemps. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


0 


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Danse  villageoise  et  Pas  de  deux;  Entracte;  Valse. 


392 


LE  MÉNESTREL 


Clnquante-lxuitlèiiie    année    d.©    publication 


PRIMES   1892  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE   1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concens,  des  Notices  biographiques  et  Etudes  sur 

les  graids  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Cliant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanclie,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHA.SÎT  ou  pour  le  PI.4..\0,  de  moyenne  difficulté,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHA^'T  et  PIAA'O. 


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Vingt  petites   chansons   avec   cent    illustrations   en  oouletirs   et   ac]Ltiar"©lles   d'ADRIElV   jMARIE 
rîictLe    relltire    avec    fers    de    JULES    CHÉRET 

N3TA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  snnt  iy>Iivrèes  sraluitemo-iit  <l:ias  nos  bnreaui.  2  bis,  rue  ViTieiine,  à  partirdu  1"  .Janvier  18»3,  à  tout  ancien 
ou  nouTcl  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  an  MÉXESTREli  pour  l'année  1S93.  Joindre  an  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UlI  ou  de  DEUX  francs  pour  l'enToi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etrangrer,  l'enTOi  franco 
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Prime.  Paris  et  Province,  uri  an  :  20  francs  ;  Étranger,  b'rais  de  poste  en  sus. 


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Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :   Krais  de  poste  en  sus. 


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3-  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  RecueUs-Primes  ou  une  Grande  Prime.  —  Un  an  :  30  francs,  Paris 

et  Province;  Étranger:  Poste  en  5us.  —  On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
V  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  au-i  primes,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  51.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


I.MPRniEHJE  CDAIX,  20,    KL 


Dimanche  13  Décembre  1891. 


3168  -  57-  ANNÉE  -  N°  50.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  La  musique  et  ses  représentants  (2°  article),  Antoine  Rubinstein.  —  II.  Bulletin 
théâtral,  H.  Moreno;  première  représentation  de  Que  d'eau  l  Que  cCeau!  aux 
Menus-Plaisirs,  Paul-É.mile  Chevauer.  —  IIX.  Musique  de  table:  En  Orient 
(4"  article),  Edmond  Neukom,«  et  Paul  d'Esirée.—  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE    POÈTE    ET    LE    FANTOME 

nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiatement  :  Ravissement, 
nouvelle  mélodie  de  Paul  Puget,  poésie  d'ARSiAND,  Silvestre,  chantée 
par  M.  Manoury  aux  Concerts  du  Chàtelet. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  PIANO  ;  Danse  slave,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Air 
à  danser,  de  Raoul  Pugno. 


NOS    PRIMES    POUR    L'ANNÉE    1892 

VOIR  A  LA  8^  PAGE 


LA  MUSIQUE  ET  SES  REPRÉSENTANTS 

ENTRETIEN  SUR  LA  MUSIQUE 

PAR 


—  Vous  ne  parlez  que  de  musique  instrumentale  ;  est-ce 
que  pour  vous  la  musique  ne  commencerait  qu'avec  Haydn? 

—  Oh  !  bien  longtemps  avant.  Il  a  fallu  à  la  musique  deux 
siècles  entiers  pour  atteindre  à  cette  maturité  du  son  et  de  la 
forme.  J'appellerai  préhistorique  la  période  qui  s'étend  jusqu'à 
la  seconde  moitié  du  XVP  siècle.  Car  de  la  musique  des 
anciens  (Hébreux,  Grecs  et  Romains),  nous  ne  savons  presque 
rien  ;  nous  n'en  connaissons  tout  au  plus  que  le  côté  théorique, 
et  on  peut  en  dire  autant  de  la  musique  qui  suivit,  depuis 
l'avènement  du  christianisme  jusqu'à  la  fin  du  XVI"  siècle. 
Nous  savons  peu  de  chose  également  des  chansons  et  des  danses 
populaires  (ces  deux  expressions  les  plus  primitives  de  la 
musique)  (1).  Et  c'est  pourquoi  je  ne   date  que   de  la  fin  du 

(1)  A  l'exception  du  chant  ambrosien  et  grégorien,  on  ne  peut  dire 
avec  certitude  si  le  chant  religieux  est  devenu  un  chant  populaire  après 
l'adaptation  qu'on  y  aurait  faite  de  paroles  profanes,  ou  si  au  contraire 
c'est  le  chant  populaire  qui  est  devenu  un  chant  religieux  par  le  procédé 
inverse.  —  Les  troubadours,  les  Minnensimjer  et  même  les  maîtres  chan- 
teurs nous  ont  laissé  des  poésies,  mais  peu  ou  point  de  musique. 


XVP  siècle  le  commencement  de  l'art  musical  (1).  La  mu- 
sique religieuse  de  Palestrina  présente  vraiment  les  pre- 
mières œuvres  d'art  de  cette  période.  J'appelle  œuvre  d'art, 
toute  œuvre  dans  laquelle  l'élément  scientifique  cesse  d'oc- 
cuper la  première  place  et  dans  laquelle  se  manifeste  une 
disposition  de  l'âme.  Les  œuvres  pour  orgue  de  Frescobalm 
donnent  pour  la  première  fois  un  caractère  artistique  à  cet 
instrument.  Les  compositeurs  anglais  Bull,  Bird  et  d'autres, 
s'efforcent  aussi  à  ce  moment  de  créer  des  œuvres  d'art 
pour  la  virginale  et  le  clavecin  (qui  est  aujourd'hui  le 
piano). 

—  Y  a-t-il  moyen  d'établir  quelque  rapport  entre  ces  pre- 
miers temps  de  l'art  musical  et  les  événements  historiques 
ou  la  culture  sociale  de  la  même  époque? 

—  Dans  la  musique  religieuse  se  manifeste  l'influence  de 
l'Eglise  catholique,  mise  en  mouvement  par  les  attaques  du 
protestantisme.  On  y  reconnaît  les  efforts  des  papes  pour  intro- 
duire une  plus  grande  discipline  dans  la  vie  ecclésiastique  et 
monacale  et  pour  élever  le  niveau  moral  et  intellectuel  des 
moines.  On  aperçoit  des  visées  plus  sérieuses  et  plus  élevées 
dans  les  questions  religieuses. —  Dans  la  musique  profane  se 
reflète  l'éclat  des  cours  de  l'époque  et  surtout  de  la  cour 
anglaise  d'Elisabeth;  on  connaît  l'amour  de  cette  souveraine 
pour  la  musique  et  son  faible  pour  la  virginale,  qui  poussait 
les  compositeurs  à  écrire  en  vue  de  cet  instrument  de  petites 
pièces  amusantes  et  conformes  aux  idées  de  cette  époque 
intéressante. 

—  Truuvez-vous  dans  ces  œuvres  ce  que  vous  appelez  des 
«  dispositions  de  l'àme  »,  et  pouvez-vous  les  considérer 
comme  des  œuvres  d'art  ? 

—  Non,  mais  comme  les  premières  tentatives  faites  dans 
la  musique  instrumentale  pour  exprimer  quelque  chose. 

—  Donc,  une  manifestation  naïve  de  l'art? 

—  C'est  la  première  musique  de  programme,  dans  le  sens 
de  l'imitation  en  vue  d'amuser  et  d'égayer  une  société.  Et  cela 
continue  pendant  un  siècle  jusqu'à  l'invention  de  la  «  suite» 
(série  de  pièces  formées  de  différentes  danses  de  l'époque). 
En  France,  cette  sorte  de  musique  se  maintient  plus  long- 
temps encore,  car  c'est  là  que  s'y  sont  signalés  deux  grands 
compositeurs,  Couperin  et  Rameau,  qui  ont  écrit  dans  ce  genre 
des  œuvres  très  remarquables. 

—  Et  en  Italie? 

—  En  Italie  fleurit  la  musique  religieuse,  qui  peu  à  peu 
est  supplantée  par  un  nouveau  genre  :  l'opéra.  Dans  la  mu- 
sique instrumentale,  à  côté  de  nombreux  organistes,  deux 
noms    seulement  arrêtent    notre    attention  :  Gorelli    pour  le 

(1)  Je  considère  l'époque  flamande  comme  une  époque  de  la  musique 
exclusivement  scientiflque. 


394 


LE  MÉNESTREL 


violon  etD.  ScARLAïTi  pour  le  piano  (1).  Ce  dernier  appelle  ses 
œuvres  «  sonata  »  (dans  le  sens  de  sonorité).  Elles  n'ont  rien 
de  commun  pourtant,  comme  forme  de  composition,  avec  la 
«  sonate  »  proprement  dite,  qui  vint  plus  tard. 

—  Donc,  pour  la  musique  instrumentale,  et  c'est  la  seule 
qui  vous  intéresse,  nous  en  sommes  alors,  si  je  vous  ai  bien 
compris,  à  l'enfance  de  l'art? 

—  Oui,  bien  que  Scarlatti,  Couperin  el  Rameau  soient  des 
maîtres  qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'apprécier  hautement; 
j'admire  du  premier  l'humour,  la  fraîcheur  et  la  virtuosité, 
je  vois  dans  le  second  nne  nature  éminemment  artistique  et 
un  lutteur  qui  a  su  défendre  hardiment  ses  aspirations  mu- 
sicales en  s'élevant  bien  au-dessus  du  niveau  artistique  de 
son  époque  et  de  son  pays.  Je  regarde  le  troisième  comme  un 
initiateur,  comme  le  réformateur  de  l'opéra  français;  il  a, 
de  plus,  écrit  des  compositions  de  haute  valeur  pour  le  piano. 

—  Mais,  en  Angleterre,  la  musique  instrumentale,  et  surtout 
les  œuvres  destinées  au  piano,  devaient  fleurir  tout  particu- 
lièrement, puisque  c'est  dans  ce  pays  que  nous  trouvons  les 
premières  manifestations  du  genre. 

—  Pourtant,  la  musique  vocale  a  aussi  devancé  en  Angle- 
terre la  musique  instrumentale.  Voyez  les  «  madrigaux  » 
et  les  «  chorals  ».  Mais  on  dirait  que  ce  peuple  a  dit  son 
dernier  mot  en  musique  avec  Henri  Purcell.  Après  ce  com- 
positeur survient  un  calme  plat,  et  —  à  l'exception  des 
oratorios  et  des  opéras  qui  sont  entre  les  mains  d'étrangers, 
—  cette  stérilité  s'est  prolongée  jusqu'à  nos  jours.  Ce  n'est 
qu'aujourd'hui  qu'on  commence  à  percevoir  quelques  symp- 
tômes de  réveil.  Une  chose  reste  inexplicable  :  quelle  est  la 
musique  qu'a  pu  entendre  Shakespeare  et  qui  a  su  lui  inspirer 
un  tel  amour  pour  cet  art.  Parmi  les  poètes,  il  est  celui 
qui  a  parlé  avec  le  plus  d'enthousiasme  de  la  musique  et 
même  du  piano. 

—  Et  en  Allemagne? 

—  En  Allemagne,  la  musique  religieuse,  après  l'introduc- 
tion du  choral  par  Luther,  prend  un  nouveau  caractère. 
Comme  en  Italie,  on  y  trouve  à  cette  époque  des  organistes 
remarquables  :  Frohberger,  Kuhnau,  Buxtehude.  Pris  dans  son 
ensemble,  l'art  musical,  comparé  à  ce  qu'il  est  alors  en 
Italie,  est  encore  insignifiant.  Mais,  tout  à  coup,  pendant  la 
même  année,  en  des  endroits  situés  peut-être  à  deux  heures 
de  route  l'un  de  l'autre,  brillent  deux  noms  qui  donnent  à 
la  musique  un  tel  éclat,  une  telle  perfection,  une  telle  subli- 
mité, qu'il  semble  que  l'humanité  entend  pour  la  seconde 
fois  le  fiai  lux;  ces  deux  noms  sont  ceux  de  Jean-Sébastien 
Bach,  et  de  George-Frédéric  H.endel.  La  musique  religieuse, 
la  virtuosité  aussi  bien  dans  la  composition  que  dans  le  jeu 
de  l'orgue  et  du  piano,  l'opéra  et  même  l'esprit  orchestral, 
toute  la  musique  de  l'époque  enfin,  trouvent  en  ces  deux  génies 
des  représentants  d'un  éclat  incomparable.  Grâce  à  eux,  la 
musique  marque  sa  place  au  nombre  des  arts  et,  bien  que 
sœur  cadette,  atteint  de  suite  à  la  maturité  auprès  des 
autres  arts,  ses  aînés. 

—  Pour  vous,  Bach  et  Haendel  sont-ils  des  sommets  de 
hauteur  égale? 

—  Bach  est  pour  moi  beaucoup  plus  grand,  parce  qu'il  est 
plus  sérieux,  plus  profond,  plus  créateur;  il  a  plus  d'àme, 
il  est  vraiment  incommensurable,  ilais  l'évolution  complète 
de  l'art  musical  à  cette  époque  n'est  possible  que  par  la  réu- 
nion de  ces  deux  génies,  quand  ce  ne  serait  que  parce 
qu'Heendel  a  créé  tant  de  choses  remarquables  dans  l'opéra, 
genre  de  musique  que  Bach  a  tout  à  fait  ignoré. 

—  Comment  concilier  le  silence  de  l'art  musical  en  Alle- 
magne pendant  presque  tout  le  XVII*'  siècle,  avant  l'appari- 
tion subite  de  ces  deux  astres,  avec  votre  idée  que  la  musique 
est  l'écho  des  événements  historiques  et  de  la  culture  sociale  ? 

(i)  J'appelle  les  œuvres  qui  ont  éié  écrites  à  cette  époque  pour  le  cla- 
vecin, le  clavicorde,  le  clavi-cembalo,  la  virginale,  l'épinette  et  d'autres, 
œuvres  pour  piano;  car,  de  nos  jours,  nous  ne  pouvons  les  jouer  que  sur 
cet  instrument. 


Vous  ne  pouvez  nier  qu'à  cette   époque    il  se  soit  passé    de 
fort  grands  événements  en  ce  pays. 

—  La  causique  n'est  pas  l'expression  immédiate  des  événe- 
ments, mais  le  plus  souvent  elle  en  est  l'écho.  C'est  ce  que 
nous  voyons  ici  :  à  l'époque  de  la  lutte  entre  le  protestantisme 
et  le  catholicisme,  la  musique  n'est  que  l'expression  de  la 
prière  dans  les  églises.  Mais  voici  que  le  protestantisme 
conquiert  en  Allemagne  son  droit  de  cité;  il  sort  victorieux 
de  la  lutte,  et  Bach  et  Haendel  surgissent  aussitôt  pour  lui 
chanter  l'hymne  de  la  victoire. 

—  Est-ce  que  la  manière  de  s'exprimer  de  ces  deux  maîtres 
n'est  pas  dissemblable? 

—  Complètement.  Mais  cela  tient  à  la  différence  du 
milieu  dans  lequel  ils  ont  vécu.  Bach  tournait  dans  un 
cercle  étroit;  il  vivait  en  différentes  villes,  à  cette  époque 
encore  toutes  petites  (plus  tard  il  est  allé  à  Leipzig),  au  mi- 
lieu de  sa  nombreuse  famille,  en  modeste  «  cantor  »  de 
l'église  de  Saint-Thomas.  Il  était  d'un  caractère  sérieux, 
profondément  religieux  et  patriarcal  ;  son  costume  était  mo- 
deste, simple,  sa  nature  peu  communicative,  il  était  labo- 
rieux jusqu'à  en  devenir  aveugle.  —  Heendel,  au  contraire, 
a  passé  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  dans  la  ville  cosmo- 
polite de  Londres,  ofi  il  était  en  relations  avec  la  cour  et  le 
grand  monde.  Il  était  directeur  d'opéra.  II  devait  écrire  de 
la  musique  pour  les  festivals  de  la  cour.  Nous  connaissons 
très  peu  sa  vie  privée.  Il  portait  une  longue  perruque  et  le 
costume  élégant  de  la  haute  société  du  temps.  La  majesté, 
l'éclat,  plus  de  surface  que  de  profondeur  (1),  sont  les  traits 
distinctifs  de  ses  compositions.  Il  a  écrit  des  opéras,  des  ora- 
torios profanes  et  religieux,  très  peu  de  musique  instrumen- 
tale (la  plus  belle  est  dans  ses  suites  pour  piano),  c'est  dire 
qu'il  a  peu  créé  d'œuvres  intimes,  sincères  et  cordiales. 

—  Bach  vous  est  plus  sympathique,  parce  qu'il  a  surtout 
écrit  de  la  musique  instrumentale? 

—  Non,  pas  pour  cela  (sa  musique  vocale  est  aussi  d'une 
admirable  grandeur),  mais  pour  les  qualités  que  j'ai  déjà 
énumérées.  Cependant,  je  ne  nie  pas  qu'oii  je  l'admire  le  plus, 
c'est  dans  ses  œuvres  pour  orgue  et  pour  piano. 

—  Vous  voulez  parler  sans  doute  de  son  Clavecinbien  tempéré? 

—  Vous  connaissez  cette  anecdote  de  la  vie  de  Benvenuto 
Cellini,  venant  à  manquer  de  matière  pour  un  travail  qui  lui 
avait  été  commandé  par  le  roi  de  France.  Pour  sortir  de 
difBculté,  il  prit  le  parti  de  fondre  tous  ses  modèles;  mais 
tout  à  coup,  en  présence  d'une  admirable  coupe,  il  s'arrête 
et  nç  peut  se  résoudre  à  la  jeter  dans  le  feu.  Le  Clavecin 
bien  tempéré  est  ce  même  joyau  dans  la  musique;  si,  par 
malheur,  tous  les  «  motets  »,  «  cantates  »,  «  messes  »  de 
Bach,  et  même  la  musique  do  la  Passion,  venaient  à  se  perdre, 
et  s'il  ne  restait  plus  que  le  Clavecin  bien  tempéré,  il  n'y  aurait 
pas  lieu  de  se  désespérer,  la  musique  ne  serait  pas  perdue. 
Mais  en  ajoutant  au  Clavecin  la  «  Fantaisie  chromatique  »,  les 
«  Variations  »,  les  «  Partite  »,  les  «  Inventions»,  les  «  Suites 
anglaises  »,  les  «  Concerts  »,  les  «  Ghacone  »,  les  «  Sonates  » 
pour  piano  avec  violon  et  surtout  les  œuvres  pour  orgue, 
peut-on  mesurer  la  grandeur  d'un  tel  musicien? 

—  Mais  pourquoi  le  public  le  considère-t-il  seulement 
comme  un  grand  savant,  et  veut-il  l'identifier  à  toute  force 
dans  la  fugue,  en  semblant  lui  refuser  toute  âme  ? 

—  A  cause  de  sa  parfaite  ignorance.  Il  est  tout  à  fait  juste 
d'incarner  le  nom  de  Bach  dans  la  fugue,  car  ce  genre  pos- 
sède en  lui  son  plus  grand  représentant;  mais  dans  la  mélo- 
die instrumentale  de  Bach,  il  y  a  plus  d'àme  que  dans  aucun 
air  d'opéra  ou  dans  aucun  chant  d'église.  Les  paroles  de 
Liszt  :  il  y  a  de  la  musique  qui  vient  à  nous,  et  une  musique  qui  exige 
que  nous  allions  vers  elle,  sont  particulièrement  applicables  à 
Bach.  Il  y  a  des    musiciens  qui  vont   à  Bach  et  qui  restent 

(1)  Ce  qui  se  manifeste  dans  ce  fait  qu'il  transportait  très  bien  un  nu- 
méro d'opéra  dans  un  oratorio  et  vicc-versà,  ainsi  que  dans  la  vitesse  avec 
laquelle  il  travaillait;  il  a  écrit  son  Messie  en  trois  semaines,  et  tout  de 
suite  après  Samson,  dans  un  laps  de  temps  aussi  court. 


LE  MÉNESTREL 


395 


en  extase  devant  lui  ;  le  public  n'est  pas  capable  de  cet  effort, 
et  c'est  pour  cette  raison  qu'il  a  une  idée  si  erronée  de  ce 
grand  génie. 

—  Mais  la  fugue  n'est-elle  pas,  en  elle-même,  une  forme 
d'art  sèche  et  scolastique  ? 

—  Oui,  chez  tous  les  compositeurs,  excepté  chez  Bach.  Il 
a  su  exprimer  sous  cette  forme  tous  les  sentiments  de  l'âme. 
Dans  le  «  Clavecin  bien  tempéré,  »  vous  trouvez  des  fugues 
de. caractère  religieux,  héroïque,  mélancolique,  majestueux, 
plaintif,  humoristique,  pastoral  et  dramatique.  Toutes  ces 
fugues  n'ont  qu'un  point  de  commun,  la  beauté.  Kn  outre, 
les  préludes  sont  d'une  splendeur,  d'une  perfection  et  d'une 
diversité  étonnantes.  Il  est  tout  à  fait  incompréhensible  que  le 
même  homme,  qui  a  écrit  pour  l'orgue  des  œuvres  aussi  gran- 
des, ait  pu  également  écrire  des  «  gavottes,  »  des  «  bourrées,  » 
des  «  gigues  »  d'un  caractère  si  gai,  des  «  sarabandes  »  d'un  ca- 
ractère si  mélodieux,  de  petits  morceaux  pour  piano  si  char- 
mants par  leur  simplicité.  Je  ne  parle  ici  que  de  ses  œuvres 
instrumentales;  mais  si  j'ajoute  à  cette  liste  ses  gigantesques 
<Buvres  vocales,  j'arrive  à  la  conclusion  qu'il  viendra  un  temps 
où  l'on  dira  de  lui  comme  on  dit  d'Homère  :  «  Ce  n'est  pas 
un  seul  homme  qui  a  pu  composer  tout  cela,  mais  bien  plu- 
sieurs. » 

—  Que  reste-t-il  donc  pour  la  part  de  Haendel  ? 

—  La  majesté,  l'éclat,  les  effets  de  masses  et  l'action  sur 
la  foule  par  la  simplicité  du  dessin,  par  la  diatonique  (con- 
traste frappant  avec  le  chromatisme  de  Bach),  par  la  noblesse 
dans  le  réalisme,  en  un  mot  par  le  génie.  —  Je  définirai 
volontiers  ces  deux  maîtres  par  cet  aphorisme  :  Bach,  la  cathé- 
drale; Hsendel,  le  palais.  Dans  la  cathédrale  on  entend  le  mur- 
mure respectueux  et  recueilli  de  l'assemblée  sous  l'impression 
de  la  grandeur  de  l'édifice  et  de  l'élévation  de  la  pensée  qu'il 
incarne  (l);les  personnes,  au  contraire,  qui  visitent  un  palais 
manifestent  bruyamment  leur  vive  admiration  et  le  sentiment 
de  soumission  qu'éveillent  en  elles  la  majesté,  le  luxe  et 
l'éclat  de  ce  qui  les  environne. 

(Traduit  du  manuscrit  russe  par  Michel  Delines.) 

^.4  suivre.) 

BULLETIN    THEATRAL 


On  n'avait  fait  qu'entrevoir  M'"^  Deschamps-Jehiu  à  l'Opéra,  lors 
du  dernier  et  mémorable  centenaire  de  Meyerbeer,  et  elle  avait  été 
à  peu  près  la  seule  à  surnager  sur  l'immensité  du  désastre  si  bien 
préparé  par  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Mercredi  dernier  on  a  pu  mieux 
la  juger  encore,  et  elle  a  fait  son  début  officie)  dans  la  Favorite,  un 
opéra  qui  n'est  peut-être  pas  aussi  loin  de  Lohengrin  qu'on  voudrait 
nous  le  faire  croire.  L'une  et  l'autre  partition  ont  naturellement  les 
grâces  surannées  qui  conviennent  à  leur  grand  âge,  avec  un  ton 
d'italianisme  très  prononcé  et  qui  était  d'ailleurs  fort  à  la  mode  à 
l'époque  qui  les  a  vues  naître.  Mais  ily  a  des  inspirations  et  des  envolées, 
sachons  le  reconnaître,  aussi  bien  dans  la  Favorite  que  dans  Lohengrin. 
Souhaitons  seulement  à  ce  dernier  ouvrage  de  compter  un  jour,  sur 
la  scène  de  l'Opéra,  les  six  cent  vingt  représentations  qu'y  a  eues 
déjà  la  Favorite.  On  voit  que  nous  ne  lui  voulons  pas  de  mal.  Pour  le 
moment,  après  une  vingtaine  de  représentations,  il  réalise  encore 
des  recettes  de  17,000  francs,  ce  qui  est  très  honorable;  constatons 
pourtant,  en  passant,  que  le  vieux  Faust  de  Gounod  qui,  pensons- 
nous,  a  dépassé  la  cinq-centième,  fait  encore  couramment  ses  19,000 
ou  20,000  francs  de  recettes.  Alors,  qu'en  conclure?  Que  le  public  est 
un  ignare,  n'est-ce  pas,  Wilder? 

Pour  en  revenir  à  M'""  Desehamps-Jehin,  constatons  son  vif 
succès.  Elle  va  faire  à  l'Opéra  une  très  belle  carrière.  Sa  voix 
merveilleuse  y  sonne  admirablement,  et  l'ampleur  de  son  talent  y 
trouve  mieux  à  s'employer  qu'à  l'Opéra-Gomique.  Elle  ne  nous 
plaisait  pas  du  tout  dans  Carmen,  dont  elle  n'avait  ni  l'allure  ui  la 
voix  troublantes;  mais  elle  est  une  superbe  Léonore  et  elle  sera 
une  superbe  Fidès.  Depuis  le  départ  de  M"'=  Richard,  MM.  Ritt  et 

(1)  Telle  est  la  disposition  des  auditeurs  pendant  l'exécution  d'une 
œuvre  de  Bach. 


Gailhard  avaient  jugé  plus  économique  de  laisser  sans  titulaire  cet 
emploi  important  du  eontralto-mezzo;  ils  se  décident  enfin  à  com- 
bler la  lacune,  mais  c'est  seulement  quinze  jours  avant  leur  départ 
du  théâtre.  Quel  comptable  plein  d'ironie  que  cet  excellent  M.  Ritt  ! 
M.  Renaud  ne  justifie  pas  toutes  les  espérances  qu'il  nous  avait 
données  lors  de  son  début  à  l'Opéra-Gomique  dans  Benvenuto  Cellinî. 
Mais  il  les  justifiera  tôt  ou  tard.  C'est  un  talent  qui  a  besoin  de 
s'affiner  ;  et  il  lui  faut  quelques  années  d'air  parisien.  Sa  voix  trop 
lourde  mâche  encore  de  la  bouillie,  mais  elle  s'éclaircira.  M.  Vaguet, 
un  jeune  élève  du  Conservatoire,  chantait  le  rôle  de  Fernand.  Il  y 
a  mis  du  goût,  à  défaut  d'une  grande  autorité.  Mais  le  goùl,  c'est 
quelque  chose  déjà,  savez-vous?  et  cela  ne  se  trouve  pas  souvent  à 
la  grande  Académie  nationale  de  musique.  M.  Plançon  fait  un  très 
bon  Balthazar.  C'est  un  des  artistes  sur  lesquels  la  nouvelle  direc- 
tion pourra  le  plus  compter. 

Avant  son  départ,  la  direction  sortante  se  décidera  enfin  à  nous 
donner,  le  21  décembre  dit-on,  la  première  représentation  de  Tamara, 
l'opéra  de  MM.  Bourgault-Ducoudray  et  Louis  Gallet.  Ce  sera  son 
dernier  soupir.  Toutes  ses  ultimes  préférences  auront  donc  été  pour 
Lohengrin,  qu'elle  donnera  jusqu'à  la  fin  trois  fois  par  semaine,  et 
c'est  ainsi  qu'elle  finira  dans  la  choucroute,  après  avoir  spéculé 
sur  les  agitations  de  la  rue  et  les  émotions  patriotiques,  digne  fin 
de  la  direction  tristement  mercantile  que  vous  connaissez. 

M.  Bertrand,  au  contraire,  saisissant  la  situation  avec  beaucoup 
d'à-propos,  inaugurera  la  première  semaine  de  sa  direction  par 
trois  œuvres  françaises  d'auteurs  vivants:  Faust,  Sigurd  ei  le  Mage. 
Voilà  qui  n'est  pas  mal  joué  pour  commencer. 

H.    MORENO. 

Menus-Plaisirs:  Que  d'eau!  que  d'eau!  Revue  de  l'année  en  trois  actes  et 
cinq  tableaux  de  MM.  Alfred  Delilia  et  Jules  Jouy. 

Que  d'eau!  que  d'eau!  ,  Si  cette  exclamation  a  été  rendue  célèbre 
par  un  Prudhomme  peu  voyageur  la  première  fois  qu'il  vit  la 
mer,  elle  est  devenue,  cette  année,  dans  la  bouche  des  Parisiens, 
une  vraie  scie  tant  saint  Médard  s'est  montré  inclément.  Aussi 
MM.  Delilia  et  Jouy,  en  fervents  de  l'actualité,  se  sont-ils  emparés 
de  la  locution  pour  en, faire  un  titre  à  la  revue  qu'ils  viennent  de 
donner  aux  Menus-Plaisirs.  Que  vous  dire  de  cette  revue  dans 
laquelle  M.  Delilia  a  déployé  tout  l'esprit  que  nous  lui  connaissons 
et  M.  Jouy,  dans  maints  couplets,  la  belle  fantaisie  qui  en  a  fait  le 
chansonnier  du  jour,  soit  qu'il  s'attaque  à  la  politique,  soit  qu'il 
rime,  pour  les  délicats,  son  exquise  Clianson  des  joujoux  ?  Le  compère 
c'est  M.  Perrin  et  la  commère,  M"°  Méaly  ;  tous  deux  s'acquittent 
très  bien  de  leur  emploi  ;  mais  l'événement  de  la  soirée  a  été  le 
début  de  M"°  Émilienne  Alençon,  fort  en  grâce,  M.  de  Lagoanère 
ayant  eu  la  main  assez  heureuse  pour  rendre  à  l'art  dramatique  cette 
jeune  artiste,  élève  de  notre  Conservatoire,  que  l'élevage  des  ron- 
geurs avait  accaparée  jusqu'alors.  A  signaler  certaine  scène  dans 
laquelle  M.  Vandenne  s'est  fait  la  tète  d'un  clief  d'orchestre  bien 
connu  que  ses  bourrades  et  ses  intolérances  ont  rendu  plus  célèbre 
encore  que  sa  science  musicale  assez  douteuse.  Je  vous  dirai  enfin 
que  la  direction  a  fort  bien  habillé  tout  son  monde  et  je  terminerai 
en  souhaitant  que  l'on  n'entende  plus,  ailleurs  qu'aux  Menus-Plaisirs 
le  cri  :  Que  d'eau  !  que  d'eau  ! 

Paul-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE  DE  TABLE 


EN  ORIENT 

(Suite.) 

Tous  les  voyageurs  ne  furent  pas  aussi  favorisés  que  le  P.  Verbiest. 
De  son  temps,  l'empereur  se  montrait  à  tout  le  monde.  Depuis,  il 
n'en  a  pas  été  de  même.  Un  ambassadeur  anglais  fut  un  jour  invité 
à  souper  chez  le  souverain  du  Céleste-Empire  ;  mais  il  ne  lui  fut 
pas  donné  de  contempler  ses  augustes  traits.  Après  avoir  fait  un 
grand  salut  devant  le  paravent  jaune  derrière  lequel  se  tenait  le  Fils 
du  Milieu,  ce  qui  devait  lui  sembler  fort  naturel,  car  il  en  faisait 
un  pareil  devant  le  trône  vide  du  roi  d'Angleterre,  à  la  Chambre  des 
lords,  il  prit  place  avec  sa  suite  sur  des  coussins  auprès  desquels 
se  trouvaient  de  petites  tables  fort  basses,  à  raison  d'une  pour  deux 
convives. 


39(5 


LE  MENESTREL 


Pendant  ce  temps,  la  troupe  des  légats  impériaux,  qui  devaient 
prendre  part  au  souper,  continuaient  à  se  prosterner,  aux  sons  d'une 
hymne  leule,  «  d'une  mélodie  désagréable  »,  jusqu'au  moment  où  un 
héraut  d'armes  donna  le  signal  des  libations,  auxquelles  se  mêlèrent 
de  curieux  divertissements. 

Aussitôt,  des  serviteurs  mirent  devant  chaque  convive  une  sorte 
de  baquel  renfermant  tout  un  service.  Il  y  en  avait  quatre  en  tout, 
et  des  plus  variés. 

«  Le  premier  consistait  en  une  bonne  soupe,  le  second  en  seize 
plats  ronds  ou  étroits,  contenant  des  viandes  salées;  le  troisième, 
en  huit  plats  de  nids  d'oiseaux,  de  nageoires  de  requin,  de  nerfs  de 
daim  et  autres  aliments  regardés  comme  très  nourrissants  ;  le 
quatrième,  en  douze  tasses  d'éiuvées.  Les  convives  se  servaient  de 
bâtonnets,  de  petites  cuillers  de  porcelaine  et  de  quatre  fourchettes 
d'argent  très  courtes.  Quand  ils  buvaient  à  la  santé  l'un  de  l'autre, 
les  serviteurs,  un  genou  en  terre,  versaient  du  vin  chaud  dans  de 
petites  coupes.  » 

Les  distractions  étaient  à  l'avenant  du  repas,  c'est-à-dire  très 
substantielles.  Dans  un  coin  de  la  salle,  des  acteurs  représentaient 
une  pièce  aux  sons  d'une  musique  infernale,  où  dominaient  des 
coups  de  gong  «  qui  auraient  pu  réveiller  Satan  et  ses  légions  de 
leur  sommeil  sur  le  lac  sulfureux.  »  Plusieurs  monstres  pyr-otech- 
niques,  jetant  feu  et  flammes,  figuraient  parmi  les  personnages. 
Mais  la  meilleure  partie  des  exercices  fut  sans  contredit  le  tour- 
billon exécuté  par  un  seul  homme,  qui  déploj'a  dans  ce  tour  une 
agilité  merveilleuse.  «  Faisant  un  bond,  il  s'élança,  le  corps  penché 
en  arrière,  et  continua,  sans  toucher  le  sol,  à  tourner  de  cette 
manière,  avec  une  vélocité  telle  que  l'on  ne  pouvait  distinguer  la 
tête  de  ses  pieds,  qui  formaient  les  extrémités  du  cercle  dont  ses 
membres  avaient  pris  la  forme.  » 

Getle  acrobatie  fit  oublier  au  noble  lord  les  déchaînements  har- 
moniques qui  avaient  failli  troubler  sa  digestion.  II  n'eut  pas  la 
curiosité  de  s'enquérir  des  instruments  qui  composaient  ce  bruyant 
orchestre  ;  mais  un  personnage  de  sa  suite,  Davis,  qui  a  consacré 
un  livre  à  ses  souvenirs  de  voyage,  a  comblé  cette  lacune. 

«  Les  instruments  des  Chinois,  dil-il,  sont  très  nombreux.  Ils 
consistent  en  plusieurs  espèces  de  luths  et  de  guitares,  de  flûtes  et 
d'autres  instruments  à  vent.  Ils  ont  un  violon  à  trois  cordes,  uns 
espèce  d'harmonium  en  fil  de  fer,  que  l'on  louche  avec  deux  petites 
baguettes  de  bambou,  puis  des  systèmes  de  cloches  et  de  morceaux 
de  métal  sonore,  des  tambours  couverts  en  peau  de  serpent,  etc.. 
Les  cordes  de  leurs  instruments  sont  en  soie  et  en  fil  de  fer.  » 

Comme  la  Chine,  le  Japon  nous  attirerait.  Mais  qui  songeait  au 
Japon,  avant  ce  dernier  quart  de  siècle.  Depuis,  les  Japonais  ont 
bien  pris  leur  revanche.  Ce  sont  des  Parisiens  maintenant,  et  nos 
mœurs,  comme  nos  modes,  n'ont  plus  de  secrets  pour  eux.  Ils  dînent 
en  musique,  comme  au  Grand-Hôtel  ou  à  la  Présidence;  mais  il 
n'en  a  pas  toujours  été  de  même.  Lorsque  l'amiral  Roze  comman- 
dait la  division  navale  des  mers  de  Chine  et  du  Japon,  il  alla  rendre 
visite  au  Taïcoun.  à  Baka.  Il  s'était  fait  accompagner,  à  cette  occa- 
sion, par  la  musique  de  la  flotte,  à  laquelle  il  donna  l'ordre  déjouer 
pendant  le  diner  qui  lui  fut  offert.  Ce  fut  une  surprise  pour  le  Taïcoun, 
dont  l'amiral  observait  les  impressions  au  fur  et  à  mesure  qu'elles 
se  reflétaient  sur  son  visage.  Le  concert  et  le  repas  terminés,  comme 
son  hôte  avait  paru  prendre  grand  plaisir  à  la  musique,  il  lui  demanda 
s'il  désirait  entendre  de  nouveau  l'un  des  fragments  qu'on  venait 
d'exécuter.  Alors,  l'empereur  du  Japon,  comptant  sur  ses  doigts, 
demande  le  troisième  morceau  :  c'était  une  fantaisie  sur  le  Bai-bier 
de  Séville. 

