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University of Toronto
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LE
MÉNESTREL
JOIJENAL
MONDE MUSICAL
MUSIQUE ET THÉATEES
57'^ ANNÉE — 1891
BUREAUX DU MÉNESTREL : S bis, RUE VIVIENNE, PARIS
HEUGEL et C", Éditeurs
TABLE
JOUEISrAL LE MÉNESTEEL
57" ANNÉE — 1891
TEXTE ET MUSIQUE ^"^''H^
X°I.
- i janvier 1891. — Pages 1 à 8.
I. Notes d'un librettiste : Victor Massé ( 34= article ),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale : Récapitula-
tion, H. MoRESo; première représentation de r06s(acfe,
au Gymnase , Paul - Emile Chevalier. — 111. Une
famille d'artistes: Les Saint - Aubin (4° article),
Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.'^
Clair de lune.
!%' 2.
11 janvier 1891. — Pages 9 à 16.
I. Notes d'un librettiste.- Victor lla.'ssé (35" article)'
Louis Gallet. — 11. Semaine théâtrale : A propos
d'une reprise de Pairie, II. Moreno. — III. Une
famille d'artisles: Les Saint-Aubin (5° article), Arthur
PouGiN. — IV. Nouvelles divtrses et nécrologie.
Chant. — CI. Blauc et Ei. Dauphin.
Les volants (la Chanson d£à Joujoux).
X" 3. — 18 janvier 1891. — Pages 17 à24.
I. La mort de Léo Delibes, Henri Heugel. — II. Se-
maine théâtrale : Courrier de Belgique, première
représentation de Siegfried, au Théâtre de la Jlonnaie,
Lucien SoLv.u; reprise des JauœBoiis/iommes, à rOdéon,
Paul-Émile Chevalier. — 111. Une famille d'artistes :
Les Saint-Aubin (6" article), Arthur Pougin. —
IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses et nécrologie.
BE Piano. — Antonin .^lai'montel.
A'° '1. — 25 janvier 1891. — Pages 25 à 32.
I. Les Obsèques de Léo Delibes, II. M. — II. Semaine
théâtrale : le nouveau cahier des charges de l'Opéra,
H. MoRENO ; veprise de l'Hôlet Gorfe?of, à la Renaissance,
premières représentations de les Cenei, au Théâtre
d'Art, et de Paris-Folies, aux Folies -Dramatiques,
Paul-É.uile Chevalier. — III. Courrier de Belgique,
Lucien Solvat. — IV. Académie des Beai;x-Arts :
Rapport sur les envois de Rome. — V. Revue des
Grands Concerts. — VI. Nouvelles diveTses et nécro-
logie.
Chant. — ■ Théoilore Dubois.
La terre i
sa robe blanche.
X° 5. — 1'=' février 1891. — Pages 33 à 40.
I. Notes d'un librettiste: Musique contemporaine
(36° article), Louis Gallet. — II. Semaine Iheâtrale:
Le centenaire d'Herold , H. M.; premières repré-
sentations de Tliermidor, à la Comédie-B'rançaise, de
Jeanne d'Arc, au Châtelet, et des Coulisses de Paris, aux
Nouveautés, Paul-Ejiile Chevalier. — III. Une fa-
mille d'artistes: Les Saint-Anbin (7" article), Arthur
Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts. —
V. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — liéon Roques.
Les Douze Femmes de Japhel, quadrille.
SI» G. — S février 1891. — Pages 41 à 48.
I. Notes d'un librettiste: Musique contemporaine
(37" et dernier article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Une première à Londres; Ivanhoé, opéra
de sir Arthur Sullivan, A. G. N. — III. Une famille
d'artistes: Les Saint-Aubin (8" article). Arthur Pou-
gin. — IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — II. Baltliasai'-Floi'eiicc.
Si l'amour prenait racine.
X'
15 février 1891. — Pages 49 à 56.
I. L\ Messe eu si mineur de J.-S. Bach (1" article),
Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : Critique fin
Ile siècle; les modes du langage. Oscar Cojiett.-int.
— III. Une famille d'artistes; Les Saint -Aubin
i9' article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Philippe Falirbach.
Nulle autre qu'elle, polka.
X» 8. — 22 février 1891. — Pages 57 à 6'(.
I. La Messe en si mineur do J.-S. Bach (2° article),
Julien Tiersot. — IL Semaine théâtrale: Les candi-
dats à la direction de l'Opéra, H. Moreno. — III. Une
famille d'artistes : Les Saint-Aubin (10° article), Arthur
Pougin. — IV. Reconstruction de l'Opéra-t^omique,
Ph. g. — V. Revue des Grands Concerts. — VI. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — CI. Blanc et L. Dauphin.
Muguets et Coquelicots (Rondes et chansons d'avril).
iA'° 9. — 1" mars 1691. — Pages 65 à 72.
I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (3" article),
Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale: Choses et
autres, II. Moreno ; premières représentations de les
Joies de la paternité, au Palais-Royal, de l'Heure du
berger et de l'Union libre, an Théâtie Moderne, Paul-
Ëmile CHEv,iLiER. — III. Une famille d'artistes : Les
Saint-Aubin (11° aiticle), Arthur Pougin. — IV. Un
curieux autographe d'Auber, J.-B. Weckerlin. —
V. Revue des Grands Concerts. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Paul Rouguon.
■Sous les tilleuls, valse alsacienne.
i\° 10. — 8 mars 1891. — Pages 73 à 80.
I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (4° article),
Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale: La retraite
de il. Paravey ; M. Carvalho, directeur de l'Opéra-
Comique, H. Moreno ; premières représentations de
Passionnément, à l'Odéon, Musotte, au Gymnase, la
Petite Poueette, à la Renaissance, Paris port de mer,
aux Variétés, et reprise de Camille Desmoidins, au
Châtelet, Paul - Emile Chevalier. — III. Une famille
d'artisles: Les Saint-Aubin (12" article), Arthur Pou-
gin.— IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diveises, concerts et nécrologie.
Chant. — II. Bnlthasar-Floreucc.
iVe 2>arle pasl
i\° 11. — 15 mars 1891. — Pages 81 à 88.
I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (5° et dernier
article). Julien Tiersot. — IL Semaine théâtrale :
Conte d'avril, à l'Odéon, H. Moreno; première repré-
sentation du Petit Savoyard, aux Nouveautés, et
reprise du Petit Poucet, à la Gaîté, Paul-Emile Cheva-
lier. — III. Une famille d'artistes: Les Saint- Aubin
(13= article), Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands
Concerts. — V. Nouvelles diverses , concerts et
nécrologie.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Plus heureux cfiun roi! polka.
IN'° 12. — 22 mars 1891. — Pages 89 à 96.
I. Histoire de la seconde salle Favart, 2" partie (1" ar-
ticle), Alrert Soubies et Ch.arles Malherre. —
II. Semaine théâtrale; Le Mage, H. Moreno; pre-
mière représentation de Mariage blanc, a. la Comédie-
Française, Paul-Emile Chevalier. — III. Une famille
d'artistes: Les Saint-Aubin (14= et dernier article),
Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Cl. Blanc et !■. Dauphin.
Bobotl'se marie (Rondes et chansons d'avril).
i\» 13. — 29 mars 1891. — Pages 97 à 104.
1. Histoire de la seconde salle Favart, 2« partie (2« ar-
ticle), Alrert Souries et Charles Malherre. —
II. Semaine théâtrale ; Néron, à l'Hippodrome, H.
M.; première représentation do l'Oncle Célestin, aux
Menus-Plaisirs, reprises de Coquin de printemps, aux
Nouveautés, et de la Boule, au Palais-Royal, Paul-
Emile Chevalier. — III. Napoléon dilettante (!«' ar-
ticle), Edsiond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Re-
vue des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses
concerts et nécrologie. '
Piano. — Tliéodore Eiack.
Chant d'avril.
X' 11. — 5 avril 1891. — Pages 105 à 112.
I. Histoire de la seconde salle Favart ( 3» article ) ,
Albert Souries et Charles Malherbe. — H. Bulletin
théâtral, H. M. — III. Napoléon dilettante (2» aplicle),
Edmond Neukomm et Paul n'EsTiiÉE. — IV. Revue
des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses et
concerts.
Ch.ant. — 1.CO Delibes.
Faut-il chanter ?... 1
X° 13. — 12 avril 1891. — Pages 113 à 120.
I. Histoire de la seconde salle Favart (4« article),
Albert Souries et Charles Malherre. — II. Semaine
théâtrale : Début de M"» Vuillaume, à l'Opéra-Comique ;
festival Delibes au Cercle de l'Union artistique ;
five o'clock du Figaro, H. Moreno; première repré-
sentation de Juaniia, aux Folies-Dramatiques, P.aul-
Emile Chevalier. — III. Napoléon dilettante (3« article) :
Napoléon et la musique italienne, Edmond Neukomm
et P.ALL d'Estrije. — IV. Revue des Glands Concerts.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Ch.-JI. IVidor.
Guitare (Conte d'avril).
;\° 16. — 19 avril 1891. — Pages 121 à 128.
I. Histoire de la seconde salle Favart (5« article),
Alrert Souries et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: première représentation des Folies amou-
reuses, à rOpéra-Comique, H. Moreno. — III. Napo-
léon dilettante (4« article), Edmond Neukomm et Paul
d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — liéo Delibes.
Le meilleur moment des amours.
X' n. — 26 avril 1891. — Pages 129 à 136.
I. Histoire de la seconde salle Favart (6» article!,
Alrert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
* théâtrale : La nouvelle direction de l'Opéra et son
état-major, H. Moreno. — III. Napoléon dilettanle
(5» article), Edmond Neukomm et P.iUL d'Estrée. —
IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Ch.-M. ^Tidor.
Romance (Conte d'avril).
iX° 18. — 3 mai 1891. — Pages 137 à 14i.
I. Hi -toire de la seconde salle Favait (7» article),
Albert Souries et Chaules Malherbe. — II. Bulletin
théâtral: Derniers projets de MM. Ritt et Gailhard,
H. M. ; première représentation d'.l moureuse, à l'Odéon',
Paul-Emile Chevalier. — III. Napoléon dilettante
(6« article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — CI. Blauc et Li. Dauphin.
Madame l'hirondelle (Rondes et chansons d'avril).
]\' 19. — 10 mai 1890. — Pages 145 à 152.
I. Histoire de la seconde salle Favart (8" article), Albert
Soubies et Charles .Malherbe. — IL Semaine théâ-
trale : la centième représentation de Lakmé, à l'Opéra-
Comique, H. Moreno ; première représentation de la
Famille Vénus, à la Renaissance, reprises du Parfum,
au Palais-Royal, et de Paris fin de siècle, au Gymnase,
Paul-Ehile Chevalier. — III. Napoléon dilettante
(7" article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. —
IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — Robert Fischhof.
Sérénade rococo.
X' 20. — 17 mai 1891. — Pages 153 à 160.
I. Histoire de la seconde salle Favart (9» article), Albert
Souries et Charles Malherre. — II. Bulletin théâtral,
H. Moreno ; première représentation de Grisélidis, à
la Comédie-Française, Paul-Emile Chev.alier. — ill.
La musique elle théâtre au Salon des Champs-Elysées
(1" article), Camille Le Senne. — IV. Napoléon di-
lettante (8" article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Ch.-B. Ijysberg^.
I^uisqu'ici-bas,
X' 21. — 24 mai 1891. — Pages 161 à 168.
I. Histoire de la seconde salle Favart (IC article), Albert
SoDBiEs et Charles Malherre. — II. Bulletin théâtral :
Reprise du Pelit Faust, à la Porte-Saint-Martin, H.
Moreno; le Cœur de Sita, à l'Eden, Paul-Emile Che-
valier. — III. La musique et le théâtre au Salon des
Champs-Elysées (2« article), Camille Le Senne. —
IV. Napoléon dilettante (9" arlicle), Edsiond Neukomm
et Paul d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Piano. — .Vntonin Marniontel.
Autrefois, musette.
X° 32. — 31 mai 1891. — Pages 164à 176.
I. Histoire de la seconde salle Favart (If article), Albert
Souries et Ch.arles Malherbe. — II. Semaine théâ-
trale : Une préface de Ludovic IIalévy à propos de
Georges Bizet. — III. Lu musique et le théâtre au
Salon des Champs-Elysées (3« article), C.4mille Le
Senne. — IV. Napoléon dilettante (10= article), Edmond
Neukomm et P.4ul d'Estrée. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Chant. — H. Balthasar-FIorence,
Berceuse.
X' 23. — 7 juin 1891. — Pages 177 à 184.
I. Histoire de la seconde salle Favart (12» article),
Albert Soubies et Chables Malherbe. — II. Semaine
théâtrale : L'Opéra à Trianon, Julien Tiersot ; ren-
trée de M"" Arnoldson à l'Opéra-Comique, H. M. ;
premières représentations du Rez-de-Chaussée et de
Rosalinde, h. la Comédie-Française, et do la Plantation
Thomassin, aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Che-
valier. — III. La musique et le théâtre au Salon
du Champ-de-Mars (1" article), Camille Le Senne.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Philippe Fahrbacii.
Battons le fer, polka.
A» 34. — 14 juin 1891. — Pages 185 à 192.
I. Histoire de la seconde salle Favart (13« article )>
Albert Souries et Charles Malherbe. — 11. Semaine
théâtrale: Israël en Egypte, oratorio d3 Hfendel, Julien
Tiersot. — m. La musique et le théâtre au Salon du
Champ-de-Mars (2« article), Camille LeSense. — IV.
Napoléon dilettante (11» article), Edmond Neuko.mm et
Paul d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Ch.-ïe. I/j'sberg.
La Captive,
TK' 35. — 21 juin 1891. — Pages 193 à 200.
1. Histoire de la seconde salle Favart (14° article),
Albert Soubies et Ch.arles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : première représentation à l'Opéra-Comique
du Rêve, drame lyrique de M. Bruneau, Arthur Pougin ;
première représentation de Tout Paris, au théâtre du
Châtelet, Paul-Émile-Chevalier. — III. Napoléon di-
lettante (12' ariicle). Edmond Neukohm et Paul d'Estrée.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et néorofogie.
Piano. — Kolicrt FiscUhof.;
M» 36. — 28 juin 1891. — Pages 201 à 208.
I. Histoire de la seconde salle Favart (15° article).
Alhebt Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Le banquet du Rêve, H. Moreno; premières
représentations des Aventures de M. Martin, à la Gaîté,
et des Héritiers Guichard, aux Variétés, Paul-Emile-
Chevalier. — III. Napoléon dilettante (13« article),
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Cl. Blanc et li. Dauphin.
Aux cerises prochaines (Roades et Chansons d'avril).
IV° 2î. — 5 juillet 1891. — Pages 209 à 216.
I. Histoire de la seconde salle Favart (16° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Louis Lacombe, Louis Gallet. — 111. Na-
poléon dilettante (14° article], Edmond Neukomm et
Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.
Réveil, allegretto scherzando.
i«» 38. — 12 juillet 1891. — Pages 217 à 22i.
I. Histoire de la seconde salle Favart (17° article),
Albert Souries et Charles Malherbe. — 11. Semaine
théâtraie : Un acte de vandalisme musical au xviir
siècle, H. de Curzon. — III. Napoléon dilettante (15°
article), Edmond Neuko.mii et Paul d'Estrée. — IV.
Nouvelles diverses, coucens et nécrologie.
Chant. — H Blaltîiasar-Fioi-ence.
Aimer!
iV° 29. — 19 juillet 1891. — Pages 225 â 232.
I. Histoire de la seconde salle Favart (18° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : Les représentations gratuites du 14 Juillet ;
débuts du barytonRenaud à l'Opérai première reçré-.
sentation de l'Article 331, à la Comédie-Française,"
Paul-Emile Chevalier. — III. Napoléon dilettante
(16° article), Edmond Neukohm et P.iUL d'Estrée. —
IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — 'B'héodore Lack.
Myosotis, romance sans paroles.
A" 30. — 26 juillet 1891. — Pages 233 à 2i0.
I. Histoire de la seconde salle Favart (19° article),
Albebt Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: A Bayreuth, Julien Tiersot. — III. Napoléon
dilettante (17° article), Edmond Neukomm et Paul
dEstrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et né-
crologie.
Chant. — J. Ilassenct.
Chant iouranien (le Mage).
]\° 31. — 2 aotit 1891. — Pages 241 à 248.
I. Histoire de la seconde salle Favart (20° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Bulletin
théâtral: Choses et autres, H. M.; reprise de Za
GoQuette, aux Folies-Dramatiques, Paul-E.mile Che-
valier. — III. Histoire anecdotique du Conservatoire
(l« article), André M.artinet. — IV. Nouvelles diver-
ses, concerts et nécrologie.
Piano. — J. .Wassenet.
Trois Airs de ballet (le Mage).
X' 33. — 9 août 1891. — Pages 249 à 256.
1. La Distribution des Prix au Conservatoire, Arthur
Pougin. — IL Semaine théâtrale : Tannhàuser h Bay-
reuth, Julien Tiersot ; reprise de Jeanne d'Are à
l'Hippodrome, Paul-Émile-Chev.u,ier. — III. Nouvel-
les diverses et nécrologie.
Ch.\.nt. — Alph. Ouvernoy.
Mélodie,
X' 33. — 10 aoiit 1891. — Pages 257 à 264.
I. Histoire de la seconde salle Favart (21« article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Bulletin
thMÙtral : Petites nouvelles de l'Opéra, Jules Ruelle;
reprise du Voyage en Suisse, aux Folies-Dramatiques,
Paul-Emile Chevalier. — III. Histoire anecdotique
du Conservatoire (2° article), André Martinet. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Ch. ]\eustedt*
Marie-Louise, gavotte.
;\° 34. — 23 août 1891. — Pages 265 à 272.
1. (Histoire de la seconde salle Favart (22° article),
Albert Soubies et Charles JIalherbe. — IL Semaine
théâtrale... espagnole, Arthur Pougin. — III. His-
toire anecdotique du Conservatoire (3° article), André
Martinet. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Charles Grisart.
Un baiser.
X' 35. — 30 août 1891. — Pages 273 à 280.
I. Histoire de la seconde salle Favart (23° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Notes sur la reprise de quelques instru-
ments anciens : la viole d'amour, Léon Pillaut. —
m. Histoire anecdotique du Conservatoire (4° arti-
cle), André Martinet. — IV. Nouvelles diverses et
nécrologie.
Piano. — Philippe Fahrbach.
L'Étudiant en goguette, marche.
.^"° 36. — 6 septembre 1891. — Pages 281 à 288.
L Histoire de la seconde salle Favart (24° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale : Une dynastie dansante, Arthur Pougin;
première représentation de Madame Agnès, au Gym-
nase, Paul- Emile Chevalier. — III. Histoire anec-
dotique du Conservatoire (5° article), André Mar-
tinet. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Paul Uougnon.
Pour vous !
K' 37. — 13 septembre 1891. — Pages 289 à 296.
I. Histoire de la seconde salle Favart (25° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — H. Semaine
théâtrale : Les Théâtres de Paris il y a cent ans,
Arthur Pougin; Carmen, à l'Opéra-Comique, Paul-
ÉMiLE Chevalier. — 111. Hisioire anecdotique du
Conservatoire ^6° article), André Martinet. — IV.
Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — \. Dolinefsch.
Gaillarde .
i\-o 3g. _ 20 septembre 1891. — Pages 297 à 304.
I. Histoire de la seconde salle Favart (26° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — 11. Semaine
théâtrale ; première représentation de Lohengrin, à
l'Opéra, Arthur Pougin; première représentation do
Compère Guilleri, aux Jlenus; Plaisirs; reprise de Cen-
drillon, au Châtelet, Paul-Émile Chevalier. — III.
Histoire anecdotique du Conservatoire (7° article),
André SIartinet. — IV. Nouvelles diverses et nécro-
Chant.
.foauni Perronnet.
Dell!
i\° 39. — 27 septembre 1891. — Pages 305 à 312.
l. ITistoire de la seconde salle Favart (27° article),
Albert Souries et Cdarles Malherre. — II. Semaine
théâtrale : Premières représentations de^ l'Herbager, à
l'Odéon, des Marionnettes de l'Année, à la Renais-
sance, du Mitron. -dixa Folies - Dramatiques, et de
un, rue Pigalle, au Palais-Royal, Paul-Émile Che-
valier. — III. Histoire anecdotique du Conservatoire
(8° article), André M.vrtinet. — IV. Nouvelles di-
verses et nécrologie.
Piano. — Ed. Broustet.
Trieotets.
.V 40. — 4 octobre 1891. — Pages 313 à 320.
1. Histoire de la seconde salle Favart (28° article),
Alrert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : LoMngrin devant le public parisien, H.
MoBENO ; reprises de Numa Raumestan, au Gymnase,
de la Cigale, aux Variétés, et du Voyage de Suzette,
à la Gailé, Paul-Ëmile Chevalier. — III. Histoire
anecdotique du Conservatoire (9° article), André Mar-
tinet. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Ed. Chava^nat.
Papillon.
X' 41. — 11 octobre 1891. — Pages 321 à 328.
I. Histoire de la seconde salle Favart (29° article),
Albert Soubies et Charles Malhebbe. — IL Semaine
théâtrale : .A propos de Manon, li. M.; premières repré-
sentations de la Mer, à l'Odéon, et de VAmi de la mai-
son,'a. la Comédie-Française, Paul-Ëmile Chevalier. —
111. Histoire anecdotique du Conservatoire (10° arti-
cle), André Martinet. — IV. Nouvelles diverses et
nécrologie.
Piano. — Paul Rougnon.
Parmi le thym et la rosée, idylle.
i«° 43, — 18 octobre 1891. — Pages 329 à 336.
I. Histoire de la seconde salle Favart (30° article),
Albert Soubies et Ciiarles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : Reprise de Manon , à l'Opéra-Comique,
Arthur Pougin; reprise de Kean, à l'Odéon, Paul-
Emile Chevalier. — III. Histoire anecdotique du Con-
servatoire (11" article), André Martinet. — IV. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Ch.anï. — Robert Fischhof.
Aa rossignol.
IX' 43. — 25 octobre 1891. — Pages 337 à 344.,
I. Histoire de la seconde salle Favart (31° article),
Albert Souries et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Scaramouche, ballet de MM. André Messa-
ger et Georges Street; réouverture du Casino de Paris,
Paul-Emile Chev.alier. — III. Histoire anecdotique
du Conservatoire (12° article), André Martinet. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Robert Fischhof.
Carillon, petite pièce.
\'° 44. — 1" novembre 1891. — Pages 345 à 352.
I. Histoire de la seconde salle Favart (32° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale: A propos du centenaire de Meyerbeer,
Arthur Pougin ; première représentation de le Coq,
aux Menus-Plaisirs, Paul-Émile Chevalier. — 111.
Histoire anecdotique du Conservatoire (13° article),
André Martinet. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Chant. — J. Slassenet.
Beaux yeux que j'aime.
X' 45.-8 novembre 1891. — Pages 353 à 360.
I. Histoire de la seconde salle Favart (33° article),
Alrert Souries et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : Premières représentations de Norah la
dompteuse, aux Nouveautés, de la Fille de Fanchon
la Vielleuse, aux Folies-Dramatiques, du Collier de
saphirs, au Nouveau-Théâtre, et de Mon Oncle Bar-
hassoii, au Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III.
Histoire anecdotique du Conservatoire (14° article),
André Martinet. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Piano. — Antonin Marnioutel.
Par les bois, scherzo.
IV° 46. — 15 novembre 1891. — Pages 361 à 368.
I. Histoire de la seconde salle Favart (34° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale : La subvention de l'Opéra; le centenaire
de Meyerbeer, H. Moreno. — 111. Histoire anecd■^-
tique du Conservatoire (15° article), .André Martinet.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — tV. Faure.
Regarde-toi !
X' 4Ï. — 22 novembre 1891. — Pages 369 à 376.
I. Histoire de la seconde salle Favart (35° article),
Albert Souries et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale : premières représentations de la Mégère
apprivoisée, à la Comédie-Française, de Pinces / aux
Variétés, de Monsieur l'Abbé, au Palais-Royal, et re-
prise de Coquard et Bieoquet, aux Nouveautés, Paul-
Emile Chev.\lier. — 111. Musique de table : Chez les
anciens (1°° article), Edmond Neukomm et Paul d'Es-
trée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Pl.lNO. — Paul Wachs.
Sur le pont d'Avignon, fantaisie.
X° 48.-29 novembre 1891. — Pages 377 à 384.
I. Histoire de la seconde salle Favart (36° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: le centenaire de M. Ritt, H. Moreno;
premières représentations de Voyages dans Paris, à
la Porte-Saint-Martin , et de Mademoiselle Asnjodée, à
la Renaissance, reprise de Michel Strogo/f, au Châ-
telet, Paul-É-mile Chevalier. — III. Musique de table :
Chez les anciens (2° article), Edmond Neuko.mm et
Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et uéorologie.
Chant. — Raoul Pugno.
Fabliau (Mon Oncle Barbassou).
A° 49. — G décembre 1891. — Pages 385 à 392.
I. La musique et ses représentants (1°^ article), Antoine
RoBi.NSTEiN.— IL Bulletin théâtral, H. M. — III. Mu-
sique de table : En Orient (3° article), Edmond Neu-
komm et Paul d'Estrée. — " IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.
Danse des Nymphes,
X' 50. — 13 décembre 1891. — Pages 393 à 400.
I. La musique et ses représentants (2° article), Antoine
Rubinstein. — II. Bulletin théâtral, H. Moreno; pre-
mière représentation de Que d^eaul que d'eau! aux
Menus-Plaisirs, Paul-Ëmile Chevalier. — III. Mu-
sique de taille : En Orient (4° article), Edmond Neu-
komm et Paul d'Estrée. — IV. Revue des Grands Con-
certs. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Chant. — «B. llassenet.
Le Poète et le Fantôme.
X' 51. — 20 décembre 1891. — Pages 401 à 408.
I. La musique et ses représentants (3° article), Antoine
Rubinstein. — IL Bulletin théâtral, H. M. ; première
représentation de la Vertu de Lolotte, aux Nouveautés,
Paul-Émile Chevalier. — 111. Musique de lable : En
Orient (5° article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
— IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. Théodore Ijack.
Danse slave.
.\"° 52. — 27 décembre 1891. — Pages 409 à 416.
I. La musique et ses représentants (4° article), Antoine
Rubinstein. — IL Bulletin théâtral, H. Moreno ;
primiëie représentation de l'Enfant Jésus, s.afbéi.tie
d'Application, P.aul-Emile Chevalier. — III. Musique
de table: Autour du Monde (6° article), Edmond Neu-
komm et P.\UL d'Estrées. — IV. Revue des Grands
Conceris. —V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Chant. — Cl. Blanc et 1,. Dauphin.
ics Crécelles (la Chanson des Joujoux).
Ciuqiiaiite-liultlèm.o année d© pntolicatlon
PRIMES 1892 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concwts, des Notices biographiques et Études sur
les "-rands compositeurs et leiirs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Uiant et du Piano par nos premiers professeurs,
'^ des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
oubliant en dehors du texte, chaque: dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CHASII' ou pour le PIASiO, de moyenne difficullé, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHAXT et PIAIVO.
PIANO
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'un des volumes in-S" suivants
J, MASSENET
LE MAGE
OPÉRA EN 5 ACTES
Partition pînuo solo
CH. M, WIDOR
CONTE D'AVRIL
Sur le Poème d'A. DORCHAIN
parlilion iil-8°
L, GASTINEL
LE RÊVE
BALLET EN 2 ACTES
Partition piauo solo
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OU à l'un des volumes m-8° des CLASSIQUES-MARMONTEL: MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à l'un des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduclion des manuscrits autographes des principaux pianistes - compositeurs, ou a l'un des volumes du répertoire de
STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne.
CHANT
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
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FMclie reliure avec fer-s de JULES CHÉRET
NOTA IMPORTANT. — Ce» primes sont délivrées ?raluitcmeiit dans nos bnreaui, a bis, rue ViTieuue, à partir du 1" Jauvier 1892, à tout aucien
ou nouTel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au MEAESTKEJL pour l'année 1S93. Joindre au prix d'abonnement uu
supplément d'CSI ou de OEUX francs pour l'envoi franco de 1» prime simple ou double dans les départements. (l*our l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
LesabonnésauChail peureul prendre la prime Piano el yice yersa.- Ceux au Piano el au Clianl réunis odI seuls droit à la grande Prime.- Les abonnés au texlc seul n'onl droil à aucune prime .
CHANT CONDITIONS D'ABONNEIÏIENT AU « MÉNESTREL - PIANO
2" tjoded'aboniiement: Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de piano:
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine ; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an ; 20 francs; Étranger : l'rais de poste en sus.
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dinianclies ; 26 morceaux de chant :
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3" Mode d'abonnemenl contenant le Texte complet, 52 morceaux de cliant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime. — Uu au : 30 francs Paris
et Province; Étrauger ; Poste en sus. — On souscrit le 1" de cliaquejuois. — Les 52 uuméros de chaque année forment collection. ' '
4° Mode. Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
3H8 — ST"' AME — r i.
Dimaiielie i Janvier I89i'.
PARATT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Hemii HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 Ir.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 Ir., Paris et Provmce. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
. Notes d'un librettiste : Victor liasse (34° article), Louis Gallet. — II. Senaaine
théâtrale : Récapitulation, H. Moreso; première représentation de l'Obstacle, au
Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III. Une famille d'artistes : Les Saint-
Aubin (4° article), Arthur Pougix. — IV. Revue des Grands Concerts. —
V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CLAIR DE LUNE
de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : Au matin, d'AxiONix
Marmomel.
CHANT
Nous publierons dimanche procliain, pour nos abonnés à la musique
de chant: les Volants, n" IS de la Chanson des Joujoux, poésies de Jules
Joi'Y, musique de Claudius Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra immé-
diatement : La li'rre a mis sa robe blanche, nouvelle mélodie de Théodore
Dubois, poésie de J. Bertheroy.
IX
Dans r impossibilité de répondre à l'obligeant envoi de toutes les cartes
de nouvelle année qui nous parviennent au Ménestrel, de France et de
l'Étranger, nous venons prier nos lecteurs, amis et correspondants, de
vouloir bien considérer cet avis comme la carte du Directeur et des Colla-
borateurs semainiers du Ménestrel.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
VICTOR MASSÉ
Gomme je songeais à tant de travail perdu, à tant de peines
endurées pour un résultat absolument négatif, un désir m'a
pris de savoir de quelle façon cette partition des Saisons
était née et aussi de. connaître le procédé du compositeur,
sa manière d'être à l'égard de ses collaborateurs.
Mes questions posées à celui qui pouvait le mieux y ré-
pondre, ayant vécu dans l'inlimité laborieuse de Victor Massé,
ont fait écrire à Jules Barbier une lettre dont je retiens
presque tout le texte au profit de ces notes.
« Les renseignements originaux me font détaut, dit-il,
j'en avais quelques-uns sans doute, mais la guerre en a
tapissé les allées de mon jardin d'Aulnay, ainsi que de tous
mes autres papiers et mmuscrits antérieurs à 1870. C'est
donc à ma mémoire seulement que je puis m'adresser.
..En ce qui regarde les Saisons, peu ou point de détails
d'un intérêt paiticulier. La genèse en est très simple. M. Per-
rin, après le succès de Galatée et des Noces de Jeannette, jugea
à propos de nous demander trois actes. François le Champi
et Claudie venaient d'installer la paysannerie au théâtre;
nous crûmes le moment favorable pour la transporter à
rOpéra-Gomique. La vérité de nos paysans (vérité relative,
car, depuis, on a confondu la vérité dramatique avec la
grossièreté et la platitude) fut, en ce temps-là, une har-
diesse qui n'agréa qu'à moitié au public enrubanné de la
salle Favart; on reprocha à M. Perrin et aux auteurs leurs
sabots bourrés de paille, et la pièce, malgré l'estime dont
elle fut entourée, n'atteignit que trente-huit représentations.
» Quel effet produirait-elle aujourd'hui? Je l'ignore et
j'avoue que je serais curieux de le savoir. Ce qui paraissait
jadis si hardi semblerait maintenant peut-être vieillot et
démodé. Pourtant il y avait, en dehors des formules, une
telle sève de mélodie, de tendresse et de passion dans la
partition de Massé que je serais bien étonné qu'elle ne pro-
duisit pas une impression très vive, en dépit de toutes les
tendances et de tous les partis pris...
» D'ailleurs, Massé a passé les derniers mois de sa vie à
rajeunir son œuvre et à l'habiller de neuf. Il lui a fait comme
une armature d'harmonie et d'instrumentation nouvelle.
Sept cents pages d'orchestre, tel a été le suprême effort de
ce cerveau, dont la mort seule a arrêté le travail.
» En étudiant les Saisons, on serait bien étonné d'y découvrir
au milieu des formules consacrées d'autrefois, quantité de
recherches et de nouveautés dont les successeurs de Massé
s'attribuèrent l'initiative et recueillirent l'honneur. Depuis
ses Chants d'autrefois, que nul n'a dépassés, il fut véritable-
ment un précurseur.
» Sauf à revenir ensuite sur son travail pour en parfaire
les contours, Massé composait de premier jet; tout lui venait
de i'àme; la muse chantait en lui; son cœur était un clavier
dont il jouait; pas de formes préconçues, rien que l'impres-
sion qu'il recevait de son poème et qu'il communiquait à
son auditeur. C'était un vrai musicien et non un algébriste ;
quand le fameux inotif conducteur, que les autres croient avoir
inventé, venait sous sa plume, ce n'était pas le résultat d'une
combinaison mathématique, mais celui d'une inspiration na-
turelle, commune à tous les musiciens dignes d'écrire pour
le théâtre.
» Quant à demander des changements à son librettiste,
jamais!... C'est là une habitude prise par les musiciens qui
aiment à faire le métier des autres, au lieu de faire le leur,
et qui, naturellement, le font mal. Un compositeur qui refait
les rythmes de son poète a neuf chances sur dix de se
tromper. 11 fait ce qu'il veut, mais ce qu'il veut est mauvais.
LE MENESTREL
Sua cuiqiii'. Jamais Ambroise Thomas ni Gounod n'ont asservi
le vers à la musique; c'est la musique qu'ils ont asservie au
vers; ainsi faisait Massé. »
En lisant ces réflexions de Jules Barbier, je me suis dit
pour la centième fois peut-être, qu'un article serait bien
intéressant à écrire, ayant pour objet le sens littéraire chez
les musiciens. Que de curieuses constatations à faire en
feuilletfint les partitions publiées depuis Gluck, par exemple,
touchant la façon dont les divers compositeurs dont s'honore
notre théâtre ont manipulé la matière musicale !
Pour un qui a le respect de la forme pure, combien la
tordent et la défigurent comme à plaisir !
Cet article, je me risquerai peut-être à l'écrire un jour, en
l'appuyant de quelques exemples, ce qui ne sera pas la partie
la moins épineuse de la tâche.
En attendant, j'ai consigné dans mon petit dictionnaire de
poche, en m'inspirant d'une règle à laquelle il est heureu-
sement d'agréables exceptions, la définition que voici :
Poème Lyrique. — Ouvrage en vers que l'on confie à un
musicien pour qu'il en fasse de la prose.
Je ne sais rien de la genèse de Paul et Virginie qui mit un
consolant rayon sur cette carrière à son déclin. J'ai mieux
connu ce qui se rapporte à une Nuit de Cléopâtre, à laquelle
Victor Massé travailla jusqu'à sa dernière heure pour ainsi
dire et qui lui apporta au milieu de ses souffrances le récon-
fort et l'apaisement.
L'ouvrage inspiré de quelques pages datant de la jeunesse
de Théophile Gautier était formellement destiné à l'Opéra.
Mais Vaucorbeil avait Aïda. — Il l'avait du moins pour pré-
texte.
Il ne devait être joué qu'à l'Opéra-Comique et après la
mort du musicien. Une campagne avait été vainement entre-
prise de son vivant pour le faire arriver au théâtre.
« Dans tout ceci, avait-il écrit précédemment, à propos des
Saisons, je trouve le guignon qui me poursuit depuis quelque
temps. »
Le même guignon semblait s'attacher à sa dernière œuvre ;
mais s'il lui enlevait ses espérances, il ne pouvait entamer
sa foi et c'était toujours du même cœur ardent qu'il tra-
vaillait !
Dans ses lettres de cette époque, les deux partitions ont
une part presque égale. Il mène de front la revision de l'une,
la création de l'autre.
« Félicitons-nous, écrit-il encore à son éditeur, félicitons-
nous de votre décision à propos de notre ouvrage aimé les
Saisons. J'approuve complètement vos idées concernant l'ins-
trumentation, seulement la grande partition devant me servir
pour édifier la partition piano et chant, je ne vous remettrai
l'une que lorsque l'autre sera terminée.
» Pour aller plus vite et vu les difBcultés, je désire faire
moi-même cette réduction au piano.... Je vais attaquer l'ou-
verture nouvelle le plus tôt possible
» J'approuve complètement vos idées sur la campagne de
Cléopâtre. Bravo ! Il n'y aura donc pas qu'Heugel qui s'occu-
pera de ses compositeurs !
» Seulement, une observation importante : Ne mêlez
jamais les questions de santé aux questions artistiques; l'art
doit toujours être sain et bien portant. Henri Heine était
paralytique et pourtant il faisait des livres charmants ! Qui
est-ce qui connaissait ces deux faits si dissemblables? »
Ce souci des questions de santé n'est pas ici marqué pour
la première fois, s'alliant à cette coquetterie ou pour mieux
dire à cette dignité de l'artiste qui ne veut pas que son corps
endolori compte pour quelque chose devant la vigueur juvé-
nile de son esprit.
Je le retrouve encore dans une autre lettre :
« Je suis très sensible à votre préoccupation affectueuse
sur l'état de ma santé. Certes, je ne vais pas bien, mais je
peux vivre encore cent ans avec ma névrose, et cela pour
faire enrager mes confrères. »
Evidemment, on l'agace, on l'énervé, en lui parlant tou-
jours de son état; il voudrait qu'on ne lui parlât que de son
art, de cet idéal qu'aucune faiblesse n'altère et qui est le
souverain bien, le seul désormais dont il jouisse purement.
Et alors il s'échappe en une boutade comme celle que je
viens de transcrire. Frappé du même mal qu'Henri Heine
dont il admirait la double vertu, il devait, comme lui, garder
jusqu'à la fin l'indépendance de sa pensée.
(A suivre.) Louis Gallet,
SEMAINE THEATRALE
RÉCAPITULATION
C'est l'heure où il convient de jeter un coup d'œil rapide sur
l'année musicale qui vient de s'écouler et d'y chercher ce qui a pu
se produire d'intéressant dans nos théâtres lyriques. Ce n'est pas
une année grasse, tant s'en faut.
A rOpÉRA, c'est Ascanio qui se présente tout d'abord. On peut y
trouver l'intérêt qui s'attache naturellement aux œuvres d'un musi-
cien aussi remarquable que M. Saint-Saëns, mais, à tout prendre,
c'est une partition d'une inspiration vraiment trop discrète, avec de
fort jolis détails cependant. On ne peut la mettre, croyons-nous, ni
à côté d'Henri VIII, qui lui reste supérieur, ni à côté de Samson et
Dalila, que nous retrouverons plus tard au Théâtre-Lyrique.
Après Ascanio est venue l'œuvre méritoire d'un débutant à la scène,
Zaï)'e, de M. Véronge de la Nux. On a été généralement beaucoup
trop sévère pour ces deux actes, qui dénotent chez leur auteur
d'excellentes qualités. Il y avait là souvent d'heureuses idées bien
mises en œuvre et un coloris charmant.
Il n'est pas besoin de rappeler avec quel mauvais vouloir MM. Ritt
et Gailhard se sont décidés, forcés par la presse et l'opinion, à re-
présenter ces deux opéras. On sait tous les chagrins que les directeurs
ont causés à M. Saint-Saëns, qui s'en est enfui jusqu'aux îles Cana-
ries, on sait la pression qu'ils ont voulu exercer sur M. Véronge de la
Nux pour lui faire signer des papiers compromettants, on sait les
amendes qu'ils ont encourues à ce propos de la Société des auteurs
pour avoir manqué à leurs engagements. Toutes ces tristes his-
toires sont étalées au long dans les colonnes du Ménestrel et il n'est
pas besoin d'y revenir à nouveau.
En revanche, M. Ritt a représenté avec une véritable joie un ballet
de son vieil ami Gastinel, qui doit être un compositeur selon son
goût. On a vu le Rêve, et l'œuvre a paru assez anodine.
Le fait le plus intéressant de la saison à l'Opéra reste la reprise
de Sigurd, — un ouvrage que les directeurs paraissaient trop dé-
daigner,— avec la rentrée de M"" Garon, sa remarquable interprète.
Inutile d'ajouter que c'est encore à leur corps défendant que celte re-
prise et cette rentrée ont été faites. Il a fallu que la presse se mette
de la partie et réclame chaque jour l'une et l'autre pour amener
MM. Ritt et Gailhard à composition. Aujourd'hui Sigurd fait des
recettes ; ils doivent en être bien marris l'un et l'autre.
Le soulèvement d'ailleurs a été général, cette année, contre cette
funeste direction. Non seulement la presse a donné avec ensemble,
mais les Chambres elles-mêmes se sont émues. La subvention n'a été
maintenue qu'à une très faible majorité, et encore sous l'espèce de
promesse qu'a faite le ministre que prompte justice serait faite des
deux maltôtiers, qui n'ont songé à faire de l'art musical qu'une
marchandise vulgaire. Cette promesse sera-t-elle tenue ? Ce serait
la plus belle étrenne qu'on puisse donner aux musiciens en cette
année 1891, qui serait vraiment « de grâce », si elle nous débar-
rassait de MM. Ritt et Gailhard.
Les choses ont-elles été beaucoup mieux à I'Opéra-Comique ? Ma
foi, non ! Il y a là encore une curieuse direction, dont il est diffi-
cile de pénétrer les mystères. Quels sont les fils qui la font agir?
Nous ne voulons pas trop les démêler, mais, ce qu'il y a de
certain, c'est que le souci de bien faire parait fort indifférent à
M. Paravey. Est-ce faiblesse ? Est-ce pure bonté d'âme? Toujours
est-il qu'il donne volontiers sa parole aux premiers venus mais
LE MENESTREL
la retire aussi volontiers. Les bonnes âmes, qui ne manquent
jamais en ce monde, disent qu'il a pour cela d'excellentes raisons,
des raisons très sonnantes. Nous ne voulons rien en croire, car s'il
en était ainsi, il n'est pas douteu.\ que la direction des beaux-
arts.
Qui sait tout.
Qui voit tout,
s'empresserait d'économiser la subvention de 240.000 francs qui
est attribuée à l'Opéra-Comique. puisqu'elle se trouverait, en fait,
avanta sensément remplacée par les subventions particulières que
M. Paravey s'allouerait sur le dos de ses compositeurs favoris. Il
n'en est donc rien assurément, et la conscience si pure du directeur
doit être lavée de tout reprocbe de ce genre.
Au surplus, il est bien clair que ce ne sont ni M. Benjamin
.Godard, ni M. Eugène Diaz, auteurs de Dante et de Benvenuto Cellini,
dont on pourrait suspecter la bourse. Pour ceux-ci tout au moins,
il est hors de doute que M. Paravey a dû marcher franchement, et,
s'il s'est trompé lourdement dans le choix qu'il a fait de ces deux
ouvrages, c'est à son goût seul qu'il faut s'en prendre.
Qu'avons-nous eu avec ces deux partitions d'ambitieuse envergure?
Une toute petite opérette, la Basoche de M. André Messager, habile
musicien sans grande originalité, qui réussira par cela même à une
époque où l'on n'aime guère les idées nouvelles. Gela n'a été
qu'un feu de joie, mais la joie et le feu y étaient. C'était déjà quelque
chose.
Quoi encore? Colomhine! Jetons un voile sur cette gentille personne,
que les auteurs avaient faite bien maussade.
Pour finir l'année, le trente et un décembre tout au juste, le
sémillant directeur s'est avisé de représenter l'Amour vengé de
M. de Maupeou, un prix Crescent qui attendait son tour depuis vingt
mois, bien que ces sortes "de prix apportent avec eux une subvention
légitime de dix mille francs. Ce dédain de la forte somme prouve
surabondamment que M. Paravey est un directeur heureux, qui ne
court pas après l'argent.
Nous ne donnerons pas une longue analyse de l'Amour venrié. Ju-
piter a condamné l'amour à rester enchaîné pour quelques méfaits
de sa façon ; l'amour se venge eu rendant Jupiter amoureux de la
jeune Anlhiope qui le dédaigne. Cette histoire est fort simple et
pourtant elle ne comporte pas moins de deux actes développés. C'est
vous dire assez que l'auteur du livret, M. Auge de Lassus, a le vers
facile. Il y met même de l'esprit comptant parfois. Mais quoi? Ces
sujets mythologiques sont toujours diablement langoureux et, depuis
la Belle Hélène, on ne peut plus supporter qu'ils soient traités sérieu-
sement.
Le, compositeur, M. de Maupeou, est assurément un gentilhomme
fort adroit, et il sait ce métier de musicien autant qu'homme du
monde. Il y a du faire dans sa partition et même de la maturité.
■Cela tient plus malheureusement du pastiche et de la manière des
maîtres en vogue que d'une œuvre vraiment originale et personnelle.
Enfin on y trouve le plaisir de se retrouver en pays de connais-
sances ; pas de surprises, il est vrai, mais non plus pas d'équi-
voque.
M"<^' Chevalier et Bernaert, MM. Fugère et Carhonne se sont char-
gés de présenter au public cet aimable badinage et ils l'ont fait
très agréablement.
Voilà le bilan de l'Opéra-Comique pour cette année 1890. Ajou-
tons-y une intéressante reprise de Dimilri; après quoi il faut tirer
l'échelle et passer au
Théâtre-Lyrique. Car nous avons eu une nouvelle tentative de
résurrection de cette scène utile, si vainement réclamée par tous
ceux qui s'intéressent aux choses de la musique. Il n'a fait que
passer encore une fois, mais non sans jeter quelque éclat, puis-
qu'il nous a donné la seule œuvre vraiment intéressante de l'année :
SamsoH et Dalila, de M. Saint-Saëns. Nous avons eu déjà l'occasion
de dire tout le bien que nous en pensions. Mais quoi ? Pour les
lendemains, M. Verdhurt, — c'est le nom de l'audacieux directeur
qui tenta cette entreprise — M. Verdhurt eut l'idée fâcheuse d'aller
repêcher une partition tombée et justement oubliée de Georges Bizet.
Il pensait ce nom tout magique auprès des spectateurs qui dressent
en ce moment des statues à l'auteur de Carmen. Mais il n'y a aucune
espèce de rapport entre cette œuvre si colorée et si vivante et la
Jolie Fille de Perth, si pâle et si languissante.
Il fallut bientôt fermer les portes et nous voilà encore sans
Théâtre-Lyrique.
Quoi encore? Une très curieuse exhibition musicale... à l'Hippo-
OROME avec la Jeanne d'Arc de M. Widor : de la musique équestre
brossée à grands coups de pinceau. La tentative a réussi et va
être continuée avec un Néron dû à M. Edouard Lalo. On voit que
les directeurs de l'Hippodrome s'adressent à des compositeurs mar-
quants et que leur initiative est digne de toute attention.
Parlerons-nous de la fameuse Société des grandes auditions musicales
de France qui devait tout casser et dont on n'entend déjà plus
parler? Elle nous a donné la joie inefifable d'écouter Béatrice et Bé-
nédict de Berlioz, en quoi elle a fait montre peut-être de quelque
imprudence. Si on prétendjouer trop souvent du Berlioz, si on entend
le prodiguer à tout propos, on ne tardera pas à lui faire perdre de son
prestige. Elles sont rares, les œuvres vraiment complètes de ce
génie très inégal, qui ne procédait guère que par soubresauts d'ins-
piration pour retomber bientôt dans l'ordinaire marécage des idées
courantes et banales. On l'a vu dans Béatrice et Bénédict; on le
verra dans d'autres œuvres encore, si l'on n'agit pas à leur égard
avec la plus grande circonspection. Nous avons un grand musicien;
soyons ménagers de sa gloire et ne la compromettons pas en de
folles aventures.
H. MORENO.
Gymnase : L'Obstacle, pièce en quatre actes de M. Alphonse Daudet.
L'atavisme est fort à l'ordre du jour à notre époque nourrie de
scepticisme et d'indéniable indifférence, et les médecins ne sont
point les seuls à s'être préoccupés des maladies héréditaires. Le
roman d'abord s'est emparé de ces cas de pathologie générale, le
théâtre est venu ensuite, s'essayant à des œuvres nées aux pays
froids où l'individu, victime du climat et d'une civilisation moins
hâtive que la nôtre, semble plus tenir de l'animal inconscient que
de l'être doué d'une volonté et d'une force pensante. De ces études
découlaient forcément des idées qui n'étaient pas sans entraîner
après elles comme une sorte de démoralisation des masses à qui
l'on enseignait que, dans la vie, lutter contre la fatalité est chose
impossible.
C'est contre de telles théories que M. Alphonse Daudet a voulu
s'élever en écrivant l'Obstacle, que le Gymnase a représenté l'autre
samedi. Et, de fait, la nouvelle pièce du renommé romancier est
toute spiritualiste. Didier d'Alein est fiancé à M"« Madeleine de
Remondy, orpheline mineure confiée à la garde d'un jeune tuteur,
M. de Castillan. Ce M. de Castillan aime sa pupille et refuse son
consentement au mariage, donnant comme prétexte que le père de
Didier est mort fou après plusieurs années d'une existence horrible
et pour lui-même et pour les siens. En vain, M""" d'Alein, aidée du
vieux professeur de son fils, Horuus, affirme que la folie de son
mari ne s'est déclarée que deux années après la naissance de l'en-
fant, M. de Castillan reste inébranlable et Madeleine entrera au
couvent jusqu'à sa majorité. Tout ce que peut obtenir la pauvre
mère, c'est que l'on cache à son fils le vrai motif du refus. Mais
Didier ne peut pas adm.eltre que sa fiancée lui ait ainsi, sans
raison, enlevé son amour; c'est de sa bouche -même qu'il veut s'en-
tendre dire qu'il n'est plus aimé et il se fait introduire au couvent,
où Madeleine, stylée et surtout effrayée par son tuteur, avoue qu'elle
ne veut plus se marier. Didier, dans un moment de colère insulte
M. de Castillan, qui, refusant sa provocation, lui dévoile la vérité.
Le jeune homme alors se retire à la campagne et cherche à pénétrer
le terrible secret de l'hérédité. Sa mère, qui devine ou croit deviner
les pensers de son fils, veut absolument l'arracher à l'idée fixe dont
elle le sent possédé et, par un mensonge surnaturel, elle espère
arriver à ses fins, lorsque Didier déclare de lui-même, qu'il se croit,
en tant qu'homme, assez fort pour lutter contre le germe maladif
qui peut être en lui et doué d'une volonté assez puissante pour le
détruire. « C'est ce qui nous différencie de la brute ! » conclut
Hornus. Telle est la morale très consolante et très fortifiante de la
pièce de M. Daudet. J'ajouterai, pour les âmes sensibles, qu'à sa
majorité Madeleine sort du couvent et devient M""" Didier d'Alein.
L'œuvre nouvelle de l'auteur de Saplio a remporté nu très légitime
succès, surtout dans les deux premiers actes qui sont de beaucoup
supérieurs aux deux seconds. Dans la seconde moitié de son œuvre
M. Daudet semble s'être laissé par trop entraîner dans les sentiers
battus; ce qui n'empêche que, là encore, les qualités maîtresses
de l'auteur conservent au drame tout son intérêt. L'interprétation
est de tout premier ordre en ce qui concerne M'"=^ Pasca, Sisos,
MM. Duflos et Lafontaine, M">°* Desclauzas, Darlaud. MM. Pauj
Plan et Léon Noël contribueront aussi, pour une très large pari, à
la carrière brillante que ne saurait manquer d'avoir l'Obstacle.
Paul-Émile Chevalier.
LE MÉNESTREL"
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite.)
III
Mais pendant que M"" Saint-Aubin établissait ainsi d'une façon
solide sa réputation, émerveillant le public par la souplesse et la
Yariété d'un talent qui se renouvelait chaque jour et dont les res-
sources semblaient inépuisables, son mari, moins heureux, ne par-
venait pas à conquérir la situation à laquelle pourtant lui donnaient
droit ses qualités indéniables et des aptitudes dont nui ne parais-
sait se rendre compte. Ce n'est qu'à la suite de tentatives répétées,
d'efforts de toutes sortes, qu'il réussit enfm à rompre la malchance
qui paraissait s'acharner après lui.
Il avait dû, ainsi qu'on l'a vu, entrer à la Comédie-Ttalienne dès
1786, en même temps que sa femme, et dans ce but il avait de-
mandé à l'Opéra la résiliation de son engagement, qui lui a?ait été
refusée. Ce qui n'empêche pas que lorsque cet engagement prit fin
en 1788, il ne fut pas renouvelé. Rappelé alors à Lyon, oii il avait
laissé d'escellents souvenirs, il s'y rend dans les derniers jours de
celte année 1788 et y demeure jusqu'à la clôture de Pâques de 1790.
De retour à Paris, nous le voyons effectuer deux débuts au théâtre
Favart, le 8 mai dans le rôle de Cliton de l'Ami de la Maison, et le
11 dans celui d'Apollon du Jugement de Midas, appartenant l'un et
l'autre à l'emploi des hautes-contre et à ce que nous appellerions
aujourd'hui les premiers téoors. Pourtant il n'est pas engagé, et le
1" octobre suivant il débute au théâtre Feydeau dans la première
représentation de l'Ile enchantée, opéra-comique en trois actes de
Sedaine et Bruni dont le succès fut médiocre. Il porte sans doute
en partie la peine de ce fâcheux résultat, puisqu'il ne fut pas plus
engagé à FejJeau qu'il ne l'avait été à Favart. De nouveau alors il
retourne à Lyon, où on le retrouve dès la fin de 1790 et oîi il reste
encore en 1791 et 1792. Enfin, le 12 avril 1793, il fait une seconde
tentative au théâlie Favart, où il se présente dans le rôle de Dalin
de la Fausse Magie. Cette fois, abandonnant l'emploi jeune et bril-
lant, il abordait finalement celui des Laruettes et des caricatures,
dans lequel il était appelé par la suite à rendre de très utiles ser-
vices. Il fut enfin admis comme sociétaire, d'abord à trois huitièmes
de part, et en 1794 à part entière.
Mais si ses camarades lui rendirent justice, il s'eu faut que le
public et la critique agissent de même, et il fallut à Saint-Aubin
une longue suite d'efforts et une constance à toute épreuve pour
forcer l'estime des spectateurs et obtenir leur suffrage, dans un
emploi qui pourtant, tout en étant fort utile, n'est après tout que
d'un ordre secondaire. Un recueil spécial du temps, l'Opinion da par-
terre, nous renseigne d'une façon précise à son sujet et nous montre
que plus de douze ans après son entrée au théâtre Favart (devenu
théâtre impérial de l'Opéra-Comique), cet excellent artiste était en-
core considéré par quelques-uns comme une nullité, malgré les
services qu'il rendait chaque jour : « Saint-Aubin, inutilité com-
plète, dit l'écrivain en 1806, faible roseau qui n'eût jamais eu de
consistance à son théâtre, si sa femme n'eût été le chêne protec-
teur à l'ombre duquel il a connu le repos. » Même jugement en
1807: « Saint-Aubin joue tranquillement ses baillis et quelques rôles
de remplissage. Il a dans son théâtre une protection toute-puis-
sante : le nom de sa femme. » En 1808, on veut bien condescendre
à lui accorder quelque talent: « Saint-Aubin commence à se dis-
tinguer dans plusieurs rôles joués ci-devant d'une manière très
originale par Dozainville, notamment dans celui de Francisque
d'ioîc Folie. Il serait singulier que ce fut à la fin de sa course que
cet acteur trouvât plus de forces et méritât plus de succès »
Le revirement s'accuse d'une façon plus ample en 1809 : « Saint-
Aubin, qui marchait si péniblement quand il entra dans la carrière
du théâtre, parait disposé à courir, actuellement qu'il en voit presque
le bout. Il eut longtemps besoin de l'égide protectrice de madame
Saint-Aubin. Forcé de s'en passer aujourd'hui (elle venait de se
retirer), il vole de ses propre ailes, et remplit fort bien son mo-
deste emploi. Le publie ne se lasse point de l'applaudir dans le
rôle de Marsyas (du Jugement de Midas). S'il en exécute le chant
avec une extrême originalité, son jeu ne gâte rien, et sa figure est
si plaisante qu'on croit voir un des bergers de l'Astrée. » Enfin la
glace est rompue, et quelques années après, en 1813, voici comment
le critique rend justice complète à l'artiste : « Saint-Aubin, qui fut
longtemps au nombre des sujets que le public souffre par nécessité.
s'est placé depuis quelques années parmi ceux qui sont les plus
nécessaires à l'Opéra-Comique. Il n'excite point de transports, mais
on le voit toujours avec plaisir; c'est un bon acteur, et quoiqu'il
soit actuellement bien apprécié, son mérite sera encore mieux senti
lorsqu'il ne sera plus au théâtre. Tel et tel qui aspirent à le rem-
placer se chargeront de son éloge ».
Il avait fallu vingt ans au brave artiste pour en arriver là ! Et
l'on peut dire qu'il n'avait épargné ni peines ni soins pour forcer
les sympathies d'un publie rebelle à ses efforts et qui fut si long à
le récompenser de la conscience et du talent qu'il déployait chaque-
jour. Je ne parle pas de ses créations ; elles ne furent pas très nom-
breuses, et les plus importantes se trouvent dans lllhal, le Jeune-
Henri, le Diable à quatre, l'Auteur malgré lui, Aline, le Grand-Père,
D'auberge en auberge, une Matinée de Frontin, le Nouveau Seigneur de
village, Fanny Morna et Annette et Lubin. Mais Saint-Aubin, qui
s'était plié à tout, était entré dans le répertoire par toutes les
portes, et avait repris un nombre considérable de rôles dans une
foule d'ouvrages de tout genre : Richard Cœur de Lion, le Comte-
d'Albert, l'Amoureux de quinze ans, le Tableau parlant, la Fausse
Magie, Zora'ime et Zidmare, les Deux Petits Savoyards, Une Folie, Raoul'
Barbe-Bleue, la Mélomanie, les Deux Journées, Paul et 'Virginie, Fanfan
et Colas, Renaud d'Ast, les Trois Fermiers, la Rosière de Salency,
Héléna, le Prisonnier, Lodoïska, la Dot, les Deux Tuteurs, Anibroise,-
Philippe et Georgette, la Fée Urgéle, les Sabots, Félix, Biaise et Babet,
Alexis, les Deux Avares, etc. On voit qu'il avait su se rendre utile,,
et que son activité tout au moins ne fit jamais défaut.
S'était-il vu pourtant un moment découragé par la froideur que
le public lui témoigna pendant trop longtemps ? Je le croirais vo-
lontiers d'après une lettre de sa femme, qui indique de sa part le
désir de quitter l'Opéra-Comique et d'abandonner complètement la
scène, pour se reprendre à son premier métier de graveur. Celte
lettre, dont le destinataire est inconnu et qui est datée simplement"
du « 22 frimaire, y me paraît devoir être reportée à l'an 1803, c'est-
à-dire dix ans après l'entrée de Saint-Aubin au théâtre Favart. Je
n'en connais pas le texte exact, mais voici l'analyse qui en a été
donnée dans un catalogue d'autographes : — « M""' Saint-Aubin.
Lettre autographe signée, à M 23 frimaire. Sur une demande
qu'elle adresse au minisire en faveur de son mari, qui n'est point
d'âge à recommencer sa carrière théâtrale dans les départements,-
et qui se déterminerait à se retirer s'il obtenait 6,000 livres comp-
tant et une pension assurée parle gouvernement; cela lui procu-
rerait les moyens d'essayer à reprendre son aucien état de gra-
veur, etc., etc. (1) 1).
Ce projet de retraite n'eut pas de suites, puisque nous savons que
la carrière de Saint-Aubin à l'Opéra-Comique se prolongea pendant;
vingt-quatre ans, et qu'il ne quitta ce théâtre qu'en 1817. Cette
carrière, si elle ne fut pas aussi brillante qu'il l'eût sans doute
désiré, ne laissa pas, en somme, que d'être extrêmement hono-
rable, et un biographe la résumait en ces termes : — « Saint-
Aubin, comme acteur, avait de l'intelligence, de la correction et
une bonne tenue, mais il était un peu froid. Il chantait avec plus
de goût et de pureté que d'expression, mais son goût n'était pins
à la mode. Sa voix avait eu de la fraîcheur, de la justesse et de la
flexibilité ; lorsque l'âge l'eut rendue un peu nasillarde, il prit
l'emploi de La Ruette, vacant par la mort de Dozainville, et s'y
distingua plus utilement que dans celui de première haut-contre.
Il se grimait fort bien, et il était fort plaisant dans plusieurs rôles,
tels que Marsyas dans le Jugement de Midas, Dalsain dans la Fausse
Magie, le chef des eunuques dans Aline, les baillis, tels que celui
du Nouveau Seigneur, qu'il créa avec beaucoup d'originalité. Du reste,
son zèle était sans bornes, et il se chargeait de tous les rôles que
les autres refusaient. Cet acteur se recommandait d'ailleurs par les
qualités les plus estimables. Il était honnête homme, ami sûr et,
excellent père de famille (2) ».
(.i suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Si l'excellent Pasdeloup revenait en ce monde, il serait sans doute,
surpris et chagrin de voir que ses successeurs aient si bien et si complè-
tement abandonné ses généreuses traditions. En eS'et, nos jeunes compo-
siteurs, si heureusement encouragés par lui naguère, sont singulièrement
(1) Catalogue des Autograplies de feu M. le baron de Tiémont, 2" supplément,
Paris, Laverdet, 1853. in-8".
(2) Biographie universelle et portative des Contemporains.
LE MENESTREL
délaissés aujourd'hui, soit au Cirque des Champs-Elysées, soit au Chàtelet,
et doivent le regretter amèrement. C'est fort bien de jouer Wagner et de
jouer Berlioz, mais peut-être, tout en les jouant, y aurait-il autre chose
à faire, et pourrait-on, de temps à autre, penser aux jeunes artistes qui
ont besoin de se faire entendre et de se faire connaître. Il me semble qu'un
morceau sur cinq consacré à ce soin, au moins de loin en loin, ne dépa-
rerait pas un programme, et que l'administration des beaux-arts estime-
rait qu'à, ce prix ses encouragements ne seraient pas trop mal placés. Il
se trouve aujourd'hui que c'est la Spciété des concerts du Conservatoire
qui se donne le luxe d'exécuter des œuvres inédites, alors que ses jeunes
émules ne font plus aucun effort en ce sens. Elle nous a fait entendre
ainsi, à sa troisième séance, une œuvre pleine d'intérêt, et par le genre
auquel elle appartient, et par sa valeur propre, et par le nom de son au-
teur. Ce n'est ni plus ni moins qu'une symphonie dans la forme régulière^
Taraavis! une symphonie en sol mineur, due à la plume de M. Edouard
Lalo. Depuis assez longtemps nos compositeurs ont usé et abusé de la
suite d'orchestre, cette fantaisie instrumentale d'une trop grande facilité
relative ; il est temps enfin qu'on en revienne aux formes classiques et
sévères, où il n'y a pas à biaiser avec soi-même et où il faut que le savoir
paie argent comptant. La symphonie de M. Lalo est donc divisée en quatre
parties, dont le premier allegro, solidement construit mais sans grande
originalité, est précédé de quelques mesures d'introduction. Le second
morceau est un allegretto en mi [i, à quatre temps, qui sert de prologue et
d'épilogue à un joli andante dont le chant large, spianato, bien établi par
les violons, acquiert beaucoup de puissance lorsqu'il s'étend à toutes les
forces de l'orchestre; l'allégretto reprend ensuite, et le motif, traité sym-
phoniquement alors avecbeaucoup de nerf et de grandeur, va, après un grand
forte, s'éteignant progressivement pour finir dans un pianissimo complet.
C'est là un excellent morceau. Uandantino à 9/8, eu si \>, m'a paru plus
froid, sans que l'idée initiale et principale, quoique traitée un peu en
style dramatique, amène l'émotion. Mais le finale est charmant; il est
construit solidement et développé avec beaucoup d'art sur un thème
léger, exposé d'abord par les instruments de bois et qui ferait un déli-
cieux air de ballet. En résumé, la symphonie de M. Lalo est une œuvre
fort intéressante, d'une forme très châtiée, et dont l'orchestre, tout en-
semble très riche, très coloré, très sonore, produit les plus heureux effets.
— Dans cette même séance, M. Delaborde a exécuté, avec la sûreté de
mécanisme et le beau style qu'on lui connaît, le concerto en so/ de Beetho-
ven, celui qui, si je ne me trompe, porte le n» 4 et qui, composé en 1806,
publié en 1808 et dédié à l'archiduc Rodolphe, son élève et son ami, fut
entendu pour la première fois aux concerts de l'Augarten, àVienne, dans
l'été de 1808. Cette œuvre magnifique esttrop connue pour quej'aie besoin
d'insister sur ses beautés. Je me bornerai à constater le succès très légi-
time que son exécution si franche et si sentie à valu à M. Delaborde. Le
programme du concert était complété par le très joli chœur du Pauius
de Mendelssohn- que la Société connaît depuis si longtemps, par la 43"
symphonie d'Haydn, dont la forme est si ingénieuse et si charmante, et
par l'admirable Marche du Tannhduser, qui n'a pour moi qu'un défaut,
celui d'avoir été écrite par "Wagner en collaboration avec l'ombre de We-
ber. Il est certain qu'en mettant au monde cette page si éclatante de lu-
mière, et dont la sonorité est si prodigieuse, le futur auteur de Siegfried
et de Parsifal était singulièrement hanté par les souvenirs du Freischûtz,
A'Eunjanthe et à'Oberon. A. P.
— Concerts du Chàtelet. — Roma, symphonie posthume de Bizet, est une
œuvre très attachante, bien mélodique et parfaitement claire dont la fac-
ture, sans être très originale, n'a rien de vulgaire, et dont l'ensemble
soutient l'attention sans laisser à l'auditeur un moment de lassitude. Les
phrases sont heureusement développées, parfois d'une façon un peu som-
maire, mais il y a, surtout dans le finale, beaucoup d'entrain et de jeunesse.
— L'aria de la suite en ré de Bach, dit avec un charme exquis, est une
de ces inspirations ravissantes dont les maîtres rencontrent l'équivalent
deux ou trois fois dans leur vie; c'est l'idéal dans le simple. — Très simple
aussi et très délicate est la musique de M. G. Fauré pour le drame de
Caligula : très peu saillante dans ses contours mélodiques, recherchant
surtout les teintes dégradées et les coloris atténués, elle possède par
instants une saveur particulièrement douce et pénétrante. Cela n'est peut-être
pas entièrement applicable au Conte mystique intitulé Enprièi e, dont la mélodie
ressort très souple et très nettement dessinée sur un accompagnement de
harpes. Les trois autres numéros des Contes mystiques ont obtenu, comme
le précédent, un succès d'attendrissement. Le Premier Miracle de Jésus de
M. Paladilhe est une mélodie vocale drapée sur un accompagnement
expressif et juste; le Non credo de M. Widor se rapproche du récitatif
mesuré, d'abord et, après quelques incursions dans le domaine de la
déclamation lyrique, s'achève sur une péroraison d'un effet mélodique
certain; le cantique de M. Fauré, En prière, reste dans le domaine du
chant pur à peine soutenu par quelques accords arpégés ; enfin un prélude
d'orchestre: Ce que l'on entend dans la nuit de Noël, par M"" Augusta Holmes,
a des qualités de naïveté et de coloris que l'on a bien appréciées. Les
trois cantiques dont nous venons de parler ont été chantés avec beaucoup
de sentiment et de style par M"« de Montalaut, qui s'est montrée excellente
dans le duo de Béatrice et Bénédict, de Berlioz, qu'elle a dit délicieusement
avec M"" Lavigne. — Les fragments célèbres du Songe d'une nuit d'été de
Mendelssohn ont terminé brillamment le concert.
Ajiédke Boutakel.
— Concerts Lamooreux. — L'ouverture â'Esthcr, de M. Coquard, est une
des meilleures choses que nous ayons entendues de ce compositeur : Les
idées sont claires, bien conduites, l'instrumentation nerveuse ; il ne règne,
dans cette œuvre, aucune des préoccupations wagnériennes qui hantent
les cerveaux de la plupart de nos modernes compositeurs. — La Sym-
phonie en la de Beethoven a été remarquablement exécutée, sauf le finale,
dans lequel la trompette a exécuté ses mi réitérés avec une telle violence
qu'elle réussissait à annihiler tous les autres instruments. C'est décidément
la disposition de l'orchestre de M.Lamoureux qui est cause de semblables
résultats : ses instruments de cuivre sont perchés à une telle hauteur
qu'ils dominent les étages inférieurs et écrasent tout de leur bruyante
sonorité. — Le Prélude du troisième acte de Tristan et Yseult, de "Wagner,
consiste en un interminable solo de cor anglais précédé de quelques me-
sures d'orchestre. On a applaudi le talent de M. Doré ; mais, comme mu-
sique, cela est bien inférieur à un effet à peu près semblable que l'on trouve
dans le ilanfred de Schumann. — Le scherzo du Songe d'une nuit d'été de
Mendelssohn a produit son eft'et accoutumé. Après ce délicieux morceau,
venait l'ouverture d'I/craînnn et Dorothée, de Schumann. Ce n'estpas sur cette
œuvre qu'il faudrait juger le grand génie du compositeur. Cette ouverture
est médiocre ; elle est écrite dans les tons sourds empruntés au médium
des instruments qu'affectionnait Schumann, elle manque de souffle : la
Marseillaise fait mauvais effet dans ce style bucolique ; elle ne prête qu'aux
grandes explosions. Dans un cadre plus restreint, dans les Deux Grenadiers
de H. Heine, elle est bien mieux amenée et provoque une réelle émotion.
Le Venusberg du Tannhiiuser, composé après coup sur des motifs familiers
à ceux qui ont entendu si souvent l'ouverture de cet opéra, doit faire un
grand effet avec la figuration qui l'accompagne ; elle perd dans un concert.
Sa fin languissante provoque l'ennui ; on sait que "Wagner, en introduisant
cet intermède dansé dans son œuvre, entendait faire un sacrifice à la
dépravation française, qui ne saurait se passer de ballet même dans une
œuvre sérieuse. Quant à la Marche du Centenaire, c'est de la musique
d'exportation, bruyante, interminable et coulée dans le même moule que
toutes les marches de "Wagner, aussi bien celle du Tannhauser que celle
des Maîtres Chanteurs, etc.. qui sont du reste toutes plus ou moins imitées
de Weber. En somme tout le succès du concert a été pour la Symphonie
en la et le scherzo du Songe, ce dont il ne faut pas se plaindre.
H. Barbedette.
— Aujourd'hui, par suite des fêtes du jour de l'an, il n'y aura pas de
concert du dimanche, ni chez M. Colonne, ni chez M. Lamoureux.
— La Société nationale a donné, samedi 27 décembre, son premier
concert de la saison, salle Pleyel. Le programme était entièrement com-
posé d'œuvres de musique de chambre de César Franck, qui, depuis plu-
sieurs années, était président de la Société, et, depuis longtemps, lui avait
réservé presque toutes les premières auditions de ses œuvres. L'on a donc
entendu pour la seconde fois le quatuor à cordes, qui n'avait été donné
jusqu'ici qu'à l'un des derniers concerts de la saison précédente ; puis le
quintette, qui forme depuis plusieurs années un des plus magnifiques
morceaux du répertoire de la Société ; le Prélude, choral et fugue, pour
piano ; enfin deux chœurs pour voix de femmes : la Vierge à la crèche et
un fragment i'ihdda, opéra inédit. Un public nombreux et recueilli a
acclamé avec enthousiasme ces œuvres, dont il n'est pas une qui n'ait sa
place parmi les chefs-d'œuvre de la musique, et qui, devant un audi-
toire accoutumé à leurs beautés, prenaient une sorte d'allure classique
qu'elles ne perdront plus. Remarquable exécution des pièces instrumen-
tales par M.'^" George Hainl, M. Chevillard et le -quatuor de la Société,
MM. Heymann, Gibier, Balbreck et Liégeois, et par les chœurs sous la
direction de M. Vincent d'Indy. Julien Tiersot.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Dépêche de Naples : Hanilct vient d'obtenir un grand succès au San
Carlo, avec Maurel et M"» Calvé. On a fait beaucoup d'ovations aux deux
excellents artistes.
— Si les journaux de son pays disent vrai, l'auteur de la bienheureuse
Cavalleria rusiicana, le jeune maestro Pietro Mascagni, donnerait des
preuves d'une fécondité qui pourrait finir par lui être fatale. Non content
d'écrire l'opéra qui lui a été commandé, tes Rantzau, il en aurait déjà un
tout prêt, Guglielino Radcliffe, et il travaillerait en ce moment à un troi-
sième, la Filandn. Il nous parait que c'est beaucoup.
— La Cavalliera rusticana de M. Mascagni, après avoir fait fortune en
Italie, et parcouru toute la Péninsule, commence son tour d'Europe. Dans
le courant de la prochaine saison on va la représenter, traduite en alle-
mand sur neuf théâtres : "Vienne, Buda-Pesth, Prague, Berlin, Munich.
Francfort, Mannheim, Stuttgard et Hambourg. En même temps on la
donnera, en italien, sur diverses autres scènes étrangères: Saint-Péters-
bourg, Moscou, Madrid, Valence et Trieste. Puis elle continuera sa marche
triomphale dans sa patrie, où déjà vingt villes vont l'avoir acclamée, ce
qui amène cette réflexion du Truvatorc: « En admettant que la location
LE MENESTREL
de la partilion ait été calculée sur le pied d'une moyenne de 10,000 francs,
ce serait une somme de 200,000 francs qui aurait été gagnée déjà jusqu'à
ce jour entre l'éditeur et l'auteur. » Le succès, d'ailleurs, est loin d'être
épuisé, car à Ancone, qui n'est certes pas une ville de premier ordre, la bien-
heureuse Cavallm'a ne vient pas d'obtenir une s érie de moins de quinze
représentations.
— Quelques nouveaux ouvrages italiens qui ne demandent, comme tant
d'autres, qu'à voir le l'eu de la rampe : Jeflc, drame lyrique, de M. Bruno-
Barzilai, qui, dit-on, pourrait bien être joué au théâtre Goldoni, de
Venise, au cours de la prochaine saison de printemps : Viaggo cli Nozze,
opéra-comique en trois actes, de M. Antonio Lozzi; el Principe di Leida,
opérette du maestro Riccardo Matini, et Lili, autre opérette du même.
— Il fait bon ouvrir des concours, mais il ne faut pas y perdre d'argent.
C'est ce qu'a pensé un éditeur de musique de Palerme en organisant un
concours pour une grande valse à l'occasion de la prochaine Exposition
qui doit avoir lieu en cette ville. L'œuvre couronnée recevra un prix de
JOO francs, mais,., chaque concurrent devra envoyer avec son manuscrit
une somme de deux francs. Les affaires sont les affaires.
— La cantatrice Medea Borelli, l'une des plus renommées de l'Italie
actuelle, doit épouser prochainement un jeune noble d'Ascoli, le comte
Angelini. Mais, au rebours de tant d'autres, elle ne quittera point le
théâtre et continuera sa carrière.
— Le célèbre chef d'orchestre Hans de Biilow, qui a toujours marque
une très grande prédilection pour les œuvres de la nouvelle école fran-
çaise, vient de diriger au dernier concert philharmonique de Hambourg,
la deuxième symphonie (la mineur) de M. Camille Saint-Saèns. Cet ou-
vrage a obtenu un très vif succès, et la critique allemande lui est très
favorable. La Muzik-Zeilung de Hambourg cite à ce propos un mot de
J. Brahms sur l'auteur de Sniiison et Dalila. « Ah ! si tous nos compositeurs
allemands voulaient donner à leurs travaux un peu du soin et de l'atten-
tion que Saint-Saëns a mis à écrire tous ses ouvrages! » On se rappelle,
dit-elle encore, que Bûlow avait déjà dit un jour de Saint-Saêns qu'il était
le, meilleur « compositeur allemand » de l'époque! Nous ne saisissons pas
très bien le sel de cette dernière remarque.
— On annonce à Berlin, dit le Guide musical, une série de concerts qui
ne peut manquer d'intéresser vivement: le célèbre violoniste Sarasate a
proposé de donner un cycle de récitals de violon, dans lesquels il passera
en revue les œuvres les plus remarquables du répertoire du violon, depuis
son origine jusqu'à nos jours. On se rappelle que Rubinstein avait déjà
organisé, il y a trois ans, des séances analogues pour piano. Le succès de
ces concerts historiques fut énorme à Saint-Pétersbourg, à Berlin et à
Paris.
— Le compositeur tchèque, Antoine Dvorak vient de recevoir de l'Uni-
versité de Cambridge, en Angleterre, le titre honorifique de docteur ès-
musique.
— On a donné le 7 décembre à l'Opéra royal hongrois de Buda-Pesth,
sous le titre de Czardas, un nouveau ballet en trois actes, qui semble être
le pendant de celui qu'on représentait récemment à Vienne sous celui de
Wiener Waher. C'est une sorte d'histoire en action de la Czardas, plus
brillante, plus fantastique et plus originale que cette histoire dansée de la
valse, et qui pourrait bien, dit un chroniqueur, faire son tour d'Europe,
grâce à son charme et à son originalité. Le scénario est dû à M. Luigi
Mazzantini, maître de ballet de l'Opéra, qui,_ pour étudier à fond les
czardas, a fait un voyage de plusieurs mois dans les provinces de la Hon-
grie et en Transylvanie. La musique est l'œuvre d'un jeune compositeur,
M. Eugène Stojanovicz, et est pleine, dit-on, de motifs personnels char-
mants et d'un grand efl'el, entremêlés de quelques-unes des plus belles
chansons nationales. Le premier acte du ballet représente l'arrivée des
Tsiganes en Hongrie, avec musique et danses d'une couleur éminemment
orientale; le second acte transporte le spectateur, plusieurs sièales plus
tard, au milieu du camp du célèbre Rakoczy, dont la marche a été rendue
si fameuse par Berlioz; enfin, le troisième se déroule de nos jours, en
Transylvanie, où les danses hongroises se mêlent aux danses nationales
des Roumains et des Saxons. En résumé, cet ouvrage a obtenu un succès
d'enthousiasme, et excite à chacune de ses apparitions des applaudisse-
ments frénétiques.
— L'Opéra royal de Dresde inaugurera dans quelques jours un cycle
d'opéras de Gluck qui se déroulera dans l'ordre suivant : Alcestc, Orphée,
Armide, Iphigénie en Aulidc, iphigénie en Tcmridc.
— Une correspondance de Saint-Pétersbourg, reçue par le Journal de
Magdt'bourg, donne les explications suivantes au sujet de la retraite de
Rubinstein, comme directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg :
« M. Rubinstein a abandonné ce poste uniquement parce que le ministère
de la Cour ne lui donnait pas les moyens de maintenir l'institution sur
un pied digne du gouvernement russe. Pour arriver à un pareil résultat,
en Russie, il faut faire antichambre en tous lieux et s'abaisser à des solli-
citations humiliantes. Rubinstein n'était pas l'homme d'une telle situa-
tion. »
— On ne dira pas que le Théâtre-Royal de Liège n'en donne pas pour
leur argent à ses spectateurs. Le dimanche 28 décembre, l'affiche de ce
théâtre offrait à ceux-ci un opéra-comique en trois actes et... un grand
opéra en cinq actes : le Docteur Crispin, des frères Ricci, et la Muelle de
Portici, d'Auber.
— Les journaux espagnols annoncent comme prochaine la première
représentation, au théâtre du Liceo de Barcelone, d'un opéra nouveau du
compositeur Felipe Espino, intitulé Zahra. Le sujet de l'ouvrage est espa-
gnol, et l'action se passe dans le courant du ix" siècle.
— Nous annoncions récemment la prochaine apparition, au théâtre de
la Trinité de Lisbonne, d'une opérette nouvelle intitulée Moira de Silvcs,
due à un jeune compositeur, M. Joâo Guerreiro da Costa. L'ouvrage est
en effet en pleines répétitions, mais le jeune artiste, atteint d'une maladie
grave, vient de mourir avantd'en avoir pu voir la première représentation.
— Selon un journal italien, le Cosmorama, le théâtre du Lyceo de Bar-
celone serait en ce moment en proie à une crise financière aiguë. Une
des premières artistes de la troupe italienne. M™* Giuseppina Pasqua,
serait déjà partie, après avoir appelé la direction devant les tribunaux, et
d'autres seraient tout disposés à la suivre de près.
— Nous avons dit que c'est par un drame lyrique de M. Arthur Sulli-
van, Ivanhoé, que devait s'ouvrir le nouveau théâtre construit à Londres
par les soins de M. d'Oily Carte, déjà directeur du Savoy-Théâtre. C'est
au 10 janvier qu'est fixé le jour de cette inauguration. On annonce déjà
qu'après Ivanlioé, M. d'Oily Carte doit donner un ouvrage nouveau de
M. Goring Thomas, l'auteur applaudi de Nadejda et à'Esmeralda.
— On annonce qu'au cours de récentes fouilles opérées en Egypte, Un
M.Flinders Pétrie aurait découvert, dans une tombe féminine, entre autres
objets, une flûte double égyptienne. Récemment, à Londres, devant un
auditoire choisi, cet artiste auraitexécuté divers merceaux sur l'instrument
en question, dont l'âge respectable ne représenterait pas moins de trois
mille années. Si les renseignements publiés à ce sujet sont exacts, le son
de cette flûte antique, au lieu de ressembler à celui de la flûte moderne,
se rapprocherait de celui de l'instrument connu en Italie sous le nom de
zampogna. D'autre part, on fait cette remarque intéressante, que les diverses
notes de son échelle sont identiques à celle de la gamme européenne
moderne, ce qui prouverait que notre système musical était connu des
anciens Egyptiens.
— A l'Empire-Théâtre, de Londres, première représentation du Ballet
des jouets, scénario de M'"^ Ratti-Lanner, musique de M. Léopold de 'Wenzel,
avec M"=s Paladino et de Sortis pour principales interprêtes.
— L'Opéra allemand de New- York vient d'effectuer sa réouverture avec
VAsraël de Franchetti, dont c'était la première représentation en Amérique.
La presse locale critique cet ouvrage assez sévèrement, se bornant à re-
connaître au compositeur un don très prononcé d'assimilation. L'interpré-
tation, qui comprenait presque exclusivement des artistes nouveaux pour
l'Amérique, a produit une impression très favorable. Le chef d'orchestre,
M. A. Seidl, avait monté l'ouvrage avec un soin minutieux.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Comme d'ordinaire à Paris, dans nos églises, la musique a eu sa
part très importante dans la célébration des fêtes de iVoél, qui sous ce
rapport ont été extrêmement brillantes. A Saint-Louis d'Antin, exécution,
avec petit orchestre, de la messe en sol de Weber (soli par MM. Clément,
Merglet et Bœtig) ; à l'Offertoire, composition religieuse de M. Loret pour
violon, violoncelle, hautbois et orgue (MM. Lefort, Georges Papin, Bou-
lard et l'auteur). — A Saint-Eustache, à la messe de minuit, messe en ut
de" Mozart et Noël d'Adam (M. Dulin); pendant la grand'messe, oratorio
de Lesueur, avec orchestre. — A Saint-Augustin, à la messe de minuit,
r Oratorio de Noël, de M. Saint-Saëns, et à la messe du jour, messe deM. J.
Hochstetter (chanteurs: MM. Auguez, 'V\''armbrodt, Villard etBernaërt;
instrumentistes: M^t. Franck, Loeb et Bas; au grand orgue: M.Eugène
Gigout). — A Notre-Dame- des-Victoires, Messe de Lesueur, sous la di-
rection de M. Pickaert. — A la Trinité, Messe du Sacre de Cherubini,
sous la conduite de M. Bouichère (chanteurs : MM. l'ontaine et Giraud ;
instrumentistes : MM. Paul Viardot, Franck et Gauthier.) —A Saint-Ger-
main-des-Prés, Messe en «i d'Haydn, sous la direction de M. Minard
jeune. —A Notre-Dame-de-Lorette, Messe de Sainte-Cécile, de M. Gounod
(harpiste: M"» Momas). — A Saint-Philippe-du-Roule, Messe des Rois
Mages, de Pilot; M. Gillet, hautbois, et M. Berthelier, violon, se font
■ entendre pendant les offices. — A Saint-Thomas-d'Aquin, Messe de divers
auteurs (Kyrie et Gloria de Niedermeyer, Sanctus de M. Ambroise Thomas,
0 Sahdaris de M. Gounod, Agmis Dei de Cherubini). — A Saint-Sulpice,
à la messe de minuit, messe de Pilot, composée sur d'anciens Noëls
(instrumentistes: MM. Georges Papin etClerc); à la messe du jour. Messe
de Beethoven et Bencdictus de M. Bellenot, chanté par M. Auguez; au
grand orgue, M. VVidor. — A Saint-Eugène, Kyrie et Gloria de la Messe
de Sainte-Cécile de M. Gounod, Credo de M. Samuel Rousseau, et Sanctus
de M. Raoul Pugno (M»«= Leroux-Ribeyre et M. Bernaërt; à l'orgue M. Xa-
vier Leroux). — A Saint-Roch, à la messe de minuit, A'oèi de M. Darnaud,
et Ave Maria de M. Perran ; à la messe du jour, oratorio de Lesueur et
Credo de la Messe solennelle de M. Gounod. — A la Madeleine, Kyrie
LE MÉNESTREL
d'Haydn, Gloria de M. Gounod, 0 Salutaris de M. Saint-Saëns et Agnus Dei
de Dietsch (MM. Ballard et Barrot) ; au grand orgue, M. Théodore Dubois,
à l'orgue d'accompagnement, M. Manson. — A Sainte-Clotilde, Messe de
Pilot, pour soii, chœur et orchestre, et Offertoire de M. Samuel Rousseau
(chanteurs: MM. Fournest et Mazalbert; instrumentistes: MM. Nobeis,
Loeb et Carillon ; au grand orgue, M. Gabriel Pierné).
— Il y a quelques mois, on s'était justement ému à Paris de l'article
d'un petit reporter musical nantais qui prêtait au grand maestro Verdi
une conversation, des plus malveillantes, à l'égard de nos compositeurs
français. Nous n'avons jamais fait allusion à cet article de reportage, pen-
sant bien qu'il devait être tout au moins singulièrement exagéré, étant
donné le noble caractère de l'interwievé. Bien nous en a pris. Le baryton
Victor Maurel livre, en effet, aujourd'hui, à la publicité, une lettre qu'il reçut
à cette époque du maitre italien et qu'il n'a pas communiquée plus tôt au
public parisien parce qu'il n'y étaitpas autorisé. Cette lettre, nous sommes
heureux de la reproduire ici.
Milan, 25 avril 1890.
Cher Maurel,
i< Je voudrais que cette lettre vous fût remise avant que voua quittiez Gênes.
» Dans le Figaro du 21, il y a un entrefilet à propos d'une conversation qui
aurait eu lieu entre un monsieur X... et moi et au cours de laquelle j'aurais
parlé très sévèrement de trois de nos compositeurs français, Saint-Saëns, Tho-
mas, Gounod. J'espère que vous me croirez facilement si je vous dis que cette
narration a été dénaturée dans un sens odieux, car ce que j'ai pu direne pouvait
être une offense pour personne.
» Muzio m'écrit que je dois répondre. Pour rien au monde... Mais je serais
très affligé si ces messieurs, et spécialement Thomas, croyaient à ces paroles.
Vous savez l'estime que j'ai pour cet homme, et il est impossible qu'une parole
blessante pour lui puisse sortir de ma bouche. Si vous lui écrivez, racontez-lui
ce désagréable incident.
» Bon voyage et prompt retour.
]) Votre affectionné,
G. Verdi.
— M. Bourgault-Ducoudray vient de terminer sa partition de Thamara,
sur un livret en deux actes de M. Louis Gallet. La lecture en aura lieu
à l'Opéra le jeudi 8 janvier prochain.
— Les conservatoires de province ne sont pas oubliés par notre admi-
nistration des beaux-arts. La Semaine musicale de Lille nous apprend que
M. le ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts a expédié à
l'École nationale de musique de cette ville, une trompette et un cornet à
piston, comme don gracieux. Par arrêté du 16 décembre, il a en outre ac-
cordé un encouragement de trois cents francs aux élèves suivants de
l'École de Lille, admis au Conservatoire national de musique et de décla-
mation : M. Hérauard, M"=s Ray et de Kisch .
— II n'est peut-être pas sans intérêt de constater que le beau drame de
M. Alphonse Daudet, l'Arlésienne, aidé de la charmante musique de Bizet
exécutée par l'orchestre Lamoureux, a atteint dimanche dernier, à l'Odéon ,
sa cent quatre-vingtiitme représentation.
— A l'Opéra-Comique, les fonctions de maîtresse de ballet, devenues
vacantes par la mort de M"'' Louise Marquet, sont confiées à W^" Elise
Parent, dont on n'a pas oublié la brillante carrière chorégraphique à
l'Opéra, où elle a laissé les meilleurs souvenirs, et comme femme et comme
artiste. M"" Parent s'est mise aussitôt en fonctions, en réglant le ballet de
l'Amour vengé, qui a été représenté cette semaine.
— L'Association des Artistes musiciens vient d'être autorisée à accepter
le legs de 20,000 francs qui lui avait été généreusement fait par M"^' Erard.
Dans sa deuxième séance, le Comité de l'Association a fait choix du
rapporteur chargé de présenter à la prochaine assemblée générale le
compte rendu des travaux de la Société pour l'année 1890. C'est M. Arthur
Pougin qui a été élu.
— Dimanche a eu lieu l'assemblée générale annuelle de la Société natio-
nale de musique, sous la présidence de M. G. Fauré. Après une allocu-
tion du secrétaire, qui a rendu hommage à la mémoire de César Franck,
et le compte rendu du trésorier, on a procédé au renouvellement du
comité. Ont été nommés: MM. Fauré, V. d'Indy, Chabrier, Ernest Chaus-
son, Camille Benoit, Paul Vidal, P. de Bréville, GheviUard et Charles
Bordes.
— Voici qu'on annonce le prochain mariage d'une jeune artiste dont
nous avions l'occasion de parler récemment, M"^ Adélaïde Milanollo, vio-
loniste, avec M. Roeder, littérateur et publiciste à Dresde. Nous savons
aujourd'hui, de façon certaine, que cette artiste, ainsi que sa sœur Clo-
tilde, violoniste comme elle, est cousine de M"" la générale Parmentier,
née Teresa Milanollo, et qu'elles sont loin d'avoir à regretter cette parenté.
L'une et l'autre ont été pendant quelque temps, au Conservatoire, auditrices
dans la classe de M. Massart. Ces deux jeunes filles ont fait en France,
sous la conduite d'une imprésario nommé Sainti, une tournée artistique qui
n'a pas toujours été brillante, si ce n'est a Nantes, où leur succès a été très
accentué et fructueux. L'une d'elles, Glotilde, a fait sa première commu-
nion en cette ville, grâce aux soins de M. Arnoux Rivière, qui, après
l'avoir placée pendant un certain temps à ses frais chez les religieuses de
Saint-Vincent-de-Paul, lui a fait cadeau d'un fort beau violon.
— Charmante réunion, cette semaine, chez M. et M'"= Eugène Fischhof.
Elle avait surtout pour but de présenter, aux amis de M. Eugène Fischhof,
son frère, lé célèbre virtuose compositeur viennois, M. Robert Fischhof.
Malheureusement, au dernier moment, celui-ci a été retenu à Vienne
par une assez grave indisposition, ce qui l'oblige à retarder son voyage
à Paris et à remettre à une date indéterminée les concerts annoncés à la
salle Erard et chez M. Colonne. En son absence. M""! Montigny de Serres
et M. Louis Diémer ne nous en ont pas moins fait entendre ses merveil-
leuses Variations pour deux pianos, qui sont tout à fait de premier ordre ;
l'allure en est d'un beau style classique, mais avec des détails d'un ralE-
nement moderne exquis. Il n'est pas besoin d'ajouter que les deux inter-
prètes se sont montrés, dans l'exécution de cette œuvre, des artistes tout
à fait remarquables, selon leur habitude. A la même soirée, on a entendu
encore W^" Krauss, qui a chanté délicieusement le Soir, d'Ambroise
Thomas, et la petite Naudin, cette enfant d'une précocité extraordinaire,
qui chante l'Enfant au jardin, de Faure, à vous tirer toutes les larmes des yeux.
— Très intéressante audition des élèves de M"" Guéroult, l'excellent
professeur bien connu, à la salle Gaveau. En dehors du répertoire classique,
M™" Guéroult a fait exécuter des œuvres d'auteurs modernes : MM. Godard,
Bourgeois, Barbedette, etc. Grand succès pour M"" Grosrichard, qui a fort
bien interprété l'Impromptu, de M. Barbedette, et l'Agilato pour piano et
violon, du même auteur. Grand succès aussi pour la Marche triomphale, de
M. Bourgeois, exécutée par M"''s Laçasse, Legendre, Halbanach et Gros-
richard. Le violon était tenu par M. P. Lemaître, qui a tenu ses audi-
teurs sous le charme accoutumé. Signalons une charmante enfant, la
petite Jeanne Numa, qui promet de devenir une artiste distinguée.
— M. Edouard Guinand, le président de la célèbre société chorale
Guillot de Sainbris et M'°'= Guinand ont donné dans leur hôtel de la rue
Dumont-d'Urville une soirée musicale dont leurs invités conserveront un
souvenir charmant. Les ténors Maz Alberty et Devillers, le violoniste
White, le violoncelliste Liégois, la cantatrice M"^ Fanny Lépine, les com-
positeurs Gh. Lefebvre et Ch. René, le poète Jean Rameau ont tour à tour
défrayé un très intéressant programme.
— Au dernier concert de l'Association artistique d'Angers, la Société
musicale la plus active assurément et la plus vivante de toute la province,
M. Jules Bordier a fait entendre avec un vif succès une composition nou-
velle, Loreley, ballade pour chœur d'hommes et orchestre, écrite sur un
texte imité de Henri Heine par M. H. Durand. L'auteur, qui dirigeait en
personne l'exécution de sou œuvre, a été de la part du public l'objet
d'une manifestation particulièrement flatteuse. Quelques jours auparavant,
M. Jules Bordier avait remporté un autre succès au concert populaire de
Nantes, où l'on avait accueilli avec une grande faveur son ouverture de
Nadia et la suite dansante extraite du ballet l'Anneau de fer.
— M. Gabriel Sinsoilliez, chef d'orchestre du théâtre de Lille, vient d'être
choisi comme premier chef du Casino de Boulogne, pour l'été 1891.
M. Sinsoilliez compte faire représenter au Casino une œuvre importante,
les Salviati, grand opéra en quatre actes et cinq tableaux, à laquelle il met
la dernière main en ce moment. La presse sera conviée à la première
des Salviati,
NÉCROLOGIE
Cette semaine est mort, à l'âge de soixante-neuf ans, un galant homme
qui fut un homme de grand talent et certainement l'un des écrivains les
plus lus de ce siècle. Octave Feuillet, dont les débuts-littéraires remontaient
à 1845, a succombé dans sa résidence de Saint-Lô, qu'il ne quittait plus
guère en ces dernières années, aux suites de la maladie nerveuse dont il
était depuis longtemps atteint. Les succès de l'auteur dramatique ont
égalé, chez Feuillet, ceux du romancier. Après avoir donné d'abord à
l'Odéon, en collaboration avec Paul Bocage, deux ou trois drames, entre
autres Échec et mat, il fit jouer, au Gymnase et à la Comédie-Française,
une série de proverbes pleins de grâce qui n'étaient pas une imitation,
mais certainement une inspiration de ceux de Musset; c'était la Crise, le
Pour et le Contre, le Village, la Partie de dames... Vinrent ensuite les grandes
œuvres dramatiques dont les succès furent si éclatants, si retentissants et
si prolongés : Dalila, le Roman d'un jeune homme pauvre. Rédemption, le Sphinx,
etc. Feuillet a même touché, par accident en quelque sorte, à la musique.
Sur la prière d'un jeune musicien, désireux de se produire, M. Hémery,
organiste de Saint-Lô, il avait transformé en un livret d'opéra-comique
une des petites saynètes écrites par lui naguère presque au courant de la
plume, la Fée, et ce petit ouvrage fut représenté au théâtre Favart il y a
quelque douze ans. Les romans d'Octave Feuillet ont été traduits dans toutes
les langues, ses pièces ont été jouées en tous pays, et il nous faisait assu-
rément plus d'honneur, à l'étranger, que tel ou tel écrivain « naturaliste »
qu'on pourrait nommer.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE l^"- DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CIIAXT ou pour le PIAi¥0, de moyenne dilficulté, et offrant
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LE
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Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. - Pour l'Etranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Victor Massé (35° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : A propos d'une reprise de Patrie, H. Moreno. — III. Une famille
d'artistes; Les Saint-Aubin (5» article), Arthlr Pougin. — IV. Nouvelles diverses
et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour •
LES VOLANTS
n" IS de la Chanson des Joujoux, poésies de Jules Jouy, musique de
Claudius Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra immédiatement : La terre
a mis sa robe blanche, nouvelle mélodie de Théodore Dubois, poésie de
J. Bertherov.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Au matin, d'ANTONiN Marmontel. — Suivra immédiatement ;
les Douze Femmes de JapJiet, quadrille brillant par LÉON Roques, sur l'opé-
rette de Victor Roger, le dernier succès du théâtre de la Renaissance.
PRIMES POUR L ANNÉE 1891
NOS ABONNÉS EN TROUVERONT LA LISTE A LA 8= PAGE DE NOS PRÉCÉDENTS NUMÉROS
NOTES D'UN LIBRETTISTE
VICTOR MASSE
Les lettres de Victor Massé, celles du moins que j'ai pos-
sédées, sont généralement courtes, précises; on n'y rencontre
point de ces épanchements faits pour éclairer ceux qui les
lisent sur la réelle tournure d'esprit, sur la manière de con-
cevoir, sur les procédés de travail de leur auteur, détails si
abondants chez certains autres compositeurs, dont la corres-
pondance éclaire largement la vie intellectuelle.
J'ai pu toutefois connaître un Massé plus expansif, s'aban-
donnant mieux à la vivacité naturelle de son exprit, formu-
lant sur son art des vues personnelles; il m'a fallu, pour
cela, l'aller chercher, l'étudier dans un document fort inté-
ressant et peu répandu: la notice qu'il consacra à Auber, son
prédécesseur à l'Institut, et qu'il vint lire, le 13 mars 1875,
à l'Académie des Beaux-Arts.
Il y a dans ce travail, d'une libre allure qui en tempère
la gravité académique, des traits que j'aime à noter au pas-
sage.
Dès le début il explique ainsi comment Auber ne fut qu'un
pseudo-Normand :
« Daniel-François-Esprit Auber vint au monde à Gaen, le
29 janvier 1782... Le compositeur parisien par excellence
devait naître à Paris, aux petites écuries du Roy, faubourg
Saint-Denis, oii son père habitait comme ofBcier des chasses
de Louis XVI, et ce fut le hasard d'un voyage qui le fit nor-
mand.
« Je ne puis m'empècher^de remarquer ce singulier pré-
nom : Esprit, qui est toute une prédestination et qui semble
lui être donné, comme dans les contes d'autrefois, par la
bonne fée, sa noarraine.
« Cet Anacréon de la musique recherchait surtout la société
des femmes; en France la réputation de vert-galant n'a ja-
mais nui à personne. Son esprit est resté proverbial, et pour-
tant Auber ne soutenait jamais une conversation; il y prenait
part sans doute, mais, comme un habile archer derrière une
palissade, il attendait le moment voulu pour lancer le trait
qui résumait et terminait la conversation. »
Dans un autre passage, c'est une phrase à la gloire de la
musique française et aussi un franc regret d'une situation
dont on sentait qu'il avait personnellement souffert :
« La date du 29 février 1828 n'est pas seulement glorieuse
dans la carrière d'Auber; elle l'est aussi dans l'histoire de
notre musique nationale. En effet, à cette époque, Gluck,
Spontini et Rossini avaient seuls donné des œuvres remar-
quables sur notre première scène lyrique; la Muette était donc
le premier grand opéra d'un musicien français, pouvant mar-
cher de pair avec les œuvres de ses illustres devanciers.
» De tout temps une manie de notre cher pays a été d'ac-
cueillir les étrangers au détriment de nos nationaux: cour-
toisie que du reste, les premiers ne nous rendent jamais.
Chose mélancolique à constater, ce sont eux qui font nos
opéras. Les partisans de celte hospitalité exagérée y cherchent
un hommage i-endu à la France; il n'en est rien; le coucou,
en déposant ses œufs dans le nid des autres, a aussi de ces
hommages-là! Un de ces étrangers expliquait ainsi, devant-
moi, leur assiduité à venir chercher fortune chez nous : —
« La France est une bonne trompette! » — L'aveu est bon
à noter. Quant à moi, je suis de ceux qui croient que Méhul
aurait pu faire la Vestale et Herold les Huguenots. Réjouissons-
nous de ce que quelques bons poèmes aient été détournés
de leur route habituelle pour êlre confiés à des compositeurs
français; sans cela nous n'aurions ni la Muette, ni la Juive,
ni Faust, ni Hamlet. »
A ces citations empruntées au compositeur lui-même et
qui, à propos d'Auber, nous laissent voir un peu de sa phy-
10
LE MENESTREL
sionomie morale personnelle, je veux en ajouter deux, prises
dans un travail de M. le vicomte Henri Delaborde, qui vint,
le 20 octobre 1888, parler à son tour de Victor Massé à celte
même tribune de l'Académie des beaux-arts, où quelques
années auparavant Victor Massé était venu parler d'Auber.
D'abord, un mot sur son talent, mot de tbèse générale, mais
visant directement le modèle :
« Le naturel dans l'art peut, en même temps, être l'exquis;
l'expression musicale de la douleur ou de la joie, de la mé-
lancolie ou de la passion, peut tantôt se raffiner jusqu'à
l'extrême élégance, tantôt s'élargir et s'exalter jusqu'au lyrisme,
sans pour cela cesser d'être vrai ».
Ensuite une observation sur son caractère :
« Il était chef du chant de l'Opéra depuis 18S2, tâche
pénible et délicate à laquelle il apportait un zèle et une
abnégation d'autant plus méritoires qn'il se trouvait ainsi
servir, par état, la cause de ses rivaux, quelquefois même
celle d'un art peu conforme à ses propres inclinations et à
ses doctrines. »
Ce rêveur, ce simple, en qui à première vue on devinait
la sainte terreur de la foule, cet artiste aux allures modestes
devait avoir un jour sa statue! — Les Lorientais l'ont voulu
posséder, sur un piédestal, au milieu de l'une des places
de leur ville, oii il est né.
Cet hommage lui était dû; mais voilà de ces spectacles,
de ces brusques contrastes, qu'il appartenait à cette fin de
siècle de nous réserver: cet homme que nous avons connu
si familier, parisieu parisiennant, sans pose! nous dire tout
à coup qu'il est là-bas, figé pour jamais, tout en marbre,
sur une place de marché quelconque !
Nous ne l'aurions jamais rêvé ainsi, ~ et notre simplicité
s'en étonne, en y applaudissant. — Et sans doute, s'il en
avait eu la vision, personne ne s'en serait plus étonné que
lui-même.
M. Jules Simon a dit, devant cette statue, inaugurée le
4 septembre 4887, ces paroles bien justes, ce me semble, sur
la carrière et sur l'œuvre de Victor Massé :
« Il était populaire à trente-deux ans, — c'était réussir trop tôt.
— On s'habitue aisément au succès. Un temps d'arrêt, s'il se
produit, et il se produit toujours, est douloureux pour les
orgueilleux et inquiétant pour les modestes. Ni les Saisons,
ni Fior d'Aliza, ne furent mis par le public à leur véritable
place. Certaines natures ombrageuses et délicates soutTrent
plus d'un caprice de la foule qu'elles ne jouissent de ses
caresses. Il avait beau sentir que son inspiration, sans rien
perdre de sa grâce, prenait une ampleur nouvelle; il ne
retrouva que deux fois le succès de Galatée : avec la Reine
Topaze et avec Paul et Virginie.
Philippe Cille qui, avant d'être le gendre de Victor Massé,
était son ami le plus cher, raconte de lui bien des traits
intéressants ou charmants.
Le futur compositeur des Saisons avait été au Conserva-
toire un travailleur acharné. Devenu pensionnaire de la
villa Médicis, il se montra à Rome un peu paresseux et ce
fut très lentement qu'il fit les envois réglementaires.
Nonobstant cette paresse douce qui lui donnait d'agréables
heures en la compagnie de ses camarades d'école Cabanel,
Cavelier, Hébert, Barrias le peintre et Cuillaume, on lui
attribua la paternité d'ua petit opéra la Favorite et l'Esclave
représenté à Venise.
Gela le mit dans une belle colère qui devait avoir de nom-
breuses occasions de renaître, car, malgré son désaveu for-
mel, on n'en persista pas moins à le désigner comme l'au-
teur de' cet ouvrage, dans lequel il est absolument démontré
qu'il n'était pour rien.
A mesure qu'il avançait dans la vie, à la paresse des pre-
tniers jours et aux éclatants succès des premières œuvres,
succédait cette terrible peur de produire, qui n'est rien autre
chose qu'une manifestation de la haute conscience de l'artiste.
Le travail était devenu pour lui comme une fonction sacrée
qu'il accomplissait avec un soin religieux, un souci constant
de l'intégrité de ses facultés. — Je relève, à propos d'une Nuit
de Cléopâtre, son dernier ouvrage, ce détail, bien caractéris-
tique de son état d'esprit, qu'il ne travaillait à cette partition
que durant les accalmies de son terrible mal, ne voulant pas
que son œuvre subit l'influence ou portât la trace de sa
maladie.
* *
Avec une rare conscience, il s'ingéniait, en paysagiste mu-
sical sincère, à noter et à reproduire les grandes harmo-
nies de la nature. — C'est ainsi que, travaillant à sa par-
tition de Paul et Virginie, il voulut absolument aller au bord
de l'Océan, un jour de grande tempête.
Philippe Gille l'accompagnait. C'était l'hiver, par un froid
terrible et, pendant que sur la falaise le musicien écoutait
tranquillement les gémissements des flots, son compagnon se
morfondait, à demi gelé.
— Mais venez donc, suppliait-il de temps en temps, venez
donc, vous en avez assez entendu, n'est-ce pas?
Et Victor Massé ne bougeait pas. Il resta là, impitoyable-
ment, toute la matinée.
Matinée perdue, avoua-l-il, du reste, de bonne grâce, car
de tout ce fracas des vagues, en lutte contre les souffles dn
ciel, il n'avait retenu qu'un « rythme extrêmement régulier ».
Quand vinrent les heures suprêmes et qu'il entrevit pro-
chain le but de cette voie douloureuse, où il se traînait
depuis cinq ou six ans, il eut des paroles touchantes et d'un
esprit bien parisien en leur modestie :
— Pas de musique au service ! recommanda-t-il expressé-
ment. Rien que du plain-chant. Et surtout, ah ! surtout, pas
de trémolo, de voix humaine à l'orgue, c'est toujours une note
fausse.
» Et puis, pas de discours au cimetière ! —
Ce clair et vif esprit obéissait là, évidemment, à l'horreur
de la banalité officielle. Et je pense qu'il entendait déjà très
distinctement les orateurs le nommer le « gracieux auteur
des Noces de Jeannette et de Galatée », sans songer à lui comp-
ter ses œuvres plus fortes, celles pour lesquelles il gardait
une prédilection juste : Fior d'Alisa, Paul et Virginie et les
Saisons, et qu'en leur commandant le silence il leur voulait
épargner ce lieu commun et cet oubli.
Il demanda encore une sépulture isolée et simple. Il lui
plaisait de dormir dans le recueillement et le silence.
Dès son enfance, il avait aimé ces rosiers blancs, comme il y
en a beaucoup dans les jardins de Lorient, sa ville natale. —
Son désir fut d'en avoir un, qui fleurirait près de lui dans ce
coin du cimetière Montmartre où il se préparait à aller se
reposer de la vie.
— Et pas de buste, n'est-ce pas? concluait-il. On a l'air de
regarder tout le temps du même côté et de dire aux passants:
Que me veulent ces gens-là !
Une urne marque donc seule maintenant la place où repose
le chantre des Saisons, une urne que parfument, l'été venu,
les roses blanches de sa Bretagne.
Mais, au lieu du buste qui épouvantait son esprit parisien,
la statue s'est élevée comme l'on sait. Heureusement, elle,
nous le montre sous son aspect familier, dans ce costume
sans façon de maître ouvrier musical sous lequel je le vis
m'apparaitre à notre première rencontre.
— C'est seulement comme cela, dit Philippe Gille, qu'il
LE MENESTREL
11
eût souffert la vue de sa propre image, s'il avait pu être
consulté.
Une exquise bonté était en lui. Il avait un petit chien qui
ne pouvait pas souffrir la nausique. Alors, Victor Massé s'abs-
tenait de se mettre au piano devant lui, pour y essayer ses
compositions.
Et philosophiquement il disait :
— Il n'aime pas ça! II a peut-être raison 1
Georges Bizet aura sa statue à Paris, comme Victor Massé
a la sienne à Lorient. Mais cet hommage que son pays natal
rend à un compositeur illustre n'est pas le seul que ses
contemporains lui doivent accorder. Il en est un autre dont
l'élément principal est dans son œuvre même. Les maîtresses
pages de Georges Bizet sont et resteront honorées comme
elles mérilent de l'être; il faudrait que cette partition des
Saisons, faite pour mettre le nom de Victor Massé à une place
qu'il ambitionnait, fut à son tour rendue à la lumière. Elle
manque au musée de l'école française.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
A I'Opéra, cette semaine, iniéressaute reprise de Patrie. La par-
tilion de M. Paladilhe avait conservé une partie de ses inlerprèles
de la création : MM. Lassalle, Duc, Bérardi, M"" Bosman, que
nous avons retrouvés comme nous les avions laissés, sinon doués
d'une bien grande puissance de talent, non dépourvus, du moins,
■de quelque agrément. Dans le rôle du duc d'AIbe, M. Edouard de
Reszké était remplacé sans désavantage par M. Pol Plançon, qui est
ua artiste tout à fait remarquable; M. Vaguet jouait La Trémoille
au lieu et place de M. Muralet ; il n'était pas très sûr de son rôle
à ce qu'il nous a semblé, et s'est trompé de-ci de-là dans quelques
rentrées vocales. Mais on n'en est pbs à cela près à l'Opéra de
MM. Ritt et Gailhard. A la pauv.e et belle M'"'= Adiny incombait la
lourde succession de M"" Krauss, dans le personnage d'ailleurs assez
ingrat de Dolorès. N'insistons pas.
Mulgré ses défaillances, la soirée peut donc encore être comptée
parmi les bonnes de l'Académie nationale de musique. Ce qu'il faut
aller voir aujourd'hui, pour se rendre compte de l'éial de décalence
de notre première scène, ce sont les représentations du répertoire
courant, celles de l'Africaine entre autres. C'est absolument navrant.
Pourquoi le ministre des Beaux-Arts, s'il y en a un, ne s'égare-t-il
pas de temps à autre dans ces mauvais parages? Il pourrait se
rendre compte par lui-même du triste usage que font les directeurs
de la grosse somme mise tous les ans à leur disposition par les
contribuables, dans l'espoir de posséder une scèae musicale digne
de son passé et qui puisse jeter sur la France quelque éclat artis-
tique. Peut-être alors comprendrait-il qu'il lui est impossilde de
songer à renommer encore pour sept années des gens qui iiniront
par exterminer tout à fait la musique française, si on les laisse
faire. Et, dans le désir de remplir tous ses devoirs, le ministre
s'empresserait de se délivrer des pressions qu'on tente d'exercer sur
lui, pour ne s'occuper, en ce moment critique, que du véritable in-
térêt de la musique. C'est pour cela qu'on l'a installé rue de Valois
et non pour satisfaire le bon plaisir de tels ou tels ministres, ses
collègues, qu'ils soient de l'intérieur ou d'autre part. Car ce régime
de la République, si beau et si droit eu théorie, dévie toujours dans la
pratique. La chose publique y devient, comme sous toutes les autocra-
ties, la chose de quelques-uns qui ne pensent qu'à leurs plaisirs, à leurs
appétits particuliers, à leurs protégés, à leurs « pays » enfin de
Toulouse ou d'ailleurs, plutôt qu'au bien général de tous. Ils traitent
la France en terre conquise, et jamais Louis XIV ou Napoléon n'en
ont fait davantage.
Ceux qui nous gouvernent ont volontiers à la bouche le mol de
« République athénienne ». C'est là ce qui semble leur idéal, le
but vers lequel tendent tous leurs efforts. Le meilleur moyen d'y
atteinrire ne serait-il donc pas de débarrasser cette républii|ue de tous
les Béotiens qui l'obscurcisseut ? A ce titre, MM. Ritt et Gailhard ont
tous les droits pour être jetés hors l'Opéra. Ils n'ont absolument rien
d'athénien, ni l'un ni l'autre. Que M. Bourgeois y songe sérieu-
sement.
Mais que nous voilà loin de la reprise de Patrie, dont nous avons dit
d'ailleurs à peu près tout ce que nous avions à en dire ! Ajoutons cepen-
dant que cette reprise a eu l'étrenne d'une nouvelle modification dans
la disposition de l'orchestre. On ignore peut-être que jusqu'ici le
plancher des musiciens a subi déjà trois transformations. On l'a élevé
ou abaissé selon le caprice des directeurs qui se sont succédé à la tête
de notre « Académie ». De là, trois niveaux déjà. Il y a eu d'abord le
niveau de l'architecte, M. Garnier ; puis le niveau de M. Halanzier ;
puis celui de M. Vaucorbeil. MM. Ritt et Gailhard ont voulu avoir
le leur; il est naturellement le moins élevé de tous. M. Gailhard a
tenu à ce qu'on abaisse de trente centimètres le plancher oii se
meuvent d'ordinaire les contrebasses; puis, il a fait éloigner de la
scène d'un mètre 30 environ, le fauteuil du chef d'orchestre. Ce n'est
là qu'un commencement, paraît-il ; toutes les semaines, on éloignera
davantage M. Vianesi, jusqu'à ce qu'il se trouve sur la place de l'Opéra,
tout à fait en dehors du monument. M. Gailhard croit que c'est le
meilleur moyen de s'en débarrasser, petit à petit et sans brusquerie:
« comme cela, dit-il, le maestro ne pourra plus du moins se cram-
ponner à la rampe ». La fête serait encore plus complète si le di
recteur restait sur la place en compagnie de son chef d'orchestre.
H. MORENO.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite.)
IV
Lorsqu'on 1793 Saint-Aubin, venant subir à l'Opéra-Comique une
seconde épreuve, réussit enfin à se faire admettre dans le personnel
de ce théâtre, son aimable femme s'était mise tout à fait hors de
pair et était entrée en pleine possession de la faveur du public.
Les auteurs, comprenant tout le parti qu'ils pouvaient tirer, pour
le bien de leurs ouvrages, d'un talent si précieux et de facultés si
multiples, lui confiaient de nombreuses créations, qui pour la plu-
part lui avaient valu des succès retentissants. Parmi les ouvrages
à l'interprétation desquels elle avait pris une part importante , on
peut surtout citer pour cette époque Roméo et Juliette, Camille ou le
Souterrain, Agnès et Olivier, PliiUppe et George tte, Ambroise ou Voilà
ma journée, de Dalayrac; Jean et Geneviève, de Solié; Lodoïska, Char-
lotte et ^¥erlher, Paul et Virginie, de Rodolphe Kreutzer, etc.
Précisément à propos de Paul et Virginie, oîi le jeu touchant et
pathétique de M™' Saint-Aubin obtenait un véritable succès de
larmes, on trouve, dans le Journal de Paris du S décembre 1791,
une lettre assez originale adressée « au parterre de la Comédie-Ita-
lienne » par un amateur qui reproche à cet être collectif et imper-
sonnel son intolérance et sa mauvaise tenue en présence de l'impres-
sion produite sur la partie féminine du public par le talent émouvant
de l'actrice; j'extrais de la lettre en question ce fragment singulier
et caractéristique: — « ... Mercredi dernier vous avez poussé l'intolé-
rance, vous qui vous piquez de tolérantisme, jusqu'à vouloir empêcher
les beaux yeux des femmes sensibles de verser des larmes; il falloit
donc empêcher Virginie-S'-Aubin de les faire répandre. Et cela de
quelle manière! dans quel langage!... A bas les mouchoirs!...
Le diable te mouche!... Mâtin de nez!... Mouche ton groin !.. . Vous
conviendrez avec moi. Monsieur, à présent que vous avez eu le moment
de la réttexion, que ces expressions ne sont pas d'un bon genre. . . ».
Ceci ne donne pas, en effet, une haute idée de la courtoisie et des
convenances du parterre de la Comédie-Italienne, mais nous ren-
seigne sur la puissance pathétique de M°>= Saint-Aubin (1).
Malgré une santé très délicate, délicate à ce point qu'à diverses
reprises la maladie l'éloigna de la scène pendant un plus ou moins
long temps et qu'elle fut cause de sa retraite prématurée, M""= Saint-
(1) A rapprocher de ce fait, pour constater la diversité du talent de l'actrice, ce
passage d'au article de la célèbi'e comédieane M~° Louise Fusil, intitulé Souvenirs
de l'Opéra-Comique elpnblié dans le Supplément du Constilutionnel du 13 mars 1842.
Ici, c'est le côté plaisant du jeu de M""° Saint-Aubin qui est mis en évidence : —
«... Je ne finirais pas de citer si je voulais nommer tous les rôles dans lesquels
elle a brillé. Je parle plus particutièremeut de ces rôles dont le caractère était
diamétralement opposé les uns aux autres, pour prouver combien son talent se
prêtait aux diU'érents genres ; mais celui où elle était ravissante, c'était la petite
paysanne dans Ambroise ou Voilà ma journée, Fanchette, où elle était si adroite-
ment gauche ; sa maladresse était si gentille, qu'on aurait voulu lui donner
toutes ses assiettes, afin de les lui voir casser ainsi n
42
LE MÉNESTREL
Aubin se montrait infatigable, toujours sur la brèche, et ne mar-
chandait pas ses services au thoàtre dont elle était devenue l'un
des plus fermes soutiens. Le publie lui savait gré d'ailleurs de son
courage, de son assiduité, de son empressement à lui plaire, et
l'excellente artiste, aussi estimée comme femme qu'elle était aimée
et admirée comme actrice, se voyait à chaque instant l'objet des
manifestations touchantes de la sympathie de tous. Nous en aurons
plus d'un exemple. Et la faveur dont elle jouissait est d'autant plus
remarquable qu'elle était serrée de près par des rivales nombreuses,
et qu'en un temps oîi le théâtre Favart comptait dans son personnel
féminin des artistes telles que M'""' Gonthier, Gavaudan, Créf.u,
Carline Nivelon, Renaud-d'Avrigny, M"" Desbrosses, Armand, Philis,
Pingenet, il fallait que la supériorité de M™ Sainl-Aubin sur des
émules si heureusement douées fût bien éclatante pour être aussi
incontestée. Aux ouvrages créés par elle et que je citais il n'y a
qu'un instant, il faut ajouter, pour les années qui suivirent, Mèlidore
et Phvosine et le Jeune Henry, de Méhul, Andros et Almona, de Lemière
de Corvey, Az-éhne, de Rigel, h Jockey et la Femme de 45 ans, de Solié,
Lisbeth, de Grétry, où son succès fut si grand que le peintre Bouchet
exposa, au Salon de l'an VI, son portrait dans le costume de Lisbeth,
puis Adèle el Dorsan, Marianne, et la Maison isolée ou le Vieillard des
Vosges, de d'Alayrac. Pour d'Alayrac, elle était, on peut le dire, son
interprète favorite et particulièrement recherchée, car je n'ai pas
relevé moins de seize rôles établis par elle dans les opéras de ce
compositeur. Encore ne suis-je pas certain que la liste en soit
complète (1).
Il n'est pas inutile de faire remarquer que M™" Saint-Aubin, au
plus fort de ses succès et de sa renommée, n'hésitait pourtant jamais
à accorder l'appui de son talent aux jeunes auteurs qui débutaient
à la scène et dont elle affermissait ainsi les premiers pas. C'est que
c'était une véritable artiste, qui non seulement avait le respect du
public et le respect d'elle-même, mais qui pensait qu'on ne saurait
encourager d'uoe façon trop efficace les jeunes artistes qui abordent
la carrière et qui ont besoin, pour y réussir, du concours de ceux-là
surtout qui ont la connaissance et l'expérience du danger. C'est
ainsi qu'on la vit se charger de rôles importants dans Euphrosine,
premier ouvrage de Méhul, dans le Prisonnier, premier ouvrage de
Délia Maria, dans le Rêve, Fanny Morna, la Dame voilée, qui étaient
les débuts à l'Opéra-Comique de Gresniek, de Persuis et de Men-
gozzi. Pour Délia Maria, dont la carrière, commencée d'une façon
si brillante, devait être si courte, elle l'avait pris en vérital)le affection,
el elle prit part à l'interprétation non-seulement du Prisonnier, dont
ellepartagea l'éclatant succès, mais des quatre autres ouvrages compo-
sés par lui : l'Opéra-Comique, l'Oncle valet, la Fausse Duègne et Jacquot ou
l'Ecole des mères. Et l'on peut supposer qu'à ce moment elle était à
même, sous ce rapport, d'agir à peu près à sa guise et à sa volonté : en
possession de la faveur constante du public, jouissant auprès de ses
camarades d'une iufluence légitime, sociétaire à part entière et, de
plus, faisant partie, avec Chenard, Solié, Philippe et Carline Nive-
lon, du comité des cinq administrateurs de l'Opéra-Comique, elle
avail évidemment toute liberté de choisir ses rôles, et sans doute
eût pu se récuser à l'occasion sans que personne y trouvât à redire.
Mais elle ne voyait que le bien du théâtre, l'intérêt des auteurs et
la satisfaction du public. Trouverait-on aujourd'hui beaucoup d'ar-
tistes de la valeur et du renom de M°"= Saint-Aubin, pour agir avec
autant de conscience, de délicatesse et de modestie?...
En 1797, pendant une longue fermeture que des circonstances
particulièrement difficiles imposèrent à l'Opéra-Comique, nous voyons
M°" Saint-Aubin aller donner des représenlatious eu province avec
sou mari et deux de ses camarades (2). De retour à la fin de l'année,
(1) Elle était intimement liée avec d'Alayrac, comme elle l'était avec Méhal,
comme elle le fut avec Boieldieu et la plupart des composileurs aux succès des-
quels elle contribuait si puissamment. Pour d'Alajrac, on va voir ce qui en était
par le ton tout familier de ce fragment d'une lettre qu'il lui adressait du Havre,
le 2 Prairial an VU (22 mai 1800), à l'époque où le malheureux Michu, l'ancien
ténor si renommé du théâtre Favart, avait eu la malencontreuse idée de prendre
la direction de celui de Rouen, ce qui fut cause de sa ruine et de son suicide :
— I... Si tu avais jamais envie de te faire directrice, ma chère amie, j'userais
des tristes droits que tu veux bien sans doute laisser à un ancien ami, pour t'en
empêcher; on dit que le pauvre Michu ne tardera pas à être ruiné si cela con-
tinue; les Rouanais [sk) n'en doutent pas, et ils y font ce qu'ils peuvent- ils
vont peu au spectacle ; nous avons vu à l'autre salle Talma et M-» Petit dans
Othello et quoiqu'il» ayent joué à merveille, il y avait à peine cinq cents francs et
le directeur leur en donne 800 : 500 au mâle et 300 à la femelle., .i (Voy. Cata-
logue des autographes du baron de Trémonl, Paris, Laverdet, 1852, in-8.)
(2) MM. Gbenard et Sollier, M. et M'" Saint-Aubin, du théâtre des Italiens,
sont actuellement à Lyon, et se proposent de donner une douzaine de représen-
tations. Ils ont déjà paru dans liaoul de Créqtii, Philippe el Georgetk, Lodoislia
Rose et Colas. Ces quatre artistes, en quittant cett3 ville, doivent se rendre à
Marseille. — {Quotidienne, du 9 Messidor, an V — 27 juin 1797.)
elle crée en 1798, entre autres ouvrages, la Dot de Suzette, de Boiel-
dieu, et dès les premiers jours de 1799 elle obtient un brillant et
nouveau succès dans un nouvel opéra de Grétry, Elisca ou l'Ainour
maternel. C'est, je crois, à la troisième représentation de cet ouvrage,
que se produisit un incident d'autaut plus flatteur pour elle qu'il
était rare à cette époque, et qui était ainsi rapporté par le Journal
d' Paî'is : — « L'opéra d'Elisca attire toujours un grand nombre de
spectateurs. Quelques coupures faites au dialogue ayant donné plus
de rapidité à l'action, l'ensemble de cet ouvrage ne laisse plus
maintenant rien à désirer. Avant-hier, au moment oîi l'on baissoit
la toile, une couronne de myrthe et de lauriers est tombée des
loges sur le théâtre. Elle étoit destinée à la C"'= Saint-Aubin, et le
public, partageant la juste admiration de celui qui l'avoit tressée, a
voulu qu'on la remît sur-le-champ à son adresse. La C°= Saint-
Aubin a donc été amenée et couronnée sur la scène, et l'enthou-
siasme général a été porté à son comble (1). »
C'est dans cet opéra d'Elisca que parut pour la première fois à la
scène, dans un rôle d'enfant, la seconde fille de M""» Saint-Aubin,
Alexandrine, qui ne devait débuter sérieusement à l'Opéra-Comique
qu'en 1809, çioq ans après sa sœur. On lisait à ce propos, dans le
Journal des Théâtres du 31 janvier :
Couplet pour Zizine Saint-Aubin, enfant de cinq ans, fait après la 7° re-
présentation d'Élisca, où Zizi avait été extrêmement applaudie :
Air : Pour passer doucement la vie.
Zizine, au bon cœur de ta mère,
Tu joins ses grâces, ses attraits.
L'esprit, la douceur de ton père ;
En toi l'on voit leurs deux portraits.
Le même journal, dans le même numéro, rendait au talent si souple
et si varié de M™" Saint-Aubin l'hommage que voici:
La citoyenne Saint-Aubin, cette charmante actrice, dont le talent em-
brasse tous les genres avec une égale perfection, a donné, le 8 de ce mois,
jour d'une première représentation, une nouvelle preuve de zèle, qui doit
ajouter à sa réputation, et dont le public, qui ne la voit jamais assez,
malgré son travail assidu, lui a marqué sa satisfaction. Elle a joué, le
même jour, dans les trois pièces, trois rôles d'un caractère opposé, d'un
genre différent, avec le même succès. Aimable, sensible et modeste dans
la Dot de Suzette, remplie de finesse, de gaîté et d'esprit dans la soubrette
du liiîve, joli opéra nouveau, elle a reparu enfin dans Jean et Geneviève,
sous le travestissement d'un petit commissionnaire, qu'elle a joué avec
autant d'espièglerie et de grâce que de sensibilité. Aussi le public, qui
ne laisse jamais échapper l'occasion de lui faire quelqu'application flat-
teuse, a-t-il beaucoup applaudi dans la Dot de Suzette, lorsque Chenu dit,
en parlant de sa sœur: « Partout où elle paroit, on la voit toujours avec
plaisir. »
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique {S janvier). — La première de
Siegfried a été de nouveau retardée ; elle est finalement annoncée pour
lundi, 12; mais un nouveau retard se produira sans doute, ce sera alors
pour mardi ou pour jeudi. Les répétitions se succèdent, tout autre travail
cessant, pour ainsi dire ; on est tout à Siegfried, et la salle est naturellement
depuis longtemps louée. Ce sera une première à sensation. Un de nos
confrères, wagnériste convaincu et érudit, M. Edmond Evenepoele, a
profité de la circonstance pour mettre en vente un très intéressant volume
sur le Wagnérisme hors d'Allemagne (en Belgique et à Bruxelles). Il a réuni les
documents les plus curieux, qui lui permettent de suivre les progrès que
la musique de Wagner a faits dans le public et dans la presse depuis le
jour de son apparition chez nous, en 18.5.5. C'est un livre à lire et à con-
sulter. Car, malgré l'esprit d'exclusivisme dans lequel il est conçu, l'au-
teur a su rester de bonne foi et impartial, ce qui n'est pas un mince
mérite pour un apôtre du wagnérisme. Le premier concert populaire,
décidé pour le 18, sera le concert jubilaire de l'institution, qui compte,
vous le savez, vingt-cinq ans d'existence. On y exécutera la sixième
symphonie de M. Adolphe Samuel, le fondateur des concerts, et divers
fragments de "Wagner, Borodine, Beethoven, etc. Le violoniste Isave
jouera un concerto de Vieuxtemps. Et le soir, un banquet par souscription
sera offert à MM. Samuel et Joseph Dupont. — J'ai à vous signaler
enfin l'apparition de la deuxième partie de l'admirable Coio-s méthodiqiu:
d'orchestration, de M.Gevaert. Cette seconde partie complète l'ensemble du
grand travail entrepris par le savant écrivain sur l'instrumenlation au
(1) Journal de Paris, du 18 Nivôse an VII — 8 janvier 1799. — Un critique
dirait, dans la Revue des Théâtres : « L'inimitable Saint-Aubin a été sublime dar»
le rôle d'EUsca ».
LE SlENESTREL
13
prix de plusieurs années de labeur incessant. Elle est particulièrement
intéressante, car elle traite du « grand orchestre de symphonie » et, en
particulier des trois formes d'orchestration de Wagner, sujet tout moderne,
tout d'actualité, dirais-je, que M. Gevaert a étudié à fond, et dont il
parle avec sa grande compétence. L. S.
— Il y a conflit entre les autorités militaires et les sommités musicales
de Vienne, au sujet de l'adoption du nouveau diapason dans les musiques
de l'armée autrichienne. Jusqu'à présent, une seule de ces musiques, celle
du 84= régiment d'infanterie, a changé ses anciens instruments contre
d'autres accordés au nouveau diapason. Afin de juger de l'effet de cette
musique, comparée à celle des autres corps, une expérience a eu lieu ces
jours derniers au Prater, devant les officiers de la garnison de Vienne et
plusieurs professeurs éminents, entre autres M. Joseph Hellmesherger,
premier maître de chapelle de la Cour, le professeur Grùn, du Conserva-
toire, et le chef d'orphéon Kremser. On fit défiler musique en tête, et
alternativement, les 84"= régiment d'infanterie (nouveau diapason) et le i9'
(ancien diapason). Puis le 49° défila au son de la musique du 84* et vice-
versâ. L'opinion de la plupart des officiers est que l'ancien diapason doit
être conservé; ils basent leur déclaration sur ce fait qu'avec ledit diapason
la musique s'entend de beaucoup plus loin. Les professeurs, par contre,
affirment qu3 le nouveau diapason est préférable, comme occasionnant
moins de fa'igue aux exécutants sur les instruments à pistons. D'ailleurs,
ont-ils ajouté, on peut facilement obtenir la force et l'éclat désirables en
renforçant les orchestres de quelques instrumentistes, par exemple en
employant 48 hommes par musique au lieu de 46.
— Il vient de se fonder, concurremment avec le Mozarieum de Salz-
bourg, une Association Mozart qui a déjà établi une agence à Londres et
dont voici le but principal : entretenir le musée organisé dans la maison
natale de Mozart, subventionner l'école publique du Mozarteum, organiser
des festivals pour l'audition des œuvres de Mozart; contribuer aux frais
d'érection d'un théâtre modèle à Salzbourg, consacré au répertoire clas-
sique.
— La maîtrise royale de la cathédrale de Berlin vient de donner une
très intéressante séance de musique, au programme de laquelle figuraient
plusieurs compositions d'auteurs ignorés ou oubliés de la génération
actuelle et qui avaient été exhumées tout exprès des cartons de la biblio-
thèque royale. Les plus remarquables étaient un motet à neuf voix de
Giuseppe Gorsi, maître de chapelle de l'église Santa Maria Maggiore
de Rome, en 1667, et un choral de H. Léo Hassler. Parmi les œuvres de
compositeurs plus connus, il y avait un Misericordias, de Durante, un
motet à quatre voix de Bach et un hymne de Gluck. Le concert était
dirigé par le professeur A. Becker, qui a fait entendre deux pièces de sa
composition, peu intéressantes d'ailleurs : un Gloria et un motet sur le
121'' psaume.
— Le théâtre municipal de Hambourg va mettre prochainement en répé-
titions un opéra nouveau de M. P. Geisler, intitulé les Naufragés.
— On vient de découvrir dans la bibliothèque de l'Hôtel de Ville de
Zwickau, déjà très riche en livres et manuscrits précieux, toute une série
d'incunables musicaux du xvi= siècle, entre autres le premier recuejl des
madrigaux à quatre voix de Francesco Gorteccia, publié à Venise en
lbi4, et les madrigaux de Ragazzoni. Ces découvertes éclairent, parait-il,
d'un jour tout nouveau l'histoire du madrigal musical.
— On a compté que dans la seconde quinzaine du mois de novembre
dernier, les divers théâtres de Moscou ont été fréquentés par tout près de
cent mille spectateurs, exactement 97,670 personnes.
— A Tillis on signale la première représentation d'un opéra nouveau,
Asra, du compositeur Ippolitow Ivanow, dont c'est le second ouvrage dra-
matique. A Saint-Pétersbourg on parle vaguement de la future appari-
tion du premier opéra d'un autre jeune musicien russe, M. Serge Youfé-
row, connu déjà par diverses pièces de piano et quelques jolies mélodies
vocales. Cet ouvrage a pour titre Myrrha. Enfin, l'ouvrage de M. Arensky,
un Songe sur le Volga, doit passer très prochainement à l'Opéra russe de
Moscou.
— Voici la liste des ouvrages nouveaux représentés en Italie au cours
de l'année 1890. 1. Sposete vu moje, opérette en dialecte romanesque, de
M. Cesare Pascucci (Rome, th. Rossini); —2. OccAioc/i Knce, opérette-féerie,
de M. Buongiorno (Naples, Fenice); — 3. la Risorse di Popo, vaudeville, de
M. Galeazzi (Nocera, Société philodramatique); — 4. Catilina, drame ly-
rique, de M. Cappellini (Vérone, th. Philharmonique); — 5. la Modella,
de M. Bimboni (San Remo, th. du Prince Amédée); — 6. Loreley, « action
romantique », de M. Alfredo Gatalani (Turin, th. Regio); — 7. gli Studenti
di carnavale, vaudeville, paroles et musique de M. Carlo Mor (Assise); —
8. V J sola incanlanta, opérette féerie, deM.Raimondo Rossi (Naples, Fenice);
— 9. Béatrice di Svezia, drame lyrique, de M. Tomaso Benvenuti (Venise,
Fenice); — 10. il Genio bene/ico, opérette fantastique, de M. Raimondo
Rossi (Naples, Fenice) ; — 11. Guerra « tempo di pace, opérette, de
M. Urzi (Catane, th. du Prince de Naples); — 12. Mala Pasqua, drame
lyrique, de M. Gastaldon (Rome, th. Costanzi); — 13. la Zingara, opérette,
de M. Buongiorno (Naples, Fenice); — 14. Trioiifo d'ainore, id., de M. Vin-
cenzo D'Aloe (PoUenza); — 15. la Regina di Toinon, opéra-comique, de
M. Prestreau (Naples, th. Philharmonique); — 16. Donna Joli; opérette,
paroles et musique de M. Giacomo Queirolo (Sampierdarena); — 17. Gine-
vra di Monreale, drame lyrique, de M.Bonavia(Malle, th. Royal);— 18. Labilia,
de M. Spinelli (Rome, th. Costanzi); — 19. Cavalleria rusticana, de M. Mas-
cagni (id., id.); — 20. Morinette, « idylle, » de M. A. DEste (Rome); —
21. Gringoire, opérette, de M. Scontrino (Milan); — 22. Makmus, id., de
M. Ed. Sassone (Naples, Politeama) ; — 23. t Bue Santardli, opérette en
dialecte romanesque, de M. Cesare Pascucci (Rome, th. Manzoni); —
24. Rudello, de M. Vicenzo Ferrari (Rome, th. Costanzi); — 23. il Veggente,
de M. Bossi (Milan, th. Dal Verme); — 26. Editta, de M. Pizzi (id., id.);
— 27. Raggio di luna, de M. Franco Leoni (Milan, th. Manzoni); — 28.
un Bacio alla regina, opéra-comique, de M. De Nardis (Naples, th. Sannaz-
zaro); — 29. Anna di Dovara, drame lyrique, de M. Zilioli (Milan, th.
Philodramatique) ; — 30. Pm-ta fortuna, opérette, de M. Quintavalle (Aquila);
—31. laSpedizionedeicoscrittiper l'Africa, id., de M. Carmelo Preita (Casti-
glione délie Stiviere); — 32. le Damigelle di Saint-Cyr, opéra-comique, de
M. Cesare Bacchini (Turin, th. Alfîeri); — 33. Guglielmo embriaco, de
M. Penco (Gênes) ; — 34. i Diavoli délia cmte, opérette, de M. Oreste Garlini,
(Turin, th. Alfieri); — 35. l'Ambasciatore, id., paroles et musique de
M. Luigi Mantegna (Milan, th. Pezzana); — 36. Non toccate la regina,
opéra-comique, de M. Scarano (Milan, th. Manzoni) ; — 37. la Zingara di
Granata, drame lyrique, de M. Bartolucci (Sant'Arcangelo di Forli); —
38. Diavolina, opérette, de M. Raimondo Rossi (Naples, Fenice); — 39. la
Fille mal gardée (sic), id., de M. Dom. Bertaggia (id., id.) ; — 40. Alburn-
massara, opérette en dialecte romanesque, anonyme (Rome, th. Manzoni) ;
— 41. Fiamma, opéra-ballet, de M. Rovera (Alexandrie, th. Municipal);
— 42. Arrabiate pe'marito, opérette en dialecte romanesque, de M. Cesare
Pascucci (Rome, th. Rossini); — 43. Treno lampo, id., id. (id., id.); —
44. una Gita di jiiacere, ovvero Treno lumaca, id., de M. Mascetti (Rome, th.
Métastase); — 45. Treno tropea, id., (sans indications); — 46. la Pellegrina,
drame lyrique, paroles et musique de M. Filippo Clementi (Bologne,
th. Communal); — 47. Andréa del SarCo, id., de M. Baravalle (Turin, th.
Carignan); — 48. gli Arimanni, id., de M. Trucco (Gènes, tfi. Paganini);
— 49. Gemma di sole, opérette fantastique, de M. Italo De Vita (Naples,
Fenice); — 50. Amor la vince, opéra-comique, de M. Vincenzo Galassi
(Naples, th. Bellini); — 51. Anfttrione, opérette, de M. Mattia Forte
(Naples, Politeama) ; — 52. le Nozza der marchese der grillo, opérette en
dialecte romanesque, de M. Mascetti (Rome, th. Métastase); — 53. un
Carnevale ai tempi der marchese der grillo, id., de M. Pascucci (Rome, th.
Rossini); — 54. il Talismano, opérette, de M. Luigi Ricci.
— Une anecdote relative à Verdi et à son élève et ami le regretté Mu-
zio, mort récemment, racontée par le Secolo : — « Il arriva un jour que,
l'emploi d'organiste àBusseto se trouvant vacant. Verdi écrivit aux membres
du municipe pour leur conseiller la nomination de Muzio, qui se trou-
vait alors dans une situation difficile. Des jalousies de clocher et de
sacristie se mirent à la traverse, et malgré la recommandation du grand
maestro, l'emploi fut donné à un autre. Verdi se le tint pour dit, et par
dévouement à son ami ne fit pas voir sa mauvaise humeur. Mais par la
suite il ne voulut plus se montrer dans la petite ville, bien qu'elle ne
fut distante que de quelques kilomètres de son domaine de Sant'Agata,
et cela même pour l'inauguration du nouveau théâtre, au sujet duquel il
se contenta d'envoyer 10,000 francs. »
— Nous recevons l'intéressant Annuario scolastisco del Liceo musicale Ros-
sini de Pesaro, pour la huitième année de l'existence de cet établissement,
dû, on le sait, à la munificence posthume de Rossini, dont Pesaro était
la ville natale. Le Lycée musical, placé sous l'hahile direction de l'excel-
lent compositeur Carlo Pedrotti, l'auteur de Fiorina et de Tutti in maschera,
ne cesse de progresser. Pendant l'année écoulée les élèves étaient au
nombre de 116, confiés aux soins de 20 professeurs chargés de 33 classes
diverses. L'enseignement est complet et embrasse toutes les branches de
l'art, si bien que le Lycée de Pesaro est devenu l'un des Conservatoires
les plus importants de l'Italie. — Disons à ce propos que la municipalité
de Pesaro, qui jusqu'à ce jour a semblé quelque peu oublieuse de la gloire
et des bienfaits de Rossini, songe enfin à réparer cet oubli, et se prépare,
dit-on, à fêter comme il conviendra le centième anniversaire de la nais-
sance du maître, qui tombe au mois de février 1892.
— Un chanteur italien, le baryton Antonio Farini, vient d'avoir une
idée singulière, mais qui peut avoir beaucoup de succès chez les excen-
triques yankees. Il a organisé une compagnie chantante internationale, avec
laquelle il se propose de donner des concerts « cosmopolites » dans les
principales villes des États-Unis. Cette compagnie comprend les artistes
dont voici les noms : miss Marie Selik (créole) ; miss Hettie Durand, con-
tralto (négresse); M. Heinrich Schiller, ténor (allemand)'; M. Velasco,
baryton (des îles Hawaï); M. Armand, pianiste (français); enfin, le direc-
teur lui-même, M. Farini (italien). Une tour de Babel musicale, quoi !
A la Scala de Milan, première représentation et insuccès comple t
d'un nouveau ballet, il Tempo, scénario de M. Pogna, musique de
M. Boniccioli, l'un et l'autre manquant absolument d'attrait, de charme
et de nouveauté. — Le Cid de M. Massenet n'y a pas réussi davantage.
— On a dû exécuter au Théâtre-Royal de Madrid, le 2 janvier, premier
anniversaire de la mort du fameux ténor Gayarre, la Messe de Requiem
de Verdi.
Cette fois-ci, cela parait irrévocable. Les capitaux nécessaires à l'achat
du théâtre de Sa Majesté à Londres ont enfin pu être recueillis, et l'im-
14
LE MENESTREL
meuble sera livré à la pioche des démolisseurs vers la lin de la présente
année 1891. Une dernière saison italienne sera donnée cet été sous la
direction de M. Lago, puis le silence se fera à tout jamais sur cette scène
célèbre où brillèrent jadis les Garcia, les Malibran, les Catalani, les
Titjiens, les Mario, les Sontag et tant d'autres.
— A Londres, la mode est toujours aux petits virtuoses prodiges. Le
nombre des pianistes et violonistes en enfance qui se sont abattus cette
année sur la capitale anglaise est vraiment fantastique. Cela devenait une
épidémie, rapidement enrayée, cependant, par l'apparition du jeune Gé-
rardy, vio)oncelliste de douze ans et demi, dont le talent précoce fait
actuellement sensation dans les concerts de Londres et éclipse, parait-il,
tous ses confrères du piano et du violon. Les qualités d'exécution de est
enfant sont celles qu'on rencontre chez les maîtres, et le sentiment péné-
trant de son jeu impressionne fortement l'auditeur; cela tient du surnatu-
rel, et la presse anglaise envisage avec crainte l'avenir de ce petit phé-
nomène.
— Au dernier concert populaire de M. Théodore Thomas, à New- York,
les honneurs de la séance ont été pour les fragments de Lakmé : airs de
danse {Terana, Rektah, Persian, Goda) et la scène et légende, brillamment
enlevée par M"'' Clémentine De Vere.
— A San Paolo du Brésil, une compagnie d'opéra italien vient de
mettre à la scène, coup sur coup, trois ouvrages de trois compositeurs
brésiliens : Carinosina, de M. Gomès d'Araujo; Bug /«rga/, de M.Malcher,
directeur de ladite compagnie : et Moemo, de M. Pacheco-Notto, musicien
amateur.
— Si l'on en croit les dernières nouvelles du Japon, une révolution
viendrait de s'opérer dans les théâtres de ce pays. L'empereur a signé un
décret autorisant les femmes à jouer la comédie en même temps que les
hommes. Jusqu'à présent, les acteurs de sexe différent ne pouvaient se
montrer que l'un après l'autre, ce qui rendait les scènes d'amour assez
difEciies à jouer.
PARIS ET DEP4RTF.MENTS
Dans la dernière séance de lAcadémie des beaux-arts, M. Ambroise
Thomas, après une année de présidence, a remis son fauteuil à son suc-
cesseur, M. Meissonier, après avoir remercié ses confrères de leur
constante bienveillance à son égard. Parmi les communications faites à
l'Académie par le nouveau président, nous remarquons celle relative au
concours Rossini , pour lequel neuf partitions ont été envoyées.
— Les contempteurs de notre Conservatoire pourraient faire leur profit
de la petite correspondance que voici, adressée de Leipzig à un de nos
confrères. Ils verront que les choses vont là-bas, en Allemagne, beaucoup
plus mal que chez nous, et que le public lui-même en perd sa faculté
de jugement: « Que plusieurs artistes de talent, dit le correspondant,
aient quitté le théâtre sans être remplacés d'une façon satisfaisante; que
le Gewandhaus, dirigé par des personnes au bout de leur carrière, décline
de jour en jour, ce sont là des faits indiscutables; mais ce qui nous sur-
prend, c'est que le goût du public s'abaisse aussi rapidement que la qua-
lité de ce qu'on lui offre, que de mauvaise musique, qui eût été silflée
et chutée il y a si peu de temps, reçoive des acclamations générales. La
presse ne tente nullement, par des critiques sincères et aptes à amener
le lecteur dans la voie du progrès, d'empêcLer cette descente rapide du
goût; elle s'ingénie à louer tout avec des phrases banales, pour s'éviter les
embarras sans doute. On épargne surtout l'institution qu'il faudrait attaquer
avec le plus de vivacité, parce que d'elle dépend l'avenir de l'art : le Conser-
vatoire. De plus, le Conservatoire, au lieu d'être dirigé par des musiciens
de valeur, a à sa tête un directorium composé de notables de la ville, de
riches commerçants par exemple, qui n'entendent rien à la musique et
par conséquent conduisent fort mal l'institution. L'étude du chant surtout
est absolument déplorable. Au lieu de développer d'abord la voix des
élèves d'une façon systématique et, après deux ou trois ans de cette étude,
de leur permettre seulement de chanter des airs, etc., on fait juste le
contraire; on force les malheureux à se briser la voix sur les notes trop
hautes des parties qu'on leur donne, ou à se la déplacer en chantant trop
bas. Nous pourrions citer des douzaines de cas où l'ignorance des pro-
fesseurs de chant de ce Conservatoire a ruiné la voix des élèves les mieux
doués ; quand l'organe a été assez solide, on est parvenu encore à le sau-
ver, mais c'est rare. Il fallait un grand effort pour nous convaincre qu'une
institution renommée pût commettre de pareilles erreurs ; la dernière
« représentation » donnée par ses élèves en a fourni la preuve. Nous ne
nous arrêterons, pas à apprécier la mimique de ces jeunes gens; elle est
d'un bout à l'autre manquée et ridicule, mais on ne peut beaucoup exiger
des personnes qui n'ont pas l'habitude de la scène. Quant à leurs voix,
ce sont des débris, des ruines. L'un chante du nez, l'autre de la gorge ;
ils s'arrachent avec peine des sons trop hauts ou trop bas, faux, indécis,
chevrotants. Ce serait suprêmement risible si l'on ne devait se dire : voilà
le résultat d'un enseignement officiel sur une jeunesse qui a demandé un
enseignement artistique et qui est arrivé ici, pleine de dispositions. 'Voilà ce que
la réclame officielle d'un établissement renommé peut faire: faire perdre à
ses élèves leur temps, leur argent — et leurs dons naturels, la voix par
exemple. Voilà ce que la critique encourage en donnant raison aux applau-
dissements des mères, des sœurs et des tantes, qui, ignorantes, admirent
les ruines officielles de leurs fils et de leurs filles. — Qu'est-ce que ceux-
ci feront dans l'avenir? L'art est pour eux une impasse qu'ils encombrent
et dont ils ne sortiront pas. Us feront descendre peu à peu son niveau
jusqu'au leur. »
— Il y a quelques années notre collaborateur Arthur Pougin publiait
à la librairie Gharavay, sous ce titre : les Vrais Créateurs de l'opéra français,
un travail de restitution et de réhabilitation artistiques, comme il le
disait lui-même, dont le succès fut très vif. « Il est convenu depuis long-
tem.ps, ajoutait l'auteur, et depuis longtemps passé en article de foi que
Quinault et Lully sont, l'un pour les paroles, l'autre pour la musique,
les créateurs de l'opéra en France; qu'eux seuls ont droit à ce titre et
qu'il constitue une partie de leur gloire. » Rien n'est pourtant plus con-
traire à la vérité et ce n'est assurément pas diminuer la valeur de ces
deux grands artistes que de leur enlever cet honneur pour le reporter
à ceux qui le méritent réellement : à Perrin et à Cambert. C'est ce thème
qu'a repris et développé notre collaborateur dans la très intéressante
conférence qu'il vient de faire, le 2 janvier, au Théâtre d'Application de
la rue Saint-Lazare. Érudition solide mais non pédante, anecdotes nom-
breuses, portraits piquants et ressemblants bien que peu flattés, excel-
lents spécimens enfin des œuvres analysées, tels étaient les principaux
attraits de cette conférence, qui a été très goûtée et très applaudie. Ajou-
tons que M. Pougin étiit secondé dans sa tâche délicate par M""Vidand-
Lacomhe, qui a chanté avec goût des fragments de Ptinone, de Cadmus,
d'Amadis et d'Armide; par M. Auguez, qui a brillamment enlové l'air
d'Hidraol : « Armide est encore plus charmante », enfin par M"'= Juliette
Barat, qui a joliment exécuté une charmante passacaille du même
ouvrage. Dans une péroraison chaleureuse, M. Pougin a conclu par un
rapide aperçu critique du génie musical de Lully et unevéri table apologie
de ses facultés multiples et de son étonnante valeur comme directeur de
l'Opéra.
— M. Robert Fischhof, le renommé compositeur-virtuose viennois, est
arrivé cette semaine à Paris. Il fera entendre aujourd'hui dimanche, au
concert du Châtelet, ses belles Variations pour deux pianos avec le précieux
concours de M™" Montigny-de Serres. Le concert qu'il donnera ensuite à
la salle Erard est fixé à mercredi prochain, avec le concours de M""^^ Krauss
et de Serres et de M. Marsick. Le programme sera exclusivement composé
des œuvres de M. Robert Fischhof.
— L'administration préfectorale vient de faire apposer, en exécution
des délibérations du conseil municipal, des plaques commémoratives sur
un certain nombre de maisons de Paris. Voici l'indication de deux d'entre
elles qui nous intéressent particulièrement. Sur la façade du marché Saint-
Germain, rue Clément :
,LA FOIRE SAIKT-GERMAIN
OCCUPA
jusqu'à la fin du XVIIl^ SIÈCLE
l'emplacement
de ce marché
Sur la façade d'un pavillon d'angle de la gare de l'Est, rue d'Alsace :
la FOIUE SAINT-LAURENT
ÉTABLIE AU X II" SIÈCLE
SE TINT SUR CETTE PLACE
DE 1662
A LA FIN DU XVIll'î SIÈCLE
On sait que les foires Saint-Germain et Saint-Laurent, les deux plus
célèbres de Paris, furent le berceau de nos théâtres. C'est là que com-
mença à vagir notre Opéra-Comique, qui n'était d'abord qu'une scène de
vaudeville et de parodies, et que rendirent bientôt fameux les pièces de
Le Sage, de Fuzelier, de d'Orneval, de Favart, de Piron,, de Panard, de
Carolet, en attendant que nos premiers musiciens, D'Auvergne, Duni,
Philidor, Monsigny, Grétry, lui apportassent la gloire et la fortune. C'est
là aussi qu'on vit naître les théâtres de Nicolet etd'Audinot, qui s'instal-
lèrent plus tard sur l'ancien boulevard du Temple, où ils devinrent la Gaité
et l'Ambigu-Comique.
— M. Camille Bellaigue, notre excellent confrère de la Reoue des Deux
Mandes, vient de faire paraître son nouveau volume de l'Année musicale (Gh.
Delagrave, éditeur), qui va d'octobre 1SS9 à octobre 1890. En reprenant
le titre employé naguère par l'un de ses prédécesseurs à la Revue, P. Scudo,
M. Bellaigue en a retrouvé le succès, et c'est fort bien fait. Son livre est
fort aimable, sa critique est fine et délicate, et si je ne partage pas abso-
lument toutes ses idées, du moins suis-je souvent en communion avec
lui. En dehors des chapitres de critique courante et de compte rendu qu'on
trouve forcément dans ce volume, il en est quelques autres, tout à fait
charmants, que je recommande à l'attention et à la sagacité des curieux
et des amateurs. Tel celui intitulé l'Opéra idéal, tel encore celui qui a pour
titre : Pantomimes, et aussi la Lettre de cinquantaine à Verdi et la jolie bio-
graphie critique d'Edward Grieg. Voilà des pages solides, instructives,
suggestives, pour me servir d'un mot à la mode et fort expressif d'ailleurs,
qu'il fait bon lire et qui font penser et réfléchir. L'Année musicale a déjà
fait son chemin dans le monde, — j'allais dire dans les deux mondes;
elle le fera de plus en plus. A. P.
— M. Louis de Romain vient de réunir en une élégante brochure ainsi
intitulée: le Don Juan * Mozart jugé par Gounod, la série d'élégants articles
publiés par lui, dans Angers-artiste, sur le livre récent que l'auteur de
LE MENESTREL
i5
Faust a consacré au chef-d'œuvre de Mozart. Cette analyse d'une analyse
ne saurait elle-même être longuement analysée. Il faut se borner à consta-
ter, après avoir exprimé les éloges qu'appelle la forme très littéraire et
très châtiée de cet opuscule, que l'écrivain, malgré ses louanges admira-
tives pour le livre de M. Gounod, n'en fait pas moins des réserves for-
melles sur l'opinion générale émise par le maître au sujet de Don Juan.
Cela n'a rien qui doive surprendre. N'est-ce pas lui qui ne craignait pas
d'écrire dernièrement cette phrase que nous avons citée: » Non seulement
j'aime mieux entendre Sigunl et Manon que Bobert le Diable ou la Flûte
enchantée, mais encore j'ose très simplement le dire » ? D'où il appert que^
d'après M. de Romain, MM. Reyer et Massenet doivent être classés au-
dessus de Mozart. Ni l'un ni l'autre ne s'en plaindront sans doute, mais
le jugement peut passer pour audacieux. A. P.
— L'éditeur J.-B. Ferreyrol, 49, rue de Seine, vient de faire paraître les
Chansons fîn de siècle, par Jules Oudot, un de nos jeunes poètes-chanson-
niers de l'école moderne. C'est un joli recueil de spirituelles satires et
d'amusantes fantaisies, toutes empreintes d'une verve bien parisienne. Le
texte est accompagné de la musique et rehaussé par des dessins inédits de
Lunel, Forain, Gray, Cohl, etc., etc. La couverture en couleur est signée
F. Lunel. Ce sera, en somme, une des publications les plus intéressantes
de la saison.
— La Hollande musicale à Paris. — Un concert sans précédent à Paris
et qui promet d'être fort intéressant, est celui qui sera donné le samedi
soir 17 de ce mois, dans les salons Pleyel, au bénéfice de la Société de
Bienfaisance hollandaise de Paris et de l'Association des Artistes musi-
ciens de France. Dans ce concert, dont nous avons lu le curieux et plan-
tureux programme (21 numéros!) il ne sera exécuté que de la musique de
compositeurs hollandais modernes, par des virtuoses hollandais également.
C'est ainsi que se trouve justifiée l'appellation de cette séance toute spé-
ciale — Concert Néerlandais — dans laquelle figureront trente-deux noms
de compositeurs et d'exécutants dont presque tous sont absolument incon-
nus du monde musical parisien. On n'a pas oublié les concerts de musique
Scandinave qui furent donnés à Paris il y a quatre ans au bénéfice de
l'Association des artistes musiciens, par notre confrère Oscar Comettant,
et dans l'un desquels Christine Nilsson se fit entendre pour la dernière
fois à Paris. C'est aussi à M. Comettant que nous devons le Concert
Néerlandais, dont il conçut la pensée à son dernier voyage en Hollande.
Tout Paris musical et toute la colonie hollandaise seront le 17 janvier à
la salle Pleyel.
— Concert Lamoureux. — La symphonie en ul mineur est, de tous les
ouvrages de Beethoven, celui dans lequel sa puissante individualité se
révèle à nous de la façon la plus complète. D'autres ouvrages, la Sym-
phonie pastorale, celle en la et la dernière, plusieurs sonates de piano et
certains quatuors, sont dignes d'une égale admiration et peuvent être
considérés comme des œuvres plus avancées, plus puissantes même;
mais dans aucune, Beethoven ne s'est dépeint lui-même en traits plus
vigoureux et dans un relief plus intense. Au point de vue exclusivement
musical, on peut dire que le procédé employé dans cette composition
consiste dans la superposition de fragments mélodiques très courts et dont
l'accumulation produit peu à peu l'effet d'ensemble le plus grandiose.
L'impression est produite par le résultat de toutes les forces mélodiques
superposées, qui agissent sur l'oreille à peu près comme un travail de
mosaïque agit sur les yeux. Si l'on excepte l'andante, il n'y a pas un seul
thème dans la symphonie en ut mineur que l'on puisse isoler sans lui
enlever tout son rayonnement ; encore n'est-il pas bien sur que l'andante
puisse résister à l'amputation du motif persistant des instruments à vent
sans tomber immédiatement dans la catégorie des œuvres merveilleuse-
ment ouvragées, sans doute, mais néanmoins de second ordre. — Le
Menuet « extrait d'une suite dans le style ancien » de M. A. Magnard,
est bien construit, sur une idée mélodique simple et douce présentée dans
une parure orchestrale d'une discrétion voulue. — On a beaucoup ap-
plaudi le long solo de cor anglais exécuté par M. Dorel dans le prélude
du troisième acte de Tristan et Yseult. — L'ouverture de Manfred, de
Schumann, qui renferme des passages où l'impression de tristesse va
jusqu'à l'horreur, a été parfaitement rendue; l'œuvre est des plus saisis-
santes, mais l'absence des effets de masse dans l'orchestre en rend la com-
préhension quelque peu ardue. — Il y a toujours quelque sécheresse dans
la Marche des Pèlerins d'Harold en Italie ; cela doit tenir aux dimensions
du local, que la fine sonorité de ce tissu musical exquis ne parvient pas
à remplir. — Le ballet du premier a;te de Tannhâuscr nous paraît être un
des ouvrages de Wagner où la pensée mélodique est faible et sans carac-
tère. Au surplus, ce morceau et le suivant, la Chevauchée des Walkijries,
ne sauraient être présentés en dehors de leur cadre scénique sans en être
considérablement amoindris. Amméuée Boutarel
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Relâche.
Châtelet, Concîrt Colonne : Symphonie écossaise (Mendelssohn) ; air de la Naïade
à'Armidc fGluck) et Villanelte (Berlioz), chaulés par 51"" de Montalant; Orientale
(V. Dolmeiscb); variations et fugue pour deux pianos (R. Fischhof), par M" Ca-
roline de Serres et l'auteur ; fragments de Sigurd (Reyer) ; Contes mystiques : I. Pré-
lude (A. Holmes), H. Premier Miracle de Jésus (Paladilhe), III. Non credo (Widor),
IV. En i,rière (G. Fauré), chantés par M"° de Monlalant ; Jocelyn, fragments syin-
phoni^ues (B. Godard).
Cirque des Champs-Élyse'es , Concert Lamoureux : Symphonie pastorale
(Beethoven) ; A Marie endormie (Gn y Ropartz) ; concerto eu ré pour piano (Riibinstein),
par M"- Cécile Silberberg; A. Rêverie (Saint-Saëns), et B. Si tu veux, mignonne
(Massenet), chantés par M"° Landi ; fragments symphoniques de Manfred (Schnmann) ;
marche funèbre du Crépuscule des Dieux (Wagner) ; ouverture de Tannh'âmer
(Wagner).
— Le jeune pianiste Staub, le brillant lauréat de la classe de Louis
Diémer au Conservatoire, fait en ce moment les délices de Nice. On se
l'arrache un peu partout, dans tous les salons où l'on fait de la musique.
C'est un interprète remarquable de la Romance hongroise de Léo Delibes, de
la Chaconne de Théodore Dubois, de la Valse arabesque de Lack, et des déli-
cieuses compositions de Scharwenka : Conte, Papillon, Berceuse et Mazurka.
— M. Ducarre, le directeur du concert des Ambassadeurs, vient de
s'assurer, pour toute sa saison d'été, du nouveau chanteur à la mode,
Kam-Hill, qui fait tourner toutes les têtes à l'Eldorado. Pour une fois,
en fait de café-concert, la mode n'a pas tort. Car M. Kam-Hill a bien du
talent, un de ces talents qui le font rechercher aussi dans les salons, où
il n'y a plus de bonne fête sans lui. Il n'a pas son pareil pour interpréter
les chansons de Mac Nab. Oh! ce Pendu, tout un poème dans sa bouche
spirituelle!
— M. Joseph White, l'excellent violoniste, annonce pour le 21 janvier,
salle Érard, la première des trois séances de musique de chambre qu'il
doit donner avec le concours de M"*^ Cécile Monvel, de MM. Diémer et de
La Nux (piano), de MM. Parent (violon), Trombetta (alto), Rabaud, Del-
sart et Loeb (violoncelle). Le programme curieux de cette séance com-
prend le 10^ quatuor pour instruments à cordes de Beethoven, une sonate
pour violoncelle de Boccherini, une chaconne pour violon de Bach, et
une sonate pour piano et violon de M. Diémer.
— La dernière matinée donnée par M"^'' Cadot-Archainbaud a été très
brillante. Vingt-cinq élèves se sont fait entendre dans différentes pièces
de Chopin, de Marmontel, etc. La séance était présidée par M. Boellmann.
— A la dernière conférence-cours de M""» Lafaix-Gontié, divers mor-
ceaux ont été chantés par de très bonnes élèves de cet excellent professeur,
qui a analysé ces mêmes morceaux d'une façon très intéressante. On a fort
applaudi, entre autres, !a fine et gracieuse mélodie que M. Diémer a
composée sur l'exquise poésie d'Alfred de Musset : A liinon.
— A l'une des dernières séances de musique classique qui ont lieu le
jeudi soir à l'À.uberge des Adrets, M.Arthur Dodement lauréat, du Conserva-
tetoire, s'est chaleureusement fait applaudir en exécutant la grande Valse
joyeuse et Ballerine, œuvres élégantes pour le piano, de son ancien maître
Paul Rougnon.
— La -semaine dernière a eu lieu chez M""» J. C. une très brillante soi-
rée musicale au cours de laquelle on a fait fête à la petite Marguerite
Naudin, qui a dit avec tout le sentiment que l'on sait l'Enfant du Jardin,
de Faure, à M. Viterbo qui a très bien chanté Mignonne, que désirez-vous?
du même compositeur, et à M"== Cerisier qui a ravissamment enlevé VAlle-
luia d'Amour ; M""» Cerisier et M. Viterbo, se sont aussi beaucoup fait
applaudir dans le ravissant duo de Wekerlin, Colinette.
— Les soirées de l'Association amicale des Enfants du Nord et du Pas-
de-Calais sont toujours très suivies. Mardi dernier figurait au programme
M. Gobalet, dont le succès a été très grand avec les Yeux, une ravissante
mélodie de Paladilhe. On a fort applaudi aussi M"= Tachel, son élève,
dans l'air de Lakmé « Pourquoi? », puis M"« Evel, MM. Galipaux, Laut,
Perret (qui a brillamment exécuté la Chanson du Nautonier de Diémer), et
un chanteur humoristique plein de verve, M. Marcel Lefèvre, qu: a pro-
voqué le rire général avec sa sérénade espagnole et son concert arabe à
l'Exposition.
— On vient de jouer au théâtre" de Lunéville un opéra-comique inédit
en trois actes, ta Reine des Korrigans, paroles de M. Gassien-Frogier,
musique de M. Gaspar. La partition surtout a eu un grand succès.
M. Gaspar est professeur de musique à Lunéville.
— En rendant compte de la brillante reprise de Sigurd qui vient d'avoir
lieu à Marseille, M. Charles Vincens nous apprend, dans son feuilleton
musical de la Gazette du Midi, que le buste de M. Ernest Reyer doit être
prochainement inauguré dans le foyer du Grand-Théâtre. On sait que
Marseille est la ville natale de l'auteur de Sigurd et de Salammbô.
— U. Montaubry, l'ancien ténor de l'Opéra-Gomique, depuis quelque
temps déjà fixé à Angers comme professeur, vient d'être nommé profes-
seur de chant au Conservatoire de Nantes. On assure que M. Montaubry
n'a accepté ces fonctions qu'à la condition de pouvoir garder son domicile
à Angers.
— Dernièrement a eu lieu, à la mairie de Nanterre, une grande mati-
née musicale donnée au profit des pauvres de la commune. Le succès de
la journée a été pour M. Caron, qui a dit superbement Hymne aux astres,
de M. Faure. On a beaucoup applaudi aussi M'"* Lemeignan dans l'air du
Songe dune nuit d'été. La fête s'est terminée par le drame émouvant de
M. Eugène Manuel, les Oum-iers, très bien joué par M""» Marie Laurent,
M. Truffier, M"" Morel et M. Léotaud.
— Le journal Sainte-Cécile, de Reims, avait ouvert un concours pour la
composition d'un i\ocl sur des paroles de M. C. Schwingrouber. Sur qua-
d6
LE MENESTREL
rante-quatre manuscrits e nvoyés, le jury, présidé par M. Dallier, l'excel-
lent organiste de Saint-Eustache, en avait réservé sept. Le prix a été
décerné à l'unanimité à M. Charles Kiembé, à Lyon. Une première men-
tion a été attribuée à M. A. Straub, à Lons-Ie-Saulnier ; une seconde men-
tion à M. V. Rousseaux, à Reims.
— Nous avons le plaisir d'annoncer les nouveaux cours de l'Institut
moderne de musique et de déclamation, 20, rue Ghaptal. Ces cours sont
placés sous la direction artistique de l'excellent professeur du Conserva-
toire, M. Romain Bussine. Citons parmi les principaux professeurs :
MM. Paul Rougnon et René Cbansarel pour le piano, M. Delahaye pour
l'harmonie, M. Bussine et M"'^ Boidin-Puisais pour le chant, M. H. -P.
Toby pour l'orgue-harmonium, M. Léon Déjardins pour le violon, etc.
— La Société chorale d'amateurs VEulerpe, fondée en 1886, a repris ses
séances. Elle a pour but l'étude et l'exécution des chefs-d'œuvre de la
musique chorale ancienne et moderne. Elle est dirigée par M. A. Duteil
d'Ozanne. Les répétitions ont lieu chaque semaine, le mercredi, dans une
des salles de la maison Érard. Rappelons que la société a déjà fait entendre,
outre plusieurs œuvres de Schumann, la Messe en si mineur de Bach, le
premier acte à'iphigénie en Tauride de Gluck, les Poèmes d'amour de Brahms,
la Lyre et la Harpe de M. Saint-Saëns, etc.
NÉCROLOGIE
La Comédie-Française vient encore de subir une perte cruelle. Après
Jeanne Samary, la toujours regrettée, c'est Céline Montaland qui vient
d'être enlevée en peu de jours, et presque aussi rapidement, par dévoue-
ment pour un de ses enfants, dont elle avait, en le soignant, contracté la
maladie. Céline Montaland était âgée de quarante-sept ans. Fille de comé-
diens de province, elle avait pratiqué la scène dans ses plus jeunes
années, et créé quelques rôles d'enfant à la Comédie-Française (Gabrielle,
Charlotte Corday) et au Palais-Royal (Mam'zelle fait ses dents, et la Fille bien
gardée), après quoi on l'exploitait quelque peu eu province et à l'étranger.
Devenue jeune fille, elle revint à Paris et commença sérieusement sa car-
rière, se montrant tour à tour à la Porte-Saint-Martin, au Gymnase, aux
Nouveautés, au théâtre Taitbout, à l'Odéon, et enfin, après un voyage en
Russie, venant débuter avec succès à la Comédie-Française, le 13 décem-
bre 1884. Elle y avait été reçue sociétaire il y a deux ans. |
— Cette semaine est morte à Paris, dans un âge avancé, une femme
bien oubliée qui avait été une artiste remarquable, la veuve du grand
chanteur Delsarte, dont la renommée fut si grande il y a un demi-siècle.
Mme Delsarte (et non Del Sarte, comme quelques-uns s'obstinent à
l'écrire), était elle-même d'une famille d'artistes, et sœur du chanteur
Andrien, qui sous le nom d'Adrien fut un des sujets les plus remarquables
de l'Opéra, ainsi que de M"" Thérèse "Wartel, dont la renommée fut
grande comme pianiste. Elle avait fait d'excellentes études au Conserva-
toire, où elle avait obtenu plusieurs récompenses, et, pianiste aussi dis-
tinguée que musicienne accomplie, elle s'était consacrée à l'enseignement.
Elle était la tante do Georges Bizet. On peut donc bien dire que cette
excellente femme tenait à l'art de .tous côtés.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 tr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
L La mort de Léo Delibes, Hesbi Heugel. — IL Semaine théâtrale : Courrier de
Belgique, première représentation de Siegfried, au Théâtre de la Monnaie,
LiciEN SoLVAï, reprise des Faux Bonshommes, à l'Odéon, Pall-Êmile Chevalier.
— III. Une famille d'artistes: Les Saint-Aubin (6" article), Arthur Pougis. —
IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
AU MATIN
d'ANTONiN Marmontel. — Suivra immédiatement : les Douze Femmes de
Japhet, quadrille brillant par Léon Roques, sur l'opérette de Victor Roger,
le dernier succès du théâtre de la Renaissance.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant; La terre a mis sa robe blanche, nouvelle mélodie de Théodore
Ducois, poésie de J. Bertheroy. — Suivra immédiatement : Si l'amour
prenait racine, nouvelle mélodie de H. Balth.asar-Florence, paroles de
C. Fl'Ster.
IL.SO i>sx.i:b£:s
Au moment où nous allions insérer ici même le dernier
chapitie des Notes si intéressantes de notre collaborateur
Louis Gallet, qui voulait passer en revue, dans une sorte de
résumé, toutes les forces vives de la Musique contempoi'aine, —
c'était le titre du chapitre — la plus triste des nouvelles
nous parvenait, frappant en plein cœur cette « musique con-
temporaine ') dont nous nous disposions à entretenir nos
lecteurs.
Léo Delibes était mort!
Oui, ce remuant, cet exubérant de santé et de talent, cet
artiste qui restait si réellement français, avec toutes les qua-
lités de sa race, au milieu d'une tourmente musicale qui
semble devoir emporter la plupart de nos musiciens vers la
côte allemande, Léo Delibes avait cessé de vivre, enlevé,
arraché à nous tous en quelques minutes par une congestion
foudroyante... Et nous avons vu, couchée sur l'oreiller, sa
tête pâle jadis si mobile, si animée, maintenant calme, pai-
sible, avec cette expression de repos qu'elle n'avait jamais
connue pendant la vie. Eternel repos, hélas!
Il avait dîné la veille chez son ami Philippe Gille, tout en
joie de se trouver dans cette intimité qu'il aimait, il avait
essayé sur le piano quelques-uns des motifs de sa nouvelle
partition, Kassya, « pour amuser le petit Victor », le fils de
Gille et son filleul, puis, après le dîner, un peu fatigué, il
s'était assoupi sur un canapé. Mais, de temps en temps, il
ouvrait un œil : «Vous savez, disait-il, je suis là; j'ai l'air de
dormir, mais je vous écoute. » Puis il regagna son logis,
passa une nuit paisible, et, le lendemain matin, voulut se lever
pour assister à un examen de chant du Conservatoire. Mais
il se sentit la tête lourde, et dut se recoucher. Dix minutes
après nouvel effort pour sortir du lit et violentes douleurs au
cerveau. En un instant le mal accomplissait son œuvre et
le foudroyait sur place.
C'est certainement la perte la plus sensible qui put frapper
notre jeune école musicale; son talent sain, tout de clarté
et de verve gauloise, réagissait avec bonheur contre les
brumes germaniques qui tentent d'obscurcir aujourd'hui
toutes les cervelles, toutes les imaginations de nos musi-
ciens, dont la jeunesse est fortement troublée par la grande
ombre de Richard Wagner. Mais ce n'est pas ce que nous
voulons discuter aujourd'hui.
Nous ne voulons pas davantage retracer ici la carrière
déjà glorieuse, bien que brusquement interrompue, de l'au-
teur de Sylvia et de Coppélia, de Lakmé, du Roi Va dit et de
Jean de Nivelle. Nous ite nous en sentons pas le courage,
frappé douloureusement par la perte de cet excellent ami,
nous dirions presque de ce frère aine avec lequel nous avions
pris la douce habitude de vivre presque côte à côte, de
penser tout haut, et dont nous ne verrons plus le bon sourire
et les yeux malicieux. Et de quel doux air il nous grondait
quand notre plume, trop libre et trop indépendante à son
gré, s'était permis quelque incartade un peu forte I Enfin,
il n'est plus et, bien que son existence d'artiste ait été plus
heureuse que celle de Georges Bizet, nous pensons qu'après
sa mort on lui rendra encore une justice plus éclatante,
comme il est arrivé à l'auteur de Carmen. C'est quand des
artistes de cet ordre disparaissent qu'on voit mieux leur
taille au vide qu'ils laissent après eux.
Il aura d'ailleurs pour défendre sa mémoire, en dehors de
ses œuvres déjà connues, une dernière partition qu'il laisse
complètement achevée, cette Kassya qu'il chérissait tant et
à laquelle il s'est consacré jiisqu'à sa dernière heure.
L'œuvre est terminée; l'orchestration seule, menée jusqu'à
la moitié du second acte, devra être confiée pour son achè-
vement aux mains pieuses d'un des amis dévoués que Léo
Delibes comptait parmi les musiciens militants de son époque.
C'est tout ce que nous avons la force d'en dire aujourd'hui.
Henri Heugel.
Les obsèques de Léo Delibes seront célébrées demain lundi à midi en
l'église Saint-Roch. M. Widor tiendra le grand orgue. M. Faure chantera
à la Maîtrise. L'orchestre de l'Opéra-Gomique fera entendre quelques
fragments des œuvres du regretté compositeur.
LE .^lENESïRËi:
SEMAINE THEATRALE
COURRIER DE BELGIQUE
Théâtre roval de la Monnaie. — Première représentation de Siegfried,
drame lyrique de Eichard Wagner; traduction de M. "Victor Wilder.
Bruxelles, 15 janvier 1891.
Ba,fin nous l'avons eu, ce Siegfried tant désiré, tant attendu!
Voilà trois ans~ qu'on en parlait. Une fatalité semblait s'acharner
contre lui et empêcher qu'il ne vit le jour. Les diverses directions
de la Monnaie avaient beau l'annoncer, il ne venait jamais; tantôt,
c'était la faute de l'interprétation, impossible à composer comme il
le fallait; tantôt c'était la faute de l'éditeur. Peut-èlre les direc-
tions n'étaient-elles pas pressées de monter Siegfried et n'avaient-
elles qu'une demi-confiance. Mais les -svagnériens réclamaient si
fort, qu'il fallut bien s'exécuter. On n'avait pas mis tant de résis-
tance à monter, à la Monnaie, les diverses œuvres wagnériennes qui
y ont été successivement représentées, le Tannh'ùuser, le Vaisseau
fantôme, Lohcngrin, les Maîtres Chanteurs et la Walkyrie... (Vous
voyez que la liste en est déjà longue!) C'est que, plus que toutes
celles-là. Siegfried forme, avec les opéras da répertoire courant, un
contraste absolu; il y a encore de « l'action » dans ces œuvres-là,
des choses capables de saisir le commun des spectateurs. Et encore,
après des premières journées glorieuses, les Maîtres Chanteurs et la
Walkyrie, pour ne citer que les dernières en date, avaient été bien
abandonnées du public lorsque, la curiosité étant satisfaite, on se
hasarda à en faire des '•. reprises ». Comment le public accueillerait-
il Siegfried, une pièce dont l'amour est presque tout entier banni,
et qui se passe « entre hommes » presque exclusivement?... Ah ! c'est
qu'il tient à ses habitudes, le public!
Sans vouloir préjuger de l'avenir, ni garantir que la foule fera à
Siegfried un succès de longue haleine, et par conséquent, un succès
d'argent, disons tout de suite que les craintes que les directeurs de la
Monnaie avaient nourries, se sont bien vite dissipées : Siegfried,]\mà\,
a triomphé avec éclat. L'accueil fait à l'œuvre a pris même les
proportions d'une véritable manifestation wagnérienne. Il fallait s'y
attendre. Il y a depuis longtemps, ici comme à Paris, un petit
clan qui ne laisse passer aucune occasion de faire tout ce qu'il peut
pour compromettre la cause qu'il défend. Plus ardents que les
■wagnériens les plus sérieux, les plus sincères, ceux de la veille, ces
néophytes croient naïvement avoir le monopole de toutes les admi-
rations. Un de nos plus spirituels confrères, très wagnérien lui-
même, disait, l'autre jour, à leur sujet: « Ces gens-là me dégoûtent
de mon opinion ». Mais aujourd'hui, on n'y fait plus guère atten-
tion ; ce sont des maniaques, qu'il vaut mieux ne pas contrarier; et
dans leurs discours et dans leurs écrits, — car ils ont aussi leur
place dans le journalisme, — leurs exaltations et leurs injures n'ex-
cilent plus que le sourire.
Indépendamment donc de ces allures inutilement batailleuses, le
succès de Siegfried a été très réel. Les grandes pages de l'œuvre,
d'un jet si puissant, d'une si incomparable richesse d'instrumenta-
tion, ont produit un irrésistible effet.
Siegfried occupe, dans la tétralogie wagnérienne, une place culmi-
nante; il en est comme le rayon de soleil, avec sa fantaisie radieuse,
et ses élans superbes de jeunesse ; et mieux que l'Or du Rhin, mieux
même que la Valkyrie, mieux surtout que le Crépuscule des dieux, il a,
dans sa conception poétique, je ne sais quelle couleur, quelle haute
portée, qui lui donnent une éloquence spéciale, — pourvu naturel-
lement que le spectateur y aide un peu par sa propre imagination.
Et, certes, celle aide-là est singulièrement nécessaire pour la
compréhension des drames ^Tagnériens. Vous savez quelle ardeur
mettent les « disciples » à prétendre que Vi'"agner n'est pas seule-
ment un maître musicien, mais qu'il est aussi un maître dramaturge.
Malheur à qui s'avise de trouver ennuyeuse l'inextricable affabula-
tion des Niebeliingen, supérieure, selon eux, aux drames les plus pal-
pitants de l'antiquité et des temps modernes ! Malheur à qui se
hasarde à dire que tout cela n'est pas scénique, dans les moindres
détails ! 11 faut tout accepter ; tout est sublime. Et il en est, je l'avoue,
qui ont un vrai talent à vous présenter tout cela sous un jour tout
à fait séduisant. Lisez leurs commentaires, leurs amplifications ; cette
ténébreuse histoire de dieux, de nains et de géants s'éclaire tout à
coup; cette lutte féroce pour la conquête de l'anneau magique, ces
crimes, ces astuces, ces incestes, dont est pleine la légende, ils
leur prêtent des significations curieuses; les faits les plus puérils
se grandissent à la hauteur de symboles énormes. Écoulez, par
exemple, ce que devient Siegfried, qui se prête particulièrement à
ces interprétations : « Le premier acte est épique, le second est
lyrique, le troisième est dramatique et purement humain. Le pre-
mier acte ne met pas en scène Siegfried et Mime, et leurs querelles
intérieures, et la jalousie et les appréhensions de Wotan. Il met en
scène la naïve et héroïque âme allemande, à ses sources barbares
et enfantines, se forgeant à elle-même le glaive qui sera l'instru-
ment victorieux de l'émancipation de la race, et cela malgré toutes
les forces contraires, l'astuce et la perfidie d'un côté, la puissance
de l'autre. Et tout cela transporté dans le monde mythologique et
sombre des commencements. C'est tout le monde primitif qui doit
apparaître, et de là ces longs récils sur les races, sur la cosmogonie
imaginaire et symbolique de la Germanie, avec ses races de nains,
de héros et de dieux, ses légendes, ses mystères. »
Vous le voyez, c'est un vrai cours de philosophie poétique et de
théogonie. Et, certainement, la Tétralogie a bien cette port3e-!à,
que Wagner a voulu lui donner et qu'il faut savoir dégager. En
puisant ses sujets dans les mythes anciens, en remontant aux sources
des traditions nationales, Wagner a bien fait; il a élevé son œuvre;
il l'a rendue plus forte, plus durable et plus savoureuse ; et il a indi-
qué en même temps la vraie voie à suivre à toute l'école moderne;
. c'est en puisant à des sources pareilles que l'Art peut être sincère,
vivant, réellement puissant, à condition de ne pas y puiser super-
ficiellement, sans intelligence ni pénétration. ..
Malheureusement, on pourrait dire de tous ces ingénieux commen-
taires, gloses et explications, ce que l'on dit souvent de plans
magnifiques en théorie, irréalisables en pratique: — « C'est fort
beau... sur le papier. » Le théâtre ne s'adresse guère à l'imagina-
tion, qui peut aisément synthétiser : il s'adresse surtout aux yeux;
c'est un art très matériel, qui paie comptant et ne se nourrit pas
de phrases, un art qui ne s'adresse pas seulement aux esprits culti-
vés, mais aux esprits moyens, ignorants de philosophie, un art enfin
qui, étant, de quelque manière que ce soit, la représentation de
la vie des hommes, avec leurs passions et leurs actions, veut avant
tout de la vie et du mouvement et n'intéresse que par cela.
Or, c'est précisément ce qui manque, — on aura beau se récrier,
— aux drames wagnériens; et notamment, à la Tétralogie. Et cela
leur manque principalement pour nous, gens de races latines, dont
les mœurs, le caractère, la tournure naturelle des idées sont assu-
rément fort différents de ceux des races germaniques. Il se peut que
l'Allemagne se plaise à ces contes à dormir debout, — et j'en doute
un peu, à voir l'empressement qu'elle a toujours mis à accueillir
vos opéras et vos opérettes... Mais il est certain que la France, et
aussi la Belgique, tout en les acceptant, tout en les admirant dans
leurs côtés admirables, ne s'y plairont jamais.
Non, quoi qu'on puisse dire, ce n'est pas du théâtre, parce que ce
n'est pas humain. « Tout doit concourir, dans le drame lyrique,
enseignent les wagnéristes, à donner au public une impression d'en-
semble, de force, de charme et de grandeur, non pas la musique
seule, mais la mise en scène, le poème, le chant, et les acteurs; le
spectacle doit compléter l'audition. » Hélas ! que de choses, dans
les drames wagnériens, viennent détruire justement cette impression,
par l'impossibilité qu'il y a de les réaliser à la scène, de façon à
rendre l'illusion complète! Que de détails matériels compromettent
l'effet et font sourire au moment même où l'émotion devrait se pro-
duire ! Parmi ces détails, je me bornerai à citer l'enfantine zoo-
logie qui tient tant de place dans la Tétralogie; le dragon et
l'oiseau qui parlent, dans Siegfried, en sont les types les plus remar-
quables, et ils ont eu, cette fois encore, à Bruxelles, leur succès
inévitable d'hilarité.
La gloire de Wagner, comme musicien, ne se trouvera pas dimi-
nuée de celte diminution de sa gloire comme poète. Bien au con-
traire, un artiste moins génial que lui eût été inévitablement
écrasé sous le poids de ses poèmes ; lui, malgré tout, subsiste et
triomphe. Et ce qui le fait triompher ainsi, ce sont justement, dans
ses drames touffus, les pages oîi surgissent des situations vraiment
théâtrales, où éclate la passion, où les héros agissent au lieu de
discourir, où le pittoresque sollicite l'inspiration luxuriante du
compositeur. Ces situations-là, il sait en tirer un si merveilleux
parti qu'elles emportent tout le reste avec elles. Telles, la magni-
fique scène d'amour, la chevauchée et la scène du feu de la
Walkyrie ; tels aussi, dans Siegfried, la scène de la forge, les
« murmures de la forêt » et le réveil de Brunnhilde, que fout
paraître plus splendides encore, dirait-on, toutes les broussailleuses
longueurs qui les entourent... Oui, des longueurs, dussent nous
maudire les wagnériens féroces, longueurs toujours intéressantes,
certes, musicalement, par leur travail extraordinaire et sans cesse-
LE MENESTREL
19
expressif, mais inutiles et fatigantes, scéaiquement, par la faute
du poète, trop souvent prolise, aux dépens même de l'intérêt dra-
matique.
Est-il besoin maintenant de suivre pas à pas la marche de
Siegfried, de ce large poème idyllique, aux. naïvetés duquel les
âmes naïves trouveront, qui sait? quelque plaisir, et où les
raffinés découvriront un sens caché, plus attachant et non sans
grandeur : la glorification de la jeunesse et de la force libre, vic-
torieuse du mal, maîtresse de la nature, et s'épanouissant dans
l'Amour ? Je crois cette tâche superflue. Faut-il insister, d'autre
part, sur la conception musicale de la partition, étroitement en-
chaînée à celle des deux autres qui la précèdent, et dont il est
indispensable qu'on se souvienne, l'Or du Rhin et la Walkyrie, sur
cette orchestration éblouissante, sur ces richesses d'expression, de
couleur et de sentiment, que le maître a répandues tout le long de
ces trois longs actes, dont chacun dure une heure un qaart ? L'es-
pace me fait défaut; ce que j'ai voulu donner ici doit se borner,
d'ailleurs, à un simple bulletin de combat, à la notation franche
des impressions produites sur le public et, — avec toutes les réserves
possibles, — sur moi-même, par la représentalion de Siegfried à
la Monnaie.
Il serait trop long aussi, voire inopportun, de discuter ici la
valeur de la version française de M. Victor Wilder, et de recher-
cher jusqu'à quel point cette version traduit vraiment l'original,
dans son allure, sa forme de langage et sa tournure poétique, si
elle ne « trahit » pas, en bien des endroits, le poète et, par conséquent,
le musicien dans leurs intentions réciproques et formelles d'être
étroitement liés l'un à l'autre, et si le traducteur n'eût pas mieux
fait de s'en tenir à de la prose rythmée, au lieu de lancer sa raison
à la poursuite vaine de la rime... Nous préférons ne louer que
l'opiniâtre et intelligent labeur de M. Wilder, dans cette œuvre
d'adaptation ingrate et désespérante, et les services qu'il a rendus
en permettant au public français d'apprécier, sur la scène fran-
çaise, les œuvres les plus colossales de la musique contemporaine.
L'interprétation de Siegfried à la Monnaie est aussi bonne qu'on
pouvait le désirer; du côté des chanteurs, elle a dépassé même
l'attente générale. M. Lafarge est un admirable Siegfried, sous tous
les rapports; il a joué et chanté ce rôle écrasant en grand artiste.
M. Isouard fait un Mime un peu triste, pas assez « en dehors »,
mais très consciencieux; MM. Bouvet CWotan), Badiali (Alberich)
et M"', Garrère (l'Oiseau) sont excellents; M"" Maurelli (Edda) et
M. Vérin (Fafner), satisfaisants; et enfin M""^ Langiois, avec sa voix
généreuse et étendue a suppléé autant qu'elle a pu, par sa vaillance,
à ce qu'elle n'a pas en autorité et en expérience : il est regrettable qu'on
ait fait appel à une débutante pour remplir ce rôle important, qui avait
laissé un souvenir profond dans la mémoire de ceux qui l'avaient en-
tendu il y a huit ans, à la Monnaie, chanté par M""' Materna. Quant
à l'orchestre, dirigé par M. Franz Servais, s'il a laissé à désirer u n
peu sous le rapport de la variété du coloris, il n'a rien laissé à dé-
sirer sous celui du soin et de la correcition. La mise en scène s'est
efforcée d'être aussi « illusionnante » qu'à Bayreuth, dont elle a
suivi respectueusement les indications; les décors sont superbes. Je
n'ai pas besoin de vous dire qu'il y a un rideau qui s'ouvre, —
comme à Bayreuth, — au lieu de se lever, et que la salle — toujours
comme à Bayreuth — est plongée dans une profonde obscurité : il
n'est pas possible sans cela, vous le savez, de bien goûter la musique
de Wagner.
Lucien Solvay.
Odéon. — Les Faux Bonhommes, comédie en quatre actes, de Th .
Barrière et E. Gapendu.
Péponnet, Bassecoutt, Dufouré, Vertillac, Lecardonel, les jeunes
Raoul et Anatole, M""" Dufouré, quelle joyeuse théorie d'étonnants
fantoches, et comme, malgré leur acte de naissance qui n'est point
daté d'hier, ils sont toujours bien vivants et aussi divertissants! Et
puis aussi l'espiègle Eugénie, la sentimentale Emmeline, l'amoureux
Octave, et le grand raisonneur Edgar, ils n'ont pas encore trop de
cheveux blancs non plus; pourtant ceux-ci semblent de constitution
moins forte que les premiers. Tout cela parait tout récemment écrit,
et le cairicaturisle Edgar Thévenot aurait eu le bonheur d'avoir
l'onglée en cet hiver boréal de 1891, qu'il trouverait encore tous
ses modèles sur le boulevard ; il en trouverait peut-être beaucoup
d'autres, il est vrai, mais les Faux Bonhommes de Barrière et Gapendu
seraient certainement ceux qu'il s'amuserait à croquer tout d'abord.
La pièce n'a donc point vieilli quant à ses personnages ; je crois que
la forme n'a pas été beaucoup plus atteinte, et je doute que les
, plus adroits parmi nos auteurs contemporains pussent traiter avec
plus de vivacité et de bonhomie naturelle ce sujet d'allures très
simples. Pourtant l'effet produit sur le public de l'Odéon n'a pas
été aussi vif que s'y attendaient nos aînés, et nous-même n'avons,
pas retrouvé toute la joyeuse humeur qui secouait la salle lors de
la dernière reprise faite au Vaudeville. Je ne pense pas qu'il faille
attribuer cet amoindrissement de l'effet comique à la troupe de l'Odéon
qui, en employant des moyens tout autres, est loin d'être inférieure
à celle du Vaudeville ; la vraie cause en est tout simplement que le
cadre du second Théâtre-Français est trop vaste pour ce genre de pièce
et que M. Porel, pourtant très adroit metteur en scène, a eu le tort
de faire planter des décors d'intérieur si spacieux que les acteurs
semblent sans cesse courir les uns après les autres ; il fallait, au
contraire, resserrer la scène de façon que les effets ne s'éparpillas-
sent point de droite et de gauche. Nous espérons que, le jour où
les Faux Bonhommes entreront à la Gomédie-Française, on se gardera
de tomber dans la même erreur. M. Daubray, qui débutait par le
rôle de Péponnet, et, ce faisant, posait très légitimement sa candi-
dature au titre de pensionnaire de la maison de Molière, s'est montré
comédien très fin, à son ordinaire, bien que, dans une salle aussi
grande, beaucoup de ses amusants effets de physionomie passent ina-
perçus. M"" Déa-Dieudonné a joué avec élégance et non sans une
aimable originalité le rôle d'Eugénie. M""' Grosnier, Duluc, MM. Mont-
bars, Gornaglia, Maury, Dumény, Matra t,Duard etNuma s'acquittent
consciencieusement de leur tâche.
Paul-Émile Ghevalieu.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
IV
(Suite.)
Gette année 1799 devait être particulièrement favorable à M'"'' Saint-
Aubin, et pour elle féconde eu succès. A la suite d'Elisca, elle créa
coup sur coup une demi-douzaine d'ouvrages qui furent pour elle
autant de triomphes. Après le Rêve, de Gresnick, ce fut successive-
ment Adolphe et Clara, de d'Alayrae, où avec EUeviou elle attira la
foule à rOpéra-Gomique ; le Chapitre second, de Solié; Fanny Morna
ou l'Écossaise, de Persuis, l'une des rares pièces où on la vit paraître
auprès de M'"' Dugazon; Laure ou l'Actrice chez- elle, dont elle sauva,
par sa grâce pleine de charme, le poème assez maladroit; enfin, la
Dame voilée, de Mengozzi, où elle partagea le succès du composi-
teur.
M""» Saint-Aubin était absolument exquise dans ce rôle d'ingénue
à! Adolphe et Clara, où son jeu piquant et chaste à la fois enchanta
littéralement les spectateurs; les éloges qui lui furent prodigués au
sujet de cette bleuette charmante indiquent qu'elle y était la per-
fection même. Le Chapitre second, de Solié, fut pour elle l'occasion
d'un hommage assez singulier. G'est l'éditeur, même de la pièce,
dans laquelle elle jouait le rôle de Céleste, qui, en tête du livret,
lui adressa le madrigal suivant :
A Céleste Saint-Aubin.
Voici le Chapitre second.
Daignez en accepter l'hommage.
Partout où l'on voit votre nom,
G'est toujours un heureux présage.
Que ne pouvais-je, en rimprimanl,
Joindre au mérite de l'ouvrage
Vos grâces et votre talent!
J'en vendrais vingt fois davantage.
Cet imprimeur galantin était un poète médiocre. Il n'importe; on
peut lui pardonner en faveur de l'intention, et surtout pour la rareté
du fait.
Dans Fanny Marna, où M"° Saint-Aubin se montrait sous un tout
autre aspect, sa fillette Alexandrine paraissait de nouveau auprès
d'elle, et le succès de la mère et de l'enfant ne laissait rien à dési-
rer, ainsi que le prouve ce fragment d'une lettre que le poète Vigée,
le frère de l'excellent peintre M°"^ Vigée-Lebrun, adressait au Courrier
des spectacles : — « Trouvez bon que j'ajoute quelques mots au compte
que vous avez rendu de la première représentation de Fanny Morna.
Cet ouvrage a eu du succès ; il devait en avoir, parce que le fond
est intéressant, que la situation des personnages est attachante, que
les scènes sont conduites avec assez d'art, et que, s'il est de
légers défauts qu'on puisse reprocher à l'auteur du poème, ils sont
couverts par le jeu parfait des acteurs. La citoycnns Dugazon, dans
20
LE MENESTREL
cette pièce, a'a riea perdu de ce beau laleut qu'on admirait dans \i-
colette, dans Xina. etc. La charmante Saint-Aubin est, dans son rôle,
ce qu'elle est dans tous les rôles que les auteurs ont le bonheur de
lui confier, sensible, aimable, et vraie surtout. Et sa jolie enfant,
dont vous n'avez rien dit! est-ce qu'elle n'annonce pas les plus heu-
reuses dispositions? est-ce qu'elle n'a pas déjà les grâces naïves de
sa mère? Laissez-moi, je vous prie, réparant un oubli sans doute in-
volonlaire, la féliciter de ce qu'elle semble nous promettre une autre
Saint-Aubin »...
Eu écrivant cette lettre, Vigée oubliait sans doute que la jeune
Alexandrine avait été, au sujet de Fanmj Monia, l'objet de la pièce
de vers suivante, que le Courriel- des Spectacles avait insérée quel-
ques jours auparavant :
Lorsqu'on te voit, aimable enfant,
Peindre si bien le sentiment,
Tous les cœurs volent sur tes traces,
Et l'on s'écrie en t'écoutant :
« Oui, de sa mère elle a les grâces ! »
Quand tu dis à Fanny, la pressant dans tes bras :
« Tu nous aimeras, n'est-ce pas? »
Les spectateurs charmés sont près de te répondre,
Les bravos et les pleurs paroissent se confondre.
Ah! poursuis tes brillans essais,
Adopte sans frayeur une belle carrière :
Ta douce voix, tes jolis traits
T'assurent les plus grands succès.
Et n'as-tu pas d'ailleurs les leçons de ta mère?
Pour réussir, voilà tes droits.
Heureux de te voir auprès d'elle,
Nous applaudissons à la fois
Et la copie et le modèle (1).
Après Fannij Morna, après la Dame voilée, qui ne fut pas moins
favorable. M""" Saint -Aubin trouva encore l'occasion d'un grand
succès dans un ouvrage assez important de Tarchi, D'auberge en
auberge, puis elle conjura le mauvais sort d'un petit opéra de Plan-
tade, Zoé ou la Pauvre Petite, dont la valeur était mince. Ensuite,
et vers la fin de l'année 1800, elle s'éloigna du théâtre Favart, pour
aller, je pense, donner, comme elle l'avait déjà fait, quelques repré-
sentations en province, ce qui faisait dire à un chroniqueur : —
« Le départ de M'"" Saint-Aubiu fut le premier coup porté à cet
ancien établissement. Il suspendit presque toutes les pièces du
répertoire, ou du moins celles qui attiraient le plus de specta-
teurs (â). »
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — La Symphonie écossaise de Mendelssohn
ne peut être considérée comme une œuvre de grande originalité. Bien
construite et bien équilibrée, élégante et claire, elle ne possède ni la
limpidité lumineuse des symphonies de Mozart, ni le coloris intense de
celles de Beethoven, de Berlioz et de Sebumann. Entre les symphonies
de ces maîtres et celles de Mendelssohn, il semble qu'il y ait la même
(1) C'était le temps heureux des petits couplets, des petits vers et des fades
madrigaux médiocrement rimes. Il en pleuvait littéralement sur M"" Saint-Aubin.
En voici deux échantillons, que j'emprunte à l'Indicateur dramatique pour l'an VU'
d'abord ce quatrain anonyme, qui lai était adressé à propos d'une reprise à'Am-
broise ou Voilà ma journée :
A ton sourire aimable, à ton regard flatteur,
Ne reconnaît-on pas la timide innocence ?
Et ne croit-on pas voir la vertu, la candeur.
Accompagnant l'amour près de la bienfaisance?
Puis cette pièce, que Dupaly, dont elle avait été plusieurs fois l'interprète, pu -
bliait lors d'une reprise d'Adèle el Dorsan :
Avez-vous vu Saint-Aubin dans Adèle?
C'est bien ainsi qu'Adèle a dû souffrir,
Du sentiment c'est bien là le modèle;
Le cœur s'y trompe en la voyant gémir.
De Saint-Aubin l'on connaît la finesse.
Le goût exquis, ces riens charmans
Toujours si vrais et toujours si piquans.
Cette candeur, cette délicatesse
Qu'en chaque rôle on nous voit applaudir.
En chaque rôle ausai l'on ne voit qu'elle ;
Prodige de son ort, en la voyant soutl'rir
"Vous oubliez Saint-Aubin pour Adèle.
Autour de vous en vain tout vous rappelle
Que l'art tout seul a créé ses douleurs,
La nature au talent paie un tribut de pleurs.
Mais il est un secret que personne n'ignore :
Pour ramener le plaisir dans les cœurs
Qu'elle a troublés par de fausses terreurs.
Hors de son rôle. . . il faut la voir encore.
{2) Année théâtrale pour l'an X.
différence qu'entre un tableau que nous voyons immédiatement sous nos
yeux et la copie plus ou moins dégradée de ce tableau. La musique de
Mendelssohn semble avoir toujours pour point d'appui une pensée étran-
gère et ne présente souvent qu'un reflet affaibli des impressions d'où
elle est née. — ^Orientale de M. Dolmetsch a produit une bonne impres-
sion; c'est mélodique et simple, sans emphase et sans recherches instru-
mentales de mauvais goût. — Les Variations et Fugue pour deux pianos, de
M. Robert Fischhof constituent un morceau simple et d'excellente facture,
parfaitement écrit, bien gradué, et présentant un grand nombre d'effets
pianistiques brillants et variés sous la forme attrayante de variations
concises qui se succèdent rapidementcomme de ravissantes petites minia-
tures. M"'= Caroline de Serres (Montigny-Rémaury) et M. Robert Fischhof
ont exécuté ce morceau avec une merveilleuse correction de style et un
jeu d'une clarté parfaite. Ils ont été longuement acclamés. — Les Contes
mystiques ont retrouvé le succès de la première audition. Le prélude de
M™' A. Holmes représente bien, par un joli contraste musical, les voix de
la terre et les voix du ciel pendant la nuit de Noël. Le Non credo de M.Ch.
M. Widor forme un petit poème charmant qui ne manque ni de force,
ni d'élévation dans la pensée, et qui affecte même une certaine allure
dramatique. Premier Miracle de Jésm, par M. Paladilhe, et En prière par
M. Fauré ont été aussi fort appréciés. M"' de Montalant a chanté, avec
ces Contes mystiques, l'air de la Naïade dans VArmide de Gluck et la Villa-
nelle de Berlioz. Des fragments de Sigurd, ouverture. Sommeil de la Wal-
ki/rie, et Pas guerrier qui a été bissé, la gavotte si fine et si légère de
Jocelyii et la Scène du bal du même opéra, ont obtenu un accueil des plus
chaleureux. Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — M. Lamoureux a donné deux excellentes audi-
tions, l'une de la Symphonie pastorale de Beethoven, l'autre des fragments
symphoniques de Manfred, de Schumann. Dans cette dernière œuvre,
M. Dorel a été fort applaudi dans le solo de cor anglais (Ranz des Vaches),
bien supérieur à l'interminable solo similaire du prélude de Tristan et
Xseult de Wagner. Une composition que l'on entend toujours avec grand
plaisir, c'est ce beau prélude du Délugj, de Saint-Saëns. 'Voilà de la mu-
sique bien pensée, bien écrite, et nous ajouterons « bien exécutée », sur-
tout lorsque M. Iloufllack lui prête le concours de son beau talent de
violoniste. — La marche funèbre du Crépuscule des Dieux est une des œuvres
de la dernière manière de "Wagner que l'on peut écouter. Le style en est
noble, suffisamment clair et relevé par des effets de sonorité intéressants. —
M"= Cécile Silberberg, que nous avions entendue aux concerts de M. Lamou-
reux, il y a déjà quelques années, et dont nous avions salué la bienvenue,
a fait énormément de progrès : elle a exécuté avec aisance et une maestria
des plus remarquables le concerto en ré de Rubinstein. C'est là une
page superbe, dont certaines parties, le premier allegro surtout, sont,
d'une noblesse de style incomparable. Le piano, malheureusement, est
presque toujours écrasé par l'orchestre, sauf dans quelques ravissants pas-
sages de cet orchestre, et il faut un rare talent d'exécutant comme celui de
M"" Silberberg pour le faire surnager au-dessus de la tempête orchestrale.
Dans la somme d'idées que Rubinstein a dépensée pour cette œuvre, il
y avait de quoi faire une superbe symphonie et un incomparable solo de
piano. Ce n'est ni l'un ni l'autre, et nous nous demandons si Mozart dans
ses inimitables concertos n'avait pas mieux compris la manière de
traiter ce genre de morceau. M"'= Silberberg a eu un grand succès, bien
mérité. — Le concert se terminant par l'ouverture du Tannhduscr, quelques
personnes ont tenté de se retirer avant la terminaison du morceau. M. La.
moureux a fait arrêter son orchestre. Quelques timides, foudroyés par son
regard de Jupiter tonitruant, ont timidement rejoint leur place; d'autres,
plus hardis, s'en sont allés. Sans doute, il n'est pas convenable de causer
du scandale pendant l'exécution d'un morceau, mais il nous sera bien
permis de dire qu'un morceau, tant beau qu'il soit, dégénère bien vite en
scie lorsqu'on l'entend à presque tous les concerts; M. Lamoureux a telle-
ment abusé de l'ouverture du Tannhduscr que, la grande ombre dé "Wagner
dût-elle en tressaillir dans sa tombe, il ne nous empêchera jamais de
nous en aller lorsque nous nous ennuierons. H. B.irl:edette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
"Conservatoire : Symphonie en la mineur (Mendelssohn) ; fragments de Sapho
(L. Lacombe), solo chanté parE. "^'armbrodt; concerto pour violoncelle (Saint-
Saëns), par M. Jules Delsart; chœur des Prisonniers de Fidelio (Beethoren);
Carnaval (Guiraud).
Chàtelet, Concert Colonne : ouverture du Roi d'Ys (Laloj; symphonie en /a, n°S
(Beethoven); air ieCaron, tiré d'Afcesle (LuUy), chanté par M. Boudouresque ; pièces
pour orchestre (Th. Dubois); Fautaisie hongroise pour piano (Liszt), par M°'° Roger-
Miclos; fragments ie^Maitres-Chanleurs (Wagner) ; /es fleîu- Gre/iat/iecs (Sebumann),
orchestrés par M. E. Guiraud, chantés par M. Boudouresque; prélude du Déluge
(Saint-Saëns); Marche troycnne (Berlioz).
Cirque des Champs-Elysées, Concert Lamoureux : ouverture de Rttij Blas
(Mendelssohn) ; symphonie en ré mineur, n» 4 (Schumann) ; la Forit enchantée {Vin-
centd'Indy); Danse macabre (Saint-Saëns); marche funèbre du Crépuscule des
Dieux ("W'agner); introduction du troisième acte de Lohentjrin (Wagner); Espana
(Chabrier),
— Jeudi a eu lieu, au Cercle Saint-Simon, une audition de musique slave
donnée par une brillante pianiste d'origine serbe, élève de Liszt et de
Smetana, M™"! Stoikovitch, qui a exécuté des œuvres de Balakirew, Rubin-
stein, Dvorak, Smetana, Tschaïkowski, "Wieniawski, etc., écrites pour la
plupart sur des thèmes populaires; M""" Stoikovitch y avait joint deux
LE MENESTREL
21
rapsodies composées par elle sur des mélodies et chansons ou danses nup-
tiales de la Serbie. Tout cela, bien que tous les morceaux ne fussent pas
d'égale valeur, était plein de couleur et de vie : peut-être, à la longue,
cette continuité d'effets particuliers, mais à peu près toujours les mêmes,
finirait-elle par fatiguer un auditoire ordinaire ; mais le public du Cercle
Saint-Simon est tout particulièrement friand de ce pittoresque musical :
c'est pour lui qu'ont été données les premières auditions de mélodies
populaires françaises qui ont eu, depuis lors, de si nombreux lendemains.
— Dans un intermède, M. Louis Léger, professeur de langues slaves au
Collège de France, a, dans une causerie familière et instructive, parlé
des hymnes nationaux des différents peuples de la race slave, tchèques de
Bohême, bulgares, serbes, polonais et russes, chants que M. Julien Tiersot
faisait entendre à tour de rôle; et cette partie du programme n'a pas été
celle qui a obtenu le moins de succès.
— Mercredi, à la salle Erard, M. Robert Fischhof, déjà si applaudi le
dimanche au concert du Chàtelet, a donne une séance où se pressait toute
l'aristocratie viennoise et parisienne, pour l'audition de quelques-unes de
ses œuvres. On y a entendu de nouveau, avec le plus grand plaisir, ses
ravissantes Variations pour deux pianos, délicieusement interprétées par
M""> Caroline de Serres et l'auteur, puis une sonate pour piano et violon
dont les thèmes sont remarquablement développés ; c'est l'excellent vio-
loniste Marsick qui a fait les honneurs de cette sonate. Une succession
de petites pièces pour piano, entre autres un Menuet de style charmant et
un Carillon des plus pittoresques, a fait envisager le talent de l'auteur
sous un tout autre aspect. Il nous a donné là une note spirituelle exquise.
Quelques lieder de belle tournure ont achevé de mettre le feu aux
poudres ; c'est M°" Krauss qui les interprétait avec son talent magnifique.
Sur cinq mélodies on lui en a bissé trois.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Correspondance de Madrid. — La ^Société des concerts de Madrid
vient d'inaugurer dimanche dernier sa saison au Théâtre-Royal. D'abord
il y a eu au sein de la société une crise fort importante. Le comte de
Morphy, président démissionnaire, a été remplacé par l'éminent maître
Arrieta, directeur du Conservatoire ; et M. Breton, direcleur, a quitté sa
place, que M. Luigi Mancinelli occupe maintenant. Le premier concert a été
tout un événement, dont on parle et dont on parlera encore pendant long-
temps. On a exécuté pour la première fois une légende musicale de Chapi,
âos Gnomes de la Alhambi-a, que le plus populaire et le plus admiré de tous
les maîtres espagnols contemporains avait écrite pour un concours qui
eut lieu à Grenade pour les fêtes du couronnement du poète Zorrilla, en
1889. Le jury ne jugea digne de récompense aucune des partitions pré-
-sentées au concours — il y en avait huit — et les 5,000 francs ofl'erts pour
l'œuvre couronnée retournèrent tranquillement à la caisse de la muni-
-cipalité. Or, le public de Madrid a fait à la légende de Chapi, refusée par
le jury de Grenade, un accueil dont rien ne peut donner une idée.
Des trois parties de la légende, deux ont été bissées au milieu d'un en-
thousiasme qui touchait à la folie. Chapi a été rappelé six fois, acclamé
par toute la salle, un triomphe en somme, qui comptera dans sa glorieuse
•carrière. La presse acclame aussi l'auteur des Gnomes de la Alhambra, en
vantant les qualités hors ligue de la partition, la fraîcheur, la poésie
■et le coloris instrumental, qui sont, sans hyperbole, d'une beauté exquise.
■C'est, je vous dis, l'événement musical de Madrid. Le plus piquant de
l'affaire, c'est que M. Breton était membre du jury de Grenade qui n'a pas
su lire la partition de Chapi et l'a méprisée. Vous entendez d'ici les com-
mentaires 1 A la fin du concert, Mancinelli a été l'objet d'une immense
ovation. Le célèbre maestro, félicité par tous, était vraiment ému. — Au
Théâtre Royal, rien de particulier. Cavalleria rusticana a remporté un succès
d'enthousiasme. On prépare le nouvel opéra du maître espagnol Serrano,
Ire7ie d'Otranto. Après cet opéra, encore un autre, espagnol aussi, du maî-
tre Santamaria. Titre ; Naquel. Deux opéras espagnols dans la saison,
c'est assez; c'est peut-être trop !... A. P. Y G.
— C'est le cœur plein d'amertume que Rubinstein abandonne son poste
de directeur du Conservatoire et sa résidence de Saint-Pétersbourg. Dans
une lettre adressée à son ami, le musicologue Baskin, le maître russe
exhale ses plaintes contre l'indifférence du public, l'apalhie de la société
russe et l'attitude hostile de la direction des théâtres royaux vis-à-vis du
■Conservatoire. «Cette hostilité contre mes œuvres, remarque Rubinstein,
m'est tout à fait inexplicable. On croirait vraiment que j'ai commis des
méfaits. Je vais très probablement me retirer du Conservatoire, car, en
définitive, le premier venu peut, aussi bien que moi, signer des docu-
ments!... » Et plus loin: « Nous n'avons pas, à proprement parler, de
musique. Nous n'avons que des cabales et des applaudissements de com-
mande ; nous ne savons rien faire sérieusement. Nous voyons bien aussi
à l'étranger des camps opposés, des rivalités artistiques, mais il n'y a
que chez nous que les intérêts de l'art sont ainsi sacrifiés aux convoitises
et aux rancunes personnelles. »
— Voici, d'après le Signale, do Leipzig, la liste des ouvrages lyriques
qui ont vu le jour, en 1890, sur les différents théâtres d'Allemagne et
d'Autriche-Hongrie. Opéras : Die Almohaden, 4 actes, tirés du drame les
Cloclies d'Àlmudaina, de don Juan Palon y CoU, musique de M. J.-J. Albert
(Leipzig, 13 avril); Jolanthe, 3 actes, paroles et musique de M. W. Milhl-
dorfer (Cologne, 12 avril) ; la Fille du roi René, musique de M. R. Fischer
(Regensburg, mars) ; les Roses d'Helga, musique de M. R. Thomas (Olmùtz,
avril); la Rose de StrasiMurg, i actes, livret de M. F. Ehrenberg, musique
de Victor Nessler (Munich, 3 mai); A qui la couronne? et Jean le Paresseux,
opéras en un acte de M. A. Ritter CWeimar, 8 mai); Cei-tova stena (la Mu-
raille du diable) opéra posthume de F. Smetana (théâtre tchèque de Prague,
12 mai). — Opéras-comiques : le Page, un acte, paroles et musique de
G. Kulenkempff (Brème, 24 janvier); le Prince malgré lui, livret de
M. R. Senberich, musique de M. 0. Lohse (Riga, 27 février); le Mariage
secret, paroles et musique de M. P. Gast (Dantzig, mars); le Juge du Village,
un acte, musique de M. H. Xahn (Breslau, 3 avril) ; la Guerre des femmes,
3 actes, paroles et musique de M. F. von Woyrsch (Hambourg, 12 avril);
l'Alcade de Burgos, livret de M. R. Galle, musique de M. H. Dûtschke
(Burg, avril); la Chanteuse des rues, un acte, livret de M. Julius Bachmann,
musique de M. J. Dobler (Gotha, avril) ; la Princesse d'Athènes, 2 actes,
livret, d'après Aristophane, de M. J. Jacoby, musique de M. F. Lux
(Francfort, 31 octobre); Turandot, livret et musique de M. Rehbaum
(Dessau, 25 novembre); l'Épée du roi, 3 actes, livret de M. F. Bittong,
musique de M. Th. Hentschel (Brème, 2b décembre). Nous compléterons
cette liste par celle des opérettes, qui est exceptionnellement longue.
— Un branle-bas général est signalé à Sondershausen parmi les fonc-
tionnaires musicaux de la cour. Cela a commencé par le renvoi du maî-
tre de chapelle de la cour, M. Ad. Schulze, qui est en même temps
directeur du conservatoire ducal. Il a été congédié à la suite de dissen-
timents avec l'intendant major Borke. Quelque temps après, on a appris le
suicide de ce dernier. Voici maintenant que la Gazette du Gouvernement
annonce la mise à la retraite, par retrait d'emploi, de deux excellents mu-
siciens estimés de tous : le maître de concerts de la cour, Willy Burmes-
ter, et le violoncelliste Grùtzmacher. La note ajoute que les deux artistes
devront quitter le service sur-le-champ, bien que la date officielle de leur
congé soit le 1'='' avril prochain. C'est une véritable hécatombe, comme on
voit.
— Une souscription a été ouverte, on s'en souvient, à l'effet d'ériger un
monument à Richard Wagner dans sa ville natale, à Leipzig. Divers
projets avaient été soumis au comité et l'un d'eux, celui du sculpteur
Schaper, à Leipzig, avait été agréé ; mais depuis qu'il a été exposé, il est
l'objet de si véhémentes critiques que, probablement, il ne sera pas mis
à exécu.tion. En attendant, la municipalité de Leipzig vient d' accorder. le
terrain pour l'emplacement du monument. Cet emplacement est situé en
face de l'ancien théâtre de la ville, sur les boulevards extérieurs. La sta-
tue de Wagner fera vis-à-vis à la statue du docteur Hahnemann, l'inven-
teur de l'homéopathie. Est-ce pour conseiller de ne prendre qu'à petites
doses la musique de Wagner?
— A Vienne, la société Ambrosius a célébré, le 16 décembre, le jubilé du
pape Grégoire le Grand, et cette solennité a présenté un très grand inté-
rêt. Après l'hymne Veni Creator et l'antiphonie Lumen et revelationem, exé-
cutés par l'école de chant infantile, après l'antiphonie Asperges et le chœur
à quatre voix d'Arcadelt, Ave Maria, exécutés par l'Académie chorale,
Mgr Antoine Ditko, camérier papal honoraire et euré à Langenlois, a fait
une conférence fort intéressante sur le rôle important joué par le pape
Grégoire le Grand dans l'histoire de la musique sacrée tout spécialement,
et dans l'histoire de la musique en général. Après son discours, les en-
fants ont chanté un motet à quatre voix de Breidenstein et la mélodie de
Mendelssohn : Abschied der Zugvœgel, et la fête s'est terminée avec le chœur
de Joseph Haydn : Die Himmel erzâlilen, chanté par l'Académie chorale.
— On doit donner prochainement, au Théâtre-Royal de Dresde, un
cycle d'opéras de Gluck, comprenant précisément les cinq ouvrages com-
posés par le maître pour la scène française, c'est-à-dire Alceste, Orpliée,
Armide et les deux Iphigénies. Et, tandis qu'on fait à Dresde cet effort,
aussi intelligent qu'intéressant, notre Opéra, avec ses 800,000 francs de
subvention, ne peut même pas essayer de nous rendre Armide, dont on
parlait si fort il y a quelques années et qui a disparu" du répertoire
depuis soixante-quinze ans. Quelle admirable Armide ferait pourtant
M""" Rose Caron, et quel bel Hidraot, M. Plançon!
— En se faisant traduire en hongrois pour être jouée au théâtre de
Buda-Pesth, la Cavalleria rusticana du jeune Pietro Mascagni a pris un
titre un peu rébarbatif pour des oreilles latines. Elle s'appelle ainsi dans
la langue de sainte Elisabeth et de Petœfi : Parassbecsiiletl
— Au théâtre flamand de Bruxelles (Vlaamsche Schouwbuig), on vient
de représenter une nouvelle opérette flamande dont voici le titre, un peu
barbare pour nos oreilles françaises : Eene. Vromv uit Mahrapoera.
— Le Théâtre-Royal d'Anvers veut décidément se distinguer par la
composition substantielle et solide de ses spectacles. Le dimanche 4 jan-
vier, son affiche comprenait les trois ouvrages suivants : /eBarto'rfeSci'«/te,
le Sourd et les Dragons de Villars, soit dix actes d'opéra-comique. On assure
qu'à la fin de la soirée, des cas sérieux d'hydrophobie se manifestaient
dans l'orchestre.
LE MENESTREL
— Eu constatant que le total des abonnements pour la saison présente
au Théâtre Communal de Trieste s'élève à la somme de 120,000 francs,
le rrouaiorc déplore fort justement que ce chiffre ne dépasse pas cette année,
pour la Seal a de Milan, celui de -42,000 francs. La comparaison n'est pas
brillante, en effet.
— Deux opérettes nouvelles en Italie, qui décidément se voue à l'opé-
rette un peu plus qu'il ne faudrait: au théâtre Métastase, de Rome, il
Gallo délia Chccca, musique de M. Mascetti; àCariano, ilMercatodiMalmantile,
musique du maestro Morandi, jouée par une société d'amateurs.
— Au Théâtre principal de Madrid on a donné la première représen-
tation d'un « épisode national lyrique » en deux actes et onze tableaux,
Trofalgar, poème (en vers) de M. Xavier de Burgos, musique de M. Jéro-
nime Jimenez. L'ouvrage a reçu un accueil favorable.
— On vient de représenter au Théâtre Principal de Valence un opéra
nouveau, Sagvnto, dont la musique est due à un compositeur de cette ville,
M. Salvador Giner, et qui parait avoir obtenu un très grand succès. L'ou-
vrage, qui est en trois actes, est d'un caractère très dramatique et se ter-
mine par l'incendie de Sagonte. L'auteur des paroles est M. Cebrian; les
interprètes sont M^^Zilli, MM. Lazzarini, Ventura, Yecchio et Dominguez.
— On ne compte pas en ce moment, à Lisbonne, moins de neuf théâtres
en exercice: le San Carlos, où l'on joue l'opéra italien; le théâtre de la
rua de Condes et le Dorato, consacrés à l'opérette; puis le théâtre Dona
Maria II, la Trinidade, le Gymnase, le théâtre Principe Real, l'Avenide
et l'Alegria, pour les spectacles de comédie.
— L'Opéra allemand de New-York n'a pas mieux réussi avec sa
deuxième nouveauté qu'avec la première : le Vassal de Szigelh, de M. Sma-
reglia, a eu le même sort lamentable que VAsi-ael de M. Franchetti, mal-
gré une interprétation supérieure, à la tête de laquelle brillaient
M. Reichmann et M"'^ SchoUer.
— Nous avons parlé du concours de valses ouvert par le New-York
Herald entre tous les compositeurs américains. Les résultats de ce con-
cours viennent d'être publiés. Le premier prix de cent dollars a été dé-
cerné à M. Isidore Moquist, et des mentions ont été accordées à MM. Ame-
rico Gori, de New-York, et E. Leibling, de Chicago. Les trois œuvres
couronnées ont paru dans le New-York Herald, qui a, de plus, signalé au
public les envois de treize autres concurrents par ordre de mérite. L'in-
térêt soulevé là-bas par ce concours est extraordinaire, avec la note ex-
centrique familière aux Y'ankees. On croit que, cédant aux sollicitations
de ses lecteurs, le New-York Herald livrera à la publicité les vingt ou
trente meilleures valses qui lui ont été présentées.
— Une cantatrice américaine, bien connue dans sa patrie ainsi qu'en
Angleterre non seulement pour son talent, mais aussi pour ses excentri-
cités, miss Emma Abbott, vient de mourir presque subitement à New-York,
au moment où elle se préparait à aller se faire admirer par les Mormons,
à Sait Lake City. C'est elle dont le puritanisme intransigeant et burlesque
avait transformé à son usage le caractère de la Traviata de Verdi. Violetta
n'était plus la Marguerite Gauthier qui a rendu célèbre en vingt-quatre
heures le nom de M. Alexandre Dumas fils. Elle en avait fait une enfant
chaste et platoniquement amoureuse, qui, mortellement frappée de tuber-
culose, s'éteignait en chantant, au lieu de : Addio del passato, un hymne
religieux : Nearer iity God, to Thee (Plus près de toi, mon Dieu!;. C'est elle
aussi qui, récemment, avait chargé M. Edmond Audran de lui écrire un
opéra dont le genre se rapprochât de la Mignon de M. Ambroise Thomas.
Le prix convenu était de 80,000 francs, et elle n'eût pas eu de peine à
s'exécuter à ce sujet si, comme on l'atErme, miss Abbott laisse en mourant
une fortune qu'on peut évaluer â près de deux millions de dollars, soit en-
viron dix millions de francs. Beau pays, que l'Amérique ! — Le corps de
la défunte a été embaumé et envoyé de New-York à Chicago.
— On a représenté à la Nouvelle-Orléans un opéra-comique nouveau,
the Kedive, livret de MM. Louis et Miah Blake, musique de M. Harry
Edward et Miah Blake, déjà nommé. Cela paraît être un opéra de famille.
PARIS ET DEPARTEMENTS
M. et M""' Ambroise Thomas, en raison de la mort subite de Léo
Delibes, qui les a si durement éprouvés, ne recevront pas aujourd'hui
dimanche au Conservatoire, comme c'était leur habitude après chaque
concert.
— C'est avec un véritable plaisir que nous enregistrons la promotion
de notre ami et collaborateur Albert Soubies au grade d'officier de l'Ins-
truction publique. Nul assurément ne méritait mieux cette distinction
que l'auteur du si précieux et si curieux Alnianach des Spéciales parvenu
aujourd'hui à sa seizième année, du livre intéressant intitulé une Première
par jour, et de divers autres travaux publiés en collaboration avec
M. Charles Malherbe, parmi lesquels l'Histoire de la salle Favart, que les
lecteurs de ce journal n'ont certainement pas oubliée.
— Voici la liste des promotions et nominations faites dans l'Instruction
publique, en ce qui concerne la musique et le théâtre. Sont nommés
ofîEciers de l'Instruction publique; M°"^ Rose Garon, artiste de l'Opéra;
M""^ Suzanne Reichenberg, sociétaire de la Comédie-Française ; MM. Adam ,
professeur de musique à l'École normale d'instituteurs de Tarbes : Adrien
Bernheim, inspecteur des théâtres ; Bourgeois, chef du chant et chef d'or-
chestre à l'Opéra-Comique ; Albert Carré, directeur du Vaudeville ; Cousin,
directeur du Conservatoire de Versailles : Léon Gastinel, compositeur; Phi-
lippe Gille, publiciste, auteur dramatique ; Minard, professeurde chantdans
les écoles communales de la Ville de Paris ; JulesTruffier, homme de lettres,
auteur dramatique, sociétaire de la Comédie-Française. — Sont nommés
officiers d'Académie: M°" Adiny, artiste de l'Opéra; MM. Acoulon, direc-
teur de la fabrique d'instruments de musique Thihouville-Lamy ; Bernardel,
compositeur et professeur; Boisbourdin, artiste musicien; Bouvet, pro-
fesseur de violon; Bureau, auteur dramatique; M""^ Collier, artiste lyrique;
M°"= Camut, professeur de musique ; M. Gadilhon, caissier principal à la
maison Erard ; M°"= Delacour, professeur de musique ; M™" des Vernois,
professeur de musique ; MM. Demarle, professeur de musique , Doutrelon
de Try, président de l'Union orphéonique de Lille; de Dubor, critique ,
musical; M"" Galli-Marié, artiste lyrique; M'i' Hadamard, artiste de la m
Comédie-Française. Nous terminerons cette liste dans le prochain numéro. '.;
— M. Camille Saint-Saëns, dont on annonçait, il y a quelques jours, le
départ pour Ceylan, est arrivé à bon port. Une dépêche reçue cette
semaine nous apprend son heureux débarquement à Colombo.
— C'est aujourd'hui que la Société des concerts du Conservatoire devait
exécuter pour la première fois la messe en si mineur de Bach, dont les
études ont été faites avec tant de soin et qui est attendue avec tant d'im-
patience. Au dernier moment, une indisposition de M"^ Landi, par
laquelle cette artiste se trouvait dans l'impossibilité de chanter, a néces-
sité un changement de programme complet, et fait remettre à plus tard
l'exécution de la messe de Bach.
— La Société des compositeurs de musique a tenu, jeudi dernier, son
assemblée générale annuelle. En l'absence de son président, M. Camille
Saint-Saëns, en ce moment hors de France, la séance était présidée par
M. Ernest Altès, vice-président. Lecture a été donnée du rapport de
M. Ludovic de Vaux sur les travaux de la Société pendant l'année écoulée.
Après l'audition de ce rapport, on a procédé à l'élection de onze membres
du Comité. Ont été nommés : MM. Altès, Colomer, Danbé, Grizy,Nibelle,
Arthur Pougin, Rahaùd, Hector Salomon, Ludovic de Vaux, Wekerlin,
Winée.
— Notre confrère du XIX" Siècle trahit un secret qui nous était connu
déjà depuis quelque temps, mais qu'on nous avait prié de ne pas dévoi-
ler encore. C'est souvent comme cela; on vous confie des événements sous
le sceau du mystère et d'autres, moins scrupuleux, arrivent, qui vous
coupent la nouvelle sous la plume. Bornons-nous donc à reproduire ici
notre indiscret confrère, très bien renseigné en cette circonstance, nous
pouvons le certifier. « Une nouvelle candidature à la direction de l'Opéra,
et non des moins sérieuses, vient de se produire, celle de M. Bertrand,
le sympathique directeur des Variétés. M. Bertrand a de vastes projets,
qu'il expose dans un mémoire fort intéressant dont le ministre des Beaux-
Arts va prendre connaissance. Voici un résumé de ces projets : M. Ber-
trand ne veut pas de la direction de l'Opéra dans les conditions actuelles.
« Avec le régime actuel, dit-il, personne ne pourra faire mieux que
MM. Ritt et Gailhard, et je n'entrerai pas en concurrence avec eux, car
ils ont sur moi la supériorité incontestable de connaître à fond tous les
rouages de cette machine si vaste et si compliquée, a Mais M. Bertrand
pense qu'il y a des tentatives nouvelles et intéressantes à faire avec
l'Opéra, et il propose d'abord d'adjoindre à l'Académie nationale de mu-
sique une sorte de théâtre d'application, dans lequel on essayerait les
ouvrages et les artistes nouveaux, qui n'entreraient à l'Opéra qu'après
avoir été consacrés par le succès sur cette scène d'essai. Dans les deux
grands foyers de ce théâtre d'application, qui ne serait autre que l'Eden,
on pourrait, en outre, aménager un nouveau magasin de décors pour
l'Opéra, le magasin de la rue Richer étant devenu insufffisant. Il faudrait
environ 300,000 francs pour l'aménagement complet de' l'Eden, et M.Ber-
trand est prêt à faire lui-même cette dépense. Pour l'exploitation des
deux théâtres, il aurait une commandite de 1 million 500,000 francs. »
Ajoutons que M. Bertrand songerait à s'adjoindre, pour la direction de
cette vaste entreprise, un a homme du bâtiment », qui ne serait autre que
M. Campocasso, directeur du Grand-Théâtre de Marseille.
— Le bail conclu entre la Ville et l'État pour la location de l'ancien
Théâtre-Historique, où se trouve actuellement l'Opéra-Comique, expire au
mois d'octobre prochain. Il y a quelques jours M. Bourgeois, ministre de
l'instruction publique, a écrit au préfet de la Seine pour lui demander
qu'un nouveau bail de trois ans lui soit consenti. La demande de l'État
sera soumise au Conseil municipal à sa prochaine session.
— M. Emile Pessard, professeur au Conservatoire, vient d'être nommé
directeur de l'enseignement musical dans les maisons d'éducation de la
Légion d'honneur, en remplacement de M. Masset, démissionnaire après
trente ans d'excellents services.
— Vient de paraître à la librairie Savine un petit volume de M. Alfred
Prost, intitulé le Comte de Ruolz-Montchal musicien. On sait que le comte de
Ruolz ne fut pas seulement le chimiste fort distingué auquel est dû le
procédé d'argenture que chacun connaît. Elève de Berton, de Lesueur et
de Paër, il fut aussi un compositeur de talent, fit représenter au théâtre
San Carlo de Naples Lara, à l'Opéra la Vendelta, lit exécuter à Orléans, en
collaboration avec SchneitzhœlTer. une cantate sur Jeanne d'Arc, et publia
LE MENESTREL
23
■quelques aulres compositions importantes. On trouvera, dans le petit
livre que nous signalons ici, tous les détails relatifs à l'intéressante car-
rière musicale de cet homme fort distingué, qui mourut le 30 septembre
1887, à l'âge de 79 ans.
— Au moment où le Thermidor de M. Victorien Sardou va faire son
apparition à la Comédie-Française, il y a double intérêt, l'intérêt histo-
rique et l'intérêt d'actualité, à lire le travail très curieux- que notre colla-
borateur Arthur Pougin vient de publier sous ce titre : Labussière et les
artistes de la Comédie-Française en 4793, dans le Temps des 15 et 17 janvier.
C'est le récit complet et absolument authentique, avec documents à l'appui,
de la conduite et des efforts grâce auxquels Labussière parvint à sauver
de l'échafaud, au prix des plus grands dangers pour lui-même, les Comé-
diens-Français qui avaient été arrêtés en masse par ordre du Comité de
Salut public, le 3 janvier 1793, à la suite des représentations effroyable-
ment orageuses de la Paméla de François de Neufchàteau.
— On prépare au Grand-Théâtre de Nantes la représentation d'un ballet
inédit, les Conscrits de Jazenne, dont la musique est due à l'un des artistes
■de l'orchestre, M. F. Bollaërt. Il pourrait se faire aussi, dit-on, que dans
le courant de la saison on exécutât la belle Ode triomphale de M"<= Augusta
Holmes.
— Le violoniste Edouard Nadaud annonce la reprise de ses intéressantes
séances. Nous ne doutons pas de l'attrait des programmes; au premier
iàgurentdes œuvres inédites de MM. Rabuteau etLenormand et la première
audition des ravissantes pièces concertantes de Th. Dubois : Duettino
d'amore, Cantabile, Cavaiine, Saltarello. Au programme également, le septuor
de Saint Saëns.
— Le conseil municipal de Bordeaux a voté cette semaine, après une
très vive discussion, la mise à la disposition du maire de Bordeaux d'une
somme de 2b, 000 francs, qui pourra être attribuée, jusqu'à concurrence de
lo,.581 fr. 93 c, au déficit constaté dans l'exploitation de la Société des
artistes du Grand-Théâtre, du 1»^ octobre au 31 décembre 1890. Le solde
étant destiné, le cas échéant, à parer aux insuffisances de la somme
afi'ectée par la Ville au payement intégral de l'orchestre et des chœurs.
— Du Nouvelliste de Bordeaux : « C'est un véritable triomphe que vient
de remporter aujourd'hui la Société de musique des instruments à vent;
jamais accueil plus chaud, plus enthousiaste : des rappels, des bis fré-
quents; tous ont eu leur part de ce grand succès, qui prouvera aux instru-
mentistes parisiens que les Bordelais sont amateurs du grand art et qu'ils
savent apprécier les grands artistes; M. Diémer, qui a tenu si brillam-
ment la partie de piano, et notre violoncelliste local, André Hekking, ont
participé à ces étonnantes exécutions en musiciens de premier ordre.
Enfin la journée a été bonne, excellente pour la Société, et aussi pour
l'assistance, qui conservera longtemps le souvenir du trop court passage
de ces artistes parmi nous. »
— Au théâtre des Arts de Rouen, après Lohengrin, qui doit passer à la
fin de ce mois, on montera la Velléda de M. Charles Lenepveu, dont, on se
le rappelle, le rôle principal fut créé à Londres, il a quelques années, par
M""" Adelina Patti.
— A Versailles, l'autre soir, M"'= Laure Taconet, l'excellente professeur,
élève elle-même de M"'' Viardôt, a réuni le chœur de ses gracieuses
élèves pour l'exécution vraiment remarquable de différentes œuvres, entre
autres de cette petite scène exquise : l'Etoile, de M. H. Maréchal. Une très
nombreuse assistance a fêté comme il convient ces pages d'une si ravis-
sante fraîcheur. M. Maréchal dirigeait lui-même, et les soli ont été chan-
tés par M"" Taconet et M. Dérivis. A citer aussi divers fragments de
M. Charles Lefebvre (Judith, Meika, etc.) et une très heureuse adaptation
chorale, par M. Dérivis, de la Pileuse de Mendelssohn. Grand succès enfin
pour MM. Léon Delafosse, Jobeit, Pelletier et M"'= Riéma, qui a dit des
vers charmants de notre confrère Paul CoUin.
— Le ténor Rondeau donnera le 26 janvier, salle Erard, sa 4" audition
de musique moderne, avec le concours de M°>=s Kerchoff-Mélodia, Lavigne,
Lancenot, Magnien, Courrier, MM. G. Pierné, Dimitri, A. Pierret,
Fordyce, etc. Les chœurs seront chantés par des dames du monde. On y
entendra une série des Mélodies populaires recueillies par M. J. Tiersot,
des fragments à'Endytnion, de M. Albert Gahen, des œuvres de MM. Pierné,
de Kervéguen, Ed. Diet, Gilbert Des Roches, Godard, Sarasate,Ch. Dancla,
Alex. Georges, etc. Ajoutons à cette occasion que M. Rondeau vient d'être
nommé officier d'Académie.
— M"" C. Carissan vient d'obtenir de nouveaux succès avec sa belle
séance de musique Scandinave, ainsi qu'avec ses nouvelles mélodies,
chantées samedi au concert de la Société Nationale par M"« Éléonore
Blanc.
— M™ Gayrard-Pacini a donné dimanche dernier, dans les salons de
l'éditeur Choudens, une matinée d'élèves fort réussie. Citons parmi les
élèves qui se sont particulièrement signalées : M"" Amaury qui a joué, très
élégamment V Album polonais àe Scharwenka, et chanté avec goût Cecchino
de Badia, puis M}^'^^ Marie Berthier et Sandford. La seconde partie du
lirogramme était défrayée par d'excellentes artistes : M"* Caria Dagmar,
très applaudie après l'air d'Ophélie {d'Hamlel), et M"= Marthe Petrini, de
l'Opéra royal de Stockholm, qui a fait apprécier de remarquables qualités
dans l'air des clochettes de Lakmé. Dans son ensemble, la séance a fait
honneur à l'enseignement de M'™ Gayrard-Pacini, qui, de plus, s'y est
révélée comme pianiste et accompagnatrice de talent.
" — Voici en quels termes, M. Jules Ghymers, l'éminent professeur du
Conservatoire royal de Liège, apprécie dans la Gazette de Liège, dont il est
le critique attitré, les quatre mélodies nouvelles de H. Balthasar-Florence
qui viennent de paraître au Ménestrel : « Le titre de mélodies nouvelles
adopté par l'auteur n'est pas un vain mot; chacune d'elles est un petit
poème musical, dont la pensée mélodique répond à merveille aux paroles
qu'elles traduisent. Jamais peut-être, dans ce genre, les qualités d'imagi-
nation et de style, dont M. Balthasar-Florence a déjà donné tant de
preuves, ne se sont élevées plus haut que dans les bijoux empruntés au
brillant écrin de cet artiste et qui ont pour titre : Si l'amour prenait racine;
Ne parle pas; Berceuse; Aimer. Ces charmantes mélodies sont de véritables
modèles de sentiment dramatique et de douce mélancolie. Les élégantes et
rêveuses poésies de MM. C. Fuster et Félix Bernard, qui les ont inspirées,
ne pouvaient rencontrer une interprétation plus digne et plus complète, n
NÉCROLOGIE
LE BARON HAUSSMA
mJ
Le Ménestrel a été particulièrement éprouvé cette semaine. On a vu
plus haut la perte si grande et si douloureuse qu'il avait faite, en même
temps que toute la musique française, en la personne de Léo Delibes; il
a été frappé encore dans ses afi'ections intimes par la mort du baron
Haussmann, qui fut de ses plus chères et de ses plus précieuses relations.
Il peut en être fait mention ici, car le gran(^réfet n'était pas seulement,
comme on se l'imaginait, un simple dilettaiM en musique, dont le goût
était fort apprécié, mais il avait fait des études musicales sérieuses au Con-
servatoire, au temps de Cherubini et de Reicha, qu'il eut pour professeurs.
Car, à cette époque, il avait quelque velléité de devenir compositeur, mais
les goûts et les destinées sont changeants. Peu de temps avant sa mort
il nous disait qu'il n'avait rien oublié des préceptes musicaux qui lui
avaient été inculqués par les grands maîtres que nous venons de nommer
et qu'il se faisait fort d'écrire encore dans les règles tout un quatuor, si
on le voulait : « Il n'en garantissait pas l'inspiration, mais bien la par-
faite correction ». Le baron Haussmann était d'ailleurs membre de l'Aca-
démie des beaux-arts. A ce titre, nous pouvions donner, dans ces colonnes
mêmes, un dernier souvenir à l'illustre homme d'Etat qui voulut bien
nous honorer de son amitié.
— A Bologne vient de mourir un artiste fort distingué, Federico Pari-
sini, bibliothécaire du Lycée musical de cette ville, où il était né en 182S.
Compositeur et écrivain musical, Parisini avait fait son éducation au
Lycée, alors dirigé par Rossini. Il n'avait que 17 ans lorsqu'il fit exécuter
sa première messe, suivie de plusieurs autres et de nombreuses composi-
tions religieuses, toutes fort estimées. Il s'était beaucoup occupé de l'ins-
truction musicale des enfants, et avait écrit à leur usage spécial non
seulement beaucoup de chœurs, mais trois farse ou opérettes destinées
particulièrement aux maisons d'éducation: le Sartine, Jenny et una Burla.
Il fit représenter aussi deux véritables opéras bouffes : il Maestro di scuola
(1869), et i Fanciulli venduti (1876). On lui doit aussi plusieurs Méthodes
d'enseignement. Parisini avait en portefeuille deux grands opéras non
encore représentés, et il avait entrepris simultanément, en ces dernières
années, la publication de trois ouvrages fort importants, que sa mort va
peut-être laisser inachevés. L'un est la Correspondance précieuse du P.
Martini, l'autre, le Catalogue annoté de la très riche bibliothèquedu Lycée
musical de Bologne, le troisième, le Catalogue de l'importante collection
d'autographes de musiciens léguée à cet établissement par le P. Massean-
gelo Masseangeli.
— L'Allemagne vient de perdre un des artistes les plus remarquables
d'une génération dont il ne reste que peu de représentants. Charles-Gott-
fried-Wilhelm Taubert, compositeur fécond, ancien chef d'orchestre de
l'Opéra de Berlin, membre de l'Académie royale des beaux-arts de Prusse,
est mort la semaine dernière, à l'âge de près de 80 ans. Il était né le
3 mars 1811, reçut dés leçons de Neitharut pour le piano, de Louis Berger
pour le violon, de Bernard Klein pour la composition, et se distingua de
bonne heure comme virtuose, comme professeur et comme compositeur;
il eut lui-même pour élèves Théodore KuUak, Alexandre Fesca etSchlot-
termann. Il n'avait que 30 ans lorsqu'il fut nommé chef d'orchestre de
l'Opéra de Berlin, où il avait déjà fait représenter avec succès un ouvrage
important. Nous ne saurions donner ici la liste de toutes ses œuvres:
symphonies, quatuors, trios, concertos, sonates, lieder d'une saveur péné-
trante, pièces de piano, psaumes, motets, etc., et nous nous bornerons i
donner les titres de ses compositions dramatiques : la Kermesse, opéra-co-
mique ; leBoiiémieii, opéra en quatre actes ; Marquis et voleur, un acte ; Joggeli,
opéra en trois actes ; Macbeth, opéra en cinq actes ; Cesario, opéra ; mu-
sique pour le Petit homme gris, drame de Devrient, pour la Médée d'Eu-
ripide, pour le Chat botté de Ludvi'ig Tieck, pour la Barbe-Bleue, du même,
pour Phèdre; ouvertures pour Macbeth, Othello et la Tempête, de Shakes-
peare; et plusieurs cantates fort importantes.
— Cette semaine est morte, à BatignoUes, M^x^ Irma Marié, l'une des
quatre filles de l'excellent "chanteur Marié de l'Isle, la sœur de M'""* Galli-
Marié et Paola Marié. Élégante et jolie, douée d'une voix agréable, elle
LE JIÉNESTRI-L
s'était fait remarquer sur divers théâtres. EUe avait appartenu aux BouiTes-
Pai'isiens d'Olïenbach, où on l'avait distinguée dans la Chanson de Fortunio
et dans les Bergers; elle avait créé ensuite, à l'Athénée, Fleur de Tlié, de
M. Charles Lecocq ; plus tard, engagée à l'Opéra-Comique, elle s'y était
montrée tout aimable dans le Char, de M. Emile Pessard; enfin, il y a
quelques années, elle jouait à l'Opéra-Populaire du Chàteau-d'Eau le rôle
d'Effie du Brasseur de Presto».
— Un musicien bien connu du public français qui fréquentait Bade il
y a vingt-cinq ans, le chef d'orchestre autrichien Miloslaw Kœnemann,
est mort ces jours derniers. Ancien chef renommé de musique militaire,
Koenemann avait été engagé par M. Bénazet pour diriger l'orchestre de
la Conversation, de Bade, ce qu'il fît avec beaucoup d'habileté pendant
plusieurs années, durant lesquelles il fit exécuter, avec beaucoup d'éclat,
de nombreuses œuvres de compositeurs français, notamment de Berlioz et
de M. Reyer. Il était l'auteur de ce fameux Fremersberg, qui figura si long-
temps au répertoire de tous les concerts en plein vent.
— De Florence on signale la mort d'un compositeur distingué, Emilie
Cianchi, qui fut pendant longues années secrétaire de l'Institut royal de
musique de cette ville et de l'Académie musicale. Auteur d'un oratorio
intitulé Giuditta, d'une Messe qui fut exécutée il y a quelques années à
Turin pour la cérémonie commémorative de la mort du roi Charles-Albert,
d'un Bequiem qui fut exécuté en IST-Î à Florence, il a tourné aussi ses
efforts du coté du théâtre et fait représenter les 'ouvrages suivants :
1° Salmtor Rasa (Florence, 1835); 2° il Sallimbanco (Florence, 1856); 3° là
T'enrfrtta (Florence, 1857); i" Leone ] saura (Turin, 1862). Cianchi était né à
Florence le 21 mars 1833.
— M""" la baronne Jules Legoux, née Chausson, bien connue comme com-
positeur amateur sous le pseudonyme de Gilbert des Roches, est morte presque
subitement cette semaine, à peine âgée de 47 ans. Tous ceux qui s'occu-
pent de musique connaissaient cette physionomie charmante et pleine
d'élégance, qu'on savait retrouver à toutes les premières et à toutes les
solennités intéressantes. M'"' Legoux avait écrit une assez grande quantité
de musique. Elle avait pris part, sans résultat, à l'un des concours Ros-
sini, et avait fait exécuter sa cantate, Armide et Renaud, aux conceits du
Chàteau-d'Eau. On se rappelle toutes les vicissitudes subies par son opéra
de Joël, qui chaque année devait être représenté à l'Opéra-Comique, et qui
pourtant jusqu'ici n'a pu réussir à voir le jour.
— Nous avons encore le regret d'annoncer la mort de 11""^ Alexandre
Grus, mère de l'éditeur Léon Grus.
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Extraits du Traité Pratique LA VOIX ET LE CHANT
UN VOLUME IN-12, NET: 3 Francs
UMEUIE CUA1\, 20,
3121 — î)?"» AN^ÉE — ÎV" 4.
Dimanche 25 Janvier 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les BureauXj 2 bis, nae Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri JHEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rae Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
. [.es Obèques de Léo Delibes, H. M. — II. Semaine théâtrale: le nouveau
cabiev dc^ charges de l'Opéra, H. Moheno ; reprise de l'Hûlel Gocklot, k la Renais-
faiicc, premières représentations de les Cenci, au théâtre d'Art, et de Paris-
/'ofief, aux Fûiies-Diamatiques, Paul-É.mile Chevalier. — III. Courrier de Bel-
giqii', I uciE.N SoLVAY. — IV. Académie des Beaux-Arts: Rapport sur les envois
de Rome. — V. liovue des Grands Concerts. — VI. Nouvelles diverses et
nàiîroloç!ie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LA TERRE A MIS SA ROBE BLANCHE
jiouvelle mélodie de Théodore Dubois, poésie de J. Bertheroy. — Suivra
immédiatement : Si l'amour prenait racine, nouvelle mélodie de H. Bal-
ïhasar-Florence, paroles de C. Fuster.
pia.no
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIA^o : les Douze Femmes de Japhet, quadrille brillant par Léon Roques,
sur l'opérette de Victor Roger. — Suivra immédiatement : Nulle autre
quelle, nouvelle polka de Philippe F.ahrbach.
Nous continuerons, dimanclie prochain, les intéressan-
tes « Notes d'un Librettiste », de M. Louis Gallet, ainsi que
la curieuse étude de notre collaborateur Arthur Pougin,
sur «les Saint- Aubin».
OBSÈQUES DE LÉO DELIBES
Les obsèques de Léo Delibes ont été ce qu'elles devaient
être, profondément recueillies et attendrissantes. Il ne s'y
trouvait pas d'indifférents et chacun était ému jusqu'au fond
du cœur de cette mort subite qui venait de frapper, non seu-
lement un grand musicien français dans le plein épanouis-
sement de son talent, mais encore l'homme charmant que
tous avaient connu, l'ami excellent que beaucoup avaient à
pleurer. Jamais on ne vit de visages plus attristés, ni de lar-
mes plus sincères.
Et c'était un véritable amoncellement de fleurs, venues de
tous les coins de la France, comme si on eut voulu cacher
sous les couronnes et les palmes vertes tout ce deuil et toute
cette douleur qui pesaient lourdement et malgré tout, sur
ceux qui menaient le cher Delibes vers sa dernière demeure.
De tous ces amis fidèles et désolés, nous ne vous dirons
pas les noms. Ils étaient tous là. C'étaient Philippe Gille et
Charles Grisart, les deux plus intimes amis du maître si re-
gretté, qui conduisaient le deuil. Les cordons du poêle étaient
tenus par M. G. Larroumet, directeur des Beaux-Arts, M. le
vicomte Delaborde, MM. Ernest Reyer, E. Guiraud, Victorin
Jonciùrcs et Ritt.
Pendant le service funèbre, M. Gh. Widor tenait les gran-
des orgues; il a fait entendre l'un des préludes de Kassya,
la dernière œuvre laissée par Delibes, quelque chose de
triste et de profond qui a fait grande impression. La Neige,
c'est le titre de ce prélude. Puis Faure a chanté un Pie Jesu,
dont on avait adapté les paroles sur une des plus touchantes
mélodies du maître ; le grand chanteur a été admirable et il
a su communiquer à tous l'émotion qui l'avait saisi lui-
même; il était certainement un des plus anciens camarades
de Léo Delibes, puisque tous deux, dans leurs premières
années, avaient été enfants de chœur à la même église. C'est
ce souvenir, sans doute, qui donnait à sa voix une teinte de
mélancolie et de tristesse tout à fait saisissante. L'orchestre
de rOpéra-Comique était là aussi pour interpréter quelques
pages des œuvres de Delibes, celles qui pouvaient se mieux
prêter à la triste cérémonie qu'on célébrait.
Sur la tombe, plusieurs discours ont été prononcés. Voici
d'abord celui de M. Larroumet, qui nous donne la phy-
sionomie bien complète de l'artiste que nous avons tant à
regretter :
Messieurs,
Au milieu des deuils répétés qui atteignent en ce moment l'art français
et qui marquent presque chaque jour par une perte nouvelle, la mort de
M. Léo Delibes a eu le privilège d'exciter un des étonnements les plus
douloureux et une des sympathies les plus profondes que nous ayons
éprouvées : l'âge du maitre et la vigueur de sa nature semblaient lui assu-
rer une longue carrière ; il était dans la pleine fécondité du talent et il
nous promettait une œuvre nouvelle, caressée avec amour, attendue avec
confiance. Quelques heures ont suffi et il n'est plus. La France perd un
des artistes qui exprimaient avec le plus de charme et de vérité un élé-
ment essentiel de son génie national ; une source de vive et légère inspi-
ration est tarie, une fantaisie gracieuse s'éteint et tous ceux qui se pres-
sent autour de ce cercueil perdent un ami.
" Élève d'Adam, Léo Delibes se rattachait directement à cette lignée de
musiciens français qui, au milieu du dernier siècle, créèrent l'opéra-
comique et, malgré les influences étrangères, lui conservèrent jusqu'à nos
jours cette marque d'esprit et de gaité, de sentiment et de poésie familière
pour laquelle nous sommes ingrats, dans nos heures d'injustice, mais à
laquelle nous revenons toujours, car elle est notre fidèle image. Nous avons
beau la railler, nous savons bien que le jour où la France y renoncerait
elle perdrait une part d'elle-même. L'opéra-comique n'est pas toute la
musique, mais c'en est une part nécessaire, chez nous plus que partout
ailleurs et nous y excellons. Par-dessus la brillante invasion italienne,
qui, avec Rossini, s'était installée dans notre domaine, Léo Delibes repre-
nait donc ce que Mousigny et Grétry, Lesueur et Méhul, Dalayrac et
Boieldieu, Herold et Halévy, Auber et Victor Massé nous avaient légué de
facilité ingénieuse, de franchise, de justesse délicate et de simplicité. Ce
sont là messieurs, des qualités françaises par excellence, et nous devons
de la reconnaissance à ceux qui, en mettant le plus mystérieux des arts
et l'un des plus élevés à la portée de tous, ont satisfait et développé une
part de ce qu'il y a de plus original dans l'àme de notre pays. A ces dons
qu'il tenait de sa race, Delibes joignait ses qualités personnelles de gaieté
et d'ironie, de grâce rêveuse et de tendresse. Initié de bonne heure a la
scène par une pratique de chaque jour, il en avait à la fois l'instinct et
la science; symphoniste habile, il mettait en œuvre avec un art très sur
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LE MENESTREL
ce que l'abondance de sa verve et l'entrain de son Inspiration lui suggé-
raient de claires mélodies et d'inventions spirituelles; il les relevait par
un sens de l'élégance et une sûreté de goût bien rares à un tel degré ; il
avait enfin la couleur, le mouvement et la fantaisie.
Cet ensemble de dons s'est développé au cours d'une carrière toujours
en progrès, qui l'avait conduit, par de sûres étapes, des formes les plus
accessibles aux côtés les plus élevés de son art. Il avait commencé par
des opérettes, gaies sans vulgai'ité, familières sans bassesse, où le futur
compositeur d'opéras-comiques se laissait entrevoir déjà ; il s'élevait
bientôt au ballet et y donnait, après la Source, qui ne lui appartenait qu'à
moitié, mais où sa part est de premier ordre, deux œuvres charmantes,
deux petits chefs-d'œuvre, Coppélia et Stjlvia, qui resteront pour notre
temps ce qu'ont été la Sylphide, la Somnambule et Giselle. Il avait tout ce
qu'il faut pour exceller dans ce genre exquis, joie légère de l'oreille,
des yeux et de l'esprit, où la poésie naît du mouvement et où la musique
est si intimement unie à l'action qu'elle la crée au lieu de la subir,
comme il arrive ailleurs. Enfin, il abordait l'opéra-comique et s'y affirmait
comme un maître avec le Roi l'a dit, d'un tour si spirituel, d'une couleur
si vive et d'une veine si franche. Dans Lakmé, sans prétention ni ambi-
tieux programme, il suivait les tendances modernes de la musique et,
avec son aisance habituelle, il en aidait l'évolution dans une voie plus
originale et plus savante, rencontrant la nouveauté et évitant la bizar-
rerie, demeurant lui-même, c'est-à-dire français, et montrant que son
souple talent n'était rebelle à aucun progrès. Ses dernières années ont été
consacrées à une œuvre de prédilection, Kassya, dans laquelle il voulait
se mettre tout' entier, avec ce qu'il avait réalisé déjà et ce dont il se sen-
tait encore capable, c'est-à-dire une inspiration facile et large, savante
et aisée. Nous entendrons Kassya ; elle est aux mains d'un collaborateur
qui, déjà gardien d'une chère mémoire, mettra la même fidélité pieuse au
service de ce talent fauché dans sa fleur ; mais Delibes n'entendra pas
son œuvre favorite, et cette nouvelle couronne sera voilée d'un crêpe. S'il
n'a pas connu l'injustice de son vivant, si la vie lui a été facile et riante,
la mort s'est montrée cruelle pour lui comme pour Bizet, frappé au seuil
de la gloire. Avec l'auteur de Carmen, celui de Lakmé prend place dans
ce groupe douloureux des jeunes talents, à qui l'existence trop courte n'a
pas donné tout ce qu'ils méritaient et pour qui la sympathie se mêle
d'attendrissement.
Récompensé de son talent et de ses efforts par le succès, Léo Delibes avait
reçu de ses confrères et de l'Etat tous les honneurs qu'ils peuvent décer-
ner. Membre de l'Académie des Beaux-Arts et professeur au Conservatoire,
il s'était voué avec son ardeur habituelle aux diverses obligations que ce
double titre lui créait. Des paroles autorisées vont vous dire ce qu'il était
à l'Institut et au Conservatoire; pour moi, je remplis un devoir en rap-
pelant que l'administration des Beaux-Arts n'avait pas d'auxiliaire plus
sûr ni plus dévoué. Dans l'enseignement, comme dans les examens et les
concours, il se donnait pleinement à sa tâche, il était bienveillant et juste,
soucieux de découvrir et de développer le talent, aimé de tous, chefs,
collègues et élèves, suscitant les qualités dont il était lui-même un
modèle : le sentiment de l'art, l'amour du travail, la cordialité.
Messieurs, le maître que nous allons laisser ici a mérité de se survivre
par un nom durable ; il a fait aimer par la France un talent qui ressem-
blait à notre pays, il a étendu pour sa part à l'étranger l'influence et le
renom de nos qualités nationales; il a bien servi l'État. Au nom du
ministre des Beaux- Arts, je le salue d'un adieu reconnaissant.
Après M. Larroumet, le vicomte Delaborde, brisé par l'é-
motion, — car il portait à Léo Delibes une affection toute
particulière — a parlé au nom de l'Institut; il l'a fait du
mieux qu'il a pu, mais sa parole, souvent coupée par les
sanglots, n'arrivait que difficilement jusqu'à l'oreille des au-
diteurs. Ses larmes valaient le plus éloquent des discours.
M. Ernest Guiraud a dit ensuite quelques paroles excellentes
pour le Conservatoire, où Léo Delibes laisse un si grand vide.
M. Guiraud remplaçait M. Ambroise Thomas, alité à la suite
d'un coup de pied de cheval qu'il avait reçu, quelques jours
auparavant. Puis, est venu le tour de M. Victorin Joncières,
qui parlait au nom de la Société des auteurs dramatiques ;
nous donnons un fragment important de son excellent dis-
cours :
.... A mesure qu'il avance dans la carrière, il progresse sans cesse;
avec ses adorables partitions de la Source, de Coppélia, de Sylviat il trans-
forme la musique du ballet et élève le genre, jusqu'alors un peu infé-
rieur, à la hauteur de la symphonie. Là, il s'affirme du premier coup
comme un maître incontesté, comme un chef d'école, dont devront s'ins-
pirer tous ceux qui s'essayeront dans la musique chorégraphique .
Quel esprit, quelle élégance, quelle invention dans Coppélia, un vérita-
ble chef-d'œuvre, acclamé aussi bien sur les scènes de l'étranger que sur
celle de l'Opéra. Et Sylvia, cette poétique évocation de l'antiquité, qui
nous ramène aux mythes du temps passé, avec une intensité de coloris
qui ferait croire, chez l'artiste, comme à une révélation mystérieuse
d'une musique disparue !
A rOpéra-Comique, il n'est pas moins heureux: il y débute avec le Roi
l'a dit, d'une si saine gaieté, d'une allure si française, d'une clarté si
éblouissante, où la science se dissimule sous les grâces de l'inspiration.
Jean de Nivelle, d'un style plus sérieux, lui conquiert l'estime de ceux
qui ne voulaient voir en lui qu'un compositeur de musique légère. L'ou-
vrage eut cent représentations consécutives.
Je n'ai pas besoin de faire l'éloge de Lakmé, dont les poétiques et
suaves mélodies chantent dans toutes les mémoires. Ces plaintes tou-
chantes, ces accents passionnés, ces amoureuses cantilènes de la jeune
prêtresse hindoue, viendront bientôt caresser encore nos oreilles attentives
et émouvoir nos cœurs attendris.
Bientôt aussi, nous entendrons cette Kassya inconnue, cette œuvre qu'il
avait ciselée avec amour pendant plusieurs années, et dont il m'entrete-
nait, il y a juste aujourd'hui huit jours, m'exprimant ses espérances, et,
le dirais-je? ... ses craintes, avec une modestie qui révélait la con-
science de l'artiste, toujours préoccupé d'un idéal plus élevé.
Qui m'eût dit alors, qu'à peine une semaine écoulée, je viendrais dans
ce triste asile, adresser à mon pauvre ami un éternel adieu !
La désolation peinte sur les visages de ceux qui m'entourent dit, mieux
que mes paroles, l'amertume des regrets que laisse Léo Delibes. C'était,
un grand artiste, c'était un grand cœur. Son souvenir restera toujours
gravé dans nos mémoires, comme son œuvre redira sans cesse le nom
glorieux qu'il lègue à son pays.
Puis le jeune M. René, le premier « prix de Rome » sorti
de la classe de Léo Delibes, au Conservatoire, s'est avancé
tout ému pour prononcer ces quelques paroles:
C'est à moi, cher et regretté maître, qu'incombe le douloureux devoir
de vous dire, au nom de vos élèves, un suprême adieu!
Nul maître ne fut plus ardent, plus actif, plus aimant; nul ne fut aimé-
davantage.
Il y a six jours à peine, vous étiez encore parmi nous, debout, vail-
lant, plein de bonne humeur et d'entrain, et, à cette heure, il ne nous
reste plus que le souvenir du maître vénéré, de l'ami fidèle et dévoué qui
guida nos travaux, encouragea nos premiers essais !
Ce souvenir, nous le garderons pieusement; votre enseignement restera
gravé dans nos cœurs ; ce sera notre ligne de conduite dans l'avenir.
Mais, hélas ! où retrouverons-nous cette affection paternelle, ce dévoue-
ment à toute épreuve qui vous faisait, si souvent, oublier vos propres
travaux pour les nôtres.
La mort, qui vous a si brutalement terrassé, nous permet cependant.
d'espérer, de croire que vous êtes encore avec nous, parmi nous : c'est
notre seule, notre suprême consolation
Adieu, cher et bien-aimé maître... Adieu !
Faut-il dire quelque chose du discours extraordinaire pro-
noncé ensuite par M. Gailhard, sorte d'allocution militaire où
il n'était question que de « tambour battant le rappel » et
dont on n'a pas bien saisi l'à-propos? En toute autre circons-
tance on aurait pu s'en amuser. Mais ici l'impression a sur-
tout été pénible. Tartarin pouvait rester chez lui sans incon-
vénient.
Tout était fini. Léo Delibes dort à présent de l'éternel som-
meil, mais inoublié et toujours vivant dans l'œuvre qu'il
nous a laissé.
H. M.
SEMAINE THEATRALE
LE NOUVEAU CAHIER DES CHARGES DE L'OPÉRA
La « commission des théâtres » s'est réunie mercredi dernier au
ministère de l'Instruction publique, sous la présidence de M. Léon
Bourgeois, pour la discussion du nouveau cahier des charges qui
devra être imposé a la direction nouvelle de l'Opéra, quand le pri-
vilège de MM. Ritt et Gailhard aura pris fin, c'est-à-dire le 1" dé-
cembre prochain. Le ministre a ouvert la discussion par l'allocution
suivante :
Messiecrs,
Au mois de juin dernier, je priais la commission consultative des
théâtres de me donner son avis sur l'interprétation et l'application du
cahier des charges de l'Opéra. Je ne saurais oublier avec quel empresse-
ment et quel zèle elle me prêta, dans cette occasion, le concours de sa
haute compétence. Chacun de vous, messieurs, a fait une étude particulière
de l'art dramatique, de ses rapports avec l'État et des conditions légales
ou administratives dans lesquelles il s'exerCe. A la suite d'un examen
aussi laborieux que délicat, vous avez perinis.à mon administration d'a-
dopter les solutions les plus équitables.
Au moment où la concession actuelle de l'Opéra touchait à sa fin, j'ai
dû me préoccuper de rédiger un cahier des charges d'où fussent écartées
le plus possible les causes d'incertitude et de conflit qui ont préoccupé
LE MENESTREL
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mes honorables prédécesseurs et moi-même. C'est dans cet esprit qu'ont
été rédigées les clauses relatives au matériel, à son usage et à son entretien.
En outre, il nous a paru nécessaire de prescrire un partage équitable
des bénéfices qui garantisse l'État, dans l'avenir, contre le retour de ces
difficultés. Mais ce n'était là qu'une partie de ma tâche, et j'ai dû envi-
sager la question à un autre point de vue.
L'Opéra court aujourd'hui divers risques, et, si l'on ne se préoccupait
d'y remédier, ils pourraient entraîner dans un avenir prochain la ruine
de l'institution. Il donne un trop petit nombre d'ouvrages; il ramène sans
cesse devant le public quelques pièces fort belles, mais anciennes, que
l'on écoute d'une oreille déjà distraite et bientôt lassée.
De là, le mécontentement des compositeurs, qui n'ont pas des occasions
suffisantes de se produire ; du public, qui souhaiterait une série de spec-
tacles moins uniforme, plus hardie et plus souvent renouvelée ; de la
presse, qui voudrait défendre l'Opéra et qui trouve trop à lui reprocher;
du Parlement, qui se demande s'il répond bien à sa raison d'être et aux
sacrifices qu'il coûte à l'État. D'autant plus que dans un régime démo-
cratique comme le nôtre, le caractère spécial de ce genre de spectacle
semble en faire une institution de luxe et le réserver à une seule classe
-de spectateurs.
Il est urgent, messieurs, de remédier à cet état de choses et de conce-
voir autrement l'Opéra, si nous voulons le conserver. Pour moi, j'estime
qu'il devrait répondre à un triple but : d'abord, constituer une sorte de
musée des chefs-d'œuvre de l'art musical, semblable à celui que constitue
la Comédie-Française pour les chefs-d'œuvre de l'art dramatique; puis,
offrir aux œuvres nouvelles de nos compositeurs comme une exposition
permanente, aussi souvent renouvelée que possible ; enfin, donner aux
artistes une école pratique où passeraient un plus grand nombre de sujets.
Ainsi, l'Opéra serait vraiment une forme de l'enseignement national de
la musique, un encouragement à la production artistique nationale, une
école d'artistes du chant.
Pour arriver à ce résultat, je n'ai vu d'autres remèdes que la liberté.
Il importait, en effet, de simplifier l'extrême complication d'un cahier des
charges qui mêle sans cesse l'administration à la direction, en déplaçant
les responsabilités et en imposant à chacune des obligations ou des en-
traves qui les gênent également au détriment de l'une et de l'autre; il
importait de donner au directeur la plus grande liberté possible dans sa
gestion, et, pour cela, de limiter les prescriptions du cahier des charges
à la stricte sauvegarde des droits de l'État.
Nous allons entrer ensemble, messieurs, dans l'examen de ce cahier des
charges, que je résume simplement par l'énoncé des principes qui ont
inspiré sa rédaction : liberté dans le choix des pièces, sans autre réserve
que de jouer chaque année un certain nombre d'actes de compositeurs
français; liberté dans l'emploi du matériel appartenant à l'État, sans autre
obligation que de rendre à l'État une quantité de décors égale en valeur
à celle que la direction a reçue; liberté dans l'établissement du prix des
places de luxe. En échange de ces avantages, l'administration ne deman-
derait au directeur que de jouer le plus possible d'œuvres nouvelles et
de donner un plus grand nombre de représentations.
Telles sont, messieurs, les lignes générales du nouveau cahier des
charges. Je le soumets en toute confiance à votre examen, assuré d'avance
qu'il sortira de vos délibérations un projet de contrat dans lequel les in-
térêts de l'art français, ceux du directeur et ceux de l'État seront égale-
ment sauvegardés.
Il convient, tout d'abord, de féliciter le ministre de ce ferme lan-
gage et de ses bonnes dispositions. La longue série d'Excellences qui
«e sont succédé aux Beaux-Arts depuis plus de vingt ans ne nous a
pas habitué à tant de sollicitude pour la musique ; on semblait tou-
jours la considérer coname une quantité négligeable au milieu de
tous les Arts et de toutes les Instructions que ces Excellences avaient
mission de protéger. Ah ! la pauvre, on ne s'en inquiétait guère ;
«lie pouvait bien pousser comme elle voudrait. Le cahier des char-
ges pour l'Opéra? On le regardait d'un œil distrait; c'était toujours
le même depuis le déluge; c'est à peine si on daignait y ajouter
quelques clauses bienveillantes, quelques accommodements, quel-
ques termes ambigus pour favoriser le développement d'un Ritt ou
d'un Gailhard, véritables forbans imaginés pour la perte même de
la musique.
Ce sera un honneur pour M. Bourgeois d'avoir tenté de réagir contre
ces habitudes d'indifférence et même de tolérance. Oui, il faut infu-
ser du sang nouveau à cette vieille « Académie de musique », si on
ne veut la voir crouler de toutes parts, dans un avenir très pro-
chain. Oui, il faut plus de variété dans son répertoire. Le cycle éter-
nel de la dizaine d'opéras, chefs-d'œuvre si l'on veut, qu'on répète à
satiété, ne peut plus suffire aux goiits et aux appétits modernes. Il
faut qu'on remette à la scène de nombreux ouvrages qui n'auraient
jamais dû en disparaître. Quand on pense que sur un théâtre national
qui reçoit de l'État plus de 800,000 francs à l'année, l'œuvre admi-
rable de Gluck n'est même pas représenté par une seule de ses
partitions, n'est-ce pas grotesque et misérable? Nous allons peut-
être avoir le Fidelio de Beethoven, niais il a fallu plus d'un demi-
siècle pour en arriver à une manifestation aussi simple !
N'est-il pas juste aussi qu'on ouvre la porte toute grande aux chefs-
d'œuvre étrangers qui peuvent se produire? Eh! quoi, un "Wagner,
un Verdi, un Rubinstein et tant d'autres intéressants musiciens
écrivent de superbes partitions, et Paris, qui se prétend la ville de
toutes les lumières, n'est pas à même de les entendre, sous prétexte
de misérables « cahiers des charges » qui limitent les efforts de nos
directeurs aux seules productions françaises. Craint-on que la repré-
sentation de Lohengrin. à'Olello, de Néron soit faite pour diminuer
le prestige de notre première scène lyrique? M. Bourgeois ne l'a
pas pensé ainsi, et il a eu raison de rompre en visière avec de vieilles
habitudes qui ne sont plus de notre temps.
Le nouveau cahier des charges que propose le ministre est donc
une véritable œuvre de rajeunissement et il faut l'en féliciter.
C'est su.r ce premier point, sur la plus grande variété du réper-
toire que la commission a eu d'abord à se prononcer, et elle a re-
connu qu'il y avait lieu d'y insister auprès des nouveaux candidats
qui pourront se présenter pour recueillir la succession de MM. Ritt
et Gailhard. Il a été admis qu'on laisserait au nouveau directeur
toute latitude pour représenter les œuvres qui lui conviendraient,
qu'il pourrait les prendre là où il y trouverait son compte, aussi
bien à l'étranger qu'en France. Il sera tenu seulement à représenter,
chaque année, six actes de compositeurs français. Pour le reste, il
agira à sa guise. « Il pourra jouer 7oMte les sortes de drames et de
ballets, exception faite seulement des genres réservés à l'Opéra-
Comique. »
Pour suffire aux exigences de ce nouveau programme, à son en-
vergure plus large, on a décidé en principe que le nombre des re-
présentations devrait être considérablement augmenté; on en don-
rait six par semaine, cinq au minimum. C'est encore une excellente
mesure. A quoi bon en effet laisser fermée et inutile, trois fois par
semaine, une salle qui a coûté si cher à l'Etat? On a vu, pendant
la période de l'Exposition, combien MM. Ritt et Gailhard, alléchés
par le gain, avaient pu facilement arriver à ce nombre augmenté
de représentations qu'ils avaient prétendu si longtemps une chose
impossible. Il n'y aura qu'à continuer ce qu'ils avaient commencé.
On ne fait pas autrement d'ailleurs à Vienne et à Berlin, avec un-
répertoire toujours changeant et composé de plus de soixante ou-
vrages divers. Sommes-nous donc plus apathiques et moins malins
que les Allemands ?
Le nouveau projet accordera encore au directeur la faculté
d'employer à sa guise le matériel, sans affectation spéciale à telle
ou telle pièce, à la seule condition pour lui de le tenir en bon état
de réparation (des inventaires auront lieu à cet effet tous les deux
ans), et de rendre une valeur de décors égale à celle qu'il aura
reçue. Dans l'ancien cahier des charges, au lieu du mot valeur, il y
avait le mol nombre, ce qui a donné lieu aux difficultés qui divisent
en ce moment la direction de l'Opéra et l'administration des beaux-
arts. On sait même qu'un procès est imminent à ce propos.
Le « tarif des places » a été aussi l'objet d'une longue discussion.
L'ancien cahier des charges limitait le tarif de toutes les places ; le
nouveau ne fixe que le prix des petites places, comme il suit :
Bureau. Location.
Stalles de parterre ^
TROISIÈMES
Avant-scène ^
do s
Loges de face 8
Entre-colonnes 8
De côté ^
3 ')
3 «
2 SO
QUATRIÈMES
Avant-scène 2 »
Loges de face 3 »
Loges de côté 2 »
Fauteuils d'amphithéâtre .... 3 »
Stalles d'amphithéâtre 2 »
Stalles de côté 2 »
CINQUIÈMES
T 2 » 3 »
Loges " "
Pour les « grandes places », le directeur, aura le droit d'en élever
le prix à sa volonté. Le tarif devra seulement en être fixe et affiché
au début de chaque année, et il ne pourra plus être augmente, en
aucune circonstance, dans le courant de la même année. Il serait
même question de permettre au directeur de mettre en . adjudica-
tion limitée » certaines places de luxe. Ainsi, au cas ou une loge
d'abonnement devenant libre, plusieurs personnes
28
LE MENESTREL
raient pour on briguer la succession, la direction pourrait la mettre
en adjudication entre ces diverses personnes. Ceci n'est pas sans
offrir quelque danger et pourrait bien, dans un temps donné, modi-
fier complètement la ligne géométrique de l'abonnement à l'Opéra.
De verticale qu'elle était, il y aurait fort à craindre qu'elle ne prit
peu à peu des airs plus penchés, pour verser à la fin complètement
dans rborizoutalismc. C'en serait fait alors des belles manières et
du bon ton à l'Académie nationale de musique.
Un point important encore du nouveau cahier des charges est
celui qui spécifie qu'à l'avenir les bénéfices de l'exploitation devront être
partagés entre le directeur et l'État. Ce ieToieraonsacrerail les sommes
qui pourraient lui revenir de cette e.'péce d'association (dans le gain
seulement) à la réfection et à la réparation du matériel. C'est une
sorte de retour à l'ancien cahier des charges de M. Halanzier. Ici,
seulement, le partage ne se ferait qu'au-dessus de la somme de
S0,000 francs. Les comptes seraient établis tous les deux ans et
le versement des bénéfices effectué tous les quatre ans. Par suite,
la durée du privilège serait portée de sept à huit années.
Enfin, au lieu des deux années réglementaires jusqu'ici, l'Opéra
aura le droit de retenir pour une durée, même supérieure à trois ans,
les élèves du Conservatoire, qu'il aurait réclamés à la sortie de
l'école.
Mercredi prochain, la commission entrera dans le détail du projet,
article par article, et elle compte avoir terminé son travail en deux
ou trois séances.
Voilà donc du nouveau en perspeclive. Espérons qu'il sortira de
tout cela le relèvement de notre première scène, et qu'on trouvera
pour y coopérer un directeur intelligent et tout dévoué aux intérêts
artistiques. Cela nous changerait agréablemont de MM. Ritt et
Gailhard.
H. MORENO.
Renaissance : motel Godelot, comédie en trois actes, de MM. V.
Sardou et H. Crisafulli. — Théâtre d'Art : Les Cenci, tragédie en
'cinq actes et quinze tableaux, de Shelley, traduction de M. Félix
Rabbe. — Foues-Dr.uiatiques : Paris-Folies, revue en trois actes et
six tableaux, de MM. Vély et Mock.
Lors de sa première apparition au Gymnase, en 1876, l'Hôtel
Godelot, en fils bien né, n'avait qu'un père, M. Crisafulli ; en re-
paraissant à la Renaissance, théâtre d'ordre moindre, ce vaudeville
n'ose plus entièrement cacher sa nombreuse paternité et avoue
M. Sardou. Peut-être bien que si, dans une quinzaine d'années, il
prend à un directeur nouveau fantaisie de remonter cette pochade, la
lignée paternelle trouvera légitimement moyen de s'accroître encore.
Mes graùds confrères ont essayé de nous expliquer ce phénomène de
multiplication d'auteurs ; je crois, pour ma part, que si M. Sardou
a laissé, cette fois, mettre son nom devant celui de M. Crisafulli,
c'est qu'il n'était point fâché, avant la grande bataille de Thermidor,
de prouver au public qu'il est homme à trouver dans son sac
d'autre mouture que celle de Cléopâtre. Et de fait, je donnerais toutes
les divines reines d'Egypte et autres grandes productions exporta-
tives, dernièrement enfantées par l'auteur des Pattes de mouche et de
Divorçons, pour le premier acte si franchement gai de cet Hôtel Godelot.
Le sujet de cette folie, trop gravement dénommée comédie, vous le
savez: un Parisien, voyageant en province, prend la maison d'un
ami de son père pour une auberge quelconque, et, mécontent du
service et des airs par trop protecteurs de ceux qu'il prend pour de
simples gargotiers, met tout sens dessus dessous dans cet intérieur
paisible et bourgeois. Dès le début, la méprise est absolument plai-
sante et divertissante, et, bien que fort invraisemblable, n'est point
sans une certaine tenue. Mais il ne faut pas abuser même des
meilleures choses, et, dans les deux derniers actes, la plaisanterie,
qui demeure toujours la même, s'émousse forcément et perd de son
attrait ; ce qui n'empêche d'ailleurs le public de s'amuser de très
bon cœur. C'est M. Francès, le créateur du rôle de Godelot au
Gymnase, qui le joue encore à la Renaissance et qui s'y montre
très bon comédien. ¥'"= Carlix, prix de comédie au dernier concours
du Conservatoire, a très aimablement débuté dans l'emploi d'ingénue.
MM. Regnard, Gildès, Ed. George, Bellot et M"'^ Aubrys et Dezoder
forment un ensemble divertissant.
Le « Théâtre d'Art », précédemment Théâtre Mixte, a donné la
semaine dernière, au théâtre Montparnasse, une représenta tion des
Cenci, une tragédie romantique de Shelley, traduite par M. Félix
Rabbe. Shelley, ce poète d'humeur vagabonde que sou caractère et ses
idéessubversives forcèrent à s'exiler d'Angleterre, fut longtemps dé-
daigné plus que déraison par ses compatriotes qui, tout dernièrement.
ont tenté d'en faire presque un rival puîné de Shakespeare. Danste
Cenci, qui restent comme l'oeuvre accomplie du jeune auteur, mort
en 1822 âgé à peine de trente ans, nous retrouvons l'histoire de
cette famille romaine, vivant au xvi» siècle, dont le père, après
avoir fait périr deux de ses fils et abusé de sa fille Béatrice, rendue
célèbre par la toile du Guide, mourut assassiné par cet'e même fille
aidée de sa mère. Clément VII, alors pape, fit mourir par la hache
les survivants de cette malheureuse famille. Le drame, d'une con-
ception hardie mais discutable, est saisissant en plus d'une scène,
et, même au travers de la traduction, on sent passer souvent le
souffle lyrique d'un poète de race. Son défaut capital est d'être
d'une longueur démesurée et inutile et d'une coupe hachée, qui,
calquée sur celle du grand Will, n'est nullement dans les usages
de notre théâtre. — Je ne vois à citer dans la troupe du « Théàlre
d'Art » chargée d'interpréter les Cenci. que M. Prad, qui a donné do'
l'allure au personnage de Franccsco Cenci, et M"" Camée, qui, dans
le rôle complexe et très difficile de Béatrice, a fait courageusement
tout ce qu'elle a pu.
Est-ce le dégel qui nous vaut ce reflux de revues, ou bien, sont-ce
ces revues elles-mêmes dont l'annonce seule a amené le dégel?
Question fort embarrassante à résoudre et dont nous laissons le soin
à Haut et Très Puissant Seigneur, sa Rondeur l'Observatoire. Quoi
qu'il en soit, voici les Folies-Dramatiques, devançant les Nouveautés
et les Variétés, qui ouvrent ce feu nouveau avec Paris-Folies, de
MM. Mock et Vély, Adrien tous deux, applaudis déjà, en ce genre
de spectacle, au petit Cercle Pigalle. Ici point d'intrigue et aucune
raison au défilé des actualités de l'année : le Briseur de chaînes et
l'Argent, s'ennuyant de leur état inamovible d'afiiches illustrées, se
détachent du mur et se promènent au hasard dans Paris. Il va de
soi qu'ils rencontrent, sans le voir, le funiculaire de Belleville, qu'ils
ont le bonheur de lier connaissance avec la jolie personne qui pos-
sède un tendre morceau de son médecin sur la joue, — un des
clous de la revue, — qu'ils sont mêlés à une étourdissante pantomime
anglaise qui se passe sur les toits, — un autre clou, — cl qu'ils
assistent à la parodie des principales pièces de l'année, 'fout le reste
demeure plus ou moins palpitant d'intérêt; mais on s'amuse franche-
ment aux joyeuses pitreries de M. Gobin et ou ne se lasse pas de
regarder la jolie M"" Pierny. M. Guyon s'est mouiré aussi très amu-
sant; il s'est taillé un succès de musicien en conduisant l'orflijstre.
avec une maestria digne de M. Baggers lui-même, et en jouant un
solo de hautbois. Paris-Folies est l'héritage laissé par M. Micheau à
son successeur, M. Vizentini, qui a maiu'enBut la parole.
Pall-Émile Chevalier.
CORRESPONDANCE DE BELGIQUE
La mort de Léo Delibes a causé à Bruxelles une profonde et doulou-
reuse impression. Non seulement on uimoit lieaucoup l'homme si cordial,
si ouvert, mais on adorait ici, méaie dan" les camps les plus intransi-
geants, la musique de ce maître exquis de la grâce et de l'esprit français
par excellence. Alors quebien d'autn'S sont discutés, celui-là était acrepto
par tous, parce que tous reconnaissairnt en lui des qualités originales si
franches, si primesautières, une forme si |arfaitement d'accord avec les
idées qu'il exprimait, qu'il eût été luen diffiTile, en effet, de les lui con-
tester, elles qui lui avaient fait dans l'i cole contemporaine une place si
absolument à part. Léo Delibes élail peut-être même le seul que nos
wagnéristes féroces épargnassent (i.-ins leurs hécatombes; ils saluaient
avec respect cette personnalité iiuiifculable, qui semblait incarner son
siècle et sa race dans ses moindres chost-s, si joliment ciselées, d'allure
si sincère, et toutes faites d'élégance, du grâce et de lumière. Vous savc:;
quelle place occupaient et ont toujours occupé les œuvres de Delilies
dans le répertoire de. la Monnaie. Coppélia ne l'a pour ainsi, dire jamais
quitté ; Sylvia y est restée longtemps ; Jean de Nivelle a été souvent repré-
senté, et il n'y a pas de saison où l'on ne reprenne Lakiné. Quant au Roi
l'a dit, vous vous rappelez quelle triomphale reprise nous en eûmes, il y
a deux ans, avec M""= Landouzy, et combien nous vengeâmes le petit
chef-d'œuvre de l'indifférence des Parisiens. L'autre soir, la terrible nou-
velle de la mort du maître aimé est arrivée à la Monnaie juste au mo-
ment où l'on allait commencer Coppélia, justement affichée ce jour-là, par
une singulière coïncidence. Vous jugez de l'émotion que cette .nouvelle,
si peu attendue, a produite sur tous. Depuis quelque temps aussi, on
était tout aux répétitions de Lakmé, dont la reprise aura lieu lundi pro-
chain. M"!* Sanderson avait étudié, je crois, le rôle avec Delibes ; celui-ci
avait promis de venir assister aux dernières répétitions ; tout le monde
l'attendait avec impatience... Hélas! quel coup de foudre! La reprise aura
lieu sans le maître; mais son cher souvenir, bien certainement, animera
ses interprètes.
LE MENESTREL
.29
Sans être aussi bruyant qu'à la première, le succès de Siegfried s'est
confàrmé aux représentations suivantes. L'interprétation n"a rien perdu de
ses mérites, et elle s'est afïïrmée en quelques-uns de ses côtés faibles.
Dans la presse, ce succès n'a guère été discuté ; et je dois dire aussi que,
chose absolument e.xtraordinaire, il n'y a eu aucun échange d'injures
entre gens d'opinions adverses. On s'est trouvé, assez généralement
d'accord pour admirer sans conteste la musique en dépit des longueurs
du poème. Un critique n'a trouvé, d'ailleurs, qu'un seul argument pour
défendre ou excuser celles-ci : « Les reprocher à Wagner, a-t-il dit, c'est
lui faire grand honneur, en lemettant au niveau de Shakespeare, d'Eschyle
et de Sophocle ! » La défense est maladroite. L'avocat de Wagner-
poète a oublié ce petit détail, c'est que Shakespeare, Eschyle et Sophocle
vivaient à des époques où la mise en scène était dans l'enfance de
l'art et où ils ne s'en souciaient guère, tandis que le théâtre de Wagner
est du théâtre d'aujourd'hui, avec des prétentions à une mise en scène
parfaite et à une recherche pour ainsi dire absolue de l'illusion scé-
nique. Si Shakespeare, Eschyle et Sophocle ne sont guère jouables au-
jourd'hui, ce n'est pas cela qui constitue leur génie ; ce qui doit être
admis ou excusé chez eux ne saurait l'être pour des motifs semblables
chez Wagner. Du reste, insister là-dessus serait oiseux; tout le monde
est unanime sur ce point, même ceux qui feignent de ne pas vouloir
l'être. Et, comme je le disais la semaine dernière, cela ne diminue en
rien les mérites du musicien, qui sont énormes et s'imposent malgré
tout.
Ce que je tiens à constater aussi, c'est précisément cette accalmie des
esprits, cet accord même qui s'est établi, — les résistances vaincues d'une
part, les outrances apaisées de l'autre. Et cela c'est tant mieux, surtout
pour la cause wagnérienne, si souvent compromise par ses propres dis-
ciples. Quel dommage que, dans le livre documentaire de M. Evenepoel
sur II' Wagnirisme en Belgique, dont je vous parlais l'autre jour, ne se
trouve pas, à côté de l'histoire de la conversion lente des esprits au nou-
veau dogme musical, la notation de quelques-uns des côtés amusants de
cette propagande wagnérienne, parfois si maladroite! C'est surtout en
Belgique que la moisson eût été grande. A combien de scènes curieuses
nous avons assisté, depuis le jour où, tout à coup, un tas de braves gens,
absolument ignares dans les choses de la musique, se sont mis à se pro-
clamer les plus ardents champions d'un système dont ils ne comprenaient
certainement pas le premier mot! Nous avons fait maintes fois cette
remarque que les plus acharnés d'entre les wagnériens ont été rarement
des musiciens. Nous nous rappelons encore les chaudes soirées des repré-
sentations allemandes des Niebelungen, à la Monnaie, en 1883. Il y avait,
dans la bande des admirateurs à tout casser, un bataillon de peintres, à
qui l'on avait dit : — « Il faut aller voir ça... Quelle couleur! » Et,
partis de cette idée que la musique des Niebelungen était « colorée », ils
débordaient d'enthousiasme. Leur métier de- peintres ne leur en faisait-il
pas un devoir? Gare aux bourgeois assez audacieux pour ne pas penser
comme eux!... Un de ces enflammés prosélytes poussait le délire jusqu'au
rafûnement, ne se contentant pas de passer simplement pour un admira-
teur de Wagner, mais voulant aussi passer pour un connaisseur. Et il
passait pour tel, réellement. Le malheureiix ne savait pas, n'avaitjamais
su une note de musique. Mais voici comment il se tirait d'affaire : Il
s'était amusé, avec une patience d'ange, à noter, sur les partitions de
Wagner qu'il possédait, tous les leiimoliv qui caractérisent les person-
nages et leurs sentiments, au moyen de traits de couleurs différentes,
faits au pinceau. Il y avait une couleur pour chaque personnage et pour
chaque sentiment. Chaque fois que le leiimoliv revenait, il le reconnais-
sait, non pas aux notes dont il se compose, mais à l'arrangement matériel
des notes, à la forme, et non pas au son, qu'il n'aurait pu distinguer, ■ —
et il le marquait. Cela demandait un œil exercé; le sien l'était considé-
rablement. Ses partitions avaient fini ainsi par présenter l'aspect, très
joli, très original, de véritables aquarelles! Il ne songeait pas que, s'il
avait été musicien, rien ne lui eût été plus facile que de reconnaître à
première vue les leiimolio et leurs transformations, et qu'aucune annota-
tion n'était nécessaire. Mais n'importe. Ce détail ne l'inquiétait guère. Il
allait, montrant à tout le monde sa musique si bien peinte, en disant :
— c( Voilà ce que devrait faire tout bon wagnérien ! »
Je l'ai retrouvé, aux dernières répétitions de Siegfried, et à la « pre-
mière », une partition à la main, — une de ses fameuses partitions-aqua-
relles, — très absorbé et très fier.
Le premier Concert-Populaire de la saison a eu lieu, comme je vous
l'avais annoncé, dimanche après-midi, dans la salle de la Monnaie. C'était
en même temps le concert jubilaire. Le succès a été considérable. On a
fêté avec enthousiasme M. Adolphe Samuel, le fondateur de l'institution,
et M. Joseph Dupont, qui, après une absence d'un an, causée par les
incidents personnels que vous savez, reparaissait au pupitre du chef d'or-
chestre. On leur a fait à tous deux d'interminables ovations, bien méri-
tées du reste, — par M. Samuel, pour sa remarquable symphonie (n» (5),
exécutée sous sa direction, — et par M. Dupont, pour sa merveilleuse
interprétation d'œuvres diverses de Beethoven, de Wagner et de Berlioz.
La symphonie de M. .Samuel est d'une superbe facture, à la fois très clas-
sique et très neuve, et d'une grande élévation d'idées. Quant à M.Joseph
Dupont, il se devait à lui-même d'avoir la coquetterie de remporter, pour
sa réapparition, une victoire plus brillante que toutes celles qu'il eût
remportées encore; c'était bien naturel; et l'on n'attendait pas moins de
son talent. Enfin, n'oublions pas M. Eugène Ysaye, qui a joué à ce même
concert, — admirablement, — un concerto pour violon de Henri Vieux-
temps. — Le soir, un banquet a réuni, sous la présidence de M. Gevaert,
plus de cent convives; on a toasté longuement à l'avenir et à la prospé-
rité des Concerts populaires, désormais victorieux de tous les obstacles
et de tous les jaloux.
Lucien Solvay.
ACADEMIE DES BEAUX-ARTS
RAPPORT SUR LES ENVOIS DE MM. LES PENSIONNAIRES DE l'aCADÉMIE
DE FRANCE A ROME EN 1890
COMPOSITION SIUSICALE
M. Savard (If année). — L'envoi de M. Savard roDsiste dans la troisième el
dernière partie d'une grande symphonie dont les deux premières ont été anté-
rieurement présentées à l'Académie. Les détauis déjà signalés dans ces deux
premières parties se retrouvent malheureusement dans la troisième.
M. Savard, on doit le reconnaître, a beaucoup de talent ; mais l'Académie ne
peut approuver l'usage qu'il en fait. Elle a, au contraire, le devoir de lui signaler
les dangers de la voie dans laquelle il s'est engagé. Sa symphonie est un résultat
de la triste influence que peuvent avoir sur des natures bien douées, mais sans
expérience encore, les idées lépandues par des gens qui, en mHlière musicale,
prennent pour de l'originalité ce qui n'est en réalité qu'une banalité prétentieuse.
Ici, l'orcbestralion, s-i savante en apparence, est lourde et monotone, la forme
incohérente. Des modulations volonlairemcnt désagréables, un chaos haimonique
protendant à la richesse, voilà tout ce qui caractérise cet ouvrage. Comme l'auteur
sait très bien son métier et qu'il n'est pas dure intelligence ordinaire, l'Académie
espère que, instruit par l'expérience, il écrira plus taid d'un autre slyle et qu'il
recevra de l'avenir d'utiles conseils.
M. Chaiipentier (3° année). — M. Charpentier a soumis à l'examen de l'Acadé-
mie une Symphonie pittoresque en cinq parties, c'est-à-dire une suite d'impressions
de voyage, de tableaux détachés : A la fontaine, A mule, Sur les cimes etc., que
relie un sentiment persistant de mélancolie.
Cet envoi est des plus remarquables. On y trouve des inspirations vraiment
poétiques, de l'originalilé sans bizarrerie, de l'babilelé dans la facture et dans le
maniement des modulations, une ingéniosité singulière, excessive peut-être par
moments, dans l'instrumentalion. S'il y a des défauts dans l'œuvre de M. Char-
pentier, ils sont de cens qui tiennent à la jeunesse et qui, en raison de cela même,
ne justifieraient guère ici les reprochis. Il convient d'ajouter quedanssaSi/mp/io-
nie pittoresi^ue M. Charj^cntitr a utili;é plusieurs ibèncs populaires, mais que
quand ces thèmes manquent de distinction, il réussit à en relever les formes par
des perl'ectionncmenls inattendus et par des finesses de haut goût.
M. Eni.AiSGKn [2'- année). — Le prologue et le premier acte d'un opéra intitulé
Elianc forment l'envoi de M.Erlanger. C'est là un travail considérable, qui atteste
de la part do l'auteur des efforts dont l'Académie lui sait gré, mais qui, à cSté
de réels mérites, trahit de l'inexpérience dans le maniement des voix et de l'or-
chestre, et même nue cerlaire insuffisance de l'instinct seénique. V.n outre son
œuvre est souvent alourdie par des longueurs. En résume, l'envoi ilt M. Erlanger
révèle beaucoup de travail, beaucoup de bonnes intentions et un tempérament
d'artiste qui autorise de sérieuses espérances. Il sera nécest.-u c toutefois que
M. Erlanger, dans ses futurs ouvrages, s'applique à développer ses idées mélo-
diques et qu'il recherche soigneusement la justesse de la doc'amation.
Pour copie certifiée conforme:
Le feerélaire perpétuel de IWcadèmij dus beaux-arts,
Comte Henri Uli.acoiîde.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La dernière séance de la Société des concerts du Conservatoire s'ou-
vrait par la symphonie en la mineur 4e Mendeissohn, dont le premier
morceau est bien languissant, dont le scherzo est ab.-olument exquis, et
dont l'allégro final est gâté par l'introduction de ce vulgaire motif populaire
à six-huit, que son rythme banal aurait dû proscrire d'une œuvre sympho-
nique sérieuse. On a peine à comprendre comment Mendeissohn, ce mu-
sicien dont la délicatesse confinait parfois à la iiréciosité, a pu se rendre
coupable d'un tel méfait. Apres la symphonie, nous avons entendu d'im-
portants fragments d'une importante composition de I ouis Lacombe, Sapho,
écrite sur l'élégie de Lamartine (poésie des chœurs, de François Barrillot).
Ces fragments comprenaient: Hymne au dieu Pan; Complainte des vierges de
Lesbos; Chanson du Paire, dite par M. Warmbrodt; le leverdu Soleil; Finale. Le
final surtout, avec sa sonorité très ample, son accent majestueux et sa
conclusion grandiose, a produit un heureu.x effet. M. Jules Delsart, le
maître violoncelliste, est venu exécuter ensuite, avec son talent si sobre
et si pur, le concerto de violoncelle de M. Saint-Saëns, qui n'est certaine-
ment pas la meilleure œuvre du compositeur. Dans cette production un peu
pâle, un peu incolore, et où l'on a peine à retrouver les puissantes qualités
de l'auteur, se trouve pourtant un épisode charmant, une sorte d'intermezzo
d'une couleur exquise et d'un caractère tout à fait symphonique, qui pro-
duit une impression délicieuse. Le succès de M. Delsart a été très grand
et très mérité. Le concert se terminait par le beau chœur des prisonniers
de Fidelio, dont le plein effet ne peut vraiment sortir qu'à la scène, au
milieu de la situation dramatique dont il est un des éléments les plus
puissants, et par le Carnaval de M. Ernest Guiraud, véritable chef-d'œuvre
de sonorité, d'éclat instrumental, et, si l'on peut dire, de gaité et de bonne
humeur sympboniques. A. P.
30
LE MENESTREL
— Concerts du Chàtelet. — On ne saurait refuser à M. E. Colonne l'art de
composer ses programmes. Comme ils ne répondent jamais à un parti pris
d'école, ils sont variés, intéressants, jamais ennuyeux et attirent un nom-
breux public, celui qui ne croit pas faire étalage de scjence et de distinc-
tion en n'applaudissant que certaines œuvres plus ou moins contestables.
Nous avons applaudi tour à tour la belle ouverture du Roi d'Ys, de M. Lalo,
qui, avec M. Saint-Saêns, tient la tête de nos modernes symphonistes,
et la symphonie en /a de Beethoven; ce n'est pas une des plus grandes;
mais elle fourmille d'effets ingénieux, de combinaisons délicates, et elle
est très difïlcile à bien dire. Les trois pièces d'orchestre de i\I. Th. Dubois sont
fort jolies, très courtes et très spirituellement écrites. Les fragmeuts des
Maîtres chantevrs de Wagner que nous a donnés l'orchestre de M. Colonne
sont, bien certainement, ce qu'il y a de mieux dans la partition, ils ont,
malgré cela, paru un peu longs. Grand succès pour le prélude du Déluge, de
M. Saint-Saëns, qui a été exécuté dans la perfection. C'est bien là une page
de premier ordre. M. Pennequin a été très applaudi dans le solo de violon.
La Marche troyenne de Berlioz est fort belle, mais elle ne produit pas
l'effet de maintes autres pièces similaires du grand compositeur français. —
Venons aux solistes. Dans deux compositions de genres bien différents,
M. Auguez, qui remplaçait, presque au pied levé, M. Boudouresque, a
obtenu un très grand et très légitime succès. L'air de Caron, tiré de YAlceste
de Lully, dont il ne restait comme accompagnement que la basse chiffrée,
a été, au point de vue de l'orchestration, reconstitué par M. "Weckerlin.
En tenant compte de l'époque où ce morceau a été écrit, du style alors
accepté, on ne saurait lui refuser un caractère fort noble et presque drama-
tique. M. Auguez l'a remarquablement fait valoir. Mais il a eu un succès
bien plus considérable dans les Deux Grenadiers de Schumann, pièce pleine
de soulïle et de passion, qu'il a dite d'une façon excellente. M. Guiraud
avait orchestré l'accompagnement de piano avec le talent qu'on lui connaît
pour ce genre d'adaptation; le public des concerts Colonne sait combien il
avait merveilleusement transcrit pour orchestre la Chanson de printemps et ta
Fileuse de Mendelssohn. — M""» Roger-Miclos a exécuté avec une rare vir-
tuosité la Fantaisie hongroise si connue de Liszt, drôle de musique, mélange
de grandeur et de trivialité, mais que la merveilleuse exécution de
Mme Roger-Miclos a su rendre agréable. H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en re mineur de Schumann a
été composée pièce à pièce, pendant les années où le compositeur subis-
sait les atteintes de plus en plus violentes de la maladie nerveuse qui
nécessita sa retraite dans une maison de santé, aux environs de Bonn, où
il mourut en 1856. La symphonie, qui fut achevée en 1851, est d'un senti-
ment triste et concentré, malgré des efforts visibles pour atténuer la persis-
tance de cette impression. Chaque morceau, excepté la romance, dont le
caractère élégiaque ne se dément pas, renferme des motifs d'une allure
passablement brillante et robuste suivis de contre-motifs empreints d'une
mélancolie maladive et pénétrante. Comme sonorité, l'œuvre est sobre et
peu brillante, plutôt sombre, mais, étant de dimensions restreintes, elle
ne paraît pas monotone et tient l'attention toujours en éveil par le charme
des développements et la beauté des thèmes. — La Forêt enchantée, légende-
symphonie d'après une ballade de Uhland, par M. Vincent d'Indy, est une
œuvre écrite depuis déjà quelques années. Elle rentre dans la catégorie
des compositions descriptives avec programme non obligé. Considéré au
point de vue purement musical, l'ouvrage est suffisamment mélodique, les
idées sont nobles et distinguées, l'orchestration ravissante, fine, colorée et
presque toujours discrète. Comme facture, la seconde partie de l'œuvre
satisfait pleinement; on en suit avec facilité les motifs et leurs dévelop-
pements; c'est clair, plein de lumière et de charmantes voix instrumen-
tales. Le début semble destiné à poser le cadre du tableau et se compose
d'appels d'instruments dont les timbres se mélangent d'une façon souvent
intéressante. — La Danse macabre de M. Saint-Saêns a produit son effet
accoutumé. L'EsjmTia de M. Em. Chabrier, toute pleine de verve et de jeu-
nesse, a été fort bien enlevée et très applaudie. L'orchestre a, en outre,
exécuté supérieurement l'ouverture de Ruy Blasde Mendelssohn, la marche
funèbre du Crépuscule des Dieux et l'introduction du 3° acte de Lohengrin.
Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Même programme que dimanche dernier.
Concert Colonne : Symphonie en si bémol (Schumann); le Réveil de Ga-
lathée, (G. Pierné) par M"° Marcella Pregi; la Vision de Jeanne d'Arc (Paul
Vidal): Concerto pour violon (Wieniawski), par M"= Juliette Dantin; Syl-
via (Léo Delibes); Haï Luli (A. Goquard), par M"» Marcella Pregi; les
Maîtres chanteurs (R. Wagner); Marche troyenne (H. Berlioz).
Concert Lamoureux : Ouverture de Brocéliande (Lucien Lambert); Sym-
phonie en ré mineur (Schumann); la Captive (Berlioz), par M"" Landi; la
Forêt enchantée (Vincent d'Indy); Ouverture du Vaisseau fantôme (Wagner);
Rêoei-ie (Saint-Saëns), par M"» Landi; Sylvia (Léo Delibes); Espaïia (E. Cha-
brier).
— La Société de musique française, fondée par M. Edouard Nadaud, a
donné mardi dernier, ialle Pbîyel, sa première séance, avec le concours
de M°'» Roger-Miclos, de M. Théodore Dubois et de MM. Gros Saint-Ange,
Laforge, G ibier. Teste et de Bailly. Un quatuor de M. A. Rabuteau et le
trio, op. 30, de M. René Lenormand, ont paru d'un bon style, bien mélo-
diques, et d'une facture claire et concise. Le septuor de M. Saint-Saêns
a été supérieurement rendu et largement applaudi. Quant aux pièces
concertantes de M. Théodore Dubois, ce sont de petits morceaux d'un
caractère tout intime et d'une facture exquise, qui ont laissé la plus
délicieuse impression. Parmi les interprètes, nous devons citer avec
M. Théodore Dubois et M. E. Nadaud, M™" Roger-Miclos, qui s'est mon-
trée aussi excellente musicienne que pianiste possédant à fond le méca-
nisme etl'artde varier à l'infini les sonorités. Am. B.
— LA HOLLANDE MUSICALE A PARIS. — Ce n'était Certes pas un concert vul-
gaire que celui auquel nous avons assisté le samedi 17 de ce mois de
janvier, dans les salons de la maison Pleyel ouverts à toutes les harmo-
nies des nouvelles couches musicales de Hollande.
Le « concert néerlandais » organisé par notre confrère et ami Oscar
Comettant, au bénéfice de l'Association des artistes musiciens de France
et de la Société de bienfaisance hollandaise à Paris, était une curiosité
artistique des plus attrayantes. Musique et exécutants, tout était hollan-
dais et tout a été très apprécié et très applaudi.
Si la musique moderne hollandaise n'est pas empreinte d'un caractère
essentiellement original, le royaume des Pays-Bas compte cependant,
parmi ses compositeurs vivants, des musiciens de grand talent et quel-
ques personnalités bien tranchées. On est toujours de son pays, en musi-
que, comme en littérature et comme en peinture, et je relève ce passage
dans le dernier feuilleton de Lapommeraye qui, rendant compte du con-
cert qui nous occupe dit fort justement: « Je ne trouve pas juste la for-
mule : l'art n'a pas de patrie. Cette formule n'est pas toujours bien ap-
pliquée socialement parlant, elle l'est encore plus mal sous le rapport
artistique. En effet, il me semble que la musique, comme tous les autres
produits de l'esprit humain, a bien une patrie, qui est celle des composi-
teurs qui la produisent. Pour que l'on put dire que l'art n'a pas de patrie,
il faudrait que les hommes fussent de même race, qu'ils sentissent de la
même façon, avec des mœurs et des usages semblables. » Cela est évident:
et il serait bien regrettable qu'il en fût autrement, que tous les artistes
de tous les pays ayant le même sentiment du beau, la même esthétique,
le même genre d'imagination, la même éducation et les mêmes besoins
moraux à satisfaire, il n'y eût plus au monde qu'un seul genre de litté-
rature, d'architecture, de peinture, de sculpture et de musique.
En fait, la musique de chaque pays porte encore, et fort heureusement,
l'empreinte du génie de la nation qui la produit. Si, par exemple, trop
de jeunes Français se font, à cette heure, les servîtes imitateurs des pro-
cédés de composition de la nouvelle école allemande, le génie musical de
la France ne s'en trouve pas atteint. Ces imitateurs d'un art étranger, si
souvent contraire à l'esprit français, ne peuvent avoir, par bonheur, aucune
influence sur les destinées de notre musique nationale. Le goût dans les
arts se forme et se maintient par les hommes de génie, c'est-à-dire par les
créateurs, jamais par les imitateurs si habiles, techniciens qu'ils puissent
être. Et puisqu'il est certain que la musique de chaque peuple n'est pas
celle de tous les peuples, le concert néerlandais était tout plein de pro-
messes qu'il a tenues.
La plupart des noms de compositeurs qui figuraient sur le programmé
sont encore absolument inconnus du public parisien. Si, dans de rares
circonstances, nous avons vu figurer sur nos programmes de concert les
noms de Nicolai, de Verhulst, de Richard Hol, de de Hartog, de Franz
Coenen, de Rosen, de Van Gœns et de Louis Coenen, vit-on jamais ceux
de Marins et Willem Brandts Buys, de de Lange, de Kes, de Verbey, de
Van Groningen, de Bouman, de Heyden, de VanBrucken Fock, de Tibbe,
de Martinus Sieveking?
L'analyse des morceaux exécutés — musique instrumentale et vocale —
nous conduirait trop loin. Disons que l'impression d'ensemble du concert
a été très favorable aux compositeurs néerlandais et à leurs interprètes.
Ceux-ci étaient au nombre de quatorze, cinq violonistes : MM. Johannès
Wolff, Kosman, Ten Brink, Herzberg et M"^ Freddy Yrrac; deux violon-
cellistes : MM. Hollman et Van Goens ; cinq pianistes: MM. Louis
Coenen, Van Groningen, Martinus Sieveking, Blitz et Salmon ; enfin deux
chanteurs : M™^ Lydia HoUm et M. Bruske. Il faut ajouter la Société de
musique de chant d'ensemble « l'Union néerlandaise. »
Il y a eu des applaudissements bien mérités pour tous, notammeni
pour le violoncelliste Hollman, qui a fait entendre son troisième concerto
encore inédit, et pour le violoniste Johannès Wolff, qui, avec sa Habanera,
a eu les honneurs du bis malgré la longueur du programme. Le tout s'est
terminé par l'hymne national hollandais chanté à l'unisson. A. K.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Les représentations des Troyens continuent, à Carlsruhe, avec un
succès considérable. La Prise de Troie et les Troyens à Carthage sont donnés
en deux soirées, à un jour d'intervalle, et sans la moindre coupure. Il
n'est pas inutile de signaler ce respect des Allemands pour nos chefs-
d'œuvre, au moment où l'on prépare, à Nice, cette étrange combinaison
de la Prise de Troie avec une partie des Troyens à Carthage!... Les repré-
sentations de Carlsruhe n'ont, certes, rien de commun avec cette fantaisie
de casino. Un de nos collaborateurs, qui, dernièrement, assistait à la
troisième, est revenu émerveillé et de la grandeur de l'œuvre et de l'in-
LE MENESTREL
31
telligence qui préside à son exécution. L'orchestre, nous dit-il, est admi-
rable de tous points, les chœurs sont bien disciplinés, et deux cantatrices
viennoises extrêmement remarquables, M^^es Reuss et Mailhac, tiennent
les deux rôles dominants de Gassandre et de Didon. M™" Reuss, surtout,
dans celui de Gassandre, est extraordinaire d'élan et de passion fougueuse.
Mais l'âme de tout cela, celui qui communique à tous, depuis les mer-
veilleuxinstrumentistes jusqu'aux plus modestes comparses, l'enthousiasm e
de l'œuvre et le sens intime de la musique de Berlioz, c'est le directeur
même du Théâtre grand-ducal. M.. Félix Mottl, un grand artiste (viennois
lui aussi) qui, très jeune encore, n'en est pas moins l'un des premiers
chefs d'orchestre de l'Allemagne. M. Mottl a dirigé, à Bayreuth, les
représentations de Tristan et Yseult et, parait-il, d'une façon supérieure.
Mais sa passion pour Wagner n'a rien de commun avec l'étroite mono-
manie des wagnériens de Paris, car il a en même temps, pour notre Ber-
lioz, une admiration sans limites. Il y a plusieurs années déjà qu'il a
mis au répertoire du théâtre de Garlsruhe Benvenuto Cellini et Béatrice et
Bénédict. Il prépare maintenant, pour le printemps prochain, une grande
solennité, la Semaine de Berlioz, où il fera entendre, dans un espace de
cinq soirées, les quatre opéras du maître. Gette fête française eu Alle-
magne a, nous semble-t-il, quelque chose d'aussi touchant qu'inattendu.
— Nouvelles théâtrales d'AUemagne. Garlsruhe : Une décision de l'in-
tendance du théâtre de la Gour vient de rendre inamovible le siège du chef
d'orchestre, Félix Mottl, en reconnaissance des services rendus par le
célèbre Kapellmsister. — Dresde : La place de premier fort, ténor laissée
vacante au théâtre de la Cour par suite du départ de M. Gudehus, vient de
recevoir un titulaire. Deux ténors s'étaient présentés pour recueillir ce
lourd héritage : M. Léo Gritzinger, de Hambourg, et le docteur Seidel, de
Cologne. Chacun d'eux avait passé une audition également favorable
devant le public et la presse. Pourtant, le choix de la direction s'est porté
sur M. Gritzinger, qui a sur son concurrent l'avantage de posséder à fond
le répertoire wagnérien. Il a été engagé pour trois ans. — Hambourg : La
concession du théâtre municipal vient d'être renouvelée pour trois ans à
M. PoUini. — Stuttgart : Un avis placardé aux portes du théâtre de la
Cour défend, sous peine d'expulsion, les sifflets et en général toutes ma-
nifestations hostiles. — Vienne : A l'Opéra, on annonce comme prochaines
les reprises du Tribut de Zamora de Gounod, avec M""' Materna, et du
Néron de Rubinstein, avec M'"' Beeth et M. Winkelmann dans les rôles
principaux.
— Depuis le iS décembre dernier il se publie à Buda-Pesth, sous la"
direction de M. Eugène Sztojanovits, un nouveau journal de musique en
langue hongroise, qui pour titre Zenrvilag.
— Nouvelles de Londres :
Après diverses remises, la date de la première représentation du nouvel
opéra de sir Arthur Sullivan, Ivanhoé, est main- tenant fixée au 31 janvier ,
poui; l'inauguration du magnifiue théâtre construit par M. d'Oyly Carte
et baptisé Opéra national anglais. On sait qu'avant de chercher des succès
faciles dans le domaine de l'opérette, sir Arthur Sullivan avait produit
toute une série d'œuvres très distinguées embrassant tous les genres de la
musique symphonique et chorale. Son premier opéra sérieux est donc
attendu avec un vif intérêt.
Il paraît que le projet d'une tournée de l'orchestre Lamoureux en
Angleterre, annoncé il y a quelque temps, est abandonné. M. Schurman
est venu lui-même à Londres pour tàter le terrain et s'occuper au besoin
de la location d'une salle de concert. Pour diminuer les frais, il aurait
voulu donner six concerts à Londres dans une seule semaine, en pleine
saison et au milieu d'attractions multiples. C'était aller au-devant d'un
désastre certain. Déjà cet hiver, en pleine disette musicale, les deux seules
entreprises orchestrales de la capitale ont failli sombrer. Sir Charles
Halle et sa superbe phalange ont dû réduire le nombre de leurs séances
de six à quatre. Quant à M. Henschell, ce n'est qu'après un appel suprême
au public accompagné d'une réduction de prix qu'il s'est décidé à pour-
suivre ses concerts. Le succès de concerts symphoniques à Londres est
avant tout une question de saison, de mode et de personnes. En présence
des dispositions actuelles du public et de la malveillance de la presse
pour tout ce qui est musique française — en suite des agissements de la
Société d'auteurs dont M. Souchon est l'agent trop bouillant — il est préfé-
rable que M. Lamoureux et ses excellents musiciens ne s'exposent pas à
une aventure dont j'avais dès l'origine signalé les dangers.
On avait attribué à M. Harris, devenu locataire de la salle de Govent-
Garden pour toute l'année, l'intention de faire précéder sa grande saison
d'opéra italien d'une courte saison de printemps à des prix populaires. Ce
projet a été abandonné, mais la saison régulière commencera un mois
plus tôt, en avril, et durera près de quatre mois.
Puisque les journaux parisiens s'occupent beaucoup du Capitaine Thérèse,
il convient de rappeler que la version anglaise de cette opérette fut jouée,
il y a quelques mois, au Prince of Wales Théâtre et n'obtint qu'un succès
d'estime, bien que la musique de M. Planquette fut jusqu'alors très goûtée
à Londres. A. G. N.
— Le Daily News annonce que M. Harris prépare un bal masqué au
théâtre de Govent-Garden pour le mercredi 28 courant. Il serait (£uestion
de M. Waldteufel pour le diriger. Voilà une nouvelle vraiment faite pour
surprendre tous ceux qui sont au courant des habitudes anglaises.
— Mme Albani-Gye, que Paris a applaudie naguère comme cantatrice,
vient de se révéler comme écrivain : elle publie dans une revue anglaise,
Ladies Home Journal, des souvenirs sur la reine Victoria, et elle découvre
la musicienne dans l'impératrice des Indes. La reine Victoria a appris la
musique avec Mendelssobn et le chant avec Lablache; elle goûte fort l'art
italien, mais elle n'en a pas moins l'esprit ouvert à toutes les manifes-
tations de la musique moderne.
— On annonce pour les premiers jours du mois de février, au théâtre du
Prince de Galles, à Londres, la première représentation d'un opéra-comi-
que en 3 actes qui s'intitule Robin Hood et dont le compositeur est M. Regi-
nald de Koven, de Chicago.
— On lit dans le Trovatore : « Savez-vous ce que le gouvernement ita-
lien dépense pour l'art musical"? 969,859 livres et 83 centimesl Cela se
subdivise ainsi : institutions d'instruction musicale, 348,307 fr. 6S c. ;
compensations au personnel enseignant, administratif et suppléant,
17,400 francs ; délégations pour institutions et ofEce du diapason uni-
forme (!) Ii6,300 francs ; académie de Sainte-Cécile de Rome, 41,290 francs ;
pensions d'encouragement à quatre élèves de l'Institut musical de Flo-
rence et subsides à ses élèves et artistes musiciens, 7,162 francs (sans
centimes !). »
— La discorde est au sein... du Comité musical de l'Exposition natio-
nale de Palerme.Nous avons annoncé qu'on avait chargé le jeune maestro
Pietro Mascagni, l'auteur de Cavalleria rusticana, d'écrire la musique de
l'hymne inaugural de l'Exposition. Mais voici que la majorité du comité,
qu'on avait sans doute négligé de consulter, se prononce contre cette dé-
cision, et voudrait que ce soin fût confié au compositeur Platania, qui est
Sicilien. De là une crise très grave et dont l'esprit se refuse à envisager
les conséquences.
— On ne cesse d'ailleurs, en Italie, de s'entretenir du jeune composi-
teur qui est toujours le lion du jour. Voici le dernier détail que nous
donne à son sujet l'un de nos confrères de ce pays : — « On dit
que l'éditeur Edoardo Sonzogno a fait offrir au maestro Mascagui
130,000 francs pour la cession complète de la Cavalleria rusticana. On ne sait
encore si Mascagni a accepté; mais jusqu'à présent on peut dire que ce
serait un nigaud de refuser une si belle offre ! 130 et 50 qu'il a déjà ga-
gnés avec le tant pour cent sur les représentations données jusqu'à ce
jour font 200,000 francs, ce qui n'est pas peu de chose. Combien de temps
a dû mettre Verdi, combien d'opéras a-t-il dû écrire, que de fatigues et
de douleurs, avant de pouvoir gagner 200,000 francs ! » Le fait est que
200,000 francs pour un simple opéra en un acte constituent une assez jolie
récompense du travail accompli et du talent déployé. C'est bien le cas de
dire qu'il y a des êtres qui entrent dans la vie par une porte dorée !
— A Rome, où, dit le Trovatore, « on fabrique les opérettes à la vapeur, »
on vient de représenter au théâtre Rossini un nouvel ouvrage de ce ^^enre
en dialecte romanesque. Titre : l'Amore pe' H tetti ; auteur, le maestro
Zucconi.
— Une pianiste australienne, M""^ Fiorenza Menck-Meyer, se prépare à
donner à Rome plusieurs concerts, et fait annoncer à cette occasion
qu'elle est l'auteur du poème et de la musique d'un opéra intitulé Victo-
rine, qui doit être joué prochainement. Nous pensons que M™° Menck-
Meyer se flatte, à moins que ce ne soit là de sa part une petite réclame
bien sentie, comme on en use peut-être à Melbourne.
— Un fait assez fâcheux se produit en ce moment à Saint-Pétersbourg.
Il paraît que la plupart des artistes des théâtres de cette ville sont atteints
d'une sorte d'épidémie ophtalmique. On considère que ce fait est dû à la
crudité et à l'excès de la lumière dégagée par les lampes électriques.
— Les journaux de Saint-Pétersbourg annoncent comme prochain l'exé-
cution d'une nouvelle œuvre de Pierre Tschaïkowsky. Il s'agit d'une ouver-
ture et d'entr'actes écrits par le compositeur pour l'Hamlet de Shakespeare.
— Voiciqu'après MM. Paul Carrer et Spiro Samara. on annonce la venue
d'un troisième compositeur dramatique de nationalité grecque. Celui-ci
se nomme Georgis, et l'on assure qu'il a remis à la direction de l'Opéra
russe de Saint-Péterbourg la partition de son premier opéra, l'Impératrice
des Balkans, qui sera représenté sous peu à ce théâtre, en présence du
czar et du prince de Monténégro. Le livret de cet opéra est tiré, paraît-il
d'un ouvrage littéraire du prince, écrit sous le même titre.
— S'il faut en croire des nouvelles de New- York, le célèbre chef d'or-
chestre Théodore Thomas, si fameux dans toute l'Amérique et qui depuis
de longues années dirige, avec un talent tout à fait supérieur, l'orchestre
le plus important de la ville, songerait à quitter celle-ci pour aller émi-
grer à Chicago, où ou lui fait des offres extrêmement brillantes. Ce serait
là une grosse perte pour New- York et pour son mouvement artistique.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Nous avons aujourd'hui de bonnes nouvelles à donner de la santé
de M. Ambroise Thomas, dont on s'est un peu inquiété ces jours derniers.
L'excellent directeur du Conservatoire, sortant d'un des examens de rëcole
un des jours de la semaine dernière et voulant traverser le boulevard ,
s'était trouvé pris dans un embarras de voitures et avait reçu, sur la
cheville, un coup de pied de cheval.. Il rentra chez lui et, sans trop faire
attention d'abord à cet accident, voulut dès le lendemain, continue r ses
32
LE MÉNESTREL
occupations ordinaires. Resseulant cependant au pied atteint une douleur
de plus en plus vive, force lui fut de faire appeler un médecin, qui pres-
crivit le traitement à suivre et ordonna surtout un repos absolu. M. Am-
hroise Thomas, qui n'était nullement malade, dut donc prendre le lit
pour obéir à la faculté. Il est aujourd'hui beaucoup mieux, et l'on est
certain que l'accident n'aura aucunes suites fâcheuses.
— Un groupe des plus importants compositeurs russes a adressé à
M. Ambroise Thomas la dépêche suivante :
Paris de Pétersbourg, 19 janvier.
Ambroise Thomas, Conservatoire, Paris. -
Veuillez être l'interprète de nos condoléances à cause de la perte djuloureuse
qui vient de frapper l'art fiançais dans la personne de Léo Delibes.
Cul, RiaSKÏ-KORSAKOW,
Glazounow, Liadow, LAvaoFF, Beleff.
M. Ambroise Thomas a répondu en ces termes :
Gui, compositeur, Saint-Pétersbourg.
Touché de la délicate expression de sympathie des maîtres russes pour notre
cher Delibes, les remercie cordialement.
Ambroise Thomas.
19 janvier 1891.
■ — On lit dans la correspondance viennoise du Figaro : « Tous les jour-
naux ont parlé de la mort de ce pauvre Delibes. Il était très aimé à Vienne,
et l'on peut dire que dès son premier ouvrage (le Roi l'a dit, représenté à
rOpéra-Gomique, plus tard Ringthéàtre) il avait gagné la popularité. Avec
Jean de Nivelle, il passa au Grand-Opéra, où l'on jouait également et joue
encore tous ses ballets, Coppélia, Sylvia, ta Source. En somme, depuis 1S81,
le nom de Delibes s'est trouvé lo3 fois sur les affiches du Grand-Opéra
de la cour. »
— Il y a quelques mois déjà que notre collaborateur Arthur Pougin
rappelait, dans ce journal et dans plusieurs autres, que l'anniversaire-
centenaire de la naissance d'Iïerold tombait le 28 janvier 1891, et expri-
mait le désir de voirl'Opéra-Gomique célébrer dignement, par une solennité
vraiment artistique, une date si intéressante dans l'histoire de la musique
française et si glorieuse pour un de nos plus grands musiciens. L'idée
mise en avant par notre ami fut vivement soutenue dans la presse, et
notamment par M. Alphonse Duvernoy dans la Republique française et par
M. Albert Soubies dans le Soir. M. Danbé, de son côté, en parla chaleu-
reusement à M. Paravey, qui promit de faire tout son possible pour
fêter comme il convenait l'anniversaire. Malheureusement, l'importance
des travaux en cours ne permettait pas, comme l'eût désiré tout d'abord
M. Paravey, de remettre à la scène l'un des trois grands chefs-d'œuvre
d'Herold, 3larie, disparu du répertoire depuis si longtemps. Il fallut se
borner à une représentation particulièrement soignée du Pré aux Clercs,
avec l'intermède obligé, et c'est à quoi l'on s'est définitivement arrêté.
C'est donc mercredi prochain, 28 janvier, que sera donnée à l'Opéra-Go-
mique, pour célébrer le centenaire d'Herold, cette représentation solen-
nelle du Pré aux Clercs. Entre le second et le troisième acte de ce chef-
d'œuvre aura lieu la cérémonie du couronnement du buste d'Herold,
entouré de tous les artistes, cérémonie pendant laquelle sera dite une
ode au compositeur, intitulée la France à Herold, dont l'auteur est M. Lucien
Pâté, à qui l'on doit les stances sonores récitées l'année dernière à Màcon,
lors de l'inauguration de la statue de Lamartine. Tout nous fait donc
esp érer que la soirée de mercredi sera intéressante à l'Opéra-Gomique,
et que la manifestation provoquée par notre collaborateur sera digne de
l'illustre artiste qui en est l'objet.
— Les rigueurs de la température sibérienne dont nous jouissons de-
puis quelques semaines, sont loin, comme on le croit sans peine, d'être
favorables aux théâtres. A Paris, nos théâtres savent à quoi s'en tenir
sur ce point; à Lyon, à Nîmes, plusieurs d'entre eux ont dû suspendre
leurs représentations et fermer momentanément leurs portes; à Rome,
dimanche dernier, la neige tombait si abondamment que le Théâtre 'Valle
et le Théâtre Métastase se sont vus dans l'obligation de faire relâche,
tandis qu'à l'Argentina, nous dit l'Italie, « les artistes ont chanté Faust en
famille, c'est-à-dire devant un public très clair-semé dans la salle. » Les
affaires de l'Argentina vont d'ailleurs si mal en ce moment, qu'on prête
au directeur, M. Canori, l'intention de fermer très prochainement ce
théâtre.
— Par décret, i-endu sur la pioposition du ministre des affaires étran-
gères, M. Masset (Nicolas-Jean-Jacques), sujet belge, professeur au Conser-
vatoire, en retraite, ancien directeur de l'enseignement musical à la mai-
son d'éducation de Saint-Denis, est promu au grade d'olEcier de l'ordre
national de la Légion d'honneur.
— Dimanche dernier a eu lieu l'inauguration solennelle du grand orgue
de l'église de Charenton, construit par M. Cavaillé-CoU. Pendant la céré-
monie on a entendu M. Widor, qui a joué et improvisé avec sa maestria
habituelle, MM. Escalaïs et Caron, de l'Opéra, qui ont fortement impres-
sionné l'auditoire avec le Crucifix, de Faure, M. Caron seul dans l'Hymne
aux astres, la jeune et remarquable violoniste M"'= Juliette Dantin et
M"« L'Hermitte, un soprano de talent. M""= Lureau-Escalaïs, qui devait
chanter le Sancta Maria, de Faure, en a été empêchée, au grand désappoin-
tement de tous, par une défense venant de l'archevêque.
— - Ce même dimanche, la chambre syndicale de la bijouterie-imita-
tion a donné un très beau concert dans lequel M. Caron a encore triomphé
avec VHymne aux astres, de Faure, et le Crucifix, qu'il a dit cette fois avec
M. Lauthier. M''^^ du Minil, Marie Garnier, Théol, MM. Fontbonne, Tervil
et Franck ont eu aussi leur bonne part de succès.
— Bordeaux (22 janvier 1891).— Hier a eu lieu au grand théâtre de Bordeaux
la première représentation du Roi de Lahore. L'œuvre et le mailre, qui l'a
dirigée en personne, ont obtenu un succès des plus flatteurs. Sans être
parfaite, l'interprétation a mis en relief les beautés remarquables de la
partition; elle témoignait des efforts qui avaient été faits par la direction
pour obtenir un ensemble satisfaisant. Les deux grands triomphes de la
soirée ont été pour M. Massenet, qui compte à Bordeaux de chauds et nom-
breux admirateurs, et pour M"» Baux, qui s'est absolument surpassée.
Le dernier acte surtout lui a valu des applaudissements chaleureux.
— La ville de Dôle (Jura) organise, pour les i7 et 18 mai 1891, un
concours international d'orphéons, de musiques d'harmonie, de fanfares et
de quatuors à cordes. De nombreuses récompenses, dont plusieurs en es-
pèces de 100 à 500 francs, sont affectées à ce concours, qui promet d'être
particulièrement brillant. Les sociétés qui, par suite de renseignements
insuffisants, n'auraient pas reçu de lettre d'invitation, sont priées d'adres-
ser leurs réclamations à M. le président du concours, à Dôle.
NÉCROLOGIE
Un comédien fort distingué, qui fut souvent un auteur applaudi et le
collaborateur de beaucoup de nos musiciens, M. Joseph-Philippe Simon,
dit Lockroy, père du député de Paris, est mort lundi dernier, à Paris, à
l'âge de 88 ans. Lockroy avait eu, comme acteur, de grands succès au
Vaudeville, a la Porte-Saint-Martin, à l'Odéon et même à la Comédie- "*
Française, dont il fut un instant, en 18i8, administrateur général. Fils d'un
ancien officier de l'Empire, il avait cependant commencé par être avocat,
mais la passion du théâtre l'avait emporté chez lui sur tout autre goût. Il
quitta la scène en 1840, mais sans renoncer à s'y présenter comme auteur.
Il obtint des succès retentissants dans divers genres : pour le drame, avec
Perinet Leclerc, un Duel sous Richelieu, la 'Vieillesse d'un grand roi, les Jours
gras sous Charles IX; pour le vaudeville, avec Passé minuit, Trois Épiciers,
le Chevalier du guet; enfin, pour l'Opéra-Comique, où il donna avec
Grisar Bonsoir Monsieur Pantalon et le Chien du Jardinier, avec Maillart les
Dragons de Villars, avec Victor Massé la Fée Carabosse et la Reine Topaze,
avec Th. Semet Ondine, etc. En 1870, malgré son grand âge, M. Lockroy a
n'hésita pas à s'engager comme volontaire dans un bataillon de marche, M
celui que commandait son fils, il fit bravement le coup de feu, et le 2 dé-
cembre, à Champigny, reçut dans la jambe une balle qui nécessita un
repos de six mois.
— Cette semaine est morte à Levallois-Perret, dans la maison Greffulhe,
une artiste qui eut quelque renom à l'Opéra il y a tout juste un demi-
siècle. M"'' Nau, qui était née en 1818, avait été élève de M"= Daraoreau au
Conservatoire, où elle avait obtenu un premier prix de chant en 1835.
L'année suivante elle débutait presque à l'improvists à l'Opéra, par suite
de l'indisposition d'une artiste, dans le rôle du page des Huguenots. C'est
elle qui, quelques années plus tard, ayant Duprez pour partenaire, créa
Lucie de Lammennoor, lorsque cet ouvrage, chanté d'abord en français à la
Renaissance, passa au répertoire de l'Opéra. Parmi ses autres créations à
ce théâtre, il faut citer fe Lac des Fées, le Freischiilz, Marie Stuart, de Nieder-
meyer, David, deM^rECiet, l'Aine enpeine,laBouquetiére, etc. Mi'i^ Nau, qui était
fort jolie, était douée d'une voix agréable, mais manquant un peu de corps
et de puissance. Elle quitta l'Opéra vers 1848, et alla faire en Amérique une
tournée fructueuse. Depuis lors, on n'en entendit plus parler. Si nous avons"
bonne mémoire, une fille de cette artiste fit à l'Opéra, il y a douze ou quinze
ans, une apparition fugitive, ou plutôt un début qui n'eut pas de suites.
Henri IIeugel, directeur-gérant.
ON DÉSIRE acheter alto et violoncelle. -
M. Ch. Duber, il, boulevard de la Madeleine, Paris.
Écrire ou s'adresser à
MM. RIGHAULT et G'", éditeurs de musique, demandent un jeune
homme de 15 à 16 ans, ayant bonne écriture, pour aider à la comptabi-
lité. — S'adresser par lettre, i, boulevard des Italiens, Paris.
Vient de paraître chez Mackar et Noël, 22,. P. des Panoramas, Paris :
LEFEB'VRE, Charles, op. 88. Quatuor en sol mineur pour instruments à
cordes, en trois parties, prix net : 6 francs.
MARÉCHAL, Henri. Suite d'orcliestre sur des Feuillets d'Album d'A.
CiiAivi'T. Partition d'orchestre, net: 5 francs. Parties séparées, net: 6 l'r.
Parties supplémentaires, cordes, chaque, net : 1 franc. Piano seul,
par A. Ghauvet, net : 3 francs.
TSCHAIKO'WSKy. La Dame de Pique, partitions piano et chant,
piano seul, divers arrangements à deux et quatre mains.
LA MAISON REUCHSEL Jeune et BATIAS, 13, rue Gentil, à
Lyon, demande de suite un bon accordeur-réparateur.
3122
ir
Dimanche I'' Février 1891.
- '^" S- PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenU
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement com[)let d'un an. Texte, Musique de Cliaiit et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Noies d'un librettiste: Musique contemporaine (36' article), Louis Gallet. —
II. Semaine Ihéàtrale: Le centenaire d'Herold, H. M.; premières représenta-
tions de Thermidor, à la Comédie-Française, de Jeanne d'Arc, au Châtelet, et des
Cotdisses de Paris, aux Nouveautés, Paul-Emile Chevalier. — III. Une famille
d'artistes: Les Saint-Aubin (7" article), Arthur Pougi.n. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LES DOUZE FEMMES DE JAPHET
quadrille par Léon Roques, sur l'opéreUe de Victor Roger. — Suivra
immédiatement : Nulle autre quelle, nouvelle polka de Philippe Fahrbach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Si Vamour prenait racine, nouvelle mélodie de H. Balth.asar-
Florence, paroles de C. Fuster. — Suivra immédiatement : Muguets et
Coquelicots, n" 1 des Rondes et Chansons d'amil, de Cl. Blanc et L. Dauphin,
poésies de G. Auriol.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
MUSIQUE CONTEMPORAINE
J'ai vu en Georges Bizet le porte-étendard de la jeune
musique, tombé le premier en avant des rangs, après avoir
pris position sur un sommet lumineux. En Eugène Gautier,
j'ai lappelé un compositeur homme d'esprit, ayant, au
moins théoriquement, marqué sa place parmi les coopéra-
teurs de l'évolution contemporaine. La figure de Jean Conte
n'est venue dans ces notes que comme un mélancolique
témoin de l'inanité des gloires officielles. Pour Louis La-
combe, musicien aux larges vues, il aura été le vivant et
triste exemple de la funeste action de l'isolement sur la
destinée d'un homme. Alexis de Gastillon chez qui s'accusait
une incontestable force, a succombé prématurément. Victor
Massé, talent tout de grâce naturelle, a disparu à la veille
peut-être de recueillir sa meilleure moisson.
Tous furent les ouvriers, glorieux ou modestes, mais con-
sciencieusement actifs, de cet édifice de l'art national que
leurs survivants, maîtres ou disciples, contribuent à élever
par une production incessante. De ceux-là, je ne sais s'il me
sera donné un jour de parler librement, en interrogeant
l'intimité de leur vie laborieuse ; je veux toutefois en faire
aujourd'hui une revue sommaire, en me souciant moins de
leur individualité que du contingent de force que leur
groupe assure à la suprématie artistique de notre pays.
Depuis environ vingt ans, un déplacement considérable des
idées et des tendances s'est produit dans le monde musical.
Le centre autour duquel se mouvait autrefois la composition
dramatique n'est plus le même.
Il y avait, à l'époque à laquelle me reporte ma pensée,
deux hommes : en France, Hector Berlioz, en Allemagne,
Richard Wagner, dont la valeur restait encore très discutée,
dont les œuvres demeuraient l'objet du dédain, parfois même
de l'hostilité des foules.
L'influence de l'école italienne, pourtant, achevait de s'é-
teindre, et déjà Verdi, son représentant le plus illustre et
le plus militant de nos jours, tâchait d'assouplir son fougueux
tempérament aux formules d'un art plus sévère et plus pur.
Berlioz, pour ne parler que de celui qui nous touche de
plus près, devait disparaître sans voir la réelle glorification de
son œuvre. Bien qu'il eut goûté jusqu'alors quelques vraies
joies d'artiste, il n'avait pas été sans les payer de beaucoup
d'amertume. On était loin encore de ces triomphales exécu-
tions de la Damnation de Faust qui devaient, quelques années
après sa mort, mettre son nom au premier rang.
Je me souviens de la première représentation des Troyens,
au Théâtre-Lyrique, soirée égayée de quolibets, traversée de
cris d'animaux, exécution pourtant remarquable, achevée au
milieu des rires et des plaisanteries; les spectateurs des ga-
leries entonnant dans un entr'acte, en manière de protesta-
tion, le chœur des soldats de Faust, les interpellations se
croisant devant le rideau baissé, sans pitié pour l'auteur
qui voyait, scène par scène, crouler son œuvre.
Trois pages à peine demeurèrent debout au milieu de ce
désastre.
On remettra quelque jour les Troyens surl'afliche. Et, parmi
les gens qui se pâmeront devant l'œuvre, il y aura plusieurs
de ceux qui naguères la dédaignaient.
La raison, ce sera d'abord que Berlioz est mort et que,
suivant cette théorie de Georges Bizet que j'ai déjà citée, rien
ne vaut un mort pour faire un illustre; qu'en le glorifiant
on ne risque plus de lui donner le moindre plaisir, ni en le
dédaignant de lui faire la moindre peine, — double consi-
dération parfaitement humaine ; — c'est enfin que la mode
s'en est mêlée.
« A notre époque, me disait récemment un critique
musical d'une rare conscience, on ne goûte plus, on gobe! »
C'est à certain élément mondain du public que ce mot
s'adressait dans la pensée de son auteur; mais combien est
34
LE MENESTREL
minime la fraction à laquelle il ne saurait être justement
appliqué, élite prise dans toutes les classes sociales, aimant
réellement la musique, la jugeant sainement, la goûtant en
ses manifestations diverses, hors de toute influence étrangère.
C'est à cette minorité éclairée, convaincue et tenace, im-
posant peu à peu son goût aux masses, dont la réceptivité
musicale est très douteuse, ou tout au moins leur traçant le
programme de ce qu'il faut « trouver bien », qu'a été ou que
sera dû le triomphe définitif de beaucoup d'œuvres dont les
commencements furent si laborieux.
Telle Carmen, tels les Troijens, tels les principaux ouvrages
de Richard Wagner. Car ce n'est point tout d'abord que la
renommée de Richard Wagner s'est faite; il a connu lui
aussi, comme Berlioz et à peu près en même temps que Berlioz,
les sifflets et les huées du Cirque, avant d'en connaître les
victorieuses acclamations.
-*
* *
Cet homme est un colossal génie : grand peintre, grand
poète musical, unique et inimitable, figure lumineuse que
les vraiment forts savent contempler et détailler non en vue
d'une servile imitation, mais pour une application de sa puis-
sante esthétique à leurs ressources personnelles; autour de
laquelle grouille» en revanche tout un obscur microcosme
condamné à l'éternelle stérilité dans l'éternel mouvement.
Richard Wagner a affirmé en ses œuvres une poétique nou-
velle, bien allemande, peut-on dire, et, comme de parti
pris, tout à fait contraire à notre génie latin. — Nous avons
pour cette poétique des admirations qui ne vont point sans
réserves ; notre tempérament ne saurait l'accepter complète-
ment. — Et même si, cédant à de tardives considérations
d'orgueil patriotique, Richard Wagner n'eût point écrit les
œuvres qui en procèdent uniquemeat pour des Allemands, il
est probable qu'il ne les eût point écrites telles qu'elles sont.
Je ne puis m'empêcher de penser par exemple, que si
Tannhàuser, donné à l'Opéra, y avait obtenu un éclatant succès
au lieu d'y être coulé bas de parti pris, cet événement aurait
eu sur l'avenir, sur la manière de Wagaer, la plus décisive
influence.
Il aurait pu aspirer à prendre, il aurait pris certainement
sur notre première scène une place analogue, supérieure
même à celle de Meyerbeer; il ne serait point parti de chez
nous le cœur gonflé de fiel, n'aurait point déserté un instant
les hauteurs radieuses de l'art pour les bas-fonds de la po-
litique, se serait dispensé d'écrire cette sotte brochure : une
Capitulation, à qui il a dû tant de haines encore mal éteintes,
et très certainement son «faire» se serait francisé au lieu de
se germaniser.
Les œuvres que nous tenons de lui, il les aurait écrites
vraisemblablement en prenant pour objectif notre théâtre;
elles auraient été inspirées sans doute par les mêmes sujets,
elles auraient eu la même grandeur et le même charme,
mais elles auraient recherché aussi cette mesure, cette har-
monie de proportions qui sont de pure essence française, et
un jour la Mecque wagnérienne aurait été Paris au lieu d'être
Bayreuth.
L'hypothèse est risquée ; est-elle déraisonnable?
*,
Mais il est un bien caché au fond de tous les événements
que la destinée amène. L'influence de Richard Wagner, encore
très haute, eût été formidable et peut-être destructive si
Paris avait fait du compositeur saxon un de ses grands
hommes. Nous y aurions perdu peut-être, noyés dans le
torrent de l'imitation, bien des talents à qui maintenant une
réserve salutaire a conservé leur saveur à peu près franche.
*
* *
Au commencement de ce qu'on pourrait appeler l'hégire
■wagnérienne, bien des nôtres ont pris en main et médité le
koran germain. Il en est resté quelques traces dans leurs
œuvres. Les plus jeunes et des plus brillants de cette époque
primitive ont fait voir quelque goût pour cette nouvelle
formule, comme aussi, à l'occasion, pour celle de Schumann;
mais, du moins, n'ont-ils jamais réellement abdiqué leur
originalité.
Cette influence de Wagner n'a pas cessé et n'est pas près
de cesser; mais elle s'exerce actuellement surtout hors du
cercle dans lequel se meuvent les compositeurs réellement
militants. Ces derniers comprennent qu'on ne recommence pas
plus Richard Wagner qu'on ne recommence Victor Hugo ; ils
savent qu'on ne saurait prendre d'une telle grandiose entité
que ses défauts. Sans avoir la prétention de faire mieux, ils
s'efforcent de faire autre chose.
C'est pourquoi, en Europe, à côté de l'influence tout idéale de
Richard Wagner, s'étend, depuis bon nombre d'années, l'in-
fluence tout effective de l'école française, école où dominent
les qualités de grâce, de clarté, d'esprit et de force, parlant
pour ainsi dire toutes les langues résumées en son idiome
natif; je veux dire apportant à tous les peuples l'expression
musicale la plus conforme à leurs passions, à leurs goûts,
avec la recherche de la forme la plus raffinée ef la plus
haute.
Cette influence ayant appartenu longtemps à la musique
italienne et dans une certaine mesure à la musique allemande,
la France l'a conquise et la détient maintenant sans conteste.
Yieux ou jeunes , légers ou graves, ceux par qui elle
s'exerce deviennent, chaque jour, plus nombreux, encore que
les encouragements manquent aux derniers venus dans notre
pays même, peut-être à cause de cela.
Les roules leur ont été, en effet, ouvertes parfois plus
larges hors de nos frontières que chez nous. Samson et Dalila,
Hérodiade, Sigurd, Salammbô, et autres œuvres de diverses
valeur, toutes honorables pour notre école, ont vu le jour
sur une scène étrangère.
Ce qu'au siècle dernier et au commencement de ce siècle,
les Italiens et les Allemands faisaient pour notre première
scène ou pour le théâtre de la Cour, nous le faisons pour
toutes les scènes européennes. L'Amérique même veut la
primeur de nos compositions; elle a l'orgueil des choses
d'art et les ressources nécessaires pour la satisfaction de cet
orgueil.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LE CENTENAIRE D'HEROLD
Très grand succès mercredi dernier, à l'Opéra-Comique, pour la
représentation donnée en l'honneur du centenaire d'Herold. Le spec-
tacle était annoncé pour sept tieures trois quarts, et à huit heures
la salle était littéralement comble. Nous ne savons pourquoi, le
premier acte de Zampa ouvrant la soirée, on avait jugé à propos
d'en supprimer l'ouverture, pour la reporter au moment de la céré-
monie. Toujours est-il que le public, fàclieuseruent surpris, a ré-
clamé et, interrompunt l'introduction, a demandé à grands cris l'ou-
verture. Après un instant d'hésitation il a bien fallu se rendre à ses
désirs, l'ouverture a été exécutée, superbement d'ailleurs, et accueillie
par un immense tonnerre d'applaudissements. Quelques voix deman-
daient même bis. Le succès du Pré aux Clercs, dont c'était la 1482*
représentation, a été colossal aussi, et, entre autres, l'adorable trio
du second acte, merveilleusement chanté par M"^ Sinionnet, M"" Che-
valier et M. Fugère, a transporté la salle et valu aux interp'-ètes
une véritable ovation. Entre le second et le troisième ac^e, le rideau
s'est levé, présentant aux spectateurs le buste d'Herold, qui allait
être couronné. Tout auprès se tenait M"« Dudlay, de la Comédie-
Française, personnifiant la France, pour dire les stances de M. Lu-
cien Pâté : la France à Herold. Sur les côtés de la scène étaient
groupés, dans leurs costumes respectifs, d'une part les interprètes
de Zampa, de l'autre ceux du Pré aux Clercs. Lorsque M"" Dudlay
eut dit avec beaucoup de chaleur les beaux vers de M. Lucien
Pâté, elle posa sur le buste la palme qu'elle tenait en main, et
tous les artistes défilèrent à leur tour devant l'image du maître
LE MENESTREL
33
illustre, aux applaudissements unanimes du public, heureux de voir
rendio un hommage digne de lui à l'un des plus grands artistes
dont s'honore la France, à l'un de ceux dont la gloire est la plus
pure, la plus vivace encore et la plus incontestée.
Nous regrettons que la dimension de la pièce de vers de
M. Lucien Pâté, l'auteur déjà applaudi du David Téniers de l'Odéon
(en collaboration avec M. Edouard Noël), ne nous permette pas de
la reproduire ici eu entier. Mais nous voulons du moins en citer
l'éloquente péroraisou :
Le mal contre toi faisait rage;
Mais la lutte te retrempa,
Et tu puisas dans ton courage
Ce fier défi qui fut Zmnpa !
Le génie est enfin le maître,
Il te courbe sous ses genoux.
Tu voudrais l'affranchir peut-être :
II commande et dit : « Hàtons-nous!. .
« Ouvre à' mes pieds toutes tes sources,
Je veux d'un seul coup les tarir.
— Mais... — Nous ne ferons plus d'autres courses,
Ne sens-tu pas qu'il faut mourir. . . ? »
Allons, sortez, ô mélodies,
Envolez-vous, notes, accords.
Partez, les ailes agrandies.
Répandez-vous, joyaux, trésors...
Lugubre bruit du vent qui pleure.
Du flot qui porte un corps glacé.
Dont j'ai frissonné tout à l'heure
Lorsque ton Gomminge a passé.
C'était pour toi la plainte sombre.
Pour toi, dans la barque couché :...
C'était toi que Mergy, dans l'ombre.
De sa rapière avait touché !
Mais la barque allait aux étoiles...
La gloire t'attendait au port. . .
Prête à gonfler ses larges voiles...
Et tu triomphais dans la mort!..
Tu mourais, le front plein de choses.
En plein génie, et l'on put voir.
Sous tes paupières déjà closes,
Bouler des pleurs de désespoir. . .
Va... la Patrie a des tendresses
Pour ses fils morts avant le temps.
Gloire au jeune fiont que tu dresses.
Ce soir, dans ces feux éclatants.
Dans la clarté qui l'environne.
Plus jeune, il est plus radieux...
Une larme sur ta couronne !
Qui meurt jeune est aimé des Dieux!...
Et vous, qui lui prêtez votre àme.
Vos voix, pour un culte immortel,
Gardez pieusement la flamme
Que j'allume sur son autel !
H. M.
Comédie-Française. Thermidor, drame en quatre actes, de M. V. Sardou. —
Chatelet. Jeanne d'Arc, drame historique en cinq actes et quatorze ta-
bleaux, de M. Joseph Fabre, musique de M. Benjamin Godard. — Nou-
veautés. Les Coulisses de Paris, revue en trois actes et quatre tableaux, de
MM. M. Froyez, J. Oudot, Duret et de Gorsse.
Vraiment nous étions bien loin de nous douter en assistant, l'autre
samedi, paisiblement assis dans notre fauteuil, à la première repré-
sentation de Thermidor, que le drame nouveau de M. Sardou serait
l'occasion de tout ce tapage mené dans les cercles politiques et même
dans la rue, et nous n'avons pas moins été étonné en apprenant que
l'interdiction de la pièce était due peut-être aux petites rancunes
particulières d'un seigneur tout-puissant du ministère, enchanté de
saisir cette méchanle occasion pour essayer de jeter bas une autre
personnalité menaçant de lui porter ombrage. Comme nous ne sommes
point ici pour nous faire l'historiographe de ces démêlés de cabinet,
mais bien pour donner, à nos lecteurs, notre impression sur la pièce
jouée à la Comédie-Française, nous n'approfondirons pas davantage
cette ridicule question, nous contentant de regretter, avec tous les
gens de bon sens, à quelque opinion politique qu'ils appartiennent,
que Paris soit, une fois de plus, à la merci d'une poignée de
braillards et que son plaisir puisse dépendre du caprice d'un homme
bien placé.
Donc nous sommes au IS thermidor, de grand matin, aux bords
déjà tout ensoleillés de la Seine, à l'entrée de l'île Louviers. Le co-
médien Labussière, aidé de son commis Lupin, jette, avec mille
précautions, des papiers à la rivière, lorsqu'il est interrompu dans
sa besogne par l'arrivée de Martial Hugon, commandant d'artillerie,
qui vient de se battre à Fleurus. Anciens camarades, ils causent
naturellement de l'horreur dans laquelle est plongée la ville et, ré-
publicains sincères, blâment grandement les infamies commises par
la Terreur. — (C'est là que se placent les deux longues tirades, cause
première du bruit fait à la seconde représentation et qui, en dispa-
raissant, n'auraient apporté que profit à l'oeuvre de M. Sardou.) —
Tout à coup des cris et des huées s'échappent d'un bateau-lavoir
amarré au quai, et une horde de mégères se rue sur une jeune fille
effarée à laquelle elle ferait un mauvais parti sans l'intervention des
deux hommes. Martial, éloigné de Paris depuis longtemps, recon-
naît aussitôt sa fiancée, Fabienne Lecoulteux, qu'il savait devoir
retrouver là, et, aidé de Labussière à qui son emploi de commis au
Comité de Salut public donne quelque importance, la soustrait à la
fureur des Tricoteuses. Fabienne est cachée dans une maison amie;
mais elle est accusée d'une tentative de crime imaginaire et il s'agii^
celte fois, de la sauver de l'échafaud. Avant qu'elle ne soit arrêtée,
Martial la décidera à passer en Belgique. Aux instances de son fiancé,
la jeune fille se dérobe; pressée de questions, elle finit par avouer
que, croyant mort celui qu'elle aimait, elle s'est donnée à Dieu.
Martial redouble alors d'éloquence et, l'amour l'emportant, Fabienne
est décidée à fuir lorsqu'elle est arrêtée et conduite à la Concierge-
rie. Martial court annoncer la fatale nouvelle à son ami Labussière
en le suppliant de l'aider encore. Et ici se trouve une scène abso-
lument belle, d'un sentiment dramatique intense, comme nous n'en
connaissons pas d'autre dans le théâtre de M. Sardou. Labussière,
à qui est confiée la garde des dossiers des accusés et qui, coura-
geusement, en détruit tous les jours un certain nombre, n'aura qu'à
faire également disparaître les pièces concernant Fabienne. Or, celles-
là sont justement recommandées spécialement à son attention. Que
faire ? Profiter d'une similitude de nom et remplacer ce dossier par
un autre. C'est cela! Mais au moment d'accomplir la substitution,
le cœur manque au comédien, qui ne se croit pas le droit d'envoyer
à la guillotine une innocente ou une oubliée. Martial pleure et im-
plore en vain, quand les autres commis du Comité font irruption
dans le cabinet et annoncent que Robespierre vient d'être mis hors
la loi. Labussière et Martial se précipitent à la Conciergerie et arri-
vent au moment oii la dernière charrette va emporter les dernières
victimes. Ils conjurent Fabienne, pour gagner un temps précieux
et faire surseoir à l'exécution, de déclarer qu'elle est enceinte; ce
mensonge répugne à la jeune fille, qui se laisse mener à la mort.
Martial, fou de douleur, cherche à l'arracher aux mains des gardes
et tombe la poitrine trouée par une balle de pistolet.
Tel est, dans ses grandes lignes, ce drame que M. Sardou a fait
représenter à la Comédie-Française et que le public se trouve,
aujourd'hui, empêché d'aller voir. Dépouillée, bien entendu, de
beaucoup de scènes inutiles et trop longues,- débarrassée de détails
érudits étalés souvent avec trop de complaisance, l'œuvre demeure
forte en plus d'une scène et intéressante toujours. Deux des inter-
prèles de Tliermidor se sont montrés au-dessus de tout éloge : M. Co-
quelin et M"'' Baitet. Le premier étonnant de souplesse et d'émotion
dans Labussière, la seconde merveilleuse de tendresse et de rési-
gnation dans Fabienne. M. Marais a fait montre de qualités dans le
rôle trop mélodramatique de Martial. M. Jean Coquelin s'est montré
plein de fougue et M"= Lynnès pleine d'entrain. Nommer les autres
interprètes m'entraînerait trop loin; tous ont été excellents. Je ne
voudrais point terminer ce compte rendu sans dire un mot, tout au
moins, de la mise en scène particulièrement remarquable et
réussie.
Ce qui a gâté beaucoup de notre plaisir à Thermidor, nous l'a
gâté encore davantage dans la Jeanne d'Arc de M. Fabre. Trop
d'érudilion aux dépens dii drame. Je ne veux pas vous faire à
nouveau le récit des faits glorieux mis à l'actif de notre vaillante
Lorraine ; je vous dirai simplement que l'auteur nous montre succes-
sivement Domrémy, Vaucouleurs, Chinon, Patay, Reims et la pri-
son, le tribunal et le bûcher de Rouen. Tout cela est d'une précision
historique scrupuleuse et animé d'un souffle patriotique absolument
louable. M"" Segond-Weber a cherché dans la force des efl'ets que
jjmo Sarah Bernhardt réclamait delà douceur; son interprétaiion du
rôle de Jeanne n'est pas sans intérêt. MM. Deshayes, Brémont,
Segond, Mévisto, Sarter et M"" Cogé forment un bon ensemble et
les décors de M. Floury un cadre très luxueux. M. B. Godard a
écrit, pour ce drame, une assez importante partition de belle cou-
36
LE MENESTREL
leur et d'effet certain; on a surtout remarqué la marche du sacre,
celle du supplice et les deux dicts, que chante très bien M. Morlet.
Nous avons déjà eu occasion de dire tout le bien que nous pen-
sions des Coulisses de Paris lorsqu'elles furent données au Cercle des
Mathurins. MM. Froyez, Oudot, Duret et de Gorsse les ont légère-
ment agrandies pour le théâtre des Nouveautés, oii elles ont trouvé
bon accueil. Le gros succès de la soirée a été pour M. Tarride, à
qui on a bissé tous ses amusants couplets. M. Guy, en compère,
M"" Gilberte, en commère, et M. Germain, dans ses difTérents ava-
tars, ont été aussi souvent applaudis.
Paul-Émile Chevalier.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite.)
Y
A l'époque où nous sommes arrivés, la situation des deux grandes
scènes d'opéra-comique qui existaient alors, Favart et Feydeau,
était devenue extrêmement difficile. L'une et l'autre ne battaient
plus que d'une aile, pour me servir d'une expression populaire, et
leur rivalité leur était mortelle. Mortelle en effet, car, vers le mi-
lieu de 1801, et à pou de semaines de distance, toutes deux se
voyaient réduites à fermer leurs portes. C'est alors qu'on songea
sérieusement à la réalisation d'un projet qui couvait depuis long-
temps dans de certains esprits, celui d'une fusion des deux troupes
en une seule, et de leur réunion en un théâtre unique. Ce projet
finit par aboutir, et l'inauguration du théâtre de l'Opéra-Comique
— c'était le titre officiellement adopté — eut lieu dans la salle Fey-
deau, sous les auspices du gouvernement, le 16 septembre 1801.
A ce moment, la santé de M"'' Saint-Aubin était fort ébranlée,
par suite surtout des fatigues extrêmes qu'elle s'était imposées par
dévouement à ses devoirs, et, bien que l'acte de société qui réunis-
sait en un seul corps de troupe les artistes des anciens théâtres
Favart et Feydeau stipulât qu'aucun de ces artistes ne pourrait se
séparer de la société avant trois années écoulées, elle se vit obligée
par l'état de sa santé de demander à ne s'engager que pour deux
aus, à l'expiration desquels elle pourrait obtenir, avec la pension de
retraite à laquelle elle aurait droit, la remise de ses fonds sociaux
(16,000 francs). Ses camarades avaient trop d'intérêt à la conserver
au milieu d'eux pour ne pas faire en sa faveur l'exception qu'elle
sollicitait. Ils consentirent donc à la laisser ne s'engager que pour
deux années, ce qui d'ailleurs ne voulait pas dire qu'elle se reti-
rerait forcément ensuite, mais simplement qu'elle aurait la faculté
de le faire. En réalité, elle poursuivit encore sa carrière pendant
sept ans.
Il va sans dire que M""= Saint-Aubin retrouva sur les planches du
théâtre Feydeau le succès qui pendant quinze ans ne lui avait
jamais fait défaut sur celles du théâtre Favart. Mais elle avait sans
doute trop présumé de ses forces, car au bout de peu de temps une
grave et douloureuse maladie vint pendant plusieurs mois l'éloigner
delà scène. Elle ne put s'y représenter que dans les premiers jours
de juin 1802, et son retour fut une véritable fête pour le public,
dont elle avait conservé toute l'estime et l'aCTection. Un de ses admi-
rateurs adressait à ce sujet cette lettre au Courrier des Spectacles
(27 Prairial an X):
M"^ Saint-Aubin, qu'une longue maladie avait éloignée du théâtre dont
elle fait l'ornement, est enfin rendue aux vœux du public. Cette char-
mante actrice, le modèle des amoureuses de l'opéra-coraique, a été reçue
avec transport, dès son entrée en scène, et a prouvé qu'elle n'avoit riea
perdu de la perfection de son jeu et du charme de sa voix. Votre journal
n'ayant pas encore parlé de cet événement dramatique, je m'empresse
d'être l'écho du public à cet égard, et de féliciter le théâtre Feydeau de
la rentrée de Thalie-Saint-Aubin.
Demoncï (1).
Sa santé remise, on voit M°'= Saint-Aubin recouvrer toute sa vi-
gueur, toute sa conscience, toute son activité passées. Elle continue
de jouer son répertoire ordinaire, en même temps qu'elle prend part
(1) Et on lisait ces ligaes dans l'Année théAtrale de l'an XI, à propos de sa
réapparition lors de l'ouverture du théâtre Feydeau et de son retour à la suite
de sa maladie : — « Elle eut deux fois dans l'année le plaisir de voir sa pré-
sence donner une nouvelle vie à l'Opéra-Comique, car lorsqu'elle reparut après
une longue maladie, on se porta en foule aux pièces qu'elle seule est en pos-
session de jouer. »
à la création de nombreux ouvrages : en 1802, la Fausse Daèr/ne, de
Délia Maria, Astolphe et Alba, de Tarchi, Michel-Anf/e, de N'icolo; en
1803, Zélie et Terville, de Blangini, Ma tante Aurore, de Boieldieu, les
Confidences, de Nicolo, Aline, reine de Golconde, de Berton, le Baiser et
la Quittance.
C'est au mois de septembre de cette année 1803 qu'expirait l'en-
gagement que M'"" Saint-Aubin avait contracté pour deux ans avec
ses camarades de la nouvelle société de l'Opéra-Comique. Elle comp-
tait alors dix-sept ans de services à ce théâtre, de « bons et loyaux
services », on peut le dire, et elle fixait, pour consentir à les conti-
nuer encore, certaines conditions particulières, entre autres la liqui-
dation immédiate de la partie de sa pension à laquelle elle avait
droit et qu'elle pouvait cumuler avec sa part de sociétaire. Elle
écrivit en ce sens au Comité, et j'ai retrouvé, dans le registre des
délibérations de l'ancienne administration de l'Opéra-Comique, le
texte de la résolution prise par ce Comité au sujet de la demande
de M™ Saint-Aubin; il me semble intéressant de la reproduire ici:
COMITÉ DE l'oPÉRA-COMIQUE.
Séance du 26 messidor an XI (1).
Le Comité, lecture faite d'une lettre de Mad<^ S'-Aubin qui observe
que les deux années pour lesquelles elle s'était engagée expirent dans
deux mois et quelques jours, qui prie en conséquence le Comité de ter-
miner avec elle et qui demande les trois points suivans : l" sa pension
assurée par le Comité; 2» la pension du gouvernement dont elle fait son
affaire, en priant seulement le Comité de lui donner, en tems et lieu, un
certilicat de ses longs et bons services; 3° le congé dont il avait été déjà
question avec elle et dont elle désire que le tems soit fixé;
Considérant qu'il est comptable envers tous ceux dont il tient ses pouvoirs,
qu'il est lié par l'acte de Société et par les règlemens, et qu'il doit s'y
conformer, que sur la 1'= demande relative à la pension de la Société, sa
réponse est dictée par les règlemens, art. 4, chap. 8 : Des Pensions de re-
traite, qui porte que tout sociétaire admis à continuer ses services au delà
de 15 ans jouira des deux tiers de sa pension de 15 à 25 ans et ensuite
de la totalité jusqu'à sa retraite, et appliquant cette clause àMad« S'-Aubin
qui n'a pas les 25 ans de service nécessaires pour jouir de la totalité de
la pension, arrête qu'il ne peut assurer à Mad= S'-Aubin que mille livres
de pension.
Sur la 2''<: demande d'un certificat de ses services, arrête que le Comité
lui donnera toutes les attestations qu'elle mérite et qui lui seront néces-
saires pour obtenir la pension du gouvernement.
Sur la 3"" demande d'un congé à époque fixe, voulant donner à Mad"= S'-
Aubin un témoignage de sa considération particulière et de toute l'estime
qu'il a pour son talent, arrête que, sans nuire aux justes prétentions et aux
droits de tous les camarades à des congés, il consent à ce que Mad"= S'-
Aubin prenne un congé après le retour de Gavaudan, et qu'alors il réglera
d'accord avec elle le moment le moins nuisible au répertoire et le plus
favorable aux intérêts de Mad" S'-Aubin, à qui le secrétaire donnera
connaissance de la présente délibération.
Signé: SoLiÉ, Martin. Juliet, Dozainville, Chexard, Rézicourt, seC''.
La situation de M°'= Saint-Aubin fat certainement réglée selon ses
désirs, puisqu'elle continua de rester à l'Opéra-Comique, qu'elle ne
devait quitter qu'en 1808. C'est peu de temps après avoir fait ainsi
fixer de nouveau sou état, qu'elle remporta l'un des succès les plus
éclatants de son heureuse carrière : le 20 mars 1804 elle créait un
nouveau petit ouvrage de d'Alayrae, une Heure de mariage, et dans
ce rôle d'aimable ingénue. M"'" Saint-Aubin, alors âgée de quarante
ans moins quelques mois, produisit encore l'illusioa la plus complète
et causa aux spectateurs un véritable enchantement. Et, chose assez
singulière et presque touchante, deux mois après qu'elle eut paru
pour la première fois dans ce personnage de toute jeune amoureuse,
oîi elle semblait ne révéler que l'âge qu'elle devait avoir, sa fille
aînée, M"" Cécile Saint-Aubin, venait débuter sur la scène de l'Opéra-
Comique et faire sa première apparition devant ce public qui depuis
près de vingt ans ne cessait de l'acclamer et de l'applaudir. Ce fut,
paraît-il, comme une sorte de fête, sur la scène et dans la salle, et
plus encore quelques jours plus tard, lorsque la mère et la fille se mon-
trèrent ensemble dans le même ouvrage. Mais ce premie-' séjour de
M"' Cécile Saint-Aubin à l'Opéra-Comique fat de très courte durée,
et elle ne commença véritablement sa carrière à ce théâtre que le
jour même où sa mèi'e y terminait la sienne. Nous la retrouverons
alors.
Après avoir mentionné trois nouvelles créations faites par M""' Saint-
Aubin dans trois petits ouvrages, un Quart d'heure de silence, de Ga-
veaux, la Ruse inutile, de Nicolo, et les Deux Aveugles de Tolède, de
Méhul, je rappellerai un incident intéressant dont elle fut l'héroïne
avec Grétry. Ou était à l'époque où les premiers ouvrages (et les
(1) 15 juillet 1803. ■ -
LE MENESTREL
37
meilleurs) de ce maître charmant, abandonnés et délaissés depuis
plusieurs années, retrouvaieut auprès du public leur faveur d'autre-
fois. On les reprenait à l'envi, les uns après les autres, pour la
plus grande joie d une génération de spectateurs à laquelle ils étaient
inconnus. C'est ainsi qu'on avait remis à la scène, le 17 juin 180S,
avec un grand succès, le Tableau parlant, joué par EUeviou, Solié,
Lesage, M™' Saiot-Aubin et une toute jeune fille, M"'= Marceline
Desbordes, qui devait plus tard se faire une si grande renommée
comme poète sou^ le nom de M"' Desbordes-Valmore ; c'est ainsi
que le 16 mars 1806 on faisait reparaître Raoul Barbe-Bleue, avec Ghe-
nard, Saint-Aubin, Paul, Allaire, Richebourg, Leroux et W-' Pinge-
net, et qu'enfin quatre jours après, le 20 mars, l'afflelie annonçait
Richard Cœur de Lion, qui n'avait pas été joué depuis le 10 août 1792.
Les rôles principaux étaient tenus par Gavaudan (Richard), Eileviou
(Blondel), Gaveaux (Florestan), Cheiiard (Williams), M""" Saint-Aubin
(Lautette), M"' Pingenet aîoée (Marguerite) et M"'" Gavaudan (An-
tooio). Une foule énorme avait envahi le théâtre pour cette reprise,
attirée tout à la fois par la renommée du chef-d'œuvre et par une
interprétation que l'on jugeait d'avance devoir être excellente. Le
succès fut colossal; on rappela les acteurs, on exigea la présence
du compositeur, tous parurent ensemble sur la scène, et lorsqu'ils
furent devant le public une superbe couronne vint tomber aux pieds
de M"" Saint-Aubin, qui la ramassa aussitôt et qui la posa, avec
une grâce charmante, sur la tète du vieux maître, aux acclamations
et aux bravos d'une salle vraiment ivre de joie et d'enlhousiasme.
C'est à cette occasion que Grétry adressa à M"" Saint-Aubin la lettre
suivante, qui est peu connue :
Il me serait difficile, ma chère et belle Laurette, de vous témoigner
toute ma reconnaissance. La couronne que vous avez posée sur la tête de
votre vieil ami sera conservée dans ma famille. Puissiez-vous rester encore
longtemps au théâtre pour y protéger par vos talens inimitables mes pro-
ductions musicales, que nul artiste n'apprécie et ne fait valoir plus que
vous. Je vous embrasse tendrement et de tout mon cœur.
Grétry.
Paris, 24 mars 1806.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — La symphonie en si bémol est un des rares
ouvrages de Schumann où se révèle, dans son efQorescence native, son
imagination pénétrée d'eflluves juvéniles, enivrée de lumière, confiante
dans la réalisation des rêves entrevus. Cette symphonie marque un état
d'âme particulièrement intéressant dont nous retrouvons, dans d'autres
œuvres du maître, des traces de plus en plus rares, à mesure que la ma-
ladie mentale devenait plus envahissante. — Le Réveil de Galathée de
M. G. Pierné a reçu un accueil très chaleureux. L'œuvre, simplement
mélodique, clairement orchestrée, pleine de charme, agréable et pourvue
d'une péroraison d'un système peu compliqué, suffit au plaisir de l'audi-
teur sans exiger de lui aucun effort d'initiation préalable. M"= Marcelle
Pregi a chanté cette scène lyrique avec une voix suffisamment pleine et
étoffée, un excellent style et une diction délicate et fine. Elle a égale-
ment rendu avec un sentiment profond la ballade élégiaque de M. Arthur
Coquard : Ea:i Luli, inspiration d'un caractère plaintif, malgré deux ou
trois accents de révolte intérieure que la musique a soigneusement notés.
Le dernier vers de chaque strophe est écrit sur une série diatonique
descendante de six tons (deux tritons consécutifs) qui produisent une im-
pression étrangement triste. — La Vision ds Jeanne d'Arc, poème sympho-
nique de M. Paul Vidal, est une œuvre d'un réel intérêt musical. Le
défaut capital consiste dans la fragilité des contours d'un thème qui
semble impuissant à supporter l'instrumentation un peu forte et la sono-
rité tumultueuse qui interviennent dans le courant du morceau. A cer-
tains moments le dessin musical se désagrège et s'effondre. C'est là une
erreur d'optique bien excusable et qui ne saurait nous empêcher de rendre
pleine justice aux grandes qualités mélodiques et à la science orchestrale
de l'auteur. — M'"' Juliette Dantin a été acclamée dans le concerto de
Wienawski. Cette jeune violoniste a entièrement acquis depuis quelques
mois beaucoup d'assurance dans le coup d'archet, plus de dextérité dans
l'exécution des traits et une virtuosité que rien ne rebutera désormais
— La suite d'orchestre sur Sijlvia, de Léo Delibes, a obtenu un accueil
enthousiaste. On a redemandé la valse lente elle Pizzicatti, qui seul a été
recommencé après une tempête de bravos. On a entendu ensuite trois
fragments des Maîtres chanteurs de Wagner, comprenant la valse des ap-
prentis, page peu musicale et sèche s'il en fut jamais, Enfin, la superbe et
très musicale Marclie troyenne de Berlioz a ravi l'assistance par ses accents
tour à tour empreints de grandeur héroïque ou remplis d'un charme
pénétrant. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — L'ouverture de Brocéliande est l'œuvre d'un
tout jeune compositeur, élève de M. Massenet. Cette ouverture est assez
courte; elle est pleine de promesses pourl'avenir. Pour le présent, M. Lam-
bert adopte les clichés de la nouvelle école, le chant dit par tous les
violoncelles, le crescendo terminé par un fortissimo de trombones, les
leit-moliv qu'on se contentait autrefois d'appeler des motifs, etc. N'était
le thème breton qui est d'une rare vulgarité, l'ouverture de Brocéliande est
agréable à entendre et digne d'être applaudie. — La symphonie en ré mineur
de Schumann, quoique portant le n" i, a été presque entièrement conçue
en 1841, immédiatement après la première, en si bémol; mais Schumann
l'a soumise plus tard à un remaniement pour l'orchestration et ne l'a pu-
bliée qu'en iSbl. On trouve des détails sur cette symphonie dans Wasie-
lewski (p. 211 et 277). M. Grove s'exprime ainsi dans son grand diction-
naire musical : « La passion s'y montre plus que dans la symphonie en
si bémol; la forme aussi est nouvelle et heureuse, les quatre sections se
suivent consécutivement et sans pause, en sorte que l'œuvre entière semble
ne consister qu'en un seul et grand mouvement. Schumann avait d'abord
projeté de lui donner le titre de Fantaisie symphonique; car, là aussi, de
poétiques peintures semblent voltiger autour de lui de tous côtés: il y
renonça, on ne sait pourquoi ». A cette œuvre nerveuse et passionnée, on
ne peut faire qu'un seul reproche, celui d'être écrite d'une façon trop per-
sistante dans les tons un peu sourds du médium. — L'ouverture du Vaisseau
fantôme est une -des belles pages de Wagner (le Wagner de la première
manière). Cette tempête continue, au-dessus de laquelle planent tous les
dessins mélodiques de la partition, impressionne vivement; mais je crois
que les vrais wagnériens dédaignent cette œuvre de jeunesse. — Avec la
Forêt enchantée de M. d'Indy, nous voguons dans les sphères supérieures
auxquelles tout le monde n'atteint pas. Nous renvoyons à l'excellent
compte rendu que notre confrère, M. Boutarel, a fait de ce morceau des-
criptif. — Nous sommes plus aptes à comprendre la suite de Sylvia, du
regretté Delibes; voilà de la vraie musique française, mélodieuse, claire,
alerte. C'est un éblouissement pour les pauvres d'esprit. Nous avons aussi
très bien compris EspaTia, de M. Chabrier. Cette fantaisie espagnole est
bien une des choses les plus amusantes que l'on puisse entendre. Mille
compliments à M"» Laudi pour l'art remarquable avec lequel elle a inter-
prété ta Captice, de Berlioz, et la Rêverie de M.Saint-Saêns. H. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Consercatoire : symplionie en sol mineur (Mozart); te Déluge (Sainl-Saëns), soli
par M""" Cogoault et Lavigne, MM. Vergnet et Auguez ; sympfionie en ut mineur
(Beetlioven). Le concert sera dirigé par M. Garciu.
Chàtelet, concert Colonne : symphonie en si bémol (Schumann) ; prélude de la
Reine Berthe (Joncières); fragments de Tristan et ïseult (Wagner), chantés par
M"" Fursch-Madi ; concerto en ut mineur (Be ihoven), exécuté par M. E. Rii-ler;
ta Vision de Jeanne d'Arc (Paul Vidal) ; fragments de Rnlemption (C. Franck), chan-
tés par M"" Fursch-Madi; Sous les tilleuls, fragment des Scènes alsaciennes (Màsse-
net) ; Marclie liéroique (Saint-Saëns) .
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux ; ouverture de concert (Grieg);
symphonie en la, n° 7 (Beethoven); prélude du Déluge (Saint-Saëns); Noce villa-
geoise (Goldmark) ; ouverture du Vaisseau fantôme (Wagner) ; Sylvia (Léo Delibes),
— Musique de chambre. — Un grand calme règne encore dans nos salles
de concerts, et bien rares sont les programmes dont l'intérêt soit assez
grand pour attirer le public. De ces derniers était pourtant celui d'une
séance donnée chez Erard par M. White, le renommé violoniste, avec le
concours de MM. Diémer, Delsart et Van Waefelghem. On y a entendu
comme morceaux d'ensemble le 10« quatuor de Beethoven et une sonate de
M. Diémerj qui a joué, seul, trois pièces avec sa prestidigiteuse technique ;
M. White a interprété, avec la correction et l'autorité qui distinguent son
talent, la Chaconne de Bach, et M. Delsart a su se faire vivement applaudir
après une sonate de Boccherini. — Un autre concert, dont le succès artis-
tique a été brillant, a été donné par MM. Puguo, Viardot et HoUmann. Au
programme se trouvaient inscrits, à côté du beau trio en ré de Schumann,
le quatuor de Rheinberger, œuvre agréable et qui a produit une bonne
impression, et l'intéressante sonate pour piano et violoncelle de Grieg.
M™» Leroux a chanté avec charme des mélodies de M. Xavier Leroux, dont
une, la Mort de l'enfant, a particulièrement plu.— M. Mendels a fait entendre,
dans une de ses dernières matinées, le quatuor à cordes de M. Charles
Lefebvre. Le succès en a été réel et légitime. Il y a, dans les quatre
morceaux dont il se compose, beaucoup de poésie et un grand charme, et
l'ensemble en est fort intéressant. L'exécution a été bonne. — Un pianiste
néerlandais, M. Van Groningen, a donné, salle Pleyel, un récital de piano.
Il a soutenu avec vaillance un long et difficile programme. Son jeu a de
l'énergie et de la solidité, mais paraît manquer de souplesse. Il a tort
bien rendu quelques-uns des préludes de Chopin et la sonate en ré mineur
de Beethoven. l. Phiupp.
— La prochaine séance de musique de chambre donnée parM. J. White
aura lieu le i février, salle Érard.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Bruxelles (29 janvier) : La mort du prince
Baudouin a amené la fermeture de la plupart des théâtres et particulière-
ment de la Monnaie, qui, étant le théâtre royal par excellence, subven-
tionné par la cour, a fait relâche pendant toute cette semaine. Il s'en-
38
LE MENESTREL
suit que la reprise de Lakmé a été remise de liuit jours et n'aura lieu
que lundi prochain. Cet événement a eu une autre conséquence assez
curieuse : Il y a, dans les engagements d'artistes, une clause qui permet
à la direction, en cas de calamité ou de deuil public, de faire relâche
pendant un certain temps et de diminuer les appointements du personnel
suivant la durée de la suspension du service. Cette cause était applicable
en cette occasion. MM. Stoumon et Calabresi l'ont appliquée d'une façon
originale, profitable à leurs intérêts et aussi, je me hâte de le dire, à
ceux de leurs artistes. Au lieu de supprimer purement et simplement une
semaine d'appointements, ils ont demandé aux artistes de prolonger
d'une semaine la durée de leur engagement, à la fin de la saison théâ-
trale : de telle sorte que cette saison, au lieu de finir le 2 ou le 3 mai,
ne finirait que le 10 mai. Tous ont accepté et signé. Les artistes ne
perdront pas d'argent; et la direction, qui n'aurait pas fait un sou si elle
avait joué cette semaine, est à peu près assurée, en revanche, de faire
de belles recettes à la fin de l'année, toujours très productive à la veille
de la clôture, qu'ils avaient depuis longtemps demandé en vain à la Ville
de pouvoir reculer. Gela nous prouve que ces messieurs ne sont pas
moins bons administrateurs qu'excellents directeurs. L. S.
— De toutes les opérettes allemandes écloses en 1890, une seule peut
être considérée comme un véritable succès, c'est /e Pauvre Jonathan (3 actes,
livret de MM. H. "Wittmann et L. Bauer, musique de M. G. Millôcker),
représenté pour la première fois à Vienne le i janvier et joué depuis sur
vingt scènes différentes. Voici les titres des autres opérettes qui ont reçu
le baptême de la rampe en 1890 dans les théâtres d'Allemagne et d'Autriche-
Hongrie : dcr Allé Dessauer, livret de M. Max Henschel, musique de M. 0.
Findeisen (Magdebourg, 16 janvier); Gôdollô, livret de M. Gross, musique
de M. A. -H. Mayer (Presbourg, 18 janvier); la Fiancée du soldat, musique
de M. G. Schumann ("Wiener-Mustadt); le Roi Loustic, 3 actes, livret de
M. G. Grome-Schwiening, musique de M. X.-A. Platzbecker (Leipzig,
9 janvier); Monsieur l'Abbé, 2 actes, livret de MM. Léon et Brackl, musique
de M. Alfred Zamara (Francfort, 24 janvier); le Petit Chat, musique de
M. H. Félix (Lemberg, 23 janvier); Angelor, un acte, livret de M. I. Horst,
musique de M. G. W^einberger (Troppau, 15 février); le Major Lumpus,
trois actes, livret de M. 0. Stoklaska, musique du marquis Max de Wild-
feld (Olmûtz, février); le Roi des Escrocs, livret de MM. Ewald et W. Ben-
necke, musique de M. F. Baier (Gassel, 6 mars); les Royalistes, trois actes,
livret de M. A. Philipp, musique de M. L Manas (Hambourg, 26 avril);
Marinella, livret de M. H.Bohrmann, musique deM.O.Schulz (Nuremberg,
avril) ; le Convive pâle, trois actes, livret de MM. V. Léon et H. von 'Wald-
berg, musique de MM. A. Zamara et I. Hellmesberger (Hambourg, 6 sep-
tembre); le Gouverneur, livret de MM. Karpa et Legwarth, musique de
M. E. von Taund (Gratz, 18 octobre); le Page Fritz, trois actes, livret de
MM. A. Landsberg et R. Gênée, musique de MM. A. Strasser et M. von
Keinzierl (Brûun, octobre) ; le Courtier de mariages, musique de M. Max
Gabriel (Hanovre, 16 novembre); Casanova, trois actes, livret de MM. von
Born et Hattendorf, musique de M. B. Pulvermacher (Liegnitz, 21 novem-
bre); l'Adjudant, un acte, livret de M. A. Ruprecht, musique de M. Wein-
berger (Vienne, 22 novembre); Madame le Diable, trois actes, livret de
M. Herzl, d'après MM. Meilhac et Mortier, musique de M. A. MûUer
(Vienne, 22 novembre); Szinân basa, musique de M. R. Raimann (Totis,
théâtre du château d'Esterhazy).
— Les nouveautés chorégraphiques ont été peu nombreuses en 1890
dans les théâtres allemands. On n'en signale que trois. Ge sont Soleil et Terre,
de MM. Gaul et Hastreiter (Berlin, théâtre Frédéric-Guillaume, 8 novembre),
un Conte chorégraphique, quatre actes, quatorze tableaux, scénario, de
MM. Gaul et Hastreiter, musique de M. J. Bayer (Opéra de Vienne, 19 dé-
cembre) et Porcelaine de Misnie, un acte et un prologue, scénario de M. J.
Golinelli, musique de M. J. Hellmesberger jeune (Leipzig, 26 janvier).
— La municipalité d'Osnabruck, où Lortzing a exei-cé pendant de lon-
gues années les professions de comédien, de chanteur et de compositeur,
a décidé de placer une inscription votive à la mémoire du regretté musi-
cien sur la façade de la maison qu'il habita autrefois, Tharmstrasse, 8 bis.
Le théâtre de la ville s'est associé à es projet eu organisant une représen-
tation de gala, composée de l'opéra Hans Sachs, de Lortzing, et d'un prolo-
gue de circonstance.
— On sait que les représentations du théâtre wagnérien de Bayreuth
comprennent cette année les trois ouvrages suivants : Parsifal, Tristan et
Yseult et le Tannhduser. Voici comment sont fixées les dates des représen-
sentations de ces trois ouvrages : Parsifal, les 19, 23, 26 et 29 juillet, 2, 6,
9, 12, 16 et 19 août; Tristan et Yseult, le 20 juillet, les S et 13 août;
Tannhduser, les 22, 27 et 30 juillet, 3, 10, 13 et 18 août. On voit donc que
le nombre total des représentations est de 20, dont 10 pour Parsifal,
7 pour Tannhduser et 3 seulement pour Tristan et Yseidt.
— Une exposition d'électricité doit avoir lieu l'année prochaine à Franc-
fort, dans laquelle la musique aura une pari importante. On assure en
effet qu'un grand nombre de téléphones seront placés dans les salles de
cette exposition, grâce auxquels les visiteurs pourront entendre non seu-
lement les concerts qui se donneront au Jardin public, mais encore ceux
des villes voisines, telles que Wiesbaden, Spa, Hambourg, Bade, etc. On
espère même pouvoir mettre quelques téléphones en communication avec
les théâtres de Munich et de Mannheim.
_ jyXmo pa m est annoncée comme devant paraître au prochain concert de
la Philharmonie de Berlin, qui sera donné le 4 février. Toutes les jilaces
ont été enlevées dès l'ouverture du bureau de location.
— On écrit de Leipzig à VAllgemeine Musikzeitung de Berl n, i ue le
comité pour l'érec ion du monument de Wagner ne parvient toujours pas
.1 se mettr.' d'accord sur la forme à donner à ce monument. La principale
raison du dissentiment ( st le manque de ressources dont dispose le comité.
Tous les moyens de persuasion ont été épuisés pour attirer les souscrip-
teurs. On va t nter à présent d'un concert monstre à l'Alberthalle et, en cas
lie non-réussite, d'une représentation modèle d'un o .vrage de Wagner au
théâtre municipal. D'autre part, li Berliner Liederlafel a promis d'organiser
un concert à Leipzig au profit de cet infortuné monument.
— Il vient de se former à Berlin un comité qui se donne pour mission
de provoquer en cette ville l'érection d'un monument à la mémoire de
Mozart. La présidence de ce comité a été offerte à l'illustre Joachim, qui
l'a acceptée.
— On télégraphie de Saint-Pétersbourg que M™"^ Melba a chanté ven-
dredi soir, pour la première fois, le rôle de Juliette, dans l'opéra de Gounod,
et que son triomphe a été complet. Le succès de Jean de Reszké, dans le
rôle de Roméo, n'a pas été moins grand que celui de sa partenaire.
— Dépêche d'un journal italien. « Saint-Pétersbourg, 19 janvier. Saison
opéra italien, théâtre Panaieff, close avec deux représentations, une
diurne, avec Carmen, une le soir, avec Hamlet. Fête énorme à tous les
artistes, comblés de fleurs, de couronnes, d'objets précieux. Adèle Borghi
Carmen, renouvelé triomphes, très bien secondée par Repetto, ténor d'An-
drade, baryton PoUi. Dans Hamlet ont fait furore Van Zandt, Kaschmann,
Lubatovitch. »
— A Moscou, la saison des concerts de la Société Impériale russe est
dirigée cette fois par M. Wassily Safonofî, à la tête d'un orchestre de
90 musiciens. Dans une des dernières séances, dont le programme était
particulièrement intéressant, on a entendu une jeune pianiste, M""^ Pos-
nansky, qui a exécuté avec un très grand succès le concerto en ré mineur
de Rubinstein, les Variations en ut mineur de Beethoven et une romance
de Tschaïkowsky.
— Les théâtres continuent de ne pas être florissants en Italie. On sait
qu'à Rome, la situation de l'Argentina n'est rien moins que brillante. A
Ravenne, à la suite d'un gros scandale et de manifestations tumultueuses
de la part du public, le théâtre a dû être fermé. Le Trovatore se console
en constatant que tous les sujets de l'empereur François-Joseph ne sont
pas plus heureux sous ce rapport que ceux de M. Grispi, ce qui ne sau-
rait lui causer, en somme, qu'une joie négative : « Si l'Italie pleure, dit-
il, l'Autriche ne rit pas. Le Théâtre-National de Prague aurait fait ban-
queroute si l'empereur ne l'avait régalé de 42,000 florins; et à Debreczin
les directeurs du théâtre ont suspendu leurs paiements : les artistes et
les masses ne sont point payés, et la caisse de l'entreprise est vide. »
— On n'est jamais trahi que par les siens... Voici comment un journal
italien, la Cronaca d'arte, apprécie la critique des journaux de Milan : —
« La critique milanaise est une critique superficielle, opportuniste, le plus
souvent bête et crétine, qui se laisse éblouir par le succès, qui plaisante
de mauvaise foi, et qui verse le venin sur ses feuilles et détruit sans
respect toute œuvre d'art qui n'a pas rencontré la faveur du public; c'est
une critique qui écrit avec une plume trempée dans la couleur politique
de son propre journal et qui a des "aresses de ralBan (carrezze ru/fiane)
pour le public qui lui porte la contribution quotidienne d'une pièce de
monnaie, critique de boutique, en somme. » Voilà, si ce portrait est a'ussi
exact que sévère, qui n'est pas pour inspirer aux étrangers une grande
confiance dans les jugements exprimés par la presse milanaise.
— Le Teatro illustrato nous donne la liste complète des dis-huit villes
qui ont représenté jusqu'ici la fortunée Cavalleria ru^ticana, de M. Pietro
Mascagni ; ce sont les suivantes : Rome, Livourne, Florence, Turin, Bo-
logne, Ancône, Palerme, Vérone, Madrid, Buda-Pesth, Milan, Hambourg,
Prague, Gènes, Parme, Naples, Dresde et Brescia. Un autre journal ajoute
que l'ouvrage sera prochainement mis eu scène à Venise, Novare, Berlin,
■Prieste, Saint-Pétersbourg, Moscou, Stockholm, Vienne, Munich, Gratz,
New-York et... Paris. Pour Paris, nous nous permettons d'émettre un
doute, attendu que jusqu'ici il n'a point été question d'y jouer la Caval-
leria rusticana.
— A Rome, comme à Gênes, on se propose de fêter aussi l'anniversaire
de Ghristophe Golomh en 1892. Là, ce serait le comité des sociétés catho-
liques qui provoquerait le mouvement et qui projetterait de faire élever
un monument au grand navigateur, et de faire représenter l'opéra de
Morlacchi, Cristoforo Colombo, dont la première apparition eut lieu à Gênes
en 1828.
— On annonce, au théâtre royal de Madrid, la prochaine apparition d'un
autre opéra nouveau espagnol, qui serait mis en scène aussitôt après
celui de M. Serrano, Irène d'Otranlo. Gelui-ci aurait pour titre Xaquel et
pour auteur M. Santamaria.
— La compagnie d'opéra anglais Garl Rosa commencera le 9 février, à
Leeds, une grande tournée dans la province anglaise, avec le concours de
M"": Marie Rôze. La cantatrice se fera entendre dans ses meilleurs rôles :
Carmen, Mignon et Fidelio.
LE MENESTREL
39
PARIS ET DEPARTEMENTS
La Commission supérieure des théâtres s'est réunie vendredi dernier
sous la présidence du ministre des Beaux-Arts, M. Bourgeois, pour la
discussion du nouveau cahier des charges de l'Opéra. Nous avons déjà
donné le sens général de ce cahier des charges et indiqué toutes les modi-
fications qu'il allait apporter dans la nouvelle gestion de notre Académie
nationale de musique. Nous ne croyons donc pas avoir à revenir, pour
le moment tout au moins, sur le détail de chaque article. Les douze
premiers de ces articles ont déjà été votés à l'unanimité par la Commis-
sion. M. Gaston Calmette donne dans le Figaro un intéressant résumé de
toute la discussion. Nous nous associons pleinement aux conclusions qu'il
en tire et que nous sommes heureux de reproduire ici: «Quand le cahier
aura été adopté, on s'occupera de désigner les successeurs de MM. Ritt
et Gailhard. Ce sera l'achèvement de cette réforme si longtemps attendue
et dont tout Paris se préoccupe. Espérons que les incidents politiques vont
laisser à M. Bourgeois et à M. Larroumet le loisir et la tranquillité néces-
saires pour continuer, à l'Opéra, l'œuvre qu'ils ont entreprise et qui ne
tend à rien moins qu'à sauver cette institution, compromise et déviée par
la faute de ceux qui la dirigent actuellement. Le ministre est un esprit
net et juste, qui sait ce qu'il veut et qui va droit devant lui; le directeur
des Beaux-Arts a montré qu'il est un fonctionnaire éclairé et courageux,
connaissant son devoir et le faisant en honnête homme, et quoi qu'il puisse
lui en coûter. Tous deux ont entrepris une tâche difficile; cette tâche est
en bonne voie; il faut qu'ils la mènent jusqu'au bout. M. Bourgeois a
déclaré, l'autre semaine, qu'il traitait la question de l'Opéra « en dehors et
au-dessus de toutes les questions de personnes »; il a raison et c'est par-
ler en ministre. Mais le public a le droit de penser que la question de
principe n'aurait pas acquis cette gravité sans les personnes qui étaient
en cause. D'ailleurs, le ministre doit savoir à cette heure à quoi s'en
tenir. Que la Commission des théâtres agisse et termine; elle fait de bonne
besogne. Mais, il faut bien le dire aussi, le cahier des charges qu'elle vote
si libéral et si prévoyant qu'il soit, n'aura de valeur que par l'homme qui
sera désigné pour l'appliquer. Toute la question de l'Opéra se résume
donc dans le choix du directeur de l'Opéra ».
— Suite et En des nominations d'officiers d'académie faites à l'occasion
du l"' janvier: M. Germain Laurens, compositeur; M"= Lemoyne, profes-
seur de musique ; M°"= Lavielli-Goulon, artiste lyrique, ex-artiste de l'Opéra ;
jjBie Yeuve Jeanne Meyer, violoniste, professeur d'accompagnement à la
maison d'éducation de Saint-Denis; M. Parés, chef de musique des équi-
pages ie la flotte ; M. Paul, professeur de musique à l'Institut national
des Jeunes-Aveugles; M. Péricaud, artiste dramatique et régisseur général
du théâtre de l'Ambigu ; M. Plançon, artiste du théâtre de l'Opéra ;
M. Ratez, compositeur; M. Rondeau professeur de chant, M. Sellier, ar-
tiste lyrique ; M. Soulacroix, professeur de musique (nous avons des raisons
de croire qu'il y a erreur dans la qualification, et qu'il s'agit ici de l'e.x-
cellent artiste de l'Opéra-Comique) ; M. Tisserand, artiste lyrique.
— Nouvelles de l'Opéra. On va s'occuper, paraît-il, de la reprise
d'Henri VIII, avec M/^"' Adiny et Domenech : brillante distribution! Quant
à Fidelio, dont les études ont été reprises ces jours-ci, il ne sera donné
que fin mars, M. Gevaert se trouvant retenu impérieusement à Bruxelles
jusqu'à cette époque. La reprise de la Tempête, le ballet d'Ambroise Tho-
mas, accompagnera Fidelio sur l'affiche. Puis, on s'occupera de Salammbù,
qu'on voudrait jouer avant le mois de juin. On parle également de remon-
ter Sylvia de Léo Delibes. Mais voilà si longtemps qu'on en parle!
>= — M'"= Sibyl Sanderson a signé hier un engagement avec la direction de
l'Opéra. Elle ne débutera toutefois qu'après avoir achevé la saison de
Bruxelles, c'est-à-dire vers le l"juin.
— M. Harris, le directeur de Covent-Garden, plus avisé que MM. Ritt et
Gailhard, vient d'engager pour sa prochaine saison le superbe contralto
que nous leur avions signalé, M"^ Risley, élève de M™ Marchesi. Il en
sera pour celle-ci comme pour M™ Melba. Dédaignée tout d'abord par les
étonnants directeurs « qui ridiculisent l'Opéra », comme dit si bien M. Ma-
gnard du Figaro, elle nous reviendra cependant ramenée par ses succès
de l'étranger. M. Harris a engagé du même coup la charmante M"« Eames,
de l'Opéra, autre élève de M""^ Marchesi, fort en progrès en ce moment.
— A rOdéon on va reprendre prochainement Conte d'avril, la charmante
comédie de M. Dorchain, avec toute une i^ouvelle partition musicale e
M. "Widor, qui sera interpr tée par Torche tr; de M. Lamoureux.il ne s'y
trouve pas moins de quinze numéros.
— Nous annoncions dernièrement le don de divers instruments qui
avait été fait au Conservatoire de Lille par le ministère des beaux-arts
Nous apprenons que le Conservatoire de Nantes, dont l'excellent directeur
est M. Woingaortner, vient d'être l'objet d'une libéralité du même genre.
Il a reçu pour sa part deux magnifiques instruments de MM. Gand et
Bernardel : un alto et un violoncelle, plus une fort belle clarinette et une
trompette à pistons.
— Une surprise faite aux Parisiens. On assure que M'"° Adelina Patti
viendra se faire entendre le Vendredi saint au Cirque des Champs-Elysées,
dans le concert spirituel donné par M. Charles Lamoureux.
— Après une première tournée en Hollande, dont le succès a dépassé
foutes les prévisions, M. Lamoureux vient de traiter pour une nouvelle sé-
rie de concerts d'orchestre en Hollande et en Belgique aux dates suivantes :
1"' avril, la Haye; 2, Rotterdam; 3, Amsterdam; i, la Haye; S, Amster-
dam; 6, Rotterdam; 7, Arnheim ; 8, Utrecht; 9, Anvers; 10, Liège; II,
Bruxelles; 12, Gand.
— M"" Andrée Lacombe vient de recevoir de Genève la lettre suivante:
Madame,
Notre directeur artistique, M. Dauphin, avait espéré pouvoir monter dans le
courant de cette saison l'œuvre si remarquable de votre regretté mari, et nous
nous étions nous-mêmes associés à cette idée avec l'espoir que cet ouvrage, au
souffle patriotique si puissant, remporterait un grand succès sur notre scène.
Malbeurousement, nous nous heurtons à des difficultés très sérieuses au point
de vue do l'exécution des décors, qui doivent être absolument conformes à l'his-
toire et à la nature du pays où se déroule ce drame lyrique ; nos constructeurs
(dont vous trouvez sous ce pli le rapport), demandent quatre mois pour mener k
bien cet important travail, ce qui nous conduit à la fia de la saison. Dans ces
conditions, notre administration ne peut donner suite à ce projet pour la saison
actuelle ; mais nous tenons, madame, à vous donner l'assurance que Winkdried
sera l'un des premiers ouvrages mis à l'étude la saison prochaine. Vous com-
prendrez facilement les motifs qui nous font ajourner le projet de notre direc-
teur, qui a pu se convaincre qu'il serait imprudent de lancer cet ouvrage dans
des conditions qu> pourraient en compromettre l'entière réussite. De tous côtés
de la Suisse on viendra entendre l'œuvre du regretté maître, et nous voulons
que la mise en scène soit digne de la musique qu'il a composée pour retracer
la vie d'un héros de notre histoire nationale. Agréez, madame, l'assurance de ma
considération distinguée.
Le conseiller administratif délégué au théâtre,
F. Dupont.
— Le crâne de Mozart. On sait que Joseph Ilyrtl, le grand anatomiste
autrichien, aujourd'hui âgé de 91 ans, a reçu des mains de son frère le
crâne — authentique — de Mozart. Une information relative à cette pré-
cieuse relique, publiée par le Nouveau Tagblatt de Vienne il y a quelques
jours, avait été mise en doute par un certain nombre de lecteurs de la
feuille viennoise. Pour en avoir le cœur net, le journal adressa au savant
vieillard une lettre dans laquelle il priait M. Hyrtl de donner au public
quelques détails sur le crâne de Mozart, et de lui dire s'il était vrai qu'il
avait l'intention d'en faire cadeau au musée de la ville de Vienne.
Mme Hyrtl vient d'écrire au journal la lettre suivante, datée de Perchtold-
dorf, près Vienne, où le savant séjourne la plus .grande partie de l'année:
« Vous pouvez affirmer que le crâne de Mozart, remis à mon mari par
son frère, se trouve effectivement en sa possession, mais tous les vœux
tendant à sa cession à la ville de Vienne peuvent être considérés comme
devant rester infructueux, mon mari ayant légué le crâne de Mozart,
suivant son testament, à la ville de Salzbourg. »
— M. Emile Bohn, déjà connu par une très soigneuse bibliographie des
imprimés musicaux, antérieurs à 1700, existant à Breslau, vient de con-
sacrer trois années au dépouillement, au classement et au catalogue des
manuscrits musicaux de la même époque, possédés par la bibliothèque
publique de la même ville. Le fort volume, résultat de ce long travail —
die musikalischen Handschriften des XVI und XVII Jahrhunderts in der Stadt-
bibliothek zu Breslau, Breslau, Hainauer, 1890, in-8", XVI-423 p.) — offre un
grand intérêt non seulement à cause du nombre des œuvres musicales
qu'il énumère, mais encore parce que, étant un des premiers en son genre,
il peut guider d'autres auteurs dans la confection difficile de semblables
inventaires. Le plan conçu et adopté par M. Bohn mérite ■ donc une sé-
rieuse attention. Une première division (p. 1-194), contient le catalogue
proprement dit des .356 manuscrits, avec les indications nécessaires de
format, de date, d'écriture, et le relevé du contenu de chacun. L'inventaire
semble donc complètement terminé : or, c'est précisément ici que com-
mence la partie la plus neuve du travail de M. Bohn, sous la forme, il est
est vrai, un peu compliquée d'une série de tables qui envisagent succes-
sivement sous tous leurs aspects, les manuscrits précédemment catalogués,
La première classe, par langues et par ordri alphabétique de textes, les
compositions vocales contenues dans les manuscrits ; il n'est pas besoin
d'avoir feuilleté beaucoup de manuscrits semblables pour savoir combien
y sont souvent omis les noms d'auteur; par de minutieuses recherches,
M. Bohn est parvenu à distinguer dans un nombre considérable de cas les
morceaux déjà imprimés et à rétablir, pour une très grande quantité
d'entre eux, les noms d'auteurs ; la notation sommaire en lettres, usitée
quelquefois en Allemagne, lui a permis de donner les premières notes du
thème des compositions dont l'auteur restait inconnu. Viennent ensuite
la liste des œuvres musicales imprimées auxquelles renvoyaient les abré-
viations précédentes, puis une table des morceaux anonymes et une des
noms d'auteurs, et enfin une description spéciale du manuscrit 3S6, recueil
important de mélodies de maîtres chanteurs formé en 1384 par Adam
Puschmann. — La multiplicité de ces tables et l'emploi inévitable d'abré-
viations nombreuses rendent au premier abord le maniement du livre un
peu pénible. Cependant, qui n'achèterait au prix de quelques instants
d'allées et de venues, d'une partie du livre à l'autre, les sûrs renseigne-
ments qu'en fin de compte il est certain de trouver? et qui oserait se
plaindre de dépenser à leur recherche quelques minutes de trop, en con-
sidérant les heures qu'a coûté une telle tâche à son auteur?
M. Bbenet.
— De 1876 date à Ratishonne la fondation d'un annuaire de la musique
religieuse allemande, d'abord intitulé Cœcilienkalender, puis, à partir de
1886, Kirchenmusikalisches Jahrbuch.ha. seizième année, qui vient de pa-
40
LE MÉNESTREL
raitre, forme un volume grand in-8° de 132 pages, imprimées à deux
colonnes. Cette publication, modeste à son origine, s'est peu à peu élevée
à un rang des plus honorables dans la littérature musicale historique;
c'est aujourd'h'ji un recueil annuel de travaux inédits, très sérieux et très
approfondis pour la plupart, préssntés dans un ordre à la fois logique et
varié. Parmi les études renfermées dans ce seizième volume, il nous
suffira de citer l'article du R. P. KornmuUer, résumé clair et concis de la
doctrine de la polyphonie chez les théoriciens du moyen âge ; le travail
très complet et très neuf de M. F.-X. Haberl sur Giovanni-Maria Nanino,
travail accompagné très heureusement de la reproduction en partition
des belles Lamentations à quatre voix de ce mai'ré, un des plus illustres
conteniporains de Palestrina ; un relevé analytique des lettres inédites
d'Orlando de Lassus au prince de Bavière; d'autres extraits des archives
bavaroises, concernant divers musiciens du XVIP et du XVIIP siècle,
Agostino Steffani, les deux Bernabei et autres. Le volume se termine par
une série de comptes rendus d'ouvrages nouveaux concernant l'histoire
de la musique, publiés en diverses langues, et par trois descriptions
d'orgues existant à la cathédrale d'Ulm, à l'église de Passau, et au collège
de Saint-Patrick à Maynooth (Irlande). M. Brenet.
— • Bordeaux, qui est bien la seconde ville de France au point de vue
artistique et surtout musical, Bordeaux, qui dès le 28 janvier 1877 se sou-
venait de l'anniversaire de la naissance d'Herold, qu'elle célébrait avec éclat,
ne pouvait oublier le centenaire du maitre inspiré. De sorte que mercredi
dernier, tandis que l'Opéra-Gomique donnait, à cette occasion, la l-iS^" re-
présentation du Pré aux Clercs, le Grand-Théâtre de Bordeaux offrait à ses
habitués une reprise de l'adorable chef-d'œuvre, joué et chanté par M'"<^Rose
Delaunay, dont le succès a été très grand, M""!» Savine et Benoît-Faure,
MM. Queyla, Nerval, Yasser et Schmidt. L'effet a été superbe. Gomme ici,
le rideau s'est relevé entre le deuxième et le troisième acte, aux sons de
l'ouverture de Zampa, le buste d'Herold (dû au sculpteur Granet) a été
couronné sur la scène, et des strophes ont été dites à la mémoire d'Herold.
Ces strophes étaient dues à M. Paul Berthelot, l'un des rédacteurs de
la Gironde, et c'est M. Queyla qui les a récitées. Voici les dernières, qui
peuvent donner une idée de l'ensemble du morceau :
Maître, nous sommes las des sombres agonies
Oii passent les amours surhumaines des dieux,
La légende sacrée et les cosmogonies. ..
Nous n'avons plus souci d'escalader les cieux.
Ta mélodie eu fleur volera sur nos lèvres
Quand nous succomberons sous le fardeau trop lourd.
Et toujours nous dirons, pour endormir nos fièvres.
Ta douce cantilène et tes soupirs d'amour.
Tu ne connaîtras pas, dans l'oiobre oii tu rayonnes,
L'oubli, qui de la Mort semble une trahisou,
Et vers toi tu verras, en gerbes, en couronnes,
De notre souvenir monter la floraison.
La tene a dévoré ta dépouille mortelle.
Mais ton âme respire en ton œuvre enchanté,
Et nos petits-neveux, se courbant devant elle,
Salueront comme nous ton immortalité!
— On vient de donner à Nice la première représentation de Richard III,
opéra en quatre actes, paroles de M. Emile Blavet, musique de M. Sal-
vayre, qui, on s'en souvient, avait été donné pour la première fois à Saint-
Pétersbourg en 1883. L'ouvrage parait avoir obtenu un grand succès. Le
livret, tiré du drame de Shakespeare, renferme des situations très drama-
tiques, et l'on cite, dans la partition, plusieurs pages qui font, par leur
puissance et leur accent, le plus grand honneur au compositeur. L'inter-
prétation de Richard III est d'ailleurs fort remarquable, confiée qu'elle est
à M^iis Renée Richard, Félix d'Alba et Vaillant-Couturier, à MM. Devoyod
et Saléza. On dit aussi le plus grand bien, dans le divertissement, d'une
première danseuse charmante, M"= Monti. C'est M. Salvayre qui, lui-
même, dirigeait l'orchestre.
— La première représentation de Lohengrin au théâtre des Arts, de Rouen,
paraît définitivement fixée au jeudi 5 février. Quand pourrons-nous en dire
autant en ce qui concerne l'Opéra?
— Une très intéressante soirée littéraire et dramatique a été donnée,
dernièrement, au Cercle des beaux-arts de Nantes, par M™"^ Reichen-
berg et Pierson, MM. de Féraudy et Paul Mounet, de la Comédie-Fran-
çaise. Le petit drame d'Eugène Manuel, les Ouvriers, a valu un succès consi-
dérable à tous les interprètes ; la poésie de Victor Hugo, les Pauvres Gens, a
été dite d'une façon remarquable par M. Paul Mounet ; enfin, dans deux
saynètes, un Causeur agréable et le Volapûck en dix leçons, M. de Féraudy a
fait preuve de toute la souplesse de son talent.
— Au dernier concert de l'Association artistique d'Angers, véritable
grand succès pour la Rapsodie cambodgienne et le Chant laotien de M. Bourgault-
Ducoudray. Ovations et rappel pour l'auteur, qui dirigeait lui-même
l'orchestre.
— M. Jules Bordier, l'excellent président de l'Association artistique des
concerts populaires d'Angers, continue le cours de ses succès de compo-
siteur en province, et même àl'étranger. M. Jules Bordier a fait exécuter
sous sa direction, aux concerts populaires de Lille, deux de ses dernières
œuvres : Adieii suprême et Danses hongroises, qui ont été fort bien accueillies,
et il a fait applaudir à Anvers son beau choeur de Lorely.
— Nous apprenons avec plaisir que M. Arsandaux vient d'être nommé
professeur do la classe de chant que tenait M. Salomon au Conservatoire
de Lyon. C'est là un excellent choix, M. Arsandaux étant non seulement
un artiste de talent, mais encore un maître émérite.
— Les concerts du ténor Rondeau prennent par leur périodicité et leur
physionomie spéciale le caractère d'une véritable institution. A la séance
de lundi dernier, donnée salle Érard. il y avait plusieurs numéros d'un
mérite réel. En première ligne il faut citer un chant allégorique de
M. Alexandre Georges pour soprano et chœurs intitulé les Cloches, que
le public a bissé d'acclamation, puis des mélodies de M. Pierné chantées
par M. Rondeau et M"° Lavigne et les fragments i'Endijmion, de M. Albert
Gahen. Le concert se terminait par l'audition d'une série de « mélodies
populaires des provinces de France », recueillies et harmonisées par
M. Julien Tiersot. Cette audition, pour laquelle on avait réuni un chœur
4e voix féminines jeunes et fraîches, sous la direction de M. Tiersot, a
éveillé au plus haut degré l'attention du public. Les plus applaudies de
ces mélodies ont été : le Mois de mai, dont les soli ont été dits à ravir par
M"= Julia Lancenot, Là-haut sur la montagne, dont M. Rondeau a merveil-
leusement fait ressortir le charme poétique, la Mort du roi Renaud et la
Mort du Mari, chantés par M"» Lavigne, enfin En passant par la Lorraine,
qui a valu un succès mérité à M'"" Mélodia-Kerchkoff, une artiste constam-
ment en progrès. M. Rondeau annonce une nouvelle séance pour une
date très prochaine. L. Sch.
— Le 16 février prochain, salle Erard, M"« Kara Chatteleyn donnera un
grand concert avec orchestre, sous la direction de M. Ch. Lamoureux.
NÉCROLOGIE
De Hollande nous arrive la nouvelle de la mort de Jean-J.-H. Ver-
hulst, le nestor et le plus féccmd des compositeurs de ce pays, où il avait
conquis une situation exceptionnelle. Directeur de la musique particulière
du feu roi de Hollande, président, directeur et chef de plusieurs sociétés
musicales, chef d'orchestre des concerts populaires d'Amsterdam, Verhulst,
qui était né à La Haye le 19 mars 1816, avait été l'élève et l'ami de Char-
les Hanssens. le célèbre chef d'orchestre du théâtre de la Monnaie de
Bruxelles. Il fut pendant de longues années l'àme de la musique en Hol-
lande, par son activité, son énergie et le talent qu'il déployait en toutes
circonstances. Il avait visité la Belgique, la France et l'Allemagne, et, à
Leipzig, s'était particulièrement lié avec Mendelssohn, auquel il dédia
deux de ses quatuors. Parmi ses très nombreuses compositions publiées,
on remarque : trois ouvertures de concert : un grand intermède pour or-
chestre; une symphonie; trois quatuors pour instruments à cordes; Chant
de la Fêle de Rembrandt, pour chœur d'hommes et orchestre ; une messe de
Requiem pour voix d'hommes, orgue et orchestre ; une messe à quatre
voix, chœur et orchestre ; plusieurs hymnes et motets ; Koning en Vaderland
(Roi et Patrie), hymne et chœur pour quatre voix d'hommes ; Florii de
vijfde (Florent V), poème pour ténor et chœur; plus de deux cents chants
à une, deux, trois et quatre voix seules ou chœur, avec ou sans accom-
pagnement, etc., etc.
Hexri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez Mackar et Noël, 22, P. des Panoramas, Paris:
LEFEB'VRE, Charles, op. 80. Quatuor en sol mineur pour instruments à.
cordes, en trois parties, prix net : 6 francs.
MARÉCHAL, Henri. Suite d'orchestre sur des Feuillets d'Album d'A.
Chauvet. Partition d'orchestre, net: S francs. Parties séparées, net: 6 fr.
Parties supplémentaires, cordes, chaque, net : 1 franc. Piano seul,
par A. Chauvet, net : 3 francs.
TSCHAIKCWSKY. La Dame de Pique, partitions piano et chant,
piano seul, divers arrangements à deux et quatre mains.
LA MAISON REUCHSEL Jeune et BATIAS, 13, rue Gentil, à
Lyon, demande de suite un bon accordeur-réparateur.
Viennent de paraître :
Chez Alpu. Leduc, 3, rue de Grammont
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Prélude, Fugue, Marche religieuse. Intermezzo, Choral, Elégie, Carillon,
deux Versets de procession sur k l'Adoro te », Canzona dans la tonalité
grégorienne, Adagietto, Paraphrase sur un « Laudate Dominum »
PAR
L. BOELLMANN
Chez J. IIamei.le, 22, boulevard Malesherbes
PIÈCES POUR PIANO
2= Impromptu, Aubade, 2"= Valse, Feuillet d'Album, Berceuse (à -i mains)
par
L. BOELLMANN
; FER. — IMPIUHËIUE <
, 20,
312i
UT™ mm — !\" 6.
Diiiiiiiiclie 8 Février i^M.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
NESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Mèsestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonuemenU
Un an, Texte seul : Kl francs, Paris ut Province. — Texte et Musique de Chant, 20 Ir.; TexLe et Musique de Piano, 20 [r., Paris et Province.
Abonnement complel d'un .in, Tuxlc, Musique, de r.h.inl et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en s
SOMMi.IEE- TEXTE
I. Notes d'uu librettiste: Musique contemporaine (37" et dernier article), Louis
Gallet. — II. Semaine tliéàtrale : Une première à Londres; Ivunhoé, opéra de
sir Arthur Sullivan, A. G. N. — IIL Une famille danistes : Les Saint-Aubin
(8° article). Arthur Pougis. — IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SI L'AMOUR PRENAIT RACINE
nouvelle mélodie de H. Balthasar-Florence, paroles de G. Fuster. —
Suivra immédiatement : Muguets et Coquelicots, n" i des Rondes et Cliansoiis
d'aiiil, de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies de G. Auriol.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Nulle autre qu'elle, nouvelle polka de Philippe Fahrdach. —
Suivra immédiatement; Soits les tilleuls, nouvelle valse alsacienne de Paul
ROUGNON.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
MUSIQUE CONTEMPORAINE
Geu.\ qui appartiennent à ce qu'on pourrait nommer en
musique l'école normale française, se rangent aujourd'hui
autour des membres de la section spéciale de l'Académie des
Beaux-Arts ou, plus jeunes, s'échelonnent à leur suite. Ces
illustres de l'Institut : Ambroise Thomas, Charles Gounod,
Ernest Reyer, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet et Léo
Delibes ont leur place déjà faite ihias l'histoire de ce temps;
ils constituent comme la gamme brillanLe des notes diverses
de l'art national, comme la palette des tons remarquable-
ment variés dont il dispose.
Hier encore, ils étaient au grand complet. Un vide s'est
fait tout à coup au milieu d'eu.x : Léo Delibes a disparu,
subitement enlevé comme Georges Bizet. Sa mémoire restera
chère à tous ceu,\ qui aiment la musique purement
française et que charma sa muse gracieuse et riante. Lakmé
sera probablement pour lui ce qu'a été Carmen pour Bizet.
Plus heureux encore que ce dernier, dont la mort, comme
on sait, a réduit à néant la dernière partition: Don Rodrigue, il
a laissé une œuvre qui lui survivra, qui sera comme son
testament musical, cette Kassya à laquelle il ne manquait
plus qu'une faible partie de sa parure iustrumentale.
Dans l'immédiat voisin. ige de C9 groupe, app;iraissent
Ernest Guiraud, le frère aîné de cette génération musicale
nouvelle, maître harmoniste très supérieur, qu'en dehors de
ses œuvres de théâtre une admirable suite d'orchestre a fait
justement célèbre; Paladilhe, qui, encore presque enfant, prit
triomphalement le chemin de l'école de Rome, et, depuis,
compositeur dramatique pur, a pu donner, dans Patrie, la
mesure de sa valeur; Benjamin Godard, musicien de race,
infatigable travailleur, plein de conflance en sa force ; Vic-
torin Joncières, esprit d'un large éclectisme, poursuivant
ardemment un idéal très haut; le délicat coloriste Théodore
Dubois, auteur entre autres œuvres remarquables de la Faran-
dole, un des plus agréables et vivants ballets de l'Opéra;
Gh.-M. Widor qui, avec la Korrigane, triompha sur la même
scène dans le même genre; Alphonse Duvernoy, que tout
son œuvre marque clairement pour le théâtre; Gaston Sal-
vayre, généreux tempérament latin ; le spirituel et tendre
Henri Maréchal, Lenepveu, Lefebvre, E. Pessard, E. Diaz,
Wormser, Hector Salomon, les frères Hillemacher, Georges
Marty, Puget et tant d'autres dont j'ai déjà parlé au courant
de mes souvenirs, comme J. Duprato et Ferdinand Poise,
ou que j'ai vus de moins près, mais dont le public sait les
noms, a jugé les œuvres; enfin, toute une pléiade de jeunes,
de nouveaux venus, poetœ minores, connus de leurs seuls
maîtres, ensevelis présentement dans une retraite laborieuse
et dont plusieurs doivent compter à leur tour peut-être parmi
les lumières de l'école.
Edouard Lalo, l'auteur du Roi d'Vs, s'est fait sa large place
à part, hors de leurs rangs. Avant tout, homme de bonne foi,
à tort classé, par quelques-uns, parmi les purs adeptes de
Richard Wagner, il a longuement peiné avant d'arriver au
grand jour du théâtre.
Je dois, pour compléter cet état des forces de la musique
française, mentionner encore ces troupes légères, dont les
chefs sont Hervé, E. Audrau, un petit-fils des vieux maîtres
del'opéra-comique, Gh. Lecocq, G. Serpette, R. Pugno, Varney,
Victor Roger, Plauquette, etc. Beaucoup de ces noms sont
populaires et l'eiuportent en France, et surtout à l'étranger,
dans la mémoire du public, sur le nom de plus d'un illustre.
Maintenant, mes regards se tournent vers une école indé-
pendante de toute attache académique et dont le chef fut
César Franck, maître musicien, d'une valeur très haute,
d'un génie très austère, homme vivant et travaillant avec la
touchante et superbe naïveté d'un primitif.
Il a passé, entouré d'admiration et de respect, ayant assuré-
LE MENESTREL
ment un très noble sentiment de sa valeur, mais heureux,
reconnaissant, honnêtement louché de la moindre marque de
sincère estime. Ses œuvres les plus connues : Rnth, Rédemp-
tion, les Béatitudes, toutes empreintes d'une grande sérénité,
l'ont classé au premier rang. 11 a produit aussi deux ouvrages
dramatiques, connus de ses seuls intimes.
César Franck a été, de son vivant, un ignoré de la foule,
un lévite fervent perdu dans l'ombre mystérieuse du sanc-
tuaire musical. Le prestige de la mort commence à revêtir
de lumière cette figure: il suffira de peu de temps pour
lui faire au soleil une place qu'après tant d'années de patient
labeur on ne lui eût certainement pas accordée s'il avait ou
la maladresse de vivre.
*- »
Il a été beaucoup admiré et beaucoup aimé par une élite.
Louis de Fourcaud, critique d'art sincère qui s'est toujours
fait le soutien des nobles causes et des talents méconnus,
qui a coopéré largement à la destinée heureuse de l'œuvre
maîtresse d'Edouard Lalo, parle toujours de César Franck
avec une ferveur émue.
« Dans notre école, me disait-il tout récemment, nous
avons de grands musiciens incontestablement; mais nous
n'avons qu'un saint: César Franck. C'est un vrai saint de
musique, — un Bach français et moderne — un ascète qui a
senti même la tendresse et la grâce humaine avec une pré-
cieuse sainteté. Ses Béatitudes sont un chef-d'œuvre unique en
son genre, — un chef-d'œuvre de profondeur humaine et de
religieuse intimité. Dans la musique de chambre il a peu de
rivaux. C'est un fier classique, avec une sérénité, une sim-
plicité même dans la complexité des dispositions, qui éton-
nent et qui touchent. Le domaine des harmonies lui a révélé
de rares trouvailles. Et puis, toujours, partout, il porte sa
large et tranquille auréole paradisiaque, sans qu'il s'en doute
un instant. Et puis encore, il répand autour de lui, par la net-
teté de l'enseignement, par l'autorité de l'exemple, le goût,
l'amour, le sens de la forte et substantielle musique. Je ne
crois pas que le théâtre fut son fait, quoiqu'il ait écrit des
pages qui honoreraient toutes les scènes »
Les œuvres de César Franck ne sont pas sa seule fortune.
Il laisse beaucoup d'élèves. Tout n'est pas d'or pur dans cette
succession : quelques-uns du moins ont déjà fait leurs
preuves parmi ces disciples : Arthur Coquard, Henri Duparc,
Vincent d'Indy, Albert Cahen, Augusta Holmes, que Saint-
Saëns a sacrée de ses louanges sincères, Camille Benoit, Ju-
lien Tiersot: à ces noms s'ajoutent ceux des compositeurs
ralliés à l'école de César Franck, tels que le fougueux et fan-
taisiste Emmanuel Chabrier, Gabriel Fauré et Paul Yidal.
D'autres, comme Alfred Bruneau, d'abord élève de J. Masse-
net, ont simplement accusé, en certaines œuvres, quelques
tendances vers cette doctrine. Et encore, ayant eu l'occasion
d'étudier de près ce compositeur, serais-je tenté plutôt d'éta-
blir que son critérium est tout personnel.
s^ ' *
J'attacherai une mention analogue au nom de Bourgault-
Ducoudray, professeur de l'histoire de la musique au Con-
servatoire, qui, en pleine carrière, s'est tourné vers la com-
position dramatique. Il a beaucoup observé, beaucoup réfléchi.
Je tiens l'œuvre inédite que je connais de lui pour l'une de
celles qui marqueront l'un des pas les plus rationnels et
les plus fermes du mouvement moderne.
Cette école nouvelle, qu'elle s'iospire de Richard Wagner
ou de César Franck, qu'elle procède, si l'on veut, d'un en-
semble de principes sans origine nettement définie, on nous
l'a dépeinte parfois comme absolument intransigeante, peu
inclinée à l'indulgence pour les autres, disant volontiers :
« Hors de notre église, point de salut! >
En réalité, vue à l'œuvre, elle n'est point tant radicale.
Entre les principes et les actes, il y a toujours, en matière
d'art dramatique surtout, une très sensible divergence.
On a fait un peu partout, et là plus que partout peut-être,,
en ces dernières années, de solennelles et assez pédantesques
théories sur la véritable forme lyrique, sur le drame musical,
on a montré ce drame inséparable de la musique ; et puis,
en réalité, quand un de ces théoriciens a été en présence du
fait, quand il a pu, par hasard, aborder le théâtre, il a été
tout de suite ressaisi impérieusement par son tempérament,
par la force du sang de sa race, et il s''est mis à travailler
sur des poèmes oij le réalisme et le lyrisme se mêlent dans
cette exacte proportion constituant tout justement la lumineuse
formule française.
*
*- *
S'il ne faut pas, certes, que le poème soit dominateur, il
ne faut pas davantage qu'il soit servile. Il semble indispen-
sable que la musique ait à tenir quelque chose de lui, dont
elle ne puisse se passer. Il est le germe générateur de la
musique, quelque soit le sujet choisi, légende, histoire, fan-
taisie, humanité; il faut donc toujours que ce poème ait son
activité propre; les sentiments en seront, si l'on veut, d'une
hauteur surhumaine, le rêve y ouvrira largement ses ailes,
la symphonie y assurera aux situations, aux impressions, une
intensité que la mélodie est impuissante à donner aux mots;
mais avant tout, il vivra, il agira ! Il ne sera point pure-
ment spéculatif, comme on nous l'a quelquefois présenté.
Shakespeare, je crois, fournit des types admirables de ce
double caractère réaliste et lyrique.
Le mouvement de l'esprit des hommes les entraine vers
tout progrès ; il est également vrai qu'il les entraîne vers
toute décadence, qui n'est parfois que l'exagération d'un
progrès, comme certains vices peuvent n'être que l'excès
d'une vertu. Cela dépend du terrain de culture, pour em-
ployer le langage mis à la mode par les bactériologistes.
Richard Wagner et Hector Berlioz, et Georges Bizet, et César
Franck, les glorieux morts et les vivants illustres, seront
quelque jour, pour certains, des arriérés. Toutes les expres-
sions de l'art pratique étant épuisées et toutes les admira-
tions rebattues, il se lèvera une phalange qui jugera les
hommes et les exécutera comme les formes. N'y a-t-il pas
eu déjà en Allemagne une sorte de clan anti-wagnérien ? Il
y aura de même chez nous, n'en doutons pas, même déjà, affir-
ment quelques-uns, en gémissant, il y a en musique, comme
en peinture, comme en littérature, une tribu de décadents
hypnotisés par la contemplation incessante de leur moi et
venus complaisamment à se figurer qu'ils sont le centre de
l'univers intellectuel.
Cela leur fait plaisir et ne fait de mal à personne. L'éter-
nellement vrai, l'éternellement beau n'en saurait souffrir.
Tout ce que l'art pur a marqué de son signe demeure. Il n'est
plus de divisions d'école devant les chefs-d'œuvre.
La vraie musique française évoluera donc tranquillement,
modifiant, perfectionnant sa forme, tout en gardant le respect
de l'enseignement des maîtres immortels. C'est là le fait de
sa foncière honnêteté; et cette honnêteté est sa force. Elle
Fempêche de dédaigner de parti pris aucun des éléments,
aucun des documents capables d'aider à son incessant per-
fectionnement.
Et si, depuis de longues années déjà, son influence collec-
tive s'impose en Europe, à coté, quelquefois au-dessus de
celle de cette unité formidable qui est Richard Wagner, elle
le doit à une précieuse faculté d'assimilation résidant en
elle et qui, à ses qualités originelles, lui fait ajouter les
ressources puisées hors d'elle-même dans l'étude des sys-
tèmes et des œuvres. Toujours selon la méthode de Molière,
LE MENESTREL
43
■elle prend son bien où elle le trouve; mais elle fait étroite-
ment sien ce qu'elle emprunte, en l'animant de son souffle
personnel.
Et c'est par toutes ces forces éparses sur lesquelles je viens
de jeter un rapide coup d'oeil, par toutes ces personnalités
actives travaillant à présenter de toutes les formules de l'art
une synthèse harmonieuse et simple, que continuera à s'af-
fermir l'action de l'école française sur le mouvement mu-
sical de ce temps.
Je le crois fermement. C'est par cet acte de foi que je
veux terminer ces notes.
Louis Gallet.
22 Janvier 1891.
SEMAINE THEATRALE
UNE PREMIÈRE A LONDRES
« IVANHOÉ », OPÉRA DE SULLIVAN
C'est une tâche as3urément fort ingrate que de devoir jeter une
note discordante au milieu du concert d'éloges qui vient d'accueillir
la nouvelle œuvre de sir Arthur Sullivan. C'est à la presque unani-
mité que la critique locale a proclamé le triomphe du compositeur
et l'avènement d'une ère nouvelle pour la musique dramatique eu
Angleterre. Certes, l'occasion était des plus solennelles : un direc-
teur hardi n'avait pas épargné l'argent pour l'édification d'un théâtre
modèle, destiné à devenir le temple national par excellence ; et
■c'est au plus éminent des musiciens anglais qu'il s'était adressé pour
fournir l'œuvre initiale d'un répertoire nouveau. Il ne faut donc pas
s'étonner si, par un chauvinisme bien naturel en la circonstance,
on a exagéré les résultats obtenus.
La critique impartiale reprochera moins à M. Sullivan ce qu'il a
fait que ce qu'il n'a pas voulu faire. On aurait tort de ne voir en
lui, à l'étranger, qu'un compositeur de musique légère abordant pour
la première fois un genre plus élevé. L'opérette n'a été qa'une étape
dans sa carrière bien remplie, qui compte des œuvres diverses et
fort distinguées : ouvertures, symphonies, concertos, musique de
scène, oratorios, etc. M. Sullivan est en pleine maturité de talent :
il n'a que quarante-huit ans. On pouvait donc attendre de lui un
effort sérieux dont se serait dégagée quelque formule nouvelle pour
toute la jeune école anglaise. Les plus récentes tentatives en ce
genre, Thorgrim et Esmeralda, étaient des œuvres de transition pleines
de promesses et constituaient un progrès marqué sur l'ancien réper-
toire anglais se réduisant aux opéras de Balfe, Wallace et Benediet,
qui relèvent de la manière d'Adolphe Adam. Malheureusement,
M. Sullivan a manqué d'ambition et a cherché avant tout à ne pas
effaroucher ses clients ordinaires. En cela il a eu grandement tort,
parce que la docilité avec laquelle le public avait accepté de lui une
dizaine de variantes de la même opérette le plaçait dans la position
enviable de pouvoir faire faire un véritable pas en avant à la mu-
sique dramatique en Angleterre.
Le sujet d'Ivanhoé se prêtait à une partition pittoresque, pleine de
mouvement, de passion et de contrastes. Je suis persuadé que le
librettiste n'a fait que ce qu'on lui a demandé, et dans la tâche dif-
ficile de condenser en l'espace de dix tableaux le roman célèbre de
Walter Scott, si le caractère des personnages manque de relief, si
le développement de l'irtrigue devient difficile à suivre, c'est qu'à
chaque instant l'action est interrompue par l'introduction de quelque
hors-d'œuvre. Ivanhoé est avant tout un opéra découpé en romances,
rêveries, ballades, berceuses, chansons à boire. Chaque personnage
chante la sienne, et le roi Richard lui-même, armé de son luth,
devient un vulgaire troubadour. Tout cela est d'une facture élégante,
d'une grande facilité mélodique, sans grande individualité et coulé
dans les vieux moules, avec reprises et points d'orgue. Dans les
deux ou trois situations dramatiques de l'opéra, le compositeur a
prouvé qu'il ne manquait ni d'autorité ni de souffle. Mais ce sont
des éclairs passagers dans une œuvre grise et monotone.
La déclamation est molle, défaut grave dans un milieu de che-
valerie. L'orchestre, habilement traité par un homme du métier, est
trop discret et abdique le rôle que la symphonie doit jouer dans le
drame lyrique moderne. Les chœurs sont pour la plupart à l'unisson,
et les ensembles rares et d'une sonorité médiocre.
Une analyse détaillée de la partition oflrirait peu d'intérêt. Une
dizaine de morceaux pourraient en être détachés et former un
recueil de mélodies à l'usage des salons. Le reste, généralement
dépourvu de couleur et de mouvement, renferme peu d'éléments do
vitalité. L'opéra, dans son ensenible, est un anachronisme flagrant.
C'est l'erreur étrange d'un homme de grand talent, erreur qui, je
le crains, sera d'une portée considérable pour l'entreprise à. laquelle
Ivanhoé devait donner l'élan. Les satisfaits prétendent que c'est de
la vraie musique anglaise : dans tous les cas, cela ne répond plus
aux exigences de la musique dramatique moderne.
L'interprétation, fort inégale si l'on considère la troupe double
engagée pour chanter l'ouvrage tous les soirs, présente, au point do
vue vocal, des choses excellentes. Je ne signalerai que celles-là.
M"° Macintyre, qu'on a souvent entendue à l'opéra-itaiien, est une
juive peu nature, mais elle a toujours une très jolie voix et elle
déploie beaucoup de chaleur. Qu'elle se mette en garde seulement
contre des éclats trop stridents : elle aura bientôt fait de compro-
mettre ses notes élevées, qui sont déjà atteintes.. M''"' Thudichum,
la seconde Rebecca, est une débutante, élève de M™ Viardot. Voix
de bonne qualité, mordante et dramatique. C'est une artiste d'avenir.
M. Ben Davis a une voix courte de ténor, excellente dans le mé-
dium et dirigée avec beaucoup de goût. C'est un très joli chan-
teur, qui ne possède pas les qualités héroïques du rôle fort sacrifié,
du reste, d'Ivanhoé. M"' Lucille Hill, une très jolie Américaine,
chante d'une voix charmante le rôle de Rowena. Les honneurs de
la pièce reviennent à M. Eugène Oudin, un jeune Français de
New-York, élève, je crois, de M. Bouhy. Doué d'une voix souple
de baryton martin, M. Oudin est un chanteur de style et un co-
médien consommé, qui me semble tout désigné pour faire un jour sa
trouée à Paris. Un peu d'exagération peut-être dans le rôle à ten-
dances mélodramatiques du templier, dont il fera bien de se cor-
riger. Orchestre excellent, ainsi que les chœurs, dont la tâche est
•des plus simples.
La mise en scène est brillante et pittoresque, mais on pourrait y
reprendre bien des détails qui choquent la vraisemblance ou l'har-
monie des couleurs. La scène du tournoi particulièrement est tout
à fait manquée, même si l'on tient compte de l'exiguïté du cadre.
C'est comme pour le nouveau théâtre, très somptueux et très mo-
derne dans ses recherches à assurer le confort des spectateurs, qui
pèche au point de vue de la conception artistique. Une chose en
outre me parait certaine : la scène est trop petite pour un théâtre
lyrique.
Voici le mot de la fin, cherché un peu à côté à'ivanhoé. Il y a
quelques mois le Musical World, le plus ancien organe musical de
Londres, arrivé à sa So'-' année de publication, posait la question
suivante à ses lecteurs : « Les Anglais sont-ils une nation musicale? »
Les réponses affluaient chaque semaine, lorsqu'au beau milieu de
la discussion, le Musical World lui-même a cessé de paraître. Ré-
sultat concluant de ce nouveau plébiscite.
A. G. N.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
V
(Siute.)
C'est peu de jours après ce petit événement, le 26 mars, qu'un",
grande représentation au bénéfice de M™" Saint-Aubin avait lieu
dans la salle de l'Opéra, sans doute à l'occasion des vingt ans du
service accomplis par elle. Le Journal de Paris donnait ainsi le pro-
gramme de cette soirée : — « Académie nationale de musique. Au béné-
fice de M""-' Saiat-Aubin, les artistes réunis de l'Académie impériale
de musique, du Théâtre-Français et de l'Opéra-Comique donneront
les Templiers, tragédie; Ma tante Aurore, opéra-comique en 2 actes;
et un divertissement [de chant et de danse] dans lequel M""= Duret-
S.-Aubin chantera 2 airs. Prix des places : Balcons, 24 fr., orchestre
et amphithéâtre, 20 fr., parterre, 6 fr. 60 c, i""'' de côté, 3 fr. » (1).
Le résultat de cette représentation ne parait malheureusement pas
avoir été aussi satisfaisant qu'on eût pu le souhaiter. « Cette
soirée fut peu productive pour madame Saint-Aubin, disait l'Opi-
nio7i du parterre, et l'on doit avouer aussi que ses camarades,
(1) Le registre d'administration de l'Opéra-Comique porte cette note à la date
du 26 mars : — « Relâche pour la représentation au bénéfice de madame S'-Aubin
sur le théâtre de l'Académie impériale de musique. On donne les Templiers, Ma
Tante Aurore, un ballet, M"' Durel y chante, et on finit i minuit. » M— Duret
n'était autre que M"° Cécile Saint-Aubin, qui, depuis sa première apparition à
l'Opéra-Comique, avait épousé le jeune violoniste Marcel Duret, qui avait obtenu
le premier prix dans la classe de Rode, au Conservatoije, eu 1803.
44
LE MENESTIŒL
et les acteurs des deux autres théâtres, n'en avaient point usé
généreusement envers elle, en ne lui accordant, dans un jour où
l'on doit exciter vivement la curiosité du public si Ton veut qu'il ne
soit pas rebuté de la cherté des places, qne des pièces sur lesquelles
il était blasé, et un divertissement mesquin. » Peut-être aussi la
bénéficiaire s'élait-elle volontairement contentée de peu, comptant trop
sur son nom et sur la sympathie ordinaire du public à son égard.
Nous avons à enregistrer encore quelques créations au compte
de M'"= Saint-A.ubin, dont une au moins. Deux mots ou une Nuit dans
la Forêt, de d'Alayrac, fut de nouveau pour elle l'occasion d'un
triomphe éclatant, bien qu'elle u'eùt dans cet ouvrage ni à parler
ni à chanter. « Le rôle de M"'= Saitit-.4.ubin, disait un critique, se
réduisait à deux mots ; mais sa pantomime fut admirable. » Nous
trouvons ensuite, pour l'année 1806, Gabrielte d'Estrées, de Méhul, et
les Maris garçons, de Berton, pt pour 180" François P' ou la Fêle mys-
térieuse, de Kreutzer, et les Rendez-vous bourgeois, de Nicolo, où elle
jouait d'une façon adorable le joli rôle de la servante. Puis, nous
arrivons au terme de la carrière de cette actrice enchanteresse, dont
le nom pourtant continuera, pendant douze ans encore, de briller
sur l'affiche de l'Opéra-Comique. grâce à son mari et surtout à ses
lilles, qui, avec un talent très réel, bénéficieront néanmoins du brillant
souvenir laissé par elle. M"" Saint-Aubin se retira en 1808, dans
tout l'éclat d'un talent qui n'avait rien perdu de sa grâce, de son
charme et de sa fraîcheur, en laissant au public le regret de la voir
s'éloigner de lui alors qu'elle aurait pu lui procurer encore de pures
ot vives jouissances. Mais, trop intelligente pour ne pas comprendre
que son physique élégant et mignon la mettait dans l'impossibilité
de modifier sa carrière, comme l'avait fait M"" Dugazon, comme
.M"« Desbrossos s'apprêtait à le faire, M"'= S ànt-Aubin avait cette
coquetterie bien naturelle — et pourtant trop rare chez les comédiens
— de vouloir prendre congé de ce public qui l'adorait avant qu'il
.-e fût lassé d'elle et qu'il lui donnât à entendre que l'heure de la
lotraite avait sonné. Elle aimait mieux faire dire qu'elle partait trop
tjt que de s'entendre dire qu'elle partait trop tard.
M"'" Saint-Aubin fixa au samedi 2 avril 1808 le jour où elle devait
iiaraitre pour la dernière fois sur ce théàlie témoiu de ses longs
succès; et comme il était bien certain que le public accourrait en
loule, elle voulut mettre à profit cette circonstance pour en faire
l'objet d'uuobonue action. Son camarade DozainviUeéiait mort depuis
un peu plus d'un au, à la fin de décembre 180G, et l'Opéra-Comique
songeait à organiser une représentation au bénéfice de sa veuve:
elle obtint que cette représentation fût précisément celle où elle
forait ses adieux, et elle s'arrangea de telle sorte que l'attrait en fût
encore doublé pour les spectateurs. On va le voir par cette note
que publiait le 1" avril le Journal de l'Empire et qui, malgré sa date,
n'était point une mystification:' — «... Les derniers moments de
M™' Saint-.\ubin sont précieux à recueillir: les amateurs qui ne
veulent en rien perdre n'ont qu'à se trouver samedi de très bonne
heure au théâtre Feydeau ; ils y verront pour la dernière fois M°"= Saint-
Aubin, entre ses deux filles, dont l'une (M"'« Duret) rentre au théâtre,
1 1 l'autre ( Alexandrine Saint-Aubin), encore très jeune, s'y présente
seulement pour faire un essai ce jour-là. La mère jouera la fille
lans l'Opéra-Comique; dans le Prisonnier elle fera la mère, et la
cadette la fille; M"" Duret reparaîtra dans le Coneert, pièce où elle
avoit autrefois débuté. Ce sera une fête de famille d'autant plus inté-
ressante, que le produit en doit être appliqué au béuéficede M"" Dozain-
\ille, veuve d'un acteur dont le nom est toujours cher à ce théâtre. ■>
Le 30 mars, pour son avani-derniëre représentation. M"' Saint-
Aubin, par une sorte de galanterie envers le public, avait tenu à
^e montrer trois fois, dans trois des ouvrages où celui-ci l'avait
toujours particulièrement applaudie avec transports : une Heure de
mariage, Adolphe et Clara, et Ambroise ou Voilà ma journée. On vient
lie. voir de quelle façon était composé son dernier spectacle. C'est
encore au Journal de l'empire que j'emprunterai le compte-rendu de
Lette curieuse soirée :
Le bénéfice de madame Dozainville étoit la moindre circonstance de cette
représentation : si la gloire est un bénéfice, c'est au bénéfice de madame
ïjaint-Aubin que le spectacle se donnoit: tout étoit au nom de madame
Saint-Aubin, madame Saint-Aubin étoit partout: on ne voyoit qu'elle, on
ii'entendoit qu'elle, elle se multiplioit dans ses deux filles. Retraite de
madame Saint-Aubin la mère; rentrée de mademoiselle Cécile Saint-
Aubin la fille ainée; entrée de mademoiselle Alexandrine Saint-Aubin la
fille cadette; une mère qui se retire en cédant son fonds à ses enfans, un
rtablisseraent de famille : voilà les grands et importans objets dont la
jmblic s'est occupé ce jour-là, beaucoup plus que du souvenir de Dozain-
ville et de l'intérêt de sa veuvo (1).
(1) Cette petite raillerie d'un écrivain trop désireux de se montrer spirituel
L'assemblée étoit nombreuse et brillante; presque tout le monde étoit
persuadé que c'étoientles adieux de madame Saint-Aubin, qu'absolument
on ne la reverroil plus; et les regrets pour l'avenir, se mêlant au plaisir
présent, le rendoient encore plus vif; on jouissoit comme pour la dernière
fois. Il y avoit cependant quelques entêtés, qui ne vouloient pas croire à
une retraite définitive : à les entendre, madame Samt-Aubin ne jouoit pas
pour la dernière fois, parce que ce n'êtoit pas la première fois qu'elle se
retiroit, sans aucun autre effet que celui d'attirer la foule : ils se flattoient
de la voir encore embellir l'Opéra-Comique pendant quelques années, et
montrer la route à ses filles: une triste expérience apprendra bientôt à
ces incrédules que cette l'ois la retraite est sérieuse, et que le théâtre fait
une perte trop réelle.
On a commencé par l'Opéra-Comique, petite pièce dont l'idée est ingé-
nieuse, la musique agréable et légère, madame Saint-Aubin a joué le rôle
de Laure, jeune fille de 17 à 18 ans ; et la manière dont elle l'a joué est
capable de faii-e tomber nos historiens dans de grands anacbronismes.
Celte première pièce a été suivie du Prisonnier, charmant ouvrage de
M. Duval, que le succès n'a pu encore user. Madame Saint-Aubin y a
joué longtemps le rôle d'une ingénue de quinze ans, avec une grâce par-
faite ; mais cette fois elle a cédé ce rôle à sa fille cadette, M"" Alexandrine
Saint-Aubin, âgée de quatorze ans. Elle a pris pour elle celui de la mère,
et c'est pour la première fois qu'elle l'a joué... On n'a pas trop remar-
qué de quelle manière madame Saint-Aubin remplissoit ce personnage
insignifiant : les regards étaient fixés sur sa fille, et je crois que la mère
en étoit aussi plus occupée que de son rôle. G'étoit un spectacle intéres-
sant de voir cette jeune aurore se lever sur l'horizon de l'Opéra-Comique,
au moment où l'astre à qui elle doit le jour est prêt à se coucher.
M"'^ Alexandrine Saint-Aubin ressemble beaucoup à sa mère pour la
taille, la figure et la voix; elle promet une ressemblance plus heureuse
encore avec son talent : son jeu est la nature même ; c'est la véritable
naïveté de l'enfance ; il n'y a encore ni art, ni imitation. Cette nature est
trop simple pour notre goût : elle a besoin d'être ornée ; mais en vou-
lant l'orner, il faut bien prendre garde de la gâter. On eût désiré plus
de vivacité, plus de jeu, de physionomie : la voix est un peu foible.
L'embarras du début est pour beaucoup dans ces petits défauts ; mais il
faut mettre sur le compte de la bonne éducation de la débutante l'avan-
tage qu'elle a de n'avoir point de mauvaises habitudes, de ne pas multi-
plier les gestes, d'être simple et naturelle : on s'aperçoit qu'elle est née
dans une bonne école.
Enfin, on est arrivé au Concert {[), opéra-comique où il y a quelques
situations plaisantes et deux jolis rôles d'olTiciers. Madame Duret a lait les
honneurs de la pièce, et en a glorieusement rempli le titre ; car il n'y a
point de concert qui ne fût orgueilleux d'une pareille cantatrice... La
France peut l'opposer hardiment au-X étrangers qui viennent ici faire
trophée de leur mélodie. Le théâtre Feydeau pourra se servir utilement
de madame Duret dans quelques pièces où il va beaucoup de chant. Si elle
devient actrice, ce sera un surcroit de bonheur sur lequel il ne faut pas
compter : il est très rare que les deux talens se réunissent, sur-tout dans une
femme. Les actrices qui ont laissé un grand nom à l'Opéra-Comique ne
passoient pas pour cantatrices, quoiqu'elles eussent l'art de chanter à la
scène d'une manière à faire oublier toutes les cantatrices de l'Italie...
C'est bien définitivement, on l'a vu, que M'"'= Saint-Aubiii quittait
la scène qui avait été le témoin de ses succès, on peut presque
dire de sa gloire. C'était chez elle une résolution bien arrêtée de
terminer ainsi son heureuse carrière au plus fort de ses triomphes,
et toutes instances faites pour la retenir la trouvèrent inébranlable.
Certains biographes ont prétendu qu'elle se retirait du théâtre parce
qu'elle était fatiguée des tracasseries et des contrariétés que lui
causait la jalousie de plusieurs de ses camarades. Il faut avouer
qu'en ce cas elle aurait attendu quelque temps pour s'en aperce
voir, puisque ses services à la Comédie-Italienne, devenue l'Opéra-
Comique, se prolongèrent pendant vingt-deux ans. J'ajouterai que
sa conduite si empreinte de délicatesse et de désintéressement était
plutôt de nature à provoquer la sympathie et l'affection qu'à exciter
de fâcheux dissentiments. En effet, lorsqu'au plus fort de la Révo-
lution, et alors que la situation de l'Opéra-Comique était loin d'être
prospère, quelques-uns des plus importants artistes de ce théâtre
renoncèrent à leur qualité de sociétaires pour exiger des traite-
ments fixes considérables et bien supérieurs à ce que pouvait rap-
porter la part entière dont ils jouissaient. M"'" Saint-Aubin, autant
n'était pas en la circonstance d'un bon goût absolu, et cette image d'une actrice
« cédant son fonds à ses enlans ■> aurait pu sans inconvénient être négligée par
lui. Ce qu'il est beaucoup plus intéressant de savoir, c'est que M"" Saint-Aubin,
en agissant ainsi qu'elle le faisait, n'était pas tout à fait inutile à M"' Dozainville,
à qui celte petite opération rapportait une quinzaine de mille francs. Voici en
effet les cliiBres que je trouve dans les registres de l'Opéra-Comique, pour cette
soirée du -2 avril 1808 : « Représentation au bénéfice de madame veuve Dozain-
ville: retraite de madame Saint-Aubin, rentrée de madame Duret, début de
Mademoiselle Alexandrine Saint-Aubin. Recette: 13,439 fr. ; avec les suppléments :
14,78J fr. N'est paj comprise la loge de Sa Majesté, non encore payée. » Voici qui
est p'us éloquent que toutes les railleries.
(I) Le Concert interrompu, de Berlon.
LE MENESTREL
4o
qu'eux aimée du public, en possession d'une influence égale à la
leur, toujours dévouée et sur la brèche, n'émit jamais aucune pré-
tention de ce genre ; et taudis qu'EUeviou et M""= Gontier se fai-
faient allouer ainsi 12,000 Irancs d'appointements, Martin 14,000,
et M"" Dugazon jusqu'à 18,000, M""= Saint-Aubin, qui certes eût
pu les imiter, se contentait des 6 ou 7,000 francs qu'à grand'peine
alors rapportait la part. Elle se montrait d'ailleurs en toute circons-
tance bonne et obligeante, serviable pour tous, et loujours prête à
être utile et agréable à autrui, comme ou l'a vu à propos de
M""= Dozainville.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est l'exquise et délicieuse s5-mphonie en sol mineur de Mozart, l'un
des chefs-d'œuvre du maître enchanteur, qui ouvrait le dernière séance
de la Société des concerts du Conservatoire. Elle a été di e en perfection
par l'orchestre, avec une délicatesse de style, une finesse d'accent et un
sentiment des nuances vraiment incomparables. Aussi le public en a-t-il
manifesté sa satisfaction d'une façon très expressive. Le programme portait
ensuite l'une des œuvres les plus importantes de M. Saint-Saëns, le Déluge,
qu'on n'avait encore jamais entendue au Conservatoire. Les idées ont
marché depuis quinze ans, on n'en saurait disconvenir. On se rappelle
qu'à cette époque ou environ, lorsque le titre du Déluge parut pour la pre-
mière fois sur l'alfiche des concerts du Chàtelet, l'audition fut loin de
passer sans encombre et donna même lieu à l'un de ces beaux tapages
comme on avait coutume d'en entendre, alors, aux concerts du regretté
Pasdeloup. Si je ne craignais de faire-un médiocre jeu de mots, je dirais
que c'est 1' « orage » surtout qui déchaîna la tempête, et dans toute son hor-
reur. Les sifflets et les protestations partaient a la fois de divers côtés de
la salle, tandis que d'autre part les applaudissements faisaient rage, et que
les exclamations, les interpellations, les objurgations se croisaient entons
sens. Les admirateurs pourtantlinirent par avoir le dessus, et le morceau fut
bissé, sur leur demande, au milieu de l'émotion qui avait gagné toute la salle.
Aujourd'hui, on se demande, non sans quelque étonnement, ce qui avaitpu
faire naître cette émotion si vive. Il est certain que dimanche dernier le
public du Conservatoire, qui ne saurait assurément passerpour révolution-
naire au point de vue musical, non seulement a écouté avec le calme
le plus parfait l'orage du Déluge, mais l'a accueilli par des applaudisse-
ments très nourris. En vérité, le morceau est extrêmement curieux, con-
struit, on peut le croire, de main de maître, et d'une puissance d'effet
parfois surprenante. Il est assez intéressant de se rendre compte de la com-
position particulière de l'orchestre que l'auteur a employé d ns cette page
si originale: la petite llùte se joint aux deux grandes flûtes, les deux cla-
rinettes ordinaires sont remplacées par deux petites clarinettes en mi bémol,
les trompettes sont au nombre de quatre, do même que les timbales, les
trombones sont renforcés par une contrebasse en cuivre, un tam-tam vient
augmenter la batterie, et enfin il y a aujourd'hui une partie d'orgue qui
n'existait certainement pas quand nous avons entendu l'œuvre naguère au
Chàtelet. Le Déluge est d'ailleurs aujourd'hui trop connu pour que je croie
devoir faire une analyse détaillée de cette vaste et puissante composition.
Je constaterai seulem.nt tout le charme du prélude, dont le joli solo de
violon a été joué d'une façon si adorable par M. Berthelier, que toute la
salle a voulu l'entendre une seconde fois. (Et à ce propos, je dirai qu'il
est souverainement injuste, pour ne pas dire presque inconvenant, que,
lorsqu'il s'agit d'un solo de cette importance et de cet intérêt, le nom de
l'artiste ne soit pas inscrit au programme ; outre que ce serait là une satis-
faction légitime offerte au talent de l'exécutant, ce serait un renseigne-
ment utile à donner au public, qui est bien aise de savoir qui le charme
et qui il applaudit.) Il n'y a que des éloges à adresser aux chanteurs, sur-
tout à M"« Lavigne, à MM. 'Vergnet et Auguez ; quant à M"": Alice
CognaUlt, dont le talent est indiscutable, il faut la mettre en garde contre
certaines intonations dont la justesse n'est pas toujours comme son talent.
En résumé, l'exécution du Déluge a produit sur l'auditoire parfois un peu
gourmé de la rue Bergère une impression excellente et qu'on peut presque
qualifier d'inattendue. Cela prouve ce que je disais plus haut, que les idées
ont marché depuis quinze ans. — La séance s i terminait par la sympho-
nie en ut mineur de Beethoven, dont je n'ai pas besoin de faire ressortir
une fois de plus la magnifique interprétation. C'est un des triomphes les
plu.- éclatants de l'orchestre de la Société. A. P.
— Concert Colonne. — Après une bonne interprétation de la délicieuse
symphonie en si bémol de Schumann. l'orchestre du Chàtelet nous a fait
entendre le prélude de la Reiiie Berthe, une des meilleures pages de M. ■\'ic-
torin Joncières, dont la dernière audition remontait déjà à pas mal d'an-
nées. C'est finement orchestré et très mélodique. — Le jeune Risler a dit
avec un goût parfait, une remarquable sobriété d'expression et une mé-
thode irréprochable le concerto en ut mineur de Beethoven. Ajoutons
qu'il a été merveilleusement accompagné. L'ensemble était fait pour
charmer les vrais musiciens. Pour notre goût personnel, nous 'regrettons
qu'a la place de la cadence très intéressante qu'il a exécutée, il n'ait pas
donné celle de Moschelès, qui est superbe. Nous félicitons vivement
M. Risler de son succès mérité. — M. Vidal a en lui l'étolTe d'un mélodiste
qu'il étouffera bien certainement s'il se laisse aller par trop aux préoccu-
pations wagnériennes. A certains moments de son poème symphonique de
Jeanne d'Arc, il nous semblait qu'on recommençait le prélude de Tristan,
précédemment dit par l'orchestre : il lui était si facile d'être lui-même!
Comme, par moments, sainte Marguerite et sainte Catherine jouaient
agréablement du violon et du violoncelle, et quel joli talent que celui de
l'archange saint Michel sur la trompette! Mais tout cela tournait court.
Allons : un bon mouvement, monsieur Vidal, faites un peu moins de mu-
sique descriptive et faites-nous une bonne symphonie, — une vraie — vous
le pouvez. — Nous attendions avec une vive appréhension les fragments de
Rédemption, de César Franck. Ce que nous connaissions des dernières com-
positions de ce remarquable artiste nous le révélait comme un adepte
intransigeant des théories modernes. Ces théories, pour la plus grande part,
ne correspondent nullement à notre conception de la musique, conception
établie sur une base sévèrement classique, sans que nous proscrivions,
pour cela, les progrès nécessaires. La mélodie continue n'a pas le don de
nous émouvoir et nous aimons dans la musique, comme dans tous les
arts, les contours arrêtés, la symétrie et la belle ordonnance. Les fragments
de Rédemption, bien dits par M"°" Fursch-Madi, nous ont néanmoins saisi
par leur caractère de grandeur. C'est écrit d'un style ému et l'orchestration
en est admirable, nourrie et forte sans jamais être bruyante; c'est là une
belle œuvre. — Grand succès, comme toujours, pour Soux les Tilleuls, de
Massene!, admirablement interprété par MM. Boutmy, clarinettiste, et
Baretti, violoncelliste, et aussi pour la belle et dramatique Marche héroïque
de Saint-Saëns, à la mémoire d'Henri Regnault. H. Barbedetpe.
— Concerts Lamoureux. — L'ouverture de concert: « En automne », de
M. Edouard Grieg, dont le plan ne semble pas dessiné par des lignes
d'une netteté parfaite, doit-elle être appréciée au point de vue purement
musical? Nous dirons alors que la mélodie nous en a paru peu caracté-
ristique, l'instrumentation incolore et déséquilibrée par des caprices d'un
goût contestable. S'agit-il, au contraire, d'un poème descriptif comme le
sous-titre de l'ouvrage semble l'indiquer? En ce cas, le tableau nous
paraît un peu dépourvu de coins lumineux, un peu vague et indécis. .—
Avec l'ouverture du Vaisseau fantôme, où M. Lamoureux introduit des oppo-
sitions de ff. et de pp., qui en accentuent le sens descriptif, nous savons
du moins à quoi nous en tenir, et si, dans les deux ouvertures, il y a de
l'incohérence, les causes qui l'ont justifiée dans la pensée des deux com-
positeurs ne sont pas, dans les deux cas, également précises. — La Noce
villageoise de M. Cari Goldmark est une suite d'orchestre en cinq parties :
Marche nuptiale. Chant de ta fiancée, Sérénade, Au jardin, Danse. La symphonie
en la de Beethoven, qui figurait sur le même programme, et dont trois
morceaux ont été rendus avec une précision et un ciselé merveilleux,
tandis que le dernier a paru un peu grêle et sec par suite d'une exécu-
tion trop affinée, a été donnée, le 26 janvier 1862, aux concerts Pasde-
loup, avec les titres suivants: une Noce villageoise: Arricée des villageois
Marche nuptiale, Danse des villageois. Festin et Orgie. Il est superflu de dire
que les deux compositions symphoniques ne se ressemblent que par ce
côté fantaisiste. D'autre part, si l'idée attribuée à Beethoven n'a jamais
hanté son imagination, il n'en reste pas moins vrai que le programme
rédigé pour son œuvre s'y applique aussi bien que celui de la Noce villa-
geoise de M. Goldmark à l'ouvrage de ce dernier. Ce rapprochement
curieux une fois signalé, nous ajouterons que l'œuvre de M. Goldmark
ne nous offre guère que des motifs dont le caractère vieillot et bourgeois
nous reporte au temps où les formes musicales n'étaient pas encore agran-
dies, et que la plupart des thèmes nous ont paru manquer de l'ampleur,
de l'élévation et de la flexibilité nécessaires pour soutenir l'attention pen-
dant la durée moyenne d'un morceau de symphonie. — On a beaucoup
applaudi le prélude du Déluge, dont le solo de violon a été bien rendu par
M. Houffiack. —La suite sur Sylvia, ie Léo Delibes, a été interprétée dans
la perfection : la Valse lente avec un charme captivant, une grâce indolente,
un laisser-aller vaporeux, et les Pizzicati ayec une ténuité ravissante. Cela
parle à l'imagination comme si l'on voyait le spectacle.
Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Couscrvatoire: symphooie en sol mineur (Mozarl); le Délwje (Saint-Saëns), aoli
par M""" Coguault et Lavigne, MM. Vergnet et Auguez ; sjmphoaie en ut mineur
(Beelhoven). Le concert sera dirigé par M. J. Garcia.
Chàtelet, Concert Colonne: relâche.
Cirque des Champs-lîlysécs, Concert Lamoureus : Noce villageoise (Goldmark);
air de Fidelio (Beethoven) par M"" LiUi Lehmann; ouverture de concert (Grieg);
Rêves (Wagaer), par M'"" Lilli LehmaaQ ; concerto en mi t)émo! pour piano
(Beethoven], par H'"- Sophie MeLter;air d'Odcroii (Weber), par M'"' Lilii Lehmann;
ouverture du Carnaval romain (Berlioz).
— Musique de chambre. — S'il arrive [larfois au critique musical d'être
embarrassé par les nouveautés que lui offrent à la fois les concerts d'un
même soir, et de se prêter ainsi à une peu flatteuse comparaison avec
l'âne de Buridan, son hésitation n'était guère possible mardi dernier, où
un seul concert, — donné par MM. Heymann, Gibier, Balbreck et Lié-
geois, offrait de l'intérêt. Après l'audition du 7° quatuor à cordes de Bee-
thoven, dans lequel les quatre artistes ont su être à la hauteur de leur
tâche, ce qui n'est pas en faire un mince éloge, on a fort goûté la belle
voix de M'"" Soubre, interprétant avec beaucoup d'art des mélodies de
Grieg, et vivement applaudi une charmante composition pour harmonium
46
LE MENESTREL
et piano de César Franck; pour terminer, une œuvre nouvelle, un qua-
tuor pour piano et cordes de M. Ch.-M. Widor, est venu forcer encore et
captiver l'attention. Le succès en a été aussi considérable que mérité.
Dès le thème initiai, si clair et si caractéristique, du premier allegro, —
thème qui relie entre eux les quatre morceaux — on se sent subjugué;
radagio est d'une inspiration mélodique personnelle et élevée, et le scherzo
d'une grâce légère et piquante, d'une délicatesse harmonique extrême,
avec, partout, d'ingénieux détails de sonorité; le finale, très vigoureux
d'accent, très coloré, construit avec un art consommé, forme une brillante
conclusion à une œuvre infiniment intéressante, qui comptera parmi les
meilleures de M. ^Vidor. Elle a été supérieurement rendue par l'auteur
au piano, et par MM. Heymann, Balbreck et Liégeois. I. Philtpp.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La presse musicale étrangère est unanime, on peut le dire, dans l'ex-
pression des regrets que lui inspire la mort si inattendue et si cruelle de
Léo Delibes. Les journaux de tous pays, Italie, Allemagne, Belgique,
Angleterre, Espagne, Portugal, et jusqu'en Pologne, ont tous consacré au
grand artiste que la France vient de perdre des articles empreints d'une
sympathie touchante et formant un véritable concert d'éloges. En Hollande
aussi, ce douloureux événement a produit une profonde impression, dont
nous trouvons la trace dans ces lignes d'une correspondance d'Amsterdam
adressée à la. Fédération artistique de Bruxelles: — » La mort de Léo Delibes,
le célèbre compositeur français, a produit dans toute la Hollande une vive
impression. Sa musique y jouit de la plus grande popularité ; Lakmé qst
un des opéras favoris du public néerlandais et ses adorables ballets Sijloia
et Goppélia sont considérés ici (même par la coterie allemande) comme de
Trais chefs-d'œuvre dans leur genre. Aux Concerts philharmoniques de Kes,
le meilleur moyen de retenir le public jusqu'à la fin du concert c'est de
terminer celui-ci par un ouvrage de Delibes, qui depuis la mort de Bizet
est le seul compositeur contemporain qui soit resté véritablement fran-
çais. »
— De notre correspondant de Belgique {S février). — Le pauvre Léo
Delibes aurait bien souffert s'il avait assisté, lundi, à la reprise de Lakmé,
que la Monnaie nous a donnée ce jour-là. On pouvait espérer que, pour
rendre hommage à cette mémoire glorieuse, la direction aurait tenu à
entourer l'œuvre charmante du maitre regretté des soins les plus attentifs,
les plus minutieux. Elle a cru peut-être que ce x dont elle l'a gratifiée
sutiiraient. La distribution des rôles, surtout des rôles secondaires, était
bonne, et, à ce point de vue, on ne pouvait faire mieux. Mais, si quel-
ques parties de l'interprétation ont été sufEsan es, si, notamment. M"" Sy-
bil Sanderson a droit à de très vifs éloges, l 'interprétation d'ensemble,
tout ce qui contribue à traduire un-- œuvre, avec sa couleur, son mouve-
ment 1 1 son caractère, a laissé beaucoup à désirer. Je ferais volontiers
bon marché de ce qui manque à M. Yallier pour être irréprochable dans
le rôle du père de Lakmé, que M. Renaud chantait si magistralement, et de
ee qui manque à M. Delmas pour être parfait dans celui de Gérald, où
M. Engel était si remarquable ; l'un et l'autre ont de jolies voix, et ce
n'est pas de leur faute s'ils n'ont pas l'autorité nécessaire de chanteurs et
d'artistes pour effacer le souvenir de leurs prédécesseurs; ils ont du moins
fait preuve de bonne volonté. Mais encore, à ce qu'ils n'ont pas donné,
un chef intelligent aurait pu suppléer. Les ensembles, les chœurs, l'or-
chestre, tout cela a été médiocre ; les chœurs chantaient faux, les ensem-
bles étaient lourds, l'orchestre prenait des mouvements trop lents. J'ai dit
que M"= Sanderson méritait d'être louée en cette circonstance. Il n'est
que juste de lui rendre justice. Elle a été une Lakmé tout à fait charmante,
d'une grâce touchante, tendrement émue ; elle a dessiné très délicatement
le personnage ; elle en a fait ressortir le caractère doucement dramatique,
plein de mélancolie et de passion aimable. Les progrès de la jeune artiste
sont marquants ; de jour en jour, son intelligence scénique se développe
et s'accentue. Dans ce rôle de Lakmé, elle a donné certainement tout ce
qu'on espérait d'elle, et plus peut-être. Je ne parle pas de la virtuosité;
sa voix haut perchée devait tout naturellement briller, dans les notes
piquées et les contre-jni de l'air des Clochettes. Mais ce n'est pas cela
qui lui a valu le meilleur de son succès ; et c'est tant mieux, en somme.
Quelques nouvelles des concerts, maintenant. Dimanche, au deuxième
concert du Conservatoire, continuation de la série de symphonies de
Beethoven, avec le concours de M. Arthur De Greef, qui exécutera une
suite de petites pièces pour le piano, choisies parmi les moins connues
et les plus légères de l'œuvre du naître. Et prochainement, deuxième
Concert populaire, consacré en partie aux œuvres de César Franck. —
De province, m'arrive la nouvelle du vif succès obtenu à Tournai par l'ora-
torio de Gounod, Rédemption, exécuté, à la Nouvelle Société de musique, d'une
façon véritablement très remarquable; — et aussi la nouvelle du non
moins vif succès remporté au deuxième concert du Conservatoire, à Liège,
par les fragments du Parsifal de "Wagner, et l'audition de la pianiste
russe. M"' Sophie Menter, qui a littéralement transporté d'enthousiasme
le public liégeois. L. S.
— De A'amur : Nous avons assisté mardi soir, dans la salle du théâtre,
à une audition musicale où l'on ne comptait pas moins de 300 exécutants,
symphonistes et chanteurs. Mais aussi, à la tête de cette brillante pha-
lange, se trouvait un artiste passionné pour son art, homme d'intelligence
et d'énergie peu communes, et qui est à Namur l'àme de cette renais-
sauce musicale. M. Balthasar-Florence est à la fois compositeur de mérite,
facteur d'instruments de musique et inventeur. Il nous a fait entendre
hier plusieurs compositions intéressantes, dont la principale, une cantate
en trois parties, est d'un effet puissant. Au finale, tous les auditeurs se
sont levés spontanément aux accents de la Brabançonne, jouée par une double
fanfare placée au fond de la salle et accompagnée par l'orchestre et par le
chœur. Nous avons entendu aussi avec le plus grand plaisir M"« Clotilde
et Amélie Balthasar, deux jeunes violonistes faisant honneur à leur père;
M'i= Clotilde Balthasar joue avec une correction et une justesse impec-
cables et elle ne recule point devant les morceaux les plus difficiles des
■virtuoses du violon.
— La bienheureuse Cavalleria rusticana du jeune maestro Mascagni, après
avoir soulevé l'enthousiasme de toute l'Italie, fait maintenant son tour
triomphal en Allemagne. Les journaux de Munich, où elle vient d'être
représentée, sont unanimes dans les éloges prodigieux qu'ils adressent au
compositeur. A Saint-Pétersbourg aussi, l'ouvrage a obtenu un succès
éclatant. Voici exactement la liste des villes où Cavalleria rusticana doit être
jouée très prochainement: Moscou, Varsovie, Vienne, Berlin, Leipzig,
Stockholm, Stuttgard, Nuremberg, Kœnigsberg, Francfort, Mannheim, Gratz,
Hanovre, Schvverin, Brûnn, Barcelone, Valence, Séville, Saragosse, Bilbao,
Londres, New- York, Montevideo, Buenos-Ayres, etc.
— A Naples, à la suite des représentations de son opéra, un banquet
d'honneur a été ofîert au maestro Mascagni, qui, le moment des toasts ar-
rivé, s'est mis au piano et a fait entendre quelques morceaux de sa nouvelle
partition, /es iîan{2a«.
— On a donné ces jours derniers, à Rome, deux nouvelles opérettes en
dialecte romanesque: l'une, l'Àbate Luigi, musique de M. Mascetti, l'autre,
H Tre Bbocci innamorati, de M. Gabrielli, cette dernière au théâtre Rossini.
— Au théâtre Victor-Emmanuel de Messine, on vient de donner une
série de vingt-quatre représentations de YEamlet de M. Ambroise Thomas.
On annonce maintenant la mise à la scène, à ce théâtre, de Cavalleria
rusticana.
— Les directeurs de notre Académie nationale de musique s'émeuvent
parfois des critiques dont leurs façons d'être, de faire et d'agir sont l'objet
dans certains journaux. Que diraient-ils donc s'ils étaient en Italie, où on
les ménagerait moins encore peut-être ? Un journal de Naples, la Gazzetta
teatrale, publiait en gros caractères, dans son dernier numéro, la note sui-
vante : « Par suite du manque d'espace, nous sommes obligés de remettre
au prochain numéro la suite des. Cochonneries du théâtre San Carlo (Porcherie
del S. Carlo) V.'. n Précédemment, en effet, le journal avait publié plusieurs
articles sous ce titre.
— Les étudiants romains s'amusent, comme leurs confrères de tous
pays. Ils préparent en ce moment un spectacle excentrique qu'ils se pro-
posent de donner prochainement au théâtre Valle. Ce spectacle comprendra
d'abord une « aetion-mimico-chorégraphico-dansante » intitulée il Ratio
dei Sabini (l'Enlèvement des Sabins), puis une comédie : Lumt stranieri, ou
Âmbulanza, ou Mala Pasqua, ou C.walleri.i tosco-umbro-sabello-siculo-romano-
piemontese-ciociaro rusticana, qui, on le voit, vise l'opéra de M. Mascagni,
le grand succès du jour au delà des Alpes. Le tout accompagné d' « une
symphonie écrite expressément, toute flambant neuve et d'un maestro
étudiant. •>
— Grand scandale, dit un journal italien, parmi les béguines et les
cagots de Scandiano (province de Reggio), parce qu'un organiste a imaginé
de jouer à l'église l'Hymne de Garibaldi. Le fait peut passer au moins pour
insolite, et je ne sache pas qu'aucun organiste se soit avisé chez nous
d'introduire dans la musique du service divin la Marseillaise, qui n'est pas
encore admise dans la liturgie.
— Tandis qu'ici une commission présidée par le ministre des beaux-
arts s'occupe — enfin ! — d'une réorganisation de l'Opéra, on s'occupe
aussi à Milan d'une reconstitution de la Scala. « On vient de nommer à
Milan, dit un journal de cette ville, une commission pour s'occuper des
cose délia Scala, commission dont font partie plusieurs personnes distin-
guées : propriétaires, industriels, sénateurs, avocats, mais pas une qui
soit au courant de la pratique du théâtre 1 Un vrai emplâtre sur une
jambe de bois ! »
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Le Vaisseau, fantôme de
Wagner vient de fêter sa centième représentation à l'Opéra royal. La pre-
mière avait eu lieu le 7 janvier 1844. — Hamdourg : On signale au théâtre
CarlSchultz la réussite d'une opérette intitulée Saint Cyr, dont la première
représentation a eu lieu le 10 janvier. Auteurs: MM. 0. Walther et R.
Dellinger. — Leipzig : M. F. Schrodter, de l'Opéra de Vienne, vient de
débuter d'une façon très heureuse au théâtre municipal dans le rôle de
"Wilhelm de Mignon. — Lubeck: Aida a efl'ectué le 17 janvier sa première
apparition au théâtre municipal. Succès de partition et d'interprétation. —
Stralsl-nd : M. Dibbern, chef d'orchestre du théâtre municipal, vient de
faire représenter sur cette scène, une opérette nouvelle en 3 actes de sa
LE MENESTREL
composilion inlitulée Momieur l'Arrogance, quia remporté un certain succès.
— Vienne : Le public du ttiéâtre Ander Wien a accueilli très chaleureusement
une nouvelle opérette intitulée l'Oiseleur, dont MM. West et Held ont écrit
le livret et M. L. Zeller, la musique.
— Le comité du monument Mozart à Berlin, dont nous avons annoncé
la formation, vient de tenir une séance importante. li y a été décidé que
le monument projeté serait érigé non pas seulement en l'honneur de
Mozart, mais à la gloire de la célèbre trinité musicale Haydn-Mosart-Belho-
ven. L'emplacement choisi pour ce monument serait une des allées du
Thiergarten. Une souscription publique va être ouverte.
— La Société Liederkranz, à Mannheim, vient de se signaler par une audi-
tion très remarquable du Désert, sous la direction du maître de chapelle
de la Cour M. Sanger. Le chef-d'œuvre de Félicien David a remporté à
Mannheim son triomphe accoutumé,
— Le Quatuor Rosé, de l'Opéra impérial de Vienne, se propose de faire,
a la fin de ce mois, une tournée artistique en Italie, pour se faire entendre
à Venise, Milan, Bologne, Turin, Rome et Naples. Ce quatuor est ainsi
composé : MM. Arnold Rosé, concert-meisler à l'Opéra de Vienne ; Sigismond
Bachrich, soliste à l'Opéra et professeur au Conservatoire ; Augusie Siebert,
membre de la chapelle impériale et de l'orchestre de l'Opéra; Renaud Hum-
mer, soliste à la chapelle et à l'Opéra.
— On signale la déconfiture de plusi eurs directions théâtrales allemandes.
A Breslau, le directeur du théâtre municipal, M. Forster, après s'être vu
obligé d'engager une danseuse de corde pour attirer le public, a déclaré
ne plus pouvoir continuer l'entreprise. D'autre part, on annonce la fer-
meture imminente du théâtre de la cour d'Altenberg. Enfin, à Ulm. le
directeur du théâtre municipal vient de déposer son bilan.
— A Porto, les insurrections militaires n'ont pas empêché qu'on repré-
sente Lakmé au théâtre de la ville, avec M™ Nevada et le ténor Del Papa.
Opiniond'un critique portugais: « Le poème de MM. Gondinet et Philippe
Gille est magnifique et va droit au cœur. Quant à la musique de Delibes,
elle transporte. Le tout est présenté avec une correction parfaite. On reste
sous le charme du délire pendant toute l'interprétation. Emma Nevada
a été remarquable comme jamais! Elle a fait une ravissante créature des
Indes. Ses yeux, ses gestes, sa voix sont surprenants. On se croirait dans
un autre monde. »
— On a représenté au théâtre de la Trinité, de Lisbonne, l'opéra-comi-
que : A Maria de Silves, dont nous avions annoncé la prochaine appari-
tion en faisant connaître que le compositeur, M. Joao Guerreiro da Costa,
était mort avant de voir son ouvrage parvenir à la lumière. Les paroles
sont de M. Lorjo Tavares ; quant à la partition, elle n'était pas complète-
ment orchestrée, et une bonne partie du second et du troisième acte a dû
être terminée, sous ce rapport, par le professeur Fialho et par M. Gazul,
chef d'orchestre du théâtre. L'ouvrage paraît d'ailleurs avoir obtenu un
brillant succès.
— A Londres, signalons quelques nouveautés chorégraphiques, un peu
en retard sur les fêtes de Noël, date ordinaire de l'apparition des ou-
vrages de ce genre. Pour l'Alhambra, c'est un ballet d'action, la Belle au_
bois dormant, avec musique très réussie de M. Jacoby, décors de M. Ryan,
costumes de M. Alias, et danses, bissées chaque s.oir, de M"'= Lignani et
de M. Vicenti. Pour l'Empire-Théàtre, c'est Dolhj, ballet-pantomine en
cinq tableaux, avec danses de M"" Katie Lanner et musique un peu pâle
de M. L. de Wenzel. Au théâtre du Prince-of-Wales, c'est/a Rose et l'An-
neau, opéra boufTe-pantomime, dont le succès est très grand grâce à la
musique légère de M. Slaughter et à une mise en scène très curieuse.
Le Surrey-Theater, le Britannia, le Pavillon et le Grand-Théâtre ont
aussi donné des ouvrages nouveaux du même genre.
— Du danger de rendre compte d'un spectacle... avant qu'il soit pro-
duit. Le tribunal de Londres a condamné un journal de cette ville, le
aunday Times, à 200 livres sterling (S, 000 francs) de dommages-intérêts
pour avoir publié un télégramme de New-York constatant la froideur qui
avait accueilli le début de l'acteur Terris, alors que ce début n'avait eu
lieu que quarante-huit heures après. Ce que c'est que de vouloir être
informé rapidement!
— L'annuaire musical anglais, qui vient de paraître, ne contient, cette
année, pas moins de dix mille adresses de professeurs, tant chanteurs
qu'instrumentistes. A Londres seul, on compte plus de sept cents violo-
nistes, environ cent flûtistes et autant de cornettistes. Par contre, la
famille des joueurs d'ophicléide n'a qu'un unique représentant dans la
capitale anglaise. Une autre particularité de l'annuaire de 1891 est la pre-
mière appavition, dans cette publication, du nom d'un professeur de viola
di gamba. Le catalogue général des œuvres musicales anglaises publiées
dans l'année accuse: un grand opéra (Thorgrim), cinq opéras-comiques ou
opérettes, cinquante oratorios ou cantates et environ treize cents mélodies
et ballades.
— On sait que deux des théâtres les plus importants de New-York ont
récemment disparu dans les flammes. Du rapport puljlié au sujet de cette
double catastrophe, il résulterait que les incendies auraient eu pour pre-
mière cause la combustion des fils électriques, qui n'étaient pas sutïisam-
ment isolés. Ce serait donc à dire qu'il n'y aurait pas plus de sécurité
avec la lumière électrique iju'avec le gaz?
A New- York, un certain nombre de dilettantes et d'amateurs de mu-
sique se sont réunis en congrès pour aviser aux moyens de fonder en
cette ville un Conservatoire national de musique. Tout donne lieu de
croire que ce projet ne tardera pas à être mis à exécution.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Cette semaine, la commission supérieure des théâtres a continué la
discussion du nouveau cahier des charges de l'Opéra Un membre, qu'on
ne nomme pas, a prétendu qu'il y avait quelquefois désaccord entre les
principes généraux exposés par le ministre et le détail des articles du
cahier des charges. Il demandait en conséquence la nomination d'une
sous-commission, qui ferait un rapport et « apporterait à la commission
des solutions conformes à ses vœux ». Si on était retombé dans ces rap-
ports et ces sous-commissions, dont on fait un si fâcheux abus en France,
on peut dire que la « question » était de nouveau enterrée. C'est peut-être
d'ailleurs ce que désirait le « membre » qu'on ne nomme pas. Le ministre
s'est élevé avec raison contre cette proposition. Il a été seulement décide
qu'après la première lecture des articles, on procéderait, comme à la
Chambre, à une deuxième délibération qui permettrait de reviser les
articles votés. On a ensuite voté les articles 1"2 â 16. Sur l'article 17, qui
concerne le prix des places, une longue discussion s'est engagée. Il a été
décidé que l'abonnement ne serait pas mis en adjudication, comme il
était proposé, et que, parmi les petites places, celles du parterre ne
seraient pas diminuées, afin de ne pas mêler au public des grandes
places des personnes qui pourraient n'être pas habillées chez le tailleur
Dusautoy. Notre collaborateur Moreno reviendra prochainement sur toutes
ces questions, quand le cahier des charges aura été complètement arrêté!
En attendant, continuons de nous associer aux péroraisons éloquentes
des articles si intéressants que M. Gaston Calmette consacre dans le Figaro
à ces discussions d'actualité. Comme l'ancien Caton, M. Calmette a, lui
aussi, son delenda Cartliago, et il y tient, avec raison : « Rien n'est encore
décidé quant à la nomination du nouveau directeur de l'Opéra. Il faut,
avant tout autre examen, que le cahier des charges soit terminé, et il ne
le sera pas avant deux semaines encore. Mais ce qui est certain, c'est
qu'il y aura un « nouveau » directeur. MM. Ritt et Gailhard, qui refusaient
énergiquement, il y a trois mois, de consentir au paiement des 300,000
francs que l'État réclamait pour la réfection des décors, seraient, paraît-il,
tout disposés maintenant â payer cette somme. Cette générosité posthume
ne peut rien modifier d'ailleurs. Ou ces messieurs doivent les 300,000
francs et ils ne donnent rien : ils font une simple restitution. Ou ils ne
doivent rien, et il faut que les profits soient énormes pour qu'ils consen-
tent à un pareil sacrifice. L'argument légal était la destruction du maté-
riel; mais les vraies raisons étaient dans le délabrement artistique de
l'Opéra auquel les 300,000 francs ne remédieront pas. Il ne faut pas l'ou-
blier. »
— Aujourd'hui, à l'Opéra, représentation populaire à prix réduits. On
donnera Sigurd. Cette ssmaine, chez MM. Ritt et Gailhard on a fait une
reprise du Cid avec M"^ Caron et le ténor Duc, tous deux fort applaudis.
— « Et l'Opéra-Gvmique? dit M. Magnard dans le Figaro. Va-t-on laisser
éternellement subsister dans le quartier le plus central de Paris le cloaque
où fut jadis le temple de l'art si éminemment français? Va-t-ou recom-
mencer place Boieldieu ce qui s'est passé pour la Cour des Comptes, dont
les ruines et le sol sont restés improductifs depuis vingt ans? Il faut que
le o-ouvernement prenne une résolution, qu'il se décide soit à reconstruire
le théâtre incendié, soit â aliéner les terrains et à y laisser édifier des
maisons de rapport. » Justes objurgations. Mais les Parisiens auront
peut-être avant peu — mieux vaut tard que jamais — satisfaction au sujet
de la reconstruction d'un théâtre qui leur est cher. Un plan des plus
ingénieux, que M. Magnard connaît aussi bien que nous à cette heure,
a été soumis au ministre des Beaux-Arts et paraît avoir son approbation.
Si les Chambres ne. mettent pas d'obstacle à ce projet très avantageux,
Paris aura bientôt son nouvel « Opéra-Comique ».
— Le Comité de la Société des, compositeurs de musique vient de re-
nouveler son bureau pour l'année 1891 de la façon suivante :
Président: M. Victorin Joncières ; —Vice-présidents: MM. Altès, Guil-
mant, Pfeiffer et Weckeiiin; — Secrétaire-rapporteur: M. Arthur Pou-
gin ; — Secrétaire général : M. Balleyguier ; — Secrétaires : MM. Lavello,
Michelot , de la Tombelle, A. Vinée, — Bibliothécaire-archiviste :
M. Weckerlin ; — Bibliothécaire-adjoint et trésorier: M. Limagne.
— Cette semaine a eu lieu, au Conservatoire, l'examen trimestriel pour
les pensions à accorder par le ministère des beaux-arts. Ont obtenu la
pension : M. Fenoux et M"= Suger, élèves de M. Maubant; M. Esquier et
M"": Dufresnes, élèves de M. Worms; M"=s Dux et Haussman, élèves de
M. Got.
— Nous avions déjà le Faust de Gounod, la Damnation de Faust d Hector
Berlioz, et un Faust de Spohr, sans compter celui de Schumann ; nous
avions aussi le ilefistofele de Boito ; nous allons avoir un Méplustophétés,
grande pièce à spectacle, avec ballet, chœurs, soli, duos, etc., etc., dont
le livret a été tiré par MM. Armand Silvestre et Léonce Détroyat, de la
légende de Faust d'Henri Heine, et dont la musique sera écrite par cinq
prix de Rome. Le premier acte de cette pièce, qui comportera une grande
mise en scène, est confié en efl'et à M. Samuel Rousseau; le second, â
à M. Piernê ; le troisième, à M. Gabriel Marty ; le quatrième, à M. Georges
I.E MÉNESTREL
Hue ; le cinquième, à M. Paul Vidal. Où, maintenant, cette pièce sera-
t-elle jouée? Quel est le directeur qui acceptera de la monter? C'est ce que
nous ne saurions dire. Mais il y aurait certainement là, de la part d'un
directeur, une tentative intéressante et curieuse.
— Notre collaborateur et ami Arthur Pougin vient de réunir et de faire
paraître en une fort élégante brochure de 120 pages (Fischbacher, éditeur),
la série d'articles si intéressants et si curieux qu'il a publiés dans ce
journal sur le Théâtre à l'Exposition universelle de 1889. Les lecteurs du
Ménestrel n'ont pas oublié cette étude si vivante et si variée sur tout ce
qui concernait l'art théâtral à l'Exposition, étude qui n'a été faite dans
aucun autre recueil, et qui a été pour l'auteur une occasion de réunir et
de grouper sur le théâtre une foule de renseignements précieux, qu'on
chercherait vainement dans une autre publication. Selon son habitude,
d'ailleurs, M. Pougin a remanié son travail pour le présenter au public
sous cette forme nouvelle et définitive, etil l'a augmenté encore de détails
complémentaires et pleins d'intérêt.
— On sait le succès qu'obtiennent depuis trois ans les représentations si
piquantes et si vraiment artistiques du Cercle funambulesque, qui s'est
créé dans le but de remettre en honneur la pantomime classique française
et tout ce qui se rattache à l'ancien spectacle de la Foire, si curieux et si
original. Deux des membres du Cercle, deux écrivains experts eu la ma-
tière, MM. Félix Larcher et Paul Hugounet, se sont proposé, à leur tour,
de tracer ses annales et de reproduire les hauts faits d'une entreprise
absolument désintéressée et dont les résultats artistiques sont aujourd'hui
si vivement appréciés. C'est sous la forme d'élégants fascicules in-S", fort
joliment illustrés, que les Soirées funambulesques paraîtront désormais, à
intervalles indéterminés, mais le jour même de chaque nouvelle représen-
tation. Le premier est tout à fait charmant et fait bien augurer de la suite
de la série.
— L'orgue de chœur de Notre-Dame de Paris a été restauré et trans-
formé récemment avec le plus grand soin par MM. Merklin, d'après le
nouveau système électro-pneumatique, he Rapport de la commission d'exper-
tise sur cet instrument, tout à son éloge et à celui des habiles factem-s,
vient de paraître en une élégante brochure illustrée, à l'imprimerie
De Soye.
CONCERTS ET SOIRÉES
Il n'est pas d'école de musique privée qui ait jamais donné de
meilleurs résultats que l'Institut Musical fondé et dirigé par M. et M"= Oscar
Comettant et qui vient d'entrer dans sa vingtième année d'existence.
Nous avons assisté, le samedi -31 janvier, salle Pleyel, à l'audition des
élèves des cours que fait lui-même notre éminent professeur M. Marmontel,
père, et nous sommes sortis charmés de cette soirée d'élèves dont quel-
ques-unes sont déjà de véritables virtuoses. Chez toutes on voit l'em-
preinte de la belle méthode Marmontel, qui caractérise à un si haut degré
notre école française du piano, à la fois élégante, correcte et classique. Nos
plus sincères compliments à M''''^ Sanchez, Mériel. Boghen, Brunel, Tan-
guy, Sicard, Marthe et Marguerite Le Sidaner, Frantz, Heimann, Mathias,
Marchand, Arnold, Rosa Bonheur, Lucien et Duquesnoy. A cette audi-
tion se sont fait entendre le violoncelliste M. F. Ronchini, dont les mor-
ceaux de genre ont le pouvoir de séduire le public, et un jeune chanteur,
ténor d'avenir, M. Léon David.
— Dimanche dernier a eu lieu chez M"'« Rosine Laborde une très intéres-
sante audition d'élèves qui a fait le plus grand honneur t l'enseignement
du renommé professeur. M"'= Maugé, dans 1 air de Lakmé, et M"<= Ledant,
dans l'arioso du Prophète, ont été très fêtées. On a beaucoup applaudi aussi
M"' OIstein et M. Depère dans le duo du Roi l'a dit. M'" de la Blanche-
tais dans une romance de M. G. Pfeiffer, Pour mon liieti-aimé, et M"' Lévy
dans la chanson mauresque i'Aben-Hamet. Ces deux dernières ont réuni
leurs jolies voix pour dire la prière de ce même Aben-Hamet, dont
M"« Vassalio et Meignant ont également très bien ch'anté le duettino. En
résumé, succès pour les charmantes élèves, pour leur excellent maître et
pour le programme, très heureusement^combiné.
— Mardi dernier, M. et M""> Louis Diémer donnaient leur première soi-
rée musicale, qui a très brillamment inauguré la série annoncée pour cet
hiver. Au programme, M^e Krauss, toujours cantatrice lyrique merveilleuse
et qui a produit grand effet dans des lieder de Schumann, l'air d'Alceste et
le Cavalier, de M. Louis Diém.er, M"« M. Pregi, pleine de grâce, MM. Mar-
sick, Loys, Guidé, de Bailly, Risier et, bien entendu, le maître de la mai-
son, qui a joué plusieurs morceaux classiques avec la perfection que l'on
sait. La soirée, commencée par le quintette de Schubert, la Truite, s'est
terminée, au milieu des bravos de tous, par les Danses norvégiennes, de
Grieg, jouées à quatre mains par M. Louis Diémer et M. Risier.
— Concerts et soiiiées. — Brillante réunion musicale des élèves de M— Rouffe-
David, dans ses salons, rue Rochechouart, 45. L excellent professeur de chant et
de piano a obtenu, ainsi que ses élète.T, un vit succès. — Dimanche dernier, à
Neuilly, dans la salle des Fêtes de l'Hôtel de Ville, grande malince-concert au
profit de l'Association des Dames françaises. Cilons, parmi les arlisles, M"' Au-
doussel, qui a très bien interprété, avec le concours de MU. Binon et BelviUe,
un trio de Mendelssohn et deux charmants morceaux d'Elis Borde: Prélude cl
Valsc-Cunccrt, qui ont eu un vif succès. Très applaudis aussi M"= S. Delaunay et
M. Calmettes, qui prêtaient leur concours à cette brillante matinée. — Au der-
nier concert du Cercle Militaire, organisé par M. Cobalet, on a grandement fètc'
M"" Taohel, dont la jolie voix a fait merveille; on lui a bissé le sonnet de
M. Duprato: Il élnit nuit déjà. MM. Rondeau, Griner, Damaré, Tervil, Dubois,
Raynette et M"» Gpsy ont eu aussi leur bonne part de bravos. — Le grand con-
cert annuel que le compositeur A. Decq a donné ces jours derniers salle Érard a,
comme les années précédentes, complètement réussi. Un public nombreux et
choisi était venu applaudir la virtuosité et les œuvres nouvelles du maestro, très
bien exécutées par le ténor Quinet, la basse Pélaga, M"" Lal'arge et M"" Marguerite
Gay. — Très brillant concert de début donné, lundi 2 février, à la salle Eiard, par
M"' Henriette Le Clerc, élève de M. G. Pierné, avec le concours de son profes-
seur et de MM. A. Lefort et Casella. Un public nombreux et distingué a chaude-
ment applaudi la jeune artiste. — Mercredi dernier a eu lieu, dans un des salons _B
de la maison Pleyel, une audition d'élèves de M"" Marie Jaëll. On a beaucoup
remarqué le toucher délicat et poétique de la plupart d'entre eux et l'on a parti-
culièrement encouragé une toute petite élève âgée de dix ans, qui a joué le n" 1
des h'reissieriana, de Schumann. — Dimanche dernier, chez M'"° Hermann, 9, rue
Gounod, matinée musicale des plus intéressantes, dans laquelle l'éminent pro-
fesseur a exécuté, devant un public .choisi, la ballade en sol mineur de Chopin,
ainsi que le quinlette de Schumann, avec MM. Rémy, Guidé, Parent et Casella.
M"'°Deléage a chanté avec un goût exquis deux mélodies de Saint-Saêns ; M. Ciampi,
un air charmant de F. Godefroid ; l'aimer, qui lui a été bissé. — A la dernière
matinée du ministre de 1 intérieur, où M"" Constans portait cette fois c une ravis-
sante robe en velours gris soutachée de perles », nous disent les reporters, le
jeune et remarquable pianiste Léon Delafosse, a obtenu le plus grand succès avec
te Chant d' Avril d& Th. Lack, qu'on lui a bissé, la Valse r.ipide du même auteur, le
Réveil de Théodore Dubois, une Polonaise de Chopin et une Gavotte de Bach. —
La dernière matinée d'élèves de Louis Diémer a élé des plus brillantes. Parmi les
sujets les plus applaudis cilons MM. A. Bonnel, Louis Aubret, Gabriel Gaudoin,
Despringalle et surtout MM. Pierrot et Quévremont, qui ont exécuté avec une
verve et un brio remarquables la belle suite concertante pour deux pianos de
Théodore Lack sur Syluia, de Léo Delibes. — M""^ Burguet-Duminil vient de
donner un concert salle Pleyel. KUe a joué toute une série de pièces de Bach,
Uaendel, Mendelssohn, Chopin et Liszt, avec un talent très sérieux. On a applaudi,
et c'était justice, la correction de son style et l'aisance de son mécanisme.
MM. Rémy et Loeb, qui prêtaient leur concours à ce concert, ont été, eux aussi,
fort appréciés, le premier dans le Rondo capriccioso de Saint-Saëns et le second
dans deux pièces de M. G. Fauré.
— Lundi prochain, salle Erard, à 4 heures du soir, audition de musique clas-
sique donnée par M"" N. Janotha, une pianiste de réputation en Angleterre.
NÉCROLOGIE
Une artiste qui avait fourni une très honorable carrière à l'Opéra
et qui, tout récemment encore, au trop fugitif Théâtre-Lyrique de
M. Verdhurt,, avait remporté un succès très franc dans Samson et Dalila de
M. Saint-Saèns, M'"= Rosine Bloch, est morte presque subitement, di-
manche dernier, à Nice, où elle était allée pour assister à la représentation
de l'opéra de M. Salvayre, Richard lll. En rentrant en voiture de Nice à
Monaco, après le spectacle, elle avait été saisie par le froid ; à peine au
lit, elle fut prise d'une fièvre intense, une congestion pulmonaire se
déclara le lendemain, et dimanche matin elle expirait. Rosine Bloch avait
fait ses études au Conservatoire, dans la classe de Battaille pour le chant,
dans celle de Levasseur pour l'opéra. En 1865 elle obtenait le premier
prix de chant (avec M"^* Mauduit et Marie Roze) et le premier prix d'opéra
(avec M"° Mauduit), ;:t le 10 novembre de la même année elle débutait de
la façon la plus heureuse, à l'Opéra, dans le rôle d'Azuceua du Trouvère,
où le superbe métal de 'sa voix faisait merveille. Son succès s'accentua
encore dans le rôle de Fidès du Prophète, et surtout dans Léonor de la
Favorite, où rayonnait son opulente beauté Israélite. Elle créa, en 1866, la
Fiancée de Corinthc. de M. Duprato, et en 1S72, la Coupe du roi de Thulé, de
M. Eugène Diaz. L'un des derniers ouvrages dans lesquels elle se montra
à ce théâtre fut Aida. Elle quitta l'Opéra il y a quelques années et l'on
croyait qu'elle avait dît complètement adieu à la scène, lorsqu'on la vit
reparaître il y a quelques mois, comme nous l'avons dit, au Théâtre-
Lyrique, dans tout l'éblouîssement encore de sa beauté vraiment sculp-
turale. M"^ Bloch était, dit-on, âgée de quarante-deux ans.
— On nous annonce de Bruxelles la mort, après une courte maladie, du
baryton Emile Blauwaert, auquel son talent de chanteur et de comédien
avait valu une renommée rapide. Blauwaert, qui était Belge, avait fait d'a-
bord carrière en Belgique el en Hollande. Venu à Paris il y a une dizaine
d'années, il fut, avec son compatriote Van Dyck, un des chanteurs préfé-
rés des Concerts Lamoureux. Il acheva de s'y former, surtout au style
wagnérien. Blauwaert fut l'un des interprètes de la superbe et unique
représentation de Lohengrin à l'Éden. Son renom l'avait fait engager au
théâtre de Bayreuth, où il reprit, avec une grande supériorité, le person-
nage de Gurnemanz dans Parsijal. Blauwaert avait encore chanté à Lon-
dres, à Vienne, à Berlin. L'œuvre qu'il préférait, avec celles de Wagner
et de Peter Benoit, était la Damnation de Faust, et Méphistophélès lui a
valu de grands succès de chanteur et de diseur.
— D'Italie nous apprenons la mort du marquis Giuliano Capranica
del Grillo, époux de la célèbre tragédienne M"'= Adélaïde Ristori. Son
frère, Luigi Capranica, était mort lui-même peu de jours auparavant.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Dimanche IS Février 1891.
3!24 - 57- ANrâ - IN^ 7. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉA^TRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fkanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on Texte seul • 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Lï Messe en si mineur de J.-S. Bach (1" article), Julien Tiersot. — II. Semaine
théâtrale : Critique fin de siècle ; les modes du langage. Oscar Comettant. —
III. Une famille d'artistes : Les Saint- Aubin (9' article), Arthur Pougin. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le*numéro de ce jour :
NULLE AUTRE QU'ELLE!
nouvelle polka de Philippe Fahriiach. — Suivra immédiatement: Sous les
tilleuls, valse alsacienne de Pail Rougnon.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Muguets et Coquelicots, n" 1 des Rondes et Chansons d'avril, de Cl.
Blanc et L. Dauphin, poésies de Georges Auriol. — Suivra immédiate-
ment : Ne parle pas, nouvelle mélodie de H. Balthasar-Florence, paroles
de C. FusTER.
LA MESSE EN SI MINEUR
DE J.-S. BACH
Dimanche prochain 22 février '1891, la Société des concerts
du Conservatoire doit faire entendre enfin, pour la première
fois en France, la Messe en si mineur de Sébastien Bach, une
des plus magnifiques œuvres du maître incomparable. C'est
un assez grand événement artistique, et qui nous sort assez
heureusement des banalités de notre vie musicale habituelle,
pour que nous n'hésitions pas à fixer dès aujourd'hui sur lui
toute notre attention. Nous allons donc, dans une étude
préliminaire, déterminer du mieu.x qu'il nous sera possible
les circonstances historiques dans lesquelles cet ouvrage a
été produit; après audition, nous considérerons l'œuvre en
elle-même et dégagée de tout élément extérieur.
*"*
Bach était depuis une dizaine d'années fixé à Leipzig, où, à
l'âge de trente-huit ans , il avait enfin trouvé une position
stable, lorsqu'il conçut la première idée de cette œuvre mu-
sicale et en réalisa en partie l'exécution. Jusqu'à celte année
1723 qui vit son installation définitive dans la ville saxonne,
il avait, véritable Juif errant musical, parcouru dans tous
les sens l'Allemagne du nord, d'abord pour étudier, puis
pour trouver une fonction digne de lui. Ses pérégrinations
commencèrent tôt. Agé de dix ans, son père meurt, et, quit-
tant Eisenach, il s'en va chercher asile chez un frère aîné,
à Ohrdruf, bourgade des montagnes de la Thuringe: il s'en
échappe à quinze ans, et, accompagné d'un seul camarade
du même âge que lui, s'en va bravement par les routes, à
pied, tout au nord de l'Allemagne, à quatre-vingts lieues de
son pays, à Lùnebourg, près de l'embouchure de l'Elbe et de
la mer; il y gagne sa vie à chanter au chœur de l'église et
à faire une partie de violon d'orchestre. Les journées que le
métier lui laisse, il les emploie à aller à Hambourg, où il
sait qu'il entendra un organiste, Reinken, auprès duquel il
pourra trouver du nouveau et faire des progrès : ce sont
quarante kilomètres à faire à pied , autant pour le retour;
mais qu'est-ce cela? A la même distance à peu près est une
autre petite ville, Zelle, où l'on exécute parfois de la musique
d'orchestre française : cela pique la curiosité de notre vaga-
bond musicien; il va s'y promener aussi, et, gravement,
étudie et analyse le mouvement musical de l'Ecole de Zelle.
Enfin il a dix-huit ans: il est temps qu'il revienne au pays
natal, ou tout au moins qu'il s'en rapproche; il va d'abord à
'^''eimar, jouer du violon à l'orchestre ducal; puis une nou-
velle occasion le ramène en Thuringe : il est nommé orga-
niste à Arnstadt, ville de dix mille habitants; il y reste
quatre ans. Entre temps, il regarde de nouveau vers le nord :
à Lubeck est un célèbre organiste, un maître, Buxtehude,
dont il n'a jamais encore eu l'occasion d'étudier le talent et
les procédés: Lubeck est bien plus loin encore que Lune-
bourg et Hambourg, ce sont quelque cinq cents kilomètres
à faire, et nous sommes un siècle et demi avant les chemins
de fer: il n'importe ; Bach va à Lubeck et y reste quatre
mois ; il y resterait même davantage et y prendrait volon-
tiers la succession de Buxtehude , qui est vieux et veut se
retirer; mais, en même temps que l'orgue, il faut prendre
aussi la fille de l'organiste : c'est une condition sine quel non !
Bach la trouve un peu austère , il revient à Arnstadt. Ce
n'est pas pour longtemps : une ville un peu plus importante,
Mulhausen, lui offre une position supérieure; il n'y reste
d'ailleurs que juste une année et devient organiste de la
Cour de Weimar. Là, pour la première fois, il reste tran-
quiUe et stationnaiie pendant neuf années; puis, âgé de
trente-deux ans, il passe au service du prince d'Anhalt-
Côthen, où il reste jusqu'à sa trente-huitième année. Les
princes d'Anhalt sont de la plus vieille noblesse allemande;
mais il faut avouer que leur capitale, Côthen, n'a jamais
été un centre d'aucune chose: à ne regarder que le chiffre
des habitants, elle ne se tient guère au-dessus du niveau de
nos plus médiocres chefs-lieux de départements français;
cependant, Bach y eut passé peut-être toute sa vie s'il y avait
trouvé toujours la cordialité et l'admiration que lui témoi-
gnait le prince durant les premiers temps de son séjour.
Mais enfin il fallut partir: il vint à Leipzig et fut nommé
cantor, c'est-à-dire directeur de l'enseignement musical, dans
50
LE MÉNESTREL
la principale école de cette ville, la Thomas-schule; et, son
ambitioa étant pleinement satisfaite par l'obtention de cette
place qui lui rapportait en ildO, à quarante-cinq ans, la
somme annuelle de 700 thalers (1) — 2625 francs, si je sais
bien compter, — il y reste vingt-sept ans , jusqu'à sa
mort.
Pour qui est familier avec la vie des musiciens français,
une pareille existence, qui était celle de tous les musiciens
allemands , est presque incompréhensible. Les Français,
malgré tout ce que leur caractère peut avoir de capricieux et
changeant, sont cependant gens éminemment stables en
matière de résidence ; il est vrai que, pour l'artiste français,
il n'en est qu'une possible, Paris. Voyez, dans le même
temps où Bach courait patiemment à travers l'Allemagne,
comment vivait chez nous son digne contemporain Rameau:
exilé par les nécessités de la vie (car c'était pour lui un
véritable exil) dans une ville de province, il y étouffe; son
génie veut se manifester, il le sent, mais il lui faut pour
cela un autre milieu que celui de Clermont-Ferrand : c'est à
Paris seul qu'il le trouvera et il fait tout au monde pour y
revenir. Un demi-siècle plus tard, c'est encore à Paris que
viendra Gluck, Dans un pays voisin, une autre capitale,
Londres, attire Haendel. Et pendant ce temps, Bach vit en
des villes dont les plus populeuses ont à peu près l'impor-
tance de Reims ou d'Amiens, dont les autres sont approxi-
mativement équivalentes à Rambouillet, Provins ouEtampes!
C'est que si en Allemagne il n'y a pas de Paris, en revanche
toutes les villes sont des capitales. Toute la force intellec-
tuelle de la nation ne vient pas, comme en France, converger
en un seul point, mais reste également distribuée sur les dif-
férentes parties du territoire. Toutes les villes allemandes
peuvent devenir, à un moment donné, des centres musicaux
d'où partent des œuvres destinées à rayonner sur le monde
enVwT. Don Juan est né à Prague, le Freischiitz à Dresde, Lohen-
grin à Weimar. Aujourd'hui encore, bien que l'esprit de
centralisation ait commencé à envahir l'empire allemand,
Bayreuth est considéré par beaucoup comme la ville sainte
de la musique, et Carlsruhe donne asile à de grandes œuvres
françaises dédaignées par nous-mêmes. Ajoutons à cela qu'à
l'époque de Bach les formes musicales étaient infiniment
moins variées, les genres moins nombreux : des oratorios et
des cantates destinées à rehausser l'éclat des cérémonies
publiques, religieuses ou civiles; de la musique d'orchestre
et des œuvres vocales pour les concerts; enfin, des composi-
tions instrumentales, de la musique de chambre pour les
exécutions intimes, telles étaient les seules ressources que
les traditions nationales permettaient aux compositeurs : de
musique dramatique, il n'en était pas encore question chez
les purs musiciens allemands, et si l'opéra avait commencé
à s'installer dans quelques villes, il n'en était pas moins resté
le domaine presque exclusif des Italiens. En composant les
Passions, les Messes, et ces innombrables cantates, parfois
improvisées en quelques jours, faites pour être exécutées une
seule fois, puis mises dans un tiroir, sur un rayon de biblio-
thèque, aussitôt oubliées, — chefs-d'œuvre où cependant
l'on retrouve encore, avec une surprise toujours renaissante,
une imagination si abondante, une vie si intense, une si
étonnante variété, — Bach n'avait pas d'autre idéal à réaliser
que l'envie de satisfaire aux exigences de ses fonctions :
passer pour un organiste habile, un bon directeur de musique,
(1) C'est le chiffre qu'il indique lui-même dans une lettre écrite le 28 octobre
1730, lettre dans laquelle se trouve la phrase adorable que voici :
€ Mon traitement ici est de sept cents thalers, et, lorsqu'il y a plus d'enterre-
ments que de coutume, le casuel augmente en proportion; mais l'air est très sain
à Leipzig, et l'année dernière le casuel des enterrements a été en déficit de cent
thalers. » Voyez E. David, la Fio et tes Œuvres deJ.-S. BaOi, p. 208.
Dans la Vie de J.-S. Bach, de Forkel, traduite et accompagnée de notes et éclair-
cissements nombreux par M. Félix Grenier, l'on trouve (p. 123) le détail de ce que
Bach touchait à la Thomas-schule de Leipzig ; en additionnant les divers chiares,
l'on est loin d'atteindre les 700 thalers indiqués par le principal intéressé. 11 est
vrai qu'en outre de ses appointemenls et indemnités diverses, il était logé et re-
cevait des prestations en nature.
faire entendre fréquemment des compositions nouvelles aux
fidèles de son église, telles étaient ses seules préoccupa-
tions.
Il menait identiquement la même vie que les autres mu-
siciens, et n'avait pas ces allures superbes que prennent
volontiers, dans d'autres pays, les compositeurs en renom,
gens tout à fait extraordinaires et en dehors du commun.
Pour lui, il vivait avec ses confrères sur le pied d'une égalité
parfaite. Que, dans telle circonstance où la musique était
jugée nécessaire, pour une fête publique ou une cérémonie
imprévue, il se trouvât empêché de composer, il ne voyait
aucun inconvénient (on en a des exemples) à ce qu'up autre
tînt momentanément sa place, — et peut-être peu de gens
s'apercevaient-ils de la substitution! Un certain Gôrner, or-
ganiste à Leipzig, homme intrigant, rempli d'orgueil autant
que dénué de talent, prétendait lui disputer la direction du
mouvement musical à Leipzig : leurs querelles occupèrent
plusieurs années de la vie de Bach, et il ne s'en fallait pas
de beaucoup que la galerie fût pour Gôrner I Un autre,
Hurlebusche, vint un jour pontifier chez lui et faire la leçon
à ses fils, leur présentant ses propres compositions comme
les modèles qu'il fallait suivre : et pourquoi Bach n'aurait-il
pas aussi pris les conseils de Hurlebusche? Il l'aurait fait
certainement si, par aventure, quelqu'un de ces conseils eût
été bon. Au fond, c'était un bon bourgeois de Leipzig, irré-
prochable par sa conduite comme par la façon dont il exerçait
son art, et ne cherchant rien au delà. Il n'eut pas la gloire,
mais ne fut pas non plus un méconnu; toutes les satisfactions
qu'il rêvait, il les obtint; mais, à nos yeux, combien ses
ambitions étaieat modestes! Il ne rechercha pas la fortune :
après lui, ses fils gagnèrent honnêtement leur vie comme il
l'avait gagnée lui-même, et une de ses filles mourut dans la
misère. S'il eut conscience qu'il fût supérieur — quelques
privilégiés le devinèrent aussi, — ni eux ni lui ne se dou-
tèrent que cette supériorité fût si grande, la différence entre
lui et les autres si énorme. C'est étonnant comme les con-
temporains se rendent peu compte de la dislance réelle qui
sépare la médiocrité du génie! Enfin il ne fut jamais hanté
par des rêves de gloire posthume, d'immortalité (l'on ne
songeait pas à cela de son temps) et ne crut pas laisser à
l'avenir des monuments impérissables : qu'avait-il fait dans
toute sa vie que ne fissent tous les autres musiciens, que ne
dussent faire ceux qui allaient venir après? Il se disait cela
lui-même, dans la candeur de son âme d'artiste et l'incon-
science de son génie ; mais il se trompait. Ce qu'il avait de
plus que les autres, c'est que lui seul était Bach.
Il nous a semblé qu'il était nécessaire, pour arriver à com-
prendre le véritable sens de son œuvre maîtresse, de le
replacer ainsi tout d'abord dans son milieu réel, si différent
de ceux qui nous sont familiers et où nous sommes habi-
tués à voir, soit dans le passé, soit au temps présent, se
mouvoir et graviter les compositeurs.
On se tromperait d'ailleurs singulièrement si, après cela,
l'on considérait Bach comme un rêveur romantique, ou sim-
plement comme une figure de primitif, figée dans une hiéra-
tique immobilité. Pour n'avoir pas cherché à entretenir le
monde de ses faits etgestes, Bach n'en fut pas moinsun être
essentiellement agissant. Autoritaire et colérique, il avait un
véritable tempérament de lutteur, et occupa en querelles
variées la plus grande partie des heures de sa vie qu'il ne
consacra pas à la musique ! Ici encore, le grand homme per-
drait de son prestige si nous ne l'avions déjà considéré sous
son aspect familier et dénué de toute pose affectée. Il nous
faut conter une de ces querelles, car c'est à elle que nous
devons la composition de la Messe en si mineur.
(A suivre.)
Julien Tiersot.
LE MENESTREL
5.1
SEMAINE THEATRALE
CRITIQUE FIN DE SIECLE
LES MODES DU LANGAGE
SUR LES MOTS « ÉCRITURE » ET « SINCÈRE » EN MUSIQUE ET SUR QUELQUES
AUTRES MOTS DÉMODÉS
Vous n'êtes pas sans avoir remarqué que les compositeurs, quand
ils ne trouvent pas de jolis chants, en parlent avec dédain comme
d'une forme usée et font du contrepoint.
De même, quand les littérateurs manquent d'idées et de philoso-
phie, ils condamnent l'imagination avec la raison et tracent à la plume
des tableaux des choses et des hommes qu'ils ont vus de leurs yeux,
avec autant de mots peu usités qu'ils ont pu en trouver dans les
dictionnaires.
Au demeurant, dans les arts, on ne fait pas toujours ce que l'on
voudrait faire, on fait ce qu'on peut. Le point important est de
faire ou d'avoir l'air de faire du nouveau... n'en fût-il plus au
monde.
Pour rajeunir leur art, certains critiques musicaux fin de siècle
(on sait que de ce siècle, il n'y a de bon que la fin) affectent de
fausser la valeur de quelques termes, ce qui les rend parfois incom-
préhensibles. D'autre part, et pour moderniser leur style, ils n'écri-
vent pas dix lignes sans y glisser le mot psychologie et sans par-
ler avec admiration de « thèmes initiaux » et de « motifs conduc-
teurs ». Ces excellents critiques « dans le mouvement »,ou mieux,
« dans le train », n'ont pas l'air de se douter que les thèmes ini-
tiaux et les motifs conducteurs appartiennent aux procédés de la
fugue, une forme de musique qui ne date pas d'hier.
Si, lorsque ces terribles « fin de siècle » faussent le sens des mots,
il vous arrive de ne pas les comprendre, tant mieux. Ils ne gagnent
pas beaucoup le plus souvent à être compris, et ils ne perdent rien
à se montrer incompréhensibles, au contraire. Vous ne les devinez
pas, c'est la preuve que vous n'êtes pas à leur hauteur. Eh bien,
soit, ils sont placés haut, très haut, leur tête olympienne émerge
sur la foule et ils ont l'esprit en l'air. Mais la supériorité des gens
commande l'indulgence auprès des inférieurs, et je ne vois pas que
les critiques musicaux auxquels je fais allusion aient jamais péché
par excès d'indulgence. La plus enviable condescendance dont ils
pourraient faire preuve envers le commun des martyrs, leurs lec-
teurs, ce serait de consentir à donner aux mots dont ils se servent
leur acception usuelle, de ne pas poser des énigmes.
Par exemple, ils vous disent quand ils ont reconnu chez un compo-
siteur du style et de la science, que ses œuvres sont « d'une belle
écriture ». Ou a une belle écriture, non point parce qu'on est
un habile calligraphe, mais parce qu'on est bon contrepointiste, qu'on
instrumente bien et qu'on prodigue les dissonances, sans prépara-
tion,— c'est vieux jeu — et souvent sans résolution.
La plus belle écriture est celle de Wagner.
L'écriture de Beethoven laisse aujourd'hui beaucoup à désirer.
Aussi Wagner, toujours bon enfant, comme on sait, l'a-t-il remaniée
dans la neuvième symphonie.
Quant à l'écriture de Rossini dans Guillaume Tell comme dans le
Barbier, elle est à crever de rire. Car il y a des écritures crevantes,
et ce ne sont pas toujours celles que telles on pourrait croire.
Ainsi donc, les partitions laborieusement travaillées, patiemment
combinées suivant une esthétique nouvelle ou soi-disant nouvelle,
ces partitions sont d'une belle écriture, fussent-elles horriblement
griffonnées. Et les professeurs de composition musicale sont deve-
nus, de par la mode du langage, des maîtres d'écriture.
Autre chose.
Les qualités qui font la belle écriture d'un compositeur, font aussi
la sincérité de ses œuvres. Un ouvrage est sincère quand il est d'une
belle écriture, il est d'une belle écriture quand il est sincère. Vous
ne comprenez pas bien, et vous cherchez dans Littré un supplément
d'instruction qui vous éclaire.
Mais plus vous êtes éclairé, moins vous comprenez. En effet, il
résulte des explications que vous donne Liltré au mot sincère, qu'on
fait preuve de sincérité quand on dit tout ce qu'on pense, tout ce
qu'on sent, qu'on ne dissimule rien, qu'on ne ment pas.
La musique sincère est donc celle dans laquelle on n'aperçoit
aucune dissimulation, pas le plus petit mensonge.
Par contre, la musique qui n'est pas sincère est celle où l'auteur
ne dit pas une note de ce qu'il a pensé et dissimule ses sentiments
tout le long de sa partition.
Et vous prenez désespérément votre tête entre vos deux mains,
vous demandant comment ces choses-là peuvent se faire. Vous tor-
turez votre intellect pour deviner par quel phénomène il se peut
qu'un musicien dissimule sa pensée en musique, qu'il mente pour
la? cacher et quel intérêt il pourrait avoir à le faire si c'était possible.
Que l'on puisse déguiser sa pensée par le moyen des mots qui ont
un sens précis, on le comprend, mais il n'en est pas de même en
composition musicale ; la musique n'exprimant rien de positif, n'a
rien à déguiser et ne peut pas mentir.
Elle est par essence de toute sincérité. On ne voit qu'un seul cas
où un compositeur pourrait manquer de sincérité; c'est celui où,
ayant à écrire sous le nom d'un autre, il ferait mal eiprès, pour
lui jouer un mauvais tour.
Que si l'on entend par une œuvre musicale sincère, une œuvre
faite avec tout le talent dont on est susceptible, une œuvre médiocre
est sincère à l'égal d'un chef-d'œuvre, si l'auteur de l'œuvre mé-
diocre y a mis tous ses soins, toute son imagination, tout son cœur
et tout le talent qu'il possède. La sincérité est indépendante du
talent. Quel est donc le compositeur qui n'apporte pas dans l'ou-
vrage qu'il doit présenter au public, qui lui donnera, s'il est bien,
gloire et argent, qui ne lui rapportera rien et l'humiliera s'il est
mauvais, tous ses soins, tout son savoir, toutes ses facultés ? Si
l'écriture de sa partition est faible, n'est-il pas évident que la raison
de cette faiblesse est son incapacité à mieux faire? Si ses mélodies
manquent de distinction, si ses harmonies sont banales et son ins-
trumentation sans relief, peut-on en faire un crime à sa sincérité,
et n'est-il pas clair pour tout le monde que s'il avait en lui des mé-
lodies originales, des harmonies personnelles, une instrumentation
riche en inventions, ce sont celles-ci et non pas celles-là dont il
ferait usage ?
Non, on ne saurait mettre en doute la sincérité en matière de
composition musicale.
Quant à ce qu'on appelle des concessions au mauvais goût du
public, cela n'existe pas plus que le manque de sincérité dans les
arts. On fait ce qu'on peut, on écrit ce qu'on pense, en littérature
comme en musique. Belmontet était aussi sincère et ne faisait pas
plus de concession au mauvais goût quand il faisait ses vers que
Victor Hugo quand il écrivait ses poésies. Strauss est aussi sincère
quand il écrit une valse que Beethoven l'était quand il composait
une symphonie.
Ce qu'on entend à cette heure par une œuvre de musique sincère,
c'est une œuvre très contrepointée, bâtie avec les procédés qu'on
appelle de la nouvelle école et qui sont empruntés à la fugue ; c'est
une œuvre sans aucun chant déterminé, dans une forme vague,
pétrie de tronçons mélodiques, auxquels on attribue un sens sym-
bolique ; c'est une œuvre sans rythme, le plus souvent sans aucun
repos de cadence ni de demi-cadence, d'un caractère mystique, my-
thologique, féerique ou spiritique, surcharg'ée d'accords altérés et
d'une belle longueur; pour tout dire enfin, c'est une œuvre qui appar-
tienne au seul genre que Voltaire n'admet pas en li Itéra lure. J'ai
entendu beaucoup d'ouvrages « sincères « depuis quelques années,
et ces longs discours sonores m'ont rappelé ce vers de Boileau :
Un discours trop sincère aisément nous outrage.
Si l'on voit apparaître souvent dans les articles de certains jeunes
critiques musicaux fort avancés les mois écriture et sincère employés
mal à propos, en revanche on n'y trouve jamais les mots joli, gra-
cieux, chantant, vocal, spirituel, aimable, qui ont vieilli et ne trouvent
pas leur application dans la musique sincère. La musique à laquelle
peuvent s'appliquer ces qualificatifs a vieilli et ne doit plus repa-
raître.
Il y a quelque temps, un jeune musicien — bien dans le mouve-
ment, celui-là, — me disait avec conviction qu'il ne pouvait plus
entendre la musique de Mozart et que celle de Mendelssohn le fai-
sait bâiller. « Il me faut, ajouta-t-il, une musique qui m'empoigne,
m'étreigne, me secoue violemment, faite de beautés cruelles, et me
torde les boyaux. » — Vous avez, jeune homme, lui répondis je, les
boyaux difficiles à contenter.
Mais qui aurait pu prévoir qu'avec les progrès du temps, la mu-
sique aurait pour objet de tordre les boyaux des dilettanti?
Oscar Gomettant.
LE MENESTREL
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
V
(SuUe.)
Mais au lieu d'insister sur ce s'ijet, j'aime mieux reproduire ce
jugement fort intéressant d'un de ses contemporains sur le talent
si original et si rare de celle artiste charmante, qui semble vraiment
n'avoir pas trouvé sa pareille depuis qualre-vingls ans qu'elle a
disparu Je la scène :
On appelle M"" Ivlars la perle du Théâtre-Français; M™ Saint-Aubin
était aussi la perle de la Comédie-Italienne et de l'Opéra-Comique. Per-
sonne, pas même M"" Mars, n'a mieux nuancé les différents caractères
d'ingénuité, suivant l'âge, l'éducation, le rang, l'état, la situation des per-
sonnages qu'elle avait à représenter. La nature semblait véritablement
l'avoir formée exprès pour les rôles déjeunes filles; mais M™ Saint-Aubin
en avait reçu aussi une rare intelligence, une imagination vive, un tact
sûr, une âme brûlante et expansive, une physionomie extrêmement mobile.
Avec tant d'avantages, il ne lui eût fallu que deux ou trois pouces de
plus pour être la première actrice dans tous les genres, même dans la
tragédie et dans la pantomime. Elle a égalé M'"= Dugazon dans la plupart
des beaux rôles que celle-ci avait créés dans sa jeunesse, et elle a tou-
jours su se préserver de cette décadence, de cette sorte de dégradation
dans le ton et dans les m.anières que M"« Dugazon avait contractées &ans
les dernières années de sa carrière théâtrale.
M"" Saint- Aubin ne sortait jamais du ton le plus vrai de la nature. Son
comique spirituel était aussi éloigné de l'afféterie que de la trivialité.
Son débit était si facile qu'il semblait absolument dépourvu d'art. Dans
la douleur, ses cris étaient déchirants sans être forcés. Elle avait enfin le
rare talent, dans la même pièce et souvent dans la même scène, de faire
rire et pleurer tour à tour. Saisissant avec sagacité les plus fines inten-
tions des auteurs, elle a assuré le succès de plusieurs ouvrages qui peut-
être seraient tombés sans elle, et dont quelques-uns n'ont pu se soutenir
lorsqu'elle les a abandonnés. Il en est, comme dans l'Amoureux de quinze
ans, où elle a joué à diverses époques trois rôles différents. Comme canta-
trice, elle était sans doute moins parfaite; mais si sa voix était un peu
faible, elle en tirait adroitement parti, suppléant à la force par le goût
et l'esprit: jamais on n'a chanté la romance avec plus d'expression. . .
A ce jugement artistique, l'écrivain ajoute ce portrait moral :
Si M""" Saint-Aubin, par la franchise et la vivacité de son caractère, ou
par la supériorité de ses talents, a blessé quelque amour-propre ou ex-
cité quelque envie, elle n'en a pas moins de droits à l'estime publique, à
la tendresse de sa famille, à la reconnaissance de ceux qu'elle a obligés,
et à l'amitié de ceux qui savent apprécier ses excellentes qualités. Chargée
d'une nombreuse famille qu'elle a élevée avec soin, elle a fait des pensions
à son père, à deux de ses sœurs, jusqu'à leur mort : elle en fait encore
à ses deux frères. Econome, mais désintéressée, elle n'a jamais affiché ce
luxe scandaleux qu'on reproche généralement aux actrices. . . (1).
On n'en finirait pas si l'on voulait reproduire tous les témoignages
d'admiration que le talent si étonnamment varié de M"» Saint-Aubin
inspirait à ses contemporains. Je ne résiste pourtant pas au désir
de reproduire ici quelques-uns des éloges que lui adressait alors un
critique fort expert en choses théâtrales, Fabien Pillet, feuilletoniste
du Journal de Paris et auteur d'un petit recueil spécial, VOpinion du
Parterre: on verra qu'ils concordent entièrement avec ceux qui
précèdent: « J'épuiserais toutes les formules de l'éloge, disait cet
écrivain, si je prétendais exprimer comme je le sens l'admiration
que m'inspirent les rai-es talens de celle charmante actrice, et si je
ne me bornais pas à dire que je ne fais que me conformer à l'opi-
nion générale, au suffrage unanime du public, dont elle est l'idole.
Aimable Saint-Aubin, quand vous débutiez avec tant de succès, je
présageais déjà la hauteur à laquelle vous deviez vous élever, mais
j'avoue que vos talens étaient plus grands que ma vue n'était fine
et que vous avez passé toutes les espérances... Marine dans la
Colonie, Denise de l'Épreuve villageoise, furent ses rôles de début
et justifièrent l'enthousiasme qu'elle fit naître. Comme il n'était
point de commande, que des talens sublimes, joints à la plus jolie
figure, l'avaient lait naître, il subsiste toujours, comme les avantages
qui l'excitèrent ; et dans les ingénuités comme dans les "randes
coquettes, dans les épouses tendres et fidèles comme dans les filles
passionnées, dans tous les rôles enfin qu'elle créa, nous admirons
l'actrice universelle et digne de tous les suffrages (2). »
Et plus loin: — « ... Celle actrice étonnante et comparable aux pre-
|1) Biographie universelle et portatioe des contemporains.
(2) Opinion du Parterre, an XIII (1805).
miers talens de la scène Française, ne paraît en scène que pour y
cueillir une moisson toujours nouvelle d'applaudissemens. Elle
justifie dans tous ses rôles l'enthousiasme qu'elle ne cesse d'exciter.
Il y a presque vingt années qu'elle embellit l'Opéra-Comique. Elle
est inimitable dans tout, fait le succès des ouvrages nouveaux, et
soutient au même degré sa haute réputation (1). »
Plus loin encore, après avoir parlé des autres artistes de ce théâtre :
— « ... Mais la perle de l'Opéra-Comique, c'est vous, aimable
Saint-Aubin, vous qui jouissez du rare privilège d'une jeunesse per-
pétuelle, vous, qui remplissez avec tant de charme tant de rôles
différens, et que l'on applaudit tour à tour avec la même ivresse
dans les soubrettes, les travestissemens, les ingénuités, les amou-
reuses et les grandes coquettes. Rappeler la haute réputation dont
jouit madame Saint-Aubin, c'est faire en deux mots son éloge: tout
ce qu'on ajouterait de plus serait superflu (2). »
J'en pourrais citer long ainsi. Je me bornerai maintenant à
constater que le souvenir du talent de M'"" Saint-Aubin persista
longtemps dans le publie, et j'en donnerai pour preuve ce quatrain
que Scribe, qui s'y connaissait, faisait en 1821 pour la petite
Léonline Fay (plus tard M""= Volnys), qui, encore toute enfant, ob
tenait au Gymnase, dans une de ses pièces, le Mariage enfantin,
qu'elle jouait avec Virginie Déjazet, un succès qui faisait courir
tout Paris à ce théâtre :
Vous qui rêvez une actrice parfaite,
Accourez voir Léontine... et soudain
Vous reverrez Contât et Saint-Aubin
En retournant votre lorgnette.
Accoler le nom de M""" Saint-Aubin à celui de Louise Contai, la
reine de la Comédie-Française, cela suffit à faire apprécier son talent
exceptionnel et son exceptionnelle valeur (3).
VI
Nous avons vu qu'en quittant l'tlpéra-Comique et en faisant ses
adieux au public, M""- Saint-Aubin laissait à l'un et à l'autre une
héritière de son nom, qui devait hériter en partie de son talent. Je
dis : « en partie », parce que, malgré sa valeur très réelle. M"" Du-
ret-Saint-Aubin, quoique fort bien accueillie de tous, ne remplaça
jamais tout à fait sa mère dans les faveurs de la foule et dans l'af-
fection des vrais connaisseurs. Cantatrice plus remarquable et mieux
instruite, elle élait loin de la valoir comme comédienne. Ce n'en
était pas moins pourtant une artiste fort distinguée et qui sut, mal-
gré le poids du nom qu'elle portait, obtenir des succès nombreux et
flatteurs.
M"" Saint--\ubin avait eu trois filles, dont deux, comme elle, sui-
virent la carrière théâtrale : Cécile (M™° Duret), qui élait née à Lyon
au mois d'octobre 1785, et Alexandrine, qui fut plus tard M""= Joly,
et qui naquit à Paris en avril 1793. La troisième, dont j'ignore le
prénom, devint la femme d'Eugène de Planard, l'auteur dramati-
que, et eut elle-même une fille qui épousa le librettiste de Leuven,
que nous avons connu directeur de l'Opéra-t^oraique. Ces trois fil-
les avaient un frère aîné, Jean-Denis d'Herbez Saint-Aubin (on se
rappelle que d'Herbez était le véritable nom de la famille), lequel
élait né à Lyon le 8 décembre 1783. Celui-ci avait fait au Conser-
vatoire des études de violon, d'harmonie et de contrepoint, et plus
tard était devenu dans cet établissement professeur de l'élude des
rôles. « Vers 1809, dit Félis, il publia de sa composition six qua-
tuors pour deux violons, alto et basse, op. 1, et trois sonates pour
piano et violon, op. 2. Ces productions semblaient annoncer du ta-
lent ; mais Saint-Aubin mourut peu de temps après les avoir fait
paraître. » Cette dernière assertion, précisée encore par Lassabathie,
qui dans son Histoire du Conservatoire assure que Jean-Denis Saint-
Aubin est « mort vers 1810, » est tout ù fait inexacte. Ce qui le
prouve, c'est que l'Indicateur général des Spectacles pour 1822-23 men-
(1) Opinion du Parterre, 180G.
(2) Opinion du Parterre, 1807.
(:!) Je retrouve la trace d'une lettre que Lesueur, l'illustre auteur des Bardes,
écrivait à M"' Saint-.luliin (de Virj-sur-Orge, le 2 ventôse an Vllt), et dans la-
quelle il lui exprimait son adtairation. Lesueur, qui semblait alors relever de
maladie, l'entretenait d'un rôle qu'il lui préparait dans un ouvrage en trois actes,
qui d'ailleurs ne fut jamais joué : — « Me voilà encore, ma toute aimable. Quoi-
que je m'éloignois bien fort du pays des vivans, quoique je n'espérois guëres
revenir voir mon nouvel opéra prendre du lustre de l'éclat renvoyé de vos rares
talens dramatiques, il me souvient néanmoins qu'il me réstoit encore toute la
chaleur de l'âme pour les chérir, les regretter, et aimer toujours votre aimable
personne que je sentois s'échapper comme l'espoir de vous revoir jamais... Vous
vous effarouchez, je crois, sur cette admiration si franche'? Eh! mon Dieu I elle
n'est que celle de tout Paris. Tout Paris a mes yeux... » [Catalogue des autogra-
phes du baron de Trémont, Paris, Laverdet, 1852, in-8".)
LE MENESTREL
83
lionne, comme « professeur de répétilion des rôles » au Conserva-
toire « M: Saint-Aubin, rue Bleue, 6, » et que ÏAlmanach des Spec-
tacles pour 1820 porte encore, pour les mêmes fonctions, « M. Saint-
Aubin, rue de La Rochefoucauld, 6. » D'ailleurs, il y a toutes
raisons de croire que Jean-Denis Saint-Aubin vivait encore en 1839,
lors du crime commis chez sa mère par François Filleul, car les
débats du procès font connaître que l'accusé avait servi, peu de
mois auparavant, comme domestique chez M. d'Herbez, fils de
M"^ d'Herbez Saint-Aubin et résidant comme elle ù Nogent-
sur-Marne (1). Mais nous n'avons pas davantage à nous occuper
de celui-ci, dont l'existence artistique est resiée obscure : après la
disparition de M'°° de Saint-Aubin, rintér<it s'attache uniquement
à ses deux sœars.
(A suidre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres : Maid Marian, la nouvelle opérette que vient de
monter le Prince of Wales's Théâtre, nous arrive par exception des États-
Unis. La pièce est basée sur la légende de Robin Hood, et on y retrouve
quelques-uns des personnages à'Ivanhoé. La musique a pour auteur M. Regi-
nald de Koven, un jeune Américain d'origine franco-hollandaise, qui a
passé par le Conservatoire de Paris dans la classe de Delibes. M. de Koven
s'est inspiré de tous les maîtres du genre et sa partition abonde en rémi-
niscences, mais en revanche elle est fort entraînante et soigneusement
orchestrée. A signaler aussi quelques jolies romances et la Légende des
cloches, d'une facture distinguée. Bonne interprétation et brillante mise en
scène. En somme, un succès. — Afin d'utiliser Covent Garden pendant le
carême, M. Auguste Ilarris inaugure cette semaine une série de grandes
auditions musicales, avec VElie de Mendelssohn. Orchestre et chœurs,
600 exécutants. La prochaine soirée sera consaciée à la Léjjende dorée,
l'œuvre maîtresse de sir Arthur Sullivan. La date d'inauguration de la
saison d'opéra est fixée au G avril. M. Jean de Reszké s'est mis à la dis-
position de son directeur dès le 13 avril. La principale nouveauté dç la
saison sera une version italienne du Siegfried de Wagner, avec M. Jean de
Reszké dans le rôle principal. ^ M. Joachim vient de faire sa rentrée
aux Concerts populaires. Une polémique s'est engagée dernièrement dans
les journaux au sujet de ces concerts, portant sur l'exécution souvent molle
du quatuor, dont le personnel n'est pas assez renouvelé. On devrait s'en
prendre aussi au répertoire stéréotypé de cette antique institution, qui
feint complètement d'ignorer la musique de chambre française. Comment
expliquer en effet qu'on accueille si facilement les œuvres de Sgambati,
Rheinberger et même d'un illustre inconnu tel que Emanuel Mon-, tandis
que les noms de Saint-Saëns, Widor, César Franck sont proscrits des
programmes ! — On nous promet à Pâques une série de représentations
diurnes de l'Enfant prodigue, avec la distrihution parisienne. Pour éviter
toute confusion avec ce qu'on est convenu d'appeler pantomime en Angle-
terre, ce nouveau spectacle est désigné sous le nom i'opéra sans paroles.
A. G. N.
— M™ Patti vient de traiter avec un imprésario anglais pour quarante-
six concerts qui devront être donnés sur le continent, du mois de mars
au mois de mai de cette année et du mois de janvier au mois de mai de
l'année prochaine. L'itinéraire comprend "Vienne , Prague , Pesth ,
Trieste, etc., au prix de treize mille sept cent cinquante francs par
soirée!...
— On lit dans la correspondance berlinoise du Figaro. « M'"^ Adelina
Patti a remporté, dans son concert de vendredi dernier, un de ces triom-
phes auxquels elle est habituée. Mais ce qui a été plus nouveau pour
elle, c'est la visite de l'huissier qu'elle a reçue le lendemain. Ce n'était
nullement, comme on pourrait le croire, un huissier mélomane venant
présenter ses respectueux hommages à, la diva, c'était bel et bien d'une
(1) J'ai découvert l'existence de trois autres Saint-Aubin appartenant au théâ-
tre, mais sans pouvoir dire s'ils se rattachent d'une façon quelconque à la famille
célèbre dont je m'occupe ici. Daus le programme du Courrier des Spectarlcs du
15 septembre 1805 pour l'Opéra-Comique, on lisait: « M. Charles Saint- Aubin, qui
n'a pas encore paru sur ce théîilre, débutera par le rôle de Dalin dans ta Fausse
Magie, et de Francisque dans mie Folie. » Qui était celui-là? je ne saurais le dire.
Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il se montrait dans un rôle, celui de Dalin,
qui était particulièrement l'un des meilleurs de Saint-Aubin. D'ailleurs, il n'en
fut plus jamais question par la suite. D'autre part, le 16 juin 1815, on voit débu-
ter, encore à l'Opéra-Comique, une M"' Saint-,Vubin-Solié dans Alix de lllaise et
Bahet et Aurore de Ma Tante Aurore, par conséquent dans l'emploi des duègnes.
S'agirait-il ici d'une fille de Solié qui aurait épousé Jean-Denis Saint-Aubin'?
C'est encore ce que je ne saurais dire. De celle-là non plus on n'entendit plus
parler ensuite. Enfin, un troisième Saint-Aubin, qui semble avoir été un acteur
assez distingué, appartint, de 1832 à 1838, au personnel du Gymnase, qu'il
quitta en cette deinière année pour aller au théâtre français de Berlin. Celui-ci
était-il un fils de Jean-Denjs Saint Aubin? Je laisse encore à d'autres le soin de
résoudre celte question.
saisie qu'il s'agissait. Vous devinez l'émotion de M""' Patti, qui, tout
d'abord, crut que l'otficîer ministériel s'était trompé de porte; mais nul-
lement. M""= Patti avait, parait-il, signé, en septembre dernier, un enga-
gement pour douze représentations en Russie, moyennant un cachet de
20,000 francs par soir. L'imprésario, un nommé Zeth, avait déposé la
somme totale à la Banque du Commerce de Saint-Pétersbourg et envoyé
10,000 francs de frais de voyage à M""" Patti. C'est du moins ce qu'il pré-
tend. M™ Patti, cependant, changea d'avis et exigea un nouveau traité
dont Zeth ne voulut pas entendre parler. Au lieu d'aller en Russie,
M"'" Patti vint à Berlin. C'est là que l'attendait Zeth, qui a fait saisir la
grande artiste au moment où celle-ci allait quitter l'hôtel et se mettre en
route pour Nice. M™<^ Patti a du, pour partir, verser une somme de
8,400 marks. Ceci est la première phase d'un procès qui ne manquera
pas sans doute de faire quelque bruit. »
— Un compositeur de musique établi à Cologne, le docteur Otto Neîtzel,
tourmenté par l'envie de connaître la somme d'efforts dépensée par un
pianiste de concert dans l'exercice de ses fonctions, vient de consacrer
à la recherche de ce singulier problème tout un long article que publie
la Gazette de Cologne. M. Neîtzel s'est basé, dans ses calculs, sur le poids
minimum nécessité pour enfoncer complètement une touche du clavier et
il est arrivé à cette conclusion que pour obtenir un son de la nuance ppp.
Icggiero, c'est-à-dire la plus discrète possible, il fallait une pression du
doigt équivalant à cent dix grammes : la même nuance esp-essivo nécessite
un effort de 200 grammes ; on peut ainsi arriver à 3,000 grammes en jouant
fortissimo. Ces chiffres ne s'appliquent qu'aux sons pris isolément. Pour
les accords, le poids réclamé par chaque son dans une nuance déterminée
est en raison inverse du nombre de ces sons. Par exemple, si un son
exige une pression de 2,000 grammes, quatre sons frappés simultanément
ne représenteront ensemble qu'un effort de 5 à 6,000 grammes, au lieu de
8,000. M. Neitzel analyse ensuite, au point de vue spécial de l'effort, quel-
ques fragments d'œuvres connues. Ainsi, il y a certain passage de la
Marche funèbre de Chopin où se rencontre toute la gamme des nuances,
depuis le piano pianissimo ]usqa'a.\i fortissimo le plus accentué. Ce passage
exécuté fidèlement réclame du pianiste un effort de 381 kilos dans l'es-
pace d'une minute et demie. Et c'est la nuance pianissimo qui domine!
L'étude n" 12 op. 2o du même compositeur renferme un passage qui dure
deux minutes cinq secondes et ne pèse jias moins de 3,130 kilos. Enfin,
selon M. Neitzel, ce n'est pas être hardi que d'afQrmer qu'un Rubinstein
ou une Carrefio abattent leurs mille quitilaux à l'heure. Passant du sévère
au plaisant, M. Neitzel termine son article par ce propos fantaisiste : « La
foi dans l'avenir est assurément permise aux pianistes, car lorsque l'heure
de la révolution sociale aura sonné et que l'anarchiste promènera sa torche
incendiaire à travers les demeures des riches, il s'arrêtera devant le pia-
niste et lui dira : Tu seras sauvé ! C'est à la force du poignet, c'est par
l'effort de tes muscles, que tu as gagné ton pain : dans mes bras, citoyen
pianiste, dans mes bras ! »
— D'une lettre adressée à la Gazette, de Bruxelles, par son correspon-
dant berlinois, nous extrayons les intéressants renseignements que voici
concernant le théâtre de Wagner : — « On a joué, l'année dernière, en
Europe et en allemand, des pièces de Wagner en 79 villes, dont 62 villes
allemandes, 5 autrîc'niennes, 4 hollandaises, 3 russes, 3 suisses et
2 belges : Anvers et Gand. En 1889, Wagner n'avait été joué, en alle-
mand, qu'en 62 villes. Il y a donc eu progrès sous ce rapport. De toutes
les villes d'Allemagne, c'est Berlin maintenant qui donne le plus de
Wagner : 64 représentations en 1890. Puis vient Munich avec S4 repré-
sentations, Dresde avec SL Vienne avec 48, Leipzig avec 39, Prague
avec 29, Francfort avec 2S, etc. Les chiffres tombent rapidement alors.
Breslau, Magdebourg, Nuremberg et Weimar ne donnent plus que 12 re-
présentations, Darmstadt 11, Stuttgard 9, Lubeck 7, Stettin i, Amsterdam,
Saint-Pétersbourg, Rotterdam 3, Bàle, Bonn, etc., 2, Anvers, La Haye,
Metz, Goerlitz, Colmar, Utrecht, etc., une seule. En somme, Wagner a
été représenté 967 fois, en allemand, en 1887, 883 fois en 1890. En langues
étrangères il a été représenté, en 1889-1890, 8 fois à Bruxelles, 9 fois à
Londres, 10 fois à Genève, 70 fois en Italie (à Bologne, Modène, Venise,
Bari, Gênes, Ravenne, Rome et Turin), 28 fois en Espagne et 20 fois en
Hongrie. Voici le tableau des représentations, en allemand, des différents
opéras dans les 79 villes indiquées plus haut : Rienzi 31 fois, k Vaisseau
fantôme 101 fois, le TannIUiuser 189 fois, Lohengrin a48 fois, Rheingold 37, la
WalHyrie 80, Siegfried 41, le Crépuscule 48, Tristan 30, te Maîtres Chanteurs Go,
et les Fées, qu'on ne donne qu'à Munich, 9 fois. C'est donc Lohengrin qui
tient la corde; puis vient le Tannhiiuser, puis le Y aisseau fantôme. La Tétra-
logie réassit moins. »
— M. Hans de Bûlow a fait exécuter à Berlin, au dernier concert de
la Société philharmonique, une œuvre de jeunesse du grand violoniste
Joachim. Cette composition est une ouverture pour le Henri IV de Sha-
kespeare, et elle présente cette particularité qu'elle remonte à une époque
où les convictions musicales de Joachim étaient de tous points différentes
de celles qu'il professe aujourdhui. Concertmeisler alors à Weimar, il se
montrait l'un des plus ardents et des plus bouillants défenseurs des doc-
trines wagnérienncs. Depuis lors il est passé au camp ennemi avec armes
et bagages, et l'on peut dire que le wagnérisme n'a pas d'adversaire plus
ardent, plus résolu, plus impitoyable que le directeur de la Hoohsschule de
Berlin, où défense formelle et absolue est faite aux élèves déjouer jamais
54
LE MENESTREL
une seule note de l'auteur de Lohengrin et do la Tétralogie. Brahms lui-
même n'est pas plus intransigeant que Joachira dans son horreur pour
Wagner et sa musique. C'est peut-être pour cela que le public de Berlin,
qui est le plus wagnérien de toute l'Allemagne, a fait un succès à l'ouver-
ture de ffenri /r, dont la facture et l'inspiration sont si souverainement
contraires aux idées qui lui sont chères actuellement.
— C'est maintenant au tour de la Russie d'acclamer l'opéra du maestro
Mascagni, Cavalleria rusticana. Joué au Petit-Théâtre, où il avait pour in-
terprètes M"™ Borghi-Mamo et Polacco-Drog, MM. Masini et Magini-
Coletti, l'ouvrage y a obtenu un véritable succès d'enthousiasme, et on
n'en a pas bissé moins de quatre morceaux.
— On est en train de construire à Bucharest un nouveau théâtre pour
l'opéra. Ce sera un monument d'un genre particulier, un théâtre double,
si l'on peut dire, avec une scène mobile, aménagé de telle façon que
l'hiver il sera entièrement clos, avec des loges, et que l'été il formera
un théâtre ouvert, avec larges galeries et un jardin dans le parterre. La
salle pourra contenir l'hiver, quinze cents spectateurs ; l'été, deux mille
cinq cents.
— Mardi prochain, 17 février, a lieu à Bruxelles une vente exception-
nellement intéressante, celle de l'importante et remarquable collection
d'instruments de musique de M. E. Mandolci, de Sienne, dont le catalogue
fait suffisamment ressortir la valeur. Parmi les instruments à cordes, cette
collection ne comprend pas moins de 24 violons, dont plusieurs de la
grande école italienne de lutherie : Guarnerius, Guadagnini, Nicolas et
Antoine Amati, Testore, Grancino, puis 2 Jacob Stainer, un Kloz, et deux
violons français de luthiers obscurs : Breton et Meriotte. A ces violons
il faut ajouter un par-dessus de viole <t attribué » à Jacob Stainer, et trois
violons d'amour allemands. Ensuite, un alto de Nicolas Amati, une viola
dagamba italienne à sept cordes, une basse de viole allemande à six cordes,
deux violoncelles italiens, dont l'un de Nicolas Amati, l'autre de Gra n-
cino, un violoncelle français de Bocquay, etc. Pour les autres instruments,
on trouve trois vielles françaises du sviii= siècle, enferme de luth ou de
guitare, plusieurs mandolines espagnoles ou napolitaines, un luth-théorbe,
des cistres, de nombreuses guitares françaises, signées Nicolas, Deleplanque,
Lambert, Thouvenet le jeune, plusieurs harpes des xvii= et xviii'' siècles,
des tympanons allemands et italiens. Parmi les instruments à clavier, une
épinette de sérénade du xvii* siècle, un clavicorde portatif à quatre octaves,
un grand clavecin à cinq octaves, à trois rangs de sautereaux', signé
Dulkens, et divers pianos. Enfin, diverses espèces de clarinettes et de fla-
geolets, des flûtes traversières, flûtes douces, flûtes-cannes, flûtes de Pan,
hautbois ordinaires et de chasse, bassons, un oliphant de chasse en ivoire,
une trompette de cavalerie allemande du wn" siècle, une corne pleine en
ivoire sculpté, une musette écossaise et une musette française du xvii° siècle,
trois orgues de formes diverses du xvn" et du xvin'' siècle, deux tambours
français, décorés, du xvi" siècle, un petit tambour arabe, une mandoline
arabe... On voit que les amateurs auront le choix, selon leurs goûts,
leurs besoins et leurs desiderata.
— A Bâle, le directeur du Conservatoire, M. Selmar-Bagge , vient
d'ouvrir une série de conférences, que l'on dit fort intéressantes, sur
l'origine et le développement de la sonate. Il appuie ses paroles d'expli-
cations pratiques sur les œuvres de ce genre pour piano dues aux
grands maîtres, et particulièrement à Beethoven.
— Ouvrages nouveaux annoncés en Italie : au théâtre Manzoni, de
Milan, Gennarello, opéra de M. Cipellini; à Cortone, Gineora, opéra écrit
par le maestro Giuseppe Vigoni sur un livret de M™ Maria Vivanti. D'autre
part, M. Alfredo Catalan! écrit la musique d'un opéra intitulé la Valle, et
les faiseurs d'opérettes ne s'endorment pas. M. Bacchini en prépare une
sous le titre de la GiarretUera, et M. Ricoardo Matini n'en a pas moins de
deux sur le chantier : Lili et il Principe di Leidà.
— Les journaux italiens reçoivent de Gênes, disent-ils, la nouvelle que
Verdi aurait déclaré dans un cercle d'intimes que la première représen-
tation de son nouvel opéra, Falstaff, aurait lieu non à la Scala de Milan,
comme on l'avait dit d'abord, mais au théâtre Carlo-Felice de Gênes, à
l'occasion des fêtes en l'honneur de Christophe Colomb que cette ville
célébrera en 1892.
— L'Académie de l'Institut royal de musique de Florence a décidé
dans sa dernière séance, sur la proposition d'un de ses membres,
M. Riccardo Gandolfi, de célébrer eu 1894 le troisième centenaire de la
création du drame lyrique à Florence, due aux efforts de la camerala des
Bardi et effectuée par la représentation du la Dafne. Afin de donner à
cette commémoration une solennité plus complète, l'Académie a résolu
de faire des démarches auprès du comité formé pour le transport des
cendres de Rossini à l'église Santa Croce (le Panthéon italien), ainsi
qu'auprès de l'Académie de Sainte-Cécile de Rome, initiatrice du monu-
ment à élever au grand maître, dans le but de faire coïncider l'inaugu-
ration de ce monument avec la célébration du tricentenaire projeté.
— M™= Teresa Tua, l'excellente violoniste, qui préluda naguère à ses
brillants succès européens par le beau premier prix qu'elle remporta à
notre Conservatoire dans la classe de M. Massart, vient de faire sa rentrée
devant le public de Rome à la suite d'une longue absence causée par une
grave maladie d'abord, par son mariage ensuite. C'est dans un concert de
bienfaisance, dont elle faisait tous les frais avec M. Sgambati, que
M"" Tua, aujourd'hui comtesse Franchi Vernay délia Valletta, a renoué
connaissance avec ses admirateurs. Entre autres morceaux, elle a joué
avec M. Sgambati la sonate de Grieg pour piano. et violon, puis deux
compositions nouvelles de M. Sgambati lui-même, Andarde cantabile et
Serenata napolitana, qui ont valu au compositeur et à la virtuose un très
grand succès.
— Au Théâtre municipal de Modène on a donné la première représenta-
tion d'un opéra nouveau en trois actes, Rancisval, dont l'auteur est le maestro
Enrico Bertiiii et qui a reçu du public un accueil très encourageant. On
reproche au poème un trop grand fond de tristesse. La musique est l'œuvre |
d'un musicien plus instruit peut-être qu'inspiré, mais qui sait néanmoins
produire des effets puissants et à qui l'on doit de sincères éloges. Les
interprètes sont MM. Maina, Coda, Astillero et De Stefani, M""' Gabrielli-
Poggi et Bail. — A Matelica on a représenté une nouvelle" <i opérette
comique, » gli Innamorati di Nella, paroles de M. Vincenzo Boldrini, musi-
que de M. Possenti, qui parait avoir eu du succès.
— L'Opéra allemand de New- York vient de remporter son premier succès
de la saison avec Fidelio. Le chef-d'œuvre de Beethoven avait pour inter-
prètes principaux M""" Antonia Melke (Léonore), Islar (Marceline), MM. Gu-
dehus (Florestan), Fischer (Rocco) et Luria (Pizarro), qui tous ont été
très applaudis. Les merveilleux et célèbres chœurs des prisonniers ont
été superbement enlevés et l'orchestre, sous la direction de M. Seidl, a
exécuté avec une rare perfection l'ouverture de Léonore {nP 3).
— On écrit de New- York : « La ville de New-York a eu jusqu'ici son
Opéra allemand, subventionné par les gros millionnaires de la grande
métropole américaine. Comme résultats financiers ce n'était pas brillant.
La saison de 1889-1890 a produit 206,500 dollars, soit 1,030,000 francs. Les ]
70 actionnaires ont eu à verser en plus 210,000 dollars, soit un million
cinquante mille francs. Les deux millions ont passé en dépenses d'en-
tretien du personnel: du directeur et du régisseur qui sont Américains,
puis des artistes allemands, choristes, figurants, etc. Les actionnaires du
Metropolitan Opéra House, parmi lesquels il n'y a pas un Allemand, ont
trouvé que c'était trop; ils ontdécidéla suppression de l'Opéra allemand,,
qui sera remplacé par un Opéra italien-français ».
PARIS ET DEPARTEMENTS
La commission des théâtres s'est réunie vendredi dernier, sous la
présidence de M. Bourgeois, pour reprendre la discussion du nouveau
cahier des charges de l'Opéra. Le Temps dit, à ce propos, que le ministre a
été un peu surpris du reproche que certaines personnes lui ont adressé.
On a dit que plusieurs articles avaient été rédigés de façon à contrecarrer
telle ou telle candidature et à n'en faciliter qu'une seule. On a parlé par
exemple d'articles qui, à priori, écarteraient soit des candidats associés,
soit des candidats ayant signé des livrets ou traductions. M. Bourgeois
n'entend nullement ni empêcher, ni favoriser à l'avance aucune candida-
ture. Il compte même demander à la commission d'examiner très soi-
gneusement avec lui les articles visés, de façon qu'aucun doute ne soit
possible à cet égard. Nous tenons de lui-même, ajoute M. Aderer, qu'il
veut laisser le champ absolument libre à toutes les candidatures sérieuses;
il a posé, dans le discours qu'il a prononcé en ouvrant la première séance
de la commission des théâtres, les principes qui lui paraissaient être les
meilleurs pour la bonne administration à venir de l'Opéra. Ces principes
ont été admis unanimement par la commission. Le ministre tient à ce que
le cahier des charges, dont la direction des beaux-arts a réuni les élé-
ments, soit très exactement conforme à ces principes, et à ce qu'aucune
équivoque ne soit possible dans le détail.
— Les députés et conseillers municipaux du neuvième arrondissement ont
été reçus par le ministre des travaux publics qui, en son nom, et au nom
de son collègue des Beaux-Arts, leur a promis de déposer prochainement -a
à la Chambre un projet de reconstruction de l'Opéra-Comique. Il y a une I
combinaison très avantageuse proposée à l'État, dont nous connaissons *
tous les détails et dont nous parlerons en temps et lieu.
— Les compositeurs de musique qui désirent prendre part au concours
ouvert par la ville de Paris, entre tous les musiciens français, pour la
composition d'une œuvre musicale avec soli, chœurs et orchestre, sont
prévenus que leurs manuscrits devront être déposés à l'Hôtel de Ville,
bureau des beaux-arts, escalier D, du 2 février au 16 mars prochain (di-
manche 13 excepté), de dix heures du matin à quatre heures du soir. Les
partitions devront être complètement instrumentées. Une réduction au
piano devra être fournie en un cahier séparé.
— De M. Louis Besson de l'Événement : « La succession de M. Vianesi
est virtuellement ouverte à l'Opéra, le chef d'orchestre actuel de l'Acadé-
mie de musique ayant signé un engagement à Pétersbourg à partir du
l"' mai prochain. Peut-être la direction de l'Opéra sera-t-elle même amenée
à remplacer M. Vianesi avant cette date, au cas où M. Massenet, par
exemple, demanderait que le Mage ne fût pas conduit par un chef qui
quitterait le service avant la dixième représentation de son ouvrage. Tou-
jours est-il que, jusqu'à présent, M. Madier de Montjau seul a posé offi-
ciellement sa candidature. En sa qualité de second chef, il demanle, con-
formément à certains précédents, à remplacer son chef de file. Mais d'aTJtres
cand idats sont également en présence, comme on sait: notamment M. Du-
LE MENESTREL
55
pont, ancien chef d'orchestre de la Monnaie, dont les rares mérites sont
universellement reconnus. M. Dupont ne fera pas acte de candidat, mais
il acceptera vraisemblablement les ouvertures qui pourraient lui être
faites, s'il était sûr d'avoir l'appui et les sympathies du ministère et du
public. Un autre candidat sera M. Alexandre Luigini, chef d orchestre à
Lyon, très aimé, très capable, et relativement très jeune. Sans parler
d'autres candidatures plus ou moins sérieuses, nous croyons que M. Gui-
raud ne se décidera point à accepter l'emploi, et que MM. Lamoureux et
Colonne ne se présenteront pas, occupés qu'ils sont par ailleurs avec leurs
sociétés de concerts. »
A rOpéra-Comique, en même temps qu'on répète les Folies amoureuses,
de M. Emile Pessard. on s'occupe de remettre à la scène Esclarmonde, de
M. Massenet, pour les débuts de M"«Vuil!aume, qui auront lieu la semaine
prochaine. Les répétitions d'orchestre des Folies amoureuses commenceront
la semaine prochaine, et en même temps les études de Lakmé, le bel
ouvrage de Léo Delibes, dont la reprise aurait lieu dans les premiers jours
du mois de mars.
Oh! ce Massenet, les grandes étoiles américaines ou autres ne lui
suffisent plus, voici qu'il s'adresse aux toutes petites constellations. Notre
confrère Jennius, de la Liberté, annonce que l'auteur A'Hérodiade a été telle-
ment frappé des talents de la petite Naudin qu'il s'est déjà mis à l'œuvre
pour lui composer un opéra-comique en un acte, destiné aux Bouffes-
Parisiens. Après l'Opéra, les Bouffes! Gela devait arriver.
Le théâtre des Bouffes-Parisiens donnera tous les jeudis, à deux
heures et demie, des matinées funambulesques. La première matinée aura
lieu jeudi prochain 18 février. Le programme se compose de trois panto-
mimes: la Révérence, de M. Le Corbeiller, musique de M. Paul Vidal;
Pour une bouffée de tabac, monomime de M. Galipaux, musique de M. Da-
clin ; Doctoresse, de MM. Paul Hugounet et Gaston Neubourg, musique de
M. Edmond Missa.
— M. Camille Bellaigue a fait mercredi dernier, au théâtre d'Applica-
tion, une fort intéressante conférence sur Herold, qui lui a valu un suc-
très vif et très mérité. II a analysé le génie du maître français, qu'il
considère avec raison comme le premier de nos musiciens dramatiques
(bien qu'il soit mort trop jeune, en nous laissant le regret de n'avoir pas
donné sa pleine mesure), avec un goût très sûr, une grande finesse et
parfois une émotion tout à fait communicative. Faisant jusqu'à un cer-
tain point bon marché de ses commencements, M. .Bellaigue s'en est tenu
aux trois oeuvres maîtresses d'Herold : Marie, Zampa et le Pré aux Clercs,
dont il a su faire ressortir les beautés avec une clarté lumineuse. Son
discours était, selon son habitude, relevé par des citations des œuvres
analysées, dont l'exécution était confiée à M""^ Molé-TrufQer, à MM. Sou-
lacroix et Clément et à deux jeunes élèves du Conservatoire dont nous
regrettons de ne pas nous rappeler les noms. Le succès de la séance a
■été tel que M. Bellaigue doit faire, vendredi prochain 20 février, une
nouvelle conférence sur Herold. — Au théâtre d'Application aussi, la se-
conde conférence de notre collaborateur Arthur Pougin est fixée au mer-
credi 4 mars ; elle aura pour sujet Rameau et la réforme de l'opéra français.
Plusieurs morceaux de Castor et Pollux, d'Hippolyte et Aricie et des Fêtes
d'Hébé seront chantés par M"'^ Bilbaut-Vauchelet et Du Wast et M. Du
Wast.
— Nouvelle transformation à l'Eden-Théâtre ! Les clowns, pitres et dan-
seuses ont repris possession de la scène occupée tout dernièrement par
Talazac, Bouhy et cette pauvre Rosine Bloch. Le morceau de résistance,
pour la soirée d'ouverture, était un ballet de MM. Jaime etDuval, musique
.de M. Auvray, la Tentation de saint Antoine. Le libretto traite avec une
ifantaisie très cavalière la légende sainte, et la musique se réclame
bruyamment de l'école italienne à qui nous devons Excelsior. Quelques
jolies personnes dans le corps de ballet et nombre de jambes bien
tournées; on n'en peut demander plus pour un début. P.-E. C.
— L'engagement de M™^ Simon-Girard expirant à la fin de cette saison,
■c'est M"« Clara Lardinois qui sera l'étoile de la troupe de M. Debruyère,
pour la prochaine campagne théâtrale. Pour M"° Samé,elle vient de signer
un engagement avec le théâtre des Bouffes.
— La première représentation de Lohengrin a eu lieu l'autre samedi au
théâtre des Arts de Rouen, avec un très grand succès et — fort heureu-
sement — sans l'ombre même d'une manifestation quelconque. Les deux
principaux interprètes pourtant, M. Reynaud (Lohengrin) et M"= Jane
Guy (Eisa), fatigués sans doute par les études et les répétitions, n'étaient
pas, à cette soirée, en possession de tous leurs moyens. Ils se sont rat-
trapés à la seconde, le mardi suivant, qui a été irréprochable. M"' de
Béridez est une Ortrude excellente. Les autres rôles sont tenus par
MM. Montfort, Mondaud et Lequien. Chœurs et orchestre — celui-ci sous
la direction de M. Flon — excellents. L'ouverture a été accueillie par
une triple salve d'applaudissements. Inutile de dire que la salle était
comble, et que le « tout Rouen » assistait à cette solennité. Quelques
■critiques parisiens s'étaient aussi rendus à Rouen à cette occasion. Cons-
tatons d'ailleurs que le théâtre des Arts se donne le luxe de frayer avec
ceux de Paris, et qu'il fait afficher les représentations de Lohengrin sur
les colonnes Morris, La troisième et la quatrième ont eu lieu jeudi et
samedi ; la cinquième est annoncée pour demain lundi.
— L'admirable cantatrice M™» Gabrielle Krauss vient d'entreprendre
une grande tournée dans les départements, qui ne connaissent pas en-
core cette artiste incomparable. Elle a dû partir hier pour Liège, d'où
elle se rendra successivement à Rouen, Lille, Reims, Nancy, Nantes,
Angers, Orléans, Rennes, Tours, Marseille, Lyon, Montpellier et
Bordeaux.
— L'église Saint-Gervais, voisine du quartier du Marais, était au temps
jadis une paroisse à la mode et presque un centre musical: à son orgue
se succédèrent presque tous les membres de la dynastie des Couperin, sans
interruption depuis le règne de Louis XIII jusqu'au commencement du
xix" siècle. Aujourd'hui, où le quartier n'est plus aussi brillamment habité
qu'autrefois, Saint-Gervais semble cependant reprendre son importance mu-
sicale, grâce à l'activité de son jeune maître de chapelle. M. Charles Bordes.
Plusieurs solennités musicales, avec orchestre et chœurs, y ont eu déjà
lieu : nous ne saurions passer sous silence la plus récente, qui a consisté
en une exécution intégrale de la Messe posthume de Schumann, pour soli,
chœurs et orchestre, qui n'avait jamais été entendue en France. C'est une
œuvre d'un fort beau caractère, expressive et d'apparence plutôt sévère
que brillante : si elle ne tient peut-être pas dans l'œuvre de Schumann
la même place que le Faust ou Manfred, elle n'en était pas moins digne
d'être entendue. Son exécution, qui avait attiré une foule nombreuse, a-
été remarquablement dirigée par M. Gh. Bordes. J. T.
On écrit à l'Espress, de Mulhouse, qu'un certain nombre d'amateurs
deniusiquedeSainte-Croix-aux-Mines avaient projeté de donner un concert
dans quelques jours. Le programme fut soumis au directeur de l'arrondis-
sement de Ribeauvillé. Le fonctionnaire allemand raya d'autorité tous les
morceaux de chant français qui figuraient sur la liste. Le concert a été
contremandé.
CONCERTS ET SOIRÉES
Concert Lamoureux. —Concert cosmopolite, cette fois. Musique hon-
groise représentée par Goldmark, Scandinave, par Grieg, allemande, par
Wagner, française, par Berlioz. Si l'appellation de symphoniste appar-
tient à Goldmark, on a le droit d'être sévère pour sa Noce villageoise, qui
n'est en quoi que ce soit une symphonie dans le sens classique du mot.
C'est une suite d'orchestre, ou plutôt une série de suites d'orchestre,
puisque le premier morceau en constitue une à lui tout seul ; dans cette
interminable succession de peintures descriptives, on note d'agréables
pensées, des idées claires et bien exposées : il y a là un charmant inter-
mezzo, un bel andante ; mais le plan est défectueux et l'audition devient
fatigante à la longue.— /.'Automne, ouverture de Grieg, pour le génie duquel
nous avons une profonde admiration, est une de ses plus médioeres ins-
pirations ; beaucoup d'efforts, peu d'idées. Nous ne comprenons pas la
sympathie de M. Lamoureux pour cette œuvre inférieure, auprès de
laquelle l'ouverture du Carnaval romain, de Berlioz, brille de tout l'éclat
de sa merveilleuse facture et de sa verve endiablée.— M"": Sophie Menter
a joué avec un talent remarquable le concerto en mi bémol de Beethoven.
Le jeu de M^^ Menter nous parait avoir subi une notable transformation
depuis les premiers débuts, à Paris, de l'éminente pianiste; il est devenu
plu.s ample, plus sévère, il s'est dépouillé de cette nervosité qui le dé-
parait un peu. Nous nous plaisons à constater cette transformation et
nous joignons nos applaudissements sincères à ceux qui ont accueilli la
célèbre artiste russe. Il est impossible de mieux dire l'œuvre si caracté-
ristique du plus grand des compositeurs.— M. Lamoureux avait fait une
place considérable à une cantatrice allemande. M™» Lilli-Lehmann, dont
la voix fatiguée possède encore quelques notes élevées dont elle a pu faire
emploi dans l'air si beau et si difficile d'Obéron, de Weber, et dans l'air
de Fidelio, de Beethoven, qu'on lui a assez mal accompagné, du reste. EUe
a dit aussi un morceau de Wagner, le Rêve, qui a le mérite de ne pas être
long et de ne pas faire beaucoup de bruit. M"» Lehmann chante en
italien et en allemand. Le public de M. Lamoureux écoute avec plaisir
ces langues exotiques, qu'il ne comprend pas toujours, mais qui n'en ont
que plus de mérite à ses oreilles. H. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : relâche.
Concerts Colonne: Réformation symphonie (Mendelssohn) ; le Réveil de Galatliée
(G. Plerné), par M'" Marcella Pregi ; Scènes d'enfance (R. Schumann); Fantaisie
(Peiilhou), par M. Diémer; Le Roi s'amuse (Léo Delibes); le Rouet dOmphale C.
Saint-Saëns); Hai Luli (Arth. Coquard),par M"" Marcella Pregi; les Maîtres chan-
teurs (R. Wagner).
Concerts Lamoureux: symphonie en fa (Beethoven); air d'Obéron (Weber), par
M"" Lilli Lehmann ; Rapsodie cambodgienne (Bourgault-Ducoudcay) ; Tristan et
Yseult (2' acte) (Wagner), par M. Kalisoh, M"" LiUi Lehmann et Mangin; ouver-
ture du Carnaval romain (Berlioz).
— Concerts et musique de chambre. — M"^ Natalie Janotha, qui vient
de donner un concert chez Érard, est née en 18SS à Varsovie, et s'est for-
mée à l'école de U""> Clara Schumann. Après s'être fait entendre en Alle-
magne, elle alla s'établir à Londres, où, protégée par son éminent pro-
fesseur, dont l'iniluence dans les cercles musicaux anglais est toute-
puissante, et par MM. Chappel, les organisateurs des Saturday and Monda;i
Popular concerts, elle sut se faire très vite une excellente situation. Son jeu
a de grandes qualités de finesse et de rapidité, mais manque essentielle-
ment d'accent et de rythme. C'est ainsi qu'elle a fait de la berceuse de
o6
LE MÉNESTREL
Chopin un susurrement, saps caractère, et du rondo capriccioso, de Mendels-
sohn, une aride élude de vélocité; elle a joué, par contre, avec beaucoup
d« poésie l'odai/io de la sonate en ut dièse mineur de Beethoven et un
nocturne de Chopin. — Encore que sortant de notre Conservatoire tant
décrié, M"» Petit-Gérard, une jeune pianiste de grand avenir, n'est point à
ignorer. Elle a su démontrer, dans un programme habilement composé,
qu'elle joint à une nature musicale distinguée, une technique des plus
remarquables. Elle a particulièrement fait plaisir dans le premier morceau
de la Fantaisie de Schumann, dit avec un sentiment très poétique et très
juste, et dans deux pièces de Liszt. — M. Salmon, l'excellent violoncelle-
solo des Concerts Lamoureux, a donné une séance de musique de chambré
avec le concours de MM. Turban, Rivarde, Mas et Kosman. Il a fait
entendre deux quatuors à cordes de Haydn et de Beethoven (op. .59, n" 1),
interprétés tous deux avec une grande correction de style, et les trois mor-
ceaux de fantaisie pour clarinette et piano dans lesquels M. Turban s'est
de nouveau affirmé comme un virtuose de tout premier ordre. I. Pu.
— M™« Gabrielle Krauss a donné, le 7 février dernier, une soirée très
brillante dans laquelle M. Diémer a exécuté avec une vélocité prestigieuse
et une égalité vraiment stupéfiante la valse chromatique de M. B. Godard.
M. "White a joué sur un Stradivarius aux splendides sonorités l'aria de
la Suite en ré de Bach. On a entendu aussi l'excellent violoncelliste
M. Casella. M""" Krauss a chanté des mélodies de MM. Fauré et Thomé,
l'Hommage, de Schumann, le Roi des Aunes, et le Cavalier, de M. Diémer. La
voix chaleureuse, la diction pleine de noblesse et d'ampleur et le style
simple de la grande artiste ont produit une profonde impression. A. B.
— Très brillante réunion chez M. et M°"= de Serres, qui ont adopté la
mode viennoise des réceptions dans l'après-midi. — Au programme,
MM. Diaz de Soria, Diémer, White et la maîtresse de la maison : on a
entendu du Mozart, du Beethoven, du Schumann, du Godard, du Massenet
et de l'Ambroise Thomas. — le classique et le moderne admirablement
interprétés, par chacun. — Après la musique, thé des plus animés.
— Jeudi dernier, bi'illante matinée musicale chez M'"= la baronne, de
Bonnefoux. En plus des excellents artistes qui, chaque semaine, se font
entendre à son jour de réception, les invités ont eu hi bonne fortune d'en-
tendre pour la première fois deux jeunes artistes dont le talent prodigieux
a le privilège de faire courir tout Paris. Ce sont les deux jeunes filles du
célèbre ténOrNaudin, de l'Opéra, M"':!' Emilie et Marguerite Naudin, âgées,
l'une de dix-sept ans et l'autre de douze ans. qui ont hérité de la voix et
de la méthode de leur père. Leur chant tendre et pénétrant a vivement
ému l'auditoire. M"" Marguerite Naudin, dans l'Enfant au Jardin, et
M"" Emilie, dans Pavera Mamma, ont causé une telle impression que des
larmes coulaient de beaucoup de jolis yeux.
— Les élèves du cours de chant et de piano de M. et M™'' Amand Chevé
ont présenté de très brillants échantillons de leurs talents à la soirée
donnée par eux le 28 janvier. Parmi les pianistes, nous avons remarqué
M"=^ Alice Thounerien {Badinage , de Thomé), Garris (Chant d'avril, de
Lack), de Bonsignac (3° scherzo de Marmontel), M°"= Grégoire (fe Retour,
de Bizet), enfin M"=^ L. Dupré et V. de Rauzegat, qui ont enlevé avec
brio la sonatine à deux pianos de Th. Lack. Du côté des chanteurs,
M. Ghaix s'est signalé dans les soit de l'Hymne nu feu sacré, chœur* de
M. Bourgault-Ducoudray.
— CoNCEiiTS ET SoiiiKES.— Au concert donné à la salle Erard par M"* Spencer-
Owen, on a fort applaudi deux mélodies de Faure ; Hymne nui astres et Espoir en
Dieu, remarquablement interprétées par M.Caron, — la dernière de ces mélodies
avec accompagnement de cor par M. Brémond, qui y a obtenu personnellement
un grand succès. Le lendemain, M. Caron interprétait à Nanterre une autre mé-
lodie de Faure, Charité, qui lui a été bissée au milieu d'acclamations. — L'audi-
tion à la salle Pleyel des élèves de la classe d'opéra de M-" Marie Ruefl' a été
des plus intéressantes. Parmi les élèves les plus remarqués il faut citer M""De-
larue et Genoud, MM. Jules Gogny etDauval. M. Gogny est un jeune tcnor déjà
très apprécié, que nous entendrons bientôt sur une de nos grandes scènes lyriques.
— Toujours grande afflucnce salle Erard, à la séance donnée par M. G. Falken-
berg pour produire quelques élèves artistes ou se destinant à la carrièie artistique;
cette audition a été un nouveau et grand succès pour l'excellent professeur. Le
Passepie:! du cber et regretté Delibes a produit son effet accoutumé. L'habile
cantatrice M'" Fanny Lépine a été vivement fêtée, ainsi que le fin violoniste
Montardon, remplaçant M. Devilliers, empêché. — La deuxième séance d'élèves
donnée dimanche salle Pleyel par M"' A. 'W^eingaertner, a fort réussi et a permis
de constater Vesceîlence de son enseignement. Une mention toute spéciale à sa
charmante fillette, véritable phénomène de virtuosité et do brio. Plusieurs solos
de violon, exécutés par M. Weingacrlner avec la noblesse et le cbarme qui dis-
tinguent le talent de ce remarquable artiste, ont profondément ému l'auditoire.
— Dans les deux séances musicales données à l'institution Sainte-Croix (de
Neuilly), le 8 et le 9 février, on a apprécié de nouveau la parfaite exécution des
chœurs et des morceaux d'ensemble sous l'excellente direction de M. A. Trojelli.
Très grand succès notamment pour VEntr'ade-Gavotte de Mignon, qu'on a db
bisser, et pour le morceau de piano : Dansons la tarentelle, joué par une élève de
l'auteur (A. Trojelli) et accompagné par l'orchestre de l'institution.
— La « Fondation Beethoven », société de musique de chambre des-
tinée surtoulàl'exécution des derniers quatuors de Beethoven et formée de
MM. Geloso (1™ violon), Tracol (2' violon), Fernandez (alto), Schnéklud
(violoncelle) et Camille Chevillard (piano), va commencer la série de ses
séances de seconde année. Ces séances, au nombre de dix, auront lieu
dans les salons Rudy, 6, rue Royale, aux dates suivantes : 20 et 27 février,
6, 13 et 20 mars, 3, 10, 17, et 24 avril et l"' mai.
— M. Sig. Stojowski, jeune premier prix du Conservatoire des classes
de M.L. Diémer et du regretté Léo,Delibes, donnera mardi 17 février,salle
Érard, une audition de ses œuvres avec le concours de l'orchestre Colonne.
— Mardi 16 février, salle :Pleyel, deuxième séance de la société de mu-
sique française, fondée par M. Ed. Nadaud, avec le concours de MM. Dela-
borde, Gillet, Gros Saint-Ange et Laforge.
— Le violoniste White donnera sa troisième et dernière séance de mu-
sique de chambre le mercredi 18 de ce mois, à 9 heures du soir, salle
Érard.
NÉCROLOGIE
A Brest, vient de mourir presque subitement d'une congestion pul-
monaire un musicien fort distingué, quoique fort modeste, Théodore
Lécureux, auteur d'un certain nombre de pièces de piano qui sortent tout
à fait du banal ordinaire. Il était depuis fort longtemps établi à Brest
comme professeur de piano, et ses leçons étaient très recherchées. Fort
aimé et apprécié, tant pour ses qualités artistiques que pour ses qualités
charmantes d'homme privé, sa mort est un véritable deuil pour toute la
ville.
Hexki Heugel, directeur-gérant.
M"« CAROLINE BERNAMONT, élève de Marmontel, et M"* Cla-
risse Bernamont, artiste peinti-e, ont l'honneur de faire savoir à leur clien-
tèle qu'après la perte douloureuse qu'elles viennent d'éprouver en la personne
de leur mère, elles ne reprendront leurs cours et leçons particulières chez
elles, ", rue Coëtlogon, Pai'is, qu'au premier mars prochain.
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3125 — 57™ A^ÉE — N" 8.
Dimanche 22 Février 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
C« an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr. , Paris et Province.
Aionnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMÂIEE- TEXTE
•I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (2- article), Julien Tiersot.— IL Semaine
théâtrale: Les candidats à la direction de l'Opéra, H. Moreno. — IlL Une
famille d'artistes : Les Saint-Aubin (10° article), Arthur Pougin. — IV. Recons-
truction de rOpéra-Comique, Ph. G. — ^V. Revue des Grands Concerts. —
VL Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MUGUETS ET COQUELICOTS
n° 1 des Rondes et Chansons d'airil, de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies
de George Auriol. — Suivra immédiatement : A'e farle pas, nouvelle
mélodie de H. Balïhasar-Florence, paroles de G. Fuster.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PlA^o: Sous les tilleuls, valse alsacienne de P.wl Rougnon. — Suivra
immédiatement: Plus heureux qu'un roi ! nouvelle polka de Philippe Fahrbach.
LA MESSE EN SI MINEUR
DE J.-S. BACH _
(Suite) .
La fonction de Bach à l'école Saint-Thomas de Leipzig élait
-celle de cantor, survivance du moyen-âge, où, dans les écoles
religieuses, la musique occupait une place tellement prépon-
dérante que l'on n'était pas étonné de voir donner le litre
de «■ chantre » ou « préchantre » au maître chargé de la
direction générale, enseignant à la fois aux élèves, outre
la musique, la grammaire, la philologie, la théologie et la
dialectique. Or, l'école Saint-Thomas, qui n'était pas, comme
on le pourrait croire par le rôle que Bach y joua, une école
spéciale de musique plus ou moins analogue à nos Conser-
vatoires, mais bien ce que nous appellerions aujourd'hui un
établissement d'enseignement secondaire, était gouvernée par
des règlements surannés où toutes les pratiques des anciens
temps avaient conservé leur vigueur. A la vérité, le canlor n'y oc-
cupait pas la première place, comme le préchantre des maîtrises
du moyen-âge; il n'était plus que le troisième dans l'ordre
hiérarchique, ayant au-dessus de lui le rector et le co-rector ;
mais il avait gardé ceci des traditions d'autrefois qu'il ne devait
pas se borner au seul enseignement musical: d'abord il était
chargé, concurremment avec le rector et le co-reclor, du service
de semaine pour la surveillance de l'école : cela l'occupait,
une semaine sur trois, à des besognes administratives très
peu musicales ; en outre, il devait enseigner aux classes terlia
et quarta l'écriture, la grammaire, les CoUoquia Corderii et le
cathéchisme luthérien. Bach professeur de rudiment, quel
rêve 1 Et qu'il devait être beau à voir faisant la classe de
latin, expliquant à la quatrième, peu attentive, les morceaux
classiques des Géorgiques ou les Orationes de Gicéron!... La
vérité m'oblige à dire qu'au bout de quelques années il se
fit remplacer dans cette partie de ses fonctions, mais il la
remplit tout d'abord, et avec quelle conscience, c'est ce que
tout le reste de sa vie nous permet de deviner!
Par ces détails, nous pénétrons de plus en plus intimement
dans le monde où Bach passa les années les plus fécondes de
sa vie, monde dans lequel le pédanlisme le plus parfait régnait.
11 nous est resté, de ce temps-là, des écrits administratifs de
Bach tout hérissés de mots d'un latin barbare, d'étonnantes
formules scolastiques : c'était le style dans lequel il fallait
s'exprimer, absolument. Un des rares parmi ses collègues ou
supérieurs qui aient senti son mérite, le rector Gesner, a laissé
une page intéressante, et qui lui fait honneur, où il fait
l'éloge du génie du cantor; mais il écrit cela sous la forme
d'une apostrophe adressée à... Quintilien ! L'on ne saurait
mieux caractériser les personnages qui jouèrent leur rôle
dans la vie aux côtés de Sébastien Bach qu'en les comparant
à ceux des Maîtres chanteurs : mêmes décors d'église, d'école,
d'ancienne ville allemande; écoliers turbulents et indisci-
plinés; maîtres formalistes, entêtés dans leurs vieilles doc-
trines; querelles bouffonnes commencées avec solennité, mais
où peu à peu les plus graves finissent par perdre tout pres-
tige; horions échangés, menaces de coups de bâton, comme
dans la scène nocturne de Nuremberg; — pas de Walther, Bach
étant le Hans Sachs, quelques Beckmesser, mais surtout une
collection nombreuse de Kothner,Ortel, Moser, Zorn, Nachtigall,
braves gens au fond, mais sans génie, et n'y voyant pas plus
loin que le bout de leur nez, — tout cela nous le retrouvons,
au dix-huitième siècle, dans la Thomas-schulc de Leipzig.
Les querelles de Bach, dans ce lieu prédestiné, commen-
cèrent à son arrivée dans la ville. Nous avons déjà parlé de
l'organiste Corner, qui avait cru pouvoir se poser en concur-
rent et rival de l'auteur de la Passion : la vérité est qu'il avait
pris cette attitude dès le premier jour de sa venue. Entre la
mort du prédécesseur de Bach et la nomination de celui-ci,
ce Corner avait été chargé par intérim de la direction de la
musique à l'église de l'Université, fonction qui, depuis long-
temps, était dévolue au cantor de la Thomas-schule ; et Bach y
tenait d'autant plus que l'Université de Leipzig, dont la re-
nommée était européenne, représentait un monde supérieur
à celui de l'école Saint-Thomas, et l'élevait à ses propres
yeux. D'ailleurs son titre de cantor lui apparaissait déjà comme
trop subalterne, et, de sa propre autorité, il s'était attribué
celui de director mus/ces, indiquant par là qu'il attachait moins
d'importance à ses occupations scolaires qu'au rôle qui lui
58
LE MENESTREL
était dévolu dans les deux principales églises de la ville,
Saint-Thomas et Saint-Nicolas, où, de par ses fonctions, il
était chargé de la direction musicale des cérémonies. Gomme
ce fut pour ces exécutions qu'il composa la plus grande
partie de ses oratorios et cantates sacrées, nous n'y contre-
dirons en aucune façon.
Donc, Bach trouva la place prise, Gôrner bien installé, bien
défendu de toutes parts, et manifestant clairement qu'il
n'avait aucune intention d'en sortir, bien qu'il y n'eût aucun
droit. Plein d'astuce, Bach patiente d'abord; mais, sans faire
semblant de rien, il mine sourdement la position, prépare
ses batteries en silence et dans un bel ordre, car il est ha-
bile à toutes les combinaisons savantes ; puis, le moment
venu, il les démasque ! Il s'est fait un parti dans l'Université;
il s'adresse au roi de Saxe ; enfin, c'est la guerre I Disputes,
échanges de lettres comminatoires ; l'Université réclame au
roi contre Bach, Bach riposte et confond l'Université : il faut
lire la lettre qu'il écrivit à cette occasion, dans le style du
philosophe Marphurius, avec des raisonnements en barbiton,
en barbara, des distinguo témoignant d'une dialectique éton-
nante, des mots d'un latin dont Virgile dut tressaillir d'hor-
reur en son tombeau du Pausilippel C'est un modèle du
genre. Il était d'autant plus âpre à la discussion que ce n'était
pas seulement l'influence que lui dérobait son rival, mais
aussi les honoraires, et cela le touchait non moins! La légende
rapporte qu'un jour, comme Gôrner jouait faux à l'orgue de
Saint-Thomas, Bach lui jeta sa perruque à la tête en criant:
«Ne ferait-il pas mieux de se faire savetier! » — Peu après,
nouvel orage, plus menaçant que le premier, car il vient de la
direction même de l'école. Le redoc étant mort, durant le temps
ds la vacance, le conseil des gouverneurs, composé de cinq
conseillers municipaux et cinq entrepreneurs de bâtisses,
imagine d'examiner si Bach faisait son service musical avec
compétence ; ils s'attaquent à son budget, qu'ils réduisent
notablement : ils grattent sur les honoraria, le salarium, sup-
priment tout ou partie du gratial et même des « petits béné-
ficia j> ; même ils prétendent réduire les dépenses consacrées
aux exécutions musicales. Notez bien que cela se passait au
temps on Bach produisait la Passion selon saint Mathieu, VOra-
torio de Noël, ceux de l'Ascension et de Pâques, ses plus
belles cantates profanes, tous ses chefs-d'œuvre 1 — Plus
tard enfin, conflit avec le rector, un certain Ernesti, plus têtu
que lui, si c'était possible : là se succèdent jour par jour
les scènes les plus bouffonnes. La cause, moins que rien :
Bach a donné l'ordre qu'on châtiât des écoliers indisciplinés;
il faut croire que le subalterne chargé de ce soin a la férule
un peu dure, car les écoliers vont se plaindre au directeur.
Ravi d'être désagréable à Bach, celui-ci condamne ledit
subalterne, une façon de pion, à être battu à son tour, et ce
devant toute l'école. G'é'ait ainsi qu'on en agissait encore
au xvm'' siècle dans les écoles allemandes. Or, ces coups de
bâton atteignaient moralement le cantor, puisque c'était d'un
ordre donné par lui qu'était né l'incident. La querelle devient
épique; le conflit prend des proportions indéfinies; le rector
et le cantor vont jusqu'à s'invectiver en pleine classe, devant
les élèves; on va de nouveau au conseil communal, qui
donne tort à Bach; Bach n'en tient aucun compte, et de son
côté il écrit au roi. Gela se passait en '1736. Or, trois ans
auparavant, il lui avait déjà adressé la lettre suivante :
Au très glorieux Prince et Seigneur, Seigneur Frédéric- Auguste, Prince
royal de Pologne et Lithuanie, duc de Saxe, mon très gracieux Seigneur.
Très glorieux Électeur,
Très gracieux Seigneur,
A Votre Altesse royale j'offre avec la plus profonde Dévotion le
présent petit travail de la science à laquelle j'ai atteint en Musique,
avec la prière très humble de vouloir Lien le considérer non d'après
sa mauvaise Composilim, mais, par Votre Clemenz illustre dans tout
le monde, de le regarder avec les yeux les plus indulgents, et de
de me prendre en outre sous votre puissante Proteiîon." J'ai, depuis
quelques années et jusqu'à maintenant, eu le Directorium de la
Musie dans les deux églises cathédrales de Leipzig, et pendant ce
temps des injustices répétées ont été cause qu'il m'a fallu subir
une diminution des Accidentien (bénéfices, casuel) attachés à cette
Function; mais cela ne pourrait pas subsister si V. A. R. voulait
me témoigner sa faveur et me conférer un Prédicat dans la Cha-
pelle de Sa Cour, et, par l'octroi d'un Décret pour cela, donner un
ordre supérieur à qui de droit. Un si gracieux consentement à mon
humble prière, m'obligerait à un respect sans fia, et je m'offerire
en la plus absolue obéissance, chaque fois que V. A, R. en aura
le très gracieux désir, à employer mon zèle infatigable à la compo-
sition de Musique d'église aussi bien que à'Orchesti'e, et à mettre
toutes mes forces à Son service, attendant dans la plus infinie
fidélité, de V. Altesse Royale très humble et très obéissant serviteur,
Jean-Sébastien Bach.
Dresde, le 27 juillet 1733.
Cette requête, que nous traduisons enserrant le texte d'aussi
près que possible, écrite de la main d'un copiste en une
grosse écriture ronde, conformément aux élégances du temps,
agrémentée de mots latins ou français, quelques-uns ornés
de désinences allemandes, en lettres latines (en italiques
dans le texte ci-dessus), avec la signature et les mots « très
humble et très obéissant serviteur » de la main de Bach,
accompagnait un cahier de musique oiîert en hommage par
le compositeur au prince pour s'attirer ses bonnes grâces.
Dédicace et partition peuvent se voir encore à Dresde dans
la bibliothèque musicale du roi de Saxe. Et quelle était cette
musique, ce « petit travail, » cette « mauvaise composition » ?
Le Kyrie ei le Gloria de la Messe en si mineur. Oui, c'est pour
accompagner une pétition en vue d'obtenir de l'avancement
que Bach a produit le chef-d'œuvre ; c'est en guise de com-
pliment de bienvenue qu'il l'a envoyé à son prince, comme
font les enfants bien sages qui, pour la fête de leur papa, lui font
cadeau d'une belle page d'écriture, avec des rubans roses I
Et c'est aux pédagogues de la Thomas-sclmle que nous en
sommes, au fond, redevables, puisque c'est par suite de
leurs attaques que Bach l'a composé, n'y voyant d'abord,,
semble-t-il, qu'une arme défensive à leur opposer. Braves
pédagogues de la Thomas-sclmle !
Le présent, non plus que la lettre, ne fut d'ailleurs d'au-
cun effet : le roi ne daigna pas regarder la musique de
Bach ; il ne parait pas avoir exprimé le moindre désir de
l'entendre, et l'on n'a pu trouver aucune trace d'exécution,
même fragmentaire, à Dresde, de la Messe en si mineur. Pour
en finir avec les querelles (après quoi nous reviendrons à
l'œuvre pour ne la j)lus quitter), bornons-nous à dire qu'en
1736 Bach eut de nouveau recours au roi, qui, cette fois, lui
conféra le titre qu'il sollicitait, mais qu'au fond cela ne
changea rien, ou pas grand'chose, aux dispositions de ses
collègues et supérieurs de Leipzig, qui, s'ils le laissèrent peut-
être vivre un peu plus tranquille, ne modifièrent aucune-
ment leurs sentiments à son égard. Et, quand il passa de
vie à trépas, les conseillers de l'école, dans une séance tenue
une semaine après sa mort, laissèrent entendre que c'était
un bon débarras, que la Thomas-sclmle n'avait pas besoin d'un
Cappelmeister, mais d'un cantor, et que si « Monsieur Bach »
avait été un grand musicien, c'était, en tout cas, un fort
mauvais professeur !
En replaçant Bach dans le milieu où il passa les plus glo-
rieuses années de sa vie, en montrant même, jusqu'à un
certain point, qu'il put dans sa manière d'être extérieure en
subir aussi l'influence, je ne pense pas avoir diminué son
prestige aux yeux de qui que ce soit. Il me semble au con-
traire qu'il grandit lorsqu'on le voit, entouré de pareils
gens et ayant lui-même d'aussi prosaïques préoccupations,
produire ce qu'il produit, et que par là s'accuse encore
davantage la robustesse de sa nature et la sublime grandeur
de son génie.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE MENESTREL
5.9
SEMAINE THÉÂTRALE
Oa continue de s'agiter autour de la « question del'Opéra». Nous
•en sommes arrivés au point psychologique où, l'examen du nouveau
cahier des charges étant terminé par la Commission dite supérieure
des théâtres, il va falloir procéder à la désignation d'un nouveau
directeur, — hesogne assurément embarrassante pour un ministre
qui, avant d'entrer en fondions, savait probablement de la musique
"tout ce qu'il en faut pour distinguer Tai du bon tabac à'Aii clair de
la lune. Mais par sa seule nomination au poste de régent des Beaux-
Arts en France, il est convenu qu'il doit être infaillible ; c'est le
pape de la double croche, delà palette etdel'ébauchoir. M. Bourgeois,
qui est au moins un homme de boa sens et de bon vouloir, doit
donc en prendre son parti et se résigner à un choix redoutable
parmi les divers candidats qui se présentent plus nombreux qu'on
ne pouvait le supposer à la première heure. Il semble d'ailleurs, —
est-ce bien vrai? — vouloir se débarrasser de toutes influences
politiques ou autres. Ce serait déjà un excellent point de départ. Si
les dernières directions de l'Opéra ont été si désastreuses, c'est
qu'elles étaient dues plus à la pression de quelques personnalités
députaillantes ou ministrables qu'à l'intérêt véritable des choses de
l'art. M. Vaucorbeil fut choisi parce qu'il était l'ami de M. Jules
Ferry ; M. Gailhard l'a été parce qu'il était celui de M. Gonstans. Si
M. Bourgeois se décidait à nommer un directeur qui fût simple-
.ment l'ami de la musique, ce serait une nouveauté qui pourrait
porter ses fruits.
Ce qui nous plaît jusqu'ici en M. Bourgeois, c'est qu'il a voulu
innover en la matière du cahier des charges. Il n'a pas eu pour
■cette question la noble indifférence de ses devanciers et ne s'est
pas confiné comme eux, immuable et inamovible, dans la poussière
d'une routine commode et consacrée par une mauvaise expérience
de plus d'un demi-siècle. Je sais que beaucoup l'ont taxé de témé-
rité, en prétendant qu'il allait détruire l'Opéra. Nous l'espérons bien.
L'Opéra, tel qu'il est constitué, est un monument cher, mais essen-
tiellement inutile. Il ne répond à aucune espèce de besoin artis-
tique. C'est un salon de luxe, un cercle oii « la belle société » aime
à se rencontrer, à se montrer, à parader, à se rendre visite, à
jacasser de mille choses, à s'intéresser à tout excepté à la musique.
Ce qu'on appelle « l'abonnement » peut être une sécurité financière
pour l'entreprise, mais c'est aussi le plus grave danger artistique
qu'on puisse lui faire courir. On ne peut présenter une œuvre d'art
devant un public plus détestable, plus futile, plus occupé d'autre
chose, moins préparé aux sérieuses manifestations. Et c'est pourquoi
le plu? mince théâtre lyrique ferait beaucoup mieux notre affair.! et
rendrait bien d'autres services. Il est absolument absurde que lE'tat
subventionne aussi largement un centre de réunion pour le « beau
inonde. » Le « beau monde » est assez riche par lui-même pour
■subventionner de ses propres deniers un théâtre établi selon ses
goûts et ses commodités. Il avait dans le temps, pour ce genre de
■divertissements, des théâtres italiens qu'il pourrait relever sans que
les artistes y vissent aucun inconvénient.
Donc, rapprocher le plus possible l'Opéra, théâtre inutile, du
Théâtre-Lyrique, théâtre utile, est une besogne louable. Et c'est en
ce\a que M. Bourgeois nous paraît être entré dans une voie excel-
lente. Le nouveau cahier des charges, en multipliant les représen-
tations, en permettant l'importation des œuvres étrangères, en don-
nant de plus grandes facilités pour l'emploi du matériel, nous laisse
espérer une plus grande variété de répertoire, un cycle d'œuvres
plus intéressantes. Il est donc une amélioration sur l'ancien. On
avait parlé de mettre les loges d'abonnement à l'enchère ; on ne l'a
pas fait, de crainte de tuer cet abonnement. Nous ne l'aurions pas
■regretté, pour les raisons que nous avons données plus haut.
Donnons maintenant la liste rapide des diverses candidatures qui
se mettent en avant, et même de celles dont on parle seulement
dans la coulisse, mais qui pourraient bien démasquer tout à coup
leurs batteries.
Il y a d'abord MM. Ritt et Gailhard, qui s'obstinent, sans com-
prendre qu'ils sont devenus odieux à tout le monde. Ils ont pour
unique soutien M. Gonstans, qui d'ailleurs peut suffire à les main-
tenir envers et contre tous. C'est que le Mazarin de Toulouse n'est pas
seulement un homme d'État puissant, c'est encore un dilettante raffiné
qui se pique de musique autant que de belle politique. M""" Gons-
tans a ses « dimanches », comme M"" Gharbonneau avait ses jeudis,
et on y pince delà lyre entre trois et cinq heures. M. Gailhard lui-
même ne dédaigne pas, k l'occasion, d'y chanter, entre Kam-Hill
et Yvette Guilbert, quelques-uns de ces boléros qui ont le don de
faire pâmer son Excellence. Les robes que porte M"' Gonstans à
ces matinées artistiques sont célébrées dans les gazettes ; elles
sortent de chez le grand couturier et leurs nuances assorties font
pâlir de jalousie celles qu'arbore à l'Elysée M'"" Carnet elle-
même. La voilà bien, la République athénienne! Gomment résister
à une candidature recommandée par Périclès en personne?
Cependant, pour alléger le bâtiment qui porte la fortune de Gailhard,
peut-être se décidera-t-on à jeter à la mer son vieux complice, M. Ritt,
dont on ferait le bouc émissaire de toutes les turpitudes qui se sont
commises à l'Opéra depuis bientôt sept années. Et en ce cas, pour
redonner quelque prestige au survivant de la direction Ritt et
Gailhard, on songerait à lui adjoindre un honnête homme comme
M. Halanzier. Nous espérons que ce dernier saura se défendre
d'une pareille combinaison. M. Halanzier compte beaucoup de sym-
pathies à Paris. Il aurait bientôt fait de les perdre par une alliance
inavouable.
Nous avons ■ ensuite M. Victor "Wilder, dont nous avons donné
les plans par le menu (1) — candidature combattue par les compo-
siteurs français, qui craignent une invasion trop exclusive sur la
scène de l'Opéra du répertoire de Richard Wagner, dont notre
éminent confrère est le soutien naturel en même temps que le
fidèle traducteur. C'est peut-être là une crainte chimérique. En sup-
posant même à M. Wilder des projets aussi subversifs, il est à
croire que les intérêts de la recette, peut-être aussi la reconnais-
sance, le ramèneraient rapidement vers les œuvres de son pays
d'adoption. Car il n'est pas prouvé du tout que le publie parisien
soit mûr encore pour ces manifestations terriblement germaniques
et si contraires à son tempérament.
Une autre candidature qui semble gagner beaucoup de terrain,
c'est celle de M. Bertrand, l'aimable directeur du théâtre des Varié-
tés. Son programme, d:ins le principe, consistait à mener de front, à
réunir dans une seule entreprise la direction de l'Opéra et celle de
l'Eden, qui se seraient ainsi soutenues l'une l'autre. L'Eden serait
devenu comme une sorte de succursale de l'Académie nationale de
musique, en tenant lieu du théâtre lyrique si désiré de tous. Mais
cela était un peu bien compliqué et on pouvait y voir comme une
manœuvre destinée à sortir d'une situation difficile le Ihéâtre de
l'Eden, où M. Bertrand se trouve précisément avoir de gros iutérêts.
Aussi, celui-ci semble-t-il avoir renoncé à cette double combinaison.
Il s'en tiendrait, assure-t-on, à la seule direction de l'Opéra, ce
qui est en effet suffisant, et s'adjoindrait même pour associé un
homme de métier et d'expérience comme M. Gampocasso, un direc-
teur de l'école pratique de M. Halanzier.
Eu tête des candidats qui se trouvent dans les coulisses et qui
seraient peut-être bien aises qu'on les y vienne chercher, se trouve
M. Porel. Le très intelligent directeur de l'Odéon ne veut pas s'expo-
ser à un refus, mais se laisserait faire une douce violence, si on
l'en priait beaucoup. M. Porel a donné assez de preuves de son goût
pour la musique, qu'il a trouvé moyen d'introduire dans presque
toutes les pièces de l'Odéon, pour laisser supposer qu'il pourrait être
un excellent directeur de l'Opéra.
On prêle aussi à M. Paravey des intentions sur notre première
scène lyrique. Voilà qui serait fâcheux pour l'Opéra-Comique, dont
le jeune directeur conduit si brillamment les destinées et qu'il aban-
donnerait ainsi en pleine prospérité financière et artistique. Ne le
laissez pas partir, Monsieur Bourgeois ! Il est trop précieux là où
il est.
Qui encore? Depuis hier, on commence à parler de la candidature
de M. Emile Blavet, un de nos plus charmants confrères. Parfait,
s'il n'y a pas quelque anguille sous roche et si M. Blavet ne nous
ramène pas, par un moyen détourné, l'éternel Gailhard, dont il a été
si longtemps le secrétaire dévoué.
On ne parle plus du tout en revanche de la candidature de M. Clè-
ves, l'ancien directeur du Ghâtelet, qui, dans le principe, s'était mis
aussi sur les rangs.
Que sortira-t-il de tout cela, quand le quart d'heure de Rabelais
aura sonné, c'est-à-dire quand il s'agira de justifier devant le ministre
des 800,000 francs nécessaires à l'exploitation : 400,000 pour le cau-
tionnement et 400,000 pour le fonds de roulement? Nous verrons alors
bien des candidatures s'évanouir en fumée. Nous venons d'énumérer
huit combinaisons différentes. Le gâteau sera peut-être alors pour
une neuvième.
H. MORENO.
p. -S. En attendant la première représentation, en France, de Juanita,
de Franz Suppé,— avec M"» Ugalde dans le rôle principal, — qui doit inau-
(1) Voir le Ménestrel à 2 novembre 1890.
60
LE MENESTREL
gurer réellement sa direction, M. Vizentini vient de faire, aux Folies-
Dramatiques, une très bonne reprise des Mousquetaires au Couvent, le tou-
jours amusant opéra-comique de MM. Ferrier et Prével agrémenté de
la partition très réussie de M. Louis Varney. M. Morlet a repris le rôle
de Brissac, dans lequel nous avions déjà eu l'occasion de l'applaudir, et
s'y est montré chanteur séduisant et comédien agréable. M. Ch. Lamy
est un charmant Contran. M. Gobin, malade, n'a pu jouer l'abbé Bridaine;
il a été remplacé au pied levé par M. Bellucci, qui a fait de son mieux.
Sous la robe de pensionnaire de Marie, nous avons revu avec plaisir
M"° Blanche Marie ; M"» Yvonne Fréder s'est taillé un petit succès de bon
aloi dans le rondeau de « la curieuse » et M"'' Zélo Duran nous a donné une
Simone appétissante. Voilà qui va permettre au sympathique directeur de
ne point se presser de monter son nouveau spectacle.
Paul-Émile Chevalier.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
V
(Suite.)
L'aînée, Cécile, douée d'une fort belle voix dont on vantait tout
ensemble le timbre flatteur, la justesse et la flexibilité, avait pris
pendant trois années des leçons du compositeur Tarchi, auteur de
plusieurs jolis opéras-comique.', lorsqu'elle entra au Conservatoire,
pour s'y perfectionner dans la classe de Garât. Elle en sortit pour
venir débuter à l'Opéra-Comique, le M mai 1804, dans le Concert in-
terrompu, de Berlon, oli elle obtint un éclatant succès de canta-
trice (1). Après sa troisième apparition dans cet ouvrage, le Cour-
rier des Spectacles publiait les lignes que voici : — « M"" Saint-
Aubin continue toujours d'être l'objet de l'enthousiasme général.
Elle est redemandée à la suite de chaque représentation, et comme
on est généralement persuadé que c'est aux soins particuliers de sa
mère qu'elle doit le brillant développement de ses talens, on ne
manque jamais de demander M""^^ Saint-Aubin avec sa fille. II ne
resloit plus pour satisfaire le public que de les voir jouer l'une et
l'autre dans la même pièce ; c'est ce qui doit avoir lieu incessam-
ment. Mad. et W" Saint-Aubin joueront ensemble ians Michel-Ange.
L'on ajoute, dit-on, à celte pièce un air pour M"= Saint-Aubin. El-
leviou chantera avec elle un duo nouveau. Il ne faut point douter
que les loges et toutes les parties de la salle ne soient remplies le
jour de celte brillante représentation (2). » La mère et la fille pa-
rurent ensemble, en effet, dans Michel-Ange, de Nicolo, puis, la jeune
Cécile se montra dans Montana et Stéphanie, de Berton, qui écrivit
expressément pour elle un nouvel air avec récitatif, placé au com-
mencement du troisième acte, et qu'elle chanta d'une façon
superbe (3).
Pourtant, et malgré son heureux résultat, M"" Cécile Saint-Aubin
interrompit brusquement et tout à coup ce premier essai, sans qu'on
ait jamais pu démêler la cause de cette détermination inat-
tendue. Toujours est-il qu'après quatre ou cinq mois de séjour à
rOpéra-Gomique elle quitta soudainement ce théâtre, pour n'y repa-
raître qu'après une absence de quatre années environ (4). Fétis dit
qu'elle rentra alors au Conservatoire, et cela semble en effet probable,
car on la voit prendre part à celte époque aux coneerls-exercices
de l'école. Ce qui est certain, c'est que c'est à ce moment que se
place son mariage. Le lundi 26 septembre 1804 (.3) elle épousait
l'excellent violoniste Marcel Duret, qui avait remporté l'année pré-
eédeîite un brillant premier prix dans la classe de Rode, et qui
faisait partie déjà de l'orchestre de l'Opéra, oîi il resta jusqu'aux
environs de 1830 (6).
(1) La recette de ce jour s'éleva à 4,490 livres 10 sous.
(2) Courrier des Spectacles, du 15 juin 1804.
(3) Voy. Courrier des Spectacles du 23 juillet 1804.— On voit, parées dates, que
Fétis s'est trompé en plaçant au mois de juin 1805 le début de M"" Cécile Saint-
Âiibin à rOpéra-Coinique.
(4) Le seul renseignement qu'on trouve à ce sujet est contenu dans ces lignes
de l'Opinion du Parterre pour l'an XIIl : — » M"» Saint-Aubin a débuté daas fe
Concert, et successivement dans Montana et Uicliel-Ange. Elle reproduisit ces trois
rôles jusqu'à satiété, pendant trois ou quatre mois; mais n'ayant pu vivre en
bonne intelligence avec sa société, elle lui fit signifier par huissier oon projet de
la quitter ; sa démission fut acceptée sans beaucoup de regrets, parce qu'elle ne
réunissait point les talents de l'actrice à ceux de la cantatrice. Elle est actuelle-
ment attachée à la musique de l'empereur. »
(5) 'Voy. Correspondance des rimideurs tnusiciens du 3 octobre 1804.
(6) Duret s'est produit aussi quelque peu comme compositeur, d'abord par
quelques œuvres publiées pour son instrument, puis par un ouvrage en un acte:
la Leçon d'une jeune femme, représenté à l'Opéra-Comique le 6 mai 181D. Le
Mais dès l'année suivante elle occupait de nouveau le public de
sa personne et remportait un succès que le Journal de Paris dans
dans son n° du 3 avril 180o, constatait en ces termes enflammés : —
« Il n'est bruit dans Paris que du dernier exercice public du Con-
servatoire, où M""" Duret-Saint-Aubin, l'une des élèves les plus dis-
tinguées de cet établissement a, dit-on, chanté admirablement un
morceau de Sémiramis {de Catel). l'air d'Azéma, et un air italien de
Nasolini. Tous les amateurs que nous avons vu revenir de celte
séance en étoient enchantés ; c'étoit un enthousiasme tenant du
délire. Notez que M'"" S. Aubin la mère étoit témoin du triomphe de
sa fille, et que sa sensibilité vivement émue n'a pas manqué de se
communiquer à l'assemblée. Il eût fallu un cœur de marbre pour
demeurer froid à un pareil spectacle. »
C'est trois ans après ce triomphe purement musical que M"'= Cécile
Saint-Aubin, devenue M™ Duret, se décida à reparaître sur la scène
de l'Opéra-Comique. On a vu, dans le chapitre précédent, comment
ellei et sa sœur Alexandrine avaient pris part, le 2 avril 1808, à la
représentation de retraite de leur mère, qoi était donnée au bénéfice
de la veuve deDozainville. Pour la jeune Alexandrine, qui n'avaitpas
encore accompli sa quinzième année, ce n'était qu'un essai destiné
à la préparer à une épreuve prochaine et plus sérieuse ; pour
jjme Duret, c'était le prélude d'une véritable rentrée, ou plutôt d'une
nouvelle série de débuis. Elle joua le 4 et le 7 avril Montano et
Stéphanie, le 9 le Concert interrompu, et continua une suite de repré-
sentations de ces deux ouvrages, après quoi elle fit une création
assez importante dans un opéra nouveau de Nicolo, Cimarosa, puis
reprit avec beaucoup de succès le rôle de Zémire dans Zémire et
Azor. Un critique disait alors : — « L'admiration dont M"°° Duret-
Saint-Aubin pénètre les spectateurs chaque fois qu'elle paraît tient
à un genre de perfection que sa mère ne posséda point. Actrice
réellement inimitable. M'"'' Saint-Aubin fut une médiocre cantatrice,
et quoique de sa famille. M""" Duret lui ressemble on ne peut moins ;
c'est déjà une cantatrice inimitable; je crains qu'elle ne soit long-
temps une médiocre comédienne. On assure qu'elle avait peu de
goût pour cet état. Quoi qu'il en soit, le même jour où le public
perdit M"^ Saint-Aubin, il eut la satisfaction de voir reparaître
jjme Duret, et depuis il a vu cette jeune personne prendre peu à peu
plus d'assurance, et jouer enfin Zémire d'une manière fort satisfai-
sante. Il y a tout lieu d'espérer qu'avec les leçons de sa mère,
M""' Duret, sans devenir peut-être une actrice très distinguée, par-
viendra bientôt à remplir très passablement les rôles de son emploi;
sa voix délicieuse fera le reste ; elle a bien moins besoin qu'une
autre du talent d'actrice. Ou remarque avec plaisir, dans la figure
et l'accent de M""' Duret, une forle ressemblance avec son aimable
mère ; elle a beaucoup de modestie et de limidité : ce sont d'heureux
présages (1). » C'est précisément cette timidité, ou peut-être l'effroi
que lui causait le public, qui fut, dit-on, l'une des causes de la
retraite précoce de M"'" Duret.
Quoi qu'il en soit, elle avait déjà conquis lout à fait les bonnes
grâces de ce public, lorsque sa sœur Alexandrine vint la rejoindre
et les solliciter à son tour. Il y avait dix-huit mois environ que
cette jeune personne avait fait, aux côtés de sa mère, une fugitive
apparition dans le Prisonnier, lorsqu'elle vint, le 3 novembre 1809,
débuter sérieusement au théâtre Favart, précisément dans deux des-
rôles qui avaient valu à sa mère le plus brillant succès, l'ingénue
de l'Opéra- Comique et la soubrette d'Ambroise ou Voilà ma journée.
Elle surprit étonnamment les spectateurs, non seulement par sa
grâce et sa gentillesse, mais parce que tout chez elle : taille, phy-
sionomie, accent, geste, démarche, intonations, rappelait sa mère
d'une façon frappante. En fermant les yeux, disait un chroniqueur,
on croil entendre encore M""= Saint-Aubin, et quand on les rouvre,
la ressemblance de figure et de laille est si complète que l'illusion
s'accroît et qu'on est frappé d'élonnement. Et l'on rapporte ce mot
d'une des plus grandes actrices de la Comédie-Française, à qui l'on
demandait son impression sur la débutante et qui répondit : — Ma
foi ! jusqu'à présent je n'ai vu que la mère; maintenant, pour la^
juger, je voudrais bien voir un peu la fille.
Il y avait sans doute dans cette ressemblance, avec une part due
au naturel, une autre part due à l'imilalion — inconsciente ou
cherchée. Après Ambroise et l'Opéra-Comique, M"' Alexandrine Saint-
Aubin se montra dans Rose et Colas, le Roi et le Fermier, puis dans
plusieurs autres ouvrages créés naguère par sa mère : le Prisonnier,
Fanchette, Michel-Ange, Paul et Virginie, une Heure de mariage, etc. C'est
livret de ce petit ouvrage avait pour auteur un écrivain fort obscur nommé
Charbonnier.
(1) Opinion du Parterre, 1809.
LE MENESTREL
61
alors que Nicolo songea à tirer parti de son talent et des sympathies
dont elle était l'objet en lui confiant le rôle principal de son opéra
de Cendrillon, dont il venait d'écrire la partition sur un poème
d'Etienne. Paris, qui a toujours été cancanier en matière de théâtre,
Paris, à qui l'on n'eut garde de laisser ignorer que la jeune
Alexandrine allait jouer Cendrillon et que ses deux sœurs seraient
représentées par M""= Duret et M"° Regnault (qui venait aussi de
débuter avec un énorme succès), Paris bientôt ne s'entretint plus
que de cela, les salons s'en occupaient, les journaux en parlaient
chaque jour, le public ne tarissait pas à ce sujet, et l'on peut dire
que d'avance Cendrillon faisait tourner toutes les têtes. L'impatience
était d'autant plus excitée que, comme toujours lorsqu'il s'agit d'un
ouvrage important, différentes causes vinrent retarder la première
représentation, dont une était ainsi rapportée par une feuille de
modas et de théâtre, le Journal de Flore : — « Les répétitions sont
suspendues. Cendrillon s'est trop approchés du feu, elle a mis ses
petits pieds trop près de la cendre, et elle a des engelures qui
l'empêchent de chausser la pantouile verte; ce relard ne nuira pas
au succès de la pièce... »
(A suivre.) Arthur Pougin.
RECOiNSTRUGTION DE L'OPÉRA-COMIQUE C)
On parle beaucoup en ce moment d'un projet de reconstruction de l'Opèra-
Comique, avec façade sur le boulevard. Bien d'autres bruits circulent aussi
à ce sujet, dont la plupart sont erronés. Voici la vérité sur le point où en
est cette affaire.
Il ne s'agit pas, présentement, de la reconstruction de l'Opéra-Gomiquo
avec façade sur le boulevard, mais bien de la reconstruction de ce théâtre
sur le terrain qu'il occupait, avec une emprise sur la place Boieldieu. Une
façade sur le boulevard entraînerait des dépenses plus considérables, puis-
qu'il faudrait acquérir la maison qui y est en bordure et en exproprier les
magasins.
Les plans présentés par M. Guillotin, l'ex-président du Tribunal de com-
merce, sont entièrement terminés et remplissent, au point de vue de la
beauté du monument et de la sécurité des spectateurs, toutes les conditions
désirables. Vingt-cinq portes de sortie permettent au public de s'écouler
'sans encombrement et en toute sécurité, même en cas d'alerte. La salle
s'éclairant de l'extérieur autant que de l'intérieur, il n'y aura donc plus à
redouter de la voir plongée tout à coup dans une obscurité complète par
un accident quelconque.
Deux grands escaliers monumentaux", montant du vestibule jusqu'au
dernier étage, communiquent à toutes les places ; quatre grands escaliers
latéraux desservent la salle du haut en bas: mêmes dispositions pour la
partie réservée aux artistes. A tous les étages des loges sont placés de
grands balcons qui vont aboutir aux escaliers ; enfin, la réserve des décors
est absolument isolée et débarrasse la scène des décorations qui l'encom-
braient.
Quant au projet financier qui vient d'être soumis à M. le ministre de l'ins-
truction publique, il est d'une extrême simplicité et permet à l'État de
faire construire ce théâtre et de se l'approprier sans bourse délier,
Voici, grosso modo, le plan dont il s'agit :
M-. Guillotin propose de construire sur l'emplacement de l'ancien théâ-
tre de rOpéra-Comiquu une salle conforme aux plans qu'il a soumis. Le
théâtre, achevé dans le délai de vingt mois, deviendrait immédiatement
la propriété de l'État au moyen de 70 annuités de 130,000 francs chacune
souscrites au profit de M. Guillotin.
Pour que l'État n'ait pas à supporter les dépenses d'une reconstruction,
il faut qu'il trouve dans un loyer imposé au directeur concessionnaire l'é-
quivalent de l'annuité qu'il aura pris l'engagement de payer au construc-
teur et toutes les garanties qui assurent la perception de ce loyer. Le con-
cessionnaire de ia salle s'obligerait donc ;
1° A payer à l'État un loyer annuel égal au montant d'une annuité. La
perception de ce loyer serait faite chaque soir, au moyen d'un prélèvement
de bOO francs sur la recette, soit tS,000 francs par mois, soit 150,000 francs
pour dix mois, de telle sorte qu'en dix mois l'État serait en possession du
montant de l'annuité venant à échéance deux mois plus tard ;
2° A verser par avance le prix de six mois de loyer ;
3° A effectuer le dépôt d'un cautionnement de 2S,000 francs garantissant
les effets de l'occupation.
Pour plus de sûreté encore, il sera stipulé qu'à la fin de chaque saison
théâtrale, en vérifiant les comptes de gestion, l'inspecteur des finances dé-
légué par le ministre devra constater l'existence d'une encaisse de 100,000
francs au moins, résultant effectivement de la comptabilité. — Ces cent
(1) Nous empruntons au Figura ces renseignements sur un projet de recons-
truction de rOpéra-Comique, et nous en pouvons garantir la parfaite exactitude.
L'idée est ingénieuse et elle nous avait été communiquée depuis plusieurs mois.
On nous avait demandé de n'en point parler, et c'est ainsi que nous nous trou-
vons devancés par le Figaro. Les discrets ont toujours tort.
mille francs, liquides, devant être affectés comme fonds de roulement à
l'exercice suivant.
Telle est, à peu de détails près, l'économie du projet financier de la re-
construction de rOpéra-Comique réclamée si justement par tout un quar-
tier. Ph. g.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concert du Châtelet. — Le dernier concert de M. Colonne s'ouvrait par
la symphonie de la Réformation de Mendelssohn. Ce n'est pas une des meil-
leures du maître; elle est très belle, néanmoins, et son délicieux scherzo
produit toujours un grand effet. L'orchestre du Châtelet a dit avec un goût
exquis et une grande perfection trois œuvres qui brillent par la délicatesse
de la pensée, l'ingéniosité des effets et le sentiment poétique qui les a
inspirées : les Scènes d'enfant de Schumann sont d'une brièveté extrême,
mais tout est relatif et, dans leur tout petit cadre, chacun de ces tableaux
de chevalet est une œuvre parfaite. Nous sommes tellement épris de la
forme unie à la perfection de la mélodie que nous ne craignons pas de
proférer une énormité en disant que, dans maintes petites pages de Schumann,
il y a plus de musique que dans toute l'œuvre de certains autres maîtres
d'outre-Rhin plus bruyamment acclamés. — Les Scènes d'enfant ont été très
délicatement et très ingénieusement orchestrées par M. Benjamin Godard.
Le succès des airs de danse du Roi s'amuse (Léo Delihes) n'a pas été moins
grand. Nous en dirons autant du Rouet d'Omphale, le poème symphonique
si connu de M. Saint-Saëns. Comme solistes, citons M. Diémer, qui a dit,
avec sa netteté et sa maestria habituelles, une assez belle Fantaisie de
M. Perilhou, pour piano et orchestre, et M"" Marcella Préji, qui a inter-
prété avec talent une scène de M. Pierné intitulée le Réveil de Galatliée et
une ballade de M. Arthur Coquard, Haï lulli, qui a un très beau caractère
dramatique. Le concert se terminait par une suite des Ma'itres chanteurs de
Wagner, déjà bien des fois entendue. H. Barrkdktte.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en fa de Beethoven, jouée
finement et fidèlement quant à la letti-e, n'a pas laissé l'impression de
gaité entraînante et de vivacité gracieuse qui devrait s'en dégager. — La
Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray produit l'eifet d'une
peinture aux nuances peu fondues. La première partie a satisfait
beaucoup plus que la seconde. — La scène d'amour du deuxième acte de
Tristan et Yseult a été rendue par l'orchestre avec beaucoup de chaleur et
d'exubérance; de son côté, M°"= Lilli Lehmann possède une voix robuste,
étendue, bien timbrée, solide, homogène et d'une expansion puissante, qui
résiste victorieusement à l'orchestre dans tous les cas où le déchaînement
instrumental n'atteint pas les dernières limites de la violence. D'autre
part, M. lialisch a lutté vaillamment, c'est incontestable. Pourtant, si le ■
succès s'est affirmé par des acclamations prolongées et répétées, il n'en
est pas moins vrai qu'iln'apas été unanime. Ceux qui savaient que la scène
exécutée est un chef-d'œuvre de véhémente passion tempérée de rêverie
et incidentée de maladives langueurs, ceux qui savaient que le début de
cette scène et le crescendo qui la termine renferment les plus formidables
élans d'amour et de bonheur que l'on ait mis au théâtre, ceux-là ont
applaudi de confiance et ils ont eu raison, car il ne dépendait de personne
de transporter au milieu du Cirque l'orchestre couvert, la mise en scène
et les accessoires de Bayreuth. Quant au.x auditeurs non initiés, peu nom-
breux d'ailleurs, ils ont été désorientés en écoutant des mélodies vocales
dont on n'entendait que certaines notes prises -comme point d'attaque,
principalement par le ténor, qui se sentait impuissant à sauver autre chose
de l'inondation orchestrale. La voix de soprano de M™° Lilli LeLmann
soutenait mieux la lutte. Résultat : grand succès, succès mérité pour
M°"^ Lilli Lehmann, qui joint à un organe exceptionnel un style empreint
de grandeur et de simplicité; succès aussi pour IVI. Kalisch, dont la tâche
était plus qu'ingrate; mais, en ce qui concerne l'œuvre -n'agnérienne,
l'expérience prouve une fois de plus que le maître avait raison d'attacher
tant d'importance aux conditions matérielles d'exécution, à l'orchestre
couvert, à l'obscurité de la salle, etc. L'exécution du Cirque d'été, que
l'on ne peut blâmer puisqu'il n'y en a pas d'autre possible en ce moment
à Paris, ne donne pas une idée vraie de l'ouvrage de Wagner. — M"" Lilli
Lehmann a chanté avec une ctialeur communicative et une magnifique
intensité d'accent l'air d'Oberon. Enfin l'ouverture du Carnaval romain, si
claire, si riche d'idées et d'orchestration, a été acclamée.
Amédée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Grande messe en si mineur (J.-S. Bach) ; soli par M""*' Lépine,
Boidin-Puisais, Landi, MM. Warmbrodt et Auguez. Le concert sera dirigé par
M. J. Garcin.
Châtelet, concert Colonne: Dans la forêt (J. RalT); cinquième concerto (Bach),
piano tenu pjr M. Louis Diémer, flûte : M. Cantié, violon : M. Pennequin ; Le
Roi s'amuse (Léo Delibes) ; concerto pour violoncelle (Saint-Saëns), par M. Jules
Delsart ; ouverture de Coriolan (Beethoven) ; Dernier Printemps (Grieg) ; fantaisie
pour piano et orchestre (Perilhou), par M. Louis Diémer ; prélude et introduction
du troisième acte de Lohenrjrin (R. Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture de Coriolan (Bee-
thoven) ; n'alters l'reisliod des Maitres-Clianteurs (Wagner), chanté par M. Kalisch;
allegretto de la huitième symphonie (Beethoven) ; air de l'Enlèvement au sérail
(Mozart), par M"° Lilli Lehmann ; PItaéton (Saint-Saëos) ; grande scène du deuxième
62
LE MENESTREL
acte de Tristan et Iseiilt (Wagner), chantée par M"" Lilli Lehmann, Mangin et M. Ka-
lisch ; Rapsodie norvégienne (Lalo).
— Concerts et musique de chambre. — Le programme de la Société
nouvelle, fondée par MM. Pugno, Viardot et HoUman, portait une inté-
ressante nouveauté : un trio pour piano, violon et violoncelle de M. E.
Bouichère, qui a produit sur le public un excellent effet. Une vraie per-
sonalité se dégage de l'œuvre, et c'est, par le temps qui court, un rare
compliment à adresser à un compositeur. Des quatre morceaux remar-
quables, du reste, qui composent le trio, j'aime surtout VA7idante quasi
adagio et le scherzo, très finement ciselé. L'exécution par MM. Pugno,
Viardot et Dressen a été brillante. — Le même soir, MM. Bémy, Parent,
Waeffelgbem et Loeb (ce dernier remplaçantM. Delsart, absent) donnaient
la première des six séances annoncées par eux pour l'audition des six
derniers quatuors de Beethoven et de musique moderne française. Lorsque
Beethoven, après VHérdique, se consacra, de plus en plus à la musique
d'orchestre, il délaissa la musique de chambre, l'orchestre lui offrant
une langue plus puissante. Il est d'autant plus àremarquer qu'il revient
dans sa dernière période au quatuor. Si nous comptons que cette dernière
période dure de 1817 à 1827, c'est dans celle-là qu'il a produit ses œuvres
les plus sublimes : la Symphonie avec chœurs, la Grande messe, les der-
nières sonates pour piano, deux sonates pour violoncelle, les cinq derniers
quatuors et la fugue op. 133. Le premier de ces quatuors, qui sont en
quelque sorte son testament musical, est peut-être le plus dilïicile d'in-
terprétation matérielle et idéale, « Un musicien est un poète » a dit un
jour Beethoven. L'exécution de la note, quelque brillante qu'elle soit,
ne peut donner, en effet, qu'une image peu fidèle de ces productions.
MM. Rémy, Parent, Van Waffelghem et Loeb, ont joint à la virtuosité
un style très correct et une compréhension approfondie de l'œuvre. Le
troisième trio de M. Lalo, avec M. Diémer comme pianiste, était le mor-
ceau moderne choisi pour cette séance : l'exécution en a été absolument
parfaite. — M. Blumer, professeur au Conservatoire de Strasbourg, vient
de donner un concert avec le concours de M. J. Loeb. Sou talent, fait
d'un mécanisme impeccable allié à un style élégant et délicat, a été très
apprécié dans divers morceaux de Rubinstein, Saint-Saëns et Brassin.
M. Loeb a joué avec un beau son et une justesse absolue deux pièces de
Bach et de Schubert et l'Élégie de M. G. Fauré. — M'-e Depecker est une
des plus brillantes élèves de M. Alph. Duvernoy. Elle a de grandes qualités
de virtuosité et un jeu léger, fin, élégant, que l'on a particulièrement goûté
dans le concerto en ut mineur de Beethoven et dans le scherzo da concerto
en sol mineur de M. Saint-Saëns. Elle a fait aussi vivement applaudir une
œuvre de son maitre, un Morceau de concert fort intéressant, oi'chestré d'une
•façon très pittoresque, et dont, sans tarder, va s'enrichir le répertoire déjà
si riche du piano. M. Colonne dirigeait l'orchestre à ce concert. I. Ph.
— M. Joseph White a fait entendre mercredi dernier, salle Erard, avec
le concours de MM. de la Nux, Parent, Priore, Trombetta et Loeb, le déli-
cieux quintette en sol mineur de Mozart, le quatuor op. 67 de Brahms
qui renferme, avec de curieux effets de sonorité, beaucoup d'idées mélodi-
ques, un quatuor de M. Ch. Lefebvre et l'air de la suite en ré de Bach.
Cet air, joué tout entier sur la quatrième corde et dans la tonalité à'ut,
d'après l'arrangement de M. "Willelmj, a produit une impression telle par
la splendeur de la sonorité, l'ampleur du style et l'expression que l'artiste
a su lui donner, qu'il a dû le jouer deux fois de suite sans parvenir à
satisfaire le public, qui eût voulu l'entendre encore. Am. B.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (19 février). — Nous avons eu
cette semaine, à la Monnaie, une nouveauté, un ballet en deux actes, joué
déjà à Marseille et à Genève : Fleur des neiges,, scénario de M. Ricard,' mu-
sique de M. Albert Cahen. L'œuvre, de prétentions fort honorables,' a été
accueillie avec une sympathique réserve. On y a retrouvé des souvenirs
nombreux de Delibes et de plusieurs autres maîtres aimés qui ont fait
pourtant quelque plaisir. La mise en scène est soignée, et l'orchestre,
dirigé par M. Léon Dubois, s'est conduit très remarquablement. Pour lé
reste, les représentations de Siegfried poursuivent doucement leur car-
rière, non sans accidents, çà et là, et non sans compromettre un peu la
marche du répertoire courant, M. Lafarge ayant dû abandonner tous ses
autres rôles pour celui-là. On nous annonce cependant pour bientôt Don
Juan, avec M"»"^ Dufrane, Carrère et de Nuovina, MM. Bouvet, Lafarge et
Sentein, et Obéron suivra de près. M"» Sybil Sanderson, après Lahné,
chantera Mireille. Et ce sera tout, je crois, cette année. — Les concerts
offrent, en ce moment, plus d'intérêt que les théâtres. Exécution admi-
rable il y a huit jours, au Conservatoire, de la cinquième symphonie de
Beethoven et de diverses petites pièces pour piano par M. Arthur de
Greef ; dimanche prochain, troisième concert, consacré à la sixième sym-
phonie et à VEginonl , dont M"» Dudlay dira le poème ; au concert sui-
vant, on entendra la septième et la huitième, ainsi que les lieder chantés
par M-"» Cornélis-Servais ; et au cinquième concert (supplémentaire) nous
aurons la neuvième, au bénéfice de l'Association des artistes musiciens.
— Le cercle des jeunes peintres, les XX, a, de son côté, repris ses séances
musicales annuelles, dirigées par MM. Vincent d'Indy et Ysaïe. La pre-
mière, qui a eu lieu mardi, était consacrée tout entière à César Franck ;
le programme portait un quatuor inédit, un quintette, des morceaux
pour piano et plusieurs petits chœurs à deux voix. Succès artistique
très vif et exécution tout à fait remarquable. — A Liège, le musée
Grétry, fondé par M. Théodore Radoux, et dont je vous ai déjà entre-
tenu, vient d'être installé au Conservatoire même, d'une façon digne de
lui. Cela seul a sufû pour lui attirer de nouveaux dons, que l'on espère
bien voir suivis de nombreux autres. Avis aux personnes généreuses
qui auraient en leur possession quelque objet se rapportant à la vie ou
aux ouvrages du célèbre compositeur. Et puisque je vous parle de Liège,
sachez que le Grand-Théâtre de cette ville a, très malheureusement,
fermé ses portes au public, le directeur, M. Jourdain, n'ayant pu faire
face à ses engagements. La direction est donc vacante dès à présent. Le
candidat préféré, surtout des artistes, paraît être M. Bussac, qui a des
capacités musicales et... des capitaux. L. S.
— Il faut bien convenir que les "wagnèriens allemands sont moins in-
transigeants et surtout plus intelligents que leurs excellents congénères
du pays de France. Tandis que ceux-ci, dans leur exclusivisme farouche,
dans leur rage de tout démolir dans le passé pour ne laisser subsister
que la statue de leur idole, n'ont pas, entre autres, assez d'injures et de
mépris à exhaler sur la mémoire de Meyerbeer, voici qu'à Berlin la direc-
tion de l'Opéra, loin d'oublier qu'il a existé un admirable artiste de ce
nom, se prépare à célébrer comme il convient le centième anniversaire
de sa naissance, qui tombe le 5 septembre 1891. A cette occation, l'in-
tendance se propose de remettre à la scène les principaux ouvrages du
maître, et de donner, au début de la prochaine campagne, ce qu'on appelle
là-bas un « cycle » de représentations de ces ouvrages. On jouera ainsi
les Huguenots, le Prophète, l'Étoile du Nord, le Pardon de Ploêrmel et l'Africaine.
Quels cris, grands dieux! et quels grincements de dents, si l'on s'avisait
ici d'une telle énormité ! On aurait bientôt fait de ridiculiser les chefs-
d'œuvre en question sous l'appellation si méprisante d' « opéras-concerts, »
et les adeptes de la Société nationale s'en gausseraient pendant toute une
saison.
— Le musée Beethoven, à Bonn, vient de recevoir une précieuse reli-
que : le portrait de la comtesse Thérèse de Brunswick, la jeune fille qui fut
aimée de Beethoven et qui faillit l'épouser. C'est ce portrait qui fut trouvé
dans le secrétaire de Beethoven avec des mèches de cheveux et le paquet
des lettres brûlantes adressées par le maitre à sa fiancée, qu'on a cru
pendant longtemps être la comtesse Guicciardi. Ce portrait apparte-
nait jusqu'ici à M. Hellmesberger, le maitre de chapelle de la Cour, qui
l'avait reçu directement des héritiers de Beethoven. M. Hellmesberger
vient d'en faire don au musée de Bonn.
— Amour et suicide. A Sprottau, dans la Silésie prussienne, une jeune
pianiste bien connue à Berlin, M"°Hedwige Bartell, après avoir été déposer
trois couronnes sur la tombe de celui qu'elle aimait, mort récemment, est
rentrée à son hôtel et s'est tiré trois coups de revolver, sans pourtant réus-
sir à se tuer.
— La direction du Théâtre-Royal de Copenhague vient de recevoir,
pour le mettre prochainement à l'étude, un opéra nouveau d'un composi-
teur encore peu connu, M. Enna. Cet ouvrage a pour titre la Sorcière. Le
compositeur Johann Svendsen, qui porte un grand intérêt à son jeune
confrère, fait grand bruit, dit-on, autour de son ouvrage, et affirme qu'on
en peut hardiment comparer l'instrumentation à celle des meilleures
œuvres de Wagner.
— Une fenille satirique de Saint-Pétersbourg, la. Slrékosa, consacre une
amusante boutade à la constellation d'étoiles vocales qui brille au ciel
lyrique de cette capitale et qu'elle compare aux sept notes de la gamme :
Ut: la Sembrich. Ré: le ténor Masini. Mi: la Melba. Fa et sol: les deux
frères de Reszké. La : le baryton Kaschmann. Si : le baryton Gotogni. Ce
sont là les bécarres, les touches blanches. Voici les dièses, ou les bémols,
à votre gré : M. et M""" Fiegner, la Litvinne, la Ferni-Germano et la Van
Zandt. Suit une antithèse barytcnante : Le baryton Kaschmann est un vi-
goureux Dalmate, de ceux qui mangent les aigles crus et qui coupent le
tabac avec des poignards empoisonnés. Ses poumons sont si puissants que
d'un souffle il a fait partir un train courrier qui n'a pu être arrêté qu'à
Louga! Quant à Gotogni, il débite du velours sous toutes ses formes —
costumes, manières, notes de baryton...
— Voici les wagnèriens d'Italie plus wagnèriens aujourd'hui que les
wagnèriens d'Allemagne. Cette semaine, au Lycée musical Benedetto
Marcello, de Venise, on a célébré le huitième anniversaire de la mort de
l'auteur de Tristan et Yseult par un concert dont sa musique faisait exclu-
sivement les frais. C'est une bonne leçon donnée aux wagnèriens fran-
çais, qui ont laissé passer obscurément cette date fatidique.
— On lit dans le Trovatore : « Celle-ci est à crever de rire ! Le journal
Ro7na, de Naples, raconte que les musiciens de l'orchestre du théâtre San
Carlo se sont vu retenir, au règlement de la quinzaine, deux francs chacun
à titre d'amende, par l'ordre de la Commission théâtrale, celle-ci trouvant
que l'orchestre avait joué trop fort à la première représentation du ballet
de la Fille mal gardée I Le chef d'orchestre protesta, affirmant que l'orches-
tre avait joué comme il devait le faire, mais la Commission, intelligentis-
sime en fait de musique, maintint l'amende! ! Nous recommandons cette
Commission au Pasquino pour le grand cordon de son Ordre de l'Oie ! »
LE MENESTREL
63
— Autre incident, d'un autre genre, au théâtre San Carlo, mis par le
Trovatore sur le compte de la jettalura. Le soir de la première représenta-
tion de RigoleUo, une série de chutes émailla le spectacle. Ce fut d'abord
Victor Maurel, qui, dans son costume de bouffon, glissa en entrant en
scène et s'étala tout de son long à la face du public; puis, ce fut un cho-
riste qui perdit à son tour l'équilibre ; et, en dernier lieu, une pauvre
coryphée qui tomba, comme les précédents, mais d'une façon si fâcheuse
qu'elle se blessa grièvement et qu'on dut la transporter à l'hôpital.
— On a représenté à Bassano, dans une institution de jeunes gens, une
opérette inédite en deux actes, imo Sludente aW Ospedale dei pazzi (un Étu-
diant à l'hospice des fous), paroles de M. Luigi Vinânti, musique d'un jeune
compositeur napolitain, M. A. Miglio. — A la Fenice, de Venise, on a
donné récemment le prologue d'un opéra nouveau, il Paradiso e la Péri,
dont la musique est due à un jeune artiste de cette ville, M. Carlo Ser-
nagiotto, à qui le public a fait un excellent accueil.
— Quelques opéras prêts à voir le jour en Italie. A la Scala de Milan,
dans la première semaine de carême, Condor, du maestro Carlos Gomes,
l'auteur applaudi deGuaranyi. — Au théâtre Gostanzi, de Rome, aux pre-
miers jours de la saison de printemps, Pler Luigi Farnese, paroles de
M. Arrigo Boito, musique de M. Costantino Palumbo, de Naples. — Au
théâtre Gavour, de Porto Maurizio, Ollona, opéra présenté en 1888 au
concours Sonzogno, et qui sera joué en carême. — Enfin, on annonce que
le maestro Renzo Masoutto, chef de musique au 23° régiment d'infanterie,
termine un opéra-comique intitulé : Dal.detlo al fatto passa un gran tratto.
— II est d'usage au Théâtre-Royal de Madrid, pendant le carnaval, de
donner un opéra travesti pour célébrer les joies de la saison. Cette fois,
le choix s'était fixé sur le Barbier de Rossini, qui a été représenté le 9 ds
ce mois avec une interprétation exclusivement féminine, les rôles étant
ainsi distribués: Rosine, M™ Pacini ; Almaviva, M™" Tetrazzini ; Figaro,
M™° Gemma Bellincioni ; Basilic, M™» Amelia Stahl ; Bartholo, M"" Olim-
pia Guercia. Que deviennent l'harmonie et l'agencement naturel des voix
dans une exécution composée ainsi d'organes uniquement féminins ? c'est
ce que nous ne saurions dire. Mais le public n'y regarde pas, ou, pour
mieux dire, n'y entend pas de si près. Il a pris, parait-il, un très grand
plaisir à ce travestissement (aussi musical que scénique), et a fait un
véritable triomphe à toutes les interprètes de ce singulier Barbier.
— Ce que sont parfois les troupes d'opéra dit anglais, l'actuelle compa-
gnie Cari Rosa nous le prouve suffisamment. Dans cette compagnie on
trouve quatre Américaines, les miss Fabris, deLussan, Sanders et Dicker-
son ; deux Françaises, M™^ MarieRôze et Lablache; une Australienne, miss
Sherroin ; un Russe, la basse Abramofî; un Roumain, M. Dimitresco; deux
Italiens, MM. Runcio et Montegriffo ; deux Irlandais, MM. Mac-Guckin et
Leslie Crotty; enfin un Allemand, M. Max Eugène. Les seuls Anglais authen-
tiques se réduisent à trois, qui sont MM. Marsh, Celli et M™" Burns. C'est
proprement l'Opéra de la tour de Babel.
— Les théâtres neufs vont pleuvoir à ."jondres, pour peu que cela
continue. Voici qu'on annonce que pour sa prochaine saison d'opéra ita-
lien, qui commencera au printemps, l'imprésario Lago inaugurera un
grand théâtre nouvellement construit dans le West End et qui prendra le
titre de Lago's Opéra House. C'est M. Marine Mancinelli qui sera le chef
d'orchestre de la nouvelle troupe, dont on ne donne pas encore la com-
position.
— On sait que le nouveau théâtre d'opéra anglais s'est inauguré à Londres
avec un opéra inédit de M. Arthur Sullivan, qui a pour sujet et pour titre
Ivanhoé. Le Punch en profite pour appeler le compositeur : sir Arthur SuUi-
vanhoé.
— Parlez-nous des directeurs américains, pour être agréables à ceu x
qui fréquentent leur théâtre ! Au théâtre du Casino de New-York, on a
distribué aux spectateurs, à la centième du Pauvre Jonathan, opérette de
Milloecker, des « boîtes » à musique jouant les principaux airs de la par-
tition. Un avis, au bas de l'affiche de la représentation, invitait fort
sagement les spectateurs à ne pas se servir des boites à musique pendant
la pièce. A la sortie du spectacle, chacun a pu tourner sa manivelle et
moudre la valse de Jonathan.
— Un peu de statistique australienne et... pianistique, d'après le Figaro.
Un de nos amis nous écrit de Sidney, déplorant que nos compatriotes met-
tent si peu d'empressement à exporter les produits français à l'étranger
et, comme preuve à l'appui, il nous donne les chiffres suivants : eu 1890,
il a été importé à Sidney seulement trois mille cinq cent quatre-vingt-quatre
pianos, sur ce nombre la France en a fourni cinquante-six ! ! ! contre deux
mille cinq cent trente-sept expédiés par les Allemands '
PARIS ET DEPARTEMENTS
On a fait courir, cette semaine, dans les journaux de Paris, divers
bruits relatifs à une « représentation scandaleuse » qu'aurait donnée à
Saint-Pétersbourg M"« Marie Van Zandt. On parlait avec complaisance
d'incidents en tout semblables à ceux qui avaient signalé la malheureuse
représentation donnée à Paris, dont on se souvient encore, et au sujet de
laquelle on se livra à tant de commentaires variés, à tant d'accusations
qui n'ont jamais été prouvées. Eh ! bien, cette fois encore, on parait s'être
laissé égarer par des notes perfides... envoyées par qui? Le saura-t-on
jamais? Voici en effet la dépêche que nous recevons de Pétersbourg. Elle
est signée de M. Mamontoff, un directeur des plus honorables : « Prière de
démentir infâmes calomnies. Rien exact. Van Zandt très grand succès..
Hier encore vingt rappels après styrienne de Mignon». Que conclure de tout
ceci? Que c'est un fichu métier que celui d'artiste, puisqu'on y est exposé
à tant de cruautés.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a nommé au
Conservatoire national de musique et de déclamation : professeur de com-
position, M. Th. Dubois, en remplacement de Léo Delibes ; professeur
d'harmonie, M. Albert Lavignac, en remplacement de M. Th. Dubois ;
professeur titulaire de solfège, M. Edouard Mangin, professeur agrégé de
solfège; professeurs agrégés de solfège, MM. Paul Rognon et de Martini,
répétiteurs.
— L'Académie des beaux-arts a procédé, dans sa dernière séance, à la
nomination des jurés adjoints pour le concours de composition musicale
(grand prix de Rome). Ont été nommés : jurés, MM. Charles Lenepveu,
Paladilhe et Lalo; jurés supplémentaires, MM. Théodore Dubois et
V. Joncières.
— On a essayé cette semaine à l'Opéra la plantation des décors du Mage.
Les répétitions générales du nouvel ouvrage de M. Massenet commenceront
à partir de samedi. On compte passer dans la première semaine de mars.
M. Massenet s'oppose formellement à ce que ies répétitions générales
soient publiques. Il veut seulement la critique, mais pas d'étrangers. La
direction de l'Opéra, au contraire, tiendrait à une répétition semblable à
celles de Patrie et A'Ascanio.
— La première représentation de la reprise de Conte d'Avril, à l'Odéon,
semble définitivement fixée au lundi 2 mars. On sait que M. "Widor a
composé, pour la poétique comédie en vers de M. A. Dorchain, une petite
partition qui ne compte pas moins de 19 numéros et qui sera exécutée par
l'orchestre de M. Lamoureux. C'est M"" A. Lody, retour de Saint-Péters-
bourg, qui reprendra le joli rôle de Viola, créé en 1883, par M"'= Barety.
— M. Louis Gallet vient de recevoir, de son collaborateur M. Saint-
Saëns, une longue lettre datée de Ceylan, 22 janvier. M. Saint-Saëns passe
son temps là-bas à faire une version nouvelle et définitive de son opéra
Proserpine. II trouve que Ceylan est un paradis terrestre, mais il en revient
tout de même... par l'Egypte.
— M. Paravey, directeur de l'Opéra-Gomique, vient d'être condamné par
la première chambre du tribunal civil de la Seine à 3,000 francs de dom-
mages-intérêts envers MM. Morel-Retz et Wekerlin, auteurs du Sicilien
— pièce en deux actes, imitée de Molière — acceptée par M. Carvalho.
Le jugement porte que M. Paravey s'était engagé à jouer les ouvrages
reçus par son prédécesseur, et que, dès lors, il devait mettre à la scène
le Sicilien.
— La distribution de Lakmé, dont la reprise est imminente à l'Opéra-
Comique, est arrêtée de la façon suivante :
Gérald MM. Gibert.
Nilakantha Renaud
Frédéric Gollin
Lakmé jyi™^ Simonnet
Mistress Bentson Pierron
Mallika Rhodé
Ellen - Falize
Rose Elven
— Kam Hill, le joyeux chanteur dont la vogue est si grande à l'Eldorado
et aux Folies-Bergère, est obligé de prendre quelques jours de repos à la
suite d'un léger mal de gorge. Mais il fera sa rentrée très prochainement
avec tout un bagage de nouvelles chansons à sensation : l'Oncle de Célestiu,
dont Pierre Véron a signé les paroles, l'Omnibus de la préfecture, Elle a son
Brevet supérieur, chansons posthumes de Mac Nab tout à fait étonnantes.
— Nous apprenons avec plaisir que notre collaborateur, M. I. Philipp,
un pianiste de grand talent, vient d'être nommé officier de l'instruction
publique.
— M. Cobalet, de l'Opéra-Comique, vient d'être nommé lieutenant au
23= régiment territorial.
— M. Emile Bourgeois, de l'Opéra-Comique, vient d'être nommé direc-
teur artistique et chef d'orchestre, pour la saison d'été, du Casino muni-
cipal de Royat.
— Un comble ! M. Bessel, l'éditeur de musique russe qui trouve si
naturel de piller tout à son aise les catalogues des éditeurs français, n'ad-
met d'aucune façon la réciproque, même de la part de ses compatriotes.
Un de ses confrères de Saint-Pétersbourg, M. Bernard, s'étant permis, à
tort il est vrai, d'intercaler dans un recueil donné en prime gratuite aux
abonnés de son journal une romance empruntée au Démon, de Rubinstein,
opéra qui est la propriété de M. Bessel, s'est vu intenter un procès.
Il n'y va pas de main morte, M. Bessel, quand on touche à ses droits. !I
réclame tout simplement à M. Bernard la jolie somme de cinq mille rou-
bles. S'il voulait seulement donner la moitié pour chaque morceau qu'il
a pris dans les catalogues des éditeurs français, ceux-ci feraient rapide-
ment fortune.
64
LE MÉNESTREL
— Le succès des conférences de tous genres laites au thédtie d'apjilica-
tion, et notamment la vogue de celles de M. Hugues Le Boux avec le
concours de l'originale Yvette Guilbert, vaut à M. Bodinier de très étranges
propositions. Entre autres, un monsieur, qui vient de faire un livre sur la
danse, a écrit à l'aimable directeur de la petite salle de la rue Saint-
Lazare pour lui proposer une série de causeries sur l'art de Terpsichore,
très modernisé sans doute, avec IVI"" Grille-d'Égout, comme interprète!
— h'Otello de Verdi vient d'être représenté pour la première fois en
France, et c'est le Casino de Nice qui a eu la primeur de la dernière
œuvre du maitre, en attendant que Paris puisse la connaître à son tour.
Cette première représentation a été triomphale. Il estvrai de dire qu'Otello,
c'était Tamagno, tandis que Victor Maurel personnifiait Yago et que
M°"= Musiani faisait Desdemona en remplacement de M™' Meyer, précé-
demment désignée pour ce rôle. Ceux de Cassio et de Boderigo étaient
tenus par MM. Paroli et Coralupi. L'ensemble, parfaitement dirigé par le
chef d'orchestre Mascheroni, a été excellent. On comprend qu'avec de tels
moyens d'exécution, le prix des places au Casino avait du subir une
notable augmentation ; de fait, les loges étaient taxées à 350 francs et les
fauteuils à SO. Nous ne reviendrons pas aujourd'hui sur la valeur de la
partition de Verdi, qui a été suiEsamment appréciée dans ce journal à
diverses reprises, lors de sa première apparition, et nous nous bornerons
à constater le grand succès qu'elle vient d'obtenir devant le grand public
cosmopolite de Nice.
— Peu de jours avant l'apparition à'Otello au Casino, le théâtre muni-
cipal de Nice triomphait de son côté avec M""= Adelina Patti, qui venait
chanter la Lucia ili Lammermoor de Donizetti en compagnie de l'excellent
ténor Engel, dans lequel elle trouvait un partenaire fort distingué. Inutile
de dire que la salle était absolument comble, l'assistance fort élégante, et
que la cantatrice a obtenu son succès accoutumé. Applaudissements, fleurs,
bis, rappels, rien n'a manqué à son triomphe.
— Callirohé, le charmant ballet de M'i^Chaminade, déjà représenté à Mar-
seille, et dont une suite d'orchestre jouée aux concerts Colonne et Lamou-
reux a fait connaître les principaux passages, vientd'obtenir à Lyon le plus
franc succès. L'œuvre est montée avec soin, et l'orchestre, sous l'habile
main de son chef Luigini, a fait merveille.
— Les journaux de Nantes annoncent que M""' Krauss ira donner, dans
le courant du mois de mars, deux représentations au Grand-Théâtre de
cette ville. Il se pourrait aussi que quelques représentations fussent don-
nées au même théâtre par M""* Bichard et Fursh-Madi.
— Concours de Dôle, 17 et 18 mai 1891. — Pour se rendre au désir d'un
certain nombre de sociétés qui, pour des raisons diverses, n'ont pu envoyer
leur adhésion avant le IS février, le comité a décidé de reculer au 10 mars
prochain le délai d'inscription.
— Le grand orgue de l'église Saint-Ferdinand de Bordeaux a été restauré,
transformé et perfectionné récemment par la maison Merklin et C'°. Dimanche
dernier, M. Daene, le célèbre organiste de cette ville, dans une audition
toute spéciale, a fait apprécier les qualités de puissance, de variétés d'effets
et de timbres des jeux de l'instrument, avec un talent tout à fait remar-
quable.
— On nous prie d'annoncer que M. Paul Gutbmaun, compositeur de
musique à la Bochelle, a terminé la partition d'un opéra-comique en un
acte, intitulé Persévéranoe d'amour, dont le livret a été tiré de Balzac par
MM. Henri Sonnet, neveu du regretté Landrol, et Victor Tantet.
— M"' JaneDuran, premier prix de chantetpremier prix d'opéra-comique
du Conservatoire, a repris ses leçons de chant chez elle, 12, rue de Strasbourg.
CONCERTS ET SOIRÉES
Mercredi dernier, soirée musicale chez M""= Juliette Adam, en l'hon-
neur d'un. « ami russe » qui n'était autre que Achinoff, l'ataman des
Cosaques libres. On a entendu là, avec le ténor Duchesne, dans l'air des
« Cloches » de Dimitri, et un jeune pianiste hollandais, M. Martinus Sieve-
king, deux contralti : M""= Devisme, qui a dit d'une belle voix et d'un
style irréprochable un air de Samson et Dalila et une charmante mélodie de
M.Widor, etM™= de Lyda, cantatrice russe, dont l'organe remarquablement
étendu a fait valoir un ou deux airs populaires de son pays. L'Opéra se
plaignait naguère de manquer de contralti. Ils abondent depuis que l'Opéra
n'en a plus besoin.
— Très intéressante matinée, dimanche dernier, chez l'excellent profes-
seur M""» Bosine Laborde, pour l'audition de ses élèves. On y a remarqué
particulièrement M"|= Ebstei", M"<= Maugé, qui a chanté avec une rare ha-
bileté un air de Dimitri, de M. Joncières, M"« Ledant, qui est douée d'un
contralto superbe et qui promet une artiste. Le duo de Lakmé a été chanté
à ravir par M"= Maugé et M. Bondeau. Le clou de la séance consistait en
un petit opéra-comique à deux personnages, un Brevet de capitaine, paroles
de M. Ed. Guinand, musique de M. Ch. Silver, fort joliment exécuté par
M"">' Julia de la Blanchetais et Noémie Marcus. et qui a obtenu le plus
vif succès. Ce petit ouvrage fera certainement la joie de tous les casinos.
— A Bordeaux, un des professeurs les plus distingués. M""" Gally-Laro-
chelle a eu l'idée de donner une audition de la partition presque entière
à'Ahen-Hamet, la fort belle œuvre de Théodore Dubois. Le succès, comme
partout où on l'a essayée, a été éclatant. Tous les journaux de Bordeaux,
du plus grand au plus petit, constatent cette brillante réussite, et, en fai-
sant l'analyse de la partition, s'étonnent que nos scènes théâtrales ne
s'emparent pas d'une œuvre de cette haute valeur. Ils ont raison. Il en sera
d'Aben-Hatnet comme de Samson et Dalila. Quelque jour on l'essaiera, et on
sera tout étonné de l'avoir si longtemps dédaigné.
— A Tavant-dernier concert de l'orchestre municipal de Strasbourg on
a fait un accueil plein de chaleur à l'une de nos plus jeunes et de nos
plus remarquables pianistes françaises. M"" Clotilde Kleeberg, qui s'est
fait vigoureusement applaudir en exécutant le concerto en la mineur de
Schumann et divers morceaux de Liszt, de Chopin et de Bizet. A ce même
concert la troisième symphonie de Brahms, en fa majeur, a obtenu le
plus brillant succès. C'est M. Talîanel qui a été le héros de la séance
suivante, dont le public d'avance se promettait merveilles. C'est vérita-
blement de l'enthousiasme qu'a excité notre grand flûtiste en exécutant
avec le goût, la virtuosité et le style qu'on lui connaît, le concerto en sol
de Mozart et trois jolies pièces de M. Benjamin Godard, auxquels il a
ajouté, après un double rappel et en guise de remerciement, une valse
de Chopin, qui a excité les transports des auditeurs. On voit que l'art
français n'en est pas encore à Strasbourg sur son déclin.,
NÉCROLOGIE
Un artiste bien oublié, le chanteur Bouché, qui fit pendant quelques
années partie du pei-sonnel de l'Opéra, où, entre autres, il établit en 1841
le rôle de Caspar du Freischiitz, vient de mourir à Nogent-le-Botrou. Il était
né àVillemeux, près Dreux , le 29 décembre 1807, avait fait de bonnes études
au séminaire de Chartres, puis, au moment d'entrer dans les ordres, avait
abandonné ce projetpouraccepter les fonctions d'instituteur publicà Frazé.
C'estlà qu'on le voyait en 183i, et où on l'entendait, aux jours des grands
offices, paraphraser le plain-chant à l'église avec une superbe voix de basse.
Ce fut même là ce qui décida de sa future carrière. Les châtelains et les
châtelaines du voisinage, qui se donnaient rendez-vous pour l'entendre à
l'église de Frazé, lui conseillèrent enfin de se rendre à Paris. Il le fit, se
vit admettre à la suite d'un concours à la maîtrise de Saint-Eus tache,
puis bientôt à celle de Notre-Dame, où sa voix fut aussi remarquée, et en
définitive fut engagé à l'Opéra. Il n'y resta que quelques années, et s'en
alla faire carrière en Italie, se produisant avec succès à Florence, Milan,
Venise, puis à Vienne, à Lisbonne, à Madrid, et jusqu'à Bio de Janeiro.
A la suite de ces pérégrinations, il revint se retirer à Nogent-le-Botrou,
dont il fut maire du 28 avril 1881 au 30 avril 1882, et où il s'est éteint
doucement, à l'âge de 83 ans. Bouché avait publié un écrit ainsi intitulé:
De l'art du chant, théorie nouvelle basée sur l'appréciation des éléments consti-
tutifs de la voix (Nogent-le-Botrou, impr. Gouverneur, 1872, in-12).
— De Marseille on annonce la mort, des suites d'une chute faite sur la
glace, du compositeur Jean-Baptiste de Croze-Magnon, qui avait rempli
naguère les fonctions de maître de chapelle à la cour de l'ancien duché
de Pirme, et plus tard à la cathédrale de Marseille. De Croze avait fait
représenter au Grand-Théâtre de Marseille, le 30 mai 1854, un opéra en un
acte intitulé Louise de Charolais, et plus tard, sur une scène d'amateurs, le
théâtre Michel, un opéra biblique en cinq actes, la Moabiie. Il avait plu-
sieurs autres ouvrages dramatiques en portefeuille, entre autres un opéra
fantastique en cinq actes, Harokl, un autre opéra biblique, Saiil, et enfin
un opéra-comique en trois actes, la Chèvre d'or, que le Grand-Théâtre s'ap-
prête, dit-on, à mettre à l'étude. J.-B. de Croze avait aussi publié un cer-
tain nombre de mélodies vocales, de morceaux pour piano et violon et de
musique de danse.
— A Vienne est mort un artiste distingué, Julius Sulzer, qui fut pen-
dant dix-sept ans chef d'orchesire du Burgthéâtre. Il était le fils du célèbre
chanteur Salomon Sulzer, qui fut le créateur de la liturgie israélite et qui
mourut lui-même l'an dernier, à l'âge de 86 ans. Julius Sulzer avait écrit
la musique de plus de 200 pièces pour le Burgthéâtre, entre autres des
ouvertures pour toutes les tragédies royales de Shakespeare.
— Ce n'est point le marquis Giuliano Capranica del Grillo, époux de
la grande tragédienne Adélaïde Bistori, qui est mort récemment, ainsi
que nous l'avons annoncé par erreur d'après les journaux italiens eux-
mêmes, mais son frère, Luigi Capranica.
— De Corfou on annonce la mort par suicide, à la suite d'un désespoir
amoureux, d'un musicien napolitain, N. Siré, directeur du Conservatoire
et de la Société philharmonique de cette ville. Le malheureux s'est préci-
pité dans la mer, en ayant eu soin préalablement de s'attacher une pierre
au cou.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de parailre chez LVDWIG DOBLINGER
(B. IlEnzMANSKïj, éditeur de musique, Viesne
ROBERT FISGHHOF
Op. 47. — Sonate pour PIANO et VIOLON. — Prix: 10 francs.
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lIMEniE CIÏAIX, 20, RL'E BERGERE,
Dimanche l'' Mars 189i.
MiH — 57- mWÊ — W 9. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Dn an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. La Messe en s/ mineur de J.-S. Bach (3" article), Julien Tiersot. — IL Semaine
théâtrale: Choses et autres, IL Moreno; premières représentations de les Joifs
de la patemité, au Palais-Royal, de l'Heure du berger et de l'Union libre, au
Théâtre Moderne, Paul-Émile Chevalier. — III. Une famille d'artistes : Les
Saint-Aubin (11= article), Arthur Pougi\. — IV. Un curieux autographe d'Auber,
J.-B. Wecserlin. — V. Revue des Grands Concerts. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
SOUS LES TILLEULS
valse alsacienne de Paul Rougnon. — Suivra immédiatement: Plus licureiix
qu'un roi! nouvelle polka de Philippe Fahrbach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Ne parte pas , nouvelle mélodie de H. Balthasab - Florence,
paroles de C. Fuster. — Suivra immédiatement : BoboW se marie, n" S
des Rondes et Chansons d'avril, musique de Cl. Blanc et L. Dauphin,
poésies de George Auriol.
LA
ESSE EN SI MINEUR
DE J.-S. BACH
(Suite) .
L'histoire de la conception et de la réalisation de la Messe
en si mineur n'a jamais été, que je sache, racontée dans au-
cun ouvrage français ; mais un écrivain allemand contem-
porain, M. Spitta, nous donne à cet égard tous les renseigne-
ments désirables et, vraisemblablement, tous ceux que l'on
possédera jamais, car dans les deux volumes, d'environ
mille pages grand in-octavo chacun, qu'il a consacrés à
Bach (1), véritable monument élevé à la mémoire du cantor
de Leipzig, d'ailleurs très digne de lui, il a rassemblé tout ce
qui, même par les plus infimes détails, pouvait aider à éclairer
la connaissance de sa vie et de ses œuvres, e.xpliquant et
commentant les textes à l'aide des procédés les plus subtils
de la critique moderne. C'est à ce livre, ainsi qu'à la pré-
face écrite par M. J. Rietz pour l'édition de la Messe en si
mineur dans la collection Breitkopf et Hârtel, que nous em-
pruntons tous les détails qui vont suivre.
L'on a vu plus haut que Bach avait présenté le Kyrie et le
Gloria au roi de Saxe en juillet 1733; la composition de ces
deux morceaux est donc antérieure à cette date. Il se pourrait
même qu'ils n'eussent pas été écrits spécialement pour' cette
(1) Ph. Spitta, Johann Sébastian Bach, Leipzig, Breitjiopf et Hârtel, 1873-1880.
circonstance, et que Bach ail eu d'abord la pensée de les
faire entendre à Leipzig. Un détail d'apparence secondaire
vient appuyer cette hypothèse. On sait que le Gloria in excelsis,
tel qu'il se chante dans les églises catholiques, renferme
la phrase suivante : Domine fiU unigenite Jesu Christe, Domine
Deus, etc. Dans la liturgie luthérienne, on intercalait après
Jesu Christe le mot altissiine. Or, ce mot se trouve dans la messe
de Bach. Les églises de Dresde étant catholiques et celles de
Leipzig luthériennes, il a paru de ce fait à M. Spitta que le
Gtom n'avait pas été écrit spécialement en vue de Dresde (1).
Quoi qu'il en soit, et même en admettant tout cela, il n'est
pas moins certain que la composition du Kyrie et du Gloria
ne remonte pas notablement plus haut que la date indiquée.
La plupart des biographes, connaissant les circonstances
dans lesquelles le Kyrie et le Gloria ont été offerts au roi de
Saxe, ont pensé que Bach n'avait eu tout d'abord l'intention
d'écrire qu'une messe brève, comme il l'avait déjà fait dans
d'autres occasions, et que ce ne fut que plus tard qu'il résolut
de compléter son œuvre. Sur cette question encore M. Spitta
vient jeter des doutes. A son avis, Bach a eu l'idée de faire
une messe entière avant 1733, et l'avènement d'un nouveau
prince ne fut pour lui que l'occasion, le prétexte de mettre
la dernière main à une œuvre à laquelle il avait déjà tra-
vaillé. Et il le prouve non seulement par l'observation, déjà
rapportée, que le Gloria, composé sur le texte propre à la
liturgie luthérienne de Leipzig et non à la liturgie catholique
des églises de Dresde, fut fait pour Leipzig et peut-être assez
longtemps avant qu'il songeât à sa démarche du 27 juillet 1733,
mais encore par l'affirmation que le Credo est lui-même antérieur
au Kyrie et au Gloria. Ce dei'nier point, il l'établit par les mêmes
procédés dont la paléographie se sert pour déterminer
les dates des manuscrits du moyen-âge : il a constaté que
certaines œuvres de Bach dont on connaît l'époque étaient
écrites sur un certain papier, et il en infère que les autres
œuvres écrites sur le même papier appartiennent à la même
période. C'est ainsi que, du 15 octobre 1727 jusqu'à 1736, sa
musique est écrite sur un papier ayant pour filigrane les
lettres MA. Les 13, 1§ et 19 août 1736 (voilà qui est précis!)
le filigrane change : au lieu de lettres, c'est un cavalier
jouant d'un cornet de postillon; cependant le papier au fili-
grane MA ne disparait pas encore; on le retrouve jusqu'en
1737, après quoi il est tout à fait abandonné. Il est remplacé
par un papier dont le filigrane est une demi-lune, papier
dont Bach avait eu déjà quelques cahiers en 173S, et dont
il ne cesse plus de faire usage jusqu'à sa mort. A la vérité,
(1) L'on ne peut s'empêcher de remarquer cependant que dans le Credo, qui ne
fat pas composé pour Dresde, se trouvent les mots suivants, que Bach, Ijien que
bon luthérien, a accentués avec une autorité singulière ; Et in imam catholicam
et apostolicam ecclesiam.
66
LE MENESTREL
il y avait eu déjà un papier à demi-lune ayant servi de 1723
à 1726, mais celui-ci présentait des signes particuliers qu'on
ne jugera peut-être pas indispensable que nous définissions
plus longuement ici. Enfin, trois cantates écrites vers la fin
de 1731 sont sur un papier qui porte des marques spéciales
que M. Spitta appelle diplomatisclie Merkzeichen : or, on les
retrouve précisément sur le manuscrit autographe du Credo.
En faut-il plus pour en déteiminer la date? Peut-être quel-
ques preuves plus solides ne seraient pas superflues; mais
cette indication étant la seule et unique que nous possédions,
il faut bien s'en contenter : admettons donc que le Credo de
la Messp en si mineur fut composé, comme le dit M. Spitta, vers
l'année 1732.
Dans VAgnus on trouve encore de loin en loin quelques
traces du même filigrane, mais non d'une façon assez signi-
cative pour que l'on en puisse inférer que ce morceau, sous
sa forme dernière, est aussi antérieur au Kyrie; d'autres indi-
ces semblent, au contraire, le reporter au même temps que
VHosanna, et, d'autre part, il n'y a aucune raison de suppo-
ser que ce dernier, faisant partie intégrale du Sanctus, ait été
fait à une époque antérieure. Or, pour le Sanclus, on a quel-
ques indications plus précises. D'abord, la partition originale
est écrite sur le papier au filigrane à demi-lune dont nous
savons que Bach ne fît usage que depuis 1735 ; en outre,
nous savons que le morceau avait été envoyé par Bach en
Bohème, au comte Sporck, qui mourut le 30 mars 1738; comme,
par suite des usages des églises luthériennes , un Sanctus
n'avait pu être fait qu'en vue d'une fête de Noël, on doit en
rapporter la première exécution à décembre 1735, 36 ou 37;
et c'est probablement, d'après M. Spitta, la première date
(1735) qui est la bonne, cela pour des raisons que ceux qui
les \oudront connaître trouveront longuement, très longue-
ment déduites dans son savant et substantiel ouvrage. Pla-
çons donc encore le Sanctus, avec VAgmts et VHosanna, dans
l'année 1735, et nous aurons ainsi, comme dates extrêmes
de la composition de la Messe en si mineur, les années 1732
à 1735.
Au reste, tous les morceaux n'en sont pas originaux : plu-
sieurs ont été composés d'abord pour des cantates, sur des
paroles allemandes, et replacés par Bach dans sa grande
œuvre religieuse en y adaptant les paroles liturgiques. M. J.
Rietz en signale quatre dans sa préface de l'édition Breitkopf :
le Ch-atias et sa répétition sur les mots Bona nohis pacem à la
fin de la messe, le Cruci/îxus, VHosanna et VAgnus Dei. Le pre-
mier est emprunté à une cantate pour célébrer l'élection du
conseil municipal de Leipzig le 27 août 1731: les deux ver-
sions ne diffèrent que par quelques modifications dans l'écri-
ture. Le Crucifixus figurait d'abord dans la cantate du diman-
che Juhilate, exécutée pour la première fois le 30 avril 1724;
déjà précédemment le thème, le rythme et le mouvement
général en avaient été mis dans une cantate profane compo-
sée en l'honneur du renouvellement du conseil de Mulhau-
sen, en 1708; dans la Messe, le morceau a été transposé,
développé et modifié en plusieurs endroits. h'Hosanna est tiré
d'une Cantata gratulatoria in adventum régis datant du 5 octo-
bre 1734 : il ne diffère que par l'introduction d'un prélude
instrumental et quelques changements de figures. VAgnus
est un air de la cantate de F Ascension, plus développé d'ail-
leurs dans la cantate et ayant subi des remaniements nota-
bles pour la Messe.
A ces quatre fragments M. Spitta en ajoute deux autres :
le Qui tollis, qui n'est autre que la première partie du chœur
d'entrée de la cantate du lO""" dimanche après la Trinité, et
le second chœur du Credo, qui à l'origine était dans une
Cantate du Jour de l'an exécutée pour la première fois le pre-
mier janvier 1729.
Les sources originales qui ont pu être mises à contribution
pour la constitution de la forme définitive de- la Messe en si
mineur dans l'édition Breitkopf et Hàrtel sont, en tant que
manuscrits autographes, le Kyrie et le Gloria, restés à la cour
du roi de Saxe et actuellement encore dans sa bibliothèque
privée, et le Sanctus, dont la Bibliothèque royale de Berlin
possède la partition originale. M. Spitta cite un autre docu-
ment plus important encore et qui semble avoir été décou-
vert postérieurement à la publication de Breitkopf: ce n'est
rien moins que la partition autographe complète de l'œuvre,
propriété de la Bibliothèque royale de Berlin. L'on en con-
naît en outre plusieurs copies dont certaines, exécutées à
l'époque même de Bach et par des hommes tels que Kirn-
berger, présentent les plus sérieuses garanties d'authenticité.
Enfin, à la fin du XV1II'= siècle ou au commencement du
nôtre, quand la gloire de Bach commença à apparaître, la
Messe fut publiée, en deux parties séparées, l'une chez l'édi-
teur Simrock, à Bonn, l'autre chez Nageli, à Zurich.
Un détail observé à la lecture de la partition d'orchestre
va montrer avec quel soin tout particulier Bach avait écrit
le Kyrie et le Gloria qu'il offrit au roi de Saxe. L'on sait que
ses œuvres chorales sont toujours accompagnées, outre l'or-
chestre, par une partie d'orgue dont la basse seule, doublée
par les basses du quatuor à cordes, est notée sous le nom
de Continuo. Le plus souvent, comme c'était Bach lui-même
qui exécutait cette partie, il négligeait d'écrire les chiffres
indiquant l'harmonie à réaliser — ce qui, pour les exécutions
modernes, peut être cause, il faut l'avouer, de fâcheuses
interprétations. Or, dans la Messe en si mineur, il n'y a pas un
seul chiffre depuis le Credo jusqu'à la fin ; mais par contre,
dans le Kyrie et le Gloria, qui, dans la pensée de Bach, de-
vaient être accompagnés par les organistes de Dresde, le
chiffrage est indiqué avec une abondance de détails et une
précision dont je ne crois pas que Bach ait donné beaucoup
d'autres exemples dans ses œuvres similaires.
Pour en finir avec l'histoire de la Messe en si mineur, il nous
reste à parler de ses premières auditions. Cette partie de
notre travail sera d'autant plus réduite que l'on pourrait
dire, en quelque sorte, qu'elle n'eut pas de première audi-
tion! Du moins a-t-on pu établir que, du vivant de Bach,
elle ne fut jamais donnée intégralement. A Dresde, d'abord,
il paraît démontréque le /fi/rje etle C(orw ne furent pas exécu-
tés : il n'en est resté en tous cas aucune trace, et tous les
biographes de Bach s'accordent à dire que l'œuvre était à la
fois trop difficile et trop longue pour pouvoir être interprétée
dignement par le personnel musical de la Chapelle royale de
Saxe et pour entrer dans le cadre des cérémonies de l'église
catholique. Et dans ce temps-là on n'eiit jamais songé à
exécuter une messe en dehors de l'église, au concert.
Si quelques fragments en furent entendus du vivant de
Bach, ce fut à Leipzig et sous sa propre direction. Bien que
les églises de Leipzig fussent luthériennes, la coutume auto-
risait cependant, pour certaines fêtes de l'année, l'usage du
texte latin de la messe. Telle notamment la nuit de Noël, où
l'on chantait le Gloria et le Sanctus. A cette fête, en 1740,
Bach fit entendre son Gloria: encore ne put-il le donner tout
entier, vu sa longueur; il fallut couper: l'on en a retrouvé,
parmi les manuscrits de Bach, un arrangement fait en vue
de cette exécution et comprenant le chœur d'entrée : Gloria
in exuelsis, le duo avec la flûte : Domine fili unigemte , dont les
paroles sont changées pour celles du Gloria patri et filio et-
Spiritui sancto, et le chœur final , sur Sicut erat, etc. Pour le
Sanctus, on sait par une lettre de Bach que les parties en
furent copiées et même envoyées en Bohème, au comte
Sporck; l'on peut en inférer qu'il fut exécuté tant à Leipzig
qu'à la cour de ce seigneur , sans avoir d'ailleurs aucun
autre renseignement. L'Agnus peut avoir été chanté à Leipzig
à quelque grande fête, l'usage étant, ces jours-là, de chanter
Agnus Dei pendant la communion; mais ici encore aucune
preuve. Le Kijrie paraît trop long à M. Spitta lui-même
pour avoir figuré jamais dans les cérémonies de la fête de la
LE MENESTREL
67
Réformation ou du premier dimanche de l'Avent, où l'usage
permettait cette prière; il croit cependant, mais c'est une
simple hypothèse, qu'il put être chanté le dimanche Esta
mihi, au commencement du carême. De même le Credo était
admis pour la Trinité : peut-être Bach fit-il entendre le sien
à une de ces fêtes, mais ce n'est qu'un peut-être. Et, au
fond, toutes ces exécutions fragmentaires ne pouvant donner
■en aucune façon l'impression de l'œuvre , on peut en con-
clure, même si elles eurent lieu, que la Messe de Bach est
demeurée pour ainsi dire inédite durant toute la vie de son
auteur.
Au reste, même de nos jours, ses exécutions n'ont pas
été fréquentes: elle a toujours contre elle sa longueur et sa
difficulté, qui est extrême. Le Conservatoire en avait fait
entendre seulement quelques fragments il y a quinze ans et
plus ; le Gesangverein de Bâle en a donné, il y a quelques
années, une audition intégrale à laquelle assistèrent plu-
sieurs musiciens et amateurs français ; elle est parfois exé-
cutée en Allemagne, dans des occasions solennelles ; à
Londres, me dit-on, on l'a entendue assez récemment dans
un grand festival. Je la trouve encore mentionnée dans le
dernier annuaire du Conservatoire de Bruxelles, aux concerts
duquel, dans la saison dernière, on a joué le Credo, le Sanctus
et VAgnus. Pour la France, l'exécution de dimanche a été une
^vraie première.
Et cette première a été magnifique : une solennité, une fête
■de l'art, et dont, malgré des craintes que l'événement a
montrées mal fondées, le public du Conservatoire a compris
toute la portée, car il a écouté l'œuvre, d'abord dans un re-
cueillement profond, puis, peu à peu, avec un véritable en-
thousiasme, toujours grandissant. C'est un triomphe éclatant
pour la Société des concerts, particulièrement pour ceux
qui y combattent le bon combat en l'honneur de l'art élevé,
des œuvres nobles et grandes et des tendances avancées.
L'exécution d'ensemble, sous la vaillante direction de
M. Garcin, a été admirable, d'une homogénéité absolue, d'une
-étonnante sûreté. On n'a pas eu à y relever une seule de ces
indécisions toujours fréquentes aux premières exécutions des
■œuvres nouvelles, même au Conservatoire. Les chœurs no-
tamment, d'une très grande difficulté, avec leurs formes in-
triguées, leurs rythmes fortement accentués, leurs longues et
iardies vocalises s'enchevêtrant dans un ensemble polypho-
nique parfois d'une extrême complication, ont été superbes
d'assurance, de souplesse, de vie ; il est vrai qu'ils étu-
diaient leurs parties depuis deux ans et plus, et que
M. Heyberger avait mis à cette préparation un soin, un dé-
vouement que lui inspiraient une admiration et une intelli-
gence profonde de l'œuvre de Bach. A M. Garcin et à lui
revient la plus belle part de l'honneur de cette exécution, et
j'estime que c'est un fort grand honneur.
Ils ont été dignement secondés par les solistes : ceux du
chant d'abord , ^1'"= Fanny Lépine , M"ie Boidin-Puisais,
M"« Landi, MM. Warmbrodt et Auguez, et ceux de l'orchestre,
dont le rôle n'est ni moins apparent ni moins considérable :
M. Teste, qu'il faut nommer en premier, car il nous a fait
connaître des sonorités d'orchestre tout à fait nouvelles ;
sur sa petite trompette en ré aigu, il escalade des hauteurs
-impratiquées, se tient constamment dans les régions suraiguës,
dominant toute la masse sonore par ses notes claires et vi-
brantes ; M. Gillet, qui nous a fait entendre pour la pre-
mière fois le hautbois d'amour, instrument tombé en désué-
tude, que M. Mahillon a construit, d'après les anciens
types, spécialement en vue de cette exécution, et auquel, si
je suis bien informé, M. Gillet a apporté lui-même quelques
modifications: de deux tons plus grave que le hautbois, il est
intermédiaire entre lui et le cor anglais, et, par sa sonorité,
se rapproche plutôt de ce dernier. M. Gillet en a joué avec
son autorité coutumière, comme M. Taffanel a fait pour le
solo de flûte du Gloria, et M. Berthelier pour ses deux solos
de violon, qui lui ont valu un succès personnel très vif. Enfin,
M. Guilmant, à l'orgue, n'a pas cessé de faire mon admiration
par sa réalisation très juste, sobre et riche à la fois, des
harmonies de la basse continue, qu'on peut donner comme un
modèle du genre, et par l'appropriation toujours parfaite des
jeux de l'orgue aux sonorités des instruments et des voix. —
J'ai cité tout le monde: c'est que tout le monde a contribué
dignement au succès de cette journée, qui marquera une
date dans l'histoire de la Société des concerts, ne fût-ce que
par le fait matériel que, pour la première fois depuis sa
fondation, on a vu un programme entièrement rempli par
une œuvre et consacré à un seul auleur. L'on ne pouvait,
certes, inaugurer plus heureusement cette nouvelle manière.
Nous étudierons l'œuvre dimanche prochain.
(A suivre.) Jclien Tiersot.
BULLETIN THEATRAL
CHOSES ET AUTRES
Les jours du 3Iage sont proches à l'Opéra. On en est déjà à se
préoccuper des accessoires à sensation. C'est ainsi que les journaux
nous annoncent gravement que celte semaine on a essayé dans
Bigoletto — mais pour les introduire plus tard, après expérience, dans
le Mage loi-même — des « éclairs » d'une nouvelle façon, rapportés
de Londres par M. Lapissida, non pas de simples lueurs comme dans
l'ancien bon temps, mais de véritables « zigzags aveuglants » qui
donnent l'illusion de la foudre elle-même. On les a donc essayés,
disions-nous, dans iJ/joteito; c'est ce qu'on appelle procéder in am'wa
vili. Mais il y a dans l'œuvre de Verdi quelques autres éclairs dont
nous aimerions à trouver aussi l'équivalent dans la partition du Mage,
nous voulons parler des pages débordantes de passion que le maître
italien a su y marquer de sa griffe puissante. Après tout, nous ne
voulons pas médire de ce que nous ne connaissons pas encore. Et
il se peut très bien qu'en celle circonstance M. Massenet triomphant
ait réussi à mettre à la fois dans sa poche Verdi et "Wagner réunis.
Souhaitons-le, en constatant que jusqu'ici ses éclairs étaient surtout
à la vanille ou au chocolat. Les dames d'ailleurs aiment assez ce
genre de pâtisserie, et n'eùt-il que celte clienlèle, M. Massenet serait
encore assuré de tenir la lêle des compositeurs de son temps. Ne
sont-ce pas les dames qui mènent le monde et les arts?
On remarque d'ailleurs l'altitude distraite de M. Gailhard à ces
repétilions du Mage. Il n'écoute que d'une oreille les suaves éma-
nalions du génie de M. Massenet. L'autre est toujours tendue du côté
de la rue de Valois, vers le bureau du ministère des Beaux-arts, oîi
s'agile le nouveau cahier des charges dans les dernières affres de
son achèvement. Qu'en sortira-t-il ? La réélection de M. Gailhard,
ou son éloignement ? L'ami Pedro a bien tort de s'inquiéter. Il n'y
a que deux solutions qui s'imposent, parce qu'elles sont l'une et
l'autre profondément immorales : ou le maintien pur et simple de
M. Gailhard, ou alors la nomination de M. Paravey, qui présente-
rait ce double avantage de sortir celui-ci de la situation embar-
rassée oii il se trouve à l'Opéra-Comique entre un agent Ihéàtral
qui le domine et un chef de claque qui le pressure, et de laisser
libre un autre théâtre également subventionné qu'on donnerait en
compensation au pauvre Gailhard, si méchamment évincé de l'Aca-
démie nationale de musique. Comme vous voyez, la combinaison est
bien simple, et elle aurait l'avantage de satisfaire tous les patrons
politiques qui s'intéressent si fortement à ces deux fortunés can-
didats. Et la musique"? que devient-elle en tout ceci, m'objeclerez-vous
si vous êles encore un illusionné i Monsieur, vous répondrai-je, elle
est l'humble servante de la politique souveraine. Gonstans est roi.
Voyez avec quelle aimable désinvolture agit M. Paravey, et comme
il se sent fort et sûr de n'être point inquiété dans ses petites ma-
nœuvres. Nous comptions avoir la semaine prochaine la première repré-
sentation des Folies «mo-u/'eMses, l'œuvre nouvelle si vivement attendue
de M.Emile Pessard. Eh bien ! nous ne l'aurons pas. Pourquoi? Tout
simplement parce qu'il plaît à M. Paravey d'envoyer chauler l'un des
interprètes de la pièce, M. Fugère, à Monte-Carlo. Gela fait ses
affaires et celles de l'agent qui l'opprime. Voilà ! Et il ne s'en cache
pas: il nous en instruit par des petites notes très correctss insérées
dans les journaux. Toute l'année, la troupe de l'Opéra-Comique fait
ainsi la navette entre Paris et Monte-Carlo. Gela est passé dans
68
LE MENESTREL
les mœurs du théâtre et il n'y a personne au ministère pour s'en
étonner. Bien fort, ce Paravey ! Tenez, il promet la croix de la
Légion d'honneur — rien que cela ! — à l'agent qui le dirige pour le
14 juillet, et vous verrez que cet agent l'aura. Ce que c'est que
d'être bien en cour ! Seulement, c'est la claque, qui ne sera pas
contente. N'y aura-t-il pas au moins quelque ruban violet pour
son chef honoré? Au fait, il l'a peut-être déjà.
Est-ce parce que M. Fugère se lasse d'être ainsi envoyé comme un
colis complaisant de Paris à Monte-Carlo, qu'il annonce son intbntion
de quitter l'Opéra-Comique au mois de juin, terme de son engage-
ment? En tous les cas, c'est une perte sérieuse pour l'Opéra-
Comique. C'était le dernier de la belle troupe réunie par M. Gar-
valho. Aujourd'hui, elle est éparpillée aux quatre vents.
H. MORENO.
Palais-Royal. — Les Joies de la paternité, comédie en 3 actes, de
M. Bisson et Vast-Ricouard. — Théâtre-Moderne. — L'Heure du
berger, pantomime en un acte, de M. Piazza, musique de M. G.
Paulin ; l'Union libre, comédie parisienne en 3 actes, de M. Champ-
vert.
Les Joies de la paternité dormaient depuis plusieurs années déjà
dans les cartons directoriaux du Palais-Royal, lorsque MM. Boyer
et Mussay eurent l'idée de relire le manuscrit de MM. Vast et
Ricouard, disparus tous deux aujourd'hui. La pièce n'était pas sans
avoir retenu une quantité notable de vieille poussière et il était
impossible de la présenter ainsi au public ; aussi s'adressa-t-on à
un favori du succès, M. Bisson, qui fat chargé de prendre son
meilleur plumeau et d'épousseter tant qu'il pourrait , les princi-
paux intéressés ne se trouvant plus là pour se livrer à ces soins
ménagers que, d'ailleurs, ils avaient jugés inutiles, paraît-il, du
temps de leur vivant. L'auteur du Député de Bombignac se mit
donc à la besogne et si l'objet est demeuré légèrement gris, il ne
faut pas s'en prendre à son éuergie.
C'est l'histoire d'un enfant imaginaire que se disputent deux maris
en proie aux épigrammes de leurs épouses. Un poupon, amené là
par le hasard, vole de bras en bras, jusqu'au moment oii le vrai père,
domestique dans la maison, se démasque et réclame son bien. L'his-
toire est tellement compliquée qu'il me faudrait plusieurs colonnes
de ce journal pour l'expliquer et, encore, je ne sais si je parviendrais
bien à me faire comprendre. Le premier acte a paru un peu froid; le
second a été très égayé par l'originalité hilarante de M™ Lavigne, en
nourrice, et le troisième, adroitement présenté, a fait rire en plus
d'un endroit. MM. Daubray et Saint-Germain jouent avec finesse les
rôles des deux faux pères; peut-être bien n'ont-ils déployé, ni l'un
ni l'autre, assez de fantaisie; M. Pellerin demeure le modèle passé,
présent et futur des domestiques de théâtre. J'ai nommé déjà
M"' Lavigne ; je dois des compliments très mérités aussi à M""^ Ma-
thilde, une réjouissante belle-mère, à M"" Gheirel, une charmante
future petite mère et à M"° Dolci, une bonne d'une allure très per-
sonnelle. M"" M. Durand a paru aimable mais d'un goût bizarre
dans ses toilettes.
Le Théâtre Moderne, dont l'existence première avait été si éphé-
mère, vient de rouvrir ses portes au public. Avant de parler du
spectacle de réinauguration, je voudrais qu'il me soit permis de
m'étonner du peu d'empressement que mes confrères ont mis à se
rendre à la salle du faubourg Poissonnière. Pourquoi ? Je ne connais
absolument personne dans la maison et ne suis nullement comman-
ditaire de l'affaire; je ne saurais donc être accusé de défendre des
amis ou d'essayer de rentrer dans mon argent ; mais je trouve que
l'idée d'un théâtre bon marché, — les fauleoils d'orchestre coûtent
trois francs, — en plein cœur de Paris, vaut la peine qu'on s'y
arrête et même qu'on la soutienne. Il est bien évident que le Théâ -
tre Moderne, avec ses ressources, qui doivent être assez minimes,
et ses recettes qui, même en atteignant le maximum, resteront tou-
jours modestes, ne jouera ni du Meilhae, ni du Sardou, ni même,
peut-être, du Gandillot, et n'aura pas en vedette, sur ses affiches,
jes noms d'artistes aux cachets fantastiques ; mais, s'il est tant soit
peu aidé et défendu, il peut arriver à se former une troupe d'ensem-
ble convenable, et mettre, de temps à autre, la main sur des spec-
tacles intéressants. Il y a là un débouché de plus pour les jeunes
auteurs et les jeunes artistes, et il y a aussi une concurrence directe
et intéressante au café-concert, contre l'envahissement duquel on a
tant et si justement réclamé. Je crois donc qu'on devrait s'occuper
de l'idée, au lieu de se montrer si indifférent.
Le succès de la prem^ière soirée semble avoir été pour l'Heure du
berger, une aimable pantomime de M. Piazza, pour laquelle M. G.
Paulin a écrit une parlitionnette gracieuse. La comédie de M. Ghamp-
vert, qui met en scène l'hisloire des fameux mariés de Monlro«ge,
n'est point sans qualités ; nous attendrons, pour le juger, que l'auleur
s_e^ trouve en face d'un sujet plus original. La troupe actuelle du
Théâtre Moderne a'besoin de se sentir les coudes davantage et,
surtout, _de jouer moins tristement.
Paul-Émile Chevalier.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
V
(Suite.)
Enfin elle parut, cette Cendrillon tant désirée, tant attendue, et ce
fut bien pis après qu'avant, et le succès tourna à la folie, etftout
Paris s'en montra coiffé, ainsi qu'on peut s'en rendre compte par-la
boutade que voici ;
Les débuts de mesdemoiselles Regnault et Alexandrine Saint-Aubin ont
commencé à remettre l'Opéra-Comique en vogue : Cendrillon lui a rendu
ses plus beaux jours. Tout Paris a vu Cendrillon; on est accouru des pro-
vinces voisines pour voir Cendrillon; soixaute-dix-huit représentations en
moins d'un an n'ont pu émousser la curiosité publique pour Cendrillon;
trois cents mille francs et plus ont passé dans la caisse de l'Opéra-Comique
par Cendrillon; le libraire Vente a débité deux éditions de Cendrillon; enfin
le nom de Cendrillon a volé dans toutes les bouches, et a été répété bien plus
souvent encore qu'il ne l'est dans cette phrase, où je ne l'ai point épargné.
Le succès de cette pièce ne peut se comparer qu'à ceux qu'obtinrent
antérieurement le Mariage de Figaro, Fancfion la vielleuse, la Famille des Inno-
cents et le Pied de mouton, tous ouvrages parvenus victorieusement aux cent
représentations de suite. Les bijoutiers ont inventé des bijoux à la Cen-
drillon ; ils ont eu presque autant de succès que la pièce ; les dessinateurs
ont publié plusieurs portraits de M"° Alexandrine Saint-Aubin; ils ont
trouvé des acheteurs, quoiqu'ils ressemblassent presque tous à des carica-
tures ; les marchands de musique ont fait graver la partition, les airs sépa-
rés de la pièce ; on y a couru comme au feu, et tous les orgues de Bar-
barie répètent actuellement ce refrain devenu populaire : Voilà pmirquoi l'on
m'appelle la petite Cendrillon; Martinet a donné les costumes de mademoi-
selle Alexandrine Saint- Aubin et de Juliet; les musards de la rue du Coq
ont assiégé plus que jamais les carreaux de sa boutique; enfin tous les
théâtres, à l'exception de l'Académie impériale de musique et de la Comé-
die-Française (qui avait pourtant dans M"« Mars la perle des Cendrillons,)
ont joué des imitations de cette fameuse pièce ; elles ont toutes obtenu du
succès ; il en est une surtout qui semble constituée de manière à subir
aussi vigoureusement que son aînée l'épreuve des cent représentations.
Quelques bonnes gens qui croient pieusement que le succès d'une pièce
de théâtre tient uniquement à son mérite, ont soumis celle de M. Etienne
à une critique exacte, et ne trouvant point dans l'ouvrage d'un auteur aussi
distingué par son talent et aussi spirituel autant d'esprit, de gaieté, de
comique et d'originalité qu'ils l'espéraient, entendant répéter aux connais-
seurs en musique que celle de M. Nicolo était d'une faiblesse excessive et
n'avait point de couleur, ils sont demeurés stupéfaits en considérant la
prodigieuse réussite de Cendrillon.
Bonnes gens ! bonnes gens ! eh ! ne voyez-vous pas qu'un acteur qui a la '
vogue sufBt pour faire courir tout Paris quand il est employé d'une ma-
nière conforme à ses moyens? Que sera-ce si la même pièce présente la
réunion de trois talens généralement chéris, dont deux au moins sont du
premier ordre?
Que l'on a montré de sagesse en confiant les rôles des deux sœurs à
mesdames Duret et Regnault ! Elles ne chantent pas de trop bonne musi-
que à la vérité, mais cette musique paraît excellente tant qu'elles la chan-
tent. Joignez à cela les grâces naïves de la jeune Saint-Aub-in, sa danse
avec le tambour de basque au troisième acte de cette féerie, en voilà plus
qu'il n'en faut pour expliquer un succès que vous trouvez inouï (i).
Ce succès de Cendrillon, dont on peut se faire une idée par ces
lignes ironiques, et qui était dû pour beaucoup à riulerprélation
féminine et surtout à la présence de la jeune Saint-Aubin, se pro-
longea pendant plus de cent représentations; c'était un fait rare à
celte époque, particulièrement à l'Opéra-Comique. Un jour pourtant,
ou plutôt an soir d'été, comme l'ascension d'un ballon de Garnerin
attirait au dehors une foule immense et faisait dans les salles de
spectacle un vide fâcheux pour la recette, le vieux régisseur Came-
rani. qui était monté avec quelques-uns de ses camarades sur le
faite du théâtre pour voir le fameux aéronaute, s'écria avec dépit,
dans son langage comique : — « Ces fissous Parisiens, que s'en vont
voir ce moussu dans son panier à salade, et qui laissent là neutre
Saint-Aubin, oune çarmante petite fille, et zolie comme oune anze !
{IJ Opinion rf« parterre, 1811.
LE MENESTREL
60
Perche ? Parce qu'elle a zoué cent fois la même soze ! G'est-y oune
raison, ça ! (1) »
VII
La carrière des deux sœurs se poursuivit parallèlement pendant
quelques années, tandis que leur père lui-même terminait la sienne
sur ce théâtre de l'Opéra-Gomique, où la famille avait pris pied
depuis si longtemps et où chacun de ses membres s'était toujours
vu bien accueilli. Non plus pour l'une que pour l'autre cependant
elle ne devait beaucoup se prolonger, car des raisons de sauté
mirent M"" Duret dans l'obligation de se retirer en d820, et dès
1817 Alexandrine, devenue M"" Joly, avait, pour d'autres motifs,
quitté prématurément la scène (2).
Si l'existence artistique de M°"= Duret ne dépassa pas douze an-
nées, on peut dire du moins qu'elle fut bien remplie et fort active.
Cantatrice véritablement remarquable, à la voix étendue et souple,
aux sons bien posés, à la vocalisation brillante et hardie, elle avait
été distinguée par Nicolo, dont elle était devenue l'interprète favo-
rite, et elle fut aiguillonnée par le voisinage d'une autre artiste d'un
talent exceptionnel aussi, M"'= Regnault (plus tard M"» Lemonnier),
qui avait débuté peu de temps après elle et qui, de son côté, avait
conquis toutes les bonnes grâces de Boieldieu revenant de Russie.
La rivalité qui, dès le retour de Boieldieu à Paris, s'établit entre
les deux compositeurs, se doublait de celle des deux cantatrices, et
les mauvaises langues assuraient même que l'intérêt que ceux-là
portaient à celles-ci n'était pas aussi... désintéressé qu'on eût pu le
croire. Bref, tandis que Nicolo écrivait spécialement pour M"'" Duret
les rôles principaux de Lully et Qidiiault, du Billet de loterie, de Jeannot
et Colin, du Magicien sans magie, Boieldieu confiait à M"'' Regnault
ceux de Jean de Paris, de la Jeune Femme colère, du Nouveau Seigneur
de village, de la Fête du village voisin... Cette lutte directe et courtoise
des deux grands artistes, secondés par leurs interprètes, fut loin
d'être sans profit pour eux, pour l'art et pour le public : Boieldieu
et Nicolo y virent certainement grandir leur talent, en même temps
que M""" Duret et M"= Regnault faisaient, de leur côté, tous leurs
efforts pour conquérir, chacune à leur avantage, les suffrages du
public.
Parmi les autres ouvrages dans lesquels M""^ Duret créa des rôles
importants, je citerai encore Ciinarosa, la Dupe de son art, l'Intrigue
au sérail, Rien de trop, le Charme de la voix, la Victime des arts, l'Homme
sans façons, les Aubergistes de qualité, les Deux Maris. Quant à ceux
qu'elle reprit, pour la plupart avec grand succès, on peut signaler
surtout Félix, Sylvain, l'Amitié à l'épreuve, Zémire et Azor, Palma, l'Au-
(Ij Un type, ce Camerani, qu'il serait biea curieux de faire revivre, et qui était,
on peut le dire, l'une des colonnes les plus solides du théâtre, auquel il appar-
tenait alors depuis quarante-quatre ami II avait, venant de Venise, sou pays
débuté en 1767 à la Comédie-Italienne, dans les Soapins du répertoire italien.'
Reçu sociétaire en 1769, la disparition successive de presque toutes les pièces
italiennes avait fini par le laisser à peu près sans emploi, lorsqu'en Î780 ses cama-
rades eurent l'idée d'utiliser les rares qualités administratives dont il avait donné
des preuves. On lui proposa donc de renoncer à la scène tout en conservant sa
situation de sociétaire et de prendre les fonctions, créées pour lui, de semainier
perpétuel, équivalentes en quelque sorte à celles d'administrateur général. Il les
conserva jusqu'au 24 avril 1816, époque de sa mort, ayant accompli presque un
demi-siècle de service à la Comédie-Italienne, devenue l'Opéra-Comique. Tout
ensemble bourru, grognon, probe et intelligent, il était devenu, grâce à ses répar-
ties singulières, exprimées dans un baragouin franco-italien d'une saveur étrange,
une des célébrités et des curiosités excentriques du Paris artistique. On citait de
lui une foule de mots cocasses. On raconte, entre autres, qu'un jour, allant chez
le caissier pour savoir à quel chiffre se monteiait la part de sociétaire pour le
mois fini de la veille, il apprend que la caisse est à sec en ce moment, l'agent des
auteurs l'ayant vidée au profit de ses commettants. Furieux à cette nouvelle
Camerani monte alors au foyer, oii le comité était en séance, entre comme une
bombe et s'écrie tout haletant, dans son jargon ordinaire : — «i Mes amis, ces au-
tours, ils sont des misérables ! Ils ont pris tout l'arzent, tout ! si bien qu'il ne reste
plus rien I Zé vous l'ai déza dit : tant que vous soufîrirez des autours dans votre
théâtre, zamais la massine elle ne pourra marcer ! <>
(2) C'est en 1812 qu'Alexandrine Saint-Aubin épousa un excellent acteur du
Vaudeville, Joly, dont le talent égalait la réputation. Beaucoup plus âgé qu'elle,
celui-ci était né en 1769 et avait d'abord embrassé la carrière des armes; mais
ayant élé gravement blessé lors d'une des premières campagnes de la Révolution,
il quitta le service et prit le lliéâtre, oii il connut de brillants succès. Après plu-
sieurs années passées au Vaudeville, il fit partie de la troupe des Nouveautés,
pour rentrer plus tard au Vaudeville, où le public l'avait en grande atlection.
Joly n'était pas seulement un excellent comédien; c'était un artiste distingué
en divers genres: dessinateur remarquable, surtout dans la forme de la caricature,
écrivain à ses heures (il donna en 1827, aux Nouveautés, une pièce en trois ta-
bleaux intitulée Parh et Londres), il était aussi mécanicien habile et en donna la
preuve en montant, à l'époque de sa retraite, un petit théâtre pour les entants.
On citait surtout la façon remarquable dont il avait créé les rôles principaux de
certaines pièces fameuses alors : les Deux Edmond, Gaspard l'avisé, Lantara. Joly
mourut au mois de novembre 1839, à Lormes (Nièvre), dans une propriété où il
s'était retiré avec sa femme.
berge de Bagnères. Mais si M"" Duret brillait incontestablement au
premier rang comme cantatrice, il n'en était pas tout à fait de même
en ce qui concerne les qualités scéniques proprement dites, et on
le remarquait volontiers en un temps où le public de l'Opéra-Comique
se montrait, sous ce rapport, beaucoup plus exigeant qu'il ne l'est
aujourd'hui. Cela tenait, d'une part, à une timidité extrême et à une
trop grande défiance de ses qualités naturelles, de l'autre au peu
de goût qu'elle avait, dit-on, pour une profession qu'elle n'aurait
embrassée que par déférence pour les désirs des siens. Les critiques
contemporains sont unanimes à cet égard, et on peut les en croire,
car aucun ne cesse d'être sympathique à cette artiste d'ailleurs fort
distinguée. « Comme actrice, disait l'un d'eux, elle a laissé beaucoup
à désirer. Une extrême timidité qu'elle n'a jamais pu vaincre nuisit
beaucoup à ses moyens et lui donnait un air embarrassé. Pourtant son
débit, quoique généralement froid, ne laissait pas d'être juste (1)... »
iA suivre.) Arthur Pougin.
UN CURIEUX AUTOGRAPHE D'AUBER
Ni l'étis, ni Jouvin n'ont pu indiquer avec exactitude l'époque où Auber
lit ses études de contrepoint et de fugue avec Gherubini. Le volume
qui aurait pu les renseigner à cet égard était entre les mains d'Auber
lui-même, qui ne le communiquait pas. C'est le cahier même qui
contenait tous ses devoirs de cette époque.
Ce n'est donc qu'après sa mort, quand on vendit son mobilier à l'Hôtel
Drouot, que j'ai pu apercevoir ce fameux volume vert, in-4» oblong. Je
l'avais ajouté à un lot de vieille musique sans grande valeur, et on allait
me l'adjuger pour la somme de 4 fr. SO c, quand un M. Durand, joueur
célèbre dans les cercles, se mit à surenchérir. Ce Durand suivait volontiers
les ventes, et il achetait les volumes ou la musique qu'il voyait poussés
par des connaisseurs, convaincu que cela ne pouvait être une mauvaise
acquisition.
Je sentis bien que je ne pourrais soutenir la lutte avec un partenaire
beaucoup plus en fonJs que moi: on lui adjugea donc le volume pour
85 francs, au grand étonnement de la galerie, qui ne pouvait s'expliquer
mon acharnement pour des bouquins qui semblaient dignes de la boite
aux ordures. Il est vrai que le M. Durand ne s'en doutait pas davantage.
Quelques mois après cette vente, le célèbre joueur, qui ne trouvait
jamais le temps d'examiner ses achats et qui les entassait tout simplement
les uns sur les autres (ce que je savais) vint à mourir à son tour. On vendit
sa bibliothèque à l'Hôtel Drouot. Je ne manquai pas de m'y trouver; mais
cette fois, pour ne pas donnei- l'éveil à d'autres amateurs qui se trouvaient
là, entre autres mon ami Marmontel, je laissais adjuger à 19 francs sans
rien dire, un immense tas de musique de piano, polkas, valses, contre-
danses, au milieu desquelles j'avais vu dégringoler le bienheureux volume
vert : c'était un brocanteur qui en était l'adjudicataire. La vente finie,
j'offris cent sous au brocanteur pour le volume en question, il l'ouvrit, le
feuilleta un instant, puis me le remit avec une satisfaction visible : il ne
se doutait pas de la mienne.
Après avoir gardé ce trésor dans ma bibliothèque pendant plus de vingt
ans, je me suis décidé à l'offrir au Conservatoire, sa vraie place.
J.-B. Weckerlin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — La symphonie de Raff, Dans la Forêt, ne
dénote pas une très puissante originalité dans la forme mélodique. Assez
souvent, l'auteur se laisse hypnotiser par une formule connue et la ressassé
à plaisir; d'autres fois, il fait siennes des mélodies dont l'invention appar-
tient à d'autres. L'exemple le plus frappant se rencontre dans l'Andante,
dont le début reproduit le motif de la Damnation de Faust : Bientôt, soiisun
voile d'or et d'azur... et dont un autre passage fait songer à Lohengrin. Ce
qui reste en propre à Rafî, c'est la grande phrase enveloppante, très une
dans sa tonalité, qui enserre la Chasse fantastique et forme l'entrée et la
péroraison du finale. "Ce qui est encore bien à lui, c'est la richesse du
coloris orchestral et la facture libre, hautaine, altière de l'ensemble. — Le
concerto de Bach (n" S), pour clavecin, flûte, violon et orchestre, renferme
un premier morceau superbe, un bel Adagio et un finale auquel son
rythme à six-huit enlève l'attrait de la nouveauté. Le jeu d'une irrépro-
chable netteté de M. Diémer, son mécanisme littéralement impeccable et
le charme des sonorités qu'il obtient dans la demi-teinte, lui assurent une
place à part parmi les pianistes, notamment parmi ceux qui exécutent
la musique de Bach; aussi a-t-il rencontré une approbation aussi écla-
tante qu'unanime, surtout après la grande cadence du premier morceau,
qu'il a magistralement rendue. MM. Cantié et Pennequin ont été juste-
ment associés à son succès. Il a fait entendre à la fin du concert une
Fantaisie pour piano et orchestre de M. Périlhou. — Le concerto pour
(1) Bilnographie portative et i
rselle des Conlempo
70
LE MÉNESTREL
violoncelle de M. Saint-Saëns, écrit depuis une vingtaine d"années, a été
rendu par M. Delsart avec une belle qualité de son, beaucoup d'aisance
dans les passages de virtuosité, beaucoup d'expression et un style d'une
correction parfaite. L'œuvre est toujours intéressante, bien mélodique et
agrémentée de jolies combinaisons rythmiques. Parfois l'instrument est
employé à l'exécution de traits rapides et prolongés, qui semblent peu
d'accord avec le caractère plutôt grave de sa sonorité, mais auxquels il
peut être utile de faire une place dans un concerto. Le programme com-
prenait encore la superbe ouverture de Coriolan, deux fragments de Lohen-
grin. Dernier Printemps, de M. Grieg, et les ravissants airs de danse du Roi
s'amuse, de Léo Delibes, Gaillarde, Scène du Bouquet, Madrigal, Passepied, qui
ont obtenu leur succès habituel et dont le dernier a été bissé.
Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — Le morceau de début du 16° concert de M. La-
moureux était la belle ouverture de Coriolan do Beethoven, dont l'exécution
a été excellente; nous n'en dirons pas autant de l'allégretto de la 8" sym-
phonie, qui a été dit mollement et sans la délicatesse de touche que ce
morceau exige. Il perd d'ailleurs à être dégagé du reste de l'œuvre ; c'est la
première fois que, dans un concert sérieux, nous entendons donner des sym-
phonies de Beethoven au détail. — M. Kalisch aune belle voix, une grande
franchise de diction : on l'écouterait avec plaisir, n'était ce langage germa-
nique que l'on n'entend qu'aux concerts Lamoureux, qui n'a rien d'abso-
lument musical, et qui, lorsque la phrase est précipitée, donne l'illusion
de noix secouées dans un panier à salade. L'effet était moins saisissant
dans l'air des Maîfres Chantturs (Walthers preislied), qui ne manque ni
d'ampleur ni de mélodie, mais très sensible dans les passages un peu ra-
pides du grand duo de Tristan et Yseull. M. Kalisch et M"''' Lilli Lehmann
ont déployé beaucoup de talent dans cette œuvre qui débute avec un grand
éclat, mais se perd peu à peu dans un clair obscur sans fin. Quand arrive
l'explosion finale, on se sent dégagé d'un grand poids en songeant que
c'est fini. Nous sommes de l'avis de notre confrère M. Boutarel, qui estime
que cette musique gagnerait beaucoup à être jouée dans un profond sous-
sol; après tout, ceux qui sont imbus de l'esprit français, fait de clarté et
amoureux des formes arrêtées, ne sont pas faits, peut-être, pour apprécier
une musique qui relève d'un tempérament tout autre; rien ne ressemble
moins à l'esprit des races latines que l'esprit des races germaniques. Mais
ces considérations nous emporteraient trop loin,. — M™= Lilli Lehmann
était plus en voix que le premier jour où nous l'avons entendue; elle a,
dans les registres supérieurs, une série de notes magnifiques auxquelles ne
répondent pas malheureusement celles du registre inférieur. Elle n'a pas
dit [l'air de l'Enlèvemenl au Sérail, de Mozart, avec l'accent doucement péné-
trant que demande la musique de ce maître, mais elle a donné aux notes
presque toujours élevées de ce morceau un éclat extraordinaire. — Notons,
pour finir, une exécution très satisfaisante du Phaéton de M. Saint-Saëns et
de la Rapsodie norvégienne de M. Lalo. Ces œuvres claires, bien conduites,
pleines de mélodie, semblaient là pour prouver que nous savons faire aussi
bien, sinon mieux que les compositeurs d'outre-Rhin. H. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Grande messe en si mineur (J.-S. Bach), soli par M'"" Lépine,
Boidin-Puisais, Landi, MM. Warmbrodt et Auguez. Le concert sera dirigé par
J. Garcin.
Châtelet, concert Colonne : Symphonie fantastique (H. Berlioz); suite en si mi-
neur (Bach) ; le Chasseur maudit (César Franck) ; fragment de Sier/fried (R. Wagner) ;
le Rouet d'Om.phale ( Saint-Saëns) ; les Eiinnyes ( J . Massenet) .
Cirque des Ctamps-Élysées, concert Lamoureux ; Ouverture de Sakountnla
(Goldmark); symphonie en mi bémol (R. Schumanu) ; concerto en la pour le
violon (Saint-Saëns), exécuté par M. Rivarde; Paysatjeel Ronde lnntasliqne{E. Ber-
nard); fra,jments des Maitres Chanteurs (R. "Wagner); Rapsodie norvégienne (Lalo).
— Concerts et musique de chambre. — La Société des instruments à vent
vient de reprendre ses belles séances. A la première, qui a eu lieu jeudi,
on a entendu un divertissement de M. A. Périîhou, le très habile organiste
de Saint-Séverin.Ce divertisement est formé d'une série de courts morceaux,
reliés par un thème unique, très simples de lignes et d'une sonorité char-
mante. M. Périîhou, élève de Saint-Saëns, tient de ce maître éminent
l'élégance de la forme et la clarté de l'écriture. Son œuvre, supérieure-
ment exécutée, — il est inutile de l'affirmer — a été accueillie avec une
faveur marquée. Le sextuor de M. Thuille, dont on a parlé ici même
l'année dernière, a produit une agréable impression. MM. Taffanel et
Diémer ont dit d'une façon tout à fait merveilleuse une des intéressantes
sonates pour flûte piano de Bach, et MM. Gillet, Longy et Bas se sont fait
vigoureusement applaudir après la charmante interprétation du trio pour
deux hautbois et cor anglais, œuvre de jeunesse de Beethoven. — M. J.
Stojowski, un jeune pianiste et compositeur, sorti avec deux brillants prix
de fugue et de piano du Conservatoire, vient de donner, chez Érard, un
concert pour l'audition de ses œuvres. Au programme se trouvaient ins-
crits un concerto pour piano et orchestre, des pièces pour piano seul, deux
mélodies et deux fragments d'une Suite pour orchestre. Toutes ces œuvres
révèlent une nature d'artiste délicat et cherchant du nouveau, mais sont
d'une tendance trop marquée au mièvre, au précieux. Chopin et Liszt
semblent être les modèles que M. Stojowski affectionne particulièrement, et
ceci frappe surtout dans les deux premières parties du concerto. Le finale
1res remarquable de cette œuvre est, je crois bien, ce que le jeune artiste
a produit de plus personnel. — La sixième séance de MM. Lefort, Guidé,
Giannini et Casella, avec le concours de l'excellente pianiste M""" .Tacquard,
a été des plus réussies. Ou y a entendu un trio do Schubert et le dixième
quatuor de Beethoven. M. "Warmbrodt a dit avec une grande sûreté musicale
une mélodie de M. Boellmann, la Rime et l'Épée, dont le caractère franc et
vigoureux a fait plaisir. — Il est presque impossible de parler de tous les
concerts de solistes qui ont lieu en ce moment. Il faut cependant dire un
mot d'un récital donné par M. S. Riera, élève de M. Ch. de Bériot, qui a
su soutenir avec talent et vaillance un programme long et difficile, où se
lisaient les noms de Beethoven, Schumann, Chopin, Liszt, Rubinslein et
Saint-Saëns. I. Phiupp.
— Mercredi dernier a eu lieu, salle Pleyel, le premier des quatre con-
certs de musique classique qui doivent être donnés par M""' George HainI,
MM. Marsick et Loys, avec le concours de MM. Brun et Laforge. On a en-
tendu le quatuor n» 10 de Beethoven, la sonate en ré pour piano et violon-
celle de Rubinstein, œuvre bien mélodique dont la partie de piano pré-
sente un attrait tout particulier, enfin le trio en ut mineur de Brahms.
L'andante de ce dernier morceau, présenté sous forme de dialogue libre
entre le violon et le violoncelle jouant ensemble et alternant avec une
partie de piano délicieusement écrite, peut passer pour un pur chef-
d'œuvre.' Un auditoire très chaleureux a fait fête aux interprètes, dont les
qualités brillantes s'unissent pour constituer un ensemble homogène et
d'une harmonie parfaite. Am. B.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (^7 février). — En attendant la
première de Don Juan à la Monnaie, je n'ai que des nouvelles de concerts
à vous donner. Très grand succès dimanche dernier, au Conservatoire,
pour la Symphonie pastorale, pour VEgmont et pour M"= Dudlay, qui, outre
les récits de cette dernière œuvre, a dit une pièce de vers inédite, écrite
par M. Jules Guilliaume, le secrétaire de l'établissement, et l'un de nos
littérateurs depuis longtemps les plus appréciés. Cette pièce, intitulée Beetho-
ven, est d'une îoHhette allure, et le sujet en est vraiment ingénieux. — Grand
succès également, mardi, pour la deuxième séance musicale des XX, di-
rigée, comme la première, par M. Vincent d'Indy, et consacrée encore à la
jeune école française. La plupart des noms de cette école figuraient au
programme, avec des œuvres de caractère varié, vocales et instrumentales.
Une vraie exposition de l'art jeune, d'un très vif intérêt. On a applaudi
particulièrement un quatuor inédit de M. Vincent d'Indy, d'un sentiment
intense et très original ; la musique de scène écrite par M. Ernest Chaus-
son pour la Tempête, le drame de Shakespeare, joué récemment à Paris sur
le théâtre des marionnetr.es ; des chœurs et des mélodies pour voix de
femmes, de MM. Camille Benoit, Fauré, Pierre de Bréville, Tiersot et Vidal.
On a entendu aussi une transcription pour deux pianos, jouée par MM. Vin-
cent d'Indy et Octave Meus, du poème symphonique, Lénore, de M. Henri
Duparc, et deux Valses romantiques endiablées de M. Emmanuel Chabrier.
L'exécution de tout cela a été tout à fait remarquable. — Dimanche pro-
chain, le deuxième concert populaire, dirigé par M. Joseph Dupont, sera
consacré à la musique russe contemporaine, avec M. Padere'wski comme
soliste. L. S.
— Nouvelles de Londres.
On n'a pas oublié que, découragé par l'abstention du public, sir Charles
Halle avait abandonné la seconde moitié de sa saison de concerts à Lon-
dres. Ce n'est que sur les instances du prince et de la princesse de Galles,
qui avaient exprimé le désir d'y assister, qu'un dernier concert a été
décidé. Ce concert a eu lieu vendredi, devant une salle absolument comble.
Le programme n'offrait nul attrait exceptionnel, mais il était devenu de
bon ton de s'y montrer, et la badauderie du public de Londres s'est affirmée
une fois de plus. On ne devrait que s'en féliciter cependant, si cela
pouvait entraîner une nouvelle série de concerts par ce superbe orchestre
de Manchester pendant la prochaine saison d'hiver.
Le public, devenu méfiant à l'égard des enfants prodiges, avait com-
mencé par accueillir le jeune violoncelliste belge Jean Gerardy avec une
certaine réserve. Mais on s'est vite aperçu qu'on se trouvait cette fois-ci
en face d'un talent sérieux, d'un véritable tempérament artistique, et le
succès n'a fait que s'accentuer à chaque nouvelle audition. Jean (xerardy
n'est que dans sa treizième année, et cependant il joue déjà de son instru-
ment d'une façon remarquable. Joli son. exécution brillante et facile, du
sentiment et du style, voilà les qualités principales de ce jeune violon-
celliste, qui est dès à présent un artiste. Son dernier concert nous a aussi
fait entendre M. Eugène Oudin, le farouche templier d'Ivanhoé. Cet excel-
lent chanteur s'est également fait applaudir dans le Vallon, de Gounod, et
dans deux liedrr de Kjerulj.
M. Auguste llarris ne tardera sans doute pas à nous -faire connaître le
programme de sa prochaine saison d'opéra. En attendant, on lui attribue
déjà l'intention de monter Cavalleria rusticana et Eliane, un opéra inédit de
M. Bemberg. Je voudrais croire que ce dernier choix n'est pas définitif et
que M. Harris, qui a déjà tant fait pour le répertoire français à Londres,
ne laissera pas passer cette nouvelie saison sans offrir à ses habitués une
des œuvres typiques de l'école moderne. S'il n'ose pas aborder Salammbô
ou le Mage, pourquoi ne pas s'arrêter à Samson etDaliln. qui trouverait dans
LE MENESTREL
71
M"" Richard, Jean de Rezské et Lassalle des interprètes dignes de l'œuvre?
Une reprise qui paraît aussi s'imposer est celle de Lakmé avec M™" Melba.
Il est temps que le chef-d'œuvre de Delibes prenne la place qui lui revient
au répertoire. ^- "• -N-
— L'Opéra royal de Berlin vient de représenter sa première véritable
nouveauté de la saison : l'opéra en quatre actes et un prologue de M"» Inge-
borg de Bronsart, ffifo-ne (livret de MM. Hans de Bronsart etF. Bodenstedt).
L'œuvre a fait une excellente impression sur le public, tant par le carac-
tère dramatique du livret que par le charme de la partition, à laquelle
pourtant on reproche l'abus de formules surannées.
— Un chef d'orchestre qui dirige une représentation sur le sommet
d'une montagne est une rareté digne d'être signalée. L'empereur d'Alle-
magne, lui-même, a été témoin du fait pendant son récent séjour au
château de Blankenburg, où il était l'hôte du prince régent de Brunswick.
Plusieurs représentations théâtrales ont été données dans la salle de
spectacle du château en l'honneur du souverain. Les spectateurs ont été
émerveillés, paraît-il, du luxe et de l'élégance de cette salle, mais ce qui
les a le plus particulièrement frappés, c'est la vue d'un fragment de
roche émergeant du milieu de l'orchestre des musiciens. C'était la pointe
extrême de la montagne Blankenstein, sur laquelle a été érigé le château
de Blankenburg. A cause de sa conformation spéciale et de sa position
dans la salle, on avait utilisé cette pointe comme siège pour le chef
d'orchestre. Qu'il devait donc y être à son aise !
— On a exécuté pour la première fois à Leipzig une composition nou-
velle importante de M. Félix Draeseke, Colombus (Christophe Colomb), pour
chœurs et orchestre. C'est le Pauliner-Gesangverein, société dirigée par
M. Kretzschmer, qui a eu la primeur de cet ouvrage. M. Félix Draeseke,
qui est un artiste d'un talent éprouvé, met en ce moment la main à une
autre œuvre importante, une chanson en ut dièse mineur, aussi pour
chœurs et orchestre.
— Nous annonçons plus loin la mort imprévue de M"' Joséphine de
Reszké, sœur des deux chanteurs de ce nom. On télégraphie de Saint-
Pétersbourg qu'en considération du deuil qui les frappe d'une façon aussi
soudaine, la direction des théâtres impériaux a immédiatement résilié
l'engagement des frères de Reszké jusqu'à la fin de la saison. Les deux
frères ont appris la triste nouvelle au moment où ils allaient entrer en
scène.
— A la Scala, de Milan, a eu lieu la première représentation du nouvel
opéra de M. Carlos Gomes, Condor, que nous annoncions récemment et qui
était attendu avec une certaine impatience par le public, toujours très sym-
pathique à l'auteur de Guarany. L'ouvrage n'a pas tenu ce qu'on s'en pro-
mettait d'avance, et cela, il faut le dire, beaucoup par la faute du livret,
qui n'offre ni chaleur ni intérêt, et dont l'insuffisance a certainement nui
à l'inspiration du compositeur. Condor a été accueilli par les spectateurs
avec courtoisie, écouté avec attention, mais il est facile de voir qu'il n'y
a pas là le succès qu'on avait espéré.
— Au théâtre Quirino, de Rome, apparition de l'adorable ballet du
regretté Léo Delibes, Coppélia, avec la charmante danseuse Virginia Zucchi
dans le rôle principal. L'ouvrage, fort bien monté sous tous les rapports,
a obtenu un grand succès. L'Italie le constate en disant : « Coppélia est un
spectacle pour les personnes de goût, comme nous en avons rarement dans
les principaux théâtres; nous avons remarqué dans les loges plusieurs
dames de la meilleure société qui n'ont pas l'habitude d'aller au Quirino.
Gela prouve encore une fois qu'il dépend toujours de l'imprésario d'avoir
un public d'élite, qui ne manque jamais aux bons spectacles. »
— Vif succès à Rome, au théâtre Rossini, pour une nouvelle opérette
eu dialecte romanesque, Gheianaccio, paroles de MM. Sabatini et Zanazzo,
musique de M. Zuccani , musique gaie, allègre et parfaitement adaptée
au sujet, dit l'Italie.
— Un chanteur distingué, le baryton Franceschetti, a donné récemment
à Rome un concert de musique ancienne, du XV!!"! et du XVIII= siècle,
qui a obtenu un' grand succès. Au programme une villanelle d'Andréa
Falconieri, une chanson de Barbara Strozzi ; Amor dormiglione, un air
bouffe de Farinelli (le Carlo Broschi de la Part du Diable), une canzonetta
de Domenico Visconti, une sonate pour violon de Veracini, exécutée par
M. Furino, etc.
— Chose assez singulière ! les Huguenots de Meyerbeer n'ont jamais été
joués encore à Gatane. Ils vont paraître pour la première fois, un de ces
jours prochains, au théâtre Bellini de cette ville.
— Au Théâtre-Royal de Madrid a eu lieu, le 18 février, la première re-
présentation d'un opéra nouveau, Irène Otranto, dû à un compositeur espa-
gnol, M. Serrano. Le succès paraît avoir été très grand pour l'œuvre, que
l'on dit d'un caractère très mélodique, et pour ses interprètes, M"^'' Tetraz-
zini et Guercia, MM. Lucignani, Tabuyo et Borucchia.
— On assure que les fameux entrepreneurs Abbey et Grau ont déjà con-
clu les engagements suivants pour la grande campagne d'opéra français et
italien qu'ils doivent faire à New-York pendant la saison 1891-92: M"^'' Melba,
Marie Van Zandt, Renée Richard, Amélia Stahl et les sœurs Ravogli,
MM. Jean et Edouard de Reszké et Lassalle.
— Les journaux étrangers sont remplis de détails au sujet de miss, ou
plutôt misstress Abbolt, la fameuse cantatrice américaine dont nous annon-
cions récemment la mort. Fille d'un pauvre, très pauvre musicien de
Chicago, Emma Abbott était née dans cette ville en 18S0. Son enfance
s'était écoulée dans les plus dures privations. Dès l'âge de huit ans, elle
donnait des sortes de petits concerts de chant et de guitare, en compagnie
de son frère Georges, pianiste modeste, dans les petits pays du Wild West.
A seize ans, lassée de cette existence, elle se faisait institutrice élémen-
taire, puis bientôl., ne se sentant pas une vocation assez robuste pour
continuer indéfiniment à enseigner l'alphabet aux enfants, elle s'engagea
dans une troupe de chanteurs nomades, qui ne tarda pas à se trouver en
plan dans une ville du Michigan. Douée d'une rare énergie, la jeune
Emma Abbott réunit trois de ses camarades avec lesquels elle entreprit
de se rendre à New-York en donnant, dans chaque ville ou village du
parcours, des concerts dont le produit leur permettait de ne pas mourir
de faim. Arrivée à New-York, elle eut la chance de voir une cantatrice
alors célèbre, miss Clara Kellogg, s'intéresser à elle et lui faire apprendre
le chant à ses frais. Elle fut ensuite envoyée, aux frais d'un comité de
dames, à Milan d'abord, puis à Paris, auprès de M. Wartel, pour parfaire
son éducation. En 1876, prête à aborder la scène, elle allait débuter à
Londres dans la Fille du Régiment. Son succès, négatif d'abord, s'accentua
bientôt, la réputation se Ht, et en 1880 elle retournait en Amérique, où
ses compatriotes la reçurent avec enthousiasme. C'est alors qu'elle forma
une troupe d'opéra anglais avec laquelle, pendant dix ans, elle parcourut
toutes les villes des États-Unis, amassant une fortune qu'on évalue au-
jourd'hui à dix millions.
PARIS ET DEPARTEMENTS
On sait que Léo Delibes était originaire de la Sarthe. Le petit vil-
lage où le compositeur de Lakmé est né, Saint-Germain-du-Val. est situé
à deux kilomètres environ de la ville de La Flèche. Les habitants de La
Flèche ont pensé avec raison que Léo Delibes méritait d'avoir sa statue
sur l'une de leurs places publiques. Un comité est en train de se former,
et une fois les souscriptions recueillies, la statue sera commandée au
sculpteur.
— Lettre de M"^ Van Zandt adressée aux journaux qui avaient fait
courir sur son compte de méchants bruits. Nous en prenons le texte dans
le Gaulois :
Saînt-Pélersbourg, le 7/19 février.
Cher monsieur,
Je viens de recevoir le Gaulois, qui contient un article marqué au crayon, dans
lequel on me calomnie d'une cruelle manière. La représentation de Mignon a eu
lieu le 2 janvier, et, dans le journal du 10 février, à Paris, on rend compte de la
représentation — je ne crois pas que, si un tel scandale avait eu lieu, on aurait
attendu plus d'un mois pour l'annoncer à l'étranger. Non seulement j'ai chanté
tout l'opéra, mais on m'a bissé la Styrienne et, pendant la soirée, j'ai été rappelée
vingt fois. Après la triste affaire de Paris, Van Zandt ne peut jamais être un peu
soiiiîranle sans qu'on l'attribue à autre chose.
Je vous serais infiniment reconnaissante, cher monsieur, si vous vouliez bien
me dire de quelle source vous avez eu vos informations, car vous devez bien
comprendre qu'il faut que je me défende contre mes jaloux et implacables enne-
mis — je prouverai le contraire de ce qu'on vous a écrit.
Acceptez, je vous prie, mes sincères compliments.
Sincèrement,
Marie Van Zandt.
— On a donné samedi dernier, à l'Eden-Théâtre. un petit ballet-panto-
mime nouveau en un acte. Pierrot surpris, scénario de M. Maisonneuve,
musique de M. Adolphe David.
— Mercredi 4 mars, au Théâtre d'application, à trois heures, deuxième
conférence de notre collaborateur Arthur Pougin : La seconde période histo-
rique de l'opéra français. Rameau et ses œuvres. M""' Bilbaut-Vauchelet,
M"°= du "VVast et M. du Wast chanteront divers morceaux à'Hippolyte et
Aricie, de Castor et Pollux et des Fêtes d'Hébé.
— Après Rouen, Angers, après Angers, Nantes. Dans ces deux dernières
villes on vient aussi de représenter Loherigrin, avec un succès très appré-
ciable et au milieu d'un calme complet. A Nantes, c'est une excellente
artiste, M'"= Laville-Ferminet, qui remplissait le rôle d'Eisa, joué déjà par
elle à Gand et à Milan, et qui y remportait un triomphe personnel. C'est
le ténor Bucognani qui était chargé de celui de Lohengrin, dont il s'est
tiré à son honneur.
— Au dernier moment, nous apprenons que Lohengrin vient de faire
aussi son apparition à Lyon, où le succès de la première représentation
semble peut-être moins accentué. Les principaux rôles sont tenus par
M^ss Janssen et Bessy, MM. Massart et Bourgeois, et l'interprétation est
excellente. Mise en scène superbe, orchestre remarquable. D'autre part,
à Bordeaux, Tçuvrage est prêt à être offert, au public. Lohengrin va faire
certainement son tour de France. Il n'y a décidément que Paris qui ne
pourra pas l'entendre.
— Au Grand-Théâtre de Bordeaux, première représentation et vif succès
d'un ballet nouveau en un acte, Oaliane, scénario de M. de Jacquin, musi-
que, charmante et fort remarquable, dit-on, de M. Charles Haring.
— La Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray continue son
chemin triomphalement. Au dernier concert classique de Perpignan, elle
était le « clou de la soirée » dit l'Indépendant, de cette ville, à qui nous
empruntons les quelques lignes qui suivent : « Le public choisi qui écou-
tait cette première audition y a pris un plaisir extrême et nous ne serions
pas surpris qu'il eu réclamât une deuxième, tellement M. BourgauU-
LE MÉNESTREL
Ducoudray a su le captiver par le charme pénétrant de sa Rapsodie. L'or-
chestre, sous l'habile direction de M. Baille, a droit à nos félicitations, car
c'est grâce à lui que l'œuvre a pu se manifester dans toutes ses beautés. »
— On répète activement à Saint-Eustache la nouvelle messe de M. Félix
Godefroid, qui sera exécutée le 29 mars prochain, jour de Pâques. Plus
de soixante exécutants prendront part à cette solennité musicale. A l'OfTer-
toire, 10 violoncelles accompagnés de 12 harpes, rediront l'hymne au
Seigneur que l'auteur placera décidément dans cette nouvelle œuvre reli-
gieuse.
— Nous recevons la communication suivante : « Le maire de la ville de
Rouen a l'honneur de porter à la connaissance des intéressés que la direc-
tion du théâtre des Arts sera vacante à partir du 16 mai 1891. Les demandes
relatives à l'exploitation de ce théâtre sont reçues dès à présent à la
mairie. »
CONCERTS ET SOIRÉES
Jeudi dernier 19 février, Marmontel père, le doyen et le promoteur
de l'École moderne des pianistes français, réunissait dans ses salons un
groupe nombreux de ses élèves particulières. Nous avons rarement assisté
à une audition spéciale aussi intéressante; il est juste de reconnaître que
presque toutes ces jeunes filles possèdent déjà une exécution brillante,
un style irréprochable. Elles ont interprété les maîtres anciens et les maîtres
modernes avec un goût parfait et le sentiment exact des nuances que seuls
possèdent les artistes expérimentés et habiles. Les œuvres de Beethoven,
Weber, Mendelssohn, Hummel, ont alterné avec les compositions de
Schumann, Chopin, Heller, Saint-Saëns, Thalberg, Prudent, Moskoswski,
A. Duvernoy, B. Godard, Marmontel, Brahms, Liszt, etc. Voilà un ensei-
gnement éclectique au suprême degré, car si les classiques y tiennent le
premier rang, du moins ils n'occupent pas exclusivement la part d'in-
térêt dû aux modernes, aux romantiques, qui seront plus tard classés parmi
les maîtres.