Aux  Indes,  la  musique  accompagne  tous  les  actes  de  la  vie,  —  la 
musique  à  percussion  surtout.  On  ne  s'imagine  pas  un  repas  indou 
sans  cymbales  et  sans  tam-tam.  Bien  plus,  il  n'est  pas  besoin  que 
l'amphitryon  soit  vivant  pour  qu'on  lui  fasse  de  la  musique  à  table  ! 
Mort,  on  lui  présente  à  boire  et  à  manger,  avec  accompagnement  de 
musiciens  et  de  danseuses,  pendant  que  sa  veuve  se  dispose  à  mon- 
ter au  bûcher.  Actuellement,  les  Anglais  ont  un  peu  mis  ordre  à 
ces  coutumes  d'anlan,  qui  avaient  au  moins  le  mérite  de  fournir 
aux  librettistes  d'opéras  des  situations  propres  à  inspirer  les  musi- 
ciens. Mais  jadis,  le  dîner  macabre  florissait  dans  toute  l'étendue 
des  presqu'îles  boudhiques. 

L'auteur  anonyme  d'une  Relation  d'un  voyage  fait  aux  Indes  orien- 
tales, en  1(371,  raconte  la  scène  d'une  belle  Indienne  mourant  volon- 
tairement par  le  feu,  pour  ne  pas  survivre  à  son  mari. 

Vêtue  d'une  longue  robe  noire  soufrée,  couverte  d'un  voile  et  d'une 
mante  également  soufrés,  qui  l'enveloppaient  et  tombaient  sur  ses 
pieds  nus,  la  veuve  fut  introduite  dans  une  case  de  bambous  légers, 
où  elle  prit  place  sur  des  palmes  de  cocotiers,  son  mari  sur  ses  genoux. 


Pour  la  dernière  fois,  le  grand  prêtre  lui  demande  si  elle  veut 
devenir  la  proie  des  flammes. 

Elle  le  désire  ardemment. 

Alors,  la  cérémonie  commence.  On  offre  des  mets  variés  et  des 
liqueurs  enivrantes  au  défunt,  couvert  d'un  linceul  blanc  et  léger, 
sur  lequel  l'officiant  jette  des  grains  de  riz.  D'autres  prêtres  appor 
tent  un  second  service;  mais  quand  on  voit  que  décidément  le  mort 
ne  veut  point  faire  honneur  au  repas  préparé  à  son  intention,  on 
brise  les  plats  et  les  cruches,  tandis  que  les  hautbois,  trompettes, 
guitares,  timbres  et  tambours,  qui  n'ont  cessé  de  jouer  pendant  ces 
libations  tristes,  redoublent  de  vigueur.  Les  femmes  qui  accompa- 
gnaient l'épouse  inconsolable  poussent  des  hurlements  qui  couvrent 
le  son  des  instruments.  Et,  à  ce  moment,  le  grand  prêtre  met  le 
feu  à  la  case,  où  bientôt  contenant  et  contenu  flambent  avec  des 
grésillements  qui  font  venir  la  chair  de  poule  aux  Européens  témoins 
de  cet  audotafé. 

Mais  écartons  nos  yeux  de  ce  tableau  lugubre.  D'autres  timbres, 
d'autres  trompettes  retentissent.  Nous  sommes  à  Pondichéry.  C'est 
le  cortège  de  noce  d'un  marchand  de  la  Compagnie  des  Indes  qui 
va  passer  pour  se  rendre  au  lieu  du  festin.  Un  garde  de  la  marine 
à  bord  du  vaisseau-amiral,  commandant  Duquesne,  nous  fera  les 
honneurs  de  cette  fête,  à  laquelle  il  fut  convié  : 

«  On  plaça,  dit-il,  aux  deux  coins  de  la  forteresse,  deux  bambous 
entourés  par  dehors  de  feux  d'artifice.  La  nuit  vint,  le  marchand 
sortit,  suivant  la  coutume,  avec  sa  femme,  dans  un  riche  palanquin 
porté  par  douze  nègres  et  précédé  de  deux  cents  flambeaux  qu'on 
portait  en  bel  ordre.  Leurs  plus  proches  parents  les  accompagnaient 
à  cheval,  et  l'on  entendait  de  toutes  parts  le  son  confus  des  fifres, 
des  tambours  et  des  timbales,  qui  ne  cessèrent  de  jouer.  Dix  ou 
douze  danseuses,  fort  richement  parées,  suivaient  aussi  ce  nocturne 
équipage,  dansant  d'espace  en  espace,  au  son  de  certaines  petites 
clochettes;  et  lorsque  les  deux  mariés  passaient  devant  les  bam- 
bous préparés,  on  en  faisait  jouer  l'artifice,  lequel  était  toujours 
accompagné  de  pétards  et  de  mousqueterie  qui  ne  le  rendait 
pas  désagréable. 

»  Cette  réjouissance  ayant  duré  une  bonne  partie  de  la  nuit,  ils 
furent  se  régaler  de  bétel,  de  cocos,  de  bananes  et  s'enivrèrent 
de  rack,  qui  est  une  boisson  plus  forte  que  l'eau-de-vie,  fort  en 
usage  parmi  les  Indiens,  ainsi  que  le  bétel,  qui  n'est  autre  chose 
qu'une  feuille  à  peu  près  comme  le  lierre,  que  l'on  mange  après 
y  avoir  étendu  un  peu  de  chaux,  roussie  de  gingembre  et  enveloppée 
dans  un  morceau  de  racine  semblable  à  la  muscade.  Cela  est  J'un 
goût  et  d'une  odeur  très  agréables  et  sert  beaucoup  à  rougir  les 
lèvres  et  à  rendre  l'haleine  douce.  » 

Nous  venons  de  voir  les  Indes  anglaises  et  les  Indes  françaises  : 
voici  maintenant  le  tour  des  Hollandais.  Van  Schouter,  qui  fut  aux 
Indes  orientales  en  1645,  raconte  que,  débarquant  dans  une  île, 
qu'il  appelle  itorn,  il  alla  rendre  visite  aux  dsux  rois  qui  la  gou- 
vernaient, avec  quatre  trompettes  et  un  tambour,  dont  les  accords  les 
ravirent.  Aussitôt  leur  arrivée,  des  indigènes  apportèrent  le  kava, 
herbe  mâchée  par  eux,  qu'ils  versaient  dans  une  auge,  où  ils  reten- 
daient d'eau,  avant  de  l'offrir  à  leurs  souverains,  qui  s'en  délec- 
tèrent. Pour  les  Hollandais,  «  la  vue  seule  de  cette  brasserie  suffit 
à  calmer  leur  soif  ».  Par  contre,  ils  se  régalèrent  de  racines  d'uban 
cuites  sur  des  pierres  chaudes,  tandis  que  des  filles,  en  costume 
primitif,  leur  donnaient  une  sérénade:  «l'une  jouait  sur  un  bois 
creux  en  façon  d'une  pompe,  qui  rendait  quelque  son,  au  bruit 
duquel  les  autres  dansaient  de  fort  bonne  grâce.   » 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Ce  n'est  jamais  sans  une  sorte  de  frissonnement  d'émotion,  que  j'en- 
tends l'attaque  étrange  et  mystérieuse  du  premier  morceau  de  la  Symphonie 
avec  chœur  de  Beethoven.  Dans  sa  belle  analyse  des  neuf  symphonies  du 
maître,  Berlioz  a  négligé  de  faire  ressortir  ce  caractère  mystérieux  d'une 
si  grande  intensité,  mais  il  l'a  expliqué  en  quelque  sorte  indirectement, 
en  décomposant  l'harmonie  ou,  si  l'on  peut  dire,  l'absence,  au  contraire, 
d'harmonie  qui  caractérise  les  premières  mesures  de  ce  morceau  admirable 
et  qui  leur  donne  une  couleur  si  étrange  et  si  émouvante.  «  Cet  allegro 
maestoso,  dit-il,  écrit  en  ré  mineur,  commence  cependant  sur  l'accord  de 
ta,  sans  la  tierce,  c'est-à-dire  sur  une  tenue  des  notes  la,  nn,  disposées 
en  quinte,  arpégées  en  dessus  et  en  dessous  par  les  premiers  violons, 
les  altos  et  les  contrebasses,  de  manière  à  ce  que  l'auditeur  ignore  s'il 
entend  l'accord  de  la  mineur,  celui  de  la  majeur,  ou  celui  de  la  domi- 
nante de  ré.  »  C'est  cette  longue  indécision  de  la  tonalité  qui  donne  aux 


LE  MENESTREL 


397 


seize  premières  mesures  de  l'allégro  cette  couleur  sombre  et  mystérieuse 
que  je  signalais,  et  c'est  elle  aussi  qui  communique  une  si  grande  puis- 
sance et  un  si  beau  caractère  à  l'explosion  qui  se  produit  enfin  sur 
l'accord  de  ré  mineur.  On  marche  d'ailleurs  de  surprise  en  surprise  pen- 
dant tout  le  cours  de  cette  œuvre  gigantesque  et  merveilleuse.  Lorsqu'on 
se  croit  arrivé  à  la  péroraison  du  délicieux  scherzo  dont  la  grâce  et  la 
légèreté  sont  prodigieuses,  on  le  voit  tout  à  coup  interrompu  par  un 
presto  épisodique  à  deux  temps  qui  ramène  ensuite  d'une  façon  délicieuse 
la  tonalité,  le  rythme  et  le  dessin  primitifs.  De  même,  dans  Vadaçjio, 
la  première  phrase,  en  si  bémol,  d'une  inspiration  si  pure  et  d'un 
sentiment  si  expressif,  est  bientôt  coupée  par  un  autre  chant,  à 
trois  temps,  d'un  caractère  pénétrant  et  singulièrement  incisif,  confié 
aux  seconds  violons  et  aux  altos  à  l'unisson.  Dire  le  parti  et  les  dévelop- 
pements que  le  compositeur  sait  tirer  de  ces  deux  chants  juxtaposés  est 
chose  impossible;  il  suffit  d'admirer  cette  merveille  de  science  et  d'inspi- 
ration, et  il  faut  s'agenouiller  devant  la  puissance  du  génie  capable  de 
procurer  de  telles  émotions.  Quant  au  finale  immense,  où  les  voix  vont 
faire  leur  entrée  après  le  formidable  récitatif  qu'on  aura  entendu  des- 
siner par  les  contrebasses  et  les  violoncelles  (une  trouvaille  de  génie!),  il 
faut  renoncer  aussi  à  en  décrire  la  grandeur,  la  noblesse  et  la  puissance. 
Page  colossale  dans  une  œuvre  colossale,  ce  finale,  par  l'ampleur  de  la 
forme,  par  la  richesse  des  développements,  par  la  sonorité  inouïe  résultant 
de  l'union  des  voix  et  des  instruments,  par  la  façon  magistrale  avec 
laquelle  il  est  traité  dans  toutes  ses  parties,  par  l'ensemble  prodigieux 
que  produisent  tant  de  forces  accumulées  avec  un  art  incomparable,  écrase 
littéralement  l'auditeur  sous  son  imposante  majesté  et  lui  arrache  un  cri 
d'enthousiasme  et  d'admiration.  C'est  la  péroraison  magnifique  et  superbe 
d'une  œuvre  qui  jusqu'ici  n'a  pas  trouvé  son  égale  dans  la  langue  où  elle 
a  été  écrite,  et  qui  peut-être  ne  la  trouvera  jamais.  Il  faut  remercier  la 
Société  des  concerts  —  car  c'est  d'elle  et  de  sa  première  séance  que  je 
parle  ici  —  d'avoir  inauguré  sa  soixante-cinquième  session  avec  une  fort 
belle  exécution  de  cet  incomparable  chef-d'œuvre.  Tous  ont  fait  noblement 
leur  devoir  ;  chœurs,  orchestre,  soli  —  ceux-ci  fort  bien  dits  par  M'"=s  Leroux- 
Ribeyre  et  Boidin-Puisais,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez.  Si  j'avais  une 
observation  à  faire,  ce  serait  pour  reprocher  aux  violons  d'avoir  l'archet 
un  peu  trop  à  la  corde  dans  le  scherzo,  ce  qui  enlève  à  celui-ci  un  peu 
de  sa  grâce  exquise  et  de  son  adorable  légèreté  ;  il  ne  faut  pas  oublier  que 
toutes  les  notes  sont  pointées,  ce  qui  doit  donner  au  son  une  certaine 
élasticité  et  l'empêcher  d'être  étouITé  sous  l'archet.  —  Après  la  symphonie 
venait  la  gracieuse  ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal,,  de  Mendelsshon,  à  qui 
ce  puissant  voisinage  n'était  pas  trop  favorable,  puis  le  délicieux  duo 
nocturne  de  Béatrice  et  Bénédict,  de  Berlioz,  fort  joliment  chanté  par 
M"=*  Leroux  et  Boidin-Puisais,  à  qui  il  a  valu  un  rappel  bien  méi'ité.  Et 
le  concert  se  terminait  par  la  superbe  Marche  du  Tannhauser,  qui  fait 
partie  maintenant  du  répertoire  courant  de  la  Société.         Arthur  Pougin. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  M.  Colonne  nous  a  donné  une  bonne  inter- 
prétation de  la  symphonie  en  la  de  Beethoven.  Nous  trouvons,  —  peut-être 
avons-nous  tort,  —  que  l'on  exécute  presque  toujours  avec  une  vitesse 
exagérée  et  une  violence  trop  continue,  la  quatrième  partie  de  cette  sym- 
phonie. L'accentuation  des  temps  forts  par  les  instruments  à  vent  et  à 
percussion  produit  une  impression  désagréable,  et  le  finale  y  perd  ce  carac- 
tère de  gaîté  agreste  et  aimable  qui  était,  je  crois,  dans  les  intentions  de 
Beethoven.  —  M.  Delmas,  de  l'Opéra,  a  dit  avec  un  grand  talent  deux 
œuvres  de  M.  Reyer,  une  connue,  introduction,  récit  et  air  à'Érostrate, 
l'autre  inédite,  l'Homme,  scène  lyrique  sur  une  poésie  de  M.  Georges  Boyer. 
Ces  deux  œuvres  renferment  de  belles  parties,  que  M.  Delmas  a  admira- 
blement mises  en  relief.  —  La  Sérénade  de  Gilles,  de  M.  Pierné,  est  une 
œuvre  très  délicate,  très  gracieuse,  qui  a  eu  de  nouveau  un  succès  mérité. 
La  Polonaise  de  M.  "Vidal  a  paru  un  peu  bruyante.  Grand  succès  pour  le  ballet 
d'Ascanio,  de  M.  Saint-Saëns  ;  c'est  un  véritable  régal  pour  l'oreille  que 
cette  musique,  si  fine,  si  ingénieuse,  si  bien  faite  et  si  intéressante.  — 
Réparons  un  oubli  que  nous  avons  fait  dans  un  de  nos  derniers  comptes 
rendus;  nous  avons  omis  de  parler  de  V Angélus,  air  breton,  harmonisé  par 
M.  Bourgault-Ducoudray  et  si  bien  dit  par  M.  Auguez.        H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux  — La  symphonie  en  sibémol  de  Schumann  semble 
consacrée  tout  entière  à  l'expression  de  sentiments  juvéniles.  Tous  les 
morceaux  dont  elle  se  compose  expriment  la  joie,  mais  il  serait  facile 
d'attribuer  à  chacun  d'eux  une  nuance  bien  tranchée  dans  l'expression  du 
même  sentiment,  car  Schumann  voyait  dans  la  musique  un  langage  destiné 
à  produire  au  dehors  ses  plus  intimes  sensations.  Fort  différent  de  Beetho- 
ven, qui  puisait  le  meilleur  de  ses  inspirations  dans  la  contemplation  de 
la  nature,  Schumann  vivait  replié  sur  lui-même,  écoutant  battre  son  cœur 
et  reproduisant  merveilleusement  ses  impressions  personnelles.  La  sym- 
phonie en  si  bémol  est  émaillée  de  contre-motifs  d'une  exquise  naïveté, 
et  son  instrumentation  fraîche  et  délicate  nous  cause  de  charmantes  sur- 
prises. —  M.  Richard  Strauss  a  voulu  peindre,  dans  un  poème  sympho- 
nique,  les  «  états  d'àme  »  de  Don  Juan.  Deux  fragments  du  Don  Juan  de 
Lenau  sont  donnés  pour  guide  à  l'auditeur.  L'œuvre  musicale,  très  inté- 
ressante comme  facture  orchestrale  et  d'un  wagnérisme  pour  ainsi  dire 
exaspéré,  renferme  en  abondance  des  passages  d'une  sonorité  superbe  et, 
dès  le  début,  semble  avoir  voulu  décrire  avec  une  désinvolture  pleine 
d'ampleur  et  d'élégance  les  façons  osées  et  aisées  des  libertins  grands  sei- 
gneurs. Nous  remarquons  ensuite  des  supplications  réitérées  de  hautbois 
mêlées  à  des  réponses  de  cor,  puis  un  violon  solo  jetant  une  note  comme 


un  cri  déchirant...  La  musique  de  M.  R.  Strauss  est  toujours  distinguée, 
elle  ne  manque  pas  d'inspiration,  mais  cette  inspiration  n'a  pas  toute  la 
simplicité,  tout  le  naturel,  toute  la  naïveté  que  l'on  aimerait  à  trouver  chez 
un  compositeur  qui  ne  doit  pas  avoir  beaucoup  plus  de  vingt-cinq  ans.  Les 
premières  œuvres  du  jeune  artiste,  avec  certaines  inexpériences,  avaient 
un  charme  auquel  on  se  soumettait  plus  volontiers  qu'aux  injonctions  vio- 
lentes de  la  musique  de  Don  Juan.  Cette  musique,  dans  laquelle  les  instru- 
ments de  cuivre  remplissent  un  rôle  trop  uniformément  appréciable,  est 
d'ailleurs  pleine  d'énergie,  de  pompe,  d'ampleur,  de  distinction  même  et 
dénote  un  effort  puissant  de  conception,  une  imagination  vive  et  de  sé- 
rieuses qualités  d'invention.  Signalons  à  propos  de  cette  œuvre  un  instru- 
ment introduit  cette  année  dans  l'orchestre  pour  exécuter  les  parties  de 
contre-basson  ;  c'est  le  sarrusophone  contrebasse  en  mi  bémol,  joué  par 
M.  Leruste,  et  sur  lequel  un  ouvrage  de  M.  Constant  Pierre:  la  Facture  ins- 
trwnenlale,  donne  des  renseignements  complets.  Venant  à  la  suite  du  poème 
de  Don  Juan,  la  Danse  macabre  de  M.  Saint-Saénsa  produitl'effet  d'un  rayon 
de  soleil  après  la  tempête.  On  l'a  applaudie  avec  une  chaleur  toute  spon- 
tanée, et  ses  mélodies  ont  paru  aussi  inspirées  que  reposantes.  On  avait 
témoigné  précédemment  quelque  froideur  pour  la  Rarpsodie  slave  de 
M.  Dvorak  ;  cette  composition,  dont  le  plan  ne  parait  pas  excellent,  ne 
brille  pas  non  plus  par  une  grande  originalité  dans  la  manière  dont  sont 
présentés  les  thèmes.  —  On  a  entendu  encore  Siegfried-Idijll  et  l'ouverture 
de  Tannhduser.  Amédée  Bouwrel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  avec  chœurs  (Beethoven),  soli  par  M""  Leroux- 
Ribeyre  et  Boidin-Puisais,  MM.  Varmbrodt  et  Auguez;  ouverture  de  la  Grotte  de 
Fingal  (Mendelssohn)  ;  duo  nocturne  de  Béatrice  et  Bénédict  (Berlioz),  par  M""  Le- 
roux-Ribeyre  et  Boidin-Puisais;  marche  de  Tannhauser  (Wagner). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Huitième  symphonie,  en  fa  (Beethoven)  ;  Vision, 
sonnet  imité  de  Pétrarque  (Lefebvre),  et  Myrlo  (Delibes),  par  M""  B.  de  Monta- 
lant;  le  Rouet  d'Ompliule  (Saint-Saëns)  ;  concerto  pour  deux  pianos  (Mozart),  par 
MM.  Diémer  et  Pierret;  la  Flûte  enchantée  (Mozart),  soli  par  M,  Villaret  et 
M—  de  Montalant,  de  Berny  et  Pregi  ;  .--ymphonie  en  sol  mineur  (.Mozart). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Freischiits 
(Weber);  symphonie  en  si  bémol,  n°  1  (Schumann)  ;  Pcdria  (Chaumet),  par  M.  Las- 
salle;  fragments  de  Merlin  enchanté  (Marty)  ;  ouverture  de  Tannhïmser  (Wagner); 
Danse  macabre  (Saint-Saëns). 

—  L'audition  de  musique  du  XVIIP  siècle,  donnée  mercredi  au  Cercle 
Saint-Simon,  a  permis  d'apprécier  clairement  les  mérites  transcendants  des 
grands  maîtres  français  du  commencement  du  XVIIP  siècle:  Rameau,  Coupe- 
rin  et  Campra.  Devant  le  public  très  éclairé  qui  se  pressait  dans  la  grande 
salle  des  Sociétés  savantes,  leur  supériorité  sur  les  musiciens  de  second  ordre 
qui  figuraient  au  programme  :  Marais,  de  Boismortier,  Lœillet,  est  apparue 
manifestement,  peut-être  encore  accusée  par  l'éloignement;  de  même,  les 
romances.de  Jean-Jacques  Rousseau,  de  date  pourtant  plus  récente,  ont  sem- 
blé assez  pâles;  et  peut-être  en  eût-il  été  de  même  pour  les  morceaux  des  pre- 
miers temps  de  l'opéra-comique,  si  le  programme,  limité  strictement  à  des 
compositions  non  théâtrales,  en  avait  admis  quelques-uns.  De  même,  le 
clavecin  s'est  montré  une  fois  de  plus  l'instrument  convenant  essentiellement 
à  l'exécution  de  Couperin  et  de  Rameau,  bien  supérieur  au  piano  à  cet 
égard,  tandis  que  le  violon,  l'alto  et  le  violoncelle,  de  même  nature  que 
les  violes,  marquent  sur  ces  instruments  un  progrès  certain.  Et  cette  dé- 
monstration était  d'autant  plus  péremptoire  que  tous  les  exécutants  étaient 
d'une  égale  supériorité  et  tiraient  chacun  le  meilleur  parti  possible  de 
leurs  instruments  respectifs:  MM.  Diémer,  Van  Waefelghem  et  Delsart, 
auxquels  s'était  adjoint  M.  Taffanel  avec  sa  flûte  moderne.  Les  Pièces  en 
concert  de  Rameau,  pour  clavecin,  flûte  et  basse,  sont  vraiment  de  petites 
merveilles,  ainsi  que  les  pièces  de  clavecin  de  Rameau  et  de  Couperin, 
dont  le  succès,  additionné  du  succès  personnel  de  M.  Diémer,  a  été  con- 
sidérable. De  même,  la  cantate  :  Daphné,  de  Campra,  chantée  par  M™"  Paulin- 
Archainbaud  avec  accompagnement  de  clavecin  et  basse  —  une  véritable 
résurrection  après  un  siècle  et  demi  —  a  produit  l'impression  la  plus  fa- 
vorable. L'exécution  de  cet  important  morceau  était  précédée  de  la  lecture 
de  fragments  d'une  étude  sur  les  cantates  françaises  du  XVIII=  siècle,  de 
M.  Julien  Tiersot,  qui,  à  en  juger  par  la  chaleur  et  la  durée  des  applau- 
dissements qui  l'ont  accueillie,  a  paru  vivement  intéresser  l'auditoire. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRAflGER 

Toutes  les  branches  de  l'art  musical  auront  leur  place  à  l'Exposition 
universelle  de  Chicago,  où  l'on  s'occupe  actuellement  d'établir  les  bases 
d'un  congrès  auquel  seront  conviés  les  principaux  compositeurs,  artistes, 
professeurs,  théoriciens,  savants  et  critiques  du  monde  entier.  Les  tra- 
vaux de  ce  congrès,  dont  M.  Théodore  Thomas  aura  la  présidence,  s'éten- 
dront à  toutes  les  manifestations  de  la  science  et  de  l'art  des  sons  ;  des 
conférences  partielles  auront  lieu  entre  les  artistes  de  même  catégorie  et 
des  discussions  spéciales  seront  consacrées  aux  problèmes  musicaux  qui 
attendent  encore  leur  solution.  Le  public  sera  lui-même  convié  à  certaines 
assemblées  ouvertes  où  seront  communiquées  les  conventions  arrêtées 
par  le  congrès.  Pour  les  délibérations,  on  a  d'ores  et  déjà  adopté  la  classi- 
fication et  l'ordre  que  voici  :  1°  musique  instrumentale,   orchestre,   bar- 


398 


LE  MÉNESTREL 


monie,  soli  de  virtuoses,  musique  de  ciiambre  ;  i"  musique  yocale  :  opéras 
et  cantates  dramatiques,  oratorios  et  musique  sacrée,  musique  chorale, 
chansons  et  mélodies  ;  3"  l'histoire  de  la  musique  :  la  musique  considérée 
comme  agent  civilisateur;  la  musique  nationale,  ses  particularités;  en- 
quête sur  l'étendue  de  l'influence  exercée  par  l'élément  national  sur  la 
musique;  étude  des  modifications  que  cette  influence  fait  subir  au  caractère 
de  la  musique.  Rapprochements  et  points  de  comparaison  entre  les  musiques 
des  différentes  nations  civilisées  et  demi-civilisées;  4°  la  théorie  musicale  : 
tableau  complet  des  lois  régissant  la  combinaison  des  sons  en  vue  de  l'ex- 
pression musicale  ;  5°  partie  esthético-théorique  :  l'idéal  vrai  dans  la  mu- 
sique et  les  limites  réelles  des  effets  dramatiques  descriptifs,  réalistes  et 
imitatifs  dans  la  musique;  C"  le  rôle  de  la  musique  dans  la  vie  humaine, 
la  musique  considérée  comme  récréatif  et  comme  passe-temps,  son  in- 
fluence moralisatrice  ;  7°  éducation  musicale.  Développement  du  goût 
pour  les  formes  élevées  de  l'art.  Recherches  sur  les  méthodes  les  plus 
efficaces  à  l'usage  des  musiciens  de  profession.  L'éducation  populaire  : 
son  objet,  son  étendue,  ses  méthodes.  Journalisme  musical  :  son  véritable 
ofiîce,  son  but;  S"  partie  acoustioo-scientifique.  Analyse  des  avantages  et 
des  défauts  des  instruments  de  musique  existants  et  indications  des  ré- 
formes à  apporter  pour  leur  perfectionnement.  Relations  qui  unissent  les 
appareils  producteurs  des  sons  au  sens  auditif  et  qui  constituent  les  bases 
premières  de  l'art  musical.  Influence  des  différents  instruments  sur  le 
système  nerveux.  Du  bien-être  nervoso-physique  des  personnes  qui  cul- 
tivent ces  instruments  ou  les  entendent  continuellement.  Qualités  acous- 
tiques des  salles  de  concerts,  d'opéras,  de  théâtres,  lois  qui  gouvernent  ces 
qualités. 

—  Il  y  aura  deux  salles  de  concert  à  l'Exposition  de  Chicago.  La  pre- 
mière aura  des  dimensions  gigantesques  et  abritera  les  festivals  et  con- 
cours de  musique  de  toute  espèce.  Il  y  aura  place  pour  13,000  auditeurs 
dans  la  salle  et  3,000  exécutants  sur  l'estrade.  L'autre  salle  ne  contiendra 
que  2,000  places  de  spectateurs  et  400  places  d'artistes;  on  l'utilisera  pour 
les  concerts  classiques  et  en  général  tous  ceux  offrant  un  intérêt  artis- 
tique d'un  ordre  élevé.  Les  études  de  masses  chorales  sont  déjà  commen- 
cées à  Chicago;  ces  masses  se  décomposent  ainsi:  Apollo  club,  SOO  voix; 
chœur  du  festival,  700  voix;  chœur  colombien,  130  voix  d'hommes; 
chœur  d'enfants,  1,300  voix  ;  chœur  allemand  {enfants  et  adultes),  2,000  voix  ; 
chœur  suédois,  1,000  voix  ;  chœur  du  pays  de  G-alles,  330  voix.  Écoles 
primaires,  3,000  voix  ;  écoles  secondaires,  3,000  voix  ;  écoles  supérieures, 
3,000  voix.  Sociétés  chorales  des  environs,  300  voix. 

—  Toujours  excentriques,  les  Américains!  Témoin  le  mariage  qui  vient 
d'être  contracté  à  Atalante,  dans  la  Géorgie,  entre  un  nommé  Hiram 
Lester,  âgé  de  cent  quatre  ans,  et  une  certaine  Mary  Mosely,  qui  en 
compte  seulement  quatre-vingt-un.  Et  comme  union  semblable  ne  se  voit 
pas  tous  les  jours,  on  a  jugé  bon  de  célébrer  celle-ci...  sur  la  scène  du 
théâtre  de  la  ville,  où  chacun  pouvait  pénétrer  et  jouir  de  ce  spectacle 
moyennant  une  faible  rétribution  d'un  quart  de  dollar  —  soit  vingt-cinq 
sous, 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Bërli.v  :  A  l'Opéra  royal,  récep- 
tion d'un  nouvel  opéra  de  M.  Moszkowski,  livret  de  M.  Wittowski,  intitulé 
BoMii,  le  dernier  roi  maure,  qui  sera  représenté  dans  le  courant  de  l'hiver. 
—  Breslau  :  En  même  temps  que  la  première  représentation  de  Cavalleria 
rusiicana,  le  théâtre  municipal  a  présenté  à  son  public  une  œuvre  lyrique 
inédite  en  un  acte  de  M.  F.  von  Woyrsch,  intitulée  le  Curé  de  Meudon,  qui 
a  quelque  peu  souffert  de  la  concurrence  redoutable  de  l'opéra  de  Masca- 
gni.  Le  même  théâtre  vient  de  fêter  le  30"=  anniversaire  de  sa  fondation 
par  trois  représentations  de  gala.  —  Brïjkn  :  Très  belle  réussite,  au  théâtre 
municipal,  d'un  nouvel  opéra  en  trois  actes,  imité  du  Gaudeamus  igitur  de 
Scheffel  et  intitulé  Rodensiein.  La  musique,  de  M.  E.  Kaiser,  mélodique  et 
agréable  à  entendre,  a  assuré  le  succès  de  l'opéra,  dont  M.  E.  von  Dubsky 
a  écrit  le  livret.  —  Francfort  :  A  l'Opéra,  très  bonne  reprise  de  Lakmé 
avec  M""  Schacko,  qui  a  remporté  un  succès  de  bon  aloi  dans  le  rôle  de 
l'héroïne,  qu'elle  abordait  pour  la  première  fois. 

—  Le  grand  violoniste  Joachim  a  obtenu  un  succès  personnel  considé- 
rable, dans  un  concert  donné  à  Heidelberg,  en  exécutant,  avec  un  style 
et  une  maestria  superbes,  un  nouveau  concerto  de  violon,  en  ré  mineur, 
de  M.  Max  Bruch.  Quant  à  l'œuvre  en  elle-même,  elle  parait  n'être  que 
médiocre,  et  sans  valeur  appréciable. 

—  M""î  Amalia  Joachim,  l'épouse  divorcée  du  grand  violoniste,  a  donné 
à  Berlin,  au  grand  plaisir  du  public,  un  cycle  historique  de  la  chanson  alle- 
mande. La  première  soirée  était  consacrée  exclusivement  à  la  chanson 
populaire,  la  seconde  à  la  chanson  en  forme  d'air,  la  troisième  enfin  à  la 
chanson  artistique  depuis  le  commencement  du  xvii=  siècle  jusqu'à 
Beethoven.  Dans  cette  dernière,  la  première  partie  du  programme  com- 
prenait des  airs  d'Henri  Albert  (1604-1631),  Melchior  Franck  (1380-1630), 
Adam  Krieger  (1634-1666),  Henri  Kaiser  (1674-1739),  des  Chants  religieux  de 
J.-R.  Ahle  et  J.-C.  Ahle,  de  J.  S.  Bach  et  de  Giovannini  ;  dans  la  seconde, 
on  a  entendu  des  mélodies  de  Kirnberger,  Philippe-Emmanuel  Bach, 
Neefe,  Graun,  Haydn  et  Mozart;  enfin  dans  la  troisième,  M""=  Joachim  a 
chanté  la  romance  fameuse  de  Beethoven  :  A  l'amie  lointaine. 

On  annonce  à  Berlin,  pour  Noël,  l'inauguration  d'un  musée  musical 

dont  on  dit  merveille.  Dans  la  section  relative  à  l'histoire  et  au  dévelop- 
pement du  piano,  on  cite,  entre  autres,  deux  clavecins  italiens  ornés  de 


fines  peintures,  dont  l'un  de  1014  et  l'autre  de  1694,  le  clavecin  de  Bach, 
qui  a  coûté  10,000  marks,  l'épinette  de  Frédéric  II,  le  clavecin  de  voyage 
de  Mozart,  le  clavecin  de  la  reine  Marie-Antoinette  (il  nous  semble  que 
la  famille  de  celui-là  est  nombreuse,  car  on  en  trouve  dans  toutes  les 
collections),  enfin  le  piano  de  Weber.  On  donne  aussi  comme  très  précieuse 
la  série  des  orgues,  et  on  signale  la  présence  de  l'harmonica  à  verres  de 
Franklin.  Parmi  les  instruments  à  archet  se  trouvent  de  nombreux  rebecs, 
de  beaux  spécimens  de  la  guitare  à  trois  cordes,  jadis  si  populaire,  et 
enfin  divers  violons  d'Amati  et  de  Stradivarius,  représentants  des  chefs- 
d'œuvre  de  la  lutherie  dans  ce  qu'elle  offre  de  plus  noble  et  de  plus  élevé. 

—  L'opéra  nouveau  de  M.  Johann  Strauss,  le  Chevalier  Pasmann,  qui 
devait  être  donné  ces  jours  derniers  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  et  avec 
lequel  le  compositeur  devait  faire  ses  débuts  dans  le  genre  sérieux,  est 
provisoirement  ajourné.  Tout  d'abord  on  avait  dû  pratiquer  de  larges  cou- 
pures dans  la  partition,  qui  paraissait  beaucoup  trop  développée.  Aujour- 
d'hui, la  maladie  d'une  artiste  rend  la  représentation  impossible,  au  moins 
pour  le  moment.  Ce  sera  pour  le  commencement  de  janvier,  dit-on. 

—  Grand  succès  à  Pétersbourg  et  à  Moscou  pour  l'excellent  violoniste 
Johannès  Wolf,  qui  a  interprété  le  beau  Concerto  romantique  de  M.  Benja- 
min Godard  ;  canzonetta  bissée. 

—  La  saison  italienne  du  théâtre  Marie,  à  Odessa,  s'est  terminée,  parait- 
il,  d'une  façon  désastreuse.  A  la  suite  de  la  déconfiture  de  la  direction, 
plusieurs  des  artistes  qui  composaient  la  troupe,  se  trouvant  absolument 
sans  ressources,  ont  dû  avoir  recours  au  consulat  italien  pour  se  faire 
rapatrier. 