— Mardi dernier, autre brillante matinée chez M. Marmontel père. M""' Van
Arnhem, cantatrice américaine, formée à l'école de M'"'^ Anna de Lagrange, et
]yiiie Pignat, une pianiste russe d'un grand talent et l'une des meilleures
élèves de M. Marmontel, ont fait preuve d'un véritable talent. Toutes deux
ont obtenu un succès très mérité.
— La dernière matinée des élèves des cours de M. Charles René à l'Ins-
titut Rudy a été, comme les précédentes, fort réussie. Citons, au nombre
des morceaux les plus applaudis, les Scènes de Bal du Roi s'amuse, de Léo
Delibes, le Caprice et la Valse de concert de M. Diéraer et plusieurs des
études artistiques de M. B. Godard, Jonglerie, Conte joyeux, etc. Parmi les
trente-deux jeunes pianistes qui se sont fait entendre à cette séance, beaucoup
sont déjà des artistes qui font honneur à un excellent enseignement.
— Soirées et concerts. — Une brillante assemblée d; notabililés artistiques et
mondaines se pressait dans les salons hospitaliers de M. et M"" Guinand pour
leur deuxième réception de la saison. Parmi les morceaux les plus applaudis,
nous devons citer deux délicieuses mélodies de M. Th. Dubois, le Baiser et Par
le sentier, très délicatement rendues par M— Mélodia-KerchkoS, et un Duefto cham-
pêtre, composé sur les paroles de M. E. Guinaud par M. Léon Schlesinger et
dont les interprètes étaient M"" Mélodia et M, Rondeau. — Le baryton Ch. Lepers
vient, dans un concert donné par lui jeudi à la salle Pleyel, de renouer connais-
sance avec le succès. Il a chanté avec un art partait et une fantaisie charmante
l'air de Raymond, d'Ambroise Thomas. A côté de lui on a applaudi M"'° Gramac-
cini-Soubre dans la mélodie de M.Diémer, les Aites, une véritable perle musicale,
M. Plançon, de l'Opéra, les séduisants chanteurs-mandolinistes Alfred et Jules
Cotlin, le violoncelliste Dumoulin, le chanteur comique Baret et enfin, M"° Mar-
the Lepers et ses frères, Gaston et Paul. — La Société Sainte-Cécile, de Lyon,
si habilement dirigée par M. Pieuchsel, a fait entendre dimanche dernier avec
succès, à l'église Saint-Bonaventure, le Stabal de M"" de Grandval. — Grand
succès au cercle des Beaux-Arts de Nantes, pour la pianiste M"Sophie Monter, qu'on
a couverte d'applaudissements.— M"° Thuillier a donné dernièrement, dans ses salons
de la rue Le Peletier, une très intéressante audition de ses élèves de piano, qui
ont une fois de plus prouvé toute l'excellenoe de l'enseignement de leur pro-
fesseur. Le programme, composé exclusivement d'œuvres de M. Benjamin Godard,
qui présidait la séance, a été souvent interrompu par des applaudissements mé-
rités. Parmi les morceaux les plus goïités et aussi les mieux exécutés, citons
particulièrement Jonglerie et les Fuseaux. L'auteur, enchanté, a vivement félicité
maître et exécutants. — L'« American Students Association» a donné le 21 février, à
l'occasion de l'anniversaire de Washington, un très brillant concert dans lequel
se sont tait applaudir plusieurs de leurs compatriotes, parmi lesquels M. Holman-
Black avec la Charité, de Faure, M"° Mello et MM. Bicknell, Swope, Cauldwell,
Wurpel, Connollj et Hausbalter. — Dimanche dernier, 22 février, M"° Herman
a donné une matinée des plus brillantes. Parmi les morceaux les plus applaudis,
citons la Légende slave de M. Bourgault-Ducoudray, dont l'exécutjon a été saluée
d'un c bis » unanime. L'êminente pianiste donnera le 10 mars, salle Pleyel, un
concert dont le programme sera un véritable régal pour les amateurs. — Le dernier
concert de M"" Sieiger, à la salle Pleyel, a été eu tous points remarquable; jamais
la jeune pianiste n'avait été en plus complète possession de ses moyens; aussi
bravos et rappels lui ont-ils été prodigués, ainsi qu'à M"° Lépine, qui lui prêtait
son gracieux concours. M. Godard, en l'absence de M. Colonne, indisposé, a
conduit l'orchestre avec son autorité habituelle. — Lundi, à la salle Erard, grand
succès pour M"' Kara Ghatteleyn. La remarquable pianiste a exécuté des œuvres
de caractère didérent qui lui ont permis de faire valoir ses qualités diverses. —
La première séance de musique de chambre de MM. Guarnieri et Huck a été
des mieux réussies et a valu à la jeune et charmante pianiste, M"" Madeleine
Barthels, un grand et légitime succès. — Mercredi a eu lieu dans la salle Erard
un intéressant concert du pianiste Charles Fœrster, qui a interprété avec
une rare distinction la sonate op. 81 de Beethoven et plusieurs morceaux
de Chopin et de Schumann. Le nombreux auditoire a aussi vivement applaudi le
concerto en ré majeur pour deux pianos de Bach, que M. Fœrster jouait avec
M"' Jacountchi Kofl', une toute jeune flUe de beaucoup d'avenir. Une jeune élève
russe de M""' Viardot, M"" Zabel Rachatte, a charmé l'assistance par la fine et
élégante interprétation de plusieurs mélodies françaises et russes, dont le
public a redemandé plusieurs.
— On nous écrit de Rennes que le concert d'adieu, au bénéfice d'une
bonne œuvre, donné par M"= Pilet-Comettant après quarante-cinq ans de
professorat dans cette ville, a été un véritable événement. Les meilleurs
artistes virtuoses et tout l'orchestre, sous l'habile direction de M. Tappon-
nier-Dubout, avaient tenu à honneur d'offrir gracieusement leur concours à
Mme pilet, si appréciée par son talent, si grandement estimée par son
caractère. Le triomphe de M™" Pilet a été complet dans le concerto qu'elle
a joué avec orchestre et chœur, dans les compositions pour deux pianos
exécutées avec M, Tapponnier et dans le beau trio de Mendelssohn avec
deux artistes du plus grand mérite, le violoniste M. Confesse et le violon-
celliste M. Montecchi.
— Au bénéfice de l'Association des Dames françaises. M™ Montigny de
Serres, l'êminente pianiste, donnera un concert à la salle Erard le ven-
dredi soir, 6 mars, avec le concours de MM. Whife, Taffanel et Goquelin
aîné. Au programme, le concerto de Beethoven, accompagné par l'orchestre
conduit par M. Taiïanel, et diverses pièces empruntées au répertoire clas-
sique et moderne. On peut trouver des billets à la salle Érard et chez les
éditeurs Durand et Schœnewerk, (Prix : 20, 10 et S francs.)
— Mardi 3 mars, dans la salle des fêtes du Grand-Hôtel, soirée de bien-
faisance donnée par MM. Kahne, mandoliniste, avec le concours de
M^^s de Lys, Julia Delépierre, Ballières, Ferrari, Fursch-Madi, Galitzin,
de Gradowski, Nathalie Lévy, et de MM, Mounet-SuUy, Delaquerrière et
Gçsselin.
NÉCROLOGIE
Une dépêche de Varsovie a apporté cette semaine à Paris la nouvelle de la
mort de la baronne de Kronenberg, que les habitués de l'Opéra se rappellent
bien avoir connue sous le nom de Joséphine de Reszké. Cette chanteuse fort
distinguée, à la beauté si opulente, avait fait, croyons-nous, son éducation
musicale en Italie. C'est à Milan que M. Halanzier, alors directeur de
l'Opéra, avait été l'engager, et c'ost le 21 juin 187S qu'elle avait débuté à ce
théâtre, d'une façon très brillante, dans le rôle d'Ophélie i'Hamlet, qui lui
avait valu de vifs éloges de la part de M. Ambroise Thomas, après quoi
elle joua Guillaume Tell et Faust. Bientôt elle parut, toujours avec le même
succès, dans les grands rôles dramatiques du répertoire, les Huguenots, la
Juive, l'Africaine, Don Juan, puis elle créa le personnage de Sita dans le
Roi de iMliore de M. Massenet. C'est à la suite de cette création quelle
disparut tout à coup de la scène. Elle s'était mariée, avait épousé le baron
de Kronenberg, et avait renoncé complètement aux triomphes du thêâtr-;
et aux applaudissements du public. Elle a succombé, ces jours derniers, aux
suite d'une couche terrible,
— Un des artistes les plus actifs et les plus instruits de l'Italie, Giulio
Roberti, vient de mourir à Turin, à l'âge de soixante-sept ans. Né à Barge
le 14 novembre 1823 et destiné d'abord au barreau, il l'abandonna pour
suivre son goût pour la musique, et fut élève de Luigi-Felice Rossi. Com-
positeur, écrivain fort distingué, didacticien passionné, il parcourut sa
carrière tour à tour en Italie, en Angleterre et en France. On lui doit deux
opéras : Pier de' Médici (Turin, 1849), et Petrarca alla corle d'amore (id., 18SS),
une messe à quatre voix, des mélodies vocales, des chœurs, diverses com-
positions religieuses, deux quatuors pour instruments à cordes, etc. Comme
écrivain spécial, il a collaboré à la Gazzelta d'Italia et à la Gazzetta musicale,
et il a publié un livre plein d'intérêt: Pagine di buona fede a proposilo di
musica, écrit avec vigueur et vivacité. Il est aussi l'auteur d'un Corso ele-
mcntare di musica vocale. Giulio Roberti a été dans son pays l'un des pro-
pagateurs les plus actifs et les plus infatigables du chant choral, pour
lequel il s'était pris d'une véritable passion.
— Un artiste distingué, à la fois virtuose remarquable et compositeur,
le violoncelliste belge Jules de Svi'ert, vientde mourir subitement à Ostende,
de la rupture d'un anévrisme. Né à Louvain le 15 août 1843, de Swert
avait été un des meilleurs élèves de Servais au Conservatoire de Bruxelles,
où il remporta, en 18S8, un brillant premierprix ; pendant plusieurs années
il ht à l'éBranger de grandes tournées artistiques, qui lui valurent beau-
coup de succès. Il avait le titre de violoncelle-solo de l'empereur d'Alle-
magne, et était directeur de l'Académie de musique d'Ostende. Il a écrit
pour son instrument de nombreuses compositions, entre autres deux con-
certos avec orchestre, ainsi qu'un drame lyrique, les Albigeois, qui a eu du
retentissement.
HE^■RI Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez LVDWIG DOBLINGER
(B. Herzmanskï), éditeur de musique, Viense
ROBERT FISGHHOF
Op. 47. — Sonate pour PIANO et VIOLON. - Prix : 10 francs.
3127 _ 57'"' AWE — ÎV» 10.
Dimanche 8 Mars 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne) - _ _
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉA^TRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Ciiant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de posta en sus.
SOMMAIEE- TEXTE
I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (4' article), Julien Tiersot. — II. Semaine
théâtrale: La retraite de M. Paravey; M. CarTalho, directeur de l'Opéra-Comique,
H. MORENO; premières représentations de Passionnijinent, k l'Odéon, Mtisotte, au
Gymnase, la Petite Poacette, à la Renaissance, Paris port de mer, aux Variétés,
et reprise de Camille Desmoulins, au Ghâtelet, Paul-Emile Chevalier. — IIL Une
famille d'artistes : Les Saint-Aubin (12" artiolej, Arthur Pougin. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de ch.\nt recevront, avec le numéro de ce jour:
NE PARLE PAS
nouvelle mélodie de H. Balïhasar - Florenxe, paroles de C. Fuster. —
Suivra immédiatement : BoboW se marie, n" S des Rondes et Chansons
d'avril, musique de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies de George Auriol.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Plus heureux qu'un roi! nouvelle polka de Philippe Fahrbach. —
Suivra immédiatement: Chant d'avril, de Théodore Lack.
LA
MESSE EN SI
DE J.-S. BACH
(Suite) .
MINEUR
L'œuvre de Bach apparaît au premier abord comme un
superbe monument musical, aux proportions grandioses, d'une
superbe ordonnance, chargé d'une profusion d'ornements
exécutés par la main d'un maître, jamais semblables, tou-
jours renouvelés, et cependant en merveilleuse harmonie avec
le style général. Ce n'est pas, pour employer une expression
familière aux écrivains descriptifs, de « symphonie de la
pierre » qu'il s'agit ici, mais d'une véritable symphonie de
voix et d'instruments, évoquant l'idée d'une cathédrale ou
tout au moins donnant, par les sons, une toute semblable
impression.
Le Kyrie eleison s'élève comme un portique. Nulle entrée ne
saurait le surpasser en majesté ni en grandeur. Toutes les
voix du chœur et de l'orchestre s'élèvent ensemble, dès la
première note, en un accord large et puissant. Elles mon-
tent, se répondant et se combinant sur un mouvement lent,
qui presque aussitôt s'arrête. Et, après ces quatre mesures
qui font pénétrer l'auditeur, comme de force, dans l'atmos-
phère musicale dans laquelle se déroulera l'œuvre entière,
l'orchestre attaque, sur un nouveau rythme, un thème sévère
et expressif, d'une grande beauté de forme, sur lequel s'écha-
•faudera toute la suite du morceau, l'un des plus développés
qu'ait écrits Bach. Les instruments à anche et les flûtes
dialoguent et se combinent avec les violons, mélangeant leurs
sonorités en un ensemble harmonieux ; après un long prélude,
les voix entrent successivement, calmes, malgré l'abondance
des notes qui s'accroît à mesure que le morceau s'avance.
Il se développe largement, d'un soufQe qui grandit suivant
une progression constante et régulière et semble ne devoir
s'arrêter jamais. Sur une cadence subite des voix, l'orchestre
rebondit : il reprend, en les modifiant, les dessins du pré-
lude ; sur quoi les voix, rentrant de nouveau, forment comme
un second étage qui s'élève symétriquement au-dessus du
premier épisode, reproduisant les mêmes motifs mais avec
une disposition toujours nouvelle, jusqu'à ce qu'enfin, le
développement normal étant épuisé, les voix, l'orchestre et
l'orgue s'unissent une dernière fois en un élan harmonieux,
montant vers le ciel et formant au monument musical un
couronnement admirable et d'une incomparable élévation.
Ou entre, et à mesure qu'on avance on est étonné par la
richesse des ornements, l'abondance des motifs, la beauté du
style fleuri, aussi bien que par la magnifique ordonnance de
l'ensemble. Ce sont partout des arabesques infiniment
variées accompagnant les figures principales, souvent même
plus apparentes, mais s'harmonisant toujours à merveille.
Ici, dans le Christe eleison, les violons, simplement sou-
tenus par les basses et les harmonies de l'orgue, exécutent
un dessin en notes égales, aux formes souples et élégan-
tes, se combinant avec les voix des soprani chantant en
duo. Plus loin, dans le Laudamus (e, un seul violon, dans un
chant divinement expressif, concerte avec la voix de second
dessus, et souvent absorbe pour lui-même le plus clair de
l'attention. Une flûte dialogue avec les violons en sourdines
et les pizzicali des basses, puis avec le ténor et le premier
soprano, dans le Domine fili unigenite aux tons clairs et lumi-
neux. Puis, c'est l'expressif hautbois d'amour qui chante avec
la voix d'alto dans le Qui sedes ad dextram patris, où l'abon-
dance des notes vocalisées ne fait qu'ajouter à la beauté
plastique des harmonies et des formes. On a supprimé au
Conservatoire un air : Quoniam tu solus sanctus, où la basse
concerte avec un cor et deux bassons, par crainte que cette
combinaison singulière de sonorités ne parût anormale et peu
sérieuse : en quoi je pense qu'on a eu tort, la sonorité en
question ne pouvant être au contraire, ce me semble, que
curieuse et nouvelle pour nous. Les soli sont moins nom-
breux dans le Credo que dans le Gloria : il n'y a à citer là
que le solo de basse : Et in spiritum sanctwn, accompagné par
deux hautbois d'amour, dont le thème initial fait songer par
avance à Mozart (comparez le duo des Noces de Figaro : SuH'
aria, etc.), et le duo pour voix de femmes : Et in iinum dmninum,
qui ne me paraît pas être parmi les morceaux les plus inté-
74
LE MENESTREL
ressants de la Messe. Avec le /ienedictus (du Sancias) pour voix
de ténor, dont l;i partie de violon-solo rappelle par le carac-
tère et le rythme les plus belles sonates pour violon de Bach,
et l'admirable Agnus Dei pour contralto, avec ses répliques
graves et sérieuses par tous les violons, nous aurons cité tous
les morceaux isolés de voix seules concertant avec les ins-
truments qui paraissent, dans l'architecturegénérale de l'œuvre,
comme des colonnes aux formes diverses, chargées d'orne-
ment nombreux, sur lesquelles, de loin en loin, l'attention
s'arré'e et se repose.
Mais les parties qui se détachent avec le plus d'éclat de
l'ensemble de l'édifice musical, ce sont les morceaux où toutes
les voix du chœur et de l'orchestre sont réunies. Ceux-ci ont un
éclat prodigieux. Les chœurs, écrits presque tous à cinq
même à six parties, se combinent avec les instruments, qui,
loin de doubler servilement les voix, les accompagnent pres-
que toujours par des dessins et des rythmes indépendants ;
et quand ces parties innombrables, entonnées tour à tour,
sont unies en un ensemble polyphonique d'une prodigieuse
richesse, voilà qu'entrent enfin les trompettes, qui, par leurs
dessins hardis exécutés dans la région suraiguë de l'instru-
ment, viennentajouler encore aux splendeurs de la sonorité.
Gomme dit un personnage de Shakespeare décrivant une
chasse et le tumulte des cors : « Jamais je n'entendis un
désaccord aussi musical, un si harmonieux fracas. »
Pourtant ce n'est pas la seule beauté des combinaisons
sonores, pas même l'intérêt du travail polyphonique, qui cons-
tituent le principal intérêt de ces morceaux : des thèmes
admirables impriment à chacun d'eux leur caractère parti-
culier, toujours très accusé, et leur communiquent leur
beauté tour à tour superbe, éclatante et sereine. Le Gloria in
excelsis commence ainsi par un mouvement véhément et cha-
leureux; puis, après le développement d'un motif d'allure
assez scolastique, les éclats des voix et des instruments
s'apaisent et laissent se dérouler un nouveau chant au
rythme ondulant, à !a tonalité un peu vague, doux et expres-
sif et aux contours très purs. Ce chant, qui tout d'abord
faisait partie d'un ensemble harmonique, se détache bientôt,
et, chanté d'abord par les voix féminines, devient un sujet de
fugue : fugue étonnante, dont le thème a la beauté calme
d'un chant de prière, dont les contre-sujets en style fleuri
ont une grâce fine et délicate, et qui se développe, limpide
et calme, toujours, dans le même mouvement soutenu. « Et
in terra pax hominibiis bonœ voluntatis, » chantent les voix- et
leur mélodieuse fugue donne, en effet, l'impression d'une paix
profonde. Vers la fin, les trois trompettes répondent partrois fois,
très doucement, comme un écho, aux cadences progressives
des voix, et cela est d'une sonorité délicieuse, d'une couleur
à demi éteinte, mais toujours lumineuse et très nette, d'un
charme véritablement séraphique.
Tout autre est le Cum sancto spiritu, qui renferme aussi une
fugue à cinq voix, mais cette fois sur un thème fortement
rythmé, très en dehors, lourdement martelé par les voix, et
qui se déroule en une énorme masse sonore, d'un seul bloc.
Le premier morceau du Credo, bâti sur le thème de l'into-
nation liturgique, introduit tour à tour par toutes les voix et
soutenu par un dessin massif et continu des basses en notes
égales, forme une entrée grandiose au chant du Symbole, et
le Resiirrexit, avec son thème franc, bien rythmé par 'les
batteries de l'orchestre, son luxe extraordinaire de notes s'en-
chevêtrant et s'harmonisant entre les diverses parties, ses
triomphants éclats de trompettes, forme un digne pendant
au premier chœur ou au finale du Gloria.
Mais le plus beau modèle du genre est peut-être encore le
premier mouvement du Sanctus, à six voix, d'une plénitude
de sonorité et d'une force de rythme incomparables, sans
recours aux procédés artificiels de la fugue, avec un sentiment
intime d'allégresse et de grandeur, toutes choses qui en font
une page absolument à part dans l'œuvre de Bach. Et, après
les divers morceaux composant la suite du Sanctus et VArjnus,
la messe s'achève sur un chœur contrepointé : Dona nabis
paceni (la même musique avait été déjà entendue dans le
Gloria sur les paroles Gratias agimus tibi, etc.) de style noble
et sévère, à la conclusion duquel les trompettes, doublant
les voix aiguës, viennent donner un nouvel et dernier éclat.
L'on pénètre enfin au cœur de l'œuvre, on atteint à la plus
grande profondeur du sentiment dont elle est intimement
animée lorsqu'on aborde les morceaux lents, où l'accent de
la prière domine, où vit une religiosité plus sincère et plus
ardente. Ce sentiment s'était déjà montré dans le Gloria, lors-
qu'après le mélodique duo du Domine fili unigenite les voix du
chœur, chantant : Qui lollis peccata mundi, s'épandaient en
larges ondes harmonieuses au-dessus desquelles se dérou-
laient, dans une sorte de calme hiératique, les fines broderies
de la flûte. Mais c'est dans les épisodes du milieu du Credo
que l'art de Bach atteint à sa plus sublime élévation : dans
le mystique Incarnatus est, où un dessin persistant des violons
accompagnant les lents accords des voix, met un accent aus-
tère et grave, et le Crucifixus, si douloureusement expressif
avec ses harmonies chromatiques, ses plaintes voilées de la
flûte, émouvant par sa seule beauté, sans aucun effet exté-
rieur, sans nul effort de recherche théâtrale. Et c'est enfin
le dernier morceau, formé de trois mouvements difi'érents à
travers lesquels tour à tour se déroule, avec une puissance
singulière, le dernier épisode du drame de la vie et de la
mort. D'abord un chœur dans le style a capella, accompagné
seulement par les basses et l'orgue, grave, bien posé, sans
d'ailleurs présenter un caractère spécialement tranché ; mais
quand les voix arrivent aux paroles : Et expecto resurrectionem
mortuorum, soudain résonne un accord inattendu et profon-
dément troublant : le mouvement ralentit, les harmonies
s'enchaînent avec un accent de terreur et de supplication,
implacables, fatales. Bien des musiques ont été écrites pour
le Lies irœ ; aucune, il me semble, ne donne une impression
plus juste du vers : Quantus treinor est juturus, et cela sans
trémolos, sans trompettes, rien que par la force des harmo-
nies, du mouvement et de l'expression musicale. Cependant,
cette idée de la résurrection ne nous est pas montrée définitive-
ment comme si terrible : tandis que les voix repètent encore
leurs paroles fatales, l'orchestre entre enfin tout entier, sur
un mouvement vif et brillant, semblant célébrer cette résur-
rection comme une victoire, chanter par avance les gloires
de la vie future.
* ' *
Cette analyse, que je ne pensais pas, en l'entreprenant,
devoir prendre un si grand développement, appelle , sur le
sentiment intime de l'œuvre de Bach, des réflexions complé-
mentaires que je suis obligé de renvoyer à un dernier ar-
ticle. Je termine celui-ci en signalant le succès , peut-être
plus considérable encore, de la seconde audition de la Messe
au Conservatoire. Chœurs et orchestre ont rivalisé d'entrain
et d'éclat, comme la première fois. M'"^ Landi et M. Auguez
ont, dans leurs airs respectifs, obtenu tout particulièrement
les applaudissements du public, non moins nombreux, atten-
tif et enthousiaste qu'au premier concert. M. Warmbrodt,
indisposé, avait été remplacé presque au pied levé, dans les
soli de ténor, par M. Delaquerrière.
L'on me prie de rectifier une erreur contenue dans mon
dernier article. Le hautbois d'amour, dont on se sert au Con-
servatoire n'a pas été construit par M. Mahillon, mais par
M. Lorée, de Paris, sur les indications de M. Gillet, lequel
travaille à reconstituer la famille entière des hautbois, depuis
le type le plus aigu jusqu'au hautbois basse. M. Mahillon
avait bien fabriqué un hautbois d'amour pour des exécutions
similaires qui ont eu lieu à Bruxelles, mais ni M. Gillet ni
M. Bas (qui a exécuté sa partie de deuxième hautbois d'amour
sur le cor anglais), n'en ont fait usage.
Je sais être l'interprète d'un nombre considérable du musi-
ciens etd'amateurs en demandant au Conservatoire une nouvelle
audition publique, en dehors de l'abonnement, de la Messe en
LE MENESTREL
75
si mineur, les uns voulant l'entendre, d'autres la réentendre.
Comme il y a à cela des précédents (la J/esse eti ré de Beethoven,
la Symphonie en ut mineur de M. Saint-Saens), il ne parait pas
douteux qu'un désir si légitime et si général reçoive satisfac-
tion. L'on dit cependant que le comité de la Société des
concerts, déjà consulté, se serait prononcé pour la négative.
Mais nous ne pouvons pas le croire : pour quelle raison la
Société voudrait-elle s'arrêter en présence d'un pareil succès?
Ce serait absolument le monde renversé ! Nous voulons donc
penser encore que les bruits qui ont couru à ce sujet sont
sans fondement, ou tout au moins que la résolution du comité,
si elle est telle, n'est pas définitive.
(A suivre.) Julien Tiersot
SEMAINE THEATRALE
LA. RETRAITE DE M. PARAVEY
M. CARVALHO DIRECTEUR DE L'OPÉRA- COMIQUE
C'e^t huit jours après tous nos confrères de la presse, — voilà
rinconvéuient des journaux hebdomadaires — que nous avons la
douleur de vous annoncer un changement dans la direction de
rOpéra-Comique. M. Paravey a été mis en demeure par le ministre
des Beaux-Arts d'avoir à donner sa démission. Cet événement était
d'ailleurs prévu et attendu depuis plusieurs mois ; on savait que
M. Paravey en était réduit aux expédients les plus divers, s'ap-
puyant d'un côté sur une agence tliéàtrale , qui avait fait de ce
théâtre d'État une véritable maison de tripotages, et de l'autre sur une
entreprise de claque qui ne donnait pas pour lien ses services
financiers. M. Paravey était de forme aimable, mais de fond peu so-
lide; il n'avait qu'une idée très imparfaite de la droite ligne et du
souci qu'on doit avoir de ses engagements. Nous fûmes à même de
nous en apercevoir très peu de temps après son entrée aux affaires
et nous n'avons jamais pensé que sa direction eût en perspective des
jours longs et prospères, — ayant cette conviction, qu'on traitera
peut-être de naïve, que le meilleur moyen d? roussir en toutes choses
est encore de rester honnête homme. M. Paravey s'en va, ne le re-
grettons pas.
Regrettons-le d'ajulant moins que M. Bourgeois, avec une louable
décision, lui a trouvé un successeur en moins de huit jours, et
que ce successeur, chose peu ordinaire, se trouve être le candidat
de l'opinion publique. On a remis en place M. Carvalho, le directeur
auquel nous devons à peu près toutes les œuvres qui ont laissé
une trace lumineuse dans l'histoire musicale de notre temps. On
l'avait dépossédé un peu brutalement et sans raison d'un théâtre
qu'il avait rendu prospère. On le lui rend au moment oîi la ruine
s'y mettait. Tout est bien et on n'a que des félicitations à donner à
M. Bourgeois. Puisse-t-il avoir la main aussi heureuse pour l'Opéra !
Il va sans dire qu'il y avait, comme toujours, une nuée de can-
didats sur les rangs. Il serait inutile d'en donner ù présent la liste
complète. M. Gunzbourg en était naturellement ; cet étonnant
imprésario, qui jouait à Saint-Pétersbourg les opéras des compo-
siteurs français, sans leur reconnaître de droits, même au mépris
des engagements pris avec les éditeurs de ces opéras, semble
pourtant bien mal venu à prétendre à la direction d'une scène sub-
ventionnée de Paris. Signalons-le d'une façon toute particulière à
la méfiance du ministre des Beaux-Arls, quand il s'agira de pour-
voir à la vacance de la direction de l'Opéra.
H. MORENO.
Odkon. Passionnément, comédie en quatre actes, de M. A. Delpit. —
Gymnase. Musotte, pièce en trois actes, de MM. Guy de Maupassant et
S. Normand. — Chatelet. Camille Desmoulins, drame historique en six
actes, de MM. Blanchard et Mailland. — Renaissance. La Petite Poucette,
vaudeville-opérette en cinq actes, de MM. Ordonneau et Hennequin,
musique de M. Raoul Pugao. — Variétés. Paris part de mer, revue en
trois actes et sept tableaux, de MM. Monréal et Blondeau.
C'est dans un de ses romans, qui obtint une très grande vogue,
que M. Delpit a découpé les quatre actes montés par M. Porel.
Comme je présume qu'il n'y a que fort peu des lecteurs de ce journal
qui n'ait lu Passionnément, je demande la permission de ne point
vous raconter l'histoire de Maud Vivian et ses petites canailleries.
C'est d'ailleurs toujours un peu le même fait divers que celui de
l'aventurière se faufilant dansle monde pour y affoler les fils, y rui-
ner les maris et finalement se faire épouser par un brave homme
na'if qui n'aura, le jour oîi il s'apercevra du piège dans lequel il est
tombé, qu'à jeter à la porte la malfaisante créature. Le roman, avec
tous ses développements, ses analyses et ses descriptions, peut va-
rier la thèse jusqu'à l'infini ; le théâtre, plus réservé dans ses
moyens d'une durée limitée, n'a point de telles ressources, aussi la
comédie nouvelle nous a-t-elle laissé une impression de déjà vu qui
n'a pas été sans lui nuire considérablement. L'interprétation
donnée à Passionnément n'est d'ailleurs pas, malheureusement, pour
en faire valoir les mérites; exceptant M"« Déa-Dieudonné et Kesly,
MM. Calmettes et Reney, la pièce nous a semblé assez modeste-
tement défendue.
Si l'Odéon ne parait pas avoir été très heureux, le Gymnase, au
contraire, paraît tenir un grand et légitime succès avec Musotte, de
MM. Guy de Maupassant et Jacques Normand. C'est non seulement
un succès d'auteurs dramatiques que les deux écrivains ont rem-
porté, mais c'est aussi un succès de lettrés fins et délicats, d'ana-
lystes subtils et francs, de philosophes et de moralistes protonds.
Si le drame, en soi, est d'un intérêt poignant, la forme toujours
exquise naturellement et raffinée simplement, ne fait qu'augmenter
l'attrait du spectacle, de même encore que la mise en œuvre très
adroite et sans aucune recherche, sans aucun subterfuge, sans au-
cune invraisemblance flagrante, fait, une fois le point de départ
admis et laissant de côté quelques menus détails, fait marcher l'ac-
tion droit à son but avec une simplicité, une netteté, une vérité et
un intérêt indéniables. Je sais bien qu'il se trouvera des esprits
chagrins pour dire que le second acte apparaît, avec ses histoires
de sage-femme ex-danseuse et de nourrice normande, d'une utilité
contestable, je sais encore que ces mêmes épilogueurs chercheront
à démontrer que la conduite du héros n'est point absolument sym-
pathique en ce qui regarde Musotte, je sais toujours que cette pauvre
Musotte pourra donner prise à leur critique infinitésimalement éplu-
cheuse à propos d'une décision un peu tardive ; mais ce que je sais
bien aussi, c'est que la salle entière, le soir de la première, a été
absolument subjuguée, empoignée, sans qu'il lui soit possible de
se reprendre une seconde seulement et qu'il en sera très certaine-
ment ainsi à toutes les représentations. La pièce de MM. Maupassant
et Normand n'est peut-être point tout à fait un chef-d'œuvre, mais
c'est réellement une œuvre dans l'acception noble du mot: œuvre
essentiellement d'analyse, pleine de pitié, d'amour, de sagesse, de
droiture, de délicatesse et d'abnégation dont la brillante réussite
semble démontrer comment, dans notre théâtre moderne, il faut
entendre l'observation psychologique si fort en honneur.
Voici l'argument, résumé le plus brièvement possible. Jean Mar-
tinet, le soir même de son mariage avec Gilberte de Petitpré, au
moment oîi il va prendre congé des siens, emmenant sa fiancée,
apprend qu'une pauvre orpheline qu'il a séduite et avec laquelle
il a vécu trois années, est à l'agonie, après avoir mis au monde un
fils qu'elle jure être de lui, et désire ardemment le voir une dernière
fois. Jean cbnnaît Musotte et la sait la plus honnête, la plus loyale,
comme elle fut la plus tendre des amies. Il court au chevet de la
mourante qui lui fait promettre qu'il s'occupera de l'enfant et même
demandera à sa jeune femme protection pour lui. Musotte morte,
Jean vient annoncer la vérité avec tant de sincérité, et une telle
noblesse de sentiments, que Geneviève malgré les hésitations des
siens, malgré la jalousie qu'a pu faire naître l'évocation de Musotte,
se jette dans les bras de son mari dont elle élèvera le fils.
La troupe du Gymnase a joué excellemment cette pièce très déli-
cate. Je doute qu'on puisse trouver ailleurs un ensemble aussi
séduisant. M""== Pascd, Raphaël Sisos, Darlaud, Desclauzas et
MM. Duflos, Noblet, Nertann, Noël et Plan, ne méritent que des
éloges et peuvent s'attribuer, à bon droit, plusieurs des rappels qui
ont suivi le baisser du rideau.
Profitant de tout le tapage fait autour de l'interdiction de Tlier-
midor, M. Floury, en directeur malin, s'est empressé de remiser
Jeanne d'Aro aux magasins des décors et accessoires, pour monter
Camille Desmoulins, un vieux drame de MM. Blanchard et Mailland
qui date des environs de 1830, fut repris en 1850 et eut l'honneur
d'être joué à la Comédie-Française. C'était un défi porté aux mes-
sieurs qui s'amusent à jeter des sifflets sur la scène et aux partisans
« du bloc » et pourtant tout s'est bien passé. Desmoulins, Robes-
pierre, Danton et leurs acolytes ont pu lancer sans encombre leurs
phrases redondantes mais pas bien méchantes, on n'a fait que les
applaudir sous les traits de MM. Brémont, Bouhyer, Raymond,
Deshayes,Scipion, Alexandre, M"- Désirées et Montcharmont traver-
sent fort agréablement l'action à laquelle M. Floury a su donner
un cadre très curieux, surtout dans les lableaux représentant le
Tribunal révolutionnaire et la cour de la Conciergerie.
76
LE MENESTREL
Au théâtre de la Renaissance nous avons eu un nouveau vau-
deville-opérette de la façon de MM. Ordonneau et Hennequin, agré-
menté de musique par M. Raoul Puguo : la Petite Poucette. Agréable
soirée, en somme, passée en compagnie d'une toute petite artiste,
M"" Mily-Meyer, qui a du piquant et de l'esprit. La pièce n'est faite
que pour elle, mais personne ne s'en plaint. Les époux Roumigoux,
charbonniers à Aurillac, ont sept iîlles dont ils éprouvent le besoin
de se séparer, n'ayant plus de quoi subvenir à leurs besoins. Ils
les dirigent alors sur Paris sous la conduite de leur petite sœur
cadette, la forte tête de la famille, qui saura bien les préserver
de toutes les embûches et leiîr trouver des situations. La Petite
Poucette n'y manque pas, en effet, et elle arrive à son but au milieu
des plus étonnantes aventures que vous puissiez imaginer. La mu-
sique de M. Pugno contient quelques bonnes pages et des couplets
qu'on a fait bisser à M"" Mily-Meyer, la grande triomphatrice de
la soirée. Enveloppons ses camarades d'ombre et de mystère.
Aux Variétés, Ma Cousine a fini par céder le pas à Paris port de mer
et si M. Meilhac a lieu de n'en être point très enchanté, tandis que
MM. Monréal et Blondeau peuvent s'en réjouir, M. Bertrand, lui,
n'a qu'à se frotter les mains avant, pendant et après. Une revue,
fût-elle la plus amusante du monde, ne se raconte pas ; aussi ne
vous ferai-je pas suivre Paris pilotant dans sa bonne ville la Manche
qu'il tient à garder chez lui. Tout au plus me contenterai-je de vous
énumérer, parmi les clous nombreux de la soirée, ceux qui ont porté:
les plaques d'égout électrisées, l'arrivée sur terre de Cupidou Las-
souche qui vient pour essayer de remédier à la dépopulation, la
« barque du Dante » de Delacroix, en tableau vivant, les doléances
du concierge des ruines de la Cour des Comptes, les pérégrinations
de l'ouvreuse (Albert Brasseur). . . du fameux chalet de nécessité, le
mariage civil fait en musique par Baron, les peintres express Favraut
et Rouby, Cooper en professeur de baisers, le fameux truc des courses
de chevaux, le duel des gendarmes belges et hollandais (Duplay et
Raiter ) les parodies de l'Obstacle avec l'impayable Albert Bras-
seur, A. Guyon, Marcelin et Petit, de Miss Helyctt avec M"' Saulier
et Florent, et, enfin, le pas ultra-moderne dansé par la suggestive
Larive. J'ai cité chemin faisant, pas mal de noms, j'y ajouterai
celui de la belle M"= Lender, et de l'amusant Raimond, la commère
et le compère, de MM. Ghalmin, Brunais, Darras, de M"'^ Crouzet
et de M"' FoUeville conduisant tout un bataillon de jolies femmes.
Paul-Émile Chevalieiî.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
VII
Ces raisons, et aussi un certain ébranlement de sa santé, déter-
minèrent M"^* Durot à se retirer dans toute la force de la jeunesse.
Elle avait été reçue sociétaire en 1811. Dès les premiers jours de
1819, elle adressait en ces termes sa démission à ses camarades :
A Messieurs les memires du Comité du théâtre royal de l'Opéra- Comique.
Paris, le 8 janvier 1819.
Mes chers camarades,
Ma santé délabrée au dernier point me met dans la nécessité de prendre
ma retraite. Je ne m'y suis décidée qu'après avoir épuisé tous les moyens
de soulagement.
J'ose espérer que vous ne verrez aucun obstacle à ce projet, et j'attends
de votre justice que ma pension de retraite soit fixée par vous au taux de
quinze cents francs. C'est celui déterminé par Messieurs les gentilshommes
de la chambre pour la pension dont le roi daigne me gratifier (1).
Si vous le jugez nécessaire, je ferai communiquer au comité les certificats
des divers oCSciers de santé que j'ai dû obtenir, et qui sont passés sous les
yeux de Monsieur le duc d'Aumont et de Monsieur le marquis delaFerté.
Aussitôt que nous serons fixés sur ces préliminaires, je remettrai ma
' démission dans la forme prescrite par notre règlement.
Je suis bien cordialement, mes chers camarades,
votre très humble servante,
F= DURET S'-AUEIN.
Le Comité ne voulut pas sans doute consentir à accepter la
démission de M°"= Duret, et il semble qu'un débat assez long se
soit engagé à ce sujet, car, quelques jours après, elle faisait, par
le billet suivant, évidemment adressé à l'un des régisseurs, demander
la réunion d'une assemblée générale des sociétaires :
(1) M"° Duret faisait partie de la chapelle royale, comme elle avait fait partie de
la chapelle impériale.
Ce 18 janvier 1819.
Monsieur,
Je vous prie de vouloir bien demander en mon nom une assemblée géné-
rale à mes camarades, pour demain. Vous m'obligerez infiniment.
J'ai l'honneur de vous saluer,
C. DUUET S'-AUBIN.
Il est supposable que M""= Duret se proposait d'insister, dans cette
assemblée, sur l'acceptation de sa démission. Quoi qu'il en soit,
qselques jours après, la lettre suivante, qui avait sans doute pour
destinataire le duc d'Aumont, gentilhomme de la chambre, spécia-
lement chargé de la surveillance de l'Opéra-Comique, semble in-
diquer que dès ce moment M"" Duret a consenti à retirer sa
démission :
Monseigneur,
Avant d'avoir reçu la notte que Votre Excellence a eu la bonté de me
faire remettre, je connaissais sa détermination, elle m'avait déjà été
transmise de la part de Monsieur de la Ferté.
Je soumets à Votre Excellence le modèle de la lettre que je me propose
de faire insérer dans les journaux. J'y ai supprimé le paragraphe qu'elle
a bien voulu m'indiquer, et j'espère qu'elle sera maintenant conforme à
ses désirs.
Je reste avec le regret bien profond d'avoir été l'objet d'une discussion,
dont les résultats ne pourront, j'ose l'espérer, ni influer sur votre bien-
veillance, ni altérer votre bonté pour moi.
Je suis avec respect,
Monseigneur,
De Votre Excellence,
La très humble et très
obéissante servante.
F'= Duret Saint-Aubin (1).
Paris, ce 27 janvier 1819.
Les résistances que les camarades de M'™ Duret opposèrent à
l'offre de sa démission montrent en quelle estime ils tenaient son
talent et quelle valeur ils attachaient à ses services. Elle consentit
donc à la retirer. Mais bientôt un incident douloureux vint lui faire
reprendre le projet auquel elle n'avait renoncé qu'en présence de
leurs instances affectueuses. Le chagrin causé par la perte d'un fils
unique, venant porter un coup terrible à sa santé, dont l'état était
toujours languissant, la détermina à la retraite, et cette fois d'une
façon absolue. « M""" Duret, disait le Journal de Paris du 2ô sep-
tembre 1820, vient de donner sa démission, motivée sur l'état de sa
santé. Les sociétaires de Feydeau ont longtemps hésité à l'accepter,
mais ils y ont été contraints par les instances réitérées de M™" Duret.
Le public perd une cantatrice distinguée, et dont l'âge semblait
encore faire espérer un assez long service. » A ce moment en effet,.
M'"" Duret n'avait pas encore tout à fait accompli sa trente-cinquième
année. Elle n'en persista pas moins dans sa résolution de quitter
non seulement la scène, mais aussi la chapelle royale, fit régler sa
pension de l'un et de l'autre côté, et renonça définitivement à tout
service actif. « Ses talents, disait alors un biographe, ne sont pour-
tant pas entièrement perdus pour le public, car elle transmet à ses
élèves la bonne tradition de chant qui lui avait mérité une si belle
réputation. » Toujours est-il que plus jamais on ne la revit au
théâtre.
Déjà à cette époque sa sœur, quoique plus jeune d'âge et de
carrière, avait depuis trois ans quitté l'Opéra-Comique et dit adieu,
à la scène, oîi ses services, malgré tout l'éclat des premiers jours,
avaient été moins brillants que ceux de son aînée. Alexandrine Saint-
Aubin, devenue M""= Joly, n'avait pas vu s'affermir, dans ses nou-
velles créations, la renommée qu'elle s'était acquise si rapidement
dans le rôle de Cendrillon, et ceux qu'elle établit successivement dans
la Victime des arts, dans Jean de Paris, dans les Rivaux d'un moment,
Lully et Quinaull, les Béarnais, les Rosières, ne semblèrent pas justifier
l'espoir que tout d'abord on avait mis en elle. Cependant, par égard
sans doute pour le nom qu'elle portait, ses camarades avaient décidé
de la recevoir au nombre des sociétaires, lorsqu'un affront qu'elle
reçut précisément à ce sujet vint la déterminer à prendre prématu-
rément sa retraite. Un écrivain contemporain, en appréciant ses ser-
vices ainsi qu'on va le voir, nous met au courant de cette intrigue
de coulisses peu édifiante : — « Son succès dans le rôle de Cen-
drillon fut prodigieux et presque sans exemple : mais elle ne réalisa
point entièrement les espérances qu'on avait conçues de son talent
naissant. Avec des grâces et de la gentillesse, elle n'avait cependant
ni l'âme, ni la verve de sa mère, ni la voix de sa sœur, et ne parais-
sait point appelée à soutenir une aussi haute réputation. Une injus-
tice qu'elle éprouva d'un homme qui retint l'ordre de réception
(1) Ces trois lettres sont inédites.
LE MENESTREL
77
qu'elle avait pour le théâtre Feydeau, et fit recevoir à sa place une
actrice fort médiocre, pour laquelle il avait une bienveillance parti-
culière, détermina M'"'= Joiy, en 1817, à renoncer à la carrière dra-
matique... » (1).
Il est probable que « l'homme » dont il est ici question n'était
autre que le marquis de La Ferté, personnage bien connu par sa
nature intrigante et peu scrupuleuse, et que sa situation officielle
rendait tout-puissant à l'Opéra-Comique; quant à 1' « actrice fort
médiocre » dont le nom n'est pas prononcé, ce ne pouvait guère
être que M""- Paul Michu, qui fut en effet reçue sociétaire en 1817,
au mépris des droits de M""' Joly, plus ancienne qu'elle, comme
pensionnaire, de quelques années. Quoi qu'il en soit. M'"" Joly ne
crut pas de sa dignité de supporter une injustice qu'elle pouvait
envisager comme une injure; elle se retira simplement, sans éclat,
mais non sans regrets peut-être, préférant briser une carrière qu'elle
considérait désormais comme impossible.
(A suivre.) Arthur Pougi.n.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — Le 18" concert de l'Association artistique
a été un des plus parfaits de la saison ; tous les morceaux ont été rendus
avec un style excellent et un ensemble merveilleux: depuis la première
note jusqu'à la dernière, nous ne croyons pas qu'il y ait eu une seule imper-
fection à relever. Les œuvres interprétées appartiennent toutes au style
descriptif, sauf l'adorable Suite en si mineur de Bach, dans laquelle l'excel-
cellent flûtiste M. Cantié a obtenu son succès accoutumé. Il n'y a plus à
analyser la Symplionie fantastique de Berlioz, sur laquelle tout a été dit ;
elle a été 'rendue avec une grande intensité d'expression et une exacti-
tude irréprochable. C'est une œuvre que l'on ne peut s'empêcher d'admi-
rer lorsque l'exécution est parfaite, mais qui, si elle était dite avec négli-
gence, ne provoquerait qu'un effet d'énervement et de souffrance morale.
Entre l'œuvre maîtresse de Berlioz et le Chasseur maudit de César Franck,
il y avait l'épaisseur des Murmures de la forêt de Wagner. Cette énorme
fumisterie a laissé le public assez froid, il ne s'est pas laissé aller aux
enthousiasmes délirants qu'on remarque chez les habitués de M. Lamou-
reux ; en revanche, il a accueilli par des applaudissements réitérés l'œuvre
de César Franck, qui est autrement écrite et autrement suggestive (pour
employer le mot fin de siècle) que l'œuvre de "Wagner. Nous ne sommes
qu'un admirateur modéré du maître français, nous trouvons que dans les
derniers temps de sa vie, il a trop cédé aux influences d'outre-Rhin ;
mais quelle entente merveilleuse de l'orchestre ! comme tout cela est écrit
d'une façon magistrale, et force l'attention des esprits les plus prévenus !
Nous ne savons à quelle époque de sa vie Franck a écrit le Chasseur mau-
dit; nous avons un vague souvenir de l'avoir entendu aux concerts de
Pasdeloup; mais il ne nous avait pas frappé, comme au concert du
Chàtelet, grâce à l'exécution remarquable de l'orchestre Colonne. Il y aurait
à dire, sur cette œuvre remarquable, bien des choses que ne comportent
pas les proportions restreintes de ce compte rendu. Après cette musique
intense, on a écouté, comme toujours, avec un sentiment de détente phy-
sique et de contentement intellectuel, le Rouet d'Omphale de M. Saint-Saëns,
écrit avec cette sobriété, cette limpidité toutes françaises qui font le
charme de bien des œuvres de ce compositeur. Le concert se terminait
■çaxlesErinnyes, qui furentune des premières œuvres de M. Massenet et des
meilleures. Avec Marie-Madeleine et les Scènes pittoresques, les Erinnyes reste-
ront peut-être les meilleurs titres à la renommée que puisse invoquer
M. Massenet. H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en mi bémol de Schumann a
pour point culminant sa quatrième partie « écrite dans le caractère d'un
morceau de musique destiné à figurer dans une cérémonie solennelle ».
Le reste de l'ouvrage gravite pour ainsi dire autour de ce fragment, d'une
prodigieuse ampleur et d'un coloris instrumental sombre et imposant. La
phrase, d'abord à quatre temps, s'élargit pour entrer dans un rythme ter-
naire et reparait à la fin sous son premier aspect dans un mouvement
plus large. On s'explique le sentiment que Schumann a voulu produire
par ces progressions grandioses quand on sait que ce morceau magistral
lui a été inspiré par la vue de la cathédrale de Cologne et qu'il avait pro-
bablement en vue la possibilité de son exécution sous les voûtes de cet
édifice au moment de l'élévation au cardinalat d'un haut fonctionnaire de
l'Eglise. La première partie de la symphonie est d'une envergure superbe ;
on y remarque une transition enharmonique au ton de si majeur qui ramène
le motif d'une façon assez inattendue. Le scherzo et le finale détonnent un
peu, par leur allure joyeuse et familière, avec le caractère plus grave du
reste, mais Schumann, prévoyant l'objection, a dit qu'il avait voulu introduire
dans son œuvre quelques éléments populaires et qu'il croyait avoir eu en
cela une heureuse idée. La troisième partie est un délicieux andante pour
quatuor, instruments de bois et cors. Cette symphonie, dite lUiénane, a été
écrite en cinq semaines et exécutée à Dusseldorff en 185L — M. Rivarde
(1) Biographie universelle et portative des contemporains.
a obtenu un beau succès dans l'exécution du concerto en la, pour violon,
de M. Saint-Saëns. La composition est intéressante, bien que parfois un
peu pénible à entendre par suite de l'attention qu'elle exige. Le virtuose
l'a jouée avec distinction, dans un style sobre et avec une jolie sonorité.
— Paysage et Ronde fantastique, de M. Emile Bernard, forment un tableau
descriptif en deux panneaux, quelque chose comme un Puvis de Chavannes
musical. La première partie est excellente, en ce sens qu'elle dépeint
exactement et musicalement ce que l'auteur a voulu nous montrer ; quant
à la seconde, elle est bruyante, peu originale, et ne nous présente plus
que des images très effacées. La musique peut décrire un paysage, mais
non pas l'action qui s'y passe. La Ronde fantastique de M. Bernard nous
laisse l'impression d'un effort méritant, mais stérile, pour élargir le domaine
descriptif de la musique. On a entendu au même concert l'ouverture de
Sakountala, de M. Goldmark, le premier morceau de la Rapsodie norwégienne
de M. Lalo et des extraits des Maîtres chanteurs, parmi lesquels se trouvait
l'ouverture, qui ressemble à une brillante improvisation, bien que le plan
en soit assez rigoureusement indiqué. Amédée Boutarei.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Au Conservatoire, Symphonie pastorale (Beethoven ); Ca/igu/a (G. Fauré;) Concerto
pour violon (Max Bruch), par M. Hayot ; le Chanteur des bois (Mendelssohn) ;
ouverture du Carnaval romain (Berlioz). Le concert sous la direction de M. Garcin.
Au concert Colonne, ouverture des Francs Juges (H. Berlioz); Symphonie italienne
(Mendelssohn); Eloa (Ch. Lefebvre), par M. Portejoie; le Chasseur maudit (César
Franck) ; Au pays bleu (A. Holmes) ; concerto en mi mineur (Chopin), par M. Otto
Hegner; fragment de Siegfried (R. Wagner): les Erinnyes (J. Massenet).
Au concert Lamoureux, Sj-mphonie en mi bémol (R. Schumann) ; le Chêne et le
Roseau (C. CheviUard) ; Danse macabre (Saint-Saënî-) ; Introduction du 3° acte de
Lohengrin (R. Wagner); Prélude de Parsifal (R. Wagner); le Camp de Wallenstein
(V. d'Indy); Prélude el Marche triomphale {M. Sieveking).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
a Nouvelles de Londres. — Les nombreux amis de sir Arthur Sullivan
se sont félicités de cet exemple frappant de sa popularité à Londres :
samedi dernier, trois de ses œuvres y étaient exécutées simultanément
dans trois théâtres différents: à l'Opéra national loanhoe, au Savoy les Gon-
doliers, et à Govent-Garden la Légende dorée. Il est vrai que le succès artis-
tique d'Ivanhoe reste toujours fort contesté et que les Gondoliers sont loin
d'être la meilleure des opérettes de l'auteur. Par contre la Légende dorée
est une œuvre absolument distinguée et qui mérite la haute estime dans
laquelle elle est tenue en Angleterre. C'est une cantate dramatique pour
soli et chœurs basée sur un poème de Longfellow. L'œuvre est intéressante
et pittoresque, si elle manque quelque peu d'individualité. Il n'y a rien
d'étonnant après tout qu'ayant à traiter un sujet fantastique, dont Lucifer
est un des personnages, le souvenir de Berlioz ait hanté sir Arthur Sulli-
van.— Les Concerts populaires nous ont fait entendre lundi soir le nouveau
quintette de Brahms, op. 111, en sol majeur, œuvre sombre et confuse.
M. Joachim, très en forme, a exécuté avec un style admirable la fameuse
chaconne de Bach. — La Société Philharmonique inaugure ce soir sa nou-
velle saison de concerts par un programme peu intéressant. Du reste, il
est convenu qu'on sera très avare de nouveautés, cette année-ci, la prin-
cipale devant être une Symphonie-Epithalaine de Sgambati.— AuCristdl-Palace
on exécutera samedi le troisième acte de Tannhàuser en entier et pour la
première fois un concerto pour piano de Burmeister (?; et la Mort d'Ophélie
de Berlioz. — M. Auguste Harris s'est rendu acquéreur des droits pour
l'Angleterre de Manon et de Philémon et Baucis, qui seront probablement
exécutés en français pendant la saison prochaine. Il est question du ténor
Van Dyck pour le rôle de Des Grieux, qu'il a créé à Vienne. D'un autre
côté, M. Harris a cédé à M. Carte et pour une somme très ronde, les droits
anglais de la Basoche, qui suivra ou peut-être alternera avec Ivanhoé à
l'Opéra national anglais. On assure également que M. Carte est en pour-
parlers avec M. Beraberg pour l'acquisition de son opéra Elaine. Voilà ce
qui venge la musique française de bien des perfidies locales. La partition
d'Ivanhoé vient enfin de paraître, probablement après quelques retouches.
Les éditeurs ont publié une note dans les journaux, par laquelle ils an-
noncent avec une certaine fierté que le poids de la première éditioti dépasse
quatre tonnes. Etrange façon d'apprécier la valeur d'une œuvre musicale...
Au poids, alors? » A. G. N.
— On sait que les lois autrichiennes ne garantissent plus la propriété
artistique dix ans après le décès des auteurs. En conséquence, les œuvres
de Wagner tomberont dans le domaine public, en Autriche-Hongrie, le
13 février 1893. En prévision de cette échéance fatale, M°"= Cosima Wagner
s'est rendue dernièrement à Vienne pour négocier avec l'intendance du
théâtre de la Cour un traité de prolongation pour le monopole de Parsifal.
Cette œuvre n'a été jouée jusqu'à présent qu'à Bayreuth, en vertu du droit
d'exclusion accordé par Wagner au Festspielhaus, lequel droit s'étend
pendant trente années à dater du jour de la mort de l'auteur. Parsifal cessant
d'être protégé, en Autriche, à partir du 13 février 1893, M"'" Wagner a
voulu obtenir des autorités autrichiennes qu'on respecte cette exclusion à
laquelle son mari tenait tant. Les journaux ne disent pas si elle a réussi
dans sa mission.
78
LE MENESTREL
— Voici une anecdote qui remonte à l'époque difficile de la carrière de
Richard "Wagner, et où l'on verrales moyens singuliers que lefutur auteur
de la Tétralogie était obligé d'employer pour réussir à ne pas mourir de
faim : En 183G, Richard Wagner était chef d'orchestre au théâtre de Mag-
debourg, sous la direction de M. Bethmann. Ce dernier payait les appoin-
tements très irrégulièrement; de fait, ses règlements se trouvaient toujours
en retard. Wagner émargeait pour une somme insignifiante, avec laquelle,
pourtant, il lui fallait subvenir à tous ses besoins, ne possédant pas le
moindre avoir. Et avec cela toujours obligé d'attendre qu'il plaise au
directeur de lui solder ses appointements. — « Il faut absolument trouver
un remède à la situation », pensa Wagner; et, un soir qu'on ne jouait
pas au théâtre, il se rendit chez le directeur Bethmann. Celui-ci n'était
pas chez lui; il était allé au cabaret du Prince de Priisfe faire une partie de
cartes avec quelques amis. Wagner courut l'y rejoindre et s'assit tranquil-
lement auprès de son directeur, qui ne fit pas attention â lui, absorbé
qu'il était, par son jeu. Bethmann venait de gagner: il ramassait l'argent
et l'ajoutait à celui qui était déjà posé devant lui, sur la table, quand tout
à coup Wagner se leva et rafla le tout, en glissant à l'oreille du directeur
interdit: «A compte sur mes appointements, mon cher patron «.Bethmann
regarda son chef d'orchestre d'un air qu'il s'efforçait de rendre souriant
■ et tira, en silence, sa bourse de sa poche pour poser une nouvelle mise.
Mais, de nouveau, Wagner abattit sa main sur l'argent en murmurant les
mêmes paroles à son directeur. Il renouvela cette manœuvre tous les soirs,
jusqu'à ce que le directeur se soit décidé — afin de pouvoir jouer aux
cartes tranquillement — à lui solder régulièiement son dû.
— Si le fait est vrai, il est au moins étrange, et il donne la preuve d'une
singulière exaltation morbide. Les journaux de Vienne rapportent qu'une
fort belle jeune fille de cette ville, qui étudiait le chant avec passion,
s'est versé sur le visage le contenu d'un flacon de vitriol, se mettant dans
un état à faire pitié. La raison qu'elle a donnée de cet acte de folie est
qu'elle voulait vivre seulement pour l'art !
— La petite ville de Deventer, en Hollande, s'est offert le luxe d'une pre-
mière représentation. Il s'agit d'un opéra-comique en trois actes, intitulé
Caïla Laps, joué sous la direction du compositeur M. Henri van den Berg.
L'auteur du livret est M. W. A. Liermur.
— Des nouvelles de Saint-Pétersbourg apportent de nouveaux détails
relatifs à la mort si regrettable de M"'= Joséphine de Reszké et à la façon
presque dramatique dont ses frères ont appris cette triste nouvelle. Nous
avons dit que l'ex-cantatrice, devenue baronne de Kronenberg, était morte
brusquement à Varsovie, de suites de couches. Ce jour même, MM. Jean
et Edouard de Reszké dînaient joyeusement, en compagnie, à Saint-Péters-
bourg, et au dessert un des convives eut l'idée de porter un toast à
M"" de Reszké, leur sœur, toast qui lui fut immédiatement expédié par télé-
gramme. Une heure après, un autre télégramme arrivait à son tour de
Varsovie. Chacun crut que c'était la réponse au toast, mais que l'on juge
de la stupéfaction douloureuse des assistants, lorsqu'après l'ouverture de
la dépêche, on y lut ces mots : « M""= Joséphine de Kronenberg, née de
Reszké, est morte. »
— M. Georgis, un compositeur de nationalité grecque, vient de présenter
au théâtre impérial de Saint-Pétersbourg un opéra de sa façon, qui a été
accepté. Le titre de l'ouvrage est F Impératrice des Balkans; le sujet est tiré
d'une nouvelle du prince de Monténégro.
— Vient de paraître à Gand, à l'imprimerie Annoot-Braeckman, la
3° livraison du tome II de l'excellent Catalogue descriptif et analytique du musée
instrumental du Conservatoire royal de Bruxelles, rédigé avec le soin, la com-
pétence et la clarté qu'on lui connaît par M. Victor-Charles Mahillon,
conservateur du Musée, et orné de nombreuses gravures.
— Signalons le très grand succès' qu'obtient en ce moment à Milan
M""! Sigrid Aruoldsoa. Salle comble tous les soirs et ovations sans fin.
— Les journaux italiens nous apprennent que le grand violoniste Baz-
zini, directeur du Conservatoire de Milan, est en ce moment très sérieuse-
ment malade.
— Voici que cetie déplorable coutume de la claque, si fâcheusement
vivace chez nous, s'implante décidément en Italie, après une série d'es-
sais qui, jusqu'à ce jour, étaient reêtés à peu près infructueux. Voici com-
ment le Trovatore termine son compte rendu de Condor, le nouvel opéra
du maestro Gomes, représenté ces jours derniers à la Scala de Milan : —
« Je ne peux clore cette chronique sans une protestation contre l'indécente
etaque, qui, désormais officiellement organisée et stratégiquement disposée,
a pris possession même du parterre de la Scala, jusqu'à ces derniers temps
encore vierge de cette indigne importation d'outre- Alpes. » Le fait est que
nos voisins auraient pu nous emprunter quelque chose de plus propre et
de plus intelligent.
— L'un des plus célèbres théâtres d'Italie, célèbre par son passé glorieux,
celui de la Fenice de Venise, s'apprête à célébrer, l'an prochain, le cen-
tième anniversaire l'e son existence. A cet effet il songe à remettre à la
scène et à oll'rir à son publicl'opéra qui servit à son inauguration en 1792.
Cet opéra, i Giuochi d'Agrigento, avait pour auteur Paisiello, l'émule, fameux
de Guglielmi, de Sarti et de Ciraarosa.
— A Florence, parles soins et sur l'initiative de la Société philharmo-
nique, on se prépare à célébrer dignement cette année le centenaire delà mort
de Mozart, et l'année prochaine le centenaire de la naissance de Rossini.
— Au théâtre Cavour de Porto Maurizio on a donné, le 22 février, la
première représentation d'un opéra en deux tableaux intitulé Oitona, dont
l'auteur est M. Gorradi, lequel n'a que médiocrementà se louerdu résultat
qu'il a obtenu, ce qui n'a pas lieu d'étonner, si l'on s'en rapporte à ces
premières lignes du compte-rendu d'un journal italien : « Un opéra nou-
veau, même de modestes proportions, est toujours un événement, événe-
ment qui suffit à piquer la curiosité, et aussi à soulever de nombreuses
critiques lorsqu'il s'agit, comme pour l'auteur à'Oitona, d'un maestro qui,
sans connaître ni l'harmonie ni le contrepoint, en a écrit la musique,
qui sans être lettré en a imaginé le livret, et qui, pour comble, en a
même peint les décors! ...» Toute la lyre, quoi ! Mais cet homme univer-
sel a conçu un ouvrage exécrable, dont l'exécution d'ailleurs a été horrible,
et a produit un fiasco colossal.
— Encore un lot d'opéras nouveaux qui n'attendent, en Italie, que le
grand jour de la rampe. Alarico, il sanguinario, paroles de M. Romolo Cas-
tagne, musique de M. Sanagli, qui doit être représenté au théâtre du
Corso, de Bologne; Vindice, opéra en trois actes, musique de M. LTmberto
Masetti, qu'on espère voir jouer au théâtre Brunetti, de la même ville ;
A Santa Lucia, livret de M. Goffredo Cognelti, musique de M. Pierantonio
Tasca; Graziella, paroles de M. Tommasi (et peut-être un peu aussi de
Lamartine), musique de M. Vincenzo Maltese; Mariska, opéra en trois
actes, paroles de feu Vincenzo Valle, musique de M. Giulio Tanara; Pier
Luigi Farnese, paroles de M. Arrigo Boito, musique de M. Gostantino
Palumbo; enfin, Tecla, musique de M. Alfredo Torri. — Ouf!
— Una maestra concertatora e direttoressa d'orchestra, s'écrie le Trovatore!
C'est un cas unique, au moins en Italie, un orchestre dirigé par une
femme! C'est au théâtre Ravivati, de Poggibonsi (Toscane), que cala se
voit. La directrice d'orchestre s'appelle Maria Eponina Rieschi.
— M'"" Jeannette Thurber, qui a déjà doté New- York de si utiles insti-
tutions musicales et qui poursuit avec une ardeur infatigable la tâche de
créer un art national aux Etats-Unis, s'occupe actuellement de recruter
un orchestre permanent pour New- York sur le modèle de celui de Boston.
Cette nouvelle fondation prendrait le litre d'Orchestre symphonique national
et serait placée sous la direction artistique de M. Max Erdmannsdôrfer.
— En Amérique comme en Europe, on songe à fêter avec éclat le qua-
trième centenaire de Christophe Colomb. Déjà, à New-York, un composi-
teur italien est à l'œuvre, et tout occupé en ce moment à écrire la partition
d'un grand drame lyrique, Cristoforo Colombo, qu'il espère faire représenter
l'année prochaine à cette occasion. Cet artiste est M. Carlo Brizzi.
PARIS ET DEPARTEMENTS
La Commission des théâtres a terminé hier soir, à six heures, l'étude
du cahier des charges destiné au nouveau directeur de l'Opéra. Un seul
détail restait à fixer dans cette dernière séance : les rapports de l'Opéra
avecle Conservatoire. Après une discussion fort longue, il a été décidé que
le directeur de l'Opéra, dans les six mois qui suivront son entrée en fonc-
tions, étudierait les moyens d'établii' une classe de chœurs analogue aux
classes de danse déjà existantes.
— La liquidation de la Caisse des retraites de l'Opéra se poursuit dans
des conditions de régularité qui donnent une sécurité absolue pour l'ave-
nir. C'est du moins ce qui ressort du troisième rapport présenté au minis-
tère des Beaux-Arts par la commission chargée de cette liquidation. Nous
en donnons un bref résumé avec chiffres à l'appui.
L'avoir de la Caisse des retraites était, au {" janvier 1890, de 3 millions
639,809 fr. 01. Au 1" janvier 1891, cet avoir était de 3,703,424 fr. 17. Cette
augmentation de 66,615 fr. 16, pendant l'année qui vient de s'écouler, est
due pour 31,675 fr, 1-5 à une hausse sur les valeurs et, pouf le reste, à la
différence entre les recettes et les dépenses. En 1890, les recettes se sont
réparties de la sorte :
Intérêts et remboursement des rentes et obligations Fr. 144.286 88
Subvention de l'État (timbre de 0,25 déduit) 29.997 »
Subvention de la direction de l'Opéra 20.000 »
Produit des retenues 32.201 90
Produit des amendes 3.660 90
ToT.iL Fr. 230.146 68
En 1889, ces recettes s'étaient élevées à 229,679 fr. 08, Les dépenses de
1890 sont ainsi justifiées :
Arrérages de pensions Fr. 194.464 63
Remboursement de retenues 533 94
Frais divers (impression de rapports, etc.) 20S 10
Total Fr. 195.206 67
Excédent de recettes 34.940 » ,
En 1889, les dépenses avaient été de 187,982 fr. 7b, l'excédent des recettes
de 41,696 fr. 33. Il a été inscrit pour 1890: dix pensions d'ancienneté
(MM. Perrot, Lancien, Lalliet, Dihau, Dumas, Ponchaut, Merante; W^'=^
Jousset et de Bondé) ; quatre pensions de veuve (M"'=s Douchez, Germain,
Gabiot, Lepinoy) ; une pension de réforme (M. Girard).
LE MENESTREL
79
Au 31 décembre, le nombre des pensionnaires était de 186. A la même
date, le nombre des tributaires est réduit à 240, ainsi répartis :
Administration 2
Silène 5
Chant =>
Ballet 18
Orchestre ''^
Danse 14
Chœurs ''o
Contrôle ^^
Bâtiment 2
Costumes 5
Décoration 16
Figuration 1
Le montant des retenues, calculé sur les traitements pendant le mois de
décembre (46,740 francs) s'élève à 2,337 francs, soit, pour une année, à
28,044 francs. La réduction s'accentue chaque année, non seulement par
suite de la diminution dans le nombre des tributaires, mais encore par ce
fait que ceux qui se retirent sont en possession de traitements plus élevés.
— Parmi les causes qui ont amené la chute de M. Paravey à l'Opéra-
Comique, quelques-uns de nos confrères mettent en avant le déficit laissé
par la direction provisoire de M. Jules Barbier. Il est bon de préciser
que ce déficit se montait en tout — on peut consulter les livres — à la
somme de trente-sept mille francs. La réouverture du théâtre, qui devait
avoir lieu le 1='' octobre, ne put être effectuée que le 15 du même mois, d'où
soixante mille francs de fraisa payer sans aucune recette pour lescontre-
balancer. Si on veut bien mettre en dehors ces soixante mille francs de
perte, qui ne sont pas du fait de M. Jules Barbier, on trouvera alors que
son administration, dans les plus mauvais mois de l'année, a donné
23,000 francs de bénéfice, au lieu d'un déficit quelconque. C'était un point
bon à éclaircir.
— La seconde conférence que notre collaborateur Arthur Pougin a faite,
mercredi dernier, au Théâtre d'application, sur Rameau et ses œuvres, a
obtenu le même succès que celle qu'il avait consacrée précédemment à
Lully et aux commencements de l'opéra français. Le conférencier a raconté
en termes excellents là vie et la carrière de Rameau, il a montré les dilh-
cultés et les obstacles de tout genre que le grand homme avait dû surmonter
pour parvenir à se faire connaître, il a lavé sa mémoire des calomnies
dont elle a été l'objet, il a fait saisir l'importance du rôle de réformateur
joué par Rameau dans la nature et la contexture de l'opéra français et qui
a si bien préparé la venue de Gluck et de ses chefs-d'œuvre, enfin il a
insisté sur ce fait que Rameau, musicien français, né et élevé en France,
a des droits tout particuliers à notre respect et à notre reconnaissance.
Chemin faisant, le conférencier interrompait son discours pour donner, par
une citation intéressante, plus de poids à ses jugements et à ses affirma-
tions. C'est ainsi qu'il a fait entendre, successivement, un duo superbe
é'Hippolyte et Aricie, chanté par M. et M""= du "Wast; l'air célèbre de Castor
et Pollux: « Tristes apprêts, pâles flambeaux », superbement dit par M°"= du
Wast; celui de Castor, fort bien chanté par M. du Wast; un air adorable
des Fêtes d'Hébé, délicieusement détaillé par M"» Bilbaut-Vauchelet, et un
duo exquis du même ouvrage, par M'""'^ Bilbaut-Vauchelet et du Wast;
sans compter le charmant Tambourin si fameux, fort joliment exécuté par
M'"' Juliette Barat. Le conférencier et ses interprètes ont été l'objet des
manifestations sympathiques et des applaudissements du public.
— M"'" Melba est de retour à Paris, après une saison des plus brillantes
au théâtre impérial de Saint-Pétersbourg. On annonce sa prochaine rentrée
à l'Opéra de Paris dans Rkjoletto.
— Signalons deux études fort intéressantes qui viennent d'être consacrées
au regretté Léo Delibes dans deux publications importantes : l'une, de
M. Francis Thomé, dans la Revue de famille àm^&s par M. Jules Simon ;
Vautre, de notre collaborateur Arthur Pougin, dans le numéro 6 de la
Revue encyclopédique, recueil très luxueux et fort intéressant. Cette dernière
est accompagnée d'un fort joli portrait de l'auteur de Laknié, d'un auto-
graphe et d'un fac-similé de son écriture musicale, ainsi que de la liste
complète et détaillée de ses œuvres, telle que nulle part elle n'a été
publiée.
— M. Henri Kaiser, second grand prix de Rome, est nommé professeur
de solfège au Conservatoire, en remplacement de M. Lavignac, qui, comme
nous l'avons annoncé, succède comme professeur d'harmonie à M. Théodore
Dubois, nommé lui-même à la classe de composition du regretté Léo Delibes.
— C'est jeudi et vendredi que M™ Krauss a donné, au Grand-Théâtre
de Nantes, les deux représentations que nous avions annoncées. Elle a
chanté le premier jour l'Africaine, elle second, Faust. Le triomphe de la
grande cantatrice a été complet, et les Nantais lui ont fait un accueil
enthousiaste.
— A Marseille, c'est M"" Adelina Patti, (jui jeudi, a triomphé. Elle avait
été engagée, au prix de douze mille francs, dit-on, pour un concert donné
au théâtre Valette. La salle était archi-comble, le succès do la diva a
été colossal et la recette a dépassé 22,000 francs.
— On a donné dimanche dernier, au Grand-Théâtre de Nantes, la pre-
mière représentation d'un ballet nouveau en trois tableaux, les Consci-its
de Jagennc, dont la musique a été écrite par M. BoUaërt, première con-
trebasse à l'orchesire de ce théâtre.
— M. Gigout fera entendre chez lui, le mardi-saint, les élèves de son école
d'orgue. Les récitals que le maître organiste a l'habitude de donner en
Angleterre, chaque année, au mois de mars, auront lieu, cette année, en
avril, M. Gigout étant attendu le 14 et le 16 mars à Bordeaux, le 19, à
Nantes, et ayant également promis son concours dans d'autres villes pour
des saluts de charité. C'est M. Boëlmann qui, pendant l'absence de M. Gi-
gout, suppléera le maître à son cours d'orgue.
CONCERTS ET SOIRÉES
Samedi dernier, à la salle Erard, audition très intéressante d'œuvres
de M""= Augusta Holmes. La première partie était composée d'œuvres
détachées, dont la plupart étaient connues : la seconde était exclusive-
ment consacrée à l'Hymne à la Paix, composée pour les fêtes de Florence.
Les chœurs étaient conduits par M. Colonne; les pianos d'accompagne-
ment tenus par M"'° Holmes et M. Maton. — Dans la première partie,
M">= Edouard Colonne a obtenu un grand et légitime succès dans plusieurs
mélodies; on a admiré l'excellente méthode et le beau talent de l'éminent
professeur. Le succès a été également très grand pour les autres interprètes
qui ont fait valoir les œuvres de U'"' Holmes. H. B.
Le 27 février dernier, très brillant concert donné par M'"" Roger-
Miclos. M. Fournets, dans un air de Bizet et dans plusieurs mélodies de
Tagliafico qui ont été plusieurs fois bissées, s'est fait applaudira outrance,
et M. Rémy a joué, sur le violon, une sonate de Beethoven et Vlntroduction
et Rondo capriccioso de M. SaintSaëns qui lui ont valu un fort beau succès.
M™ Roger-Miclos avait composé un programme de nature à mettre en
relief les divers aspects que peut présenter son talent. Elle a étonné ceux
mêmes qui ont le plus l'habitude de l'entendre. Nous avons apprécié tout
spécialement la manière dont elle a rendu le Carnaval de Schumann, plu-
sieurs pièces de Chopin, un Caprice de M. Pfeiffer, une jolie piécette de
M. B. Godard, la Fée de M. Le Borne, et la H' Rapsodie de Liszt.
Am. b.
— Nous lisons dans l'Événement sous la signature de M. Louis Besson :
« La dernière séance donnée par Marmontel avait spécialement pour but
de faire connaître deux artistes étrangères, M™^ Van Arnhem, cantatrice
américaine, dont l'éducation vocale fait le plus grand honneur à M^^ de
Lagrange et à M. Pluque, de l'Opéra, pour la mise en scène. Bien rare-
ment il nous a été donné d'entendre une voix d'un timbre aussi sympa-
thique et conduite avec autant d'art. M™' Van Arnhem possède le charme,
la bravoure ; nous lui prédisons de grands succès. La seconde artiste étran-
gère présentée par Marmontel était M"* Pignat, jeune pianiste russe, du
Conservatoire de Moscou, qui, à la recommandation du célèbre artiste Da-
vidofï', suit depuis trois ans les leçons de Marmontel. A l'heure présente,
M"" Pignat est une des plus vaillantes virtuoses formées à l'école de ce
maître, qui compte à son avoir presque toutes les célébrités modernes
du piano. Expression, style, entente parfaite des nuances, bravoure impec-
cable, M'i" Pignat possède toutes ces qualités, et très certainement son
talent hors pair lui vaudra de grands succès, maintenant surtout que la
critique parisienne lui a décerné son diplôme de virtuosité. »
— L'Institut musical continue le cours de ses intéressantes séances d'é-
lèves à la salle Pleyel. 11 y a peu de temps c'était l'audition très remar-
quable des élèves du cours que fait à l'institut de M. et M°"= Oscar Comet-
tant, notre maître éminent Marmontel père; cette semaine, c'était aux
élèves du cours du distingué professeur M. Dolmetsch à se faire entendre.
Citons M""!' Coindriau dans un morceau de Rubinstein, Vincent dans le
Passepied de M. Dolmetsch, Versini dans la Fanlaisie-Valse du même com-
positeur, Trubert, Dussol, Masson, Lefort, etc., qui, toutes, ont témoigné
d'un excellent enseignement. Une mention spéciale est due à la char-
mante fille de M. Jules Cohen, qui a joué à ravir, ainsi que son jeune frère
Jules. M"= Andrée a chanté ensuite, de manière à mériter les honneurs
du bis, une jolie mélodie. Un chœur de Victor Massé a été fort bien chanté
par les élèves du cours de solfège que fait, à l'Institut musical, M""= Louise
Gomettant. Un ténor doué d'une voix exceptionnellement jolie, M. Des-
champs, et M. Ten Brink, le jeune et brillant violoniste, prêtaient à cette
audition leur concours gracieux.
— Très brillante audition, dimanche dernier, des élèves du cours de
l'excellent maître. M'"" Julien. Plusieurs de ces jeunes filles sont déjà de
véritables artistes; citons parmi celles qui ont été le plus applaudies :
M"" Panton, dans l'allégro de concert de Guiraud et dans Autrefois, une
charmante pièce d'Antonin Marmontel; M»" Fauvei dans un prélude de
Mendelssohn; M" Engrand, dans l'alIegro de Saint-Saëns: M"' Tisserand,
dans la Chanson slave d'Antonin Marmontel; M"'= Gillette qui a joué d'une
façon délicieuse une bourrée de Bach et l'Impromptu d'.4.ntonin Marmontel,
et enfin, le fils de la maison, jeune enfant, qui a très bien rendu une valse
de Chopin et qui donne l'espérance de devenir un véritable artiste.
— De Bordeaux. Le septième concert de la Société Sainte-Cécile a eu
lieu avec le concours de M. I.Philipp, de Paris, un musicien remarquable
que nous entendions pour la première fois à Bordeaux. M. Philipp a in-
prété avec une éclatante virtuosité et avec un style personnel bien inté-
ressant la Fantaisie hongroise, de Liszt, et a montré l'extrême finesse, la
grâce presque féminine de son jeu dans plusieurs pièces de Chopin. Son
succès a été très grand et d'autant plus flatteur qu'il était obtenu peu de
jours après celui de M'"" Menter. E. R.
80
LE MÉNESTREL
Soirées et i.oncerts. — Audition très brillante, dimanche dernier, salle Pleyel,
des nombreuses et excellentes élèves de M"" Donne. 11 est difficile de faire un
choix parmi toutes ces jeunes filles, chez qui l'on trouve les qualités que donne
une éducation solide et sérieuse. Nous avons cependant remarqué surtout M"" Del-
dicq, Ziègler, t'ernet, Ejtmiu, Jozin.Degouy, Desplats, Bareillier, et deux jeunes
Russes, M""' Goldenweiser, qui ont dit d'une façon remarquable la jolie taren-
telle à deux pianos de M. Georges Pfeiffer. Une mention spéciale est due à
M"" Juliette Barat, qui a joué avec beaucoup de délicatesse un aimable Impromptu
de M. Grandjany. ainsi qu'à M"° Got qui a exécuté avec elle, d'une façon très
remarquable, le Scherzo de M. Saint-Saëns. — L'excellent professeur, M"« Turgis,
a consacré une matinée d'audition aux œuvres de M. Georges Pfeiffer. Parmi les
morceaux les plus applaudis, nous ciLeroi]s la Séix'iiadc tunisienne, Bruits d'ailes,
Imjuiétude, mélodie, etc., interprétées par les jeunes pianistes de façon à faire le
plus grand honneur à l'enseignement de M'"'' Turgis. — Lundi 2 mars, très inté-
ressante soirée à l'École classique de musique el de déclamation delà rueCharras.
Ont été particulièrement applaudis les élèves de MM. Sadi Pely et Chautard, les
excellents professeurs de déclamation, M. Lancien et ses élèves. M"" llardel,
harpiste de talent, élève de M"^' Laudaux, M"" Louise Martin et M™" Gallois, élèves
de M. Chavagnat, M"" Vuillaume dans la romance de.W/ffiioii, M"" Vives et M"'°Tal-
bom Richard, dans le solo du chœur de la Mandragore de Jem de Nivelle, élèves
de M. Marcel, le remarquable professeur de chant. — Mardi dernier, au Grand
Véfour, nombreuse réunion de la Dvtlernve, présidée par M. Paul Dislère, conseiller
d'État. Après le dîner, concert des plus réussis. Le jeune compositeur Charpen-
tier, retour de Rome, a été chaleureusement fêté après l'audition de plusieurs de
ses œuvres interprétées par M. Lauwers, M"" Vaudeville, Olin, Campion et
M""" Lauwers. Le Crucifij: de Faure a été admirablement chanté par MM. Lauwers
et Gogny, qui ont dii le bisser. — Très grand succès pour M"° Blondelat, au
concert de bienfaisance organisé au Mans par M"° la comtesse de Saial-Guilhem.
La jeune pianiste a interprété avec beaucoup de goiit une polonaise de Chopin et
la ravissante bluette de Lack, l'Oismu-ilouelic. — M. André Bloch,le jeune premier
prix du Conservatoire, a été doublement fêlé à son concert du 21 février, à la
salle Érard. Comme pianiste d'abord, en interprétant d'une façon charmante un
programme assez long où brillaient la Vakc-Caprive de Rubinslein et la marche
funèbre de Chopin; comme compositeur ensuite, avec une5«i/<' orientale en trois
parties pour violon, rendue par M"' Magdeleino Godard, accompagnée par l'auteur.
La parlie vocale du concert était confiée à M"* Eléonore Blanc.
NECROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort de M. Louis-Antoine Yidal,
dilettante fort distingué, violoncelliste amateur et à ce titre ancien élève
de Franchomme, qui s'est fait remarquer par la publication d'un ouvrage
extrêmement important et par sa nature et par le luxe matériel dont il
avait su l'entourer : les Instruments à archet, les feseurs, les joueurs d'instru-
ments, leur histoire sur le continent européen, suivi d'un catalogue général de la
musique de chambre (Paris, Glaye, 1876-78, 3 vol. in-4° avec 120 eaux-1'ortes).
Cet ouvrage, qui n'était pas à l'abri de toute critique, est néanmoins le
premier qui ait été publié en Europe sur ce sujet et qui ait été conçu sur
un plan aussi vaste. Il est d'ailleurs bourré de documents, et les eaux-
fortes qui l'accompagnent et qui sont l'œuvre de feu Prédéric Hillema-
cher, constituent elles-mêmes une série de documents précieux, reprodui-
sant un grand nombre de portraits historiques dont la réunion aujour-
d'hui serait à peu près impossible. Vidal, qui avait publié depuis lors un
autre ouvrage intéressant, la Luthei'ie et les Luthiers (1889, in-8°), avait pré-
paré tous les éléments d'une histoire du piano, à laquelle il travaillait
activement en ces dernières années. Il avait formé une collection très
curieuse et très précieuse d'étiquettes d'anciens luthiers, dont il avait
donné de nombreux fac-similé dans son grand ouvrage. Vidal était né à
Rouen le 10 juillet 1820. A. P.
— Un artiste modeste et excellent, Charles-Victor Boulart, ancien vio-
lon-solo de l'orchestre de l'Opéra-Comique et ancien membre de la Société
des concerts du Conservatoire, est mort cette semaine à Paris, à l'âge de
68 ans. Il avait obtenu le premier prix au Conservatoire, vers 1845, à peu
près à l'époque où sa sœur, M"" Boulart, qui devait épouser plus tard
M. Mayer, régisseur général de l'Opéra, obtenait elle-même un premier
prix de chant et débutait de la façon la plus brillante à l'Opéra-Comique,
pour aller faire ensuite les beaux jours du théâtre de la Monnaie, de
Bruxelles.
— ■ Les journaux italiens enregistrent les suicides de deux musiciens.
A Parme, s'est tué un jeune élève du Conservatoire de cette ville, Al-
fredo Muna'ri, né à Reggio d'Emilie, qui était doué d'une magnifique voix
de basse et à peine âgé de 22 ans. A Trieste, un corniste nommé Leo-
poldo Cagnoli, né à Cento et âgé de 36 ans, s'est précipité du haut du
couloir des secondes loges du Théâtre-Communal dans le vestibule du
rez-de-chaussée, et est resté mort sur place.
— On annonce la mort, à Naples, d'une cantatrice qui jouit naguère en
Italie d'une renommée éclatante, due à un talent solide et châtié, Rita
Gabussi, sœur cadette du compositeur Vincenzo Gabussi, artiste fort dis-
tingué, qu'on appela le Schubert de l'Italie, et dont la quasi-célébrité
s'établit bien plus, en effet, par ses mélodies chaudes et pénétrantes que
par quelques opéras d'une valeur très secondaire. Le Trovatore, compatriote
de Rita Gabussi, se trompe à son sujet d'une façon étrange en la faisant
débuter en 1822 et en la disant âgée à sa mort de 81 ans. La vérité est que
l'année 1822 est celle de sa naissance à Bologne, et que lorsqu'elle créa
au théâtre San Carlo de Naples la Medea de Mercadante, en 18ol, elle avait
seulement 29 ans, tandis qu'elle en aurait eu bO au compte de notre confrère.
L'erreur de celui-ci est manifeste d'ailleurs, puisqu'elle épousa le baryton
Achille de Bassini, lequel était né lui-même en 1820. C'est en 1842 que
la Gabussi débuta au théâtre Re, de Milan, aujourd'hui dispai'u, dans un
opéra de Coppola qui eut jadis un grand succès, Nina pazza pcr amore. Elle
se fit entendre ensuite sur les principales scènes italiennes, notamment à
la Scala de Milan et au San Carlo de Naples. Sa carrière fut, on peut
le dire, aussi courte que brillante, et depuis longues années elle s'était
retirée et fixée en cette dernière ville.
— De Florence on annonce la mort d'un chanteur qui jouit naguère
d'une véritable renommée, le ténor Gaetano Pardini, dont les succès
furent retentissants surtout dans les opéras de Rossini. Né en 1809, Par-
dini, qui avait paru triomphalement sur la plupart des grandes scènes
italiennes, chantait encore VOtello de Rossini à la Scala de Milan en 1870,
et le Barbier en 1872. Ce qui ne l'a pas empêché de s'éteindre misérable-
ment, à l'âge de 82 ans, dans une maison de refuge de Florence !
Henri Heugel, directeur-gérant.
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Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMITRE- TEXTE
I. La Messe en si mineur de J.-S. Bach (5° et dernier article), Jui.itN Tiersot. —
IL Semaine théâtrale : Coiiie d'avril, à l'Odéon, H. Mokeno; première représen-
tation du Petit Savoyard, aux Nouveautés, et reprise du Petit Poucet, à la Gaîté,
Paul-Emile Chevalii£ii. — IIL Une famille d'artistes: Les Saint- Aubin (13' article.i,
Akthuk PouGiN. — IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie. *
MUSIQUE DE PIANO
Nob abonnés à la musique de PIA^o recevront, avec le numéro de ce jour :
PLUS HEUREUX QU'UN ROI !
nouvelle polka de Philippe Fahhiiach. — Suivra immédiatement : Chanl
d'avril, de Théodore Lack.
' CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: BobolV se marie, •a." S des Rondes et Chansons d'am-il, musique
de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies de George Auriol. — Suivra immé-
diatement : Faut-il rlianler?. . . dernière mélodie de Léo Delibes, poésie
du V"= DE Borelli.
LA MESSE EN SI MINEUR
DE J.-S. BACH
(Suite) .
Cependant, si admirable que soit l'œuvre de Bach au point
de vue de la beauté plastique, elle n'exercerait pas entière-
ment sur nous son invincible attraction si elle ne valait que
par les formes extérieures. Mais, so'js l'apprêt des combinai-
sons infinies, elle cache une âme, et une âme qui vibre avec
une rare puissance : c'est l'âme même de Bach, qui fut bien,
certes, une des plus grandes qui aient existé sur notre
monde terrestre ; c'est celle de toute une race et de tout un
siècle, qui trouvèrent en lui, sans s'en douter, l'interprète
de ce qu'ils ressentaient de plus grand et de plus fort.
Je lisais récemment un nouveau livre d'études littéraires
dont l'auteur est un des représentants les plus en vue de
notre jeune critique contemporaine, M. Emile Fâguet, et là,
dans une étude développée consacrée à M'"" de Staël, se
trouvait résumé et. commenté ce livre: De l'Allemagne, qui
révéla pour la première fois aux lecteurs français quelque
chose du génie d'un peuple qui, jusqu'alors, leur était de-
meuré à peu près complètement inconnu. Notons bien que
le livre de M™ de Staël, écrit au commencement de ce
siècle, au moment où Goethe enfantait ses premiers chefs-
d'œuvre mais avant qu'il eut acquis la grande popularité qui
suivit, antérieurement à Schiller et à tout le mouvement
littéraire de son temps, à un moment où l'influence de la
Révolution française, si déjà elle s'exerçait efficacement sur
une élite, n'avait pas encore pénétré dans les masses, nous
ouvre par là des vues intéressantes sur l'esprit allemand du
dix-huitième siècle, évidemment encore vivace dans le peuple
et ayant survécu jusqu'alors.
Or, dans ces observations qui semblaient s'appliquer uni-
quement à l'ancienne littérature allemande ou plus généra-
lement à l'esprit national allemand, je retrouvais les traits
les plus caractéristiques de Bach et de son œuvre. Rien
d'étonnant, d'ailleurs, à ce que la musique d'un artiste de
génie reflète avec cette fidélité l'état d'esprit du milieu dans
lequel il vit, surtout s'il s'agit d'un musicien allemand.
Victor Hugo, voulant caractériser par le nom d'un grand
homme le génie particulier des nations européennes, a, pour la
plupart, choisi un poète: il cite, pour l'Italie, Dante; pour
l'Angleterre, Shakespeare; pour l'Espagne, Cervantes; pour
la France, Voltaire. Pour l'Allemagne, il désigne Beethoven.
L'auteur de la neuvième symphonie représente évidemment
un esprit plus moderne; mais Bach, venu près d'un siècle
avant lui, n'est pas un moins fidèle ni moins glorieux inter-
prète de l'esprit allemand dans ce qu'il a d'originel et de
véritablement national.
« En France, le public commande aux auteurs, » observe
M""* de Staël; et, en cela, elle constate une première différence
entre l'esprit des deux races. Nous n'écrivons point pour nous,
mais pour un public. Nous voyons toujours, en face de nous,
le lecteur qui écoute, et nous -foulons lui plaire plutôt qu'à
nous. L'écrivain allemand est un « solitaire ». Il ne connaît
guère ni « règles » ni « modèles », n'imiie point, ne légifère
point. Sa littérature, se rattachant parfois directement aux
traditions du moyen âge, le plus souvent « prenait conscience
d'elle en elle-même, et s'inspirait de soi ».
A ces premiers traits Bach n'est-il pas déjà parfaitement
reconnaissable? Solitaire, il l'était certainement, lui qui n'eut
jamais de maître, se forma seul, guidé par son instinct, choi-
sissant lui-même, parmi les musiciens nationaux, les modèles
capables de féconder son génie, le plus remarquable type
lïaulodidacti qui se soit jamais vu. Le public, il n'en n'avait
cure : ses plus beaux chefs-d'œuvre, il les composa pour
être exécutés une seule fois en présence de quelques amis
et des paroissiens de son église : on en parlait une journée,
ou peut-être on n'en parlait pas du tout : et puis il n'en était
plus jamais question. Ne cherchant pas à plaire au public,
Bach se bornait donc à exprimer ce qu'il sentait, et il le
faisait d'autant plus spontanément et naturellement que lui
non plus n'a point « légiféré » et qu'il semble, en écrivant,
n'avoir obéi qu'à des principes vagues et obscurs que son
génie, bien plutôt que sa volonté, a puissamment illuminés.
Poursuivons. La littérature allemande est éminemment
85
LE MÉNESTREL
« subjective ». Il en est de même de la musique de Bach,
et la 3Iesse en si mineur nous en apporte des preuves éclatantes.
Non seulement Bach n'écrit pas pour le publie, c'est-à-dire
qu'il ne se préoccupe pas de rechercher les formes musicales
propres à le séduire, mais encore il ne cherche pas la source
de l'inspiration dans une idée extérieure, dans un texte
littéraire à commenter et à traduire. En cela, il est tout
l'opposé de Gluck qui, dans la préface d'Alceste, la véritable
profession de foi de tout musicien « objectif », veut que la
véritable fonction de la musique soit d'être «.réduite à secon-
der la poésie». Dans la musique de Bach, les poésies tiennent
fort peu de place : il se contente d'en indiquer le sentiment
général, gai ou triste, calme ou véhément, mais ne cherche
pas au delà. Cela ne l'empêche pas, assurément, de trouver
des chants profondément expressifs et aussi troublants —
davantage, pour certaines natures — que n'importe quelle
musique de théâtre ; mais ces chants sont l'expression de
sentiments intimes, d'ailleurs rarement définis avec préci-
sion, et non la traduction d'idées primitivement étrangères
à son esprit.
A vrai dire, dans la ilesse en si mineur, quelques morceaux
sembleraient venir infirmer cette thèse : par-dessus tout, cet
admirable Expecto resurrectionem mortuorum , évocation si puis-
sante des terreurs du jour du Jugement, puis la fugue du
Gloi'ia : Et in terra pax hominihus, si belle dans son expression
de sérénité et de paix éternelle ; quelques autres mouvements
encore, notamment le début du Sanctus. Mais combien d'autres,
même parmi les plus admirés, ne tirent pas leur origine
première du texte sacré ? N'avons-nous pas vu que le beau
chant de FAgnus Dei était emprunté à une cantate précédemment
écrite par Bach sur des paroles allemandes ? que le Qui tol-
lis, si harmonieusement suppliant, avait figuré aussi dans
une œuvre du même genre? mieux encore, que le Crucifixus,
l'un des plus poignants épisodes du Credo, avait appartenu
non seulement à une cantate sacrée sur texte allemand, mais
encore, en premier lieu, à une cantate profane destinée à
célébrer l'élection du conseil municipal d'une petite ville
saxonne ! Sans doute les paroles de la cantate sacrée ne sont
pas sans rapport avec celles de la messe: « Pleurs, plaintes,
peine, désespoir, angoisse et détresse sont du Christ le pain
trempé de larmes » ; mais ce ne sont pas cependant ces
paroles mêmes ; la traduction musicale n'est plus qu'une
approximative adaptation. Ce n'est pas ainsi qu'en eût agi
Beethoven qui, dans le suave et mystérieux Incarnatus est et
le Crucifixus profondément pathétique de la Messe en ré, serre
le texte d'infiniment plus près; ni Berlioz qui, dans son
Requiem, nous fait une description complète du jour de la
résurrection et du Jugement dernier. Bien entendu je ne cite
pas ces noms pour exprimer une préférence — étant de ceux
qui pensent qu'il est possible d'apprécier également des beau-
tés de genres très différents, pourvu qu'elles soient également
supérieures, — mais pour bien marquer le caractère parti-
culier de l'œuvre de Bach comparé à celui d'œuvres plus
modernes et dont l'esprit nous est plus familier.
Enfin, dernier trait propre à la littérature allemande du
XVI1I<= siècle: elle suivait son développement naturels sans
avoir eu de Renaissance, trait singulier qui la met à part en
Europe ». Or, comme le fait observer l'auteur du livre déjà
cité, <! c'est la tradition de la Renaissance qui est une fausse
route. Remarquez-vous que la littérature française n'est point
une littérature populaire? Si elle ne l'est pas, c'est que nos
littérateurs ont formé comme un monde à part, factice, inin-
telligible à la foule. Dans un pays chrétien, ils ont été les
disciples d'artistes païens ». L'art de Bach, au contraire, se
rattache intimement aux traditions du moyen âce. Notons
bien d'ailleurs que la musique, le plus jeune de tous les
arts, ne subit que beaucoup plus tard une influence analogue
à celle que la Renaissance eut sur les lettres et les autres
arts en Italie et en France : ce n'est qu'au commencement
du XVII« siècle que l'esprit de l'antiquité envahit son domaine.
par la création de l'opéra en Italie; en Allemagne ce mouve-
ment commençait seulement à se faire sentir à l'époque de
Bach, et nous savons que lui-même y fut étranger. Il demeure,
au contraire, fidèle aux anciennes traditions nationales, et
l'on peut dire que son œuvre est l'expression dernière, la
suprême manifestation de la musique comme l'avait conçue
les vieux maîtres du XV« et du XYÏ^ siècle, les Josquin des-
Prés, les Palestrina, les Roland de Lassus. Seulement, de son
temps, l'instrument s'est perfectionné et enrichi ; à la poly-
phonie vocale qui seule était pratiquée dans les temps anté-
rieurs vient se joindre un élément instrumental qui en double
la richesse et la puissance; et, dans cette forme admirable,
que l'on n'a pas surpassée, que, dans son genre, on ne sur-
passera jamais, il élève le monument définitif préparé par les
siècles ; par un sublime et dernier effort, il porte cet art à
son complet et absolu développement.
Et, tout en s'appuyant sur le passé , l'œuvre de Bach
rayonne sur l'avenir, et avec quelle intensité, nous le sa-
vons. Incompris des hommes de son temps, c'est par l'admi-
ration des maîtres ses successeurs qu'il parvient peu à peu
à la gloire. Mozart le découvre; Beethoven, Mendelssohn,. «
Schumann, révèrent en lui le Maître; Wagner n'est satisfait ■
de son œuvre qu'après que, par les Maîtres chanteurs, il a pu *
montrer qu'il était de la même grande famille. Aujourd'hui
l'école avancée l'acclame. Il n'est plus l'homme du dix-
huitième siècle, le modeste cantor de Leipzig; pas davan-
tage l'homme du passé, l'interprète élu des siècles écoulés:
il est de notre temps; il est de tous les temps; il est éter.
nel.
Une autre audition, toute récente, vient de nous le mon-
trer encore sous un jour nouveau. La Société nationale a m
fait entendre dans son concert de samedi dernier, pour la '^
première fois publiquement en France, sa Cantate pour la fête
de Pâques, une de ces innombrables cantates d'église dont on
a déjà publié dix-sept volumes (de dix chacun) et dont on
ne verra jamais la fin. Ces cantates, formées ordinaire-
ment d'un chœur d'introduction développé, d'un ou deux
airs avec récitatif, et d'un choral final, se chantaient les
jours de fête au commencement de l'office de midi, au lieu
et place du motet qui suffisait au cérémonial des dimanches
ordinaires. Celle de Pâques que nous avons entendue n'est
pas dans la forme habituelle : elle commence bien par un
chœur contrepointé et se termine par un choral, mais les
morceaux intermédiaires sont plus nombreux que dans la
généralité des cantates, et, au lieu de renfermer des airs et
des récitatifs, l'œuvre est entièrement chorale (on a fait exé-
cuter un des versets par un ténor seul , mais simplement à
cause des difficultés de l'exécution que le chœur n'eût vrai-
semblablement pas rendue d'une façon satisfaisante.)
Cette cantate est entièrement composée sur le thème d'un
choial luthérien, qui lui-même n'est autre que le chant de
la prose catholique : Victimœ paschali laudes, adapté au nouveau
culte. Bach l'a traité, varié et transformé avec son art inépui-
sable. Dans le premier chœur, le chant, posé par les soprani,
est accompagné par les contrepoints des autres parties, lar-
gement d'abord, puis dans un mouvement rapide où les voix,
chautant AlleluiO; se répondent sur un rythme fortement mar-
qué, avec l'expression d'une allégresse un peu lourde mais
très communicative. Dans les versets suivants, chaque partie
reprend à son tour le thème du choral dans un sentiment
différent et avec des accompagnements variés. D'abord les voix
de femmes, sur un mouvement de marche lente, se renvoient
l'une à l'autre les notes chromatiques du début de la mé-
lopée : puis les ténors entrent à leur tour, plus vivement,
accompagnés par les broderies toujours souples et expres-
sives des violons ; à un moment, le mouvement se ralentit
à l'évocation de l'idée de la mort, puis il reprend plus rapide,
mais toujours grave et sérieux. Dans le quatrième verset,
toutes les voix chantent ensemble, en style fleuri; ensuite les
LE MENESTREL
83
I
'basses s'avancent, redisant l'hymne à l'unisson, lui donnant
une expression de plus en plus sévère ; et toujours revient
l'idée de la mort, avec des sonorités sombres et des accords
douloureusement expressifs ; une dernière fois encore les
soprani et les ténors alternent et unissent leurs voix en des
arabesques aussi pures de forme que d'accent. C'est comme
un cortège dans lequel chaque choeur défilerait à son tour,
■chantant le même cantique, mais sur des tons et dans des
mouvements différents, jjjsqu'à ce qu'enfla, tout le monde
étant entré, toutes les voix s'unissent en un choral grandiose
qui résume le sentiment de l'œuvre entière.
La Cantate de Prfçifes est écrite pour les instruments à cordes
et l'orgue, auxquels se joignent, par une combinaison sin-
gulière, un cornet et trois trombones doublant les quatre
parties vocales dans le premier chœur et le choral. Cela
n'est d'ailleurs pas un fait isolé dans l'œuvre de Bach, et
beaucoup d'autres de ses cantates sont accompagnées ainsi.
M. Gevaert nous explique, dans son Nouveau Traité d'inslru-
mentation, l'origine de ce système. « Un trait de mœurs propre
à l'Allemagne était de faire exécuter, le dimanche et les
jours de fête, par une bande de cornettistes et de trombo-
nistes placés dans la tour de l'église principale, les chorals
de l'église luthérienne. J.-S. Bach transporta cette combinai-
son instrumentale dans ses cantates d'église, tantôt à titre de
simple renforcement du chœur, tantôt en guise de quatuor
obligé indépendant des autres parties orchestrales et vocales. »
Ainsi employés, les instruments, s'ils ont parfois l'inconvé-
nient de couvrir les voix, donnent au choral une puissance
et un agrandissement considérables.
La Société nationale n'a pas à sa disposition des moyens
d'exécution comparables à ceux que la Société des concerts
avait pu mettre en œuvre pour la Messe en si mineur ; ces
éléments sont cependant supérieurs encore à ceux dont Bach
disposait lui-même pour ses plus grandes exécutions musi-
cales. Un chœur de douze voix était tout ce qu'il lui fallait,
et on a de lui un écrit dans lequel il déclare que, s'il tient
à avoir trois voix par partie, c'est afln d'être sûr d'en avoir
au moins deux, au cas où l'un des chanteurs serait malade !
Quant à son orchestre, il se contente de deux ou trois pre-
miers violons, et le reste à l'avenant. Il y avait plus d'exé-
cutants que cela l'autre soir à la Société nationale, où les
chœurs et l'orchestre, sous la direction de M. Vincent d'Indy,
ont interprété dignement l'œuvre.
Bach est une source inépuisable où se retrempera la mu-
sique de tous les temps. Les musiciens de notre jeune école
française le savent mieux que personne ; leurs hommages
réitérés au vieux maître sont une preuve que, tout en regar-
dant de préférence vers l'avenir, ils ne méconnaissent pas
l'œuvre du passé dans ce qu'elle a de grand et de fort.
Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
CONTE D'AVRIL A L'ODÉON
On vient de reprendre à l'OJéon cette jolie fantaisie du jeune
poète Dorcliain, imitation très libre d'une comédie de Shakespeare,
le Soir des Rois, laquelle était elle-même tirée d'une nouvelle de
Bandello. Quand ce petit poème d'amour fut donné pour la pre-
mière fois (en 1883, si notre mémoire est fidèle), ce fut un vrai
régal pour tous les délicats. C'est qu'il est charmant dans sa forme
vague et pour ainsi dire flottante comme un rêve, avec soa frais
parfum de jeunesse, ses tours et ses détours exquis. Il nous réap-
paraît aujourd'hui enveloppé de toute une nouvelle partition du
musicien Widor, ce qui lui donne encore plus de séduction. Il ne
s'agit plus cette fois, comme dans le principe, de quelque musique
de scène vaporeuse écrite pour souligner le dialogue aux moments
les plus tendres, sortes de mélodrames otx le musicien d'ailleurs
avait su déjà se faire remarquer. Nous avons pour le coup toute une
petite symphonie en règle, des ouvertures, des entr'actes, dix-neuf
numéros au total, qui n'ont pas exigé moins que le déplacement de
M. Charles Lamoureux avec tout son orchestre: soixante musiciens,
c'est sur l'affiche.
Passons rapidement en revue l'œuvre de M. "Widor ; elle vaut
certainement qu'on s'y arrête. L'ouverture, le morceau le plus dé-
veloppé de la partition, est aussi celui qui affiche le plus de pré-
tentions ; ce n'est pas néanmoins celui que nous préférons, non
plus que V appassionato qui sert d'entr'acle au troisième tableau.
Ce sont là deux morceaux de la même famille, non dépourvus
d'une certaine puissance, mais qui ne peuvent arriver à se tenir
toujours dans la sphère élevée où on voudrait les tenir. L'orches-
tration n'en est pas assez fondue et elle affecte parfois des tons
crus qui ne satisfont pas pleinement l'oreille. Il fallait peut-être
d'ailleurs ces contrastes violents pour faire mieux ressortir la grâce
et l'originalité de certains autres passages. Voici par exemple une
sérénade illijrienne, toute pimpante, une aubade d'une tendresse et
d'une poésie exquise, une guitare, traitée en pizzieati, dont la pé-
roraison inattendue est vraiment une charmante inspiration; voici
encore une romance pour flûte tout à fait délicieuse, qu'on peut
mettre à côté des plus jolis nocturnes de Chopin, et enfin une
marche nuptiale, qui commence d'une façon un peu grêle, mais dont
les développements superbes viennent couronner dignement cette
petite partition, qui est l'œuvre d'un musicien peu banal, jamais à
court d'idées neuves. Quand on retrouvera toutes ces pièces réunies
en suite d'orchestre dans nos concerts symphoniques, on en appré-
ciera encore davantage l'originalité et la saveur.
La soirée s'est donc passée des plus agréablement jeudi dernier à
rOdéon, et l'interprétation de Conte d'avril peut réclamer aussi sa
part du succès. M"" Alice Lody, qui nous revient de Pétersbourg
après une longue absence, a été ravissante de grâce émue dans le
personnage de Viola. Elle a tenu sous le charme tous ses auditeurs.
M. Marquet est beau cavalier, MM. Duard et Numa ont de la verve,
M"" Dheurs a de la beauté et M"" Marty de la malice. Tout est
donc pour le mieux dans le meilleur des Odéons, et M. Porel vient
de faire une fois de plus œuvre de véritable artiste.
H. MORENO.
Nouveautés. Le Petit Savoyard, pantomime en quatre actes et cinq
tableaux, de MM. Michel Carré et Henri Rémond, musique de
M. André Gédalge. — G.utè. Le Petit Poucet, féerie en quatre actes et
trente-deuK tableaux, de MM. Leterrier, Mortier et Vanloo, musique
nouvelle de MM. L. Vasseur et Ben-Tayoux.
Aux Nouveautés, spectacle très approprié à la saison de giboulées
que nous subissons en ce moment. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il
fasse chaud puis froid, M. Micheau s'en moque absolument n'ayant
point à craindre pour ses pensionnaires les bronchites, rhumes,
enrouements, coryza, influenza, et cœtera qui pourraient les empê-
cher de chanter ou même de parler; car, durant une longue soirée
de près de trois heures, on ne prononce pas un seul mot sur la
scène de ce coquet théâtre oîi l'on était accoutumé d'entendre les
calembredaines de nos vaudevillistes en vog^je ou les couplets de
nos maestrinos d'opérette. Que le public ne soit pas un peu étonné
de cette transformation capitale, et vraisemblablement passagère,
je n'oserais l'affirmer, d'autant que, le soir de la première du Petit
Savoyard, quand M. Tarride est venu annoncer, suivant l'usage an-
tique et solennel, le nom des auteurs, la salle entière, à l'initial
mouvement des lèvres du mime, a poussé un soupir de contente-
ment qui en disait bien long. L'artiste, évidemment étonné de cette
attitude, et déshabitué déjà du langage sonore, a légèrement
bafouillé. Qui sera-ce, grands dieux, si la pantomime se joue
encore quelque temps ?
Le sujet de ces quatre actes gesticules ? Vous le trouverez tout au
long dans la complainte si connue d'Alexandre Guiraud, MM. Carré
et Rémond s'étant contentés de la moderniser en ses détails. Pierrot,
pastoureau dans un coin de forêt de Savoie, est amoureux d'Yvette,
la fille du bûcheron Mathias; mais il ne l'épousera que lorsqu'il
aura amassé quelque argent. Nanti de son seul chalumeau, le
Savoyard part pour la grande ville, où il périrait de froid sous la
neio-c! sans la bonté d'une irrégulière qui le recueille chez elle. Grisé
par le luxe et la gaîté qui l'entoure, Pierrot oublie les montagnes
et sa fiancée. Un rêve d'ivresse le rappelle à la réalité, et il arrive
juste à temps au pays pour épouser Yvette qui allait prendre le
voile. Tout cela est plutôt triste, et l'on pourrait justement repro-
cher aux deux auteurs d'avoir trop négligé tout le côté charme et
esprit. Le même reproche s'adresserait aussi assez justement à
M. Gédalge, le musicien chargé d'occuper les oreilles pendant le
spectacle. Sa partition nous a paru beaucoup trop sérieuse et, critique
plus grave encore, sans bien grande originalité. Symphoniste qui
LE MEINESTREL
connaît son inélier, M. Gédalge semble avoir eu peur de donner
libre cours à son inspiration et, si je cherche à me rappeler les pas-
sages saillants, je ne vois à citer que la scène de la déclaration, au
premier tableau, bien venue et dans la manière de Gounod, la scène
d'ivresse, d'un rythme très franc, et la phrase de violon du dernier
acte pendant la bénédiction paternelle. Les interprètes se sont res-
sentis de cette sorte de sévérité observée par les auteurs; ils ont joué
sans fantaisie. M. Micheau a monté avec infiniment de goùl ce
Pelit Savoi/ard, qui, nous en avons peur, ne marchera pas très loin
sur les traces de l'Enfant Prodigue.
La Gaité a fait cette semaioe une très brillante reprise du Petit
Poucet. Interprétation absolument nouvelle avec MM. Vauthier, Fu-
gère, Simon-Max et M"''' J. Thibault, Gélabert et Maury. A M"'' Bianoa
Duhamel succède nue autre petite jeune personne, M'"' Mignot, tout à
fait charmante, douée d'une jolie voix et faisant montre de beaucoup
d'aisance. Souhaitons-lui le succès à venir que remporte aujourd'hui
sa devancière. La mise en scène est aussi luxueuse qu'aux premiers
jours, avec sa forêt à transformation, son palais des bottes, son pays
des contes et son île des mioches. Voilà, en perspective, de bonnes
soirées à passer pour les enfants sages, soirées auxquelles les parents
ne seront pas sans prendre quelque intérêt.
Paul-Émile Chevalier.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite.)
YIII
Entre la retraite de M""^* Joly et celle de M"" Duret se place la
mort de leur père. L'excellent Saint-Aubin, qui avait fini par se
faire à l'Opéra-Gomique une situation non seulement honorable,
mais importante, dans un emploi secondaire si l'on veut, mais qu'il
remplissait avec une véritable originalité, se sentait fatigué après
une carrière de près de quarante années, dont vingt-quatre passées
à ce théâtre. Peut-être l'injustice faite à sa fille Alexandrine hâta-
t-elle le désir qu'il pouvait avoir de se retirer et pressa-t-elle sa
détermination; peut-être aussi n'y eùt-il là qu'un effet du hasard et
une simple coïncidence de faits : toujours est-il qu'il prit sa retraite,
comme elle, en 1817, regretté du public, qui l'avait pris en sincère
affection, et regretté plus encore de ses camarades, qui savaient
qu'en lui les plus hautes qualités morales s'alliaient à de rares
facultés artistiques.
Comme tout sociétaire ayant au moins accompli vingt années de ser-
vices, il avait droit à une représentation de retraite à son bénéfice. Cette
représentation eut lieu à l'Opéra-Comique, le 7 novembre 1818, avec
tout l'éclat qu'on lui pouvait souhaiter; c'est-à-dire que les artistes
des trois grands théâtres subventionnés se réunirent pour en faire
une véritable solennilé, digue couronnement d'une carrière bien
remplie. Tandis que l'Opéra-Comique lui-même participait à la fête
avec une Heure de mariage, les acteurs de la Comédie-Française se
montraient dans Hector, tragédie de Luce de Lancival, et les dan-
seurs de l'Opéra venaient terminer le spectacle avec l'un des ballets
dont les spectateurs se montraient le plus friands, le Carnaval de
Venise. Mais ce n'est pas tout, el l'on peut supposer que l'attrait le
plus puissant peut-être de la soirée était la réapparition inattendue et
tout exceptionnelle de M'"'= Saint-Aubin, qui, volontairement éloignée
de la scène depuis près de dix années, venait une dernière fois, dans
une Heure de mariage, se montrer à un public qu'elle avait tant charmé
naguère et qui ne l'avait point oubliée. Il est juste de constater que
le résultat ne fut pas au-dessous de l'effort, car la recette s'éleva
au chiffre respectable — el rare — de 21,000 francs, le prix des
places ayant, il est à peine besoin de le dire, été notablement
augmenté pour la circonstance.
Mais le brave Saint-Aubin ne devait ni profiter de cette heureuse
chance, ni jouir longtemps d'un repos que pourtant il avait si bien
mérité. La mort venait le frapper trois semaines après cette dernière
joie artistique, le 1" décembre 1818, et précisément le jour du trente-
cinquième anniversaire de son mariage, célébré à Lyon le 1" dé-
cembre 1782. Agé de soixante-trois ans, il laissait deriière lui la
réputation d'un parfait nonnêle homme, d'un confrère dévoué et
d'un excellent chef de famille, en même temps que celle d'un artiste
vraiment distingué dans les deux genres qu'il avait cultivés : le
théâtre et la gravure. « Il y a peu d'années, disait un chroniqueur
eu annonçant sa mort, il j a peu d'années que dans ses loisirs, il
maniait encore le burin... C'est avec M. Auguste Delvaux, fils de
M. Delvaux, son ancien camarade chez Lemire. que M. Saint-Aubin,
a gravé les portraits de M°"'^ Duret et Joly, ses filles, que l'on voit
aux numéros 7 et 8 de VAnnuaire. L'âme de M. Saint-Aubin était
cependant de beaucoup supérieure à ses talens. Ses parens et ses
amis ne cesseront pas de le pleurer (1). » Ces lignes, on le voit, ren-
dent hommage au caractère de l'homme autant qu'au talent de l'ar-
tiste.
La mort de Saint-Aubin et la retraite prématurée de M""« Joly lais-
saient M™" Duret seul et dernier représentant d'une famille qui avait
tenu une si large place dans les annales de l'Opéra-Comique. Lors-
qu'à son tour M°'= Duret eut pris sa retraite en 1810, il ne resta plus
à ce théâtre que le souvenir de cette famille si féconde en excellents
artistes et qui, dans un espace de cinquante-cinq an?, ne lui avait
par fourni moins de huit sujets plus ou moins distingués : i" M"* Fré-
déric (Schrœder) aînée, plus tard M"" Moulinghen ; 2° M"= Frédéric
cadette; 3° M"= Lambert (Frédéric Schrœder 3") ; 4" le danseur Fré-
déric ; 5° M"'= Saint-Aubin; 6° Saint-Aubin (d'Herbez) ; 7° Cécile
Saint-Aubin, plus tard M"" Duret; 8° Alexandrine Saint- Aubin, plus
lard M°"= Joly. Et je ne parle pas de Moulinghen, mari de M"'= Frédéric
aînée, qui ne parut jamais sur la scène, mais qui durant près d'un
demi-siècle fit partie de l'orchestre de la Comédie-Italienne el de
l'Opéra-Comique. On peut croire sans peine que le souvenir de cette
longue dynastie ne s'effaça pas en un jour de la mémoire de tous.
Aussi, pour ne parler que de M"'= Saint-Aubin, peut-on dire que
la gloire de cette incomparable artiste n'est pas éteinte, en dépit
du caractère fugitif qui distingue l'action du comédien sur le pu-
blic, son talent ne laissant aucune trace matérielle et n'ayant en
sa faveur d'autre témoignage que l'écho de l'admiration des contem-
porains. Mais, en ce qui la concerne, ce témoignage était demeuré
si vif que lorsqu'elle mourut, quarante-deux ans après sa disparition
de la scène, il semblait que son nom fût encore dans toutes les :
bouches, et toute la presse recommença de chanter ses louanges, i
comme on faisait au plus fort de ses succès.
C'est le 11 septembre 18.o0 que M"'= Saint-Aubin disparut de ce
monde, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Elle avait survécu trente-
deux ans à son mari et soixante-dix ans à sa sœur aînée, M""" Mou-
linghen, ce qui est réellement un fait exceptionnel. Bien que d'or-
dinaire elle habitât Nogent, c'est à Paris qu'elle mourut, dans une
maison de santé alors annexée aux bains de Tivoli, et ou sans
doute elle s'était fait transporter. Ses funérailles eurent lieu le 14,.
et voici comment un journal alors fort répandu, le Moniteur du Soir^
en rendait compte le jour même :
Aujourd'hui ont eu lieu, dans l'église de Saint-Louis d'Antin, les ob-
sèques de la célèbre M"" Saint-Aubin, décédée à l'âge de 87 ans (2), dans
la maison de santé de Tivoli. En voyant passer le très modeste corbillard
qui emportait au Père-Lachaise le cercueil de cette femme qui fit pen-
dant 30 ans les délices de la capitale, qui se serait douté que c'était là
une des célébrités les plus brillantes de la République, du Consulat et
des grands jours de l'Empire?
M"'" Saint-Aubin, qui régnait sur le théâtre Favart en souveraine pen-
dant les terribles luttes de 91 et 93, reçut les hommages des plus illustres
Girondins, de Marat, de Robespierre, de Gollot d'Herhois. Malgré la su-
périorité de son talent, elle trouva grâce devant les dictateurs du Comité-
de salut public. Elle eut même le courage, très grand alors, d'employer
sa célébrité à sauver de la misère, de la prison et de l'échafaud une
foule de victimes destinées au triangle de la fraternité républicaine. Marat
lui disait souvent : Citoyenne, tu n'as donc jxis peur d'être si bonne ? — Je n'ai
qu'une peur, répondait-elle hardiment, c'est de manquer de faire une bonne
action quand je puis la faire. Je suis femme et Française ! (3).
Elle était adorée de la foule. On n'a pas d'idée aujourd'hui de cette, po-
pularité des grands talents qui prenaient leur renommée au sérieux et qui
voyaient autre chose que la fortune dans les faveurs du public : les grands -
noms étaient estimés parce qu'ils s'estimaient.
(1) Annuaire dramatique ou Elreiines théâtrales, pour t819. C'est, en eûet, dans
l'année 1811, la septième de ce petit recueil, que parut le gentil portrait
d' Alexandrine Saint-Aubin, et dans le volume suivant que fut publié celui de sa
sœur. Je remarque, en feuilletant ces deux volumes, que Saint-Aubin et sa femme,
leurs deux filles ainsi que Duret , mari de Cécile, demeuraient tous alors dans la-
même maison, rue Feydeau, 30. Cela semble indiquer une union rare dans toute la
famille. Cette union ne dura pas toujours en ce qui concerne le jeune ménage, car-
en parcourant le volume de 1819 je vois que Duret demeure rue Vivienne, 18, tan-
dis que sa femme habite 2, rue Neuve-Saint-Marc.
(2) 11 y a là, une légère erreur. C'est bien 85 ans, ainsi que je l'ai dit. M'"" Saint-
Aubin étant née le 29 décembre 1764.
(3) Ce fait a été raconté plus d'une fois. Je ne l'ai pas reproduit parce que je
n'en ai pu établir l'absolue exactitude; mais je dois dire qu'il est en quelque sorte
légendaire. Toutefois, j'ai peine à cruire, tout au moins, que la toute simple et
tout aimable M'°" Saint-Aubin ait employé, en parlant à 1' «ami du peuple» un
langage aussi prétentieux et aussi cmp'.-atique.
LE MENESTREL
83
M"» Saint-Aubin se retira de la gloire à l'âge de i2 ans. Elle disait : il
faut quitter le monde avant qu'il ne vous quitte. Sa réputation de femme
d'esprit et de cœur la suivit dans sa retraite. L'impératrice Joséphine la
nomma pour être une de ses lectrices. Elle lisait comme un ange : on
venait la chercher en tout temps, comme un oracle de goût et d'inspira-
tion. Sa iille lui succéda dans sa renommée. Ce fut elle qui obtint ce
succès fabuleux dans le rôle de Cendrillon.
Dire le bien que M"": Saint-Aubin a fait pendant les longues périodes
de cette vie si pleine, serait impossible. Elle était tout âme et tout cœur.
Elle laisse une postérité nombreuse. On dit qu'elle a soixante enfants.
M""= j'ianard est une de ses filles et M""" R. de Leuven une de ses petites-
filles.
Quelques rares amis ont suivi son modeste convoi. Cette gracieuse cé-
lébrité, qui fit autant de bruit que M'": Mars, qni vit des monarques à
ses pieds, s'en est allée au cimetière sans pompe, sans bruit, et presque
sans suite. Voilà ce que c'est que la gloire au théâtre 1 L'excellente femme
n'a gardé derrière son cercueil que quelques fidélités intimes. Les artistes
de la capitale ont presque tous manqué au cortège de M™" Saint- Aubin;
ils brillaient par leur absence, excepté MlW.Ponchard, Sainte-Foy, Carafa,
Doche et Milhé, qui se sont bien gardés d'imiter l'ingrat oubli de tant
d'autres. Ils étaient là, en habit de deuil. La littérature était représentée
par deux amis de la noble défunte : M. Arsène Houssaye représentait le
Théâtre-Français et M. Belmontet la littérature dramatique (!). Quelques
dames sont venues à l'église jeter de l'eau bénite sur ces restes d'une
grande renommée et d'un grand cœur.
Le corps a été déposé non loin des Duchesnois, des Mars, des Talma.
Tant d'émotions, tant de triomphes, tant de couronnes, tant d'applaudis-
sements de toute une génération pour un De ■profuitdis en faux-bourdon
et pour un coin de terre!... Faites du bruit après cela! (1).
Le cortège qui suivait le eonvoi de M""= Saint-Aubin n'était ce-
pendant pas tout ù fait aussi pauvre que ces lignes tendraient à le
faire croire. Le Moniteur universel aoas l'apprend, en rendint compte
de son côté de la cérémonie : « L=. deuil, dit ce journal, était conduit
par M. Houdaille, gendre de M"'= Saint-Aubin, il. Planard fils, son
petit-fils, et M. de Leuven, son petit-gendre. Parmi les assistants, on
remarquait MM. Carafa et Ambroise Thomas, compositeurs ;
MM. Mocker, Sainte-Foy, Hermann-Léon, Jourdan, Davernoy et M°"'=
Révilly, Lemercier, Miolan, artistes de l'Opéra-Comique, et M. Pon-
cbard père, artiste retiré du même théâtre.... » EL d'autre part, Adol-
phe Adam, consacrant, dans son feuilleton de l'Assemblée nationale,
quelques lignes d'ailleurs sans intérêt à la mémoire de M""^ Saint-
Aubin, fait cette remarque, qui explique et fait comprendre nombre
d'abstentions involontaires: — « La lettre de faire-part qui annonçait
la mort de M"'» Saint-Aubin n'indiquait pas où ses obsèques devaient
avoir lieu. Beaucoup de ses anciens amis se seraient empressés de
s'y rendre, car tous appréciaient l'esprit, la vivacité et la mémoire
prodigieuse que M"'= Saint-Aubin avait conservés dans l'âge le plus
avancé. »
Par tout ceci, on voit qu'il n'y a pas lieu sans doute de prononcer,
à propos des funérailles de M°'= Saint-Aubin, les grands mots d'in-
gratitude et d'oubli. Alliée d'ailleurs, comme elle l'était, à diverses
familles appartenant à la scène militante et tiès répandues alors,,
aux de Planard, aux de Leuven, il est à supposer que ce qu'on
n'eût pas fait pour elle, malgré sa gloire et son grand nom, on l'eût
fait du moins pour les siens, et que les égards dus à ceux qui res-
taient eussent pris au moins la forme d'un hommage rendu à celle
qui partait. On sait, d'autre part, que chez nous les artistes sont
loin d'être oublieux de leurs grandes renommées, et qu'ils tien-
nent justement à honneur de leur rendre les devoirs qu'elles méri-
tent. De ces réflexions on peut donc conclure que l'explication don-
née par Adam est très légitime et fort naturelle.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La dernière séance de la Société des concerts du Conservatoire s'ouvrait
par la Symphonie pastorale de Beethoven, qui, exécutée avec la perfection
habituelle de ce magnifique orchestre, a obtenu son succès ordinaire.
Nous avons entendu ensuite la musique écrite récemment par M.Gabriel
Fauré pour la reprise à l'Odéon du drame d'Alexandre Dumas, Caligula.
Cette musique, qui comprend divers mélodrames, plusieurs chœurs et un
air de danse, avait été conçue d'abord, en vue de l'Odéon, pour un orches-
tre réduit; l'auteur la réorchestra ensuite entièrement pour la faire en-
tendre à la Société nationale de musique, après quoi on l'exécuta aux
concerts du Ghâtelet. Voici qu'aujourd'hui nous pouvons la juger au Con-
servatoire, où, je dois le dire tout d'abord, elle ne me parait pas à sa
place. Non qu'elle soit sans mérite, et ce n'est point là ce que je veux
(1) Moniteur du i
du 14 septembre lfi50.
faire entendre : on connaît le talent fin, délicat, un peu précieux, de
M. Fauré, qui ne livre rien au hasard et qui ne laisse sortir de sa plume
que des œuvres sérieusement travaillées et achevées au point de vue de la
forme. Mais précisément ce talent se montrait, dans la circonstance, un
peu fin, un peu délicat, un peu trop précieux pour le milieu où il se pro-
duisait. La musique pour Caligula, très aimable d'inspiration, très serrée
de forme et de travail, manque évidemment d'ampleur, de puissance et
d'éclat, et ne saurait, par ce qu'on pourrait appeler son intimité, brdler
au milieu des œuvres mâles et sévères qui forment le répertgire ordinaire
de la Société des concerts. Il est certain que le chœur des Heures du Jour
et aes Heures de la Nuit est plein de grâce et de délicatesse, que celui « des
roses vermeilles » est d'une inspiration aimable et parfum.ée, que l'air de
danse est d'un rythme très piquant pour n'être pas absolument nouveau.
Mais tout cela, je le répète, ne m'a pas paru à sa place, et le public n'a
pas fait à cette musique l'accueil qu'elle eût mérité, se produisant dans
d'autres conditions. Le succès, on pourrait dire le triomphe de la séance,
a été pour un jeune violoniste, membre de la Société, M. Hayol, qui est
venu exécuter, avec une rare élégance et une véritable maestria, le con-
certo très inégal et très brillant de Max Bruch, dont le principal défaut
est d'être trop souvent écrit d'une façon gauche pour l'instrument.
M. Hayot, l'un des meilleurs élèves de la classe de M. Massart, a ob-
tenu un brillant premier prix il y a quelques années, en IS83. C'est un
artiste doué, et en même temps un travailleur acharné, musicien ins-
truit, pianiste habile et, dit-on, improvisateur remarquable. Depuis long-
temps ses collègues de la Société m'en avaient parlé avec le plus grand
avantage et sans le moindre accent de jalousie, reconnaissant en lui une
incontestable supériorité, et affirmant que son apparition serait une ré-
vélation. Je ne saurais dire encore ce qu'il en sera d'une façon absolue
car ce n'est pas sur une seule audition que l'on peut juger de toute la
valeur d'un virtuose, mais il est certain que celui-ci n'est pas un artiste
ordinaire. Justesse irréprochable, doigts solides, belle sonorité, archet
très obéissant et bien à la corde, jeu posé et sans charlatanisme, avec
cela style très pur et goût exquis dans le phrasé, voilà l'ensemble de
qualités, certes peu communes, qui lui ont valu de la part du public un
accueil presque enthousiaste et un double rappel bien mérité. M. Hayot
fera certainement parler de lui, mais j'avoue que je voudrais l'entendre
dans autre chose que le concerto de Max Bruch, celui de M. Lalo, par
exemple, qui est autrement écrit pour l'instrument. — Le concert se ter-
minait par le Clianleur des bois, chœur sans accompagnement de Mendels-
sohn, et l'étrange et étincelante ouverture du Carnaval romain, de Berlioz
Arthur Pougin.
— Concerts du Chàtelet. — Aupaijs bleu, suite symphonique pour orches-
tre et VOIX, par M""' Augusta Holmes, a obtenu un de ces triomphes écla-
tants qui modifient la physionomie d'une salle de concert. Le premier
morceau, Oraison d'aurore, est d'un coloris éblouissant. La phrase musicale
se développe lentement et retarde sa conclusion pour ajouter aux lignes
du tableau plus d'ampleur, plus d'étendue. Le deuxième morceau. En mer,
a été bissé d'enthousiasme, malgré ses dimensions assez considérables.
Son originalité consiste dans l'adjonction à l'orchestre de voix perdues
dans la coulisse, qui battent le rythme sans articuler de paroles. Ce pro-
cédé, déjà mis en œuvre par Berlioz, produit ici une impression de fraî-
cheur délicieuse en se mêlant à un dialogue d'orchestre d'une sonorité
charmante. Le troisième morceau, Une fête à Sorrente, est construit sur un
rythme de tarentelL' qui n'a pas permis à l'idée musicale de s'élever au
même niveau. En somme, œuvre hautement poétique, pleine de caractère,
d'une coloration intense, d'ailleurs très simple de facture et pas bruyante
du tout. — Excellent accueil pour les fragments d'£toa, de M. Ch. Lefebvre.
M. Rondeau a chanté au pied levé la partie du récitant et a su mettre en
relief plusieurs passages particulièrement réussis. On peut dire qu'il s'est
acquitté avec distinction et non sans talent d'une tâche difficile. — Nous
ne pouvons voir dans le Chasseur maudit, de César Franck, que l'erreur,
cruelle pour nous, d'un grand artiste projeté violemment sur une fausse
piste et qui n'a pas toujours eu, vis-à-vis de ses œuvres, le coup d'œil juste
et froid qui condamne à jamais les pages mal venues. — M. Otto Hegner
a joué avec une grande assurance le concerto en mi, de Chopin. Ce jeune
pianiste, né à Bàle le 18 novembre 1876, y a reçu, dès l'âge de sept ans,
des leçons de M. Hans Huber. Il s'est fait entendre à Bàle en I88b,
en Angleterre en 1887-68, en Amérique en 1889-90, et vient de Berlin
et de Leipzig, où il a été très remarqué. L'aisance et la facilité du mé-
canisme sont chez lui chose extraordinaire. Son jeu a la correction, la
netteté, peu d'imprévu, peu d'expression. Il a le sentiment des nuances
et sait les graduer, mais ne communique pas au clavier la vibration in-
tense qui permet de dire que l'instrument se modifie et se transforme
selon les impressions que ressent l'exécutant. L'accentuation du dessin
mélodique est très accusée, ce qui compense en partie le manque de vo-
lume et d'ampleur du son. Ce virtuose de quatorze ans a écrit quelques
compositions intéressantes. — On a entendu au même concert l'ouverture
des Francs-luges, la Symphonie italienne,, un fragment de Siegfried et le finale
des Erinnyes, de M. Massenet. Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en mi bémol de Schumann est
une œuvre splendide, empreinte, par moments, d'un sentiment religieux
très intense, et sur laquelle on s'est hâté de bâtir une légende. L'œuvre
est superbe, et l'exécution n'a pas été à la hauteur de la conception du
maître. — Après ce morceau nous avons été, plus que jamais, en proie à
86
LE MENESTREL
la musique descriptive. Je ne sais où l'on s'arrêtera dans cette voie ; lors-
qu'une réaction salutaire sera survenue, on rira bien des programmes
actuels. Si la musique est apte à peindre tant de choses, à quoi bon cette
prose explicative? Il fut un temps où l'on accordait à la musique le don
d'exprimer des idées générales très simples : la joie, la douleur, la con-
templation calme de la nature ; on se permettait de peindre une chasse,
une tempête ; il y avait pour cela des formules convenues, mais on n'allait
pas plus loin. On se contentait de vocables modestes indiquant le sens de
l'œuvre ; aujourd'hui on a la prétention de créer une langue nouvelle, qui
exprime tout d'une façon absolue; ne mettez pas en doute qu'à un moment
donné il viendra un musicien qui décrira avec exactitude la lymphe de
Koch et les inoculations de Brown-Séquard. Autrefois, c'était bien plus
commode, un morceau avait cette simple épigraphe, Con dolore ; combien
l'imagination était à l'aise ! On pouvait supposer un chagrin d'amour ou
une douleur d'estomac. Maintenant les programmes précisent, témoin
celui de M. Chevillard, un musicien qui avait donné beaucoup à espérer.
Voilà qu'il donne aux fables de La Fontaine de terribles commentaires :
tout d'abord un paysage ; puis le basse tuba, caractérisant le chêne, fait
un discours ; le cor anglais, caractérisant le roseau, en fait un autre ; puis
la tempête obligée, qui n'a rien de commun avec celle de la Symphonie
pastorale ; vient enfin la mort du chêne, qui doit arracher des larmes aux
plus endurcis, tandis que le roseau triomphe discrètement. Que d'efforts
pour si peu de chose, et comme la fable de La Fontaine est préférable dans
sa courte et éloquente expression ! — M. V. d'Indy, lui aussi, peint beau-
coup de choses: mais combien il nous est difficile, après avoir lu le Wal-
lenstein de Schiller, de reconnaître le tumulte d'un camp dans la première
partie de l'œuvre de M. d'Indy; ce papillotage musical est absolument
dépourvu de grandeur, et nous ne nous sentons pas la force d'admirer le
passage où deux moines déguises en bassons (c'est le programme qui le'
dit), sous prétexte de sermons burlesques, se livrent à d'inconvenantes
plaisanteries musicales. Il nous semble que le dédaigné Meyerbeer avait
mieux exprimé, dans l'Étoile du Nord et dans le Prophète, des situations
analogues. — Après la Danse macabre, de Saint-Saëns, toujours applaudie,
la marche nuptiale de Lohengrin et le prélude de Parsifal, empreint d'un
beau caractère religieux, M. Lamoureux nous a donné une' œuvre de
M. Sievaking, jeune compositeur hollandais. La première partie, Prélude,
est tout à fait remarquable : facture excellente, beau sentiment dramati-
que, orchestration irréprochable : voilà de la belle et bonne musique. La
seconde partie, Marche triomphale, nous a moins plu, non que l'œuvre soit
inférieure comme travail, mais parce que la pensée maîtresse nous a paru
moins distinguée, moins noble d'e.xpression. Somme toute, l'œuvre de
M. Sieveking, si elle est un début, est un début qui promet et auquel
nous ne marchandons pas nos éloges. H. Baubedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; Symphonie pastorale (Beellioven); Caligula (G. Fauré); concerto
pour violon (Max Bruch), par M. Hayot; le Chanteur des bois (Mendeissohn)-
ouverture du Carnaval romain (Berlioz).
Chàtelet, concert Colonne : symphonie en vl mineur n" 5 (Beethoven) ; Eloa
(Ch. Lefebvre), le récitant: M. Rondeau; air de Lucifer (Hœndelj, chanté par
M. .^.uguez; concerto en sol mineur (Mendeissohn) , exécuté par M"° Louise
Steiger; Au pays bleu (A. Holmes); le Chant du lieitre (Grandval), chanté par
M. Auguez; ballet d'Ascanio (C. Saint-Saéns).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture de Coriolan (Bee-
thoven); le Chêne et le Hoseau (C. Chevillard i ; Phaéton (Saint-Saëns); deuxième
scène du deuxième acte de Lohengrin (R. Wagner) : M"'" BrunetLafleur (Eisa)
M"" Maierna (Orlrude) ; prélude de Parsifal \R. Wagner/; scène finale du Crépus-
cule des Dieux (Wagner) : Brunehilde, M"" Materna; Uarclie hongroise (BeTlioz).
— Une nouvelle tentative de vulgarisation de l'œuvre de César Franck
vient de réussir brillamment. Un concert entièrement consacré à son œuvre
a été donné jeudi, dans la grande salle des Sociétés savantes, par le Cercle
Saint-Simon: il a attiré un public qui a manifesté un véritable enthou-
siasme. Après quelques paroles prononcées par MM. Gabriel Monod et Julien
Tiersot, M. Chevillard et le quatuor de la Société nationale ont exécuté le
Quintette en fa mineur; puis on a chanté des fragments de Ruth, un air àe Ré-
demption, et des mélodies, tout cela interprété par M^^Montégu-Montibert
i^ucs pregi et Thérèse Roger; enfin, MM. Vincent d'Indy et Chevillard ont
exécuté une transcription pour harmonium et piano d'une admirable pièce
d'orgue. A signaler notamment le succès obtenu par le Panis Angelicus, qui
a trouvé en M"= Th. Roger une interprète de grand style et d'un art tout
à fait supérieur.
— M"": Sophie Monter vient de donner deux récitals de piano chez
Erard. Si au premier de ces concerts elle a semblé fatiguée ou souffrante
elle a pris une éclatante revanche au second. M""= Monter est une virtuose
de race, pour qui tout ce qu'on est convenu d'appeler les difficultés du
mécanisme est jeu d'enfant; elle joint à cette impeccable technique une
superbe sonorité, aussi moelleuse dans la vigueur qu'exquise dans la
douceur, et un stylo dégagé de toute espèce d'exagération ou d'aiféterie.
Dire qu'une artiste aussi accomplie a su faire valoir les œuvres de Beetho-
ven (sonate op. 109), de Liszt et de Rubinstein qui étaient inscrites à son
programme, est au moins inutile. Cependant on ne saurait ne pas louer
spécialement son interprétation étourdissante de l'ouverture de Tannhauser
arrangée par Liszt, et l'exécution si remarquable d'imprévu, de verve et
de fantaisie de la treizième Rapsodie du même auteur. Il faut citer aussi
mais cette fois sans enthousiasme aucun, un arrangement à l'allemande
des Variations symphoniques, avec coupures ad «stmi des pianistes plus ou
moins médiocres de l'école de M""' Clara Schumann, arrangement ou plu-
tôt dérangement indigne d'une Monter. Pour terminer, une remarque :
M"= Monter a cru devoir placer sur ses programmes deux incolores élu-
cubralions d'un de ses élèves, lorsqu'elle en exclut les noms de Saint-
Saëns, Alkan, "Widor. Fauré, j'en oublie et des bons. Il me semble
que le répertoire de piano de ces maîtres a assez de valeur pour que l'on
daigne y puiser... I. Ph.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre' correspondant de Belgique (12 mars) : — A la puissance
des ténèbres wagnériennes a succédé la clarté mélodique du doux Mozart.
Siegfried, contrarié par de successives interruptions, s'arrête en chemin,
ne parvenant pas à doubler le mince cap delà dixième ; et voilà que Don
Juan, plus allègrement, vient d'entreprendre un voyage qui parait devoir
être moins accidenté, — à moins que la grippe aussi ne vienne l'assaillir.
Don Juan n'avait plus été joué à Bruxelles depuis vingt ans. C'est surtout
à la présence de M. Bouvet que nous devons la reprise actuelle, qui, je
me hâte de le dire, a complètement réussi. M. Bouvet caressait depuis
longtemps l'idée de paraître dans ce rôle si séduisant; et il avait raison,
car il y a obtenu un plein succès ; il n'a eu qu'à suivre la tradition de
Faure, avec qui son talent a de nombreux points de ressemblance, pour
y être excellent ; il a eu la légèreté, la grâce et l'aisance voulues, dans
toutes les parties du rôle où se dessine la galanterie tout à la fois ai-
mable et perfide du héros; et, quand la comédie devient drame, dans
l'admirable scène finale qui couronne' l'œuvre, il a eu des accents tra-
giques très émouvants. Le reste de l'interprétation est, en général, non
seulement satisfaisant, mais même remarquable. Et, sous ce rapport,
nous constatons avec plaisir les soins apportés à cette intéressante
reprise ; si la direction avait été aussi soucieuse d'art dans toutes les
autres reprises qu'elle a faites cette année, elle se serait épargné plus
d'un mécompte. Les trois rôles de femme, dans Don Juan, sont remplis
par M"= Carrère, M""^"^ Dufrane et de Nuovina. M"" Carrère est une donna
Elvire d'autant plus digne de louanges que le rôle n'est guère favorable
dans sa continuelle pleurnicherie et qu'il est fort difficile à chanter; elle
y a été dramatique et émouvante, avec une grâce simple et une sincérité
d'expression pleine de charme ; on a constaté une fois de plus les progrès
considérables faits par cette jeune cantatrice, devenue aujourd'hui une
artiste de style et d'autorité et dont la voix, extraordinairement étendue,
pouvait seule venir à bout, avec tant de souplesse, d'une tâche si diffé-
rente de celle à laquelle l'astreint d'habitude son emploi. M'""= Dufrane
est, depuis longtemps, en possession de cette autorité ; il est regrettable
que la voix ait perdu quelque peu de son timbre; mais son grand style
compense largement cette perte; elle a dit d'une façon remarquable le
rôle de donna Anna, qu'elle avait déjà joué à Paris, et son succès, à elle
aussi, a été très vif. Quant à M™ de Nuovina, c'est une Zerline assuré-
ment très gracieuse et très souriante, et elle a détaillé le duo du deuxième
acte avec des intentions de finesse vraiment délicates; mais il y a dans
cette grâce et dans ces délicatesses bien de l'affectation et bien de la
mièvrerie.
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature,
dirait Molière. — Leporello, c'est M. Sentein, qui est excellent de toutes
manières, avec un peu de lourdeur, qui ne gâte pas grand'chose.
M. Vérin fait un très bon Commandeur, plastiquement, et M. Challet un
Mazetto très satisfaisant. Les chœurs et l'orchestre se sont bien comportés;
et l'ensemble de cette reprise est, en somme, tout à fait méritant.
En ce qui concerne les concerts, voici le bilan de ces derniers jours :
quatrième concert du Conservatoire consacré aux septième et huitième
symphonies de Beethoven avec, comme intermède, des lieder très bien
chantés par M'"^ Cornelis-Servais; — deuxième concert populaire consacré
à la musique russe, avec M. Paderewsky, naturellement acclamé; — ma-
tinée musicale aux XX. également pour la musique russe; — et enfin,
concert du Cercle des Arts et de la Presse, en l'honneur de M"" Roger-
Miclos, qui n'avait pas encore joué à Bruxelles, et où l'on a entendu
toute une série de très jolies mélodies de M. Fernand Le Borne, chantées
par M"= Rachel Neyt, de la Monnaie, — le tout très applaudi. Il y en a
eu encore bien d'autres ; mais je ne crois pas qu'ils vaillent la peine
d'être signalés. L. S.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin: Le ténor d'opérette Philipp,
vient d'être engagé en représentations à l'Opéra royal. II abordera pour
la première fois le grand répertoire dans la Croix d'or. Mignon et Carmen;
si l'épreuve est satisfaisante, il restera à titre définitif à l'Opéra. —
Hambourg: Santa Chiara, l'opéra du duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha,
vient de remporter un grand succès au théâtre municipal. Le public a
rappelé trois lois l'auteur, qui, dans sa joie, a fait pleuvoir une nuée de
décorations sur tout le personnel: directeur, chef d'orchestre et artistes
des deux sexes. Voilà une manière de témoigner sa satisfaction qui n'est
pas à la portée de tous les compositeurs ! — Mannhedi : En l'honneur de la
fête de l'empereur Guillaume, le théâtre de la Cour a donné pour la
première fois Roméo et Juliette de M. Gounod, sous la direction du kapell-
LE MENESTREL
87
meister Langer. L'œuvre du maître français a été couverte d'applaudisse-
ments. Le choix de cet opéra, dans une semblable occasion, ne peut s'ex-
pliquer que par le désir du directeur de flatter la politique gallophile (elle
l'était alors) du souverain. — Stuttgart : Au théâtre de la Cour le public a
fait un excellent accueil à un nouvel opéra-comique en un acte, Kalixula,
dont la partition, particulièrement réussie, est l'œuvre de M. A. Doppler,
fils du chef d'orchestre du théâtre. — Vienne ; Le théâtre de la Cour a
donné dernièrement la première représentation d'un opéra-comique en
trois actes, les Fugitifs, livret de M. Buchbindcr, musique de M. Raoul Mader,
qui est diversement apprécié par la presse locale. En général, le carac-
tère un peu carnavalesque de la pièce paraît avoir causé quelque stupé-
faction au public habituel du théâtre de la Cour. La musique est agréable
à entendre ; on y rencontre, dit la Musikalische Rundschau, de sréminiscenoes
d'Auber, d'Halévy, de Delibes, Lortzing, Millôcker, Strauss et Suppé.
Somme toute, l'auteur pouvait plus mal choisir ses modèles. — M™ Judic
vient de donner au Cari Theatcr une série de représentations de la Roussotte,
qui ont été pour la diva une série de triomphes. — Weimar : Le théâtre de
la Cour célébrera le 7 mai le centenaire de sa fondation; on reconstituera
pour la circonstance le spectacle d'inauguration, qu'on fera suivre d'une
série de représentations de gaAa. sous la direction du kapellmeisler Lassen.
— La ville de Salzbourg est tout aux préparatifs des fêtes en l'honneur
de Mozart. En même temps que le centenaire de la mort du compositeur,
on célébrera celui de ses œuvres de la dernière année : la Clémence de Titus,
la Flûte enchantée et le Requiem, toutes produites en 1791. On donnera à la
manifestation le caractère le plus élevé et le plus solennel; toutes les cor-
porations y prendront part. Les fêtes seront placées sous le patronage
direct de l'État, de la municipalité, du gouvernement régional et du
Mozarteum. C'est cette dernière institution qui est chargée des soins de
l'organisation générale.
— Le correspondant de Munich de la Gazette de Francfort fait en ces
termes, à ce journal, le récit d'un incident assez curieux dont M. Gha-
brier et sa musique ont été la cause : — « L'Académie musicale de Munich,
dit l'écrivain, avait inscrit sur le programme du concert qu'elle devait
donner EspaJia, du compositeur français Emmanuel Ghabrier. A cette
occasion, un incident tumultueux s'est produit. Des amis de la musique
classique ont pensé que cette composition était déplacée dans la noble
salle de l'Odéon et ont manifesté leur sentiment en sifflant vigoureu sè-
ment ce morceau. Les sifflets ont provoqué un tonnerre d'applaudisse-
ments du côté des amis du compositeur français, et les applaudissements
ont déterminé le chef d'orchestre à faire jouer le morceau une seconde
fois. A la répétition, la même protestation s'est fait entendre ; un specta-
teur des galeries ' a même crié de la façon la plus distincte : « Fi ! au
diable! » Ce manifestant a été expulsé. »
— On lit dans le Guide musical : « Nous avons annoncé l'année dernière .
que l'illustre violoniste Joachim, à l'occasion du cinquantième anniversaire
de son premier concert, avait reçu d'un groupe d'admirateurs un don de
20,000 marks (23,000 francs). Le grand artiste, avec cette somme, a constitué
le capital d'une fondation qui portera son nom. Les intérêts du capital
serviront à acheter en faveur d'artistes distingués mais peu fortunés, des
instruments de prix (violon ou violoncelle), et seront distribués sous forme
de dons en espèces aux lauréats des classes de violon de l'Académie de
Berlin. De deux en deux ans on achètera des instruments à cordes. Cette
fondation vient de recevoir l'approbation de l'autorité supérieure. Elle sera
administrée par trois curateurs, dont le fondateur, M. Joachim, sera natu-
rellement le premier président. »
— A Saint-Pétersbourg, très brillante clôture des concerts de musique
nationale organisés et dirigés par M. Rimsky-Korsakoiî, qui a fait exé-
cuter entre autres œuvres, à cette dernière séance, des fragments de son
opéra inédit : Miada, Ces fragments ont été applaudis avec beaucoup de
chaleur, bien qu'on leur reproche parfois certaines réminiscences d'œuvres
connues. Les Concerts populaires ont aussi terminé avec beaucoup d'éclat
leur saison, sur les programmes de laquelle avaient brillé nombre de
compositions d'artistes français, toujours fort bien accueillies. Le public
a fait, à l'occasion de cette séance d'adieu, de longues ovations à
M. Hiavatsch et aux principaux solistes de l'excellent orchestre qui l'a
si merveilleusement secondé au cours de sa brillante campagne.
— Une dépêche de Saint-Pétersbourg, qui fait le tour de la presse ita-
lienne, annonce que l'excellent pianiste napolitain Beniamino Gesi, qui,
depuis plusieurs années, est professeur (et non directeur, comme plu-
sieurs de nos confrères l'ont dit par erreur) au Conservatoire de cette ville,
vient d'être, pour la seconde fois, frappé d'une attaque grave de paralysie
générale. Son fils, mandé aussitôt, est arrivé de Naples pour reconduire
son père dans sa ville natale.
, — Au théâtre Parthénope, de Naples, on a donné récemment la pre-
mière représentation d'une grande opérette fantastisque en trois actes, il
Tempiodi Yenere, dont l'auteur est M. Santi-MoUica, qui en a écrit les pa-
roles et la musique.
— Nous avons annoncé déjà que la ville de Pirauo, en Istrie, se prépa-
rait à élever un monument à un de ses plus illustres enfants, le célèbre
violoniste et compositeur Giuseppe Tartini, l'auteur légendaire de la Sonate
du Diable. Voici les nouvelles que le Trovatore nous apporte à ce sujet: —
« Le sculpteur Antonio Dal Zolto, de Venise, s'est rendu à Pirano dans le
courant de l'automne dernier, et après avoir visité l'endroit désigné pour
l'érection du monument, après s'être entretenu avec diverses personnes, il
s'est attaché, sans pour cela avoir reçu aucune mission spéciale, à étudier
la belle figure de Tartini, et il a mis ses idées à exécution dans une esquisse
qui a excité l'admiration d'un des plus compétents et des plus difficiles
critiques d'art, M. Camille Boito. En fait, M. Boito a adressé à l'avocat
Giorgio Baseggio, président du comité qui recueille les fonds pour l'œuvre
projetée, une lettre par laquelle il se déclare stupéfait de la beauté du
monument conçu par M. Antonio Dal Zotto. »
— M. A. Harris, qui est déjà shéritf de la ville de Londres, directeur
de Drury-Lane et de Covent-Garden, ainsi que de plusieurs théâtres de
province, ne sera content que lorsque tous les théâtres de l'empire bri-
tannique seront sous sa domination. Il vient d'acquérir le théâtre « lier
Majesty » pour en faire une salle de concert plus grande que Saint-
James's Hall, mais moins immense que l'Albert-Hall; et il est aussi à la
tête d'une combinaison pour donner à Olympia, l'Hippodrome de Londres,
de grands ballets sur une scène de 27 mètres de large, comme on en fait
en Amérique.
PARIS ET DEPIRTEMENTS
Dans la séance du 7 mars de l'Académie des beaux-arts, le secré-
taire-perpétuel a donné lecture des lettres des candidats qui se présentent
pour occuper le fauteuil laissé vacant par la mort de Léo Delibes. Ces
candidats sont au nombre de quatre: MM. Ernest Guiraud, Victorin
Joncières, Paladilhe et Emile Pessard. C'est dans la séance d'hier samedi,
que la section de musique a dû faire le classement des candidats.
— La commission des auteurs et compositeurs dramatiques s'est vive-
ment émue de la situation faite aux auteurs et compositeurs français par
la dénonciation des conventions littéraires franco-suisse et franco-belge.
Ces dénonciations, qui sont une première réponse au projet de tarif pro-
tectionniste que propose la Commission générale des douanes, semblent
non seulement devoir être suivies par d'autres gouvernements européens,
mais leur résultat immédiat sera la suppression des droits des auteurs et
compositeurs français à l'étranger. En présence de ce danger, la commis-
sion des auteurs a pris l'initiative, d'accord avec la Société des gens de
lettres, de provoquer une réunion de délégués des diverses sociétés litté-
raires et musicales dans le but de protester auprès du gouvernement contre
l'adoption d'un projet préjudiciable à leui-s intérêts. La réunion de cette
commission aura lieu mercredi prochain, à deux heures, au siège de la
■ Société des auteurs, 8, rue Hippolyte-Lebas. Pendant la séance de la Com-
mission des auteurs dramatiques, M. Camille Doucet a reçu la dépêche
suivante, qui intéresse tout particulièrement les auteurs et compositeurs
dramatiques :
Mon cher président.
Je viens de voir M. de Kératry, qui m'annonce qu'en Amérique la loi protec-
trice des intérêts des auteurs dramatiques français est promulguée.
Mille amitiés.
V. Sardou.
La Commission a reçu hier M. Carvalho pour lui faire signer le traité
avec la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Toutes les condi-
tions nouvelles ont été acceptées par M. Carvalho et l'on s'est quitté en
échangeant force poignées de main.
— M. Carvalho a été installé définitivement à l'Opéra-Comique, diman-
che dernier, par M. Larroumet, le directeur des Beaux-Arts, qui l'a pré-
senté à tout le personnel de la maison. M. Carvalho s'est mis de suite
courageusement à la besogne, pour réorganiser un théâtre où bien des
abus s'étaient glissés en ces derniers temps. Les commencements seront
difficiles surtout à cause du grand nombre de congés accordés aux ar-
tistes sous la direction précédente, ce qui vi:tnt entraver à chaque pas la
marche des spectacles. De plus, quelques chanteurs, comme M. Renaud,
par exemple, s'imaginant qu'ils se trouvent libres par suite de la retraite
de M. Paravey, n'ont pas craint de signer des engagements avec d'autres
théâtres. On va être forcé de les rappeler au sentiment exact de leurs de-
voirs. Mais que penser de M. Gailhard, qui prête la main à ces fantaisies
d'artistes et s'est empressé d'accueillir favorablement la requête de
M. Renaud? Ce n'est vraiment pas d'ailleurs au moment précis où sa
position personnelle est mise en question, que M. Gailhard devrait se mettre
en quête d'engagements nouveaux. Qu'il attende donc d'abord qu'on lui
renouvelle son privilège. La confiance toulousaine n'a pas de bornes.
— Par la lettre suivante adressée au Figaro qui, comme nous, avait
fait remarquer que la gestion provisoire de M. Jules Barbier à l'Opéra-
Comique n'avait pas donné le déficit de 200,000 francs déclaré par M. Pa-
ravey, celui-ci conteste en ces termes l'exactitude de nos renseignements :
Monsieur le rédacteur en chef.
Voulez-vous m'accorder rhospilalilô pour répondre aux erreurs évidemment
involontaires de M. P.-J. Barbier?
Le 27 décembre 1887, j'acceptai de prendre à ma charge les résultats tant
actits que passifs de l'exploitalion provisoire, à partir du 1" octobre précédent
jusqu'au 31 décembre 1887, après la vérification des comptes, faite par un inspec-
teur des finances. M. P.-J. Barbier vient de m'en donner la preuve, ne se doutant
pas plus que moi du résultat de cette vérification. Sa bonne foi n'est pas en
cause !
Dès le 31 décembre 1887, c'est-à-dire la veille de mon entrée en fonctions le
ministère avançait 43,000 francs pour parfaire le paiement de fin d'année, et se
trouvait dans la nécessité de m'en appliquer le remboursement.
88
LE MÉNESTREL
Quelque temps après, le rapport de l'inspecteur étant terminé, le ministre m'in-
vitait : 1° à rembourser à la gestion provisoire 3",575 fr. 60 c. ; 2" à payer
54,617 fr. OC) c. de factures non payées par ladite gestion. Si j'ajoute qu'on m'avait
obligé à rembourser aux marchands de billets, MM. Denyau et Fournier, 32,415 fr.
60 c. en places quotidiennes et à leur donner, suivant les conventions faites avec
la gestion provisoire, 35,710 IVancs de places pour le service de la claque pendant
six mois, du 1" janvier au 30 juin 1S!<8, j ai le droit de dire que la gestion pro-
visoire a fait supportera mon administration la somme de 203,318 fr. 25c. dont
voici la récapitulation :
Remboursement à l'État Fr. 43.000 »
Dito à la gestion Barbier 37.575 60
Dito factures de ladite gestion 54.617 05
Marchands de billets 32.415 60
Service de claque (traité de la gestion provisoire) . . 35.710 »
Total Fr. 203.318 25
J'ai, bien entendu, toutes les pièces justificatives.
Je vous prie d'agréer, avec mes remerciements, l'expression de mes sentiments
les plus distingués.
Paravet .
Voici à présent la réponse de M. Jules Barbier aux arguments de M. Pa-
ravey :
Paris, 11 mars 1891.
Mon cher ami.
Peu de mots suffiront pour répondre aux allégations produites par M. Paravey,
au sujet du prétendu déficit laissé par ma gestion provisoire del'Opéra-Comique. Je
n'avance cette fois aucun chiffre qui ne me soit fourni par l'administration des
beaux-arts ou le caissier du théâtre.
Remboursement à l'Etal, pour complément des appointements du personnel, j)endant
le mois de décembre ltSS7 : 43,000 francs. — (Somme à prendre par M. Paravey sur
l'ensemble de son matériel, à la fin de son entreprise.)
Participation de rOpéra-Comi'jtie au paiement du loyer, jusqu'à la fin de Vcxercicc
ISS'-ISSS : 37,575 fr. 60 c. — Réduits par une encaisse de 1,562 francs à la somme
de 36,023 fr. 50 c.
(Or, ma gestion ne représente qu'un loyer de trois mois, le quart de l'exercice;
donc, M. Paravey doit garder à son compte les trois quarts de cette somme, et il
ne doit m'en attribuer qu'un seul quart pour les trois mois de ma direction, soit
9,035 fr. 87 c.
Factures de la gestion provisoire. — Par suite d'un oubli regrettable, M. Paravey
avance le chifïre de 54,617 fr. 05 c. Comment ne se souvient-il pas que cette
somme a été réduite par lui-même au chiHre de 42,931 fr. 15 c.?... Cet argent
représente les dépenses faites pour la reconstitution du matériel avant même que
je n'entrasse en fonction. Or, qui a profité de ce matériel'? moi, pendant trois mois
et M. Paravey pendant trois ans! La part qui m'en incomberait, si l'on entrait
dans de pareils comptes, ne devrait donc pas dépasser 3.577 fr. 59 c.
Créance Dcnijau : 32,415 fr. 60c. — Ici, nous entrons en pleine fantaisie!... Cette
somme représente un prêt fait par la maison Denyau à la direction du théâtre de
Paris, Lacressonnière et C"". Cette charge, que l'État avait dû accepter, résultait
de la sous-location du théâtre, et c est l'Etat lui-même qui l'avait transmise à
M. Carvalho, avant le commencement de ma gestion. — Cette somme était rem-
boursable, à raison d'un abandon quotidien de 157 francs de places, à la maison
Denyau.
Créance du service de claque : 35,710 francs. — Encore un héritage du théâtre de
Paris, héritage que M. Carvalho avait été obligé d'accepter comme le précédent.
Car, ce que je tiens à établir, c'est que je suis resté absolument étranger à ces
transactions, que M. Paravey attribue» tort à ma gestion provisoire.
Si donc on additionne les seuls chiffres qui me soient imputables, on trouvera
avec les 43,000 francs payés par l'État, une somme de 9,005 fr. 89 c. pour ma
part de loyer, et une autre de 3,577 fr. 59 c. pour ma part de matériel ; au total
55,583 fr. 46 c.
Il y a loin de là, vous le voyez, aux 203,318 fr. 25 c. dont M. Paravey m'attribue
si généreusement la responsabilité.
Et je fais observer de nouveau que, le théâtre n'ayant ouvert ses portes que
le 15 octobre, j'ai dû payer au personne) pour les quinze premiers jours de ce
mois, une somme d'environ 60,000 francs, sans aucune recette pour me récupérer.
Faites la balance et concluez.
A TOUS cordialement,
P.-J. Barbier.
— Extrait des Petites-A/ficlies : « Mise en liquidation judiciaire de la
société en commandite L. Paravey et C, ayant pour objet l'exploitation
d'un théâtre, avec siège à Paris, avenue Victoria, lo, composée de : 1" Pa-
ravey (Louis), demeurant au siège social; 2° et de commanditaires ».
— L'engagement de M"" Eames, à l'Opéra, expire à la fin du mois et ne
sera pas renouvelé, parait-il. La charmante artiste va se diriger sur Londres
à Covent-Garden, où elle est engagée pour la saison d'été. Elle nous revien-
dra quand nous verrons à la tête de l'Opéra une direction plus prévoyante
et plus intelligente.
— M"" Melba a fait, cotte semaine, une très brillante rentrée à l'Opéra,
dans le rôle de Gilda, de lUgoletto. Demain lundi, dit-on, première repré-
sentation du Mage, le nouvel opéra dû à la collaboration de MM. Jean
Eichepin et Jules Massenet.
— La Société des compositeurs de musique a porté son jugement sur
les œuvres qui lui ont été transmises pour les concours ouverts par elle
en l'année 1890 : 1» Une Suite pour piano, avec accompagnement d'or-
chestre. Prix unique de 500 francs. (Fondation Pleyel-Wolff) : M. Paul
Lacombe, de Carcassonne. — 2" Un Trio pour piano, violon et violoncelle.
Prix unique de 300 francs, offert par la Société : M. Léon Bœllmann. —
3° Une Scène pour soli et chœurs, avec piano remplaçant l'orchestre. Prix
unique de 300 francs offert par la Société. Le prix n'est pas décerné. Une
mention honorable est accordée à la partition portant pour épigraphe
Fluctuât nec mergitur. (L'enveloppe renfermant lo nom de l'auteur ne sera
décachetée que sur la demande de celui-ci.) — La Société des compositeurs
de musique met au concours pour l'année 1891 : 1° Un Septuor en trois ou
quatre parties (l'auteur pourra enchaîner les parties entre elles) pour piano,
violon, alto, violoncelle et trois instruments à vent, au choix du compo-
siteur. Prix unique de 500 francs. (Fondation Pleyel-Wolf.) Les parties
séparées devront être jointes à la partition, i" Une Scène à deux ou trois
personnages, avec accompagnement de piano, et dont le poème devra
présenter un certain intérêt dramatique. Le poème est laissé au choix du
compositeur. Prix unique de 500 francs, offert par M. Ernest Lamy. Les
parties vocales séparées devront être jointes à la partition. 3° Une Sonate
pour piano. Prix unique de .300 francs, oiïert par la Société. Clôture du
concours le 31 décembre 1891. Pour tous renseignements, s'adresser à
M. D. Balleyguier, secrétaire général, Entrepôt de Bercy, pavillon Gré-
pied.
— La Société des grandes auditions musicales n'est pas morte encore.
On n'en entendait plus parler, il est vrai; mais voici qu'elle se réveille.
Elle annonce pourlemois de mai prochain, au Trocadéro, un oratorio de
Bach, à moins qu'il ne soit de Hicndel. On tirera au sort dans un cha-
peau. La société l'avait bien dit, qu'elle allait marcher de l'avant. Elle
marche, elle marche à toute vapeur... vers les siècles passés.
— A la dernière soirée de la princesse Alexandre Bibesco, la petite
jVaudin a chanté, d'une façon merveilleuse, une mélodie de Léo Delibes,
laissée par lui dans les papiers qu'on a trouvés après sa mort. Faut-il
chanter? c'est le titre de cette mélodie, a remporté un véritable succès
d'émotion.
— M. Ludovic Halévy vient d'écrire pour les Annales du théâtre et de la
musique une étude très intéressante et très curieuse intitulée : Uiie directrice
de la Comédie-Française. Cette étude paraîtra prochainement en tète du
16" volume (année 1890) de MM. Edouard Noël et Edmond Stoullig à la
librairie Charpentier.
— Mme Andrée Lacombe vient d'être nommée Présidente d'honneur de
l'Orphéon la Prévoyante du Cher. C'est un hommage que les membres
de cette Société ont voulu rendre autant à la mémoire de Louis Lacombe
qu'à la vaillante femme qui la défend avec tant d'énergie. On sait que
Louis Lacombe était citoyen de la ville de Bourges.
— Nous avons dit le très grand succès obtenu à Nantes par M'^» Krauss
dans Faust et dans l'Africaine. Son triomphe a été tel que l'admirable
artiste a dû donner une troisième représentation. Elle a ion é dimanche les
Huguenots, devant une salle enthousiaste. Mercredi prochain, elle doit chan-
ter Faust à Rouen.
— Le Grand-Théâtre dé Nantes doit avoir prochainement la primeur d'une
grande scène lyrique intitulée Vision d'amour, dont l'auteur est M. AUard,
organiste de l'église Saint-Simisien et du lycée, connu déjà par un certain
nombre de compositions. C'est M™ LaviUe-Ferrainet qui sera l'interprète
de cette scène lyrique dont l'accompagnement d'orchestre, avec harpe,
est renforcé par une importante partie d'orgue.
NÉCROLOeiE
Nous avons le regret d'annoncer la mort de l'excellent violoncelliste
Fischer, qui, on se le rappelle, avait été frappé naguère d'aliénation
mentale. C'est à l'asile Sainte-Anne, où dès ce moment le pauvre artiste
avait dû être transporté; qu'il a terminé son existence perdue pour l'art.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente chez Mackaii et Noël, éditeurs :
ŒUVRES DE CH. LEFEBVRE
Eloa, poème lyrique en 5 épisodes, d'après A. de Vigny, par Paul Collin
Partition chant et piano, net: 10 francs.
Prélude, extrait, piano seul, net: 1 fr.
pièces pour le piaxo a quatre mains
N» 1. — Op. 20. Prélude-Choral. . prix 6 »
N" 2. — Op. 43. Romance — 4 »
N" 3. — Op. 75. N" 1. Le Retour — 6 »
N"' 4. — Op. 75. N" 2. Cortège villageois. ... — 6 »
Op. 81. N» 2. — La Fille de Jephié, arioso — 5 »
Op. SI. N" 1. — l'riére du matin, mélodie — 5 »
Stabat mater, solo de soprano (à M""* Krauss). — 6 »
H. MARÉCHAL. Le Miracle deXaïm, drame sacré. P"" chant et piano, net : 6 »
N" 2. — Air de la veuve prix 5 »
N'' 6. — Air de Jésus — 6 »
Vient de paraître chez Alpii. Leduc, éditeur. 3, rue de Grammont, Paris
L'ÉCOLE RUSSE MODERNE
OEuvres pour le piano à 2 mains et à -i mains
et pour le chant
A. BORODINE. — CÉSAR CUI. — A. LIADOFF.
N. RIMSKY-KORSAKOFF. — N. STCHERBATCHEFF.
Envoi franco du Catalogue.
IMPRIMERIE C£KTRALE DES I
; CUAJ.V, 20,
3129 — 57"= A^râ — r 12.
Dimanche 22 Mars 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-paste d'abonnemenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste eo sus.
SOMMIIEE- TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart, 2*^ partie (1^^ article), Albert Souries et
Charles Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Le Mage ou beaucoup d^ bruit
pour rien, H. Moreno; première représentation de Mariage bfanc, à la Comédie-
Française, Paul-Emile Chevalier. — III. Une famille d'artistes : Les Saint-Aubin
{14"' et dernier article), Arthur Pougin. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
BOBOTT' SE MARIE
n" 3 des Rondes et Chansons d'avril, musique de Cl. Blanc et L. Dauphin,
poésies de George Auhiol. — Suivra immédiatement : Faut-il chanter?.,.
dernière mélodie de Liîo Délires, poésie du Vif de Borrelli.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
à.evixt.o:Chantd'amil, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: Guilan:
pièce extraite de Conte d'avril, musique de Ch.-M. Widor.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MIALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
Au moment où nous reprenons, après une interruption de
quelques mois, l'histoire de la seconde salle Favart, une
circonstance fortuite donne à notre travail un intérêt inat-
tendu d'actualité. M. Garvalho qui — ainsi que nous le ver-
rons dans le présent chapitre — fut sur le point d'être
nommé directeur de TOpéra-Gomique il y a trente ans, vient
d'être appelé pour la seconde fois à la tête de ce théâtre. Il
est en outre résolu à activer par tous les moyens possibles
la reconstruction de la salle Favart et présente, à cet effet,
un projet très avantageux pour l'Etat, dont le Méneslrel a
indiqué les lignes essentielles. En écrivant les premiers cha-
pitres de notre ouvrage nous nous bercions, il y a deux ans,
de l'espoir de voir réédifler, au cours de notre travail, le
théâtre dont nous racontons l'histoire. Notre espoir a été
trompé. Puisse-t-il ne pas l'être une seconde fois.
Nous nous sommes arrêtés, en terminant la première par-
tie de notre livre, au seuil de l'année 1860. Alors, disions-
nous, l'Opéra-Gomique venait d'obtenir avec le Pardon cl,i
Ploërmel un grand succès, mais plus artistique en somme que
lucratif. Un malheureux changement de direction allait com-
promettre, encore une fois, la fortune de ce théâtre; en outre,
de nombreuses mutations dans le personnel tendaient à
désorganiser la troupe et ne pouvaient manquer d'en altérer
l'homogénéité.
De tous ces déplacements et départs d'artistes, le plus
fâcheux fut assurément celui qui marqua les premiers mois
de la nouvelle année. Après sept ans et demi d'un séjour
glorieux à l'Opéra-Gomique, Faure s'éloignait, attiré provi-
soirement par la carrière italienne, ati-delà de laquelle il pré-
voyait à brève échéance cette entrée à l'Opéra que dès 1858,
après Quentin Durward, Alphonse Royer lui avait offerte. Le
directeur Roqueplan semblait presque aller au-devant des
désirs de son pensionnaire quand il avait songé en 1859 à
remonter Don Juan pour lui. C'est Perrin qui devait réaliser
ce rêve, rue Le Peletier, sept années plus tard ; en effet,
Don Juan ne fut pas plus joué à l'Opéra-Comique qa'Armide
à l'Opéra, Armide dont on parlait à cette époque et qu'on
attend encore. L'ambition de Faare était légitime, car peu
de serviteurs auront plus honoré par leur talent la maison à
laquelle ils appartenaient; aussi nous pardonnera-t-on de
publier ici la liste complète des rôles qu'il a tenus, et tous,
on peut ajouter, avec une réelle autorité; c'est presque résu-
mer sous cette forme l'histoire de la salle Favart et de ses
succès pendant près de huit années :
20 octobre 1852. Galathée, rôle de Pygmalion (début).
12 novembre 1852. Le Caïd, rôle du tambour-major (2'=début).
20 mars 1853. La 7orie^/(', rôle de PietroManelli (création)
5 juillet 1853. Haydée, rôle de Malipieri (3'= début).
2 septembre 1853. Marco Spada, rôle de frère Borromée.
25 octobre 1853. Le Chalet, rôle de Max.
Le Songe d'une nuit d'été, rôle de FalstafF.
3Iarco Spada, rôle du baron de Torrida.
L'Etoile du Nord, rôle de Peters.
Le Chien du jardinier, rôle de Justin (création).
Jenny Bell, rôle du duc de Greenwich
(création).
Manon Lescaut, rôle du marquis d'Erigny
(création).
27 novembre 1856. Le Sylphe, rôle du marquis de Valbreuse
(création).
Joconde, rôle de Joconde, chanté par lui
une centaine de fois.
Quentin Durward, rôle de Crèvecœur (créa-
tion).
Le Pardon de Ploërmel, rôle d'Hoël (création).
24 avril 1854.
26 août 1854.
4 novembre 1854.
16 janvier 1855.
2 juin 1855.
23 février 1856.
25 avril 1857.
25 mars 1858.
8 avril 1859.
En tout, seize rôles dont sept créations, auxquelles on
90
LE MÉNESTREL
pourrait ajouter la cantate d'Adolphe Adam, Victoire, chantée
le 13 septembre 1855 à l'occasion de la prise de Sébastopol,
et le Cousin de Marivaux, opéra-comi^iue en deux actes, paroles
de L. Battu et \,. Halévy, musique de V. Massé, pièce écrite
spécialement pour lui et représentée à Bade le lo août 1837.
De tels états de services justifiaient des appointements éle-
vés ; Faure, en effet, gagnait alors 40.000 francs pour dix
mois. Roqueplan, qui songeait à céder sa direction, trouva-
t-il cette charge trop lourde? Le fait est qu'en mars 1860 il
offrit à son pensionnaire de résilier. Celui-ci accepta d'au-
tant plus volontiers qu'il avait en poche un engagement à
Covenl-Garden pour la saison italienne, dans le cas où il
recouvrerait sa liberté, et c'est ainsi que le 10 avril 1860 il
chantait, pour la première fois, à Londres, le rôle d'Hoël en
italien. Ce succès ne fut que le prélude de ceux qui l'atten-
daient sur notre première scène, puisqu'il a réuni à peu
près tous les genres de mérite qui font le chanteur et le co-
médien, charme de la voix, élégance de la personne, distinc-
tion du jeu, et qu'aux dons de la nature il a su joindre tout
ce qui s'acquiert par le travail.
Par une coïncidence digne de remarque, l'éminent chanteur
quittait l'Opéra-Gomique au moment où reparaissait le com-
positeur qui devait, quelques années plus tard, lui écrire
pour l'Opéra l'un de ses rôles les plus célèbres. Ambroise
Thomas, en effet, avait donné lé 4 février 1860 le Roman
d'Elvire, une pièce en trois actes sur laquelle on devait
d'autant plus compter que les librettistes étaient gens d'es-
prit, et le musicien, dans ses ouvrages précédents, n'avait
pas toujours eu cette bonne fortune. La fable imaginée par
Alexandre Dumas et de Leuven ressemblait fort à la pièce
qu'ils avaient précédemment écrite pour Lafont et M"« Déja-
zet, un Conte de Fées. C'est l'histoire fort singulière d'une
marquise amoureuse qui court après un jeune libertin et ne
trouve rien de mieux pour îe conquérir que de simuler une
vieille de soixante ans, de le circonvenir, de le pousser au
jeu et de l'y faire se ruiner, pour lui offrir sa main
comme planche de salut. L'amour conjugal termine honnê-
tement ce Roman d'Elvire, ainsi baptisé à cause d'un livre qui
portait ce titre, et dont on lisait un fragment au cours de la
pièce, alors qu'aux répétitions on l'annonçait sous un nom
plus en rapport avec l'action, Fantaisie de Marquise. Au lende-
main de la première, Gustave Bertrand écrivait, et presque
toute la presse pensait comme lui : « C'est un triple succès
de pièce, de musique et d'exécution.... C'est un ouvrage qui
ne quittera jamais le répertoire. » Paroles imprudentes sous la
plume d'un critique ! Dès le début, une indisposition de
Montaubry d'abord, puis de M"« Monrose, mit de longs in-
tervalles entre les premières représentations, et, quand l'ou-
vrage reprit son cours régulier, il alla jusqu'au chiffre 33 et
ne put le dépasser.
Château- Trompette eut un sort analogue, puisqu'il s'arrêta au
chiffre de io, en dépit des prédictions du même Gustave
Bertrand, qui écrivait bravement: « Je ne ■^eux pas assigner
de bornes, si éloignées qu'elles soient, au succès de Château-
Trompette, c'est une pièce de répertoire. » Ce titre, simple
enseigne d'un cabaret à Bordeaux, comme celui des Perche-
rons à Paris, n'expliquait pas l'ouvrage, où l'on voyait le
gouverneur de la Guienne, le maréchal duc de Richelieu,
mystifié par une simple grisette qui, prenant la défense de
la morale et usant de stratagème, finissait par faire confes-
ser publiquement au vieux libertin la vertu pure et sans
tache d'une honnête femme dont le nom passait pour
être inscrit sur ses tablettes amoureuses. Cormon et Michel
Carré avaient écrit cette agréable comédie en trois actes, dont
le principal rôle d'homme, destiné à Couderc, échut finale-
ment à Mocker par suite de la maladie de son camarade a
l'époque de la première représentation, 23 avril 1860. On cri-
tiqua bien un peu le sujet, sous prétexte que le maréchal en
son temps jouait des tours aux autres plus souvent que. les
autres ne lui en jouaient; mais sur ce point les auteurs se
rencontraient avec Octave Feuillet et Bocage, lesquels, en
1848, avaient donné à la Comédie-Française une comédie
assez inégale, mais spirituelle en somme, où le même per-
sonnage éprouvait une disgrâce du même ordre. Ajoutons,
pour la satisfaction des bibliophiles, qu'Octave Feuillet n'a
jamais fait à cette pièce l'honneur d'une édition nouvelle, et
que la brochure où elle est contenue partage le privilège de
la rareté avec quelques autres de ses premiers essais
comme Palma, York et le Bourgeois de Rome. Quant au com-
positeur de Château-Trompette, Gevaert, il avait montré non
seulement de la science et du goût, comme toujours, mais
encore plus de finesse et de légèreté que d'habitude; sa par-
tition compte plus d'un morceau charmant, et l'on comprend
que plus d'une fois il ait été question de reprendre cet ou-
vrage sur une scène de genre. Un tel projet attend encore
sa réalisation.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LE MAGE
Un. musicien d'esprit — il y fn a — me contait un jour qu'il
venait de visiter l'atelier d'un peintre symboliste, qui doit avoir
du talent puisqu'il est de l'Iaslitut, mais qui, en tous les cas, se
plait fort à composer des tableaux hiéroglyphiques dont il n'est
pas toujours très facile de saisir le sens : « Mon Dieu, me disait
mon musicien, non sans malice, tout d'abord oa ne comprend pas
graud'ehose à toutes ces peintures, mais l'auteur vous les explique
avec beaucoup de bonne grâce. »
Peut-être se trouverait-on dans un même embarras en face du
poème du Mage, si M. Jean Richepin n'avait pris la précaution de
faire distribuer aux spectateurs des notes explicatives qui sont
d'une grande utililé pour démêler tous les fils d'une intrigue assez
compliquée.
Nous pouvons donc vous dire que le guerrier Zoroastre,
que M. Richepin appelle Zarastra pour les besoins de l'euphonie
musicale, vient, au lever du rideau, de remporter une grande vic-
toire sur les Touraniens, les ennemis séculaires de l'Iran. Voici
son camp, lo butin et tous les prisonniers qu'il a faits. Il va ren-
trer en triomphaleur à Bakhdi, capitale de la Bactriane, où l'attend
le roi pour le féliciter. Les prisonniers chantent, en attendant le
jour, des chants langoureux de leur pays :
Par les monts, par les vaux,
Pour trouver des cieux nouveaux.
Au roulis des chevaux
La tribu passe.
Où va-t-elle en rêvant"?
Où s'en va la poudre au vent.
Mais toujours de l'avant,
Et vers l'espace !
Réveil du camp et arrivée de Varedha, prêtresse de la Djahi
(Déesse de la volupté) qui vient tout simplement déclarer à Zaras-
tra qu'elle est follement éprise Je lui et déploie toutes ses séduc-
tions pour conquérir ce conquérant. Varedha est belle assurément,
mais Zarastra est possédé d'un autre amour et repousse avec indi-
gnation les propositions libertines de Varedha. Celle qu'il aime,
c'est Anahita, la reine des Touraniens, sa captive. Il se prosterne
à ses genoux et lui jure fidélité élernelle. Mais Amrou, grand
prêlre des Dévas,
Dieux de la ruse et des ombres,
Amrou, père de Varedha, ne veut pas que sa fille soit malheureuse;
il saura ramener vers elle l'amant qui la dédaigne.
Arrêtons-nous sur ce premier tableau, qui a été particulièrement
favorable au musicien. Nous ne le trouverons plus par la suite en
aussi heureuse veine. C'est qu'ici, M. Massenet se trouve bien
dans la sphère naturelle à son talent. Il excelle à donner aux mé-
lodies ce tour mièvre et gracieusement maladif qui convient aux
amoureuses langueurs ; et cette fois encore, il n'a pas manqué
de trouver dans son sac, pour peindre la passion naissante d'Ana-
hita et de san vainqueur, de ces phrases d'un charme envelop-
pant qui ont fait lo meilleur de sa réputation. Il a donc écrit
là un duo qui ne déparera certes d'aucune façon la collection de
ceux que nous lui devons déjà dans la même manière délicate et
LE MENESTREL
9d
tendre II a nalurellement prêté à Varedha, la servante des volup-
tés, des accents plus tourmentés et plus troublants; ce n'est plus
l'amour pur et chaste d'Anahita. La nuance a été très bien saisie
et rendue par le musicien. Le chant des prisonniers touraniens
a beaucoup de couleur dans sa tristesse et l'invocation d'Ararou
aux dieux Dévas ne manque pas d'ampleur. Voilà donc un pre-
mier tableau complet, qui posait bien l'œuvre dès le début et
nous donnait l'espoir d'une véritable série d'enchantements. Quel-
ques solides qualités qu'on puisse reconnaître au reste de la par-
tition, il faut cependant reconnaître que cet espoir a été légèrement
déçu.
Le tableau qui suit n'est pas d'une grande utilité pour la marche
de l'action. Il nous montre Varedha descendant dans les souterrains
du temple de Djahi, pour ne plus entendre les cris de victoire et
les fanfares qui annoncent l'entrée de Zarastra vainqueur dans la
ville de Bakhdi :
Ah! comme ils déchirent mon creur ces cris de fête!
Ils semblent railler ma détaite.
Descendons plus bas,
Encore plus bas dans les ténèbres !
Varedha veut mourir, quand Ararou survient, et lui annonce
que sa vengeance est prochaine. Scènes de pure déclamation. Nous
savons qu'il en faut dans la contexture du drame lyrique moderne
tel qu'on le comprend aujourd'hui, et M. Massenet n'y est certes
pas plus maladroit qu'un autre. Mais pour nous, ces scènes décla
matoires, oli certains affectent de se complaire, ne sont pas de
l'essence même de la musique, et ce n'est pas là qu'on peut dé-
couvrir ni la valeur réelle ni la véritable inspiration d'un maître.
C'est donc avec un certain soulagement que, le décor changeant à
vue, nous sortons de ces souterrains et de ces ténèbres pour nous
retrouver on pleine lumière sur la place de Bakhdi, où trône le roi
dans l'attente du général victorieux. Assurément, vous vous atten-
dez à un défilé; vous l'avez en effet. Ce sont d'abord des hérauts
et des trompettes, puis « les chefs des terribles guerriers » qu'on
vient de subjuguer, « les vierges prisonnières », les richesses de
toutes sortes arrachées à l'ennemi, enfin tout ce qui peut contri-
buer à la composition d'une marche guerrière de belle dimen-
sion. La dimension y est en effet; mais combien pauvre est l'ins-
piration ! Il y a une marche qui ressemble beaucoup à celle-ci
dans Aïda, et Verdi a trouvé pour la caractériser un chant de
trompettes qui n'est pas d'une distinction rare, — ce n'eût pas été le
cas — mais qui est bien typique et d'une sonorité populaire qui
reste dans les oreilles. Que retient-on du défilé bruyant et terne
à la fois de M. Massenet? N'imporle! Zarastra arrive à son tour.
Il ne paraît aucunement incommodé de cette mauvaise musique
et, s'inclinant devant la majesté de M. Martapoura (c'est le roi !i.
il lui fait don de tout le butin pris à l'ennemi :
Tous ces trésors, je te les donne ;
Mais j'ai gardé ceci 1
Ceci, c'est Anahila elle-même :
Parais, astre de mon ciel !
Abeille d'or dont l'amour est le miel!
Soulève l'ombre de ces voiles
Cachant ton front gracieux.
Que je montre à tous les yeux
Ton visage d'aurore et tes regards d'étoiles.
A ce madrigal, Anahila répond par un autre madrigal, et nous
avons là deux aimables pages d'album, auxquelles le roi, qui ne veut
pas demeurer en reste, s'empresse d'en ajouter une troisième. Il ex
plique en termes galants qu'il aurait bien gardé Anahita pour lui-
même, mais qu'il ne veut pas en priver son vainqueur, et il va pro-
céder à leur union quand le terrible Amrou, survenant tout à coup,
déclare que ce n'est pas possible, que Zarastra est l'amant de sa
fille Varedha et qu'il lui a promis le mariage. Varedha opine du
bonnet, bien qu'elle l'ait jeté depuis longtemps par-dessus les mou-
lins (y en avait-il à cette époque?). Bien plus, il y a là une petite
bande de prêtres païens qui n'ont jamais reculé devant un faux ser-
ment et qui affirment qu'Amrou a dit la vérité. Que peuvent-ils eu
savoir? L'affaire ne s'en gâte pas moins pour Zarastra. Le roi, qui
paraît décidément avoir de roses desseins sur Anahita, déclare que
Zarastra doit épouser Varedha. Alors Zarastra maudit tout le monde,
et déclare que, puisqu'il eu est ainsi, il renonce à la gloire, à ses
pompes, à la musique de M. Massenet, et qu'il va se retirer « dans
la solitude ».
Ces scènes successives ne sont pas sans provoquer le déchaîne-
ment d'un finale construit dans toutes les règles de l'art et qui fait
un tapage infernal. Quand les idées viennent à lui manquer,
M. Massenet aime à faire du bruit pour s'étourdir et pour étourdir
les autres. Or, il y a beaucoup de bruit tout le long de la parlition
du Mage; c'est un mauvais signe.
Reprenons le fil de notre narration.
Zarastra s'est, en effet, retiré sur la montagne sainte, où il
occupe ses loisirs à chanter des chansons napolitaines (déjà !) en
même temps qu'à fonder une religion nouvelle basée sur des lois
de vérité. Il cause avec les éclairs et rapporte de ces conversations
fulgurantes des préceptes certains qu'il inculque à ses nombreux
disciples :
Heureux celui dont la vie
Pour le bien aura lutté toujours !
C'est le début d'une sorte de prière qui n'est pas sans grandeur,
et restera comme l'un des bons passages de la partition. Le mage
n'est pas toutefois sans avoir souvent en son esprit des retours trop
humains vers le passé. Il n'a pas oublié les grâces d'Anahita,
encore qu'il essaie de les refouler de son souvenir. La nerfide Va-
redha, toujours attachée à sa proie, vient le retrouver jusque dans
son désert pour les lui rappeler. C'est un long discours qu'elle lui
tient, où elle lui explique que le trône de l'Iran est à lui, s'il le
veut avec elle pour reine, qu'Amrou lui a créé des partisans prêts
à renverser le roi, qu'Anahita l'a oublié et qu'elle va en épouser
un autre. Tout ce verbiage est liés long, je vous l'ai dit, mais il est
traversé par une phrase charmante. C'est lorsque Zarastra, au
comble de la fureur, lève la main sur Varedha et va pour la
frapper :
Sous les coups tu peux briser
Tout mon corps qui t'aime.
Dans mon cœur voux-tu puiser
Tout mon sang qui t'aime?
Ce sera comme un baiser
Pour ma chair qui t'aime.
C'est un des moments où le musicien a été le mieux inspiré.
Varedha n'en est pas moins repoussée avec horreur.
Cinquième tableau. — Voici l'heure du ballet. On l'attendait
avec une certaine impatience. C'est là où d'habitude M. Massenet,
qui est un symphoniste habile, sème les fleurs avec profusion ;
cette fois son bouquet a paru quelque peu fané. Certes il y a là
toujours des effets de timbres curieux, des accouplements d'instruments
ingénieux; à certain moment même l'antique bouquin éclate en
sons rauques, comme dans les fêtes du dieu Pan. Il ne s'agit pour-
tant ici que de célébrer les fêtes de la déesse Djahi, qui s'accommo-
derait mieux déplus de mollesse et d'idées voluptueuses. Le ballet
n'a pas fait sensation. Après les danses, on va procéder à la célébra-
tion du mariage d'Anahita avec le roi. Malgré les plaintes et les
protestations d'Anahita, le roi l'exige, et Amrou va bénir leur
union, quand les Touraniens révoltés envahissent le temple, brû-
lent et massacrent. Anahita délivrée pousse elle-même le cri de
guerre. Dans tout ce tableau, nous retrouvons les sérieuses qualités
de facture qui dominent dans la partition ; mais les idées neuves
et originales n'y foisonnent pas plus que dans les actes précé-
dents. A signaler pourtant la cantilène rêveuse soupirée par Anahita
et qui est d'un charme étrange :
Vers le steppe aux fleurs d'or
Laisse-moi prendre l'essor ;
Laisse-moi voir encore
Mon beau ciel pâle.
Où la neige en neigeant
Sous la lune à l'œil changeant ,
Fait germer dans l'argent
Des fleurs d'opale.
Nous voici arrivés au terme du voyage. Le théâtre représente
le temple de la Djahi en ruines et encombré de cadavres. Zaras-
tra y vient pleurer sur les malheurs do la patrie. Anahita triom-
phante ne tarde pas à l'y rejoindre. Duo d'amour interrompu par
Varedha toute sanglante, qui se relève d'entre les cadavres pour
les maudire une dernière fois et invoquer la déesse Djahi, qu'elle
charge de sa vengeance. 0 prodige! l'incendie qu'on croyait éteint
se rallume et entoure les deux amants ! C'en serait fait d'eux si Zarastra,
à son tour, n'invoquait le dieu de vérité dont il est le mage. Les
flammes s'écartent et laissent passer les amoureux, tandis que
Varedha expire dans un cri de rage.
L'air de Zarastra sur les ruines du temple n'est pas ce qu'il
9û
LE MEl^ES^llEL
devrait être; le duo d'amour est gracieux, mais il n'a pas non plus
la graudeur qui conviendrait à la situation. La sorte d'incantation
da feu proférée par Varedha est au contraire un morceau de carac-
tère, et nous trouvons là des procédés d'orchestration excessivement
curieux. Ce serait certainement la plus belle page de la par-
tition, si malheureusement Richard "Wagner, avant Massenet, n'avait
écrit lui-même pour la Valkyrie une incantation de même sorte qui
me remet en mémoire un autre trait du musicien d'esprit dont j'ai
par'é au commencement de cet article. C'était à l'époque d'Esclar-
monde: « On est vraiment bien dur pour ce pauvre Massenet, me
disait-il. — On va jusqu'à prétendre qu'il n'atteindra jamais à la che-
ville de "Wagner. Allons, allons, il y arrive, il y ari'ive. » M. Mas-
senet y est encore arrivé cette fois.
Voilà la nouvelle partition de l'auteur de Mai-ie-Magdeleine. k
tout prendre nous la préférons, encore au Cid, qui fut une pure
fontaine d'eau claire, ou à Esdarmonde, qui fut une œuvre de faus-
seté. Le Mage, lui, est un opéra scieutifique, oîx aucune règle de la
pesanteur n'a certes été négligée. Nous l'aimerions mieux rempli
d'inspiration et d'idées neuves, mais il faut du moins constater ici un
grand s>)uci de la forme, une facture remarquable et une tenue de
style peu ordinaire. M. Massenet incline chaque jour davantage vers
le drame qu'on préconise aujourd'hui, celui cîi la déclamation joue
le plus grand rôle et qui s'écarte de plus en plus de la musique
proprement dite. C'est dommage; à ce jeu, les imaginations se des-
sèchent et perdent en fraîcheur et en invention ce qu'elles gagnent
peut-être lu côté de ce qu'on appelle la vérité dramatique. La note
d'art disparait, et nous devenons la proie d'une légion de Vadius et
de Trissotins qui remplacent les musiciens que nous avions autre-
fois. Ils sont peut-être beaucoup plus «forts», comme ou dit, mais
aussi combien plus ennuyeux !
Du poncif redondant, voilà la caractéristique du Mage. Nous pré-
férions beaucoup, à ce système voulu de lourdeur et de prétention,
la poétique séduisante de Manon ou à'Hérodiade. M. Masseuet est
évidemment à une époque de trouble, qui ne lui permet plus de
voir clairement la voie oîi il s'était engagé si heureusement à son
début. Comme pour son héros Zarastra, une période de recueillement
s'impose à lui. Il tera bien de se retirer sur la montagne sainte et
d'y méditer sur les dangers d'une production trop hàiive. Il nous
reviendra alors plus fort et retrempé pour des luttes nouvelles. Nouo
sommes en droit de beaucoup attendre de M. Massenet, le compo-
siteur le plus merveilleusement doué peut-être de notre époque ;
nous avons donc le devoir de lui épargner des paroles sucrées qui
régareraient encore davantage.
Il nous reste à dire quelques mots de l'interprétation. M. Vergnet,
dans le rôle du mage, s'est montré très remarquable. "Voix géné-
reuse et talent de chanteur des plus distingués. Il est très curieux
qu'après avoir déjà possédé cet artiste anciennement à l'Opéra, on
ait cru ensuite pouvoir s'y passer si longtemps de ses services. Les
ténors de son mérite ne courent pas les théâtres. M"" Lureau-Es-
cahiïs, qui personnifiait le personnage gracieux d'Anahita, a eu les
honneurs de la soirée. Elle a été parfaite de tous points. Elle a
chanté avec un art exquis et une grande finesse. On l'a beaucoup
fêtée et cela a été vraiment un plaisir pour tous de voir enfin une
aussi excellente artiste appréciée à sa juste valeur. M""* Fierens
possède de grandes qualités dramatiques et un tempérament ardent
qui la pousse un peu à l'exubérance. Il y a abus dans les gestes
et, à fo ce d'être poussée, la voix devient parfois chevrotante. Mais
il y a tant de jeunesse et d'entrain dans l'ensemble du talent de
M"' Fierens, qu'on passe volontiers sur ces quelques défauts. Il serait
préférable toutefois qu'ils n'existassent pas. M. Delmas fait flèche
de sa belle vois. C'est à peu près tout ce qu'il peut faire dans le
personnage assez iïigrat d'Amrou. Si le ballet avait pu être sauvé,
la grâce de la toute charicaute M"" Mauri y aurait suffi.
Quelques beaux décors à l'actif de MM. Ritt et Gailhard.
H. MORENO.
Comédie-Française. — Mariage blanc, drame en 3 actes, de M. Jules
Lemaitre.
Si M. Jules Lemaltre s'est décidé relativement assez lard à
écrire pour le théâtre, il semble vouloir regagner le temps perdu
et cette sorte de hâte dans la production, le poussant à prendre les
sujets premiers venus qui lui tombent sous la plume, ne paraît devoir
lui être qu'assez préjudiciable. Nous avons loué, ici même, comme il
convient, le talent exquis de l'écrivain que nous retrouvons toujours
tel ; nous avons aussi signalé^ lors de l'apparition de Révoltée à
rOdéon, des qualités d'autour dramatique très réelles, mais qui lais-
saient entrevoir des œuvres tout autres que ce Mariage blanc que
nous ne saurions tenir pour tout à fait digue de celui qui l'a
écrit. Que M. Lemaître prenne garde, la place très prépondérante
qu'il occupe dans les lettres modernes ne lui donne pas le droit de
se contenter d'à-peu-près, il faut absolument qu'il fasse bien ou qu'il
s'abstienne.
Mariage blanc est né d'une nouvelle de quelques lignes. Jacques
de ïhièvre, ariivé à quarante-cinq ans après avoir usé et abusé de
la vie, rencontre à Menton une pauvre jeune fille qui se meurt de la
poitrine. Poussé par la curiosité, peut-être encore par bonté d'âme,
il épouse Simone, voulant lui donner pour des jours qui sont
comptés, l'illusion de la vie heureuse des femmes aimées. Il sera
le mari de la petite mourante sans l'être, et, comme il tombe sur
un esprit de naïveté absolue, il joue son rôle sans bien grandes'
difficultés jusqu'à l'heure oir, étouffée par une émotion trop forte, la
pauvre petite mariée s'endort pour toujours du sommeil de'j inno
cents.
Le défaut capital de la pièce nouvelle de M. Jules Lemaître, lais-
sant de côté la donnée même dont la vraisemblance est sujette à
caution, c'est que cette figure de Jacques de Thièvre nous est fort
insuffisamment expliquée; nous ne savons à quel mobile il obéit.
Est-ce un viveur blasé en quête d'émotions nouvelles ? Est-ce, au
contraire, vfn être exclusivement bon et charitable? Il fallait le ro-
man pour permettre à l'auteur de se faire bien comprendre et d'ana-
lyser, comme il convenait, ce cerveau complexe et évidemment
maladif. Et le roman même nous aurait peut-être permis de jouir
plus profondément du bonheur factice donné à la condamnée et
nous aurait certainement aidé à accepter les scènes pénibles oij l'on
nous montre une sœur jalouse de Simone. Le drame est raerveil-
leusement joué par M"' Reichenberg, d'une candeur, d'une finesse
et d'une chétivité étonnantes, et par M. Febvre. M""^^ Pierson,
Marsy et M. Laroche tiennent les rôles secondaires avec autorité et
talent.
Paul-Emile Chevalier.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite et fin.)
VIII
J'aurais voulu faire connaître, avec plus de détails que je n'en
puis donner, la nature intime de M"" Saint-Aubin, faire apprécier
selon ses mérites le grand et généreux cœur de cette femme char-
mante, qui, ne se contentant pas d'être une grande artiste, fat en-
core une fille excellente, uns sœur dévouée, une épouse modèle et
une mère de famille incomparable, et qui, en dehors même des siens,
se montrait toujours prête à obliger et à servir autrui (1). Malheu-
reusement, si les témoignages généraux sont unanimes à ce sujet,
si certains faits sont suffisamment connus, les particularités man-
quent le plus souvent, et ne laissent pas le loisir de s'étendre même
sur les p'us intéressants. J'ai déjà fait remarquer que, plus artiste
à ce point de vue et plus désintéressée que bien d'autres qui n'a-
vaient pas les mêmes charges de famille. M"' Saint-Aubin, à une
époque oîi l'action qu'elle exerçait sur le public la rendait en quel-
que sorte indispensable à son théâtre et ou celui-ci traversait une
crise difficile, se contentait pourtant de sa part alors bien modeste
de sociétaire, tandis que tels et tels de ses camarades renonçaient à
cette situation pour se faire allouer d'énormes appointements fixes.
J'ai rappelé la générosité si ingénieuse dont elle fit preuve envers la
veuve de Dozainviile, en faisant fixer au jour de sa der/iière apparition
la représentation donnée au bénéfice de celle-ci. J'ai constaté ailleurs
que c'est elle qui, avec le concours dévoué de Méhul et grâce
à de pressantes démarches, réussit à mettre à l'abri du besoin les
derniers jours de Monsigny devenu vieux (2). C'est elle encore qui, avec
son camarade Chenard, obtint des sociétaires de l'Opéra-Comique,
en 1"99, qu'ils missent pour quelques soirées la salle de ce théâtre
à la disposition des artistes de l'Odéou, qui venait d'être détruit par
un incendie (3).
(1) «... Chargée d'aue nombreuse famille qu'elle a élevée avec soin, elle a fait
des pensions à deux de ses sœurs jusqu'à leur mort; elle en fait encore à ses
deux fièi'es. Économe, mais désintéressée, elle n'a jamais affiché ce luxe scan-
daleux qu'on reproche généralement aux actrices... » (Biographie universelle et por-
tative des contemporains.)
(2) On peut lire à ce sujet une lettre de Méhul, que j'ai publiée dans mon livre
sur Mèliul, sa vie, son (jcnie, son caractère.
(:î) C'est peut-être ici le cas de reproduire cette anecdote que le trop fameux
LE MENESTREL
93
Je pourrais rapporter vingt traits de cette nature. Par malheur,
les quelques lettres de M™'= Saint-Aubin que j'ai en ma posses-
sion n'oflfrent sous ce rapport qu'un intérêt secondaire, les person-
nages dont il y est question étant à peu près complètement inconnus.
Or, c'est dans la correspondance surtout que se révèlent les élans
des cœurs généreux. Je veux pouitant citer au moins une de ses
lettres, parce qu'elle rappelle le souvenir d'un jeune musicien dont
le nom est resté presque fameux en raison de sa situation particu-
lière et de sa mort prématurée. Ce musicien est le jeune Androt,
le premier qui ait obtenu le grand prix de composition musicale
à l'Institut lors de la fonviation du concours de Rome (18u3), et qui
mourut en cette ville après y avoir fait un court séjour et donné de
grandes espérances qu'il ne devait pas être appelé àréaliser. Androt
avait été élevé par un oncle qui lui servit de père, et c'est en faveur
de cet oncle que M"' Saint-Aubin intercédait auprès du destina-
taire inconnu de la lettre qu'on va lire :
Vous m'avez témoigné trop de bienveillance, Monsieur, pour ne pas
m'obliger dans cette circonstance. Je porte le plus vif intérêt à M. Androt,
oncle, ou, pour mieux dire, père, par sa conduite, de ce jeune Androt
mort à Rome et regreté (sic) par toutes les personnes de mérite. Je n'ai
cessé d'être là consolation de ce brave bomme; lorsque j'ai eu l'honneur
de vous recevoir chez moi, vous aviez la bonté de vous occuper de mon
petit neveu, et je n'osai vous demander votre protection pour M. Androt.
J'ai eu bien tort, car il serait sûrement en place. Votre bonté pour moi
m'encourage à vous prier de lever, s'il est possible, les dilficultés qui se
présentent. J'ai des obligations très grandes à M. Androt, comme con-
naissant parfaitement les affaires; il m'a fait rentrer une somme d'argent
que je croyais perdue; je me trouverais bien heureuse de pouvoir à mon
tour lui être agréable. Le comte Renaud (Regnault) de St-Jean d'Angcly
s'intéresse à lui, et plusieurs autres personnes que vous connaissez par-
faitement vous sauraient un gré infini de ce que vous voudrez bien faire
pour M. Androt. Pardon, Monsieur, mais je retourne demain à Paris et
vous fatiguerai par mes instances.
Ma jeune Alexandrine débute bientôt ; j'espère que vous voudrez bien
disposer d'une loge qui vous est réservée; j'attache un grand prix aux
encouragements qu'une personne aussi distinguée par son mérite voudra
bien lui donner.
Je suis, Monsieur, avec la plus parfaite considération, votre très
humble servante.
V S'-AuBiM- (1).
En regard de cette lettre inédite, j'en voudrais pouvoir repro-
duire une autre, d'un autre genre, qu'elle écrivait quarante ans
plus tard, alors qu'elle en avait quatre-vingt-quatre, et qu'elle
adressait à Aubei'. « Cette charmante lettre (datée du 20 juin 1849,
quinze mois avant sa mon) est le portrait le plus ressemblant de
ses sentiments alTeelueui et de son esprit, » lisait-on dans le
Catalogue des aidograplies du baron de Trémonl, en la possession de
qui elle était venue. C'est ce catalogue qui me permet d'en ciier
au moins les lignes suivantes : — « ... Hélas! je suis venue trop
tôt dans ce monde. Si j'avais eu un rôle de vous et de Scribe,
vous auriez donné à mon faible talent de grands moyens de gloire, en
suivant vos inspirations. — Ma vie est toute de regrets, puisqu'il en
me reste que peu de jours à vivre pour vous aim^r de toute monàme. »
Quelque brillant qu'il soil,' un artiste n'est jamais complètement
satisfait du lot qui lui est échu dans ce rude combat de la vie.
Avouons pourtant que M""' Saint-Aubin aurait eu tort de se plaindre
trop amèrement de la part que lui avaient faite les circonstances.
L'adoration du public, la confiance et l'affection des auteurs, vingt-
cinq années de succès ininterrompus, une renommée immense et
que le temps n'a pu eutamer, voilà qui pouvait assurément suffire à
talmer les quelques regrets que certains faits lui faisaient éprouver.
M""» Duret avait atteint déjà la vieillesse lors de la mort de sa
journaliste Charles Maurice, son contemporain, a consignée dans ses Épaves, a
la date de 1810, c'est-k-dire deux ans après que M"' Saint-Aubin eut quitté
rOpéra-Comique : — « Madame Saint-Aubin, de l'Opdra-Comique, arrivant à Metz
pour y donner des représentations, y trouva TEcole d'artillerie privée du plaisir
d'aller au théi'ilre pour y avoir fait du bruit. Informée de cela, la charmante artiste
sollicita, mais vainement, la levée de la consigne dont elle s'était flattée dans la
visite qu'elle avait reçue des élèves. Alors, elle signifia au directeur qu'elle ne
donnerait point fies représentations et lui paie ait le dédit stipulé. Une dèmarcbe
près du préfet fat plus heiireuse. Puis, elle apprit au général que les jeunes gens
demandaient à rester en retenue pendant toute une année, si l'on voulait leur per
mettre d'assister à ses représentations. Celte dernière partie de la requête fu
enfin accordée et même sans aucune resiiiction. C'était par Eupkrosiiie et Corad'm
que commençaient ces soirées. Un infinissable tonnerre d'applaudissements éclata
à ces mots ; « A tous les prisonniers je rends la liberté. " Et ce ne fut qu'après avoir
accepté des élèves une fête suivie de bal, que madame Saint-Aubin put quitter
la ville. — (1810.) »
(1) La date approximative de cette lettre nous est fournie par le détail relatif
au début d'Alexandrine. Ce début ayant eu lieu le 2 novembre 1809, la lettre
qu'on vient de lire doit être de la seconde quinzaine d'octobre de cette année.
mère, puisqu'à cette époque elle était âgée de soixante-cinq ans.
Elle en avait soixante-dix-sept lorsqu'elle mourut elle-même, le
29 novembre 1862, à Paris, qu'elle n'avait jamais quitté. Et sa sœur
Alexandrine en avait tout juste soixante-quatorze quand elle dis-
parut à son tour de la scène du monde, au mois d'avril 1867.
Devenue, en 1839, veuve de l'excellent acteur Joly, celle-ci avait
épousé en secondes noces un riche marchand de bois de Nevers,
nommé Houdaille (I), auquel elle survécut aussi. Elle vivait, depuis
longtemps déjà, retirée à Saint-Saulge, pelit pays du département
de la Nièvre.
C'est ainsi que finit une génération d'artistes qui durant plus d'un
demi-siècle avaient jeté un si vif éclat sur l'une de nos grandes
scènes parisiennes, et qui, par leurs alliances, avaient donné du
relief au nom de diverses familles. Les Schrœder, les Moalinghen,
les Saint-Aubin, les Doret, les Joly, ont leur place marquée dans
l'histoire du théâtre en France, cette histoire sous tous les rapports
si brillante et si honorable. Mais de tous ces noms, celui qui res-
tera le plus fameux, celui qui plane au-dessus de tous les autres
et qui les absorbe dans son rayonnement lumineux, c'est le nom
de Saint-Aubin, parce qu'il fut celui d'une femme charmante, d'une
comédienne exquise, d'une véritable grande artiste, au talent
.souple, varié, multiple, plein tout ensemble de grâce et de vigueur,
d'élégance et d'originalité, d'une artiste sédui-ante au possible, qui
fut l'idole du public, l'enchantement de tous ses contemporains et,
on peut le dire sans excès, l'nne des gloires de la scène française
il y a tantôt un siècle.
FIN Arthur Pougin.
I
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Cbàtelet. — Après une bonne exécution de la sympho-
nie en ut mineur de Beethoven, M. Colonne a donné une seconde audition
des fragments à'Eloa, le poème lyrique de M. Ch. Lefebvre. C'était M. Au-
guez qui remplissait cette fois le rôle du récitant ; il s'en est acquitté
avec une maestria sans égale. Nous avons été charmé de cette a'ùdition. Il
est si doux, api-ès les débordements musicaux de ces derniers temps,
d'entendre des harmonies naturelles, de beaux chants, quelque chose de
bien fondu, de bien nourri, sans l'inévitable fracas des trombones ! La
musique de M. Lefebvre renferme tout cela. C'est de la musique qui
semble composée sans effort, qui a au plus tiaut point le cachet d'une
poésie sincère. Celle de M™ Holmes a de plus hautes visées. Sou Voyage
au paijs bleu débute par un lever de soleil sous forme de crescendo. Jamais
un lever de soleil ne se décrit autrement, et je me demande sous quelle
autre forme on pourrait le décrire. La seconde partie, En mer, nous a un
peu surpris : nous croyons entendre au début un motif bien connu des
Pécheurs de perles de' Bizet. Mais après cette réminiscence, nous avons res-
senti une impression dee plus agréables : La barcarolle, accompagnée dans
la coulisse par un chœur pianissimo, pendant que les violons en sour-
dine et les violoncelles se répondent, est une inspiration de premier
ordre et d'un effet délicieux. Nous aimons moins la Tarentelle, qui est,
néanmoins, pleine de vigueur et d'entrain. — Le ballet d'Ascanio, de
M. de Saint-Saëns, est intéressant et finement ciselé, mais nous connais-
sous des œuvres meilleures du maître français. — Venons aux solistes :
M. Auguez a dit, avec son grand style, l'air si beau et si difficile de
Hfendel (air de Lucifer dans l'oratorio de la Résurrection) et une très belle
œuvre de M""= de Grandval, le Chant du Reitre, d'un caractère sauvage et
saisissant. Nos félicitations, pour en finir, à une jeune pianiste,
M"' Steiger. Quoiqu'elle fût un peu couverte par l'orchestre etqu'elle
eût sous les doigts un piano qui manquait de sonorité, elle a dit avec
un goût irréprochable, une netteté incomparable et un style excellent
le concerto en sol mineur de Mendelssohn ; elle a été couverte d'ap-
plaudissements, et c'était justice. M"« Steiger a en elle l'étoffe d'une
véritable artiste, et nous sommes heureux d'enregistrer son succès.
H. Barbedette.
— Concerts Lamoureu.x.'J— M. Chevillard,3 en prenant pour sujet d'un
poème symphonique le Chêne et le Hoseau de La Fontaine, semble vouloir
exagérer les tendances de l'école descriptive ; mais ce n'est là peut-être
qu'une apparence, car certaines fables assurément peuvent légitimement
donner naissance à des poèmes sympboniques. L'essentiel est de ne pas
demander à l'orchestre de nous montrer, par exemple, le Chêne et le Ro-
seau comme on les voit sur le tableau du peintre Diday au musée de
Genève. A chaque art sa compétence propre. La première partie du
poème de M. Cbevillard exprime le frémissement du vent sur les eaux ;
une harmonie un peu vague et saus assises puissantes, une petite phrase
élégiaque de cor anglais suffisent à l'évocation du paysage. Tout cela n'est
pas vraiment sans grâce. Dans la suite, on entend parler le chêne; ayant
la basse-tuba pour porte-voi-t, tandis que l'humble roseau n'a pour lui
(2) Et non Oudaille, comme je l'ai dit par erreur dans le Supplément de la
Biograpliie universellf des musiciens de Fêlis.
94
LE MÉNESTREL
répondre que Tanche du cor anglais, ce qui constitue un dialogue d'une
valeur musicale discutable. Le tout finit par une tempête, au cours de
laquelle se dénoue le drame.' En somme, le dialogue et le drame ne fon t
pas oublier le paysage, qui reste ce qu'il y a de mieux dans la petite
œuvre de M. Chevillard. — M""' Brunet-Lafleur a chanté avec un grand
charme poétique la seconde scène du deuxième acte de Lohengrin. Le
timbre charmant do sa voix et son style correct lui ont mérité des témoi-
gnages d'approbation unanime. Elle était secondée par M"'" Materna, qui
avait accepté le rôle dramatique, mais ingrat d'Ortrude. M""' Materna
dont la voix, qui a conservé beaucoup de netteté, retrouve par instants
des notes d'un timbre pénétrant et même une certaine ampleur, a dit la
scène finale du Crépuscule des Dieux. Cette voix coule avec une fluidité
merveilleuse, absolument pure, mais dégagée de tout rayonnement comme
une étoile qu'on verrait au télescope. C'est le torrent transformé en filet
de cristal. — L'ouverture de Coriolan, Pliaéton de M. Saint-Saëns, le pré-
lude de Parsifal et la Marche hongroise de Berlioz ont été rendus avec
précision et avec le respect des nuances et de caractère spécial de
chaque composition. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Relâche.
Chàtelet, concert Colonne: ouverture de rann/inuser (R. Wagner); h Chant du
retire (Grandvall , chanté par M. Auguez; Marine (G. 'Pfeiffer); Infelice (Mendels-
sohn), chanté par M°" Katherine 'Van Arnhem ; A la musique (E. Chabrier), chœur
pour voix de femmes avec solo par M"'° I.eroux-Ribeyre ; Aupays bleu (A. Holmes) :
concerto en sol mineur (.Mendelssohn), exécuté par W Louise Steiger; l'Arté-
sienne (G. Bizel).
Cirque des Champs-Elysées, concert (série B), programme : symphonie en nu
bémol (Mozart); adagio et rondo du premier concerto pour violon (Vieuxtemps),
par M. Houtflack ; deuxième scène du deuxième acte de Luhenijrm (Wagner) :
M"' Brunet-Lafleur (Eisa), M"" Materna (Ortrude); ouverture de Léonore n° 3
(Beethoven); scène finale du Crépuscule des dieux (Wagner).- Brunehilde, M"'° Ma-
terna ; marche hongroise de la Damnation de Faust (Berlioz).
— Musique de chambre. — La Société de musique de chambre pour
instruments à vent a donné son deuxième concert avec le concours de
M. G. Pierné, renplaçant M. Diémer. Au programme se trouvaient ins-
crits le délicieux quintette de Mozart, la Sinfonietta de Raff, une des
œuvres vraiment intéressantes de ce grand artiste si étonnamment iné-
gal, et la spirituelle tarentelle de M. Saint-Sauns, exécutés avec la per-
fection et la pureté de style que l'on ne trouve réunies que dans cette
association de virtuoses. Un-; nouveauté à cette séance était une Can-
zonetta pour clarinette de M. G. Pierné, court morceau d'un charmant
effet, brillamment interprêté par M. Turban accompagné par l'auteur.
— La dernière séance de M. Mendels a été particulièrement réussie.
M. Paul Fournier était le pianiste. Il a exécuté avec MM. Mendels.
Waeiîelghem et Gasella l'admirable quatuor de M. Saint-Saëns et joué seul,
avec la technique si pure et impeccable qu'on lui connaît, la Pileuse de
Raff et un presto finement ouvragé de sa composition. M. Van Waef-
felghem a fait entendre sur la viole d'amour, l'instrument qu'il manie
avec une habileté consommée, une jolie romance de sa façon, et une
gavotte dé Boismortier, datant de 1736. Sim succès a été brillant; aussi
brillant que celui de M. Warmbrodt, interprète très remarquable d'un
séduisant lied. Calme de la nuit, de M. S. Lazzari, et de deux mélodies
(Marguerite des lois et Berceuse) aussi gracieuses de forme que d'idée de
M. Boellmann. j_ ^py^
— Le concert donné l'autre jeudi, salle Erard, par la Société chorale
d'amateurs, offrait entre autres attractions la première audition à'Hylas,
scène lyrique de M. Théodore Dubois. Le succès en a été considérable!
Le poème de M. Guinand est disposé de façon à faire tenir en quelques
pages des situations variées dont le compositeur a su profiter avec beau-
coup d'habileté et de bonheur. Citons surtout le début très poétique, le
Chœur à Bacchus, d'un beau mouvement, puis, après le chœ^r et la Danse
des nymphes, d'une couleur charmante, Varioso qui, merveilleusement rendu
par M. Martapoura, a produit beaucoup d'eff'et. Le finale, un peu court
peut-être, est pourtant d'une belle sonorité dramatique. Une mention
d'honneur est due à M™ la vicomtesse de Trédern, qui, d'ailleurs, s'est
chargée des soli pendant presque toute cette soirée el y a recueilii des
bravos sans fin. — Avec cette première, il y avait des reprises : celle d'a-
bord d'un petit chef-d'œuvre de Léo Delibes, la Mort d'Orphée, qu'il écrivit
en '1877 pour la société. Malgré l'absence, irréparable, hélas! de son
auteur, cette scène (est-il besoin de le dire?) n'a pas reçu du public un
accueil moins chaleureux, ni de ses interprètes une exécution moins ]iar-
faite qu'autrefois; et c'est avec une émotion sincère qu'on a applaudi ces •
pages où vibrent si intenses le sentiment de l'antiquité et l'amour de la
nature et qui se terminent par cette belle plainte: « Il est mort le poète
aimél » à laquelle, ainsi qu'on l'a justement remarqué, les circonstances
prêtaient une trop regrettable actualité. M. Gogny a fort bien chanté l'air
dfOi-phée. La place nous manque et pourtant il faut constater le grand
plaisir qu'a fait la reprise de la Ronde des songes, l'une des plus séduisantes
pairtitions de M"" de Grandval sur l'un des plus jolis poèmes de M. Païul
Collin et dont le succès est toujours sur. M'"^ Leroux-Ribeyre en a inter-
prété les gracieux soli avec infiniment de charme. Enfin, de superbes
fragments du Requiem de Verdi, deux chœurs tout à fait réussis de
W" Cha;rainade et, dans un intermède, le cor magique de M. Brémond,
ont brillamment complété le programme de cette soirée, par laquelle des
éloges sans restriction sont dus aux impeccables et élégants choristes
mondains si bien dirigés par M. Maton. Remv Doré
— Société nationale. — Nous avons rendu compte dans le dernier
numéro de l'exécution de la Cantate de Pâques, de Bach, donnée au concert
avec chœur et petit orchestre, salle Erard, le samedi 9 mars. Au même
concert, outre un concerto du même Bach et deux morceaux de
M. G. Fauré, exécutés avec un excellent style par une jeune pianiste,
M'" Ten Ilave, on a entendu pour la première fois un Hymne rédigue, de
M. Ernest Chausson, sur une poésie de Leconte de Lisle, composition
chorale d'une large envergure et par moment d'un très grand caractère ;
kl Nativité, de M. Paul Vidal, musique de scène du mystère de M. Mau-
rice Bouchor, qui a obtenu un si grand succès cet hiver au théâtre des
marionnettes : transportée au concert, elle n'a pas produit une moins
bonne impression; les parties chorales y ressortent très clairement (le
chœur final, avec la berceuse de la Vierge, est vraiment d'un bien joli
sentiment et d'une forme charmante dans sa simplicité); on aurait pu
seulement supprimer quelques morceaux de musique de scène, qui n'ont
pas beaucoup d'importance et paraissaient trop nombreux ; enfin une
mélodie de César Franck, et le Chant de Blancheflor, complainte gothique,
par M. de Polignac, composition qui, bien que la forme n'en apparaisse
pas très nettement à la première audition, n'est pas sans caractère.
M"'= Leroux-Ribeyre l'a chanté avec beaucoup de charme et de talent,
comme elle avait fait déjà pour les soli de la Nativité, où elle était remar-
quablement secondée par M"" Lavigne. Aux séances précédentes, dont
nous avons négligé de rendre compté, il n'y a guère eu, en fait de nou-
veautés, que des œuvres d'une importance secondaire; signalons seule-
ment un quatuor remarquable de forme et sérieusement pensé, de
M. Ch. Lefehvre, un Préltide et fugue pour instruments à cordes, de
M. E. Mourant, deux mélodies de M. Wiernsberger, et difl'érents morceaux
religieux de MM. L. Husson, Gh. Bordes, E. Chausson, Samuel Rousseau,
Fauré et P. de Bréville : ces derniers ont été exécutés dans une séance
de musique religieuse donnée à l'église Saint-Gervais. séance dont le
morceau capital a été le Psaume d'Alexis du Castillon, le même dont
M. Louis Gallet parlait récemment dans ce journal au cours de ses inté-
ressantes Notes d'un librettiste. C'est, en effet, une fort belle composition
oui mériterait d'être entendue intégralement (on n'avait pas pu en don-
ner le finale, trop compliqué pour les ressources de la Société) et devant
un public plus étendu, car c'est certainement une œuvre qui compte
parmi celles qui font le plus d'honneur à notre école française. — J. T.
— Jeudi prochain 26 mars (jeudi saint) à' i heures et demie aura lieu à
l'église Saint-Gervais une audition du Stabat mater à double chœur de
Palestrina et du Miserere d'AUegri, deux vieux chefs-d'œuvre que l'on
n'entend plus jamais, même en Italie. Les deux chœurs, placés sur deux
tribunes de chaque côté de la nef, seront dirigés par MM. Charles Bordes,
maître de chapelle de Saint-Gervais, et Julien Tiersot.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique ('IS mars). — Après un repos
mérité, la Monnaie vient de reprendre la série interr.impue des représen-
tations de Siegfried; et, à cette occasion, de fortes coupures ont été opérées,
notamment dans le rôle de Wotan. Je serais bien curieux de savoir ce
qu'en pensent les xvagnérions. Lundi, nous aurons la reprise d'Obéron, qui
n'a plus été jouée depuis six ans, et, bientôt après, une reprise de Mireille
avec M"' Sanderson. Ce sera le dernier rôle que chantera la gracieuse
Américaine, avant de nous quitter pour Paris, où l'attend son engagement
à l'Opéra, ou plus probablement, nous assui-e-t-on, à l'Opéra-Gomique :
car rien n'est encore, paraît-il, tout à fait décidé à ce sujet. Pour la rem-
placer la direction a engagé M"" Eames, qui retrouvera certainement à la
Monnaie, l'an prochain, le succès qu'elle a trouvé à ses débuts à l'Opéra
de Paris. EL puisque j'en suis à vous parler de départs et d'engagements
j'ajouterai, parmi ceux qui s'en vont, M. Bouvet, qui sera particulière-
ment regretté et que remplacera probablement M. Seguin, un ancien et
excellent pensionnaire de la Monnaie, M"' Nardi et M"" Archainbaud ; et
parmi ceux qui nous resteront, M""= de Nuovina, M"' Gan-ère, MM. Lafarge
Badiali et Sentein. Ce sont là les premiers renseignements connus sur ce
que sera la troupe de l'année prochaine et ils sont inédits. L. S.
— Avec un retard de cinq années, provenant d'une foule de difficultés
de toutes sortes, on vient enfin de célébrer à Venise le second centenaire
de l'illustre Benedetto Marcello, né en cette ville le 24 juillet 1686. A cette
occasion on a donné un grand concert dont le programme était exclusive-
ment composé d'œuvres du vieux maître, à l'exception d'une composition
en écrite son honneur par M.Rieginaldo Grazzini sur des vers de M. Pelle-
grinoOreffioe;/nno-Con(a(nBe(ie(totoajl/arceHo.Voici quel était ce programme
Chœur à quatre voix, avec piano et instruments à cordes; duetto pour
soprano et contralto ; i" sonate (en sol mineur) pour piano et violon ;
X' psaume (In domino confido) à quatre voix et soli; i" concerto à cinq
instruments (premier et second violon, alto, violoncelle et piano); Et incur-
LE MENESTREL
95
I
natus, chœur, et soli de soprano et contralto, ténor et basse, avec orgue ;
enfin, ariette pour soprano de la Sérénade à trois voix avec intruments à
cordes et piano. On a applaudi dans la partie vocale M""'* Biliotti, Ban,
Décima, Paduan, Svicher et Nisetti, MM. Gremonini et Gromberg, dans la
partie instrumentale MM. Tirindelli, Dini, Giarda, Lancerotto et Piermar-
tini. Les chœurs comprenaient, avec les élèves du Lycée musical Mar-
cello et de nombreux choristes de profession, beaucoup d'amateurs des
deux sexes. On a surtout accueilli comme une œuvre sublime le concerto
à cinq instruments, d'ailleurs merveilleusement exécuté. Tout ce qu'il y
avait de plus riche, dit un journal, de plus intelligent, de plus beau à
Venise, a tenu à honneur d'assister à cette superbe manifestation artis-
tique, dont le succès a été tel qu'on a dû redonner ce concert quelques
jours après et qu'une troisième audition paraissait probable.
— Le Théâtre National de Rome prépare pour sa prochaine saison de
printemps la représentation d'un ouvrage nouveau, le Nozze in prlgionc,
opéra bouffe de M. Usiglio. Parmi les autres ouvrages inscrits au réper-
toire, on cite il Turco in Italia, opéra aujourd'hui bien oublié de Rossini,
le Domino noir d'Auber, Tutti in Maschera de Pedrotti, les Joyeuses Commères
(te Windsor, de Nicolaï, et Dinorali (le Pardon de Ploërmel).
— Les Italiens ont décidément de singuliers sujets de ballets. Au Po-
liteama de Naplès, on en prépare un grandiose, sous ce titre: le Débarque-
ment de Garibaldi à Marsala. Tout le personnel de la troupe sera employé
dans cet ouvrage, et on lui adjoindra encore 2i coryphées, 100 comparses
et. .. 20 chevaux.
— Dépêche de Vienne: Première CaufiHei'M rusticana de Mascagni à l'Opéra
impérial. Succès retentissant. Salle comble. L'Empereur et toutes les nota-
bilités de l'aristocratie, des arts et de la critique assistaient au spectacle.
Orchestre parfait. Interprétation excellente.
— Nous avons annoncé il y a quelque temps que M. Hans de Bûlow
avait reçu d'un groupe d'amis et d'amirateurs, à l'occasion de son soixan-
tième anniversaire, un don de dix mille marks avec la prière d'en disposer
dans un but utile à l'art musical. Le maître a, lui-même, chargé son ami
le docteur Chrysander de rechercher le meilleur emploi à faire de cette
somme, et voici ce qui a été décidé : il sera affecté 2,-500 marks à la re-
production phototypique de la partition autographe du Messie, ce prodige
de composition, accompli en vingt-trois jours ; les 7.S0O marks restant
seront employés à l'achat d'instruments de musique des dix-septième et
dix-huitième siècles, destinés à être offerts au musée de Hambourg. Dans
l'esprit du donateur, ces instruments devront être choisis en vue d'être
réunis en groupes pouvant servir à illustrer l'histoire de la musique dans
les principaux pays pendant les deux derniers siècles.
— Le Gonservatoire de Vienne vient de fêter dignement le centenaire
de la naissance de Charles Czerny, le célèbre pianiste, né à Vienne le
21 février 1791. L'administration du Gonservatoire s'était adjoint, pour les
soins de l'organisation du centenaire, la Société Czerny et la Société des
amis de la musique. Les meilleurs élèves du Gonservatoire ont pris part à
la séance donnée dans la soirée et consacrée exclusivement aux œuvres
de Czerny. Un discours a été prononcé par M. Mandyczweski, archi-
viste du Conservatoire. On sait que Czerny a publié plus de huit cent
cinquante ouvrages, qui sont pour la plupart des collections d'études ou
exercices pour piano. Et dans ce chiffre ne sont pas comprises ses nom-
breuses compositions non classées faute de numéros d'œuvres. Le secret
de cette activité vraiment phénoménale, Czerny l'expliquait lui-même
dans cette simple déclaration dont se souviennent ses familiers des der-
nières années : « Du plus loin que vont mes souvenirs, j'ai toujours
donné douze heures de leçons par jour; je consacrais régulièrement quatre
heures à la composition, une heure à la lecture, une heure aux repas et
six heures au sommeil ». En d'autres termes, c'est dans le don de savoir
organiser son temps que réside l'art de produire beaucoup.
— C'est les 17, 18 et 19 mai prochain, à Aix-la-Chapelle, qu'aura lieu
•cette année le festival rhénan de la Pentecôte, sous la direction de M.Schuoh ,
maître de la chapelle du roi de Saxe, et de M. Schwickerath, directeur de
musique à Aix-la-Chapelle. Les solistes seront : M"^" Pia van Sicherer (so-
prano), de Munich, "M™ Wirth (contralto), de Cologne, MM. Von Zur
Mûhlen (ténor), Birrenkoven (fort ténor), et Perran (basse chantante) ; enfin
ile pianiste Eugène d'Albert. Voici la composition définitive du programme
des trois journées : 1<"' jour : Symphonie en ut mineur (n" S), de Beetho-
ven ; les Saisons, oratorio d'Haydn; — 2« jour : concerto pour deux orches-
tres, de Haendel; concerto de piano en mi bémol, de Beethoven, par
M. Eugène d'Albert; scènes tirées du Faust de Schumann ; — 3° jour : ou-
verture i'Obéron, de Weber ; syrhphonie en fa majeur (n" 3) de Johannes
Brahms: prélude et scène finale de Tristan et Yseult, de Richard "Wagner :
ouverture du Carnaval romain, de Berlioz; scènes finales des Maîtres chan-
teurs, de "Wagner; divers solos.
— Au théâtre Marie, de Saint-Pétersbourg, pour la soirée de bénéfice
d'une charmante danseuse. M™» Joukowa, on a donnéla première représen-
tation d'un ballet nouveau, Cakabrino, scénario de M. Tschaïkowsky, écri-
vain distingué et frère du compositeur de ce noip, musique de M. Minkous
qui tut naguère, à Paris, le collaborateur de Léo Delibes pour le ballet de
laSowce. Au divertissement de cet ouvrage, M"" Joukowa a dansé avec
:un très grand succès une mazurka dont la musique, indépendante de la
partition, est due à M. Kouznétsovi'.
— Ressuscitée à Paris par l'initiative du Cercle funambulesque, la
pantomime va-t-elle faire son tour d'Europe? Voici qu'on annonce la
prochaine apparition, à l'Alcazar de Bruxelles, d'une pantomime inédite,
l'Epreuve, avec musique de M. Maurice Lefèvre, dont les deux principaux
rôles seront joués par M™ Leroy et M"= Renée Amond.
— A Londres, M. d'Ogly Carte, le directeur du nouveau « Royal- English-
Opera » vient de commander trois ouvrages à trois compositeurs anglais,
M. Goring Thomas, l'auteur applaudi d'ifsmeî'aida, M Frédéric Gowen, connu
déjà par plusieurs productions importantes, etM.IIamish Mac Gunn, dont
le nom, nous semble-t-il, est moins répandu que celui de ses deux con-
frères. C'est l'opéra de M. Goring Thomas qui doit être représenté le pre-
mier, lorsque disparaîtra de l'affiche VIvanhoé de M. Arthur Sullivan.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Nous avons fait connaître les noms des quatre candidats qui se pré-
sentent pour recueillir, à l'Académie des Beaux-Arts, la succession du
regretté Léo Delibes. Le classement des candidats s'est fait dans la séance
du 14 mars. La section de composition musicale a présenté : en pre-
mière ligne, M. Ernest Guiraud ; en seconde ligne, ex œquo, MM. Victorin
Joncières et Paladilhe. L'Académie a ajouté à ces trois noms celui de
M. Emile Pessard. C'est dans la séance d'hier samedi qu'on a dû procéder
à l'élection.
— L'élection des jurés du concours musical de la Ville de Paris, laissés
au choix des concurrents, a eu lieu à l'Hôtel de Ville, sous la présidence
de M. Armand Renaud, inspecteur en chef des Beaux-Arts et des travaux
historiques, délégué de M. le Préfet de la Seine, assisté de MM. Boll,
Longuet et Stupuy, conseillers municipaux. Ont été élus : MM. Guiraud,
d'Indy, Chabrier, Th. Dubois, Massenet, Widor, Fauré et M"'° Augusta
Holmes, membres du jury; MM. Benjamin Godard, Emile Pessard, Pala-
dilhe et P. I-Iillemacher, jurés supplémentaires.
— Voici les dates relatives au concours de composition musicale pour
le grand prix de Rome. Concours d'essai : entrée en loges le samedi 9 mai;
sortie le vendredi 15; jugement (au Conservatoire), le samedi 16. Concours
définitif: entrée en loges, le samedi 23 mai; sortie le mercredi 17 juin;
jugement (à l'Institut), le samedi 27 juin.
— La pnopmÉTÉ littéraihe et artistique. — Ainsi que nous l'avons an-
noncé, une importante réunion a eu lieu cette semaine au siège de la Société
des auteurs et compositeurs dramatiques, sous la présidence de M. Camille
Douoet. Étaient représentés : la Société des gens de lettres, par MM. de
Moiiy, Diguet et L. Collas, la Société des auteurs dramatiques, par MM. L.
Halévy, V. Joncières. Paul Ferrier, V. Sardou, G. Roger et Debry ; l'Asso-
ciation internationale littéraire et artistique, par MM. J. Lermina, Pouillet,
Bœtzmann et Henri Lévéque ; l'Association des compositeurs de musique, par
MM. Pradels, Souchon et Darras ; l'Association de la Presse républicaine, par
MM. Alphonse Humbert, Bertol-Graivil et Ch. Henry; le Syndicat des édi-
teurs, par MM. Templier, Ollendorff, Lavallée et Delalain. — Le thème de
la discussion — qui n'a pas duré moins de deux heures — a été le sui-
vant : les tarifs douaniers qui viennent d'être préparés par la commission
générale des douanes et qui vont être bientôt mis en discussion devant la
Chambre des députés, modifient si profondément les relations économi-
ques et commerciales que la France entretient avec ses voisins, que de
tous côtés des inquiétudes se manifestent et que les gouvernements
étrangers voient leur commerce et leur industrie tellement menacés qu'ils
cherchent par quels moyens ils pourront non seulement se défendre mais
encore user de représailles vis-à-vis de la France. Dans ces conditions, il
est indispensable de grouper toutes les forces vives de la littérature et des
arts pour protester, pendant qu'il en est temps encore, contre un courant
qui aura pour premier résultat de faire perdre aux écrivains et aux édi-
teurs, aux compositeurs et à tous les artistes français, les avantages si la-
borieusement et si péniblement obtenus au point de vue de la reconnais-
sance de la propriété littéraire et artistique. Pour arrêter définitivement
les mesures à prendre afin de sauvegarder les intérêts littéraires et artis-
tiques qui sont menacés, la réunion a décidé qu'il y avait lieu de réunir
d'urgence une sous-commission chargée d'élaborer une note qui serait
soumise aux pouvoirs publics..
— C'est M. Ernest Guiraud qui a bien voulu se charger du soin pieux
d'achever l'orchestration de Kassya, l'œuvre dernière laissée par Léo De-
libes. Son amitié pour le cher regretté le désignait tout naturellement
pour ce travail si délicat, et nul mieux que lui ne pouvait entreprendre de
le mener à bonne fin. M.Carvalho se préoccupe beaucoup de l'achèvement
prochain de cette orchestration, car il veut faire de Kassya l'œuvre capi-
tale de sa prochaine saison à l'Opéra-Gomique.
— Fidelio vient de reparaître au tableau des études de l'Opéra. On
attend l'arrivée prochaine, à Paris, de M. Gevaert pour activer les der-
nières répétitions du chef-d'œuvre de Beethoven, que l'on pourra en-
tendre sans désavantage, même après les représentations du Mage, de
M. Massenet.
— A rOpéra-Comique, M. Garvalho procède à la reconstitution d'une
troupe que M. Paravey avait laissée dans un singulier état de délabre-
ment. Le différend avec M. Renaud est clos à l'aide d'une transaction
acceptée des deux parts. M. Renaud reste acquis à FOpéra-Comîque jus-
96
LE MÉNESTREL
qu'à la fin de la saison. M. Bouvet, l'excellent baryton, est engagé à
nouveau, de même la charmante M"""^ Degrandi. dont on regrettait de
ne plus voir le charmant visage. Nouveaux engagements probables : ceux
de M"» Merguillier et du ténor Lubert. On parle aussi de M"« Samé et de
M'ue Thuillier-Leloir. D'autres surprises nous sont encore réservées.
M"° Vuillaume fera, avant qu'il soit longtemps, son début dans Mireille.
— Voici des renseignements sur la pantomime de Néron, dont la pre-
mière représentation à l'Hippodrome est fixée au samedi, veille de Pâques.
M. E. Lalo a écrit une partition spéciale pour cette pantomime, qui com-
porte trois grands tableaux. 1" tableau : le Palais d'or de Néron ; mort
de Britannicus; l'Orgie (ballet). 2= tableau : Le Cirque, Combats, etc. (C'est
dans ce tableau que devait avoir lieu la scène des combats de lions qui
se trouve supprimée momentanément par suite de l'accident arrivé à l'une
des répétitions). 3= tableau : Le Forum; mort de Néron; entrée des légions
victorieuses de Galba. L'orchestre symphonique compte près de 200 musi-
ciens. Les chœurs, dirigés parM. Marty, ont une importance considérable.
Le ballet, composé et réglé par M. Danesi, comporte 90 danseuses. On dit
des merveilles de la mise en scène, costumes et décors.
— M. Pierre Tschaïl^owsky, le célèbre compositeur russe, est attendu
ces jours-ci à Paris, d'où il se rendra très prochainement à New- York, où
il est attendu pour l'inauguration d'une nouvelle salle de concerts. Tou-
tefois, pendant son séjour ici, M. Tschaïlcowsky fera entendre, le
S avril, au concert du Chàtelet, plusieurs de ses œuvres, dont il dirigera
lui-même l'exécution.
— M. Gunzborg, l'étincelant directeur du théâtre municipal de Nice,
paie de sa personne sur son propre théâtre. Il vient d'y jou;t, non pas
Arnold de Guillaume Tell ou Raoul des Huçjuenots, mais bien Gaspard des
Cloches de Comeville et Pontsablé de Madame Favart. Voilà qui est bien pour
un futur directeur de notre Opéra! On sait que M. Gunzborg pose, sans
rire, sa candidature à la direction de l'Académie nationale de musique.
Il saurait assurément en varier et en égayer le répertoire.
— Le jeudi et le samedi saints de cette semaine, on donnera à l'Opéra-
Gomique deux auditions du Requiem de Verdi, interprété par M""* Simon-
net et Risley, MM. Gibert et Fournets. M"' Risley, qui prête gracieusement
son concours à M. Carvalho, est un des plus brillants contralti qui soient
sortis de la classe de M"" Marchesi; elle doit chanter à Londres, cette
saison, au théâtre de Covent-Garden.
— Le bel oratorio de M. Théodore Dubois, les Sept Paroles du Christ, sera
exécuté simultanément à Paris, le vendredi saint, dans les églises suivantes
la Madeleine, Saint-Augustin, Saint-François-de-Sales, Saint-Louis-Saint-
Paul et Saint-Pierre de Chaillot. En même temps beaucoup d'exécutions
du même ouvrage auront lieu en province, notamment à Nantes, sous la
direction personnelle de l'auteur, à Reims, à Dole, à Cette, etc.
— Le jour de Pâques, à l'église Saint-Eustache, aura lieu la première
exécution de la Jfose de la Résurrection de M. Félix Godefroid, dirigée par
M. Jules Steenman. Soli par MM. Giampi et Bermont ; à l'Offertoire
l'Hymne au Seigneur, pour 10 harpes et tous les violoncelles.
— Aujourd'hui, dimanche des Rameaux, M. Georges Blondel, maître
de chapelle à Saint-Jacques-du-HautPas, fera entendre en cette église, à
8 heures et demie et à 11 heures, la musique qu'il a composée pour les
vingt tutti du chant de la hassion de Saint Mathieu.
— Vendredi saint, à une heure, aura lieu à Saint-Eustache l'exécution
du Stabat Mater de Rossini. L'orchestre et les chœurs sous la direction de
M. Steennman, maître de chapelle. M. Rémy exécutera, après l'allocution
pastorale, une Contemplation pour violon principal et orchestre de la com-
position de M. Dallier. Cette même Contemplation sera exécutée en l'église
de Saint-Mandé, le même jour, par les soins de M. Ribey.
— Le bal ^nnuel au bénéfice de l'Association de secours mutuels des
artistes dramatiques, fondée il y a cinquante ans par M. le baron Taylor,
aura lieu dans la salle du grand Opéra, le samedi M avril.
— C'est du Nord aujourd'hui que nous vient... la décentralisation. Nous
en avons deux essais à enregistrer coup sur coup. A Dunkerque, c'est
l'apparition, le o mars, d'un opéra-comique en un acte, le Triomphe des
cryptogames, joué par MM. Simon et Noël, M°"s Vaillant et Simon, et
dont la musique est due à un amateur de la ville, M. Herprech. A
Douai, c'est la représentation d'une œuvre d'un genre plus sérieux,
David, drame biblique en un acte, musique d'un compositeur douaisien,
M. Charles Duhat, chanté par M"' Derville, MM. Gluck et Miranda. la
partie chorale étant confiée aux orphéonistes de Douai.
CONCERTS ET SOIRÉES
Le concert donné par M"= Caroline de Serres (Montigny-Rémaury) à
la salle Erard, au profit de l'Association des Dames françaises, aura été,
sans contredit, l'un des plus brillants de la saison. Outre l'éminente pia-
niste, dont les brillantes qualités de style et d'exécution ont soulevé,
chaque fois qu'elle a joué, les applaudissements d'un auditoire nombreux
et choisi, on a entendu M. Taffanel, le merveilleux flûtiste, qui s'est révélé
aussi excellent chef d'orchestre en conduisant diverses pièces, parmi les-
quelles la ballade et le thème slave de Coppélia, M. White, le très brillant
violoniste, et enfin M. Coquelin aîné dans deux monologues dits avec la
maestria qu'on lui sait.
— Les conférences-cours que fait à l'institut Rudy l'excellent'professeur
de chant M'"" Lafaix-Gontié vont être clôturées le vendredi saint par
une séance de musique religieuse, où l'on entendra, entre autres morceaux,
la belle mélodie de Faure : Espoir en Dieu, M"" Lafaix-Gontié se consa-
crera ensuite à la préparation de la matinée d'élèves qu'elle donne annuel-
lement salle Erard et qui est toujours si brillante.
— Jeudi prochain, 26 mars, salle Erard, concert de M. Rodolphe La-
vello, avec le concours de M"'' Lyven, de l'Opéra-Gomique, de MM. Jo-
seph White, Léon Delafosse, Ranchini et Jean Bretan.
— Soirées et CoxcEnTS. — M"" Barbier-Jussy vient de donner une très intéres-
sante audition de ses élèves. Maître et disciples ont été maintes fois l'objet des
applaudissements flatteurs d'uQ public nombreux. Parmi les morceaux les plus
goûtés, citons : Vahc-sérénade de M. Antotiin Marmoutel, .iti' ingarese et
2° Gavotte de M. Bourgault-Ducoudray, Mazurke éolienne de M. Théodore Lack,
Ballet des Nymphes de M. Ed. Ghavaguat, Valse de M"" M. Jaël, Marche cosaque à
quatre mains de M. G. Mathias, Jonglerie de M. B. Godard, et enfin les belles
Variations pour deux pianos de M. R. Fisebhof. — M. Baume, l'excellent professeur
de musique et le père du brillant premier prix de piauc du Conservatoire, avait
convié lout dernièrement la haute société de Toulon à une audition de ses
élèves qui a pleinement réussi et démoatré Texcellence de son enseignement.
Od y a fort applaudi la Romance de Rubinstein, Sclierzetto, Pulcinella et Valse
mineure de M. Raoul Pugno, VaUc-S'-réa^id'', â" Scherzo, Intermezzo et Scher-
zello de M. Anlonin Marmontel, la fantaisie sur les Noces de Figaro de M. Ch.
Neustedt, très bien interprétés par de jeunes pianistes au jeu sûr et élégant. —
La matinée de M" MUlet-Fabreguettes, qui a eu lieu salle Pleyel, a été très
brillante ; des élèves artistes se sont fait virement applaudir, principalement dans
la valse de Coppélia. les Chasseresses de SijliMa, et la marche danoise d^Homtet, ces
deux derniers morceaux joués à deux pianos, et dans le joli chœur des Vendan-
geuses de Jean de Nivelle, très bien dirigé par M. Fournier-Alix. M"" Conneau,
M"" du Minil, MM. P. LaugLer et Parent prêtaient leur brillant concours.
— Signalons aussi deux très brillantes matinées données l'une par M'"^
Chené, professeur au Conservatoire, dans laquelle on a entendu entre autres
morceaux. Danse des lutins de M. Th. Dubois, Valse rapide et Chant d'avril de
M. Th. Lack, Valse de concert de M. L. Diémer, Caprice badin, Valse lente de
M. R. Pugno et Autrefois et .1» malin de M. Anlonin Marmnntel ; l'autre par
M"" Ducatel-Lévj', entièrement consacrée aux œuvres de M. Th. Lack, parmi
lesquelles nous avons tout particulièrement remarqué Premier solo de concours,
Mimietto en si mineur, Myosotis, Valse de la main gauche, Tzigamji, l'Oiseau-mouche,
Chant d'avril, Cloches lointaines et Mazurke éolienne. — Les conférences-cours de
M""° Lafaix-Gontié, à l'institut Rudy, sont de plus en plus suivies par un très
nombreux auditoire, très attentif aux excellentes analyses fdites sur les mélodies
chanléea. A la dernière réunion, M"° Vételet et M"" Girard ont fait entendre avec
succès des compositions de MM. Maréchal, Lefebvre, A. Duvernoy, La terre a
mis sa robe blanche de M. Th. Dubois, Vous ne m'avez- jamais souri de M. G. Ver-
dalle, Si l'amour prenait racine de M. Balthasai -Florence, etc., très judicieuse-
ment commentées par M""^ Lafaix-Gontié. — M"' Riquier, une des bonnes
élèves de M. G. Malhias, vient de donner une séance musicale au cours de
laquelle elle s'est montrée fort habile pianiste. Parmi les compositions portées
au programme et si brillamment interprétées figuraient le Concerto et plusieurs
intéressantes pièces de M. G. Mathias, la charmante et spirituelle Valse caprice sur
des thèmes de Strauss de M. I. Pbilipp, et un joli presto de M. P, Fournier.
NÉCROLOGIE
M. Ghennevières, un jeune ténor qui appartenait, il y a quelques
années, à la troupe de l'Opéra-Gomique, venait de débuter au théâtre de
Montpellier. Mercredi matin, on l'a trouvé mort dans sa chambre. M. Ghen-
nevières avait été vu, la veille, en parfaite santé. On trouvera peut-être
l'explication de cette mort subite daùs ce fait que l'artiste débutant venait
d'être refusé par le public.
— Un violoniste de grand talent, M. Albert Courtois, vient de mourir à
Saint-Quentin. Sa virtuosité y fut toujours très appréciée, et cet artiste
distingué ne voulut jamais d'autres succès. Il se contenta do vivre et de
mourir au milieu de ses concitoyens.
— On annonce la mort, à Munich, du baryton Kindermann, l'un des
plus illustres chanteurs de l'Allemagne. Né en 1817, il avait débuté en
1836, à Berlin, dans les chœurs; le compositeur Lachner l'y distingua et
lui fit chanter un grand rôle pour la première fois à Munich, C'est là qu'il
a fait toute sa carrière, chantant, dans l'espace de cinquante ans, près de
cent cinquante rôles. Il avait paru plus de trois mille fois sur la scène.
En 1886, on fêta son cinquantenaire de chanteur. Depuis il tint encore,
pour son plaisir, quelques petits rôles, tels que celui de Titurel, dans Par-
sifal, à Bayreuth : puis il se retira définitivement.
Henri Heugel, directeur-gérant.
NICE. — GRAND OPÉRA FRANÇAIS
La direction de l'Opéra de Nice est vacante
Adresser les propositions à M. Le Maire
3130
57- AWE — I\° 13.
Dimanche 29 Itlars 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henhi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aboniieraenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIEE- TEXTE
L Histoire de la seconde salle Favart, 2« partie (2« article), Albert Souries et
Charles Malherre. — II. Semaine théâtrale: Nch-on, à l'Hippodrome, H. M.;
première représentation de l'Onde Célesiin, aux Menus-Plaisirs, reprises àe
Coquin de printemps, aux Nouveautés, et de la Boule, au Falais-Royal, Paul-
Emjle Chev.alier. — III. Napoléon dilettante (1" article), Edmond Neukomm et
Paul d'Estrée. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec lenuméro de ce jour:
CHANT D'AVRIL
de Théodore L.4CK. — Suivra immédiatement: Gititarc, pièce extraite de
Conte d'avril, musique de Ch.-M. Widor.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Faut-il chanter?... dernière mélodie de Léo Déliées, poésie du
V"î DE BoRRELLi. — Suivra imniédiatement: Le meilleur moment des amours,
mélodie de Léo Delidiîs, poésie de Sully- Prudiiomme.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOXJBIES et'Cliarles MALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
(Suite.)
L'attente est, du reste, un mal ordinaire o,t traditionnel au
théâtre; Rila ou le Mari battu en fournirait un exemple, puisque
ce petit acte avait été reçu par Crosnier quelque seize ans
auparavant. Bisset avait succédé à Crosnier, Perrin à Basset;
entre temps, l'auteur était mort, et ce fut, en quelque sorte,
une exhumation dont s'avisa Roqueplan, lorsqu'il monta cet
ouvrage qui semblait oublié. La légende voulait que Donizetti
l'eût improvisé en une semaine, tour de force que sa facilité
naturelle rendait bien possible, et qu'il accomplissait après
tant d'autres émules, Rossini, Halévy, Adam, etc. Des néces-
sites de combinaisons de spectacles en avaient d'abord relardé
la mise à l'étude; puis la maladie était venue; Donizetti avait
quitté la France, et, à sa mort, ses papiers se trouvèrent mis
sous scellés. Les héritiers consentirent, non sans peine, à
livrer le manuscrit à Perrin; enfin, Roqueplan fit sonner
l'heure de l'exécution, après avoir constitué un véritable
jury qui eut mission de coDstater l'authenticité de la parti-
tition. Munie de son certificat, fiila parut enfin le 7 mai 1860
et fit applaudir un livret que son auteur, Gustave Waëz (de
son vrai nom Van Nieuwenhuisen), avait établi assez gaie-
ment. Rita, l'aubergiste, avait un premier mari qui la battait;
elle en prend un second, qu'elle bat; mais le premier, qu'on
croyait mort en un lointain voyage, reparait, et la malheu-
reuse se trouve entre deux époux, dont ni l'un ni l'autre ne
se soucie plus de mariage. Il faut qu'elle s'engage à ne plus
frapper, et le second consent à demeurer, tandis que le pre-
mier s'éloigne pour offrir son cœur et sa main à certaine
étrangère qu'il a rencontrée au cours de ses pérégrinations.
Le principal rôle était confié à M™ Faure-Lefebvre, qui s'y
montra charmante, comme toujours, si l'on en juge d'après
ce compliment que lui adressa, au lendemain de la première,
un critique influent : « Nous n'avons remarqué qu'une grosse
invraisemblance dans cette pièce : c'est que deux hommes,
assez heureux pour avoir épousé M™ Faure-Lefebvre,
veuillent tous deux la quitter : ce n'est pas admissible. » La
partition fut, comme l'interprète, l'objet d'un enthousiasme
feint ou réel parmi quelques critiques; Scudo, en particulier,
la proclamait un chef-d'œuvre. Sans aller jusqu'à ce mot,
on pourrait supposer qu'elle contenait une certaine dose de
vitalité, puisqu'elle fut l'objet d'une reprise, après dix-neuf
ans d'interruption, lorsqu'en 1879, sous la direction Martinet
et Husson, la Gaité avait pris le nom d'Opéra-Populaire ; ses
interprètes s'appelaient alors Raoult, Reynold et M"" Angèle
Legault. Rita n'avait eu que dix-huit représentations à sa
naissance; elle en eutving-sixà sa réapparition. La différence
n'était pas assez sensible pour faire admettre qu'elle eût beau-
coup gagné en vieillissant.
A l'œuvre posthume d'un maître succédait, le 16 mai 1860,
le premier ouvrage dramatique d'un amateur, Paul Lagarde.
Sous le titre : l'Habit de Milord, les librettistes Sauvage et de
Léris avaient imaginé une intrigue dont le plus grand mérite
n'était pas la nouveauté; savoir : l'échange de vêtements
entre deux personnes de condition différente, un noble pour-
suivi par raison d'État, et un garçon coiffeur. La musique
n'offrait rien de plus rare que le libretto; c'était celle d'un
agent de change qui a des loisirs, et pourtant l'ouvrage se
maintint au répertoire avec un total de trente-six représen-
tations.
A côté de ces premières représentations, quelques soirées
méritent d'être rappelées, par exemple : deux débuts, le
() mars, dans Zerline de Fra Diavolo, M'"= . Tuai, élève de
Masset et de Moreau-Sainti, sortie du Conservatoire en 18S9,
avec un deuxième accessit de chant et un premier accessit
d'opéra-comique , gentille et accorte chanteuse , mais qui
demeura au second plan à la salle Favart; et le 31 mars,
98
LE MENESTREL
dans Betly du Chalet, M"^' Breschon, qui joua trois fois son
rôle et disparut sans retour. Un bal, le 10 mars, au profit
de l'Association des artistes dramatiques. Une matinée, le
3 mars, au profit de M. Mayer, contrôleur du théâtre, retraité
après trente années de service. Une cantate, France et Savoie,
interprétée, les ii et 17 juin, par Jourdan et les chœurs; le
territoire venait de s'augmenter de deux départements, et
M. Masson avait cru devoir composer la musique d'un mor-
ceau de circonstance dont le poète ne s'était pas nommé.
Cette création fut la dernière à laquelle présida Nestor Roque-
plan. Le '18 juin, un arrêté du ministre d'État annonçait sa
démission volontaire et son remplacement par Alfred Beau-
mont.
La raison nous en est donnée par Malliot, dans son curieux
livre la Musique au Théâtre. La commandite était en perte et,
dès le 10 mai, les commanditaires Gustave Delahante, de
Salamanca et le duc de Morny avaient décidé de se retirer,
subissant de bonne grâce les pertes et obligations de Roque-
plan, et demandant seulement, en échange, pendant la durée
du privilège nouveau, de Salamanca, la baignoire d'avant-
scène de droite; Delahante, les baignoires d'avant-scène de
gauche, n°= 2 et 3. Cet échange, réglé, par acte du 28 mai,
le ministre n'eut plus qu'à agréer Beaumont, secondé par un
commanditaire espagnol, M. de Juadra. La nouvelle comman-
dite, comme la précédente, comportait 500,000 francs, repré-
sentés pour 300,000 francs par le théâtre, les décors, les cos-
tumes, etc., et, pour le surplus, par un capital dont plus de
60,000 francs étaient mis tout d'abord à la disposition du
nouveau directeur.
M. Beaumont s'empressa d'affirmer son autorité en modi-
fiant son personnel administratif. Il garda bien Achille
Denis, chargé des rapports avec la presse, mais il lui adjoi-
gnit comme secrétaire général Dutertre, auteur dramatique
et ancien secrétaire de la Porte-Saint-Martin. Mocker rem-
plaça M. Leroy comme régisseur en chef; il est vrai qu'au
mois de novembre Mocker donna sa démission pour se con-
sacrer plus complètement à sa classe au Conservatoire, et le
même M. Leroy reparut; seulement, l'année suivante, ce fut
Mocker à son tour qui revint pour lui succéder. En outre,
Beaumont suspendit les entrées de faveur et décida que les
amendes versées alimenteraient pour deux tiers la caisse de
secours des employés du théâtre et pour un tiers celle de
l'Association des artistes dramatiques. Il ordonna même
l'emploi de la carteronie ou procédé Garteron, invention nou-
velle qui devait rendre ininflammables les décors et les cos-
tumes, diminuant ainsi les chances d'incendie ; l'avenir de-
vait, hélas ! se charger de démontrer l'inefificacité de la me-
sure directoriale ou du procédé chimique. Il entendait tout
réglementer, et, par exemple, exigea que les musiciens de
l'orchestre fussent, comme à l'Opéra, soumis au régime de
la cravate blanche. Un peu moins de fantaisie et plus de
prudence aurait mieux valu, car, à peine installé, il com-
mençait à recevoir des ouvrages que, pour une cause ou
pour une autre, il n'était pas sûr de monter, par exemple :
trois actes de Sardouet de Roqueplan, musique de Duprato et
d'Offenbach, la Villa Médicis, qui valut au public la première
lettre de M. Battu, demandant s'il ne s'agissait pas là d'une
pièce que son fils, Léon Battu, mort depuis, avait jadis con-
fiée au directeur, et une réponse de Sardou, affirmant par
la voie du Figaro que les deux pièces n'avaient rien de com-
mun... que le titre ; puis trois actes de Dumanoir, musique de
Victor Massé, le Lutrin; enfin un opéra comique de Paul
Dupuech, la Belle Chocolatière. Qui connaît aujourd'hui ces
œuvres? Leurs auteurs, dont quelques-uns vivent encore, en
ont-ils même gardé le souvenir? C'est le secret des porte-
feuilles, et la mort seule, en les ouvrant, permettra un jour
de le connaître.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
NÉRON A L'HIPPODROME
Les manifestations'de l'Hippodrorûe deviennent très intéressantes
pour les musiciens. L'an dernier nous avions déjà eu une .haime
d'Arc, dont il fut beaucoup question, autant pour la partition remar-
quable dont l'avait illustrée M. Charles Widor que pour les splen-
deurs de sa mise en scène. Cette fois c'est M Lalo, l'auteur du Roi
d'Ys, qui enfourche le Pégase qu'on tient désormais à la disposi-
tion de nos compositeurs les plus en renom dans les écuries de
l'Aima, pour nous chanter l'histoire de Néron.
Comme on avait fait pour l'épopée religieuse de Jeanne d'Arc, on
a résumé l'épopée romaine du règne de Néron en trois tableaux
principaux.
Le premier tableau, c'est le palais d'or de l'empereur : fêtes et
orgies, danses, jeux de mimes et baladins. Autour de Néron, comme
personnages principau.t, Brilannicus, Agrippine, Junie, Locuste.
Au deuxième tableau, ce sont les jeux du cirque et le supplice
des chrétiens présidés par Néron. Ingénieux décor de Lemercier,
où le public de l'Hippodrome se trouve figurer le public du cirque
romain, malheureusement en fracs noirs et en robes à taille. Pour
bien faire il eût fallu distribuer des toges aux spectateurs (1).
Au Iroiiième tableau, l'incendie historique de la ville de Rome.
Nous voyons le Forum avec ses temples, ses arcs de triomphe, ses
palais, ses colonnades. L'empereur domine sur une haute terrasse
et donne le signal de l'incendie. Tout brûle et tout s'écroule, jus-
qu'au moment où l'un des chrétiens qu'il destine au dernier supplice
s'approche de Néron et le frappe d'un poignard vengeur. La séance
se termine par l'entrée victorieuse des légions de Galba.
De la partition de M. Lalo, il n'y a malheureusement pas beau-
coup à diie. On en entend bien peu de chose dans cette sorte d'au-
dition en plein vent. Les dimensions de l'Hippodrome sont telles
qu'un orchestre d'harmonie militaire peut seul arriver à y donner
l'illusion d'une sonorité suffisante. M. Widor l'avait bien compris
pour Jeanne d'Arc, ce qui lui avait permis de pousser jusque dans
l'oreille de l'auditeur les motifs de circonstance qui firent le succès
de sa partition. M. Lalo, habitué à maoier les masses symphoniques,
n'a voulu rien sacrifier de ses habitudes et il en est revenu aux violons.
Tous les détails de son œuvre ont donc été perdus. Cela fait l'effet
d'un paysage qu'enverrait à travers une buée débrouillard. C'est dom-
mage, car il n'est pas douteux qu'avec son grand talent, l'auteur du
Roi d'Ys a dû écrire là quelques pages qui eussent mérité d'être en-
tendues. Beaucoup de marches funèbres, ce qui se comprend puisque ce
terrible Néron avait coutume de tuer tout le monde en manière
d'amusement; il faut bien enterrer ses nombreuses victimes. Toute
la fin du ballet de l'orgie est construite sur des thèmes du Roi d^Ys,
M. Lalo ayant fait resservir à cette occasion des projets de divertis
sèment qu'il avait pour sa maîtresse partition en vue des théâtres
de l'Étranger. C'était son droit; il en a usé, mais peut-être au dé-
triment de la couleur qu'il eût fallu conserver à cette fête essen-
tiellement romaine. Un beau chœur, celui de « la Croix » qui termine
le premier tableau.
Le succès de la soirée est resté pour le ballet très bien habillé
et réglé avec beaucoup de goût par M. Danesi. H. M.
Menus-Plaisirs. L'Oncle Célestin, opérette bouffe en trois actes, de
MM. M. Ordonneau et H. Kéroul, musique de M. Edmond Audran.
— NouvEAtTÉs. Coquin de printemps, vaudeville en quatre actes, de
MM. A. Jaime et G. Duval. — Pal^us-Royal. La Boule, comédie en
quatre actes, de MM. H. Meilhac et L. Halévy.
M. deLagoanère a repris, cette semaine, possession et du fauteuil
directorial et du fauteuil de chef d'orchestre au théâtre des Menus-
Plaisirs, et, par une très louable coquetterie, il a voulu que ses
invités, revenant chez lui, pussent garder le souvenir d'une agréable
soirée passée confortablement. Aussi, non content de faire appel,
pour sa première bataille, à des auteurs aimés du publie et favoris
du succès comme MM. Ordonneau, Kéroul et Audran, a-t-il encore
appelé à la rescousse des escouades de peintres, tapissiers, électri-
ciens qui ont rendu digne d'un public qu'il saura ramener, cette
salle de spectacle qui semblait abandonnée depuis longtemps déjà.
L'oncle Célestin est un aubergiste qui meurt laissant une ron-
delette fortune de deux millions à ses héritiers, son neveu Pontaillac
(1) A la suite de la 2' répétition générale, ce tableau a été supprimé, par suite
de l'absence des lions, qui avaient fait des leurs au cours des études, en dévorant
ou à peu près l'un des dompteurs. Ce tableau se trouvait donc privé de son
attnit principal, il était froid et terne. Il a fallu l'enlever.
LE MÉNESTREL
99
et la femme de celui-ci, a la condition expresse que, pendant un
temps déterminé, ils exploitent en personne, et sans désemparer,
sa guinguette du Point-du-Jour. Or, Pontaillac, avoué à Gorbeil,
a des idées de grandeur; dès qu'il a su le chiffre respectable auquel
s'élevait l'héritage, il a planté là sa modeste étude, a acheté un hôtel
en plein faubourg Saint-Germain, se fait appeler baron de Pontaillac
et caresse le doux espoir de donner sa fille Clémentine comme
épouse au blasonné vicomte des Acacias. Mais la fâcheuse obli-
gation du testament le force, pour ne point voir échapper les beaux
sacs d'écus, à aller s'installer au Point-du-Jour avec les siens.
Afin de no pas être reconnus, tous trois s'affublent d'accoutrements
bizarres et troquent momentanément le beau nom de Pontaillac
contre un vocable roturier quelconque; si bien que le jour où le
notaire, chargé de vérifier si les clauses imposées par l'oncle Gé-
lestin ont bien été tenues, se présente à l'auberge, personne ne
peut certifier que l'hôtelier et Pontaillac ne sont qu'une seule et
même peisonne. Comme le délai de rigueur est expiré, les millions
auraient une autre destination, si un bienheureux hasard ne voulait
qu'on retrouvât une lettre de feu Célestin qui, en bon oncle, et pour
le cas oîi Pontaillac n'obéirait pas de point en point aux ordres du
testament, lègue sa fortune entière à sa petite-nièce Clémentine,
qui, seule de la famille, s'est toujours montrée fort aimable avec lui.
Vous voyez que le conte de MM. Ordonneau et Kéroul est on ne
peut plus moral, puisqu'une fois; de plus il nous est démontré que
la vertu est toujours récompensée; j'ajouterai qu'il est amusant en
plus d'un endroit et que les auteurs y ont su trouver plusieurs
scènes très drolatiques. M. Audran ne nous a pas semblé s'être
mis en grands frais d'imagination pour écrire une partitionnette
qui, si elle manque de relief et d'originalité, a du moins l'immense
avantage de n'être point prétentieuse. Fuyant les romances senti-
mentales, il n'a composé que des morceaux de café-concert d'un
rythme populaire, qui ne seront probablement pas sans aider à la
réussite de la pièce ; c'est ainsi qu'au second acte on a trissé un
duo comique, bissé un terzetto amusant dont le second couplet est
simplement mimé et trissé encore une chanson villageoise. C'est
Mlle Yvonne Stella, entrevue déjà dans des rôles secondaires, qui
porte crânement sur ses mignonnes épaules tout le poids de ces
trois actes, et c'est à elle qu'est allé tout le succès. Il est impossible
d'être plus gentiment canaille d'allures, de gestes et de diction.
MM. Vandenne, Verneuil, Montcavrel, Vavasseur, Ternet, M""='= F.
Génat et Augier n'ont eu qu'à profiter des applaudissements prodi-
gués à leur nouvelle camarade.
J'ai à vous parler encore de deux très excellentes reprises qui
ont eu lieu cette semaine. Aux Nouveautés, Coquin de printemps,
l'amusant vaudeville de MM. Jaime et Duval, qui va retrouver la
vogue qu'il avait eue aux Folies-Dramatiques. M. Colombey a gardé
son rôle de Landurin, dans lequel il est tout à fait drôle, et MM. Ger-
main, Guy, M™"* Pierny et Carina font preuve de tout l'entrain
désirable.
Au Palais-Royal, nous avons revu avec infiniment de plaisir la
Boule, cette étincelante comédie de MM. Meilhac et Halévy, toujours
aussi spirituelle qu'aux premiers jours. Interprétation tout à fait
exquise de la part de MM. Saint-Germain, Calvin, Milher, Pellerin,
M.""' Malhilde et Cheirel, très bien entourés par M™"^' Clem, Netty,
M. Durand, Diony et MM. Hurteaux, Chameroy, Maudu, Monval et
Garon.
Paul-Émile Chevalier.
NAPOLÉON DILETTANTE
Sur la foi de quelques esprits chagrins, toujours prêts à dénigrer
tout ce qui touche à l'épopée napoléon ienne, la croyance s'est
établie que le vainqueur d'Austerlitz n'aimait pas la musique. C'est
une grave erreur! Aucun souverain, en France, n'a, autant que
NapoléoQ I", favorisé l'essor musical et protégé les artistes. Son
goût, très sûr et très délicat, ses conseils et ses ordres, toujours
marques au coin d'un dilettantisme éclairé, et ses encouragements
et ses rétributions, dignes d'un Mécène couronné, détruisent d'eux-
mêmes une légende issue, comme tant d'autres, d'un ordre de choses
savamment combiné.
Disons-le de suite : Napoléon fut un grand artiste, en musique
comme en beaucoup d'autres choses. Il dirigea ses musiciens
comme ses soldats, recruta ses phalanges harmoniques avec le
même soin que ses légions guerrières et ne ménagea pas plus aux
unes qu'aux autres ses ordres du jour et sesbulletins.de victoire.
De son enfance musicale, nous ne savons rien. Il est inconnu
qu'il ait joué d'aucun instrument, et, si l'on en juge par ce qu'on a
dit dans la suite, il faut se dire qu'il chantait d'une façon déplo-
rable. Sur ce point, tous ses contemporains sont unanimes. Et
comme, dans le nombre, il est des courtisans, auxquels aucune
flatterie ne répugnait, on peut les croire sur parole.
La baronne Durand, femme de chambre de Marie-Louise, nous
apprend que l'empereur « aimait à chanter, quoiqu'il eût la voix
très fausse et qu'il n'ait jamais pu mettre une chanson sur l'air. »
Il avait, paraît-il, beaucoup de jAaisir à débiter : Ah! c'en est fait,
je me meurs ou Si le roi m'avait donné Paris sa grand' ville.
Bourrienne, ancien camarade de Napoléon à Brienne, et son
secrétaire particulier, confirme l'opinion de M°" Durand, et cela
dans une circonstance tout à fait caractéristique. C'était pendant la
formation du gouvernement consulaire, après le coup d'Etat du
18 brumaire :
« Pour se rendre dans la salle des délibérations, il fallait que
Bonaparte traversât la cour du Petit-Luxembourg et montât le grand
, escalier. Cela lui donnait de l'humeur, d'autant plus qu'il faisait
alors un très mauvais temps. Cet ennui dura jusqu'au 2o décembre,
et ce fut avec une vive satisfaction qu'il s'en vit débarrassé. En
sortant du Conseil, il rentra dans son cabinet en chantant..., et
Dieu sait s'il chantait faux ! »
Bourrienne ne nous dit pas ce que son ancien camarade chantait;
mais il est probable que c'était un air du Devin de village ou de
quelqu'autre opéra ancien; car c'était là, d'après ce que raconte le
baron de Meuneval dans ses Souvenirs historiques, le fond de son
répertoire, « quand toutefois il n'avait pas de sujets de contrariété,
ou quand il était satisfait de l'objet de ses méditations ».
Le même auteur nous fait assister aux concerts intimes que Napo-
léon se donnait à lui-même dans le silence du cabinet. Quand il
était las de réciter des tragédies, il se mettait à chanter d'une voix
forte, mais fausse. Une de ses chansons de prédilection avait pour
sujet une jeune fille guérie par son amant de la piqûre d'un insecte
ailé. C'était une espèce d'ode anaeréontique qui n'avait qu'une stro-
phe et finissait par ce vers :
Un baiser de sa bouche en fui le médecin.
Quand il était dans une disposition d'esprit plus grave, c'étaient
des strophes d'hymnes ou de cantates consacrées, comme le Chant
du Départ, Veillons au salut de l'Empire, — ou bien encore il modu-
lait ces deux vers :
Qui veut asservir l'univers
Doit commencer par sa patrie.
La première mention du goût de Napoléon pour la musique se
trouve dans les anecdotes de l'abbé Audierne. Le jeune Bonaparte
pouvait avoir dix-sept ans à cette époque. Il vit et entendit à Mar-
seille la célèbre cantatrice. M'"" Saint-Huberti, dans le rôle de Didon.
Transporté et profondément ému, il improvisa ces vers qu'il fit
remettre à la bénéficiaire :
Romains, qui vous vantez d'une illustre origine.
Voyez d'où dépendit votre empire naissant.
Didon n'eut pas d'attrait assez puissant
Pour arrêter la fuite où son amant s'obstine.
Mais si l'autre Didon, ornement de ces lieux.
Eût été reine de Garthage,
U eût, pour la servir, abandonné ses dieux.
Et votre Ijeau pays serait encor sauvage.
Dans la suite, Bonaparte montra une grande prédilection pour
la musique italienne, et pour les cantatrices du même pays. La
voix humaine lui allait profondément au cœur, et souvent il en
donna des marques non équivoques. Dans une représentation de
Roméo et Juliette, de Zingarelli, aux Tuileries, en 1808, l'entrée de
Crescentini au troisième acte, sa prière, ses cris de désespoir, l'air
Ombra adorata, aspetta, furent d'un effet tel que l'empereur fondit
en larmes, et que, ne sachant comment exprimer sa satisfaction au
grand artiste, il lui envoya la croix de l'ordre de la Couronne de
Fer.
Cette distinction, sans précédent, montre à quel point Napoléon
savait encourager les efforts artistiques. Pour se procurer les meil-
leurs maîtres et les virtuoses les plus renommés, rien ne lui coû-
tait. Nous aurons souvent à citer, à ce sujet, des traits de sa mu-
nificence.
L'anecdote de Crescentini montre un coin de l'impression produite
par la musique sur son auguste protecteur ; mais il en est d'autres,
qui ne sont pas moins curieux, et dont la bizarrerie contraste avec
100
LE MENESTREL
l'opinion qu'on se fait généralement de la nature et du caractère
de Napoléon. L'un d'eux surtout réside dans la rêverie qui s'empa-
rait de lui, lorsqu'il entendait une musique qui lui conveuait.
C'était comme un charme qui le tenait, et dans lequel il se laissait
bercer délicieusement. Bourrienne raconte que pendant quelques
semaines que sa femme passa k Paris, en 1793, elle allait souvent
avec Bonaparte et sou frère Louis à des concerts très suivis que
donnait Garai rue Saint-Marc : « (l'étaient les premières réunions
brillantes depuis la mort de Robespierre. La foule s'y portait et fai-
sait assaut d'applaudissements et de cris enthousiastes. Aussi Bona-
parte, auquel ces effusions déplaisaient fort, quittait-il souvent,
avec sa brusquerie ordinaire, la société des dames, « pour aller,
soit aux secoodes, soit aux troisièmes, rêver tout seul dans une
loge. X
Plus tard, cette disposition ne lit que s'accentuer. M'°'= de Rémusat,
qui fut dame du palais, nous a laissé, à ce sujet, un petit tahleau
qui montre le premier consul, à ce moment grand favori de la vic-
toire, sous un jour tout à fait inattendu :
j Lorsque, en quittant son cabinet, il rentrait le soir dans le salon
de M"" Bonaparte, il lui arrivait quelquefois de faire couvrir les
bougies d'une gaze blanche ; il nous prescrivait un profond silence
et se plaisait à nous faire ou à nous entendre conter des histoires
de revenants ; ou bien il écoutait des morceaux de musique lents
et doux, exécutés par des chanteurs italiens, accompagnés seulement
d'un petit nombre d'instruments légèrement ébranlés. On le voyait
alors tomber dans une rêverie que chacun respectait, n'osant ni
faire un mouvement, ni bouger de sa place. Au sortir de cet état
qui semblait lui avoir procuré une sorte de détente, il était ordi-
nairement plus serein et plus communicalif. Il aimait alors assez
rendre compte des impressions qu'il avait reçues. Il expliquait l'effet
de la musique sur lui, préférant toujours celle de Paisiello, parce
que, disait-il, elle est monotone et que les impressions qui se répè-
lent sont les seules qui sachent s'emparer de nous. »
Paisiello était, en effet, le dieu de la musique pour Napoléon,
et Cimarosa son prophète. Un habitué de la cour a tracé ce croquis
de l'empereur, assistant à une représentation du Malrimonio segreto :
« A le voir respirer les parfums qui s'exhalaient de ces mélodies,
vous auriez dit un aigle, qui, descendu des hauteurs du ciel ou
des cimes des montagnes, vient, dans les vallons, écouler les amou-
reuses romances des fauvettes et des rossignols. »
Quelquefois, il confondait ces deux idoles. Un jour qu'il assistait,
à Saint-Cloud. avec l'impératrice, à une représentation des Ziiiijari in
fiera de Paisiello, qui était dans la loge impériale, il s'extasiait à
chaque morceau et faisait ù l'auteur des compliments d'autant plus
flatteurs qu'il n'ignorait pas que la bouche qui les prononçait n'en
était pas prodigue. A un moment, à un morceau qui avait été inter-
calé dans la partition, sans qu'on en eût prévenu le public, l'empe-
reur se retourne et dit avec transport, en prenant la main de
Paisiello :
— Ma foi, mou cher, l'homme qui a composé cet air peut se pro-
clamer le plus grand musicien de l'Europe.
— Il est de Gimarosa, articula faiblement Paisiello.
— J'en suis fâché; mais je ne puis reprendre ce que j'ai dit.
Hâtons-nous de le dire: cetamourdela musique italienne n'était
pas exclusif. Napoléon favorisait toutes les tentatives et toutes les
innovations, lorsqu'elles lui paraissaient devoir servir à relever le
niveau de l'arl. C'est ainsi que nous trouvons, dans sa Correspondance,
cette lettre datée de Boulogne, 4 messidor an XIII (23 juin 1805):
(t Monsieur Fouché, je vous prie de me faire connaître ce que c'est
qu'une pièce de Don Juan qu'on veut donner à l'Opéra, et pour la-
quelle on m'a demandé l'autorisation de la dépense. Je désire con-
naître votre opinion sur cette pièce sous le point de vue de l'esprit
public. »
Quelque temps après, le 12 vendémiaire an XIII (4 octobre 1805),
l'empereur s'occupant du même sujet malgré les préoccupations de
sa nouvelle campagne, écrit de Ludwigsbourg à son frère Joseph :
« Mon frère, je pars celte nuit. Les événements vont devenir tous
les jou's plus intéressants. Il suffit que vous fassiez mettre dans le
Moniteur que l'empereur se porte bien, qu'il était encore vendredi
12 vendémiaire à Ludwigsburg, que la jonction de l'armée avec les
Bavarois est faite. J'ai entendu hier, au théâtre de cette cour, l'opéra
allemand de Don Juan; j'imagine que la musique de cet opéra est la
même que celle de l'opéra qu'on donne à Paris; elle m'a paru fort
bonne ».
Enfin, chemin faisant, il adresse à Champagny, ministre de l'inté-
rieur, ce billet laconique, oii tant d'éléments divers se heurtent en
si peu de mots :
« Monsieur de Champagny, je suis ici à la cour de "Wurtemberg,
et, tout en faisant la guerre, j'y ai entendu hier de très bonne mu-
sique. Le chant allemand m'a paru cependant un peu baroque. La réserve
marche-l-elle ? Oîi eu est la conscription de l'an XIV ? »
Dans la suite de ces articles, nous aurons souvent l'occasion de
voir, par ses letties, combiea, au milieu de ses soucis de la guerre
et du gouvernement, Napoléou prenait soin de tout ce qui louchait
à la musique. Aussi, par une surveillance ininterrompue, était-il
parvenu à se mettre, sous ce rapport comme sous tant d'autres, à
la lète des nations européennes. Dès le principe, il avait tracé le
plan de cette grandeur, et les hommes avaient surgi pour seconder
ses vues et ses plans.
Ces derniers sont tout entiers compris dans une conversation qu'il
eut, après son retour d'Egypte, avec le poète dramatique Parseval-
Grandmaison, qui l'avait accompagné dans son expédition.
Mandé au palais, ce personnage trouva Bonaparte finissant de
déjeuner et humant à petites gorgées son café brûlant. On parla
d'abord de la grande publication qui se préparait sur l'expédition
scientifique d'Egypte. Puis, à brûle-pourpoint et sans transition,
le premier consul dit à son visiteur :
— Gonnaissez-v.ius l'Iphigénie en Aidide de Gluck?
— J'avoue à ma honte que je ne l'ai point encore vu représenter.
— Allez donc la voir. On vient de la reprendre à l'Opéra. Quel
chef-d'œuvre, et comme la plupart des compositeurs actuels parais-
sent petits aupiès de ce puissant génie! Maintenant, les poètes et
les musiciens ont tout rapelissé. Coineille et Gluck savaient seuls
faire parler les grands hommes. Mais vous autres, vous n'y enten-
dez rien... Parce que vous savez faire des vers plus ou moins
harmonieux et des morceaux de musique plus ou moins savants,
vous vous croyez des gens fort habiles, des génies immortels. Tout
cela n'est que la broderie de l'étoffe dramatique.
Parseval écoutait, surpris, et, comme le premier consul s'était
arrèlé pour savourer le fond de sa tasse, il se demandait, très em-
barrassé, ce qu'il devait répondre. Heureusement, Bonaparte ne lui
en laissa pas le temps.
— Il faut, reprit-il, à la poésie et à la musique dramatique de
nouveaux éléments d'intérêt : notre époque grandit, il faut que
tout grandisse avec elle... Vous êtes poète, et j'ai dû froisser votre
amour-propre. Allons, pas de lancune; seulement rappelez-vous bien
ceci: il nous faut des conceptions larges; cette nécessité sera
bientôt comprise, et. j'en ai la certitude, l'art est à la veille d'une
transformation.
Ce présage ne fut pas un vain mot. Après Paisiello, Lesueur, avec
ses Bardes ; après Gimarosa, Spontini avec /a Vestale elFernand Cortez ;
succès sans pareils! Puis, toute la pléiade qui créa véritablement
l'école française, débarrassée de ses langes exotiques.
Mais n'anticipons pas.
(A suivre.) Ed.mond Neukomm et Paul d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — Les musiciens essayent volontiers leurs aptitudes
orchestrales dans le poème symphonique, genre de composition qui, n'étant
pas soumis à des règles rigoureuses et n'ayant dans le passé ni attaches, ni
traditions, permet à la fantaisie de se donner carrière. M. G. Pfeiffer nous
présente une œuvre nouvelle sous un titre modeste: Marine, étude symphonique.
Cette œuvre a été froidement accueillie, bien qu'elle renferme quelques par-
ties intéressantes. Le Chant du retire, de M"" de Grandval, avait été déjà
entendu dans les concerts du soir; il y a, dans cette scène vocale, plus
d'entrain et de vigueur que de vraie originalité. L'air de Mendelssohn
que M.. Auguez interprète d'une façon remarquable, Infelice, un peu vieilli
comme facture, a été bien chanté par M""' Katerine von Arnhem, dont
la voix, pas très puissante, est conduite avec méthode et reste agréable,
malgré un léger défaut de prononciation. M"" Leroux-Iîibeyre a dit avec
talent les parties de solo dans le chœur : A la Musique, de M. Chabrier,
œuvre qui a été applaudie et méritait cet accueil, bien qu'elle ne repré-
sente pas tout ce qu'il y a d'exubérance dans le tempérament de l'auteur.
— M'"= Steiger a joué le concerto en sol mineur de Mendelssohn en vir-
tuose et en musicienne. Elle paraît avoir tenu compte d'une petite
réflexion du Ménestrel relativement à la sonorité, car son jeu semble avoir
acquis de la force sans rien perdre ni de l'élégance, ni de la douceur du
phrasé dans les passages qui exigent des nuances délicates. Le finale a été
brillamment enlevé; aussi le succès de la jeune artiste a-t-il été complet.
On a beaucoup applaudi l'ouverture de Tannhiiiiser, Au pays bleu, de M""^ Hol-
mes, dont le deuxième morceau a été bissé, enfin et surtout les fragments
de l'Artésienne, dont le public ne se lasse jamais. Améuée Boutarel.
LE MENESTREL
dOl
— Concert Lamoureux. — M. Lamoiireux a fait entendre la symphonie
en mi bémol de Mozart, qui a été dite avec une certaine mollesse; le
public n'a pas sulTisamment saisi la délicieuse poésie de cette oeuvre
charmante. Perverti par le vacarme wagnérien, il n'aime que les sensa-
tions violentes et n'accorde qu'une oreille distraite à ces délicates effusions.
Il a beaucoup applaudi l'ouverture de Lconore, de Beethoven, qui est, à
elle seule, tout un drame, sans qu'il soit besoin d'un programme expli-
catif pour en donner le sens. Ces plaintes étouffées, ces voix lamentables
qui alternent avec de terribles et impétueux accents, cette douleur poi-
gnante à laquelle succède une explosion délirante de triomphe et d'allé-
gresse, provoquent une émotion à laquelle nul n'échappe, pas même ceux
qui sont convenus de ne plus accorder à Beethoven qu'un témoignage
bienveillant d'estime. A coté de ces belles choses, la Marcha hongroise de
Rakocsky, instrumentée par Berlioz, ne fait pas mauvaise ligure ; il y a
dans cette transcription des inventions de génie telles que Berlioz seul
les pouvait concevoir: aussi est-elle toujours Couverte d'applaudissements.
M. Houlllack, un des meilleurs élèves de M. Charles Dancla, a été l'objet
d'une véritable ovation dans l'exécution de l'adagio et rondo du premier
concerto pour violon de Vieuxtemps. Il est de mode, aujourd'hui, de dire
que la musique de ce maître a vieilli, qu'elle renferme des formules qui
ont fait leur temps. On pourrait en dire autant de toute la musique; on
trouve partout des formules qui ont fait leur temps, à commencer, si l'on
veut, par la musique de Hœndel, et à continuer par les illustres maîtres
qui lui ont succédé. Mais cela n'ôte rien au mérite intrinsèque des œuvres,
et l'éloquence d'une lettre ne dépend pas de la formule de politesse qui
la termine. Nous souhaitons à nos modernes aristarques de composer
beaucoup de concertos comparables, mémo avec ses prétendus défauts, au
premier concerto de Vieuxtemps. M. Houlllack l'a dit avec une maestria
irréprochable, une justesse impeccable, une élégance d'archet au-dessus
de tout éloge. Joignez à cela une tenue parfaite, pleine d'aisance et de
distinction. Disons enfin <pie son style était à la hauteur de l'œuvre inter-
prétée, et nous croirons avoir mis en relief toutes Ijs qualités qui ont
valu au jeune artiste son remarquable succès. H. Barbkdette.
— Jeudi et samedi, l'Opéra-Comique a donné deux grands concerts
spirituels, destinés particulièrement à l'audition de l'admirable Requiem
de Verdi, qui formait la seconde partie du programme. La première
partie comprenait : l'ouverture si intéressante et si curieuse du Pardon de
Ploërmel, qu'on n'a plus malheureusement l'occasion d'entendre, l'ouvrage
ayant depuis longtemps disparu du réperioire; un bel air d'Erostrate, de
M. Reyer, dit avec beaucoup de chaleur et de bravoure par M. Renaud ;
un joli fragment symphonique de la Vierge, oratorio de M. Massenet ; le
superbe Laudale de M. Ambroise Thomas, dont l'exécution par l'orchestre
■elles chœurs a été pleine de grandeur et d'éclat; enfin, l'Hymne à sainte
Cécile de M. Gounod, dans lequel l'orchestre de M. Danbé s'est encore
tout particulièrement distingué, de façon à le faire redemander par la
salle entière. — Les soU du Requiem de Verdi étaient confiés à M"=* Si-
monnet et Risley, à MM. Gibert et Fournets. Le morceau qui a produit
le plus grand effet est sans contredit le Dics irœ, le plus important d'ail-
leurs, comme on sait, et qui est divisé en plusieurs épisodes caractéris-
tiques, empreints pour la plupart d'un sentiment dramatique (je ne dis
pas théâtral) très puissant et très intense. M. Gibert y a déployé une cha-
leur communicative qui lui a valu de vifs applaudissements, et M. Four-
nets a droit à des éloges pour sa belle façon dephraser, et aussi d'accen-
tuer les paroles, dont on ne perd pas une syllabe. M'i^'iSimonnet et Risley,
cette dernière douée d'un contralto étoffé, se sont fait remarquer surtout
dans VAgnus Dei pour deux voix de femmes, d'un caractère si angélique
■et si pur. Le Sanctus à double chœur a produit aussi une grande impres-
sion, et M"" Simonnet a su exciter les applaudissements dans le Libéra me,
■qu'elle a chanté avec goût.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (26 mars). — La reprise d'Oberon
à la Monnaie, hier soir, a été, avec celle de Don Juan, la plus intéres-
sante de cette année. La direction y avait apporté des soins peu ordi-
maires, et si elle n'est pas arrivée à la perfection, le résultat obtenu est
du moins fort honorable. h'Oberon qu'on nous a rendu, après une absence
de quelques années, n'est sans doute pas VOberon rêvé, coloré, radieux,
avec ses élans superbes et ses délicatesses infinies. Mais c'est correct, dans
■des teintes grises un peu efl'acées, et le souci de bien faire est partout évi-
dent. A part M. Dupeyron, assez pâle dans le rôle de Huon, qu'il n'a pas
mal chanté pourtant, l'interprétation est bonne dans son ensemble.
M™ de Nuovina est une bien jolie Rezia ; elle a chanté vaillamment le
terrible air du deuxième acte, et elle a eu, dans tout le reste, de la grâce,
avec d'excellentes intentions de passion et d'émotion, qu'il ne dépendrait
■que d'elle seule de réaliser si, au charme de sa voix généreuse, elle joi-
gnait cette qualité indispensable, la diction et l'articulation. M"|= Nardi,
■qui fait un Puck ravissant, a chanté un peu mollement, mais avec son
-organe d'un timbre si sympathique, la fameuse barcaroUe, oii il'^" Des-
.champs, autrefois, produisait tant d'effet; M""» Archainbaud a dit d'une
façon charmante le rôle de Fatime, et M. Badiali est un excellent Obéras"
min. L'œuvre, ainsi interprétée, va tenir l'affiche avec Don Juan jusqu'à
la clôture. Car si le livret, d'une obscurité et d'un enfantillage exagérés,
a beaucoup vieilli et n'est plus guère intéressant, l'admirable musique de
Weber n'a rien perdu de son charme et de sa saveur, et le deuxième
acte notamment est resté à la fois d'une incomparable puissance d'expres-
sion et d'une grâce irrésistible. La musique moderne, avec ses ressources
et ses recherches incessantes, n'a rien qui dépasse une pareille élo-
quence. La merveilleuse ouverture et, intercalée au dernier acte, l'Invitation
à la valse, font à ces pages superbes et touchantes un cadre magnifique,
auquel l'orchestre a donné du brillant. — Dimanche dernier, la saison
des concerts du Conservatoire s'est terminée victorieusement par une
prestigieuse exécution de la Symphonie avec chœurs, de Beethoven. C'a
été le couronnement de l'idée si intéressante qu'a eue M. Gevaert de
nous faire entendre, cette année, complètement l'œuvre la plus colossale
du grand maître moderne. L'idée a été réalisée jusqu'au bout avec unrare
bonheur et un extraordinaire succès, et elle fait à M. Gevaert un singu-
lier honneur. — A Liège, les concerts du Conservatoire ont pris fin aussi
cette semaine, avec le Roméo et Juliette de Berlioz; excellente exécution,
très applaudie. Terminée également la série des « auditions » instituées
en 1887 par M. Th. Radoux, dans le but de procurer aux professeurs, aux
lauréats et au jeune orchestre d'élèves l'occasion de se produire et de
s'instruire par l'étude des œuvres classiques et modernes. C'est en quel-
que sorte une école de chefs d'orchestre, comme celle que M. Ad. Sa-
muel a essayée à Gand ; chaque séance est dirigée, en efl'et, par un jeune
professeur; les auditions ont été consacrées respectivement à Schubert, à
César Franck, aux œuvres de jeunes compositeurs liégeois et à diverses
œuvres anciennes. On voit de quel intérêt elles peuvent être, esthétique-
ment et pratiquement. L. S.
— M. Emile Mathieu, directeur de l'Ecole de musique de Louvain, qui
a fait applaudir il y a deux ans, au théâtre de la Monnaie, un grand drame -
lyrique intitulé Richilde, dont il avait écrit les paroles et la musique,
termine en ce moment un autre drame lyrique, en trois actes, écrit par
lui dans les mêmes conditions. Celui-ci, qui a été inspiré à l'auteur par
les légendes de l'époque carlovingienne, a pour titre l'Enfance de Roland.
L'action du drame se passe, pour les trois actes, d'abord dans le palais
d'Ingelheim au pays rhénan, puis dans la forêt des Ardennes, et enfin à
Aix-la-Chapelle.
— Nouvelles de Londres :
M. Harris ne publiera pas de prospectus officiel pour sa prochaine sai-
son d'opéra, dontles dispositions principales paraissent être les suivantes :
Siegfried en italien, Manon et Philémon et Daucis en français seront les
grandes nouveautés de la saison; la question de la Cavalleria ruslicana
n'est pas encore complètement décidée. Parmi les reprises les plus impor-
tantes il faut citer l'Otetlo de Verdi, dont M. Harris a acquis les droits, la
Juive, qui n'a jamais été jouée dans la salle actuelle de Covent Garden,
Tannhâuser et le Vaisseau fantôme, Mireille, Orphée et Fidelio. C'est M"" Sybil
Sanderson qui doit créer Manon à côté du ténor Van Dyck. Il est aussi
question de Jean de Reszké pour le rôle d'Otello, mais la distribution la plus
probable de cet opéra comprendra M"'° Albani, Maurel et le ténor allemand
Perotti. La saison commencera le 6 avril avec Orphée. Le lendemain,
Faust servira de début à M"" Eames, avec la rentrée de Maurel-Mephisto
et de Devoyod-Valentin. Les frères de Reszké feront leur réapparition le
15 avril, dans Lohengrin.
Voici le tableau de la troupe :
Soprani : M™'* Albani, Melba, Eames, Sanderson, Arkel, Tavary, de Lussan,
Teleki, Rolla, etc.
Contraiii: M.""^ Richard, Ravogli, Risley, Jansen.
Ténors : Jean de Reszké, Van Dyck, Perotti, Lubert, Ravelli, Montariol, etc.
Barytons: Lassalle, Maurel, Devoyod, Geste.
Basses : Edouard de Reszké, Plançon, Isnardon, Abramoff, Castelmary,
Miranda, etc.
On remarquera la prédominance de l'élément français dans la partie
masculine de cette troupe, qui du reste ne compte qu'une seule artiste
italienne. M'"' Ravogli.
L'éminent violoniste belge M. Isaye a fait une brillante rentrée samedi
au Crystal Palace, jouant le deuxième concerto de Wieniawski et le Rondo
capriccioso de Saint-Saêns. La principale nouveauté du concert consistait
dans une nouvelle version de la musique scénique composée par Grieg
pour le drame Olaf Trygvason. C'est une œuvre de jeunesse qui manque do
caractère.
Il est vaguement question d'une série de concerts qui seraient donnés
cet été par l'orchestre Colonne à lier Majesty's Théâtre, qui passera bientôt
sous la direction envahissante de M. Harris.
J'ai signalé à plusieurs réprises l'attitude hostile de la presse anglaise
pour tout ce qui est musique française contemporaine. Une nouvelle preuve
m'en est fournie par la maladresse d'un journal répandu dans le monde
artiste, le Figaro de Londres, qui, voulant me prouver que je me trompais
en accusant la critique locale d'intolérance et d'opposition systématique à
toute nouvelle œuvre française, a laissé échapper quelques perles, que je
crois intéressant de reproduire. C'est ainsi qu'après avoir indiqué la popu-
larité constante de Faust, Carmen, la Damnation de Faust et Rédemption en
Angleterre, ce Figaro ajoute : « Si le public anglais ne montre pas pareille
faveur à la musique des compositeurs français secondaires, ce résultat
U)2
LE MÉNESTREL
doit être attribué au fait que les Anglais sont une nation musicale et
que la médiocrité n'a pas cours ici », et plus loin : « à l'exception de Gou-
nod, il n'existe pas un seul compositeur vivant en France qui soit l'égal
de sir Arthur Sullivan, Villiers Stanford, Hubert Parry, Mackenzie ou
Hamish M" Cunn... » Tout commentaire serait superflu. A. G. N.
— M. 0. Shepherd, directeur du Court-Theatre de Liverpool, a trouvé,
dans un lot de vieux livres provenant de la vente de la collection Arms-
trong, un exemplaire complet de la grande partition de la Prophétesse ou
Dioclélien, opéra du célèbre compositeur anglais Henry Purcell. Cet exem-
plaire, qui porte les armes du duc de Devonshire et la date de 1691, est
dans un remarquable état de conservation; il renferme plusieurs annota-
tions et corrections de la main même de l'auteur, jusqu'à des indications
de scènes, les entrées et sorties des personnages, etc. Les historiens con-
temporains font grand cas de la Prophétesse, qu'ils considèrent comme
l'une des œuvres qui ont le plus solidement établi la réputation de Pur-
cell auprès de la cour et du public. Si, toutefois, la Prophétesse a
rapporté de la gloire à son auteur, elle ne paraît pas l'avoir enrichi,
ainsi que le prouve une note de Purcell imprimée sur une feuille vo-
lante, à la fin de la partition et dont voici la traduction : c< Dans le but
de hâter l'apparition de ce volume, j'ai employé deux imprimeurs. Un
accident survenu à l'un d'eux et l'importance du volume, dont le nombre
de pages a dépassé mes prévisions, sont les raisons du retard. Il a été
objecté que certains airs étaient déjà connus, mais je présume qu'après
examen de cet ouvrage, les souscripteurs reconnaîtront facilement que
ces airs n'en forment pas les parties essentielles. Conformément à ma
promesse, j'ai corrigé très attentivement chaque page, et j'espère que
mon ouvrage sera trouvé aussi consciencieux qu'aucun de ceux existant
jusqu'ici. Mon désir de l'établir aussi bon marché que possible a primé
à ce point mes considérations d'intérêt personnel que je m'aperçois —
trop tard — que l'argent de la souscription couvrira à peine les dépenses
nécessitées pour compléter l'édition. »
— A l'Opéra impérial de Vienne on a donné, le 2 mars, la 142= repré-
sentation du Freischutz. Il ne faudrait pas croire pourtant que là se borne
la carrière du chef-d'œuvre de Weber d'ans la capitale de l'Autriche. Il
n'est ici question que de la nouvelle salle de l'Opéra. Mais antérieure-
ment, à l'ancien théâtre de la Porte de Garinthie, le FreischiUz, du 3 novem-
bre 1S21 au 19 août 1868, avait été joué 31.3 fois, ce qui donne un total
général de 45S représentations pour un espace de soixante-dix années. La
100= fut donnée le 31 janvier 1829, la 200« le l^^'' novembre 1843, la 300<i
vingt-deux ans après, et enfin la 400= après un nouvel intervalle de quinze
années.
— Une très importante collection d'autographes de musiciens, lettres et
manuscrits, a été vendue récemment à Berlin, par les soins du libraire
Liepmannssohn. Certaines pièces ont atteint des prix singulièrement élevés
et qui nous semblent inconnus jusqu'ici. En premier lieu, il faut citer le
manuscrit complet du concerto de piano de Mozart en ut majeur, 81 feuillets
d'une écriture très serrée portant ce titre : Concerto cli Wolgango-Amadeo
Mozart, net Febbraio 418Ô, qui a été adjugé pour la somme de 1,601 marks,
soit 2,001 fr. 2b c. La réduction complète pour chant et piano de la cantate
de Mendelssohn la Nuit de Walpurgis, a trouvé acquéreur au prix de
1,001 marks, tandis que le manuscrit du Psaume 9S, du même maître, était
vendu 400 marks. Trois Heder de Robert Schumann ont été adjugés pour
100 marks, et la Marche en »;u' majeur pour piano, op. 46, pour 106 marks.
De Joachim Raff on a vendu 180 marks la partition à quatre mains, réduite
par l'auteur, de la symphonie Im Wald (Dans la forêt). Enfin, de Lortzing
la partition d'orchestre de l'Armurier ( Waffenschmied) , un fort volume de
426 pages portant cette mention : « Terminé à Leipzig le 11 février 1846, »
a été payée 200 marks. Parmi les lettres, il faut en signaler une de M. Ca-
mille Saint-Saëns, datée de Paris, 4 mars 1881, qui a été vendue bS marks,
et une de Mendelssohn, de Leipzig, 16 août 1843, qui, après des enchères
très vives, a été adjugée 66 marks; cette dernière contenait le passade
suivant : « Veuillez ajouter encore au programme que le jeune Joseph
Joachim, âgé de douze ans, élève de M. Bcehm, à Vienne, exécutera sur
le violon un rondo de Bériot. » Quant aux lettres de Wagner, dont une
vingtaine environ faisaient partie de la collection, elles ont été adjugées
chacune à 40 marks environ l'une dans l'autre, tandis qu'une feuille de
service signée de l'auteur de Rienzi et indiquant la distribution des rôles
de cet ouvrage était poussée jusqu'à 58 marks.
— Au Conservatoire de Dresde a lieu en ce moment la série des concerts
annuels des élèves. L'un des derniers était consacré aux élèves de la classe
de composition de M. Draeseke. On y a entendu quatre lieder pour soprano
de M"= Zeglin, d'un joli caractère, fort bien chantés par M"» Koreng,
élève de M. Scharfe, laquelle est engagée déjà pour un théâtre de pro-
vince ; puis un lied pour soprano, piano et violoncelle, et un scherzo pour
orchestre plein de feu et d'originalité, dus à M.Hofîmann,élève de la classe
de piano de M. Dœring ; et enfin l'œuvre la plus importante, un Requiem
pour soli, chœur et orchestre, de M. Ernest Gœthel, un jeune Dresdois
qui, paraît-il, possède le feu sacré de l'art.
— Soyez donc un grand artiste ! En Italie, tandis que la souscription
ouverte pour élever sur la tombe du fameux contrebassiste et compositeur
Bottesini un monument convenable a produit à peine quelques centaines de
francs (dont 300 francs donnés par la maison Erard), voici l'annonce qu'on
peut lire dans les journaux de Milan: » Cklèbre contrebasse a vendre. Est
en vente au plus offrant la contrebasse de feu le commandeur Giuoanni
Bottesini. Adresser les offres à M. Pio Mariotti, à Parme, strada Farini,
n° 81. » Pauvre Bottesini ! s'il lui est permis d'apprécier la reconnais-
sance de ses compatriotes...
— Au théâtre Fossati, de Milan, très vif succès pour une nouvelle opé-
rette, i Diavoli délia Corte, du maestro 0. Garlini. Le Trovatore fait les plus
grands éloges de cet ouvrage. « Le maestro Garlini, dit-il, a vraiment la
bosse du genre, et il est le seul qui ait compris ce que doit être l'opérette .
Il n'a pas imité ses confrères, qui mettent en musique des livrets d'opé-
rette comme s'il s'agissait des Masnaiieri, de Macbeth ou de Gemma di Vergy.
Son opérette est la soûle qui puisse compter auprès de celles de Suppé,
d'Offenbach ou de Lecocq. Ajoutons que dans ces aimables Diavoli délia
Corte il n'y a aucune équivoque pornographique ; c'est une opérette à
laquelle pourrait assister même un saint Louis de Gonzague ! »
— Autre opérette, au théâtre Salvini, de Florence. Celle-ci, qui a pour
titre ii'/i, a été écrite par le maestro Matini sur un livret de M. Enrico
Golisciani. Elle a été fort bien accueillie du public.
— Les Huguenots, qui, comme nous le disions récemment, n'avaient ja-
mais été joués à Gatane, viennent d'être représentés en cette ville, où
parait-il, ils n'ont obtenu aucun succès. Quelque singulier que puisse
être ce fait, il n'en est pas moins exact, à ce point qu'un journal de
Gatane, le Don Bucefalo, constate que le public déserte le théâtre. Le tout
serait de savoir ce que vaut l'interprétation du chef-d'œuvre.
— Le Tartuffe de Molière en opéra! On n'avait pas encore eu cette idée
chez nous. Elle. a germé dans des cerveaux italiens. C'est un certain doc-
teur Tommasi di Priacca qui s'est avisé de mettre le chef-d'œuvre en cava-
tines, et c'est M. Oronzo Scarano, l'auteur de la Tazza di Thé, de Non toc-
cate la Regina, qui se charge de faire chanter Orgon, Tartuffe, Elmire et
Marianne, sans compter Flipote et monsieur Loyal.
— Cinq ouvrages, ont été choisis pour la grande saison d'opéra anglais
qui doit se donner au 'Grand Opera-House de New-York. De ces cinq
ouvrages, deux sont français, Faust et Fra Diavoto, deux italiens, il Trova-
tore et Luciadi Lammermoor, et enfin un allemand, Martha.
PARIS ET DEPARTEMENTS
C'est dans sa séance du samedi 21, ainsi que nous l'avons annoncé,
que l'Académie des beaux-arts a procédé à l'élection d'un membre dans
la section de composition musicale, en r-implacement du regretté Léo
Delibes. Quatre candidats, on le sait, étaient sur les rangs: M. Ernest
Guiraud, présenté en première ligne par la section ; MM. Paladilhe et
Victorin Joncières, en seconde ligne ex œquo ; enfin, M. Emile Pessard,
dont le nom avait été ajouté sur la liste par l'Académie. Le premier tour
de scrutin a suffi pour amener le résultat que chacun prévoyait d'avance ;
dès cette première épreuve, M. Guiraud était élu par 2b suffrages, tandis
que M. Paladilhe réunissait 8 voix et qu'une se portait sur M. Joncières.
— On ne peut que féliciter l'Académie de l'heureux choix qu'elle vient de
faire en la personne d'un artiste aussi distingué que M. Ernest Guiraud,
un artiste qui représente les vraies et saines traditions de la grande école
musicale française, et qui, en même temps qu'il est un compositeur re-
marquablement doué, est un théoricien et un professeur émiuent, dont
l'enseignement fait honneur au Conservatoire, où sa classe de composition
est justement renommée. Né à la Nouvelle-Orléans le 23 juin 1837,
M. Guiraud offre chez nous cet exemple unique d'un musicien fils de prix
de Rome, ayant lui-même obtenu le prix de Rome. (Son père, en effet,
l'avait obtenu en 1827, dans la classe de Lesueur, et lui-même se le vit
attribuer en 1839, dans celle d'Halévy). Nous rappellerons sommairement
les titres de ses ouvrages dramatiques: Sylvie, un acte, Opéra-Comique,
1864 ; En frison, un acte, Théâtre-Lyrique, 1869; le Kobold,\in acte. Opéra-,
Comique, 1870; Madame Turlupin, deux actes. Athénée, 1872 (repris il y a
deux ans à l'Opéra-Comique) ; GreJna-Green, ballet en un acte, Opéra,1873 ;
Piccolino, trois actes, Opéra-Comique, 1876; Galante Aventure, trois actes,
Opéra-Comique (1882). On sait que M. Guiraud est un symphoniste de pre-
mier ordre, dont une suite d'orchestre, après avoir obtenu un succès éclatant
aux Concerts populaires de Pasdeloup, fait partie des programmes de tous
les grands concerts d'Europe. Enfin nous avons rendu compte ici-même ,
il y a peu de temps, d'un excellent Traité d'instrumentation publié par lui,
et qui restera certainement comme l'un des meilleurs ouvrages du genre.
— La question de la sécurité dans les théâtres est revenue dans la der-
nière séance du conseil municipal. C'estM. Vaillant qui l'a posée et, nous
devons le reconnaître, avec autant de modération que de justesse. Depuis
la période d'émotion qui a suivi l'incendie de l'Opéra-Comique et qui a
mis, comme on dit, le feu au ventre des diverses autorités responsables,
fait justement observer le Temps, la vigilance des administrations ou com-
missions compétentes, et à plus forte raison celle des directeurs, s'est à
peu près relâchée : l'éclairage électrique n'est même pas installé dans tous
les théâtres. Quant aux dégagements, ils existent dans bon nombre de salles,
mais on les condamne pendant toute la durée de la représentation; il est
vrai qu'on se réserve de les utiliser le moment venu, un peu comme ce
maire de village qui voulait attendre pour acheter des pompes que l'incen-
die eût éclaté. M. Vaillant a été, en outre, frappé, comme tout le monde,
de ce fait que les théâtres subventionnés ont été les derniers à se soumettre
LE MENESTREL
403
et les premiers à se soustraire aux prescriptions les plus gênantes, mais
aussi les plus nécessaires. M. le secrétaire de la préfecture de police a
demandé qu'on lui citât les salles qui ne sont pas en règle; on l'aurait
bien autrement embarrassé en lui demandant celles qui le sont. Nous ne
sommes pas de ceux, on le sait, qui encouragent le conseil municipal à
se mêler de tout et de tous; mais, franchement, on ne peut lui refuser de
se préoccuper — puisque aussi bien personne n'y songe — des dangers
que peut courir le public dans la plupart des salles de spectacle; on ne
peut donc que le féliciter des voeux qu'il a formulés dans ce sens et expri-
mer l'espoir que l'administration voudra bien en tenir compte. Sans doute,
c'est encore une question de savoir si, même après les précautions les
plus minutieuses, les spectateurs affolés sauront échapper au double dan-
ger d'être brûlés ou écrasés; mais, du moment où l'on estime à tort ou à
raison que ce danger peut être diminué, il faut être logique et prendre
énergiquement les moyens d'en venir à bout. Cette semaine, MM. Bour-
geois et Yves Guyot sont allés visiter 1 Opéra en détail pour prendre des
mesures nécessaires. Nous espérons qu'on ne s'en tiendra pas là.
— Petites informations au sujet de la nomination d'un nouveau directeur
à l'Opéra, laquelle ne saurait plus se faire attendre longtemps. C'est le
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts qui, naturellement,
fera le choix du concessionnaire, mais ce choix devra être soumis au con-
seil des ministres. Nous croyons savoir que, sur six candidats en ligne,
un seul s'engagerait à jouer six fois par semaine, deux cinq jours; les trois
autres demanderaient le maintien du régime actuel. Tous sont disposés à
reprendre l'œuvre de Wagner, conformément aux vœux du ministre.
— M. Massenet écrit quelques nouvelles pages pour compléter son bal-
let Aa Mage, qui n'avait pas eu, à la première représentation, tout le succès
qu'on pouvait désirer. Que ces pages soient les bienvenues, si elles doivent
donner un peu de couleur et de charme à ce ballet si gris et si monotone.
— A rOpéra-Gomique, où M. Garvalbo nous prépare de véritables sur-
prises artistiques, il est question de l'engagement de M""" Arnoldson, qui
a laissé ici de si agréables souvenirs, après les représentations de Mignon
qu'elle donna il y a quatre ans. Depuis, M™ Arnoldson, déjà si intéres-
sante et si touchante dans ce rôle, s'est acquis à l'étranger une grande
célébrité. Ce serait donc une bonne fortune pour les Parisiens, si M. Car-
valho parvenait à attacher à son théâtre cette remarquable artiste. Tout
dépendrait d'un engagement en Russie qu'il s'agirait de faire résilier tout
d'abord.
— On a c ommencé cette semaine, au Conservatoire, des travaux d'amé-
nagement en vue du concours qui aura lieu le mois prochain, pour les
emplois de chef et de sous-chef des musiques militaires. Le concours sera
très important; soixante-seize sous-chefs de musique se sont fait inscrire
comme candidats au grade de chef. Pour le grade de sous-chef, on compte
cent quatre-vingt-dix candidats. Au mois de mai aura lieu un concours
spécial pour l'emploi de chef de musique dans l'artillerie et le génie ;
dix-huit chefs de musique d'infanterie se sont inscrits comme candidats.
— M"" Patti est arrivée cette semaine à Paris, mais pour y passer quel-
ques jours seulement. Elle doit partir dès demain lundi pour Vienne, où
elle est engagée.
— Plusieurs journaux annoncent que M. Camille Saint-Saëns est actuel-
lement au Caire, où il compte séjourner tout le mois d'avril. L'auteur
d'Ascanio se porte à merveille et occupe ses loisirs à écrire des œuvres
littéraires. Quant à la musique, il n'en fait point du tout. M. Saint-Saëns
vient d'adresser à son ami Louis Gallet une pochade en un acte, en vers,
qu'il destine au Théâtre-Libre.
— A signaler la publication récente de deux nouveaux volumes sur la
musique, tous deux d'un esprit très moderne : Symphonie, par M. Hugues
Imbert (chez Fischbacher), et Notations artistiques, par M. Guy Ropartz
(chez Lemerre). Le premier est un recueil d'articles sur divers sujets mu-
sicaux, anciens et modernes, parmi lesquels nous remarquons particuliè-
rement une excellente étude sur l'œuvre de Schumann, un chapitre sur
Stendhal, où il est fait bonne justice des prétentions à la haute critique
musicale qu'avait l'auteur de la Chartreuse de Parme (encore que les opi-
nions de M. Imbert me paraissent entachées de bienveillance !), et un
intéressant travail sur un portrait de Rameau, attribué à Chardin et con-
servé au musée de Dijon, dont le livre donne une bonne reproduction
•gravée à l'eau-forle. — Le livre de M. Guy Ropartz, plus spécialement
consacré à des impressions de voyage, n'est pas aussi complètement
musical; mais l'auteur étant un musicien, la musique ne pouvait pas ne
pas tenir une grande place dans ses souvenirs. Il nolis donne, notamment,
d'intéressants renseignements sur la vie musicale contemporaine en
Suède ; notons aussi, outre ses souvenirs de Bayreuth, le chapitre qu'il
consacre à quatre symphonies françaises modernes, celles de MM. Lalo,
César Franck, Saint-Saëns et Vincent d'Indy. J. T.
— M. Albert Peschard, docteur en droit, ancien organiste du grand orgue
de Saint-Etienne de Gaen, vient de publier sous ce titre : les Premières
Applications de l'électricité aux grandes orgues, une brochure substantielle et
fort intéressante, dans laquelle il revendique fièrement et justement, pour
la France et pour lui, l'initiative d'un mouvement qui a si complètement
transformé la facture des orgues, et qui, répandu aujourd'hui dans d'autres
pays, n'en doit pas moins être considéré comme une œuvre éminemment
française. On sait qu'il y a trente ans encore, les orgues électriques étaient
envisagées comme un simple objet de curiosité. D'aucuns pensaient cepen-
dant qu'il y avait à obtenir, de ce côté, des résultats sérieux et pratiques;
mais tandis que les facteurs n'entendaient à peu près rien à la science de
l'électricité, les électriciens, d'autre part, n'étaient que très imparfaitement
initiés aux difficultés et aux détails de la facture des orgues. Il s'agissait
donc d'établir et de formuler les principes essentiels d'une construction nou-
velle|pour les instruments destinés à recevoir l'aide puissante de l'électricité.
C'est la tâche qu'entreprit courageusement M. Peschard, et qu'il sut mener
à bien de la façon la plus satisfaisante. Toutefois, comme, n'étant pas fac-
teur lui-même, il ne pouvait réaliser seul son idée, il s'adressa à l'excel-
lent organier Barker, l'auteur du fameux levier pneumatique, et de leur
collaboration naquirent les orgues de Salon (1866), de Saint-Augustin (1868)
et de Montrouge (1869). Les événements de 1870 d'une part, une opposition
systématique de l'autre, vinrent retarder chez nous les travaux de l'indus-
trie nouvelle, tandis que l'étranger, profitant de l'initiative qu'on ne sau-
rait contester à notre pays, étudiait la question, mettait résolument en
pratique l'idée qui était née sur notre sol et nous la présentait ensuite,
en s'attribuant la gloire de l'invention et en nous raillant de notre pré-
tendue impuissance. Nous ne saurions analyser ici, dans tous ses détails,
la très curieuse brochure de M. Peschard. Nous nous bornerons à constater
sa très légitime revendication, à signaler l'opinion très favorable exprimée
par M. Eugène Gigout, l'éminent organiste de Saint-Augustin, au sujet de
l'orgue électrique de cette église, qu'il connaît et pratique depuis si long-
temps, et à remarquer enfin que l'industrie nationale des orgues électriques
reprend énergiquement en France, en ce moment, sans le secours d'au-
cun nom étranger, grâce à M. Cavaillé-CoU, à MM. Merklin et C'=, ainsi
qu'à M. Debierre, facteur à Nantes, dont la manufacture est aujourd'hui
en pleine voie de prospérité. A. P.
— La Hollande musicale à Paris. Histoire d'un concert. Tel est le titre d'un
joli volume, signé Oscar Gomettant, que vient de mettre en vente, au pro-
fit de la Société de bienfaisance hollandaise de Paris, la Librairie géné-
rale, 72, boulevard Haussmann. Ce volume, d'une lecture rapide, intéres-
sante, humoristique souvent et toujours instructive sur les choses de la
musique et des musiciens hollandais, est l'histoire largement développée
d'un concert organisé par M. Comettant et qui a eu lieu, salle Pleyel, en
janvier dernier, nos lecteurs ne l'ont pas oublié.
— Si les théâtres disparaissent à Bordeaux, ils sont, paraît-il, avanta-
geusement remplacés par des cirques. En effet, tandis que le Théâtre-
Français de cette ville, mis en vente ces jours derniers, a été acquis, au
prix do 450,000 francs, par un gros commerçant qui va le transformer en
un vaste magasin de nouveautés, un ancien directeur M. Ilanappier, s'oc-
cupe de faire reconstruire l'ancien hippodrome, en même temps qu'une
puissante société se constitue pour en faire élever un supeibe sur les
terrains de l'école de dressage, rue Judaïque; et pendant ce temps, deux
sont en construction, l'un sur le boulevard de Gaudéran, l'autre sur l'em-
placement des anciennes Arènes landaises. Avec celui du quai de la
Grave, cela fera cinq établissements de ce genre que possédera bientôt la
patrie de Montaigne et de Montesquieu. Vive la cavalerie !
— On nous écrit de Nîmes pour nous signaler les représentations triom-
phales qu'y donne en ce moment M. Dereims, principalement dans Hamkt.
Les Nimois ne peuvent se lasser de l'entendre et de l'applaudir, et le for-
cent à donner représentations supplémentaires sur représentations supplé-
mentaires.
— Une fois n'est pas coutume. Empruntons cet innocent jeu de mots à
notre confrère fc Gaulois. «Vous revenez de Rouen. Quelle est votre impres-
sion sur Lohengrin? — Je trouve que c'est une honte pour le Grand-Opéra
d'avoir abandonné ce chef-d'œuvre à une scène inférieure. »
CONCERTS ET SOIRÉES
Les deux dernières soirées données par M. et M™ Louis Diémer ont
été tout exceptionnellement brillantes. Le 4 mars, M™'^ la générale Bataille,
que l'on entend trop rarement, a merveilleusement chanté les Ailes, de
Louis Diémer, la romance du saule i'Otello et l'air des Noces de Figaro.
Au programme figuraient les noms de M. Taffanel, qui a détaillé en per-
fection la Suite pour flûte et piano de M. Ch.-M. Widor, M. Hasselmans,
MM. Lelubez, Mousset, deux amateurs qui ont dit en artistes deux mé-
lodies du maître de la maison : J'ai dit à mon âme et la Fauvette. M. Dié-
mer s'est fait entendre sur le clavecin Pleyel, dont il se sert supérieure-
ment. — Le 18 mars, M"° la comtesse de Guerne et M™^ Colonne, avec
M. Auguez, défrayaient royalement la partie vocale. MM. Delsart, Remy,
Parent et Van Waelfelghen, ce dernier avec sa viole d'amour, représen-
taient la partie instrumentale. Aux applaudissements de tous les invités,
M. Diémer a joué du Schumann et du Liszt avec la perfection qu'on sait.
— Dimanche dernier, très brillante matinée chez M™'^ Rosine Laborde
pour l'audition de ses. élèves. Le programme comprenait : Air des Clo-
chettes de Lakmé, le Soir de M. A. Thomas, cantabile de Psyché, cavatine
du Songe d'une nuit d'été, duo de Jean de Nivelle, plusieurs morceaux de
MM. Massenet, Guiraud, Weckerlin et trois pièces de Schumann, la Fleur
de lotus, mélodie très poétique, Baisers de mai et Vert Colibri, deux duos
chaleureux dont la facture originale a charmé l'assistance. Parmi les in-
terprètes, nous citerons M"« Maugé, dont la voix généreuse et souple u'au-
104
LE MÉNESTREL
l'ait pas à redouter les surprises d'un local plus vaste, M"'= de Marcilly-
Sax, excellente musicienne, M"" Ledant, qui se sert avec goût d'un très
bel organe, M"" Horteloup, M"" Meignant, M"" Vassalo. . . Comme inter-
mède, M"'= Victor Roger a rocité quelques poésies avec une simplicité
charmante. Am. B.
— SoiuÉES ET coNoiiiiTS. — M"" HortensB Parent a fait entendre dimanche dernier,
salle Érard, ses remarquables élèves. Parmi les morceaux les plus applaudis, citons
la /'' Ballade^ de Chopin, la Grande valsf ch' concert, de Biémer, dont les octaves ra-
pides ont clé lancées avec un brio étonnant par M''" Lizzie P., COiseau-MoucItc, de
Lack. et la Gaillarde, de V. Dolmeisch, rendus par M"' Luui^e S. avec une grâce et
unelégèrelé tout aériennes; une Valse mélancolique et une Valse mljnoniir, de Marie
Jaëll, très bien dites par M"' Sjzmne P.. La séance a éié close p<r la charmante
cantatrice M"' Caroline Brun, qui a dil, en perfection, Par le sentier, de Th. Dl--
bois. — Lundi dernier, salle de la Société de géographie, M"" Carissan a fait
entenire un fragment de son œuvre nouvelle, ïîi'bccca, drame lyrique aacrf', avec
chœurs et soli. Ovation a été faite à l'auteur et aux interprètes, M"^' Blanc et
M. Dimitri. — La deuxième matinée d'élèves de M"° Cazelar a permis de cons-
tater l'excellence de son enseignement. Plusieurs artistes, qui prêtaient leur
concours à cette charmante réunion, ont été tort appréciés. — Tout dernièrement
a eu lieu au Grand-Hôtel une fête de charité très roussie, dont les deux princi-
paux attraits étaient .\l. Jtounel- Sully, le génial altiste de la Comédie-Française,
et M"" Marie de Gradowsky, une charmante canlat ice russe, enfant gâtée de
quelques salons privilégié.^, qui a fait ses études musicales avec M"" Artot de
Padilla, et à laquelle notre grand chanteur Faure a donné des conseils d'autant
plus précieux qu'ils sont très rares. Elle a dit d'une jolie voix, et avec beiucoup
de sentiment, l'air du Mysoli, de la Perle du Brésil, et te Suir, d'Ambroise Thomas.
La colonie russe, très brillamment représentée à cette réunion, a fait fête aussi
à M'"" G. Ferrari, M"" Bartchetf, MM. Delaquerrière et de Kuhne. — Sigualous,
parmi les auditions d'élèves données celte semaine, celle de M"" Tarpet-Leclercq,
professeur au Conservatoire, entièrement consacrée aux œuvres de M. Paul Rou-
gnon. En écoulant jouer des morceaux tels que Parmi le thym et la rosée, Bal-
lerine, Mascarade, Menuet de l'Infante, Valse des fîleuses, Sous les tilleuls. Astre des
nuits et Valse Joyeuiie, de genres très diflérents, on a pu se convaincre de l'excel-
lence de l'enseignement de M'"" Tarpet. Une élève de M. Bix, M"' Nalhan, s'est
fait vivement applaudir en chantant une joIi3 mélodie, de M. Rougnon également,
Pour vous ! — Une mention est due aussi à la matinée donnée par M"= Ilerpin,
dont plusieurs des élèves ont fait preuve de très réelles qualités en exécutant des
morceaux de MM. Lack [Tz-iganiji], Dolmeisch {Passei>'ed), Neustedt, Godard, Cha-
vagoat, etc., et encore à celle donnée par M— Méreaux, l'excellent professeur fixé
à Rouen et dont les leçons sont fort courues à juste titre : Clair de lune, de
M. Th. Dubois, et Caimce-Mazurke, finement dits, ont eu les honneurs du pro-
gramme. — Au dernier concert de la Société de musique classique de Perpignan,
dirigée par M. Gabriel Baille, directeur de l'École de musique de celte ville, on
a beaucoup applaudi une Sijniphonie pittoresque, œuvre de ^L Baille lui-même,
dont le succès a été complet. — Les journaux de Bordeaux sont unanimes à pro-
clamer le vif succès obtenu au dernier concert de la Société de Saint-Yincent-
de-Paul de eeite ville par la jeune pianiste M"" Madeleine Bartels, qui s'est fait en-
tendre dans des pièces de (Chopin, Schumann et Sainl-Saéns, interprétées par
elle avec une grande perfection de s^jle et de mécanisme, et plus particuliè-
rement encore dans deux des plus charmantes œuvres de son professeur,
M. Théodore Lack: Chant d'avril et la célèbre Valse arabesque, qui lui a été rede-
mandée par acclamation. — Très réussie la soirée musicale de M"' Altmeyer, qui
s'est fait applaudir dans plusieurs morceaux de son répertoire et en accompa-
gnant au violon Rose d'avril de Campana, chanté par M"* Marie Ruefi' ; succès
aussi pour le duo de Sigtird, inlerprété par M"'= Rueff et un de ses élèves,
M. Jules Gogny. — Grand succès l'autre soir, salle de l'Agriculture, pour la jeune
planiste Hélène Moulins. On a beaucoup regretté l'absence de sa sœur Marguerite,
retenue par une scarlatine qui inquiète vivement sa famille et ses amis. —Dimanche,
8 mars, charmante matinée oSerte par la Société musicale de Saint-Maurice aux
convalescents de l'Asile National de Vinceunes, dans la belle salle des fêtes de
l'établissement. Succès complet et mérité aussi bien pour les sociétaires que
pour les artistes qui ont prêté leur gracieux concours. M. Dufour et M"" Gêniez
ont été fort applaudis dans le duo de Miijnon, qu'ils ont dît bisser. Puis MM. Pet-
tiau, Pichard, Garnier, Ghiss, toute une pléiade de lauréats du Conservatoire
ont charmé les malades. Une mention aussi à M.M. Bertrand, Quarez, Vaugeoia
et Leclerc, artistes de grand talent. — La matinée d'élèves donnée ii la salle
de géographie par M"' Bertucat a eu un grand succès. Le parfait ensemble
des chœurs, la bonne exécution do plusieurs morceaux seuls ont valu aux
élèves les ovations du public. La marche de Chopin, jouée par M. R. Pugno,
avec le chant à l'unisson par les élèves, a vivement impressionné l'auditoire ;
c'était la première lois que ce morceau était exécuté de cette façon. —
Lundi 16 mars, à la salle Pleyel, très intéressante audition des élèves de
M'»" Guéroult. La toute jeune pianiste M"" Numa, a été très remarquée dans le
Pizzicato de Delibes. M"' Gros-Richard et M"" Guéroult ont dit avec un brio
remarquable nn duo à deux pianos (andanle et rondo) de M. II. Barbedette. Grand
effet produit par la Marche tuoniphaleàe M. Bourgeois, pour le piano. M. Lemaîire,
violoniste, a été 1res applaudi dans la Fileusc du même auteur. Nombreuse assis-
tance, programme très chargé; grand succès. — Le succès des matinées musicales
de M">= Claire Lebrun est toujours plus grand chaque année. Celte fois, l'excel-
lent professeur a fait entendre toutes ses élèves, et petites et grandes ont été
absolument acclamées. M"" B. Laurent et M"" Magdeleine Godard apportaient
leur concours, comme professeurs et comme artistes, et ont été chaleureusement
applaudies. — L'excellent professeur, M. Déledicque, a donné dimanche dernier
une audilion d'élèves. Plusieurs jeunes fdies et jeunes gens ont joué sur le vio-
lon des morceaux exécutés avec stireté. Le pizzicato de Sylvia, joué par tous les
violonistes avec un ensemble remarquable, a élé acclamé. Aux élèves de M. Dé-
ledicque s'étaient joints ceux de M"": Raux-Déledicque, ce qui nous a donné
l'occasion de constater la méthode correcte et vraiment artistique de leur zélé
professeur. — Au concert donné le samedi 21 mars à l'instilution des jeunes
a73ugles on a beaucoup remarqué une scène bretonne pour chœur et orchestre.
paroles de M. Guilbeau, musique de M. Adolphe Marly. — Le Cercle des Beaux-
Arts de Nantes a donné, il y a quelques jours, pour terminer la série de ses
fêtes, un concert avec le concours de Louis Diémer et de son élève préféré,
M. Risler. Les remarquables virtuoses ont joué d'une façon merveilleuse des
duos do Saint-Saëns, Schumann et Liszt, et leur triomphe a été complet. M. Dié-
mer a de plus été très applaudi comme clavecenisle, en faisant entendre un
instrument reconstitué avec un sciu scrupuleux par la maison Pleyel Wolff
etC'. Danslamêmc soiréaM. Tolbecque, 1 excellent violoniste, a obtenu un grand
succès avec des pièces pour baste de viole de l'effet le plus curieux. — M"» Marie
Laisné a donné le il mars, au Gymnase de la parole, une grande matinée musi-
cale et littéraire dans laquelle elle a fait entendie quelques-unes de ses élèves
de piano et de chant. Le succès a pleinement récompensé les efforts de l'excellent
professeur et nous avons principalement remarqué, pour le piano, M"" Suzanne M.
dans Promenade aux clmmps, de M. Trojelli, M"' Tbérèso T. dans Badinage, de
M. F. Thomé et M"' Marthe P. dans la Valse arabesque de M. Th. Lack, pour
le chant, M"» F. dans le Soir de M. A. Tliomas. M"" D. et S. dans le duo du
Roi l'a dit, M"« W. et L. dans le Cruci/i.c de M. Faure et M"' M. D. dans le Sen-
tier de M. Th. Dubois. — M. Edouard Risler, l'un des brillants premiers prix de
piano du Conservatoire, a donné, salle Pleyol, un des concerts les plus intéres-
sants de la saison, avec le concours de M"' Leroux-Ribeyre, de M. Diémer son
maître, et de M. Taffanel. Qu'il exécute du classique, Beethoven, Chopin, Schu-
mann, ou du moderne comme la Chaconue de M. Th. Duboi's et les pièces di-
verses de Berlioz, Liszt tt de MM. Saint-Saëns, Pfeiffer, Diémer, son jeu reste
toujours aussi captivant et son mécanisme aussi impeccable.
— Au dernier concert de l'Association artistique d'Angers, on a fait un
chaleureux accueil à M. I. Philipp, qui est assurément l'un des pianistes
les plus complets que nous possédions aujourd'hui. Le virtuose est chez
lui doublé d'un remarquable musicien. Il a interprété avec un sentiment
exquis le beau concerto de M. Ch.-M. Widor et la poétique fantaisie de
M. Emile Bernard. De M. Widor on a encore entendu sa seconde sym-
phonie, œuvre des plus remarquables et dont certaines pages sont dignes
dètre comparées aux meilleures productions de Schumann. La première
partie se distingue tout particulièrement par la beauté de la conception :
c'est du moderne classique.
NÉCROLOGIE
Les journaux portugais nous apprennent la mort, à l'âge de quarante
et un ans, d'un compositeur dont les œuvres, parait-il, sont extrêmement
populaires à Lisbonne et à Porto, oit depuis longtemps il était très applaudi,
bien que quelques-uns l'aient accusé d'imiter servilement nos musiciens
français. M. Alves Reniez, chef d'orchestre et directeur du théâtre royal
de Porto, avait écrit un grand nombre d'opérettes qui lui avaient valu de
véritables succès de la part do ses compatriotes, et parmi lesquelles on
signale surtout a Bilha Quebrada, Verde-Gaio, Lenda do Oinor malliado. Se eu
fora rci, Doin César de Bazan, Moleiro d'AIcala, a Fillia do Tambor-mor,
Dragoes â'el Rei,Gato Preto, Rcca de Vidro,a Princeza Azulina,Rei de Oiros, etc.
— A Barcelone vient de mourir une chanteuse d'opérette naguère très
appréciée à Madrid, M'""^ Dolores Perla, fameuse au temps où la zarzuela
llorissait au théâtre des Variétés de cette ville.
— De Messine on annonce la mort imprévue et presque subite d'un
artiste qui, en ces dernières années, s'était acquis une grande réputation,
la basse Enrico Gherubini. Il était né à Rome, et a succombé très rapi-
dement, le 18 mars, à une congestion cérébrale, à peine âgé de trente-cinq
ans. — Un autre chanteur, le baryton Luigi Brignole, qui obtint d'assez
brillants succès, particulièrement à la Scala de Milan, vient de mourir à
Naples à l'âge de soixante-quatre ans.
— Le théâtre impérial de Moscou vient de faire une perte dans la per-
sonne de Jean Butenko, qui y tenait l'emploi de basse sérieuse, et qui a
succombé à une attaque de diphthérie. Cet artiste s'était fait applaudir
aussi en Italie, notamment à Mantoue et au théâtre Dal Verme, de Milan.
— La musique aux Etats-Unis est en deuil d'un de ses plus fermes
soutiens, Calixta Lavallée, président de l'Association nationale des professeurs
de musique, mort à Boston, dans sa cinquantième année. Né à Montréal et
français d'origine, Lavallée reçut son éducation musicale au Conservatoire
de Paris, dans les classes de Bazin et de M. Marmontel. Après avoir par-
couru l'Europe, il retourna dans sa ville natale pour y fonder un Conser-
vatoire qui ne réalisa pas toutes ses espérances. Il émigra alors aux Etats-
Unis, où il se fit rapidement un nom comme compositeur de musique
militaire et comme exécutant sur le piano, le violon et ... le cornet ù pis-
tons. Plus tard, délaissant la musique militaire, qui lui rapportait cependant
gloire et argent, mais ne répondait pas à ses aspirations artistiques, il se
consacra au professorat et à la propagation des œuvres musicales améri-
caines. C'est grâce à son esprit d'initiative et à son activité que des fes-
tivals ont pu être organisés, qui ont mis en lumière les œuvres de com-
positeurs américains aujourd'hui renommés. Ces derniers lui avaient offert
en témoignage de leur gratitude le poste de président de l'Association natio-
nale des professeurs de musique, qu'il occupait depuis 1886.
He.nri Heugel, directeur-gérant.
En vente chez M,vck,ir et Noël, éditeurs
"li, passage des l'anoramas, Paris
Les œuvres du célèbre compositeur russe
P. TSCHAIKO'WSKY
3i3i — S?"^ mÎË — iA° li.
Dimanche S Avril 1891,
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser pbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-posle d'abonnemenU
Un on, Texte seul : 1(1 l'rancs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement com|ilet d'un an, Tiïxte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les fpais de poste ea sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (3« article), Albert Sol'bies et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral, H. M. — III. Napoléon dilettante (2' article),
Edmond Neukosim et Paul d'Estrée. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
FAUT-IL CHANTER?...
dernière mélodie de Léo Delibes, poésie du V'<= de Borbelli. — Suivra
immédiatement : Le meilleur moment des amours, mélodie de Léo Delibes,
poésie de Sully-Prodhomme.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Guitare, pièce extraite de Conte d'avril, musique de Ch.-M. Widor.
— Suivra immédiatement: Romance, pièce également extraite de Conte
■d'avril.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
A.llt>ert SOUBIES et Charles IVIALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
(Suite.)
Les changements de direction amènent des ouvrages nou-
veaux, comme aussi de nouveaux interprèles. Voilà ce qui
explique à un jour de distance, les 5 et 6 juillet 1860, la
rentrée momentanée de deux artistes qui semblaient perdus
pour la salle Favart, Roger et M""^ Ugalde : le premier dans
Baydée, avec IW" Dupuy, une revenante elle aussi, mais très
provisoire; la seconde dans Galath;e. Déjà, le 26 juin, Roger
avait prêté son concours a une représentation donnée au béné-
fice d'un artiste que l'on ne nommait pas, en réalité pour
racheter du service militaire le fils de Duvernoy, ce qui fut
d'autant plus facile que la recette atteignit 6.963 fr. 50. Au
programme figuraient les Désespérés, joués par la troupe de
rOpéra-ùomique, un Caprice, joué par la troupe des Français,
Monsieur Prudhomme, joué par Henri Monnier, Nathan,
Mmos Revilly et Geoffroy, plus un fragment de comédie, disait
l'afSche, récité par Samson ; ajoutons que cette comédie,
alors inédite, s'appelait le Veuoage. Deux noms surtout méri-
taient de fixer l'attention : M'"'' Trebelli, dont on connaissait
les succès en Espagne, mais qui n'avait jamais encore paru
en public à Paris ; elle chanta seule le brindisi de Lucrèce
Borgia, et avec M. Crosti une scène du Barbier de Séville, épreuve
qui confirma sa jeune renommée ; puis Roger, qui chanta le
duo de la Reine de Chypre avec Bonnehée et le premier acte de
la Dame blanche. II y avait onze mois, presque jour pour jour
(27 juillet 1859), qu'il avait perdu son bras lors de cette
chasse fatale dont il a raconté l'issue en termes émouvants
dans son Carnet d'un ténor. Entouré des sympathies de tous,
il fut acclamé, et son succès détermina la direction à l'enga-
ger pour un certain nombre de représentations en attendant
qu'il partit pour Bade, où il devait créer la Colombe, de Gou-
nod. C'est ainsi qu'on put l'applaudir en 1860 daas Haydée,
la Dame blanche, le Domino noir, et l'année suivante, à son
retour d'Allemagne, dans les mêmes ouvrages et, en outre,
dans les Mousquetaires de la Reine. Il touchait alors à la fin de
sa carrière dramatique et devait désormais se consacrer à
l'enseignement.
A côté de ces rentrées il faut rappeler deux débuts, celui
de Laget, le 8 juillet 1860, dans Tracolin du Toréador, un
ténor qui comptait déjà de notables succès en province; et
celui de M'''^ Marimon, le 30 juillet 1860, dans Catarina des
Diamants de la Couronne, une élève de Duprez, une cantatrice
à la voix souple et brillante et qu'on avait applaudie précé-
demment au Théâtre Lyrique; le rôle prêtait aux vocalises
et la débutante en ajouta de sa façon pour montrer qu'elle
atteignait sans peine le conive-fa dièse, point culminant qui n'a
jamais été dépassé depuis qu'une seule fois dans V Esclarmonde
de M. Massenet. Ce début avait du s'effectuer plus tôt, dans
une reprise du Petit Chaperon rouge, où M"" Marimon aurait
pris la place de M'"'^ Faure-Lefebvre, qui parlait alors de
quitter le théâtre. Il n'en fut rien, heureusement, et celle-ci
tint le t août le rôle qui lui revenait de droit, car c'est en
partie pour elle qu'on reprenait ce vieil ouvrage de Boiel-
dieu, oublié depuis 1842 ; elle s'y montra ravissante de
finesse et de grâce, à côte de Crosti (Rodolphe), remplacé
uu mois après par Montaubry, Warot (Roger), Barrielle (l'Er-
mite), Lemaire (Job), M""' Z. Belia (Mariette), M""" - Casimir
(Berthe). Avec M"<^ Faure-Lefebvre, et plus tard M"= Marimon,
le Petit Chaperon rouge se, maintint deux années et obtint
36 représentations : depuis lors il a défiuitivement disparu.
Cependant, le directeur Beaumont, au lieu de monter des
pièces nouvelles, se livrait aux douceurs de la poésie offi-
cielle, et produisait sur son théâtre, le 15 août, une cantate
ttvec chœurs : Vive l'Empereur, dont M. Jules Cohen avait écrit la
musique. Le succès fut tel qu'on en donna six auditions, les
deux premières avec Montaubry (15 et 16), la troisième avec
Carré (17), la quatrième avec Montaubry (18), les dernières avec
106
LE MENESTREL
Warot (17 et 19 septembre). Cette cantate valut même une
petite réclame au jeune ténor Carré, appelé à suppléer Mon-
taubry indisposé. On raconta qu'il avait retenu la musique de
M. Jules Cohen après une seule audition, et un journal ajouta
gravement : « Ce tour de force fait honneur au talent du
musicien, mais il prouve également en faveur du talent de
M. Cohen. Il n'y a que les mélodies franches et nettes que
ron puisse retenir si facilement. j> Que de compositeurs
aujourd'hui se refuseraient à prendre cette phrase pour un
compliment !
Elle n'aurait pas déplu à Ernest Gautier, qui ne haïssait
pas les flonflons et en avait parsemé le petit acte donné le
28 août sous ce titre : le Docteur Mirobolan, la Comédie-Fran-
çaise ayant fait des difficultés pour lui laisser celui de
Crispin médecin, alors que par une étrange contradiction elle
laissait jouer quatre jours plus tard au Théâtre-Lyrique un
Ci-ispin rival de son maître, mis en musique par M. Sellenick.
C'est la fameuse pièce de Hauteroche que Gormon et
Trianon avaient amputée de deux actes et fort adroitement
disposée pour l'agrément du compositeur, on peut ajouter
et du public, car le Docteur Mirobolan eut un succès de gaieté.
Tous les interprètes s'y montraient désopilants, entre autres
Gouderc et Berthelier, qui disait de si plaisante façon les
couplets : J'aimions un'fiUe d'ia campagne.
Un autre acte réussit encore, quoique moins bruyamment,
le 17 septembre. A dire vrai, la salle Favart n'en avait pas
la primeur, puisque Ma tante dort avait été représenté au
Théâtre-Lyrique le 21 janvier précédent. Coïncidence curieuse,
un mois après (18 février) une grande pièce venait au monde
qui devait plus tard être pareillement ti-ansplantée, mais
avec bien plus d'éclat, Philémon et- Baucis. En jetant les yeux
sur les deux distributions, on devine quelle raison avait valu
cet honneur au lever de rideau dont H. Grémieux avait écrit
les paroles et H. Caspers la musique.
THÉÂTRE-LYRIQUE 0PÉRA,-C0M1QUE
Scapin, Meillet. Mocker.
Le Chevalier, Legrand. Ponchard.
Martine, M"'^^ UgalJe. M-^^^ Ugalde, ensuite M"" Lemercier.
Gabrielle, Durand. Bousquet.
La Marquise, G. Vadé. Révilly.
C'était M™'^ Ugalde qui, changeant de théâtre, n'avait pas
voulu perdre tout le bénéfice d'un de ses grands succès; et
Albert de Lassalle s'est donc trompé de deux ans quand il a,
dans son Mémorial du Théâtre-Lyrique, fixé à 1862 le déplace-
ment de ce petit ouvrage qui, dans son nouveau domicile,
obtint trente-quatre représentations en trois ans. La lecture
de la partition révèle deux particularités : la première est
très flatteuse pour une artiste, puisque l'emploi de M™ G.
Vadé est désigné sous le nom de « Révilly », comme celui
de Meillet sous le nom de » Martin » ; la seconde est flatteuse
pour le compositeur, puisque l'ouvrage contient une valse
pareille, presque note pour note, à celle que Gounod devait
un jour écrire pour Bornéo et Juliette.
Un souvenir comique se rattache en outre à cette soirée
du 17 septembre, où parut Ma tante dort. La représentation
était donnée au bénéfice des chrétiens de Syrie, et le pro-
gramme comportait diverses œuvres et fragments d'œuvres,
entre autres les Chaises à porteurs, le deuxième acte de Fra
Diawlo, la cantate de Vive VEmpereur (celle qu'on a retenait »
si aisément), des intermèdes par M"'''' Monrose et Lemercier,
MM. Barrielle et Berthelier, enfin le premier acte de V Étoile
du Nord. A ce numéro, la salle, composée en grande partie
de provinciaux et d'étrangers, devint houleuse : on réclamait
à grands cris l'ouverture, célèbre alors. Le régisseur se pré-
senta, disant que ce morceau ne figurait pas sur l'affiche.
« Ça ne fait rien! » répondit-on en chœur. Tilmant, le chef
d'orchestre, prit la parole à son tour pour expliquer que
l'ouverture comprenait une partie de fanfare et que la fanfare
n'avait pas été commandée. « On s'en passera » répondit la
foule. Alors, pour apaiser ce tumulte, Tilmant se mit à tour-
ner ostensiblement les feuillets de sa partition, comme s'il
voulait commencer par le commencement; il donna le mot
d'ordre à ses soldats et joua... l'introduction. Soit ignorance,
soit lassitude, on se tint pour satisfait; mais parmi les spec-
tateurs, quelques-uns durent trouver que cette ouverture
manquait de développement ! (A suivre.)
BULLETIN THÉÂTRAL
Pendant la semaine de Pâques, l'histoire de nos théâtres ne pré-
sente jamais beaucoup de piquant, et pourtant c'est une des se-
maines les plus riantes de la vie des directeurs. Sans s'ingénier à
faire des risettes nouvelles aux passants, ils n'ont qu'à se baisser
pour ramasser de fort belles recettes. Heureux les théâtres, comme
les peuples, quand ils n'ont pas d'histoire !
Il y a eu pourtant, pendant toute cette passe de fêtes bénies, un
lot d'imprésarios singulièrement inquiets et nerveux ; ce ne sont
pas de ceux qui sont en place dont nous voulons parler, mais de
ceux qui aspirent à prendre la place des autres. A ce titie, puisqu'il
s'agit de remplacer des individus aussi peu intéressants que MM. Ritt
et Gailhard, nous ne pouvons qu'accorder toute notre considération
et tout notre encouragement aux candidats qui se mettent sur les
rangs pour décrocher la timbale de l'Opéra. En voici la liste très
officielle et très complète :
M. Victor Wilder, le critique éminent du 6(7 Blas, porte-drapeau
de l'école qui marche de l'avant, quelquefois même trop impétueu-
sement, au risque de se casser le cou au milieu des ténèbres;
M. Emile Blavet, journaliste alerte, esprit très parisien ;
MM. Bertrand et Gampocasso, association solide et départementale,,
qui nous donnerait à peu près l'équivalent de la direction de M. Halanzier
(ou a pu voir, par la suite, après les méfaits de MM. Ritt et Gailhard,,
que cette direction bonhomme et sûre n'était pas tant à dédaigner) ;
MM. Calabresi et Stoumoa, articles d'exportation.
M. Porel, directeur de l'Odéon, dont il a presque fait une scène
musicale. Joli metteur en scène; a contre lui de vouloir nous ap-
porter en même temps que sa gracieuse personne celle peut-être
moins aimable de M. Charles Lamoureux. Bagage bien lourd qui
pourrait faire chavirer sa barque.
M. Gunzbourg, candidature pour rire, le comique de la situation,,
l'imprésario farceur du théâtre municipal de Nice, celui qui annonce
avec gravité sur ses affiches la Prise de Troyes (sic), d'Hector Berlioz;
joue très bien à l'occasion les Ménélas de Barbe-Bleue ou les Gaspard
des Ctoches de Corneville. A un profond mépris pour les droits des
compositeurs français, dont il représente les œuvres, sans bourse
délier, sur les scènes de Pétersbourg. Titres éclatants, comme on
voit, pour briguer la direction de la première scène lyrique de France.
Ces divers personnages ayant tous réclamé déjà de l'administra-
tion des Beaux-Arts le nouveau cahier des charges pour en prendre
connaissance, on peut les considérer comme ayant posé officielle-
ment leur candidature. D'aucuns ne craignent pas d'ajouter à cette
liste, déjà suffisamment pourvue, les noms de MM. Ritt et Gailhard,
qui aspireraient à voir renouveler leur privilège comme s'ils ne se
sentaient pas parfaitement indignes d'une telle faveur. Nous n'en
croyons pas un mot. M. Ritt, presque un octogénaire! Penser encore,
à cet âge, à diriger quelque chose! Et Gailhard, que sa morgue et
ses mauvaises façons ont rendu insupportable à tout le monde!!
Cela parait tout d'abord bien invraisemblable.
Pourtant, voici une note de Jennius, de la Liberté, toujours très
bien renseigné en ces matières, qui donne singulièrement à réfléchir :
C'est liier, dit-il, que les candidats -à la direction de l'Opéra ont été
admis à prendre connaissance du caL-ier des charges.
Cette formalité est-elle bien utile?... N'assure-t-on pas, en effet, et avec
des preuves à l'appui, que le choix du ministre est fait, que la nomination
du nouveau directeur serait même signée et qu'un autre ministre que le
ministre des beaux-arts a tenu à ce que cette signature fût donnée avant
son départ pour la campagne?
Ce qui voudrait dire tout simplement que M. Gonstans, avant de
quitter Paris, aurait imposé sa volonté à son collègue des beaux-arts
et enlevé d'autorité la nomination de ses protégés Ritt et Gailhard.
Ceci nous parait bien gros, t-t nous avons peine à croire qu3 M. Bour-
geois, dont on vante volontiers l'esprit d'équité et d'indépendance,
ait consenti à jouer ce rôle de petit garçon. Jusqu'à ce que le fait
soit patent, nous ne pensons pas que le ministre songe à une nomi-
nation qui serait un véritable défi porté à l'opinion publique.
LE MÉNESTREL
107
A I'Opéba-Gomique, nous pouvons donner comme définitif l'enga-
gement de M""= Sigrid Arnoldson, la charmante cantatrice suédoise,
qui n'avait fait qu'une courte apparition à Paris, il y a trois ans,
mais dont on avait gardé le plus agréable souvenir. M'"^ Arnoldson
débutera vers le 15 avril par la centième représentation de Lakmé,
venant ainsi donner un nouvel attrait à la reprise attendue de l'œu-
vre si remarquable de Léo Delibes. Avec M. Gibert dans le rôle de
Gerald et M. Renaud dans celui de Nilakantha, on aura là vrai-
ment une distribution de premier ordre. Voici quel sera le réper-
toire de M°"i Arnoldson à l'Opéra-Comique : Lakmé, Mignon, Mireille,
Carmen, le Barbier de Séville, la Traviata, te Pa?'don de Ploërmel, les
Noces de Figaro (Chérubin), et les créations qu'elle y pourra trouver.
On voit que M. Carvalho a toujours le souci de s'assurer le concours
des meilleurs artistes, de ceux qui peuvent piquer le plus la cu-
riosité parisieune.
Cette semaine, il a fait entendre pour la première fois M""= Landouzy
dans le rôle d'Isabelle du Pré aux Clercs, oîi on l'a fort goûtée.
C'est là encore une chanteuse de grand mérite, que la précédente
direction n'avait pas su mettre suffisamment en valeur. On n'attend
que le rétablissement de M"= Vuillaume pour la faire débuter à son
tour dans Mireille.
Cette semaine, on a repris l'Amour médecin, la ravissante petite
œuvre de Ferdinand Poise, en attendant qu'on représente enfin sa
Carmosine, si inintelligemment mise à l'écart par M. Paravey. Avant
Carmosine, qu'on réserve pour le commencement de la saison pro-
chaine, nous aurons les Folies amoureuses, de M. Pessard, qui sont
toutes prêtes à passer, puis le Rêve, de M. Bruneau, que M. Carvalho
s'est décidé à représenter de suite, ce petit drame intime et sans
parties chorales pouvant être monté très promptement. C'est M"" Si-
monnet qui sera l'héroïne principale du Rêve. Deux autres gros
morceaux restent en réserve pour l'hiver prochain : Enguerrande, de
M. Auguste Chapuis, et enfin la Kassya du pauvre Delibes, qui
sera certainement l'événement musical de la saison 1891-92.
On sent tout de suite, j'imagine, le changement de direction qui
vient d'avoir lieu à l'Opéra-Comique. Que nous voilà loin de l'apa-
thie et de la somnolence du précédent directeur !
H. MORENO.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
II
LA MALMAISON
Joséphine avait acheté La Malmaison en septembre 1798. Son
mari , devenu premier consul , venait s'y délasser une fois la
semaine. Puis, il y parut plus souvent; car la maltresse du logis
se plut à l'embellir de toutes les attractions propres à en faire un
lieu de plaisir.
Les familiers de la maison venaient y jouer aux barres et à la
comédie. D'abord, ce fut un théâtre portatif, au bout de la galerie,
près du salon. Puis, sur l'ordre de Bonaparte, Fontaine, son ar-
chitecte préféré, fit construire, en un mois, et moyennant 30,000
francs, une petite salle de spectacle, dans les cours du côté de la
ferme. Elle était bâtie en planches; elle pouvait contenir deux cents
personnes, et l'on y communiquait de la galerie du rez-de-chaussée
par un passage couvert en coutil.
Les acteurs italiens inaugurèrent cette scène minuscule par la
Serva padrona; mais ce furent les amis de la maison qui formèrent
sa troupe habituelle. Eugène de Beauharnais jouait parfaitement
bien, s'il faut en croire M™ d'Abrantès; Junot avait un talent supé-
rieur; et le général de Lauriston « faisait un fort noble Almaviva n.
Les dames étaient : la future M"" d'Abranlès, déjà nommée, femme
de Junot; la future reine Hortense, M"° de Beauharnais, fille de
Joséphine; et M""" de Bourrienne, qui avait, comme nous l'avons
vu, présidé aux premières récréations théâtrales de l'ancien cama-
rade de son mari.
Bonaparte avait eu soin de commander pour ses acteurs de
la Malmaison un excellent matériel, de beaux costumes et un
recueil assorti de pièces de théâtre. En outre, c'était Michot, de la
Comédie-Française, qui les faisait répéter, ce qui assurait un
ensemble convenable. Le vieil artiste, qui avait formé comme
professeur tant d'illustrations de notre grande scène nationale,
ne se faisait pas faute de traiter comme de simples comédiens ces
augustes amateurs «t de leur crier, à tout propos : — Chaud! chaud!
chaud!
Le premier consul se plaisait à ces représentations intimes, qui
ne duraient jamais trop longtemps, le goût du châtelain de la Mal-
maison le portant surtout, dans cette retraite pleine d'ombre et de
calme, vers les plaisirs plus délicats de la conversation et de la
musique, ou vers les promenades solitaires sous les grands arbres
du parc, oîi le vent dans les feuilles lui contait des présages de
batailles et de victoires.
Alors il fredonnait sans pitié ses airs favoris, surtout l'air de
Marlbrough, qui, d'après son valet de chambre, Constant, était l'an-
nonce certaine d'un prochain départ pour l'armée. « C'était une
rage chez l'empereur de fredonner ou de siffler », nous apprend ce
fidèle serviteur. Et il ajoute : « II m'en régalait en se faisant ha-
biller. Ce que je lui ai entendu écorcher le plus souvent était la
Marseillaise. Je me rappelle qu'il ne siffla jamais autant et qu'il ne
fut jamais plus gai qu'au moment de partir pour la campagne de
Russie. »
Cette manie de fredonner valut souvent à Napoléon les obsessions
de compositeurs désireux de lui faire adopter des airs faciles à
retenir. Quelquefois même, c'étaient de simples poètes qui l'impor-
tunaient pour lui faire agréer les produits de leur muse. L'un d'eux,
un nommé Labbé, qui avait fait profession de foi républicaine pen-
dant la Révolution, le poursuivit longtemps pour lui faire adopter
une romance de sa composition « avec la musique gravée par Méhul »
intitulée : la Descente de Guillaume le Conquérant en Angleterre. Puis,
éconduit définitivement, il se tourna vers Joséphine, qu'il dota de
deux exemplaires, superbement reliés, d'une Couronne poétique de
Napoléon, qu'il avait seulement pris la peine de copier dans les
œuvres de divers chantres gagés de la gloire impériale... Ce qui
ne l'empêcha pas, d'ailleurs, de porter dans la suite ses hommages
à Louis XVIII, en faisant valoir ses services pour la bonne cause,
lorsqu'il combattait dans ses vers « l'usurpateur Buonaparte » au
péril de ses jours.
Pour animer les soirées de la Malmaison, il n'était pas de dis-
tractions que Joséphine n'imaginât danslebut d'amuser ses hôtes. Un
jour, elle fit venir les puces travailleuses, qui faisaient merveille à Paris.
On prit grand plaisir aux passes d'armes de ces intéressants artistes ;
mais Bouaparfe fit cesser le spectacle, de peur que l'un d'eux ne
vint à s'échapper. L'imprésario de cette troupe vagabonde n'en reçut
pas moins vingt-cinq louis pour ses honoraires, car tous les talents,
de quelque nature qu'ils fussent, étaient magnifiquement récom-
pensés à la cour napoléonienne.
Joséphine était l'âme de ces réunions charmantes. Puis, lorsque
les invités étaient partis et que son mari s'était retiré dans sa
chambre, elle le suivait, cherchant à le distraire, jusqu'au moment
où le sommeil s'emparait de lui. La lecture était son seul talent
d'agrément, et elle en usait, pour la plus grande joie de Napoléon,
qui lui demandait surtout des contes de fées. Parfois, dans l'espoir
de lui plaire, elle prenait sa harpe; mais, hélas! elle ne savait
qu'un air, qu'elle jouait toujours.
Désolée de cette infériorité dans un art que Bonaparte admirait,
elle prit soin que sa fille devînt une parfaite musicienne. Elle lui
donna les meilleurs maîtres, entre autres Plantade, pour le chant,
et Dalvimare, pour la harpe.
Ce Dalvimare est l'une des plus curieuses figures de l'époque à
laquelle nous nous reportons. Il avait appris la musique comme art
d'agrément; mais la Révolution le força à en faire une ressource
pour son existence. Il fut harpiste à la musique de l'empereur, à la
chapelle impériale et à l'Opéra. En 1803, nous le trouvons témoin
du mariage du poète Legouvé. Puis, un beau jour, par suite d'un
heureux changement de fortune, il donne sa démission de toutes
ses places, se retire à Dreux, son pays, et, par une fantaisie singu-
lière, exige que l'on ne lui parle jamais de sa carrière d'artiste.
Dalvimare a passé pour l'auteur de l'air connu : Partant pour la
Syrie, qui a été également attribué à Plantade. Mais il s'en est tou-
jours défendu, en affirmant que ce morceau était bien d'Hortense de
Beauharnais, à qui l'on doit tant d'autres romances, en leur temps
populaires, entre autres: M'entends-tu? — Rêves d'amour, — Peu connue,
peu troublée, — La loi de l'exil, — M' oublieras-tu ? — Autre ne se«, —
et surtout Adieu, patrie! où toutes les larmes de l'exil semblent s'être
réfugiées.
Une bien amusante anecdote sur les relations scolaires de M"= de
Beauharnais et de Dalvimare a été contée par Jal.
Celle qui devait devenir la reine Hortense avait de jolies mains ;
elle les soignait avec une coquetterie bien naturelle et laissait pous-
ser ses ongles, dont la longueur l'incommodait fort quand elle se
■108
LE MENESTREL
mcUuit à hx harpe. Son professeur lui en fit respectueusement
l'obserTation.
. — Couper mes ongles, monsieur, oh ! non, je n'en aurais pas le
courage.
Puis, se ravisant, un peu triste de la perte qu'elle allait faire, mais
raisounable enfin, elle prit dts ciseaux, les présenta a Dalvimare,
et, sans ajouter un mol à ce qu'elle venait de dire, tendit ses deux
belles mains à son maître, qui consomma le sacrifice.
Avant d'habiter complètement à la Malmaison, cette charmante
femme, encore fort jeune, était en pensio[i chez M™ Campan, à
Siiint-Germain. Le premier consul et Joséphine allaient souvent l'y
voir, surtout lorsque les élèves d'' l'ancienne femme de chambre de
Marie-Antoinette jouaient la comédie, comme au plus beau temps
des demoiselles de Saint-Cyr. Un jour qu'Hortense remplissait le
rôle d'Eslher dans la tragédie de Racine, '.in épisode imprévu troubla
la représentation.
Parmi les spectateurs se trouvait le prince d'Orange, Guillaume de
Nassau, que l'espoir de faire revivre ses droits mr la Hollande
avait conduit à Paris. Il écoutait la pièce avec intérêt, et rien ne
faisait prévoir qu'un incident était proche, lorsque, soudain, au mo-
ment où, dans les chœurs du troisième acte, l'une des jeunes Juives,
se réjouissante la perspective de fouler à nouveau le sol natal, pro-
nonce ces paroles :
Je reverrai ces campagnes si chères,
auxquelles une de ses compagnes ajoute :
J'irai pleurer au tombeau de nos pères,
des sanglots éclatèrent dans un coin de la salle.
On s'émeut; tous les regards .^e dirigent vers l'endroit d'où partent
ces pleurs ; la représentation est interrompue ; et le premier consul,
placé sur le premier rang des spectateurs, entie sa femme et Tal-
leyrand, demande à M"'" Campan, qui se tenait debout derrière lui,
d'où vient tout cet émoi.
— Citoyen général, répond celle-ci, c'est le prince d'Orange, à qui
la situation du dialogue rappelle sans doute son infortune.
— Ob' oh!... ce n'est pas le moment de se retourner, se hâta de
dire Bonaparte...
Et, sur un signe de M"'" Campan, la représentation continue.
Lorsque M"= de Beauharnais revint à la Malmaisou, elle fut l'orne-
ment et doubla le prix des réceptions qui s'y tenaient. Ce fut l'un
des plus merveilleux salons qui aieut jamais existé. Tout ce que
l'armée renfermait d'hommes brillants, et la société d'hommes mar-
quants, se donnait rende/.-vous dans cet Eden, dont Joséphine et
sa fille faisaient les honneurs avec tant de grâce. Et les artistes
surtout, à quelque catégorie qu'ils appartinssent, pourvu qu'ils
eussent du talent, y recevaient un accueil chaleureux et empressé,
qu'ils auraient vainement cherché dans aucune autre cour d'Europe.
Les musiciens, compositeurs et virtuoses, jouissaient là d'une
véritable adulation. Aux noms des maîtres à la mode se joignaient
ceux des anciens, qui avaient fait leur cour à Marie-Antoinette, et
ce n'était pas une mince curiosité de voir au milieu des groupes,
où se trouvaient Paisiello, Crescentini, Garât, se profiler, semblables
aux deux sages de la Grèce, les austères figures de Grétry et de
Gossec.
Le premier avait la spécialité des récits du temps de Versailles
et de Trianon, tandis que le second s'étendait plus complaisamment
sur l'époque de la Révolution. Il excellait à raconter ses impressions
musicales de cette époque, si voisine et si lointaine déjà. Mais il
faut dire qu'il ménageait souvent à ses auditeurs des surprises,
auxquelles ceux-ci ne se rendaisnt pas toujours de bonne "race. Un
jour, Gossec souleva de vifs murmures eu déclarant qu'aucun temps
n'avait été si favorable à l'églogue et aux délassements de l'esprit
pur. On se récria, mais Gossec tint bon et, prenant sa figure la plus
sérieuse, il ajouta :
— Messieurs, ne vous étonnez pas. Le goût des lettres et des arts
n'a jamais complètement disparu en France. Il y avait des salons,
même sous la Terreur et au milieu des terribles préoccupations de
cette époque, où l'on trouvait encore le temps de s'intéresser aux
œuvres de l'esprit. Un jour, Camille Desmoulins lut dans le salon
de Robespierre un poème d'opéra-comique intitulé Emile ou l'innocence
■vemjée. Parmi les membres les plus émiuents de l'aréopage littéraire,
je citerai Tallien, Barrère, Cambacérès, Lays, Talma, Chénier. Le
sujet de l'œuvre était tout à fait en rapport avec les idées démo-
cratiques de l'époque. Une jeune fille vit heureuse et tranquille
dans son village, un grand seigneur la séduit et l'abandonne lâche-
ment: tel est le thème sur lequel Camille Desmoulins avait brodé
les plus éloquentes déclamations. L'homme riche èlait un misérable,
la jeune personne un type d'innocence et de pureté, tout cela était
de rigueur. Mais ce qui me frappa surtout, c'est la couleur pastorale
qui dominait dans cette composition. Jamais Théocrite et Virgile
n'avaient eu des inspirations plus suave?. Quel saisissant contraste
entre ce drame champêtre et sentimental, et la plupart des hommes
qui en suivaient avec intérêt toutes les péripéties!