—  M.  Edouard  Grieg,  le  remarquable  compositeur  norvégien,  vient 
d'être,  ainsi  que  sa  femme,  l'excellente  cantatrice,  l'objet  de  manifesta- 
tions particulièrement  flatteuses  à  Christiania,  de  la  part  de  ses  compa- 
triotes. Dans  plusieurs  concerts  dirigés  par  lui,  comme  tous  les  hivers,  il 
a  fait  entendre  avec  un  succès  considérable  quelques-unes  de  ses  œuvres 
importantes.  Un  comité  formé  spécialement  a  saisi  l'occasion  du  dernier 
de  ces  concerts  pour  fêter  le  23"  anniversaire  de  la  première  apparition 
de  M.  et  M"'=  Grieg  devant  le  public  norvégien.  Toute  la  cour  assistait  à 
la  soirée,  où  une  magnifique  ovation  a  été  faite  aux  deux  artistes,  et  qui 
a  été  suivie  d'une  grande  fête  et  d'une  retraite  aux  flambeaux  organisée 
par  les  étudiants.  M""  Grieg  doit  prendre  prochainement  une  part  im- 
portante au  concert  d'un  jeune  compositeur,  M.  Christian  Sinding,  dont 
elle  chantera  plusieurs  mélodies.  M.  Christian  Sinding  est  le  frère  cadet 
de  deux  éminents  artistes,  M.  Stéphane  Sinding,  sculpteur,  et  M.  Othon 
Sinding,  peintre,  qui,  l'un  et  l'autre,  ont  obtenu  les  premières  récom- 
penses à  l'Exposition  universelle  de  Paris  en  1889  et  à  l'Exposition  de 
Munich  en  1891.  Il  marche,  dit-on,  sur  les  traces  de  ses   deux  aînés. 

—  Cette  semaine,  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  première  représentation 
d'un  opéra-comique  en  trois  actes,  Barberine,  poème  arrangé  d'après  la 
jolie  comédie  de  Musset  par  M.  Paul  Collin,  musique  de  M.  de  Saint- 
Quentin,  jouée  par  M"'«-  d'Arcelle  (Barberine),  Savine  (Rosemberg),  Wolf 
(la  reine),  Darmont  (Kalekairi)  et  M.  Gilibert  (Uladislas).  Notre  correspon- 
dant de  Bruxelles  nous  rendra  compte,  dimanche  prochain,  du  résultat  de 
cette  représentation. 

—  M.  Eugène  Samuel,  fils  de  M.  Adolphe  Samuel,  l'excellent  directeur 
du  Conservatoire  de  Gand,  vient  d'achever  la  partition  d'un  drame  lyrique 
en  trois  actes,  intitulé  la  Reine  Klothilde,  dont  il  a  écrit  aussi  les  paroles. 

—  On  nous  écrit  de  Genève  :  «  L'anniversaire  de  la  mort  de  Mozart  a 
été  célébré  au  grand  théâtre  par  un  festival  dont  le  succès  a  été  très  bril- 
lant. L'orchestre,  la  Société  de  chant  du  Conservatoire,  M""^  Ketten,  Le 
Coultre  et  Lang,  MM.  Dauphin  et  Imbart  de  la  Tour  ont  exécuté  un  pro- 
gramme où  je  note  la  symphonie  en  sol  mineur,  le  concerto  en  mi  bémol 
pour  deux  pianos,  l'ouverture  de  Don  Juan,  la  marche  et  le  chœur  i'Ido- 
■ménée,  avec  des  fragments  du  Requiem  et  des  divers  opéras  du  maître.     B.  D. 

—  Trois  nouveautés  à  Rome.  Au  théâtre  Quirino,  Makmus,  grande  féerie 
de  M.  Grassi,  avec  musique  de  M.  Sassone,  dans  laquelle  l'auteur  des 
paroles  remplissait  le  principal  rôle,  ce  qui  lui  a  valu  un  double  succès 
d'acteur  et  d'auteur.  Au  théâtre  Métastase,  deux  opérettes,  l'une,  i  Toravs, 
bien  accueillie  du  public,  mais  dont  on  ne  nous  fait  pas  connaître  les 
auteurs;  l'autre,  il  Talisinano  di  Granata,  paroles  de  M.  Malîei,  musique  de 
M.  Buongiorno. 

—  Le  même  M.  Buongiorno,  qui  est  un  opérettiste  infatigable,  car  il 
comble  les  théâtres  italiens  de  ses  productions  en  ce  genre,  vient  de 
donner  à  la  Fenice,  de  Naples,  une  autre  opérette  en  trois  actes  à  grand 
spectacle,  sur  un  livret  de  M.  Golisciani,  il  Diavolo  zoppo  (le  Diable  boiteux), 
qui  paraît  avoir  enchanté  les  spectateurs.  Le  Trovatore  résume  ainsi  son 
compte  rendu  de  cet  ouvrage:  «  Succès  complet  d'eau,  de  lumière,  de 
lutins,  de  musique,  de  chant,  de  costumes  neufs,  de  fantastique,  de  réel 
et  même  de  public.  » 

—  La  ville  de  Gênes  n'est  pas  près  de  manquer  de  primeurs  musicales. 
Un  journal  italien,  î7  Secoio  X/A',  nous  apprend  que  huit  compositeurs  de 
cette  ville  ont  chacun  opéra  nouveau  tout  prêt  pour  le  théâtre  Carlo  Felice. 
Ces  huit  maestri  sont  MM.  Brignami,  Elia,  Grimaldi,  Massa,  Perosio, 
Ronco,  Samengo  et  Zambelli.  En  présence  de  ces  huit  compositeurs,  le 
directeur  du  théâtre  n'est  pas  sans  doute  sur  un  lit  de  roses. 


LE  MÉNESTREL 


399 


PARIS    ET    DEP4RTEWENTS 

La  centième  représentation  de  Sigiird,  qui  sera  célébrée  le  30  décembre 
à  l'Opéra,  présentera  cette  particularité  d'être  chantée  par  les  trois  artistes 
femmes  qui  ont  créé  l'œuvre  à  Bruxelles  :  M"'»  Garon  (Brunehilde), 
Deschamps  (Uta)  et  Bosman  (Hilda). 

—  Une  indiscrétion.  Il  est  question  en  ce  moment,  dit  notre  confrère 
Nicolet.  du  Gaulois,  d'une  série  de  représentations  d'opéras  italiens  qu'une 
troupe  italienne  viendrait  donner,  cet  hiver,  à  Paris.  Dans  quel  théâtre  ? 
C'est  ce  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de  dire  encore.  Mais  ce  que  nous 
pouvons  ajouter,  c'est  que,  au  cours  de  ces  représentations,  nous  enten- 
drons probablement  l'Ami  Fritz,  l'opéra  nouveau  du  maestro  Mascagni, 
qui  serait  l'élément  principal  de  ces  représentations.  A  moins  que  le  pro- 
cès pendant  entre  le  compositeur  Mascagni.  les  héritiers  Erckraann  et 
M.  Chatrian,  ne  vienne  arrêter  à  son  début  une  aussi  belle  combinaison. 

—  Quelques  journaux  veulent  bien  s'inquiéter  de  la  raison  détermi- 
nante du  séjour  à  Paris  d'Antoine  Rubinstein  pendant  la  dernière  semaine. 
Il  y  est  venu  pour  conférer  avec  son  éditeur  de  la  publication  de  son 
étude  :  la  Musique  et  ses  représentanls,  et  aussi  quelque  peu  pour  causer 
avec  M.  Bertrand  de  la  représentation  de  son  opéra  Néron,  écrit,  comme 
on  sait,  sur  un  très  beau  poème  français  de  M.  Jules  Barbier.  C'est  un 
ouvrage  que  nous  pourrions  bien  entendre  au  cours  de  l'année  1893. 

—  Par  suite  d'une  indisposition  de  M"'  Bosman,  le  programme  d'un  des 
derniers  concerts  Lamoureux  a  dû  être  modifié,  et  la  charmante  cantatrice 
n'a  pu  s'y  faire  entendre.  Plusieurs  journaux  ont  cru  devoir  en  conclure 
que  défense  avait  été  faite  à  M""°  Bosmann  par  M.  Edouard  Colonne  de 
prendre  part  aux  concerts  Lamoureux.  Est-il  besoin  de  dire  que  ce  bruit 
malveillant  ne  reposait  sur  aucun  fondement?  La  simple  réflexion  eût  dû 
suffire  à  l'écarter.  Quelle  influence  M.  Colonne  peut-il  avoir  sur  la  direc- 
tion actuelle  de  l'Opéra,  et  quels  ordres  peut-il  bien  pouvoir  lui  donner? 
Mystère  impénétrable.  Ah  !  nos  jeunes  reporters  fin  de  siècle  ont  l'imagi- 
nation féconde  ! 

—  M.11C  Merguillier,  dont  on  se  rappelle  les  succès  à  l'ancien  Opéra- 
Comique  de  la  place  Favart,  vient  de  signer  un  engagement  avec  M.  Car- 
valho.  Elle  fera  sa  rentrée  dans  l'Etoile  du  Nord. 

—  M.  Henri  Grimaud,  élève  de  M.  "Warot  et  lauréat  du  Conservatoire, 
engagé  par  M.  Bertrand,  débutera  à  l'Opéra  le  l"'  janvier,  dans  le  rôle  de 
Valentin,  de  Faust.  Voilà  de  belles  étrennes  pour  le  jeune  artiste. 

—  Parmi  les  œuvres,  nouvelles  pour  elle,  que  la  Société  des  Concerts 
du  Conservatoire  se  propose  de  faire  entendre,  au  cours  de  cette  saison,  se 
trouve  la  belle  fantaisie  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Ch.-M.  Widor. 
Elle  sera  interprétée  par  M.  I.  Philipp,  à  qui  elle  est  dédiée,  et  qui  l'a 
déjà  jouée  aux  Concerts  Colonne  et  à  la  Philharmonie-Society  de  Londres. 

—  M.  Albert  DayroUes  qui  avait  eu  l'ingénieuse  idée,  au  lendemain  de 
la  première  de  Lohengrin,  de  faire,  à  la  salle  des  Capucines,  une  conférence 
sur  l'œuvre  de  Wagner,  avec  audition  des  fragments  principaux,  vient  de 
donner  trois  conférences  consécutives  sur  Lakmé,  l'œuvre  exquise  du  re- 
gretté Léo  Delibes.  Comme  le  succès  a  grandement  couronné  sa  tentative, 
M.  DayroUes  analysera,  demain  lundi,  Lakmé  pour  la  quatrième  fois.  Le 
distingué  critique  compte,  dorénavant,  faire  tous  les  lundis  une  conférence 
semblable  sur  les  partitions  les  plus  en  vue  du  moment. 

—  En  parlant,  dimanche  dernier,  de  la  mort  de  M.  Louis  Cattreux, 
nous  disions  que  cet  agent  général  des  auteurs  français   en  Belgique,  si 


sympathique  et  si  intelligent,»  se  distinguait  avantageusement  d'un  autre 
agent  de  notre  connaissance  qui,  par  son  ardeur  intempestive  et  sa  con- 
naissance superficielle  des  choses,  compromet  la  cause  qu'il  devrait  ser- 
vir. »  Nous  tenons  à  ajouter  aujourd'hui  qu'il  ne  s'agissait  là  nullement, 
dans  notre  pensée,  de  M.  Gustave  Roger,  qui  est,  lui  aussi,  si  sympathique 
à  tous  les  auteurs  et  qui  conduit  avec  tant  d'habileté  l'agence  de  la  rue 
Hippolyte-Lebas.  Ce  n'est  pas  non  plus  de  son  confrère  M.  Debry  que 
nous  entendions  parler.  Les  lecteurs  de  ce  journal  ne  s'y  sont  certainement 
pas  trompés. 

—  Avant-hier  vendredi,  on  a  repris  aux  Variétés  Mam'zelle  Nilouche,  cet 
inépuisable  succès  d'Henri  Meilhac  et  Albert  Millaud,  illustré  musicalement 
par  le  maestro  Hcu-vé,  de  si  amusante  façon.  C'est  la  gentille  M»»  Auguez 
qui  a  repris  dans  la  pièce  le  rôle  de  M^'Judic  et  qui  s'y  fait  très  applaudir. 

—  On  nous  communique  le  programme  d'une  soirée  qui  avait  lieu  la 
semaine  dernière  dans  l'un  de  nos  premiers  salons  financiers.  On  y  a 
fort  applaudi  M"""  Guidon,  une  de  nos  bonnes  diseuses,  puis  M.  Guidon, 
le  professeur  de  chant,  qui,  avec  M>"=  Innocenti,  un  charmant  soprano, 
ont  chanté  quelques  airs  et  mélodies  parfaitement  choisis,  pour  terminer 
par  le  grand  duo  de  Sigurd. 

—  Le  violoniste  Marsick  fait  en  ce  moment  une  brillante  tournée  en 
province,  où  il  propage  avec  l'autorité  que  l'on  sait  les  chefs-d'oeuvre 
classiques  et  romantiques.  Il  a  trouvé  à  Marseille  une  partenaire  digne 
de  lui  en  M'"=  Fritsch-Estrangin,  une  pianiste  de  grand  talent. 

—  Jeudi  prochain,  17  décembre,  à  quatre  heures  et  demie,  aura  lieu  à 
l'église  Saint-Gervais,  derrière  l'Hôtel  de  Ville,  une  audition  de  musique 
religieuse,  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Ch. 
Bordes,  dans  laquelle  on  entendra,  pour  la  première  fois  à  Paris,  le  Canti- 
que de  l'Avent  de  Schumann,  le  Prologue  et  la  2°  Béatitude  de  César  Franck, 
et  le  Gloria  Patri  du  Magnificat  de  J.-S.  Bach. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

FONDS        II  Jl  I    I  C  5  ^^  I    I  C     l'Orphéon,  à  Paris,   15   et  17,  rue 

d'éditeur  de  IVI  U  O  i  \J  U  lL  des  Martyrs.  —  Liquidation  so- 
ciale Deplaix  et  G"'.  —  Adjudication  en  10  lots  avec  faculté  de  réunion, 
en  l'étude  de  M'*  Fauchey,  notaire,  3,  rue  du  Louvre,  le  mardi,  22  dé- 
cembre 1891,  à  deux  heures.  —  1"'  lot  :  Fonds  de  commerce  et  exploi- 
tation du  journal  l'Orphéon.  Mise  à  prix,  45,000  fr.  Cons.,  5,000  fr. 
Loyer,  d'avance,  2,230  fr.  —  Les  9  autres  lots  se  composent  de  droits  à  la 
propriété  de  morceaux  de  musique;  mise  à  prix  variant  de  30,000  à  100  fr. 
Mise  à  prix  totale  110,000  fr.  —  S'adresser  à  M.  Navarre,  liquidateur  de 
sociétés.  Cl,  rue  des  Petits-Champs,  et  audit  notaire. 


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A    CÉDER:    FONDS  DE  PIANO  ET  MUSIQUE.  —   Location  impor- 
tante. —  Ville  balnéaire  du  Nord.  —  Ancienne  maison.  —  Facilités  de 
paiement.   —  S'adresser  à  M.  Parvy,  SO,   rue  Bonaparte.  Paris. 

BONNES  OCCASIONS  •  Piano  Pleyel  droit,  650^;    Pleyel  oblique,  800';     Pleyel 
quart    queue,.  1,200';    Elcké,  neuf,  700';     Érard  oblique,  neuf,  1,200'; 
Harpe  Érard,  double  mouvement,  1,200'.  —  Boussuge,  8,  quai  du  Louvre. 


En  vente  au  MÉNESTREL,  2"%  rue  Vivenne,  HEUGEL  et  G'=,  éditeurs-propriétaires. 

NOËL  S 


AUDAN.  Noi'l.  à  2  voix,  avec  solo  de  baryton  ou  mezzo-soprano.  .  .  . 
C.  BLANC  et  L.  DAUPHIN.  Petit  Noël  pour  chœur  d'enfants.  .  .  .  Net. 
BOISSIER-DURAN .   Le  Saint  Berceau,   Noël  pour  ténor  ou  soprano   avec 

chœur  ad  libitum. 

L.  BORDÉSE.  Noël  à  1,  2  ou  3  voix,  en  solos  ou  chœurs 

P.  BRÏDAINE.  Les  Gaudes  pour  Noël  à  1  voix,  avec  accompagn'  d'orgue. 
DESMOULINS.  Trois  Noëls  : 

1.  Noël  de  Lope  de  Vega.  -  2.  Noël.  -  3.  La  Vierge  à  la  crèche 
E.  GIGOUT.  Chants  du  Graduel  :  Jésus  redemplor,  hymne  pour  le  jour 

de  Noël,  à  4  voix,  avec  accompagn'  d'orgue  ad  libitum..    Net. 
J,-B.  WEKERLIN.  Noëll  Noi-ll  (l.'i) 


3    .. 
2  50 


CHARLES  LECOCQ.  Le  Noël  des  petits  enfants,  à  1,  2  ou  3  voix  ad  lib.: 

1^  Les  Petits  Rois  Mages.  2.  Les  Petits  Bergers.  3.  La  Bûche  de 

Noël.  i.  Prière S     » 

F.  LISZT.  La  Nuit  de  Noël  (d'après  un  ancien  Noël),  pour  ténor  solo  et 
chœur  de  femmes,  avec  accompagnement  d'orgue.  En  parti- 
tion et  parties  séparées S    » 

J.  MASSENET.  La  Veillée  du  2}etit  Jésus  (i.^) 3    » 

P.VIDAL.  C/ianf  rfe  iVoé'i,  pour  soprano  solo  avec  chœurs 7  SO 

—        Noël  ou  le  Mystère  de  la  Nativité,  4  tableaux Net.     5    » 

Ch.-M.  'WEBER.  Noël  pour  mezzo-soprano 2  SO 

-  J.-B.  'WEKERLIN.  La  Fête  de  Noël,  avec  ace'  de  piano  et  orgue  ad  lib.   .     2  50 


NOÉLS    POUR    ORGUE    SEUL 


ANCIENS  NOELS  (2  Noëls  de  Saboly,    1  de  Lully  et  1  Noël  languedo- 
cien anonyme) 3  75 

ANCIENS  NOÉLS  (3  Noëls  de  Saboly  et  1  du  roi  René  d'Anjou).   ...  2  50 

A.  MINÉ.  Op.  42.  Recueil  de  No'éls  {SO  numévos) 9    »• 


F.  LISZT.   L'Arbre  de  Noël. 

N»  1 .  Vieux  Noël,  3  fr.  —  N»  2.  La  Nuit  sainte,  3  fr.  —  N»  3. 

Les  Bergers  à  la  crèche,  4  fr.  —  N"  4.  Les  Rois  mages .     5    » 
■  R.  de  VILBAC.  L'Adoration  des  bergers '^  ^'^ 


4(10 


LE  MÉNESTREL 


Oinqiiante-liultlème    année    d©    publication 


PRIMES   1892  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1^^   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CQAXT  ou  pour  le  PIAiVO,  de  moyenne  difficulté,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CIIAMT  et  PIAniO. 


PIANO 

Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT    à  l'un  des  volumes  in-8°  suivants  : 


J,  MASSENET 

CH,  M,  WIDOR 

L,  GASTINEL 

PAUL  VIDAL 

E     MAGE 

CONTE  D'AVRIL 

LE     RÊVE 

LA    REVERENCE 

OPÉR-V  E-\  0  ACTES 

Sur  le  Pot-'me  d'A.  DORGHAlX 

BALLET   EN    2   ACTES 

PANTOMIME     EN     1     ACTE 

Partition  piano  solo 

Partition  iii-N° 

Partition    piano    solo 

Partition   piano  solo 

ou  à  l'un  des  volumes  in-S-  des  CLASSIQUES-MARMONTEL:  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN,  ou  à  l'un  i 
recueils  du  PIANISTE  -  LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  du  répertoire 
STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 


CHANT 


Tout  abonné  à  la  musiques  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  MASSENET 
VINGT  MÉLODIE 

|er  ou  ^e  RECUEIL   AU    CHOIX 

(Chaqoe  [lecueil  conlienl  ÏO  n^^} 


PAUL  VIDAL 

INT   O   E   L 

MYSTÈRE    EX   4  TABLEAUX 
artition    CHANT    et    PIANO 


VICTOR  ROGER 

LES  12  FEHES  DE  JAPHET 

OPÉRA    BOUI'FE   EN    3    ACTES 
Partition    CHANT    et    PIANO 


MAG-NAB 

NOUVELLES  CHANSONS 

DU    CHAT   NOIR 

2*^  Volume  illustré  par  H.  G£RBAUL.T 


REPRÉSE5!TA?iî,  CHACUNE,  LES  PRIMES  DE  PIA^'O  ET  DE  CHAÎlï  RÉUNIES,  POUR  LES  SEULS  ABOIES  A  L'ABONIMENT  COillPLET  : 


PGElME  DE 

JEAN  RICHEPIN 


Opéra  en  5  actes  de 

J.  MASSENET 


PARTITION 
CHANT  ET  PIANO 


LA  CHANSON  DES  JOUJOUX 


Poésies  de  JULES  JOUT 


CLAUDIUS  BLANC   et  LÉOPOLD   DAUPHIN 

vingt  petites   ctiansons  avec    cent   Illustrations   en  couleurs   et   aquarelles   d'A-DRIEN   JMArtIE 
Riche    reliure    avec    fers    ae    JULES    onÉRET 

NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  !;ratuitem<?nt  dans  nos  hnreaui,  3  bis,  rue  Vivienne,  à  partirdu  1"  Janvier  1893,  à  tout  ancien 
on  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  lIÉ.'VEfiiTREIi  pour  l'année  1893.  Joindre  an  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'Ul*  ou  de  DE LJX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  eu  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règ:le  selon  les  frais  de  Poste.) 

LesabonaésauChantpeayeBtprendre  la  prime  Piano  eUice  versa.  -  Ceux  au  Piauo  el  au  Chanl  réunis  odI  seuls  droil  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  lexle  seul  n'ont  droil  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABOMNEWENT  AU  -  MÉNESTREL  »  PIANO 


1" Moded'aboiinemeiit  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  chamt  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine-,  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  i-'rais  de  poste  en  sus. 


2"  iloded'aboimement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimaaclies;  26  morceaux  de  piano  : 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Reouell- 
Prima.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  REUNIS 

3'  Mode  d'abonnemenl  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Reoueils-Primies  ou  une  Grande  Prima. 
m  et  Province;  Étranger  :  Poste  en  aus.  —  On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
4"  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


30  francs,  Paris 


FER.   —    IMPRIMERIE  CDAJX,   : 


RUE  BERGERE,    PARIS. 


3169  —  37 


E  —  i\"  M. 


Diiiiaiiche  20  Décembre  1891. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteur 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 


Henri    HEUGEL,     Direcieur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aDonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texle  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


L  La  musique  et  ses  repiéseutants  [3°  aiticle),  Antoine  Rudinstein.  —  II.  Bulletin 
théâtral,  H.  M.  ;  premièie  représentation  de  la  Veiiu  de  LoloUe,  aux  Nouveautés, 
Paul-Émile  Chev.vlier.  —  m.  Musique  de  table  ;  En  Orient  (5'  article),  Edmond 
Nei'komm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  P.evue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANSE    SLAVE 

de  Théodore   Lack.   —  Suivra  immédiatement  :    Air    à    danser,    de    Raoul 
Pugno.  

CHANT 

Nojs   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 

de  chant  :   les  Crécelles,  n"  28  de  la  Clianson  des  Joujoux,  musique  de  Glau- 

Dius  Blanc  et  Léopold  Dauphin,  poésie  de  Jules  Jouv.  — Suivra  innmédia- 

tement  :   Ravissement,  nouvelle   mélodie    de   Paul  Puget,  poésie  d'Anji.-VNO 

SiLVESTRE. 


NOS    PRIMES    POUR    L'ANNÉE    1892 

VOIR    A    LA    8'    PAGE    DE    NOS    PRÉCÉDENTS    NUMÉROS 


LA   MUSIQUE   ET  SES  REPRÉSENTANTS 

ENTRETIEN  SUR  LA  MUSIQUE 

par 


—  De  tout  ce  que  vous  venez  de  dirt:-,  on  devrait  conclure 
qu'après  ces  deux  astres  (Bach  et  Hœndel)  il  ne  reste  plus, 
dans  la  musique,  rien  de  beau  ni  de  grand  à  créer? 

—  Dans  qurilques  branches,  dans  la  musique  religieuse, 
dans  l'oratorio,  dans  la  musique  d'orgue,  tout  a  été  dit,  en 
efï'et,  d'une  manière  générale.  Je  considère  Bach  et  Hœndel 
comme  ayant  couronné  et  parachevé  la  première  époque  de 
l'art  musical  selon  ma  classification,  c'est-à-dire  celle  qui 
commence  avec  Palestrina.  Mais  l'époque  qui  va  succéder 
exige  une  nouvelle  expression  musicale.  Aussi,  après  ces 
deux  génies,  voit-on  la  musique  s'animer  d'une  tout  autre 
inspiration:  lyrisme,  romantisme,  drame,  tragédie,  fantaisie, 
voilà  le  nouveau  courant  qui  emporte  les  compositeurs.  Et 
l'art  musical  avance  toujours.  —  Une  ère  nouvelle  s'ouvre 
pour  la  musique  :  l'esprit  de  l'orgue  cède  la  place  à  l'esprit 
de  l'orchestre;  l'opéra  remplace  l'oratorio;  la  sonate,  la  suite; 
le  piano,  le  clavecin.  Bien  que  l'opéra  règne  en  maître  sur 
le  public  et  que  cette  sou'veraineté    se    prolonge   jusqu'à   la 


moitié  de  notre  siècle,  je  ne  trouve  pourtant  de  véritable 
progrès  que  dans  la  musique  instrumentale,  qui  .=  e  développe 
de  plus  en  plus,  et  cela  seulement  en  Allemagne  ;  car,  eu 
Italie  et  en  France,  on  ne  cultive  guère  que  la  musique  vocale; 
et,  comme  je  ne  vois  l'idéal  de  mon  art  que  dans  la  musique 
instrumentale,  j'appellerai,  sans  hésiter,  la  musique  un  art 
allemand. 

—  Nous  voici  arrivés  à  Haydn  et  à  Mozart. 

—  Pas  encore.  Il  faut  auparavant  nommer  un  compositeur 
qui,  chose  singulière,  n'a  commencé  à  être  apprécié  que  de 
nos  jours,  et  que  je  considère  comme  l'initiateur  de  lasecow/e 
époque  de  la  musique  (instrumentale)  :  Philippe-Emmanuel  Bacii. 
C'est  lui  qui  a  ensemencé  le  champ  où  les  deux  maîtres 
que  vous  venez  de  nommer  ont  récolté  tant  de  belles  mois- 
sons. —  D'ailleurs,  il  n'est  pas  juste  de  dire  :  celui-ci  a 
créé  l'opéra,  celui-ci  la  symphonie,  celui-ci  le  quatuor,  celui- 
ci  la  sonate  etc.,  etc.  Toutes  ces  formes  de  musique  ont  été 
créées  par  plusieurs  et  peu  à  peu,  mais  chaque  fois  il  est 
survenu  un  grand  compositeur  qui  a  écrit  l'œuvre  la  plus 
remarquable  dans  telle  ou  telle  forme  et,  pour  cette  raison,  il 
en  est  devenu  le  représentaot  attitré. 

—  Mais  Philippe-Emmanuel  Bach  ne  peut,  en  aucun  cas, 
être  considéré  comme  le  continuateur  direct  de  son  père 
dans  la  musique. 

—  Sous  le  rapport  du  génie,  non  ;  mais  il  est  le  représen- 
tant des  nouvelles  idées  dans  l'art.  Rieu  que  par  son  œuvre 
littéraire:  De  la  vraie  manière  déjouer  du  clavecin,  il  a  ouvert  des 
voies  inconnues  à  ceux  qui  composaient  pour  cet  instrument 
de  plus  en  plus  populaire.  Dans  ses  compositions,  nous  trou- 
vons le  germe  de  toutes  les  expressions  musicales  qui  sui- 
vront :  l'amabilité  et  la  na'iveté  de  Haydn,  la  cordialité  et  ht 
sincérité  de  Mozart,  et  même  le  dramatisme  et  l'humour  de 
Beethoven;  il  va  sans  dire  que  tout  cela  n'est  qu'indiqué  dans 
ses  ouvrages,  néanmoins  cela  s'y  trouve  à  l'état  embryon- 
naire. L'œuvre  de  Philippe-Emmanuel  Bach  est  comme  une 
sorte  de  pont  jeté  entre  celle  de  Sébastien  Bach  et  celle  de 
Haydn,  et  c'est  de  cette  façon  que  la  musique  a  émigré  de 
l'Allemagne  du  Nord  dans  l'Allemagne  du  Sud,  en  .Autriche  à 
Vienne. 

—  En  effet,  il  est  curieux  de  voir  la  musique  émigrer  ainsi 
pendant  un  demi-siècle  pour  revenir  ensuite  à  son  point  de 
départ,  le  nord  de  l'Allemagne,  et  s'y  flxer  définitivement. 

—  La  musique  instrumentale  se  développe  et  devient  de 
plus  en  plus  l'expression,  l'écho  des  temps,  des  événements 
et  de  la  culture  sociale.  Le  dernier  quart  du  XVIII"  siècle 
et  le  commencement  du  X1X°  se  mirent  comme  en  une  glace 
dans  les  œuvres  musicales  de  Haydn,  Mozart,  Beethoven  et 
Schubert.  Vienne  surtout  s'y  reflète  fidèlement.  —  Haydn! 
cordial,    gai,   naïf,  sans  souci.  Presque  chaque  dimanche,  il 


40i 


Lt:  MENESTREL 


apporte  à  son  mécène,  le  prince  Esterhazy,  une  nouvelle  sym- 
phonie ou  quelque  quatuor  pour  instruments  à  cordes;  c'est  un 
vieillard  aimable  qui  a  toujours  les  poches  pleines  de  frian- 
dises musicales  pour  les  enfants,  c'est-à-dire  pour  le  public, 
mais  qui  est  toujours  prêt  aussi  à  adresser  quelque  mercu- 
riale aux  espiègles  trop  turbulents  :  c'est  un  sujet  loyal  et 
un  fidèle  fonctionnaire,  un  professeur  affable  mais  sévère, 
un  bon  pasteur,  un  noble  citoyen  en  perruque  poudrée  et  à 
catogan,  portant  le  frac  long  et  large,  orné  d'un  jabot;  il  a 
lies  manchettes  de  dentelles  et  des  souliers  à  boucles.  Tout 
cela,  je  l'entends  dans  sa  musique.  —  11  parle  non  le  bon 
allemand  littéraire,  mais  le  jargon  viennois.  Quand  j'assiste 
à  l'exécution  d'une  de  ses  œuvres,  je  vois  tout  aussitôt  son 
public  d'autrefois:  d'abord  de  grandes  dames  qui  peuvent  à 
peine  se  mouvoir  dans  leurs  raides  toilettes,  et  qui  hochent 
doucement  de  la  tête  en  souriant  à  ses  mélodies  gracieuses 
et  en  applaudissant  du  bout  de  leurs  éventails,  —  puis  des 
gentilshommes  qui  prisent  et  s'écrient  en  tapotant  leur  taba- 
tière: «  Non,  vraiment,  rien  n'égale  notre  vieil  Haydn!  »  — 
La  musique  instrumentale  lui  doit  beaucoup;  il  a  déve- 
loppé l'orchestre  symphonique  et  l'a  porté  presque  à  la  hau- 
teur de  Beethoven  ;  le  quatuor  pour  instruments  à  cordes  lui 
doit  aussi  sa  beauté  et  sa  noblesse.  Enfin,  dans  ses  œuvres 
pour  piano,  que  de  grâce  et  d'élégance  !  11  a  enrichi,  élargi 
et  réglé  l'ordonnance  des  formes  instrumentales  de  la  compo- 
sition. Oui,  c'est  une  personnalité  remarquable  dans  notre 
art  ;  mais  toujours,  dans  la  Création  comme  dans  les  Saisoits, 
dans  les  symphonies  comme  dans  les  quatuors,  dans  les 
sonates  comme  dans  ses  autres  petites  pièces,  en  un  mot  dans 
toutes  ses  œuvres,  il  reste  avant  tout  le  vieillard  affable,  sou- 
riant (quelquefois,  il  est  vrai,  d'un  sourire  sarcastique),  sans 
souci,  content  de  soi  et  de  tout  le  monde. 

—  Et  Mozart? 

—  Si  on  caractérise  Haydn  par  cette  épithète:  «  le  vieil  Haydn  », 
il  faut  caractériser  Mozart  par  cette  autre  épithète-  «  le  jeune 
Mozart  ».  Bien  que  chronologiquement  et  par  son  entourage 
Mozart  soit  sur  le  même  niveau  intellectuel  qu'Haydn,  ce- 
pendant dans  toute  son  œuvre  il  reste  jeune,  cordial  et  sincère. 
Les  voyages  qu'il  a  faits  dans  son  enfance  ont  eu  de  l'influence 
sur  sa  nature  musicale  et  sur  ses  pensées  d'artiste.  L'opéra 
est  devenu  son  œuvre  principale  ;  cependant,  c'est  dans  ses 
œuvres  instrumentales  qu'il  exprime  le  mieux  son  propre 
moi.  Chez  lui,  comme  chez  Haydn,  j'entends  toujours  le  jargon 
viennois,  mais  je  n'hésite  pas  à  le  proclamer  le  soleil  (Èlios) 
de  la  musique!  Il  a  éclairé  tous  les  genres  de  son  rayonne- 
ment, il  a  mis  sur  tout  ce  qu'il  a  touché  l'empreinte  de 
la  divinité.  On  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer  de  sa 
mélodie  ou  de  sa  forme,  de  sa  limpidité  de  cristal  ou  de 
sa  richesse  d'invention.  A  côté  de  la  symphonie  en  sol  mi- 
neur (cette  merveille  unique  dans  le  lyrisme),  il  a  mis  la  der- 
nière partie  de  la  symphonie  Jupiter  (cette  autre  merveille 
de  la  technique  symphonique),  à  côté  des  ouvertures  de  la 
Flûte  enchantée  et  des  Noces  de  Figaro  (ces  merveilles  de  gaité 
et  de  fraîcheur),  il  a  fait  le  Requiem  (celte  merveille  de  douleur 
harmonieuse),  à  côté  de  la  Fantaisie  pour  piano  il  a  créé  le 
quintette  en  sol  mineur  (1).  Et  à  côté  de  toutes  ces  œuvres 
remarquables  dans  la  musique  instrumentale,  il  nous  a 
laissé  ses  admirables  opéras.  Bien  que  Gluck  ait  créé  avant 
lui  de  grandes  choses  pour  le  théâtre,  et  qu'il  y  ait  même 
tracé  de  nouvelles  voies,  il  semble,  quand  on  le  compare  à 
Mozart,  un  compositeur  de  pierre.  Mozart  a  encore  le  mérite 
d'avoir  fait  sortir  l'opéra  du  pathos  glacial  de  la  mytholo- 
gie, où  il  se  confinait,  pour  le  faire  entrer  tout  vivant  dans 
le  drame  humain  ;  enfin,  c'est  lui  qui  a  introduit  un  des  pre- 


(1)  Dans  cette  dernière  œuvre,  il  est  intéressant  d'observer  comme  la 
richesse  et  la  beauté  de  la  mélodie  rachètent  tout  dans  la  musique. 
Ordinairement,  pour  la  musique  de  chambre,  on  exige  de  la  polyphonie, 
tandis  qu'ici  régne  l'homophonie  la  plus  complète;  tous  les  motifs  ont 
un  accompagnement  simple  et  terre  à  (erre  et.  malgré  cela,  on  reste 
sous  le  charme  d'une  mélodie  divine. 


miers  la  langue  allemande  dans  l'opéra  et,  par  là,  il  y  a 
fait  pénétrer  du  même  coup  une  dose  de  sentiment  national 
qui  n'existait  pas  avant  lui.  —  Ce  qui  est  peut-être  encore 
plus  intéressant  dans  ses  opéras,  c'est  la  caractéristique 
générale  qu'il  a  su  donner  à  chacun  de  ses  personnages, 
dont  il  a  fait  des  types  immortels.  Il  est  vrai  qu'il  a  été  aidé 
puissamment  en  cela  par  l'heureux  choix  des  sujets  et  par 
leur  arrangement  scénique. 

—  Mais  le  sujet  de  la  Flûte  enchantée  est  généralement  consi- 
déré comme  le  dernier  mot  du  ridicule. 

—  Je  suis  d'un  avis  tout  opposé,  ne  fut-ce  qu'en  raison  de 
la  variété  des  nuances  qu'il  présente  :  le  lyrique,  le  fantastique, 
le  na'if,  le  comique,  le  romantique,  le  pathétique,  le  tragique, 
tout  y  est.  Il  est  difficile  d'imaginer  une  expression  qui  ne  s'y 
trouve,  comme  dans  Don  Juan  d'ailleurs.  —  Il  va  sans  dire 
qu'il  a  fallu  le  génie  de  Mozart  pour  exprimer  tout  cela  dans 
sa  musique  ;  mais  de  semblables  livrets  pourraient  inspirer 
des  compositeurs  même  d'un  moindre  génie. 

—  Mais  ce  qu'a  fait  Mozart,  lui  seul  pouvait  le  faire. 

—  Oui,  c'est  vraiment  une  créalioQ  divine  tout  inondée  de 
lumière!  Et  je  suis  prêt  volontiers  à  crier  devant  son  œuvre  : 
Éternelle  clarté,  dans  la  musique  ton  nom  est  Mozart! 

—  Je  ne  comprends  pas  comment,  avec  une  admiration 
aussi  enthousiaste  pour  Mozart,  vous  pouvez  assigner  à  d'au- 
tres musiciens  une  plus  haute  place? 

—  L'humanité  cherche  les  orages,  elle  sent  qu'elle  se 
dessécherait  sous  les  rayons  brûlants  du  soleil  de  Mozart, 
elle  a  besoin  de  s'épancher,  elle  souffre  de  l'inaction,  elle  se 

dramatise La   Révolution    française   éclate,    et  Beethoven 

apparaît. 

—  Voulez-vous  dire  par  là  que  Beethoven  est  l'écho  mu- 
sical de  la  Révolution  française  '.'' 

—  Pas  de  la  guillottine  assurément,  mais  il  répercute  le 
grand  drame;  son  œuvre  n'est  pas  de  l'histoire  mise  en 
musique,  bien  entendu,  mais  elle  est  1'  écho  musical  de  la 
tragédie  qui  s'appelle  :  liberté,  égalité,  fraternité. 

(Traduit  du  manuscrit  russe  par  Michel  Delines.) 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THEATRAL 


Aurons-nous  Tamara  ou  n'auroos-nous  pas  Tamara?  La  première 
représentation  en  était  enfin  promise  pour  demain  lundi,  et  voici 
qu'il  commence  à  courir  des  bruits  qu'elle  pourrait  bien  être  remise 
au  vendredi  2o.  Vous  verrez  que  MM.  Ritt  et  Gailhard,  avec  leur 
sans-gêne  habituel,  finiront  par  laisser  pour  compte  l'œuvre  de 
M.  Bourgault-Dueoudray  à  la  nouvelle  direction  de  M.  Bertrand. 
El  le  ministre  fermera  les  yeux  sur  ce  nouveau  croc-en-jambe 
donné  au  cahier  des  charges  par  les  protégés  de  M.  Gonstans.  On 
n'en  est  plus  ù  compter  avec  les  coups  de  canif  dont  ces  messieurs 
ont  criblé  leur  contrat  avec  l'Étal. 

MM.  Bertrand  et  Campocasso  semblent  devoir  être  de  plus  scru- 
puleux observateurs  des  engagements  qu'ils  ont  pris.  Ils  ont  pro- 
mis des  représentations  populaires,  et,  dès  le  premier  dimanche  de 
leur  direction,  le  3  janvier,  ils  les  inaugureront  sans  plus  tarder. 
M.  Bertrand  a  renoncé  au  plancher  mobile  qu'il  devait  faire  poser 
au-dessus  des  fauteuils  d'orchestre,  pour  ensuite  le  garnir  de  bancs 
mobiles.  Les  sièges  confortables  de  l'orchestre  et  du  balcon  resteront 
à  la  disposition  de  la  plèbe,  seulement  on  les  recouvrira  de  housses, 
et  on  remplacera  les  fauteuils  eu  soie  des  loges  par  des  chaises 
cannées.  Bien  amusantes,  ces  différences.  La  République  est  ilo- 
rissante  et,  postérieurement  parlant,  l'égalité  n'existe  pas  cependant 
pour  tous  les  citoyens.  N'est-ce  pas  le  cas  de  s'écrier  avec  Mac-Nab  : 

Peuple  français,  la  Bastille  est  détruite 

Et  y  a  z'encor  du  «  canné  »  pour  tes  fils  1... 

Les  représentations  populaires  dominicales  commenceront  ù  cinq 
heures  pour  finir  à  neuf  heures  du  soir.  Il  ne  faut  pas  que  le  peuple 
veille.  Mais  oîi  trouvera-t-il  le  temps  de  dîner? 

A  rOpéra-Comique,  toujours  grande  activité.  On  répèle  avec  enthou- 
siasme la  Cavalleriarusticana,  où  M""  Calvé.  d'après  tous  les  bruits 


LE  MENESTREL 


403 


de  coulisse  qui  nous  parviennent,  va  se  montrer  extrêmement  remar- 
quable. On  se  dispose  à  reprendre  l'Étoile  du  Nord,  dont  le  besoin 
se  faisait  vivement  sentir,  parail-il,  dans  le  quartier  du  Châtelet, 
et  même  on  songe  aune  reprise  du  7?t've  de  M.  Bruneau,  qui  avait 
fini  pourtant  sur  d'assez  piètres  recettes;  mais  ils  sont  deux  ou  trois 
dans  la  presse  qui  voitnt  dans  cette  partition  «  un  des  plus  nobles 
efforls  de  la  musique  contemporaine  »  (!),  et  le  directeur  devra 
s'incliner  devant  le  désir  de  celle  infime  minorité.  Ou  va  donc  faire 
une  nouvelle  épreuve  du  «  cbef-d'œuvre  »;  nous  verrons  ce  qu'il 
en  sera.  Enfin,  il  est  probable  que  M°"  Richard  débutera  prochaine- 
ment dans  le  Roi  d'Ys,  qui  vaut  à  lui  seul  beaucoup  de  Rêves.  En 
attendant  toutes  ces  belles  choses,  Manon  continue  à  tenir  l'affiche 
avec  honneur.  Sans  avoir  la  prétention  d'aucun  effort,  celte  pauvre 
partition  a  même  réalisé,  dimanche  dernier,  la  plus  forte  recette 
qu'on  ait  jamais  encaissée  à  la  place  du  Châtelet. 
^  •'  H.  M. 

NouYEAiTÉs.  —  La  Veiiu  de  Lolotte.  vaudeville  en  trois  actes  de  M.  Maurice 
Ordonneau,  musique  de  M.  L.  Ganglofl'. 

Voici  les  Nouveautés  revenues  au  genre  qui  a  fourni,  dans  cette 
petite  salle  élégante,  les  succès  les  plus  durables;  je  veux  dire  au 
vaudeville  avec  musique  nouvelle.  Cette  fois,  le  vaudeville  y  est 
bien,  et  il  n'en  pouvait  être  autrement  avec  M.  Maurice  Ordonneau. 
qui  a  fait  heureusement  et  souvent  ses  preuves.  Mais  la  musique  ? 
.Je  m'en  voudrais  de  chagriner  outre  mesure  M.  Gangloif,  dont 
quelques  scies  de  café-concert  sont  devenues  populaires,  et  pourtant... 
Pas  un  des  couplets  confiés  à  M"°  Mily-Mcyer,  qui,  cependant,  s'y 
entend  pour  donner  de  l'esprit  aux  moindres  choses,  n'a  porté; 
quant  à  l'ouverture  et  aux  entr'actes,  il  vaut  mieux  n'en  point 
parler. 

L'histoire  de  celte  jeune  Lolotle,  que  nous  conte  M.  Maurice 
Ordonneau,  est  des  plus  simples  :  je  puis  vous  la  dire  vivement. 
Un  comte  de  la  Jonchère,  déjà  sur  le  retour,  marié  à  une  veuve, 
puis  divorcé,  veut  convoler  à  nouveau,  mais  cette  fois  avec  une 
vraie  jeune  fille.  L'agence  Montfermeil  est  chargée  de  dénicher  le 
rara  avis.  En  désespoir  de  cause,  on  se  rabat  sur  la  jeune  Lolotte, 
blanchisseuse  de  son  état,  qui  ne  présente  précisément  pas  toutes 
les  qualités  requises  par  la  Jonchère.  Il  s'agit  donc  de  berner  le 
bonhomme  et  ce  n'est  point  chose  facile,  les  amoureux  et  les  cama- 
rades embrouillant,  à  chaque  moment,  une  situation  assez  délicate. 
Finalement,  la  Jonchère  s'aperçoit  qu'on  se  joue  de  lui,  il  renonce 
aux  jeunes  filles,  tandis  que  Lolotte  se  jette  dans  les  bras  d'un 
ancien  amoureux. 

M"=  Mily-Meyer,  M"'"  Mathilde,  MM.  Tarride,  Germain  et  Didier 
mènent  agréableuient  cette  bouffonnerie. 

Paul-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE  DE  TABLE 


II 

EN  ORIENT 
(Suite.) 

Mais  quittons  le  pays  des  roses  et  des  bayadères  pour  nous 
diriger  vers  un  autre  point  de  cet  Orient  si  plein  de  charme,  en- 
core qu'il  n'y  ait  qu'une  voix,  parmi  les  voyageurs,  pour  se  plaindre 
de  l'acuité  de  sa  musique. 

Tel  est  le  cas  du  comte  d'Estourmel,  qui  parcourut  la  Grèce,  la 
Turquie,  l'Asie  Mineure  et  l'Egypte  en  1832.  Il  nous  racontera  le 
•  dîner  qu'il  fit  chez  un  négociant  de  Janina  : 

«  Vers  midi,  dit-il,  nous  nous  embarquâmes  et  nous  nous  ren- 
dîmes à  une  petite  maison  de  campagne  située  dans  un  îlot  au  mi- 
lieu du  lac.  Les  convives  s'assirent  par  terre  autour  d'un  guéridon 
fort  bas,  enjolivé  de  petites  incrustations  en  nacre,  sur  lequel  on 
plaça  un  plateau,  et  sur  ce  plateau  tout  l'attirail  du  repas,  qui  se 
bornait  à  assez  peu  d'accessoires,  les  doigts  servant  de  fourchettes 
et  de  couteaux,  et  le  pain  d'assiettes.  Quant  au  principal,  il  fut  abon- 
dant :  les  viandes,  le  poisson,  les  légumes  se  succédèrent  rapide- 
ment ;  cela  aurait  été  bon  sans  l'art  du  cuisinier,  grâce  auquel  rien 
n'était  mangeable  :  il  avait  tout  gâté  à  force  de  cumin  et  de  safran.» 

Notre  compatriote  fit  contre  fortune  bon  cœur  et  «  se  sacrifia 
pour  des  ingrats»,  car  ces  perfides  Grecs,  tout  en  l'empoisonnant, 
lui  reprochaient  encore  de  ne  point  manger  suffisamment.  Mais  il 
n'était  pas  au  bout  de  ses  peines  : 

«  Pendant  ce  régal,  on  conjurait  contre  mon  palais  et  mes  oreilles. 


Trois  hommes  et  une  femme  faisaient  une  musique  enragée,  miau- 
lant, glapissant  et  jouant  à  tour  de  bras  de  la  guitare  et  du  tam- 
bourin. Pour  un  Grec,  chanter  fort  bien,  ce  n'estjamais  que  chanter 
bien  fort  :  la  femme  surtout  s'égosillait  de  l'air  le  plus  triste  du 
monde. 

»  Le  consul  de  France,  qui  se  trouvait  parmi  les  convives,  finit  par 
jeter  des  pommes  à  ces  br  allards;  mais  bientôt  il  fil  cause  commune 
avec  les  persécuteurs  du  noble  invité.  Le  sachant  bien  en  cour,  il 
lui  raconta  les  passe-droits  dont  il  se  croyait  victime  et  conclut  à 
une  demande  d'avancement.  Sur  les  bonnes  paroles  de  son  interlo- 
cuteur, il  se  rasséréna  et  porta  sa  santé  et  celle  du  roi  Louis-Philippe 
et  de  toute  la  famille  royale,  si  bien  qu'il  se  grisa  comme  les 
autres,  et  chanta  aussi  faux. 

1)  Après  le  repas,  des  serviteurs  apportèrent  des  aiguières  pour  les 
ablutions,  et  d'Estourmel  de  dire,  par  manière  de  politesse:  Lavabo 
inter  innocentes  nianus  mcas.  » 

La  fête  fut  couronnée  par  une  danse  «  toute  d'attitudes  ».  Mais 
elle  dura  plus  longtemps  pour  notre  compatriote  que  pour  les  autres, 
car  lorsqu'il  se  rembarqua,  l'infernale  musique,  qui  l'avait  tant  fait 
souffrir  pendant  le  dîner,  l'escorta  sur  des  barques  et  ne  le  lâcha 
qu'à  sa  porte,  après  une  sérénade  finale,  qui  dura  une  partie  de  la 
nuit. 

Un  autre  Français,  consul  général  auprès  d'Ali  de  Janina,  nous 
montrera  mieux  encore  les  mœurs  intimes  de  ce  pays  curieux,  car 
il  lui  fut  donné  d'assister  au  mariage  d'un  aïan  (officier  turc),  dans 
le  canton  d'Anatélitza,  l'Elymée  des  anciens,  entre  le  Pinde  et  le 
Parnasse.  Il  en  a  laissé  cette  relation  : 

«  J'étais  logé  dans  le  sérail.  Une  de  mes  fenêtres  avait  vue  sur  la 
salle  du  festin,  dans  laquelle  se  trouvaient  réunis  les  principaux 
chefs  de  la  Macédoine,  au  nombre  de  plus  de  deux  cents,  groupés 
autour  de  tables  rondes  en  cuivre  doré,  sur  lesquelles  on  leur  ser- 
vait une  suite  de  plats  qui  ne  faisaient  que  paraître  et  disparaître. 
Ils  mangeaient,  suivant  l'usage  primitif  des  hommes,  en  déchirant 
les  viandes  avec  les  doigts  et  sans  parler.  De  jeunes  pages,  riche- 
ment vêtus,  leur  servaient  ensuite,  dans  des  coupes  dorées,  du  vin 
à  la  "lace,  tandis  que  des  musiciens  faisaient  retentir  le  palais  et 
les  cours  des  sons  de  leurs  instrumeuls  barbares  et  de  leurs  accla- 
mations. 

»  Le  souper  se  passait  tranquillement,  lorsqu'un  derviche  à  moitié 
nu,  forçant  la  porte  de  la  salle,  parut  au  milieu  des  convives  en 
criant  houl  hou!  Dieu!  Dieu!  et  en  faisant  le  moulinet  avec  un  bâton 
pour  écarter  ceux  qui  voulaient  le  repousser.  —  Puisse  ta  femme, 
dit-il  au  chef  de  la  maison,  avoir  un  homme  qui  me  ressemble  !  Et 
sans  demander  la  permission,  il  saisit  une  volaille  qu'il  déchira  à 
belles  dents;  puis,  s'clançant  sur  une  table,  il  y  arracha  un  morceau 
de  mouton  qu'il  mit  dans  sa  chemise,  appliqua  un  soufflet  à  un  des 
pao-es,  afin  de  l'avertir  de  lui  donner  à  boire,  dit  des  injures,  et  se 
retira  pour  aller  dormir  à  l'écurie,  sans  que  personne  parût  étonné 
de  ce  qui  venait  de  se  passer. 

»  Le  service  étant  fini,  on  donna  à  laver.  Les  musiciens  firent 
aussitôt  place  aux  bouffons  et  à  des  bohémiennes  qui  exécutèrent, 
comme  les  courtisanes  d'Athènes  auz  banquets  des  sophistes,  les  danses 
les  plus  lascives  devant  les  graves  musulmans,  dont  quelques-uns 
daignaient  leur  sourire.  » 

Ne  quitt'jns  pas  la  presqu'île  hellénique  sans  emprunter  ce  coin 
musical  au  récit  d'un  voyage  en  Asie  Mineure  et  en  Grèce  que  fit 
de  1764  à  17ti6,  et  aux  frais  de  la  Société  des  dilettantes  de  Londres, 
le  docteur  Richard  Chandler,  membre  du  collège  de  la  Madeleine. 

Ce  savant  homme  mit  pied  à  terre  en  Chersonèse,  au  moment  où. 
les  Grecs  célébraient  eu  grande  pompe  leurs  panégyres.  ou  assemblée 
générale.  Tout  le  monde  était  en  liesse.  Notre  voyageur,  accompagné 
d'un  ami,  suivait  le  mouvement  populaire  sans  s'y  mêler,  lorsqu'un 
incident  vint,  malgré  lui,  le  forcer  à  prendre  sa  part  des  réjouis- 
sances publiques.  Il  n'en  a,  d'ailleurs,  avec  son  flegme  tout  britan- 
nique, retenu  que  cette  observation  technique  : 

«  Deux  de  leurs  musiciens  nous  voyant  assis  sous  un  arbre  touffu 
où  nous  dînions,  vinrent  à  nous,  jouèrent  différents  airs  et  firent 
danser  quelques-uns  de  nos  Turcs.  Un  de  leurs  instruments  ressem- 
blait à  un  tambourin  ordinaire,  mais  il  était  plus  grand  et  gros  ; 
on  le  frappait  avec  deux  baguettes.  La  baguette  avec  laquelle  on  le 
battait  en  dessous  était  mince,  et  celle  qui  servait  à  le  frapper  au- 
dessus  était  plus  grosse  et  garnie  d'un  nœud  au  bout.  Cet  instrument 
était  accompagné  d'une  flûte  ayant  un  roseau  pour  embouchure,  et 
au-dessous  un  bord  circulaire  on  bois  contre  lequel  s'appliquaient 
les  lèvres  du  joueur.  Les  joues  du  joueur  étaient  extrêmement  enflées 
et  les  notes  se  trouvaient  si  serrées,  si  perçantes  et  si  désagréables, 
qu'elles  me  rappelaient  une  fameuse  composition  que  Minerve,  dit  la 


40i 


LE  MEiNESlKl'X 


fable,  destina  pour  l'ancienne  aulos  ou  flûte.  C'était  une  imitation  des 
cris  et  des  hurlements  poussés  par  les  Gorgones  coifToos  de  couleuvres, 
lorsque  Persée  tua  les  triples  sœurs  en  séparant  de  leur  corps 
la  tète  de  Méduse.  » 

En  Turquie,  c'est  aux  sons  de  la  musique  que  s'opère  l'entraine- 
ment  des  filles  à  marier.  On  sait  que  l'eraboopoint  de  la  femme 
constitue  son  principal  cliarmn  aux  j-eux  des  Otiomans.  Aussi  ne 
lecule-t-on,  pour  obtenir  cette  attraction,  devant  aucuu  procédé, 
sans  même  en  excepter  ceux  employés  dans  la  Bresse  pour  amener 
:i  leur  performance  complète  les  volailles  redondantes  qui  font  tant 
■l'honneur  à  l'élevage  français. 

On  met  donc  ces  beautés  indolentes  dans  un  lieu  étroit  et  fai- 
lilement  éclairé,  où  on  les  oblige  d'être  presque  loujours  couchées 
^ur  d'épais  coussins  et  d'observer  nu  silence  asstz  rigoureux.  Leur 
seul  amusement  e3t  de  pincer  du  théorbe,  dejnuer  du  tvmpanon,  ou 
'l'arranger  leur  coiffure  devant  un  miroir.  On  leur  faii  prendre  deux 
bains'  par  jour,  on  les  masse,  on  donne  avec  des  essences  de  la 
souplesse  à  leur  peau,  enfin  ou  les  empâte  avec  une  bouillirt  de  fa- 
rine de  maïs  mêlée  avec  du  miel  ou  édulcorée  de  sirop  de  datles. 

Mais  reprenons  notre  excursion,  et  cette  fois  en  compagnie  de 
l'un  des  plus  charmants  conteurs  qui  aient  jamais  existé.  A  la  suite 
d'une  chasie  au  héron,  ce  mets  royal  de  fous  les  temps  et  de  tous 
les  pays,  Gérard  de  Nerval  reçut  l'hospitalité  d'un  émir  du  Liban  qui 
lui  fit  grand,  accueil  : 

«  Il  y  eut  ce  soir-là  un  banquet  splendide  a.iq'iel  beaucoup  de 
voisins  avaient  élé  conviés.  On  avait  placé  dans  la  cour  licaucoup  de 
petites  tables  à  la  turque,  multipliées  et  disposées  d'après  lu  rang 
des  invités.  Le  héron,  victime  triomphale  de  l'txpédition,  décorait, 
avec  son  col  dressé  au  moyen  de  fils  de  fer  et  ses  ailes  en  éventail, 
le  point  central  de  la  table  priucière,  placée  sur  une  estrade,  et  où 
je  fus  invité  il  m'asseoir  auprès  d'un  des  pères  lazaristes  du  couvent 
•  a'Antonia,  qui  se  trouvait  là  à  l'occasion  de  la  fêle.  Des  chanteurs 
et  des  musiciens  étaient  placés  sur  le  perron  de  la  cour,  et  la  ga- 
lerie inférieure  était  pleine  de  gens  assis  à  d'autres  petites  tables 
de  cinq  à  six  personnes.  Les  plats  à  peine  entamés  passaient  des 
jiremières  tables  aux  autres,  et  finissaient  [  ar  circuler  dans  la  cour, 
i.ù  les  montagnards,  assis  à  terre,  les  recevaient  à  leur  tour.  On 
i.ous  avait  donné  des  vieux  verres  de  Bohème  :  mais  la  plupart  des 
convives  buvaient  dans  des  lasses  qui  faisaient  la  ronde.  De  longs 
cierges  de  cire  éclairaient  les  tables  principales.  Le  fond  de  la  cuisine 
fo  composait  de  mouton  grillé,  do  pilau  en  pyramide,  jauni  de  pou- 
dre de  cannelle  et  de  safran,  puis  de  fricassées  de  poissons  bouillis, 
(f;  légumes  farcis  de  viandes  hachées,  de  melons  d'eau,  de  bananes 
ut  d'autres  fruits  du  pays.  A  la  fin  du  repas,  on  porta  des  santés  au 
bruit  des  instruments  et  aux  cris  joyeux  de  l'assemblée  :  la  moitié 
lies  gens  assis  à  table  se  levait  et  buvait  à  l'autre.  » 

Le  pittoresque  oriental  no  s'est  pas  confiné  sous  les  cèdres  du 
Liban.  Nous  le  retrouvons,  sous  une  autre  forme,  mais  non  moins 
piquant  et  musical,  au  Caire,  où  le  comte  d'Estourmel,  déjà  nommé, 
va  nous  faire  assister  à  une  fête  donnée  pour  la  circoncision  du 
tils  aine  d'un  riche  joaillier. 

Tout  le  monde  est  admis  dans  la  cour  intérieure  et  à  la  file,  sans 
invitation,  pour  présenter  ses  hommages  au  héros  de  la  journée, 
Ali-Sayd-Saal,  qui  a  dix  ans.  Cependant,  au  centre  de  cette  cour, 
une  enceinte  est  réservée  pour  les  visiteurs  de  haute  marque.  On  y 
a  dressé  des  bancs  k  dossier,  sur  lesquels  prennent  place  les  Euro- 
péens, tous  gens  à  chapeaux,  devant  lesquels  les  turbans  s'in- 
clinent. 

Ensuite,  on  les  fait  entrer  dans  une  salle  d'honneur,  prenant  jour 
sur  la  cour  par  une  ouverture  grillée,  afin  qu'ils  ne  perdent  rien  du 
spectacle.  On  les  fait  asseoir  sur  des  coussins,  et  le  maître  du  loo-is 
les  invite  à  mettre  habit  bas.  Ils  s'y  refusent  ;  mais  le  joaillier 
insiste  et  ne  les  quitte  que  lorsqu'ils  sont  en  manches  de  chemise, 
sans  gilet  et  sans  cravate.  De  plus,  il  leur  envoie  des  chaises  et 
des  bancs,  pour  qu'ils  soient  plus  commodément,  et  leur  fait  porter 
un  souper  des  plus  succulents,  pendant  que  dans  le  public  circulent 
des  mets  na'donaux,  auxquels  chacun  fait  honneur  gloutonnement. 
C'est  en  bas  une  entrée  et  une  sortie  perpétuelles;  mais  le  bruit 
de  la  foule  et  le  brouhaha  des  conversations  sont  dominés  par  les 
éclats  d'un  concert  vocal  et  instrumental,  qui  ne  rappelle  que 
trop  à  notre  compatriote  son  diner  chez  le  négociant  de  .Tanina. 
tJependant  il  s'intéresse  aux  musiciens,  ses  persécuteurs  : 

«  Leurs  instrumeuis,  dit- il,  ressemblaient  assez  pour  la  forme  à 
nos  flûtes,  à  nos  violons  et  a  nos  guitares,  mais  ces  derniers  n'a- 
vaient que  deux  cordes;  et  la  flûte  pour  l'harmonie  me  rappela  sur- 
tout notre  flûte  à  l'oignon.  Tous  ces  virtuoses  étaient  forts  comme 
des  Turcs;  je  leur  vis  casser  plusieurs  archets.  Quelquefois  le  cory- 


phée, renflant  sa  voix,  épuisait  son  haleine  dans  une  longue  tenue,  » 

Mais  la  nuit  est  venue.  Des  centaines  de  petits  verres  blancs 
répandent  une  douce  lumière  dans  l'assemblée.  Au-dessus,  c'est  le 
ciel  étoile  d'un  bleu  sombre.  A  travers  les  jalousies  des  étages  supé- 
rieurs scintillent  des  feux  et  bruissent  d'autres  instruments  :  c'est 
le  harem  qui  prend  part  à  la  fèt''.  Mais  nos  étrangers  ne  sont  point 
conviés  à  celle  partie  du  programme.  Ils  doivent  se  contenter  du 
spectacle  do  la  foule,  et  finalement  des  plaisirs  de  tout  le  monde, 
car  ils  se  mêlent  aux  réjouissances,  sur  le  tard. 

«  On  servait  fréquemment  du  café  et  du  sorbet  à  la  rose,  quelque- 
fois de  l'eau-de-vie  anisée.  Les  liqueurs  sont  ici  peu  variées  :  l'art 
de  la  distillation  est  dans  l'enfance,  quoique  le  mot  alambic  soit 
originairement  arabe.  On  faisait  aussi  circuler  de  grands  plateaux, 
dont  une  lanterne  de  papier  occupait  le  centre,  et  autour  de  laquelle 
se  pressaient  [lêle-mèle  des  raisins  secs,  des  dragées  et  des  pâtis- 
series au  miel.   » 

Sans  la  musique  endiablée  qui  accompagnait  ces  gourmandises, 
nos  compatiiotes  eussent  assurément  conservé  lopins  agréable  sou- 
venir de  cette  soirée;  mais  ils  revinrent  chez  eux  avec  un  violent 
mal  de  tète,  qu'ils  mirent  sur  le  compte  des  flûtes  à  l'oignon,  ce  qui 
leur  gâta  toute  leur  fête. 

Lorsque  M.  d'Estourmel  revint  en  France,  il  poussa  un  grand 
soupir  de  satisfaction  et  se  satura  de  bœuf  et  d'orgue  de  Barbarie  : 
il  en  avait  assez,  de  la  chère  et  de  la  musique  orientales. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Ghàtelet.  —  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la 
mort  de  Mozart,  M.  Colonne  avait  consacré  toute  la  seconde  partie  du 
concert  aux  œuvres  du  maître.  Le  concerto  pour  deux  pianos,  exécuté  par 
M.  Louis  Diémer  et  M.  Perret,  a  trouvé  une  interprétation  toujours  excel- 
lente et  qui  même  s'est  approchée  souvent  de  la  perfection.  La  musique 
de  Mozart,  claire,  limpide,  émaillée  de  notes  d'agrément  et  de  trilles  qui 
scintillent  sous  les  doigts  comme  des  diamants  taillés  à  facettes,  a  été 
rendue  avec  les  ressources  multiples  d'un  jeu  souple,  net  et  précis  et  d'un 
toucher  susceptible  des  nuances  les  plus  diverses.  Le  morceau  a  été  cou- 
vert d'applaudissements  qui  ont  eu  le  caractère  d'une  véritable  ovation 
après  le  premier  mouvement.  M"=  Marcella  Pregi  nous  a  laissé,  dans  l'air 
de  Suzanne  des  Noœs  de  Figaro,  l'impression  d'une  interprétation  exacte- 
ment au  point  et  d'un  charme  incontestable  provenant  des  qualités  parti- 
culières de  l'organe,  de  l'excellence  de  la  méthode  et  du  goût  réel  de 
l'artiste.  M"|=  de  Monlalant,  très  en  progrès,  a  chanté  une  mélodie  de 
M.  Charles  Lefebvre,  œuvre  distinguée  et  poétique,  et  la  délicieuse  Myrto 
de  Léo  Delîbes,  à  laquelle  un  dessin  persistant  d'accompagnement  donne 
un  caractère  sauvage,  mais  parfaitement  en  situation.  Les  deux  jeunes 
chanteuses,  auxquelles  se  sont  joints  M™'  de  Berny  bien  charmante  nature 
d'artiste)  et  M.  "Villaret,  ont  fait  entendre  l'introduction  si  gracieuse  et 
si  vive  de  la  Flûte  encliantée.  La  huitième  symphonie  de  Beethoven  avait 
servi  de  début  à  ce  beau  concert.  Le  premier  morceau,  le  menuet  lui- 
même  et  surtout  le  finale  de  cette  symphonie  ne  sont  pas  indignes  de 
figurer  à  côté  du  merveilleux  allegretto  auquel  est  réservée  trop  exclusive- 
ment la  faveur  du  public.  Succès  tout  spontané,  enthousiaste  même  po^r 
/(■  Rouet  d'Omphalc  de  M.  Saint-Saëns,  que  l'orchestre  a  détaillé  avec  une 
exquise  ténuité.  La  séance  s'est  terminée  par  la  symphonie  en  ml  mineur 
de  Mozart,  une  des  plus  finement  ciselées  et  des  mieux  inspirées  du 
maitre.  Amédée  Bouï.uœl. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Nous  sommes  heureux  d'avoir  à  constater 
le  succès  d'une  œuvre  remarquable  de  M.  W.  Ghaumet  :  il  s'agit  de 
l'alria,  belle  poésie  de  M.  Louis  Gallet,  pour  laquelle  le  compositeur  a 
écrit  une  musique  symphonique  d'un  style  élevé,  d'une  grande  clarté, 
d'un  sentiment  exquis.  Les  paroles  sont  tantôt  déclamées,  tantôt  chan- 
tées, sans  que  le  passage  de  la  déclamation  au  chant  et  au  chant  à 
la  déclamation  ait  jamais  rien  de  heurté  ou  de  disparate.  Nous  n'ai- 
mons guère,  en  général,  cette  sorte  de  musique,  que  les  Allemands 
appellent  le  mélodrame  :  les  paroles  empêchent  généralement  d'écouter  la 
musique  ou  la  musique  empêche  d'écouter  les  paroles  ;  le  déclamateur. 
n'étant  pas  toujours  musicieit,  parle  aussi,  généralement,  faux.  Nous  ne 
connaissions  qu'un  essai  heureux  en  ce  genre,  une  œuvre  de  t";rieg, 
Hcrgliot,  qui  avait  été  fort  admirée  aux  concerts  du  Ghàtelet,  dirigée  par 
lui-même.  L'œuvre  de  M.  "W.  Ghaumet  se  recommande  par  l'unité 
de  la  composition  :  elle  se  tient  d'un  bout  à  l'autre.  M.  Lassalle  l'a 
interpréiée  avec  un  art  consommé.  Il  a  provoqué,  à  divei-ses  reprises, 
une  vive  émotion  dans  l'auditoire.  On  l'a  rappelé  trois  fois,  et  c'était 
justice;  tout  était  à  louer  chez  lui  :  la  dictmn,  le  geste,  l'art  de  bien 
dire  autant  que  l'art  de  bien  chanter.  Quand  M.  Lamoureux  nous  donnera 
des  œuvres  modernes  de  la  valeur  de  Palria,  il  aura  droit  à  nos  plus  sin- 
cères éloges.  —  Nous  serons  plus  réservé  quand  il  s'agira  d'œuvres  telle 
que  le  Merlin  enchanté  de  M.  Marty.  Celte  composition,  ultra-wagnérienne 


LL;  MEiNLSlilEL 


405 


n'a  pas  eu  le  don  de  plaire  au  public,  pourtant  si  docile,  des  concerts 
du  Cirque,  et  peu  s'en  est  fallu  qu'on  ait  chuté  cette  œuvre  apocalyp- 
tique que  le  programme  ne  suffit  pas  à  rendre  compréhensible.  M.  La- 
moureux  a  donné  une  exécution  un  peu  molle  à  l'ouverture  de  Freisdwlz, 
de  Weber.  Quant  à  la  délicieuse  symphonie  en  si  bémol,  de  Schum.ann, 
lo  premier  morceau  a  été  dit  lourdement,  l'andante  sans  nuances  ;  en 
revanche,  l'exécution  du  scherzo  et  du  finale  a  été  irréprochable.  Il  n'y 
a  rien  à  redire  non  plus  à  l'interprétation  de  l'ouverture  du  Tnnnlidvser, 
de  Wagner,  et  de  la  Danse  mncabre.  de  M.  Saint-Saéns,  qui  ont  été  fort 
bien  dites.  Ce  qu'il  y  a  le  plus  à  reprocher  à  M.  Lamoureux,  c'est  la  dis- 
position matérielle  de  son  orchestre  :  les  cordes  sont  enterrées  comme 
dans  un  sous- sol,  les  instruments  à  vent  les  dominent  de  très  haut  et  les 
écrasent.  Presque  toujours  ce  défaut  se  fait  sentir.  Les  cirques  sont  des 
locaux  si  défavorables  à  la  musique  qu'on  ne  saurait,  sans  injustice,  en 
rendre  M.  Lamoureux  complètement  responsable.  II.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  ; 
Conserva'oire  :    Deuxièaie  symphonie,    en  ré  majeur   (Brahmsl  ;  air   iVEroslraie 

(Reyer),  par  M.  Delmas;  concerto  pour  violon  (Mendelssohn),  par  M.  Edouard 
Nadaud;  fragment  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  chinté  par  M.  Delmas.  Le 
concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Gbâtelet,  concert  Colonne  :  Neuvième  symphonie,  avec  chœurs  (Beethoven), 
soli  par  M""  de  Monlalaut  et  Pregi,  MM.  Warmhiodt  et  Auguez;  concerto  pour 
deux  pianos  (Mozart),  par  MM.  Diémeret  Pierret  ;  ti'frf  pour  violoncelle  (V.  d'Indy), 
par  M.  Baretli  ;  scène  du  Venusberg,  de  Tannimuser  (Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Oaverture  de  Manfred  (Schu- 
mann);  symphonie  en  tit  mineur  (Beethoven);  concerto  en  ni;  bémol,  n'  3  (Saint- 
SaëQs),  exécuté  par  M""  Kara  Chatlelyn;  air  de  ballet  (Massenet)  ;  ouverture  des 
Hlaltres-Citanteiirs  (R.  Wagner);  Rapsodie  norvégienne  (Lalo). 