Le marquis de Pontécoulant, qui a raconté cet épisode, déclare
que les assistants ne se rendirent pas de suite à ses bonnes raisons.
Il fallul, pour lever leurs derniers doutes, que Gossec se mît parti-
culièrement en scène, ce qu'il fit de bonne grâce.
— Je fus prié, dit-il, par Camille cl ses amis, de faire de la mu-
sique sur ce poème. J'avais même commencé une partition, quand
les événements vinrent donner une autre direction à mes travaux.
Mais quand je vivrais mille ans, je n'oublierais jamais cette réunion
d'hommes violents, écoutant une œuvre d'art et souriant à la voix
de l'un d'eux lorsqu'il parlait du lever du jour, de la paix des
champs, des charmes de la vertu... Concevez-vous un spectacle plus
curieux, une anomalie plus étrange?
Souvent la conversation se portait sur des sujets sérieux, où cha-
cun donnait son mot. Dans ces occasions, Bonaparte ne demeurait
pas en arrière. Un jour, comme un parlait des chants d'Ossian.
qu'une traduction récente avait mis à la mode, il dit:
— J'aime Ossian, sa lecture inspire des sentiments héroïques. Ses
tableaux sont parfois nébuleux; mais sa mythologie, qui peuple les
airs de héros, est d'une nouveauté qui plaît à l'imagination. On dit
qu'il est monotone et qu'il se répète souvent ; c'est le propre de la
mélancolie, qui revient sur la même idée, et je ne lui en fais pas
un reproche.
Cetle indication ne fut point perdue, et l'art y gagna les tableaux
de Gérard et de Girodet, Vthal, de MéhuI, les Bardes, de Lesueur,
et une foule de productions ossianesqiies, qui ont donné au premier
empire un cachet très particulier de forme héroïque, en siluation,.
d'ailleurs, avec les événements dont il fut le théâtre.
Pendant les beaux mois d'été, les réceptions de la Malmaison se
tenaient dans ce beau parc, aujourd'hui morcelé, dont les ombrages
séculaires formaient, naguère encore, un si délicieux paysage aux
yeux des riverains de Chaton et de Croissy. Les soirées ne suffisant
plus, se doublèrent de matinées, qui obtinrent un succès tel que
bientôt toute la société paris'ienne passa son temps à se récréer en
plein air, au son des violons et des chœurs champêtres. Puis, de
l'été cette habitude passe à l'hiver, de sorte que toute l'année se
compose désormais de réceptions priées, avec programme obliga-
toire de musique et de comédie.
Un contemporain nous a laissé la description d'une de ces fêtes
de jour offerte par Talleyrand à M""= Bonaparte, le 14 nivôse an VI.
Les appartements avaient été décorés par les meilleurs artistes; le
superbe escalier de l'hôtel GallifTet était couvert d'arbustes; des
musiciens placés autour de la coupole faisaient entendre une musique
délicieuse. Partout des jeux, des danses et des rafraîchissements!...
Puis, à un signal donné, l'orchestre entonne le Chant du dépari, et
la foule se rend sous des bosquets artificiels, d'une imitation
parfaite, garnis de fleurs et de lumières, où les dames trouvent
place autour d'une table de trois cents couverts, qui se réfléchit
dans des glaces placées aux extrémités de la galerie.
Ainsi, l'exemple de la Malmaison n'était point perdu. Il faisait
revivre les anciennes traditions de la bonne compagnie, et son
iuduence sur ce point, comme sur tant d'autres, préludait au renou-
veau, prêt à s'étendre sur le domaine entier des jouissances artis-
tiques.
<A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Esthée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Après le poème d'une grandeur et d'une beauté incomparables que-
Beethoven a écrit sous le nom de Symphonie héroïque, et que l'orchestre
a exécuté, selon sa coutume, avec une magnificence, un élan et une su-
périorité dignes d'un tel chef-d'œuvre, la Société des concerts nous offrait,
à son concert spirituel du vendredi-saint, une composition nouvelle de
M. Gounod, pour soli, chœurs et orchestre, Saint François d'Assise, dont le
programme nous donnait l'analyse un; peu sèche qu= voici : — « Cette com-
position est une sorte de diptyque musical. Elle comprend deux tableaux :
^o la Contemplation extatique de saint François au pied du Crucifix et le
Baiser du Crucifix à saint François ; 2» la Mort de saint François, entouré
de ses religieux qui le pleurent, et accueilli dans le ciel par les anges. La.
première partie repose sur les deux principaux thèmes suivants (le pre-
l.E MENESTBKL
109'
mier de ces thèmes est de deux mesures; le second, de quatre). La seconde
partie comprend les Adieux de saint François à ses religieux. Il bénit
une dernière fois la ville d'Assise, et expire. Cette partie se termine par
un chœur de voix célestes.» L'œuvre, d'un joli caractère, mais sans grande
originalité, n'est guère autre chose qu'une sorte de cantate religieuse,
.conçue dans de modestes proportions. Elle débute par une introduction
symphonique dans laquelle se fait remarquer une grande phrase dite par
les violons sur la quatrième corde, dont la sonorité nerveuse et ferme lui
donne beaucoup d'accent. Au chant de ténbr qui vient ensuite, et qui est
un peu trop insignifiant, succède un chant de basse beaucoup mieux venu,
simplement, mais fort joliment accompagné par l'orchestre. Puis, un inter-
mède symphonique, confié au seul quatuor, à l'exclusion des instruments
à vent, nous fait entendre une belle et ample phrase de violons, soutenue
par les arpèges des harpes et la sonorité puissante de l'orgue. Après un
chœur des religieux et quelques phrases dites par saint François expirant,
on entend au loin le chœur des anges, dont la couleur est très heureuse
et dont la sonorité affaiblie, estompée, si l'on peut dire, produit son effet
infaillible. — Le succès delà séance, on ne saurait le dissimuler, a été pour
une page plus que médiocre de Haendel, où la musique n'a que faire et
où tout est donné à la virtuosité; je veux parler de l'air du Rossignol, déjà
célèbre en son temps, tiré de l'oratorio VAllegro ed il Pensieroso, et qui est
bien, à mou sens, la chose la plus ennuyeuse qui se puisse concevoir.
Mais JV!"'" Melba était là, avec l'agilité surprenante de son admirable voix,
et aussi la flûte de M. Taffanel, avec ses tours de force étonnants et sa
prodigieuse virtuosité; l'un et l'autre s'appelaient et se répondaient, de
rossignol à rossignol, et le public de se pâmer!... Bon public. De fait, les
deux excellents artistes ont bien mérité les applaudissements et les rappels
dont ils ont été l'objet. Mais, avec toute l'admiration et le respect que je
professe pour le génie de Haendel, je trouve que, au point de vue vrai-
ment musical, l'air du Rossignol ne saurait mériter qu'une manifestation
sincère : celle des sifflets à roulettes. La dernière partie du concert com-
prenait le Prélude de Tristan et Yseult, mal placé, il faut le dire, dans la
salle du Conservatoire, et dont l'effet a été nul, VInjlammatus du Stabal de
Rossini, chanté par M°'= Melba, et la superbe ouverture d'Athalie, de Men-
delssohn, dans laquelle l'orchestre s'est surpassé. A. P.
— Concert du Chàtelet. — M. Colonne a clos la saison musicale et la
série de ses concerts par un remarquable festival. Son programme, très
chargé, n'a pas fatigué un seul instant l'attention. — Après l'ouverture de
Phèdre, de M.Massenet, qui a été fort bien dite, un Panis angelicus de César
Franck, remarquablement chanté par M. Warmbrodt, a produit un grand
effet. C'est une œuvre simple et noble, qui n'offre pas les traces du style
un peu trop compliqué qui règne dans les dernières œuvres du regretté
maître. M"'Pregiabien interprété les Contes mijstiques de M. StéphanBordèse,
mis en musique par nos modernes compositeurs. Deux beaux morceaux
de Berlioz, la ballade d'Ophélie et la marche funèbre i'Hamlet, terminaient
la première partie. La marche d'Hamtet est une page admirable, une des
plus belles peut-être du grand maitre français. N'oublions pas de men-
tionner, dans cette première partie, le grand succès de M. Johannès Wolf,
qui a remarquablement exécuté un concerto de Spohr. — Dans la seconde
partie, nous devons mentionner A'oc7, de M. Vidal, composition ingénieuse
et intéressante, et le Miracle de Naïm, de M. Maréchal, dans lequel on a re-
marqué le très bel air de la "Veuve. Le chœur : A la Musif/ue, de M. Chabrier,
a été également fort applaudi. M. Warmbrodt s'est surpassé dans /e Kepos
de la Sainte Famille, de Berlioz; il a eu les honneurs d'un bis à onze heures
et demie du soir! — Le concert se terminait par la belle Marche héroïque
de M. Saint-Saëns. H. Barcedette.
— Concerts Laraoureux (Cirque d'Hiver). — Le programme était d'une
consistance musicale médiocre, bien qu'il ne renfermât que des morceaux
intéressants et de caractères (Variés. Les Adieux de Wolan, dans la Walky-
rie de Wagner, ont été dits avec une certaine ampleur et sans fausse
recherche d'effets parM.Ramat, dont la voix ne parvient pourtant qu'avec
peine à soutenir les sons avec un peu de fixité. M""= Brunet-Lafleur a
chanté la romance de la Damnation de Faust avec la voix charmante qu'on
lui connaît, mais sans éveiller le sentiment d'amère mélancolie qui doit
se dégager de l'œuvre de Berlioz. De même, son interprétation, avec
M"*-' Landi, du duo de Béatrice et Bénédict, n'a pas mis en relief le côté
poétique de ce morceau si délicat. M. Van Waefelghem a joué sur la
viole d'amour une romance de sa composition et un menuet de Milandre.
Milandre était attaché à la musique de la chambre de Louis X"V; il a
laissé une méthode pour la viole d'amour. Cet instrument, à peu près
semblable à l'alto, portait, sous les sept cordes principales, accordées par
tierces et quartes, sept autres cordes accordées à l'unisson des premières
et résonnant sympathiquemeut. — Après cela, on a entendu M. Paderewski.
Cet artiste joue d'une façon extrêmement captivante, avec une exquise
sonorité, un phrasé charmant et des nuances d'une grande délicatesse, les
morceaux dont le rythme et la tonalité s'imposent au point de ne per-
mettre ni écarts, ni fantaisie. Quant aux morceaux d'un caractère plus
libre, il ne parvient pas à les présenter avec l'unité, la cohésion, l'har-
monie de lignes qu'ils comportent. Dès que M. Paderewski commence à
exécuter un ouvrage de ce genre, on sent une fatigue de plus en plus
envahissante qui vous pénètre, puis ou perd peu à peu le sentiment du
rythme, car le virtuose, comme absorbé dans une rêverie maladive,
joue sans marquer suffisamment les notes qui forment comme l'ossature
du morceau. Bientôt après, c'est bien pis, l'auditeur éprouve une sorte
d'agacement, car le sentiment de la tonalité s'obscurcit et se perd par
suite de la négligence du pianiste à mettre en relief les points qui la
déterminent et la rendent impérieuse pour l'oreille. Alors tout devient
terne dans l'exécution; plus de lumières, plus de formes distinctes, tout
s'éparpille et se désagrège. Telle a été l'impression produite par le pre-
mier morceau du concerto en ré de M. Rubinstein et ensuite par un noc-
turne de Chopin. L'andante et le finale du concerto, une valse de Chopin
et une danse hongroise de Brahms ont été, au contraire, pour M. Paderewski,
l'occasion d'une éclatante ovation et d'un triomphe très légitime. L'ouverture
du Vaisseau fantôme, le prélude de Lohengrin, l'Enchantement du Vendredi-
Saint de Parsifal, la Marche du crépuscule des dieux, l'ouverture de Tannhdu-
ser et un air italien de Gluck, bien rendu par M"" Landi, complétaient
le programme. Amédée BoijTAREr,.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en ré mineur (Schumann); Biblis, poème de M. G.
Boyer (J. Massenot), soli par M""Domenech, MM. Warmbrodt etAuguez; concerto
pour deux pianos (Mozart), par M"" C. Kleeberg et George Hainl; ouverture de
Coriolan (Beethoven) ; fragments du .Vessie (Haendel), solo par M"" Domenech. Le
concert sera dirigé par M. J. Garoin.
Chàtelet ; concert extraordinaire, dirigé par M. Pierre Tchaïkowsky, pour l'exé-
cution de ses œuvres : Suite n° 3; andante du quatuor (op. 11); deuxième oonceito
(op. -W), par M. Sapellnikotl ; a. Pourquoi? b. 0 douce souffrance! par M"" Marcella
Pregi; la Tempête; Sérénade mélancolique, par M. Johannès Wolff; a. Romance
en fa mineur (op. 5), b. Valse (op. 51), c. Scherzo à la russe, par M. Sapellnikoff;
a. Déception, b. Sérénade, par M. Engel; Larmes humaines, duo pir M"° Marcella
Pregi et M. Engel; Marclie slave (op. 31).
— Musique de chambre, — Dans le quatuor à cordes de Beethoven,
op. 132, en la mineur, joué dans leur quatrième séance par MM. Rémy,
Parent, Waefelghem et Delsart, la forme classique du quatuor est tout
à fait modifiée; le style devient déclamatoire; les affinités avec la Neu-
vième sont nombreuses. Ceci particulièrement dans la Canzone et dans le
finale, une sorte de scherzo d'une fougue superbe. L'exécution de ce chef-
d'œuvre a été excellente. Le morceau moderne du programme était un trio
pour piano, violon et violoncelle de M. Emile Bernard, interprété avec un
talent hors ligne par MM. I. Philipp, G. Rémy et Delsart. L'œuvre de
M. Bernard est d'une grande élévation d'idées et d'une haute valeur musi-
cale, traitée avec une rare habileté et un art délicat et raffiné, h'andante,
plein d'un charme exquis, et le scherzo, un vrai bijou de grâce et de légè-
reté, méritent particulièrement des éloges sans réserves. M.'™ Conneau, la
vocaliste du concert, a dit à ravir des airs de Gluck et de Rossi.
H. Eymieu.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres :
Le succès de l'Enfant prodigue, mardi, au Prince of i-Vales Théâtre, a
pris les proportions d'un véritable événement artistique. Un peu de
méfiance était certes permise sur l'accueil qui était réservé à Londres à
cette œuvre si éminemment originale et s'éloignant tellement des cabrioles
et des pantalonnades des Hanlon ou des Lauris, que le public anglais
avait toujours associées au mot de pantomime. Et puis, il existait un
fâcheux précédent : l'insuccès récent de la pièce à New- York. H est vrai
que là-bas, M. Daly avait éprouvé le besoin de tripatouiller le scénar;o
et on ne s'était aperçu que trop tard que les deux principaux interprètes,
M"" Ada Rehan et M. Gilbert, deux comédiens renommés, ne possédaient
pas le don de la pantomime. Dans ces conditions, la jolie musique de
M. Wormser seule avait réuni tous les sufl'rages à New- York. Il n'en a
pas été de même à Londres, où, grâce surtout à une interprétation fran-
çaise, le succès, succès de surprise autant que d'émotion, n'a pas fait
doute un seul instant, souligné par des applaudissements nourris après
chaque scène, et un triple rappel à la fin de chaque acte. L'interprétation
est excellente dans son ensemble, si elle ne vaut pas toujours celle de la
création ; c'est que, à une seule exception près, tous les artistes ont le
stvle et les traditions du genre. M. Courtes, un des créateurs, est tout à
fait supérieur. M"= Jane May fait un charmant Pierrot, avec une physio-
nomie bien mobile, mais réussissant peut-être mieux les parties espiègles
ou tendres du rôle; dans les scènes dramatiques elle manque un peu de
conviction. Rien que des éloges à adresser à M»»» Schmidt et à M. Gouget.
Seule, M"= Zanfretta-Phrynette me parait ne pas posséder le ton ni les
attitudes de la pantomime un de siècle. L'orchestre marchera mieux après
quelques représentations, mais certains parmi les solistes gagneraient à
être remplacés de suite.
Je vous ai déjà donné les deux spectacles d'ouverture de la saison d'opéra.
La troisième soirée sera consacrée à Carmen avec MM. Lubert, Devoyod
et M™° Ravogli, et la quatrième à Lohengrin avec W" Eames dans le rôle
d'ElsaetM.JeandeReszké qui avancera ainsi la date de sa rentrée. A propos
de ce dernier, il a décidément accepté le rôle d'Oidlo, mais pour renoncer,
à ce que je soupçonne, à celui de Siegfried. Trois chefs d'orchestre vont
se succéder au pupitre : MM. Bevignani, Mancinelli et Randegger. On peut
s'étonner, qu'étant donnée l'importance de plus en plus marquée du réper-
toire français, M. Harris n'ait pas songé à s'attacher au moins un chef
d'orchestre français sur trois. A.G. JN.
110
LE MENESTREL
— Une cériîmonie musicale très imposante a eu lieu ces jours-ci au
théâtre de la Cour, à Liverpool, à l'occasion de l'inauguration du buste de
Cari Rosa, le fondateur de la compagnie de l'Opéra anglais. Les principaux
solistes de la troupe ont participé à l'interprétation d'une ode composée par
M. Frédéric Gowen, en l'honneur de Cari Rosa. Le spectacle était com-
plété avec des fragments d'opéras du répertoire. Le produit de la repré-
sentation a été affecté à l'œuvre de la caisse de secours pour les malades,
instituée par Cari Rosa.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Le théâtre Frédéric-
Guillaume est revenu au genre de l'opérette viennoise, avec le Marclmnd
d'oiseaux, du compositeur Zeller, dont la première représentation a eu lieu
dernièrement au milieu des applaudissements et des éclats de rire. La
musique est des plus entraînantes et le livret, tiré du français, paraît-il,
contient des situations très divertissantes. — Koenisberg : Le théâtre muni-
cipal vient de représenter pour la première fois le Chevalier Jean, de M. Jon-
cières. Très brillante réussite. — Hambourg : Un nouvel opéra de M. Paul
Geissler, le Chevalier de Marienburg, vient d'être représenté dans d'excel-
lentes conditions au théâtre municipal et a reçu bon accueil. — Meiningen
Le théâtre de la Cour vient de se signaler par un véritable événement
artistique. Il s'agit de deux représentations modèles de Fideho, données au
bénéfice de la fondation Beethoven à Bonn. Les plus grands artistes
de l'Allemagne, entre autres M"'" Moran-Olùen, prêtaient leur concours à
ces deux solennités, qui ont provoqué un très grand enthousiasme. L'or-
chestre était dirigé par le chef d'orchestre de la Cour, M. Steinbach. —
Stuttgart : Le théâtre de la Cour a l'emis en scène, à l'occasion de la
fête du roi, l'opéra-comique de Félicien David, Lalla Rmikh. — M™" Minnie
Hauk vient de donner une série de représentations triomphales de Mignon
et de l'Africaine. Zampa a reparu sur l'affiche à l'occasion du centenaire
d'Herold.
— Demain lundi, doit avoir lieu, dans la grande salle de la Redoute, à
Buda-Pesth, un grand concert auquel prendra part M'"^ Adelina Patti.
La célèbre cantatrice reçoit pour cette unique séance la bagatelle de
15,000 francs.
— Voici une façon de procéder qu'on pourrait recommander, en France,
aux vrais amateurs de musique, à ceux qui prennent un intérêt intelli-
gent aux choses de l'art et que ne satisfont pas les coutumes ordinaires
des simples spéculateurs. La scène se passe à Hambourg, où l'on agit au
lieu de parler, et où l'on ne paraît pas faire de trop mauvaise besogne.
Le théâtre de cette ville, un des plus importants de l'Allemagne, est admi-
nistré, non par un directeur de profession, responsable de ses profits et
pertes, mais par une société de dilettantes, qui s'engage à combler tout
déficit possible. Or, cette société a réuni récemment, par souscription
entre ses membres, une somme de 300,000 marks, destinée à améliorer le
matériel et à parfaire l'éclairage du théâtre par l'électricité; après quoi
elle a décidé qu'une somme de 30,000 marks par an serait consacrée,
pendant dix ans, à la réfection complète du matériel. Disons d'ailleurs,
en ce qui concerne la France, qu'à part la différence plus ou moins grande
des détails, c'est un peu là ce qui se passe à Angers, grâce au dévouement
et à l'activité de deux amateurs pleins de désintéressement, MM. Jules
Bordier et Louis de Romain, et que c'est ainsi qu'Angers est devenu l'un
des centres les plus importants de province au point de vue scénique et,
par ses superbes concerts populaires, la première ville musicale de France
après Paris.
— Une fille de Joachim, l'illustre violoniste, a fait récemment ses dé-
buts au théâtre et parait en passe de se distinguer. Elle a joué cet hiver
au théâtre d'Elberfeld avec un succès qui n'a cessé d'aller en croissant.
Dernièrement, elle a été de la part du public rhénan l'objet de très cha-
leureuses ovations pour son interprétation de Sieglinde de la Valkyrie et
de l'Aîdaie Verdi. M"'' Joachim est engagée pour la saison proc'naine au
grand théâtre de Leipzig.
— Un chef cuisinier de Berlin vient de se signaler par la composition
d'une polka qui marque le commencement d'une ère de fraternisation
entre l'art culinaire et la musique. Cette œuvre typique porte le titre de
Polka des œufs à la coque et, sur la première page, figure la recette suivante :
« Pour cuire des œufs, mettez-les dans de l'eau très chaude, jouez la Polka
des œufs à la coque dans un mouvement ^ allegro moderato », et retirez-les
à la fin de la dernière mesure. Ils seront cuits à point ».
— La Neue Muzikzeitung de Stuttgart donne comme authentique l'his-
toriette suivante. Dans un coupé de deuxième classe, sur la nouvelle
ligne de Dresde à Leipzig, plusieurs personnes se trouvaient réunies. La
conversation était fort animée, bien qu'à l'exception de deux personnes,
les voyageurs ne dussent qu'au hasard qui les réunissait le plaisir de
se connaître. On s'entretenait de questions d'art, et particulièrement du
théâtre de la cour de Dresde. Une dame, qui avait assisté la veille à la
représentation à'Euryanthe, s'en déclara très peu satisfaite. « Il y a sur-
tout la Schrœder, dit-elle, qui est beaucoup trop âgée pour son rôle; son
chant est devenu insupportable. Je ne m'explique pas le bruit qu'on fait
autour de cette cantatrice. Ne trouvez pas, continua-t-elle en se tournant
vers son voisin, que la Schrœder devrait enfin renoncer à gémir ainsi
devant le public? » Et le voisin de répondre froidement : « Ne préfére-
riez-vous pas dire tout cela â M'"'= Schrœder elle-même? la voici en face
de vous ». Là-dessus il se fit un silence général, qui mit tout le monde
mal à l'aise, personne n'essayant de venir au secours de la pauvre dame
embarrassée. Enfin cette dernière se décida à balbutier quelques mots
d'excuse : — «Oh! je vous demande mille fois pardon, madame, mais
figurez-vous que je me suis trouvée un peu indisposée hier soir, et j'ai
dû quitter le théâtre de très bonne heure... Je n'ai entendu qu'une
petite partie de l'ouvrage, celle, précisément, où vous avez le moins à
chanter... Ce sont ces odieux articles dans les journaux du soir qui ont
faussé mon jugement. Tenez! ce Schmieder, qui signe la chronique théâ-
trale et parle toujours de vous avec si peu d'égards, ce doit être un homme
bien pédant et désagréable! » — « Ne préféreriez-vous pas dire tout cela à
M. Schimieder lui-même, répondit tranquillement la cantatrice; il est
assis à côté de vous... »
— Nous reproduisons encore de la A'eue 31 usikseitung les deux anecdotes
suivantes : liiL'appétitde Haendel était aussi proverbial que sa corpulence.
Un jour, il se présente dans un restaurant de Londres et commande un
déjeuner pour trois. Au bout d'une assez longue attente, il rappelle le
garçon d'une voix impatiente : lEt mon déjeuner? pourquoi ne l'apportez-
Tous pas? — On vous le servira, monsieur, dès que la société sera arrivée.
— Eh bien alors, reprit Haendel, servez-le prestissimo ; la société, c'est
moi ! » — i" Un maréchal de la cour d'Autriche se plaignait une fois à
l'empereur Joseph de la façon un peu cavalière dont Mozart se comportait
à table avec les généraux. « — Laissez donc Mozart tranquille, répondit
le souverain. Des généraux, j'en puis créer tous les jours ; mais un Mozart,
c'est différent! •
— Un nouvel opéra intitulé Dame Jeanne, de M. Lange-Muller, vient d'être
représenté pour la première fois à Copenhague avec un succès décisif.
— Le Théâtre Privé de Moscou a fait sa réouverture par une brillante
représentation d'Hanifef, avec M'"''^ Marie Van Zandt etGiudice, MM. Kasch-
mann et Riera. Carmen est venue ensuite, avec M™ Adèle Borghi comme
protagoniste. Les deux ouvrages ont obtenu un énorme succès. Samedi,
28 mars, c'était le tour de Lo/cmé, où Mi= Van Zandt retrouvait le même
grand succès que dans Hamlet.
— Le même soir, un événement douloureux a fait interrompre le spec-
tacle au Grand-Théâtre. Une jeunefîUe fort belle et de manières distinguées
s'est précipitée tout à coup du dernier rang des loges, c'est-à-dire d'une
hauteur de soixante-dix-sept pieds, dans le parterre, où elle est restée
morte sur le coup. Comme on le pense, l'émotion du public a été pro-
fonde, et l'on n'a pu terminer la représentation.
— On nous télégraphie de Naples qu'un nouvel opéra tragique en quatre
actes, Spartaco, de A. Ghislanzoni, musique de M. Pietro Platania, vient
d'être joué avec un succès éclatant au théâtre San Carlo. Le livret de l'auteur
d'A'ida rappelle un épisode de la révolte des gladiateurs romains avec une
grande puissance dramatique, qu'on retrouve aussi dans la musique du
jeune compositeur auquel l'éditeur Sonzogno, de Milan, vient ainsi d'ouvrir
une des plus gi'andes scènes lyriques de l'Italie. L'opéra a été supérieure-
ment joué par M'^'î^ Cataneo et Novelli et par MM. Marconi et Dufriche.
Le public, enthousiasmé, a fait bisser cinq morceaux et a rappelé trente
fois les auteurs et leurs interprètes.
— Le comité qui s'est formé à Trieste dans le but d'élever un monu-
ment à la gloire de l'illustre violoniste et compositeur Giuseppe Tartini,
a donné à cet effet, le 19 mars, le concert annoncé, concert très brillant,
auquel, ainsi qu'il l'avait promis, prenait part l'excellent violoniste belge
César Thomson, qui avait fait expressément le voyage de Liège à Trioste
pour rendre hommage au célèbre fondateur de l'école italienne de violon.
M. Thomson a exécuté, au milieu de l'enthousiasme du public, le fameux
Trille du Diable de Tartini et un largo de ce maître, la Follia de Corelli, et
un caprice de Paganini. Parmi les morceaux inscrits au programme du
concert, figuraient la superbe ouverture d'Anacréon, de Cherubini, celle de
la Vestale, de Spontini, un Menuet et une sicilienne de Boccherini, ainsi
qu'un air de ténor et un air de soprano de Caldara.
— On sait déjà, et nous l'avons fait remarquer à plusieurs reprises,
que depuis quelques années les opéras d'Auber, et tout particulièrement Fra
Diavolo, obtiennent par toute l'Italie un succès absolument éclatant. C'est
précisément à propos d'une série de représentations de Fra Diavolo qui se
donnent en ce moment au théâtre Niccolini, de Florence, que M. G. A.Biaggi,
l'un des premiers et des plus savants critiques musicaux de l'Italie,
publie dans le journal la Nazione, de cette ville, un feuilleton plein de
chaleur et d'enthousiasme sur la musique d'Auber, que quelques-uns de
nos jeunes musiciens se donnent les airs de traiter avec un dédain tout à
fait réjouissant.
— Une cantatrice polyglotte. C'est une artiste allemande, M"" Alexan-
drins von Brunn, qui récemment, à Rome, dans un concert, a défrayé un
programme vraiment international en chantant les morceaux suivants ;
Aprile, mélodie de Paolo Tosti, en italien ; une chanson de Henschel, en
anglais; quatre lieder, en allemand; une Pastorale, de Bizet, en français;
un air populaire de Tschaïkowsky, en russe; enfin, pour terminer, une
chansonnette suédoise. Il ne s'agirait plus que de savoir si ladite canta-
trice comprenait tout ce qu'elle chantait.
— Au dernier concert symphonique donné au théâtre Regio, de Turin,
on a entendu et applaudi une Marche funèbre dont l'auteur, M. Natale
Canti, est un jeune élève du Conservatoire de Milan qui doit faire repré-
LE MENESTREL
4dl
senter sur ce théâtre, l'année prochaine, une « légende persane » intitulée
Savytri.
— Le 19 mars, a eu lieu au théâtre Métastase, de Prato, la première
représentation d'une opérette intitulée la Contessina di Campo dei fiori, mu-
sique du maestro G. Manetti. — La veille, à San-Remo, les élèves des
classes élémentaires avaient joué, au théâtre du Prince-Amédée, un opéra
inédit, la Fiera di Sinigaglia, paroles de IM. Bagliano, musique de M. Giu-
seppe Gessi. — EnSn, on annonce comme très prochaine, au théâtre Pez-
zana, de Milan, l'apparition d'un opéra nouveau sur un sujet usé, Cto-
tilde d'Amalfi, o i Corsari, en 4 actes et 5 tableaux, livret de M. GrisafuUi,
musique de M. Franoesco Guardone, qui, parait-il, a dédié sa partition à
S. M. la reine d'Italie.
— A Plaisance (Piacenza), un nouvel hommage vient d'être rendu à
Verdi. Un sculpteur distingué, M. Oreste Labo, ayant offert au Cercle
musical de cette ville un buste de l'illustre maître, dont il est l'auteur, le
cercle a procédé à l'inauguration de ce buste en donnant, à cette occasion,
un concert dont la musique de l'auteur d'Aïda faisait surtout les frais.
On y a entendu les ouvertures de Nabucco et des Vêpres siciliennes, le pré-
lude et le duo de la Traviata, la romance d'Ernani, etc.
— Au théâtre Pagliano, de Florence, on vient de représenter un petit
opéra, Labilia, qui avait obtenu le second prix! au concours Sonzogno, dont
l'heureux vainqueur était M. Masoagni avec sa Cavalleria rusticana. L'auteur
de cette Labilia est le jeune maestro Spinelli, qui avait pour interprètes,
excellents, parait-il, M"'"= Lenceschy el Sartini, MM. Signorini et Massini.
L'œuvre a été favorablement accueillie, sans témoignages excessifs d'en-
thousiasme.
— La direction de l'Opéra allemand de New- York vient de faire pla-
carder dans toutes les loges le petit avis suivant, qui , s'il n'est pas flat-
teur pour les occupants, ne l'est pas davantage pour le spectacle qu'on
leur offre : « De nombreuses plaintes ayant été adressées aux directeurs
de l'Opéra relativement aux conversations qui ont lieu dans les loges pen-
dant la représentation, le conseil d'administration prie qu'on s'abstienne
de causer. »
— Du Chicago I iidicator : « Lui (avec enthousiasme) : Que ne puis-je tou-
jours tenir ces petites mains dans les miennes ! — Elle : A quoi cela vous
avancerait-il? — Lui: A ne plus vous entendre jouer du piano! »
PARIS ET DEPARTEMENTS
Notre collaborateur Moreno a déjà consacré plusieurs articles au
nouveau cahier des charges de l'Opéra, alors qu'il était encore en dis-
cussion. Il a tenté d'en faire ressortir les nouveautés et les avantages. Il
n'est peut-être pas sans intérêt de donner à présent ici, à titre de docu-
ment et sans autres commentaires, le texte exact et précis des principaux
articles de ce cahier des charges, dont on vient de donner communication
aux candidats. Tout d-abord, le titulaire devra justifier d'un apport de
800,000 francs, qu'il pourra se procurer par voie de commandite, dont
400,000 francs formant le cautionnement seront déposés à la Caisse des
dépôts et consignations et 400,000 francs constitueront le fonds de roule-
ment.
Le répertoire. — Les pièces nouvelles.
Art. 11. — Le directeur sera tenu de faire jouer chaque année, pendant toute
la durée de son exploitation, deux ouvrages nouveaux de compositeurs français,
dont un en trois, quatre ou cinq actes. Ces deux ouvrages devront comprendre
un minimum de six actes et n'avoir encore été représentés sur aucune scène
française ou étrangère.
Dans le cas où, par suite de force majeure ou de nécessité constatée, le direc-
teur désirerait remettre à la scène un ouvrage déjà représenté en France ou à
l'étranger, et le faire entrer en ligne de compte à titre d'ouvrage nouveau, il
devra demander l'autorisation du ministre. Cette autorisation ne pourra être
accordée que si cet ouvrage exige des frais de mise en scène comparables à
ceux d'un ouvrage nouveau.
Le relevé des ouvrages nouveaux ne sera fait que tous les deux ans. Si, à
l'expiration de chaque période biennale, le directeur n'a pas donné le nombre
d'ouvrages et d'actes ci-dessus indiqué, une indemnité devra être retenue sur la
subvention, pour chaque acte non joué. Celte indemnité sera égale, par acte, aux
frais moyens de la mise en scène de chaque ouvrage de même nature précé-
demment monté à f Opéra pendant une période de dix ans.
Art. 12. — Une fois tous les deux ans, le directeur devra représenter un petit
ouvrdge, opéra ou ballet, en un ou deux actes, écrit par un pensionnaire ou
ancien pensionnaire de l'Académie de France à Piome, grand prix de compo-
sition musicale. Le compositeur de cet ouvrage sera désigaé par le ministre,
après avis du directeur, sur une liste de cinq noms présentée par la section de
musique de rAcadémie des Beaux-Arts. En cas de non-exécution de cet article,
les auteurs dudit ouvrage recevront du directeur une indemnité de 5,000 francs
par acte. S'il se produit une contestation entre le directeur et le compositeur, il
sera statué par le ministre.
Le personnel artistique.
Art. 30. — Le directeur devra maintenir à l'Opéra un ensemble de sujets
digues de ce théâtre. Les rôles devront y être sus en triple pour les ouvrages
du répertoire et en double pour les ouvrages nouveaux.
Le nombre des artistes du chant ne pourra être inférieur à vingt et devra
comprendre toutes les variétés d'emploi nécessaires dans le drame lyrique. 11
comprendra, en outre, deux coryphées pour chaque nature de voix nécessaires
dans les chœurs.
Le nombre des artistes de la danse ne pourra être intérieur à quatorze pre-
miers et seconds danseurs et danseuses et à douze premières coryphées.
Les chœurs seront composés d'au moins cent choristes hommes et femmes, y
compris les coryphées et non compris les élèves du Conservatoire de musique
qui pourraient être appelés à prendre part à des représentations extraordinaires.
Les appointements des choristes ne pourront être inférieurs à 1,000 francs.
Le corps de ballet sera composé d'au moins quatre-vingts danseurs et dan-
seuses, indépendamment des enfants, qui ne pourront être employés dans des
conditions contraires aux lois et règlements sur le travail des entants.
L'orchestre devra comprendre au moins cent musiciens et deux chefs d'or-
chestre, sans compter les bandes supplémentaires sur le théâtre. Le premier
violon-solo pourra faire fonctions de troisième chef d'orchestre. (Minimum d'ap-
pointements : 1,500 fr., sauf la batterie.) Le choix des chefs d'orchestre devra
être approuvé par le ministre.
Le service des études et répétitions comprendra : un chef des chœurs, un
sous-chef des chœurs, trois chefs de chant accompagnateurs pour les répétitions
et les études d'opéra, un accompagnateur ou un violon pour les répétitions et
les études de ballet (cet emploi pourra être rempli par un artiste de l'orchestre),
deux maîtres de ballet, un professeur de perfectionnement et de danse, un pro-
fesseur de danse pour le corps de ballet et les enfants, un professeur de panto-
mime.
La subvention.
Art. 34. Le directeur recevra, sur le budget de l'État, la subvention dont la
quotité sera fixée chaque année, par une disposition législative. Cette subvention
est payable par douzième à la fin de chaque mois. Dans le cas où la subvention
serait supprimée, le directeur pourra renoncer à la concession. Dans le cas où la
subvention serait inférieure à la somme de 800,000 francs reconnue indispensable
k la prospérité du théâtre, le directeur touchera la subvention , non par douzième,
mais sur le pied de 70,000 francs par mois, et il aura le droit de fermer le
théâtre de l'Opéra pendant un temps proportionnel à la réduction que la subvention
aura subie.
Les décors.
Le chapitre relatif aux décors présente cette nouveauté que le directeur
pourra se servir, pour les utiliser dans les pièces qu'il voudra, de tous
les décors formant le matériel de l'Opéra.
Art. 53. — Le matériel devra êire constamment entretenu en bon état de
réparation. Tous les deux ans, il sera procédé, par les soins et sous l'autorité de
l'administration des beaux-arts, à un examen général des objets contenus en
magasin. S'il est constaté, à la suite de cet examen, que, malgré les créations
nouvelles, une dépréciation du matériel s'est produite, le directeur devra ramener
le matériel à sa valeur initiale.
Le directeur aura le droit d'employer la totalité des décorations, costumes, etc.,
aux besoins de son exploitation. Un état hebdomadaire des transformations ou
créations devra être tenu par le conservateur du matériel.
Art. 54. — Une réserve spéciale sera instituée pour la réfection des décors.
Cette réserve sera alimentée par un prélèvement de 2 0/0 sur les recettes brutes.
L'emploi de cette réserve aura lieu sous le contrôle du conservateur du matériel
et après décision du ministre sur ceux des décors qui devront être faits.
— Où diable le Trovatore a-t-il pris celle-ci ? Notre confrère annonce
sérieusement que le rôle de M. Vergnet, dans le Mage, est écrit si bas et
d'une façon si fatigante, que l'excellent ténor n'en aurait pu supporter le
poids si l'on n'avait trouvé le moyen de faire exécuter deux morceaux
par un autre chanteur, dans les coulisses ! 'Voyez-vous M. Vergnet ouvrant
la bouche et faisant les gestes, tandis qu'on chanterait pour lui dans le
lointain...
— On annonce la prochaine arrivée à Paris des frères de Reszké, et il
est probable, disent quelques-uns de nos confrères, que M. Garvalho
s'entendra avec M. Jean de Reszké pour une série de représentations de
Carmen à l'Opéra-Gomique. Pendant qu'il y sera, M. Carvalho est bien
homme à faire coup double et à parler aussi au célèbre ténor de la créa-
tion deKassya à Paris, pour l'hiver prochain. M. Jean de Reszké trouverait
là un rôle superbe et tout à fait à sa taille.
— Cédant aux instances dont elle était l'objet de tous côtés à la suite
de l'énorme succès obtenu par l'exécution de la messe en si mineur de
Jean-Sébastien Bach, la Société des concerts du Conservatoire a décidé
qu'elle donnerait, hors session, une séance supplémentaire destinée à une
nouvelle audition de ce chef-d'œuvre. Ce concert extraordinaire aura lieu
le dimanche 3 mai. Comme précédemment, les soli de la messe seront
confiés àM'i'^Landi, M"« Fanny Lépine, M™ Boidin-Puisais, à MM. Warm-
brodt et Auguez.
— Echange de bons procédés... musicaux. A l'heure même où M. Pierre
Tschaïkowsky, le célèbre compositeur russe, dirigera aujourd'hui dimanche,
au Chàtelet, le concert consacré spécialement à l'exécution de ses œuvres,
M. Colonne dirigera, à Saint-Pétersbourg, un grand concert de musique
exclusivement française. Celui-ci, d'ailleurs, ne sera pas le seul. C'est
une série de trois concerts que M. Colonne doit donner en Russie, avec le
concours de M""= Krauss et de M. Bouhy.
— MM. Monval et Er. Thoinan viennent de publier, à la librairie
Pion, une nouvelle édition du célèbre pamphlet de Diderot, le Neveu de
Rameau. Mais il s'agit cette fois de la publication du texte authentique
du maître, car c'est sur sa mise au net, entièrement de sa main, qu'est
faite cette nouvelle édition, et non plus sur une copie fautive, corrigée
et expurgée, comme toutes colles qui ont servi pour les éditions données
jusqu'à ce jour. C'est ainsi que le chef-d'œuvre du grand homme paraît
aujourd'hui pour la première fois dans toute son exactitude et son inté-
grité, et cela plus de cent ans après sa mort ! Outre les notes.de M. Monval,
outre l'histoire singulière des premières éditions du Neveu de Rameau
retracée par M. Thoinan, ce volume renferme encore, de ce dernier, une
LE MÉNESTREL
biographie très curieuse et fort complète de Jean-François Rameau, ce
fameux neveu de l'auteur de Castor et PoUux et des Indes galantes. Ce tra-
vail, qui s'adresse particulièrement aux musiciens et aux dilettantes, offre
un intérêt d'autant plus vif qu'il fait connaître tous les détails de l'exis-
tence du frère de Rameau, lequel fut, lui aussi, un artiste fort estimé de
son temps, comme organiste et claveciniste. Nous recommandons ce
volume à l'attention des lettrés et des artistes; au mérite de nous appor-
ter le vrai texte de Diderot, dont on n'avait jusqu'à ce jour que )' « à-peu-
près », il joint celui de nous apprendre bien des choses nouvelles et tout
à fait inconnues sur le bohème-musicien que son pamphlet a rendu
célèbre, et qui fut, au dix-huitième siècle, un type absolument unique en
son genre. A. P.
— M. Emile Decombes, professeur au Conservatoire, l'auteur de la Petite
Méthode élémentaire de piano qui a taat de succès, vient d'être nommé oCS-
cier de l'Ordre Royal du Cambodge et commandeur de l'Ordi-e du Buste
du Libérateur de Venezuela.
— On parle de donnera la Porte-Saint-Martin des représentations extraor-
dinaires du Petit Faust d'Hervé, avec M"" Granier et M. Dupuis.
— La Messe de la Résurrection de M. Félix Godefroid, dont la première
exécution a eu lieu dimanche dernier, jour de Pâques, à Saint-Eustache,
a produit beaucoup d'etïet. L'orchestre et les chœurs, sous l'impulsion de
leur habile chef, M. Steenman, se sont particulièrement distingués. Le
morceau qui a le plus impressionné est sans contredit le Gloria. M. Ciam-
pi s'est montré excellent chanteur dans VAgnus, mélodie touchante, ainsi
que dans toutes les autres parties de l'œuvre. M. Bermont, le ténor que
M. Carvalho vient d'engager à l'Opéra-Comique, a bien chanté l'O Salularis
et le duo du Qui tollis avec M. Giampi. En somme, à côté de la belle messe
des Rameaux, celle de la Résurrectioti vient se placer dignement.
— Sur l'initiative de la presse de Toulouse, au profit des pauvres de
cette ville, lundi 6 et jeudi 9 avril, seront données, au théâtre du Capitole,
deux auditions de Judas Maccabée, l'admirable oratorio de Hœndel (paroles
françaises de M. Victor Wilder), qu'on n'avait jamais exécuté en France,
du moins en son entier, depuis que M. Lamoureux le fit entendre aux
Parisiens en 1874. Nos confrères disposent de près de quatre cents exécu-
tants, fournis par le Conservatoire, les sociétés chorales Glémence-Isaure,
Ecole philharmonique, Orphéon Saint-Cyprien, et l'orchestre du théâtre
du Capitole. Chef d'orchestre : M. Armand Raynaud. Les soli seront chantés
par MM. Dupuy, Hermann Devriès, M""^ Vachot et de Basta. Voilà, certes,
une intéressante tentative artistique, et qui ne peut manquer de réussir.
— On a exécuté récemment avec succès, à Orléans, une grande cantate
pour soli, chœurs et orchestre, ta Mission de Jeanne d'Arc, dont l'auteur, fort
applaudi à cette occasion, est M. 0. Coquelet, chef de musique du 76= ré-
giment d'infanterie. C'est, parait-il, une composition fort remarquable.
— On nous écrit de Nice qu'une jeune Américaine, élève de M. Sbri-
glia. M"" Nina Burt, a débuté, ces jours derniers, dans le Barbier de Séville,
et a obtenu un joli succès.
CONCERTS ET SOIRÉES
A peine de retour de ses voyages artistiques, que les feuilles du Midi
et de l'Ouest nous signalent comme ayant été de véritables triomphes pour
la cause de l'orgue, M. Gigout a fait entendre, dans ses salons de mu-
sique, les élèves de son cours supérieur d'orgue. Cette audition, à laquelle
MM., Warmbrodt, Lefort et Boëllman avaient prêté leur concours, a fait
le plus grand honneur à M. Gigout, dont les tendances artistiques élevées
et l'enseignement clair et substantiel assurent à nos églises des musiciens
de haute valeur. M. Gigout se prépare à partir pour l'Angleterre.
— Le dernier concert de l'Institut musical d'Orléans a été fort brillant.
Grand succès pour M""^ Bilbaut-Vauchelet, qui chantait les œuvres de Léo
Delibes, pour le ténor Affre, pour l'amusant Galipaux et pour M. Laurent
de Riilé, appelé à diriger trois de ses œuvres: la marche du Roi de Bohême,
le chœur des Pleurs amers et l'Entrée de Jeanne d'Arc à Orléans (chœurs avec
orchestre). Ce dernier morceau a été redemandé par toute la salle.
— Le concert de M"" Weingaertner à Nantes a été tout un triomphe
pour la mignonne pianiste, qui n'a guère plus de douze ans. Cinq bou-
quets, quatre corbeilles de fleurs, que dis-je, plusieurs bijoux déjà ont été
remis à la jeune virtuose, dont toute la presse nantaise se plaît à recon-
naître les mérites.
Soirées et concerts. — Mardi 31 mars, très beau concert de bienfaisance,
donné à la salle Érard par M"*-' Kryzanowska, vivement applaudie dans l'exécution
des morceaux des grands maîtres et dans ses nouvelles compositions. D'excellents
artistes, tels que M"' Marcella Pregi, M'"" Garski, Salmon, Launay, de Pless Pol
lui ont prêté leur gracieux concours. — M"' Marie-Louise Grenier a fait entendre
cette semaine, avec le plus grand succès, ses élèves de piano et de chant. Elles
ont exécuté, avec un grand style, qui fait honneur à leur jeune professeur, de
nombreuses et charmantes compositions de M. Louis Diémer.
Concerts annoncés. — Demain lundi M. Léon Delafosse, le si remarquable pia-
niste-virtuose, donne, à la salle Érard, un concert des plus intéressants dans
lequel il jouera des morceaux classiques et des œuvres nouvelles de nos compo-
siteurs en renom. — Le vendredi 10 avril, salle Kriegelstein, soirée musicale et
liticraire, donnée avec le concours d'artistes distingués, par rorLJanisle-compositeur
Edmond lIocmelle,qul fera valoir l'orgue Alexandre. Divorce et Dynamite, comédie
de M. Galipaux, sera jouée par l'auteur et M"" Evel.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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22, passage des Panoramas, Paris
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3132 — 57"' mm — l\'° 15.
Dimanche 12 Avril 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul ; 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (4« article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Début de M"» Vuillaume, a l'Opéra-Comique ;
festival Delibes au Cercle de l'Union artistique; flve o'clock du Figaro,
H. Mobeno; première représentation de Juanita, aux Folies-Dramatiques, Paul-
Emile Chev.\lieh. — III. Napoléon dilettante (3' article): Napoléon et la musique
italienne, Edmond Neukojui et Paul d'Estrée. — IV. Revue des grands concerts.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avecle numéro de ce jour:
GUITARE
pièce extraite de Conte d'avril, musique de Ch.-M. Widor. — Suivra immé-
diatement : Romance, pièce également extraite de Contf d'avril.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
-de chant: Le meilleur moment des amours, mélodie de Léo Delibes, poésie
de Sully-Prcdhomme. — Suivra immédiatement : Madame l'hirondelle, n" 6
des Rondes et Chansons d'avril, musique de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies
-de Georgiî Auriol.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
jVllbert SOUBIES ©t Charles JVtALnEFtBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
(Siiite.)
La fin de l'année approchait sans que la direction se mit
en frais de nouveautés. On avait préparé avec Barielle, Pon-
-chard. Carré, M™^ Faure-Lefebvre et Marimon, une reprise
du Val d'Andorre qui n'aboutit pas, le Théâtre-Lyrique s'étant
livré dans le même temps au même travail. L'Opéra-Comique
ne voulut plus renouveler la concurrence qui s'était produite
jadis avec Richard Cœur de Lion., et s'abstint, lorsque son rival
fut arrivé bon premier le 14 octobre. Alors on se rejeta sur
d'anciennes pièces, dont on se contenta de changer quelque
interprète; c'est ainsi qu'on vit tour à tour M'i^Monrose dans
la Paît du Diable, M""' Ugalde dans le Caïd, M°>e Cabel dans la
Part du Diable, l'Étoile du Nord et Galathée, enfin M"" Wer-
theimber dans le Pardon de Plo'érmel, oîi elle tint le personnage
d'Hoël, le 24 octobre. Cette soirée mérite d'autant plus d'être
notée que, pour la première fois, on y introduisit une modi-
fication, importée d'Angleterre, avec l'assenti-ment de l'auteur
Au deuxième acte, après le chœur « Qu'il est bon, le vin du
bonhomme Yvon! » un dialogue s'échangeait entre deux bu-
veurs attardés ; la- scène fut remplacée par une canzonnetta
composée pour M"''= Nantier-Didiée, chargée, à Londres, du
rôle épisodique d'un des pâtres. Ce fut, à Paris, M"= Zoé
Bélia qui eut mission de produire cette addition musicale.
Le mois de décembre vint enfin secouer cette torpeur di-
rectoriale. Un ouvrage nouveau parut le 4, bien simple et
bien modeste; c'était un petit acte de Jules Barbier et Michel
Carré pour les paroles, d'Ernest Boulanger pour la musique,
intitulé l'Éventail, sorte de proverbe musical, et dont l'inno-
cence n'avait pu être sauvée par l'esprit du compositeur,
puisqu'il s'arrêta au chiffre de dix-huit représentations. Le
même soir on avait repris la Perruche avec Ambroise (le mar-
quis), J-aget (Bagnolet), M"'* Tuai (Caroline) et M''^ Pannetrat
(M""" de Marneuf). Cet opéra-comique, dont nous avons parlé
à sa naissance, en 1830, obtint alors un regain de vingt-quatre
représentations, qui, ajoutées aux cent cinquante-deux du
passé, donnèrent un total de cent soixante-seize. Mais la Per-
ruche marqua cette fois le terme des succès de Clapisson à la
salle Favart; nulle œuvre de lui n'a paru depuis. En 1864,
il fut bien question de monter un de ses ouvrages : On ne
meurt pas d'amour, paroles de Leuven et J. Moinaux, mais les
choses traînèrent en longueur, le compositeur mourut en
1866 et la pièce projetée disparut avec lui.
A peine le directeur prit-il le temps de faire débuter le
13 décembre, dans Virginie du Caïd, une jeune cantatrice ha-
bituée aux succès de province, M"^'^ Numa, femme de Numa
Blanc, le photographe bien connu, et d'un bond il passa de
la Perruche à Barkouf: c'était se maintenir en pleine ménage-
rie, puisque Barkouf était un chien ; on ne le voyait pas,
mais on l'entendait aboyer contre ses sujets, car il avait des
sujets et gouvernait Lahore. Aux grenouilles qui lui deman-
daient un roi, Jupiter envoyait une grue ; aux Romains qu'il
dédaignait, Galigula donnait son cheval pour consul ; à ses
sujets révoltés le grand Mogol impose comme seigneur et
maître un simple chien; la femme qui le soigne devient aussi
puissante que le grand vizir, et profite de la situation pour
se faire octroyer, aux frais du gouvernement, le double tré-
sor auquel aspirent tous les héros du vieil opéra-comique,
un cœur et une dot. Scribe et H. Boisseaux avaient eu raison
d'appeler leur pièce en trois actes, opéra bouffe ; l'excentricité
même du sujet avait dû conseiller aux auteurs de confier
leur livret au compositeur que l'immense succès d'Orphée aux
Enfers venait de rendre populaire, Jacques Offenbach. Ce
dernier avait alors la vogue, et la foule se pressai taux portes
de son petit théâtre des Bouffes-Parisiens ; on applaudissait
à sa gaieté, voire même à sa grâce et à son charme, comme
114
LE MÉNESTREL
l'avait prouvé un mois auparavant, avec ses quarante-deux
représentations à l'Opéra, le ballet du Papillon, comme devait
le prouver un mois plus tard, avec ses centaines de repré-
sentations un peu partout, ce petit chef-d'œuvre en son genre
qui s'appelle la Chanson de Fortunio. Plus tard, Hervé a poussé
la bouffonnerie jusqu'à la caricature; Lecocq a tâché de rele-
ver l'opérette au niveau de l'ancien opéra-comique, et dans
cette voie toute une troupe de soldats s'est engagée après
lui: Audran, Vasseur, Serpette, Messager, Lacome, etc. Offen-
bach seul n'a pas eu de maître et n'a pas laissé de succes-
seur. Il a donné sa note dans le concert de son temps : il
occupe donc une place à part, sa personnalité existe. C'est
de la charge et de la fantaisie si l'on veut, mais souvent
musicales et toujours scéniques.
De telles qualités ne paraissaient pas suffisantes aux aris-
tarques d'alors pour justifier leur bienveillance, et l'ouvrage
qu'on avait d'abord appelé une Révolte dans l'Inde, puis le Roi
Barkouf, déchaîna toutes les colères des journaux. Scudo la
qualifia brutalement de « chiennerie j> et la Presse ajoutait:
« Ce n'est pas le chant du cygne, c'est le chant de l'oie ! »
Dès le début la malchance s'était acharnée sur cette œuvre,
dont le principal rôle avait été écrit pour M">^ Ugalde ; il lui
fallut décliner cet honneur pour cause d'un mal « aussi lé-
gitime que flatteur » disait un M. Prudhomme de l'époque.
M""* Saint-Urbain apprit le rôle pour y fali'e ses débuts, et le
joua même, à la répétition, générale le 27 novembre, une
indisposition la força d'y renoncer, et ce fut M"" Marimon
qui le créa finalement presque un mois après, le 24 décembre.
A la seconde représentation Laget avait dû « lire » le rôle
de Warot, tombé malade à son tour. Pour comble de disgrâce,
les auteurs s'avisèrent de défendre avec une maladresse rare
leur pauvre pièce, Offenbach dans le Figaro, Hsnry Boisseaux
dans la Revue et Gazette des Théâtres. Ce dernier écrivait, par
exemple: « Le reproche le plus grave qu'on nous ait adressé,
c'est d'avoir commis un libretto où l'esprit ne hriljait guère
que par son absence. S'il fallait m'excuser, je dirais que j'ai
fait, quant à moi, tous mes efforts pour en mettre: on me
croiiait sans peine. Mais la vérité c'est que j'ai craint constamment
d'en mettre trop : cette nuance expliquera l'erreur où je suis
tombé. »
La pièce tomba, elle aussi, et lourdement. Scudo, déjà
nommé, put donc s'écrier ironiquement : « Je ne serais pas
étonné qu'il se trouvât un éditeur assez hardi pour faire
graver la partition de Barkouf. » Il se trouva, en effet, cet
éditeur, mais beaucoup plus tard, lorsque Rarkouf, remanié
par Nuitter et Tréfeu, reparut aux Bouffes sous le titre de
Roule de neige. Livret et musique demeuraient les mêmes, à
quelques variantes près, dont la principale était le change-
ment de cadre. L'action fut transportée du midi au nord, de
l'équateur aux environs du pôle, ce qui le rendait plus
conforme à son origine, puisque cette bizarre histoire était
tirée d'une légende norwégienne, rapportée par M. X. Mar-
mier, dans ses Lettres sur le Nord. Sous cette nouvelle forme
l'œuvre fut accueillie sans protestations, sinon avec faveur.
C'était une première satisfaction; mais la véritable revanche
de Barkouf ne fut prise à l'Opéra-Gomique qu'en 4881 avec les
Contes d'Hoffmann, la première pièce qui eût atteint alors la
centième à ce théâtre depuis la guerre de 1870. Alors le
compositeur ne vivait plus pour assister à son triomphe, et
une main étrangère avait prêté à la partition un secours que
ses devancières ne connurent jamais.
Le hasard fit se succéder à peu d'intervalle le maître de
l'opérette et le maître de l'opéra-comique; après Offenbach,
Auber ; après Rarkouf, la Circassienne, qu'on avait eu grand'peine
à baptiser, puisque tour à tour elle s'était appelée Morte
d'amour! la Révolte au Sérail, Alexis et même Fauhlas. On y
voyait un jeune officier russe revêtir le costume d'une Cir-
cassienne avec une aisance qui, précédemment, lui avait
valu d'inspirer, comme femme, une passion à un vieux gé-
néral. Fait prisonnier au Caucase, il séjournait dans un ha-
rem jusqu'au moment, où, délivré par ses soldats, il revenait
à Moscou et épousait la sœur de ce général, que l'on mysti-
fiait en lui présentant le galant comme le frère de celle qu'il
aimait et qui était, soi-disant, morte loin de lui. Quelques
critiques goûtèrent peu le livret en trois actes de Scribe;
mais presque tous rendirent hommage à la partition, qui doit
compter parmi les plus aimables productions de la vieillesse
d'Auber. Les costumes et les décors brillaient par leur élé-
gance, et, à part M'"= Monrose, les interprètes se montraient
remarquables, depuis Couderc et Laget, fort amusants tous
deux, jusqu'à Montaubry, qui faisait belle figure sous le tra-
vesti et se servait fort à propos de sa voix de fausset. L'ouvrage
n'eut pourtant que quarante-neuf représentations, malgré l'en-
thousiasme des journaux, de Paul de Saint-Yictor dans la
Presse, de Rovray dans le 3Ioniteur, lesquels chantèrent leurs
éloges sur le mode lyrique. Le Constitutionnel écrivait : « la
pièce est très originale, très hardie, et très adroite ; la mu-
sique est ravissante de fraîcheur, de finesse, de grâce et
d'esprit. Décidément, ceux qui prétendent que M. Auber est
octogénaire en ont menti : il a quatre fois vingt ans ! » —
« Un chef-d'œuvre nous est né ! » s'écriait l'Entr'acte, et un
autre ajoutait que cet opéra ferait « le tour de l'Europe ». Il
le fit en effet, mais avec un autre titre et une autre musique.
La Circassienne est devenue Fatinitsa, et l'on a évité alors cet
écueil que signalait un jour et très justement M. Francisque
Sarcey à propos d'une pièce analogue : le rôle de l'homme
pris pour une femme a été joué par une véritable femme,
et les spectateurs n'ont plus été choqués. Pourquoi? simple
convention; mais sur la scène il faut compter avec les pré-
jugés ; le mensonge y a ses charmes, et souvent c'est la vérité
qui déplaît. i
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Il y avait longtemps que M"' Yuillanme attendait sou tour à
rOpéra-Comique. Engagée par le digne M. Paravey dès le début de
cette saison et payée assez grassement par ce directeur, qui ne regar-
dait pas à la dépense, elle rcslait pourtant inactive, toutes les ave-
nues des rôles auxquels elle pouvait prétendre étant solidement gar-
dées par ses devancières au théâtre, qui n'entendaient pas en être
dépossédées. Paravey promettait beaucoup, mais ne tenait rien du
tout, selon ses louables habitudes.
Ce fut donc un beau jour pour M" VuiUaume que la restaura-
tion de M. Carvalho et la jeune artiste eût été tout à fait heureuse
si une fâcheuse grippe n'était encore venue se jeter au travers
des projets de son nouveau directeur. Toutefois, dans sa précipi-
tation de paraître à la scène. M"" Vuillaume ne voulut même pas
attendre d'être débarrassée complètement de cet inopportun coryza.
Elle en subissait encore les dernières atteintes, quand nous l'avons
entendue mercredi dans Mireille, ce qui n'a pas empêché de distin-
guer dans son talent, au milieu de quelques vocalises enchifrenées,
des qualités très personnelles. N'est-ce pas le principal déjà, que de ne
pas suivre servilement les traces laissées par celles qui vous ont pré-
cédé dans la carrière. La nature de M"" Vuillaume est d'être un peu
maniérée et mignarde, mais elle a de la grâce et de la légèreté.
Son art de chanter n'est pas toujours très correct, mais elle a de
l'habileté pour en masquer les défaillances. Au résumé, il y a une
pointe artistique dans tout ce qu'elle fait. Quand elle aura pris une
connaissance plus approfondie du sol parisien et qu'elle aura ren-
voyé, par le plus prochain express, à Lyon, d'où elle nous vient,
quelques façons qui n'ont pas cours ici, on pourra mieux voir quel
avenir elle peut espérer sur la scène de rOpéra-Comique.
Nous aurons, au même théâtre, vers le 20 de ce mois, la cen-
tième représentation de Lakmé. l'œuvre charmante de Léo Delibes ;
ce qui doublera l'attrait de cette reprise, c'est qu'elle servira de
rentrée à M""' Arnoldson. dont on n'a pas oublié les heureuses repré-
sentations dans Mignon, sur cette même scène, bien qu'elles remontent
à trois années déjà et que, depuis, l'heureuse cantatrice ait parcouru
le monde entier, partout choyée et adulée. C'eût été une fête pour
le pauvre Delibes que d'assister à la représentation de son œuvre
avec ce renouveau.
LE MÉNESTREL
413
Puisque nous parlons de Delibes, nous ne manquerons pas de
reproduire ici la pièce de vers que Meilhac a écrite en son honneur,
pour être dite en une sorte de festival intime qui a été donné mardi
dernier au Cercle artistique de la rue Boissy-d'Anglas, dont l'auleur
de Sylvia était un membre des plus anciens et des plus fidèles :
Paroles ou musique, il est doux de créer
Et d'exposer son œuvre à la pleine lumière;
Il est très doux aussi, le jour d'une première,
D'errer dans la coulisse et, pâle, d'écouter.
En murmurant des mots qui sont une prière.
Le bruit que fait son nom qu'on entend acclamer.
Et le lendemain donc!... la presse, le panache
Que l'on se plante au front d'un air de conquérant.
Et le coup de trompette, aigu, retentissant,
Qui fait d'un inconnu l'homme que l'on s'arrache.
Chez lequel, écartant le voile qui les cache.
Les femmes s'en iront sonner en rougissant.
C'est très doux... et pourtant, quelques-uns d'humeur fière
Comprennent le succès de tout autre manière.
Moins gai, moins tapageur, et n'en valant que mieux.
Ce succès épuré plaît aux ambitieux.
Mais, à moins d'être mort, vous ne l'obtiendrez guère.
Ce qui ne laisse pas que d'être assez fâcheux!
Les uns estimeront que le but de la vie
Est de vivre joyeux, satisfaits et repus;
D'autres n'en diront rien, sinon qu'ils ont envie
Que plus tard, dans cent ans, leur besogne accomplie,
On parle encore d'eux quand ils n'y seront plus!...
Plusieurs, parmi ceux-là, portent des noms connus.
Vous en avez au Cercle... et n'allez pas leur dire
Qu'il n'est pas à la mode aujourd'hui de rêver,
Et que tout est folie, et que tout est délire
Dans ce bonheur lointain qu'il leur plait d'espérer...
Quand vous aurez tout dit, ils se mettront à rire,
Puis ils vous répondront: « Laissez-nous délirer! »
Car, c'est là notre rêve à tous tant que nous sommes.
C'est là l'ambition et le désir ardent.
Non de gagner des croix, d'avoir les fortes sommes.
Mais, c'est après la mort de demeurer vivants,
De laisser une trace au souvenir des hommes,
Ainsi qu'un écolier creuse un nom sur un banc.
Ce rêve, bien souvent, Delibes dut le faire.
Et nous sommes témoins qu'il s'est réalisé :
Sur le front de l'artiste, un rayon s'est posé.
Tant que l'on aimera, sur notre pauvre terre,
La mélodie alerte et la grâce légère.
Le monde redira les chansons de Lakmé.
Cher Delibes! La Mort, cette aveugle furie,
Esclave du hasard qui lui dicte ses choix,
A pu traîtreusement te prendre entre ses doigts;
Elle a pu t'emporter; mais, ta lâche ennemie
Ne t'aura pas du moins tout entier... Ton génie
Est debout... Et la Mort ne peut rien cette fois.
Nous saluons ta douce et si chère mémoire.
Et ton passé si court, si plein, si glorieux!
Si tu n'aperçois pas de larmes dans nos yeux,
N'en sois pas mécontent. Nous devons à ta gloire
De ne montrer ici que des fronts orgueilleux.
Ce jour n'est pas un jour de deuil, mais de victoire.
Heureux qui comme toi, le Maître regretté.
Succombe avant le temps, sa moisson étant faite,
De qui jamais l'hiver ne courbera la tête,
Et qui des jours mauvais ignorant l'àpreté.
Triomphant, applaudi, comme dans une fête.
Passe de la Jeunesse à l'Immortalité !
Ce joli dithyrambe, récité d'une merveilleuse façon par M"° Bar-
tet , servait de préface à tout un concert consacré aux œuvres
de Delibes. On voyait sur le programme les airs du Roi s'amuse
conduits par Danbé à la tête de son orchestre, la Sérénade à
Mnon, que l'excellent baryton Renaud a dû bisser, le chœur des
Nymphes des bois tout exprès orchestré, et avec quelle finesse ! par
M. Massenet, le finale de Jean de Nivelle, où la belle voix du ténor
Giberl s'est fait fort applaudir. Il n'a manqué à la fête que M°"= Melba,
qui devait chanter l'air des clochettes de Lakmé et qui, au dernier
moment, s'est trouvée trop enrhumée pour tenir sa promesse. Cela a
été une charmante matinée, vous pouvez m'en croire, encore que
quelques amateurs éclairés du cercle n'aient pas cru devoir laisser
la place complètement libre à Léo Delibes et nous aient fait subir
quelques-unes de leurs compositions dans la première partie du
concert.
Puisque nous en sommes arrivé à parler concerts , disons au
moins quelques mots des five o'clock que le Figaro organise tous
les mercredis dans ses bureaux et ou tous les amis viennent, comme
on dit, au hasard de la fourchette. On ne sait jamais à l'avance
ce qu'on y fera, ni ce qu'on y entendra, mais on est toujours siir
d'y trouver du piquant et de l'imprévu, au milieu d'un heureux
mélange d'arts de toutes les catégories. C'est ainsi qu'au dernier
mercredi, à côté de M"" Roger-Miclos, la muse du piano, on avait
Coquelin avec ses amusants monologues ; près de la petite Naudin,
qui soupirait l'Enfant au jardin de Faure, Yvette Guilbert nous ré-
citait des choses très gaillardes ; quand le puissant contralto de
M"= Domenech avait cessé de chanter les plaintes de Dalila, Kam-
Hill apparaissait avec ses étonnantes chansons de Mac-Nab. Oh !
cet Omnibus de la préfecture, quel poème de cocasserie ! Il a dit
aussi pour la première fois une chanson inédite de Pierre Véron,
l'Oncle de Célestin, qui n'engendre pas non plus la mélancolie.
Ces petites réunions ont tout le charme de l'improvisation. On n'a
pas à y craindre la solennité d'un programme arrêté à l'avance. Aussi,
quand on y a été une fois, on n'a plus qu'un désir, c'est d'y revenir...
avec d'autant plus de joie qu'on est à peu près certain de n'y pas
rencontrer MM. Ritt et Gallhard.
H. MORENO.
Folies-Draîiatiques. — Juanita. opéra-comique en trois actes et
quatre tableaux, adaptation française de MM. Vanloo et Leterrier,
musique de M. F. Suppé.
C'est royalement que M. Vizentini a voulu inaugurer sa direction
au théâtre des Folies-Dramatiques, et je crois bien que, si le publie
doit savoir gré à l'imprésario de tout ce qu'il a fait, les auteurs de
Juanita lui doivent bien certainement quelque chose de plus. Oyez
plutôt, et dites si l'on n'a pas jeté l'or par toutes les fenêtres : dans
la distribution, les noms de M'^» Marguerite Ugalde, tour à tour
étoile d'opérette et de comédie, plus en grâce et plus en verve que
jamais; M"' J. Darcourt, une toujours très jolie femme, doublée
d'une fort aimable comédienne; M"» Zélo Duran, une belle personne
qui s'est révélée chanteuse légère des plus agréables; M. Morlet,
un baryton qui vaut ordinairement mieux que ce qu'on lui fait
chanter; M. Gobin, le roi des pitres ; M. Guyoa fils, qui, à chaque
nouveau rôle, campe magistralement une inoubliable caricature
nouvelle; M. Maurice Lamy, qui n'a qu'un tort, celui d'être le frère
de Charles ; comme décorations, de ravissants tableaux signés de
MM. Cornil, Vallon et Froment, dans lesquels chatoient des cos-
tumes variés dus, je crois, au très artistique pinceau de M. Edel;
enfin, à la tête d'un orchestre qui m'a paru sensiblement renforcé,
un des meilleurs chefs de Paris, M. Baggers. Prodigalité, vous
dis-je, mais prodigalité très bien comprise, et qui devra porter ses
fruits.
Il ne fallait, en effet, rien moins que ce luxe et cette adresse
dans la mise en œuvre pour masquer la pauvreté du sujet due à la
collaboration de MM. Vanloo et Leterrier. La scène se passe en
1796, à Saint-Sébastien, qui est sous la domination des Anglais. Les
Français cernent la ville qu'ils veulent délivrer du joug étranger, et
c'est un petit fifre de l'armée française, se faisant passer tour à tour
pour muletier, écrivain public et noble dame espagnole, qui ou-
vrira à ses compagnons les portes de la citadelle. La pièce entière
repose sur les déguisements de René Belamour, le fifre, amoureux des
belles filles qu'il croise sur sa route, et, devenu Juanita, faisant
brûler de flammes incandescentes le cœur de tous les pauvres
hommes qui l'approchent.
Le maestro Franz Suppé, sur la musique duquel cette fable a été
adaptée, s'il ne jouit pas ici d'une réputation aussi universelle
qu'en Autriche et en Allemagne, n'est du moins pas précisément
un inconnu. Bocace et Fatinit:-a, représentés à Paris, avaient
avantageusement fait connaître son nom, et Juanita n'est point pour
diminuer son renom de musicien habile et aimable. Sa dernière,
partition, trop volumineuse peut-être pour ce genre et dans laquelle
on aurait pu faire de très excellentes coupures, se recommande sur-
tout par une gracieuse facilité et une veine mélodique souvent heu-
reuse. Si nous ne trouvons plus là la galté débordante et l'esprit
acéré d'un Offenbach, ou l'entrain et le brio irrésistibles d'un Johann
Strauss, nous sentons néanmoins quelle influence très grande ces
maîtres de l'opérette, et aussi, avec eux, nos compositeurs parisiens
actuels, ont exercée sur M. Suppé, qui les a étudiés de très près.
Les spectateurs du premier soir ont bissé plusieurs numéros, les
« couplets de la pantomime » à 2/4 dont l'accompagnement d'or-
d!6
LE MENESTREL
chestre est tout à fait agréable, les couplets à 2/4 encore chantés
par M"' Ugalde dans le finale du premier acte, une ariette avec
vocalises qu'on aurait voulu faire redire trois fois àM"= Zélo Duran,
et un très amusant terzetto. J'ai à vous signaler, en dehors de ces
morceaux, un quintette trop long, mais dont plus d'un fragment est
bien venu, et les couplets « du baiser », d'une allure aimable, qui
débutent par quelques mesures à 9/8 et se terminent par un éter-
nel 2/4 !
Paul-Émile Chevalier.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
III
NAPOLÉON ET LA MUSIQUE ITALIENNE
Nous n'avons pas à revenir sur le goût prédominant de Napoléon
pour la musique italienne. Faut-il le chercher dans l'état originel de
satamille ou dans ses impressions heureuses en Italie, d'oîi sont datés
ses premiers et retentissants bulletins de victoires, ou bien encore
dans la nature même de son esprit, incliné, comme nous l'avons vu,
vers la rêverie et l'horreur du bruit? Peut-être ces trois éléments se
réunissent-ils pour expliquer sa prédilection; mais, ce qui est cer-
tain, c'est que cette dernière considération est celle qui fournit
l'argument le plus sérieux.
— Messieurs, je ne veux qu'une vapeur de son, avait-il coutume
de dire à ses musiciens.
Et Marco de Saint-Hilaire, qui rapporte cette parole , d'ajouter :
« Il est certain que le son avait pour lui le plus grand charme,
quand il était doux; aussi est-il rare qu'une femme qui a une jolie
voix ne lui plaise pas. serait-elle laide à faire peur. Sa Majesté pousse
celte espèce de passion jusqu'à être charmée de la douceur ou de
l'harmonie du nom qu'elle porte ; mais si, en le prononçant, il lui
sonne mal à l'oreille. Elle le mâchonne dans ses dents, ne lo pro-
nonce pas tel qu'il doit être, ou ne s'en souvient jamais. »
Quoi qu'il en soit, cette préférence pour la musique italienne perce
en toute occasion. De son quartier général de Milan en n97, il écrit
aux inspecteurs du Conservatoire de musique de Paris :
« J'ai reçu, citoyens, votre lettre du 16 messidor, avec le mémoire
qui y était joint. On s'occupe, dans ce moment-ci, dans les diffé-
rentes villes d'Italie, à faire copier et mettre en état toute la musique
que vous demandez.
» Croyez, je vous prie, que je mettrai le plus grand soin à ce que
vos intentions soient remplies et à enrichir le Conservatoire de ce
qui pourrait lui manquer.
» De tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d'in-
fluence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encou-
rager. Un morceau de musique morale, et fait de main de maître
touche immanquablement le sentiment, et a beaucoup plus d'influence
qu'un bon ouvrage de morale qui convainc la raison sans influer
sur nos habitudes.
» Bonaparte. »
Pendant sa seconde campagne d'Italie, le premier consul s'occupe
d'envoyer des artistes à Paris. II avait tout d'abord jeté les yeux
sur le célèbre Marchesi, dont la réputation remplissait la péninsule.
Mais Marchesi, fort bien traité par les Autrichiens, regrettait l'ancien
état de choses; et il n'était pas le seul, il faut le dire, qui déplorât
leur départ et les triomphes de l'armée française.
Invité par le premier consul à se faire entendre devant lui, cet
artiste se fit beaucoup prier. Cependant il dut obéir, et comme Bona-
parte lui demandait, avec beaucoup de courtoisie, de lui chanter un
air de son répertoire :
— Signer zénéral, lui répondit le virtuose, si c'est oun bon air
qu'il vous faut, vous en trouverez oun essellent en faisant oun petit
tour de zardiu.
On se figure la colère du vainqueur d'Arcole en entendant cette
réponse. Il fit arrêter, sur l'heure, et jeter en prison le malotru,
qui y séjourna jusqu'après Marengo, époque à laquelle le premier
consul, désarmé par la gloire et par l'adulation générale, fit venir
de nouveau Marchesi, pour lui renouveler sa précédente invitation.
Cette fois, l'arlisle ne se fit point prier ; il fut aussi poli qu'il
avait été gouailleur à sa première visite, et chanta merveilleusement.
Bonaparte, sans rancune, lui fit de grands compliments, et Marchesi
déclara que « le zénéral était le piu grand homme du monde ». Mais
là se bornèrent leurs relations.
Il n'en fut pas de même avec M°'" Grassini, qui se fit entendre
au même concert, et dont la voix et la beauté exercèrent sur le pre-
mier consul un charme qui ne s'est pas démenti depuis. Il parait
que cette célèbre cantatrice déjeuna le lendemain, avec Berthier,
chez le conquérant de l'Italie, et que là fut décidé, séance tenante,
son départ immédiat pour Paris. Mais comme Bonaparte aimait à
faire les choses régulièrement, il s'assit devant sa table et traça deux
lettres, dont l'une pour Berthier, et l'autre pour son frère Lucien,
ministre de l'Intérieur.
La première était ainsi conçue :
Milan, 2 messidor an VIII, 21 juin 1800.
Je vous prie, citoyen général, d'inviter deux des meilleures virtuoses
de l'Italie de se rendre à Paris pour y chanter un duo en italien, à la
fête du 14 juillet. Vous leur ferez donner ce qui leur sera nécessaire pour
leur voyage, et le ministre de l'intérieur, auquel vous les adresserez, les
traitera d'une manière conforme à leur mérite et les indemnisera de ce
qu'ils auraient gagné en Italie.
Dans sa lettre à Lucien, le premier consul complétait sa pensée :
...Je désirerais, écrivait-il, que ces deux virtuoses exécutassent, avec
des chœurs, un morceau italien, que vous feriez composer, sur la délivrance
de la Cisalpine et de la Ligurie et la gloire de nos armes. C'est un sup-
plément à faire à votre prospectus.
Le général Berthier m'informe qu'il compte envoyer ou M""^ Billing-
ton, ou M™ Grassini, qui sont les deux plus célèbres virtuoses de l'Italie.
Faites donc composer un beau morceau en italien avec une bonne musi-
que. Le ton de voix de ces artistes doit être connu des compositeurs
italiens.
Il fut fait suivant le désir du premier consul : les deux canta-
trices prirent part à la grande fête nationale, au Champ-de-Mars,
où l'on avait réuni 800 musiciens, qui exécutèrent des airs guerriers
de Gossec, et des chœurs bien fournis, qui firent entendre, sur
l'autel de la patrie, un c/fa/i/ /iarmoyjîV/uc, par Marie-Joseph Chénier.
A la même époque. M"" Grassini parut à deux concerts organisés
à son bénéfice, à l'Opéra. On y remarqua sa voix égale et pure dans
toute son étendue, sa belle et libre émission du son, et surtout sa
grande manière de phraser. Malheureusement, il n'existait point alors
d'Opéra italien à Paris oii elle eût pu être engagée; et, d'autre part,,
la grande artiste ne connaissait pas suffisamment notre langue pour
paraître à l'Académie nationale de musique. Elle erra donc pendant
quelques années en Allemagne et en Angleterre. Mais, rappelée en
1804 par l'empereur, qui n'avait point perdu le souvenir du lende-
main de Marengo, elle fut spécialement attachée aux concerts de la
Cour, aux appointements de 36,000 francs, plus 13,000 francs de
gratification, avec pension réglée à 13,000 francs. M°"^ Grassini
resta longtemps au service de l'empereur. Et lorsqu'elle prit le
parti de s'éloigner, il faut croire que ce ne fut pas volontairement.
C'est du moins ce qui semble ressortir de cette anecdote qui a été
contée par M""' Georgette Ducrest, nièce de M"'= de Genlis et intime
amie de Joséphine :
« Arrêtée près de Naples, par des brigands qui la dévalisèrent,
elle essaya d'abord de les toucher; mais voyant que tout était inu-
tile et qu'ils fouillaient toujours dans tous les coins de sa voiture :
— Oh! ze vous en prie, mes bons brigands, dit-elle, prenez lout ce
que ze poussède: mais, laissez-moi, ze vous en prie, oune çose que
z'aime plus que vous ne pouvez croire, c'est le pourtrait de noiitre çer
gouvernement. Ze ne veux pas les diamants, mais laissez-moi le
pourtrait... Ils brisèrent et gardèrent, en effet, l'entourage du mé-
daillon qui contenait le porlrait de Napoléon, et lui rendirent cette
image chérie, ce qu'elle citait comme le plus beau trait du monde. »
Dans l'intervalle qui avait séparé les deux séjours de M'"" Gras-
sini à Paris, la musique s'était organisée suivant les vues de Bona-
parte. Pour s'assurer une pépinière de bons artistes italiens, il avait,
dès le commencement du siècle, fondé le Lycée musical de Bologne,
dont il avait confié la 'direction au P. Mattei , élève du P. Martini
et continuateur de ses traditions. Mais, en attendant que cet éta-
blissement produisît les fruits qu'il promettait, lo premier consul
prit ce qu'il avait sous la main et s'efforça d'acclimater la musique
italienne à Paris. Il exauçait ainsi le vœu de Grétry, qui avait écrit :
« Je désire que les chanteurs italiens se fixent chez nous ; la mu-
sique italienne est l'antidote du mal qu'il faut guérir. »
Pour donner un corps à son projet, Bonaparte s'adresse à M"° Mon-
tansier, experte en malière théâtrale, pour former une troupe de chan-
teurs italiens. Elle y parvient et fait débuter, le l'^'' mars 1801, de bons
sujets, dans la salle connue alors sous le nom de théâtre delà Société
Olympique, rue Ghantereine, aujourd'hui rue de la Victoire... C'était
une salle très élégante, en bleu réchampi de blanc, avec des loges
d'une coupe particulière, bombées par devant, mais ouverles, de telle
LE MENESTREL
H7
sorle que, des pieds à la tète, les femmes étaieat vues dans tout
l'éclat et le charme de leur toilette... Pour vivre : 60,000 francs de
subvention, du gouvernement, et de Bonaparte, particulièrement,
12,000 francs poursa loge... On alla cahin-caha; mais ces ressources
ne suffisant pas, le premier consul écrivit, le 10 octobre 1801 (18 ven-
démiaire an X), à Chaptal, dont relevaient les théâtres :
Je vous prie, citoyen ministre, de faire donner aux Bouffes italiens
10,000 francs, et de lever tous les obstacles qui s'opposent à ce qu'ils aient
la salle des Italiens. Je désire que vous preniez ces mesures pour que les
principaux acteurs d'Italie se joignent à la troupe actuelle, car il est bon
de perfectionner le goût du chant en France. Gela est surtout convenable,
sous le foint de vue politique, à cause de notre grande prépondérance en
Italie.
Cette fin donne un corps à une accusation dont on a souvent gra-
tifié Napoléon. La musique, a-t-on dit, était à ses yeux, un simple
moyen de gouvernement!... Peut-être entra-t-il, à l'occasion, dans
ses vues, de mettre un art qu'il affectionnait au service de sa poli-
tique; mais, par ce que nous avons vu déjà et par ce que nous
verrons encore, nous pouvons d'ores et déjà faire justice de cette
insinuation. Napoléon aimait la musique pour la musique; et, comme
Orphée, il ne détestait pas de séduire les gens par les sons d'une
lyre bien employée.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Pal'l d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La dernière séance de la Société des concerts s'ouvrait parla symphonie
en ré mineur de Robert Schumann, l'une des meilleures et des plus inté-
ressantes assurément de l'auteur de Matifred et de Geneviève, et l'une de
celles pourtant qu'on a le moins d'occasions d'entendre. Elle témoigne,
dans sa forme générale, d'un esprit singulièrement libre et indépendant,
pour qui la tradition ne saurait être immuable, et l'orchestre, d'ordinaire
toujours un peu flottant et indécis chez Schumann, est plus nerveux, plus
coloré, plus solide et mieux équilibré que dans les autres œuvres du
maître. Et puis, il y a dans cette symphonie une originalité véritable,
avec une sûreté de main qui n'est pas précisément habituelle à l'auteur.
L'exécution en a d'ailleurs été excellente, et le public a tait à cette belle
composition un accueil très cordial et très sympathique. Ce même public
a paru un peu désenchanté, un peu déçu — et il y avait de quoi — à l'au-
dition du concerto à deux pianos de Mozart, que sont venues exécuter,
l'une et l'autre avec un talent de premier ordre. M"" George-Hainl (Marie
Poitevin) et M"" Clotilde Kleeberg. Le nom de Mozart évoque avec soi de
telles idées de charme et d'enchantement, qu'on est douloureusement sur-
pris quand le maître exquis ne produit, comme ici, qu'une impression
de fatigue et de somnolence. Aucune idée dans ce concerto, aucun jet
lumineux, aucune trace d'inspiration, rien qu'une succession da notes
sans dessin ni saveur et l'éternel emploi d'une formule éternelle ! Et ce
ne sont pas les deuv très mauvaises cadenze de M. Cari Reinecke que
^\jmHi George-Hainl et Kleeberg ont jugé à propos d'y introduire, qui pou-
vaient en relever la valeur. Rendons toutefois justice au talent déployé
par les deux interprètes, à leur impeccable virtuosité, à leur style plein
de grâce et de souplesse, à l'ensemble enfin d'un jeu qui ne laisse rien
à désirer et qu'on voudrait pouvoir admirer dans une œuvre plus inté-
ressante. Leur succès personnel a été très grand et très mérité. Nous
avons entendu ensuite Biblis, poème symphonique dont M. Massenet a
écrit la musique sur de jolis vers de notre confrère M. Georges Boyer.
Biblis avait été exécutée pour la première fois il y a quatre ans, au mois
de janvier 1887, par la Société chorale d'amateurs fondée et dirigée par
Guillot de Sainbris, mais avec accompagnement de piano seulement.
M. Massenet, qui avaitécrit cette composition expressément pour la Société
Guillot de Sainbris, l'a orchestrée récemment, expressément pour la
Société des concerts. L'œuvre, il faut le dire, manque essentiellement de
souffle et d'originalité, l'inspiration en est courte, et à part un chœur bril-
lant et bruyant, où le compositeur semble avoir été hanté par les souve-
nirs de la Prcc/oso de Weber, je ne vois pas trop quelle page on en pourrait
citer. Elle a pourtant été vaillamment défendue par ses interprètes, M'ii^Do-
raenech, dont la voix malheureusement est un peu courte, et MM. Warmbrodt
et Auguez, toujours excellents l'un et l'autre. — Je n'ai rien à dire de l'é-
tonnante, de la prodigieuse, de la pathétique, de l'admirable ouverture
de Coriolan de Beethoven, l'une des pages les plus stupéfiantes du réper-
toire symphonique, que l'orchestre a dite avec un style et une vigueiir in-
comparables, et je termine en constatant le succès qui a accueilli cette
ouverture, ainsi que les trois fragments du Messie de H:cndel qui figuraient
à la fin du programme : le chœur L'enfant est né, la pastorale (par M"°Do-
menech) et VAIteluia. La dernière impression, comme la première, a été
ainsi excellente. A. P.
— Concerts du Cbàtelet. — Audition d'œuvres de M. Tschaïkowsky. —
Depuis une quarantaine d'années, une école musicale russe est en voie de
formation, mais son caractère et ses tendances ne sont pas encore parfai-
tement déterminés. La Russie, avec ses glaces dans le Nord, sa haute
température dans le Midi, ses hivers longs et monotones, ses étés courts
et d'une végétation follement épanouie, ne semble pas devoir accuser
plus d'uniformité dans les tendances de ses musiciens, qu'elle n'en accuse
dans son climat. Chez M. Tschaïkowsky spécialement, l'élément mosco-
vite est combattu par l'hérédité d'abord, sa mère étant, dit-on, d'origine
française, ensuite par un tempéramment musical très éclectique. On ne
voit pas dans ses œuvres ce reflet caractéristique de la nationalité qui se
retrouve partiellement chez certains de ses compatriotes, chez Borodine,
par exemple. Il a beaucoup de vigueur, d'exubérance, de vivacité, il
, possède une remarquable entente des combinaisons sonores et des res-
sources du rythme, une habileté de main qui lui a permis de donner
une facture exquise à certains morceaux peu développés. Tout cela dé-
note une certaine puissance, mais non pas cette puissance calme et se-
reine de l'artiste resté maître de lui-même qui domine et assouplit l'élé-
ment musical sans être jamais entraîné par lui au delà des bornes
qu'imposent le sentiment juste des proportions et les exigences d'un
goût épuré. Dans ses œuvres de longue haleine, l'intuition exacte de
l'effet, la concision, la cohésion, l'équilibre manquent. Parmi ces der-
nières, la fantaisie symphonique intitulée la Tempête est le seul ouvrage
où l'on rencontre une inspiration vraiment entraînante. Le début, avec
son quatuor dont chaque ligne comporte trois parties, douze en tout, est
excellent; le milieu, tumultueux, heurté, médiocrement mélodique, cause
un certain agacement, mais le passage en sol bémol qui, plus tard, mon-
tera d'un ton peur éclater en la bémol, est d'un souffle intense. Développé
d'abord sur des arabesques d'altos, il passe ensuite au quatuor, et les ara-
besques sont dessinées par les flûtes, clarinettes et bassons. Il y a là une
pensée musicale dont la forme aérienne et flottante rappelle certaines
pages de Berlioz. La suite op. So, se termine par des variations d'un
style tantôt simple et gracieux, tantôt pathétique, tantôt religieux, tantôt
fleuri à l'usage des virtuoses, tantôt affectant des formes de danses popu-
laires. Même variété dans le rythme et l'instrumentation. Malheureuse-
ment l'on saisit mal la cause de cet entassement de formes disparates.
Le concerto op. 44, long et sans aucune harmonie de lignes, a été joué
avec une fougue violente et emportée, une sonorité un peu sèche, un
mécanisme plein de hardiesse, par M. Sapellnikofl', jeune pianiste d'une
vingtaine d'années, qu'on dit élève de M"'" Menter, et qui a rendu avec
plus de finesse, plus d'élégance et un meilleur son la romance en fa mi-
neur et une valse, op. S. M. Jobannés Wolfï a fait entendre Idi Sérénade
mélancolique pour violon, œuvre très distinguée, qui a valu au virtuose de
chaleureux bravos. M. Engel a chanté avec un style sobre, un goût très
sûr et beaucoup de charme, deux mélodies et le duo ; Larmes humaines,
dans lequel il donnait la réplique à M"'' Pregi. M"= Pregi, qui semblait
fatiguée, a fait applaudir deux petites pièces vocales d'une jolie facture.
Les instruments à corde ont exécuté l'andante du quatuor op. H, et
l'orchestre tout entier a terminé le concert par la Marche slave, op. 31, qui
a été suivie d'une longue ovation. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche. :
Conservatoire. — Symphonie en ré mineur (Schumann); concerto pour deux
pianos (Mozart), par M'"" George-Hainl et Kleeberg; Bi'Jis, poème de Georges
Boyer (J. Massenet), soli par M"" C. Domenech, MM. Warmbrodt et Auguez;
ouverture de Coriolan (BeelliOveD); fragments du Messir (Haendel), solo par
M"° Dûmenecli. — Le concert sera dirigé par M. J. Garcin.
Châtelet. — Relâche, à cause de l'absence de M. Ed. Colonne, en ce moment
à Saint-Pétersbourg. Le 24' et dernier concert aura lieu le dimanche 19 avili. Ou
y entendra la Damnation du Faust.
— Société nationale. — Grande abondance de premières auditions au
dernier concert ; une de premier ordre : un quatuor pour instruments à
cordes de M. 'Vincent d'Indy, œuvi-e de grande envergure et d'un éclat
superbe. Le premier morceau, peut-être un peu long à se former, s'achève
par une série de développements, toujours renouvelés, qui dénotent une
fantaisie et une richesse d'inspiration incomparables ; le second, en mou-
vement lent, d'une forme et d'une pondération irréprochables, renferme
notamment une longue phrase élégiaque d'une grande beauté. Vient
ensuite un scherzo dont les parties vives et brèves sont entremêlées d'un
chant à la tonalité étrange et mystérieuse, « dans le sentiment d'un chant
populaire », dit le programme ; enfin un brillant finale, où reviennent tous
les thèmes, conclut dignement. L'œuvre, dans l'ensemble, présente un
grand intérêt par les combinaisons polyphoniques et les transformations
des thèmes; elle comptera parmi les œuvres de musique de chambre de
notre école française qui resteront. — On a entendu après cela deux mélo-
dies déjà connues, l'une et l'autre d'un sentiment exquis : Nanny, de
M. Ernest Chausson, et l'Ange et l'Enfant, de César Franck; M"° Marcella
Pregi les a interprétées de la façon la plus remarquable. M. Taffanel a
joué trois pièces de flûte : la Berceuse (pour violon) de M. Fauré, un Allegro
de M. Paul Fournier, et, avec harpe, une Valse sentimentale de M""^ de Grand-
val. Venait ensuite une sonate pour piano et violoncelle, longue, très
longue, et dont l'audition nous a fait comprendre la profondeur du mot
célèbre d'un directeur de théâtre : « Nous ne voulons pas faire de nouveaux
auteurs. » Hélas ! la Société nationale ne peut pas prendre ce mot pour
devise, puisqu'elle a justement pour but de favoriser la venue des jeunes.
Rendons hommage à MM. Paul Braud et Schneklud, qui ont défendu de
leur mieux une cause difficile à plaider. Puis, M. Diémer a exécuté deux
nouvelles pièces de piano de M. Paul Vidal et deux morceaux de Tschaï-
118
LE MENESTREL
towsky; quatre mélodies, très chromatiques, de M. Sylvio Lazzari, ont été
chantées avec beaucoup de grâce et un sentiment très juste par M"" Ber-
tha Herman, et le concert s'est terminé par la transcription à quatre
mains de trois danses basques, sur des thèmes populaires pleins de viva-
cité et de couleur, par M. Ch. Bor.les. — Au concert précédent, au contraire,
il n'y a eu que très peu d'œuvres nouvelles : seulement un trio de M. Boui-
chère, et trois chœurs pour voix de femmes, de M. Julien Tiersot: Renou-
veau, poésie de Baïf, Au soleil de mai et Toute la nature en fête four nom, sur
des vers de M. Maurice Bouchor. Je ne saurais exprimer là-dessus une
opinion suffisamment impartiale ; je me borne à dire que ces trois chœurs
ont été fort bien chantés, sous la direction de M. Vincent d'Indy, et ont
jiaru recevoir un bon accueil. J. T.
— Le récital de piano auquel M. Léon Delafosse nous avait conviés
lundi dernier à la salle Érard, a été pour ce jeune pianiste l'occasion
d'un éclatant triomphe. Tout est à louer dans le talent de ce charmant
virtuose qui, malgré son jeune âge, possède déjà au plus haut degré l'art
de s'assimiler le style qui convient à chaque maître. Le public a fait à
M. Delafosse une véritable ovation après la remarquable interprétation
de la sonate en ut majeur de Beethoven, qu'il est impossible de dire avec
plus d'élégance, de style et de délicatesse de doigts. Nous avons ensuite
plus particulièrement remarqué: une romance de Mendelssohn interpré-
tée avec un charme pénétrant, une gigue de Scarlatti, une pièce fine et spi-
rituelle de M. Th. Dubois, Réveil, et une charmante bleuette de M. Théodore
Lack, d'un tour mélodieux et gracieux, intitulée Chant d'Avril. En résumé,
excellente soirée pour notre belle école française de piano, dont M. De-
lafosse est un des plus brillants représentants.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (7 avril). — L'événement de la se-
maine a été la représentation organisée à la Monnaie au profit de l'œuvre
de la Presse, qui s'est constituée, il y a trois mois, pour soulager les mi-
sères cruelles de cet hiver. Après plusieurs autres fêtes de caractère varié,
cette fête-là devait être — et a été, en effet, — particulièrement brillante.
On avait espéré tout d'abord dans l'initiative de la direction de la Monnaie
pour composer une représentation à laquelle auraient pris part, seuls, les
artistes de ce théâtre ; d'une façon ou d'une autre, cette initiative n'avait
pas manqué chez les autres directeurs de théâtres bruxellois. Mais MM.Stou-
mon et Calabresi, comme la fourmi, ne sont pas prêteurs, volontiers
tout au moins; dans le juste souci de leurs intérêts, ils ont parfois des
maladresses bizarres, des façons de voir un peu étroites, qui ne leur pro-
fitent pas toujours, même matériellement, autant qu'ils le pensent. Ils
marchandent leurs faveurs, el, en plus d'un cas, retirent d'une main ce
qu'ils donnent de l'autre... Les directions précédentes nous avaient ha-
bitués à plus de largeur de vues et à plus de largesse,' et c'est peut-être à
cela qu'elles ont dû, en partie, les sympathies dont le public leur a
montré tant d'exemples, même après leur retraite. "Voyant qu'il serait
diiEcile de vaincre l'apathie directoriale, le comité de l'œuvre de la
Presse, s'est adressé à Paris, et a été assez heureux pour obtenir le
concours des artistes de l'Opéra-Comique, prêtés par M. Carvalho avec une
bienveillance rare, et celui de M. Lassalle, de l'Opéra, qui a tenu sponta-
nément à se joindre à eux. Tous ces artistes sont venus à Bruxelles, en
refusant d'accepter tout cachet; et, dans la salle de la Monnaie — louée à
la direction au prix fort réclamé par elle, — ils nous ont donné une des
soirées les plus triomphales dont on se souvienne à Bruxelles : le Barbier
de Séville avec M°«: Landouzy, MM. Soulacroix, Delaquerrière, Fugère et
Lorrain, et le troisième acte d'Hamlet avec M. Lassalle et M"» Carrère et
Nardi, MM. Vérin, Ghallet et Ghapuis, de la Monnaie. Cet acte d'Hamlet
n'a pas été mis sur pied sans peine ; à en croire MM.Stoumon et Calabresi,
aucun de leurs artistes n'était préparé pour donner la réplique à M. Las-
salle ; on allait donc y renoncer, lorsqu'il s'est trouvé, inopinément, en
s'adressant aux artistes eux-mêmes, qu'ils savaient tous, parfaitement, les
rôles nécessaires! L'opposition des directeurs n'était donc plus possible;
ils ont fait aimablement — quoique un peu tard, — bonne mine à mau-
vais jeu, et le troisième acte d'Hamlet a pu être chanté. Ai-je besoin de
vous dire que la soirée n'a été qu'une suite de longues ovations, que tous
les artistes ont été acclamés et que, stimulés par cet accueil enthousiaste,
ils se sont surpassés ?
Je vous ai parlé dernièrement de quelques pensionnaires de la Monnaie
qui nous quittent à la fin de la saison ; en voici la liste complète •
Mii« Sanderson, Nardi, Neyt, "Wolf, M°>« Dufrane, Archainbaud, Langlois^
MiM. Bouvet, Delmas, Vallier, Vérin, ChoUet et Ghapuis, sans compter
la première danseuse, M'i» Ricca. Seuls, M'"<: de Nuovina et M"» Carrère ,
MM. Lafarge, Dupeyron et Badiali nous restent. Comme on voit, il s'agira
donc de former, pour l'an prochain, une troupe presque entièrem.ent nou-
velle; cela ne laissera pas que d'avoir quelques inconvénients, l'ère des
débuts ayant toujours pour conséquence de retarder les ouvrages nouveaux
et de prolonger la période où règne, en maître presque absolu, le vieux
ïépertoire, bien usé; ajoutez-y que c'est la dernière année du contrat de
MM. Stoumon et Calabresi et qu'il n'estguère facile de trouver des artistes
de premier ordre quand on ne peut leur garantir qu'une saison. Mais nous
verrons bien. II se peut, qui sait? que ces messieurs, en se séparan'
d'artistes excellents, en aient déjà d'autres en réserve, plus excellents
encore... Acceptons-en l'augure!
Quelques mots des concerts. Celui qu'a donné l'Association des artistes,
musiciens, samedi dernier, à la Monnaie, a été superbe ; on a acclamé le
grand violoniste Joachim, et accueilli avec une faveur marquée quelques
œuvres nouvelles de M. Fernand Le Borne, un jeune compositeur belge
établi à Paris, et qui ne vous est certes pas inconnu ; toute une partie du
concert lui était même consacrée ; outre un fragment du joli et expressif
poème vocal, l'Amour de Myrto, chanté par M"» de Nuovina, et une Marche
royale d'un bel effet, on a applaudi un Poème pour orchestre (suite n" 3),
construit tout entier sur un thème unique, développé avec une science
d'orchestration peu commune et une richesse de sonorité des plus inté-
ressantes. Quelques jours auparavant, le Club sijmphonique, dirigé par
M. Emile Agniez, avait fait entendre, dans un concert organisé par le
cercle des Arts et de la Presse, toute une série d'œuvres inédites, instru-
mentales et vocales, d'auteurs belges, parmi lesquelles il y en avait de tout
à fait remarquables de MM. Arthur De Greef, Gilson et Xavier Carlier.
Enfin, cette semaine, l'installation du cercle susdit des Arts et de la
Presse dans son nouveau local, rue Royale, a donné lieu à une couple de
soirées de haute saveur, — notamment une bien curieuse causerie sur les
Chansons françaises, par M. Vergoin, avec de nombreux chants et c'nansons
historiques exécutés par les artistes de la Monnaie. Le cercle des Arts e'
de la Presse est assurément, à l'heure qu'il est, le centre le plus réelle-
ment artistique de Bruxelles ; et il commence à le prouver depuis quelque
temps d'une façon singulièrement active et vraiment originale. L. S.
— Nouvelles de Londres :
M. Harris ayant engagé M"» Giulia Ravogli, qui avait obtenu un grand
succès dans Orphée l'automne dernier, succès fort exagéré à mon avis, a
inauguré sa nouvelle saison par la reprise de l'opéra de Gluck. Je ne
sais si c'est l'indice d'une réaction fort naturelle, mais l'effet produit lundi
par l'artiste italienne a été moindre : meilleure comédienne que chanteuse,
M"° Ravogli s'est de nouveau fait particulièrement distinguer dans la
grande scène muette du rôle. La mise en scène est' soignée sans être tout
à fait satisfaisante, tandis que le ballet, mal réglé, est d'un anachronisme
choquant.
M"^ Eames a débuté fort heureusement dans le rôle de Marguerite de
Faust. Malgré des réclames maladroites qui représentaient la jeune artiste
comme l'étoile de la troupe du Grand Opéra de Paris, rendant le public
plus exigeant, M"« Eames a beaucoup plu par les côtés gracieux de son
talent, sa voix facile et son joli style. Moins heureuse dans les dernières
parties de l'ouvrage qui demandent plus de chaleur, elle a remporté un
vrai succès dans la scène du jardin. M. Perotti, un ténor qui avait obtenu
quelque succès pendant la saison Lago, grâce surtout à quelques notes
aiguës, est un Faust détestable : le comédien est lourd et le chanteur de très
mauvaise école. M. Maurel est un superbe Méphistophélès. Costumé d'une
façon bien pittoresque et tout à fait originale, et très en voix, son succès
a été complet. M. Geste remplaçait au pied levé M. Devoyod dans le rôle
de Valentin; je ne veux attribuer qu'à son manque de familiarité avec la
version italienne ses hésitations comme mesure ou son dédain pour les
nuances. Orchestre et chœurs excellents, sous l'habile direction de M. Man-
cinelli.
Ainsi qu'on pouvaits'y attendre, M"°Julia Ravogli a complètement échoué
dans le rôle de Carmen. Cette artiste inégale et à tendances mélodrama-
tiques s'est étrangement trompée dans sa conception de la capiteuse
héroïne de Mérimée, sans avoir pour cela rendu justice au personnage
lyrique si iièrement tracé par Bizet. Sous prétexte d'originalité, elle a
bouleversé toutes les traditions du rôle et s'est montrée en plus d'un
endroit irrespectueuse des intentions précises du compositeur. Sa sœur.
M"= Sophie Ravogli, après avoir été une Eurydice médiocre, nous présente
une Micaela incolore, dénuée de charme et manquant même de voix.
L'engagement de cette artiste est, dit-on, imposé à la direction; sans cela,
ses moyens ne justifieraient pas sa présence à Covent-Garden. M. Lubert
a fait un assez heureux début comme don José. Par suite de l'indisposi-
tisn persistante de M. Devoyod (est-ce bien une indisposition?), le rôle
d'Escamillo a été confié à M. Celli, de la troupe Cari Rosa, un chanteur
aphone. Triste" représentation, en somme, et tout à fait indigne de Covent-
Garden.
La Cavalleria rusticana entre définitivement en répétition : les deux
principaux rôles sont confiés à M'"! Eames et à M. Lubert. A. G. N.
— Un prince royal sur le tremplin. Les journaux anglais publient la
note suivante : « S. A. R. le duc d'Edimbourg, qui n'a pas paru en public
comme violoniste depuis un temps considérable, vient de se joindre aux
membres de la Société symphonique d'amateurs de Plymouth et prendra
part au prochain concert, le 8 du mois prochain. »
— Le répertoire français en Allemagne. Relevé sur les dernières listes
des spectacles : Berlin : Les Huguenots, Carmen (2 fois). Mignon, la Fille du
Régiment, Coppélia.—Bon^ : l'Éclair, les Dragons dcVillars.—G.\sSEL : Faust (3 fois),
Robert le Diable, l'Africaine, les Dragons de Villars, la Juive. — Cologniî : La Dame
blanche, l'Éclair, les Dragons de Villars (2 fois), Faust, Mignon (2 fois), l'Afri-
caine, les Huguenots. — Francfort : Carmen, Fra Diavolo (2 fois), le Domino
noir, le Prophète, Robert le Diable, le Cheval de bronze, Guillaume Tell, tes Dra-
LE MENESTREL
119
gons lie Villars, Faust. — Hajidourg : Mignon, la Juive, le Postillon de Lonjumeau
(3 fois), la Fille du liègiment, Faust. — Leipzig : Fra Diavolo, Mignon (2 fois),
Carmen, Guillaume Tell. — Mannheim : Mignon, la Fille du Régiment, Roméo et
Juliette (2 fois), la Part du Diable (2 fois), Carmen, l'Africaine, Fa^ist.
— ScHWERiN : Carmen, Fra Diavolo, Mignon, Guillaume Tell. — Vienne : Manon
(S fois), le Prophète, la Juive, Faust, l'Africaine, Robert le Diable, Carmen,
Coppélia, Roméo et Juliette.
— La question du monument de Mozart à Vienne, dont nous avons
souvent entretenu nos lecteurs, vient d'entrer dans une pliase nouvelle et
quelque peu inattendue. Comme on sait, un concours avait été ouvbrt et
le premier prix décerné à M. Hellmer. Tout semblait donc terminé de ce
côté, et il ne restait plus qu'à procéder aux travaux d'érection. Mais voilà
que le comité, par un inconcevable déni de justice, refusa de ratifier la
décision du jury et confia l'exécution du monument à M. Tilger, dont le
projet avait été classé en deuxième ligne. L'émotion soulevée par cet acte
arbitraire a excité, comme on pense, une grande émotion, non seulement
parmi les jurés du concours, mais encore dans tous les centres artistiques
de Vienne, La place Albrecht est choisie comme emplacement du futur
monument.
— On écrit de Prague : Un directeur éclectique, dans toute l'acception
du terme, c'est à coup sur Angelo Neumann, l'ex-missionnaire wagnérien,
qui alla mettre à la portée de tous, en Allemagne, en Hollande et en Bel-
gique, cet Anneau du Niebelung, jusqu'alors inaccessible en son entier à
ceux qui n'avaient pas fait le pèlerinage de Bayreuth. Il donne toutes les
musiques, l'allemande comme la française, et jusqu'à l'italienne et l'espa-
gnole. Après avoir été le premier à faire représenter en allemand les Tem-
pliers de Litolfl' et Cavalleria riisticana. de Mascagui, voici qu'il vient de
monter los Amantes de Teruel, du maestro Thomas Breton, qui est Espagnol.
On loue fort le tempérament fougueux du compositeur et la richesse de
ses mélodies; on a moins apprécié sa technique orchestrale, qui est plus
brillante et curieuse que savante. Selon la coutume au théâtre Neumann,
le compositeur, qui était présent, a été fêté, par une claque bien disciplinée,
bombardé de ileurs, assourdi de fanfares, mais cette fois le public n'a pas
protesté, ni la critique, encore que ces démonstrations parussent pour le
moins exagérées.
— A Dresde, les concerts spirituels de la semaine sainte ont été parti-
culièrement brillants. Le vendredi saint, on a exécuté l'oratorio de Frédé-
ric Kiel, Christus, et Selig aus Gnade, d'Albert Becker. Le samedi, à l'église
de la Cour, Te Deum de Hasse, pour soli, chœur et orchestre, et le diman-
che de Pâques, messe solennelle de Hasse, avec YAlleluia de Schuster. On
voit que le souvenir et les traditions de Hasse, le digne et glorieux rival
de Haendel, ne sont pas près de s'éteindre dans cette ville de Dresde,
qu'il a illustrée par un séjour de vingt-cinq ans et par de superbes com-
positions.
— De la musique turque sur des paroles françaises, voilà ce qui ne
s'était encore jamais entendu. C'est ce qui s'entendra prochainement à
Constantinople, où nos artistes, surpris parla déconfiture de leur directeur,
ont décidé, pour faire face à la situation pénible dans laquelle ils se
trouvent, de mettre à l'étude une opérette locale, traduite en français, et
dont le maestro Tchouhadjian a écrit la musique. Ce petit ouvrage a pour
titre Zemireh.
— Le théâtre de la Scala, de Milan, a donné cette semaine la première
représentation d'un opéra nouveau de M. Spiro Samara, l'auteur récem-
ment applaudi de Flora mirabilis. Ce nouvel ouvrage, dont le poème est dû
à M. Foutana, ne parait pas avoir obtenu autant de succès que le précé-
dent. Les interprètes étaient M'"" Russini-Streiten, MM. Suagnes, Buzzi,
Mariani et Terzi.
— Au théâtre San-Carlo, de Naples, où le succès du nouveau drame
lyrique de M. Platania, Sparlaco, que nous avons annoncé, se poursuit
avec éclat, on promet la prochaine représentation d'un autre opéra inédit,
l'Erebo, du maestro Gianetti, qui doit avoir pour interprètes M^'i^^ Del
Torre etCucini, MM. Zerni, Vinci et Di Grazia.
— Très grand succès, au théâtre San Carlos de Lisbonne, le 21 mars,
pour la représentation d'un opéra national, fruit rare en ce pays. L'ou-
vrage, en quatre actes, a pour titre Frei Luiz de Sousa, et le compositeur
a nom Francisco de Freitas Gazul. Le poème est tiré d'un drame d'Al-
meida Garrett, fameux en Portugal, et qui, sous le bénéfice des suppres-
sions nécessaires, a été suivi presque pas à pas par le librettiste. Repré-
senté devant une salle comble, l'opéra nouveau a été accueilli avec
transport par un public qui, à la question d'art, mêlait une sorte de sen-
timent de patriotisme d'ailleurs bien naturel. Au surplus, l'œuvre parait
être d'une grande importance et d'une réelle valeur. On en vante surtout
la facture, et tout particulièrement l'instrumentation, qui l'une et l'autre
sont d'un sentiment moderne très accusé, y compris l'emploi du leitmotiv
à la manière de Richard Wagner, dont le compte rendu du journal de
musique Amphioii nous cite un exemple. « Le persimnage de Magdalena,
dit ce journal, est toujours accompagné par une phrase mélodique qui se
présente en premier lieu sur la quatrième corde des violons, et qui en-
suite se reproduit sous diverses formes, selon la situation. C'est elle qui
caractérise tous les élans dramatiques d'une importance capitale. » Les
interprètes de Frei Luiz de Souza, qui ont pris leur bonne part du succès,
sont Mi"« Helena Theodorini et Linda Brambilla, MM. Gabrielesco, Me-
notti, Wulmann et Mastrobuono ; quant à l'exécution générale, dirigée
par l'excellent chef d'orchestre Mancinelli, elle a été au-dessus de tout
éloge. Tout fait présager un succès durable et prolongé.
— Les choristes de l'Opéra allemand de New-York, au bénéfice desquels
la cantatrice Antonia Mielke a donné une représentation de Fidelio qui a
rapporté à chacun d'eux environ 90 francs, ont, à l'issue du spectacle,
régalé leur bienfaitrice d'une sérénade en plein air, ce qui a obligé la Can-
tatrice à se tenir pendant une heure accoudée à son balcon, au milieu
de la nuit. Secourez donc votre prochain !
PARIS ET DEPARTEMENTS
Le ministre des beaux-arts vient de rentrer à Paris. Ces jours-ci, il
recevra les divers candidats à la direction de l'Opéra. La nomination,
pour la période de 1892 à 1899, serait faite, dit-on, dans la huitaine.
' — M. Paul Gros traite dans le journal Paris la question de l'Opéra. Notre
confrère trouve un peu trop arrogante l'attitude de MM. Ritt et Gailhard,
qui déclarent que « si l'on n'accepte pas les modifications au cahier des
charges qu'ils demandent, ils se retireront ». Après avoir qualifié comme
elle le mérite cette attitude, M. Paul Gros arrive à la question des décors:
La grosse quession, on le sait, est celle des décors. Il faut, pour remettre le
matériel au point oii il était au moment de la prise de possession de l'Opéra par
MM. Kitt et Gailhard, dépenser bien près de 3UO,000 francs ; ces messieurs les
paieront d'ailleurs, car ils ont contre eux le texie et l'esprit du cahif r des charges
qu'ils ont signé.
Ont-ils, d'autre part, créé un matériel nouveau ?
Examinons d'abord comment agissaient leurs prédécesseurs.
M. Halanzier a créé pour 1,320,730 francs de matériel; il en a détruit pour
277,144 francs. Le matériel détruit est le matériel de Jeanne d'Arc, pièce tombée
à la sixième représentation. Bénéfice pour l'État : 1,052,580 francs.
M. Vaucorbsil a créé pour 1,259,364 francs de matériel, il en a détruit pour
346,776 francs. Le matériel détruit est celui de .a Reine de Chypre et de la Reine
Berthe. Ces deux ouvrages n'avaient pas eu de succès. Bénéfice pour l'État :
912,586 francs.
Quant à MM. Ritt et Gailhard, ils ont créé, en six ans, pour 1,006,793 francs
de décors (te Mage n'est pas compris dans ce chiffre). Ils en ont détruit pour
1,135,797 francs. En ajoutant le Mage aux ouvrages créés par eux, ifs auront donc
détruit autant qu'ils auront créé. Les ouvrages détruits sont ; Potyeurle, la Source,
le Tribut de Zamora, Namouna, Sajj/io, Yedia, la Dame de Monsoreau, et un acte
ou deux du ballet le Fandango.
Ainsi, tandis que MM. Halanzier et Vaucorbeil laissaient après eux un matériel
bien entretenu et augmenté d'une valeur considérable, MM. Ritt et Gaillhard
laissent un matériel qui exigera une dépense de réfection évaluée à 300,000 francs,
et tous leurs efiorts auront abouti, au point de vue du matériel nouveau, à zéro.
MM. Halanzier et Vaucorbeil détruisaient le matériel de Jeanne d'Arc, de la
Reine de Chypre et de la Heine Uerthe: MM. Ritt et Gailhard ont détruit Polyeucle,
la Source, Xamouna, Saplw, Yedda, qui devraient, pour l'honneur de notre pre-
mière scène lyrique, rester au répertoire!
Voilà dos faits indéniables. Et ce sont ces gens-là qui parlent d'imposer leurs
conditions?
Une retenue de 2 0/0 sur la recette pour l'entretien du matériel est imposée
aux nouveaux directeurs, et nous comprenons que M. Blavet, que M. Bertrand,
que SI. Porel demandent des adoucissements à cet article. Mais MM. Ritt et
Gailhard! !!
— La dernière réunion du jury du concours Cressent a eu lieu samedi
soir, au Conservatoire. Les jurés, au nombre de six, étaient MM. Bou-
langer, président, Théodore Dubois, secrétaire,. Victorin Joncières,
Lenepveu, Chabrier et Messager. MM. des Chapelles, chef du bureau des
théâtres, et Régnier, sous-chef, assistaient à cette séance, dans laquelle
ont été examinées, pour la troisième fois, les partitions réservées. Le
prix a été décerné à la partition n" 6. L'enveloppe correspondante à ce
numéro a été ouverte par M. des Chapelles : elle contenait le nom de
M. Fournier. M. Fournier est encore au Conservatoire, dans la classe
que dirigeait, il y a trois mois à peine, le regretté Léo Delibes, à qui
vient de succéder M. Théodore Dubois. Il a obtenu le second grand prix
au dernier concours de Rome. Le livret proposé cette année aux concur-
rents du prix Cressent n'était pas, comme précédemment, un opéra-
comique, mais un opéra en un acte, Stratonice, de M. Louis Gallet.
— Il est question, à lOpéra-Comique, d'une reprise de Joseph avec
M""^s Simonnet, Deschamps-Jehin et M.Renaud.
— On se rappelle que des notes insidieuses, envoyées on ne sait par
qui, ont fait récemment le tour de la presse, annonçant avec des détails
précis qu'une représentation scandaleuse avait eu lieu à Pétersbourg avec
M}'" Van Zandt comme héroïne. Voici un document officiel qui mettra fin,
il faut l'espérer, à la campagne de persécution entreprise contrôla pauvre
divette ;
Ministère de l'Intérieur. Police de Saint-Pétersbourg. Commissaire du premier
arrondissement du quartier de l'Amirauté. Le 4 mars 1891, n° 1982.
CERTIFICAT.
Le présent a été délivré à l'avocat de la Cour de justice de Saint-Pétersboui'g,
Nicolas Karabtschevsky, fonde de pouvoir de la citoyenne américaine Marie Vau
Zandt, par suite de la demande qu'il en a faite personnellement et conformément aux
ordres de M. le Préfet de Saint-Pétersbourg, pour faire foi que les nouvelles
publiées de Saint-Pétersbourg dans les journaux parisiens concernant les faits
suivants, qui auraient prétendument eu lieu avec l'artiste M"" \'an Zandt, sur la
scène du Petit-Théâtre, pendant une représentation de l'opéra Mignon, avec le
concours de cet artiste, sont dénuées de fondement, et que, notamment: 1° M"" Van
Zandt n'a pas chanté l'air do Lakmé pendant que l'orchestre exécutait Mignon;
!i^0
LE MÉNESTKEL
2° W Van Zaudt n'est pas tombée et ne s'est pas blessée contre l'abri du souffleur,
3° le spectacle a marche du commencement jusqu'à la fin dans son ordre habi-
tuel, sans provoquer aucune perturbation de la tranquillité publique et n'a été
marqué d'aucun scandale que ce soit ; i^" le public n'a point exigé qu'on baissât
la toile, mais il a, au contraire, exprimé son approbation à l'artiste, en applaudis-
sant M"" Van Zandt pondant et après le spectacle.
Le commissaire de police Wendorl (Z.-L.). Traduction conforme à l'original
russe. G. Koumanine, traducteur juré près le tribunal d'arrondissement de Saint-
Pétersbourg. Légalisé à l'ambassade de France et signé par l'ambassadeur Laboulaye.
— Des lectures d'essai ont été faites, salle Erard, ces jours derniers,
en vue du choix des oratorios que la Société des grandes auditions musi-
cales de France compte faire entendre à ses abonnés, en mai, au Troca-
déro. Jeudi a eu lieu une dernière lecture, dirigée par M. X. Perreau, à
la salle Pleyel. Tout le comité, présidé par M. Ambroise Thomas, y
assistait. On s'est décidé à l'unanimité pour Isniël en Egypte, de Haendel,
et pour les Veillées de Noël, de Bach. Ces oratorios sont inconnus en France.
Israël en Egypte est exécuté en Angleterre avec une grande solennité; les
masses chorales sont d'un effet saisissant. Nous reviendrons prochaine-
ment sur les détails de l'exécution et sur la seconde partie du programme
de l'année.
— Vendredi prochain 17 avril, au théâtre d'Application, à trois heures,
troisième et dernière conférence de notre collaborateur Arthur Pougin,
sur Gluck et la réforme de l'opéra français. Le conférencier passera en revue
les cinq chefs-d'œuvre que Gluck a donnés à la scène française, caracté-
risera la réforme si importante opéréepar le compositeur sur notre système
de musique dramatique et fera un talileau de la guerrre héroï-comique des
gluckistes et des piccinnistes. M"" Boidin-Puisais et M. "VVarmbrodt chante
ront divers morceaux d'Orphée, d'Alcesle, iVArinide et à'Iphigénie en Tauride.
— Faites donc de la grande musique! M. Taillefer, le directeur du
théâtre des Arts, à Rouen, qui avait représenté dans sa saison la Salammbô
de M. Reyer et le Lohengrin de Wagner (rien que cela I), vient d'être
obligé de déposer son bilan. On pense qu'un accord pourra se faire entre
les artistes, qui continueraient l'exploitation du théâtre, à leurs risques
et périls, jusqu'à la fin de la saison.
— Le succès éclatant que Lohengrin vient de remporter à Bordeaux a
donné naissance à une mignonne et fort élégante brochure, dans laquelle
M. Georges PiUod, rédacteur du Bordeaux-Journal, a tracé une analyse rapide
et intéressante du poème et de la partition. Dans la Gironde, où notre con-
frère Anatole Loquin a publié tout d'abord un compte rendu très étudié
du chef-d'œuvre de "Wagner, qu'il admire avec enthousiasme, en donnant
aux interprètes, MM. Muratet et Seguin, M"^ Baux et Furch-Uadi, les
éloges qu'ils méritent, il revient sur la profonde impression reçue par le
public et sur l'importance du succès obtenu. Puis, en constatant la pré-
sence de M. Lamoureux à la seconde représentation et la satisfaction dont
celui-ci donnait les preuves, il nous apprend une nouvelle : « Ajoutons,
dit-il, comme renseignement pouvant intéresser tous les dilettantes, que
M. Lamoureux annonçait hier soir qu'il allait de nouveau monter Lohengrin
à Paris, espérant bien cette fois pouvoir le jouer sans encombre. »
— La Fédération des sociétés musicales de F'rance, qui compte plusieurs
membres du Parlement et de grands artistes dans son comité d'honneur,
donnera au mois de juin sa deuxième fête fédérale à Saint-Germain-en-
Laye. Au programme de cette solennité, on aura la première audition de
Vox Populi, ode composée par l'un de nos jeunes prix de Rome, M. Georges
Hûe, qui sera exécutée par 800 chanteurs et instrumentistes de nos meil-
leures sociétés parisiennes. M. le président de la République et M. le mi-
nistre de l'intérieur ont bien voulu promettre des prix destinés à récom-
penser le mérite social et moral des sociétés musicales, et M. le ministre
des beaux-arts récompensera celles dont l'édacation artistique est tout à
fait remarquable.
CONCERTS ET SOIREES
M. et M""' de F'ranqueville viennent de donner la première soirée
d'une série de quatre annoncées pour cette saison, et ont ainsi brillam-
ment rouvert les salons de la Muette, fermés depuis la mort de M.'"' Erard.
Au programme M""^ Caron, qui a dit d'une façon admirable les airs de
Fidelio (Ah! infâme)' et du Cid (Pleurez, mes yeux) et l'exquise mélodie
Myrto, de Delibes, et MM. Diémer, le prestigieux virtuose, et Delsart, inter-
prètes supérieurs de deux pages de MM. Lalo et Widor.
— Il y a eu cette semaine, chez la vicomtesse de Trédern, une véritable
solennité musicale. On y a joué, devant un parterre de dilettanti choisis,
le premier acte de Lohengrin et le duo d'amour du troisième acte. M"'= de
Trédern faisait Eisa; M"" Kinnen, la fauvette américaine, Ortrude ;
MM. Engel, Lohengrin ; Plançon, le roi; le comte de Gramedo, Frédéric;
et Quesnel, le hérault. M.Gabriel Marie conduisait l'orchestre. La soirée,
au début de laquelle on avait applaudi M. Plançon dans les Ménétriers,
de M"" Chaminade, M™' Kinnen dans l'air de l'Italiana in Algieri, et
M""= de Trédern dans la brillante Tarentelle de M. Th. Dubois, n'a été
qu'une longue ovation pour tous les interprètes.
— MM. A. Géloso et Dressen donnentchaque année trois séances de mu-
sique de chambre. Parmi les ouvrages exécutés dans la seconde séance
de la saison actuelle, citons un bon trio de M. "V. d'Indy remarquable-
ment interprété par MM. A. Géloso, Dressen et l'auteur. Citons encore la
sonate de Grieg pour piano et violoncelle, que M. Dressen a exécutée en
violoncelliste des plus distingués. Le pianiste M. Géloso, très applaudi
dans le trio de Rubin'stein, et M"» Lépine, avec sa voix si pure, complé-
taient le programme de cette intéressante séance. Pour le concert du
6 mai, on annonce le quintette de M. Chevillard, des mélodies de
M. René Lenormand, etc.
— Les concerts d'orgue et orchestre du Trocadéro, fondés en 1878 par
M. Alexandre Guilmant, auront lieu cette année les jeudis li. SJl, 28 mai
et 4 juin. M. Ed. Colonne conduira l'orchestre, et les artistes les plus
éminents apporteront le concours de leur talent à la partie vocale et ins-
trumentale. Bach et Htendel formeront, comme toujours, la base des pro-
grammes de ces concerts si éminemment artistiques.
— CosCERTS lîT Soirées. — Lundi dernier, M'"" Lafaix-Gontié a donné une eicel-
lente matinée pour l'audition de ses élèves de piano et de chant. On a beaucoup
applaudi, dans la partie vocale, les gracieuses interprètes daCrucifix, de M. Faure,
du Héfeil, de M. Weckerlin, de l'Étoile, de M. Limnander, et, dans la partie instru-
mcLilale, l'exécution 1res biillante de la Garulte du pays de Galles, de M. J. Ru-
bini. — Très brillante soirée, lundi également, chez notre confrère M. Joseph
Denais. Au programme -M"" de Lapeyrière, Laœberti, le ténor Rondeau,
M. Pierret, un jeune pianiste de grand avenir, et le poète Jean Rameau. Nous
avons entendu UEie série des Mélodies populaires de France, de M. J. Tiersot;
parmi les plus goûtées, citons la. Mort du roi Renaud, le Rossignolet du Bois-Joli et
la Mort du mari, interprétées avec goiit par il"' Lamberti et M. Rondeau. — A
la soirée donnée par M. A. Lopez, parmi les artistes qui se sont fiit le plus
applaudir uous citerons iVl"'" Patcret, Martinet, Félicienne Jarry, charmante can-
tatrice d'un goût parfait, et M™' Hettich, qui a exécuté avec beaucoup de grâce
la Mélancolie, de il. Félix Godetroid. La société chorale « l'Abeille » a ouvert la
séance, en disant très bien le chœur des gardes-chasse du Songe d'une Nuit d'été.—
Un très beau concert a élc donné mercredi dernier 1" avril, dans les salons
Pleyel, par le professeur M. Eugène Schneider. Le programme était des plus
intéressants. A côté de plusieurs morceaux de la composition du bénéficiaire, on
a applaudi notamment un duo de Jeui de Nivelle et le prélude de Bach, magis-
tralement exécuté. — Lundi 6 avril, l'École classique de musique et de décla-
mation de la rue Charras donnait sa 6""° audition. Se sont fait particulièrement
remarquer : M""^ Desprez el M" Melcourt, élèves de M. ilarcel, il"* Ilardel, har-
piste de talent, élève de il"" Landoux, une élève de M. Chavagnat, M"° Le-
gendre, pianiste d'avenir qui a brillamment enlevé le concerto en sul mineur de
ilendelssohn, il. Albei t ilaugras, élève de M. Lancien, et les élèves de il. Sadi-
Pety dans les Femmes savantes de Molière. — Le concert donné jeudi dernier à la
salle Kriegelstein, par il"" Maiie Veyssier, était composé d'éléments de premier
ordre, grâce auxquels l'attention du public a été tenue constamment en éveil.
La bénéficiaire a fait entendre une voix souple et pleine de charme, guidée
par une méthode sûre, dans l'air des clochettes de Laknié. et deux mélodies de
M. E. Bourgois. On a fait fête également aux élégantes compositions de il"" Cha-
minade, interprétées par l'auteur, au jeune et brillant pianiste Léon Delafosse,
au baryton ilelchissédec qui a dit l'air du Caid avec un entrain merveilleux, à
M"' Du ilinil, de la Comédie-Française, à M. Ronchini, enfin, au spirituel chan-
sonnier Georges Piter.
Concerts annoncés. — Mardi prochain 14 août, à la salle Erard, concert annuel
de M"' Conneau, avec le concours de ilM. Pol Plançon, Engel, Diemer, Tatlanel,
Delsart et Mounet-SuUy. — Jeudi 16 avril, salle Êrard, concert donné par M"" Vic-
toria Barrière, avec le concours de il"" Domenech, de l'Opéra, et de ilM. Raoul
Pugno, Paul Viardot, Cottin frères et Mariotti. — ilardi 14 avril, salle Pleyel-
iVolff, M"* iladeleine Jaeger. — Vendredi 17, salle Erard, concert de il. et
il'"" ilenjaud, avec le concours de il"" Daroelle, Ragani (de la Renaissance),
ilM. Jourdan et Caron (de l'Opéra), R. Lavello, Barraine et Georges ilaton. —
Dimanche 19, à 2 heures, salle Kriegelstein, audition des élèves de M. Lucien
Lel'ort, professeur de violon et d'accompagnement, suivie d'un concert, avec le
concours de M»' Séguin-Loyer, de Mit. Clément (de l'Opéra-Comique), Galipaux,
ilariotti, Launay, E. Roux et Karren. — Lundi 20, salle Pleyel-iVolff, M"" Adèle
Querrion, avec le concours de MM. Reynier el ilarthe, — ilardi 21 et lundi 27,
salle Erard, il"" Clotilde Kleeberg.
Henri Heugel, directeur-gérant.
ÉCOLE MUNICIPALE DE MUSIQUE DE BESANÇON (Douhs)
Un concours aura lieu à Besançon, le 23 avril 1891, pour la nomination
à l'école municipale de cette ville, d'un pro/esseiir de solfège, qui sera chargé
en outre de l'emploi d'Alto-Solo ou à défaut de 1"' Violon à l'orchestre du
théâtre, avec les appointements de 1,800 francs par an. (Ce traitement
sera toutefois susceptible d'augmentation.) — Les postulants devront, avant
le 20 avril prochain, faire parvenir à la Mairie de Besançon, leurs demandes
indiquant leur nom, âge, nationalité, lieu de naissance et domicile. — Ils
y joindront leurs diplômes, certificats et références de toute nature.
En vente chez Mackar et Noël, éditeurs
22, passage des pMiuiramas. Paris
Les œuvres du céliiire cnmpnsiiear russe
P. TSCHAIKO'WSKY
, — JlMPRlMElUE CIIAIX,
3133 — 57"' imm — r i6.
Dimanche 19 Avril 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul ; 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 3u fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste eo sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (5« article), Albert Soubies et Charles
Malheube. — 11. Semaine théâtrale: première représentation des Folies amou-
reuses, a l'Opéra-Comique, H. Moreno. — III. Napoléon dilettante {¥ article),
Edmoîid NEUKO.MM et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
- MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour ;
LE MEILLEUR MOMENT DES AMOURS
mélodie de Léo Delibes, poésie de Solly-Prudhomme. — ■ Suivra immédia-
tement : Madame l'hirondelle, n° 6 des Rondes et Chansons d'avril, musique
de Cl. Bl.\nc et L. Dauphin, poésies de George Auriol.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Romance, pièce extraite de Conte d'avril, musique de Ch.-M.
WiDOR. — Suivra immédiatement: Sérénade rococo, de Robert Fischhof.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles ]VtA.L,HEFlBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
(Suite.)
L'année 1861 commençait médiocrement pour la fortune
du théâtre; la suite, sauf pour une pièce oa deux, devint
franchement désastreuse, et nous ne pouvons résister à la
tentation de présenter en un groupe toutes ces nouveautés;
les voici par ordre de date :
4 mars. — Le Jardinier galant, 2 actes, paroles de Leuven et
Siraudin , musique de Poise. 21 représen-
tations.
— Maître Claude, 1 acte, paroles de Saint-Georges et
de Leuven, musique de Jules Cohen. 56 repré-
sentations.
— Roi/al-Cravate, 2 actes, paroles du comte de Mes-
grigny, musique du duc de Massa. 8 représen-
tations.
— Salvator Mosa, 3 actes, paroles de Grange et Tria-
non, musique de Duprato. 11 représentations.
— Silvio-Silvia, 1 acte, paroles de J. Brésil, musique
de Paul d'Estribaud. 11 représentations.
18 mars.
12 avril.
.30 avii
IS mai.
18 mai. — La Beauté du Diable, 1 acte, paroles de Scribe
et Emile de Najac, musique de Gialio Alary.
13 représentations.
17 juin. — Marianne, 1 acte, paroles de Jules Prével, musi-
que de Théodore Ritter. 42 représentations.
11 décembre. — Les Recruteurs, 3 actes, paroles de Gallois et
Vulpian, musique de Lefébure-Wély. 10 repré-
sentations.
Que d'ouvrages oubliés dont on pourrait redire :
Si j'en connais pas un, je veux être pendu !
Le Galant Jardinier, répété sous le nom d'André, gardait
quelque analogie avec une pièce de Glapisson, Madame Gré-
goire, qu'on jouait dans le même temps au Théâtre-Lyrique.
Le titre n'était point celui d'un personnage, mais celui d'un
recueil de chansons que le poète Collé venait de publier
contre la Pompadour. Celle-ci, bien vite, chargeait la police
de saisir les exemplaires qu'on finissait par retrouver, après
quelques péripéties, au fond d'une hotte de fleurs oii le cou-
pable les avait cachés, tandis qu'il tâchait d'échapper aux
mains des exempts. Avec sa touche fine, sa manière discrète
et simple, Poise était le compositeur tout indiqué pour un tel
livret; il excellait déjà dans ce genre tout spécial delà mu-
sique rétrospective ; depuis il s'y est maintenu et sa cons-
tance a fini par rencontrer le succès.
Plus jeune que lui, Jules Cohen débutait au théâtre avec
Maître Claude, un des plus curieux exemples d'anachronisme
(et d'anachronisme inutile) qu'on puisse citer. La mise en
scène se rapportait en effet au XVIIP siècle, et l'on consta-
tait d'ailleurs la présence du Roijal-Lorraine, régiment créé à
la fin du dix-septième. Or, l'action se passait en réalité au
commencement du XVII" siècle, et maître Claude n'était
autre que le grand paysagiste Claude Lorrain. Présenté
comme un mari jaloux, il était forcé de recevoir en passait
certain colonel dangereux qui, s'il dédaignait les jeunes
filles, poursuivait volontiers les jeunes femmes.
Jules Cohen, qu'avait déjà signalé à l'attention des con-
naisseurs la musique des chœurs à'Alhalie, vit trois des mor-
ceaux de sa partition bissés le soir de la première; aussi la
critique ne manqua-t-elle pas d'écrire : « C'est une musique
fleurie d'idées, .de motifs, de mélodies. » La pièce eut du
reste une carrière assez honorable pour justifier ce satisfecit
qu'on accorda plus chaleureusement encore en cette même
soirée à un autre débutant. Gourdin, élève de fontana, Moc-
ker et Duvernoy. Ce baryton avait obtenu un premier accessit
de chant, lo premier prix d'opéra-comique et le second
d'opéra, au concours de 1860. Doué d'une agréable voix et
habile comédien, il ne devait fournir à la salie Favart qu'une
carrière de quelques années : la mort vint le surprendre en
pleine force de jeunesse et de talent.
122
LE MENESTREL
Sortir avec Maître Claude du Royal-Lorraine pour entrer dans
le Royal-Cravate, c'était ne pas quitter l'armée. En quête
d'aventures, un ofEcier et son brosseur font invasion chez
un aubergiste dont ils prennent momentanément la place
afin de recevoir deux voyageurs, un oncle et une nièce dont
il s'agit de toucher le cœur. La ruse est découverte ; mais
il se trouve que l'oificier est l'enfant naturel du voyageur,
ce qui lui permettra sans trop de peine d'épouser à la fin sa
cousine de la main gauche. Pièce et musique se valaient
par la simplicité, sinon par l'intérêt; du moins on vit rare-
ment ouvrage enfanté par de plus nobles parents, MM. de
Mesgrigny et de Massa; un comte pour librettiste, un duc
pour compositeur. On sait que le frère de ce dernier, le
marquis de Massa, a, depuis, trouvé la réussite au théâtre
dans une autre voie et que ses nombreux succès dans les
salons aristocratiques l'ont conduit un jour à la Comédie-
Française qui a représenté en 1882 un agréable petit acte
intitulé Service en campagne. Du reste, le nom du marquis de
Massa se trouve indirectement lié à l'histoire même de la
seconde salle Favart. Une revue composée par lui et donnée
dans une représentation extraordinaire, est, en effet, la der-
nière nouveauté qui se soit produite à ce théâtre, avant l'in-
cendie qui l'a consumé.
Il était écrit qu'au cours de cette année 1861, les peintres
deviendraient des héros d'opéra. Après Maître Claude Gelée,
dit le Lorrain, voici venir « l'épée en main et la plume au
chapeau » Salvator Rosa. Les auteurs. Grange et Trianon, s'étaient
dit qu'une aventure de plus ou de moins n'étonnerait pas
chez un personnage qui en eut tant; ils l'avaient donc mon-
tré s'affublant d'oripeaux de bateleur pour jouer la parade
et provoquer une bagarre dans laquelle il enlevait une jeune
fille, moyen ingénieux de servir les amours d'un sien élève
dont jadis il avait tué le père en duel. Mais au cours de
l'équipée, il devient amoureux pour son propre compte, et
cette volte-face amènerait un second duel si le souvenir du
premier ne l'arrêtait à temps sur la pente de la passion.
Alors, pour inspirer à celle dont il a conquis le cœur, non
seulement le dédain, mais même le dégoût, il finit par se
griser abominablement, situation bien souvent reproduite
depuis Mélesville qui, pour son Sullivan, en avait fait usage.
La partition ne put sauver le poème. Il semblait que Duprato,
si habile à esquisser uu lever de rideau, trouvât le poids
d'un long ouvrage trop lourd pour sa muse. Le fait est qu'il
écrivit seulement deux pièces en trois actes ; Salvator Rosa,
et plus tard aux Folies-Dramatiques la légendaire Tour du
Chien vert : l'une et l'autre sombrèrent.
Ajoutons que le rôle de Lorenza fut la première et unique
création à l'Opéra-Comique de M"'' Saint-Urbain, une belle
et agréable chanteuse qui avait étudié en Italie, et s'était
produite avec succès aux Italiens en 18S8, où le 11 février
elle avait joué, la première en France, le principal rôle de
Martha, l'opéra de Flotow, importé d'Autriche. A la salle Fa-
vart, elle avait débuté brillamment le 24 janvier dans la Fille
du régiment, et ce fat alors qu'on vit disparaître, non sans
regret, un simple figurant qui pouvait se vanter d'avoir long-
temps tenu sa place et fait du bruit dans l'ouvrage de Doni-
zetti. Jusqu'au dernier jour il avait égayé le public non seu-
lement par sa taille exiguë, mais par l'ardtjur et la conviction
avec lesquelles il battait de la caisse dans son rôle modeste
de tambour. Il est de ces « utilités » qu'on ne remplace pas ;
notre petit homme fut du nombre.
Que dire des amours d'un voyageur déguisé en femme avec
la fille adoptive d'un brigand entre les mains duquel il est
tombé? C'était le sujet imaginé par J. Brésil pour le petit
acte : Silvio-Silvia, sujet scabreux mais acceptable à condition
d'être traité sérieusement, et que rendit ridicule -la fantaisie
du directeur qui lui donna les allures d'une pochade de car-
naval. Comme le compositeur de l'Habit de Mylord, le compo-
siteur de Silvio-Silvia, M. d'Estribaud, appartenait au monde
de la bourse : ce qui fit dire à certain journal que la musique
et les chiffres ne sont pas absolument incompatibles, et il
ajoutait plaisamment : « La méthode Chevé le prouve à sa
façon ! » Mal encouragé par ce second essai (M. d'Estribaud
avait donné auparavant une opérette aux Bouffes), le débutant
fit bon marché de son talent, qui était réel; il n'insista pas
et dit adieu au théâtre.
Treize jours après Silvio-Siluia parut la Beauté du Diable. Le
soir de la première, Palianti, le régisseur, parut devant le
public, suivant un usage qui tendait à persister, et dit :
« Mesdames et Messieurs, la pièce qu'on vient d'avoir l'hon-
neur de représenter devant vous est de M. de Najac, pour les
paroles, et de M. Alary, pour la musique. » A la troisième re-
présentation, l'affiche modifia cette déclaration en désignant
par XXX un second librettiste. Ce collaborateur masqué
n'élait rien moins que Scribe, feu Scribe, qui venait de
mourir le 20 février précédent, encensé par les uns, bafoué
par les autres, mais laissant, du moins dans les théâtres de
musique, le souvenir d'un incomparable inventeur, plein
d'esprit, habile à trouver une situation, à conduire une action,
à dénouer une intrigue, en outre, doué d'une fécondité sans
pareille et se pliant avec une étonnante souplesse aux ca-
prices de chaque compositeur. On se disputait l'honneur et
les profits assurés de sa collaboration. La mort n'arrêta pas
cet élan, et l'on vit surgir, depuis, maintes pièces dont on
ne saurait charger sa mémoire, car il ne les aurait jamais
laissé arriver jusqu'à la rampe sans retouches. A Bruxelles,
par exemple, on donnait pour la première fois, le 27 février
1878, aux Fantaisies-Parisiennes, un opéra-comique en trois
actes, la Fée des Bruyères, musique de Samuel David, paroles
de J. Adenis et... Scribe. Le même ouvrage était joué à Paris
au Château-d'Eau le 7 juillet 1880 : il y avait donc alors dix-
neuf ans que l'un des auteurs n'était plus.
Nestor Roqueplan écrivait un jour : « Une loi mystérieuse
de la nature veut que la femme, même la moins belle, à un
jour, à une heure de la jeunesse, illumine tout à coup son
visage d'un charme qui la fait aimer : cette transfiguration
fugitive, cette beauté d'un moment, s'appelle la beauté du
diable. » Ce n'est point de celle-là qu'il s'agissait dans
la pièce de Scribe. Son diable est un riche forgeron du Hartz,
venu dans la vallée pour acheter certain château, hanté,
dit-on, par les esprits. Son air inculte le rend fort déplaisant,
jusqu'au jour oir, prenant un peu plus de soin de sa personne,
il se fait rechercher par une riche héritière.
Mais l'histoire de l'ouvrage était bien plus curieuse que
l'ouvrage lui-même. Quelque douze ans auparavant, dans les
premiers temps de la direction Perrin, Scribe vint un jour
au comité de lecture, composé alors des principaux artistes
du théâtre, et leur tint à peu près ce langage : « Messieurs,
l'ouvrage que je vous apporte et que je vais avoir l'honneur
de vous lire, c'est la dot d'un jeune compositeur qui va
bientôt se marier. Compositeur! s'est d'abord écrié le futur
beau-père. Qu'est-ce que cela signifie? Qu'est-ce que cela re-
présente? Un magnifique revenu quand on s'appelle Auber
et qu'on a beaucoup de pièces au répertoire; mais quand on
n'en a pas une et qu'on n'a même pas débuté, mieux vaudrait
la plus petite dot!... Messieurs, j'ai compris l'objection et je
me suis engagé à y répondre, autant qu'il dépendait de moi.
Vous connaissez tous M™"= Damoreau ; c'est son fils qui se
marie et qui écrira la musique de mon poème si vous le
recevez. »
Le poème fut reçu; le jeune homme se maria; mais il
n'écrivit point sa partition, parce que la mort l'arrêta en
route. Alors, le Beauté du Diable, qui s'appelait primitivement
le Chaîne d'acier, passa aux mains de Giulio Alary, compositeur
formé à l'école italienne, auteur d'une sorte de symphonie-
mystère intitulée Rédemption, exécutée en 18SÛ dans un concert
spirituel, et d'un opéra-comique en trois actes, la Tre Nozze,
représenté à Ventadour le 29 mars 1851. Seulement, il lui
fallut s'armer de patience et attendre. Aussi, le soir de la
première, put-il, en tirant de sa poche un énorme cigare,
i
LE MÉNESTREL
123
raconter l'histoire suivante aux amis qui l'interrogeaient sur
la provenance et les dimensions de cette merveille : « C'est
un cigare de neuf ans. Ce monument de tabac me fut donné
par le duc de **'' le jour où je lui annonçai que j'avais traité
pour un acte à l'Opéra-Comique. — Gardez-le, me dit-il, pour
le fumer après votre première représentation. — Je le gardai
précieusement. Gomme ma pièce a fait en neuf ans le trajet
de mon portefeuille à la rampe, j'ai gardé neuf ans le cigare
du duc. S'il eût été égaré ou gâté, il est clair qu'on n'eût
jamais joué ma partition. Au contraire, je n'ai jamais déses-
péré, malgré tant de lenteurs, de ma Beauté du Diable, parce
j'avais pu conserver le cigare destiné à réjouir mon succès
ou à consoler ma défaite. » Ce petit discours prouva que le
compositeur était superstitieux. Or, sa pièce obtint justement
treize représentations : le cigare ducal n'avait pas suffi à lui
porter bonheur. (A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
LES FOLIES AMOUREUSES
Opéra-comique en trois actes, d'après Regnard,
De MM. Leneka et Matbat , musique de M. Emile Pessakd.
Ayant à parler de la charmante et originale musique composée
par M. Widor pour le Conte d'avril de M. Dorohain, un de nos
éminents critiques — je ne sais plus lequel, tant il y a d'éminences
parmi eux — u'hésitail pas à qualifier d'« invertébrée » la petite
partition si neuve et si colorée du jeune maître, qu'il trouvait trop
flottante et trop indécise à son gré. Il est vrai qu'il avouait peu
après, avec une entière bonne foi, qu'après tout il ne se reconnais-
sait pas grand clerc en musique et qu'il lui était permis ds se trom-
per. N'importe ! le mot était joli, et nous reconnaissons qu'il s'ap-
pliquait assez justement à certaines parlies de l'œuvre de M. Widor.
Nous sommes bien certain que l'éminent critique ne fera pas le
même reproche à la musique de M. Emile Pessard, car c'est précisé-
ment par les « verlèbres » qu'elle brille. Si la chair n'en est pas
toujours très l'raîche et savoureuse, il n'y a rien à reprendre du
moins à l'ossature des morceaux, qui reste toujours puissante et même
un peu massive. Sur les sujets les plus riants, oii il conviendrait
sans doute de glisser au lieu d'appuyer, M. Pessard aime à s'étendre
compendieusement. Il ne nous fait grâce d'aucune virgule, ni
d'aucun soupir ; il aime à metlre les points sur les i et à les y écraser
au besoin. Cette tendance élail déjà manifeste dans l'œuvre précé-
dente du même compositeur, ce Tabarin qui vécut à l'Opéra l'espace
de quelques soirs. Calte fois, M. Pessard s'est efforcé d'avoir la main
plus légère, c'est bien certain, mais cet effort même prouve que la
grâce et les chansons ne sont pas dans sa nature. Dans ces Folies
amoureuses, presque tout est hors de proportion : où il faudrait des
ariettes, nous avons des airs en règle, et les finales s'y allongent
démesurément. Il n'y a pas là le faire d'un maître en la matière
comme Léo Delibes, pas même la malice ingénue d'un Poise, qui
a signé dans ce genre quelques petites œuvres achevées.
Est-ce à dire que la musique de M. Pessard soit insupportable ?
Ce n'est pas noire pensée. Elle a le grand mérite de ne pas forcer
l'attention et de laisser chacun libre de penser en paix à ses affaires
particulières. Elle vaut donc mieux à tout prendre que les fausses
sentimentalités et les partitions larmoyantes dont on nous accable
quelquefois, et qui, tout en étant aussi insignifiantes au fond que les
faridondaines de M. Pessard, ont le tort de nous préoccuper inutilement.
Il est à croire que le public courant de l'Opéra Comique du Chà-
telet fera bonne figure à celte petite binette, dont le poème est tiré
d'une amusante comédie de Regnard et adapté fort habilement aux
exigences d'une composition musicale par MM. André Leneka et
Emmanuel Matrat. La pièce est plaisante et fertile en incidents
comiques, et elle est défendue admirablement par ses interprètes,
en tête desquels il faut citer l'excellent Fugère, qui nous donne là
une réédition très amusante de son Barlholo du Barbier de Séville.
Soulacroix aussi a de l'entrain, comme M""" Mole, tout à fait char-
mante et comédienne de la bonne école sous la cotte de Lisette.
M"'- Landouzy tient le personnage d'Agathe, rôle difficile à traves-
tissements multiples; elle vocalise joliment et, comme gênée dans
les commencements, s'est échauffée peu à peu jusqu'à devenir un
véritable petit volcan vers la fin. N'oublions pas le ténor Carbonne
très à point dans le rôle de Glitandre.
ADIEU, MESSIEURS!
Au moment de maître sous presse, nous recevons l'agréable nou-
velle de la nomination de M. Bertrand à la direction de l'Académie
nationale de musique. C'est un galant homme qui en remplace deux
autres qui... l'étaient moins. Nous ne pouvons aujourd'hui nous
appesantir longuement sur cet heureux événement. Disons seulement
que le départ de MM. Ritt et Gailhard est un véritable soulagement
pour tous ceux qui s'intéressent aux choses de la musique ; c'est
presque une victoire personnelle pour le Ménestrel qui n'a cessé de
batailler rudement contre ces deux tristes directeurs. Il a fallu pour
cela trouver un ministre indépendant qui n'écoute que sa conscience,
ce qui est bien plus rare qu'on ne croit. Grâces soient donc rendues
à M. Bourgeois !
Adieu, msssieurs Rilt et Gailhard, et au plaisir de ne plus vous
revoir.
H. MORENO.
NAPOLEON DILETTANTE
NAPOLEON ET LA MUSIQUE ITALIENNE
(Suite.)
En 1804, Picard fut choisi pour diriger le Théâtre-Italien, dont les
chanteurs alternaient leurs représentations avec celles des comédiens
français de la salle Louvois. Us suivirent Picard à l'Odéon, en 1808.
Sur cette scène, l'incomparable talent de M"^ Barilli rendit la vogue
à la musique italienne, bien délaissée pour les grands ouvrages de
l'Opéra, nés cependant sous son influence. Mais M™* Barilli étant
morte en 1811, le théâtre italien de l'Odéon ne lui survécut pas.
Aussi bien, le véritable théâtre italien était celui de la Cour.
Napoléon n'aimait pas à se déplacer. Il voulut avoir, chez lui, ans
Tuileries aussi bien qu'à Saint-Gloud et dans ses voyages, en un
mot parlent où il se trouvait, ses auteurs, ses acteurs, ses musiciens,
et aussi son public. Et personne, au grand jamais, ne fit mine de
lui reprocher ce raffinement de jouissance intellectuelle.
Le plus beau jour de sa vie, après Austerlitz, fut peut-être celui
où il parvint à faire venir Paisiello à Paris. Ce ne fut pas sans peine,
car l'auteur de Nina appartenait au roi de Naples, Ferdinand IV.
Mais Bonaparte, lout-puissant. leva toute difficulté, en donnant sim-
plement l'ordre à ce roitelet, dont les jours étaient comptés, de lui
envoyer son maître de la musique, ce que celui-ci s'empressa de
faire .
Paisiello mit pied à terre à Paris en avril 1802. Son voyage s'était
opéré dans des conditions princières, et il descendit dans un appar-
tement splendidement meublé, avec un carrosse de la cour à sa
disposition, et pour honoraires 12,000 francs de traitement, plus
une gratification annuelle de 18,000 francs, sans compter les cadeaux
et les aubaines de toutes sortes.
Le premier consul avait l'intention de confier à Paisiello la direc-
tion de l'Opéra et du Conservatoire ; mais le maestro se récusa,
n'acceptant que le titre et les fonctions de maître de chapelle. Rien
ne put vaincre son obstination ; ce qui n'empêcha pas, d'ailleurs,
et l'Opéra et le Conservatoire de se liguer contre l'intrus, dont le
grand tort était de plaire au œaitre.
Du Conservatoire, Méhul, seul, avait su trouver le chemin du
cœur de Napoléon, et cela par un subterfuge qui fit en son temps
quelque bruit. Hoffmann, l'auteur des Contes fantastiques, lui ayant
remis un livret, il le présenta aux artistes de l'Opéra-Comique comme
une traduction d'un opéra buffa venant d'Italie, et dont il possédait
la musique.
La pièce, qui s'appelait t'Irato, fut acceptée d'enthousiasme, et
Bonaparte, affriandé par le régal d'une nouvelle œuvre italienne,
voulut assister à la première représentation, en ayant à ses côtés
Méhul.
— Ce sera peut-être un crève-cœur pour vous, lui avait-il dit
d'avance ; mais, peut-être, en entendant des airs si différents de
l'école moderne, reviendrez-vous de votre manie de faire du baroque.
Le public pensait comme le premier consul et fit un succès complet
à la pièce; le quatuor fut porté aux étoiles, et de tout l'auditoire
partit cette sentence : qu'il n'y avait décidément que la musique
italienne.
Aussi se figure-t-on l'indignation d'une partie des spectateurs,
^21
LE MEiNESÏlŒL
lorsqu'Elleviou viul nommer les ailleurs. Oa criait à la mystifica-
tion, et des coups <le sifllct partirent de difTérents points de la salle.
On a dit que Bonaparte n'avait jamais pardonné son stratagème à
Mébul; mais c'est une erreur. Le premier moment de surprise passé.
et ne voulant pas avoir tout à fait l'air d'avoir été mystifié comme
les autres, il tendit la main à l'auteur, en lui disant:
— Bravo, Méhul; mais, sous votre masque italien, j'ai bien vu
passer le bout de l'oreille allemande (1).
Malgré cette réserve, Bonaparte accepta la dédicace de l'Irato.
L'exemnlaire, magnifiquement relié, qui lui fut remis par l'auteur,
alla plus tard à Dalmivare, qui traça sur la première page (ette
notice intéressante :
0 Bonaparte aimait infiniment Méhul, non seulement pour son
grand talent de musicien, mais encore comme homme d'espril et
d'instruction. Il aimait à causer avec lui et à discuter sur la musique.
Il reprochait au Conservatoire et à Méhul lui-même, d'avoir adopté
un genre de composition ludesque plus scientifique que gracieux et
cherchant à faire de la musique bruyante plutôt qu'aimable.
» Par suite de ces entreliens et dans l'intention de faire une chose
agréable à Bonaparte, Méhul eut l'idée d'écrire im ouvrage léger et
chantant à la manière italienne: eu 1802, il composa l'Irato qui eut
un grand succès, et le dédia à Bonaparte.
1) Ce présent exemplaire est celui de dédicace qui fut prénenté à
Bonaparte et qui lui a appartenu. Je puis le cerlifier d'une manière
d'autant plus positive, qu'à celte époque, étant premier harpiste solo
de la musique de chambre du premier consul, ensuite de celle de la
chapelle de l'empereur, j'ai vu Méhul en faire la présentation; et plus
lard, Bonaparte l'ayant donné à la reine Hortense, j'ai revu ledit
exemplaire chez elle, et c'est des bontés de celle dernière que je le
ti;ns. »
Lorsque Paisiello quitta son poste auprès de l'empereur, pour
retourner en Italie, par suite de circonstances que nous relaterons
plus tard, Napoléon jeta les yeux sur Méhul pour le remplacer. Il
lui en f ala même. Mais celui-ci ayant dit qu'il n'accepterait qu'à
la condition de parlager ses fonctions avec Cherubini, l'empereur, qui
n'aimait pas l'auteur des Abencerrages, répondit sèchement :
— Ne me parlez pas de cet homme-là. Je veux un maître de cha-
pelle qui fasse de la musique, et non du bruit.
L'affaire en resta là.
Dans la suite. Napoléon fit souvent venir d'Italie des virtuoses; mais
il laissa les compositeurs de la Péninsule chez eux; d'autant qu'au-
cun ne pouvait approcher de celui qu'il avait possédé trop peu de
temps. Une fois cependant, il tenta l'aventure avec Zingarelli, mais
cela dans des conditions toutes particulières, qui méritent bien d'être
rapportées.
Zingarelli, auteur du célèbre opéra Romeo e Gulietta, qu'il composa,
dit-on, en quarante heures, avait élé nommé, en <léeenibre 1810, sur
un décret impéiial, chef d'une école de musique fondée à Rome par
Napoléon. Cclui-ei tenait en haut-^ estime l'auleur d'une œuvre dont
CieseoDtini lui avait, comme nous le savons, fait apprécier les beau-
tés; aussi le comblait-il de prévenances et d'honneurs. On va voir
comment le maestro reconnut ces bontés ; l'hisloirc a été contée par
Castil-Blaze :
En 1811, un Te Deum solennel fut chanté dans loutes les églises
de l'Empire, à l'occasion de la naissance du roi de Rome. L'ordre
parti des Tuileries arriva jusqu'à la capitale de la chrétienté.
L'église de Saint-Pierre était parée, et le peuple romain venait au
rendez-vous pour entendre le Te Deum. Mais, au moment de com-
mencer, on s'aperçoit que les chanteurs et les symphonistes
manquent à l'appel ; ils ne sont point à leur poste, pas même le
maître de chapelle. C'est que Zingarelli ne reconnaissait pas le fils
de Napoléon pour son souverain: il reniait le nouveau-né.
Napoléon u'enteudait pas raillerie en malière de Te Deum. Sur-le-
champ un message secret prescrit au préfet de Rome de faire
arrêter Zingarelli et de le conduire à Paris de brigade en brigade;
(1) C'est ici la légende de l'Irato, longtemps acceptée comme autîien-
tique, mais longtemps aussi combattue, notamment par le Ménestrel, qui,
il y a une quarantaine d'années déjà, publiait à ce sujet, une lettre
topique et intéressante de Ponchard père, le célèbre chanteur. Depuis
lors, notre collaborateur Arthur Pougin, dans son livre si important et
si intéressant sur Méhul, publié d'abord dans ce journal sous forme
d'articles, a remis toutes choses en place à ce sujet et a prouvé, pièces
en main, que Bonaparle n'avait nullement été mystifié par Méhul à propos
de l'Irato, et qu'il savait à quoi s'en tenir sur la provenance de la musique
de cet ouvrage.
N. n. L. R.
mais le préfet adoucit la rigueur de l'ordre impérial : sur la
parole du musicien, il le laisse partir par la diligence, avec promesse
de ne pas s'égarer en chemin.
Arrivé à Paris, Zingarelli se loge sur le boulevard des Italiens, et
fait savoir à l'empereur qu'il attend ses ordres. Huit jours s'écou-
lent : point de nouvelles. Enfin, un matin, on sonne à sa porte :
c'était un envoyé du cardinal Fesch. Il aborde le maesiro avec une
politesse affectueuse, le comble d'éloges, et termine en lui présen-
tant mille écus de la part de Napoléon pour les frais d'un voyage
entrepris par son ordre. Pendant plus de deux mois, Zingarelli ne
reçut pas d'autres visites : il se croyait oublié, lorsqu'un jour on
lui commanda une messe solennelle avec chœurs et symphonie.
— Une messe, dit-il, — va pour la messe; mais qu'il ne touche pas
la corde du Te Deum pour son prétendu roi de Rome; celte corde
sonnerait mal.
La roesse l'ut composée en huit jours, chantée, et trouvée digne de
son auteur. Le maestro reçut 6,000 francs.
Il fut chargé bientôt après de mettre en musique cinq versets
choisis dans le Stabat.
~ J'ai promis de ne pas faire de Te Deum, se dit-il encore, mais
rien ne m'empêche de composer un stabal, — va pour le stabat; je
resle en paix avec ma conscience.
Ce Slabal. exécuté au palais de l'Elj'sée par Crescenlini, Lays,
Nourrit père, M°"* Branchu et Arman.1, produisit un effet mer-
veilleux; l'empereur en fut ravi.
Après ce nouveau succès, aucune requête de la cour ne vint plus
mettre à contribulion le génie du maestro.
Ce silence durait depuis un mois, lorsque Zingarelli fit prévenir
le cardinal Fesch que les obligations de sa place de maître de cha-
pelle à l'église Saint-Pierre, exigeaient sa présence à Rome, et
qu'il désirait savoir quand il lui serait permis de partir.
— Demain, aujourd'hui même, répondit-on; M. Zingarelli est
parfaitement libre. Son séjour à Paris est une bonne fortune pour
nous, il est vrai; mais Sa Majesté serait fâchée de lui faire négliger
ses affaires.
Zingarelli retourna donc à Rome; et ce ne fut pas sans plaisir
qu'il disait de temps en temps, sur sa route :
— Je n'ai pourtant pas fait chanter de Te Deum pour notre pré-
tendu roi.
On conviendra que peu de souverains se seraient contentés d'un
Stabat.
(A suivre.)
Edmond Neukomm et Pal'l d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres (16 avr-il) :
La rentrée de M. Jean de Reszké dans Lohengrin et Romfo a valu à
M. Harris deux belles salles, les premières jusqu'ici. Il ne reste rien à dire
sur cet excellent artiste, qui a retrouvé son succès habituel dans deux de
ses meilleurs rôles. Son attraction sur le public de Londres est aussi
grande que par le passé et menace même, par son caractère exclusif, de
créer des embarras à l'entreprise. M"" Eames a confirmé, dans les rôles
d'Eisa et de Juliette, la bonne impression qu'elle avait produite comme
Marguerite. L'héroïne de Wagner convient mieux que celle de Gounod à
sa nature un peu froide et impassible ; son joli médium et sa bonne mé-
thode aidant, elle y a obtenu un très franc succès, d'autant plus méritoire
qu'elle chantait Lohenyrin pour la première fois. M. Edouard de Reszké
est toujours un imposant Henri l'Oiseleur, un Méphisto bon enfant et un
père Laurent plein d'onclion. Le rôle d'Ortrude convient à la voix rude de
M"° Ravogli et M. Maurel est un Teli'almund ti-ès vigoureux. Sa coiffure au
premier acte a fait sensation. M"e Jansen dans les rôles de Siebel et de
Stéphane a fait entendre une voix de mezzo-soprano fort sympathique. Il
me reste à citer M. Geste, plus à l'aise quand il chante le français, qui
est un aimable Mercutio, et M. Dufriche, un Capulet de bonne école. Il
manque une duègue à Covent-Garden : les petites mines sautillantes de
M""= Bauermeister dans les rôles de Marthe et do Gertrude deviennent de
plus en plus agaçantes. Faute de répétitions sans doute, M. Mancinelli a
été moins maitra de sou orchestre dans Lohengrin que d'habitude.
M. Isidore de Lara, le populaire compositeur de romances, vient d'achever
une œuvre importante : c'est une légende di-amatique basée sur le poème
célèbre de sirEdwin Arnold : Ihe Light (3/'.4sia, pour soli, chœurs et orchestre,
que M. Harris a l'intention de faire exécuter à Covent-Garden avec décors
et mise en scène. M. Maurel se chargerait de la partie de Boudha et
M"= Eames de celle de Yasodhara. Quant aux chœurs, ainsi que dans la
tragédie antique, ils seraient placés dans la salle, près de l'orchestre.
LE MENtSTBEL
iT6
A l'Opéra National Anglais il est question d'une reprise du Vaisseau-
Fantôme, pour alterner avec Ivanhoé. La Société royale chorale a exécuté hier
le dernier oratorio de Gounod, Mors et Vita. M. Paderewski fait sa rentrée
ce soir à la Société Philharmonique, et jouera le concertoen ut mineur de
Saint-Saêns. Le prochain programme de Crystal Palace comprend la sym-
phonie de Harold en Italie, de Berlioz. A. G. K.
P.-S. — La cour d'appel vient de reviser le jugement du tribunal de
Brighton et de donner gain de cause à la Société des auteurs, composi-
teurs et éditeurs de musique de Paris. C'est un gros événement pour la
défense des droits des auteurs français en Angleterre.
— De notre correspondant de Belgique (IG avril). — La reprise de
Mireille, qui a eu lieu cette semaine, avait plus que l'intérêt d'une simple
reprise. La direction de la Monnaie avait eu l'idée de remettre à la scène
les deux tableaux, depuis très longtemps supprimés, de la « 'Vallée du
Rhône ». M. Gounod, si j'en juge par une lettre aimable adressée à
MM. Stoumon et Calabrési, semblait désirer beaucoup cette réparation,
et s'en est fort réjoui. Faiblesse de père, bien excusable. Minille n'y a pas
gagné grand'chose, et elle n'y a point perdu non plus. Ces deux tableaux
n'étaient pas indispensables à l'intérêt de l'œuvre, et l'on comprend qu'on
ait pu s'en passer. Mais tout ce qui est signé de la main de Gounod est
précieux à conserver et curieux à entendre. Cette partie retranchée et réta-
blie de son œuvre n'est pas indigne de lui ; elle est d'un fantastique doux
et d'une couleur agréable. Il y a de l'accent dans la scène qui nous montre
le (I traître » Ourias aux prises avec ses remords et engageant avec les
divinités mystérieuses du Rhône une conversation vive et animée, avant
d'être entraîné dans les « dessous » par le passeur que le Ciel a délégué
pour punir le vice, et aider au triomphe de la vertu. Le plus grand mérite
du compositeur, c'a été, en tout cas, de respecter le cadre du genre, d'être
resté sobre dans une scène où d'autres, moins expérimentés, auraient
été certainement tentés de déchaîner leurs foudres orchestrales. Certains
prendront cela pour de la pauvreté ; c'est plutôt, je crois, de la sagesse.
La réalisation matérielle, au théâtre, de la « Vallée du Rhône » n'était
point facile. Je doute qu'elle ait satisfait complètement l'auteur; mais la
difficulté même de la chose doit nous rendre indulgent, et il y a, du reste,
un fort beau décor, qui fait pardonner bien des imperfections. Quant à
l'interprétation, elle a été satisfaisante. Je parle des artistes chargés des
difl'érents rôles. M"' Sanderson, notamment, est une Mireille absolument
ravissante au point de vue plastique, et pleine de mérite au point de vue
vocal; elle a eu, dans la valse du premier acte, la virtuosité qu'on pou-
vait attendre d'elle, et, dans la suite de l'œuvre, des détails -d'expression
tout à fait charmants et des nuances pleines de délicatesse. M. Delmas
est un Vincent très sympathique; M. Badiali a remarquablement chanté
le rôle d'Ourias, devenu, dans la nouvelle version, l'un des plus impor-
tants de l'ouvrage, M""=Nardi est une excellente Taven, M">= Archainbaud
un délicieux petit pâtre, et M. Sentein un « père noble » plein d'énergie.
Ah ! si l'orchestre et les chœurs avaient pu imiter un si louable exem-
ple ! Vous figurez-vous le premier acte de Mireille, cette page exquise,
chantée à peu de chose près fortissimo et accompagnée de même? Eh bien,
c'est ce qu'il nous a été donné d'enlendre. Sommes-nous heureux ! —
Mireille sera très vraisemblablement la dernière reprisé de la saison, avant
la cltiture, qui a lieu le iO mai. La direction annonce, de temps en temps,
avec timidité, les études de Lohengrin; mais personne n'en croit rien. Il
s'agit simplement d'occuper le personnel pendant la journée et de lui
■enlever la tentation de s'aller promener: un rhume est si vite attrapé!
L. S.
— Les opéras se suivent et ne se ressemblent pas. Après le triomphe
remporté au théâtre San Carlo, de Naples, par le Spartaco de M. Platania,
un autre opéra nouveau, celui-ci de M. Giannetti, VErebo, a trouvé le public
réfractaire et a subi une chute colossale. La première représentation, qui
sera sans doute la dernière, a donné lieu à un tumulte effroyable, et la
soirée s'est terminée au milieu des cris et d'enragés sifflets.
— La saison de printemps sera faite au Costanzi, de Rome, par M. Son-
zogno, qui vient de publier son programme. Les artistes engagés sont
Mmes Calvé, Giulia Novelli, Emma Zilli, MM. Marconi, De Lucia, Giordani
et Sparapani; le chef d'orchestre est M. Mugnone. Le répertoire de cette
saison comporte seulement quatre ouvrages : la toujours heureuse Caval-
leria rustieana, de M. Mascagni, les Pécheurs de perles, de Bizet, Spartaco, de
M. Platania, qui vient d'obtenir un succès éclatant au San Carlo, de
Naples, et Andréa del Sarto, de M. Baravalle, fort bien accueilli récemment
à Turin.
— Une nouvelle assez singulière, parvenue d'Italie, .s'est répandue
aussitôt depuis quelques jours à Paris. Une cantatrice française bien
connue à l'étranger et 1res renommée pour sa brillante carrière dans le
répertoire italien, Bianca Donadio (de son vrai nom Blanche Dieudonné),
vient, paraît-il, de se retirer à Bologne dans le cloître des nonnes du Saint-
Sacrement, où elle doit prendre le voile à la suite d'un certain noviciat.
Blanche Dieudonné, qui appartenait à une famille distinguée de Lorraine,
avait pris le théâtre à la suite de revers de fortune, et avait obtenu de
grands succès à l'étranger, particulièrement en Italie et en Espagne. Il y
a quelques années elle avait épousé, à Malaga, un chanteur italien nommé
Frappoli.
— Un très curieux concert historique de musique sacrée et profane,
exclusivement choisie dans les œuvres des maîtres de l'école vénitienne
du dix-septième siècle, a été donné récemment au Lycée Benedetto Marcello,
le Conservatoire de Venise. Voici le programme fort intéressant de cette
séance d'un caractère exceptionnel : Hymne Virgo Mater Ecclesiœ, chœur à
quatre voix mixtes, de Giulio-Cesare Martinengo (mort en 1613); 2. Duo de
Vlncoronazione di Poppea, opéra de Claudio Monteverde (1568-16 IS), repré-
senté au théâtre Grimani. de Venise, en 1642; .3. Responsorium : Beata viscera,
chœur à quatre voix mixtes, de Giovanni Rovetta (mort en 1668); 4. Air et
scène, avec accompagnement d'instruments et piano, de Giasone, opéra de
Francesco Cavalli (1399-1676), représenté au théâtre Tron, de Venise, en
1649; fi. Air, avec accompagnement de violons et piano, de gli Amori di
Apolo e Leucotoe, opéra de G.-B. Rovettino (mort en 1692), représenté au
théâtre Grimani, en 1663 ; 6. Sonate pour violon, avec accompagnement
de piano, de G.-B. Bassani (16S7-1716) ; 7. Ariettes i'Alessandro Magna in
Sidone, opéra de Marc Antonio Ziani (1633-1715), représenté au théâtre
Grimani, en 1679; 8. Symphonies pour instruments à archet et piano de
Totila, opéra de Giovanni Legrenzi (1625-1691), représenté au théâtre Grimani,
en 1677; 9. Air pour ténor du même ouvrage ; lu. Psaume Nisi Dominus,
pour solo et chœur de trois voix d'hommes, avec accompagnement d'instru-
ments à archet et orgue, de Giovanni Legrenzi. Ce concert a été précédé
d'une conférence de M. T. Wiel, artiste fort distingué et connu par d'in-
téressants travaux sur l'histoire de la musique à Venise. La plupart des
morceaux exécutés avaient été tirés des manuscrits des archives de
la Bibliothèque de Saint-Marc et de celles de la chapelle de la même
église.
— Au Lycée musical de Turin on vient d'organiser, sur l'initiative de la
direction et avec l'appui de l'administration municipale, un cours régu-
lier de leçons sur l'histoire générale de la musique, qui est confié à
M. Gaetano Foschini. M. Foschini est un compositeur connu par la publi-
cation de nombreux morceaux de piano et par un opéra, Giorgio il banilito,
qui a été représenté en 1864 sur le théâtre de Constantinople.
— Un comité vient de se constituer à Palestrina, ville natale du grand
compositeur Pierluigi da Palestrina, le réformateur de la musique reli-
gieuse, dans le but d'élever un monument à la gloire de cet artiste illustre,
à l'occasioD du troisième anniversaire centenaire de sa mort. Cet anni-
versaire tombera le 2 février 1894. L'Italie moderne doit bien un hommage
de ce genre à l'artiste admirable qui est l'une de ses gloires les plus écla-
tantes et les plus pures.
— La Società del quartetto ieMûan, dont les concours en un temps ont été
fameux, et qui, nous sembh>-t-il, n'avait pas fait parler d'elle en ces der-
nières années, ouvre son dix-septième concours, réservé aux compositeurs
italiens, pour la composition d'une sonate pour piano, en quatre mor-
ceaux, dans le style classique, avec un premier prix de 1,000 francs et
un second prix de oOO francs. D'autre part, le Cercle Bellini, de Catane,
ouvre son cinquième concours musical, qui comprend : 1" une sympho-
nie à grand orchestre, dans la forme libre ; 'i' un quatuor pour instru-
ments à cordes; 3° une mélodie vocale, avec accompagnement de piano;
i" un morceau de piano ; 5» un air de ballet; 6° enfin, une marche pour
musique d'harmonie. Les prix consistent en médailles d'or et d'argent,
diplômes et mentions honorables.
— A l'Arène nationale de Florence, première représentation d'une opé-
rette nouvelle. Al chiaro di luna, due à un jeune compositeur âgé de vingt
ans à peine, M. Vincenzo Billi. Très grand succès, trois morceaux bissés.
— Au théâtre Gerbino, de Turin, autre opérette, un Treno di pîacere, paroles
de M. E. Favi, artiste de la troupe, musique de'M. Carlo Lombardo, son
chef d'orchestre. Succès modeste.
— A Venise on a exécuté récemment, avec un succès qui paraît consi-
dérable, une œuvre fort importante, une symphonie en quatre morceaux
dans la forme classique, due à un jeune compositeur de vingt-huit ans,
M. Francesco Ghin, élève de M. Niccolo Coccon, premier maître de cha-
pelle de l'église Saint-Marc. S'il faut en croire les comptes rendus, cette
œuvre serait la révélation d'un grand artiste.
— M. Gustave Mahler, directeur musical de l'Opéi-a royal de Pesth
depuis trois ans, vient d'être invité à prendre sa retraite à la suite de pro-
pos aigres-doux échangés entre lui et le nouvel intendant, le comte Geza
Zichy. Le départ de M. Mahler est généralement regretté, car il avait
fortement contribué au relèvement artistique et financier de l'Opéra royal.
— Un compositeur allemand de très grand talent, M. Heinrich Hoffmann,
vient de composer un poème lyrique pour soli, chœurs et orchestre intitulé
Jeanne d'Orléans, dont le texte est imité de Schiller. C'est encore une nou-
velle Jeanne d'Arc musicale.
Il y a quatre ans, et presque simultanément, on donnait en Allemagne
deux opéras nouveaux sous le titre de Merlin. L'un, de M. Cari Gold-
mark, l'auteur de Sakountala et de ta Reine deSàba, se produisait à l'Opéra
Impérial de Vienne; l'autre, de M. Rufer, au Théâtre-Royal de Berlin.
Voici qu'on annonce la prochaine apparition d'un troisième Merlin, du à
l'excellent violoniste hongrois Jeno Hubay, ancien professeur au Conser-
vatoire de Bruxelles, aujourd'hui de retour à Pesth. L'auteur a présenté
sa partition à la direction du théâtre de cette ville, et l'audition en a été
si satisfaisante, qu'on a décidé la mise à la scène immédiate de l'ouvrage.
— On sait que Zurich, qui est aujourd'hui la ville la plus importante
do la Suisse avec ses 100,000 habitants, est aussi la première au point de
126
LE MENESTREL
vue musical. Son théâtre est excellent, elle possède une très bonne école
de musique, un orchestre remarquable, celui de la ïonhalle, et plusieurs
sociétés de chant, en tête desquelles il faut placer le Munnerchor, qui en
est à sa soixante-cinquième année d'existence, et qui vient de publier
son compte rendu pour l'année 1890, fort bien rédigé par M. Ochsner-
Sulzer. Cette année s'est ouverte, le 1'='' janvier même, par un désastre,
l'incendie du théâtre, dans lequel le Mdnnerchor avait précisément le local
de ses réunions et ses archives, si bien que tout ce qui appartenait à la
société a été détruit : registres, portraits, diplômes, documents honori-
fiques, etc. Cela n'a pourtant pas empêché l'organisation des fêtes et so-
lennités, que le rapporteur énumère avec le plus grand soin. C'est d'abord
une exécution superbe de la Passion schn saint Jean, du grand Bach, dont
le succès fut éclatant; puis, les concerts donnés en l'honneur du compo-
siteur Wilhelm Baumgartner, dans la grande salle de la Bourse ; puis la
visite faite à Lucerne le 15 juin et le grand concert donné en cette ville,
dans l'église Saint-Xavier. Parmi les éphémérides, il faut signaler encore
la visite au château Teufen, le jubilé de M. Frédéric Hegar, directeur de
la société, le grand concert donné à la Tonhalle le 7 décembre avec le
concours de divers artistes du théâtre, et enfin un dernier concert, le 27
du même mois. Le nombre des membres de tout genre du Mdnnerchor ne
s'élève pas à moins de 870. Par ce résumé de l'état et des travaux. d'une
seule association, on peut se faire une idée du culte des habitants de
Zurich pour la musique et de l'activité du mouvement musical en cette
ville.
— M. Théodore Thomas ne vient pas plus tôt de s'installer à Chicago,
où l'appellent ses nouvelles fonctions de chef d'orchestre de l'Association
musicale, qu'il est mis en quarantaine par les artistes de la ville. Tout le
mal vient d'une certaine clause du contrat passé entre M. Théodore Thomas
et l'Association, clause par laquelle M. Thomas s'engage à ne pas employer
d'artistes du cru, mais à recruter ses musiciens exclusivement parmi les
étrangers. Or, le chef d'orchestre se trouve actuellement à court de musi-
ciens, et il s'est vu obligé, pour ne pas compromettre la réussite des pre-
miers concerts, de solliciter le concours de quatorze instrumentistes de
la ville. Le professeur Rosenbecker, qui a été chargé des négociations,
a complètement échoué. Les quatorze iils d'Apollon sur lesquels M. Théo-
dore Thomas avait jeté ses vues se sont drapés dans leur dignité et refusent
toutes les avances. Le différend va être porté devant l'Assemblée géné-
rale annuelle de la Ligue nationale des musiciens, qui se tiendra prochai-
nement à Mihvaukee.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans la dernière séance, le secrétaire perpétuel de l'Académie des
Beaux-Arts a donné lecture d'un extrait de testament par lequel M. Joseph
Pinette, en son vivant rentier à Versailles, lègue à l'Académie une rente
de douze mille francs. « Désirant, dit le testateur, encourager les jeunes
gens qui se consacrent à la composition musicale, et voulant les aider
dans les débuts difficiles de leur vie d'études, je donne et lègue, à titre
particulier, à l'Institut de France, la somme nécessaire, afin de constituer
12,000 francs de rente sur l'Etat français 'à 0/0. Cette rente sera divisée
en quatre parties égales de 3,000 francs chacune, qui seront servies pen-
dant quatre années consécutives aux pensionnaires musiciens de l'Acadé-
mie de France dès qu'ils auront terminé leur temps de pension tant à
Rome que dans les autres pays qui leur sont indiqués parles règlements».
Les susdits pensionnaires musiciens ne jouiront de cette rente que s'ils
ont rempli, pendant la durée de leur pension, toutes leurs obligations
envers l'Etat.
— L'Association des Artistes musiciens, fondée par le baron Taylor,
célébrera cette année, selon sa coutume, la fête de l'Annonciation, en
faisant exécuter, en l'église de Notre-Dame, le mercredi 22 avril, au pro-
fit de la caisse de secours, la messe solennelle de M. René de Boisdeffre,
pour soii, chœurs, orgue et orchestre. Les soli seront chantés par MM. Auguez
et Lamarche, et l'exécution sera dirigée par M. Jules Danbé. A l'Offertoire,
le solo de violon sera exécuté par M. Marsick, et après l'Élévation M. Geor-
ges Gillet exécutera sur le hautbois une Prière de M. de Boisdeffre.
— La ville de Toulouse se met en frais et prépare ds grandes i'êtes à l'occa-
sion de la visite que le Président de la République doit lui faire prochai-
nement. Entre autres, la commission a arrêté le programme d'un grand
festival qui sera donné au théâtre du Capitole, et qui comporte au moins
une chose curieuse et intéressante. Ce programme comprend en effet la
représentation d'une Heure de mariage, l'un des plus jolis petits opéras de
d'Alayrac, compositeur né dans la Haute-Garonne, à Muret, lequel aura
pour interprètes six artistes bien connus à Paris et qui tous ont fait leurs
premières études au Conservatoire de Toulouse avant de venir se faire
couronner à celui de la rue Bergère : M'""s Joséphine Daram, Castagne
et Douau, MM. Victor Capoul, Dupuy et Frédéric Boyer. On sait qu'une
Heure de mariage, dont le poème avait été écrit par Etienne, fut joué pour
la première fois à l'Opéra-Comique le 20 mars 180-4, avec Elleviou et
M""! Saint-Aubin dans les deux rôles principaux, et resta plus de trente
ans au répertoire de ce théâtre. Le public parisien n'a pas revu cet ouvrage
depuis une quinzaine d'années, c'est-à-dire depuis l'époque où M. Vizen-
tini l'avait remonté pour les matinées si curieuses d'ancien répertoire
qu'il donnait au Théâtre-Lyrique de la Gaité. Quant au programme du
festival toulousain, il comprend encore l'ouverture du Bravo, opéra de
M. Salvayre, né à Toulouse, une cantate en vers languedociens du poète
félibre Auguste Fourès, musique de M. Paul Vidal, ancien lauréat du
Conservatoire de Toulouse et grand prix de Rome de 1883, enfin un con-
cert vocal auquel prendront part MM. Escalaïs, Affre et Gailhard, tous
aussi anciens élèves de ce Conservatoire.
— Notre collaborateur Arthur Pougin clôturait, vendredi dernier, la
série de conférences qu'il avait entreprise au Théâtre d'application sur l'his-
toire de l'Opéra français au xvii<^ et au xviii° siècle. Après Gamhert et Lully,
après Rameau, c'était Gluck qui faisait les frais de ce nouvel entretien, si
bien accompagné, « illustré », pourrait-on dire, par l'audition de toute une
série de morceaux admirables. Après avoir rappelé les diverses étapes de la
carrière de Gluck dans sa patrie et en Italie, le conférencier a très juste-
ment caractérisé la réforme du drame lyrique que le maître allemand
était venu effectuer en France et qu'il savait très bien ne pouvoir opérer
qu'en ce pays, grâce à l'intelligence du public français et à son sens inné
du théâtre. Il a rappelé les divers épisodes de la grande guerre des gluc-
kistes et des piccinistes, et a fait sourire plus d'une fois son auditoire à
l'aide d'anecdotes piquantes choisies avec goût et fort heureusement racon-
tées. Cette séance a été pour lui l'occasion d'un véritable et très vif succès,
ainsi que pour les deux artistes fort distingués qui lui prêtaient leur con-
cours en cette circonstance : M"' Boidin-Puisais, qui a dit avec une
chaleur superbe et un talent dramatique de premier ordre l'air d'Orphée :
« J'ai perdu mon Eurydice », et celui d'Alceste : « Divinités du Styx », et
M. W^armbrodt, qui a chanté délicieusement l'air du sommeil de Renaud
dans Armide, et celui de Pylade : « Unis dès la plus tendre enfance »,
d'Iphigénie en Tauride. Tous ces morceaux, on peut le dire, ont produit la
sensation la plus vive et ont excité de chaleureux applaudissements.
— C'est hier samedi qu'a dû avoir lieu décidément, au théâtre des
Arts de Rouen, la première représentation de l'opéra de M. Charles Lenep-
veu, Yelléda, créé à Londres, on se le rappelle, il y a quelques années,
avec M"'" Adelina Patti dans le rôle principal. La déconfiture du directeur
de ce théâtre, M. Taillefer, avait fait supposer un instant que Velléda ne
pourrait être présentée au public, bien que l'ouvrage fût entièrement su
et prêt à passer lorsque se produisît la catastrophe. Mais les artistes
s'étant réunis en société pour terminer la saison, M. Lenepveu leur a
confirmé gracieusement l'autorisation de jouer sa pièce, au sujet de la-
quelle on assure qu'une brillante location est faite pour plusieurs soi-
rées,
— Dans la reprise du Petit Fauft qu'on prépare à la Porte-Saint-Martin,
c'est M"« Samé qui tiendra, à côté de M"= Jeanne Granier (Marguerite), le
joli rôle de Méphisto, qui est si bien adapté à sa vive nature. Granier et
Samé réunies, ce n'est vraiment pas mal. Le comique Sulbac, qui s'est
fait dans les cafés-concerts une spécialité des types militaires, person-
nifiera Valentin et l'excellent jeune premier comique, M. Cooper, tiendra
le rôle de Faust.
— M"" Bensberg, la brillante élève de M"!" Marchesi, qui vient de donner
douze représentations d'Hamlel au Carlo Felice de Gênes avec un très grand;
succès, vient de signer un engagement pour Barcelone, où elle chanterai
VOtello de Verdi du 20 avril au 19 mai. Elle a signé aussi pour la saisort
prochaine du San Carlos de Lisbonne, où elle débutera en automne par le
rôle d'Ophélie à'Hamlet.
— Le théâtre des Bouffes a donné jeudi la première représentation
d'une opérette en un acte, l'Entresol, dont le livret, et la musique sont
de M. Georges Villain et ont été fort applaudis. La pièce est lestement
enlevée par M""^^ Clément, Meryem, Deberio, cette dernière exceptionnel-
lement douée comme chanteuse, MM. Valéry et Dequercy.
— M. Raoul Pickaërt est nommé titulaire du grand orgue de Notre-
Dame-des-Victoires. Ce jeune artiste est un élève de l'institut d'orgue
de M. Gigout. Il s'est distingué dernièrement à l'audition publique des
élèves de cette école.
— En 1886, M. Saint-Saëns a publié dans le Ménestrel un article sur lai
suppression des transpositeurs dans les instruments à vent de l'orchestre, dans
lequel il appelait l'attention des compositeurs sur les efforts de M. H. Chaus-
sier, corniste, qui lui avait soumis un projet de réforme des instruments,
à embouchure. Des expériences concluantes et tout à fait favorables au
système de M. Chaussier viennent d'avoir lieu entre lui et M. Garigue,
de l'Opéra, défenseur du cor ordinaire à trois pistons, en présence de
MM. Th. Dubois, Paladilhe, Joncières, Canoby, V. d'Indy et autres. Il a
été reconnu que le cor omnitonique de M. Chaussier réunissait à la fois
les ressources des treize tons du cor simple et celles du cor à pistons actuel,,
et qu'on peut jouer alternativement de l'une ou l'autre manière sans-
addition à l'instrument. C'est là un résultat qui doit intéresser les cora- j
positeurs et les artistes. |
— En annonçant récement la mort de M. Antoine Vidal, l'auteur de
l'Histoire des instruments à archet, nous faisions connaître que cet amateur !
distingué travaillait depuis plusieurs années à un autre ouvrage du même
genre, VHistoire du piano. Un journal étranger croit pouvoir affirmer que
c'est un écrivain anglais, M. A.-J. Hipkins, de Londres, qui se chargera
de terminer cet ouvrage.
— L'excellente société le Choral Nadaud de Roubaix, se transforme, sur
l'initiative de son directeur, M. Minssart, qui a recruté les éléments de la
nouvelle phalange : le choral devient une société mixte, composée de
LE MÉNESTREL
127
soixante choristes hommes et de quarante dames. Par cette nouvelle com-
binaison, M. Minssart compte faire entendre à Roubaix des oratorios et dès
: œuvres lyriques importantes qu'il était impossible de monter auparavant.
Le premier chef-d'œuvre mis à l'étude sera la Damnation de Faust de Berlioz.
Voilà une très heureuse innovation, qui mérite d'être encouragée et qui
ne peut manquer de donner de fort bons résultats.
CONCERTS ET SOIRÉES
Concerts et musique de chambre.— M. J. Loëb, le distingué violoncelle-
solo de l'Opéra, vient de donner, salle Erard, un brillant concert.
M. Loëb, qui me semble l'un des virtuoses-violoncellistes les mieux doués
du moment, a dit avec une remarquable maestria le beau concerto en la
mineur de M. Saint-Saëns et une série de pièces plus courtes de MM. Pop-
per et Van Goens. Outre cet excellent artiste, on a entendu M"" Lévy, qui
a chanté avec charme deux mélodies de Schumann, M. Warmbrodt, qui
a fait un plaisir infini avec l'aubade du Rot d'Ys, et M. I. Philipp, le pia-
niste à la puissante sonorité, au jeu captivant et original, qui a fait ap-
plaudir sa deuxième Valsé-Caprice, sur des motifs de Johann Strauss, puis
des pièces de Chopin et de Rubinstein. ■ — La Société de musique de
chambre pour instruments à vent a tait entendre, à sa dernière séance,
une Sérénade de M. E. Hartmann, pour flûte, hautbois, deux clarinettes,
deux cors, deux bassons, violoncelle et contrebasse. L'œuvre est bien
écrite, mais terne et fade; le scherzo seul échappe à cette critique. A cette
même séance, M. Delsart a dit avec charme la sonate de Boccherini, et,
pour terminer, le septuor de Hummel, avec M. L. Diémer au piano, a
été merveilleusement exécuté. — La dernière soirée de musique de chambre
de MM. Lefort, Guidé, Giannini et César Gasella, a eu lieu avec le concours
de M'"^ Soubre-Gramacini et de MM. Widor et Philipp. Le quatuor pour
piano et cordes, de M. Widor, a été supérieurement exécuté et vivement
apprécié. On en aurait volontiers réentendu le scherzo si coloré et si
plein de mouvement. M'"" Soubre a fait grand plaisir en chantant deux
belles mélodies tirées des Soirs d'été de M. Widor et la Vieille Chanson de
Bizet, et M. Philipp a joué, avec une délicieuse sonorité et un style très
fin, plusieurs morceaux de Chopin. Le programme comprenait encore de
délicates pièces pour piano et harmonium, de M. Widor. H. Eyjheu.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Symphonie en /Vt (Beethoven) ; la Fuite en Egypte (Berlioz), le
récitant: M. de Latour; ouverture de la Grolle de Fingal (Mendelssohn) ; épilha-
lame de Gtyeiirfo/me (Chabrier), soli: M"' Albertine Chrétien, MM. de Latour et
Auguez ; symphonie en ut (Haydn) .
Chùtelet, Concert Colonne : Cinquante-sixième audition de la Damnalion de
Faust (lleilov Berlioz), soli: M'" Marcella Pregi (Marguerite), MM. Engel (Faust),
Lau-wers (Méphistophélès), Augier (Br'ander).
— M. et M™» de Franqueville ont donné dimanche dernier une seconde
et très brillante soirée musicale, au cours de laquelle on a entendu et
chaleureusement applaudi M'^" Alph. Duvernoy, interprète remarquable de
deux séduisantes mélodies de son mari, M. Marsick, qui a dit avec le
goût, la haute virtuosité et le style qu'on lui connaît un poétique andante
de sa composition et une jolie aubade de M. Lalo, et M. Hasselmans,
dont deux délicats morceaux. Prière et Patrouille, merveilleusement joués
par leur auteur, ont excité l'enthousiasme. La soirée s'est terminée au
milieu des bravos par la Sérénade pour trompette, piano et cordes, une
des œuvres les plus réussies de M. Alphonse Duvernoy. I. Ph.
— jV[me Rosine Laborde a donné, dimanche dernier, une toute charmante
matinée. Parmi les meilleurs numéros d'un programme très musical se
trouvaient ; la romance de Mignon dite avec chaleur par M"« Vassalo, le
duo ravissant du Roi l'a dit et celui de Philémon et Baucis, gracieusement
rendus par M''" Ebstein et M. Depère; dcuX duos de Schumann, Baisers de
Mai et Vert Colibri, redemandés à M"° Mangé et à M™= de Marcilly-Sax,
qui les chantent à ravir et qui se sont fait applaudir séparément dans des
morceaux de MM. Gounod, Joncières. . . et dans les mélodies de Schumann,
la Fleur de Lotus et Hommage. On a entendu encore M"= de la Blanchetais,
dont la voix et l'excellent style ont fait valoir des mélodies de M. X. Le-
roux, M"" Ledant, élève très douée dont le travail équilibrera les moyens,
etc.. M. et M""" Rêva Berni ont ajouté, comme intermède, plusieurs mor-
ceaux de piano fort bien exécutés, et des poésies dites avec un talent fin
et délicat. Am. B.
SoiBÉES ET coscERis. — Audilion musicale des plus intéressantes cette semaine
chez M. Gigout. Une élite de dilettantes s'y était donné rendez-vous pour
entendre les nouvelles œuvres de M. Boëllmann — musique de chambre, mélodies,
pièces d'orgue, etc. — interprêtées par MM. Lefort, Casella, Vau Waelfelghem et
M. Warmbrodt, le ténor à la mode. M. Gigout était à l'orgue. Les honneurs de
la séance ont été pour le trio que la Société des compositeurs de musique vient
de couronner. — Pour vous! la nouvelle et charmante mélodie de M. Paul Rou-
gnou, a obtenu la semaine dernière un vif succès dans un concert de charité
donné à Saint-Briouc, oii elle a été chantée avec grand talent par la jolie voix de
contralto de M'" Wyns, une des meilleures élèves du Conservatoire, classe Ciosti.
— Le 8 avril, très brillante soirée chez M. et M"'° Louis Diémer. Au programme
les noms de M""" Lalo et Leroux-Ribeyre, de MM. White et Risler. M. Diémerr-a
jouô avec sa perfection accoutumée du Beethoven et des pièces modernes char-
mantes, M. WhiLe a enlevé avec brio la Jrantaisic appasionata de Vieuxtemps,
M"° Leroux-Ribeyre a dit avec infiniment de charme et de grâce le Sentier, Menuet,
du maître de la maison, une mélodie de son mari, et, avec M"' Lalo, le duo du
Roi d'Ys. La soirée s'est terminée, au milieu des applaudissements de tous, par
une fantaisie à quatre mains sur les Erinnyes, de M. Massenet, excellement inter-
prétée par MM. Diémer et Risler. — M"° Victoria Barrière, une des plus char-
mantes pianistes sorties récemment du Conservatoire, avec un premier pris, a
donné le 16 avril, à la salle Erard, un très brillant concert avec le concours de
MM. Raoul Pugno, Paul Viardot, Cottin frères, Mariotli et de M"° Domenech. La
jeune artiste a fait preuve de très réelles qualités de charme et de sentiment en
jouant du classique et des pièces modernes, parmi lesquelles on a tout spéciale-
ment applaudi Soir d'automne, de M. Raoul Pugno. M. A. Cottin a fort bien dit
l'air du Songe d'une nuit d'été, de M. Ambroise Thomas. — L'Association des ins-
titutrices de la Seine a donné son concert annuel dans la salle de la Société de
géographie. Grâce au concours de divers artistes et amateurs d'un réel mérite, la
soirée a été charmante. Mentionnons en première ligne une jeune cantatrice qui
ne tardera pas à prendre rang parmi les plus distinguées, M"° Madeleine de Noce,
qui a remarquablement chanté l'air du Pré aux Clercs et le duo d'IIamlet avec
M. Feetz. Un pianiste, qui est un compositeur d'avenir, M. Sourilas, un violoniste,
M. Mâche, et un violoncelliste, M. Girod, ont déployé une grande virtuosité dans
la partie instrumentale. — Une jeune pianiste d'un talent fort distingué, M'" Sau-
vrezin, a donné dans les salons Wetzel, il y a peu de jours, une matinée dans
laquelle elle a fait entendre ses meilleures élèves, dont les qualités déjà solides
et parfois brillantes font le plus grand honneur à l'enseignement de leur
professeur.
Concerts .annoncés. — Mardi 21 et lundi 27 avril, à 9 heures, salle Erard, con-
certs donnés par M"° Clotilde lileeberg, qui fera entendre, entre autres œuvres,
les Scènes d'enfants et Fantasiestiicke de Schumann, la Sonate op. 110, les variations
sur VEroica, de Beethoven et la jolie pièce de Dubois, liéveU. — Vendredi 27,
salle Pleyel-WoUI, concert de M"' Panthès (sonate de Beethoven, 4= ballade et
études de Chopin, Ilumoresquesde Schumann, divers morceaux de W" A. Holmes
et de MM. Tschaïkowsky, Fissot, Benjamin codard et Georges Pteiffet). — L'École
Gallin-Paris Cbevé donnera son 12» concert annuel aujourd'hui dimanche, dans
la salle des fêtes du Palais du Trocadéro. Les chœurs (400 exécutants) seront
dirigés par M. Amand Chevè. Places : 1 tr. 50, 1 fr. et 0 fr. 50.
NÉCROLOGIE
Nous annonçons avec regret, la mort, à l'âge de soixante-six ans, d'un
artiste fort distingué en son genre, Jean-Baptiste-Victor Mohr, professeur
de cor au Conservatoire, où depuis vingt ans il avait formé de nombreux
et brillants élèves. Frère de Nicolas Mohr, clarinettiste remarquable qui
fut, sous l'empire, chef de la musique du régiment des guides, à laquelle
il sut acquérir une renommée légitime, Victor Mohr avait, pendant longues
années, tenu l'emploi de premier cor solo à l'Opéra et à la Société des
concerts, qu'un différend lui avait fait abandonner pour s'attacher à l'or-
chestre des Concerts populaires de Pasdeloup. Ses obsèques ont eu lieu
jeudi dernier en l'église Notre-Dame-de-Lorette.
— Le 31 mars est mort à Colmar, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans,
M. Constant Sieg, organiste de la cathédrale, qui fut pendant longues
années professeur à l'École normale de cette ville, où il a formé un grand
nombre d'élèves organistes et maîtres de chapelle. Compositeur distingué,
dont les œuvres nombreuses sont très utiles pour l'enseignement et pour
l'église, M. Constant Sieg, qui était aimé et estimé de tous, était le père
de M. Victor Sieg, ancien grand prix de Rome, depuis longtemps inspecteur
de l'enseignement musical dans les écoles de la ville de Paris.
— De Belgique on annonce la mort du compositeur Jean-Baptiste de
Lannoy, ancien clarinette-solo de divers corps de musique de l'armée.
Entre autres œuvres importantes, de Lannoy était auteur de si.x messes avec
orchestre, d'un grand Te Deum exécuté à Louvain," d'une cantate, le Vallon,
exécutée dans la même ville en 1874, d'un chant national intitulé les Pa-
triotes belges, etc. De Lannoy est mort à Wavre,où il était né le 12 février 1824.
— Un artiste fort distingué, Emanuele De Roxas, professeur de chant au
Conservatoire de Naples depuis 1873, vient de mourir en cette ville à l'âge de
soixante-quatre ans. D'origine espagnole, il était né àReggio de Calabre le
1='' janvier 1S27. Destiné par sa famille à la carrière des armes, on lui
laissa suivre pourtant son penchant pour la musique, et, admis au Con-
servatoire de Naples, il y devint élève de Busti et de Grescentini pour le
chant, de Giacomo Gordella pour l'harmonie et de Francesco Ruggi pour
la composition. Dès 1848 il donnait à Naples, sur un petit théâtre aujour-
d'hui disparu (Teatro délie Fosse del Grano], un opéra en deux actes, la
Figtia delscrgente, qui fut bien accueilli. En 1832 il faisait représenter au
théâtre Nuovo un opéra bouffe en trois actes, Gisella, et en 1837, auFondo,
un troisième ouvrage, Rita, qui fut moins heureux que les précédents.
A partir de ce moment, il abandonna le théâtre pour se consacrer surtout
à la composition de la musique religieuse et à l'enseignement du chant,
où il était fort habile; on lui doit, entre autres élèves, deux chanteurs
fort remarquables, le ténor Mario Tiberini et le baryton Luigi Golonnese.
Gomme compositeur religieux, on doit à De Roxas un oratorio : les Sept
Paroles de Jésus-Christ, une Messe de Gloria, un assez grand nombre de
motets et une dizaine d'albums de chant.
— A Naples aussi est mort, âgé seulement de trente-cinq ans, un artiste
italien d'origine française, Federico-Anacarsi Prestreau, qui s'était fait
connaître avantageusement comme compositeur et chef d'oi'chestre. Il
avait été élève do l'excellent compositeur Nicola De Glosa, et ût représen-
ter quelques opéras: Rabelais, Tomboli Tombola et la Regina diToinon.
Henri Heugel, directeur-gérant.
428
LE MÉNESTREL
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Théâtre de l'Odéon
PIÈCES DETACHEES POUR PIANO
LA RENCONTRE DES AMANTS, andante 3
1 Ins. La même, pour violoncelle et piano 5
SÉRÉNADE ILLYRIENNE 5
2 Ins.. La même, à quatre mains 6. >/
AUBADE 5. >.
■5 bis. La même, pour piano, violon, ^■ioloncelle et alto . . 7.50
GUITARE 5. >.
4 bis. La même, à quatre mains 6. >.
4 ter. — pour violon et piano 6. »
ROMANCE 4. »
5 bis. La même, à quatre mains 6. »
c fg,-. — pour flûte et piano 6. »
<^ qiiatcr. — pour violon et piano . 6. ^/
MARCHE NUPTIALE " 7.B0
bbis. La même, pour piano à 4 mains 9. »
(3 ier. — pour piano et orgue 9. ■>,
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Dimanche 26 Avril 1891.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. HE^RI HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les (tais de poste en sua.
SOMMAIRE -TEXTE
L Histoire de la seconde salle Favart (6« article), Albeht Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : La nouvelle direction de l'Opéra et son
état-major, H. MonENO. — III. Napoléon dilettante (5" article), Edmond Neukomm
et Paul d'Estrée. — IV. Revue des grands concerts. — Y. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
ROMANCE
pièce extraite rte Conte d'auril, musique de Ch.-M. Widor. — Suivra
immédiatement : Sérénade rococo, de Robert Fischhof.
CHANT
Nous publierons dimancbe prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Madame l'hirondelle, n" 6 des Rondes et Chansons d'avril, musique
de Cl. Blanc et L. Dauphin, poésies de George Alriol. — Suivra immé-
diatement: Puisqu'ici bas, mélodie posthume de Ch.-B. Lysberg, poésie de
Victor Hugo.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Altoer-t SOUBIES et Cliarles ]MAL,HErtBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
DEUX ANNÉES CRITIQUES (1860-1861)
(Suite.)
Marianne eut un sort moins désastreux ; quoique assez mal
accueillie le premier soir, elle atteignit le chiffre de quarante-
trois représentations, et c'était tout ce que méritait cet im-
broglio renouvelé du dernier acte du. Mariage de Figaro. Jules
Prével, le librettiste, n'avait rien inventé de bien inédit en
écrivant ce petit acte, son début au théâtre, croyons-nous. Le
musicien en était aussi à ses débuts dramatiques, et devait
trouver la célébrité ailleurs que sur la scène ; son ouvrage
représenté à Florence en 1865, la ûea Risorta, marque le se-
cond et dernier pas dans cette voie peu favorable à son talent :
c'était Théodore Ritler, le pianiste remarquable, applaudi,
fêté jusqu'au jour où le découragement le prit; car il se
dégoûta de la vie et la quitta misérablement, alors qu'elle
pouvait encore lui sourire. Si faible que fût sa partition de
Marianne, elle contenait tin « Chant du braconnier » qui devait
lui survivre ; Ritter en fit un morceau de piano, et la vogue
s'en empara; c'est tout ce qui reste aujourd'hui d'un ouvrage
et d'uQ compositeur oubliés.
Par une coïncidence curieuse, il arriva que les Recruteurs
suivirent Marianne ; après le premier ouvrage dramatique
d'un pianiste, le premier ouvrage dramatique d'un organiste;
après Ritter, l'auteur populaire des Courriers, Lefébure-Wély,
l'auteur non moins populaire des Cloches du Monastère. Cette
fois, l'essai fut franchement malheureux. La pièce, qui avait
failli porter le titre depuis fameux de Manon, était tirée d'un
vaudeville joué jadis aux Folies-Dramatiques; elle ne valait
pas grand'chose et avait mêtne le tort de mettre en scène
un Royal régiment, ce qui faisait le troisième de Tannée,
savoir : Royal-Lorraine, Royal-Cravate, Royal-Provence. On
y voyait deux recruteurs : le sergent La Rancune, qui recru-
tait pour son régiment, etVestris, qui recrutait pour l'Opéra;
et l'on entendait des chansons aux paroles burlesques
comme celles-ci ;
Vous n'serez pas mon nez... mon nez... mon épouse...
Je n'veux plus êtr' vot' dos... vot' dos.., vot' domestique.
Ce genre convenait médiocrement à Lefébure-Wély. Un
des rôles des Recruteurs, le paysan Renaud, fut la première
création à FOpéra-Comique de Capoul. Sorti du Conserva-
toire avec un premier prix d'opéra-comique ei un second
prix d'opéra, il avait débuté, le 26 août 1861, dans le rôle de
Daniel du Chalet. Le même soir s'était produite, mais avec
un succès modeste, dans le rôle de Virginie du Caïd, une de
ses camarades du Conservatoire, M"» Balbi, qui avait obtenu
également un premier prix d'opéra-comique.
D'autres débuts avaient eu lieu, vers le même temps. Rap-
pelons : au l" juin, M. Simon, qui, trois fois seulement,
chanta dans le Chalet le rôle de Max; au S juin, M-'^Litschner,
qui arrivait de Marseille, après avoir remporté en 1859 au
Conservatoire de Paris les premiers prix de chant et d'opéra-
comique, et qui, elle aussi, trois fois seulement chanta dans
les Mousquetaires de la Reine le rôle d'Athénaïs ; au 27 août,
M"'' Roziès, venue du Théâtre-Lyrique et originaire d'une
petite ville du Midi, Beaumont-de-Lomagne ; elle ne chanta
qu'un seul soir, dans rÉtoile du Nord, le rôle de Catherine,
apparemment trop lourd pour elle. Dès la seconde fois, elle
fut remplacée par M""' Ugalde, récemment échappée à un
grand danger; car au mois de février précédent, jouant à
Caen dans le Caïd, elle avait failli, pour s'être trop approchée
de la rampe, devenir victime du même accident qui, peu de
temps après, coûta la vie sur la scène de l'Opéra à la pauvre
Emma Livry. A côté d'elle reparut, sous les traits du czar
Pierre le Grand, Battaille, mais fatigué, vieilli; c'était l'avant-
dernière étape ; la dernière eut lieu au Théâtre-Lyrique, le
7 janvier 1863, dans VOndine, de Semet. Alors il se retira dé-
finitivement, et l'on ne le revit plus que sur le théâtre... de
130
LE MÉNESTREL ,
la guerre, en 1870. Nommé sous-préfet d'Ancenis, par le gou-
vernement de la Défense nationale, il soignait bravement les
malades atteints de la petite vérole, les soignant non pas en
infirmier mais en médecin, car cet éminent artiste avait reçu
une instruction des plus solides et possédait notamment son
diplôme de docteur.
Outre cette reprise de l'Étoile du Nord, on ne citerait guère
de l'année 1861 que celles du Postillon de Longjumeau le 5 oc-
tobre, et de la Sirène, le 4 novembre : la première, très brillante
avec Montaubry, un remarquable Ghapelou, et M""-' Faure-
Lefebvre, remplacée à la treizième représentation par M"*^ Bélia:
les douze représentations avaient produit 52,000 francs; la
seconde, très honorable puisqu'elle valut à l'œu-vre d'Auber
un regain de vingt-cinq soirées en quatre ans, et contribua
à maintenir au répertoire cette pièce oubliée depuis 1852,
lorsque M""" Carvalho en avait donné alors une seule et
unique représentation. Parmi les reprises on pourrait presque
compter un ouvrage de Saint-Georges pour les paroles et du
prince Poniatowsky pour la musique, Au travers du mur, un
acte, transplanté du Théâtre-Lyrique, où il avait été joué le
8 mai 1861, à la salle Favart, où il fut joué le 29 octobre
suivant. Battaille l'avait pris avec lui, en passant d'une scène
à l'autre, et comptait sans doute s'y produire ; mais une in-
disposition retarda sa rentrée : Vinfhienza régnait alors à
Paris comme en 1890, et le personnel des théâtres en était
plus ou moins éprouvé, depuis M""<=Ugalde à l'Opéra-Gomique
jusqu'à M. Faure à l'Opéra ; bref, le rôle de Battaille fut
confié à Crosti, qui sut en tirer bon parti et pour lui et pour
les auteurs.
Gomme on le voit, c'était la série des revenants, des artistes
qui rentraient momentanément sur le théâtre de leurs an-
ciens succès: tels, M. Ugalde, Jourdan, M™ Faure-Lefebvre,
Battaille, M™ Gabel qui, deux fois seulement, les 8 et 10 juin,
joua l'Étoile du Nord, Roger enfin, qui, le 17 septembre, dans
une représentation extraordinaire, s'était donné le luxe d'éta-
ler ses connaissances polyglottes; il chanta en quatre langues,
français, italien, anglais, allemand, et ne craignit pas de
servir au public le grand récit du troisième acte de Tannhciuser,
sifllé à l'Opéra, quelques mois auparavant, dans les mémora-
bles soirées des 13, 18 et 24 mars 1861. C'est à ses côtés
que débuta le 30 septembre, sous les traits d'Athénaïs de
Solange, dans les Mousquetaires, une jeune cantatrice que déjà
signalaient à l'attention les trois premiers prix de chant
opéra et opéra-comique obtenus par elle aux récents concours
du Conservatoire, M"« Gico. La venue de cette cantatrice, au
talent correct et froid, ne pouvait suffire à conjurer la mau-
vaise fortune qui s'acharnait contre la direction. Lorsqu'un
théâtre commence à recruter des pensionnaires intermittents
çt à monter des ouvrages d'amateurs, il marche à sa perte.
Moins de six mois après sa nomination, M. Beaumont avait
avait déjà entamé sa commandite, composée, on se le rap-
pelle, de 300,000 francs représentant la valeur du théâtre et
de 200,000 francs en argent. Un an plus tard, en juillet 1861,
les 200,000 francs étaient absorbés, et les commanditaires se
tournaient avec anxiété vers le ministre, en le suppliant
d'aviser.
C'est peut-être même pour conjurer le danger et se faire
bien venir du chef de l'État que le malheureux Beaumont
s'avisa de composer les paroles de la cantate ofHcielle, chan-
tée à son théâtre, le 15 août, par Troy, Crosti et Gourdin avec
musique de Duprato. Les directeurs ne dédaignaient pas alors
cette petite flatterie au pouvoir. A l'Opéra, la cantate de 1859
avait eu pour auteur Alphonse Royer, et au Théâtre-Lyrique
celle de 1856, M. Carvalho : souvenir digne de remarque,
car ce dernier n'était point parofo'er par état, et c'est là, croyons-
nous, le seul échantillon poétique qu'on puisse citer à son
actif. Beaumont fit comme ses devanciers, sans paraître en
avoir recueilli un avantage sérieux.
Il fallait tout l'optimisme, intéressé sans doute, du rédac-
teur de la Gazette musicale pour dresser un bilan favorable et
écrire en parlant de la Circassienne, de la rentrée de Roger et
de la reprise du Postillon: « Voilà le grenier d'abondance
où rOpéra-Comique est allé chercher son pain quotidien. »
Ce grenier, hélas ! était vide ou à peu près. A la fin de 1860,
les artistes offraient à leur directeur 'un bronze de Barbedienne
avec cette inscription : « comme témoignage de leur sym-
pathie » ; à la fin de 1861, M™ Ugalde et M"» Saint-Urbain
plaidaient contre lui.
Le mois de janvier 1862 ne Ql qu'empirer la situation. La
seule nouveauté, un acte de Gormon et Trianon pour les
paroles, et d'Eugène Gautier pour la musique. Jocrisse, ne
réussit guère. C'était une édition nouvelle et médiocrement
heureuse des aventures du fameux Dorvigny; en deux années,
elle ne put dépasserle chiffre de dix-sept représentations. Le soir
de la première, lOjanvier, avaient débuté en travesti dans le rôle
de Colin, M'"= Rolin, qui avait obtenu aux précédents concours
du Conservatoire un deuxième prix d'opéra-comique et un
troisième accessit de chant; le 13 janvier avait également
débuté M™'= Ferdinand dans le rôle de Gabrielle de Ma tante
dort; ni l'une ni l'autre de ces artistes ne pouvait prétendre à
la qualité d'étoile. Artistes, pièces nouvelles, ouvrages an-
ciens dont plusieurs quittaient définitivement le répertoire,
comme le Petit Chaperon rouge, la Perruche, les Trovatelles, la Clé
des champs, tout s'effondrait peu à peu. Un jour de paye,
l'argent manque; il fallut bien alors que l'administration
intervint, et elle le fit au moyen d'un arrêté dont les termes
étaient fort explicites.
« Le ministre de l'intérieur, etc.
» Vu, etc., etc.,
» Considérant que le sieur Beaumont est en état de mau-
vaises affaires constatées par le défaut de payement des
artistes, employés et fournisseurs du théâtre ;
» Considérant que, depuis longtemps déjà, et par le fait du
sieur Beaumont, le théâtre de l'Opéra-Gomique n'est plus
dirigé comme il convient à un théâtre impérial subventionné;
y Considérant que, par des actes personnels, le sieur Beau-
mont a cessé de mériter la confiance de l'administration,
» Arrête :
» Le sieur Beaumont cessera ses fonctions à partir de ce jour
(26 janvier). — Signé: Walewski ».
Le 30 janvier, M. Edouard Monnais, commissaire du gou-
vernement, présentait au personnel le nouveau directeur
désigné par l'État : c'était le même qu'il avait déjà présenté,
dans des circonstance assez analogues, près de douze années
auparavant, le 29 avril 1849; c'était M. Emile Perrin, qui pour
la seconde fois allait mettre au service du théâtre son expé-
rience et son adresse, réparer quelques-unes des fautes
commises et ramener la fortune à la salle Favart.
(À suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LA NOUVELLE DIRECTION DE L'OPÉRA
En quelques mots seulement, nous avons pu, dimanche dernier,
au moment de mettre sous presse, donner la nouvelle d'un change-
ment de direction à l'Opéra. MM . Ritt et Gailhard sont renvoyés
à leurs chères études, et c'est M. Eugène Bertrand qui est appelé
à les remplacer. En moins de deux mois, le ministre des beaux-
arts aura donc fait maison nette dans nos deux principales entre-
prises lyriques, les débarrassant l'une et l'autre de tenants vraiment
bien peu dignes de la situation qu'ils occupaient. D'un balai vigou-
reux il a nettoyé les écuries d'Augias, et on lui doit des félicitations
pour celte honnête besogne. Qu'il laisse gronder autour de lui les
quelques mécontents plus ou moins puissants qui grognent de voir
par terre leurs créatures, et qu'il demeure fort et calme dans la sa-
tisfaction du devoir accompli.
Laissons ces gens-là cuver leurs colères, et pensons aux nouveaux
arrivants. M. Bertrand est avant tout un fort aimable homme, de
façons liés courtoises et d'esprit très fin. Il a l'amour du théâtre et,
dès l'âge le plus tendre, il a toujours dirigé quelque chose. On, ne
LE MÉNESTREL
131
se souvient pas d'avoir connu Bertrand autrement qu'à la\tête d'une
entreprise de spectacle, mal à son aise même quand il n'avait à
mener qu'une seule scène à la fois. Homme des vastes combinaisons
et cocher de grandes guides, il dédaigne le simple cab, il aime à
conduire à quatre et recherche volontiers les complications du mail-
coach. C'est ainsi qu'on l'a vu parfois mener de front, avec une véri-
table désinvolture, tout un quatuor de théâtres rassemblés sous sa
puissante main : les "Variétés, qui furent de tout temps son siège
principal, et la Renaissance, et le Palais-Royal, et l'Eden. Nous
croyons même qu'à la même époque il n'était pas étranger non plus
à la direction du Vaudeville. Ce fut le temps le plus heureux de sa
vie. Pas moyen de s'ennuyer une minute, avec tant de représenta-
tions à organiser. Quelle joie de suivre tout cela le soir... tranquil-
lement installé chez soi dans un bon fauteuil, au boulevard Pereire!
car M. Bertrand aime surtout le spectacle pour les autres; quand
tout est prêt à point, il en laisse jouir son bon public. Mais lui,
quand sa journée est terminée, il se confine dans son hôtel, tout
entier aux joies de la famille. Voilà l'homme, qui est un sympathique
et un séduisant.
Que fera-t-il à l'Opéra ?
Ses plans sont vastes, et il faudra sans doute en rabattre à la pra-
tique. M. Bertrand conserve d'abord les trois jours d'abonnement
<;omme ils sont. Il y ajoute, en dehors de l'abonnement, une qua-
trième représentation hebdomadaire tous les samedis, soit quatre
« samedis » par mois. Sur ces quatre samedis, trois seront consa-
crés aux représentations à prix réduits, comme elles existaient déjà.
avec celte différence qu'il y aura ainsi trente-six représentations à
prix réduits par année au lieu des douze que devaient donner
MM. Ritt et Gailhard et qu'ils ne donnaient même pas. Le qua-
trième samedi mensuel sera au contraire une représentation de gala
à prix doublé, soit douze soirées par an extra-élégantes et qui seront
consacrées à la résurrection d'ouvrages du XVII° et du XVIIP siècle,
avec le double concours des troupes de la Comédie-Française et de
l'Opéra. C'est ainsi qu'on pourrait reprendre, par exemple, il. de
Pourceau gnac ou le Bourgeois gentilhomme avec tous leurs intermèdes
«t leurs divertissements, tels qu'on les donnait à la cour de Louis XIV.
De plus, chaque dimanche, dans la journée, il serait donné une
représentation populaire à prix plus que réduits, puisque les places
d'orchestre ou d'amphithéâtre ne coûteraient pas plus de 2 fr. SO c.
Pour augmenter le nombre des places, les fauteuils seraient rem-
placés par de simples banquettes. C'est de l'Opéra démocratique,
comme on voit, et qui ne permettrait pas à la direction, pour ces
cinquante-deux représentations populaires, de faire ses frais. Mais
l'esprit ingénieux de M. Bertrand a trouvé un moyen d'y subvenir,
en intéressant ses abonnés à cette entreprise philanthropique. Il
augmente tout bonnement leurs places habituelles de -3 francs par
spectacle, et vous verrez qu'il n'y aura personne pour s'en plaindre.
D'autres seraient là, d'ailleurs, et trop nombreux encore, pour s'empa-
rer immédiatement des places qui deviendraient vacantes.
Ce n'est pas tout. Il y aura encore le jeudi, de S à 7, deux fois
par mois, ce qu'on appellera les fine o'clocks de l'Opéra. Ce seront
des concerts organisés par M. Colonne, dans lesquels les œuvres
des jeunes compositeurs français et des maîtres étrangers prendront
la plus large part. A ces concerts, les abonnés des trois jours
seraient admis gracieusement; ce serait une sorte de compensation
que leur donnerait M. Bertrand pour l'élévation du prix de leurs
places pendant le reste de la semaine.
Pour arriver à la réalisation d'un programme aussi compliqué,
M. Bertrand s'est assuré le concours d'un état-major d'élite. Il a
pris d'abord pour associé M. Campocasso, un homme de grande
expérience, qui a dirigé déjà les principales scènes de la France etde la
Belgique, laissant partout le renom d'un habile administrateur. Ce
sera un admirable directeur de scène. Ledirecleurdela musique sera
M. Colonne, que nous n'avons pas à présenter à nos lecteurs. Nous
avons eu trop l'occasion d'apprécier ici ses mérites pour avoir
besoin d'y revenir. C'est un choix excellent. Le secrétaire général
sera M. Georges Boyer, et assurément on n'en pouvait trouver qui
soit plus sympathique et plus intelligent. Nous savons enfin qu'il
est fait des ouvertures à un des plus grands chanteurs français de
notre temps, pour qu'il prenne la direction des études du chant.
Si l'on réussissait à se l'attacher, ce serait un coup de maître. II n'y
aurait plus qu'à s'assurer le concours de M. Joseph Dupont comme
chef d'orchestre, au cas oîi les occupations de M. Colonue ne lui
permettraient pas de prendre lui-même en main le bâton de com-
mandement, et, avec tous ces concours, on serait en droit d'espérer
une véritable rénovation de notre Académie nationale de musique.
H. MORENO.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
IV
LA « CHAPELLE »
Nous avons vu combien la musique était en honneur à La Mal-
maison, — nous aurions pu ajouter... et au Luxembourg, oii Bona-
parte tenait sa cour, avant d'émigrer vers Saint-Cloud et vers les
Tuileries, oîi l'on pouvait lire encore une inscription aux termes de
laquelle l'ancienne demeure des souverains était à jamais fermée
« aux tyrans ».
I ' Les compositeurs et les virtuoses se succédaient sans interruption
dâuFTes salons du premier consul; ony faisait d'excellente musique,
très douce et très variée; mais rien n'était encore arrêté, classé. En
un mot, il n'y avait pas encore de musique officielle.
Ce fut la création de la « Chapelle » qui combla cette lacune. La
première messe en musique fut exécutée le 3 vendémiaire an XI à
Saint-Cloud, et tous les anciens conventionnels y accoururent. Sui-
vant un témoin oculaire, Bonaparte, en s'y rendant, « se dandinait
en marchant, comme les Bourbons. » Il occupa le siège réservé
naguère à Louis XVI, prêtant l'oreille aux « effluves mélodieux »
où, toujours d'après la même source, « le cor de Frédéric mariait
ses notes à la harpe de Dalmivare ».
Stanislas Girardin rappelle dans son Journal, à propos de cette
solennité, la conversation qu'il avait eue, trois ans auparavant, avec
Bonaparte, au moment de la conclusion du Concordat,
— Si vous voulez absolument rétablir la religion catholique, vous
serez obligé d'aller à la messe, avait-il dit.
— Cela peut être, avait répondu le premier consul.
— Mais vous contraindrez aussi tous les fonctionnaires publics à
y assister.
— Quelle folie!
— Non, citoyen consul, cela sera, parce que cela vous paraîtra
nécessaire; et ce que je vous demande aujourd'hui, c'est de vouloir
bien attacher d'excellents musiciens à votre chapelle, parce qu'une
bonne musique est un remède contre l'ennui; et la messe, que nous
n'avons plus l'habitude d'entendre, pourrait nous paraître une chose
ennuyeuse.
Aux Tuileries, le service divin était célébré dans la salle du conseil
d'État, la chapelle ayant été détruite, et celle qu'on construisait,
conjointement avec une salle de spectacle, sur l'emplacement de la
salie de la Convention, n'étant pas encore prête. On y était fort à
l'étroit, de sorte que les huit chanteurs et les vingt-sept sympho-
nistes qui la composaient n'y pouvaient trouver place. Le piano et
les chanteurs seuls y figuraient; derrière eux, les violons s'entas-
saient dans une petite galerie, et les basses et les instruments à vent
étaient relégués dans une pièce voisine.
Plus tard, ces forces furent considérablement accrues, lors de
l'inauguration de la nouvelle chapelle, qui eut lieu le 2 février 1806.
Les plus grands virtuoses y furent attachés : parmi les chanteurs,
on remarquaitNourrit, Rolland, Lays, Martin, Derivis, M"""^ Brauchu,'
Armand et Duret, et, parmi les exécutants, Kreutzer, violon solo;
Baillot, chef des seconds violons; les clarinettistes Charles Duvernoy
et Dacosta; Dalmivare, le harpiste incomparable; et tant d'autres
musiciens remarquables, dont les noms se sont transmis jusqu'à
nous dans les fastes musicaux de la première moitié de ce siècle.
Comme répertoire, ces grands artistes exécutaient communément les
compositions de Paisiello, de Zingarelli, d'Haydn, de Lesueur et de
Martini.
La Musique-chapelle, ainsi montée, fit de grandes choses ; mais
en aucun temps elle ne fut aussi prodigue de bons résultats, au
point de vue des jouissances pures de l'art, que lors du trop court
passage de Paisiello. Chaque jour, chaque soir, elle se faisait enten-
dre, joignant à des primeurs sans cesse renouvelées, les morceaux
favoris du répertoire, en tête desquels figurait la pastorale de Nina:
Gia il sol si cœla dielro alla montagna, qui charmait tellement Bona-
parte, qu'il l'aurait, paraît-il, entendue volontiers tous les soirs.
Il faut dire que le premier consul avait quelque peu collaboré à
la confection de cet air, comme on le chantait du moins aux Tuileries.
Un jour où il venait de l'entendre, avec ses accords en syncope,
sous lesquels un trait se produisait à chaque premier temps de
mesure, — tel qu'il était écrit primitivement, — il dit à Kreutzer :
Paisiello a voulu peindre l'agtlation d'un père à qui l'on vient
d'apprendre que sa fille a perdu la raison. Son image est impar-
faite ; son orchestre est trop tranquille; il me semble que l'effet
132
LE MEINÈSTllEL
serait bien meilleur si le trait rapide était répété dans les intervalles
des repos.
On s'empressa de rectifier l'accorapagaernent d'après l'idée de
Napoléon, et cette rectification fut, naturellement approuvée, par les
juges les plus compétents.
Durant son séjour à Paris, Paisiello ne composa guère que des
messes et des motets. Mais il rayonnait comme uu astre fulgurant
parmi la pléiade des compositeurs de la capitale. Il ne se jouait pas
une note de musique à Paris sans son approbation, et le premier
consul le consultait sur les moindres détails de l'activité musicale.
Un jour, il eut à lui soumettre un morceau d'un caractère tout à
fait spécial.
A l'occasion d'un voyage projeté dans les départements de l'Ouest,
un professeur de musique nommé Mauduit, demeurant rue du Grand-
Maulévrier, à Rouen, avait entrepris « de payer par son art son
tribut au chef de la République. » Il avait composé, dans ce but.
une sorte de symphonie dans laquelle, mettant en pratique des
procédés déjà connus, mais qui de son temps étaient fort en vogue,
il s'était préoccupé « de peindre et d'imiter » les mouvements de
la rue lors de l'arrivée du premier consul à Rouen. Voici comment
l'auteur détaillait lui-même son programme :
Cavalerie accourant en criant : Le voilà, le voilà !
Galop de chevaux.
Cris de « Vive Bonaparte ! »
Roulemunt de carrosses.
Canon.
Trompettes de hussards.
Galop de chevaux.
Bruit du canon répété par les échos.
Harangues exprimées par des solo (sic) successits de divers instruments.
Chant d'allégresse.
Cris de « Vive Bonaparte ! »
Bruit confus du peuple qui se précipite en foule pour voir le premier
consul.
Mauduit se préparait à faire exécuter sa symphonie, lorsque, pour
sou plus grand désespoir, Bonaparte eut la malencontreuse inspira-
tion de changer son itinéraire et de passer par Le Havre. Mais l'au-
teur ne se tint point pour battu: il eavoya sa partitionà Saint-Cloud,
où nous la retrouvons encore avee cette annotation de la main du
premier consul :
Renvoyé à M. Paisiello pour me rendre compte si la musique est bonne.
On conviendra que si les corvées de ce genre étaient nombreuses
— et elles devaient l'être, — la charge de Paisiello était loin d'être
une sinécure, surtout si l'on y joint le surmenage dont l'accablait
le premier consul, toujours avide d'entendre de la musique. Aussi,
la nostalgie et le regret du doux far-niente de Sorrente et de Capr'i
s'emparèrent-ils du cygne napolitain. Vainement il lutta contre cette
disposition d'esprit : la tentation de revoir le ciel bleu d'Italie l'em-
porta sur la gloire qui rejaillissait de sa position en France, et il
résolut de profiter de la première occasion qui se présenterait pour
mettre son projet à exécution.
Cette occasion ne tarda point à se produire. Sur le désir du pre-
mier consul, Paisiello dut écrire un opéra, Proserpine. qui fut repré-
senté par ordre. Il n'en fallait pas plus pour décider d'une chute.
Le clan du Conservatoire se mit en campagne et sut arriver à ses
fins en flattant, dans la foule, l'instinct secret qui la portait à sai-
sir tout prétexte pour faire quelque opposilion au pouvoir existà^nt
Frapper Paisiello, c'était viser Bonaparte, et les ferments du vieux
levain royaliste n'étaient pas encore suffisamment éteints, pour
qu'on laissât passer une occasion aussi propice de faire entrevoir
un coin de la cocarde prohibée. Le public de la première fut donc
absolument glacial, et Proserpine, condamnée sans rémission ne
tarda pas à disparaître devant l'indifférence publique, malo-ré' les
efforts du chef de l'État et de son entourage. ' '
Dès le leudemain de la représentation.^Botîaparte avait fait par-
parvenir à Paisiello cette lettre, qui fut reproduite dans le Moniteur:
Paris, 17 germinal an XI, 7 avriH803.
A M. Paisiello.
Le Premier Consul, protecteur des beaux-arts autant que juste apprécia-
teur du mérite, m'ordonne de vous exprimer la satisfaction particulière
qui a éprouvée en admirant, dans la Proserpine, vos rares talents gue
1 Italie entière connaît déjà et que la France, qui se réjouit de les possé
der, s'empresse de célébrer.
En m-acquittant d'une commission aussi agréable, je dois vous assurer
de toute la part que je prends à cet événement si glorieux pour vous..
Par ordre du Premier Consul.
Cette lettre si flatteuse ne fut point uu baume suffisant à la blessure
causée à l'amour-propre de l'auteur. « La chute de l'opéra de Pro-
serpine, qui contenait cependant de beaux moiceaux, nous apprend
Georgelte Ducrest, fut un coup terrible pour sa réputation. Bona-
parte en fut furieux et répétait que les Français n'i-ntendaienl rien
à la musique. Il trouvait fort mauvais que son protégé ne réussit
pas et que son goût ne fût pas celui des autres. L'ouvrage, malgré
de grands dépenses, de jolis ballets, de belles décorations, n'eut
qu'un certain nombre de représentations. L'autorité s'obstinant à le
faire jousr, le public à n'y pas aller, il fallut y renoncer. Paisiello,
dégoûté de la France, voulut retourner en Italie. »
Bonaparte dut donc se résigner à se séparer de son cher musicien.
Mais au moins voulut-il tenir son successeur de sa propre main.
Gomme nous l'avons vu, Méhul fut tout d'abord pressenti. Mais les
pourparlers ayant été rompus, Paisiello désigna Lesueur, au grand
étonnement du premier consul, qui le connaissait peu. Aussi mon-
trait-il quelque hésilalion à ratifier ce choix ; et peut-être même les
relations avec Méhul eussent-elles été renouées, si le Journal de
Paris, annonçant le départ de Paisiello, n'avait eu la malencontreuse
idée, sans doute à l'instigation du Conservatoire, dont Lesueur
était la bête noire, d'ajouter que Méhul serait probablement nommé
à sa place.
En lisant ce passage, le premier consul entra dans une vive
colère et donna l'ordre à Duroc d'écrire sur-le-champ à Lesueur
pour lui annoncer sa nomination. Quelques heures après, Paisiello
présentait son nouveau maître de chapelle à Bonaparte, qui lui dit:
— J'espère, mon cher Paisiello, que vous resterez encore quelque
temps ; en attendant, monsieur Lesueur voudra bien se contenter
de la seconde place.
— Général, répondit Lesueur, c'est déjà remplir la première que
de marcher immédiatement après un maître tel que Paisiello.
Le mot plut, et la' fortune de Lesueur fut assurée, ce qui lui
était bien nécessaire, car dans ses luttes avec le Conservatoire, ce
maître éminent avait perdu tout son crédit artistique en même
temps que toutes ses ressources, même pour la vie courante.
Ces batailles, dignes de prendre place à côté des querelles célèbres
des Bouffons et des Gluckistes et Piccinnistes, avaient pour origine
l'éloignement dans lequel l'Opéra tenait systématiquement Lesueur.
Les Bardes et la Mort d'Adam, reçus à ce théâtre, avaient déjà vu
deux fois leur tour donné à d'autres ouvrages, lorsque, de nouveau,
la Semiramis de Catel leur fut préférée. Dans son irritation, bien
justifiée, Lesueur rendit Sarrette, directeur du Conservatoire et
grand ami de Catel, responsable de ces retards, et pour qu'on n'en
ignorât, il prit le public à témoin de son différend.
Aussitôt une pluie de brochures s'abattit chez les libraires. Sar-
rette avait avec lui les professeurs et les grands théâtres, tandis que
tous les vieux musiciens des anciennes maîtrises se groupèrent
autour de Lesueur. Il en résulta de vives escarmouches, oîi l'on ne
tarda pointa perdre de vue le point litigieux primitif, pour se prendre
aux cheveux sur des questions générales d'école et d'enseigne-
ment. Lesueur avait débuté par une Lettre sur l'opéi-a de « la mort
d'Adam», dont le lourde 7nise en scène arrive pour la troisième fois, et sur
plusieurs points d'utilité relatifs aux arts et aux lettres. Bientôt suivi-
rent : Le Russe à Paris, ou Réflexions sur les institutions musicales de la
France: une Lettre à M. Paisiello, par les amateurs de la mvsique drama-
tique; uu Projet d'un plan général de l'instruction musicale en France,
etc., etc.. Finalement, l'iostitution de Sarrette conjura ce flot d'encre
par un Recueil de pièces à opposer à divers libelles dirigés contre le Coase;-
tJrtioJre... Et dî toute cette campagne il ne résulta pAir Lesueur que le
s^rand désagrément de se voir destitué de ses fondions d'inspecteur
du Conservatoire, ce qui lui enlevait jusqu'à ses dernières ressources
pécuniaires.
Dans ces conditions, on se figure la surprise des adversaires de
Lesueur, lorsqu'ils le virent soudainement s'élever, d'un bond, de
l'état dans lequet ils l'avaient mis, au premier et suprême rang de
la France musicale. Ce fut plus que de la stupeur, ce fut une con-
sternation. Mais Lesueur ne prit point garde à ces clameurs; il
s'occupa modestement à faire ce que Bonaparte lui demandait, c'est-
à-dire de la bonne musique, et il y parvint.
Paisiello lui avait montré le bon exemple, — celui du travail; car
durant son court passage à la Chapelle, il avait enrichi son réper-
toire de 16 oifices complets, composés de messes, d'antiennes et de
motets. Dans la suite, il envoya de Naples, chaque année, un mor-
ceau de musique religieuse pour le 15 août, en reconnaissance de la
très forte pension que lui faisait Napoléon. La Chapelle s'appuj'ait
donc sur des bases solides, que ne fit qu'augmenter le nouveau di-
recteur.
LE MENESTREL
133
Sous son impulsion, la musique, au (îhâfeau, loin de pHticliter,
s'accrut d'un nouvel élément : Lesueur était passé maître dans l'art
de l'oralorio, et l'oratorio fut promptement à la mode. On accourait
à la Chapelle avec le même empressement qu'aux premières repré-
sentations de l'Opéra. Napoléon s'enthousiasma pour ce genre, nou-
veau pour lui : la première fois qu'il entendit Débora, il dit à
l'auteur :
— J'ai déjà remarqué plusieurs de vos ouvrages, monsieur Le-
sueur, mais c'est à Déboisa que je donne la préférence. Combien
avez-vous fait de messes ou d'oratorios?
— Sire, vingt-deux.
— Vous devez avoir barbouillé bien du papier; c'est encore une
dépense, et je veux qu'elle soit à ma charge. Monsieur Lesueur, je
vous accords 2,400 francs de pension pour payer le papier que vous
savez si bien employer. C'est pour payer le papier, entendez-vous;...
car, pour un artiste de votre mérite, le mot de gratification ne doit
pas être prononcé.
Peu de temps après la nomination de Lesueur, la Chapelle eut a
déployer toute son activité, en vue du sacre prochain de Napoléon,
promu empereur par le sénatus-consulte du 18 mai 1804. Tous les
talents furent mis en réquisition pour donner à celte solennité tout
l'éclat désirable. Le pape Pie VII devait présider à la cérémonie,
et tous les éléments de luxe et de splendeur avaient été mis à con-
tribution pour l'éblouir et le fasciner.
Il est vrai qu'on n'y parvint pas toujours. Le lundi qui précéda le
couronnement. Napoléon avait fait venir quelques chanteurs pour
donner un concert dans les appartements de l'impératrice; mais le
pape se retira au moment où la musique commença. Il en fut de
même, le jour de la cérémonie, au ballet exécuté par les danseurs
de l'Opéra, dans le grand salon des Tuileries.
Pour le service à Notre-Dame, Paisiello avait fourni une messe
de Te Deum à deux chœurs et deux orchestres; Lesueur avait com-
posé son Chant du sacre ; et divers morceaux d'autres auteurs,
favoris de Napoléon, complétèrent un ensemble qui doubla cette
journée mémorable d'une solennité musicale sans pareille. A la
vérité, les journaux du lendemain, si prolixes sur les détails du
cortège et de la cérémonie du 2 décembre, se taisent sur cette
partie de la fête. Mais la relation en est restée dans les mémoires
du temps. Ceux de Constant, surtout, s'attachent tout particulière-
ment au rôle des musiciens pendant le sacre :
« Je n'ai peut-être jamais entendu d'aussi belle musique, nous
apprend l'ancien serviteur de Napoléon; elle était de la composition
de MM. Paisiello, Rose et Lesueur, maîtres de chapelle de LL MM.
L'orchestre ot les choeurs offraient la réunion des premiers talents
de Paris. Deux orchestres à quatre chœurs, composés de plus de
300 musiciens, étaient dirigés, l'un par M. Persuis, l'autre par M. Rey,
tous deux chefs de la musique de l'empereur. M. Lays, premier
chanteur de S. M., MM. Kreutzer et Baillot, premiers violons au même
titre, s'étaient adjoint tout ce que la chapelle impériale, tout ce que
l'Opéra et les grands théâtres lyriques possédaient de talents supé-
rieurs en instrumentistes, aussi bien qu'en chanteurs et qu'en chan-
teuses. La musique militaire était innombrable et sous les ordres de
M. Lesueur, elle exécutait des marches héroïques, dont une, com-
mandée à M. Lesueur pour l'armée de Boulogne, est encore aujour-
d'hui, au jugement des connaisseurs, digne de figurer au premier
rang des plus belles et des plus importantes compositions musi-
cales. Quant à moi, cette musique me rendait pâle et tremblant. Je
frissonnais par tout le corps eu l'entendant. »
Dans la suite, la C/îa;je//e continue sa brillante carrière; mais ses
attributions se cantonnèrent dans la spécialité de la musique reli-
gieuse et de l'oratorio, les concerts et les spectacles h'riques de la
cour étant désormais du ressort de la musique particulière de l'em-
pereur, à laquelle son personnel avait, d'ailleurs, fourni le principal
contingent, sous le rapport de l'orchestre et des chœurs.
(A suivre.) Edmond Neuko.mm et Pall d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est par la symphonie en fu de Beethoven, l'une des moins grandioses,
mais des plus charmantes du maître, que s'ouvrait la dernière séance
de la Société des concerts du Conservatoire. L'orchestre l'a dite d'une
façon exquise, particulièrement son adorable andante scherzando, que le
public a voulu entendre deux fois, partageant ainsi l'avis de Berlioz, pour
qui ce morceau «est une de ces productions auxquelles on ne peut trouver
ni modèle ni pendant ». Venait ensuite la Fuite en Egijpte dudit Berlioz,
dont l'effet est toujours profond sur l'auditoire, et à laquelle succédait
l'intéressante ouverture de ta Grotte de Fingat, do Mendélssohn,quele compo-
siteur intitulait aussi, tantôt l'Ile déserte, tantôt les Hébrides. On sait que
l'idée de cette ouverture lui était venue à la suite d'un voyage en Ecosse
et d'une visite aux Hébrides, voyage au retour duquel une chute de voi-
ture occasionna à Mendelssohn une blessure si grave au genou qu'il dut
rester deux mois dans l'immobilité la plus complète et se vit dans l'im-
possibilité de rentrer en Allemagne pour assister au mariage de sa sœur
Fanny. C'est l'année suivante (1830), â Rome, qu'il commença à écrire
cette ouverture, ainsi qu'en témoignent trois lettres écrites de cette ville
à sa famille. Dans l'une d'elles il dit : « Je travaille mamtenant tous les
jours aux Hébrides, et je vous les enverrai dès qu'elles seront finies. C'est
un morceau qui produira, je crois, un eftèt très original. » II s'en mon-
tra très satisfait lorsqu'il tut terminé, comme le prouve cette lettre à son
père : « Je me propose d'achever demain mon ancienne ouverture de
/'//(' déserte, c'est le cadeau que je te destine pour ta fête, et lorsque j'écri-
rai au bas la date du 11 décembre, il me semblera que je le remets entre
tes mains. Tu me dirais sans doute, si j'étais là, que tu ne peux pas la
lire, mais je ne t'en aurais pas moins offert ce que je peux produire de
mieux. » L'ouverture ne fut pourtant complètement terminée que le
1(3 décembre. On en connaît deux partitions de la main de Mendelssohn,
avec des différences assez sensibles : l'une, avec le titre de l'Ile déserte (Die
einsame Insel), qui est passée aux mains de son filleul, M. Félix Mos-
chelès; l'autre, intitulée tlie Hébrides, qui appartient aujourd'hui à la famille
du compositeur anglais sir W. Sterndale Bennett. — Après une exécution
superbe de cette ouverture, nous avons entendu l'epithalame de Gwendoline,
opéra de M. Emmanuel Ghabrier représenté à Bruxelles, on se le rappelle,
il y a quelques années. C'est une page sonore, colorée, d'une grande
ampleur de forme, mais à qui l'on souhaiterait une idée première d'un
jet plus riche et plus généreux. Là séance se terminait par la délicieuse
symphonie en ut d'Haydn, dont l'introduction surprend toujours par son
caractère étonnamment et profondément dramatique, qui n'annonce guère
le joli badinage qu'on doit entendre un peu plus tard et dont le joli solo
de hautbois a été, comme toujours, un triomphe pour M. Gillet, qui le
dit avec une sonorité, une sûreté et un style merveilleux. En résumé,
tout ce beau programme a été rempli de la façon la plus satisfaisante.
Le moment est venu de récapituler les travaux de cetie soixante-quatrième
session de notre glorieuse Société des concerts, session qui se terminera
dimanche prochain par une audition nouvelle et supplémentaire de la
Messe en si mineur de J.-S. Bach. C'est précisément l'admirable exécution-
de cette œuvre admirable qui aura été le point culminant de la saison.
Mais elle a été ici l'objet d'un travail particulier, on sait quel en a été le
succès, et je n'ai point à y revenir. A part cette œuvre colossale, qui a
elle seule remplissait toute une séance, pas un seul des programmes,
pour obéir à une tradition dès longtemps établie, n'omettait le nom de
Beethoven. Du maître immortel nous avons eu la 3° symphonie (Héroïque),
la i' (en si bj> la o° (en ut mineur), la 6" (Pastorale) , et la 8" {en fa) ; puis
le concerto de piano en sol, exécuté par M. Delaborde, la sublime ouver-
ture de Coriolan et le chœur des Prisonniers de Fidelio. D'Haydn nous
avons entendu la symphonie en ut, celle en ré (&) et un air de la
Création ; de Mozart la symphonie en sol mineur et le concerto à deux
pianos, exécuté par M""= George Hainl (Marie Poitevin) et M"'' Clotilde
Kleeberg; de Haendel des fragments du Messie et un air de l'Allégro ed il
Pensieroso ; de Weber, seulement l'ouverture A'Oberon ; de Mendelssohn la
symphonie en la mineur, les ouvertures à'Athalie et de la Grotte de Fingal,
un chœur de Paulus et un chœur sans accompagnement: le Chanteur des
bois: de Schumann la symphonie en ré mineur et la troisième partie des
scènes de Faust ; de Wagner le prélude de Tristan et Yseult et la marche
de Tannhduser; enfin, de M. Max Bruch le concerto de violon, exécuté
par M. Hayot. L'école française n'a pas à se plaindre de la part qui lui a
été faite : on nous a fait entendre de Berlioz la Fuite en Egypte et l'ouver-
ture du Carnaval romain; de Bizet l'andante et le scherzo de la L" sym-
phonie ; de Louis Lacombe d'importants fragments de Sapho, poème an-
tique ; de M. Gounod Saint François d'Assise, poème religieux ; de M. Ca-
mille Saint-Saëns le Déluge et le concerto de violon«»Ue, exécuté par
M. Delsart; de M. Massenet Biblis, poème symphonique écrit sur des pa-
roles de M. Georges Boyer ; de M. Ernest Guiraud le Carnaval; de
M. Edouard Lalo la symphonie en sol mineur ; de M. Chabrier l'epithalame
de Gwendoline; et de M. Gabriel Fauré la musique écrite pour le Caligula
d'Alexandre Dumas. Un seul nom de compositeur italien trouve place
sur les programmes : celui de Rossini, pour Vlnflammatus du Stabat, à
l'occasion des concerts spirituels de la semaine sainte. J'aurai terminé
le relevé exact des travaux de la Société des concerts au cours de cette
année, lorsque j'aurai rappelé les noms des chanteurs qui se sont fait
entendre et qui sont les suivants: M"'== Melba, Boidin-Puisais, Alice
Cognault, Michart, M"'^ Eames, Fanny Lépine, Domenech, Landi, La-
vigne, Albertine Chrétien, et MM. Verguet, Auguez, Warmbrodt, Sellier
et de La Tour. Arthur Pougin.
Concert du Chàtelet. — M. Colonne a donné une 56™'= audition de te
Damnation de Faust de Berlioz. Inutile de dire qu'il y avait salle comble.
L'œuvre de Berlioz a le don de passionner le public, et avec justice. Ber-
lioz est là tout entier. Il y a dans cette œuvre des pages d'une simplicité
idéale qui rappellent Gluck; il y aussi des pages démoniaques qui frisent
la vulgarité, mais dont l'effet est irrésistible. L'exécution a été des plus
remarquables : l'orchestre excellent comme toujours : les chanteurs se sont
-134
LE MENESTREL
tenus à la hauteur de l'œuvre qu'ils interprétaient. Une mention particu-
lière est due à W' Marcella Pregi, qui a rendu avec un goût parfait le
rôle si diflîcile, et parfois si ingrat de Marguerite s'il n'est pas tenu avec
une grande perfection. M"" Pregi a une voix très sure et d'une grande
pureté, et elle sait s'en servir. Son succès a été très grand dans l'admirable
cantilène : Amour, ardente flamme, qu'elle a dite d'une façon tout à fait
remarquable. MM. Lauwers, Engel et Augier ont été également et très
justement applaudis. M. Colonne a été l'objet d'une ovation très flatteuse
pour lui ; on a acclamé le futur directeur artistique de l'Opéra. Noua
avons tout lieu d'espérer que, dans cette importante fonction, M. Colonne
apportera le large sentiment éclectique qui a, toujours présidé aux concerts
du Chàtelet et qui en fait le remarquable succès; l'esprit sectaire ne vaut
rien, ni dans les arts, ni ailleurs. M. Colonne n'a qu'à rester fidèle à lui-
même, et le succès lui restera fidèle à son tour. H. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire; symphonie en fa (Beethoven); la Fuite en Egypte (Berlioz), le réci-
tant : M. de Latour: ouverture de la Grotte de Fingal (Mendelssohn); épithalame
de Givendoliiie (Chabrier), soli ; M"" Albertine Chrétien, MM. de Latour et Augutz;
symphonie en ut [Haydn). Le concert sera dirigé par M. J. Garcia.
Chàtelet, dernier concert Colonne : Cinquante-septième audition de la Damnation
de Faust (liectOT Berlioz), soli: M"" Marcella Pregi (Marguerite), MM. Engel (Faust),
Lau'wers (Mephistophélès), Augier (Brander).
— SocjÉTÉ Nationale. — Le concert avec orchestre du samedi 18 avril,
salle Erard, présentait un intérêt tout particulier, en ce que la généralité
des oeuvres portées au programme marquait très nettement la double
tendance de la jeune école française : 1° tendance symphonique et beetho-
venienne, avec une symphonie en trois parties de M. Ernest Chausson,
deux morceaux d'une symphonie en quatre parties de M.Albéric Magnard,
ei un Eleison de M. Camille Benoît: 2" emploi des thèmes populaires et
des sujets légendaires, avec une ouverture pour un drame basque de
M. Charles Bordes, un entracte pour le drame breton : Pîcheurs d'Islande,
de M. Guy Ropartz, auxquels on peut joindre une scène chorale, sur un
poème de M. Leconte de Lisle, inspiré par une légende galloise du si-
xième siècle, la Tête de Ken'warck, musique de M. Pierre de Bréville; en
outre, un poème symphonique (genre qui commence à se démoderj, la
Délivrance d'Andromède, de M. de Wailly, et une mélodie avec orchestre de
M. Léon Husson. Tout n'était pas d'égale valeur dans ce programme, mais
du moins tout témoignait de tendances élevées. La symphonie de
M. Chausson est une œuvre d'un grand développement, sérieusement
pensée, d'une remarquable unité d'inspiration, se tenant de préférence
dans les tonalités sombres, mais constamment expressive et parfois s'éle-
vant très haut. L'Eleison de M. Camille Benoit est une page d'une belle
architecture musicale et d'un grand souflle : commencée sur un ton grave
et humble, la supplication s'élève peu à peu, grandit et s'épanche en des
accents d'une harmonie puissante et profondément expressive ; puis des
voix lointaines se font entendre : c'est comme des voix d'anges venant du
ciel, apportant la paix aux âmes ; elles dialoguent quelque temps avec
les voix du chœur et de l'orchestre, puis tout s'apaise et s'éteint en de
mystiques accords. Comme impression, non comme forme musicale, cette
œuvre remarquable évoque l'idée de la il/esse en ré de Beethoven ou de
Parsifal. La symphonie de M. Magnard, encore qu'un peu touffue et d'une
forme peu facilement saisissable au premier abord, est d'une couleur or-
chestrale pleine d'éclat et dénote de sérieuses qualités techniques. ta Tête
de hen'warck, de M. P. de Bréville, est d'une déclamation irréprochable et
ferme, d'une instrumentation claire, nette et vigoureuse. M. Dimitri en
a remarquablement chanté le solo de baryton. Les thèmes basques de
l'ouverture de M. Bordes sont de couleur très vive, d'un relief très pro-
noncé ; ceux de l'entr'acte breton de M. Guy Ropartz sont des airs de danse
gais et vivementrythmés;les deux morceaux, avec des qualités différentes,
sont brillamment orchestrés. L'exécution d'ensemble, dirigée par M. Ga-
briel Marie et quelques-uns des compositeurs, a été remarquable, l'assis-
tance nombreuse et tout particulièrement choisie. J. T.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres (23 avril) :
La rentrée de M™= Albani constitue le seul fait intéressant de la semaine
à Covent Garden. Le rôle d'Elisabeth de Tannhduser compte parmi ses
meilleurs, et elle y a retronvé son succès habituel. Pour le reste, la dis-
tribution de l'opéra de Wagner est identique à celle de la saison Lago.
M. Maurel est un excellent "Wolfram, M. Perotti un Tannhàuser médiocre,
tandis que M"» Sophie Ravogli, une 'Vénus brune, est insignifiante comme
toujours. La mise on scène est soignée selon la formule assez spéciale de
la maison. Ainsi, au premier acte, on exhibe toute une ménagerie, chevaux,
chiens et chèvres, tous parfaitement dressés. Je ne sais pas si c'est de
pareils détails qui ont poussé M"« Eames à déclarer à un reporter qu'elle
trouvait la mise en scène de Covent Garden bien supérieure à celle du
Grand Opéra.
Ce qui vient de se passer à propos de la Carmen de M"= Julia Ravogli
est tout à fait étrange. Depuis l'automne dernier, les exagérations de la
presse locale avaient créé autour de M'"* Ravogli une véritable légende.
Nous a-t-on assez rabâché qu'elle était une artiste de génie, la première
de son époque, supérieure à M"° Viardot dans Orphée et autres bali-
vernes ! Comment la faire descendre de ce piédestal en reoonnaisant le
fiasco complet de sa Carmen? Tous les euphémismes ne suffiraient pas à
atténuer cet échec. Il fallait trouver autre chose. On s'est donc avisé
d'éreinter toutes les précédentes interprètes du rôle, et on a fini par s'en
prendre aux auteurs mêmes. Mérimée et Bizet ne savaient pas ce qu'ils
faisaient, et si leur Carmen n'est pas celle de M"' Ravogli, c'est qu'elle
était indigne de son génie ! Yoilk comment on est réduit, dans un grand
centre tel que Londres, à s'attaquer aux chefs-d'œuvre, pour justifier un
engouement ridicule. Je suis retourné à la seconde de Carmen, qui n'au-
rait certainement pas eu lieu, avec la distribution actuelle, sans des indis-
positions d'artistes qui étaient venues entraver la marche du répertoire.
On ne'peut pas se faire une idée, à Paris, de ce que c'est en réalité cette
Carmen de M"' Ravogli avec ses apartés, sa pantomime et ses allures
mélodramatiques. Et quelle abominable façon de chanter la délicieuse mu-
sique de Bizet, avec tous les défauts de l'école italienne, et surtout avec
un profond dédain pour les intentions du compositeur ! Un autre chef
d'orchestre, plus respectueux de l'œuvre qu'il dirigeait, se serait même
opposé à la parodie du « trio des cartes », dans lequel M"'^ Ravogli inter-
cale une partie de castagnettes 1 Mais M. Randegger et son orchestre
prennent bien d'autres libertés avec la partition de Bizet. Pour conclure,
la Carmen de M"" Ravogli dénote un tel manque d'éducation artistique,
que le succès de son Orphée apparaît comme un pur accident dans
sa carrière, dont les étapes relèvent avant tout du domaine de la réclame.
Le roi d'Italie vient, dit-on, d'adresser à M. Auguste Harris une lettre
de félicitations pour ses efforts à maintenir l'opéra italien à Londres. Sa
Majesté n'avait sans doute pas pris connaissance du tableau de troupe,
■ ni du répertoire courant de Covent Garden. Piqué au vif et voulant justifier
pareille distinction, M. Harris s'est empressé de monter la Traviala et
Rigolttto, mais malgré l'attraction des noms de M™ Albani et de M. Maurel
sur l'affiche, ces deux représentations d'opéras italiens, les premières de
la saison, ont été jouées devant des salles presque vides.
M""" Richard fera sa rentrée dans te Prophète, probablement lundi pro-
chain. C'est décidément la Basoche qui sera le prochain ouvrage monté
sur la scène de l'Opéra National anglais. A. G. N.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin: Le comte de Hochberg,
intendant de l'Opéra royal, vient de se rendre acquéreur du droit de repré-
senter les ouvrages suivants : Cavalteria rnsticana, de Mascagni, le Barbier
de Bagdad, de P. Cornélius, les Trois Pmtof, de Weber-Mahler, et Bemenuto
Cellini, de Berlioz. — Hambourg: La première représentation du Chevalier
de Marienbourg vient d'être donnée au théâtre municipal pour le bénéfice
de M'"" Klafsky, qui interprétait le principal rôle. L'œuvre est qualifiée
opéra tragique en trois actes et a pour auteurs MM. Paul Geisler, pour la
musique, et G. Kleinau, pour les paroles. Le succès s'est surtout établi en
faveur du musicien. — Lens : Le théâtre municipal vient de produire avec
succès un nouvel opéra de M. R. Wurmb, professeur de chant à "Vienne,
intitulé Ahasver. — Tons: Le théâtre du comte Esterhazy vient de rouvrir
ses portes pour une courte saison, avec un spectacle coupé dont voici la
composition: Seigneur et Valet, drame de Ch.Stein, pseudonyme sous lequel
se cache, paraît-il, une dame du plus grand monde, Autodafé, comédie de
M. A. Berger et le Roi Imre, opéra en un acte, paroles de M. C. Gross,
musique de M. G. Raimann, — autant de nouveautés auxquelles le public
a fait le meilleur accueil.
— La princesse de Metternich a, parait-il, formé le projet de provoquer
l'ouverture d'une Exposition internationale musicale et théâtrale à "Vienne.
A cet effet elle a réuni récemment, dans le palais Metternich, un comité
choisi par elle, et auquel s'était joint M. Prix, bourgmestre de Vienne.
Dans cette réunion il a été décidé qu'on allait définitivement s'occuper
des préparatifs de l'Exposition, qui devra coïncider avec les fêtes de l'an-
niversaire centenaire de la mort de Mozart, lesquelles auront lieu au
printemps de 1892. On s'occupe déjà de réunir des autographes, por-
traits, manuscrits, sculptures, instruments de toutes sortes et de tous
pays, estampes théâtrales, reproductions de décors, modèles de théâtres, etc.,
qui, entre autres objets, devront figurer à l'Exposition projetée.
— La première représentation de Cavalleria rusticana a eu lieu au théâtre
national de Bucharest avec un succès des plus grands. M"" Dardée chan-
tait Santuzza. Ses compatriotes lui ont fait de véritables ovations. Les
progrès faits par l'excellente cantatrice sont immenses. Succès pour le reste
de l'interprétation, confiée à MM. Cremonini, Ancona et M"' Rambaud
(Lola). — La semaine prochaine aura lieu la première à Bucarest de Roméo
et Juliette de Gounod, avec M™'' Dardée dans le rôle principal. — Aux
concerts syraphoniques que dirige avec succès le maestro M. "Wachmann,
directeur du Conservatoire, M"' Bilcescu, la lauréate de l'école de droit
de Paris, qui est en même temps pianiste distinguée, élève de Marmontel,
a joué, devant un auditoire très sympathique à la débutante, le concerto
de Rosenhain.
— On annonce que le jeune maestro Pietro Mascagni a été chargé, par
le comité dos fêtes du centenaire de la fondation du Dôme d'Orvieto,
d'écrire une messe qui sera exécutée à cette occasion, et dont l'exécution
aura lieu sous sa direction personnelle.
LE MENESTREL
43S.
— Voici la liste des artistes engagés dès aujourd'hui, pour la saison
d'hiver 1891-1892, au théâtre San Carlos de Lisbonne: Soprani dramatiques.
M"'* Adalgisa Gabbi et Emma Zilli; contralti, M<"'^ Renée Vidal, Adèle
Borghi et Gesira Pagnani; premiers ténors, MM. Gabrielesco et Bayo ;
premiers barytons, MM. Caméra et Pagnoni; premières basses, MM. Tau-
zini et Visconti. Il manque encore une première chanteuse légère et un
ténor dramatique. Les chefs d'orchestre sont MM. Marino Mancinelli et
W^ahils, le chef des chœurs M. Bonafous.
PARIS ET DEPARTEMENTS
La « question du chei d'orchestre » à l'Opéra est provisoirement
résolue pour le temps de direction qu'il reste à courir à MM. Ritt et
Gailhard jusqu'au l'-'' décembre prochain. C'est M. Charles Lamoureu.x,
agréé par le ministre, qui prend la succession de M. Vianesi. Il arrive
là tout porté par la Société des grandes auditions musicales de France, qui
voudrait donner ses prochains spectacles à l'Opéra. On sait qu'il s'agit
de représenter Lo/ieHjrm et ta Prise de Troie. L'arrivée de M. Charles Lamou-
reux au pupitre de chef d'orchestre à l'Opéra est une bonne fortune qui
profitera surtout à la direction nouvelle de M. Bertrand. A défaut d'autres
qualités, on ne peut du moins refuser à M. Lamoureux une grande fer-
meté et une grande volonté. Il va donc sans doute introduire parmi les
musiciens de l'Opéra une discipline et une ardeur dont le besoin se faisait
vivement sentir, et quand M. Colonne interviendra au 1"="' décembre, il
trouvera des artistes tout stylés et bien disposés auxquels il n'aura plus
qu'à donner le dernier fini et ce sens artistique qu'il possède à un si
haut degré . De même M. Bertrand trouvera tout montés dans son réper-
toire deux opéras importants, comme Lohengrin et la Prise de Troie, dont il
n'aura plus qu'à récolter les recettes, sans avoir eu le souci et les frais
de leur mise en scène. Tout sourit décidément à M. Bertrand, l'homme
heureux par excellence.
— La mise à pied de MM. Ritt et Gailhard nous voudra peut-être encore
un nouveau bonheur. On annonce en effet que ces deux messieurs ne
seraient pas éloignés de prendre le théâtre de l'Eden, pour y installer un
bon Théâtre-Lyrique, où, en compagnie de M. Lamoureux, ils exploite-
raient le répertoire de Wagner Souhaitons-le de tout notre cœur. La fon-
dation d'un troisième théâtre,lyrique sérieux est désirable à tous les points
vue et, dussent MM. Ritt et Gailhard y perdre un peu des millions qu'ils
ont su économiser sur l'Opéra, il n'y aurait qu'à s'en réjouir. On se lasse
de tout, même des œuvres de Wagner, et la nouvelle scène bayreuthienne
finirait peut-être par tourner à l'avantage de nos jeunes compositeurs
français. Malheureusement ce sont là des projets qu'on enfante dans
un moment de dépit et que la froide raison, unie à de sages calculs, fait
bientôt abandonner. C est dommage !
— Les imprécations de Gailhard, empruntées au Figaro et à l'esprit de
M. Albin Valabrègue :
Bourgeois, l'unique objet de mon ressentiment I
Bourgeois, dont l'arrêté vient de nommer Bertrand !
Bourgeois, qui me détruis et que mon cœur abhorre I
Bourgeois, toi que je hais puisque Bertrand t'adore !
Paissent, de l'Opéra, les hommes préférés
Saper les fondements par nous mal assures!
Puissé-je voir tomber au plus tôi les murailles!
' Que Bertrand de ses mains déchire ses entrailles 1
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur lui des déluges de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre.
Voir ses loges en cendre et ses décors en poudre!
Voir le dernier ténor à son dernier soupir,
Moi seul en être cause et vivre de plaisir I
— h'Écho de Paris annonce la prochaine candidature de Pedro Gailhard
à la députation dans la Haute-Garonne. Ce ne serait pas, parait-il, une
plaisanterie, mais un projet très sérieux. Le directeur dégommé aurait
acquis dans ce but une propriété à Saint-Beat et il dit à qui veut l'en-
tendre : « J'ai pour moi la vallée de l'Arbouste et les guides de Luchon. »
Il fit, il y a quelques années, une quête de charité à l'intérieur du Casino
de Luchon au profit de la Société des Guides, et il compte sur la voix de
ses clients. M. Gailhard compte aussi naturellement sur l'appui habituel
de son protecteur M. Constans, tout-puissant dans le département. Gailhard
à la Chambre, c'est un spectacle réjouissant, qu'il nous sera donné de voir,
espérons-le.
— Est-ce que décidément on songerait sérieusement à reconstruire
l'Opéra-Gomique en son ancien emplacement, place Favart? Un de nos
confrères a vu M. Caron, le conseiller municipal de Paris, qui fait en ce
moment de nombreuses démarches pour arriver à ce que le projet Guil-
lotin sorte enlin du domaine des rêves; et M. Caron entre autres choses,
lui a dit :
Le conseil municipal de Paris, pour montrer sa bienveillance à notre projet, a
consenti à ce qu'une parcelle de la place Boieldieu, mesurant environ quatre
mètres de large, fîit concédée gratuitement à l'Opéra-Gomique nouveau. Ce don
généreux permettra d'installer très commodément l'administration du théâtre, de
développer davantage les corridors de la salle, et permettra, en outre, de ne pas
songer à s'approprier pour le théâtre la maison qui tait face au boulevard. Donc,
pas d'expropriation et pas de frais excessifs. Le nouveau théâtre pourrait être
construit d'ici un an, dix-huit mois au plus tard. Il réaliserait des recettes for--
cées, et, pendant quelques années, l'Opéra-Gomique, avec sa nouvelle salle, serait
dans la situation oii se trouvait jadis placé l'Opéra avec l'escalier de M. Garnier.
Tout Paris viendrait voir la nouvelle salle. Quel accroissement de fortune pour
tout le quartier de la Bourse et du boulevard des Italiens! Je ne doute pas que
la Ghambre n'émette un avis favorable. C'est aussi l'opinion de M. Emile Ferry,
député, et de mes collègues Charles Laurent et Gamard. Je considère que j'ai été
élu par mon quartier — j'habitais la place Boieldieu depuis quinze ans — pour
poursuivre le but que je me suis tracé. J'obtiendrai, soyez-en sur, un vote de la
Chambre. Actuellement, le projet a été renvoyé avec avis favorable par M. Bour-
geois à M. Yves Guyot, et ce dernier m'a promis, je le répète, avant-hier, qu'il
mettrait bientôt la Ghambre à même de légiférer sunce projet. Attendons-nous
donc à une solution prompte, qui est attendue impatiemment par tous les habi-
tants du quartier Vivienne, et, j'en suis certain, par tous les habitants do Paris.
— Dans la séance de l'Académie des beaux-arts du 18 avril, M. Gounod,
au nom de la section de composition musicale, a donné lecture de son
rapport sur le concours Rossini. Étant donnée la faiblesse du concours,
la section propose, aux termes de ce rapport, la prorogation pure et simple
du concours au .11 décembre de cette année, en conservant le même
livret: Isis. Les conclusions du rapport sont adoptées.
— Nous avons fait connaître déjà le résultat du concours Gressent, qui
cette fois a valu le prix à M. Alix Fournier. Annonçons aujourd'hui que
le huitième concours pour la production d'un poème destiné à la prochaine
épreuve vient d'être ouvert. Les envois seront reçus à la direction des
beaux-arts, bureau des théâtres, 3, rue de Valois, du 16 au 31 octobre pro-
chain.
— Par arrêtés du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
sont nommés au Conservatoire de musique : professeur de cor, M. Bré-
mond, premier cor-solo à la Société des concerts et à l'Opéra-Comique, en
remplacement de M. Mohr, décédé; professeur d'accompagnement pratique
au piano, M. L. Delahaye, chef du chant à l'Opéia, en remplacement de
M. Bazille, décédé.
— A la mort de César Franck, ses élèves et ses admirateurs ont décidé
d'ouvrir une souscription pour lui élever un monument. L'exécution de
ce monument, qui sera édifié sur la tombe de l'éminent musicien, au
cimetière Montparnasse, a été confiée au sculpteur Rodin.
— Hier samedi a été célébré, en l'église Notre-Dame-de-Lorette, le
mariage de M. Jean Bizet, fils de l'auteur si regretté de Carmen et des
Pêcheurs de perles, avec M""^ Stéphanie Lbermitte.
— M. Porel s'occupe déjà de sa prochaine saison à l'Odéon, et nous
voyons que la musique n'y sera pas plus négligée qu'en ces dernières
années. Parmi les ouvrages qui doivent prendre place au répertoire, nous
voyons en effet qu'il est question d'une traduction de Siruensée, le fameux
drame allemand de Michel Béer, avec la superbe musique de Meyerbeer,
le frère du poète, en même temps que d'une traduction littérale en vers
de VOthello de Shakespeare par M. Léon Hennique, pour laquelle M. Henri
Maréchal écrirait une partition importante.
— Dans les premiers jours du mois de juin, la Société des grandes
auditions musicales fera entendre, au Trocadéro, Israël en Egypte, oratorio
en deux parties de Hêendel. C'est M. Gabriel-Marie qui sera chargé de
l'organisation et de la direction de cette solennité musicale.
— Nous avons tenu à nous rendre à Rouen, le 18 avril, pour y assister
à la première représentation de Velléia, opéra en quatre actes, dont le
livret est de MM. Challamel et Chantepie et dont la musique est deM.Ch.
Lenepveu. Nous y avions un double motif: d'abord celui d'entendre pour la
première fois à la scène une œuvre dramatique d'un musicien de la valeur
de M. Ch. Lenepveu, l'auteur du Florentin, du Requiem, de Jeanne d'Arc, etc.;
il était intéressant de voir, en outre, ce que pourrait être l'interprétation
d'une partition de cette importance en dehors de nos grandes scènes lyri-
ques de la capitale. Avouons immédiatement que notre curiosité a été
pleinement satisfaite. Velléda a remporté un succès complet, et ses inter-
prètes ont été très légitimement applaudis. On connaît le sujet; il est
emprunté au touchant épisole des Martyrs de Chateaubriand, dont il n'a
peut-être pas suBïsamment conservé le charme poétique et les dramati-
ques incidents. Tel qu'il est, et bien qu'il se ressente encore de la forme
d'oratorio qu'il avait à l'origine, ce livret, rimé avec soin, offrait au musi-
cien certains côtés tendres et patriotiques dont il a su habilement pro-
fiter. Ce qui nous a paru caractériser principalement dans cet ouvrage
le talent de M. Ch. Lenepveu, c'est le charme et la poésie. Assurément,
il manie en maître les masses chorales, il sait développer et rendre puis-
sants les grands ensembles : à ce point de vue, le chœur du premier acte
Tentâtes veut du sang, la conjuration au deuxième acte, la fête au troisième
acte, sont des pages vigoureuses et sonores. Mais nous leur préférons
quelques mélodies pleines d'inspiration et de grâce: la romance de Cœlius,
Dans ma vie, et son cantabile: En vain dans la forêt •,^ la ballade d'Bven:
Gallia se berçait, et le duo plein de tendresse : Loin des bruits vains de la terre.
En somme, l'opéra de ùl. Ch. Lenepveu est une œuvre sincère, remar-
quable dans plusieurs parties et qui mérite entièrement l'accueil qui lui
a été fait. M""* Levasseur (Velléda), de Béridez (Even), MM. Leprestre
(Cœlius) et Lequien (Senon) ont fait preuve d'un vrai talent et parfaitement
rendu leurs rôles. Quant à l'orchestre, il a été dirige par M. Flou de la
façon la plus digne d'éloges.
_ . -^T-rOn sait_quels services a rendus depuis quinze ans l'Association artis-
- . tique d'Angers, et quel élan elle a donné au mouvement musical en cette
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LE MÉNESTREL
ville. Nous lisons à ce sujet dans Aiigers-Arlisle : « L'Association artis-
tique a, conformément à ses statuts, désigné dans sa dernière réunion
générale les membres de la Commission administrstive. Ceux qui en fai-
saient partie ont été réélus pour une nouvelle période de deux ans avec
acclamation et à l'unanimité. Ils ont immédiatement fait appel au dé-
vouement du président, M. Jules Bordier, le priant instamment de vou-
loir bien continuer encore à diriger cette œuvre, vieille déjà de quinze
années et à laquelle Angers doit un orchestre de premier ordre et des
concerts exceptionnels. Il importe de ne pas oublier que ni la bonne vo-
lonté, ni les efforts persistants de ceux qui la dirigent, ne suffiront à la
faire vivre si le public s'en désintéresse. Son avenir, l'avenir artistique
d'Angers est actuellement entre les mains des abonnés. Sur eux repose
l'existence de nos concerts, et sans eux le zèle et le dévouement de quel-
ques-uns seront impuissants. Qu'ils fassent donc un effort et répondent
tous à l'appel que leur adresse la Commission, en conservant leurs
places pour la saison I891-1S92. C'est le seul moyen de conserver en
même temps une société dont les services rendus à l'art musical en
France ont fait la réputation artistique d'Angers. »
— M. et M'"" Louis Diémer ont brillamment clôturé, mardi dernier,
leurs réceptions de l'hiver. Le clou du programme, très bien fait, était
la première audition du Carnaval des Animaux, de M. Saint-Saêns, « grande
fantaisie zoologique pour deux pianos, flûtes, clarinettes, quatuor à
cordes, contrebasse, célesta et xylophone », jouée le plus spirituellement
du monde par MM. Diémer, Pierné, Taff'anel, Turban, Marsick, Brun,
Laforge, Loys, de Sailly, Risler et de Gaster. M»"' Brunet-Lafleur, dans h'
Soir, de M. Ambroise Thomas, et les Lilas , de M. Louis Diémer. et
M. Engel, dans mon Cœur est. épris, de M. Louis Diémer, ont obtenu le
succès qui les accueille partout où on les entend.
— L'école Galin-Paris-Chevé a donné dimanche 19 avril, au Trocadéro,
son 12' concert annuel, devant un public nombreux. Le finale de Sapho,
de Louis Lacombe, a été l'objet d'un véritable enthousiasme : dix salves
d'applaudissements des plus nourries, des bis et trois rappels à M. Amand
Chevé pour le remercier de cette exécution, qui fait le plus grand honneur
à sa Société. Cette œuvre était accompagnée par le maître organiste Guil-
mant, par la petite armée du cours de violon de M. Poilleux, et au piano
par iM. Rey, avec un ensemble très remarquable. Le chœur d'hommes
de la Cour des miracles, de Léo Delibes, a admirablement terminé la
séance.
Concerts et Soirées. — Au concert donné, salie Kriegelatein , par M. et
M"' Joubert, de New-Orléans, on a vivement applaudi M. ■\''ioIi dans VAve Maria
de Qounod, et M— Flautt dans le Sancla Maria de Faure. Ces deux morceaux
étaient accompagnés, sur la harpe, par le remarquable virtuose M. Gabriel
Verdalle. — M. et M"' Menjand ont donné leur concert annuel, la semaine der-
nière, à la salle Erard, avec un succès des plus vifs. M'"" Menjaud, la pianiste-
professeur de talent, a fait montre de qualités des plus appréciables, et M. Men-
jaud a été la joie de la soirée avec son amusant répertoire comique : le Pendu,
de Mac-Nab : Dans le Hangleterre, le nouveau duo de Stop et Amélie Perronnet,
chanté avec M"- Ragani et bissé par la salle entière, et Jl signor Fugantini, de
Lhuillier, après lequel l'artiste a été littérirlement acclamé. M"' Ragani a fort
spirituellement détaillé Ça n'se voit pas, d'Amélie Perronnet, et on a couvert
d'applaudissements M. Caron après sa magistrale interprétation de Vllijmne au.r
astres, de Faure. Bravos aussi pour M"' Darcelle et M. Jourdain, deux chanteurs
de la bonne école, et pour MM. Barraine, Lavello et G. Maton. — Jeudi dernier
a eu lieu, à la salle de la Société de géographie, un concert au profit du « Pa-
tronage de Sainte-Mélanie i>. U"' de Noce, dans VAve Maria, de Gounod, accom-
pagné par MM. Tedeschi, Mâche, Girod et Sourilas, M-" Defeuilly et Thomsen,
MM. Ghasne, Landner, Talamo et G. Guiraud, ont été souvent applaudis par un
public très nombreux. — Très brillante soirée musicale, lundi, chez M"" José-
phine et Léonie Martin, les habiles professeurs. M"' Ferrari, M"" Magdeleine
Godard et Guillaume s'y sont tait vivement applaudir. M"" Bataille, la remar-
quable cantatrice, a produit un grand eiiet ; M"" Martin ont fait entendre chacune
une de leurs élèves ; la plus jeune, âgée de douze ans, a joué un andante de
Hummel avec beaucoup de style et des doigts charmants. Celle de M"° José-
phine a enlevé la grande valse de concer: de Diémer avec un brio et une élé-
gance qui ont provoqué de vifs applaudissements. MM. Rondeau, Lauwers, Gogny
et Oscar Darwall ont chanté et obtenu un très grand succès. La maîtresse de la
maison, dont on connaît le talent et la réputation de pianiste, a joué un noc-
turne, une valse de Chopin et deux de ses compositions avec son succès
habituel. — Le grand chancelier de la Légion d'honneur et M"" la générale
Février assistaient à la séance de musique classique donnée le 13 avril par
M"» Fanny Lefori, professeur à la maison de la Légion d'honneur, et oii se sont
fait applaudir MM. Berthelier et Loëb, de l'Opéra. - M. Lucien Lefort, violoniste
et professeur, a donué dimanche dernier, à la salle Kriegelstein, une brillante
audition de ses élèves, suivie d'un concert oii se sont fait applaudir M'"" Séguin-
Loyer, MM. Clément (de l'Opera-Comiquei, Galipaux, Mariotte et Karren. - Le
Tout-Paris musical se trouvait réuni, le samedi 18 avril, dans les salons de M. et
M" Gustave Lyon, qui ont oSert à leurs invités un programme des plus brillants
Des artistes tels que M"" Conneau, M'" Louise SIeiger, MM. Louis Diémer
Rémy, Delsart, Ch. René et Risler ont tour à tour charmé l'assistance et recueilli
des bravos.- Une jeune et tout aimable pianiste, M"- Adèle Querrion, élève de
M. Delabordc, dans la classe duquel elle obtint un brillant premier prix, a donné
lundi dernier, salle Pleyel, un concert qui lui a valu un succès très légitime et
très flatteur. M"" Querrion sest fait applaudir tout d'abord pour la sûreté et le
style qu'elle a déployés dans le deuxième trio de Mendelssohn, exécnié avec
M. Reynier et l'excellent violoncelliste M. Uaithe, et dans la sonate de Grieg
pour piano et violon; puis, son succès personnel a été complot dans toute une
série de pièces de Beethoven, Chopin, Schumann, Bach, Moschelès, et de
MM. Delaborde, Pfeitl'er, etc.
— Concerts annoncés. — Demain lundi 27 avril, salle Erard, second concert
de M"" Clotilde Kleeberg. — Mercredi -29, salle Pleyel, concert de M. Joseph
Baume, premier prix du Conservatoire, avec le concours de M"° Jeanne Lyon et
de MM. Louis Diémer et Joseph ^Yhile. — Lundi 4 mai, à la salle Erard, con-
cert donné par M. Victor Staub, jeune et brillant virtuose qui a fait fureur à
Nice cette saison, avec le concours de M"" Tarquini d'Or.otdeMM. Louis Diémer
et G. Remy. — Le 12 mai, salle Erard, concert de M"' Joséphine Martin.
NÉCROLOGIE
Nous annonçons avec regret la mort d'un excellent artiste estimé et'
aimé de tous, Auguste-Ernest-Bazille, professeur d'accompagnement au
Conservatoire, premier chef du chant à l'Opéra-Comique depuis quarante
ans et organiste du grand orgue à l'église Sainte-Elisabeth. Né à Paris le
27 mai 1828, Bazille avait fait de brillantes études au Conservatoire, où il
avait obtenu les premiers prix de solfège, d'harmonie, d'orgue et de fugue.
Il avait à peine vingt ans lorsque, en 1848, prenant part au concours de
Rome à l'Institut, il remportait le premier second grand prix de compo-
sition musicale; le premier prix était décerné cette année à M. Duprato,
et le deuxième second prix à M. Georges Mathias; la cantate avait pour
titre Damoclès et pour auteur M. Paul Lacroix. Bazille ne s'est pourtant
produit comme compositeur que par la publication de quelques mélodies
vocales, et par quelques couplets écrits pour les théâtres de vaudeville.
Mais on lui doit les excellentes réductions au piano d'un grand nombre
d'opéras-comiques.
— Lundi dernier est mort à Paris un artiste autrefois fort actif, mais
depuis longtemps bien oublié, Jules-Eugène-Abraham Alary, qu'on avait
coutume d'appeler Giulio Alary, parce qu'il s'était fait d'abord connaître
sous ce nom, ayant passé sa jeunesse en Italie et étant né en 1814 à Man-
toue. Il n'en était pas moins issu, de famille française, et parfaitement
français lui-même. Alary avait fait ses études musicales au Conservatoire
de Milan, et, en 1833, était venu à Paris, où il devint successivement chef
du chant au Casino Paganini (1836), chef du chant et bibliothécaire de
la Société de musique religieuse et classique du prince de la Moskowa
(1841) et, plus tard, directeur de la musique au Théâtre-Italien (1833) et
accompagnateur de la chapelle impériale (1833-1870), ce qui ne l'empêcha
pas de faire d'assez nombreux voyages et de faire représenter plusieurs
ouvrages, tant en France qu'à l'étranger. Voici la liste de ces ouvrages :
1° Rosmunda, opéra sérieux en 2 actes (Florence ISiO), dont le rôle princi-
pal fut créé par la Strepponi, aujourd'hui madame Verdi : 2° Rédemption,
mystère en '■> parties (Théâtre-Italien de Paris, 1850) ; 3" le Tre Nazie,
opéra bouffe en 3 actes (id., 1831) ; 4° Sardanapale, opéra en 5 actes (Saint-
Pétersbourg, 1832); 5" l'Orgue de Barbarie, opérelte en un a.cle (BoulVes-Pari-
siens, 185(5) ; 6° la Beauté du diable, opéra-comique en un acte (Opéra-
Comique, 1861) ; 7° le Brasseur d'Amsterdam, opérette en un acte (Casino
d'Ems, 1861) ; 8" la Voix humaine, opéra en 2 actes (Opéra, 1861) ; i)" Locanda
gratis, opéra bouffe en un acte (Théâtre- Italien, 1866). Aucun de ces
ouvrages ne put obtenir un réel succès. Il n'en est pas de même des très
nombreuses compositions vocales; scènes, airs, mélodies, romances, pour
une, deux, i.rois ou quatre voix, écrites par Alary sur paroles françaises,
italiennes, anglaises ou même allemandes ; quelques-unes de celles-ci
furent accueillies du public avec beaucoup de faveur. Dans leur dernier
article publié ici même sur l'histoire de la seconde salle Favart, nos excel-
lents collaborateurs Albert Soubies et Charles Malherbe évoquaient préci-
sément le souvenir d'Alary à propos d'un de ses opéras et à l'aide d'une
anecdote amusante.
— De Weimar on annonce la mort du remarquable violoniste Auguste
Kœmpel, qui fut à Cassel l'un des derniers et des meilleurs élèves de
Spohr, et qui reçut aussi des leçons de Ferdinand David à Leipzig et de
M. Joachim à Hanovre. Virtuose d'une rare habileté, artiste de grand style,
remarquable par la pureté et la correction, il manquait à la fois de charme
et de chaleur. Il obtint néanmoins — et mérita — de grands succès en
Allemagne et à l'étranger, parce qu'il était le représentant d'une école
sévère et classique. A Paris, il se fit vivement applaudir à deux reprises,
en 1860 à la Société des jeunes artistes de Pasdeloup, et en 1867 aux
concerts de l'Athénée, que dirigeait le même Pasdeloup. Le 8' concerto
de Spohr, qu'il joua dans ces deux occasions, lui valut une véritable
ovation. Il ne fut pas moins bien accueilli à Bruxelles et à Londres. De-
puis trente ans environ, Kœmpel remplissait les fonctions de chef d'or-
chestre à Weimar, où il avait été appelé par Liszt, et pendant longues
années il a donné en cette ville, avec MM. Edouard Lassen et Walbrul
pour principaux partenaires, des séances de musique de chambre dont le
succès était grand. Auguste Kœmpel était né à BrOckenau le 15 août 1831.
— On annonce de New- York la mort de M. Charles F. Chickering,
chevalier de la Légion d'honneur, chef de la célèbre manufacture de pianos
qui porte son nom. Les artistes américains perdent en lui un généreux
protecteur et le commerce américain un de ses plus éminents représen-
tants. Il était âgé de soixante-quatre ans.
He.nri Heugel, directeur-gérant.
R. — niPRlMElUE <
3i3S
57- imm — î\M8.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés frcaico au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
Dimanche 3 liai i891.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
JHenri HEUGELi, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement*
Un OD, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favait (">■ article), Alkert Souries et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral : Derniers projets de MM. Ritt et Gailhard,
H. M.; première représentation d'Amoureuse, à l'Odéon, Paul-Émile Chev.alier.
— III. Napoléon dilettante (6' article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MADAME L'HIRONDELLE
n" 6 des Rondes et Chansons d'avril, musique de Cl. Blanc et L. Dauphin,
poésies de George Auriol. — Suivra immédiatement: Puisqu'ici bas, mé-
lodie posthume de Gn.-B. Lysberg, poésie de Victor Hdgo.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Sérénade rococo, de Robert Fischhof. — Suivra immédiatement:
Autrefois, musette d'ANiOMN Marmo.ntel.
HISTOIRE DE LA SECOl\DE SALLE FAYART
Albert SOUBIES et Cliarles IVIALHEFIBE
DEUXIEME PARTIE
(Suite.)
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lalla-Roiikh ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-1864.
Le jour même où un arrêté ministériel signé Walewski
révoquait l'ancien directeur de TOpéra-Gomique, un autre
arrêté portant pareille signature désignait le nouveau directeur.
Sans coup férir, Perrin succédait à Beaumont. Cette prompti-
tude put surprendre le public qui, sur la foi de noies com-
plaisantes parues dans les journaux, croyait à la prospérité
du théâtre et aux mirifiques recettes qu'on y encaissait; elle
n'étonna pas ceux qui, par leurs intérêts ou leur situation,
connaissaient les dessous de l'affaire et les agissemenis
secrets auxquels elle donnait lieu. Depuis plus d'un an, les
commanditaires appelaient l'attention du ministre sur les
dangers pécuniaires de cette direction, et plusieurs d'entre
eux, MM. Delahante, Salamanca, de Guadra, appuyaient
énergiquement, auprès de M. Walewski, la candidature d'un
homme qui se recommandait de lui-même par son intelli-
gence et ses antécédents, ariistiques, M. Garvalho. D'autres
influences devaient paralyser ces efforts. On luttait donc pour
une succession non encore ouverte et, quand elle s'ouvrit,
la nomination fut d'autant plus immédiate qu'on ne voulait
pas lutter encore et laisser le champ libre à des compétitions
nouvelles.
Mais Perrin n'ignorait pas avec quel rival redoutable il
avait dti compter; car (ce détail n'a jamais été rapporté par
personne), il se liàta d'écrire à M. Garvalho une lettre que
nous avons eue entre les mains et qui commençait ainsi :
« En prenant possession de l'Opéra-Gomique, la première per-
sonne que je désire voir c'est vous... »
Et quel changement en effet dans la fortune de M. Garvalho
s'il eut été mis à la tête de ce théâtre, soit alors, soit en
décembre 1862, lorsque Perrin se retirai mais, entre temps,
il avait accepté la charge du Théâtre-Lyrique ; il ne pouvait
abandonner les commanditaires qui avaient placé en lui
leur confiance, et il dut se risquer à lutter courageusement
tandis que les difficultés s'aplanissaient comme par enchan-
tement devant son heureux rival.
Ce dernier avait tout pour lui: la faveur de l'opinion et
l'appui de la presse. Auteurs et compositeurs le félicitaient
par une lettre collective, et rendue publique ; les journaux
rappelaient les succès de sa première gestion (mai 1848 à
novembre 1857) et l'on citait avec complaisance tous les
ouvrages, quelques-uns désormais célèbres, qui avaient « ré-
généré le répertoire, créé un fonds inépuisable de recettes,
et offert aux théâtres de province de si splendides ressources.»
Cet appui moral était complété par la situation matérielle
dont le bénéfice lui était assuré. II prenait le théâtre libre
de toute charge antérieure. Quelques-uns objectaient que ses
bénéfices d'autrefois lui créaient le devoir de combler une
partie du déficit actuel; mais d'autres répondaient justement
que les habiles ne sauraient payer pour les maladroits, ou
alors celui-là seul pourrait redevenir directeur qui aurait fait
d'abord de mauvaises affaires ; triste privilège et médiocre
garantie. Au surplus, l'administration des beaux-arts préten-
dait faciliter la tâche au nouveau venu, et la justice lui
donna raison dans tous les procès qu'il eut à soutenir contre
Beaumont ou ses commanditaires. Car on plaida six mois
durant et à maintes reprises; on plaida pour prendre pos-
session de la salle; on plaida pour exiger de Perrin le dépôt
d'une somme de 300,000 francs à titre de garantie pour le
prix du matériel, avec affectation de 200,000 francs au règle-
ment des dettes; on plaida pour faire distribuer aux artistes
20,000 francs de subventions échues et les 85,000 francs
représentant le cautionnement de Beaumout.
Toujours et partout, Perrin eut gain de cause. La situation
fut liquidée au profit de ses intérêts, c'est-à-dire de ceux de
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LE MÉNESTREL
son théâtre ; on la peut résumer en deux mots. Gomme
passif, outre les frais d'exploitation nécessairement variables,
110,000 francs pour location de la salle payables chaque
année à son propriétaire Crosnier; comme actif, 240,000 francs
de subvention et 80,000 francs de cautionnement exigés partie
en argent, partie en rentes sur l'État.
Deux faits, ou plutôt deux impulsions artistiques caracté-
risent le second et court passage de Perrin à l'Opéra-Go-
mique.
D'une part, un pas en avant avec une œuvre plus descrip-
tive que dramatique, accusant par cela même des tendances
quelque peu nouvelles et si bien accueillie d'ailleurs qu'elle
figure parmi les grands succès du théâtre, Lalla Roukh.
De l'autre, un l'etour vers le passé avec une série de re-
prises inattendues : mouvement analogue à celui que nous
avons signalé entre 1843 et 1845, plus restreint peut-être,
mais tout aussi curieux. Alors, on s'était attaché à remettre
en honneur des œuvres appartenant à la seconde manière
de l'opéra-comique, comme les derniers ouvrages de Grétry,
Dalayrac, Méhul, Berton ou Nicole ; maintenant, on remon-
tait presque aux sources mêmes du genre, on s'en allait
exhumer, sous l'influence de cette rénovation, quelques piè-
ces anciennes parmi les plus anciennes. En 1862 : la Servante
nmîtresse, de Pergolèse, type fondamental sur lequel s'était
modelée la comédie musicale française du XVIll" siècle, et
les premiers essais de Monsigny, Dalayrac et Grétry, Mose et
Colas, Deux mots, Zémire et A:-or. En 1863 : la Fausse Magie, qui
n'avait jamais paru à la salle Favart. En 186S et en 1866 :
deux antiquités, plus oubliées encore, dont l'auteur doit être
mis au nombre des ancêtres du théâtre, les Deux Chasseurs et
la Laitière, les Sabots, de Duni.
Mais avant de se lancer dans le très vieux ou le très neuf,
Perrin tâta en quelque sorte le terrain avec du vieux-neuf,
c'est-à-dire un article ancien, revu, corrigé, considérablement
augmenté, et servi comme nouveauté, le Joaillier de Saint-James
(17 février). Les trois actes de de Saint-Georges et de Leuven
avaient paru sous une première forme, et sous le nom de
Lady Melvil au théâtre de la Renaissance le 15 novembre 1838.
La musique d'Albert Grisar n'avait alors qu'une importance
secondaire, puisque le principal personnage lui-même, n'ayant
rien à chanter, était représenté par un acteur de drame.
Plus tard, le compositeur reprit son travail, et, ne gardant
que trois numéros de la partition primitive, écrivit quinze
morceaux nouveaux, parmi lesquels une certaine romance :
<t Adieu, madame, » délicieusement soupirée par Montaubry, et
devenue promptement populaire. En jouant le Joaillier de Saint-
James, Perrin ne faisait que reprendre son bien. Il avait voulu
monter l'ouvrage dès 1856, et son départ seul avait causé
l'ajournement des répétitions d'abord, de la représentation
ensuite. Roqueplan n'eut pas l'air d'y prendre garde ; Beau-
mont s'en .souvint, mais dut quitter la place plus tôt qu'il ne
le voulait; Perrin ne pouvait se soustraire à l'obligation sous-
crite par lui précédemment, et il y apporta tous ses soins, dès
qu'il eut pris possession du théâtre, c'est-à-dire le 1" février,
après cinq jours de relâche (28-31 janvier). Il faut croire
que la musique de Grisar l'avait charmé, car le libretto lais-
sait fort à désirer. Ce joaillier, épris d'une marquise qu'il a
sauvée jadis, et lui envoyant incognito une parure comme
témoignage de sa passion, nous transporte déjà dans le
monde de l'invraisemblable. Mais que cette parure soit volée
par le commis qui veut épargner à son patron une folie, le
déshonneur, la ruine, et que ce larcin amène au contraire
l'arrestation du joaillier, la découverte de sa noblesse dissi-
mulée sous un nom d'emprunt, et son mariage avec la grande
dame qui aimait en secret son mystérieux sauveteur, c'est là
un imbroglio qui de nos jours paraîtrait plus qu'absurde.
Une bonne interprétation, une mise en scène élégante, une
musique jugée favorablement par la presse, tout faisait croire
à un grand succès : au bout de vingt-cinq représentations,
le Joaillier avait disparu pour jamais.
Deux reprises étaient encore sur chantier et absorbaient
d'abord les soins de la direction : les Charmeurs (25 février) et
Giralda (28 mars). Confié au talent de Capoul et de M'"-' Balbi,
le petit acte de de Leuven et Poise était nouveau pour la
salle Favart ; il venait du Théâtre-Lyrique oià il avait été
donné en 1855, le 7 mars, avec Achard et M"»^ Meillet pour
principaux interprètes. L'origine du livret remontait à une
époque plus ancienne; c'était une comédie à ariettes, jouée
en 1757 et arrangée, suivant Lasalle, d'après un épisode de
Daphnis et Chloé, par Favart, Guérin et Harny, les Ensorcelés ou
la Nouvelle Surprise de l'Amour. Sous un titre presque pareil le
même compositeur devait donner, quelques années plus tard,
une pièce qui figure parmi ses plus grands succès : elle était
également empruntée au théâtre du XVIIP siècle, et s'appelle
la Surprise de rAmour. Comme on le voit, la coïncidence pou-
vait passer pour une récidive.
Giralda, jouée pour la première fois en 1850, et pour la
dernière en 1852, semblait n'ayoir pas plu tout d'abord à
Perrin, qui Tavait lancée originairement en plein été, et
n'en avait certes pas tiré tout le parti possible. Mais il ne
s'entêtait pas hors de propos et reconnaissait volontiers ses
erreurs, surtout quand ses intérêts étaient en jeu. Une re-
prise projetée en 1858 n'aboutit pas; celle de 1862 réussit
avec le concours de M"" Marimon (Giralda), Pannetrat (la
Reine), MM. Crosti (le roi), Warot (don Manuel), Ponchard
(Ginès).
Enfin, le 12 mai se livra la grosse bataille artistique de
l'année 1862, Lalla-Roukh, opéra-comique en deux actes, de
Michel Carré et Hippolyte Lucas, musique de Félicien David.
A proprement parler, on ne batailla guère, car le triomphe
fut immédiat, éclatant, reconnu par tous. « Ou je me trompe
fort, écrivait Berlioz dans les Débats, ou la partition de Lalla-
Roukh est dans son ensemble ce que l'auteur du Désert a fait
de mieux. » Le livret était tiré d'une des œuvres les plus
célèbres de Thomas Moore, ce poète gracieux dont Sheridan
disait : « 11 n'existe pas d'homme qui ait aussi bien réussi à
faire passer le langage du cœur dans les élans de l'imagi-
nation. Il semble que son âme soit une étincelle du feu cé-
leste, qui, détachée du soleil, voltige sans cesse pour re-
monter vers cette source de lumière et de vie. » Dans le
poème anglais, la belle Lalla-Roukh, fille de l'empereur de
Delhi, se rend près de son fiancé, le fils d'Abdallah, roi de la
Petite-Tartarie ; elle est accompagnée d'un chambellan,
Fadladeen, et d'un poète, Feramorz, qui abrège les longueurs
du voyage par de charmants récits et finit par inspirer à la
princesse une véritable passion. Tout se découvre au dé-
nouement; l'aimable conteur n'était autre que le fiancé.
Quant au chambellan, qui jugeait toujours détestables les
vers de son compagnon, il en est quitte pour changer d'opi-
nion, ce qui lui coûte d'autant moins que sa maxime favo-
rite est plus simple : « Si le prince, dit-il, vient à prétendre
qu'il fait nuit à midi, jurez que vous voyez la lune et les
étoiles. » Dans la version de l'opéra-comique, Lalla-Roulih
a gardé son nom, mais Feramorz est devenu Noureddin, prince
de Samarcande, et Fadladeen Baskir, un envoyé du prince,
juge de village chargé de tenir l'emploi de chambellan, et
d'amener la princesse à bon port. Ce joli conte, qui depuis
a servi d'ailleurs à Rubinstein pour son opéra Feramors,
ressemble fort à quelque Jean de Paris un peu idéalisé et
transporté dans le pays des roses ; c'est l'histoire, d'ailleurs
très morale, d'un roi qui se fait passer pour son propre
rival, afin de s'assurer de l'amour de sa fiancée et ne
devoir qu'à lui-même son bonheur. Félicien David avait
saisi avec bonheur et délicatement nuancé le côté poétique
et pittoresque de cette aventure, et dès le premier jour sa
partition fut saluée comme une réaction contre le prosaïsme
sot et vulgaire des œuvres alors acclamées par la foule.
« On regardait presque comme tarie la source de l'idéal,
écrivait un critique, et cette source jaillit tout à coup comme
une baguette magique et convie à des jouissances nouvelles
LE MÉNESTREL
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tous les esprits d'élite, toutes les âmes délicates et tendres,
tous les cœurs qui ont aimé et qui doivent aimer... C'est un
honneur pour un pays que de voir éclore des productions
capables de ramener la foule égarée au culte du vrai et du
beau... »
La foule, en effet, accourut avec un tel empressement que
pendant plus de trois mois la moyenne des recettes dépassa
régulièrement 6,000 francs ; on donnait Lalla-Roukh trois fois
par semaine, et même quatre (19, 20, 22, 24 mai et 28, 29,
31 juillet et 2 août). La province elle-même apportait son
contingent d'admirateurs, et le 21 juillet, en particulier, on
vit arriver par train spécial une caravane de 800 Angevins
pour assister à la représentation. En leur honneur, l'aimable
Perrin avait fait brosser un rideau d'entr'acte : double enca-
drement ovale contenant, d'une part, le panorama d'Angers,
de l'autre une vue du Vieux Château, le tout relié par des
sujets emblématiques et des enroulements oîi se lisait la
date de cette mémorable visite. Voilà une attention que
n'auraient guère aujourd'hui pour d'honorables « ruraux »
les directeurs de nos scènes subventionnées. Le succès, au
surplus, se maintint. De 1862 à 1867, on compta 154 représen-
tations ; la reprise de 1870 en fournit 13 ; de 1876 à 1880 et
de 1881 à 1884, on retrouve deux séries, l'une de 85, l'autre
de 27 : soit un total de 279 représentations à la salle Favart.
Mais ce chiffre peut s'accroître encore ; il suffit d'un élégant
chanteur comme Montaubry et d'une séduisante princesse
comme M"^ Cleo, pour ranimer Noureddin et Lalla-Roukh ;
l'œuvre est née viable, et la fantaisie d'tin directeur peut
nous rendre quelque jour ce joli songe d'une nuit d'Orient.
(A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
Le 1='' mai est passé et nos théâtres sont encore debout. Les
anarchistes, les possibilistes, les socialistes, les Broussistes, les
AUemanisles et autres croquemilaines en istes veulent bien nous
laisser une nouvelle année de répit pour causer en paix de nos pe-
tites affaires de musique.
L'Opéra n'a pas encore sauté pour cette fois, et MM. Ritt et
Gailhard pourront y achever tranquillement les quelques mois de
direction qui leur restent à courir. On répandait le bruit que, dé-
couragés de toutes choses, ils renonçaient à poursuivre plus avant
les études de Fidelio. C'était mal connaître la verdeur de M. Ritt, le
vaillant octogénaire, ou le ressort de Pedro Gailhard, qui n'est pas
de Toulouse pour rien. Non, Beethoven n'aura pas à souffrir du
coup cruel qui est venu frapper ses deux protecteurs, et sa partition
maîtresse nous sera bientôt rendue. C'était suffisant déjà pour assurer
aux directeurs une honorable sortie; il est probable pourtant qu'ils ne
s'en tiendront pas à Beethoven seul, et que, voulant nous écraser
jusqu'au bout de leurs bienfaits, ils y ajouteront par surcroît le re-
doutable Wagner, qu'ils voudraient introduire à l'Opéra avant leur
départ, — sorte de cartouche de dynamite laissée dans le monument
à l'adresse de leurs successeurs. Lohengrin faisait partie du pro-
gramme futur de M. Bertrand ; MM. Ritt et Gailhard s'en emparent
et en escomptent la primeur à leur profit. C'est de très bonne
guerre et on ne saurait leur en vouloir. L'important, c'est que nous
ayons Lohengrin, qu'il nous vienne de droite ou de gauche.
Que disait-on encore ? que MM. Ritt et Gailhard avaient l'inten-
tion de se mettre à la tète d'un nouveau théâtre-lyrique qu'ils au-
raient créé aux portes mêmes de l'Opéra, à l'Eden, catapulte formi-
dable dirigée contre le puissant voisin. Il n'en est rien, parait-il.
Crispin, du XIX" Siècle, qui a des attaches solides avec ces mes-
sieurs, prend la peine de nous rassurer en quelques mots :
« MM. Ritt et Gailhard ne songent pas plus à la salle de l'Eden,
dont on ne peut rien faire, qu'à une subvention, qui mettrait ce
Théâtre-Lyrique sous la dépendance funeste de l'État. »
Hein ! quel dédain pour ce pauvre Etat, qui les a enrichis pen-
dant sept années en leur servant un subside do cinq millions six
cent mille francs, dont ils ont fait le bel usage artistique que l'on
sait! En ce temps-là ils ne les trouvaient pas si funestes que cela les
chaînes dorées qui les rattachaient à cet Etat, qu'ils maudissent au-
jourd'hui, parce qu'il les a évincés d'un poste très lucratif. C'était
alors le petit mignon chéri qu'on ne pouvait trop choyer pour le
mieux mettre dedans. Maintenant, c'est le pelé, le galeux, celui
dont leur viennent tous les maux.
L'Opéra-Comique se dispose à célébrer dans le courant de cette
semaine la centième représentation de Lakmé, l'œuvre séduisante du
pauvre Léo Delibes, qui ne sera plus là pour jouir de son succès,
dont il eût été si heureux. Les mauvaises volontés de la précé-
dente direction, qui avait le parti pris évident de tenir à l'écart le
plus français de nos compositeurs, ont reculé cette centième repré-
sentation jusqu'au jour oïl le musicien 'n'est plus là pour en. triom-
pher. H. M.
Odéon. — Amoureme, comédie en 3 actes de M. G. de Porto-
Riche.
Monsieur, Madame et l'Ami; tous trois très honnêtes et très insé-
parables. Monsieur et Madame se sont mariés par amour, il y a
huit années déjà. Comme aux premières heures. Madame, jeune
encore, est toujours aussi amoureuse de Monsieur, qui, lui, au con-
traire, sur ses quarante-cinq ans, éprouve le besoin d'une vie plus
calme et le désir de pouvoir enfin s'adonner davantage à ses chères
études scientifiques. Mais Madame ne veut pas comprendre et, folle,
déchaîne une tumultueuse explication suivie de rupture. Madame se
vengera et l'Ami, qui ne quitte jamais la maison, y aidera. La faute com-
mise. Madame la regrette, tandis que Monsieur ne veut pas y croire
et que l'Ami voudrait bien n'en point rester là. Eofîn, Monsieur,
absolument convaincu et de son malheur et aussi de son amour pour
sa femme, pardonne à Madame, qui a compris et deviendra moins
tyrannique à l'avenir, et l'Ami, trop complaisant, est flanqué à la
porte.
Telle est la pièce de M. Georges de Porto-Riche et voilà ce qu'on
est obligé de raconter aujourd'hui, par les curieux temps de théâtre
osé que nous traversons. Cette analyse, succincte mais fidèle, suffira
pour vous montrer ^\i.' Ammiretise possède une qualité, la simplicité,
et un défaut, le peu d'originalité. Le défaut, l'auteur a su très adroi-
tement le dissimuler par une tournure d'esprit caustique et sceptique
assez particulière, bien que tendant à devenir fort à la mode en ce
moment, par un dialogue animé, juste et harmonieux, bien que
souvent inutilement audacieux, et par un esprit assez parisien bien
que souvent suffisamment profond. Il est regrettable qu'ayant heu-
reusement su tourner la difficulté, M. de Porto-Riche u'ait point eu
la volonté de conserver celte qualité de simplicité que comportait le
sujet ; il n'a pas eu le courage de n'écrire qu'un seul acte qui aurait,
je crois, très grandement suffi à nous bien expliquer les caractères,
— l'action n'étant point enjeu, puisqu'elle ne commence réellement
que tout à la fin du second acte, — et nous aurait épargné des
redites et des développements inutiles qui ne sont point sans fatiguer
le spectateur.
Amoureuse est supérieurement défendue par M""= Réjane, qui, à
force de talent et de charme, donne l'illusion de la vie et de la
variété à plusieurs scènes assez ternes de cette comédie. MM. Du-
mény et Calmettes lui donnent la réplique assez heureusement et
jjmes Marty, de Gléry, Manvel et Roland font de courtes mais
agréables apparitions.
Padl-Émile Chev.\lier.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
Lk MUSIQUE DE L'EMPEREUR
C'est à Dresde, en 1806, que Napoléon conçut le projet d'avoir une
musique à lui, sur le modèle de celle du roi de Saxe. Il s'en ouvrit
à ce dernier, et comme il venait d'assister à une représentation
d'Achille, de Paër, qui avait eu le don de lui plaire, il résolut de
confier à ce maître les destinées de l'institution future.
L'empereur dînait avec le comte Alexandre de la Rochefoucauld,
lorsque les artistes de la musique royale lui furent présentés.
S'adressant tout d'abord à la prima donna, dont la voix confirmait
l'aphorisme de Paisiello : « pour chanter il faut cent choses; quatre-
vingt-dix-neuf fois de la voix et une fois de la méthode », il lui dit :
— Madame Paër, vous chantez à ravir. Quels sont vos appointe-
ments?
440
LE MEfNESTlŒL
— Sire, 15,000 francs !
— Vous en recevrez trente. . . Et vous, monsieur Brizzi, vous me
suivrez aux mêmes conditions.
— Pardon Sire, reprit M™ Paër, mais nous sommes engagés...
— ... avec moi!... Vous le voyez, l'affaire est terminée: Talleyrand
se chargera de la partie diplomatique, cela le concerne. Quanta vous,
monsieur Paer, comme un bon mari doit suivre sa femme, je vous
nomme directeur de la musique de mes concerts et du théâtre de la
cour. Vous aurez, comme M""" Paër, 30,000 francs, plus une gratifi-
cation de 12,000 francs.
Ainsi fut fait, après quelques timides protestations du roi de Saxe,
à la suite desquelles le général Clarke, chargé des premiers pourpar-
lers, lui déclara net que s'il s'obstinait à garder ses artistes, il les
livrerait à des gendarmes qui les conduiraient de brigade en brigade,
à la suite de l'empereur. Effrayé, le roi s'empressa d'acquiescer à
toutes les volontés de son puissant allié. Bien plus, pris d'un zèle
exagéré, il fit sigaifier à Paër d'avoir à suivre Napoléon partout où il
lui plairait de le mener, ou de quitter Dresde sur-le-champ.
Celui-ci ne se fit point prier, non plus que ses musiciens, pour
accepter les offres de l'empereur. Ils n'eurent pas à s'en repentir-
car, dans la suite, Napoléon ne négligea aucune occasion de leur
donner des témoignages effectifs de son contentement. En une seule
fois, le 2 mai 180", il fit remettre par Duroc, sur la caisse des
théâtres, et en dehojs de leur traitement: à Paër, une boîte avec son
chiffre en or et 10,000 francs; à sa femme, 0,000 francs; et à Brizzi
la même somme.
Nous avons eu déjà plusieurs fois l'occasion de signaler la muni-
ficence de Napoléon pour les artistes. M'"" Grassini, Barilli, Tacchi-
nardi et Crescenlini, qui complétèrent, dans le principe, la musique
particulière de l'empereur, purent souvent en éprouver les bienfaits
surtout Crescentini, qui fut, comme nous l'avons vu, comblé de ca-
deaux et d'honneurs.
M"' Avrillon, première femme de chambre de Joséphine, a tracé
dans ses mémoires ce portrait du roi des chanteurs :
« Crescentini était d'une taille élevée, mais mal fait. A son em-
bonpoint flasque, à ses joues blafardes, on l'aurait pris à la ville
pour une vieille femme habillée en homme. Il avait une apparence
de douceur et de bonté que son caractère ne démentait pas, car on
en disait beaucoup de bien ».
L'auteur de ces lignes assistait à l'audition de Romeo e Giulietta.
dont elle a laissé cette description, qui, tout en ne concordant pas
exactement avec la scène, toute d'émotion, que nous avons repro-
duite, ne laisse pas que d'offrir un coin très réel de curiosité :
«Ce jour-là, de ma loge où j'étais, je voyais parfaitement avec ma lorgnette
la figure de Sa Majesté. Pendant que Crescentini chantait le fameux air
Ombra adorata, nspetta, elle était, sans exagération rayonnante de plaisir.
L'empereur s'agitait dans son fauteuil, parlait fréquemment aux "rands
officiers qui l'entouraient, et semblait vouloir leur faire partager l'admira-
tion qu'il éprouvait. Le spectacle n'était pas fini, lorsqu'il fit appeler
M. de Marescalchi : et c'est alors qu'il lui dit de donner la croix à Cres-
centini. )>
D'après la même source, cet artiste possédait un art merveilleux
pour diriger sa voix, la faisant vibrer avec une force extraordinaire
dans une salle de spectacle, et la modérant, de façon à lui faire
acquérir un charme infini, dans les petits appartements. C'était plus
qu'il n'en fallait pour lui mériter son traitement de 30,000 francs
augmenté d'incessantes gratifications, et rehaussé par l'estime dans
laquelle le tenait l'empereur, qui lui passait toutes sortes de fantaisies
qu'il n'aurait souffertes d'aucun autre.
Un jour de grand concert à la cour, en 18H, on s'aperçut au
dernier moment qu'on avait oublié d'envoyer des équipages aux
artistes, pour les mener au château, suivant l'usage. Grand émoi
et aussi grand désordre! On va, on vient; les ordres sont mal donnés
et une telle confusion s'ensuit que, pour n'en fournir qu'un
exemple, on envoie à Crescentini un char-à-banes découvert ce
qui était d'autant plus déplorable, qu'il pleuvait ce soir-là.
Les autres virtuoses. Garât, Baillot et M»"-" Branchu, mieux par-
tages, étaient arrivés à sec aux Tuileries; mais
it ncn était pas
de même de Crescentini, qui, sans se démonter, parut sur l'estrade
tout trempé, ruisselant d'eau, et se secouant comme un chien qui
sort de la rivière.
Napoléon fronça le sourcil, ne sachant ce que signifiait cette
apparition; mais il se rasséréna et parut même fortement impres-
sionné, lorsque son favori, prenant une voix enrouée, dit, en saluant
le public :
— Messieurs, il m'est impossible de chanter aujourd'hui ; car j'ai
gagné tout à l'heure un rhume épouvantable: c'est la faute de ce
maudit char-à-bancs qu'on m'a envoyé.
L'empereur adressa de vifs reproches à qui de droit et envoya, le
soir même, à Crescentini, son médecin et une tabatière avec son
portrait.
Ce trait d'urbanité a de nombreux pendants. Car Napoléon, non
content de rémunérer généreusement les artistes, tenait essentiel-
lement à leur marquer sa faveur par des attentions qui on doublaient
le prix. Le célèbre chanteur Garât put en faire l'expérience dans
une circonstance qui a été relatée par Jal :
Garât avait une fierté dont il donna, certain jour, une preuve qui aurait
pu mal lui réussir. Il devait chanter avec Martin devant l'empereur.
Arrivé dans la galerie du concert avant ses auditeurs, il vit que les chaisee
réservées aux deux chanteurs étaient placées dans l'embrasure d'une
fenêtre. Il ne trouva pas l'endroit honorable, prit les billets qui portaient
son nom et celui de son ami, et alla les poser sur deux fauteuils desti-
nés à des dignitaires de la cour. Le chambellan vit ce mouvement et
voulut rétablir les choses dans l'ordre qu'il avait prescrit; mais Garât
lui dit :
— Monsieur, nous serons là, ou nous ne chanterons pas.
— Non, monsieur Garât!...
— Nous aurons une place convenable, ou nous partirons d'ici.
Le chambellan alla vers l'empereur pour lui soumettre le différend.
— Ces messieurs, dit avec bonhomie Napoléon , ont leur dignité ;
placez-les ou ils voudront être.
Le chambellan revint et dit aux artistes que l'empereur consentait au
changement désiré. Garât reprit alors les billets et les reporta à leur
place, en disant :
— Nous ferons de notre mieux pour satisfaire un souverain qui veut
bien avoir une indulgente déférence pour des hommes peut-être trop
vaniteux.
C'était son propre procès que Garât se faisait à lui-même, en
prononçant ces paroles car sa vanité est demeurée légendaire. Fils
de négociants aisés de Bordeaux, neveu d'un ministre influent, et
chantant comme amateur plutôt que comme artiste, bien qu'il fût
doué, suivant tous ses contemporains, de la plus jolie voix de son
époque. Garât avait pris dans le monde parisien une place d'enfant
gâté... Quand il devait chanter quelque part, on était rideaux et
tapis; il fallait presque démeubler le salon. De son côté Garât, ces
jours là, ne parlait pas, et gobait des œufs crus, pour tout aliment...
Garât fut un article de mode, et comme tous les articles de mode,
il passa de mode. Sur le tard, il portait des bottes rouges pour
attirer l'attention, ou plutôt pour chercher à l'attirer, car il était
exaspéré de l'indifférence avec laquelle on le voyait en cet accou-
trement.
^ Les misérables! Autrefois, ils m'auraient accompagné jusqu'an
bois de Boulogne, — disait-il.
Garât était de la « Musique » sans être de la « Musique ». Il chan-
tait au cachet, et il n'y perdait pas; car on sait ce qu'étaient les
honoraires des artistes de passage. Tous les musiciens de talent qui
arrivaient à Paris étaient appelés à se faire entendre devant l'em-
pereur, et, toujours, ils recevaient des honoraires magnifiques.
M'"' Catalani eut, pour sa part: six mille francs comptant, une
pension de douze cents francs et la salle de l'Opéra pour deux
concerts qui lui rapportèrent cinquante mille francs, — tout cela
pour deux auditions à Saint- Cloud.
C'était un joli denier ; mais il faut croire qu'il n'eut pas le don
de satisfaire la Catalani. Car celte devancière des cantatrices errantes
pour lesquelles le dieu Guinée et le prince Dollar remplacent toute fibre
artistique, affichait, bien qu'ayant épousé un officier français, du
nom de Valabrègue, le plus profond dédain pour la cour de Napo-
léon, ce qui lui assura, d'ailleurs, les hommages et les gros appoin-
tements des Anglais; puis Louis XVIIl lui accorda la direction des
Italiens, oii elle battit monnaie jusqu'aux Cent jours, durant lesquels
elle disparut prudemment, pour reparaître, après nos derniers dé-
sastres, devant les alliés, ses amis.
De combien de défaillances pareilles la Musique de l'Emjiereur ne
fut-elle pas témoin ? Combien, parmi ses membres, ne firent-ils pas
volte-face après avoir été comblés par le •.<. tyran » ! Pour ce qui
concerne Paër, son directeur, il n'a pas, il est vrai, à encourir ce
reproche; mais une fois à Paris, il ne s'occupa que des détails de
ses fondions, et se livra, sous le rapport de la composition, à un
far-niente que les lazzarOni de Naples eussent pu lui envier. Une
fois cependant il sortit de sa torpeur habituelle pour écrire Didone, \
qui fut représentée sur les théâtres particuliers des Tuileries et de
Saiut-Cloud. ' j
Ces deux scènes furent la grande sphère d'action de la Musique de
l'EmpereWi qui s'y faisait entendre, conjointement avec les troupes
LE MEiNbSIBKL
iW
des théâtres parisiens ; car ^Napoléon n'allait au spectacle qu'en
de rares occasions, préférant faire venir chez lui ses acteurs favoris,
chargés de le distraire par des représentations de tragédies, d'opéras
italiens, rarement d'opéras français. Souvent, avant de passer dans
sa loge, il se faisait donner, dans une pièce voisine, un concert in-
time exclusivement composé de musique italienne, et qui ne durait
qu'une demi-heure. C'était l'avanl-goût, Je prodrome obligé, des
plaisirs entrevus.
(A suivre.) Edmond Nedkomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres : La reprise du Prophète n'a pas été heureuse
à Covent-Garden. M. .Tean de Reszké y a retrouvé son grand succès de la
saison dernière. Mais M""= Richard, mal disposée et chantant, je crois,
sans répétitions, a eu plus d'une défaillance dans le courant de la soirée,
tandis que M"° Rolla a fait preuve d'une voix peu agréable dans le rôle
de Bertha. Le ballet est toujours ad'reux. Au dernier acte, les murs de
la prison se sont abattus virs l'orchestre d'une façon inopinée : M'"" Ri-
chard s'est réfugiée dans les coulisses et il a fallu baisser le rideau pen-
dant quelques minutes. A. G. N.
— Est-il permis ou non de chanter faux à l'église ? Telle est la question
posée par le Musical Standard à propos d'un fait divers assez banal: l'ex-
pulsion d'un lidèle qui troublait de sa voix discordante le service divin
et l'harmonie des chants sacrés dans une paroisse de province. Il a été
reconnu d'ailleurs que l'individu en question était un ancien choriste de
l'église congédié et qu'il chantait faux avec intention, par esprit de ven-
geance. Néanmoins, notre confrère estime que cet acte de rigueur cons-
titue un fàcbeux précédent, vu que dans toutes les congrégations du culte
protestant chacun est autorisé à chanter et qu'il n'est pas toujours aisé de
disting'jer les voix réellement fausses de celles qui font semblant seule-
ment de l'être.
— Qui se fût douté que les bienfaits de la musique pussent s'étendre
à la préservation de tout danger pour les patineurs ? C'est cependant ce
qui résulte d'expériences faites cet hiver sur l'étang de Kensington garden,
à Londres, expériences qui ont démontré que le frottement des patins sur
la glace engendrait des vibrations sonores très nettement perceptibles.
On a pu, à l'aide de ces vibrations, reconnaître les passages dangereux
et avertir les patineurs qu'il n'est pas prudent de s'aventurer sur la glace
quand elle ne rend pas un son plus grave qjie l'ut dans un registre déter-
miné. Ainsi donc, patineurs et patineuses, exercez musicalement votre
oreille et, surtout, ne sortez pas sans diapason!
— Dans une vente qui a eu lieu récemment à Londres, celle de la
bibliothèque Lakeland, les enchères se sont surtout distinguées au sujet
d'un bréviaire romain, contenant de superbes enluminures et renfermant
de la musique du quinzième siècle. Ce bréviaire a été adjugé pour la
somme de 163 livres sterling, soit 4,123 francs.
— L'association chorale anglaise connue sous le nom de Tonic Soi Fa célé-
brera au mois de juillet prochain son jubilé, d'une manière vraiment colos-
sale. La cathédrale de Saint-Paul sera mise à la disposition de l'association
le 7 juillet, et un service y sera célébré avec le concours de dixmille chan-
teurs. Une autre fête aura lieu le 18, au Palais de Cristal, avec des éléments
plus formidables encore. Dans la matinée, on entendra un chœur de cinq
mille enfants, accompagné par un orchestie enfantin d'également cinq
mille membres. Les délégués de la province au nombre, toujours de
cinq mille, donneront un concert dans l'après-midi, et la soirée sera ré-
servée à l'audition des cinq mille membres de la section de Londres.
Enfin, un chœur d'ensemble entonné par vingt mille voix formera le point
culminant du festival! Les auditeurs délicats trouveront peut-être que
c'est là de la musique peu musicale; mais on sait que les Anglais aiment
à faire grand sous ce rapport.
— L'éditeur John Murray, de Londres, vient de publier, dans une édi-
tion magnifique, une biographie de la célèbre cantatrice Jenny Lind,
dont les auteurs sont MM. W. S. Rockstro et le chanoine H. Scoit Rol-
land. Grâce à l'amitié qui lie depuis longues années M. John Murray avec
le compositeur Otto Goldschmidt, qui fut l'époux de la grande artiste, cet
ouvrage est fertile en documents précieux et jusqu'ici complètement in-
connus. Malheureusement il s'arrête à l'année 1851, qui est prédsément
celle du mariage de Jenny Lind avec M. Otto Goldschmidt, et cela sans
doute paraîtra fâcheux à tout le monde.
— Le comité du festival de Birmingham vient d'annoncer ofiîciellement
la liste des œuvres nouvelles qui seront portées au programme. Les deux
plus importantes sont VEden, oratorio dramatique de M. 'Villiers-Stanford,
et le Requiem de M. Dvorak, ouvrage qui sera probablement dirigé par le
compositeur tchèque lui-même. LeD'Mackenzie doitlivrer une cantate pour
chœurs et orchestre sur la paraphrase du Vent creator de Dryden, et M. Goring
Thomas, un duo assez développé. A côté de ces nouveautés on prépare,
comme principales attractions, la Passion selon Saint-Mathieu, de J.-S. Bach,
et la Damnation de Faust, que dirigera M. Hans Richter. Le festival durera
quatre jours, du G au 0 octobre prochain.
— Pareillement à ce qui vient de se passer à Vienne pour le monument
de Mozart, une vive opposition se produit à Leipzig contre le projet Schaper,
choisi par le comité du monument de 'Wagner. Un groupe de notabilités
delà ville a élevé une protestation publique contre ce projet, considéré
par les protestataires comme indigne du grand homme qu'il est destiné
à glorifier. Le mécontentement provient surtout de ce que le comité n'a
pas jugé bon de mettre le projet au concours.
— Le Fifre de Durenbach, le nouvel opéra en trois actes de M. Kleinmi-
chel, produit dernièrement au théâtre municipal de Hambourg, n'a que
médiocrement réussi. L'originalité fait défaut au livret de MM. 'Wulff et
"Wennhacke, emprunté à une légende chevaleresque du moyen âge. La
partition a obtenu un meilleur accueil, qui, toutefois, ne s'est pas élevé,
au-dessus d'un succès d'estime.
— Un violoniste qui tient son archet de la main gauche, le fait est rare,
quoique non sans exemple. Il se produit en ce moment à Berlin, ou un
artiste genevois, M. David Roget, se présente au public dans ces conditions
et obtient, paraît-il, de très brillants succès. Il s'est surtout fait applaudir
dans une sonate de César Franck, ainsi que dans un concerto de Jean-
Sébastien Bach. On assure que M. David Roget doit venir prochainement
se faire entendre à Paris.
— La Volkszeitung cite un excellent mot du trial allemand Pohl, dont on
a annoncé la mort dernièrement, et qui fut régisseur au théâtre de Kœnigs-
berg. Dans la Fille du Régiment où il remplissait le rôle de l'intendant, une
chose le contrariait beaucoup, c'est l'habitude obstinée qu'avaient les
choristes âgées de se placer devant leurs camarades plus jeunes et plus
jolies. Cela produisait un effet déplorable surtout dans la scène du contrat
qui termine l'opéra. Pohl, qui était un galant homme, hasarda quelques
timides observations qui n'eurent aucun succès. Il se décida alors à
employer un moyen plus énergique, mais infaillible. A la représentation
suivante, quand les vieilles choristes firent leur entrée dans le salon de
la marquise de BerkenQeld, l'intendant annonça d'une voix forte : La
plus ancienne noblesse du pays ! Le public souligna ces mots d'un éclat
de rire formidable, et de ce jour l'ancienne noblesse céda le pas à lapins
j eune.
— Un concert monstre a été donné récemment au théâtre Marie, de
Saint-Pétersbourg, au l)énéfice de la caisse des Invalides, et a attiré en
foule les plus grands personnages de la cour et de la ville. Parmi les
morceaux exécutés dans cette soirée qui ont produit la plus grande im-
pression, on cite un quintette de clarinettes, composition d'un genre
assurément original, dont on ne nous fait pas connaître l'auteur, des
couplets avec double chœur de M. Cavùs, et te Réveil, composition puis-
sante de M. Ilubner, chef de la musique des Gbevaliers-tjardes de l'im-
pératrice de Russie, qui a été accueillie par un tonnerre d'applaudisse-
ments.
— On a entendu récemment à Bruxelles, dans un concert donné par
l'Union chorale, une cantate inédite avec chœurs d'un jeune composi-
teur, M. H. Thiébaut, intitulée A nos ancêtres. On dit le plus grand bien
de cette composition importante, qui réunit le charme à la grandeur et
dont les soli étaient chantés par M"'^Léontine "Vandamme et M. Hendrickx.
— Namur est une aimable ville belge, gentiment assise sur les bords
de la Meuse, et dont les environs offrent d'exquis paysages. Elle est moins
fertile et moins heureuse au point de vue delà critique musicale, s'il faut
s'en rapporter à ces lignes d'un journal du cru, rendant compte d'un
récent concert : « Une symphonie en ut mineur, de Van Beethoven, —
d'un caractère bizarre et versatile que domine un thème réminiscent, —
a été rendue, par les musiciens du Cercle, avec une rare expression et un
respect méticuleux des nuances. » Le « caractère bizarre et versatile »
de la symphonie en ut mineur et son « thème réminiscent (?) » nous sem-
blent d'un goût et d'un ragoût tout particuliers.
— La Société de musique de Tournai, sous la direction de son habile
chef, M. Henri de Loose, a donné un concert exclusivement consacré
aux œuvres de M"" de Grandval, avec un immense succès pour l'auteur
et les interprètes : chœurs et solistes remarquables. La Fille de Jaïre,
Atala, et les œuvres de violon jouées avec un grand style par le jeune
Henri Ten Brink, ont été particulièrement acclamées.
— Tandis que chez nous,depuis plusieurs années, la critique ne cesse de
réclamer, sans aucun succès, la remise à la scène d'un au moins des admi-
rables chefs-d'œuvre français de Gluck, les Genevois, plus heureux, vien-
nent d'être admis à applaudir Ylphigénie en Aulide du vieux maître. La
première Iphigénie vient en effet d'être jouée à Genève, avec un éclatant
succès, les principaux rôles étant tenus par M. ïournié, M"° Tracey et
M""= Bouland. On dit le plus grand bien de cette interprétation et aussi du
soin très intelligent apporté par le chef d'orchestre, M. Bergalonne, à la
restitution de ce chef-d'œuvre.
— Rien n'aura manqué à la gloire du jeune compositeur Pielro Mascagni
et de sa Cnmllcria rnslimna, qui continue de faire tourner toutes les têtes
en Italie. A Naples, un auteur connu par de nombreuses parodies en dia-
lecte napolitain, M. Davide Petite, vient d'en produire une en deux actes,
au théâtre Rossinî, sous ce titre : N'auta Cnvalkria rusticana. Ce badinage,
142
LE MEJ^ESTREL
très amusant, paraît-il, a obtenu un énorme succès, elles deux premières
représentations ont excité un fou rire général.
— La situation du théâtre San Carlo de Naples, qui a été si difficile et
si laborieuse à régler pour la dernière saison, ne paraît pas toujours de
plus en plus brillante. Le vent est aux économies en Italie, on le sait, et
voici que la junte municipale de Naples est saisie d'une proposition par
laquelle on supprimerait purement et simplement la subvention du théâtre
San Carlo, l'une des quatre grandes scènes de la Péninsule.
— Théâtre et jurisprudence mêlés. A Catanzaro, où viennent de com-
mencer les audiences d'un important et très intéressant procès criminel, le
municipe, en prévision des nombreux étrangers que ce procès scandaleu x,
ne pouvait manquer d'attirer dans la ville, a décidé la réouverture du
théâtre, fermé depuis quelque temps. Voilà vraiment une administration
communalepratique et intelligente. Le jour au préto ire, le soir au théâtre,
lesdits étrangers n'auront pas le temps de s'ennuyer et ils emporteront de
l'hospitalité cantazaraise un souvenir attendri.
— L'Académie philharmonique de Bologne avait ouvert un concours pour
la composition d'une messe à quatre voix, avec accompagnement d'orgue.
Vingt-deux manuscrits avaient été envoyés au jury, formé de MM. Giu-
seppe Martucci, directeur du Conservatoire, Alessandro Busi, Dall'Olio,
Crescentini et Santoli. A la suite d'éliminations successives, trois œuvres
avaient été réservées pour un dernier examen, et, finalement, c'est la par-
tition inscrite sous le n" 22 et portant cette épigraphe : Fato prudentia
minor, qui a été jugée digne du premier prix. Lorsqu'on a ouvert le pli
cacheté qui l'accompagnait, on y a trouvé le nom du maestro Guglielmo
Mattioli, organiste de la basilique de Saint-Prosper, de Reggio d'Emilie,
sa patrie.
— On a dû donner le 2 mai, c'est-à-dire hier samedi, au théâtre Nuovo
de Vérone, la première représentation d'un opéra nouveau intitulé Eisa,
dont le livret et la musique sont l'œuvre du même ' artiste, M. Arturo
Carraroli, lequel, fait assez singulier, est a sous-lieutenant médecin » au
SI" régiment d'infanterie.
— Le 22 avril, au théâtre Pagliano, de Florence, première représentation
de Ginevra, opéra-ballet en quatre actes, musique de M. G. Vigoni, ancien
élève du conservatoire de Milan. C'est encore un ouvrage dont le sujet est
tiré du fameux cycle poétique des chevaliers de la Table-Ronde, avec le
célèbre Lancelot du Lac pour héros et principal personnage. Toutefois, le
compositeur ne s'est laissé nullement entraîner, paraît-il, sur les traces et
parles théories de Richard Wagner.Il est resté purement et foncièrement ita-
lien au point de vue de l'inspiration et de la forme générale de son œuvre,
en s'attachant seulement à corser son orchestre et à le rendre intéressant.
Les interprêtes sont M™=s Marra, Spero etBussetti, MM. Brasi, Sammarco
et Miro. L'ouvrage paraît avoir été assez bien accueilli, trois morceaux
ont été bissés et l'auteur a été rappelé vingt fois sur la scène.
— Au dernier concert donné dans la salle Dante par la Société orches-
trale romaine, on a entendu deux compositions symphoniques inédites :
une ouverture de M. Dario De Rossi, de développements modestes, et un
prélude de M. Filippo Guglielmi, qui n'est autre chose qu'un entr'acte
d'un opéra inédit. Ces deux morceaux, le premier surtout, ont été accueillis
par le public avec beaucoup de faveur.
■ — De Bilbao nous recevons la nouvelle du grand succès que vient de
remporter M™" Nevada dans Lakmé, qu'on jouait pour la première fois. La
jolie partition du regretté Léo Delibes a produit son effet accoutumé, et la
remarquable cantatrice a, suivant son habitude, transporté le public qui
était accouru en foule au théâtre; l'air des Clochettes, chanté à ravir, a été
bissé d'acclamation. MM. Del Papa, dans le rôle de Gerald, et Serra,
dans celui de Nilakanta, ont partagé les ovations prodiguées à la diva.
Mlle Nevada continue ses représentations à Bilbao par la Somnambule et
Lucie de Lammermoor,
— Un grand festival de musique dramatique a eu lieu au Miisic Hall de
Boston devant un auditoire de trois mille personnes et avec le concours
de deux grands orchestres, de cent choristes et de dix-neuf solistes parmi
lesquels MM. Gampanini, Del Puente, M"" Marie Decca, etc. La réussite
du festival a été exceptionnelle, grâce surtout à M"« Decca, qui a admira-
blement chanté les couplets du Mysoli de la Perle du Brésil, le grand air
de la Flûte enchantée et le duo i'Hamlet avec M. Del Puente. La cantatrice
a été bissée et rappelée après chacun de ses morceaux.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Induit en erreur par quelques journaux anglais trop pressés, notre
correspondant de Londres s'est trompé en annonçant il y a quinze jours,
dans te Ménestrel, que la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique de Paris avait gagné, en appel, le procès intenté par elle à
M. Groneing, chef d'orchestre à Brighton. C'est au contraire ce dernier
qui a de nouveau obtenu gain de cause, le tribunal du Banc de la Reino
ayant purement et simplement ratifié le jugement de la Cour coratale de
Brighton : « La question à décider, a dit le juge dans ses conclusions, est
celle-ci: Un étranger compositeur d'une œuvre produite pour la première
fois dans son pays, œuvre protégée d'après les lois de ce pays, mais
non pas protégée dans le Royaume-Uni, peut-il revendiquer la protec-
tion accordée aux compositeurs étrangers par la convention de Berne,
dans le cas d'un chef d'orchestre qui achète un exemplaire de cette œuvre
et la fait exécuter publiquement? » Certaine clause restrictive de la 1 oi
anglaise de 1866 ne permettant pas le bénéfice de cette protection, l'appel
a été rejeté et les plaignants condamnés aux dépens. Ce jugement ne nous
réjouit pas, mais il était malheureusement à craindre, l'affaire ayant été
mal engagée et sur un mauvais terrain par l'agent de la Société des au-
teurs. Si l'issue malheureuse de ce procès pouvait à l'avenir calmer ses
impétuosités et ses ardeurs excessives, il aurait du moins un bon cùté.
Mais il ne faut guère l'espérer. En attendant, c'est la Société qui paie les
frais de ces extraordinaires aventures.
— Ghapu mort, que va devenir le monument de Félicien David ? C'est
à grand'peine que la légataire universelle du musicien, M'°= Tastet, avait
pu réunir les fonds nécessaires à l'achèvement du tombeau. Enfin, à force
d'économies sur les droits d'auteur, de ventes d'autographes et de manus-
crits, la somme était là et Chapu s'était remis à l'œuvre. Lui disparu, qui
se chargera de terminer l'œuvre qui s'annonçait grande et belle?
— Nos grands confrères nous donnent des nouvelles des pérégrination s
de M. Camille Saint-Saêns. Ces dernières nouvelles nous apprennent que
l'auteur d'Henri VIII, qui se trouvait alors à Naples, se préparait à quitte r
prochainement cette ville, où il devait s'embarquer pour se diriger ver s
l'Afrique.
— M. Cavalho vient d'engager pour trois années M"" Jane Horwitz, un e
des meilleures élèves de W"" Marchés!, qui a déjà remporté sur plusieurs
scènes étrangères de vifs succès. C'est à l'issue du dernier « five o'clock »
donné par fe Figaro que l'engagement a été signé. M. Garvalho y a entendu
M"= Horwitz et il en a été tout à fait charmé.
— Le rôle de Jacques de Thièvre, dans Mariage blanc, sera le dernier
qu'aura créé à la Comédie-Française M. Frédéric Febvre.Le sympathique
artiste est absolument décidé à quitter le théâtre ; il prendra sa retraite à
la date du l"' juin. Suivant l'usage, il donnera au public une représenta-
tion d'adieu, dont la date et le programme ne sont pas encore arrêtés.
M. Febvre, qui est né à Paris en 1835, est entré, au mois de septem-
bre 1866, à la Comédie-Française ; au mois de mai de l'année suivante, il
était nommé sociétaire.
— Après la mort de Chopin, en 1849, le visage du grand artiste fut
moulé par les soins de la famille. Trois exemplaires seulement furent
exécutés d'après ce travail et remis, l'un à la sœur du compositeur, l'autre
à la princesse Gzartoryska, le troisième à M. Herbault, associé de la mai-
son Pleyel et l'un des plus intimes amis de Chopin. C'est ce troisième
exemplaire que le fils de M. Herbault, pour obéir à un vœu de son père,
vient d'offrir au musée du Conservatoire, qui possédera désormais l'image
de l'auteur de la célèbre marche funèbre.
— Le Trovatore, de Milan, en enregistrant la mort du compositeur Giulio
Alary, que nous annoncions il y a huit jours, nous apprend un fait qui
était resté jusqu'ici complètement injonnu en France : c'est qu'Alary
avait tenu, pendant plusieurs années, l'emploi de flûtiste solo à l'orchestre
du théâtre de la Scala, de Milan.
— Hier samedi, M.Charles Grandmougin a fait entendre, à la salle des
Capucines, ses deux drames : Cain et Aryénis, joués en costumes par
M">= Marsay, MM. Dorny et Chevillot, du Conservatoire, et l'auteur. Cet
essai de décentralisation théâtrale a été des plus intéressants, Caïn et
Aryénis ayant eu déjà de grands succès de presse. La musique de scène de-
Cain est de M. Ernest Lefèvre, de Reims.
— Les Cadets dramatiques ont donné jeudi 30 avril, salle Duprez, une
« première » qui a été fort applaudie : Parfum de race, comédie lyrique en
un acte, de M. Fernand Lafargue pour les paroles et de M. Alfred Rabu-
teau pour la musique.
— Qui ne se rappelle l'admirable exhibition instrumentale qui brillait
d'un si vif éclat au rez-de-chaussée du palais des Arts libéraux et qui fut,
avec tant d'autres, l'un des joyaux et l'une des gloires de l'incomparable
Exposition universelle de 1889? Je me rappelle, pour ma part, le cri d'en-
thousiasme que je poussai à ce sujet en rendant compte, plus rapidement
que je l'eusse voulu, de cette exposition toute spéciale dans la Revue des
arts décoratifs et en constatant l'éclatante supériorité des produits de nos
facteurs sur ceux du monde entier. Voici venir un livre important, utile,
plein d'intérêt, qui ravive nos souvenirs sur ce point et qui est appelé à
rendre de grands services, en raison de la compétence de l'auteur, du
sens critique dont il est animé, des réflexions utiles qu'il contient et de
l'esprit de progrès dont il donne les preuves. La facture instrumentale à
l'Exposition universelle de 1S89. Notes d'un musicien sur les instruments à souffle
humain nouveaux et perfectionnés, tel est le titre de cet ouvrage, qui a pour
auteur M. Constant Pierre et qui forme un gros volume in-S" de plus de
300 pages, accompagné de gravures dont l'utilité n'a pas besoin d'être
démontrée en un tel sujet (Librairie de l'Art indépendant). Je ne saurais
malheureusement, en quelques lignes, analyser dans tous ses détails un
tel écrit, qui n'est guère moins, à tout prendre, qu'une sorte de traité pra-
tique de la facture et de la construction des diverses familles d'instru-
ments à vent, constatant les imperfections qui déparent encore certains
d'entre eux, indiquant les progrès à accomplir, recherchant les causes et
les effets, et appelant sérieusement l'attention sur une industrie artistique
LE MÉNESTREL
143.
qui a déjà opéré des prodiges, dans laquelle nous avons déployé notre
supériorité ordinaire et qui est une des sources de la richesse nationale.
Je ne puis qu'en reco mmander très vivement la lecture non seulement
aux hommes spéciaux, mais à tous ceux qu'intéressent les questions artis-
tiques, et qui seront étonnés du plaisir et du profit qu'ils trouveront à
cette lecture. Je n'ai qu'u n regret à exprimer, c'est que nous n'ayons pas,
sur les instruments à clavier et sur les instruments à cordes, deux ouvra-
ges du genre de celui-ci, aussi consciencieux, aussi instructifs, et qui, à
propos de l'Exposition universelle, nous renseigneraient d'une façon aussi
complète et aussi intéressante. A. P.
— On annonce l'arrivée à Paris de M"^ la baronne d'Adelsdorfer, qui,
de l'avis de tous ceux qui ont eu pu l'entendre, est douée d'une voix de
■contralto absolument remarquable. Espérons que M"'"= d'Adelsdorfer, qui
■a longtempemps travaillé avec M"'" Pauline Viardot, nous donnera l'occa-
sion de l'entendre et de l'applaudir à notre tour.
— C'est par erreur- qu'en signalant les succès de M'" Burt au théâtre
municipal de Nice, nous avons dit qu'elle était l'élève de M. Sbriglia.
M"" Burt a toujours pris les excellents conseils de MM. Bax et Emile
Bourgeois.
— M°'= de Beaumont, qui a écrit quelques agréables compositions pour
le piano, vient de recevoir les palmes d'officier d'académie.
— Dans une représentation particulière donnée au Grand-Théâtre de
Bordeaux par la Société colombophile de la Gironde à l'occasion de son
dernier concours, on a donné, avec un succès très vif, un petit opéra-
comique inédit en un acte, Mam'zclle Colombe, dont les auteurs sont
M. Jacquin pour les paroles, et pour la musique M. Haring, chef d'or-
■chestre du Grand-Théâtre. Notre confrère M. Paul Lavigne constate, dans
■la Gironde, l'accueil très chaleureux fait à cet ouvrage ainsi que le très grand
succès fait à ses interprètes, MM.Gandubert et Nerval, et surtout M"": Rose
Delaunay, qui a obtenu un véritable triomphe personnel.
— M. Emile du Saucey, premier violon à l'orchestre du Théâtre muni-
cipal de Lille, vient d'être nommé professeur de violon au Conservatoire
de Caen.
— Une exposition qui ne manquera pas d'originalité, et qui aura au
moins le mérite de la nouveauté, s'ouvrira le mois prochain au Champ-de-
Mars. On y trouvera les spécimens de tous les journaux du monde et tous
les moyens de publicité employés par les divers peuples. A côté figureront
tous les genres de réclame, alBches, publicité ambulante, nocturne,
■aérienne, etc. Cette exposition ayant lieu en même temps que celle des
artistes-peintres, les visiteurs trouveront, cette année, au Champ-de-Mars,
une attraction nouvelle.
CONCERTS ET SOIRÉES
Concerts du Cbàtelet. — Une dernière audition de la Damnation de
Famt a été donnée, dimanche dernier, devant une salle comble. A plu-
sieurs reprises, de chaleureuses manifestations ont suivi l'exécution de
certaines pages orchestrales, notamment celle da la Marche hongroise.
M. Colonne a su conserver à cette marche le caractère véhément et tumul-
tueux qui en rend l'effet irrésistible et reste d'ailleurs parfaitement d'accord
avec la pensée de Berlioz consignée dans un passage de ses Mémoires. Ce
morceau est l'un des plus intéressants que l'on puisse entendre au point
de vue de la mécanique orchestrale, et jamais l'ingéniosité subtile de cer-
taines combinaisons sonores n'enlève à l'ensemble ni l'ampleur des lignes,
ni l'absolue simplicité de l'architecture musicale. Le chœur des Sylphes,
dans lequel est si bien ménagée l'alternance des tons de ré et de la, est un
exemple frappant de la possibilité d'éveiller des impressions poétiques par
le seul ascendant des tonalités; ici, l'oreille la moins exercée se trouve
frappée par les transitions, et le cerveau le moins porté à la poésie se re-
présente en imagination les tableaux qu'ont voulu évoquer le poète et le
musicien, Gœthe et Berlioz. Rien, dans l'œuvre entière, ne s'élève à la
hauteur de cette page et de celle consacrée à l'apothéose de Marguerite.
Pourtant, quelle variété, quelle richesse dans toute la partition! D'abord
la première scène, dans laquelle M. Engel a montré toutes les ressources
de son beau talent, puis le début de la seconde partie, que cet artiste a
bien rendue malgré les dilHcultés de la lutte avec les chœurs et l'orchestre,
e nfin le duo et l'invocation à la Nature, qui exigent plus que ne peuvent
donner normalement les forces d'un chanteur. Que dire ensuite de la ballade
du roi de Thulé,dans laquelle M"" Pregi s'est montrée simplement exquise,
que dire de la romance : D'amour l'ardente flamme, qui a été également dite
avec beaucoup de sentiment et de goût! Quant à la course à l'abime, ce
crescendo entraînant et colossal a donné à M. Lauwers l'occasion de forcer
encore la sonorité stridente de sa voix. Dans ce fragment, de même que
dans la sérénade, et un peu aussi ailleurs, M. Lauwers oublie trop souvent
qu'il chante de la musique de concert et non une œuvre théâtrale; il joue
trop et met dans ses gestes trop de laisser-aller. Les chansons que Berlioz
a jetées comme une gerbe à travers la scène de la Taverne ont été bien
enlevées, y compris celle du Rat, dite par M. Augier. Tout cela cons-
titue un excellent ensemble et un incontestable succès.
Amédée Boutarel.
— Concerts et musique de chambre. Très variée et fort intéressante a été
la cinquième séance de la Société des instruments à vent. Elle s'ouvrait
ar la Sérénade en si bémol pour deux hautbois, deux clarinettes, deux
clarinettes- alto, deux bassons, un contrebasson et quatre cors, de Mozart.
Ce chef-d'œuvre d'une si délicate inspiration, d'une forme si pure, a été
interprété d'une façon remarquable. MM. Diémer, Taffanel et Loêb ont
joué avec une finesse de style, une beauté de son, une précision d'ensemble
rares, le joli trio de "Weber. Une romance pour flûte de M. Jacques Durand,
du plus agréable effet, et deux fragments intéressants, encore qu'un peu
longs et nuageux, d'une suite de M. Alary, terminaient la séance. —
M"°C. Kleeberg, dontle trèsbrillant talenta été souvent ici-même apprécié,
vient de donner deux concerts salle Erard. Au programme du second,
auquel nous avons pu assister, se trouvaient réunies quatre œuvres impo-
santes de Bach (Toccata), Beethoven (Variations), Schumann (Scènes d'en-
fants), et Chopin (Polonaise), rendues avec une souplesse de style, un
charme, une élégance extrêmement remarquables. M"° Kleeberg n'a pas
été moins heureuse dans l'interprétation d'une série de compositions mo-
dernes, parmi lesquelles il faut citer le Capi-ice sur Alceste, de M. C. Saint-
Saëns, Réveil, de M. Th. Dubois, Feuillet d'album de M. Paul Fournier,
Bruit d'ailes, de M. G. Pfeiffer, etc. 1. Ph.
— Cette semaine a eu lieu, salle Pleyel, la dernière grande audition des
élèves du cours supérieur de piano que l'éminent professeur Marmontel
fait à l'Institut musical de M. et M"" Oscar Gomettant depuis la fondation
de cette école célèbre, c'est-à-dire depuis vingt ans. Cette audition a été
très remarquable. Il nous faudrait, pour être juste, citer le nom de toutes
les jeunes liUes qui s'y sont fait entendre et dont quelques-unes sont déjà
de véritables virtuoses. M"'= Irrac, la violoniste hollandaise qui s'est pro-
duite cet hiver à Paris avec tant de succès, et le spirituel ténor de l'Opéra-
Comique, M. Bertin. ont prêté leur concours à cette soirée qui, une fois
de plus, a mis en évidence l'excellent enseignement que reçoivent à
l'Institut musical les jeunes filles et les femmes du monde.
— La Société de Sainte-Cécile de Bordeaux, dont le président est M. A.
Sourget et le secrétaire le délicat musicien, M. Ernest Redon, vient de
clôturer la série de ses intéressants concerts par un festival auquel ont
pris part M™= Krauss et MM. Ramat et Warmbrodt. Au programme se
trouvaient inscrits le deuxième acte des Troijens, dont l'exécution, sous la
direction de M. Gobert, a été remarquable, les Adieux de Wotan, chantés
avec art par M. Ramat, le Roi des Aulnes et l'air : Divinités du Styx, dits par
M™" Krauss, avec une superbe ampleur, et finalement la sérénade des
Pêcheurs de perles, délicieusement rendue par M. Warmbrodt.
— La Société Sainte-Cécile du Havre a donné, sous la direction de
M. Cifolelli, un concert dont le succès ne peut que confirmer l'estime dont
elle jouit auprès des dilettantes. Parmi les morceaux les plus applaudis
citons, avec le délicieux Chœur des Nymphes des bois de Léo Delibes et le
Carnaval de M. Guiraud, la Berceuse de M. J. Bordier et surtout la belle ro-
mance pour cor de M. Charles Lefebvre et la légende fantastique : Melka,
du même auteur (poème de Paul CoUin) qui remplissait toute la seconde
partie. L'exécution a été parfaite et l'accueil très chaleureux. — Le même
ouvrage s'est retrouvé avec le même succès, quelques jours plus tard, à
Versailles, à l'audition de la société que dirige si habilement M. Dérivis,
avec le concours de M"« Laure Taconet.
— M. René Schidenhelm, ce jeune violoncelliste qui obtint un si
brillant premier prix au Conservatoire, et son frère, M. Henri Schiden-
helm, qui comme pianiste promet la même supériorité, se sont fait enten-
dre à Besançon, où leur mère s'est acquis une si brillante réputation
comme professeur de piano. Les feuilles locales ne tarissent pas d'éloges
sur ces jeunes artistes, et sont unanimes à leur prédire l'avenir le plus
brillant.
— La Société des Concerts populaires de Valenciennes a consacré toute
u ne partie de sa dernière séance à l'exécution d'œuvres d'un compositeur
valenciennois, M. Antoine Mathieu, aujourd'hui professeur à l'Académie
de musique de Boulogne-sur-Mer et directeur des Concerts populaires de
c ette ville. Le programme comprenait les compositions suivantes de
M. Mathieu: Patrie, ouverture; A toi! romance pour violon; Hainaut,
scène du moyen âge, suite d'orchestre en quatre parties; Ode funèbre pour
chœurs et orchestre (écrite il y a onze ans pour l'inauguration du monu-
ment d'Abel d'Hauteieuille à Boulogne); enfin, ouvei-ture de Bosciic, opéra-
comique représenté sur le théâtre de Valenciennes en 1876.
— Concerts et Soirées. — Plus de quatre cents personnes applaudissaient, lundi
dernier, les nombreux et brillants élèves de M. et M°" Ciampi-Ritter. Programme
fort intéressant, oii figuraient plus de trente compositeurs appartenant à toutes les
écoles, depuis Pergolèse et Mozart jusqu'à Ambroise Thomas et Delibes. Très
remarquée la jolie mélodie de M. Verdalle : « A^ous ne m'avez jamais souri. »
Plusieurs chœurs, exécutés d'une façon remarquable par la Société chorale dirigée
par M. Giampi, ont été très applaudis; nous citerons entre autres le ravissant
chœur des pages de Françoise de Rimini et les Nymphes. M"" Broisat, de la Comédie-
Française, et M"° Thérèse Caatellan prêtaient le concours de leur beau talent à
cette intéressante soirée, qui a été une véritable fête artistique. — Très brillante
matinée musicale chez M"°' Tribou, la semaine dernière. Parmi les élèves des
cours de piano, faits par MM. Falkenberg et Falli, on a principalement iipplaudi
la gracieuse interprète des Rêves, de Bizet. Le cours de chant, sous la directiou de
M. Hettich, a produit une charmante chanteuse qui a très bien détaillé la jolie
chanson de Maître Ambros. de M. Ch.-M. Widor, puis maître et élèves ont réuni
leurs jolies voix pour dire la Chanson des Métamorphoses, ce gracieux chant des
Noces de Berry, recueilli par M. Julien Tiersot. M. Talamo, chargé des cours de
mandoline et guitare, a remporté un succès bien mérité en jouant délicieusement
sur sa mandoline les Piszicali de Sylvia, transcrits par M. L. Emma. — L'excellent
di't
LE MÉNESTREL
proresseur M"" Delâge-Prat réunissait, il y a quelques jours, ses élèves pour l'audi-
tion des œuvres de piano de M. Paul Rougnon. On a particulièrement applaudi :
Ballerine, la Valse joyeuse, le Menuet de l'infante, élégantes compositions de l'un de
nos compositeurs de piano les plus en faveur depuis quelque temps. — Lundi,
I 27 avril, chez M"" Howe et Saïah Bonheur, charmante réunion pour l'audition de
leurs élèves. Toutes ont chanté avec une méthode et une diction parfaites; quel-
ques-unes sont tout à fait remarquables. — Samedi soir, salle Erard, M"' Made
leine ten Hâve a donné un concert des plus remarqués. Dans l'exécution du con-
certo en ré mineur de Bach, celte jeune pianiste a prouvé qu'elle connaît à fond
le style du vieux maître. M. Wilhelm ten Hâve, le distingué violoniste, exécutant
avec sa fille l'admirable sonale à Kreutzer, a eu sa bonne part du succès de cette
soirée. — Salle de l'Académie de musique, dimanche dernier, l'audition des élèves
de M"" Lucie Jusseaume a été des plus intéressantes. Petites et grandes ont
donné des preuves de l'excellent enseignement qu'elles reçoivent. Quelques-unes
même ont montré dans l'interprétation des œuvres les plus difiioiles de Chopin,
Mendelssohn, 'W'eber etc., des qualités de stjie qui font le plus grand honneur
a leur jeune et intelligent professeur. Citons les plus remarquables : M"" Del-
court, Louis, Bataille et M. l'etitjean. — La dernière audition d'élèves de
M"* TbniUier, consacrée au répertoire classique de l'édition Marmonlel, a été
extrêmement remarquable. Plus d'une fillette s'est signalée par de brillantes
qualités de style et de virtuosité, qui font honneur à l'enseignement de M"" Thuil-
lier. La séance était présidée par M. Alphonse Duvernoy, esi.minaleur du cours.
— Très grand, très vif et très légitime succès pour M"" Marie Panthês, à son
concert de la salle Pleyel. Virtuose remarquable, musicienne expérimentée,
rompue à tous les styles, la jeune et brillante pianiste s'est fait vivement applaudir
surtout dans la '1° ballade de Chopin, qu'elle a dite avec un incontestable senti-
ment poétique, ainsi que l'IIumoresque de Schnmann, et elle a fait merveille aus,si
dans une Humoresque de Tschaïkowsky, que les auditeurs ont tenu à lui faire
redire une seconde fois. C'a élé tout un vrai petit triomphe. — L'excellent chan-
teur comique Victor Géo a donné, ces jours derniers, un concert très réussi au
théâtre de la Galerie-Vivienne. Le succès personnel de M. Géu a été très vif ; on
a également applaudi M"« Blanc, premier prix de chant du Conservatoire,
M"" Marioton-Bribes, qui détaille la chansonnette avec infiniment de goiil,
MU. Georges Clément, Fontbonne et Léon David; ce dernier a interprété une
nouvelle et très gracieuse mélodie de M. 'Wekerlin, intitulée Avril.
NÉCROLOBIE
Charles Ponchard
Un excellent artiste qui n'a jamais atteint la célébrité, mais qui, à une
réelle distinction et à une conscience rare joignait l'e.\;périence et le senti-
ment des saines traditions, Charles Ponchard, régisseur-général de l'Opéra-
Comique et titulaire d'une des deux classes d'opéra-comique au Conserva-
toire, est mort mercredi dernier, à l'âge de soixante-six ans, à la suite
d'une longue et douloureuse maladie. Kils du grand chanteur qui créa le rôle
de Georges Brown de la Daine blanche et dont la renommée fut si grande à
l'ancien théâtre Favart, Charles-Marie-Auguste Ponchard, qui était né à
Paris le 7 novembre 1824, avait fait ses classes au Conservatoire, mais,
chose assez singulière, ces classes n'avaient rien de musical, et c'est avec
un second prix de comédie obtenu en 1841, et un second prix de tragédie
remporté en 1843, qu'il quitta l'école. 11 entra alors à la Comédie-Française,
où il resta deux années, puis, ayant travaillé avec son père, il alla faire
une apparition fugitive à l'Opéra, où sa voix courte et dépourvue de timbre
ne pouvait être d'aucune utilité. Il entra alors, en 1848, à l'Opéra-Gomique,
qu'il ne devait plus quitter. Là, ses très réelles qualités de comédien le
mettaient à même de rendre de véritables services, tandis que sa voix,
insuffisante pour un grand emploi, lui permettait de se produire avec
avantage dans les seconds ténors et dans les trials, étant données surtout
les e.xcellentes qualités musicales qu'il tenait de l'enseignement paternel.
Pendant près de trente ans il fut une des colonnes du répertoire courant,
apte à tout, toujours sur la brèche, et se montrant tour à tour dans une
foule d'ouvrages, parmi lesquels on peut citer surtout l'Ambassadrice, le
Domino noir, Giralda, l'Ép'euve villageoise, les Diamants de la Couronne, Fra
Dlavulo, l'Étoile du Nord, le Caid, Galatliée, le Toréador, etc. Il fit aussi, entre
autres, deux créations excellentes, dans le Chien du jardinier, petit chef-
d'œuvre de Grisar dont l'interprétation vraiment exquise comprenait, avec
lui, M. Faure, M"" Lefebvre (M™= Faure) et M"= Lemercier, et dans le Voyage
en Chine. Depuis plusieurs années, Charles Ponchard avait renoncé à se
produire à la scène, mais il avait succédé à Mocker comme régisseur
général, de même qu'il avait succédé à Couderc dans sa classe du Conser-
vatoire et, sous ce rapport, il possédait des qualités et une expérience
auxquelles il ne sera pas facile de suppléer. L'Opéra-Comique fait, dans
sa personne, une perte très sensible. Ponchard, en sa qualité de professeur
au Conservatoire, avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1889.
Henri Heugel, directeur-gérant.
LE MÉLOMANE
Journal de ml'siqi;e
à adjuger en l'étude de
M' Grionon, notaire, 26, boulevard Saint-Michel, le 4 mai 1891, à deux
heures; mise à prix: 1,000 francs. S'adresser à M. Ozéré, syndic, rue
Christine, 2, et audit notaire.
Vient de paraître :
BRAHMS, JOH. recueil de mélodies (Version française par V. Wilder).
Vol. I. (N° 1. Cœur fidèle. N° 2. A la violette. N" 3. Mon amour est pa-
reil aux buissons. N" 4. Vieil Amour. N" S. Un Rossignol. N° 6. Soli-
tude champêtre), net 3 7o
Vol. II. (N" 1. Strophes saphiques. N" 2. Message. N" 3. Sérénade
inutile. N" 4. Mauvais accueil. N° 5. Jour d'été. N° 6. La Belle
fille aux yeux d'azur), net 3 75
Vol. III. (N"!. Berceuse. N» 2. Chant d'amour. N" 3. Un Dimanche.
N" 4. A l'astre des nuits. N" 0. Le Secret. N» 6. A une harpe
éolienne), net 3 73
Vol. IV. (N" I. Dimanche, au point du jour. N° 2. Amour fidèle.
N" 3. Le Forgeron. N'^ 4. Le Serment de l'Amant. N» 5. 0 jours
bénis de l'âge d'or! N" 6. J'ai vu jadis de belles Heurs), net. . . 3 75
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Dimanche 10 Mai 1891..
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco i M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement»
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 Ir.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (8° article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — IL Semaine théâtrale : la centième représentation de Lcûcrné, à
rOpéra-Gomique, H. Moreno ; première représentation de la Famille Vénus, à la
Renaissance, reprises du Parfum, au Palais-Roj'al, et de Paris fin de siècle,
au Gymnase, PAUf.-EMiLE Chevalier. — III. Napoléon dilettante (7" article),
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
SÉRÉNADE ROCOCO
de Robert Fischhof. — Suivra immédiatement : Autrefois, musette d'Ax-
TONIN MaRMONTEL.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Puisqu'ici bas, mélodie posthume de Cn.-B. Lysberg, poésie de
Victor Hugo. — Suivra immédiatement: Berceuse, nouvelle mélodie de
Bai.thasar-Flgrence, poésie de Ch. Fuster.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et CHarles aiA-LHEFlBE!
DEUXIEME PARTIE
(Suite.)
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lalki-Roukh ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-'1864.
Perrin se plaisait aux contrastes; car le même soir où il
lançait une pièce aussi moderne et raffinée que Lalla-Roukh,
il reprenait une des pièces les plus anciennes et les plus
simples du répertoire, la gracieuse paysannerie de Sedaine et
Monsigny, Bose et Colas; elle datait de 1764 et pouvait ainsi
presque fêter son centenaire. Aussi, M''" Lemercier, qui jouait,
quoique jeune encore, le rôle de la mère Boby, une duègne
de quatre-vingt-quinze ans, fit-elle applaudir le couplet sui-
vant, ajouté pour la circonstance au vaudeville composé
par Victor, le spirituel régisseur du théâtre :
Voilà cent ans, vos bons aïeu.v
Venaient applaudir cet ouvrage.
Ce soir, messieurs, faites comme eux :
Accordez-nous votre suffrage !
Je voudrais vous savoir contents,
Et, si mon vœu se l'éalise.
Vous revoir tous à la reprise
Qui doit avoir lieu dans... cent ans !
Pièce et partition, toutes deux charmantes en. leur grâce
naïve, sont assez présentes à l'esprit de tous pour qu'il soit
inutile d'insister. Rappelons toutefois un propos peu connu,
un mot de Sedaine à propos de Rose et Colas, un de ces mots
dont les artistes peuvent faire leur profit, cai il renferme
toute une esthétique théâtrale. Au lendemain de la première
représentation, un ami le rencontre et le complimente.
<c Seulement, ajoute-t-il, c'est un peu long; je crois que tu
feras bien de couper çà et là. » — « J'entends, répond Se-
daine; hier les acteurs ont joué trop vite; demain, ils
joueront moins vite et ce sera plus court. » Avis aux « brûleurs
de planches » dont le débit précipité nuit souvent à l'œuvre
qu'ils prétendent animer. Cette fois, l'auteur eût été satisfait;
Rose était bien un peu timide, représentée par une débu-
tante, M''" Emilie (tarait, dont on avait annoncé d'abord l'en-
gagement sous le nom de M"^ Durieux et qui, au bout de
douze fois, céda le rôle à M"'= Tuai ; mais Sainle-Foy et Troy
montraient deux types de fermiers excellents, et Colas n'é-
tait autre que Montaubry; avec une abnégation dont les
grands ténors de nos jours se montreraient avares, il jouait
le même soir dans le lever de rideau et dans la pièce prin-
cipale; il se faisait doublement applaudir sous le manteau
du prince et sous la blouse du paysan.