—  Très  beau  succès,  mercredi  dernier,  à  la  salle  Érard,  pour  la  pre- 
mière des  dix  séances  de  musique  de  chambre  moderne  données  par 
MM.  I.  Philipp,  Berthelier,  Loëb  et  Balbreck,  qui  ont  exécuté  d'une  façon 
merveilleuse  un  fort  beau  quatuor  de  M.  Gh.-M.  'Widor.  Une  jolie  suite 
pour  piano  et  violon,  de  M.  Emile  Bernard,  a  valu  de  vifs  applaudisse- 
ments à  MM.  Philipp  et  Berthelier,  qui  s'y  sont  distingués  d'une  façon 
toute  particulière,  et  la  séance  s'est  terminée  par  une  excellente  exécu- 
tion d'un  intéressant  trio  de  M.  F.  Gernsheim,  compositeur  néerlandais, 
qui  n'est  pas  un  inconnu  pour  le  public  parisien. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (17  décembre)  :  —  La  Monnaie 
a  enfin  donné  jeudi  la  première  de  Barberine,  paroles  de  MM.  Paul  Gollin 
et  Lavallée,  d'après  Alfred  de  Musset,  musique  de  M.  de  Saint-Quentin.  Il  y 
avait  assez  longtemps  que  l'œuvre  était  écrite  et  que  les  auteurs  désiraient 
la  faire  jouer.  Nous  nous  souvenons  d'en  avoir  entendu  des  fragments  im- 
portants, il  y  a  six  ou  sept  ans  déjà,  un  soir,  chez  M.  Bourée,  le  ministre 
de  France,  qui  avait  convié  tout  exprès  un  public  choisi  pour  les  entendre. 
On  ne  peut  donc  pas  dire  qu'elle  ait  été  improvisée.  Le  succès,  pourtant, 
l'autre  jour,  à  la  Monnaie,  n'a  pas  été  aussi  complet  que  cette  longue 
préparation  semblait  le  promettre  ;  le  public,  bien  que  sympathique,  a 
fait  à  l'œuvre  nouvelle  un  accueil  assez  froid.  Elle  est  fort  gracieuse,  assu- 
rément, et  pleine  de  jolies  choses.  Mais  l'ensemble  a  paru  d'une  couleur 
un  peu  grise.  OEuvre  nouvelle,  dis-je  ;  c'est  beaucoup  dire,  du  moins,  pour 
ce  qui  regarde  le  poème.  La  comédie  de  Musset,  que  M.  de  Saint- Quen- 
tin a  mise  en  opéra-comique,  date  de  loin.  Ce  n'est  pas  une  des  meilleures 
du  chantre  de  Rolla,  et  l'on  se  souvient  qn'elle  ne  réussit  guère  quand  la 
Comédie-Française  la  joua,  en  1882,  avec  la  pauvre  Feyghine.  Et  cepen- 
dant, elle  est  bien  jolie,  bien  poétique,  dans  sa  fable  naïve  et  sa  touchante 
simplicité,  cette  histoire  —  histoire  rare  —  d'une  femme  fidèle  en  butte 
aux  poursuites  d'un  séducteur,  qu'elle  punit  cruellement,  et  qui  se  con- 
serve intacte  et  pure  à  l'amour  de  son  époux.  MM.  CoUin  et  Lavallée,  en 
sacrifiant  les  épisodes  inutiles  à  l'action  principale,  ont  adapté  avec  adresse 
la  comédie  à  la  scène  lyrique,  conservant  la  prose  de  Musset  même  dans 
la  partie  chantée,  quand  cela  se  pouvait,  et  arrivant  ainsi  à  faire  un  livret 
d'opéra  qui  gardât  quelque  chose  de  la  saveur  exquise  de  l'œuvre  originale. 
Il  ne  dépendait  pas  d'eux  qu'elle  eût  plus  d'intérêt  scénique;  car  la 
pièce  est  jolie  par  son  sentiment  beaucoup  plus  que  par  son  mouvement. 
M.  de  Saint  Quentin  a  suivi  peut-être  trop  respectueusement  le  caractère 
intime  de  son  modèle  ;  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  «  composer  »  sa  par- 
tition de  façon  à  lui  donner  de  l'unité;  il  l'a  découpée  en  morceaux  déta- 
chés, n'ayant  pas  de  lien  visible  entre  eux,  et  il  en  est  résulté  quelque 
monotonie.  Cette  réserve  faite,  il  ne  me  coûte  pas  de  dire  que  sa  musique 
est  sinon  bien  personnelle,  du  moins  très  distinguée,  qu'elle  a  du  charme, 
de  l'élégance  et  qu'elle  est  écrite  d'une  main  experte,  sans  banalité.  Plu- 
sieurs pages  ont  été  applaudies  et  méritaient  de  l'être,  pour  leur  cachet 
aimable,  expressif  et  fin.  Ajoutons  que  Barijerine  a  trouvé  d'excellents  in- 
terprètes en  M"':'  Darcelle,  Savine  et  "VVolf,  MM.  Isouard  et  Gilibert.  — 
On  prépare  maintenant,  ou  plutôt  on  achève  de  préparer  la  reprise  de 
Lohengrin,  avec  M.  Latarge,  qui  nous  est  revenu  tout  à  fait  rétabli,  M.Sé- 
guin, M™  de  Nuovina  et  M''^  Wolf.  On  songe  à  une  autre  reprise,  depuis 
longtemps  promise,  de  la  Flûte  enchantée,  en  attendant  Chevalerie  rustique  ; 


et  l'on  fera  prendre  patience  au  public  avec  quelques  petits  ouvrages 
remis  à  la  scène,  tels  que  le  Tableau  parlant  de  Grétry  et  le  Toréador.  — 
Au  théâtre  des  Galeries,  la  Fille  de  Fanchon  la  Vielleuse  a  remporté  un  très 
grand  succès  ;  on  a  traîné  M.  Varney  sur  la  scène  avec  un  enthousiasme 
délirant.  L'interprétation  est  remarquable,  avec  M""  Samé,  qui  est  ravis- 
sante de  grâce,  d'esprit  et  de  sentiment,  M""  "Villers,  une  nouvelle  venue, 
aussi  agréable  à  voir  qu'à  entendre,  M.  Lamy  et  M.  De  Béer.  —  La  pre- 
mière séance  des  Concerts  populaires,  dimanche  dernier,  a  été  fort  inté- 
ressante. On  a  applaudi  l'excellent  pianiste  M.  Gurickx  dans  le  concerto 
de  Tscbaïkowsky  et  un  morceau  de  sa  composition.  En  mer  ;  et  l'orchestre 
a  exécuté  diverses  nouvelles  œuvres  russes  et  allemandes.  Parmi  ces  der- 
nières, il  y  en  avait  une  de  M.  Richard  Strauss,  la  nouvelle  «  étoile  »  qui 
brille  d'un  si  vif  éclat,  depuis  quelque  temps,  au  firmament  musical,  de 
l'autre  côté  du  Rhin.  On  reprochait  beaucoup  aux  Belges  de  ne  pas  avoir 
fait  encore  connaissance  avec  M.  Richard  Strauss,  que  les  Allemands  com- 
parent volontiers  à  "Wagner  (également  Richard).  Maintenant,  nous  le 
connaissons.  C'est  un  musicien  bien  ennuyeux.  La  «  fantaisie  sympho- 
nique  »  qu'on  a  jouée  de  lui.  En  Italie,  est  une  interminable  et  obscure 
composition  à  programme,  qui  donne  beaucoup  moins  l'impression  du 
beau  ciel  bleu  de  là-bas  que  celle  d'une  brasserie,  à  Weimar,  dans  la  fu- 
mée des  pipes.  Enormément  de  science,  mais  delà  musique,  hélas  !  nous  en 
avons  cherché  en  vain.  Les  compositions  des  deux  autres  auteurs,  Smetana 
et  Glazounow,  qu'on  a  entendues  ensuite,  ont  une  bien  autre  saveur.  L'or- 
chestre, sous  la  magistrale  direction  de  M.  Joseph  Dupont,  a  exécuté  tout 
cela  dans  la  perfection.  Lucien  Solvay. 

—  On  lit  dans  l'Echo  musical  de  Bruxelles  :  «  Le  savoureux  et  captivant 
opéra  :  Quentin  Durward,  de  M.  F.-A.  Gevaert,  a  été  monté,  il  y  a  deux 
semaines,  au  Théâtre-Français  de  La  Haye,  par  les  soins  et  sous  la  direc- 
tton  de  notre  compatriote,  M.  Joseph  Mertens.  L'œuvre  a  obtenu  un 
succès  triomphal  dont  les  journaux  hollandais  se  font  à  l'envi  l'écho.  Lors 
de  la  première,  les  artistes  ont  été  rappelés  à  trois  reprises  à  la  fin  de 
chaque  acte;  l'on  a  fait  une  longue  ovation  à  M.  Mertens  dont  l'habile  et 
artistique  administration  a  réussi  à  galvaniser  ce  théâtre  qui  depuis  plu- 
sieurs années  semblait  sommeiller.  » 

—  Le  répertoire  français  en  Allemagne.  Relevé  sur  la  dernière  liste  des 
spectacles:  Berlin  :  Fra  Diavolo,  Carmen  (2  fois).  —  Cassei.  :  Robert  le  Diable, 
Faust.  — Cologne  :  le  Roimalgré  lui  (2  fois).  Mignon,  Guillaume  Tell,  Carmen.  — 
Hamrourg  ;  Mignon,  (2  fois),  Joseph,  les  Huguenots,  Carmen,  la  Juive,  les  Deux 
Journées,  la  Basoche  (i  fois).  —  Mannheim  :  les  Huguenots,  le  Maçon,  la  Juive. 
—  Vienne  :  l'Africaine,  la  Fille  du  régiment,  Faust  (2  fois),  les  Deux  Journées, 
Roméo  et  Juliette  (2  fois),  Hamlet,  Coppélia,  Sylvia,  Manon  (2  fois). 

—  Le  prince  de  Bismarck  et  la  musique.  —  Un  journal  étrangerrappelle 
un  entretien  que  le  fameux  peintre  Lambach  eut  un  jour,  en  188-2,  avec 
le  prince  de  Bismarck,  dont  il  était  l'hôte  à  Varzin.  Un  jour  que  la  con- 
versation tombait  sur  la  musique,  le  prince,  qui,  comme  d'habitude,  fumait 
sa  longue  pip8,  déclara  à  son  interlocuteur  qu'il  n'y  comprenait  absolu- 
ment rien,  et  qu'il  était,  ainsi  que  ses  fils,  absolument  réfractaire  à  cet 
art.  «  Jamais,  dit-il,  je  n'ai  pu  apprendre  à  jouer  du  piano,  comme  le 
faisaient  au  gymnase  (lycée)  tous  les  fils  de  bonne  famille  avec  lesquels 
je  me  trouvais.  Quand  c'était  à  mon  tour  de  lire  les  notes,  je  fondais  en 
larmes,  et  tandis  que  j'avais  pu,  grâce  à  ma  bonne  mémoire,  apprendre  en 
une  demi-heure  les  lettres  de  l'alphabet  grec,  c'était  pour  moi  un  véri- 
table supplice  que  de  devoir  déchiffrer  ces  petits  points  noirs  avec  leurs 
queues  et  signes  de  toute  espèce.  Bref,  je  n'ai  rien  de  musical,  ni  l'esprit 
ni  l'oreille.  Ce  que  j'ai  toujours  goûté  le  plus,  c'est  un  bon  orgue  de  Bar- 
barie; le  son  de  la  vielle  ne  me  déplait  pas  non  plus,  quand  je  l'entends 
quelquefois,  le  soir,  dans  la  campagne,  ou  encore  le  violoncelle,  les  instru- 
ments enfin  qui  me  rappellent  le  plus  la  voix  humaine.  Quant  aux  salles 
de  concerts  et  aux  théâtres  d'opéra,  ce  sont  des  lieux  déplaisir  que  j'ignore; 
du  reste,  j'aurais  voulu  y  aller  que  je  n'en  aurais  jamais  trouvé  le  temps. 
Dans  ma  famille,  la  princesse  seule  est  musicienne;  lorsqu'on  a  donné  à 
Berlin,  au  Victoria-Théâtre,  la  tétralogie  de  "Wagner,  elle  en  a  suivi  les 
représentations  et  a  même  invité  à  dîner  le  ténor  Scarria.  Pour  moi,  j'avais 
à  ce  moment  d'autres  pensées  et  d'autres  goûts.  » 

—  On  ne  plaisante  pas  décidément  sur  la  discipline,  dans  les  théâtres 
allemands,  et  les  artistes  sont  conduits  militairement.  Nous  avons  fait 
connaître  récemment  quelques  mesures  sévères  prises  à  l'Opéra  royal  de 
Berlin;  c'est  du  théâtre  grand-ducal  de  Carlsruhe  que  nous  vient  aujour- 
d'hui la  lumière.  La  direction  de  ce  théâtre  non  seulement  a  fait  défense 
de  jeter  des  fleurs  ou  des  couronnes  sur  la  scène,  mais  elle  a  rigoureuse- 
ment interdit  aux  employés  d'en  porter  dam  les  loges  des  artistes.  On 
pourra  faire  des  exceptions,  avec  permission  spéciale  de  la  direction,  en 
faveur  des  artistes  qui  célébreront  leur  jubilé  de  cinquante  ans  de  ser- 
vices (on  a  le  mot  pour  rire,  en  Allemagne),  ou  de  ceux  qui  reparaîtront 
à  la  scène  après  une  longue  maladie  (de  combien  de  temps?).  Quant  aux 
rappels,  l'administration  renouvelle  aux  artistes  la  défense  de  reparaître 
sur  le  théâtre  à  la  suite  d'une  scène  dans  laquelle  ils  sont  censés  mourir!! 

—  A  la  dernière  représentation  de  Don  Juan  donnée  à  l'Opéra  impérial 
de  Vienne,  lors  du  centenaire  de  Mozart,  assistait  un  amateur  qui  avait 
vu,  en  ISOb,  la  première  représentation  de  ce  chef-d'œuvre  en  langue 
allemande.  Jusqu'à  ISOS  Don  Giovanni  fut  joué,  à  Vienne,  seulement  en 
italien.  L'amateur  en  question  est  un  très  riche  banquier,  M.Jacob  Mayer, 


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LE  MÉNESTREL 


i]ui  avait  assiste  à  l'âge  de  onze  ans,  dans  la  loge  de  ses  parents,  à  cette 
mémorable  première;  il  se  souvient  parfaitement  de  tous  les  détails  de  la 
soirée  et  en  cause  volontiers.  Depuis  ISOo,  M.  Mayer  a  rarement  manqué 
une  représentation  de  Don  Juan  ;  il  paraît  qu'il  a  vu  l'opéra  de  Mozart  plus 
do  1,000  fois.  Malgré  ses  quatre-vingt-dix-sept  ans  bien  sonnés,  M.  Mayer 
occupe  encore  sa  loge  à  l'Opéra  de  'Vienne  trois  fois  par  semaine,  et  notre 
ancien  correspondant  viennois,  M.  Berggruen,  alErme  qu'il  a  été  tou- 
jours frappé  par  la  vivacité  des  impressions  etla  justesse  des  observations 
de  M.  Mayer.  Rien  de  plus  curieux  que  de  lui  entendre  raconter  les  soirées 
splendides  de  l'Opéra  impérial  pendant  le  fameux  congrès  de  Vienne.  Il 
avait  déjà  vingt  ans  à  cette  époque,  et  connaissait  personnellement  presque 
toutes  les  illustrations  artistiques  de  ce-temps.  En  1876,  âgé  de  plus  de 
quatre-vingts  ans,  M.  Mayer  a  pu  se  rendre  à  Bayreuth,  et  la  nouvelle 
école  musicale  a  trouvé  en  lui  un  fervent  adorateur.  Il  espère  célébrer,  en 
1894,  le  quarantième  anniversaire  de  Lohengrin  à  Vienne  en  même  temps 
que  son  propre  centenaire. 

—  Samedi  5  décembre,  a  eu  lieu,  au  Théâtre  Royal  de  Buda-Pesth,  la 
première  représentation  d'Alu'nor,  l'opéra  inédit  de  M.  Jeno  Hubay,  poème 
de  M.  Edmond  Haraucourt.  Le  sujet  de  ces  quatre  actes  est  emprunté 
aux  légendes  armoricaines  dont  Merlin  est  le  héros,  mais  l'interprétation 
donnée  à  ce  thème  poétique  par  M.  Haraucourt  est  toute  personnelle.  La 
musique  de  M.  Hubay  est  charmante  de  jeunesse,  de  vie,  de  sincérité,  et 
le  succès  a  été  très  vif.  Le  public  a  été  conquis  d'emblée  par  la  sponta- 
néité mélodique  des  inspirations  du  jeune  maître,  tantôt  gracieuses  ou 
passionnées,  notamment  celles  qui  caractérisent  le  personnage  d'Aliéner, 
tantôt  solennelles  ou  puissantes,  par  exemple  quand  Merlin  apparaît  ou 
quand  les  chœurs  interviennent  ;  et  son  orchestration,  colorée  avec  goût, 
a  constamment  intéressé.  Un  ballet  avec  chœurs,  d'une  disposition  neuve, 
ingénieusement  rattaché  à  l'action,  a  été  aussi  très  goûté.  Les  artistes, 
notamment  M"°  Bianca  Blanchi  et  M.  Ney,  ont  vaillamment  contribué  au 
succès,  ainsi  que  le  chef  d'orchestre,  M.  Rebicek,  un  musicien  d'un  vrai 
talent,  et  la  mise  en  scène,  à  laquelle  l'intendant  des  théâtres  royaux  de 
Hongrie,  M.  le  comte  Géza  Zichy,  a  donné  tous  ses  soins. 

—  La  maladie  s'est  abattue,  paraît-il,  sur  le  Théâtre  National  de  Saint- 
Pétersbourg,  au  point  de  le  transformer  en  un  vaste  hôpital.  Malade  la 
chanteuse  légère,  M^^^  Mravina,  si  sérieusement  qu'on  a  dû  engager  pour 
la  remplacer  une  autre  artiste,  M"=  Fohstrôm  ;  malade  M.  Napravnik, 
l'excellent  et  renommé  chef  d'orchestre  ;  d'autres  encore.  —  L'opéra  nou- 
veau de  M.  Rimsky-Korsakoff,  Mlada,  n'est  pas  encore  près  d'être  repré- 
senté. Son  exécution  offre,  dit-on,  d'effroyables  difficultés,  et  aucun  chef 
d'orchestre  ne  peut,  en  l'absence  forcée  de  M.  Napravnik,  venir  à  bout  de 
cette  musique  bizarre  et  tourmentée,  de  sorte  qu'on  a  dû  renoncer  à  mon- 
ter l'ouvrage  au  cours  de  cette  saison.  —  Un  douloureux  événement  a 
centriste  le  personnel  de  ce  théâtre.  La  Bile  unique,  à  peine  âgée  de  quinze 
ans,  du  premier  directeur  de  la  scène,  l'ex-basse  KoudratielT,  s'est  suicidée 
en  se  tirant  un  coup  de  revolver  au  cœur,  et  n'est  morte  qu'après  huit 
jours  d'horribles  souffrances.  On  ignore  ce  qui  a  pu  pousser  la  pauvre  en- 
fant à  cet  acte  de  désespoir,  mais  celui  de  son  père  est  immense,  et  l'on 
croit  que  l'infortuné  va  donner  sa  démission  des  fonctions  importantes 
qu'il  occupe  au  Théâtre  National. 

—  Le  théâtre  royal  de  Copenhague  vient  de  reprendre  deux  ouvrages 
français,  d'époques  différentes,  que  le  public  a  accueillis  avec  un  égal  en- 
thousiasme, la  Dame  blanche,  de  Boieldieu  et  Le  Roi  l'a  dit,  de  Léo  Delibes. 

—  L'Opéra  royal  de  Stockholm  va  être  prochainement  démoli  pour  faire 
place  à  une  nouvelle  construction,  que  l'on  compte  inaugurer  dans  trois 
ans.  C'est  un  des  plus  anciens  théâtres  d'Europe,  ayant  été  érigé  en  1782, 
et,  fait  unique!  il  ne  s'y  est  jamais  produit  d'incendie.  Par  contre,  un  drame 
politique  s'est  déroulé  dans  son  enceinte  :  l'assassinat  du  roi  Gustave  III 
par  Ankarstrôm.  C'est  le  seul  point  noir  dans  l'existence  du  monument. 
La  dernière  représentation  a  eu  lieu  le  30  novembre.  Depuis  cette  date,  la 
troupe  joue  sur  la  scène  du  théâtre  Svenska. 

—  Le  gouvernement  italien,  peu  satisfait,  et  pour  cause,  de  la  situation 
financière  du  pays,  songe  à  établir  quelques  impôts  dont  le  produit  serait 
bienvenu  dans  les  caisses  du  trésor.  Parmi  les  taxes  dont  on  étudie  le 
projet  en  ce  moment,  on  en  cite  une,  assez  lourde,  qui  frapperait  les 
théâtres  et  les  cafés-chantants. 

—  On  devait  donner  le  samedi  S  décembre,  au  théâtre  Victor-Emma- 
nuel de  Turin,  la  première  représentation  d'un  nouvel  opéra  du  maestro 
Radeglia  :  la  Gemma  di  Karkunfel,  lorsque,  quelques  heures  seulement 
avant  lé  spectacle,  le  compositeur  retira  sa  partition,  déclarant  qu'il  ne 
laisserait  pas  jouer  l'ouvrage.  Les  journaux  ne  font  pas  connaître  les 
motifs  de  cette  décision  inattendue. 

—  La  saison  de  carnaval  parait  devoir  être  fructueuse  en  Italie  pour 
les  ouvrages  de  nos  compositeurs.  Au  Politeama  de  Gènes,  on  annonce 
Mignon  et  Carmen  ;  à  Chiavari,  Carmen  et  Faust  ;  au  théâtre  Pétrarque, 
d'Orezzo,  Mignon  et  Carmen  ;  à  Crema,  Faust  ;  au  théâtre  Concordia,  de 
Crémone,  Mireille  et  la  Jolie  Fille  de  Perth.  Enfin,  M"'  Sigrid  Arnoldson 
doit  donner  sur  divers  grands  théâtres  une  série  de  représentations  de 
Fra  Diaoolo. 

—  Le  Trovatore  nous  apprend  qu'une  cantatrice  engagée  par  M.  Sonzogno 
pour  chanter  Mignon  au  théâtre  Pagliano  de  Florence,  M""  Béatrice  Belm- 


fort,  s'est,  dans  un  accès  d'exaltation  mentate,  jetée  par  la  fenêtre  de  la 
pension  Mac-Namée,  où  elle  demeurait.  Elle  s'est  fait  de  graves  blessures 
qui  font  craindre  pour  sa  vie. 

—  Les  journaux  italiens  affirment  que  le  baron  Franchetti,  le  richis- 
sime compositeur  à  qui  l'on  doit  la  partition  A'Asraël,  s'est  rendu  acqué- 
reur du  théàlre  Brunetti,  de  Bologne,  où,  après  y  avoir  fait  exécuter 
d'importants  travaux  de  restauration,  il  donnera  «  des  spectacles  gran- 
dioses >i. 

—  Grande  rumeur  à  Venise  dans  le  personnel  des  masses,  c'est-à-dire  de 
l'orchestre  et  des  chœurs,  du  théâtre  de  la  Fenice,  la  grande  scène  lyri- 
que de  cette  ville.  Le  représentant  de  la  direction  n'ayant  pu  s'entendre, 
dit-on,  avec  les  éléments  indigènes,  aurait  résolu  de  faire  venir  du  dehors  un 
personnel  choral  et  un  orchestre  complets.  De  là,  on  le  comprend,  plaintes, 
récriminations,  cris  et  grincements  de  dents. 

—  Il  pleut  maintenant  des  parodies  en  Italie.  Tout  d'abord,  nous  avons 
à  en  enregistrer  une  cinquième  de  Cavalleria  rusticann;  celle-ci,  qui  a 
obtenu  du  succès  au  théâtre  Fossati,  de  Milan,  a  pour  titre  Cavallena 
rustico-napoletana ;  les  auteurs  sont  MM.  Enrico  Campanelli  pour  les  paroles 
et  F.  R.  pour  la  musique  (ainsi  le  dit  l'affiche).  C'est  aussi  M.  Mascagni 
qui  a  inspiré  la  seconde  ;  son  Ami  Frits  est  devenu,  au  théâtre  Rossini  de 
Roraefl'AmicoSfrizzola,  sans  qu'on  nous  fasse  connaître  les  noms  desparodis- 
tes.  Enfin,  à  Rome  aussi,  le  théâtre  Quirino  a  représenté  une  parodie  qui 
semble  un  peu  tardive,  celle  A'Aida,  mais  qui  n'en  a  pas  moins  été  très 
bien  accueillie.  La  musique  de  celle-ci,  absolument  dépouvue  d'origina- 
lité, mais  très  gaie,  parait-il,  comme  le  livret,  et  très  entraînante,  est 
due  à  M.  Sassone.  Cinq  morceaux  ont  été  bissés,  entre  autres  celui  de  la 
procession  des  prêtres  qui  vont  juger  Rhadamès,  et  qui  se  mettent  à 
danser  sans  façons  sur  un  air  plaintif  chanté  par  Amnéris. 

—  On  écrit  de  Véi'one  à  l'Italie  :  «  Pour  la  soirée  au  bénéfice  du  ténor 
M.  Signoretti,  la  direction  du  théâtre  Ristori  lui  a  fait  cadeau  d'un  poulain  ; 
on  l'a  fait  voir  au  public,  et  cet  étrange  cadeau  à  un  artiste  a  fait  beau- 
coup rire.  Il  s'explique  cependant  de  la  façon  la  plus  naturelle.  M.  Signo- 
retti possède  une  maison  de  campagne  dans  les  environs  de  la  ville,  et 
lorsqu'il  chante  à  Vérone  il  l'habite  et  fait  le  voyage  de  la  campagne  à  la  __ 
ville  pour  les  répétitions  et  les  représentations.  C'est  pour  cela  qu'on  lui 
a  donné  un  jeune  cheval.  » 

—  A  Madrid,  première  représentatian  d'un  opéra  nouveau,  ei  Fantasma 
de  fuego.  Livret  de  MM.  Gullon  et  Larra,  fort  mauvais,  parait-il,  quoique 
tiré  d'un  roman  de  M.  Jules  Verne,  les  Indes  Noires,  musique  aimable  et 
gracieuse  de  M.  Fernandez  Caballero,  l'un  des  musiciens  les  plus  renom- 
més de  l'Espagne. 

—  La  grande  saison  italienne  de  l'Auditorium  de  Chicago  vient  de  com- 
mencer avec  éclat.  M"''  Van  Zandt  triomphe  dans  la  Somnambule  et 
M"'  Eames  dans  le  Pardon  de  Ploërmel  et  Roméo.  Dans  ce  dernier  opéra, 
elle  a  comme  partenaires  les  frères  de  Reszké,  M.  Martapoura  et  M.  Victor 
Capoul,  qui  interprète  un  rôle  secondaire. 

—  Les  journaux  de  Buenos-Ayres  annoncent  qu'on  va  construire  dans 
cette  ville  un  nouveau  théâtre  qui  doit  surpasser  tous  les  autres  en  magni- 
ficence. La  salle  pourra  contenir  5,000  spectateurs. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

On  se  rappelle  que  l'an  dernier,  à  l'Eden-Théàtre,  vers  la  fin  de  sa 
direction,  M.  Verdhurt  annonça  l'exécution  de  plusieurs  des  œuvres  de 
César  Franck,  le  maître  qui  venait  de  mourir.  Les  héritiers  du  composi- 
teur, après  avoir  donné  leur  autorisation  à  la  représentation  projetée, 
l'interdirent  au  dernier  moment  et  firent  même  saisir  au  théâtre  les 
parties  d'orchestre,  prétextant  l'imperfection  trop  marquée  de  l'exécution. 
Peu  après,  M.  Verdhurt  tomba  en  faillite.  Son  passif  était  de  223,000  fr., 
l'actif  de  38,000  francs  à  peine.  Le  syndic  de  la  faillite,  prétendant  que 
les  héritiers  avaient,  par  leur  consentement  ensuite  retiré,  occasionné  à 
M.  Verdhurt  des  frais  inutiles  dont  ils  lui  devaient  compte,  leur  deman- 
dait, en  conséquence,  20,000  francs  de  dommages-intérêts.  La  première 
chambre  du  tribunal  lui  en  a  accordé  1,000  à  l'audience  d'hier. 

—  M.  Massenet  est  parti  cette  semaine  pour  Angers,  où  il  doit  présider 
à  la  célébration  du  quatre-centième  concert  de  la  Société  artistique, 
concert  composé  de  ses  œuvres  pour  la  plus  grande  partie.  C'est  M™"  Du- 
rand-Ulbach  qui  en  sera  l'interprète  pour  les  compositions  vocales.  Elle 
fera  entendre,  entre  autres,  la  dernière  et  saisissante  mélodie  du  maître  : 
le  Poète  et  le  Fantôme. 

—  M.  Théodore  Dubois  a  complètement  achevé  la  partition  de  Circé, 
écrite  sur  un  très  intéressant  livret  de  MM.  Jules  et  Pierre  Barbier  et  qui 
est  destinée  au  théâtre  de  l'Opéra-Comique.  Le  compositeur  va  commencer 
à  présent  un  autre  grand  opéra,  Frithiof,  dont  le  livret  est  dû  également  à 
la  même  collaboration. 

—  Le  Cercle  de  la  critique  dramatique  et  musicale  a  renouvelé  cette 
semaine  son  bureau.  Ont  été  élus  pour  l'année  1892  :  Président  :  M.  Pes- 
sard;  vice-présidents:  MM.  Marcel  Fouquier  et  Thomé  ;  secrétaire: 
M.  Maxime  Vitu  ;  archivistes  :  MM.  Noël  et  Stoullig. 

—  Le  dernier  numéro  de  la  Revue  encyclopédique  (numéro  de  cent  pages), 
publié  sous  ce  titre  particulier,  la  Russie,  est  entièrement  consacré  à  l'em- 


LE  MENESTREL 


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pire  des  czars,  dont  il  nous  fait  connaître  l'histoire,  la  littérature,  les 
beaux-arts,  la  science,  etc.,  par  la  plume  d'écrivains  d'une  compétence 
spéciale,  tels  que  MM.  Melchior  de  Vogué,  Leroy-Beaulieu,  Marius  Va- 
chon,  Alfred  Rambaud,  Albert  Vandal...  Nous  signalerons  particulière- 
ment, dans  ce  numéro,  une  longue  et  substantielle  étude  sur  la  musique 
russe  par  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  dans  laquelle  il  fait  con- 
naître les  origines  du  mouvement  musical  en  ce  pays,  son  développement 
rapide  et  le  complet  épanouissement  auquel  il  est  parvenu  de  nos  jours. 
Ce  travail  intéressant  et  étendu  est  accompagné  de  portraits  et  d'auto- 
graphes des  grands  musiciens  russes,  Glinka,  Borodine,  MM.  Rubinstein, 
Tschaïkowsky,  César  Cui,  Rimsky-Korsakofî,  Balakireff,  GlazounofT,  d'une 
mélodie  de  M.  TschaïkowsUy,  et  du  fameux  hymne  russe  :  Dieu  protège  le 
czar ,  dû,  comme  on  sait,  au  général  Lvolf. 

—  Il  est  beaucoup  parlé  musique  dans  les  souvenirs  d'un  sculpteur, 
de  Jules  Salmson,  membre  correspondant  de  l'Institut.  Entre  deux  coups  de 
ciseau  (c'est  le  titre  du  volume  édité  par  Lemerre),  l'auteur  de  la  statue 
de  Hœndel  à  l'Opéra  a  raconté  sa  vie  d'artiste,  dans  laquelle  passent, 
agissent  et  parlent  les  maîtres  de  l'art  contemporain.  Cent  croquis  et 
autographes,  du  style,  de  l'esprit  et  du  cœur,  voilà  le  livre  présenté  au 
public  par  MM.  Francisque  Sarcey  et  Arsène  Alexandre. 

—  M.  Georges  Falkenberg  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  les  Pédales  du 
piano,  un  livre  didactique  d'un  caractère  neuf  et  d'un  intérêt  tout  parti- 
culier. Après  avoir  fait  connaître  la  façon  dont  les  deux  pédales,  forte  et 
sourde,  fonctionnent  dans  l'intérieur  du  piano,  l'auteur  réunit,  dans  les 
quatorze  chapitres  de  son  traité,  tous  les  préceptes  nécessaires  à  leur 
emploi  et  à  leur  mise  en  action  de  la  part  de  l'exécutant.  La  première 
condition,  en  ce  qui  concerne  la  pédale  forte,  est  de  s'assurer  que  cet 
emploi  n'amène  aucun  inconvénient  à  l'égard  des  notes  non  pourvues  d'étouf- 
foirs;  pour  les  personnes  fort  nombreuses,  qui  sont  ignorantes  des  lois  de 
l'harmonie,  il  était  indispensable  d'établir  à  ce  sujet  des  règles  précises 
alin  d'éviter,  par  l'abaissement  ou  le  relèvement  intempestif  de  cette 
pédale,  une  confusion  de  sons  antimusicale  et  douloureuse  pour  l'oreille. 
Après  cette  première  explication,  si  nécessaire,  l'auteur  énumère  les  con- 
ditions diverses  qui  motivent  très  généralement  l'emploi  judicieux  de  la 
pédale,  cet  auxiliaire  à  la  fois  précieux  et  redoutable  pour  l'exécutant, 
conditions   qui   se  rattachent  toutes   à   trois   grandes   causes   principales  : 

.  prolongement  des  sons,  leur  renforcement,  et  enfin  modification  du  timbre 
de  l'instrument.  Viennent  ensuite  dos  notions  utiles  et  plus  élevées  sur 
l'emploi  plus  libre  de  la  pédale,  lorsque  celle-ci,  par  l'usage  judicieux 
qu'en  peut  faire  le  virtuose,  vient  ajouter  à  l'élan,  au  caractère,  à  la  cou- 
leur, à  la  poésie  d'un  trait,  d'une  phrase  ou  d'un  morceau.  L'auteur  termine 
enfin  par  certaines  considérations  sur  la  mise  en  jeu  des  pédales  dans 
l'exécution  à  quatre  mains  ou  à  deux  pianos  ou  dans  la  musique  d'en- 
semble, ou  lorsqu'il  s'agit  d'accompagner  le  chant  ou  un  instrument 
quelconque. 

—  Notre  excellent  maître  Marmontel  vient  d'être  l'objet,  de  la  part  du 
roi  de  Roumanie,  d'une  distinction  particulièrement  flatteuse.  Il  a  été 
nommé  commandeur  de  l'ordre  de  la  Couronne  de  Roumanie,  en  récom- 
pense des  soins  dévoués  qu'il  a  apportés  à  l'éducation  musicale  d'un 
grand  nombre  de  jeunes  filles  roumaines,  appartenant  à  de  grandes  familles 
et  dont  plusieurs  se  sont  souvent  fait  applaudir  soit  à  la  cour,  soit  dans 
les  concerts  publics  de  Bucharest. 

—  Le  deuxième  volume  des  Chatisons  du  Chat  noir,  de  Mac-Nab,  vient  de 
paraître  au  Ménestrel,  avec  cinquante  dessins  comiques  de  Gerbault.  On 
sait  quel  succès  accueillit  le  premier  volume.  Le  deuxième  est  pour  le 
moins  aussi  étrange  et  aussi  plaisant.  Chez  les  mêmes  éditeurs  une 
nouvelle  édition  de  la  Cliaiixon  des  joujoux,  cette  petite  merveille  de  goût  et 
d'humour  qui,  avec  ses  cent  aquarelles  d'Adrien  Marie  et  ses  vingt  petites 
mélodies  si  fines  et  si  coquettes,  est  bien  le  plus  joli  livre  d'étrennes 
qu'on  puisse  offrir  aux  petits  et  aux  grands. 

—  M.Alexandre  Guilmant  obtient  en  ce  moment  de  grands  succès  en 
Angleterre,  où  il  donne  une  série  de  récitals  d'orgue. 

—  M"'"Lureau-Escalaïs  et  M.  Escalaïs  font,  en  ce  moment,  les  beaux  jours 
du  théâtre  de  Lyon.  Les  deux  excellents  artistes  volent  de  succès  en  suc- 
cès, et  le  public  ne  se  lasse  pas  de  les  applaudir.  Guillaume  Tell,  Robert  le 
Diable,  la  Juive,  pour  M.  Escalaïs  ;  Faust.  Rigolello  et  Guillaume  pour  M'"':  Lu- 
reau-Escalaïs,  ont  été  l'occasion  de  vrais  triomphes.  La  semaine  dernière 
on  a  donné  Hamlet,  et  c'a  été  l'occasion  d'une  nouvelle  victoire  pour 
M""  Escalaïs,  qu'on  a  rappelée  quatre  fois  après  l'acte  de  la  folie. 

—  M.  Louis  Diémer  quitte  Paris  dans  quelques  jours  pour  se  rendre  à 
Vienne,  où  il  se  produira  dans  un  des  concerts  de  la  Société  philharmo- 
nique que  dirige  M.  Hans  Richter,  ainsi  qu'à  l'une  des  séances  du  remar- 
quable et  célèbre  quatuor  Rosé,  après  quoi  il  donnera  lui-même  un  grand 
concert  avec  orchestre.  De  Vienne,  M.  Diémer  poussera  jusqu'à  Buda- 
Peslh,  où  il  se  fera  entendre  aussi.  Son  absence  sera  d'une  dizaine  de 
jours. 

—  Au  concert  classique  de  Monte-Carlo  donné  la  semaine  dernière  sous 
l'artistique  direction  de  M.  Stock,  on  a  beaucoup  applaudi  l'ouverture  de 
Brocéliande,  un  opéra  inédit  de  M.  Lucien  Lambert  qui,  au  dire  des  per- 
sonnes qui  l'ont  entendu,  contient  des  pages  fort  remarquables.  Cette 
ouverture  est  d'ailleurs  connue  des  Parisens,  M.  Lamoureux  l'ayant  exécutée 
l'année  dernière. 


—  A  la  séance  publique  donnée,  dimanche  dernier,  par  la  Société  philo- 
technique, on  a  tout  particulièrement  applaudi  un  chanteur  de  talent, 
M.  Emile  Boulard,  fils  du  peintie  bien  connu,  dans  Hymne  aux  astres,  de 
Faure,  et  la  cavatine  du  Bal  masqué.  Grand  succès  aussi  pour  M""  Ronchini- 
Veyssier  dans  l'air  des  clochettes  de  Lnkmé.  Après  la  soirée,  M.  Boulard 
s'est  fait  entendre  dans  Mignonne,  que  désirez-vous?  de  Faure. 

—  On  nous  écrit  deBoulogne-sur-Mer  que, pour  la  fête  de  Sainte-Cécile, 
on  a  donné,  à  l'église,  la  belle  il/esse  des  Rameaux  de  M.  Félix  Godefroid. 
avec  le  concours  de  M'"''  Faye  et  des  sociétés  chorales  de  la  ville.  Le  A'i/rin. 
le  Gloria  in  excelsis  siVAgnusDei  ont  produit  une  grande  sensation  sur  un 
auditoire  compact  et  recueilli.  On  doit,  d'ailleurs,  redire  cette  expressive 
composition  à  l'église  Saint-Nicolas,  le  jour  de  la  Noél. 

—  A  Versailles,  un  salut  solennel  a  été  donné,  ces  jours  derniers,  dans 
la  chapelle  du  Palais,  sous  la  direction  de  M.  Louis  Derivis  et  avec  le 
concours  de  la  Société  chorale  des  dames  versaillaises,  qu'il  a  fondée,  et 
dont  la  valeur  s'affirme  chaque  jour  davantage.  Au  programme,  très  bien 
composé,  divers  morceaux  de  César  l''ranck,  Saint-Saëns,  Paladilhe,  Charles 
Lefebvre,  Guilmant,  V.  d'Indy,  exécutés  magistralement  par  M"=  Laure 
Taconet,  MM.  Paul  Viardot,  Guilmant,  Theurot  et  Derivis. 

—  La  Société  philharmonique  de  Bourges  vient  de  donner  un  beau 
concert,  avec  le  gracieux  concours  de  M"":  Gastelier,  pianiste  qui  a  joué 
avec  talent  le  scherzo  de  Chopin,  M.  et  M""i  Marquet,  professeurs  de 
chant,  applaudis  dans  l'arioso  à'Hérodinde  et  le  duo  i'Hamlet.  Pour  cette 
circonstance.  M'""  Marquet-Sorandi  a  déclamé  la  Fiancée  du  Timbalier,  avec 
l'orchestration  de  M.  F.  Thomé.  M.  Louys,  excellent  professeur  de  piano, 
M.  Dassy,  chanteur  comique,  la  chorale  Jacques,  complétaient  un  excel- 
lent ensemble.  La  Société  philharmonique  a  particulièrement  bien  joué 
(('  Sommeil  de  la  Vierge  de  Massenet. 

—  Une  Société  dite  «  ,de  Musique  classique  et  moderne  »  récemment 
formée  à  Lyon,  a  donné  son  premier  concert  dimanche  dernier.  Au  pro- 
gramme, le  trio  de  Beethoven  op.  70  et  le  poétique  quatuor  avec  piano, 
op.  15,  de  M.  G.  Fauré.  M"»"  Mauvernay  a  chanté  avec  sa  pureté  de  style 
ordinaire  l'air  de  la  Pentecôte  de  Bach,  avec  violoncelle  obligé.  Le  public 
a  fait  fête  à  la  tentative  artistique  de  cette  société,  qui  compte  pour  mem- 
bres MM.  Jemain,  Bay.  Bedetti,  professeurs  au  Conservatoire,  Jouet  et 
L.  Cerf. 

NÉCROLOGIE 

M.  Robert  Heckmanu,  le  chef  du  fameux  quatuor  Heckmann,  dont 
les  séances  classiques  sont  si  populaires  en  Allemagne,  vient  de  mourir 
presque  subitement  à  Glasgow  d'une  congestion  pulmonaire,  amenée  par 
une  attaque  d'influenza.  Il  était  né  à  Cologne  en  1843.  Avant  de  former  le 
quatuor  qui  porte  son  nom,  il  avait  fourni  une  brillante  carrière  de  virtuose. 
Le  petit  groupe  d'instrumentistes  qu'il  avait  réunis  et  menés  au  succès  s'étant 
dispersé,  il  avait,  accepté  le  poste  de  chef  d'orchestre  de  la  Société  sympho- 
nique  de  Brème.  Il  venait  tout  récemment  de  former  un  quatuor  pour  une 
tournée  dans  le  Royaume-Uni.  C'est  le  jour  même  qui  avait  été  fixé  pour 
son  apparition  à  Glasgow,  qu'il  est  mort  chez  son  ami  le  professeur  Young. 
Sa  femme,  qui  l'avait  précédé  de  deux  ans  dans  la  tombe,  était  une  can- 
tatrice fort  estimée  en  Allemagne. 

—  De  Tarento,  on  annonce  la  mort  d'un  compositeur,  Giuseppe  Cacace, 
dont  le  nom  est  resté  bien  obscur,  quoiqu'il  ait  fait  représenter  au  théâtre 
Nuovo,  de  Naples,  en  1834,  un  opéra  sérieux  intitulé  Etvira  dei  Celtradi. 

—  Un  busso  comico  qui  a  joui  en  son  temps  d'une  légitime  renommée. 
Giovanni  Fiori,  vient  de  mourir  à  Milan  à  l'âge  de  soixante-treize  ans.  Il 
avait  épousé  une  cantatrice  elle-même  distinguée.  M""  Callista  Biscottini. 
et  fournit  avec  elle  une  carrière  brillante  _sur  les  principales  scènes  ita- 
liennes. Une  maladie  de  sa  femme  lui  fit  quitter  le  théâtre.  Il  s'associ:i 
à  la  fameuse  agence  théâtrale  Lampugnani,  en  même  temps  qu'il  s'adon- 
nait au  commerce  des  vins  recueillis  par  lui  dans  une  propriété  qu'il  pos- 
sédait à  Asti. 

—  M.  l'abbé  Félix  Collin,  directeur  de  la  maîtrise  de  la  cathédrale  do 
Saint-Brieuc,  à  laquelle  il  appartenait  depuis  cinquante  ans,  est  mort  il  y 
a  quelques  jours  en  cette  ville,  dans  un  âge  avancé.  Il  était  aussi  direc- 
teur de  la  chapelle  Saint-Guillaume.  L'abbé  Collin  s'était  fait  connaîtra 
comme  compositeur,  entre  autres  par  plusieurs  cantates  religieuses  dont 
on  vante  le  style  et  le  caractère. 

—  A  Vienne  est  mort,  ces  jours  derniers,  M.  Friedrich,  mari  de 
M"«  Friedrich-Materna,  la  célèbre  cantatrice  wagnérienne  que  nous  avons 
applaudie,  en  ces  dernières  années,  aux  concerts  Lamoureux.  M.  Friedrich, 
comédien  de  talent,  était  un  ancien  artiste  du  Burgthéâlre,  la  scène  lit- 
téraire la  plus  renommée  de  Vienne.  Dans  ces  derniers  temps,  c'est  lui 
qui  organisait  et  dirigeait  les  tournées  artistiques  de  sa  femme.  Sa  mala- 
die a  empêché  M"":  Materna  de  prendre  part  à  la  récente  représentation  de 
gala  de  Lolienfirin.  ' 

Henri  IIeugel,  directeur-gérant. 

—  Un  concours  pour  des  places  de  violon,  violoncelle,  clarinette,  cor,  trom- 
pette et  trombones,  vacantes  à  l'orchestre  de  l'Opéra,  aura  lieu  très  prochaine- 
ment. S'adresser,  pour  l'inscription,  à  M.  CoUeuille,  régisseur. 


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Broché,  net  :  25  Ir.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 

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Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8' 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :    20  francs 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

(MIGNON,  HAMLET,  LAKMÉ,  MANON,  PAUL  ET  VIRGINIE,  SIGURD,  LE  ROI  D'YS,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  HÉRODIADE, 
FAUST,  CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  GID,  LE  ROI  L'A  DIT,  SYLVIA,  COPPELIA,  LA  KORRIGANE,  CONTE  D'AVRIL,  CAVALLERIA 
RUSTICANA,  LE  MAGE,  ESCLARMONDE,  MARIE-MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LA  TEMPÊTE,  LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ, 
LE  CAID,  etc.,   etc.) 


Dimanche  27  Décembre  1891^ 


3170  —  57'"'  AME  —  r  52.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aoonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teste  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  La  musique  et  ses  représentants  (4°  article],  Antoine  Rudinstein.  —  II.  Bulletin 
théâtral,  H.  M.;  première  représentation  de  l'Enfant  Jésus,  au  Théâtre  d'Appli- 
cation, Paul- EMILE  Chevalieei.  —  III.  Musique  de  table:  Le  tour  du  monde 
(6°  article),  Edmosd  Nelkomm  et  Paiïl  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES    CRÉCELLES 

n"  28  de  la  CImnson  des  Joujoux,  musique  de  Glaudius  Blanc  et  Léopold 
Dauphin,  poésie  de  Jules  Jouy.  —  Suivra  immédiatement  :  Ravissement, 
nouvelle   mélodie   de   Pall  Puget,  poésie  d'ÂRMAND  Silvestre. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de    PIANO  :    Air   à   danser,    de    Raoul   Pugno.  —  Suivra  immédiatement  : 
Menuet,  de  Robert  Fischhof. 


Avec  ce  dernier  numéro  de  notre  57^  année  de  publi- 
cation, nos  abonnés  recevront  une  table  des  matières, 
en  même  temps  que  la  liste  des  PRIMES  GRATUITES 
que  nous  leur  offrons  pour  l'année  qui  va  commencer. 


LA   MUSIQUE   ET  SES  REPRÉSENTANTS 

EiNÏREÏIEN  SUR  LA  MUSIQUE 

PAR 


—  Beethovea  est  véritablement  le  continuateur  de  Haydn 
et  de  Mozart,  tout  au  moins  dans  les  œuvres  de  sa  première 
période. 

—  Dans  le  dessin  de  ces  œuvres,  on  remarque  en  effet  la 
soumission  au.x  formes  reçues,  mais  la  création,  la  pensée 
musicale  est  déjà  tout  autre.  Déjà,  dans  la  dernière  partie 
de  sa  sonate  en  fa  mineur,  apparaît  tout  un  nouveau  monde 
psychique;  de  même  dans  Vadagio  de  sa  seconde  sonate  en 
la  majeur,  ou  dans  Vadagio  de  son  premier  quatuor  pour 
instruments  à  cordes.  L'instrumentation  de  ses  premiers 
trios  est  tout  autre  que  celle  en  usage  avant  lui.  —  En  gé- 
néral, dans  les  œuvres  de  sa  première  période,  on  retrouve 
seulement  les  formules  des  anciens  maîtres.  C'est  ainsi  qu'on 
voit    les    costumes    d'une   époque   survivre    encore   quelque 


temps  à  cette  époque  même.  Mais  on  pressent  déjà,  dans  ces 
premières  œuvres  de  Beethoven,  que  bientôt  les  cheveux 
naturels  remplaceront  la  perruque  poudrée,  que  les  bottes 
vont  venir  supplanter  les  souliers  à  boucles  et  qu'elles  chan- 
geront l'allure  et  la  démarche  des  hommes,  comme  l'allure 
musicale  elle-même  se  modifiera,  que  la  redingote  sera  subs- 
tituée au  large  frac  à  boulons  d'acier  et  donnera  à  ceux  qui  la 
porteront  un  tout  autre  maintien.  Dans  ces  œuvres,  à  côté  de 
la  cordialité  d'un  Haydn  et  d'unMozarl,  on  trouve  l'âme  émue 
qu'ils  n'ont  pas  eue.  Et  bientôt  apparaît  chez  Beethoven,  à  côté 
de  l'esthétique  qu'on  trouve  déjà  chez  ses  prédécesseurs, 
l'éthique  qu'ils  n'ont  pas,  et  l'on  devine  qu'avant  peu  il 
changera  le  menuet  en  scherzo  et  donnera  ainsi  à  ses  com- 
positions un  caractère  plus  viril,  plus  sérieux;  on  devine 
qu'avec  lui  la  musique  instrumentale  atteindra  l'expression 
dramatique  et  qu'il  la  poussera  même  jusqu'au  tragique.  L'hu- 
mour dans  la  musique  s'élargira  jusqu'à  l'ironie.  La  musique, 
en  un  mot,  va  acquérir  des  expressions  tout  à  fait  nouvelles.  — 
Sa  grandeur  dans  l'adagio  est  étonnante;  il  y  passe  du  lyrisme 
le  plus  débordant  à  la  métaphysique  pure  et  môme  au  mysti- 
cisme, mais  c'est  dans  le  scherzo  qu'il  se  surpasse  lui-même 
(je  comparerai  quelques-uns  de  ces  scherzos  au  fou  du  «Roi 
Lear  »)  :  c'est  le  sourire,  c'est  le  rire,  c'est  l'éclat  de  rire, 
parfois  l'amertume,  l'ironie,  l'emportement,  tout  un  monde 
d'expressions  psychiques,  qui  semblent  appartenir  non  à  un 
mortel,  mais  à  un  titan  invisible,  qui  tantôt  admire  l'humanité, 
tantôt  la  bafoue,  tantôts'indigne  contre  elle  et  même  quelque- 
fois pleure  sur  son  sort.  Dans  ses  scherzos,  Beethoven  est 
incommensurable. 

—  En  ce  qui  concerne  Beethoven,  il  est  impossible  de 
n'être  pas  de  votre  avis  ;  tout  le  monde  a  pour  lui  cette 
haute  admiration. 

-^  Pourtaût,  mon  opinion  diffère  en  quelques  points  de 
l'opinion  générale.  Ainsi,  pour  moi,  Fidelio  est  le  plus  grand 
de  tous  les  opéras  qu'on  ait  encore  écrits,  le  véritable  drame 
lyrique  sous  tous  les  rapports  :  à  la  caractéristique  musicale 
la  plus  vraie,  cet  opéra  joint  la  plus  belle  mélodie;  malgré 
le  haut  intérêt  que  présente  l'orchestre,  il  ne  se  substitue  pas 
aux  personnages  et  leur  laisse  le  soin  de  s'exprimer  eux- 
mêmes;  dans  cet  opéra,  tout  jaillit  des  profondeurs  de  l'âme. 
Et  pourtant  on  prétend,  en  général,  que  Beethoven  n'a  pu 
être  un  compositeur  d'opéras  !  En  revanche,  je  ne  suis  pas 
d'avis  que  sa  Messe,  solennelle  soit  une  de  ses  plus  grandes 
œuvres. 

—  Puis-je  vous  demander  pourquoi  cette  messe  ne  trouve 
pas  grâce  devant  vous? 

—  Parce  que,  laissant  même  de  côté  la  partie  purement 
musicale  de  l'œuvre  avec  laquelle  je  ne  sympathise  pas  en- 
tièrement, j'entends  dans  cette  messe  un   homme  qui  veut 


410 


LE  MENESTREL 


raisonner  avec  le  Créateur,  qui  lui  parle,  mais  ne  le  prie,  ni 
ne^riniplore.  .Je. ne  partage  pas  non  plus  l'opinion  d'après 
laquelle  l'introduction  de  l'élément  vocal  dans  la  dernière 
partie  de  la  Neuvième  Stjmphonie  proviendrait  du  désir  de 
Beethoven  d'y  renforcer  l'expression  musicale.  Je  crois  bien 
plutôt  qu'après  l'inexprimable  des  trois  premières  parties,  il  a 
senti  le  besoin  d'une  expression  définie  dans  la  dernière  : 
c'est  pour  cela  qu'il  y  a  ajouté  l'élément  vocal.  Je  ne  pense 
pas  non  plus  que  cette  dernière  partie  soit  une  Ode  à  la  joie; 
il  faut  y  voir,  selon  moi,  une  Ode  à  la  liberté.  On  dit  que 
Schiller,  sous  la  pression  de  la  censure,  a  dû  remplacer  le 
mot  liberté  (Freiheit)  par  le  mot  joie  (Freude),  et  que  Beetho- 
ven en  avait  connaissance  ;  j'en  suis  tout  à  fait  convaincu.  On 
ne  conquiert  pas  la  joie,  elle  s'offre  et  on  la  possède,  tandis 
que  la  liberté  doit  être  conquise  ;  c'est  pourquoi  le  thème  de 
Beethoven  commence  «  pp  »  (pianissimo)  pour  les  basses, 
et  passe  par  plusieurs  variations  pour  éclater  enfin  triom- 
phalement. La  liberté  est  chose  sérieuse,  et  c'est  pourquoi  le 
thème  de  cette  ode  est  d'un  caractère  sérieux  et  non  joyeux; 
les  mots  :  Peuples,  embrassez-vous,  ne  coi'respondent  pas  non 
plus  à  une  idée  de  joie;  la  joie  a  un  caractère  plus  intime. 
Ce  n'est  pas  le  mot  à  employer  quand  il  s'agit  des  embrasse- 
ments  de  toute  l'humanité. 

—  Partagez-vous  l'opinion  d'après  laquelle  Beethoven,  s'il 
n'était  pas  devenu  sourd,  aurait  modifié  plusieurs  parties  de 
ses  œuvres  et  même  n'aurait  pas  écrit  certaines  d'entre  elles? 

—  Je  suis  d'un  avis  tout  opposé.  Ce  qu'on  appelle  sa  troi- 
sième période  est  précisément  la  période  de  sa  surdité;  où  la 
musique  en  serait-elle,  sans  elle,  aujourd'hui?  Ses  dernières 
sonates  pour  piano,  ses  derniers  quatuors  pour  instruments  à 
cordes,  la  neuvième  symphonie,  n'ont  été  possibles  qu'à 
cause  de  cette  surdité  même;  seule,  elle  a  pu  créer  cette 
concentration  absolue  de  l'artiste,  cette  envolée  dans  un 
autre  monde  ;  nous  lui  devons  cette  âme  vibrante,  ces  plaintes 
qu'on  n'avait  pas  encore  entendues,  ce  détachement  de  tout 
ce  qui  est  terrestre,  ces  tourments  de  Prométhée  enchaîné  sur 
son  rocher,  ce  sentiment  tragique  enfin,  devant  lequel  tout 
opéra  devient  insignifiant.—  Sans  doute  Beethoven  a  écrit  des 
choses  inimitables  avant  sa  surdité  :  ainsi,  qu'est-ce  que  la 
scène  de  l'Enfer  dans  VOrphée  de  Gluck  en  regard  de  la 
seconde  partie  du  concerto  pour  piano  en  sol  majeur?  Que 
sont  toutes  les  tragédies,  à  l'exception  peut-être  d'Bamlet 
et  du  Roi  Lear,  comparées  à  la  seconde  partie  du  trio  en  ré 
majeur  ou  de  l'ouverture  de  Coriolan?  Mais  pourtant,  les  œuvres 
les  plus  grandes,  les  plus  sublimes  de  Beethoven  ont  été 
écrites  pendant  sa  surdité,  et  de  même  que  nous  pouvons 
nous  représeuter  le  mythique  «  voyant  »  des  livres  saints 
aveugle,  c'est-à-dire  aveugle  pour  tout  ce  qui  l'entoure  et  ne 
voyant  qu'avec  le  regard  de  l'âme,  de  même  nous  pouvons 
voir  en  Beethoven  1'  «  écoutant  »  sourd,  c'est-à-dire  sourd 
à  tout  ce  qui  l'entoure  et  n'écoutant  que  par  l'ouïe  de  son 
âme.  —  0  surdité  de  Beethoven  !  quel  grand  malheur  pour 
lui,  mais  quel  bonheur  pour  l'Art  et  pour  l'humanité  ! 

—  'Vous  avez  bien  fait  de  m'annoncer  quej'allais  entendre 
des  paradoxes. 

—  Si,  dans  mes  opinions,  il  n'y  a  même  que  cette  part  de 
vérité  qu'on  trouve  dans  tout  paradoxe,  j'ai  encore  lieu 
d'être  satisfait. 

(Traduit  du  manuscrit  russe  par  Michel  Delines.) 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


La  semaine  s'est  passée  et  nous  n'avons  pas  eu  Thamara.  On  nous 
en  a  donné  seulement  la  répétition  générale,  avec  une  de  ces  sur- 
prises habituelles  à  la  direction  Ritl  et  Gailhard.  Comme  le  ténor 
■Vergnet  était  indisposé,  on  est  allé  quérir  le  sauveteur  habituel  de 
la  maison  dans  les  cas  embarrassants,  M.  Engel,  qui  s'en  est  venu 
jouer  le  rôle  de  Nour-Eddin  eu  habit  noir,  au  milieu  des  costumes 


chatoyants  des  autres  artistes.  M.  Engel  rentrait  de  faire  sa  pro- 
menade habituelle  en  vélocipède  —  le  meilleur  des  exercices  pour 
la  voix  —  quand  le  respectable  M.  GoUeuille  est  venu  lui  mettre 
la  main  au  collet  de  la  part  de  son  maître.  M.  Engel  s'est  bien  un 
peu  récrié  contre  cette  nouvelle  violence,  mais,  comme  il  est  un  mer- 
veilleux musicien,  il  a  voulu  prouver  une  fois  de  plus  que  c'était 
un  jeu  pour  lui  de  tire  à  l'improviste  une  partition.  Pour  ajouter 
encore  à  l'effet,  le  digne  M.  Ritl,  toujours  facétieux,  conseillait  même 
au  vaillant  artiste  de  faire  son  entrée  dans  la  ville  de  Bakou-la- 
Sainte  à  cheval  sur  son  vélocipède.  Mais  M.  Engel  ne  voulut  pas  se 
prêter  à  cette  fantaisie  audacieuse.  Il  a  chanté  à  pied  et  fort  bien, 
ma  foi.  Puisqu'à  chaque  instant  on  doit  avoir  recours  au  talent  de 
ce  remarquable  artiste,  on  se  demande  pourquoi  il  ne  vient  pas  à  la 
direction  de  l'Opéra  l'idée  naturelle  de  se  l'attacher  définitivement  par 
un  contrat  en  belle  et  due  forme. 

La  première  représentation  de  Thamara  nous  est  promise  pour  de- 
main lundi.  Espérons  que,  cette  fois,  il  ne  surviendra  pas  de  nou- 
velle auicroche,  et  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  donneront  au  moins  la 
satisfaction  à  M.  Bourgault-Dueoudray  de  représenter  une  fois  son 
œuvre,  avant  de  quitter  l'Opéra.  Car,  dans  cinq  jours,  nous  aurons 
le  regret  de  perdre  ces  messieurs.  On  brûlera  un  peu  de  sucre  et,  tout 
de  suite,  M.  Bertrand  prendra  en  mains  les  rênes  de  la  direction, 
assisté  de  M.  Gampo-Casso,  qui  vient  de  donner  sa  démission  de  direc- 
teur du  grand  théâtre  de  Marseille  pour  mieux  se  consacrer  aux  soins 
de  notre  première  scène.  Les  quatre  premiers  spectacles  sont  déjà 
arrêtés  :  le  vendredi  1'^"' janvier,  Faust;  le  samedi  2,  Guillaume  Tell;  le 
dimanche  3,  la  Favorite  et  Coppélia,  en  représentation  populaire; 
le  lundi  4,  Sigurd. 

La  première  nouveauté  sera  sans  aucun  doute  Salammbô,  de  M.  Er- 
nest Reyer,  dont  les  études  sont  déjà  poussées  activement;  puis  vien- 
dra Hérodiade  de  M.  Massenet,  avec  M""  Meiba  dans  le  rôle  de 
Salomé,  et  enfin  un  ballet  nouveau,  la  Maladetta,  dont  M.  Paul  Vidal, 
un  vrai  «jeune  »  de  grand  talent,  compose  la  musique.  Librettistes: 
MM.  Reinach  et...  Pedro  Gailhard.  Gailhard  librettiste  à  l'Opéra! 
Retenez  bien  cela;  c'est  peut-être  l'indice  d'événements  mystérieux 
qui   se   passeront   avant    peu    à   l'Académie   nationale  de  musique. 

H.    MORENO. 

Théâtre  d'Application  :  L'Enfant  Jésus,  mystère  en  cinq  tableaux,  de 
M.  Charles  Grandmougin,  musique  de  M.  Francis  Ttiomé. 

De  même  que  l'année  dernière  le  petit  théâtre  des  Marionnettes  de 
la  galerie  Vivienne  nous  avait  donné,  perle  exquise,  le  Noël  de 
MM.  Boucher  et  Vidal,  de  même  M.  Bodinier  nous  offre,  cette  an- 
née, dans  sa  ravissante  petite  salle  de  la  rue  Saint-Lazare,  l'Enfant 
Jésus  de  MM.  Grandmougin  et  Tliomé. 

Je  ne  veux  point  faire  de  parallèle  entre  ces  deux  mystères,  trai- 
tant un  sujet  identique.  Si  le  Noël  de  M.  Boucher  a  davantage  la 
note  mystique  et  si,  au  contraire,  l'Enfant  Jésus  de  M.  Grandmougin 
semble  plus  humain  c'est  peut-être  que  le  premier  a  été  écrit 
pour  des  poupées  de  bois,  tandis  que  le  second  était  destiné  à  être 
joué  par  des  artistes  en  chair  et  en  os.  M.  Grandmougin  a  divisé 
son  œuvre  en  cinq  tableaux,  —  les  Mages,  les  Bergers,  le  Palais 
d'Hérode,  la  Crèche  et  la  Fuite  en  Egypte,  —  et  chacun  d'eux,  avec 
un  courant  de  poésie  captivante,  donne  une  note  spéciale  qui  n'est 
pas  sans  augmenter  l'intérêt  dramatique.  Poète,  M.  Graudmoagin 
vient  de  nous  prouver,  une  fois  de  plus,  qu'il  l'est  absolument  ;  le 
public  n'a  point  laissé  échapper  les  jolis  couplets  et  les  vers  harmo- 
nieux qui  sont  en  nombre. 

Poète,  aussi,  M.  Francis  Tliomé.  Sa  partition,  assez  importante, 
qui  se  compose  de  préludes,  musique  de  scène,  ctiœur  et  soli,  est 
d'une  inspiration  très  soutenue,  d'une  douceur  et  d'un  charme  enve- 
loppants ;  le  prélude  du  premier  tableau,  celui  du  cinquième,  le 
finale  du  quatrième  et  la  musique  de  scène  du  commencement  du 
premier  m'ont  semblé  les  pages  les  plus  saillantes.  L'orchestre  dans 
la  coulisse,  composé  de  trois  violons,  d'un  piano  et  d'un  harmo- 
nium, est  fort  habilement  traité  et  donne  naissance,  malgré  la  res- 
source limitée  de  ces  instruments,  à  des  effets  fort  heureux. 

De  l'interprétation,  il  faut  citer  en  toute  première  ligne  M""  San- 
laville  (Marie)  et  M.  Brémont  (le  mage  Balthasar).  M"=  Mello, 
MM.  Jahau,  Gerval,  Gauley,  Melchissédee  fils,  avec  les  voix  agréa- 
bles de  M""  Genioud,  Petit  et  Manie,  complètent  un  satisfaisant 
ensemble.  Devant  cet  effort  très  artistique,  je  souhaile,  pour 
MM.  Grandmougin,  Thomé  et  Bodinier.  que  l'Enfant  Jésus  ail  un 
succès  égal  à  celui  du  Noël  de  MM.  Boucher  et  Paul  Vidal. 

Paul-Ëmile  Chevalier. 


LE  MÉNESTREL 


411 


MUSIQUE  DE  TABLE 

(Suite.} 


III 
LE  TOUR  DU  MONDE 

A  tort  ou  à   raison,   l'Allemagne  a   toujours  passé   pour   le   pays 

.  musical  par  excellence.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  musique  y 

a  été  tenue,    de   tout   temps,  en  haute  considération  et   qu'elle  y  a 

joué,  comme  encore  maintenant,  un   rôle  prépondérant  dans  toutes 

les  phases  de  la  vie. 

La  Table  ne  pouvait  échapper  à  cette  règle.  Il  y  a  deux  ans,  on 
fêtait  en  Allemagne,  qui  est  la  patrie  des  jubilés,  le  quatre-centième 
anniversaire  de  l'invention  du  menu.  C'est,  parait-il,  un  duc  de  Bruns- 
wick, pendant  la  Diète  de  Ratisbonne,  qui  eut,  le  premier,  l'idée  de 
se  faire  présenter,  à  chaque  repas,  une  liste  des  plats  sortis  de  ses 
cuisines,  avec  l'indication  des  pièces  musicales  qui  devaient  les  ac- 
compagner. 

Il  est  donc  avéré  que  la  musique  de  table  existait  en  Allemagne 
il  y  a  quatre  siècles,  mais  nous  pouvons  affirmer  que  son  origine 
y  est  bien  plus  lointaine.  En  effet,  on  lit  dans  la  Vie  de  saint  Vlric, 
évèque  d'Augshourg  au  dixième  siècle,  «  qu'au  jour  de  Pâques,  ce 
saint  homme  invitait  ses  chanoines  à  diner  ;  qu'il  leur  servait  du  la 
chair  d'un  agneau  et  des  morceaux  de  lard  qui  avaient  été  bénits  à 
l'autel  au  temps  de  la  messe  ;  qu'il  passait  le  temps  de  ce  repas  dans 
une  sainte  joie  ;  qu'à  l'heure  marquée,  une  grande  troupe  de  symphonis- 
tes venaient  dans  la  salle  où  ils  exécutaient  différents  airs  de  musi- 
que ;  et  enfin,  qu'après  ces  réjouissances  redoublées,  les  chanoines 
recevaient  un  denier  par  l'ordre  du  saint  évêque,  pendant  qu'ils 
chantaient  un  répons  de  la  résurrection  de  Notre-Seigneur.   » 

En  ce  temps-là,  déjà,  les  musiciens  formaient  une  si  puissante 
association  en  Allemagne,  qu'elle  ne  tarda  point  à  porter  ombrage 
aux  puissants  du  pays.  Les  conciles  de  Cologne  et  de  Trente  crurent 
même  devoir  protester  énergiquement  contre  les  scandales  provoqués 
sur  la  voie  publique  par  la  confrérie  des  ménétriers.  C'est  qu'aussi 
les  confrères,  «  en  costumes  plus  riches  que  ne  comporte  leur  condi- 
tion, »  allaient,  parait-il,  en  troupe  par  les  rues,  précédés  de  tam- 
bours et  de  musiciens  qui  faisaient  grand  tapage,  pendant  que  des 
gens  chargés  de  calebasses  pleines  de  vin  en  distribuaient  généreu- 
sement non  seulement  au,\.  confrères,  mais  aux  spectateurs. 

Les  pères  des  conciles  se  sont  plaiuls  de  ce  que  ces  processions 
rappelaient  les  coutumes  du  paganisme;  mais  la  vérité,  c'est  que  la 
confrérie  des  musiciens,  plus  riche  et  plus  indépendante  que  les 
autres,  avait  excité  la  jalousie  do  tous  les  corps  de  métiers. 
Elle  était  aussi  plus  à  même  d'étendre  ses  privilèges,  vivant  plus  à 
proximité  des  grands.  Chaque  prince  avait,  en  efî'et,  sa  musique  par- 
ticulière, ainsi  que  les  villes  impériales  et  libres.  Slrasbouro-,  qui 
était  une  république  dans  l'État  à  peu  près  indépendant  d'Alsace, 
était  particulièrement  fier  de  son  corps  de  musiciens,  les  Stodtpfeijfer. 
«  Son  Magistrat,  lisons-nous  dans  V Ancienne  Alsace  à  table,  ne  man- 
geait jamais  officiellement  sans  se  faire  régaler  en  même  temps  de 
quelques  symphonies  ;  et  s'il  se  rendait  à  quelque  festin  où  il  était 
convié,  sa  musique  l'accompagnait.  » 

Et  l'auteur  d'ajouter  : 

«  Un  des  plus  curieux  emplois  que  je  vis  faire  de  la  hiusique 
est  celui  que  nos  chroniques  signalent  au  banquet  d'intronisation  de 
l'évêque  Guillaume  de  Hohnstein,  en  1507.  Chaque  service  était 
apporté  en  cérémonie,  et  huit  trompettes  l'accompagnaient  depuis  la 
cuisine  jusqu'aux  tables,  au  bruit  de  leurs  plus  éclatantes  faufares.  » 

Ce  qu'était  un  festin  dans  une  cour  allemande,  à  cette  époque  et 
dans  le  siècle  qui  suivit,  serait  taxé  d'exagération,  si  l'on  ne  prenait 
soin  de  citer  ses  auteurs.  "Vers  16.38,  l'Électeur  de  Saxe,  Jean- 
Georges  II,  voulut  à  toute  force  banqueter  avec  le  maréchal  de 
Grammont.  Il  en  fit  même  l'objet  d'une  requête  dipK)matique,  d'une 
note  au  roi  de  France  et  au  cardinal  Mazarin,  par  l'intermédiaire 
des  électeurs  de  Mayence  et  de  Cologne.  Sur  l'ordre  de  son  chef 
hiérarchique,  le  maréchal  dut  s'exécuter.  Pomponne  nous  racon- 
tera ce  qui  se  passa  : 

«  Le  champ  de  bataille,  dit-il,  fut  pris  chez  le  comte  Léon  de 
Furstemberg,  où  se  trouvaient  les  électeurs  de  Mayence  et  de  Cologne. 
Le  diner  dura  depuis  midi  jusqu'à  neuf  heures  du  soir,  au  bruit 
des  trompetles  et  des  timbales  qu'on  eut  toujours  dans  les  oreilles. 
On  y  but  bien  doux  à  trois  mille  santés.  La  table  fut  étayée;  tous 
les  électeurs  dansèrent  dessus;  le  maréchal,  qui  était  boiteux,  y  menait 
le  branle;  tous   les  convives  s'enivrèrent.  L'électeur  de   Saxe  et  le 


maréchal  de  Grammont  restèrent  toujours  depuis  les  meilleurs  amis 
du  monde  ». 

On  assure  même  que  ce  repas  pantagruélique  fut  le  point  de  départ 
de  l'inclination  de  l'Électeur  de  Saxe  pour  la  France.  Dans  les  fes- 
tins qui  suivirent,  le  maréchal  lui  faisait  largement  raison  de  la 
santé  de  l'empereur,  à  laquelle  le  prince  répondait  en  portant  celle 
de  son  souverain  avec  trois  verres  à  la  fois. 