Avec Rose et Colas l'élan des reprises était donné, et l'on
voit se suivre ainsi, le 12 août, la Servante maîtresse et Jean de
Paris ; le 30 août, Deux mots ou une Nuit dans la forêt; le IS sep-
tembre, Zémire et Asor. De ces pièces, la première fut le
mieux accueillie, un peu grâce à son intérêt historique,
puisqu'elle peut à bon droit passer pour le prototype de
l'opéra bouffe, d'où l'opéra-comique est issu ; beaucoup, à
cause de la valeur des interprètes. Gourdin était un bon
Pandolphe ; Berthelier jouait excellemment le rôle muet de
Scapin ; quant à la débutante, M™ Galli-Marié, elle fît,
comme nous dirions aujourd'hui, sensation. Les savants ob-
servèrent que, l'ouvrage manquant d'ouverture, on lui avait
donné comme préface musicale une étude pour clavecin de
Scarlatti, orchestrée par Gevaert; les curieux remarquèrent
que les récitatifs, écrits par l'auteur avec accompagnement de
clavecin, étaient accompagnés par un violoncelle et une
contrebasse ; les musiciens constatèrent que le rôle de Zer-
bine étant un peu haut pour la nouvelle venue, il avait fallu
baisser d'un ton ses deux airs et le duo final, sans parler
d'autres transpositions partielles; mais la foule se préoccupa
médiocrement de ces minces détails, et ne cacha pas son
admiration. Fille de Marié, le chanteur de l'Opéra, M™ Galli-
Marié avait déjà chanté en province, et arrivait en dernier
lieu de Rouen, où le flair de Perrin l'avait dénichée. Par son
d46
LE MÉNESTREL
visage expressif, sa voix chaude et son intelligence drama-
tique, elle s'imposa du premier coup sur la scène où elle
devait, par ses créations, tenir tant de place, et Paul de
Saint-Victor n'était que l'écho du public, quand il écrivait
dans le feuilleton de la Presse : « Elle est petite et mignonne,
avec des mouvements de chatte, une physionomie mutioe et
lutine, et dans tout son air, dans toute sa personne, quelque
chose d'espiègle et de retroussé. Elle joue comme si elle
avait servi dans les bonnes maisons de Molière ; elle chante
d'une voix ronde et fraîche, piquante et moelleuse. On dirait
une ravissante résurrection de M'"<= favart, de celle que le
maréchal de Saxe appelait sa chère petite bouffe. ,<
Cette partition de Pergolèse n'avait pas été exécutée à Paris
depuis plus de quarante ans, mais la nouvelle Zerbine remit
tant et si bien la Sercante jnaîtresse à la mode, que, l'année
suivante, une tragédienne lyrique, M""= Penco, se paya la fan-
taisie d'aborder, aux Italiens, ce rôle comique avec Zucchini
pour partenaire; elle réussit. Quelques années plus tard,
M™ Krauss, à son tour, tenta l'épreuve mais avec la Serva
Padrona de Paisiello. Cette épreuve , sans être aussi satisfai-
sante, fît -encore honneur à ia souplesse de son talent.
Le soir même où M'"« Galli-Marié débutait, Jean de Paris
servait au début d'un ténor qui comptait déjà d'honorables
succès en province, et particulièrement à Rouen, où il avait
paru l'année précédente. Warnots était un élève du Conser-
vatoire de Bruxelles, lauréat émérite qui s'était vu décerner
le premier prix de piano et de composition. Excellent musicien,
on le devine, il fit bonne figure sous les traits de Jean et,
avec M"« Marimon comme princesse et Crosti comme séné-
chal, valut à l'ouvrage de Boieldieu un regain de vingt-deux
représentations, qui furent malheureusement, à la salle Favart,
les dernières, et pour la pièce et pour lui. Ne se trouva-t-il
pas assez chaleureusement accueilli, ou jugea-l-il qu'il se
créerait difficilement une place digne de lui parmi ses rivaux?
le fait est qu'il retourna d'abord en Hollande, puis en Bel-
gique, où il a rendu depuis lors, comme professeur, de signa-
lés services.
La reprise de Deux mots ou Une nuit dans la forêt, opéra-
comique de Dalayrac, qui n'avait pas été joué depuis le
19 avril 1823, fut moins heureuse, car elle ne fournit que
huit représentations. La médiocrité du livret contribua pour
quelque chose à ce piteux résultat : le public commençait à
connaître outre mesure ces histoires de voyageurs égarés
qui descendent dans des auberges improbables et se heurtent
à des voleurs plus ou moins sérieux. Cette fois, Valbelle, le
jeune officier, est tombé dans un coupe-gorge, et la forêt pa-
raît être celle de Bondy. Une jeune fille au service des bri-
gands. Rose, attire son attention parla pantomime à laquelle
elle se livre, et l'avertit même des dangers par un mot:
« minuit! » Le héros a le temps de se mettre sur ses
gardes, il échappe à la mort, et quand du même coup
il a sauvé l'héroïne, il lui demande: « M'aimeras-tu? »
et elle répond naturellement: «toujours! » Minuit et toujours
sont ainsi les deux mots promis par le titre. Le peu d'effort
de mémoire qu'ils imposent à l'actrice rendrait presque vrai-
semblable cette légende qui eut cours lorsque l'œuvre fut
donnée à l'Opéra-Comique le 6 juin 1806, ou, suivant Félis,
en 1798. La pièce aurait été écrite pour un théâtre de société,
et le rôle de Rose devait être confié à une dame fort timide qui,
pour s'en défendre, se déclarait incapable de prononcer plus
de deux mots. «Eh bien, madame, aurait répondu Marsollier,
on ne vous en demande pas davantage. » Mais, d'autre part,
il est certain que ce titre: Deux mots, fut ajouté seulement
après la première représentation. En efi'et, le manuscrit ori-
ginal de la partition se trouvait encore en 1862 dans les
mains d'un neveu de Dalayrac, et il ne portait que ce titre :
Une nuit dans la forêt. On raconte, au reste, que le librettiste
s'était amusé à transporter à la scène une aventure assez
analogue dont il avait été victime, et qui, de plus, avait
fourni à Bouilly la matière d'un joli récit.
Pour Zémire et Azor, on est moins réduit aux conjectures, le
compositeur ayant donné lui-même, sur son œuvie, tous les
détails qu'il importait de connaître; il estime, par exemple,
que « cette production est à la fois d'une expression vraie et
forte » ; puis il ajoute naïvement : « Il me paraît même dif-
ficile de réunir plus de vérité d'expression, de mélodie et
d'harmortie. » On voit que Grétry se traitait sans aucune
sévérité. Cet ouvrage, nous l'avons dit, avait servi en 1846
aux débuts de Jourdan et de M"'= Lemercier. Perrin s'occu-
pait de le reprendre lorsqu'il avait quitté l'Opéra-Comique
en 1858; son successeur Roqueplan l'annonçait en 1859 avec
Warot et M"° Cordier; on le répétait encore en 1860; le retour
de Perrin amena enfin la représentation, qui revêtit un ca-
ractère tout à fait artistique. Pas de retouches à l'orches-
tration, cette fois; en revanche, on avait rétabli le ballet,
supprimé aux reprises précédentes , et ménagé ainsi un
succès à la jolie M"« Marcus. Pour donner une idée de la
richesse apportée à la mise en scène, rappelons que Perrin
fit brosser un rideau spécial destiné aux entr'actes: c'était
le principal épisode du troisième acte, peint par Cambon,
d'après une gravure du XVIIP siècle. En outre, la scène
avait reçu un encadrement intérieur, exécuté dans le style
coquet des décorations du temps, et semblable aux encadre-
ments de scène des résidences royales, afin de reproduire
aussi exactement que possible l'effet de ia représentation de
gala du 9 novembre 1771, où l'ouvrage de Grétry avait paru
pour la première foi* devant la Cour, à Fontainebleau. La
distribution nouvelle n'était pas moins satisfaisante, avec
Warot (Âzor), Troy (Sander), Ponchard (Ali), M'"-"^ Tuai et
Rolin (Fatmé et Lisbé), enfin une débutante. M'"' Baretti qui,
sons les traits de Zémire, tremblait un peu le premier soir,
et se montra charmante pendant les vingt-sept représenta-
tions que fournit cette reprise; bientôt elle parut encore
plus à son avantage dans la Dame blanche, où elle remplaça
M"'= Cico, et compta, par sa grâce et sa beauté, au nombre
des pensionnaires qui méritent une mention dans l'histoire
de la salle Favart.
Cette reprise de la Dame blanche est d'ailleurs, avec l'appa
rition de Lalla Roukh, le gros événement musical de l'année
1862 à la salle Favart. Le chef-d'œuvre de Boieldieu avait été
remonté, comme décors et costumes, avec un soin tout par-
ticulier, et le principal rôle d'homme, confié à un nouveau
venu, dont les débuts eurent un énorme retentissement. Léon
Achard n'était pas un inconnu. Fils du comédien Achard,
reçu avocat à vingt ans, il avait quitté le barreau pour entrer
au Conservatoire de Paris, et au bout de deux ans en était sorti
avec un premier prix d'opéra-comique. Mais, sa courte appa-
rition au Théâtre-Lyrique dans le Billet de Marguerite (7 octo-
bre 1854) n'attira pas l'attention du public, et le jeune lau-
réat partit pour Lyon, où pendant six années il étudia, pro-
gressa, et finit par passer du second plan au premier. Rappelé
alors à Paris, il se vit confier le rôle de Georges Brown, et
la soirée du 4 octobre fut pour lui triomphale. Doué d'une
jolie voix, très jolie même, bien qu'un peu blanche, vocali-
sant à merveille, charmant cavalier, bon comédien, il avait
un talent fait de franchise, de charme, de netteté, et l'Opéra-
Comique put dès lors se consoler d'avoir perdu Roger. Grâce
à lui la Dame blanche fournit treize représentations en octobre,
treize en novembre, douze en décembre et cinquante-sept
l'année suivante. D'un bond, elle avait franchi la mUlièmc re-
présentation et cet événement, encore unique dans les annales
du théâtre, fut célébré avec quelque solennité. L'empereur
et l'impératrice assistèrent à la représentation qui eut lieu le
16 décembre; entre, le premier et le second acte, des stances
de Méry furent récitées par Achard, et tous les artistes cou-
ronnèrent le buste du compositeur, tandis que les choristes
entonnaient le chœur d'Avenel. La recelte atteignit près de
7,000 francs, et les droits d'auteurs furent généreusement aban-
donnés par Boieldieu fils aux ouvriers sans travail de Rouen.
(A suivre.)
LE MÉNESTREL
447
SEMAINE THEATRALE
LA 100= REPRÉSENTATION DE LAKMÉ
Au théàlre il faut compter avec l'imprévu. Cette reprise, M. Car-
valho l'avait tout particulièrement choyée; il voulait en faire un
jusle hommage à la mémoire de Léo Delibes, et voilà qu'au dernier
moment l'interprète principale de l'ouvrage, celle sur qui il fondait
de légitimes espérances, venait à lui échapper. Eu effet, la veille
de la représentation, à six heures du soir, le docteur Fauvel venait
annoncer au théâtre que M""' Arnoldson ne pourrait chanter le len-
demain, ni même avant quelques jours. Lakmé était déjà affichée, les
billets de service déjà envoyés à la presse, les feuilles de location
déjà couvertes; que faire? M. Carvaiho est l'homme des résolutions
subites; il ne se laisse pas abattre facilement. Il pensa qu'il venait
d'engager une nouvelle chanteuse, qui précisément venait d'inter-
préter le rôle à Lille avec un vif succès. M"' Horwitz, une des
meilleures élèves de M"' Marchesi, et tout de suite il décida qu'il
ne serait rien changé à l'ordre des spectacles. M"'= Hor-witz , pour
qui c'était d'ailleurs un coup de fortune, accepta sans hésiter, avec
toute la crànerie de la jeunesse, la mission périlleuse de sauver le
théâtre et de chanter à l'improviste un rôle aussi lourd que celui de
Lakmé, sans lépétition préalable avec l'orchestre et ses camarades.
On se trouvait ainsi tiré d'un gros embarras, et on pouvait attendre
avec tranquillité le rétablissement de M"' Arnoldson.
Nous avons donc revu cette délicieuse Lakmé, qui est l'un des plus
charmants ouvrages qu'ait produits l'école française depuis Mignon
et Carmen. L'inspiration en est toujours abondante et naturelle, et
on y trouve peu de ces remplissages et de ces formules convention-
nelles et rebattues qui embarrassent le vieil opéra-comique. Ici, tout
ou à peu près est neuf, original, et porte la marque bien personnelle
du maître. Nous sommes à une époque où la plupart de nos musi-
ciens semblent pris de vertige; dédaigneux de suivre leur propre
nature d'artiste, ce qui serait trop simple en une fin de siècle
aussi compliquée, ils cherchent tous plus ou moins à s'accrocher à
quelque grand modèle, à s'en inspirer et à nous en donner des
copies plus ou moins pâles. C'est infiniment regrettable.
De nos jours, comme au temps de Boileau, un joli sonnet, d'une
facture originale, vaudra toujours mieux qu'un poème d'allures pré-
tentieuses, si on n'a pas en soi la moelle nécessaire pour le con-
duire à bien. Croit-on, par exemple, que les partitions de Manon et
à'Héi'odiade, oii M. Massenet nous donnait quelque chose de lui,
n'étaient pas infiniment préférables à celles, beaucoup plus grosses
d'intentions, du Mage et d'Esclarmonde, oii il nous donne seulement
quelque chose des autres ? On trouvera peut-être que nous nous en
prenons souvent à la personnalité, d'ailleurs intéressante, de M. Mas-
senet. Ça n'est pas mauvais vouloir, ni parti pris, c'est bien plu-
tôt pour la peine qu'il nous cause de le voir s'égarer dans des
voies détournées où son gracieux talent ne peut s'épanouir à l'aise
et dans toute sa iloraison.
Delibes n'a pas commis cette faute; il eût pu, tout aussi bien qu'un
autre, faire des pastiches habiles et nous donner des apparences de
grandes œuvres, dans la manière du terrible Richard. Il a préféré
chanter la chanson qui était dans son cœur. Après Coppélia, ce fut
Sylvia, puis le Roi l'a dit; après Jean de Nivelle, Lakmé, et bientôt cette
Kassya, qui ne sera pas indigne des autres. Dans toutes ces œuvres,
Delibes reste toujours lui et cependant toujours divers.
On était demeuré quatre ans sans entendre cette Lakmé; on l'a
retrouvée toujours fraîche et pleine de ce charme, et de cette poésie
péûétrante qui en avaient fait le succès dès le premier soir; la mélodie
y coule toujours chaude et colorée, appuyée sur une harmonie pi-
quante etjamais banale. Cela a doncété une véritable fête, u» enchan-
tement pour des oreilles que nos jeunes musiciens maltraitent si
fort depuis quelque temps.
Le charmant poème de MM. Gondinet et Philippe Gille n'a pas
manqué non plus de retrouver des auditeurs attentifs et intéressés.
Arrivons à l'interprétation ; pour M"" Horwitz, nous l'avons dit,
c'était une sorte d'improvisation dont elle est sortie victorieuse. Sa
voix est mince assurément, mais elle est incisive et porte loin. La
chanteuse a élé élevée à bonne école; elle sait de son art tout ce qu'on
en peut apprendre. C'est une vaillante, et la fortune lui sourira.
Le ténor Gibert avait à vaincre bien des difficultés pour plier sa
voix forte et généreuse aux exigences d'un rôle qui demande sou-
vent de la grâce et de la délicatesse. Il a trouvé pour cette
occasion d'agréables demi-teintes qu'on ne lui connaissait pas.
M. Renaud a mis sa belle voix et l'autorité de son talent au ser-
vice du personnage de Nilakantha, qui s'en est fort bien trouvé. Les
plus petits rôles avaient été distribués à de véritables artistes, qui
tous, sans vouloir s'occuper de leurs situations personnelles, avaient
tenu à honneur de paraître dans cette reprise, pour mieux servir
la mémoire de notre pauvre Delibes. C'est ainsi que M"'' Deschamps
représentait Mallika, qui n'a guère à chanter qu'un petit duo au
premier acte, délicieux il est vrai ; que M. Soulacroix animait de
sa verve le personnage de Frédéric; que M. Clément tenait la partie
d'Hadji ; que M"'"* Degrandi et Elven prêtaient leur gracieuse phy-
sionomie aux petites Anglaises de MM. Gondinet et Philippe Gille,
et M"" Pierroa, sa verve au rôle de la gouvernante. C'était donc
une excellente interprétation d'ensemble, soutenue par le merveil-
leux orchestre de M. Danbé et les chœurs valeureux de M. Carré.
Voilà l'ouvrage en route vers la 200^ représentation.
H. MORENO.
Renaissance. La Famille Vénus, opérette-vaudeville en trois actes et
quatre tableaux, de MM. Charles Clairville et R. Bénédite, musique
de M. Léon Vasseur. — Palais-Royal. Le Parfum, comédie en trois
actes de MM. Ernest Blum et Raoul Toehé. — Gymnase. Paris fin de
siècle, pièce en quatre actes, de MM. Ernest Blum et Raoul Toché.
La famille Vénus, ainsi dénommée parce que. Italiens de nais-
sance et modèles de profession, l'une des filles pose les Vénus
chez messieurs les artistes, vit calme , heureuse et fière des héros
qu'elle fournit au tout-Montmartre barbouilleur , non sans tou-
tefois regretter que l'une des plus jolies de la maisonnée. Frisette,
n'ait pas cru devoir embrasser la carrière et préfère vendre des pe-
tits bouquets sur la place Pigalle. Or, voilà que précisément celle
que l'on sarrache et qui personnifiait si bien la déesse de la beauté,
vient de se laisser enlever par un riche boyard. L'honneur des
Bricole est donc grandement compromis, car il y avait une séance
des plus importantes promise pour le jour même ; Frisette seule
pourrait tout sauver en prenant la place de la fugitive, mais Fri-
sette a le métier en horreur, et de plus, elle se marie dans une
heure. Pour se débarrasser des obsessions des siens qui l'em-
pêchent d'aller retrouver son fiancé à la mairie, elle ira chez le
peintre expliquer qu'elle ne peut faire ce qu'on lui demande. Et
alors les auteurs nous lancent à corps perdu dans un chassé-croisé
d'imbroglios impossibles à raconter brièvement. Le fiancé court
après sa fiancée, les Bricolo galopent derrière Frisette, un vieux
viveur, Trégomard, qui ne serait pas fâché d'assister à la première
pose, pourchasse la nouvelle Vénus, M"" Trégomard se trouve
aussi delà partie, ainsi que Cabassoul, un limonadier qui a installé
une bourse aux modèles. Tout ce monde va, vient, gesticule, crie,
chante, à la plus grande joie du publie, et, finalement, tout s'ar-
range, suivant l'habitude, et à la satisfaction générale.
La pièce de MM. Clairville et Bénédite est amusante, et la mu-
sique de M. Léon Vasseur facile; on a bissé un aimable petit
duetto, sur de passer à la postérité puisque le maestro le fait jouer,
au dernier acte, sur un orgue de Barbarie, une chanson dialoguée
et une valse où l'on retrouve la marque de l'auteur de la Timbale
d'argent. M. Samuel a monté ces quatre tableaux d'une façon très
amusante ; les décors du bureau d'omnibus de la place Pigalle et
l'intérieur de la cour de la maison dans laquelle habite la famille
Vénus sont absolument réussis. La belle M"'= Decroza est une fort
avenante Frisette, et M"""" Roland, Berlhier, Aubrys, MM. Gh. Lamy,
Regnard, Georges, Victorin, Gildès, trouvent plus d'une fois l'occa-
sion de s'attirer des petits bravos très mérités.
Le Palais-Royal vient de reprendre te Parfum avec un succès égal
à celui qui avait accueilli la première représentation. La comédie de
MM. Blum et Toché demeure toujours aussi amusante, aussi fine et
aussi adroite, et M"" Chaumont reste une inimitable Sylvaaie.
MM. Daubray, Calvin, Milher, Pellerin et M"* Bonnet enlèvent ces
trois actes avec leur verve et leur esprit habituels.
Au Gymnase, reprise aussi, et reprise encore d'une pièce de
MM. Blum et Toché, Paris fin de siècle. Ici, les deux auteurs ont pro-
fondément remanié leurs quatre actes. Ils y ont ajouté une petite
revue. Fin de siècle revue, qui remplit presque tout le quatrième acte,
et qui fera, certainement, courir tout Paris. Compère, M. Numès,
commère la belle M"' Demarsy, et le petit défilé commence: voici
les mémoires du prince de Talleyrand, M"'° Desclauzas en Opéra,
M. Noblet en réempoissonneur de la Seine, M. Hirschen Labussière,
M'^' Lécuyer en Musolte et Mariage blanc, M"= Darlaud en Phryné, etc.
Gros, gros succès, qui est venu s'ajouter à celui de l'aimable fan-
taisie de MM. Blum et Toché, très bien interprétée par M""^ Sisos,
Desclauzas, Darlaud, Demarsy, Gérard et MM. Noblet, Burguet,
Numès, Plan et Hirsch.
Paul-Émile Chevaheh.
448
LE MEiNESTlŒL
NAPOLÉON DILETTANTE
LA MUSIQUE DE L'EMPEREUR
(Suite.)
Comme nous l'avons dit, la salle des Tuileries occupait en partie
l'ancien emplacement du local de la Convention. Le 2 janvier 1808,
l'empereur, arrivé la veille d'Italie, visitait les travaux entrepris sur
son ordre au château, par Fontaine. La salle de S|)ectacle attira
spécialement son attention : — Elle est trop vaste, dit-il, et je crains
fort que les spectateurs n'y voient et n'y entendent mal : le théâtre
de la Scaia de Milan est la perfection dans ce genre.
Constant confirme, dans ses Mémoires, ces critiques de l'empereur.
Cependant on joua, sans rien changer à la salle, le dimanche qui
suivit le retour d'Italie, la Griselda de Paër, qui produisit un grand
eflet. Les loges de Leurs Majestés, placées en face l'une de l'autre, étaient
décorées de soie cramoisie, avec de graudes glaces qui reflétaient
la salle et la scène. Peu de temps après, à l'inauguration définitive,
les loges étaient si bien distribuées pour faire valoir les toilettes
des dames, qu'elles complétaient heureusement l'ensemble de la
construction et faisaient disparaître ses défauts. On sentait dans
cet arrangement l'intervention de l'empereur, qui venait d'accomplir
une véritable révolution dans les théâtres italiens, où il avait donné
l'ordre de supprimer les rideaux des loges, derrière lesquels on
causait et on jouait aux cartes, quand on ne soupait pas à la lueur
des bougies qui seules éclairaient la salle.
A partir de ce moment, la « Musique » ne cesse de se produire,
soit au théâtre, soit dans les appartements. M""' de Rémusat nous
a laissé la description d'un concert dans la salle des Maréchaux,
« éclairée d'un nombre infini de bougies ». Tous les personnao-es
officiels étaient invités à ces soirées. Napoléon prenait place au fond
de la salle, ayant à sa gauche l'impératrice, avec les princesses
du sang impérial, à sa droite, sa mère, et derrière lui, ses frères,
les princes étrangers et les grands officiers de la couronne, tous
richement costumés. Derrière eux se tenaient les chambellans de
service. A droite et à gauche, en retour, étaient assises, sur deux
rangs, les dames d'honneur, les dames d'atour et les dames du
palais, en grande toilette, fort dispendieuse, parait-il, car, d'après
ce que nous apprend M"'= de Rémusat, un vêtement de cour coulait
cinquante louis, et il fallait en changer souvent. Enfin, derrière ce
parterre féminin, s'entassait debout la plèbe des ambassadeurs, des
ministres, des maréchaux, des sénateurs, des généraux et de tous
les hauts lonctionnaires de l'empire:
En face du rang impérial se plaçaient les musiciens; dès que l'empe-
reur était assis, on exécutait la meilleure musique... Le concert fini, au
milieu de ce carré qui restait vide, les meilleurs danseurs et danseuses
de l'Opéra, très élégamment vêtus, formaient des ballets charmants. Cette
partie de la fête amusait tout le monde, même l'empereur.
Cette fin semblerait indiquer un état d'esprit particulier à Napo-
léon, que nous n'avons d'ailleurs trouvé que chez les Rémusat.
Le mari de l'auteur des Mémoires récemment parus déclare aussi
que Talleyrand lui aurait dit, en le félicitant des fêles qu'il avait
mission d'organiser, en sa qualité de préfet du palais :
— Je vous plains, car vous êtes chargé d'amuser l'inamusable.
De même, M-"» de Rémusat nous montre, à Fontainebleau, pen-
dant l'été de 1807, un Napoléon ennuyé, auquel ne nous ont point
accoutumé les récits qui nous ont servi de guide jusqu'ici.
Il y avait, nous apprend l'ancienne dame d'honneur de l'impé-
ratrice, un règlement pour les différentes soirées de la semaine :
« L'empereur devait recevoir un soir chez lui : on y entendrait
de la musique, et on y jouerait après. Seulement, cette année-là
il était rêveur, mécontent et grincheux. Les spectacles se ressen-
taient de cette disposition d'esprit, et la tragédie, même avec Talma
ennuya tout le monde. Ou avait attiré à la cour les plus grands
chanteurs de l'Italie. Il les payait largement, mettait sa vanité à
les enlever aux autres souverains, mais il les écoutait tristement
et rarement avec intérêt. M. de Rémusat imagina d'animer les
concerts par une sorte de représentation des morceaux de chaut
qu'on exécutait en sa présence. Les concerts furent quelquefois donnés
sur le théâtre. Ils étaient composés des plus belles scènes des
opéras italiens. Les chanteurs les exécutaient en costume et les
jouaient réellement. La décoration représentait le lieu de la scène
où se passait l'action au moment de chanter. Tout cela était monté
avec grand soin et, comme tout le reste, manquait à peu près son effet »
La vérité est que c'étaient probablement M. elM"» de Rémusat qui
s'ennuyaient à la cour de Vusut-pateiir, qu'ils se croyaient cepeudant
obligés de servir, malgré leur aversion secrète pour sa personne.
Ils poussèrent un grand soupir de soulagement lors du retour
des Bourbons, qu'ils acclamèrent des premiers. Le 29 mars 1814,
Charles Maurice notait dans son carnet, qui devait fournir plus
lard les petites anecdotes de théâtre :
Les rubans blancs, symboles du royalisme, ont été répandus par M. de
Rémusat, surintendant des spectacles de Napoléon. Je l'ai vu, il n'y a
pas une heure, les couper par morceaux sur la place de la Concorde et
les distribuer aux passants, en les invitant à les mettre à leur boutonnière.
Ainsi devait finir l'épopée napoléonienne, dans l'ingratitude et
dans l'oubli. Mais nous ne louchons pas encore à ces jours funestes.
L'empire est à son apogée, et les fêtes battent leur plein. Marie-
Louise a pris la place de Joséphino, et l'empereur tient à honneur
de montrer à la fille des Habsbourg une cour plus à l'étiquette
encore et plus luxueuse que celle de Vienne et de Schœnbrunn :
Il ne se passait pas de journée, nous raconte Lamothe- Langon dans
ses Mémoires d\m pair de France, sans un concert, un bal, une comédie ou
un opéra joué, soit sur le théâtre des Tuileries, soit dans les appartements
intérieurs. Ces réunions avaient l'air de véritables féeries. Il n'y avait rien
au-dessus de l'aspect enchanteur de la salle de spectacle le jour d'une
grande représentation. Napoléon et Marie-Louise occupaient alors une
loge richement drapée en face du théâtre ; ils s'y montraient entourés des
princes et des princesses de leur famille, des dames et des officiers de
leur maison. i
A droite étaient les ambassadeurs, dans la loge qui leur était réservée; |
à gauche, on voyait celle des ministres de France; tout le reste de la vaste "
galerie servait à placer les femmes présentes et toutes habillées de manière
à rivaliser d'élégance et de richesse.
Tout ce que la France avait alors de grand, tous les hauts fonction- , ,
naires, magnifiquement vêtus, chargés de cordons, de plaques élincelantes,
formaient le parterre. On admettait dans les secondes loges les femmes
étrangères à la cour, ainsi que les hommes non présentés, qui ne pou-
vaient entrer là qu'en habit babillé, c'est-à-dire à la française, avec l'épée
et le chapeau à plumes. Des valets de pied circulaient sans cesse et pré-
sentaient des glaces et des rafraîchissements de toute espèce.
Un silence profond régnait dans la salle, les applaudissements mêmes
étaient interdits.
A Saint-Cloud, l'on se détendait un peu de l'étiquette des Tuile-
ries. Le spectacle ne s'y composait généralement « que de pièces
et de morceaux », suivant l'expression pittoresque de Constant, qui
se hâte d'ajouter, dans l'expansion de sa naïveté d'auditeur con-
vaincu : « On prenait un acte d'un opéra, nu acte d'un autre, ce
qui était fort contrariant pour les spectateurs que la première pièce
avait commencé à intéresser. »
En compagnie du même Constant, nous assisterons à une fête
champêtre, pour la naissance du roi de Rome, dans les ombrages de
Saint-Cloud. Des jeux nombreux étaient installés sous la fouillée,
et de nombreux orchestres se faisaient entendre, dissimulés dans les
bosquets.
« ... Plus loin, des paysans allemands dansaient des valses sur
une pelouse charmante et couronnaient de fleurs le buste de S. M.
l'Impératrice. Des sylphes et des nymphes de l'Opéra exécutaient
des danses. Enfin, un théâtre avait été élevé au milieu des arbres,
afin d'y représenter la Fête du Village, divertissement composé par
M. Etienne et mis en musique par M. Nicole.
,1 L'Empereur et l'Impératrice assistaient sous un dais à ce spec-
tacle, quand tout à coup il vint une pluie abondante qui mit en émoi
les spectateurs. Leurs Majestés ne s apercevaient pas d'abord de la
pluie, protégées qu'elles étaient par le dais. L'empereur causait alors
avec le maire de Lyon. Celui-ci se plaignait du peu d'écoulement des
étoffes de celte ville. Napoléon voyant tomber une pluie effroyable,
dit â ce fonctionnaire :
— Je vous réponds que demain il y aura des commandes consi-
dérables.
1) L'empereur tint bon à sa place pendant une bonne partie de
l'orage. Les courtisans, couverts d'étoffes de soie et de velours, la
tête découverte, recevaient la pluie d'un air riant. Les pauvres
musiciens, trempés jusqu'aux os, ne pouvaient déjà plus tirer aucun
son de leurs instruments, dont la pluie avait brisé ou détendu les
cordes. Il était temps que cela finît. Enfin l'empereur donna le signal
du départ et se retira. »
Peu de temps après, nouvelle partie champêtre, cette fois à Trianon,
pour la fête de Marit-Lonise. Toutes les lignes d'architecture du
Grand Trianon sont illuminées de lampions multicolores. A l'inté-
rieur, on représente, devant un parterre de six cents dames brillam-
ment parées, une pièce de circonstance, le Jardinier de Schœnbrunn,
par Alissan de Chazet, qui devait plus tard si bruyamment chanter
LE MENLSmtL
149
le retour des Bourbons. Puis, le spectacle fini, Leurs Majestés firent
une promenade dans le Pelil Trianon : on se rendit à l'Iled'Amour, « où
se trouvaient réunis tous les enchanlements de la féerie ». Le lemple
situé au milieu du lac était magnifiquement illuminé, et les eaux
réfléchissaient délicieusement ses colonnes de feu. Une multitude de
barques sillonnaient en tous sens ce lac qui semblait en flammes.
Un essaim d'Amours paraissait se jouer dans les cordages, aux sons
de musiques cachées dans les flancs de ces vaisseaux en miniature,
ou disséminées dans les bosquets.
Après celte récréation, la Cour parcourut le parc, où se succé-
daient des surprises sans nombre : c'étaient des scènes rustiques
de tous les temps et de tous les pays ; toutes les provinces de l'em-
pire étaient représentées par des groupes, dans leurs costumes
nationaux, venus tout exprès pour cette fête, afin que l'on pût dire
que toute l'Europe napoléonnienne s'y trouvail.
Hélas ! elle devait promptement bien s'amoindrir, celte Europe
vertigineuse, née d'une épopée sans pareille. 1812 vint, avec
Moscou ; puis 1813, avec Leipzig. Alors, plus de fêtes, ou plutôt des
semblants de fêtes, dont l'écho va douloureusement frapper au cœur
le guerrier éloigné, dont l'étoile a déjà bien pâli. Le 23 août 1813,
l'empereur écrit de Leewenberg, au comte de Montesquieu, grand
chambellan :
J'ai été mécontent d'apprendre que la fête du 15 août avait été mal
disposée, les mesures si mal prises, que l'Impératrice a été retenue par une
mauvaise musique un temps infini, de sorte qu'on a fait attendre le public
deux heures pour le feu d'artifice. Gomment n'avez-vous pas compris qu'il
n'y avait rien de plus inconvenant, et qu'il était bien plus simple . à
l'heure indiquée pour le feu d'artifice, de prévenir l'Impératrice, qui aurait
quitté le spectacle; qu'enfin il y avait un bien petit inconvénient à faire
sortir un peu plus tôt l'Impératrice d'un spectacle où elle étouffait de cha-
leur, tandis qu'il j en avait un très grand à faire attendre loute une
population qui est accoutumée à se retirer à 9 heures du soir. . . .
Ce souci de l'opinion publique est une note nouvelle, — une note
triste. C'est l'ère des désastres qui commence. L'an d'après, c'est
bien pire. De Nogent, le 7 février 1814, l'empereur écrit au prince
Gambaeérès, archicbancelier de l'empire :
Mon cousin, je reçois votre lettre du G. Je vois qu'au hou de soutenir
l'Impératrice, vous la découragez. Pourquoi perdre ainsi la tête? Qu'est-ce
que ce .Visercre et ces prières de quarante heures à la Chapelle? Est-ce
qu'on devient fou à Paris ? Le ministre de la police dit et fait des sot-
tises, au heu de s'instruire des mouvements de l'ennemi. . . .
Ce Miserere, c'était le chant du cygne de la Chapelle impériale et
de la Musique de l'Empereur. Pendant les Cent-Jours, il y eut bien
encore, comme nous le verrons, quelques velléités de production
musicale. Mais l'ère des grandes solennités lyriques et symphoniques
était passée. C'était la flamme in extremis qui jetait sa lueur agoni-
sante sur une époque prête à disparaître.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Pal-l d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (7 mai). — La Monnaie ferme
ses portes dimanche 10 mai, comme je vous l'ai annoncé naguère. L'année
théâtrale s'achève paisiblement par les soirées habituelles d'adieux. Vous
savez quels senties artistes qui nous quittent; plusieurs seront sincère-
ment regrettés, tels que M"° Sanderson, M">: Nardi et M. Bouvet, et l'on
ne sait pas encore qui les remplacera. Puissent les nouveaux venus
faire regretter ceux qui s'en vont! Et puisse aussi la saison prochaine
être plus fructueuse, au point de vue artistique, que celle-ci! Tout n'a pas
été également satisfaisant, cette année, à ce point de vue-là. Bien des re-
prises médiocres, mal soignées, indignes parfois de la Monnaie, ont alterné
malheureusement avec quelques belles soirées, réellement remarquables.
Mettons que les unes font oublier les autres, établissons une balance
de profits et pertes, et ne rappelons que les choses qui sont à l'honneur
de la direction : le Siegfried de Wagner, qui eut été plus prospère si la
bonne exécution des premières soirées s'était maintenue ; la Basoche, qui a
fourni une jolie carrière, et les reprises de Don Juan et d'Obéron. On parle
de bien d'autres projets encore pour l'an prochain; la moitié au moins
est irréalisable ; nous aurons la Flûte enchantée et le Mariage de Figaro, pro-
bablement; mais ne comptez guère sur le Crépuscule des Dieux, qu'on annonce,
ni même sur l'Otello de Verdi, à moins que l'Opéra de Paris ne nous prête
M'"= Garon, que le maître italien a toujours déclaré vouloir énergique-
ment, à l'exclusion de toute autre interprète, sur la scène qui jouera, la
première, son œuvre en français. Nous verrons bien, du reste. — Je disais
plus haut que la Monnaie ferme ses portes dimanche : officiellement,
oui ; elle les rouvrira le lendemain pour le quatrième et dernier concert
populaire de la saison et, trois jours après, pour la représentation jubi-
laire et de retraite de M. Ghappuis. Gelui-ci est le plus vieux pension-
naire de la Monnaie ; pensez donc, il y est depuis vingt-cinq ans! Jamais
on n'a vu chose pareille dans un théâtre. Artiste modeste et, avec cela, de
très réel talent, M. Ghappuis a tenu pendant tout ce temps-là l'emploi de
seconde basse, qui lui a permis de révéler de remarquables qualité? de
comédien plus encore que de chanteur. Personne comme lui ne connaît
le répertoire; c'est la providence des artistes; il est leur guide, leur
conseiller, leur professeur; et ce qu'il a rendu, à ces titres divers, de
services à la Monnaie est incalculable. Aussi n'a-t-il que des sympathies
et la représentation jubilaire du 14 mai sera-t-elle une vraie solennité, à
laquelle prendront part non seulement la plupart des artistes de la troupe
actuelle, mais encore plusieurs anciens pensionnaires de la Monnaie, tels
que M™' Garon et M. Gresse, qui viendront à Bruxelles tout exprès. —
Laissez-moi, avant de terminer, vous signaler l'apparition d'un livre des
plus intéressants, qui vient de paraître, Henri Vieuxtemps, sa vie et ses
amvres, par M. Théodore Radoux. L'éminent directeur du Gonservatoire de
Liège avait, plus que personne, l'autorité nécessaire pour écrire une
monographie complète de l'un de ses plus illustres concitoyens, dans
laquelle non seulement fût racontée l'existence mouvementée du grand
violoniste, mais fussent aussi appréciés son talent et ses œuvres. M. Ra-
doux s'est acquitté de cette lâche d'une façon remarquable. Son livre est
devenu ainsi à la fois un digne hommage à la mémoire de celui à qui il
est consacré, et un document de réelle valeur et de réelle utilité pour
l'histoire musicale de ce temps. L. S.
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles ; « M. Joseph Dupont vient de
recevoir de brillantes propositions pour diriger des concerts de musique
classique dans l'Amérique du Sud. L'intendant des théâtres royaux de
Buda-Pesth lui a proposé aussi, il y a quelques jours, un engagement de
trois ans pour diriger l'orchestre de l'Opéra national. M. Joseph Dupont
a décliné ces offres. »
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Le théâtre Kroll vient
de rouvrir ses portes pour une saison lyrique d'été qui promet d'être très
brillante. Fidelio formait le spectacle d'ouverture, avec M. Kalisch et
M"" Kalisch-Lehmann dans les deux principaux rôles. M""" Sembrich
chantera Lakmé au cours de la saison. Les jours du théâtre Victoria sont
comptés. Cette scène, quipandant trente-cinq années a donné asile à tous
les genres, depuis la comédie bouffe jusqu'au grand opéra, en passant par
l'opérette et le drame, va tomber bientôt sous la pioche des démolisseurs
pour livrer passage à une nouvelle voie. — Cologke : Brillante reprise de
l'Éclair, d'Halévy, qui depuis longtemps avait disparu du répertoire. —
Francfort: L'exploitation du théâtre municipal vient d'être concédée, pour
une nouvelle période de dix ans, à M. l'intendant Glaar, qui dirige le théâ-
tre déjà depuis douze ans. — Gotua : La Cavalleria rusticana de M. Masca-
gni vient de remporter une nouvelle victoire au théâtre de la cour decette
ville. — Hambourg: Le théâtre municipal de Hambourg vient de fêter le
centenaire de la première représentation en cette ville des Noces de Figaro,
de Mozart. — Le nouveau kapellmeister du théâtre, M. Mahler a été accueilli
par le public avec les marques du plus grand enthousiasme. Le directeur
PoUini lui a, de son côté, témoigné sa satisfaction en augmentant de
2,000 marks le chiffre de son traitement, qui avait été fixé à 12,000 marks.
— Hanovre : Mignon vient de reparaître sur la scène du théâtre municipal
et a été accueillie avec une telle faveur qu'il a fallu en donner trois repré-
sentations. — Munich : Au théâtre de la Cour, succès très prononcé pour
un nouveau ballet en un acte. Au pays du levant, œuvre de la maîtresse de
ballet M""* Flora Jungmann.
— M"" Patti s'est fait de nouveau entendre à la Philharmonie de Berlin.
La diva y a retrouvé le succès de son premier concert, avec la cavatine
de Linda di Chamounix et l'air des clochettes de Lakmé,
— Voici le programme définitif et complet du 6S= festival bas-rhénan,
qui s'ouvrira le 16 courant à Aix-la-Chapelle : 1" Journée. Symplionie en
ut mineur (n» b) de Beethoven ; les Saisons de Haydn. — 2° Journée. Concert
en fa majeur pour quatuor et deux orchestres d'instruments à vent, de
Haendel ; concerto en mi bémol pour piano, de Beethoven; fragments de
Faust, de Schumann (2= et 3* partie); symphonie en ut majeur de Beetho-
ven. — 3' Journée. Ouverture d'Obéron ; récitatif et air de Fidélio ; sympho-
nie en fa majeur (n" 3), de M. Brahms; airs et prélude de Tristan et
Yseult; ouverture du Carnaval romain, de Berlioz; soli de piano; scène
finale des Maîtres Chanteurs. Les solistes engagés sont M'"" Grege Klafsky,
MUe pia von Sicherer (soprani), M"^" E. Wirth (contralto), MM. Birren-
koven, von Zur-Mubler (ténors), G. Perron (baryton), A. Sistermanns
(basse) et Eugène d'Albert (pianiste).
— Une nièce de Beethoven, M"» Ludovica Hofbauer vient de mourir
à Bade, près Vienne, dans sa soixante-douzième année. Elle n'avait
que sept ans à la mort de son oncle, en 1827, mais elle avait gardé
un très vivant souvenir de lui. Le nombre des personnes qui ont connu
le grand compositeur s'est considérablement diminué pendant ces der-
nières années; mais parmi les survivants se trouve encore le docteur de
Breuning, à Vienne, qui était âgé de seize ans à l'époque de la mort de
Beethoven et qui avait eu presque journellement l'occasion de voir le
grand compositeur. Après la mort du poète Bauernteld, le docteur Breu-
ning est resté la seule personnalité de marque qui puisse se vanter
d'avoir assisté aux obsèques de Beethoven.
150
LE MENESTREL
— Nous lisons dans V AUegcmeine Musik Zeilung qu'une composition cho-
rale de Gluck jusqu'ici inconnue va être prochainement livrée à la publi-
cité. C'est un « Prologue » dont les paroles ont été écrites par un poète
florentin, à la requête du grand-duc Léopold de Toscane, pour célébrer
l'heureuse délivrance de la grande-duchesse. L'œuvre date de l'année 1767.
— M. Félix "Weingartner vient d'être nommé chef d'orchestre à l'Opéra-
Royal de Berlin. Il occupait les mêmes fonctions au théâtre de la Cour
de Mannheim, où son départ cause d'unanimes regrets. M. Weingartner
était lié au théâtre de la Cour jusqu'en 1892, mais sur la demande du
comte de Hochberg, intendant de l'Opéra de Berlin, la résiliation de son
engagement a été accordée.
— Musique et socialisme. Les socialistes de Berlin viennent de fonder
une société musicale qui prend le nom d'Association libre des Musiciens, pla-
cée sous le contrôle des associations ouvrières socialistes-démocratiques.
— L'intendance de l'Opéra de Munich vient d'avoir l'heureuse inspira-
tion de tirer de l'oubli le Cid, de Peter Cornélius, le maitre mayençais,
dont on ne connaissait en Allemagne que le Barbier de Bagdad, le seul
ouvrage lyrico-humoristique qui se soit soutenu à côté des Maîtres Chan-
teurs. Cornélius fut, de même que son génial émule, son propre librettiste.
Il n'a pas tiré son sujet de la tragédie de Corneille, comme l'a fait M. Masse-
net, mais il l'a emprunté aux sources mêmes où puisa le grand tragique,
au Romancero. Son Cid est un vrai drame lyrique dans le goût vvagnérien,
bien que ne suivant pas servilement les traces du maître. Cornélius est
lyrique, là où Wagner eût été tragique et profond. Le Cid avait été repré-
senté à Weimar en 186S. La partition n'est pas encore publiée à l'heure
qu'il est.
— Les journaux de Leipzig nous apportent l'écho du très vif succès qu'a
remporté dernièrement au Gewandhaus la symphonie (concerto) pour or-
gue et orchestre de M. A. Guilmant. C'est un organiste allemand, M. Ho-
meyer, qui a fait connaître au public saxon cette œuvre remarquable. Les
journaux de Leipzig louent par-dessus tout « l'extraordinaire habileté avec
laquelle M. Guilmant sait tirer parti des ressources de l'orgue en variant
le timbre et les sonorités, en combinant les contrastes ». Ce succès obtenu
par une œuvre française dans le centre du classiscisme musical, dans la
Yille sur laquelle plane l'ombre du vieux Jean-Sébastien Bach, est digne
de remarque et fait grand honneur au maitre qui l'a remporté.
— A Genève, les concerts donnés par l'Harmonie Nautique, si bien
dirigée far son habile chef, M. Louis Bonade, continuent à être une des
grandes attractions de la ville. Sur les programmes, très bien compris,
figure fort souvent la belle Marche des racoleurs d'Arva, de Louis Lacombe,
toujours bissée et toujours redemandée pour les concerts à venir.
— Il paraît que M.'^^ Bianca Donadio ne s'est nullement retirée dans
un couvent, comme l'avaient annoncé certains journaux italiens, et comme
nous en avons reproduit d'après eux la nouvelle. Voici ce que nous lisons
à ce sujet dans le Cosmorama : — « Nos lecteurs auront eu connaissance
de la nouvelle fantastique inventée par nous ne savons quel cerveau
malade, et publiée par quelques journaux, de la retraite dans un couvent
de la célèbre signora Donadio. A cette peu spirituelle trouvaille nous
pouvons opposer ceci, que la signora Bianca Donadio-Frapolli, plus que
jamais attachée au monde et en parfaite santé, jouit dans sa villa du
"Vésinet, près de Paris, au milieu de sa famille, du bien-être qu'elle a
su acquérir par son inestimable talent. Il n'est même pas improbable qu'au
cours du prochain automne nous voyons réapparaître sur un de nos
théâtres le nom de la sympathique diva. »
— La ville de Turin vient de s'enrichir d'un nouveau théâtre qui pren-
dra le nom de théâtre Turinais,et qui est sur le Corso Regina Margherita,
à proximité de la place Emmanuel-Philibert. Construit sur les dessins
des ingénieurs Riccio et Gilodi, décoré par les peintres Boasso et Mor-
gari, ce nouveau th^tre n'aura qu'une seule galerie, très vaste, mais
pourra contenir 1,800 spectateurs. Il est tout à fait isolé, éclairé à la
lumière électrique, doté d'un réservoir d'eau et prémuni, autant que faire
se peut, contre tout danger d'incendie. Il est adapté à des spectacles de
tout genre (ce qui veut dire, sans doute, qu'il pourra servir aussi, comme
la plupart des grands théâtres italiens, à des représentations équestres),
et sa salle, très élégante, doit être inaugurée dans le courant du présent
mois de mai.
— Encore une cantatrice qui épouse un grand seigneur. Le 27 avril a
été célébré à Florence le mariage civil de M'"' Medea Borelli, l'une des
chanteuses dramatiques les plus renommées et les plus applaudies de
l'Italie contemporaine, avec le comte Angelini, d'Ascoli. Le 29 avait lieu
la cérémonie religieuse, célébrée par l'évéque d'Ascoli Piceno, et les deux
époux partaient aussitôt pour Paris.
— La terrible explosion de la poudrière de Rome, qui a fait tant de
victimes, n'a pas été d'autre part sans causer, on le sait, de graves dom-
mages matériels dans la ville éternelle. Au Vatican seulement, les pertes
sont évaluées à plus de deux millions. Les théâtres, de leur côté, ont été
fort éprouvés elles dégâts subis parle Costanzi et le Nazionale ont été tels
que l'un et l'autre se sont vus obligés de fermer leurs portes pendant plu-
sieurs jours. Le Costanzi rouvrira les siennes par une. représentation des
Pêcheurs de perles, qui sera donnée au profit des victimes de l'explosion.
— A Cittâ délia Piave (Ombrie) on a donné avec succès la première
représentation d'une opérette nouvelle en deux actes, il Capitan Carlolla,
dont la musique est due au compositeur Mazzoni, qui a été l'objet de
nombreux rappels. — De même, à Naples, on a représenté, au milieu des
applaudissements, une opérette en dialecte, intitulée H Pisciavinule Napu-
iitane, qui a pour auteur un jeune musicien nommé Oscar Anselmi.
— Dans un concert symphonique, à Gènes, on a exécuté ces jours der-
niers l'ouverture de Christophe Colomb, le nouvel opéra que le comte Alberto
Franchetti est en train d'écrire et qui doit être représenté, l'année pro-
chaine, à l'occasion des grandes fêtes qui seront célébrées pour le qua-
trième centenaire de l'illustre navigateur.
— Au théâtre National de Rome, première représentation d'un opéra-
comique nouveau de M. Emilio Usiglio, l'heureux auteur de deux ouvrages
de ce genre très populaires en Italie, le Educande di Sorrente et le Donne
curiose. Celui-ci a pour titre Nozze in prigione, et paraît avoir obtenu un
succès brillant et de bon aloi. « Le public, dit l'Italie, a fait bisser quatre
morceaux : une romance du ténor, une chanson gaie de soprano, une séré-
nade de la basse comique et un trio (ténor, baryton et basse comique); il
a applaudi chaleureusement tous les autres morceaux. La pièce est gaie,
amusante, la musique forgée sur le style des meilleures œuvres comiques
de Donizetti et de Ricci; elle est mélodieuse, rythmique, caractéristique. »
Les interprètes étaient M™ Tetrazzini-Scalaberni, qui a eu personnelle-
ment sa bonne part de succès. M'"'' Manenti, MM. Cesari, Buti etEmiliani.
— M. Isidore de Lara, un compositeur qui s'est fait connaître avanta-
geusement à Londres par un certain nombre de romances et mélodies
vocales, vient de terminer un ouvrage important, une sorte de poème
symphonique dont le sujet est tiré du poème célèbre d'Elwin Arnold,
the Light of Asia, et que M. Harris se propose, dit-on, de faire exécuter à
Covent-Garden sous une forme théâtrale, avec une mise en scène ad hoc.
Les deux parties principales seraient confiées à M"' Eames et àM.Maurel,
et les chœurs, selon l'usage de la tragédie antique, seraient placés en
dehors de la scène, c'est-à-dire dans le parterre, tout auprès de l'orchestre.
— On vient de terminer, dans la cathédrale de Newcastle,la construction
d'un orgue monumental dont l'inauguration solennelle doit avoir lieu le
23 mai prochain. C'est M. Gh.-M. Widor qui fera entendre le nouvel ins-
trument, le jour de cette fête.
— Le Herald de New-York a reçu de son correspondant parisien 1 a
dépêche suivante : « Lord Lytton, l'ambassadeur d'Angleterre, et lady Lytton
ont donné un grand dîner en l'honneur de M'^'^ Melba. Mapleson tente
des efforts désespérés pour déiîider M""' Melba a entreprendre une tournée
en Amérique. Il lui a offert trente mille livres sterling (730,000 francs!)
pour deux saisons. La cantatrice n'a pas encore accepté, mais elle a pro-
mis de réfléchir. »
— Il est bon de signaler, dit le Guide musical, les artistes étrangers qui
mettent leur talent au service de la propagation de l'art belge et français.
A ce titre, une mention est due à M. Franz Van der Stiicken, dont le
dernier concert à orchestre donné à New-York, le S avril, comprenait
quatre œuvres françaises et belges : un air de Carmen, de Bizet, VEspana
et le prélude du deuxième acte de Gwendoline, de Chabrier, encore inconnu
aux Etats-Unis; enfin la suite tirée par M. Jan Blockx de son ballet
Milenka. Ce qui est plus intéressant encore, c'est de constater l'accueil
clialoureux et même enthousiaste qu'ont reçu, à New- York, les deux œuvres
de M. Chabrier et la suite de M. Jan Blockx.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Le ministre des travaux publics a présenté au conseil supérieur
des bâtiments civils, un projet de reconstruction de l'Opéra-Comique. Il
a insisté vivement pour son adoption. Ce projet est de MM. Vibert et
Charpentier. Détail curieux: le père de ce dernier avait construit l'an-
cien Opéra-Comique qui brûla en 1887. Le conseil supérieur a choisi
M. Charles Garnier pour faire un rapport sur ce projet et y apporter tou-
tes les modifications qu'il jugerait nécessaires. M. Garnier s'est acquitté
de sa tâche et a conclu favorablement. Il a fait, toutefois, des modifica-
tions si importantes qu'elles entraîneront probablement une nouvelle
étude. MM. Vibert et Charpentier se sont surtout préoccupés des nou-
veaux règlements de police édictés après le sinistre de la place Boieldieu
pour prémunir autant que possible ceux qui vont au spectacle contre tout
danger d'incendie. L'intention est louable, mais l'art en a souffert. Ils
ont beaucoup sacrifié aux dégagements, aux couloirs spacieux, et la co-
lonnade de la principale façade aboutirait à l'extrémité de l'ancienne
marquise, ce qui diminuerait la place de quatre mètres. Le rapporteur a
trouvé en outre le style des façades poncif et vieillot ; d'après lui, le
monument, sans hardiesse, ressemble plutôt à un théâtre de province.
Mais, somme toute, comme l'œuvre n'est pas sans valeur, M. Charles
Garnier en a modifié des parties et conservé d'autres. Il a donné lecture
il y a quelques jours, au conseil des bâtiments civils, de son rapport
approuvant le projet. C'est à la Chambre des députés qu'il appartient
maintenant de se prononcer. Il faudra bien aussi compter avec la Ville,
propriétaire des quatre mètres de terrain que le nouvel Opéra-Comique
dévorerait. Et i.l est impossible, ajoute le rapporteur, de ne pas empiéter
ainsi sur la place, avec le projet tel qu'il est conçu. Par conséquent,
conclut-il, si la Ville refusait son terrain, — en pareille matière tout est
à prévoir, — les difficultés seraient, sans doute, insurmontables.
LE MENESTREL
151
— L'assemblée générale annuelle de la Société des auteurs et compo-
siteurs dramatiques a eu lieu mercredi, à une heure, à la salle Kriegels-
tein, sous la présidence de M. Camille Doucet. MM. Ludovic Halévy,
François Coppée, Henry Meilhac, Henri de Bornier, Paul Ferrier, Philippe
Gille, Victorin Joncières, Henri Bocage, Abraham Dreyfus et Armand
d'Artois étaient présents au bureau. Le rapport sur les travaux de l'année,
présenté par M. Henri Bocage, a été adopté à l'unanimité. Sur la proposi-
tion de M. Jules Barbier, l'Assemblée générale a voté par acclamation des
remerciements à la Commission pour les efforts faits dans le but de sau-
vegarder les droits des auteurs et compositeurs français à l'étranger, si
gravement menacés depuis quelque temps. Un sociétaire, M. Delteil, a
prononcé un discours en vers pour demander l'augmentation du nombre
des pensionnaires, puis l'assemblée a procédé à l'ékction des nouveaux
commissaires. Ont été élus : Au premier tour de scrutin : M. Victorien
Sardou par 80 voix sur 99 votants; M. Georges Ohn et par 79 voix; M. Charles
de Coiircy par 60 voix; M. Ernest Guiraud par 62 voix; M. Emile Jonas par
32 voix; viennent ensuite : MM. Louis Varney, oO voix; Jean Richepin,
49; Jacques Normand, 36; Jules Barbier, 33; Emile Bergerat, 21; Emile
Pessard, 15. M. Richepin a été élu au second tour par la majorité des suf-
frages exprimés.
— L'Association des artistes musiciens tiendra son assemblée générale
annuelle le jeudi 21 mai, à une heure précise, dans la grande salle du
Conservatoire de musique et de déclamation (entrée par la rue du Con-
servatoire). Ordre du jour : 1° Compte rendu des travaux du comité pen-
dant l'année 1890, par M. Arthur Pougin, secrétaire rapporteur; 2° élection
de treize membres du comité. Les sociétaires qui voudraient se présenter
comme candidats au comité sont invités à se faire inscrire, avant le
21 mai, au siège de l'Association, 11, rue Bergère.
— Deux jours auparavant, le mardi 19 mai, à une heure et demie,
l'assemblée générale annuelle de l'Association de secours mutuels des
artistes dramatiques aura lieu, dans la grande salle du Conservatoire.
Ordre du jour : 1" rapport des travaux de l'exercice 1890-1891, rédigé et
lu par M. Eugène Garraud, secrétaire rapporteur; 2» élection du président
et de huit membres du comité.
— L'Annuaire de statistique de M. Maurice Block nous apprend que la
recette brute des 32 théâtres, des i cirques et des b panoramas de Paris,
pendant l'année 1889 (Exposition), a atteint 32,13S,998 francs. En 1878,
autre année d'exposition, elle avait atteint 30,637,499 francs. Deux années
intéressantes à connaître sont celles de la guerre. En 1870, les recettes ne
se sont élevées qu'à 8,107,285 francs et, l'année suivante, elles ont baissé
jusqu'à 5,715,113 francs. La progression des recettes des années normales
n'est pas moins intéressante. En 1848, la recette brute atteignait 5 mil-
lions et demi, chiffre rond. D'année en année, on constate une augmen-
tation qui porte ce chiffre, en 1853, à 11,-300,000 francs ; en 1863, à 13 mil-
lions 800,000 francs; en 1873, à 16,500,000 francs; en 1883, à 29 millions.
C'est l'apogée des recettes des années normales. En 1884, elles retombent
à 25,900,000 francs ; en 1885, à 23,300,000 francs ; en 1886, à 2b millions ;
en 1887, à 22 millions et, en 1888, elles atteignent péniblement Î3 mil-
lions. L'année 1890 ne sera guère favorable. Il sulïit de jeter un coup
d'oeil sur l'ensemble des' recettes pour se convaincre qu'après chaque, expo-
sition, il y a eu une décroissance très sensible. Exemple : en 1866, la
recette atteignait près de 17 millions. L'année suivante (Exposition de
1867) elle atteint près de 22 millions et, en 1868, l'on retombe à 13 mil-
lions. Les trois meilleures années normales ont été 1881 (27,434,418 fr.),
1882 (29,068,592 fr.) et 1883 (29,144.609 fr.). Les plus fortes recettes de
l'année ont été faites, en 1889, par l'Opéra (3,979,670 fr.). Viennent ensuite
l'Hippodrome (2,838,191 fr.J, le Théâtre-Français (2,364,407 fr.), le Chàtelet
(1,937,342 fr.), l'Opéra-Comique (1,926,779 fr.), l'Eden-Théàtre (1 million
737,513 fr.), etc., etc., etc.
— La commission des inscriptions parisiennes va faire placer sur plu-
sieurs maisons de la capitale quelques nouvelles plaques commémoratives,
parmi lesquelles nous remarquons les deux suivantes : boulevard des Ita-
liens, 9 : Ici habita, depuis /79ô', Grétry, compositeur de musique, mort à Mont-
morency, le 2i septembre 1813; et place des Vosges, 6 : Yictm- Hugo habita dans
cet hôtel, de 1833 à 1848.
— Le ténor Van Dyck, qui a ahaaté Lohengrin lors des représentations de
l'ouvrage de Richard Wagner à l'Eden-Théàtre, a signé cette semaine un
engagement avec la direction de l'Opéra, pour les mois de septembre et d'oc-
tobre. MM. Ritt et Gailhard ont spécialement engagé M. Van Dyck en
vue des représentations de Lohengrin, qui commenceront dans les premiers
jours de septembre. Voici quelle en serait la distribution :
Lohengrin MM. Van Dyck
Frédéric de Telramund Renaud
Le Roi Delmas
Eisa M~" Rose Caron
Ortrude Fiérens
— Sept théâtres seulement fermeront leurs portes cet été : l'Opéra-
Comique, le Gymnase, le Vaudeville, liS Variétés, le Palais-Royal, l'Am-
bigu et les Nouveautés. Les autres, la Porte-Saint-Martin, la Gaîté, la
Renaissance, etc., sont décidés à lutter contre les chaleurs. Nous ne par-
lons pas de la Comédie-Française et de l'Opéra, qui, on le sait, ne ferment
— M. Paul Viardot, qui, ainsi que nous l'avons fait connaître, a pris
la direction des Concerts populaires de l'Hippodrome, à Lille, vient de
donner en cette ville la première séance d'une société de musique de
chambre organisée par lui et qui comprend, avec le sien, les noms de
M. Raoul Pugno comme pianiste, de M. Giannini, alto, et de M. HoUman,
violoncelliste. Le programme de cette séance, qui a obtenu le plus vif
succès, comprenait le trio en sol mineur et la Marche russe de Rubinstein,
la sonate en ut mineur, pour piano et violon, d'Edouard Grieg, la Polo-
naise en ut, pour piano et violoncelle, de Chopin, et enfin le quatuor
op. 47 de Schumann.
— L'Académie de musique de Lille, dit la Semaine musicale de cette
ville, la plus ancienne de province avec celle de Toulouse, a été, depuis
sa fondation, une riche pépinière d'artistes de valeur parmi lesquels plu-
sieurs ont atteint une grande célébrité. Cette Académie a exercé une
influence heureuse et incontestée sur le développement de l'art musical
dans le département du Nord. Son histoire, très intimement liée à celle
de la grande cité lilloise, était jusqu'à ce jour inconnue de nos concitoyens.
Après quelques années de patientes recherches, M. A. Gaudefroy vient
de s'en faire l'historien. Le volume, qui paraîtra le 1™ mai, entièrement
consacré à la musique de Lille, n'est que le premier d'un travail qui
comprendra tout l'enseignement musical dans le nord de la France. Ce
travail comble une lacune sur un des points les plus importants de notre
histoire artistique. Il sera certainement accueilli par le public avec la
faveur qu'il mérite. Nous n'avons pas à tracer aujourd'hui le plan géné-
ral de l'ouvrage; qu'il nous suffise de dire qu'il comprendra, outre l'étude
sur l'Académie de Lille, des études non moins étendues et non moins
complètes sur les Écoles nationales de musique annexes du Conserva-
toire de Paris, de Roubaix, Douai, Boulogne-sur-Mer, Saint-Omer et
Valenciennes, qui paraîtront successivement.
M. Emile Levêque, violoniste compositeur, vient de recevoir, du sul.
tan Abdul-Hamid, les insignes de l'ordre de Medjidié.
CONCERTS ET SOIRÉES
Le dernier « Five o clock » du Figaro prenait un intérêt tout particulier
à la présence de M""= Sembrich, la célèbre cantatrice, qui, de passage à
Paris, s'y est fait entendre. On lui a fait des ovations sans pareilles
après l'exécution de la brillante valse d'Arditi, Parle I Elle a chanté aussi
avec non moins de succès un morceau de Wienawski et une mazurka
de Chopin. A la même réunion, gros succès pour le baryton Lassalle dans
une grande scène de MM. Louis Gallet et William Chaumet, où le chant
et le parlé se mêlent très curieusement. M"'» Sembrich a quitté Paris le
lendemain, se rendant à Berlin, où elle est engagée pour une série de
représentations de Lakmé.
— Charmante matinée musicale cette semaine, chez M. et M'™ Delsart„
Un véritable programme de gourmet: la Krauss, Paderewski et le maître
de la maison. La Krauss, admirable comme toujours, avec la Fiancée de
Schumann, la Marguei-ite de Schubert, et une Chanson d'autrefois, de M'"^' Grand-
val, accompagnée par l'auteur en personne. Paderewski, lion superbe et
o-énéreux, a fait entendre le Carnaval de Schumann, un nocturne de Cho-
pin et une danse hongroise de sa façon. Il avait dit auparavant, avec
Delsart, la belle sonate de Rubinstein. Vif succès pour tous. Très belle
assistance, où l'on remarquait ; comtesse Polocka, comtesse de Chambrun,
comtesse de Franqueville, Rose Caron, Ambroise Thomas, Lalo, Widor,
l'amiral de Varenne, de Kervéguen, duchesse de Camposelice, générale
Parmentier, M""^ Bataille, de Blowitz, Campbell-Clarke, etc.
— M. Joseph Baume, premier prix de piano du Conservatoire, a donné,
à la salle Pleyel, son concert annuel. Le jeune virtuose a fait montre d'un
très réel talent en interprétant plusieurs pièces de Schumann, Chopin,
Mendelssohn, Liszt, la Chaconne de M. Théodore Dubois, l'impromptu, de
M. A. Marmontel et, avec son maître M. Louis Diémer, un concerstuck
à deux pianos. Prêtaient à cette soirée leur gracieux concours, M"= Jeanne
Lyon, très applaudie dans Elle n'est plus, de M. Louis Diémer, et M. White,
le violoniste bien connu.
— CoscEUTS ET SomÉES. — M»" Lafaix-Gonlié vient de donner, chez elle, une
très intéressante audition d'élèves, dont plusieurs sont douées déjà de très léelles
qualités. On a tout particulièrement applaudi M"- Léonie G. dans la romance du
Sonije d'une nuit d'été. M'" Noémie dans les strophes de Lakmé, W" Marguerite
de P. du T. dans le Héue du prisonnier, de Rubin.stein, M"° Jeanne B. dans la
Chanson de Fortunio, d'OSenbach, M"' Jehanne S. dans le Missel, de Faure,
M"" Jeanne S. dans la romance de Mignon, M'" Viotorine D. dans Si j'étais rayon,
de M"'» de Rothschild, M"° Reine M. dans A Ninon, de Diémer, etc., etc. Bref,
succès pour le maître et les charmantes chanteuses. — Signalons la brillante
audition des œuvres de M. PaulRougnon, donnée par les élèves de M'" Delamarre,
l'excellent professeur de l'institiition Quihou, à Saint-Mandé. Parmi les morceaux
les plus applaudis, nous citerons Ballerine, Parmi le thym et la liosee. Sous les
tilleuls, œuvres élégantes qui ont tait valoir des qualités de style et de mécanisme
des charmantes mterprètes de M. Paul Roognon, lequel a vivement téUcité le
professeur et les élèves. — La dernière réunion d'élèves du cours de M"" Poulaine,
présidée par M. Anlonin Marmontel, a été particulièrement brillante. Toutes ont
fait honneur à l'école Marmontel. Petites et grandes ont joue avec sûreté, clarté
et expression. Nous citerons parmi cette jeune phalaDge les noms de M"" Tacké,
ïhirion, Brun, Carnot, qui a très bien joué un finale de Beethoven, Lecoconnier,
Gourdault, qui a bien exécuté la jolie tarentelle de Marmontel, Lévi, Noirot,de
Zamacoïs, Braconnier, puis MM. Carnot, Istel, Giroux. Après l'audition, concert:
M- Castillon a chanté, M. BouUard a admirablement interprété plusieurs pièces
15.:
LE MÉNESTREL
de hautbois. M" Robin-Poulaine a joue d'une façon exquise une ballade de
Chopin. Puis le maître Antouiu Marmontel a ravi son auditoire par la puissance
et le charme de son jeu; c était un véritable orchestre que Ton cr^-yait entendre ;
aussi, l'assemblée choisie qui l'écoutait ne lui a pas ménagé les applaudissements.
— L'excellent professeur et artiste M"^ Thérèse Durozier a donné une matinée
en l'honneur de M. Théodore Dubois. Figuraient au programme, comme artistes,
ymts^jQQtjiigj_yQQ[jtjePt^ gpgQQgp.Q^YQQ^ Duluc, M M . C 1 3 ui p î et Mazalbert, qui ont
chanté plusieurs mélodies exquises de M. Dubois. M. Brémond, l'excellent corniste,
avait transcrit pour son instrument .l,sjiêr/;/a, une des plus charmantes in-pirations
du compositeur. Entin, M""' Durozier a joué la Chaconne et le Réveil, les deux
morceaux de M. Dubois, dont la vogue est si grande en ce moment, puis la
marche de Jeanne d'Arc avec l'auteur. "S'if succès pour tous. — Une foule consi-
dérable d'invités emplissait les salons de M.Léon Delal'osse pour entendre le jeune
virtuose exécuter les œuvres de M'" Chaminade et de M. Th. Dubois, qui ont person-
nellement pris part à la séance donnée en leur honneur. Les deux auteurs ont
accompagné eux-mêmes leurs mélodies vocales et pièces pour violon, alto et
violoncelle k M"" Marie Veyssier, MM. Ronchini et Mendels. Parmi les meilleures
choses interprétées par M. Léon Delafosse, avec la perfection qu'on lui connaît,
citons le Pas des écharpes, la Livnj de M"" Ghaminade. la Ckaruiine, Clavier et
danses des lutins, Réveil de M. Th. Dubois. Ce dernier morceau, qui est une des plus
récentes et des plus séduisantes inspirations du maître, est distiné à une vogue
certaine. M"° Veyssier a obtenu un franc succès avec Madrigal, de M"° Chaminade,
et Par le sentier, de M. Dubois, qu'elle a dû bisser. Enfin M. Th. Dubois a
encore triomphé avec Duettino d'amorc, pour violon et violoncelle, Cantabik, pour
alto, etSaJ/urcHe pour violon. — L'audition des élèves de M'"» Marchand, consacrée
aux compositions d'Antoniu Marmontel, a été des plus attiayanles. Toute l'œuvre
de piano du jeune miître y a passé, toujours variée et attachante de forme comme
d'idées. C'est ainsi qu'on a pu applaudir, tour à tour. Au matin, Autrefois, Par
les bois, Le lonQ du eliemin, Cfianson slave, Clianson arabe, 2^ et 5e Scherzos, etc., etc.
Un véritable kaléidoscope de petl es pièces tout à fait charmantes, et finement
exécutées par les élèves de M'"" Marchand. Daas la partie de chant, très re narquée
l'exécution de la mélodie Je n'ose, de Tagliafico, par M. Maurice Davanne. — L'audi-
tion des élèves de ^L Leschine^ n'a pas été moins variée, ni moins intéressante.
Les élèves de cet excellent professeur ont surtout fait monire de talent dans
l'interprétation du Menuet du général Tom Pouce, de M. Carman, de la fantaisie
à quatre mains sur le Caid, du Solo de Concours et du Citant d'avril, de Lack,
des Tricotets, de Broustet, du Menuet du Dauphin, de Trojelli, et enfin d'une char-
mante valse de Franz Behr, ^l la plus belle! Tout le monde s'est retiré enchanté de
cette petite réunion musicale. — Le concert qui a suivi le dîner de la Betterave,
mardi dernier, a été l'un des plus brillants de la saison. Devant un auditoire
composé de la plupart des notabilités artistiques, littéiaires, politiques et indus-
tiielles du Nord et du Pas-de-Calais se sont succédé Gustave Nadaud, MM. Tat-
fanel. Turban, Boussagol, de l'Opéra, dont le succès à été tiès grand. M"" Bande,
violoncelliste, a fort bien exécuté l'andante de M. Widor, transcrit par M.Delsart,
son professeur. M"' Alice Lody, qui a fait une remarquable rentrée à l'Odéon dans
Conte d'avril, M"" Alice Dubois, genre Yvette Guilbert, Ragani et M. Dassy, ces
deux derniers avec le duo comique de M"'° Amélie Peiiouel, Dans le Hamjleterre, se
sont également partagé le succès. N'oublions pas MM. Fernand Rivière et Piffaretti,
qoi ont tenu le piano avec leur talent habituel .
— Concerts annoncés. — Aujourd'hui dimanche, à 1 h. 1/2, salle de la Galerie
Vivienne, exercice musical des élèves de M"" Edouard Batiste. — Mardi 12, salle
Erard, à 8 h. J/2, concert donné par M"'' Joséphine Martin avec le concours de
M"'° Vatto, de M"" M. Godard, de MM. Rondeau et Hasselmans. — Le même soir,
salle de la Société de géographie, à 9 heures, concert donné sous le haut patro-
nage de M""» la comtesse Hoyos, ambassadrice d'Autriche-Hongrie, par M"° Irène
Biennerberg, avec le concours de M'"" Baldo el Thomson.
— Les concerts d'orgue et d'orchestre au Trocadéro, fondés en 1878 par
M. Alexandre Guilmant, auront lieu cette année les jeudis 14, 21, 28 mai
et i juin à deux heures et demie. M. Edouard Colonne dirigera l'orches-
tre, et les artistes les plus éminents apporteront le concours de leur
talent à la partie vocale et instrumentale. Bach et Hœndel formeront,
comme précédemment, la base des programmes de ces solennités musi-
cales, dont l'intérêt n'a pas échappé aux artistes et aux amateurs. C'est,
en effet, l'unique occasion qui se soit jamais présentée de se fainiliari-
ser avec la musique d'orgue, et, seule, l'immense salle du Trocadéro, grâce
au bel orgue de M. Cavaillé-Coll, peut se prêter à ces imposantes exé-
cutions.
— La troisième et dernière séance de musique de chambre donnée par
MM. Guarnieri et Huck avec le concours de MM. Lespine et Fernand
Pélat, aura lieu à la salle de Géographie, le lundi 11 mai.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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Chrysanthème. — A ma Mignonne. — Le meilleur des amours. — Faut-il chanter?...
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Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (9" article), Albert Soubies et Cii.vules
Malheiuje. — II. Bulletin théâtral, H. Moreno ; première représentation de
Gmélidis, h la Comédie-Française, .Paul-Emile Chev.vuer. — III. La musique et
le théâtre au Salon des Champs-Elysées (1" article), Casiille Le Senne. —
IV. Napoléon dilettante (8" article], Edmond Neukomh et P.^ul d'Estbée. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
PUISQU'ICl-BAS
mélodie posthume de Gii.-B. Lysberg, poésie de Victor Hogo. — Suivra
immédiatement: Berceuse, nouvelle mélodie de Balthasar-Florenxe, poésie
de Gh. Fusteu.
pia.no
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Autrefois, musette (I'Antonin Marmontel. — Suivra immédiate-
ment: Battons le fer, nouvelle polka de Philippe F.ahrbach.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALIE FAVART
Albert SOUBIES et Charles ÎVtALHEIlBBÎ
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
RÉTOUR DE FORTUNE : Lalla-Roukh ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose ci Colas.
1862-1864.
(Suite.)
L'année dramatique touchait à sa lin, car à peine est-il
besoin de mentionner la cantate annuelle, qui s'appelait cette
fois le 45 août aux champs, « scène pastorale et dramatique »
chantée par Gapoul, Troy, M'"= Gico et les chœurs, composée
par Michel Carré pour les paroles, et Ernest Boulanger pour
la musique. On y célébrait les bienfaits de la paix, comme si
elle eût dû, hélas, durer toujours ; les événements devaient
se charger du démenti rapide et cruel. Glissons enfin sur le
petit acte de Michel Carré et Jules Barbier donné le 8 no-
vembre sous ce titre, le Cabaret des Amours, un cabaret où le
vieux baron de Cassandre et la vieille marquise Zirzabella
viennent promener leur perruque et réchauffer leur âge au
souvenir d'antan. La marquise y rencontre Lubin, qui se désole
de ne pouvoir obtenir, faute d'argent, la main d'Annette ; le
baron y rencontre Annette, à laquelle il esquisse deux doigts
de cour, et tout finit par la dot que les vieux fournissent aux
jeunes pour faciliter leur mariage. La pièce avait cinq per-
sonnages, y compris le cabaretier ; trois acteurs suffisaient à
la jouer, le baron ne se rencontrant jamais en scène avec
Lubin ni la marquise avec Annette ; Gouderc et M'"^ ChoUet-
Byard pouvaient tenir en réalité quatre rôles. Si peu connu
que soit aujourd'hui le nom du compositeur, Prosper Pascal
jouissait pourtant d'une certaine notoriété, grâce à l'orches-
tration d'un morceau de Mozart qui faisait alors les délices
des concerts Pasdeloup, la Marche turque. En revanche, il
avait donné au Théâtre-Lyrique le Roman de la Rose (1854),
et la Nuit aux gondoles (1861), deux actes qui n'avaient guère
réussi, le dernier suitout. Roman de la Rose, Nuit aux gondoles,
Cabaret des Amours, et Fleur de lotus, à Bade en 1864, voilà
tout le bagage dramatique de ce compositeur, qui, si l'on s'en
tient aux titres poétiques, aimables et galants de ses œuvres,
donnerait l'idée d'un Chaplin musical, ami des sujets légers
et des couleurs vaporeuses.
La représentation de cette petite pièce, jouée trente fois,
fut le dernier acte de la gestion brillante et courte de Perrin.
•Faisant le contraire de Roqueplan, qui était venu de l'Opéra
à rOpéra-Comique, il allait de l'Opéra-Comique à l'Opéra,
qu'abandonnait Alphonse Royer, démissionnaire. Du 11 dé-
cembre, date de sa nomination, jusqu'au 20, date de la no-
mination de son successeur, il administra donc les deux
théâtres à la fois, et songea, dit-on, à renouveler la tentative
de cumul qu'il avait déjà faite autrefois pour l'Opéra-Comi-
que et le Théâtre-Lyrique. Mais la presse n'était guère parti-
san de cet accaparement, et le gouvernement suivit le mou-
vement de l'opinion. Perrin s'installa définitivement rue Le
Peletier, où il allait inaugurer sa direction avec une fruc-
tueuse reprise de la Aluette, interrompue en pleines répétitions
par l'accident fatal qui devait coûter la vie à la danseuse
Emma Livry. A la salle Favart, ce fut un auteur dramatique
qui triompha de toutes les compétitions et s'assit dans le
fauteuil directorial, de Leuven, ou, de son vrai nom, Adolphe
Ribing, comte de Leuven. Détail peu connu, il était fils d'un
des trois gentilshommes suédois qui avaient comploté la mort
de Gustave III et mis leur projet à exécution dans la nuit du
15 au 16 mars 1792.
Son premier soin fut de s'adjoindre, comme directeur de
la scène, M. Eugène Ritt, qui remplissait les mêmes fonctions
à l'Ambigu ; de sorte que ledit M. Ritt occupait alors auprès
de de Leuven une situation très justement analogue à celle
que M. Gailhard devait occuper auprès de lui, quelque vingt-
cinq ans plus tard, lorsqu'il devint directeur de l'Opéra.
On peut dire que de Leuven prit la suite d'une affaire en
pleine prospérité; les recettes s'étaient élevées à 1,150,000 fr.
42 c, chiffre qui n'avait jamais été atteint depuis l'année de
l'Exposition, en 1855, ou , par extraordinaire, il dépassa
dy4
LE MÉNESTREL
1,300,000 francs. Le répertoire était reconstitué, grâce à une
série de reprises heureuses ; l'avenir s'annonçait favorable-
ment, grâce au nom des auteurs dont les ouvrages étaient
reçus et allaient être joués. Citons en même temps, à titre de
curiosité,' quelques-uns de ceux qui ne le furent jamais, ou
ne le furent que bien plus tard :
Fœdea, deux actes, paroles de Meilhac et Halévy, musique
d'Offenbach, déjà distribuée à Gouderc, Warot, Poncbard,
Lemaire, Davoust, M™^ Marimon et Casimir.
La Nuit des dupes, deux actes, paroles de Saint-Georges,
musique de Flottow, déjà distribuée à Couderc, Gourdin,
Lemaire, M""«'^ Marimon et Révilly ;
Le Forestier, paroles d'Alexandre Dumas et de Leuven,
musique de Poise ;
L'Ange gardien, paroles de Scribe et Roman, mnsique de
Nibelle ;
L'Urne, paroles d'Octave Feuillet et Jules Barbier, musique
d'Ortolan ; plus tard, la Péruvienne, trois actes, paroles de
Meilhac, musique de Victor Massé, et certaine 'Pukinella, de
Th. Semet.
La troupe, enfin, se présentait avec un ensemble, une au-
torité et une variété remarquables.
Parmi les disparus, au cours de cette année 1862 ou dans
les premiers mois de 1863, on ne trouverait guère à citer que
Roger, dont la dernière représentation eut lieu dans la Dame
blanche, le 6 juin 1862 ; Warot, qui joua Fra Diavolo pour sa
dernière soirée à la salle Favart, le 25 décembre, et entra
directement à l'Opéra ; Berthelier, qui troqua, malheureuse-
ment pour l'art, l'Opéra-Comique pour le Palais-Royal ;
M"s Saint-Urbain, qui chanta aux Italiens en 1862 et aux
Bouffes-Parisiens en 1863 ; enfin, Laget, M"'^^ Bousquet, Le-
mercier et Pannetrat. D'autres revinrent dès l'année suivante
après des fugues plus ou moins heureuses qu'ils avaient
faites, Sainte-Foy au Théâtre-Lyrique, M-»" Ugalde aux Bouffes
pour jouer Orphée et les Bavards, M"° Monrose à la Monnaie
de Bruxelles.
En revanche, les nouveaux venus étaient nombreux, et
nous avons déjà mentionné M"" Rolin, Garait, Galli-Marié,
Barretti et Léon Achard. Ajoutons encore Mengal, qui débuta,
le 7 avril, dans le Postillon de Lonjumeau (rôle du marquis) et
repartit l'année suivante pour Bruxelles; M"=Bléan, qui débuta
le 16 août dans la Fille du régiment (rôle de Marie), et reprit,
au bout de quelques représentations, le chemin de la pro-
vince, d'où elle arrivait; Émon, le vieil Émon, qui reparut le
17 août dans le Domino noir (rôle de Juliano), M^i^ChoUet-Byard,
actrice intelligente, pleine de finesse et de grâce, qui avait
obtenu en 1862 les premiers prix de chant et d'opéra-comique
au Conservatoire et qui débuta, le 30 août, dans le Toréador
(rôle de Coraline); Potel, un fidèle serviteur de l'Opéra-
Comique, qui débuta le l^r novembre dans le Diable au moulin
(rôle d'Antoine); Caussade enfin, qui effectua sa rentrée le
28 décembre dans le Chalet (rôle de Daniel).
Si l'on songe aux artistes qui appartenaient antérieurement
à la maison, et formaient ainsi les cadres de la troupe, on
reconnaîtra que la réunion des talents n'était pas commune,
et que tous les emplois se trouvaient abondamment pourvus.
Pour ne citer qu'un exemple et sans parler deWarnots, arrivé
et parti presque aussitôt, les premiers ténors s'appelaient :
Montaubry, Achard et Gapoul.
A quelle époque a-t-on vu un trio de valeur égale !
(A suivre.)
BULLETIN THÉÂTRAL
Nous pensions avoir à vous parler de la reprise du Petit Fau.st
qu'on annonçait avec grand fracas pour mardi dernier à la Porle-
Saint-MartiD. Mais le caprice d'une divelte ou simplement peut-être
un rhume véridique en a disposé autrement. M"" Jeanne Granier a
prononcé son non possuynus, et Paris a dû s'incliner tout en mauoréant.
Le plus philosophe en la circonstance a encore été le directeur
lui-même, qui pourtant avait si fort à souflrir dans ses intérêts
matériels de ce retard imprévu. Mais M. Duquesnel commence à
être bronzé contre ce genre d'accident. On n'a pas élé impunément,
pendant de longues années, l'imprésario de la grande Sarah sans
avoir acquis un certain mépris de toutes ces catastrophes de théâtre,
et ce n'est pas un petit bout d'artiste comme M"= Jeanne Granier
qui peut ensuite arriver à vous émouvoir. M. Duquesnel a donc
annoncé tranquillement qu'il attendrait la fin de la crise, et, pas
plus tard qu'hier samedi, au moment oîi nous mettons sous presse,
la première représentation du Petit Faust a dû. avoir lieu devant tout
Paris assemblé. Nous sommes obligé, malheureusement, d'en remettre
le compte-rendu à huitaine.
Du Petit Faust au Lohengrin il y a tout un.abime, celui qui sépare
l'école d'Hervé de l'école de Richard "Wagner. Pourtant, s'il est
vrai que les extrêmes se louchent, ces deux maîtres peuvent se
donner la main. Chacun d'eux d'ailleurs n'a-t-il pas accompli dans
son genre une véritable révolution, l'un bouleversant l'opérette et
poussant l'extravagance jusqu'à ses extrêmes limites, l'autre renou-
velant le drame musical et le plongeant dans des brouillards opaques
d'oîi les éclairs de son génie arrivent parfois à le tirer, mais trop
rarement ?
MM. Ritt etGailhard, voulant frapper un grand coup et emplir une
dernière fois leurs coffres avant de quitter le paradis enchanté d'où les
expulse la rigueur d'un ministre indépendant, ont jeté leur dévolu
sur Richard "Wagner, ne pouvant plus songer à Hervé, dont M. Du-
quesnel s'était assuré, et en toute hâte montent le Lohengi'in sous la
direction du grand chef Lamoureux. C'est vous dire assez qu'ils ont
renoncé du même coup à représenter Fidelio. Le pauvre Beethoven
était bon pour amuser le tapis et faire croire au ministre à de véri-
tables visées artistiques, au moment où ces messieurs pouvaient
croire encore au renouvellement de leur privilège. Aujourd'hui que
tout espoir est perdu, inutile de jouer plus longtemps la comédie.
Battons la grosse caisse et surtout emplissons -la. Beethoven est
jeté aux orties comme un vulgaire génie qui ne fait pas le sou et
on avoue sans vergogne s'être joué d'un haut et noble artiste comme
M. Gevaert, qui avait donné avec un soin pieux à la partition de
Fidelio tout un revêtement de récitatifs nouveaux. Mais n'insistons
pas davantage et laissons MM. Ritt et Gailhard accomplir en paix
leurs dernières vilenies. Ne perdons pas de vue la date lumineuse
du 1" décembre, qui doit débarrasser à tout jamais l'art lyrique de
leur triste oppression. Hs s'en vont! Pas de regrets, n'est-ce pas?
A rOpÉRA-CoMiQUE, les représentations de Lahné se succèdent trois
fois par semaine, très suivies et très fructueuses pour la direction..
L'interprétation prend chaque soir plus d'ensemble et plus de fondu,
toujours avec M"° Horwitz, un charmant provisoire qui a bien
l'air de tourner au définitif. M'"^ Arnoldson est là cependant, toute
prête, et on l'entendra bien, quelque jour, il faut l'espérer, dans
ce rôle pour lequel elle a été engagée spécialement et qui lui a
valu déjà tant de légitimes succès partout où elle l'a chanté.
H. MORENO.
Comédie-Française. — Grisélidis, mystère en trois actes et un pro-
logue, en vers libres, de MM. Armand Silvestre et B. Morand.
Mystère, dit l'affiche, et, comme le vient expliquer des plus gen-
timent « le meneur du jeu », si au cours de la représentation, le
public pleure, il ne faut pas qu'il s'imagine assister à une tragédie,
s'il rit, il ne doit pas plus croire qu'on lui donne une comédie ;
mystère, légende ou conte, c'est ici tout un, et les aventures de la
belle et fidèle Grisélidis ne nous ont certainement point été contées
par les auteurs pour leur saveur à elles propre, mais, bien pour la
seule manière dont elles nous sont présentées. Ces trois actes ne sont
que motif à jeux poétiques et MM. Silvestre et Morand ont pu penser,
à juste raison, que le fond n'était que secondaire quand l'émolion,
le plaisir, la satisfaction ne devaient résulter que de la forme.
Donc le puissant marquis de Saluce, avant de partir guerroyer
en Terre-Sainte, confie sa femme et son petit enfant à la garde de
Dieu, lorsque le diable vient en personne lui démontrer combien
les femmes sont d'essence légère, et combien peu sont dignes de
confiance. Le marquis se récrie et tient le pari qu'à son retour, il
retrouvera Grisélidis telle qu'il la laisse aujourd'hui. Le diable alors
s'ingénie à détourner l'épouse de son devoir. Il se déguise en envoyé
qui vient installer au château une nouvelle marquise, Grisélidis
n'étant plus la dame des pensées du marquis ; il guide les pas d'un
poète qui est l'amant passionné et idéal ; il va même jusqu'à enlever
l'enfant à sa mère; mais il reste impuissant devant la candeur, la
LE MENESTREL
'15g
chasieté et l'inébranlable fidélité de Grisélidis et, lorsqae le marquis
rentre citez lui, l'esprit du mal est obligé de s'avouer vaincu.
J'ai dit, au début, que MM. Silvestre et Morand s'étaient atlacbés,
avec un soin jaloux, à revêtir ces incidents d'une forme toujours
exquise où la poésie reste merveilleusement radieuse, berçante et
musicale. Le public, écœuré sans doute du genre de théâtre qu'on
lui fait subir depuis peu, a salué, avec de longs applaudissements
et des marques de contentement indéniables, cette réaction vers un
idéal qu'on voudrait lui faire croire n'être plus de notre époque.
Malgré tout le charme, toute la grâce noble, toute la poésie et tout
l'amour tendre et chaste dont M"" Bartet a fait preuve dans le rôle de
■Grisélidis, le succès des interprètes a été pour M. Sylvain dont la
diction simple, nette et attendrie a fait merveille sous les traits du
marquis ; il est juste de dire qu'à cet artiste est incombée la tâche
heureuse de réciter plusieurs couplets qui sont de vrais chefs-d'œuvre.
M. Coquelin cadet nous a assez souvent amusé pour qu'il nous soit
permis de lui avouer que son diable ne nous a nullement satisfait;
.pas assez de tenue, alors que ce personnage, très conventionnel et
très osé, en avait besoin de beaucoup. M^^"^ Ludwig, Moreno,
Lynnès, la petite Gaudy et MM. Lambert fils, Leloir et Laugier ont
contribué, pour leur part, au succès. Il n'y a que des compliments
à adresser à la Comédie-Française pour la mise en scène qui, comme
le spectacle, donne une note d'art très personnelle.
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON
DES CHAMPS-ELYSÉES
(Premier article.)
Pour commencer, nos plus sincères compliments aux metteurs en
scène du Palais de l'Industrie. L'exemple des décorateurs du
Champ-de-Mars leur a amplement profité. Sans respect pour l'an-
cienne routine de classement, ils ont abattu les cloisons qui faisaient
du jSalon des artistes libres une boite à compartiments vieux mo-
dèle. De longues galeries, bien aérées, très éclairées, aboutissent,
du côté du Diorama, à un salon de repos garni do tentures des Go-
belins et de meubles invitant au plus confortable far-niente. Grâce
à ces remaniements, et aussi à la sélection préparatoire opérée par
le jury, on a pu disposer d'un bon kilomètre de cimaise supplé-
mentaire, si bien qu'il est presque inutile de regarder les toiles relé-
guées à d'affligeantes hauteurs : c'est presque toujours le dessous
du dessous du panier, la collection des « faveurs » que s'octroient
réciproquement les membres du jury en faveur, soit des médiocres
chargés de famille, soit, — et c'est le cas le plus fréquent, — des
amateurs mondains surchargés de prétentions.
Autre innovation : les gravures et les dessins ne seront plus relé-
gués au bout du Salon, mais répartis entre les salles de peinture. 11
faut les traverser; on sera donc tout au moins tenté d'accorder un
regard à ces œuvres consciencieuses, parfois supérieures aux pro-
ductions des « entoileurs » ou des « panneautistes » qui, pendant
un siècle, les ont tenues en quarantaine. t. J'aurais voulu, j'escomp-
tais même un dernier progrès : le remplacement des poufs médio-
crement esthétiques qui centrent les salles les plus importantes par
des groupes de marbre entourés de quelques-uns des bronzes aux-
quels le jardin impose sa frileuse hospitalité. Ce sera sans doute
pour l'année prochaine. Et maintenant, sans autres préliminaires,
passons en revue le Salon dramatico-musical.
La grande décoration n'est représentée que par deux toiles, au Salon
des Artistes libres. A vrai dire, la première œuvre est de taille. Elle
remplit tout le milieu de la muraille du vestibule qui fait face au salon
carié. Elle est destinée à l'un des salons de l'ambassade de France
à Berlin. M. Gabriel Ferrier l'intitule : Glorification des Arts, La
Sculpture tient sur son bras le David de Mercié; au centre, la Pein-
ture et l'Architecture; à droite, la Musique; au bas, la poésie, pre-
nant pour écritoire le calice d'une rose. Gomme les arts ainsi glo-
rifiés sont essentiellement pacifiques, — sauf la Musique, qui peut
entonner la trompette guerrière, — il est difficile de ne pas souli-
gner l'ironie du hasard qui exile ce plafond athénien dans la Sparte
du Nord. Pauvres Amours, joufflus par en haut et par en bas, et
d'une exécution si délicate; pauvres Muses, d'une gracieuse envolée
et d'un charme provocant, où l'on reconnaît le talent si personnel
de M. Ferrier, que va devenir sur les bords de la Sprée toute cette
mythologie savoureuse et frissonnante ?
La seconde grande peinture décorative est un plafond de M. Ra-
phaël Colliu destiné au plafond de l'Odéon. La Vérité — délicate
allusion aux emprunts faits par le deuxième Théâtre-Français au
répertoire du Théâtre Libre — apparaît, mise à nu par une grande
figure qui représente sans doute le modernisme militant. A droite,
la Poésie en robe violette (le violet est une couleur suggestive) ; à
gauche, les allégories qui, depuis que la peinture peine à repré-
senter des abstractions, symbolisent les types du répertoire. L'exé-
cution est charmante : du Puvis de Chavannes teinté de Boucher.
Par malheur, ce plafond plafonnant plafonne à tel point qu'on le
voit à peine. Nous prendrons notre revanche à l'Odéon.
Voulez-vous encore du symbolisme ? M. Henri Martin en a mis
partout, je veux dire du haut en bas, et de long en large de son
tableau « Chacun sa chimère », qui n'est pas petit. C'est la pro-
cession des victimes de l'idéal conduite par l'ange de l'Illusion, vêtu
de blanc. Derrière ce guide mystique et absorbé, le poète, au front
illuminé, tenant la statue de la Victoire, l'artiste, l'amoureux...
Trahit sua quemque voluptas. Et au bout du fossé la culbute. Il est
vrai que les personnages de M. Henri Martin peuvent tomber de
haut sans se faire grand mal, car ils sont impalpables et quasi
immatériels.
Il n'est plus permis d'en douter : l'Assyrie et tout son bibelotage
cher aux décorateurs de théâtre — briques vernissées, faïences
verdâtres, émaux cloisonnés, étoffes voyantes, lions héraldiques —
envahissent la peinture d'histoire. Nous avions déjà une salle Dieu-
lafoy au Louvre : l'an prochain, il faudra en ouvrir une autre au
Palais de l'Industrie. Provisoirement et pour nous préparer, deux
toiles immenses. L'une — toutes ces dames au bûcher — repré-
sente la Mort de Sardanapale, par M. Louis Ghâlon. Le livret rap-
pelle à ceux qui auraient pu l'oublier que le roi, ne voulant pas
tomber vivant dans les mains de ses ennemis, fit élever dans une
des cours de son palais un bûcher construit en forme de tour à
sept étages et y entassa toutes ses richesses, en y faisant ajouter
ses neuf cents femmes, ses danseuses, ses musiciennes vêtues de
leurs plus riches habits et couvertes de bijoux sous la garde des
eunuques... Vous imaginez le déballage. Et les flammes du bû-
cher atteignent déjà les malheureuses qui tendent les yeux vers
Sardanapale assis au sommet du bûcher, sur un trône d'or. Quant
à M. Georges Rochegrosse, il nous montre la Mo/'t de Babylone,
c'est-à-dire l'ivresse des Babyloniens et leur réveil tragique après
le Mané Thécel Phares : « Cependant, le premier moment de stupeur
passé, l'orgie continua. Mais le châtiment annoncé par les carac-
tères mystérieux ne devait pas se faire attendre. Au matin, l'armée
perse, profitant de l'ivresse générale, pénétrait dans Babylone et
s'emparait du palais... » Beaucoup de lits de repos où l'on n'a
que trop reposé; beaucoup d'étoffes rares à côté de beaucoup de
nudités qui le sont infiniment moins. Et si ce n'est pas le meilleur
tableau de M. Rochegrosse, maigre un effort méritoire, des aspira-
tions vers la grande peinture qui dénotent un tempérament peu
commun, c'est du moins celui qu'on aurait pris à la cote la plus
haute au mont-de-piété assyrien.
Le plus vaste tableau du Salon, après cette débauche d'archaïsme,
nous ramène au drame révolutionnaire plus proche du Chevalier de
Maison-Rouge que de Thermidor. C'est le panneau de M. J.-P. Laurens,
destiné à l'Hôtel de Ville de Paris : & Le roi Louis SVI à l'Hôtel de
Ville, le 17 juillet 1789. » Bailly vient d'être nommé maire de Paris :
le roi lui rend visite et Bailly loi adresse ce discours qui contient
la phrase célèbre : « Henri IV avait conquis son peuple : ici c'est
le peuple qui a reconquis son roi. » Louis XVI se prépare à passer
sous la voûte symbolique formée par les épées nues des représen-
tants de Paris. Derrière lui, un groupe de courtisans en habits
clairs et la foule difficilement contenue par les gardes-françaises à
cheval. L'action est énergique et sobre, sans agrément mais non
sans autorité, et d'une valeur concentrée de bas-relief historique.
Les Jeanne d'Arc sont à la mode — de l'Hippodrome à la Porle-
Saint-Martin, sans oublier le Châtelet — ce qui veut dire qu'elles
courent grand risque de tomber dans la banalité ; mais M. Pierre
Lagarde a eu une pensée tout particulièrement originale. Après tant
de bonnes Lorraines éclairées à la lumière électrique, il nous a
donné une Jeanne crépusculaire écoutant des voix et regardant
passer la silhouette des anges dans les premières ombres de la nuit.
Passons sans autre transition au grand tableau mythologique de
M. Henry Lévy, qui nous représente l'ange de la mort donnant le
baiser fatal à une jeune fille échevelée qui est Eurydice et qui
pourrait être une poitrinaire au dernier période. Et voici encore
une peinture funéraire, mais moderniste, YOmbre de la Mort, de
l'Américain Morley Flechter. Quelle dernière scène du dernier acte
d'un drame intime jouent ce jeune homme et celte jeune femme
assoupis sur un divan, à l'ombre d'épaisses tentures, dans une
456
LE MEiNESriŒL
chambre luxueusemeul meublée, où traînent des pétales de fleurs
rares? Ont-ils perdu quelque créature chérie? Les camélias ont-ils
neigé sur un berceau ou sur la neige de têtes blanches ? Ces deux
êtres vivants sentent-ils le frisson des adieux avant-coureur de la
fin que nul n'évite ? L'exécution est intéressante, mais la pensée
reste obscure.
C'est un autre drame, plus abstrait, le sunt lacrymœ rerum de
Lucrèce, que jouent les ïiamadryades réunies dans le tableau de
M. Gabriel Guay « la Mort du Chêne. » Quelques nymphes d'une
chair plantureuse et d'un élégant modelé commentent à grand ren-
fort de lignes souples, de contours harmonieux et de poses éminem-
ment plastiques le poème de Victor de Laprade :
Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée
0 roi, qu'hier ce mont portait avec orgueil,
Mon àme, au premier coup, retentit indignée.
Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil...
M. Luminais délaisse, cette année, ses mérovingiens aux longues
chevelures pour nous donner un beau cinquième acte de drame de
cape et d'épée : « Fin d'un roman », le cadavre d'un duelliste
ramassé sur le gazon d'une clairière par des moines en tournée,
et une illustration romantique hardiment enlevée : « La chasse
impie ». Nous passons à la tragédie classique avec M. Hector Le Roux,
peintre breveté des Vestales, qui nous envoie ses clientes habi-
tuelles : Amata inspirée par ces deux vers de Jean Bertheroy :
Bientôt, sur les degrés dressant sa taille austère,
Vers l'orient propice elle a tourné les yeux...
et(( Nouvelles du dehors », deux prêtres.-ses commentant dans la paix
du sanctuaire le papyrus qui leur apporte, par service spécial, la
« dernière heure du monde romain ».
Aimez-vous les fortes musculatures, le déploiement et même les
outrances de la science anatomique? Voici l'Ulysse et Télémaque,
de M. Pierre Lehoux, commentaire très vivant de ce passage de
VOdi/ssée : « Ayant ainsi parlé Odysseus s'assit, alors Telemachos
embrasse son père en versant des larmes. Et le désir de pleurer les
saisit tous deux ; ils pleuraient abondamment, comme les aigles
aux cris stridents ».
(A suivre.) Camille Le SeiNne.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
VI
LE THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS
Bonaparte, victorieux, de retour à Paris en décembre 1797, vivait
fort retiré, mais allait souvent au spectacle.
Un Jour, il envoya Bourrienne demander pour lui, si toutefois cela
était possible, au directeur de l'Opéra-Comique la représentation des
deux plus jolies pièces du répertoire dans lesquelles jouaient EUe-
viou. M™" Saint-Aubin, Phillis. elc...
Le directeur répondit que rien n'était impossible pour le vain-
queur de rilalie, qui avait depuis si longtemps fait rayer ce mot
du dictionnaire. Le jour de la représentation, Bonaparte se cacha
au fond de sa loge, dont Joséphine et Bourrienne occupaient le
devant,.: cependant, le public apprenant que le conquérant de la
Lombardie était dans la salle, le réclama à grands cris, mais il ne
voulut pas se montrer.
Il allait de même au Théâtre de la République et des Arts, ou l'on
jouait l'Opéra, dans une loge grillée; et il refusa énergiquementla repré-
sentation de gala que voulait lui offrir, dans le même temps, l'ad-
ministration de la première scène Ij^rique.
Dans la suite, Napoléon fut moins dédaigneux de ces hommages,
encore qu'il partit de ce principe que les théâtres étaient faits pour
l'instruction et l'amusement du publie, et non pour l'exhibition du
souverain. Nous avons dit à ce sujet ce que nous avions à dire, et
l'on sait que l'empereur, et avant lui le premier consul, avait l'ha-
bitude de faire venir les artistes, avec leurs pièces, chez lui. Mais
il n'en témoignait pas moins une vive sollicitude pour tout ce qui
touchait aux scènes subventionnées, et tenait à ce que ses sujets
fussent aussi bien servis que lui.
Dans ce but, rien ne lui coûtait, et son attention se portait sur
tous les détails propres ù rehausser l'éclat et la renommée des grands
théâtres parisiens, et en général de toutes les institutions artisti-
que de la capitale. En 1800, étant en Italie, il demande à son frère
Lucien, ministre de l'Intérieur, de lui fournir la liste de dix peintres.
de dix sculpteurs, de dix compositeurs de musique et d'autant d'ar-
tistes musiciens, dont les talents méritent de fixer l'attention pu-
blique.
Lucien fil plus : il profita de l'occasion pour adresser aux consuls
un rapport dans lequel il faisait observer qu'on ferait rétrograder
les beaux-arts en France, si l'on forçait de partir pour les armées
les jeunes artistes qui ont déjà donné des preuves de talent. Il
ajoute que le Conservatoire lui a fourni une liste de plusieurs élèves
qu'il est essentiel de conserver « pour les fêtes publiques et pour
que l'on puisse remplir les cadres du Théâtre des Arts. » Puis il
conclut : « Ce spectacle étant un établissement national, il parait
que ceux qui s'y destinent peuvent être assimilés aux élèves des
écoles d'application, auxquels la loi accorde des exemptions. »
Sur ce rapport, Bonaparte autorise « à rester dans leurs foyers
jusqu'à nouvel ordre » : les citoyens Hyacinthe Jadin, professeur;
Jacques-Martial Lamarre, Caïman Eloi, Isidore Montlaur, Bempu
Henry, Jean Bousenier, Charles Monceau, Louis Fournier, Dominique-
Prudent Portheau, élèves désignés par le Conservatoire de musique.
Qui connaît ces noms, aujourd'hui?
Quelques contemporains ont mis l'éloignement de Napoléon pour
les représentations à l'Opéra sur le compte des attentats dont il
faillit être victime à deux reprises différentes, en se rendant au
Théâtre de la République et des Arts.
Le premier de ces attentats était dirigé par l'Italien Ceracchi. Ce
personnage, de concert avec Tapino, Lebrun, Aréna, Demerville et
Harel, ancien chef de bataillon destitué, forma le projet d'assassiner
le premier consul à une représentation extraordinaire donnée par
l'Opéra le 10 octobre 1800, 18 vendémiaire an IX.
Ce résultat aurait été sans doute atteint si Harel, pris de remords,
n'avait point révélé ce complot. Bonaparte, qui voulait depuis long-
temps se débarrasser de Ceracchi et d'Aréna, dont l'hostilité lui
était bien connue, fit bon accueil à celte dénonciation et voulut que
le projet eût un commencement d'exécution. Dans ce but, Harel
reçut de l'argent pour procurer des armes à ses complices, et, le
jour rriême fixé pour l'attentat, il fut arrêté que le premier consul
se rendrait à l'Opéra en compagnie de Duroo et de Bourrienne.
Après le dîner, Bonaparte endossa une redingote sur son uniforme
et partit en voiture avec ses deux compagnons. Inutile d'ajouter que
toutes les précautions avaient été prises pour déjouer le complot.
Bonaparte se plaça sur le devant de la loge qui lui était réservée,
à gauche en entrant, entre les deux colonnes qui séparaient les
loges de face des loges de côté. Au bout d'une demi-heure, gardant
Duroc avec lui, il dit à Bourrienne d'aller voir ce qui se passait
dans le corridor.
Celui-ci entendit alors un tumulte considérable : c'étaient les cons-
pirateurs qu'on arrêtait, au moment oîi ils se dirigeaient vers la
loge du premier consul. Ils furent, par la suite, guillotinés, sauf
Harel, qui fut réintégré dans les cadres de l'armée : il était com-
mandant du fort de Vincennes, lors de l'exécution du due d'Enghien,
dont sa femme, par une curieuse coïncidence, était la sœur de lait.
Le théâtre de la République et des Arts donnoit, le soir de cette
échaufl'ourée, qui a fait peu de bruit dans l'histoire, la première
représentation des Horaces, paroles de Guillard, musique de Porta,
et le ballet de Héro et Léandre.
L'auteur du livret avait pris la peine d'écrire, avant la représen-
tation, aux rédacteurs du Journal de Paris que son poème n'était
plus le même que celui donné à l'Opéra en 1786, avec la musique
de Salieri. Il avait, disait-il, supprimé deux actes formés d'inter-
mèdes, qui nuisaient à la rapidité de l'action, et montré à la place
le combat des Horaces « dansé par un estimable artiste, digne
élève de Noverre », estimant « que ce combat, dessiné vigoureuse-
ment et exécuté par des talents supérieurs, pourrait produire un très
bel effet sur le théâtre lyrique «. Puis il avait modifié le dénoue-
ment cornélien, en faisant éviter à Camille le coup dont la menace
son frère , « parce que la toile tombant sur un pareil assassinat,
renverrait le public mécontent. »
Le compte rendu donné par la même feuille , nous apprend que
les deux premiers actes des Horaces, furent applaudis et que le pu-
blic n'approuva pas les modifications sur lesquelles Guillard comptait
si bien: « le combat-pantomime, loin de produire l'effet qu'on en
attendait, n'a offert qu'un spectacle froidement cruel ; plusieurs per-
sonnes pensent qu'il eût fallu l'échauffer par un accompagnement
gradué d'instruments guerriers ». A propos de l'incident Ceracchi,
qu'on avait soigneusement caché au public, afin de mettre la main,
s'il y avait lieu, sur d'autres complices, le Journal de Paris faisait
suivre ces lignes de ces simples mots, destinés à donner le change
à l'opinion :
LE MENESTREL
dO/
« Le préfet dp police, instruit que plusieurs individus se propo-
saient de mettre hier le feu à quelques parties de la salle de
l'Opéra, afin de profiter du désordre, les a fait arrêter dans le
lieu même où ils devaient exécuter leur projet. »
Cette conspiration fut suivie, à courte distance, d'un autre attentat
qui, celui-là, n'était point prévu, et qui, s'il n'amena pas de résultat
funeste, n'en eut pas moins sa pleine exécution. Nous voulons parler
de la machine infernale, dont le nom est attaché à la rue Saint-
Nicaise, ou, pour parler le langage de l'époque, à la rue Nicaise,
où l'affaire se passa le 3 nivôse an IX, 24 janvier 1801.
Ce jour-là, les journaux donnaient ce programme de li soirée
depuis longtemps attendue par le monde dilettante de Paris:
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS
Aujourd'hui 3 nivôse, pour la première fois l'Oratorio
d'HAYDN, intitulé la Création du monde, parodié en vers fran-
çais par le G" SÉ(iur le jeune, la musique arrangée par le
C" Steibelt.
Les G"' Garât et Ghéron, et M™' Walboxne-Barbier chan-
teront dans l'Oratorio ; le G" Steibelt tiendra le piano pour
conduire l'Oratorio.
(1(1 coniBiencera i 8 lieiires précises. L'oiiverliire lies liareaiix se fera à 6 iieiires.
Les billets gratis et de faveur n'auront pas lieu.
Haydn était fort populaire à Paris. Dès 1766, ses premières sym-
phonies furent gravées dans celte ville et exécutées au concert des
amateurs. Celles qui suivirent assurèrent la vogue de leur auteur;
aussi l'annonce d'un grand ouvrage d'Haydn produisit-elle une vive
curiosilé dans le monde des connaisseurs. Parmi les artistes, la
musique eu était déjà connue, ou pouvait être connue, car elle ve-
nait d'être publiée, comme il ressort de cette annouce parue, la
veille de l'exécution, dans plusieurs journaux :
(1 On trouve chez le C" Pleyel, auteur et éditeur de musique, rue
Neuve-des-Petits-Champs, entre celles de la Loi (Richelieu) et d'Hel-
vélius, n" 728, tous les airs, nuo, trio et choeuus de I'Oratorio
d'HAYDN, avec accompagnement de piano, et en parties séparées pour
l'orchestre. La Grande Partition va paraître d'ici à quinze jours ;
elle contiendra environ 320 planches. On l'offre au public par sous-
cription, moyennant la somme de 24 francs ; tout l'ouvrage arrangé
pour le piano se vendra 15 francs. Il est à observer que le C" Pleyel
offre au public à la-fois une traduction française et italienne;
il ose assurer que la valeur des notes d'Haydn, et sur-tout ses
phrases musicales n'y sont point altérées. La composition d'Haydn
n'a subi aucun arrangement: elle est avec les paroles françaises et
italiennes, telle qu'Haydn l'a faite sur les paroles allemandes. La
souscription pour la grande Partition, et l'Arrangement complet
pour le piano, sera ouverte jusqu'au 15 nivôse courant.
(A suivre.) Edmond Neckomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 mai). — Les soirées d'adieu
et de clôture, à la Monnaie, ont été très animées et surtout très fleuries.
Depuis deux ou trois ans, la mode d'offrir des ileurs aux artistes qui nous
quittent et même à celles qui ne nous quittent pas, a pris des proportions
tout à fait extraordinaires. On ne se contente plus de quelques bouquets
ou de quelques corbeilles; on dévalise les fleuristes; on transporte au
théâtre, pour les faire passer sur la scène, par-dessus l'orchestie, de véri-
tables monuments, des pyramides gigantesques, des constructions baby-
loniennes; il faut des escouades de portefaix et des biceps rares pour
offrir et recevoir cela comme il faut. Et songez encore que l'amour-pi-opre
s'en mêle; il y a des rivalités entre les prime-donne et les amis des prime-
donne; c'est à qui recevra le plus de fleurs, et surtout les plus volumi-
neuses; les sympathies, le succès, le talent, tout cela se mesure, ces jours-
là, au nombre de parterres, d'arbres et d'arbustes offerts. Le concours est
intéressant et récréatif au possible. Cette année, les deux favorites étaient
M"" Sanderson et M"' de Nuovina; la lutte s'est localisée entre elles, par-
ticulièrement, et la victoire finalement est resiée indécise. Je crois bien
cependant que c'est M""^ de Nuovina qui l'a emporté. Le jardin de Faust.
où on lui a fait ses adieux... jusqu'à l'année prochaine, était transformé
en véritable jardin; jamais Marguerite n'en eût osé rêver de pareil même
au paradis terrestre. Les artistes qui taisaient réellement et pour tout de
bon leurs adieux, n'en ont pas moins été fêtés très chaleureusement, en
raison mé~.e des regrets qu'ils laissent après eux. Tels M"= Sander
son. M""! Archainbaud, MM. Bouvet, Delmas, Vérin, d'autres encore.
Et l'on a été heureux de montrer à quelques-uns de ceux qui restent, à
M"" Carrère, à MM. Badiali et Sentein, le plaisir qu'on a eu de les avoir
et celui qu'on a de les garder. — Gomme je vous l'avais annoncé, le
lendemain de la clôture la Monnaie s'est rouverte pour le dernier concert
populaire de la saison. Ce concert, consacré exclusivement à Brahms et
à Wagner, a été superbe; la troisième symphonie de Brahms, exécutée
un peu mollement, et le Chant du Destin, du même, malgré sa très belle
élévation d'idées et son sentiment profond, ont paru cependant assez ternes;
la plus grande part du succès a été pour le troisième acte de Parsifal, d'un
caractère si admirablement grandiose, et pour le finale des Maîtres clianteurs.
Au concert précédent, on avait entendu (je crois avoir oublié de vous le
dire) diverses œuvres de la jeune école française, notamment le Wallcnstein
de M. Vincent d'Indy, la Viviane de M. Chausson et la Rapsodie cambod-
gienne de M. Bourgault-Ducoudray ; on les a écoutées et applaudies avec
une faveur d'autant plus marquée que la plupart des jeunes maîtres fran-
çais ont toujours été bien accueilUis à Bruxelles et que, même avant d'être
très connus en France, ils avaient ici des sympathies et des admirateurs.
— Enfin, ce soir même, vient d'avoir lieu, toujours à la Monnaie, la re-
présentation jubilaire et de retraite de M. Chappuis. Elle a eu un éclat
exceptionnel, un très vif intérêt, et c'a été, tout le long de la soirée, une
interminable suite d'ovations, au bénéficiaire d'abord, qu'on a couvert de
couronnes, de fleurs et de cadeaux, et aux artistes qui ont pris part gra-
cieusement à la représentation. Parmi ces derniers, je citerai en première
ligne M°"; Caron et M. Grosse, venus tout exprès de Paris, et plusieurs
anciens artistes de la Monnaie, qui étaient venus se joindre à ceux d'à
présent. Le programme comprenait le deuxième acte du Domino noir, joué
par M"° Carrère, MM. Badiali, Delmas et Chappuis; le troisième acte du
Cid, par M""' Caron et M. Dupeyron; l'acte des nonnes de ISobert le Diable,
chanté par MM. Gresse et Stéphan, et dansé par M"« Sarcy et le corps de
ballet de la Monnaie; un intermède dans lequel on a entendu des mélo-
dies chantées par M""= Bachel Neyt, un air de Henri VIII par M. Badiali, le
trio de Jérusalem par MM. Caron, Gress3 et Dupeyron et une Marche jubi-
laire composée par M. Léon Dubois; et enfin, pour terminer joyeusement
la soirée, les Itendez-vous bourgeois par i/]}"^^ Neyt, VVolf et Walter, MM. Sen-
tein, Mengal, Larbaudière, Garnier et David. L'interprétation de tout cela
a été remarquable; et la soirée a réussi, d'un bout à l'autre, admirable-
ment. — Samedi prochain, la Monnaie, une fois encore, rouvrira ses
portes ; la Comédie Française, MM. Mounet-Sully, Paul Monnet et M"« Dudlay
en tête, vient jouer Hernani au profit de l'Œuvre de la Presse. Ce sera
sans doute la toute dernière représentation qui sera donnée à la Monnaie
d'ici à la saison prochaine. Les beaux jours appellent le public ailleurs,
sous les ombrages du Waux-Hall, où l'orchestre de la Monnaie se trans-
porte, comme tous les ans, ou — ce qui vaut mieux encore — en villé-
giature. L. S.
— On sait en quelle estime, très méritée d'ailleurs, sont tenus en Bel-
gique les cariilonneurs, qui sont en général des artistes fort distingués.
En voici une preuve parfaitement convaincante. Par arrêté royal du
28 avril 1891, la médaille de 1™ classe est décernée à M. Clément (Henri-
Edouard), carillonneur de la ville d'Ypres (Flandre occidentale), en récom-
pense des services qu'il a rendus dans une carrière de plus de trente-
cinq années.
— On vient de mettre en répétition, au théâtre royal de l'Alcazar de
Bruxelles, A la houzarde, opéra-comique de MM. Louis d'Hurcourt et Jac-
ques Lemaire, musique de M. Albert Renaud.
— Nouvelles de Londres :
Quinzaine peu intéressante à Covent-Garden, pendant laquelle les reprises
de Mefistofelc et de Don Giovanni sont seules venues trancher sur la mono-
tonie du répertoire courant. Plusieurs artistes annoncés au début de la
saison manquent encore à l'appel, et à l'exception de Lohengnn et de Roméo
l'exécution de la plupart des ouvrages représentés jusqu'ici a péché dans
l'ensemble. Il est également indiscutable que l'opéra est moins suivi que
les saisons précédentes : le zèle maladroit de la direction à proclamer
qu'elle ne perd pas d'argent ne sert qu'à souligner cette abstention du
public. On a invoqué une foule de prétextes pour justifier cet état des
choses : l'ouverture prématurée de la saison, la crise financière, l'influenza.
Ce qu'on aurait dû plutôt dire, c'est que le prix des places est le double de
celui de la saison Lago, alors que la plupart des représentations ne sont pas
meilleures, que la troupe est très incomplète, certains emplois étant très
insuffisamment tenus, et qu'en jouant six fois par semaine le travail des
répétitions ne peut se faire que d'une façon approximative. Avec quelques
nouveautés et reprises intéressantes soigneusement montées, la saison, si
mal commencée, peut encore se relever.
On nous promet la première de Manon en français pour la semaine pro-
chaine, avec M"'> Sanderson et le ténor Van Dyck dans les deux princi-
paux rôles. Il est fâcheux que la troupe de Covent-Garden ne possède pas
une basse chantante pour le rôle du père Des Grieux. M. Isnardon est un
excellent Leporello et un Bcekmesser de premier ordre, mais il n'a ni le
physique, ni la voix nécessaires au rôle créé par Cobalet. M. Massenet
est à Londres présidant aux répétitions : il saura obtenir un ensemble
d'exécution digne de cette œuvre charmante.
Le ténor vétéran Sims Reeves a fait ses adieux au public lundi dernier
138
LE MENESTREL
à l'Albert Hall, après une carrière de plus de cinquante années. M""" Chris-
tine Nilsson, qui était venue tout exprès de Paris, s'est prodiguée dans
plusieurs morceaux chantés d'une voix superbe et applaudis avec enthou-
siasme. Le reste du programme était peu intéressant. Le principal air du
bénéiiciaire : «Eclipse totale», extrait d'un oratorio de Haendel, contenait
dans son titre une allusion fâcheuse aax moyens vocaux du chanteur, qui
avait depuis longtemps survécu à sa réputation. A. G. N.
— Nous avons annoncé il y a quelque temps que Rubinstein préparait
un livre sur la musique et les musiciens. Un correspondant du Afeu York
Herald a eu la bonne fortune d'obtenir de la bouche même du maître
quelques révélations à sensation sur cet ouvrage, dont la publication est
imminente. Nous traduisons mot pour mot cette interview: « Je trouvai
Rubinstein occupé à transcrire un manuscrit. — Ceci est un livre, me
dit le maitre. Je viens de l'achever en allemand et me dispose, pour le
moment, à le traduire en russe. J'ai écrit tout ce que je sais relativement
à la musique, depuis A jusqu'à Z ; toutefois, je n'ai parlé que de ceux qui
sont morts; car, en m'occupant des vivants, j'aurais soulevé trop de pro-
testations. Il est trois compositeurs de notre époque dont la musique a
provoqué un mouvement rétrograde dans l'art qui nous occupe. Ces trois
compositeurs sont morts physiquement, mais bien vivants à d'autres points
de vue. Je veux parler de 'Wagner, de Liszt et de Berlioz. Leurs œuvres
se dressent comme des obstacles terribles sur la route du progrès musical.
Chaque jour cette vérité m'apparait plus claire. Je vous étonne peut-être,
mais c'est bien réellement la vérité. Prenons "Wagner, si vous voulez.
Dans toutes ses compositions, "Wagner a donné la première place à l'élé-
ment décoratif; la musique proprement dite est reléguée au 'deuxième
plan. L'àme et la vie de ses personnages sont ensevelies dans d'épaisses
draperies. Je voudrais que les choses fussent actuellement dans l'état où
elles étaient avant l'arrivée de ces trois compositeurs. Je voudrais que
nous revinssions aux temps où les maîtres du monde musical se nom-
maient Mozart, Beethoven, Gluck, "Weber, Mendelssohn, Schubert et Schu-
mann. — Et que dites-vous de vos propres compositions? demanda
Yintervieiccr. — Oh ! moi, je suis un de ceux qui ont été, comme vous
dites, en Amérique. — Cependant, je vois figurer vos œuvres sur les
programmes des principaux concerts de Paris, "Vienne, Berlin et New-
York. — Oui, eu effet, par-ci par-là on joue une de mes polkas, comme
pour se souvenir que je ne suis pas encore mort. — Est-il réellement
vrai que vous voulez aller en Amérique cet été? — Je n'ai encore pris
aucune décision à ce sujet; pourtant, je vais y réfléchir. On m'a fait des
propositions, mais le voyage est long et j'ai la traversée en horreur.
Mon travail ici sera achevé au moins de juin; alors je partirai pour un
endroit quelconque, peut être bien pour l'Amérique. Je n'ai pas visité le
continent occidental depuis 1872, et on m'a dit que depuis cette époque
la musique y a fait des progrès énormes. — Certainement. L'Amérique
est maintenant à même de fournir d'excellents chanteurs dramatiques.
Si vous venez en Amérique, vous y ferez-vous entendre? — Non! Je ne
jouerai plus jamais en public. — Que pensez-vous de l'établissement
d'un conservatoire national en Amérique? — Lorsque je vins en Amérique,
je fus étonné d'apprendre que New- York ne possédait pas moins de cinq
conservatoires. Je me suis dit que c'était impossible, mais, quand je
découvris que ces cinq conservatoires n'étaient autre chose que des écoles
privées où des amateurs apprenaient à jouer quelques morceaux, je me
pris à rire de tout mon cœur. Le but d'un conservatoire est de former
des chanteurs, compositeurs, etc. pour les scènes lyriques. Une telle insti-
tution doit être placée sous le patronage et le contrôle du gouvernement,
et la question d'argent doit y être étrangère... Dites aux Américains que
je suis un vieillard ayant dépassé la soixantaine, mais que je me résoudrai
peut-être à aller vivre au milieu d'eux ».
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlln: les négociations engagées
entre l'intendant de l'Opéra royal et M. Angelo Neumann, au sujet de la
Cavalleria rusticana, du Barbier de Bagdad et des Trois Pintos, n'ayant pas
abouti, ces ouvrages ne seront pas représentés à l'Opéra royal, ainsi qu'on
l'avait annoncé tout d'abord. C'est une troupe de Prague qui les fera en-
tendre aux Berlinois, sous la direction de M. Blumenthal et au Lessing-
theater. Le Burgeriiche Schauspielhaus vient de rouvrir ses portes sous une
nouvelle direction, avec Czar et Charpentier, de Lortzing. — Dresde : on
vient de remettre à la scène, au théâtre de la Cour, VIdoménée de Mozart
qui avait quitté le répertoire il y a vingt et un ans. Malgré une interpré-
tation supérieure, en tête de laquelle il faut citer M™>= Schuch, l'œuvre
n'attire pas la foule. — FEA^■CFORT : la Manon de M. Massenet n'a pas été
heureuse lors de sa première représentation au théâtre municipal. Les
rôles principaux étaient tenus d'une façon lamentable ; seule, la mise en
scène a été jugée digne d'éloges. — H.vmdoorg : une nouvelle opérette fan-
tastique, intitulée Papillons, vient d'être produite avec succès au théâtre
Carie Schultze. Les auteurs de cette nouveauté sont MM. "Wullï et Spen-
gler pour les paroles, et M. Ch. KoUing pour la musique. — Leipzig;
VOtello de "Verdi vient de paraître pour la première fois au théâtre muni-
cipal, et y a été accueilli avec plus de respect que d'enthousiasme.
— Mayence : un opéra poslhune du capellmeister Cari Gœtze, Jvdith,\ienl
d'être représenté pour la première fois au théâtre municipal, sans éveiller
un intérêt bien considérable. — Prague : au nouveau théâtre allemand,
l'opéra-comique en deux actes de M. 0. Wober, la Faction de quatre ans,
a sombré dès son apparition. Sur un livret des plus faibles, imité de
Kœrner,le compositeur a écrit une partition dans la manière de Wagner,
mais ennuyeuse et maussade.— Stuttgahd : un ouvrage vieux de soixante-
trois ans, le Vampire, de Marschner, vient d'être monté pour la première
fois au théâtre de la Cour, et a brillamment réussi. Lindpaintner, ancien-
nement chef d'orchestre à ce théâtre, y avait lui-même fait représenter un
ouvrage du même titre, en 1828, l'année même de la production du Vam-
pire de Marschner. C'est ce qui expliquait l'abandon de ce dernier opéra. —
Vienne: deux solennités sont à enregistrer à l'Opéra: la première repré-
sentation du ballet Ronge et Noir (trois tableaux et un prologue) de
MM. Hasstretter et J. Bayer, qui a convenablement réussi, et la 100° repré-
sentation du Bal masqué de Verdi, que Vienne a applaudi pour la première
fois le 1"' avril ,1864. — "Weimar : à l'occasion de la fête de la grande-
duchesse, le théâtre de la Cour a repris le Roi l'a dit, l'œuvre adorable de
Léo Delibes. La représentation, dirigée par le kapellmeister de la Cour,
M. Edouard Lassen, a été admirable sous tous les rapports et a excité un
enthousiasme considérable.
— A Munich, le i mai, très belle exécution de la Damnation de Faust de
Berlioz au concert de l'Odéon. Directeur de l'orchestre : Henri Pocger,
qu'on a rappelé plus de dix fois.
— Encore un des interprètes favoris de Richard "^'"agner qui vient d'être
frappé de folie. On annonce en effet que la basse Fridrichs, qui s'était
fait remarquer dans plusieurs œuvres du maitre allemand, principalement
dans les Maîtres chanteurs, où il tint avec succès le rôle de Beckmesser, a été
récemment atteint d'aliénation mentale et qu'il dû être transporté dans
l'asile de Bayreuth, par les soins et aux frais de M"" veuve "Wagner. •
— On vient de reprendre avec le plus grand succès, au Théâtre-Boyal
de Dresde, un opéra qui fait toujours partie, en Allemagne, du répertoire
courant, et dont pourtant nous sommes privés en France depuis plus long-
temps qu'il ne faudrait, le Jean de Paris de Boieldieu. Non seulement on a
donné à cet ouvrage une interprétation excellente qui réunit les noms de
MM. Riese (Jean de Paris), Nebuschka (le sénéchal), Eichberger (l'auber-
giste), de M"""' Frisdmann (la princesse de Navarre), Reuther (le page
Olivier) et Briining (la soubrette), mais on a fait des frais de mise en
scène, et l'on assure que le décor du jardin du second acte est un véri-
table enchantement. Toutefois, un écrivain allemand produit un singulier
anachronisme en avançant qu'on trouve dans la partition de Jean de Paris
des « réminiscences » de la Dame blanche. Le contraire seul pourrait
être vrai, puisque Jeai^ de Paris fut représenté eu 1812 et la Dame blanche,
en 182S.
— Il est question d'instituer à Vienne des concerts philharmoniques de
musique classique à la portée des petites bourses, destinés à vulgariser
les œuvres symphoniques des grands maîtres. Ce projet a pris naissance
à la suite du succès remporté par les séances de quatuors populaires
dont nous avons annoncé la récente fondation.
— Un de nos confrères italiens assure que M. Edouard Sonzogno, le
célèbre éditeur milanais, est entré en pourparlers à l'effet de louer pour
cinq ans le théâtre de la Pergola de Florence, l'un des plus fameux et
des plus importants de l'Italie, pour y donner chaque hiver une grande
saison lyrique.
— Il parait que le nouvel opéra que le jeune Pietro Mascagni, l'auteur
de Cavalleria rusticana, écrit sur un livret tiré de l'Ami Fritz de MM. Erck-
mann-Chatrian, s'appellera définitivement Sûsel. Ce livret a pour auteur
M. Nicolas Daspuro. C'est à Rome, au mois d'octobre prochain, que
l'ouvrage doit être représenté.
— Un journal de musique italien, Santa Cecilia, de Bologne, a publié,
dans un de ses derniers numéros, une Cantate à trois voix de Carlo Goprioli,
composition qui remonte à l'année 1660, c'est-à-dire à près de deux
siècles et demi.
— A Pesaro, ville natale de Rossini, on vient d'adjoindre au lycée mu-
sical, fondé à l'aide des libéralités testamentaires du vieux maitre, une
belle salle de concerts, dont l'inauguration a eu lieu tout récemment.
Cette salle, assez vaste pour contenir 2,000 auditeurs, est formée d'un
vaste parterre et d'une galerie. L'acoustique en paraît excellente. Dans la
séance d'inauguration, les élèves du lycée ont chanté le beau chœur de
Rossini, Caritâ.
— Au théâtre Pezzana, de Milan, première représentation d'un opéra
nouveau sur un vieux sujet, Clotilde d'Amalfi, paroles de M. CrisafuUi,
musique de M. Guardione, chanté par MM. Russomanno, Negrini et Ros-
sini et M'"= Carniello. La partition ne paraît avoir qu'une valeur très rela-
tive, et, malgré des applaudissements assez nourris, l'auteur n'a obtenu
qu'une douzaine de rappels, ce qui est bien peu pour qui connaît les cou-
tumes italiennes. — D'autre part, au théâtre Nuovo de Vérone, on a
donné aussi la première représentation d'un opéra en un acte, Eisa, pa-
roles et musique de M. G. A. Carraroli, qui a été l'objet d'un ^asco la-
mentable et qui ne méritait pas mieux. On avait pourtant entouré cette
solennité d'un luxe inusité. Pendant plusieurs jours d'énormes affiches,
placardées dans toutes les rues, annonçaient à l'avance l'événement; l'au-
teur avait, par provision, publié son livret bien avant la représentation;
enfin on disait de tous côtés merveille de l'œuvre nouvelle. Et voici qu'un
journal en parle en ces termes : « L'auteur s'est cru poète, et il a fait des
vers croyant faire un libretto ; il s'est cru compositeur, et il en a écrit la
musique; il s'est cru capable d'instrumenter celle-ci, et il l'a instrumentée.
*
LE MÉNESTREL
459
Il avait le courage mais non l'étoffe nécessaire à un tel travail, et il a
failli dans le livret, dans la musique et dans l'instrumentation, b Malgré
tout et en dépit du fâcheux résultat de sa première tentative, le maestro
Carraroli est prêt à prouver qu'il a le courage obstiné. On annonce, en
effet, qu'il s'est déjà remis à l'œuvre sur de nouveaux frais, et qu'il est
en train d'écrire un nouvel opéra, sous le titre de Sant Antonio .
— Encore une nouvelle d'un fait surprenant. M. Edison est arrivé à
Chicago, et a été invité par quelques membres de la commission de la
(c Grande foire du monde ». Il leur a dit qu'il avait l'intention d'établir,
pour l'époque de l'exposition, une heureuse combinaison de photographie et
d'électricité, combinaison qui permettra à un homme assis dans son salon,
de voir sur un rideau, représentés entièrement, les artistes chantant un
opéra dans un théâtre éloigné, et d'entendre en même temps les voix de
ces chanteurs. On verra aussi chaque mouvement du moindre muscle de
la figure du chanteur, chaque coup d'oeil, et chaque expression du visage ;
on distinguera jusqu'aux couleurs des costumes. M. Edison a ajouté
qu'avant peu on pourra appliquer ce système d'une façon extraordinaire,
à tel point qu'un spectateur pourra assister, de son fauteuil, aux assauts
et aux luttes qui se donnent dans les manèges. Il entendra les coups, le
bavardage de la foule, il verra la poussière qui se soulève en pareil cas
dans l'arène, etc. On voit que l'avenir du théâtre, avec un inventeur
comme M. Edison, nous ménage des surprises bizarres.
— Les Américains continuent de vouloir faire grand. On annonce qu'il
se forme ou qu'il essaie de se former, à New-York, une puissante société
dont le but est de réunir en une seule entreprise une quarantaine de
théâtres des États-Unis, auxquels, ceci restant encore insuffisant, on en
joindrait trois des plus importants d'Australie, un de Sidney, un de Mel-
bourne et un de Victoria. "Voilà qui ferait faire de rudes progrès à l'art !
PARIS ET DEPARTEMENTS
A l'Académie des Beaux- Arts, M. Gounod, au nom de la commission
mixte chargée du classement des candidats au fauteuil du prince Napo-
léon Bonaparte, a présenté en première ligne M. Larroumet, directeu r
des Beaux-Arts, en deuxième ligne M. Lafeuestre, critique d'art. L'Aca -
demie n'a ajouté aucun nom à la liste de la section. L'élection était fixée
à hier samedi. Le prix Trémont (composition musicale) est décerné à
l'unanimité à M. Poise, compositeur de musique.
— C'est dimanche dernier, à dix heures, qu'a eu lieu, au Conservatoire,
l'entrée en loges des jeunes artistes qui prennent part au concours d'essai
pour le prix de Rome de 1891. Ils sont sortis vendredi matin, et le juge-
ment a été rendu hier samedi, trop tard pour que nous puissions en pu-
blier les résultats. Pour le concours déEinitif, l'entrée en loge aura lieu le
samedi 23 mai à dix heures du matin, et la sortie le mercredi 17 juin, à
dix heures du soir. Audition des œuvres, au Conservatoire, le vendredi
26 juin, à midi. Le lendemain, à la même heure, jugement â l'Institut.
— Par arrêté en date du 13, le ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts a nommé M. Taskin professeur d'opéra-comique au Conser-
vatoire, en remplacement de M. Ponchard.
— Dans sa première séance, qui a eu lieu il y a quelques jours, la
nouvelle commission des auteurs et compositeurs dramatiques a constitué
son bureau de la façon suivante, pour l'exercice 1891-1892 : MM. Camille
Doucet, président; Victorien Sardou, Ludovic Halévy, François Goppée,
vice-présidents; Henry Bocage et de Gourcy, secrétaires.
— Rappelons que c'est jeudi prochain 21 mai, à une heure, qu'a lieu,
dans la grande salle du Conservatoire, l'assemblée générale de l'Associa-
tion des artistes musiciens. Lecture du rapport annuel, par M. Arthu r
Pougin, et élection de treize membres du comité.
— M. Sgambati, l'illustre compositeur italien, correspondant de l'Insti-
tut, a fait un court séjour à Paris, chez M"" la comtesse de Chambrun,
qui lui a offert l'hospitalité dans son hôtel de la rue Monsieur-le-Prince.
M. Sgambati, qui a assisté, en sa qualité de membre correspondant, à la
dernière séance de l'Académie des beaux-arts, est reparti ces jours derniers
pour Londres.
— On écrit de Marseille : « Le buste en marbre du compositeur Reyer ,
notre compatriote, vient d'être inauguré — comme nous l'avons annoncé
— dans le foyer du Grand-Théâtre, pendant une représentation de Sigurd .
L'auteur assistait au spectacle dans la loge municipale. Il a été vivement
acclamé pendant le dernier entr'acte et obligé de saluer ses admirateurs.
Le buste, magnifique morceau du sculpteur marseillais J.-B. Hughes, est
très ressemblanteta été offert par voie de souscription entre les dilettantes
et les artistes. »
— A l'Hippodrome, cette semaine, spectacle émouvant intercalé dans
la grande pantomime Néron: toute la piste transformée en une immense
cage de fer et, lâchés au milieu, des lions en liberté, qui n'ont jamais vu
autant d'espace devant eux depuis qu'on les a arrachés aux sables de leurs
déserts. C'est très émotionnant, surtout quand on pense qu'à l'une des
répétitions, leur dompteur a été déjà presque dévoré par l'une de ses bêtes,
qui l'aimait trop sans doute .... sous forme de beefteack. Il est clair
qu'un de ces prochains soirs le lion achèvera son repas si bien commenc é.
Attendons-nous à voir les Anglais si amateurs de ces émotions violentes,
affluer à l'Hippodrome. Sur cet intermède sauvage, M. Lalo a composé
une musique de fauves très réussie et qui ne dépare pas le reste de sa
décorative partition.
— Lohengrin poursuit à Bordeaux le cours de sa carrière triomphale. Par
suite d'une indisposition de M. Muratet, M. Engel a été appelé il y a quel-
ques jours à se produire, devant le public bordelais, dans le rôle de Lohen-
grin, qu'il avait établi à Genève d'une façon si remarquable. Il a obtenu
un succès retentissant.
— A Roubaix, dans l'église Saint-Jean-Baptiste, inauguration d'un
nouvel orgue de Cavaillé-Goll, merveilleux instrument dont M. Widor,
avec son grand talent, a su faire valoir toutes les ressources. L'exécution
de la cinquième symphonie pour orgue, de M. "Widor, a causé une véritable
émotion. De même M. Delsart, le violoncelliste éminent, a tenu sous le
charme toute l'assistance dans l'exécution d'un nocturne de Chopin et de
l'allégro du i" concerto de Hajndel.
— L'église do Merville, près Lille, vient d'être dotée d'un magnifique
orgue de Gavaillé-CoU. L'inauguration de cet instrument a donné lieu,
le 4 mai dernier, à une très belle fête musicale dont M. Gigout a fait tous
les frais et qui lui a valu un très beau succès. Disposé dans deux buffets,
à l'instar du grand orgue de Saint- Vincent-de-Paul, à Paris, cet orgue de
28 jeux sonne admirablement dans la vaste église de Merville.
— La Société académique des Enfants d'Apollon a célébré le jeudi 7 mai,
dans la salle Érard, le cent-cinquantième anniversaire de sa fondation, ce qui
n'est pas banal, disons mieux, ce qui est presque sans exemple. Au programme
de la fête figuraient des morceaux d'anciens membres delà Société : Grétry et
Auber. Les membres actuels qui ont pris part au concert étaient, comme
compositeurs et solistes : MM. Georges Papin, Hasselmans, Cottin frères.
Ed. Diet, Albert Cahen, de Saussine, Sighicelli. Le chancelier (le poète
Paul Collin), a prononcé le discours d'usage, dans lequel, avec beaucoup
d'à-propos, il s'est efforcé de montrer que non contente de vivre si long-
temps, la Société des Enfants d'Apollon, si glorieuse dans son passé, avait
répandu la vie autour d'elle, et qu'elle était assurément l'aïeule de tous
les concerts diurnes et notamment des concerts du Conservatoire. Il a fait
entre les deux Sociétés, vers l'époque où le Conservatoire naissait (1828),
des rapprochements très ingénieux qui ont vivement intéressé l'auditoire.
Ce discours survivra à la circonstance qui l'a fait naître, et les curieux
de l'histoire de l'art en France le consulteront avec plaisir et profit.
CONCERTS ET SOIRÉES
M. E.-M. Delaborde, un des maîtres de l'art du piano, vient de
donner un recilal extrêmement brillant. Il est permis de faire des réserves
sur l'interprétation de certaines œuvres par cet éminent artiste, mais on ne
peut qu'admirer sa puissante personnalité. La beauté de sa sonorité, la
hardiesse et la souplesse de sa technique, la jeunesse, l'élévation et l'au-
torité de son style portent d'autant plus sur l'auditeur, que la plupart de
nos modernes virtuoses ne nous habituent guère qu'aux qualités contraires.
Raffinement et mièvrerie, voilà ce qu'ils inscrivent sur leur drapeau.
Certes il y a parfois, dans le jeu viril à l'excès de M. Delaborde, quelque
chose d'abrupt et d'imprévu. Mais alors même il intéresse : ce n'est pas
à une mesquine préoccupation de virtuose qu'il obéit, mais à l'emporte-
ment de son tempérament. Exagération peut-être, petitesse jamais ! Son
programme, très long et fatigant, comprenait l'ouverture de Tannhdmer
et la Marche de Rakoczy, arrangées par Liszt, les Variations symphoniques, de
Schumann, le chœur des Derviches tourneurs, de Beethoven-Saint-Saëns, la
Danse des Scythes, de Gluek-Alkan, la deuxième Valse-caprice, d'après
Strauss, de M. I. Philipp, deux courtes pièces, Idylle et étude, de M. G.
Pfeiffer, et finalement un Morceau romantique pour piano et cordes signé
Delaborde. Cette œuvre est fort intéressante, très vigoureuse et colorée.
Elle a été vivement applaudie et fort appréciée. M. Ed. Nadaud, qui
avait dirigé le double quatuor, s'est fait entendre seul dans deux pièces
de MM. Lalo et Papini, qu'il a su rendre avec une rare élégance de
mécanisme et de style. I- Ph.
— Jeudi dernier, salle Pleyel, très brillant récital d'œuvres modernes,
donné par M'"» Roger-Miclos. M. Casella a chanté très purement sur le
violoncelle une Élégie de M. Fauré et enlevé avec une vélocité de violo-
niste la Mazurka de Popper. MM. Thomé et Pierné ont joué à deux pianos
avec M™= Roger-Miclos. Au cours de Cette intéressante séance, l'éminente
pianiste a su faire apprécier son talent dans des morceaux de caractères
variés, parmi lesquels on a goûté particulièrement VHtjmne et la Fantaisie
de M. Benjamin Godard.
— M. Alexandre Guilmant, qu'on n'avait pas entendu l'an dernier, a été
l'objet d'une ovation de la part du public d'élite qui se pressait jeudi
dernier dans la salle du Trocadéro pour son premier concert. On a beau-
coup applaudi aussi M"" Marcella Pregr, dont la voix a beaucoup de
charme, M. Herwegh, quia joué dans la perfection nne aria de Bach,
et M. Auguez, qui a dû recommencer la romance de l'Étoile, de Wagner.
L'orchestre, notablement augmenté et dirigé par M. Ed. Colonne, a eu sa
bonne part de succès dans l'exécution d'une marche funèbre de M. Guil-
mant, un prélude choral de M. Gh. Letebvre, et, comme toujours, des
œuvres de Bach et de Hœndel. Le 2= concert aura lieu le jeudi 21 mai,
avec le concours de M"'^ Fanny Lépine.
160
LE MÉNESTREL
— Trois œuvres importantes étaient inscrites au programme de la der-
nière séanie de musique de chambre de MM. Geloso et Uressen , qui a
eu lieu salle Pleyel, devant une brillante assistance. On a chaleureuse-
ment accueilli le trio pour piano, violon et violoncelle de M. E. Bernard,
œuvre fort intéressante, interprétée d'une façon extrêmement remarquable
par MM. I. Philipp, Geloso et Dressen, une sonate de Schuraann, jouée
avec une grande précision d'ensemble par MM. Geloso frères, et finale-
ment le quintette pour piano et cordes de M. Camille Ghevillard, dont on
a particulièrement apprécié les deux premières parties, tout à fait
réussies. M"" Collier a fait applaudir diverses mélodies de M. René Le-
normand,
— Grand succès pour la troisième et dernière séance de musique de
chambre donnée par le quatuor Guarnieri-Lespine-Fernand Pélat-Huck,
qui interprétait différentes œuvres de Beethoven pour instruments à
cordes, tentative musicale qui n'avait pas encore eu lieu à Paris et qui
fait le plus grand honneur à ces jeunes artistes.
— Mercredi dernier, très belle soirée musicale chez M™ Rosine Laborde,
avec le concours de M"'"^ Ferrari, Victor Roger et de MM. Ch. Dancla,
J. Rameau, Cornubert, de Riva Berni et Plan. M. Diémer a accompagné
deux mélodies de lui, très finement écrites, qui ont été chantées, après
l'Extase de Rubinstein, par M"= Horteloup. On a beaucoup applaudi plu-
sieurs morceaux de MM. A. Thomas, Paladilhe. Faure, Lalo, Lacome...
chantés par M'"'* de la Blanchetais, Ledant, Mangé, M™ de Marcilly-
Sax et MM. Cornubert et Plan. Un arrangement vocal de la Chanson du
Printemps de Mendelssohn a été gracieusement chanté par M"= Vassalio.
Trois petites pièces pour violon et piano, exécutées par l'auteur, M. Ch.
Dancla, ont eu leur première audition dans cette charmante soirée.
Am. B.
— M. Magdanel, un violoncelliste-virtuose de grand talent, vient de
donner, salle Pleyel, un concert intéressant, au cours duquel il a fait
entendre avec succès le beau concerto en la mineur de M. Saint-Saëns
et plusieurs pièces de Boccherini, de Chopin et de Davidoff. M"e Lépine
a dit d'une façon délicieuse ddux mélodies de Haendel et de Schubert, et
M. I. Philipp, assisté de M. A. Reitlinger, a fait entendre à deux pianos
de charmants fragments de Conte d'avril (romance, sérénade, guitare et
adagietto), de M. Widor, fragments que l'on aurait volontiers réentendus.
— Soirées et Concerts. — Dimanche 10 mai, très intéressante matinée d'élèves
de M"° Félicienne Jarrj, présidée par M. Th. Lack, et consacrée à raudition des
œuvres de ce maîire. On a particulièrement applaudi l'a/sc rapide, le Chant du
ruîsseaii, les Néréides, Premier solo de concours, Tzigany, Chant d'avril et Coppélia, à
deux pianos, qui a été bissé par la salle entière. Parmi les élèves qui se sont dis-
tinguées d'une façon remarquable, cilons M"" Angélina et Amélie A'.'kermann,
Vivier, Drouillard, et aussi une charmante fillette de huit ans, W" MuUer, qui a
joué avec une intelligence et un goût parfaits. A la seconde partie, M""F. Jarry,
qui est en même temps douée d'une très jolie voix de mezzo-soprano, s'est fait
chaleureusement applaudir, ainsi que M. Lopez, qui prêtait son concours. —
Dimanche dernier, affluence plus grande que jamais à l'audition des élèves de
M""etM"°Steiger. Toujours le même succès pour l'enseignement de ces excellents
professeurs. — L'école classique de la rue Charras donnait, mardi 5 mai, dans sa
salle d'auditions, une brillante soirée, à laquelle assistait un public nombreux et
choisi. Ont été remarqués et chaleureusement applaudis les élèves de MM. Marcel
et Genevois, professeurs de chant, de M"" Collin et de M. Chavaguat, profes-
seurs de piano, de MM. Chautard et Sadi-Pety, professeurs de déclamation.
Cette audition assure de nouveaux succès é cette entreprise artistique. — L'exer-
cice musical donné dimanche par M"» Batiste a obtenu un très grand
succès. Dans le programme, une très large part avait été faite aux œuvres du
regretté Léo Delibes, qui ont été interprétées d'une façon parfaite par les élèves
de l'éminent professeur. Les pi::.i<:ati de Sylvia, à 6 mains, transcription de J.-A.
AnscUutz, le « Souvenir loinlain », « l'Escarpolette », de Sylvia: le « Passepied »,
du Roi s'amuse; l'entr'acte de la « Cnaise à porteurs », du lioi l'a dit, ont été
joués par des élèfes qui sont déjà de vrais artistes. Le chœur des « Vendan-
geurs », de Jean de Nivelle, et les Nyinjihes des bois ont été acclamés. Les ado-
rables mélodies « Bonjour, Suzon », <t Pourquoi? », de Lakme; •■ On croit à tout »
et a II est jeune ». de Jean de Nivelle: la sérénade de fiuy IJIas, ont été dites avec
un sentiment exquis par des voix ravissantes. En dehors de ces œuvres, il faut
mentionner aussi le succès obtenu par la transcription de Wachs sur la valse
du Petit Fausl, une fdutaisie pour piano sur Lackntê, Chèvrefeuille de Spindler, la
transcription de Streabbog sur /es Oiseaux /ei/er.s, la jolie mélodie Je n'ose, de TagUa-
fico, et les couplets du Caid. L'intermède a été des plus réussis : M"" Morel, dans
l'air du Caïd, et M""^ Ilausmann, dans J'en mourrai, de M°"' Viardot, ont soulevé
des applaudissements sans fin. Enfin, deux monologuistes, MM. André Hérisé et
Paul Garbagni, ont été charmants et très amusants. — M"° Emile Herman a
donné une très intéressante audition d'élèves, parmi lesquelles plusieurs jouent
du piano d'une façon supérieure; à signaler les interprétations de Alla Picciola,
de M. Chavagoat, de l'Oiseau messager, de M. Fr. Behr, de Chant d'avril, de
M. Th. Lack; de la Gavotte et de la Légende slave, de M. Bourgault-Ducoudray.
M. Tedeschi, qui prêtait son concours à cette matinée, a eu un gros succès avec
les Gouttes de rosée, de M. F. Godefroid. — M"° Mariette Soubre a donné, avec
un plein succès, une matinée de chant d'ensemble, à la salle Uerz; le grand trio
d'HamIet et le finale du Caid ont été les clous du programme. — L'excellente
violoniste M"" Thérèse Castellan s'est fait vivement applaudir au concert qu'elle
a donné, cette semaine, salle Érard. .\ côté de la protagoniste, on a fait tête
aussi à M"° Veyssier, qui a très bien chanté l'air deLakmé; a M"" Taine, qui a
joué sur l'orgue-célesta, le « Passepied .■, du Roi s'amuse, et, avec M. Léon Dela-
forgCjles nouvelles transcriptions à deux pianos de M. Ch. Widor sur Co/)/e d'avril.
Romance et Marche nuptiale; enfin, à M. Talamo, dont l'exquise mandoline a
parfaitement détaillé les pizzicali de Sylvia .
Concerts .\snoncés. — Mardi 19 mai, à 2 heures, salle Érard, audition d'œuvres
classiques et modernes, par les élèves de la classe de piano de M. Louis Diémer,
professeur au Conservatoire. — M"" A. Magnien, violoniste, annonce son concert
pour le mardi 19 mai, avec le concours de M""- Alice Gogaault et L. Steiger et de
M. Rondeau.
— On nous écrit de Nantes : « Le concert donné le 29 avril par M"' An"
gèle Maréchal, dans la salle du Cercle catholique, a été très brillant.
M"' Maréchal a délicieusement chanté l'air, si difficile à phraser, des
Bijoux de Fausl, et avec M. Cox le joli duo ColineUe ; son succès a été très
grand. Dans un ravissant opéra-comique de M. Weckerlin, la Lailière de Tria-
nan, M"' Maréchal s'est révélée comédienne parfaite, sachant allier la dis-
tinction au naturel. Les vocalises dont le rôle est émaillé ont été enlevées
par elle avec une véritable maestria. M. Bianconi, qui lui donnait la ré-
pliqne, a remporté un vif succès dans l'air des Pages et dans une char-
mante brunette chantée dans la coulisse. •
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un homme fort distingué,
M. Eugène Ortolan, qui offrait le spectacle assez rare d'une carrière par-
tagée entre le droit, la diplomatie et la musique. Et il ne faudrait pas
croire que l'artiste fût au-dessous du jurisconsulte ou du fonctionnaire,
et que ses études sous ce rapport eussent été frivoles ou incomplètes,
celles en un mot d'un amateur plus ou moins distingué. Non, tout eu
faisant ses études très sérieuses de droit. Ortolan, qui était né à Paris le
jor avril 1824, avait suivi, au Conservatoire, les cours de composition de
Berton et d'Halévy, et cela avec tant d'ardeur et de succès, qu'au concours
de 1843 il avait obtenu à l'Institut le second grand prix de Rome ; encore
est-il utile de remarquer qu'en cette année le premier prix ne fut point
décerné. Cela n'empêcha pas Ortolan de passer son doctorat en droit, et
tandis qu'il entrait au ministère des affaires étrangères, où sa connais-
sance de la matière et son amour de l'art lui permirent de se rendre utile
d'une façon toute particulière, en participant d'une façon très heureuse
aux travaux relatifs à la reconnaissance et à la protection de la propriété
littéraire et à l'étranger, tandis qu'il publiait un Traité du droit de souve-
raineté territoriale et de l'équilibre politique, il se livrait avec activité à la com-
position et n'abandonnait pas ses désirs et ses appétits artistiques. C'est
ainsi qu'il fît représenter au Théâtre-Lyrique, le 10 avril 183S, un opéra-
comique en deux actes intitulé Lisette, et le 27 juillet 1857, aux Bouffes-
Parisiens, la Momie de Roscoco, opérette en un acte ; c'est ainsi encore qu'il
fit exécuter à Versailles, le 26 avril 1867, sous le titre de Tobie, un oratorio
dont il devait le poème à Léon Halévy, le frère de son ancien maître. Il
écrivit dans le même temps, sur un poème d'Octave Feuillet et de M.Jules
Barbier, un opéra-comique en un acte, l'Urne, dont on a parlé longtemps
et qui pourtant n'a pas été représenté jusqu'à ce jour. Enfin on lui doit
encore plusieurs morceaux symphoniques et un certain nombre de mé-
lodies vocales d'un joli tour et d'un heureux caractère. Fils du célèbre
jurisconsulte dont il porta le nom d'une façon particulièrement honorable,
Eugène Ortolan avait le titre de ministre plénipotentiaire et était officier
de la Légion d'honneur. C'est à Paris qu'il est mort lundi dernier, laissant
à tous ceux qui l'ont connu le souvenir d'un galant homme et d'un esprit
fort distingué. Arthur Pougin.
— De Milan, qu'il habitait depuis de longues années, on annonce, à la
date du 3 mai, la mort d'un artiste distingué, Antonio Buzzi, auteur
d'une douzaine d'ouvrages dramatiques dont un seul toutefois, un drame
lyrique intitulé Saûl, obtint un véritable succès. Buzzi était, en '1840,
directeur du théâtre italien de Valence (Espagne), et c'est là, croyons-
nous, qu'il fit représenter son premier ouvrage, la Lega Lombarda. De
retour en Italie dès l'année suivante, il donnait à Rome, en 1842, un .'
opéra intitulé Bianca Capello, qui ne réussit pas ; au contraire, son Saiil, l
produit au théâtre communal de Ferrare en 184'3, obtint un très grand succès 8
non seulement en cette ville, maisaussi à Parme, à Rome, à Trieste, à Mi- '
lan et ailleurs. Il donna ensuite à la Scala, de Milan, en 1833, il Convito
di Daldassare, opéra sérieux qui, bien que chanté par la Novello et la
Brambilla, par Carrion, Guicciardi et Brémont, ne plut que médiocre-
ment; puis, successivement, Ermengarda - (Tnesle, 1834), Editla di Kent
(Venise, 1835), Sordello (Scala de Milan, 1S36), dont le livret lui avait été
fourni par son confrère Temistocle Solera, et qui avait pour interprètes
la Bassegio, la Brambilla, Giuglini et Didot, ce qui n'augmenta pas son
succès, rindovina (Plaisance, 1862), et enfin Gusmano di Médina. On doit
aussi à Buzzi la musique de deux ballets, Benvenulo Cellini et l'Isola degli
Aniori. Biizzi s'était depuis longtemps fixé à Milan, où lise livrait à l'en-
seignement du chant, pour lequel il était très renommé.
Henri Heugel, directeur-gérant.
____^_^_____^ r
A "VENDRE de suite, iws de porte de marchand de musique et ins- J
truments, maison fondée en 1856, net : 7,00Ù francs (avec facilité), les
marchandises comprises. Eue. Mathieu, 30, rue Bonaparte, Paris.
20,
GKBE, J
3138 - S7™ ANNÉE - N» 21. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
Dimanche U M 1891.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri fiEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrei, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province- — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (10' article), ÀLBiinT Soubies et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral : Reprise du Pelit Faust, a. la Porte-Saint-
Martin, II. MoRENO; le Cœur de Sita, à l'Eden, Paul-Emile Chevalier. —
III. La musique et le théâtre au Salon des Champs-Elysées (2' article), Camille
Le Senne. — IV. Napoléon dilettante (9' article), Edmond Neukosim et P.aui,
d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
AUTREFOIS
musette (I'Antonin Marmontel. — Suivra immédiatement : Battons le fer,
nouvelle polka de Philippe F.ahrbach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Berceuse, nouvelle mélodie de Balthasar-Florence, poésie de Ch.
FusTER. — Suivra immédiatement: la Captive, mélodie posthume de Ch.-B.
Lysberg.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAYART
Allbert SOUBIES et Cliar-les MA-LHERBBî
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
aETODR DE FORTUNE : Lalla-Roukh et la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-1864.
(Suite.)
Aussi, l'année 1862 aurait-elle pu compter parmi les années
heureuses de la salle Favart, sans une perte qui fut grande
pour elle, grande aussi pour le monde musical : Halévy était
mort à Nice le 17 mars 1862, emporté par une maladie de
langueur qui le minait depuis longtemps et dont on trouverait
la cause dans l'excès même de son travail. Il est de mode
aujourd'hui, dans certaines écoles, de traiter avec quelque
dédain l'auteur de tant d'ouvrages populaires. On lui concède
une habileté vulgaire ; on lui conteste l'invention; cet homme
qui se vantait de n' « écrire qu'avec son cœur », on lui
dénie presque toute émotion ; un peu plus, on soutiendrait
qu'il faisait de la fausse monnaie musicale I Et pourtant, la
Juive avait précédé d'un an les Huguenots; il était donc l'émule
et non point l'imitateur servile de Meyerbeer. Gomme le disait
Ambroise Thomas sur sa tombe, « Halévy eut ce rare privi-
lège de réunir en lui seul plusieurs hommes éminents.
Compositeur illustre, maître dans son art, il fut en même
temps écrivain supérieur, orateur ingéuieux, causeur spiri-
tuel et brillant. » Sainte-Beuve songeait à le faire entrer à
l'Académie française, au même titre que pourraient y être
reçus aujourd'hui un Ernest Reyer ou un Guillaume ; il
excellait en plusieurs genres, et il avait eu la gloire de donner
à la salle Favart des ouvrages comme FEclair, le Val d'Andorre,
tes Mousquetaires de la Reine, qui comptent parmi les plus cé-
lèbres de son répertoire. Aussi put-on écrire que ses funé-
railles avaient eu la « majesté d'un deuil public.» Une foule
immense l'accompagna de l'Institut, où il demeurait, en qua-
lité de secrétaire perpétuel, au cimetière Montmartre, où il
repose désormais. Des fragments de ses œuvres, orchestrées
par M. Jonas pour musique militaire, étaient exécutés sur tout
le parcours par les musiques de la gendarmerie impériale et
de la garde de Paris. Devant la tombe s'était réunie une
troupe de deux cents chanteurs appartenant au Conservatoire
et aux principaux théâtres de Paris, et où figuraient, à côté
de simples choristes, des ténors comme Roger, Crueymard,
Montaubry, Michot. Sous la direction de Tilmant, chef d'or-
chestre de rOpéra-Comique, ils exécutèrent une paraphrase
du De profundis, dont les vers étaient dus à M. Joseph Cohen,
ancien directeur de la Presse.
Les quatre strophes formaient chacune un chœur sans
accompagnement, et avaient été mises en musique, la pre-
mière par Jules Cohen, la seconde par Bazin, la troi-
sième par Victor Massé et la quatrième par Gh. Gounod. Au
cimetière enfin, huit personnes prirent la parole : Couder,
au nom de l'Institut; le colonel Cerfbeer, au nom du Consis-
toire Israélite; Edouard Monnais, au nom du Conservatoire;
Ambroise Thomas, au nom de la Société des auteurs; le ba-
ron Tayior, au nom de la Société des artistes dramatiques ;
E. Perrin, au nom de l'Opéra-Comique ; de Saint-Georges,
comme son ami et collaborateur; Ulmann, comme grand
rabbin de France. Un neuvième discours eût pu être prononcé
au nom de ses anciens élèves, car il en avait formé un grand
nombre, dont quelques-uns sont devenus illustres. Pendant
vingt-cinq ans, il avait enseigné la composition au Conser-
vatoire, et, dans ce quart de siècle, sa classe avait obtenu
douze fois le grand prix de Rome avec E. Boulanger (1835),
Ch. Gounod (1839), Bazin (1840), Roger (1842), Victor Massé
(1844), Gastinel (1846), Deffès (1847), Galibert (1853), Bizet
(1857), Samuel David (1858), Ernest Guiraud (1859), Paladilhe
(1860).
De tous ces auteurs un seul, M. Defîès, devait être joué en
l'année 1863, laquelle ne brille d'ailleurs ni par la quantité
ni par le succès sinon la qualité des ouvrages nouveaux.
Quatre seulement furent donnés : V Illustre Gaspard, un acte
162
LE MENESTREL
(il février) — 12 représentations; la Déesse et le Berger, deux
actes (21 février) — 17 représentations; Bataille d'Amour, trois
actes (13 avril) — 4 représentations ; les Bourguignonnes, un
acte (16 juillet), — 44 représentations en quatre ans. Plus, une
ancienne pièce, les Amours du Diable, transplantée du Théâtre-
Lyrique à la salle Favart.
Le H février eut lieu la première représentation de l'Il-
lustre Gatipard, ancien vaudeville de Duvert et Lausanne, arrangé
par les auteurs et mis en musique par Eugène Prévost. Un
gentilhomme décavé, prenant, sans se méfier, le nom d'un
voleur de grand chemin, Gaspard de Besse, et inspirant la
terreur quand il voudrait exciter la pitié d'un vieux noble et
toucher le cœur de sa nièce, jusqu'au moment où la vérité
se découvre pour le bien des deux amoureux, c'était là ma-
tière à quipioquos, et Arnal aurait pu jouer la pièce aussi
bien que Couderc. L'histoire du compositeur était plus triste
que celle des librettistes. Elève de Lesueur, prix de Rome
en 1831, juste un an avant Ambroise Thomas, Eugène Prévost
avait donné presque immédiatement deux petites pièces mu-
sicales... à l'Ambigu, l'Hôtel des Princes, un acte (avril 1831),
le Grenadier de Wagram, un acte (mai 1831), et puis encore
trois petits actes à l'Opéra-Comique Cosimo (13 octobre 1835),
les Pontons de Cadia: (novembre 1836), le Bon Garçon (septembre
1837), et il reparaissait à ce dernier théâtre en 1863, c'est-à-
dire vingt-un ans plus tard! On pouvait l'accuser de paresse
ou de malchance, mais non d'indiscrétion. La vérité est
que dans l'intervalle, il s'était fait chef d'orchestre à la
Nouvelle-Orléans. 11 travailla là-bas , entassant opéras sur
opéras jusqu'au jour oîi la guerre de sécession le ruina
d'abord et le força de s'exiler ensuite. Revenu à Paris, il di-
rigea l'orchestre des Bouffes-Parisiens en 1863 et celui du
concert des Champs-Elysées en 1864. Quand l'Illustre Gaspard
disparut, on peut dire que Prévost disparut avec lui. Dès
l'année 1867 il devait repartir pour la Nouvelle-Orléans, où
il mourut en 1872, en effet, victime d'un de ces drames de
la misère, comme il s'en joue tant, hélas I dans la vie des
artistes.
La fortune a de ces rigueurs. Qui, d'avance, aurait pu pré-
dire, par exemple, l'échec de la Déesse et le Berger, appelée
d'abord Ariane, puis l'Age d'or. Du Locle était un élégant
poète, Duprato un musicien qui avait fait ses preuves; la pièce
sortait de l'ornière bourgeoise de l'ancien opéra-comique ;
elle s'animait au souffle d'une mythologie un peu fantaisiste,
mais spirituelle et gracieuse. La déesse, en effet, est la simple
fille d'un prêtre de Bacchus, proche parent de certain
brahmine entrevu déjà en 18S9, à l'Opéra-Comique, dans la
Pagode, de Fauconier. Ce Polémon ressemble à un vil
exploiteur, et Maïa n'est là que pour attirer les hommages
elles offrandes dans son temple, c'est-à-dire dans sa boutique.
Les amours de la jeune fille avec le berger Batylle, qu'à la
fin Bacchus lui-même reconnaît pour son fils, forment le
sujet de cette idylle tout entière écrite en vers harmonieux,
délicatement soupires par Capoul et M"" Baretti. La partition
se recommandait par des qualités peu communes, et pour-
tant dès l'abord elle ne trouva pas d'éditeur. A qui venait la
demander, les marchands répondaient : « Elle n'a pas paru ! »
et, les jours succédant aux jours: « Elle ne paraîtra pas! »
Cette réponse ayant été faite, un matin, à une dame qui
se montrait désolée de n'avoir pas la musique réclamée,
« M. Duprato, dit-elle, consentirait-il à me vendre la propriété
de son manuscrit? » « Ma foi, lui fut-il répondu, je crois
que cette proposition ne pourrait que lui être agréable, et
que, moyennant mille écus... » « Mille écus, s'écria la dame,
ce ne serait pas assez. Veuillez faire savoir à M. Duprato que
je lui en offre six mille francs! » Le soir même, le marché
était conclu, et ce fut elle qui fit graver la partition, revenue
depuis, mais longtemps après, entre les mains d'un éditeur.
Chose curieuse! la dame n'avait dû faire qu'une bonne action,
elle fit peut être une bonne affaire, car, si l'ouvrage n'avait
pas réussi au théâtre, bien des morceaux détachés réussirent
dans les salons, et l'on connaît même encore aujourd'hui
l'ouverture, avec son motif à cinq temps qui ne manque pas
d'originalité.
' On peut rapprocher ce fait d'un autre analogue, qu'enre-
gistra la Mevue et Gazette musicale de 1860 : « Le Théâtre-Lyri-
que vient de recevoir l'avis qu'une personne inconnue teiiait
à sa disposition 50,000 francs pour aider le directeur à mon-
ter dignement les Troyens, d'Hector Berlioz, qui doivent inau-
gurer la nouvelle salle. » Or, les Troyens furent donnés le 4
novembre 1863, dans cette année où précisément un autre
compositeur incompris voyait s'ouvrir pour lui la bourse
d'un amateur généreux. Etait-ce une annonce fallacieuse
qu'un mauvais plaisant lançait dans la presse pour discré-
diter Berlioz? M. Garvalho toucha-t-il réellement cette prime
inattendue ? Aucun biographe de Berlioz ne fait allusion
à l'aventure; il est regrettable que ce point obscur n'ait pu
être éclairci.
(A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
LE . PETIT FAUST » A LA PORTE-SAINT-MARTIN
C'est l'un des types les plus purs de l'opérette bouffe, comme on
la composait sous le second empire, que ce Petit Faust de M.Hervé.
Aujourd'hui, on ne nous fait plus guère que de l'opérette triste, avec
toutes sortes de prétentions et de grandes manières. Les petits
maestrinos du genre, fort imbus de leur mince personne, visent
tous plus ou moins à prendre la suite des aiTaires de M. Auber, ee
qui n'est pas si aisé qu'ils le supposent- Au bon temps de l'opé-
rette, ni Ofifenbacli, ni Hervé n'avaient de visées aussi ambitieuses;
ils écrivaient de la musique gaie, à la bonne franquette, et comme
elle leur venait. C'est peut-être pour cela, qu'après plus de vingt ans
on écoute encore avec plaisir leurs amusantes et spirituelles fan-
taisies. Que reslera-t-il, dans quelques années, du répertoire maus-
sade et guindé qui encombre à présent nos scènes de genre?
Le Petit Faust date de 1869, et il a gardé toute sa verdeur. Non
seulement il y a là de la franche gaîté, et une exubérance de rire
tout à fait réjouissante, mais on y trouve, par moments, un véritable
savoir de musicien caché avec soin sous les fleurs les plus folles
et les plus dévergondées qui se puissent imaginer. H y a bien de
la grâce dans l'air d'entrée de Marguerite, bien du charme et de la
mélancolie dans le lied fameux des « quatre saisons », qui pointe
comme une rose d'automne au milieu de tout ce bouquet aux couleurs
éclatantes. Le rondo de Méphisto sonne comme un appel de fanfare;
la valse est capricieuse et molle, comme une valse allemande. Les
pastiches du grand Faust restent habiles, sans tomber jamais dans
une charge trop grossière. Les ensembles, les chœurs, si bien servis
par les masses de bonnes voix que le directeur a mises à la disposition
du compositeur, sont traités, dans leur folie même, avec une" finesse
de touche remarquable. Enfin, c'est de la musique, et cependant ce
n'est jamais ennuyeux, pas plus que le livret de MM. Hector
Crémieux et Jaime, qui n'a d'autre but que celui de nous amuser.
Voilà ce que nos petits faiseurs du jour feront bien de méditer.
M. Duquesnel a habillé cette reprise de très élégante façon; il y
a même introduit un fort joli ballet, le ballet des Marguerites,
d'un gracieux effet. Enfin il a confié l'interprétation à des divettes
réputées, comme M"" Jeanne Granier et M"« Samé. Autrefois c'étaient
l'opulente Blanche d'Antigny, qui avait tant de naturelle gaîté, et
Van Ghel à son aurore, qui chantait de si admirable façon l'idylle
des «quatre saisons a. Jeanne Granier a plus d'art et plus d'esprit que
Blanche d'Antigny dans le rôle de Marguerite, et M"^ Samé met
plus de prétention artistique que Van Ghel à l'interprétation de celui
de Méphisto. Bien charmante d'ailleurs, M"= Samé, sous le rouge
maillot du malin petit diable ! Valentin, ce n'est plus l'extraordi-
naire Milher ; c'est Sulbac, qui, comme la plupart des artistes de
cafés-concerts, sait joindre l'art du clown à celui delà farce drama-
tique: il a une manière à lui de rendre le dernier soupir au moj^en
d'un saut de carpe, qui n'était pas à la portée des grands comiques
de l'ancien temps. M. Gooper lient le rôle de Faust. C'était Hervé
qui le tenait lors de la création, avec une humour et un flegme
britannique bien plaisants. Mais Cooper ne lui est certainement pas
inférieur. 11 a été exquis tout simplement de finesse et de juste
mesure dans la charge ; il chante sans voix, mais avec un goût par-
LE MENESTREL
163
fait. Son succès a été très grand et très légitime. N'oublions pas une
nouvelle venue, dans un tout petit personnage, celui de Lisette, et
qui pourrait bien être l'étoile qui brillera demain au firmament de
l'opérette. M"« Cassive, c'est son nom, réunit en effet bien des qua-
lités. Elle est fort jolie, pas maladroite comédienne, et possède une
vois ronde, fraîche et bien timbrée qui fait grand plaisir à enten-
dre. Cassive, retenons ce nom.
Voilà donc le Petit Faust bien lancé, et les représentations s'en
annoncent très fructueuses.
H. MORENO.
Eden-Théatbe. — Le Cœur de Sita, légende hindoue, ballet en trois
actes et huit tableaux avec chœurs et soli, de M. Barrigue de Fon-
tainieu, musique de M. Charles de Sivry.
Après mille et mille péripéties, le Cœur de Sita a fini par s'entr'ou-
vrir, permettant aux amateurs de charades mimées d'essayer d'y
lire, ou mieux, d'y deviner tout ee qu'ils pourraient. Je me hâte de
dire que ce tout, pour votre pauvre serviteur, se serait borné sim-
plement à rien, si l'administration prévoyante de l'Eden n'avait pris
soin, — sans doute pour le dédommager d'un très mauvais service, —
de le gratifier d'un petit programme explicatif, que d'aucuns, irré-
vérencieux de leur nature, dénomment volontiers guide-âne. Armé
de mon précieux et indispensable libretto et charitable pour les fu-
turs spectateurs du nouveau ballet, je vous dirai que l'action se
passe au XVP siècle à Delhi, lors de la conquête mongole. (Pour
plus amples détails historiques, voir les auteurs spéciaux.) J'ajou-
terai que le cœur en question est celui d'une jeune Hindoue, Sita,
qui appartient à un certain Irâman et que le khalife vainqueur,
Baber, voudrait s'approprier. Sita lutte longtemps, mais elle apprend
la mort du bien-aimé, et comme elle voit que le chef mongol va
forcément demeurer maître de la situation, elle transperce d'un fer
homicide ce cœur tant convoité qui, dans cet état lamentable, ne
se trouve plus avoir qu'une très mince valeur même aux yeux des
mortels les plus férus d'amour.
Vous voyez combien noble est le sujet ; la musique l'est égale-
ment. Et je me demande comment il en pourrait bien être autre-
ment alors que le livret est signé de M. Barrigue de Fontainieu, la
musique de M. Charles de Sivry... et les billets de M. de Bastia !
M. de Sivry a rempli sa tâche en musicien; sa partition, si elle ne
contient pas de pages transcendantes, reste toujours très au-dessus
des productions similaires qu'on nous importait d'Italie. Les chœurs
et les soli, confiés aux voix agréables de M"" Lavigne et de M. Ron-
deau, sont d'un effet souvent très heureux. C'est M"= Striscino qui est
l'héroïne et l'étoile de cette légende hindoue et, sans avoir la lé-
gèreté d'une Cornalba, la mimique d'une Brianza, la grâce d'une
Carmen, ses devancières sur cette même scène, elle attire . cepen-
dant, grâce à ses pointes et au mouvement qu'elle se donne,
l'attention du public.
Paul-Emile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Deuxième article.}
' Les Tentations de saint Antoine font partie du menu annuel du
Salon da Palais de l'Industrie, et, le plus souvent, elles nous sont
servies en triple ou quadruple exemplaire. Cette année, la propor-
tion est modeste : les épreuves du saint qu'assiégèrent dans sa cel-
lule toutes les « blondes grasses » destinées à faire plus tard les
délices des écrivains réalistes n'ont inspiré que deux peintres, dont
Je maître Fantin-Latour, qui continue à faire du Poussin, peut-être
plus Poussin que nature, et M. Bourgonnier, dessinateur de nu,
dont l'idéal est visiblement moins élevé. De Fantin-Latour égale-
ment des « Danses au crépuscule », groupe de bacchantes aux dra-
peries engrisaillées, aux contours indécis, réveillant — avec discré-
tion — les nocturnes échos de quelque bois sacré. M. Lecomte de
Nouy a peint un dernier acte de drame lyrico-mythologique : « le
Dieu et la Mortelle », un Jupiter pas très divin, mais d'une corpu-
lence de baryton de grand théâtre, appelant à lui une jeune et
jolie païenne, qui paraît très flattée de cette naturalisation dans
l'Olympe. Toujours le faire un peu sec, le modelé de figurines en
J)uis soigneusement vernissé, et la science archaïque très réelle du
peintre de tant de scènes antiques. A signaler encore la Sapho de
M. Perraud, inspirée par des strophes d'Emile Augier, le « Dormoir
de la Sirène u de M. Albert Maignan, fantaisie décorative, tableau
de féerie sous-marine, où ne font défaut ni les nacres aux reflets
chatoyants ni un talent très personnel.
M. Jean Aubert s'est fait une spécialité des Cupidons grassouil-
lets, genre Hamon mâtiné de Diaz, et des jeunes femmes en tunique
lilas. Tantôt, — et c'était peut-être l'année dernière, — les jeunes
femmes aussi poétiquement costumées surprennent les Amours sans
costume et les mettent en pénitence; tantôt, — et c'est le sujet du
tableau de 1891, — elles se laissent surprendre par les Amours, qui
les réduisent en servage. Autre Cupidon, celui-là isolé et d'un cu-
rieux aspect décoratif, « l'Amour mouillé » de M. Bouguereau, et
aussi une idylle, oii l'on retrouve le faire impeccable, la rigueur de
dessin du maître, avec ce charme subi par ceux-là mêmes qui en
contestent les causes et la portée : les « Premiers bijoux »; elle,
une blonde assise dans un verger de l'époque virgilienne, en simple
et souple tunique de bergerette; lui, un brun, vêtu d'une peau de
bête et crépu comme l'étaient déjà les modèles italiens deux mille
ans avant de quitter la campagne romaine pour la place Linné. Elle
a demandé des boucles d'oreilles, et il lui offre des pendants en
cerises vermeilles, — la rime est tout indiquée pour les faiseurs
de romances. L'enfant paraît très satisfaite de cette joaillerie élé-
mentaire et nutritive.
Revenons aux Amours avec « l'Amour et Psyché » de José Sagaldo.
Voici encore une Bacchanale de M. Makowski, un Orphée de
M. Belair, une « Jeunesse et chimère » de M. E:-L. Dupain, qui
fait songer, — d'un peu loin, — à la composition de M. Gustave
Moreau.
C'est une toile pessimiste, car la « Trompeuse Chimère » de
M. Dupain « conduit la jeunesse à la mort ». Elle pourrait aussi
bien la conduire à la gloire ou à l'amour. Dans ce cas, à vrai dire,
le peintre devrait renoncer à la falaise oii cheval et cavalier font le
saut de Julia de Trécœur bien autrement périlleux que le saut de
Leucade. Et, sans falaise, plus de composition romantique. A rap-
procher du tableau de M. Dupain, mais à titre de contraste, « l'Ins-
piration » de M. Azambre; une muse impalpable sous de longs voiles
inspire un jeune homme assis et travaillant à la lueur de sa lampe
sans paraître se douter le moins du monde que cette figure diaphane
est en train de l'hypnotiser. M. Azambre a sans doute voulu démon-
trer que l'inspiration vient surtout à domicile et à demeure, au
moment oîi on l'attend le moins. Il a peut-être raison. Eu revanche,
il m'est bien difficile de prendre au sérieux la charade que M. Poil-
leux Saint-Auge intitule « 1891 — la France veille et travaille ». Pour
travailler, la France tient une faux de moissonneur, et je ne saurais
l'en blâmer, car elle se promène à travers un champ de blé mûr,
sous les rayons du soleil d'août. Mais pour veiller en moissonnant
elle a revêtu une cuirasse d'acier poli, et cet appareil belliqueux
ne convient guère à une aoûteuse même allégorique. Ainsi affublée,
la France de M. Poilleux Saint-Ange fera tout ensemble de mauvais
travail et de mauvaise surveillance. C'est assurément l'avis de la
Tour Eiffel qui plane sur le tableau, sans doute pour lui donner
une date, et qui contribue, avec la cuirasse de carabinier, à en
souligner le caractère d'allégorie essentiellement métallique.
M. Hippolyte Aussaudon nous montre une Jeanne d'Arc classique
écoutant les voix, et M"" Forget une intéressante sainte Cécile. De
M. Albert Bettannier, un Messin, plus généralement consacré aux
sujets patriotiques, les « Fils de la Vierge », joli sujet de romance,
et de M. Cormon — qui donne aussi, qui donne surtout un remar-
quable portrait de Gérôme — une scène de féerie asiatique, une illus-
tration pour mille et une nuits, « le Mariage de Bedreddin Hassan »,
simple prétexte à déploiement d'étoffes et chatoiement de pierreries.
« Les dames disaient : c'est à ce beau jeune homme qu'il faut don-
ner notre épousée et non pas au vilain bossu. Elles menaient la
jeune fille devant Bedreddin pour la lui montrer dans ses nouveaux
atours et les faisaient s'embrasser ». Les atours y sont, et aussi le
fouillis d'un bazar oriental mis au pillage.
M. Duffaud nous ramène aux délicates modernités de MireiUe. Il
a peint la mort d'Ourrias d'après les vers de Mistral :
Sur le fleuve hanté la barque fuit. Eu vain!
Les noyés, cette nuit, pâle et craintif essaim
Reviennent; les voici. Le bateau lourd de crime
Sombre; le flot vengeur tournoie, et sous l'efi'ort
Des spectres acharnés et forts comme un remords,
Le meurtrier s'enfonce, aspiré par l'abîme.
I C'est une composition à la Delacroix — un Delacroix gris — inté
164
LE MEiNESTREL
ressante et confuse. Autre grisaille, mais d'un ton plus vernissé et
en revanciie d'un dessin plus sévère « l'air favori » de M. Munkacsy.
Dans une taverne hongroise, une bande d'instrumentistes ambulants
joue l'air favori du maître de l'auberge, qui a sans doute promis de
régaler ces faméliques compagnons. Mais l'hôtelier étoute avec une
attention chagrine, sans que la mélodie favorite parvienne à le rassé-
réner. Attend-il la venue de l'usurier qui saisira la maison et le jar-
din"? A-t-il des peines de cœur? Qui le saura jamais? J'imagine
que M. Munkacsy a lui-même des données fort incertaines sur l'ex-
plication rigoureuse de son tableau. — Voici un barde serbe de
M. Ivanovitch, des « Chants religieux » de M. Edouard Moyse et
une importante composition de M. Jules Breton que nous ne saurions
trop recommander aux metteurs en scène de drames ou d'opéras
bretons : le Pardon de Kergoat. Cette fois, le vieux maître ne s'est pas
attaqué à faire ressortir ni une figure isolée, ni même son classique
quadrille de moissonneuses, de faneuses ou de brùleuses d'herbes.
Il a voulu donner l'impression, la sensation, si l'on préfère, d'un
vaste ensemble, et l'effet géoéral ne manque ni d'ampleur ni de
poésie. L'église de Kergoat apparaît, toute grise, sous la voûte de
feuillages. Dans la pénombre piquée çà et là par les étincelles d'or
des cierges aux lueurs tremblotantes, s'avance la procession des
Bretons les plus bretonnants et les plus décoratifs qu'on puisse
imaginer, tandis que les estropiés, les loqueteux, les malingreux,
bref, tous les mendiants professionnels de l'Armorique se traînent
sur le gazon.
Les scènes d'hôpital, si abondantes au cours de la dernière
période décennale, ont à peu près complètement disparu du salon
du Palais de l'Industrie. Seul, M. André Brouillet fait exception;
encore a-t-il eu le soin méritoire de ne transporter le public ni à
l'Hôtel-Dieu, ni à la Salpêtrière. C'est au Théâtre-Français, dans le
grand foyer transformé en ambulance pendant le siège de Paris, que
s'évanouit son jeune blessé dont un docteur à mine soucieuse inter-
roge le pouls avec une anxiété trop explicable, car le pauvre garçon
est bien pâle. Un autre blessé s'avance, soutenu par deux sœurs de
charité improvisées, dont M'"« Augusline Brohan. Plus loin, le déli-
cat profil de M'"^ Reichenberg. Le tableau est élégant et même joli,
d'un joli trop amusé et trop amusant. Du fond de son fauteuil, le
Voltaire du grand foyer plane sur la scène et son sourire sceptique
en donne peut-être toute la moralité... au point de vue pictural,
bien entendu.
Ne (juid nimis... En d'autres termes, trop c'est trop. Vous souvient-il
des vers de Musset des Contes d'Espagne :
... Sitôt qu'il nous vient une idée
Pas plus grosse qu'un petit chien.
Nous essayons d'eu faire un àne...
Ainsi a fait M. Berteaux en prenant un sujet qui pouvait fournir
matière à un agréable tableautin d'intimité : «la leçon de violoncelle»
pour le transformer en immense panneau, très peu rempli, et, de
fait irremplissable. Autant le professeur et son élève, très finement
observés, très finement rendus — ...il s'agit du moment critique, du pas-
sage ditficile — auraient intéressé dans un cadre restreint, autant ilssont
perdus et comme noyés dansla tonalitécrayeuse de l'ensemble. Beaucoup
plus suggestif le délicat tableau de M""= Guyon-Goepp, « Musique »,
un groupe familial rangé autour du piano où est assise une virtuose
qui comptera parmi les bons morceaux de peinture du Salon. A ranger
dans la peinture symbolique, le tableau singulier que M. Cesbron
intitule « Nocturne ». Très sobre au contraire et d'une compréhension
aisée en sa formule claire — une symphonie gris perlé — la « Leçon
de plain-chant » deM. Waller Gay, donnée par une religieuse à une
demi-douzaine de fillettes dans une salle d'ouvroir ou d'orphelinat que
remplit un grand flot de lumière savamment tamisée. Autre toile de
genre, « une Répétition de chant dans un couvent », de M. CheviUard :
beaucoup de finesse et une distinction réelle.- A mentionner les
études de danseuses de M. Charles Oison, l'Abélard et Héloïse. petite
composition assez dramatique de M. Otto Frédreich, la Présentation
de lord Byroneà la comtesse Guiccioli, curieuse étude des modes
de la Restauration par M. Georges Gain, enfin de M. Sinibaldi, un
Desgrieux monté sur un maigre bidet et suivant, derrière la char-
rette qui emporte Manon Lescaut, un chemin creux où un casseur
de pierre, assis près de l'ornière, contemple avec stupeur le pau-
vre chevalier.
(A suivre.)
Camille Le Senne.
NAPOLEON DILETTANTE
VI
LE THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS
(Suite.)
Napoléon était trop amateur de musique pour se distraire de cet
événement artistique. Cependant il avait manifesté quelque hésitation,
parce que Joséphine venait d'être très souffrante. Les préliminaires
de cette soirée mémorable ont été contés par Marco Saint-Hilaire :
ancien page, toujours bien informé de ce qui se passait à la cour.
« M"'" Bonaparte, nous dit-il, était vraiment malade lorsque le
premier consul est allé au Théâtre de la République. Son mari, au
contraire, s'était fait remarquer toute la journée par une gaité qui
ne lui est pas ordinaire. Sur les sept heures, avant son dîner, il est
entré dans la chambre de sa femme, qu'il a trouvée étendue sur son
petit canapé.
— Allons, Joséphine, lui a-t-il dit, lève-loi, viens dîner, nous
irons après voir la pièce nouvelle au Théâtre de la République.
— Je ne le peux pas : je suis trop malade ; j'ai une migraine
affreuse.
— C'est un caprice; viens! tu mettras ton plus beau cachemire.
— Je t'assure que ce n'est pas mauvaise volonté de ma part;
mais liens : regarde, làte, je suis sûre que j'ai la fièvre.
— En effet, lu es brûlante; couche- toi, ça ne sera rien; je n'en
irai pas moins an spectacle, parce que je l'ai promis, mais je re-
viendrai de bonne heure; ... encore une fois, ça ne sera rien.
— Il faut l'espérer.
— Si tu ne vas pas mieux à mon retour, j'écrirai au pape pour
qu'il m'envoie sur-le-champ sa petite mine de bois.
— Tu fais toujours des plaisanteries; envoie-moi plutôt Corvisart...
Qu'est-ce que c'est que cette mine de bois ?
— C'est le Bambino. Les pères Récollets viendront ici tout exprès
te l'apporter dans leur carrosse; ils le placeront à tes côtés, et ils
y resteront à mes frais jusqu'à ce que tu sois bien portante.
— ■ Mais qu'est-ce donc que a Bambino'?
— C'est un petit Jésus de bois que l'on porte, à Rome, aux gens
riches qui sont très malades et dont les parents désespèrent.
— Oh!... je n'en suis pas là.
— Ce petit saint est toujours en course ; on se bat quelquefois à
la porte du couvent pour l'avoir; on se l'arrache. L'été, surtout, il
est singulièrement occupé, quoiqu'il fasse payer ses visites plus
cher à cause de la chaleur; mais maintenant que nous sommes en
nivôse, probablement je l'aurai à meilleur marché; parle, si tu le
désires, je te donne ma parole que j'envoie à l'instant même un
courrier à Rome.
En disant ces mots, le premier consul essayait de garder son
sérieux.
— Laisse -moi tranquille avec ton Bambino, répliqua M"" Bona-
parte, et envoie-moi Corvisart tout de suite.
— Au fait, cela sera plus tôt fait.
Et Bonaparte quitta sa femme après lui avoir donné un baiser
sur le front, et l'avoir recommandée aux soins de M"' Fourneau,
l'une de ses femmes. »
Après quelques ordres donnés et la signature de quelques pièces,
le premier consul monta dans un carrosse avec deux de ses géné-
raux, pour se faire conduire à l'Opéra . Dans la rue Nicaise, le cor-
tège croisa une petite charrette, ce qui causa un embarras de voi-
ture. Heureusement, le cocher, qui était ivre, dit-on, ne prit point
garde à ce détail, il passa outre. Ce fut ce qui sauva le premier
consul ; car il était à quelque dislance déjà de cette charrette,
lorsque l'explosion se produisit. Toutes les maisons du voisinage en
furent ébranlées, et comme précisément au 313 de la rue se donnait
un concert, au bénéfice du mandoliniste et violoniste, fort à la mode,
Fridzeri, le public, se précipitant en foule hors de ce local, aug-
menta la confusion, au point de faire croire que tout le peuple
parisien était du complot.
A l'Opéra, l'émoi ne fut pas moins grand, bien qu'il n'ait pas été
suivi des mêmes effets. La duchesse d'Abrantès, alors M°" Junot,
qui assistait à cette soirée, l'a décrite avec le coin pittoresque
qu'elle mettait à tous ses récits :
« Il était sept heures, dit-elle, lorsque nous arrivâmes à l'Opéra.
La salle était remplie, de manière à ne pas placer une épingle. Les-
femmes étaient fort parées et la salle très éclairée; le coup d'œil
était vraiment admirable.
LE MENESTREL
163
» Nous distingaâmes Garât qui, avec une lorgnette à double
verre, et s'avançant un peu sur le bord de la rampe, regardait dans
la salle pour y découvrir quelques-unes de ses connaissances. Il
était en noir, mais plus ridiculement habillé que d'habitude, ce qui
était difficile. Son collet lui passait par-dessus la tête, et sa figure
un peu singesse paraissait à peine au milieu de quatre aunes de
mousseline lui faisant une cravate et d'une forêt de boucles for-
mant une coiffure. M"" Barbier- Walbonne, toujours simple et bonne
personne, attendait près de lui le moment où ils devaient commen-
cer. Les violons s'accordaient, et cet immense orchestre, plus nom-
breux que jamais on ne l'avait vu jusqu'alors, se disposait à nous
faire entendre le chef-d'œuvre d'Haydn plus parfaitement exécuté
qu'il n'a eu la consolation de l'entendre lui-même; — le prince
d'Esterhazy, dont il était maître de chapelle, ne lui avait pas per-
mis de venir à Paris pour cette solennité...
» Les trente premières mesures de l'oratorio étaient à peine jouées
qu'une forle explosion, comme un coup de canon, se fit entendre...
» Toute la salle se regardait avec stupeur, quand la porte de la
loge du premier consul s'ouvrit, et lui-même parut avec Lannes,
Lauriston, Duroc et Berthier : il salua en souriant cette foule im-
mense, qui "mêlait presque des cris d'amour à ses applaudissements.
M""" Bonaparte le suivait (elle avait secoué son malaise, et avait
suivi son mari de près, ne se souciant ni de Gorvisart ni du Bam~
bino); elle était avec le colonel Rapp, M"'= Murât, qui était grosse
de près de neuf mois, et M"' de Beauharnais. »
Au bout d'un moment, Duroc monta, la physionomie toute bou-
leversée, jusqu'à la loge de Junot et lui dit tout bas :
— Le premier consul vient d'échapper à la mort. Descends
auprès de lui; il veut le parler, mais sans affectation.
Entre temps, l'oratorio continuait; « mais les belles voix de
M"""' Branehu et Walbonne et celle de Garât n'absorbaient pas
l'attention. » Aussi bien, le bruit se répandait par toute la salle que
Bonaparte venait d'être attaqué rue Nicaise. Alors, une même
acclamation se fit entendre : on vit des femmes pleurer et sangloter,
et — c'est toujours M"" d'Abrantès qui parle — «des hommes frémir
d'indignation, quel que fût la bannière qu'ils servissent, et
s'unir du cœur et du bras, dans cette circonstance, pour prouver
que les différences d'opinion n'apportent pas avec elles des diffé-
rences dans l'art de comprendre l'honneur. »
Cependant, le premier consul était très calme, et paraissait seu-
lement fort ému « toutes les fois que le mouvement lui apportait
quelques paroles fortement expressives relativement à ce qui venait
de se passer. » Joséphine pleurait; sa fille était fort émue; seule,
M""" Murât était impassible.
j.jme d'Abrantès, ignorante de la scène que nous avons racontée,
met le retard de Joséphine sur le compte d'une erreur de toilette. Sa
voiture ne suivait que de trois minutes celle du premier consul, et
l'explosion de la rue Nicaise s'était produite quand elle était encore
sur la place du Carrousel. Mais telle était la violence de l'ébranle-
ment de l'air, que les vitres du carrosse volèrent en éclats, et que
M"^ de Beauharnais eut de légères coupures à la lèvre.
Au cours de son récit, notre aimable chroniqueuse ne donne qu'une
attention distraite au spectacle même. Il fut cependant à la hauteur,
et de l'œuvre, et des artistes qui l'interprétaient.
Le lendemain, le Journal de Paris, après avoir raconté les détails
de l'attentat, publiait, parla plume de son collaborateur théâtral, ce
compte rendu de la soirée :
« Jamais concert ne fut plus brillant que celui du .3 de ce mois.
Le célèbre oratorio i'Haydn a été exécuté avec une perfection dont
nous ne pourrions donner qu'une faible idée. Cette musique, chef-
d'œuvre de mélodie, a fait passer dans tous les cœurs un charme
inexprimable , et, au lieu du délire de l'enthousiasme, a générale-
ment produit cette sensation pure et douce, ce calme voluptueux,
qui ressemble au parfait bonheur.
» Nous ne nous étendrons pas sur le talent des artistes qui
composaient ce concert. Quels éloges pourraient ajouter à l'admira-
tion qu'on a depuis longtemps pour M""= Barbier Walbonne, pour les
Garât, les Rhode, les Kreutzer, les Lefebvre, les Frédéric, les Saleniin,
les Vanderlick, etc., et surtout pour cet orchestre de l'Opéra qui est
aujourd'hui le premier de l'Europe!
« Aucune assemblée publique n'avait encore offert aux yeux un
spectacle aussi étonnant. Tout ce que le goût et le désir de plaire
ont pu inventer de plus élégant, tout ce que le luxe a de plus riche,
avait été mis en usage par les dames, et l'éclat des diamants a,
de toute part, ébloui la vue. »
Le plus favorisé de cette soirée fut le jjêre Haydn, comme on l'ap-
pelait à Vienne. Les exécutants de l'Opéra firent frapper en son hon-
neur une médaille d'or. D'autres médailles furent envoyées par le
Conservatoire de Paris et par la société des Enfants d'Apollon, dont
il devint membre. L'Institut le choisit pour un de ses associés... El
dans la suite, après sa mori, survenue pendant l'attaque de "Vienne,
l'élat-major français assista, par ordre, au Requiem, avec la musique
de Mozart, qui fut exécuté en son honneur à l'église des Ecossais...
Si, finalement, nous ajoutons que, peu de temps après, Cherubini
fit exécuter, dans un concert du Conservatoire, un chant funèbre
de sa composition sur la mort d'Haydn, nous aurons suffisamment
prouvé que toutes les marques sympathiques données par ses pro-
tecteurs de Vienne à l'auteur de la Création, et qui se traduisaient
par des couvertures sur les jambes et de maigres appointements,
furent bien pâles à côté des ovations dont il était l'objet dans ce
Paris abhorré des Eslerhazy.
Après l'attentat de la rue Nicaise, Bonaparte traça un projet
d'arrêté qui attribuait au préfet de police la surveillance et la direc-
tion principale du Théâtre de la République et des Arts. Il invita
Cambacérès à se concerter avec Lebrun pour un projet définitif. El,
comme dans noire beau pays de France, tout ce qui tient son mou-
vement des rouages administratifs ne se meut qu'avec une déplorable
lenteur, ce ne fut que le 11 décembre 1802, c'est-à-dire près de deux
ans apiès l'explosion de la machine infernale, qu'un décret, signé
Bonaparte, donna, non point au préfet de police, mais au premier
préfet du palais, de création récente et d'essence autocratique, la
surveillance et la direction principale des théâtres de Louvois, de
Feydeau et de l'Opéra-Bouffe.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres (20 mai) :
La première représentation de Manon en français a obtenu un grand
succès hier soir à Govent-Garden. L'œuvre exquise de Massenet, une de
ses plus personnelles et des mieux inspirées, était déjà connue du public
ôe Londres par quelques représentations données en 1885 à Drury Lane,
en anglais, avec M""= Marie Rôze et le ténor Maas, un artiste de mérite,
mort depuis. Déjà, à cette époque, la charmante musique de l'ouvrage
avait réuni tous les suffrages, mais la diction défectueuse des chanteurs
anglais s'était mal prêtée au procédé de dialogue parlé, bien que souligné
par l'orchestre, qui est une des originalités de Manon. Rétablir l'idiome
original, c'était déjà assurer le succès de l'opéra; mais, dans le cas actuel,
la o-randeur du cadre, dans cette immense salle de Covent-Garden, ne
pouvait que nuire à l'effet de cette œuvre fine et distinguée. Malgré ce
lé"-er inconvénient, le succès a été considérable, grâce surtout à une bril-
lante interprétation. Les honneurs de la soirée reviennent au ténor
Van Dyck, le créateur du rôle dans la version allemande à Vienne, un
Des Grieux de tout premier ordre. Beau cavalier, comédien excellent et
plein de chaleur, il a chanté d'un bout à l'autre de l'ouvrage avec une
sûreté, un charme et une variété de nuances qui dénotent l'artiste ac-
compli. La voix est facile, d'un timbre agréable, et conduite avec beaucoup
de °-oùt. Le public lui a fait une véritable ovation. Le succès de M"= San-
derson n'a pas été aussi complet qu'on aurait pu l'espérer. A peine
remise d'un fort enrouement et encore sous le coup du surmenage des
répétitions, la jolie artiste n'était pas en pleine possession de ses moyens,
ce qui fait que sa voix a paru quelque peu grêle dans cette vaste salle
de Govent-Garden. Elle n'en a pas moins détaillé avec beaucoup de
charme, de finesse et de sentiment, les parties douces et tendres du rôle,
donnant aussi par moments des preuves d'une grande hardiesse de voca-
lisation. Il est à peine besoin d'ajouter que M"= Sanderson réalise d'une
façon idéale le type de la ravissante héroïne. Son instinct de comédienne
lui a servi à indiquer avec beaucoup d'adresse los côtés si divers du per-
sonnage et, dans la grande scène de Saint-Sulpice, comme dans la scène
finale, elle a donné très vaillamment la réplique à M. Van Dyck. Somme
toute,' M"= Sanderson possède un ensemble de qualités peu ordinaires qui
la désignent pour le rôle de Manon, et son succès, j'en suis convaincu,
crandira aux représentations suivantes. M. Dufriche est un e.xcellent
Lescaut, plein de rondeur et chantant avec beaucoup de verve les nom-
breux couplets du rôle. M. Isnardon est comme toujours un artiste fort
consciencieux, mais sa voix manque d'ampleur pour le rôle du comte Des
Grieux. M. Juteau est un amusant Guillot de Morfontaine. Un mauvais
point à M. Geste, qui nous a montré un de Brétigny à moustaches,
dépourvu de distinction. L'ouvrage est monté avec beaucoup de soins.
M. Mancinelli devrait modérer son orchestre, qui n'a pas toujours joué
avec la netteté voulue.
Avec les reprises annoncées des Huguenots, dont la distribution réunit
les noms de MM. Jean et Edouard de Reszké, Maurel, Lassalle et M™ Al-
bani, et des Maîtres Chanteurs, qui serviront de véritable rentrée a
M. Lassalle, la semaine promet d'être des plus brillantes à Govent-Garden.
166
LE MENESTREL
La récente mésaventure de la Société Philharmonique a ramené l'atten-
tion sur l'insuffisance des études qui sont accordées aux exécutions
symphoniques de la capitale. M. Sgambati ayant été invité à conduire sa
« Symphonie-Épithalame », il accapara pour son propre compte la plus
grande partie des deux répétitions d'usage. Dans ces conditions, M. Cowen,
le chef d'orchestre ordinaire de la Société, refusa de conduire le reste
du programme annoncé, de sorte que le soir du concert le public était
prévenu que, par suite d'insuffisance de répétitions, l'ouverture : En automne,
de Grieg, et l'Invitation à la valse de Weber-Berlioz, seraient remplacés par
les ouverttires de Prométhée et i'Obéron, tandis que le concerto de Golter-
mann, que devait exécuter le jeune violoncelliste Gérardy, serait accom-
pagné au piano. Le plus piquant de l'affaire, c'est que le public n'a pas
tardé à reconnaître que l'œuvre de M. Sgambati, une des rares nouveautés
de la saison, ne méritait pas tout ce remue-ménage. C'est une sorte de
suite d'orchestre composée il y a trois ans à l'occasion du mariage du duc
d'Aoste et de la princesse Lœtitia, et qui ne s'élève guère au-dessus de la
valeur habituelle de ce genre de pièces de circonstance. A. G. N.
— Les juges du prochain concours musical annuel du pays de Galles,
connu sous le nom d'Eisteddfod, viennent d'être officiellement désignés.
Ce sont MM. J. Pârry, JRandegger, Shakespeare, John Thomas et David
Jenkins. Les fêtes auront lieu à Swansea, et on espère le concours de
M"= Patti.
— Le répertoire lyrique français en Allemagne. Relevé sur les dernières
listes des spectacles. Berlin : Fra Diavolo, Mignon, Carmen. — Cassel : Le
Postillon de Lonjumeau (2 fois), la Dame blanche, Faust. — Cologne ; Joseph,
la Juive, Faust, Carmen, le Prophète. — Francfort : La Part du Diable (4 fois),
le Cheval de bronze, Carmen, les Dragons de Villars, la Muette, l'Africaine,
le Domino noir. — Hambourg : Le Prophète, les Huguenots, la Dame blanche,
Mignon (2 fois), Jean de Paris, Carmen, le Postillon de Lonjumeau, Guillaume
Tell, les Deux Journées, l'Africaine (2 fois), la Favorite. — Leipzig : Carmen,
Faust (2 fois), te Prophète, Mignon. — Mannheim : L'Africaine, Faust (2 fois),
Guillaume Tell, la Juive. — Budapesth : Le Mariage aux lanternes, les Noces de
Jeannette (2 fois), le Prophète, Mignon (3 fois), la Fille du régiment, Coppélia
(3 fois), Bonsoir, monsieur Pantalon, Hamlet (2 fois), Faust, Lahné, les Hugue-
nots, les Dragons de Villars. — ScHWERlN : La Fille du régiment. Mignon (2 fois),
le Violoneux (2 fois), Carmen, Guillaume Tell. — Vienne : Manon (2 fois),
Coppélia, Mignon, Faust, Sylvia, la Fille du régiment, le Prophète, la Juive,
les Deux Journées.
— Le centenaire de la mort de Mozart sera célébré à Salzbourg au
moyen de quatre grandes fêtes dont les dates ont été fixées aux 1"', 16,
17 et 18 juillet. En voici le programme tel qu'il est publié par les jour-
naux allemands : — 1'= Journée. Matin, exécution du Requiem de Mozart,
dans la cathédrale. Soit par les principaux sujets de l'Opéra de Vienne,
chœurs du Mozarteum et de la Liedcrtafel de Salzbourg, orchestre de la
Société musicale de la cathédrale et du Mozarteum. Après-midi, assemblée
de gala dans la salle Aula academiea; allocution de bienvenue par un des
membres de la commission des fêtes; discours parle D'' Robert Hirschfeld,
de Vienne. Soir, retraite aux flambeaux qui se rendra au monument de
Mozart.— 2» Jourxée. Matin, Visite à la maison dite de la Flûte enchantée,
sur le mont Capucin. Après-midi, concert dans la salle Aula academiea,
sous la direction de M. VV. Jahn, chef d'orchestre de l'Opéra de Vienne
(orchestre de la Philharmonie et chœurs de la Société chorale d'hommes,
à Vienne). Fragments de la Flûte enchantée (chœurs, soli, orchestre);
concerto en ré mineur de Mozart, exécuté par M^^ Essipoff; symphonie en
sol mineur. Soir, fête de nuit et illuminations dans les jardins du Casino.
Auditions par la Société chorale d'hommes de Vienne. — 3= Journée.
Matin, concert dans la salle Aida academiea: quatuor en ré mineur par le
quatuor Helmesberger, de Vienne, Sérénade pour instruments à vent,
adagio du quintette en sol mineur, et symphonie de Jupiter, par l'or-
chestre de la Philharmonie de Vienne, dirigé par M. Jahn; pièces de
chant par M"'= Bianca-Bianchi, M™ Ritter Gœtze et M. J. Ritter. Après
midi, banquet au Kursaal. Soir, représentation de gala au théâtre impé-
rial-royal. — ¥ Journée, excursions dans les environs.
— Le musée royal d'instruments de musique de Berlin vient de s'en-
richir d'un don de M"»» la baronne van Korff, fille de Meyerbeer, don
comprenant une grande partie des objets ayant appartenu à l'auteur des
Huguenots, dont on célébrera le centenaire le S septembre prochain. Parmi
ces objets figure un magnifique portrait peint à l'huile, représentant
Meyerbeer à l'âge de sept ans, assis devant un piano ; à citer également
le pïano de voyage du maître, curieuse pièce démontable, sortie des
ateliers Pleyel.
— Edouard Reményi, le célèbre violoniste hongrois, vient de rentrer dans
son pays natal, après seize années d'absence passées à explorer les con-
tinents et les mers. A Budapesth, ses concitoyens lui ont fait un accueil
enthousiaste.
— Nous avons annoncé déjà la célébration du centenaire du Théâtre
grand-ducal qui a en lieu à "Weimar, le 4 mai et jours suivants. Au point
de vue musical, ces fêtes théâtrales ont offert un grand intérêt. On avait
remonté à nouveau, à cette occasion, le Lohengrin de Wagner, dont la
première représentation, on le sait, eut lieu sn ISdS, grâce à l'initiative
de Franz Liszt. Après Lohengrin, le Théâtre grand-ducal a donné Gunloed,
opéra en trois actes, poème et musique de Peter Cornélius, l'auteur du
Barbier de Bagdad, qui, en ces dernières années, a obtenu de vifs succès sur
toutes les scènes allemandes. Cornélius, mort en 1874, avait laissé son
opéra Gunloed inachevé. Le premier acte seul était complètement terminé.
C'est M. Edouard Lassen, le savant et éminent maître de chapelle du
grand-duc de Saxe-Weimar, qui a achevé l'ouvrage sur les esquisses très
incomplètes du compositeur. Le succès ne paraît pas avoir répondu à l'ad-
miration des amis de Cornélius. Le public a fait un accueil modéré à
l'œuvre nouvelle. Le sujet de Gunloed, emprunté aux Eddas Scandinaves,
n'est pas, du reste, sans offrir beaucoup d'analogies avec les Nibelungen de
Wagner, et les comparaisons qui se sont offertes naturellement à l'esprit
des spectateurs ont sans doute été pour beaucoup dans l'accueil réservé
fait à l'œuvre posthume du maître mayençais.
— Le chapitre du diocèse de Trente vient de vendre au ministère de
l'instruction publique, à Vienne, et pour un prix très infime, parait-il, six
volumes manuscrits contenant des compositions musicales italiennes du
xiv" et du xv'= siècle, considérées, dit un de nos confrères italiens, comme un
vrai trésor de l'art. Le gouvernement allemand avait offert aussi d'acquérir
ces manuscrits précieux. C'est son allié qui l'a emporté.
— M. Franz WiiUner, l'éminent chef d'orchestre et directeur du Con-
servatoire de Cologne, a tenté ces jours-ci (les 7, 8 et9mai) une expérience
intéressante. Il a fait exécuter par l'orchestre placé sous sa direction, pen-
dant ces trois journées, les neuf symphonies de Beethoven darfs leur ordre
chronologique. Il semble probable que c'est l'exemple donné cet hiver à
Bruxelles par M. Gevaert qui a déterminé M. WiiUner à mettre cette idée
â exécution. Rappelons à cette occasion que M. WuUner a été l'élève
d'Antoine Schindler, lequel fut lui-même l'élève et l'ami de Beethoven
pendant les dernières années de la vie du grand homme.
— La Société impériale russe de musique, à Saint-Pétersbourg, vient de
terminer sa saison par un concert supplémentaire donné au profit de la
souscription pour la construction d'un nouveau conservatoire. La séance
empruntait un intérêt exceptionnel à la participation d'Antoine Rubins-
tein, qui a dirigé en personne deux symphonies et exécuté sur le piano
le concerto en sol de Beethoven, ainsi que plusieurs autïes pièces qui ne
figuraient pas au programme et que le maître a dû ajouter pour satisfaire
au désir d'un public enthousiaste jusqu'à l'exaltation.
— Le compositeur Tschaïkowsky travaille actuellement à un nouvel
opéra dont le livret est tiré du roman de Lermontoff : le Héros de notre
époque.
— A l'Opéra de Stockholm, les ouvrages suivants du répertoire français
ont été représentés pendant le mois dernier : le Domino noir (7 fois),
Carmen (3 fois), Lakmé (4 fois), Si j'étais roi, Mignon (2 fois).
— On nous écrit de Rome que l'anniversaire de la première représen-
tation de Cavalleria rusticana a été célébré au théâtre Costanzi en présence
du jeune compositeur auquel les arti.stes et le public ont prodigué des
ovations sans précédent. Sa première œuvre a été jouée pendant l'année
sur près de cent théâtres de l'Italie et de l'étranger. M. Mascagni a
apporté à son éditeur, M. Sonzogno la partition terminée d'une nouvelle
œuvre lyrique dont le titre n'est pas encore fixé et dont l'action se rap-
porte à la conversion d'un célibataire endurci, en quoi elle ressemble à
l'Ami Fritz d'Brckmann-Chatrian. Le livret de cet opéra-comique a été
commandé à M. Nicolas Daspuro par M. Mascagni, qui l'a mis en musique
en moins de deux mois. Le nouvel opéra contient trois actes, une intro-
duction symphonique très développée et deux petits préludes avant le
deuxième et le troisième acte. Les rôles principaux sont écrits pour soprano,
mezzo-soprano, ténor et baryton. La mise en scène sera des plus simples.
M. Mascagni a donné lecture de son nouvel opéra à son éditeur en pré-
sence de, quelques intimes et l'impression a été aussi heureuse que pro-
fonde. M. Sonzogno a l'intention de produire cette œuvre au commence-
ment de la prochaine saison. Il n'a pas encore choisi la scène qui bénéfi-
ciera de cette' intéressante primeur.
— Verdi bienfaiteur des musiciens malheureux. On annonce que l'au-
teur d'Aida a acheté récemment à Milan, hors de la porte Magenta, un
vaste espace de terrain sur lequel il va faire élever un asile destiné à ser-
vir de refuge et de retraite aux vieux musiciens, quelque chose d'à peu
près semblable à ce qui a été construit il y a quelques années dans le
même but, à Passy, selon les volontés de Rossini et avec les fonds laissés
par lui à cet effet. La construction du nouvel édifice serait déjà commencée.
— Les actionnaires de l'Opéra allemand de New-York ont enterré solen-
nellement leur entreprise infortunée dans un banquet monstre, qu'arrosaient
des vins généreux et... des discours wagnériens. Un conférencier du nom
d'IngersoU s'est lancé dans un panégyrique enflammé du prophète de Bay-
reulh qui ne le cède en rien, comme extravagance, aux plus ahurissantes
folies du répertoire d'Hervé. Oyez-en un échantillon ; « Lorsque j'entends
la musique de Wagner, je me crois tantôt transporté sur l'océan immense
où les vagues s'agitent comme autant de bonnets de la folie, et tantôt dans
les profondeurs de cavernes que dominent des rochers gigantesques et où,
à travers des fissures, j'aperçois les étoiles éternelles »... Et plus loin : « Il
y a telles mélodies qui me représentent la nuit parsemée d'étoiles ; telles
harmonies sont comme des îles dans les mers lointaines, telles autres
comme des palmiers bordant le désert!... » 0 enthousiasme, voilà de tes
coups !
LE MENESTREL
167
PARIS ET DEPARTEMENTS
Cinq élèves ont été admis, à la suite du concours d'essai, à prendre part
au concours définitif de composition pour le prix de Rome à l'Institut.
Voici leurs noms, par ordre d'admission : 1° M. Andrès, élève de M. Gui-
raud; 2° M. Lutz, élève de M. Guiraud (2° grand prix en 1890); 3° M. Sil-
ver, élève de M. Massenet (2^ grand prix en 1890); 4° M. Fournier, élève
de Delibes et de M. Th. Dubois (2'= grand prix en 1889); 5° M. Bondon,
élève de M. Massenet.
— C'est le 27 de ce mois que commenceront au Conservatoire, pour se
continuer jusqu'au 19 juin, les examens de fin d'année, dans lesquels
sont désignés les élèves qui doivent prendre part aux concours. C'est là
la plus grosse besogne, et la plus importante du comité des études.
— Dans la dernière séance de l'Académie des Beaux-Arts, le prix Char-
tier, institué en faveur des meilleures œuvres de musique de chambre, a
été décerné à M. Deldevez, ancien second grand prix de Rome, ancien
chef d'orchestre de l'Opéra et de la Société des concerts du Conservatoire.
Dans la même séance, l'Académie a procédé à l'élection d'un académi-
cien libre en remplacement du prince Napoléon Bonaparte, décédé. Deux
candidats étaient en présence : M. Gustave Larroumet, directeur des Beaux-
Arts, et M. Georges Lafenestre, critique d'art bien connu. Sur 44 votants,
M. Larroumet a été élu par 27 voix contre 16 accordées à M. Lafenestre
et 1 bulletin blanc.
— Le jury du concours de la Ville de Paris pour la composition d'une
œuvre musicale avec soli, chœurs et orchestre, a rendu jeudi son juge-
ment. Il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu de donner le prix, mais on a
accordé une mention à la partition Uérowig, de M. Samuel Rousseau, avec
l'attribution d'une subvention de 6,000 francs pour le cas où il voudrait
faire procéder à une audition publique de son œuvre.
— L'assemblée générale annuelle des artistes dramatiques a eu lieu
mardi dernier, dans la salle des concerts du Conservatoire. M.Eugène Gar-
raud a fait le compte-rendu des travaux de l'année et de la situation de la
Société; dans cette longue énumération de faits, nous avons appris que la
fortune de celle-ci était, aujourd'hui, de cent quatre-vingt mille livres de
rente, qu'elle élevait quinze orphelins, servait des pensions à trois cent
cinquante-six vieillards, et que la proportion des sociétaires secourus
était de un sur cinq.l,e bal annuel, la principale ressource de l'Association,
a, cette année, trompé les espérances du comité; il n'a produit qu'un
bénéfice de 3,106 fr. 10 c. M'"' Michaux-Château a légué par testament
une rente de mille francs pour secourir, tous les ans, une actrice dans le
malheur. L'annonce de ce bienfait a produit un grand effet sur l'auditoire.
Le nom du savant oculiste Galezowski a été très applaudi pour les soins
que l'éminent praticien donne gratuitement aux sociétaires. Les artistes
du Palais-Royal ont donné une obligation de la Ville de Paris, avec
laquelle ils espèrent que la Société gagnera prochainement cent mille
francs. Les comédiens du Théâtre-Français de Saint-Pétersbourg, comme
tous les ans, se sont montrés généreux envers l'Association. Il y a eu
dans l'année cent seize admissions et soixante-six décès. Le comité a
liquidé vingt et une pensions nouvelles. M.Halanzier, auquel le rapporteur
avait ménagé une ovation, a, dans une improvisation touchante et remplie
de cœur, obtenu aussi un très grand succès, La lecture du rapport ter-
minée, on a procédé aux élections, auxquelles ont pris part 210 votants,
et dont voici le résultat : MM. Halanzier, président, 210 voix; Coquelin
aine, 207; Latouche, 203; Maubant, 204; A. Michel, 207; R. Duflos, 202;
A. DubuUe, 194; Charles Masset, 197. Ces deux derniers en remplacement
de Ch. Ponchard, décédé, et de M. Valdéjo, démissionnaire. Dans la
séance du comité qui a suivi l'assemblée générale, le bureau de l'Asso-
ciation a été composé comme suit : Président, M. Halanzier ; vice-pré-
sidents, MM. Gabriel Marty, Ritt, Maubant et Dumaine ; secrétaire rap-
porteur, par acclamations, M. Eug. Garraud ; secrétaires, MM. Gerpré,
Saint-Germain, Morlet et Pellerin ; archiviste, M. Manuel.
— Voici comment M. Georges Boyer rend compte, dans le Figaro, de
l'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes musiciens :
« L'Association des Artistes musiciens s'est réunie en assemblée générale,
hier jeudi, au Conservatoire, pour entendre la lecture du compte-rendu
des travaux du Comité pendant l'année 1890 et pi-océder à ses élections
annuelles. La séance était présidée par M. Colmet d'Aage ; le compte-rendu
a été présenté par M. Arthur Pougin. Le rapporteur, après avoir retracé
dans ses grandes lignes la marche progressive etprospère de l'Association,
fondée en 1843, a fait connaître que la Société possède aujourd'hui
111,700 francs de rente, représentant un capitalde plus de trois millions,
et qu'elle sert 397 pensions. En moins d'un demi-siècle, elle a réalisé une
recette de 3,432,676 francs, et elle a distribué à ses sociétaires malheu-
reux 1,968,944 francs, soit deux millions en chiffre rond. Sur les cinq mil-
lions et demi que l'Association a encaissés, les cotisations n'entrent, il
est vrai, que pour une somme de 1,400,000 francs, soit le quart de la
recette totale. Le reste, la grosse somme, provient du travail fait en
commun, des messes, des fêtes, des concerts, des solennités musicales
organisées chaque année par le Comité. Mais combien les ressources de
la Société seraient augmentées si l'effectif des sociétaires, au lieu de se
maintenir au chiffre de cinq à six mille, s'élevait à 10,000, à 20,000, comme
on pourrait l'attendre d'après le grand nombre de musiciens qui existent
en France! Les dons et legs ont aussi contribué à accroître la fortune de
l'Association; à ce sujet, le rapporteur a donné lecture d'une lettre d'une
femme de cœur et de bien, M™° Eugénie Davainne, qui, « désirant recon-
naître ainsi les jouissances et les consolations qu'elle a dues à la musi-
que », a fait don, l'an dernier, à l'Association des musiciens, d'une somme
de bO,000 francs. Le nom de M°"= Eugénie Davainne a été salué de longs
applaudissements. Le total des recettes effectuées en 1890 a été de
233,774 fr, 90 c. Il a été dépensé pendant l'exercice : 76,923 francs pour
les pensions de droit, 5,830 en pensions de secours, 14,765 francs pour les
orphelins. Il a été employé environ 170,000 francs en achat de rentes et
d'obligations de chemins de fer. Tous ces chiffres et une multitude d'in-
téressants détails que M. Pougin a donnés sur le fonctionnement de la
Société ont été exposés avec une remarquable lucidité et dans une langue
dont la sobriété n'exclut pas l'élégance. Aussi le rapporteur, souvent
interrompu par les bravos, a-t-il obtenu en terminant sa lecture une véri-
table ovation. Après M. Pougin, M. le président Colmet d'Aage a pris la
parole et, dans une courte allocution, a donné les meilleurs conseils aux
sociétaires, les exhortant surtout à activer leur propagande en faveur de
l'Association afin de lui rallier des adhérents et d'accroître sa prospérité
en augmentant la somme du travail en commun. M. Colmet d'Aage, a ter-
miné, en annonçant que M. Pinette, de Versailles, qui récemment a
témoigné d'une libéralité si grande par un don magnifique en faveur des
grands prix de composition musicale, a laissé à l'Association une somme
de 40,000 francs. M. Colmet d'Aage, dont l'éloquence sympathique n'avait
pas besoin d'une si heureuse nouvelle pour être applaudie, a eu à son
tour une ovation. Il a été procédé ensuite au renouvellement d'un cin-
quième des membres du Comité. Ont été élus dans l'ordre suivant :
MM. Ferdinand Dubois, Eugène Gand, E. d'Ingrande, H. de Thannberg,
J. Danbé, Taffanel, Verrimst, Marcelin Laurent, Colonne, Lhôte, Gabriel
Marie, Lacombe, pour cinq ans. M. de Kerveguen, président de la Société
des Enfants d'Apollon, a été élu pour trois ans. »
— Nous extrayons du compte rendu que donne le Temps du voyage et du
séjour de M. Carnot à Toulouse, ce qui a trait à la visite faite par le pré-
sident de la République au Conservatoire, et à la représentation de gala
donnée au théâtre du Capitole : — « Au Conservatoire de musique, dit
notre confrère, dont la réputation est universelle, qui compte plus de trois
cents élèves chaque année, et qui a donné nombre d'artistes célèbres,
chanteurs ou compositeurs, des fillettes remettent au président une lyre
en fleurs naturelles. En réponse à M. DefTès, directeur du Conservatoire,
M. Carnot dit qu'il connaît le passé du Conservatoire, qui a fourni tant
d'artistes illustres, et que son présent fait présager de l'avenir. Puis il
remet les palmes d'officier de l'instruction publique à M. Deffès et les
palmes académiques à MM. Sizes, professeur de piano, et Birbet, violo-
niste aveugle, qui sont surnommés à Toulouse Oreste et Pylade, tant ils
sont attachés l'un à l'autre. Les chœurs d'élèves du Conservatoire chantent
avec une précision remarquable le chœur de Psyché et celui de l'Étoile du
iVord. » — Voici qui concerne le spectacle du Capitole: « La représentation
de gala donnée au théâtre du Capitole était à la hauteur de la réputation
artistique de Toulouse. Le programme comprenait uniquement des œuvres
de Toulousains, de Deffès, Salvayre et Vidal, prix de Rome, et d'artistes
toulousains des deux sexes : Roger-Miclos, Bernard, Daram, Castagne,
Escalaîs, Muratet, Affre, Dupuy, Frédéric Boyer, Garbonne et Soulacroix.
On donne d'abord une Heure de mariage, opéra-comique, de Dalayrac, puis
tous les artistes, groupés autour du buste de Dalayrac et entourés parles
membres des sociétés chorales toulousaines, couronnent le buste. La Tou-
lousaine qui, depuis une dizaine d'années, est comme le chant national de
Toulouse, est entonnée par cette énorme masse chorale :
0 moun p3 js !
0 Toulouse ! Toulouse I
Qa'aymi tas flous,
Toun cet, toun soulel d'or 1
Alprép dé tu, l'amo se sent hurouso.
Et tout ayssi mé réjouis lé cor!
(0 mon pays! ô Toulouse! Toulouse! J'aime tes fleurs, ton ciel, ton soleil d'or.
Auprès de toi, l'âme se sent heureuse, et tout ici me réjouit le cœur.)
Il est minuit. On entend encore V Hymne à Carnot en texte languedocien, de
M. Fourès, musique de M. Paul Vidal, et, après la Marseillaise, que toute
la salle écoute debout, M. Carnot se retire, acclamé par les spectateurs qui
veulent jusqu'à deux heures du matin écouter la suite du programme. »
— Le livre que M. Théodore Radoux, l'excellent directeur du Conser-
vatoire de Liège, vient de publier sous ce titre : Vieuxtemps, savie, ses œuvres
(Liège, Bénard, un vol. in-8), mérite mieux qu'une mention rapide et
quelques lignes cursives. Ce livre est la reproduction, luxueuse et fort
élégante, de la biographie écrite par M. Radoux pour l'Académie royale
de Belgique, dont il est membre, et qui avait paru il y a quelques se-
maines dans l'intéressant Annuaire de cette compagnie. Vieuxtemps lui-
même avait été, avec Fétis, Charles de Bériot et le fameux compositeur
chef d'orchestre Haussons, l'un des premiers membres de la classe des
beaux-arts de l'Académie, et c'est à ce titre que son éloge devait figurer
dans les annales de celle-ci. Ancien ami personnel et juste admirateur
de l'illustre violoniste, musicien d'une instruction rare, doué d'un rare
sentiment critique, mis à même d'être informé aux sources les plus abon-
dantes et les plus sûres, M. Radoux était apte plus qu'aucun autre à
retracer la vie de Vieuxtemps, à apprécier son double talent de virtuose
et de compositeur. L'existence très curieuse et très mouvementée de l'ar-
468
LE MÉNESTREL
liste est racontée par lui de la façon la plus attachante, le récif, en est
fort intéressant, et relevé de-ci de-là par toute une série d'anecdotes typi-
ques et peu connues. Quant au jugement porté sur Vieuxtemps, considéré
sous son double aspect artistique, nul n'eût su fair&mieux que M. Radoux,
nul ne l'eût fait avec plus de tact, desavoir et dé vrai sentiment musical.
C'est plus qu'un hommage, c'est presque un monument élevé à la gloire
du noble et grand artiste que nous autres en France, nous aimons d'au-
tant plus qu'il donna toujours à notre cher pays les preuves d'une ardente
et inaltérable afl'ection. Imprimé avec une rare élégance, le livre de
M. Radoux se recommande autant au point de vue matériel qu'à tous autres
égards. Il est illustré de gravures qui sont elles-mêmes de véritables do-
cuments, tels que le très curieux portrait de Vieuxtemps à l'âge de sept
ans, celui qui date de quelques années après, la reproduction de son buste
et la charge de Dantanjeune. Il contientainsi toute une série de portraits
fort intéressants, dont quelques-uns fort joliment dessinés parM"'= Radoux,
lille de l'auteur, et de curieux autographes. En résumé, c'est là un livre
utile, et qui restera. A. P.
— Samedi prochain 30 mai, à 10 heures 1/2 du matin, aura lieu à
l'église SaintGervais une audition de la grande messe en mi bémol, de
Schubert, pour soli, chœurs et orchestre; cent exécutants, sous la direction
de M. Charles Bordes.
— M. Koszul, directeur du Conservatoire de Roubaix, qui a donné l'an
passé, avec le concours de l'orchestre qu'il dirige, un brillant festival-Gou-
nod, vient d'organiser dans le même genre un Festival-Guiraud, qui doit
avoir lieu demain lundi 25 mai, et dont voici l'intéressant programme :
1» Première suite d'orchestre; 2" ballet de Grclna-Gi-een; 3° Danse persane ;
-4" romance de Madame TuHupin ; 5° sérénade de Galante Aventure ; 6" ber-
ceuse pour soprano ; 7° ouverture de PiccoUiio, scène et chœur de Noël,
chanson de Piccolino, mélodrame et air, carnaval (chœur final). C'est
M. Guiraud lui-même qui dirigera l'exécution de ses œuvres ; l'orchestre
est composé de soixante-quinze artistes, et les chœurs ne comprennent pas
moins de 120 exécutants, savoir : 30 soprani, 30 contralti, 2.5 ténors et
86 basses. Voilà certes un essai de décentralisation intéressant, et l'on est en
droit d'espérer que le Festival-Guiraud ne sera pas moins heureux que le
Festival-Gounod, dont le succès, l'an dernier, a été colossal. Ajoutons que
M. Koszul prépare, pour l'année prochaine, une fête musicale du même
genre eu l'honneur de M. Théodore Dubois.
CONCERTS ET SOIRÉES
Charmanteréunion musicale mercredi dernier chez notre confrère Gaston
Bérardi, directeur de l'Indépendance belge. On y a entendu M™° de Nuovina,
l'une des étoiles du théâtre de la Monnaie, dont la voix pénétrante a fait
merveille. Elle a chanté un air d'Esclarmonde, VArioso de Delibes, puis, avec
MM. Bouvet et Delmas, le trio de Faust. Très grand succès. M. Bouvet a
dit, seul, avec son talent accoutumé, une vieille romance, Pauvre Jacques,
et le Citant du Re'itre, du maître de la maison, un des effets de la soirée.
M. Delmas a très bien chanté la cantilène de Lakmé. Il y avait aussi co-
médie, avec M°"'s Réjane, Théo, Lavigne et les deux Coquelin père et fils.
On voit que c'était un programme de choix. ^
— Le succès des concerts d'orgue et orchestre donnés au Trocadéro par
M. Alex. Guilmant s'affirme de plus en plus. Tous les morceaux de ce
beau programme ont été accueillis avec une faveur marquée, surtout le
Soinmeil d'Ariane de M. Guilmant pour orgue, orchestre et harpe, qui est
une œuvre absolument originale et élevée; l'hymne de M. Emile Bernard,
également pour orgue et orchestre, spécialement écrit pour ces concerts, a
été chaleureusement applaudi, ainsi que les morceaux pour orgue seul, de
MM. Salomé et Franck. Il nous faudrait parler aussi de l'exécution de la
Passacaille de Bach et de la sonate de Mendelssohn. M"° Fanny Lépine
prêtait le concours de son talent à cette très intéressante séance, et a chanté
dans la perfection un air de Bach et un autre de Hœndel. Le troisième
concert aura lieu jeudi prochain, 28 mai, avec le concours de MM. Warm-
brodt et Paul Viardot. L'orchestre sera dirigé par M. Edouard Colonne.
— Très intéressante, la matinée donnée l'autre samedi par M^i^ Ed. Co-
lonne, et dans laquelle s'est fait entendre l'élite de ses élèves de chant.
Séance des plus artistiques, qui prenait plus d'intérêt encore, grâce au
concours de M. Warmbrodt, de la jeune violoniste Juliette Dantin, du
poète Jean Rameau, de M™ Pauline Viardot, accompagnant plusieurs de
ses mélodies, et du savant professeur, M""= Ed. Colonne et de sa charmante
belle-lille, qui ont chanté, en toute perfection, des duos d'Ed. Lassen
(Avril et Chanson de mai) et des danses de Brahms, arrangées par M""s Viar-
dot en un duo tout à fait original. Pour terminer cette solennité, M^'^ Ed.
Colonne s'est improvisée chef d'orchestre, faisant concurrence à son mari,
et a conduit deux chœurs : les Norwégieanes de Delibes, et Psi/ché, de
M. Ambroise Thomas, merveilleusement interprétés par leurs élèves. Parmi
ces dernières, on a très remarqué l'intelligence et lejoli art de chanter de
M""= de Berny.
— A la soirée musicale qui a suivi le dernier dîner franc-comtois des
Gauies, on a entendu plusieurs morceaux du recueil des Mélodies populaires
de M. Julien Tiersot, notamment /« Pernette, le Pauvre laboureur, Rossigno-
let du bois joli. En passant par la Lorraine, etc. Ces dernières, notamment,
ont été chantées d'une façon charmante et avec une grande justesse de
voix et-.Ele diction par une élève du Conservatoire, M"" Blanckaërt. M. Da-
vrigny, de la Comédie-Française, MM. A. Dien, Paul Brand et Ratez ont
été également applaudis dans les autres parties du programme.
— La Société d'auditions Emile Pichoz a offert aux invités de sa der-
nière séance la primeur d'un opéra-comique en deux actes intitulé /a Pierre
enchantée, dont la musique, signée Georges Villain, a trouvé l'accueil le
plus chaleureux. Plusieurs morceaux, d'une facture élégante et d'un tour
gracieux, ont été bissés aux excellents interprètes, qui s'appelaient
Mmes Durand (de lOpéra-Comique), Debério (des Bouffes), MM. Vallon et
Grimaud.
— Soirées et Concerts. — Mardi, 12 mai, très intéressant concert de M"° José-
phine Martin avec le concours de M"" Godard, viotoniste, et de M. Hasselmans,
liarpisle. M' ' Martin a interprété avec son talent bien connu la Sonate à Kreutzer,
de Beethoven ; elle a été très applaudie dans plusieurs pièces de Chopin, une
Tarentelle de Rubinstein, et quelques-unes de ses compositions. Grand succès
aussi pour M"" Godard, qui a dit à ravir le Cygne de Saint-Saëns et la Mazurka
de Wieniawski. La partie vocale était réservée à M""^ Watto et à M. Rondeau, qui
s'en sont admirablement acquittés. — Le concert de l'excellent professeur de
chant M"" Cécile O'Torke, a été de tout point réussi ; nous adressons nos plus
sincères félicitations à la charmante bénéficiaire et à ses vaillants partenaires.
Nous devons une mention spéciale à M. Fiirstenberg, l'élève favori de Delle-
Sedie, qui nous a enthousiasmés en chantant avec une voix splendide, un art
consommé et une chaleuf vraiment communicative, le duo du Trouvère, Medjé, de
Gounod, et une délicieuse mélodie de Léo Delibes, les Regrets, qui lui a été
redemandée par la salle entière. — Jeudi dernier a eu lieu, dans les salons de
l'éminent professeur de piano M"° Barbier-Jussy, une audition des œuvres du
sympathique compositeur Paul Wachs Parmi les plus applaudies, nous citerons
la Mazurka des Sauterelles, la Polka électrique et la Vatse interrompue. — Le 19 mai,
concert de M"* Gabrielle Ferrari avec le concours de M. Plançon. Beethoven,
Schumann, Chopin et Liszt étaient représentés sur le programme par des œuvres
importantes. On a remarqué surtout la manière fluide et légère avec laquelle cer-
taines compositions, notamment celles de Chopin, étaient interprétées. M. Plançon
a été applaudi dans plusieurs mélodies. — Le 19 mai, salle Pleyel, très intéres-
sant concert de M"' Albertina Magnien, élève de M. Ch. Dancla. M"" Magnien
a joué avec beaucoup de solidité, de pureté et de justesse une sonate de M. Grieg,
le Souvenir de Prague (Introduction et Rondo-caprice) de M. Ch. Dancla, œuvre
difficile, bien mélodique et très brillante, deux jolies pièces de M. Godard et des
morceaux de Vieuxtemps. M"° Cognault a été très fêtée dans la valse chantée
du Pardon de Ploërmel. M. Mazalbert a été applaudi dans la Sérénade de M"° Holmes,
et M"^ Steiger a joué avec beaucoup de grâce et de distinction plusieurs mor-
ceaux de piano. — Très intéressante matinée d'élèves chez l'excellent professeur
Lœsser; tous ces petits virtuoses s'en sont donné à cœur joie et ont tait grand
plaisir. Remarqué surtout au prog'amme ; l'Aragonaise du Cid de ■\Iassenet, la
Berceuse de Diémer, la Vatse des Pileuses de Rougnon, le Boléro à quatre mains de
Scharwenka, le célèbre duo de Lysberg à deux pianos sur Don Juan, etc., etc. —
Jolie matinée musicale au lycée Michelet, où M"° Clotilde Kleeberg a interprété
d'une merveilleuse façon TAurore de Bizet et le Réveil de Théodore Dubois.
— Concerts annoncés. — Jeudi 28 mai, salle Pleyel, à 9 heures précises du soir,
concertau profit d'un artiste, donné par M"* Jaëll, avec le concours de M"* Conneau,
de MM. Warmbrodt, Delaborde, Marsick et TafTanel. — Lundi soir i" juin,
soirée musicale donnée par M. Charles Dancla dans les salons Pleyel et Wolff,
avec le concours de M"" Cognault, Magnien, B. Rie, L. Dancla, et de Marcy.
NÉCROLOGIE
A Londres est mort un professeur réputé, nommé Joseph Proudman,
qui était l'un des adeptes les plus fervents du système musical purement
anglais, connu en ce pays sous le nom de Tonic sol-fa. Né en 1833 à
Londres, où il jouissait d'une véritable renommée comme directeur de
chœurs, il avait publié en cette ville deux ouvrages d'enseignement qui y
avaient été très favorablement accueillis : Musical Lectures and Sketches (1869),
et Musical Jossings (1872).
— On annonce de Rome la mort d'un dilettante et amateur de musique
fort distingué, le marquis Emanuele Pes di Villamarina, gentilhomme
d'honneur de la reine d'Italie, qui était président de l'Académie de Sainte-
Cécile.
— A Buda-Pesth vient de mourir, à l'âge de 71 ans, un chanteur long-
temps renommé, Joseph Ellinger, qui, de simple choriste qu'il avait com-
mencé par être, était devenu le premier ténor chéri du public du Théâtre-
National.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente chez MACKAR et NOËL, éditeurs de Tschaïkowsky, 22, passage
des Panoramas, Paris.
A. LA'VIGNAG, professeur d'harmonie au Conservatoire :
L'École de la Pédale du Piano, ouvrage contenant l'histoire de la
Pédale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, accompagnée
de nombreux exemples tirés des grands maîtres (80 pages de texte), et sui-
vie de Douze Études spéciales pour l'emploi de la Pédale (Ouvrage
dédié à Louis Diémer.)
Un beau volume in-4°, net : 13 francs.
Du même auteur :
Op. 2-4. Scherzo-Caprice 7 SO
Op. 31. Dix Préludes, divisés en cinq cahiers, chaque cahier. . 7 SO
Dimanehe 31 Mai 1891.
3139 - 57- ANNÉE - W 22. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGBLr, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Ciiant, 20 fr.; Teste et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (11' article), Albert Sodbies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Une préface de Ludovic Halévy à propos
de Georges Bizet. — III. La musique et le théâtre j.u ijalon des Champs-
Elysées (3« article), Camille Le Senne. — IV. Napoléom'dilettante (1U« article),
Edmond Neukomh et Paul b'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
BERCEUSE
nouvelle mélodie de Balthasar-Florexce, poésie de Ch. Fuster. — Suivra
immédiatement: la Captive, mélodie posthume de Gn.-B. Lysberg.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Battons le fer, nouvelle polka de Philippe Fahrbach. — Suivra
immédiatement : Aria, pour piano, de Robert Fischhof.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Cbarles JVIALHEFIBB
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lalla-Roiikh ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-1864.
(Suite.)
Pour Bataille d'amour, le cas parait plus simple. Une comé-
die d'intrigue, animée, amusante et rentrant bien dans la
catégorie des opéras-comiques qu'on aimait autrefois; une
partition écrite par un musicien qui n'était pas sans mérite,
et malgré cela un échec, complet : ainsi en avait décidé le
caprice du public ! Victorien Sardou et Karl Daclin avaient
arrangé le livret d'après une œuvre jouée en 1786 ; Guerre
ouverte ou Muse contre ruse, comédie de Dumaniant, qui s'était
inspiré de Beaumarchais, lequel avait puisé dans une pièce
espagnole de Moreta y Gabana, intitulée la Chose impossible. La
guerre était engagée entre un comte, Tancrède, qui aimait
Diane et pariait de l'enlever, et un baron qui, prétendant
faire épouser sa nièce à un personnage ridicule, soutenait le
pari. Après mille ruses déjouées savamment de part et d'autre,
le baron tombait dans un piège imprévu. Il avait soustrait
à la jeune fille ses vêtements pour rendre l'enlèvement im-
possible; aux habits de femme on substituait des habits
d'homme; le baron, trompé par le costume, prenait sa nièce
pour Tancrède et le mettait lui-même à la porte : la gageure
était ainsi gagnée. Si la pièce était gaie, la partition ne Tétait
guère ; en outre, le compositeur, Vaucorbeil, avait eu l'idée
d'accorder sa musique avec le cadre où se passait l'action, et
de faire par conséquent une sorte de pastiche. Dans une
opérette donnée récemment, la Petite Fronde, M. Audran s'était
hasardé dans une voie analogue, et, cette fois encore, malgré
des pages charmantes, le public demeura froid. C'est que
l'érudition n'intéresse jamais que les érudits; la musique
d'hier attire les seuls curieux ; les ignorants lui préfèrent
celle d'aujourd'hui, et les connaisseurs celle de demain.
Pour écrire ses Bourguignonnes, M. Deffès n'avait pas eu tant
de souci de la couleur locale ou « chronologique », si l'on
peut s'exprimer ainsi. Il avait traité gaiement le sujet gai fourni
par Meilhac, sujet qui transportait l'idée d'toi Caprice dans le
cadre d'une paysannerie, et ce petit acte avait réussi à la
salle Favart, comme il avait réussi l'année précédente à
Ems, où il avait été donné la première fois. Ajoutons que la
pièce était joyeusement présentée par Ponchard, M^Decroix,
qui rentrait à la salle Favart, et M"« Girard, qui venait y faire
consacrer une réputation justement conquise au Théâtre-
Lyrique; car c'était une excellente « dugazon », une des
meilleures qu'ait eues l'Opéra-Comique de notre temps.
Ce début fut d'ailleurs le plus important de l'année avec
celui d'Eugène Bataille, pour qui l'on reprit le Caïd, et qui
parut le 5 septembre un tambour-major « élégant, bon chan-
teur et comédien » au dire des journaux. S'il ne valait pas
son homonyme Battaille, dont il semblait recueillir la suc-
cession, il était appelé à rendre du moins de grands services
non seulement à l'Opéra-Comique, mais encore à l'Opéra, où,
vingt-sept ans plus tard, il créait le rôle de Charles-Quint
dans ïAscanio de Saint-Saëns, et, certain soir, sauvait la re-
cette en jouant à l'improviste le Saint-Bris des Huguenots.
Les autres débutants méritent tout juste une mention :
d'abord M"<= Périer dans le Docteur Miroholan (rôle d'Isabelle) ;
le 23 juin, M. Mirai dans le Chalet (rôle de Daniel), ténor en-
gagé seulement en représentations pour juillet et août, et qui
partit ensuite pour Lyon ; puis, dans Haydée M"« Irène Lam-
bert, jeune soprano qui venait de Rouen et devait, l'année
suivante, chanter à Toulouse; le 16 juillet, M. Carrier, dans
la Fausse Magie (rôle de Dalin) ; en août, M. Justin Née dans
le Songe d'une nuit d'été (rôle de Latimer), jeune ténor qui venait
de province et ne tarda pas à y retourner; ensuite M. ïïé-
nault, autre ténor qui parut dans le même rôle et ne donna
que quelques représentations ; M. Albert dans Haydée (rôle
d'Andréa), ténorino aussi « quelconque » que son nom
même ; le 29 novembre, M""^ Hennezel-Colas dans les Noces de
170
LE MENESTREL
Jeannette, une sœur de Stella Colas, qui ne fit que passer ;
enfin M. Trillet àa.ns Joconde (rôle de Lucas), ténor léger qui,
après avoir chanté à Lyon, avait été engagé par M. Carvalho
au Théâtre-Lyrique: sans parler de M. Bonnefoy, baryton de
la Monnaie de Bruxelles, qui, le 12 juillet joua dans Galathée
le rôle de Pygmalion, remplaçant à l'improviste Troy, subite-
ment indisposé ; en tout neuf artistes, dont pas un ne put se
fixer à la salle Favart. A ces noms on pourrait joindre celui
de M™ Ugalde, qui allait et venait sur l'ancien théâtre de ses
succès, et, sortant des Bouffes, donnait en juillet quelques
représentalions de Galathée. D'autres .enfin étaient partis au
cours de l'année, comme Gaussade, engagé à Alger, M"^' Fer-
dinand et Bléau, toutes deux engagées à Bordeaux.
Mais la troupe gardait d'assez bons éléments pour suiBre
aux besoins des reprises, et celles-ci furent assez nombreuses
en 1863 ; le directeur de Leuven se conformait à la ligne de
conduite tracée par son prédécesseur Emile Perrin. Rappelons
donc:
Le 27 avril, la Chanteuse voilée avec Capoul, Gourdin et M"*^ Mari-
mon, pièce qui n'avait pas été jouée depuis 4853 et qui,
après onze représentations, disparut à jamais de l'affiche.
Le 7 mai, Hatjdée qui, à vrai dire, n'avait jamais quitté le
répertoire, mais où paraissaient pour la première fois, dans
les deux principaux rôles, Âchard et M"« Baretti. Le premier
soir, Prilleux, un excellent Dominico, fut remplacé, pour cause
d'indisposition, par son camarade Duvernoy, et la représen-
tation put suivre son cours; les journaux firent bien quel-
ques réserves sur cette nouvelle distribution, mais le public
parut la trouver à son goût, puisque Haydée fut encore jouée
trente fois avant la fin de l'année.
Le 6 juin, Zn»ipa, qu'on n'avait pas revu depuis 1858. Mon-
taubry (Zampa), Capoul (Alphonse), Sainte-Foy (Dandolo),
Potel (Daniel), M"<^s Gico (Camille) et Belia (Rita), formaient
un ensemble excellent, et assurèrent le succès de cette reprise,
la plus brillante même obtenue par l'ouvrage depuis son
apparition, puisqu'elle ne compta pas moins de cinquante et une
représentations en cette demi-année 1863.
Le 16 juillet, la Fausse Magie, qui datait de 1773 et n'a-
vait guère réussi alors, surtout à cause de la médiocrité du
poème de Marmontel, car la musique en est charmante, et
Grétry la goûtait plus que celle de beaucoup d'autres de ses
ouvrages plus populaires. On l'avait bien reprise en 1828,
mais elle n'avait jamais été jouée à la salle Favarl. Confiée
à Gourdin (Dorimont), Carrier (Dalin, rôle de début), Pon-
chard (Linval), M'''^^ Girard (Lucette), Rovelly (M-^^ Saint-Clair),
la Fausse Magie obtint un regain de vingt et une soirées.
La reprise de la Fausse Magie avait eu lieu le même soir
que la représentation des Bourguignonnes (16 juillet). Un mois
plus tard on célébrait, comme de coutume, la fête de l'Empe-
reur. L'année précédente on avait chanté les bienfaits de la
paix, cette fois on célébrait les gloires de la guerre, et quelle
guerre, hélas ! celle du Mexique. A l'Opéra, la cantate, com-
posée par M. Gastinel, s'appelait simplement Mexico; à
l'Opéra- Comique , la cantate, composée par Lefébure-Wély,
s'appelait Ajw'es la victoire et fut dite par Troy, Crosti, M"" Gi-
rard et les chœurs. Ces sortes d'improvisations, sur com-
mande, n'avaient le plus souvent d'autre méi"ite que celui
de valoir aux auteurs un petit cadeau du souverain. Poètes
et musiciens s'escrimaient de leur mieux, sans éviter toujours
la banalité, et M. Bouscatel avait sans doute pensé qu'il
pouvait, comme les autres, accorder sa lyre. C'est ainsi que
l'on entendait une série de strophes dans le goût de celle-ci :
Formez des chœurs et que f'on danse !
Mêlez vos refrains,
Clairons, tambourins !
Ran, plan, plan, ta, ta, ta.
Allons, en cadence,
Fêtons l'abondance,
Chantons et dansons
Au bruit des canons.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
UNE PRÉFACE DE LUDOVIC HALÉVY A TROPOS DE GEORGES BIZET
Le succès des Notes d'un librettiste de notre collaborateur Louis Gallet
qui furent publiées ici-même, est encore trop près de nous pour qu'on
l'ait oublié déjà, bien que les hommes et les choses passent vite à Paris.
Ces Notes viennent d'être réunies en un élégant volume et elles paraissent,
cette semaine, chez Calmann Lévy. Ce n'est pas au Ménestrel que nous
avons à revenir sur les mérites de ces petits récits toujours séduisants et
souvent émus, qui touchent à tout et à tous d'une main légère et bien-
veillante, encore que la malice et l'esprit y trouvent bien leur place aussi.
De tout cela, nos lecteurs ont pu se rendre compte par le menu, puisque
ces notes ont d'abord passé sous leurs yeux. L'auteur y a bien ajouté de-
ci de-là quelques pages importantes, mais le principal nous a été donné
eu primeur. Voici pourtant une préface inédite qui a bien son prix, puis-
qu'elle est signée «Ludovic Halévy » et qu'elle contient nombre dé lettres
charmantes et inédites de notre pauvre et cher Bizet. Comme nous n'avons
pas grand'chose à vous raconter sur les théâtres dans leur gestation d'été
— quel été! — nous sommes bien heureux de vous offrir ce joli régal.
PRÉFACE
A Louis Gallet.
« Nous sommes bien tristes, car nous venons d'apprendre la mort
de Léon Benouville. Donnez-vous du mal pour avoir le prix de
Rome, luttez au retour pour vous faire une belle position, et cela
aboutira peut-être à mourir à trente-huit ans. Ça n'est pas gai.
Benouville était décoré depuis cinq ans, c'était un peintre d'une
valeur incontestable, et l'Institut l'aurait très certainement élu d'ici
peu d'années. »
Ces lignes, mon cher confrère et ami, sont de Georges Bizet. Elles
ont été écrites à Rome le 17 février 18o7. Lui aussi venait de se
donner du mal pour avoir le prix de Rome. Lui aussi devait lutter
pour se faire um belle position, et il mourait, à trente-six ans, pres-
qu'au lendemain du jour où il avait été décoré, et très certainement
peu d'années le séparaient de son élection à l'Institut. Toute la des-
tinée de Bizet lient en ces quelques lignes sur la mort de Léon
Benouville.
Vous avez bien voulu me demander d'écrire la préface de votre
très remarquable volume. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt, avec
beaucoup d'émotion, ce livre où. vous parlez, avec tant de talent et
tant de cœur, de ceux qui ont été vos compagnons de travail et de
succès. Vous avez pensé que je pourrais ajouter quelque chose à
votre étude sur Bizet. Savez-vous ce que je vais faire? Je vais
laisser parler Bizet lui-même. Cela vaudra mieux, beaucoup mieux
que tout ce que je saurais dire.
Quand je veux retrouver Bizet, dans tout le charme de sa jeu-
nesse, je relis une longue suite de lettres écrites par lui à sa mère
pendant son séjour à la villa Médicis. Je vais vous donner des
extraits de ces lettres. Vous verrez ce qu'il était à dix-huit ans,
comment il écrivait, comment il pensait, comment il aimait, enfin
tout ce qu'il y avait en lui de bonté, de droiture et de courage.
Georges Bizet arrive en Italie, et le voilà tout aussitôt pris de
tendresse et d'admiration pour Rome ; on a fait, il y a quelques
mois, une sorte de petite campagne contre l'école de France à Rome.
« Des peintres, des sculpteurs en Italie, disait-on, passe encore,
cela peut se comprendre, mais des musiciens, pourquoi ? » Pour-
quoi? voici la réponse de Bizet :
« Rien n'est beau comme Rome. Plus je la connais, plus je l'aime
Tout est admirable ici. Chaque rue, même la plus sale, a son carac-
tère particulier et son petit reste de l'antique ville des Césars. Les
choses qui me frappaient le plus à mon arrivée à Rome, font main--
tenant partie de mon existence ; les Madones au-dessus de chaque
réverbère, le linge à sécher étendu à toutes les fenêtres, le fumier
au milieu des places, les mendiants, etc., etc., tout cela me plait
et m'amuse.
» A propos de mendiants, hier, un monsieur assez mal mis m'a-
borde en me demandant l'aumône, je lui donne un sou, il le prend,
le regarde d'un air méprisant, puis le jette par terre, et, tirant de
sa poche un élégant porte-cigares très bien garni, me le présente,
en me disant : — Ils coûtent un sou et demi.
s Je voudrais le faire visiter le paradis que nous habitons et que
l'on nomme villa Médicis. C'est délicieux. Les levers et les couchers
de soleil sont splendides. Mon rêve est plus tard de venir composer
ici; on travaille mieux à Rome qu'à Paris... Plus je vais et plus je
plains les imbéciles qui n'ont pas su comprendre le bonheur des
pensionnaires de l'Académie. Au reste, je remarque que ceux-là, ,
LE MÉNESTREL
171
X., Y., Z., n'ont jamais fait grand'cliose, tandis que Thomas,
Halévy, Gounod, Berlioz, Massé, ont les larmes aux yeux en par-
lant de Rome.
» Ce qui me frappe le plus, c'est l'innocence des naturels du pays,
et par innocence, j'entends ignorance, car les femmes ne sont pas plus
vertueuses ici qu'à Paris. Moi qui espérais en quittant la France
n'avoir plus d'exemples de la légèreté des femmes ! Je suis sur que
tu es furieuse contre moi en lisant cela, mais que veux-tu? vous
autres, rares femmes vraiment vertueuses, qui vivez de devoir, de
dévouement et d'amour de la famille, vous ne voulez pas com-
prendre que vous avez mille fois plus de mérite que les saintes
martyres, vous ne le croirez jamais... Heureusement, nous le croyons
pour vous. »
Toutes ces choses charmantes sont écrites d'un trait, d'une main
rapide et légère, sans une rature, sans une hésitation. Bizet écrit
comme il aime, facilement, naturellement, à cœur ouvert. Il adorait
sa mère, qui était une personne de la plus haute intelligence ; il se
plaisait à lui rendre compte de l'état de ses travaux et du mouve-
ment de ses pensées. Il lui écrivait le 2 janvier 1839 :
« Voilà un an que je suis parti. Je n'ai plus que deux ans à être
parfaitement heureux. Je n'ai pas trop mal employé mon année. J'ai
lu plus de cinquante bons volumes tant d'histoire que de littéra-
ture, j'ai voyagé, j'ai appris un peu l'histoire de l'art, je suis devenu
un peu connaisseur en peinture, en sculpture, etc., j'ai fait autant
de musique qu'on peut en faire en quatre mois en travaillant cons-
tamment. Enfin, je n'ai pas perdu mon temps. Mon envoi boulotte
toujours gentiment, il sera complètement fini, orchestré et copié le
1'='^ avril. Tout marche bien. Pourvu que je trouve, en revenant,
trois jolis actes pour le Théâtre-Lyrique 1
» Ma lettre va vous arriver en plein jour de l'an. Je vais donc
vous envoyer tous mes souhaits. Je commencerai par désirer pour
vous deux la parfaite santé du corps sans laquelle la sanlé de l'es-
prit n'est pas possible. Ensuite je demanderai que l'argent, cet
affreux métal auquel nous sommes tous soumis, ne vous fasse pas
trop défaut. De ce côté-là j'ai un petit plan. Quand j'aurai cent
mille francs, c'est-à-dire du pain sur la planche, papa ne donnera
plus de leçons, ni moi non plus. Nous commencerons la vie de
rentier et ce ne sera pas dommage. Cent mille francs, ce n'est
« rien », deux succès d'opéra-comique. Un succès comme le Pro-
phète rapporte un million. Enfin, je me souhaite de vous aimer tou-
jours de toute mon âme et d'être toujours, comme aujourd'hui, le
plus aimant des fils. »
Autre lettre de ce même mois, janvier 1839.
« Chère mère, je commence par te donner des nouvelles de mon
travail ; elles sont bonnes. Mes idées de symphonie me poursuivent
et je suis presque arrivé à mettre un finale sur ses pattes. J'ai fait,
je crois, d'immenses progrès ; je refais très facilement et je sais la
valeur de ce que j'écris ; deux bons symptômes. Je crois que vous
trouverez que ma musique actuelle est tout autre chose que ce que
je faisais à Paris, même quand je réussissais. Je sens que plus je
vais, plus j'avance. Espérons que je ne m'arrêterai pas. Il faut cela,
■car le très bien est si difficile qu'on n'a pas assez de toute la vie
pour s'en approcher. »
Vous avez entendu parler le fils; écoutez maintenaat l'ami. Le
mois suivant, Bizet a la joie de voir arriver à la villa Médicis son
camarade Ernest Guiraud. Il écrit à sa mère :
« Guiraud est arrivé ; il est aimable, modeste, franc et loyal ;
nous avons les mêmes idées musicales. Il m'a joué sa cantate, qui
est fort bonne; c'est infiniment supérieur à la mienne; c'est plus
fait, mieux senti; c'est plus l'œuvre d'an homme. »
Bizet a l'amour du travail, la passion de son art. Il a peur de ne
jamais l'atteindre, ce li-és bien dont il cherche sans cesse à appro-
cher. Dans une heure d'inquiétude il écrit à sa mère, le S jan-
vier 1860 :
« Ah! que je regrette de ne pas l'avoir à côté de moi pour te
demander ton avis sur mon travail. Enfin, tu nje diras cela au
retour. Ma carrière me semble de plus en plus épineuse. II y a des
moments oii l'on regretterait presque de n'être pas dans les soies
ou dans les cannelles. A propos de cannelle, je viens de manger un
gâteau qui en était rempli. Ces diables d'Italiens n'eutendent rien
ni à l'art ni à la pâtisserie, qui sont les deux préoccupations cons-
tantes de ton fils chéri et chérissant. »
Deux mois après, la confiance est revenue, et Bizet écrit :
20 mars ISGil.
« Je t'ai annoncé la fin de Vasco de Gama. C'est orchestré et copié.
Je pourrais me contenter de cela : qualité, quantité, je crois que
c'est suffisant comme envoi de Rome. Mais désirant faire un travail
plus important que l'année dernière, j'avais commencé l'Amour peintre
de Molière. Je me suis arrêté, voici pourquoi.
» Tu sais, ou plutôt tu ne sais pas, que l'Académie, outre son rap-
port imprimé, fait un rapport écrit qui nous est adressé. Ce rapport
contient ordinairement des conseils et des critiques qui ne sont pas
dans l'autre. Nous venons de recevoir ce manuscrit. L'article me
concernant est encore plus flatteur que ce que tu connais, mais il
est précédé d'un petit suif ainsi conçu :
« Nous devons blâmer M. Bizet d'avoir fait un opéra bouffe, quand
le règlement demandait une messe. Nous- lui rappellerons que les
natures les plus enjouées trouvent dans la méditation et l'interpré-
tation des choses sublimes un style indispensable même dans les
productions légères et sans lequel une œuvre ne saurait être du-
rable. »
» Tu comprends que cela a changé un peu mes projets, et j'ai
immédiatement abandonné le petit opéra-comique. Le parti le plus
simple était de compléter mon œuvre par un Credo. Ce morceau de
la messe présente, outre le sentiment religieux, un drame, une action :
le Resurrexit et le Et ascendit... Mais je ne veux pas faire une messe
avant d'être en état de la faire bien, c'est-à-dire chrétienne. J'ai donc
pris une résolution singulière pour accorder mes idées avec l'exi-
gence réglementaire de l'Académie. On me demande du religieux...
Eh bien, je ferai du religieux, mais du religieux païen. Carmen
seculare (Chant séculaire) d'Horace me tentait depuis longtemps.
Rien de plus beau dans l'antiquité latine, et Virgile, et Lucrèce, et
Horace lui-même, n'ont rien écrit d'aussi grand, d'aussi pur, d'aussi
élevé. C'est un chant à Apollon et Diane, à deux chœurs, c'est de
la poésie libre au lieu de prose, ce qui est beaucoup plus mesuré,
plus rythmé, plus musical. Puis, à vrai dire, je me sens plus pa'ien
que chrétien. J'ai toujours lu les antiques avec un plaisir infini. »
Dans les premiers jours de juin, avant d'emballer son envoi, il relit,
il revoit son Vasco de Gama. Et décidément il est content; son
opinion est faite, et elle est bonne :
« Je te dis cela en cachette, tout à fait en cachette. II faut que
ce soit toi pour que j'ose une pareille confidence ; je sens que j'ai
fait presque bien et que je vais faire dix fois mieux encore. Je
peux affirmer enfin que je suis un musicien, ce dont j'ai douté bien
longtemps. Que j'arrive en deux, quatre ou dix ans, peu importe.
Je suis assez jeune pour ne pas perdre l'espérance de jouir de mes
succès. »
A chaque page, dans ces lettres, on rencontre de ces phrases
déchirantes : assez jeune piour jouir de mes succès. Et jamais il n'en a
joui. Vous donnez, dans votre étude sur Bizet, de bien curieux
extraits des articles publiés sur Djamileh. Aussi cruels, aussi in-
justes, furent les articles sur Carmen.. Je vois encore Bizet lisant
ces articles, au lendemain de la première représentation. Attristé,
oui certes il l'était, mais découragé, non. Il allait partir pour la
campagne. Il vous demandait votre manuscrit de Geneviève de Paris,
C'était à cela qu'il voulait se donner tout entier... et la mort est
venue. Pauvre cher Bizet ! Une intelligence si haute et un cœur si
tendre ! Dans ses lettres de Rome il se montre tel qu'il était à
vingt ans, tel qu'il a toujours été. Jusqu'au dernier jour, il a gardé
cette ardeur dans le travail, cet enthousiasme pour son art, cette
fidélité dans l'amitié, cette jeunesse et cette fraîcheur d'âme.
Au nom de tous ceux qui l'ont aimé, je vous remercie d'avoir
écrit sur lui ces pages louchantes, et vous me saurez gré, j'en suis
sûr, d'avoir fait écrire par Bizel cette préface que je ne puis signer
que pour copie conforme.
Ludovic Halévy.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
Cette revue à vol d'oiseau du Salon de 1891 serait incomplète si
je ne faisais une large part au portrait, qui reste une des gloires
incontestées de notre école française. En première ligne, quelques
études très fines et d'un rendu suggestif : M"= Brandès, par M. Char-
tran; le violoniste Lefort, par Comerre; Sully-Prudhomme, par Georges
Sauvage; Duponl-Vernon, par Louis-Edouard Fournier; M. Mobis-
son, par Resseq; Jean Coquelin, par Duvent; Marais (dans Ther-
midor), par Albert Lambert; M"" Eames, par Julian Story; Sarah
Bernhardt, par Spindler. Mention spéciale au portrait de M. Lamou-
reux, par M"'" Coeffier, une des belles œuvres du Salon, d'une exé-
i72
LE MEiNESTREL
cution magistrale et d'une étonnante vérité. C'est le coin de l'as-
tualité, et celui oii s'entasse le plus volontiers le Tout-Paris des
vendredis fashionables.
A signaler encore un intéressant portrait au pastel de M™' Jules
Cohen, par M"" Van-Parys; un autre pastel d'après Laroche, de la
Comédie-Française, par Laissement; et, dans la même série, une
bonne aquarelle de M"' Delaeroix-Garnier, « Musique de chambre »,
ainsi que deux compositions de M. Gorguet pour l'illustration de
Psyché.
Les graveurs prennent cette année une brillante revanche de la
quarantaine ou les tenait jadis la Société des Artistes libres, au seuil
de la terre promise, je veux dire en des salles si lointaines, si
froides, si enténébrées, qu'elles donnaient une idée approximative
des limbes où doivent errer — éternellement — les âmes des artistes
médiocres, en dehors du blAme comme au-dessous de la louange.
Cette année, les graveurs ont deux salles enclavées dans les gale-
ries de peinture, et il faudrait un parti pris bien tenace pour les
ignorer. Aussi bien, dans ce bataillon compact, les spécialistes qui
nous intéressent forment une compagnie de belle apparence. Voici
la « Chimère » de Gustave Moreau, par M. Manchon; une incom-
parable « Mignon « de Chauvel, d'après Rolshoven; la « Danseuse »
de Ruffe, d'après Flameng ; la « Danse des bacchantes » de M"" Leluc
d'après Corot; la « Cigale » de Lamotte, d'après Metzmacker; la
jeune fille recueillant la tète d'Orphée de Perret, d'après Gustave
Moreau; la Jeune femme jouant de la mandoline de Deprad, d'après
Palmaroli; la « Musique sacrée » de M'"^ Martha, d'après Dubufl'e-
la « Pavane » de Champollion, d'après Jacquet. Une belle eau-forle
de Dake : Beethoven. Enfin un chef-d'œuvre : les illustrations de
Fantin-Latour pour l'Enfance du Christ de Berlioz et Lohengrin de
"Wagner.
La supériorité de notre école de sculpture est un des lieux com-
muns les plus accrédités et les plus justifiés de l'admiration euro-
péenne. Le talent de nos statuaires est parvenu à ce degré où l'on
se passe d'émulation, où les artistes se suffisent à eux-mêmes et
s'entretiennent par leurs propres forces. Notre sculpture est la pre-
mière du monde, et, bien qu'aucune concurrence sérieuse ne soit
venue forcer nos nationaux à serrer les rangs, ils ont profité de cette
situation exceptionnelle, non pour se disperser au gré de leur fan-
taisie, comme des écoliers faisant l'école buissonnière. mais pour
former des groupes de moissonneurs ayant chacun son lot et sa ré-
colte. Variété, originalité, noblesse; des virtuosités délicates allant
très rarement jusqu'aux trivialités du bas naturalisme; la fleur du
marbre, l'austérité du bronze, l'imprévu et les souplesses de la
terre cuite s'associant sans se heurter, tel est le merveilleux en-
semble obtenu grâce à une intelligente sélection.
C'est le groupe des Dianes chasseresses qui ouvre la marche : la
« Diane » do Falguière, curieuse modification d'une formule hau-
taine et chaste, qui hante le statuaire ; celte fois, sans aucun doute,
la « Diane victorieuse » dont la flèche a touché son but et dont le
clair regard hypnotise encore la proie convoitée ; la « Diane à sa
toilette » de Mereié, une figurine, une statuette, et pour toucher
d'un seul plongeon le fond de l'anachronisme, un petit Saxe de
Tanagra; la « Diane » de M. Syamur, une Anglaise très distinguée,
une lady après le costume de ville et avant le costume de bain, le
coude posé sur un rocher. Deux polychromies exquises : « la Dan-
seuse » de M. Gérôme, qui fait annuellement les plus heureuses
infidélités à ses pinceaux, et 1' « Aciéon » de M. Soldi, d'une exé-
cution fort souple, d'une coloration ingénieuse et d'un ensemble
réjouissant à l'œil. Saluons encore au passage le joli « Mozart en-
fant » de Barrias, depuis longtemps célèbre et même populaire, et
revenons à la statuaire symbolico-biblique avec « l'Eternel poème»
du très personnel Antonin Cariés ; « la tentation d'Eve », la cueil-
lette fatale du fruit défendu.
Que de Jeannes d'Arc ! On ne dira pas que MM. Jules Barbier et
Joseph Fabre manquent d'émulés sur le terrain de la statuaire !
Voici, en première ligne, une intéressante composition d'André Allar,
le modèle du groupe destiné à prendre place sous le porche de la
nouvelle basilique en construction à Domrémy : « Jeanne d'Arc
entendant les voix (saint Michel, sainte Catherine et sainte Mar-
guerite) qui lui ordonnent de partir au secours de la France ; » de
M. Théodore Greil, « Jeanne d'Arc », bas-relief en bronze ; de
M. Laurent Leclaire, « Jeanne se vouant au salut de son beau pays
de France », statue en plâtre ; de M. Mathurin Moreau une statuette
de l'héroïne; de M. Belouin, une « Jeanne d'Arc victorieuse »
groupe plâtre; de M. Chatrousse, « la Sainte de la Patrie », buste
en marbre. Sans transition, j'associe à ce bataillon de « bonnes Lor-
raines », le très mouvementé groupe en bronze de Guilbert, « la '
Revanche, » destiné à l'école de Saint-t~yr et commandé par les
promotions de 1870-1872.
Finissons-en avec les mythologies musicales et dramatiques. En
tête, l'Ariane de Racine :
. . . Ariane, ma sœur, de quel amour blessée,
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée...
une figure assez suggestive de H. de Montcourt; puis l'Orphée de
Paul Auberl, pleurant Eurydice :
... Il pleurait Eurydice et, plein de ses attraits,
Reprochait à Pluton ses perfides bienfaits.
d'après une traduction de Virgile qui me paraît du Delille de bien
petite marque. Voulez-vous des bacchantes? Elles se réunissent
toutes dans le plantureux modèle qu'expose M. Forestier.
Passons maintenant aux allégories sans caractéristique particu-
lière. Toute une série : une délicate statuette de Thabaud, n la
Poésie » ; une autre statuette d'Henri Weigele, « la Chanson » ; une
mignonne composition de Filhaslre, « la Chanson d'amour » ; puis
des statues: la Cigale, d'Henri Kossowski; autre Cigale, de Charles
Collet. Plus spéciales les deux remarquables études de M'"^ Jeanne
liasse : « Harpiste égyptienne » et « Jeune Danseuse. » Une petite
Polonaise, M""" de Taruowska-Andrioli, expose une statuette :
« Chantre populaire dans l'ancienne Pologne ». Quelques figurations
dramatiques: un groupe en plâtre de Loiseau-Rousseau, « la Mort
de Cordélia » ; une Desdémone de Léonard jeune; une Esmeralda
de M"'' Michel; une Carmen d'Emile Voyez; un Page de Roméo, qui
comptera parmi les créations les plus originales de Léon Fagel ;
une Mignon de Paul Mengier. M. Tbivier a pris pour légende ces
vers du Passant, de Coppée :
...Et, tant que je pourrai, je n'aurai pour fardeau
Qu'une plume au bonnet et ma guitare au dos.
...Cette nuit je te prends pour gîte, ô belle étoile,
Auberge du bon Dieu qui fais toujours crédit...
M. Aubert expose deux groupes en terre cuite très curieusement
fouillés : un Molière et « Gargantua en galante compagnie », qui
font penser à certaines toiles de Garnier. Nous revenons aux com-
positions austères avec le Dante, de Claude Le Bourg. Et il ne reste
plus qu'à mentionner la longue série des bustes : tout d'abord là
classique commande du ministère de l'instruction publique et des
beaux-arts, le petit meuble artistique pour les couloirs de l'Opéra,
représenté cette année par le buste en marbre de M"" Maillard, de
l'Académie nationale de musique ; auteur, M"" Coutan. Infiniment
plus moderniste et pas encore pour couloirs officiels, la plaquette
bronze de Jacques Froment-Meurice, d'après M"'= Peppa Invernizzi,
de la même Académie nationale. Même groupement, le buste en
bronze de M. Gailhard par Léopold Bernstamm. M. Houssin expose
un buste de la regrettée Céline Montaland, qui figurera tôt ou tard
au foyer de la Comédie-Française, et M. Lormier, plus actualiste,
nous montre Yvette Guilbert, la divette populaire, dans l'exercice
de son sourire. De Guilbert, un buste en bronze d'Edouard Noël:
un autre de Millet de Marcilly, d'après A. de Beauplan. En bronze
aussi, le Molier de M"" de Vériane. Heureusement, ce n'est qu'une
statuette, et qui peut donner l'illusion du mouvement.
(A suivre.) Camille Le Senne.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
VII
L'OPÉRA
Sous l'impulsion donnée par le premier consul, l'Opéra n'avait pas
tardé à prendre une place qui lui assignait la suprématie sur toutes-
les grandes scènes de l'Europe. Le monde entier fournissait son
tribut pour assurer cette prospérité. Aussi bien, nous avons vu
que Napoléon n'hésitait pas à transporter, à l'occasion, des troupes
entières de virtuoses, pour rehausser l'éclat de ses fêles musicales.
Il eût voulu de la musique partout; au point qu'il avait projeté de
restituer les tragédies antiques de Sophocle, d'Eschyle et d'Euripide,
avec les chœurs antiques. Mais Talma s'opposa de tout son pouvoir à
cette résurrection ; et comme son pouvoir élait grand, il gagna la
partie.
LE MENliSÏRIiL
173
A l'Opéra, Bonaparte restait maître absolu, ce qui assura la gloire
de cette scène. Il provoquait l'engagement d'artistes renommés, et,
suivant son habitude, ne négligeait pas les recrues propres à ren
forcer les rangs et à préparer l'avenir.
C'est ainsi que M. de Luçay, chargé, comme premier préfet du
palais, de la surveillance et de la direction principale de l'Opéra,
fit, par une circulaire, appel aux jeunes artistes des départements
possédant des voix « décidées » de haute-conire, de ténor, de con-
cordant ou taille, et de basse-taille.
Il les prévenait en même temps que les qualités suivantes leur
étaient indispensables :
« Le sujet qui se présentera, disait-il, doit savoir la musique et
solfier très couramment. Il ne devra pas avoir plus de 25 ans et
moins de 18; sa taille ne devra pas être au-dessus de cinq pieds
six pouces, ni au-dessous de cinq pieds deux pouces, à moins cepen-
dant qu'il n'ait une superbe voix; alors on regardera moins à la taille.
Une figure agréable est de première nécessité. Il devra appartenir
à une famille honnête et prouver qu'il a fait quelques études. Il
ne faut pas qu'il ait de défauts dans les yeux ; il lui faut toutes les
dents de la mâchoire, les jambes bien faites et le corps d'un em-
bonpoint honnête. Le sujet qui remplira toutes ces conditions se
fera inscrire à la préfecture de son département, qui m'en donnera
avis. Alors, il sera pris des mesures pour faire subir à l'aspirant
un premier examen sur les lieux. Le sujet auquel cet examen aura
été favorable, se transportera tout de suite à Paris, aux frais de
l'Académie impériale de musique, à l'effet d'y être immédiatement
examiné par les professeurs attachés à cet établissement. Ceux qui
auront été jugés réunir toutes les conditions demandées, seront
admis à l'Académie, et il leur sera de suite assuré un traitement
suffisant pour les mettre à même de ne s'occuper que de leurs
talents. Les sujets non reçus seront indemnisés d'une manière con-
venable. »
Avec ce système, il n'est pas étonnant que la troupe de l'Opéra
ait présente bientôt une perfection et une homogénéité qui valurent
à Bonnet, son directeur, les félicitations du premier consul :
« Monsieur, lui écrivait Bonaparte en 1803, croyez que je prends
le plus vif intérêt à tout ce que vous faites pour la prospérité de
l'Opéra français. Ne doutez pas de mon empressement à encourager
un théâtre qui a pour mission de répandre le goût des chefs-d'œuvre
de tous les maîtres anciens et nouveaux. Continuez à accueillir tout
ce qui a du génie, sans système exclusif, sans exception de per-
sonne. C'est le seul moyen d'entretenir l'émulation dans la grande
famille des musiciens et des artistes. »
L'un des premiers effets de ces heureuses dispositions fut le
retour aux anciennes traditions élégantes de la maison. Le foyer de
l'Opéra redevint, comme jadis, un salon de bonne compagnie, oîi se
retrouvaient toutes les illustrations du moment. On y voyait tous les
étrangers de distinction, les membres du corps diplomatique, les
sommités de l'ancienne noblesse et beaucoup de gens de lettres.
Parmi ces derniers, Bouilly, l'auteur des Contes à ma fille, De Jouj'.
librettiste à la mode, et Parseval-Grandmaison, déjà connu de nos
lecteurs, tenaient le dé de la conversation, qu'ils partageaient avec
le peintre David. Et, parmi les habitués de Taneien régime, on re-
marquait le marquis de Ximénès, grand conteur également, le
comte de Lauraguais, qui avait pris une part active aux luttes aux-
quelles avaient donné lieu les débuts de M"'=* Salle et Gamargo, et
le vicomte de Ségur, qui avait conservé soigneusement le costume
du Directoire et n'abordait jamais les gens qu'avec : Boiijou, mon ché,
comment vous pôtcz-vous ?
Au foyer se réunissaient également les auteurs habituels de la
maison et ceux des autres scènes lyriques. Quelle époque fut jamais
si fertile en grands musiciens!... Méliul, Spontini, Cherubiui, Lesueur,
Paër, Zingarelli, Berton, Monsigny, Nicolo, Dalayrac, Boieldieu !...
Quel bouquet mélodique ! Et quel ensemble merveilleux !
Il n'est aucun de ces maîtres qui n'ait eu part aux faveurs de
Napoléon. Seul, Gherubini n'en reçut que des marques affaiblies;
encore ne cessa-t-il point d'être aux yeux du souverain un musicien
de valeur, auquel son caractère peu sociable faisait un tort que son
talent ne suffisait pas à réparer.
L'origine des mauvais rapports de Gherubini et de Napoléon a été
racontée de diverses façons. Deux versions, très vraisemblables,
circulent à ce sujet. Elles ne varient guère que par la forme, et se
terminent toutes deux par un sarcasme de Gherubini.
Suivant Fétis, Bonaparte, au retour d'une do ses campagnes d'Italie,
manifesta le désir d'entendre au Conservatoire une marche de Pai-
siello. Mais ce maître, comme on lésait, n'était guère en vénération
à l'école de Sarrette. Aussi, prit-on cccasion de la requête du pre-
mier consul pour lui servir, à la place du morceau demandé, et cela
sous un prétexte peu sérieux, une marche funèbre écrite par Gheru-
bini pour les funérailles du général Hoche.
Bonaparte ne souffla mot et se contenta de se répandre en éloges
sur Paisiello. Le soir, après le dîner, auquel avait assisté Gheru-
bini, il revint sur ce thème, en lui disant :
— Je vous dis que j'aime beaucoup la musique de Paisiello : elle
est douce et tranquille. Vous avez beaucoup de talent ; mais vos
accompagnements sont trop forts.
— Citoyen consul, je me suis conformé au goût des Français.
— Votre musique fait trop de bruit : parlez-moi de celle de Pai-
siello; c'est celle-là qui me berce doucement.
— J'entends, citoyen consul, vous aimez la musique qui ne vous
empêche pas de songer aux affaires de l'État.
Le second récit se trouve dans un livre bien curieux, paru en
1820, et qui a pour titre : Paris, Saint-Cloud et les départements, ou
Bonaparte, sa famille et sa cour, par un chambellan forcé de l'être. . .
On y lit :
« Napoléon prétendait donuer des leçons de musique à nos meil-
leurs compositeurs. Un jour qu'il voulait faire entendre à l'un
d'eux que sa musique était trop chargée de motifs accessoires
contraires au système d'unité qui caractérise une mélodie parfaite, et
lui reprochait de n'être pas assez monotone, le musicien, qui connais-
sait probablement mieux l'art d'arranger les notes que le métier de
courtisan, lui répondit sèchement :
— Sire, permettez -moi de ne pas suivre vos conseils. Je ne me
pardonnerais jamais de donner à Votre Majesté un avis sur un plan
de campagne. »
Le chambellan malgré lui ne cite pas Gherubini; mais il est
évident qu'il s'agit de l'auteur des Deux Journées; — témoin ce
passage des Mémoires de M'^" de Rémusat :
« Napoléon repoussa toujours Gherubini, parce que celui-ci, mé-
content une fois d'une critique de Bonaparte, qui n'était encore que
général, lui avait répondu un peu brusquement qu'on pouvait être
habile sur le- champ de bataille et ne point se connaître en har-
monie. »
Quoi qu'il en soit de ces questions de détail, il est certain que ce
fut une réponse maladroite de Gherubini qui lui valut sa disgrâce,
disgrâce dont il souffrait beaucoup, et qu'aucune intercession ne
put faire cesser. Nous avons vu Méhul chercher à s'entremettre, à
propos de la place de maître de chapelle qu'on lui offrait et qu'il
perdit pour avoir voulu la partager avec son ami. Plus tard, il
revint à la charge, demandant la croix, demandant l'Institut pour
Gherubini, toutes distinctions qui lui étaient accordées, à lui, Mé-
hul, comme à la plupart des artistes du temps, sauf à l'auteur de
la marche funèbre sur la mort du général Hoche. Mais ce fut en
vain.
D'autres s'entremirent, sans plus de succès.
Un jour, M. de Rémusat, premier chambellan du palais, crut
devoir prendre la défense de Gherubini :
— Votre Majesté, dit-il, est un peu sévère pour ce pauvre Gheru-
bini : il est vraiment désolé de n'avoir jamais pu obtenir de Votre
Majesté un mot d'éloge ou d'encouragement.
A ces mots, la figure de l'empereur se rembrunit, son front se
plissa, et d'un ton sec :
— Monsieur, je ne dois compte à personne de mes affections ou
de mes antipathies... Au reste, vous choisissez mal vos protégés.;
tâchez d'avoir la main plus heureuse.
Rémusat, qui était, comme on l'a vu, le type du courtisan par
vocation, baissa la tête, et s'efforça probablement de chasser en
terre mieux amendée.
Livré à ses propres forces, Gherubini tenta un effort personnel
en composant un Pimmaglione, dans le genre de Paisiello, qui fut
représenté aux Tuileries et chanté par Crescentini. L'empereur fut
surpris, mais il ne revint pas sur le compte de l'auteur.
Cependant, le trouvant à Vienne, en 1806, il lui dit :
— Puisque vous êtes ici, monsieur Gherubini, nous ferons de la
musique ensemble; vous dirigerez nos concerts.
Il y en eut douze, tant à Vienne qu'à Schœnbrunn ; Gherubini
reçut une belle indemnité, — mais ce fut tout.
(A suivre.)
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
174
LE MENESTREL
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Théâtre KroU. A si-
gnaler une reprise très heureuse du Bal masqué, avec l'excellent baryton
d'Andrade dans le rôle de Renato, et l'engagement de M""= Marcella Sem-
brich pour une série de douze représentations. — A l'Opéra royal, les
vacances auront lieu cette année du 19 juin à fin août. — Charlottembourg
(le Montmartre de Berlin) va avoir un Opéra permanent. C'est dans la salle
Flora que fleurira l'entreprise, et c'est M. Heidenreich qui en sera le direc-
teur. — Brunn : La Cavalleria rusticana a effectué au Théâtre municipal une
triomphale première apparition. — Brunswick: Une nouvelle Loreki vient
de voir le feu de la rampe au Théâtre de la Cour. L'ouvrage est en trois
actes, et le musicien, M. Hans Sommer, Ta écrit selon les plus rigoureuses
théories wagnériennes. Le succès s'est surtout établi en faveur des inter-
prètes et de la très remarquable exécution, dirigée par M. Riedel. —
Cologne : Le Théâtre municipal retarde sa fermeture d'un mois pour
donner une série de représentations d'opérettes. Les vacances ne com-
mencent que le l«juin. — Francfort: Un nouveau ballet en un acte, la
Chasse aux papillons, vient d'être représenté au Théâtre municipal. M. Lo-
"VN'enbach en est l'auteur pour la musique et la chorégraphie; cette dernière
est de beaucoup la plus réussie. — Magdebourg : Le Théâtre municipal a
fermé ses portes pour la saison sur une représentation d'adieux offerte au
directeur M. A. Varena, en fonctions depuis dix ans. — Mannheim ; Le
nouveau chef d'orchestre, M. Frank, a effectué son début au Théâtre de la
Cour, en dirigeant la première représentation de Cavalleria rusticana, dont le
succès a été comme partout ailleurs, formidable. — Stuttgart : Même
accueil enthousiaste pour l'ouvrage de M. Mascagni à sa première appa-
rition sur la scène du Théâtre de la Cour. Huit rappels au baisser du
rideau, ovations pour le chef d'orchestre Doppler. — Vienne : M"' Dietrich
a effectué un début exceptionnellement brillant à l'Opéra dans le rôle de
Philine, de Mignon. L'Opéra fermera ses portes le l""' juin et les rouvrira
le 19 juillet, avec des représentations chorégraphiques. La véritable saison
lyrique ne commencera que le 1"' août. — Au théâtre An der Wien, réussite
complète de la pantomime de MM. Michel Carré fils et André Wormser,
l'Enfant prodigue. Interprétation hors ligne et exécution instrumentale très
remarquable, sous la direction de M. MûUer. La partie de piano obligé
était tenue d'une façon supérieure par M. Paumgartner.
— On assure qu'à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Richard
"Wagner, qui tombait le 22 mai, le jeune empereur d'Allemagne, qui est
un fanatique de l'œuvre du maître de Bayreuth, a décidé l'érection en son
honneur, d'une statue qui devra s'élever, à Berlin, devant l'Opéra royal.
C'est le souverain lui-même qui fera sur sa cassette particulière les frais
du monument. Une statue, par ordre de l'empereur d'Allemagne, au
révolutionnaire qui, en 1849, le fusil à la main, sur les barricades de
Dresde, contribuait à chasser le roi de Saxe de ses États, et, obligé de
s'enfuir, était condamné à mort par contumace! Il y a de singuliers revi-
rements dans les choses de ce monde !
— La dernière nouveauté de la saison, au Théâtre municipal de Mayence,
a été une opérette d'un jeune compositeur mayençais, M. Josué Kongel-
nascher. Cette fois, dit-on, on n'a pas affaire à un simple succès d'estime,
que l'esprit de clocher grossit toujours, mais à la sérieuse réussite d'un
ouvrage de réelle valeur, étant donné le genre choisi par le compositeur,
qui fera parler de lui certainement. Servi par un libretto assez adroite-
ment taillé dans l'histoire du fameux bandit monténégrin Jekoum-Pourkan
et de la belle Minn-Schemaîo, sa fiancée, M. Josué Kongelnascher a
illustré musicalement cette histoire avec un brio surprenant, parait-il.
Certains journaux annoncent qu'un nouvel Offenbach est né.
— L'Allemagne musicale a failli perdre un de ses plus distingués repré-
sentants. Le compositeur Richard Strauss, de Weimar, dont la jeune re-
nommée brille d'un éclat exceptionnel, vient d'être gravement malade
d'une fluxion de poitrine qui a mis ses jours en péril. Il est à présent
hors de danger.
— C'est le 20 juillet prochain que s'ouvrira, à Bruxelles, le vingt-hui-
tième concours de composition musicale, dit concours de Rome. Les aspi-
rants au concours doivent se faire inscrire au ministère de l'intérieur et
de l'instruction publique avant le 10 juillet; ils sont tenus de justifier de
leur qualité de Belge et de prouver qu'ils n'auront pas atteint le 20 juillet
l'âge de trente ans.
— Les éditeurs de musique de Londres, constitués en syndicat, ont tenu ces
jours derniers une réunion pour discuter le projet de loi de lord Monks-
well sur la propriété artistique. Ils ont préparé un amendement qui sera
présenté au Parlement à la session prochaine et qui vise spécialement les
points suivants : 1" prolongation de la durée de la propriété artistique à
cinquante ans après la mort de l'auteur au lieu de trente ans, et, dans le cas
d'œuvres posthumes, à cinquante ans après la date de la publication au
lieu de trente ans ; 2" application du droit d'auteur non seulement à la « mé-
lodie d'une composition », mais de plus à « l'harmonie, au rythme et à
l'accent » de cette composition ; 3° suppression du paragraphe relatif
aux droits des auteurs anglais à l'étranger. Les éditeurs préfèrent revenir
à l'état de choses créé par la loi de 1886, qui n'admettait pas la rétroacti-
vité en matière de droit d'auteur international et obligeait les auteurs
étrangers à effectuer le dépôt de leurs ouvrages en Angleterre, formalité
obligatoire pour les auteurs anglais. Cette dispense en faveur des étran-
gers est préjudiciable aux intérêts du public anglais, qui ne sait où se
renseigner sur la question de savoir si telle oeuvre est protégée ou non.
— On fait grand bruit en ce moment, à Londres, des prouesses d'un
jeune violoncelliste de treize ans, Jean Gérardy, qui vient de donner trois
concerts à l'aide desquels il a fait tourner toutes les têtes. Ce n'est pas
un enfant prodige, dit-on, c'est un artiste déjà complètement formé, au
talent merveilleux et très personnel, dont le sentiment musical est abso-
lument extraordinaire, et qui est destiné à un avenir glorieux. Cet enfant
est le fils de M. Gérardy, professeur de cornet à pistons au Conservatoire
de Liège.
— Un ancien élève du Conservatoire de Bruxelles. M. Arnold Dolmetsnh,
a organisé, à Londres, une intéressante séance où figuraient des instruments
anciens. Le jeune maître et ses élèves ont fait entendre des « fantaisies »
pour deux et cinq violes, une pavane pour cinq violes, d'auteurs du xvi=
et du xvu° siècle. Le programme comprenait en outre des morceaux pour
viole de gambe. Une mélodie du temps d'Elisabeth a été chantée avec
accompagnement de luth et de viole. Plusieurs de ces instruments appar-
tiennent à la collection formée par M. Dolmetsch lui-même.
— Nous lisons dans le Daily Journal, de Newcastle, que le récital d'orgue
donné par M. 'Widor à la cathédrale, a excité le plus grand enthousiasme
et pouvait compter parmi les, plus admirables séances musicales qu'on ait
entendues dans cette ville. Le maître français a fait entendre différentes
pièces de Bach, Mendelssohn et Beethoven, ainsi qu'une série de ses pro-
pres compositions, dont le grand mérite a été justement apprécié.
— A l'occasion d'une grande exposition vinicole qui vient de s'ouvrir
à Asti, on a exécuté et publié en cette ville une cantate dont les vers
sont dus à un avocat, M. &. J. Armandi, et la musique au maestro G.
Ferraris.
— Le Guide musical annonce que M. Philippe Flon, l'ancien directeur
des chœurs au théâtre de la Monnaie, qui s'est distingué au théâtre des
Arts, à Rouen, en montant Lohengrin cet hiver, est engagé, à de brillantes
conditions, pour une tournée en Espagne avec la troupe du théâtre de
Rouen. But de cette tournée : faire connaître Lohengrin dans les villes
espagnoles qui ne connaissent pas encore ce chef-d'œuvre.
PIRIS ET DÉPIRTEMENTS
Des gens bien informés affirment que la direction actuelle de l'Opéra
se prépare à célébrer, le 23 septembre prochain, le centième anniversaire
de la naissance de Meyerbeer. C'est à la direction suivante qu'incombera
la tâche de célébrer, le 29 février 1892, le centième anniversaire de la
naissance de Rossini. Déjà, dit-on, une vieille amie du vieux maître, qui
a conservé dans son cœur le culte de son génie, la grande cantatrice
Marietta Alboni, aujourd'hui M™ Ziéger, caresse le projet de fêter de son
côté cet anniversaire et d'organiser à ce sujet, dans son hôlel du Cours-
la-Reine, une grande solennité consacrée à sa mémoire. Quoi qu'il en
soit, voici le programme, en somme, curieux, de la solennité queMM.Ritt
et Gailhard préparent, dit-on, pour le centenaire de Meyerbeer: Le Prophète
(la Cathédrale), avec M. Jean de Reszké et M'"" Viardot; Robert (le Cloître) ;
la Nonne, dansée pour la première fois par M"" Subra; la «. Valse infer-
nale » par M. Edouard de Reszké ; les Huguenots (le 4= acte), texte primitif;
M. Faure dans le rôle de Nevers ; bénédiction des poignards avec double
chœur; l'Africaine (le b'acte); M"="= Krauss. Cérémonie du couronnement
du buste, Cantate, poésie dite par M. Delmas. Au tour du buste, si possible :
Duprez, Obin, M°'° Viardot, M'"= Krauss, M""° Marie Sasse, Faure, etc., et
tous les artistes ayant créé ou joué des œuvres du maître..
— M. Bertrand s'occupe déjà des engagements pour l'Opéra. Il est d'ac-
cord, dès à présent, avec M™<^ Rose Caron et M. Vergnet. Il est à espérer
que M"= Melba et M. Lassalle signeront également avec M. Bertrand.
— Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra-Comique, dernière matinée de la
saison. A la demande des habitués, on donnei-a Lakmé,, dont la reprise
obtient en ce moment un si grand succès.
— Le projet de reconstruction de l'Opéra-Comique, présenté par
M. Guillotin, a été soumis de nouveau au conseil général des bâtiments
civils, après avoir été remanié par ses auteurs, MM. Duvert et Charpen-
tier, conformément aux conclusions du rapporteur M. Charles Garnier. Il a
été adopté à l'unanimité dans la séance d'hier mardi.
— La bibliothèque du Conservatoire vient de s'enrichir, par les soins
de M.Wekerlin, de la partition autographe à orchestre de 2etoira, l'avant-
dernier opéra italien de Rossini. Cet ouvrage, représenté à Naples en
1822, et dont le poème avait été écrit par Tottola, était chanté au théâtre
San Carlo par la Colbrand, qui était alors devenue M"" Rossini, par la
Cecconi et par Nozzari, Davide, Ambrosi et Benedetti. C'est à propos de
cet ouvrage que Stendhal, dans sa Vie de Rossini, écrivait les jolies choses
que voici : — « Zelmira a fait fureur à Vienne, comme à Naples. Rossini
dans cet opéra s'est éloigné le plus possible du style de Tancredi et de
VAureliano in Palmira ; c'est ainsi que Mozart, dans la Clémence de Titus,
s'est éloigné du style de Don Giovanni. Ces deux hommes de génie ont
marché en sens inverse. Mozart aurait fini par s'italianiser tout à fait.
LE MENESTREL
d7o
Rossini finira peut-être par être plus allemand que Beethoven (!!) J'ai
entendu chanter Zelmira au piano, mais ne l'ayant pas vue au théâtre, je
n'ose en juger. Le degré de germanisme (?) de Zelmira n'est rien en com-
paraison de la Semiramide que Rossini a donnée à Venise en 1823... » On
ne comprend pas hien comment le critique, n'osant juger Zelmira^ peut
comparer son degré de germanisme (!!!) avec celui de Semiramide. Enfin,
Stendhal avait sans doute ses raisons. Polichinelle avait bien les siennes.
— Les cinq jeunes artistes désignés pour prendre part au concours de
Rome sont entrés en loge, comme nous l'avons dit, après avoir écrit sous
la dictée le texte de la cantate qu'ils doivent mettre en musique. Le jury
avait fait choix, cette année, d'une scène lyrique à trois voix de M. Edouard
Noël, intitulée l'Interdit, dont les trois personnages sont Agnès de Méra-
nie, Philippe-Auguste et un moine. Cette cantate a été inspirée à son
auteur par le tableau bien connu de M. Jean-Paul Laurens qui porte le
même titre.
— Encore un nom à inscrire en lettres d'or dans les annales de la
bienfaisance artistique, celui de M. Joseph Pinette, mort à Versailles le
6 mars dernier, en laissant derrière lui les traces d'une libéralité aussi
noble qu'intelligente. Ainsi que nous l'avons déjà fait connaître en ren-
dant compte de l'assemblée générale de l'Association des artistes musi-
ciens, M. Pinette a légué à cette Société une somme de quarante mille
francs. Mais ce n'est pas tout, et ce n'est même là que la moindre partie
de l'action bienfaisante de cet homme généreux. Par son testament,
M. Joseph Pinette a légué à l'Institut de France la somme nécessaire à
la constitution d'une rente de douze mille francs, qui devra être divisée en
quatre parts de 3,000 francs chacune et être attribuée pendant quatre
années aux grands prix de composition musicale (prix de Rome), à l'expi-
ration de leur temps de pension. Voici comment s'exprime à ce sujet le
donateur: — « Désirant encourager les jeunes gens qui se livrent à la
composition musicale et voulant les aider dans les débuts difficiles de leur
vie d'étude, je donne et lègue à titre particulier, à l'Institut de France,
la somme nécessaire afin de constituer 12,000 francs de rente sur l'Etat
français 3 0/0. Cette rente sera divisée en quatre parties de 3,000 francs
chacune, qui seront servies pendant quatre années consécutives, dès qu'ils
auront terminé leur temps de pension. La donation devra porter le nom
de Donation Joseph Pinette. Les pensionnaires musiciens ne jouiront de leur
rente que s'ils ont rempli toutes leurs obligations envers l'État. » On re-
marquera la signification de ce dernier paragraphe. La donation Pinette
n'est pas une prime à la négligence ou à la paresse, puisqu'elle n'aura
son effet que si celui à qui elle est destinée a rempli tous les devoirs que
lui impose sa qualité de prix de Rome. Mais aussi, à son retour en France
et au moment le plus critique pour lui, c'est-à-dire alors que la libéralité
de l'État lui fait défaut, il aura désormais devant lui quatre années assu-
rées de tranquilité, pendant lesquelles il pourra travailler sans préoccupa-
tion pénible et préparer son avenir. Nos jeunes musiciens n'ont vraiment
pas à se plaindre depuis quelques années; avec le concours Cressent, avec
le concours Rossini, avec le concours de la Ville de Paris, voici que le
legs Pinette vient compléter pour eux une série de fondations singulière-
ment avantageuses, sans parler des donations Trémont, Cbartier et Mon-
binne. Ah! si l'État voulait à son tour s'occuper un peu d'eux et leur
faciliter, comme il le devrait, l'accès de nos scènes lyriques !...
— Le théâtre du Château-d'Eau va nous offrir, cet été encore (quand tou-
tefois S. M. l'Été voudra bien prendre la peine de nous visiter), une saison
d'opéra populaire. Le directeur sera cette fois M. Quirot, qui prendra pos-
session du théâtre pour y jouer pendant trois mois une douzaine d'opéras
français et italiens. Il produira également une œuvre inédite, la Légende de
l'Ondine, de M. Rosenlecker. M. Quirot se propose également de jouer Cosi
fan tutte, de Mozart, dans une nouvelle version française de M. Durdilly, et
un opéra-comique «n un acte, le Cadi dupé, de Gluck, composé en 1761
pour la cour de Marie-Thérèse d'Autriche, sur des paroles françaises de
l'abbé Lemonnier.
— Dans sa séance de jeudi dernier, le comité de l'Association des ar-
tistes musiciens a renouvelé son bureau, qui se trouve constitué de la
façon suivante pour l'année 1891-92 : président, M. Colmet-Daage ; vice-
présidents, MM. Deldevez, Emile Réty, Eugène Gand, Charles Dancla,
Lhote, Migeon ; secrétaires, MM. Arthur Pougin, Gh. Bannelier, Paul
Rougnon, Ch. Callon, Paul Girod, Ch. Le Brun; archiviste, M. Marcelin
Laurent; archiviste-adjoint, M. Le Brun; bibliothécaire, M. O'Kelly ;
bibliothécaire-adjoint, M. de Thannberg.
— Le Noël, l'œuvre charmante de MM. Maurice Bouchor et PaulVidal,
a été représenté jeudi soir, avec son succès habituel, au Grand Bazar de
la Charité, sous la direction de M. Signoret. Les lecteurs du poème
étaient : MM. Maurice Bouchor, Amédée Pigeon, Félix Rabbe, Raoul
Ponc-hon, Félix Bouchor et B. Lafargue (qui a remplacé M. Richepin,
indisposé). Les chanteuses étaient M'""^ Melodia, Kerchoff et Denis. M. P.
Vidal dirigeait le petit orchestre, composé de dix musiciens. Le théâtre,
éclairé par la lumière électrique, avait été dressé au fond de la salle.
L'assistance se composait de quatre cents personnes environ, parmi les-
quelles presque toutes les dames patronnesses des cent œuvres adhérant
au Grand Bazar.
— La solennité artistique qui a eu lieu samedi dernier au théâtre de Bourges
en l'honneur d'un grand musicien a été le triomphe de ses œuvres là-bas,
dans ce petit coin du Berry. Des hommes de haute valeur ont rendu justice
au grand talent de Louis Lacombe, mais ses concitoyens lui ont voué un
vrai culte. Un comité est formé depuis longtemps sous la présidence de
M. Boissier-Duran et la vice-présidence du vicomte de Saugardière, pour
propager sa musique. La belle Marche des racoleurs d'.irva, dirigée par
M.Jacob etarrangée par lui pour musique militaire, a commencé le succès
du concert. Les sociétés chorales de la ville se sont particulièrement dis-
tinguées sous la direction de MM. Herzog et Jacob dans le chœur: Cinibres
et Teutons. L'Ouverture de concert en si mineur a été admirablement exécutée
par la Société philharmonique, dirigée par M. Borel. M. et M™ Marquet
ont pris part avec un réel succès à la manifestation, l'un en chantant
le Lamente et le Chasseur, l'autre avec l'Ondine et le Pêcheur. De Paris
étaient venus se joindre à eux: M. Louis Gallet, qui, en termes aussi
élevés qu'émus, a retracé la vie du compositeur-penseur; M. Carcanade,
jeune lauréat du Conservatoire, qui a excité un véritable enthousiasme
avec deux œuvres de Louis Lacombe, Rêverie et le solo de V Amour. Le succès
de M"« Retzer a été très grand en interprétant la Romance et la Neige,
et avec MM. Borel et Carcanade le trio en la. Enfin M°"= Andrée Louis-
Lacombe apportait à cette belle soirée le concours bien précieux de sa
présence et de son talent. Musicienne de grand savoir, diseuse de premier
mérite, ii'"" Lacombe a produit un grand effet dans cette inspiration qui
a nom Au pied d'un crucifvx. Le chant, posé d'abord par l'orchestre, répété
par le beau contralto de l'éminente cantatrice, redit ensuite par elle et
les chœurs, arrivant par un splendide crescendo à un formidable unisson
sur l'octave, a électrisé la salle entière, qui l'a bissé. M™ Lacombe s'est
fait entendre encore dans deux autres œuvres de son mari : les Grenouilles
qui demandent un roi et le Petit Rerger.
Le Déi^ert de Félicien David vient d'être remarquablement exécuté,
vendredi 22 mai, au cirque de Reims, dans un grand concert avec chœurs
et orchestre, donné au bénéfice de l'Association des artistes musiciens,
fondation Taylor, sous l'habile direction de M. E. Lefèvre, chef d'orchestre
de la Société philharmonique. M. Lamarche, de l'Opéra, et M. Pierre Berton
avaient donné leur gracieux concours à cette fête de bienfaisance et ont
été chaleureusement applaudis. Dans un intermède. M"'» Vincent Garol et
M. Henri Marteau, l'excellent violoniste, se sont fait entendre et ont
mérité les bravos et rappels qui les ont accueillis. On a entendu avec le
plus grand plaisir le concerto de violon avec orchestre de M. Camille
Saint-Saëns, concerto que M. Henri Marteau a joué dans la perfection.
— Le dimanche 17 courant, jour de la Pentecôte, l'école Salnt-Thomas-
d'Aquin, à OuUins, près de Lyon, recevait de nombreux amis et anciens
élèves accourus pour assister à la bénédiction et inauguration des orgues
construites par la maison Merklin. M. Trillat, le brillant organiste de la
Primatiale de Lyon, a su faire ressortir toutes les qualités d'un instrument
construit avec les derniers perfectionnements de la facture moderne et qui
fait honneur aux facteurs. J^ei orgue se compose de vingt jeux, deux
claviers à mains, clavier de pédales séparées et série de pédales d'accou-
plements et de combinaisons.
CONCERTS ET SoTrÉES
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts et M"» Léon
Bourgeois ont donné, mercredi dernier, au ministère de l'instruction
publique, une soirée-concert à l'occasion de la réunion du Congrès des
Sociétés savantes. Le concert était superbe. Il comprenait, du reste, tous
les meilleurs parmi les principaux artistes de nos théâtres subventionnés:
Mmcs Melba, Rose Caron, Bosman, Deschamps-Jehin, Landouzy, Bartet,
duMinil, et MM. Sellier, Bérardi, Fugère, Soulacroix, Carbonne, Marquet,
Mounet-Sully, Coquelin cadet, Baillet, Le Bargy. Signalons, parmi les
morceaux les plus applaudis, l'air de la Folie d'Hamlet, admirablement
chanté par M"'' Melba, l'air du Cid (Pleurez, mes yeux), très bien dit par
M"»= Caron, et le beau duo de Sigurd, interprété par M""' Caron et M. Sellier.
— La belle et bonne Société chorale d'Amateurs (Guillot de Sainbris)
vient de terminer la Ti" année de ses féconds travaux par une matinée
qui lui> valu un brillant succès de plus. Fidèle à ses louables habitudes,
elle avait fait sur son programme une large part aux compositeurs mo-
dernes, le Miracle de Ndim, le beau drame sacré de M. Henri Maréchal
(poème de M. Paul Collin), dont on connaît les airs, mais dont la partie
chorale très développée offre le plus vif intérêt, a été merveilleusement
rendu par ces choristes mondains, si soucieux des détails, et dont on ne
saurait trop louer l'intelligente diction. Les mêmes rares qualités de finesse
et de distinction se sont retrouvées, avec le même succès, dans le chœur
si séducteur de l'Ode triomphale (la Jeunesse) de M'"» Holmes, bissé d'en-
thousiasme, dans le joyeux chœur de fête du Tasse, de M. B. Godard, dans
une sélection de la Rédemption de Gounod et des Saisons d'Haydn. Une
mention spéciale est due aux fragments de Jephté doHaendel; car cette
œuvre, que le maître écrivit dans ses dernières années (en 1731), était
presque pour nous une nouveauté, n'ayant encore été chantée qu'une fois
à Paris, par cette même société, qui seule en possède une version française
adaptée pour elle par M. Paul Collin. Ce que nous avons entendu est de
l'inspiration la plus pure, d'une ordonnance et d'une sonorité superbes,
digne des pages les plus célèbres de Judas Macchabée. Pour finir, tous nos
compliments aux solistes : M'""^ Héglon et Menusier, MM. Gogny et
Genuaro, et à M. Charles René, qui a conduit le concert, remplaçant à
l'improviste M. Maton, indisposé.
476
LE MÉNESTREL
— Nombreux et beau public au 3' concert de M. Alexandre Guilmant
au Trocadéro. Entre autres pièces très intéressantes, l'éminent organiste
a exécuté une superbe fugue sur le nom de Bacb, de Schumann, œuvre
qu'il est le premier à faire connaître à Paris. La belle Fantaisie Iriomphalc
de M. Th. Dubois, une charmante pastorale de M. de la Tombelle et la
Fugue en ré de M. A. Guilmant ont été très chaleureusement applaudis.
M. Warmbrodt a chanté délicieusement le Sommeil à'Armidi', de Gluck,
et a été rappelé avec enthousiasme, ainsi qu • M. PaulViardot, qui a admi-
rablement joué l'andante du concerto de Mendelssohn. M. Colonne diri-
geait son excellent orchestre avec son autorité habituelle.
— Le cercle Saint-Simon, continuant sa série d'auditions de musique
des pays slaves, inaugurée par son vice-président, M. Louis Léger, pro-
fesseur de langues slaves au collège de France, a donné mercredi un
concert entièrement consacré aux œuvres du compositeur polonais
Moniuszko. On y a entendu plusieurs fragments de son opéra Halka, très
populaire en Pologne, Russie et Bohême, une transcription du poème
lyrique les Fantùmes d'après un poème de Mickiewiez, et quelques extraits
des Échos de Pologne. Moniuszko nous est apparu là comme un compositeur
peu savant, mais d'une nature très particulière et originale ; il s'inspire
souvent des rythmes nationaux, et crée parfois lui-même de véritables
mélodies populaires. On sait que Léo Delibes lui a emprunté sans le savoir
un thème de Coppélia, qu'il avait cru appartenir au fonds populaire des
chansons slaves. M"" Kryzanowska a exécuté au piano la plus grande
partie du programme, avec un sentiment très juste et une grande autorité;
elle était secondée par M"": Lucie Humblot, le violoniste Gorski et un
jeune ténor polonais, M. de Pless Pol. J. T.
— Le 23 mai dernier, soirée charmante chez 11°"= Gabrielle Krauss. Un
joli programme dessiné par Glairin réunissait les noms de MM. Bouhy,
Delsart, Risler, Ilasselmans et celui de l'éminente cantatrice, que l'on a
acclamée dans plusieurs morceaux de Mozart, Gluck, Schubert et Schu-
mann. M. Risler a joué avec une virtuosité nette et précise la Rapsodie
espagnole de Liszt. M. Delsart a supérieurement chanté un Air russe de
M. Lalo et détaillé avec un charme exquis le Papillon de Popper et une
valse bien connue de M. AVidor. M. Hasselmans tire de la harpe des ef-
fets d'une fluidité ravissante. Am. B.
— La seconde matinée musicale donnée dimanche dernier chez M. et
M°" Delsart n'a pas été moins réussie que la première. Au programme :
trio de Saint-Saëns, exécuté par MM. Diémer, Sarasate et Delsart; fan-
taisie de Schubert (Diémer et Sarasate); sonate de Boccherini (Delsart);
la Fée d'amour, de Raff, et mazurka de Zardinoski (Sarasate). Toujours très
belle assistance.
— Jeudi dernier, salle Pleyel, devant une très brillante assistance, con-
cert de bienfaisance donné par M™" Marie Jaëll, qui a fait entendre deux
de ses élèves, M"" F. Spalding et M''^ Eva Boutarel, âgée de dix ans, que
l'on a applaudie avec une sympathie toute spontanée. Grand succès pour
M"" Conneau, pour M. Warmbrodt dans le Berceau d'amour, mélodie d'après
Varia de la troisième suite de Bach, et dans Etei-nilé, de M™' de Grandval;
pour MM. Delaborde, Marsick, Taffanel et M"" Jaëll, qui ont exécuté avec
une virtuosité superbe et un sentiment musical très apprécié, des mor-
ceaux de Schumann et de MM. Fauré, "Widor, Wienia-wski ei Marsick.
Am. B.
— La sixième et dernière matinée musicale du jeune pianiste Léon
Delafosse a eu lieu jeudi dernier et a été pour lui l'occasion d'un succès
encore plus éclatant qu'à ses précédentes séances. W^" G. Domenech, de
l'Opéra, et le violoncelliste-compositeur Daniel van Gœns y ont également
recueilli des bravos chaleureux.
— Très brillant, le concert à orchestre donné mercredi dernier, à la
salle Erard, par M. Breitner, avec le gracieux concours de M'™» Gabrielle
Krauss et Breitner. La soirée n'a été qu'une longue suite d'ovations pour
M. Breitner, pour M""-' Breitner, une violoniste de talent, pour M""^ Krauss,
qui a dû bisser la Marguerite au rouet de Schubert, orchestrée par M. Ambroise
Thomas. Enfin l'orchestre a fait merveille sous l'habile direction de
M. Emile Bourgeois, chef du chant et chef d'orchestre à l'Opéra-Gomique.
— L'audition d'œuvres classiques et modernes donnée par les élèves de
M. Louis Diémer (classe du Conservatoire) a été, comme tous les ans, fort
intéressante. MM. Pierret et Quévremont, deux seconds prix des concours
précédents, s'y sont particulièrement distingués, ainsi que M. Bonnel,
qui est vraiment remarquable déjà. Il faut aussi signaler MM. Laparra,
Niederhofheim ctDesenpringalle. Comme toujours, joli choix de morceaux
au programme. On a particulièrement goûté les pièces suivantes : Prélude,
Esquisse, Réveil, Clair de lune et Badinage, de M. Théodore Dubois, l'" Gavotte,
2« Valse, Soir d'automne. Soir de printemps, de M. Raoul Pugno, et enfin
deux des belles études artistiques de M. Benjamin Godard : Fantaisie et
En route.
— A Rouen, cette semaine, brillante inauguration des nouveaux salons
de l'éditeur Klein, l'éditeur-artiste par excellence. Toute la plus belle société
s'y pressait, le préfet de la Seine-Inférieure en tête avec M™ Hendlé. On y
a entendu l'excellent ténor Lafarge, très applaudi, entre autres morceaux,
dans une jolie mélodie de M. Paul Vidal, Chant d'exil, puis, avec M"" Guy,
dans le duo de Sigurd. Celle-ci a chanté seule et avec grand talent l'air
du Cid : Pleurez, mes yeux. M. Manoury, le chanteur exquis, a dit l'air
d'Henry VIII et une binette tout à fait charmante de M. Claudius Blanc, les
Poupées (tirée de l'album la Chanson des Joujoux), qu'il lui a fallu bisser
au milieu de l'enthousiasme général. Dans la partie instrumentale,
M. Albert Rieu, violoniste distingué, et M"° Berthe Duranton, pianiste de
style. Soirées des plus réussies.
Concerts et SoinÉES. — La soirée musicale et littéraire donnée par M"" Gigaoux,
vendredi dernier, en l'honneur de Th. Dubois, avait attiré de nombreux invités,
l'rogramme varié et choisi : les jolies mélodies de Th. Dubois, l'rùs du sentier et
Près d'un ruisseau, et la scène d7/j//rt.s, ont été particulièrement goiitées; le pro-
gramme se terminait par le beau duo de Si'iurd. Interprètes, pour la partie musi-
cale : M""' Duval-Erard, Spencer-Owen, Mangin, M. Getty ; pour la partie litté-
raire : M. Lancelin, M"" Christia, de Vineuil et le jeune Eudes. MM. Th. Dubois,
A. de Bertha et M"'' Gignoux ont accompagné leurs œuvres. Vifs applaudisse-
ments pour les auteurs et les artistes. — Signalons la brillante soirée musicale
donnée, à l'École Centrale, par M. et M"° Hegelbacher. M"» Vincent-Carol, dans
la chanson du Misoli, de Félicien David, et le trio à'Hamlet, avec sa charmante
élève, M"" Paré, et le sympathique baryton, M. Dimitri ; M. Paul Rougnon, pro-
fesseur au Conservatoire, avec son élégant scherzo-valse pour piano. Sous les
tilleuls, et son mélodieux nocturne, Astre des nuits; l'habile organiste, M. Toby,
et M"'' Tolez, qui tenait le piano d'accompagnement; M. Vincent et ses chanson-
nettes, ont recueilli les plus chaleureux applaudissements de l'auditoire d'élite
qui était réuni dans les salons de M. le sous-directeur de l'École Centrale et de
M"" Hegelbacher. — M""" Burguet-Du Minil vient de donner une audition inté-
ressante, salle Pleyel. La remarquable élève de M. Delaborde a joué, avec les
brillantes qualités qui distinguent son talent, diverses œuvres de MM. Delaborde
(Préludes), I. Philipp (Valse caprice, d'après Strauss), Th. Dubois (Esquisse), G.
Pfeifler {.\ic de ballet), Lemaire (Intermezzo), Letourneux (Romance), etc., etc.
M. Burguet a finement dit le Nid abandonné, de Nadaud, avec adaptation musicale
réussie de M"" Burguet. — Le programme de la deuxième matinée d'élèves de
M""' Breton-Halmagrand était formé de musique moderne. Parmi les morceaux les
mieux exécutés, on en a remarqué plusieurs de Théodore Lack, et surtout la
charmante Sérénade tunisienne, de Pfeifler; un quatuor de Ch. Lefebvre a été
supérieurement joué par une élève déjà artiste et MM. Paul Viardot, Ch. Prioré
et Lebouc. Les élèves de solfège ont chanté avec beaucoup d'ensemble .1» bord
du Nil, chœur de leur professeur, M. Ch. Lefebvre, ainsi que les Norwégiennes,
de Delibes. M"" Cécile de Monvel a obtenu un légitime succès en chantant d'an-
ciens airs italiens harmonisés par M"" Viardot. — La matinée d'élèves que donne
annuellement, salle lîrard, M"° Lafaix-Gontié, a été réussie en tous points.
L'excellent professeur y a présenté nombre de jolies voix, justes et bien
posées. Pour être juste, nous aurions trop à citer. Au hasard de la plume,
mentionnons les grands airs de Psyché et de Lakmé, dont les vocalises ont été
faites avec une grande sûreté, par une fort jolie voix, et le charmant chœur des
Pages, de Françoise de Rimini. M. Sehidenhelm, un violoncelliste de grand talent,
M. Gennaro, l'élégant flûtiste, prêtaient leur concours à cette belle audition, où
des monologues ont été dits à ravir par un jeune homme du monde, littérateur
distingué déjà, M. René Guste. — Dans le magnifique concert donné dimanche
dernier au Trocadéro, en commémoration de la réunion de la Savoie à la France,
M"" Deschamps-Jehin, de l'Opéra, a interprété la Visio?i de Jeanne d'Arc, de
M. E. Gignoux. Artiste et auteur ont été rappelés par de vifs applaudissements.
— Jeudi 21 mai, dans la petite salle Erard, M"" et M"» Menant ont réuni leurs
élèves de piano. M""^ Vuillaume, MM. Mousset et Cormier dans deux morceaux
de violon, ont gracieusement concouru à l'éclat de cette matinée, que le jeu
correct et sympathique des élèves a rendu très intéressante.
— Jeudi prochain, 4 juin, M. Alexandre Guilmant donnera, au Troca-
déro, un concert historique d'orgue et de chant, dans lequel il passera en
revue les différentes écoles : italienne, anglaise, allemande, belge, fran-
çaise, depuis le xvi' siècle jusqu'à nos jours. Ce concert aura lieu avec le
concours de M°"= Montigu-Montibert et de MM. Auguez et C.-L. Werner et
de la Tombelle.
Henri Heugel, directeur-gérant.
EN VENTE CHEZ J.-B. KATTO, éditeur à Bruxelles
(Paris-Landy, 224. boni. Saint-Germain.)
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Partitition d'orchestre, net : 10 francs.
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Pédale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, accompagnée
de nombreux exemples tirés des grands maîtres (80 pages de te.xte), et sui-
vie de Douze Études spéciales pour l'emploi de la Pédale (Ouvrage
dédié à Louis Diémer.)
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Op. 24. Scherzo-Caprice 7 bO
Op. 31. Dix Préludes, divisés en cinq cahiers, chaque cahier. . 7 HO
IMPlUMEItlE (
: FER. — alMPBIMEKlE CnAI.\, 20, RUE BERGERE, PARIS.
Dimanche 7 Juin 1891.
3140 - S7"' AME - N" 23. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri fiEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 iis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMA.TRE- TEXTE
Histoire de la seconde salle Favart (12« article), Albert Soubies et Charles
Malheube. — II. Semaine théâtrale ; L'Opéra à Trianon, Jdlien Tiersot ;
rentrée de M™» Arnoldson à l'Opéra-Comique, H. M.; premières représentations
du Rez-de-Chaussée et de Rosalinde à la Comédie-Française, et de la Plantation
Thomassin aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Cbevaliek. — III. La musique
et le théâtre au Salon du Champ-de-Mars (1" article), Camille Le Senne. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de pian'O recevront, avec le numéro de ce jour :
BATTONS LE FER !
nouvelle polka de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement : Aria,
pour piano, de Robert Fischhof.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : la Captive, mélodie posthume de Gh.-B. Lysberg. — Suivra
immédiatement : Aux cerises pvchaines, n" 2 des Bondes et chansons d'avril,
de GlaUdius Blanc et Léopold Daupihn.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAYART
Alliert SOUBIJBS et Charles MALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lalltt-Roukli ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-1864.
(Suite.)
Peut-être trouverait- on des vers analogues, et sans
trop chercher, dans le grand ouvrage qui fut donné quelques
jours après la fête officielle (24 août), et qui forma le spec-
tacle le plus attrayant de cette arrière-saison, les Amours du
Biable, opéra-comiquo en quatre actes, paroles de Saint-
Georges, musique d'Albert Grisar. Ce n'était là, d'ailleurs,
qu'une transplantation, un emprunt au Théâtre-Lyrique, jus-
tifié par le succès presque universel de ce type, imaginé
primitivement par Gazotte. A New- York, pour ne citer qu'un
exemple, on le jouait à la fois sous la forme dramatique et
sous la forme chorégraphique, le public ne se lassant pas de
venir voir Urielle et d'applaudir ses roulades ou sa mimique.
Urielle plaisait à tous, Urielle, l'ange déchu, que rachètent
l'amour et le dévouement, Paris, pour sa part, n'en compta
pas moins de cimj apparitions :
A l'Opéra, en 1840, comme ballet, avec le titre : le Diable
amoureux, et la musique de Reber et Benoist ;
Au Théâtre-Lyrique, en 1853, comme ouvrage dramatique
avec Talion (Frédéric), Goulon (Belzébulh) et M""= Golson
(Urielle);
A rOpéra-Comique, en 1863, avec Gapoul, Troy et M"» Galli-
Marié ;
Au Ghâtelet, en 1874, avecNicot, Bonnesseur et M"''Reboux;
M. Salvayre avait, pour la circonstance, ajouté un ballet de
sa composition ;
Au Ghâteau-d'Eau, en 1888, avec Lamy, Ferran et M"'= Ghas-
saing.
Entre tous ces déménagements, la station à la salle Favart
fut la plus fructueuse, puisqu'elle valut alors trente représ en
talions à celte pièce assez faible en somme, et dont on ne
s'explique la réussite que par l'attrait du principal rôle jjour
une actrice jolie, spirituelle, portant bien le travesti. M"'" Galli-
Marié répondait aux exigences du programme; « piquante,
tendre, sardonique ou passionnée tour à tour », elle charmait
tous les spectateurs, même les ambassadeurs annamites qui,
le 9 octobre, assistèrent à une représentation, et, dit-on,
n'eurent d'yeux que pour elle. Passée en moins d'une année
au rang d'étoile, elle assurait la fortune du théâtre avec
Montaubry, Achard et Gapoul; aussi, grâce à ce quatuor,
grâce à la continuation des succès de Lalla Roukh, les recettes
de 1863 s'élevèrent-elles encore à 1,110,112 fr. Oo c, chiffre
inférieur à celui de l'année précédente, mais néanmoins res-
pectable. Il y faut compter en outre cinq représentations
extraordinaires :
La première, donnée le 8 avril, au bénéfice des descendants
de Rameau, avec le concours de la Comédie-Française et du
Gymnase pour II faut qu'une porte soit ouverte ou fermée et le
Chapeau d'un horloger, sans parler de Maître Patlielin, et d'in-
termèdes oij se firent entendre Tamberlick, Obin, Boanehée,
Vieuxtemps, M""'' Grisi, Charton-Demeur, Marimon, Escudier-
Kastner. La recelte atteignit 10,873 francs ;
La seconde, donnée le 29 mai, au bénéfice de Lemaire.un
vieux serviteur de la maison, qui ne put guère se faire des
rentes avec le résultat obtenu, soit exactement 1,698 fr. 41 c;
La troisième, donnée le 24 octobre, au profit de l'Association
des artistes dramatiques, et comprenant le Tableau parlant, le
Rourgeois gentilhomme, joué par la Comédie-Française, plus un
pas de ballet intitulé rAthénienne, dont la musique avait été
spécialement écrite par Auber et qui fut dansé parM""* Vernon,
Fonta, Villiers, Marquis, Parent, de l'Opéra; bénéfice: 6,728 fr.SO.
La quatrième, donnée le 29 novembre, en faveur d'un
artiste, où des intermèdes musicaux par Gapoul, Troy et
178
LE MÉNESTREL
Sainte-Foy, vinrent s'ajouter aux Rendez-vous bourgeois, à la
Servante maîtresse et à Joconde, qu'on reprit ce soir-là avec
Grosti pour le rôle principal ;
La cinquième, enfin, donnée le 8 décembre, au profit de
la caisse de secours des auteurs et compositeurs dramatiques
et dont le programme comprenait : i?ose e( Colas, le quatrième
acte de la Favorite, joué par Gazaux, Gueymard et sa femme ;
un pas dansé par M"«= Vernon et Yilliers, de l'Opéra ; La joie
faitjyeur, interprétée par Régnier, Worms, M""" Nathalie, Dubois
et Riquer; le troisième acte i'Otello, chanté par Daprez et
jime Borghi-Mamo ; un Mari dans du coton, comédie débitée par
Dupuis et M"'' Alphonsine, des Variétés: belle soirée qui pro-
duisit 8,712 francs.
En 18(54, les recettes tombèrent à 1,0S9,983 fr. b7 c; mais
cette différence d'une cinquantaine 'de mille francs avec
l'année précédente avait une cause toute naturelle, à savoir
la fermeture de la salle Favart du l^"" juillet au i"^ septembre
pour cause de réparations. Ainsi l'avait décidé l'administra-
tion, qui, plus avisée alors et surtout plus ferme qu'elle ne
devait se montrer plus tard, avait reconnu un danger immi-
nent, et, sans plus tarder, exigeait qu'on y parât sur-le-champ.
Lors des représentations du Pardon de Ploërmel, l'installation
de la cascade naturelle avait en effet nécessité dans les
dessous du théâtre une série de travaux qui compromettaient
la solidité de la scène ; avec les années le mal s'était accru,
et avait donné naissance à un procès en responsabilité ; chaque
directeur recourait à son prédécesseur et mettait de plus en
cause le propriétaire de l'immeuble. Un jugement du tribu-
nal, confirmé par la Cour, décida que les travaux seraient
supportés par les propriétaires, Grosnier et G'«, et mit à la
charge de la faillite Beaumont la réfection des dorures, dont
la dépense était évaluée à 20,000 francs environ. La ferme-
ture du théâtre servit donc à restaurer non seulement la
scène, mais la salle, qui fut repeinte et redorée complètement.
La couleur rouge fut substituée au papier vert qui garnissait
le fond des loges, et un rideau peint rouge et or remplaça
sur la scène l'ancien rideau allégorique. L'éclairage demeurait
ce qu'il était auparavant, puisque de Leuven l'avait transformé
dès le premier mois de sa direction, adoptant un système
qui, sans supprimer le lustre ni la rampe, dont les artistes
réclamaient le maintien, permettait l'application de réflec-
teurs, introduits depuis peu dans les théâtres nouvellement
construits.
Avant la clôture comme après la réouverture, ce fut le ré-
pertoire ordinaire, avec quelques simples changements d'in-
terprétation, qui fournit encore à la caisse ses plus sures
recettes. Fra Diavolo et le Postillon de Lonjumeau avec Montaubry
(14 et 23 février) ; Lalla-Roukh (4 mars) avec Gapoul et
M"^ Monrose au lieu de Montaubry et M"« Gico; le Songe d'une
nuit d'été (11 avril) avec Achard, Grosti, Gapoul et M"« Monrose ;
Eaydée (24 avril) avec Achard, Eugène Bataille et M'i« Baretti,
qui céda son rôle, le 1" décembre, à M"" Gico, tandis qu'elle
prenait la place de M''^ Monrose dans Lara, à partir de la
quarante -cinquième représentation (22 novembre); enfin
l'Éclair, avec une distribution toute nouvelle (18 mai), Achard,
au lieu de Montaubry primitivement désigné, Gapoul, M'ie^ Gico
et Bélia. Au contraire, les pièces nouvelles, surtout les
grandes, ou n'obtinrent que de petits succès, ou ne donnè-
rent pas tout ce qu'on en attendait, et la meilleure d'entre
elles, Lara, qui semblait partie pour la centième, s'arrêta
l'année suivante avec quatre-vingt-dix représentations, con-
servant d'ailleurs, en province et à l'étranger, la faveur réser-
vée aux œuvres populaires.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
L'OPÉRA A TRIANON
Cette semaine, si elle a été complètement vide en fait de nou-
veautés musicales, nous a, par contre, valu toute une série de
séances intéressantes au point de vue de l'histoire de la musique.
Nous avons eu, lundi, au Petit Trianon, le Devin du village, accom-
pagné de diverses autres productions du XVIIP siècle, repré-
sentation donnée avec le concours del'Opéra, de l'Opéra-Gomiqueetde
la Comédie-Française; mercredi, au Trocadéro, la première audition,
en France, de l'oratorio de Jîadniel, Israël en Egypte; enfin jeudi, à
ce même Trocadéro, M. Guilmant a donné un concert historique
d'orgue et de chant dont le programme, établi chronologiquement,
ne comprenait pas moins de vingt-trois noms des plus célèbres au-
teurs classiques, depuis Palestrina et Gabrieli jusqu'à l'époque
contemporaine. Nous ne saurions parler en une seule fois, du moins
avec le développement qui conviendrait, d'une telle abondance
d'ancienne musique. Il sera sans doute question du concert de
M. Guilmant dans une autre partie du journal; pour Haendel,
outre qu'il est arrivé deux jours plus tard que Rousseau, il peut
attendre : nous nous bornerons pour l'instant à constater l'impres-
sion produite par son œuvre, dont les beautés imposantes ont été
écoutées avec beaucoup de respect; nous y reviendrons plus lon-
guement la semaine prochaine. Aujourd'hui, nous serons tout au
philosophe de Genève et à la musique française du XVIIP siècle
qu'il a si fort maltraitée, lui qui prétendit que les Français ne pou-
vaient pas avoir de musique, et que s'ils en avaient jamais ce se-
rait tant pis pour eux !
Elle est charmante, cette petite salle du théâtre de Trianon, qui,,
après un siècle et plus de silence, s'est rouverte pour un jour au
bénéfice de l'œuvre de la statue de Houdon. Sans grande apparence
extérieure, elle s'élève entre les deux châteaux oîi les rois se sont
ingéniés tour à tour à faire petit, Louis XIV voulant se reposer
des majestés de Versailles, Louis XV trouvant le Trianon du grand
roi encore trop grand pour lui. Pour y arriver, après avoir jeté au
passage un regard vers le palais, on traverse d'abord des avenues
amples et régulières, aux arbres correctement taillés en lignes très-
droites, comme on les voit dans les vieilles gravures , comme les
représentent les décors des opéras de Lulli. Dans le parc, parmi
des pllées d'un style tout semblable et pareillement régulières, au
milieu des parterres et des gazons, ce sont, à chaque pas, des jets
d'eau, des bassins, des rocailles, de petits Amours en bronze ou en
marbre: non loin est le « Temple de l'Amour », entouré de colonnes-
corinthiennes ; puis, dans un coin retiré, le hameau de Marie-An-
toinette, chaumières, fermes, chalets suisses, où la reine, en robe
de percale, fichu de gaze et chapeau de paille, s'occupait à voir
traire les vaches et à garder les moutons ; lieux rustiques qui ne
connurent jamais le salutaire labeur des champs, où jamais non T
plus on ne se passionna pour la solution des problèmes agricoles!
— Le théâtre, où la reine continuait à jouer ses rôles de bergère,
est à l'avenant. La salle est ornée et décorée de la façon la plus
charmante, et comme elle a très peu servi, étant restée fermée dès
avant la Révolution (on n'y a donné le spectacle depuis ce temps
que deux fois sous le règne de Louis-Philippe, et, dit-on encore,
vers la fin du premier Empire), elle est restée dans un état de con-
servation parfaite. Toute bleue et or, elle est très claire sous la lu-
mière des bougies qui s'allument autour des galeries, et des lampes
que supportent des lampadaires hauts et massifs se dressant de
chaque côté de la scène. Le rideau, en soie bleue brochée, est à lui
seul une merveille. Au-dessus, dans un écusson porté par des
Amours, se détachent très gracieusement, en lettres d'or sur un fond
bleu, les initiales de Marie-Antoinette ; le plafond, peint, croit-on,
par Lagrenée (attribution contestée), nous montre des dieux et des
déesses assis sur des nuages. Il n'est pas jusqu'à la distribution de
la salle et aux noms des places qui n'évoquent des idées de temps
passé : l'étage inférieur, de simples banquettes réservées aux hommes,
a eonservéuniformément le nom classique de parterre; en arrière, c'est
le « balcon royal » ; une partie du premier étage est grillée ; les se-
condes sont les « loges de l'œil de bœuf. » Ajoutez à cela que les
décors, très frais et merveilleusement conservés, sont du temps (l'un,
dans lequel on nous a donné, outre le Devin du village, un divertisse-
ment de Psyché et l'Amour, représente une de ces majestueuses
avenues conduisant à Versailles, avec, dans le fond, la porte Saint-
Antoine : paysage admirable pour la représentation de l'antique
mythe grec !), et jugez si l'on peut rêver un cadre plus exquis pour
une évocation de l'art charmant, bien que frivole, qui fut l'art du
XVIIP siècle.
Le Devin du village était tout naturellement indiqué pour y figurer :
d'abord par les souvenirs historiques, la reine Marie-Antoinette
ayant elle-même interprété le rôle de Colette à Trianon dans la
LE MÉNESTREL
179
troupe de nobles amateurs de laquelle, par un scrupule moral que
l'on appréciera, les jeunes gens étaient sévèrement exclus ; c'est
ainsi que le Colin de la royale Colette était un fi6illard,le marquis
d'Adhémar, dont la voix, jadis belle, cbevrotait les tendres décla-
rations du berger, et dont, au rapport de M'"" Campan, le costume
enrubanné ïaisait un effet fort ridicule. D'autre part, l'œuvre musi-
cale de Jean-Jacques Rousseau a conservé, aux yeux de beaucoup
de gens, un singulier prestige: il semble qu'au point de vue musi-
cal elle renferme la quintessence de cet art du XYIIP siècle qui, dans
les autres arts, eut pour représentants autorisés Boucher, Watteau
et Florian. Aussi n'est-ce pas d'aujourd'hui que l'idée était venue
de la faire connaître au public moderne; et je sais, pour ma part,
deux occasions récentes oh l'on en a entendu les morceaux les plus
importants, presque tout ee qui a' été chanté à Trianon, sauf deux
ou trois petits airs et les récitatifs scéniques. La première fois,
c'était le soir de l'inauguration de la statue de Jean-Jacques Rous-
seau au Panthéon, le ,S février 1889; la deuxième, l'an dernier,
dans un concert qui suivit le «P-iner des philosophes ». Conservons
au moins les noms des deux Colettes qui prirent part à ces auditions :
la première était M"'' Paulin, aujourd'hui M°" Arehainbaud, dont
les correspondances de Bruxelles nous ont appris tout cet hiver les
succès au théâtre de la Monnaie; l'autre avait nom M""» Bilbaut-
Vauchelet.
Et cependant il a été fort peu écrit sur le rôle musical de Jean-
Jacques Rousseau. Berlioz, dans la partie de ses Mémoires relative
à ses souvenirs de jeunesse, nous raconte la scène de la perruque
jetée aux pieds de M"" Damoreau un soir de représentation du Devin
duvillage (en 1826), manifestation mémorable qui détermina son retrait
définitif du répertoire, oîi il était resté depuis plus de soixante-dix
ans. Il agrémente la description de réflexions qui nous montrent
que l'œuvre de Rousseau paraissait terriblement rococo à cette date,
ce dont il n'y a pas à douter, Beethoven composant à ce moment
même ses derniers quatuors et ayant déjà donné la Neuvième sym-
phonie ; mais il me semble méconnaître l'importance particulière de
Rousseau dans l'évolution musicale de son temps. Après lui, Adol-
phe Adam publia, dans ses Souvenirs d'un musicien, une notice
intitulée Jean-Jacques Rousseau musicien, sur un ton d'acrimonie qui
confine par moments à la violence. Qu'est-ceque le philosophe pou-
vait bien avoir fait à l'auteur du Chalet ?. . . Je passe sur les divaga-
tions de Castil-Blaze, et me borne à signaler le livre d'un Allemand,
M. Jansen : Jean-Jacques Rousseau als Musiker (Berlin, 1884), cinq
cents pages in-octavo, s'il vous plaît, qui ne sont guère qu'une
compilation, mais dont nous n'avons pas l'équivalent en France ;
enfin je citerai, comme le meilleur écrit sur la matière, une étude
de notre confrère Arthur Pougin, portant le même titre que celle
d'Adam et fort intéressante au point de vue historique, notamment
dans la partie concernant l'authenticité de la composition du Devin
par Rousseau, laquelle avait été contestée, et que M. Pougin con-
firme néanmoins par des textes probants et inconnus avant lui. Il
est fâcheux seulement que ce travail se trouve comme perdu dans
un livre où les musiciens ne songeront probablement pas à l'aller
chercher : J.-J. Rousseau jugé par les Français d'aujourd'hui, par
J. Grand-Carteret (Perrin, 1890); raison de plus pour que je me
fasse un devoir de le leur signaler.
Je ne saurais m'étendre ici autant que je le voudrais sur un sujet
que je considère comme un des plus dignes d'étude que nous four-
nisse l'histoire de la musique française, non seulement à cause de
l'intérêt particulier qu'il peut y avoir à considérer l'œuvre musicale
d'un homme qui fut, certes, un des plus grands esprits de son siècle,
mais aussi par le caractère personnel de cette œuvre et par l'époque
même à laquelle elle s'est produite. Quelques rapprochements de
dates suffiront à fixer les idées sur ce point. C'est le 18 octobre
1752 que le Devin du village fut représenté pour la première fois à
Fontainebleau, et le 1" mars 1733 qu'il entra à l'Opéra. Or, c'est le
1" août 17S2 que fut jouée pour la première fois cette Servapadrona
de Pergolèse qui détermina une véritable révolution musicale; et
Titon ei l'Aurore de Mondonville, qui fut la riposte des partisans de la
musique française, date du 9 janvier 1753. Le Devin du village, œuvre
française, mais oîi les préférences de l'auteur pour la musique ita-
lienne s'accusaient manifestement, tomba dans la mêlée au plus
fort de la guerre des Bouffons, bien qu'ayant été conçue antérieure-
ment; or, de toutes les productions musicales de cette époque, ce
fut celle qui eut la plus longue vie, et, je ne crains pas de le dire,
celle dont l'influence fut la plus décisive. En effet, si le style des
opéras italiens de ce temps-là fut une source à laquelle vinrent tout
d'abord se régénérer les formes de la musique française, celle-ci ne
tarda pas à reprendre une direction particulière et très nouvelle par
la création de l'opéra-comique, non encore définitivement constitué
à cette époque. Car, si nous recourons encore aux dates, nous
verrons que l'œuvre que l'on considère conventionnellement comme
le premier opéra-comique, les Troqueurs, est encore de cette même
année 1733, mais plusieurs mois après, en juillet; et Philidor, Duni
et Monsigny ne vinrent que plus tard. Par le style comme par le
caractère mélodique, c'est donc le Devin du village qui mériterait
de porter ce nom de premier opéra-comique français. Ses romances :
« J'ai perdu mon serviteur; — Si des galants de la ville ; — Non,
non, Colette n'est pas trompeuse », font songer à ces douces mélo-
dies que Monsigny mit plus tard dans Rose et Colas, le Roi et le Fer-
mier, même le Déserteur; l'air à l'italienne: « L'amour croît s'il
s'inquiète » pourrait être aussi bien signé Philidor, et les chansons
à danser de la fin : « C'est un enfant; — Allons danser sous les
ormeaux », si elles eurent l'inconvénient d'introduire à l'Opéra un
style peu sérieux, furent encore longtemps après imitées par les
compositeurs d'opéra-comique, les Dalayrae, les Devienne, les Ber-
ton, etc. Jean-Jacques Rousseau fut donc, en tant que musicien,
en 'avance sur son temps; s'il eût été en possession d'une meilleure
technique (sa faiblesse à ce point de vue est incontestable, et il
no-as a montré par son exemple que rien n'y peut suppléer, même
dans le genre le plus facile), il aurait mérité véritablement le renom
d'un chef d'école.
L'effet produit par la première audition du Devin du village à la
cour, tel qu'il le décrit dans les Confessions, montre que la musique
donna l'impression d'une chose parfaitement nouvelle. « Dès la pre-
mière scène, qui véritablement est d'une naïveté touchante, j'en-
tendis s'élever dans les loges un murmure de surprise et d'applau-
dissement jusqu'alors inouï dans ce genre de pièces. » L'on se
rappelle qu'après la représentation le roi « ne cessait de chanter,
avec la voix la plus fausse de son royaume : « Tai perdu mon ser-
viteur. » Mais, continue-t-il, « à la scène des deux petites bonnes
gens, cet effet fut à son comble. On ne claque point devant le roi;
cela fit qu'on entendit tout; la pièce et l'auteur y gagnèrent (je dédie
celte dernière phrase aux auteurs qui, en ce moment, font campagne
contre les applaudissements au théâtre pendant les actes : ils trou-
veront là, à l'apjiui de leur thèse, un nouvel exemple à ajouter à
celui de Bayreuth). J'entendais autour de moi un chuchotement de
femmes qui me semblaient belles comme des anges, et qui s'en-
tre-disaient à demi-voix : Cela est charmant; cela est ravissant; il
n'y a pas un son là qui ne parle au cœur. »
Je ne dirai pas que le plaisir pris lundi par les belles spectatrices
de Trianon (il y en avait aussi) ait été aussi intense qu'à Fontainebleau
en 17S2 : il m'a paru, au contraire, que la musique de Jean-Jacques
avait assez vite lassé leur attention. Surtout la « scène des deux
petites bonnes gens », le duo qui est le point culminant de l'œuvre,
n'a pas produit tout l'effet qu'on en pouvait attendre. J'attribue cela
en partie aux coupures, dépeçages, transpositions, arrangements
ou dérangements de toute espèce qu'on lui a fait subir. J'ai de plus
en plus l'horreur de ces pratiques. Coupez une scène entière, un
morceau entier, soit; mais par grâce, ne touchez pas à ce que vous
daignez nous faire entendre. Et puis, je comprends certains mouve-
ments d'une façon différente, notamment l'ensemble final, dans
lequel je ne puis' voir autre chose qu'un allegro, d'autant plus qu'il
est écrit à trois-huit, et que cette mesure brève était trop peu usitée
à l'époque pour pouvoir indiquer autre chose qu'un mouvementvif.
Tel qu'on l'a pris, il était languissant et ennuyeux au possible. J ai
pu ju-er déjà deux fois de l'effet produit par ce duo exécute sans
coupures et dans le sentiment que j'indique, et je puis attester qu'il
était infiniment meilleur. Au reste, l'exécution, dans son ensemble,
était remarquable, et par endroits charmante : M- Molé-Truffier en
bergère Watteau, M. Carbonne, tout blanc et rose dans son costume
de berger en culottes courtes, avec des roses sur toutes les coutures,
M Soulacroix en philosophe de village se déguisant en astrologue
à l'occasion, ont donné tous trois une excellente interprétation de
leurs rôles et les ont chantés à ravir, accompagnés par un excellent
petit orchestre d'une quinzaine d'exécutants, pas plus, qui rempbssait
fort bien la salle sous la direction toujours magistrale de M. Danbe.
Où cet orchestre a trouvé les meilleures occasions de déployer sa
verve, c'a été dans le divertissement de Psyché et l'Amour, compose
tout spécialement pour la fête de Trianon par M. Hansen sur des
airs à danser de LuUi, Gluck, Grétry, Rameau, Marais et Noverre,
et dansé par les artistes du corps de ballet de l'Opéra. Encore une
nouvelle Psyché à ajouter aux innombrables œuvres lyriques compo-
sées sur ce sujet éternel. Celle-ci nous a montré Psyché « racon-
tant que l'oracle lui a prédit qu'elle aurait un époux immortel^ »,
I en faisant des pointes sur le solo de flûte des Champs Elysees
d80
LE MEiNESTKEL
d'Orphée; l'Hymen et Zéphire unissant les deux amants (sur l'air d'un
Branle de village de Marais), le premier élevant au-dessus de leurs
lèles un « flambeau de l'hyménée » éclairé par la lumière électri-
que, ce qui, par parenthèse, était assez peu dans la note ; enfin, au
dénouement, après les fureurs nécessaires de Vénus, Psyché et
Eros convolant en de justes noces, sous l'œil maternel de la déesse
des amours, enfin revenue à de meilleurs sentiments grâce à l'inter-
vention de Bacchus. Cette scène a été mimée sur un air de ballet
de Gluck, qui, bien que tiré d'une Iphigénie, n'est nullement grec,
mais on ne peut plus dix-huitième siècle et français, et que M. Danbé
nous a fait la surprise de jouer lui-même sur une petite pochette,
aux sons nasillards, d'un rococo exquis : c'a été le vrai succès
musical de la journée.
Bien que je n'aie ici à m'occuper que de musique, je ne puis passer
sous silence la représentation de la Gageure imprévue, de Sedaiue,
par la Comédie-Française, par laquelle s'est ouvert le spectacle, et
qui en a peut-être bien été le moment le plus charmant. M"" Mul-
1er et Marsy, MM. de Féraudy, Truffier, Prudhon, etc., nous ont,
véritablement, transporté à ce moment dans la vie même du dix-
huitième siècle.
JdLIEN TlERSOT.
A I'Opéra-Comique. nous avons eu enfin la rentrée attendue de
5£me Arnoldson, mais le hasard des circonstances a fait que cette
rentrée a eu lieu d'abord dans Mignon, au lieu de s'eiTectuer dans
Lakmé, comme il avait été convenu. Nous avons retrouvé M"'« Arnold-
son avec toutes les qualités que nous lui connaissions, accrues en-
core par l'expérience de la scène, qu'elle a acquise depuis l'année
1887, où elle parut pour la première fois à l'Opéra-Gomique. Sans
doute la voix n'est pas d'un volume extraordinaire, mais l'intelli-
gence de l'artiste est telle qu'elle supplée aisément à ce qui peut lui
manquer de ce côté. La figure de Mignon est admirablement rendue par
elle, avec tonte sa poésie, son charme et aussi ses moments de brusque
sauvagerie. M™ Arnoldson est tout le temps intéressant i dans ce rôle,
et son succès y a été très grand et très légitime. MM. Mouliérat'.
Pournets et Colin, M"" Landouzy et Auguez l'entouraient, eu con.sti-
tuant avec elle un ensemble vraiment remarquable. M'"=' Landouzy
surtout est une merveilleuse Philiue, coquette à ravir et vocalisant
comme un véritable rossignol.
H. M.
Comédie-Française. Le Rez-de-Chaussée, comédie en un acte de M. Berr de
Turique. — Rosalinde, comédie en un acte de MM. L. Thiboust et A
Scholl.— Folies-Drajiatiqoes. La Plantation Thomassin, vaudeville en trois
actes, de M. Maurice Ordonneau.
L'été, qui semble enfin vouloir faire son apparition, a ramené avec
lui des genres de spectacles tout à fait spéciaux. Dans les théâtres
de comédie, voici paraître les petites pièces en un acte; la musique,
exilée des théâtres d'opérettes, où le vaudeville s'installe en maître'
n'aura, d'ici quelques jours, d'autre refuge que le légendaire lyrique
du Chàteau-d'Eau, que les rayons du soleil font écloVe chaque année
et qu'ils tuent invariablement après une existence des plus éphé-
mères.
A la Comédie-Française, on nous a présenté un auteur nouveau
M. Berr de Tuiique, qui est un jeune dans toute l'acception du
mot, attaché à l'administration des Beaux-Arts, et qui, de par sa
situation, avait certainement plus do chance qu'un autre de forcer
les portes de la maison de Molière. La pièce, qui n'est ni sans qua-
lités, ni sans mérite, ni même sans esprit, m'a paru cependant un
peu trop quelconque pour le cadre dans lequel on l'a présentée • il
y aurait eu, je crois, grand bénéfice pour le débutant à faire ce pre-
mier pas sur une scène d'ordre moindre. M. Le Bargy, dont le talent
s'aflirme heureusement et qui est arrivé à se faire, parmi ses illus-
tres camarades, une place très personnelle, M"'« Barelta Muller et
M. Berr ont joué avec charme et finesse ce Rez-de-Chaussée, %m lequel
M. Berr de Turique ne manquera pas d'élever de nombreux et plus
importants étages.
La Rosalinde ne date pas d'hier : mais elle n'en a pas moins con-
serve un parfum délicat et raffiné bien fait pour plaire aux gens de
goût. L adresse de Lambert Thiboust et l'esprit de M. Aurélien Scholl
ont fait là un mariage de raison qui a le mieux réussi du monde
Les salons où l'on joue la comédie de paravent s'arracheront certai-
nement cet acte charmant; je souhaite aux maîtresses de maison
qui le donneront à leurs invités, de trouver une distribution compre-
nant des Ludwig et des Kalb, des Dehelly et des Baiilet.
Aux Folies Dramatiques, M. Vizentini nous a donné, avec 'une
mise en scène (res réussie, un nouveau vaudeville de M. Ordonneau.
La place dont je dispose m'interdit absolument de vous conter, par
le menu, ces trois actes amusants mais bien compliqués. Qu'il vous
suffise de savoir que Robichon est uu mari fêteur et que, pour se
donner quelques vacances, il a fait croire à sa femme et à sa belle-
mère qu'il possédait à Saint-Domingue une plantation qui réclamait
ses soins personnels pendaLt trois mois de l'année. M"" Robichon
et belle-maman, curieuses comme toutes les personnes appartenant
au sexe aimable, ont décidé le pauvre homme à les emmener par-
delà l'Océan ; et les quiproquos de pleuvoir innombrables, enche-
vêtrés et le plus souvent fort drolatiques. Le public a, durant toute
la soirée, joyeusement applaudi aux cascades et aux pitreries des
deux enfants gâtés des Folies-Dramatiques, Gobin et Guyon, aux-
quels M. Vizentini a su donner comme partenaires M""'^ Mathilde,
Berny, Guitty, MM. Bartel et Bellucci, qui ont contribué, pour leur
part, à la réussite de la Plantation Thomassin.
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DU C H A M P S -D E -M A R S
(Premier article.)
Choisi, très choisi, le salon du Champ de Mars, parfois même
trop distingué — çà et là un salon pour five o'clock tea — mais de
grandes élégances et aussi de belles aspirations d'art, du moder-
nisme très vrai, très vécu, quelques formules, beaucoup d'observa-
tions, quantité d'œuvres et un certain nombre de pages que ne dé-
chirera pas le doigt distrait de l'actualité.
Commençons par le groupe des décorateurs. En tête, M. Puvis de
Chavannes expose trois tableaux dont « l'Été », destiné à l'Hôtel de
Ville de Paris, vaste composition qui montre à droite les délices du
bain, à gauche les plaisirs de la pêche. Toujours le même procédé,
à la fois large et simpliste, les mêmes figures hiératiques donnant
le schéma de l'activité humaine réduit à ses lignes essentielles.
M. Henri Gervex a été moins heureux que M. Puvis de Chavannes
dans le tableau curieux, compliqué et encombré qu'il intitule « la
Musique », plafond pour l'Hôtel de Ville. H a tenté le presque im-
possible : une conciliation entre le modernisme à la Béraud et la
classique allégorie. Au premier plan, un coin de l'orchestre de
l'Opéra, des musiciens ù leurs pupitres, un bout de loge, des mes-
sieurs en habit noir, des femmes décolletées; sur la scène, Ophélie
chantant son grand air; au-dessus, dans les nuages, un marquis et
une marquise Louis XV; la marquise jouant du violoncelle et le
marquis exécutant des variations sur la flûte. Enfin, là-haut, tout
là-haut, jeté de biais eu un mouvement d'une grâce contestable, le
Génie de la musique qui a l'air de battre un entrechat.
Avec M. Dubufe fils nous restons dans le domaine de l'allégorie
modernisée. On trouvera, comme d'ordinaire, un peu trop de facilité
et, en même temps, de rares qualités d'exécution dans la « Danse »,
projet de coupole (concours pour la décoration de la galerie Lobau,
à l'Hôtel de Ville) et les deux panneaux qui nous racontent l'his
toire de la Cigale. Puis voici les modernistes déterminés, les
peintres pour Théâtre-Antoine — mais pour un Théâtre-Antoine qui
serait gai, par exemple — M. Chabas, qui a peint deux scènes en plein
soleil destinées à la mairie de Montrouge: « la Famille » s'ébattanl
le dimanche dans une des belles plaines bien poussiéreuses qui
avoisineut les fortifications, le père au gilet déboutonné, les enfants
vautrés dans l'herbe ; et « Repas nuptial «, une noce dans un res-
taurant de banlieue, où les garçons prennent familièrement part à
la gaîlé générale. Beaucoup de petits détails par trop noyés dans
cette tonalité ardente.
La peinture mystique avec rajeunissement de la mise en scène —
je n'ose écrire religieuse, car nous n'avons plus de peintres religieux
au sens précis du mot — est très sérieusement représentée au j
Champ-de-Mars. Le maître du genre est M.Agache, qui expose cette l
année une « Annonciation » très originale, de conception hautaine,,
sans souci des formules courantes, l'ange en habit de cérémonie, en
dalmatique brodée d'or, s'acquittant de sa mission aux pieds de la
madone, droite, recueillie, un peu dédaigneuse, comme une châtelaine
moyen âge écoutant les litanies amoureuses d'un petit page. La
« Liseuse » à l'auréole est encore une madone, d'un beau sentiment
archa'ique et d'une exécution rare, sans préciosité. Regardez aussi
ce très curieux médaillon de la « Magicienne ». M. Perraudeau nous
donne une symphonie en blanc majeur avec le tableau lumineux
et fin qu'il intitule « Saintes filles », un groupe de religieuses en blanc,
agenouillées dans un blanc sanctuaire que dorent les reflets des vases '
LE MENESTREL
i8l
sacrés et des osleusoirs. Puis, nous relomboos dans uue pénombre
reposante, avec la « Fuite en Egypte » de M. Lerolle. La nuit vient,
des brumes indécises enveloppent la Vierge, Joseph et l'Enfant Jésus;
un groupe d'anges flotte dans le ciel, escortant la sainte famille.
Et un charme subtil se dégage de cette composition un peu vague,
d'exécution volontairement incomplète.
De M. Béraud un tableau certainement original, mais de visées
passablement obscures : « la Madeleine »; le Christ, un vrai Christ
en tunique blanche, eu barbe légendaire et en nimbe, est assis dans
une salle à manger moderne, celle d'un Pharisien qui serait en
même temps un homme de Bourse. Une femme échevelée se roule à
ses pieds ; et, s'adressant à un groupe de messieurs en habit noir,
en veston, voire en redingote, parmi lesquels j'ai cru reconnaître
M. Renan, il prononce la phrase célèbre : « que celui de vous qui
n'a jamais péché lui jette la première pierre. » Le Pharisien, un
bon gros monsieur, qui a dû beaucoup pécher avant l'âge du ventre
et même pendant, semble très intrigué, et les convives sont hésitanis.
Par exemple, aucun de ces personnages contemporains, boulevardiers
et sans gène, ne semble surpris de griller une cigarette auprès du
Fils de Dieu en personne surnaturelle. Ces Tout-Parisiens, si Iran-
quilles dans le voisinage du Sauveur, poussent peut-être le tout-
parisianisme jusqu'à l'invraisemblance.
Autre page moderne: la Marie-Madeleine d'Edelfedt, légende finlan-
daise. Au bord delà mer, près d'un bois de maigres bouleaux, une
femme du peuple aux traits ravagés, se iraîne aux pieds d'un passant
en blanche tunique : « Tu es le Seigneur Jésus, puisque tu connais
mes péchés. » Le paysage est intéressant et la mise en scène heu-
reusement comprise, avec quelque banalité dans le prolil du Christ;
mais c'est l'éternel écueil, et il ne suffit pas de faire voyager « le
Seigneur Jésus », même en Finlande, pour créer un type nouveau
pouvant remplacer la physionomie légendaire.
Les «Académies» pour revenir à l'ancien vocabulaire, le Nu pour
l'appeler par son nom, ont peu de représentants au Champ-de Mars.
Tout au plus puis-je mentionner ce « Tub » de M. MangeanI, une
femme à la toilette — à la grande toilette, — si rosée par les reflets
du foyer qu'elle a l'air d'être en cuivre pour bassiue; la « Ligeia »
de M. Louis Picard, curieuse étude d'après le modèle ; les «Voluptés»
de M. Georges Callot, une femme aux nenf dixièmes nue, qui res-
pire avec extase un bouquet aux trois quaits fané; les baigneuses
de M. Dinet, groupe de beautés plantureuses éclaboussées de bleu
et de vert à la façon des personnages de Besnard; enfin la «Femme
aux masques» de M. Fernand Le Quesne, belle personne qui rap-
pelle la femme masquée de Gervex, en costume aussi sommaire.
De l'élégance et quelques duretés dans la jeune estudiantina —
« premier bal », que nous montre M"' Pers. M. Norbert Gœneutte a
peint gaiement, mais sans charge, un groupe de petites bonnes de
chez Duval rangées sur leur chaises, et un amusant profil de Véni-
tienne penchée sur son balcon. M. Firmin Girard a beau faire pour
se dépayser et nous donner l'illusiou d'une formule nouvelle ; il
reste le peintre attitré, sinon breveté, de la poupée parisienne; c'est
elle qu'il évoque, faisant la châtelaine dans son parc, la paresseuse au
milieu des foins; c'est encore elle qui patine sur la glace des fossés
d'un château au bord de la Loire, au bras d'un jeune et élégant offi-
cier, héritier direct de Raoul de Nevers. Quant à M. Louis Deschamp?,
il précise sa formule personnelle avec sa Fabienne (Tliermidor), qui
est d'ailleurs une Manon Lescaut débaptisée, sa Ballerine d'un ton
très fin, sa Gilaua et une charmante élude de jeune Provençale.
Une mention spéciale à «la Barricade» de Meissonier — décor de
cinquième acte pour un drame révolutionnaire, exposition posthume
oîi l'on retrouve les grandes qualités du maître avec quelques-uns
des défauts que l'âge commençait à souligner, et reprenons la série
des peintres de genre. Voici M. Brelegnier, qui nous montre juste-
ment l'atelier de Meissonier dans le savant désordre d'un hall
artistique; M. Brunin, dont l'œil implacable exagère la minutie du
rendu avec ce trio de panneaux fouillés, ciselés, burinés : «l'Eté de
la Saint-Martin, les Joueurs, le Sculpteur». M. Delort reste le plus
incontesté des petits maîtres de la résurrection du dix-huitième
siècle avec son « Sergentracoleur » et sa « Marchandise barbaresque ».
marché d'esclaves dans le port oîi les pirates ont emmené leur
capture. M. Lesrel reprend et renouvelle les procédés de Roybet
dans son « Gentilhomme examinant un objet d'orfèvrerie », tableau
pour galerie de collectionneur. Quelques éludes intéressantes de
M. Jeanniot, entre autres « Une chanson de Gibert», coin de salon
parisiennant.
(A suivre.)
Camille Le Seni\e.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres (4 juin) :
La troupe de Covent-Garden est maintenant au grand complet, à l'ex-
ception de deux chanteuses allemandes, M""^^ Arkel et Jeleki, dontil n'est
plus question. Cela permet de bonnes représentations d'ensemble, prises
dans le répertoire courant, que le public suit avec plus d'assiduité. Par le
fait, Siegfried, Pliilémon et Baucis et Cavalleria rusticana sont abandonnés
pour la saison, et les seules reprises intéressantes encore à venir seront
Mireille et Otello et probablement Aida et le Vaisseau faniûme. Les Maîtres
chanteurs ont retrouvé leur distribution d'origine avec MM. Jeande Reszké,
Lassalle et Isuardon dans les principaux rôles, qui ont rarement rencontré
Je meilleurs interprètes, même en Allemagne. M""^ Albani seule fait
ombre dans ce tableau : c'est une Eva par trop invraisemblable, dont la
voix commence à manquer de fraîcheur. MM. Montariol, Dufriche et
Abramoff complètent un bon ensemble. Mais par quel singulier vestige
de la convention, persiste-t-on à faire chanter ce chef-d'œuvre de la comé-
die musicale dans une langue aussi inconnue du grand public, qui suit
la pièce à grand' peine, que peu familière à la plupart des interprètes,
dont pas un n'est Italien du reste, ce qui nécessite la collaboration
incessante et fort désagréable du souffleur ! M'"= Mravina, une jeune chan-
teuse russe douée d'une gentille voix de chanteuse légère, a fait un aimable
début dans le rôle de la reine des Huguenots. Le grand succès de
M. Van Dj'ck dans Manon nous a valu des représentations de Faust en
français, pour la première fois à Covent-Garden. On sait, en effet, que le
ténor belge ne chante pas en italien et, à l'exception des chœurs, tout le
monde était préparé à interpréter l'opéra de Gounod dans son idiome
primitif. Nouveau succès pour M. Van Uyck, qui s'est montré une seconde
fois comédien fougueux et chanteur accompli. Brillante rentrée de
M"" Melba dans Juliette : grande foule et réception très chaleureuse do
l'artiste. M. Plançon a fait uq excellent premier début hier dans Faust;
c'est un Mepbisto très pittoresque, et son succès a été des plus vifs. L'em-
ploi de basse chantante aura à partir de ce moment un titulaire à Covent-
Garden.
Plusieurs journaux annoncent que M. Massenet a promis d'écrire tout
spécialement pour Covent-Garden, un opéra dont le sujet serait tiré du
roman de Walter ScoU,Kemhvorlh, par M.Aug. Ilarris lui-même, avec le
concours de M. Mazzucato, le traducteurdes Maîtres Chanteurs, pour la version
italienne.
Nous sommes en pleine saison de concerts. Le public reste fidèle à
M. Sarasate, qui en abuse peut-être, par l'uniformité de ses programmes.
Il y a surtout un certain nocturne de Chopin, dont on se passerait volon-
tiers pendant quelque temps. Beaucoup de monde aussi au premier con-
cert de M. Paderewski, qui a exécuté d'une façon prodigieuse le concerto
de Schumann et la fantaisie sur Don Juan de Liszt. La reprise des concerts
Richter, arrivés à leur dix-neuvième saison, nous a montré une fois de
plus un chef d'orchestre éminent, doué de qualités personnelles tout à
fait exceptionnelles, présidant à des exécutions symphoniques parfois
géniales mais trop souvent incomplètes, peu fondues, pleines d'aspériiés.
Il est certain que l'orchestre n'est pas digne d'un pareil chef, et le public
aurait le droit d'exiger, surtout quand on tient compte du prix excessif
des places, plus ds répétitions et des programmes moins rabâchés. Mais
ce public, qui a négligé les exécutions merveilleuses de l'orchestre Halle,
accourt en foule à celles de l'orchestre Richter. La raison en est bien
simple et prime toute autre considération artistique: c'est que les concerts
Richter sont à la mode. A. G N.
— L'opéra anglais voudrait-il décidément se manifester avec un éclat
et une activité qu'on ne lui avait guère connus jusqu'ici? En tout cas ce
n'est pas à Londres, mais dans les provinces, qu'il donnerait des preuves
de sa vitalité. Le Dailtj News nous apprend qu'en ces derniers jours on a
représenté trois opéras-comiques, dus à trois compositeurs anglais : l'un,
Utopia, de M. Hunt, à Liverpool; un autre, Ihe Earhj Engikh Ring, de
M. T. Rowley, à Manchester ; enfin, le troisième, thc Kright of the road, de
M. Houstœ-Collison, à Dublin.
— On vient de représenter à l'Empire-Théàtre, de Londres, un nouveau
ballet intitulé Orphfe, dont les auteurs sont M""" Katti Lanner pour le scé-
nario et M. Léopold de Wenzel pour la musique. — Et à propos de Londres,
faisons cette constatation effroyable que dans le cours d'une seule semaine,
du lundi 11 au samedi 16 mai, il ne s'y est pas donné moins de quarante
concerts publics! 0 Apollon! ô Euterpe i...
— Le chef d'orchestre Jules Rivière vient de prendre possession du
casino de Llandudno, qui est la plage la plus fréquentée du pays de Gal-
les et la première d'Angleterre sous le rapport du mouvement artis-
tique. M. Rivière prépare une série de grands concerts avec le concours
des plus célèbres artistes du Royaume-Uni. Il y fera entendre les œuvres
nouveUes d'Ambroise Thomas, de Delibes, de Massenet, auxquels il consa-
crera des soirées spéciales. Sur ses programmes des premières séances
figurent les danses les plus récentes des maîtres viennois, Fahrbach,
Strobl et Strauss.
— Une société au capital de 100,000 livres sterling est en train de se
former à Glasgow pour l'institution d'un orchestre permanent en Ecosse.
182
LE MENESTREL
Sa tâche serait celle de répandre le goût de la grande musique au moyen
d'exécutions irréprochables, avec un orchestre de quatre-vingts instrumen-
tistes. On estime que les recettes s'élèveront annuellement, pour Glasgow
à 9,000 livres sterling pour trente concerts, et pour les autres villes d'Ecosse
à 3,000 livres.
— Dépêche de Berlin: « Hier soir, première de Lakmê, au théâtre KroU;
l'œuvre de Delibes a obtenu un succès complet. Triomphe pour M""^ Sem-
brich. Rappels innombrables. Fleurs en masse. Ténor Birrenkever
excellent. »
— Complétons les renseignements que nous avons donnés sur le cadeau
fait récemment au musée des instruments anciens de Berlin par M™ la
baronne von Korff, l'une des filles de Meyerbeer, à l'occasion du centième
anniversaire de lamort de son illustre père, qui, comme nous l'avons dit déjà,
tombe le S septembre prochain. Il faut signaler tout d'abord un grand por-
trait à l'huile, représentant Meyerbeer à l'âge de sept ans. Ce portrait est
de grandeur nature; il nous montre le jeune Giacomo accoudé à un piano,
portant des hauts-de-chausses jaunes et une veste bleue. L'œil estoxtraor-
dinairement vif, et le bambino a un air très résolu. La main gauche est
posée sur les touches; sur le pupitre, on voit un cahier ouvert sur lequel
on peut lire Variations de Mozart ; la main droite tient un rouleau de
papier réglé où l'on reconnaît des études de composition. M™ Von Korff
a fait don également au musée de deux bustes en plâtre bronzé, datant
de l'année de la mort du maitre, 1864. L'un est du sculpteur Micheli,
l'autre est une copie du buste bien oonnu de David d'Angers. A cet envoi
étaient joints, de la part des héritiers de Meyerbeer, son bâton démesure,
son encrier avec les deux dernières plumes dont il s'était servi, et le petit
piano que Meyerbeer avait coutume d'emporter en voyage. Cet instrument,
une merveille de construction, avait été spécialement fabriqué pour lui
par la maison Pleyel. C'est un piano carré, en palissandre, dont les pieds
sont démontables, et qui porte une plaque en cuivre où est gravé le nom
de Meyerbeer. Le musée de Berlin possède aujourd'hui une collection
vraiment curieuse d'instruments ayant appartenu à des personnalités cé-
lèbres ; ainsi, le clavecin de Jean-Sébastien Bach, le piano de Frédéric le
Grand, les pianos à queue de "Weber et de Mendelssohn, le quatuor qui
avait appartenu à Beethoven, enfin les pianos de Meyerbeer.
— La Singakademie (Académie de chant) de Berlin vient de célébrer le
centième anniversaire de sa fondation. Cette institution, qui a rendu de
remarquables services à l'art musical, avait été créée en 1791 par le cla-
veciniste Fasch, qui avait été l'accompagnateur de Frédéric le Grand,
flûtiste à ses heures. Les débuts de la Singakademie furent modestes. Elle
ne comprenait guère plus de vingt-sept chanteurs; mais elle a progressé
depuis, et elle peut mettre aujourd'hui sur piedune masse chorale de 2C0 à
300 chanteurs. Il y a des souvenirs intéressants dans l'histoire de la Sin-
gakademie. En 1796, Beethoven visita Berlin et assista à un concert de la
société. En 1800, elle comprenait déjà IIS membres, et elle fut l'une des
premières associations musicales qui exécutèrent le Be^uiem de Mozart. A la
mort de son fondateur, ce fut le théoricien et compositeur bien connu
Frédéric Zelter qui fut appelé à la direction des chœurs. Il fut le premier
à faire connaître, à Berlin, les œuvres chorales de Meyerbeer et de Men-
delssohn. En 1827, la Singakademie avait si bien prospéré qu'elle pouvait
se faire construire une salle de concert. Cette salle fut inaugurée par une
solennelle exécution de la Passion selon saint Mathieu, de J.-S. Bach. Les
autres directeurs de la Singakademie ont été successivement Rungenhagen,
H. Grell, et enfin, M. Martin Blummer, son directeur actuel. Le centenaire
de la Singakademie a été célébré par une sorte de festival en deux jour-
nées, dont la première a été consacrée à la Grande Messe en si mineur de
Bach et la seconde à une revue de compositions de ses directeurs passés
et de son chef actuel.
— Une troupe d'opéra nègre, voilà une excentricité encore inconnue
jusqu'à ce jour, et dont il parait aue l'Allemagne va jouir sous peu. On
attend à Hambourg, d'où elle doit se rendre à Berlin et dans d'autres
villes allemandes, une compagnie lyrique exclusivement composée de
chanteurs nègres, et dont la prima donna, qui prend les noms de Maria
Selika, est surnommée, dit-on, « la Patti noire ». C'est un journal alle-
mand qui se fait le héraut de cette nouvelle, en ajoutant que la troupe en
question comprend cinquante artistes. Un de nos confrères italiens fait
remarquer à ce propos qu'il serait intéressant de connaître le répertoire
de cette' troupe, ne fut-ce que pour comprendre les modifications qu'elle
ne peut manquer d'apporter dans les opéras représentés par elle. Il est
certain que M™ Maria Selika, qui pourra jouer l'Africaine au naturel,
aurait de la peine à chanter dans Mignon : « Je suis Titania la blonde »,
ou à se montrer dans ia Dame blanche, de même que le ténor courrait après
un effet certain eu s'écriant, dans les Huguenots : « Plus blanche que la
blanche hermine »
— La bibliothèque municipale de Hambourg vient d'être mise en pos-
session d'une précieuse relique qui lui a été léguée par feu M"' Jenny
Lind-Goldschmidt. C'est le testament authentique de Beethoven, écrit tout
entier de sa main et daté de 1802. Cette pièce, où le grand artiste a mis
toute sonàme et le philosophe toute sa pensée, a été mainte et mainte fois
publiée, notamment par Schindler et Thayer. Tombé entre les mains de
l'éditeur viennois Artaria, qui l'a trouvé au milieu d'une liasse de papiers,
lors de la vente de Beethoven en 1827, ce testament est devenu successi-
vement la propriété de MM. Jacobschevar, Jean de Beethoven, Aloys Fuchs,
Franz Gràffer et Ernst, le violoniste bien connu. Jenny Lind le tenait de
ce dernier, à titre de don et en remerciement du concours qu'elle lui avait
prêté en 1855 pour un de ses concerts.
— Le roi Georges de Grèce vient de prendre l'initiative d'une souscrip-
tion publique destinée à fonder dans sa capitale un théâtre national sur le
modèle de notre Comédie-Française, et qui prendra le nom de Comédie-
Athénienne. On a déjà réuni une somme d'un million de francs.
— La musique a eu sa part dans les grandes fêtes semi-internationales
qui viennent d'avoir lieu à Lausanne à l'occasion de l'inauguration de la
nouvelle Université. On en a même fait d'«xcellente, car d'après l'éminent
critique de la Gazette de Lausanne, M. W. Cart, la cantate de circonstance
composée par M. G. Doret, un élève de M. Th. Dubois, et intitulée Voix
de la Patrie, a produit un effet considérable. Œuvre poétique et inspirée,
elle a posé du premier coup le jeune compositeur suisse, auquel ses com-
patriotes seront heureux d'ouvrir les bras, car, si la Suisse a produit des
théoriciens célèbres, J.-J. Rousseau, Naîgeli, Mathis Lusssy entre autres,
aucun de ses enfants ne s'est encore fait un grand nom dans la composi-
tion musicale. La cantate de M. G. Doret était admirablement exécutée,
sous l'habile direction de M. Herfurth, et avait pour solistes M»"= Uzielli,
MM. Friedlccnder, Romieux et Troyon.
— Nous avons dit quelques mots déjà de l'asile que Verdi s'occupe de
faire construire à Milan en faveur des vieux musiciens. La construction
des bâtiments s'élève dès maintenant, paraît-il, par les soins et sur les
dessins de l'architecte Camille Boito, frère de M. Arrigo Boito, l'auteur de
Mefistofele et le collaborateur de Verdi. Il y avait longtemps, dit-on, que
le maître était préoccupé de l'idée de cette fondation, qui devra porter
son nom, mais dont les effets ne commenceront à se produire qu'après
sa mort.
— M. Mascagni, l'heureux compositeur de Cavalleria rusticana, vient de
faire exécuter une messe de sa composition à Orvieto, petite ville célè-
bre par sa cathédrale et par la drogue proverbiale autrefois si répandue.
Cette messe avait dormi pendant cinq ans dans les cartons du compositeur,
qui n'avait pas trouvé le moyen de la faire entendre. Les Orviétans en ont
eu la primeur, et M. Mascagni s'était rendu dans leur ville pour diriger en
personne sa première œuvre. La messe a obtenu un certain succès, mais
on ne pouvait se dissimuler néanmoins que les plus jolis motifs de
l'œuvre ont servi pour les principaux morceaux de Cavalleria rusticana, et
le public, qui espérait entendre des mélodies inédites, en a été quelque
peu déçu. Avec le sans-gêne charmant, qui est d'usage dans les églises
italiennes, M. Mascagni a fait jouer pendant la messe, après le Credo, le fa-
meux intermezzo de son opéra, et si ce fragment symphonique n'a pas été
bissé, la faute n'en est certes pas à l'assistance ravie. Après la messe, le
maestro a du se rendre à la sacristie pour recevoir les couronnes et autres
accessoires de sa jeune gloire, qu'on n'avait pas os.é lui présenter au chœur
de la cathédrale.
— Sous ce titre : Vannée 1892 et la musique italienne, on lit ce qui suit
dans le Trovatore : « Outre le centenaire de la découverte de l'Amérique
et la part que prendra la musique aux fêtes célébrées à la mémoire de
Christophe Colomb, outre l'inauguration à Pirano du monument élevé à
Giuseppe Tartini, l'année prochaine, et précisément le 29 février, s'ac-
complit le centenaire de la naissance, à Pesaro, de Gioacchino Rossini.
Or, pendant que l'Académie romaine de Sainte-Cécile travaille déjà depuis
quelque temps à recueillir les fonds pour ériger un monument au grand
maître, le professeur Gandolfi a émis, dans une réunion de doctes Flo-
rentins, l'avis que la musique de Rossini devait faire les frais du monu-
ment à Rossini. Le 29 février 1892, les théâtres, les institutions musicales
et les corps de musique exécuteront des œuvres de musique sacrée et
lyrique de l'illustre Pésarais, et la recette de ces exécutions' ira tout droit
au fonds du monument ». On peut attendre de l'Italie, du reste, qu'elle
multiplie les hommages qu'elle doit légitimement à l'un de ses plus
illustres enfants. C'est ainsi qu'on annonce déjà que la direction du
théâtre Alûeri, de Turin, prépare un grand concert historique dans lequel
une partie de l'œuvre de Rossini sera produite en une sorte de tableau
synoptique, depuis son premier opéra, Demetrio Polibio, représenté en 1805,
jusqu'au Stabat Mater, qui date de 1832. L'orchestre de ce théâtre sera
considérablement augmenté à cette occasion et placé sous la direction du
maestro Spetrino.
— Ainsi qu'on l'a fait l'an dernier à Florence, on vient d'inaugurer à
Turin, au théâtre Alfieri, une campagne d'ancien opéra bouffe italien.
Cette campagne s'est entamée par une représentation de l'Italiana in Algeri
de Rossini, qui a obtenu un succès enthousiaste et dans laquelle on a
applaudi un excellent contralto, M"= Guerrina Fabbri. On s'est aperçu
que la musique de Rossini valait mieux encore que celle des opérettes
qui, en Italie comme ailleurs, envahissent un peu trop aujourd'hui les
scènes de tout genre.
— Voici la liste exacte des artistes qui composeront la troupe du théâtre
royal San Carlos, de Lisbonne, pendant la prochaine saison 1891-1892 :
soprani : M""^* Adalgisa Gabbi, Emma Zilli et Kate Bensberg; mezzo-
soprani : M""^ Adèle Borghi, Renée Vidal et Cesira Pagnoni; ténors :
MM. Gabrielesco, Mastrohuono, Bayo et Gambardella; barytons : MM. Bat-
LE MENESTREL
483
tistini et SUnco-Palermini ; basses : MM. Tanzini et Visconti; rôles
secondaires, U'"'^ Adèle Gazull, Aurélia Ibles, MM. Durini, Solda et
Boldu. Le chef d'orchestre est M. Marino Mancinelli, le chef des chœurs
M. Gesare Bonafous.
— Au Goliseo dos Recreios, de Lisbonne, on a donné avec succès la
première représentation d'une opérette intitulée Tin-ko-ka, dont la mu-
sique, d'ailleurs peu originale et bourrés de réminiscences, est due
à un compositeur nommé Somava. Le succès revient surtout à une in-
terprétation excellente et à une mise en scène somptueuse et de grand
goût.
— Un Berlinois qui a pris quelques jours de congé pour aller étudier
les mœurs américaines, raconte, dans une lettre, comment opère la troupe
musicale de la prima donna Emma Juch, une célébrité. C'est prodigieux !
Cette troupe se compose de 96 personnes : chanteurs, membres d'orchestre,
figurants, etc., et voyage avec ses instruments, ses costumes et ses décors.
Le personnel loge dans quatre wagons-lits, dits Pullmann, dans chacun
desquels il y a tout juste place pour 24 dormeurs. Quatre fois 24, ça fait
96. La troupe est précédée d'un agent qui, plusieurs jours avant la repré-
sentation, se met à faire une réclame de tous les diables. Cet agent a ses
affiches, ses immenses portraits des acteurs, ses enseignes colossales où
on annonce la prochaine arrivée du train spécial qui amène les plus
grands artistes du monde ; les places sont indiquées à un prix fou et, au
jour fixé, deux ou trois heures avant que le rideau se lève, débouche à
la gare le train attendu! Aussitôt, grand remue-ménage! Les acteurs se
rendent directement au théâtre ; instruments et décors, coffres et caisses
les suivent ! Et quand l'heure sonne, cuivres et violons entament l'ouver-
ture. Après la représentation, tout est emballé ! M""= Emma Juch et ses
collaborateurs se rendent au train qui chauffe déjà ; on charge, le silïlet
retentit, et on s'endort jusqu'à la ville prochaine. Il peut arriver, même
en Amérique, que le train soit en retard, comme dernièrement à Los An-
geles, en Californie. La salle était remplie , quand l'imprésario vint
annoncer que la représentation ne pourrait pas commencer avant minuit.
En Europe c'eût été un désordre. Là-bas, on fit venir des mets et des
boissons des restaurants voisins, et quand enfin M^^ Emma Juch rou-
coula les airs de Carmen, on l'applaudit à tout rompre. Ces Américains'
sont décidément un peuple bien extraordinaire !
— Le compositeur américain Richard Stahl, auteur de plusieurs opé-
rettes à succès, mais surtout célèbre par ses nombreux divorces (il a été
marié cinq fois!) vient d'être mis en état d'arrestation à la requête d'un
de ses éditeurs, qui l'accuse d'avoir exploité illicitement une oeuvre dont
il lui avait cédé l'entière propriété.
— Voici que les Américains de race latine veulent entrer en lice et
prouver leurs aptitudes musicales. On annonce que M. Melesio Morales,
professeur au Conservatoire de Mexico, vient de terminer, sur un livret
de M. Ghislanzoni, un opéra intitulé Cléopâtre, qui doit être représenté,
au cours de la saison prochaine, sur le théâtre National de cette ville; et
un jeune compositeur chilien, M. Eliodoro Ortiz, fait savoir qu'il a, tout
prêts, deux opéras : Giovanna ta pazza et la Fioraia di Lugano.
— Une sérieuse bagarre s'est produite pendant une représentation don-
née par la Compagnie théâtrale « Sunny South », au théâtre flottant
d'Huntington, dans la Virginie, un théâtre dont nous avons fait connaître
naguère l'existence à nos lecteurs. Un homme a été tué, environ une dou-
zaine d'autres blessés, et le théâtre a été complètement saccagé. Le
désordre a été causé par quelques jeunes gens qui persistaient à insulter
les artistes en scène. Pendant le second acte, trois acteurs ont quitté la
scène et ont attaqué quelques-uns de ces jeunes gens. Ecrasés par le
public, ils ont été grièvement blessés ; le régisseur, dans le but de leur
venir en aide, a fait éteindre les lumières, mais la bataille a continué
dans l'obscurité au milieu des cris des femmes et des appels « au secours ».
La police et nombre de citoyens, venus pour mettre le holà, ne firent
qu'ajouter au désordre, qui arriva à son comble lorsque des coups de
revolver commencèrent à s'échanger entre la scène et la salle. Enfin, la
foule chargea en masse les acteurs qui furent, sans cérém.onie (uncereino-
niously), précipités à la rivière, dans cet endroit large et profonde. Un
homme de la police a été tué, et on craint pour les jours de plusieurs
blessés. L'Advertiser qualifie cette affaire de « la plus sanglante et la plus
désagréable » qui se soit produite pendant la campagne théâtrale, dans la
Virginie occidentale ». Nous croyons sans peine notre confrère américain.
— D'après le Musica/ Courier de Ne\Y- York, le poète Henri Heine va devenir
le héros d'un opéra. Un littérateur de Prague, M. Edouard von Dubsky, a
réuni quelques épisodes plus ou moins fantasques de la vie de Heineen les
agrémentant de vers puisés dans son œuvre, et il a, à l'aide de ces élé-
ments, échafaudé une action lyrique qui se déroule successivement à Paris,
àDusseldorf, en Provence et à Lucques. C'est M. Louis Burger qui a entre-
pris d'habiller de musique cet étrange livret.
— On vient d'inaugurer à New-York un splendide édifice consacré à la
musique, qui est dû à la munificence de M. André Carnegie, le plus riche
et le plus puissant industriel des États Unis, où on l'a surnommé le roi
du fer. Entré dans la vie active comme employé du télégraphe, au salaire
de deux dollars et demi par semaine, M. Carnegie est actuellement à la
tête de vingt mille ouvriers employés dans ses différentes usines métallur-
giques, et auxquels il paye mensuellement un million cent vingt-cinq mille
dollars d'appointements. Sa bienfaisance est inépuisable, tous ses ouvriers
sont intéressés aux bénéfices de son entreprise, et il a déjà dépensé en
donations aux écoles, institutions de bienfaisance et bibliothèques, plus
de deuœ millions cinq cent mille dollars! Le nouveau Music Hall dont il vient
de doter New- York ne lui a pas coûté moins d'un million de dollars (un
peu plus de cinq millions de francs). C'est, parait-il, un chef-d'œuvre
d'architecture et d'acoustique. En plus de la grande salle principale où
quatre mille auditeui's peuvent se tenir, l'édifice renferme toute une série
de salles plus petites, destinées aux séances de musique de chambre, aux
banquets, aux réunions, etc. Le grand hall lui-même peut être transformé
en salle de bal. D'immenses fourneaux de cuisine sont logés dans le sous-
sol, où se trouvent également les salles de chauffage et de ventilation. La
soirée d'inauguration a eu lieu le 5 mai, avec le programme suivant :
Chœur « Old Hundred », allocution et consécration de l'édifice par le très
révérend Henry G. Potter, évéque; hymne national; Couverture de Léonore
(n" 3), de Beethoven; Marche solennelle de Tschaïkowsky, dirigée par l'au-
teur; Te Deum, de Berlioz (première audition à New-York). Cette dernière
œuvre, dont M. Campanini chantait les soli, a produit une puissante im-
pression, surtout le Judex crederis pour trois chœurs, orgue et orchestre.
Le nouveau Music Hall a rouvert ses portes les jours suivants pour une
série de grands concerts dirigés par M. Walter Damrosch2 avec le concours
de solistes éminenls, parmi lesquels M'"'^* Alves, Ritter-Gœtze, Mielke, Aus
der Ohe, De Vere, MM. Reichmann, Fischer et Behreuds. M. Tschakowïsky
a dirigé plusieurs de ses nouvelles œuvres, M"'= De Vere a triomphé avec
un air à'Esclarmonde, et les chœurs ont fait merveille dans l'oratorio Israël
en Egypte, de Heendel.
PARIS ET DEPARTEMENTS
On a vendu ces jours derniers, à l'hôtel Drouot, la première partie
de la magnifique bibliothèque de M. RicardoHeredia, comte de Benahavis.
Le vendredi 29 mai c'était le tour de la musique, trente-iinq volumes
tout au plus, mais presque tous d'une rareté excessive ; aussi les libraires
étrangers n'ont-ils pas hésité à venir prendre part aux enchères ; il y en
avait même de Berlin, sans parler des amateurs distingués qui n'ont pas
manqué au rendez-vous. Voici le titre des ouvrages échus au Conserva-
toire, représenté par M. "Weckerlin : Arte de musica theorica y pratica, de
Francisco de Montanos, 1592, adjugé à 2bS francs; — Imtitucion harmonica,
ô docirina musical, theorica y practica, etc., par Don Antonio Ventura Roel del
Rio, 1748, non cité par Fétis (193 fr.); — Arte de Canto llano, par Fran-
cisco Montanos, 170S (42 fr.); — Escudo politico de la entrada del Miserere nobis,
de la missa scala Aretina que compuso el Licenciado Don Francisco Valls, 1717,
suivi d'autres œuvres de divers compositeurs espagnols (200 fr.) ; enfin,
le phénix de la vente ; Comiença el libro llamado de claracion de instrumentos
musicales, etc., compuesto por el muy reverendo padre fraij Juan Bermudo, 1S35.
Pour cet in-folio, d'une rareté sans nom, il a fallu le disputer à l'Es-
pagne elle-même, qui ne l'a pas. Ce précieux volume, qui résume l'état
de la musique en Espagne antérieurement à l.ob3, a été adjugé au Con-
servatoire pour la somme de 2,1.30 francs, aux applaudissements de la
galerie.
— A l'Opéra-Comique, dit le Gaulois, on prête à M. Carvalho l'intention,
lorsque la salle Favart sera reconstruite, de conserver la salle de la place
du Châtelet pour en faire, en manière de succursale de l'Opéra-Comique,
un nouveau théâtre lyrique, que réclament à grands cris les musiciens.
Cette combinaison a du bon. Elle a, du reste, déjà été éprouvée et a
donné de bons résultats. M. Perrin, autrefois directeur de l'Opéra-Comique
eut en même temps pendant quelques mois, entre les mains, le Théâtre-
Lyrique. Les deux exploitations bénéficièrent de cette heureuse réunion.
Et,du reste, M. Carvalho pense, sans doute avec raison, qu'avec la clientèle
que rOpéra-Gomique s'est créée place du Châtelet, le Théâtre-Lyrique est
tout indiqué à cet endi'oit, et il ne veut pas laisser à un autre le soin
d'exploiter une mine redevenue si féconde. — H y a eu ces jours derniers,
à l'Opéra-Comique, une véritable hécatombe de choristes. M. Carvalho
s'étant aperçu que les chœurs ne donnaient plus le même ensemble
qu'autrefois, a fait passer une audition isolée à chaque choriste, à la
suite de laquelle il a bien fallu se résoudre à sacrifier quelques voix qui
n'étaient plus de saison. Ce sont toujours des sacrifices pénibles; mais il
faut, avant tout, assurer de bonnes exécutions. Du reste, nous croyons
savoir que des postes sont réservés dans les autres parties du personnel à
ceux qui ont été l'objet de ces mesures rigoureuses, mais justes.
— n est probable que nous aurons, dans^le courant de la semaine, â
l'Opéra-Comique, la première représentation du Rêve, drame lyrique en
huit tableaux, paroles de M. Louis Gallet, d'après. le roman d'Emile Zola,
musique de M. Bruneau. Les répétitions d'orchestre sont commencées.
L'ouvrage est su, et il ne reste plus à régler que quelques détails de
mise en scène, pour lesquels quelques jours suffiront. L'Opéra-Comique
clôturera décidément sa saison le 30 juin, pour rouvrir ses portes le
1"' septembre suivant. Dans l'intervalle aura lieu la représentation gra-
tuite du 14 juillet, pour laquelle il est question du Pré aux Clercs et de la
Fille du régiment, avec la Marseillaise, inséparable de ces petites agapes na-
tionales.
— On sait le très grand succès qu'obtient en ce moment la Manon de
M. Massenet à l'Opéra impérial de Vienne. L'œuvre en est à sa vingt-
cinquième représentation, toujours avec des salles combles. Le maître
d84
LE MÉNESTREL
français vient d'adresser à chacun de ses interprètes sa photographie ac-
compagnée d'une lettre qui exprime sa reconnaissance pour le soin et le
talent avec lesquels son œuvre a été montée par les artistes viennois.
— ... Et pour être ténor, on n'en est pas moins homme. Et homme
courageux, ainsi que le témoigne cette note que nous reproduisons d'après
\6 Journal officiel: «Médaille d'honneur de première classe à Jean Mouliérat,
artiste de l'Opéra-Comique. A fait preuve d'un rare sang-froid et du plus
grand dévouement, lors de l'incendie du théâtre, en I8S7, en restant le
dernier sur la scène, pour essayer d'atténuer la panique des spectateurs.
S'était antérieurement, en 1873, signalé par un sauvetage en Seine, dans
des circonstances très périlleuses, en se jetant courageusement à l'eau
pour en retirer une femme qui se noyait à la herge Saint-Nicolas. »
— A l'occasion des fêtes du Centenaire de Saint-Bernard, à Dijon,
M. l'abbé J. Maître, directeur de l'école Saint-François-de-Sales, prépare
une exécution intégrale des BéalUiides, du regretté César Franck. Ceux des
admirateurs de Franck qui désireraient assister à cette exécution sont
priés d'adresser leurs demandes à M. l'abbé J. Maître, à Dijon.
— - Lullij, homme d'affaires, propriétaire et musicien, à propos de son hôtel de
la rue Sainte-Anne. Sous ce titre, M. Edmond Radet, architecte visiblement
doublé d'un musicien très érudit, vient de faire paraître à la librairie de
l'art des Notes et croquis du plus grand intérêt. Bien que n'étant pas écrit
exclusivement au point de vue musical, l'ouvrage, par son sujet même,
n'en tombe pas moins sous la juridiction du Ménestrel, qui se fait un devoir
de le recommander à ses lecteurs. Si tous ceux qui ont pris profit à la
lecture des ouvrages de notre collaborateur Arthur Pougin, sur les vrais créa-
teurs de l'Opéra français, veulent compléter avec M. Radet, d'après les docu-
ments les plus authentiques et les plus nouveaux, l'étude si bien com-
mencée sur la très curieuse physionomie du vieux maître, le succès du
volume sera assuré. De nombreuses et fort belles planches en héliogra-
vure augmentent encore la valeur et l'attrait de cette artistique et savante
publication. p_ q
— L'excellent chansonnier lillois Alexandre Desrousseaux, l'auteur des
Pasquilles et de tant d'aimables petits poèmes dans lesquels il retrace avec
tant de goût et d'ingéniosité les mœurs, les coutumes et l'état d'esprit de
ses compatriotes, a trouvé son biographe dans la personne de M. Albert
Desmeaux, qui vient de publier un petit volume intitulé Desrousseaux, sa
vie et ses œuvres (Paris, Jouve, in-8). M. Desmeaux s'est entouré de tous les
documents possibles, il les a mis en ordre et en valeur avec le plus grand
soin, il les a accumulés pour le plus grand plaisir du lecteur, et grâce
à lui le chansonnier populaire sera désormais aussi connu comme homme
qu'il était apprécié déjà comme poète et comme artiste. Les compatriotes
de Desrousseaux feront certainement à ce livre un accueil empressé, et
l'on peut dire que si tous ceux qui l'ont chanté achetaient sa biographie,
ce n'est pas une, c'est vingt éditions qu'il faudrait faire de Desrousseaux,
sa vie et ses œuvres. j^_ p_
CONCERTS ET SOIRÉES
C'a été un véritable triomphe pour M. Ernest Guiraud que le festival
donné en son honneur, à Roubaix, par les soins de M. Koszul, directeur
du Conservatoire de cette ville. Nous avons fait connaître, par avance, le
programme de cette belle fête musicale, dont le succès a été éclatant et
qui a valu à M. Guiraud toute une série d'ovations bruyantes. L'exécu-
tion de ses œuvres sous sa direction a été excellente de la part de l'or-
chestré et des chœurs, et il serait injuste de ne pas citer aussi, pour la
part qu'ils y ont prise et les applaudissements qu'ils y ont reçus, les
solistes, M"« Zoé Brouchette, MM. Koszul, Minssart et Désiré Laurent.
— On a beaucoup applaudi jeudi, à la fêt3 donnée au Vaudeville au
profit des victimes du devoir, le premier acte de Judith, tragédie lyrique
de M™ Pauline Thys pour les paroles et la mnsique, dont nous avons
déjà parlé l'an dernier, à la suite dune audition partielle. Le public a
beaucoup goûté cette œuvre d'une inspiration claire et souvent très élevée.
Il a fêté les interprètes, M"»"! Bosmann, MM. Cossira, Duhulle, Gallois,
Douaillier, Griner, sans oublier les chœurs et l'orchestre de l'Opéra-
Comique, magistralement dirigés par M. Danbé.
— Grand succès pour le concert historique d'orgue donné jeudi dernier
au Trocadéro par M. Alexandre Guilmant, dont la virtuosité est au-dessus
de tout éloge ; et quelle érudition pour composer un tel programme !
M. Werner, son élève, a été rappelé avec enthousiasme après la chaconne
de Pachelbel, qu'ila vraiment jouée d'une façon remarquable. M"'=Montégu-
Montibert et M. Auguez ont charmé et impressionné les cinq mille audi-
teurs qui se pressaient au Trocadéro, et les accompagnements discrets et
délicats de M. de la Tombelle ont été très appréciés des connaisseurs.
— M. Charles Dancla a donné lundi dernier, à la salle Pleye', une soirée
musicale dont le succès a été très grand. Le programme était en partie
composé d'œuvres de sa composition : un trio pour deux violons et alto
d'une facture très élégante, des fragments de son troisième trio pour piano,
violon et violoncelle, dont le scherzo est tout à fait remarquable et a pro-
duit un grand effet, quoique la partie de violoncelle eût été, pour cause
accidentelle, remplacée par une partie d'alto supérieurement dite, du reste,
par M. Léopold Daucla. La jeune élève de M. Charles Dancla, M'^eMagnien,
un talent de premier ordre, a été particulièrement applaudie dans les
Souvenirs de Prague, du maître, et dans la symphonie à deux violons con-
certants dont l'effet est toujours irrésistible. M"» Cognard, une cantatrice
émérite, a dit à merveille une mélodie pour chant et violon de M. Ch. Dan-
cla et un air de Jean de Nivelle, de Léo Delibes. M. Dancla avait fait place,
dans son programme, à la sonate concertante pour deux violons et piano
de notre collaborateurH.Barbedette, sonate dont l'exécution par MM. Charles
et Léopold Dancla et Bernard Rie a été des plus remarquables et qui a
été accueillie par le public avec une faveur marquée. N'oublions pas
l'accompagnatrice, M"'= Emma Bourlier, qui a fait preuve d'un grand
talent.
— Très brillante audition, cette semaine, des élèves de l'éminent pro-
fesseur M™' Marchesi, dans son hôtel de la rue Jouffroy, la pépinière
cosmopolite, qui fournit les théâtres des deux mondes de presque toutes les
artistes de marque et de réputation. On a surtout remarqué M"= Louise
Brass, douée d'une voix charmante et chantant avec infiniment d'intelli-
gence (air de Mignon et duo de Lakmé avec M. Piroia) ; M"» Girard, une
Parisienne d'essence qui se fera certainement une belle place à l'Opéra-
Comique; enfin, une cantatrice américaine, M"° Sears, qui possède la
technique de son art à fond et vocalise avec une facilité surprenante.
Nommons encore M"= Lydia HoUm, un soprano suraigu (engagée déjà au
théâtre grand-ducal de Weimar), M"' Marcha-Mataftin, de Saint-Péters-
bourg, un contralto de talent. M"» Lilian Devlin, tout à fait charmante et
qui a chanté à ravir le Chant d'exil de M. Paul Vidal et l'Amour est un
enfant trompeur de Martini, M"' Mary Bryan dans l'air à'Hérodiade, et
M"= Pakarinen dans l'Alléluia du Cid et le Soir d'Ambroise Thomas.
— Cette semaine a eu lieu la matinée musicale donnée par M™ Vauoorbeil
pour l'audition de ses élèves. Grand succès pour M""= Krauss, M"" Emilie
Leroux, M. Varmbrodt et M. G. Pierron, qui ont magistralement chanté
des fragments de Mors et Vita de Gounod.
— Charmante réunion musicale, jeudi dernier, chez M. le marquis
de V... M. Caron, de l'Opéra, s'y est particulièrement signalé dans la belle
mélodie de Faure, Espoir en Dieu. M. Noblet (du Conservatoire), a été très
applaudi dans l'aubade du Boi d'Ys, M"" Carùonne dans un air du Roi de
Lahore et une charmante valse chantée de Gumbert sur des motifs de
Johann Strauss : la Vie est belle, enfin M"= Vauthrin dans l'air de Lakmé.
NÉCROLOGIE
De Toulouse nous arrive la nouvelle de la mort en cette ville, le
23 mai, d'un des artistes les plus distingués de province, le compositeur
Ignace-Xavier-Joseph Leybach, organiste de la métropole, dont les œuvres
nombreuses sont bien connues de tous les pianistes. Né à Gambsheim
(Bas-Rhin), le 17 juillet 1817, Leybach, qui avait reçu les premières
notions de la musique de son frère, simple amateur, étudia ensuite l'har-
monie avec Hœrter et l'orgue avec AVachenthaler, et plus tard fut élève
pour le piano de Pixis, de Kalkbrenner et de Chopin. En 1844 il obtenait
au concours la place d'organiste de la métropole de Toulouse, et depuis
lors ne quitta plus cette ville, où il avait su se faire une situation bril-
lante. C'est en 1847 qu'il livra au public ses premières compositions, et
aujourd'hui le nombre de toutes celles qu'il a publiées, tant en France
qu'à l'étranger, ne s'élève pas à moins de 230. Outre une quantité de mor-
ceaux de piano, soit originaux, soit écrits sur des motifs d'opéras célèbres,
outre un recueil de 20 mélodies vocales, d'assez nombreux motets avec
accompagnement d'orgue, une série de grands morceaux pour piano et
harmonium, on doit à Leybach une Méthode théorique et pratique pour l'har-
monium qui a été traduite en quatre langues, et une publication intitulée
l' Organiste pratique, dont les trois volumes contiennent plus de 200 morceaux.
La perte de LeybacL sera vivement ressentie à Toulouse, où il prenait
une part active au mouvement musical.
— On annonce de Londres la mort de M. Gustave Libolton, professeur
de violoncelle au Guildhall School of music, où sa classe était suivie par
plus de soixante élèves. Belge de naissance, et élève du célèbre Servais
au Conservatoire de Bruxelles, M. Libotton était venu se fixer à Londres
en 1873 et s'y était fait rapidement connaître comme exécutant et comme
professeur. Il a fait partie des principales sociétés philharmoniques de la
capitale. M. Libotton était âgé de quarante-neuf ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente chez MAGKAR et NOËL, éditeurs de Tschaïkowsky, 22, passage
des Panoramas, Paris.
A. LA'VIGNAC, professeur d'harmonie au Conservatoire :
L'École de la Pédale du Piano, ouvrage contenant l'histoire de la
Pédale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, accompagné
de nombreux exemples tirés des grands maîtres (80 pages de texte), et suivi
de Douze Études spéciales pour l'emploi de la Pédale (Ouvrage dédié
à Louis Diémer.)
Un beau volume in-i", net : 15 francs.
Du même auteur ;
Op. 24. Scherzo-Caprice 7 50
Op. 31. Dix Préludes, divisés en cinq cahiers, chaque cahier. . 7 50
Dimanche 44 Juin 1891.
3141 - 57- AME - N° 24. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaiix, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fiianco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrei,, i bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnementi
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et iMusique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
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SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (13« article), Albekt Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Israël en Egypte, oratorio de Hcendel, Julien
TiEBSOT. — III. La musique et le théâtre au Salon da Champ-de-Mars (2« article),
Camille Le Senne. — IV. Napoléon dilettante (11' article), Edhosd Neukomm
et Paul d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés â la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour;
LA CAPTIVE
mélodie posthume de Gh.-B. Lysberg. — Suivra immédiatement : Aiu:
cerises prochaines, n" 2 des Rondes et chansons d'avril, de Claldius Blan'C et
LÉOPOLD Dauphin.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
•de piano: Aria, pour piano, de Robert Fischhof.— Suivra immédiatement:
Réveil, allegretto scherzando, pièce caractéristique pour piano, de Théodore
Dubois.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
A-llbert SOUBIES et Charles ]VIA.LHER,be
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lallci-Roiikh ET la Servante Maîtresse,
Lara et Rose et Colas.
1862-1864.
(Suite.)
L'année 1864 commença même par une déception. Trois
actes de Scribe, terminés par de Saint-Georges et mis en
musique par Auber, promettaient d'avance une fortune au
théâtre. Imitée de La Fontaine, qui lui-même s'était inspiré
de Boccace, la Fiancée du roi de Garbe me\.ia.il en scène une histoire
assez scabreuse, mais gaie, telle enfin que depuis elle amusa
et inspira tour à tour deux compositeurs: Litolff dont l'œuvre
ne réussit pas, et Bazin qui garda la sienne en portefeuille.
Babolin 1", roi de Garbe et quelque peu pouverain d'opérelle,
veut prendre . femme, et, ayant jeté les yeux sur Alaciel,
fille du roi du Soudan, envoie comme ambassadeur aupiès
d'elle son neveu Alvar, qui aura charge ou plaisir de
l'épouser par procuration. D'autres s'effrayeraient à
l'avance des résultats possibles d'une telle mission, mais lui
ne craint rien; il possède comme talisman un collier formé
de treize perles destiné à la princesse ; qu'elle se laisse dé-
rober la moindre faveur, et tout aussitôt une perle disparait
de l'écrin. Au retour, après mille incidents fantaisistes, le
collier ne compte plus que trois perles; le roi, se croyant
bien avisé, répudie la princesse et l'abandonne à son neveu,
ce qui convient à merveille à ces deux jeunes gens, car ils
s'aimaient. C'est la barbière du roi, Figarina, qui avait accom-
pagné l'ambassade et à qui l'on avait confié le fameux bijou;
les baisers téméraires, c'est donc elle qui les a reçus, et s'il
manque des perles à l'écrin, c'est sa faute et non celle de la
princesse. Une telle fantaisie, encadrée dans des décors moi-
tié féeriques et moitié orientaux, prétait à la mise en scène,
aux costumes et aux chansons. Auber en avait mis tant et
plus, et, le lendemain de la représenlation (H janvier 1864),
les critiques admirèrent comme de coutume « l'esprit char-
mant, l'admirable génie mélodique, la verve inépuisable »
de ce vieillard qui n'avait jamais été plus « jeune » et chez
lequel rien ne sentait « la fatigue ou le travail ». Et cepen-
dant, l'étoile du compositeur pâlissait; malgré l'autorité
d'Achard, qui venait de reprendre le Domino noir avec tant
d'éclat, malgré le talent et l'esprit de Sainte-Foy, de M"«^ Cico
et Bélia, malgré l'attrait spécial d'un chœur de dix jeunes
filles fourni par le Conservatoire, suivant une tradition dont
les directeurs de cet établissement ont plusieurs fois profité,
et qui comptait alors de futurs sujets, comme M"" Mauduit
et Marie Rôze, la Fiancée du Roi de Garbe disparut après trente-
cinq représentations.
Lara (Lara-Tatouille) comme l'annonçait Berlioz avec son
obligeance habituelle, valait bien davantage, et d'ailleurs
réussit beaucoup mieux. Sous ce même litre on avait donné
àNaples, en 1835, un opéra du comte de Ruolz, noble amateur
qui menait de front la découverte de l'argenture et la con-
fection de la musique, un homme étrange qui parvint à
faire jouer sa Vendetta à l'Opéra en 1839, et dont la plume
amie de M. Alfred Prost a retracé dernièrement la carrière
artistique. Pour l'œuvre de Maillarl, les librettistes Eugène
Cormon et Michel Carré s'étaient heureusement inspirés de
Byron, et avaient adroitement mis en œuvre, combiné
et complété ses deux célèbres poèmes le Corsaire et Lara. Le
héros revient après dix ans d'absence au château de ses
pères, fidèlement gardé par un vieux serviteur. Kaled, une
jeune esclave qu'il ramenait avec lui, le trahit par jalousie,
et confie à un rival le terrible secret de sa vie passée. Insulté
dans sa demeure et accusé de voler un nom qui ne lui
appartient pas, Lara n'a plus qu'à défendre son honneur les
armes à la main. Mais dans la nuit qui précède le combat,
il se revoit en rêve tel qu'il était naguère, Conrad le forban.
Il rougit en lisant le testament de son père, qui lui léguait
son épée à la condition de la briser plutôt que de la tirer
ISi)
L£ MÉNESTREL
pour défendre une cause injuste ou pour soutenir un men-
s&ngfr. Au lieu de se battre alors, il renonce à sa fortune,
cède la place à son rival, se désigne volontairement comme
un usurpateur, et, appuyé sur l'épaule de Kaled, dont il a reçu
l'aveu et pardonné la faute, il reprend tristement le chemin
de l'exil. La scène ne manquait pas de grandeur, et Maillart
l'avait traitée avec une réelle noblesse. L'ouvrage contient,
en somme, un grand nombre de pages remarquables, et l'on
peut s'étonner que depuis cette première soirée du 21 mars
1864 jamais la pensée d'une reprise ne soit venue à l'esprit
des directeurs de la salle Favarl. Quelques retouches seraient
peut-être nécessaires, on pourrait changer le dialogue parlé
en récitatifs musicaux, on pourrait surtout faire mieux com-
prendre le tableau du rêve en recourant à des trucs mieux
perfectionnés, en usant, par exemple, des toiles métalliques
qui de nos jours contribuent tant à l'illusion scénique, et la
pièce, à peine modifiée, et qui d'ailleurs est demeurée au
répertoire des théâtres de province, produirait sans doute
une impression favorable.
A dire vrai, il faudrait encore un brillant ténor comme
Montaubry pour lancer au second acte la phrase énergique :
« Quand un Lara partait en guerre »; il faudrait un excellent
baryton pour enlever, comme Gourdin, les couplets du vieil
intendant; il faudrait surtout une interprète hors ligne comme
M™ Galli-Marié pour porter le travesti, chanter sa célèbre
chanson arabe et jouer tout son rôle avec ce mélange de
grâce féline et d'énergie farouche. Quel éclair brillait en
ses yeux, lorsque, se trahissant elle-même, sous ses vêtements
masculins, elle regardait la comtesse, sa rivale, de telle
sorte, que celle-ci s'écriait: « c'est une femme! » La création
de Kaled est égale en effet à celle de Mignon , presque su-
périeure à celle de Carmen; et ces trois figures, évoquées
d'un passé déjà lointain, disent assez haut quelle grande et
belle place a trouvée dans l'histoire du théâtre M™ Galli-
Marié, cette véritable artiste dont la succession n'a jamais
été recueillie qu'en partie.
Comme Herold, comme Bizet, Maillart ne devait pas long-
temps survivre à l'éclosion de son chef-d'œuvre. Au moment
où il se retirait de la scène, un nouveau venu y entrait par
la porte bien modeste d'un petit acte, Ernest Guiraud, prix
de Rome en 1859, et par conséquent le premier arrivé
à rOpéra-Gomique entre tous ces jeunes gens qui, quel-
ques années plus tard, devaient s'élever au premier rang
et devenir l'honneur de notre école française, les Bizet, les
Delibes, les Saint-Saëas, les Massenet. Sylvie, qu'on appelait
aux répétitions les Lunetles du parrain, parut le 11 mai 1864.
Jules Adenis et Jules Rostaing, s'inspirant sans doute de la
chanson de M. et M™ Denis, avaient d'une plume légère tracé
ce scénario à trois personnages, Sylvie, la jolie paysanne,
Germain, son jeune amoureux, et Jérôme, son vieux parrain.
Il arrive que le vieux barbon s'éprend de la fillette et ne
pense à rien moins qu'à l'épouser. Mais celle-ci, ayant décou-
verte les habits de noce que conservait précieusement le père
Jérôme en souvenir de sa femme défunte, s'en affuble, ainsi
que sou fiancé. Tous deux se présentent ainsi travestis de-
vant le bonhomme, et, pour ainsi dire, raniment à ses yeux
le souvenir de sa jeunesse et d'un riant passé qui n'est
plus. Jérôme a compris la leçon, et de lui-même unit les
deux enfants. Au jeune compositeur on fut unanime à re-
connaître de l'esprit, de la mesure et du goût, qualités pré-
cieuses dont il ne s'est pas départi par la suite; on bissa
morne deux morceaux très gaiement interprétés, l'air de
Sninte-Foy et la chanson de M''^ Girard. Après son air, Sainte-
Foy s'écriait : « Tout le monde est heureux ici! » L'allusion,
saisie avec empressement, donne l'idée du bienveillant accueil
que le public fit au musicien; un succès avait marqué ses
premiers pas.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
ISRAËL EN EGYPTE
ORATORIO DE 11/ENDEL
La Société des grandes auditions musicales, qui compte parmi
ses membres, on ne l'iguore pas, quelques-uns des plus beaux noms
de France, vient de faire entendre deux fois au Trocadéro, le 3 et le
10 juin, l'oratorio de H:Bndel : Israël en Egypte. C'était la seconde
manifestation artistique de celle sociélé. Elle avait, l'année dernière,
voulu célébrer sou entrée à la vie musicale par la première repré-
sentation d'une œuvre choisie, ainsi qu'il convenait pour une inau-
guration, parmi celles d'un de nos plus illustres maîtres nationaux,
et elle était tombée sur Béatrice et Bénédicl, de Berlioz. Celle année,
elle ne pouvait mieux faire que de tourner ses regards vers l'Angle-
terre, qui est, comme chacun sait, le pays du bon Ion ; et l'Angle-
terre lui a renvoyé Hcendel et son oratorio. Aussi la salle du Troca-
déro était-elle, l'autre mercredi, remplie d'un publie que je ne crains
pas de qualifier du plus selected. (Je n'étaient partout que toilettes
éblouissantes, gardénias aux boutonnières (à moins que ce fussent
d'autres fleurs, car je ne suis pas très ferré sur la botanique) ; vue
d'en haut du parquet, la salle, grâce aux chapeaux printaniers
des spectatrices, faisait l'efTel d'un parterre fleuri. Autour de l'or-
gue n'avaient pas dédaigné de prendre place quelques-uns des repré-
sentants les plus autorisés de la jeune critique musicale, se pres-
sant des deux côtés de la tribune, surmontée du buste de la
République et ornée d'un faisceau de drapeaux tricolores, derrière
lesquels M. Vincent d'Indy plaquait les accords majestueux de Heen-
del ; enfin l'orchestre et les deux chœurs, obéissant à l'impulsion
magistrale de M. Gabriel Marie, déployés en largeur sur toute
l'étendue de l'estrade et ayant en avant d'eux leurs éminenls prolago-
nistes, M""* Krauss, Boidin-rPuisais, Blanche Deschamps, MM. La-
farge, Auguez et Manoury, formaient une masse com.pacte et fort
imposante à voir.
Ou avait distribué à tous les auditeurs des programmes non seu-
lement explicatifs, mais même critiques, par lesquels ils étaient
prévenus par avance du genre de beautés qu'ils auraient à apprécier.
« Israël en Egypte, y lisait-on, est, avec le Messie et Judas Macchabée, le
plus fameux des oratorios de HcBudel. On n'y trouve pas, saus doute,
la variété de sujet du Messie, ni la grandeur dramatique de Judas
Macchabée, qui est bien un véritable drame lyrique. Mais nulle part
autant que dans celle œuvre, écrite presque entièrement pour double
chœur, ne se laissent voir les qualités les plus caractéristiques de
Hêendel : la richesse et la puissance de ses expressions, la magis-
trale sûreté de sa technique et son habileté à animer des seutimeuts
les plus forts toutes les parties d'un éuorme ensemble choral. »
Suivait une analyse où nous lisions que « le grand double chœur qui
sert d'introduction est généralement considéré comme un des mor-
ceaux les plus importants de l'oratorio », que « les deux duos en
forme de canon (dans la seconde partie) comptent l'un el l'autre
parmi les plus parfaits chefs-d'œuvre de Hcendel », etc. Aussi le
public, sachant à quels endroits il fallait applaudir, a fait conscien-
cieusement son devoir, bien qu'il ait d'ailleurs très peu applaudi, cela
n'étant point de bon ton. 11 a fait en outre un succès très chaleureux
à un air do contralto, d'un style ample et d'une expression suave
et pure, qui est évidemment ce qu'il y a de mieux dans l'œuvre, et
qu'il a redemandé à M""^' Deschamps-Jéhin, bien qu'il ne fût pas
autrement recommandé par le programme ; ce qui prouve surabon-
damment l'excellence de celle parole de Molière : « Les gens de
qualité .ïçavent tout sans avoir jamais appris. »
Oserai-je, après cela, hasarder de timides observations personnelles v
Me sera-t-il permis d'exprimer mon opinion au sujet d'une œuvre
sur laquelle s'est prononcé déjà un si brillant aiéopaga ?... J'essaie-
rai de lo faire, en me conformant de mon mieux à sou arièt.
Quand, dans une conversation ou dans une étude musicale, on se
trouve amené à parler de Hœudel, il est très rare qu'on le nomme
lui seul. On dit généralement : Hœudel el Bach, ou mieux encore.-
Bach et Hœudel. Les noms de ces deux maîtres sont, par une tradi-
tion déjà ancienne, devenus pour ainsi dire inséparables. Le paral-
lèle entre Bach el Hœndel est un exercice classique, obligaloire pour
tout musicographe digne de ce nom. Fétis a consacré près de trois
colonnes do sa Biographie universelle des musiciens (à l'article H.endel)
à ce morceau de rhéiorique. « Deu.\ hommes sortis de la même école
furent en présence, etc.. » Ernest David, l'auteur de la principale
biographie française de Hcendel, parle de Bach dès la première page
LE MÉNESTREL
187
de son livre, et, dans les dernières, il s'étend encore sur le paral-
lèle en- questien. Notons en passant que c'est toujours à propos de
Hcendel que se produit cette association d'idées; ce qui prouve que
l'on ne peut parler de lui sans songer aussilôt à Bach; tandis que
lorsqu'on entend de la musique de Bach, on ne pense pas du tout à
Heendel.
Comme je n'ai pas encore fait mon parallèle, l'occasion ne s'en
étant pas présentée depuis longtemps, je saisis avec empressement
èelle qui s'ofTre aujourd'hui pour remplir ce devoir. Le moment est
d'autant plus favorable que nous entendions encore il y a quelques
semaines la Meuse en si mineur, dont l'impression inefTaçablo est toute
fraîche à nos mémoires. Aujourd'hui, l'on nous donne Israël un Egypte,
qui tient dans l'œuvre de Haîadel une place analogue. Comme la
messe dans l'œuvre de Bach, l'oratorio passe pour une des produc-
tions les complètes et les plus élevées du génie de son auteur. Et
les deux œuvres, jamais- exécutées en France, avaient conséquem-
ment pour nous un égal attrait de nouveauté. La circonstance est
ainsi des plus favorables ; la comparaison des deux génies ne saurait
être faite en meilleure connaissance de cause ni avec des témoi-
gnages plus précis et plus vivants.
■ Mais, d'abord, considérons les deux hommes dans ce que leur per-
sonnalité et les circonstances extérieures de leur vie peuvent nous
montrer de significatif.
Ils sont nés l'un et l'autre en la même année 1783, à moins d'un
mois de distance, Hœndel le 23 février, Bach le 21 mars, et dans le
même pays d'Allemagne, l'Allemagne du Nord, le royaume de Saxe.
Mais c'est là ce que nous trouvons de plus conforme dans toute
leur carrière ; bien qu'ils se soient rencontrés plusieurs fois dans le
voyage de la vie, c'a été toujours par des chemins opposés et en
suivant d'autres directions.
Leur manière île comprendre la vie diffère essentiellemenl. Celle
de comprendre l'art aussi. Tandis que Bach demeure tranquille et
méditatif en sa solitude de la Thomas-schule de Leipzig, Hœndel mène
une existence tout en dehors et dans une agitation continue, sans
cesse en voyage, allant se fixer d'Allemagne en Angleterre, faisant
des tournées dans tonte l'Halie, à la recherche de la prima donna ou
du sopraniste à la mode, ne songeant qu'aux effets à produire sur
le public, préoccupé surtout des recettes. Car ce maître, en qui nous
avons pris l'habitude de ne voir que le compositeur d'oratorios et de
sonates classiques, était avant tout un homme de théâtre, et, qui plus
est, un directeur de théâtre. A ce métier d'imprésario, tour à tour il
fait fortune, .'e ruine, se relève, et lutte sans cesse : eùt-il pu, au
milieu de ces tracas, trouver le temps de méditer sur sou art?
Bach, ce pendant, enseigne les principes de l'art noble et pur à
des disciples qui, s'ils suivent son exemple, ne se préoccuperont
jamais des caprices de la foule et ne feront jamais de concessions à
ses goûts frivoles.
Tous les deux ont écrit des oratorios: pourquoi? Hœndel, parce
que le public anglais a le goiit de cette sorte de spectacles,
que cela fait recette et sans frais de décors et costumes; Bach,
parce qu'il ne connaît pas de forme d'art qui corresponde mieux aux
visions de son âme ; et il fait exécuter ses œuvres une seule fois,
dans son église, un jour de fête, sans savoir seulement s'il a des
auditeurs.
Hcendel, d'ailleurs, connaît la gloire; ses succès sont retentissants,
et il est renommé, en Europe, partout oii l'on s'occupe de musique.
Bach, lui, a l'estime, l'admiration profonde de quelques connais-
seurs ; mais sa réputation ne s'étend guère au delà de quelques
cours de l'Allemagne du Nord.
Enfin, l'œuvre de Hœndel se propage rapidement, se classe, et
s'impose comme le modèle de la grande lyrique chorale des temps
modernes. Celle de Bach est universellement oubliée après sa mort,
sauf à l'église de Leipzig, oîi un successeur du maître, pieusement
dévoué à sa mémoire, tient à honneur de faire entendre parfois
encore quelqu'une de ses compositions ; et si, quarante ans plus
tard, Mozart n'avait pas passé par là, pour, avec l'autorité du génie,
remettre toutes choses en leur véritable place, peut-être son sou-
venir se fùt-il définitivement effacé.
Mais patience : le temps aussi est un grand maître, et qui finit
toujours — presque toujours — par casser les jugements superficiels
de la première heure et rendre à chacun le rang qui lui est dû.
Ainsi, ce premier coup d'œil jeté sur leurs vies nous montre que,
Bach et Heendel, ce n'est pas du tout la même chose 1 Venons-en
maintenant à leurs œuvres. Et puisqu'il est convenu que c'est la
Messe en si mineur avec Israël en Egypte qui serviront de termes de
comparaison, analysons rapidement cette dernière.
■ Aprè^ quelques mesures de récit, elle s'ouvre par un doublé
choeur d'uu style évidemment sérieux et noble, mais où l'on cher-
cherait vainement un véritable intérêt de combinaisons polyphoniques,
aussi bien qu'un thème expressif et d'un dessin caractérisé : c'est
un bon morceau scolastique, rien de plus. — - Observons en passant
que ce titre de double chœur appliqué à la plupart des morceaux
d'Israël n'est qu'une étiquette trompeuse, car non seulement les deux
chœurs ne dialoguent pas entre eux avec une personnalité et une
physionomie particulières, comme ceux de la Passion de Bach ou
du Slabat de Palestrina, mais ils ne forment même pas un chœur à
huit voix, les parties correspondantes ss doublant presque cons-
tamment.
A celte introduction, qui est d'ailleurs une des meilleures pages
de l'oratorio, succède le tableau des plaies d'Egypte : un air et plu-
sieurs chœurs à prétentions pittoresques, dont le principal intérêt
est de nous faire savoir que la musique descriptive a fait de très
grands progrès depuis Hœndel, bien qu'aujourd'hui encore elle ne
soit pas la marque d'un génie très profond. Je ne puis, pour ma part,
m'extasier sur le dessin des violons (une croche pointée suivie d'une
double croche deux fois de suite, avec un grand intervalle ascen-
dant entre les deux groupes) qui représente, paraîl-il, les 'pas des
grenouilles — admirable sujet pour un penseur — ; et quant aux traits
rapides des violons figurant le bourdonnement des insectes, je n'y
puis voir que des triples croches, que d'ailleurs on n'entend pas,
étouffées qu'elles sont sous les accords des voix et de l'orchestre.
Le chœur des ténèbres est le meilleur de la série, avec ses harmo-
nies indécises, ses parties qui se détachent tour à tour, s'éloignent
une à une, se perdent enfin; mais c'est là encore un effet plus
intellectuel que musical, et qui ressort bien moins à l'audition qu'à
la lecture. Le chœur de l'exode, la «célèbre pastorale d'/.sraëi en
Egypte », nous dit le programme, renferme une charmante phrase dé
quatre mesures qui passe tour à tour dans toutes les parties, sans
subir d'ailleurs dans l'harmonie ni dans la forme des modifications
de nature à en augmenter l'intérêt dans ses multiples répétitions.
Enfin, la musique descriptive reprend le dessus avec les épisodes
divers du passage de la mer Rouge, cinq chœurs ou doubles chœurs,
peu développés pour la plupart, certains d'un rythme assez véhé-
ment et d'une belle sonorité, mais d'une inspiration d'ordre secon-
daire.
La seconde partie est consacrée aux chants d'actions de grâce du
peuple de Dieu; et, bien que le sujet ne s'y renouvelle pas, il y a
plus de variété au point de vue musical dans cette partie que dans
la première, par la double raison que le sujet se prête davantage à
l'inspiration, ei, d'autre pari, que le compositeur a fait appel à des
éléments d'exécution plus nombreux, multipliant les chants en solo,
faisant dialoguer les voix avec le chœur. Trois duos, trois airs pour
trois voix différentes, des récits de ténor et un chœur final entonné
d'abord par un soprano seul, nous avons tout cela dans cette partie
contre cinq chœurs seulement, tandis que, sur les treize numéros de
la première, il n'y avait qu'un seul air et deux courts récits, tout le
reste étant en chœur. Je ne serais pas éloigné, soit dit en passant,
de voir là un défaut de proportion dans l'ensemble architectural. Ce
n'est pas à Bach que l'on aurait jamais de semblables reproches à
faire. Quoi qu'il en soit, si cette partie de l'œuvre est de tons un
peu moins gris, elle n'est pas d'une inspiration notablement supé-
rieure. Les deux célèbres duos qu'on nous a signalés, l'un pour
deux soprani, l'autre pour deux basses, ont pour intérêt principal
la curiosité de ces combinaisons peu ordinaires, mais au fond ce
ne sont que des morceaux d'école ; et si nous n'avions pas eu à la
la fin un air de contralto qui, lui du moins, est d'une mélodie ex-
pressive et douce, d'un dessin ample et largement développé (je l'ai
déjà signalé en commençant cet article), je serais obligé de con-
stater que cette seconde partie est, dans son ensemble, aussi terne
que la précédente. Quelques chœurs de louange, particulièrement le
chœur final, sont d'un bon caractère, pleins, sonores et majestueux;
mais ils ne révèlent absolument rien de nouveau à ceux qui con-
naissent VAlleluia du Messie, dont le rythme principal se retrouve
d'ailleurs trois ou quatre fois en divers endroits d'Israël en Egypte
(et encore dans d'autres ouvrages), comme si Hœndel avait été si
content de trouver une fois ce dessin qu'il se soit fait une loi de
le replacer partout !
Hœndel a pour qualités dominantes la majesté, la noblesse; mais,
outre que ces qualités ne sont pas celles qui, d'une façon générale,
s'accordent le mieux avec le goût de notre époque, on peut les con-
sidérer, particulièrement, comme exclusives de toute émotion. Et
l'émotion, n'est-ce pas h principale raison d'être de la musique?
Et c'est cette œuvre si peu suggestive, analysée si froidement.
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LE MEiNESTUEL
que l'on voudrait metire en parallèle avee les plus grandes concep-
tions de l'arl? Ce sont ces formules d'école, sous lesquelles rien ne
vibre, que l'on comparerait aux chants si expressifs, si originaux,
d'un relief si puissant, qui abondent dans Bach? ces harmonies in-
signifiantes et superficiell es qu'on égalerait à sa polyphonie gé-
niale ? Avec Bach nous vivons dans une plénitude de jouissance
presque constante; avec Haendel, dans les meilleurs moments, on
ne fait qu'en approcher. El cependant c'est Htendel qui, longtemps,
a passé pour le premier. Pourquoi? Tout simplement à cause de
ses formes plus simples, plus accessibles à la moyenne et en même
temps suflisammenl sévères pour en imposer. Mais maintenant que
la lumière s'est faite, que la langue musicale de Bach nous est enfin
devenue familière, qui voudrait encore lui conserver ce rang? El
que l'on n'objecte pas qu'un tel jugement est diclé par une préfé-
rence pour des formes compliquées, la forme n'est qu'une chose
secondaire, et ce n'est pas de formes qu'il est question ici, mais de
ce qu'elles expriment, de ce qu'elles recouvrent. Mozart est, dans
ses formes, aussi simple, peut-être plus simple que Hœndel ; et il lui
est supérieur, parce qu'il est génial. Son contemporain Rameau, élevé
à une autre école, moins bonne incontestablement, n'est certes pas
aussi recommandable pour les formes extérieures; mais il y a en
lui une autre abondance de sève, d inspiration, de vie musicale, et,
même au point de vue harmonique, Hœndel n'a rien fait qui approche
de son trio des Parques, une création géniale, car elle est toute spon-
tanée et conçue sans aucun modèle. Dans Hcendel, jamais, ou du
moins très rarement, on ne trouve cet accent profond, venu du cœur,
qui donne le frisson et d'oii viennent, en réalité, tout le relief et la vie
dont sont animées les œuvres des grands maîtres, les forts comme
les simples, les savants comme les ignorants, Palestrina, Bach,
Beethoven, Gluck, Wagner, Berlioz, Sehumann. Le nom d'Hœndel
ne mérite pas d'être cité parmi ces grands noms. La Créationd'Hajdn
est une œuvre infiniment supérieure à Ismël en Egypte, Joseph de
Méhul aussi. Je sais quelques compositions chorales de Gossec où
il y a une inspiration plus haute et plus spontanée. Et si, dans
cette galerie des musiciens, nous cherchons la place qui convient
définitivement à Hœndel, nous la trouverons parmi quelques bons
musiciens d'école avec lesquels il est fait pour s'entendre, comme
Durante, Gatel et Gherubini.
Telles sont les réflexions que nous inspire l'œuvre exécutée par la
Société des grandes auditions musicales. Elles seraient évidemment un
peu différentes si nous eussions entendu les compositions plus
classiques de Hœndel, le Messie et Judas Macchabée. Nous n'oublions
pas non plus qu'il a laissé un certain nombre d'admirables airs
d'opéras italiens, rares mais glorieuses épaves d'innombrables pro-
ductions que l'on fera bien, d'ailleurs, de laisser reposer à tout
jamais, dans l'intérêt de sa gloire. Car ce qui ressort surtout de la
nouvelle expérience, c'est que Hœndel n'a qu'à gagner à rester
uniquement l'auteur de quelques pages connues et justement admi-
rées: le reste de son œuvre no peut, semble-t-il, que causer une
désillusion. Déjà, on l'avait éprouvé l'année dernière quand la Société
des concerts avait fait entendre son Ode à sainte Cécile, qui compte
cependant parmi ses œuvres généralement admirées. Et cela encore
fournira un dernier trait à notre parallèle entre Bach et Hœndel :
tandis que, pour Baeh, toute œuvre nouvellement connue, de quel-
ques nature qu'elle soit, cantate, motet d'église, pièce d'orgue, etc.,
nous révèle invariablement de nouveaux trésors, pour Hœndel, au
contraire, chaque nouvelle audition ne fait que diminuer pour nous
l'admiration que les générations précédentes lui avaient vouée.
n est assez singulier que la même mésaventure soit arrivée l'an-
née dernière, à Berlioz, avec Béatrice et Bénédict, dont la représenta-
tion n'avait rien ajouté à sa gloire, au contraire. C'était également
à la Société des grandes auditions musicales qu'était dû ce résultat.
Je ne fais d'ailleurs qu'indiquer cette coïncidence : les bonnes in-
tentions de cette société ne sont pas douteuses, ses moyens d'action
sont assez puissants, et il faut espérer qu'à sa troisième tentative,
l'expérience aidant, elle réussira enfin pleinement.
Julien Tiersot.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DU GH AMP-DE-MARS
(Deuxième article.)
Il serait au moins inutile de chercher un classement méthodique
des tableaux de genre du Ghamp-de-Mars touchant de près soit à la
la musique, soit au théâtre : on ne peut guère qu'indiquer en passant
les pages principales d'une carte d'échantillons assez variée : l'allé»
gorie bonne enfant et savoureuse, avec «la Musique» de M. A. P.
Lucas, jeune personne grassouillette et décolletée par en haut
comme par en bas, s'appuyant sur une harpe polychrome ; les effets
de clair-obscur avec le curieux tableautin de M. Zorn, « Dans un
bal» oîi la pénombre de la salle oii l'on danse lutte, sans aucun
avantage, contre le grand reflet électrique du hall voisin ; l'anec-
dotisme avec «La leçon de chant dans une école» de M. Melckers;
la «Novillada» sur la place d'un village guiposcoan de M. Colin; le
coin de bastringue montmartrois de M. Casas; la chanson de
M. Anthonissen ; les arènes d'Arles violemment ensoleillées de
M. Montenard; la fantaisie mystico-chimiqne avec « la Chimère »
de M. Péon aux tons de vert-ie-gris et de saphir; la peinture de
mode avec le Five o'clock de M"" Madeleine Lemaire — qui expose,
non loin de là, les plus merveilleuses groseilles! — l'intimité mo-
derniste avec le «Bal blanc» de M. Prinet, une demi-douzaine do
jeunes filles tourbillonnant en famille; la mise eu scène théàtiale
avec le «Baturro» et les contrebandiers si pittoresques de M. Damât
— oh! la jolie indication pour un rajeunissement de Carmen — ;
le «Figaro» de M. Comtois, panneau pour l'Odéon; l'agréable poupée
au maintien un peu raide, mais si charmante comme modèle de
porte-paniers, que M. Toudouze a costumée en marquise ; enfin la
symphonie picturale avee l'étonnante marine que M. Whistler, le
plus remarquable des peintres de l'école américaine, intitule «Har-
monie en vert et opale », une mer opalisée, un ciel d'un vert mou-
rant ramené par dégradations insensibles aux tonalités du flot.
Saluons au passage les peintres militaires (ils sont deux) : Coutu-
rier avec ses « Signaux eu escadre » et son « Contre-ordre pendant
la halte », et Dagnan-Bouveret dans les « Conscrits de village » d'une
fière allure, d'un prodigieux accent de vérité, défilant au son du
tambour, et arrivons au portrait, la gloire solide, le triomphe de
l'école française au Palais de l'Industrie. En tête, M. Carolus Du-
ran, impeccable, admirable dans les portraits d'homme, plus prompt
à la formule dans les figures de grandes mondaines. Le portrait
de M. Gounod est vivant et vibrant, avec nue flamme au regard.
Par contre, un peu trop de « modisme » dans les six portraits de
femme : madame G..,, robe jaune ; miss L.... robe rose ; madame P...,
robe violette, etc., etc. M. Duez a merveilleusement réuni les
grandes figures en sor ie de bal qu'il intitule « Souvenir d'une fête
à l'Elysée ». Les Parisiennes de M. Alfred Steveus, verticales, hori-
zontales, levées, couchées, au boudoir, faisant la causette avec un
papillon bleu aussi docile que s'il était en satin découpé ou déguisées
en Ophélies sentimentales, ne valent pas la saisissante élude por-
tant le titre de la « Femme en jaune ». M. Carrière habite unnuage
comme les dieux d'Homère, mais un nuage singulièrement moder-
nisé, teinté de suie, noir en brouillard de Londres. Et dans cette
brume inhabitable pour le ommun des mortels il peint en ar-
tiste rare des portraits infiniment curieux, sinon très flatteurs
pour le modèle, par exemple cet Alphonse Daudet cadavérique, dif-
fluent, déliquescent, étendu sur un canapé auprès de si fillette. Oh!
le portrait douloureux et qui fait songer! Plus loin. M, Carrière
nous montre M. Paul Verlaine, le poète symboliste, bénéliciaire
d'une représentation récente. M. Besnard n'a pas trop gâté à force
de colorations chimiques les beaux portraits de jeunes filles, har-
monieux cependant et dans la gamme la plus éclatante, la plus
joyeusement vibrante, avec un paysage quasi fantaslique où les fleurs
s'épanouissent en fusées de feu d'artifice. De M. Blanche, dont la
manière s'appesantit ou plutôt s'écrase, deux portraits toujours
intéressants mais bien lourds, de M, Maurice Barres et du roman-
cier anglais M, Moore.
Le « Sur Peladan » de M. Marcelin Desboutins est très remarqué,
ou sou veston de satin noir à plis. M. Desboutins a fait bien cu-
rieusement ressortir le contraste de ce bonnet à poils, de ce paquet
de fourrure d'oii émerge le faciès du « sàr » avec la niaiserie quasi
enfantine, la radicale insignifiance des traits du modèle. De M. André
Pinet une Yvette Guilbert sur la scène, qui fait penser aux bonnes
affiches de Chéret,
Et combien d'autres portraitistes mériteraient mieux qu'une men-
tion rapide! M. V. Veerts, qui nous montre, entre autres études
d'une grande intensité de vie, M. Paul Ollendort!, M. Dietz-Mon-
nin, etc. ; M. Botdini, peintre réaliste des Parisiennes qui ne
tiennent pas à être embellies; M. Toulmouche et ses études de
femmes ; M. Zorn et son grand portrait de M. Spuller; M. Whistler
et la femme en noir; M. Roudel et son intéressant Arthur Meyer ;
M. Boulet de Monvel et la charmante figure de jeune fille qu'il
détache sur un rideau Pompadour; M. Friant, dont les « Ombres
portées » — une admirable scène d'adieux — valent beaucoup
LK MENLSTREL
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mieux que les très lourds Coquelin aîné et Jean Coquelin; M. Meu-
nier et le portrait de Coquelin Cadet, en Thomas Diafoirus. Signalons
encore l'Henry Maret de M. Leba^le et l'Ernest Renan de M. Ary
Renan. Mais le temps presse, et il serait injuste de sacrifier com-
plèlement la série des dessins et cartons. De M. José Engel, un
beau fusain d'après le violoncelliste Jacob ; de M. Carrier-Belleuse
d'intéressants pastels do danseuses pris sur le vif... du maillot;
de M. Bélhuue un bon pastel, « Matinée musicale » ; de M. Jean
Béraud, autre pastel : le Vieux Comédien; une suite de dessins de
M. Castel, études de chefs d'orchestre. Dans le petit clan des
miniaturistes, — ces philosophes du portrait, habitués à se con-
tenter de peu et à tenir encore moins de place — un cadra de
M. Dinaumare contenant, entre autres célébrités, Yvette Guilbert
et M. Xanroff. Les graveurs ont apporté aussi un sérieux appoint
à l'exposition du Champ-de-Mars : de M. Decisyla Leçon de danse,
une remarquable eau-foric d'après le tableau de Prinet; de M. Lau-
zel, une lithographie d'après Monticelli, Faust au jardin ; enfin de
M. Auguste Morse, la musique sacrée et la musique profane d'après
Dubufe et une Ophélie d'après Rosset-Granger.
Quant à la sculpture du Champ-de-Mars, elle n'est pas pauvre,
comme on l'avait dit tout d'abord; elle est rare, et dans le meil-
leur sens de l'épithète. En première ligne, une belle allégorie
de M. Hugues, — qui expose aussi un buste très vivant du maître
Ernest Reyer — l'Immorlalité. De M. Mulot une Armide élégante et
classique; de M. Desbois, à titre de contraste, une Léda presque
naturaliste; de M. Peler une rêverie de Muse:
Dans un léger sommeil elle rêvait encore
Aux éclats du Parnasse, aux héros de la Grèce,
A la sage Minerve, à la bonne déesse,
A l'Hellade au ciel d'or...
Parmi les morceaux de statuaire sortant de la banalité courante,
la Bacchante en bronze que M.Jean Dampt a achevée après la mort
de son auteur Etcheto; l'Orphée, également en bronze, de M. Tony
Noël; l'Hermès et Bacchus de M. Granet; la Mélancolie d'Injal-
bert. M. Ddlou expose une fontaine, « scène bachique », qui donne
l'impression très nette, je ne dirai pas d'une réminiscence, mais
d'une résurrection de Garpeanx. Et des bustes, des bustes! M"" Mo-
reno, par Dampt; Albert Wolfif, par Dalou; Alphand, par Coutau;
Pu vis de Cha vannes, par Rodin; Coquelin cadet, par Bourdelle, qui
nous a donné Félicien Champsaur moins réussi. Ailleurs, de nom-
breux et pittoresques médaillons d'auteurs contemporains, depuis
Théodore de Banville jusqu'à Léon Hennique, par M. Alexandre
Charpentier. Il fallait bien que la littérature eill un petit coin,
modeste d'ailleurs, etdisciet, ce dont ne se contenterait aucun des
comédiens choisis pour modèles par les peintres ou les statuaires
du Champ-de-Mars.
Camille Le Senne.
NAPOLEON DILETTANTE
VII
L'OPÉRA
(Suite.)
Pour Lesueur, les choses allèrent différemment, oncore que le
choix de Paisiello ait, comme nous l'avons dit, quelque peu surpris
Bonaparte, qui ne connaissait Lesueur que par ses démêlés avec le
Conservatoire. Mais celui-ci, très protégé par plusieurs dames de
l'ancien régime, notamment par M""" de Montcsson, ancienne épouse
ÏDorganatiqiie du duc d'Orléans et tante de M™' de Genlis, devint
promplement le commensal et l'habitué de la Malmaison.
Les Bardes virent alors se dissiper les nuages qui s'opposaient à
leur épanouissement. Cependant, le premier consul conservait encore
des doutes sur le succès possible de cet ouvrage ; car, un aperçu
des dépenses prévues pour sa mise en scène lui ayant été soumis,
il répondit « que ces dépenses lui paraissaient bien fortes, surtout
cet opéra ne devant être donné qu'en été. »
Les Bardes ne furent, en effet, représentés que pendant la belle
saison de 1804. Mais le succès s'en dessina, tout aussitôt, si vigou-
reusement, qu'on cria presque au Messie, et que tout le reste de la
musique et des musiciens sembla disparaître devant cet événement
inattendu. Au sortir de la représentation, le peintre David écrivait
a l'auteur : « Quand mon pinceau commencera à se geler, mon âme
à se glacer, j'irai réchauffer l'un et l'autre aux sons brûlants de votre
lyre. » Quant à Napoléon, il était enthousiasmé, ravi. Peu de temps
après, il fit remettre à Lesueur une boite en or, avec ces mots,
à l'intérieur : L'empcriur des Français à l'auteur des Bardes.
Ce fut Marco de Saint-Hilaire qui fut chargé par l'impératrioa
de porter cette tabatière, « qui pesait au moins une demi-livre. »
Sa visite chez Lesueur mérite notre attention :
« J'ai trouvé, nous apprend-il, le célèbce compositeur dans un
petit appartement, au cinquième étage, de la rue Sainte-Anne, que
je pourrais qualifier de plus que modeste. Ce qui m'a le plus sur-
pris, c'est qu'au lieu de trouver un magnifique piano, comme en
ont ordinairement ceux qui en touchent supérieurement, ou qui n'en
savent pas jouer du tout, je n'ai aperçu dans un coin de la pièce
qu'une vieille et miséiable épinette, sur laquelle une petite fiUe de
cinq ou six ans, belle comme un Amour, promenait déjà ses mains
enfantines.
» J'ai été parfaitement reçu par M. Lesueur, qui m'a paru un
excellent homme. Il a commencé par décacheter la lettre que je lui
ai présentée.
» Ensuite, ayant ouvert la boite qui était dans son étui, pour voir
le contenu, il trouva douze billets de caisse tout neufs, de mille
francs chacun. C'est sans doule Id raison pour laquelle j'avais trouvé
la boîte si lourde, car je n'avais même pas eu la curiosité de l'ou-
vrir avant de la lui remettre.
» Comme si M. Lesueur eût voulu me faire à son tour un cadeau
qui ne laissât pas d'avoir son prix, il me présenta sa petite-fille, à
qui je donnai un baiser sur chacune de ses joues, qui avaient tout
le velouté de la plus belle pêche »... C'est cette erfant qui deviut plus
lard M°" Orfila, dont le salon musical l'ut si renommé.
Lesueur et le parti de la cour avaient donc gagné la partie. Mais
le Conservatoire ne se tint pas pour battu.
Il faut dire que le premier consul avait eu, dans son désir de bien
faire, la malencontreuse idée d'instituer un jury chargé de pronon-
cer sur le mérite des ouvrages présentés à l'Académie impériale de
musique, et en général sur toutes les questions intéressant la pros-
périté de notre première institution musicale. Ce jury fonctionnait
sous la présidence de l'intendant des menus-plaisirs. Papillon dé
la Ferté, — le même qui, d.ins la suite, au commencement de la
Restauration, disait à M"'= Mars, au foyer de la Comédie :
— Eh bien, mademoiselle, vous serez donc toujours bonapartiste?
Ce qui lui valut cette réponse :
— Oui, monsieur^ tant que les papillons ne seront pas des aigles.
Ce jury, parmi ses attributions, était chargé de distribuer l'un
des neuf grands prix de 10,000 francs, « attribué au compositeur du
meilleur opéra représenté surlethéât'e de l'Académie impériale de
musique, » parmi les prix ilécinnaux décrétés à Aix-la-Chapelle, le
24 fructidor an XII, — li septembre 1804.
L'opinion désignait Lesueur pour celte récompense. Aussi fut-on
surpris lorsque le verdict du jury tomba sur un autre compositeur.
En apprenant cette décision. Napoléon entra dans une vive colère
et décida qu'on ne décernerait pas de prix.
Un nouvel incident ne tarda point à se produire, qui donna le
coup de grâce à ce jury trop partial. Un compositeur qui, après
avoir été sifllé à l'Opéra-Comique, avec la Petite Maison, avait obtenu
un succès à l'Opéra, avec Milton, s'avisa d'apporter à ce théâtre nn
nouvel ouvrage, la Vestale.
Cette outrecuidance d'un Italien, — car ce récidiviste s'appelait
Spontini, — déplut souverainement à l'aéropage de la salle Louvois,
qui, d'un trait, condamna la Vestale, dont il répiouvait « l'extrava-
gance du style,, la hardiesse des innovations, l'abus des moyens
sonores et la dureté de quelques ressources d'harmonie. »
Désespéré de ce verdict qui menaçait son avenir, le jeune maître
courut chez Lesueur, et lui soumit sa partition. Celui-ci no partagea
point l'opinion du jury, mais signala des longueurs ; et comme
Spontini déclarait qu'il se perdait dans tout co dédale de critiques,
l'auteur des Bardes lui proposa de faire mettre son œuvre au point
par Persuis, chef des choeurs de l'Opéra.
Ce Persuis, dont le nom est maintenant bien oublié, s'était illustié
par une cantate « en l'honneur de l'armée el de son illustre chef »,
après la grande campagne d'Italie. Il est, en outre, l'auteur, en
collaboration avec Lesueur, et pour les paroles, avec Esménard,
tous deux désignés "par Fouché, préfet de police, de l'opéra le
Triomphe de Trajan, commandé par ce dernier, pour ajouter à l'éclat
des fêtes auxquelles assista l'empereur, victorieux, à son retour,
après la paix de Tilsitt.
Esménard avait pris pour sujet le trait de clémence de Napoléon,
cédant aux prières de la princesse de Hatzfeld, et biûlant les papiers
qui établissaient la trahison de son mari. Mais la pièce manqua son
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LE MÉNESTREL
but et causa les plus grands désagréments à Fouché, ainsi qu'il
résulte de ce passage des Mémoires de son successeur, Savary, duc
de Rovigo :
Cl Cet opéra plut beaucoup par le spectacle magnifique qui y était
étalé et par tout ce que les grâces et les talents des incomparables
actrices de ce théâtre peuvent offrir de mieux dans ce genre. La
musique eut le même succès, mais la louange était trop directe et
ue plut point. On aurait dû mettre plus de tact dans la manière de
l'adresser. Aussi, l'empereur ne put-il en supporter la représentation ;
et cependant il eut plusieurs fois l'occasion d'entendre dire qu'on
lui imputait d'avoir donné l'ordre de faire cet opéra. »
La marche triomphale de Trajan devint populaire. Elle est de
Lesueur, ce qui n'empêcha pas Persuis de s'en attribuer la paternité,
comme il fit peu à peu pour tout l'ouvrage. . . Dernier détail curieux:
Napoléon était encore à Fontainebleau, que l'Opéra, pour recevoir
solennellement l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, crut devoir
monter le Triomphe de Trajan: mais on avait compté sans le tzar, qui
refusa d'entrer dans la salle si l'on jouait cet opéra, sa modestie
ne lui permettant pas de se laisser traiter de Trajan. Il fallut jouer
la Vestale.
Mais revenons à cet ouvrage. Après les retouches et les sup-
pressions de Persuis, le jury, humanisé, donna son introït à cet
oiseau rare, — qui, pour cela, ne s'envola pas aussi facilement
qu'on pourrait le croire.
Lesueur avait en répétition à l'Opéra la Mort d'Adam, vieille
déjà de bien des années. Elle était prête à passer. Mais le sort de
Lesueur était ■ d'attendre, — d'attendre toujours. Un beau matin,
Spontini tombe chez lui. Sa Vestale ai reçue, il faut qu'elle passe!
Bn étranger doit avoir le pas sur un Français : c'est la règle!...
Lesueur s'insurge quelque peu, car, après tout, il a, lui, charge
d'âme et de réputation... Mais Spontini ne veut rien entendre...
il vole à Sdint-Cloud, se précipite aux pieds de Joséphine, implore,
supplie,... l'impératrice se laisse émouvoir, elle fait venir Lesueur,
et finalement la Vestale prend le pas sur la Mort d'Adam, qui ne
passa que deux ans après.
Napoléon avait eu beau écrire, le 2-j aotit 1807, à Luçay. son
premier préfet du palais, chargé, comme on le sait, de la surveil-
lance et de la direction de l'Opéra : « Je ne veux pas qu'on joue
la Vestale; je pense qu'il est convenable de donner la Mort d'Adam,
puisqu'elle est prèle », l'opéra de Spontini l'emporta.
• On sait son succès sans précédent à l'Opéra. La Vestale a fourni
matière à dos flots d'encre et de larmes. Et finalement, pour ce qui
nous concerne, Spontini dédia sa partition à l'impératrice, qui lui
donna une épingle de grande valeur et lui continua ses bontés
dans toutes les occasions, ce dont il se montra reconnaissant, car,
après son divorce, il resta l'ami dévoué de Joséphine.
Puis vint Fernand Cortez.
Mais nous n'avons pas la prétention d'écrire l'histoire artistique
de l'Opéra. Les seuls faits de Napoléon dilettante nous intéressent;
et sous ce rapport, pour l'Opéra seulement, nous avons à glaner
dans cette encyclopédie trop peu connue, et qui servirait à vingt
monographies comme la nôtre : la Correspondance de Napoléon.
On verra, dans le chapitre qui va venir, combien l'empereur, au
milieu des préoccupations les plus diverses, revenait toujours, par
prédilection, lui, le grand acteur, aux moindres détails des choses
du théâtre et de la musique.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Palx d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres, (11 juin):
Lundi Manon, mardi les Huguenots, mercredi Mireille, jeudi Faust, ven-
dredi Bornéo et samedi Carmen, voilà le répertoire de la semaine à Covent-
Garden, qui porte toujours l'étiquette d'Opéra Royal Italien. Il convientaussi
d'ajouter que quatre de ces ouvrages ont été chantés en français.
Mireille a souvent reparu sur l'affiche à Londres. La plus récente de ces
reprises, en 1887, avait été tripatouillée par M>^^ Nevada, qui introduisait
au premier acte l'air du Mysoli de la Perle du Brésil, renvoyant la valse
tout à lait au dénouement. En remontant l'ouvrage en français cette saison,
M. Harris avait, dit-on, Tintention de rétablir les deux tableaux généra-
lement supprimés ici : « le 'Val d'Enfer » et « Le Hhône ». Le premier
seul a été exécuté hier soir, mais l'indisposition de M. Maurel est peut-
fttre responsable delà suppression du second. Le rôle de Mireille convient
peu à la nature impassible de. M"' Eames : trop d'ombres dans ce person-
nage ensoleillé. La jeune ai'tiste a eu pourtant de bons moments dans 1b
grand air, ainsi que <lans le duo du dernier acte; par contre, elle a voca-
lisé un peu lourdement la valse et elle a manqué de charme et de finesse
dans la cavatine, très difTicile d'ailleurs, « Heureux petit berger ». M. Lu-
bert a chanté avec beaucoup de goiit et de chaleur le rùle de Vincent.'
M. Geste, qui remplaçait au dernier moment M. Maurel, a encore une l'ois
péché par un excès de zèle. Il abuse vraiment de son organe généreux;
le public lui saurait gré d'un peu de modération. M"°Passama a dit d'une
façon intelligente la chanson si pittoresque de Taven ; un bon point aussi
à M"= Pinkert, pour sa romance du pâtre. Ce li'est pas de la faUtede M. Isnar-
don s'il a été chargé du rôle de maître Ramon, qui est au-dessus de ses
moyens. Je tairai pour la même raison le nom de l'artiste auipiel on a
confié le rôle de maître Ambroise. L'orchestre a joué cette fois avec une
discrétion très louable, mais M. Bevignani, en pressant les mouvements,
a compromis l'etîet du délicieux chœur d'entrée, ainsi que celui du duo de
« Magali », et je m'explique dilficilement la coupure inattendue dans la
strette du finale du deuxième acte, une des [lages les plus dramatiques de
Gounod. La direction ne s'est pas mise en grands frais pour cette reiu'ise,
et plusieurs détails de mise en scène Jaissent à désirer. Il convient sur-
tout de protester contre le décor du premier acte de Tannlmuser, (jui a été
chargé de représenter la côte provençale au dernier tableau.
Les études du prochain Festival Hœndel au Grystal Palace avancent
rapidement. La répétition générale aura lieu le 19 juin 'et les. trois séances
les 22, 24 et 26 juin, avec le programme suivant:
23 juin, le Messie : 24 juin, Fragments diyers de Acis et Gakithée, Jcphté,
Samson, Salonion, etc., etc.; 26 juin, Israël en Egypte.
Les principaux solistes engagés sont: M'"" Albani, Macintyre, Nordica,
Mackenzie, Belle Golè, MM. Lloyd, Mac Guckin, Santfey etc. Organistes,
MM. Best et Eyre. Choeurs et orchestre, en tout quatre mille exécutants,
sous la direction de M. Manns. A. G. N.
— Voici un exemple de sympathie artistique que certains critiques ne
seraient peut-être pas fichés de voir se généraliser quelque peu. M. Clé-
ment Scott, le critique bien connu qui fait au Daily Telégraph la chronique
dramatique, et M. Willie Wilde, un musicographe autorisé, viennent'de
recevoir un legs assez curieux et fort inattendu. On les a prévenus, ces
jours derniers, que miss Drew, une très belle et très sentimentale dilet-
tante, était morte, laissant, au premier, une somme de 300.000 francs, au
second, ses instruments de musique, piano à queue, harpes, etc., « en
reconnaissance des bonnes heures que lui avait fait passer la lecture de
leurs articles de théâtre ». Miss Drew était passionnée pour l'art drama-
tique, et elle ne manquait pas une seule première depuis quelques années.
— Une vente très importante d'autograpbes de musiciens a eu lieu
récemment à Londres. Quelques-unes des pièces ont atteint des pri.\:-te:èB
élevés; nous citerons particulièrement les suivantes: une lettre de Doni-
zetti et une de Weber, 12b francs chacune ; une lettre de Schubert, 81 fr.
23 c.; une note autographe de Beethoven, 73 francs; deux lettres de
Wagner, ob francs et 18 fr. 75 c. ; une lettre de Nicolaï, 62 fr. bO c. : huit
lettres de Mendelssohn, ensemble 280 francs ; quatre lettres de Schumann,
31 fr. 23 c, 30 francs, 26 fr. 2b c. et 18 fr. 7b c. ; une lettre de Spohr ,
22 fr. 30 c, et deux autres lettres du même, ensemble, 12 fr. bO c. ; une
lettre de Jenny Lind, 18 fr. 7b c. ; une lettre d'Adelina Patti, 16 fr. 80 c. ;
un billet d'Offenbach, 10 francs; une lettre de Meyerbeer, 8 fr. 7b c. ;
une lettre de Rossini, 6 fr..2b c,-Enfin, un .alburn contenant environ deux
cents lettres autographes de compositeurs, chanteurs et virtuoses célèbres
a trouvé acquéreur au prix de 306 fr. 23 c.
— Nouvelles des théâtres italiens. . — A la Scala de Milan, on a enfin
trouvé un directeur, ou, pour mieux dire, une compagnie directrice, sous
la raison sociale Luigi Piontelli et C'°. Ce M. Piontelli est en ce moment
l'imprésario le plus en évidence de l'Italie, dont la plupart des grands
théâtres ont passé entre ses mains. Il a. même été déjà à la tête de l'admi-
nistration de la Scala, qu'il avait crise des mains de M. Lamperti pour
la repasser, moyennant finances, aux fratelli Corti. Il a. aujourd'hui pour
associés dans cette entreprise M. Luigi Cesari, ancien directeur du Dàl
Verme de Milan et du Regio de Turin, le maestro Superti, qui a exercé
en Amérique, MM. Graziosi et l^ozzali. On annonce que cette nouvelle
inipresa songe à réunir dans ses mains, avec la Scala, le Regio de Turin,
le Carlo Felice de Gênes, la Fenice de Venise, d'autres encore peut-être...
C'est un projet bien vaste, et sans doute un peu chimérique. Qui vivra
verra. — Psndant ce temps, le San Carlo de Naples, à qui la municipalité
refuse toute subvention, moins heureux que la .Scala ne trouve point de
mortel assez audacieux pour se charger de ses destinées dans des conditions
si précaires. Restera-t-il fermé? C'est bien probable. — D'autre part, on
ne sait ce qu'il adviendra à Palerrae au sujet de l'inauguration du nouveau
Grand Théâtre en construction, inauguration qui devait coïncider avec celle
de la prochaine Exposition. On ne sait même pas encore si l'édifice sera
prêt pour cette époque. — Cependant, et bien que cela ne soit ]ias encou-
rageant, voici que l'on construit de nouveaux théâtres à droite et à gauche.
A Rome, c'est dans la via Calabria, près de la Porte Salaria, qu'on vient d'en
édifier un en bois sur les dessins de l'ingénieur Mariani, pouvant contenir
douze cents spectateurs, et qui prendra le nom de Politeama Sallustiano.
Il sera inauguré, avec un spectacle lyrique, le jour de la fête du- Statut. Bt
à Pérouse, c'est l'architecte Arienti qui vient de construire aussi un nou-
veau Politeama, lequel doit ouvrir ses portes avant la fin du présent mois.
LE MENESTREL
It)'!^
— , Auber, que certaine prétendus petits musicieas font état de mépriser
ciiez nous, continue de faire la conquête de l'Italie. Au Théâtre National
de Rome, qui vient de ferriier ses portes avec la Lucie de Donizetti, on
compte faire prochainement la réouverture avec une série de représenta-
tions du Domino tioir.
— Réglons nos comptes avec les nouveaux opéras sortis de la plume
des compositeurs italiens sans avoir été mis encore en communication
avec le public, et enregistrons la naissance des ouvrages suivante en at-
tendant que nous puissions constater leur baptême : la Gemma del Karf-
makel, légende en trois actes et un prologue, paroles et musique de
M. Luigi Martinotti, musique de M. Vittorio Radeglia ; Edilka di Lorna
et Crisloforo Colombo, deux opéras sérieux, paroles et musique de M. Dio-
nisio Corradi ; Najida, paroles de M. Michèle Cantone, musique de
M. Flocco ; MalavUa, paroles de M. Achille Alaimo-Blecgini, musique de
M. Alexandro Sanfelice ; i)Jala vita, paroles de M. Nicola Daspuro, musi-
que de M. Umberto Giordano ; Cateriim de' Medici, musique de M. Eltore
Mattioli ; Manon Lescaut, musique de M. Puccini, qui doit, dit-on, être
représenté l'hiver prochain au théâtre Regio, de Turin ; Fior di Xeve, opé-
rette, musique de M. Enrico Manfredi,dont on annonce la prochaine ap-
parition au Politeama Margherita, de Gènes ; enfin, un opéra du maestro
Gaspare Finali, dont on ne fait pas connaître le titre, et qui doit être
otTert, l'automne procliain, au public du théâtre Costanzi, de Rome. Selon
toute apparence, les spectateurs italiens ne sont pas près de chômer de
musique.
— ■ On vient de donner à Milan, au théâtre Manzoni, la première repré-
sentation d'un opéra nouveau, Gennarelto, dû à la collaboration de deux
frères, M. Antonio Gipollini pour les paroles, M. Gaetano Gipollini pour
la musique. Cette collaboration fraternelle ne parait pas avoir été complè-
tement heureuse. Le livret du nouvel ouvrage est assez vivement malmené
par la critique milanaise, et quant à la musique,, elle est jugée comme
étant d'un artiste instruit, bien stylé, mais sans inspiration et surtout sans
l'ombre d'originalité. En fait, si deux morceaux ont été bissés (c'est une
habitude déplorable qu'on prend aussi en Italie), l'auteur a obtenu seule-
ment dix rappels, chiffre bien maigre en pareille circonstance. L'exécu-
tion paraît pourtant avoir été aussi satisfaisante que possible. Elle était
confiée à M"'* Leone et Geresoli, au ténor Quiroli, au baryton Roussell
^t à la basse Fabro.
— Dans un concert donné à Rome, un jeune compositeur, M. Tonizzo, a
fait entendre plusieurs de ses oeuvres; un trio pour piano, violon et vio-
loncelle, une gavotte pour piano, un caprice pour mandoline, un duo pour
soprano et une romance pour baryton. — A Gênes, aussi dans un concert,
un autre compositeur, M. Ferraria, de Turin, a produit de même un cer-
tain nombre de ses œuvres : deux quatuors pour instruments à cordes,
quelques morceaux de piano, un solo de violoncelle et plusieurs romances.
— Il paraît que les aft'aires du théâtre du Lycée, à Barcelone, sont loin
d'être dans un état satisfaisant. Les artistes qui s'étaient réunis pour
exploiter le théâtre en société n'ont pas lieu de se réjouir du résultat de
leur tentative ; les recettes sont dérisoires, et tout va de mal en pis. Une
augmentation de subvention a été demandée à l'assemblée des proprié-
taires du théâtre, qui l'a réfusée net. L'avenir ne se présente pas, dit-on,
sous des couleurs brillantes pour cette scène du Lycée, l'une des plus
importantes de l'Espagne au point de vue artistique, mais dont les res-
sources financières sont complètement insuffisantes.
— On a donné la semaine dernière, à l'Alcazar de Bruxelles, pour le
bénéfice de M. Nazy, chef d'orchestre du théâtre, la première représenta-
tion d'un ballet nouveau, Blanc partout, scénario de M. Victor Lagye, niu-
sique de M. Nazy.
— On écrit de Munich que la direction des théâtres de la cour a publié
olficiellement le décret qui interdit aux artistes de ces théâtres de venir
saluer le public, ni pendant, ni même après la représentation, pour le
remercier de ses applaudissements. Sont exceptées : les représentations
du jubilé d'un artiste, celles ou figurent des artistes étrangers à la scène,
qui sont en représentations, et enfin les premières, où artistes, auteurs
et régisseur auront, après la fin de la soirée seulement, le droit de venir
remercier le public.
— On écrit de Bade que le poste de premier chef d'orchestre, qui n'avait
été occupé que provisoirement depuis la mort de Kœnnemann, vient d'être
confié définitivement à M. Frédéric Koch, de Berlin. Le titulaire a été
choisi parmi 122 candidats à la succession de Kœnnemann. Violoncelliste
de talent, M. Koch, qui est élève de Haussmann, a fait partie de l'orchestre
de la cour, à Berlin. Compositeur distingué, il a fait exécuter, entre
autres, avec le plus grand succès, à Berlin, à Hambourg et à Dresde,
deux symphonies de sa composition. Au concours pour la place de chef
d'orchestre à Bade, il a dirigé d'une façon magistrale l'ouverture des
Maîtres Clianteurs, une rapsodie de Liszt et la symphonie en lit mineur de
Beethoven.
— La compagnie d'opéra américain « Emma Juch », dont notre numéro
de dimanche dernier a raconté les exploits, a été abandonnée par son
directeur, M. Locke, à Saint-Louis, le jour même fixé pour le départ de
la troupe p.our New-Vork. L£_ trajn._sp_écial, dit train des émigrants ou de la
charité, est resté trois heures en gare, attendant les cinq cents dollars con-
venus pour prix du voyage. Tout le personnel était là sur le quai, avec les
bagages, en proie à une inquiétude qui grandissait d'heure en heure!
Enfin le caissier-ténor Hedmont est arrivé, annonçant que M. Locke et
M""" Juch avaient pris la fuite. On parlementa avec le chef de gare, qui
finit par permettre le départ. Ce n'est pas la première fois que cette infor-
tunée compagnie se, trouve en péril. A Mexico, Pitsburget à Portland ce
n'est que grâce au secours des consuls anglais qu'elle a pu poursuivre son
voyage. M. Locke doit actuellement à son personnel quelque chose comme
quinze mille dollars.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra, représentation populaire à prix
réduits : la Favorite et Coppélia. Comme on voit, avant de quitter la place,
MM. Ritt et Gailhard tiennent à se mettre en règle avec leur cahier des
charges. Ils ne doivent plus guère qu'une quarantaine de ces représenta-
tions populaires ; mais avec de la bonne volonté, on arrive à remplir tous
ses devoirs.
— Les décorateurs ont soumis avant-hier à MM. Ritt et Gailhard, qui
les ont approuvées, les maquettes des quatre décors de Lohenijrin. L'exé-
cution va en être conduite activement. Les études préparatoires de l'œuvre
de Richard Wagner suivent leur cours. Les chœurs travaillent, et savent
déjà leurs parties. Des leçons sont données quotidiennement sur tous les
rôles de l'ouvrage. Le ténor Van Dyck, qui chante en ce moment le rôle
de Des Grieux dans la Manon de M.Massenet, à Londres, viendra très pro-
chainement à Paris, où il séjournera quelques jours avant de se rendre à
Bayreuth. On compte profiter de sa présence pour régler quelques détails
de mise en scène, de façon que les grandes répétitions puissent commen-
cer dès le mois d'août, avec M"» Rose Garon, qui, du reste, a déjà chanté,
à Bruxelles, le rôle d'Eisa. C'est à ce moment que M. Lamoureux prendra
officiellement possession de ses nouvelles fonctions.
— Une indisposition persistante du ténor Delaquerrière a mis la direc-
tion de rOpéra-Comique dans l'obligation de traiter avec M. Engel pour
la création du rôle de Félicien dans le Rêve, l'opéra prochain de MM. Emile
Zola, Gallet et Bruneau, que doit représenter M. Carvalho. Comme M. Engel
connaissait déjà la partition, qu'il avait dû un instant créer à la Porte-
Saint-Martin, on pense, malgré tout, pouvoir donner la première repré-
sentation du Rêve dans le courant de la semaine qui s'ouvre.
— Voici l'ordre et les dates auxquels sont fixés, cette année, les concours
du Conservatoire :
Concours à huis clos :
Lundi 29 juin, Harmonie (hommes);
Mardi 30, mercredi 1" juillet, Solfège (Instrumentistes);
Jeudi 2, vendredi 3, Solfège (Chanteurs) ;
Samedi 4, Violon (Classes préparatoires);
Lundi 6, Harmonie (Femmes);
Mardi 7, Fugue;
Mercredi 8, Piano (Femmes). Classes préparatoires;
.leudi 9, Piano (Hommes). Classes préparatoires;
Vendredi 10, Orgue ;
Samedi II, accompagnement au piano.
Concours publics :
Samedi 18 juillet. Contrebasse, Violoncelle;
Lundi 20, Chant (Hommes);
Mardi 21, Chant (Femmes);
Mercredi 22, Tragédie, Comédie;
Jeudi 23, Harpe, Piano (Hommes);
Vendredi 24, Piano (Femmes) ;
Samedi 25, Opéra-Comique ;
Lundi 27, Violon ;
Mardi 2S, Opéra ;
Mercredi 29, Instruments à vent.
— Voici quels sont, à la suite des examtns de fin d'année, les élèves
admis aux concours. Pour le contrepoint et la fugue (16 élèves): MM.Bonval
Burgat, Dupré, Ferroni, Tariot, Pillard, M"^* Rivinach et Eldes, de la classe
de M. Massenet ; MM. Marichelles, Coffat, Briouse et Auchard, de la classe
de M. Théodore Dubois ; MM. Busser, Roux, Morel et M"'' Jaeger, de la
classe de M. Ernest Guiraud.— Pour le chant (45 élèves, dont 19 hommes
et 26 femmes) : MM. Castel, Dufour et Mii= Desparsac, de la classe de
M. Bax; MM. Coraméne et Cadio, W'" Morel et Laine, de la classe de
M. Boulanger; MM. Bautet et Montègu, M"«s Youdelewski, Vauthrin,
Médard. Ibanez, et Guzroac, de la classe de 'M. Barbot; MM. Petit, Sil-
vestre, Villa, M"«5 Audran, Solange, Gêniez et Mathieu, de la classe de
M. Archaimbaud; MM. Ghasne,Périer, M"|-"^CIéry, Thommerel et Créhange,
de la classe de M. Bussine: M. Artus, M"«s Michel, Wyns et Brelay, de
la classe de M. Crosti; MM.Chassaing, David et Grimaud, M"»'^ Lemaignan,
Pacary, Selma et Guyon, de la classe de M. Warot; MM. Nivette, Bérard,
Petit et Delpouget, M"« Issaurat, Blankaert, Brillant et Giovannetti, de
la classe de M. Edmond Duvernoy. — Pour la tragédie (9 élèves, dont
4 hommes et 5 femmes) : M. Gauley et M"|= Haussmann, de la classe de
M. Got ; M. de Max, M"«s Dufrêne et Mellot, de la classe de M. Worms ;
MM. Godeau et Fenoux, de la classe de M. Maubant; M"™ Harttmann et
Ratchiff, de la classe de M. Delaunay. — Pour la comédie (22 élèves,
dont 10 hommes et 12 femmes) ; MM. Fordyce «t Baron, M"'^^* Dux et
Piernold, de la classe de M. Got; MM. Frédal, Costo et Casteli, W^ Hart-
mann.^Béry et" Ralchiff, de la classê~aè M. Delaunay; MM. deMax, Lugné-
d92
LE MÉNESTREL
Poé et Esquier, M">'* Thomson, Dufréne et Vernon, de la classe de
M. Worras ; MM. Fenoux et Veyret, M""* Laurent-Ruault, Suger et Cha-
pelas, de la classe de M. Maubant. — Pour l'opéra-comique (lo élèves,
dont 7 hommes et 8 femmes) : MM. Petit, Bérard, David et Nivette,
M'"^* Lemaignan, Morel et Gléry, de la classe de M. Achard; MM. Ghasne,'
Périer et Villa, M"'^ Vauthrin, Demours, Beauvais, Gréhange etAudran,
de la classe de M. Taskin.
— Pai.ais-Royal. Durand et Durand, comédie en trois actes de MM. M. Or-
donneau et A. Valabrègue. — Le Palais-Royal profite, à sa manière,
de l'arrière-saison pour faire une petite exposition de ses cent chefs-d'œu-
vre, qui a le double avantage, non seulement de lui amener une clientèle
compacte, mais encore de lui permettre de garder bien à lui dos pièces
qu'envient, non sans raison, ses bons confrères. Donc on nous a redonné
Durand et Durand, la très réjouissante fantaisie de MM. Ordonneau et Vala-
brègue qui, lors de sa première apparition, avait obtenu un très grand
succès que celte reprise n'amoindrira en rien. Durand l'épicier est tou-
jours représenté par M. Calvin, tandis que Durand l'avocat nous apparaît
maintenant sous les traits de l'excellent M. Saint-Germain; M. Dailly prêté
sa corpulence et sa joyeuse humeur au rôle du beau-frère, qu'il rend déso-
pilant, et M"s Lavigne nous montre une irrégulière avec laquelle, très
certainement, on ne doit pas s'ennuyer souvent. Si je nomme encore
M. Milher, l'étonnant bègue professeur de diction, M. Pellerin et M"" Du-
rand, c'est pour vous convaincre tout à fait que vous pouvez aller sans
crainte, au Palais-Royal, passer une excellente soirée que vous n'aurez
pas lieu de regretter, Paul-Emile-Chevauer.
" — Un concours pour des places de violon vacantes à l'orchestre de
l'Opéra aura lieu très prochainement. S'adresser pour l'inscription à
M. Golleuille, régisseur.
— M. Gastelain, artiste du Grand Théâtre de Lille, premier prix de cor
au Conservatoire de cette ville en 1882, vient d'être nommé professeur de
cor et de cornet à pistons au Conservatoire d'Amiens.
CONCERTS ET SOIRÉES
^ Charmante soirée, jeudi dernier, chez M. et M'™ de Serres. Cette fois, la
musique, bien que non complètement abandonnée, avait cédé le pas à la
comédie. Deux pièces en un acte, les Souliers de bat, de M. Gastineau, et
le Feu au couvent, de Théodore Barrière, formaient, en effet, le fond du
programme, toutes deux représentées sur un ravissant petit théâtre édifié
de pied en cap par M. de Serres. C'étaient des amateurs, mais des ama-
teurs excessivement distingués, qui ont joué avec un véritable talent ces
deux bluettes. Mettons en tête M""= Alice Montigny, une ingénue tout à
fait ravissante, et M"' Marthe Périer, bien charmante aussi. Le côté mas-
culin était brillamment représenté par MM. Léon Vigier, Martin Saint-
Léon, Eugène Pralon et Henri Pralon, tous gentlemen très corrects. Dans
les intermèdes musicaux, à signaler deux gentilles pianistes, M"*^! Renaud,
puis une élève de Mi« Laborde, M"» Ledant, douée d'une superbe voix de
contralto, et le jeune violoniste Marteau. Brillante assistance, qui s'est
fort réjouie d'une aussi aimable soirée.
— M. Georges Pfeiffer vient de donner, salle Pleyel, une audition inté-
ressante de quelques-unes de ses dernières œuvres. On a surtout appré-
cié un quatuor pour piano et cordes, dont le moderato (premier morceau)
et ïandante sostenuto sont particulièrement réussis. M'"='i Roger-Miclos,
Steiger et Panthès se sont fort distinguées dans l'interprétation de toute
une série de fins morceaux de piano, parmi lesquels il faut citer surtout
une charmante Sérénade tunisienne; M"' Boucart, une jeune cantatrice
douée d'une charmante voix, qu'elle conduit avec habileté, a détaillé à
ravir un air de Jeanne de Naples (un ouvrage lyrique non encore repré-
senté) et MM. Fournets et Engel ont chanté avec leur habituel talent
plusieurs œuvres vocales fort bien venues.
— Mardi dernier 2 juin, un pianiste brésilien, M. Carlos de Mesquita, dont
l'éducation s'est faite au Conservatoire de Paris par les soins de MM. Mar-
montel et Massenet, a donné concert dans les salons Pleyel, Wolff et G".
M. Carlos de Mesquita a obtenu, il y a pl'isici's années, un premier prix
au concours du Conservatoire, mais à l'heure présente le vaillant pianiste
n'est plus un disciple, il ne procède que de lui et a son style personnel;
les applaudissements chaleureux qui l'ont accueilli ont témoigné à l'artisie
combien était vive la sympathie qu'on lui portail, et pourtant le jeune
compositeur ne s'était réservé qu'une très modeste place dans son riche
programme, où resplendissaient les noms de Brahms, Chopin, Massenet,
Arthur Napoléo, Félix Godefroid. M""! Carlotta Machado, MM. Tedeschi,
Ed. Nadaud, Gros Saint-Ange, Carrussi, Giovanni, ont, avec un dévoue-
ment confraternel qu'on ne saurait trop louer, donné le concours de leur
talent au bénéficiaire. Gomme lui, ils ont été chaleureusement applaudis
et ont obtenu de nombreux rappels.
— Concerts et Soirées. — Mercredi dernier, salle Pleyel, M"" Marie Ledsnl et
Juana Vassalio ont chanté plusieurs morceaux dans lesquels on a pu apprécier
des qualités de charme et de style qui se sont accusées chez M"' Vassalio dans
la romance de Mignon et dans des mélodies de M. Théodore Dubois, et chez
M"* Ledant dans l'arioso d'Hamlet et dans une mélodie, le Berceau d'amour,
d'après Varia do la troisième suite de Bach, qui a été bissée. L'excellente pianiste
iV-" Ilermann a été très applaudie, surtout dans une tarentelle de Th. Ritter.
M. Caron a eu beaucoup de succès dans une mélodie de Faure. M. Cornubert
très fin diseur, MM. Plan et de Rive Berni ont été aussi appréciés. Enfin M. Ch.
Dancla s'est fait applaudir et rappeler pour sa délicate et fine exécution du
concerlo de Mendelssohn. — Brillante réunion, mardi 19 courant, rhe^ M°* L.
Desroasseaux, le sjnapathique professeur de chant, qui a clôturé la se ie de ses
cours par une charmante soirée. Apjès une audi'.ion de ses élèves dans deux
chœurs brillants, dirigés par M. Périer, nous avons applaudi M. Marcel Herwegh,
l'êmineijl violoniste, ainsi que M.\l. Jean Périer et Fonssagrives (J. Breton)
qui nous ont charmés dans plusieurs morceaux par leur jolie vois. — M"" Anna
Fabre, pour répandre d'une manière suffisante à l'importance de sa clienlèle
vient de transporter son cours de musique de la Chaussce-d'Antin dans un nou-
veau locîl, rue Joubert, ii° 19. Nous annonçons en même temps que M'"" Fabre
réunit à son cours de piano celui de la regrettée M"- Elilinger Blum, décodée.
Ces deux cours réunis restent toujours sous la haute direction de M. Marœontel.
— Mardi dernier, clôture annuelle des soirées musicales de l'.Associat on amicale
des Enfants du Nord et du Pas-de-Calais (la Betterave). Au programme , illustré
par Weerts: le duo à'Aben llamel de Th. Dubois, fort bien chanic par M'" Jacob
et M. Claeys; la valse-arabesque de Th. Lack et le Réucil île Th. Dubois, exécutés
merveilleusement par le jeune pianiste à la modo, M. Léon Delafosse. Les chanson-
niers du Nord, MM. Gustave Nadaud, Desrousseaux, Watteuw ont été acclamés par
leurs compatriotes. Puis se sont succédé avec un égal succès : M"" Alice Lody,
de l'Odéon, Alice Dubois (genre fin de siècle), MM. Baillet, de la Co.uédie-Fran-
çaise, Guid', violoniste, Fernand Rivière et PilUretli. — Les auditions d'élèves
données à Toulon par l'exoellent professeur M. Gustave Baume, sont toujours bien
intéressante--. Tous ces petits sujet! témoignent de la valeur de l'enseignement
qui leur est donné. Il y a toujours sur les programme; un clioix d'œuvres nou-
velles qui prouvent le goùl et le sens arti tique du maître. C'est ainsi que dans
les deux matinées des tl) février et 23 mai, on a entendu : Au Malin, Par les bois.
Courante, Valse-sérénade, Intermezzo et Deuxième Schei'so d'Antoniu Uarmontol ; Pul-
cinella. Valse mineure, Scherzetlo, Caprice badin et Valse de concert, de Raoul Pugno;
Chant d'avril et Myosotis de Théodore Lack; Marche et Nocturne à quatre mains de
Massenet; Romance de Rubinstein; le Scherzo-Choral et les airs de ballet dAben-
Hamet de Théodore Dabois; Tambourin et Musette de Bcoustet; Parmi le Thym et
la Rosée de Rougnon; Rerceuse, Barcarolle et Sérénade de Diémer ; Passepied de
Delibes; et enfin, pour finir, tes Erinnyes de Massenet, arrangement pour quatre
pianos, 16 mains, véritable bouquet final. — Dimanclie dernier, à Neuilly, à la
suite d'une brillante matinée des élèves de M-* Audousset, audition fort intéres-
sante d'œuvres de M. Lenrpveu. Au programme, M°" Casquard, qui a interprété la
Jeune Captive avec beaucoup de talent; M. Scaremberg, dont la belle voir s'est
fait applaudir dans vision et air de VelléJa; un chœur du Florentin, travaillé sous
la direction de M™» Audousset et accompagné par elle, a eu beaucoup de succès;
M. Lent pveu dirigeait le chœur et a accompagné ses œuvres. Citons aussi MM. Binon
et Belville, qui ont fait grand plaisir, l'un en interprétant une romance sans paroles
pour violoncelle de M. Lenepveu, et l'autie en jouant la Berceuse de M. Godard et la
Polonaise de Wieniawski ; M"" S. Delaunaj a dit plusieurs poésies avec beaucoup
de finesse et de talent.
NÉCROLOGIE
De Londres on annonce la mort, à l'âge de cinquante-trois ans, de M. George
Hart, le luthier bien connu et l'un des connaisseurs en violons les plus émé.
rites de l'Angleterre. L'expérience toute spéciale qu'avait acquise M. Hart
l'avait conduit à s'occuper aussi de l'histoire du violon et delà lutherie, et
il l'avait fait dans deux ouvrages importants et justement estimés, en dépit
de certaines lacunes fâcheuses et difficilement compréhensibles. Le pre-
mier litait intitulé the Violin, its famous makers and their imitalors (le Violon,
les lutliiers célèbres et leurs imitateurs), Londres, Dulau, 187S, in-8'' ; le second
avait pour titre the Violin and its music (le Violon et sa musique), id., id. 1881.
in-4°. Ces deux ouvrages furent publiés avec un grand luxe typogra-
phique et accompagnés de planches et de portraits d'une réelle valeur.
M. Hart- fît faire, par Alphonse Royer, une traduction française du pre-
mier, qu'il donna, en 1886 (Paris, Schott, in-4"), augmentée de nombreux
documents nouveaux et accompagnée aussi de planches précieuses. Cette
traduction était faite d'après la cinquième édition originale, ce qui prouve r
le succès que ce livre avait obtenu en Angleterre. On n'en est que plus
étonné de constater que le nom de George Hart ne se trouve même pas
mentionné dans l'ouvrage si important publié sous !a direction de
M. George Grove et dans la patrie de l'auteur : Dictionary of musir, and
mvsicians. C'est, là aussi, une lacune qui ne se comprend guère. — A. P.
— D'iia. n annonce la mort, à Vedano, près V.onza, le 29 mai, d'un
dilettante fort distingué qui appartenait à la haute noblesse italienne et
qui s'était fait remarquer par son ardent patriotisme à l'époque des grandes
luttes de l'indépendance, le duc Giulio Litta Visconti Arese. Très épris et
protecteur de l'art sois toutes ses formes, le duc Giulio Litta s'était livré
de bonne heure et avec ardeur à la composition, et dès l'âge de vingt ans
avait produit, sur la petite scène intime du Conservatoire de Milan, un
opéra intitulé Bianca di Santafiora. Il ne craignit pas d'aborder ensuite les
théâtres publics et fit représenter une série d'ouvrages dont voici les litres
et qui le classèrent au nombre des amateurs les plus distingués de son pays :
Maria-Giovanna (Turin, théâtre Carignan) ; Editta di Lorno (quatre actes,
Gênes, théâtre Carlo-Felice, 18S3) ; Sardanapale; Don Giovianni di Porlogallo ;
il Viandante, scène lyrique d'après le Passant (Milan, 1873) ; Raggio d amore,
opérette; il Violino di Cremona. Il a écrit aussi sous ce titre, la Passiane, une
sorte d'oratorio sur les paroles de l'hymne fameux de Manzoni : 0 tementi
delV ira ventural Xé en 1822, lé duc Litta est mort âgé de 69 ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
..iIMPlunEHlE CnALV,
3142 — SI"'' ANNÉE — r 2S
Dimanche 21 Juin 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri JHEUGBL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 tr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
. Histoire de la seconde salle Favart (14' article), Albert Soobies et Charles
Malherbe. — ■ IL Semaine théâtrale: première représentation à l'Opéra-Comique
du Rêve, drame lyrique de M. Bruneau, Arthur Pougin ; première représentation
de Tout Paris au théâtre du Châtelet, Paul-Émile-Chevalier. — IIL ÎS'apoléoQ
dilettante (12° article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles di-
verses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avecle numéro de ce jour:
ARIA
pour piano, de Robert Fischhof. — Suivra immédiatement: Réveil, allegretto
scherzando, pièce caractéristique pour piano, de Théodore Dubois.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Ava cerises prochaines, n° 2 des Rondes et Chansons d'avril, de
Glaudius Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra immédiatement : Aimer,
nouvelle mélodie de Baltazar Florence.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOXJBIBS et Cliarles ]VIA.LHEIt,BE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
RETOUR DE FORTUNE : Lallci-Roukli ET la Servante Maîtresse,
Lara et Base et Colas.
1862-1864.
(Suite.)
La nouveauté suivante, les Absents, ne fut pas reçue avec
moins de faveur. Le librettiste, un débutant à la salle Favart,
s'était peut-être inspiré d'une comédie en deux actes de
M""= Anaïs Ségalas, représentée le 7 mai 18S2 et intitulée les
Absents ont raison; en tout cas, il avait voulu prendre le con-
tre-pied d'une opinion tellement répandue qu'elle est passée
à l'état de proverbe, et son nom dit assez qu'il avait dû soute-
nir sa thèse avec humour et finesse : c'était M. Alphonse Dau-
det, dont, à la même époque, on annonçait, ceci dit entre
parenthèses , un autre opéra-comique , les Moulins à vent ,
demeuré, semble-t-il, inédit; selon lui, les absents n'ont pas
toujours tort, et, pour le démontrer, il mettait en scène les
deux amoureux de Suzette, la jolie paysanne : l'un, parti à
la ville pour faire son droit, Eustache, auquel on pense tou-
jours parce qu'on ne le voit jamais; l'autre, demeuré au vil-
lage, Léonard, auquel on ne pense jamais parce qu'on le voit
toujours. Un beau jour Vabsent revient, et, par ses fantaisies,
met la maison sens dessus dessous ; il va repartir quand un
sourire le retient. Et c'est l'autre, le présent, qui se retire
comptant peut-être sur les effets de l'absence pour se voir
un jour rappelé de l'exil à son tour : espoir un peu chimé-
rique, d'où il résulte que la donnée du poète demeure en
somme assez paradoxale ; car l'absent n'a jamais raison qu'au-
tant qu'il est aimé véritablement... et encore! Sur ce fin
canevas, Poise avait brodé une fine musique, si fine même
que certains lui reprochèrent son extrême ténuité. A part le
trio d'entrée, la partition, en efîet, ne contenait que des cou-
plets, couplets pour Sainte-Foy, couplets pour Capoul, cou-
plets pour M"<^ Girard. Mais tous étaient agréables, gaiement
interprétés, et cet acte, joué le 26 octobre 1864, se maintint
trois ans au répertoire avec un total de trente-huit représen-
tations. On songea même à le reprendre en 1869 avec
jVpie Fogliari et M. Leroy; pour des motifs qui ne nous sont
pas connus, ce projet fut abandonné.
Le Trésor de Pierrot, deux actes de Gormon et Trianon pour
les paroles et d'Eugène Gautier pour la musique, n'eut pas
une carrière aussi honorable. C'était encore une version du
Savetier et du Financier, avec un Pierrot jardinier qui décou-
vre un trésor au fond d'un puits, dédaigne alors Lucette qu'il
aimait, puis veut la reconquérir le jour où il la voit au bras
d'un rival, et finalement rejette le trésor où il l'a pris, afin
de retrouver la paix de l'esprit et du cœur. Il aurait fallu,
pour sauver la banalité du fond dramatique, une forme mu-
sicale piquante, spirituelle, un peu neuve. Or, le pauvre
Gautier n'était guère original que dans ses propos, et croyait
avoir fait merveille, parce que, dans le finale du second acte,
il imitait, avec deux notes obstinées de basson, à une seconde
de distance, le tintement alternatif de deux cloches. Le prin-
cipal rôle de cette pièce, donnée le 5 novembre 1864, était
confié à Montaubry qui n'avait point d'ailleurs tout l'humour
désirable. Noureddin, Fra Diavolo, Zampa, Lara ne pouvaient
devenir qu'un Pierrot assez triste ; plus tard on revit Mon-
taubry jouer encore un Pierrot, mais celui du Tableau parlant
à la Gaité, sous la direction Vizentini ; à peine hélas 1 était-
il plus gai !
Un artiste tel que Berthelier aurait mieux fait l'affaire;
mais Berthelier avait quitté l'Opéra-Comique, et d'autres ar-
tistes avaient suivi son exemple en cette année 1864.
M"« Ugalde, Troy et Barielle étaient engagés au Théâtre-
Lyrique, M'"<== Marimon et Ferdinand, l'une à Lyon, l'autre à
La Haye. Les recrues s'appelaient : M"** Darcier, qui venait
des Bouffes, débuta le 3 février dans la Fille du régiment,
chanta le rôle de Marie trois fois et ne put rester à l'Opéra-
Comique par suite de l'insuffisance de ses moyens vocaux;
M. Bernard, qui débuta le 1"'' juin dans le Chalet (rôle de
d94
LE MENESTREL
Max) et pourrait fêler ses noces d'argent avec l'Opéra-Gomi-
qiie: pendant vingt-cinq ans il a flguré, par exemple, le bru-
tal Jarno, maître abhorré de Mignon ; enfln, M""^' Gennetier,
une cantatrice de qui la presse enthousiaste attendait plus
qu'elle ne donna; toute jeune elle avait paru à l'Opéra, comme
chanteuse légère, sous le nom de M"'=Prety; entrant à l'Opéra-
Comi.que avec une certaine expérience, elle se fit applaudir
d'abord le 7 octobre dans le Songe d'une nuit d'été (rôle d'Elisa-
beth), puis dans le Domino noir (rôle d'Angèle), mais elle ne
réussit pas à se faire une place comparable, par exemple, à
celle de M"'" Gabel, qui reparut le 22 octobre dans Galathée et
en novembre dans la Fille du régiment, avec un notable succès.
Cette rentrée fut marquée même par un incident assez cu-
rieux. Gourdin devait jouer Pygmalion ; il est indisposé, une
dame s'offre à le remplacer, M''« Wertheimber, qui avait tenu
le rôle dès l'origine. Elle chante ainsi les deux premiers soirs,
et pour reconnaître son désintéressement, les directeurs,
MM. de Leuven et Ritt, lui offrent une parure en turquoise et
perles fines. Gourdin reparaît à la troisième représentation,
et retombe malade; M"'= Wertheimber le supplée encore une
fois, à la date du 1'"' novembre ; elle était devenue vraiment
l'ange gardien de Galathée.
Un fait plus singulier encore se produisit les 21 et 23 no-
vembre ; Léon Achard, qui avait épousé quelques mois au-
paravant M"'-' de Poitevin, fille d'un peintre renommé à cette
époque, devait chanter le Songe d'une nuit d'été et le Domino noir ;
au dernier moment, il est empêché, et qui se présente à
sa place? Son propre frère, Charles Achard, lequel ne se tira
pas maladroitement de cette double et périlleuse épreuve.
Cet acte de sauvetage avait montré ce qu'il pouvait faire, et
plus tard il put appartenir, lui aussi, à la troupe de la salle
Favart, et chanter alors pour son propre compte.
Comme bizarrerie, on pourrait encore citer la fugue que fît,
le 1'^'' juillet, Gapoul à la Porte-Saint-Martin. Profilaut de la
fermeture de la salle Favarf, lors des réparations dont nous
avons parlé, il se retrouva là-bas avec M"'-' Balbi qui revenait
de province après avoir quitlé l'Opéra-Comique, et tous deux
chantèrent le Barbier de Séville, d'ailleurs avec un médiocre
succès. 11 faut ajouter que cet essai de musique dans un
théâtre de drame était la conséquence du fameux décrec sur
la liberté des théâtres, grosse question qui, pendant plusieurs
mois, avait passionné la presse artistique et provoqué de
nombreuses controverses. Les uns voyaient ià un gage d'essor
pour l'art, les autres y redoutaient une cause de danger; les
uns n'en attendaient rien de bien , les autres rien de mal.
Mais, comme on était sous l'Empire, le mot de « liberté »
sonnait agréablement à toutes les oreilles, et depuis le
ler juillet, jour oii le décret était exécutoire, ce fut pendant
quelque temps une mascarade dramatique: les théâtres
avaient leurs jours de carnaval et mettaient un faux nez. A
Déjazet, M"" Garait, que nous avons vue à la salle Favart,
tenait le principal rôle d'un opéra-comique en trois actes,
la Fille du Maître de Chapelle, dont l'auteur, M. Yeutéjoul, mon-
tait bravement au pupitre le soir de la première, et se lais-
sait siffler, tout en conduisant son orchestre avec un héroïsme
digne d'un meilleur sort. Au Vaudeville on représentait le
Devin du village, qu'on avait songé à reprendre à la salle
Favart; au Gymnase, on transplantait le répertoire de Molière ;
un peu plus, on aurait donné la tragédie au Palais-Royal;
c'était l'exagération des premiers jours ; le temps calme les
esprits et apaise lei querelles. Aujourd'hui, personne ne con-
teste le principe de la liberté des théâtres; personne non
plus ne le tient pour cause sérieuse de recettes. Plus on va,
plus il semble, au contraire, que les genres se cantonnent
par théâtre ; auteurs et directeurs considèrent volontiers que
telle pièce réussissant sur une scène pourrait échouer sur
une autre: ce qui tendrait à prouver, une fois de plus, la
puissance de la routine, et le besoin d'une étiquette pour les
produits que nous consommons.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
OpÉBA-GoMiQUE. — Le Rêve, drame lyrique en quatre actes et sept tableaux,
d'après le roman de M. Emile Zola, poème de M. Louis Gallet, musique
de M. Alfred Bruneau.
Je n'ai pas à m'occuper ici du roman Ae M. Emile Zola autre-
ment que pour me demander s'il y avait dans ce récit le sujet
d'une œuvre dramatique, et surtout d'une œuvre lyrique, tel évi-
demment qu'a pensé le trouver M. Louis Gallet en écrivant le livret
qu'il a confié à M. Alfred Bruneau pour en écrire la musique. A dire
vrai, j'en doute un peu ; mais pour qu'on ne m'en croie pas sur
parole, je vais esquisser une analyse aussi fidèle que possible de ce
livret, dont l'élément accessoire et à côté est soigneusement exclu,
et dont l'action tout entière se déroule, au cours de quatre grands
actes, entre cinq personnages, sans une seule intervention du
chœur.
Les cinq personnages sont : Hubert, brodeur d'ornements d'église;
sa femme Huberliue ; Angélique, leur fille adoptive, aimée par eux
comme leur propre enfant; l'évêque Jean d'Hautecœur; enfin, le fils
de celui-ci, Félicien, qui aime Angélique et en est aimé. Ce fils a
coûté la vie à sa mère, qui mourut en le mettant au monde. Là est
le point de départ de l'action, car la mort de sa femme, qu'il ado-
rait, a été pour Jean d'Hautecœur une douleur mortelle, que rien
n'a pu consoler, et c'est pour éviter à son fils une semblable dou-
leur qu'il prétend le faire prêtre, comme lui, et est inflexible dans
son refus absolu de lo laisser se marier.
Au premier tableau, nous sommes chez le brodeur Hubert, et nous
faisons connaissance avec la naïve Angélique, une jeune mystique j
qui lit la Légende dorée et qui a des voix ainsi que Jeanne d'Arc, j
des voix qui, comme en un rêve, lui font entrevoir son avenir.
On lui a dit que le fils de l'évêque était beau comme un ange et
riche comme un roi. Elle pense alors que ce pourrait bien être celui
qu'elle attend, et comme sa mère adoptive lui demande quels sont
ses désirs, elle lui dit :
Je voudrais
Epouser un prince au riant visage.
Et j'en vois très distinctement les traits.
Nous serions tous deux presque du même âge,
Nous irions, vêtus de velours et d'or:
De joyeux vassaux nous rendraient hommage,
Nous partagerions entre eux un trésor.
Nous serions très bons, 1res purs; nos pensées
S'épanouiraient telles que des lis ;
Nous serions très doux aux âmes blessées.
Par nous tous les vœux seraient accomplis.
Et puis je voudrais, je voudrais encore
Que mon beau seigneur m'aimât follement,
Et moi l'adorer comme l'on adore
Le divin Jésus au Saint-Sacrement.
Enfin, je voudrais ne jamais connaître
Le triste réveil d'un rêve si beau,
En mon plein bonheur mourir, pour renaître
Au ciel, à jamais libre du tombeau !
Voilà le rêve d'Angélique, rêve que ses voix lui ont suggéré, et
qu'en une sorte d'extase elle se dit certaine de réaliser. Elle ne
tarde pas à rencontrer son bel inconnu, qui n'est autre que Félicien.
Au second tableau, nous sommes au Clos-Harie, qui sépare le jardin
des Hubert de celui de l'évêehé. Angélique lave sou linge dans un
rivelet, lorsque Félicien se présente à elle; tous deux se compren-
nent aussitôt, s'aiment, se le disent, et se promettent de s'aimer
toujours.
C'est ici que le drame commence. Sous divers prétextes, et sans
se révéler, Félicien s'est présenté chez les Hubert, pour voir Angé-
lique. Ceux-ci se doutent bien déjà de quelque chose, lorsque l'en-
fant leur apprend que c'est celui qu'elle attendait et qu'elle aime,
et qu'il ne tardera certainement pas à se déclarer. Les vieux n'y
voient pas de mal, mais ils voudraient savoir qui est ce jeune
homme, et ils restent atterrés lorsque le hasard leur fait eonuaUre
que c'est le fils de l'évêque.
Bientôt Félicien se découvre à celle qu'il aime et à ses parents.
Mais ce n'est pas tout que leur aveu, il laut celui de son père. Il
le lui a demandé, et celui-ci l'a refusé. Nous le voj'ons, dans la
salle du chapitre de la cathédrale, revenir à la charge, et le père
refuser de nouveau. Angélique vient à son tour supplier l'évêque, qui
reste cruellement et farouchement inflexible, pensant agir pour le
bien de son enfant; il repousse la jeune fille en dépit de ses larmes
LE MENESTREL
495
et de ses supplications, et s'éloigne d'elle, tandis qu'elle tombe
inanimée, vaincue par la douleur.
Le cinquième tableau nous mène dans la chambre d'Angélique,
où nous la trouvons souffrante et endormie dans un fauteuil, auprès
de son travail interrompu. On a menti aux deux enfants, en faisant
croire à chacun d'eux que l'autre ne l'aimait plus. Mais voici venir
Félicien, qui pénètre dans la chambre de son amie, et tout va
s'expliquer. Les deux amants se chérissent plus que jamais. Ils vont
partir, fuir, s'éloigner ensemble. Angélique, radieuse, y consent sans
peine. Puis, tout d'un coup, elle hésite; ses voix lui parlent, lui
ordonnent de rester, et elle, les écoutant, change de résolution. Ah!
s'écrie-t-elle,
Ah 1 mon Félicien, mourir d'amour comme elles,
Vierge, éclatante de blancheur !
Monter dans la splendeur des sphères éternelles
A Ion premier baiser, dans tes bras, sur ton cœur !
"Voilà le rêve pur!
Félicien la supplie en vain de le suivre. Elle reste maintenant
inexorable. — Vous en mourrez! lui dit-il. — -Oui, répond-elle; j'en
mourrai sûrement! — Et elle le laisse partir seul.
Le tableau suivant nous apprend qu'Angélique est à la mort.
Félicien, désespéré, vient trouver son père dans son oratoire. Il
espère encore que son consentement tardif rappellerait à la vie la
chère aimée. Toujours farouche, l'évêque continue de refuser. Féli-
cien, hors de lui, accable alors son père de reproches que celui-ci
semble bien mériter quelque peu. Arrachez donc, lui dit-il.
Arrachez-le donc de votre poitrine.
Ce long deuil qui fait honte à votre cœur glacé.
Vous avez pour toujours renié le passé.
Vos regrets et vos pleurs!... Dérision amère!
Vous n'avez jamais aimé ma mère!
A ces paroles cruelles, le cœur du prêtre et du père se réveille.
L'évêque s'agenouille un iuslant, puis se relève, prend les saintes
huiles pour porter à la mourante le dernier sacrement, et s'éloigne
avec son fils.
Le théâtre change, et nous revoyons la chambre d'Angélique. La
pauvre enfant est moribonde, ses yeux sont clos; auprès d'elle
veillent et prient sa mère et son père adoplifs, tandis que deux
cierges brûlent lentement sur une table. Bientôt on voit entrer l'é-
vêque et Félicien, suivis de deux enfants de chœur. L'évêque bénit
la chambre, puis se met en devoir d'administrer à la malade l'ex-
Irême onction. Nous entendons alors la prose: Pei- istam Sanctam
Unctionein, etc., à laquelle les assistants répondent : Amen.
Angélique est toujours inerte, et Félicien, les yeux baignés de
larmes, supplie son père de prier pour elle. L'évêque, à cet appel,
élève la voix et adjure le Seigneur de faire un miracle pour sauver
cet être chéri de tous. A peine a t-il achevé, qa'Angélique ouvre
les yeux et se dresse sur son lit :
C'est vous que j'attendais, Monseigneur. Je savais
Que je ne mourrais pas encore,
Et que sûrement je vivrais
Tant qu'au cher prince que j'adore
Mes saintes n'auraient pas achevé de m'unir.
Jusqu'au bout vous verrez mon rêve s'accomplir.
Son rêve s'accomplira sans doute en effet, car elle renaît à la
vie, et il est probable que l'évêque Jean d'Haulrecœur ne s'oppo-
sera plus au mariage de son fils. La pièce se termine sur une sorte
de cantique d'actions de grâce.
Tel est le livret du Rêve, dont je crois avoir reproduit au moins
l'ossature, aussi fidèlement que possible. Il est fort bien fait, je ne
saurais le méconnaître, et les vers en sont harmonieux. Constitue-t-il
une œuvre, je ne dirai point scénique, mais théâtrale, au vrai sens
du mot? Là est toute la question, et chacun la peut résoudre à sa
manière, selon son sentiment propre et personnel.
Parlons maintenant de la musique, et tout d'abord rectifions à
propos de son auteur, une erreur assez généralement répandue.
M. Bruneau n'est pas « romain », comme on le croit volontiers,
c'est-à-dire qu'il n'a pas obtenu le grand prix qui devait lui faire
faire le voyage de Rome. Lorsque, après avoir remporté au Conser-
vatoire, en 1877, un premier prix de violoncelle dans la classe de
Franchomme, il concourut en 1881 à l'Institut, l'Académie des Beaux-
Arts ne jugea pas à propos de décerner de premier grand prix pour
ce concours, et lui attribua seulement un « premier second orand
prix. » Si je relève ce fait, qui ne saurait en lui-même porter
aucune atteinte à la valeur musicale de M. Bruneau, c'est simple-
ment pour rétablir la vérité. J'ajoute que M. Bruneau, qui est élève
de M. Massenet, est âgé aujourd'hui de trente-quatre ans, étant né à
Paris le 3 mars 1837. C'est donc véritablement un « jeune ».
Nous connaissions déjà de lui un ouvrage en trois actes, Kérim,
qui fut représenté il y a quatre ans, le 9 juin 1887, pendant une
des saisons lyriques du théâtre du Château-d'Eau. La partition de
Kérim pouvait nous donner un avant-goût des théories et des procé-
dés de l'auteur en matière de musique dramatique. Depuis lors,
M. Bruneau s'est essayé à la critique en publiant dans un petit
recueil rouge, ia Revue indépendante, des comptes rendus dans lesquels,
m'a-t-on dit (car je n'en sais rien, ne les ayant pas lus), il malmène
assez vivement ceux de ses confrères qui pensent et agissent autre-
ment que lui. J'aimerais mieux, je l'avoue, voir nos jeunes compo-
siteurs employer leur temps à composer qu'à écrire. Mais enfin, c'est
une rage aujourd'hui, et chacun d'eux veut être à la fois juge et
partie.
Toujours est-il que M. Bruneau s'estfait — et mérite, je crois, — la
réputation d'être un des plus intransigeants parmi les plus intransi-
geants de la jeune école. Il n'entend et ne veut rien entendre au sujet
de ce que ces messieurs appellent « des concessions au public » ; et
après avoir attentivement écouté deux fois sa nouvelle partition, je
crois pouvoir affirmer qu'il pousse à leur point le plus extrême les
plus pures traditions vv'agnériennes. Je n'ai pas besoin de dire, par
conséquent, qu'on chercherait vainement dans la partition du Rêve
l'ombre et l'apparence même d'un « morceau ». Les scènes se suc-
cèdent, le dialogue se continue sans interruption, sans repos et
sans césure, et — les kit motive mis à part, car il y en a plusieurs,
cela va de soi, — l'on ne voit jamais se reproduire un dessin musi-
cal une fois qu'il s'est établi. D'autre part, jamais deux voix ne se
font entendre ensemble, et l'intention du compositeur est si arrêtée
de supprimer l'harmonie des voix, que lorsque par instants la si-
tuation l'oblige absolument à en produire deux l'une avec l'autre,
il les fait invariablement chanter à l'unisson. Enfin, il proscrit réso-
lument les chœurs; et ceci encore est si voulu que, dans le tableau
du Clos-Marie, oîi se trouve une petite scène de lavandières, scène
qui appelait l'ensemble choral d'une façon si naturelle et si heu-
reuse, il ne leur accorde pas la parole et les fait danser au lieu de
chanter. Notez que ceci est absolument illogique, que le chœur eût
été là absolument à sa place, et que rien ne saurait le remplacer.
Mais on a des principes ou on n'en a pas. Périssent l'intelligence et
la logique scéniques plutôt qu'un principe!
Ces observations, toutefois, ne s'adressent qu'au sentiment scé-
nique de l'auteur. Mais on peut formuler d'autres critiques, celles-
ci concernant le côté purement musical, et touchant à des points
qui me semblent plus graves. Si habitués que nous commencions à
être aux licences et aux duretés harmoniques, il faut avouer que
nous n'avions pas encore été soumis — au théâtre, du moins — à
un régime tel que celui que, sous ce rapport, nous impose M. Bru-
neau. Assurément, les dissonances sont le condiment, le piment,
si l'on veut de l'harmonie ; ce n'est pas une raison pour nous con-
damner au poivre rouge continu. Il y a, dans l'harmonie de
M. Bruneau, des heurts d'accords véritablement impossibles, des
accords d'ailleurs absolument inanalysables ; quelquefois il leur
donne un semblant de figure, pour l'œil, à l'aide de la pédale, qu'il
emploie du reste avec trop de fréquence ; mais ils n'en restent pas
moins douloureux pour l'oreille. J'ajoute qu'il y a là un parti pris
de violence «t d'étrangeté, car le musicien en arrive à pervertir inu-
tilement des harmonies naturelles par elles-mêmes, à l'aide d'altéra-
tions qui les rendent déchirantes. Quant à des préparations, à des
résolutions d'accords, il est inutile de lui en demander; il ne s'en
occupe même pas. Il résulte de tout cela que le sentiment de la
tonalité disparait d'une façon presque absolue, et qu'on ne sait pour
ainsi dire jamais dans quel ton ou se trouve. Aussi, qu'arrive-t-il ?
Comme cette musique est véritablement diabolique à chanter, que
les voix n'ont jamais de point d'appui, le compositeur, pour ne point
les laisser s'égarer, se voit obligé souvent de soutenir la partie vocale
en la redoublant à la basse, ce qui est antimusical et ce qui pro-
duit à chaque instant des suites d'octaves de l'effet le plus déplo-
rable. Les octaves ne le gênent point d'ailleurs, même outre les
parties instrumentales; il s'en trouve une assez jolie série, entre
autres, au début de l'introduction du second acte !
Ce que je reprocherai encore à M. Bruneau, c'est, non point la
pauvreté de son orchestre, qui est géuéralement nourri et corsé, mais
son manque d'intérêt symphonique. Quand on prend à Wagner ses
principes, sa déclamation, sou discours vocal ininterrompu, son
mépris des ensembles, il faudrait lui emprunter aussi son admirable,
son incomparable orchestre. Je sais bien que ce n'est pas facile,...
d96
LE MEINESTIIEL
mais je trouve qu'ici la trame symphonique est bien lâche, et que
les développements font absolument défaut.
Essayer de tracer une analj'se serrée de la partition du Rêve serait
chose impossible, étant donné la forme générale de l'œuvre et
l'absence presque complète de points de repère. Je voudrais cepen-
dant tâcher d'en faire ressortir quelques pages. L'inspiration, il faut
le confesser, n'y est pas abondante ; elle n'en est pourtant pas tou-
jours absente. Je n'en voudrais pour preuve que la longue phrase
adressée à l'évêque par Angélique, au premier acte :
Il me semble qu'elles sont miennes,
Ces saintes aux regards si doux...
phrase bien développée, et dont le caractère est suave et pénétrant.
11 faut tirer de pair aussi toute la première partie du second tableau,
celui du Clos-Marie, où le musicien s'est fort joliment servi du
thème d'une des plus délicieuses chansons populaires si heureuse-
ment recueillies par M. Julien Tiersot. Il a traité ce thème avec
beaucoup de goût et d'habileté, et l'effet a paru d'autant plus heu-
reux qu'on trouvait là un rythme et une tonalité, ce dont nous
étions un peu sevrés au cours de la soirée. Il y a encore de-ci, de-
là, quelques jolis accents, quoiqu'on puisse reprocher au musicien
de s'être fâcheusement dérobé dans les grandes situations, et de
n'avoir pas su trouver les élans passionnés qu'elles exigeraient im-
périeusement. Entre autres, il s'est servi heureusement et à diverses
reprises (trop fréquemment, même"), des thèmes du chant liturgiqne.
Il a obtenu ainsi un joli effet, à la fin du second tableau, en faisant
chanter par les voix invisibles le thème de VAve cerum, et plus tard
en faisant entendre, au passage de la procession, le chant de la
Fête-Dieu.
En résumé, la partition du Rëvc est une œuvre volontairement
étrange, une œuvre d'une intransigeance farouche, faite pour dé-
router de parti-pris l'esprit et les oreilles, conçue dans un système
scénique et musical absolument arbitraire, et dans laquelle une
grande somme de talent, d'un talent très réel, est dépensée pour
aboutir à un résultat qui. Je le crains, n'est pas pour plaire consi-
dérablement au public. Je sais bien qu'aujourd'hui le public est
l'objet du mépris de quelques-uns de nos jeunes musiciens. Pour
qui travaillent-ils, cependant"?...
M. Bruneau n'aura pas à se plaindre, toutefois, de la façon dont
son œuvre a été présentée à ce public. Tous ses interprètes, sans
exception, sont non seulement irréprochables, mais superbes.
M"'= Simonnet, adorable dans le rôle d'Angélique, a opéré un tour de
force incomparable, car je ne crois pas qu'il existe, dans tout le
répertoire international, un rôle plus difficile à chanter sous tous les
rapports; et la comédienne, chez elle, n'est pas inférieure à la can-
tatrice. M. Engel, qui avait été chargé au dernier moment du per-
sonnage de Félicien, y a donné la mesure de son talent si châtié,
si ferme et si sûr. Il a eu, particulièrement au troisième acte, avec
Angélique, et au quatrième, dans sa scène avec son père, des accents
passionnés d'une véhémence et d'un élan superbes. M. Bouvet, lui
aussi, est extrêmement remarquable sous la robe de l'évêque Jean
d'Hautecœur; il a fait preuve d'une noblesse, d'une grandeur et aussi
d'une émotion dont on ne saurait trop le louer. Enfin, M"" Des-
champs et M. Lorrain sont excellents l'un et l'autre, ce n'est pas
trop dire, dans les deux rôles d'Hubertine et d'Hubert. Au reste,
les applaudissements et les rappels n'ont manqué ni aux uns ni aux
autres, et ce n'était que justice. L'orchestre, lui aussi, mérite sa
bonne part d'éloges, car sa lâche est loin d'être facile, et le compo-
siteur peut sans contrainte adresser de vifs remerciements à son
chef Danbé.
Quant à la mise en scène, il est inutile de dire qu'elle est réglée
avec un soin méticuleux et particulièrement artistique. Mais ce qui
n'est pas inutile, c'est de remarquer combien est joli le décor si
frais el si printanier du second tableau, celui du Clos-Marie. C'est
un vrai petit chef-d'œuvre. Ah! si la musique avait de ces clartés!...
Arthur Pougin.
Chatelet. — Tout-Paris, pièce à grand spectacle, en 5 actes et M tableaux,
de M. G. Duval, musique de M. Ganne.
Cette fois le Chatelet a su mettre la main sur la vraie pièce d'été.
faite exclusivement pour les étrangers qui choisissent les deux
mois de juin et de juillet pour faire leur petite visite à la ville-
lumière. Je défie, en , effet, n'importe quel Parisien, fùl-il le plus
malin du monde, de s'intéresser à cette succession essentiellement
banale de tableaux et surtout à l'espèce d'intrigue délayée par
l'auteur, tandis que les clients de Cook pourront jouir, en une seule
soirée, de spectacles qui leur auraient demandé un supplément de
séjour parmi nous. Sans quitter leur fauteuil, ils verront, comme
s'ils y étaient, l'intérieur d'un tripot rastaquouère, les coulisses d'un
théâtre à femmes, une représentation du Chat-Noir, un bal au Moulin-
Rouge, un rallye-paper et même une ,fête dans le monde de la
haute ! S'ils ont la chance de ne point comprendre le français, ils
se laisseront séduire par la seule mise en scène, et mille fois plus
heureux que nous, n'auront pas les oreilles assassinées par d'insi-
pides calembredaines qui ne riment à rien, car, il faut bien l'avouer,
M. G. Duval, qui est capable de beaucoup mieux, il nous l'a déjà
prouvé, me semble, en la circonstance, avoir trop peu compté
avec ses compatriotes ; il ne devrait pas être permis d'abuser ainsi
de la candeur d'un public trop bon enfant. M. Ganne, un favori
du café-concert, a voulu « soupirer plus haut que sa guitare », et
l'essai n'a pas réussi; vite! monsieur, retournez aux refrains illustrés
parles Paulus et laissez là la musique de ballet, qui, jusqu'à plus
ample informé, n'est point votre fait. D'une interprétation nombreuse
il faut nommer MM. Germain, Rosny, Peutol, Scipion et M'"" Gilberte,
Destrées et N. Vernon, qui ont fait de leur mieux, et complimenter
les décorateurs et metteurs en scène, qui ont fait souvent très
bien.
Paul-Émile Chevalier.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
VIII
LES BULLETINS DE LA GRANDE ARMÉE MUSICALE
Malgré le succès des Bardes et la gloire qui en rejaillit sur
l'Opéra, l'empereur ne se laisse point prendre à l'étiquette, et,
fouillant par le menu ce qui se passe dans ce théâtre privilégié, il y
trouve des abus, dont il admoneste sévèrement son représentant :
« A M. Luçay,
« Paris, 24 nivôse an XIII (14 janvier 1803).
» Monsieur Luçày, mon premier préfet du Palais, je ne puis
qu'être mécontent de l'état des pensions que vous avez soumises à
mon approbation. Mon intention est qu'aucun artiste de mon Aca-
démie impériale de musique ne soit mis hors de service sans mon
ordre. M. Benoit n'a pas le temps nécessaire pour avoir droit à une
pension. MM. Simon Denèle et Gerval Durand en ont déjà obtenu
une par un arrêté du 27 ventôse an XII; je ne vois pas déraison
de leur en accorder d'autre. Mon intention est que M"" Boullet
soit placée de manière à ne pas être à charge au théâtre »
Cette lettre est imbue d'un esprit nouveau, qui, chez Napoléon,
n'existait pas au temps où nous l'avons vu demander modestement
au directeur d'un théâtre de jouer pour lui quelques pièces du
répertoire, « si toutefois cela était possible ». Bonaparte tranche main-
tenant de l'autocrate, et ses bulletins de théâtre, comme ses ordres
du jour, sont marqués au sceau d'un commandement bref et sans
réplique, avec, en plus, un coin à'a?icienne cour qui fait songer au
temps, tout de bon plaisir, de l'Œil de Bœuf. Témoin ce billet,
daté de Lyon, 21 germinal an XIII (11 avril 1805) :
« A M. Cambacérès,
)i Mon cousin, je vous renvoie un mémoire qui m'est adressé par
les chefs de la danse de l'Opéra. Il me parait inconvenable, au pre-
mier aperçu, de laisser faire des ballets à Duport : ce jeune homme
n'a pas encore un an de vogue. Quand on réussit d'une manière
aussi éminente dans un genre, c'est un peu précipité que de vou-
loir enlever celui de gens qui ont blanchi dans le travail. Quant
aux réformes, faites-moi un rapport détaillé. Quant aux règlements,
proposez-m'en une nouvelle rédaction, afin qu'ils se trouvent ra-
fraîchis. 1) Napoléon. »
Deux mois après, l'empereur est à Milan. Une plainte est parvenue
à son oreilie, et il fait trêve aux apothéoses qui l'entourent pour
s'occuper d'un détail infiniment petit, sur lequel il marque, en ces
termes non équivoques, son mécontentement :
« A M. Champagny,
» Milan, 19 prairial an XIII (8 juin 1805).
1) M. Champagny, il me revient que le Te Deum qui a été chanté
à Marseille pour célébrer le couronnement de Paris, n'a pas été payé
aux musiciens. Le Te Deum qui a été chanté pour le couronnement
du roi d'Italie éprouvera sans doute autant de retard à l'être. Les
LE MENtiSTRtL
197
autorités militaires n'y ont pas été invitées. Écrivez au préfet de
ce département qu'il se hâte de faire disparaître ces iDconvénients.
Il ne faut pas donner de fêtes si on n'a pas le moyen de les payer.
Il est incroyable qu'une ville comme Marseille donne lieu à des
plaintes aussi honteuses.
» N.VPOLÉON. »
Au commencement de 1806, nous trouvons cette note, représentant
la volonté souveraine, et dictée par l'empereur en conseil d'admi-
nistration :
(I A M. de Lugay, premier préfet du palais, chargé de la direction
de la surveillance de l'Opéra, l'Empereur prescrit l'achat, dans la
partie de la rue de Louvois non bâtie, de l'emplacement nécessaire
pour la construction d'un magasin de décors. Celte dépense ne
devra excéder sous aucun prétexte 130,000 francs.
» La salle Favart sera louée pour les répétitions, pas plus de
36,000 francs par an. La construction de petites loges au i' est
consentie, mais ne devra pas coûter plus de 10,000 francs pris sur
les fonds généraux du budget.
» M. de Luçay devra, sur les mêmes fonds, prélever un traitement
annuel de 3,000 francs pour un maître de danse chargé de compléter
l'instruction des élèves de danse au sortir de l'École.
» A dater du l"' mars, il y aura à l'Opéra quatre représentations
par semaine, et des mesures seront prises de manière à pouvoir,
dans les temps d'aflluence, et notamment à l'époque des fêtes du
mois de mai, donner cinq représentations.
» On représentera dans le courant de l'année huit nouveautés,
parmi lesquelles seront comprises la Médée de M. Fontenelle et les
Danaïdes de Salieri. La liste de ces nouveautés et les dispositions à
prendre pour l'exécution de cet ordre seront arrêtées dans le cou-
rant de mars. On fera connaître ces dispositions par le moyen des
papiers publies.
» Le jury pour la réception des ouvrages sera réorganisé. M. de
Lacépède sera invité à le présider. »
Dans la même séance, Talleyrand et Rémusat firent leur rapport, l'un
pour l'Opéra-Comique, l'autre pour l'Opéra-Bouffe et le Théâtre de
l'Impératrice, dont la direction et la surveillance leur incombaient.
La discussion s'étendant sur les autres théâtres de la capitale,
Napoléon décida que, celte concurrence étant très nuisible pour les
quatre théâtres subventionnés et pour l'exploitalion en général des
autres scènes privilégiées, les exploitations théâtrales en déficit
seraient invitées à liquider à bref délai, et qu'après leur chute, tout
nouveau théâtre autorisé paierait à l'Opéra une rétribution qui serait
déterminée.
Vers le môme temps, la direction de l'Opéra-Comique demandant
des subsides. Napoléon renvoie cette requête à Talleyrand. 11 accorde
cent mille francs, « mais à condition que les meilleurs artistes
rentrent à ce théâtre et qu'il soit digne de son ancienne réputa-
tion ». Sinon, « il refuse tout secours ».
Du 29 juin, bien autre histoire ! L'Opéra menace de se dépeupler.
D'oîi, cette lettre au roi de Naples :
« Saint-Cloud, 29 juin 1806.
1) M. Celérier débauche les acteurs et actrices de Paris pour Naples.
Déjà une ou deux artistes de l'Opéra ont fait connaître qu'elles vou-
laient se rendre à Naples. Vous sentez tout ce que cette conduite
a de ridicule. Si vous voulez des acteurs de l'Opéra, pardiue, je vous
en enverrai tant que vous voudrez; mais il n'est pas convenable de
les débaucher. C'est ainsi qu'en a agi la Russie, et je fus tellement
choqué, dans le temps, de cette conduite, que je fis écrire à l'em-
pereur de Russie que je lui enverrais toutes les danseuses de l'Opéra,
s'il le voulait, hormis M°"^ Gardel... »
Mais les événements se précipitent. La campagne de Prusse est
proche, et Napoléon prend congé de l'Opéra dans une représenta-
tion où l'on donne un divertissement composé par Esménard, que
venait de mettre en relief son poème de la Navigation.
« La décoration de l'Opéra, nous apprend M"'= de Rémusat, repré-
sentait le Pont-Neuf. Des personnages de toutes les nations s'y réjouis-
saient ensemble et chantaient des vers en l'honneur du vainqueur. Le
parterre y joignit ses chants ; des branches de laurier se trouvèrent
distribuées tout h coup dans toutes les parties de la salle et agitées
ensemble aux cris de : Vive l'Empereur I II fut ému; il dut l'être.
Ce fut peut-être une des dernières fois que l'enthousiasme public ne fut
point commandé. »
A pas de géant, Napoléon pénètre au cœur de la Prusse. Il est
à Potsdam, et dicte de là des bulletins demeurés célèbres. Mais les
petits côtés de sa grande administration centrale ne lui échappent
point pour cela. De la ville des premiers rois de Prusse, il adresse
ce mot à Fouché :
« Potsdam, 25 octobre 1806.
» Je vous envoie mon approuvé de la dépense relative à la mise
en scène du ballet du Retour d'Ulysse. Faites-vous rendre compte en
détail de ce ballet, et voyez-en la première représentation pour
vous assurer qu'il n'y a rien de mauvais, vous comprenez dans
quel sens. Ce sujet me paraît d'ailleurs beau; c'est moi qui l'ai
donné à Gardel. »
Malgré ses débuts inespérés, la campagne de 1806 se prolonge
au delà des prévisions de l'empereur. Après léna, l'on prépare
Eylau et Friedland. Entre temps, à Paris, l'enthousiasme a débordé
quand on a su l'écrasement de la Prusse. Mais les bardes officiels
n'ont, paraît-il, pas su s'élever à la hauteur des circonstances.
C'est, du moins, ce qui ressort des lettres qu'on va lire.
« Berlin, 21 novembre 1806-
» A M. Cambacérès.
» Si l'armée tâché" d'honorer la nation autant qu'elle peut, il faut
avouer que les gens de lettres font tout pour la déshonorer. J'ai lu
hier les mauvais vers qui ont été chantés à l'Opéra. En vérité,
c'est une dérision. Comment soufTrez-vous qu'on chante des im-
promptus à l'Opéra. Cela n'est bon qu'au Vaudeville. Témoignez-en
mon mécontentement à M. de Luçay. M. de Luçay et le ministre
de l'intérieur pouvaient bien s'occuper de faire faire quelque chose
de passable ; mais pour cela il ne faut vouloir le jouer que trois
mois après qu'on l'a demandé. On se plaint que nous n'avons pas
de littérature; c'est la faute du ministre de l'intérieur. Il est ridicule
de commander une églogue à un poète comme on commande une
robe de mousseline. Le ministre aurait dû s'occuper de faire prépa-
rer des chants pour le 2 décembre. S'il ne l'a pas fait cette année,
chargez-le de s'en occuper, dès à présent, pour l'année prochaine. »
Du même jour :
« A M. Champagny.
» Défendez qu'il soit rien chanté à l'Opéra qui ne soit digne
de ce grand spectacle... Ls littérature étant dans votre département,
je pense qu'il faudrait vous en occuper; car, en vérité, ce qui a
été chanté à l'Opéra est par trop déshonorant... »
Ces lettres ont produit leur effet; car à la date du 16 janvier sui-
vant, Napoléon, plus satisfait, écrit de Varsovie au même M. de
Champagny :
« J'ai lu avec plaisir ce qui a été chanté à l'Opéra. Témoignez-en
ma satisfaction à l'auteur. J'avais ordonné qu'on lui fît un cadeau
pour sa pièce de Joseph. Rendez-moi compte de tout cela. Toutefois,
donnez-lui une gratification . En général, la meilleure manière de
me louer est de faire des choses qui inspirent des sentiments
héroïques à la nation, à la jeunesse et à l'armée. »
Ici se place une correspondance intime qui a son coin marqué
dans ce chapitre. D'Ostérode, Napoléon adresse plusieurs lettres à
l'impératrice. La première est pour sa fête. On y trouve ces lignes:
« Je m'ennuie fort d'être loin de toi. L'âpreté de ces climats
retombe sur mon âme ; nous désirons tous Paris, ce Paris qu'on re-
grette partout et pour lequel on ne cesse de courir après la gloire;
et tout cela, Joséphine, au bout du compte, afin d'être applaudi, au
retour, par le parterre de l'Opéra» .
Du même endroit, en date du 17 mars 1807 :
« Mon amie, il ne faut pas aller en petite loge aux petits spec-
tacles. Cela ne convient pas à votre rang. Vous ne devez aller qu'aux
quatre grands théâtres, et en grande loge. Faites comme vous le fai-
siez quand j'étais à Paris».
Quelques jours après, l'empereur revient sur le même sujet:
« Je vois avec plaisir que tu as été à l'Opéra et que tu as le projet
de recevoir toutes les semaines. Va quelquefois au spectacle et
toujours en grande loge. »
(A suivre.) Edmond Neckomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
On vient de célébrer à Vienne le vingt-cinquième anniversaire
d'une... valse, le Beau Danube bleu, de Strauss. Cette jolie composition,
dont la vogue demeure si exceptionnelle, avait été exécutée pour la pre-
mière fois, en février 1866, à un bal costumé du Viiener-Gesang-Vereiii.
Elle avait été primitivement écrite pour chœur et orchestre sur des paroles
198
LE MENESTREL
quelconques, inspirées par la circonstance. Ce ne fut que deux ans plus
tard qu'un poète du cru y adapta des paroles moins carnavalesques. Le
succès fut énorme dès la première exécution au liai de 1866, et le mor-
ceau fut bissé d'acclamation. L'œuvre a fait depuis un joli chemin. On
peut dire qu'il n'est pas un orchestre d'Europe ou d'Amérique qui ne l'ait
jouée, pas un salon où elle n'ait été exécutée au piano. C'était hien le
moins qu'on célébrât son vingt-cinquième anniversaire.
— On nous mande de Berlin le triomphe éclatant obtenu dans Lnkmé
par M""^ Marcella Sembrich. Jamais on n'a vu foule pareille et recettes
aussi fortes. La cantatrice est, à chaque représentation, l'objet d'applaudis-
sements répétés, d'ovations bruyantes, de rappels sans fin, sans compter
les fleurs qui lui sont prodiguées de toutes parts.
— L'empereur d'Allemagne vient de conférer à Antoine Rubinstein, à
Saint-Pétersbourg, la croix de l'ordre du Mérite : c'est la distinction la
plus élevée des ordres prussiens qui puisse être accordée à un civil. Quel-
ques jours auparavant, le tsar avait conféré à Rubinstein la croix de
Saint-André. C'est à l'occasion de sa retraite du Conservatoire que ces
distinctions accablent l'illustre pianiste.
— La Société de musique de chambre de Saint-Pétersbourg ouvre un
concours pour la composition d'un quatuor pour instruments à cordes,
concours dont voici les conditions : 1" Le concours est international ; les
compositeurs de tous les pays y pourront prendre part. — 2" Une com-
mission compétente est nommée à l'effet d'examiner les compositions. —
3° Les deux meilleurs quatuors reçoivent des prix : le premier de SoO rou-
bles, le second de 150 roubles. Les autres compositions pourront, selon
leur mérite, être l'objet de mentions honorables. — 4° Pour le cas où le
premier ou même les deux premiers prix ne pourraient être distribués,
la Société paie des compensations pour les quatuors qui, sans avoir mé-
rité les prix, présenteront le plus de qualités, — S" Les compositions
envoyées devront porter une devise qui sera inscrite également sur l'en-
veloppe renfermant le nom et l'adresse du compositeur. — 6" Il est expres-
ment recommandé d'envoyer les compositions en partition et en parties
séparées. — 7" Le dernier délai pour l'envoi des compositions est le
l'i'janvier 1892. La décision de la commission sera publiée vers le i<" avril
1892. -^ 8» Les compositions qui n'auront obtenu ni prix ni mention
seront rendues à leurs auteurs, sur la présentation du reçu à eux délivré
par la Société au moment où les manuscrits lui auront été remis. —
9° Les compositions devront être adressées au magasin de musique Buttner,
perspective Nevsky, 22 (Société de musique de chambre à Saint-Péters-
bourg).
— Un fait assez singulier s'est produit récemment à Brunswick, à la
première représentation d'un opéra nouveau, Loreley, dû à M. Sommer,
compositeur qui est depuis plus de vingt ans le benjamin du public de
cette ville, où il est né. Malgré la défiance ordinaire du public alle-
mand, le théâtre était comble et l'ouvrage allait commencer, lorsqu'une
chute assez grave faite par le premier ténor, M. Hermann Schrcetter, le
mit dans l'impossibilité de se présenter en scène. L'administration eut
alors l'idée, et une annonce fut faite en ce sens, de remplacer le ténor
invalide par un simple acteur dramatique qui déclamerait son rôle au
lieu de le chanter. Quelque étrange que lût cette proposition, les specta-
teurs l'acceptèrent, et la représentation eut lieu dans ces conditions inso-
lites — et peu musicales. Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est qu'on
applaudit frénétiquement l'ouvrage, qu'on applaudit le faux ténor réci-
tant, et qu'on applaudit enfin le compositeur, qui fut rappelé plusieurs
fois avec vigueur. C'est le cas de dire que tout est bien qui finit bien.
— Le fameux bras articulé du ténor Roger est distancé de beaucoup. Il
y a en ce moment au théâtre de Leitomischl, petite ville de la Bohème,
une forte chanteuse de très grand talent qui a une jambe de bois! La
place de cette artiste serait à l'Opéra de Vienne, sans le malheur qui l'a
frappée, et qui la force à courir les obscures bourgades, où d'ailleurs,
elle fait fureur.
— Du Strad, de Londres: Le violoncelliste David Popperse promenait un
jour à Garlsbad eu compagnie d'un compositeur dramatique très connu.
Ils passèrent devant les maisons de Goethe, Laube et autres célébrités en
l'honneur desquelles on avait apposé à l'extérieur des plaques commémo-
ratives. Arrivés devant la demeure du compositeur, Popper dit à celui-ci :
Vous me croirez si vous voulez, mon cher ami, mais dans quelques années
cette maison aussi portera au-dessus de la porte un tableau avec cette ins-'
cription... — Que dites -vous là? interrompit vivement le compositeur,
qui paraissait offensé dans sa modestie. Certainement je ne méconnais pas
mon talent et je travaille de mon mieux, mais quant à supposer qu'une
pareille chose puisse advenir... — Permettez-moi d'achever ma phrase,
cher ami, reprit Popper. Je répète qu'un jour viendra où l'on placera au-
dessus de la porte d'entrée de cette demeure un tableau avec l'inscription :
Appartements à louer !
— A Amsterdam, la troupe d'opéra néerlandais a représenté, dans ces
derniers temps, deux opéras nouveaux de compositeurs nationaux; Albert
Beijlingh, de M. Brandts Buijs, et Fleur d'Islande, de M. Vaut Krujs. Ni
l'un ni l'autre de ces deux ouvrages n'a réussi. On avait donné aupara-
vant, avec un très grand succès, la Muette de Portiei, d'Auber, dont l'etécu-
tion d'ailleurs était excellente. A Rotterdam, la troupe allemande qui
exploitait le théâtre de cette ville a du quitter la place devant l'indiffé-
rence du public.
— Les principaux ouvrages choisis pour la prochaine saison de la
Scala de Milan, sont : Tannliàuser, Hamlet, Carmen, les Huguenots, et un
opéra nouveau de M. Alfredo Catalano, intitulé Vally. On avait paru songer
un instant au Néron de M. Boito, mais c'est décidément là l'opéra impos-
sible, et on commence à croire que son auteur ne le terminera pas avant
le XX'' siècle. Parmi les artistes engagés jusqu'à ce jour, on signale les
noms de M"'"^ Arket et Theodorini, de MM. Negri et Mariacher, ténors,
Blanchart, baryton, et Boudouresque, basse. Le chef d'orchestre sera
M. Mascheroni.
— Le conseil communal de Milan vient de décider la mise en vente aux
enchères du théâtre de la Canobbiana, pour un prix qui ne devra pas être
inférieur à 400,000 francs. Le produit de la vente sera partagé entre le
Domaine, la commune, la maison royale et les patchettistes, c'est-à-dire les
propriétaires de loges. Le théâtre de la Canobbiana, l'un des plus anciens
de l'Italie, ne compte pas moins de cent douze années d'existence. Pen-
dant ce long espace de temps il a servi à des spectacles de toute sorte :
opéras, ballets, tragédies, opérettes, etc. Toutefois, c'est l'opéra et le ballet
qui lui ont valu le meilleur de sa renommée. C'est là que Donizetti a
donné son Elisir d'amore, Vaccai Giulietla e Romeo, Lauro Rossi il Domino
ncro. M. Pedrotti Guerra in quattro... A la suite de l'horrible catastrophe
du Ring-Theater de Vienne, les représentations lyriques furent défendues
à la Canobbiana, qui depuis lors resta presque constamment fermée. Le
nom de ce théâtre lui venait de ce qu'il avait été construit sur le terrain
où se trouvaient auparavant plusieurs écoles fondées par Paolo Canobbio,
et qui avaient pris elles-mêmes le nom de Canobbiane.
— Le conseil communal de Naples a décidément voté, par 28 voix contre
12, la suppression de la subvention pour le théâtre San-Carlo, en mainte-
nant seulement une somme de 34,000 francs pour ce qu'on appelle là-bas
les masses, c'est-à-dire l'orchestre et les chœurs. Dans ces conditions peu
brillantes, on craint fort qu'il ne se présente pas un imprésario sérieux
pour tenter l'aventure, et que, par conséquent, le théâtre San-Carlo, l'une
des quatre grandes scènes lyriques de la- Péninsule, ne soit obligé de
tenir ses portes closes p-mdant la prochaine saison d'hiver.
— Un orchestre de chiens ! Il parait qu'à Londres, le pays de l'excen-
tricité, un entrepreneur de curiosités, nommé Louis Lavater, fait voir en
ce moment un orchestre de ce genre, auquel il donne le nom harmonieux
de Cagliostromantheon. Les aimables quadrupèdes qui composent cette
compagnie musicale d'un nouveau genre, vêtus de costumes grotesques,
■ arrivent sur la scène en marchant sur leurs pattes de derrière et vont
gagner méthodiquement la place assignée à chacun d'eux. Chaque chien
est porteur d'un instrument (?) et d'un pupitre, et, sur un signe donné
par leur maître, tous ensemble attaquent leur symphonie... canine.
L'effet, dit-on, n'est pas précisément flatteur pour les oreilles quelque
peu délicates, mais les spectateurs rient à gorge déployée.
— Le succès que P. Tschaïkowsky, le célèbre compositeur russe,
vient de remporter à New-York, a surpassé l'attente de ses amis même
les plus optimisles. Un imprésario s'est empressé d'engager le maître à
venir diriger lui-même l'exécution de ses œuvres à Washington, à Phila-
delphie et à Baltimore. M. Tschaïkowsky reviendra en Europe dans le
courant de ce mois.
— Un nouveau système musical a pris naissanre en Amérique. C'est
M. Julius Klauser, de Milwaukee, qui en est l'auteur et il l'expose avec
toute la conviction de la foi dans un volume de trois cents pages in-S",
intitulé le Septonat et la centralisation du système tonal, aperçu nouveau des
relhtions fondamentales des sons entre lUX et simplification de la théorie et de la
pratique musicales. C'est le renversement complet du système actuel. Au
principe de la gamme M. Klauser substitue celui de septonat (du latin
septem, tonus et natura) qui est la réunion de sept tons classés dans l'ordre
naturel et dont le centre est formé par la tonique. En d'autres termes, le
septonat est formé par la réunion de deux tétracordes partant de la toni-
que pour aller l'une vers l'aigu, l'autre vers le grave. Le mouvement simul-
tané des deux tétracordes présente le principe fondamental de l'harmonie.
M. Julius Klauser pense avoir trouvé, avec le septonat, la formule qui
résume toute la théorie musicale et en permet l'application la plus facile,
la plus rationnelle et la plus logique.
— Aux Etats-Unis, c'est la saison des festivals de musique. Un des
derniers a été celui de Buffalo. On y a donné six grands concerts, dont
le premier a seul été véritablement intéressant, étant consacré en grande
partie à l'audition de l'oratorio Èveàe M. Massenet. Les chœurs (cinq cents
exécutants) ont fait d'excellente besogne sous la direction de M. Lund.
L'orchestre de la Société symphonique de Boston, dirigé par M. Nikisch,
s'est moins bien comporté. Dans la même séance, M"'= De Vère a rem-
porté un succès avec l'air i'Hamlet.
— La ville de Providence, qui est la deuxième de la Nouvelle-Angle-
terre sous le rapport de la population et de la richesse, était jusqu'à ce jour
très en arrière en ce qui touche l'organisation musicale. Elle ne possède
qu'une seule société chorale, dont les progrès, lents d'abord, ont, après
dix années de fonctionnement, pris une extension considérable, si bien
que grâce à ses efforts intelligents, guidée par un excellent chef, M. Zer-
LE MENESTREL
199
rahn, elle a pu organiser un festival de musique très remarquable et dont
la réussite a été complète. L,'Arion Club, — c'est le nom de cette société —
avait fait appel à l'excellent orchestre de Boston et à des solistes dis-
tingués, à la tète desquels brillaient M™ Emma Juch, MM. A. Dippel,
Guille, Ludwig et le pianiste Aus der Ohe. Le festival a duré trois jours,
et parmi les meilleures œuvres qui y ont été exécutées on cite surtout
la Damnation de Faust, dirigée par M. Jordan, la Belle Hélène, cantate de
M. Max Bruch, le Dernier Sommeil di la Vierge, de M. Massenet, l'intermezzo
de la Source, de Léo Delibes, GalUa, de M. Gounod, le concerto pour piano
de M. Tschaïkowsky et VÉlie de Mendelssohn. C'est une grande victoire
pour l'Arion Club et ses trois cent cinquante chanteurs. Il est question
d'ériger le festival de Providence en institution permanente, qui tiendra
des réunions musicales tous les ans.
— Le violon enchanté. C'est le titre qu'on pourrait donner à un fait
divers très authentique qu'on nous envoie d'Amérique et où il est question
d'un pauvre chauffeur du district de Bergen (New-Jersey) et d un violon
bourré de billets de banque. Clément, c'est le nom du chauffeur, avait
acheté l'instrument à une vente du Mont-de-Piété pour la somme de
quatre francs. Rentré chez lui, il voulut l'essayer, mais n'en put tirer le
moindre son. De dépit il brisa le violon, de l'intérieur duquel tomba tout
à coup une liasse de billets de banque. Il y en avait pour 1,700 dollars
(environ 8,600 francs). Gela ne ressemble-t-il pas à un conte de fées ?
PARIS ET DEPARTEMENTS
Aujourd'hui dimanche, l'Opéra donnera Faust, en représentation popu-
laire, à prix réduits.
— Le ténor Van Dyck a passé cette semaine par Pari.s, pour s'entendre
sur certains points de la mise en scène de Lohengrin avec les directeurs
de l'Opéra. Après les deux mois qu'il passera à Paris en septembre et
en octobre, le ténor Van Dyck retournera à Vienne pour y créer très pro-
bablement le Werther de M. Massenet, dont l'étranger aurait ainsi la
primeur, ainsi qu'il advint pour Hérodiade, du même compositeur. Le
désir de M. Van Dyck serait de passer à l'Opéra de Paris les quelques
mois que lui laissent ses engagements de Vienne et de Londres; nul
doute que M. Bertrand, le nouveau directeur de l'Opéra, ne se prétft à
un désir aussi agréable pour les Parisiens. M. Van Dyck demanderait à
chanter, entre autres ouvrages, ÏHérodiadc de M. Massenet, qui, dans les
projets de M. Bertrand, doit venir immédiatement après la Salautmbû de
M. Reyer. Il serait également un très beau Kéron pour l'opéra de Rubins-
tein, qui figure aussi au programme de l'Opéra.
— Nous avons donné les dates des prochains concours du Conservatoire.
Voici maintenant la liste des morceaux choisis pour être exécutés, dans
ces concours, par les élèves des classes de piano et d'instruments à cordes :
Piano (hommes) : Sonate en la bémol, de Weber ;
Piano (femmes) : Allegro de concert, de M. Ernest Guiraud ;
Piano (classes préparatoires, hommes) : 4" concerto de Moschelès;
Piano (classes préparatoires, femmes) : 2" concerto de Field ;
Violon : 19'= concerto de Viotli ;
Violon (classes préparatoires): 7" concerto de Rode;
Violoncelle: 2° concerto' de Gollermann;
Harpe : concerlino, op. 175, d'Oberthur.
— Les exigences du mouvement musical à la fin d'une saison très
chargée sont telles que les journaux spéciaux, en dépit de leurs désirs,
ne peuvent toujours suffire à la tâche. C'est ainsi que nous sommes en
retard avec un bon nombre de publications importantes, et que, particu-
lièrement, l'espace nous a manqué jusau'à ce jour pour annoncer l'appa-
rition du nouveau livre de notre collaborateur et ami Arthur Pougin:
L'Oj)éra-Comique pendant la Révolution, de I78S à 4801, qui remonte déjà à
quelques semaines. Il en résulte qu'avant même que nous en ayons pu
parler, l'ouvrage est parvenu à sa seconde édition, si bien que nous avons
à en constater le succès en même temps que la publication (un volume
in-12, Savine, éditeur). Les lecteurs de ce journal ont eu d'ailleurs la
primeur de ce travail intéressant, et ce n'est pas à eux que nous avons à
en faire l'éloge. Ils savent que ce livre, fort important par son sujet, et
qui joint à un grand intérêt artistique un véritable intérêt politique et
social, offre un caractère entièrement nouveau. C'est la première fois en
effet qu'on trace ainsi l'histoire d'un des grands théâtres parisiens et des
plus aimés du public pendant cette époque si troublée, si mouvementée
et si dramatique, et, en dehors des faits nouveaux que présente cette
histoire au point de vue particulier du théâtre qui en fait l'objet, elle
groupe tout un ensemble d'incidents plus généraux se rapportant à tous
les établissements du même genre, qui, aidés d'une nombreuse série de
pièces officielles inédites, de documents complètement inconnus, jettent un
jour particulier sur l'histoire même de la Révolution. L'auteur n'a pas
failli d'ailleurs à sa coutume : il a revu et remanié son travail à l'occa-
sion de sa publication en volume, en l'augmentant encore d'un grand
nombre de pièces très curieuses et du plus vif intérêt. Il était juste que
le succès vint couronner ses efforts et on nous permettra de le constater
avec plaisir.
— La dernière audition des élèves de M. Charles René à l'institut Rudy
a surpassé encore les précédentes par l'intérêt du programme et le nombre
des jeunes artistes remarquables qui y ont été entendus. Après les œuvres
de Beethoven, Chopin, Humrael, on a particulièrement applaudi les belles
études artistiques de M. B. Godard (Cavalier fantastique. Jonglerie), l'exquise
Barcarolle de Diémer, plusieurs morceaux de Sylvia et la Romance hongroise
de Léo Delibes, la Valse-arabesque de Lack et la Gigue américaine de Redon.
Il faudrait citer une vingtaine de noms pour signaler les personnes qui
se sont distinguées par l'originalité de l'exécution et l'excellence du style.
Dans cette brillante audition de trente-huit jeunes pianistes, bornons-nous
à nommer celles qui se destinent à la carrière artistique ou à l'ensei-
gnement : M"=s Dardel, Barth, Szymansky, Bœswillwald, Schein, Le Che-
valier, Rennesson et surtout M. Georges Hébert, un artiste au jeu correct
et sûr. Une mention spéciale à M""^ Hochet, élève de M™<î René de Groot.
— Très intéressante audition, dimanche dernier, par les élèves de
M^J" Louise Aubry, des œuvres pour piano de M"" Filliaux-Tiger. Plusieurs
de ces jeunes élèves sont déjà en passe de devenir des artistes distingués,
et les œuvres de M'"'^ Filliaux-Tiger sont charmantes. On a particulière-
ment goûté deux arrangements à quatre mains de la Vieille Chanson et de
la Danse russe d'Armingaud.
— On nous écrit de Lille : « La présence de Cossira, l'artiste aimé du
public lillois, avait attiré dimanche au Palais-Rameau tous les habitués
de nos concerts; la salle était magnifique. Cossira possède toujours cette
voix chaude et sympathique qui avait enthousiasmé ses auditeurs lors
de sa première séance à Lille pour la création i'Hérodiade. Il a chanté
avec art et pureté un air de Sigurd, un air i'Ascanio, les Enfants de Massenet
et le grand duo du premier acte du Trouvère avec M"" Emma Cossira, dont
la magnifique voix de contralto a étonné l'auditoire; ses belles notes
graves sont d'une grande sonorité. Le public a fait fête aux deux
artistes. »
— C'est avec plaisir que nous venons d'apprendre le succès remporté par
M. Gibaux-Battraann, le fils du sympathique directeur de l'école normale
de Dijon, au concours de composition organisé par l'Académie de musi-
que de Toulouse. Non seulement son travail (Marche romaine, chœur avec
orchestrej a été couronné, mais il a été fort remarqué du jury, qui a tenu
à adresser ses félicitations à l'auteur, qui n'est encore âgé que de dix-
sept ans.
— CoœERTS ET soiBÉiîS. — La dernière séance de la Société des Enfants d'Apollon ,
qui a eu lieu dimanclie dernier, a été très brillante. Parmi les artistes qui se
sont fait entendre avec succès, nous avons remarqué M. Sigbicelli, le sympathi-
que violoniste, qui a exécuté plusieurs morceaux classiques avec une rare per-
fection, M. Lopez, qui a fait entendre plusieurs de ses compositions charmantes
et originales, et M"" Félicienne Jarry, qui a, entre autres, délicieusement inter-
prété, avec sa jolie voix de mezzo, le Mve du prisonnier, de Kubinstein. — Beau-
coup remarqués et applaudis, au concert du It juin, dans les salons Rudy, le
brillant morceau de piano (arrangé à i mains), Dansuns la tarentelle de A. Trojelli,
exécuté par l'auteur et sa fille, ainsi que les PizzicaLi de Sijlvia, (transcription
d'Emma), supérieurement interprétés par l'excellent mandoliniste Talamo. — Les
trois matinées annuelles de l'excellent professeur Al"" Chapuis viennent d'avoir
le même succès que les années précédentes. Les auteurs classiques et modernes
y ont été interprétés d'une manière brillante et ont montré une fois de plus l'en-
seignement supérieur de ses cours.
NÉCROLOGIE
Les journaux ont annoncé ces jours derniers la mort du comte Nicolà
Gabrielli, compositeur médiocre mais singulièrement prolifique, qui, après
avoir inondé l'Italie de ses œuvres, vint à Paris, où, protégé du second
empire comme son confrère en noblesse et en musique, le prince Ponia-
towski, il se vit ainsi que lui ouvrir les portes de tous nos théâtres au
détriment de nos artistes nationaux, dont la valeur était autrement appré-
ciable. On a peine à comprendre comment un musicien aussi médiocre à
tous égards a pu fournir une carrière aussi active, et comment il s'est
trouvé tant de théâtres importants pour accueillir les fruits de son imagi-
nation débile. On assure pourtant que le comte Gabrielli, qui était né à
Naples le 21 février 1814, avait étudié la composition avec Zingarelli et
Donizetti. Toujours est-il qu'il trouva le moyen de faire représenter vingt-
deux opéras, dont dix-neuf à Naples et trois à Paris, et qu'il n'écrivit pas
moins, dit-on, de soixante ballets pour les théâtres italiens! Voici une
liste presque complète de ses opéras : i Dotti per /anad'smo, -1833; la Lettera
pcrduta, 1836; la Parola di matrimonio, 1837; l'Âmericano in fiera, 1838; l'Affa-
malo senza danaro, 1839; il Padre délia débutante, 1839; la Marchesa e la Bel-
lerina, 1840 ; il Condannato di Saragossa, '1842 ; Saria, oisia la Passa délia
Scozia, 1843; i; Gemello, 184b; ™a Passeggiata sidpalchetto avapore, 1846 ; Giulia
di Tolosa, 1847; Ester; il Bugiardo veritiero; Don Gregoriû, trois actes, Opéra-
Comique, 1861; les Mémoires de Fanchette, un acte, Théâtre-Lyrique, 1863;
enfin le Petit Cousin, opérette en un acte donnée vers la même époque
aux Bouffes-Parisiens. 11 serait bien impossible de citer les titres de tous
ses ballets italiens; en voici toutefois quelques-uns : la Sposa ceneziana;
Edwige; Paquita; Nadan; il Baijat di Benares, donnés à Naples; l'Assedio di
Schiras,k la Scala de Milan; puis, Yotte, à Vienne; les Aimées, au Grand-
Théâtre de Lyon ; et enfin, à l'Opéra de Paris, Gemma, deux actes, 18S4,
sur un livret de Théophile Gautier; les Elfes, trois actes, 1836, sur un livret
de Saint-Georges, et l'Etoile de Messine, deux actes et six tableaux, 1861,
dont les principaux rôles étaient tenus par Mérante, M"" Ferraris et
M"» Marquet. Le comte Gabrielli est mort à Paris, dans un appartement
qu'il occupait, rue Saint-Roch, depuis de longues années.
— De Marseille est arrivée cette semaine la nouvelle de la mort de
M. Gauthier, directeur du théâtre des Variétés de cette ville, qui fut à
200
LE MENESTREL
Paris, pendant quelques années, directeur des Folies-Dramatiques. C'est
lui qui monta à ce théâtre, entre autres, Rip, les Petits Mousquetaires, la
Fauvette du Temple, Fanfan la Tulipe, François les Bas Bleiis.
— A Lisbonne, où il était fixé depuis plus d'un demi-siècle, est mort
le i juin, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, un compositeur italien nommé
Angelo Frondoni, qui s'était établi en cette ville à l'époque où un grand
seigneur fort riche, le comte de Farrobo, avait voulu y créer un opéra
national, tâche dans laquelle il l'aida de toutesses forces. Frondoni fut,
croyons-nous, chef d'orchestre au théâtre San Carlos, pour lequel il écri-
vit un opéra intitulé Os Profugos de Parga; il remplit les mêmes fonctions
au théâtre de la Trinité, où il lit jouer une opérette, 0 Rouxinol das salas.
Il fit représenter encore d'autres opérettes, entre autres, 0 Beijo, qui
obtint un très grand succès, et le Fils de il/""° Angot, qu'il donna au
théâtre du Prince-Royal. Lors de la révolution de 1846, Frondoni avait
écrit la musique d'un chant politique de circonstance, l'Hymne de Maria
da Fonte, qui ne fut pas sans lui causer par la suite quelques désagré-
ments, mais qui n'entrava pas sa carrière en Portugal, dont il ne devait
jamais s'éloigner.
— A Bergame est mort le 7 juin, à l'âge de quatre-vingt-six ans, Adeodato
Bossi, l'un des premiers facteurs d'orgue d'Italie et le dernier descendant
d'une famille qui depuis trois siècles s'est rendue fameuse par sa rare
habileté dans la construction de ces instruments. Bossi, qui avait été le
premier dans son pays à appliquer l'électricité à l'action de l'orgue, avait
obtenu de nombreuses récompenses dans les Expositions, particulièrement
à Bologne en 185S et à Milan en 1881.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— Vient de paraître, chez Firmin-Didot, l'Écho des fauvettes, recueil
d'études et de mélodies par MIVl. H. Bradey et L. Fontbonne, illustrations
de Chatinière.
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tl.MEKIE CIIAIX, 20, KU£ BERGEBE, 1
Dimanche 28 Juin 1891.
3143 - S7- ANNÉE - N° 26. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménesteel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemeaC.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 tr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sas.
SOMMAIRE-TEXTE
-I. Histoire de la seconde salle Favart (15' article), Albert Soubies et Charles
Malherbe.— II. Semaine théâtrale: Le banquet du Bève, H. Mokeno; premières
rdprésentatiuns des Avanlures de M. }fartin,[\ la Gaîté, et des Héritiers Gulchard,
aux Variétés, Pall-Éiiile-Chevalier. — III. Napoléon dilettante (13' article), ED.M0Nn
Neiikomu et Paul d'Esirée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AUX CERISES PROCHAINES
n" 2 des Rondes et Chansons d'avril, de Claudus Blanc et Léopold Daithix.
— Suivra immédiatement : Aimer, nouvelle mélodie de Balthazar Florence.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Réveil, allegretto scherzando, pièce caractéristique pour piano,
de Théodore Durois. — Suivra immédiatement : Myosotis, romance sans
jjaroles, de Théodore Lack.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
A.llbert SOUBIJES et Cliarles MALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE II
(Suite.)
Dans cette aventure, l'Opéra-Gomique ne changea pas de
■genre, et le 29 décembre, il présentait dans son cadre naturel
'un opéra-comique en trois actes, répété sous le titre du
■■iJapilaine Gaston, sur lequel on pouvait à bon droit fonder
quelques espérances, le Capitaine Henriot. La pièce de Gustave
^^aëz, avait été terminée par Victorien Sardou, etM.Gevaert en
avait écrit la musique. Dans ce capitaine Henriot s'incarnait
Henri de Navarre, qui, assiégean'c Paris, se trouvait mêlé à
une double aventure politique et galaote, où il risquait son
amour et sa liberté. Le dévouement d'un ami le tirait à
temps d'un mauvais pas, et l'habile Béarnais trouvait un stra-
tagème opportun pour sauver à son tour celui qui l'avait
sauvé. La pièce était amusante, la partition intéressante, l'in-
terprétation remarquable, avec Gouderc, Crosti et Achard, que
'Gapoul devait remplacer à l'improviste à l'une des dernières
représentations, M™"^ Bélia et Galli-Marié. Nous oublions
Ponchard, à qui il arriva certain soir d'être applaudi au lieu
et place d'un autre. 11 était chargé du rôle de Bellogarde et
;se trouvait très enrhumé ; le dialogue ^xi/'/c ne l'embarrassait
point ; mais le chant l'effrayait ; aussi, chaque fois qu'il sor-
tait de scène, ne manquait-il pas de dire au régisseur : « Tu
sais que je passe mon air (qu'il chantait d'ailleurs à la can-
tonade), fais donc une annonce. » Et Mocker répondait avec
calme : « Va toujours ! le reste me regarde. » Arrive l'ins-
tant fatal. Bellogarde se disposait à entrer en scène en esca-
ladant le balcon de Blanche d'Étianges, sans plus se soucier
de la sérénade qu'il devait dire auparavant et qu'il croyait
supprimée, lorsque le malheureux Ponchard s'aperçoit que
ses avertissements avaient été vains : l'orchestre attaquait la
ritournelle du morceau en question. Mais son émoi se change
en stupéfaction lorsqu'une voix se fut entendre et entonne
l'air. [1 se retourne et regarde : c'était Potel qui, paraissant
dans la coulisse, suppléait son camarade, rendant ainsi ser-
vice à tout le monde et donnant une nouvelle preuve de
son obligeance et de cette souplesse qui a permis à ce brave
artiste de tenir très honorablement, et pendant longtemps,
ses modestes emplois.
Malgré de nombreux éléments de succès, le Capitaine Henriot
ne put s'imposer aussi longtemps qu'on l'avait supposé d'a-
bord à l'attention du public. Il chantait gaiement : « Il faut
que tout le monde vive », et lui-même il dut mourir au bout
de quarante-huit représentations et ne fui jamais repris, bien
que la reprise en eût été projetée comme celle des Absents,
en 1869, avec Melchissédec dans le rôle créé par Crosti.
Faut-il atlribuer à cette déception ou- à son goût pour
d'autres travaux la résolution prise alors par le compositeur
de renoncer au théâtre'/ Le fait est que, depuis cet ouvrage,
M. Gevaert n'a plus abordé la scène et a renoncé notamment
à écrire un opéra du Cid, dont il avait ébauché les grandes
lignes en collaboration avec M.Sardoa ; lorsque nous l'avons
interrogé à ce sujet, voici la lettre aimable par laquelle
il a pris la peine de nous répondre : « Vous voulez bien
vous informer des causes qui m'ont fait abandonner l'idée de
composer le Cid et la carrière de compositeur dramatique en
général. Puisque vous avez la bonté de vous souvenir encore
de ces détails peu intéressants, sachez que la nouvelle
direction donnée à mon activité tient à des causes diverses
et complexes : mes fonctions de directeur de la musique à
l'Opéra (de 1866 à 1870), très absorbantes; puis, mon départ
de Paris et l'acceptation de la place de directeur du Conser-
vatoire de Bruxelles en 1871; enfin et surtout, mon tempé-
rament personnel, très objectif, comme disent les Allemands.
C'est une détestable disposition d'esprit, pour un compositeur,
de se juger comme s'il était un autre. »
Il n'appartient à personne de critiquei une décision prise
en pleine force d'âge et de talent. Lors de la retraite de
M. Gevaert, le théâtre a perdu un compositeur d'un réel mé-
rite ; la musique a gagné un historien de haute valeur, un
202
LE MÉNESTREL
pédagogue et un théoricien, un savant qui a pu mener à bonne
fin l'essai de musicologie le plus important et le plus ardu
peut-être qu'on ait entrepris de nos jours, reconstituant la
musique antique, commentant des textes qui semblaient pres-
que inexplicables, et faisant œuvre de vrai bénédictin; car
son aptitude au travail est merveilleuse, son érudition indé-
niable, sa logique claire et précise; on peut dire de lui que
rien de ce qui touche à son art ne lui est étranger. Par une
coïncidence singulière, au moment où. M. Gevaërt laissait de
côté le Cid, que lui offrait M. Sardou, Maillart recevait d'Au-
guste Maquet un Cid Campéador qu'il destinait à l'Opéra. Le
temps ou les forces lui manquèrent pour accomplir sa tâche.
La chevaleresque figure de Don Rodrigue devait, ainsi que
l'a raconté ici même M. Louis Gallet, séduire aussi Bizet ;
mais en réalité vingt-trois années se passèrent avant que le
héros populaire de Guilhem de Castro et de Corneille fit, pré-
senté par M. Massenet, son apparition ou plutôt sa réappa-
rition sur notre première scène.
Un souvenir qui se rattache à l'histoire de la salle Favart
appartient encore au bilan de l'année 1864. Au lendemain de
la mort d'Halévy, ses admirateurs et ses amis avaient décidé
qu'un monument lui serait élevé dans le cimetière Montmar-
tre, où il était inhumé, et qu'une souscription serait organisée
pour en couvrir les frais. On obtint ainsi 36,276 fr. 80 c,
chiffre bien suffisant, puisque le terrain était donné par la
Ville, le marbre par l'État, et que ses deux collègues de l'Ins-
titut, l'architecte Lebas et le sculpteur Duret, n'avaient rien
demandé pour la confection du piédestal et de la statue.
L'inauguration solennelle eut lieu le 17 mars ; M. de Nieu-
werkerque, représentant l'administration, prononça le dis-
cours d'usage ; les élèves du Conservatoire chantèrent un
chœur de Guido et Ginevra, et la musique de la garde de Paris
exécuta la marche de la Reine de Chypre. Deux mois plus tard,
le 27 mai, l'Opéra-Comique s'associait indirectement à cet
hommage en fêtant avec non moins d'éclat l'anniversaire de
la naissance du maître regretté. L'empereur et l'impératrice
honorèrent, comme on disait alors en style officiel, la repré-
sentation de leur présence. Le Tableau parlant et l'Édair figu-
raient au programme, ainsi que des stances écrites par Léon
Halévy à la mémoire de son frère, mises en musique par M. J.
Cohen d'après des motifs de ses œuvres célèbres, et exécutées
par Couderc, Ponchard et M^'» Revilly. Le buste du compo-
siteur fut couronné en scène; l'orchestre joua l'ouverture des
Mousquetaires de la Reine et la garde de Paris re-exécuta sa
marche de la Reine de Chypre; c'était décidément le morceau
favori de son répertoire !
Entre ces deux solennités des 17 mars et 27 mai, un évé-
nement s'était produit qui avait jeté comme un voile funèbre
sur deux de nos grands théâtres et douloureusement ému le
monde musical tout entier : Meyerbeer était mort le 2 mai,
à cinq heures du matin dans la maison qu'il occupait depuis
quelques mois, 2, rue Montaigne, presque tout à côté de
celle où, plusieurs années auparavant, était décédé un de ses
plus illustres compatriotes, Henri Heine. La maladie d'intes-
tins dont il soufi'rait depuis longtemps avait pris tout à coup
une gravité imprévue, et l'avait enlevé au moment où il se
disposait à livrer à l'Opéra son Africaine, tant de fois annon-
cée et sans cesse retardée. Dans son testament, il demandait
à être inhumé à Berlin. C'est donc à la gare du Nord, trans-
formée pour la circonstance en chapelle ardente, qu'eurent
lieu, le 6 mai, ces obsèques imposantes, et son collaborateur,
son ami Emile Deschamps, pouvait alors tristement s'écrier :
Sur son champ de bataille, en pleine France, il tombe !
Berlin lui donna l'âme et lui reprend son corps ;
Mais Paris, s'il n'a point son berceau ni sa tombe.
Fut le trône adoptif de ce roi des accords...
Tout ce qui de près ou de loin tenait aux lettres, aux
sciences, aux arts, voire même au monde officiel, avait tenu
à s'associer à ces honneurs suprêmes. Devant le cercueil,
les artistes Je l'Opéra chantèrent des fragments du Prophète,
ceux de l'Opéra-Comique les chœurs du Pardon de Ploermel,
et Beulé, Saint-Georges, Emile Perrin, Taylor, Camille Dou-
cet, Cerfbeer, présidentdu consistoire Israélite, Ulmann, grand
rabbin, Emile Ollivier enfin, prirent la parole pour célébrer
dignement la gloire du maître disparu et à jamais regrettable,
car, suivant la formule éloquente et juste d'un de ces ora-
teurs, M. Camille Doucet, il s'agissait d'un malheur national.
« Ce n'est pas un étranger, qui nous quitte, disait-il, c'est
un Français que nous pleurons, puisque depuis trente ans,
par une préférence volontaire et qui nous honore, Meyerbeer
avait adopté la France en la dotant de ses chefs-d'œuvre. »
Eloges mérités, regrets sincères ! car, en dépit de critiques
plus ou moins acerbes qui, par la suite, se sont produites en
Allemagne comme en France, l'auteur des Buyuenols comptera
longtemps encore parmi les premiers. Il se peut qu'avec l'âge
quelques rides marquent ses partitions; il songeait trop, en
effet, aux moyens d'en assurer le succès immédiat, pour ne
pas réserver une part toujours contestable au goût du jour.
Mais depuis Gluck jusqu'à Berlioz, quel maître n'a pas connu
de pareilles faiblesses! Ce qu'il faut voir et savoir, c'est si
dans l'œuvre entier bon nombre de pages sont capables de
résister à l'actfon débilitante et destructive du temps. Comme
Weber, Rossini et Wagner, il aura été chef d'école ; il aura
laissé, sinon des élèves, du moins des imitateurs qui auront
vécu de ses formules; c'est assez dire qu'il demeure l'une'
des grandes figures de la musique dramatique au X1X'= siècle.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
On a banqueté, jeudi dernier, sous les ombrages de Madrid en
l'honneur du nouveau Messie de la musique, gui n'est rien autre,
parait-il, que le divin Bruneau, compositeur du Révc. S'il n'y avait
là qu'une simple partie de campagne où les amis d'un artiste célè-
brent, entre le melon et le fromage, les mérites et la gloire d'un
de leurs camarades, rien de mieux, et nous ne pourrions qu'applaudir
à une aussi louchante réunion. Mais, du moment qu'on a voulu
faire de ce déjeuner champêtre une manifestation publique destinée
«à marquer une étape glorieuse dans l'histoire de la musique fran-
çaise », du moment que M. Bruneau passe à l'état de « porte-
drapeau de la jeune école musicale », il est bien permis de
s'en égayer quelque peu. Gela devient alors une des plus plaisantes
joyeuselés de notre époque de déliquescence, qui pourtaut abonde
en drôleries de toutes sortes. M. Bruneau, que nous tenons pour un
homme d'esprit, s'en amusera sans doute avec nous ; il est bien trop
avisé pour prendre au sérieux toutes ces billevesées et pour ne pas
chercher à se garer des pavés sous lesquels on cherche à écraser sa
célébrité naissante.
Qu'on veuille voir dans le Rêve une tentative curieuse, nous y
consentons ; encore le titre de « précurseur » qu'on donne volontiers au
jeune « apôtre » est-il bien contestable. Car, pour les gens de bonne
foi, le Rêve procède directement de Manon, opéra de M. Massenet,
avec cette seule différence que, dans l'un des deux ouvrages, il y
a beaucoup de talent, et que dans l'autre il y en a ... moins. Au
résumé, tous les systèmes sont bons, pourvu qu'on mette quelque
chose dedans. Nous cherchons en vain ce qui se trouve dans le
grand vide musical que M. Bruneau a creusé autour du charmant
poème de MM. Emile Zola et Louis Gallet. Nous y cherchons en
vain l'imagination, la fantaisie, la couleur, les idées enfin, qui font
les œuvres d'art. Si le rôle de la musique doit se borner, désor-
mais, à souligner la parole déclamée de quelques accords d'une
justesse contestable, avouez qu'elle n'a plus qu'à disparaître. Dans
le Rêve, elle est tout le temps une gêne et un embarras; elle arrive
à faire de ce joli songe d'amour un véritable cauchemar. Débar
rassez le drame de cette harmonie désagréable et embroussaillée, et
vous le verrez immédiatement s'élever d'une aile plus rapide. La
partition de M. Bruneau joue donc là le rôle d'un lest inutile qui
empêche les envolées.
Voilà ce que nous tenions à dire en quelques mois, estimant
qu'en de pareilles occasions c'est un devoir de proclamer bien haut
et bien nettement sou opinion. Notre collaborateur Arthur Pougin
a dit dimanche dernier, en un article très sensé et 1res modéré
LE MENESTREL
203
dans la forme, ce qu'il pensait de la nouvelle oeuvre; nous avons
voula nous ranger à ses côtés, étant avec lui sur ce point en par-
faite conformité de vues.
M. Bruneau sera peut-être un musicien dont nous pourrons un
jour nous enorgueillir; mais il faudra pour cela qu'il commence
par apprendre... la musique.
H. MORENO.
Gaité. — Les Aventures de il/. il/a»-(î»i, folie-vaudeville en quatre actes et cinq
tableaux, de M. Albin Valabrègue. — Variétés. Les Héritiers Guichard,\a,u-
deville en trois actes, de M. Gaston Marot.
Et la série des pièces d'été continue toujours ! M. Albin Valabrègue,
qui avait déjà accaparé le Vaudeville, s'empare encore de la Galle, où
il vient de faire représenter une pochade amusante en plus d'un
endroit, et dont les deux premiers tableaux, très bien venus, sem-
blaient vouloir nous promettre une vraie comédie; mais l'auteur a
sans doute pensé que la folie seule devait être de saison alors que
Paris commence à déménager et n'est presque plus dans Paris.
Donc, ce M. Martin est un brave bonnetier, dont le frère, explora-
teur et coureur d'aventures, vient de se faire nommer roi d'une
peuplade quelconque de l'Afiique centrale. M. Martin, devenu héri-
tier présomptif de la couronne, veut absolument s'embarquer; mais
ce départ précipité vient entraver les projets de mariage de sa fille,
Julie, avec son premier commis, Alfred ; aussi, tous deux se liguant
et s'adjoignant même un bon fumiste très riche, vont berner le
pauvre bonhomme en le promenant plusieurs jours en mer, en lui
faisant traverser la fête des Loges à Saint-Germain, qu'à l'aide de sal-
timbanques complaisants, on lui fait prendre pour le Congo français,
enfin en l'échouant au Jardin d'acclimatation, qu'on lui désigne
comme son palais royal. M. Martin, avec une candeur et une naïveté
bien digues d'un sort meilleur, ne s'aperçoit que lorsqu'il faut que la
pièce finisse combien il a été joué; comme il apprend en même
temps que 'son frère a été massacré par son peuple, il se réjouit
d'avoir été trompé et d'avoir ainsi échappé au scalp. MM. Malard,
Fugère, Alexandre et M"" Toudouze et Avocat jouent gaiement celte
fantaisie que la direction de la Gailé a très heureusement mise en
scène. Un des clous du spectacle est l'exhibition de ces deux sœurs
Josepba que dame nature s'est plu à lier de si étroite manière. Ces
sortes de monstruosités, n'aj^ant rien à voir avec l'art dramatique, on
me permettra de n'en point parler davantage.
Aux Variétés, c'est un gros vaudeville de M. Gaston Marot qui est
chargé de lutter contre la chaleur ; il est plus ou moins bien dé-
fendu par MM. Barrai, Lanàrin et M'"'^^ Irma Aubrys et Bl. Miroir.
Je ne puis même essayer de vous dire ce que sont ces Héritiers Gui-
chard, qui courent après une succession illusoire, inventée par un
notaire aux abois. Le public a paru prendre quelque plaisir à difîé-
rentes scènes : je crois, pour ma part, que la pièce aurait beaucoup
plus porté si l'auteur s'était raisonnablement contenté de la faire
jouer à Cluny ou à Déjazet.
Paul-Emile Chevalier.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
Dans le même temps survint un incident à l'Opéra, qui fit grand
bruit à Paris, sans doute à raison de certaines intimités dont il ne
nous appartient pas de soulever le voile. Une danseuse d'une grande
beauté . — ses contemporains disent: d'une beauté incomparable —
qui avait, en 1793 et 1794, personnifié dans les cérémonies publiques
la déesse de la Raison, fut victime de la maladresse d'un machi-
niste. Représentant la Gloire, dans la pièce de Minerve, elle fut
précipitée d'un praticable et se cassa le bras.
C'était là un de ces accidents, fréquents authéàtre, qui ne laissent
que le souvenir d'un émoi passager. Mais la personnalité de la blessée
provoqua des alarmes auxquelles on était loin de s'attendre. Il sem-
blait que Mars en personne était frappé dans cette Gloire, et, comme
tous redoutaient sa colère, il en résulta que chacun, dans l'admi-
nistration comme dans les services de l'Opéra, rejetait sur son
voisin la responsabilité de la chute de M"" Aubry.
Napoléon, informé du fait, en écrivit tout d'abord à l'impératrice :
« Je reçois ta lettre du l" mars, oii je vois que tu as été fort émue
de la catastrophe de l'Opéra... Ne prêle aucune foi à tous les mau-
vais bruits que l'on pourrait faire courir. Ne doute jamais de mes
sentiments et sois sans aucune inquiétude».
Par le même courrier, Fouché recevait de son maître ce mot où
perce un mécontentement qui était loin, toutefois, d'atteindre la
colère redoutée:
« Je reçois votre lettre du 8 mai. Je sais que l'alTaire de M"" Au-
bry occupe plus les Parisiens que toutes les pertes que l'on peut
faire à l'armée. M. de Luçay a eu tort de ne pas lui témoigner tout
l'intérêt que son état devait inspirer. »
Après cette letlre. on pourrait croire que l'afTaire Aubry est ou-
bliée, enterrée. Mais il n'en est rien. Ce sont maintenant les ma-
chinistes qui se chamaillent. Tout le monde s'en môle: les uns
tiennent pour Boutron, premier machiniste, les autres pour son
assesseur Gromaire. On glose, on ergote, on répand des flots d'encre.
Et ces clabaudages parviennent jusqu'à Napoléon, en son quartier
général de Finkenstein.
Aussitôt il prend la plume et trace ces lignes, datées du 12 avril
1807:
« A Fouché.
« Toutes ces intrigues de l'Opéra sont ridicules. L'affaire de
M"' Aubry est un accident qui serait arrivé au meilleur mécanicien
du monde, et je neveux pas que M. Boutron profite de cela pour
intriguer. Faites-le lui connaître de ma part; qu'il vive bien avec
son second, — ne dirait-on pas que c'est la mer à boire que de faire
mouvoir les machines de l'Opéra ! que je ne veux pas que M. Gro-
maire soit victime d'un accident fortuit! Mon habitude est de sou-
tenir les malheureux : or, certainement, il n'y a là que du malheur.
Trois mots de vous suffiront pour tout arranger, ou je mettrai M. Bou-
tron à la porte, et je mettrai tout entre les mains de M. Gromaire.
Les actrices monteront dans les nuages ou n'y monteront pas. Sou-
tenez M. de Luçay. Je verrai ce que j'ai à faire quand je serai à
Paris. Mais on pousse trop loin l'indécence. Parlez-en à qui de
droit pour que cela finisse... »
Napoléon. »
Luçay, mis en cause, s'adresse directement à l'empereur, qui,
fatigué de toute cette affaire, envoie à son grand-chancelier cette
missive datée de Finkenstein, 18 avril:
« A M. Cambacerès,
« Mon cousin, je vous envoie une lettre de M. de Lucay. Vous
sentez que, quel que soit le plaisir que j'aie de m'occuper de tout ce
qui peut concerner le bien de mes peuples et des détails de l'admi-
nistration, ce serait cependant aller trop loin que de me mêler des
querelles de théâtre. Je vous charge donc exclusivement de la sur-
veillance de l'Opéra jusqu'à mon retour. Je ne veux plus en entendre
parler. Faites-y régner nne sévère discipline, faites-y respecter l'au-
torité, et que le spectacle qui intéresse les plaisirs de la capitale
soit maintenu dans sa prospérité.
» Gomme mon inleution est que vous ne fassiez jamais rien direc-
tement, vous vous servirez du canal du ministère de la police, au-
quel j'en écris, pour toutes les mesures que vous croirez nécessaire
de prendre. »
Fouché est prévenu de cette substitution. Ennuyé des tracas-
series de l'Opéra , l'empereur l'avise que Cambacerès lui fera con-
naître ses vues « par une résolution qui restera secrète », mais d'après
laquelle il agira comme si c'était par son ordre directement.
Le 2 mai, nouvelle lettre à Fouché, dans laquelle Napoléon se
montre fort irrité «dos menées de l'Opéra». Il reproche à Bonnet,
le directeur, et à Boutron, le machiniste en chef, de se poser en
persécuteurs, et de susciter des ennuis à Luçay », qui n'a pas été
désavoué officiellement »... « Si cela ne cesse pas, continue l'em-
pereur, je leur donnerai un bon militaire qui les fera marcher tam-
bour battant...» S'ils continuent. Bonnet et Boutron «se feront met-
tre à la porte »... Et Napoléon conclut: « Arrangez-vous de manière
à ce que je n'entende plus parler de tout cela. »
Deux jours après, nouvel incident, dont l'origine se trouve expli-
quée par ces lignes :
« A Cambacerès,
»... Je trouve que vos observations sur les spectacles gratis sont
fondées. Mais qui donne les autorisations? On dit que M. Bonnet
commet aussi beaucoup de dilapidations en accordant des billets et
des loges gratis. »
II faut croire que cette question des billets de faveur revint sou-
vent à l'esprit de Napoléon pendant la dernière période de sa cam-
pagne de 1807, car, à son retour, son premier soin fut d'envoyer ce
mot à Cambacerès:
504
LE MKiNESTllEL
« Saint-Cloud, 2o aoùl.
n Je vous adresse un état des billets gratis et des billets payants
de l'Opéra, peudant le mois dernier ; cela me parait énorme. Failes-
mûi connailre le pris des différentes places. Ne pourrait-on pas
les mettre au-dessous du prix des autres spectacles, et par là sup-
primer les billets gratis. »
La paix signée, JVapoléon, en voie de composition avec la Russie,
se distrait momentanément des questions administratives, pour
écrire au général Savary,' en mission à Saint-Pétersboorg :
« Je ne vous connaissais pas aussi galant que vous l'êtes devenu.
Toutefois, les modes pour vos belles Russes vont, être expédiées. Je
veux me charger dés frais. Vous les remettrez, en disant qu'ayant
ouvert par hasard la dépèche par laquelle vous les demandez, j'ai
voulu en faire moi-même le choix.
» Vous savez que je m'entends 1res bien en toilette.
0 Talleyrand enverra des acteurs et des actrices..»
Mais celte diversion n'est que momentanée. L'empereur, esprit
pratique, revient promptement à ses chiffres. Le 21 octobre, il
épluche les comptes de 1806, que lui a envoyés Fouché, et re-
proche au minisire de la police plusieurs irrégularité?. Ainsi, dans
son budget, il avait, lui, Napoléon, porté 1,SOO,000 francs pour la
caisse des Ihéàties, et Touché ne leur a fait payer que 100,000 francs
par mois. Alor.'', d'office, l'empereur porte 200,000 francs pour l'ar-
riéré des théâtres de 1800, avec cet avis à Fouché:
« J'autorise la Caisse d'amortissement à vous avancer cette
somme, parce que l'Opét-a a des besoiiu ; mais il faut que vous les
remplaciez le plus prouiptement possible à la Caisse d'amortissement».
Puis, ce sont les billets de faveur qui reviennent sur l'eau :
« Les billels gralis délivrés dans ces quatre grands ihéàties sont
la principale cause de désordres qui ont souvent lieu au parterre.
Mou intention est que l'usage de la distribution des billets cesse
entièrement au 1'^'' novembre. »
Cette lettre étant datée du 27 octobre, on voit que la mesure ne
souffrait aucune tergiversation. Au retour de Napoléon, tout marche à
souhait, et nos Bulletins deviennent moins nombreux. De 1807, nous
sautons à 1809, où, le 1" jançier, l'eiripereur, malgré les réceptions
du nouvel an, trouve, à propos d'uu incident iniime, le temps d'écrire
de Benevent, à Fouché :
« Je trouve ridicule que le préfet de Nice ait ordonné qu'à
l'avenir il ne sera pas permis au public de faire répéter une ariette.
Un peu de tapage au théâtre n'est pas une chose assez importante
pour qu'on doive intervenir dans les plaisirs du public. Je veux
qu'on jouisse en France d'autant de liberté qu'il est possible. Témoi-
gnez monmécontentem«nt à ce préfet. J'approuve qu'il ait fait arrètei
les trois jeunes gens qui ont crié bis pour narguer le maire, mais
aussi pourquoi ce magistrat se mêle-l-il dans les querelles des
jeunes gens et de coulisses? Veillez à ce que l'autorité se fasse
sentir le moins possible et ne pèse pas inutilement sur les' peuples. »
De nouveau, les documents relatifs aux théâtres deviennent rares ;
mais à l'approiihe de son mariage avec Marie-Louise, Napoléon re-
commence à s'occuper de tout ce qui peut contribuer à sa splen-
deur. Et d'abord, il entend reprendre la haute main en tout ce qui
concerne l'Opéra: «J'apprends, écrit-il à Rémusat, chargé doré-
navant des théâtres subventionnés, que la Mort d'Abel et un ballet
sont mis à l'étude. Vous ne devez mettre aucune pièce nouvelle à
l'étude sans mon consentement. Faites-moi un rapport là-dessus. »
Sans doute, ce rapport a satisfait l'empereur; car il ne s'occupe
plus maintenant que du répertoire à venir, dont il règle minutieu-
sement l'ordre, en vue surtout des fêtes qui doivent accompagner le
mariage.
Voici ce qu'il écrit au comte de Rémusat :
^1 Paris, 2 mars 1810.
» M. de Rémusat, mon premier chambellan, il faudrait donner la
Mort d'Abel le 26 mai ; donner le ballet de Perséeet Andromèdele lundi
de Pâques; donner les Bayadères quinze jours après Sophocle, Armide
dans le courant de l'été, les Danaïdes dans l'automne, les Sabines
à la fin de mai.
•) En général, mon intention- est que dans le mois de Pâques, il
y ait le plus de nouveautés possible, vu qu'il y aura un grand
nombre d'étrangers à Paris à cause des fêtes. »
Cette lettre est bien, parla solennité et l'exagération de l'étiquette
qu'on y remarque, l'iudice d'une nouvelle ère qui va commencer. Pour
les théâtres, comme pour toutes choses, on se dispose à tout renou-
veler, atout établir sur un pied plus luxueux encore. La salle des
l'Opéra ne suffit plus, et l'empereur songe à en faire construire une
nouvelle. Le 10 mars, il adresse une note à Grétet, ministre de ^
l'intérieur, pour différentes recommandations relatives à divers Ira-
vaux, entre autres: « que M. Fontaine fasse en relief un beau projet
d'Opéra à faire n'importe où. Il sera exposé à la critique. Il faut,
une salle sans colonnes, favorable à la vue et à l'oreille ; grande
logo au milieu pour l'Empereur ; petite loge avec un appartement;
à peu près comme celle de Milan. »
Pendant les fêtes, il n'est pas une solennité qui ne soit accom-
pagnée de bals, de concerts ou de représentations, mettant en relief
les principaux artistes de l'Opéra. Ils figurent également à cette fameuse
fête, si lugubrement terminée, du prince Schwartzenberg, ambassa--
deur d'Autriche, en l'honneur du mariage de Napoléon. Les réjouis-
sances avaient commencé par des danfes exécutées parles premiers
sujets au milieu des jardins de l'ambassade, superbement illuminés.
Puis, on était passé dans la salle de bal, dont la décoration était une
merveille de luxe et de goût. Ce fut un courant d'air, ménagé dans
cette salle pour en tempérer la chaleur, qui fut cause, en poussant
un rideau contre un faisceau de bougies, de l'un des plus effroyables
incendies dont on ait gardé la mémoire. En moins de trois minutes
le feu avait envahi tous les plafonds, garnis de papier verni, qui,
en s'écroulant, ensevelirent la foule des invités, tandis que les
femmes qui avaient pu gagner le dehors se précipitaient, pour la
plupart, comme des torches vivantes, à travers les jardins, dont les
arbres eux-mêmes brûlaient. L'empereur, après avoir sauvé l'impé-
ratrice, la reconduisit aux Tuileries, puis revint sur le lieu du
sinistre, où il ne trouva plus que des tas de cendres et des cadavres
carbonisés.
La première fois que Marie-Louise vint à l'Opéra, ce fut à la
pi'emiêre de Pei'sée et Andromède. Le scénario était plein d'allusions à
l'impérial mariage. Suivant l'expression d'un témoin. Napoléon-
« exultait. »
Puis, le répertoire se déroula dans l'ordre indiqué par l'empereur,
mais non sans quelques difficultés, comme on peut le voir par-
cette note remise au souverain, en octobie, par le grand maréchal'
du Palais, duc de Frioul :
« S. Jl. a ordonné que l'on remonte cette année l'opéra à' Armide, -
et Elle a bien voulu accorder à cet effet un secours extraordinaire
de ir,000 francs.
» Les ouvrages nouveaux que l'on prépare ne permettent pas,
d'ici à la fin de l'année, la reprise de cet opéra. On demande que.
S. M. veuille bien permettre que le secours de 10,000 francs soit
réversible sur l'opéra as Sémiramis, quia été ïe-pxis par ordre et qui-
a exigé beaucoup de dépenses, vu le laps de temps considérable de-
puis le temps qu'il n'avait pas été donné. »
A cette requête, Napoléon répond simplement : « Refusé! Si l'on ne-
donne pas Armtrfe, je ne donnerai pas les 10.000 francs. ».Et l'on joua
Armide! ce qui était une attention particulière pour Marie-Louise,^
Gluck ayant été l'auteur préféré de la cour de Vienne et le com-
mensal habituel de la famille impériale.
De même, Napoléon avait permis à l'impératrice de recevoir fré-
quemment Paër, qui avait été, dans sa jeunesse, attaché à la maison
de sa mère. C'était une grande marque de faveur; car, par
principe, et pour l'honneur de son rang, il n'entendait pas qu'un
homme pût se vanter d'être resté deux secondes seul avec l'im-
péiatrice. Un jour, comme il donnait des ordres à ce sujet à la
baronne Durand, il lui dit ce mot renouvelé de César :
— Madame, j'honore et je respecte l'impératrice; mais la souve-
raine d'un grand empire doit être placée hors de l'atteinte de tout
soupçon.
Nous nous sommes arrêtés au mois d'octobre 1810. A partir de
cette époque. Napoléon devient plus sobre de détails à propos des
théâtres et de. la musique. La machine est si bien établie qu'elle
marche d'elle-même, sans qu'aucune pierre vienne entraver ses
rouages. Et puis, d'autres soucis hantent l'esprit de l'empereur-
dilettante.
D'un bond, nous nous portons au retour de la campagne de-
Russie, où l'empereur assiste à une représentation de la Jérusalem
délivrée, à l'Opéra. Une réception enthousiaste lui eslfaite; et il en
est de même à la première du ballet de Nina, avant le départ pour la
campagne de France. C'était M. de Rémusat qui organisait ces
représentations, pour lesquelles il distribuait personnellement ces
billets de faveur contre lesquels son maître avait fulminé si fort
peu de temps auparavant.
Dans le même temps, Napoléon avait accompagné l'impératrice au
Théâtre Italien de la place de i'Odéon, où l'on donnait une repré-
LE MENtSTREL
205
sentalion extraordinaire de la Cléopùtre de Nasolini, au bénéfice
de M™ Grassini :
« II y avait longtemps, nous apprend Constant, que l'empereur
ne la recevait plus. En cette occasion, il se montra très généreux
pour la bénéficiaire, mais il n'en résulta aucune entrevue : car,
ainsi que l'avait dit un poète de l'époque, la Gléopâtre de Paris
n'avait pas affaire à un nouvel Antoine. »
Nous retrouverons bientôt théâtre et musique pendant les jours
tristes de l'invasion et de l'exil. Mais pour le moment, nous n'avons
pas encore épuisé les années heureuses. Hàtons-nous d'en montrer
quelques coins encore, avant que l'heure fatale ait sonné à l'horloge
du destin.
(A suivj-e.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres (2b juin) :
Favorisé par le beau temps, le festival Ihendel attire en ce moment
une foule considérable au Crystal Palace. Voici le chiffre d'entrées des
trois premières journées :, répétition générale, 16,807; h Messie, 20,S87 ;
programme coupé, 21,483. Reste l'exécution d'Israël en Egypte, qui clôturera
demain le festival. Quelques chiffres sur la composition de cette grande
masse d'exécutants ne manqueront pas d'intérêt. Les chœurs sont consti-
tués comme suit : 754 soprani, 790 contralti, 700 ténors et 800 basses,
ensemble 3,050 c'noristes, dontbOO pris en province et le reste fourni par
les grandes sociétés chorales de la capitale. L'orchestre comprend .502
musiciens, dont 114 premiers violons, 106 seconds violons, 65 altos,
72 violoncelles, 61 contrebasses, 13 flûtes, 9 clarinettes, 14 hautbois, 12 bas-
sons, 3 contra-iâgotti, 10 cors, 7 trompettes et cornets à pistons, 9 trom-
bones, 3 tubas, 3 jeux de timbales et une grosse caisse. Si les solistes
ont parfois laissé à désirer dans cette immense nef du Crystal Palace,
l'exécution, considérée dans ses grandes lignes, ne mérite que des éloges.
L'effet imposant de ces grandes masses chorales n'a d'équivalent nulle
part ailleurs. Il faut aussi louer M. Manns, l'éminent chef d'orchestre du
Crystal Palace, auquel on doit la suppression de ces horribles serpents
qui étaient autrefois postés au milieu des choristes pour indiquer les
entrées et soutenir les voix. Trois fragments d'orchestre, presque inédits,
ont été un des gros succès du festival : c'est l'ouverture de Giustino avec
son délicieux trait pour les hautbois, un gracieux menuet extrait de
l'opéra de Bérénice et une ravissante bourrée composée en 171S pour une
fête royale sur l'eau. Je recommande ces trois morceaux à MM. Colonne
et Lamoureux.
Calme plat à Govent Garden, où la direction a eu recours aux deux re-
prises bien inutiles de Lucie et de Martha, en attendant celle, autrement
intéressante, de l'OteWo de Verdi, qui est fixée à samedi prochain.
A. G. N.
— On a donné l'autre semaine, à l'Alhambra de Londres, la première
représentation d'un ballet nouveau en quatre tableaux, Oriella, dont le
scénario a été tracé par M. Carlo Coppi et la musique écrite par M. Georges
Jacobi. Très gros succès, paraît-il, et pour les danses, et pour la musique,
et pour la mise en scène, qui est d'une éclatante richesse.
— Vers la fin de cemois paraîtra le catalogue descriptif des instruments
de musique exposés à l'Exposition royale militaire de Londres, en 1890.
Cet ouvrage est d'un très grand intérêt. Les différents instruments sont
classés par ordre chronologique autant qu'il a été possible de le faire, et
dans leur famille et classe respectives. La description de chaque famille
est précédée d'une préface soigneusement écrite. Pour rendre le livre d'un
intérêt plus grand, il est orné de' douze planches artistiques en hélio-
gravure et de plusieurs gravures sur bois.
— Les fabricants de pianos de Liverpool font assaut de courtoisie envers
leurs clients. Une des premières maisons de la ville a annoncé récem-
ment que tout achat de ses instruments (pianos, orgues ou harmoniums),
au-dessus de vingt-cinq livres sterling, donnait droit à un trimestre
d'enseignement musical. Un concurrent est allé encore plus loin. Il offre
en prime à tous ses acheteurs une éducation musicale « complète » en
six mois. Par exemple, on ne fait pas connaître le nom du professeur qui
sera chargé de donner les leçpns. Sera-ce Rubinsteiu ou Planté?
— De notre correspondant de Bruxelles (25 juin) : — La saison
d'été ne nous prive pas tout à tait de musique. Nous voici notamment
en pleins concours du Conservatoire. Je vous dirai plus lard, quand ils
seront terminés, s'ils nous ont apporté l'espoir de quelques artistes sortant
de l'ordinaire et quels en ont été les principaux résultats. Tous les ans,
vous le savez, ils s'ouvrent par un petit concert dont le but est de faire
entendre les classes d'ensemble instrumental et vocal, qui ne concourent
pas. — M. Arthur de Greef, le très renommé professeur de la classe de
piano, a remporté, au 'Wanx-Hall, un nouveau et très vif succès ; l'œuvre
nouvelle qu'y a exécutée l'orchestre de la Monnaie est une symphonie,
d'un caractère tout particulier et dont le titre explique suffisamment les
tendances : Symphonie flamande, œuvre, en effet, tout ce qu'il y a de plus
flamande, par la robustesse, la santé et la vie. Bâtie sur des thèmes
populaires, elle est en quelque sorte la transposition musicale de ces
joyeuses et truculentes kermesses dont Rubens et Téniers firent, des
chefs-d'œuvre. Cela est tout plein de sève et de jeunesse, et, en outre,
d'une très remarquable o écriture », pour se servir du mot à la mode.
M. Arthur de Greef n'a pas trente ans ; c'est dire assez qu'il a l'avenir
devant lui, et tout porte à croire, avec de si belles promesses, qu'il saura
le remplir glorieusement. Ces succès sont d'heureux augure pour l'école
belge; car M. de Greef, qui est parmi les premiers, n'est pas le seul de
qui l'on espère quelque chose. Après MM. Emile Mathieu, Blockx, Tinel,
etc., qui ont donné déjà des preuves de talent, nous possédons une petite
phalange de « nouveaux », tout disposés à bien marcher. L'un d'eux
encore, M. Emile Agniez, joint à ses qualités de compositeur un talent
et un dévouement d'initiateur; au Conservatoire, où il dirige une des
classes d'orchestre, et dans un cercle particulier, le Club symphonique, il
fait exécuter publiquement, à maintes reprises, des œuvres de tous ces
jeunes-là. Récemment, un concert organisé par lui nous en a fait con-
naître quelques-unes, de peu d'importance, mais de réel mérite, et les
moins bonnes n'étaient pas les siennes, à lui, — œuvres instrumentales
et vocales, d'un joli sentiment et d'une inspiration sincère. — A part
cela, je ne vois rien, en attendant la fin des concours du Conservatoire,
qui soit de nature à vous intéresser. L. S.
— Le comité de l'Exposition musicale qui va s'ouvrir prochainement à
Vienne, à l'occasion du centenaire de Mozart, vient de se réunir sous la
présidence de la princesse de Metternich, pour arrêter définitivement le
programme des tètes, ainsi que les bases du service d'organisation. On a
nommé une commission executive, chargée de toutes les questions d'admi-
nistration. L'entreprise portera le titre d'Exposition internationale du monde
musical et théâtral en, 4892 et Exposition industrielle spéciale. Les bâtiments
s'élèveront dans les jardins environnant la « Rotonde ». L'Exposition
ouvrira le 9 juillet et fermera le 9 octobre 1892.
— Le troisième festival de musique de Stuttgart vient d'avoir lieu, sous
le patronage du roi de Wurtemberg et la direction artistique des docteurs
Faisst et Paul lîlengel. Le premier concert était consacré à une très re-
marquable exécution de Judas Machabée, de Hœndel. A la deuxième séance,
qui a duré de six heures à dix heures et demie du soir, tous les solistes
du festival se sont fait entendre dans différentes œuvres et ont été acclamés
par deux mille auditeurs intrépides, et décidés à étouffer de chaleur plu-
tôt que de perdre une note de ce concert interminable que couronnait la
9" symphonie de Beethoven. Les honneurs du concert suivant ont été pour
l'hymne royal composé par M. J. Faisst, à l'occasion du vingt-cinquième
anniversaire de l'accession au trône du roi Charles de Wurtemberg. A
l'issue du festival, un banquet et une fête de nuit ont été offerts par le
souverain, dans son château Wilhelma, aux organisateurs et aux artistes.
— La saison lyrique du théâtre de Halle, qui vient de prendre fin, a dé-
passé en éclat toutes les saisons précédentes. Le répertoire s'est enrichi
de plusieurs œuvres nouvelles à succès. Parmi les meilleures représenta-
tions de la saison on cite Fidélio (avec M°"= Moran-Olden), les Noces de
Figaro, Don Juan, Loreley (de Mendelssohn), les Joyeuses Commères de Windsor
et Mignon (avec M™'* Pleschner et Polsoher). C'est l'ouvrage de M. Ambroise
Thomas qui a obtenu le plus grand nombre de représentations, ayant été
joué huit fois ; ensuite vient l'opéra de Wagner, les Maîtres Chanteurs, avec
six représentations.
— Un journal étranger nous fournit ce renseignement sur le Conserva-
toire de Dresde : « On parle, au Conservatoire d'une innovation utile qui
intéresse les élèves d'opéra et de comédie, à savoir: un cours de coupe pour
costumés de théâtre. C'est là une idée pratique. On sait, du reste, que
beaucoup d'éminents artistes italiens et français ne dédaignent pas de
tenir l'aiguille pour la confection de leur garde-robe. »
— Les journaux de Prague parlent avec beaucoup d'éloges d'un mélo-
drame, une tragédie dont toutes les situations sont illustrées musicale-
ment par un accompagnement orchestral. L'œuvre nouvelle, qui a obtenu
un très gros succès au dire de nos confrères, est la seconde journée d'une
trilogie antique et a pour titre Smir Tantaluv (l'Expiation de Tantale). Le
nom de l'auteur présente quelques difficultés de prononciation pour qui
n'est pas initié aux beautés de la langue tchèque: J. Vrchlicky. On se
figure difficilement qu'avec un nom semblable, cet émule de Shakespeare
arrive à la célébrité universelle de son modèle. La musique du mélodrame,
qu'on dit remarquable, est de M. Zdenck Fibich.
— Les journaux de Pologne sont tous d'accord pour constater le grand
succès que vient de remporter à Varsovie M"" Louise Heymann, une des
plus charmantes élèves de l'école Marchesi ; la charmante cantatrice a chanté
Lucie, la Somnambule et Mignon.
— On se rappelle que le Grand-Théâtre de Zurich a été détruit récem-
ment par un incendie. On s'est mis à l'œuvre aussitôt pour en construire
un nouveau, et ce sont deux architectes viennois, MM. Fellver et Helmer,
qui ont été chargés de ce travail. L'œuvre est aujourd'hui tort avancée, et
l'on espère pouvoir faire, dès le 1" octobre prochain, l'inauguration du
nouveau théâtre. Celui-ci n'aura coûté, dit-on que 900,000 francs, et il
pourra contenir 1,300 spectateurs.
— Les journaux italiens nous apprennent que Verdi a envoyé à la biblio-
thèque du Lycée musical de Bologne un fragment autographe important
de la partition de sa Messe de Requiem.
206
LE MENESTREL
— Comme on pouvait s'y attendre, la décision du conseil comrannal,
supprimant brutalement la subvention du théâtre San Carlo, a fail jeter
les hauts cris à la population de Naples, menacée de rester privée de sa
grande scène lyrique, l'orgueil et la gloire d'une ville de 700,000 habitants.
De tous côtés on proteste, on récrimine, et l'on prépare, avec des listes de
souscription, des réunions et des meetings de protestation.
— Les Milanais, ne pouvant décidément avoir le Néron de M. Arrigo
Boito, qui passe à l'état de mythe, vont être appelés à se régaler d'un
autre Néron. Celui-ci est l'œuvre de M. Riccardo Rasori et sera représenté
l'automne prochain au théâtre Carcano, avec le ténor Vincentelli dans le
rôle principal.
— Nous faisions ressortir récemment le côté antimnsical de la petite
débauche à laquelle se livraient certaines troupes italiennes, en repré-
sentant le Barbier de Séville de Rossini avec une interprétation complète-
ment féminine. Cette aimable fumisterie artistique vient d'obtenir au
théâtre Victor-Emmanuel, de Turin, tout le succès qu'elle mérite ; elle a été
sifflée à outrance, et fort justement. Mais voici qu'on parle maintenant
d'une contre-partie tout aussi sotte, c'est-à-dire d'un Barbier entièrement
masculin, dans lequel le rôle de Rosine serait tenu par un ténor. Sans
parler du caractère grotesque d'une telle interprétation, nous renouvelle-
]-ons nos observations ce que deviennent, en pareille occurrence, l'échafau-
dage harmonique et le groupement rationnel des voix.
— « Succès splendide » au théâtre National de Rome, disent les jour-
naux italiens, pour le Domino noir d'Auber et pour M"'= Linda Brambilla,
chargée dans cet ouvrage du rôle d'Angèle. « La charmante Philine de
Mignon, dit l'Italie, joue la comédie avec grâce, élégance et brio ; elle
chante délicieusement les belles mélodies d'Auber. On l'a vivement ap-
plaudie au premier acte et encore plus à la chanson espagnole el à la ro-
mance (bissée) du second acte; aux brillants couplets (bissés) et à la belle
prière du troisième »
— Rossini retrouve décidément faveur en Italie, et ses compatriotes lui
font fête en ce moment. A Rome, le Barbier de Séville, à Turin, Vllaliana
in Algcri, à Milan, la Cenercntola attirent de tous côtés la foule et reçoivent
des applaudissements. Gela vaut mieux assurément que certaines opérettes
ineptes, qui ne font que paraître et disparaître, mais qui ne pervertissent
pas moins le goût du public.
— On a exécuté récemment à Bologne, dans la chapelle de l'Institut
d'éducation féminine, une nouvelle messe pour orgue, chœur et soli de
voix d'enfants de la composition de M. Filippo Brunetti, ex-directeur du
Lycée musical de cette ville. Les journaux font de grands éloges de cette
œuvre importante, dont l'effet parait avoir été considérable.
— Nos confrères italiens se plaignent, non sans quelque raison, du dé-
veloppement excessif que prennent là-bas les cafés-concerts. L'un d'eux
jette à ce sujet à un cri d'alarme : « La rage des cafés-chantants prend à
Milan des proportions alarmantes... pour les propriétaires de théâtres.
Chaque jour il en surgit quelqu'un de nouveau, et tous font largement leurs
aflaires. Mont-Thabor, Aurora, Francescano, Colombo, ÎJnioue, San Mar-
tine sont toujours combles, et les danses, les canzonettistes plus ou moins
jolies... et internationales, recueillent des applaudissements et des bravos
en abondance. »
— A Viterbe, ces jours derniers, première représentation d'un ballet
nouveau, Zariga, du chorégraphe Giuseppe Polozzi, musique de M. Ro-
mualdo Marenco. Cette musique, selon les journaux italiens, serait la
meilleure qu'ait encore écrite le compositeur — ce qui ne voudrait pas
dire que ce soit un chef-d'œuvre.
— Succès à Madrid, pour un petit opéra en un acte, Raquel, paroles de
M. Lasso delà Vego, musique d'un jeune compositeur, M. Taboada Steger,
avec M"e Carrera pour principale interprète.
— Le Gymnase de Lisbonne a donné, ces jours derniers, la première
représentation d'une grande pièce fantastique et musicale en trois actes
et douze tableaux, um Sonho de ventura, de MM. Soller et José Ignacio
d'Araujo, musique de M. Stichini, dont les principaux rôles sont tenus
par M"'" Ernesta Cerri et MM. Joaquim Silva, Diniz et Marcellino Franco.
— Lasse d'être tributaire de l'étranger en matière musicale, l'Amérique
réclame enfin sa place au soleil de l'art. Un journal de Chicago vient de
lever l'étendard de la révolte, et voici en quels termes il fait entendre les
doléances des artistes ses concitoyens : « La grande question est de savoir
si les compositeurs américains sont capables de produire des œuvres
d'art. Un Américain, c'est-à-dire un homme qui a dans les veines le sang
de la liberté (sic), peut-il diriger un orchestre? Est-il à même de com.
muniquer une instruction musicale supérieure? Si la question est réso-
lue afhrmativement, qu'on cesse les importations de « Marches du Cente.
naire » et qu'on s'abstienne de faire venir d'Allemagne un chef d'orchestre
pour nous montrer comment il ne faut pas jouer les symphonies de
Beethoven Lors des fêtes du Centenaire, en 1876, le comité de Phila-
delphie, dans le but d'ajouter un attrait apparent à la solennité, expédia
à Richard Wagner la commande d'une marche, accompagnée de six mille
dollars en or américain. Wagner empocha les ducats, bâcla quelques me-
sures d'une musique tapageuse et banale, avec beaucoup de cuivres et de
grosse caisse, et se prit à sourire malignement en songeant au festival,
tout en dégustant son Johannisberg. Nous ne l'en blâmons pas d'ailleurs.
Il ne connaissait pas la patrie de Washington. Et comment n'aurait-il
pas éprouvé du dédain pour une nation qui se croit forcée de s'adresser à
l'Europe pour avoir une marche? et quelle marche! Si jamais un Paine,
un Buck, un Bristow, un Gleason, un Chadwick ou tout autre parmi nos
meilleurs compositeurs s'avisait de confectionner une pareille œuvre
cacophonique, c'en serait fait de leur réputation!... Devrons-nous, dans
cette grande ville de Chicago où se prépare une exposition destinée à
faire briller le génie, les ressources et l'esprit d'entreprise de la plus
grande nation du globe, devrons-nous, ici-même, insulter et décourager
les compositeurs américains en invitant un musicien étranger à écrire
une cantate ou une symphonie appropriée à la circonstance? Non; si
l'inspiration musicale n'est pas un vain mot, nous prétendons que nul
autre qu'un compositeur américain n'est à même de célébrer dignement
cet événement, » etc., etc..
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est avant-hier vendredi qu'a eu lieu au Conservatoire l'exécution
des cantates des cinq concurrents au prix de Rome, exécution qui s'est
renouvelée hier samedi à l'Institut, en présence de l'Académie des beaux-
arts, appelée à rendre son jugement et à décerner les récompenses. Voici
dans quel ordre, fixé par le sort, les cantates ont été entendues, et les
noms de leurs interprètes :
1° M. Lulz, premier second grand prix en 1890. Interprètes : M}^' Blanc,
MM. Vergnet et Renaud ;
2» M. Fournier, second grand prix en 1889. Interprètes : Mn"=deNuovina,
MM. Piroia el Dubulle;
3° M. Andrès. Interprètes: M"'' Simonnet, MM. Clément et Dubulle;
4° M. Silver, deuxième second grand prix en 1890. Interprètes : M""=Fie-
rens, MM. Gossira et Fournets ;
5" M. Bondon. Interprètes: M"'= Pregi, MM. Baudoin et Lorrain.
Il n'a pas fallu moins de huit tours de scrutin pour amener un résul-
tat. Voici les récompenses qui ont été décernées :
Premier grand prix : M. Silver, élève de M. Massenet ;
Premier second grand prix : M. Fournier, élève de Léo Delibes et de
M. Théodore Dubois;
Mention honorable : M. Andrès, élève de M. Ernest Guiraud.
— L'Opéra-Comique fermant ses portes le 1"' juillet, le Rêve ne pourra
plus être joué que deux fois avant la clôture. L'œuvre de MM. E. Zola,
L. Gallet et Bruneau sera représentée lundi et mardi. Aujourd'hui
dimanche, dernière représentation de Lakmé.
— jvXmo Tarquini d'Or, qui a remporté de grand succès, pendant plusieurs
saisons, au théâtre municipal de Nice, vient de signer avec l'Opéra-Co-
mique. Elle débutera dans Carmen. MM. Mouliérat et Carbonne ont renou-
velé leur engagement avec M. Carvalho. M. Gobalet, au contraire, ne s'est
pas entendu pour de nouvelles conditions avec la direction et quitte le
théâtre de ses premiers succès. On parle aussi du départ de M. Delaquer-
rière et de M"= Auguez.
— L'Orphelinat des Arts a tenu cette semaine, au loyer du Vaudeville,
son assemblée générale annuelle. M°"^ Marie Laurent présidait, assistée de
Unies Coquelin et Louise Abbéma, vice-présidentes. Dans l'assistance,
très nombreuse, on remarquait M'"'^^ Raphaël-Félix, Doche, Rachel Boyer,
Alice Lody, Brandès, etc. M""* Coquelin a ouvert la séance en lisant son
rapport sur la situation financière, situation des plus prospères, puisque
les recettes se sont élevées à 75,075 francs et les dépenses à 60,931 francs.
M™ Marie Laurent a donné lecture du rapport administratif. On a procédé
ensuite à la nomination de onze membres du comité. Ont été élues:
jjmcs Doche, P. Viardot, Abbéma, Sisos-Boulenger, Brandès, Raphaël-
Félix, Lagrange-Bellecour, Rachel Boyer, Roosewelt, Scalini et Simon Girard.
— Sous ce titre: Un opéra français composé en illi pour le théâtre de la
Monnaie, à Braœete (Paris, Pion, in-8" de 60 pp.), M. Alphonse Goovaerts,
chef de section aux Archives générales de Belgique, publie une brochure
substantielle et intéressante dans laquelle il reprend un sujet qui avait déjà
donné lieu à une communication fort curieuse, faite il y a quelques années,
par M. Charles Piot, à l'Académie royale de Belgique. 11 s'agit d'un opéra-
comique en trois actes intitulé Berthe, resté complètement inconnu jus-
qu'à ces derniers temps, dont le livret était écrit par un nommé Plein-
chêne, l'un des auteurs familiers de la Comédie-Italienne, et dont la mu-
sique réunissait les noms de quatre compositeurs: Philidor et Gossec,
déjà célèbres alors, Vitzthumb, à cette époque chef d'orchestre et co-
directeur de la Monnaie, et un musicien obscur nommé Bodson. C'est là
un petit chapitre très curieux d'histoire musicale internationale, que
M. Goovaerts a pu rendre tout partlculièçement intéressant à l'aide de
nombreuses lettres inédites de Pleinchêne et de Vitzthumb, et aussi
d'autres lettres de Philidor, de Gossec et de Compain, l'associé de Vitz-
thumb dans la direction de la Monnaie. Et cela nous prouve que dès
cette époque ce théâtre avait volontiers recours au talent des compositeurs
français (ou établis en France, car Gossec était Belge), et que Philidor et
son ami ont été les devanciers, en ce genre, de MM. Reyer, Massenet,
Chabrier et Hillemacher. A. P.
— M. Camille Saint-Saëns est de retour à Paris depuis quelques jours. |
L'auteur à'Ascanio est enchanté de son séjour en Egypte, en Tunisie et en !■
Algérie. Il rapporte de nombreux manuscrits de son voyage. Quant à sa 'ni
santé, elle est parfaite. M. Camille Saint-Saëns va séjourner à Paris jus- 'SÎl
qu'à l'automne. Il a pris part, cette semaine, au jugement des cantates
pour le prix de Rome.
LE MÉNESTREL
207
— M"'! Charton-Demeur, la grande cantatrice qui lut l'admirable Didon
des Troijens de Berlioz, à l'ancien Théâtre-Lyrique, et la touchante Béa-
trice de Béatrice et Bénédict au théâtre de Bade, vient, dit-on, d'être atteinte
d'une légère attaque de paralysie. On attribue ce fâcheux accident aux
suites d'une frayeur éprouvée récemment. M'"" Gharton-Demeur avait été,
il y a peu de temps, renversée par un vélocipède.
— Mercredi dernier, à la salle Erard, a eu lieu la séance annuelle d'au-
dition des élèves de M™ Marchesi. La salle était absolument comble;
gros succès notamment pour M"'^ Sears, qui a fait preuve d'une grande
agilité; Mâcha Mataftine, qui a chanté avec beaucoup de brio l'air des
Péchnirs de perles; Hollm, qui a dit avec un style parfait l'air du Rossii/nol,
de Ilipndel; Lilian Devlin, une diseuse charmante {Chant d'exil, de Paul
Vidal) ; Jeanne Girard, une chanteuse légère de beaucoup d'avenir ; lihodes,
une remarquable Lucie ; Brauwer, Tosti,Mearns, Redner, Loidore, Schjel-
drup, Lutka, Methot, Deville, Drake, Rowe, etc., etc. M. Taffanel a accom-
pagné merveilleusement l'air de Lucie et celui du Rossignol. Le piano était
tenu par MM. Mangin et Penzani. Une surprise : M""" Jane Horwitz, an-
cienne élève de l'école, a tenu à s'y faire entendre encore une fois dans
l'air du Mysoli; elle a été très applaudie.
— La réunion des élèves de M^'^ de Bonduwe a eu lieu dimanche der-
nier avec un plein succès. Elle était consacrée aux œuvres de MM. Georges
Pfeiffer et Théodore Lack. Du premier, nous avons particulièrement
remarqué la Chanson de Henri IV, la Sérénade tunisienne, le 2" trio. Bruit
d'ailes, Idylle ; et du second, Tziganyi, Mazurka éolienne. Chant d'amil et la
célèbre Valse-Àrabesque. Cett intéressante séance fait le plus grand honneur
au parfait enseignement de M""^^ Bonduvi'e.
— Cette semaiue a eu lieu chez le docteur B.-D., dans sa belle villa
d'Auteuil, une soirée artistique des plus réussies, dans laquelle on a sur-
tout applaudi M. Devilliers, très en voix, dans le grand air du Mage et
Pensée d'Automne, de J. Massenet, M. Scaramberg dans l'aubade du Roi
d'Ys, et avec M'"= Bilbaut-Vauchelet dans le duo de Lahné, M"" Van Aoker
dans l'air du Tasse, de Benjamin Godard, et M"" Dreux, dans les couplets
« Dans la forêt » de Lakiné. — M. Delaunay, qui a dit plusieurs poésies,
a partagé avec M. Devilliers les ovations de cette réunion dont le
succès a été absolument complet.
— La Société de Sainte-Cécile de Bordeaux vient d'être particulièrement
bien inspirée en plaçant comme directeur à la tête de son Ecole de musique,
qui est un véritable et très important conservatoire, un artiste de la valeur
de M. Charles Constantin. Ancien second prix du concours de Rome (1863)
dans la classe de M. Ambroise Thomas, chef d'orchestre qui fit ses preuves
éclatantes naguère aux Fantaisies-Parisiennes, à l'Athénée et à l'Opéra-
Gomique, auteur de plusieurs ouvrages intéressants, entre autres Dans la
forêt, opéra-comique représenté à l'Athénée, et Bak-Bek, ballet joué à Lyon,
M. Constantin, qui joint à une intelligence très ouverte une rare conscience
artistique, est appelé à rendre de grands services dans la situation im-
portante qu'on vient de lui confier et dont, plus que tout autre, il était
digne.
— Dimanche a eu lieu, à la cathédrale de Moulins, la première audition
d'une cantate composée à l'occasion du troisième centenaire de saint Louis
de Gonzague par M. l'abbé Ghérion, directeur de la maîtrise. Grand
événement dans une petite ville comme Moulins ! L'exécution de cette
œuvre a été de tous points remarquable : deux cents choristes et cinquante
musiciens d'orchestre ont interprété cette cantate, où l'auteur a révélé les
plus sérieuses qualités. M. Chérion sait, en effet, être très moderne dans ses
compositions, néanmoins empreintes d'un profond sentiment religieux. On
sait que la maîtrise de Moulins estl'une des premières de France. Le résultat
obtenu a été des plus artistiques et fait grand honneur à M. l'aljbé Chérion.
NÉCROLOGIE
De Belgique on annonce la mort de M. Armand Toussaint, capitaine
commandant l'école régimentaire du 13= de ligne. C'était un musicien
amateur pratiquant, à la fois pianiste habile et compositeur, à qui l'on
doit de nombreux morceaux de piano et de chant, des ouvertures et
marches pour orchestre, plusieurs cantates importantes pour voix seules,
chœurs et orchestre, et enfin un opéra-comique intitulé l'Horloger de la Cour.
Né à Liège le 10 marslS iSi, il est mort à Leupegem (Audenarde) le 8 juin.
— D'Italie, on signale la perte de deux artistes qui ont eu jadis leur
heure de renommée. L'une est M"° Fanny Donatelli, une cantatrice qui
devait être fort âgée, puisque c'est elle qui créa à Venise, le 6 mars 183b,
le rôle de Violetta dans la Traviata de Verdi. Elle est morte cas jours der-
niers à Milan. L'autre est une ancienne basse comique, Giuseppe Scheggi,
dont la jeunesse fut très brillante et qui fut l'un des meilleurs Bartholos
qu'on ait connus en Italie pour le Barbier de Rossini. Il créa plusieurs
rôles importants dans divers opéras de Donizetti et des frères Ricci.
Scheggi ,qui était âgé de plus de quatre-vingts ans, est mort à Florence.
— Enfin, de Lisbonne, nous apprenons la mort, à la date du 10 juin,
de Francisco Gomes, ex-chef d'orchestre au théâtre Dona Maria II, depuis
lors alto à l'orchestre du théâtre de San Carlos, et second maître de cha-
pelle à la cathédrale où pendant longtemps, grâce à une singulière faculté
vocale, il avait chanté la partie de soprano. On rappelle, à ce propos, une
parodie qui obtint un grand succès au San Carlos en 1866, et qui consis-
tait dans une scène du Faust de Gounod, où les rôles de Faust et de Mé-
phistophèlès étaient tenus par deux violonistes de l'orchestre, MM. Fer-
reira et Sergio, et celui de Marguerite par Francisco Gomes. Cette scène
excita un tel fou rire que depuis lors les amis de ce dernier ne l'appe-
lèrent plus autrement que Marguerite. Cet artiste était âgé seulement de
cinquante-quatre ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
AVIS AU COMMERCE DE MUSIQUE
M. Henri Heug-el, éditeur-propriétaire de
la maison du MÉNESTREL, porte à la connais-
sance de ses confrères et correspondants qu'à
partir du 1" juillet 1891 il prend pour asso-
cié son neveu M. Paul-Émile Chevalier, déjà
acquéreur de l'ancienne maison IIART.MIM et Ô'^
Les deux maisons n'en feront donc plus
qu'une sous la raison sociale : HECGEL cl C'^
Le siège unique de la Société est au Méneslrel,
2 bis. rue Vivienne, où toute demande de
musique devra être adressée pour les deux
fonds. Les conditions de vente sont exacte-
ment les mêmes que celles qu'on faisait au-
paravant au .Ménestrel. Prière d'en prendre
bonne note.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestebl, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrite, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; ïexle et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en su».
SOMMIIEE- TEXTE
1. Histoire de la seconde salle Favart (16" article), Albert Soubies et Ch.irles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Louis Lacombe, Louis Gallet. — III. Na-
poléon dilettante {14' article), Edmond Neukomm et P.tuL d'Estrée. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour ;
RÉVEIL
allegretto scherzando, pièce caractéristique de Théodore Dubois. — Suivra
immédiatement : Mijosotis, romance sans paroles, de Théodore Lack.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Aimer, nouvelle mélodie de Balthazar Florence. — Suivra
immédiatement : le Chant touranien du Mage, chanté par M™ Lureau-
EscALAÏs, musique de J. Massenet, poésie de Je.w Richepin.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAYART
Albert SOUBtES et Charles ]M:A.L:HEFtBE
DEUXIEME PARTIE
(Suite.)
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur,
(1865-1868)
Le période comprise entre la fln de l'année 1863 et le com-
meucement de l'année 1868 est marquée par un fait curieux.
En moins de trois ans, trois grands ouvrages sont donnés,
qni rapidement, presque sans arrêt, arrivent à la centième
représentation, et finissent par la dépasser plus ou moins :
■le Voyage en Chine (9 décembre 186S), Mignon (17 novembre 1866)
le Premier Jour de bonheur (lo février 1868). Or, ce chiffre cent,
si fréquent lorsqu'il s'agit de vaudevilles ou d'opérettes, est
à ce point exceptionnel en matière d'opéra-comique, qu'il
faudra attendre désormais sept années avant de retrouver une
fiièce centenaire. Et encore, en 1875, Carmen ne franchit-elle
pas du premier coup cette étape décisive.
L'ordre habituel de notre travail obligerait à signaler sépa-
rément, suivant leur date de naissance, ces trois jumeaux
■du succès ; la rareté du fait nous invite à déroger pour une
fois à ce principe. Ainsi rapprochées, ces trois pièces s'op-
posent mieux; il devient plus facile d'en faire ressortir les
diversités de caractère, de valeur et même de fortune, si
l'on compte leur durée d'existence et le produit de leurs
recettes.
Toutes les trois, remarque singulière, sont les avant-derniers
ouvrages de leurs auteurs à l'Opéra-Comique : Bazin ne
devait plus donner que l'Ours et le Pacha, Ambroise Thomas
que Gilles et Gillotin, Auber que Rêve d'amour.
Toutes les trois diffèrent singulièrement et représentent en
quelque sorte une forme d'art spéciale. Le Voyage en Chine est
une farce, un vaudeville, traité par les procédés de l'opéra
bouffe, et presque la dernière manifestation heureuse du
genre très (/a* dans ce théâtre. Mignon est l'oeuvre de demi-
caractère, plus fine et plus délicate, relevant de ce genre
tempéré que nous avons essayé de définir en terminant la
première partie de notre travail, tenant encore au passé par
l'invention de l'idée mélodique, appartenant au présent, sinon
à l'avenir, par le soin de la facture et la poésie du sentiment:
un modèle qui a fourni de nombreuses copies, une branche
sur laquelle se sont greffés bien d'autres ouvrages d'allure
et de tendances analogues. Le Premier Jour de bonheur est
l'opéra-comique au vrai sens du mot, avec son mélange d'é-
légance un peu mièvre, de sensibilité un peu précieuse,
d'aimable gaieté que traverse une pointe d'émotion; mais un
soufQe plus moderne semble déjà tendre à le renouveler;
l'élément pittoresque y trouve sa juste place, et l'on ne saurait
ainsi méconnaître une certaine parenté entre l'avant-dernier
ouvrage d'Auber et le dernier de Léo Delibes : le ciel de
l'Inde encadre l'un et l'autre; l'ofiicier français et l'officier
anglais se font pendant; la prêtresse d'Indra qui « vient
chercher le lotus » ressemble â la fille du brahme qui se
cache au fond des grands bois de palmiers ; Djelma est la
sœur de Lakmé.
La renommée conquise par ces trois pièces dispense d'en
raconter longuement l'intrigue. Dans le Voyage en Chine, il
s'agit de l'entêtement féroce de deux Bretons dont l'un refuse
sa fille à l'autre, qui l'attire sur son navire, lui fait croire
qu'on est eu route pour Pékin tandis qu'on navigue en vue
de Cherbourg et finalement lui arrache son consentement,
comme rançon de délivrance, comme prix du retour à terre.
Cette fantaisie, taillée quelque peu sur le modèle du Voyage
à Dieppe, était pour Labiche et Delacour leur début de colla-
boration à rOpéra-Comique. Des le o mai, ils avaient lu aux
artistes leur comédie, qui devait prendre rang après Fior
d'Aliza. Victor Massé ayant tardé à livrer sa partition, le Voyage
en Chine passa le premier et remporta dès le premier soir un
éclatant succès. Le livret surtout réunit tous les suffrages :
presse et public furent d'accord pour applaudir à la gaieté
des situations et à l'esprit du dialogue. La musique ne déplut
210
LE MÉNESTREL
pas, si l'oQ ea juge au succès populaire qu'obtinrent les cou-
plets des cailloux, la marche, le duo des Bretons : « la Chine est
un pays charmant », et le chœur du cidre de Normandie.
Peut-être se montra-t-on moins sévère qu'on ne le serait
aujourd'hui; dans son compte rendu, pourtant, M. Auguste
Duraud qualifiait cette musique avec autant de justesse que
d'esprit, en écrivant qu" « elle ne gênait aucunement la pièce».
IL laissait entendre ainsi que les mots l'emportaient sur les
notes, et l'on en vit la preuve le jour oîi la partition parut
chez Lemoine : par une exception, flatteuse pour les libret-
tistes, mais contraire aux usages, tout le texte parlé y avait été
gravé !
Une grosse part de la réussite revint d'ailleurs aux inter-
prètes, qui, dans cette pièce se passant de nos jours, avec
des costumes modernes, trouvèrent tous des rôles appropriés
à leur talent. Du côté des femmes : M""'* Gico, Revilly et
Camille Gontié, une débutante dont le rôle de Berthe était
la première création ; du côté des hommes : MM. Montaubry,
toujours élégant chanteur, Couderc, excellent et trop tôt
remplacé par Polei, le 13 janvier, à la quatorzième représen-
tation ; Prilleux, notaire prud'hommesque qui vantait si plai-
samment le mérite de ses filles, « deux bonnes natures »,
enfin Sainte-Foy, de qui MM. Yveling Rambaud et E. Coulon
ont pu justement dire dans leurs Théâtres en robe de chambre :
a II faut lui rendre cette justice que, dans ces derniers temps,
il a laissé de côté les traditions de la vieille école comique
à laquelle il appartient de cœur, pour chercher des effets à
la manière de la génération nouvelle. L'Opéra-Comique sans
Sainte-Foy est un dîner sans vin. » Quant à Ponchard, il
avait dû céder le 9 janvier le rôle du jeune Fréval à Leroy
à cause de la mort de son père, le vieux Ponchard, décédé à
Paris, le 6 janvier, à l'âge de soixante-dix-neuf ans, Ponchard,
qui s'était retiré de l'Opéra-Comique en 1837, mais n'avait
donné sa représentation de retraite qu'en mai 1851, Ponchard,
le créateur de la Dame blanche et de tant d'autres ouvrages
célèbres, Ponchard enfin, le premier comédien qui ait été
décoré de la Légion d'honneur.
Interrompu seulement au mois de juin pendant le temps des
vacances, le Voyage en Chine reparut le 20 octobre avec sa dis-
tribution originelle, sauf M"» Marie-Roze, qui remplaçait
M"« Gico et fut elle-même remplacée, le 25, par M"'' Dupuy. Le
souvenir de tous les artistes qui avaient concouru au succès de
l'œuvre est d'ailleurs consigné dans le toast « poétique » que
porta le brave Prilleux dans le banquet offert par les auteurs
à l'occasion de la centième représentation :
Déjà plus de cent fois, à bord de la Pintade,
Nous avons cru voguer vers l'empire cliinois :
Plus de cent fois déjà, Sainte-Foy fut malade,
Et Montaubry nous a jugés plus de cent fois.
Notre excellente camarade
RéviUy répéta plus de cent fois déjà :
« Je n'avais vu jamais Auguste comme ça! >'
Cico, Roze, Dupuy, trois charmantes Maries,
Ont été tour à tour, toutes trois, applaudies;
Et Couderc, puis Potel, chacun en vrai BVeton,
Aux oui de Montaubry ripostèrent des non !
Ponchard, comme officier, bravement se signale!...
Dans la garde nationale
Quelquefois seulement
Il eut un remplaçant,
Dans Leroy, son sous-lieutenant.
Gontié, Sévesle, aimables, gracieuses,
Ont, l'une après l'autre, lutté
De gentillesse et d'ingénuité...
En se montrant pourtant quelque peu répondeuses!
Le beau Bernard, marin loustic, narquois,
A fait la traversée aussi plus de cent fois.
Enfin, si vous vouliez qu'à mon tour prenant place
Parmi vous tous, je m'immisçasse
Dans le bilan qu'ici je viens de relater,
J'oserai.s encor constater
Que j'ai plus de cent fois, — et je m'en glorifie —
Vanté les qualités d'Agathe et de Sophie!
Nous voilà tous rentrés sains et saufs dans le port;
Mais le repos sied mal à des âmes vaillantes.
Car de l'oisiveté les heures sont trop lentes
Et je suis sur que quelque jour
Nous nous retrouverons sur la plage à Cherbourg.
Oui, j'en conçois l'agréable présage,
Sur ta Pintade encor, passagers, équipage
S'embarqueront plus de cent fois.
En attendant, messieurs, je bois
A mes compagnons de voyage.
Les vœux du < poète » ne furent pas pleinement exaucés.
L'ouvrage était « bien parti », malgré une indisposition de
Montaubry, qui, pendant la seconde représentation, forçait
d'interrompre le spectacle et de rendre l'argent, — un peu plus
qu'on n'en avait reçu, comme il arrive toujours en pareil cas.
Dès la quatrième, le Voyage en Chine dépassait le chiffre de
7,000, et, les recettes se maintenant au beau fixe, on attei-
gnait la centième le ï) décembre 1866, c'est-à-dire presque
jour pour jour, un an après. Mais à partir de ce moment,
l'élan se ralentit; en 1868 il s'arrête brusquement. Une re-
prise organisée neuf ans après, en 1876, ne fournit que dix-
sept soirées, et l'œuvre de Bazin, arrêtée au chiffre de 137,
disparait, on peut ajouter pour toujours; car il est invrai-
semblable que la troisième salle Favart, si jamais elle est
construite, l'admette aux honneurs de son répertoire. La
pièce se maintient encore en province; mais elle risque de
ne plus être entendue par les Parisiens qu'au Chàteau-d'Eau.
Elle partage, avec le Trouvère et Roland à fioncevaux, le privilège
d'occuper pendant l'été les loisirs de ces directeurs auda-
cieux qui se livrent à des essais variés de Théâtre-Lyrique.
Ils risquent le Voyage en Chine et n'en reviennent plus.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Je me souviens qu'au lycée Bonaparte, aujourd'hui lycée Condor-
cet, — dame, il y a longtemps de cela — nous avions un professeur
d'histoire — c'était parbleu bien Camille Rousset — qui, lorsque la
matière historique venait à lui faire défaut, ouvrait tout simple-
ment son Molière aux bons endroits et nous en faisait des lectures
pour terminer son cours. Cela sans doute n'avait guère de rapport
avec la mission exacte du professeur, ce n'en était pas moins un des
meilleurs quarts d'heure de la classe. Car M. Rousset savait y mettre
l'accent et le geste ; c'était de la bonne Comédie-Française, dix ans
avant la venue des frères Coquelin. Et puis, quoi qu'il soit de
mode d'en dire aujourd'hui, Molière n'était assurément pas le pre-
mier venu.
C'était un précédent qu'il était bon d'invoquer pour un disciple
aussi respectueux que je me pique de l'être : comme la matière
théâtrale fait complètement défaut cette semaine, moi aussi, je
vais vous faire une lecture. J'avais d'abord résolu de reproduire ici
une bonne partie de l'article spirituel et raisonné de mon confrère
Camille Bellaigue sur le Rêve, de M. Adrien Bruneau, puisque cela
paraît la grande question artistique du moment, ce qui est bien
étrange vraiment; mais on dirait que j'y mets de l'acharnement, ce
qui est bien loin de ma pensée. Car si je trouve l'œuvre détestable
ou plutôt absolument médiocre, je n'en ai pas moins beaucoup de
sympathie pour la personne même du compositeur. C'est d'abord un
homme d'esprit, qui a su jouer de son époque admirablement et
saisir le juste moment oii on pouvait risquer une œuvre aussi vide
en la faisant croire remplie des plus merveilleuses innovations. Rien
que cette joie d'avoir pu abuser quelques-uns de nos forts critiques
en er, c'est déjà quelque chose! Mais laissons cela; nous vou-
lons parler pour aujourd'hui d'un musicien vraiment convaincu, qui
ne pensait guère à berner la critique de son temps et qui a simple-
ment accompli une grande lâche artistique, sans avoir passé à travers
des cerceaux ni battu de grosse caisse pour mieux attirer l'attention.
Ce n'était pas un malin; aussi les critiques qui se pâment devant les
accords faux d'un jeune homme qui leur déchire délicieusement les
oreilles, n'ont pas été chercher dans sa retraite ce laborieux mo-
deste auquel on doit tout de même quelque estime. Peut-être
croirez-vous qu'il s'agit ici de César Franck, auquel ces paroles
pourraient aussi s'appliquer: non, c'est seulement de Louis Lacombe
que nous venons parler.
■ Notre collaborateur, Louis Gallet, l'a connu seulement sur le tard.
LE MENESTREL
211.
mais il s'est voué avec toute l'opiniâtreté du Bourguigaon au re-
haussement de sa mémoire.
Il lui a consacré ici-même, dans ses Notes d'un librettiste, des pages
émues qui n'ont certes pas passé inaperçues. Tout récemnaent
encore il vient de faire sur ce sujet qui lui est cher une conférence
éloquente, dont nous sommes heureux de reproduire d'importants
fragments. C'était à Bourges, qui eut l'honneur de compter Louis
Lacombe parmi ses enfants. Commençons sans plus attendre. Après
avoir relaté les années d'enfance de Lacombe, puis ses triomphes
de virtuose — car il fut un pianiste égal à Thalherg et à Liszt
— M. Gallet s'exprime ainsi :
.. . Bientôt le grand pianiste Louis Lacombe n'exista plus. D'aucuns ont
cru longtemps qu'il était mort. Seuls, les amis, les confidents de sa pen-
sée savaient qu'il avait rejeté sa première gloire comme un lien fait pour
]e retenir loin des sommets de la grande composition, où il devait avoir
enfin la joie d'atteindre.
Cette route lui devait être dure. — Tout le monde ne vit pas d'un œil
également satisfait cette incarnation nouvelle s'accomplir. — A notre épo-
que, ce qu'on appelle la spécialité est devenu tantôt un moyen de succès,
tantôt un obstacle au succès. — On s'était habitué à considérer Lacombe
comme un grand pianiste ; on n'admettait pas volontiers qu'il pût être en
même temps un grand compositeur. — Partout, en tout, se retrouve
aujourd'hui cet esprit de localisation qui entend verrouiller l'artiste, l'écri-
vain, l'avocat, le médecin même dans le genre, dans la spécialité où il
s'est fait une place. Cela vient peut-être de ce que le talent abonde à
notre époque. Quand tout le monde a du talent, un certain talent, veux-je
dire, c'est alors qu'on trouve impertinent et indiscret que quelqu'un ait
du génie !
Or, Lacombe avait du génie ! — Son cerveau était de ceux qui s'assi-
milent tout avec une égale puissance. Né compositeur, il n'avait été vir-
tuose que parce que ses succès d'enfant l'avaient tout d'abord entraîné
fatalement à l'être, que les besoins de la vie matérielle l'avaient attardé
dans cette voie. Quand il voulut, quand il put se reprendje, comme je
l'ai dit, il n'entendit plus être qu'un compositeur.
Il venait après la grande révolution littéraire des romantiques. S'il a
cherché l'affranchissement de la forme, s'il a été l'un des précurseurs de
ceux qui, comme Berlioz, ont précipité le mouvement de la musique fran-
çaise vers un progrès qui lui assure aujourd'hui en Europe une influence
considérable et incontestable, il n'a pas du moins renié ses origines.
Il est resté, comme les romantiques, épris d'action, de passion, de mou-
vement; comme Berlioz, que je viens de nommer, il a toujours éclairé ses
compositions d'une pensée dramatique, poétique ou philosophique. La
musique n'était pas pour lui un simple jeu de combinaisons plus ou moins
agréables : il y voulait un sens précis, une âme présente, même dans ses
■compositions purement instrumentales.
Son œuvre est un monument d'une grande hauteur, d'une rare variété
d'aspect, et toujours d'une superbe ordonnance. Ce qu'on en connaît a
suffi pour classer le maître dans l'estime des musiciens; la foule sera
initiée peu à peu à la connaissance de ces belles choses : l'avenir fera à
Lacombe la place qui lui est légitimement due.
Nous sautons l'analyse et l'appréciation des œuvres principales
de Louis Lacombe, dont M. Louis Gallet nous a déjà parlé dans ses
Notes d'un librettiste, pour en arriver au Lacombe philosophe :
... J'ai dit ce qui se rapportait surtout au compositeur; je voudrais
■maintenant vous faire entrevoir ce qu'était en Louis Lacombe l'homme
intime, l'artiste, le penseur, le moraliste et le poète; car il a touché à
toutes les formes de l'idée humaine. Et quand je suis entré, comme je
vous le disais tout à l'heure, dans le cabinet de travail où sont gardés
tous ses souvenirs et toutes ses œuvres, je suis resté confondu en présence
de ce formidable amas de documents, la plupart très complets, accusant
la puissance créatrice, l'incessante production de cet homme, que sa
nature silencieuse et discrète ne révélait point tel que réellement il était.
Et en mesurant alors tout ce qu'il a produit, tout ce qu'il a demandé à
son large esprit, je me suis moins étonné qu'il n'ait pas eu le loisir, ni
peut-être le goût de s'occuper de sa renommée.
Il doit y avoir d'ailleurs, ce me semble, une sorte de joie hautaine dans
•cette négligence ou ce dédain des suiîrages de la foule.
La plus grande somme de satisfaction que puisse donner une œuvre au
véritable artiste, n'est-ce pas, tout, d'abord et surtout, de l'avoir conçue et
■exécutée selon son vœu? N'y a-t-il pas une prudence salutaire dans cette
crainte qui parfois la retient entre les mains de son auteur; la troublante
pensée qu'elle va s'émietter sous les critiques ou se froisser à la rudesse
■des jugements sommaires ?
Louis Lacombe avait sur l'art en général des idées que je trouve assez
nettement formulées dans l'introduction inédite d'un grand ouvrage qu'il
préparait, aux dernières heures de sa vie, pour que je puisse vous donner
■cette page comme sa personnelle profession de foi artistique, en même
temps qu'elle fera connaître l'écrivain :
« L'art est du ciel ou de la terre, divin ou humain, absolu ou relatif.
» L'art absolu se dérobant à la vue dans les profondeurs de l'Incréé,
nous n'en contemplerons jamais tous les aspects, nous n'en embrasserons
jamais l'ensemble magnifique. Quant à l'art relatif, il vise à réaliser la
beauté parfaite éternellement vivante, épanouie en l'Être suprême. Son
mérite principal consiste à tendre vers l'absolu, à ouvrir sur Dieu de
nouveaux horizons, à réconforter les âmes en les faisant vibrer au contact
du beau, du vrai, du bien. Son but est d'initier les peuples aux mys-
tères d'une existence supérieure, de les y préparer, de les en rendre
dignes.
» Considérer l'art comme un moyen de satisfaire l'amour-propre des
artistes et de procurer au public des jouissances superficielles et passa-
gères, c'est donc le méconnaître étrangement, le rabaisser, le calomnier.
Non ! l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la littérature,
qui ont leurs bases incommensurables dans le sein de Dieu et leur puis-
sance relative dans le sein de l'humanité, ne sont pas de simples passe-
temps propres seulement à réjouir la multitude et à flatter la vanité. L^rt
est un grand missionnaire. Il a charge d'âmes. Aussi ne demande-t-il pas
simplement du génie à ses adeptes ; il exige d'eux de sérieuses études,
une conscience scrupuleuse, un sens moral profond, il attend de ses pro-
phètes qu'ils se dévouent à sa cause, qu'ils supportent pour lui la souf-
france, le sacrifice, le martyre. Homère, obligé de mendier, savait cela ;
Dante persécuté savait cela ; Shakespeare faisant représenter ses drames
dans une grange devant des spectateurs qui parlaient, riaient, buvaient,
se querellaient, qui jouaient aux cartes et aux dés pendant la représen-
tation ; le vieux Corneille forcé, après avoir écrit le Cid, Cinna. les Horaœs,
Polyeucle, de raccommoder ses chaussures et ne continuant à recevoir une
modique pension de Louis XIV qu'à la prière de Boileau ; Molière insulté
par les petits marquis, calomnié par les taux dévots ; J.-S. Bach gravant
sa musique faute d'éditeur et laissant des manuscrits non encore publiés ;
Beethoven tourné en ridicule par ses contemporains savaient cela. Ils ont
tous su cela, ces maîtres prodigieux, ces Christs de la pensée que l'avenir
adorera, que le présent outrage. François Schubert meurt de faim ; Fré-
déric Chopin succombe : ses amis se cotisent pour le faire enterrer ;
Berlioz, presque fou de douleur, s'affaisse sous l'indifférence de son pays...
Pourquoi ces travailleurs n'auraient-ils pas suivi les chemins frayés par
la vulgarité, par la basse complaisance, par la fortune acquise au prix du
reniement, s'ils avaient pensé que l'art peut sans remords se borner à
charmer les loisirs des badauds, des ignorants et des imbéciles ? Pour-
quoi, s'ils n'avaient pas cru remplir une mission sacrée, auraient-ils
consenti à supporter mille maux, mille injustices, mille critiques efïi'on-
tées, ineptes ! Ah ! croyez-le ! si les riches et superbes individualités
savent qu'elles portent la lumière qui dissipera les ténèbres , si elles
savent qu'elles offrent aux masses le pain de vie, elles savent également
que marcher dans la véritable voie c'est souffrir, que le Calvaire est sur
leur route, et qu'elles devront y monter pour avoir affirmé le vrai.
» A cette hauteur, mais à cette hauteur seulement, l'artiste devient le
collaborateur de Dieu; il aide l'absolu à s'incarner dans le réel, il donne
une forme sensible à la pensée, et cette forme devenant de jour en jour
plus transparente, voile de moins en moins le modèle suprême dont les
initiés sont éblouis et dont ils mettent sous les yeux de la foule les impé-
rissables et fécondes beautés. Ainsi — et pour tout dire en un mot —
l'art est l'éclosion de l'invisible dans le visible. »
Voilà de nobles paroles, de hautes pensées! Douloureuses aussi, car on
sent combien celui qui les a formulées a souffert de cette souffrance qu'il
étudie chez les autres et jusqu'à quel point comme eux il a gravi le Cal-
vaire de l'Humanité et de l'Idéal.
Enfin, voici Louis Lacombe poète :
Poète, il l'était réellement, et je dis cela sans même me soucier
de la forme dont il revêtait sa poésie, en m'inspirant seulement de sa
tendance, partout accusée, vers ce qui est noble, beau, touchant et char-
mant, dans la nature et dans la vie.
Il reste dans son cabinet de travail une série de cahiers couverts de son
écriture, terme et nette comme son esprit. Ce sont des sonnets, des poèmes,
des pensées philosophiques ou poétiques, et aussi des liasses de lettres
où s'accuse la tendresse de son cœur.
Dans ses poésies, comme dans ses considérations sur l'art, il m'apparaît
animé du plus pur libéralisme chrétien. C'était un homme de l'Evangile,
tout à coup transporté dans la corruption du siècle. Il haïssait toute
oppression, il glorifiait toute bonté. Ayant beaucoup souftert de la vie, il
était ainsi très compatissant à la soufl'rance des autres.
Je prendrai, parmi ses poésies, deux ou trois pages, dont la première,
encore bien que très chrétienne, est empreinte d'une certaine amertume,
d'un arrière-goùt de scepticisme. C'est celle qu'il a intitulée le Dernier
Soupir du Christ. Il semble qu'il ait mis dans cette pièce, qui n'est point
de ses meilleures dans la forme, comme un âpre regret des sacrifices inu-
tiles. Les chrétiens purs la lui pardonneront, en considération de sa foi
profonde ; elle n'a peut-être pas eu dans son esprit, d'ailleurs, le sens
désolant qu'on lui peut prêter. La voici :
Le ciel était en deuil et la terre tremblait ;
Les imprécations de la foule profonde
Montaient jusqu'à Jésus en qui rien n'est immonde
Et que ton propre sang à cette heure aveuglait.
En voyant onduler les fronts que son œil sonde.
Le sublime martyr en lui-même parlait.
Disant, tandis qu'au loin le peuple grommelait :
a Père, je vjis mourir. Ai-je sauvé le monde? «
^12
LE MEINESTIŒL
Ce doute l'absorbail quand la mort s'approcha.
Un long frémissement parcourut tout son être,
Son visage pâlit, sa tète se pencha ;
Et le .Crucifié que la douleur pénètre,
Sombre comme la mer et plus grand que les cieux,
Sentit, eu expirant, deux larmes dans ses yeux.
...Détournons-nous maintenant des sévérités de cette muse qui souvent
hantait le poète ; voyons-le, avant de prendre congé de lui, s'égarer dans
les sentiers fleuris de l'idylle. — Là, sa grâce native reprend le dessus:
après les cordes d'airain il fait vibrer les cordes d'or.
Je ne vous dirai qu'un, simple sonnet : les Mûres. Il vous montrera la
physionomie souriante du compositeur poète dont nous n'avons eu jusqu'ici
sous les yeux que la figure grave parfois jusqu'à l'austérité :
Viens! déjà noircissent les mûres,
yVllons dépouiller les buisson.^.
Le flot nous promet ses murmures,
L'oiseau nous dira ses chansons.
Perdons-nous parmi les ramures
D'où l'on aperçoit les moissons.
Où le vent fait un bruit d'armures
Dans les sentiers, où nous passons,
Avec les branches remuées
Qui s'agitent vertes nuées,
Quand la brise aux senteurs de miel.
Entr'ouvrant le feuillage sombre,
Sépare les rameaux pleins d'ombre
Pour nous faire entrevoir le ciel.
Octobre 1865.
Puis la péroraison ;
...Louis Lacombe a beaucoup lutté, beaucoup souffert; mais il a goûté
la joie intime delà conviction, de la foi en son incessant labeur. L'avenir
le récompensera de ses efforts; la mort esl la grande justiciêre qui remet
tout à sa vraie place. — Les hommes de sa valeur peuvent disparaître ; les
sommets de l'œuvre qu'ils ont édiBée brillent plus purs de tout le suprême
resplendissement de l'astre qui s'est éteint pour jamais.
Pour copie conforme :
H. MORENO.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite.)
IX
NAPOLÉON ET lA DANSE
En prenant pied ù Saint-Gloud. après avoir abandonné la Mal-
maison, Joséphine avait tenté d'y établir la comédie, comme à
Trianon. On se réunissait dans la petite salle de spectacle, au-
dessus de la chapelle, où on jouait généralement des chaïades en
action, des proverbes et des comédies en un acte. Les acteurs
étaient 1 impératrice, sa fille, la reine Hortense, quelques dames
du palais, Regoault de Saint-Jean d'Angély, Fontanes. quelques
chambellans, et enfin Talma, qui était le régisseur de cette petite
troupe. Mais ces soirées déplurent à Napoléon; il n'y venait qu'un
instant et se retirait généralement de très mauvaise humeur. Bien-
tôt l'on choisit Je préférence les momenls où il était absent, puis
l'on renonça complèlemetit à ces innocents passe-temps. Ce fut à la
suile d'une représenlaliou où l'empereur avait outrageusement sifflé
Joséphine, en disant tout haut, en s'en allant:
— Il faut convenir que c'est impérialement mal joué.
Cette boutade n'était point sans fondement, paraît-il: Joséphine
chantait faux et ne savait jamais donner la réplique à temps.
Quelques jours après, raconte Marco Saint-Hilaire, Napoléon,
assistant selon son habitude à sa toilette du soir, rappela à l'impé-
ratrice, en badinant, cette représentation.
— Que veux-tu, Bonaparte, répondit la souveraine, j'étais sur le
théâtre, el, il faut bien être applaudie ou sifflée !
Et sur ce qu'elle lui fit observer que la reine Marie-Antoinetle
avait joué la comédie devant sa cour. Napoléon l'interrompit en lui
disant :
— Je le sais, mon amie, et cela n'en était pas mieux : Louis XIV
dausa même dans un ballet à Versailles ; mais il renonça à cet
amusement, dès qu'il eut entendu réciter les beaux vers où" Racine
lui représentait combien un pareil passe-temps était indigne d'une
lète couronnée ; la première fois que Talma viendra, dites-lui de
vous les lire, ces vers ; libre à vous ensuite de jouer, et à moi de
siffler.
Napoléon n'eut garde d'imiter Louis XIV, mais dans la suile, il
permit aux altesses de son entourage de figurer dans les ballets
renouvelés du grand siècle. M™'' d'Abrantès nous a conservé le
tableau d'une fête de ce genre. On était en 1811 :
0 Le ciel de France était à cette époque partout nébuleux. Celait
vainement que l'empereur ordonnait des fêtes, des quadrilles, qu'il
réunissait autour de l'impératrice Marie-Louise une coujç^ composée
de jeunes femmes chargées de la distraire... Ces mêmes jeunes
femmes étaient inquiètes... elles avaient là autour d'elles des frères,
des maris, des pères, et la perspective d'une nouvelle guerre était
odieuse... Mais on sait que, lorsque l'empereur avait parlé, il fallait
obéir; et quand il commandait d'être gai. il fallait rire et montrer
un semblant de joie, quoiqu'on n'en eût pas an cœur.
» Ce fut à peu près vers celle époque qu'il y eut à la cour, dans
la salle de spectacle du château, un quadrille oi.i les sœurs de l'em-
pereur jouèrent le principal rôle : le quadrille lui-même était insi-
gnifiant ; il n'y avait de charmant à voir que les deux princesses;
mais la princesse Borghèse était idéale surtout de beauté.
» Elle représentait l'Italie, et sous ce costume purement de fan-
taisie, et créé avec le goût le plos parfait, elle était ravissante. Elle
avait sur la tête un léger casque d'or bruni, sur lequel étaient quel-
ques légères têtes de plumes d'autruche, d'un blanc éblouissant ; sa
poilriue était couverte par une petite égide à écailles d'or, de laquelle
partait une tunique de Tiousseiiue de l'Inde, brodée de lames d'or;
mais ce qui était ravissant, c'étaient ses bras et ses jambes!... ses
bras entourés de larges bracelets d'or, où se voyaient les plus beaux
camées delà maison Borghèse, la plus riche en ce genre de bijoux;...
ses petits pieds chaussés par des brodequins à bandes de pourpre
brodées d'or, et dont chaque croisement sur la jambe était arrêté
par un camée... La plaque qui réunit Végide et la fixe sur .«a poitrine,
était un magnifique camée représentant Méduse mourante. Enfin, le
costume de la princesse était complété par une demi-pique d'or
qu'elle tenait à la main.
0 II est impossible de rendre l'effet qu'elle produisit à son arrivée
sur la scène, où elle joua une très courte pantomime avec sa sœur,
qui représentait la Fiance. La princesse Pauline avait l'air de ces
apparitions fantastiques évoquées comme une intelligence céleste...
C'était un ange descendant du ciel sur un rayon lumineux. Cette
idéale créature, toute suave, toute sylphide, avec ce casque et cette
lance, et ce léger nuage blanc ondulant sur cette surface étincelante
du casque d'or, et puis ces mouvements doux et moelleux, parce que
son corps fatigué et surtout paresseux n'avait pas la volonté de se
mouvoir, tout en elle, jusqu'à cette nonchalance, était adorable. Ahî
si jamais sa sœur fut jalouse de sa gracieuse beauté, cette soirée n'a
pas dû éteindre son envie... J'ignore comment la reine de Naples a
pu être assez mal conseillée pour adopter un costume aussi ridicule
que celui qu'elle avait, surtout avec sa taille, qui était déjà à celle
époque courte et ramassée.. . Elle avait une lobe assez longue, avec
un manteau de pourpre brodé d'or; el puis sa tête était surmontée
d'un casque, d'un panache ; tout cela était lourd, sans gtàce, et si de
ce milieu de dorure, de perles, de joyaux el de mauvais goût, il
n'était pas sorti une charmante tête, bien fraîche et bien gracieuse-
ment jolie, c était à faire un trop bizarre contraste avec cette appari-
tion lumineusement belle dont sa sœur faisait le prestigieux effet....
Elles dansèrent toutes deux dans une manière de pas que Despréaux
leur composa, el dans lequel la princesse Pauline eut encore tout
l'avantage par la légèieté de son costume et la grâce qu'il permettait
à bes altitudes.
0 Et puis il y eut un autre quadrille, celui des Saisons, qui fut
charmant et par la fraîcheur des costumes, leur richesse, le soin
avec lequel tout était fait; el ce qui était bien aussi remarquable»
parce que cette magnificence-là est impossible à imiter, c'était la
multitude de ravissantes personnes qui formaient le groupe des
fleurs suivant le soleil.
» Ge soleil, c'était quelqu'un qui avait le surnom de beau, c'était
un aide de camp de Berlhier, M. Charles de Legrange. 11 était sans
doute fort bien ; il avait une belle tournure, même une belle figure-
quoique ses yeux ne fussent pas toujours d'accord;. .. enfin il était
fort bien... toujours est-il qu'il faisait Apollon, qu'il avait un iri-
cot couleur de chair, qu'il était couronné de l'alloro obligé, et qu'il
portait la lyre. Par exemple, si les femmes étaient charmantes sous
tous les costumes qui étaient mis en réquisition pour les quadrilles,.
rien n'était plus ridicule que les hommes. Ils avaient l'air de
mardi-gras, et depuis j'ai bien ri devant une caricature ravissante,
qui est, je crois, du crayon admirable de Charlet, el qui représente
un Turc arrêté dans le carnaval par un gendarme, avec iiii Pierrot
de aa comiai.^saiwe. C'est absolument cela.
LE MENESTREL
213
(i M. de Gais de Malvirade, alors premier page de l'empe-
reur, faisait Zéphyre ; une femme bien charmante. M"° de Mes-
grigni, sous-gouvernante du roi de Rome, était son printemps ou
sa Flore, comme on voudra ; et jamais plus joli visage, plus doux
sourire n'ont été à Flore. . . si tant est qu'il y ait eu une Flore. Parmi
les Heures, c'étaient toujours les belles personnes connues : c'était
M"'^ Regnault de Saint-Jean d'Angély, M""" de Rovigo, M""= Duchâtel,
M"" G-azani, M°"= de Bassano, et une foule d'autres. »
Parmi ces autres, que M"'" d'Abranlès ne cite pas, il convient de
faire mention d'une dame de Cr couverte de crêpe noir parsemé
d'étoiles d'argent, et qui avait été choisie pour représenter l'heure de
Minuit, ce qui donna lieu à mille plaisanteries. Elle n'était point
jolie, et de plus elle était 1res bourgeonnée. En la voyant en scène,
un spectateur ne put s'empêcher de dire: Minuit passé! Le nom en
resta à M'"= de Cr. . ., dont le caractère peu aimable frétait ii cette
plaisanterie.
Dans le public, on connaissait la prédilection de Napoléon pour le
spectacle de la danse. Aussi des scènes chorégraphiques lui étaient-
elles offertes en toutes circonslanees. Voyageant dans le sud-ouest
de la France, avec Jcséphine, il prit grand plaisir à voir danser, à
Bayonne, la pamperruque.
Constant, qui était du voyage, nous a laissé la description de cette
danse populaire des Basques :
» Les danseuses avaient des tambours de basque et les danseurs
des castagnettes : des flûtes et des guitares composaient l'orchestre...
Les femmes avaient des petits jupons en -soie bleue brodés en argent
et des bas roses également brodés en argent. Elles étaient coiffées
de rubans, et avaient des bracelets noirs très larges qui faisaient
ressortir la blancheur de leurs bras nus. Les hommes étaient eu cu-
lottes blanches justes, avec des bas de soie et des grandes aiguillettes,
une veste lâche en étoffe de laine rouge très fine chamarrée d'or et
les cheveux enveloppés dans une résille comme les Espagnoles. »
Dans le même voyage, sur les limites du département des Hautes-
Pyrénées, lorsque l'empereur et l'impératrice parurent, on vit s'é-
lancer d'un bois voisin des balladeurs, ou danseurs du pays, cos-
tumés de la manière la plus pittoresque, portant des bérets de dif-
férentes couleurs, et reproduisant, avec une souplesse et une vigueur
peu communes, la danse traditionnelle des montagnards méridio-
naux.
Etant donné ce goùl prononcé de Napoléon pour les plaisirs de la
danse, on ne s'étonnera pas de l'àpreté du morceau qu'on va lire,
et dans lequel passe comme un souffle avant-coureur du célèbre
pamphlet de Paul-Louis Courier :
« A M. Ghampagnj-.
» Boulogne, 18 thermidor an XIII (6 août 180S).
» Plusieurs préfets ont écrit et imprimé des circulaires pour dé-
fendre de danser près des églises. Je ne sais où cela conduit. La
danse n'est pas un mal. Veut-on nous ramener au temps où. l'on
défendait aux villageois de danser ? Je suis fâché que M. Bureau de
Puzy, qui plusieurs fois s'est tenu trop loin de la ligne religieuse,
s'en tienne trop près aujourd'hui. MM. les vicaires pouvaient dire
ce qu'ils auraient voulu. Si l'on croyait tout ce que diraient les evêques,
il faudrait défendre les bals, les spectacles, les modes, et faire de
l'empire un grand couvent. . .
» Napoléon. »
(A suivre.)
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres (2 juillet):
Après deux renvois successifs, la reprise d'Otello (une vraie première en
ce qui concerne Govent-Garden) a complètement disparu de l'affiche. La
raison invoquée est une indisposition de M. Jean de Reszké, qui cepen-
dant ne semble pas devoir l'empêcher de chanter Carmen après-demain,
en compagnie de M. Lassalle et de M"''^ Melba et Zélie de Lussan. Je ne
veux pas me faire l'écho des rumeurs de toute espèce en cours en co mo-
ment. Je me borne à constater le désarroi du répertoire qu'entraîne
l'éloignement de M. Jean de Reszké. La Traviata, avec M"' Albani, est
un expédient fort coùteuxpour la direction, qui, avec les reprises de Lvcie
et de Martiui, a fort mal commencé le dernier mois de la saison.
Le nombre total d'entrées au Crystal Palace, pour les quatre journées
du festival Htendel, est de 80,796, en diminution sensible sur le chifTre du
précédent festival de 1888, qui s'était élevé à 86,337.
La saison des concerts touche à sa fin, et elle aura été une des moins
satisfaisantes de ces dernières années, sous le double rapport financier et
artistique. Les nouveautés ont été des plus rares, et aucune d'elles n'a
laissé une impression favorable. Parmi les solistes, le grand triomphateur
de la saison est assurément M. Paderewski. dont le succès n'a tait que
s'accentuer à chaque nouvelle audition, réduisant à néant les sévérités de
la critique locale lors de ses débuts l'année passée. A la demande géné-
rale, le brillant pianiste donnera un dernier concert, dont le programme
sera composé exclusivement d'œuvres de Chopin. A. G. N.
— Au théâtre royal de Cambridge on vient de représenter avec succès
une opérette nouvelle dont la musique a été écrite par un jeune compo
siteur, M. G. Berkeley. Le sujet de ce petit ouvrage, intitulé tlw Help, a
pour thème la vie universitaire, et les deux auteurs, poète aussi bien
que musicien, sont étudiants à l'Université de Cambridge.
— Le Conservatoire de Saint-Pétersbourg est plus avancé que le nôtre ;
il vient déjà de procéder à sa distribution des prix, laquelle a donné lieu
à un fort beau concert, dans lequel on a entendu, entre autres, deux can-
tates écrites sur le même texte, une ballade intitulée la Tour de Gori, par
deux jeunes compositeurs, MM. Dloussky et Bravtchinsky. Le rapport sur
les études scolaires constate, pour l'année qui vient de s'écouler, la pré-
sence au Conservatoire de 560 élèves, dont 262 pour le piano (ô Reyer!),
153 pour les diverses classes instrumentales, 88 pour le chant, 42 pour la
théorie musicale et 13 pour l'orgue. 26 élèves ont achevé leurs cOurs et
terminé cette année leur éducation musicale.
— La persécution dont les juifs sont l'objet en Russie l'ait, parait-il, un
tort considérable aux intérêts et au progrès de l'art musical dans ce pays.
Un grand nombre de musiciens russes sont en effet de religion Israélite,
et c'est par centaines qu'on compte les institutions d'enseignement et les
sociétés philharmoniques qui se sont vues privées de leurs plus fermes
soutiens. Il est certaines villes dont l'organisation musicale a été absolu-
ment anéantie; on en cite une où tous les membres de l'orchestre muni-
cipal ont été chassés de l'empire, à l'exception du chef.
— C'est incessamment que vont s'ouvrir à Salzbourg les fêtes du cente-
naire de Mozart. Ces fêtes auront lieu les 15, 16 et 17 juillet. Elles seront
dirigées par îi'. W. Jahn, chef d'orchestre de l'Opéra de Vienne, et M. J.-F.
Hummel, directeur du Mozarteum de Salzbourg, avec le concours de l'or-
chestre de Vienne, des chœurs de Salzbourg et des artistes de chant les
plus renommés : M""^ Bianca Biancbi, Brandt-Forster, Anna Hauser,
Marie Wilt, de MM. Krolop, von Reicbenberg, Schuttenhelra, V. Scbmitt,
G. VValter, etc. Pour la partie instrumentale, les solistes sont M™ An-
nette Essipoff, pianiste, et le quatuor Hellmesberger. Un tel ensemble
d'exécutants promet une exécution di primo carlello aux œuvres de Mozart
qui figurent au programme. Le Ib, à la cathédrale, on exécutera le iJe^Micm.
dont l'oliice sera célébré par le prince-évèque de Salzbourg en personne ;
le soir, cortège aux flambeaux autour du monument de Mozart. Le 16,
concert comprenant des fragments de la Flûte enchantée, le concerto en ré
mineur, joué par M"'« Essipoiî, et la symphonie en so/. Le 17, dans l'après-
midi, deuxième concert-festival: quatuor en ré mineur; air de Cosi fan
tulle ; adagio du quintette en sol mineur par l'orchestre des cordes ; air de
l'Enlèvement au sérail; lieder et symphonie en ut. Le soir, représentation
de gala des Noces de Figaro. Des trains spéciaux sont organisés vers Salz-
bourg de toutes les grandes villes voisines: Dresde, Munich, Vienne, etc.
— A l'issue des travaux de l'année scolaire et après la clôture des cours,
la Société 4?ïibrosm.s, de Vienne, a décidé de provoquer, une grande réunion
des organistes et facteurs d'orgues résidant en Autriche, à l'effet d'ouvrir
la discussion et de s'entendre au sujet des propositions suivantes : 1» quel
procédé doit-on recommander relativement au décret du ministre des
cultes et de l'instruction publique du 23 juillet 1890, concernant l'intro-
duction du diapason normal aux orgues existant déjà dans les églises ?
2° quelles récentes inventions et améliorations dans la fabrication des
orgues sont à considérer d'une façon spéciale dans la construction des
orgues nouvelles ou à restaurer ? 3" les facteurs d'orgues devraient-ils
être légalement tenus de construire les claviers selon l'extension normale?
4" y aurait-d lieu de conseiller l'introduction dans les églises des orgues
électro-pneumatiques, et d'après quels principes devrait-on procéder?
•5° enfin, ne serait-il pas désirable et possible d'établir une statistique de
toutes les orgues existant dans les églises?
— Un épisode ignoré de la vie de Meyerbeer. Le docteur Schuch, bio-
graphe et ami du grand compositeur, raconte, dans la Nene Musikzeitung ,
l'histoire d'une vengeance féminine qui coûta la vie... à une des œuvres
de Meyerbeer. En voici la traduction : « En 1818 —me dit un jour Meyer-
beer— lors des répétitions de mon opéra Romilda e Constanza à Padoue, la
prima donna chargée du rôle principal se miten tête de vouloir m'épouser
dans le plus bref délai possible, même avant la première représentation,
bien que rien dans mon attitude, n'eût pu lui donner le moindre espoir.
A mesure que ses intentions m'apparaissaient plus claires, je devenais
plus réservé à son égard, mais je ne soupçonnais pas qu'elles pussent
avoir des conséquences fâcheuses pour le sort de mon ouvrage, d'autant
moins que la répétition générale se passadans des conditions excellentes.
Vint le soir de la représentation. Malgré la chaleur accablante d'nne jour-
née de juin, tout Padoue était accouru au théâtre pour connaître l'opéra
du jeune compositeur allemand. Le rideau se leva, mais, ô terreur! voilà
que les artistes se mettent à chanter comme s'ils ne pouvaient se tenir
de souffrance et de fatigue. Le désastre fut complété par les trombones,
214
LE MENESTREL
les trompettes, le timbalier et le tambour. Tantôt ce fut une trompette
qui, rompant le silence indiqué dans sa partie, se mettait à souffler dans
son instrument au beau milieu d'une aria, tantôt un trombone qui atta-
quait de travers ou les cors qui partaient trop tôt, puis ce fut le tour du
tambour et des timbales à faire irruption et à éclater comme une décharge
de mousqueterie. Le public, qui avait commencé par rire et se divertir de
ce charivari, finit à la longue par se fatiguer de la plaisanterie et manifesta
son déplaisir de la plus cruelle façon. Je fus me plaindre auprès du di-
recteur et des artistes, mais je n'en pus tirer que cette excuse invariable:
la chaleur ! Que les chanteurs et les membres de l'orchestre se fussent
ligués contre moi, c'est ce dont je ne pouvais douter, mais la raison de
ce complot, je ne parvenais pas à la découvrir, d'autant moins que tous
avaient paru me témoigner beaucoup de sympathie. Ce ne fut que plus
tard que je connus la vérité. La prima donna régnait, parait-il, en maî-
tresse sur tout le personnel, et c'était elle qui avait suscité le scandale,
menaçant chacun de révocation s'il ne chantait ou ne jouait pas selon ses
instructions. C'est ainsi que j'appris ce qu'était une vengeance d'amour.
Quant à mon opéra, il était irrémédiablement perdu, car il ne se trouva
pas un directeur pour tenter de monter un ouvrage qui avait déplu lans
une autre ville. »
— Genève. — La bibliothèque du Grand-Théâtre vient de recevoir de
M. Léon Massol, le don important de plusieurs partitions d'orchestre et d'un
curieux portrait-charge de Spontiui, par Pradier. L'éminent sculpteur
s'ennuyait, parait-il, un jour, à une séance de l'Académie des Beaux-Arts.
Pour passer le temps, il dessina à l'encre, sur la première feuille de
papier venue, les traits sévères de son collègue, l'auteur de la Vestale. Ce
spirituel portrait, rehaussé de teintes plates posées avec le bout du doigt,
est certainement un spécimen unique dans l'œuvre de Pradier. Le maître,
après l'avoir signé et daté du Samedi 6 février 4Si1, en fit cadeau au sortir
de la séance à Massol, le célèbre chanteur qui, après avoir été son ami
pendant de longues années, fut son exécuteur testamentaire. E. D.
— L'Académie de l'Institut royal de musique de Florence vient de publier
le vingt-neuvième recueil annuel de ses Actes. Ce recueil contient, comme
à l'ordinaire, divers travaux intéressants insérés à la suite du rapport de
M. Tacchinardi, secrétaire, sur les travaux de la compagnie pendant l'année
écoulée, travaux et mémoires lus précédemment en séances de l'Académie.
Le premier a pour titre : Sur quelques questions relatives à lalulherie italienne,
et pour auteur M. Angiolo Filippi ; le second, relatif au même sujet, est
une réponse de M. Luigi Bicchierai aux questions posées par M. Filippi;
enfin, le troisième, remarquable à beaucoup d'égards, et dû à M. Paolo
Fodale, est ainsi intitulé : Sur la recherche du vrai et du neuf dans les arts
et spécialement dans le drame lyrique. — En même temps que sa section aca-
démique publiait ce compte rendu annuel de ses travaux, l'Institut de
musique de Florence ouvrait un nouveau concours de composition, avec
un prix de 300 francs pour le vainqueur. Il s'agit cette fois de la mise en
musique du chœur final de la première partie de la Morte d'.ibele, drame
lyrique de Métastase. Le morceau doit être écrit pour un chœur à cinq
parties réelles : soprani, contralti, ténors, premières et secondes basses : de
plus, les concurrents devront faire un choral sur les quatre avant-derniers
vers du chœur, et enfin, ils devront développer une fugue sur le dernier
vers. Il est certain qu'une composition de ce genre ne manquera pas
d'intérêt, et qu'elle sera un excellent travail pour les artistes qui prendront
part au concours.
— Les Italiens eux-mêmes n'en reviennent pas, et cela se conçoit, après
une plaisanterie de plusieurs années de longueur. Voici la nouvelle stu-
péfiante qu'on lit dans l'Italie de ces derniers jours ; « On a tant de fois
annoncé que M. Boito avait terminé la partition du Nerone, à laquelle on
dit qu'il travaille depuis dix ans, que personne n'ajoutait plus foi à cette
nouvelle. Maintenant, cependant, elle est donnée sous une forme officielle
parles amis de l'éminent compositeur et par son éditeur. On assure même
que Nerone sera joué l'hiver prochain à la Scala de Milan et au théâtre
Communal de Bologne. Bien plus, le conseil municipal de cette dernière
ville aurait décidé de tenir fermé le théâtre durant l'automne, afin de
donner la subvention à l'imprésario qui montera l'opéra de Boito ». Et
l'Italie ajoute : « Ce sera certes un grand événement pour l'art italien. Le
succès obtenu par le Mefistofele rend encore plus vif le désir d'entendre cette
nouvelle œuvre. M. Boito, dans ces derniers temps, n'a donné pour le
théâtre que des vers, et le public, tout en admirant des ouvrages littéraires
comme le libretto de l'Otello, celui à'Ero e Leandro et l'autre pour la Gio-
conda, déplorait non sans raison qu'un compositeur de ce talent perdit
ainsi son temps à écrire des libretti pour les autres maîtres. » Il va sans
dire que M. Boito a écrit non seulement la musique, mais aussi les
paroles de son opéra. Comme on l'a vu, son Nerone parait devoir être joué
simultanément à Milan et à Bologne, et l'on désigne déjà l'artiste qui
serait chargé de créer le rôle principal dans cette dernière ville. C'est le
ténor Lucignani, qui y a chanté avec le plus grand succès la Gioconda de
Ponchielli et l'Africaine.
— Les Italiens, avons-nous dit, se reprennent à la musique de Rossini
avec une sorte ^e fureur. A Rome, à Florence, à Milan, à 'Venise, à
Faenza et ailleurs on ne jure en ce moment que par Rossini, et... (wa"-
nériens, mes frères, voilez-vous la face!) Rossini fait de l'argent. Le suc-
cès de la compagnie d'opéra rossinien qui opère en ce moment au Dal
V«rme de Milan avec Cenerentola, t'Ualiana in Algeri, est tel qu'elle est appelée
à aller donner six représentations de ces deux ouvrages à la Fenice de
'Venise. Elle a d'ailleurs attiré l'attention de Verdi lui-même, qui, l'autre
dimanche, est allé entendre la Cenerentola avec son collaborateur et ami
Boito. A Faenza, ville de 25,000 âmes à peine, trois représentations du
Barbier ont produit une recette de plus de 12,000 francs. A Rome, ce même
Barbier est un triomphe pour ses interprètes, le ténor Stagno, le baryton
Cotogni, la basse Nannetti, et surtout M"« Linda Brambilla, qui a eu
l'idée (wagnériens, ceci est le coup mortel !) d'allier Auber à Rossini, et
de faire applaudir le maître français à l'égal du maître italien. « La
Brambilla, nous dit le Trovatore, a exécuté et bissé, dans la scène de la
leçon de chant, le fameux racconto du Domino noir. Quel malheur que la
gentille artiste n'ait pas cru devoir chanter aussi la valse qui termine si
bien ce morceau et qui aurait aussi terminé à souhait la leçon ! »
— Sur le théâtre particulier de la Société Christophe Colomb à l'Acqua-
sola, de Gênes, on a fait représenter par de jeunes enfants une opérette
en deux actes : Dal detto al fatto corre un gran tratto (Du dire au faire il y
a une grande distance), dont la musique est due à M. Pienzo Masutto,
chef de musique du 23" régiment d'infanterie.
— Parmi de nombreux legs de bienfaisance inscrits sur son testament
par un dilettante italien mort récemment, M. Giuseppe Mambretti, de
Crémone, on signale une somme de 30,000 francs dont la rente devra
servir à envoyer chaque année au Conservatoire de Milan un jeune
homme se destinant à l'étude de la musique, et particulièrement du piano.
— Les impresari italiens ne sont pas plus ennemis d'une douce réclame
que les directeurs français, et ils ont, parfois aussi, d'ingénieux moyens
pour attirer l'attention du public. Celui du théâtre Bellini, de Naples,
s'apprêtant à représenter un petit opéra de M. Scarano, una Tazza di thé,
qui n'avait pas encore été joué en cette ville, a fait afficher, quelques
jours auparavant, cet avis préventif aux spectateurs : — « Finalement, le
Thé est arrivé, et qui en voudra goûter una Tazza savoureuse se rendra
au théâtre Bellini le mercredi 17 juin. » Plein d'esprit, ce directeur, et
artiste jusqu'au bout des ongles.
— Voici que la Fille de Madame .Inqot s' a\ise d'exciter les nerfs de la po-
lice sicilienne! Qui s'en serait jamais douté ? « ACatane, il y a quelques
soirs, dit un journal italien, pendant qu'au théâtre du Prince de Naples
le public applaudissait le chœur des conspirateurs de Madame Angot, un
délégué de la sécurité publique se mitàharanguer les spectateurs du haut
de la loge de la questure, en leur intimant l'ordre de ne point applaudir
et en menaçant de faire cesser le spectacle. » Et comme il parait qu'à
Catane le public professe le plus grand respect pour la police et la ques-
ture, celui du Prince de Naples, en réponse à la harangue officielle, s'est
borné... à redemander et à faire exécuter quatre fois de suite le chœur en
litige. Ce que le délégué de la sécurité publique devait être furieux!...
— La musique aux îles Sandwich. Les journaux américains annoncent
qu'aux récentes funérailles du roi des îles Sandwich, on a exécuté entre
autres pièces musicales un Domine refugium composé par Sa Majesté la
reine Lilinokalani. La ville d'Honolulu est, paraît-i), très fière des aptitu-
des musicales de sa souveraine, qui a déjà doté la capitale d'une fanfare
municipale, ainsi que d'une maîtrise dirigée par un organiste anglais.
PIRIS ET DEPARTEMENTS
C'était fête et grande liesse, mercredi dernier, au Château -d'Eau, où
le » Théâtre National Lyrique >> faisait sa petite réouverture estivale de
chaque année. On nous avait mis l'eau à la bouche depuis quinze jours, en
nous promettant la première représentation d'un opéra inédit et devenu
depuis longtemps d'autant plus légendaire qu'il s'appelle la Légende de l'On-
dine. Mais il parait que des difficultés ont surgi, et au dernier moment
on s'était rabattu sur le Freischûtz, annoncé dans tout Paris par des affi-
ches de deux mètres de haut, et si grandes, si grandes... qu'on n'avait
même pas trouvé la place nécessaire pour y mettre les noms des interprètes
Mais quel Freischiitz, mes amis ! On se serait cru à une représentation du
Palais-Royal, tellement la gaieté de la salle était débordante. L'infortuné
Weber, qui ne s'était certainement pas imaginé faire un opéra bouffe, a
dû frémir dans sa tombe, du caractère nouveau et essentiellement parti-
culier donné à son œuvre. Quels chœurs, grand Dieu! quel orchestre, quels
décors, quelle mise en scène!... Les choristes du beau sexe avaient une
sorte d'uniforme rouge de l'aspect le plus piquant, et quant à la Gorge aux
loups, elle était figurée par un bel etïet de neige que le décorateur de
céans avait peint jadis pour le fameux drame de Sainte Russie, avec les
couleurs russes sur un poleau, ce qui faisait on ne peut mieux dans ce
milieu germanique. J'ai cru tout d'abord qu on n'irait même pas jusqu'à
la fin du premier acte, tellement l'accord des chœurs et de l'orchestre se
faisait remarquer par ses aspérités. Le tableau de la Gorge aux loups, avec
ses apparitions et ses fantômes, a amené sur les lèvres des spectateurs
un de ces rires joyeux qui entretiennent la santé, pour ce que le rire,
comme a dit Rabelais, est le propre de l'homme. Mais c'est au troisième
acte que la gaieté publique n'a plus connu de bornes. Elle venait déjà
d'être excitée par une exécution inénarrable du chœur des chasseurs, qui
avait arraché à un dilettante farouche ce cri plein de douleur : « C'est
honteux! », lorsque le fusil de Max se met à rater au moment psycholo-
gique, ce qui n'empêche pas Agathe de venir lui dire « Arrête ! » et Cas-
par de tomber mortellement frappé. Ici, l'hilarité des spectateurs a fait une
LE MENESTREL
215
explosion beaucoup plus bruyante que celle du fusil en question, et c'est
au milieu d'un véritable fou rire que la représentation s'est terminée.
Soyons juste, et tirons de pair au moins, dans cette débâcle, ce qui vaut
un" peu la peine d'être sauvé. C'est d'abord M"' Baliste (Agathe), première
chanteuse, m'a-t-on dit, du théâtre de Dijon, qui n'est certainement pas
sans valeur et dont la voix est d'une jolie qualité; puis M'io Nazem (An-
nette), une dugazon fort adroite, chantant très gentiment et qui est assu-
rément excellente musicienne. Je me bornerai à signaler M. Bermond, le
ténor qui jouait Max, et à plaindre de tout mon cœur le jeune chef d'or-
chestre qui présidait à cette cérémonie funèbre en l'honneur de "Weber.
Ce n'est pas sa faute s'il avait sous ses ordres un personnel aussi exécrable,
et je suis convaincu qu'il a par lui-même tout ce qu'il faut pour tirer un
bon parti d'éléments seulement sulfisants. A. P.
— Quelques renseignements complémentaires sur la séance de l'Aca-
démie des beaux-Arts dans laquelle a été jugé le concours de Rome. Il y
avait, comme on le sait, cinq concurrents. Dans la première séance d'au-
dition qui avait eu lieu la veille au Conservatoire, devant les seuls mem-
bres de la section de musique de l'Académie assistés des trois jurés
adjoints : MM. Lalo, Paladilhe et Lenepveu, le résultat avait été celui-ci :
premier grand prix, M. Lutz ; premier second grand prix, M. Fournier;
mention honorable. M. Andrès. Dans la séance plénière de samedi, toutes
sections réunies, l'Académie, chose extrêmement rare, a cassé le jugement
de sa section spéciale en ce qui concerne le premier grand prix, qui,
comme on l'a vu, a été attribué à M. Silver, M. Lutz restant par ce fait
sur le carreau. Les deux autres nominations ont été ratifiées par elle.
Rappelons que la lutte a d'ailleurs été très vive, et qu'il n'a pas fallu moins
de huit tours de scrutin pour établir la situation. Ce n'est qu'au huitième
tour que M. Silver l'a définitivement emporté par lo voix, contre M suf-
frages réunis sur le nom de M. Lutz. Le premier second grand prix a été
décerné à M. Fournier par ^3 voix contre 2 à M. Andrés, à qui une men-
tion honorable a été attribuée ensuite à l'unanimité. — M. Silver, l'heu-
reux vainqueur du concours, élève de M. Massenet, est un jeune Israélite
de vingt-trois ans, actuellement soldat au 72= de ligne, en garnison à
Amiens. Il avait obtenu de son colonel une permission spéciale pour venir
prendre part au concours, où l'on voit qu'il n'a pas perdu son temps. Il
est né à Paris le 16 avril 1868, et a obtenu en 1889, dans la classe de
M. Tiiéodore Dubois, un premier prix d'harmonie. Sa cantate, exécutée
sous le n° 4, avait pour interprètes M°='^ l'ierens, MM. Cossira et Fournets.
— M. Gounod n'a pas pu assister aux séances du concours de Rome.
L'illustre auteur de Faust est assez sérieusement malade depuis environ
trois semaines dans sa propriété de Saint-Gloud, où il garde le lit et où
aucun visiteur n'est admis à pénétrer. Nous avons le regret d'être obligé
de constater que sa situation n'est pas satisfaisante.
— La série des grandes épreuves de fin d'année scolaire s'est ouverte
cette semaine au Conservatoire. Nous avons à faire connaître aujourd'hui
les résultats des premiers concours à huis clos, ceux qui concernent la
théorie musicale. Voici la liste des récompenses décernées dans ces pre-
mtères séances :
Harmonie (hommes). — Jury : MM. Ambroise Thomas, directeur, prési-
dent; J. Massenet, Ernest Guiraud, Barthe, Fissot, Ch. Lefebvre, Gh. Le-
nepveu, P. V. de la Nux, Paul Vidal.
^«■s p-ix " MM. Malherbe, élève de M. Taudou; Delafosse et JoUy, élèves
de M. Lavignac et d'abord de M. Théodore Dubois.
2^^ prix ! MM. Gaussade. élève de M. Taudou, et Schmitt, élève de
MM. Lavignac et Th. Dubois.
i<"^ accessit : M. Hahn, élève de MM. Lavignac et Th. Dubois.
2" accessit : MM. Tournemine et Lebailly, élèves de M. Taudou.
Solfège des instrumentistes (hommes). — Jury : MM. Ambroise Tho-
mas, président; Barthe, Canoby, Heyberger, Mangin, Mouzin, P. V. de la
Nux, Salomé, Sieg.
1'^ médailles : MM. Rinsgdorff, élève de M. GrandJany; Cortot, élève
de M. Bougnon; Wurmser et Haas, élèves de M. GrandJany.
2=5 médailles ; MM. Bleuzet, élève de M. de Martini; Mulet, élève de
M. Rougnon; Ponsot, élève de M. GrandJany, et Macquart, élève de M. de
Martini.
3=5 médailles : MM. Gharinier, élève de M. GrandJany; Casadesus, Has-
selmans, élèves de M. Kaiser; Inghelbrecht, élève de M. Rougnon; Sizes,
élève de M. de Martini.
(Les concurrents étaient au nombre de 39).
Solfège des instrumentistes (femmes). Même jury.
1^"^ médailles : M"=* Bourgoin, élève de M'"« Maury; Ponsa, élève de
M""- Leblanc; Meyer, élève de M"" Donne; Campagna, élève de M"'' Papot;
Roux, élève de M"« Donne; Condette, élève de M'™ Leblanc; DoUet, élève
de M"'" Donne ; Lopès, élève de M"'- Hardouin ; Heidet et Morlet, élèves
de M"= Donne.
2« jnédailles : M"'* Ruzé, élève de M""-' Devrainne; Arger, élève de
M"« Hardouin; Denis, Chéné, Ortiz, élèves de M"« Donne; Deparis, élève
de M"" Vernant; Debrie, élève de M"" Donne.
.3<» méd'nlles : M"'' Pelette, élève de M"" Gennaro-Chrétien; Legendre.
élève de M"'' Hardouin; Rigalt, élève de M"" Donne; Witzig, élève de
M™ Maury; Grumbach, élève de M™ Devrainne; Deslandes, élève de
M""= Maury; Cohen et Boudât, élèves de M"» Donne.
La leçon de lecture à déchiffrer à première vue était de la composition
de M. Ambroise Thomas; elle ne comprenait pas moins de six pages (an-
dante et allegro) et elle était hérissée de difBcultés d'intonation et de
rythme qui n'ont cependant pas empêché un certain nombre d'élèves de
la lire sans commettre une seule erreur.
Le concours a été, paraît-il, absolument supérieur. Un fait est à remar-
quer, c'est le succès toujours croissant de la classe de M"" Donne, qui,
sur vingt-cinq récompenses décernées, s'en est vu attribuer douze à elle
seule, c'est-à-dire la moitié.
Les concurrentes n'étaient pas moins de 60.
Solfège des chanteurs. —Jury : MM. Ambroise Thomas, Ch. Lenepveu,
Barthe, Canoby, 0. Gomettant, Gastinel, P.-V. de La Nux, Salomé et
Weckerlin.
Classes des élèves hommes, 20 concurrents.
^re médaille : M. Berton, élève de M. Danhauser.
2*5 médailles : MM. Dufour et Thomas, élèves de M. Heyberger.
3« médailles : MM. Lefeuve et Ghasne, élèves de M. Heyberger.
Classes des élèves femmes, 28 concurrentes.
■/res médailles : W^'^^ Cholain et Mante, élèves de M. Mangin.
2=s médailles : W^"^ Michel, élève de M. Mangin ; Nathan et Blankaërt,
élèves de M. Mouzin.
3=s médailles : M'"* Grandjean, élève de M. Mangin; Roulleau et Four-
nier, élèves de M. Mouzin.
— Pour la seconde fois plusieurs journaux ont raconté qu'une véritable
épidémie de diphtérie aurait éclaté au Conservatoire, spécialement dans
la classe de M. A. Duvernoy. Il y a quelque temps déjà ce bruit avait
couru, aussitôt démenti. Cette fois le bruit était encore absolument faux.
Il est exact qu'une élève de M. Duvernoy, M"= Gay, est morte dernièrement
d'une affection de la gorge. C'était une enfant extrêmement délicate. Mais
c'est là un cas tout à fait fortuit, et l'aménagement du Conservatoire n'y
est pour rien. Aucune de ses collègues de la même classe n'a été victime
de la moindre indisposition, pas plus qu'aucune d'une classe quelconque,
et l'on sait qu'étant donné le peu d'espace dont dispose l'administration
du Conservatoire, il y a plusieurs cours dans chaque salle. Le Conserva-
toire a été, cette année, particulièrement éprouvé : il a perdu six profes-
seurs. S'est-on jamais avisé de dire qu'ils avaient succombé aux atteintes
d'une maladie contagieuse? Et parce qu'une pauvre enfant, très délicate,
a contracté on ne sait où le germe d'une alYection mortelle, on se répand
en racontars sans fin.
— Comme d'ordinaire, des représentations gratuites auront lieu dans
nos grands théâtres à l'occasion de la fête du 14 juillet. A l'Opéra, l'ou-
vrage choisi pour la circonstance est Guillaume Tell, tandis qu'à l'Opéra-
Comique on jouera les Dragons de Vi'lars; il va sans dire que, d'une et
d'autre part, la Marseillaise sera de la fête. On a fait, à ce sujet, le relevé
des pièces qui ont été représentées à l'Opéra pour les spectacles gratuits
du 14 juillet depuis 1881, année où ces spectacles ont été institués; en
voici la liste : 1881, Robert le Diable; 1882, Françoise de Rimini; 1883, les
Huguenots; 1884. la Favorite, Coppélia; 1885, Guillaume Tell; 1886, la Juive;
1887, Patrie; 1888, Sigurd: 1889, l'Africaine; 1890, Rigolelto et le Rêve.
— L'Opéra-Comique a fermé ses portes mardi dernier avec deux suc-
cessives représentations du Beue, l'opéra-étape du jeune porte-drapeau de
l'école française, nous avons nommé M. Bruneau: Au programme de la
prochaine saison figurent l'/ini/Kerrnnde de M. Chapuis, la reprise de Manon
pour la rentrée de M"= Sybil Sanderson, la première représentation de
Cavalleria ruslicana pour les débuts de M"= Calvé; puis la Kassya de Léo
Delibes, qui sera la grande attraction de la saisan. Il est bien probable
aussi que nous verrons la Carmosine de M. Poise, M. Carvalho en ayant
fait la promesse au pauvre compositeur, toujours si souffrant. C'est une
justice qui est due à l'auteur des Surprises de l'amour, de Joli Gilles, de
l'Amour médecin et de tant d'autres petites œuvres exquises.
— C'est mercredi l<" juillet que M. Lamoureux a pris officiellement (on
pourrait dire repris) possession de ses fonctions de chef d'orchestre à
l'Opéra. Son prédécesseur,, M. "Vianesi, avait dirigé pour la dernière fois
la représentation de Sigurd. Le l"' juillet M'"" Rose Caron a pris son
congé, ce qui interrompt forcément la carrière du bel ouvrage de M. Er-
nest Reyer. Mais celui-ci sera repris dès le retour de l'excellente canta-
trice, car on assure que MM. Rilt et Gailhard, qui ont si délibérément
laissé émigrer Salammbô à Bruxelles, « tiennent à honneur « de donner la
centième représentation de Sigurd avant de passer la main à M. Bertrand,
et il n'en faut plus que huit pour atteindre ce chiffre. Cette centième à
l'Opéra sera certainement un événement. Depuis trente ans, cinq ouvrages
ont seulement atteint et dépassé ce chiffre : l'Africaine, Hamlet, Faust, Aida et
Copjiélia; Sigurd sera donc le cinquième durant cette période {Le Cid est
aussi bien près de sa centième représentation, à peu près au même point
que Sigurd). Les trente années précédentes avaient été plus abondantes en
centenaires, comme le prouve ce tableau : le Dieu et la Bayadére (157 repré-
sentations), te Philtre (242), Robert le Diable, la Tentation (104), le Serment (102),
Gustave //7(169), la Juive, les Huguenots, la Xacarilla (112), la Favorite, la Reine
de Chijprc (118) Lucie de Lammermoor, le Prophète et le Trouvère. Et comme
ballets: la Sylphide (111), Giselle (126), et le Diable à quatre (iOl).
— L'administration de la Caisse d'épargne publie la liste des déposants
à la Caisse d'épargne qui, depuis l'année 1861, n'ont point modifié leur
dépôt, soit pour se faire rembourser, soit pour opérer un versement nou-
veau. En vertu de la loi, les sommes ainsi délaissées sont versées à la
21(i
LE MÉNESTREL
Caisse des dépols el consignations, ol le service des arrérages de la rente
est supprimé. Cette liste comprend environ 9,000 noms, parmi lesquels
nous relevons les suivants: M. Ch.-Adrien Lacressonnière, artiste drama-
tique, né en 1820, 14 fr. 35 c; M. Léo Delibes, compositeur de musique,
né en 1836, 70 fr. 84 c; M""^ Izambard, artiste musicienne, née en 1842,
30 fr. ol c; M. Edouard Colonne, artiste musicien, né en 1838, 14 fr. 30 c.
— Parmi les peintres français qui ont envoyé de leurs œuvres à
l'Exposition des Beaux-Arts de Barcelone et qui ont été récompensés,
nous remarquons le nom de M.José Eugel,le fils de l'excelient ténor. Le
jeune artiste, qui expose, croyons-nous, pour la première fois, a envoyé
à Barcelone deux toiles qui témoignent de sérieuses dispositions et de
réelles qualités, et deux dessins absolument parfaits. L'un de ces dessins
a d'ailleurs été acheté par la municipalité. A. fi. B.
— M. Gigout nous revient de Barcelone chargé de lauriers. Il y était
allé sur l'invitation de la municipalité pour donner deux concerts clas-
siques d'orgue et orchestre à l'occasion de l'Exposition générale des beaux-
arts. Une magnifique couronne lui a été offerte au nom des artistes et
de la municipalité. A son passage à Toulouse, M. Gigout a joué l'orgue
monumental de la basilique de Saint-Sernin, récemment reconstruit par
M. Cavaillé-Goll. Il s'est également fait entendre dimanche dernier à la
Métropole, pendant la messe paroissiale.
— Dimanche dernier, 38 juin. M""» Dignat réunissait, 16, rue d'Auteuil,
les élèves de ses cours pour l'examen mensuel passé par Marmontel père.
En lisant le programme si éclectique de cette audition, il est facile
d'apprécier les cotés sérieux et brillants de cet enseignement vraiment
exceptionnel, chaque élève devant exécuter une étude d'agilité, une étude
expressive et un morceau de style et de bravoure. Czei'ny, Cramer, Hummel,
Moscheles, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Weber, Chopin, Schumann,
Schuloff,Blumentha!, Marmontel, ont été interprétés avec une remarquable
perfection, une entente parfaite des nuances et du phrasé musical.
— M""» Méreaux, la vaillante artiste qui continue à Rouen avec tant
d'autorité l'enseignement de son mari, l'ami regretté à qui le Ménestrel est
redevable de la splendide publication des Clavecinistes, a donné le jeudi :2b
juin une très intéressante audition d'élèves, toutes initiées aux traditions des
maîtres anciens et modernes. Cette réunion annuelle n'a pas été, comme
d'habitude, présidée par Marmontel père, qui suit avec un vif intérêt les
progrès de ces jeunes pianistes: mais nous pouvons affirmer que profes-
seur et élèves ont rivalisé de talent et de bien dire, pour prouver au
maitre absent que son souvenir et ses encouragementj guidaient, ani-
maient leur bon vouloir, et leur donnaient toute confiance.
— A la grande fête de bienfaisance du Palais des Arts libéraux, grand
succès pour M. Caron, qui a chanté admirablement fes .E/ifaii/s de MM. Mas-
senet et Georges Boyer, et la Charité de Faure. Au même concert, M. Co-
balet, très applaudi dans les stances de Lakmé.
— Qui le croirait? malgré la saison si avancée, les artistes ne se lassent
pas de donner des concerts, et, ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'il
y en ait qui remplissent leurs salles d'un public i|ui s'éponge, mais sait .
écouter et applaudir. Samedi dernier, M'"' Marie Rueff nous avait prié
de venir entendre un de ses élèves, M. Gauthier, {|ui donnait un concert
avec le concours de MM. Sellier, Affre, Garon, etc. Le bénéficiaire, un
ténor doué d'une voix charmante, a su se faire acclamer à côté des bril-
lants chanteurs qui avaient tenu à figurer au programme. — Le même
soir, M""' Rudy nous convoquait à la séance de clôture de ses cours; j'y
arrivai à temps pour entendre le Baiser, fort bien joué par des élèves de
M. Dupont-"Vernon et le Noël païen de Massenet, très bien chanté par
M"'' Maria Genoud, une élève de M""= Marie Rueff. Le restant du pro-
gramme avait été, parait-il, aussi brillammant exécuté.
— L'inauguration des nouvelles orgues électriques construites par la
maison Merklin pour l'église Notre-Dame de Valenciennes, a eu lieu les
24 et 2S juin, avec le concours de l'éminent organiste de Saint-Eustache,'
de Paris, M.Dallier, qui a tenu son auditoire sous le charme de ses mélo-
dies et par l'exécution magistrale des œuvres des grands maîtres.
NÉCROLOGIE
Lin dilettante passionné, qui depuis plusieurs années s'était fait
remarquer par la publication de divers travaux solides et intéressants
d histoire et de littérature musicales, M. Alessandro Ademollo, conseiller
à la Cour des comptes, est mort le 22 juin dernier à Florence, où il était
né le 22 novembre 1826. Parmi ses écrits très nombreux en divers genres,
nous n'avons à signaler ici que ceux qui ont spécialement trait à la mu-
sique et à l'art lyrique : 1° i Primi Fasti délia musica italiana in Parigi, l6io-
'I6f)2 : 2» i Primi Fasti del tealro délia Pergola, di Firenze; 3° La belV Adriana
à Milan, iSU ; 4° Bibliografia délia cronistoria teatrale italiana; 3° G.-F. Hœndel
in Italia: 6° i Primi Fasti del tcatro di Tordi None, diRoina; 7° le Grandi Cantanti
italiane del secolo XVUI. Vittoria Tosi, la Moretta fiorentina; 8° Cristoforo Gluck
in Italia; 9° Pietro Pulli ed il suo » Vologeso. » Tous ces écrits ont été publiés
chez l'éditeur Ricordi.
— De Parme on annonce la mort de Paride Berzioli, chef d'une impor-
tante fabrique de pianos, qui a laissé une grande partie de sa très grande
fortune à l'hôpital civil de cette ville, afin qu'on y fonde une salle qui
portera son nom.
— Il parait que la reine d'Angleterre avait un joueur de cornemuse
attaché à sa personne. On signale en effet la mort, à Londres, d'un artiste
nommé "VS'illiam Ross, qui avait le titre de joueur de cornemuse de la
reine. Il était âgé de soixante-neuf ans. et depuis vingt-sept ans était en
possession de cet emploi, qui ne devait pas sans doute le fatiguer outre
mesure.
Henri Heugel, directeur-gérant.
ON DEMANDE dame très bon professeur ch. et piano, et dame bon
professeur guitare. Leçon d'une heure à domicile S francs. S'adr. M., 17,
rue Gustave-Courbet, Passy.
En l'ente, AU MÉNESTREL, 2'"% rue Vivienne, BIEUeEIi et C, éditeurs-propriétaires pour tous pays.
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Morceaux de chant détachés. — Transcriptions et arrangements pour piano et instruments divers.
; FER. — ^IHPIUMEHIE CIIAi\, 20 HUE
Dimanche 12 Juillet 1891,
3145 - 57- mm - I\° 28. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri fiEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du BIénestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMi,IRE-TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (17" article), Albeut Soudies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Un acte de vandalisme musical au
xviii" siècle,. H. be CunzoN. — lil. Napoléon dilettante (lô" aiticle), Edmond
Neukoum et Pacl d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AIMER
nouvelle mélodie de Balthazar Florence. — Suivra immédiatement:
le Chant touranien du Mage, chanté par M'°° Lcreau-Escalaïs, musique
de J. Massenet, poésie de Jean Richepin.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour, nos abonnés à la musique
de PIANO : Mijosotis, romance sans paroles, de ThéoDvIre Lack. — Suivra
immédiatement: Airs de ballet du Mage, par J. Massenet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allier-t SOUBtES et Charles :MAL,HEFIBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
•îuois PIÈCES CENTENAIRES : Le Voijuge en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(1865-1868)
(Suite.)
Tout autre devait être la fortune de Mignon. De tous les
•succès remportés à la seconde salle Favart, celui-là en effet,
a été le plus continu, le plus assuré, le plus grand. Avant la
représentation, il se rencontrait bien des gens pour croire
qu'Ambroise Thomas avait donné sa mesure et qu'il resterait
■éternellement l'auteur du Cdid et du Songe d'une nuit d'été. On
constatait même un temps de repos après une période singu-
lièrement active, car, à l'Opéra ou à l'Opéra-Comique, il avait
depuis 1837 jusqu'à 1851 (sauf en 1847 et en 1848) donné un
'Ouvrage tous les ans, puis tous les deux ans en 1853, 1855, 1857,
année même où il avait livré double bataille avec Psyclié et le
Carnaval de Venise. Or, depuis le Roman d'Elvire, qui datait de
1860. il se taisait, ou, pour mieux dire, il se recueillait et
préparait dans l'ombre ses deux œuvres maîtresses, Mignon et
Jlamlet.
Chose curieuse, nul alors ne doutait plus de la réussite
que l'auteur lui-même; une série de demi-succès, dont plus
d'un immérité, l'avaitsans doute attristé, rendu timide, presque
découragé. Il hésitait et, le soir de la répétition générale, il
pariait avec une personne de nos amis que la pièce nouvelle
n'aurait pas cinquante représentations. Elle les eut, très vite;
le compositeur s'exécuta galamment et put constater, par la
même occasion, de quelles sympathies dans la presse et dans
le public sa personne était entourée. Dès le mois d'aoiit pré-
cédent, les journaux commençaient à insérer les notes et
informations aimables : « Nul mieux que l'auteur du Songe
d'une nuit d'été ne pouvait traiter le sujet poétique emprunté
à Gœthe, et, si l'on en croit les indiscrétions, il n'aura
jamais été mieux inspiré... » ou encore : « On assure que le
directeur de rOpéra-Gomique a commandé pour cet important
ouvrage des décorations splendides qu'il a confiées au pin-
ceau de MM. Desplechin, Rubé et Cfctaperon. Pour un com-
positeur de la valeur d'Ambroise Thomas, on ne saurait être
trop prodigue de luxe et de soins — » etc.
C'est ainsi que M. Arthur Pougin se faisait le juste écho
de l'opinion publique en traçant pour les lecteurs de la France
musicale un portrait du compositeur oii il louait son
talent « à la fois élevé et gracieux, énergique et tendre, dra-
matique et plaisant. Souple, varié, divers, il sait tirer parti
de toutes les situations aussi bien que se plier à toutes les
exigences du drame... Ses harmonies sont fines, délicates,
souvent imprévues, et son instrumentation travaillée avec un
art exquis, est pleine d'accent, de relief et de nouveauté,
lînfin, les caractères de ses personnages sont tracés de main
de maître..., et chacun de ses ouvrages a une couleur parti-
culière et essentiellement personnelle. » Il ajoutait : « J'es-
père bien que ce sera un succès et tout le monde l'espère
de même, car M. Ambroise Thomas ne compte que des amis.»
Le lendemain de la première représentation de Mignon, le
compositeur assistait en effet au concert dos Champs-Elysées
dans le théâtre du Prince-Impérial, et, après l'ouverture du
Carnaval de Venise, toute la salle se levait spontanément et
l'acclamait, comme pour confirmer avec plus d'éclat le succès
de la veille. Bientôt les reporters se mettaient en quête
d'annoncer les œuvres qui allaient suivre ; ils parlaient d'un
livret des auteurs du Vogage en Chine, Labiche et Delacour,
qu'allait mettre en musique M. Ambroise Thomas, aspirant
ainsi aux lauriers de Bazin. Puis, ils mentionnaient, en racon-
tant déjà le scénario, sa Françoise de Rimini, qui devait venir
au monde quelque quinze ans plus tard.
C'est que, le succès allant toujours croissant, l'auteur de
Mignon était devenu l'homme du jour, le musicien non plus
seulement estimé des connaisseurs, mais populaire et par
conséquent célèbre.
On a répété volontiers que la presse avait méconnu l'œuvre
218
LE MENESTREL
à son apparition. C'est une légende qu'il importerait de dé-
truire, comme tant d'autres du même genre. La presse, au
contraire, se montra des plus clairvoyantes. Elle sut distin-
guer ce qui était et demeure critiquable ; elle fit la part du
connu et du convenu, mais elle n'omit aucune page dont la
valeur devait s'imposer et son mérite alors était d'autant
plus grand que les partitions ne se publiaient pas, comme
aujourd'hui, avant la représentation. Les journalistes n'avaient
donc d'autre critérium à leur jugement que l'unique audition
du premier soir, et pourtant presque tous, par exemple, se
rencontrèrent pour formuler un reproche: c'est que le poème
avait perdu, dans les exigences de son adaptation lyrique,
« son goût de terroir » disaient les uns, « son parfum ger-
manique » disaient les autres. Peut-être gagnait-il ainsi plus
sûrement son droit de cité à Paris!
Le sujet, tiré des Années d'apprentissage de Wilhelm Meister,
avait été traité, en effet, comme celui de Faust, à la manière
française, c'est-à-dire avec un mélange de grâce aimable et
de logique un peu bourgeoise. De même, pour la partie mu-
sicale, la critique aperçoit des points d'ombre et les signale:
ils disparaissent peu à peu. Dès la deuxième représentation
on pratiquait des coupures dans le second acte ; d'autres
venaient par la suite, comme au premier acte le rondo que
chantait Wilhelm à son entrée, et le ballet qui précédait la
danse de Mignon. Le second tableau du troisième acte avec
sa foiiane chantée et dansée, avec sa scène cruelle de la ren-
contre de Philine avec Mignon, avait déplu à quelques-uns.
Le rédacteur de la Revue et Gazette musicale, notamment, plein
d'admiration pour le grand trio du précédent tableau, s'écriait:
« Combien j'eusse préféré rester sous l'impression de mon
cher trio et de sa simple prière ! » Ce vœu musical devait
être exaucé. Le dernier tableau, d'abord raccourci, a fini par
être complètement supprimé.
Toutefois, si le dénouement s'est quelque peu modifié,
jamais plus il n'est revenu à son terme logique, à la mort
de l'héroïne, telle que l'avaient présentée le? librettistes dans
une version primitive dont le manuscrit est, par le hasard
des circonstances, devenu notre propriété. L'étude d'un tel
document aurait son prix et, retraçant la genèse d'une œuvre
célèbre, montrerait par quelles modifications peut passer un
livret avant d'atteindre sa forme définitive. Qu'il nous suffise
de dire ici que la pièce avait alors quatre actes au lieu de
trois et qu'en regard du nom de Mignon on lisait celui de...
M"*' Miolan-Carvalho ! Une histoire presque aussi curieuse
serait celle de cet ouvrage et de bien d'autres d'ailleurs,
après la représentation, changeant d'aspect peu à peu, comme
l'homme lui-même qui se transforme avec Tàge, mais par
degrés presque insensibles. Le succès impose à l'objet une
physionomie nouvelle ; on supprime d'abord quelques mesures
dans une scène, puis la scène tout entière ; par une sorte de
convention tacite entre les auteurs, le directeur et le public,
l'action se resserre et les effets se déplacent. La Mignon que
nous voyons aujourd'hui, et qui nous satisfait pleinement,
diffère quelque peu de la Mignon qu'applaudissaient les spec-
tateurs de 1866, et il en est ainsi de maint chef-d'œuvre,
depuis les iSuguenois jusqu'à Faust, dont l'introduction a gardé
la trace d'un air de Talentin définitivement supprimé. Mireille,
par exemple, comporte toute une série d'avatars, et la parti-
tion à quatre mains du Trouvère contient, après le Miserere, un
allegro qui non seulement n'est jamais exécuté, mais qui ne
figure même plus dans aucune autre édition!...
Avec le temps, l'interprétation se trouve plus bouleversée
que l'œuvre elle-même. Les premiers rôles avaient été établis
par d'incomparables interprètes. Préférée, et avec raison, à
M"« Marie-Rôze, que voulait essayer d'imposer un groupe
d'admirateurs, M"« GaUi-Marié avait trouvé dans Mignon le
plus grand succès de sa carrière dramatique, sans en excepter
Carmen, pour laquelle elle n'avait plus au même degré, quoique
parfaite encore, la jeunesse d'organe et la sveltesse physique.
Les chanteuses qui lui ont succédé dans ce rôle poétique,
plein de rêverie langoureuse, d'espièglerie naïve et de puis-
sance dramatique, ont pu l'imiter, mais aucune ne l'a sur-
passée. Achard était le plus charmant des 'Wilhelm, Couderc
le plus spirituel des Laôrte, et M""« Cabel la plus coquette
des Philine, sans oublier un artiste alors désigné sous le
nom de Voisy et qui plus tard, sous celui de Vois, acquit un
certain renom dans l'opérette. Il jouait le personnage de
Frédéric, lequel partage avec celui de Paiiope dans Phèdre, de
Pygmalion dans Galnï/u'e, de Virgile dans Françoise de Rimini et
d'autres encore, le singulier privilège d'être tour à tour mas-
culin ou féminin, autrement dit, d'appartenir indifféremment
à un homme ou à une femme. C'est ainsi que le IS mars 1874
M"'= Ducasse reprenait ce rôle, réservé jusque-là au sexe fort,
et y intercalait une gavotte composée d'abord pour M™^ Tre-
belli, tandis que M"'' Chapuy, qui, le même soir, succédait à
M""' Galli-Marié, ajoutait à son rôle une styrienne primitive-
ment écrite pour M"*' Nilsson.
Dès 1867, M"'f Cabel était remplacée par M"° Cico (12 mars);
Achard cédait le pas à Capoul (6 août), Couderc à Ponchard,
Battaille à Melchissédec. En 1868, après une interruption de
huit mois. Mignon reparaissait, le -i novembre, sur l'afBche
avec Couderc et tous les artistes de la créalion. En 1869,
Gailhard succédait à Battaille, et le nouveau Lothario obte-
nait un succès qui lui valait un réengagement; et le 30 août
de cette même année, Philine se montrait sous les traits
d'une débutante, M'"^ Moreau, qui, après un séjour au
Théâtre-Lyrique, avait quitté Paris pour Bruxelles. Au sur-
plus, il est presque impossible et surtout il serait fastidieux
d'entreprendre le dénombrement de tous les artistes qui ont
prêté au chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas le concours de
leur talent. Il n'est pas un ténor élégant, pas un soprano
agile, pas un comique noble qui n'ait paru plus ou moins
longtemps sous les traits de Wilhelm, de Philine et de
Laërte, et l'incomparable Galli-Marié elle-même a pu voir sa
robe de bure et son costume de page endossés par des suc-
cesseurs qui ne la valaient pas. Mais qu'importe? Après un
quart de siècle la fortune de Mignon n'a pas subi la moindre
atteinte, et elle s'est maintenue au répertoire avec une
fixité telle que l'année 1871, où le théâtre resta fermé pen-
dant six mois , fut la seule où l'Opéra-Comique n'ait pas vu
son nom sur une de ses affiches.
Quant aux recettes, elles présentent un chiffre énorme et
peut-être le plus gros, par sa continuité même, qu'une pièce
ait fait tomber dans la caisse du théâtre. La Revue et Gazette
nii(Sica/e parlait avec enthousiasme d'une moyenne de 6,000 fr.
La vérité est que tout d'abord ce chiffre ne fut dépassé que
deux fois: le 1<" décembre avec 6,118 fr. 20 c, et le 8 avec
6,312 fr. 70 c, résultat déjà fort satisfaisant. D'ailleurs, à
titre de curiosité, nous publions plus loin un tableau relatif
aux quinze premières soirées des trois œuvres centenaires
qui forment le principal objet du présent chapitre. Si les re-
cettes de Mignon furent d'abord inférieures à celles du /•/■emfe?-
Jour de bonheur, il n'en faut pas absolment conclure à un
succès moindre dans l'opinion du public; c'est que Mignon
parut presque au mois de décembre, le mois où, pour cause
d'approche du jour de l'an et de ses dépenses obligées, les
bénéfices des spectacles s'abaissent sensiblement. A partir de
la fin de janvier 1867, l'ascension régulière commençait à se
produire ; le mardi gras on réalisait 7,300 fr., et, pendant,
cette année, l'Opéra-Comique encaissait la somme colossale
de 1,566,928 fr. 80 c.
L'Exposition universelle était bien pour quelque chose
dans un tel résultat; mais une large part en devait revenir
à l'œuvre nouvelle, à l'œuvre d'attraction pour les étrangers.
Mignon, qui, le 18 juillet 1867, huit mois presque jour pour
jour après la première représentation, atteignait la centième,
et se jouait cent trente et une fois dans le cours de cette même
année.
En 1873 on atteignait la trois-centième, et chaque année a^
depuis lors, apporté un contingent de représentations qui n'a
LE MENESTREL
21&
jamais été inférieur à douze et qui s'est élevé jusqu'à rin-
quante-huit.
Certes, M. Ambroise Ttiomas peut encore prétendre à de
longs jours, s'il suit l'exemple des octogénaires qui l'ont
précédé dans la direction du Conservatoire , et surtout
l'exemple de sa mère qui, presque à la veille des répétitions
de Mignon, s'éteignait à l'âge de quatre-vingt-six ans. Encore
quelques années, et le maître aura la joie d'assister au
triomphe que n'ont connu avant lui ni Boieldieu avec la
la Dame blanche, ni Herold avec le Pré aux Clercs, ni Adam avec
le Chalet; il verra la milUème représentation que son œuvre at-
teindra sûrement.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
UN PROJET DE VANDALISME MUSICAL AU XVIII' SIÈCLE
Le vandalisme en musique est de toutes les époques. Depuis les
arrangements de 'Weber par Gaslil Blaze, jusqu'à la réduction
à' Henry VIII a trois tableaux, en passant par Guillaume Tell, servi comme
lever de rideau avant un ballet, les exemples ne manquent pas à
l'appel et sont aisés à récolter. C'est une vraie maladie d'esprit chez
quelques-uns, et en face de certaines de ces décisions sereines et
sûres d'elles-mêmes, on n'a plus qu'à s'incliner et admirer. Mais je
doute que jamais idée plus caractéristique en ce genre ait germé
dans une tète directoriale, jamais, si elle avait abouti, tentative plus
digne d'admiration, que celle dont je veux parler ici : de faire tout
simplement refondre et remanier au goût du jour le Castor et Pollux
de Rameau, par cinq compositeurs à la mode.
Ceci se passe en 1784. Pour une raison ou pour une autre, peut-
être parce que la reine a témoigné prendre un grand plaisir à cet
opéra, la direction de l'Opéra, prise d'un beau zèle, veut donner à
cette œuvre un éclat nouveau, et, persuadée d'ailleurs que tout son
succès lui vient du poème, n'imagine rien de mieux pour l'accom-
plissement de son dessein, que de donner chaque acte à dépecer à
un musicien particulier, avec ordre de ne garder rien ou peu de
chose, mais surtout de faire du neuf, et néanmoins de s'inspirer de
quelques pages qu'on veut bien épargner, pour rester dans les don-
nées du vieux maître, auquel le mérite devra demeurer presque tout
entier. (Arrangez cela comme vous pourrez.)
De là, le rapport que je publie ici ; simple affaire de curiosité du
reste, mais qui parait fort peu connue. Je dois dire que la pièce
n'est pas signée : c'est une copie, et il est assez difficile de lui as-
signer une attribution certaine. Ily a toutefois quelque probabilité
que c'est une lettre adressée à Papillon de la Ferté, le tout-puissant
commissaire du roi, et qu'elle a été écrite par le directeur d'alors,
Morel, d'intrigante mémoire, qui gouvernait l'Opéra dans l'interrègne
de Dauvergne, entre 1782 et 178.5. — Il est certain, de plus, qu'on
parla de ce projet, qu'on fit des propositions aux musiciens, que
Gossec au moins fut très particulièrement prié; et, si nous n'avons
pas sa réponse, qui eût été piquante à coup sûr, nous savons qu'après
l'avoir reçue, le Comité de l'Opéra s'empressa de déclarer au ministre
(le baron de Breteuil), qu'il y avait dans cette entreprise autant
d'injure à la mémoire de Rameau que de sottise matérielle, l'œuvre
faisant toujours de fort belles recettes.
Et l'on en resta là, pour le moment du moins, heureusement pour
l'honneur de notre Académie de musique.
Voici maintenant les deux pièces :
I
Monsieur,
Après avoir examiné tous les moyens possibles pour reproduire sur la
scène l'opéra de Castor, je me suis enfin arrêté à celui-cy, que je vous
soumetz.
Il n'est point sans dillîcultés, mais elles disparoîtront par le désir d'être
agréable à la Reine ou avec ce grand moteur des actions humaines : l'argent.
On ne peut se dissimuler qu'il doit être très intéressant et très piquant
de voir dans un seul ouvrage les talents réunis des plus célèbres compo-
siteurs de l'Europe, distribués de manière que chaque auteur y peut pa-
roître avec avantage. Le poème de Castw est le seul drame lyrique qui
puisse permettre cette variété. Chaque acte pris isolément, offre un spec-
liii-le entier, et l'ensemble du tout est le chef-d'œuvre de l'opéra. C'est ce
Miii m'a déterminé à donner à chaque auteur un acte entier à faire, en
lui observant cependant quels sont les morceaux de l'ouvrage de Rameau
'|ui doivent être conservés. J'ai aussi observé quel étoit le genre de mu-
sique le plus convenable au génie de mes auteurs, et c'est ce qui a déter-
miné la distribution suivante :
Examen de l'ouvrage. CIwix des auteurs et des morceaux à conserver.
Premier acte.
M. L.INGLÉ.
Le premier acte est beau à faire, il contient à lui seul tous les beaux
mouvements de la tragédie, et cependant c'est le plus foible de l'ouvrage
de Rameau. Je ne vois rien à conserver dans le chant, ni même dans les
ballets, à moins que ce ne soitle premier menuet etle premier tambourin.^
M. Langlé, dont je connois les talents, doit bien s'acquitter de cet ouvrage.
Second acte.
M. Gossec.
C'est celui qui contientle plus de beaux morceaux dans l'ancien ouvrage.
Il est difficile de mieux faire le chœur Que tout gémisse. Cependant il peut
produire beaucoup plus d'effets lorsque l'on aura rempli avec des instru-
ments à vent l'harmonie, souvent trop foible ; et que dans le chant on
aura, en changeant quelques notes, supprimé d'ennuyeuses cadences, qui
gâtent la belle simplicité de ce morceau. L'air suivant : Tristes apprêts,
pâles flambeaux, est de la même beauté et veut les mêmes changements.
Le chœur de la troisième scène, Que l'Enfer applaudisse, et la marche des
lutteurs, sont tout ce qu'il faut conserver.
Cet acte sera, je crois, très bien fait par M. Gossec. Je lui ai destiné
cet acte parce qu'il a, plus que tous les autres auteurs, beaucoup d'habi-
tude de la scène : il faut aussi qu'il n'ait en vue que la réussite de
l'ouvrage, sans songera son amour propre particulier, car le mérite restera
presque en entier à Rameau, %t par cela même sa besogne est la plus
difficile et la plus ingrate de tout l'ouvrage.
Troisième acte. M. Piccinni.
M. Piccinni sera sûrement satisfait d'avoir cet acte à faire en entier; il
s'y trouve précisément des situations où cet auteur a toujours parfaitement
réussi. L'on se récriera sans doute sur ce que l'on ne conserve point le
fameux air Présent des dieux, mais, n'en déplaise à ses partisants, je doute
que l'on puisse an faire un plus mauvais.
Quatrième acte. M. S.vcchini.
L'acte des enfers et des Champs-Elysées sera sûrement bien traité par
M. Sacchini. Il seroit à souhaiter qu'il voulût conserver le chœur Brisons
tous nos fers et la gavotte en ré du divertissement des ombres heureuses.
Cinquième acte. M. Grétry.
Il est froid, sans intérêt, et fort désagréable à faire. Il n'a dû son succès
qu'à la pompe du spectacle. Ce qui peut le rendre intéressant, c'est beau-
coup de variété dans les airs de ballets. M. Grétry, s'il voviloit s'en
charger, pourroit nous faire espérer de terminer agréablement cet ouvrage.
II
Rapport que lu Comité fait au Ministre sur ce qui s'est passé en son Assemblée
du six décembre I78i.
Il a été tait lecture d'un mémoire de M. Gossec en réponse aux propo-
sitions qui lui ont été faites de retoucher l'opéra de Castor.
Le Comité a été unanimement d'avis que les recettes de cet ouvrage
étant encore une preuve trop marquée de l'estime, et, pour ainsi dire,
du respect dont il jouit de la part du public, il n"était pas encore tems
de risquer cette entreprise.
Ces pièces se trouvent dans un des cartons provenant des archives
de l'Opéra dont le fond est resté aux Archives nationales (0' 626).
Il y aurait de la naïveté à prendre la peine de discuter les
termes impertinents de la proposition de Morel. Quelques remarques
s'imposent cependant au moins sur l'ordonnance même de cette
partition, le chef-d'œuvre de Rameau peut-être, qu'on voulait si
plaisamment émonder. Elle comprend dans son ensemble un pro-
logue et cinq actes, et c'est dans le prologue, assez court et tout
mythologique, que se trouvent le menuet et le tambourin auxquels
le censeur veut bien faire grâce (à la rigueur), et où l'Amour chante
la jolie phrase : « Naissez, dons de Flore », que l'on entend encore
aujourd'hui partout, mais avec les paroles : « Dans ces doux asyles ».
Or, en 1784, le prologue ne se jouait plus depuis longtemps, et d'ail-
leurs ce n'est pas lui qui « contient tous les beaux mouvements de
la tragédie ». Alors, qu'est-ce que ce premier acte que le censeur dit
qu'il « est le plus foible de l'ouvrage de Rameau? » — Le vrai pre-
mier acte, lui, contient le chœur : « Que tout gémisse », l'air de
Téla'ire et le chœur des athlètes, que le censeur attribue au second
acte. Comme ces morceaux font d'ailleurs à peu près tout l'acte
il faut avouer que le censeur propose en efl'et une « besogne »
aussi « ino-rate » que « difficile » à Gossec, en lui demandant de le
transformer tout en en laissant le mérite à Rameau.
Le censeur réprouve avec indignation « le fameux air Présent des
Dieux ». Mais qu'est-ce que cet air? Il n'y a pas trace de ces paroles
±20
LE MEiNESTKEL
dans la partition. Est-il au second acle? Cet acte, dans le temple de
Jupiler, conlienl d'aLord de belles phrases de Pollux : « Nature,
amour, qui partagez mon cœur... », puis une scène entre Pollux et
Télaïre, un air du grand prêtre et l'apparition de Jupiter et sa
grande scène avec Pollux, que terminent dos chœurs et des danses
de Plaisirs célestes. — Quant au troisième acte, il représente l'entrée
de Pollux aux Enfers; les larmes de Phébé, son amante, et les
chœurs furieux des démous : « Brisons tous nos fers », tableau
plein de vie et de puissance avec lequel contraste très heureusement
le suivant, le quatrième acte, où se trouve le divertissement des
Ombres heureuses, qu'absout encore le censeur, tout en jetant par-
dessus bord un air de Castor : « Séjour de l'éternelle paix ». et la
rencontre émue des deux frères, — Le cinquième acte, enfin, qu'il
prétend froid et sans intérèl, nous amène un air de Phébé, le grand
duo de Castor et de Téla'ire : « Castor, et vous m'abandonnez'?... »
puis, le retour de Pollux amené par Jupiter, et l'air majestueux
aux sons duquel le ciel s'ouvre pour le grand divertissement mytho-
logique final.
Tout ce beau projet, je l'ai dit, échoua donc, comme il convenait.
Mais qui pourrait afïirmer que ce fut bien le respect, — sans
parler d'un sentiment artistique quelconque — qui arrêta l'affaire,
et non simplement le ridicule de la proposition ? Car l'idée laissa sa
trace, et cette histoire, il ne faut pas l'oublier, a eu son épilogue peu
d'années après, en 1791, avec le Castor et Pollux de Candeille.
Mais, plus avisée cette fois, l'Académie de musique abandonna au
musicien le livret pour le reprendre entièrement à son compte ; elle
lui demanda simplement de garder les deux ou trois pages princi-
pales de la première partition. En quoi elle savait bien ce qu'elle
faisait, et l'on ne saurait, à coup sur, l'accuser de sottise, car l'effet
de ces pages était assuré d'avance et elles eurent naturellement
devant le public leur triomphe accoutumé; triomphe d'autant plus
éclatant, sans nul doute, que leur entourage nouveau était plus paie.
— Candeille en bénéficia d'ailleurs, et son œuvre eut ainsi un gros
succès : il aurait eu mauvaise grâce à se plaindre de la collaboration
forcée!
Mais Rameau? — Eh bien! n'était-ce pas là respect insigne,
déférence émue pour sa mémoire, manière éloquente et neuve de
faire éclater sa gloire?... JN"importe ! le vieux maître, au fond de
sa tombe, n'en a pas moins dii tressaillir sous le soufîlet... Ai-je
eu tort déparier de vandalisme, et trouvera-t-on le mol trop vif?
H. DE CURZON.
NAPOLEON DILETTANTE
NAPOLÉON ET LA DANSE
(Suite.)
Pour le ballet, on connaît la sollicitude de l'empereur à son éo-ard,
ainsi que ses procédés envers le personpel dont il se composait. Les
trois Vestris, pour leur part, eurent souvent à -se louer de ses bonnes
grâces.
Vestris l, le Diou de la Danse, qui ne reconnaissait que trois
grands hommes en Europe : « Frédéric, roi de Prusse, 'Vollaire et
lui », quitta la scène de l'Opéra en ITSL II s'aftligeait de voir le
grand art dégénérer en gambades et en pirouettes. Il ne reparut que
quatre ou cinq fois sur la scène do l'Opéra, et notamment, dit la
Biographie portative, en 4800, pour le début de son petil-fils. Cette
représentation, où l'on vit figurer trois générations de "l'estris, fut
annoncée pour un jour où le premier consul devait présider une
séance de l'Insti.ut. On l'avança d'un jour afin que l'un des trois
grands hommes du XVIIP siècle ne fût pas en concurrence avec le
plus grand homme du XIX=.
Vestris II ou Vestrallard (il était fils naturel de Vestris et de la
danseuse Allard) fut encore plus fort que sou père. Il effleurait à
peine les planches, et en deux enjambées il arrivait du fond du
théâtre à la rampe. <i Si .Augouste, disait le père, ne craignait pas
d'houmiler les camarades, il resterait toujours en l'air.»
A propos des dettes que faisait ordinairement Vestris II, le père,
très économe, lui dit: « Mousu Âugouste, zo suis très mécontent
de TOUS. Ze veux bien pour celte fois payer vos dettes, mais n'y
retournez plous, ou ze vous ferai renfermer : apprenez que ze ne
veux point de Guéménée dans ma famille. » Ceci se passait en 1783,
à l'époque de la fameuse faillite Rohan-Guéménée, qui engloutit là
fortune d'un grand nombre de familles appartenant i la plus haute
noblesse.
Dans la suite, ce même Vestris II, loin de se corriger, fut obligé,
en 1802, de demander une permission de six mois pour aller en.
Angleterre, où on lui offrait 1,300 guinées. Ses deltes — il en
avait pour 'lO.OOO francs — l'obligeaient à ce déplacement. Mais
Bonaparte, à qui, nous le savons, tous les incidents des grands
théâtres étaient soumis, renvoya la requête du grand danseur au
ministre de l'Intérieur, en lui demandant un rapport sur les dettes
de Vestris, qu'il paya, en ajoutant de sa main au bas de l'état : « Je
désire que lorsqu'il ne jouera plus, il lui soit accordé une pension
convenable.»
Gardel, maître de ballet, eut également, et à plusieurs reprises,
l'occasion d'éprouver la faveur du maître, mais au point de vue
purement professionnel. Son ballet de Pà/'w, représenté en 1804, ren-
fermait, dans l'acte du Bain, des eifets d'un... naturalisme assez
prononcé, pour que, sur le rapport de ses inspecteurs, Napoléon ait
cru devoir en ordonner la suppression. Mais le célèbre mimographe,
froissé dans sa dignité d'artiste, en appela direclement à l'empereur,
qui voulut se rendre compte des choses de visu, ce qui le fît revenir
sur sa décision. Ciardel lui sut gré toute sa vie de cette résolution,
qui sauvegardait sa renommée et ses allures correctes. Car il était
resté l'homme de l'ancien régime, ne paraissant aux répétitions qu'en
habit noir, avec la perruque poudrée â frimas et l'épée au eôté.
Pour le voir passer, les artistes et les élèves formaient la baie et
s'inclinaient profondément devant lui.
Aimant la danse comme il l'aimait, on peut s'étonner que Napo-
léon, même jeune, ne se soit jamais livré à ce plaisir. Peut-être
même mettra-t-on celle abstention sur le compte d'un penchant inné
chez lui four l'observance d'une étiquette scrupuleuse? Mais il
n'en est rien : la vérité est que Napoléon ne dansait pas, parce
qu'il n'avait jamais pu apprendre à danser.
A la Malmaison, dans de petits bals qu'on donnait le dimanche,
il s'émancipait parfois jusqu'à risquer une contredanse ; mais il s'y
montrait fort gauche et embrouillait si fort les figures, que José-
phine le priait en riant de n'inviter personne pour les danses sui-
vantes. Alors, il demandait la Monaco, parce qu'il s'y reconnaissait.
« L'empereur avait de bonnes raisons pour cela, nous apprend
Marco Saint-Hilaire, parce que c'est, de toutes les contredanses, ■
celle où la figure ne varie pas, depuis le commencement jusqu'à la
fin. »
Au bal de noces de M"° Permon, la future duchesse d'Abrantès,
Bonaparte, premier consul, invité, fut pendant quelque temps une
cause d'interruption. Il était arrivé au milieu d'une danse, et tout
le monde s'était arrêté pour lui faire la révérence.
— Je vous prie, madame, s'empressa-t-il de dire à la mère de
M"" Junot, faites recommencer la danse; il ne faut pas que ma pré-
sence interrompe un des passe-temps que préfèie la jeunesse. On
Ait que voire tille danse comme M"'^ Ghameroy;je serais bien aise
de m'en assurer. Si vous voulez, nous danserons ensemble la Mo-
naco: c'est la seule danse que je connaisse. »
]\jme Junot s'exécuta de bonne grâce, bien qu'elle eût un certain
dépit; car elle ne pouvait oublier que dans le temps, Bonaparte,
général de brigade, l'avait demandée en mariage, et qu'elle l'avait
refusé. Et main cnant, voilà qu'il était en pleine gloire. On pouvait
même pronostiquer, à son ondroil, un avenir qui, sans viser les
hauteurs atteintes depuis, devait assurer à une femme l'auréolei'
d'une célébrité sans partage... Cette sensation se reproduisit peiiî'
de temps après, plus intime encore et plus vive, au moment du
sacre.
Mais laissons la parole à la duchesse d'Abrantès :
« Au moment où Napoléon descendit de l'autel pour retourner à
son trône, lorsque le clergé et toutes ces voi.x enchanteresses, choi-
sies par l'abbé Rose pour chanter son Vivat, entonnèrent cet hymne
admirable, mes yeux se voilèrent et je fus tout émue. L'empereurJ
dont le regard d'aigle parcourait tout ce qui était autour de lui, ma
reconnut dans l'angle de la travée que j'occupai. L'expression di|
regard qu'il me lança est impossible à rendre... »
Une autre prouesse chorégraphique de Napoléon se rapporte à un
grand bal militaire donné par les généraux du camp de Boulogne
aux dames de la ville.
« L'orchestre, nous apprend Constant, était composé des musiques
de vingt régiments qui jouaient à tour de rôle. Au commeneemenl
du bal seulement, elles exécutèrent toutes ensemble une marche
triomphale, tandis que les aides de camp, habillés de la manière la
plus galante du monde, recevaient les dames invitées et leur'
donnaient des bouqr^ets. »
LE MEi^LSlllEL
2^1
Pour être admis à ce bal, il fallait avoir au moins le grade de
commandant. L'empereur y passi une heure, et dansa la Boulangère
avec M"" Bertrand. Il était en colonel de la garde à cheval.
M"" Soult, la reine du bal, porlait une robe de velours noir, cons-
tellée de cailloux du Rhin.
Et comme, en France, le côté gai ne perd jamais ses droits, Cons-
tant remarqua qu'au souper les Boulonnaises remplissaient leurs ridi-
cules — ce précurseur du cabas et de l'aumônière — de débris de
f.nandiscs et de tucreries, le plus ouvertement du monde.