Un  autre  de  nos  compatriotes,  mais  qui  garde  l'anonyme,  parle 
en  ces  ternies  d'un  dîner  auquel  il  prit  part,  en  compagnie  du  duc 
et  de  la  duchesse  de  Hanovre,  dans  une  île  du  Rhin,  près  de 
Wiesbaden,  à  la  suite  d'une  pêche  au  saumon  : 

«  On  se  promena  pendant  que  les  trompettes  et  les  timbales  re- 
doublèrent leurs  fanfares,  qui  continuèrent  jusqu'à  ce  qu'on  eût 
servi  le  repas.  Il  y  eut  alors  une  agréable  symphonie.  Farinelli  la 
conduisait.  Depuis  quelques  mois  il  s'était  donné  au  duc,  après 
avoir  quitté  le  service  du  roi  de  France,  ne  pouvant  durer  longtemps 
dans  un  lieu.  On  fit  grande  chère,  et  la  coutume  d'Allemagne 
étant  de  faire  longue  table,  on  ne  s'en  leva  que  vers  les  quatre 
heures.   » 

Ces  usages  allemands  surprennent  tous  les  Français  qui  se  ris- 
quent au  delà  du  Rbin.  Souvent  aussi  la  mise  en  scène,  nouvelle 
pour  eux,  excite  leur  curiosité.  L'un  d'eux  écrit  de  Nuremberg,  en 
1702: 

«  Vous  saurez  que  les  verres  sont  respectés  en  ce  pays  autant  que 
le  vin  y  est  aimé.  On  les  met  partout  en  parure.  La  plus  grande 
partie  des  chambres  sont  lambrissées  jusqu'aux  deux  tiers  de  la 
muraille;  et  les  verres  sont  arrangés  tout  autour  comme  des  tuyaux 
d'orgue  sur  la  corniche  de  ces  lambris.  On  commence  par  les  pe- 
tits, on  finit  par  les  grands  ;  et  ces  grands  sont  des  cloches  à  me- 
lons qu'il  faut  vider  tout  d'un  trait  quand  il  y  a  quelque  santé 
d'importance.  En  sortant  de  la  Gave  (la  cave  de  la  Ville),  nous 
avons  été  à  un  concert  où  nous  espérions  qu'on  ne  ferait  que 
chanter.  Mais  le  pain,  le  poivre,  le  sel  et  le  vin  y  sont  en  abon- 
dance ;  un  air  n'était  pas  sitôt  fini  que  tout  le  monde  se  levait  pour 
boire.  » 

Le  marquis  de  Valfons,  lieutenant- général,  eut  une  impression 
d'un  autre  genre  à  Hambourg,  qu'il  était  allé  visiter  pendant  la 
suspension  d'armes  de   17S7  : 

«  Il  y  a  ici,  dit-il,  une  promenade  charmante,  très  bien  plantée 
autour  d'une  pièce  d'eau  en  rond  qui  peut  avoir  une  lieue  de  cir- 
conférence et  formée  par  la  rivière  ;  les  principaux  bourgeois  y  ont 
les  plus  jolies  gondoles  vitrées  et  richement  ornées,  qu'ils  font  illu- 
miner à  la  nuit.  Ils  y  soupent  et  sont  suivis  d'autres  bateaux 
chargés  de  musiciens.  Cette  quantité  de  bateaux  illuminés  et  tou- 
jours en  mouvement  forme,  pour  ceux  qui  se  promènent  dans  les 
allées,  un  spectacle  très  varié  et  fort  agréable.  » 

Quelquefois,  la  surprise  du  voyageur  se  double  d'une  impression 
aussi  joyeuse  qu'inattendue.  C'est  ce  qui  advint  à  un  Français 
que  les  hasards  de  la  route  conduisirent  à  Ochsenbach,  petit  vil- 
lage du  Wurtemberg,  au  moment  où  l'on  y  célébrait  la  Fête  de  la 
bonne  Déesse,  c'est-à-dire  la  patronne  des  moissons. 

Ce  jour-là,  les  matrones  se  réunissent  dès  le  matin  dans  la  salle 
de  la  maison  commune,  pour  y  boire  et  pour  y  manger,  sous  la 
présidence  de  la  femme  du  pasteur.  Mais,  auparavant,  elles  s'érigent 
en  tribunal  pour  se  juger  entre  elles.  Certaines,  qui  sont  peu  soi- 
gneuses, ou  qui  tiennent  mal  leurs  enfants,  sont  condamnées  à 
iDalayer  les  rues  ou  à  laver  le  linge  des  autres.  Ce  sont  alors  de 
grandes  joies  pour  les  hommes,  qui  ne  sont  conviés  qu'à  ce  numéro 
du  programme.  Mais  ces  petits  désagréments  sont  vite  oubliés,  et 
bientôt  toute  la  gent  féminine  d'Ochsenbach  et  des  environs  est  de 
nouveau  réunie  dans  la  salle  du  festin. 

Le  seul  homme  admis  à  ces  agapes  est  le  garde  champê'ire  qui  a 
charge  de  la  bonne  tenue  de  l'assemblée.  Il  sert  aussi  de  cabaretier, 
car  sa  mission  consiste  à  remplir  les  cruches  au  tonneau  monstre 
qui  se  dresse  au  fond  de  la  salle.  Naturellement,  la  musique  est  de 
la  fête;  mais  les  musiciens,  pas  plus  que  les  maris,  n'ont  accès  dans 
le  sanctuaire.  Ils  se  tiennent  au  dehors,  sur  la  place,  et  n'en  font 
que  plus  de  vacarme. 

Ceux  qui  ont  voyagé  en  Allemagne  ont  pu  assister,  de  nos  jours 
encore,  à  des  fêtes  dans  le  genre  de  celles  que  nous  venons  de  dé- 
crire; car  l'Allemagne  est  le  pays  de  toutes  les  traditions.  L'une 
d'elles,  qui  rentre  dans  notre  cadre,  est  la  promenade  du  boudin 
dans  certains  villages  de  la  Prusse  orientale,  le  premier  jour  de  l'an. 
Jadis,  c'était  plus  qu'une  réjouissance,  c'était  une  solennité,  où  la 
fantaisie  grotesque,  très  fastueuse,  le  disputait  à  la  mise  en  scène, 
très  pittoresque. 

A  Kœnigsberg,  le  boudin  de  l'année  Ioo8  avait  198  aunes  de  long; 


412 


LE  MEl^ESTllEL 


il  élait  porté  par  48  personnes.  Celui  de  I080,  qui  n'exigea  pas  moins 
de  91  porteurs,  mesurait  596  aunes  et  pesait  434  livres.  Puis,  l'usage 
de  cette  promenade  tomba  momentanément  en  désuétude,  sans  doute 
par  suite  des  guerres  et  des  épidémies  qui  ravagèrent  la  contrée 
pendant  la  dernière  moitié  du  xvi"^  siècle  ;  mais  la  promenade  du 
boudin  fut  rétablie  lorsque  l'horizon  devint  moins  sombre.  On  lit 
dans  une  chronique  du  temps  : 

«  L'année  1601,  le  premier  jour  de  l'an,  les  bouchers  promenèrent 
un  boudin  de  1,003  aunes  de  long.  Ils  le  portèrent  ensuite  au  palais 
et  en  offrirent  quelques  aunes  au  prince.  On  accompagnait  le  bou- 
din au  son  du  tambour  et  des  fifres.  Un  maître  boucher,  paré  de 
fleurs  et  de  rubans,  armé  d'un  drapeau  vert  et  blanc,  marchait  en 
tête  du  cortège.  La  tète  du  boudin  faisait  plusieurs  fois  le  tour  de 
son  cou,  et  le  reste  serpentait  sur  les  épaules  des  autres  bouchers, 
au  nombre  de  trois  cents.  » 

Mais  nous  nous  attardons  en  Allemagne!  Citons  encore,  cepen- 
dant, ce  passage  d'un  Voyage  historique  et  politique,  paru  à  Francfort 
en  •1743.  Il  s'agit  des  fêtes  données  à  Dresde  par  le  roi  de  Pologne 
ea  l'honneur  du  roi  de  Danemark  : 

«  La  dernière  ne  fut  pas  la  moindre  ;  elle  était  d'un  goût  tout 
à  fait  nouveau.  Elle  consistait  en  une  fête  de  village  où  généralement 
tout  était  à  la  paysanne,  en  habillement,  dans  le  boire  et  le  manger. 
On  avait  tiré  au  sort  quelque  temps  auparavant  et  ordonné  un 
certain  nombre  de  paires  qui  formaient  ou  représentaient  autant  de 
villages.  Ces  campagnards  se  rendirent  par  bandes  au  Château,  où 
ils  s'assemblèrent.  Il  vint  de  véritables  chariots  de  paysans,  où  on 
avait  placé  des  bottes  de  paille,  sur  lesquelles  les  dames  s'assirent. 
Leurs  menants  montèrent  à  cheval,  la  plupart  à  rase  poil  ou  avec  un 
équipement  rustique,  et  s'acheminèrent  à  un  grand  jardin  éloigné 
d'une  heure  de  la  ville  où  le  repas  fut  préparé  par  de  véritables 
paysans  et  paysannes,  où  l'on  ne  voyait  que  des  oies,  des  cochons 
de  lait,  du  sauerkraut  ou  choux  en  compote,  des  jambons,  des  sau- 
cisses et  autres  mets  qui  sont  ordinaires  aux  gens  de  village. 

»  La  table  était  rustiquement  couverte,  avec  tranchoirs,  cuillères  de 
bois  ou  de  fer  et  des  assiettes  de  terre.  Une  dame  paysanne,  ou  son 
menant,  demandant  une  assiette  nette,  la  véritable  paysanne  prenait 
les  sales  et  les  trempait  dans  un  seau  d'eau,  et  après  avoir  essuyé, 
les  leur  rendait. 

1)  La  musique  de  table  était  véritable,  mais  gens.de  village.  Le  roi 
en  avait  ramassé  de  dix  lieues  à  la  ronde  à  cette  occasion. 

»  Les  divertissements  furent  à  la  rustique.  On  courut  l'oie,  on 
planta  un  mai  qui  avait  un  prix  fort  riche  à  la  pointe,  destiné  à 
celui  qui  grimperait  le  mieux  d'entre  les  véritables  paysans.  On 
courut  la  bague  de  village,  sous  un  baril  rempli  d'eau,  avec  un 
simple  bâton  au  lieu  de  lance,  et  qui  manquait  était  sur  d'être 
mouillé  d'importance,  car,  donnant  à  faux,  il  lui  tombait  un  seau 
plein  d'eau  sur  la  tête;  tous  coururent,  excepté  le  roi  de  Danemark, 
et  peu  revinrent  secs  de  la  course. 

1)  La  fêle  finit  par  un  tirage  de  nuit  qui  dura  jusqu'au  jour;  il  y 
avait  de  réels  prix  :  au  lieu  de  marquer  lorsqu'on  touchait  le  noir, 
il  partait  des  fusées,  qui,  par  la  quantité  de  leurs  éclats,  faisaient 
connaître  la  place  du  coup.  * 

(A  suivre.)  Edmond  Keukomm  et  P.\ul  d'Estrée. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  seconde  symphonie  de  M.  Brahms,  en  ré  majeur,  qui  ouvrait  la  der- 
nière séance  de  la  Société  des  concerts,  n'était  pas  une  nouveauté  pour 
le  public  de  la  maison.  Elle  avait  été  exécutée  pour  la  première  fois  le 
■19  décembre  ISSO,  et  avait  reparu  sur  les  programmes  quatre  ans  après, 
en  décembre  1884.  C'est  une  œuvre  froide,  non  sans  valeur  au  point  de  vue 
de  la  forme,  qui  décèle  un  musicien  instruit  et  nourri  à  bonne  école, 
mais  d'un  intérêt  médiocre  en  ce  qui  concerne  le  fond,  c'est-à-dire  l'ins- 
piration et  la  faculté  inventive.  La  pâte  instrumentale  est  généralement 
bonne,  et  le  quatuor,  en  particulier,  est  fort  bien  écrit;  mais  l'art  bien, 
compris  de  l'instrumentation  ne  suffit  pas  pour  faire  une  bonne  sympho- 
nie, et  il  y  faudrait  certaines  qualités  d'imagination  qui  semblent,  dans 
cette  œuvre  importante,  avoir  tait  un  peu  trop  défaut  à  l'auteur.  On  cherche 
vainement  dans  le  premier  allegro,  d'une  insignifiance  parfaite,  la  trace 
d'une  idée  mère  et  des  développements  qu'elle  comporte  ;  cela  se  meut 
dans  un  vide  absolu.  Même  réflexion  pour  l'adagio  non  troppo  qui  vient 
ensuite,  et  où  l'on  peut  louer  seulement,  au  commencement,  un  assez 
heureux  dialogue  entre  les  instruments  à  vent.  L'allégretto  gracioso,  tantôt 
à  trois  temps,  tantôt  à  quatre  temps,  procède  à  la  fois  d'Haydn  pour  le 
style  et  de  Mendelssobn  pour  la  couleur  orchestrale;  bien  qu'ici  encore 
l'originalité  tasse  défaut,  c'est  certainement  le  morceau  le  plus  agréable, 
et  il  ne  manque   ni  de  grâce  ni  de  coquetterie.  Quant  au  finale,  tout  ce 


qu'on  en  peut  dire,  c'est  qu'il  n'est  ni  sans  éclat,  ni  sans  brillant  au  point 
de  vue  de  la  sonorité.  En  résumé,  l'œuvre  est  de  second  ordre  et  de 
seconde  main,  et  son  manque  absolu  de  personnalité  justifie  suffisamment 
l'accueil  très  réservé  que  lui  a  fait  le  public,  en  dépit  de  son  excellente 
exécution.  Après  la  symphonie,  M,  Delmas  a  fait  entendre  un  beau  frag- 
ment (introduction,  récit  et  air)  de  l'Erosirate  de  M.  Reyer.  C'est  une  belle 
page,  d'un  style  noble  et  sévère,  dont  M.  Delmas  a  fait  ressortir  la  gran- 
deur, grâce  surtout  à  son  excellente  et  ferme  articulation,  qui  ne  laisse 
pas  perdre  une  seule  syllabe  des  paroles  et  qui  donne  au  rythme  toute  sa 
valeur.  Mais  que  M.  Delmas  se  méfie  des  atteintes  traîtresses  du  cbevro" 
tement,  qui  porterait  tort  à  son  remarquable  talent.  C'est  avec  talent  aussi» 
avec  grâce  et  avec  goût,  que  M.  Edouard  Nadaud  a  exécuté  ensuite  le  joli 
concerto  de  violon  de  Mendelssobn;  il  y  a  déployé  d'excellentes  qualités 
de  virtuose,  un  jeu  souple,  un  archet  à  la  fois  ferme  et  élégant.  Mais  que 
celui-ci  se  méfie  aussi  d'une  tendance  presque  constante  à  jouer  trop 
haut;  il  y  a  là,  par  instants,  pour  une  oreille  délicate,  comme  une  sorte 
de  souffrance,  ou  tout  au  moins  d'impatience.  Ce  concert  se  terminait  par 
des  fragments  de  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz  :  l'air  deMcphistopbèlès, 
fort  bien  dit  par  M.  Delmas,  le  chœur  de  gnomes  et  de  sylphes,  le  ballet 
des  sylphes  —  qui,  par  extraordinaire  n'a  pas  été  redemandé,  —  le  chœur 
de  soldats,  la  chanson  d'étudiants  et  la  marche  hongroise.  —  A.  P. 

—  Concerts  du  Châtelet.  —  M.  Colonne  a  terminé  dimanche  l'audition 
de  la  série  des  symphonies  de  Beethoven  par  une  exécution  de  la  Neu- 
vième, l'immortelle  Symphonie  avec  chœurs,  dont  Berlioz  a  pu  dire  avec 
juste  raison  qu'elle  est  «  la  plus  magnifique  expression  du  génie  de 
Beethoven,  »  opinion  assez  hardie  à  l'époque  où  l'auteur  de  la  Symphonie 
fantastique  l'exprimait  pour  la  première  fois,  cette  œuvre  étant  générale- 
ment regardée  alors,  ainsi  qu'il  le  rapporte,  soit  comme  «  une  monstrueuse 
folie  »,  soit  comme  «  les  dernières  lueurs  d'un  esprit  expirant  n,  les  plus 
clairvoyants  ne  la  considérant  encore  que  «  comme  une  conception  extra- 
ordinaire dont  quelques  parties  néanmoins  demeurent  inexpliquées  ou 
sans  but  apparent.  »  Personne  n'oserait,  aujourd'hui,  répéter  de  telles 
paroles;  tout  au  contraire  il  nous  est  apparu,  par  quelques  conversations 
surprises  dans  les  couloirs,  que  certains  jugent  aujourd'hui  que  «  la  Neu- 
vième commence  à  se  démoder».  Cela  devait  arriver.  M.  Colonne  a  donné 
du  chef-d'œuvre  une  exécution  très  satisfaisante,  malgré  les  difficultés 
matérielles  de  l'exécution,  et  bien  que  les  traditions  en  soient  moins 
assurées  et  moins  généralement  connues  que  pour  les  autres  symphonies. 
Le  quatuor  vocal,  composé  de  M"«s  de  Montalant  et  Pregi,  de  MM.  Dela- 
querrière  et  Auguez,  malgré  un  peu  de  confusion  dans  le  dernier  quatuor, 
s'est  bien  tiré  de  sa  tâche  peu  commode.  Après  la  symphonie,  MM.  Diémer 
et  Pierret  ont  redit  le  concerto  de  Mozart  qu'ils  avaient  déjà  joué  le 
dimanche  précédent,  avec  le  même  talent  et  le  même  succès.  Un  lied  pour 
violoncelle  et  orchestre,  de  M.  Vincent  d'Indy,  œuvre  nouvelle  pour  le 
public  du  Châtelet  (elle  avait  été  exécutée  pour  la  première  fois  à  l'un 
des  concerts  d'orchestre  de  la  Société  nationale),  a  obtenu  un  vif  succès. 
Le  thème  principal,  clair  et  bien  en  relief,  sinon  d'une  invention  très 
remarquable,  donne  lieu  à  des  développements  riches  et  abondants,  traités 
avec  une  rare  maîtrise;  la  couleur  orchestrale  est  riche,  neuve  et  cons- 
tamment variée.  M.  Baretti,  le  violoncelliste  solo  de  l'orchestre,  a  partagé 
le  succès  de  l'œuvre.  Le  concert  s'est  terminé  par  le  Ycnusberg  de  Tann- 
Jtduser,  avec  chœurs  invisibles:  l'exécution  a  été  une  des  meilleures  que 
nous  ayons  entendues  de  ce  morceau.  M.  Coloune  a  été  à  deux  reprises 
l'objet  d'une  chaleureuse  ovation. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Nous  n'avons  pas  à  relever  de  modifications 
importantes  dans  l'interprétation  de  la  symphonie  en  ut  mineur;  c'est 
toujours  la  même  netteté,  la  même  précision,  même  dans  le  passage  du 
scherzo  où  les  contrebasses  ont  â  exécuter  une  série  de  traits  rapides 
peu  en  rapport  avec  le  caractère  de  l'instrument  sans  doute,  mais  qui 
pourtant  produisent  une  impression  saisissante  par  le  contraste  d'une 
sonorité  violente,  presque  sauvage,  avec  les  accords  plus  doux  qui  pré- 
cèdent et  qui  suivent  immédiatement.  Beethoven  a  eu  plusieurs  fois  de 
ces  révoltes  contre  la  sensibilité  excessive  de  notre  oreille,  notamment 
dans  la  Symphonie  avec  chœurs,  au  début  du  finale.  Le  concerto  en  mi 
bémol  de  M.  Saint-Saëns,  celui  que  l'on  entend  le  plus  rarement  parmi 
les  quatre  qu'a  écrits  le  maître,  est,  croyons-nous,  le  plus  difficile  à  faire 
valoir,  surtout  dans  un  vaste  local.  Non  moins  intéressant  que  les  trois 
autres,  présentant  même  des  idées  d'une  élévation  plus  incontestable  peut- 
être,  il  e.xige,  de  l'artiste  qui  l'exécute,  des  qualités  plus  sérieuses  au  point 
de  vue  musical,  et  les  parties  brillantes  destinées  à  faire  ressortir  avec 
éclat  la  virtuosité  du  pianiste  semblent  plus  difficiles  â  mettre  en  relief. 
Nous  devons  donc  féliciter  doublement  M"=  Kara  Chattelyn,  d'abord  de 
n'avoir  pas  décliné  une  tâche  devant  laquelle  beaucoup  d'autres  auraient 
reculé,  ensuite  d'avoir  su  interpréter  avec  un  talent  réel  et  exécuter  avec 
beaucoup  de  clarté,  de  force  et  de  solidité  l'œuvre  ardue,  mais  très  remar- 
quable de  M.  Saint-Saëns.  Aussitôt  après  l'audition  du  concerto,  un  tout 
petit  fragment,'i^rair  de  ballet  des  Scènes  pittoresques  de  M.  Massenet,  a  pro- 
voqué des  applaudissements  très  spontanés.  Le  morceau,  tellement  court 
qu'il  a  fait  regretter  qu'on  n'ait  pas  exécuté  aussi  les  autres  parties  des 
Seines  pittoresques,  est  plein  de  grâce  et  de  poésie.  Le  premier  morceau  de  la 
Rapsodie  norwègienne  de  M.  Lalo,  classée  désormais  parmi  les  œuvres  les 
plus  appréciées,  autant  à  cause  du  choix  heureux  des  motifs  que  du  charme 
exquis  du  travail  d'orchestration,  et  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs,  ont 
terminé  le  concert.  Amédée  Boutarel. 


LE  MENLSlilhL 


-113 


—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  deuxièm'3  symphonie,  en  ré  majeur  (Brahms)  ;  air  d^ErosIrnlf 
(Reyer),  par  M.  Delnaas;  concerlo  pour  violon  (Mijnclelssohn),  par  M.  Edouard 
Nadaud;  fragment  de  la  Damnalion  de  Faust  (Berlioz),  chanté  par  M.  Delmas.  Le 
concert  dirigé  par  M.  J.  Garcia. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  neuvième  symphonie  avec  chœurs  (Beeihoven), 
sBli  par  M""  de  Montalant  et  Preg',  MM.  Delaquerrière  et  Auguez;  thème,  varia- 
tions et  finale  (Tscha'ikowsky)  ;  air  de  l'oratorio  de  Noël  (Bach)  par  M.  Delaquer- 
rière ;  i/erf  pour  violoncelle  et  orchestre  (V.  d'Indy),  exécuté  par  M.  Baretti; 
scène  du  Venusberg,  de  Tannh'duser  (Wagner). 

Relâche  aux  Concerts  Lamoureux. 

—  La  Société  nationale  do  musique  a  recommencé,  hier  samedi,  pour  la 
vingt-et-unième  année,  la  série  de  ses  auditions.  On  y  a  exécuté  le  deuxième 
quatuor  de  M.  G.  Fauré,  une  suite  de  piano  de  M.  S.  Lazzari,  des  mélo- 
dies de  MM.  Meurant  et  Alary,  et,  comme  œuvres  étrangères  et  clas- 
siques, des  variations  à  deux  pianos  de  Grieg  et  le  quatorzième  quatuor 
de  Beethoven.  Le  quatuor  est  celui  de  la  fondation  Beethoven,  composé 
de  MM.  A.  Geloso,  Tracol,  Fcrnandez  et  Schnekiud.  —  La  Société  donnera 
cette  année  dix  séances,  dont  trois  avec  orchestre  et  chœurs  et  une  audi- 
tion de  musique  religieuse.  Les  sociétaires  seuls  sont  admis  aux  concerts. 
S'adresser,  pour  les  inscriptions,  au  secrétaire  de  la  Société,  7  avenue  de 
Villars. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

C'est  hier  26  décembre,  qu'a  commencé,  sur  les  théâtres  italiens,  la 
grande  saison  du  carnaval-carème,  la  plus  importante  de  l'année.  Nous 
relevons,  sur  les  carielloni  de  ces  théâtres,  les  titres  des  ouvrages  du  ré- 
pertoire français  indiqués  comme  devant  être  joués  pendant  cette  saison. 
A  Ancône,  Carmen  ;  à  Arezzo,  Ciirmcn  et  Mignon  ;  à  Bologne,  Fra  Dîavolo  , 
à  Brescia,  l'Africaine;  à  Cagliari,  Carmen;  à  Caltagirone,  i^aw^f  ;  à  Chiavari, 
Carmen  et  Mignon  ;  à  Cùme,  Faust  et  la  Jolie  Fille  de  Perth;  à  Grema,  Faust  ; 
à  Crémone,  Carmen  et  les  Pécheurs  de  perles  ;  à  Cuneo,  Faust  ;  à  Florence, 
Mignon,  la  Jolie  Fille  de  Perth,  l'Éclair,  Manon,  Mireille,  Samson  et  Daiila,  Fra 
Diavolo  ;  à  Gènes,  le  Prophète;  à  Livourne,  Mignon  ;  à  Lodi,  Robert  le  Diable  ; 
à  Mantoue,  Roméo  et  Juliette  ;  à  Milan,  les  Huguenots  et  la  Basoche  ;  à  Modène, 
le  PropMte  ;  à  Montevarchi,  Faust  ;  à  Naples,  Carmen,  Faust  et  les  Huguenots  ; 
à  Palerme,  Guillaume  Tell,  la  Juive  et  les  Pêcheurs  de  perles  ;  à  Parme,  Handet 
et  Carmen  ;  à  Plaisance,  le  Pardon  de  Ploërmel  ;  à  Pistoïe  et  à  Finalmarina, 
la  Fille  du  régiment;  à  Reggio  d'Emilie,  Mignon  et  la  Favorite  ;  à  Rimini, 
Mignon  ;  à  Rome,  Robert  le  Diable,  Roméo  et  Juliette,  la  Muette  de  Portici  et  le 
Déserteur;  à  San  Remo,  Carmen  et  les  Pêcheurs  de  perles  ;  à  Savone,  Hamlct  ; 
à  Turin,  les  Huguenots,  Fra  Diavolo,  et  le  Domino  noir  ;  à  Urbino,  Fra  Diavolo  ; 
à  Venise,  Mignon,  l'Africaine,  Guillaume  Tell.  Sur  soixante-deux  théâtres 
ouverts  pendant  la  saison  de  carnaval,  vingt-neuf  joueront  des  ouvrages 
de  compositeurs  français  (Monsigny,  Auber,  Halévy,  Bizet,  Ambroise 
Thomas,  Gounod,  Massenet,  Saint-Saëns,  Messager),  et  quatorze  des  ou- 
vrages français  de  compositeurs  étrangers.  —  Parmi  les  ouvrages  italiens 
nouveaux  qui  verront  le  jour  au  cours  de  cette  saison,  il  faut  signaler  :  à 
Florence,  Tilda,  de  M.  Francesco  Cilea,  et  Malavita,  de  M.  Umberto  Gior- 
dano  ;  à  Rome,  Cimbelino,  de  M.  Van  Westerhout  ;  à  Sienne,  Acie  Galatea, 
deM.  Zardo;  à  Gènes,  Loreley;  à  Milan,  Yally;  à  Turin,  il  Ritorno  del  mari- 
naio  ;  et  à  Bologne,  i  Due  Soci,  de  M.  Gialdino  Gialdini. 

—  Une  correspondance  de  Milan,  publiée  par  les  Signale,  donne  des  nou- 
velles du  séjour  de  Rubinstein  en  cette  ville.  Le  maître  a,  parait-il, 
décliné  l'offre  que  lui  a  faite  la  Société  du  quatuor  au  sujet  d'une  soirée 
en  son  honneur,  et  il  a  déclaré  avoir  également  refusé  d'une  façon  défini- 
tive un  engagement  de  600,000  francs  qu'on  lui  proposait  pour  une  tour- 
née de  trois  mois  en  Amérique.  Rubinstein  s'est  fait  entendre  un  soir  à 
l'hôtel  Milan,  où  il  était  venu  rendre  visite  à  Verdi,  qui,  précisément, 
donnait  un  diner  d'adieu  à  quelques  intimes,  parmi  lesquels  Boito  et  le 
violoncelliste  Piatti.  Cédant  aux  sollicitations  de  Verdi  et  de  ses  invités, 
Rubinstein  s'est  mis  au  piano,  et  de  neuf  heures  à  onze  heures,  a  exécuté, 
avec  son  incomparable  maestria,  la  marche  funèbre  de  Chopin,  plusieurs 
pièces  de  Mozart  et  de  Schumann,  ainsi  que  quelques-unes  de  ses  compo- 
sitions. 

—  Au  théâtre  Minerve,  d'Udine,  première  représentation  d'un  opéra 
nouveau  en  trois  actes,  il  Marito  di  mia  moglie,  de  M.  Ettore  Mariotti,  bien 
accueilli  du  public.  —  Au  théâtre  Métastase,  de  Rome,  où,  ainsi  que  le 
dit  le  Trovalore,  les  opérettes  pullulent  comme  des  champignons,  appari- 
tion d'un  nouvel  ouvrage  de  ce  genre,  la  Gemma  dvl  sole,  paroles  de  M.  Mi- 
nichini,  musique  de  M.  De  Vita. 

—  Une  cheffe  d'orchestre  à  Rome!  C'est  le  journal  l'Italie  qui  nous  l'ap- 
prend en  ces  termes  :  «  Le  public  du  Quirino  a  eu  une  agréable  surprise 
de  voir  une  demoiselle  élégante  monter  sur  le  pupitre  et  prendre  la  direc- 
tion de  l'orchestre.  Ce  chef  d'orchestre  en  jupons  est  M"'  Capelli,  une  des 
premières  chanteuses  de  la  troupe;  elle  a  pris  la  place  de  M.  Sassone, 
malade,  et,  étant  très  bonne  musicienne,  elle  la  tient  très  bien.  »  Quel 
succès,  ici,  si  une  de  nos  cantatrices  était  capable  d'un  tel  exploit,  et  si 
on  la  voyait  à  l'improviste  prendre  le  commandement  de  l'armée  sympho- 
nique  ! 


—  Une  nouvelle  opérette  vient  encore  d'éclore  à  Rome,  sous  les  ombra- 
ges du  théâtre  Métastase,  qui  fait  décidément  une  énorme  consommation 
de  ces  sortes  d'ouvrages.  Celle-ci  a  pour  titre  Abukabuz,  et  l'auteur  de  la 
musique  est  le  maestro  Buongiorno. 

—  Un  mauvais  point  géographique  au  Trovatore,  un  peu  trop  enclin, 
quoique  souvent  avec  esprit,  à  relever  sans  pitié  les  bourdes  de  ses 
confrères.  Après  avoir  rapporté  quelques  incidents  qui  se  sont  produits 
au  théâtre  de  Gand,  le  Trovatore  en  conclut  qu'en  France  les  choses  vont 
plus  mal  encore  qu'en  Italie.  Le  Trovatore  oublie  que  Gand  est  une  -ville 
distante  de  70  kilomètres  de  la  frontière  française  et  appartenant  au 
royaume  de  Belgique. 

—  Encore  une  cantatrice  qui  devient  grande  dame  !  La  prima  donna  Ida 
ZefTirini  vient  d'abandonner  le  théâtre  et  de  dire  adieu  à  ses  succès  pour 
épouser  le  baron  Vincenzo  di  Calamoncare,  de  la  famille  des  princes 
Grimaldi,  l'une  des  plus  nobles  d'Italie. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Au  théâtre  Frédéric- 
Guillaume  a  eu  lieu  récemment  la  première  représentation  d'une  opérette 
nouvelle  de  MM.  West  et  Gênée  pour  les  paroles  et  de  M.  H.  Zumpe,  pour 
la  musique,  l'Auberge  polonaise,  qui  a  réussi  grâce  au  charme  mélodique 
des  motifs  de  valses  et  de  marches  répandues  à  profusion  dans  la  parti- 
tion. —  Cassel  :  Le  public  du  théâtre  de  la  Cour  a  fait  un  accueil  sympa- 
thique à  un  petit  acte  musical  intitulé  la  Source  de  Sainte-Anne,  dont  le 
livret  a  été  tiré  par  M.  Bennecke  d'une  comédie  de  M°>"  H.  de  Ghezy,  et 
la  musique  composée  par  M.  Robert  Ihener,  membre  de  la  chapelle  du- 
cale. —  Hambourg  :  Le  théâtre  municipal  a  donné  ce  mois-ci  la  première 
représentation  d'un  opéra  demi-sérieux,  l'Épée  du  roi,  qui  a  pour  composi- 
teur M.  Th.  Hentscbel  et  pour  librettiste  M.  Bittong.  C'est  en  faveur  de 
ce  dernier  que  le  succès  s'est  dessiné.  Le  musicien  n'a  su  tirer  aucun 
parti  des  situations  piquantes  que  lui  fournissait  son  collaborateur;  il  a 
écrit  une  partition  lourde  et  poncive,  en  contradiction  continuelle  avec  le 
sujet.  —  Leipzig  :  Une  reprise  très  remarquable  de  Joseph,  de  Méhul,  est 
à  signaler  au  théâtre  municipal.  Les  chœurs  et  l'orchestre  se  sont  sur- 
passés sous  la  direction  de  M.  Panel.  M.  Schelper  a  personnifié  Siméon 
de  façon  à  provoquer  une  vive  émotion  dans  l'auditoire.  —  Ldbeck.  :  Beau 
succès  au  théâtre  municipal  pour  un  nouvel  opéra  intitulé  Vendetta,  du 
à  la  collaboration  du  ménage  Fielitz.  C'est  le  mari,  M.  Alexandre  de  Fie- 
litz,  qui  a  composé  la  musique,  et  .l'épouse,  M""=  Marie  de  Fielitz,  qui  a 
fourni  le  livret,  qu'on  dit  très  dramatique.—  Makmieim  :  Le  théâtre  de  la 
Cour  vient,  pour  la  première  fois,  de  donner  asile  au  genre  de  l'opérette. 
Le  premier  essai,  avec  la  Tsigane,  de  Johann  Strauss,  a  été  couronné  de 
succès.  On  croit  que  c'est  à  cette  dérogation  aux  traditions  qu'il  faut 
attribuer  la  récente  démission  du  kapellmeister  Frank.  A  signaler,  au 
même  théâtre,  les  débuts  de  M"=  Louise  Heymann,  d'Amsterdam,  dans  le 
Rarbier,  Lucie  et  Lakmé.  —  Munich  :  A  la  demande  générale  du  public  et  des 
artistes,  l'intendance  est  revenue  sur  sa  décision  interdisant  les  rappels. 
L'autorisation  de  reparaître  à  la  fin  des  airs  et  des  actes  est  rétablie  de- 
puis le  o  décembre,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Mozart.  —  Nuremberg  : 
Au  théâtre  municipal,  première  représentation  de  l'opéra-comique  de 
M.  F.  de  Woyrsch  :  la  Guerre  des  femmes.  Succès  de  partition. 

—  C'est  une  véritable  tournée  triomphale,  dit  un  de  nos  confrères  de 
l'étranger,  que  celle  que  fait  présentement,  en  Suède  et  en  Norvège,  la 
diva  Siegrid  Arnoldson.  A  l'exception  de  Jenny  Lind  et  de  Christine 
Nilsson,  aucune  artiste  n'a  obtenu  dans  ces  contrées  de  succès  aussi  en- 
thousiastes. Ce  voyage  en  Scandinavie  de  M™«  Arnoldson  devait  se  termi- 
ner le  16  de  ce  mois  par  un  grand  concert  à  Copenhague,  dans  une  salle 
pouvant  contenir  deux  mille  cinq  cents  auditeurs,  et  toutes  les  places 
étaient  retenues  plusieurs  jours  à  l'avance. 

—  Le  compositeur  russe  Balakirevv  a  visité  dernièrement  le  village 
de  Zela  Zowa  Wola,  près  Varsovie.  C'est  là  que  le  père  de  Chopin  occu- 
pait les  fonctions  de  surintendant  du  comte  Skarbek,  et  c'est  dans  l'aile 
droite  du  château,  aujourd'hui  abandonné,  que  le  grand  musicien  vit  le 
jour,  lel"'  mailSOg.  M.  BalakirelT  s'est  entendu  avec  le  poète  polonais  Jan- 
kowski  pour  proposer  une  restauration  complète  du  domaine,  auquel  on 
rendrait  l'aspect  qu'il  avait  au  commencement  du  siècle,  et  pour  l'ap- 
position d'une  plaque  commémorative.  La  Société  musicale  de  Varsovie  a 
offert  de  donner  des  concerts  pour  contribuer  aux  dépenses  de  construction 
et  d'entretien. 

—  En  Russie,  comme  eu  Allemagne,  le  centenaire  de  Mozart  a  été 
célébré,  et  le  souvenir  du  maitre  a  été  fêté  partout  où  il  y  a  une  succur- 
sale de  la  Société  musicale  russe.  A  Moscou,  la  plupart  des  associations 
musicales  ont  tenu  â  honneur  de  donner  des  concerts  consacrés  aux 
œuvres  du  grand  jubilaire.  Les  théâtres  lyriques  seuls  ont  fait  la  sourde 
oreille,  à  l'exception  toutefois,  de  l'Opéra  allemand  de  Riga,  qui  est  en 
train  de  représenter  une  série  d'œuvres  dramatiques  de  l'auteur  de  Don 
Juan.  Quanta  Saint-Pétersbourg,  on  y  adonné  plusieurs  séances  consacrées 
à  Mozart.  En  huit  jours  il  y  a  eu  cinq  fois  salle  comble  en  l'honneur 
du  maitre  :  à  la  séance  du  Quartettvei'ein,  au  concert  symphonique  du 
Cirque  et  aux  trois  exécutions  du  Requiem  (y  compris  la  répétition  géné- 
rale), â  la  salle  de  l'Assemblée  de  la  noblesse.  A  la  dernière  audition  de 
cette  œuvre  célèbre,  le  succès  a  été  plus  intense  encore  que  la  première 
fois.  On  a  bissé  le  Lacrgmom  et  on  a  fait  une  ovation  â  M.  Auer,  qui 
dirigeait. 