Plus tard, en mars ■1810, à l'approche du mariage avec Marie-
Louise, dans le grand salon des Tuileries, la princesse Stéphanie,
nièce de l'empereur, lui persuade qu'il devrait apprendre la valse
pour plaire à sa future, qu'il venait, par le fait, d'épouser par pro-
curation, et qu'il attendait impatiemment.
Marco Saint-Hilaire, témoin du fait, nous le raconte : Napoléon,
pour prendre .'a première leçon, enlace do ses bras la taille de sa
nièce el fait quelques pas avec elle, en fredonnant la fameuse valse
de la Reine de Prusse, mais à peine a-t-il fait assez gauchement deux
ou trois tours dans le salon que la tête lui tourne et que, n'y voyant
plus, il est obligé de s'arrêter et de s'appuyer contre une console
pour ne pas tomber. Mural, l'ayant aidé à s'appuyer, lui dit, en sou-
riant :
— Sire, en voilà bien assez pour nous convaincre que vous ne
serez jamais qu'un mauvais écolier. Votr^i Majesté est faite pour
donner des leçons et non pour en recevoir.
Constant confirme cet épisode de la première valse dansée par Na-
poléon, et !e complète d'une façon assez pittoresque :
« L'empereur était seul avec la reine Hortense et la princesse Sté-
phanie. Celle-ci lui parla do valse, i-t Napoléon lui raconta qu'à
Brienne il n'avait pu supporter le.s étourdissements causés par la
valse. — Notre maître de danse, disait-il, nous avait conseillé de
prendre, pour valser, une chaise entre nos bras, en guise de dame.
Je ne manquais jamais de tomber avec la chaise que je serrais
amoureusement et de la briser. Les rhaises de ma chambre et celles
de deux ou trois camarades y passèrent l'une après l'autre... C'est
alors que Siéphanie lui offrit d'être la chaise, et que l'accident
prévu arriva. »
L'un des grands plaisirs de Napoléon était le bal masqué. Il y en
avait à la cour ; el, de plus, du temps de Joséphine, le ménage
impérial se rendait incognito aux bals de l'Opéra. Un jour même,
ils se perdirent et ne se retrouvèrent que chez eux, bien que l'impé-
ratrice ait intrigué son mari, sans le savoir, comme la chose se
trouva, le lendemain. Puis, les courtisans s'en mêlant, ce ne fut,
pendant quelques hivers, qu'une succession continue de bals parti-
culiers, oii le masque était de rigueur. Seulement, l'empereur ne pou-
vait y conserver son incognito, parce qu'on le reconnaissait facile-
ment à son habitude de croiser ses mains derrière le dos. Une nuit,
il y eut chez la princesse Caroline un bal d'après la Vestale. On y
admira fort un quadrille de prêtres et de vestales, auquel succé-
dèrent une noce suisse, des fiançailles tj-rolienoes, et d'autres scè-
nes du même genre. Pour favoriser des imprévus et des imbroglios,
on avait installé dans le palais un magasin de costumes, oîi les
invités pouvaient eu changer plusieurs fois.
Grâce à ces déguisements variés, l'empereur espérait reprendre
son incognito ; mais ses malheureuses mains le trahissaient toujours.
Aussi les vrais courtisans ne lui ménageaient-ils pas les insultes
tolérées sous le masque, pour lui faire croire qu'on ne le reconnaissait
pas. Un soir, chez Cambacérès. une dame lui ayant, sur une galan-
terie qu'il lui avait débitée, dit qu'il y avait certaines gens à faire
mettre h la porte, parce qu'ils avaient assurément volé leur billet,
il fut ravi du compliment el eu lit de bon cœur.
Il n'en fut pas de même, dans une fête à Neuilly, chez le comte
Marescalchi, secrétaire d'État du royaume d'Italie. Napoléon, en
domino noir, y fut accosté par un domino rose qui lui dit tout
bas :
— Us te trahiront, profite de tes cinq ans de fortune.
Un geste de l'empereur effraya le masque, qui lâcha la main de
Napoléon et se perdit dans la foule.
Depuis ce jour, le souverain, vivement frappé, prit en aversion les
bals masqués qu'il avait tant aimés. Il n'assistait plus qu'à ceux
des Tuileries ; encore s'y faisait-il surveiller par une véritable garde
du corps, sous les ordres de Rovigo, préfet de police.
1809-1814!... Le domino rose avait raison: il ne lui restait plus
que cinq ans de fortune.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paix d'Estisée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres (9 juillet) :
Brillante représentation de Carmen samedi dernier à Covent-Garden, du
moins en ce qui concerne la plupart des principaux sujets. Les honneurs
de la soirSe reviennent à M. Lassalle, qui a été un Escamillo tout à fait
irréprochable. Bien que n'ayant pas sacrifié sa barbe, comme l'année der-
nière, l'éminent baryton s'est depuis tout à fait incarné dans le rôle du
toréador, et il l'a, de plus, chanté d'une façon vraiment superbe. Le rôle de
José n'est pas un des meilleurs de M. Jean de Reszké, qui, du reste, se
ressentait encore de sa récente indisposition. De là, un peu de réserve
dans les deux premiers actes, quelques notes esquivées ou mal venues.
L'excellent artiste s'est relevé à partir du troisième et il a trouvé des
accents poignants dans la scène finale, qui lui a valu un beau succès.
M"' Melba chante d'une façon charmante le rôle de Micaela. M"« Zélie
de Lussan n'est pas en progrès; elle a au contraire pris de mauvaises
habitudes en province, et elle introduit un tas de variantes de sa façon
dans le rôle de Carmen, qui peut certainement s'en passer. Toucher à une
pareille création lyrique ne serait excusable que si l'effet produit était
artistique: or, ce n'est pas le cas ici. M""= de Lussan a une fort jolie voix.
Il serait bien temps qu'elle se mit à étudier ses rôles, d'une façon défini-
tive, avec un professseur sérieux. Les petits rôles sont mal tenus : le
même artiste double Morales et Zuniga, sans avoir assez de voix pour un.
Ici s'arrête l'interprétation française de l'ouvrage. Les deux contreban-
diers et les chœurs ont chanté presque invariablement en italien. Le
fameux quintette a été également chanté, ou plutôt massacré, en italien.
Le pire coupable, dans le cas présent, est le chef d'orchestre, M.Randegger,
qui a donné à cette page géniale un mouvement tout à fait insensé.
Quand donc aura-t-on, à Covent-Garden, des chefs d'orchestre en commu-
nion d'idées avec les œuvres qu'ils sont appelés à diriger?
Montée à la bâte, la reprise de Fidelio n'offrait pas grand intérêt sous le
rapport de l'interprétation. Seul, M. Plançon s'est taillé un vif succès dans
le rôle de Rocco, qu'il avait appris, en italien, en quelques jours.
La première d'Oletlo est de nouveau annoncée pour samedi prochain.
La représentation de gala n'a été qu'un beau spectacle hier soir à
Covent-Garden. La partie musicale n'offrait pas grand intérêt, et l'indispo-
sition de M. Jean de Reszké lui a encore enlevé un de ses principaux
attraits. Le fameux ténor n'a chanté que le duo de l'Ahuette, en français, se
faisant remplacer par M. Perotti da.ns Lohengrin el signor Ravelli (M. Ravel)
dans tes Huguenots. Deux débutants, M. Alec Marsh et M. Franceschetti,
chantaient au pied levé les rôles de Telramund et de Nevers. Détail assez
curieux : une grande partie du public a quitté le théâtre avant la fin,
devançant ainsi le départ des personnages officiels. A. G. N.
— Un de nos confrères de Bruxelles, l'Éventail, donne en ces termes la
nouvelle que voici : « Le Rêve, de Bruneau, sera donné à la Monnaie, pen-
dant le cours de la saison prochaine, sans aucune des coupures inintelli-
gentes qu'il a fallu faire à lOpéra-COmique, afin de ne pas froisser les
philistins qui fréquentent habituellement ce théâtre. » Il parait que tous
ceux qui ne se sont pas fortement réjouis à l'audition du Rêve (que quel-
ques-uns ont irrévérencieusement traité de cauchemar) sont des « philis-
tins ». Il faut croire qu'il n'y a pas mal de philistins à Paris. Notre confrère
s'en consolera en entendant le Rêve à sou tour. Il l'entendra, et il l'enten-
dra sans coupures, et ce sera bien fait pour lut.
— l'Opéra de Vienne vient de publier l'état de son répertoire pendant
l'exercice 1890-1891. L'auteur le plus souvent joué a été Wagner (41 re-
présentations avec dix ouvrages); M. Massenet a eu 28 représentations avec
deux ouvrages, Manon et le Cid ; Verdi, 16 représentations, avec cinq
ouvrages; Meyerheer, IS représentations avec quatre ouvrages; M. Gounod,
•14 représentations, trois ouvrages; Mozart, 11 représentations, quatre ou-
vrages ; Gluck, 8 représentations, trois ouvrages; Donizetti, 7 représenta-
tions, trois ouvrages; "Weber et Halévy, chacun 7 représentations; Ros-
sini, 6 représentations; Beethoven, Liszt, M. Ambroise Thomas et Bizet,
chacun 5 représentations. L'ouvrage qui a eu le plus grand nombre de re-
présentations est la jI/oîîoîi de M. Massenet, 2b fois ; puis viennent: Caualleria
riisticana, 22 fois et Loliengrin, 10 fois.
— Le 28" congrès de l'Association des musiciens allemands, qui s'est
tenu pour la première fois à Berlin, au mois de juin, n'a pas, à beaucoup
près, répondu à l'attente des organisateurs. On avait compté sur l'appui da
l'empereur, sur des manifestations grandioses, sur une afUuence exception-
nelle, et rien de tout cela ne s'est produit. L'annonce de solistes tels qua
M""» Lily Lehmann, MM. Joachim, Kalisch, d'Albert, M™" Carreno, etc., n'a
pas suffi à attirer le public berlinois, habitué à entendre ces artistes d'un
bout de l'année à l'autre. Une nouvelle composition chorale de M. Ger-
nsbeim, Ha/ir, exécutée par la société Stern, n'a laissé qu'une impression
douteuse ; il en a été de même pour toute une séance de musique de cham-
bre, qui a duré trois heures sans interruption. Il a fallu la participation de
M. Joachim et de M"« Garreûo pour donner quelque éclat au deuxième
concert. M. Joachim a exécuté le concerto pour violon de Dvorak, et
M'"« Carreno un concerto d'un jeune compositeur américain, M. Mas
Dowell. La brillante pianiste a su, par son jeu captivant et son étincelanta
LE MENESTREL
virtuosité, secouer la torpeur du public et lui arracher bis et rappels. Le
succès du dernier concert a été pour les fragments des Troyens, de Berlioz,
qui ont profondément impressionné l'auditoire. Par contre, la Kaiser-Marsch
de Wagner a été écoutée avec la plus parfaite indifférence, ainsi que le
constate le correspondant d'un journal de Leipzig. Le festival avait été
précédé, la veille, d'une représentation de Tannhduser à l'Opéra royal, repré-
sentation que toute la presse flétrit d'un blâme unanime. Les membres de
l'Association se sont donné rendez-vous pour l'année prochaine à Munich,
en se souhaitant mutuellement meilleure chance.
— Le Conservatoire royal de Dresde vient de publier son rapport pour
l'année scolaire 1890-1S91. Le chiffre des élèves qui ont fréquenté l'insti-
tution pendant cette période s'est élevé à 835, soit une augmentation de
80 sur l'exercice précédent. Les classes de piano ont reçu S29 élèves, celles
de violon 126 et celles de chant 109. L'ensemble de l'enseignement com-
prenait -44 facultés. Le recensement des élèves d'après leur nationalité
accuse : SOI saxons, IbO allemands des autres états, 30 autrichiens,
13 suisses, 46 anglais, S Scandinaves, 3 italiens, 1 français, 26 russes, 1 turc,
1 roumain, 38 américains du nord, 6 américains du sud, 9 indiens anglais,
1 arabe, 2 africains et 2 australiens.
— Voici qui n'est pas pour réjouir nos wagnériens les plus farouches,
ceux pour qui les premières œuvres du maître ne sont maintenant que
du « vieux jeu » et qui ne veulent voir et admirer en lui que l'auteur de
Tristan et Yseult, de Parsifal et de l'Anneaxi du Nibelung. Or, sait-on ce qui
se passe à Berlin, où le public ne saurait sans doute passer pour être hostile
de parti pris au grand musicien saxon? "Voici comiaent se répartissent ses
ouvrages pour les 81 représentations wagnériennes qui ont été données au
cours de la dernière année théâtrale : Tannhduser, 29 représentations ;
Lohengrin, 24 ; les Maîtres Chanteurs, 9 ; le Vaisseau fantôme, 6 ; Tristan et
Yseult, 4 ; la Valkiire, 4 ; Wteingold, 2 ; le Crépuscule des dieux, 2 ; et Sieg-
fried... 1! Donc, o3 soirées consacrées au Tannhduser et Lohengrin, contre
28 partagées entre les sept autres ouvrages. D'où il appert que, même à
Berlin, ce ne sont pas les oeuvres les plus rébarbatives du maître qui
obtiennent le plus grand succès. Il s'en faut de tout. Ajoutons que VObe-
ron de Weber prime encore la plus fortunée des œuvres de Wagner, car
il a été joué 36 fois, et constatons que Carmen, Mignon et Fra Diavolo font
encore assez bonne figure sur le répertoire du théâtre royal de Berlin.
— La saison lyrique 1890-1891 en Scandinavie : A l'Opéra-Royal de
Stockholm, le répertoire de cette saison s'est composé de vingt-huit œuvres,
parmi lesquelles 10 françaises, 9 italiennes et 7 allemandes. Viennent en
tête la Cavalleria rusticana avec 16 représentations et Mignon avec 15. A
l'Opéra de Copenhague, 13 ouvrages ont été offerts au public, dont 3 fran-
çais : Mignon, jouée 6 fois, Fra Diavolo, 5 et les Contes d'Hoffmann, 2. A
l'Opéra de Christiania, 3 ouvrages seulement, tous trois français : le
Domino noir, avec 22 représentations, Carmen, avec 13, Faust, avec 9. Ces
chiffres sont d'autant plus remarquables qu'il ne s'agit ici que de reprises
d'œuvres depuis longtemps connues. Et si le nombre des pièces est bien
restreint à Christiania, les cantatrices norvégiennes ont pris leur revanche
en se faisant une large part dans l'interprétation des opéras français re-
présentés à Stockholm cette année; en effet, quatre d'entre elles s'y sont
produites dans Angèle du Domino noir, Carmen, Mignon, etc., dont elles
avaient été parfois les créatrices en Scandinavie.
— On a donné avec succès au théâtre Goldoni, de Florence, une opérette
nouvelle, i Quattro Ruitici, dont le sujet est tiré d'une comédie de Goldoni.
La musique, écrite sur un livret de M. Pontecchi, est l'œuvre d'une « com-
positrice », la maestra Adolfa Galloni. Une autre maestra. M"' Teresa
Guidi, vient de terminer un opéra sur un poème intitulé Don Cesare di
Bazan, de M. Francesco Guidi, auteur déjà d'une Regina di Cipro et d'un
Birraio di Preston, dont l'invention n'a pas dû lui coûter beaucoup, sans
doute.
— La petite ville de Fontanetto, en Piémont, vient de rendre à un ar-
tiste illustre, à l'admirable violoniste Viotti, un hommage assurément
légitime et dix fois mérité. La Société ouvrière de cette ville a fait placer
récemment, sur la façade de la maison où il est né, une pierre commé-
morative portant cette inscription :
In quesla casa
Il 23 Maggio 1753
nasceva
G. B. Viotti
violinista
La Societa Operaia
Addi 31 Giugno iS9i
Pose
Durant les modestes fêtes que le municipe, la Société ouvrière et quelques
particuliers à la tête desquels se trouvait le docteur Faldella, avaient pré-
parées à cette occasion, M. Caligari a prononcé un bel éloge de Viotti. Au
banquet qui, selon la coutume, faisait partie du programme artistique
M. Faldella prit la parole et se réjouit avec les ouvriers de Fontanetto
de la gracieuse pensée qu'ils avaient eue de rappeler i la postérité le nom
d'un « si vaillant ouvrier de l'art, » auquel l'Italie doit une si grande
gloire. Pendant le hanquet arrivèrent des télégrammes de MM. Di Collo-
biano et Lucca, députés du collège, des sénateurs Guala, Verga et Bertole-
Viale, et de la comtesse Franchi Verney, c'est-à-dire la violoniste ïeresina
Tua.
— Le théâtre ApoUo, de Madrid, vient de remporter un énorme succès
avec une zarzuela nouvelle, Trafalgar, paroles de M. Javier Burgos, musique
de M. Jimenez, décors de MM. Bussato et Fontana, jouée pour les rôles
principaux par W.. Julian Bomea et M"'» Gorriz et Romero. La presse
espagnole est enthousiaste au sujet de cet ouvrage, et elle nous apprend
que le premier soir, le poète, le musicien, les peintres, les artistes ont
été rappelés plusieurs fois sur la scène. Il n'y manquait que les machinistes.
— On prépare, dans un des théâtres de Lisbonne, la première représen-
tation d'une opérette nouvelle, intitulée 0 burro do sr. Alcaide, dont les
paroles ont pour auteurs MM. Gervasio Lobalo et Joao de Camara et la
musique M. Lyriaco de Cardoso.
— Encore une tentative originale à l'actif des Américains. Celle-ci a
pour instigatrice miss Amy Fay, de Chicago, qui après avoir été une pia-
niste distinguée et une femme de lettres dont les écrits sur la musique sont-
fort appréciés, veut à présent consacrer ses efforts au relèvement de l'art
chorégraphique. Dans ce but, elle vient de donner au Ghickering Hall, de
New-York, un concert-conférence où les auditions de piano alternaient
avec des danses exécutées par miss Hélène Willis, qui s'intitule « danseuse
d'après la méthode de Delsarte. » On sait que ce célèbre esthéticien consi-
dérait le corps humain comme le voile de l'esprit et que la base de son
enseignement était fondée sur cette théorie unique : Pour atteindre la per-
fection dans le beau, il faut que nos facultés et nos fonctions physiques
se fondent avec nos facultés et nos fonctions morales et intellectuelles. »
C'est l'application chorégraphique de cette théorie que miss Willis est
venue exposer aux yeux du public convoqué par miss Fay à Ghickering
Hall, avec un succès que la presse de New-York a été unanime à constater.
On lui a bissé le pas de Naïla dans la Source (de Delibes) et une danse
espagnole de Sliasny. Miss Fay compte introduire son innovation dans les
grands concerts symphoniques et, par là, rendre indissoluble l'union du
rythme et de la mélodie.
— Nous laissons au Musical Standard la responsabilité de ce qui suit :
« Parmi les merveilles de l'Exposition de 1802-93 à Chicago, figurera une
pièce mécanique représentant M'"'^ Patti en grandeur naturelle. Les gestes,
le sourire et les mouvements musculaires du visage particuliers à la diva
seront reproduits automatiquement par un procédé d'électricité. A l'inté-
rieur de la pièce, sera dissimulé un phonographe muni de clichés ayant
enregistré la voix de la cantatrice. Les visiteurs de l'Exposition seront
donc à même d'entendre M^^ Patti à tout instant de la journée. »
PARIS ET DEPiRTEIIIENTS
Voici les résultats des concours à huis clos, dont la série s'est con-
tinuée cette semaine au Conservatoire :
Harmonie (femmes). — Jury : MM. Ambroise Thomas, Ernest Guiraud,
Théodore Dubois, Fissot, Marty, Pierné, Raoul Pugno, Taudou, F. Thomé.
1"' prix : M"= Thouvenel.
3«s prix : M"== Renié et Laville.
1'^' accessit : M"= Alexandre.
2= accessit : M"" Robert-Bellevaut.
Toutes élèves de M. Ch. Lenepveu. Les concurrentes étaient au nombre
de 10.
Fugue. — Jury : MM. Ambroise Thomas, Benjamin Godard, Fissot,
Dallier, Raoul Pugno, Taudou, Paul Vidal, Widor.
I"'' prix : M"'- Jaëger et M. Bûsser, élèves de M. Ernest Guiraud.
2= prix : M. Briouse, élève d'abord de Léo Delibes, puis de M. Théodore
Dubois.
y»' accessit : M"" Jeanne Rivinach, élève de M. J. Massenet.
2" accessit : M. Maurel, élève de M. Ernest Guiraud.
L'épreuve réunissait 15 concurrents et concurrentes, et l'on voit que ces
dernières n'ont pas manqué de se distinguer comme elles le font depuis
quelques années dans ce concours, qui couronne superbement la série des
grandes études théoriques musicales. On a remarqué d'ailleurs avec raison
que le premier prix de fugue décerné à une femme n'est pas une nouveauté
dans la classe de M. Guiraud : c'est la quatrième fois que ce prix d'ordre
supérieur est remporté par une des élèves de ce professeur. Quant à
M"« Jaëger, couronnée cette fois, elle a fait toute son éducation au Con-
servatoire; elle y est entrée enfant, il y a une douzaine d'années, et elle
a obtenu tous les premiers prix des cours qu'elle y a suivis.
Piano, classes préparatoires (femmes). — Jury : MM. Ambroise Thomas,
Th. Dubois, Delaborde, Alphonse Duvernoy, Fissot, Emile Bernard, P. V.
de la Nux, I. Philipp, Raoul Pugno.
'/™s médailles : M"'-= C. Bonnard, Belville, Rheims, élèves de M°"'Ghéné;
Mezard, Jacquinot, Boissée, élèves de M™» Tarpet.
2"' médailles : M""* Heidet, Ruckert, élèves de M""* Chéné; Roux. Sola-
coglu, Bourgeois, élèves de M™' Tarpet.
3"s médailles : M"«* Paltot, Oberlé, élèves de M"i« Chéné; Bailé, élève
de M""' Tarpet; Pennetot, élève de M""" Trouilleberl; Rennessou, Trevis
et Laugé, élève de M"'" Chéné.
Les concurrentes étaient au nombre de 23. Le morceau d'exécution était
le 2= concerto de Field; le morceau à déchiffrer avait été écrit par M. Henri
Fissot.
Violon, classes préparatoires. — Jury : MM. Ambroise Thomas, Charles
Dancla, Sauzay, Maurin, Madier de Montjau, Ferrand, Gastinel, Hayot,
Pénavaire.
LE MENESTREL
223.
/■■es médailles : U"<^ Roussillon, Périgot, élèves de M. Bérou; M. Fleur-
delys, élève de M. Desjardins.
^^ médailles: M. Bosc, élève de Bérou; M. Touche, M»" Linder et M. Mar-
tinet, élèves de M. Desjardins.
3« médailles : M"" Grigné, élève de M. Desjardins, et M. Sachiari, élève
de M. Bérou.
17 concurrents des deux sexes.
Piano préparatoire (hommes). — Jury: MM. Ambroise Thomas, Théodore
Dubois, Diémer, Gh. de Bériot, Mangin, Auzende, Th. Lack, Charles René,
Fr. Thomé.
4^ médaille : M. Ravel, élève de M. Anthiome.
2» mérfuitos : MM. Cortot, Galton, élèves de M. Decombes; Hobichon,
élève de M. Anthiome.
3' médaille: M. Ringsdorff, élève de M. Anthiome.
Orgue et improvisation : — Jury : MM. Ambroise Thomas, E. Guiraud,
Th. Dubois, Fissot, Gigoul, Dallier, Pierné, R. Pugno et Salomé.
t<" prix : M. Tournemire.
Pas de second prix.
4" accessit : M. Berger.
2» accessit : MM. Vierne et Bouval.
Tous les élèves récompensés font partie de la classe de M. Ch.-M. Widor,
tenue antérieurement par César Franck.
— Voici la liste des élèves qui prendront part aux concours de chant,
avec les titres des ouvrages dans lesquels ils se feront entendre :
Concours des hommes. — 1. M. Barthet (élève de M. Barbot), cavatine de
Za'irc ; 2. M. Bérard (M. Duvernoy), le Valet de chambre ; 3. M. Grimaud
(M. Warot), le Bal masqué ; i. M. Victor Petit (M. Archaimbaud), Œdipe à
Colone ; S. M. Cadio (M. Boulanger), Iphigénie en Aulide ; 6. M. Silvestre
(M. Archaimbaud), les Saisons, de Massé ; 7. M. Périer (M. Bussine),
Othello: 8. M. Albert Petit (M. Duvernoy), Iphigénie en Aulide; 9. M. Villa
(M. Archaimbaud), les Abencérages : 10. M. Montégut (M. Barbot), le Chalet ;
H. M. Artus (M. Crosti), le Siège de Corinthe ; 12. M. Nivette (M. Duvernoy),
Sardanapale ; 13. M. Dufour (M. Bax), Richard Cœur de Lion; 14. M. Castel
(M. Bax), Iphigénie en Tauride ; lo. M. Ghasne (M. Bussine), le Siège de Co-
rinthe ; 10. M. Commène (M. Boulanger), les Abencérages ; 17. M. David
(M. Warot), Roméo et Juliette; 18. M. Chassaing (M. Warot), les Abencérages ;
19. M. Delpouget (M. Duvernoy), le Bravo.
Concours des femmes. — 1. M"»^ Mèdart (élève de M. Barbot), Hamlet ;
2. Solange (M. Archaimbaud), le Serment ; 3. Mathieu (M. Archaimbaud),
Robert le Diable; i. Joudeleski (M. Barbot), fe Bal masqué; S. Vautrin
(M. Barbot), le Pardon; 6. Pacary (M. Warot), le Freischiitz ; 7. Jeniez
(M. Archaimbaud), Lucie: S. Blanckaert (M. Duvernoy, la Flûte enchantée;
9. Guillou (M. Warot), la .luive : 10. Crehange (M. Bussine), Ernani;
11. Giovanetti (M. Duvernoy), la Flûte enchantée; 12. Brelay (M. Crosti), les
Huguenots; 13. Issaurat (M. Duvernoy), Fidelio ; 14. Audran (M. Archaim-
baud), les Saisons ; 13. Selma (M. Warot), Fidelio; 16. Hanez (M. Barbot),
Ernani; 17. Desparsac (M. Bax), Alceste : 18. Wyns (M. Crosti), la Reine de
Chypre; 19. Thommerel (M. Bussine), Mdise ; 20. Cléry (M. Bussine), le Frei-
schiitz ; 21. Lemeignan (M. Warot), Hamlet; 22. Michel (M. Crosti), h Fée
auj; roses ; 23. Cru/.oac (M. Barbot), les Huguenots; 24. Brillant (M. Duver-
noy), il Crociatio ; 23. Morel (M. Boulanger), Lalia-Roukli ; 26. Laisné
(M. Boulanger), le Comte Ory.
— Au Conservatoire de musique, un cours de physiologie et d'hy-
giène de la voix vient d'être créé. C'est le docteur Gougenheim, médecin
du Conservatoire depuis de longues années, qui est chargé de cet ensei-
gnement.
— Nous n'avons malheureusement pas de nouvelles satisfaisantes de
la santé de M. Gounod. Le maitre est toujours à Saint-Cloud, toujours au
lit, toujours souffrant de la maladie de cœur dont il est atteint et qui
l'affaiblit considérablement. Les médecins lui interdisent toujours de rece-
voir des visites, qui ne pourraient que le fatiguer inutilement, et lui
recommandent un repos complet et absolu. Nous faisons des vœux pour le
rétablissement de l'illustre malade.
— En annonçant, ce qui est déjà assez douteux, que M. Massenet travaillait
à un opéra intitulé .img Robsart, dont le sujet était tiré d'un roman de
Walter Scott, le Château de Kenilwm'th, un reporter en peine de nouvelles
disait ces jours derniers : « Or, sait-on que le premier opéra-comique en
trois actes dû à la collaboration d'Auber, de Scribe et de Mélesville est
précisément intitulé : Am%j Robsart ? Il n'eut d'ailleurs qu'un médiocre succès.
Heureusement que les auteurs étaient des hommes d'esprit qui prirent
maintes fois leur revanche par la suite. » Quelques-uns de nos confrères
ont reproduit cette... découverte; d'autres se sont méfiés, mieux avisés.
C'est qu'en effet, jamais Scribe et Auber n'ont écrit d'opéra sous ce
titre d'Amy Robsart, qni n'a d'ailleurs jamais été celui d'aucun ouvrage
lyrique.
^- La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, si
excellemment dirigée par M. Victor Souchon, vient de perdre pour la troi-
sième fois en Angleterre, devant la « Cour suprême », le procès qu'elle
avait malencontreusement engagé contre un chef d'orchestre de Brighton.
Toujours des dépens au compte de la Société et, au bout de tout cela, la dé-
nonciation de la convention de Berne par l'Angleterre, en 1892. Voilà de
la jolie besogne. Et dire que, non corrigé par l'expérience, on se dispose
à commencer une campagne semblable en Allemagne. C'est beau, l'intel-
ligence et l'activité!
— Sait-on quels sont les instruments préférés des souverains et princes
régnants? La reine des Belges est une harpiste remarquable; la reine
d'Italie, outre son talent de chanteuse et de pianiste, pince avec grâce
de la mandoline ; presque toutes les princesses anglaises touchent du
piano; la princesse Béatrice joue de l'harmonium avec une rare maestria;
leczar de toutes les Russies joue volontiers les instruments de cuivre et
gratte du banjo ; la reine Victoria et sa lille Lucy jouent fort bien de
l'orgue ; le prince de Galles est d'une virtuosité peu commune sur le
banjo; la princesse, sa femme, est une pianiste distinguée; la flûte charme
les loisirs du duc de Connaught ; le violon est l'instrument préféré du
duc d'Edimbourg; le prince Henri de Prusse compose et joue du piano
et du violon; l'impératrice du Japon est une virtuose sur le koto, espèce
de harpe, qui est l'instrument national de ses sujets ; la reine Elisabeth
de Roumanie joue habilement du piano et de la harpe; enfin, le roi
Georges de Grèce s'applique aux expériences acoustiques avec des cloches
et des verres et obtient des effets extraordinaires; il touche aussi du
cymbalum, l'instrument des Tsiganes de la Hongrie.
— M. Henri Lavoix, à qui ses importantes fonctions administratives
n'ont enlevé ni le sentiment de l'art, ni le goût des travaux qui s'y rat-
tachent, vient de publier, dans la Bibliothèque de l'enseignement des
beaux-arts (Quantin, éditeur), un nouveau volume qui a pour titre et pour
objet la Musique française. Ce nouveau volume est comme une sorte de
complément indirect à celui que sous ce titre : Histoire ds la musique, il
avait donné précédemment dans la même collection. L'ensemble produit
par la réunion de l'un et de l'autre forme ainsi, dans une étendue res-
treinte, comme un manuel, un précis aussi net et aussi complet que
possible de l'histoire générale de la musique chez les peuples européens.
Ainsi condensée dans le court espace des trois cents pages illustrées du
livre que M. Lavoix vient de mettre au jour. l'histoire si intéressante et si
substantielle de la musique française se présente au lecteur dans toute la
grâce et toute la fraîcheur de cet art que nos artistes ont su rendre si
charmant, si expressif et si personnel, quoi qu'en aient pu dire certains
détracteurs maladroits ou intéressés. C'est avec un vif plaisir que, pour
ma part, moi qui n'ai jamais cessé de prendre en mains, en toute occa-
sion, la cause de l'art national et de ceux qui depuis si longtemps l'ont
porté à un haut point de splendeur, j'ai vu M. Lavoix le défendre et le
rehausser aux yeux de tous avec une ardeur et une chaleur de conviction
tout à fait communicatives. Nous avons, en vérité, sans courir le risque
d'être injustes envers nos émules et nos rivaux, le droit d'être fiers de
notre musique et de nos musiciens, et ceux qui liront le livre dont je
parle y trouveront, accumulées, les preuves de la grandeur de l'une et du
génie des autres. Que sur quelques points de détail on se trouve parfois
avec l'auteur en un léger désaccord, cela n'a rien qui doive surprendre,
certains sentiments différant toujours, au moins en leurs nuances, selon
les individus. Mais au point de vue général, nul ne peut nier que le
tableau tracé par M. Lavoix ne soit très exact, et très fidèle, en même
temps que tout à l'honneur de notre pays. En dehors de sa valeur propre,
la Musique fraru;aise acquiert un attrait particulier par les nombreuses
illustrations dont elle est ornée, illustrations toutes documentaires, con-
sistant en reproductions de neumes, estampes allégoriques ou historiques,
décorations théâtrales, portraits, autographes, cho-^sis et réunis avec le
plus grand soin. Cela complète et agrémente le volume de la façon la plus
heureuse. A. P.
— .Académie de musique de Lille, succursale du Conservatoire de Paris, tel est
le titre d'un livre de M. A. Gaudefroy, qui vient de paraître à Lille, à la
librairie Quarré. C'est l'histoire d'un des premiers conservatoires créés en
France à la suite de celui de Paris, car sa fondation remonte à l'année
1801. Il est même juste de faire remarquer que le premier projet d'une
école de musique à Lille, projet dû à la Société du Grand Concert de cette
ville, date de 1785, et que les événements politiques en retardèrent seuls
la réalisation. On sait qu'aujourd'hui, et depuis longtemps déjà, l'Académie
de musique de Lille est une de nos écoles départementales les plus flo-
rissantes. Érigée en 1826 en succursale du Conservatoire de Paris, et
dirigée pendant un demi-siècle par une commission spéciale, elle a eu
pour directeurs, depuis sa réorganisation en 1832, Toury, Henri Cohen,
V. Magnien et M. Ferdinand Lavainne, aujourd'hui encore en exercice.
L'euseignementy est complet et fortement organisé. Le livre de M. Gaude-
froy, fait avec soin, à l'aide de documents officiels dont un grand nombre
sont reproduits, en retrace fidèlement l'historique. Il se termine par une
série de notices biographiques sur les principaux élèves qui sont sortis
de l'école et où nous remarquons les noms de M""= Iweins-d'Hennin, de
M"=s Louise.Lavoye, Rouvroy, Simonnet, de M"" Landouzy, et de MM. Edouard
Lalo,Th. Semet, Franchomme, Obin, Riquier-Delaunay, Clément Broutin,
Gustave Charpentier, Sinsoilliez, Ferdinand Lavainne, Victor Delannoy,
etc. C'est le premier ouvrage aussi important que nous voyons consacrer
à une de nos grandes écoles musicales de province. A. P.
— M""" Marchesi a quitté Paris dimanche dernier, se rendant à Bade.
L'éminent professeur sera de retour dès le premier septembre, pour
reprendre ses cours et ses leçons.
LE MENESTREL
— La Société nationale d'encouragement au bien (section de l'instruction et
lie l'éducation) vient de décerner une médaille d'honneur à la Chanson des
Écoles, le joli petit recueil illustré de MM. Frédéric Bataille et Paul Rou-
gnon, où l'on trouve tous les vieux airs de nos campagnes adaptés sur
des poésies charmantes et moralisatrices. Ce petit livre en est d'ailleurs
à sa 2^' édition. Le premier tirage de 5,000 exemplaires a été enlevé en
quelques mois.
— Académie de musique de Toulouse. Concours de 1891. L'Académie,
réunie en Assemblée générale, a décerné les récompenses suivantes :
N" 1. Elégie, mention. C'est li soir, par M. 0. Rigot (Epernay). — N" 2.
Concerto, pour piano et' orchestre, pas de récompense. — N" 3. Choeur
avec orchestre, 2= prix, Patrie, par M. Paul Marthe (Clermont-Ferrand);
mention, Marche romaine, par M. Giboux Battmann (Dijon). — N" i. SÉnÉ-
NADE, une œuvre 'aurait mérité un 1" prix, l'Assemblée a du le refuser,
l'auteur n'étant pas resté dans les limites du programme. — N° 5. Duo
pour voix do femmes, 2^' prix, à l'unanimité, Sotei(, par M. E. Ratez (Paris);
P" mention, Sommeil de l'iniiocenev, par M. l'abbé Boyer (Bergerac); i'^ men-
tion, Siriiis, par M. 0. Gourgues (Paris). — N° 6. Polonaise pour musique
d'harmonie, 1" prix, Sélika, par M. A. Fouquet (Mamers) ; 2'^ prix, Viiam
impendere vero, par M. Paul Marthe (Clermont-Ferrand). — N" 7. LinnETïO
diopéra-comique, 2' prix, Aristomenès, par M. Terrier (Alger); mention, la
Léyende de Castelnoir, par M. de Beltout (Hérault); mention, le Racoleur,
par M. E. Lambert (Toulouse). La distribution des prix et le concert où seront
exécutées les œuvres couronnées, auront lieu dans le courant de novembre.
Les manuscrits couronnés resteront au siège de l'Académie jusqu'à cette
date. Les épigraphes des autres manuscrits ne devant pas être ouvertes,
les auteurs voudront bien réclamer leur œuvre en envoyant le montant
des frais de retour. L'Académie décline toute responsabilité pour les ma-
nuscrits qui ne seraient pas retirés avant le 31 décembre 1891.
— A Nice, on vient de placer une plaque de marbre, avec une inscrip-
tion commémorative en italien, sur la maison où mourut, en 1840, l'incom-
parable violoniste Isioolo Paganini. L'inscription italienne dit que « au
déclin du vingt-septième jour de mai 1840, l'esprit de Nicolo Paganini
est retourné se confondre aux sources de l'éternelle harmonie. L'archet
puissant aux notes magiques git, inerte, mais la douceur suprême en vit
encore dans les brises parfuniées de Nice ». Voilà assurément un modèle
d'épigraphie poétique et colorée.
— Au concert de charité organisé dimanche par M'"'^' Wilbrod-Lautier.
grand succès pour l'impromptu-valse de Diémer. exécutée par M"'" "Vil-
brod-Lautier, pour la Pensée d'Automne, de Massenet, admirablement
interprétée par M"""^ Marie Ruetf, et pour MM. Charles René, Belhomme,
Ten Brinck et Dumoulin, qui prêtaient leur concours à cette bonne
œuvre. '
— De Boulogne-sur-Mer : La représentation de Mireille qui a eu lieu
hier soir au Casino, devant une fort belle salle, pour les débuts de la nou-
velle troupe lyrique, a été un brillant succès. Les honneurs de la soirée
reviennent à M"" Jane Duran, qui, dans le rôle de Mireille, a développé
les remarquables ressources d'un organe flexible, mélodieux et se prêtant
merveilleusement aux plus charmantes fantaisies d'une facile vocalisation.
Très applaudie après la valse du premier acte, M"= Duran a vu son succès
s'affirmer encore après l'air: Je suis sa femme, et le duo avec Vincent, dans
lequel elle a positivement enthousiasmé l'auditoire par le charme
exquis de sa virtuosité et le goût dont elle fait preuve dans l'interpréta-
tion des moindres nuances. A bientôt Manon, Lakmé, Mignon, le Roi d Ys, etc.
— Les concerts organisés par M. Oscar Petit au Jardin Vauhan, de Lille,
jouissent toujours d'une très grande vogue et attirent un nombreux public.
Nous relevons, sur le dernier programme, les noms de M"" Yvel, très fêtée
dans le duo d'Hainlet avec M. Minssart, un baryton de grand talent, et de
M. Imbart de la Tour, qui a délicieusement soupiré l'aubade du Roi d'Ys et
très artistiquement chanté la prière du Cid. L'orchestre, sous la direction
de son habile chef, a fort bien accompagné les chanteurs et a obtenu un
très beau succès en exécutarft les airs du ballet de Coppélii.
— Nous apprenons que M"" veuve Henri Herz vient de céder sa célèbre
manufacture de pianos Henri Herz à M. Amédée Thibout lils, qui se
trouve déjà à la tète de l'importante maison Amédée Thibout et C'". Par
ce fait, la maison Henri Herz est transférée 28, rue Victor-Masse.
— Le maire de Saint-Etienne faitsavoir que l'emploi de chef d'orchestre
au théâtre de cette ville est vacant en ce moment, et que les demandes
à ce sujet doivent être adressées directement à la mairie.
NÉCROLOGIE
L Italie vient de perdre, à 1 âge de soixante-douze ans, un de ses
artistes les plus renommés, le pianiste compositeur Stefano Golinelli,
celui que, dans leur emphase habituelle, ses compatriotes ne craignaient
pas d'appeler parfois le Bach de l'Italie. En réalité, Golinelli était un ar-
tiste remarquable, au talent sérieux et élevé, qui avait conquis une re-
nommée légitime non seulement pour ses grandes qualités de virtuose,
mais encore pour les rares facultés dont il faisait preuve dans les com-
liositions qu'il consacrait à son instrument. La plupart de ces composi-
tions, dont le nombre ne s'élève guère à moins de trois cents, se distinguent,
dit-on. autant par l'élégance et la grâce de la forme que par l'élévation du
style et de la pensée. On remarque parmi elles .5 sonates, 3 toccates, 2 fan-
taisies romantiques, un recueil de 12 éludes, 48 préludes en deux livres,
un livre d'Esquisses pianistiques, un Allmm dédié à Mercadante, etc. Depuis
longtemps professeur au Lycée musical de Bologne, où il était né le 26 oc-
tobre 1818, Golinelli est mort en cette ville le 3 juillet.
— Un chanteur qui naguère s'était fait quelque peu connaître à Paris,
et qui ensuite avait fourni une carrière brillante sur la plujiart de nos
grandes scènes départementales, le ténor Gabriel de Quercy, s'est suicidé
cette semaine. Il était revenu depuis quelques années à Paris et remplis-
sait les fonctions de régisseur aux Bouffes-Parisiens, où on le vit même
tenir un rôle dans Joséphine vendue par sis sœurs. Assez souffrant depuis
plusieurs jours, de Quercy, qui habitait au parc Saint-Maur, a été atteint
d'un accès de fièvre chaude et s'est tué d'un couji de pistolet. Il était âgé
de soixante-deux ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En l'ente, AU MÉNESTREL, 2''", me Vivicnne, HJEÏJGBîHj et C"-", édileiirs-propriétaires pour tous pays.
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Pris net : 20 fr.
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LE MAGE
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1
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BALLET EXTRAIT
Prix net : 3 fr.
J. MASSENET
Morceaux de chant détachés. — Transcriptions et arrangements pour piano et instruments divers. J
Dimanche 19 Juillet 1891.
3146 - 57- AN» - N" 29. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL., Direcieur
Adresser pbanco i M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenC
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (18" article), Albert Souhies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Les représentations gratuites du 14 Juillet;
débuts du baryton Renaud à l'Opéra; première représentation de l'Article 231,
k la Comédie-Française, Paul -Emile Chevalier. — III. Napoléon dilettante
(IG" article), Edmond Neukomm et Paijl d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et
concerts .
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
MYOSOTIS
romance sans paroles, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: Airs
de ballet du Mage, par J. Massenet.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: le Chant touranien du Mage, chanté par M™" Lureau-Escalaïs,
musique de J. Massenet, poésie de Jean Richepin. — Suivra immédiate-
ment une mélodie de Alph. Duvernoy.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Cliarles MiA-LHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voijage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.'
(1865-1868)
(Suite.)
Le Premier Jour de bonheur était appelé à un succès moins du-
rable, malgré l'éclat indéniable de son apparition et le charme
réel de sa musique. On l'avait annoncé dès le mois de
septembre 1866, sous son vrai titre, lequel fut momentané-
ment remplacé aux répétitions par celui d'Bélène et d'un Jour
de bonheur, pour revenir finalement au premier choisi. Mais
sous la plume de l'infatigable vieillard les ouvrages se succé-
daient avec une trop grande continuité pour piquer bien
longtemps d'avance la curiosité générale. On les voyait tou-
jours avec plaisir, on les attendait sans impatience : c'était
un capital assuré dont on touchait les intérêts annuels; mais
chaque fois quelque enthousiaste se rencontrait pour écrire
des couplets dithyrambiques dans le genre de celui-ci, que
signa Paul Bernard : « Les exemples de longévité artistique
aussi prolongée sont assez rares pour qu'on les salue avec
vénération. Cependant, ces considérations ne devraient pas
entrer dans la balance si l'œuvre produite était inférieure et
se ressentait du poids des ans. L'art passe avant la créature.
Mais si, au contraire, cette œuvre est pleine de vie, de talent
et de génie, si elle est plus fraîche que le printemps, plus riche que
l'été, PLUS EXPÉRIMENTÉE QUE l'automne. Si l'hiver scul y fait défaut,
oh ! alors, on peut s'extasier sur une telle exception, et jeter
une double dose d'admiration dans la coupe du succès ! »
Cette fois cependant, l'attention était plus éveillée que de
coutume ; le vieil Auber avait perdu son vieux collaborateur
Scribe, et l'on pouvait se demander qui assumerait la tâche
de le remplacer. On savait que dès 1865, M. Victorien Sardou
lui avait remis un scénario; on apprit enfin, par la lecture
faite aux artistes, le 15 octobre 1867, que la pièce nouvelle
était pour les paroles de MM. d'Ennery et Cormon, deux vété-
rans du théâtre, deux habitués du succès. De plus, un
incident d'ordre judiciaire ne contribua pas peu à faire par-
ler de l'œuvre avant sa naissance. Le rôle d'Hélène devait
servir aux débuts d'une brillante élève d'Eugénie Garcia,
Une femme du monde qui voulait aborder la scène, M""" Mon-
belli, alors M™^ Crémieux, et, depuis, la générale Bataille. Mais
les parents, peu flattés sans doute d'une pareille résolution,
firent défense à la jeune cantatrice de monter sur les plan-
ches. Un jugement du tribunal de première instance leur
donna tort; ils interjetèrent appel, et, le 3 janvier 1868, un
arrêt de la cour, réformant ce jugement, leur donnait gain de
cause. M™ Monbelli ne put donc pas plus débuter alors à
rOpéra-Comique, que l'année suivante à l'Opéra. Entre temps,
le directeur avait redouté sans doute les complications qu'al-
lait entraîner l'engagement d'une artiste, ainsi contrariée dans
sa vocation ; il jeta les yeux sur M"" Brunet-Lafleur, qui avait
débuté avec succès le 18 décembre 1867 dans le rôle d'Angèle,
du Domino noir, après avoir remporté aux derniers concours
du Conservatoire le deuxième prix d'opéra-comique (classe
Mocker), le premier prix de chant (classe Revial) et le pre-
mier prix d'opéra (classe Duvernoy). Finalement il se décida
pour une actrice plus expérimentée, pour M'">= Cabel, et le
personnage d'Hélène subit d'importantes modifications : la
jeune Anglaise sentimentale devint, pour la circonstance,
une jeune veuve romanesque.
La pièce, d'ailleurs, gardait assez les allures de l'ancien
opéra-comique pour ne pas heurter les goûts du compositeur.
Elle empruntiit son sujet à une comédie représentée avec
succès à rOdéon en 1816, le Chevalier de Canolle, par Souques,
et devenue, depuis, l'objet de plusieurs autres adaptations
dramatiques. On y voyait le jeune officier français, coureur
d'aventures, brave et galant suivant la tradition. Tombé au
pouvoir des Anglais, il serait fusillé, si le fiancé de celle
qu'il aime, prisonnier des Français, était passé par les armes.
226
LE MENESTREL
La victoire des soldats de Sa Majesté Louis XV mettait fin à
cette cruelle incertitude en séparant les deux fiancés pour
unir les deux amants. Le mérite d'un tel livret résidait
moins dans le nœud de l'intrigue que dans le choix du cadre.
€e paysage indien, ces militaires, cette prétresse, fille de
brahmines, tout cela pouvait donner comme un avant-goùt
■de Lakiné : c'était, comme on a dit, « un canevas à la Scribe »,
mais rehaussé par quelques touches plus pittoresques et par
conséquent plus modernes.
Le succès des répétitions faisait présager un succès de
première. Malgré son âge, Auber déployait une activité de
jeune homme, ne manquant aucune de ces séances prépara-
toires, toujours debout à l'avant-scène, dirigeant du regard
et de la parole; puis, le travail de la journée fini, il revenait
le soir au théâtre, et souvent il lui arrivait de causer avec les
directeurs jusqu'à deux heures du matin, insensible à la fa-
tigue, lui qui venait d'entrer dans sa quatre-vingt-septième
année. Tous les acteurs étaient ravis de leurs rôles, et ceux
qui n'en avaient pas lui témoignaient leur regret de n'en
pas avoir, témoin M. Gailhard, qui venait de débuter brillam-,
ment dans k Songe dune nuit d'été, et qui lui disait : « Ah !
monsieur Auber, je vous en supplie, à votre prochaine pièce,
xéservez-moi un rôle.» — «Oui, oui, répondit le maestro, avec
un fin sourire, je vou£\ l'enverrai de Montmartre! » En quoi
il se trompait, car il devait, un an plus tard, lui confier le
personnage du marquis dans Rêve d'amour.
On avait espéré représenter l'ouvrage le 27 janvier, jour
anniversaire de sa naissance, ou, plutôt, le 29, car cette
•dernière date est la seule exacte, comme l'a prouvé depuis
M. Arthur Pougin. Mais quelques pages d'orchestration restaient
encore à terminer, et l'on se contenta de fêter le jour anni-
versaire par une aubade qu'avait organisée le générai Mellinet,
commandant en chef de la garde nationale. Une musique
vint dans la cour de sa maison, au numéro 24 de la rue Saint-
Georges, et exécuta l'ouverture de la Muette, plus une Marche
composée pour piano par Auber à l'âgé de quatorze ans, et
arrangée par M. Jonas pour musique militaire.
Il était écrit du l'este que la première soirée coïnciderait
avec quelque anniversaire heureux. En effet, lorsque le rideau
se leva, le 15 janvier 1868, il y avait cinquante-cinq ans moins
douze jours qu'Auber avait vu son nom, pour la première
fois, sur l'affiche de l'Opéra-Comique. Il y eut des applau-
dissements enthousiastes, et la qualité de l'interprétation
répondit assez bien au genre de l'œuvre. C'était M^^^ Cabel,
dite le rossignol de la salle Favarl, c'étaient Sainte-Foy, Mel-
chissédec, Bernard, Prilleux. C'était M"'= Marie Rôze, dans
tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté, la jolie Djelma,
que, dans son spirituel volume de portraits intitulé Derrière
la toile, M. Albert Yizentini définissait ainsi: « M"e Marie Rôze,
charmante vignette anglaise, qui retrouve au théâtre ses suc-
cès du Conservatoire et dont la position se fait aussi vite que
les embellissements du nouveau Paris. » C'était enfin le sé-
duisant, l'irrésistible Gapoul, auquel le vieux maître donnait
alors cet amusant conseil ; « Voyez-vous, mon cher Capoul,
ne vous mariez pas, ne vous mariez jamais!... Au théâtre,
il faut garder son indépendance.. . Si vous saviez comme je
me réjouis d'être resté garçon!... Pensez donc! Marié, j'au-
Tais aujourd'hui une femme de soixante-quinze ans... Non!
je ne pourrais plus, le soir, rentrer chez moi!... »
Le courant d'idées qui nous pousse aujourd'hui vers la
musique complexe et rafBnée ne nous permet plus d'émettre,
sur une partition comme le Premier Jour de bonheur, un juge-
ment aussi favorable que celui des contemporains. Mais il
y aurait injustice à lui refuser tout mérite. On y rencontre
plus d'une page gracieuse et pimpante ; le premier acte, pres-
que entier, garde encore une certaine couleur; tout le rôle
de Djelma est même empreint d'une mélancolie poétique qui
n'est pas la note habituelle d'Auber. L'ouvrage porte, moins
que bien d'autres, les traces de la sénilité. « On croirait vo-
lontiers que le maître a trouvé ces mélodies dans les heures
les plus riantes de sa jeunesse, mais qu'il les avait mises
en réserve dans un herbier pour en parfumer, un jour, les
œuvres de sa vieillesse. » En écrivant cette phrase quelques
années auparavant, Gustave Bertrand ne savait peut-être pas
la part exacte de vérité qu'elle contenait. C'est dans le passé
qu'il faut en effet chercher le secret de celte apparente
jeunesse, et le Premier Jour de bonheur en fournit une preuve
ignorée, jusqu'ici, du public.
La chanson des Djinns, dite par M"* Marie Rôze, fut, comme
on le sait, le clou de la pièce, le çjlanzpunct, diraient les Alle-
mands; or ce morceau, devenu rapidement populaire, ne
fut intercalé qu'après coup, presque à la dernière heure. On
répétait le second acte, et les auteurs, remarquant certain
vide dans la scène du bal, imaginèrent de le combler au
moyen d'une mélodie. « C'est bon, fit le compositeur aux
librettistes qui lui exprimaient leur désir; venez demain
matin; je vous donnerai ce que vous demandez. » Et le len-
demain, M. Cormon se présentait chez Auber, qui ouvrit une
grande armoire, pleine de manuscrits, en choisit deux qu'il
joua tour à tour à son piano, puis, s'étant prononcé pour
l'un d'eux : « Il me faudrait là, dit-il, des paroles inlerroga-
tives ; une jeune fille qui demanderait à ses compagnes: Ta
ta ta ta-a-a-a-a-a Oui! Ta ta ta ta-a-a-a-a-a Non! » Et le vieil-
lard mimait la chose en la fredonnant. « C'est convenu »
répondit son interlocateur qui, peu après, ajustait sur la mu-
sique ces paroles :
Crains-tu l'amour? — Oui.
Veux-tu le fuir? — Non.
Or, qu'était-ce que cette chanson des Djinns ainsi improvisée?
Une mélodie composée pour le Cheval de bronze, et non
utilisée jadis. L'air applaudi comme une nouveauté en 1868
datait de 18351
C'est ainsi qu'on peut reconstituer par la pensée le travail
du compositeur à la fin de sa carrière. Il arrangeait plus
qu'il n'inventait. Il fouillait dans cette armoire, qu'il avait
abondamment remplie de matériaux aux heures de la jeu-
nesse et de l'inspiration. Et l'armoire n'était pas encore vidée
au lendemain de sa mort! et seuls maintenant, ses héritiers,
M. Chrestien de PoUy, son neveu, et M"«= G. de Vallois, sa
nièce, pourraient nous dire ce qu'elle contenait. Ils se sont
partagé par moitié ces manuscrits, et dans cette masse de
papiers inédits peut-être se trouve-t-il quelque autre chanson
des Djinns, quelque perle, attendant, pour briller, l'heure où
s'ouvrira l'écrin qui la tient enfermée.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
Comme tous les ans, nous empruntons à notre ami Nicolet, du Gaulois,
la narration vive et fidèle des représentations gratuiles données dans les
théâtres subventionnés le 14 juillet, jour de fête nationale:
Beaucoup de monde. Toutes les salles sont pleines et leur phy-
sionomie est très variable. La foule se hiérarchise, pour ainsi dire.
A rOpÉRA, oîi la queue s'était formée dès minuit, salle très pitto-
resque. A midi et demi, on a ouvert les grilles et dirigé le public
de Ijas en haut, au fur et à mesure qu'il arrivait. Les fauteuils
d'orchestre, les amphithéâtres, les loges sont garnis d'une foule
relativement élégante. 11 y a même des habits noirs et des cravates
blanches. C'est à peu près le même public bourgeois qu'aux repré-
sentations du samedi. Aux premières loges, un sous-lieutenant, à
barbe blanche, portant un uniforme dataot de Louis-Philippe. C'est
sans doute un pensionnaire de rbôtel des Invalides. A l'orchestre,
un capitaine datant de la même époque. Cela donne la jauge du
public, un public de petite bourse, et qui profile de ces libéralités
patriotiques pour venir écouter un chef-d'œuvre.
M. Lamoureux prenait, pour la première fois, possession du bâton
de chef d'orchestre. Il attaque l'ouverture de Gui/laume Tell, qui
est acclamée par un public enthousiaste, à qui la partition de
Rossini ne paraît pas étrangère et qui fait de véritables ovations aux
artistes. M""" Lureau-Escalaïs, MM. Escalaïs, Bérardi, Dubulle y
vont de tout leur cœur, littéralement électrisés par cette salle chauffée
LE MENESTREL
227
à blanc. Le grand finale du second acte produit un effet immense.
Pais le rideau se relève sur la place publique d'Altorf, au milieu
de laquelle on a dressé, entouré de drapeaux, le buste de Marianne;
Melchissédec, habillé en troupier, se tient au pied de l'estrade,
entouré de tous les interprètes de Guillaume Tell. Cela produit un
singulier effet. C'est l'alliance de la France avec la Suisse. Au pied
de celte même colonne où Guillaume va défier Gessler, le jeune
baryton jette à pleins poumons le cri patriotique de la Marseillaise.
Inutile de dire que chaque strophe soulève dans la salle des applau-
dissements sans fin.
A la Cojiéme-Framçaise, même afQuence. Dès le matin, le public
se classait sous les colonnades, en attendant patiemment l'heure
fixée pour l'ouverture des portes. Il n'y a pas eu de place pour
tout le monde, et il fallait voir la mine déconfite de tous ces retar-
dataires à qui il ne serait pas permis d'applaudir Rui/ Blas. Le drame
de Victor Hugo, avec sa distribution des meilleurs jours, a été écouté
jusqu'au bout avec une attention soutenue, et les artistes ont dû
reparaître, après chaque acte, devant un public qui s'est montré
fort enthousiaste de l'œuvre et de ses interprètes.
Nous n'avons que quelques pas à faire, et nous voilà à I'Opéra-
CoMiQUE, où l'on donne les Dragons de Villars. Salle bondée et public
de choix, qui n'a pas marchandé ses applaudissements aux inter-
prètes de cette œuvre populaire. M"= Chevalier, dans le rôle de Rose
Friquel; M. Fugère, dans celui de Belamy; le ténor Carbonne,
M'" Degrandi, M. Barnolt, ont été tout particulièrement choyés par
ce public, qui ne se lassait ni de les rappeler, ni de les applaudir.
Ici, c'est un dragon de Louis XIV qui a chanté l'hymne de la Mar-
seillaise, ô ironie 1 M. Fugère, dans l'interprétation de /a Morsei/teise,
a montré un sentiment parfait des nuances, et son succès a été
considérable.
En résumé, malgré le beau temps, malgré les attractions de la
revue, en dépit des séductions d'une villégiature suburbaine, la
population parisienne a largement profité des plaisirs qui lui étaient
offerts. Panem et circenses ! cette devise est toujours vraie.
NiCOLET.
MM, Ritt et Gailhard, non contents de la soirée gratuite donnée
cette semaine, en l'honneur du 14 juillet, et mettant leurs bouchées
doubles pour essayer de bien terminer leur direction avec l'éclat
réclamé par le cahier des charges, nous ont conviés vendredi aux
débuts de M. Renaud dans Nélusko de l'Africaine. Précédé d'une
belle réputation conquise à la Monnaie de Bruxelles, M. Renaud
vient de faire une saison à rOpéra-Comique,au cours de laquelle les
applaudissements ne lui manquèrent pas ; le public de l'Opéra l'a
fort gracieusement accueilli, et pourtant, nous nous demandons si
l'artiste a bien donné, en cette première soirée, tout ce qu'on at-
tendait de lui. La voix reste fort belle et d'une grande homogé-
néité, l'homme est sympathique d'aspect et le comédien est moins
emprunté déjà ; mais du côté du style et surtout de la prononciation,
l'artiste a encore à gagner. Le cantabile du deuxième acte et prin-
cipalement la phrase de sortie de ce même acte, ainsi que la cava-
line du quatrième acte, ont été bien chantés ; la ballade d'Adamastor,
au contraire, a manqué d'éclat, et cependant, M. Renaud semble
plus à son aise dans les passages de force que dans ceux de dou-
ceur. M. Vergnel a chanté avec toute sa bravoure habituelle le rôle
de Vasco, lançant à toute volée les notes élevées. M™"^ Lureau-
Escalaïs, Fierens, et M. Dubulle, avec quelques seigneurs de
moindre importance, complétaient un ensemble que nous connaissions
déjà.
Comédie-Française. — L'Article 231, comédie en trois actes
de M. Paul Terrier.
M. Paul Ferrier, qui est, sans contredit, l'un de nos auteurs
modernes dont la production est la plus volumineuse et qui sait son
métier autant qu'homme de théâtre, vient de donner à la Comédie-
Française une comédie nouvelle en trois actes, fort divertissante,
vraiment; mais peut-être eût-elle été mieux placée au Gymnase ou
au Vaudeville. Après un premier acte très bien venu, H'une trame
soignée et d'un faire savant, n'excluant cependant ni la fantai-
sie ni l'esprit léger et facile, M. Paul Ferrier semble avoir oublié
toul à coup pour quelle scène il travaillait, et, laissant sa plume
courir au gré de son caprice, il s'est porté une fois de plus vers la
bouffonnerie, qui lui avait si bien réussi en d'autres théâtres. Si,
malgré le plaisir que nous avons pu prendre à plus d'une scène de
l'Article 231 , nous croyons devoir faire des réserves, c'est que nous
tenons M. Ferrier pour très supérieur aux aimables produclions
auxquelles il se p'.alt d'habitude, et que nous aimerions le voir se
vouer de temps à autre à des besognes plus sérieuses. Nous ne
sommes nullement l'ennemi des pièces gaies et légères d'allures même
à la Comédie-Française, bien au contraire ; des deux mains nous
avons battu lorsqu'on a eu la bonne idée d'y donner le Député de
Bombignac; mais il faut que les auteurs apportent là, en dehors
de leur fantaisie ou de leurs bons mots, un fond d'observation et un
respect de la vraisemblance absolument indispensables à la comédie
moderne.
Nos grands confrères vous ont déjà conté par le menu les aven-
tures de M. et M"" Verpineau qui, au lever du rideau, s'entêtent à
divorcer et qui finalementse réconcilient; n'y insistons pas autrement.
M. Got a composé d'une science merveilleuse un amusant type de
vieux noceur, et M"° Ludwig nous a paru très séduisante. MM. de
Féraudy, Prudhon, Truffier, Boucher, Laugier, Berr et M"°^ Kalb
et Hadamard ont fait de leur mieux.
Paul-Emile Chevalier.
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite)
X
MUSIQUE DE CIRCONSTANCE
On lit dans les mémoires de Bourienne, au passage relatif à
l'expédition d'Egypte :
« Les musiciens à bord de l'Orient donnaient quelquefois des au-
bades, mais seulement sur l'enlre-pont. Bonaparte n'aimait pas
encore assez la musique pour l'entendre dans son appartement. On
peut dire que son goût pour cet art s'est accru en raison directe de
sa puissance.»
Nous avons, par anticipation, fait justice de cet avis. Nous avons
vu Napoléon aimant de tout temps la musique ; mais, ce qui est à
considérer, c'est que, au fur et à mesure que sa puissance aug-
mentait, il se servait davantage de la musique comme moyen ac-
cessoire, propre à favoriser ses vues et ses plans.
C'est ainsi qu'en Egypte la musique joua un rôle très important,
parce que là, plus que partout ailleurs, elle était utile pour soutenir
le moral des troupes. L'Egypte, c'était l'inconnu, et dans sa volonté
de faire réussir par tous les moyens possibles celte expédition, sur
laquelle tant d'avis étaient partagés, Bonaparte avait un jour répondu
à Bourienne, qui lui demandait combien de temps il comptait
rester sur la terre des Pharaons :
— Peu de mois, ou six ans. Tout dépend des événements. Je
coloniserai ce pays ; je ferai venir des artistes, des ouvriers de
tout genre, des acteurs, des femmes. . .
Et il fit comme il avait dit. Car, peu de temps après son débar-
quement sur le sol africain, il écrivait au Directoire :
« Il faudrait envoyer Perrée avec trois frégates portant : munitions,
troupes, armes, médicaments, officiers de santé, jardiniers, etc. .■ ,
plus :
1° Une troupe de comédiens ;
2° Une troupe de ballerines ;
3° Des marchands de marionnettes pour le peuple, au moins trois
ou quatre;
4° Une centaine de femmes françaises. »
Un peu plus tard, le 1.5 novembre 1799, il revient sur cette com-
mande, en renouvelant au citoyen Laplace, ministre de l'intérieur,
l'ordre d'envoyer en Egypte une troupe de comédiens, et d'y joindre
quelques danseuses. Enfin, le 14 janvier 1800, parmi les ouvrages
qu'il fait adresser à Kleber, commandant en chef l'armée, se trouve
le Chant du combat, avec la musique.
L'orchestre, sur le vaisseau l'Orient, avait principalement pour but
de distraire l'équip'age et d'abréger aux troupes les ennuis de la tra-
versée. H n'était pas le seul; car sur plusieurs autres navires bien
partagés, d'autres musiques faisaient entendre des hymnes patrio-
tiques, que les soldats répétaient en chœur. Par contre, sur le vais-
seau qui portait César et sa fortune, on jouait des morceaux d'opéra,
et surtout la marche de Tamerlan, pour laquelle le général avait une
prédilection marquée.
Lorsque l'armée française fit son entrée au Caire, au bruit des
fanfares, elle attira sur ses pas la foule des habitants, qui, saisis
d'étonnemeut, venaient examiner curieusement les armes, les cos-
tumes, les canons, et surtout les instruments de musique de leurs
nouveaux maîtres.
Bonaparte fut très frappé de cette eitccnatance, qui le confirma
228
LE MENESTREL
danssîs idées de propagation de la musique militaire, pour laquelle
il avait déjà fait beaucoup. Aussitôt après le 18 brumaire, il crée
la musique de la garde des consuls, pour laquelle le Conservatoire
fournit vingt-cinq de ses meilleurs élèves. Puis, il veille à ce que les
musiques soient très répandues dans l'armée. Cependant, en 1802,
il dut supprimer toutes les musiques de cavalerie, bien qu'elles
fussent entretenues, pour la plupart, aux frais des colonels. Mais il
avait calculé que les chevaux employés pour le service des musi-
ciens pouvaient monter quatre régiments, c'est-à-dire environ trois
mille hommes, et c'était un chiffre à cette époque, où les pénuries
de l'armée étaient extrêmes.
D'ailleurs, aussitôt que ces motifs d'urgence cessèrent, les mu-
siques équestres fureot rétablies. Sous l'empire, une fanfare à
cheval était, en général, composée de 16 trompettes, 6 cors, 3 trom-
bones. La garde impériale, ainsi que les carabiniers, avaient, on
outre, des timbales. De plus, on avait attribué aux régiments de ca-
valerie, sans préjudice de la musique qui leur était affectée spécia-
lement, une harmonie un peu moins nombreuse, mais organisée de
la même manière que celle de l'infanterie. Celle-là ne jouait que
dans les circonstances solennelles, en dehors des péripéties guerrières
du régiment.
D'après Fétis, un orchestre militaire se composait, en 1809, de :
6 ou 8 clarinettes, 1 petite clarinette en mi bémol, 1 petite flûte,
2 cors, 2 bassons, 1 trompette, 2 ou 3 trombones, 1 ou 2 serpents,
grosse caisse, cymbales, caisse roulante, chapeau chinois, — en tout
22 ou 24 musiciens, dont 10 ou 12 soldats et 8 ou 10 gagistes.
On sait quel soin prenait Napoléon de l'équipement des musiciens
militaires. Hyppolite Bellangé nous a laissé l'image d'une musique,
avec ses chamarrures et ses dorures, dans sa belle toile : Une revue
au Carrousel. Mais ce n'était pas seulement pour le décor que le
maître tenait à ce luxe. Il voulait que ses musiciens aimassent leur
métier, afin de les avoir toujours sous la main; car en mainte occa-
sion, ils décidèrent de situations compromises ou difficiles.
Au passage du mont Saint-Bernard, lorsque les paysans suisses,
payés pour transporter à travers les neiges les jiièces de canon au
faîte de la montagne, eurent refusé de pousser plus loin leurs tenta-
tives infructueuses, déclarant qu'une pareille tàcheétait au-dessus de
leurs forces, on fit appel au courage et à la bonne volonté des sol-
dats. Mais ces malheureux, harassés de fatigue, désespéraient eux-
mêmes de pouvoir jamais accomplir cette rude corvée. Tout à coup
la musique retentit; elle fait entendre ses airs les plus vifs et les
plus joyeux; ces sons excitent et encouragent les travailleurs; ils
sentent leurs forces renaître; et bientôt ils parviennent, comme par
enchantement, à hisser jusqu'à la cime de la montagne les lourdes
pièces d'artillerie, sous le poids desquelles ils avaient pensé suc-
comber peu d'instants auparavant.
Bien d'autres fois, la musique servit à relever le moral de l'armée.
Aussi, dans les années de revers, Napoléon l'utilisait-il à bon escient..
Le 19 octobre 1812, après l'incendie de Moscou, et à la suite d'une
fausse alerte qui avait mis en péril la fermeté et la discipline de
l'armée, en pleine retraite, l'empereur, au milieu de sa vieille garde,
cherchait à relever les courages, disant à ses grognards « qu'il
comptait sur leur résignalion, leur bravoure et leur fidélité accou-
tumées. ï>
Alors, après ce discours, dit un témoin oculaire, « la musique de
la garde fit entendre l'air : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille;
mais comme, au milieu de ces déserts glacés, l'application pouvait
en être à double sens, l'empereur dit sur-le-champ: « Vous feriez
mieux de jouer : Veillons au salut de l'Empire », ce qui fut fait, pour
le contentement de tous. »
Pendant la malheureuse campagne de 1813, l'empereur se préoccupe
beaucoup des musiques militaires. A plusieurs reprises il en réclame,
pour des régiments en voie de formation. Après la funeste bataille
de Leipzig, il écrit au ministre de la guerre:
« J'ai passé en revue plusieurs régiments qui n'avaient pas de
musique. C'est une chose intolérable. Hàtez-vous de m'en envoyer.»
De Mayence, oii l'armée se refoime, il insist", auprès de Duroc,
devenu grand-maréchal du palais, pour que les régiments de la
vieille garde possèdeut chacun leur musique et que les autres aient
un orchestre par six bataillons, soit : pour l'arme des chasseurs six
musiques; et six musiques également pour les grenadiers.
Parfois aussi, les instruments lui furent d'un véritable secours
effectif, lui fournissant au besoin des résultats aussi brillants que
les meilleures dispositions stratégiques. Thiers, dans son Histoire de
la Révolution, rappelle que Bonaparte, ayant à repousser les Autri-
chiens sur les bords de l'Adige, près d'Arcole, eut l'idée de semer
à l'aide d'un stratagème l'épouvante dans leurs rangs.
« Un marais plein de roseaux, nous apprend le grand historien,
couvrait l'aile gauche de l'ennemi : il ordonne au chef de lataillon
Hercule de prendre avec lui vingt-cinq de ses guides, de filer à
travers les roseaux et de charger à l'improviste avec un grand bruit
de trompettes. Ces vingt-cinq braves s'apprêtent à exécuter l'ordre.
Bonaparte donne alors le signal à Masséna et à Augereau. Ceux-ci
chargent vigoureusement la ligne autrichienne qui résiste; mais
tout à coup on entend un grand bruit de trompettes ; et les Autri-
chiens, croyant être chargés par toute une division de cavalerie,
cèdent le terrain. »
A la suite de ce succès. Napoléon prit la trompette en estime,
sinon en affection, car elle ne cadrait guère avec son go4t pour la
mélodie pure.
« A cette époque glorieuse, dit Kastner dans son Manuel de mu-
sique militaire, tout ce qui touchait à l'intérêt et à la splendeur des
armées ne pouvait manquer d'être l'objet d'une active sollicitude.
» Les signaux d'instruments qui devaient aider à l'exécution prompte
et habile des manœuvres, les marches faites pour conduire les
braves au champ d'honneur, enfin les brillantes fanfares destinées à
célébrer les victoires gagnées sous nos drapeaux, éveillèrent l'intérêt
des autorités supérieures.
» L'an XIII, une nouvelle ordonnance de trompettes pour les,
troupes à cheval fut adoptée par le ministre de la guerre. Elle lui
avait été présentée par David Buhl, artiste français, aussi bon
musicien que brave soldat, qui dut à son talent précoce d'entrer L
.dès l'âge de dix ans comme trompette dans la compagnie d'hon-
neur, et qui, plus tard, ayant reçu la charge d'instructeur à l'école
de Versailles, forma pour nos armées, sous l'empire, plus de six
cents musiciens.
» Admis à sonner celte ordonnance devant une commission
dont les généraux Ganclaux, Bourlier et d'Hautpoul faisaient partie,
il obtint un tel succès que ce dernier, lui entendant exécuter la
charge, qui, sur un champ de bataille, retentissait toujours si
agréablement à son oreille et n'avait jamais en vain sollicité son
courage, ne put s'empêcher de s'écrier : // me semble que j'y suis/
» Cette exclamation, échappée, dans un moment d'enthou-
siasme, à un si grand général, est la meilleure preuve que la com-
position et l'exécution de Buhl avaient parfaitement atteint le but.
Mais un suffrage encore plus précieux et bien plus difficile a
obtenir vint récompenser l'artiste des peines que lui avait eolitées
son travail. L'emjjereur lui-même, qui, au dire de certaines per^
sonnes, n'aimait pas la trompette, daigna cependant faire complimen-
ter l'auteur de l'ordonnance, signalant même comme parfaite la
sonnerie pour éteindre les feux, ainsi que la marche sur l'air de
la victoire de la Caravane, de Grétry.
» En 1806, Buhl composa l'ordonnance des trompettes pour les
compagnies de voltigeurs. On lui doit, en outre, les six premières
fanfares pour quatre trompettes, sonnées en 1799 dans la garde
consulaire, aiusi que la plupart des morceaux de musique militaire
exécutés par nos troupes sous le Consulat et l'Empire. »
Dans l'estime où Napoléon tenait la musique militaire, on doit
penser qu'il surveillait minutieusement son répertoire. Jusque-là,
les régiments, étrangers ou provinciaux, avaient joué des airs de
leur pays, sauf les Suisses, auxquels il avait fallu retirer les échos
de leurs montagnes, parce qu'ils causaient dans leurs rangs de
nombreuses désertions. Avec le Consulat et l'Empire, c'est la note
héroïque qui surgit, et qui bientôt domine tous les autres genres. Il
n'est pas un fait d'armes, pas une conquête, qui ne trouve son
barde inspiré. Dans son dernier livre si inléressant, le Nouveau Mu-
siciana, M. Weckerlin a dressé la liste de ces productions guerrières.
On y trouve, entre autres curiosités, une Bataille de Marengo, par
Viguerie, une Bataille d'Austerlit:-, musique de Jadin (deux éditions
allemandes, à Berlin), la Journée d'Ulm, par Steibelt, arrangée pour
deux flûtes par Fuchs, la Bataille d'Iéna. par Lemière, dédiée à la
Grande Armée (Francfort, chez Lespinkel).
Puis, avec les revers, le répertoire change. Voici maintenant la
Victoire de Wellington ou la Bataille de Vittoria, musique de
Beethoven! Les Anglais y sont désignés par l'air de Raie Britannia et
les Français par Malbroug s'en va-t'-en guerre. Nous sommes loin de
la symphonie héroïque dédiée à la gloire d'un héros, qui dans la
pensée de son auteur, était primitivement Bonaparte... Wagner n'est
pas le premier qui ait bavé sur la France, à ses heures de détresse.
A citer encore, dans cette série noire, la Bataille de Leipzig ou la
Délivrance de l'Alleinagne, musique de Riotte (publiée à Bonn), Voyage
de Napoléon à Sainte-Hélène, par H. Lense (Mayence, avec image sur
le titre), et enfin, un Air de chasse, avec vahe et marche funèbre de
Napoléon Ronaparte, né à Ajaccio le 1S août I76S, mort à Sainte-Hélène
LE MENtSmi- L
229
le S mars iSH , qu'on trouve en Europe, chez tous les marchands de
musique funèbre.
Il y avait donc de la musique militaire pour tous les goûts, pen-
dant répopée napoléonienne ; mais au milieu de cette avalanche
plus ou moins mélodique, le souverain n'admettait qu'un choix
restreint, d'une valeur épurée, et toujours en situation avec les
événements.
Nous avons vu combien Napoléon tenait à cette dernière condi-
tion, qu'il étendait volontiers aux arts en général, et surtout au
théâtre et à la musique.
Le théâtre était, à ses yeux, non seulement une distraction, mais
un élément dont il fallait jouer avec prudence. S'il s'y produisait
une note douteuse, les plus graves conséquences pouvaient, croyait-
il, en résulter. Grétryle supplia pendant longtemps d'ordonner une
reprise de Richard Cœur de Lion; mais Napoléon hésitait. Il voyait une
épreuve redoutable, vu les menées légitimistes, à laisser chanter sur
la scène : 0 Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne 1 Et nombre de
gens de son entourage lui prédisaient de gros scandales, au bout de
l'air favori du trouvère Blondel. Cependant Napoléon se rendit. A
Sainte-Hélène, plus tard, il dicta :
0 La représentation eut lieu, sans nul inconvénient. Alors, j'or-
donnai de la répéter huit jours de suite, jusqu'à indigestion... Le
charme rompu, Richard a continué d'être joué sans qu'on y songeât
davantage. »
Une autre fois. Napoléon — il n'était alors que premier consul —
crut à une satire dirigée contre lui, personnellement. Après la re-
présentation, à rOpéra-Comique, d'un ouvrage de Dupaly, portant
le titre de V Antichambre, ou te Valets maîtres, de trop zélés cour-
tisans voulurent persuader à Bonaparte que cette pièce était dirigée
contre l'institution du Consulat. Les personnages portaient, disait-
on, les mêmes vêtements que ceux des trois consuls, et l'on ajoutait
que Chenard, le chanteur en vogue, singeait l'allure et les attitudes
du premier consul.
Bonaparte, furieux, exigea que la coupe et la couleur des cos-
tumes fussent vérifiés, et que s'ils ressemblaient à la coupe et à la
couleur des vêtements consulaires, les acteurs en fussent revêtus
sur la place de Grève et qu'ensuite le bourreau déchirât sur eux
ces costumes.
Puis, il demandait que Dupaly fût envoyé à Saint-Domingue,
comme réquisitionnaire à la disposition du général en chef, et que
cette décision fût mise à l'ordre de l'armée.
Heureusement pour l'auteur, pour les comédiens et pour la pièce,
l'enquête établit que celle-ci avait été écrite avant le Consulat et que
les costumes incriminés ne ressemblaient en rien à ceux des consuls.
La pièce fut reprise sous le nom de Picaros et Diego.
On a pu voir, dans les Mémoires de Talleyrand, combien Napoléon
comptait sur ses comédiens pour éblouir « son bon frère » Alexandre,
à l'entrevue d'Erfurl. Pour le choix de la pièce d'ouverture, le
sociétaire Dazincourt avait timidement proposé Athalie.
— Athalie/ û donc ! s'éci'ia l'empereur. Vais-je à Erfurt pour mettre
quelque Joas dans la tête de ces Allemands? Athalie/ Que c'est
bête! Mon cher Dazincourt, on voilà assez! Prévenez vos meilleurs
acteurs tragiques qu'ils se disposent â aller à Erfurt; je vous ferai
donner mes ordres pour le jour de votre départ et pour les pièces
qui doivent être jouées... Allez... Que ces vieilles gens-là sont
bêtes!... Athalie/ Il est vrai aussi que c'est ma faute, pourquoi les
consulter? Je ne devrais consulter personne. Encore, s'il m'avait dit
Cinna; il y a de grands intérêts en action, et puis une scène de clé-
mence, ce qui est toujours bon. J'ai su presque tout Cinna par cœur,
mais je n'ai jamais bien déclamé. Rémusat, n'est-ce pas dans Cinna
qu'il y a :
Tous ces crimes d'Etat, qu'on fait pour la couronne,
Le ciel nous en absout, lorsqu'il nous la donne?
Je ne sais pas si je dis bien les vers?
— Sire, c'est dans Cinna, mais je crois qu'il y a : alors qu'il nous
la donne.
— • Comment sont les vers qui suivent? Prenez un Corneille.
— Sire, c'est inutile, je me les rappellerai :
Le ciel nous en absout, alors qu'il nous la donne;
Et, dans le sacré rang où sa faveur l'a mis.
Le passé devient juste et l'avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable;
Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable.
■ — C'est excellent, et surtout pour ces Allemands, qui restent tou-
jours sur les mêmes idées et qui parlent encore de la mort du duc
d'Eughicn : Il faut agrandir leur morale. Je ne dis pas cela pour
l'empereur Alexandre ; ces choses-là ne font rien à un Russe, mais
c'est bon pour les hommes à idées mélancoliques dont l'Allemagne
est remplie. On donnera donc Cinna; voilà une pièce ; ce sera pour
le premier jour. Rémusat, vous chercherez quelles sont les tragé-
dies que l'on pourrait donner les jours suivants, et vous m'en ren-
drez compte avant de rien arrêter.
— Sire, Votre Majesté voudra qu'on laisse quelques acteurs pour
Paris?
— Oui, des doublures; il faut emmener tout ce qu'il y a de bon,
il vaut mieux en avoir de trop.
Ainsi fut fait, ce qui assura la splendeur légendaire des représen-
tations d'Erfurt.
Dans cette même circonstance, la musique ne fut pas oubliée. Ce
fut Martin, de l'Opéra-Comique, qui fut chargé de son organisation.
Il prit avec lui une troupe capable de fixer l'attention des augustes
hôtes de Napoléon, et réussit pleinement dans sa mission. Pour
avoir une salle digne des artistes et du répertoire français, Martin
s'improvisa décorateur, architecte, et mit en état, en trois jours, une
salle abandonnée, qui apparut aux spectateurs surpris, éblouissante
de dorures et de lumières. Alexandre fut si charmé de ces repré-
sentations qu'il en témoigna, de toutes les façons et à plusieurs
reprises, sa gratitude à l'excellent artiste.
En aucune occasion. Napoléon ne négligea, d'ailleurs, de se faire
suivre de troupes dramatiques et lyriques dans ses voyages à travers
l'Europe. Le baron Peyrusse, payeur impérial, qui accompagnait
partout l'empereur, ce qui lui a donné matière à de bieii curieux
mémoires, consacre un long passage aux représentations françaises
à Vienne, en 1809. Le spectacle commença le 2 août, sur le théâtre
de la Cour, où l'on débuta par Phèdre et un petit ballet. Mais ce
n'était là qu'un coin des manifestations artistiques promises. En effet,
nous lisons ces lignes à la date du 19 septembre: « Il vient de nous
arriver un nouveau renfort de chanteurs et de chanteuses pour le
théâtre de Schœnbrunn. Sa Majesté nourrit bien notre corps et notre
âme. »
A Dresde, en 1813, Napoléon voulait que Rémusat lui envoyât des
acteurs de la Comédie-française et de Feydeau, « pour faire croire
aux ennemis que les Français s'amusaient à Dresde». Une salle de
spectacle, communiquant aux appartements de l'empereur et pou-
vant contenir deux cents spectateurs, fut construite, en vue de ces
réjouissances, dans l'orangerie du palais Marcolini. La troupe italienne
du roi de Saxe y donna trois représentations, pour permettre
d'attendre les artistes parisiens, qui arrivèrent le 19 juin.
Enfin, à Moscou, après l'incendie du Kremlin et de la ville, et
alors qu'on ne croyait pas tout perdu, c'est encore à la musique
que Napoléon fit appel pour remonter le moral de ceux qui l'entou-
raient. Le préfet de sa maison, Bausset, mis en campagne pour
arrivera ce but, découvrit un chanteur habile, le signor Tarquini,
qui, depuis quelques années, s'était fait une brillante réputation
en Italie dans les rôles de Crescentini. Il habitait Moscou depuis
deux ans et y donnait des leçons de chant. M""" Busset, la direc-
trice d'une troupe française, indiqua à Bausset un excellent accom-
pagnateur dans la personne d'un fils du célèbre Martini, ce qui lui
permit, selon son expression, « de mêler quelques délassements aux
grandes occupations de Napoléon ».
Nous avons vu la musique militaire jouer un rôle analogue, à
l'égard de l'armée, pendant la retraite de Russie. Ce fut une rude
et triste campagne. On étaitloin de l'époque oit l'empereur, victorieux,
écrivait de Fontainebleau, le 31 octobre 1807, à Crétet, ministre de
l'intérieur, pour lui enjoindre de préparer l'entrée triomphale de « sa
garde » à Paris. Il lui recommandait de ne ménager ni les cris de
triomphe, ni les banquets, ni les bals, et surtout de faire composer
des chansons et des airs, « pour que la cérémonie fût la plus touchante
et la flus efficace possible. »
Ces sortes de commandes avaient été plus fréquentes qu'on ne le
pense au temps de la splendeur napoléonienne. Au hasard de nos
notes, nous retrouvons ce billet à Chaptal, ministre de l'intérieur:
« Paris, T frimaire an M (19 novembre 1803).
» Je désire, citoyen ministre, que vous fassiez faire, sur l'air du
Chant du départ, un chant pour la descente en Angleterre.
1) Faites faire également plusieurs chants sur le même sujet sur
différents airs.
» Je sais qu'il a été présenté plusieurs comédies de circonstance,
il faudrait en faire un choix pour les faire jouer sur différents théâtres
de Paris et surtout aux camps de Boulogne, Bruges et autres lieux
où est l'aror.ée.
a BùNAPAlirE. »
230
LE MENESTRa
Mais qu'allons-uous parler de Boulogne, et de l'éblouissanle expé-
dition qui suivra de près, alors qu'il ne nous reste plus à nous entre-
tenir que dos années sombres qui vont clôturer l'épopée impériale.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Pail d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (16 juillet). — Les concours du
Conservatoire se sont terminés hier. Ils ont été, en général, d'une hono-
rable moyenne. La plupart des classes, même de celles qui, les années
précédentes, avaient formé des éléments sortant de l'ordinaire, n'ont
donné, cette fois, que des résultats tranquilles et n'ont présenté que des
sujets de talent secondaire. Je ne vois pas qu'un avenir extraordinaire
soit réservé, par exemple, aux lauréats des classes de violoncelle et d'orgue;
la contrebasse et la clarinette n'ont rien à leur envier. L'enseignement y
suit d'ailleurs son cours normal.; il y est presque toujours excellent; et
ce n'est pas la faute des professeurs si les « génies » n'abondent pas tous
les ans. Les classes de piano et de violon ont été un peu plus heureuses,
Au milieu des nombreuses médiocrités que le jury a couronnées ou en-
couragées, il nous faut distinguer, parmi les pianistes du sexe faible, que
M. Gurickx, succédant otlicieusemeut à M. Auguste Dupont, en attendant
qu'il lui succède ofBciellement, avait préparées, une jeune fille de talent
très fin et très aimable, M"'* Blés; et parmi les jeunes gens, dans la
classe de jour en jour plus brillante de M. Arthur de Greef, je dois mettre
surtout hors pair un pianiste tout à fait extraordinaire, un Danois,
M. Storck, qui a remporté, au milieu d'un véritable enthousiasme du jury
et de l'auditoire, un premier prix « avec la plus grande distinction ».
Ce M. Storck a été l'événement, le triomphateur du concours de cette
année; ce n'est plus un élève, c'est déjà un artiste, ayant tout à la fois le
charme et la puissance, un jeu d'une délicatesse merveilleuse et une vi-
gueur rare. Figurez-vous, à bien peu de chose près. M, Paderewski ; c'est
beaucoup dire, sans doute; mais les qualités sont étonnamment sem-
blables, chez l'un et chez l'autre. Je souhaite que M. Storck continue à
mériter la comparaison; et je crois certainement qu'il fera parler de lui.
Le succès de M. Storck a été partagé, dans la classe de violon de M. Cu-
lyns, par une toute jeune fille, M"» Blés, — la sœur de W" Blés, cou-
ronnée dans la classe de piano; — et celle-là aussi a soulevé des trans-
ports d'enthousiasme, par ses qualités réellement hors ligne de sentiment
et de virtuosité; nature exceptionnellement bien douée, et vrai tempé-
rament artistique. Pour le chant : M""^ Cornélis-Servais et M. Warnots, ont
aligné une légion de concurrentes. Bien peu se sont réellement distin-
guées, soit par la voix, soit par des mérites de cantatrice suffisamment
remarquables pour valoir ici une mention spéciale. Signalons cependant,
dans la nuée de lauréates écrasées sous le poids des premiers prix,
M"* Parentani, qui fera au théâtre une dugazon très délurée et très
vivante; ^P'^ de Haen, une précieuse virtuose de concert, vocaliste très
exercée, stylée à ravir; et M"'^ Flament, pour ses trois ou quatre notes
superbes de contralto. Enfin, de la déclamation, il n'y aurait absolument
rien à dire si, en dehors du concours ordinaire, qui a été d'une déplo-
rable insignifiance, une jeune artiste, M"* Parys, lauréate des concours
précédents, ne s'était présentée pour remporter le diplôme spécial, nou-
vellement institué, « de virtuosité », remplaçant l'habituel diplôme
d'excellence et de capacité; elle l'a remporté « avec la plus grande distinc-
tion », et l'a bien mérité. C'est une charmante comédienne, diseuse
exquise, faite pour tenir sa place dans les rôles d'ingénues, en attendant
qu'elle le tienne avec honneur dans les premiers rôles. — Tel est le bilan
des concours et ce qu'ils ont produit de mieux. L. S.
— Nouvelles de Londres (16 juillet) :
Après une nouvelle remise, la première d'Otello a été donnée hier soir
à Govent-Garden, presque à l'improviste, alors qu'on n'y comptait plus
pour cette saison. Tout a été dit sur le dernier opéra de Verdi, œuvre
venue sur le tard, souvent mal équilibrée et laborieuse. Les réserves qui
avaient accueilli OieWo lors de son apparition, chaque nouvelle auditionne
fait que les confirmer. Les pages saillantes de cette partition inégale restent
toujours le fameux Credo, le duo de la jalousie, le monologue d'Otello, et
dans son ensemble tout le dernier acte. Le grand intérêt de la distribu-
tion actuelle se portait sur le nom de M. Jean de Reszké, surtout après
les potins de coulisses qui transformaient la récente indisposition de l'ar-
tiste eu simple hésitation de sa part. L'événement vient de prouver que
cette hésitation, si elle avait jamais existé, n'avait pas sa raison d'être, et
le rôle d'Otello est un nouveau succès à l'actif du brillant ténor. Certes
rOtello de M. Jean de Reszké n'est pas le sauvage presque hystérique de
M. Tamagno, mais il n'en est que beaucoup plus humain et plus vrai. Sa con-
ception du personnage est bien observée et se soutient à travers toutes les
péripéties de l'action. Sous le rapport vocal, M. Jean de Reszké n'avaitpas
grande difficulté à faire oublier le très surfait ténor italien. Si nous y
manquons quelques éclats de voix, le rôle ne pouvait que gagner à être
chanté avec l'ampleur de style et l'élégance de déclamation de M. Jean
de Reszké. Cette nouvelle création comptera dans sa carrière artistique.
L'Iago de M. Maurel avait déjà obtenu un énorme succès lors des repré-
seotations â'Otello, il y a deux ans, au Lyceum, dont il constituait le-
principal attrait. C'est toujours une des créations les plus fouillées, les
plus pittoresques, les plus complètes de l'opéra moderne. C'est à cause
de cela même qu'on a le droit de s'étonner qu'un artiste de la valeur de
M. Maurel abuse souvent de la rampe, au point de faire sortir le per-
sonnage hors de son cadre. lago n'est fort dans sa duplicité que parce
qu'il sait se maîtriser et se tenir à sa place, ce que M. Maurel semblé
parfois oublier. M"* Albani n'est plus faite pour personnifijr les héroïnes
de Shakespeare. Sa façon de chanter le rôle de la douce Desdemone,
presque invariablement à pleins poumons, lui enlève son charme et son
caractère. Il est vrai que lorsque la chanteuse a recours à la demi-teinte,
sa voix lui joue souvent de vilains tours, témoin son exécution de l'Ave
Maria, qui a été une torture pour les oreilles délicates. M"" Passama est
une Emilia consciencieuse : les autres petits rôles sont mal tenus, sur-
tout celui de Cassio, si nécessaire à l'action. L'orchestre et les chœurs
n'ont pas le fondu de ceux de Milan, que conduisait avec tant de sou-
plesse, au Lyceum, le pauvre Faccio. M. Mancinelli n'est pas maître
de ses cuivres, et son orchestre a, selon son habitude, joué trop fort.
La reprise d'Aida a servi de rentrée à M""» Nordica, dont la voix toujours
fraîche et le talent gracieux avaient souvent manqué à cette dernière sai-
son d'opéra. L'oratorio de M. Isidore de Lara « la Lumière d'Asie », trans-
formé en opéra italien, est annoncé pour lundi prochain et terminera la
saison avec les représentations i'Olello.
L'ovation qui a été faite à M. Paderewski à la fin de son dernier concert,
pendant lequel il ;. exécuté avec un brio incomparable plus de vingt mor-
ceaux de Chopin, était aussi remarquable par sa chaleur que par sa spon-
tanéité. Le brillant artiste, qui entreprendra bientôt le tour du monde,
s'p.st conquis en deux saisons, dans la faveur du public de Londres, une
place égale à celle des grands maîtres du piano. A. G. N,
— M""" Lemmens-Sherrington, veuve du grand organiste belge Lem-
mens, vient d'être nommée professeur de chant à l'Académie royale de
Londres, « Les Anglais, dit à ce propos notre confrère de Bruxelles l'É-
ventail, savent mieux apprécier que nous les mérites de cette femme de
talent, qui n'a pas su trouver à Bruxelles les succès sur lesquels elle-
comptait. » M"" Lemmens, qui a été en effet l'une des premières canta-
trices de ce temps (elle est née en 1834), a obtenu, comme chanteuse de
concerts; des succès aussi brillants que mérités. Mais on ne doit pas-
oublier qu'elle est de naissance et d'origine anglaises ; il n'est donc pas
étonnant que ses compatriotes se soient souvenus d'elle, et qu'ils aient
songé à lui ofi'rir l'importante situation qu'elle est appelée à occuper à
l'Académie royale de musique de Londres.
— Le chanoine anglais Harford vient de mettre en avant, dans le jour-
nal médical The Lancet, une idée assez singulière, celle d'une association
musicale thérapeutique. Le digne prélat est persuadé que la musique
possède des propriétés cui'atives agissant sur certains tempéraments; ainsi,.
il a su calmer les douleurs dont souffrait son amie la vicomtesse Coniber-
mere en lui jouant un morceau de violon, avec sourdine. Il développe son-
système avec un très grand sérieux, l'accompagnant d'indications pratiques
suivant le caractère de la maladie et y ajoutant même un tarif détaillé !
Nous ne résistons pas à la tentation de communiquer à nos lecteurs un
des conseils du chanoine Harford : « Pour guérir une maladie très répandue,
l'insomnie, dît-il, il suffit de se faire chanter un duo par un soprano et
un contralto, avec accompagnement de violon. » Comme on le voit, c'est
très simple et à la portée de chacun !
— L'Armée du Salut vient de fêter au Cryslal Palace, de Londres, son
26'= anniversaire. Comme bien on pense, la musique a été de la fête. Nous-
ignorons ce qu'a dû être cette musique, mais voici en quels termes...
menaçants elle était annoncée sur le programme : •,( Festival à grand
orchestre. Musique joyeuse. Harmonies célestes. Sonnerie de trompettes
tendres (sic) et sonores, douces et éclatantes. Flots de mélodies réconfor-
tantes. Cyclone choral (!!) etc.. Bataille de chansons, par un chœurs d'adultes
et d'enfants (10,000 voix), accompagné par les plus doux accords du grand
orgue. » La félicité des auditeurs a dû être grande.
— A partir de l'année prochaine, l'Université 'Victoria, de Manchester,,
conférera des grades en musique, depuis le baccalauréat jusqu'au doctorat,
L'Angleterre possède donc désormais cinq universités où la musique a
droit de cité: Londres, Oxford, Cambridge, Durham et Manchester.
— Un des spectacles favoris de lo. Cour du roi d'Angleterre Jacques 1",
le jeu du Masque des fkurs (Maske of flowers), vient d'être reconstitué à l'occa-
sion d'une fête de bienfaisance donnée au collège des échevins, à Londres,
sous le patronage de la femme du lord chancelier. Le texte fut composé
par Ben Johnson en 1613, en l'honneur du mariage du comte de Somerset
avec lady Frances Howard ; il a été remanié par M. Arthur à Beckelt pour
les fêtes du jubilé de la reine Victoria en ISS"; c'est donc la deuxième fois
que le Masque des (leurs est présenté au public dans sa nouvelle version. En
ce qui concerne la musique, composée par J. Coperario (Jean Gooper) maî-
tre de musique des enfants de Jacques I"', en société avec Lanière et quel-
ques autres artistes, on n'a pu en retrouver qu'un seul fragment, appar-
tenant à ce compositeur, le chœur de; « partisans du vin et du tabac ».
C'est M. A,-H.-D. Prendergast qui s'est chargé, en ISS7, d'écrire une nou-
velle partition, qu'on dit très réussie. A l'époque de sa première appari-
tion, te Masque des fleurs a eu un certain retentissement; il faisait partie de
LE MENESTREL
231
toutes les grandes fêtes de la Cour et de la noblesse anglaise, c'Olait une
sorte de divertissement carnavalesque où la danse, le chant, la satire et
les évocations mythologiques s'unissaient dans un ensemble plus ou moins
•harmonieux. Pour la représentation qui vient d'avoir lieu, on avait établi
une mise en scène très luxueuse. L'orchestre, dirigé par M. Arthur Haden,
■ était composé d'un double quatuor et de deux clavecins sortis des ateliers
de la maison Broadwood.
— C'est aujourd'hui dimanche que commence, à Bayreulh, la série des
représentations wagnériennes, qui se continueront jusqu'au 19 août. Nous
•avons fait connaître les dates de chacune de celles des trois ouvrages :
Parsifal, TannhâuscT, Tristan et Yseull, qui, cette fois, sont olïerts à la
vénération des fidèles. "Voici la distribution de ces trois ouvrages :
Parsifal.
Parsifal : MM. "Van Dick et Gruning.
Gurnemanz : MM. Grengg et Wiegand.
Amfortas : MM. Reichmann et Scheidemantel.
Klingsor : MM. Fuchs et Plank.
Kundry : M»" Meilhac, Malien et Materna.
Tristan et iscutt.
Tristan, M. Alvary; Marke, M. Wiegand; Kurvenal, M. Plauk; Iseult, M"" Su-
■cher; Brangiene, M"" Staudigl.
Tannhïiu&er.
Le landgrave, M. Boring; Tannhàuser, MM. Alvaîy et Van Dick; Wolfram,
MM. Reichmann et Schei demanlel; Walther, M. Giûning; Biterolf, M. Lipe;
Henri, M. Zeller ; Reinmar, M. Schlosser ; Elisabeth, M"° *** ; Vénus, M"" Meilhac
et Sucher; le pâtre, M"°" de Anna et Herzog.
L'orchestre sera dirigé par MM. Lévi et Félix Mottl, les chœurs par
M. J. Kniese. C'est la fameuse danseuse italienne. M"" Virginia Zucchi,
qui est chargée de régler les scènes chorégraphiques du Tannhduseï:
— Une dépêche télégraphique parvenue cette semaine à Paris nous
.apportait les nouvelles suivantes de l'Exposition organisée à Vienne par
lies soins et sur l'initiative de M"* la princesse de Metternich :
Vienne, 13 juillet. — Le projet d'une Exposition internationale théâtrale et
musicale prend de grandes proportions. Presque tous les musées et les conser-
vatoires de l'Europe y prendront part. Des artistes célèbres de toutes les nations
■donneront des représentations au graud théâtre de l'Exposition.
La Comédie-Française donnerait quatorze représentations. On entendrait éga-
ilement une troupe italienne, dirigée par Rossi, et la troupe d'Irving, le célèbre
artiste anglai?.
Il y aura aussi un festival de musiques auquel toutes les sociétés musicales les
plus connues seront conviées.
Les membres délégués des comilés do Paris et de Londres arriveront dans
quelques jours pour régler définitivement, avec le comité central, leur participa-
tion à l'Exposition.
En ce qui concerne les représentations que donnerait la Comédie-Fran-
çaise à 'Vienne, la vérité est, dit notre confrère du Temps, qu'il n'a été
■question jusqu'ici que d'une seule représentation. M"'" de Metternich a
pressenti à cet effet notre ambassadeur à Vienne et a écrit à l'administra-
teur général, mais sans qu'il soit question de plus d'une représentation.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Berlin; A l'occasion du centenaire
de Meyerbeer, au mois de septembre prochain, on prépare à l'Opéra royal,
outre une représentation de gala, tout un cycle des principaux ouvrages
du maître (Robert le Diable, les Huguenots, l'Étoile du Nord, lePdrdon de Ploërmcl
et l'Africaine). Au théâtre Kroll, belle représentation de Josejyh, le chef-
d'œuvre de Méhui, au bénéfice des proscrits russes. Le ténor Birrenkoven
remplissait le rôle de Joseph, M"" Sehacko celui de Benjamin. Le théâtre
Lessing fait salle comble tous les soirs avec CavuUerià rusticana, de Mas-
•cagni et le Barbier de Bagdad de Cornélius. — C^ssel : On signale le succès,
au Théâtre royal, d'un nouvel opéra, Vineta, livret de M. E. Volfram,
musique de M. R.-L. Hermann. C'est une œuvre très poétique et très
inspirée, à laquelle on prédit une fructueuse carrière. — Damistadt : La saison
lyrique vient de prendre fin avec la production de Cavalleria rusticana, qui
a réussi d'.une façon éclatante. — Dresde : Le théâtre de la Cour vient de
■donner la première représentation d'un opéra en un acte, les Pieux Bergers,
livret de M. E. Wichert, musique d'O. Fiebach. Il ne paraît pas que les
auteurs se soient mis en grands frais d'imagination; la pièce, pas plus
que la partition, n'a éveillé le moindre intérêt. — Francfort : La Cavalleria
rusticana vient de faire une première apparition à l'Opéra, et a, comme
partout ailleurs, subjugué le public. M™ Schrôder-Hanfstângl a été admi-
rable dans le rôle de Santuzza. — Leipzig : La célèbre cantatrice M™= Moran-
Olden, vient de faire ses adieux au public du théâtre inunioipal, après sept
années de service. Elle a tenu à ce que son dernier rôle à Leipzig fût le
même que celui de ses débuts : Fidclio. La direction, de son côté, avait tenu
à apporter le plus d'éclat possible à cette représentation d'adieux, à laquelle
participaient tous les premiers sujets. La soirée n'a été qu'une suite
d'ovations et de démonstrations sympathiques à l'adresse de M"" Moran-
Oldeu.
— L'intendance du théâtre de la cour, à Manheim, faisait insérer
récemment, dans les journaux de cette ville, la note suivante : — « Au-
jourd'hui, dans la représentation de la il/o)ie Stuart de Schiller, on
exécutera au dernier acte, quand Marie marche au supp-Uee^ Isr A/«i'e/i«-
historique des Sorcières. Cette marche est ainsi intitulée parce que jadis,
en Angleterre, elle était jouée quand on brûlait les sorcières. Elle fut
exécutée, par dérision, au supplice de Marie Stuart. » Voilà ce qu'on
peut appeler de la couleur locale.
— Un important festival de musique a été célébré à "Wiesbaden du 21
au 23 juin, avec le concours des premiers solistes de l'Allemagne, d'un
chœur de neuf cent cinquante voix recrutées dans treize villes de la région,
et d'un orchestre de cent vingt instrumentistes éprouvés. Le premier con-
cert était consacré à l'audition du Messie, le deuxième à celle des œuvres
suivantes de Beethoven : ouvertures de Coriolan et do Léonore [n" 3) ; air de
Fidelio par M""= Maria Wilhelmj ; concerto en mi bémol, par le pianiste
Eugène d'Albert; symphonie avec chœurs; le tout sous la direction de
M. Jahn, de l'Opéra de Vienne. Le troisième concert se distinguait des
deux précédents par son programme varié, où figuraient: Malinconia, poème
symphonique (K» audition) dirigé par l'auteur, M. B. Scholz; chœur de la
Création de Haydn, dirigé par le chef d'orchestre Wallenstein; puis diffé-
rentes pièces de Brahms, Liszt, Wagner, etc., etc., pour l'audition des
solistes.
— La Bibliothèque impériale de Vienne vient d'acquérir la très riche
collection de raretés musicales recueillie par le savant docteur Ambros,
mort il y a quelques années, laissant inachevée la publication d'une excel-
lente Histoire de la musique, qui depuis lors a été terminée. Ambros, qui
avait été professeur de théorie et d'histoire de la musique à l'Université
de Prague, et ensuite â l'Université de Vienne, avait formé cette superbe
collection de manuscrits, qui ne contenait pas moins de 1,017 numéros.
De ces mille et quelques pièces, 38B n'étaient que des copies de manuscrits
originaux qui se trouvent précisément dans la Bibliothèque de Vienne;
mais les 032 manuscrits restants y manquaient. Parmi ceux-ci se trouvent,
entre autres, une série de douze cantates de Porpora, que l'on croit écrites
de la main même du compositeur; la partition i'Ifigenia in Tauride, opéra
de Léonard de Vinci, représenté à Venise en 172S, et qui est considéré
comme le chef-d'œuvre de ce maître; celle i'Alcibiade, opéra de Ziani,
organiste de l'église Saint-Marc à Venise, dont la représentation remonte
à 16U7; celle de Cyrus, opéra de Hasse, époux de la célèbre cantatrice
p'austina, etc. La collection Ambros était devenue la propriété de l'écri-
vain musical M. Albert Hermann.
— Le répertoire du théâtre Regio de Turin, pendant la prochaine saison
de carnaval, comprendra les quatre ouvrages suivants : la Valkirie, i Puri-
tani, la Gioconda et la Manon Lescaut du jeune maestro Puccini; rien pour-
tant n'est encore définitivement arrêté au sujet de ce dernier. Quelques
artistes seulement sont engagés jusqu'à ce jour : M'"'^' Elvira Repetto-Trî-
solini, Ortensia Synnerberg, Gipa Oselio et la basse Broglio. Le chef
d'orchestre sera M. Vanzo.
— Les journaux de Naples accusent un succès très vif pour une opé-
rette nouvelle, l'Ambasciatore, qui vient d'être représentée au Politeama
de cette ville. Ils disent le plus grand bien de la musique, qui est l'œuvre
de M. Luigi Mantegna.
— A Rome, un concours a été ouvert à l'Académie de Sainte-Cécile
pour le prix Liszt, consistant en un superbe piano offert par M. Boisselot,
de Marseille. Sept concurrents se présentaient, dont six jeunes filles, tous
élèves de la classe de M. Sgambati. Le premier prix, emportant l'attri-
bution du piano, a été remporté par M'" Polacco; un premier accessit
a été décerné à M"= GeruUi, un second à M"|= Amat di San Giuseppe. Le
concours a été très brillant.
— Les journaux américains annoncent le mariage du violoniste belge
Ovide Musin avec une de ses jeunes compatriotes, M"« Juliette Folville,
dont nous avons eu souvent à enregistrer les succès de compositeur et de
virtuose. Les deux artistes fixeront leur résidence à New-York.
— A Parme on vient d'inaugurer, par les soins et sur l'initiative de
Société orchestrale Parmesane, sur la maison qui porte le n" 120 de
la rue Farini, où demeura et mourut il y a deux ans le fameux contre-
bassiste et compositeur Bottesini, une pierre commémorative du décès de
cet artiste extrêmement distingué. La pierre est de marbre blanc, très
simple, haute de l'",25 et large de 8b centimètres, ornée à chaque angle
d'une agrafe de bronze, et porte cette inscription, due à M. Alberto
Amadei, architecte de l'État :
En cette maison
vécut dans les dernières années de sa vie
Giovanni Bottesini
que Parme accueillit, fière et heureuse,
directeur du Conservatoire Royal de musique.
La Société Orchestrale Parmesane
qui l'eut pour son premier président
a consacré ce souvenir.
Le correspondant de la Gazzetta musicale de Milan se plaint, non sans
quelque raison, que cette inauguration se soit fa,ite le soir, sans aucun
apparat, sans l'ombre d'une cérémonie, en présence seulement de quelques
membres du comité promoteur, de cette œuvre modeste, et sans l'inter-
■vention d'aucun. représentant, ni de la Société orchestrale, ni du Conser-
—vatoire, Bottesini ayant été directeur de l'une et de l'autre. Le fait peut
! effectivement paraître assez singulier.
232
LE MENESTREL
PARIS ET DËPIRTEMENTS .
Le théâtre et la musique ont eu cette fois leur part" dans les largesses
officielles, et nous avons à enregistrer quelques promotions et nominations
dans l'ordre de la Légion d'honneur. Constatons avant tout que M. Gustave
Larroumet, directeur des beaux-arts, est promu officier, de même que
M. Henri de Bornier, l'auteur de la Fille de Roland, et M. Eugène Ritt, di-
recteur de l'Opéra, pour l'éclat exceptionnel qu'il a su donner à notre pre-
mière scène lyrique, pendant sa trop courte gestion. Le tour de M. Gailhard
viendra au !«'■ janvier prochain. La musique est cette fois représentée par
MM. Paul Lacome et André Messager, qui sont nommés chevaliers. Pour
M. Ch.-M. Widor, il continuera à n'être pas décoré, ce qui le distinguera de
beaucoup d'autres musiciens de son époque. Citons encore MM. Edouard
Cadol, Louis Legendre et Edmond Haraucourt, auteurs dramatiques, qui
décrochent à leur tour le ruban rouge.
— Au Conservatoire, la série des concours à huis clos s'est terminée
par le concours d'accompagnement au piano, pour lequel le jury était
ainsi composé : MM. Ambroise Thomas, président, Ernest Guiraud, Théo-
dore Dubois, Em. Jonas, Lavignac, Ed. Mangin, Marty, Raoul Pugno et
Francis Thomé. "Voici les résultats de la séance, qui réunissait cinq
concurrents ou concurrentes :
Previier prix, à l'unanimité : M. Galand.
Pas de second prix.
Premier aœessit : M. Guignache.
On sait que la classe d'accompagnement, tenue naguère par le regretté
Bazille, est aujourd'hui confiée à M. L. Delahaye.
— Nous avons donné précédemment la liste complète des concours
publics, avec la date de chacun d'eux; nous n'y reviendrons pas; ces
concours ont commencé hier samedi, par la séance consacrée à la contre-
basse et au violoncelle. Nous avons aussi donné le programme des deux
concours de chant, hommes et femmes; voici celui du concours d'opéra-
comique :
M"« Tréhange (élève de M. Taskin) concourra dans le Pré aux Clercs.
M. Nivette (M. Achard), dans le Songe.
M"» Demours (M. Taskin), la Fille du régiment.
M"» Clery (M. Achard), le Val d'Andorre.
M. Villa (M. Taskin), Haydée.
M'i'ii Beauvais et Vautrin (M. Taskin), le Pré aux Clercs.
M. Petit Victor (M. Achard), Gilles ravisseur.
M. Bérard (M. Achard), le Pardon.
M. Ghasne (M. Taskin), le Chien du jardinier.
M"« Morel (M. Achard), l'Irato.
M"^ Audran (M. Taskin), la Fée aux roses.
M. David (M. Achard), la Déesse et le Berger.
M. Périer (M. Taskin), les Noces de Jeannette.
Mi'<î Lemeignan (M. Achard), Mireille.
— En rectifiant une nouvelle qui avait été donnée par quelques jo ur-
naux, nous avons été amenés à dire que Scribe et Auber n'avaient jamais
écrit d'opéra sous le titre i'Amy Robsart, et qu'il n'existait d'ailleurs aucun
ouvrage lyrique sous ce titre. Un de nos confrères réplique à ca sujet en
disant que nous avons « raison et tort è la fois ». Raison en ce sens qu'il
n'existe point d'opéra intitulé Amij Robsart, tort, parce que l'ouvrage en
question, tiré, comme on l'avait dit, du Eenilworth, de Walter Scott, a
bien été fait par Scribe et Auber et représenté à l'Opéra-Comique, le
25 janvier 1823, sous le titre de Leicester ou le Clmteau de Kenikvorth. Or,
ceci, nous ne l'avons jamais nié ; nous nous sommes borné à affirmer
qu'il n'existait point d'opéra intitulé Amy Robsart, et l'on voit que nous
étions dans l'exacte vérité. Notre confrère ajoute que Leicesterou le Château
de Kenihoorth «. est tiré du roman célèbre de Walter Scott, et qu'il est
probable qu'Jmi/ Robsart y joue le principal rôle. » Ceci est de toute
évidence, étant donné le titre, — le vrai cette fois — de l'ouvrage, et ce
qui le prouve, c'est la distribution de celui-ci, que nous mettons avec
plaisir sous ses yeux :
Leicester, Huet.
Sir Raleigh, Ponchard.
Robsart, Darancourl.
Lord Schrewsbury, Louvet.
Doboobi, Henri.
Lord Stanley, Belnie.
Elisabeth, M"" Lemonnier.
Cycily, Ponchard.
Amy (Robsart), Prévost.
Ce qui est assez singulier, c'est qu'on n'ait pas rappelé à ce sujet le
souvenir d'une véritable Amy Robsart, c'est-à-dire du fameux drame de
Victor Hugo et Paul Foucher, fameux par la chute retentissante qu'il
subit à l'Odéon le 13 février 1828, cinq ans après le demi-succès de l'opéra
de Scribe et Auber.
— Voici qu'on parle d'une véritable révolution dans la machinerie scé-
nique, révolution dont le Ghâteau-d'Eau va être le théâtre— c'est le cas de
le dire, — et qui pourrait bien être appelée à se propager rapidement sur
toutes nos grandes scènes parisiennes. C'est te Figaro qui nous apprend ce
fait. Un inventeur, un audacieux, M. Henri Giulietti, vient de trouver la
moyen d'appliquer la force hydraulique à la scène. Grâce à un double,
voire même à un quadruple plancher, il sera possible de représenter si-
multanément plusieurs actions dramatiques et chorégraphiques, et cela
sans que le public subisse des entr'actes interminables. M. Giulietti, sou-
tenu par une puissante société, prend l'exploitation du Ghâteau-d'Eau, qui
a été généralement peu prospère jusqu'ici. H refait la salle de fond en
comble et l'aménage sur le pied des théâtres les plus élégants de Paris.
Les dessous afférents à son système remplaceront les dessous actuels.
Quant à la scène, elle sera agrandie en long et en large, de manière à se
prêter à tous les développements de la réforme projetée. Le Ghâteau-
d'Eau, qui n'était qu'un théâtre de quartier, veut devenir l'émule de la
Porte-Saint-Martin et du Chàtelet. Avant peu nous donnerons des détails
sur sa première féerie, qui passera fin octobre.
— L'état de santé du compositeur Henri Litolff, si précaire depuis long-
temps, s'est aggravé brusquement, ces jours derniers, à la suite des fati-
gues que le courageux artiste s'était imposées pour terminer l'orchestra-
tion de sa partition du Roi Lear. Le docteur Delfosse, appelé près du
malade, a jugé nécessaire de pratiquer, coup sur coup, deux opérations
très douloureuses, bien qu'elles aient été très habilement faites par cet
éminent chirurgien. L'état du grand artiste, âgé aujourd'hui de soixante-
treiz'i ans, ne laisse pas que d'inquiéter vivement sa famille et ses amis.
On constatait pourtant, il y a deux jours, une légère tendance à l'amélio-
ration.
— M. Paul Puget vient de terminer un opéra en quatre actes, sur un
livret de M. Edouard Blau, inspiré d'une des plus charmantes comédies
de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien. Les quelques personnes auto-
risées qui ont été à même d'entendre la nouvelle partition, disent que le
jeune musicien a été des mieux inspirés et que la scène qui l'accueillera
sera bien avisée, car il y a là certainement un véritable succès.
— On annonce, pour la fin de ce mois, le mariage de M. Henri Fissot,
l'excellent professeur de piano au Conservatoire, avec M""Hortense-Camille
Touzard.
— La 16' année (1890) des Annales du théâtre et de la musique, par
MM. Edouard Noël et Edmond Stoullig, vient de paraître dans la Biblio-
thèque Charpentier. Cet intéressant ouvrage, dont l'éloge n'est plus à faire,
offre le tableau le plus exact et le mieux étudié du mouvement dramatique
de notre époque. M. Ludovic Halévy, de l'Académie française, dans une
spii'ituelle préface, « une Directrice de la Comédie-Française », présente
cette année l'ouvrage aux lecteurs.
— La représentation de gala qui a été donnée dimanche dernier au Cirque
d'Été par la Société fraternelle des anciens officiers, membres de la Légion
d'honneur, a été une des plus brillantes de l'année. Le programme était
fort bien composé. La partie vocale était confiée à M™ Martinez, qui a
chanté l'air de Sigurd et a obtenu des applaudissements et des bravos bien
mérités.
— Le théâtre des Bouffes a repris cette semaine «ra Modèle, le charmant
petit opéra-comique en un acte de MM. Degrave, Lerouge et Léon Schle-
singer, qui est joué à présent par M"' Deberio, MM. Philipon et Valéry.
L'œuvre de M. Schlesinger atteindra dans quelques jours sa centième
représentation.
— Samedi prochain, 2b juillet, à trois heures précises, audition, chez
M. Eugène Gigout, des élèves de son école d'orgue. Cette audition sera
la dernière de l'année scolaire. Elle aura lieu avec le concours de
M'™ Gramaccini, de M. Warmbrodt, de MM. Berthelier et Loëb et de
M. Boëllmann.
Henri Heugel, directeur-gérant.
On DEMANDE A CONNAÎTRE LE NOM ET l'aDRESSE DE l'aUTEUR d'cNE
POÉSIE ixTiTULÉE : Le Poète et le Fantôme, envoyée a un de nos compo-
siteurs POUR ÊTRE MISE EX MUSIQUE.
Adresser le renseignement Au Ménestrel, 2 bis, rue Viviexxe.
Nous sommes avisés qu'un éditeur de musique de Moscou offre
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DE PlETRO MaSC.AGNT. NOUS METTONS NOS CONFRÈRES EX GARDE CONTRE
CETTE COXTHEFAÇOX QUI NE DOIT AVOIR NUL COURS LÉGITIME EX FRANCE
ET EN Belgique, où la propriété artistique italienne est parfai-
tement SAUVEGARDÉE. NOUS LEUR RAPPELONS, DE PLUS, QUE NOUS SOMMES
LES SEULS DÉPOSITAIRES AUTORISÉS POUR LA VENTE DE Cavallei'ia EN
France et en Belgique, et que nous leur compterons partitions et
arrangements au.\ mêmes conditions que notre propre musique.
HEUGEL ET C".
; CnEMl.\â DE FER.
A, 20 HUE
3147 — S?""" ANNÉE — I\» 30.
Dimanche H Juillet 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco i M. Henri HEUGEL, directeur du Ménesteel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement»
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (19* article), Albebt Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : A Bayreuth, Julien Tiersot. — III. Napoléon
dilettante ( 17' article ), Edmond Neukohm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour le
CHANT TOURANIEN
chanté dans le Mage, par M""" Lureal-Escalaïs, musique de J. Massenet,
poésie de Jean Richepin. — Suivra immédiatement une mélodie de Alph.
DUVERNOÏ.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Airs de ballet du Mage, par J. Massenet. — Suivra immédiate-
ment: Marie-Louise, gavotte de Gh. Neustedt.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Altoert SOU3BIES et Charles MA.L.HER.BB
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(186S-1868)
(Suite.)
Le Premier Jour de bonheur fut d'abord pour la salle Favart
un gros succès d'argent, comme on peut s'en rendre compte
par le tableau suivant, donnant les recettes des quinze pre-
mières représentations pour les trois ouvrages centenaires dont
nous nous occupons depuis le commencement du présent
chapitre.
le Voyage en Chine Mignon. le Premier Jour de bonheur.
9 décembi-e iS65 17 novembre 1866 i 5 février 1 868
A reporter
1
3.044 70
3.043 70
3.542 »
2
4.193 60
3.484 20
4.876 »
3
5.171 10
5.169 20
6.587 ..
4
5.799 10
5.319 70
7.279 »
5
6.463 10
5.701 70
7.977 25
6
S. 018 60
5.445 70
7.547 50
er.
29.690 20
28.164 20
37.808 75
•t. .
29.690 20
28.164 20
37.808 75
7
5.611 10
6.118 20
7.523 50
8
7.596 20
5.737 95
7.322 50
9
6.869 20
5.712 20
7.500 »
10
6.273 20
6.312 70
7.493 50
11
6.004 20
4.767 20
7.660 50
12
5.268 70
4.949 95
7.541 50
13
5.957 20
4.920 95
7.596 »
14
5.776 70
4.670 95
7.646 50
15
6.150 70
3.994 70
7.563 »
84.197 40
75.349 »
105.655 75
Mais les premiers résultats donnent souvent une fausse
idée de la durée du succès. Mignon eut tôt fait de rattraper
l'avance perdue ; le Premier Jour de bonheur déclina visiblement
le jour où il perdit ses interprètes de la création. M'''= Marie
Rôze partit la première avec la couronne d'or qu'un admi-
rateur avait jetée à ses pieds lors de sa dernière représen-
tation, le 30 juin 1868. Elle prenait ses vacances, ainsi que
Gapoul : la pièce fut interrompue. A la rentrée, Gapoul revint
seul; on annonça que M"" Marie Rôze voulait compléter ses
études vocales sous la direction de 'Wartel, et le rôle de
Djelma fut disputé par deu.v lauréats des précédents concours
du Conservatoire, M"'^*' Moisset et Guillot, toutes deux élèves
de Masset pour le chant et de Mocker pour l'opéra-comique,
toutes deux ayant obtenu le deuxième prix de chant et le
premier prix d'opéra-comique. M"'^ Moisset, la plus jolie des
deux, fut choisie naturellement par le compositeur el débuta
ainsi, pour le plus grand plaisir des yeux, le 19 septembre.
Peu de temps après, M"'^ Cico remplaçait M""= Cabel,et le Premier
Jour de bonheur atteignait ainsi le 14 décembre sa centième, ce
qui fut pour l'orchestre un prétexte d'aller galamment à
minuit sous les fenêtres du compositeur, afin de lui jouer
son ouverture en guise de sérénade. Eeroy, qui, dès le 24 dé-
cembre, avait inopinément pris la place de Gapoul indisposé,
lui succéda définitivement à partir du 28 janvier suivant.
L'ouvrage ût encore bonne figure en 1869 ; l'empereur, qui
avait, avec l'impératrice, assisté à la quatrième représentation,
le faisait jouer par ordre le 27 novembre, afin d'y conduire
le prince impérial. L'année 1870 mit fin aux représentations
de celte série. A la un de 1871 ou au commencement de 1872,
il fut question d'une reprise avec Leroy, qui aurait rejoué le
rôle de Gapoul déjà devenu sien, et M""' de Presles (M»'^ de
Pommeyrac, plus tard M""^ Prelly) qui aurait débuté dans celui
de M''"= Gabel ; mais ces projets n'aboutirent que le 18 février
1873, avec Lhérie, M"" Priola comme Hélène, et, comme
Djelma, M"'^ Guillot, l'ancienne rivale de M"'-' Moisset. Or,
l'interprétation nouvelle ne valait pas l'ancienne, et puis,
dans l'intervalle, Auber était mort, et puis surtout, un vent
ni
LE MÉNESTREL
de renouveau commençait alors à souiller dans la salle
Favart. La pièce n'eut que huit réprésentations et disparut du
répertoire.
Un soir qu'il causait avec M. Escudier, Auber le remercia
des compliments qu'il lui adressait sur son Premier Jour de
bonheur, mais en ajoutant : « Il faut voir ce qui adviendra
lorsque, après une interruption de quelques mois, le théâtre
reprendra mon ouvrage. Ce nest qu'aux reprises quon peut défi-
nitivement connaître le sort d'une œuvre lyrique. » Ce mot si juste
trouve ici sa cruelle application et fournit le meilleur des
commentaires au tableau suivant, qui montre par année le
nombre des représentations pour les trois ouvrages cente-
naires :
CD Chioe.
le
"ïe'oT
LcVojauc
eu Chiue.
Le Premier Jou
UignoD. de buabour.
1865
8
»
»
Report .
. 137
411 175
-1866
95
17
»
1877
»
45
■1867
16
131
»
1878
„
51
1868
1
, 25
107
1879
„
12 y>
1869
»■
38
51
1880
»
40
1870
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,. 24 -
9
1881
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27
1871
»
»
»
1882
„
41
1872
»
48
„
1883
„
32
1873
»
15
8
1884
»
24
1874
B
58
»
1885
„
20
1875
»
34
»
1886
„
26
1876
17
21
»
1887
»
15
A repoi-ter. 137 411 175
Total. 137
175
En revenante l'ordre chronologique pour poursuivre notre
récit, il faut d'abord constater un fait exceptionnel, sinon
même unique dans l'histoire de la seconde salle Favart :
c'est qu'au cours de l'année 1865 il ne fut donné que deux
ouvrages, le Saphir (8 mars) et le Voyage en Chine (9 décembre),
soit six actes, en tout et pour tout. Pas le plus petit acte,
pas le plus simple lever de rideau, pas le moindre os à
ronger jeté à ces affamés qui s'appellent les jeunes compo-
siteurs. Pareille avarice ne s'est jamais rencontrée depuis,
et, si grande qu'ait été parfois l'inactivité de FOpéra-Comique,
elle n'a jamais eu pour résultat de livrer, en douze mois,
deux seules pièces en trois actes, à la curiosité du public.
Et pourtant, on comptait alors presque deux directeurs ; car
M. de Leuven s'était adjoint comme administrateur M. Ritf,
de même que, quelque vingt ans plus tard, M. Rilt devait
associer M. Gailhard à sa direction de l'Opéra. Mais M. de
Leuven se consacrait à la littérature, et, usant d'un droit
qu'on a refusé depuis aux directeurs, il faisait, précisément
en 1865, représenter sur son théâtre un ouvrage, le Saphir,
dont il avait écrit les paroles avec MM. Michel Carré et Hadot.
Le sujet était celui de la comédie de Shakespeare : Tout
est bien qui finit bien, et avait même été répété sous ce titre;
seulement, Bertrand de Roussillon avait fait place à Gaston
de Lusignan, la belle Hélène à la belle Hermine, et le roi de
France, qui dirige l'intrigue et amène le dénouement, était
devenu sous les traits de M''-^ Baretti une jeune reine. D'ail-
leurs on avait conservé, pour le confier à Gourdin, le fameux
capitaine Parole, ce type de hâbleur et de poltron que notre
vieille comédie appelait matamore.
Mais le Saphir était né sous une mauvaise étoile. Son auteur,
Félicien David, avait fait, en l'écrivant, une assez grave ma-
ladie. A peine revenait-il à la santé, que le feu prend à son
appartement; un instant même il tremble de voir sa partition
devenir la proie des flammes, et l'émotion ressentie lui donne
une rechute qui retarde les répétitions. La pièce est jouée,
enfin, mais on rend peu justice au mérite de certaines pages,
tant estimables pourtant, comme le chœur du premier acte,
le joli quatuor et la charmante sérénade du second. Bien
plus, Paul de Saint-Victor exprime le regret que Félicien
David soit « descendu de son chameau », et le mot fait for-
tune : chacun s'en empare pour frapper sur l'auteur et sur
l'œuvre, qui se traîne péniblement jusqu'à la vingtième repré-
sentation. Ce jour-là (l^"' mai), la déveine s'accentue. Avant
le spectacle, un craquement se produit sur la scène, le rideau
s'agite violemment sous le manteau d'arlequin et brusquement
se déchire : c'était un lourd châssis qui, mal manœuvré,
avait crevé la toile et failli tuer, en tombant, le régisseur,
qui allait frapper les trois coups. Pendant le premier acte,
la chute d'un autre portant provoque une nouvelle émotion.
Enfin, pendant le second acte, une odeur de fumée se répand
dans la salle. Montaubry, qui chantait en scène, s'interrompt
et parlemente avec le personnel des coulisses ; mais la
fumée redouble et, s'échappant des portes latérales, envahit
le trou du souffleur et remonte vers les frises. Toutes les
loges se dégarnissent et le sauve-qui-peut commence, lorsque
enfin Montaubry rétablit l'ordre en jetant au milieu du tu-
multe ces paroles rassurantes et mémorables : « Il n'y a rien
à craindre ; cette fumée provient d'un feu de cheminée al-
lumé par les pompiers. » Peu à peu chacun reprit sa place,
et tout finit par un procès-verbal que le commissaire dressa
contre les pompiers. Ils avaient allumé le feu; vingt ans
après ils devaient, hélas! ne pas réussir à l'éteindre! Cette
fois le théâtre était sauvé, mais la pièce était perdue ; la
vingt-etrunième n'eut jamais lieu. Et pour comble d'ironie,
il arriva au Saphir ce qui était arrivé aux /)«))?« capitaines avec
la Guerre joyeuse et à la Circassienne avec Fatinitza : il devint
Gillette de Narbonne; la musique d'Audran lui valut en France
et à l'étranger les représentations par centaines, et l'opérette
rapporta à ses auteurs les milliers de francs que l'opéra-
comique n'avait jamais rapportés aux siens.
Faut-il attribuer à cet échec le silence gardé depuis par
Félicien David ? Le fait est qu'il ne retravailla plus pour la
scène. On a bien parlé de la Captive, et, dans son supplémeut
à la Biographie des musiciens, M. Arthur Pougin parait croire
que cet ouvragedut être représenté après u le Saphir»; c'est avant
qu'il faut lire. Il était question de la Captive du temps de
VErostrale de Reyer, que le Théâtre-Lyrique annonçait pour
1857 et qui devait attendre 1871 pour être joué deux fois à
l'Opéra, ia Captive, d'abord en deux actes, avait été augmentée
d'un troisième acte avec ballet; ses interprètes s'appelaient
M°"'-' Saunier et Hébrard, MM. Montjauze et Petit. L'éditeur
Gambogi annonçait « pour paraître le lendemain de la repré-
sentation : La Captive, grand opéra en trois actes, paroles de
Michel Carré, musique de Félicien David » ; bien plus, cette
première représentation était fixée au 23 avril 1864. Une ré-
pétition générale eut lieu et, chose curieuse, brusquement,
sans explications données à la presse, ni au public, la pièce
fut retirée par ses auteurs. M. Arthur Pougin nous apprend
qu'un autre opéra a dû rester encore dans le portefeuille du
compositeur, car un chœur tiré de cet ouvrage, dont il ignore
le titre, un « chant de guerre des Palicares » a été exécuté
au grand théâtre de Lyon en 1871.
Cette exécution a été la dernière d'un fragment inédit de
Félicien David. L'auteur du Désert est mort dans une obscu-
rité que ne pouvaient faire prévoir ses succès d'antan. Les
éditeurs ont encore dans leurs magasins des mélodies signées
de lui, qu'ils dédaignent de publier; on a tenté de lui ériger
un monument sans trouver assez de souscripteurs pour fournir
la somme nécessaire ; on a mis en vente quelques-uns de
ses manuscrits, c'est ainsi que le compositeur M.Albert Cahen
s'est vu adjuger pour un prix dérisoire la partition d'orchestre
autographe du Saphir; ni l'État, ni les particuliers n'o-nt voulu
acquérir cet héritage artistique et subvenir ainsi aux frais de
ce monument que les elïorts d'une main amie voulaient lui
dresser : Félicien David attend encore sa statue.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
A BAYREUTII
Les représentations de Bayreulh ont recommencé, et la petite
capitale des margraves de Franconie a repris son apparence de
LE MÉNESTREL
235
ville cosmopolite. Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'on y parle
aujourd'hui toutes les langues, hormis l'allemand : outre que, pour
ces quatre semaines qui, seules en deux années, donnent à la ville
sa complète animation, toute la population est sur pied, il n'est pas
douteux que les Allemands accourent en foule pour assister à cette
manifestation de leur art national, la seule, en vérité, dont ils soient
en droit de s'enorgueillir. Mais en même temps, dans les rues et
au théâtre, les types anglais et américains se font reconnaître en
grand nombre — Bayreuth n'est-il pas à la mode ? — et la langue
française n'est pas sans résonner maintes fois à nos oreilles, bien
qu'à cette première série des représentations, il soit venu un moins
grand nombre de nos compatriotes que je n'en ai vu d'autres fois.
Ils se réservent pour les représentations suivantes, et n'ont pas tort,
car celles-ci seront certainemeat d'une exécution mieux assise et
plus assurée : on ^n annonce pour les prochaines semaines des arri-
vages considérables (si j'osais m'oxprimer ainsi), et alors la ville
acquerra sonsummum d'animation ; car nul n'ignore que les Français
sont, entre tons, ceux dont l'enthousiasme est le plus exubérant:
pour l'instant, ils ne sont guère représentés ici que par des gens
tranquilles et des sages ; mais vienne l'ouverture officielle de nos
vacances, et cela va changer !
Quoi qu'il en soit, la ville de Bayreuth est toute à Wagner. Dans
les magasins, on ne voit partout que souvenirs du maître et de son
théâtre. Ce no sont pas seulement des photographies, des livres,
des albums, mais une infinité d'objets dans lesquels le goût alle-
mand se révèle dans toute sa candeur. Le succès de l'année paraît
être un certain « Gral », dont on voit chez les marchands des modèles
divers : l'un est une réduction « aux deux tiers de la grandeur na-
turelle » et « garanti d'après l'original » du calice de Parsifal;
l'autre, un simple verre à pied, avec des tons roses et des reliefs
dorés parmi lesquels figure en belle place la notation du «motif du
Gral ». Pais, ce sont des objets de toilette et de ménage. Les maris
allemands venus à Bayreuth en laissant la famille au logis (le fait
serait-il sans exemple ?) peuvent rapporter en souvenir à leurs Frauen
de petits tabliers blancs sur lesquels sont brodés en rouge le portrait
de Wagner, ou le théâtre, ou la Wahnfried, avec des fragments mé-
lodiques du maître: thème de Parsifal, commencement de la romance
de l'Étoile, etc.; ils trouveront même, s'ils veulent être plus pratiques
encore, des serviettes, des mouchoirs, des nappes pour tables de toi-
lette, avec les mêmes ornements ou des devises appropriées. Je ne
suis même pas bien sûr de n'avoir pas va des ronds de servietles
« au Saint-Gral ». Pour les devises, dont l'usage sévit avec insistance
dans toute l'Allemagne, elles sont utilisées surtout comme en-têtes de
•cartes postales. En France, nous mettons ces choses sur les mirli-
■tons ; les gens de Bayreuth les inscrivent sur les cartes postales,
avec le " Salut de Bayreuth » d'usage et quelques dessins plus ou
moins simples, répandant ainsi la bonne parole à tous les coins du
monde. Ces devises sont naïves. J'en copie deux, les premières qui
me tombent sous la main parmi une quantité considérable :
Wilst du dich laben am herrlidisten Klang,
Hôre des Meisters Schivanengesang !
« Veux-tu te récréer par les sons les plus magnifiques? Écoute le
•chant du cygne da maître ! » Conseil excellent et auquel il n'y a
l'ien à redire.
Nach Mekkah pilgern die Muhamedaner ,
Nach Baijreuth aile icaynerianer.
« A la Mecque vont les mahométans, à Bayreuth tous les wagné-
riens », parole d'une vérité profonde, et que certains musiciens fran-
çois de ma connaissance ont dévotement pratiquée.
S'il faut le dire, ces traits de mœurs très particuliers, qui nous
amusaient les premières fois par la nouveauté et l'imprévu, ne tardent
.guère, à présent, à laisser notre attention assez indifférente. Et puis
il y a les détails de la vie matérielle, qui n'ont décidément rien
d'agréable. Dans cette cohue de ville assiégée, l'on ne saurait trouver
qu'avec peine le calme, le recueillement rêvés. Ce n'est plus le
Bayreuth des premières années, que je n'ai pas connu, mais que
je devine sans peine avec ce qui en reste. Alors Bayreuth n'était pas
un rendez-vous mondain, une sorte de ville d'eaux peuplée de gens
venus uniquement parce que c'est le genre ; mais toutes les pensées
•étaient confondues en une seule, celle de l'œuvre qu'on allait con-
templer, et rien n'en pouvait distraire. Et comme, après cela, on
•comprend bien le roi de Bavière, se faisant donner la représenta-
lion pour lui seul! Enfin, et c'est le principal, il nous reste toujours
le théâtre, sur la colline désormais sacrée. Là, par les artifices de
mise en scène bien connus, dont je ne crois pas que personne
•conteste les avantages, du moins parmi les gens qui prennent l'art
pour une chose sérieuse, mais qui ne sont encore réalisés qu'ici,
l'orchestre invisible, la salle obscure, tous les spectateurs placés face
à la scène, l'attention est impérieusement, exclusivement sollicitée
par l'œuvre. Et, dans les entr'actes, après que l'on a ressenti des
émotions que l'on ne trouve que là, c'est une merveille de se re-
trouver dans le calme d'une nature douce et reposante, parmi les
arbres, les champs, les bois; voir au loin se profiler les tours elles
toits de la ville, dont les bruits ne peuvent plus arriver jusqu'ici;
contempler au soleil couchant les lignes onduleuses des collines
et les étendues vertes des prairies. Qai pourrait rêver un cadre mieux
approprié à de pareilles œuvres d'art ?
Je ne saurais, dans un article de proportions forcément restreintes,
et dont ces préliminaires ont déjà pris une grande partie, me livrer
à une étude sérieuse des œuvres qui forment le programme des fêtes
de cette année : je dois me borner, en conséquence, à résumer des
impressions, en même temps qu'à rendre compte de l'interprétation
générale. A l'heure où j'écris, nous avons eu les premières repré-
sentations des reprises de Parsifal et de Tristan et Yseult, puis bientôt
nous aurons la première du Tannhauser à Bayreuth, une vraie pre-
mière, qui intéresse infiniment un certain nombre de spectateurs,
et dont j'aurai à vous entretenir dans un second article.
Pour Parsifal, il est très certain qu'il n'existe pas une seule œuvre
plus capable de nous arracher en un instant à toute préoccupation
extérieure, de nous placer comme de force dans un nouveau milieu
supérieur, où l'esprit se dégage de toute autre attache, où l'on ne vit
plus que pour l'art, où l'on oublie. Je sais bien que cet état n'est
pas celui que recherchent dans l'art beaucoup de fort honnêtes
gens, qui ne tiennent pas à être élevés si haut, et qui trouvent
même fort ridicules ceux qui font l'aveu de telles sensations, à leurs
yeux anormales puisqu'elles leur sont inconnues. Il faut pourtant
bien qu'ils pardonnent à ceux qui les ressentent et qui pensent
que c'est précisément le suprême but de l'art de nous sortir de
nous-mêmes, fût- ce pour un instant. Or, avec Parsifal, on est absorbé,
on est pris dès la première note. Dans le silence sombre et recueilli
de la salle soudain plongée dans l'obscurité, c'est d'abord le premier
chant du prélude qui s'élève, calme, soutenu, se développant avec
l'ampleur d'un beau vêtement antique ; puis les arpèges séraphiques
des violons s'entrelacent, s'enchevêtrent, enveloppant la mélodie
comme d'une atmosphère impalpable d'encens. Les appels lointains
des trompettes à la prière, l'explosion soudaine des cuivres lançant
à pleines voix le « thème de la fin, » avec un accent convaincu,
plein d'affirmation; enfin, sans que le mouvement s'anime un instant,
pour ainsi dire sans développement, par de simples répétitions des
trois thèmes, formant comme les degrés successifs de l'entrée d'un
monument dont ou entrevoit déjà les proportions magnifiques, la
reprise du premier chant, avec des tons plus sombres, des accents
moins hiératiques, plus humains, tout cela forme une introduction
si admirable qu'avant même que le drame ait commencé, l'on est
conquis.
Et la première scène, avec son lever d'auro.re sur le lac sacré, ses
chants de trompettes dans le lointain, sonnant le réveil des che-
valiers et leur prière muette, à genoux du côté du soleil levant,
tandis que les violons de l'orchestre, exprimant leur pensée religieuse,
redisent très doucement, avec un sentiment très intime, ce thème
de la foi si suave et si éclatant tour à tour, — après quoi, sur un
dernier mouvement ascendant de la musique, les mains se tendent
vers le ciel, et tous adorent, — n'est-ce pas là, pour commencer, un
tableau d'une beauté et d'une sérénité incomparables?
Mais le chef-d'œuvre de Parsifal, c'est la scène religieuse du pre-
mier acte. La musique en est fort belle ; mais elle ne forme qu'un
seul de tous les éléments dont se compose ce tableau unique eu
son n-enre, où le décor, les évolutions scéniques, la plastique des
personnages, loat cela mû par une inspiration supérieure et donnant
une impression de vérité et de vie intense, s'unissent en un ensemble
dont aucune partie ne saurait être distraite sans lui faire tort. Ici,
il y a absorption complète de tout l'être, tension de toutes les facultés
du spectateur vers la scène qui se déroule. Ce que je disais tout à
l'heure être le vrai but do l'art est ici pleinement atteint : on ne
vit que pour l'œuvre, rien autre ne peut exister.
Le seul défaut des représentations de Bayreuth, c'est que le
spectacle est si long et la tension d'esprit, dès le début, si violente
et si soudaine, que véritablement la fatigue vient avant la fin, et
que parfois l'on n'est plus capable de suivre avec l'attention suf-
fisante les dernières scènes. Le troisième acte de Parsifal est peut-
être plus admirable encore : il est d'une élévation, d'une beaut^
236
LE MEiNESTllEL
plastique, d'une grandeur de sentiment, d'une intensité de poésie à
laquelle Wagner même n'a pas atteint une autre fois. L'idéal serait
d'entendre cet acte isolé avec toute la fraîcheur d'une attention non
surmenée par tant d'émotions antérieures. Ce serait encore un nou-
veau système de drame musical en plusieurs soirées que je recom-
mande aux amateurs : je ne Joute pas qu'ils y trouvent pleine
satisfaction.
N'en serait-il pas encore de même pour Tristan et Yseult, avec
son troisième acte qui est bien, certes, la chose la plus profondé-
ment tragique qui ait été portée sur aucun théâtre! On l'a comparé
à de l'Eschyle : certes, par la puissance tragique, la comparaison
peut être admise, mais le drame grec a quelque chose de plus
hiératique, de plus immobile, même dans l'expression des sentiments
les plus humains; je lui comparerais plutôt Pnr.s(7a^; quant au troi-
sième acte de Tristan, il ne peut évoquer en moi que l'idée d'un seul
nom, Shakespeare, et d'une seule œuvre, le Roi Lear, dont il a,
avec la couleur légendaire, la profondeur dramatique et la psycho-
logie à la fois simple et d'une extraordinaire intensité. Dans cette
œuvre, inspirée d'une de nos plus antiques légendes ayant toujours
symbolisé les plus ardents mystères de l'amour, un seul sentiment
domine : une passion d'une véhémence, d'une violence inouïe, vers
laquelle tout revient sans cesse. Voyez, au dernier acte, les trois
longs monologues de Tristan blessé, couché sur son lit dans son
vieux manoir de Bretagne, morceau d'un réalisme effrayant, oii le
côté musical s'efface d'une façon presque absolue, pour faire place
à l'expression exclusive du sentiment, à l'accent de la passion et
de la douleur. Ces trois monologues commencent par des idées
étrangères à Yseult et à l'amour. Dans le premier, Tristan, reve-
nant de son long évanouissement, demande oîi il est, d'où il vient :
lui-même croit revenir d'un monde inconnu, le monde de la nuit;
et Yseult est encore dans le monde du soleil ; et cette idée le
reprend tout entier. Plus loin, c'est au tidèle Kun-enal que s'adres-
sent d'abord ses paroles de reconnaissance et de joie ; mais pourquoi
serait-il joyeax, si ce n'est parce qu'il va revoir Yseult? Et, de nou-
veau, elle saisit toute sa pensée. Enfin, le troisième monologue, le
plus long et le plus important, commence par le retour du chant
du berger, ce chant si triste qui symbolise pour Tristan toutes les
douleurs de sa vie, qui lui apprit la mort de son père, celle de sa
raère, qui lui dit maintenant que la destinée est de désirer, désirer
toujours, puis de mourir; et comment, de là, revient-il encore à
Yseult? je ne le sais, mais cette idée s'acharne sur lui, plus passion-
nément que jamais, et, dans un véritable délire, il va jusqu'à blas-
phémer, à maudire l'amour qui est une telle souffrance, maudire
le breuvage amer qui a versé dans son sang une telle passion,
maudire celle qui l'a broyé !...
Je n'apprendrai rien à personne en disant que toutes les scènes
de Tristanet l'ww/f sont fort développées. Dans le second acte il n'y
en a que trois, et cet acte dure environ une heure et demie : la seule
scène d'amour ne doit pas durer beaucoup moins d'une heure. Avec
la prolixité germanique, Wagner s'est étendu sur certains sentiments
et certaines considérations que, nous autres Français, aurions aimé
à voir exprimer un peu plus brièvement. J'avoue, cependant, qu'il
est impossible de trouver une seule longueur daas le troisième acte,
bien que ce ne soit pas l'avis de ceux qui elierchent le côté musical.
Ce côté, je l'ai dit, s'efface devant l'expression de la passion vio-
lente et excessive du personnage; mais il y a une telle pénétration
des divers éléments, la poésie, la déclamation, lés dessins et les
harmoniîs de l'orchestre, enfin tout le mouvement scénique, que
je ne crois pas qu'il eût été possible de traiter la scène avec plus
d'intensité.
Il n'en est pas absolument de même dans les deux premiers actes.
Mais ici, les scènes qui nous laissent une impression de longueur
sont placées de telle manière qu'elles précèdent presque toujours les
moments les plus beaux, ceux oii l'attention lassée se ranime forcé-
ment. Je ne parle pas de l'allocution du roi Marke, qui, sans même
parler du sentiment général, est au moins d'une longueur un peu
exagérée dans la situation où elle est mise ; mais, dans ce même
acte, après la scène si poétique d'Yseult et de Brangœne et cette
entrée prodigieusement passionnée de Tristan, il y a un long dia-
logue entre les deux amants, où ils dissertent subtilement "sur le
jour et la nuit, cela non sans une complaisance excessive; mais
aussitôt après vient la sublime invocation à la nuit chantée en duo,
avec l'appel de Brangœne du haut de la tour, pendant qu'à l'or-
chestre tous les bruits de la nuil s'enchevêtrent et se combinent
avec une poésie délicieuse, et toute la fin du duo, la musique pas-
sionnée, la plus abondante, la plus soutenue qui fût écrite jamais.
De même au premier acte, après l'exposition si riche en épisodes
divers, au moment où l'action définitive va s'engager entre Tristan
et Yseult, après cette puissante symphonie de l'orchestre à l'entrée
de Tristan, où l'on sent qu'il va se passer des choses énormes, il y
a une scène d'explications qui, vraiment, dure un peu trop ; mais,
aussitôt après, Tristan et Yseult boivent le philtre, etl'amour irré-
sistible se déclare et chante en eux; et en même temps les bruits
populaires se font entendre au dehors, le navire aborde au château
du roi Marke, cependant que les deux amants, uniquement absorbés
par leur passion naissante, oublient tout au monde et ne connais-
sent plus rien en dehors d'eux-mêmes ; et cela est admirable, pro-
digieux, d'une beauté scénique extraordinaire, l'impression la plus
profonde et la plus complète que l'art nous ait jamais fait ressentir.
Aux deux premières représentations de Bayreuth de cette année,
nous avons eu à admirer tout d'abord trois très grands artistes.
D'abord M'"" Sueher, qui est bien, certes, la plus belle Yseult que
l'on puisse rêver : elle est superbe d'attitudes et de physionomie,
avec une voix pleine, homogène et d'un beau timbre, et surtout un
sentiment parfait du rôle et de toute l'œuvre. Puis M. Van Dyck,
l'idéal du Parsifal, qu'il incarne avec une rare intelligence, et auquel
il donne un charme, une jeunesse merveilleusement en rapport avec
le personnage du « pur simple » ; auprès de lui, M. Scheidemantel,
qui met au premier plan, dans Parsifal, le rôle d'Amfortas, tant sa
voix est belle, sa diction parfaite, ses gestes expressifs et justes.
Il serait injuste de n'y pas joindre M""^ Materna, que nous avons
entendue à Paris dans des fragments wagnériens qu'elle a inter-
prétés, on s'en souvient, avec une supériorité incomparable ; mais,
dans le rôle de Kundry, de Parsifal, nous sommes malheureusement
gênés par le souvenir de M'" Malien, qui lui donnait bien plus de
vie, de charme et de poésie féminine. M""'' Materna l'interprète d'ail-
leurs avec son admirable voix et en compose les traits principaux
avec beaucoup d'autorité et de science. Un nouveau ténor,M. Alvary,
a interprété Tristan avec beaucoup d'art et d'intelligence, mais
sans le sentiment profond du personnage que M. Vogl, avec moins
de voix assurément, mais plus de sincérité, savait nous faire
éprouver. Dans Parsifal, particulièrement, tous les rôles secondaires
ont été remarquablement tenus : Gurnemanz par M. Grengg, Klingsor
par M. Liefe, et la scène des Blumen-Mœdchen a été interprétée avec
un ensemble, une vivacité et un charme exquis. Mais pourquoi,
dans , le finale du premier acte, les cloches ne peuvent-elles donc
jamais aller en mesure avec l'orchestre? Cela est d'un effet déplo-
rable et d'une fort mauvaise impression au début d'une scène où tout
devrait être parfait. D'ailleurs, exécution d'ensemble toujours dans
un mouvement et un sentiment excellents, celle de Parsifal soiis la
direction de M. Herman Lévy, celle de Tristan et Yseult avec
M. Mottl.
Julien Tiersot
NAPOLEON DILETTANTE
(Suite)
XI
LES DERNIERS ACCORDS
Dans son curieux recueil intitulé Macédoine, La Bretonnière nous
apprend que lorsque Napoléjn quitta Paris en 1814, pour aller au-
devant de l'invasion, les «bardes de la police», comme il appelle
les agents de la préfecture, organisèrent et firent chanter par tous
les carrefours des hymnes populaires, dont ce couplet donne la note
exacte :
Travaillons
Tous en vrais lurons
Les casaques
Des Cosaques.
Fussent-ils gros comm'des éléphants,
Ils u'font peur qu'aux petits enfants.
« A ce chaleureux appel de l'Ossian officiel, ajoute l'auteur de la
Macédoine, joignez l'air de la Mère Camus avec orgue de Barbarie, et
vous aurez facilement une idée de l'enthousiasme qu'il savait ins-
pirer. »
Dans les théâtres, ce furent également des vers et de la musique de
commande qui firent les frais de cette préface de la défense natio-
nale. A l'Opéra, c'était l'Oriflamme, « qu'on détachait des voûtes
royales de Saint-Denis, pour enflammer une jeunesse fort mauvaise
LE MENESTREL
237
chrétienne. » Cette pièce de circonstance avait pour auteurs Etienne
et Baour-Lormian, avec musique de Méhul, Paër, Berton et Kreutzer ;
il en fut donné onze représentations, dont la dernière eut lieu le
IS mars. A Feydeau, e'élait « Bayard sauvant Mézières, au milieu
d'une intrigue mesquine calquée sur toutes les fadaises d'amourettes
et de travestissements faisant alors le fond de ce théâtre. » Bayard
à Mésières, opéra-comique en un acte, paroles de Dupaty et Chazet,
musique deBoieldieu, Cafel, Nicole et Gherubini, avait été représenté
le 12 février.
Mais en dépit de ces divertissements l'émotion était grande, car
l'on ne voyait pas degaîlé de cœur se dresser le spectre terrifiant de
l'invasion. Cependant, la régence sut à un moment réveiller l'enthou-
siasme. On jouait J?'mirfe à l'Opéra. Une brigade de l'armée du Midi
était arrivée ce jour-là précisément, et de nombreux officiers garnis-
saient l'amphithéâtre et le parterre. On était au premier acte, et
Renaud était couché aux pieds d'Armide (M™° Branchu), quand on
vit s'avancer soudainement Derivis, superbe sous son armure de
chevalier, et tenant à la main un papier: c'était le bulletin de la
victoire de Champ-Auberl !... Les applaudissements éclatèrent de toutes
parts, et la foule criait, sans interruption. Vive l'Empereur ! tandis
que l'orchestre jouait La victoire est à nous!
Bientôt, en effet, le favori de cette victoire si longtemps chantée
prenait le chemin de l'exil, où la musique devait lui souhaiter la
bienvenue, mais cette fois si mauvaise, que le sort de Napoléon dut
lui en paraître plus dur encore. C'est du moins ce qui ressort de ce
passage des Mémoires de la baronne Durand :
« Lorsque l'Empereur aborda dans l'île, — il s'agit de File d'Elbe.
— on le conduisit, sous un dais fait à la hâte et orné de papier
doré et de morceaux d'étoffe éearlate, dans le lieu de sa résidence :
c'était à l'Hôtel de Ville qu'il devait provisoirement loger. On avait
orné la salle qui servait ordinairement pour les réunions publiques
et les bals, avec quelques tableaux et des candélabres en cristal.
Une espèce de trône avait été élevé ; il était paré dans le même genre
que le dais. La musique de la chapelle l'accompagna jusque-là;
elle joua des airs nationaux si peu mélodieux que Napoléon demanda
bien vite à être conduit dans l'appartement qui lui était destiné. »
Pour se distraire de cette désagréable impression, le souverain de
cet État microscopique, que baignait de tous côtés la mer, se donna
souvent le plaisir d'écouter de meilleure musique. Le détail ne nous
en est point parvenu, mais nous relevons dans le Mémorial de Pey-
russe celte indication au chapitre des comptes apurés à l'île d'Elbe
et contresignés Napoléon, à Porfo-Ferrajo, le 24 juin 1814;
Dépenses pour 7 mois :
Frais de théâtre et de concerts 0,000 francs.
A la même source, nous puiserons le chiffre de subventions aux
théâtres (Opéra, Opéra-Comique, Opéra-Bouffe et Théâlre de l'Impé-
ratrice) pendant les Cent jours. Il se monte à 148,000 francs, sans
compter 1,000 francs à Campenon et Jouy, commissaires à l'Opéra-
Comique, et 5,000 francs aux acteurs et auteurs de l'Opéra et de
l'Opéra-Comiquo.
Ces dernières sommes se rapportent sans doute à une gratification
exceptionnelle, comme Napoléon avait coutume d'en donner souvent
aux artistes, en dehors de tout budget officiel, ainsi que le prouve
cette lettre adressée au général comte Bertrand, grand maréchal du
palais, le S mai 181.5:
« Je viens d'arrêter le budget des théâtres. Il y a un article assez
fort pour location de loges, et je crois avoir fait des fonds pour la
même dépense au budget de ma maison ; voyez s'il y a double em-
ploi. Je donne dans le budget de ma maison 200,000 francs à des
musiciens, à des chanteurs, etc.. Il faudrait que dans les distri-
butions que vous faites il n'y eût pas de doubles emplois.
» Vous trouverez ci-joint l'état des gratifications à payer pour le
reste de l'année aux acteurs. »
Lorsque l'empereur fit son entrée à Paris, par Grenelle, les jeunes
gens de la banlieue, portant des rubans tricolores à leurs chapeaux,
le précédaient en chantant la Marseillaise et le Chant du départ. Plus
loin, ce fut, d'après Marco de Saint-Hilaire, une marche « grave et
presque religieuse » de Lesueur, et non les airs accoutumés, qui
l'accueillirent. Enfin, le retour de Napoléon fut célébré par un grand
concert dans le jardin des Tuileries, où l'orchestre était adossé au
château.
Dans le cortège, les musiques militaires jouaient Veillons au salut
de l'empire. A ces accents, les vieux débris de Marengo ajoutaient
tout bas :
Si le despotisme conspire.
Conjurons le despotisme des rois
et, parvenus au refrain, chacun répétait avec la musique :
La mort plutôt que l'esclavage,
C'est la devise des Français.
Peu de jours après, une grande cérémonie se tint au Champ de
Mars, où Napoléon jura l'acte additionnel. Il était vêtu d'une tunique
de satin cramoisi, avec une toque de velours à la Henri IV. Ses
frères Lucien, Louis et Jérôme, qui étaient à ses côtés, portaient un
costume identique, mais en blanc, avec un pantalon de tricot de
soie. Une cantate fut chantée par deux chœurs, l'un d'hommes,
l'autre de femmes ; on avait ressuscité, pour la circonstance, une
composition intitulée la Lyonnaise, datant de l'année précédente, et où
il était dit :
Napoléon, roi d'un peuple fidèle.
Tu veux borner la course de ton char.
Tu nous montras Alexandre et César
Nous reverrons Trajan et MarcAurèle.
Chœur :
Que les cités s'unissent aux soldats.
Rallions-nous pour les derniers combats.
Français, la paix est aux champs de la gloire,
La' douce paix, fille de la victoire.
Mais l'horizon se rembrunissait à vue d'oeil. Le 22 juin eut lieu le
défilé de la garde nationale devant l'empereur, qui ne pouvait, dit-
on, retenir ses larmes. Le lendemain, il envoyait ces braves soldats-
citoyens travailler aux fortifications de la ville, en vue d'un nou-
veau siège. Tous les fédérés des faubourgs Saint-Antoine et Saint-
Marceau gagnaient en chantant leur poste, soit à Vincennes, soit à
Montmartre, où, pour les encourager. Napoléon leur envoya la mu^
sique des grenadiers de la garde.
La Bretonnière nous a laissé le tableau de la dernière apparition
de l'empereur au théâtre, avant de partir pour Waterloo.
Au Théâtre-Français on jouait, par ordre, la pièce d'Hector, de
Luce de Lancivai, que le souverain affectionnait très particulière-
ment. La foule était si considérable que l'orchestre fut envahi, ce
qui força les musiciens à se réfagier sous la scène... On attendait
l'empereur pour commencer, mais il n'arrivait pas. Alors, pour
passer le temps, on dematda la Marseillaise, dont les accents arri-
vèrent au public par le trou du souffleur, fort amoindris par cette
circonstance, sans compter que l'orchestre de la Comédie, ne se
composait que d'instruments à cordes.
A un moment, on aperçoit Gavaudan à la galerie. Aussitôt, oa
lui demande la Marseillaise. Gavaudan objecte qu'il s'est retiré depuis
longtemps du théâtre. Mais la foule insiste. Alors il propose de
chanter une chanson de l'époque. Le vol de l'aigle de clocher en clocher,
qui se terminait par un joyeux lianlanplan, tambour battant, C4avau-
dan mime la scène. Quand vient « un sourd roulement apporté par
la bise d'Italie », il tend l'oreille, et se redressant joyeusement,
il s'écrie :
Je reconnais ce tambour,
Qui du monde a fait le tour.
Alors, toute la salle, électrisée, reprend en chœur, au milieu des
applaudissements, Rantanplan, tambour battant,... et à ce moment
apparaît enfin l'empereur.
« Toutes les allusions de la pièce, saisies avec transport, dit La
Bretonnière, furent autant d'ovations pour Napoléon, cjui saluait avec
émotion, comme les premiers sujets du théâtre ».
Quatre mois à peine se sont écoulés. Celui qui a régné sur le
monde est en mer, à bord du Northumberiand, qui fait voile vers
Sainte-Hélène.
Le jour de son arrivée à bord, nous apprend le docteur Wajrden,
dont la correspondance & élé publiée par le comte d'Hérisson dans
son Cabinet noir, l'empereur montre beaucoup d'appétit; le bordeaux
lui plaît; il passe la soirée sur le tillac, où la musique du 53" vient
jouer pour son plaisir ; il demande deux airs : le God save the king et
le Rule Britanniu. Dans les intervalles, il cause gaiement avec les
officiers qui savent et parlent le français.
Plus tard, ce sera le chirurgien de la marine anglaise, Tyder, qui
donnera ce tableau du débarquement à Sainte-Hélène, le 17 oc-
tobre ISlo :
« Le tambour bat, la troupe présente les armes, Bonaparte se dé-
couvre, salue le gouverneur, et lui dit quelques mots que je n'ai pu'
entendre. Alors tout le cortège se met en marche, sans musique (en
italiques dans le texte), et l'on arrive à l'hôlel du gouverneur, où un
dîner splendide termine la cérémonie. »
238
LE MENESTREL
Du 2 novembre :
« Napoléon a donné une fête le 12 novembre. Elle consiste en
uu festin, un concert et un bal. M""* Bertrand brille sur le piano.
M"" de Montholon cbante d'une manière ravissante en s'accompa-
gnant sur la harpe, M"° Sophie N..... ci-devant soubrette, exécute
fort bien une ariette italienne; les généraux, le chambellao, trois
officiers anglais et moi, nous faisons danser les dames anglaises et
françaises. Mais Bonaparte ne dansa point. »
Le piano, que faisait valoir si bien M™' Bertrand, avait été, sans
doute, emprunté pour la circonstance; car il existe une lettre du
docteur O'Meara. médecin de Napoléon, à sir Thomas Reade, lieute-
nant-colonel, où il se plaint du refus essuj'é par le général Montholon,
qui demandait un piano pour distraire l'empereur.
Il faut dire que cette lettre est datée du 24 janvier 1817, c'est-à-
dire à une époque où les relations de Napoléon avec ses geôliers
commençaient à se tendre. Les officiers l'appelaient, il est vrai,
toujours Excellence; mais là se bornaient leur prévenance envers
lui. Tristement, il passait sa vie entre quelques promenades à
cheval et des séjours prolongés dans sa bibliothèque, où il lisait ou
dictait. Souvent aussi. M™' Bertrand lui tirailles cartes. Puis, c'étaient
de longues rêveries, durant lesquelles il sifflait ou fredonnait de
sa voix fausse, suivant son habitude.
Un voyageur anglais qui a publié son carnet de notes à son
retour de Sainte-Hélène, l'a vu souvent, à Longwood, se prome-
nant, la tête coiffée d'un madras rouge, dans la galerie touchant à
la salle de billard :
» Son tic, dit-il, consiste à froncer les sourcils et à prononcer, la
bouche fermée, de ces sons brefs et inarticulés qu'on ne peut
désigner autrement que par le mot de grognements. Quand Bonaparte
éprouve quelques contrariétés nouvelles, ces grognements deviennent
plus fréquents; quelquefois il les accompagne par des marques
d'impatience, quelquefois aussi il les modifie sur une marche de
tambour, et il va même jusqu'à les moduler sur un de ces airs
favoris que l'enfance imprima dans sa mémoire, alors que la chanson
joyeuse pouvait arriver jusqu'à lui. Cette manière de fredonner, qui
participe également de la tristesse et de la gaité, de la résignation
et de l'impatience, a quelque chose d'amer et de funeste qui déchire
l'âme des spectateurs. »
Un jimr que M"- Bertrand devait lire une tragédie. Napoléon dit,
en souriant :
— Nous allons ce soir aux Français.
Puis il tomt)a dans un profond abattement où tout un monde de
souvenirs devait avoir sa place.
L'un des derniers journaux qu'il reçut portait, sous la rubrique :
Annonce de notweautés, qu'on venait de mettre en vente chez les mar-
chands de musique, à Paris, une hymne guerrière avec une musique
nouvelle d'un de nos plus célèbres compositeurs.
Ces mots d'Hymne guerrière lui firent éprouver une singulière sen-
sation. Mais il fut bien plus vivement ému en lisant le litre de
cette production; c'était : La garde meurt, elle ne se rend pas.
— Braves soldats français, dit-il en soupirant. Quels hommes!...
Us se sont tous rendus immortels. Toute l'armée sera mentionnée
dans les Annales de la France; mais ce n'est pas assez; chacun
d'eux devrait occuper, seul, une page dans l'Histoire.
Peu de temps après, il mourait, emportant dans la tombe le far-
deau d'une vie glorieuse et remplie jusque dans ses moindres dé-
tails, comme on l'a vu par l'étude toute spéciale que nous terminons.
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres :
L'opéra de M. Isidore de Lara a été abandonné dès avant la répétition
générale, et la saison finit à Covent-Garden d'une façon peu brillante.
Cette saison, qui a dû coûter pas mal d'argent à la direction, n'a
satisfait personne : ni les abonnés, qui ne s'étaient engagés pour une
aussi longue série de représentations qu3 sur les promesses les plus
mirobolantes, ni le gros public, qui a trop souvent manifesté son
opinion sur plusieurs ouvrages de l'ancien répertoire par son abstention
bien marquée, ni même les agences (marchands de billets), cet auxiliaire
puissant de l'Opéra à Londres, dont les relations avec la direction ont été,
à maintes reprises, des plus tendues. Les seules quasi-nouveautés de la
saison ont été les reprises de Manon, de Mireille et i'OleUo. Par contre, la
direction a failli à ses promesses en ce qui concerne les ouvrages sui-
vants : Siegfried, Cavalleria rusticana, Philcinon et Baucis, la Juive, le Vais-
seau Fantôme et enfin la Lumière d'Asie, l'œuvre de M. de Lara qui aurait
constitué la seule nouveauté absolue depuis le régime de M. Harris.
Les représentations données cette saison se décomposent comme suit :
Faust, 12 fois; Lohengrin, 9 fois: Roméo, 8 fois; les Huguenots, 8 fois;
Carmen, 7 fois : Orphée, 6 fois ; Rigolelto, S fois ; Tannhduser, S fois ; Don
Giovanni, S fois; Manon, i fois; Otetlo, i fois; la Traviata, 4 fois; le Pro-
phète, 3 fois; Mireille, 3 fois; Mefistofele, 2 fois; les Maîtres chanteurs, 2 fois;
Aida, 2 fois; Marttia, 2 fois; Lucie, 2 fois, Fidelio, \ fois. On remarquera
la prépondérance bien tranchée du répertoire français.
Le niveau artistique de la saison n'a pas été très élevé, la troupe
étant incomplète et mal équilibrée ; comme cela arrive trop souvent à
Covent-Garden. Parmi les rares débutants de la saison, la palme revient à
MM.VanDyck et Plançou, que, malgré leur succès, la direction n'a pas
su utiliser. La question de l'idiome est une des grosses difficultés de
l'exploitation de l'opéra en ce moment à Londres. Si aucun changement
ne survient dans la composition des troupes, le français devra s'imposer
de plus en plus. Seulement, il faudrait alors procéder méthodiquement,
faire apprendre les chœurs, remplacer tous les petits rôles, et plus d'un
ouvrage, tel que les Huguenots, Faust, Carmen, se trouverait transformé de la
sorte, surtout sous la sympathique direction d'un chef d'orchestre fran-
çais.
A l'Opéra national anglais, /raji/iod, grâce à une réduction des prix, aura
bientôt atteint sa 130'= représentation, et le théâtre fermera jusqu'en
automne. La Basoche sera le spectacle de réouverture.
Miss Hetyett, devenue Miss Décima, sera jouée bientôt au Criterion. Une
note publiée dans les journaux est chargée de calmer les susceptibilités
britanniques au sujet de l'étrange aventure de l'héroïne, qui, dans la
nouvelle version anglaise reste, parait-il, dans les limites de la respectabilitg.
A. G. N.
— Mme patti inaugurera le 12 août son nouveau théâtre privé de Craig-
y-Nos. M°"= Patti paraîtra avec M. Nicolini dans Roméo et Faust, et avec
M. Lely dans Martha et la Traviata. On espère avoir le grand tragédien
Irving pour réciter un prologue de bienvenue.
— Tandis que les pieux wagnériens s'en allaient faire leurs dévotions à
la chapelle de Bayreuth, les dévots de Mozart (pèlerinage contre pèlerinage)
se rendaient en foule au temple de Salzbourg, où se préparaient des fêtes
brillantes à l'occasion du centenaire du maître immortel, plus rayonnant
encore en son génie, après un silence de cent années, qu'alors même qu'il
enfantait ses incomparables chefs-d'œuvre. A quoi servirait d'opposer
Don Juan à Parsifal et les Noces de Figaro aux Maîtres chanteurs? Compa-
raison n'est pas raison, dit fort justement la sagesse des nations. Mais il
il est bon de rappeler, devant les tendances exclusives d'un art tyrannique
et absolu, les bienfaits d'un art plus accessible, plus humain, et dont les
partisans n'ont pas l'humeur sectaire et farouche des grands prêtres du
dieu nouveau. Donc on a fêté dignement Mozart à Salzbourg, et les têtes
qui viennent d'être célébrées en son honneur dans la vieille cité souabe
sont venues à point pour montrer que toutes les admirations ne vont pas^
quoique certains en disent, d'un seul et même coté, et qu'il y a place
encore pour un enthousiasme étranger à celui de Bayreuth. Les innom-
brables vers consacrés à Mozart et qu'ont publiés pendant huit jours tous
les journaux de Vienne et de Salzbourg, suffiraient à le prouver. La place
nous manquerait pour donner un compte rendu complet et détaillé des
fêtes, et nous devons nous borner à en signaler les principaux épisodes.
Elles se sont ouvertes par un grand discours très étudié sur Mozart, pro-
noncé dans l'ancienne salle d'honneur de l'Université, aujourd'hui trans-
formée en église, par M. Hirschteld, un professeur très connu et très
estimé à Vienne. Un tonnerre d'applaudissements a salué un passage de
ce discours dans lequel l'orateur rendait justice à un de nos maîtres
actuels, M. Gounod, pour la belle étude qu'il a publiée récemment sur le
Don Juan de Mozart. C'est dans cette même salle, où les auditeurs étaient
pressés jusqu'à s'étouffer, qu'ont eu lieu les deux concerts, dont le premier
comprenait l'ouverture et plusieurs morceaux de la Flûte enchantée, le
concerto de piano en mi bémol et la symphonie en sol mineur, et le second
des fragments de Cosi fan tutte et de l'Enlèvement au sérail et la symphonie
Jupiter. L'orchestre ne comptait pas moins de 300 exécutants, parmi les-
quels tous les membres de la Société philharmonique de Vienne. La repré-
sentation des Noces de Figaro organisée au théâtre, avec un soin religieux,
par M. Wilhelm Jahn, directeur de l'OpiSra impérial de Vienne, a été
superbe et a obtenu un succès éclatant. Le chef-d'œuvre avait pour inter-
prètes tout un groupe d'artistes de premier ordre : M""^ Bianca Biancbi
(Suzanne), Eude-Andriesseu (la comtesse), Braust-Forster (Chérubin) et
M"« Kaulich (Marceline), et MM. Krolop (Figaro), Bitter (Almaviva) et
Frenq (Bartholo). L'exécution, merveilleuse, était dirigée par M. Hummel.
Nous ne saurions parler des deux jours de promenade employés à visiter
tous les endroits illustrés par Mozart, des magnifiques illuminations du
■ Mirabell-Garten, de la richesse et de la curiosité de V Album Mozart, enfin
du banquet cordial et joyeux qui a eu lieu à l'issue de la représentation
de gala. A ce banquet, qui était égayé par la musique du 59« régiment
(archiduc René), de nombreux toasts ont été portés, dont un, le fait est à
remarquer, adressé à la France. En résumé, les fêtes de Salzbourg n'ont
rien laissé à désirer, et le nom de Mozart, son souvenir, son génie, ont
été célébrés comme ils méritaient de l'être. On assure qu'elles doivent
LE MENESTREL
'239
maintenant être renouvelées chaque anaée. C'est fort bien fait, et personne
ne s'en plaindra.
— Après le départ de 11'"= Sembrich. unejeune débutante, M"': Piazza,
•vient de reprendre à Berlin le rôle de Lakmé avec un vif succès. Tous les
journaux soat pleins de son éloge. Il paraît que l'altitude et la légèreté
de la voix sont tout à fait surprenantes. W-^" Piazza est élève de M"" De-
reims-Devriès. Gomme elle est d'origine javanaise, le rôle lui convient
particulièrement. Ses allures et son teint naturellement bistré y font mer-
veille. Aussi, de tous les coins d'Allemagne, lui fait-on des propositions
pour chanter l'opéra de Delibes.
— On écrit d'Allemagne à l'Étoile belge que des documents intéressants
viennent d'être découverts à Bonn, au sujet de l'existence en Belgique
de quelques-uns des ancêtres de Beethoven. Il résulte- déjà, des travaux
d'Edouard Gregoir que l'origine flamande de l'illustre compositeur est
aujourd'hui indiscutable. On l'avait longtemps cru de souche hollandaise.
Mais Gregoir a prouvé qu'en 1650 un des membres de la famille de
Beethoven, musicien, bisaïeul du grand artiste, avait un fils nommé
Louis, qui quitta Anvers par suite de différends avec sa famille et entra,
en 1660, comme ténor à la chapelle de l'électeur de Bonn. Jean, fils de
Louis et père de l'auteur de la Symphonie héroique, fut également chanteur
à la même chapelle. Le dernier membre anversois de la famille Beethoven
a été la mère du peintre de marine Jacob Jacobs, qui a joui, il y a quel-
ques années, d'une grande notoriété. Cette dame était née Marie-Thérèse
van Beethoven, et est morte à Anvers le 23 janvier 1824. Mais, en 1630
jusqu'à 1824, des ascendants et des descendants directs de Beethoven ont
habité Anvers. C'est là que se trouvait le berceau de la famille illustrée
par le grand homme.
— La National Zeitxwg, en annonçant que M. Angelo Neumann, direc-
teur delà scène allemande de Prague, est allé, avec sa troupe, donner au
Lessing-Théàtre de Berlin des représentations de la Cavalieria rusiicana de
M. Mascagni, prétendait que la même troupe devait aller jouer ce même
ouvrage, en allemand, à Venise, Bologne, Rome et Turin. Les journaux
italiens traitent cette nouvelle de canard, et il est à croire qu'ils n'ont
pas tout à fait tort. Cet essai de germanisation musicale de l'Italie serait
sans doute trop complet, quelle que soit l'intimité qui unisse en ce moment
les deux peuples frères. Il faudrait entendre les cris de gardiens du Capitole
que pousseraient les Allemands si leurs bons amis les Italiens s'avisaient
de vouloir aller leur faire entendre Tannhciuser et Lohengrin dans la langue
de Dante et de M. Crispi.
— A propos de Cavalieria rusiicana, dont le succès, d'ailleurs, continue
partout où on la représente, on vient d'en donner, au théâtre Fiirst, de
'Vienne, un petit théâtre situé sur le Prater et consacré aux pièces en
dialecte, une parodie-opérette intitulée Artigiieria rusiicana.
— On lit dans le Temps : « Le célèbre compositeur autrichien Suppé a
célébré hier ses noces d'argent. De nombreuses ovations lui ont été faites.
Une députation du conseil municipal de la ville de Gars, où il est en
villégiature, lui a offert le diplôme de citoyen d'honneur. »
— M. Cari Goldmark, le compositeur allemand, auteur d'un Merlin dont
le succès n'a jamais été brillant, vient, paraît-il, de se décider à raccourcir
et à refondre entièrement cet ouvrage, dont, eu particulier, il aurait re-
fait presque entièrement le troisième acte. Ainsi réduit et remanié, Merlin,
sous sa nouvelle forme, ferait prochainement son apparition à Berlin.
— Petites nouvelles d'Italie. L'Académie philharmonique de Rome a
décidé de prendre l'initiative de fêtes à célébrer ea cette ville à l'occasion
du double centenaire de la mort de Mozart et de la naissance de Rossini.
■ — C'est à Rome aussi, au théâtre Manzoni, que se donnent en ce moment
des représentations de Fra Diavolo dans des conditions nouvelles et par-
ticulières. Le joli chef-d'œuvre d'Auber est joué par une troupe d'enfants
dont l'aîné n'a pas treize ans. Ces enfants joueront ensuite le Barbier de
Rossini. — On assure que le chef d'orchestre Mascheroni se proposerait de
faire dans le courant de l'hiver prochain, à la Scala de Milan, une reprise
éclatante du Fernand Goriez de Spontini. — Nous avons dit déjà que le
conseil municipal s'était refusé à voter la subvention accordée d'ordinaire
à la direction du théâtre San Carlo de Naples. Il parait que le commissaire
royal lui-même, vu l'état déplorable des finances de la municipalité, ne
se montra pas plus disposé qu'elle à donner cette subvention. — C'est le
3 octobre prochain que doit être inaugurée la nouvelle saison musicale
au théâtre Brunetti, de Bologne. Cette inauguration se fera avec la pre-
mière représentation d'un opéra nouveau intitulé Vindice, dont l'auteur
est le maestro Umberto Massatti. — On annonce que le compositeur Ca-
gnoni, l'un des artistes les plus justement estimés de l'Italie, écrit en ce
moment la musique d'un nouvel opéra qui aura pour titre il Carabiniere.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Voici les résultats des premiers concours publics qui ont eu lieu cette
semaine au Conservatoire:
Contrebasse (classe de M. Verrimst). 6 concurrents. Morceau de concours :
solo de M. Verrimst; morceau à déchiffrer, composé par M. Ernest Gui-
raud. — Jury: MM. Ambroise Thomas, président; Garcin, E. Guiraud,
de Bailly, Loys, Tubeuf, Lebouc, Cros-Saint-Ange.
Pas de 1'"' ni de "2° prix.
•/=■' accessit. — M. Leduc.
2's accessits. — MM. Delahaigne et Nauny.
Violoncelle. 14 concurrents. Morceau de concours : Concerto en ré mineur,
de Goltermann ; morceau à déchiffrer, composé par M. Ernest Guiraud.
Méine jury que pour le précédent.
pis prix. — MM. Carcanade (élève de M. Rabaud) et Furet (élève de
M. Delsart).
2=s prix. — MM. Touche (Rabaud) et Choinet (Delsart).
^"^ accessits. — MM. Hasselmans (Delsart) et Ghys (Rabaud).
2"^= accessits. — MM. Hérouard (Delsart) et Feuillard (id.).
Chant (hommes). 19 concurrents. Jury : MM. Ambroise Thomas, Masse-
net, Ernest Guiraud, Gh. Lenepveu, Nicot, Capoul, Gailhard, Vergnet.
Pas de i"' prix.
2=s prix. — MM. Grimaud (Warot) et Bérard (Duvernoy),
^«'■s accessits. — MM. Artus (Crosti) et Nivette (Duvernoy).
2« accessits. — MM. David CWarot), Michel Dufour (Bax) et Périer (Bus-
sine).
Chant (femmes). 23 concurrentes. Même jury que pour le précédent.
ii:^^ prix. — M"™ Issaurat (Duvernoy) et Lemeignan CWarot).
2's prix. — Mi'es Wyns (Crosti) et Brelay (id.).
l=''s accessits. — M"=s Cléry (Bussine) et Médard (Barbot).
2ra accessits. — M'i=s Laisné (Boulanger), Pauline Michel (Crosti), Morel
(Boulanger) et Vauthrin (Barbot).
Tragédie. 10 concurrents et concurrentes. Jury: MM. Ambroise Thomas,
Camille Doucet, Alexandre Dumas, Ludovic Halévy, Jules Glaretie, Porel,
Henry de Lapommeraye, Jules Barbier, Deschapelles, Mounet-Sully.
Hommes :
i<"prix. — M. de Max ("Worms).
Pas de 2= prix.
1'='' accessit. — M. Fenoux (Maubant).
2' accessit. — M. Gauley (Got).
Femmes :
i"^ prix. — M"« Dufrène (Worms) et Dux (Got).
2' prix. — M'"= Haussmann (Got).
l"s accessits. — W"^ Hartmann (Delaunay) et Mellot (Worms).
Pas de 2= accessit.
Comédie. 22 concurrents et concurrentes. Même jury que pour le précédent.
Hommes :
■)«■ prix. — M. de Max (Worms).
2=s prix. — MM. Lugné-Poé (Worms) et Baron (Got).
1"' accessit, à l'unanimité. — M. Veyret (Maubant).
2'^ accessits. — MM. Fenoux (Maubant) et Coste (Delaunay).
Femmes :
l^prioj. — M"': Dux (Got).
2=» prix. — M"=s Thomsen (Worms) et Piernold (Got).
l=''s accessits. — M"«s Laurent-Ruault (Maubant) et Vernon (Worms).
2«s accessits.— U"'^ Chapelas (Maubant), Suger (id.), et Béry (Delaunay).
Harpe (classe de M. Hasselmans). 6 concurrents. Jury : MM. Ambroise
Tiiomas, Ernest Guiraud, Théodore Dubois, Mangin,' Widor, Delahaye,
Nollet, Pierné, Th. Lack.
1"-'^ prix. — M"'' Hardy et Bressler.
2''^ prix. — M. Fernand Maignien et M"<^ Achard.
■/er accessit. — M"» Rolland.
Piano (hommes). Même jury que pour le précédent. Morceau de con-
cours : sonate en la bémol, de Weber; morceau a déchiffrer, composé par
M. Th. Dubois.
■/'=■■ prix. — MM. Quévremont (Diémer) et Pierret (idj.
Pas de second prix.
/ère accessits. — MM. Morpain (de Bériot), de Martini (id), et JoUy (id.).
2"^* accessits. — MM. Vinès (de Bériot) et Wurmser (id).
Piano (femmes). — Jury : MM. Ambroise Thomas, président; Massenet,
E. Guiraud, Th. Dubois, L. Delahaye, P. V. de la Nux, G. Pfeiffer, R. Pu-
gno, Gh.-M. Widor. Morceau de concours : Allegro de concert, de M. E. Gui-
raud; morceau de lecture à vue composé par M. J. Massenet.
^'"^ prix : M'i'iî Charmois et Quanté, (Alph. Duvernoy), Buval et Long,
(Fissot), Journault, (Duvernoy), et Da Silva, (Delaborde).
2'^ prix : M}^"^ Bonnard (Delaborde), et Eytmin, (Fissot).
/"^ accessits : M"»* Desmoulin, (Fissot), Mate, (Duvernoy), Weingaertner
et Dron, (Delaborde), Roit, (Fissot).
2es accessits: M"« Dox, (Duvernoy), Chambroux, (Delaborde) et de Ligny,
(Duvernoy).
— Nous avons enregistré les nominations faites dans l'ordre de la Lé-
gion d'honneur à l'occasion du 14 juillet. Mais il va sans dire que le ruban
violet a été distribué avec plus d'abondance que le ruban rouge, et nous
avons à faire connaître aujourd'hui les nombreuses distinctions académi-
ques dont la musique et le théâtre ont été l'ohjet à la même occasion. Sont
nommés officiers de l'instruction publique : MM. Colomer, de Lagoanère,
Woog, compositeurs; Canoby, inspecteur de l'enseignement musical;
M°"= Roger-Miclos, professeur de musique; M. Pezzani, professeur de
chant; M""^ Fuchs, M. Melchissédec, artistes lyriques; MM. Goud. pro-
fesseur à l'école do musique de Besançon ; Mohr, professeur de solfège
au lycée d'Amiens ; Le Bargy, Prudhon, Silvain, sociétaires de la Comé-
240
LE MENESTREL
die-Française ; Marx, directeur de théâtre à Paris; Le Noir, médecin du
tliéâtre de l'Odéon ; Mobisson, secrétaire du théâtre de l'Opéra. — Sont
nommés otlîciers d'académie : MM. Ghansarel, Paul Delmet, composi-
teui's ; Emile Bollaërt, professeur de musique ; Emile Gouget, M"° Mar-
guerite Gey, professeurs de chant; M™» Grossetête-Galliano. professeur
de piano; M™* Chabert, née Daubancourt, professeur de musique; M.Ga-
sadesus, auteur de publications musicales ; M"' DepuiUe, professeur de
chant aux écoles de la ville de Paris ; MM. Paul Brossa, premier violon
à l'Opéra ; Girod. violoncelliste ; Goudesonne, chef d'orchestre au Chàtelet;
Goullet. critique musical; Auguez, M™"* Emilie Ambre, Fursch-Madi,
artistes lyriques; MM. Bouvet, Delaquerrière, artistes de l'Opéra-Comique;
GaissOj professeur à l'école de musique de Montpellier; Durand, profes-
seur à l'école de musique d'Aix ; Contât, professeur de violon à Nîmes ;
Edmond Deren, artiste musicien à Lille; Depéronne, vice-président du
comité du Conservatoire de Nancy; Delmas, directeur de l'Union musicale
de Nangis ; Cooper, Alphonse Dieudonné, Fabrègues, Galipaux, artistes
dramatiques ; Bourillon, dit Sirday, auteur dramatique ; Leclert, compo-
siteur, Huber, chef de musique au 31'= de ligne ; Lorrain, M^'^ Leavington-
Dedebat, artistes lyriques ; M. Victor Lazard, M"" Habert, M"« Louise
Koch, professeurs de piano ; M"« Lafont, professeur de chant ; M""' Lhérie,
professeur de musique ; MM. Jumel, chef de la musique municipale de
Sainte-Geneviève (Oise); Eugène Larcher, professeur de diction' et direc-
teur de théâtre ; Jalabert, directeur du théâtre du Gymnase, à Marseille ;
j([mes Molé-Truffier, Terrier- Vicini, artistes lyriques; MM. Albert Millet,
MouUé, Savoye, Raynal, M™" RoUé-Jacqaes, compositeurs ; M""= Morio-
Hirsch, professeur de chant; MM. Pierre WolflF, auteur dramatique; Salzédo,
professeur de chant à l'école de musique de Bayonne; Signaire-Divoire,
compositeur, à Lille ; Tailbades, directeur de la Lyre Houennaise ; Reichardt,
secrétaire de l'Harmonie du Raincij ; Mazet, membre fondateur de plusieurs
sociétés musicales; M""* Pilet, née Comettant, professeur de piano;
MM. Peutat, artiste dramatique ; Paradis, musicien de la garde républi-
caine; M"<' Mallet, professeur de piano.
— Sur les vives instances du directeur du Grand Cercle, M. Massenet
s'est décidé à partir hier samedi pour Aix-les-Bains, où il va conduire un
concert à orchestre. Il assistera aussi à l'une des représentations de Manon,
qui vient d'être l'occasion d'un si grand succès pour M}^" Sanderson et le
ténor Degenne. Il n'est donc nullement question pour lui, comme quelques-
uns de nos confrères l'ont annoncé, de s'en aller à présent du côté de
Vienne pour y surveiller les dernières répétitions de M'erlher. L'Opéra de
Vienne est encore fermé pour deux mois et ce n'est qu'au mois de janvier
prochain qu'on espère donner le nouvel opéra de M. Massenet. Ajoutons
enfin qu'il n'a nullement terminé récemment de nouvelle partition, puisque
Werther remonte déjà à plus de six années et qu'il n'a rien autre en prépa-
ration. Il est bien vrai qu'il songe à un nouvel ouvrage, comme c'est son.
devoir de compositeur, mais le choix du sujet n'est même pas arrêté.
— , M. Eugène Bertrand, le nouveau directeur de l'Opéra, aura appris à
Londres, où il se trouvait pour engager de sérieux pourparlers avec
jjme Melba et M. Lassalle, qu'il venait de nouveau d'être père. Un gros
garçon lui est survenu. Mère et enfant se portent à merveille, ce dont nous
les complimentons.
— Quelques-uns de nos confrères ont publié ces jours derniers la note
suivante, qui a tout un parfum de littérature officieuse, sinon ofGcielle :
CI Pour donner satisfaction aux réclamations des habitants de la place
Boieldieu, il sera procédé, en attendant la reconstruction de l'Opéra-
Gomique, à la démolition des baraquements élevés sur l'emplacement du
théâtre incendié et au déblaiement complet du terrain. Le sous-sol sera
maintenu dans son état actuel. » Nous compléterons cette nouvelle en
annonçant que, d'après nos informations particulières, on a tout lieu
d'espérer que les travaux de reconstruction de l'Opéra-Comique pourront
être entrepris vers le commencement du vingtième siècle, et nous ajoute-
rons qu'on pense les mener assez vivement pour que l'inauguration de la
nouvelle salle puisse être faite le 16 décembre 197S, deuxième anniversaire
centenaire de la naissance de Boieldieu. Ce jour-là, Paris sera tout en
fête, et l'on voit que les habitants de la place Boieldieu, dont l'impatience
est peut-être excessive, n'auront rien perdu pour attendre.
— Deux paragraphes des curieuses « éphémérides du théâtre de Lille »
que la Semaine musicale de cette ville publie dans chacun de ses numéros.
1800. — Première représentation des Deux Journées, comédie lyrique en trois
actes, musique de Gherubini, paroles de Bouilly, créée à Paris, au théâtre Feydeau,
le 16 janvier précédent. Pendant trente années, la belle partition de Gherubini
tint le répertoire; tombée aujourd'hui dans l'oubli, elle eut cependant un succès
inouï ; en août 1819, elle atteignit aa centième représentation à Lille et jusqu'en
1830 elle fut une des œuvres préférées du public lillois.
1812. — G'était un dimanche, et le célèbre EUeviou était en cours de repré-
sentations. Le directeur Duverger espérait une recette fructueuse , mais il
avait compté sans la ducasse de la Madeleine et sans le bal du Moulin d'Or,
alors très fréquenté; il en résulta qu'au lever du rideau, à 5 heures, la salle
était déserte. Que fit Duverger? Craignant, avec raison, que l'amour-propre de
l'artiste fût blessé, il se rendit en toute hite chez les marchands de modes et de
nouveautés dont les magasins environnaient le théâtre et offrit aux demoiselles
des billets gratis ; quand EUeviou parut dans Joseph , il fut accueilli par de vifs
et chaleureux applaudissements et chanta devant une salle comble.
— Nous trouvons dans un recueil spécial depuis longtemps disparu,
VAtmanach des Théâtres de 1837, un souvenir de trois grands artistes qui
n'est pas sans quelque intérêt. Il s'agit du Grand-Théâtre de Lyon, dont
le directeur alors se nommait Provence : — « M. Provence, disait VAlma-
aach, procura au public lyonnais de grandes jouissances pendant la saison
d'été : 1" en lui offrant le sublime talent de M. Ad. Nourrit ; ce grand
artiste donna en juillet et août dix-neuf ou vingt représentations, toujours
salle pleine, et obtint un succès pyramjdal dans tous les opéras où il a
chanté. Ainsi la Juive, Robert, Guillaume Tell furent donnés plusieurs fois,
et les //uguCTOfs pendant sept soirées emplirent la salle. Rien ne peut égaler
l'effet produit par Nourrit dans le rôle de Raoul. Lyon se ressouviendra
toujours de sa magnifique scènfe du quatrième acte. Ad. Nourrit et Liszt,
célèbre pianiste, se réunirent pour donner un concert au bénéfice des
ouvriers sans travail, et ce fut une belle et productive soirée dont ces
deux grands artistes firent si bien les honneurs. Nourrit ne voulut point
quitter Lyon sans donner, seul, une autre représentation au profit de ces
mêmes ouvriers; noble et généreux emploi de son talent. Fin d'août est
apparue, au Grand-Théâtre, M"» Falcon, autre riche talent, dans la Juive
et Robert; elle a produit un effet immense, ainsi que dans tous les autres
opéras où elle s'est montrée jusqu'au 15 septembre, quittant Lyon chargée
de couronnes et de bouquets... M. Dérivis fils, du Grand-Opéra, est venu
en octobre donner des représentations qui ont été également très suivies,
et son talent a été fort goûté. »
NÉCROLOGIE
FRANCO FACCIO
L'art italien vient de faire une perte éminemment sensible, quoique
malheureusement prévue, dans la personne de l'infortuné Franco Faccio,
mort mardi dernier 21 juillet, à Monza, près de Milan, dans la maison de
santé du docteur Biffi, où il avait dû être interné au mois de février 1890.
Faccio était précisément âgé de cinquante ans, étant né à Vérone le
8 mars 1841, d'un simple garçon d'hôtel qui s'imposa les plus dures pri-
vations pour subvenir aux frais de son éducation musicale. Admis en
1855 au conservatoire de Milan, où il devint, en même temps que pianiste
fort habile, l'un des meilleurs élèves de composition de Ronchetti et de
Mazzucato, il s'y fit remarquer au point que lorsqu'il eut terminé ses
études, le gouvernement lui accorda un subside pour faire un voyage à
l'étranger et se perfectionner dans un art qu'il semblait appelé à illustrer.
De retour en Italie à la suite de ce voyage, il eut la chance, singulière-
ment rare, de faire ses débuts de compositeur, à l'âge de vingt-deux ans
à peine, sur la scène si importante de la Scala. Malheureusement, cette
première épreuve ne lui fut qu'à demi favorable, et son opéra i Profughi
Fiamminghi (les Proscrits flamands) fut plus discuté qu'appplaudi. Il fut
moins heureux encore avec son Amleto, ouvrage dont son ancien condis-
ciple au Conservatoire, M. Arrigo Boito, lui avait fourni le livret. Pour
des raisons très complexes et qu'il serait trop long d'énumérer ici, cet
ouvrage, après avoir été assez favorablement accueilli d'abord à Florence,
fut outrageusement sifîlé lorsqu'il parut ensuite à la Scala, où le public
le reçut avec une brutalité sans exemple. Mais ce n'est pas comme com-
positeur, bien qu'il fût loin d'être sans valeur sous ce rapport, que Faccio
devait se faire un nom ; c'est comme chef d'orchestre surtout que la
renommée devait s'attacher à lui. Après avoir été nommé professeur
d'harmonie, puis de contrepoint et fugue au conservatoire de Milan, il
était devenu chef d'orchestre au théâtre Carcano, et bientôt était appelé à
remplir les mêmes fonctions à la Scala. C'est là qu'à peine âgé de trente
et un ans, en 1872, il succéda à Terziaui, et se mit immédiatement hors
de pair; je fus frappé, pour ma part, lorsque je le vis pour la première
fois à la tête de son orchestre, de ses rares et puissantes qualités. En
dépit de sa petite taille et de son apparence chétive, il savait inspirer
aussitôt la confiance et imposer son autorité : il avait la main, l'entraî-
nement, la chaleur et la décision, et, de plus, il excellait à diriger les
études et à préparer l'exécution des œuvres. Les Italiens aiSrmaient, et
je le crois sans peine, que, depuis la mort d'Angelo Mariani, celui qu'ils
appelaient il Garibaldi deW orchestra, ils n'avaient pas eu un chef d'orchestre
de la valeur de Faccio. On put jusqu'à un certain point se rendre
compte ici de son talent, lorsqu'il vint diriger, à l'Exposition de 1878, les
concerts de l'orchestre de la Scala. — On se rappelle que le pauvre Faccio
fut atteint presque subitement, il 'y a environ dix-huit mois, d'une ma-
ladie mentale qui lui enleva tout emploi de ses facultés. Il fallut, après
tous les efforts possibles pour le soigner au milieu de sa famille, le
placer dans une maison de santé, où l'on perdit bientôt tout espoir de
le ramener à la raison. Ce petit homme élégant et vif, à l'œil plein de
feu, à l'âme ardente, à la conversation pleine de charme, si soigné et si
gracieux de sa personne, était devenu tout à coup absolument mécon-
naissable. Sa longue agonie vient de se terminer, après dix-huit mois
d'un reste d'existence végétative et douloureuse. Faccio sera certainement
regretté de tous ceux qui l'ont connu, car c'était, en même temps qu'un
grand artiste, un homme fort distingué et de relations exquises.
Arthur Pougin.
He.nri Heugel, directeur-gérant.
IMPaiHlERlE CENTBALE I
; FER, — lïlPIUUElUE CQAJ.V, 20
Dimanche 2 Août 1891.
3148 — 57- ANNÉE - ^ 31. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivieune, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sa».
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (20" article), Aleeut Sodbies et Charles
Malherbe.— II. Bulletin théâtral: Choses et autres, H. M.; reprise de la Goguette,
aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier. — III. Histoire anecdotique du
Conservatoire (I" article), André Mariinet. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour,
TROIS AIRS DE BALLET
extraits du Ma^e, de J. Massenet. — Suivra immédiatement: Marie-Louise,
gavotte de Ch. Neustedt.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT, une mélodie de Alph. Duvernoy. — Suivra immédiatement: Un
baiser, nouvelle mélodie de Chakles Grisart, poésie de Le Lassen de
Rauzay.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allbert SOUBIES et cnarles aiALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(186S-1868)
(Suite.]
Outre ces deux nouveautés, cinq reprises peuvent être
mises à l'actif de l'année 1865 : le Pré aux Clercs (4 mai) ; les
Mousquetaires de la Reine (20 juin); Marie (10 juillet); les Deux
Chasseurs et la Laitière (3 août); les Porcherons (26 août); l'Am-
bassadrice (23 décembre).
Pour le Pré aux Clercs, l'administration s'était mise en frais
de décors et de costumes nouveaux, bien que la dernière re-
prise ne remontât qu'à trois années. Gouderc et Sainte-Foy,
un Comminge et un Cantarelli qui n'ont jamais été égalés,
gardaient leurs rôles ; Achard (Mergy), bientôt remplacé par
Capoul, Crosti (Girot), M"^^ Cico (Isabelle), Monrose (la reine),
Girard (Nicette) complétaient un ensemble excellent, tel que
le succès se traduisit par 58 représentations dans les huit
mois, et produisit, comme à la sixième, des recettes de
6,000 francs par soirée. Abd-el-Kader, qui vint à Paris à
cette époque, manifesta même le désir de voir cet ouvrage,
bien qu'on le dut supposer peu sensible aux charmes de la
musique européenne. Ce soir-là, il est vrai, M"'' Dupuy rem-
plaça M"8 Cico. Estima-t-il qu'il perdait au change, ou plutôt
la pièce ne répondit-elle point à son attente? bref, le fameux
émir n'attendit pas la fin du spectacle et partit au milieu du
second acte. Mais une mention spéciale était due à cette reprise;
d'abord parce que, depuis lors, le Pré aux Clercs n'a plus jamais
quitté le répertoire, ensuite parce qu'elle avait donné lieu à un
procès entre le directeur de l'Opéra-Comique et M'^'' Monrose.
Cette dernière s'était refusée à chanter le rôle de la reine
qui lui avait été distribué, sous prétexte qu'il ne rentrait
pas dans son emploi. Elle plaida et perdit, attendu, disait le
jugement, qu'il appert de la partition mise sous les yeux du
tribunal, que ce rôle est bien celui d'une première chanteuse
soprano, écrit pendant tout le cours de l'opéra, sur la pre-
mière portée (?!). Détail amusant, car il prouve que les juges
s'entendaient mieux au code qu'à la musique : ils avaient
évidemment confondu ligne et portée!...
Les Mousquetaires de la Reine ne présentaient d'autre intérêt
que celui de montrer pour la première fois Achard dans le
personnage d'Olivier; seule. M"" Belia était une Berlhe de
Simiane digne de son partenaire; Ponchard (Biron) manquait
de voix. Bataille (Roland) de rondeur, et M"« Baretti (Solange)
d'autorité. La modestie du succès répondit à celle de l'inter-
prétation.
Il n'en fut pas de même de Marie, dont la reprise offrait
presque l'attrait d'une nouveauté! On ne l'avait plus revue
depuis 1849, si ce n'est dans un exercice d'élèves au Conserva-
toire le 29 juin 1861, et on l'accueillit avec une grande faveur.
M"« Galli-Marié, qui personnifiait l'héroïne, fut bien jugée un
peu trop tragique ; mais Capoul ravit tous les cœurs par la
façon dont il « soupirait », disait M. de Pêne, Une robe légère,
propos que deux gens d'esprit, MM. Yveling Rambaud et
E. Coulon, rectifiaient ainsi dans leurs Théâtres en robe de
chambre : « Capoul aspire plutôt qu'il ne soupire; mais il fait
soupirer les autres. » A côté de lui, Ch. Achard débutait
officiellement dans le rôle d'Adolphe; jusque-là, nous l'avons
dit, il jouait pour le compte de son frère ; cette fois il parut
pour son propre compte. Duvernoy (le baron), Nathan
(Georges), Sainte-Foy (Lubin), M'^^^ Révilly (la baronne), Ba-
retti (Emilie), Girard (Suzette), se partageaient les autres
personnages. Un mois après, cette première distribution se
trouvait modifiée par suite d'un fait dont les théâtres, quels
qu'ils soient, présentent des exemples bien rares : la même
pièce servant de début à trois artistes dans la même soirée.
Le 16 août, en effet, Leroy prit le rôle de Ch. Achard,
M""^ Camille Gontié celui de M"« Baretti, et M'"^ Marie Rôze
celui de M""" Galli-Marié. Leroy avait obtenu, la même année,
aux concours du Conservatoire, le deuxième prix d'opéra-co-
242
LE MENESTREL
mique (classe Mocker), mais il avait déjà joué l'année précé-
dente, au Vaudeville, le rôle de Colin dans le Devin du village,
qu'on essayait d'y implanter. Sa petite voix le prédestinait
aux seconds ténors, et le Chalet lui fournit, pendant long-
temps, un de ses rôles favoris. M"<> Camille Gontié s'était
jusque-là consacrée à l'enseignement du chant, et n'avait ja-
mais paru sur un théâtre. Entraînée, disait-on, par « une
vocation irrésistible », elle débuta, fournit une carrière ho-
norable, et maintenant elle finit, comme elle a commencé,
par le professorat, ayant eu la douleur de voir toujours mal-
traitée l'orthographe, de son nom, que les journaux, revues ou
livres écrivaient indifféremment Gontié, Gontier, Gonthié,
Gonthier. Quant à M"*' Marie Rôze, qui avait paru pour la
première fois à la salie Favart, on se la rappelle, comme
élève du Conservatoire, dans un des pages de la Fiancée du
Roi de Garbe; elle avait obtenu, au dernier concours, le pre-
mier prix de chant (classe Grosset) et le premier prix d'opéra-
comique (classe Mocker). Quelques jours après, la nouvelle
Marie devenait Zerline dans Fra ûiavolo, et s'élevait peu à peu
au rang d'étoile dans ce théâtre, auquel elle a appartenu pen-
dant trois ans et qu'elle devait quitter seulement après son
triomphe dans le Premier Jour de bonheur. Avec ses nouveaux
interprètes, Marie obtint 44 représentations en celte première
année, et 82 pendant les quatre suivantes : c'était un véri-
table succès de reprise.
Les Deux Chaxseurs et la Laitière n'atteignirent pas ce chiffre;
mais n'était-ce pas déjà bien heureux de vivre encore après
plus de cent ans? Le petit ouvrage de Duni datait en effet
du 23 juillet 1763, et ne semblait pas appelé d'abord à une
aussi longue existence. Les Mémoires secrets disent : « On re-
gardait cette nouveauté comme si peu de chose qu'on ne
l'avait point affichée. Elle a pris avec succès, à la faveur de
la musique qui fait tout passer à cet heureux théâtre. » Dans
sa Correspondance secrète, Grimm loue d'ailleurs poème et mu-
sique, observant que la pièce est du genre de celles de Se-
daine, « qui à la lecture, ne promettent pas l'effet qu'elles font
à la représentation. » Sainte -Foy (Collas), Bataille (Guillot),
M"" Girard (Pierrette), se partagèrent les rôles primitivement
établis par Laruette, Caillot et M""-' Laruette, et Trillet figurait
un personnage nouveau, car MM. Jules Adenis et Gevaert
avaient été chargés de rajeunir l'un les paroles, l'autre l'or-
chestre, travail qui valut à chacun d'eux un droit de un jwur
cent sur la recette. Les retouches s'imposaient presque ; car,
à l'origine même, l'intrigue avait paru si peu compliquée
que la presse proposait à l'auteur, Anseaume, un dénouement
plus heureux en ajoutant une troisième fable de La Fontaine
(l'Avare qui a perdu son trésor) , aux deux dont il s'était
déjà servi. Il n'en fut rien, cependant, et l'on renonça à dé-
molir une masure dont la disparition aurait amené la dé-
couverte d'un trésor, servant à enrichir les deux chasseurs
et à faciliter le mariage de la laitière avec l'un d'eux. A la
suite du décret de janvier 1791 proclamant la liberté des
théâtres, les Deux Chasseurs et la Laitière furent une des pièces
dont les petits théâtres s'emparèrent et qu'ils jouèrent le
plus fréquemment, ainsi que la Servante maîtresse. Rappelons,
pour terminer, que la reine Marie-Antoinette, en société du
comte d'Artois et de M. de Vaudreuil, se plaisait à chanter
l'ouvrage de Duni aur sa scène minuscule de Triânon. La
reine se montra, parait-il, fort gracieuse en laitière; mais la
légende veut que le comte d'Artois n'ait jamais su son rôle ;
il le brodait à sa fantaisie, et n'en faisait qu'à sa tête ; il de-
vait en agir de même, malheureusement pour lui, le jour
où il porta la couronne.
La reprise des Porcherons, non joués depuis 1856, fut la
dernière qui eut lieu à la salle Favart, et fournit un com-
plément de trente représentations. Sainte-Foy seul et Palianti
conservaient leurs anciens rôles; les autres étaient distribués
à M'"«=' Galli-Marié (M"^ de Bryane), Révilly (xM"= de Jolicourt)
Bélia (Florine), MM. Crosti (Desbruyères), Bataille (Giraumont),
et Montaubry (Antoine), chez qui l'on remarqua le premier
soir, comme on l'avait déjà remarqué dans le Saphir, les pre-
miers symptômes de cette maladie du larynx qui devait un
jour si fâcheusement entraver sa carrière.
EnfiD, r Ambassadrice ramena une cantatrice qui partageait
avec M""<= Ugalde le privilège de 1' « intermittence ». M"»» Cabel,
pour laquelle il avait été question de remonter l'Étoile du
Nord, fit une rentrée des plus brillantes par le rôle d'Hen-
riette. Capoul (Bénédict) avait été gratifié d'un air au second
;icte, emprunté au Duc d'Olonne. Leurs partenaires s'appe-
laient Ponchard (l'ambassadeur), M^^* Bélia (Charlotte),
Casimir (une excellente M""^' Barneck), Marie Rôze (un peu
sacrifiée en comtesse); Foitunatus était représenté par un
nouveau venu, Falchieri, qui, le 14 octobre précédent, avait
débuté dans les Porcherons (rôle de Giraumont). C'était une
basse chantante qui, sous les traits de Bartholo, s'était fait
remarquer dans le Barbier de Séville, à la Porte-Saint-Martin,
alors que Capoul, dans une fugue dont nous avons parlé, y
personnifiait Almaviva...
A ces noms de débutants pour l'année 1865, il convient
d'en ajouter deux : M"' Flory et M. Melchissédec. La première
venait de Versailles et avait appartenu l'année précédente
au théâtre de cette ville. Intelligente et jolie, elle parut le
4 juin dans Betly du Chalet, et à la fin de l'année dans Anna
de la Dame blanche. Le second, qui a conquis depuis une place
très honorable parmi les chanteurs de son temps, arrivait du
Conservatoire, oii il avait remporté le deuxième accessit de
chant (classe Laget), le deuxième prix d'opéra (classe Levas-
seur) et le deuxième prix d'opéra-comique (classe Mocker).
Il débuta le 12 août dans le Toréador (rôle de don Belflor), et
le lendemain dans le Chalet (rôle de Max); mais, chose bizarre,
ses débuts furent tellement modestes, qu'on ne les annonça
même pas sur l'afBche. Plusieurs critiques le confondirent
avec son oncle, un baryton du même nom, fort applaudi alors
en province; et lorsque, quelques mois plus tard, il se pro-
duisit dans le José Maria de Cohen, il sembla, aux compli-
ments mérités qu'on lui adressa, que jamais jusqu'alors on
ne l'eût entendu.
Parmi les allants et venants, rappelons enfin Carrier, qui,
de passage à Paris, joua le 7 mai Ali-Bajou du Cnïrf, et sur-
tout M"'= Dupuy, qui arrivait de Strasbourg. Elle avait quitté
rOpéra-Comique, y rentra la 2 juillet avec Haydée, partit le
l'-'' octobre pour Toulouse, où l'appelait un engagement anté-
rieur, et revint en juillet 1866 faire partie de la salle Favart.
Elle ne manquait ni de talent, ni de courage, comme on le
vit un soir où, s'étant démis le pouce, à la suite d'une chute
de voiture, elle joua quand même Galathée avec un bras
en écharpe, donnant ainsi à la statue de Pygmalion une
attitude obligée que le sculpteur n'avait point prévue.
Elle comptait d'ailleurs de chauds admirateurs, ainsi que le
prouve ce fragment de feuilleton paru dans l'Aigle, après une
représentation du Songe dune nuit d'été : « Sans parler de la
richesse de son costume, — ce qui témoigne une grande
conscience d'artiste et un légitime respect pour le public,
— disait le critique, M'"^ Mathilde Dupuy a tiré parti de son
rôle ingrat en excellente comédienne et en cantatrice de
premier ordre... Tour à tour, sa voix, au timbre argentin et
sonore, exprime la passion fougueuse, la coquetterie, la ten-
dresse ou l'ironie, et cela sans effort, tout naturellement.
Puis,àun moment donné, s'échappent de ce gosier de rossignol, comme
un bouquet de feu d'artifice, les roulades, les vocalises, et les
notes perlées qui éblouissent et transportent l'auditoire
charmé et presque suspendu aux lèvres de l'adorable artiste.»
Ajoutons, pour tout expliquer, que le journal l'Aigle parais-
sait à Toulouse.
Ces venants et revenants avaient mission de remplacer :
1° les partants, qui pour 1865 s'appellent M"'' Baretti, engagée
à Marseille, M"'' Tuai, au Théâtre -Lyrique, M""= Gennetier, à
la Haye ; 2° les morts, Lemaire et Gourdin. Lemaire, décédé
le 5 janvier à l'âge de soixante-cinq ans, appartenait à la
salle Favart depuis le 24 mai 1848, et réalisait le type parfait
LE MENESTREL
243
du « bailly » de l'ancien répertoire. Gourdin, remplacé à la
dernière représentation du Saphir par Bataille, avait joué
encore le 26 avril ; malade depuis quelque temps, il prit un
congé, et mourut le 28 juillet suivant. En quatre ans de séjour
à rOpéra-Comique, il avait joué Maître Claude, Max du Chalet,
Michel du Caid, Pandolphe de la Servante maîtresse et créé
Baskir dans Lalla Roiikh, Lambro dans Lara, le capitaine Parole
dans le Saphir, toujours applaudi du public, remarqué dans
tous ses rôles et promettant un sujet remarquable, car il ne
pouvait avoir encore donné toute sa mesure : il n'avait que
vingt-trois ans!
(A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
Le Mage a été joué cette semaine à l'Opéra, avec deux change-
ments importants dans la distribution primitive.
M"' Bosman a chanté avec beaucoup de lalent le rôle d'Anahita,
créé par M""" Lureau-Escalaïs, et M"= Mélanie Hirsch a succédé
dans le bailet à M"° Mauri, qui est en ce moment en vacances
ainsi que M"'" Lureau.
La première représentation de Loliengrin, à l'Opéra, parait fixée
provisoirement au 30 août. MM. Gailhard et Lamoureux ont donc
encore un mois devant eux pour faire répéter la partition de
Wagner, qui est sue d'ailleurs depuis longtemps et qui a déjà été
chantée fréquemment par les deux plus importants interprètes de
l'œuvre, M"» Caron et M. Van Dyck.
On sait que l'opéra de Wagner ue comporte pas de ballet, pas
même le moindre divertissement.
On va bientôt s'occuper, à l'Opéra, de la représentation du cente-
naire de Meyerbeer. Ainsi que nous l'avons dit, on jouera le qua-
trième et le cinquième acte des Huguenots, avec le tableau du bal
supprimé depuis longtemps.
Pour le quatrième acte, le rôle de Catherine de Médicis, qui a été
coupé avant la première représentation, sera rétabli en entier. Cet
4Cte se trouve ainsi modifié :
Saint-Bris chante seulement les premières strophes :
Ma lille, sortez...
Aussitôt après, parait Catherine de Médicis, qui chante :
Des troubles renaissants et d'une guerre impie
Comme moi voulez-vous délivrer le pays?
Et ensuite Catherine de Médicis conduit tout le chœur de la béné-
diction des poignards.
Cette reconstitution de la partition primitive promet d'être fort
intéressante. Le rôle de Catherine de Médicis sera chanté par
M™= Deschamps-Jehin. On sait que l'excellente artiste est engagée
à l'Opéra depuis le d" juillet. Il est possible néanmoins qu'elle
reste à l'Opéra-Gomique jusqu'au l"' janvier prochain ; en ce cas
elle ne paraîtrait sur la scène de l'Opéra que lorsque la direction
en aurait absolument besoin, notamment pour le centenaire de
Meyerbeer.
Le reste de cette représentation se composera de l'acte de la
cathédrale du Prophète, d'un acte de l'Africaine, d'un acte de Robert
le Diable et d'une marche triomphale du maître.
On semble avoir renoncé à l'idée saugrenue de faire paraître dans
cette soirée les créateurs survivants de Robert et des Huguenots.
A l'Opéra-Comique, nous aurons cette année une saison d'hiver
particulièrement animée et élégante. M. Carvalho, avec le gracieux
appui de plusieurs grandes personnalités mondaines, vient en effet
de décider que son théâtre aurait désormais deux jours d'abonne-
ment par semaine ; la brillante clientèle que l'éminent directeur
avait su attirer à la salle Favart se trouvera ainsi réunie de nou-
veau, encore augmentée, à la place du Chàletet, en attendant qu'elle
reprenne la possession définitive de son ancien, théâtre reconstruit.
Les samedis de l'Opéra-Comique existant déjà, M. Carvalho a formé
un nouveau groupe d'abonnés en vue de constituer les jeudis, et les
souscriptions sont arrivées en tel nombre que presque tout a été
retenu sur l'heure. Nous ne donnerons pas ici la liste de tous les
abonnés, que notre confrère le Figaro a déjà donnée en détail. On
y trouve tous les pins beaux noms de l'aristocratie française, et en
tête presque tous ceux qui patronnent la Société des grandes auditions
musicales de France présidée par M""= la comtesse Greffulhe et M. Gou-
nod. Cette Société a pour but, ou le sait, de faire exécuter les
œuvres de nos maîtres, malheureusement restés un peu en oubli.
Aussi ces grandes personnalités, en aidant à la création des
jeudis, ont-elles eu l'excellente pensée de faire profiter leur société
de ce mouvement artistique ; et elles ont demandé à M. Carvalho de
monter, pour cet hiver même, l'une des pièces que les grandes audi-
tions tenaient le plus à faire entendre en France : les Troyens, de
Berlioz.
L'accord n'a pas tardé à se faire entre les représentants des grandes
auditions et M. Carvalho, à qui il ne pouvait être qu'agréable de
remonter le chef-d'œuvre de Berlioz, sur cette même scène où il
l'avait fait entendre déjà en 1862.
Nous pourrons donc applaudir les Troyens, cette année, à côté du
Rive, de Manon, dont on prépare une brillante reprise avec M'" San-
derson, à'Enguerraiide (l'œuvre d'un jeune, M. Chapuis), de Carmo-
sine, une œuvre exquise de Ferdinand Poise, de la Cavalleria rusti-
cana, pour qui M. Carvalho a engagé la créatrice, M"<= Calvé, et enfin
et surtout de la Kassya, de Detibes, si impatiemment attendue.
Voilà donc une saison superbe en perspective.
Quant à la saison théâtrale mondaine, la voici donc complètement
reconstituée désormais comme aux époques les plus brillantes, puis-
que nous aurons, à partir du 1" décembre: les lundi, mercredi,
vendredi. Opéra ; le mardi, Français ; les jeudi et samedi, Opéra-
Comique.
A propos de l'Opéra-Comique, il nous semble intéressant de repro-
duire, d'après M. Georges Boyer, du Figaro, le bilan artistique de
la saison qui vient de s'écouler (1" septembre 1890-30 juin 1891).
Pendant ces dix mois (matinées et soirées), l'Opéra-Comique a
représenté trente œuvres de vingt-sept compositeurs différents.
Les voici, avec le chiffre des représentations : Mireille 56, la Ba-
soche il, Carmen 44, Mignon 40, les Noces de Jeannette 37. le Chalet 23,
Laknié 22, la Cigale madrilène 19, le Barbier de Séville 17, le Roi d'Ys 14,
Zampa 13, les Folies amoureuses 13, Fra Diavolo, le Pré aux Clercs, la Fille
du régiment, Colombine et les Amoureux de Catherine 12, Benvenuto 11,
Philémon et Baucis, la Dame blanclie, Ricliard cœur de lion, le Maître de
Chapelle, l'Amour médecin, la Nuit de la Saint-Jean, l'Amour vengé 10, le
Rêve et le Domino noir 7, les Rendez-vous bourgeois 6, Dimitri et les
Dragons de Villars, S.
Passant aux compositeurs, nous voyons que M. Gounod a été
joué 66 fois. Messager 47. Bizet 44, Ambroise Thomas 40, Victor
Massé 37, Herold 2S, Adam 23, Léo Delibes 22, Auber 19, Perronnet
19. Rossini 17, Lato 14, Pessard 13, Maréchal, Michiels et Donizetti
12, Diaz 11, Boieldieu, Grétry, Paër, Poise, Lacôme, Maupeou 10,
Bruneau 7, Nicolo 6, Joncières et Maillart S.
H. M.
Folies-Dramatiques. — La Goguette, vaudeville en trois actes de
MM. Raimond et P. Burani, airs nouveaux de M. A Louis.
M. Vizentini, dans l'impossibilité de poursuivre la série des re-
présentations de la Plantation Thomassin par suite de congés, vient
d'avoir la très heureuse idée de reprendre une ancienne pièce du
petit théâtre de l'Athénée, la Goguette, trois actes de MM. Raimond
et Burani, qui eurent leur heure de vogue sous la direction Mont-
rouu'e et qui vont certainement faire florès à nouveau aux Folies-
Dramatiques. C'est un vaudeville très bon enfant, très gai et très
vivant, auquel on s'amuse très franchement; bref, par ce temps froid
et pluvieux, une fort agréable soirée à passer à rire sainement. Si
la troupe de la rue de Bondy ne compte aucune étoile de première
grandeur, elle a du moins le rare avantage d'être bien d'ensemble.
M. Guyon fils est aussi amusant en jeune premier qu'en prince,
M. Herbert a composé un très drolatique type de Cent-Suisse et
M. Duhamel est impayable en homme qui a une balle voyageuse
dans le corps. Très adroite M"'= Guitty, et bien en scène M™" Cuinet
et M""" Bellucci. Comme la pièce, les airs nouveaux de M. A. Louis
sont sans aucune prétention et d'un rythme populaire assez agréable.
Paul-Emile Chevalier.
244.
LE MEiNESTlŒL
HISTOIRE ANECDOTIQUE
111
CONSERVATOIRE OE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
INTRODUCTION
LE CHANT RELIGIEUX. — l" ÉCOLE DE CHANT DE L'OPÉRA. — LE MAGASIN.
Les encyclopédies les plus diverses s'accordent à faire remonter
aux maîtrises les origines du Conservatoire, mais sont moins una-
nimes à nous fi.xer sur la fondation de ces maîtrises.
Sans vouloir, par delà le cours des siècles, redire l'histoire du roi
David confiant à Idythun la direction des musiciens réunis autour de
l'autel, on peut citer au passage les traditions attribuant la création
du chaut religieux tour à tour à saint Ignace, évêque d'Antioche, en
68, aux papes Silvestre (330) ou Hilaire (460) à saint Ambroise.
Le règne de Grégoire le Grand (o90-604) n'aurait donc été qu'une
reslauration pour les hymnes sacrées, si les soins que le pontife pro-
digua à ses écoles, « TAnliphonaire Centon », sur lequel il écrivit
tous les chants de l'Église, ne suifisaient à le consacrer comme le
père de la musique religieuse.
Se vouant tout entier à l'œuvre entreprise, il vit, avant de mourir
l'école romaine briller de tout son éclat.
Etablie à Paris par saint Germain, la musique y traverse des
épreuves diverses et s'éloigne souvent du but rêvé par le pieux
évêque. '
Séduit par la voix de deux suivantes d'Ingoberge, Gharibert ré-
pudie la reine pour épouser les cantalrices; Dagobert, après avoir
entendu Nantilde, l'enlève de l'abbaye de Romilly.
«Les Gaulois ne soot pas aptes à la musique sacrée, écrivait le
diacre Jean; leurs gosiers habitués aux boissons enivrantes ne
peuvent se plier aux tours de voix que réclame l'exécution d'une mé-
lodie suave et douce ». Et ils s'écarlèrent si bien de la version primi-
tive que force fut à Pépin, en l'an 732, de demander au pape Élienne
l'envoi de douze musiciens qui répareraient les dommages causés à
l'A?itiphonaife.
Des chantres francs ont accompagné Charlemagne dans un de ses
voyages à Rome. Deux d'entre eux y demeurent quelques années,
puis, maîtres de la tradition, emportant la copie de l'Antiphonaire,
regagnent leur patrie pour fonder, l'un, Romain, l'école de Saint-
Gall, l'autre, Pierre, l'école de Metz.
Désormais la musique aura tous les soins des rois de France : leur
chapelle les suit jusque dans les guerres. A Bouvines, les chantres
entonnent le psaume Benediatus ; c'est aux accents du Veni Creator
que la flotte de saint Louis sort d'Aignes-Mortes ; après Agnadel, un
Te Deum est célébré sur le champ de bataille.
Elle figurera solennellement dans des circonstances moins meur-
trières : à Bologne, lors de l'entrevue du pape Léon X avec Fran-
çois P'-, au camp du Drap d'Or, où les voix françaises et anglaises
alternent durant la messe du cardinal "Wolsey.
*'*
Chaque cathédrale a son école, et le chanoine Jean de Bordenave,
dans son volumineux ouvrage sur « l'Estat des Eglises », dépeint
le travail des élèves, c< des enfants du chœur, qui, comme l'âme de
la musique, tiennent le dessus, sous la direction de leurs maîtres
symphoniaques. Ils donnent tant de grâce au chant et une vigueur
si grande pour exciter le peuple à la dévotion, qu'ils ornent et accom-
plissent toute l'harmonie par leurs tons angéliques. »
L'auteur semble tenir en médiocre estime le caractère des musi-
ciens de son temps, « de leur nature fantasques et capricieux, en
telle sorte qu'ils assomment ces petits corps, pour un pied de
mouche ; n'y ayant condition plus misérable et à regretter, qu'est
celle d'un enfant du chœur novice et apprenlif. »
Sous Charles IX, Baïf fonde, dans son réduit du faubourg Saint-
Marcel, une académie de musique et de poésie aux séances de
laquelle le roi se plaît à assister une fois la semaine; Henri III suit
l'exemple de son frère.
Le goût du chant s'est répandu en France : les mélodies populaires
abondent et telle est bientôt leur vogue, que, pour se conformer au
goût du jour et attirer plus sûrement les fidèles, les Pères de l'Ora-
toire font célébrer l'Office sur les vaudevilles à la mode. Ainsi, au
dire de Castil-Blaze, les musiciens d'une église chantaient tour à
tour les messes et les motets de Madelon, de Yidei vos flacons, A
l'ombre d'un buissonnet, Amour me bat.
La recherche de l'actualité est poussée à tel point que lorsque
Louis XIII envoie des secours en Crète, le Kyrie s'attaque sur le
motif, partout fredonné dans les rues, « Allons à Candie ».
Mais voici venir l'ancêtre direct de notre Conservatoire: en 1669,
l'abbé Perrin obtient des lettres-patentes « portant permission d'éta-
blir dans la ville de Paris et autres du royaume, des académies de
musique pour chauler en public des pièces de théâtre, comme „il se
pratique en Italie, en Allemagne et en Angleterre. »
Aidé de son associé Cambert, il appelle du Languedoc les plus
illustres musiciens des églises cathédrales; parmi eux Beaumavielle
et Gledière, qui, l'un et l'autre, furent les soutiens les plus solides
de son théâtre.
Pendant que se construit la salle de la rue Mazarine, les répéti-
tions ont lieu à l'hôtel de Nevers. Mais ce que les chanteurs de
lutrin avaient de moins contestable, c'était la sonorité du timbre,
leur unique visée ayant été jusque-là de remplir la nef des cathé-
drales ; et quand Lully prend possession du théâtre (16"2j il se hâte
d'y fonder une école de chant et de déclamation.
« Lully, écrit Durey de Noirville, n'excellait pas seulement dans
l'art de la composition de ses opéras, il savait aussi parfaitement les
faire exécuter et en gouverner les exécuteurs. Du moment qu'un
chanteur ou une chanteuse de la voix desquels il était content, lui
étaient tombés entre les mains, il s'attachait à les dresser avec une
affection merveilleuse, il leur enseignait lui-même à marcher sur
le théâtre, à leur donner la grâce du geste et de l'action. »
En tête des interprètes formés par le maître italien, citons
Duménil, M'" Saint-Christophe, et surtout Marthe Le Rochois, la
créatrice d'Armide.
Retirée du théâtre en 1698, avec une pension de l'Opéra, elle
ouvrit une école de chant dans son appartement de la rue Saint-
flonoré et consacra le reste de sa vie à ses élèves.
Quelques-unes s'illustrèrent : Louison et Fanehon Moreau;
M"' Maupin, de tapageuse mémoire ; M"^ Antier qui couronna le
maréchal de Villars quand il parut à l'Opéra après la victoire de
Denain et reçut une tabatière d'or en échange de ses lauriers ; enfin
cette triomjihante M"" Desmatins, à laquelle on attribue le joli billet :
« Noire an fan ai maure, vien de boneure, le mien ai de te voire. »
Lully voulait le chant si uni, qu'on prétend « qu'il allait se le
former à la Comédie-Française sur les tons de la Champmêlé. »
— Ce fut donc comme une lévélation quand M'"' Carie Van Loo,
la femme du peintre, et musicienne de race, ouvrit une école vers
la même époque et enseigna les vocalises à M"" Fel et Petitpas.
N'ayant plus Lully pour le conduire, l'Opéra, à peine né, sem-
blait déjà menacé d'une mort prochaine, et le 11 janvier 1713,
Louis XIV signait à Versailles un règlement, vérilable cri d'alarme.
« S. M. étant informée que, depuis le décès du feu S' LuHy, on
s'est relâché insensiblement de la règle et du bon ordre dans l'in-
térieur de l'Académie Roy''' de Musique, et que le public est
exposé à la privation d'un spectacle qui depuis longtemps lui est
toujours également agréable, Décrète : ,
» 1° Le sieur de Francine, Donataire du privilège de ladite Aca-
démie et Directeur, aura soin de choisir les meilleurs sujets qu'il
pourra trouver, tant pour la voix que pour la danse et les instru-
ments. Aucun desdits sujets ne sera reçu sans l'approbation du
s'' Destouches, Inspecteur g"'.
» 2° Pour parvenir à élever des sujets propres à remplir ceux qui
manqueront, sera établie une école de musique, une de danse et une
d'instruments; et ceux qui y auront été admis y seront enseignés
gratuitement, etc. »
Ainsi fut officiellement fondée l'École de l'Opéra dite le Magasin,
du nom de l'hôtel où logeaient, rue Saint-Nicaise, le directeur et
les personnes attachées à l'Académie Royale.
En novembre, autre ordonnance, qui fixe l'emploi du maître de
musique. Il se trouvera, au moins trois fois la semaine, le matin à
9 heures précises à son poste. Dans une salle destinée aux répéli-
tions il fera étudier leurs rôles aux actrices et devra montrer la musi-
que à celles qui ne la savent pas. Même prescription au maître des
salles, chargé de l'éducation des danseuses.
Sont dès lors baptisées filles du magasin, toutes les élèves qui,
n'ayant pas achevé leurs études, figuraient sur la scène avant leur
engagement définitif. Le seuil de l'hôtel franchi, elles éobappaient
à l'autorité de leur famille, devenaient sujettes de l'Opéra, qui avait
hâte de les utiliser, bien ou mal dégrossies.
LE MENESTREL
243
Le remède feaible accroître le mal, puisque les historiens de
Gluck se confondent en lamentations sur les tracas multipliés dont
abondèrent ses premières répétilions. A grand'peine le maître au-
trichien secoua cette mafse inerte, fit déclamer avec sincérité.
Ginguené, retraçant la vie de Piccinni, est plein d'amertume pour
les voix pesantes et volumineuses des premiers sujets, les chœurs
discordants et immobile?, l'oreheslre inhabile, assourdissant et
monotone, même pour le public habitué à des cris dépourvus de
chant, de rythme el de mesure.
Sur co point, nous avons encore le témoignage de Grétry. Une
anecdote de ses Essais prouve combien la mesure était chose secon-
daire dans le Temple de la musique: c'est un fragment de dialogue
entre Franeœur à la tète de son orchestre, et Sophie Arnould.
Le batteur de mesure répond à un reproche de la cantatrice :
« — Cependant, mademoiselle, nous allons de mesure ! »
— « De mesure ! quelle bête est-ce là? Suivez-moi, monsieur,
et sachez que votre symphonie est la très humble servante de l'ac-
trice qui récite. »
Si du magasin étaient sortis des artistes comme Larrivée (1735),
Laînez (1773.1, présenté par Berton (frappé de la voix qu'il déployait
en vendant des bottes d'asperges), semblable aubaine était rare.
Une viole à la main, Rodolphe prodiguait en vain des leçons ; il y
avait disette de chanteurs à l'Académie, menacée d'une famine
complète.
En 1772, n'ayant point de haute-contre, l'Opéra avait, usant de
son droit de réquisition, enlevé à la cathédrale de La Rochelle, par
lettre de cachet en bonne et due forme, un chantre dont la réputa-
tion était parvenue jusqu'à Paris.
Et la débâcle financière menaçait plus encore que la ruine artis-
tique ; les combinaisons les plus diverses étaient tentées, on essa-
yait sans succès des modes variés de direction.
Quand vient 1784, il faut augmenter le tribut exigé des théâtres
par l'Opéra! « L'homme ventriloque paiera & livres par an, le
sieur Nicoud, 6 livres pour avoir droit de faire voir son singe ; la
machine hydraulique, 2 sous par jour. » Montreurs de puces sa-
vantes, jouteurs, saltimbanques, tous étaient mis à rançon sans
ralentir la marche du péril, quand Gossec effrayé sollicita une au-
dience de M. de Breteuil et réclama son appui pour la réalisation
d'un projet qui pourrait conjurer la catastrophe prochaine.
(.l suivre.) AiSDRK Martlnet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La discorde est au camp d'Agramant, et la guerre pourrait bien ne
pas tarder à éclater. Il paraît qu'à Bayreuth on en prend un peu trop à
son aise avec les souscripteurs wagnériens, les premiers et vrais soutiens
de l'œuvre, qui seraient assez disposés à montrer les dents. Voici ce que
dit à ce sujet un ami de la première heure, le Guide musical deBruxelles,
qui ne saurait être soupçonné de tiédeur à l'égard de la grande entreprise:
— « Dans les conversations, autour du théâtre, pendant les entr'actes, il
n'y avait qu'une voix pour protester contre le procédé du comité de Bay-
reuth à l'égard des Wagnervereine . Dans une lettre qu'elle a adressée à
M. Munclier, bourgmestre de Bayreuth et président du comité, TA'^" Wa-
gner dénie tout droit aux membres des associations wagnériennes à des
faveurs dans la distribution des places. Cette affirmation est vivement
contestée. L'article 4 des statuts de l'Association universelle wagnérienne
porte explicitement que des avantages (Begunstigungen) seront accordés aux
membres des associations, pour leur permettre d'assister aux fêtes de
Bayreuth ; et, jusqu'à ce jour, l'usage avait été que les membres des asso-
ciations avaient un droit de priorité sur les spectateurs étrangers. Ce qui
irrite surtout, c'est que les associations n'aient pas été prévenues en
temps utile de cette modification dans les pratiques jusqu'ici suivies. Il
y a là tout au moins un manque d'égards envers ceux qui ont, les premiers
et pendant de longues années, soutenu l'œuvre de Bayreuth de leurs coti-
sations, alors que les représentations annuelles laissaient des déficits
assez importants. L'affaire, qui est discutée par tous les journaux allemands,
viendra, du reste, prochainement devant le comité central des ]Vagnerve~
reine. Une scission et des démissions en masse sont probables, tant en
Allemagne qu'à l'étranger, si la thèse insoutenable de M'""= Wagner devait
l'emporter. » Un autre journal de Bruxelles, l'Éventail, précise et complète
le grief et les renseignements: « Les membres des sociétés wagnériennes
(Wagner-Vercine), dit celui-ci, ne sont pas contents, et il y a de quoi. On
les a traités cette année avec un sans-gêne extraordinaire. Pour avoir
accordé, pour 20 marks, à n'importe quel Snob des deux hémisphères des
cartes d'entrée aux Festspiele, on n'en a pas gardé assez pour ceux à qui
elles revenaient en tout premier lieu. Conséquence : il n'y a eu qu'une
carte à tirer au sort par treize membres, ayant versé 4 marks deux an-
nées consécutives, soit une somme de 104 marks déboursée pour une fa-
veur que n'importe qui a pu se procurer pour 20 marks seulement ! La
(f mère Cosima », comme on l'appelle familièrement, a écrit aux comités
que l'argent qu'ils rassemblaient devait servir surtout pour « la propaga-
tion des idées exposées dans les œuvres complètes de Wagner. » Les co-
mités l'ont trouvé mauvaise. On a pu pardonner au Maître le sans-gène
de ses procédés à cause de son génie, mais sa veuve ni le bourgmestre de
Bayreuth n'ont cette « excuse » à faire valoir. Aussi leur en veut-on à
tous deux, mais on ne le dira pas trop cependant, parce que l'Allemand
sait souffrir et se taire sans murmurer. »
— Le ténor allemand Nacbbaur, dont nous avons annoncé récemment
la retraite, vient de publier dans un journal de Munich quelques souve-
nirs assez curieux sur ses rapports avec le défunt roi de Bavière. Louis II,
toujours excessif en ses afl'eclions, traitait le ténor presque en camarade.
CI Nous sommes tous deux ennemis de ce qui est vil, lui écrivait le roi ;
nous brûlons tous deux de cette flamme pure et sacrée de l'idéal ; c'est
pourquoi nous resterons amis toute notre vie. » Nacbbaur a monté tout
un musée avec les cadeaux que lui a offerts son royal protecteur; ce sont
pour la plupart des souvenirs relatif à Lohengrin : des barques au cygne
en or massif portant I.obengrin sous les traits de Nacbbaur, des épingles,
des broches, des plats et jusqu'à une pipe portant les attributs du héros.
On remarque aussi deux tables en or massif sur lesquelles sont ciselées
les principales scènes de Parsifal et à'Aîda, enfin une quantité prodigieuse
de montres à l'effigie du souverain, de portraits et de bagues. Lorsque
Nacbbaur quittait Munich, appelé par des engagements, Louis II languis-
sait d'ennui, et il lui arrivait souvent de payer le dédit de son chanteur
favori pour le ravoir près de lui. Un jour, ils se promenaient ensemble
sur le lac artificiel du fameux jardin d'hiver. La barque qui les portait
était dorée et avait la forme d'un cygne. Des voix mystérieuses se fai-
saient entendre, paraissant sortir de l'eau.- Le roi était debout dans la
barque, prêtant l'oreille et comme perdu dans un rêve. Soudain il se
tourna vers le ténor et lui dit d'une voix très douce: «Ah! que ne sommes-
nous dans la baie de Naples ! que ne pouvons-nous glisser sur ses vagues,
comme à présent, et écouter le chant éloigné des gondoliers (sic) ! » Et il
décida que tous deu-: partiraient ensemble pour ce pays ensoleillé, mais
au dernier moment il abandonna son projet. Autant Louis II aimait con-
férer des faveurs, autant il était sensible aux marques de gratitude. A
l'issue des représentations de gala données en son honneur, il fallait que
tous les artistes auxquels il avait offert des cadeaux, lui fissent parvenir
sans retard des remerciements. Malheur à ceux qui ne se conformaient
pas à cet usage ! Ils commettaient, à ses yeux, une offense impardonnable. »
« Un jour, bien après minuit, écrit Nacbbaur, le roi me fit appeler. Il
souffrait d'un violent mal de tête. Je lui chantai l'air du sommeil de la
Muette et la prière de Stradella. A deux heures, je m'en retournais chez
moi et, immédiatement, je lui écrivis une lettre pour le remercier de ses
bontés à mon égard. Plus tard j'appris que, malgré sa migraine, il se re-
leva anxieux et ne voulut pas se recoucher avant d'avoir reçu ma lettre. »
— Au théâtre Friedricb-Wilhelmstadt , de Berlin, on a donné la pre-
mière représentation d'une opérette nouvelle, le Page Fritz, qui parai
avoir fait un four complet, et qui ne méritait pas mieux. Pièce, musique
et interprètes ont été au-dessous de tout ce qu'on peut imaginer. Les au-
teurs sont MM. Alexandre Landesberg et Richard Gênée pour les paroles
et MM. Alfred Strasser et de Weinzierl pour la musique.
— Toujours le favoritisme allemand. On lit dans le journal suédois
Wart Loiid ; Bien que cent vingt-deux musiciens allemands eussent postulé
pour la place de chef de l'orchestre municipal de Baden-Baden, la mu-
nicipalité a offert ce poste au compositeur et chef d'orchestre suédois
M. Andréas Tallen, sous la condition d'avoir à se fixer à Baden-Baden.
Néanmoins les autorités, obéissant à l'ordre exprès de l'empereur, ont
installé à sa place le jeune A. Frédéric Koch, de l'Opéra royal de Berlin.
— Antoine Rubinstein vient de quitter Saint-Pétersbourg, où il ne
reviendra pas avant plusieurs mois. Il va |:asser quelque temps à Dresde,
où il compte terminer à la campagne un nouvel oratorio intitulé Moise et
un opéra russe dont le titre n'est pas encore arrêté. Le maître mettra éga-
lement la dernière main à un volume de pensées et d'appréciations sur
la musique. Ce volume aura pour titre il propos de musique, et sa publi-
cation ne peut manquer d'attirer l'attention.
— On écrit de Saint-Pétersbourg que la Société Impériale de musique de
cette ville a décidé d'inviter M. Massenet à diriger son orchestre pour une
série de concerts sympboniques qui seront donnés à la salle de l'Assem-
blée de la Noblesse au mois de janvier 1892.
— Un incident typique vient de se produire à Kieff, en Russie, à l'occa-
sion de l'expulsion des juifs. Tous les artistes engagés dans les théâtres,
cafés-chantants, etc., étant Israélites, il a fallu fermer les établissements.
Le jour de l'expulsion on avait annoncé Robert le Diable à l'Opéra, mais
pour jouer l'œuvre de Meyerbeer, il ne restait que... le chef d'orchestre.
Les habitants envoyèrent une pétition au czar demandant le retour des
artistes, mais la réponse fut négative.
— Au Grand-Théâtre de Buoharest on a résolu d'abandonner, vu leur
peu de succès, l'opéra roumain et l'opérette pour leur substituer l'opéra
MO
LE MENESTREL
italien. Deux candidats Olaient sur les rangs pour l'obtenir, M. Serghiad
et M. Hartulary, t'poux de l'aimable cantatrice que nous avons connue
sous le nom de M""" Dardée. C'est le premier qui l'a emporté. Ce que
voyant, M. Hartulary s'est mis en tète de faire concurrence à son rival
avec une troupe d'opéra français, qu'il est en train déjà de constituer
et dont les représentations commenceraient au mois de novembre pro-
chain, dans le nouveau théâtre en construction, qu'il inaugurerait de la
sorte.
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles : « M. Gilson, le brillant prix de
Rome de l'année dernière, et M. Eddy Levis, préparent en ce moment
une œuvre symphonique et littéraire, en trois parties, d'un genre nouveau,
qui sera exécutée probablement dans le courant de cette saison à Spa, à
Ostende et à Blankenberglie. Le sujet, tout descriptif, est intitulé la Mer.
Les vers de M. Eddy Levis seront déclamés avant chaque partie, puis la
symphonie commentera le poème. Le même musicien et le même poète
travaillent également à une œuvre d'un caractère dramatique très puis-
sant : Caïn devant la mer, qui ne sera guère terminée que dans le courant
de l'année prochaine. »
— M. Bussac, le nouveau directeur du Théâtre royal de Liège, vient
de terminer la composition de sa troupe pour la saison d'hiver 1891-92.
Parmi les artistes engagés, citons MM. Joël Fabre, Lamarche et P. Claeys,
tous trois ayant appartenu à l'Opéra; M. Galand (de l'Opéra-Gomique),
Mmcs Baliste (Théâtre-Lyrique), Bouvière, C. BlOch, etc. Outre le réper-
toire courant, M. Bussac reprendra Hérodiade, Sigurd. le Roi d'Ys, Lakmé,
probablement iofteiîjrm. Ajoutons que M. Bussac a l'intention de monter
un grand opéra inédit en trois actes, qui ne serait autre que le Sardana-
pale de M. Alphonse Duvernoy, dont M. Lamourôux a fait entendre
naguère de beaux fragments dans ses concerts, et qu'enfin il compte, au
mois de février, célébrer l'anniversaire de la naissance de Grétry, le plus
illustre enfant de Liège, par une reprise éclatante de Richard Cœur de
lion, qui n'a pas été joué en cette ville depuis plus de vingt ans, et que
précéderait une conférence sur le maître et sur son chef-d'œuvre. C'est
notre collaborateur Arthur Pougin qui serait chargé de faire cette confé-
rence.
— Nous avons annoncé la représentation, sur un petit théâtre de "S'^ienne,
d'une parodie de la Cavalleria rusticana intitulée Artiglieria ruslicana. II est
probable que c'est de ce même ouvrage que le Trovatore nous annonce,
peut-être tardivement, l'apparition au Politeama de Naples, en nous
faisant savoir que la musique est de MM. Luigi Mantegna et Tartarin (?).
« Cette Artiglieria ruslicana, dit-il, est une parodie, souvent réussie, de la
fameuse Cavalleria, avec le récit correspondant, Vintermezzo correspondant,
le brindisi correspondant, et la déclaration finale correspondante. «
— La bande municipale de Milan a exécuté pour la première fois, avec
succès, un poème symphonique de son directeur, le maestro Guai-neri.
Cette composition, écrite pour servir d'introduction au Jules César de
Shakespeare et qui semble un peu compliquée, est ainsi divisée : Apothéose
de César: — Conjuration contre sa vie; — Prédiction sinistre; — Marche triom-
phale au Capitole; — Sa mort; — Bataille à Philippes et mort de Brutus.
— L'infortuné Franco Faccio, dont nous avons annoncé la mort, a
laissé un testament, qui a été ouvert ces jours derniers. Sa fortune s'éle-
vait à 200,000 francs environ, sans compter les bijoux, qui représentent
une valeur d'une cinquantaine de mille francs. C'est son père, fou lui-
même, et qui ignore le sort de son fils, que Faccio a institué son léga-
taire universel; à la mort de celui-ci, les biens seront partagés entre la
sœur et les neveux de Faccio. Deux legs importants sont faits en faveur
de la Société orchestrale de Milan et du Pieux Institut philharmonique.
— Au Conservatoire de Milan, où il n'y a point de concours comme chez
nous, on vient de procéder aux trois saggi (exercices) réglementaires de
fin d'année. On a l'excellente habitude de faire entendre dans ces séances,
avec le concours des élèves des classes vocales et instrumentales, les tra-
vaux des élèves de composition. Voici la liste de ceux qui ont été cette
fois exécutés : 1» Symphonie en quatre parties et morceau de concert pour
clarinette, de M. Mario Tarenghi (le^prix), élève de M. Catalani ; 2° Scène
de M. Luigi Marzani (1" prix), élève de M. Ferroni; 3° Cristoforo Colombo,
scène dramatique de M. Luigi Galli (2» prix), élève de M. Ferroni; i" Suite
d'orchestre de M. Gaetano Luporini (2» prix) élève de M. Catalani;
5° Sull'Atpi, scène lyrique de M. Zaccharia Levi (diplôme), élève de M. Fer-
roni; 6» Scène pour ténor, chœur et orchestre de M. Cecilio Manfredi
(diplôme); 7° enfin la Natte dei Morti, scène pour soli, chœur et orchestre
de M. Arnaldo Galliera, élève d'orgue. Il parait que là-bas, bien plus
encore qu'ici, ce qui n'est pas peu dire, les jeunes compositeurs ont l'es-
prit hanté par les idées et les doctrines wagnériennes et qu'ils en sont à
ce point troublés que leur musique souvent n'a pas le sens commun. La
critique compatriote n'est pas tendre pour leurs essais. « Oh! wagnériens
lilliputiens, dit un journal, belliqueux et redoutables comme des soldats
de plomb, ne comprenez-vous pas que le souffle d'un enfant qui jouerait
avec vous serait plus que suffisant pour vous renverser l'un après l'autre"?
Et n'avez-vous pas vu que le chemin que vous suivez follement ne réus-
sit à vous faire conquérir ni l'applaudissement du public, ni celui de la
critique? » Un autre se demande si c'est bien là de la musique: «En en-
tendant ce charivari d'accords, dit-il, de modulations, avec un mépris qu'on
dirait calculé de la forme, de la carrure musicale, du véritable sens har-
monique, nous nous demandions si cela méritait véritablement une exé-
cution publique. » (Il nous semble entendre parler du Rêve de M. Bruneau.)
En résumé, l'impression parait avoir été pitoyable. On ne fait exception
— exception qui, dit-on, confirme la règle — que pour l'élève Luporini,
dont la Suite d'orchestre a fait vraiment plaisir.
— On lit dans l'Italie : « On annoncé que M. Giulio Cottrau donnera, au
grand théâtre de Syracuse, un nouvel opéra : Imelda, sur un livret écrit
par le regretté poète Peruzzini. Le sujet est tiré des chroniques de Vérone
et a beaucoup de ressemblance avec Rojnco et Juliette; mais le drame se
développe dans la période historique du serment de Pontida à la bataille
de Legnano, ce qui donne l'occasion au poète de faire vibrer en même
temps la note sentimentale patriotique -et guerrière. M. Giulio Cottrau,
en prenant l'inspiration dans ce sujet, aura certainement écrit un opéra
d'art au niveau de sa Griselda, qui a eu tant de succès. »
— En Portugal, comme en France, comme en Italie, comme partout, les
économies sont à l'ordre du jour. Tandis qu'ici nos législateurs ne veulent
pas comprendre l'immense intérêt non seulement artistique, mais « éco-
nomique » qui s'attache à la reconstruction de notre malheureux Opéra-
Comique, à Lisbonne deux députés ont présenté à la Chambre une motion
tendant à supprimer la subvention du théâtre San Carlos, la grande scène
lyrique du Portugal. La Chambre, moins réfractaire que ces deux mélo-
phobes à tout sentiment artistique, a repoussé leur proposition à une
immense majorité.
— Le fameux quatuor Ilellmesberger, de Vienne, s'est fait entendre
dernièrement au harem du sultan, dans des conditions très pittoresques.
Bien qu'ils eussent donné deux concerts de trois heures chacun, aucun
des artistes n'a pu apercevoir ni le sultan, ni les assistantes, dissimulés
derrière des grillages et des tentures. Avant la seconde séance on leur fit
servir à dîner dans de la vaisselle en or. Derrière chaque siège se tenait
un eunuque, noir comme de l'ébène. On n'en était encore qu'au poisson
quand le sultan fit prévenir les artistes qu'il les attendait dans son théâtre.
En hâte, il fallut se lever de table. A l'issue du concert, Munir-Pacha se
présenta avec une petite sacoche de soie rose pleine d'or et cachetée au
sceau impérial. Il la remit aux musiciens en les invitant à baiser le sceau
que le sultan avait apposé de ses propres mains. Il ajouta que son maître
était fort satisfait dej l'audition. La sacoche contenait, outre une somme
d'or en espèces, une médaille en or grand module et l'ordre du Medjidjé
pour chaque exécutant.
— Le Savoy Théâtre de Londres vient de donner, avec un résultat dou-
teux, la première représentation d'une opérette indienne, The Nautchgirl,
établie sur le type des opérettes de Gilbert et Sullivan. Le compositeur
de cette nouveauté est M. Solomon.
— Nous lisons dans le Musical News qu'une entreprise vient de se
monter ayant pour but de fournir aux organisateurs de concerts et au
public des chanteurs automatiques, c'est-à-dire des reproductions méca-
niques des célébrités de l'art du chant. Par exemple, une de ces pièces
reproduira les traits du ténor Lloyd, à l'intérieur on placera un phono-
graphe et, après que la compagnie aura payé un cachet convenable au
modèle vivant, l'automate égrènera devant un auditoire ébahi, mais
enthousiaste, les meilleurs airs de ténor du Messie ou A'Elie. Voilà qui ne
sera pas pour réjouir les débutants dans la carrière. Comment soutenir la
concurrence d'un de Reszké tiré à des milliers d'exemplaires ?
— La langue simiesque est l'objet d'une étude assez curieuse et originale
publiée, par le professeur R.-L. Garner, dans la Nouvelle Revue de Londres.
Des recherches laborieuses faites à l'aide du phonographe ont amené
M. Garner à découvrir que les singes avaient un langage à eux, qu'ils
comprenaient clairement et au moyen duquel il se promit de se faire
comprendre d'eux. Le côté intéressant de cette découverte, pour les musi-
ciens, est que tous les sons dont se compose la langue des singes font,
parait-il, partie de l'accord de fa dièse. Ainsi, c'est sur la note de fa dièze
et la syllabe « whuy » que le singe chante sa soif. Pour donner l'alarme
il lance un sifflement sur le fa dièse le plus aigu du piano. Le professeur
Garner a compté jusqu'à neuf intonations différentes, qu'augmentent encore
les altérations; mais tous les sons, quels qu'ils soient, s'harmonisent
naturellement avec celui de fa dièse. Voilà des notions que les composi-
teurs hantés de réalisme pourront utiliser avec profit. Avis à M. Bruneau.
— Nous laissons au journal étranger qui la publie la responsabilité de
la nouvelle que voici. Selon ce journal, un riche citoyen de New-York,
nommé Oscar Hammerstein, a formé le projet de doter chacune des grandes
avenues de sa ville natale d'une vaste salle d'opéra. Peut-être est-ce beau-
coup. Quoi qu'il en soit, M. Hammerstein, archimillionnaire un peu excen-
trique, et qui est déjà propriétaire de l'Harlem Opéra House et du théâtre
Colombo, vient de poser la première pierre d'un nouvel Opéra dans la
34° avenue, à l'ouest de Broadway, et il en annonce l'inauguration pour
le !"■ novembre prochain (époque où l'on commence à désespérer de voir
inaugurer ici notre Opéra-Comique). L'Opéra de la 34° avenue pourra
contenir 2,600 spectateurs. Le prix d'abonnement pour soixante représen-
tations sera de 18,000 francs seulement pour une loge et de 2,000 francs
pour un fauteuil, sans compter un droit d'entrée fixe de 10 francs par
personne. Ajoutons que la nouvelle salle doit être consacrée à l'opéra
allemand, malgré l'énorme four qui a accueilli les campagnes lyriques
allemandes de ces dernières années. Hourrah pour l'Amérique !
LE MENESTREL
247
— Les journaux américains aunoQçaient avec persistance, depuis quel-
que temps, le prochain mariage d'un violoniste belge fort distingué,
M. Ovide Musin, qui a conquis là-bas une grande réputation, avec une de
ses jeunes compatriotes, M»= Juliette Folville, pianiste remarquable elle-
même et compositeur. M"<= Folville nous écrit de Liège ponr nous dire
que cette nouvelle est inexacte et nous prier de la démentir.
— L'invention du bicycle à musique est un fait accompli. C'est natu-
rellement à un américain qu'il était réservé de prendre le brevet de cette
géniale et réconfortante invention, hes mélo-vetocemen sont dans la joie!
PARIS ET DEPARTEMENTS
Les concours publics du Conservatoire ont pris fin mercredi dernier,
par la séance consacrée aux instruments à vent. Voici la liste des récom-
penses décernées dans ces dernières journées.
Opéra-Comique. — Jury : MM. Ambroise Thomas, Ernest Guiraud, Théo-
do re Dubois, Jules Barbier, Carvalho, Capoul, Deschapelles.
Hommes :
Pas de premier prix.
a^spria:. — MM.Ghasne(élèvedeM.Taskin),David(Achard),Périer(Taslî.in).
y»"' accessit. — M. Bérard (Achard).
2= accessit. — M. Victor Petit (Achard).
Femmes : '
Pas de premier ni de deuxième prix.
y«' accessit. — M"" Morel (Achard).
Pas de deuxième accessit.
Violon. — Jury : MM. Ambroise Thomas, White, Nadaud, Berthelier,
Gastinel, Altès, Th. Dubois, Turban.
i"'^ prix. — M"" Vormèse (Garcin), MM. Quanté (Garcin), André (Maurin).
%"■ prix. — MM. Roillet (Dancla), Boucherit (Garcin), Tracol (Garcin).
■/ers accessits. — M"= Arton (Garcin), MM. Lépine (Dancla), Lebreton
(SauzayJ.
2'-^ accessits. — MM. Aubert (Sauzay), Willaume (Garcin), Bastien
(Dancla).
Opéra. — Jury: MM. Ambroise Thomas, Jules Barbier, Ernest Bertrand,
Gailhard, Ernest Guiraud, Paladilhe, Gh. Lenepveu, Joncières, Deschapelles.
Hommes :
1"' prix. — M. Grimaud.
Pas de deuxième prix,
1<" accessit. — M. Villa.
Pas de deuxième accessit.
Femmes :
i''^ prix (à l'unanimité). — M"« Issaurat.
Pas de deuxième prix.
1"^ accessit. — M"" Lemeignan.
2= accessit. — M""^ Youdeleski, Wyns.
(Tous élèves de M. Giraudet.)
Flûte. — Professeur : M. Henri Altès. S concurrents. Jury (pour ce
concours et tous les suivants) : MM. Ambroise Thomas, Jonas, Joncières,
Ch. Lenepveu, Garcin, Taffanel, Turban, Dupont, Wettge. Morceau de
concours : 2= solo de Demerssmannn; morceau à déchiffrer, composé par
M. Barthe.
y= ■ prix. — MM. Verroust, Balleron.
Pas de second prix.
1" accessit. — M. Maquarre.
Hautbois. — Professeur : M. Gillet. 10 concurrents. Morceau de concours :
6" solo de Gh. Colin; morceau à déchiffrer, composé par M. Taffanel.
4" frix. — M. Barthel.
^'- prix. — MM. Foucault, Derlique.
4''-' accessit. — M. Duverger.
2=s accessits. — MM. Malezieux, Bleuzet.
Clarinette. — Professeur ; M. Rose. 9 concurrents. Morceau de concours :
2e concerto de Weber ; morceau à déchifi'rer, composé par M. Taffanel.
4<" prix. — M. Pujol.
ge prix. — M. Stiévenard.
4"' accessit. — M. Baudouin.
Pas de 2" accessit.
Basson. — Professeur : M. Jancourt. 5 concurrents. Morceau de concours :
9e concertino de M. Jancourt; morceau à déchiffrer, composé par M. Guiraud.
^ef prix. — M. Cundde.
Pas de second prix.
yers accessits. — MM. Bulleau, Bretenaker.
Pas de 2= accessit.
Cor. — Professeur : M. Brémond. S concurrents. Morceau de concours :
1er concerto de Dauprat ; morceau à déchili'rer, composé par M. Barthe.
yer» prix. — MM. Legros, Brin.
2=5 prix. — MM, Goyaux, Vialet.
Pas d'accessits.
Cornet à pistons. — Professeur : M. Mellé. 8 concurrents. Morceau de
concours : solo de Forestier ; morcçau à déchiffrer, composé par M. Jonas.
Pas de premier prix.
2" prix. — MM. Grenaud, Lubineau.
<ers accessits. — MM. Deprinoz, Courtade.
2e accessit. — M. André.
Trompette. — Professeur : M. Gerclier. 5 concurrents. Morceau de
concours : solo de M. Charles Dubois.
Pas de premier prix.
2' prix. — M. Lambert.
4" accessit. — M. Bâton.
Pas de 2e accessit.
Trombone. — Professeur : M. AUard. 4 concurrents. Morceau de concours :
solo de M"'" Gennaro-Ghrétien ; morceau à déchiffrer, composé par M. Le-
nepveu.
4"' prix. — M. Rose.
2" prix. — M. Delapard.
Pas d'accessits.
— C'est demain lundi, à une heure, qu'a lieu, au Conservatoire, la
séance do la distribution des prix.
Cette séance sera présidée par M. Larroumet, directeur des beaux-arts,
qui prononcera le discours d'usage. Voici le programme du concert qui
aura lieu à l'issue de la distribution des récompenses :
l" Allegro de concert M. E. Guiraud.
M"° Charmois.
2° Air d'Hamlet M. Ambroise Thomas.
M"" Lemeignan.
3° Fantasia appassionata Vieuxtemps.
M. Quanté.
4° Scène du 2e acte du Bajazet Racine.
Roxane M"° Dufhène.
Bajazet . . MM. de Max.
Acomat Lxigné-Poé.
5» Scène du 3'' acte de la Princesse Georges ... M. Alexandre Dumas.
Séverine M"° Dux.
Le prince de Byrac M. Gauley.
6° Scène de Gringoire Th. de Banville.
Louis XI MM. DE Max.
Gringoire Veyret.
Olivier le Daim Barré.
Loyse M'" Thohsen.
7° Scène du le'' acte du Roi de Lahore M. J. Massenet.
Sila M"° Issaurat.
Scindia M. Grimaud.
— Une bonne nouvelle, et toute récente, relative à la reconstruction de
rOpéra-Comique : « Dans sa dernière séance, le conseil d'hygiène et de
salubrité de la Seine a approuvé l'établissementd'un tir à la carabine Gif-
fard sur l'emplacement de l'ancien Opèra-Goraique. » Si après ça, les ha-
bitants du quartier Favart ne sont pas contents!...
— On écrit de Genève que M. Camille Saint-Saëns est actuellement en
villégiature sur les bords du lac, et travaille à différents morceaux de
piano et orchestre.
— Hier samedi, on a dû reprendre à l'Hippodrome la grande pantomime
musicale : Jeanne d'Arc, dont la vogue avait été si vive la saison dernière.
La remarquable partition de M. Widor retrouvera certainement, dans cette
nouvelle série de représentations, tout le succès qui l'avait accueillie à
son début. Dans le courant de cette semaine, M. Widor partira pour Aix-
les-Bains, afin d'y assister à la première représentation en cette ville de
Conte d'avril, la jolie comédie de M. Dorchain qu'il a illustrée de la char-
mante musique qu'on sait.
M. Emmanuel Latarge, le créateur de Sainson, et Dalila à Rouen et
de Siegfried à Bruxelles, vient de signer un brillant engagement avec
M. Carvalho. L'excellent ténor débutera à l'Opéra-Comique au mois de
mai 1892, après sa saison d'hiver à la Monnaie de Bruxelles. Le premier
rôle qu'il interprétera sera celui d'Énée dans les Troijens de Berlioz.
M"° Sibyl Sanderson, la brillante créatrice d'Esclarmonde, vient d'être
engagée, à de fort beaux appointements, au théâtre impérial Marie, de
Saint-Pétersbourg, pour y créer, dans l'opéra de M. Massenet, le rôle qui
a consacré sa réputation à Paris.
M. Victor Souchon, agent-directeur de la Société des auteurs, com-
positeurs et éditeurs de musique, mécontent des procès qu'il vient de
perdre coup sur coup en Angleterre, « bien qu'il eût prévu ce résultat »,
annonce aux journaux qu'à présent il va faire « marcher la diplomatie ».
Tout à fait étonnant, cet agent fin de siècle qui engage des procès en sa-
chant d'avance qu'il les perdra ! On voit bien que ce n'est pas lui qui
paie les pots cassés. Et quel joli sujet de statue que celui de « M. Souchon
faisant marcher la diplomatie » ! Et quel joli pendant que cet autre sujet:
(I la Diplomatie envoyant promener M. Souchon »! Ce n'est pas tout.
M. Souchon-Bouche d'Or annonce qu'il montera à la tribune de tous les
congrès de propriété artistique et littéraire pour y exposer ses griefs et
qu'il fera tant et tant.... qu'à la fin tous les pays obsédés des incessantes
réclamations de la France dénonceront purement et simplement la con-
vention de Berne, cause de tant de soucis. Très adroit, notre agent!
— La distribution des prix de l'École de musique classique L. Nieder-
màyer, dirigée par son gendre, M. Gustave Lefèvre, a eu lieu le 27 juillet,
sous la présidence de M.Georges Graux, député dùTas-de-Calais. Dans un
discours éloquent, fréquemment applaudi, M. Graux a rappelé les éminents
:2'i8
LE MENESTREL
services rendus à l'arl par celle inslitulion renommée, les nombreux et
excellents organistes, maîtres de chapelle et compositeurs qu'elle a formés
et placés, et le dévouement du savant directeur qui la dirige avec une rare
abnégation depuis vingt-six ans passés. Après une allocution très émue
du directeur et l'audition des lauréats des classes de piano et de fragments
d'un Te Deum qui a valu à son auteur, l'élève Létorcq, un deuxième prix
de composition musicale, la distribution a commencé.
— Parmi les lauréats de l'école de musique classique (Niedermayer),
nous remarquons le nom de M. Joseph GoUin, qui a obtenu le l^^'' prix
d'orgue du ministre, le 1"' prix de piano avec couronne d'or, le •l'^'' prix
décomposition et le 1" accessit de contrepoint. M. Joseph CoUin est le fils de
M. Pierre Collin, organiste à Saint-Brieuc. Il appartient, du reste, à une
famille où se perpétuent, de père en fils, les vraies traditions de l'art musical.
— Les concours du Conservatoire de Lyon, qui ont duré toute la
semaine, viennent de se terminer, et ont été en général assez brillants.
Pour ne parler que des premières récompenses, nous citerons : M. Mou-
lin, l" prix de flûte (classe de M. Ritter); M. Lesur, l<^ prix de hautbois
(classe de M. Targues); M. Gibert, ■1°'' prix de clarinette (classe de
M. Cousin); 2 premiers prix de piano, M"'s Gouraud et Calvin, élèves de
M. Jemain ; 2 premiers prix de chant et d'opéra, M"'^* Lespinasse et
Bailly, la première élève de M"« Mauvernay, la seconde de M. Grillon.
Ces deux jeunes artistes sont déjà engagées, l'une à Saigon, l'autre au
Grand-Théâtre de Lyon. La classe de déclamation que dirige si habile-
ment M. Belliard, n'a pas obtenu de récompense suprême, mais il faut
dire que presque tous les élèves en étaient à leur premier concours. En
somme, les concours ont couronné de sérieux travaux, qui font honneur à
M. Aimé Gros, le sympathique directeur du Conservatoire.
— A Lille aussi, la série des concours vient de se terminer, et de la
façon la plus brillante. Ils ont eu lieu comme d'habitude, mais pour la
dernière fois, sous la présidence de M. Ferdinand Lavainne. En effet,
l'excellent directeur du Conservatoire, fatigué par l'âge, s'est démis depuis
quelque temps déjà de ses fonctions, et n'attendait, pour les résigner
définitivement, que la fin de l'année scolaire.
— M. Eugène Gigout, dans une intéressante séance donnée le 2.3 juil-
let a fait entendre les meilleurs élèves de son école d'orgue. M. Guit-
tard a exécuté avec intelligence et une complète possession de lui-même
six des Cent piiccs brèves dans la tonalité grégorienne de M. Gigout, ainsi
qu'une Canzona de Bach; M. Vuillane, la Rapsodie sur des cantiques bre-
tons de M. Saint-Saëns et un Prélude de Mendelssohn: M. Guivièr une
belle Marche religieuse et une Communion de M. Gigout. M. Vivet a inter-
prété remarquablement la Toccata et fugue en ut de Bach, morceau hérissé
de difficultés. Le trio de M. Boëllmann, joué en perfection par l'auteur,
MM. Berthelier et Loéb, est une œuvre de premier ordre qui mérite une
mention spéciale. M'"'= Grammacini, très en voix, s'est fait applaudir
dans la Mort d'Ophélie de M. Saint-Saëns, et M. Warmbrodt a eu une
grande part du succès dans l'air â'Iphigénie en Tauride et le Domine de la
messe en si mineur de Bach. A citer encore MM. Verdeau, Nomet -et
Harris, Kunc, qui sont d'excellents musiciens et de bons organistes, et
surtout M. Rousse, qui a enlevé la Fantaisie de Saint-Saëns avec une vir-
tuosité exceptionnelle. H. Eymieu.
— Les concours publics de l'Ecole classique de musique et de déclama-
tion de la rue Charras viennent de se terminer, et ont donné les résultats
les plus satisfaisants. Pour la déclamation, le jury, présidé par M. Edouard
Ghavagnat, se composait de M''" Bernage, de MM. Lardoze, Leneka, Maury,
Sarter, Deval, Desvalières, Gildes et Hugonnet. Un deuxième prix de tra-
gédie a été décerné à l'unanimité à M. Jarry ; M"«s Roskidi et Bertin-
champ ont obtenu un premier accessit. Pour la comédie (hommes) il a
été attribué un deuxième accessit à M. Lemarchand, et pour la comédie
(femmes) un premier prix à M"=^ Roger et Barbier, un deuxième prix à
M""* du Louez et Uaxel, ainsi qu'un premier accessit àMiii^^Luce Daxel et
Roskildi, tous élèves de M. Sadi Pety. Le piano supérieur avait pour
juges : M. A. Rabuteau, président; M""""* Edouard Lyon, Elise Leduc,
MM. Joncières, Ravina, Delioux, Neustedt et A. Benoit. Morceau d'exé-
cution : concerto en ut mineur de Beethoven. M""= Hardel (élève de M. Gha-
vagnat) a obtenu un premier prix à l'unanimité; un premier second prix a
été accordé à M"'" Lundh (élève de M^^s Balutet), Martin et Roger (élèves
de M. Ghavagnat), et un premier accessit à M"= Legendre (élève de M. Gha-
vagnat), et à M""= Leroux (élève de M"' Hélène Collin). Le concours de
chant, présidé par M. Ed. Ghavagnat, était jugé par M""» Fierens, M"° Cre-
mer, MM. Vergnet, Duc, Renaud et Fournets. Il a été décerné à l'unani-
mité un premier prix à M"= 'Vives (élève de M, Marcel); un second prix à
M"' Melcourt, M'^" Talboni Richard (élèves de M. Marcel); un premier
accessit à M^'^ Loumian et Henriette Papillaud (élèves de M. Genevois);
un second à M"« Donop (élève de M"""^ Sallard), et Laval (élève de M. Ge-
nevois).
— Dimanche dernier, la Chambre syndicale de l'horlogerie de Paris,
présidée par M. Floquet, président de la Chambre des députés, a distri-
bué ses récompenses à l'École d'horlogerie fondée par M. Rodanet ;
cette cérémonie a été suivie d'un concert dans lequel nous avons entendu
le duo du Crucifix de Faure, chanté par M. Houdin, de l'Opéra, et
M. Gallois. MM. Goquelin cadet, Duchcsne, de l'Opéra-Gomique. M'"" Te-
brey et M. Brun, prêtaient leurs concours à cette fête de famille.
— Constatons le succès que vient de remporter M"« Magdeleine Barlels
dans une séance de musique de chambre, au casino de Royan. Au pro-
gramme, le quintette de Sgambati, plusieurs]pièces de Schumann et Men-
delssohn, et la Valse arabesque de M. Th. Lack, à laquelle le public a fait
les honneurs du bis. Tous nos compliments à la brillante virtuose, qui a
bien voulu ajouter au programme Chant d'amil, du même^auteur.
— Les concerts Vauban, de Lille, si bien dirigés par M. Oscar Petit,
continuent leur très brillante carrière. Nous relevons, sur les derniers
programmes, les noms de M"° Antoinette Bot, lauiéate du Conserva-
toire de Lille, qui a fort bien chanté l'air de Suzanne, de Paladilhe, de
M"" Archainbaud, de la Monnaie, très applaudie dans le bel air d'Hérodiade,
de Massenet, et enfin celui de M. Duo, le brillant ténor de l'Opéra, auquel
on a fait d'interminables ovations après sa remarquable interprétation
des deux airs du Mage : « Soulève l'ombre de ces voiles » et « Heureux
celui dont la vie. »
— On nous signale de Versailles, comme véritablement artistique, la
matinée donnée l'autre dimanche par M"= Laure Taconet, l'excellent
professeur, élève elle-même de M"' 'Viardot, avec le concours de MM. Dé-
rivis, Loys et Brun. Qn a fêté M"= Taconet comme pianiste et comme can-
tatrice. Puis, ses nombreuses élèves, formant un chœur des plus gracieux,
lui ont donné la réplique dans diverses scènes de M"= Chaminade, de
MM. Th. Dubois, Widor et Charles Lefebvre, que les auteurs dirigeaient
ou accompagnaient eux-mêmes.
— L'Académie de tnusique de Toulouse ouvre, pour l'année 1S9'2, une
série de concours décomposition dont voici le programme. N° 1. Trio pour
piano, violon et violoncelle eu quatre parties; — N° 2. Magnificat pour
soprano, contralto, ténor et basse, avec orchestre, soli et chœurs; —
N" 3. Solo de concert pour flûte, avec accompagnement de piano ; — N" 4.
Sclierzo pour deux pianos; — N" b. Nocturne pour violon avec accompagne-
ment de piano; — N" 6. Mélodie pour chant et violon obligé, avec accom-
pagnement de piano; — N^T. Un Libretlo de la durée d'un acte. Sujet libre,
ainsi que le nombre de personnages. — Les manuscrits devront être en-
voyés franco jusqu'au .31 mars 1892 inclus, au siège social, 72, rue de la
Pomme, Toulouse, à M. le Secrétaire général de l'Académie (sans nom de
personnes), qui fournira aux concurrents tous les renseignements néces-
saires et le règlement du concours.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'apprendre la mort de M. Pierre-René Hirsch,
à l'âge de 21 ans, lauréat du Conservatoire, où il avait obtenu plusieurs
premiers prix; virtuose souvent applaudi, il avait fait paraître déjà des
compositions et aussi des essais littéraires qui promettaient à la musique
et à la poésie de belles œuvres.
— On lit dans la Gironde : « Nous apprenons avec un vif regret la mort
subite de M. Gobert, l'éminent directeur de notre Conservatoire et de la
Société Sainte-Cécile. M. Henri Gobert était né à Liège en 1831. Après
avoir remporté le premier prix de violon et d'harmonie au Conservatoire
de cette ville, il devint violon solo au Grand-Théâtre de Bordeaux, qu'il
quitta pour aller occuper les mêmes fonctions au Grand-Théâtre de Lille.
Il fut également premier violon au Théâtre-Lyrique de Paris et au théâtre
des Italiens, puis violon solo et sous-chef des concerts Besselièvre et
du Casino Cadet, à Paris. M. Gobert continua sa carrière parla direction du
Casino de Bagnères-de-Bigorre, où il était en même temps chef d'orchestre,
et par celle du Casino Gassion, de Pau, et du Casino de Biarritz. Enfin,
il était directeur à Sainte-Cécile depuis 1883. La nouvelle imprévue de la
mort de M. Gobert a causé une douloureuse émotion dans Bordeaux, où il
était très estimé et très aimé. Frappé par la mort subite du directeur
de son Conservatoire, le comité a décidé que la solennité de la distri-
bution des prix, qui devait avoir lieu aujourd'hui dimanche, ne sera pas
faite cettte année. Les diplômes seront tenus à la disposition des lauréats,
au siège de la Société.
— De Nice on annonce la mort de M. Joseph Gouirand, e.x-chef de
musique d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur M. Gouirand avait
écrit beaucoup pour les harmonies militaires, et de nombreuses œuvres
de lui sont au répertoire des bonnes sociétés. Depuis longtemps il souf-
frait d'une terrible maladie, et il s'était réfugié à Nice, croyant que le
climat l'aiderait à triompher du mal,
— On signale, de Gênes, le suicide, à l'âge de 52 ans, de Carlo Erba,
contrebassiste au théâtre Gaiio-Felice.
Henri Heugel, directeur-gérant.
DRESDE.— Conservatoire royal de musique et de théâtre.— Le 1='' sep-
tembre nouveaux cours; entrée également à toute autre date, ia branches
d'enseignement, 763 élèves (1890-91), 87 professeurs, entre autres: Dœring,
Draeseke, Gruetzmacher, Krantz, Rappoldi, Scharpe, Mi"=Orgeni, M™ Otto
Alosleben, M"": Rappoldi-Kahrer. Prospectus et liste des professeurs par le Pro-
fesseur-Directeur KRANTZ.
IMPHLIIEHIE GnAIX, 20
Dimanche 9 Août 1891
3149 - 57- xmm - ^° 32. parait tous les dimanches
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemend
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIRE -TEXTE
I. La Distribution des Prix au Conservatoire, AuTHun Pougin. — II. Semaine
théâtrale : Tamihiiuser à Bajreuth, Julien Tiersot ; reprise de Jeanne d'Arc à
l'Hippodrome, Paul-Ésiile-Chevalieh. — III. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour,
une
MÉLODIE
de Alph. 'Duveknoy. — Suivra immédiatement : Un baiser, nouvelle mélodie
de Charles Gkisart, poésie de Le Lassen de Rauzav.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Marie-Louise, gavotte de Gh. Neustedt. — Suivra immédiate-
ment: L'Étudiant en goguette, nouvelle marche de Philippe Fahrrach.
DISTRIBUTION DES PRIX
C'est lundi dernier qu'a eu liea au Conservatoire, avec le cérémo-
nial et l'éclat accoulutnés, la distribution des prix aux élèves cou-
ronnés dans les derniers concours. C'est toujours là une séance par-
ticulièrement intéressante et instructive, à laquelle il n'est pas besoin
de le dire, tout le monde accourt avec empressement. Tout d'abord,
il y a le discours officiel, dans lequel se trouvent généralement
d'excellentes choses; et quand ce discours émane d'un esprit avisé
et aiguisé comme celui de M. Larroumet, d'un esprit h la fois libre
et chercheur, exempt de certaines routines tout en restant attaché
aux plus nobles traditions et s'eflforçant judicieusement de relier
celles-ci aux progrès rationnels qu'exigent l'évolution incessante de
l'art et sa marche vers un idéal toujours plus élevé, on peut être
certain d'avance qu'il abondera en aperçus piquants, en vues ingé-
nieuses, en remarques pleines de sens et en conseils pratiques
d'une véritable valeur. C'est en efifet ce qui s'est produit cette fois
encore, dans le dernier discours que M. Larroumet prononçait en
celte circonstance, — car, comme on le verra, M. le directeur acluel
des Beaux-Arts a saisi cette occasion pour annoncer à son auditoire
qu'il résignait ses fonctions pour reprendre le cours de sa carrière
universitaire, interrompue depuis quelques années. On regrettera la
parole chaude, jeune et imagée de M. Larroumet.
Puis il y a le concert qui suit la distribution, et qui offre un in-
térêt tout spécial, en ce sens qu'on peut juger plus librement et
d'une façon plus certaine les jeunes artistes qui s'y font entendre.
Ceux-ci, en possession de tous leurs moyens, n'étant plus sous le
coup de l'émotion de la grande épreuve, heureux de leur succès et
délivrés de la crainte d'un échec possible, se montrent vraiment ce
qu'ils sont et déploient leur habileté, on peut souvent dire leur
talent, dans tout son éclat. Aussi est-ce là surtout qu'on peut voir
réellement ce dont ils sont capables. Voilà pourquoi, je le répète,
cette séance est instructive, je dirais volontiers suggestive, si l'on
ne commençait à abuser un peu de trop de cette expression.
Elle était, cette fois encore, présidée par M. Larroumet, assisté de
M. Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire, et de M. des Cha-
pelles, chef du bureau des théâtres. A ses côtés avaient pris place
M. Ernest Guiraud, le nouveau membre de l'Institut, M. Carvalho,
directeur de l'Opéra-Comique, M. Gailhard, directeur de la scène de
l'Opéra, M. Emile Réty, chet du secrélariat du Conservatoire, et sur
l'estrade les membres des comités des études et le personnel des pro-
fesseurs, presque au grand complet.
Voici le texte entier du discours de M. le Directeur des Beaux-
Arts ;
Mesdemoiselles et messieurs,
Depuis que j'ai l'honneur de vous distribuer vos récompenses annuelles,
je n'ai jamais plus vivement ni plus sincèrement désiré qu'aujourd'hui
m'aoquitter de ce devoir en vous adressant quelques conseils utiles et
d'une impression durable. C'est la dernière fois, en effet, que je pourrai
vous témoigner officiellement mon intérêt. A la veille de reprendre une
carrière que j'avais interrompue avec l'intention arrêtée d'y revenir, je
remercie le ministre de m'avoir délégué la présidence de cette cérémonie.
C'est ici que j'avais commencé l'exercice public de ma fonction; au mo-
ment de la quitter, il m'est particulièrement agréable de pouvoir attester
encore une fois ma conviction protonde des services que le Conservatoire
rend à l'enseignement et à l'art dans notre pays.
Vous me reprocheriez de ne pas joindre au témoignage de mon estime
pour la maison celui de mon affectueux attachement pour le maître illustre
qui la dirige. Dès le premier jour, M. Ambroise Thomas m'avait traité
en ami ; cette amitié, de plus en plus cordiale de sa part, de plus en plus
reconnaissante de la mienne, a rendu ma tâche facile. Le plus grand
honneur attaché aux fonctions d'un directeur des beaux-arts, c'est de
compter parmi ses collaborateurs, comme chefs des grandes écoles dont la
haute direction lui est confiée, des maîtres qui sont en même temps la
gloire artistique du pays. Travailler à une œuvre commune avec des
hommes tels que M. Hébert et M. Guillaume à l'Académie de France,
M. Paul Dubois à l'École des beaux-arts, M. Ambroise Thomas au Con-
servatoire, c'est de quoi alléger les plus lourdes taches et compenser
quelques ennuis. Je vous remercie, mon cher maître, et je suis heureux
de pouvoir attester ici ma reconnaissance envers vous.
Ge n'est que justice de déclarer les mêmes sentiments pour ceux qui
composent les corps enseignants de ces écoles. Des hommes, dont beau-
coup jouissent d'une réputation européenne, tiennent à honneur de former
des jeunes gens aux premiers éléments de leur art: avec le désintéresse-
ment qui est la première vertu de tout professeur dans notre pays, ils
acceptent l'obligation la plus laborieuse, je crois, qu'il y ait au monde.
Vous n'aurez jamais trop de gratitude pour eux, mes chers amis, et sur-
tout vous ne les écouterez jamais avec une déférence trop docile. C'est
pour vous un devoir ; c'est aussi une nécessité au moment où vous allez
entrer à votre tour dans la carrière qui les a illustrés.
Car l'heure présente n'est pas sans danger pour les jeunes artistes et ils
rencontrent, dès leurs débuts, un redoutable écueil. La musique et le théâ-
tre, comme la peinture et la sculpture, comme les lettres, traversent une
période de transition et de crise. Un besoin de nouveauté, c'est-à-dire,
je suis des premiers à le reconnaître, d'observation plus profonde, de
vérité plus exacte et de liberté plus hardie, les trouble et les tourmente.
J'ai la ferme conviction que, de cette fièvre, sortira le calme d'une pro-
duction riche et durable; mais, en attendant, bien des choses sont atta-
quées qui méritent d'être défendues, beaucoup sont niées dont la vérité
est éternelle. Le désir de la nouveauté est l'aiguillon nécessaire de chaque
génération; mais il est des principes qu'on ne saurait changer, car ils
comptent parmi les nécessités primordiales de la nature humaine, et.
2d0
LE MÉNESTREL
aussi longtemps que les hommes seront des hommes, il faudra bien s'y
soumettre. Or, vous entendez discuter ces principes, — très élémentaires
et très simples, pour la plupart, car ils résultent du sens commun éclairé
par l'expérience, — avec une assurance et une vivacité de nature à vous
abuser étrangement.
On vous déclare, d'abord, qu'il est non seulement inutile mais nuisible
d'avoir les qualités de l'élève avant de devenir un maître: que le talent,
le génie, sont choses rebelles à toute culture ; qu'il n'est pas nécessaire
d'apprendre la grammaire et l'orthographe d'un art avant de le pratiquer
et que ces qualités modestes, qui s'appellent la correction et la justesse,
constituent simplement une médiocrité incurable. On vous pousse donc à
dégager au plus tôt les qualités éminentes, que l'on vous suppose, d'une
discipline qui met en péril leur originalité. Cette originalité consisterait,
premièrement à n'imiter personne, puis à montrer du nouveau à notre
siècle finissant et blasé.
Or, par une contradiction singulière, il se trouve que jamais le désir
de recruter des disciples et de faire école n'a été plus vif qu'au temps
présent. Il n'est si mince théoricien et si pauvre d'idées qui ne vise à
constituer autour de lui un cénacle de talents dociles, à diriger l'opinion
et à se constituer le pontife d'une religion intolérante.
Pour vous, mesdemoiselles et messieurs, vous êtes l'objet d'une atten-
tion particulière, privilège flatteur de l'art que vous allez pratiquer. Cet
art est celui qui s'adresse le plus directement au public et qui, pour divers
motifs, sollicite son attention et son intérêt de la manière la plus immé-
diate et la plus pressante. On s'efforce donc avec insistance de vous
gagner aux idées nouvelles. Prenez garde et réfléchissez bien avant de
courir les aventures à la suite de guides qui n'ont rien à perdre, tandis
que vous jouez, vous, tout votre avenir.
Pendant longtemps, il était admis qu'un futur comédien ou un futur
chanteur doit apprendre à dire et à chanter juste. Or, ou vous conseille
surtout de jouer, ce qui est impossible ici, et de crier, ce qui est blâmable
partout. L'art à la mode consisterait, pour le comédien, à parler de dos,
dans l'obscurité, au milieu de beaucoup d'accessoires, en disant d'une
voix peu distincte des choses très fortes. Le chanteur, au contraire, devrait
s'efîorcer de surprendre l'oreille en dominant, par une série d'escalades
vocales, une orchestration généralement bruyante. Conseils contradictoires
mais également périlleux. Je crois que l'auditeur ne se résignera jamais
à souffrir avec le chanteur et que le spectateur voudra toujours voir en
face et entendre sans effort celui qui prétend lui dire quelque chose.
On vous demande aussi d'apporter dans chaque œuvre une interprétation
personnelle et d'en faire sortir ce que personne avant vous n'y avait su
trouver; rôles du répertoire ou créations nouvelles, on vous demande de
nous les montrer sous un aspect imprévu. Je suis, je l'avoue, pour l'an-
cien système, qui subordonne modestement l'interprète à l'œuvre et qui le
tient quitte lorsqu'il l'a rendue telle que l'auteur l'a conçue, sans rien
ajouter, sans rien retrancher, dans l'exacte vérité des indications fournies
par l'œuvre elle-même. On nous dit bien que tel acteur de génie a fait il-
lusion sur des pièces médiocres par une création divine, c'est-à-dire qu'il
tirait tout de rien ou de peu de chose. Je veux le croire, mais ce genre
d'interprétation est à la portée d'un très petit nombre et il est sage de ne
pas trop y viser, ni surtout de trop bonne heure.
Enfin, on demande au Conservatoire de produire en grand nombre des
artistes parfaits et on critique avec une sévérité particulière tout ce qui
s'y fait; d'autre part, le plus grand prix s'attache aux récompenses qu'il
décerne et aux privilèges qu'il confère. Il y a là une contradiction qui
risquerait de vous abuser, si vous n'aviez, vous, et c'est là votre honneur
comme votre sauvegarde, la conviction profonde que vos maîtres sont de
premier ordre et vos exercices excellents. Jusqu'à ce qu'on nous ait révélé
des méthodes nouvelles de chant ou de déclamation, nous nous en tenons
aux anciennes, uniformes dans leurs principes, variées par l'originalité
propre de chaque maitre et qui ont fait leurs preuves par le très grand
nombre d'artistes excellents qu'elles ont produit. Je constate que, sauf
exceptions bien rares, tous ceux qui, depuis un siècle, ont marqué dans
l'art lyrique ou dramatique ont étudié ici et qu'il y a lieu do défendre,
de maintenir, d'améliorer une maison je ne dis pas utile, mais indispen-
sable. Tous nos prédécesseurs ont essayé de la perfectionner, d'après l'ex-
périence acquise et les besoins constatés; nous avons fait comme eux;
nos successeurs feront comme nous et le Conservatoire, — où la réforme
la plus urgente, je crois, consisterait à reconstruire les bâtiments avant
qu'ils s'écroulent, — demeurera ce qu'il est pour l'honneur de l'art fran-
çais, une de nos maisons d'étude les mieux conçues, les plus fortes et les
plus laborieuses.
Messieurs, la période qui s'est écoulée depuis notre réunion annuelle a
été particulièrement cruelle pour les artistes français, et je dois rappeler
brièvement les regrets douloureux que tant de pertes nous ont laissés.
L'art dramatique a perdu l'écrivain exquis et fort qu'était Octave Feuillet;
la Comédie-Française n'oubliera de longtemps ce que la mort lui a pris de
jeunesse et de force comique en la personne de Jeanne Samary, de bonne
humeur et d'aimable franchise avec Céline Montaland. Ilosine Bloch
venait de créer Samson et Dalila avec une autorité et une force des plus
méritoires, lorsqu'elle a été frappée en plein talent. Parmi vos maîtres,
vous regrettez Léo Delibes, le professeur dévoué et l'artiste gracieux dont
la mémoire survit par tant d'élèves excellents et tant d'œuvres si françaises;
César Franck qui occupe une place d'honneur dans l'évolution contem-
poraine de la musi(iue par la sincérité et la nouveauté de son inspiration;
Ponchard dont le modeste et long dévouement sur la scène de l'Opéra-
Gomique avait fait le collaborateur de tant d'œuvres applaudies ; Auguste
Bazille, Mohr, M""' Marquet, professeurs excellents et appréciés.
■ En revanche, le temps a fait des gloires avec des deuils plus anciens.
Le grand -nom d'Hector Berlioz a reçu dans son pays natal, à la Côte-
Saint-André, par les soins du ministre des beaux-arts, une consécration
qui complète celle que Paris lui avait assurée déjà. La presse, le public
parisien et le théâtre de l'Opéra-Comique se sont associés pour rendre à
Georges Bizet, désormais admis au rang des maîtres incontestés, l'hon-
neur national que mérite l'auteur des Pêcheurs de perles et de Carmen.
Après une longue carrière, où il a prodigué son labeur, en méritant
l'estime et la reconnaissance de tous ceux qui ont servi l'art avec lui,
M. Edouard Thierry a voulu résigner les fonctions qu'il remplissait dans
les conseils du Conservatoire et jouir enfin d'un repos bien mérité ; nous
lui adressons, dans sa retraite, l'expression de notre gratitude et nous
souhaitons la bienvenue à son successeur, un de vos maîtres les plus ap-
préciés, un confrère aimé de tous, M. Henri de Lapommerave.
Un autre de vos maîtres, M. Ernest Guiraud, a reçu de ses pairs le plus
grand honneur que leur suffrage puisse conférer à un artiste. Je n'ai pas
le droit de dire tout le prix qui s'y attache, mais je félicite cordialement
mon cher et éminent confrère de son élection à l'Institut.
Une importante libéralité est venue s'ajouter à toutes celles que de
généreux donateurs consacrent à l'art français. Tout récemment le secré-
taire perpétuel de l'Académie des beaux-arts donnait lecture à la Compa-
gnie de l'extrait suivant du testament laissé par M. Joseph Pinette, de
Versailles :
a Désirant, dit le testateur, encourager les jeunes gens qui se consacrent
à la composition musicale, et voulant les aider dans les débuts difficiles
de leur vie d'études, je donne et lègue à titre particulier, à l'Institut de
France, la somme nécessaire afin de constituer 12,000 francs de rente sur
l'État français 3 0/0.
» Cette rente sera divisée en quatre parties égales de 3.000 francs
chacune, qui seront servies durant quatre années consécutives aux pen-
sionnaires musiciens de l'Académie de France, dès qu'il auront terminé
leur temps de pension tant à Rome que dans les autres pays qui leur
sont indiqués par les règlements.»
Tout remerciement aU'aiblirait l'impression que nous laisse une aussi
noble pensée. Grâce à M. Pinette, nos jeunes compositeurs, dont les
débuts sont d'habitude si difficiles et leur coûtent inutilement tant de cou-
rage et de force, pourront préparer leurs premières œuvres dans le calme
et la sécurité. Ils lui devront un bienfait égal à celui que leurs camarades
peintres et sculpteurs reçoivent de M"' de Caen.
Cette année, messieurs, l'Etat a témoigné d'une façon particulièrement
flatteuse et libérale sa reconnaissance envers ceux qui servent et honorent
l'art français. Si M. Camille Doucet a reçu la plaque de grand olHcier dé
la Légion d'honneur comme secrétaire perpétuel de l'Académie française,
c'est-à-dire pour la plus haute fonction dont un homme de lettres puisse
être investi, nous avons le droit de réclamer comme un des nôtres l'au-
teur dramatique délicat qui honore sa profession ; quant à l'administration
des beaux-arts, elle ne saurait oublier qu'elle a eu l'honneur de le compter
au nombre de ses chefs de service.
L'auteur de la Fille de Roland et d'Attila, que nous avons applaudis, et
d'un Mahomet que nous avons dû nous contenter de lire, M. Henri de
Bornier, a reçu la croix d'officier de la Légion d'honneur, en récompense
d'une carrière où marque un des plus grands succès du théâtre contem-
porain, et qui est un -modèle de travail, de probité artistique et de dé-
vouement à la l'orme la plus élevée et la plus noble de l'art dramatique.
La même distinction, conférée à M. Ritt, directeur de l'Opéra, prouve qu'en
toutes choses l'Etat s'efforce de faire exacte justice, et consacre une lon-
gue suite de services rendus à l'art théâtral.
Musicien instruit et compositeur ingénieux, M. Lacome d'Estalenx a
reçu la croix de chevalier de la Légion d'honneur, en même temps que
l'auteur de la Basoche, M. Messager, à qui nous devons une preuve nou-
velle que l'opéra-comique français est un genre toujours jeune et toujours
fécond.
Il ne me reste plus, messieurs, qu'à proclamer les distinctions que le
Président de la République et le ministre des beaux-arts ont bien voulu
me charger de conférer en leur nom.
Par décret du Président de la République, rendu sur la proposition du
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, en date du 1"' août
1891, M. Duvernoy (Alphonse), professeur au Conservatoire national de
musique et de déclamation, est nommé chevalier de l'ordre national de la
Légion d'honneur.
Par arréi.é du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
rendu sur la proposition du directeur des beaux-arts, sont nommés olflciers
de l'instruction publique :
M. Hasselmans, professeur de harpe.
M. Warot, professeur de chant,
Sont nommés ofEciers d'académie :
jjme Devrainne, professeur agrégé de solfège.
M"" Hardouin, professeur agrégé de solfège.
Beaucoup de succès, et très mérité : ce discours est fréquemment
interrompu par les applaudissements. Signalons surtout, sous ce
LE MENESTREL
251
rapport, l'hommage bien mérité rendu à M, Ambroise Tliomas et
l'éloge adressé à M. Ernest Guiraud au sujet de son élection à
l'Institut. Les bravos ont éclaté aussi à l'annoace du legs si intel-
ligent et si généreux de M. Pinette, ainsi que lorsque M. Larrou-
met a donné l'accolade a M. Alphonse Duvernoy, on lui remettant
les insignes de chevalier de la Légion d'honneur.
Puis, après l'appel des lauréats fait d'une voix ferme par M. de
Max, premier prix de tragédie et de comédie, les occupants de
l'estrade se sont rendus dans la loge officielle, les élèves ont pris
leur place habituelle sur les bancs de l'orchestre, et le concert a
commencé. C'est M"" Charmois qui a ouvert le programme en exé-
cutant avec beaucoup de grâce et de délicatesse l'aliegro de con-
cert de M. Guiraud qui avait servi de morceau de concours aux
classes féminines de piano. Après elle, est venu le jeune Quanté,
un bambin de treize ans qui a exécuté d'une façon vraiment prodi-
gieuse la Fantasia appassionata de Vieuxtemps, avec une sûreté
de doigts, une justesse d'intonation, une facilité d'archet absolu-
ment surprenantes. Il faut convenir que cet enfant est doué comme
bien peu, et que l'avenir semble s'ouvrir brillamment devant lui.
Aussi, quel triomphe! On remarquait d'ailleurs à son sujet ce fait
intéressant, que tandis qu'il obtenait le premier prix de violon, sa
sœur remportait le premier prix de piano. Un des grands succès
de la séance a été aussi pour M"° Lemeignan, qui a chanté l'air
du quatrième acte d'Hamlet non seulement avec une virtuosité
rare, mais avec une grâce, un goût, un sentiment, une délicatesse
de nuances et une élégance de phrasé qu'on ne saurait trop applau-
dir chez une artiste qui, hier encore, n'était qu'une élève.
Venaient ensuite les scènes dramatiques qui avaient valu à leurs
princijiaux interprètes les honneurs des concours : la scène du
2""° acte de Bajazei, avecM'"Dufrène, qui y a fait preuve de vigueur,
dans le rôle de Roxane, MM. de Max et Lugné-Poé; la scène du
3°"= acte de la Princesse Georges, où M"° Dus a déployé des qualités
vraiment remarquables et fait entendre des accents d'une tendresse
touchante ou d'une passion intense; enfin, une scène de Gringoirc
de Théodore de Banville, qui a mis en relief les qualités et les dé-
fauts de M. de Max; il me semble que c'est là jouer la comédie au
rebours du sens commun, mais non pas certes au rebours de l'intel-
ligence, car si cela est faux, et je le crois, cela est très étudié et,
chose singulière, malgré tout très curieux et très intéressant. La
séance s'est terminée par la belle scène du l" acte du Roi de Lahore,
où ont brillé M. Grimaud et M"= Issaurat. Voilà deux sujets qui
sont évidemment tout prêts pour la scène. M"" Issaurat, qui, sans
être jolie, possède une physionomie très expressive, qui occupe bien
la scène et dont le geste est remarquablement juste, a dit et chanté
toute cette scène avec une incontestable supériorité, avec un goût,
un sentiment vrais et une sobriété rare. Il me semble que quand
même le Conservatoire, dont les ignorants médisent un peu trop, et
à tort aussi bien qu'à travers, n'aurait produit cette année que les
sujets dont je viens de parler, il n'aurait pas, quoi qu'on en puisse
dire, tout à fait perdu son temps.
Arthur Pougin.
SEMAINE THEATRALE
TANNB.EUSER A BAYREUTH
La représentation de Tannhduser à Bayreulh avait excité dans le
public allemand une curiosité très vive, et, je ne crains pas de le
dire, hors de proportion avec l'importance de l'événement. Car
c'était, pour ce public, un événement véritable, une date dans l'his-
toire de Bayreuth : non qu'il vît dans cette introduction d'une des
premières œuvres de Wagner un changement profond de la manière
■d'être habituelle du théâtre; il ne considérait qu'une chose : le
plaisir d'entendre exécuter sur le théâtre modèle une de ses œuvres
favorites .
Il n'y a pas à le dissimuler, en elïet : bien que toutes les œuvres
de Wagner, jusques et y compris la tétralogie, les Maîtres chan-
teurs et Tristan et Yseult soient au répertoire des grands théâtres
allemands, les préférences du public vont, sans conteste, à celles
de sa jeunesse, Tannhâuser et Lohengrin, les seules qui soient réel-
lement devenues populaires. En constatant cela, je ne prétends
exprimer ni un regret ni une surprise. II est tout naturel que des
œuvres se rattachant encore au passé, imparfaitement dégagées des
anciennes formules, d'une valeur d'ailleurs incontestable, aient sé-
duit le public de préférence à celles où le génie du maître, ayant
pris son essor définitif, s'élève à des régions inconnues, inacces-
sibles pour la généralité, où une élite seule peut parvenir à le
suivre. Mais, à côté de cette observation qui est d'une portée géné-
rale, il en est une autre qui s'adresse plus particulièrement au
public allemand. Par quelle singularité, tandis qu'en musique, on
littérature, en philosophie, l'Allemagne est le pays qui a produit les
esprits les plus transcendants, les plus puissants génies, ceux qui
se sont élevés aux plus hautes altitudes et qui ont le plus contribué
à élever l'esprit de l'humanité, — tout au contraire l'ensemble de
la nation, les classes même les plus éclairées se tiennent-elles à un
niveau de médiocrité bourgeoise si au-dessous des régions aux-
quelles atteignent ses grands hommes? Il semble, en vérité, que le
public allemand n'ait pas la conscience de ces hauteurs auxquelles
atteignent des hommes sortis de lui et vivant avec lui, et surtout
qu'il ne fasse aucun effort pour s'élever à leur suite. Et voilà qu'au
contraire, avec des tendances natives toutes différentes, mais un
esprit vif, une intelligence ouverte, surtout une merveilleuse faculté
d'assimilation, les Français perçoivent clairement et rapidement ce
qui échappe à la grande majorité du public allemand, et que ce
sont eux qui ont, aujourd'hui, le sentiment le plus juste de l'art
wagnérien dans ce qu'il a de plus avancé.
Wagner, déjà, l'avait remarqué de son vivant même, et il s'en est
plus d'une fois expliqué nettement. Même après l'échec de Tannhâuser
à Paris en 18(31, il rend pleine justice à l'esprit du public français,
du vrai public : au sujet de celte trop célèbre représentation, racon-
tant à un ami, dans une lettre personnelle, les incidents et les in-
trigues au milieu desquelles son œuvre s'était trouvée étouffée, il
écrit : « Je persiste, au contraire, à reconnaître au public parisien
des qualités très sympathiques, notamment une compréhension très
vive, et un sentiment de la justice vraiment généreux » (I). Dans
sa, lettre à M. Gabriel Monod, écrite après la première représentation
de l'Anneau du Niebelung à Bayreuth, il dit : « Mes représentations
de Bayreulh ont été mieux jugées, et avec plus d'intelligence, par
les Anglais et les Français que par la plus grande partie de la presse
allemande » (2). Même observation au sujet de l'accueil fait à la
première représenlation des Maîtres chanteurs à Munich : « Chose
singulière, parmi les assistants, ce furent quelques Français venus
à Munich qui se montrèrent le plus vivement frappés de cet élé-
ment national de mon œuvre et le saluèrent de leurs applaudisse-
ments; au contraire rien ne trahit une impression semblable à
l'observateur de la portion du public munichois » (3).
Et voilà comment les Français, devenus les plus fermes soutiens
du wagnérisme, après avoir acclamé avec enthousiasme Parsifal et
Tristan et Yseult, ont fait assez froid accueil à Tannhduser, tandis que
les Allemands venaient chercher, dans la représentation de cette
œuvre, leur suprême jouissance ! Triste sort, en vérité, que celui
de cette malheureuse partition qui, en 1861, a échoué à Paris comme
étant trop avancée, et qui, maintenant, laisse complètement froide la
partie française de l'auditoire parce qu'elle l'est insuffisamment !
Je voudrais, sans chercher à me lancer dans une critique transcen-
dante, noter au passage les différentes impressions ressenties soit
par le public, soit par moi-même, au cours de la première représen-
tation de Tannhâuser à Bayreulh. Ce sera, je pense, la meilleure ma-
nière d'apprécier l'œuvre et d'en connaître le succès.
Comme toujours, la représentation est annoncée à l'extérieur par
une fanfare exécutée par les « musiciens de ville », et dont la mu-
sique est tirée de l'acte qu'on va représenter. On a choisi, pour
Tannhâuser, le thème de la fanfare de chasse du second acte ; il est
exécuté par les trompettes seules ; par une innovation qu'on ne sau-
rait d'ailleurs blâmer, les instruments ne se bornent pas, comme
pour les autres ouvrages, à faire entendre un thème simplement mé-
lodique, mais ils exécutent la fanfare en parties harmonisées comme
elle est écrite pour les cors. — Au second acte, nous entendrons la
fanfare d'entrée de la marche ; an troisième, le thème du récit du
voyage à Rome, à six-quatre.
Le public entre dans la salle, bientôt absolument comble, l'obs-
curité se fait, et l'ouverture sort de l'orchestre invisible, dirigée par
M. Mottl. Elle est admirablement jouée, avec un sentiment des
nuances absolument parfait et une souplesse en même temps qu'une
précision remarquables. Déjà cependant il nous semble que quelques
parties intermédiaires, écrites en vue de l'orchestre ordinaire, sont
(1) On pourra lire le passage entier, fort intéressant, mais trop long pour être
reproduit ici, dans le volume de Sounenirs de Richard Wagner, traduits par Ca-
mille Benoît, p. 170 et suivantes.
(2) R. Wag.neii, Souvenirs traduits pu' Camille Benoit, p. 273.
(3) R. Wagnek, Musiciens, poêles et pliilosophes , traduit par Camille Benoît, p. 292.
25^
LE MEiNESTlŒL
un peu trop atténuées par la cloison qui cache l'orchestre aux spec-
tateurs, et, plus d'une fois encore, il y aura lieu d'en renouveler
l'observation. Ce ne sont d'ailleurs là que de très petits détails, rien
d'important ne se perd. Après la seconde reprise de l'ode de Tann-
hauser à 'Vénus, chantée par les violons avec un élan superbe, alors
que les thèmes de la bacchanale sont joués à plein orchestre, avec
le plus grand éclat, le rideau s'ouvre sur le tableau du Vénusberg,
l'ouverture s'enchaînant ainsi à la première scène sans finir par la
reprise du chœur des pèlerins, conformément à une tradition établie
par Wagner pour l'Opéra de Vienne; el, si l'on peut regretter de
ne pas entendre la splendide péroraison que nous connaissons (à
cela d'ailleurs il n'y a que demi-mal, puisque l'ouverture nous reste
dans son intégrité comme morceau de concert), il faut convenir
d'autre part que ce lever de rideau, sur la partie la plus éclatante
de la symphonie, est d'un grand effet.
Le décor est bon, bien que, par endroits, de tons unpeu criards.
Au premier plan, Vénus repose sur un lit formé par une grande
conque ; Tannhâuser est à ses pieds. Toute l'attention est attirée
d'ailleurs par les mouvements de la danse qui s'agite au deuxième
plan, et par le fond du tableau représentant un lac bleu éclairé de
lumières très vives. Les danses des nymphes et des naïades, aux-
quelles se mèlenl bientôt les satyres et les bacchantes, s'animent de
plus en plus sans que les groupes sortent jamais d'un espace assez
resserré, au second plan, et aillent jamais jusqu'à l'avant- scène,
ce qui donne une impression assez heureuse d'une foule grouillante
et d'un mouvement très animé. Au moment le plus tumultueux de
la danse, de petits Amours que l'on avait déjà aperçus à gauche, sur
des rochers, s'enlèvent soudain jusqu'aux frises, tendent leurs arcs
et lancent leurs flèches sur les personnagts en scène. Ils ont l'air
très embarrassés, les pauvrets, avec leurs petites ailes en carton, et
aimeraient bien mieux être par terre. Heureusement pour eux qu'un
rideau d'avant-scène vient cacher tout le fond du tableau, la scène
devant prendre peu à peu un caractère moins bruyant et plus vo-
luptueux. Trois femmes, fort belles, vêtues de longues robes antiques,
— les trois Grâces, apparemment, — s'avancent vers Vénus et
Tannhâuser toujours immobiles ; puis commencent une série de ta-
bleaux vivants sur des sujets mythologiques, que les femmes (M"«
Virginia Zuechi, qui a dirigé toute cette partie chorégraphique,
n'était-elle pas une de ces Grâces?) commentent par leurs gestes
souples et harmonieux. Le premier tableau a passé très vite et a
été généralement mal compris : quelque.s-uns ont cru y reccnnaitre
l'enlèvement d'Europe. Le second était Léda : une femme cou-
chée au milieu du tableau, à peu près dans la position del'Antiope
du Titien, mais plus vêtue; le cygne entre lentemeni, s'avancejus-
qu'à la hauteur de sa poitrine, fait un demi à gauche, allonge le
cou, la toile tombe, un léger frémissement court dans l'auditoire, et
les trois Grâces continuent à prendre des poses plastiques. Pendant
tout ce temps-lâ, on écoutait peu la musique. Puis la grotte se
montre de nouveau tout entière, avec les lumières bleues qui en
éclairent le fond, et le chant des sirènes retentit harmonieusement,
tandis que l'orchestre y répond par ses accents les plus expressifs
et les plus voluptueux, comme ce dessin d'une seule mesure, que
le violoncelle et le violon se renvoient l'un à l'autre et où se trouve
déjà l'embryon d'un des plus beaux thèmes d'amour de Tristan et
Yse.ult. Les trois Grâces s'éloignent, l'orchestre se lait peu à peu et
la grotte reste occupée seulement par Tannhâuser et par Vénus.
Toute cette scène est intéressante assurément et est peut-être la
plus curieuse de l'œuvre entière. Pourtant, s'il faut le dire, celte
fantasmagorie compliquée est loin d'avoir produit une impression
analogue à celle que laissent après elles, les « théories » impo-
santes et nobles de Parsifal, ou la mise en scène, si bien réglée
dans sa simplicité, de Tristan et YseuU. El déjà l'on sent qu'il n'y a
pas cohésion parfaite, équilibre absolu entre la musique el le mou-
vement scénique, ce dernier, dans cette première scène, absorbant la
plus grande partie de l'attention.
Celle impression s'accusera encore davantage dans les scènes
suivantes.
C'est d'abord le duo de Vénus et de Tannhâuser, avec les strophes
du chevalier reprises par trois fois, sur un Ion toujours plus élevé,
beau chant qui évoque doublement le souvenir de Weber : d'abord
par sa contexture mélodique qui, sans qu'il y ail réminiscence
proprement dite, et par la simple analogie de l'accent, fait songer
au chant bien connu de l'ouverture d'Eunjanthe; puis par la situa-
tion même, qui rappelle celle d'Adolar, au commencement de cette
même Euryantlie, saisissant sa harpe et chantant les souvenirs de la
( patrie lointaine, de la bien-aimée absente. Vénus répond par des
phrases dont une, au moins, est expressive : c'est celle que la clari-
nette a déjà fait entendre au milieu de l'ouverture. Mais tout cela
est relié par des récitatifs insiguifianl?, à la manière ancienne, bien
réellement incompatible avec ces nouvelles formes ; les dessous
sont peu intéressants ; des cadences vulgaires terminent les phrases
de chant; enfin, malgré toutes les grandes qualités de la scène,
on n'est pas conquis, entraîné, comme à l'audition des autres œuvres
du répertoire de Bayreuth.
Le décor change el représenle le vallon du Hœrselberg, au pied
de la Wartbourg. Au milieu des noirs sapins, des bouleaux aux
tons clairs, des chênes à l'abondante et verte frondaison, le château
s'élève au sommet de la montagne. Les premiers plans sont char-
mantSj pleins de fraîcheur et de poésie : sur la toile de fond, seu-
lement, la montagne et le chàleau ne se détachent que médiocre-
ment, et il règne sur le tout un certain ton jaune qui n'est ni natu-
rel ni agréable à l'œil. Le berger, assis sur un rocher à gauche et
tournanl à demi le dos au public, joue de la musette et chante sa
chanson. Par moments on entend des bruits de clochettes de trou-
peaux, ce qui a évidemment pour but de donner une impression de
vie champêtre et pastorale, mais donne tout simplement une im-
pression de sons faux venant déranger le rythme de la chanson. Je
ne pense pas que cette faute de gotit soit imputable à Wagner :
s'il avait voulu un accompagnement de clochettes à la chanson du
berger, il l'aurait probablement écrit ; en tout cas, il n'en a pas
commis d'analogue dans aucune autre partie de son œuvre.
Le berger joue de la musette et le premier chœur des pèlerins se
fait entendre au dehors ; chaque vers est suivi, en manière de ritour-
nelle, par une reprise ou une variante du chant pastoral. Les pèle-
rins entrent par le fond à droite, toujours chantant, ressortent du
même côté cl s'éloignent ; leur voix se perd dans le lointain.
A ce moment, d'un autre côté, et toujours au loin, retentit une
fanfare de cors. Des chasseurs arrivent en scène, on se retrouve, on
se reconnaît, et l'on attaque un septuor. Le morceau se déroule
conformément aux règles du genre : d'abord, premier ensemble,
dans le style pathétique ; puis, cantabile par le baryton, repris en-
semble par tous les chanteurs, le chant étant fait surtout par les
violons se doublant à l'octave; enflo, allegro final, le ténor prend le
centre de la file, entouré de tous les autres chanteurs rangés à ses
côtés, trois à droite, trois à gauche, toutes ces voix s'harmonisant
du mieux qu'il leur est possible, pour conclure en une strelte so-
nore et chaleureuse. Lorsqu'ils voient que cette strelte est sur le
point de finir, les figurants envahissent le théâtre en habits de
chasse et tenant des chiens en laisse ; sur les rochers, des deux
côtés de la scène, des joueurs de trompe prennent place, trois à
droite, trois à gauche; ils sonnent une fanfare, d'abord séparément,
puis ensemble, l'orchestre termine par des accords brillants et la
toile tombe... non, elle se ferme. Elle pourrait tomber.
A ce moment, les applaudissements du public allemand éclatent
avec une chaleur à laquelle ils étaient fort loin d'atteindre à la repré-
sentation de rn'ston e< Kseit//. Que manque-t-il à son bonheur, à ce
public, après un premier acte où il a pu tour à tour contempler un
ballet mythologique, entendre une chanson de berger, un chœur de
pèlerins, des fanfares de chasse et un septuor, le tout terminé par
un défilé de chiens, sur la scène où, l'avant-veille, s'avançait len-
tement, en pas cadencés, le cortège des chevaliers du Grâl !
Il faut dire, au contraire, que parmi les Français l'impression
était tout autre et parfaitement unanime. Tous s'accoidaient pour
dire qu'ils n'étaient pas venus à Bayreuth pour entendre des septuors,
mais bien plutôt pour n'en pas entendre; qu'apiès les soirées de
ravissement complet, absolu de Tristan et Yseult et de Parsifal, où
même les plus rebelles, les moins préparés à entrer du premier coup
jusqu'au fond de cet art complexe, ne pouvaient se défendre d'une
émotion intense, profonde, quelle que fût la forme sous laquelle elle
se manifestât, une représentation comme celle de Tannhâuser ne
pouvait avoir d'autre avantage que de reposer l'esprit, mais qu'après
tout il serait plus agréable d'entendre cette œuvre à l'Opéra de Paris,
où elle serait beaucoup mieux à sa place, où on la pourrait voir
avec moins de dérangement, où les décors seraient d'un meilleur
goût et la musique probablement mieux chantée. Car si, dans la
suite du lôle de Tannhâuser, M. Winkelmann a trouvé de beaux ac-
cents et s'il a donné au personnage une physionomie remarquable,
il faut avouer que n'importe lequel de nos ténors parisiens chanterait
avec plus de charme les strophes à Vénus de la première scène ; et,
malgré toutes les qualités de M. Reichmann, j'avoue qu'ayant en-
tendu M. Faure chanter dans les concerts de Paris les principaux
morceaux de Wolfram, il m'a été impossible de goûter dans ce rôle
le chanteur allemand.
L'impression s'est sensiblement améliorée au second acte, et sur-
LE MENESTREL
253
tout au troisième, qui est fort beau, et, dans son genre, intermé-
diaire entre l'ancien opéra et le drame musical moderne, un vrai
chef-d'œuvre.
Du second, je ne veux citer que les scènes d'ensemble dont le
concours des Minnesànger forme le point culminant. D'abord la
marche, dont je ne parlerai pas au point de vue musical, ne fût-ce
qu'à cause de l'exécution, qui a montré que l'orchestre invisible ne
convient pas à toute musique : la péroraison y a perdu tout son
éclat, et les chœurs, fails pour accompagner l'orchestre bien plus
que pour les dominer, en étouffaient complètement les parties mélo-
diques ; mais la mise en scène est charmante, pleine de vie et
d'originalilé. Ce n'est pas un vulgaire cortège d'opéra. Dans la grande
salle de la Wartbourg où le combat des chanteurs d'amour va se
livrer, le landgrave et sa nièce attendent les invités. A la première
fanfare, ils prennent place, et reçoivent les arrivants avec la cour-
toisie des anciens chevaliers : saluts, présentations, défilés des
groupes, entrées de familles nobles, de .seigneurs de province, pour
lesquels, dans la monotonie de la vie de château, la fête du land-
grave est une distraciion inespérée, tout ce cérémonial de noble
compagnie occupe la scène, et de la façon la plus heureuse, pen-
dant la durée de la marche, à la fin de laquelle tous se trouvent
très habilement groupés sur des gradins occupant la droite de la
scène. Aussitôt après la marche, une phrase douce et largement déve-
loppée, une des plus belles mélodies qu'ait trouvées Wagner, accom-
pagne l'entrée des chanteurs: ils se présentent ensemble, portant
leur harpe à la main, personnages historiques pour la plupart.
Tannhàuser, type peut-être plus légendaire qae réel, dont le nom s o
trouve pourtant dans les anciennes chroniques; Wolfram d'Eschen-
bach, le plus célèbre des poètes allemands du moyen âge ; Walter
de la Vogelweide, dont il est question dans les Maîtres chanteurs,
car c'est lui qui a été le maître et le modèle du héros de la comédie,
et, sur son nom, Beckmesser se livre à des calembours... alle-
mands. Les premières formalités du concours occupent la scène
encore un instant : les pages font circuler une coupe, chacun des
concurrents inscrit son nom et le dépose, on tire au sort pour savoir
qui chantera le premier : petits détails de la vie réelle dans lesquels
Wagner eicelle et qui donnent aux scènes beaucoup de mouve-
ment et de réalité.
Je craignais que ce concours des chanteurs ne parût trop long à
la scène, et ne lassât l'attention, d'autant plus que toutes ses par-
ties mélodiques ne sont pas de première qualité: il n'en a rien été.
La scène est au contraire très vivante et se développe avec une
animation croissante qui en soutient constamment l'intérêt. Chaque
fois que Tannhiiuser prend la parole, l'orchestre fait pressentir le
ton et l'accent de ses chants en faisant entendre les rythmes les
plus caractéristiques de la scène de Vénusberg; dès le début de la
scène, il paraît être en proie à une surexcitation qui grandit sans
cesse ; il interpelle les autres chanteurs, il les défie ; et c'est plaisir
de voir comment ce poète décadent du treizième siècle s'évertue à
scandaliser ses auditeurs naïfs et stupéfaits : cela est si moderne!
Ce qui l'est moins, par exemple, c'est l'effet produit par ses paroles
inconsidérées sur la partie féminine de son auditoire: aujourd'hui,
elle se contenterait de se cacher derrière les éventails; ici, elle se
lève indignée, poussant des cris d'horreur, et s'enfuit au plus vite
en exécutant un mouvement d'ensemble qui, admirablement rendu,
a terminé le plus heureusement du monde cette intéressante résur-
rection des scènes des anciens temps. Il y a bien encore, après
cela, un finale, fort long même, et dans lequel se trouve une phrase
admirable, mais qui, comme les morceaux du premier acte , a le
défaut de rentrer dans le cadre de l'opéra ordinaire et de ne pas
s'adapter au cadre de Bayreulh.
Du troisième acte, tous les morceaux sont connus par le concert :
l'enti'acte, le récit de Wolfram et le chœur des pèlerins, la prière
d'Elisabeth, très touchante d'accent, mais dont les dessous sont vrai-
ment trop peu intéressants, la romance de l'étoile, et le grand et
admirable récit de Tannhàuser au retour de son pèlerinage à Rome.
Il règne, sur tout cela, une impression profonde de tristesse, de
désespoir, de néant. Mais ce qui a produit peut-être la plus grande
impression, c'est la scène finale, quand, après la dernière interven-
tion de Vénus, le cortège funèbre d'Elisabeth s'avance, accompagoé
par les pèlerins: Tannhàuser tombe à genoux et expire auprès du
cercueil où repose celle qui est morte d'amour pour lui ; et voilà
' qu'à ce moment paraissent d'autres pèlerins (des voix de femmes)
annonçant que le miracle est accompli et que le pécheur est par-
donné ; et elles chantent un chœur harmonieux et expressif, où,
chose singulière, on peut déjà reconnaître une esquisse, et parfois
fort bien formée, des plus beaux endroits de Parsifal! Ce sont les
mêmes rythmes, c'est surtout le même accent mystique et élevé; et,
quand ce beau chœur est achevé, toutes les voix d'hommes repren-
nent à l'unisson, accompagnées à plein orchestre, le thème du
chœur des pèlerins. C'est une conclusion admirable à l'œuvre. Je
ne sais pourquoi, en l'entendant, j'ai pensé tout aussitôt au chant
final de Roméo et Juliette de Berlioz, le serment de réconciliation.
Comme ici, c'est le même sentiment de pardon et de clémence, la
même noblesse de forme et la même grandeur d'inspiration.
Que l'œuvre soit belle et grande, cela n'est donc pas en question;
mais il n'en est pas moins vrai, je le répète, qu'elle n'avait rien à faire
à Bayreuth, à côté de Tristan et Yseult et de Parsifal. Elle est fort bien
à sa place à l'Opéra de Vienne ou de Berlin; elle pourrait l'être à celui
de Paris, ou dans quelqu'une de nos villes de province qui ont déjà
tenté l'expérience de Lohengrin — bien que cette dernière œuvre se
rapproche davantage des ouvrages postérieurs de Wagner et marque
sur Tannhàuser un progrès certain. Qu'elle reste donc au répertoire,
mais qu'elle ne reparaisse plus à Bayreuth. Bayreuth, en effet, n'est
pas un théâtre ordinaire ; c'est, en quelque sorte, un théâtre d'excep-
tion. Il est fait pour un certain nombre d'œuvres qui, précisément,
ne sauraient trouver leur place ailleurs. On ne va pas à Bayreuth
comme on va à un théâtre quelconque, le soir, pour se reposer d'une
journée de travail, chercher une distraction de quelques heures, et
n'y plus songer après ; on y va pour trouver des impressions tout
à fait particulières, qui ne peuvent être procurées que par de cer-
taines œuvres exécutées dans de certaines conditions. J'avoue que je
n'éprouve aucun désir de voir Parsifal ailleurs qu'à Bayreuth. El si,
par la suite des temps, il prenait fantaisie à quelque directeur de
l'Opéra de monter Tristan et Yseult, fût-ce avec une interprétation
parfaite et dans une traduction excellente, je crois que je souffrirais
beaucoup de l'entendre au milieu du public habituel de l'endroit,
arrivant eu retard, causant dans les loges, et lorgnant la salle, en
attendant le ballet, qui ne viendrait pas. Il y a des choses qu'il ne
faut pas songer à faire venir chez soi, mais qu'il faut aller chercher
où elles se trouvent. Si l'on veut voir le Mont Blanc, il faut aller
soi-même à la montagne, ce n'est pas la montagne qui viendra à
nous. De même, il ne faut pas songer à voir les grandes œuvres de
Wagner autre part que dans leur cadre approprié, qui leur convient
si merveilleusement. Mais, par contre, il ne faut pas chercher à faire
entrer dans ce cadre des œuvres qui ne sont pas de taille à y tenir.
C'est le cas pour Tannhàuser, dont la représentation nous a démontré
que ce n'est pas l'orchestre invisible ni l'obscurité dans la salle qui
font le vrai Bayreuth, mais tout simplement les œuvres qu'on y a
jusqu'ici seules représentées.
Il serait injuste de terminer cet article sans citer les noms des
deux principales interprètes des rôles de femmes à la première de
Tannhàuser : d'abord M""" Sucher, l'admirable Yseult, non moins
remarquable Vénus, et, bien certainement, une des plus grandes
artistes que j'ai jamais vues au théâtre ; puis, dans le rôle d'Elisa-
beth, une jeune cantatrice venue des pays du Nord (Suède ou Dane-
mark, je ne sais) et qui a donné une physionomie très expressive
au personnage, dont elle a de même interprété la partie musicale
avec un sentiment très juste ; elle se nomme M""' Wiborg.
Julien Tiersot.
P. -S. — Ainsi que nous l'avions annoncé, l'Hippodrome a repris,
le samedi de la semaine précédente, la Jeanne d'Arc, de M. Ch.-M.
Widor. Le succès fait à cette reprise a dépassé encore celui qui
avait accueilli la première représentation et la salle, bondée depuis
le bas jusqu'en haut, a confondu dans ses bravos frénétiques et le
musicien, dont la partition contient des pages de premier ordre, et
le metteur en scène qui a su rendre attrayants et captivants ces
trois tableaux si mouvementés. L'orchestre de M. Wittmann et les
chœurs dirigés par M. Georges Marty, bien en possession de la partition
de M. Cb.-M .Widor, ont supérieurement marché et contribué pour
leur grande part au très grand succès de la représentation. Voilà
donc l'Hippodrome sûr de son été, car si cette pantomime de Jeanne
d'Arc est un merveilleux spectacle, c'est aussi une sublime page de
notre histoire que tous les Français voudront faire applaudir à
leurs enfants. Paul-Emile Chevaliek.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (6 août). — La troupe, renouve-
lée, de la Monnaie est aujourd'hui au complet, et les répétitions vont
bientôt commencer. Voici les noms des artistes nouveaux, parmi lesquels
LE MENESTREL
il y a beaucoup d'inconnus, de débutants n'ayant jamais paru sur la scène
et à qui la direction confie cependant, avec quelque audace, les premiers
emplois. Il va sans dire que ces débutants-là sont des étrangers. Gomme
falcons, ou tout au moins comme chanteuses de caractère, nous avons
M"" Dexter, une Américaine, et M"" Chrétien ; comme chanteuses légères
d'opéra-comique. M"" Darcelle et M""" Smiths. Vous le voyez, ces quatre
principales pensionnaires de la Monnaie sont toutes quatre absolument
inédites. Elles n'en seront, peut-être, que plus intéressantes. Le nouveau
contralto est M"''Benendès, et la première dugazon M'i'= Savine. Puis, dans
les emplois secondaires, M"= Darcelle, la sœur de la chanteuse légère, et
M""^ Gorroy. Du côté des hommes, M. Leprestre, le ténor d'opéra-comique
très applaudi à Rouen l'année dernière, succède à M. Delmas ; M. Ramat,
comme basse de grand opéra, remplace M. Vérin, et M. Seguin succède
à M. Bouvet. La direction a aussi engagé pour doubler M. âentein, comme
basse chantante, M. Danlée, un compatriote. Les artistes qui nous restent
de l'an dernier sont, je vous l'ai déjà dit, M™= deNuovina, qui ambitionne
de jouer tour à tour des rôles de demi-caractère et des rôles de chanteuse
légère. M"' Carrère, les ténors Lafarge, Dupeyron et Isouard, les barytons
Badiali, Besnard, et M. Sentein. — La réouverture aura lieu probablement
le b ou le 6 septembre par Roméo et Juliette, avec M. Lafarge et M'™ dû
Nuovina dans le rôle joué l'an dernier par M"" Sanderson; le lendemain
Robert le Diable, pour les débuts de M"* Ghrétien et de M. Ramat; puis,
Mireille, par M"'' Smiths, le Rarbier par M"- Darcelle, Don Juan, où M. Badiali
reprendra le rôle chanté par M. Bouvet, Obéron, pour les débuts de
M"" Benendès, etc.. Vous savez déjà que, en fait de nouveautés, on nous
promet le Rêoe de MM. Bruneau, Zola et Gallet, et la Cavalleria rusticana,
de Mascagni ; nous aurons aussi un ballet inédit de M. Léon Dubois,
second chef d'orchestre à la Monnaie; on a parlé de VOthello de Verdi, où
M. Lafarge eût été superbe, et de Samson et Dalila avec le même artiste;
mais les études préparatoires d'Othello ont été interrompues, et nous ne
savons quel mystère, qui exile de la Monnaie toutes les œuvres de
M. Saint-Saëns, en tiendia également éloigne Samson; tout le monde le
regrettera. En revanche, les reprises de la Flûte enchantée et de Lohengrin
sont certaines, et l'on nous assure que celle d'Armide est très probable,
grâce à M..Gevaert. qui, un instant éloigné du théâtre de la Monnaie, à
la suite de discussions personnelles, s'y est laissé ramener et se propose
de s'y consacrer à nouveau avec son ardeur et son autorité habituelles. —
Un mot maintenant de la province. Les concours du Conservatoire de
Liège et de Gand, qui ont eu lieu ces jours derniers, ont été très remar-
quables. Les classes de chant, dirigées dans ces deux conservatoires par
M. Georges Bonheur, se sont particulièrement distinguées; nous avons pu,
par nous-même, nous rendre compte des excellents résultats produits par
l'enseignement de M. Bonheur; ces concours ont mis en relief plusieurs
sujets d'un réel avenir, doués de voix superbes, très bien conduites et
auxquelles un travail intelligent a su donner des qualités de style et de
diction tout à fait rares chez déjeunes élèves. Il y en a là quelques-uns
qui feront parler d'eux certainement. Quant au théâtre, on ne sait rien
encore de bien précis, si ce n'est qu'à Liège, la direction nouvelle de
MM. Bussac et Fabre projette des merveilles, malgré les difficultés habi-
tuelles d'exploitation que toutes les entreprises théâtrales rencontrent dans
cette ville; on parle de jouer de nombreuses nouveautés, voire des œuvres
inédites; le Ménestrel eu a donné, d'ailleurs, le détail. A Anvers, à côté
du Théâtre-Royal, qui annonce parmi les nouveautés l'Aben-Hamet de Théo-
dore Dubois, il y a un théâtre flamand, Nederlanschi Schonburg, qui se
propose de monter « le drame lyrique », dans tous les langues ; l'an der-
nier déjà, il avait joué des œuvres de M. Peter Benoit, telles que le beau
mélodrame de Charlotte Corday; cette année, je viens d'apprendre qu'il
compte mettre à la scène la plupart des œuvres de ce genre écrites par
le compositeur danois Edvard Grieg. La tentative sera d'un grand intérêt,
surtout si l'exécution, comme on nous le promet, est digne des œuvres.
A Gand, le théâtre, dirigé par M. Van Ilame, n'a pas fait connaître
encore ses projets. L. S.
— Un comité vient de se former à Amsterdam pour essayer de relever
l'Opéra allemand dans cette ville. La nouvelle entreprise serait placée
sous la direction de M. L. Schwarz et commencerait à l'automne prochain
dans la salle du Paleis voor Volksvlijt. Au terme de son contrat, M. L.
Schwarz devra donner trois représentations par mois à l'Opéra de Rotter-
dam.
— Echos de Bayreuth, recueillis par l'Indépendance belge, le moniteur
oiriciel en Belgique du vvagnérisme intransigeant : — «... Le 28 juillet,
admirable audition musicale chez M'"= Gosima Wagner, à Wahnfried : Le
Tasse de Liszt, pour deux claviers, par MM. Mottl et Baumgartner ; du
même la Mort de Sainte Elisabeth, chantée par M"= Mailhac ; de Wagner,
le récit de Loge, dans le Rheingold, par M. Van Dyck ; la scène finale de
la Gœtterdœmmerung, par M""= Materna ; et la scène finale de la Walkûre
par M. Reichmann. Tous ces artistes se sont surpassés, et l'accompagna-
teur, M. Mottl, le capellmeister du Tristan et du Tannhauser, a partagé
leur succès. 'Jeudi, on donnait le Tannhauser avec une nouvelle Elisabeth.
M"« de Ahna, qui a joué et chanté avec autant de justesse dans le senti-
ment que dans l'intonation. Voix très pure, encore quelque inexpérience
de chanteuse, mais déjà beaucoup d'art. Pas de mauvaises habitudes de
princesse d'opéra, de la simplicité dans l'émotion. Le troisième acte est
allé aux nues. M. Colonne, qui a assisté à deux représentations, annon-
çait pour le 12 août, l'arrivée de M. Bertrand, le nouveau directeur de
l'Opéra de Paris, qui serait disposé à traiter avec les ayants droit de Wa-
gner pour les représentations parisiennes du Vaisseau Fantôme et des
Maîtres chanteurs. — L'anniversaire de la mort de Franz Liszt, décédé à Bay-
reuth où il est inhumé, a été célébré le 31 juillet dans la petite église
catholique de cette ville protestante : à 8 b. 1/2 une messe basse à laquelle
assistaient M"" Gosima Wagner, sa famille et quelques rares invités ; à
11 heures, dans la même chapelle bondée de monde, un grand concert
religieux entièrement composé d'œuvres d'église de Liszt, le psaume 121
pour chœur, orgue, trompettes, trombones et timbales ; le psaume 129, ,
contralto solo et orgue ; deux chœurs pour voix d'hommes ; Spoz-alisio,
contralto solo et chœur de femmes ; deux solos de baryton; et enfin le
psaume 137... Un wagnérien de la vieille roche nous signale une particu-
larité qui nous avait échapé, et pour cause : dans la coda du finale du
deuxième acte de Tannhauser, aussitôt avant le cri: « Nach Rom! » on a
rétahli le trait pour violon et alto unisuono, écrit à Paris, exécuté à la
première représentation de l'Opéra, 13 mars 1861, et supprimé dès la se-
conde, à cause des rires homériques qu'il avait provoqués. Il est étince-
lant et merveilleusement approprié à l'explosion enthousiaste qui le suit.
On a peine à comprendre qu'on s'en soit moqué jadis. Il est vrai qu'alors
on se moqua aussi de la naïve chanson du pâtre, des tintements des clo-
chettes des troupeaux, des chants de Vénus, et de bien d'autres choses!...
Le passage qui nous est signalé n'a été reproduit ni dans la partition
française, ni dans la petite partition allemande piano et chant; mais il
est textuellement noté dans la partition piano et chant, grand format, don-
née par Joseph Rubinstein. »
— A propos de Bayreuth, voici quelques renseignements relatifs au
personnel actuel des exécutions wagnériennes. L'orchestre, à lui seul,
comprend 108 artistes. Naguère, du vivant de Wagner, c'était l'Opéra de
Munich qui fournissait presque exclusivement cet ensemble d'exécutants
symphoniques. Aujourd'hui, un seul artiste appartient à ce théâtre, les
autres viennent de Pesth, d'Amsterdam, de Washington, d'Aberdeen, de
Moscou, etc. C'est donc au point de vue de cosmopolitisme, le plus curieux
assemblage qui se puisse rencontrer. Le personnel du chant et de la danse
offre une égale variété et se décompose ainsi : Chœurs : ,S8 femmes et
34 hommes. Total : 72 personnes. Ballet : ,34 femmes et 30 hommes. Total :
64 personnes, dont 58 appartiennent à l'Opéra de Berlin. Rappelons main-
tenant, avec l'indication des pays d'où ils viennent, le nom de quelques-
uns des collaborateurs qui concourent aux représentations modèles. Pre-
mières danseuses : M'''^ Virginia Zucchi, Gannela Pesca, Rosine Pesca et
Pilota Venere (Milan), Emilie Delcliseur et Doris Kaselowsky (Berlin).
Premiers danseurs : MM. Reichard (Gobourg), Spange (Hambourg). Chefs
d'orchestre : MM. Hermann Lévy et Félix Mottl. Chefs des chœurs :
MM. Jules Kniese (Bayreuth) et Heinrich Forges (Munich). Répétiteurs et
aides musicaux : MM. Richard Strauss (Weimar), Hans Steiner (Carlsruhe),
Karl Armsbruster (Londres), Albert Gorter (Elberfeld), Engelbert Humper-
dinck (Francfort), Otto Lohse (Riga), Oscar Merz (Munich), Baumgartner
(Vienne), Hugo Rohr (Breslau). Régisseur : M. Fuchs (Munich). Inspec-
teurs : MM. Ernest Braunschvi'eig (Berlin) et Michel Gstetteubauer (Ham-
bourg). Chef machiniste : M. F. Kranicb (Darmstadt).
— Dans son assemblée générale qui vient de se tenir à Bayreuth, l'Asso-
ciation universelle wagnérienne a discuté chaudement l'affaire des billets
pour le Fcstpielhaus, que nous avons fait connaître en détail dans notre
numéro de dimanche dernier. La séance s'est terminée par un ordre du jour
en vertu duquel le comité central est chargé, l'année prochaine, de se mettre
en rapport avec l'administration du Fcstpielhaus ; 1° pour assurer aux
membres de l'Association la réserve d'une partie des places jusqu'à une
époque déterminée, le 15 mai par exemple ; 2" pour être tenu au courant
de la vente des billets et communiquer tous les renseignements adminis-
tratifs aux sociétaires par la voie des journaux de Bayreuth. Un bureau
spécial de surveillance et de renseignements sera établi à Bayreuth pen-
dant toute la période des Festpiele. — Dans une nouvelle séance, qui a eu
lieu le même jour dans l'après-midi, le docteur Boller, de Vienne, a lu le
compte rendu des travaux de l'Association depuis la dernière assemblée et
le rapport statistique. Ce dernier n'a pas été sans causer quelque déception
aux assistants. En 1889, l'Association comptait 203 sociétés et 7926 socié-
taires et présentement le nombre des sociétés est tombé à 192, et celui
des sociétaires à 7620. Ont été dissoutes par suite de l'insuffisance des
souscriptions les sociétés de Regensburg, Kissingen,Carlsbad, Bartenstein,
Dobeln, Gobourg, Solingen, Straubing, Landau, Reuthlingen, Schaffouse,
Lobau, Mayence, Ilechingen, Wûnsohelburg, Goslar et Zittau. La Société
de Gorz s'est réunie à celle de Klagenfurt. Par contre, il s'est formé de
nouvelles sociétés dans d'autres villes, mais le vide laissé par les défections
n'est pas comblé.
— hSi Jlusikalisches Wochenbtatt annonce que les Festpiele de Bayreuth re-
commenceront l'année prochaine et que la composition en sera identique
à celle de cette année. Le même journal annonce, mais sous toutes réserves,
qu'il est question de monter Rienzi l'année suivante, c'est-à-dire en 1893.
— Le nouveau théâtre de Zurich sera consacré solennellement le 30 sep-
tembre prochain, et l'inauguration aura lieu le l'='' octobre avec Lohengrin.
Le jour de la consécration on lira un prologue en vers de M. C.-F. Meyer.
— La Société de chant de la ville de Fribourg a fêté, le 26 juillet der-
nier, le cinquantième anniversaire de sa fondation. Les sociétés de Berne,
LE MENESTREL
235
de Zurich et de beaucoup d'autres villes de Suisse avaient envoyé des
délégations. Un concert superbe a eu lieu, dans lequel on a exécuté la
belle cantate Hdvétie, du compositeur Plumhof, de Vevey. On a beaucoup
applaudi le chœur d'Hérodiade, de Massenet. Mais le grand succès du
concert a été pour l'air de Marie-Madeleine, bissé aux acclamations de la
salle entière et remarquablement chanté par M""' la comtesse de Romain.
L'orchestre était dirigé par MM. Koch, de Berne, et Edouard 'Vogt, l'émi-
nent et célèbre organiste de Fribourg.
— On sait que le pauvre Franco Faccio, qui vient de mourir, avait été
peu de temps avant d'être atteint du mal terrible qui a fini par l'emporter,
nommé directeur du Conservatoire de Parme, et que c'est son ami dévoué,
son compagnon de jeunesse et son collaborateur, M. Arrigo Boito, qui
s'était chargé depuis lors, et à titre purement affectueux, de la direction
intérimaire de cet important établissement. Cette situation va forcément
changer, et certains journaux croient pouvoir annoncer aujourd'hui que
la direction définitive du Conservatoire de Parme sera confiée à M. Galli-
gnani, maître de chapelle du dôme de Milan, qui se trouvera ainsi suc-
céder réellement au regretté Bottesini, le dernier directeur effectif.
— On a remarqué, non sans quelque regret, que la Société orchestrale
de Milan, dont Faccio fut l'âme pendant de longues années, n'avait pas
donné signe de vie et n'avait organisé aucune manifestation artistique à
l'occasion des funérailles de son malheureux chef. Aujourd'hui, il est
question d'une comméaioration solennelle en son honneur, d'une grande
séance musicale dans laquelle on n'exécuterait que des compositions de
Faccio pour chant et pour orchestre. — On raconte aussi que Verdi,
chose assez singulière, n'aurait appris que par les journaux la mort de
l'éminent artiste qui avait eu l'honneur de diriger les études et les repré-
sentations de son dernier opéra, Otello. Verdi aurait aussitôt écrit à
M. Boito pour lui exprimer tous les regrets que lui cause la mort de
leur ami, qu'il qualifie de «si brave et si bon».
— Le gouvernement italien a accordé une somme de 20,000 francs pour
l'achèvement des travaux de la grande salle des séances du Lycée musical
Sainte-Cécile, à Rome. Si le gouvernement français voulait bien s'occuper
un peu des travaux nécessaires au Conservatoire de Paris!...
— Voici des renseignements précis sur la nouvelle campagne lyrique
américaine que préparent, pour l'hiver prochain, MM. Henry Abbey et
Maurice Grau. La troupe formée pour cette campagne jouera d'abord
pendant cinq semaines à l'Auditorium de Chicago , à partir du 9 no-
vembre prochain. Ensuite, pendant treize semaines, à partir du 14 dé-
cembre, elle jouera au Metropolitan Opéra House de New-York. Les
affiches porteront : Grand opéra en français et en italien. La troupe compren-
dra entre autres : sopràni : M""=^ Albani, Lili Lehmann, Eames, etc., et,
en vedette, M"= Marie Van Zandt; contralti : M^'^ Scalchi, de Vigne et
Ravogli ; ténors: MM. Gapoul, Valero, Gianini-Grifoni, Kalisch, etc.,
et, en vedette, M. Jean de Reszké ; barytons : MM. Martapoura, Car-
bonne, elc. ; basses : MM. Vinche, Serbolini, Viviani, Vaschetti, et, en
vedette. M, Edouard de Reszké. 80 choristes, 6b instrumentistes, 32 dan-
seuses, 30 musiciens (bande militaire); Chef d'orchestre : M.Vianesi; sous-
chef : M. Saar. Le répertoire devra être choisi dans les ouvrages suivants ;
Ouvrages français : Doméo et Juliette. Faust, de Gounod ; les Huguenots,
l'Africaine, le Prophète, le Pardon de Ploërmel, de Meyerbeer; Carmen, de
Bizet; le Cid, de Massenet; Sigurd, de Reyer; Mignon, d'Ambroise' Tho-
mas ; Lakmè, de Delihes : Fra Diavoto, d'Auber ; la Juive, d'Halévy ; et
Orphée, de Gluck. Ouvrages italiens : Cavalleria rusticana, de Mascagni ;
Aida, Otello, Rigolelto, la Trauiata, le Trouvère, de' Verdi, la Somnambule, la
Norma, de Bellini; le Barbier de Séville, de Rossini ; Mefistofele, de Boito ; la
Gioconda, de Ponchielli ; Lucrèce Borgia, la Favorite, de Donizetti. Ou-
vrages allemands: Lohengrin, les Maîtres chanteurs, de Wagner; les Noces
de Figaro, Don Juan, de Mozart ; Fidelio, de Beethoven. En tout trente-
deux ouvrages.
— A Boston, une troupe d'opéra hébraïque qui prend le titre de the
Vnited-Hebrew Opéra Company, a donné deux représentation d'un grand
drame lyrique intitulé Judith et Holopherne ou le Siège de Béthulie, dont on
ne nous fait pas connaître les auteurs. Les programmes étaient imprimés
en hébreu, ce qui ne devait pas élre bien commode pour la masse des
spectateurs, mais le spectacle avait lieu en allemand.
-^ L'Université de Manchester vient d'être autorisée à conférer des grades
musicaux. L'Angleterre possède donc actuellement cinq universités ayant
des chaires de musique. Ce sont : Londres, Oxford, Cambridge, Durhara
et Manchester.
— Sir AugustusHarris, le directeur du théâtre Covent-Garden, à Londres,
ne perd pas de temps. Il n'a pas plutôt clôturé la saison de 1891, qu'il
s'occupe déjà de préparer celle de 1892 et de faire connaître quelques-
unes des innovations qu'il a en vue. Il se propose par exemple de reculer
l'ouverture au 16 mai et de réduire le nombre des représentations. L'a-
bonnement ne sera plus que pour cinquante soirées au lieu de cent.
MM. Maurel et Lassalle ne feront pas partie de la troupe de 1892, mais
des renouvellements ont déjà été conclus avec les sœurs Ravogli, M"« Eames,
Farini et Mravina, MM. Van Dyck, Plançon,TschernelT, Ceste et Dufriche.
On ajoute que M. Van Dyck se fera entendre au début de la saison.
— Un festival de musique assez brillant vient d'être célébré àChesteren
Angleterre, avec le concours d'artistes de premier ordre : M"»* Anna
Williams, Damian et Mac Kenzie, MM. E. Lloyd, A. Black, Pierpoint
entre autres. Trois concerts ont eu lieu dans la cathédrale et deux au
Mmic Hall. Citons parmi les meilleures œuvres exécutées, Paulus et Elle,
de Mendelssohn ; une nouvelle cantate (l'^ audition) du docteur Bridge,
intitulée Rudel; le Stabat Mater, de Dvorak : le psaume Cœli enarent, de
M. Saint-Saèns ; des fragments de l'Enfance du Christ et la Damnation de
Faust, de Berlioz ; la Chanson de Mijriam, de Schubert ; le Dernier Jugement,
de Spohr; la Messe solennelle, de M. Gounod; la symphonie Jupiter, de Mo-
zart, et le cotwerto en ut majeur, pour deux violons et violoncelle, avec
accompagnement d'orchestre, de Hœndel. L'audition de ce dernier mor-
ceau a été contrariée — ou égayée, comme l'on voudra — par la mise en
branle de toutes les cloches de la cathédrale : une distraction du sonneur.
Quand le calme s'est trouvé rétabli, le chef d'orchestre a fait recom-
mencer le morceau, sans accompagnement de cloches, cette fois.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Lundi dernier. M"" Caron a fait une rentrée triomphale dans Sigurd ;
la grande artiste reste la merveilleuse Brunehild que l'on sait et que
l'on ne se lasse pas d'applaudir; mercredi, M. Plançon a repris, avec
son succès habituel, possession du rôle de Méphistophélès dans Faust;
vendredi, enfin, c'était le tour de M"" Subra, charmante et charmeuse
toujours dans Coppélia.
— On commence à connaître les engagements de quelques-uns des lau-
réats des derniers concours du Conservatoire. M"» Issaurat entre à l'Opéra,
demandée par M. Bertrand et engagée dès le l" août par M. Ritt, à raison
de 1,000 francs par mois. — M. Porel a réclamé, pour l'Odéon, MM. de
Max, Lugné-Poë, Baron, M'i^s Dux et Piernold. — M. Claretîe a fait savoir
que les cadres de la Comédie-Française se trouvant plus que complets,
il ne prendrait personne. Pour M. Lugné-Poë il s'élève une grosse difS-
culté en ce que le jeune artiste est sous le coup de la loi militaire et doit
rejoindre son régiment très prochainement. Il est donc probable que
M. Lugné-Poë restera une année encore au Conservatoire avec l'espoir d'y
décrocher l'année prochaine un premier prix, qui l'exemptera de ses trois
années de service. M. Baron doit, croyons-nous, se trouver dans le
même cas.
— On annonce aussi, à l'Opéra, l'engagement de M°>= Dufrane, par la
nouvelle direction. M"» Dufrane a déjà appartenu pendant plusieurs an-
nées à l'Académie Nationale de Musique. En revanche, M. Fabre, engagé
l'année dernière à la suite de ses succès aux concours du Conservatoire,
n'a pas renouvelé son engagement et vient de signer avec le Grand-
Théâtre de Genève, où il tiendra l'emploi des basses nobles. De même
pour M. et M™" Escalaïs dont l'engagement expirait fin juillet, mais que
nous réentendrons sous la direction Bei'trand. M. Vergnet, le brillant
créateur de Zarâstra du Mage, a resigné pour trois années.
— On sait que le Conservatoire est le dispensaire d'un certain nombre
de dons et de legs établis par divers fondateurs en faveur d'élèves couron-
nés dans les concours. Voici comment, cette année, ont été attribuées ces
récompenses spéciales : Prix Nicodami (500 francs), partagé entre MM.Bar-
thel, premier prix de hautbois, et Legros, premier prix de cor ; — Prix
Guérineau ('S.IO francs), partagé entre M. Grimaud et M"« Issaurat, premiers
prix d'opéra ; — Prix Georges Hainl (900 francs), à M. Carcanade, premier
prix de violoncelle ; — Prix Popelin (1,200 francs), partagé entre W^'^ Char-
mois, Quanté, Buval, Lang, Journault et Da Silva, premiers prix de piano ;
— Prix Provost-Ponsin (400 francs), à M"« Hartmann, premier accessit de
tragédie ; — Pria; Henri Herz (300 francs), à M"= Buval, premier prix de
piano ; — Prix Doumic (120 francs), à M"» Thouvenel, premier prix d'har-
monie. D'autre part, et selon leur généreuse habitude, MM. Gand et Ber-
nadet font don d'un violon à chacun des premiers prix de violon, cette
année au nombre de trois : M''^ Vormèse, MM. Quanté et André, et d'un
violoncelle à M. Furet, qui a obtenu le premier prix de violoncelle avec
M. Carcanade (ce dernier bénéficiant du prix George Hainl). Enfin, les
maisons Erard etPleyel, suivant les mêmes traditions, offrent, la première,
deux pianos à M. Quévremont et à M''» Charmois, la seconde deux pianos
à M. Pierret et à M"= Quanté, premiers prix de piano.
— Ce n'est que mardi prochain que M. Widor quittera Paris pour aller
à Aix surveiller les dernières répétitions et assister à la première repré-
sentation de Conte d'avril, sous la conduite de M. Ed. Colonne, qui aura
lieu le 15.
— On a vu plus haut, dans le compte rendu de la distribution des prix
au Conservatoire, que M. Alphonse Duvernoy est nommé chevalier de la
Lésion d'honneur. Voici le texte du décret relatif à sa nomination, tel qu'il
a pliru dans le Jcurnal officiel: c< Par décret en date du 1« août 1891, rendu
sur la proposition du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
et suivant la déclaration du Conseil de l'ordre national de la Légion
d'honneur portant que la nomination ci-après est faite en conformité des
lois, décrets et règlements en vigueur, est nommé chevalier dans l'ordre
de la Légion d'honneur, M. Duvernoy (Alphonse), professeur de piano au
Conservatoire national de musique et de déclamation, compositeur de
-musique, lauréat du grand prix de composition musicale de la ville de
Paris en 1880. »
256
LE MENESTREL
— C'est parla dépêche que voici, publiée cette semaine par l'agence
télégraphique Dalziel, qu'on a appris à Paris le mariage inattendu de
M"" Eames : — « M""! Emma Eames a épousé, samedi, le peintre améri-
cain Julian Story dans une petite église des environs de Londres. Ils
s'étaient mariés devant l'officier de l'état civil le mercredi précédent. La
mère de miss Eames étant opposée à cette union, l'affaire a été faite se-
crètement et sans que la famille Eames ait été prévenue. Il y a quelques
jours, les Eames avaient prévenu le propriétaire de l'appartement qu'ils
habitaient à Clarges street, 44, qu'ils comptaient aller passer quelques
jours au bord de la mer. Mercredi dernier, M. Stoi-y vint à Clarges street
et emmena miss Emma Eames au bureau de l'état civil, où ils furent
mariés. Le lendemain matin. M"" Eames mère faisait ses malles et par-
tait, furieuse, pour Paris. La nouvelle mariée a également quitté Clarges
street et demeure actuellement avec des amis de M. Story à Cowley
street (Westminster). Tout s'est passé dans le plus grand mystère. La pro-
priétaire a dit à un représentant de l'agence Dalziel que M™" Eames mère
s'était formellement opposée au mariage. »
— Nous avons dit que la distribution des prix de l'École de musique
classique avait eu lieu la semaine dernière. Nous ne pouvons donner la
liste de tous les lauréats, mais nous nous faisons un plaisir de nommer
particulièrement M. Albert Lefèvre, élève de la division supérieure qui a
remporté très brillamment, à Vunanimité, le premier prix de piano, et qui
ayant obtenu plusieurs autres premiers prix — harmonie, accompagne-
ment — a reçu h prix d'honneur du ministre de l'Instruction publique et des
beaux-arts. M. Albert Lefèvre est déjà un artiste.
— L'audition des élèves de M"' de Tailhardat, qui a eu lieu chez Erard,
a été des plus intéressantes. Quelques-unes des jeunes Biles qu'on y a
entendues sont déjà presque des artistes et font grand honneur à leur
professeur. Les œuvres de Chopin et de Beethoven ont été parfaitement
interprétées ainsi que l'ouverture du Frekchuts et le passepkd de Delibes
arrangés à douze maias pour deux pianos. On a aussi applaudi le talent
de M. A. Turban et la jolie voix de M"^ Brémond qui a chanté les solis
de deux chœurs de Mendelssohn et de Rossini.
— M. Maurice Barbot, l'éditeur d'estampes de la rue de l'Échiquier,
vient de publier une très belle photogravure de Meyerbeer d'après le ta-
bleau de E. Vallon appartenant à M. F. Deslandes. Le maître, assis sur
un fauteuil, une feuille de papier à musique à la main, est encadré d'un
côté par un orchestre exécutant quelqu'une de ses pages sublimes et de
l'autre par les principaux héros de ses ouvrages. La ligure principale res-
sort bien nettement et l'ensemble est d'un très heureux ordonnancement.
— La municipalité de Rouen vient, de choisir comme directeur, pour
la saison prochaine, M. Taillefer, ancien directeur du Grand-Théâtre de
Nice. Parmi les concurrents qui restent sur le carreau, se trouve M. Syl-
vestre, ce jeune et étonnant directeur marseillais, dont les bons mots ont
fait la joie des Parisiens lors de sa courte apparition à la Renaissance.
On prête à M. Taillefer, qui est un audacieu.x, de très grands projets; on
ne parle déjà de rien moins, pour le Théâtre des Arts, que de la Walkûre
et des Maîtres Chanteurs.
— Tout dernièrement a eu lieu à Caen, dans la salle des fêtes de
l'hôtel de ville, un très brillant concert organisé par M. Cobalet, de
l'Opéra-Comique, avec le concours de M">« Mélodia-Kerkhoff, Henriot,
MM. Rondeau, Sady-Petit, Brun, Boussagol, Vial, et la musique du 3= ré-
giment de ligne. Une foule élégante et choisie n'a pas ménagé ses applau-
dissements aux artistes. Le Crucifix de Faure, chanté par MM. Rondeau
et Cobalet, a été bissé avec enthousiasme. Très grand succès également
pour la i1/arc/ie vers l'avenir de Faure, chantée d'une façon magistrale par
M. Cobalet, accompagné par le violoniste Brun, et'M"<= de Corteuil.
M'"= Kerkhoff s'est également fait rappeler après Pensée d'automne de
Massenet et Ariette de Paul Vidal. — La musique militaire a très bien
enlevé le Cortège de Bacchus, de Sylvia.
— La ville d'Antibes s'apprête à célébrer, avec éclat, les fêtes féli-
bréennes. Une cantate a été spécialement écrite par M. Ed. Guinand et
mise en musique par M. Ch. René. Elle est intitulée : A la mémoire d'un
héros, et sera chantée par quatre-vingts voix d'hommes devant la tombe du
général Championnet.
— Très grande vogue à Dieppe pour les concerts du Casino si bien diri-
gés et organisés par M. Ad. Bourdeau. Aux derniers programmes nous
relevons les noms de M"" Baldo qui a été couverte d'applaudissements
après avoir chanté Aux Lilas, Chant d'automne, de Flégier, et Fabliau de
Paladilhe, de M"«= Tarquini d'Or à qui on a redemandé la plupart de' ses
morceaux, principalement la romance de Mignon, et de M. Portejoie dont la
très jolie voix a fait merveille dans l'arioso de Sigurd, l'air de Jean d'Héro-
diade, le grand air du Cid et l'Aubade du Roi d'Ys. L'orchestre, très bien
conduit par son habile chef, exécute très artistiquement, entre autres mor-
ceaux, l'Aubade, de Lalo, le ballet du Cid, de Massenet, des fragments de
la Korrigane, de Widor, la Danse des bergers hongrois, Gamerra-M arche, Rêve
sur l'Océan, de Gung'l, la Marche hongroise, Széchényi, de Fahrbach, le 'oiable
est mort, de Strobl, etc..
NÉCROLOBIE
HENRI LITOLFF
Henri Litolff qu'un mal cruel minait depuis longtemps est mort jeudi
à Colombes. Quelle existence active, disons même agitée que la sienne!
Né à Londres, en 1818, d'un père alsacien et d'une mère anglaise, Litolft'
montra tout jeune de merveilleuses dispositions pour la musique. Mos-
chclès.lui fit travailler le piano; quant à la composition, il l'apprit un peu
de tous côtés, sans avoir jamais une direction régulière. C'est en France,
à Melun, après son premier mariage avec une jolie miss, que le fougueux
artiste passa le temps le plus paisible et le plus fécond de sa vie. Là, il
travailla sérieusement et devint virtuose et styliste. Mais le calme d'une
petite ville ne pouvait longtemps convenir à sa nature. Il partit, se fit
chef d'orchestre en Pologne, donna des concerts un peu partout et enfin
retourna à Londres où, sur l'instance des parents de sa femme, on l'incar-
céra. De Londres il s'échappa, gagna l'Allemagne et se lia avec M"* V
Meyer qui devint sa seconde épouse et l'associa dans sa maison d'édition
de Brunswick. Litolff parut alors devenir très sérieux et il lança les col-
lections à bon marché auxquelles est resté attaché son nom. Ce temps de
repos dura trois à quatre ans, puis le démon des aventures reprit son
empire. Litollî parcourut l'Europe en donnant des concerts et en écrivant
des œuvres dont plusieurs vivront. En même temps il se créait une renom-
mée d'excentricité dont l'oubli ne fut pas facile à obtenir. En 1838, il
revint à Paris et se fit entendre aux concerts des jeunes artistes, dirigés
par Pasdeloup, puis enfin au Conservatoire. Quoique pianiste nerveux et
souvent inégal, il produisit grand effet. Alors il se décida à rester en
France, divorça avec sa seconde femme et épousa M'^" Louise de LaRoche-
foucauld, son élève, une charmante personne qui mourut après quelques
années de mariage, malheur qui permit à Litolff de contracter une qua-
trième union. Les premières œuvres du musicien furent des concertos,
de grandes fantaisies et de charmantes petites pièces dont la maison Girod
a édité la majeure partie. Plus tard, vint la retentissante ouverture des
Girondins, que le compositeur aimait fort à diriger lui-même, avec quelque
exagération musculaire. Au théâtre, Litolff a donné Nahel, opéra joué à
Bade; l'Escadron volant de la Reine, à l'Opéra-Comique; la Boîte de Pandore,
Héldbe et Abélard, la Fiancée du roi de Garbe, aux Folies-Dramatiques; la
Belle au bois dormant, au Châtelet; la Mandragore Elles Templiers, à Bruxelles.
Tout cela représente une grande somme de travail et contient beaucoup
de pages hors ligne. Il est certain que si le célèbre artiste se fût, à l'heure
de la maturité, recueilli comme doit le faire l'homme qui veut avant tout
produire, il laisserait au moins un chef-d'œuvre, car il était supérieure-
ment doué. Les obsèques de Litolff ont eu lieu hier à Bois-Colombes.
J. R.
AUGUSTE VITU
M. Auguste Vitu, le critique dramatique renommé du Figaro et l'un des
vétérans du journalisme parisien, auquel il appartenait depuis un demi-
siècle, est mort mercredi dernier à Paris, dans le petit hôtel qu'il habitait
au numéro 36 de l'avenue de Wagram. Il ne s'était pas remis de la chute
douloureuse qu'il avait faite il y a quelques mois et dont les suites étaient
venues compliquer une maladie dont il souffrait depuis longtemps déjà.
Malgré tout, il faisait preuve d'un grand courage, et jusqu'au dernier mo-
ment il resta sur la brèche ; — Auguste-Charles-Joseph Vitu était né,
dit-on, à Meudon, le 7 octobre 1823. Il n'avait pas encore vingt ans
que déjà il s'occupait de théâtre, faisait jouer de petites pièces sur de
petites scènes, et collaborait au fameux journal de Charles Maurice, le
Courrier des théâtres, qu'il signa même un instant comme gérant. Plus
tard, sous l'Empire, il se lança dans la politique et la finance. C'est à
partir de 1871 qu'il fut chargé de la critique dramatique du Figaro, y
joignant ensuite, après la disparition et la mort de B. Jouvin, la partie
musicale. Une érudition théâtrale véritable, jointe à l'élégance de la
forme littéraire, lui valut rapidement la réputation ; nous n'étonnerons
personne en constatant que sous le rapport musical il était beaucoup
moins à son aise. Depuis quelques années il avait commencé la publica-
tion en volumes, sous ce titre assez original : les Mille et une nuits du,
théâtre, de ses articles de critique ; huit volumes ont paru de cette publi-
cation. Ce n'est pas là son seul bagage littéraire en ce qui concerne le
théâtre; on lui doit deux écrits intéressants : Maison mortuaire de Molière
et le Jeu de paume de Meslaije7-s, recherches sur le théâtre au XVIP siècle.
Il a donné aussi des éditions nouvelles des œuvres de Crébillon et de
Beaumarchais, ainsi qu'une édition de Molière, dont il publiait chaque
pièce séparément, accompagnée d'une notice étudiée et substantielle.
Enfin, il y a deux ou trois ans, lors de la reprise, à la Comédie-Française,
d'une comédie de Poinsinet dont le succès jadis fut considérable : le Cer-
cle ou la Soirée à la mode, il en fit aussi une nouvelle édition, précédée
d'une préface très intéressante. Il est certain que peu d'écrivains connais-
saient, comme Vitu et d'une façon aussi solide, l'histoire du théâtre eu
France. Nous ne saurions énumérer ici ses écrits en dehors de cette
spécialité; nous rappellerons cependant, en terminant, le beau volume,
splendidement illustré, qu'il fit paraître il y a deux ans sous ce titre
suffisament significatif : Paris. Arthur Pougin.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Dimanche 16 Août 1891.
3150 - Sî-"' mm — I\° 33. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser rBANCO i M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bans-paste d'abonnemenC
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste eu sni.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (21' article), Aldert Souries et Charles
Malhehre. — II. Bulletin théâtral : Petites nouvelles de l'Opéra, Jules Ruelle;
reprise du Voyage en Suisse, aux FolieB-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier. —
III. Histoire anecdotique du Conservatoire (2^ article), André Martinet. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour;
MARIE-LOUISE
gavotte de Gh. Neustedt. — Suivra immédiatement: L'Étudiant en goguette,
nouvelle marche de Philippe Fahrbach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Un baiser, nouvelle mélodie de Charles Grisart, poésie de Le
Lassen de Rauzay. — Suivra immédiatement: Pour vous I nouvelle mélodie
de Paul Rougnon, poésie de Roger Miles.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Alljert SOUBIES et CHarles JVIA.LHEIIBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(186S-1868)
(Suite.)
L'année 1866 débuta par un échec fort inattendu, celui de
Fior iVAliza. On comptait sur l'ouvrage à ce point qu'il avait
été question d'engager à l'Opéra-Comique M'"= Adelina Patti,
qui aurait joué le rôle principal une douzaine de fois. En fait
les négociations furent entamées, mais n'aboutirent pas. Les
journaux n'en continuèrent pas moins à exulter d'avance,
proclamant bien haut: « On s'attend à un magnifique succès
musical » et « ce sera, si nous sommes bien renseignés, une
des soirées qui marquent dans les fastes de l'art et laissent
une grande œuvre au répertoire d'un théâtre. » Et M. de
Lamartine lui-même, assistant à une répétition, adressait à
Victor Massé ces paroles soigneusement recueillies par la
presse : « Monsieur, votre œuvre est de celles qui ennoblis-
sent et agrandissent le domaine de l'art. Je suis fier non seu-
lement pour moi, mais pour mon pays » !
Lamartine était d'ailleurs pour quelque chose dans la pièce.
puisque les librettistes Michel Carré et Hippolyte Lucas avaient
tiré leurs quatre actes d'un épipode de ses Confidences. Mail-
lart s'en était quelque peu emparé déjà avec ses Pêcheurs de
Catane, et M. Antony Choudens devait y revenir plus tard
avec GrazieUa. Pourtant le sujet semblait peu favorable à la
scène, et tandis que Dumanoir lui offrait un Lutrin, et Meil-
hac une Péruvienne, sans parler d'une Speranza, annoncée de-
puis longtemps, on peut s'étonner que le choix de "Victor
Massé se soit porté sur un tel livret.