UA 


LE  MENESTREL 


—  C'est  en  lui  en  laissant  la  responsabilité  que  nous  empruntons  au  Tro- 
vatore  la  nouvelle  assez  singulière  que  voici  :  «  M.  Tschaïkowsky,  le  com- 
positeur russe  bien  connu,  a  fait  exécuter  il  y  a  quelques  jours,  à  Moscou, 
un  poème  symphonique  intitulé  le  Vouoide,  qui  fut  bien  accueilli  par  le 
public  et  par  la  critique.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  de  l'artiste,  qui 
s'est  montré  si  peu  satisfait  qu'il  a  jeté  au  feu  sa  partition  tout  entière.  » 

—  On  a  inauguré  cette  semaine,  à  la  cathédrale  d'Anvers,  l'orgue  mo- 
numental de  M.  Schyven,  dont  nous  avons  annoncé  la  construction.  Deux 
séances  ont  été  consacrées  à  cette  solennité  :  mercredi  soir  séance 
intime,  et  jeudi  séance  solennelle,  présidée  par  le  cardinal  de  Malines, 
avec  MM.  Ch.-M.  Widor,  Mailly,  professeur  au  Conservatoire  de  Bruxelles, 
et  Callaerts,  erganiste  de  la  cathédrale.  Le  nouvel  instrument  a  été  joué 
merveilleusement  et  a  produit  une  grande  impression  sur  une  foule  com- 
pacte et  recueillie. 

—  Le  fameux  chef  d'orchestre  Luigi  Mancinelli  vient  de  faire  exécuter 
à  Madrid,  dans  l'église  Saint-François-le-Grand,  et  sous  sa  direction,  une 
messe  de  sa  composition  dont  les  journaux  espagnols  disent  le  plus  grand 
bien  et  vantent  la  très  haute  valeur. 

—  On  signale  à  Lisbonne  le  début  très  brillant,  dans  Faust,  d'une  jeune 
cantatrice,  M""  Mary  d'Arneiro,  qui  n'est  autre  que  la  fille  d'un  dilettante 
bien  connu,  M.  le  vicomte  d'Arneiro,  dont  plusieurs  compositions  ont  été 
naguère  exécutées  à  Paris.  M""  d'Arneiro  a  obtenu  auprès  de  ses  compa- 
triotes un  succès  éclatant. 

—  La  grande  presse  de  Londres  s'empare  à  son  tour  de  la  question  de 
l'uniformité  du  diapason  qui  préoccupe  si  vivement  les  musiciens  anglais. 
Le  journal  l'Étoile  vient  de  recueillir  l'opinion  d'un  grand  nombre  d'artistes 
à  ce  sujet  et  conclut  à  l'adoption  du  diapason  français,  en  dépit  des 
dépenses  colossales  que  nécessiterait  l'œuvre  d'unification.  Quelques  appré- 
ciations publiées  par  l'Étoile  valent  la  peine  d'être  reproduites,  à  cause  des 
considérations  personnelles  qui  les  ont  inspirées.  C'est  une  curieuse  étude 
d'observation.  Les  compositeurs  organistes,  Starner,  Mackenzie  et  Covi'en 
qui  ne  veulent  pas  qu'on  touche  à  leurs  instruments  ou,  du  moins,  désirent 
qu'on  y  touche  le  moins  possible,  proposent  un  compromis,  l'adoption 
d'un  nouveau  diapason  dit  diapason  moyen  anglais,  qui  tiendrait  le  milieu 
entre  le  diapason  normal  et  le  diapason  élevé  usité  en  Angletere.  Il  serait 
désigné  par  Ut  =  530.  Le  directeur  Lago  préfère  le  diapason  élevé  pour  ses 
instrumentistes,  etle  diapason  normal  pour  ses  chanteurs!  C'est  sans  doute 
à  cette  double  préférence  contradictoire  que  l'on  doit  le  charivari  de  la 
première  représentation  de  Cavalleria  rusticana  au  théâtre  Shaftesbury.  Les 
facteurs  de  piano  Brinsmead,  le  ténor  Sims  Keeve,  et  le  baryton  Marins 
réclament  impérieusement  le  diapason  normal.  Par  contre,  le  contralto 
M"""  Patey  demande  le  maintien  du  diapason  élevé  à  cause  de  son  mi  bémol 
bas,  qui  vibrerait  moins.  Le  chef  d'orchestre  Arditi  est  d'avis,—  et  en  cela 
il  se  montre  assurément  peu  pratique,  —  que  le  diapason  anglais  convient  à 
certains  opéras  mieux  qu'à  d'autres,  qui  s'accommodent  plutôt  du  diapason 
français.  Enfin,  M.  Joaohim  dit  :  «  Je  suis  obligé  de  tendre  les  cordes  de 
mon  violon  deux  mois  avant  de  me  rendre  en  Angleterre,  pour  que  l'ins- 
trument ne  soit  pas  trop  endommagé  par  le  brusque  changement.  »  Malheu- 
reusement, les  chanteurs  ne  peuvent  pas  préparer  leurs  cordes  vocales,  si 
délicates,  de  la  même  manière.  Pour  certains  grands  chanteurs,  qui  sont 
appelés  à  se  faire  entendre  un  soir  à  Paris  et  le  lendemain  à  Londres,  cela 
doit  être  particulièrement  fatigant. 

—  M.  Frédéric  Cowen,  l'un  des  compositeurs  anglais  les  plus  estimés 
de  ce  temps,  travaille  en  ce  moment  à  un  opéra  en  quatre  actes,  dont  le 
livret  est  tiré  d'une  nouvelle  de  Ouida  intitulée  Sigma.  Trois  actes  de  sa 
partition  sont  déjà  terminés  et  l'ouvrage  doit  être  complètement  prêt  dans 
le  cours  du  mois  prochain. 

—  Un  syndicat  s'est  formé,  dit  l'Eventail,  pour  donner  à  Londres  des 
représentations  d'opéra  allemand.  Le  but  du  syndicat  est  de  représenter 
les  pièces  avec  des  artistes,  des  décors  et  des  chœurs  allemands,  et  de 
faire  tout  ce  qui  est  possible  pour  reproduire  dans  une  salle  de  théâtre 
anglaise  les  effets  obtenus  à  Bayreuth.  Les  ouvrages  seront  donnés  sans 
la  moindre  coupure.  Le  syndicat  s'est  déjà  assuré  le  droit  de  représenter 
Tannhdtiser,  der  Fliegende  Holldnder,  der  Barbier  von  Bagdad,  Abu  Hassan,  der 
Freiscttiltz  et  Hans  Heilling.  Il  a  engagé  M""=  Rosa  Sucher,M"=s  Pauline  Mail- 
hac,  Pauline  Cramer,  M"'"!  Emilie  Herzog  et  M""  Macintyro,  MM.  H. 
"Winkelmann,  Max  Alvary,  'VV.  Grïming,  Th.  Reichmann,  Cari  Greugg  et 
Heinrich  Wiegand.  Il  est  question  de  MM.  Félix  Mottl  etCarl  Armbruster 
comme  chefs  d'orchestre. 

—  Le  dernier  concert  Seidl,  au  Lenox  Lyceum  de  New- York,  a  remporté 
un  succès  sans  précédent,  grâce  au  superbe  programme  dont  voici  la  com- 
position :  ouverture  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  le  Déluge  (Saint-Saëns),  air 
des  M aUres  chanteurs,  par  M.  Gampanini;  le  Bal  costumé  (Rubinstein);  k 
Bohémienne  (solo  de  violon  de  "Vleuxlemps),  par  M"<^  de  Storoh  :  Siegfricd- 
'Idyll:  air  de  Cavalleria  rusticana,  par  M.  Gampanini;  airs  de  ballet  du  Cid 
(Massenet). 

—  Les  troupes  italiennes  à  l'étranger  continuent  de  n'être  pas  toutes 
heureuses.  A  Pernamhuco,  la  compagnie  a  été  dissoute  par  la  société 
directrice  du  théâtre,  vingt  jours  avant  re.>;piration  des  engagements. 
D'autre  part,  à  Trieste,  la  direction  du  Politeama  Rossetti  a  laissé  ses 
artistes  et  ses  employés  en  plan,  sans  leur  payer,  non  pas  la  dernière, 
mais  les  dernières  échéances. 


PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

M.  Massenet  a  presque  terminé  l'orchestration  de  Kassya,  la  dernière 
partition  laissée  par  Léo  Delibes  et  qui  doit  être  représentée  à  l'Opéra- 
Comique  au  mois  d'octobre  prochain.  Il  va  se  mettre  dès  maintenant  à  la 
composition  de  Thaïs,  un  opéra  que  M.  Louis  Gallet  a  tiré  du  roman  si 
curieux  de  M.  Anatole  France.  Avec  la  Carmosine  de  M.  Poise  et  la  Circé 
de  M.Théodore  Dubois,  voilà  un  bel  hiver  en  perspective  pour  M.  Carvalho. 

—  M.  Bertrand,  dès  le  début  de  sa  direction  à  l'Opéra,  créera  des  aboil- 
nements  temporaires  pour  les  représentations  qui  auront  lieu  le  samedi, 
depuis  le  2  janvier  jusqu'au  M  juin  inclusivement,  c'est-à-dire  au  moment 
le  plus  brillant  de  la  saison  théâtrale.  Ces  représentations  se  suivront 
très  régulièrement. 

—  On  télégraphie  de  Marseille  que  l'administration  municipale  vient 
d'accepter  la  démission  de  M.  Campocasso,  directeur  du  Grand-Théâtre, 
que  ses  nouvelles  fonctions  de  directeur  de  la  scène  à  l'Opéra  appellent 
à  Paris.  Il  est  remplacé,  à  Marseille,  par  M.  Dufour,  ancien  directeur  du 
Grand-Théâtre  de  Lyon. 

—  La  Société  artistique  d'Angers  a  solennellement  fêté  son  quaran- 
tième concert.  Son  programme  était  composé,  pour  la  circonstance, 
presque  exclusivement  d'œuvres  de  M.  Massenet.  Le  choix  en  était  heu- 
reux et  d'une  grande  variété;  aussi  a-t-on  acclamé  le  jeune  maître,  qui 
était  présent  au  concert  et  a  même  accompagné  à  M"°  Durand-Ulbach 
quelques-unes  de  ses  nouvelles  mélodies.  Parmi  ces  dernières,  c'est  le 
Poète  et  le  Fantôme  qui  a  laissé  la  plus  profonde  impression.  Il  a  fallu 
que  l'interprète  la  bissât  au  milieu  d'applaudissements  frénétiques. 

—  En  ce  temps  d'études  assidues  sur  le  folklore,  voici  un  petit  volume 
qui  sera  bien  venu  des  amateurs  c  la  Sieilia  musicale,  par  M.  Leopoldo 
Mastrigli  (Bologne,  Schmidl,  in-S  de  100  pages).  C'est  iln  petit  travail  un 
peu  bref,  un  peu  écourté,.  mais  non  sans  intérêt,  sur  les  chants  popu- 
laires siciliens,  ces  chants  si  pleins  de  poésie,  de  langueur,  de  couleur,  de 
naïveté,  rendus  si  justement  célèbres  par  tous  ceux  qui  ont  pu  les  en- 
tendre, et  si  étonnamment  nombreux  qu'on  n'en  compte  guère  moins  de 
8,0Û0  pour  les  diverses  provinces  de  la  Sicile  :  Palerme,  Messine,  Girgenti, 
Syracuse,  Gatane,  Trapani,  Caltanisetta. ..  Dans  son  livre  sur  les  Canti 
popolari  siciliani,  publié  en  1857,  Lionardo  Vigo  a  recueilli  les  paroles  de 
1,300  d'entre  eux;  après  lui,  Salvatore  Salomone-Marino  en  a  donné  730, 
et  M.  Giuseppe  Pitre,  dans  un  ouvrage  excellent  en  deux  volumes,  en  a 
publié  environ  un  milier,  presque  tous  inédits  et  dont  quelques-uns  sont 
tout  à  fait  exquis.  Il  faut  avoir  recours  à  ces  trois  livres  substantiels  et 
curieux  pour  savoir  ce  que  c'est  que  les  chants  populaires  siciliens.  On 
n'en  saurait  demander  autant  au  petit  volume  de  M.  Mastrigli,  qui  ne 
laissera  pas  néanmoins  d'être  utile  à  ceux  qui  veulent  se  renseigner  à  ce 
sujet.  L'auteur  donne  des  fragments  heureusement  choisis  de  ces  poésies 
populaires,  qu'il  caractérise  par  leurs  sujets,  comme  ses  devanciers  :  la 
Femme  et  l'ainom-,  tes  Noces,  la  Naissance,  la  Mort,  le  Carnaval,  les  Théâtres  de 
'marionnettes,  les  liruilx  du  lambour,  le  Son  des  cloches,  les  Pêcheurs,  la  Moisson 
et  le  Battage,  /rs  \'(:uitiiiiijrs,  la  Récolte  des  olives,  etc.,  etc.  A  la  suite,  il  a 
donné  la  musique  de  quarante  de  ces  chansons;  par  malheur,  cette  mu- 
sique, d'ailleurs  assez  mal  gravée,  est  incorrecte  et  remplie  de  fautes  . 
qu'il  eût  été  facile  de  faire  disparaître  par  une  revision  plus  attentive. 
Enfin,  le  volume  se  termine  par  une  série  de  petites  notices  biographi- 
ques sur  les  musiciens  les  plus  célèbres  des  XVII%  X'VIII=  et  XIX'-'  siècles. 
Ce  petit  volume,  publié  à  l'occasion  de  l'Exposition  ouverte  en  ce  moment 
à  Palerme,  attirera  certainement  l'attention.  A.  P. 

—  Nous  avons  eu  plusieurs  fois  l'occasion  de  citer  les  éphémérides  in- 
téressantes du  théâtre  de  Lille,  que  publie  notre  confrère  de  cette  ville, 
la  Semaine  mmicale.  A  la  date  de  décembre  1830  nous  trouvons  celle-ci, 
que  nous  lui  empruntons  volontiers  : 

Première  représentation  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  opéra-comique  en  trois  actes, 
musique  d'Ambroise  Thomas,  paroles  de    Rosier  et  de  Leuven,  créé  à   Paris,  à 
rOpéra-Comique,  le  20  avril  même  année.  Voici  les  créateurs  à  Paris  et  à  Lille  : 
Pakis  Lille 

Shakespeare MM.  Couderc.  MM.  Anlhiome. 

Falsta/]' Bataille.  Mangin. 

Latimcr Boule.  Bouvard. 

Elisatietli M"""  Lefebvre.  M'""  Charton. 

Olivia Grimm.  Zevaoo. 

Brillant  succès,  J4  représentations.  La  municipalité  n'avait  pu  faire  les  frais  de 
nouveaux  décors  ;  malgré  cela,  la  mise  en  scène  ne  laissa  rien  à  désirer.  Le 
compositeur,  Ambroise  Thomas ,  avait  dirigé  la  troisième  répétition  générale,  qui 
dura  de  six  heures  à  onze  heures  du  toir,  et  à  la  première  repiésenlationil  assistait 
au  fond  d'une  loge  à  l'accueil  chaleureux  que  le  public  lillois  faisait  à  son 
œuvre.  —  Les  artistes  avaient  bien  mérité  les  éloges  que  leur  adressa  le  maître. 
A  la  chute  du  rideau,  le  public  acclama  l'auteur  et  le  demanda  à  srands  cris. 
Ambroise  Thomas  parut  bienlot  sur  la  scène,  amené  par  M""  Cbarton  et  Zevaco.  Le 
Songe  d'une  nuit  d'été  est  uue  des  perles  du  répertoire,  et  cela  pour  longtemps  encore. 

—  On  nous  signale  de  Nantes  le  très  grand  succès  du  Cid,  et  de  Tours 
la  réussite  brillante  de  Manon.  C'étaient  pour  Nantes  et  Tours  de  toutes 
premières  représentations,  ces  ouvrages  de  M.  Massenet  y  étant  encore  in- 
connus. A  Marseille,  vrai  triomphe  pour  Hérodiade.  Enfin  Esclarmonde  passera 
pour  la  première  fois  aussi  à  Bordeaux,  dans  le  courant  du  mois  de  jan- 
vier. On  voit  que  le  répertoire  du  jeune  maître  est  en  grand  honneur  sur 
nos  scènes  de  province  aussi  bien  qu'à  Paris. 


LE  MENESTREL 


415 


—  Réunion  musicale  tout  intime  mardi  dernier  chez  M.  et  M"'°  de 
Serres.  Le  point  principal  du  programme  consistait  en  l'audition  de  la 
suite  pour  deux  pianos  composée  par  M.  Gh.-M.  Widor  sur  sa  délicieuse 
partition,  du  Conte  d'avril.  Le  succès  a  été  très  vif;  c'est  là  une  réduction 
qui  rend  jusqu'aux  moindres  détails  de  l'orchestre  et  présente,  par  suite, 
un  vif  intérêt  artistique.  Le  n<=  2,  Sérénade  illyrietine,  a  été  bissé  d'accla- 
mation, et  on  en  eût  bien  fait  autant  pour  la  Guitare  et  la  Marche  nuptiale, 
si  on  n'avait  craint  d'abuser  de  l'obligeance  des  interprètes,  qui  étaient 
M'""  de  Serres  et  M.  Widor  lui-même.  On  a  beaucoup  applaudi  à  la  même 
séance  le  jeune  violoniste  Marteau,  dont  le  jeu  prend  de  l'autorité  et  de 
la  puissance. 

—  On  nous  écrit  de  Chalon-sur-Saône  que  la  Société  philharmonique 
vient  de  donner,  avec  le  concours  de  M.  Jacques  Isnardon,  un  concert  qui 
a  très  brillamment  réussi.  L'ancien  pensionnaire  de  l'Opéra-Gomique, 
que  les  Parisiens  ont  le  regret  de  ne  plus  entendre,  a  fort  bien  dit  A  la 
dérive,  de  Flégier  ;  on  lui  a  bissé  le  Premier  Joujou  et  le  Dernier  Joujou,  et 
trissé  les  Sabots  et  les  Toupies,  trois  petites  pièces  empruntées  au  recueil 
exquis  de  Jules  Jouy,  Blanc  et  Dauphin,  ta  Clmnson  des  Joujoux,  qui  est  le 
grand  succès  d'étrennes  du  moment. 

—  De  Bordeaux,  on  nous  signale  le  très  grand  succès  obtenu  par  M.  Las- 
salle,  de  l'Opéra,  au  festival  donné  par  la  Société  de  sauvetage.  Les  numé- 
ros à  sensation  de  la  soirée  ont  été  Patria,  de  William  Chaumet,  et  le  troi- 
sième acte  d'Hainlet. 

—  M.  Cobalet,  qui  donne  en  ce  moment  des  représentations  au  Grand- 
Théâtre  de  Pau,  vient  d'y  obtenir  deux  brillants  succès  dans  les  rôles  de 
Lothario  de  Mignon  et  de  Nilakantha  de  Lalciné.  Toute  la  presse  locale  est 
unanime  à  célébrer  son  grand  mérite.  Le  ténor  Gandubert,  encore  un 
artiste  de  beaucoup  de  talent,  chantait  les  rôles  deWilhelm  et  de  Gérald. 
Pau  n'est  vraiment  pas  mal  partagé  cet  hiver. 

— De  Lille,  on  nous  écrit  que  l'un  des  derniers  concerts  de  la  Société  des 
concerts  populaires,  si  artistiquement  dirigés  par  M.  Paul  Viardot,  a  été 
l'occasion  d'ovations  sans  fin  pour  M.  Louis  Diémer,  qui  a  joué,  en  per- 
fection, diverses  œuvres  de  Ghopin,  Daquin,  Liszt,  le  Chant  du  nautonier,  de 
sa  composition,  et,  accompagné  par  son  brillant  élève,  M.  Victor  Staub, 
le  concerto  en  nii  bémol  de  Mozart,  l'andante  de  son  Concertstïtck  et  le 
Sclierzo  de  Sainl-Saëns.  M.  Victor  Staub  a  fort  bien  rendu,  seul,  le 
4"  concerto  en  ut  mineur,  de  Saint-Saêns.  M.  Paul  Viardot  a  eu  sa  grande 
part  du  succès  après  une  très  poétique  exécution,  par  l'orchestre,  du 
Dernier  sommeil  de  la  Vierge,  de  Massenet.  Prochainement,  la  Société  des 
Concerts  populaires  donnera  le  Désert,  l'œuvre  maîtresse  de  Félicien  David. 

—  M"«  Henriette  Thuillier  vient  de  donner  une  très  bonne  audition  de 
ses  élèves.  Au  programme,  rien  que  des  compositions  pour  piano  de 
M.  Louis  Diémer  ;  parmi  les  mieux  exécutées,  signalons  :  Caprice,  op.  17, 
par  M"'  Jeanne  D.,  Grande  valse  de  concert,  op.  37,  par  M"=  Jeanne  R.,  le 
Chant  du  nautonnier,  par  M""  Berthe  H.  et  la  Rêveuse,  par  M"=  Lucie  T. 
Succès  pour  les  charmantes  interprètes,  l'excellent  professeur  et  aussi  pour 
le  compositeur. 

—  Mlle  Baldo  et  M.  Quanté,  premier  prix  de  violon  du  Conservatoire,  ont 
donné  dernièrement,  à  Douai,  un  concert  qui  a  très  brillamment  réussi. 
L'excellente  cantatrice  s'est  principalement  fait  applaudir  dans  le  Fabliau 
de  Paladilhe,  et  l'air  des  Noces  de  Figaro.  La  musique  de  la  ville  a  eu  sa 
part  de  succès  en  exécutant  très  bien  l'Hyménée  à' Esclarmonde. 

—  Charmante  matinée  musicale  chez  M""  Lafaix-Gontié,  le  professeur 
si  estimé.  Beaucoup  d'applaudissements  pour  ses  gentilles  élèves.  A  si- 
gnaler parmi  les  succès  de  la  journée  les  mélodies  suivantes  :  Je  pense  à 
fpi,  de  Lassen,  l'Alléluia  d'amour,  de  Faure,  la  romance  de  Mignon,  Aun 
cerises  prochaines,  de  Cl.  Blanc  et  Dauphin,  des  airs  d'Hérodiade  et  du 
Mage,  le  duo  de  Jean  de  Nivelle,  le  Baiser  de  Dubois,  Rêverie  de  Hahn,  Vous 
ne  m'avez  jamais  souri  de  Verdalle,  etc.,  etc. 

—  Très  intéressante  audition  du  cours  de  piano  de  M^'^Orth  et  Trètant. 
On  aparticulièrement  applaudi  les  œuvres  de  M.  Paul  Rougnon,  inspecteur 
du  cours,  entre  autres  Parmi  le  thym  «t  la  rosée,  et  aussi  la  Chaconne  de 
Théodore  Dubois,  Tziganyi,  de  Théodore  Lack,  et  l'Amour  s'en  mêle,  de 
Franz  Behr. 

—  La  Société  des  Concerts  populaires  de  Valenciennes  vient  d'inau- 
gurer, par  une  brillante  soirée,  la  série  des  séances  de  la  saison.  L'or- 
chestre, conduit  par  M.  Henri  Dupont,  s'est  ravivé  sous  son  bâton  éner- 
gique, et  l'exécution  de  divers  morceaux  a  été  excellente.  Deux  artistes  de 
valeur,  M""  Caroline  Brun,  des  concerts  Colonne,  dans  la  charmante 
mélodie  de  Théodore  Dubois,  Par  le  sentier,  et  M.  Léon  Pagnien,  profes- 
seur au  Conservatoire  de  Lille,  l'un  des  meilleurs  élèves  de  Marmontel, 
ont  obtenu  le  plus  vit  succès. 

—  Les  concerts  du  quatuor  vocal  (3°  année)  fondés  par  M'»"  MuUer 
de  la  Source,  18,  rue  de  Berlin,  ont  commencé  dimanche  dernier  et 
continueront  les  mercredi  20  janvier  (soirée),  dimanche  21  février  (ma- 
tinée), lundi  21  mars  (soirée),  à  la  salle  d'Horticulture,  8-i,  rue  de  Grenelle. 

—  La  Concordia  de  Mulhouse,  présidée  par  M.  G-luck  et  dirigée  par 
M.  J.  Ehrhart,  vient,  après  un  intervalle  de  vingt-trois  ans,  de  remettre 
à  la  scène  une  œuvre  lyrique  d'un  intérêt  tout  particulier  par  son  carac- 
tère éminemment  alsacien.  E  Firobe  im  e  Sundgauer  fVirthshûs  (Une  Soirée 
dans  une  auberge  du  Sundgau)  est,  en  effet,  une  œuvre  tout  alsacienne,  née 


de  la  collaboration  d'Auguste  Stoeber,  le  regretté  poète  mulhousien,  et  de 
Joseph  Heyberger,  professeur  au  Conservatoire  de  Paris,  ancien  directeur 
de  la  Concordia  mulhousienne.  M.  Heyberger  a  écrit  là  une  partition 
d'une  réelle  valeur  musicale.  Les  deux  actes  de  la  pièce  comprennent 
dix-neuf  numéros  de  musique,  indépendamment  de  l'ouverture,  savam- 
ment ordonnée.  La  réussite  a  été  complète.  A.  Oberdoeffer. 

—  MM.  Lavello,  pianiste,  Tagliapietra,  violoniste,  Bonifacio,  alto,  et 
Abbiate,  violoncelliste,  donneront  dans  la  petite  salle  Érard  six  séances 
de  musique  de  chambre,  spécialement  consacrées  à  l'audition  d'œuvres 
nouvelles  de  compositeurs  modernes.  La  première  séance  aura  lieu  en 
matinée,  le  lundi  4  janvier  1892. 

—  La  Société  lyonnaise  des  employés  de  la  soierie  a  célébré,  cette 
semaine,  sa  messe  annuelle  en  même  temps  que  ses  noces  d'argent.  La 
Messe  de  M"":  de  Grandval  a  été  jouée  pendant  la  cérémonie  et  a  produit 
très  grand  effet.  «  L'assistance,  sous  le  charme  de  cette  belle  musique  reli- 
gieuse, s'est  montrée  profondément  recueillie  »  dit  le  Nouvelliste  de  Lyon. 

—  Cette  semaine  a  eu  lieu,  au  Grand-Théâtre  de  Nantes,  la  première 
représentation  d'un  opéra-comique  inédit  en  un  acte  :  le  Maître  à  chanter, 
paroles  de  M.  Martin,  musique  de  M.  Wiskowski. 

—  A  l'audition  des  élèves  de  piano  des  cours  Fabre,  présidée  par 
M.  Victor  Dolmetsch,  on  a  fort  applaudi,  de  ce  compositeur,  Barcarolle  et 
Caprice,  ainsi  que  plusieurs  transcriptions  à  quatre  mains  de  M™^  Filliaux- 
Tiger  sur  des  œuvres  de  Massenet,  Nocturne,  Rigodon,  et  Rêverie  de  Colom- 
bine.  Sérénade  d'Arlequin  du  Roman  d'Arlequin. 

—  M.  Auguste  Mercadier  a  repris  ses  cours  du  lundi  (solfège,  harmonie, 
transposition,  accompagnement)  à  l'Institut  Evelard-Jammès,54,  Faubourg- 
Saint-Honoré.  Pour  leçons  particulières,  écrire  70,  rue  de  Rivoli. 

NÉCROLOGIE 

C'est  avec  un  vif,  profond  et  sincère  regret  que  nous  enregistrons  la 
mort  inattendue  et  prématurée  de  notre  excellent  confrère  Henri  de  La 
Pommeraye,  critique  théâtral  du  journal  Paris,  qu'une  pneumonie  infec- 
tieuse vient  d'enlever,  en  cinq  jours,  à  l'afi'ection  de  sa  femme  et  de  ses 
quatre  enfants,  et  de  tous  ceux  qui  l'ont  connu  et  qui  ont  été  à  même  d'ap- 
précier la  droiture  et  la  loyauté  de  son  caractère  ,  son  extrême  bonté 
et  la  sûreté  de  ses  relations.  Henri  de  La  Pommeraye,  qui  ne  fut  pas  seu- 
lement un, écrivain  de  talent  et  un  critique  toujours  courtois  et  bien  élevé, 
mais  aussi  un  homme  de  cœur  et  un  bon  patriote  (il  l'a  prouvé  pendant 
la  guerre),  avait  conquis  par  son  travail  une  haute  situation  et  des  plus 
honorables.  Orateur  distingué,  — il  était  avocat  —  il  fit  longtemps  des  con- 
férences fort  écoutées;  littérateur  pourvu  d'une  forte  et  solide  instruction, 
il  mérita  d'être  appelé  à  la  chaire  d'histoire  dramatique  au  Conservatoire, 
où  son  cours  était  très  suivi  ;  il  était,  par  surplus,  chef-adjoint  des  secré- 
taires-rédacteurs du  Sénat  et  président  de  l'Association  polytechnique,  à 
laquelle  il  rendit,  on  peut  le  dire,  d'éclatants  et  nombreux  services.  Tous 
ceux  qui  ont  pu  approcher  de  La  Pommeraye  le  regretteront  sincèrement, 
et  plus  que  tout  autre  le  vieux  camarade  qui  signe  ces  lignes  et  qui  lui 
rend  avec  douleur  ce  dernier  hommage,  qu'il  méritait  à  tous  les  titres. 

Arthur  Pougin. 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  prématurée  d'un  jeune  artiste 

qui  s'était  fait,  grâce  à  de  rares  facultés  et  à  un  travail  opiniâtre,  une 
position  particulièrement  honorable,  M.  Grandjany.  Après  avoir  fourni  au 
Conservatoire  une  carrière  scolaire  exceptionnellement  brillante,  M.  Grand- 
jany était  devenu  professeur  de  solfège  dans  cet  établissement,  en  même 
temps  qu'organiste  à  Saint-Vinoent-de-Paul  et  accompagnateur  à  l'Opéra- 
Comique.  Il  a  succombé,  avant  même  d'avoir  accompli  sa  trentième  année, 
aux  suites  d'une  terrible  maladie  de  poitrine  dont  il  était  atteint  depuis 
longtemps  déjà. 

—  Le  Brésil  réjnélicain  annonce  la  mort  accidentelle,  à  Rio-Janeiro,  d'un 
artiste  anversois,  M.  Jules  Lallemand,  frappé  par  une  balle  de  carabine 
Flobert,  dans  le  jardin  du  théâtre  de  l'Eldorado,  dont  il  était  le  chef  d'or- 
chestre. Ce  malheureux  coup  de  feu  a  été  tiré  accidentellement  par  son 
meilleur  ami,  M.  M....  qui  est  devenu  fou  après  cet  homicide  involontaire. 

ASavigliano,  pendant  un  intermède  chorégraphique,  entre  le  second 

et  le  troisième  acte  de  la  Sonnambula,  la  première  danseuse,  M°^=  Giusep- 
pina  Robbia,  frappée  d'un  malaise  subit,  dut  quitter  la  scène  et  se  retirer 
dans  les  coulisses,  où,  tombant  sans  connaissance,  elle  expira  au  bout  de- 
peu  d'instants.  On  comprend  sans  peine  l'impression  que  produisit  sur  la 
scène  et  dans  la  salle  un  tel  événement.  Le  public  évacua  immédiatement 
le  théâtre. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  chez  Schott,  70,  Faubourg-Saint-Hor.oré  : 

CL.  LORET.  —  Pièces  pour  orgue. 

1.  Marche  nuptiale;  2.  Marche  funèbre,  chaque,  net  :  2  francs. 

3.  Cantabile  ;  4.  Cansone,  chaque,  net  :  2  fr.  50  c. 

5.  Prière  ;  (i.  Andanle  religioso,  chaque,  net  :  1  fr.  30  c. 

7.  Scherzo- fanfare,  net  :  3  francs. 


PROFESSEUR  DE  HARPE,  dame,  ayant  appartenu  pendant  plusieurs 
années  à  l'un  des  premiers  orchestres  symphoniques  de  Paris,  accepterait 
des  élèves  dans  des  villes  à  proximité  de  Paris.  S'ad.  aux  bureaux  du  journal. 


410 


LE  MÉNESTUliL 


En  vente  :  Au  Ménestrel,  52  bis,  rue  Vivienue,  HEUGEL  et  C",  Editeurs. 


ETRENNES  MUSICALES  1892 

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LA    CHAl^SON    DES    JOUJOUX 

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Vingt  pktites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
Vn  volume  richement  relié  (dorure  sur  tranches}.  —  Prix  net:   10  francs. 


PAGES    ENFANTINES 


LES  SILHOUETTES 


LES    MINIATURES 


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POUR   PIANO   SUR   LES  ŒUVRES   EN   VOGUE 

(1.  inOlIAS,  ÏASSEJEI,  DEIIDES,  REVER,  COCMII,  BIZET,  VERDI,  elc.) 

PAR 

E.   rrA.-v.a.]Nr 


VINGT-CINQ    PETITES    FANTAISIES-TRANSCRIPTIONS  QUATBE-VINGTS  PETITES   TEANSCRIPrIONS   TRÈS   FACILES 

SUR     LES      OPÉHAS,      OPÉRETTES      ET      BALLETS  !  SUR   LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,    MÉLODIES   ET   DANSES   CÉLÈBRES, 

EN    VOGUE  !                                                     CLASSIQUES,   ETC., 

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Chaque  Tolomc,  édilioj  de  loie,  broche,  ueL  :  10  Ir.  ;  relié,  nel  :  15  Ir 


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ditioii  <le  [Die.   Lroctié, 


Th.  DUBOIS  —  Yingt  mélodies,  un  vol.  in-8°  broché,  net:  10  fr.;  relié,  net:  15  fr.  —  E.  PALADILHE  —  60  mélodies,  en  3  vol.  in-8°,  ch.  broché,  net:  10  fr.;  relié,  net:  15  fr. 
LÉO  DELIBES.  —  Mélodies,  un  volume  in-8%  broché,  net:  10  fr.  —  CÉSAR  GUI.  —  Vingt  Poésies  de  JEAN  RICHEPIN,  mis  en  musique.  Prix  net:  10  fr. 


LES  SOIRÉES  DE  PÉTERSBOUBG,  30  danses  choisies,  4'  volume.  -PH,   FAHRBACH.   -  LES  SOIRÉES  DE  LONDRES,  30  danses  choisies,  5«  volume  _ 

aOSEPH    GUNG'L.     —     Oélètores    aanses    en    5    volumes    in-S".    —    JOSEF-H    GUIVG'Ij 

Chaque  volume  broché,  net  :    10  francs  ;  richement  relié  :    15  francs 
STRAUSS   DE  PARIS,  célèbre  répertoire  des  Bals  de  l'Opéra,  2  volumes  brochés  in-8°.  Chaque,  prix  net  :  S  fr.  (Chaque  volume  contient  25 


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CEu.vr-es    célèlbres    transcrites    pour    piano,    soigneusement    aolgtées    et    accentuées    par 

aEORaES     BIZET 

1.    LES    MAITRES    FRANÇAIS  ?  2.  LES   MAITRES    ITALIENS  î        3.   LES    MAITRES    ALLEMANDS 

50  transcriptions  en  2  vol.  g''  in-4"  !  50  transcriptions  en  2  vol.  g''  in-4"  s  .50  4ranscriptions  en  2  vol.  g^  in-A" 

Ghiqia  vol.  broché,  net:  15  francs.  —  Relié  :  20  francs,  i  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  — Relié  :  20  francs,  l  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.—  Relié:  20  francs. 


F.    CHOPIN 

Œuvres  choisies,  en  5  volumes  in-S" 

Rroché,  net  :  30  fr.  Relié  :  50  fr. 

Même  édition,  reliée  en  3  volumes,   net  :  40  francs. 


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[ÎI®I  MAI 


BEETHOVEN 

Œuvres  choisies,   en  4  volumes   iu-8° 

Broché,  net  :  25  fr.  Relié  :  45  fr. 
édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 


"W.   MOZART 


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CLEMENTI 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  m-8° 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  i  volume,  net  :  20  francs. 


HAYDN 


Œuvres  choisies,   en  2  volumes   in-8" 
f  Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr.  . 

A     Môme   édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


HUMMEL 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-S" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :    20  francs. 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

(MIGNON,  HAMLET,  LAKMÉ,  MANON,  PAUL  ET  VIRGINIE,  SIGURD,  LE  ROI  D'YS,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTEE,  HÊRODIADE, 
FAUST,  CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  L'A  DIT,  SYLVIA,  COPPÉLIA,  LA  KORRIGANE,  CONTE  D'AVRIL,  CAVALLERIA 
RUSTICANA,  LE  MAGE,  ESCLARMONDE,  MARIE-MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LA  TEMPÊTE,  LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ, 
LE  GAID,  etc.,   etc.) 


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