Son tableau revêtait les couleurs les plus sombres ; on y
pleurait plus que de raison ; la moitié du spectacle se passait
dans une prison, et la pièce n'avait guère de comique que le
nom du théâtre oîi elle se jouait. De plus, bien des scènes
rappelaient des situations connues. Exemples : Fior d'Aliza
se déguisant en homme pour entrer dans la prison de Lac-
ques et en faire évader son amant — Fidelio; Fior d'Aliza
jouant un air de zam-pogna pour se faire entendre de Gero-
nimo captif — Richard Cœur de Lion ; Fior d'Aliza, conduite au
supplice, après s'être substituée à son amant, et sauvée à
l'instant où l'exécution allait avoir lieu, par la grâce du cou-
pable qu'a obtenue le père Hilario — le Déserteur. En revanche
un personnage était de l'invention des librettistes, et Lamar-
tine n'oublia pas de les en féliciter quand il leur écrivit dans
une lettre alors rendue publique : « Je n'ai été que l'occa-
sion et nullement l'auteur de votre pièce. Le troisième acte
entre autres, le plus charmant, est entièrement de vous. Le
personnage de la folle est une invention à laquelle f avais eu la
maladresse de ne pas songer. »
L'épisode auquel le poète fait allusion, quelque peu ana-
logue d'ailleurs à celui de Lara, était à la vérité un triomphe
pour M""« GdUi-Marié qui, par l'énergie de son jeu, avait mis
ce rôle secondaire au premier plan. Mais la plupart des au-
tres interprètes manquaient d'entrain et de passion, Achard
(Geronimo), Crosti (Hilario), bientôt remplacé par Bataille,
et M""'^ Vandenheuvel-Duprez, réengagée pour la circons-
tance, et dont on admirait toujours la méthode parfaite,
sans pouvoir constater une augmentation dans le volume
de sa voix.
La première représentation, retardée par les modifications
qu' Achard avait demandées dans sa partie, eut lieu le 5 février
1866. La presse se montra des plus favorables. Un journal
imprimait ceci: « Nous avons assisté à un magnifique succès,
un de ces succès qui sont à la fois l'honneur et la fortune
d'un théâtre. Nous avons été rarement témoin d'un triomphe
plus complet!... C'est avec joie que nous enregistrons tou-
jours les solennités de l'art. » Théophile Gautier disait :
« Le succès a été complet, éclatant » et, suivant l'enlraine-
ment général, Azevedo, critique peu indulgent d'ordinaire,
soutenait que Victor Massé désormais était « capable de se
"2158
LE MENESTREL
tirer à son honne<ir de la lâche de composer un grand opéra.
Il a le souffle, l'énergie, la passion que ce genre réclame ». A
tous ces beaux discours le public, trop sévère peut-être, répondit
par trente-trois représentations. Vainement on essaya de lancer
en dehors de Paris cette œuvre nouvelle qui, disait une note
officieuse et bizarre envoyée alors aux journaux, « fei-a la fortune
des directeurs de province. Fior d'AUza, œuvre de maître par
son sentiment re//(7iei(j; et exalté, son intérêt poétique et atten-
drissant, est admirablement disposée pour plaire au public de pro-
vince, qui réagit en faveur de l'art sérieux et des bonnes
mœurs, contre le j^oivre et le piment de beaucoup de pièces
modernes destinées pour la plupart aux désœuvrés et aux
étrangers blasés de la capitale. Elle relève le goût et raffermit les
saines traditions. » Le boniment est complet; mais il s'excuse
par les circonstances qui l'ont provoqué. Fior d'AUza n'avait
pas trouvé d'éditeur, et ne fut publiée que plus tard. « Je n'ai
pas voulu, nous avouait M. Choudens père, qu'une œuvre de
Victor Massé ne fût pas gravée. »
Quoique publiée plus tôt, la partition de Zilda ne valait
guère mieux. Cet opéra-comique en deux actes avait pour
auteurs d'une part de Saint-Georges et Ghivot, de l'autre
Flotow. C'est un conte des .Ville et une nuits, proche parent de
la nouvelle de Voltaire Cosi sanc.ta ou un peu de mal pour un
grand bien, une histoire d'Orient où l'on voit le fameux calife
de Bagdad parcourant incognito les rues de sa ville, pro-
tégeant les innocents et punissant les coupables. L'innocente
ici est une jeune fille, venue à Bagdad pour réclamer au
docteur Babouc mille écus d'or qui lui sont dus, mais, comme
elle est jolie, le docteur émet, avant de rendre l'argent, des
prétentions qu'on devine. La malheureuse s'adresse au cadi
qui pour lui rendre justice, émet les mêmes prétentions,
puis au vizir lui-même qui ne veut pas se montrer plus dé-
licat. C'est le calife en personne, qui, à la faveur d'un dégui-
sement, se mêle à l'intrigue, et amène par son mariage avec
la jeune victime le plus heureux des dénouements. En reli-
sant cet ouvrage oublié, on devine aisément qu'il se confond
avec la Nuit des Dupes, pièce commandée p^tr Perrin à Flotow
en 1862, lors d'un passage du compositeur à Paris, et distri-
buée à MM. Gourdin, Couderc, Lemaire, M™^ Marlmon et
Révilly. Cette dernière seule avait gardé son rôle; celui de
Gourdin avait passé à Crosti, celui de Couderc à Prilleux, et
celui de Lemaire à Sainte-Foy qui représentait un im-
payable cadi, surtout lorsque Zilda le bernait en le faisant
danser. C'était le temps où l'on se pressait au Gymnase pour
voir dans les Curieuses, de Meilhac et Halévy, le vieux Derval
faire le petit chien devant une jeune « cocodette ». Les deux
scènes avaient quelque analogie; mais le succès fut bien dif-
férent, car Zilda ne dépassa pas vingt-trois représentations.
Plus triste parut encore la destinée de José-Maria, opéra-
comique en trois actes de Cormon et Meilhac, musique de
Jules Cohen, répété sous le titre du Salteador et représenté le
16 juin 1866. José-Maria est un bandit qui épouvante la ville
mexicaine dans laquelle se passe l'action, mais que jamais
personne n'a vu. Un certain Carlos, amoureux d'une jeune
veuve, a la singulière idée, pour se faire épouser de sa
belle, de lui voler toute sa fortune, sauf à la lui rendre au
dénouement, en lui apprenant en même temps, qu'il n'est pas,
comme elle le croyait, le brigand redouté de tous. José Maria
pourrait s'appeler la deuxième incarnation de Fra Diavolo,
car on n'a plus revu depuis à la salle Favart, ce type usé
déjà, tant il avait servi, mais que sauvait encore l'élégance
de son interprète, Montaubry. Melchissédec, Ponchard, Na°han,
M-°" Galli-Marié et Bélia défendirent la pièce de leur mieux:
mais le compositeur ne put encore atteindre au succès.
L'année s'annonçait mal, car Gounod lui-même ne fut guère
plus heureux avec sa Colombe, deux petits actes durant à
peine une heure et demie, bijou plus charmant qu'il n'est
gros, badinage aimable où la légèreté de touche s'unit à l'ins-
piration. La Fontaine en avait fourni le sujet, puisque la
Colombe n'est qu'une adaptation de son naïf et joli conte, le
Faucon. Jules Barbier et Michel Carré en avaient tiré un petit
acte d'abord joué à Bade, sur le théâtre de M. Benazet, fer-
mier des jeux, par Roger, Balanqué, M™" Carvalho et Faivre.
Puis ce premier acte s'était, sans grande utilité d'ailleurs,,
augmenté d'un second, et dans cette version, l'ouvrage fut
servi au public parisien le 7 juin 1866 par Gapoul, Bataille,
M'™' Girard et Cico, bientôt remplacée par M"" Bélia. La Co-
lombe s'envola, bien loin au bout de vingt-neuf représentations-
et no reparut plus qu'au théâtre Tailbout, transformé en
« Nouveau-Lyrique » le 4 novembre 1879, avec Gruyer, Morras
M™' Peschard et Parent. A treize ans de distance, les résul-
tats ne différaient guère ; vingt-quatre soirées seulement don-
nèrent alors le maigre chiffre de 8,3lo francs. Au reste, en
1866, la représentation de cet ouvrage ressemblait à un souhait
de bienvenue au nouveau membre de l'Institut qui, le 12 mai
précédent, avait été élu en remplacement de Clapisson par
19 voix contre 16 données à Félicien David. L'auteur de Faust
quoiqu'il fût déjà en pleine possession de sa célébrité, n'avait
jamais frappé à la porte de l'Opéra-Gomique. On parlait, il
est vrai, l'année précédente, dn Médecin malgré lui dont l'heure
ne devait sonner qu'en 1872. Mais la fermeture du Théâtre-
Lyrique et la guerre devaient éloigner Gounod de la place
du Chàtelet où il avait obtenu des retentissants triomphes;,
et c'est alors seulement qu'on put tour à tour applaudir à la
salle Favart Roméo et Juliette, Mireille, Philémon et Baucis, Cinq-
Mars.
Les reprises de cette année 1866 offrent un intérêt médio-
cre. Avec Crosti (Frontin), Nathan (le bailli) et M"« Girard
(Babet), le Nouveau Seigneur du village, parti depuis 18o6, reve-
nait le 1'"' janvier, jour mal choisi pour faire fêter dignement
son retour. Le 6 juillet, on essayait les Sabots, de Duni,fort usés
depuis le temps qu'ils avaient servi, une des pièces les plus
anciennes du répertoire, puisqu'elle date de l'année 1768, et
que la verve de M"'' Girard était insuffisante à rajeunir. Le public
resta indifférent, et quelques journalistes, Nestor Roqueplan
entre autres, dans le Constitutionnel, protestèrent énergique-
ment contre cette exhumation inutile. Leur voix eut de l'écho,
malheureusement peut-être, car il est à remarquer que les Sa-
bots sont la dernière pièce antérieure à l'ouverture de la salle
Favart, et remise à la scène dans ce théâtre. C'est presque,.
si l'on peut s'exprimer ainsi, la suprême lueur jetée par le
répertoire primitif, jugé désormais trop dépourvu d'intérêt
dramatique et musical.
Joseph, dont la dernière apparition remontait à 1852, eut un
meilleur sort. Le principal rôle était confié à Gapoul, le
charmant ténor qu'une maladie avait éloigné de la scène
pendant l'hiver, et que l'Ambassadrice avait ramené dès les
premiers jours de mai. Comme autrefois Mario, il était alors
l'objet de compétitions nombreuses, et le Théâtre-Lyrique
notaonmenl essayait de l'arracher à l'Opéra-Comique : on
cherchait un interprète pour le Roméo et Juliette. On racontait
que M. Carvalho payait son dédit de quarante mille francs
et lui offrait cinq mille francs par mois. Ce qu'il y a de cer-
tain, c'est que des pourparlers furent engagés, mais n'abou-
tirent pas. Gounod écrivit une lettre et choisit Michot pour
interprète; Gapoul ne quitta point la salle Favart, et si, plus
tard, il parut sous le pourpoint de Roméo, ce fut en chantant
la musique du marquis d'Ivry et non celle de Gounod. A
côté du séduisant Joseph, M"' Marie Rôze représentait un dé-
licieux Benjamin, et parmi les fils de Jacob, personnifié par
Bataille, figuraient bien modestement sous les traits de Gad
et de Ruben, deux artistes dignes de mention. L'un débutait
ce soir-là, M. Vois qui, quelques mois plus tard, allait créer
le rôle de Frédéric da.ns Mignon; l'autre, Lhérie, avait débuté
le 23 février dans r.Unbassadrice, nouveau Bénédict qui sor-
tait du Conservatoire avec un simple deuxième accessit
d'opéra-comique. Alors on ne le remarqua guère, sauf peut-
être dans le Songe d:une Nuit d'été, où le 2 octobre de la même
année, il fit applaudir un.Latimer, plein de chaleur et d'en-
train, à côté d'Âchard, de Crosii, et de M"'= Gabel qui abor-
LE MENESTREL
259
<lait avec succès le rôle d'Elisabeth. Dix ans plus tard, Lhérie
avait rhonneur d'être le premier Benoît du Roi l'a dit et le
premier Don José de Carmen. Ces deux créations marquaient
le point culminant de sa carrière, et le ténor se transformait
depuis en baryton ! — La place est peut-être opportune, puis-
qu'on parle de Joseph, pour rappeler ici les vers qui paru-
rent sous le nom d'un homme grave, M. Guizot, dans un
journal non moins grave, les Débals. Ils étaient adressés à
iîéhul lui-même et commençaient ainsi :
Sublime élève d'Apollon,
0 toi, dont l'Europe charmée
Inscrit la mémoire et le nom
Aux portes de la renommée ;
Dont le talent toujours égal
Répand partout les mêmes charmes.
Toi, qui nous arrachas des larmes
Dans Stratonice et dans Vlhal
Rival heureux de Linus et d'Orphée,
A tant de triomphes si beaux,
Tu viens, par des succès nouveaux,
D'ajouter un nouveau trophée!
Joseph reparaît à ta voix.
Et, contant sa touchante histoire.
Vient t'assurer de nouveaux droits
A nos respects comme à la gloire.
Dans cet ouvrage séducteur
Brille le feu de ton génie;
Partout ta divine harmonie
Entraîne et ravit notre cœur...
De ton génie la sublime puissance
Habilement a su nous retracer
Le langage de la nature.
Et les pleurs que tu fais verser
Sont ta louange la plus sûre.
ha pensée n'est pas très originale, ni la rime bien rare ;
^ais il faut excuser le poète : il n'avait quand il les écrivit,
que vingt ans !
(A suivre.)
i
BULLETIN THEATRAL
L'Opéra a donné cette semaine Faust, les Huguenots et Sigurd. Dans
les Huguenots, mercredi, la jeune troupe féminine a essayé ses forces.
Ou a entendu M"»' Pack, Lovenlz et Falize chantant les rôles de
Valentine, de Marguerite et d'Urbaiu. Le soleil, même grisâtre
comme en l'été qui nous afflige, aide à l'éclosion des talents en
bouton.
Onparail fort indécis au sujet delà date de la première représentation
de Lohengrin. Les uns disent que ce sera le 31 aovlt, les autres, le 2 sep-
tembre; d'autres encore le 4 ou le 7 septembre. A l'Opéra on parle du
31 courant ou du 2 septembre au plus tard. Les travaux sont poussés
avec une grande activité; tous les chefs de service font preuve
d'un zèle immense afin que ne soit pas relardé cet événement artis
tique qui doit, on l'espère du moins, remplir jusqu'au bord la caisse
directoriale. La sérieuse difficulté actuelle, c'est de bien établir les
mouvements de la partition de Wagner. MM. Gailhard et Lamoureux
y donnent tous leurs soins.
Quelques engagements et réengagements ont été conclus par la
nouvelle direction de l'Opéra. M"" Issaurat, Lemeignan et M. Gri-
maud, premiers prix des concours de ISOl, ont traité aux conditions
ordinaires du Conservatoire, soit pour deux ans, à raison de S, 000,
puis de 7,000 francs. M"» Wyns est engagée aussi. MM. Duc et
Delmas ont renouvelé. Quant aux autres engagements, dont il a été
parlé, nous ne croyons pas qu'ils soient conclus encore.
Il est probable qu'avant de quitter la direction de l'Opéra,
MM. Ritt et Gailhard, rappelés à leurs devoirs par le ministre,
représenteront l'ouvrage en deux actes de M. Bourgault-Ducoudray:
Tamara, qui serait mis à l'étude dès que Lohengrin aura vu le feu.
Quant à la nouvelle direction, la première partie de son programme
comprend, jusqu'à présent, Salammbô, Hérodiade et Don Quichotte,
ballet de M. Wormser.
A l'Opéra-Gomique, les peintres et les tapissiers sont actuelle-
ment maîtres de la salle. M. Carvalho, en partant pour la Bretagne,
a donné des ordres pour que pinceaux et tentures fissent une nou-
velle toilette à ce théâtre municipal. Gela ne signifie nullement
qu'on va s'empresser de reconstruire la salle Favart. Que disons
nous, la reconstruire ? Mais un tir à la carabine Gifïard va y être
bientôt installé. Quelle musique pour le quartier !
Jules Ruelle.
Folies-Dramatiques. — Le Voyage en Suisse, pièce en trois actes de MM. Blum
et Toché, musique de M. M. BouUard.
Ce M. Vizentini est décidément un homme entreprenant et son
activité devrait être donnée en exemple à tous ses coufrères de
Paris. Il y a une quinzaine de jours, il donnait une reprise de la
Goguette et, le ciel inclément aidant, les recettes se maintenaient à
uu taux plus que normal pour un mois d'août. Mais voilà que
notre directeur entend dire que la célèbre troupe des Renad's tra-
verse Paris et peut y séjourner quelques jours; vite, il signe un
traité avec les fameux. acrobates pour le peu de temps qu'ils ont
de libre, met en répétition le Voyage en Suisse, fait travailler sa
troupe d'arrache-pied et affiche la première de l'amusante pièce de
MM. Blum et Toché. Et le public, charmé de cette variété, et sa-
chant que dans peu on lui rendra le vaudeville de MM. Burani et
Raymond, applaudit des deux mains au changement de spectacle.
Le succès du Voyage en Suisse a été tel qu'il devait être; cette
étonnante bouffonnerie, faite beaucoup plus pour les clowns que
pour les comédiens, a trouvé rue de Bondy une interprétation
d'ensemble agréable et souvent même drolatique. M. Guyon est
un fort divertissant Gorgoloin , et plus encore que l'hôtelier du
Righi, il semble né à Uri; M"" Guitty, qui fait son petit trou et
finira par percer tout à fait, n'est pas sans agrément. MM. Bellucci
et Mesmaëcker, aidés des trois frères Renad's, contribuent à mener
rondement la pièce agrémentée de quelques couplets spirituellement
arrangés par M. Marius Boullard.
Paul-Emile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
uu
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
(Suite)
CHAPITRE I
l'école royale de chant et de DliCLAJLATION
Ministre de la Maison du Roi, après avoir brillamment représenté
la France dans la conclusion du traité de Teschen, le baron de
Breteuil s'était rapidement attiré la sympathie des artistes.
En ces temps oîi les gazettes semblaient imprimées au Parnasse,
l'encens des sonnets s'élevait fréquemment jusqu'à lui, les poètes le
chantaient; le il/(?rcM?'e, inaugurant l'année l'784, offrait au fils d'Apol-
lon un chapelet d'hémistiches dont il suffit de citer la chute :
Sage Breteuil, de votre ministère
Que le destin protège l'heureux cours!
Que la santé de sa coupe légère
Verse longtemps le nectar sur vos jours!
Ami des arts, comblez leur espérance
Vivez pour eux, pour Louis et la France.
Un tel ministre devait sans hésitation appuyer les plans de Gos-
see, prendre en main les intérêts des Muses menacées de l'exil; aussi
le .3 janvier, obtenait-il de Louis XVI l'ordonnance appelée, croyait-
on, à sauver l'Opéra.
« Le Roi ayant reconnu que ce qui pourrait contribuer le plus effi-
cacement à donner à un spectacle aussi intéressant pour le public,
un nouveau degré de perfection, ce serait d'établir une école oh
l'on pût former tout à la fois des sujets utiles à l'Académie nationale
de Musique et des élèves propres au service de la chapelle de Sa
Majesté... Ordonne :
Article premier. — A compter du i" août prochain, il sera pourvu
à l'établissement d'une Ecole tenue par d'habiles maîtres de musique,
de clavecin, de déclamation, de langue française, et autres, char-
gés d'y enseigner la musique, la composition et, en général, tout ce
qui peut servir à pertéctionner les différents talents propres à la
musique du Roi et de l'Opéra. »
Le premier nom mis en avant pour le poste d'administrateur avait
été celui de Piccinni.
A la lettre de M. de la Ferté, Intendant des Menus, qui lui^en
faisait l'offre, le maître italien répondit qu'il désirait avoir le titre
260
LE MEiNESÏREL
de directeur et être logé avec sa famille. Les négociations furent
vites rompues sur l'ordre du baron de Breteuil. — « Il faut en res-
ter là vis-à-vis de cet artiste et ne pas le presser davantage sur la
place qu'on lui a offerte. Je ne regretterai point du tout qu'il ne
l'accepte pas, parce que, connaissant comme je le sais l'avidité ita-
lienne, il y trouverait sans cesse de nouveaux motifs d'augmenter
ses demandes. » — Et le chois du ministre se porta sur Gossec.
Sont nommés maîtres pour la perfection et le goût du chant,
Piccinni, Langlès et Guichard; Rigel, Saint-Amand et Méou pour
le solfège ; Gobert et Rodolphe sont titulaires du clavecin et de la
composition; Mole et Pillol enseigneront la déclamation et le jeu du
théâtre, Guériu le violon, et Rochez la basse. La langue française
et l'histoire sont confiées à Rosset, les armes à Donadieu et la danse
Ainsi composée, l'École ouvre ses portes le !"■ avril 1784, en
l'hôtel des Menus-Plaisirs, rue Poissonnière, et le Journal de Paris
songe le 19 mai seulement à annoncer cet événement à ses lecteurs.
Les Tablettes de renommée des musiciens, parues vers la fin de l'an-
née, donnent quelques renseignements aux aspirants chanteurs :
« L'École lient, excepté les dimanches et fêtes, fous les jours do
la semaine ; le matin, depuis 8 heures jusqu'à 1 heure, et l'après-
diner, depuis 3 heures jusqu'à o heures.
» On admet à cette école des jeunes gens des deux sexes, toutefois
qu'ils se présentent avec une belle voix, d'heureuses dispositions
pour le chant et qu'ils tiennent à d'honnêtes gens qui répondent
de leur conduite et de leur assiduité. Les sujets ne peuvent être
reçus qu'après avoir été présentés à M. Gossec et avoir été entendus
par tous les maîtres de chant et de musique : et l'ordre le plus
sévère règne à cette École, tant du côté du devoir que de celui de
l'honnêteté et de la décence. »
A peine inaugurée, la nouvelle institution vient au secours do
l'Opéra. Les débuts de M"" Dozon dans Chimène, le 17 septembre,
sont salués avec enthousiasme; il n'est bruit que de sa voix, de sa
sensibilité, de son aisance; déjà on s'extasie sur l'utilité de l'École
011 a été formée cetle émule de la Saint-Huberti, on oublie que depuis
deux ans elle reçoit les conseils de Laj-s.
Puis, tout ce bruit s'apaise et 1785 s'écoule sans que l'hôtel des
Menus-Plaisirs semble occuper outre mesure l'attention du public.
Nous retrouvons trace de son existence le o avril de l'année sui-
vante, quand on essaie pour la première -fois devant le public, le
talent des élèves dans une représentation de Roland donnée sur le
théâtre des Menus.
MM. Dessaules et Lefèvre chantent Roland et Médor ; les rôles
d'Angélique et de Thémire sont échus à M»" Mulot et Delillette.
Les chœurs sont le partage des élèves dont beaucoup n'ont pas
dépassé la douzième année — et le succès de cette tentative est
tel que Piccinni avoue qu'il vient, pour la première fois, de recon-
naître dans Texécution de sa musique les intentions qu'il y avait
mises.
Aux promesses de l'École royale, l'Opéra répond par un appel au
pays. Les journaux de juillet insèrent une note, réclamant une
voix de haute-contre; on s'adresse à Paris, aux provinces, on fait
miroiter une rente viagère de 300 livres pour qui présentera l'oiseau
rare.
Mais que de qualités exigées! Savoir la musique au point de
solfier couramment, ne pas dépasser 22 à 23 ans, avoir atteint au
moins sa 18« année, taille de cinq pieds quatre pouces, figure agréable,
des yeux sans défauts, la jambe bien faite, moyennant quoi, le maître
assez heureux pour contenter l'Académie aura voyage et séjour
payés, plus la pension promise.
* *
L'École de chant a entraîné de nombreuses dépenses et on saisit
avec empressement la première occasion qui s'offre de subvenir à
ses besoins sans aggraver plus longtemps l'état désastreux du bud-
get.
Le IS septembre 1786, le Roi désireux d'éviter à l'avenir les con-
trefaçons dont se plaignent les compositeurs et les marchands de
musique, établit à l'hôtel des Menus-Plaisirs un bureau oîi sera
timbrée toute pièce destinée à la vente. Un professeur y fera le ser-
vice tous ies jours ouvrables de 10 heures à 2 heures. Le produit du
timbre et des amendes infligées aux contrevenants sera employé à
l'entretien de l'école.
Les charges en effet augmentent chaque jour. Un règlement du
24 mai avait ajouté une classe de déclamation confiée à Mole, Du-
gazon et Fleury. Le cours oîi les t''ois célèbres comédiens donnaient,
à tour de rôle, leçon à tous les élèves, est inauguré le 18 mai et le
nom de Talma figure au nombre des inscriptions.
L'École a traversé deux années de calme; maintenant elle va
connaître les luttes, et la première escarmouche est soulevée par un
des siens.
Il n'est pire ennemi qu'un ami maladroit. M. le Prévôt d'Exmes,
professeur de langue française aux Menus-Plaisirs, n'a pas suffi-
samment médité cet axiome le jour où, piqué du silence gardé
par le Mercure lors de l'exercice public, il lui adresse un long mé-
moire vantant les élèves, chantant la méthode, glorifiant les maîtres.
0 ...Les chœurs ont été entendus avec un intérêt si vif qu'il
allait jusqu'à l'attendrissement... si M"" Delillette a paru inférieure
à sa camarade, cela peut provenir de ce que son rôle de suivante
n'exigeait pas qu'elle développât entièrement sa voix... »
Quelques réflexions du journal suivent le plaidoyer : « Nous
sommes loin d'improuver ces éloges: nous aurions désiré seulement
qu'ils eussent été dispensés avec plus de réflexion. Il fallait, par
exemple, louer M. Gossec de sa grande habileté, de son intelligence
dans la conduite des élèves, de sa prudence, toutes qualités essen-
tielles pour la place de directeur; mais i! est fort iudifférent pour
cet emploi que son 0 salutaris sans accompagnement soit un chef-
d'oeuvre ou simplement un morceau bien fait... Loin d'être étonné
de ce que cette école, au bout de deux ans, ail déjà produit des su-
jets capables d'exécuter un opéra tout entier, on pourrait l'être que
parmi tant d'élèves il ne s'en soit pu trouver que deux, au bout d'un
pareil terme, qui méritassent d'être distingués, et l'on se demande-
rait si l'avantage que procureront ces sujets peut balancer les
sommes que cet établissement coilte. »
Le 28 novembre, débats à l'Académie de Musique des élèves de
l'école dans le Roland de Piccinni, déjà joué sur la scène des Menus-
Plaisirs.
Grand scandale et cris d'indignation parmi les pensionnaires de
l'Opéra qui déclarent qu'en cas d'indisposition des intrus, personne
ne consentira à les doubler. Plutôt que de se compromettre aux
côtés du sieur Dessaules, la dame Saint-Amand qui leprésente Logis-
tille, veut être hissée dans une gloire pour attaquer les derniers
vers de l'ouvrage :
Roland, courez aux armes!
Que la gloire a de charmes!
Malgré tant de mauvais vouloir, en dépit de ces obstacles, le suc-
cès a été complet pour Dessaules et M"'= Mulot, même accueil fa-
vorable à Lefèvre, élève de l'école depuis dix-huit mois seulement,
enlevé au régiment de dragons de Ségur. — « On sait, écrit fort
ingénieusement un gazetier, quelle est la manière de chanter des
garnisons et combien l'éducation ordinaire d'un dragon est différente
de celle qu'on exige au théâtre. »
Le calme renaît et si on travaille avec ardeur à l'hôtel des Menus,
le publie ne semble y prendre qu'un intérêt médiocre, à en juger
par le silence des journaux. Ils tiennent leurs lecteurs au courant
des événements de l'Opéra, sont remplis de lettres d'amateurs de
théâtre, mais l'Ecole y est oubliée jusqu'au 21 novembre 1787, si-
gnalé par l'entrée de Talma à la Comédie- Française.
« Un acteur qui n'a paru sur aucun théâtre débutera par le rôle
de Séïde dans la tragédie. » (Mahomet.)
Le jeune acteur a été goûté, on croit qu'avec du travail il peut
espérer de brillants succès, son jeu a plu généralement, telle est,
en résumé, l'impression des gazettes. Et, à l'occasion du début, on
reparle de l'Ecole avec une pointe d'amertume.
« Un avantage de cet établissement, c'est qu'une foule de jeunes
gens de l'un et l'autre sexe, qui prennent tous les jours pour le
talent des disposilions équivoques ou une facilité d'imitation très
commune, souvent même le seul goût de l'indépendance, y seront
bientôt détrompés de leur illusion et pourront rentrer dans des pro-
fessions où ils exerceront des talents utiles. »
La semaine suivante, deux autres recrues des Menus-Plaisirs
paraissent avec éclat à l'Opéra : M"" Lillette dans Dardanus ; M. Re-
naud, haute-contre de dix-huit ans, dans Phèdre.
En même temps, les élèves sont demandés dans les églises, aux
LE MENESTREL
261
fêtes parlieulières, réclamés par le Théâtre-Français quand son
programme exige la présence d'un chœur.
*
Désormais, silence complet autour de l'Ecole de chant et de dé-
clamation. Sauf quelques lignes qu'ils lui consacrent à l'apparition
d'un des siens sur la scène de l'Académie ou de la Comédie, les
journaux semblent ignorer son existence.
M"" des Garsins entre triomphalement au Théâtre-Français en
mars 1"Î88. Les poésies s'amoncellent à ses pieds et l'hôtel des
Menus-Plaisirs resterait oublié dans l'enthousiasme général si la
débutante, rappelée à grands cris, ne paraissait « conduite par un
des maîtres de l'Ecole, M. Mole, qui a joui d'une des plus douces
récompenses du talent en voyant les transports qu'excitait cette
jeune élève. »
Arrive 1789. La lettre du roi convoquant les Etats-Généraux paraît
le 6 février ; chaque semaine apporte une liste de réformes faites au
budget; le froid le plus affreux désole Paris menacé de famine.
C'est au milieu de toutes ces tristesses que débute à l'Opéra, le
20 mars, M"= Delatour, la dernière élève sortie de l'Ecole royale.
(A suivre.) André'; Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
M. Mascagni, l'auteur de la triomphante Cavalleria rusticana, vient de
terminer la partition de l'Ami Fritz. L'œuvre nouvelle ne comporte aucun
chœur en scène.
— Il est à remarquer qu'en ce moment l'Italie revient à ses vieux
maîtres avec une persistance caractéristique. Dans tous les théâtres de la
péninsule, il. y a comme un renouveau en faveur de Rossini, Donizetti,
Bellini et de Verdi première manière. Ainsi nous citerons Rome, qui
après avoir applaudi le Barbier, vient de fêter la Norma, dont trois mor-
ceaux ont été bissés. Deux jours après, on donnait la Favorite, puis ve-
naient i Masnadieri. L'Italie, qui produit peu depuis quelques années, vit
surtout du répertoire français. Elle a essayé de l'Allemagne; l'expérience
ne parait pas avoir réussi. Nos voisins en combinant habilement les nou-
velles œuvres françaises avec les grandes œuvres de leurs vieux maîtres,
feraient acte de sagesse et pourraient, ainsi traverser les années maigres,
lesquelles passeront vite, car le génie italien reprendra possession de lui-
même.
— On annonce comme devant être représenté au théâtre Dal Verme de
Milan, au cours de la saison prochaine, un opéra nouveau intitulé
Maruzsa, dont les auteurs sont M. Luigi Capuana pour les paroles, et
M. Francesco Paolo Frontini pour la musique.
— Deux compositions nouvelles ont été exécutées à l'occasion de la so-
lennelle distribution des prix qui a eu lieu à l'Académie de Sainte-Cécile
de Rome : Andante et menuet d'un 'quatuor en sol de M. Setacoidi, élève de
M. Cesare De-Sanctis, et adagio et scherzo d'un quatuor en mi b de
M. Baiardi, élève de M. Falcbi. Ces compositions ont eu un grand succès.
M. "Villari, ministre de l'instruction publique, qui assistait à la distribu-
tion des prix, a fait les plus vifs éloges aux deux jeunes compositeurs.
— Au théâtre Bellini, de Naples, fiasco complet pour deux opérettes
nouvelles, l'une, Vieni sul mare, du compositeur Grassi, l'autre, la Maestra
del villaggio, du maestro Vincenzo Billi.
— On lit dans il Mondo arti^tico : « Un comité, composé du comte Colta-
bellotto, du marquis Brancaccio di Triggiano, du marquis Filiasi, de
MM. Alfonso Compagna et Pierino Fioeca, dans le but de faire encore une
fois refleurir l'orchestre napolitain, a cherché à réunir une masse, sur la
base de cent instruments à archet, et en a confié la direction au maestro
Nicole van Werterhout. Ceux qui aiment l'art et s'en occupent à Naples
se promettent de grands avantages de cette institution, qui aspire à réunir
toutes les forces juvéniles, toutes les activités qui ont besoin d'expansion,
les talents qui attendent l'occasion pour s'affirmer. La nouvelle institution
a déjà fait un essai en donnant un concert dans lequel elle a développé
un programme intéressant, et qui a eu un succès magnifique. •
— Nouvelle liste d'opéras italiens soigneusement emmagasinés dans
les cartons de leurs auteurs, en attendant que puisse luire pour eux le
grand jour de la représentation: Ivanhoé, paroles de M. Golisciani, musi-
que de M. Vito Fedeli ; Gianfrè, musique de M. Silvio Danieli ; il Caslello
di Brivio, musique de M. Antonio Fissore; il Bandito, musique de M. Ar-
turo Berutti ; il Re di Samarcanda, musique de M. Ercole Grandi ; enfin,
una Tazza di brodo, opérette, musique de M. Giovani Amich.
— Carême d'amour!... tel est l'étrange titre d'une nouvelle opérette du
prince de Tora, dont la représentation est prochaine en Italie.
— A la quatrième page de l'Italie, grand journal qui se publie en fran-
çais à Rome, on lit en ce moment une annonce assez originale. A droite.
un cliché légèrement usé mais qui représente encore la Mignon d'Ary
Schefîer. A gauche, cinq fois Mignon suivi de ces mentions mirifiques:
« Savon d'un parfum des plus délicats. — Rend la peau fraîche et velou-
tée. — Son prix est sans rivaux. — Le plus économique. — Quiconque
l'essaie, l'adopte ! . . . » Suivent le prix du savon et l'adresse du dépositaire,
lequel tient aussi la Veloutine Mignon. Dans ses plus hauts rêves de
gloire, Gœthe n'alla certainement jamais jusqu'à supposer qu'une telle
illustration était réservée à son héroïne.
— Le Collier de saphirs, pantomime en deux tableaux de M. G. Mendès,
musique de M. Gabriel Pierné, a été représentée lundi au théâtre de Spa,
devant une salle comble où l'élément parisien ne manquait pas. La partition
a eu grand succès. On a beaucoup applaudi la légère et charmante
Invernizzi et M'"" Garbagnati qui ont mimé à ravir toutes leurs scènes.
— Le Musée Grétry, de Liège, vient de s'enrichir de quelques dons
d'une précieuse valeur historique. M. Radoux, directeur du Conservatoire
a reçu pour ce musée, entre autres choses: l" deux portraits de Grétry, par
Isabey et Flatters, dons de MM. Joseph et Draner; 2» un ouvrage en
quatre volumes, de. I.-N. Bouilly, intitulé Mes Récapitulations, dont le premier
volume renferme un chapitre où il est longuement question de Grétry, de
sa fille Antoinette et de Pierre le Grand, opéra de l'illustre compositeur.
Entre autres choses, l'auteur fait savoir que Marie-Antoinette, reine de
France, était la marraine d'Antoinette Grétry, à laquelle elle portait une
grande affection; 3° Hommage aux mânes de Grétry, une brochure par
J. FrémoUe, Bruxelles, chez Versé, imprimeur, 18°28; i" Remise solennelle du
cœur de Grétry à la ville de Liège, brochure în-8°, Liège, CoUardin, 1829 ;
5" une afEcbe annonçant la représentation à Liège de Sylvain, comédie
lyrique de Grétry; 6° quatre programmes de concerts des années 1793 et
1794 contenant des morceaux de Grétry.
— M. Jules Ghymers, professeur au conservatoire de Liège, et chroni-
queur musical de la Gazette de Liège, consacre un long article à la dernière
œuvre de M. H. Balthasar-Florence, le compositeur belge bien connu.
Voici un extrait de cette appréciation : « Cantate jubilaire namuroise de
M. Balthasar-Florence, éditée tout récemment par la maison Schott frères
de Bruxelles, avec un luxe des plus marquants et enrichie du portrait de
l'auteur, très ressemblant, est écrite pour solo, chœur à voix égales, grand
orchestre symphonique et trompettes. C'est une œuvre sérieuse et char-
mante tout à la fois, méditée et ciselée avec amour, douée enfin de cette
puissance et de cette vitalité que M. Balthasar-Florence imprime à toutes
ses conceptions, qu'elles soient sévères comme la messe solennelle à
grand orchestre interprétée il y a quelques années par la maîtrise de
notre cathédrale Saint-Paul, qu'elles soient gracieuses, pompeuses ou
légères, comme le magnifique concerto de violon joué avec tant de succès
dans les concerts Pasdeloup à Paris par la célèbre violoniste Tayau. »
— La première représentation de Santa Chiara, l'opéra du duc Ernest
de Saxe-Gobourg-Gotha, a eu lieu au Krolls-Theater de Berlin. L'œuvre
a, paraît-il, obtenu un grand succès; le nom de l'auteur a été chaleureu-
sement applaudi, et le public a seulement regretté que le duc de Saxe-
Cobourg-Gotha n'assistât pas à la représentation.
— La première nouveauté que montera l'Opéra de Francfort-sur-le-Mein,
est un opéra-comique du compositeur Mamzer, un jeune, et qui porte le
titre bizarre de : In die Maclischove (Dans la Machschovej. On dit merveille de
l'instrumentation, très neuve et très piquante. Quant à l'œuvre elle-même,
c'est un essai de retour aux morceaux à forme consacrée, mais dans une
note originale. Nous verrons bien.
— Le document historique au théâtre. Le directeur du théâtre de la cour
de Mannheim a fait publier dernièrement dans les journaux de la ville la
note suivante : « Ce soir, pendant la représentation de Marie Stuart, de
Schiller, on jouera la Marche historique des sorcières. Cette marche est ainsi
nommée parce qu'on la jouait en Angleterre quand on brûlait une sor-
cière; par dérision, elle fut jouée aussi lors de l'exécution de Marie
Stuart. »
— Nous trouvons, dans la Gazzetta leatrale du 5 août, une partie du pro-
gramme des fêtes qui auront lieu l'an prochain à New- York en l'hon-
neur de Christophe Colomb : la partie théâtrale et musicale. I.e détail en
vaut la peine d'être traduit ; le voici un peu abrégé : 1, Présentation de
Christophe Colomb à la cour d'Espagne ; 2, Tournoi ; 3, La Rose de Gre-
nade ; 4, Signature du traité entre Colomb et les souverains espagnols;
o, Le départ pour le Nouveau Monde ; 6, Réception de Colomb à Barce-
lone et présentation des trésors et des Indiens au roi Ferdinand et à la
reine Isabelle. Une masse d'hommes, de femmes, d'enfants et toutes les
sociétés musicales de New-York donneront leur concours à ce spectacle
extraordinaire, pendant lequel des compositions nouvelles seront exécu-
tées. Le tableau historique le plus important, celui du triomphe de Chris-
tophe Colomb, se développera au Central Park : il représentera autant
que possible « les bienfaits qui résultèrent pour l'humanité de la décou-
verte de l'Amérique ». La colonie italienne érigei-a un monument gran-
diose, qui sera inauguré après la représentation du Triomphe, et, quand
on découvrira la statue, un chœur de mille voix chantera un hymne de
gloire au grand navigateur. Parfait... Nous pensons seulement que mille
voix ce sera maigre : l'humanité, comme dit le programme, sera chiche-
ment représentée.
265
LE MENESTREL
— Prodigieux, ces Anglais! Ils ne se contentent plus d'appliquer le
téléphone au théâtre, ils veulent aujourd'hui le faire servir d'auxiliaire à
leurs ardeurs religieuses, et à cet effet le font entrer au temple. Après
l'opéra, le sermon, après les éclatantes sonorités de l'orchestre, la majesté
sereine de l'orgue; c'est le mélange, à doses égales, du sacré et du pro-
fane. ■\'ûici ce qu'on lit, à ce sujet, dans une correspondance anglaise du
Temps: « A Birmingham, dans une des paroisses les plus considérables
de la ville, Christ-Church, un téléphone vient d'être attaché à l'établisse-
ment. La plaque de l'appareil est placée dans la chaire, devant le prédica-
teur. Les fidèles peuvent donc désormais jouir de la bonne parole à do-
micile, moyennant un abonnement à prix réduit ; on entend tout, les
■versets, les répons, et même la toux des personnes enrhumées qui ont
attrapé des courants d'air. »
PARIS ET DEPARTEMENTS
M. Carvalho vient de réclamer, pour le théâtre de l'Opéra-Comique,
M, Léon David qui, aux derniers concours du Conservatoire, a obtenu
un. second prix. Le jeune élève de M. "Warot, aux termes du règlement
du. Conservatoire, a signé un engagement de deux années.
—M. Antony de Choudens a offert, au Conservatoire, un très beau portrait
dei Martin, le célèbre chanteur. M. Ambroise Thomas lui a adressé la
lettre suivante :
Cher monsieur,
Vous avez eu l'obligeance de m'offrir, pour le Conservatoire, le portrait de Mar-
tin, le célèbre baryton du commencement du siècle. Je suis très sensible à cette
proposition, et j'accepte votre don avec le plus grand empressement. Nous serons
d'auiant plus heureux de posséder l'image de celui qui fut le brillant interprèle
des œuvres de Boieldieu, que Martin fut, à deux reprises différentes, professeur
au Conservatoire, et que par conséquent son portrait sera chez nous parfaitement
à saiplace.
Boivous' remerciant, etc.,
Ambkoise Thomas.
— M. Ambroise Thomas qui a quitté Paris après la distribution des
prix du Conservatoire pour se rendra dans sa villa d'Argenteuil, est eu
ce. momentdans les Pyrénées. 11 a du s'arrêter, cette semaine, à Argelès-
Gazost.
— Nouvelles de l'Association littéraire internationale. M. Lermina,
secrétaire de cette Association, a demandé l'insertion de la note suivante,
parue dans le Figaro de mercredi : « Ainsi qu'on l'a annoncé, la Société
des auteurs italiens s'était mise à la disposition de l'Association litté-
raire internationale pour organiser le congrès de 1891 : mais à la suite
d'une entente personnelle avec le délégué de l'Association, M. Lermina, il
a été décidé que le congrès de Milan serait reculé à l'année 1893. Le
congrès littéraire international de 1892 ouvrira sa session le 26 septembre,
à.Neuchàtel (Suisse), où sont préparées des excursions à l'île Saint-
Pierre, à la Chaux-de-Fonds et au Saut-du-Doubs. » D'autre part nous
lisons dans le Mondo arlislico du 8 août, que le congrès sera décidément tenu
à Milan, en 1892. On n'en sait pas plus. En passant, notre confrère ita-
lien fait remarquer, sans trop d'amertume, que la Société française, par
le nombre de voix dont elle dispose, est à peu près souveraine en la ques-
tion. C'est que nous avons beaucoup plus de littérateurs, d'auteurs dra-
matiques et d'artistes en France que partout. La production est énorme
en France ; cette production alimente l'univers.
— Le Figaro a annoncé lundi que l'héritage de M. 'Vitu sera partagé
entre MM. Albert Wolff et Darcours (Charles Réty).Ge dernier sera spécia-
lement chargé de la partie musicale. La décision est unanimement approu-
vée. On connaît l'esprit de M. Albert Wolff; quant à M. Charles Rétv,
c'est un musicien, un vrai musicien dont le jugement est sûr et qui joint
à beaucoup de savoir un sage éclectisme et la plus complète courtoisie.
— Luudi dernier, à l'assemblée générale de la chambre syndicale des
artistes dramatiques, lyriques et musiciens, MM. Devaux, Maugé, Bartel,
Simon Max, de Féraudy, Henri Deschamps, Howey, Stainville, Maurel et
Martel ont été élus membres du conseil syndical pour trois ans, et
M. Dar.vel pour deux ans. MM. Maty, Giliio, Dalleu et d'Herbilly ont été
nommés membres de la commission de contrôle.
— M. Porel monterait, l'hiver prochain, à l'Odéon, une adaptation, par
M. Léon Hennique, de VOthello de Shakespeare. Cet ouvrage comportera
une partie musicale très importante qui sera confiée au compositeur
Henri Maréchal.
— On annonce au Vaudeville, comme devant passer tout au début de
la saison, un drame nouveau de M. Paul Delair, Hélène, qui contiendra une
partie musicale composée de musique de scène, entr'actes, et d'un Noël,
qui sera chanté par M"° Éliaue. C'est M. Messager qui a été choisi pour
composer cette petite partition.
— La direction du Théâtre d'Art nous communique la liste des ouvrages
qu'elle a reçus pour la saison prochaine. Dans la nomenclature très lon-
gue, et que nos lecteurs ont trouvée chez nos grands confrères, les tra-
ductions semblent tenir une place assez respectable avec des œuvres de
Marlowe, Dostoiewsky, Ipsch et même d'Homère, de Virgile, de Milton,
de Dante, d'Eschyle, de Shakespeare, de Schiller, etc., etc. Deux pièces
inédites comportent une partie musicale : le Songe d'une nuit d'hiver, poème
lunatique (!) par MM. Gaston et Jules Couturat, musique de M"" Marie
Krysinska, et les Fêtes galantes, d'après M. Paul Verlaine, musique de
M. Adrien Remàcle.
— L'assemblée générale du 5 août n'ayant pu avoir lieu par suite du
nombre insuffisant d'actions, les actionnaires de la Société anonyme de
l'Éden-Tnéàtre sont convoqués de nouveau en ass3mblée générale extraor-
dinaire pour le samedi 22 août, à quatre heures, au théâtre, rue Boudreau.
Les résolutions prises par cette assemblée seront valables, quel que soit
le nombre d'actions représentées.
— Le romancier illustre qui vient de mourir en Espagne, don Pedro
de Alarcon, membre de l'Académie espagnole, est l'auteur du célèbre
roman, El Sombrero de très piecos, dont MM. Gallet et Bonnemère ont tiré
un scénario pour une comédie musicale. La musique est du compositeur
espagnol Manuel Giro, auteur du recueil des charmantes mélodies espa-
gnoles, Tras los montes. Quelques auditions de ce très intéressant ouvrage,
données dans un cercle d'amis et de connaisseurs, ont eu un tel succès
que nous espérons bientôt l'entendre sur une de nos scènes parisiennes.
— Un concert en plein mois d'août n'est pas chose ordinaire ; il est
vrai que l'été de 1891 est un extraordinaire été. Le concert en question
a été donné vendredi au Cirque des Champs-Elysées, avec le concours de
M""* Dufrane, Élena Sanz, Duhamel, MM. Gogny, Lauwers et Piccaluga.
Le programme en était très artistique, très varié surtout, car il allait de
Gallia à Miss Helyett et jusqu'aux chansons de Kam-HiU et de M"" Kanja-
rowa ; trop de variété. M'"" Sanz s'est fort distinguée dans l'air de Samson
et Dalila. M. Gogny, remplaçant Sellier indisposé, a chanté avec beaucoup
de sentiment la romance i'Aïda, celle de Mignon et le duo de Sigurd, avec
M"" Dufrane. Cette dernière s'est fait applaudir et rappeler après l'air du
Cid, « Pleurez, mes yeux ». M. Gogny a vaillamment soutenu sa partie
dans le beau duo de Sigurd. La note gracieuse a été donnée d'une façon
charmante par M"" Duhamel et M. Piccaluga.
— La colonie suisse de Paris a fêté le 2 août le 600i= anniversaire de la
première alliance helvétique. Après un très beau banquet, a eu lieu un
concert organisé par M. A. Brody et qui a obtenu beaucoup de succès.
Parmi les morceaux les plus applaudis, citons la romance de Mignon,
chantée par M. Chiantini, la vision à'Hérodiade, chantée par M. Genecand,
et un Chant du Devoir, de M. Brody,
— M. Isnardon, l'ancien artiste de l'Opéra-Comique, qui, depuis son
départ de Paris, a obtenu de si grands succès à Bruxelles, à Londres et
à Monte-Carlo, se fait applaudir en ce moment à Boulogne-sur-Mer, où il
donne une série de représentations. Son apparition dans le Méphisto-
phélès de Faust lui a valu un véritable triomphe, constaté par toute la
presse.
— Le Wagnériyme hors d'Allemagne, Bruxelles et la Belgique, par Edmond
Evenepoel, tel est le titre d'un volume intéressant et curieux qui vient de
paraître à la librairie Fischbacher. L'auteur, qui, si j'ai bonne mémoire,
fait partie de l'administration supérieure d'un des ministères belges, est
en même temps critique musical d'un des grands journaux de Bruxelles.
Il est bon musicien d'ailleurs, et c'est un avantage qu'il possède sur la plu-
partde nos excellents wagnériens de Paris, j'entends de ceux qui écrivent,
et qui généralement discutent des choses de la musique avec autant de
compétence qu'un aveugle pourrait le faire de la forme et de la couleur des
objets. M. Evenepoel peut au moins appuyer sur des raisonnements logi-
ques les causes de son admiration pour les œuvres et les doctrines de Ri-
chard "Wagner. Ce n'est peut-être pas une raison pour dénier à tous ceux
qui ne pensent pas exactement comme lui non seulement toute espèce de
compétence, mais aussi d'intelligence, de bon sens et de bonne foi. Selon la
coutume wagnérienne, l'écrivain belge est bien près, dans son long dithy-
rambe de trois cents pages, de considérer comme des malfaiteurs tous ceux
qui ont le malheur de ne point partager complètement son enthousiasme.
Sous une apparence de froide impartialité et sous une impassibilité de plume
très calculée, il cache d'ailleurs un fonds de passion très intense et très
vive. On ne saurait lui en vouloir ; sans passion il n'est pas de véritable
amour de l'art ; mais alors il ne faut pas poser pour le sang-froid et l'in-
sensibilité. M. Evenepoel, que je tiens pour un très aimable et fort galant
homme, mais qui, la plume à la main, se laisse aller volontiers aux intem-
pérances de langage communes aux wagnériens de tous les pays, dit carré-
ment leur fait à ceux qu'il considère comme ses adversaires. Pour ma part,
je ne suis pas épargné dans son livre, et il me reproche particulièrement
un article sur la représentation des Maîtres chanteurs à Bruxelles, que je
publiai naguère dans ce journal et qui ne fut pas sans faire alors quelque
bruit.Il affirme qu'à ce propos je rééditai « les banalités et les redites inspirées
par mon hostilité aux tendances ^Yagnériennes ». C'est fort bien dit, mais
il est plus facile de traiter de niais les gens qui ne pensent pas comme
vous que de répondre à leurs arguments. Or, pour se dispenser d'y répon-
dre et d'entrer en discussion, M. Evenepoel se garde bien de citer une ligne
dudit article. Il en est de même pour d'autres que moi, on peut le croire
sans peine. M. Evenepoel se montre très fier du rôle très important et très
réel que la Belgique a joué dans l'expansion du mouvement wagnérien. Je
n'y vois aucun mal. Je n'en vois pas davantage à affirmer l'intérêt de son
livre, précisément destiné à constater l'importance de ce mouvement wag-
nérien belge, et qui restera en somme, sous ce rapport, une page d'histoire
artistique utile à consulter. Je lui souhaite seulement, en une autre occa-
sion, plus de charité envers d'honnêtes gens qui ne sont peut-être pas
LE MENESTREL
263
aussi sots qu'il le pense tout en ayant le malheur de différer d'opinion
avec lui sur certaines matières. A cet égard, certaines paroles de l'Evan-
gile lui seraient bonnes à méditer. A. P.
— La distribution des prix du Conservatoire de Nantes vient d'avoir
lieu sous la présidence de M. Linger, adjoint-délégué aux Beaux-Arts,
assisté de M. A. Weingaertner, directeur de l'École. Dans un très char-
mant discours, M. Linger a fait ressortir l'importance considérable qu'avait
prise l'Ecole sous l'impulsion de son dévoué directeur. Rappelant la visite
du dernier inspecteur, M. H. Maréchal, il s'est plu à constater que son
rapport plaçait l'école de Nantes parmi les meilleures succursales du
Conservatoire de Paris. Un brillant concert, dans lequel se sont fait
entendre les principaux lauréats, terminait la séance. A signaler, parmi
les plus applaudis : M"" Blanche Aubineau, 1"' prix de violon, élève de
M. A. Weingaertner, qui a interprété magistralement, et avec le beau
style de son maître, le 19""^ concerto de Viotti, et M"' A Girard, l™ prix
de chant, élève de M. Montaubry, le renommé chanteur que nous avons
applaudi autrefois à l'Opéra-Comique, et que l'école de Nantes a la bonne
fortune de compter au nombre de ses professeurs.
— Le conseil municipal de Bordeaux vient de voter une augmentation
de 23,000 francs à la subvention du Grand-Théâtre, et la réduction de la
saison lyrique de huit mois à sept mois.
— Une scène lyrique avec choeur et orchestre, intitulée Balthazar, de
M. Alexandre Guilmant, vient d'être exécutée avec grand succès à Nar-
bonne. Ajoutons que M. Guilmant est parti pour Bayreuth où il doit
donner un Récital d'orgue pour 1I"= Wagner et les amateurs de la grande
musique de Bach.
— L'église de Caudebec-lès-Elbeuf n'a rien à envier aux églises les
mieux dotées du département. Elle a aujourd'hui un orgue superbe de
quinze jeux, construit par Gavaillé-CoU, — c'est tout dire, — avec buffet et
galerie exécutés sur les dessins de M. Barthélémy. L'inauguration de ce
magnifique instrument avait lieu lundi, en présence de M. Thomas, arche-
vêque de Rouen; M. Raoul Pugno, organiste de Saint-Eugène, à Paris,
tenait l'orgue et en a fait ressortir toutes les sonorités, toutes les richesses,
toutes les ressources, tant dans l'exécution des œuvres de quelques maîtres,
que dans ses improvisations personnelles.
— M. Baume, le très excellent professeur de Toulouse, vient de clore son
année d'étude par une matinée des plus brillantes qui a fait valoir, non
seulement les excellentes qualités des élèves, mais aussi la parfaite mé-
thode du maître. Il nous faudrait citer tout le programme, si nous vou-
lions nommer tous les interprètes applaudis. Citons toutefois, parmi les
gros succès, les jeunes artistes qui ont joué les morceaux suivants : le
Menuet de Manon, de Massenet, la Chanson arabe et Autrefois, de A. Marmontel,
Valse des Olivettes et Valse des Ames infidèles de la Farandole, de Théodore
Dubois, 1'' Gavotte, l'olketta, Humoresque, de Raoul Pugno, l'Oiseau-mouche,
Cloches lointaines, 1"' solo de concours. Mazurka éolienne , Valse rapide, de
Théodore Lack, Mascarade, Valse des fdeuses, de Paul Rougnon, Gigue, de
A. Wormser, Chaconne, de Victor Roger, Passepied, Gaillarde, de V. Dolmetsch,
lia Mouche, de Delahaye, Valse interrompue, de P. Wachs.
— On nous écrit du Mont-Dore : La saison est extrêmement brillante
[cette année, et beaucoup d'artistes sont ici en ce moment : M">'^ Albani,
[Gonneau; MM. Jean et Edouard de Reszké, Lassalle, Vianesi, le pianiste
fLéon Delafosse, Ibos, etc. Les baigneurs n'auront pas à se plaindre !
— On nous écrit de Ghâteauroux : Le concert donné au théâtre
ipar M"'' Sophie Delerue, a été un succès sans précédent dans les annales
Fde notre ville. M"^ Delerue, rappelée après le Chant de Pdque, de Rougnon,
ia prouvé la souplesse de son talent en détaillant parfaitement la chanson
à boire des Bavards, d'Ofîenbach. M"° Maria Genoud, dans le Noël paien,
de Massenet, la Sérénade, de Thomé et le duo du Bot d'Vs, avec M"= De-
lerue, a charmé le public par sa voix argentine et si bien dirigée. Ces
excellentes artistes sont toutes deux élèves de M"" Marie RuetT. Puis
M. Baudin, le ténor que les Parisiens ont souvent applaudi, nous a fait
entendre Les myrtes sont flétris, de Faure, et le grand air de l'Africaine,
M"" Dinet les variations de Saint-Saëns sur un thème de Beethoven,
etc., etc. Salle comble et très enthousiaste.
NÉCROLOGIE
Un jeune violoniste de talent, M. Chauvat, qui faisait partie de l'or
chestre du casino de Saint-Malo, vient de se noyer en prenant un bain
de mer. Il n'avait que vingt-quatre ans. C'était un Angevin, récemment
encore secrétaire de M. Jules Bordier, président des Concerts populaires
d'Angers.
— L'Espagne vient de perdre, en la personne de M. José Inzenga, un
artiste fort distingué, à la fois compositeur, professeur et écrivain musi-
cal. Fils d'un maître de chant qui était aussi compositeur et d'une
excellente cantatrice amateur, Inzenga qui était né à Madrid, le 3 juin 1828,
commença ses études musicales avec son père et vint les continuer au
Conservatoire de Paris, où il obtenait, aux concours de 1846, un accessit
de piano , et un accessit d'harmonie . Après avoir rempli pendant
quelque temps les fonctions d'accompagnateur à l'Opéra-Cofnique, il
retourna à Madrid, où, en 1830, il prenait une part active à la fondation
du théâtre de Zarzuela. Dans l'espace de quelques années, il écrivit pour
ce théâtre, soit seul, soit en société avec MM.Barbieri, Oudrid, Hernando
ou Gaztambide, un certain nombre de zarzuelas, entre autres Por seguir a
una mujer (1831), ' Don Simplicio Bobaditla (18o3); un Dia de reinado (1834);
Cubierlos a cuatro reaies ; Oro, astucia y amor ; Si yo fuera rey, etc. En 1833,
Inzenga fut un des fondateurs de la Gaceta musical de Madrid, et en 1838, il
était nommé professeur surnuméraire de chant au conservatoire de cette
ville, pour devenir, deux ans plus tard, titulaire de sa classe. En 1837, il
avait été expressément chargé par le ministre de l'instruction publique
de recueillir dans une importante publication les airs des chansons et
des danses populaires de l'Espagne, si riche sous ce rapport. Il -s'occupa
avec ardeur de remplir cette mission et entreprit en effet sous ce titre :
Cantos y Bailes populares de Espana, la publication, d'un ouvrage très pré-
cieux dont trois volumes ont paru, consacrés aux provinces de Galice, de
Murcio et de Valence; sa mort laisse inachevé un quatrième volume,
destiné à la Catalogne. Comme compositeur et comme professeur, on doit
à Inzenga diverses œuvres de musique religieuse écrites pour le service
de la chapelle royale, un grand nombre de morceaux de piano etâe chant
et un manuel intitulé : Quelques observations sur l'art de l'accompagnement au
piano. A ia suite d'un voyage artistique en Italie, il a publié aussi sous
ce titre : Impresionas de un artista en Italia, un livre qui renferme, dit-on,
de bonnes vues sur l'art lyrique et sur l'art du chant. Lorsque le gouver-
nement espagnol créa à l'académie des beaux-arts de Saint-Ferdinand une
section musicale, Inzenga fut nommé membre de cette section de l'aca-
démie par décret du 28 mai 1873. A. P.
— D'Anvers on annonce la mort d'un excellent musicien qui, bien
qu'ayant passé la plus grande partie de sa vie en Amérique, a pourtant
laissé des traces de son activité dans plusieurs pays européens. Nous vou-
lons purler du D'' F. L. Ritter, de son vrai nom Caballero, né à Strasbourg
en 1834, de parents espagnols. Hauser et Schlesherer furent ses premiers
maîtres ; il poursuivit ses études à Paris et plus tard en Allemagne. En
1832, il fut appointé professeur de musique dans un séminaire protestant
à Fénestrange, en Lorraine. Il s'embdrqua pour l'Amérique en 1836 et se
fixa d'abord à Cincinnati où il fonda plusieurs associations musicales au-
jourd'hui florissantes, ensuite à New-York qu'il n'a plus quitté que pour
se rendre en Belgique au mois de juin dernier. Il jouissait d'une grande
notoriété à New-York, comme professeur, compositeur et littérateur. En
1878 l'Université de cette ville lui conféra le grade de docteur en musique.
Ses ouvrages d'enseignement sont aussi favorablement connus en Angle-
terre qu'en Amérique: on cite parmi les plus répandus la Musique en
Amérique, la Musique en Angleterre, Manuel d'histoire musicale et -surtout
l'Histoire de la musique, dédiée aux étudiants. 11 a, de plus, publié d'innom-
brables articles sur la musique dans les revues françaises, allemandes,
anglaises et américaines. Son bagage de compositeur, un peu moins con-
séquent, comprend quelques pièces et ouvertures symphoniques, un sep-
tuor, des quatuors, des pièces pour orgue et piano et différentes compo-
sitions vocales, pour la plupart d'un caractère religieux. 11 s'était marié
en secondes noces, avec M""= Fanny Raymond, morte il y a environ six mois,
qui s'était fait connaître par sa traduction anglaise de l'ouvrage de Schu-
mann, Essais et Critiques.
— Ippolito Stefanini, peintre décorateur renommé, vient de mourir, âgé
de 70 ans, à Milan. Il avait brossé la majorité des décors des théâtres de
Constantinople, du Caire, de Buenos-Ayres, de Guatemala, de Calcutta et
de Rio-Janeiro. Stefanini avait aussi travaillé pour la Scala.
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Sicilianne pour ténor . . Chant et piaDo 1 50
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Romance et scène, soprano — 2 »
Brindisi de TuriddOjXéuov — 3 "
Azzoni. . . . Petite transcription pour piano. . . 2 >>
Albano . . . Transcription pour harpe 2 «
Celega. . . . Grand Morceau pour piano .... 5 u
— Transcription^ piano à quatre mains . 4 50
l'rix Quls.
Gorrado . . . Transcription, mandoline el piano . 4 i>
De-Simone. . Chœur dHntroduzione . Piano solo. 3 »
— Sicilianne — 1 50
— Strophes d'Aîfio .... — 2 >j
— Homance de Santuzza . — 1 50
— Scelle, chœur et brindisi — 2 50
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, — IHPIUHEHIB CDAIX^ 20 K(JE BERGÈBE, PARIS.
Dimanche 23 Août i891.
3151 - 57""^ ANNÉE - N° 34. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fhanco i M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Teste et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIRE -TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (22» article), Albert Souries et Chaules
Malherbe. — II. Semaine théâtrale... espagnole, Arthur Pougin. — III. His-
toire anecdotique du Conservatoire (3" article), Aîs'dré Martinet. — W. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
UN BAISER
nouvelle mélodie de Charles Gbisart, poésie de Le Lasseur de Rauzay. —
Suivra immédiatement : Pour vous ! nouvelle mélodie de Paul Rougnon,
poésie de Roger Miles.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIAN'O: L'Étudiant en goguette, nouvelle marche de Philippe Fahrbach. —
Suivra immédiatement: Gaillarde, de V. Dolmetsch.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles IVIA.LHEItBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIBES : Le Voijuje en Chins, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(1860-1868)
(Suite.)
Le 3 septembre, la reprise de l'Épreuve villageoise, qu'on
n'avait pas jouée depuis 1861, servit au début de M"e Seveste,
artiste intelligente, dont le jeu l'emportait sur la voix. Se-
cond prix de chant et d'opéra-comique au Conservatoire
(classes Giulani et Mocker), en 1863, premier prix d'opéra-
comique en 1866, M"-; Séveste était, si l'on peut dire, de
lignage artistique. Son père et son oncle avaient dirigé jadis
le Théâtre-Lyrique, et pour frère elle 'avait ce jeune comé-
dien da Théâtre-Français, Seveste qui mourtit sur le champ
de bataille en 1870. Ce début de la nouvelle Denise fournit
l'occasion de montrer de quelle faveur régulière et continue
jouissait l'Epreuve villageoise à la salle Favart.
1833 — 28 représentalions.
1854 — 14 —
1853 — 12 — 1S61
1856 - 8 - 1866 - 12
1857 - 10 - 1867 - 27
1838 — 16 — 1868 — 1 1
Soit un total de 133 représentations.
1839 — 6 représenlations.
1860 — 7 —
A part une interruption de 1862 à 1866, l'ouvrage de
Grétry s'était donc maintenu presque vingt-cinq ans de suite.
Depuis la guerre, on l'a revu, mais au Châtelet, et avec des
interprètes tels que tout succès devenait impossible.
Les deux dernières reprises le même soir, 10 décembre,
n'avaient qu'un intérêt de distribution : le Chien du jardinier,
négligé depuis cinq ans, avec M'"' Seveste (Catherine), Bélia
(iVIarcelle), IVIM. Crosti (Justin), Ponchard (François), et Lalla-
Roukh, avec M'"^^ cico et Bélia, MM. Gapoul et Melchissédec,
qui, pour la première fois, tenaient les rôles de Nourredin et
de Baskir.
Pour compléter le journal du théâtre à cette époque, il
reste à mentionner la mort de Lejeune, artiste modeste qui
jouait les utilités, le début malheureux de M^"^ Labat, le
26 juillet, dans la Fille du régiment, et la rentrée de M"i« Ugalde
dins Galathée, le 6 juillet, puis dans le Caid, retour d'Orléans,
bientôt suivi de départ, puisque l'inconslante cantatrice re-
tournait aux Bouffes-Parisiens. D'autres retraites se produisent
encore, laissaat quelques vides, par exemple celles de
M. Nathan et de M'^^^ Decroix et Monrose, et surtout de la
vieille M"* Casimir, celle que Crosti baptisait plaisamment
M'™ Quasi mir et qui tenait avec bonhomie et sans voix les
rôles de duègne, après avoir si brillamment créé Zampa et le
Pré aux Cleixs, dont le 7 octobre on donnait la 883" représen-
tations avec la 413'^ de Marie.
De tels chevrons n'étaient pas réservés au Fils du brigadier.
Cet opéra-comique en trois actes, joué pour la première fois
le 2j février 1867, avait pour librettistes Labiche et Delà-
court, et les deux noms faisaient espérer quelque pendant
au Voyage en Chine; il n'en fut rien. La pièce met en scène
un père et un fils, servant sous le môme drapeau français
pendant les guerres d'Espagne, l'un comme brigadier, le
père ; l'autre comme oflicier, le fils. On devine que pour
avoir obtenu si peu d'avancement dans sa carrière, le père
doit cacher quelque défaut; il se grise en effet, et, le soir
d'une bataille, il a levé la main sur son supérieur, sur son
fils ! Les péripéties par lesquelles passent les deux héros de
cette aventure dont un adjudant a été témoin, et qui doit se
dénouer au conseil de guerre, — favorablement, bien entendu —
forment l'intrigue de cette comédie dramatique, ou de ce drame
comique. La partition n'était pas dénuée de valeur; on pourrait
citer le rondo bouffe dit par Leroy (Frédéric), « Ah! qui me
rendra maman et papa! », l'invocation au vin et au cigare
spirituellement dite par M'"^ Girard (l'hôtelière Catelina), un
charmant duo de femmes, une romance bien chanlée par
Crosti qui, pour le rôle du brigadier, avait pris la place de
Gouderc, alors indisposé. Mais l'ensemble de la partiiion de-
meurait terne. Montaubry, chargé du rôle principal (Emile),
lui prétait le faible appui d'une voix 1res fatiguée; in levan-
266
LE MÉNESTREL
che, le chapeau que portait M"" Marie Rôze (Thérèse), au se-
cond acte, fit à ce point sensation qu'il excita la verve d'un
journal plus sérieux d'ordinaire, le Temps. Il semblait d'ail-
leurs qu'à cette époque Victor Massé ne put retrouver sa
verve d'antan. La malchance s'acharnait après lui. Il traite
un sujet poétique, Fior d'Aliza, et se heurte au succès du
Voyage en Chine, une pièce gaie ; il veut traiter un sujet gai,
en s'adressant à Labiche et Delacour, et se heurte au triom-
phe de Mignon, une pièce poétique, et n'obtient que vingt-deux
représentations. Désormais la fécondité du compositeur se
ralentit; Paul et Virginie, le nouvel ouvrage qu'il met aussitôt
sur chantier, ne voit le jour que neuf ans plus lard ; et la
Nuit de Cléopâtre, son chant du cygne, ne parait à l'Opéra-
Comique qu'après sa mort. Gomme on le voit, le goût des
grands ouvrages le hantait à la fin de sa carrière. Les succès
ou demi-succès de la Reine Topaze et des Saisons lui faisaient
oublier les échecs de la Fée Carabosse, de la Fiancée du Diable,
de Fior d'Aliza. Il dédaignait ce genre léger auquel il devait
sa plus pure gloire. Théophile Gautier disait : «; Le vrai accom-
pagnement d'un opéra en un acte, ce sont les bancs qui re-
tombent, les portes qui s'ouvrent et les gens qui se mou-
chent. » Victor Slassé partageait cette manière de voir, et
depuis longtemps, il n'admettait plus, pour son usage per-
sonnel, que les pièces de longue haleine, comme le prouve
ce fragment d'une de ses lettres portant la date de 1858. « Si
je continuais à écrire des levers de rideau, je serais bientôt
parqué dans ce genre, comme Ziem dans ses vues de Venise,
Jacque dans ses cochons, Corot dans ses effets du matin.
Quand Meissonier fait un tableau, malgré sa petitesse, on
connaît sa grande valeur. Il n'en est pas ainsi des opéras-
comiques en un acte. Le public me croira donc plus fort
maintenant que je quitte les soi-disant petites choses pour les
grandes. En musique le préjugé delà tragédie existe encore. »
Erreur ou illusion, quelque succès qu'aient obtenu certains
de ses ouvrages en trois actes, ce sont les JS'oces de Jeannette et
Galathée qui feront vivre sa mémoire.
Quatre jours avant le Fils du brigadier, une représentation
extraordinaire avait été donnée au bénéiice de la caisse de
secours des artistes de l'orchestre. Ces séances, aujourd'hui
relativement rares dans les théâtres subventionnés, se pro-
duisaient alors volontiers. On en compte une en J86o, le
9 janvier, pour la caisse de secours des artistes dramatiques
et trois en 1867. Celle de I86S offrait comme principale at-
traction la célèbre Frezzolini, chantant un air de la Somnam-
bule et un air de ifartha. Le programme réunissait, en outre,
les concours de l'Opéra-Gomique pour le deuxième acte de
Galathée (Gourdin, Ponchard, Sainte-Foy, M""-'Gabel) ; de l'Opéra
pour un pas de trois, dansé par M. Coralli, M"'* Villiers et
Fiocre ; des Variétés, pour Un gardon de chez féry (Potier,
Courtes, M"« Bader); des Français, pour la Famille Poisson
(Provost père et fils, Talbot, Barré, M"« Emilie Dubois) ; en-
fin, de Levassor, qui récita /es Rêves d'un Anglais, et de Sarasale
qui exécuta une fantaisie sur Faust. En 1867, des trois repré-
sentations extraordinaires la plus brillante comme recette
fut celle qui eut lieu le 25 mars, au bénéfice de M™ Galli-
Marié ; on avait doublé le prix des places et réalisé la somme
de 32,114 fr. 60 c. M""^ Nilsson (air de la Flûte enchantée et
deux mélodies suédoises), M""^ Cabel, MM. Caron, Sainte-Foy,
Ritter, accompagnaient sur l'afBchele premier acte de Mignon,
et les Rendez-vous bourgeois joués en travesti et distribués ainsi:
M™ Ugalde (Bertrand) parfaite et notamment dans la scène
de la peur ; M»' Marie Rôze (Charles), charmante dans son
costume de satin rose ; M™ Alphonsine (Dugravier), un peu
trop caricaturale; M™ Galli-Marié (César), très menue et in-
I férieure à ce que l'on attendait d'elle ; M"'' Seveste (Jasmin),
MM. Bataille (Reine); Capou) (Louise), portant à ravir la robe
blanche; Crosti (Julie), excellent et rappelant à s'y méprendre
la mère Boisgontier. Maigre l'attrait de celte distribution cu-
rieuse et injustement critiquée par la presse, la tentative ne
se renouvela pas, et le 14 mai, la représentation extraordi-
naire au profit de la caisse de secours des auteurs, ramena
les Rendez-vous bourgeois, mais non travestis, en compagnie du
quatrième acte de la Juive (Villaiet et M"" Mauduit), et du
Cas de conscience (Bressant, Mirecourt et M'"« Plessy); M""^^ Nil-
sson et Vandenheuvel-Duprez participèrent à cette séance qui
produisit 7,051 francs. La représentation du 21 février fut la
plus modeste, puisqu'elle ne produisit que 3,486 fr. 50 c. de
recette. Les Deux Sourds, joués par la troupe des Variétés, le
Legs, par la troupe des Français, le premier acte de Joseph,
par la troupe de l'Opéra-Comique, des chansonnettes dites
par Sainte-Foy et les frères Lionnet, un duo pour violon et
piano sur des motifs de Gounod exécuté par Sarasate et Diémer
se partageaient les honneurs du programme. On y entendit
une cantatrice suédoise, M''"^ Mina Gelhaar, premier soprano
de l'Opéra de Stocliholm, qui, dans les variations de Rode,
l'air de la Reine Topaze, une mélodie suédoise et une mélodie
norvégienne, ne parvint pas à éclipsersacompatrioteet rivale,
Nilsson. Ce même soir, les prix de Rome virent se produire
un essai qui ne devait pas se renouveler. Tandis que les
cantates couronnées par l'Institut sont aujourd'hui uniformé-
ment interprétées à l'Institut même, dans la grande salle des
séances, au mépris des lois les plus élémentaires de l'acous-
tique, alors on cherchait un local propre à ces auditions, et
chaque année amenait son déplacement.
La cantate de 1864, Ivanhoé, poème de Roussy, musique de
Sieg, fut exécutée le 18 novembre, à l'Opéra; celle de 1865,
Renaud dans les jardins d'Armide, poème de Camille du Locle,
musique de Ch. Lenepveu, élève d'Ambroise Thomas, fut
exécutée par Capoul, Petit, M"'^ Marie Rôze, le 4 janvier 1866,
dans la salle du Conservatoire ; celle de 1866, Dcdila, poème de
Vierne, musique d'Emile Pessard, élève de Carafa et Bazin, fut
exécutée par Caron, Ponsard, M'" Éléonore Peyret, rempla-
çant M"'8 Marie Sasse alors malade, le 21 février à VOpéra-
Comique. Celle de 1867, le Dernier Abencérage, poème de Cicil,
ne fut jamais exécutée, le prix n'ayant pas été décerné cette
année-là : les concurrents malheureux, dont deux devaieot
prendre leur revanche, et les deux autres se faire tout de
même une place dans le monde musical, s'appelaient Salvayre,
Henri Maréchal, Benjamin Godard et Emile Bernard I
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE...
ESPAGNOLE
Lorsqu'un critique fait tant que de s'éloigner de Paris poar
quelques semaines, qu'il se rende à la montagne ou à la mer, ce
n'est généralement pas pour rechercher ce qu'il vient de quitterai
qu'il sait bien devoir retrouver à son retour. Théâtre ou musique,
il est certain que nous en avons été saturés au cours de la longue
saison parisienne, et si nous fuyons momentanément Paris qui nous
est si cher, et à tant de titres, c'est pour chercher au grand air un
peu de repos et de tranquillité d'esprit qui nous permettra de re-
prendre ensuite avec une nouvelle vaillance le cours de nos exploits
ordinaires.
Depuis dix jours que je suis dans les Pyrénées, où j'ai fait à
pied, le bâton à la main, une assez jolie course de près de trois cents
liilomèlres, je suis cependant incessamment poursuivi par les souve-
nirs de notre vie parisienne. Si j'ai pu visiter el admirer successive-
ment l'incomparable gorge de Pierretitte, la route austère et superbe
qui mène à Cauterets, el celle de Barèges, elle cirque deGavarnie,
el les jolis entours d'Argelez, el la terrasse de Pau, et la plage de
Biarritz, et celle de Saint-Jean-de-Luz, et l'adorable village de Saint-
Sauveur, el la barre de l'Adour à Bayonne, — si j'ai pu voir tout
cela el d'autres choses encore, c'est que j'étais bien décidé à fuir
toute espèce de casino, et à passer indifférent, à côté de toute sorte
de centre artistique estival. Et Dieu sait pourtant si j'en ai ren-
contré, el si j'étais sollicité de toutes parts ! A Argelez, c'était
l'orchestre de notre ami Danbé ; à Cauterets, c'était la troupe de
M. Frédéric Aehard; à Biarritz, c'était celle de M"'= Reichenberg ;
à Bayonne, c'étaient les concerts classiques de M. Arthur Steck; à
Saint-Jean-de-Luz, c'étaient ceux, moins austères, de MM. Fournets
el Clément, que sais-jeî...
LE MENESTREL
267
Voici pourtant que, dès mon arrivée à Bayonne, la rage du spec-
tacle me reprend. Pourquoi donc? Ah! c'est qu'il s'agit cette fois
d'un spectacle d'une nature et d'un relief tout particuliers, d'un
spectacle sui generis, qu'il faut voir dans son milieu pour l'avoir
complet et le pouvoir bien juger; car ici les spectateurs sont aussi
intéressants à observer que ce qu'ils viennent contempler eux-mêmes.
Or, on n'est pas toujours aux portes de l'Espagne, et l'on n'a pas,
par conséquent, loujours la possibilité d'assister à une course de
taureaux à Saint-Sébastien, la ville par excellence des grandes et
brillantes courses de taureaux. Celles dont on nous gratifie aux
arènes de la rue Pergolèse ressemblent à celles-ci à peu près comme
la butte Montmartre ressemble au pic de Bergons ou nos fontaines
Wallace aux cascades de Gavarnie.
Depuis mon arrivée dans la contrée, j'étais poursuivi par les
affiches annonçant toute une série de courses devant avoir lieu à
Saint-Sébastien les 3, 10, 15, 16, 23 et 30 août, aflTicbes qui. en pu-
bliant le programme complet de ces aimables fêtes de boucherie,
nous donnaient les portraits (pas flatteurs, je dois le dire) des
principaux bouchers qui devaient les illustrer, je veux dire des
héros chargés d'occire les infortunés taureaux, soit le fameux Lagartijo,
le non moins fameux Luis Mazzantini, puis Angel Paslor, Espartero
et quelques autres. Une publicité énorme avait été faite, en effet,
à celte occasion, dans tout le midi de la France, depuis Bordeaux
jusqu'à Marseille, et des trains de plaisir avaient été organisés de
Bordeaux, d'Agen, de Toulouse et d'ailleurs, à prix extrêmement
réduits, pour affrioler les populations, qui, d'ailleurs, ont vigoureu-
sement répondu à l'appel. De fait, tant d'étrangers avaient pris
rendez-vous à Bayonne à ce sujet, que lorsque j'arrivai le samedi
soir, c'est par une sorte de grâce d'étal que je réussis à trouver une
chambre, tandis que plus de deux cents personnes en étaient
réduites à passer la nuit dans les salles de la gare.
Le dimanche matin, à huit heures, nous nous entassons dans un
train formidable, composé pour une certaine partie d'Espagnols qui
viennent passer l'été dans nos stations tiiermales des Pyrénées, mais
dont tous les autres voyageurs étaient des Français accourus de
divers côtés. Le trajet est superbe. Nous passons devant Biarritz, et
à chaque station c'est un afflux d'amateurs qui viennent combler
encore un train déjà bondé de toutes parts. Le soleil est superbe
et brille de tout son éclat. Nous atteignons bientôt le joli petit
village de Guelhary, type du vrai village basque, qui s'étage gen-
timent sur de petits mamelons au bord de la mer, gai, souriant,
avec ses petites maisons coquettes aux murs tout réchampis de
blanc, aux volets verts, aux toits recouverts de tuiles rouges qui
reluisent aux feux du soleil, le tout aimable, gracieux et brillant de
propreté, avec, tout au fond, la mer s'étendant à perte de vue, la
mer, dont l'azur profond semble celui de la Méditerranée et se
Iconfond en quelque sorte avec le bleu du ciel. Je revois ensuite,
■en passant, la belle rade de Saint-Jean-de-Luz, puis nous traversons
la dernière gare française, celle de Hendaye, et, après avoir franchi
la Bidassoa, qui forme la frontière naturelle des deux pays, nous
atteignons la première gare espagnole, celle d'Iran, où se fait le
transbordement. Je dois dire que te changement n'est pas en faveur
de l'Espagne. Ici, les ■wagons sont sales, délabrés, sans confort ni
propreté. Enfin, ce n'est par pour la contemplation du matériel de
la Compagnie du Nord de l'Espagne que nous allons à Saint-
Sébastien! J'aime mieux considérer les miquelets, garde de police
provinciale, dont l'uniforme assez singulier se compose d'un pantalon
garance, d'une espèce de blouse de laine bleue avec large pèleriue,
serrée à la ceinture, et d'un béret rouge comme le pantalon.
A onze heures, nous arrivons à Saint-Sébastien. La course n'est
que pour quatre heures. On a le temps de flâner un peu par la
ville ; j'en profite. La gare est en dehors de la ville. Pour pénétrer
dans celle-ci, il faut franchir le Loyola sur un beau pont de pierre
au delà duquel on aperçoit la mer dans toute sa- splendeur. Je vague
au hasard, à droite et à gauche, pendant quelques heures, parcou-
rant de beaux boulevards, puis des rues étroites, traversant quel-
ques larges places, entre autres la place de la Constitution, oîi je
vois les belles dames espagnoles, au sortir de la messe, venir s'as-
seoir à l'ombre des grands arbres, étaler leurs brillantes toilettes,
moins jolies qu'elles encore, et organiser une potinière fort animée.
Mais il est temps de penser au déjeuner, ce qui n'est pas très
'facile à exécuter dans cette ville de vingt-cinq mille habitants prise
d'assaut par vingt mille étrangers. J'y parviens cependant, non
sans peine d'ailleurs, puis, en fumant une cigarette, je me rends
à l'arène, après m'êlre muni, au prix de 9 francs, d'un billet d'en-
trée dont le coût assez élevé m'assure au moins que je serai placé
de façon à n'être ni brûlé ni aveuglé par le soleil.
L'arène de Saint-Sébastien, incendiée il y a quelque dix ans, a
été reconstruite par les soins des principaux toreros d'Espagne, les
Lagartijo et outres, qui ont formé entre eux une association — on
dirait aujourd'hui un syndicat — pour exploiter eux-mêmes leurs
talents et se faire les chefs de leur entreprise. Elle contient dix mille
spectateurs et réalise chaque fois une recette de 30,000 francs. A
supposer que les frais de chaque coriida s'élèvent à 13,000 francs,
c'est, pour une seule série de six séances comme celle qui se pour-
suit en ce moment, un bénéfice net de 90,000 francs, ce qui ne laisse
pas d'être agréable. On ne peut guère évaluer ces frais aune somme
moindre, si l'on songe que chaque taureau coûte en moyenne
2,000 francs, et qu'on en sacrifie six dans chaque course. Il est vrai
que ces infortunés animaux sont dépecés séance tenante, et que leur
chair est vendue le lendemain au marché. Mais il faut compter
aussi avec les trente chevaux éventrés, bien que ces chevaux soient
assurément des descendants directs de Rossinante.
La vue de l'arèue est saisissante pour qui y pénètre sans être
accoutumé à un tel spectacle. Au-dessus de l'amphithéâtre qui borde
la piste, s'élèvent trois vastes galeries qui, comme lui, regorgent
de spectateurs ; il n'y a pas une place libre, et comme, d'ailleurs,
toutes ces places sont numérotées, depuis la première jusqu'à la
dix millième, tout se fait avec un ordre parfait et sans la moindre
confusion. Il ne faudrait pas croire, par exemple, à une apparence
même de confortable: on ne connaît là ni fauteuils, ni banquettes
quelque soit peu rembourrées ; de simples bancs de bois, sur les-
quels sont peints les numéros, et c'est tout. Mais la construction,
aussi simple que possible, est si bien entendue, que de partout on
voit merveilleusement; l'essentiel est de ne pas être, autant que
faire se peut, du côté du soleil. Mais, je le répète, la vue de cette
immense salle est superbe, avec cette multitude bruyante, animée,
bigarrée, et ivre en quelque sorte par avance de l'hoi'rible plaisir
qu'elle se promet.
Un palco est réservé, au second étage, pour l'orchestre, qu'on n'a
guère l'occasion d'entendre, au milieu des cris et des vociférations
des spectateurs. Tout à côté, un autre imko est occupé par un déta-
chement de cinq':ante gendarmes, précaution qui, paraît-il, n'est
pas toujours inutile. Sur le devant de ces deux vastes loges, on a
peint le programme de cette série de courses, avec le nom de chaque
spada qui doit l'illustrer : le 9 aoûl. Luis Mazzantini ; le 13 et le 16,
Lagartijo et Angel Pastor ; le 23, Falco et Golorn ; le 30 Espartero
et Guerrita. El comme il faut être prudent, bien que les accidents
humains soient et doivent être extrêmement rares, un prêtre est tou-
jours en permanence dans le local des toreros pour assister celui
auquel il arriverait malheur.
Le personnel de combat esl nombreux. En dehors des deux person-
nages principaux, des deux héros, qui ont charge de percer le tau-
reau de leur épée, il y a les banderilleros, qui doivent lui planter
des flèches (banderilles) dans les épaules, puis les picadores, à cheval,
qui le piquent à la face de leur lance, et enfin ceux qui sont particu-
lièrement chargés de l'exciter à l'aide des draperies flottantes qu'ils
déploienl de tous côtés devant lui. Ceux-ci sont remarquables par
l'étonnante agilité dont ils font preuve lorsque, poursuivis par l'ani-
mal, ils franchissent d'un saut la barrière de la piste pour retomber
dans le couloir qui entoure celle-ci et où ils se trouvent à l'abri.
Les uns et les autres ont les riches costumes que l'on connaît:
culotte de soie ou de velours, de couleurs diverses, brillamment
soulachéj sur le côté ; bas de soie blancs et escarpins ; veste riche-
ment brodée aussi, sur une chemise d'une blancheur éclatante, avec
cravate noire ; pour coiffure, le sombrero national. Les picadores
portent la veste de même genre ; mais la culotte esl de peau molle,
avec jambières par-.dlles, et le sombrero est remplacé par un large
chapeau de feutre gris. Enfin, la piste est encore occupée par un
certain nombre de servants, les uns en pantalon et chemises blancs,
ceux-là bleus, d'autres rouges, tous avec le béret rouge.
La première et la seconde course sont relativement peu animées.
Acteurs et spectateurs ne sont pas encore échauffés. Mais peu à peu
la vue du sang grise les uns et les autres, et bientôt cela devient
une véritable orgie de sauvagerie cruelle. Le taureau esl superbe
lorsqu'il se présente sur la piste, la démarche puissante, le regard
fier, ne sachant rien évidemment du drame dont il va être en même
temps le héros et la victime, mais conscient de sa force et prêt à
tout. Tout d'abord, ce ne sont que jeux d'enfants, destinés à l'émons-
liUer et à l'exciter quelque peu à l'aide des draperies de toutes
couleurs qu'on déploie rapidement devant lui de tous côtés et qu'il
cherche à poursuivre inutilement. Quand on l'a mis ainsi un peu en
train, l'action se prépare. Un picador se présente sur son cheval, la
lance à la main, et s'apprête à la lutte. Il cherche à joindre le tau-
2J8
LE MEiNESflŒL
reau, puis, une fois près de lui, attend, au milieu de diverses évolu-
tioDS, le moment de le frapper. Les voici l'un devant l'autre; la lance
fend l'air, glisse sur le front de l'animal, le coup est manqué; c'fst
le malheureux cheval qui va payer la maladresse de son cavalier.
Immédiatement le taureau se jette sur lui, lui enfonce ses cornes
dans le ventre, le soulève et le retourne: le cheval tombe sur le dos,
le cavalier restant sous lui. Aussitôt les draperies de recommencer
leur jeu pour attirer ailleurs l'altention du taureau et l'empêcher de
s'attaquer au picador, qu'on relève pendant ce temps. A celui-ci un
autre succède, puis un autre, et j'ai vu ainsi dans une seule course,
jusqu'à sept chevaux, morts ou mourants, dans l'arène; l'un de ces
malheureux, je ne sais par quel effort, s'est relevé et s'est mis à
courir encore, seul et affolé, au milieu de l'arène, ses entrailles
pendantes sous lui, pour enfin retomber et expirer dans un spasme
suprême. C'est honible!
Toutefois, ce n'est encore là que le commencement, une sorte de
mise en train. Le taureau, à peine touché ou non touché encore, est
néanmoins très excité et n'a rien perdu de sa force. Voici venir le
tour des banderilleros. L'un d'eux s'avance, une flèche dans chaque
main, tt se présente aux regards de l'animal. L'assistance commence
à s'animer; on crie, on applaudit, on vocifère, c'est par instants un
vacarme effroyable. Si le taureau n'a pas l'air de s'occuper de son
nouvel adversaire, on le siJIle; si celui-ci manque son coup, c'est lui
qu'on siffle avec rage. Enfin, les voici l'un et l'autre en présence •
l'homme avance, recule, fait des sauts de toute sorte, selon les divers
mouvements de l'animal ; enfin, d'un mouvement lesle, et tout en
évitant les cornes, il lui plante ses deux flèches dans les épaules
et s'éloigne avec rapidité. Une immense clameur d'enthousiasme
s'élève alors de la foule, qui applaudit frénétiquement.
Mais le taureau a senti son sang couler; la colère le prend, et ses
bonds deviennent furieux. Un autre banderillero se présente,' après
lui un autre, puis un autre encore. Deux, quatre, six, huit flèches
so::t enfoncées successivement dans son cou, et son sang coule de
toules ses blessuies. Sa fureur est bientôt à son comble. C'est le tour
de la spada et du duel final. Lagartijo s'avance, un drapeau roun-e
dans la main gauche pour exciter encore l'animal, son épée dansia
main droite, qu'il doil lui planter entre les deux épaules, à l'endroit
précis qui doit le faire tomber. Le moment est suprême; le combat
se prolonge souvent pendant plusieurs minutes, et pendant tout
ce temps les hurlements, les applaudissements, les cris :1e cette
foule bestiale, ivre de sang, saoule de cet immonde plaisir, ne
cessent d'excit.r l'un contre l'autre l'homme et la bête. L'homme
manque-t-il son coup? Un ouragan de sifilets s'élève aussitôt, dont
on ne saurait se faire une idée. Plante-t-il enfin son épée d'ans le
cou du taureau de façon à ce qu'elle ressorte par devant, et celui-ci
tombe-t-il comme une masse, en pous.^ant un rugissement de
douleur? il faut voir l'enthousiasme, il faut voir les chapeaux et
les mouchoirs s'agiter, il faut voir tous ces hommes debout, criant
clamant, hurlant, gesticulant, absolument fous d'une joie' que je
me refuserai toujours à coraprendie, tandis que sous forme de coup
de grâce on plante un dernier poignard dans le cou de l'animal
dont le sang inonde l'arène.
Mais après chaque course, il faut vider cette arène et la nettoyer
de ce qui l'encombre. C'est l'affaire des servants, et la chose est
faite en deux minutes. Pour cela on voit venir tour à four autant
d'attelages de trois mules caparaçonnées qu'il y a de corps d'ani-
maux morts sur la piste; ces attelages entrent au grand o-alop
chacun d'eux est muni d'un crochet qui s'accroche à chaque corp«'
et lorsque ce crochet est fixé, l'attelage, entraînant sur le sable lé
corps de la bête dont il est chargé, fait, au même grand galop le
tour de la piste, excité par les cris et les coups de fouet ^des ser-
vants, et transporte au dehors ; on fardeau.
Il va sans dire qu'il se présente des incidents. Le taureau a la
vie dure, et la difficulté d'en venir à bout est parfois extraordinaire
J'en ai vu un, frappé tout d'abord de trois coups de lance ayant
huit banderdles fixées dans les épaules, l'épée plantée dans' le cou
ruisselant de sang, éeumant de rage, de fatigue et do douleur à bout
de forces mais non de courage, luttant encore, ne voulaut' pas se
rendre, et d'un bond furieux franchi.ssani, en l'écrasant la barrière
de la piste, pour tomber, épuisé enfin, dans le couloir Circulaire oii
il fallut l'achever. Je garantis que pendant un instant ses voisins
n'ont pas été à la noce. Pour le moment, ils ne pensaient sucre à
applaudir, j'en réponds.
Voilà ce que c'est que les vraies courses de taureaux espao-uoles
tel est le spectacle qu'elles offient aux regards de l'amateur'' telles
sont les aimables jouissances qu'elles lui proeurent. Lorsqu'on en
irouve l'occasion, il faut les voir, parce qu'il faut tout voir Mais
en ce qui nous concerne, nous autres Français, je crois que peu
seront lentes d'y retourner, et ce qui a fait ma joie, c'est l'unani-
mité avec laquelle, au retour à Bayonne, dans le train, et malgré la
présence de nombreux Espagnols, on exprimait le sentiment d'é-
cœurement et de dégoût que faisait naître un tel spectacle. Non, je
ne crois pas que jamais on parvienne à acclimater cela en France.
Dieu merci, nous n'en sommes pas encore là.
Abtuur Pougin.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
(Suite)
CHAPITRE II
L INSTITUT NATIONAL DE MUSIQUE
(1790-1793)
Les théâtres marchent de concert avec les manifestations popu-
laires; leurs programmes en soat comme un écho. Voici que les
comédiens du Roi représentent en janvier, Epiménide ou le Réveil de
la Liberté; tandis que s'entasse à la Monnaie, la vaisselle d'argent,
sacrifiée à l'envi par le clergé, par la noblesse et la bourgeoisie,
les Dangers de l'opinion apparaissent sur l'affiche de la Nation.
Bientôt, à l'Opéra, on osera mettre Louis IX en scène ; Talma
adressera une plainte contre le curé de Saint-Sulpice qui a refusé
de le marier.
La misère grandit et, par ordre de la Municipalité, oa multiplie les
représentations au profit des pauvres. Puis les journaux, tout entiers
au formidable bouleversement qui menace, abandonnent musique et
théâtres. Une note apprend que dans le Despotisme renversé, l'or-
chestre a joué le Ça ira, mais on néglige de rendre compte des
opéras nouveaux; on nous annonce que, le â avril 1791, toutes les
scènes parisiennes font relâche à la nouvelle de la mort de Mirabeau,
et on s'occupe à peine de la séparation survenue entre les comédiens.
Quand commence l'année 1792, le sieur Dorfeuille réussit à inté-
resser quelques gazettes à un projet gigantesque. Il veut fonder
un grand théâtre embrassant tous les genres, théâtre de la Réunion
des Aits, auquel serait attachée une École de chant, de déclamation
et de danse. Il suffirait pour réaliser ce plan, d'une souscription de
3,000 billets à 3,000 livres.
Le versement proposé rencontre peu d'amateurs ; il n'était plus
question de musique.
La garde nationale a tous les sourires de la foule : c'est son
uniforme que porte le Dauphin, lors de la dernière revue passée
par le Roi et la Reine dans les Champs-Elysées; c'est pour sa musi-
que que, dès la fin de 1789, Bernard Sarrette, capitaine d'état-major,
a léuni quarante-cinq hommes, leur a donné des maîtres, les a fait
instruire. L'année suivaute, la Municipalité les prend à sa cliarge.
Un arrêté de la Commune, daté du 9 juin 1792, institue : l'École
gratuite de Musique de la Garde nationale parisienne.
Les soixante bataillons présentent cent vingt élève.», fils de gardes
nationaux. Les uns, âgés de 10 à 16 ans, n'ont encore aucune con-
naissance musicale, tandis qu'une certaine instruction est exigée des
autres, ayant de 18 à 20 ans.
Les élèves doivent se pourvoir d'un uniforme, se fournir d'instru-
ments, de papier à musique sur lequel ils transcriront durant une
heure, chaque jour, les ouvrages nécessaires à leurs études. Ils
recevront, par semaine, deux leçons de solfège, trois d'instruments.
La République veut multiplier les fêtes, les cérémonies imitées
de l'antique, et la musique figurera au premier rang de ses pro-
grammes.
Le 20 brumaire, an II (10 novembre 1793), dans Notre-Dame,
nouvellement épurée, un hymne à la déesse Raison souligne l'enthou-
siasme des adorateurs.
Dix jours plus taid, l'École de la Garde Nationale donna son
premier exercice public, sur le théâtre de la rue Feydeau. Un
discours de Sarrette, vantant les mérites et l'utilité de l'institution,
remplit l'entr'acLe du concert dans lequel on a remarqué une ouver-
ture de Catel « élève de Gossec, si universellement connu, soit
comme le premier harmoniste de France, soit comme excellent
LE MENESTREL
269
républicain. » Accueillis avec une faveur marquée le ci-devant 0
Salutaris de Gosseo encore, exécuté à trois cors, et, du même, une
symphonie concertante pour onze instruments à vent.
La prise de Toulon est célébrée le 10 nivôse (30 décembre).
Dans le cortège, organisé par David, prennent place SO tambours,
les musiques de la force armée parisienne, les artistes chargés de
l'exécution des hymnes.
Choeur au départ, chœur au temple de l'Humanité, où les Inva-
lides se joignent au défilé, chœur au Champ-de-Mars devant l'autel
de l'Immortalité.
Chants et instruments vont prendre une telle importance dans les
cérémonies, qu'un magasin de musique à l'usage des files nalionales
s'établit rue Joseph, section de Brutus. On y annonce la publi-
cation de l'hymne à la Divinité par Bruny, de l'hymne à l'Être suprême
composé par Gossec:
Ton temple est sur les monts, dans les airs, sur les ondes,
Tu n'as point de passé, tu n'as point d'avenir.
Et sans les occuper tu remplis tous les mondes
Qui ne peuvent te contenir.
La mise en scène de la fête du 19 prairial a été minutieusement
réglée d'avance par David. Cent tambours et les élèves de l'Institut
national, qui vieni, par décret de la Convention, de remplacer
l'Ecole de Musique, accompagneront le peuple dans l'hommage
rendu à l'Être suprême. « Les jeunes filles jetteront des fleurs vers
te ciel et, simultanément, les adolescents tireront leurs sabres et
jureront de rendre partout leurs armes victorieuses. Les vieillards
ravis apposeront leurs maius sur leurs lètes. Après la dernière
strophe, loas les Français confondant leurs sentiments dans un
embrassement fraternel, termineront la fête en faisant retentir les
ail s du cri général : Vive la République! »
La victoire de Fleurus donne prétexte à une fête à laquelle est
convié l'Institut national; Catel est désigné pour écrire le chœur
patriotique :
Soleil, témoin de la victoire.
Sois fier d'éclairer des Français !
Les élèves de la Patrie qui apprennent la natation à l'école du
citoyen Tarquin, réclament eux aussi un orchestre pour célébrer,
comme leurs aines, les lauriers de Fleurus. s II y a eu danse dans
le bassin par un grand nombre de nageurs, ce qui a rendu cette fête
des plus agréables. »
Hymne de Méhul pour la l'ète de Barra et de Viala, chœur de
Catel le 23 thermidor, chants de victoire, fanfares de trompettes se
suivent de près.
Le deuxième jour des sans-culotlides, apparaît le nom de Chéru-
bin!, célébrant, sur une pièce de Chéuier, la gloire des martyrs de
la Liberté et de ses défenseurs. Le corps de Marat est porté au
Panthéon; « une musique mélodieuse, dont le caractère doux et
tranquille peindra l'immortalité », salue le cortège à l'entrée du
Temple.
"Vient, avec l'an III, le tour de Rousseau. Ses restes vont être
transportés sous le dôme consacré aux grands hommes; on veut
honorer à la lois l'auteur d'Emile el le compositeur du Devin du
village.
La fête commence aux Tuileries, oix le corps a passé la nuit sur
un bassin orné de lampions, rappelant par une décoration ingéuieuse,
l'île d'Ermenonville.
Le rôle de l'Institut national commence dès l'arrivée de la Conven-
llion, saluée par l'air: « J'ai perdu tout mon bonheur. » Après la lec-
[ture du décret accordant aux cendres les honneurs de l'apothéose,
fàutre mélodie emprunlée, elle aussi, à l'œuvre de Jean-Jacques :
« Dans ma cabane obscure ». Enfin, quand le cercueil paraît à l'entrée
fei Panthéon, éclate le motif connu : « Je l'ai planté, je l'ai vu
ré ».
rPour terminer la cérémonie, hymne de Gossec :
Toi qui d'Emile et de Sophie
Dessinas les traits ingénus,
dont les différentes strophes sont chantées tour à tour par les vieil-
lards et les mères de famille, les représentants du peuple, les enfants,
les jeunes filles et les Genevois.
Nous retrouvons l'Institut national donnant, le 18 brumaire, un
exercice public ; « tirant les larmes des yeux attendris de la Con-
vention et renouvelant par ses accents la tristesse dans tous les
cœurs », le jour oîi on célèbre pompeusement les funérailles de
Féraud ; exécutant, dans d'innombrables cérémonies, les œuvres de
circonstance dues à Lesueur, Gossec, Méhul, Catel, jusqu'au 16 ther-
midor, où Chénier, a'a nom du Comité d'instruction publique, pro-
pose le décret, aussitôt adopté, qui organise le Conservatoire natio-
nal de musique.
(A suivre.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Rome a eu une dose suffisante de musique et de spectacles en Tété
de 1891. Il faut croire que la villégiature a moins d'attraits pour les habi-
tants de la capitale italienne que pour les Parisiens, car les théâtres mu-
sicaux n'y chôment guère en la belle saison, hormis l'Apollo et le Gos-
tanzi. Ainsi le programme de la dernière huitaine contient : au Quirino,
la Favorila, Béatrice di Tenda, Norma; au Manzoni, la Forza del Destina; au
Politeama, Lucrezia Borgia; au Nazionale, les Cloches de Corneville et la Fille
de JI7""= Angot. Joignant à cela Carto il Guastaiore, la Maestrina, ballet et drame,
puis des concerts assez variés, on reconnaîtra que, pour que tout cela vive,
il faut que le public romain aime beaucoup le théâtre, même en été.
Nous ferons remarquer, comme il y a huit jours, que le vieux répertoire
italien forme la majorité des spectacles ; une reprise de la très antique
Béatrice di Tenda est, sous ce rapport, très caractéristique. Dans les autres
villes d'Italie, où l'on chante, même remarque.
— Un nouvel orgue, monumental, commandé à la maison Marettini de
Pérouse, doit orner la basilique du Vatican. En ce moment on travaille à
préparer l'emplacement de cet instrument. A cet effet, une cloison en
marbre est élevée pour séparer le monument de Pie VII du chœur de la
chapelle Clémentine. L'inauguration du nouvel orgue sera signalée par
une grande fête musicale et religieuse.
— Si à Rome les théâtres jouent, malgré l'été, il n'en est pas de même
à Milan, véritable capitale artistique de l'Italie pourtant. Là, rien ou
presque rien! Au Dal Verme, une ménagerie!... au Fossati, un modeste
ballet, mais on annonce un drame à sensation intitulé Jack l'éventreurt...
— Un comité se forme en ce moment à Florence pour célébrer, en
février 1892, le centenaire de la naissance de Rossini, dont les cendres
sont conservées au Panthéon de Santa-Croce.. De grandes fêtes musicales
et civiques auront lieu à cette occasion.
— Les exercices publics du Lycée musical Rossini, dePesaro, que dirige
le maestro Pedrotti, ont eu lieu dernièrement. Les résultats ont pu suffi-
samment satisfaire les examinateurs et la foule. Les chanteurs et surtout
les chanteuses ont fait plaisir : il y a quelques belles voix dans cette
jeunesse, mais que vieille est la musique entendue !... Les instrumentistes
ont surpris par le nombre et le mérite, on a même applaudi un basson
virtuose, tellement virtuose qu'il a exécuté un solo avec accompagnement
d'orchestre, en plein public! Que dire de plus. Comme composition, la
symphonie l'a emporté sur le chant, ce fait n'est plus rare en Italie. En
somme, le lycée Rossini progresse et n'est pas infécond. M. Pedrotti a
droit à de réels éloges.
— Le théâtre Communal de Trieste est à prendre. Malgré une belle
subvention et d'autres avantages considérables, les amateurs manquent et
pour sortir de ce chaos, on parle d'une combinaison d'amateurs formant
conseil directorial. C'est que Trieste n'est plus une ville facile pour un
imprésario. L'antagonisme de l'élément italien et de l'élément autrichien
fait naître de continuels périls. Art et politique vont mal ensemble, même
au sein de la Triplice.
— Il y a encore de belles nuits à Venise, et les échos des lagunes, si
toutefois les lagunes ont des échos, entendent de temps en temps de mé-
lodieux accords. Ainsi la semaine dernière, de neuf heures à minuit, une
grande barque pleine de symphonistes a promené un concert que les
feuilles du pays déclarent charmant. Au programme : le Menuet de Boccbe-
rini. Danse circassienne de Delibes, divers autres morceaux et enfin la pre-
mière audition d'il Sogno, rêverie du comte Pietro Biancbini, élève du
maestro Coccon qui dirigeait ce concert aquatique. Les gondoles rejoi-
gnirent bien vite la barque qui portait les musiciens, et alors les gondo-
liers, imitant nos cochers quand un encombrement se produit, mêlèrent
leurs voix aux douces harmonies. L'Adriatique entendit un tutti fortement
pittoresque et l'on s'amusa énormément sur le grand canal.
— Piano !... Tel est le nom d'un colonel italien qui vient d'être appelé
devant un conseil pour divers manquements à la discipline pendant son
séjour sur la terre africaine. Le lieutenant-colonel Piano aurait, parait-il,
procédé crescendo et frisé le fortissimo quand un larghetto d'ordre supérieur
signifia l'inflexible a tempo l La cadenza finale s'accentue en ce moment.
— Le 31 juillet a eu lieu, dans l'église de Bayreuth, un service à la
mémoire de Liszt, dont la partie musicale, très importante, avait été
organisée par MM. Kniese et GôUericb. Au programme figurait une com
270
LE MENESTREL
position inodile de Liszt, trouvée dans les papiers de Ricliard "Wagner :
le 12I« psaume, où se trouvent intercalés des motifs de Parsifnl. Un grand
nombre d'artistes du Fetspielhaus avaient pris part à la cérémonie, ainsi
que les membres de la Société chorale de Bayreuth et l'organiste D'' F.
Stade. L'église était comble ; on remarquait dans les premiers rangs la
famille "Wagner au complet.
— M. Goldmark, l'auteur d'une Reine de Saba assez célèbre en Italie et
en Allemagne, vient de récrire en grande partie son Mej-hn, opéra moins
heureux. La première représentation du nouveau Merlin aura lieu à Ber-
lin pendant la saison prochaine.
— L'auberge du Caféier, à Leipzig, que Schuman a rendue célèbre, vient
de recevoir une plaque commémorative très élégante portant cette inscrip-
tion : « Dans ce local Robert Schumann se tenait tous les soirs, depuis
•1833 jusqu'à 1840, entouré de ses compagnons, les Damdsbïindler . Même
après son mariage, il fréquentait, quoique plus irrégulièrement, le Caféier,
qui a toujours conservé pour lui un attrait particulier. Plus tard, quand
il venait de Dresde à Leipzig, en simple visite, il ne manquait pas de se
rendre ici pour y retrouver ses anciens et plus chers souvenirs. » Cette
plaque, qui porte les trois signatures : Florestan, Maiti-e Raro et Eusébius,
a été apposée dans la partie de l'immeuble connue sous le nom de <( coin
Schumann ».
— Les théâtres municipaux de Hambourg et Altona, réunis sous la di-
rection Pollini, ont donné, dans le courant de la dernière saison, un
total de o46 représentations, soit 276 pour Hambourg et 270 pour Altona.
A Hambourg, il y a eu 199 représentations lyriques et à Altona 71. Il y a
eu huit nouveautés musicales : Santa Chiara, du duc de Saxe-Gobourg; les
Chevaliers de Marienburg, de Geissler ; le Fifre de Dusenbach, de Kleinmichel;
Cavalleria rusticana, de Mascagni ; le Crépuscule, de G. Coronaro ; Sainte
Elisabeth, de Lizt, et Sur le lac de Worth, de Ivoschat. Les ouvrages qui on
atteint le plus grand nombre de représentations sont : Lohengrin (14 fois).
Mignon et Cavalleria rusticana (chacun 13 fois), les Noces de Figaro, la Flûte
enchantée et Fidelio (chacun 5 fois).
— Faut-il ou ne faut-il pas permettre les rappels? Telle est la ques-
tion qui, actuellement, remplit de perplexité les intendants des théâtres
de l'Allemagne. Si on s"en souvient, c'est le théâtre de la Cour de Munich
qui le premier a eu l'idée de proscrire les rappels, les bis et les bouquets.
Les scènes de Dresde, Weimar, Carlsruhe et Stuttgard l'ont bientôt suivi
dans cette voie réformatrice. Enfin, le comte de Hochberg, intendant
des théâtres royaux de Berlin, vient à son tour de se rallier à cette ligue
d'un nouveau genre en édictant l'ordre suivant : ««Par suite du désir
spécial exprimé par les artistes-sujets des théâtres royaux, j'ai décidé,
qu'à partir de la prochaine saison, il ne sera plus donné suite aux rappels
demandés par le public, sauf pour les auteurs et compositeurs ou, quand
ceux-ci ne sont pas présents aux premières, pour les régisseurs de service.
En ce qui concerne spécialement l'Opéra royal, j'ai décidé de plus que les
bis seraient dorénavant abolis. » En même temps que les membres des
théâtres royaux de Berlin recevaient communication de cet avis formel,
ceux du théâtre de la Cour de Munich étaient informés par leur intendant
que, « conformément à une entente avec tout le personnel », les rappels
seraient rétablis à dater de l'ouverture de la prochaine saison. On a re-
connu que l'ancien système était préférable, comme mettant les artistes
plus étroitement en communication avec le public. Voilà qui va donner à
réfléchir aux théâtres qui ont suivi l'exemple de Munich.
— Cologne, cité qui fut chère à Jean-Marie Farina, est dans le deuil.
Le ténor aimé a porté ses pénates à Berlin : Goetze a quitté les bords du
Rhin pour ceux de la Sprée. Le jour où il est parti, ses nombreux
admirateurs sont venus lui serrer la main à la gare et lui adresser des
speechs. Pour remercier ces zélés thuriféraires, sait-on ce que Goetze a
fiit? Debout sur le marchepied du coupé qui devait l'emporter vers le
nord, il a chanté de sa plus belle voix l'adieu au cygne de Lohengrin. Les
Golonnais étaient ravis.
— La correspondance viennoise du Figaro nous apprend que M. Mas-
cagni se montrerait fort exigeant, après le triomphe de sa Cavalleria rus-
ticana. Il ne demanderait pas moins, à l'Opéra de "Vienne, pour laisser
monter l'Ami Fritz, qu'une prime de 10,000 florins (20,000 francs passés)
et 8 0/0 de droits d'auteur sur chaque recette.
— La dernière saison lyrique au théâtre royal hongrois de Pesth a été
défrayée par 42 opéras et 10. ballets formant un ensemble de 187 repré-
sentations sur lesquelles 63 ont eu lieu au théâtre de la Forteresse d'Ofen.
Les nouveautés s'intitulaient: Asraël, de Franchetti, Cavalleria rusticana,
de Mascagni, Waffenschmied, de Lortzing, Czclrdds, ballet de Sztojanovits
et Viora, ballet de Szabados. Le bilan otBciel établit comme suit l'état du
répertoire pendant l'exercice écoulé: le compositeur Verdi a eu 26 repré-
sentations avec Aida, le Trouvère, le Bal masqué (b fois), Rigolelto, Othello et
la Traviata ; Mascagni a eu 22 représentations avec Cavalleria rusticana ;
Ambroise Thomas, 13 représentations. Mignon 9, Hamlet 4; "Wagner, 11 ré-
présentations. Lohengrin, le Vaisseau fantôme, Tannhciuser, la Vatkyrie ; Doni-
zetti, 10 représentations, Lucie, la Fille du régiment, Lucrèce; Meyerboer,
9 représentations, les Htcguenots, l'Étoile du Nord, le Prophète; Rossini, 8 re-
présentations, le Barbier, Guillaume Tell; Mozart, 7 représentations, Don
Juan; Goldmark, 6, la Reine de Saba, Merlin ; Massé, 6, les Noces de Jeannette ;
Bellini, 6, la Somnambule, Norma ; Erkel, 5, Bankbau, Hunyadi Ldszlo;
Nicolaï, o, les Joyeuses Commères ; Beethoven, 4, Fidelio ; Franchetti, 4, Asraêl ;
Gounod, 4, Faust ; Lortzing, i, Waffenschmied ; Halévy, 3, la Juive ; Kreutzer,
3, le Camp de Grenade ;'Bizel,'i. Carmen ; Grisar, 2, Bonsoir, Monsieur Pantalon;
Maillard, 2, /es Dragons de Villars ; Mendelssohn, 2, Loreley ; Delibes, 1,
Lakmé ; Flotow, 1, Martha. Ballets: Csdrdàs, 22 représentations; ta Fée des
poupées, 13 ; Soleil et Terre, Valse viennoise, Viora, chacun 9 ; Excelsior, 6 :
Coppélia, Itobei-t et Bertrand, chacun 3; Sylvia, 2 ; et /e Peintre parisien, 1.
De plus on a joué trois fois le deuxième acte de Coppélia, et une fois le troi-
sième tableau de Cdrdàs.
— Le Fremdenblatt de Vienne publie quelques renseignements intéres-
sants sur la « claque » à l'Opéra de cette ville. II paraît que les quinze
chanteuses, les dix-huit chanteurs et les dix membres du ballet dont se
compose le grand personnel de l'Opéra, paient chacun au chef de claque
une redevance mensuelle de S à bO guldens suivant les appointements. En
établissant la moyenne à 20 guldens par tête, on arrive au chiffre de
800 guldens par mois, soit 10,000 guldens par an. On ne sera pas étonné
d'apprendre que le chef de claque en question vient d'acquérir avec ses
économies une somptueuse propriété en Hongrie.
— Vienne vient de perdre un de ses plus joyeux enfants, auteur de
vaudevilles locaux qui ont fait rire aux larmes plusieurs générations
d'habitués du Carl-Theater. Ce Labiche an-der-"Wien était à la fois auteur
dramatique et... fumiste, fumiste dans la véritable acceptation du mot. Il
était Rauchfangkehr-Meister (maître ramoneur) à la ville, sous le nom de
Cari Giugno, et émule de Scribe à la scène, sous le pseudonyme de Cari
Juin, le même nom francisé.
— Lu dans les annonces du Courrier de Hanovre : o A vendre un piano
de qualité supérieure, joué pendant quelque temps par un baron... »
Quelle occasion pour les simples bourgeois !
— M"" Louise Heymann vient de donner une série de brillantes repré-
sentations au théâtre impérial de Varsovie. Elle s'est surtout distinguée
dans Lucie, la Somnambule et Mignon.
— Nos confrères politiques ont eu des colonnes entières consacrées à la
réception enthousiaste faite à notre escadre du Nord à Gronstadt; consa-
crons aussi quelques lignes à ces fêtes magnilîques en donnant le pro^
gramme du beau concert exécuté, le jour de la réception, par l'orchestre
de la Société musicale Impériale russe : 1" partie. I< Glinka. Ouverture de
la Vie pour le Tsar. — II. Hlawac. Salut à la France, marche solennelle.
— III. Gounod. Entr'acte et danse des Bacchantes de Philémon et Baucis.
— IV. Tschaïkowsky. Valse de la Belle au bois dormant. — V. Saint-Saëns.
Danse de la Gypsy d'Henry VIll ; marche militaire de la Suite algé7'ienne., —
2'™ partie. VI. A. Thomas. Ouverture de Mignon. — VII. Seroff. Danse
russe de Roghneda. — VIII. Massenet. Prélude du S°"î acte à'Hérodiade. —
IX. Solovieiî. Ballet du Forgeron Vakoula. — X. Bizet. Prélude et chœur
de Carmen. — 3™° partie. XI. Delibes. Ouverture de le Roi l'a dit. —
Xri. Iwanofî. Sevillana. — XIII. Godard. Deuxième Valse. — XIV. Rimsky-
Korsakofl'. Banse caractéristique. — XV. Berlioz. Marche troyenne. Comme
on le voit, les deux écoles musicales russe et française n'étaient point trop
mal représentées sur ce programme très habilement composé. M. Hlawac,
qui est le chef de cette très belle phalange artistique, a d'ailleurs l'habi-
tude de faire, dans ses concerts, très large place à nos compositeurs ;
c'est ainsi que nous relevons, pour les séances musicales du dernier mois,
les noms de Berlioz, Litolff, de MM. Ambroise Thomas, Saint-Saëns,
Massenet, "Widor, Lefebvre, Bernard et Wormser, dont plusieurs repré -
sentes par trois ou quatre compositions.
— A l'occasion des fêtes de l'Indépendance, en Suisse, on vient d'exé-
cuter sur le Grutli même une cantate dont le texte a été tiré du Guillaume
Tell de Schiller et qui a été composée par M. le chef de musique Arnold,
de Lucerne. Les chanteurs étaient au nombre de six cents ot appartenaient
aux principales sociétés chorales de la Suisse. — A Berne, la cantate de
fête a été écrite par le pasteur Webber de Hôngg et composée par le direc-
teur de musique Munzinger. Il y a eu deux représentations, avec le
concours de M'"= Olga Blotnitzki, d'un chœur de sept cents voix et de
cent vingt instrumentistes, parmi lesquels les musiciens du régiment de
Constance.
— Le théâtre de, la Monnaie de Bruxelles a enfin un rideau de fer :
cet appareil toujours merveilleux, à condition qu'on n'oublie pas de l'uti-
liser à temps, vient d'être essayé et l'épreuve a complètement réussi.
— Les concours du Conservatoire de Gand ont été clôturés par celui ds
la fiasse de maintien et de mimique théâtrale dirigée par M. Rey. L'ex-
cellent professeur a présenté ses élèves dans des fragments à'Hérodiade,
de Faust, i'Aida et d'Hamiet, exécutés avec costumes et décors. Le jury,
dont taisait partie M. Joseph Dupont, a accordé le premier prix par accla-
mations et avec distinction à M. De Sulter, un baryton bien doué, deux
premiers prix à M"' Van Besien et M. Bresson, et un premier accessit à
M. Peeters.
— La ville de Tournai avait organisé un concours pour la composition
d'une cantate devant être exécutée à l'inauguration du monument Gallait.
L'oeuvre choisie est celle de M. Julien .Simar, directeur de l'Académie de
Charleroi et ancien chef de musique au 8= régiment de ligne. Une mé-
LE MENESTREL
271
daille d'or a été remise à M. Wambach, d'Anvers, qui avait aussi envoyé
une œuvre de mérite.
— Le célèbre quatuor Heellmesberger, de Vienne, s'est fait entendre
dernièrement au harem du Sultan, à Gonstantinople. Il a donné deux
longs concerts sans voir le moindre auditeur : Sa Hautesse, ses invités et
les dames étaient cachés à tous les regards et les artistes eussent pu croire
qu'ils jouaient dans le désert. Seulement, la preuve qu'ils avaient plu beau-
coup leur fut donnée après un banquet composé exclusivement de pois-
son et servi par de solennels eunuques noirs, à l'issue duquel Munir-
Pacha apporta une sacoche de soie contenant une belle somme en or,
plus le Medjidié, grand module, pour chaque exécutant. Cela ne valaitpas
absolument les bravos enthousiastes d'une foule, mais c'était bon à pren-
dre. Le quatuor Heellmesberger a digéré le poisson et fêté les livres
turques.
— Lecélèbrechef d'orchestre Antoine Seidl, vient d'organiser, àBrighton
Beach (Etats-Unis), avec le concours de l'orchestre du Metropolilan Opéra
de New-York, une série de concerts cosmopolites qui ont eu un retentis-
sement considérable dans toute l'Amérique. ILes journaux en parlent
comme d'un grand événement artistique à l'occasion duquel l'art des
jeunes maîtres français s'est manifesté dans tout son éclat. Le cycle, qui
a duré du 27 au 31 juillet, comprenait dix concerts désignés comme suit :
1» compositeurs français, (Méditation de Gounod, ouverture de Mignon, la
Korrigane, ballet de M. Widor, etc., etc.); 2" œuvres de Delibes et de
M. B. Godard, (ballets de Sijlvia et Coppélia, valse de la Source, Symphonie
orientale, etc., etc.); 3" compositeurs russes; i" œuvres de M. Massenet
(Scènes de féerie, le Dernier Sommeil de lavierge, ballet du Cid, suite sur Esclar-
monde, Scènes napolitaines) ; S° œuvres de Wagner; G" œuvres de M. Saint-
Saèns; 7" œuvres de Liszt; 8° œuvres de Bizet et de M. Chabrier;
9" œuvres de MM. Lalo et Gillet (ouverture du Roi d'I's, Divertissement,
e, Loin du bal, etc ) ; 10° concert classique.
— Le critique musical du Daily Telegraph, M. Clément Scott, et le musi-
cographe Willie "Wilde, de Londres, viennent d'être bien agréablement
surpris par la nouvelle fout à fait inattendue d'un legs fait à chacun d'eux
par une dilettante passionnée nommée miss Drew. Au premier elle lais-
sait une somme de 300,000 francs ; au second, une précieuse collection
d'instruments de musique, le tout « en reconnaissance du plaisir que lui
avaient fait éprouver leurs écrits s.
PIRIS ET DEPIRTEMENTS
Vendredi dernier, à l'Académie nationale de musique, très brillante
représentation du Mage à laquelle assistait, dans l'avant-scène présiden-
tielle, le roi de Serbie. Le jeune monarque, arrivé au commencement du
second tableau, a paru prendre grand plaisir à l'audition de la belle
œuvre de MM. Richepin et Massenet et n'a quitté le théâtre qu'à la fin
de l'ouvrage. M""= Lureau-Escalaïs, qui faisait sa rentrée, a été couverte
d'applaudissements dans le rôle d'Anahita qui est, sans contredit, celui
où elle a su mettre le plus en lumière ses brillantes qualités; la salle
entière lui a bissé le si poétique Chant touranien du quatrième acte qu'elle
chante à ravir. MM. Vergnet et Delmas ont eu également leur part de
succès. M™ Fierens, prise par les répétitions de Lohcngrin, avait cédé le
rôle de Varehda à M"= Domenech, qui nous a semblé bien bien jeune.
Mlles Hirsch et Grange, sous les traits de la Charmée et de la Charmeuse,
remplaçaient M"" Mauri et Torri ; à M''^ Hirsch, on a redemandé ses
secondes variations qu'elle a fort bien dansées.
— A la même Académie nationale de musique, mercredi dernier, change-
ment de spectacle : on a dû donner fausî à la place de Robert. MM. les direc-
teurs éprouvent donc, encore moins qu'auparavant, le besoin de se conformer
à leur cahier des charges qui les oblige, à avoir toujours trois artistes prêts
pour chacun des rôles du répertoire.
— Une fois la question des mouvements de Lohengrin à peu près éta-
blie, et non sans peines, voilà qu'une autre difficulté a failli tout gâter.
M. Gailhard ayant manifesté le désir que l'on pratiquât quelques coupures,
M. Laraoureux a fait la grosse voix. C'est le chef d'oVchestre qui l'a
emporté et l'œuvre de Wagner sera, parait-il, représentée telle qu'elle a
été écrite.
— A propos de Lohengrin \oici quelle en fut la distribution lors de sa
toute première apparition à Weimar, le 28 août 18.50: Henri l'Oiseleur,
M. Hœfer; Lohengrin, M. Ch. Beck; Frédéric von Telramund, M. Fédor
von Milde; Eisa, M."" Rosalie Aghte ; Ortrud, M"« Fastlinger. M. Genast
était régisseur de la scène et Liszt dirigeait l'orchestre.
— La saison d'abonnement à l'Opéra-Comique commencera le jeudi
3 décembre avec deux jours d'abonnement par semaine, le jeudi et le
samedi. H y aura en tout vingt-cinq représentations par chaque sérié,
ajoutons que le théâtre ouvrira ses portes le i" septembre avec le Rêve ;
lie lendemain on donnera Lakmé.
-A propos du quatre-vingt-sixième anniversaire de M. Ambroise Tho-
f mas, le maître étant né en ISll, les journaux viennois ont fait la petite
statistique suivante: six de ses ouvrages se trouvent au répertoire de
l'Opéra de Vienne; il a été joué 2S1 fois (Mignon figure dans ce chiffre
pour 133 représentations). C'est 'avec la Double Echelle, en 1838, que son
nom a paru pour la première fois au théâtre à Vienne.
Nous avons dit dernièrement qu'avant de prendre ses grandes vacan-
ces, M. Ambroise Thomas était allé passer quelques jours à sa villa
d'Argenteuil. Volontiers nous revenons sur ce détail, car il a son impor-
tance artistique, si l'on veut bien admettre que tout ce qui intéresse un
homme comme M. Ambroise Thomas est intéressant pour le monde des
arts. Cette jolie villa d'Argenteuil est très aimée du maître. Il l'a fait
construire, il l'a vue sortir de terre, il a vu la terre ravagée par les maçons
recevoir des plantes, puis ces plantes grandir, fleurir; bref c'est par lui
et sous ses yeux que ce coin aride de la route de Bezons est devenu un
frais abri parfumé. Cette transformation s'opéra à une époque heureuse
de la vie du maître. Fier des succès de Mignon et à'Hamlet, en possession
d'une célébrité que plus rien ne pouvait obscurcir, il allait parfois voir
son ami et collaborateur Michel Carré, propriétaire d'un joli nid sur la
même route de Bezons. Michel Carré, qui était un peu sauvage de sa
nature, vivait là en famille, heureux... autant que l'asthme le lui permet-
tait, et avec son bon, mais pas beau chien Mourzouck, compagnon de ses
promenades. M. Ambroise Thomas venait donc deux ou trois fois par
semaine. On causait de Françoise de Rimini qui se terminait alors; puis
quand le soleil commençait à décliner, M. Ambroise Thomas allait voir si
ses maçons avançaient, ensuite, il reprenait tranquillement le train à
Argenteuil pour regagner Paris avec la satisfaction d'avoir constaté que
la villa s'était élevée de quelques centimètres ; et les deux amis se ser-
raient la main en se disant « à bientôt !... ». Michel Carré est mort, le
bon Mourzouck a suivi son maître. La villa d'Argenteuil est gaie, fleurie;
M. Ambroise Thomas est arrivé à la plus haute situation qu'un artiste
puisse rêver et je suis sur que, comme moi qui ai vu tout cela, il n'a rien
oublié. Mais le temps a respecté cette grande intelligence et ce corps vi-
goureux. Comme autrefois le maître s'en va alerte et solide à cette villa
d'Argenteuil, si pleine de bons souvenirs. Que joie et santé l'y accompa-
gnent longtemps encore !
— Suite des engagements contractés par les lauréats dés derniers con-
cours du Conservatoire : M. Bérard, premier accessit d'opéra-comique et
second prix de chant, vient de signer avec les Bouffes-Parisiens. M. For-
dyce a signé avec l'Odéon un engagement de deux ans.
— M. Ch.-M. Wrdor, non content d'être un des tout premiers musiciens
de la jeune école moderne, tient encore à se bien placer comme écrivain.
L'auteur de la Korrigane a débuté dans le journalisme. Au Soleil du dimanche
du 16 août. Il y a écrit une très intéressante et fort élégante chronique
sur la distribution des prix du Conservatoire.
— M. Raoul Pugno, qui vient d'acheter le bel orgue qui se trouvait
chez la pauvre Rosine Bloch, compte au mois d'octobre prochain, ouvrir
chez lui un cours. L'instrument est signé de Cavaillé-CoU, comprend dix
jeux, deux claviers et un pédalier.
— L'Association littéraire, artistique et internationale nous écrit que
c'est.bien le 26 septembre 1891, que s'ouvrira, à Neufchatel, le Congrès.
Une réunion préparatoire aura lieu le samedi 26, à dix heures du matin
au Cercle du Musée. La séance solennelle de réception des membres du
Congrès se passera dans la salle des Etats, au château de Neufchatel ; les
séances plénières et les commissions se tiendront dans l'ancienne salle du
Conseil d'Etat. Le dimanche 27 on excursionnera sur le lac de Neufchatel,
visite à l'île Saint-Pierre ; le 29 la Ville offrira un grand banquet ; le
1™ octobre on excursionnera de nouveau à la Chaux-de-Fonds et au Saut-
du-Doubs ; enfin, le samedi 3, on clôturera les séances et on se réunira
dans un banquet d'adieux. — Le Congrès de 1892 tiendra sa session à
Milan.
— Le comité de la Société des compositeurs de musique rappelle que
les concours ouverts pour un septuor pour piano, instruments à cordes et
instruments à vent ; une scène à deux ou trois personnages, avec accom-
pagnement de piano, et une sonate pour piano, seront clos le 31 décembre
prochain. En conséquence, les concurrents sont invités à déposer leurs
manuscrits, avant cette date, au siège de la société, rue de Roche-
chouart, 22, maison Pleyel, Wolff et C'". Pour tous renseignements, s'a-
dresser à M. D. Balleyguier, secrétaire général, entrepôt de Bercy, pavil-
lon Grépier.
— L'hynane russe, que jouent en ce moment toutes les musiques de
Paris et de province, a pour auteur le général Lwof, qui l'a composé il y
a environ soixante ans, sous le règne et par ordre du tsar Nicolas. En
récompense, le tsar offrit' au général Lwof une tabatière d'or enrichie de
diamants et décréta que désormais les premiers mots de l'hymne : « Dieu
garde l'empereur », serviraient de devise à la famille Lwof.
Question posée par l'Intermédiaire des chercheurs et curieux, dans son
dernier numéro : « —Quel était ce « clavecin brisé » dont parle la Palatine
dans sa lettre du 18 juin 1712, et que le duc d'Orléans avait envoyé à la
reine de Prusse? — Le facteur de cet instrument était en même temps un
mécanicien d'imagination féconde, s'il faut en croire la Palatine qui lui
attribue encore l'invention d'un « parasol expéditif qu'on peut emporter
» partout, au cas où la pluie viendrait vous surprendre en pleine prome-
» nade ». Quinnet.
— La distribution des prix de l'Ecole classique de musique et de décla-
mation de la rue Charras vient d'avoir lieu sous la présidence de M. Geor-
ges Berry. Allocution du président de l'Ecole, M. Ed. Chavagnat, allô-
LE MÉNESTREL
cution de M. Berry, enfin concert donné par les principaux lauréats, tout
a merveilleusement marché.
— D'Aix on nous télégraphie le très grand succès obtenu par la jolie
comédie de M. A. Dorchain, Conte d'avril, illustrée de l'exquise partition
de M. Gh.-M. Widor. Une seconde représentation, donnée jeudi dernier,
n'a fait que confirmer la complète réussite de la première. M. Colonne, à
la tête de son excellent orchestre, a remarquablement interprété la partie
musicale. Mise en scène absolument réussie, avec son rideau de salin
bleu s'ouvrant par le milieu. Gros effet produit par M. Marquet et
M"= Defresne. M. Widor, qui a assisté à la première représentation, a re-
passé cette semaine par Paris, se rendant dans sa propriété des environs
de Lyon, où il va travailler à Nerto.
— De Royan, on nous fait part des très grands succès remportés par le
ténor Dereims, appelé en représentation. Il a chanté cette semaine Hamlet,
la version pour ténor, au milieu des ovations d'un public enthousiaste.
— On nous écrit de Cauterets que le 17 août a eu lieu, à l'hôtel d'An-
gleterre, un concert de bienfaisance qui a pleinement réussi. Prêtaient
leur gracieux concours, M"= Dartoy, de l'Opéra, très fêtée dans les Enfants,
de Boyer et Massenet, Si lu veux, mignonne, de Massenet, l'air d'Hérodiade et,
avec M. Saléza, de l'Opéra-Comique, dans le duo de Sigurd: M. Saléza
qui a chanté seul Fous ne m'avez jamais souri, de Verdalle, M"'= Hebenstreet
très applaudie dans l'Alléluia du Cid, enfin M. Brémond dont le cor a
fait merveille dans des transcriptions des stances du Songe d'une nuit d'été
et delà cantilène ûeLakmé.
— A Argelès-Gazost l'orchestre dirigé par M. Danbé fait merveille. Sur
un des programmes que nous avons entre les mains, nous relevons comme
solistes les noms de M. Brémond, Steiger, Italandier, Roux, etc.. et,
bien entendu, de M. Danbé lui-même. I^'Ave Stella, de Faure, arrangé
pour flûte, cor, piano et orgue produit un grand effet.
— On nous écrit de Châteaudun : « Samedi, à l'occasion de la fête de
l'Assomption, M. l'abbé Desvaux, curé de la Madeleine, avait organisé
une très belle cérémonie religieuse. M. Rondeau a magistralement chanté
le Sancta Maria, de Faure, et ['Ave Maria, de Gounod. accompagné par
M. Pestrel, organiste de la cathédrale, qui a lui-même exécuté plusieurs
morceaux avec un réel talent. »
— De Laval, on nous signale le brillant succès obtenu par un concert dans
lequel se sont fait applaudir M"« Bonnefoi, avec la Requête aux Étoiles, de
Flégier, M. Berny, avec des morceaux classiques et les Pizzicati de Sylvia,
et enfin la Lyre lavallaise avec un allegro les Diablintes, de M. Morton. son
chef émérite.
NÉCROLOGIE
Mme Agar, la tragédienne au grand tempérament et qui eut tant de
succès sur les scènes françaises, vient de mourir à .\lger : elle a succombé
à la paralysie. Agar, dont le vrai nom était Léontine Charvin, naquit à
Saint-Claude (Jura) en 1836. La nature lui avait donné la beauté, l'intelli-
gence et une rare richesse d'organe. Elle fit ses premiers pas à la Tour-
d'Auvergne puis brilla à l'Odéon, au Théâtre-Français, à la Porte-Saint-
Martin. Bien que l'une des plus remarquables comédiennes de l'époque,
elle ne put se créer une situation et elle vient de mourir pauvre, loin de
la terre natale.
— Le Nestor des organistes allemands, le professeur Auguste Haupt,
est mort dernièrement à Berlin dans sa quatre-vingt-unième année. Il
était connu pour être l'interprète par excellence de Bach et son ensei-
gnement était universellement recherché. Elève de Bernard Klein, Zeller
et A.-W. Bach, il succéda en 1870, à ce dernier comme directeur de l'Aca-
démie royale de musique religieuse à Berlin. Avant d'occuper ce poste
élevé, il avait été organiste des principales paroisses de Berlin, ville où,
pendant plus de soixante années, s'est écoulée toute sa carrière d'orga-
niste. Il a compté parmi ses élèves la plupart des célébrités musicales
actuelles de l'Allemagne. Son érudition était très grande, son affabilité
extrême, aussi sa perte est-elle vivement ressentie par tous ceux qui l'ont
connu. Il laisse un nombre considérable de compositions religieuses,
très estimées des véritables connaisseurs.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En pente AU MÉNESTREL, s'", rue Vivienne, HEUGEL et C'% Éditeurs.
NOTES ET ETUDES D'HARMONIE
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H. REBER
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THÉODORK DUBOIS
Professeur de Composition au Conservatoire dî Paris
Iiispeoteiir" de l'Enseignement niixsïeal
LES PETITS DANSEURS
L. STREABBOG, A. TROJELLI, FAUGIER, H. VALIQUET, ETC.
— \ii
STREABBOG.
. STREABBOG.
— 2.
FAUGIER. .
— 3.
TROJELLI. .
— 4.
TROJELLI. .
— .5.
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— (j.
FAUGIER . .
— 7.
FAUGIER . .
— 8.
FAUGIER . .
— 9.
STREABBOG.
— 10.
STREABBOG.
— 11.
FAUGIER. .
— 12.
FAUGIER . .
Le beau Danube bleu, valse (Johann Strauss)
La même à i mains
Tout à la joie ! polka (Ph. Fahrbach). . . .
Yalse du Couronnement (Strauss) ......
Orphée aux Enfers, quadrille (Offenbach). .
La Vie d'artiste, valse (Johann Strauss). . .
Pour les Bambins, polka (Ph. Fahrbach) . .
Les Ivresses, valse (S. Pillevesse)
La Dame de cœur, polka (Ph. Fahbbach) . .
Les Feuilles du matin, valse (Johann Strauss)
Le sang viennois, valse (Johann Strauss) . .
Mam'zelle Nitouche, quadrille (Hervé) . . . ,
Le Retour du Printemps, polka (Schixdler) . .
N-s 13.
— 14.
— 15.
— 16.
— 17.
— 18.
— 19.
— 20.
— 21.
— 22.
— 23.
— 24.
VALIQUET. .
TROJELLI. .
VALIQUET. .
STREABBOG.
VALIQUET. .
FAUGIER. .
STUTZ. . .
STUTZ. . .
GODARD . .
GODARD . .
VALIQUET. .
VALIQUET. .
TROJELLI. .
jLe Petit Faust, ouverture-valse (Hervé) . .
Gloire aux dames! mazurka (Strobl). . . .
La Journée de i)/"" Lili, valse. . . ^ . . . .
Aimer, boire, chanter, valse (Johann Strauss
Le Petit Faust, quadrille (Hervé)
Le Verre en main, polka (Fahrbach) . . . .
Les Petites Reines, valse
Les Jeunes Valseurs, valse ..........
Bébé-Polka
Bébé-Valse
Dans mon beau château, quadrille
La Journée de Af' Lili, polka . .
Les Cancans, galop (Strauss) . .
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Dimanche 30 Août 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL,, Directeur
Adresser niANCo i M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement»
On an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (23» article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — II. Senaaine théâtrale : Notes sur la reprise de quelques instru-
ments anciens : la viole d'amour, Léon Pillaut. — III. Histoire anecdotique
du Conservatoire {4° article), André Martinet. — IV. Nouvelles diverses et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
L'ÉTUDIANT EN GOGUETTE
nouvelle marche de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement: Gaillarde,
de V. DOLMETSCH.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Pour vous! nouvelle mélodie de Paul Rougnon, poésie de Roger
Miles. — Suivra immédiatement : Défi ! nouvelle mélodie de Joan.mi Per-
RONNET, poésie d'AsiÉLiE Perronnet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Ciiarles IVIALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(1865-1868)
(Suite.)
Si, par l'exécution de sa cantate, Emile Pessard était entré
à la salle Favart en quelque sorte indirectement, J. Massenet y
entra directement le 3 avril, avec la Gi'and' Tante, opéra-comique
en un acte, paroles de MM. J. Adenis et Gh. Grandmougin.
C'était l'un des trois levers de rideau commandés en 1866
par M. de Leuven pour satisfaire l'opinion, qui protestait
contre l'injuste oubli où le théâtre laissait les lauréats
académiques. Conte, Samuel David et J. Massenet furent dé-
signés ; ils se mirent à l'œuvre, et J. Massenet, l'homme
exact et actif par excellence, arriva bon premier, en vertu
du principe qui a toujours été la règle de sa vie artistique :
travailler, travailler sans cesse et ne jamais remettre au len-
demain ce qu'on peut faire le jour même. Le libretto de la
Grand'Tante, annoncé d'abord sous le nom d'Alice, n'était pas
une merveille d'invention. La scène se passe en Bretagne,
dans un vieux château que le jeune de Kerdrel prétend faire
vendre, après la mort de son grand-oncle ; il vient d'en
hériter, parce que le vieillard n'a pas eu le temps de signer
le testament qu'il voulait faire en faveur de la marquise, sa
femme. Mauvais sujet, le jeune homme a quitté sa famille;
il croit donc avoir affaire à une grand'tante laide et vieille.
Tout au contraire, c'est une jeune fille charmante et pauvre
que le marquis avait recueillie, et qui a consolé les der-
nières années de son existence. Le jeune homme la voit,
l'aime et finit par l'épouser après les petites péripéties qu'a-
mène l'histoire d'un testament tour à tour signé faussement,
puis déchiré. Le compositeur avait vingt-deux ans, et faisait
ainsi ses premiers pas dans un théâtre où il devait compter un
jour un nombre considérable de représentations avec Esclar-
monde et Manon, tandis qu'il n'en obtenait alors que dix-sept;
mais déjà l'on rendait justice à ses qualités scèniques et à
l'adresse de sa facture. La Revue et Gazette des Théâtres écrivait
notamment que cette partition « vive, charmante, spirituelle,
révèle un compositeur habile et bien doué ; on y sent déjà
la personnalité du musicien. Elle a de la distinction et de la
grâce. La pièce est légère et M. Massenet a bien écrit la mu-
sique qui convenait à cet agréable poème. Un maître expé-
rimenté n'aurait pas fait preuve de plus de tact et de
goût. » Cette petite pièce, dans laquelle un rôle, confié
d'abord à Prilleux, avait été coupé pendant les répétitions,
était d'ailleurs finement interprétée par Gapoul, M"« Girard,
et une débutante, une élève de Duprez, appelée plus tard à
faire parler d'elle, M'^^ Heilbron. « Une toute jeune, toute
frêle, toute mignonne et très adorable personne ; dix-sept ans,
une physionomie fine et douce, une vraie vignette, une voix
facile et agréable, de l'intelligence, de l'acquis déjà; de la
distinction, de l'aisance! » Voilà le portrait-carte, « l'ins-
tantané », dirait-on aujourd'hui, que certain journal traçait
alors de la débutante.
En évoquant ce nom, on ne peut s'empêcher de faire re-
marquer combien vers cette époque la beauté se rencontrait
fréquemment à la salle Favart. 11 semblait que la troupe
mit une certaine coquetterie à voir se maintenir et se renou-
veler sans cesse l'essaim de jolies femmes dont elle était com-
posée; les nouvelles sur ce point ne le cédaient en rien aux
anciennes. Le 27 janvier débutait dans le Maçon (rôle d'Irma)
M"' Léon Duval, qui avait obtenu aux concours du Conser-
vatoire, en 1866, le 1«' accessit de chant (classe Battaille), et
le 2" prix d'opéra-comique (classe Gouderc) ; ses avantages
physiques n'avaient pas été moins remarqués que son intelli-
gence dramatique. Le 13 septembre débutait dans le Pré aux
Clercs (rôle d'Isabelle) M'"^ Dorasse, qui venait de remporter
dans le même établissement en 1867 les trois premiers prix
de chant, d'opéra et d'opéra-comique (classes Révial, Duver-
noy et Mocker); elle était grande, bien proportionnée et de
physionomie agréable. Le 18 décembre, enfin, débutait dans
L
274
LE MÉNESTREL
le Domino noir (rôle d'Angèle), un autre lauréat de ces mêmes
concours, M"« Brunet-Lafleur, qui avait mérité le premier prix
de chant (classe Révial), le premier prix d'opéra (classe Du-
vernoy) et le second prix d'opéra-comique (classe Mocker) ;
elle non plus n'était pas indigne de prendre rang dans cette
galerifl oii se faisaient admirer M™^ Monrose, Cico, Bélia,
Gontié, Marie Rôze, Dupuy, Flory, dont plusieurs auraient
passé pour « professionnal beauty » si cette « profession »
eût alors été inventée. Le côté des hommes laissait lui-même
peu de chose à désirer. Le 4 décembre paraissait pour la
première fois, dans /e Songe d'une Nuit d'été, l'un des plus
brillants lauréats du Conservatoire, Gailhard, qui s'était vu
décerner, comme sa camarade M"^ Derasse, en cette même
année 1867, les trois premiers prix de chant, d'opéra et d'o-
péra-comique (classe Révial, Duvernoy et Gouderc); le nou-
veau Falstaff fit applaudir, outre sa belle voix, une pres-
tance qui lui permettait de rivaliser avec les succès d'un
Monlaubry et d'un Capoul.
Rappelons, parmi les mêmes faits de l'année, une reprise
des Sabots de la marquise, non joués depuis 1863 et donnés le
'13 septembre avec Grosti, Sainte-Foy, Palianti, M™= Bélia et
Séveste ; la rentrée de Gouderc dans les Noces de Jeannette, le
16 décembre, après une assez longue absence que la maladie
avait motivée ; le Postillon de Lonjumeau (août) avec une nou-
velle Madeleine, M'"' Girard ; le Pré aux Clercs avec une nou-
velle reine, M"^ Bélia, le même soir où débutait M"" Derasse;
Maître Palhelin (23 décembre), avec une nouvelle Bobinette,
W-" Séveste. Une seule reprise domine toutes les autres ,
celle de l'Étoile du Nord, qu'on n'avait pas revue depuis 1861,
avec Battaille et M™^ Lïgalde, remplacés sur la fin par Troy
et M'"= Saint-Urbain; elle reparut le 6 juin avec une distri-
hution toute nouvelle, qui n'avait conservé de l'ancienne
que le brave Duvernoy dans son rôle d'utilité du général
Tchérémétefl'. C'est la rentrée de M"'* Gabel qui avait donné
l'idée de cette reprise ; mais depuis dix-huit mois on la retar-
dait sans cesse, faute de s'entendre sur le choix des inter-
prètes, et par suite aussi d'une indisposition de Grosti qui
le força de renoncer au rôle de Peters. Battaille, désigné
d'abord comme Gritzenko, monta en grade et devint le tzar,
tout comme à la création, son presque homonyme Battaille,
et fut remplacé par Beckers, un ex-pensionnaire de l'Opéra-
Comique, qui fut réengagé pour la circonstance, et céda lui-
même sa place à Nathan, avant la fin de l'année. Capoul
(Danilowilz), bientôt doublé par Lhérie, chanta pour la pre-
mière fois, à l'Opéra-Gomique, une romance écrite autrefois
pour Mario et depuis interprétée par Gardoni, lors des repré-
sentations de l'ouvrage à Londres. Citons enfin les noms de
Leroy (Georges), Lhérie (un cavalier), M"|= Bélia (Prascovia),
à laquelle succéda M"<= Heilbron, M^^s Séveste et Duval (les
deux vivandières). Il était, semble-t-il, dans la destinée de
l'Etoile du Nord de briller plus particulièrement les années
d'Exposition universelle ; on l'avait donnée en 1855, dans tout
l'éclat de sa nouveauté ; on la revoyait en 1867, et on la
revit en 1878. La première série de représentations (1854-61)
avait produit 262 représentations; la seconde, pour 1867, en
produisit 39; la troisième, 1878-80, 70; enfin, 1883 et 1887
fournirent un regain de 32 et de 3 matinées, ce qui donne un
total de 406 représentations à la salle Favart pour l'ouvrage
de Meyerbeer.
Le dernier événement important de l'année est, à la date
du 23 novembre, la première de Robinson Crusoe, opéra-comique
en trois actes, paroles de Gormon et Crémieux, musique
d'Offenbach. L'auteur de cette Grande-Duchesse qui atteignait
alors sa deux-centième, était hanté par le désir d'obtenir un
vrai succès dans un théâtre plus sérieux que ceux où il fré-
quentait d'ordinaire. Dès 1862, il avait été vaguement question
pour lui d'un ouvrage avec MM. Meilhac et Halévy ; puis, quand
on eut reçu Robinson Crusoé, il eut soin de se défendre par
avance auprès de la presse et du public d'avoir écrit un « opéra
boulîon ». Il n'en est pas moins vrai que les auteurs avaient
d'abord songé aux Bouffes-Parisiens pour y porter leur pièce,
et il est non moins vrai que les morceaux les plus réussis de
la partition furent les couplets, les ariettes qui auraient con-
venu à un petit théâtre. Le premier soir, la salle contenait
bien des amis, car tous les interprètes eurent leur bis,
Mi''= Cico (Edwidge) avec sa ronde : « Debout, c'est aujourd'hui
dimanche » et son arioso : « Si c'est aimer »; M"'= Galli-Marié,
un charmant Vendredi, avec sa berceuse ;M"« Girard (Suzanne)-
avec ses couplets : « C'est un beau brun »; Sainle-Foy (Jyns Goks>
avec sa chanson du « Pot-au-feu »; n'oublions pas M""!^ Revilly,
Ponchard et Grosti, qui, ayant eu le malheur de perdre une
petite fille, quelques jours après, fut remplacé par Melchis-
sédec; tous furent chaleureusement accueillis, sauf le pro-
tagoniste Montaubry, dont la décadence apparut assez visible-
ment pour causer un désappointement, voisin de la conster-
nation. 7Jo&Hiso« mourut au bout de trente-deux représentations.
Au reste, le succès n'avait pas besoin de « nouveautés » pour
remplir la caisse du théâtre en cette année de plaisirs et de
richesse. Le succès était partout dans ce Paris, envahi par
les étrangers, et tout rempli par le bruit joyeux de fêtes-
resplendissantes. Devant les recettes toujours croissantes, on
s'explique la libéralité du directeur, M. de Leuven, qui ac-
corda une augmentation de dix pour cent, à partir du 1«^ juillet
jusqu'à la fin de l'Exposition, à tous ses artistes et employés
dont les appointements ne dépassaient pas 2,000 francs..
Petites et grandes scènes se disputaient la faveur du public,
et toutes étaient plus ou moins « honorées » parla présence
de quelque auguste visiteur. La salle Favart eut, comme les-
autres, ses soirées « par ordre ». Dès le 10 juin le roi de
Prusse, le prince royal de Prusse, le grand-duc de Saxe-
Weimar, assistaient au Voyage en Chine, et se faisaient pré-
senter le compositeur, qu'ils félicitaient chaudement; l'un
des grands-ducs de Russie et le comte Tolstoï étaient venus
également ce même soir, mais sans apparat, sur le désir
exprimé par eux de jouir des bénéfices de l'incognito. Mignoir
est donnée le 17 juin pour le prince Georges de Mecklembourg-
Schwerin, le 21 pour le grand-duc et la grande-duchesse de
Bade, le 25 pour le prince Arthur d'Angleterre; l'Etoile du
Nord est offerte le 1" juillet au vice-roi d'Egypte, et le 5 au
sultan; Mignon encore attire le 9 le grand-duc de Saxe. Et
la foule se pressait pour apercevoir le visage de tous ces
hôtes. On put croire qu'il avait obéi à une curiosité de ce
genre, le malheureux qui, un soir de septembre, se pencha
hors de sa loge et tomba du cintre sur la scène. Renseigne-
ments pris, il s'agissait simplement d'un figurant, qui, n'ayant
pas été admis à paraître, pour cause d'ivresse, s'était intro-
duit dans la salle pour y voir le spectacle auquel son état,
ne lui avait pas permis de prendre part.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
NOTES SUR LA REPRISE DE QUELQUES INSTRUMENTS ANCIENS
LA VIOLE D'AMOUR
L'histoire de la viole d'amour n'est pas très longue ; elle commence
vers le milieu du XVII" siècle pour finir avec le X"\^III«, qui fat son
beau moment. C'est au moins ce que fait présumer le nombre assez
considérable de belles violes d'amour qui portent la date du dix-
huilième siècle. C'est le seul témoignage qu'on puisse invoquer
comme preuve de la faveur dont cet inslrument jouissait alors, car
il ne reste, pour ainsi dire, pas de musique écrite pour la viole
d'amour.
A la fin du siècle dernier, un certain Milandre a publié une mé-
thode de viole d'amour; dans les temps modernes, le Viennois
Kraal fît paraître, en 1870, une autre méthode pour le même instru-
ment; enfin, en 1883, M. Cari Zœller a publié aussi une nouvelle,
méthode de viole d'amour, précédée d'une notice historique.
Après avoir été délaissé, cet instrument retrouve en ce moment un
certain regain de succès ; le goîît que le public a manifesté depuis
quelques années pour la musique ancienne s'est compliqué du
LE MENESTREL
275
désir de l'entendre exécuter par les vieux instruments pour lesquels
elle était écrite. Le clavecin, interprète authentique des ouvrages
des maîtres du XVII" et du XVIIP siècle, a repris faveur auprès
d'auditeurs délicats qui ont goûté la netteté et le timbre coloré de
ses sons un peu maigres. La viole d'amour et la viola di gamba ou
basse de viole, ont recommencé à chanter comme autrefois.
La viole d'amour n'avait jamais cependant été aussi abandonnée
que la basse de viole ; celle-ci avait été complètement éteinte par
l'énergique et passionné violoncelle , tandis qu'il s'est toujours
trouvé quelque amateur, artiste ou érudit, qui, pour son propre
agrément, cultivait la viole d'amour, épris de sa sonorité pénétrante
et de sa facilité d'expression.
Cependant elle n'est jamais entrée dans l'usage courant; c'est un
instrument d'exception dont le caractère n'a pas été bien compris.
Au XVIIP siècle on l'employait à l'exécution de petits menuets
fades ou de sautillantes gavottes, d'un style très mesquin.
La viole d'amour vaut mieux que cela. Ses sons doux et mordants,
un peu mystiques, conviennent aux élancements passionnés de la
mélodie romantique aussi bien qu'à la sereine expression d'une
religieuse contemplation.
Sa dénomination n'est pas trompeuse et répond bieu à ce que l'on
en attend.
Cependant, bien qu'il nous en coûte de porter atteinte à cette
gracieuse appellation de viole d'amour, nous ne croyons pas que
telle fut à l'origine sa première désignation.
Pour plus d'explication, il nous faut reprendre les choses d'un
peu loin.
La viole d'amour ne se distinguerait pas essentiellement des
autres violes, sans un appareil spécial de cordes métalliques dont
la vibration, influencée par le son des cordes ébranlées par l'areliet,
s'y mêle en lui donnant une couleur particulièrement douce et
argentine ; ces cordes métalliques, au nombre de six et quelque-
fois plus, partant de l'extrémité du chevillier, passent sous la touche,
dans le manche qui est creux, traversent le chevalet en s'y appuyant
et viennent s'attacher au cordier ou au bouton. Lorsque l'archet
fait résonner les cordes supérieures, les cordes métalliques infé-
rieures entrent en vibration et joignent discrètement leur murmure
au timbre mordant de l'archet. C'est la mise en pratique musicale
du phénomène connu en physique sous le nom de vibration par
influence.
Cet effet, à vrai dire, n'est pas très frappant pour l'auditeur; il est
surtout très sensible pour l'exécutant. Le public perçoit seulement
un son charmant et expressif, sans se rendre compte des moyens
employés pour le produire.
Cette combinaison n'est pas d'invention européenne; elle a été
appliquée aux instruments à archet autrefois, dans l'Inde et en
Egypte. Elle a pour but de remédier à la sécheresse du son des
instruments à archet en y ajoutant une résonance plus prolongée.
Les Hindous ont parmi leurs instruments d'un usage assez ancien
une sorte de violon de forme cubique, appelé sarungie, qui a quatre
•cordes de boyaux et onze cordes métalliques de résonance.
Deux autres instruments, le Alabu sarungie et le chikara, ont un
appareil semblable. Leurs cordes métalliques sont accordées de
façon à renforcer les sons principaux du mode de la mélodie.
D'une autre part, Villoteau rapporte, dans son travail sur l'état
de la musique en Egypte, qu'il trouva dans ce pays des instru-
ments à archet de grandeurs et de formes diverses qui avaient des
■cordes métalliques de résonance ; on les appelait kemangeh roumy,
Tioles grecques.
il n'y a pas lieu de croire que les Hindous aient connu autrefois
notre viole d'amour, qui est d'origine récente, et que leur sarungie
en soit une imitation; pour ce qui est des Egyptiens modernes, on
■en pourrait douter. Est-ce l'Orient qui nous a copiés, ou bien est-ce
nous qui avons imité la kemangeh roumy? Le nom de viola d'amore,
appliqué en Italie à notre instrument européen, nous fait croire que
c'est nous qui sommes des imitateurs et que la viola d'amore a dû
porter d'abord en Italie le nom de viola da moro, viole de Maure, ou
à la façon du Maure.
Les Italiens désignent sous le nom de moro tout individu au teint
basané, appartenant aux races qui habitent les rivages africains de
la Méditerranée.
La préposition da, d'autre part, signifie de, à la façon de, à l'u-
sage de.
On voit de suite que la viola da moro n'a eu que peu de chemin
à faire pour devenir la viola d'amore.
Il est donc probable que les luthiers italiens, après avoir ajouté à
une viole ordinaire un appareil de cordes métalliques semblable à
celui de la kemangeh roumy, l'auront nommée viola da moro ; ensuite,
l'imagination populaire, peu soucieuse des étymologies et impres-
sionnée par les sons doux de la viola da moro l'aura vite transfor-
mée en viola d'amore. viole d'amour.
Cette dénomination d'amour s'est ensuite étendue à d'autres ins-
truments n'ayant aucun rapport avec la viole ; on eut des hautbois
d'amour, des flûtes d'amour, même des clarinettes d'amour. La
tablature de ces instruments est d'une tierce mineure plus
basse que leur diapason ordinaire. On sait que les instruments dont
la gamme occupe l'étendue moyenne des sons ont plus de douceur
que d'éclat. On pourrait déduire de l'étymologie que nous avons
donnée plus haut que c'est en Italie qu'on a fabriqué les premières
violes d'amour; il n'en existe pas pour le moment d'autre preuve.
Cet instrument parait même avoir été beaucoup plus apprécié en
Allemagne qu'en Italie. Il reste encore aujourd'hui un assez grand
nombre de belles violes allemande.»; leur aspect pittoresque, leur
tête sculptée, les proportions harmonieuses de leurs diverses parties,
les ont mieux préservées que leurs qualités musicales.
Elles portent les étiquettes des plus célèbres luthiers allemands du
XVIP et du XVIII" siècle: Tielke, Hambourg, 1680.— Mathias Klotz,
Mittenvald. — Weigert, Leinz. — Aman, Augspurg, l'725. — Giesser,
Insprueht. — Ostler, Breslau. — Jauck, Dresde. — Eberle, Prague.
— Parti, Vieune, etc.
Nous n'avons pas connaissance que les grands luthiers italiens
aieut fait des violes d'amour ; les violes italiennes sont souvent très
belles, comme proportions et vernis. On en cite qui portent les éti-
quettes de Gagliano, de Carcassi et d'autres moins connus.
Les principaux luthiers français auteurs de violes d'amour sont
Guersant, Salomon, Bertrand. Lupot a fabriqué la dernière peut-être;
elle appartient à son petit-fils, M. Eugène Gand.
Abstraction faite des cordes métalliques vibrant par influence, le
son de la viole d'amour est celui des anciennes violes ordinaires à
six ou sept cordes ; il se distingue de celui du violon par un timbre
plus coloré, plus nasal, tenant du timbre du violoncelle et ayant
la même faculté d'expression ; n'ayant pas l'éclat du violon, mais
possédant sur celui-ci l'avantage d'un son plus aisé, plus naturel-
lement agréable.
En somme, les proportions de cet instrument font autant d'hon-
neur aux luthiers anciens qui les ont établies que celles du violon,
qui reste comme le prototype des instruments à archet. Ayant à faire
parler un instrument qui a quatre octaves d'étendue et plus, ils ont
déterminé très heureusement les dimensions de la caisse et des
diverses parties, de façon à obtenir une sonorité homogène. La viole
d'amour est un instrument très supérieur à l'alto, dont elle a à peu
près l'étendue ; mais les sons de sa chanterelle sont bien meilleurs
iusque dans les notes aiguës, et aussi chantants que sur la chante-
relle du violon. Ces avantages résultent des proportions que l'on
donnait autrefois aux instruments de la famille des violes, qui
diffèrent sensiblement de celles du violon. Ils s'en distinguaient
particulièrement par une caisse plus volumineuse, dont la capa-
cité semble donner au son plus de rondeur et une émission plus
facile.
Bien que les luthiers anciens n'aient pas rationnellement formulé
les règles précises qui président à la construction des instruments
à archet, ils sont arrivés cependant à déterminer au mieux, par
tâtonnements, les proportions de la caisse par rapport à l'étendue
des sons de l'instrument, et sa situation sur l'échelle générale des
sons musicaux, c'est-à-dire qu'à mesure que les sons qu'un instru-
ment à cordes est destiné à produire deviennent plus graves, et ont
par conséquent un moindre nombre de vibrations, la caisse de
l'instrument doit s'accroître en capacité.
Par exemple, le volume d'air enfermé dans la caisse du violon
est d'environ 2 décimètres 122 centimètres cubes; celui de l'alto est
de 3 décimètres cubes approximativement. On remarquera que ces
deux volumes représentent presque le rapport inverse de l'intervalle
de quinte 4 qui sépare l'accord des deux instruments. Pour être
exacte, il faudrait que la capacité de l'alto fût de 3 décimètres
180 centimètres cubes.
Ce rapport cesse avec le violoncelle, dont la caisse prend des
proportions plus considérables. Allant à l'octave au-dessous
et ayant un nombre de vibrations moindre de moitié que
celles de l'alto, le volume de la caisse devrait être, si on suit
la progression indiquée par le violon et l'alto, de 6 décimètres
360 centimètres. Il dépasse beaucoup ce chiffre, et s'élève à plus
de 26 décimètres cubes. La caisse de la viole d'amour à sept cordes,
si on la compare avec celle du violon, est dans un rapport presque
exact avec l'intervalle de septième mineure que forme sa corde
276
LE MEiNESTREL
grave avec celle du violon. Sa capacité est de 3 décimètres 610 cen-
timètres environ.
Ces proportions varient sensiblement dans les violes françaises,
mais elles sont assez constantes dans les violes allemandes. Nous
pensons que les rapports du volume de la caisse et ceux de la
longueur des cordes ont une part notable dans la supériorité carac-
téristique du timbre des violes. D'ailleurs, les conditions d'excel-
lence du timbre des instruments à archet reposent encore sur beau-
coup d'autres considérations.
L'accord des six ou sept cordes de la viole d'amour est aussi un
facteur important dans la physionomie originale de cet instrument.
Elle s'accorde généralement en ré majeur, c'est-à-dire en partant
de la chanterelle, ré, la, fa dièse, ré, la, ré. Quand elle a sept
cordes, la plus grave est un la.
On accorde de plusieurs façons les cordes métalliques: soit à
l'unisson des cordes supérieures, soit diatoniquement, de façon à
produire un hexacorde mineur depuis le si grave de la clef de sol
jusqu'au la, contenant Vitt dièse et le fa dièse. Ce dernier procédé
convient mieux à la tonalité de l'instrument.
En effet, le genre d'accord de la viole d'amour lui interdit un
certain nombre de modulations. Ses meilleures tonalités sont : ré
majeur, si mineur, fa dièse mineur, qui est très caractéristique, sol
majeur.
Les tons à bémols sont sourds et ne présentent pas les avantages
caractéristiques des sons de la viole d'amour ; ils ne mettent pas
en vibration les cordes métalliques. On peut modifier cet inconvé-
nient en baissant la corde fa dièse en fa naturel. La viole se trouve
alors accordée en ?•<; mineur.
Ce procédé implique un changement dans les intervalles que cette
corde produit avec ses deux voisines, le ré et le la. Lorsque la
troisième corde est en fa dièse, on peut facilement produire, en
glissant le doigt sur cette corde et le la, une suite de tierces mineures,
et avec le ré des tierces majeures. Si on baisse le fa dièse d'un
demi-ton, la combinaison inverse se produit et certaines tonalités
deviennent faciles ; celles de ré mineur, si bémol, sol mineur, fa
majeur, et quelques autres.
Aussi, malgré son accord spécial, la viole d'amour est cependant
très apte à interpréter un très grand nombre de pièces anciennes
écrites soit pour le violon, soit pour la basse de viole à sept cordes.
La musique ancienne est, on le sait, très souvent écrite dans le ton
de ré, qui était un des meilleurs et des plus usités qu'on pouvait
obtenir sur le clavecin et l'orgue, par suite du tempérament inégal
suivant lequel on les accordait alors. L'usage de cette tonalité
s'étendait aux autres instruments.
On trouvera un très grand plaisir à faire chanter à la viole d'a-
mour les anciennes mélodies des maîtres du passé, quelques-uns
des adagios de violon de Bach, par exemple; il y a une très sensible
corrélation entre le timbre de la viole et le caractère de ces mélodies.
Mais ce n'est pas seulement dans la musique du passé qu'il fau-
drait étendre l'usage de cet instrument. Il a encore une affinité
très grande avec le sentiment musical moderne dans ce qu'il a de
passionné, de douloureux et de mystique tendresse.
Berlioz, pour qui les timbres musicaux des instruments avaient
une valeur objective considérable, écrit dans son Traité d'instrumen-
tation, a propos de la viole d'amour: o Quel ne serait pas l'effet d'une
masse de violes d'amour chantant une belle prière à plusieurs parties,
ou accompagnant de leurs harmonies soutenues un chant d'alto ou
de violoncelle ou de cor anglais ou de flûte dans le médium, mêlé
à des accords de harpes ! Il serait vraiment bien dommage de laisser
perdre ce gracieux instrument. »
Les objections qu'on peut faire à l'admission de la viole d'amour
comme instrument d'orchestre reposent sur ce que son doigter n'est
pas le même que celui des autres instruments à archet ; il est évi-
dent que cela déroute un peu , mais on peut être assuré qu'il n'est
pas de violoniste ou d'altiste un peu habile qui ne parvienne, au
bout de quelques mois d'études, à jouer facilement de la viole d'a-
mour. On s'apercevra bientôt que ce charmant instrument possède
plus de ressources qu'on ne le croit au premier abord, et qu'il semble
avoir été combiné beaucoup plus en vue des affections musicales
modernes que pour les effets qu'on demandait autrefois à la musique.
Bach, cependant, parait en avoir eu le pressentiment, car il intro-
duisit plusieurs fois la viole d'amour dans ses compositions, notam-
ment dans la cantate Tritt auf die Glaubensbahii: mais généralement,
elle était employée comme instrument solo.
L'exemple le plus remarquable qu'on en puisse citer parmi les
plus récents est celui de la romance de Raoul dans les Huguenots, de
Meyerbeer. Mais l'emploi de la viole d'amour, dans ce cas, est plutôt
un effet de couleur locale ; il se borne d'ailleurs à quelques me-
sures de ritournelle. Ce serait, d'autre part, un anachronisme musical;
car au XVP siècle la viole d'amour n'était pas encore inventée.
Depuis les Huguenots, il serait difficile de citer une autre utilisation
de la viole dans des ouvrages de théâtre ou de symphonie ; il ne
faut cependant pas confondre la viole d'amour avec les instruments
anciens que leurs imperfections condamnent à l'oubli ; c'est au
contraire un des instruments à archet les mieux combinés que les
luthiers aient construits, et son abandon est dû plutôt à une indiffé-
rence regrettable qu'à une difficulté réelle d'appropriation au carac-
tère moderne de la musique. 11 y a dans le passé de l'art musical
bien des choses dont la conservation n'offre qu'un intérêt historique,
mais il en est d'autres qu'il est tout à fait fâcheux de ne pas uti-
liser, et la viole d'amour est de ce nombre.
Léon Pillaut
Conservateur dumusée instrumental du Conservatoire TMtional de musique.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATIOM
(Suite)
CHAPITRE III
LE DIRECTOIRE ET LE CONSULAT
Batailles et victoires sont devenues l'unique préoccupation de la
France. L'apaisement se fait à l'intérieur, bientôt le Directoire va,
avec ses allures de carnaval grec, ramener le luxe et l'éclat dans
Paris ; mais vers les armées, par delà la frontière s'envolent les
pensées.
Odes ou impromptus s'abattent autour de Bonaparte, son nom
inspire poètes ou rimeurs, dont les journaux accueillent les impro-
visations avec une déplorable bienveillance.
Animé, lui aussi, par l'enthousiasme guerrier, Chénier, dans son
rapport à la Convention, insistait sur ce point que « de l'Ecole de
musique étaient partis ceux qui, par leurs accents belliqueux, ani-
maient l'intrépide courage de nos armées », et un crédit de 240,000 fr.
avait assuré l'existence du Conservatoire.
En récompense de nombreux services rendus à l'art, Sarrette était
nommé commissaire chargé de l'organisation. A Gossec, Grétry,
Lesueur, Méhul, Cherubini on confiait l'inspection de l'enseigne-
ment, et quatre professeurs leur él aient adjoints pour les aider dans
l'administration du Conservatoire.
Une collection complète des partitions et ouvrages relatifs à la
musique, une réunion d'instruments antiques et modernes formaient
la Bibliothèque, remise aux mains de Frédéric Eler.
Le nombre des professeurs est ainsi fixé : le solfège a 14 titu-
laires, la clarinette 19; 6 pour la flûte, 4 pour le hautbois. Le bas-
son en possède 12, le premier cor 6; même nombre pour le second
cor. Moins favorisés sont le serpent avec 4 maîtres, les trompettes
avec 2 seulement. Un pour les buccines, et 1 pour les timbales.
Huit au violon, 4 à la basse, 1 à la contrebasse. Six artistes d'é-
lite guideront les études des clavecinistes. Ceux-là qui aspirent à
la succession de Lays ou de la Saint-Huberty auront 3 maîtres
de vocalisation, 4 pour le chant simple, 2 pour le chant déclamé. —
Pour terminer la liste, 7 professeurs de composition, 13 d'accom-
pagnement, 1 organiste. — L'étude de la harpe est admise, mais
les élèves entretiendront l'instrument confié à leurs soins.
D'après le règlement du 15 Messidor an IV, les membres du
Conservatoire doivent contribuer à l'exécution des fêtes, assurer le
service de la musique auprès du Corps législatif.
Quatre leçons par décade sont assurées aux élèves, pour lesquels
un examen d'admission est établi chaque trimestre.
Dans les deux mois qui suivirent la publication de la loi, les
inscriptions se multiplièrent. La Seine envoya 131 concurrents;
Seine-et-Oise, la Seine-Inférieure, la Gironde, les Ardennes, la
Marne, l'Oise, le Jura se distinguent à sa suite.
Les amis de la musique attendent avec impatience l'ouverture
de la nouvelle École, et déjà ils escomptent ses résultats. C'est en
elle qu'ils mettent leur espoir, c'est à elle qu'ils demandent de leur
LE MENESTREL
277
rendre la musique des grands maîtres, « car bientôt, pour en prendre
une idée, il faudra les lire et renoncer à les entendre. »
« Dans quel spectacle nous est venue celle réflexion ?. . . A l'Opéra.
On ne reconnaît plus rien aux morceaux... L'orchestre non plus
n'est pas irréprochalDle. Quand Rey le conduit, la pièce finit une
demi-heure plus tôt que quand c'est Rochefort. Lequel des deux a le
mouvement juste? ou le mouvement vrai est-il entre l'un et l'autre?... »
— (Journal de Paris )
Le premier brumaire an V (samedi 22 octobre), inauguration solen-
nelle du Conservatoire.
A dix heures du matin, le ministre de l'intérieur arrive rue Ber-
gère, suivi d'une députalion de l'Institut National. On y vante à
l'envi l'organisation de l'Ecole, « d'oîi seront bannis et le déver-
gondage des innovations et la tyrannie des routines, où on main-
tiendra le respect dû aux œuvres des maîtres, sans refuser un bon
accueil aux hardiesses du génie. »
Viennent ensuite un interminable discours de Sarrette et un ma-
nifeste de Gossec, qui a oublié déjà et l'École Royale et les bien-
faits de Louis XVI. — « Mes collègues, s'écrie-t-il, une honorable
carrière est ouverte et c'est nous qui sommes appelés à la parcou-
rir, nous qui avons su conserver notre art avili par le despotisme
en le vouant au triomphe de la Liberté. »
Première apparition en public, le 26 messidor. On fête l'anniver-
saire du 14 juillet et une estrade est élevée pour le Conservatoire
dans la petite cour du Palais directorial (le Luxembourg), aux côtés
des ministres et du corps diplomatique.
Le chœur inévitable de Ghénier et Gossec, puis le Chant du départ
sont au programme.
« Cinquante jeunes filles de douze à dix-huit ans, vêtues de blanc,
la plupart couronnées de fleurs et annonçant par leur maintien la
décence et la pudeur, écrit un témoin de la cérémonie, ont paru,
accompagnées de leurs parents, au milieu des professeurs du Con-
servatoire dont elles sont élèves; derrière elles était un égal nombre
de jeunes garçons à peu près du même âge. Il est difficile d'expri-
mer la sensation que la réunion de ces voix fraîches et pures,
accompagnéespar leurs habiles professeurs, a produite sur l'auditoire:
elle rappelait ces chœurs divins que les Grecs employaient dans
leurs fêtes, et qui sont décrits avec tant de charme par l'auleur du
Voyage d'Anacharsis. »
La première semaine de l'an VI revoit les mêmes robes blanches
agrémentées cette fois d'une ceinture de crêpe, à la cérémonie funè-
bre de Hoche.
Après avoir brillamment contribué à l'éclat des fêtes poliliques,
après s'être promené des Tuileries à l'Ecole Militaire, des Menus-
Plaisirs au Luxembourg, le Conservatoire se chante lui-même,
convie Paris à son apothéose, à la distribution des prix, célébrée
le 3 brumaire dans la salle de l'Odéon.
Le Directoire et le Corps diplomatique occupent une vaste tribune
construite pour la circonstance; les loges environnantes sont dis-
tribuées à l'Institut, aux autorités constituées.
« Le reste de la salle est rempli par une grande quantité de
femmes, dont la beauté et la parure ajoutaient au spectacle, et par
une affluence considérable qui éclate eu applaudissements quand
les directeurs apparaissent, précédés de leur cortège. On se rappe-
lait les services rendus à la Révolution par le Conservatoire et on
était touché de la reconnaissance du Gouvernement. »
Sur la scène, ornée de colonnes reliées entre elles par des guir-
landes de fleurs, prennent place les professeurs et les meilleurs
élèves, au nombre de cent cinquante.
L'ouverture du Jeune Henri commence le concert. La citoj'enne
Chevalier, premier prix de chant, se tait acclamer dans un air
à'Elisa de Cherubini, accompagnée par le hautbois du citoyen Lau-
rent. Grand succès aussi dans Alceste, pour la citoyenne Moreau.
Cinquante jeunes filles attaquant le chœur des Dandides, soulèvent
les mêmes transports et, quand le ministre a terminé la distribu-
tion des prix et achevé son discours, on ne se lasse pas d'entendre
les airs civiques entonnés par les ensembles.
La séance a duré quatre heures et demie.
* '*
Après une semblable ovation, le Conservatoire aurait mauvaise
grâce à résisler au Corps Législatif, qui le réclame pour embellir de
ses accents la fête offerte au vainqueur de l'Italie.
Paris est tout entier à Bonaparte, qui ne peut sortir sans être en-
touré; si bien qu'il se dissimule au théâtre il est reconnu, et cette
adoration grandira encore le 9 thermidor, qui vit l'entrée triom-
phale des objets d'arl recueillis en Italie.
Vingt-neuf chars s'avancent leutemeut, escortés de toute une
armée, suivis d'un peuple entier. Les premiers portent des plantes--
étrangères, des blocs de cristal, des lions, des dromadaires, des ma-
nuscrits et des livres rares.
La poésie contribue à l'éclat du cortège, comme en témoigne le-
dlstique brodé sur une bannière :
La Grèce les céda; Rome les a perdus;
Leur sort changea deux fois, il ne changera plus.
Les chevaux de la place Saint-Marc, le « Gladiateur mourant »,.
la « Vénus du Capitole », Vu Antinoiis », l'a Apollon du Belvédère »
suivent l'oriflamme.
Second étendard et troisième vers :
Artistes accoui-ez ! Vos maîtres sont ici!
Voici la « Transfiguration de Raphaël », des toiles du Titien, de
Véronèse, enfin le buste de Brutus.
Au Champ-de-Mars, où tous les chars se réunissent, le Conser-
vatoire exécute le Poème séculaire d'Horace, musique de Philidor, puis
l'Ode de Lesueur.
Le lendemain, pour la continuation de la cérémonie, Invocation à
la Liberté, Symphonie, deuxième audition du Poème séculaire, tandis
que les Directeurs entassent des lauriers devant le buste de Brutus;
enfin le Chant du départ, au moment où un magnifique aérostat
s'élève au-dessus de l'autel.
(A suivre.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (26 août). — Le théâtre de la'
Monnaie vient de publier le tableau complet de son personnel pour la^
saison 1891-1892 :
Chefs de service : MM. Edouard Barwolf, premier chef d'orchestre; P.
Flon, chef d'orchestre; Léon Dubois, chef d'orchestre ; Gravier, régisseur
général; Léon Herbaut, régisseur; Laffont, maître de ballet; F. Duchamps,.
régisseur du ballet; Louis Macs et P. Mailly, pianistes-accompagnateurs ;:
Louis Barwolf, bibliothécaire ; Lynen et Devis, peintres-décorateurs.
Artistes du chant : Ténor.'!, MM. Lafarge, Dupeyron, Leprestre, Isouard,.
Stéphane, Barbery, Gillon. Barytons, MM. Seguin, Badiali, Béral. Basses,
MM. Ramat, Sentein, Dinard, Gilibert, Danlée, Deltombe. Chanteuses;
]y[mes de Nuovina, d'Exter, Carrère, Chrétien, Smith-Bauvelt, Darcelle, de
Bèridès, Savine, Wolf, Dalraont, Gorroy, Walter.
Artistes de la danse : MM. Laffont, Duchamps, Ph. Hansen, Desmet,
]y[mcs Térésita, Riccio, Isolina Straraezzi, Louisan, Dierickx.
Comme je vous l'ai annoncé déjà, la saison s'ouvrira, le S septembre,
par Roméo et Juliette, avec M. Lafarge, M"" de Nuovina et la nouvelle du-
gazon, M"" Savine ; le lendemain, Robert le Diable, pour les débuts de la
falcon, M"^ Chrétien, et de la basse, M. Raraat. Puis, viendront successi-
vement Mireille Lakmé, la Basoche et le Barbier; on essaiera aussi de re-
prendre Siegfried, dont la vogue nous paraît bien épuisée pourtant, et
Lohcngrin sera retardé quelque peu. Les premiers temps seront donc
consacrés à la revue du répertoire courant, et elle pourrait bien se pro-
longer, cette année encore, un peu plus qu'on ne l'eût désiré. Mais il faut
essayer les nouveaux venus et « tasser » la troupe. Tout cela permettra
d'attendre patiemment le Rêve. Jusqu'à présent, c'est la seule nouveauté
qu'on entrevoie, toutes celles qui étaieni plus ou moins espérées ou
promises, Samson et Dalila, Chevalerie rustique, Othello, les Troyens à Carthage,
te Crépuscule des Dieux même, ayant été déjà abandonnées. Par quoi seront-
elles remplacées? Nous l'ignorons. Il ne serait pas de son intérêt que la
direction se contentât de reprises, même intéressantes, telles que la Flûte
enchantée. Actuellement, un théâtre lyrique ne peut vivre qu'en suivant le-
« mouvement » et en renouvelant son répertoire; c'est le seul moyen de
s'attacher le public, de vivre bien et de vivre longtemps. — En même
temps que se rouvriront les portes de la Monnaie se fermeront celles du
Vaux-Hall, où, tous les ans, l'orchestre du théâtre convie le public à des-
concerts très intéressants et très suivis, â condition que le beau temps
les favorise. Cette année, sous la direction de MM. Léon Dubois et Lapon,
ils nous ont donné l'occasion d'entendre un assez grand nombre d'œuvres
symphoniques, non seulement de maîtres étrangers, parmi lesquels-
Wagner tient toujours une large place à côté de l'école française et de
l'école russe, mais aussi de compositeurs belges. Il y en a eu dans le
nombre d'excellentes, notamment une Symphonie ftamande \Aeine de couleur
et de mouvement, de M. Arthur De Greef, et diverses compositions de
MM. Dubois, Agniez, Lapon, Jacob, etc. Les concerts du Vaux-Hall ont
278
LE MENESTREL
aussi corsé leurs programmes de parties vocales qui n'en ont pas été les
moindres attractions ; on a particulièrement applaudi M'''= Dyna Beumer,
la virtuose très connue, M"" Yvel, de l'Opéra-Comique, M"" Rachel Neyt,
qui a fait entendre des lieder nouveaux de Grieg, orchestrés par M. De
Greef; puis, M"«s Gorroy et Milcamps, MM. Gilibert, Imbart de la Tour,
etc.. C'a été, pendant l'été, le seul endroit où l'on ait fait de la bonne
musique à Bruxelles. L. S.
— On assure qu'il est question, à la Monnaie de Bruxelles, de monter,
dans le courant de la prochaine saison, le Collier de aaphirs. la pantomime
jouée récemment avec un si vif succès au théâtre de Spa. Le cas échéant,
M. Pierné, l'auteur de la musique, ajouterait au second tableau un grand
divertissement.
— On lit dans l'Eventail, de Bruxelles : « La mère Cosima, comme dit
un de nos plus spirituels confrères (c'est le nom qu'on donne irrévéren-
cieusement, en Belgique, à M""" veuve Wagner), travaille à l'achèvement
d'une partition dont Richard "Wagner n'a composé que des fragments
telle est du moins la nouvelle stupéfiante qu'on mande de Bayreuth. Si
nous ne l'avions pas péchée dans un journal de musique très sérieux,
nous n'eussions pas osé l'insérer. »
— A Vienne, comme à Paris, on s'apprête à fêter dignement, en dépit
du mépris des wagnériens outranciers, le centenaire de la naissance de
Meyerbeer. On donnera à cet effet, le o septembre, une représentation
solennelle du Prophète, entièrement remonté, avec des artistes de premier
ordre, même dans les rôles secondaires. Des décors nouveaux sont peints
expressément, et, pour la scène de la cathédrale, le décorateur Antoine
Brioschi a copié fidèlement et, parait-il, d'une façon admirable, l'intérieur
de la célèbre cathédrale de Munster.
— L'Opéra de Vienne a donné ce mois-ci une représentation à la mé-
moire de Liszt. Le spectacle choisi était Sainte Elisabeth, l'oratorio du
maître, transformé en opéra. Dans la dernière correspondance musicale
envoyée par M""" Mathilde Marchesi aux Signale de Leipzig, il est question
de cette représentation, et, à cette occasion, l'éminente artiste publie les
anecdotes suivantes qu'elle tient de la bouche même de Liszt : II y avait
soirée musicale à la cour de..., connue pour son étiquette rigoureuse, et
Liszt venait de quitter le piano au milieu d'acclamations enthousiastes.
Les seigneurs du lieu s'étaient même avancés vers l'artiste pour lui adresser
leurs félicitations. Puis, suivis de leurs invités, ils se dirigèrent du côté
de la salle voisine pour prendre des rafraîchissements, laissant Liszt et
les autres artistes seuls dans le salon de musique. On devine la stupeur
du maître, mais sa résolution fut vite prise. Tranquillement, il se coifl'a
de son chapeau, sortit son étui à cigares, alluma un londrès, à l'ébahis-
sement des laquais, et sortit pour ne plus revenir. — Une autre fois, il
fut invité à déjeuner chez un riche banquier. Le repas terminé, la maî-
tresse de la maison le pria de se mettre au piano. Il s'inclina et joua,
ainsi qu'on le lui demandait ; puis, saluant respectueusement son hôtesse :
« Je suis votre serviteur, madame, lui dit-il, mon beefteak est payé ! » —
Sa bienfaisance envers les jeunes gens était proverbiale. Un jour, un
jeune homme se fit annoncer à lui, qui désirait obtenir un secours pou-
vant lui permettre d'achever ses études de piano. — « Volontiers, fit Liszt
en ouvrant son piano, mais veuillez me jouer quelque chose. » L'épreuve
terminée, il dit au jeune homme, qui tremblait de tous ses membres :
o Comme artiste vous ne valez rien, mais si vous voulez devenir cordon-
1) nier ou tailleur, je suis disposé à vous servir une allocation mensuelle.»
— On nous écrit de Munich que l'Opéra royal vient d'engager pour trois
ans une toute jeune et ravissante artiste polonaise, M""= Irène Abendroth,
à laquelle ses brillants débuts dans le Barbier de Séville et dans Lucia di
Lammermoor ont déjà valu le surnom de et fauvette polonaise >. . Le surin-
tendant des théâtres royaux, M. le baron de Perfall, a l'intention de
monter Lakmé avec M"<= Abendroth.
— Meyerbeer victime de l'amour !... Le docteur Schuch, qui fut l'ami
du maître, raconte qu'en sa jeunesse, à Padoue, Meyerbeer inspira une
telle passion à la prima donna ttu théâtre, que celle-ci voulut absolument
devenir sa légitime épouse. Le jeune compositeur résistait énergique-
ment, tout en préludant à la représentation de son dernier opéra, inti-
tulé Costanza e Romilda, dont la tenace cantatrice devait créer le principal
rôle. A la répétition générale, tout marcha bien ; mais à la première re-
présentation, désarroi complet : les chanteurs toussent et soupirent, les
trompettes attaquent à faux, les timbales font rage au milieu d'un andante
amoroso, les choristes s'endorment contre les portants de coulisses ; grosse
caisse, tambour, triangle se livrent à d'intempestifs tutti : bref un cha-
rivari complet. Tout le grand monde de Padoue était là. Le scandale fut
monumental, et l'opéra ne s'en releva pas. La prima donna, dédaignée
comme épouse, avait admirablement préparé tout cela.
— Le Courrier du Rhin annonce que le D'' Alfred Stelzner, de Wiesbaden,
vient d'inventer un nouvel instrument à cordes, nommé violotta, qui tient
le milieu entre l'alto elle violoncelle. La cause de la violotta a été prise en
mains par l'illustre violoniste Joachim, quiaparticipé dernièrement à l'exé-
cution d'un quatuor du D"' Stelzner en se chargeant de la partie de violotta.
Le D"' Stelzner se déclare en outre l'inventeur d'une nouvelle méthode
pour construire les instruments à cordes, méthode basée sur des principes
scientifiques. Quelques éclaircissements sur la nature de ces principes ne
seraient pas mal accueillis dans le monde de la facture instrumentale.
— Antoine Rubinstein est en ce moment dans le Caucase, aux environs
de Tiflis. Le célèbre maître doit aller passer la saison d'automne à Dresde,
où il mettra la dernière main à trois œuvres qui le préoccupent vivement.
On sait que Rubinstein a commencé un oratorio qui portera le nom de
Mom ; il veut, en outre, entreprendre dans le plus bref délai unopéra dont
le livret sera tiré d'un épisode de l'histoire de la Russie.
— Voici que les compositeurs italiens s'en prennent à notre Molière,
et tentent ce que n'a jamais osé essayer un musicien français. L'un d'eux,
M. Scarano, n'a pas craint de s'attaquer à ce chef-d'œuvre qui a nom
Tartujfe, et vient de terminer une partition sur ce sujet traité en opéra.
Nous verrons ce qu'il en résultera, et si l'on pourra dire du compositeur :
Audaces fortuna juvat .
— La section académique de l'Institut royal de musique de Florence
ouvre, au nom du regretté pianiste compositeur Stefano Golinellî, un
concours pour la composition d'un concerto pour piano et orchestre, avec
cette particularité que l'auteur couronné sera tenu d'exécuter lui-même
son œuvre dans une séance publique de l'Académie. Le prix est de 600 fr.,
et le concours est réservé aux seuls compositeurs italiens ou ayant fait
leurs études en Italie.
— Au théâtre de Mondovi, on annonce la première représentation d'un
opéra semi-seria en deux actes, la Rapita, paroles de M. G.-A. Durante,
musique de M. A. Sanfelice. — A l'Alhambra de Florence, on signale une
nouvelle opérette mythologique, Venere e Cupido, avec, dit le Trovatore,
l'inévitable cancan. Mais on ne nous fait pas connaître les auteurs de
celle-ci.
— Le Conseil communal de Rome, dit l'Italie, doit être dans la joie. Il a
enfin trouvé pour le théâtre Argentina l'imprésario rêvé. Le marquis Gino
Monaldi, grand amateur d'art, s'est engagé à donner trente-deux représen-
tations au théâtre municipal, et cela sans subvention. Il aurait déjà en-
gagé le ténor Stagno et M""" Bellincioni. Le programme n'est pas encore
fixé, mais on nous assure que le premier opéra sera Roberlo il Diavolo, puis
Giulietta e Romeo, de Gounod, nouveau pour Rome ; ensuite la Muta di
Porlici et le Nozze di Figaro, ce délicieux chef-d'œuvre classique. La saison
de l'Argentina promet donc d'être brillante.
— M"" Patti et M. Nicolini ont inauguré dernièrement leur théâtre
privé de Graig y Nos devant un groupe d'invités de marque. L'adresse de
bienvenue a été récitée par l'acteur Terriss, remplaçant M. Irving, em-
pêché. M™« Patti s'est fait entendre dans l'acte du jardin de Faust et le
premier acte de la Traviata; le lendemain, dans des scènes de Marlha et
de Roméo et Juliette, en compagnie de son mari et de plusieurs artistes de
Londres. L'orchestre était dirigé par le maestro Arditi.
— L'Avenue-Théâtre de Londres doit donner très prochainement la
première représentation d'une nouvelle pantomime, intitulée Ycette, due
à deux auteurs français, M. Fabrice Carré pour le scénario et M. Gédalge
pour la musique, et jouée, pour le principal rôle, par une actiice française,
M"^ Avocat, de la Gaité.
— Le National Eisteddfod of Wales ou concours annuel de musique du pays
de Galles, vient d'être célébré à Swansea, avec le cérémonial d'usage. Les
présidents étaient le maire de Swansea, lord Windsor, et le prince de
Battenberg, remplaçant M. Stanley indisposé. Il y a eu, cette année, trois
séries de concours qui ont rempli chacune une journée. La valeur des
objets d'art donnés en prix atteignait la somme de 1,400 livres sterling;
indépendamment de ceux-ci, il y avait des médailles d'or et d'argent en
quantité, et des prix en espèces. Parmi les vainqueurs des concours, on
cite les sociétés chorales de Morriston, Glantawe, Llanelly et Garnavon et
les sociétés symphoniques de Gardifî et Swansea. Le prix du concours de
piano a été remporté par miss Marj' Howard, de Pontypridd, et le révé-
rend G. Griffiths s'est vu décerner un prix de dix livres sterling pour
son mémoire sur l'Hijmnologie celtique, son histoire, ses particularités et son
influence. Le lendemain de chaque concours, il y avait un concert avec la
participation des principaux artistes de Londres et du chœur de ï'Eisteddfod,
dirigé par Eos Morlais. Les fêtes, qui ont duré cinq jours, se sont ter-
minées par l'audition de l'oratorio Emmanuel, du D'' J. Parry, et le cou-
ronnement du i Barde » élu la veille.
— Les caprices du téléphone. Un journal hebdomadaire de Londres ra-
conte l'histoire suivante, dont il garantit l'authenticité. «Lorsque fut achevée
la pose du cible téléphonique reliant le bureau central de Londres au
château de Windsor, la reine Victoria exprima le désir d'avoir une
audition musicale par le téléphone. On commanda pour le soir même un
orchestre et un chanteur. Par malheur, un accident survint au câble
dans le parc de Windsor, et, après une heure d'efforts vains pour réta-
blir la communication, le directeur du bureau central renvoya chanteur
et instrumentistes. Tout à coup la sonnette d'appel se fait entendre.
C'est Windsor qui informe Londres que la voie est enfin libre, et que
Sa Majesté est à l'appareil, disposée à entendre l'audition. Le directeur
est dans la plus grande perplexité. Comment va-t-il se tirer de là. Après
avoir bien cherché, il s'arrête à un moyen extrême: il chante lui-même!
Et quand il a fini son air, il sent que le courage lui est revenu et il se
hasarde à demander : — Votre Majesté a-t-elle pu reconnaître la mé-
lodie ? — Parfaitement, fut la réponse. C'était God save the queen, et
jamais je ne l'ai entendu aussi mal chanter. »
LE MENESTREL
279
— M. Harrisson se prépare à entreprendre, en octobre prochain, une
tournée de concerts dans les principales villes d'Angleterre, d'Ecosse et
d'Irlande, avec M™^ Adelina Patti. Parmi les autres artistes engagés
ligure M"» Isabelle Levallois, une remarquable violoniste, qui s'est acquis
une très grande réputation dans les pays d'outre-Manche.
— A l'Alhambra de Londres, première représentation d'une pantomime
comique en un acte, le Sculpteur et son Caniche, scénario de M. Charles Lauri,
musique de M. Mariotti, qui, paraît-il, a excité, du commencement jusqu'à
la fin, un fou rire général.
— On nous écrit de Berne : La Suisse est le pays des grandes fêtes
populaires; mais, plus que jamais, il semble que ces fêtes tendent à
revêtir un caractère artistique qu'on ne leur connaissait pas autrefois ; la
musique, cette année, y a occupé une place considérable. Après les fêtes
universitaires de Lausanne et les fêtes séculaires de la Confédération, qui
ont donné jour à deux œuvres importantes pour chœurs, soli et orchestre,
les fêtes du sept-centième anniversaire de la fondation de Berne ont inspiré
une volumineuse partition à IVI. Munzingen. Cette partition accompagnait
les diverses scènes de l'histoire nationale représentées dans le «Festspiel»
écrit à cette occasion par M. Weber. L'œuvre, un peu grise dans son
ensemble, ne manque cependant pas de grandeur. Exécutée par six cents
chanteurs et cent vingt musiciens, elle a produit un grand effet. Par un
hasard dû à l'heureuse disposition de l'amphithéâtre, l'acoustique ne
laissait rien à désirer et les moindres détails de la musique sont parvenus
aux oreilles des spectateurs. A cette occasion, une merveilleuse cantatrice,
M"" Uzielli-Haering, originaire de Genève, s'est révélée comme une artiste
d'un puissant tempérament dramatique. Elle joint à une excellente émis-
sion une justesse parfaite. Sa voix chaude et vibrante a vivement ému la
foule. Gomment se fait-il que nous ne l'ayons pas encore entendue chez
MM. Colonne ou Lamoureux? Depuis quelques années elle fait triompher
à Berlin, Leipzig, Francfort, les œuvres de l'école française, qu'elle in-
terprète remarquablement. Paris consacrera ce grand talent si, comme
nous l'espérons. M"" Uzielli est engagée un jour pour nos grands concerts
symphoniques du dimanche. G. D.
PARIS ET DEPARTEMENTS
M. Massenet est rentré à Paris lundi derni.îr dans la matinée, après
une absence d'un mois II rapporte, complètement terminée, l'esquisse du
ballet en un acte qu'il écrit pour l'Opéra de Vienne, sur un scénario de
MM. de Roddaz et Van Dyck.
— Nos lecteurs auront rectifié d'eux-mêmes l'erreur typographique qui
s'est glissée dans une nouvelle de notre dernier numéro concernant
M. Ambroise Thomas. C'est quatre-vingtième anniversaire qu'il faut lire,
et non quatre-vingt-sixième, ainsi qu'on nous l'a fait écrire. L'étonnante
verdeur de l'illustre maître n'en est pas d'ailleurs à quelques années près,
et tout fait espérer que son quatre-vingt-sixième anniversaire le trouvera
toujours aussi actif et aussi vaillant qu'il l'est aujourd'hui.
— M. Van Dyck est arrivé à Paris le samedi 22 et, à peine débarqué
du chemin de fer, s'est rendu à l'Opéra, où l'on répétait précisément les
ensembles de Lohengrin, M. Affre tenant le rôle de Lohengrin. M. Van Dyck,
qui possède merveilleusement les traditions de l'ouvrage de Wagner, n'a
pas semblé absolument satisfait des mouvements adoptés, et tout le long
travail, élaboré non sans peine par M. Lamoureux, s'est donc trouvé à
refaire en grande partie. On a travaillé toute la semaine avec une furia
extraordinaire, répétant même les soirs de représentations; mais la date
fixée n'a pu être maintenue. On parle maintenant, bien que les décors
soient prêts, on les a tous équipés dimanche, du 7 septembre comme très
probable. La première répétition d'ensemble, avec mise en scène, est
annoncée pour le mardi 1" septembre. En attendant, M. Lamoureux, non
content de bouleverser les cadres des instrumentistes et des choristes,
avec l'autorisation du ministère, dit il, a fait encore modifier l'élévation
du plancher de l'orchestre. Il parait que la hauteur rectifiée dernièrement
par MM. Gailhard et Vianesine vaut rien, et on a surélevé. Bien entendu,
la disposition des pupitres est changée aussi; M. Lamoureux conduira
l'orchestre comme il en a l'habitude à l'Odéon : il aura tous ses musiciens
sous les yeux; c'est à peine s'il aura quelques violons derrière lui.
— Lohengrin n'a pas encore vu le grand jour de la rampe et voici que
[déjà des accidents se produisent. C'est M. Gailhard lui-même qui, cette
emaine, pendant une repétition, a été la victime d'un de ces accidents,
ant le combat entre MM. Van Dyck et Renaud, il a saisi un bou-
clier dont le bord était coupant et, en l'élevant brusquement devant son
visage, il s'est blessé. Le fer a coupé les chairs et les muscles du nez ;
une hémorragie abondante s'en est suivie. On a dû transporter M. Gailhard
chez lui; le médecin a rapproché les chairs et fait- la suture nécessaire.
M. Gailhard va se trouver condamné à plusieurs jours de repos.
— On sait que c'est M. Van Dyck qui doit créer cet hiver, à Vienne, le
Werther de M. Massenet. Dès après la première représentation de Lohengrin,
il se mettra à la disposition de M. Massenet pour travailler avec lui non
seulement son rôle, mais encore la partition eiitière pour pouvoir indi-
quer bien exactement, lors des premières répétitions, toutes les intentions
de l'auteur.
— Le programme de nos théâtres pour la saison qui s'ouvre. A l'Opéra,
MM. Ritt et Gailhard nous ont déjà fait savoir qu'ils termineront la
dernière année de leur exploitation avec Lohengrin et le répertoire , et
qu'ils donneront l'opéra de Bourgault-Ducoudray , Tamara. Quant à
M. Bertrand, qui prendra possession du théâtre à partir du 1" janvier, la
première nouveauté dont il compte s'occuper est la Salammbô de M. Ernest
Reyer. Viendra ensuite un ballet tiré de Don Quichotte, pour M"' Mauri,
qui sera donné soit avec la Prise de Troie, de Berlioz, soit avec Fidelio, de
Beethoven. Puis viendra le tour d'Hérodiade, qui sera bientôt suivie d'un
ballet pour M"= Subra. Un opéra nouveau sera donné dans le courant de
l'année 1892.
Al'Opéra-Gomique, la réouverture se fera mardi prochain, 1" septembre,
avec le Héve, de M. Bruneau. Dès le lendemain mercredi, aura lieu la
reprise de Lakmé, du regretté Delibes, qui alternera avec le Rêve pendant
les premiers jours. On préparera ensuite une brillante reprise de Manon, de
M. Massenet, pour M"' Sibyl Sanderson (la pièce doit passer le 1" no-
vembre), et l'œuvre nouvelle de MM. Bergerat, Wilder et Chapuis, Enguer-
rande, qui doit passer en octobre. On s'occupera ensuite de la Cavalleria
rusticana, de M. Mascagni , pour qui M. Carvalho a engagé la créatrice,
M"= Calvé, et de h'assya, l'œuvre posthume de Léo Delibes. En dehors de
ce programme et avec lui figurent Carmosine, de M. Poise, et les Troyens, de
Berlioz, qui seront montés avec le concours de la Société des grandes audi-
tions musicales. Quant aux matinées du dimanche, si recherchées par la
jeunesse des écoles, elles seront reprises dès le troisième dimanche de
septembre.
A l'Odéon, M. Porel, qui vient de publier le programme très intéressant
de sa saison, compte faire, cette fois encore, diverses incursions dans le
domaine musical. Tout d'abord, il annonce la mise à la scène de St'uensée.
le drame de Michel Béer, traduit par M. Jules Barbier, avec la superbe
musique de Meyerbeer ; puis il promet une traduction en prose de
VOthello de Shakespeare, en dix tableaux, et une adaptation du Faust de
Gœthe, vers et prose, en douze tableaux, l'une et l'autre avec une partie
musicale importante, dont la première est due à M. Henri Maréchal.
L'orchestre et les chœurs seront, comme par le passé, ceux de M. La-
moureux.
— Voici maintenant, en ce qui concerne la musique, les projets de nos
scènes de genre. La Gaité se propose de monter une pièce à grand spec-
tacle, le Voyage en Amérique, de MM. Chivot et Vanloo. avec musique de
M. Léon Vasseur. Les Bouffes-Parisiens monteront Eros, opéra-comique de
MM. J. Noriac et Jaime, mis en vers par M. Maurice Bouchor, musique
de M. Paul Vidal, qui sera suivi d'une pièce en trois actes de M. Maxime
Boucheron, musique de M. Audran. A la Renaissance, dont la réouver-
ture se fera par une revus, on compte donner ensuite une opérette en
trois actes et cinq tableaux. Mademoiselle Asmodée, paroles de M. Paul Fer-
rier, musique de M. Victor Roger. Enfin, aux Folies-Dramatiques, M. Vi-
zentini, qui ne perd pas son temps, a l'intention de monter successive-
ment le Mitron, vaudeville-opérette en trois actes, de MM. Maxime Bou-
cheron et Antony Mars, musique de M. André Martinet, pour les représen-
tations de M™" Grisier-Montbazon ; Cliquette, comédie-vaudeville en trois
actes, de M. William Busnach, avec airs nouveaux de M. Varney, pour
la rentrée de M. Gobin ; la Fille à Fanchon, opéra-comique en trois actes,
de M. Armand Liorat, partition de M. Louis Varney, dans lequel M"= Zélo
Duran et M. Larbaudière feront leur rentrée ; la Cocarde tricolore, opérette
en trois actes, d'après la pièce portant le même titre des frères Cogniard,
musique de M. Robert Blanquette.
— M"e Hartmann, premier accessit de tragédie aux derniers concours
du Conservatoire, vient de signer un engagement avec l'Odéon.
— M""ï Auguez, la charmante artiste de l'Opéra-Comique, quitte pour la
seconde fois ce théâtre et va tenter une nouvelle apparition sur une de
nos scènes de genre : elle est engagée aux Variétés à partir du !«'■ sep-
tembre.
— L'un de nos jeunes musiciens les mieux doués et les plus distin-
gués, l'un de ceux qui se font remarquer par les tendances élevées de
leur esprit et leurs recherches des horizons nouveaux, M. Arthur Goquard,
vient de publier sous ce titre : De la musique en France depuis Rameau
(Galmann Lévy, éditeur), un livre qui n'est point sans intérêt et qui est la
mise au point du mémoire présenté par lui à l'Académie des beaux-arts
sur ce sujet mis au concours par l'illustre oompagnie : « De la musique
en France et particulièrement de la musique dramatique, depuis le milieu
du dix-huitième siècle jusqu'à nos jours, en y comprenant les œuvres des
compositeurs étrangers jouées ou exécutées en France. » L'Académie des
beaux-arts semble avoir cette spécialité de tracer des programmes d'une
largeur exceptionnelle et d'une rare envergure, en ne laissant aux con-
currents dont elle provoque les travaux qu'un temps manifestement in-
suffisant pour les remplir. Celui-ci ne comprenait guère autre chose, en
effet, qu'une histoire générale et complète de la musique en France pen-
dant l'espace de cent cinquante ans environ, et l'on avouera que la tâche
était d'autant plus ardue qu'elle accordait une année aux concurrents pour
un travail qui, pour un écrivain tout d'abord bien outillé au point de vue
de la mémoire et des documents, en exigerait au moins cinq ou six pour
être bien préparé, bien dirigé et bien mis eu œuvre. Il n'est donc pas
étonnant que le livre de M. Coquard, en dépit de ses réelles qualités et
de l'intérêt qu'il présente, soit incomplet dans son ensemble, présente de
fâcheuses lacunes et ne nous donne qu'une vue très superficielle de l'his-
toire et de l'état de la musique française pendant la période indiquée. Le
280
LE MÉNESTREL
principal défaut de ce livre est de manquer d'aplomb et d'équilibre. Il y
parait très évident que l'auteur n'a pas eu le temps de lire ou de relire
l'énorme quantité de musique qu'il faut absolument connaître et savoir
pour écrire un ouvrage de ce genre. De là, certains jugements hâtifs ou
incomplets, prenant, dans la rapidité forcée du récit, un caractère en
quelque sorte absolu qui n'est point sans quelque danger. Ainsi en ce
■ qui concerne Dauvergne, l'auteur des Troqneurs, dont la valeur est beau-
coup plus grande que ne le semble croire M. Coquard, et aussi Catel, qui
était presque un musicien de génie, et Philidor, qui en était un véritable,
•et dont il paraît n'avoir jamais lu une note. Et quand on voit les noms
•de musiciens aussi aimables que Délia Maria, Mengozzi, Floquet, sans
■compter Marais, Lemoyne, Méreaux et quelques autres, absents complète-
■ment du livre de M. Coqiiard, on se demande ce qu'y vient faire, par
exemple, celui de M. Serpette, qui, avouons-le, n'appartient guère à l'bis-
'toire de la musique. Ce qu'il faut louer dans ce livre, c'est l'esprit dont
'il est animé, ce sont les bonnes traditions qu'il représente, c'est enfin le
'respect très louable avec lequel y sont en\isagés les travaux de nos mu-
•«iciens, bien que je ne sois pas, pour ma part, toujours d'accord avec
'l'écrivain en ce qui concerne les jugements portés sur quelques-uns
■d'entre eux, particulièrement Boieldieu, Cherubini etHerold, dont la valeur
■me paraît plus grande que celle qu'il prétend leur donner. Son travail,
je l'ai dit, me semble trop hàtif par le fait des conditions qui lui ont
donné naissance, mais il a du moins pour qualités la conscience artis-
tique, le respect de soi-même et un sentiment élevé des véritables condi-
-tions de l'art. A. P.
— M"= Henrion, l'excellent professeur de chant, s'est vu décerner une
■médaille d'argent au concours de composition de la Revue littéraire, à
Toulouse.
— Très belle solennité musicale le 25 août dans l'église Notre-Dame,
• d'Etretat. Faure, notre grand chanteur, a bien voulu prêter son précieux
concours pour venir en aide aux pauvres du pays, et il n'est pas besoin
de dire que si le succès artistique a été colossal, le succès financier ne
lui a cédé en rien. Le remarquable artiste, toujours aussi en voix que
dans les plus beaux jours, a dit merveilleusement un Agnus Dei de Mo-
zart, son 0 Salularis, avec M. Blum son Crucifix, et avec M"" Delaquer-
rière, de Miramont et M. Blum le trio de Curschmann, Ti prego, madré
fia. M"" Miramont-Delaquerrière a fait admirer, seule, le charme de sa
belle voix et sa maestria; M""^ Renié, l'exquise harpiste, dont on se
rappelle le succès aux concours du Conservatoire d'il y a deux ans, a tenu
son auditoire sous le charme, ainsi que MM. Baretti, un excellent violo-
niste, Brehmer et Houfflack. Grand et légitime succès.
— On annonce que M.Gustave Lelong, chef d'orchestre de l'Association
artistique d'Angers, vient d'être nommé directeur du Conservatoire de
Bordeaux, en remplacement de M. Henri Gobert, décédé.
— Les concerts Vauban, de Lille, placés sous l'habile direction de
M. 0. Petit, viennent de clôturer leur saison d'été. M""! Tarquini d'Or et
M. Victor Staub défrayaient le programme, et on a fait ovations sur ova-
tions aux deux excellents artistes. M°"= Tarquini d'Or a délicieusement
chanté la romance de Mignon et les Ailes, de Louis Diémer, et M. Staub a
joué en véritable artiste la grande Valse de concert et le Chant du nautonier,
de Louis Diémer également.
— Charmante soirée dimanche dernier, au Mont-Dore. M. Léon Delatosse
a eu un très grand succès dans plusieurs pièces qu'il a magistralement
interprétées, ainsi que M°"^ Gonneau, qui avait bien voulu se faire entendre.
— On nous écrit de Gapvern-les-Bains : Très intéressant salut en mu-
sique à la chapelle de la localité. Le Crucifix et les Rameaux, de Faure,
chantés par l'abbé M... et l'abbé F... accompagnés et soutenus par l'har-
monium et l'éloquent violon de M. Gh. Dancla. La quête pour les pauvres a
été fructueuse.
NÉCROLOGIE
De Londres, on annonce la mort d'un pianiste-compositeur italien fort
distingué, Angelo Gunio, depuis longtemps fixé comme professeur en
cette ville d'abord, à Edimbourg ensuite. Il était né à Vigevano et avait
fait ses études musicales au Conservatoire de Milan, où il était entré en
1848 pour en sortir en 1852. Il avait publié, tant à Paris qu'à Milan et à
Londres, un grand nombre de compositions pour son instrument, qui se
faisaient remarquer par l'élégance de la forme et la grâce de l'inspiration.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Paris, AU MENESTREL, 2
rue Vivienne, HEXJOEL et C^
Editeurs.
EXTRAIT DU CATALOGUE DES ŒUVRES POUR PIANO
CH. NEÙSTEDT
BLUETTES MUSICALES
SOLOS DE CONCOURS
(faciles)
.J. Gavotte du Bon Vieux Temps 3 »
.2. Andantino de Sonatine 3 »
3. Menuet d'Enfants 3 »
i. Deuxième Thème varié 3 »
■g. Rondo brillant 3 »
6. Chasse à courre 3 »
:7. Simple Chanson 3 »
8. Menuet du Petit Trianon 3 »
9. Chanson hongroise 3 »
10. Souvenir d'Enfance 3 »
11. Rondo de Sonatine 3 »
A-2. Ronde de Nuit 3 «
13. Berceuse de Bébé 3 »
14. Les Cloches du Couvent 3 »
.15. Tyrolienne variée 3 »
.16. Rondo villageois 3 »
17. Petite Peureuse 3 »
18. Pavane Pompadour 3 »
.19. Canzonetta 3 »
20. Chanson de Chasse 3 »
PENSÉES MUSICALES
1. Pavane 5 »
2. Chanson d'autrefois o »
3. Sérénade espagnole g »
4. Gigue g »
j. Simple Mélodie g »
\). Chaconne g »
TRANSCRIPTIONS CLASSIQUES
1. Romanc3 de Wedeu 3 7g
2. Sonatine de Beetuove.v 6 »
3. Les Saisons de Haydn g »
i. La Romanesca 4
5. Andante de Mozart 6 »
6. AUegro-Agitato de Mendelssohn 6 a
7. Chaconne de Haendel 5 »
COURS DE PIANO
ÉLÉMENTAIRE ET PROGRESSIF
1. Méthode de Piano 12 »
2. Gymnastique des Pianistes 9 »
3. Le Progrès (vingt-cinq études pour les petites mains) 12 »
4. Vingt-cinq Etudes de Mécanisme 12 »
5. Vingt-cinq Etudes de Vélocité 15 »
6. Vingt-cinq Etudes Variations classiques . . ' 12 »
7. Préludes Improvisations (1'' Livre) 6 »
8. Préludes Improvisations (2= Livre) 9 »
Trois Concertinos (Solos de Concours) chaque g »
Trois Sonatines d" chaque 5 »
Thème varié d" S »
Première Rêverie 5 »
Deuxième Nocturne 5 »
Primavera (i' Idylle) 5 »
Fête des fiançailles 5 »
La Ballerina (Air de ballet) 5 »
Harpe éolienne 6 »
Carillon de Louis XIV 5 »
i> .') à quatre mains 7 SO
» » Orchestre complet net 2 »
Pavane, Orchestre net 2 »
Romance de Garai 5 »
Marche de Rakocsy 5 i>
» » à quatre mains 7 50
Fantaisie sur Obéron 7 50
Fantaisie sur Sylvana 7 50
UERI£ CE\TBALE I
X, -20.
: BEBGHB£, PARIS.
Dimanche 6 Septembre I89i.
3153 - 57- ANNÉE - N" 36. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIEE-TESTE
\. Histoire de la seconde salle Favart (24° article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Une dynastie dansante, Arthur Pougin ;
première représentation de Madame Agnès, au Gymnase, Paul-Emile Chevalier.
III. Histoire anecdotique du Conservatoire (5° article), André M.iRTiNET. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
POUR VOUS !
nouvelle mélodie de Paul Rougnon, poésie de Roger Miles. — Suivra
immédiatement : Défi ! nouvelle mélodie de Joanni Perronnet, poésie
d'AniÉLiE Perronnet.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO; Gaillarde, de V. Douietsch. — Suivra immédiatement: Tricotels,
de Broustet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
A.llbert SOTJBIJES ©t Charles M:A.LHEnBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
TROIS PIÈCES CENTENAIRES : Le Voyage en Chine, Mignon,
le Premier Jour de bonheur.
(1865-1868)
(Suite.)
Cette année-là, on devine que les fêtes du 15 août furent
brillantes, et les cantates d'usage applaudies. A l'Opéra-
Comique, celle de 1863 s'appelait France et Algérie, paroles de
Jules Adenis, musique d'Adrien Boieldieu ; celle de 1866, les
3Ioissonneiirs, paroles de Boys, musique de M. Ferdinand Poise;
celle de 1867, Paris en i861 , paroles de Gustave Ghouquet,
musique de M. Laurent de Rillé, cantate chantée par M"« Marie
Rôze, M. Crosti et les chœurs de l'Opéra-Comique au.xquels
s'étaient joints, pour l'ensemble final, « l'Hymne à la Paix »
cent orphéonistes de la Société des Enfants de Lutèce. M. J.
Massenet avait écrit, lui aussi, sur des paroles de M. Jules
Adenis, une cantate pour le Théâtre-Lyrique, Paix et Liberté,
dont le manuscrit, transporté plus tard à l'Opéra-Comique, a
malheureusement disparu dans l'incendie, sans que l'auteur
en eût conservé copie. Rossini, enfin, le vieux Rossini ne
dédaignait pas ce genre de besogne « ofiicielle >-, composant,
pour la distribution des récompenses au Palais de l'Indus-
trie, son hymne dédié « à Napoléon III et à son vaillant
peuple », morceau bizarre sur le manuscrit duquel se trouve,
au-dessous de la mention : « avec accompagnement de mu-
sique symphonique, de musique militaire et... de canons »,
le fameux « Excusez du peu! » tant de fois cité depuis.
C'était la dernière œuvre d'un maître dont les jours étaient
comptés, puisqu'il mourait le 13 novembre 1868, après avoir
vu, le 10 février, l'Opéra donner la 500'* représentation de
son chef-d'œuvre, Guillaume Tell. Une couronne d'or lui
avait été offerte à cette occasion, et tout le personnel,
artistes, orchestre et chœurs, était venu lui donner une séré-
nade, dans la cour de sa maison de la Chaussée-d'Antin,
ainsi qu'il lui était arrivé, trente-neuf ans auparavant, à
l'issue de la première représentation.
Ce même soir, l'Opéra-Comique affichait la 856<^ représen-
tation du Chalet et la 1166'* de la Dame blanche et, treize jours
aprè?, un autre illustre vieillard, Auber, donnait encore un
ouvrage nouveau qui allait être le grand succès de l'année.
A Paris le Premier Jour de bonheur, à Munich les Maîtres Chan-
teurs de Nuremberg, voilà le curieux contraste qu'offre en
1868 l'histoire musicale de deux peuples qui naguère se
traitaient en amis, et que la guerre devait, quelques mois
plus tard, jeter l'un contre l'autre, aux jours sombres et dou-
loureux de l'Année terrible.
CHAPITRE IV
AVANT LA GUERRE
1868-1870.
Cette période est une des moins brillantes qu'ait traversées
la salle Favart. C'est la fin d'un régime politique qui s'ef-
fondre dans la plus terrible des guerres; c'est la fin d'une
direction qui voit, le 20 janvier 1870, M. Du Locle prendre
à côté de M. de Leuven la place de M. Ritt comme associé,
substitution grosse de conséquences pour l'avenir; c'est presque
même la fin d'un genre musical, en ce sens que le succès se
détourne de plus en plus des œuvres applaudies naguère.
L'heure n'a pas encore sonné d'une révolution artistique ;
mais déjà le public se lasse des formes consacrées et aspire
vaguement à quelque renouveau. De là sa froideur, de là
cette longue hécatombe de pièces, qu'elles soient longues ou
courtes, qu'elles soient tristes ou gaies, qu'elles soient écrites
par de nouveaux venus, comme Samuel David, M'"" de
Grandval, Nibelle, Emile Pessard, ou par des auteurs connus
comme Offenbach, Poise, Semet, Bazin, Guiraud et même
Auber, dont le Rêve d'amour ne fut, pour ainsi dire, que le
rêve d'un jour. A cette règle de l'insuccès, deux ouvrages
seuls font exception : l'un, qui ne saurait compter à l'actif
de la salle Favart, puisqu'il était déjà centenaire avant d'y
entrer, les Dragons de Villars , l'autre, qui est joué en 1870, à
282
LE MENESTREL
la veille de la guerre franco-allemande, et qui, par une
singulière ironie du sort avait pour auteur un Allemand,
l'Ombre, de Flotow.
Il n'est pas jusqu'à la troupe, qui ne tende à se transformer
comme le répertoire lui-même; rarement, en effet, départs
et débuts ont été aussi nombreux. Signalons parmi les artistes
qui cessent d'appartenir au tbéâtre : en 1868, outre M'™ Ca-
simir, dont nous avons déjà parlé; Montaubry, qui chanta
pour la dernière fois Robiuson Crusoé le '13 février, et, ayant
résilié moyennant un dédit de 30,000 francs à lui payés, se
dirige vers Toulouse, où il prétend tenir non seulement les
rôles de son emploi, mais encore ceux de Faust et de Roméo,
malgré le fâcheux état de sa voix ; M'™ Ferdinand Sallard, qui
revient le 5 juillet pour donner quelques représentations de
Ga?ortee et prend bientôt le chemin de Bruxelles; M"'' Léon
Duvat, engagée au Théâtre-Lyrique ; Vois, qui joue l'année
suivante à Bordeaux; M"^ Marie Rôze, qui se retire au mois
de juillet pour compléter, nous l'avons dit, ses études vocales
avec son maître Wartel, et qu'on revoit en 1870; Lhérie, qui
subit avec le « Ra ta plan » des Huguenots une audition à
l'Opéra, et finalement signe avec les directeurs de Marseille
et de Lyon; Nathan, qui passe en septembre de la salle
Favart aux Bouffes-Parisiens et Crosli, qui s'embarque pour
l'Angleterre; — en 1869, M"* Heilbron, qui émigré une saison
à La Haye et revient, il est vrai, au printemps suivant ;
M"'' Tuai, qui fait la navette entre le Théâtre-Lyrique et la
salle Favart, car elle reparait le 13 mai 1868 à la place Boiel-
dieu pour chanter le rôle de Louise dans les Rendez-vous
bourgeois et se retire avec l'année de la guerre ; M""" Gabel,
que l'état de sa santé oblige à quitter la scène; M'"^ Derasse,
engagée à Bruxelles; M"* Brunet-Lafleur, qui, le 14 novembre
précédent, avait épousé un compositeur de musique, M. Ar-
mand Roux, et qui passe au Théâtre-Lyrique, oîi elle va
créer un des principaux rôles de la Bohémienne, de Balfe ; —
en 1870, M""= Ugalde, qui redisparait, à peine rentrée ! enfla,
Sainte-Foy qui, bien avisé, choisit, pour se produire à Saint-
Pétersbourg, l'année même où la guerre allait fermer à Paris
les portes de son cher théâtre. Si l'on ajoute à tous ces noms
ceux des artistes que la modestie de leur talent empêchait
de rester attachés à la scène sur laquelle ils avaient débuté,
on comprendra de quelle importance fut en ces trois années
le mouvement du personnel.
Qu'on en juge par ce seul fait que 1868 n'amena pas moins
de sept nouvelles recrues à 1^ salle Favart : le 2 mars, dans
Zampa, M. Hayet, un ténor qui venait de province après avoir
appartenu jadis à l'Opéra, et dont l'apparition fut assez mal-
heureuse pour n'avoir pas de lendemain; le 5 juin, dans les
Dragons de Villars (rôle de Bélamy), M. Barré, qui venait du
Théâtre-Lyrique, où l'on avait applaudi déjà sa bonne voix de
baryton et son jeu intelligent; le 2S juillet, dans Galathée (rôle
de Midas) et le 3 novembre dans Mignon (rôle de Frédéric),
MM. Lignel et Baretti, un trial et un ténorino dont la carrière
n'a pas eu d'éclat; le 19 septembre, dans le Premier Jour de
Bonheur (rôle de Djelma) et le 1" novembre dans le Chalet{eôle
de Betly), M"'' Morisset et M'"' Guillot, toutes deux sortant du
Conservatoire, où elles venaient d'obtenir les mêmes récom-
penses, un premier prix d'opéra-comique et un deuxième
prix de chant, toutes deux bien accueillies, la première pour
sa beauté, qui l'emportait sur son talent, la seconde pour sa
voix sympathique et flexible, qui lui permit de tenir hono-
rablement plusieurs rôles du répertoire et de faire même,
l'année suivante, quelques créations; enfln, le 28 novembre,
dans le Corricolo (rôle de Gaston de Nerville), M. Charles
Laurent, un ténorino qui venait des Fantaisies-Parisiennes
et dont les moyens parurent d'autant plus petits que le nou-
veau cadre était plus grand.
Il arrive souvent, dans les théâtres lyriques, que lorsqu'on
monte l'ouvrage nouveau d'un compositeur passé maître,
on lui fait la politesse de reprendre un de ses ouvrages
anciens; nous l'avons pu vérifier maintes fois, au cours de
notre récit. Pour Auber en particulier, on manquait rarement
à cet acte de courtoisie. C'est ainsi que, cinq semaines après
le Premier Jour de bonheur, le 25 mars, on revit la Part du
Diable, négligée depuis 1861. Cette reprise était projetée depuis
longtemps avec M"'« Cabel et Bataille, dans les rôles de Carlo
et du roi; le départ de ces anciens permit le succès de deux
des plus vaillants parmi les nouveaux de la jeune troupe,
Mue Brunet-Lafleur et M. Gailhard; à côté de Prilleux (Gil-
Vargas), Bernard (Antonio), M"' Bélia (Gasilda), Achard fit un
excellent Raphaël, chanteur et comédien également expéri-
menté. Une seule interprète restait de l'origine, M™ Révilly,
un peu « marquée » alors, il faut l'avouer; mais sa belle
tenue corrigeait en partie les outrages du temps, et elle n'en
joua pas moins vingt-neuf fois, en cette seule année, le rôle
de la reine, qu'elle avait créé vingt-cinq ans auparavant.
Ce chiffre ne fut pas atteint par la première nouveauté
donnée un mois plus tard, le 17 avril, i¥"« Sylvia, un petit
acte appelé d'abord les Deux Fées, puis Sijlvia tout court. Le
livret, dû à M. Marins Fournier, n'était autre, suivant une re-
marque de Nestor Roqueplan, que celui de « la Marquise,
complètement retourné et dont les personnages ont changé
de sexe ». Il suffisait, en somme, pour faire apprécier l'agréable
musique de M. Samuel David, un « jeune » qui avait obtenu
le prix de Rome en 18S8. Les critiques furent généralement
favorables. L'un d'eux s'éleva même jusqu'au lyrisme en
écrivant : « C'est une petite perle archaïque du meilleur
goût. Elle ne serait pas déplacée dans l'écrin de Rameau.
Peut-être en vient-elle. » De tels éloges sembleraient outrés
pour une œuvre appelée à n'être représentée que vingt fois
en deux années, si l'on n'y voyait un juste excès de bien-
veillance, une marque d'encouragement pour le premier essai
d'un compositeur voué à la triste destinée des pensionnaires
de la villa Médicis, parmi lesquels on en voit tant passer
leur vie à attendre une heure de chance qui ne sonne jamais.
Huit jours après cette petite nouveauté, le 26 avril, avait
lieu une petite reprise des Voitures versées qu'on avait remisées
depuis 18S5 ; car on ne peut que citer pour mémoire une
audition de cet ouvrage donnée en 1862, comme pour Marie,
dans un exercice d'élèves au Conservatoire. Cette fois Crosti,
Potel, Nathan, Leroy, Ponchard, M""^* Gico, Derasse, Séveste,
Heilbron, faisaient cortège à leur doyenne. M"' Casimir, qui
touchait à la fin de sa carrière, et présentaient un ensemble
honorable sans doute, mais sans grand attrait pour le public, il
faut le croire, puisque le charmant ouvrage de Boieldieu ne
fut joué que onze fois; avec les soixante-trois représentations
obtenues autrefois, de 1852 à 18S5, on arrive au chiffre de
soixante-quatorze, qui limite exactement le service des Voilures
versées à la salle Favart.
Cette reprise avait été le « clou » d'une représentation à
bénéfice donnée pour un artiste que les affiches ne nommaient
pas ; iW"* Sylvia et le Pré aux Clercs complétaient le spectacle.
Le 18 mars précédent, une autre représentation extraordinaire
avait eu lieu au profit de la caisse de secours des auteurs et
compositeurs dramatiques; le programme, un peu plus com-
pliqué, comprenait le Chalet, joué par la troupe de l'Opéra-
Comique, im Baiser anonyme, joue par la troupe des Français,
la Vieillesse de Brididi, jouée par la troupe des Variétés, le duo
de l'Africaine, chanté par Villaret et M™'' Sasse, et divers in-
ter;Tièdes exécutés par Bataille, Guyon, Potel, M""^^ Galli-Marié
et Schrœder; la recette fut de 3,297 fr. 70 c, bien inférieure
à celle du 23 décembre, donnée au bénéfice de M™ Ugalde,
qui reparaissait une fois de plus sur le théâtre de ses anciens
succès. On jouait ce soir-là Comme elles sont toutes, le premier
acte du Domino noir et le premier acte de Galathée, tous deux
avec la bénéflciaire ; en outre, M"" Wertheimber chanta une
scène du Roméo de Vaccaï, M"'« Cabel, un air de l'Ambassadrice,
M"" Galli-Marié, la chanson arabe de Lara, Capoul, la romance
du Bornéo de Gounod, M'"'= Ugalde enfin, divers fragments de
Gîi^/as, et l'on encaissa la somme respectable de 8, 41o francs.
(A suivre.)
i
LE MÉNESTREL
283
SEMAINE THÉÂTRALE
UNE DYNASTIE DANSANTE
Une véritable dynastie dans l'art de Terpsichore, que celle qui a
rendu célèbre ce nom de Taglioni, remis en lumière ces jours der-
niers par la mort i^e la princesse Marie de Windischgraetz, la der-
nière qui l'ait porté au lliéàlre avant d'épouser un militaire de grande
race, général de cavalerie de l'armée autrichienne. Pendant un siècle
entier ce nom est resté fameux dans les fastes de la danse, et il
n'est pas très facile aujourd'hui d'établir avec une précision rigou-
reuse la généalogie de cette famille illustre en son genre.
Toutefois, c'est par erreur qu'on a dit, il y a peu de jours, que le
premier des danseurs de ce nom était Philippe Taglioni, né en 1TÎ7
et mort presque centenaire en ISTl. Le véritable chef de la dynastie
fut Carlo Taglioni, danseur et chorégraphe déjà célèbre en Italie,
et qui devait être ou le père ou le frère aîné de celui-ci. Si j'en
crois un biographe son compatriote, c'est ce Carlo qui, en 1799, fut
chargé par le gouvernement français de recruter la troupe chantante
italienne qui vint s'établir à cette époque dans la superbe salle du
théâtre Olympique, située rue de la Victoire, sur l'emplacement où
se trouve aujourd'hui un grand établissement de bains, et qui comp-
tait dans ses rangs ces grands artistes nommés Raffanelli, Lazzerini,
Parlamagni, M"'" Strinasacchi, Parlamagni et autres. Carlo Taglioni
ne parait pourtant pas être venu en France à cette occasion, et il se
contenta de confier à Raiïanelli son fils Salvatore, pour lui faire
achever, à l'école de danse de l'Opéra, son éducation chorégraphique.
Quant à Filippo Taglioni, qui était né à Milan en 1777, il se fit
une très grande réputation, et, fort jeune, devint premier danseur
et maître de ballet au Grand-Théâtre de Stockholm, sous le règne de
Gustave III, après quoi il alla remplir les mêmes fonctions à Cassel,
sous le roi Jérôme, pour enfin devenir maître de ballet à Varsovie,
où il resta jusqu'en 1833. Il avait épousé à Stockholm M"' Karsten,
fille du plus célèbre acteur tragique de la Suède, et en cette année
1833 il retourna avec elle en Italie, où tous deux célébrèrent leurs
noces d'or. Il fut le père de Marie Taglioni I", surnommée la grande
Taglioni, et de Paul Taglioni.
Le fils de Carlo,- Salvatore Taglioni, né à Palerme aux environs
de 1785, fut, nous l'avons vu, confié par son père à Raffanelli, ej,
amené à Paris par celui-ci. Il est bien certain qu'il était accompagné
de sa sœur Luigia, car, dès 1799, nous trouvons celle-ci à l'Opéra,
où Salvatore. devenu élève de Coulon, ne tarda pas à la suivre.
Luigia, qui obtint de vrais succès à ce théâtre, si fameux alors sous
le rapport de la danse, y resta jusqu'en 1807. Elle s'y fit remarquer
non seulement comme danseuse, mais aussi comme mime dans plu-
sieurs ballets : Anaa-éon, le Retour de Zéphyre, Acis et Galathée, et se*
montra dans les divertissements de divers opéras : les Mystères d'Isis,
Sémiramis, Tamerlan, Don Juan. etc. A partir de 1807 on perd momen-
tanément sa trace. On sait seulement qu'elle retourna dans sa patrie,
où elle poursuivit sa carrière. Nous allons la retrouver.
Salvatore passa aussi quelques années à l'Opéra, qu'il quitta pour-
tant avant sa sœur. Il s'y montra pour la première fois en dansant
avec elle un pas de deux dans OEdipe à Colone. On le voit ensuite
remplir des rôles importants dans plusieurs ballets, entre autres la
Dansomanie, de Gardel et Méhul, les Noces de Gamache, le Retour de
Zéphyre... De l'Opéra, il fut engagé à Bordeaux, puis à Lyon, deux
villes où le ballet était alors en grand honneur. C'est à Lyon qu'il
s'éprit d'une de ses camarades, la première danseuse Adélaïde
Péraud, qu'il épousa. Appelé en 1808 au théâtre San Carlo de Naples,
comme premier danseur, c'est là qu'il commença son immense répu-
tation. Il débuta à ce théâtre, avec un grand succès, en dansant
un pas de trois, avec sa femme et sa sœur, dans un ballet d'Henry,
Paul et Virginie. Accueilli avec une sorte d'enthousiasme, il donna
bientôt une preuve de son talent de chorégraphe en faisant repré-
senter un ballet intitulé le Barbier de Séville, puis, par un ordre sou-
verain, il fut chargé, avec Henry, de fonder l'école royale de danse
du théâtre San Carlo, école dont il fut nommé professeur de per-
fectionnement en 1812. Ces fonctions ne l'empêchèrent point de
continuer ses exploits de chorégraphe, et sa fécondité sous ce rap-
port fut telle que, dans le cours de sa longue carrière, il ne fit pas
représenter moins de cent quarante-huit ballets de divers genres,
héroïques, comiques, fantastiques, etc.
Sa renommée avait grandi à ce point qu'en 1831 des propositions
brillantes lui étaient faites de Berlin pour l'engager à aller fonder,
à l'Opéra royal de cette ville, une école de danse. Mais le roi de
Naples Ferdinand II tenait à son maître de ballet, et ne voulait
pas le laisser s'éloigner. Dès qu'il eut connaissance des offres qui
lui étaient faites, il le nomma compositeur de ballets à vie pour les
deux théâtres royaux de San-Carlo et du Fonde, en lui assignant
un traitement superbe. Salvatore continua donc sa carrière à Naples,
où deux de ses ballets surtout, fnès de Castro et Faust (les Italiens
ne sont pas peu fiers de constater qu'il fut le premier à traiter ce
sujet chorégraphiquement), obtinrent des succès éclatants. Parmi
ses autres ouvrages en ce genre, trop nombreux pour être men-
tionnés tous ici, on cite tout particulièrement Hippoméne et Ata-
lante, les Portugais aux Indes, la naissance de Flore, Castor et Pollux,
Gustave Wasa, la Fête de Terpsicliore, Sésostris, le Paria, la Fée Urgéle,
les Montagnes russes, Christine de Suéde, l'Amour et Psyché, les Noces de
Figaro, les Fiancés, Marco Vtsconli, Don Quichotte, le Siège de Leyde,
le Cid, le Vampire, Bradamante, la Cour d'amour, les Adorateurs du
Soleil, etc., etc.
Nous voici arrivés à celui des membres de la famille Taglioni
dont la renommée, on peut le dire, a été la plus éclatante et la
plus universelle. Je veux parler de cette adorable Marie Taglioni,
première du nom (sa nièce s'appelait aussi Marie), fille de Philippe
et sœur de Paul, qui naquit à Stockholm en 1804 et mourut, com-
tesse Gilbert des Voisins, il y a quelques années à peine : celle
dont un critique a dit : « Marie Taglioni, c'était avant tout la danse,
la poésie de la danse; plus qu'aucune autre elle tranchait avec la
vile prose, qui retient plus ou moins les pieds humains à la terre.
Elle semblait née pour une sphère plus élevée ; elle y planait sans
effort et n'en redescendait qu'à regret. Elle en redescendait dou-
cement, mollement et n'en retombait pas, comme le plus grand
nombre des danseuses connues et applaudies... »
Marie Taglioni avait été l'élève chérie de son père, et était à peine
âgée de quatorze ans lorsqu'elle parut pour la première, fois à la
scène. Jolie, svelte, élégante, gracieuse autant qu'on peut l'être,
elle réunissait tous les dons de la femme, et elle apportait dans
son art une note bien rare : la chasteté la plus accomplie unie à
une légèreté telle qu'elle semblait tenir du prodige. On a raconté
à ce sujet une anecdote assez originale. Elle avait fait disposer,
dans une pièce de son appartement, un plancher incliné et recou-
vert de plâtre ; c'est là que, dans le silence de la nuit, elle étudiait
ses pas et les poses si pudiques qui enchantaient ses admirateurs.
Précisément au-dessous d'elle demeurait un Anglais, qui, ayant eu
connaissance de ces travaux et sachant quelles étaient ses études,
lui fit dire qu'elle ne s'occupât do lui en aucune façon, qu'elle ne
craignît point de l'importuner, et qu'il lui était parfaitement indif-
férent d'être réveillé par elle. A quoi son père répondit, avec une
emphase italienne qui rappelait celle du fameux Vestris : — « Mon-
sieur, si vous aviez le malheur d'entendre danser ma fille, j'en
serais désolé et je lui donnerais ma malédiction. Car moi, son père,
je n'ai jamais pu l'entendre. »
C'est dès l'âge de huit ans que Marie Taglioni avait commencé
avec son père l'étude de la danse, et c'est au mois de juin 1822
qu'elle débuta au théâtre impéiial de Vienne dans un ballet de celui-
ci, intitulé Réception d'une jeune nymp>lie à la cour de Terspsichore. Cette
première apparition réalisa d'un seul coup toutes ses espérances de
succès, grâce surtout à un incident particulier. Au moment où elle
s'avançait sur la scène à côté de son père, qui avait réglé tous les
exercices du rôle, son émotion fut si grande qu'elle perdit subite-
ment la mémoire de ce qu'elle avait appris aux répétitions et impro-
visa son premier pas devant le public. Ce fut une inspiration où se
révéla tout à coup son talent naturel, et le succès fut immense. Les
acclamations des spectateurs la rappelèrent huit fois sur la scène.
Ou ne se lassait ni de la voir ni de l'admirer.
Après s'être fait applaudir avec fureur de 1822 à 1826, non seule-
ment à Vienne, mais à Stuttgard, à Munich, à Berlin, à Londres, à
Saint-Pétersbourg, le bruit de sa renommée la fit appeler à l'Opéra
de Paris, où elle vint débuter avec son frère Paul, le 23 juillet 1827;
dans un pas de deux intercalé à leur intention dans le ballet du
Sicilien. Elle excita aussitôt l'enthousiasme et devint rapidement la
favorite du public parisien, qu'enchantait littéralement son merveil-
leux talent plein de poésie, de grâce et de langueur. Le soir même
de sa première représentation, plusieurs personnages de distinction
sollicitèrent la faveur de lui être présentés, et au nombre des pre-
miers admirateurs de sa gloire se trouvait M. Thiers, alors simple
avocat et journaliste. La presse fut unanime à constater son succès,
et un chroniqueur disait : « Avant elle, nous connaissions les cabrioles,
les sauts périlleux, les ronds de jambe, les pirouettes, les jetés-
battus ; aujourd'hui, nous connaissons l'art de la danse. Cet art nous
a été révélé par Taglioni. C'est Terspsichore elle-même, descendue
de l'Olympe pour charmer les mortels. »
284
LE MENESTREL
Les triomphes de Marie Taglioni furent chaque jour plus écla-
tants pendant les dis. années qu'elle passa à l'Opéra. Elle parut
dans presque tous les ballets créés à cette époque : la Fille mal
gardée, la Belle au bois donnant, Manon Lescaut, la Sylphide, où elle
était inimitable, Nathalie ou la Laitière suisse, la Révolte au sérail,
Bréz-ilia ou la Tribu des Femmes, la Fille du Danube. Son succès fut
immense dans son rôle muet du Dieu et la Bayadère, et son nom est
resté attaché au personnage d'Héléna, la reine des Nonnes, dans
Robert le Diable, par le caractère étonnant d'originalité qu'elle sut
lui donner.
Il est bon d'ajouter que la conduite, la modestie et la vertu de
M"" Taglioni entouraient son talent d'une véritable auréole, et aug-
mentaient encore l'admiration dont elle était l'objet. Recherchée
bientôt par un jeune homme d'une grande famille, le comte Gilbert
des 'Voisins, elle l'épousa en 1832. Mais cette union ne fut pas plus
heureuse que la plupart de ce'les du même genre, et fut assez
rapidement suivie d'une séparation (1). La grande arliste fit ses
adieux au publie parisien le 22 avril 1837, et alla retrouver ses
succès à l'étranger, notamment à Berlin, à Londres et à Saint-
Pétersbourg. En 1844 elle revint faire une trop courte apparition à
l'Opéra, où elle donna sept représentations qui furent de véritables
fêtes. Je crois que c'est peu après qu'elle quitta la scène pour
toujours, et alla se retirer dans une superbe propriété qu'elle pos-
sédait sur les rives du lac de Corne.
Son frère Paul n'avait fait à l'Opéra que paraître et disparaître.
Né à Vienne en 1808, il avait fait de bonnes études à Paris, au
collège Bourbon, après quoi il était devenu l'élève de Coulon. Après
s'être montré avec sa sœur dans le Sicilien, il obtint des succès à
Vienne et à Stuttgard, et signa ensuite un brillant engagement
avec le théâtre royal de Berlin, dont il épousa bientôt la première
danseuse. M"" Amélie Goslter. Il devint ensuite maître de ballet
à Londres, où il resta plusieurs années, puis, en 18o3, alla
remplir les mêmes fonctions au théâtre San Carlo de Naples, et un
peu plus tard à l'Opéra impérial de Vienne. Gomme son grand-père
et son oncle, il fut aussi un chorégraphe distingué, et composa de
nombreux ballets, parmi lesquels on cite ceux intitulés les Flibus-
tiers, les Patineurs, Tea ou la Fille des Fleurs, Satanella, Morgane. l'Ile
d'amour, le Lac des Amazones, Coraly, etc. Il fit aussi d'excellents
élèves, entre autres Ebel et £arl MuUer, du théâtre impérial de
Vienne, et surtout sa fille, Marie Taglioni deuxième, celle-là même
qui vient de mourir.
Cette seconde Marie Taglioni était née à Berlin en 1833. Elle n'avait
que quatorze ans, comme sa tante, lorsque, sous la direction de son
père, elle débuta à Londres en 1847. Elle chassait de race, et son
succès fut très grand. De Londres elle se rendit à Vienne, où en
18S3, elle remplissait le rôle principal d'un nouveau ballet de son
père, Satanella, dans lequel elle se fit vivement applaudir. Elle
resta plusieurs années en celte ville, alla ensuite à Berlin, puis au
théâtre San Carlo, de Naples, et revint, je crois, à Vienne, où elle
épousa le prince Windischgraetz, et quitta le théâtre à la suite de
son mariage. On a fait à son sujet une confusion, en la disant fille
de la grande Marie Taglioni; elle n'était que sa nièce. Elle est morte
le 27 août dernier, en son domaine d'Aigen, dans la basse Autriche.
Il a encore existé une autre Taglioni, dont j'ignore le prénom et
qui fut loin aussi d'être sans talent. Mais celle-ci, je crois (bien
que je n'en sois pas sûr), ne parut jamais en France. Sa carrière,
qui fut brillante, s'écoula à l'étranger, et elle obtint particulière-
ment des succès retentissants en Amérique. Elle mourut au mois dé
mai ou de juin 1882, et les journaux allemands, trompés par ce
nom de Taglioni, établirent une confusion et répandirent alors le
bruit de la mort de la grande Taglioni, qui pendant ce temps, pres-
que octogénaire déjà, était fort bien portante à Marseille, où elle
était venue se fixer auprès de son fils, M. le comte Gilbert des Voi-
sins. Celle-ci ne mourut que deux ans après, en 1884, la même
année qu'une autre danseuse particulièrement célèbre, Fanny Elssler.
qui avait été une des gloires de notre Opéra , où elle lui avait
presque immédiatement succédé.
(1) Un fils naquit pourtant do ce mariage, qui fut officier dans l'armée française
et fit bravement son devoir pendant la dernière guerre. Blessé et fait prisonnier
à "Wœrth, le bruit courut de sa mort, qui fut même annoncée par lettre à sa mère.
Elle le pleura pendant plusieurs jours, lorsqu'elle apprit qu'il y avait eu confusion,
et que c'était un autre officier d'un nom presque semblable qui avait été tué. La
courageuse mère, malgré son grand âge, voulut alors se mettre à la rechercbe
de son fils, partit pour l'Allemagne et courut les hôpitaux. Elle découvrit enfin
à Dusseldort son cher blessé, qui se rétablit au bout de quatre mois, grâce aux
soins maternels. M. le comte Gilbert des Voisins, qui depuis lors a épousé une
Anglaise, est devenu le chef d'une puissante entreprise industrielle à Marseille.
On voit ce que ce nom de Taglioni rappelle de souvenirs, quelle
place il tient dans l'histoire moderne de la danse, et comme il se
rattache à celle même de notre grande scène lyrique — et choré-
graphique.
Arthur Pougin.
Gymnase. — Madame Agnès, comédie en trois actes, de M. Berr de Turique.
M Berr de Turique, qui, au mois de juin dernier, nous avait déjà
donné à la Comédie-Française, s'il vous plaît, un petit acte, le Rez-
de-chaussée, continue ses débuts, comme auteur dramatique, sur la
scène du Gymnase avec, cette fois, trois actes. Cette seconde ten-
tative n'a rien pour nous faire revenir sur notre impression pre-
mière : M. Berr de Turique fait propret et gentil, spirituel à la
manière des boulevardiers aimables et a même l'avantage de n'être
point systématiquement ennuyeux; mais il ne faudrait chercher,
dans ces premiers essais, ni une note originale, ni le souci de la
réalité, ni encore une idée forte 'Ou une étude curieuse. Je vous l'ai
dit, c'est convenable, d'une audition qui n'a, en somme, absolu-
ment rien de désagréable et qui même séduit par moments, d'unfr
langue honnêtement correcte, et là s'arrêtent les qualités de l'écri-
vain.
L'histoire de Madame Agnès est des plus simples, si simple même
qu'on pourrait s'étonner qu'elle ait donné naissance à trois actes, si-
quelques détails bien venus n'étaient là pour faire un peu pardon-
ner cet excès de prolixité dans le conventionnel et le trop connu.
Donc, le comte Henrj- de Triveley, marié depuis deux ans, est sur
le point de tromper sa femme dont il ne se défie absolument pas,
ayant confiance dans sa parfaite innocence. Mais madame Agnès,
toute naïve qu'elle paraît, a compris et souffre. Aidée de sa maman,
elle se vengera de l'infidèle et le ramènera à elle en le rendant ja-
loux, une lettre écrite alors qu'Henry n'était que fiancé devant ser-
vir d'instrument de torture. Le piège réussit, grâce beaucoup à la
niaiserie du jeune comte, qui ne reconnaît pas son écriture et se-
laisse berner avec une désinvolture tout à fait étonnante. Madame
Agnès reconquiert son mari, qu'elle saura, dorénavant, garder bien
à elle. Autour du mari, de la femme et de la belle-maman, gravi-
tent quelques personnages d'ordre moindre, la jolie Américaine qui
met le trouble dans le ménage, l'ami qui revient de faire son petit
tour du monde juste à point pour tomber amoureux fou de la pe-
tite sœur, un expert en écriture atteint de surdité, etc., etc., tons
gens de connaissance que nous sommes accoutumés à rencontrer
plus ou moins souvent.
La troupe du Gymnase a fort heureusement aidé le jeune auteur
dans sa tâche. M. Noblet et M™ Desclauzas sont toujours des ar-
tistes très fins ; M"= R. Sisos est charmante et douce à ravir,
MM. Burguet et Numès font ce qu'ils peuvent de rôles assez ingrats,
enfin, M"=^ Lécuyer et Lucy Gérard sont de fort avenantes per-
sonnes qu'on est très satisfait de trouver au bout de sa lorgnette. Un
seul décor, mais très réussi avec sa perspective étendue prise de la
terrasse de Saint-Germain.
Paul-Émile Chev.a.lier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATlOf
(Suite)
CHAPITRE III
LE MRECTOIRE ET LE CONSULAT
L'an VI a fini sur la première Exposition des pi-oduits de l'In-
dustrie. Mars semble disposé à partager le sceptre de la France
avec Apollon ; on voit renaître les concerts olympiques, où les
symphonies d'Haydn obtiennent les suffrages des véritables amateurs..
Foule aux portes de l'Opéra, le 14 frimaire ; c'est la seconde
distribution des prix aux élèves du Conservatoire, qui ouvrent la
séance « par le chant sublime des combats «.
« Comme l'a si élégamment observé le citoyen François (de Neuf-
chateau), écrit le Courrier des spectacles, cet hymne, pour avoir été'
chanté quelquefois par des bouches impures et sanglantes, n'en est
pas moins un chef-d'œuvre, et les accents d'Apollon furent toujours
des accents divins après que Néron eut touché la lyre. »
Piccinni, rentré la veille à Paris, se cachait modestement dans la
foule; il est reconnu, conduit sur la scène où on l'acclame.
L'ex-rival de Gluck voit renaître ses jours de popularité à en
I
LE MENESTREL
285
juger par la réceplion solennelle qui lui est faite aux Menua-PIai-
sirs, le 9 nivôse suivant.
Pendant que Méhul, Cherubiai, Lesueur vont à sa rencontre,
Sarrelle réunit les élèves dans la cour, leur retrace en quelques
phrases la carrière du compositeur, son œuvre prodigieuse, ses
cent quarante partitions. Des fanfares annoncent l'approche de Pic-
cinni. Membres des deux conseils, délégation de l'Institut, musi-
ciens célèbres l'attendent dans une salle ornée d'emblèmes; ban-
quet, concert improvisé, échange de paroles émues, rien ne manque
au programme.
* ' *
Le secrétariat de la rue Bergère n'enregistre pas seulement les
demandes d'admission aux classes de l'Ecole; il inscrit également
tous ceux qui aspirent à faire partie de l'Opéra. Il communique
aux journaux la note demandant : « Une femme pour remplir les
rôles d'enfants, tels que l'Amour dans Orphée. » Il fait savoir que
le théâtre de la République et des Arts est à la recherche d'un
ténor; qu'une place est vacante dans l'orchestre.
Le Conservatoire nomme les jurés qui décideront le concours.
« On voit ainsi se réaliser cette époque tant désirée où le talent,
en obtenant tout de lui-même, ferme la porte à l'intrigue, à l'igno-
rance et aux caprices de l'homme puissant. »
« Que les Beaux-Arts soient médiateurs entre les factions ! Que
la lyre d'Apollon fléchisse le cœur des Euménides ! que le génie,
la beauté, les vertus, les talents environnent enfin la République! »
C'est en ces termes choisis que Lucien Bonaparte, ministre de
l'intérieur, terminait son discours aux élèves du Conservatoire, le
29 nivôse de l'an VIII.
Le frère du premier Consul se livrait ce jour-là à un singulier
gaspillage d'éloquence, et tout lui était matière à quelque phrase
heureusement trouvée. Une scène de Médée ayant valu un triomphe
à la citoyenne Chevalier, il lui remet en récompense les tragiques
français et accompagne le prix de ces paroles chaleureusement
applaudies : « Corneille à Médée vindicative, Racine à Médée sup-
pliante ».
Suivant l'usage récemment établi, tout élève couronné est conduit
par son professeur jusqu'à l'estrade occupée par le ministre sur ia
scène de l'Opéra ; « ainsi le maître prend sa part d'une gloire dont
il est le premier auteur ».
Deux musiciens disparaissent à quelques jours de distance: Délia
Maria, enlevé au début d'une carrière marquée dès son aurore par
l'éclatant succès du Prisonnier; Piccinni, s'éteignant après des alter-
natives de triomphe et d'oubli, d'éclat et de misère.
Dès le lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte avait créé, pour
l'auteur de Roland, une sixième place d'inspecteur au Conserva-
trire. C'était, sous les dehors d'une récompense nationale, un don
de 5,000 francs qui venaient adoucir ses derniers instants.
Monsigny ne lui succède qu'à cette condition expresse d'aban-
donner la moitié du traitement à la veuve du maestro.
L'an VIII assiste à une nouvelle organisation du Conservatoire,
gouverné désormais par un directeur, cinq inspecteurs de l'ensei-
gnement (Méhul, Lesueur, Gherubini, Martini, Monsignyj. On leur
adjoint un secrétaire et un bibliothécaire (Langlé).
Trente professeurs de première classe, quarante-quatre de la
seconde guident dans les sentiers d'Apollon quatre cents élèves
pris en nombre égal dans chaque département.
Catel et Berton sont titulaires de l'harmonie. Garât figure au nom-
bre des maîtres de chant, Dugazon enseigne la déclamation. Piano :
Boieldieu, Jadin, Ladurner. — Violon : Rode, Baillot, Kreutzer. —
Flûte : Devienne, etc.
Les professeurs sont nommés à la suite d'un concours public
passé devant le jury nommé par le ministre de l'intérieur. Déehif-
frage dans toutes les clefs, exécution d'un morceau choisi par le
candidat, interrogatoire sur la marche des accords, tel est le pro-
gramme habituel de l'examen.
Le règlement intérieur a une certaine couleur militaire : les
parents des élèves femmes exclus des classes, sauf de celles où la
réunion des deux sexes est autorisée; les délits punis par l'ins-
cription sur le registre de police, dont un extrait, affiché durant dix
jours, est adressé à la famille des coupables. Quatre absences in-
expliquées dans le mois entraînent le bannissement ; la même peine
est infligée aux élèves qui manifesteraient des sentiments antirépu-
blicains.
Dans le cours de l'année suivante, le Conservatoire se signale par
les fréquentes auditions de ses élèves.
Le 16 brumaire, en présence du premier Consul, accompagné de
M"" Bonaparte, dont chaque jour accroît la popularité, exécution
du Miserere de Léo. Le Journal de Paris termine par une réflexion le
compte rendu de la séance : « On a reproché au Conservatoire d'ad-
mettre les enfants des riches de préférence à ceux des pauvres. S'il
était vrai que les riches briguassent pour leurs enfants les places de
notre Conservatoire, ce serait faire le plus bel éloge de l'enseigne-
ment qu'on y reçoit, ainsi que de la noblesse et de la bonne tenue
de cet établissement. »
Nouveau concert le 23 nivôse ; on y remarque le « citoyen » Ealk-
brenner, dont la Décade vanterait la grande supériorité si elle ne
craignait d'ôter à cet intéressant élève l'idée qu'il peut s'élever
encore plus haut.
Le Conservatoire prête ses meilleurs élèves au Théâtre-Français
pour les représentations du Bourgeois gentilhomme, mais le public ne
se lasse pas de les entendre et accourt en foule, le 23 germinal, à
leur troisième exercice.
Cette fois, le succès est pour le basson du « citoyen» Judas et le
ministre de l'intérieur, adressant un ordre du jour aux jeunes artis-
tes, fait don au triomphateur d'un instrument « pour le dédommager
de celui qu'il avait perdu à Marengo ».
En thermidor, enfin, l'Ecole fêle l'anniversaire de sa fondation et
la pose de la première pierre de la Bibliothèque. Après le concert,
un dîner très brillant réunit musiciens et fonctionnaires publics,
dont le ravissement est porté à son comble quand Dugazon impro-
vise des couplets que l'assistance répète en chœur. Pour couronner
la soirée, bal dans les jardins du Conservatoire.
L'an IX a été marqué d'une pierre blanche par les amis des
Arts, et quand l'opéra fait entendre la Création du Monde, un gaze-
tier, transporté par l'œuvre de Haydn, n'hésite pas à écrire : « Trois
faits à jamais mémorables auront illustré la fin du dix-huitième
siècle : le passage des Alpes, l'inauguration de l'Apollon du Bel-
védère et l'oratorio exécuté sur le théâtre de la République. »
Si grande est la foule, le 10 nivôse suivant, à l'Opéra, que le
représentant du Journal des Débats ne peut y. trouver place, malgré
les cinq billets dont il s'était prudemment muni.
A 6 heures et demie, des applaudissements enthousiastes saluent
l'eutrée du premier Consul dans la grande loge sur le théâtre : le
commandant de sa garde et trois aides de camp l'accompagnent.
Un peu plus loin. M™' Bonaparte, avec sa famille et plusieurs gé-
néraux. L'ambassadeur ottoman et le prince de Nassau sont à peine
remarqués.
Chaptal, ministre de l'intérieur, commence par les louanges de
la paix le traditionnel discours ; mais, sauf un éloge du cor,
l'illustre chimiste fait dans son allocution la part très mince à la
musique; il en explique le motif : « Je craindrais d'afl'aiblir les
douces impressions qu'ont laissées dans vos cœurs enivrés les sons
harmonieux de la flûte, du hautbois, du basson, de la harpe, si
j'essayais de vous en retracer le souvenir. »
Nicolas Roland, un Ardennais qui a triomphé à la classe de Ga-
rât, débute bientôt après dans la Sé/niramis de Catel, à l'Opéra. On
signale au même théâtre l'apparition ducomédiea Bonnet, qui chan-
tait la haute-contre au Vaudeville pour gagner sa vie et la basse-
taille au Conservatoire pour suivre "sa vocation. Enfin, un autre
élève est enlevé à coups de roubles par la Russie : c'est le premier
hommage rendu à l'Ecole par l'étranger.
Mais le Conservatoire va connaître l'adversité. L'horizon se charge
de nuées menaçantes ; le gouvernement songe « qu'il a encore
plus besoin de flottes que de concerts, que notre marine importe
plus que la musique au bonheur de tous », et l'an XI voit l'École
bien amoindrie.
Sarrette, qui en conserve la direction, n'a plus auprès de lui que
trois inspecteurs ; Gossec, Méhul et Gherubini. Le nombre des
élèves est réduit à 300, celui des professeurs à 3o, et encore faut-
il, pour atteindre ce dernier chiffre, compter deux surveillants et
le conservateur de la musique. Plus de classe de serpent; le trom-
bone et la trompette sont délaissés.
Le Journal des Débats s'abandonne au désespoir et, entraîné par
2S6
LE MENESTREL
l'indigaation, l'écrivain se risque sur un terrain hrùlant. « Si les
anciennes maîtrises ont fourni des élèves de talent, c'est que les
enfants de chœur, élevés à l'ombre du sanctuaire, se formaient
une bonne constitution en même temps qu'ils recevaient de bons
principes. Aujourd'hui, les élèves du Conservatoire jetés au milieu
d'une immense capitale avec une liberté dont, à leur âge, on ne
sait encore qu'abuser, pourront devenir des musiciens, mais non
pas des chanteurs » Après cette conclusion qu'ils sont de grands
hommes à seize ans, des vieillards et des imbéciles à quarante, le
moraliste, peu conséquent avec sa péroraison, se plaint que les
plus vieux serviteurs aient été renvoyés.
Silence complet autour du Conservatoire en 1803. — L'année sui-
vante ne nous fournit pas plusd'anecdotes. — Puis vient le 18 mai,
qui confère au premier Consul la dignité impériale; la France en-
tière suit les préparatifs du sacre, les journaux content, étape par
étape, le voyage du souverain pontife.
Le 2 décembre, quand, dans Notre-Dame, l'empereur reçoit la
consécration du Pape, la musique n'est pas oubliée. Trois cents
artistes, dirigés par Rey et Persuis, exécutent les œuvres de Pai-
siello et de Lesueur. Aux côtés de Laïs, de l'Opéra, Kreutzer et
Baillot, attachés à la chapelle impériale, représentent le Conser-
vatoire.
(A suivre.) André Martlnet.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le répertoire lyrique français en Allemagne. Relevé des dernières
listes des spectacles : Berlin, Opéra : le Prophète, la Fille du régiment, Miqnon
(2 fois), Fra Diavolo, Coppélia, Carmen, la Juive. Théâtre Kroll : Joseph, la
Permission de dix heures (3 fois), le Postillon de Lonjumemi (4 fois), la Juive,
Fra Diavolo (2 fois), Lakmé (3 fois), Guillaume Tell. — Leipzig : Les Dragons
de Villars (2 fois), la Fille du régiment, le Prophète, Hamlet. la Belle Hélène. —
Mannheim : Fra Diavolo, la Juive. — Vienne : Les Deux Journées, l'Africaine,
Bonsoir, monsieur Pantalon, Hamlet, la Juive.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. L'Opéra de Berlin et celui de
Vienne ne seront pas les seules scènes allemandes qui célébreront le
centenaire de Meyerbeer. ^ Munich, Dresde et Stuttgart on prépare
également des représentations de gala à la mémoire du grand compo-
siteur. On croit que toutes les autres grandes scènes lyriques de l'Alle-
magne suivront l'exemple de Berlin, où aura lieu un cycle des ouvrages
célèbres de Meyerbeer. Berlin : L'Opéra royal a rouvert ses portes avec
le Freisckiit:. Hier soir a dû avoir lieu la première soirée du Metjerbeer-
Cyclus; le spectacle était composé d'un prologue et de Robert le Diable.
Le 30 de ce mois on célébrera le centenaire de la Flûte enchantée, à
l'occasion duquel la pièce sera remontée à neuf; au mois de décembre
aura lieu un cycle des œuvres de Mozart. La première nouveauté sera
l'Ami Fritz, de M. Mascagni; Ivanhoé, de M. Sullivan, sera également
monté bientôt, sur le désir exprès de l'empereur Guillaume. Le ténor
Gœtz vient d'effectuer un début triomphal au théâtre Kroll, dans le
Prophète. Le compositeur Maurice Mozkowski vient de terminer un
grand opéra intitulé Boabdil, qui est destiné à l'Opéra royal. — Gassel :
Un nouvel opéra romantique en trois actes, Vineta, du compositeur
R. L. Hermann, livret de M. S. Wolfram, a trouvé bon accueil au
théâtre de la Cour. — Chemnitz : Même sort favorable, au théâtre Thalia,
pour une opérette en trois actes intitulée la Fille de la prairie, musique
de M. F. VVeissleder, livret de M. H. Bohrmann. — Cobourg : Le gouver-
nement vient d'augmenter de 30,000 marks la subvention du théâtre de la
Cour, qui s'élève à présent à 74,000 marks. De son côté, le duc régnant
donne à son théâtre une allocation annuelle de 150,000 marks. — Franc-
fort : L'intendance du théâtre municipal fait savoir que, déférant à la
demande générale du public, il organisera cet hiver quatre concerts par
abonnement, sous la direction du chef d'orchestre Dessoff. — Lubeck : Au
mois d'octobre, le théâtre municipal offrira à son public la première
représentation d'un nouvel opéra en un acte de M. A. von Fielitz, intitulé
Vendetta.— Munich : Le théâtre de la Cour a effectué sa réouverture avec
la Légende de sainte Elisabeth, de Liszt. — Pesth : Sous le titre de Roi et
Ménétrier, le théâtre Gbristinenstadt a produit une nouvelle œuvre lyrique
dont le sujet est tiré de la légende de Richard Cœur de Lion. L'auteur
de cette adaptation est M. X. Klein, et le compositeur se nomme Joseph
Kerner. Le succès de cette nouveauté a été, païaît-il, très vif.
— On mande de Bayreutb à tous les journaux allemands : Aux termes
de la loi sur les professions, il faut que l'entrepreneur d'une exploitation
théâtrale justifie de ses capacités artistiques. Or, comme le conseil d'ad-
ministration (Verwallungsralh) du Festspielhaus, composé d'une réunion de
personnes, n'est pas à même de fournir cette preuve, au sens visé par
le texte de loi, il a été décidé que pour satisfaire à cette exigence légale
M""^ Cosinia Wagner prendrait et affermerait, en son nom personnel, la
direction de l'entreprise, que lui céderait le Verwaltungsrath. Si toutef<ds
une entente dans ce sens n'arrivait pas à se faire, ce serait un banquier
du nom deGross qui se substituerait à l'administration actuelle, à la con-
dition, bien entendu, qu'il plaira au gouvernement de reconnaître ses
aptitudes artistiques.
— Les journaux de Vienne annoncent que la direction de l'Opéra a
décidé de célébrer le centenaire de la mort de Mozart en représentant avec
le plus grand éclat possible les œuvres du célèbre compositeur. On assure
même que le Burg-théâtre, qui est à Vienne la scène classique de la
comédie, prendrait sa part de ces manifestations. Il y aurait des prologues,
des tableaux vivants et des épilogues. De leur côté, les sociétés philhar-
moniques organiseront des concerts où les œuvres sympboniques seront
exécutées. Enfin, un comité s'est constitué, sous la présidence du docteur
Prix, bourgmestre de Vienne, pour s'occuper de l'organisation de l'expo-
sition Mozart.
— Par contre, une nouvelle assez singulière, à laquelle se trouve mêlé
le nom de Mozart, est télégraphiée de Prague aux journaux français. Il
parait qu'on prépare, dans la capitale de la Bohême, des fêtes destinées à
célébrer le centième anniversaire du couronnement de l'empereur Léopold,
et qu'on avait projeté de représenter à cette occasion un opéra aujour-
d'hui peu connu de Mozart, la Clémence de Titus. Or, la censure théâtrale
aurait, sur un ordre même de la commission executive de la diète de
Bohême, formellement interdit la représentation de cet ouvrage. Serait-ce
qu'on aurait découvert, à la longue, des traces de socialisme, voire même
d'anarchisme, dans cette musique depuis longtemps oubliée de la Clémence
de Titus'!
— On lit dans la correspondance viennoise du Figaro : « L'Exposition
internationale de théâtre et de musique — la nouvelle entreprise de la
princesse Metternich — marche de mieux en mieux. Un comité italien
s'est constitué sous la présidence du comte Nigra, ambassadeur du roi
Humbert à Vienne, ce qui fait espérer que l'appel de l'infatigable prin-
cesse trouvera un écho retentissant au delà des monts. J'ai déjà dit qu'il
existe un comité français sous la présidence de M. Georges Berger, un
comité anglais sous la présidence du duc d'Edimbourg — ajoutons-y tous
les diables que la princesse Pauline a au corps et ce sera bien étonnant
si cette exposition projetée pour l'an prochain ne réussit pas. »
— A Baden, près Vienne, lit-on dans le Journal de Dresde, vit actuellement
une vieille femme qui a été la servante de Beethoven. Elle a été long-
temps à l'hôpital, mais à présent elle sert dans la maison où Beethoven
a composé la fameuse « Neuvième symphonie ». L'immeuble n'appartient
nullement à la municipalité et n'a même jamais été restauré: il est oc-
cupé par des ateliers de couture. La vieille se souvient très bien de
Beethoven, « ce musicien maniaque et détraqué », comme elle l'appelle.
« Si les gens n'étaient pas si sots, dit-elle avec humeur aux pèlerins de
la chambre de Beethoveti, ils verraient bien qu'aucuns de ses portrait ne lui
ressemble. Beethoven, qui ne se peignait jamais, avait un aspect sauvage
et sombre. »
— La Neue Musikzeitung publie l'amusante anecdote que voici : Un de
nos premiers chanteurs de concerts, M. S..., était un jour descendu à
l'unique hôtel d'une petite ville de province où il devait se faire entendre
le soir même. 11 venait de déjeuner très copieusement et, un peu alourdi
par la bonne chère, s'étendit sur un canapé et s'assoupit dans une demi-
somnolence. Tout à coup il fut arraché de sa torpeur par le son d'une
magnifique voix de ténor qui, dans la pièce à côté, chantait le Voyageur
de Schubert. C'était une voix comme, de sa vie, il n'en avait entendu, de
pareille. Et avec cela une souplesse d'intonation, une pureté de style et
d'émission I... Il y avait de quoi être transporté, si on n'était soi-même
ténor et si l'orgueil artistique le permettait ! Serait-ce un rival... et la
petite ville de ... aurait-elle la bonne fortune de posséder dans ses murs
et dans la même journée deux étoiles de cette grandeur? Cela n'était pas
croyable. C'était là sûrement un amateur et, dans ce cas, on pouvait se
montrer indulgent. — N'importe, il faut que j'en ai le cœur net, s'écria S.
A ce moment, la romance touchait à sa fin, elle ténor mystérieux en avait
détaillé chaque strophe avec une égale perfection. On entendait aussi un
accompagnement au piano, mais si voilé, si discret et d'un timbre si par-
ticulier que S. en aurait été frappé si son attention n'avait pas été absor-
bée entièrement par le chant. Il fit monter le propriétaire de l'hôtel. — ■
c< Monsieur l'hôtelier, qui est-ce qui loge dans la pièce à côté ? demanda-
t-il. — Je n'en sais rien, fut la réponse. Ce monsieur est également arrivé
aujourd'hui et ne s'est pas encore fait inscrire au registre des étrangers.
— Y aurait-il moyen de lui parler ? — Mais certainement. Qui ne serait
honoré de converser avec un célèbre artiste tel que vous? Je vais faire le
nécessaire. » Et il quitta la chambre avec force saints. Cinq minutes après
on frappe à la porte. L'inconnu entre. C'était un homme de petite taille,
dont la physionomie était ordinaire. Il parut très ému et assura S. que
ce jour était le plus beau de sa vie. « — Voulez-vous me permettre de
vous demander votre nom? dit S. — Je suis le courtier en vins Karl
Meier. » S. commença à respirer plus librement. Ce n'était effectivement
qu'un amateur !... — » Je suis heureux, reprit S. avec complaisance, de
faire la connaissance du possesseur d'une voix de ténor aussi extraordi-
naire. — Vous vous trompez. Je n'ai jamais chanté de ma vie et je suis si
LE MENESTREL
287
peu musicien qu'il me serait impossible de distinguer une sonate de
Bethoven d'une valse de Chopin. — Mais qui était avec vous dans votre
chambre? — A part le garçon et la femme de chambre, personne, à ma
connaissance, n'a pénétré aujourd'hui chez moi. — Mais, mille diables,
s'écria S. impatienté, c'est donc le garçon d'hôtel qui a chanté et la
femme de chambre qui l'a accompagné? — Vous êtes de nouveau dans
l'erreur, dit tranquillement le petit homme. Il n'y a pas de piano dans ma
chambre, — Vraiment, cela devient fantastique, Serez-vous assez bon
pour me dévoiler le secret de cette énigme ? — « Très volontiers. La per-
sonne que vous avez entendue chanter arrive d'Amérique et se nomme
Monsieur Phonographe! » — Monsieur P/joJiojrajjAe/ répète S... en riant aux
éclats. Voilà donc le mystère éclairci. Mais dites moi, continua S... pouvez-
vous me nommer l'artiste qui a transmis au phonographe ces sons
enhcanteurs? « Je vais vous le dire aussi. Ce n'est pas un autre que...
vous-même, monsieur S... ! Bien que je ne sois pas musicien, j'aime
beaucoup la musique et j'admire les grands artistes. Dans mes voyages
d'affaires, je ne manque jamais une occasion d'aller au concert. Or, j'as-
sistais à celui où vous vous êtes fait entendre à M... Assis au premier
rang, près de l'estrade, j'ai sorti, avec beaucoup de précaution, un pho-
nographe de ma poche et, sans être vu de personne, j'ai recueilli un pho-
nogramme du célèbre chanteur S... Maintenant, sachant que vous logiez
à côté de moi, j'ai mis tout à l'heure l'appareil eu mouvement pour voir
si les savants ont raison lorsqu'ils prétendent que l'homme ne sait pas
reconnaître le son de sa propre voix. Vous le voyez, les savants sont dans
le vrai. Il ne me reste plus qu'à vous prier d'excuser mon audace. » S...
était muet d'étonnement. Ainsi, il s'était entendu chanter lui-même, et il
n'avait pas reconnu sa voix!
— Correspondance de Christiania : La jeune cantatrice M"» Viborg, qui,
selon M. Tiersot, a si bien rempli le rôle d'Elisabeth dans Tannhâuser à
Bayreuth, est norvégienne (M. Tiersot dit: dans son article: Suède ou
Danemark, je ne sais). — L'année prochaine on verra cependant une
jeune Suédoise à Bayreuth. M""" Wagner vient en effet de choisir, pour
succéder à M"'" Materna dans Parsifal, M"i= Ellen Gulbransoa, qui a créé la
Walkijrie à Copenhague, cette année, mais qui réside à Christiania, épouse
d'un officier norvégien. M'"" Gulbranson, élève de M"'« Marches!, n'appar-
tient au théâtre que depuis deux ans, et elle fera ses débuts en Allemagne
à Bayreuth. Vous savez que la prochaine W'alkyrie de Turin sera une
Norvégienne, M"" Oselio. — Et vous savez sans doute la grosse nouvelle :
C'est M"'= Sigrid Arnoldson qui, cet hiver, créera le rôle féminin principal
du nouvel opéra de Verdi. M. Boito vient d'entrer en pourparlers avec la
direction de la Scala pour qu'elle engage M'"'= Arnoldson pour vingt repré-
sentations à raison de 3,000 francs l'une. M'"= Arnoldson chante actuellement à
Gothembourg et à Christiania (Mignon, Barbier, Traviaia). C'est sa première
apparition au théâtre en Scandinavie, et c'est naturellement un délire.
L'imprésario, M. Lindberg, directeur des théâtres unis de Gothembourg,
est lui-même un excellent acteur, le premier créateur d«s Revenants d'Ibsen.
H. H.
— On écrit de Milan à l'Italie que le programme de la prochaine saison
de la Scala est à peu près fixé comme siiit : Tannhâuser, opéra d'ouver-
ture, avec le ténor De Negri, le baryton Reichmann, un des maîtres de la
dernière saison wagnérienne à Bayreuth, et Arkel. La Muta di Portici, avec
la Zucchi dans le rôle de Fenella et MM. De Negri et Boudouresque.
Gli Vgonotti, avec le ténor Mariacher, la Theodorini, la Stehle et M. Bou-
douresque. Valu, opéra nouveau de M. Alfredo Catalani, et probablement
Carmen, avec la Theodorini et le ténor De Marchi, et enfin Samson et Da-
lila, de M. Saint-Saëns, qui sera une nouveauté pour les spectateurs mila-
nais. Comme ballets, Rodope, de M. Grassi, et Ermanzia, de M. Pratesi.
C'est M, Mascheroni qui sera chef d'orchestre.
— La saison d'automne promet l'apparition de quelques ouvrages nou-
veaux sur les théâtres italiens. A la Pergola de Florence ce sera Tilda,
opéra du maestro Gilea ; au Costanzi de Rome, Farnese, drame lyrique de
M. Costantino Palurabo ; enfin, sur l'une des scènes secondaires de Flo-
rence, Quaresima d'amore, opérette du prince de Teora, dilettante opulent à
qui l'on doit déjà un ou deux ouvrages du même genre.
— On s'entretient avec animation, à Venise, d'un scandale qui vient
de se produire en cette ville. Un artiste fort connu, M. Luigi Malipiero,
qui dirigeait le petit orchestre du café-concert de l'établissement du Lido,
aurait emprunté une somme importante, avec laquelle il se serait enfui
en compagnie d'une chanteuse de ce café. Or, le susdit Malipiero a femme
et enfants, et il était à la tète d'un important magasin de pianos de
Venise, où il jouissait jusqu'à ce jour d'une excellente réputation. De là de
vifs commentaires, qui, on le comprend, ne sont pas tous à son avantage.
— Les journaux italiens se plaignent de l'incessant envahissement des
cafés-chantants, qui font tort aux théâtres et pervertissent le goût public.
A Milan seulement, le Trovatore en compte dix, dont voici les titres :
l'Edcii. r.l»/ïi/ï/, le Mont-Thabor, le Caffè Unione, le Salon ViUoria, la bras-
serie San Marlino, le Ca/fè Otello, le Caffé Roma, le Bottegone et le Caffè Fran-
co forte.
— De grandes fêtes viennent d'avoir lieu à Mondovi à l'occasion de
l'inauguration de la statue de Charles-Albert 1='', roi de Sardaigne. Durant
la cérémonie, on a exécuté une grande cantate de circonstance due au
maestro Agnolucci et qui, paraît-il, a obtenu un grand succès.
— En Italie, les refus de subventions aux théâtres se généralisent de la
part des municipalités, toutes désireuses de réaliser des économies dont
le principe n'est que trop justifié par un état financier déplorable. Reste
à savoir si celles-ci sont les plus heureuses. Toujours est-il que le con-
seil communal de Parme a résolu de ne point accorder, cette année, la
subvention de 30,000 francs dont jouissait d'ordinaire le grand théâtre de
cette ville, l'une des scènes les plus importantes de l'Italie au point de vue
musical, si bien que ce théâtre devra rester fermé durant la prochaine
saison de carnaval. Le rrouatoie, justement afQigé de cette nouvelle, s'écrie
à ce propos : « Qu'on ferme, qu'on ferme les théâtres, et l'on en verra
l'avantage ! »
— A Palerme, où la prochaine Exposition fait espérer une saison bril-
lante, on prépare au grand théâtre un spectacle grandiose d'opéra, tandis
que le théâtre Mangano s'ouvrira avec la compagnie d'opérette Scogna-
miglio et qu'une compagnie napolitaine s'emparera du théâtre Bellini.
— La manie du suicide semble sévir en ce moment sur les musiciens
italiens. Nous annoncions récemment deux morts de ce genre, nous en
avons deux autres à enregistrer : à Gênes, celle de Giuseppe Bosi, alto à
l'orchestre d'un des théâtres de cette ville, et, à Venise, celle d'un jeune
compositeur à peine âgé de vingt-sept ans, Carlo Wirtz, qui, dit-on, donnait
de sérieuses espérances. Fils d'un conseiller communal, ce jeune artiste
avait fait d'excellentes études au Lycée musical Benedetto Marcello, où
il avait eu pour maître M. Reginaldo Grazzini, et il s'était fait connaître
avantageusement déjà par quelques coiiipositions importantes. Il s'est tué
dans un accès de fièvre chaude.
— Au grand théâtre du Lycée de Barcelone, on annonce, pour la saison
prochaine, les engagements de M""^ Arkel, Carrera et Bonaplata, soprani ;
Mata, mezzo-soprano ; du ténor Grani et de la basse Meroles. C'est le
maestro Goula, très renommé, qui sera chef d'orchestre.
— S'il faut en croire la Gaceta musical de Lisbonne, le gouvernement
portugais aurait l'intention, vu la fâcheuse situation financière dont le
pays souffre en ce moment, de réduire notablement la subvention accor-
dée d'ordinaire au théâtre San Carlos, la grande scène lyrique de la capi-
tale. De 25 millions de reis (chiffre d'apparence formidable qui se traduit
par 133,000 francs environ), cette subvention serait diminuée d'un quart
et ramenée à 18 millions de reis. D'autre part, le même journal prétend
que les artistes engagés jusqu'à ce jour pour la prochaine saison du
théâtre San Carlos, seraient disposés à demander la résiliation de leurs
contrats, pour cette raison qu'ils ne pourraient être payés en or, et que
la dépréciation du papier leur ferait perdre vingt-cinq pour cent sur le
montant de leurs traitements.
— Deux opérettes viennent encore d'éclore nouvellement à Lisbonne :
l'une, 0 Reino dos homcns, musique de M. Ptichini, au théâtre de la Rua
dos Candes ; c'est une sorte de contre-partie du Ro\jaunie des femmes, joué
récemment, un peu roide, paraît-il, en ce qui concerne les paroles, mais
charmante quant à la musique ; l'autre, o Burro do s' Alcaide, paroles de
MM. Gervasio Lobato et Joàs da Camara, musique de M. Gyriaco de
Gardoso, au théâtre de l'Avenida.
— On doit jouer prochainement, à Londres, une grande revue avec
musique nouvelle, dont les auteurs seront MM. Paul Ferrier et Gaston
Serpette.
— Les plus célèbres maîtres de ballet du monde entier vont être convo-
qués à un Congrès des maîtres de danse, qui va se tenir à Londres pendant
l'été de 1892. Les délibérations porteront principalement sur l'adoption
d'une méthode unique de chorégraphie à l'usage de tous les corps de Jjallet
du monde. Tant pis! C'est surtout dans le ballet, il nous semble, que
devrait régner la fantaisie et l'imagination. Une seule méthode, ce sera
bien monotone.
PARIS ET DEPARTEMENTS
A l'Opéra, on pense pouvoir faire passer Lohengrin le vendredi U,
mais plus probablement le lundi 14 ou même le vendredi 18. — Immédia-
tement après on s'occupera de Tamara, l'opéra en deux actes de MM. Louis
Gallet et Bourgault-Ducoudray, dont le principal rôle sera créé par
M. Vergnet.
— L'Opéra-Comique a rouvert ses portes cette semaine avec le Rêve,
l'opéra si discuté de M. Bruneau. Le jeune compositeur n'eùt-il obtenu
que ce résultat, celui de se faire discuter, que ce serait déjà un grand
point. M. Bruneau, pour arriver à la notoriété, emploie les procédés d'Al-
cibiade. Il a commencé par écrire une partition pour les chats, moyen
infaillible et original d'attirer l'attention déchirante de ses contempo-
rains. Cela lui permettra de composer la prochaine fois pour les humains,
sans risquer de passer inaperçu. Très malin, M. Bruneau ! — Le lende-
main on a repris Lakmé, qui se laisse entendre encore, même après les
fantaisies abracadabrantes du jeune novateur. Cela paraissait, du moins,
être l'avis du public arriéré qui remplissait la salle et qui ne paraissait
pas autrement l'ennemi des douces harmonies de Léo Delibes. Elles sem-
blaient même le reposer agréablement du bruit de casseroles déchaînées
qui l'avait fait sursauter la veille. Et vous savez, la recette ne s'en por-
tait pas plus mal, ah ! mais non.
— On lit dans les journaux judiciaires, sous la rubrique : « Liquidations
judiciaires converties en faillites » la note suivante : « L. Paravey et G'=,
288
LE MÉNESTREL
socitMé en commandite ayant pour objet l'exploitation d'un théâtre, avec
siège à Paris, avenue Victoria, 15; composée de : 1° Paravey (Louis),
demeurant au siège social, et 2» de commanditaires. — Ouverture au
7 mars 1S91. — Nomme M, Bernhard, juge-commissaire, et M. Bonneau,
6, rue de Savoie, syndic provisoire. » — Ainsi passent les gloires de ce
monde.
— On nous communique une lettre inédite et intéressante de Méhul,
que notre collaborateur Arthur Pougin n'a pu que mentionner dans le
livre si attachant qu'il a consacré à ce grand maître, en en reproduisant
seulement quelques lignes publiées naguère dans un catalogue d'auto-
graphes. Le nom du destinataire de C'-tte lettre, à qui le compositeur
donne le titre d'Altesse Royale, reste à l'état d'énigme, mais c'était évi-
demment un prince souverain, puisque Méhul lui propose de faire jouer
« à sa cour » son opéra d'Adrien, tout en déclarant implicitement qu'il
n'est qu'à moitié satisfait de cet ouvrage. Voici le texte de cette lettre :
Monseigneur,
Depuis trop longtems le travail était moins un plaisir pour moi qu'une habi-
tude, qu'un moyen d'échapper à l'ennui, et mon imagination flétrie au milieu
des orages politiques n'enfantait plus qu'avec efiort. Mais la lettre dont votre
Altesse Royale a daigné m'honorer, dissipe cette langueur et ranime mon cou-
rage. L'espoir d'occuper quelquefois les loisirs d'un prince éclairé, ami et pro-
tecteur des arts, d'un prince qui a laissé parmi les artistes françois un nom
vénéré et chéri, va me rendre l'amour de l'étude et m'inspirer des ouvrages digne^
de lui être offerts.
Je doute. Monseigneur, que vous soyez content de mon Adrien, mslgré le
succès qu'il a obtenu à Paris. Il est du genre admicatif, et ce genre est natu-
rellement froid ; d'ailleurs, Monseigneur, j'avoue que je n'ai jamais bien conçu
comment il était possible de traduire en accens mélodieux les passions romaines.
Si votre Altesse Royale le permet, j'aurai l'honneur de lui adresser un aulre
opéra que j'ai donné depuis Adrien et que j'estime davantage (il s'agit ici d'Ario-
dant, dont le succès fut éclatant,). Ce nouvel ouvrage est tiré de l'Ariosle, les
personnages principaux tiennent à l'ancienne chevalerie, et j'ai éprouvé plus
d'une fois qu'il était plus aisé de faire chanter des paladins que des sénateurs et
des consuls.
Cependant, Monseigneur, si malgré les accens un peu sauvages de mon empe-
reur Adrie7i, vous voulez le présenter à votre cour, et que vos maîtres de mu-
sique ayent besoin de quelques renseignements, ordonnez.
L'emploi de mon toms me serj. ctier, lorsqu'il pourra vous prouver mon entier
dévouement.
Je suis, avec un profond respect. Monseigneur, de votre Altesse Royale,
Le très humble et très obéissant serviteur,
MÉHUL,
Paris, le i" février 1800.
— M. André Messager est rentré à Paris cette semaine, rapportant de
ses vacances, complètement terminée, une nouvelle partition écrite sur un
livret tiré, par MM. Georges Hartmann et André Alexaudre, du roman
de M. Pierre Loti, Madame Chrysanihéme.
Dimanche dernier, M. Danbé a clôturé la série de ses brillants
concerts à Argelès par une soirée exceptionnelle qu'il a eu l'heureuse idée
de donner au bénéfice de la caisse de l'Association des artistes musiciens
et dans laquelle M. Saléza, de l'Opéra-Gomique, M'" Brelay, 2= prix de
chant du Conservatoire, M"' Louise Steiger, la charmante pianiste, ont
prêté gracieusement le concours de leur talent. Ces excellents artistes ont
récolté de vifs applaudissements, dont notre grand maître Ambroise Thomas
était le premier à donner le signal.
NÉCROLOGIE
C'est certainement le doj'en des lauréats du grand prix de composition
musicale de l'Institut qui vient de disparaître en la personne de l'excel-
lent Nargeot, l'ancien chef d'orchestre des Variétés, mort dimanche der-
nier, 30 août, à Passy, âgé de quatre-vingt-douze ans. Pierre-Julien
Nargeot était né à Paris le 7 janvier 1799. Élève de Rodolphe Kreutzer
au Conservatoire, pour le violon, il fit d'abord partie de l'orchestre de
l'Opéra-Gomique, pour passer ensuite aux Italiens, puis à l'Opéra. Il ren-
tra au Conservatoire en 1823, comme élève de composition, y reçut des
leçons de Barbereau, puis de Reicha et de Lesueur, et concourut en 1828
à i'Institut, où il obtint le deuxième second grand prix de Rome, tandis
que Ross-Despréaux remportait le premier grand prix, et que le premier
second grand prix était décerné à Berlioz. La cantate de concours, intitulée
Herminie, était de Vieillard, l'ami de Méhul. Nargeot fit comme tant d'au-
tres et essaya, bien inutilement, de se faire jouer à l'Opéra-Gomique. Ce
que voyant, il accepta, vers 1840, la place de chef d'orchestre qui lui était
offerte aux Variétés et qu'il conserva pendant près de vingt-cinq ans,
écrivant pour les vaudevilles joués à ce théâtre, où l'on jouait encore le
vaudeville, une foule d'airs et de couplets charmants qui obtenaient le
plus vit succès. Un entre autres, une petite chanson à boire dont le re-
frain était Drin, drin, drin, courut tout Paris pendant plus de dix ans et
fut moulu à l'époque par toutes les orgues de Barbarie. Nargeot a cepen-
dant écrit la musique d'un assez grand nombre d'opérettes qui furent
jouées sur divers petits théâtres : 1" los Contrahandislm, Théâtre féerique,
1861; 2° la Volonté de mon oncle, un acte. Vaudeville, 1862; 3° les Exploits
de Silvcstre, théâtre Saint-Germain (Gluny), 1863; 4° un Vieux Printemps,
Luxembourg, 1863; 3° Z)a«s fe pétrin, Folies-Marigny, iSGQ; ii" Jeanne, Jean-
nette et Jeanneton, id., 1876; 7° Trois Troubadours, Folies-Nouvelles; 8" i
Pifl'erari, théâtre Deburau ; 9° le Docteur Frontin; 10" les Ouvrières de qualité.
— Nargeot avait un frère, Jean-Denis, mort il y a quelques années, qui
fut un graveur en taille-douce fort distingué, et à qui l'on doit, entre
autres, quelques-unes des plus jolies planches du joli recueil de Dumer-
san, Chant et Chansons populaires de la France, publié chez l'éditeur Delloye,
vers 1842.
— On a annoncé cette semaine la mort subite, à Hennequeville (Calvados),
d'un jeune compositeur à peine âgé de vingt-huit ans, M. Albert Millet,
qui avait donné l'an dernier à l'Opéra-Gomique, le 15 janvier, un petit
ouvrage en un acte intitulé Hilda. Toiit d'abord on affirmait que le jeune
artiste avait succombé à la rupture d'nn anévrisme; puis, la vérité se fit
jour et l'on apprit que M. Millet, atteint d'une maladie incurable et exas-
péré par ses souffrances, s'était suicidé en se tirant un coup de revolver
entre les deux yeux. Le fait est d'autant plus douloureux qu'il laisse une
jeune veuve et une fillette de huit mois. Le compositeur s'occupait active-
ment, dit-on, d'un nouvel ouvrage, de proportions considérables, intitulé
le Sculpteur de Bruges.
— A Baden-Baden est mort, le 3 août dernier, le prince Nicolas Youssou-
poff, bien connu, en France et en Russie, sa patrie, par son goût vit et
éclairé pour les arts et les lettres. Né vers 1820, ce prince, qui dans son
palais de Saint-Pétersbourg possédait une admirable galerie de tableaux,
véritable musée comprenant plus de trois cents toiles des plus grands [
maîtres anciens et modernes, s'était aussi distingué, dès sa jeunesse, par
son ardent amour de la musique, qu'il avait étudiée avec passion. A la
fois violoniste amateur, compositeur et écrivain spécial, il entretint pen-
dant plusieurs années, dans son palais, un orchestre de musiciens russes
et étrangers. Il a publié à Paris, qu'il habita pendant un certain temps,
un concerto symphonique pour violon et orchestre qui lui valut une
mention honorable de la Société néerlandaise pour l'encouragement de la
musique; il composa ensuite une sorte de symphonie historique, aussi
pour violon et orchestre, à laquelle il donna le titre de Gonzalvc de Cordoue
et qu'il fit connaître par un programme très détaillé. On lui doit enfin deux
ouvrages écrits et publiés en français : l'un, intitulé Luthomonographie
historique et raisonnée, essai sur l'histoire du violon et sur les ouvrages des
anciens luthiers célèbres du temps de la Renaissance, par un amateur i
(Francfort-sur le-Mein, Ch. Jugel, 16o6, in-8° avec planches), aujourd'hui
devenu très rare ; l'autre, sous ce titre : Histoire de la musique en Russie,
première partie, Musique sacrée, suivie d'an choix de morceaux de chants d'église
anciens et modernes (Paris, Saint-Jorre, 1862, in-i"). Nous ne savons si cet
ouvrage a été terminé.
Henri Heugel, directeur-gérant.
7 septembre à 8 h. 1/2 du soir, Société lyrique les Epicuriens, réou-
verture des soirées chantantes hebdomadaires du lundi, à son siège social :
33, boulevard Sébastopol (café des Bords du Rhin.)
La Société de musique de chambre de Saint-Pétersbourg ouvre un CONCOURS
DE QUATUORS d'instruments à cordes.
Conditions essentielles:
1) Les compositeurs de toutes nationalités sont invités à prendre part
au concours.
2) Une commission compétente est nommée à l'effet d'examiner les com-
positions.
3) Les deux meilleurs quatuors reçoivent des prix; le meilleur de
350 roubles, le second — un prix de 150 roubles. Les autres compositions
pourront, selon leur mérite, être l'objet de mentions honorables.
4) Pour le cas où le premier ou même les deux premiers prix ne
pourraient être distribués, la société paie des compensations pour les
quatuors, qui, sans avoir mérité les prix, présenteront le plus de qualités.
3) Les compositions envoyées devront porter une devise qui sera inscrite
également sur l'enveloppe renfermant le nom et l'adresse du compositeur.
6) Il est expressément recommandé d'envoyer les compositions en parti-
tion et en parties séparées.
7) Le dernier délai pour l'envoi des compositions est le 1='' janvier 1892.
La décision de la commission sera publiée vers le 1^ avril 1892.
8) Les compositions qui n'auront obtenu ni prix, ni mention seront
rendues à leurs auteurs, sur la présentation du reçu à eux délivré par la
société au moment où les manuscrits lui auront été remis.
9) Les compositions devront être adressées au magasin de musique
A. BûTTNER, Perspective Nevsky, 22 (Société de musique de chambre à Saint-
nte au MÉNESTREL, 2 bis, rue Virienne
MÉTHODE DE DANSE
PAR
PRIX NET: 7 FR. Q- X) E S R ^ T PRIX NET: 7 FR.
TEXTE — DESSINS — MUSIQUE
Ifouvelle édition augmentée des nouTelles danses à, la mode.
1>1UHE1UE CIIAIX, 20 IHJE ItERGÈRE, PARIS.
Dimanche 13 Septembre 1891.
3154 - 57- AOTE - î\" 37. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fbanco i M. Henri HEUGEL, directeur du Ménbstrbl, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 tr., Paris et Province.
Ahonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sa».
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (25° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Les Théâtres de Paris il y a cent ans,
Arthur Pougin; Carmen, à l'Opéra-Comique, Paul-Êmile Chevalier. — III. His-
toire anecdotique du Conservatoire '6'^ article), Anoré Martinet. — IV. Nou-
velles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
GAILLARDE
de V. DoLMETSCH. — Suivra immédiatement: Tricotets, de Broustet.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Défi! nouvelle mélodie de Joanni Perronnet, poésie de Amélie
Perronnet. — Suivra immédiatement : Papillon, nouvelle mélodie de Ed.
Chavagnat.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et diarles M:ALHEPIBB
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE IV
AVANT LA GUERRE
1868-1870.
(Suite.)
Entre temps, le 13 mai, s'était glissé sur l'affiche un acte
qui n'avait pas fait antichambre moins de deux ans, et qui
s'était va affubler des titres les plus divers, 'car on l'appela
tour à tour les Mariés sans mariage, le Pâté de grives, le Zapateyo,
et, finalement, la Pénitente. En 1866, la presse annonçait la
pièce comme prête à passer, avec M™^ Girard, Révilly, Gontié,
Collas, MM. Lhérie, Falchieri et Potel ; en 1868, le même
acte, autrement dénommé, n'était plus joué que par Leroy,
Potel et M"<= Cico. Plus de la moitié des personnages était
donc restée en chemin, et cette disparition laisse à deviner
par quels remaniements l'œuvre avait dû passer. Quant à la
bizarrerie de litres ayant si peu de corrélation entre eux,
elle s'explique par le choix du sujet. Tout tourne en effet
autour d'un pâté que l'estomac du sieur Torribio s'efforce de
digérer. Lequel des deux passera, du gourmand ou du pâté?
grave question pour la femme, que le mari s'est mis en tête
d'envoyer dans un couvent, s'il meurt, afin de l'empêcher
de convoler à d'autres noces. Cette perspective lui sourit
d'autant moins que le petit abbé Eugénio, chargé de prépa-
rer la future pénitente, se montre plus disposé à la mener
vers l'amour que vers le Seigneur. Un livret aussi gastro-
nomique ne pouvait manquer d'obtenir l'agrément d'un gas-
tronome tel que Gh. Monselet. Aussi écrivait-il : « Tout le
monde ne peut pas faire un pâté; mais tout le monde peut
faire un opéra-comique à propos d'un pâté; c'est ce qu'ont fait
MM. Henri Meillhac et William Busnach. » C'était même
d'autant plus facile qu'ils avaient simplement transformé un
ancien vaudeville de Désaugiers. Le spirituel écrivain ne
manquait pas de constater, en outre, parmi les interprètes,
la présence de « Potel (rien de Chabot, malgré le pâté!) »
et il ajoutait, ce à quoi nous ne contredisons pas, que sur
cette situation grivoise l'auteur avait brodé une musique
« légère et gracieuse ». Or cet auteur mérite une mention
à part, car c'est la première et la dernière fois que nous
rencontrons à la salle Favart le nom d'une dame, parmi ceux
des compositeurs. La partition de la Pénitente était due à la
plume de M"» la vicomtesse Eulart de Grandval, née de
Reiset. Au moins donnons-nous là son vrai nom, afin que
les historiens futurs ne puissent errer entre les diverses
variantes qu'elle-même lui a prêtées. En 1863, elle faisait
représenter, au Théâtre-Lyrique, un acte, les Fiancés de Rosa,
signé Constance Yalgrand et, vingt-huit ans plus tard, on
devait jouer d'elle, aux Concerts du Ghâtelet, des œuvres que
l'affiche a attribuées à E. de Granval, puis à Grandval tout
court, sans M'"" et sans de.
La Pénitente n'avait obtenu, avec ses treize représentations,
qu'un succès d'estime. Les Dragons de Villars, qui vinrent le
5 juin suivant, remportèrent une victoire plus sérieuse. Ils pas-
saient, armes et bagages, du Théâtre-Lyrique, où ils étaient
campés depuis le 19 septembre 18o6, à l'Opéra-Comique, où
ils auraient dû tenir garnison primitivement, si les circons-
tances l'avaient permis ; car l'histoire suivante , qui n'a
jamais été publiée, est propre à démontrer une fois de plus
la malchance qui s'attache aux meilleurs ouvrages et les
obstacles qui surgissent sous les pas des auteurs les plus en
renom.
Donc, poème et musique étant terminés, MM. Lockroy et
Cormon se rendirent chez Emile Perrin, alors directeur de
rOpéra-Comique, et lui soumirent leur travail. Premier désap-
pointement : Perrin ne comprit pas la pièce; il la trouva
<i trop sombre », ce fut son mot; il ne vit point ce qu'il y
avait d'émotion douce et tendre dans le rôle de Rose Friquet.
« Enfin, dit-il, par manière de consolation; amenez-moi votre
musicien, nous verrons! » Second désappointement: Maillart
joua sa partition, Perrin ne la comprit pas davantage, et re-
fusa tout, les notes aussi bien que les paroles.
Fort dépités, les auteurs se tournèrent vers Séveste, alors
290
LE MÉNESTREL
directeur du Théâtre-Lyrique. Même comédie : une lecture
eut lieu et aboutit au rejet pur et simple. Ce double échec
avait découragé les auteurs, qui, se tenant cois pendant plu-
sieurs années, ne renouvelèrent plus leurs démarches. Or,
un jour, M. Carvalho rencontre l'un d'eux; il venait de pren-
dre la direction du Théâtre-Lyrique, et le dialogue suivant
s'engage :
— Vous n'avez rien pour moi?
— Mais si, j'ai toujours quelque chose.
-- Quoi donc'^
— Trois actes, écrits, orchestrés, prêts à passer.
— Bon, je les prends. Et votre musicien, qui est-ce?
— Mailiart.
— Parfait, je les prends d'autant plus.
Attendez! je ne veux pas vous tromper, ils ont été refu-
sés déjà deux fois, par Perrin et par Séveste.
Deux fois? Bah ! la troisième sera la bonne. A demain 1
M. Carvalho était le plus malin des trois ; son flair ne
l'avait pas trompé. Il monta les Dragons de Villars immédiate-
ment, en cette année 1856, florissante entre toutes, puisqu'elle
vit éclore aussi le l" mars la Fanchonmtte, et le 27 décembre
la Reine Topaze; même il fallut qu'il quittât le Théâtre-Lyrique
pour consentir à se dessaisir d'un ouvrage qu'il avait si légi-
timement découvert et conquis. Emile Perrin n'aimait pas
qu'on lui rappelât ce souvenir; il lui en coûtait de reconnaî-
tre là une des rares, mais aussi des plus étranges erreurs
de sa carrière directoriale.
Peu d'opéras-comiques, en effet, ont été et sont encore plus
populaires que celui-là. Ses représentations se comptent par
centaines en province et à l'étranger, en Allemagne notam-
ment, t)ù il se maintient avec une persistance digne de remar-
que. A la salle Favart, l'autorité et l'originalité de M"^ Galli-
Marié, sous les traits de Rose Friquet, amenèrent un regain de
succès, 58 représentations en 1868 et 1869, 162 de 1872 à
1886 sans interruption, soit un total de 220 pour ces deux
campagnes. L'ouvrage est assez important pour mériter qu'on
mette en regard les noms des artistes qui tinrent pour la
première fois les rôles dans les deux théâtres :
Théâtre-Lyrique Opéra-Cojuque
Thibaut.
Sylvain,
Bélamy,
MM. Girardot,
Scott,
Grillon,
MM. Ponchard.
Lhérie, puis Leroy.
Barré (début), puis
Melchissédec.
Un pasteur, H. Adam, Bernard.
Georgette, JVP'^^ Girard, W"^ Girard.
Rose Friquet, Juliette Borghèse, Galli-Marié.
Un dragon, MM. Quinchez, MM. Michaud.
Un lieutenant, Garcin, Eugène.
Une paysanne, ?..... M'"^ Goraly.
A dessein nous citons ces trois derniers noms dont l'obs-
curité est notre excuse, si nous avons négligé de signaler
les débuts de tels acteurs, lors de leur entrée au théâtre.
D'autres partagent d'ailleurs avec ceux-ci les emplois dits
(ïutililé, et nous avons retrouvé pour cette époque par
exemple : M. Damade (Melchior, dans le Domino noir, un
caporal, dans la Fille du régiment, Gabriel, dans la Dame
blanche); M'"^ AUiaume (le jockey, dans l'Épreuve villa-
geoise); M"'- Marie (Petit -Jean, dans les Noces de Jeannette,
Gertrude, dans le Domino noir); M"" Estelle (le jockey, dans
l'Épreuve villageoise); M"« Brière, une ancienne qui n'avait point
monté en grade, puisqu'elle était réduite à jouer le rôle de la
duchesse dans la Fille du régiment. Ce sont là des serviteurs
modestes, mais utiles, les rouages indispensables de la ma-
chine théâtrale. Qu'on nous pardonne de les avoir tirés de
la pénombre où ils se cachaient: une fois n'est pas coutume 1
Le succès des Dragons de Villars ne se renouvela pas pour
une autre reprise, celle du Docteur Miroholan, qui eut lieu le
11 juillet. Dû rit moins que par le passé à cette bouffonnerie
qui disparut alors du répertoire, et la pièce d'Eugène Gautier,
qni avait été jouée soixante-sept fois de 1860 à 1863, n'obtint
que dix représentations en 1868, malgré le mérite des inter-
prètes : M"« Heilbron (Alcine), MM. Prilloux (le docteur),
Gouderc (Scapin), Bernard (Lisidor) et Leroy, ce jeune ténor
qui, quelques jours plus tard, était victime d'une aventure
assez singulière, ainsi racontée par les journaux du temps.
A sept heures du soir, il reçoit un bulletin de son régisseur
l'invitant à se rendre au théâtre pour remplacer Lhérie, su-
bitement indisposé. Leroy obéit; mais à peine est-il sorti,
qu'un visiteur sonne à la porte. La bonne ouvre et dit que
son maître est absent. « Je le sais bien, répond l'inconnu,
puisque je viens de sa part vous demander son pardessus le
plus chaud ; il craint de prendre froid en sortant du théâtre. »
La bonne remet le vêtement demandé et très comp'aisamment
éclaire jusqu'au bas de l'escalier l'adroit voleur, qui remercie
et disparaît sans laisser son adresse. Le pardessus, comme
on pense, ne s'est pas retrouvé.
Vers le même temps (2 septembre), une petite pièce suivit
le même chemin que les Dragons de Villars, et, non sans suc-
cès, émigra à la place Boieldieu. C'était le Café du Roi, joué
primitivement à Ems le 17 août 1861 et au Théâtre-Lyrique
de Paris le 16 novembre de la même année. Louis XV, pris
pour un simple seigneur par une jeune fille qui sollicite sa
protection afin de faire représenter l'opéra du pauvre compo-
siteur aimé par elle, puis poussant l'amabilité jusqu'à lui
préparer son café,- et la sagesse jusqu'à veiller chastement
la nuit sur son sommeil, se montre ainsi sous un jour in-
connu de l'histoire. Mais l'invraisemblance n'avait pas plus
effrayé le librettiste, M. Henri Meilhac, que ses devanciers;
car on ne saurait méconnaître une certaine parenté entre le
Café du Roi et les Beignets du Roi, transformés plus tard en opé-
rette. Des trois personnages de la pièce, Gilberte et le mar-
quis eurent pour interprètes au Théâtre-Lyrique M''^^ Baretti
et Wartel, à l'Opéra-Gomique M"'= Heilbron et Bernard; ce
dernier avait appris le rôle en quatre jours et remplacé au
dernier moment un nouveau pensionnaire qui avait perdu
courage à la veille de son début et résilié son contrat.
Quant au rôle du baron, il demeurait, ici comme là, confié
à Mi'« Girard, une spirituelle soubrette, qui s'y montra fine
comédienne et excellente chanteuse.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LES THEATRES A PARIS IL Y A CENT ANS
SEPTEMBRE 1791
Il n'est pas sans quelque intérêt, je crois, de rechercher ce qu'était
Paris, au point de vue du théâtre, il y ajuste cent ans, c'est-à-dire
au mois de septembre 1791. On est un peu trop accoutumé à se
figurer que la rage parisienne du théâtre est une chose toute mo-
derne, tandis que le panem et circenses des Romains aurait pu de tout
temps lui êlre appliqué. A partir de l'époque oii les Confrères de la
Passion commencèrent leurs brillants exploits scéniques, on vit tou-
jours se multiplier des tentatives plus ou moins heureuses pour l'éta-
blissement de nouveaux théâtres dans la grand'ville. Le dix-septiè-
me siècle en vit plusieurs, et ce fut biea pis au dix-huitième, oii les
théâtres et spectacles de tout genre poussaient comme champignons
sur couche dans la double enceinte des foires Saint-Germain et
Saint-Laurent, ot cela "en dépit des réclamations constantes de
l'Opéra, de la Comédie-Française et de la Comédie-Italienne. C'est
à la foire que naquirent l'Opéra-Comique, et les Grands Danseurs
du Roi, et le théâtre d'Audinot, qui vivent encore à l'heure présente,
les derniers sous les noms de Gailé et d'Ambigu-Comique. Et cela
sans compter les autres.
Dès les dernières années du règne de Louis XVI, il semble qu'une
plus grande facilité ait été accordée aux entreprises de ce genre ;
car, outre les trois grands théâtres, outre ceux de Mcolet (les Gfrands
Danseurs) et d'Audinot, on voyait à Paris les Variétés-Amusantes,
le Théâtre-Français comique et lyrique, le théâtre des Associés, les
Délassements-Comiques et une ou deux scènes enfantines. Mais la
Révolution allait bientôt les multiplier outre mesure, et lorsque
LE MENESTREL
291
ft
l'Assemblée uatiùDale, par son décret de janvier 1T91, eat établi la
liberté complète de l'industrie théâtrale, on vit surgir de tous côtés
■comme une légion do théâtres de tout genre, de tout ordre et de
toute nature. Eq moins de six mois Paris en fut littéralement cou-
vert, et le spectateur, sollicité de toutes parts, ne sut plus auquel
entendre. Certains historiens de rencontre ont pourtant exagéré en
affirmant qu'à un moment donné Paris s'était trouvé à la tète de
itrente-cinq théâtres. Gela n'a jamais été vrai. Mais le nombre en
était grand néanmoins, et, pour le prouver, je n'ai qu'à dresser ici
la liste, très exacte, de ceux qui existaient en l'an de fureur scé-
nique 1791. Voici cette liste:
1. — L'Opéra, à la porte Saint-Martin ;
2. — Le Théâtre delà Nation (Comédie-Française), faubourg Saint-
Germain ;
3. — La Comédie-Italienne (théâtre Favart), rue Favart ;
4. — Le Théâtre de Monsieur, rue Feydeau ;
5. — Le Théâtre Montansier (Variétés actuelles), au Palais-Royal ;
6. — Le Théâtre-Français de la rue de Richelieu (dans la salle
-actuelle de la Comédie-Française) ;
7. — Le Théâtre Louvois, rue deLouvois (magasin actuel de décors
•de rOpéra-Comique) ;
8. — Le Théâtre du Marais, rue Culture-Sainte-Cat'aerine (actuel-
lement rue de Sévigné), sur l'emplacement de la maison des bains ;
9. — Le Théâtre Molière, rue Saint-Martin, passage des Nour-
rices ("aujourd'hui passage Molière, du nom même de ce théâtre,
qui devint plus tard le bal Molière et dont la salle existe encore);
10. — Le Théâtre-Français comique et lyrique, rue de Bondy, à
l'angle de la rue de Lancry ;
11. — Les Grands Danseurs du Roi (théâtre de Nicolel), boulevard
du Temple ;
12. — L'Ambigu-Comique, boulevard du Temple ;
tl3. — Le Théâtre Patriotique, boulevard du Temple ;
14. — Le Cirque du Palais-Royal ;
15. — Le Lycée dramatique, boulevard du Temple ;
16. — Les Délassements-Comiques, boulevard du Temple ;
17. — Théâtre des Élèves de Thalie, boulevard du Temple ;
18. — Théâtre de la Concorde, rue du Renard-Saint-Merri ;
19. — Théâtre de la Liberté, à la Foire Saint-Germain ;
20. — Variétés comiques et lyiiques, à la Foire Saint-Germain ;
21. — Théâtre d'Emulation, rue Notre-Dame de Nazareth ;
22. — Théâtre Mareux, rue Saint-Antoine ;
23. — Théâtre de l'Estrapade, près l'église Sainte-Geneviève ;
24. — Théâtre du Mont-Parnasse, boulevard Neuf;
25. — Théâtre, des Petits Comédiens Français, boulevard du
Temple.
26. — Théâtre des Petits Comédiens du Palais-Royal ;
27. — Théâtre des Champs-Elysées, place Louis XV.
Je n'afiirmerais pas que tous ces théâtres aient tous été ouverts
simultanément; mais ce que je puis assurer, c'est que tous ont
existé dans le cours de l'année 1791. Combien de temps, pour quel-
ques-uns d'entre eux? Ceci est une autre affaire. Il y avait là-
dedans nombre de bouis-bouis, dont la durée fut assurément éphémère.
Mais il y avait aussi, parmi les entreprises nouvelles, des théâtres
très sérieux, importants, et qui s'étaient fondés avec de vastes
capitaux, tels que Montansier, où l'on jouait tragédie, comédie,
opéra-comique et vaudeville, Louvois qui était dans les mêmes con-
ditions, le Marais, consacré surtout à la haute comédie, Molière, oii
brillait le drame révolutionnaire, le Cirque du Palais-Royal, destiné
spécialement à l'opéra-comique et au ballet-pantomime. Quant
-au Théâtre-Français de la rue Richelieu, qui avait remplacé les
Variétés-Amusantes et qui devait prendre bientôt le titre de Théâtre
de la République, il avait acquis une importance exceptionnelle à la
suite de la scission qui s'était produite à la Comédie-Française et
qui lui avait valu le concours des dissidents de cette dernière, les-
quels n'étaient autres que Talma, Dugazon, Grandmesnil, M"" Des-
garcins, M"'' Vestris et M"° Lange. Pour ce qui est du théâtre de
Monsieur ou théâtre Feydeau, on sait ce qu'il était au point de vue
musical et quelle était sa valeur artistique. Eniin, parmi les anciens,
■et dans un rang secondaire, le théâtre de Nicolet, l'Ambiga-Comique
et le Théâtre-Français comique et lyrique tenaient dignement leur
place dans le concert des plaisirs parisiens.
La troupe de l'Opéra réunissait à cette époque, pour le chant, des
artistes tels que Chéron, Lays, Lainez, Rousseau, Adrien, Chardiny,
M"" Saint-Huberty, Maillard, Chéron, Rousselois, Ponteuil ; pour
la danse, Gardel, Vestris, Nivelon, Goyon, Didelot, M"">' Saulnier,
Miller, Ghevigny, Colomb. Le personnel admirable de la Comédie-
Française comprenait Mole, Fleury, Dazincourt, Desessarts, Van-
hove, Saint-Prix, Saint-Fal, Naudet, La Rochelle, M'"''' Raucourt,
Contât, Devienne, Jolly, Suin, La Chassaigne, Petit (plus tard
M™' Talma), Mézeray. Le Théâtre Favart n'était pas moins bien
partagé, avec Clairval, Trial, Elleviou, Narbonne, Michu, Ménier,
Chenard, Solié, Dorsonville, Granger, Philippe, M^'^* Dugazon, Gar-
line, Saint-Aubin, Desbrosses, Adeline, Crétu, Rose Renaud. Au
théâtre Feydeau, c'était, pour l'opéra italien, Raffanelli, Mandini,
Mengozzi, Morelli, Rovedini, Viganoni, M"°«= Morichelli, Mandini,
Raffanelli, et pour l'opéra français Martin, Gavaudan, Juliet, Le-
sage, Vallière, Gaveaux, M°"== Justalle, Rolandeau, Lesage, Ver-
teuil. Enfin, au théâtre de la rue Richelieu, on trouvait avec Talma,
Dugazon et Grandmesnil, Monvel, Dumaniant, Michot, Fusil, et
avec M™"^ Vesiris, Desgarcins et Lange, M'"= Julie Candeille, M"' Gi-
verne, M"'= Saint-Clair, etc. Les troupes des théâtres du Marais,
Louvois, Molière étaient elles-mêmes fort remarquables et comp-
taient nombre d'artistes qui, plus tard, devinrent fameux et con-
quirent une grande renommée. Il me suffira de citer, au hasard, les
noms de Baptiste aine et cadet, Damas, Volange, Perlet, Lazozelière,
Fleuriot, Perroud, Bourdais, de M"" Mars, de M"» Sainval, de
M"»' Barroyer, dont plusieurs firent la gloire de la Comédie-Française.
A cette époque, où les pièces n'avaient pas couramment, comme
aujourd'hui, deux et trois cents représentations, on les renouvelait
plus fréquemment, et les nouveautés étaient moins rares. A l'Opéra
on donne, le 13 septembre, la première représentation d'un petit
ouvrage dont l'insuccès fut complet : l'Heureux Stratagème, « comé-
die lyrique » en deux actes, paroles de Saulnier, musique de
Jadin. Trois soirées suffisent à consacrer la naissance, l'existence
et la mort de cet opéra mal venu, dont nous ne connaissons même
pas les interprètes. Quelques jours auparavant, le 2, le danseur
Didelot, qui avait quitté ce théâtre depuis plusieurs années, y
rentre avec succès en dansant un pas dans le ballet du Premier
Navigateur. Le 21, toute la famille royale vient assister au spectacle
de l'Opéra, et le Journal de Paris nous l'apprend en ces termes : —
« Le roi, la reine, le prince royal, Madame et Madame Elisabeth
sont venus hier à la 19= représentation de Castor et Pollux. La foule
sur leur passage, et singulièrement sur les boulevards, étoit si
grande que les chevaux n'ont pu être conduits qu'au pas, et par-
tout la famille royale a été, pour ainsi dire, poursuivie de cris
répétés : Vive le Roi! Vive la Reine! La salle contenoit tout ce
qu'elle peut contenir de spectateurs. Le plus grand silence a régné
au moment où les tambours ont annoncé l'arrivée de LL. MM. A
leur entrée dans leur loge, les applaudissements et les cris répétés
de Vive le Roi! Vive la Reine! n'ont cessé que lorsque les forces
épuisées n'ont plus permis de les continuer. »
Quant au répertoire de l'Opéra, je le vois un peu restreint pendant
ce mois de septembre 1791, où les programmes mentionnent seu-
lement Iphigénie en Tauride, OEdipe à Colone, Colinette à la Cour,
Castor et Pollux et Démo-phon, comme ouvrages lyriques, avec deux
ballets, Télémaque et h Premier Navigateur.
Il est beaucoup plus varié, comme toujours, à !a Comédie-Fran-
çaise, bien que, momentanément, la tragédie s'en montre complè-
tement absente par suite de la défection de quelques-uns de ses
principaux interprètes, Talma, M"" Vestris et M"" Desgarcins,
ainsi que M"'' Sainval aînée, qui s'en est allée au théâtre Montansier.
Molière occupe fréquemment l'affiche avec l'École des Femmes, V Avare,
le Médecin malgré lui, les Femmes savantes et le Ukantlirope; puis,
c'est l'École des bourgeois, de d'Allainval, la Partie de chasse de
Henri IV, de Collé, la Pupille, de Fagan, la Fausse Agnès, de Des-
toiiches, le Consentement forcé, de Guyot de Merville, Turcaret, de Le
Sage, le Babillard, de Boissy, le Galant Jardinier, Colin-Maillard,
le Mari retrouvé, de Dan court, etc. Comme nouveauté, je ne vois à
signaler que le Conciliateur ou l'Homme aimable, comédie en cinq
actes et en vers de Demoustier, l'auteur trop vanté des Lettres à
Emilie. Ce Conciliateur, joué pour la première fois le 19, obtient du
reste un véritable succès, que l'auteur partage avec ses deux prin-
cipaux interprètes, l'illustre Fleury et la toute charmante M"' Mé-
zeray, alors à laurore de sa brillante carrière.
Peu de jours après, la Comédie-Française, comme l'Opéra, rece-
vait à son tour la visite de la famille royale, ainsi que nous l'apprend
encore le Journal de Paris, qui, en sa qualité d'organe « constitu-
tionel, » ne manquait jamais de faire ressortir les manifestations
favorables à la royauté. Après avoir constaté le chaleureux accueil
fait par le public aux souverains, il dit : « On a donné la Gouver-
nante, comédie de La Chaussée ; ce choix paroissait devoir éloigner
toute allusion, mais l'orchestre y a suppléé en jouant des airs qui
dans chaque acte ont vivement renouvelé le témoignage des mêmes
sentiments : Oii peut-on être mieux qu'au sein de sa famille? Aimons
292
LE MENESTREL
notre Roi.' Que d'attraits, que de majesté! Chantons, célébrons notre
Reine... »
Pour le théâtre Favart on ne trouve à enregistrer, au compte du
mois de septembre, qu'un ouvrage en trois actes, fes Espiègleries de
garnison, paroles de Favières, musique de Champein, représenté
le 21. Le livret n'était pas bon, et la musique ne parait pas avoir
été beaucoup meilleure. Ce qu'il y avait de mieux dans cette pièce
c'était l'interprétation, oii se faisaient surtout remarquer Michu,
Solié, et la toute charmante Carline, adorable dans un rôle tra-
vesti et sous un costume d'officier. A ce théâtre, deux débuts sont
à signaler, bien que les deux artistes qui en étaient l'objet n'aient
laissé aucun souvenir : M"° Sylvain se montre le 7, dans le rôle
de Lucetle du Si/ivain, et M"" Jenny le 13, dans celui de Lucette
de la Fausse Magie. Pour ce qui est du répertoire, très abondant,
il comprend les Deux Avares, les Evénements imprévus, Zémire et Azor,
Sylvain, la Fausse Magie, Raoul Barbe-Rleue, Richard Cœur de Lion,
le Tableau parlant, de Grétry ; les Deux Tuteurs, Camille ou te Sou-
terrain, Asémia, la Soirée orageuse, la Dot, les Deux Petits Savoyards,
Nina ou la Folle par amour, Raoul sire de Créqui, de Dalayrac ;
Alexis et Justine, les Trois Fermiers, Biaise et Babel, de Dézèdes;
Rose et Colas, le Déserteur, de Monsigny ; les Femmes vengées, de
Philidor; Euphrosine et Coradin, de Méhul; les Dettes, la Mélomanie,
de Champein; Lodoiska, Paul et Virginie, de Kreutzer. Avec cela,
quelques comédies, telles que les Etourdis, d'A.ndrieux ^ le Bon Père
et les Deux Billets, de Florian, etc.
Au théâtre Feydeau, ouvert depuis moins de trois ans et dont
l'activité était prodigieuse, nous avons à signaler les premières
représentations de quatre ouvrages de quatre genres différents :
le 4, la Passa per amore, opéra italien de Paisiello, sur le sujet de
la Nina de Daiayrac ; le 14, l'Hôtel prussien, comédie en cinq actes
et en prose, de Ponteuil; le 18, les Vengeances, opéra-comique fran-
çais en deux actes, paroles d'Oguerre, musique pastichée de diffé-
rents auteurs; enfin, le 24, le Club des bonnes gens, opéra-vaude-
ville en deux actes, du Cousin-Jacques pour les paroles et la
musique; ce dernier obtint un énorme succès. Au répertoire on
trouve, pour l'opéra italien, il Finto Cieco, de Gazzaniga, la Frasca-
tana et la Molinarella, de Paisiello; pour l'opéra français, Lodoiska,
de Cherubini; le Nouveau Don Quichotte, de Champein; l'Histoire
universelle, du Cousin-Jacques ; pour la comédie, le Divorce, en
vers, la Toilette de Julie, aussi en vers, de Demoustier; Amélie ou
le Couvent, de Pajoulx, avec chœurs de Martini, Mirabeau à son lit
de mort, du même.
Le Théâtre-Français de la rue Richelieu, dont la rivalité avec la
Comédie-Française était directe, lui empruntait tout son répertoire
classique dans les deux genres. Avec Andromaque et les Horaces, il
jouait les Plaideurs, les Fausses Confidences, les Folies amoureuses, la
Mère confidente, Crispin rival de son maître, Nanine, l'Ecole des maris,
la Comtesse d'Escarbagnas, les Bourgeoises de qualité, la Feinte par
amour, le Baron d'Albicrac, etc. Dans ce mois de septembre nous
n'y voyons paraître aucune nouveauté, mais, à la date du 3, une
reprise fort importante due à Talma, celle du Charles IX de Marie-
Joseph Ghénier, que le grand artiste avait créé deux ans aupara-
vant à la Comédie-Française et qui avait été la cause des premiers
troubles intérieurs de ce théâtre. L'ouvrage est accueilli avec en-
thousiasme.
Je ne saurais suivre les autres théâtres dans leurs travaux. Je
me contenterai, pour terminer, de quelques notes rapides sur les plus
importants d'entre eux. Au théâtre Montansier, où la tragédie était
jouée presque avec éclat, grâce à M"" Sainval aînée, à Grammont
et à Damas, qui se montraient dans Iphigénie en Aulide, l'Orphelin
de la Chine, Iphigénie en Tauride, l'opéra et la comédie n'étaient pas
traités avec moins de soins et d'intelligence. Isabelle de Salisbury,
opéra de Mengozzi, obtint un succès éclatant, de même que l'excel-
lente comédie de Desforges, le Sourd ou l'Auberge pleine. Le mois
de septembre y voit éclore quelques nouveautés : l'Epouse impru-
dente, comédie en cinq actes et en vers de Desforges; l'Otaïtien
Picard, comédie en un acte, de Desmaillots; le Jeune Homme à l'é-
preuve, comédie en cinq actes et en prose ; les Deux Morts, vaude-
ville. — A signaler au théâtre Louvois quelques premières repré-
sentations : les Alchimistes, opéra-comique en deux actes, d'auteurs
restés inconnus (le 3) ; le Sourd et. l'Aveugle, comédie en un acte,
de Patrat (le 12) ; Trente et un ou la Joueuse corrigée, comédie (ano-
nyme) en un acte et en prose (le 17). — Au théâtre Molière, Nico-
dème de retour du soleil, comédie en un acte, de Courtois (le 1") ;
lee Rivaux ou la Peau de l'ours, opéra bouffe, musique d'Arquier
(le 6) ; la France régénérée, comédie en un acte et en vers, de
Chaussard, avec musique de Scio (le 14). C'est à ce théâtre, essen-
tiellement révolutionnaire, qu'on jouait alors le fameux drame du
trop fameux Ronsin, la Ligue des fanatiques et des tyrans. — Enfin,
au théâtre du Marais, on donnait, le 10 septembre, la première
représentation d'un drame de Mercier, l'auteur du Tableau de Pa-
ris; ce drame qui était depuis longtemps imprimé, était intitulé
Jean Hennuyer, évéque de Lisieux, mais le public, qui n'y prit qu'un
plaisir médiocre, ne la désigna plus bientôt que sous le nom de
Jean Ennuyeux.
On voit ce qu'était, par rapport au théâtre, le Paris de 1791. J'ai
dit qu'il ne le cédait en rien au Paris d'aujourd'hui, et l'on peut
facilement s'en convaincre par les notes très rapides que j'ai grou-
pées dans cet article. Environ vingt-cinq théâtres ouverts, sans
compter les spectacles de curiosité, tels que le Cirque Franconi,
les Ombres chinoises de Séraphin et bien d'autres, dans une ville
qui comptait à peine alors 600,000 habitants! C'était presque autant
que ce qu'elle en possède aujourd'hui, avec les deux millions et
demi d'êtres vivants qui se pressent dans son enceinte. Il est juste
de constater que cent ans écoulés ne lui ont rien enlevé de sa
fureur scénique, et que sous ce rapport 1791 et 1891 n'ont rien à
s'envier — ou à se reprocher.
Arthur Pougin.
Carmen, à l'Opéra-Gomique.
Jeudi l'Opéra-Gomique, nous a conviés à une représentation 'le
Carmen, destinée à nous présenter deux débutants, M""" Tarquini
d'Or et M. Fierens, et un rentrant, M. Lubert. M™" Tarquini d'Or,
qui arrive de province avec une très heureuse réputation gagnée
par des succès remportés principalement sur les grands théâtres de
Lille et de Nice, est une artiste de mérite et d'une très réelle intel-
ligence scénique; à cette première audition, la voix a paru un peu
frêle pour le vaisseau de l'Opéra-Comique et les notes graves pas
tout à fait assez caractérisées pour le rôle de Carmen : l'adroite
artiste n'en a pas moins été fort bien accueillie et si, dès aujourd'hui,
nous pouvons porter un jugement certain sur la comédienne et la
diseuse, qui a complètement réussi, nous réserverons, à une autre
occasion très certainement plus propice, notre appréciation sur la
chanteuse, empêchée par la peur de se livrer complètement. M. Fierens,
qui paraissait pour la première fois dans le petit rôle de l'officier
Zuniga et est le frère de M""= Fierens, la créatrice de Varedha du
Mage, nous vient, croyons-nous, en droite ligne du Conservatoire
de Bruxelles ; bon organe, qui demande encore, comme le comédien
d'ailleurs , quelques exercices d'assouplissement. M. Lubert, qui
faisait sa rentrée après une assez longue absence, motivée par
les tracasseries de la précédente direction, a été le vrai triompha-
teur de la soirée; sa voix, moins gutturale que par le passé, a très
sérieusement gagné, sa diction a pris de l'ampleur et l'artiste
a acquis beaucoup d'aisance en scène. Uoe très bonne acquisition
pour M. Carvalho. L'ensemble de l'interprétation du chef-d'œuvre,
confié à M. Taskin, un toréador plein de fougue, à M""" Molé-
Truffier, charmante et douce en Micaëla, à M'"^ Elven et Falize et
à MM. Grivot, Barnolt et Bernaert, ainsi que les détails très soignés
de la mise en scène, font grand honneur à la direction de noire
seconde scène lyrique. L'orchestre de M. Daubé, qui possède merveil-.
leusement cette partition, l'a rendue avec la perfection à laquelle nous
sommes accoutumés.
P.\ul-Émile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
(Suite)
CHAPITRE IV
LE PREMIER EMPIRE
Quelques jours avant le sacre, le bruit de la mort de Haydn
s'était répandu dans Paris et le Conservatoire, jaloux d'honorer «le
dieu de la symphonie », résolut de faire célébrer un service funèbre,
d'y exécuter avec les plus belles œuvres du maître, le Requiem de
Mozart, et le De Profundis de Gluck.
La nouvelle parvint aux oreilles de Haydn, fort surpris mais très
flatté de cet honneur prématuré. Le trépas fut démenti — mais le
Conservatoire tenait son Requiem et le produisit quand même, avec
une succès prodigieux.
L'orchestre de la rue Bergère atteint k cette époque une telle re-
LE MENESTREL
293
nommée, le publie montre un si vif désir d'applaudir le merveilleux
ensemble des élèves de l'École, que les exercices se multiplient et
deviennent de véritables concerts. On se dispute les places, dont le
tarif est établi pour 1805 aux prix suivants :
Parquet et galerie du rez-de-chaussée : 3 francs.
Loges da rez-de-chaussée : 4 francs.
Premières loges : S francs.
Première galerie : 4 francs.
D'anciens élèves de la rue Bergère ne dédaignent pas de figurer
au programme. Voulant prouver sa reconnaissance au Conservatoire,
qu'elle a quitté pour l'Opéra, M™" Branchu prend part au septième
exercice de la rue Bergère.
Le 26 avril, à la demande des dilettantes qui n'ont pas trouvé
place à la première exécution du Requiem, l'Ecole réclame l'hospi-
talité de Saint-Germain l'Auxerrois. Un pris unique de 6 francs est
établi pour toutes les places, et la recette est consacrée aux fa-
milles des artistes décédés.
Eo 1806, les exercices reprennent, aussi fréquents, mais toujours
retardés « par les maladies régnantes, » par l'indisposition de
jimo Duret Saint-Aubin, par l'étude de la Bataille d'Ausierlilz, sym-
phonie militaire de M. Jadin.
Le 9 février, l'Empereur a accordé audience au directeur et aux
inspecteurs du Conservatoire. Il assure que sa protection leur sera
conlinuée, et accepte la collection des ouvrages élémentaires com-
posés pour les différentes classes.
L'Italie, qui avait été l'inspiratrice de l'école royale, prend, à son
tour, exemple sur la rue Bergère. Au mois d'avril ISOo, Marescalchi,
ministre des relations extérieures, écrivait à Sarrette qu'un Conser-
vatoire allait être établi à Milan et qu'il ne saurait prendre de plus
parfait modèle que celui de Paris.
Un hommage plus précieux encore va être rendu par Haydn, dont
les symphonies figurent à chaque exercice. CherubiDi, chargé par
le Conservatoire de lui remettre nue médaille d'or, rapporte, en
mars 1806, une lettre reconnaissante du maître autrichien. — « Je
vous prie, messieurs, de recevoir mes remerciements et de les faire
agréer aux membres du Conservatoire, au nom desquels vous avez
eu la bonté de m'écrire. Ajoutez bien que tant qu'Haydn vivra, il
portera dans son cœur le souvenir de l'intérêt et de la considération
qu'ils lui ont témoignés. »
Revues et journaux, au commencement de 1807, appartiennent
aux bulletins de la Grande Armée, aux décrets signés de Varsovie.
Les innombrables victoires, les triomphes ininterrompus de l'Empe-
reur n'empêchent pourtant pas Paris de prendre, en rangs serrés, le
chemin de la rue Bergère, où le premier exercice est donné le
11 janvier.
Eu février, l'encombrement est plus grand encore pour entendre
le Requiem de Mozart e( une symphonie de Beethoven; « il y avait
dans la salle beaucoup de monde et de très beau monde, et, de l'avis
général, les exercices acquièrent chaque jour un nouveau degré
d'intérêt. » Au cinquième concert, l'afîluence sera telle que le même
programme doit être affiché pour le dimanche suivant.
Le Journal de Paris enregistre une attristante nouvelle : « Le cé-
lèbre Haydn ne voit pas sans une mélancolie profonde s'éteindre le
beau génie qu'il a reçu de la nature. »
Résultat inattendu de cette funèbre annonce : exécution d'une
symphonie de Mozart et de l'ouverture de la Clémence de Titus.
Accompagnée des dames de la cour et du ministre de l'intérieur,
l'Impératrice vient au neuvième exercice pour l'audition du Stabat
de Pergolèse. La salle se lève et l'acclame quand elle parait.
Retardée par la translation aux Invalides de l'épée de Frédéric le
Grand, la douzième et deruière séance offre au public une sonate de
piano composée et exécutée par Zimmermann, un air varié pour
violon dont Habeneck aîné est à la fois l'auteur et l'interprète. —
Tout, en blâmant l'étrangeté de cette exhibition, les critiques n'ont
pas assez de fleurs pour le Conservatoire, si bien que l'administra-
tion de l'école se plaint en une lettre adressée aujoxtrnal de l'Empire:
« Les artistes ne verront-ils pas un outrage dans ces éloges accordés
à des élèves "? »
Décrété le 3 mars 1806, pour l'enseignement spécial du chant, le
pensionnat ne date réellement que du 1""' janvier 1808. — Douze
hommes, six femmes sont instruits, nourris, logés rue Bergère par
le gouvernement. Une circulaire adressée aux préfets les prie de
signaler au ministère ceux de leurs administrés qui ont de la voix
et désirent suivre la carrière lyrique.
Les exercices se succèdent, plus suivis encore. Au troisième, on
fait un bienveillant accueil à un concerto de violon joué par
M. Mazas ; l'auteur, dont nous aurons plus d'une fois à reparler,
est un jeune amateur: M. Auber.
Les élèves sont parfois autorisés à se faire entendre en dehors des
murs de l'école ; ils sont le grand attrait du concert donné par
Habeneck à la salle Olympique.
Des classes de déclamation ont été fondées, rue Bergère, l'année
précédente et confiées à Monvel, Talma, Dazincourt, Lafoiid et
Fleury. — Le 19 mai 1808 a eu lieu le premier examen ; M""' Rose
Dupuis et Maillard s'y font remarquer, mais leur succès disparaît
devant celui du jeune Bican, âgé de douze ans, « qui a un excellent
masque de Grispin et une vérité parfaite ».
Un petit prodige chasse l'autre : on oublie Bican pour vanter
Cornu, premier enfant de chœur de Notre-Dame, dont la chapelle a
fait entendre une messe surprenante.
La distribution des prix est le dénouement obligé de toute année
musicale. — Elle se célèbre à l'Institut. Élèves médecins, pharma-
ciens, lycéens, peintres, sculpteurs, architectes sont mêlés aux
lauréats du Conservatoire. Satisfaire toutes ces républiques en un
seul discours serait impraticable, et l'oraison ministérielle est rem-
placée par un petit concert longuement applaudi.
Le monde musical est en émoi. Des affiches posées à travers
Paris annoncent que le sieur Dabasse, traiteur, rue des Prouvaires,
offre des repas en musique sans rétribution spéciale ; l'orchestre,
qui se fait entendre de 1 à 10 dans ses salons, est composé d'élèves
du Conservatoire. — Comment le ministre a-t-il accordé aux jeunes
artistes la permission de charmer les clients du restaurateur?
On fut vite rassuré: il s'agissait d'anciens élèves — et le 1" fé-
vrier 1809 les mélomaues retrouvaient leurs chers exercices, se pâ-
maient à un allegro d'Haydn et à un air de la Création.
Mais le maître viennois a un rival : Méhul veut se risquer dans la
symphonie et les élèves ont la gloire d'interpréter cet essai déclaré
sublime. La seconde symphonie est donnée une semaine après, avec
un succès tel qu'on la redemande.
Méhul ne laisse pas refroidir l'enthousiasme des Parisiens ; la troi-
sième symphonie leur est offerte le 21 mai el on s'accorde à dire qu'elle
fait époque. Kreutzer, entraîné par l'exemple, confie aux musiciens
favoris des fragments de son opéra d'Abel.
Le Conservatoire a une si haute réputation à présent qu'il fera
seul les frais du concert donné par l'Hôtel de Ville pour l'anniver-
saire du couronnement et d'Austerlitz. Devant l'Empereur et l'Impé-
ratrice, qu'entourent le roi et la reine de Westphalie, le roi et la
reine de Hollande, la reine d'Espagne, le roi et la reine de Naples,
les rois de Wurtemberg et de Saxe, l'orchestre et les chœurs des
élèves attaquent le Chant triomphal de Catel.
Le premier exercice donné en 1810 est une apothéose d'Haydn,
mort au moment oii Napoléon entrait dans "Vienne.
Un écusson, soutenu par des guirlandes, suspend au-dessus de
l'orchestre le nom du musicien, et le concert débute par un chant
funèbre écrit pour la circonstance par Gherubini. — L'auteur du
poème a voulu garder l'anonyme, malgré la beauté de vers fort ap-
préciés, parmi lesquels on cite :
Ce cygne, dont la gloire avait rempli le monde,
Expire en murmurant des sons harmonieux.
Viennent ensuite les chœurs i'Orfeo, le Benedicliis, un concerto de
violon arrangé par Kreutzer sur des motifs du maestro.
A cette manifestation, Méhul riposte par une quatrième sympho-
nie. Les habitués du Conservatoire, surpris à la premiàret, ransportés
à la deuxième, ravis aux cieux par la troisième, semblent un peu
apaisés cette fois, et quelques journaux déclarent l'œuvre nouvelle
inférieure aux productions allemandes.
Trois jours avant le mariage de l'empereur avec l'archiduchesse
Marie-Louise, sixième exercice, dont les honneurs sont faits aux
compositeurs autrichiens.
Les attaques recommencent dans certaines feuilles contre le
Conservatoire. On accorde que la œusique instrumentale y est suf-
fisante, mais, en revanche, quels sujets remarquables a-t-il donnés
à la scène ? — Les partisans de l'Ecole répondent par une kyrielle de
noms illustres. Mais la meilleure défense sera l'exercice du 6 mai,
où nombre d'auditeurs ne peuvent pénétrer, et où des fragments
d'Idoménée sont écoulés avec transporis.
294
LE MENESTREL
Uue semaine après la douzième et dernière séance, les élèves et
les pensionnaires sont convoqués de nouveau à l'Hôtel de Ville, oîi
Leurs Majestés arrivent après avoir traversé aux flambeaux une
partie de la capitale. Une cantate d'Arnault, mise en musique par
Méhul, ouvre le concert.
1811. — Paris, l'empire entier attendent avec anxiété la prochaine
délivrance de l'Impératrice, et les nouvelles du Conservatoire tien-
nent peu de place dans, les journaux. — En s'écrasant devant la
terrasse des Tuileries pour voir passer Marie-Louise, on raconte
qu'au dernier exercice de longs applaudissements ont encouragé le
jeune Herold, qui a supérieurement joué le concerto de Dussek.
Le 20 mars, les salves d'artillerie annoncent la naissance du Roi
de Rome ; M"= Blanchard s'élève en ballon pour répandre sur son
chemin la bonne nouvelle ; Paris s'illumine, un feu d'artifice éclate
place de la Concorde. On devine que le concert du 24 passe fort
inaperçu.
Les huit séances suivantes se donnent devant des salles combles;
on en commente les programmes, mais ces monceaux de critiques,
fort louangeuses d'ordinaire, présentent, un médiocre intérêt.
Pour célébrer le baptême du Prince Impérial (9 juin), l'Hôlel de
Ville reçoit les souverains. Le Conservatoire y interprète, avec Lays,
le Chant d'Ossian de Méhul. Une partie des choristes est cachée dans
une tribune élevée ; l'effet ainsi obtenu est fort admiré.
La semaine suivante, même cantate dans le même Hôtel de Ville
devant le maire de Rome, le podestat de Milan, les députés des
grandes cités de l'empire.
Inauguration de la nouvelle salle d'exercices, construite sur les
plans de Delannoy, le 7 juillet. Une composition en l'honneur du roi
de Rome a été écrite par Cherubini, Méhul et Gatel.
Les plus brillants artistes sortis de l'Ecole, M™' Branchu et Duret,
M"" Himm et Goria, Nourrit, Eloy, Dérivis, ont tenu à honneur d'y
reparaître ce jour-là.
C'est aussi dans la nouvelle salle qu'est célébrée la distribution des
prix, présidée par M. de Rémusat.
11 est temps d'apporter quelque variété aux séances; le Conserva-
toire prévient les amis de la musique qu'ils entendront chez lui des
concerts « à grands chœurs » ; aux fervents de l'art dramatique, on
offrira les classes de déclamation.
La Création, de Haydn, est donnée le 46 février 1812, sous la direc-
tion d'Habeneck, qui, depuis quelque temps, conduit tous les exer-
cices. Pour la circonstance, la salle a été repeinte; cette restauration,
sept mois après l'ouverture, donne une idée rassurante des ressources
de la rue Bergère.
Le dimanche suivant, séance dramatique. Fragments de P/»erfre et de
l'Obstacle imprévu ; pour la déclamation lyrique, le deuxième acte des
Danaïdes et une scène du Magnifique.
Jusqu'à la fin de mai, les deux genres alternent avec des fortunes
diverses. Passages d'Athalie ou scène de l'enfer d'Orphée, Festin de
Pierre ou Tableau partant, les opéras les plus pompeux, les tragédies
grecques et romaines se jouent sans décors, avec les costumes du
jour. — Quelques donneurs de conseils proposent de confier à un
simple lecteur les classes de déclamation, tout disciple s' obstinant à
imiter son professeur jusque dans ses défauts; mais on ne prête iiulle
attention à de semblables avis.
De l'uniformité des séances naît cependant un ennui qui va gran-
dissant, et, à l'un des derniers exercices, la voix de Levasseur arri-
vée fort à propos pour secouer l'engourdissement du public.
En septembre, le prix de composition est décerné à Herold; c'est
aussi le moment où Franconi entreprend une tournée à travers la
France, et on songe au cerf Coco infiniment plus qu'au jeune musi-
cien.
Citons au passage le décret de Moscou, qui porte à 36 le nombre des
pensionnaires entretenus au Conservatoire : dix-huit pour le chant,
autant à destination du Théâtre-Français.
La musique perd de ses droits en 1813; villages et cités se cotisent
pour offrir à l'Empereur des chevaux équipés; le clergé, la banque,
les avocats, les campagnes et les préfectures l'aident à fortifier son
armée. — Les exercices du Conservatoire reprennent quand même le
21 février, panachés de musique et de prose, de poésie et de concertos.
P~rmi les élèves de comédie. M"" Thénard et Samson, absolument
éclipsé par son camarade Perlet, un comique déjà plein de génie.
L'aflluence est toujours énorme, et l'Ecole a soin de multiplier les
symphonies, sachant combien le public aime son jeune orchestre plein
de feu et de talent, trouvant un bonheur d'artistes là où d'autres ne
voient qu'un travail.
Aucun ministre à la distribution des prix, célébrée le 13 décembre
seulement. Baptiste aîné pleure Grétry et les maîtres morts dans
l'année, Sarretle distribue les lauriers, et un exercice entremêlé de
musique et de déclamation termine la journée.
Les alliés pénètrent en France, chaque jour les rapproche de Paris
et les bals masqués continuent à l'Opéra. Nicole fait applaudir
Joconde, la vogue des pantomimes équestres reste la même au Cirque;
seul, le Conservatoire demeure silencieux.
Le i" avril 1814, dans un entr'acte du Triomphe de Trajan, on force
Lays à chanter la gloire du roi de Prusïe et de l'empereur Alexandre
sur l'air « Vive Henry IV », les théâtres font assaut de pièces de
circonstance. Redevenue « royale, » l'École ouvre ses portes au
public, qui témoigne peu d'empressement (10 avril).
Invité à prendre sa part des réjouissances organisées pour l'entrée
de Louis XVIII, le Conservatoire se réunit autour de la statue du
Béarnais; tandis qu'il exécute « les morceaux les plus chers à la
nation », de jeunes demoiselles vêtues de blanc présentent des fleurs
et M"'^ Blanchard s'élève vers l'azur.
L'empereur de Russie et le roi de Prusse sont reçus solennellement
au quatrième exercice, dont le grand succès est pour Habeneck.
Dernière réunion le 13 juin. La rue Bergère n'est pas plus épargnée
que tant d'autres créations de la République ou de l'Empire; sup-
primée en décembre, elle ne reprend sa place au soleil que durant
les Cent jours.
*' *
Un décret impérial du 26 mars rend au Conservatoire ses anciens
domaines; Sarrette, les inspecteurs et les professeurs sont rétablis
à leurs postes et la grande salle voit reparaître le buste de
Napoléon.
11 faut regagner en hâte le temps perdu : les prix décernés en
1814 sont distribués ; on presse les répétitions des exercices, et
le 30 avril, l'orchestre des élèves prouve qu'il a conservé sa même
perfection.
Le 11 juin, troisième exercice dans lequel la musique et la dé-
clamation fraternisent avec un inégal succès. — Quelques jours
après, l'Empereur n'était plus que Bonaparte, et le Conservatoire
allait une seconde fois, expier sa fidélité.
(À suivre.) Aiv'DKÉ Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Courrier de Belgique. — La réouverture des théâtres. — La réouverture
de la Monnaie s'est faite dans de très bonnes conditions ; les trois pre-
mières soirées ont été en général excellentes; la direction y a produit
fort habilement la plupart de ses meilleurs artistes de l'an dernier et la
plupart des nouveaux venus sur lesquels elle comptait le plus. Le public
a donc paru enchanté, et il n'a pas eu tort. Souhaitons que l'enchante-
ment continue. Le premier spectacle a été Roméo et Juliette, avec M. La-
farge, qui est, artistiquement sinon plastiquement, le plus délicieux des
Roméo, et qui a remporté, cette fois encore, un triomphe justifié par son
exquise façon de phraser, sa chaleur communicative et son charme cap-
tivant. C'est M™ de Nuovina qui reprenait le rôle de Juliette, chanté
l'an dernier, avec tant de grâce et de distinction, par M"« Sybil Sander-
son ; elle a essayé de donner au rôle un caractère et une physionomie
tragiques qui ne lui conviennent guère. Le lendemain, la Basoche nous a
présenté la nouvelle dugazon. M"' Savine, une gentille personne, chan-
tant avec goût, et qui s'est fait applaudir par des qualités sinon supé-
rieures à celles de M""! Nardi, dans le rôle de Colette où elle lui succéda,
du moins différentes. M"' Savine avait paru déjà, la veille, fort agréa-
blement, dans Roméo, sous les traits du page Stéphane. Nous avons fait
également, ce soir-là, connaissance avec M. Gilibert, appelé à tenir une
place distinguée dans l'emploi des Fugères; sa voix est jolie, il chante bien,
et le comédien n'est pas maladroit. — Enfin, la troisième soirée nous a rendu
Robert le Diable, rajeuni par une interprétation jeune et vivante, et qui a
été pour la nouvelle basse, M. Ramat, et surtout pour la nouvelle talcon,
M"' Chrétien, l'occasion d'un succès bruyant. M. Ramat est un chanteur
de la bonne école, ayant du style, avec une voix suffisante. M"'' Chrétien
n'avait jamais paru au théâtre; ses qualités très évidentes de bonne
musicienne, sa jeunesse, son assurance, sa voix solide, étendue, éclatante,
tout cela a fait sur le public une impression très vive ; de plus, M"<= Chré-
tien nous semble avoir ce qu'on appelle une « nature »; si elle ne se
laisse pas griser par le premier succès, si elle ne prend des éloges dity-
LE MENESTREL
295
rambiques dont on l'a si maladroitement accablée que ce qu'il lui faut
pour se trouver encouragée à mieux faire, si elle travaille à se créer la
personnalité et l'autorité qui manquent naturellement à son inexpérience,
elle arrivera, je crois, à faire parler d'elle. — A côté de ces nouveaux
venus, dans la Basoche et dans Robert le Diable, quelques-uns de nos
artistes de l'an dernier n'ont pas été oubliés. On a retrouvé notam-
ment, plus « artistes » que jamais, plus dignes aussi d'être fêtés, la toute
charmante M"" Carrère, qui, avec une rare souplesse de talent et de
voix, passe tour à tour, en y mettant toujours un sentiment particuliè-
rement individuel et pénétrant, des princesses d'opéra-comique, dans la
Basoche, aux princesses de grand opéra, dans Robert, et M. Badiali, un
Clément Marot exquis, le meilleur baryton d'opéra-comique que nous
ayons eu depuis bien longtemps, chanteur accompli et parfait diseur. Je
crains bien que Paris ne nous enlève encore bientôt ces deux artistes-là,
comme il a fait de tant d'autres, en ces derniers temps, sans compter
M. Lafarge, que l'Opéra-Gomique attend pour le mois de mai prochain,
et M. Dupeyron, engagé à l'Opéra pour la même époque. M. Dupeyron
a la voix chaude, claironnante, une vraie voix de fort ténor, qui produira
grand effet dans la salle de l'Académie nationale ; son succès dans Robert
le Diable a été très mérité. — J'oubliais un ou deux autres débutants, dont
la première apparition a été favorablement accueillie : M. Dinard, une
basse richement timbrée, applaudie dans Roméo, et M. Danlée, une basse
également, doublée d'un bon musicien. Il nous reste à entendre mainte-
nant, ces jours prochains. M™" Smith et le ténor Leprestre, dans Mireille,
M'i« Darcelle dans Lakmé, M"'' Dexter et M. Seguin dans Siegfried, dont on
prépare décidément la reprise pour bientôt.
Les autres théâtres, à Bruxelles, se rouvrent successivement. En atten-
dant que la comédie reprenne ses droits au théâtre du Parc et que la
grande opérette se réinstalle aux Galeries, la comédie bouffe a reconquis
son empire au Vaudeville et les « spectacles variés » font florès à l'Alca-
zar royal. Ce dernier théâtre, un des plus intelligemment dirigés et des
plus prospères de Bruxelles, ne se contente pas d'exploiter la chanson-
nette, en appelant chez lui les maîtres eux-mêmes, Pradels, Xanrof,
Meusy, etc., il cultive aussi tous les ans la grande revue de fin d'année,
et fait d'habituelles incursions dans le domaine du ballet et de l'opé-
rette. Nous aurons prochainement une œuvrette charmante de M. Messa-
ger, Fleur d'oranger, qui fut jouée pour la première fois à l'inauguration
de l'Eden, aujourd'hui démoli. Mais une tentative plus curieuse encore
à signaler, c'est celle que poursuit l'Alcazar en nous rendant une série
d'opérettes anciennes, en un acte, dont plusieurs, trop oubliées souvent,
sont de petits chefs-d'œuvre, — et non seulement celles d'Offenbach , la
Chanson de Fortunio, Tromb-al-Cazar, etc., mais aussi ces jolies partition-
nettes qui commencèrent la réputation de Léo Delibes, le Serpenta plumes,
l'Écossais de Chatou, l'Omelette à la FoUembuche, etc. Vous dire le succès que
ces dernières remportent en ce moment, ici, est invraisemblable. C'est
toute une mine à exploiter, et le public bruxellois s'y prête avec enthou-
siasme, car il y retrouve le meilleur de l'esprit français, le plus léger, le
plus joyeux, quelque chose de cette gaité folle et insouciante dont cette
fin de siècle morose et guindée ne nous a pas gardé le secret.
Lucien Solvaï.
— Le Guide musical se congratule naturellement de ce que la saison de
Bayreuth a été cette année très fructueuse, j Elle a produit plus de
600,000 francs, dit-il, c'est-à-dire quêtons les frais de l'exploitation et ceux
de la mise en scène de Tannhâaser, qui s'élevaient à 400,000 francs se trou-
vent couverts ou à peu prè,s. Jamais l'on n'avait vu pareille afflue nce
de spectateurs. Pour la première fois depuis l'inauguration du théâtre
Wagner, la salle s'est trouvée louée pour chacune des vingt représenta-
tions données, et la moyenne des recettes a été de 32,000 francs par repré-
sentation. )) Mais il y a une ombre à ce tableau, et le Guide musical, de sa
nature difficile à contenter, et qui défend son Capitol e avec l'énergie que
l'on sait, se chargeait lui-même de la faire ressortir dans son avant-
dernier numéro. Il ne paraît pas, en efîet, que ce soient les wagnériens qui
augmentent, mais bien les philistins, qui viennent jeter un élément
impur au milieu de la troupe des fidèles pénitents. Ecoutez plutôt : —
0 Un t'ait nouveau et peut-être regrettable a frappé cette fois les anciens
fidèles : s'ils ont pu constater avec satisfaction que jamais il n'y avait eu
une affluence aussi grande de spectateurs, ils ont aussi pu remarquer
l'envahissement d'un élément mondain, dont la frivolité et la tapageuse
exubérance semblent menacer l'austérité artistique qui, jusqu'ici, avait
dominé à Bayreuth. La curiosité des inactifs et des désœuvrés s'est lente •
ment éveillée et elle s'exerce maintenant avec une avidité croissante
autour de cette œuvre sainte, jusqu'ici vierge de tout contact avec le vul-
gaire, Porsi/ai. On a pu entendre, cette année, à la porte du théâtre, sur
le terre-plein d'où l'on domine Bayreuth et la "vallée du Meiu rouge, les
mérites des ténors débattus et discutés comme en des loges de théâtre de
province. De la poésie de l'œuvre, du souffle passionnel qui anime les
héros Tristan, Yseult, Parsifal, Kundry, rien n'a passé en ces âmes de
spectateurs empapillonnés selon la dernière mode, mais inaccessibles à
l'émotion du drame. Wagner, qui demandait et qui cherchait les âmes
simples, a toujours tourné ie dos avec horreur à ce public éteint et sans
cœur ; et ce serait la perte de l'œuvre de Bayreuth, si, comme on semble
y avoir manifesté quelque tendance dans ces derniers temps, on laissait
l'aristocratie du dollar et du florin se substituer à la noblesse du cœur et
de l'intelligence jusqu'ici particulièrement privilégiée. Bayreuth doit de-
meurer un lieu d'exception et non une curiosilé offerte à prix d'or aux
touristes en quête d'émotions originales, une distraction recommandée aux
malades des stations balnéaires voisines... Sans doute, nul ne doit être
exclu du festin artistique de Bayreuth, mais il serait fâcheux que cet
élément nouveau prît le dessus, et écartât peu à peu — ce qui arriverait
fatalement — ceux qu'une admiration profondément ressentie attirait depuis
longtemps et régulièrement à ces fêtes rares de l'esprit comme à un déli-
cieux et saint mystère. » Comme nous le disions, on voit que notre
confrère est difficile à contenter. Il n'y a pourtant pas de milieu : ou
accepter de l'argent d'où qu'il vienne, afin de couvrir les frais de « ces
fêtes rares — mais coûteuses — de l'esprit », ou se condamner à un
déficit très appréciable, que M"' veuve Wagner ne se montrerait peut-être
pas fort disposée à combler. « La mère Cosima » comme l'appellent nos
voisins de Bruxelles, doit avoir son idée là-dessus.
— A propos de Bayreuth, dit encore le Guide musical, à qui nous lais-
sons la responsabilité de son langage, o un journal de Berlin a mis en
circulation une rumeur ridicule. Il a raconte que le gouvernement alle-
mand, conformément aux lois réglementant l'exercice d'une industrie ou
d'une profession, avait fait demander à l'administration du théâtre de
Bayreuth de justifier des raisons pour lesquelles M'»"= Cosima Wagner se
croit en droit de prendre en location le théâtre et de se mettre comme
directrice à la tête de cotte entreprise. Le gouvernement lui aurait
demandé, en conséquence, de fournir un certificat de capacité. Il n'y a
pas un mot de vrai dans cette histoire, qui a été reproduite par presque
tous les journaux. M""" Wagner n'a reçu aucune invitation du genre de
celle dont on parle. La note parue dans le Bœrsen Courier, de Berlin, n'est
très probablement qu'une petite vilenie d'un intendant ou d'un directeur
de théâtre de province, pour appeler l'attention des autorités sur la situa-
tion exceptionnelle du théâtre de Bayreuth et lui susciter des difficultés.
Les intendants et les directeurs « de profession » ont d'excellentes rai-
sons d'être jaloux du théâtre de Bayreuth. Les représentations qu'on y
voit sont si parfaites qu'on en revient tout dégoûté de ce qu'on voit sur
les scènes ordinaires, et les recettes de celles-ci s'en ressentent. Cela
suffit pour expliquer l'aversion des « directeurs de profession » pour ce
théâtre de Bayreuth, que l'un d'eux naguère déclarait n'être qu'un
« théâtre d'amateurs ».
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Breslau : Le théâtre municipal,
auxquel est attachée à présent une subvention de cent mille francs, vient
de passer dans les mains du D^ Lowe et de M. F. Witte-Wild. Ce dernier
était déjà directeur du Lobe-Theater de la même ville. Il conservera cette
scène pour les représentations d'opéras-comiques et d'opérettes, tandis
que la scène municipale ne servira plus désormais qu'au grand répertoire
d'opéra. — Charlottenbourg (près Berlin) : Une jeune fille de quatorze
ans, M'i^-Sophie David, vient de débuter avec un succès prodigieux dans
le rôle de Chérubin des Noces de Figaro au théâtre Flora, converti depuis
peu en Opéra populaire. C'est, dit-on, une future grande étoile qui se
lève. — Hambourg : Le théâtre municipal a vu partir, à la fin de sa der-
nière saison, plusieurs de ses meilleurs artistes du chant. Ce sont,
f/lmes Rosa Sucher (appelée à l'Opéra de Berlin) et Mathilde Brandt-Gortz
(réclamée par le théâtre de Hanovre), le baryton Joseph Ritter, engagé
à Vienne, et le ténor L. Gritzinger, à Dresde, enfin les basses-boufîes
Ehrke et R. Freny. Ce dernier quitte définitivement la scène, après plus
de quarante années de service; il appartenait au théâtre municipal depuis
vingt-deux ans. — MEININGE^J : L'intendance du théâtre de la Cour est confiée
pour une année à M. Paul Richard. — Prague : Au théâtre national
tchèque, belle réussite d'un mélodrame en quatre actes intitulé le Supplice
de Tantale, livret de M. J. Brchlicky, musique de Zdenck-Fibich. Ce mélo-
drame forme la deuxième partie d'une trilogie portant le titre de Hippodamia.
La première partie avait été jouée avec succès sous le titre des Fiançailles
de Pélops. — Salzbourg : La municipalité a voté la subvention nécessaire
à la construction d'un nouveau théâtre qui s'élèvera sur l'emplacement
de l'ancien.
— On lit dans la correspondance berlinoise du Figaro, à propos de la
célébration récente du centième anniversaire de la naissance de Meyer-
jjeer : — « Le génial auteur des Huguenots fit bien d'aller assurer sa
gloire chez les Français, qui en font bonne garde. Les Allemands, ses
compatriotes, tout en continuant d'ailleurs à jouer et à entendre ses opé-
ras, ne lui assignent plus aujourd'hui qu'une place secondaire. Pourquoi
cetie sévérité pour des partitions qu'à l'étranger on admet encore comme
les plus belles? C'est, je crois, à la divinité absorbante de Wagner qu'il
faut l'attribuer. Meyerbeer et Wagner étaient en somme des rivaux. De-
puis quelque temps, en Allemagne, on afi'ecte de faire un peu trop fi de
Meyerbeer, en lui reprochant d'avoir manqué de personnalité, d'avoir subi
l'influence d'écoles difierentes. Il n'en est pas moins vrai, n'est-ce pas?
que depuis Meyerbeer personne n'a fait plus beau que le quatrième acte
des Huguenots. Gela n'ôte rien au génie de Wagner. On a bien été obligé
de le reconnaître à l'occasion de son centenaire, qui a été célébré par
une représentation à l'Opéra. — Je suis allé visiter, au cimetière Israélite
de la Schœnhauser Allée, la tombe de Meyerbeer. Chaque famille a son
carré où les morts sont placés à côté les uns des autres et recouverts
seulement d'un tertre de terre de la longueur du corps. La tombe de
Meyerbeer est comme toutes les autres ; au-dessus de la tète seulement
une plaque de marbre portant l'inscription : Giacomo Meyerbeer, avec la
296
LE MÉNESTREL
date lie l;i naissance el de la mort, indique que là repose le grand musi-
cien. Rien de plus, si ce n'est les couronnes apportées ces jours-ci par la
famille et par les artistes de l'Opéra et la direction de quelques théâtres.
A côté 9t en face de lui, dans le petit carré, reposent sa mère, sa femme
et ses frères. Dans un carré voisin sont deux de ses enfants morts en bas
âge. Meyerbeer n'a pas de statue en Allemagne. »
— On lit dans le Trovatore : « L'éditeur Edoardo Sonzogno a assumé
pour cinq années l'entreprise de la Pergola, de Florence. Dans l'automne
prochain il mettra en scène la Tilda du maestro Gilea, la Mala Vita du
maestro Giordano, la Manon de Massenet, le Réi-e de Bruneau, et, pour
complément, l'Amico Frits de Mascagni, ouvrage pour lequel M. Sonzogno
organisa trois auditions particulières réservées à de seuls invités. »
— On vient de donner à Londres, à l'Empire-Théàtre, la première repré-
sentation d'un nouveau ballet, .-1» bord de ta mer, scénario de &!""= Kath
Lanner, musique de M. Léopold "VVenzel, qui a brillamment réussi. Le
Figaro donne à ce sujet, dans sa correspondance anglaise, un détail assez
curieux : « M"» Palladino, la prima ballerina do l'Empire, faisait une ren-
trée triomphale par ce nouveau ballet, dans un pas qu'elle danse mer-
veilleusement. M"'^^ Palladino s'empare du drapeau tricolore qu'elle fait
flotter à côté du drapeau anglais. La salle entière menace de crouler sous
les applaudissements, beaucoup plus sincèrement enthousiastes que ceux
qui, à Drury Lane, ont éclaté au souvenir de la bataille de "Waterloo. »
Serait-ce un dernier résultat des fêtes de Portsmouth?
— Sir Arthur Sullivan, le compositeur anglais bien connu, travaille en
ce moment à un nouvel opéra romantique sur un sujet britannique, dans
le genre de VIvanlioe qu'il a donné récemment avec un si grand succès.
Ce nouvel ouvrage ne sera terminé toutefois que l'année prochaine et ne
pourra, par conséquent, être joué que dans le courant de 1892. En atten-
dant, l'Eiiglisli Opcra Hoiise de Londres se prépare à représenter... deux
ouvrages français. D'abord la Basoclie, de M. André Messager, avec la-
quelle se fera le mois prochain la réouverture, puis, aussitôt après, un
opéra inédit de M. Bemberg, intitulé Elaine. Viendront ensuite deux ou-
vrages anglais nouveaux, l'un de M. Frédéric Gowen, l'autre de M. Hamish
Mac Cunn, ce dernier ayant pour titre Cléopdlre. On parle aussi vague-
ment d'une partition que M. Goring Thomas, l'auteur applaudi de
Nadishda et à'Esmeralda, a été chargé d'écrire pour VEnglish Opéra House,
mais il parait que pour celui-ci le sujet même n'est pas encore choisi, si
bien que le compositeur n'est pas près de se mettre au travail.
PARIS ET DEPARTEMENTS
La première de Loliengrin, qui avait été affichée pour vendredi der-
nier, a dû être remise par suite d'une indisposition de M. Van Dyck.
L'œuvre de Wagner passera mercredi prochain ainsi que nous l'apprend
la note officielle suivante : n Le Conseil des ministres, ayant décidé que
les funérailles de M. Jules Grévy, qui doivent avoir lieu lundi, seraient
faites aux frais de l'Etat, la direction de l'Opéra, d'accord avec le ministre
des beaux-arts, a iixé au mercredi 16 la première représentation de
Lohengrin. j>
— M. Bertrand a eu une excellente idée, et très pratique, qui lui per-
mettra de former un personnel choral non seulement solide, instruit et
expérimenté, mais renouvelable selon les besoins et les nécessités du
service d'un théâtre tel que l'Opéra. Il fonde à ce théâtre une classe de
chœurs, comme il existe une école de danse, et déjà des auditions ont
lieu à l'Eden, dans le but de choisir les sujets appelés à faire partie de
cette classe.
— Lundi, à l'Opéra, rentrée de la toute charmante M"= Marcelle Dartoy
dans ta Favorite, que les habitués ont revue et réentondue avec grand
plaisir. Le même soir, triomphe pour M"« Subra, qui a dansé avec la per-
fection et la grâce qu'on lui connaît le rôle de Swanilda dans Coppétia.
— Jeudi M. Carvalho a signé l'engagement de W^" Nardi à l'Opéra-
Comique. La jeune et intelligente artiste, que M. Paravey avait laissé,
comme tant d'autres, quitter son théâtre, vient de faire une saison à la
Monnaie de Bruxelles, et nous ne doutons pas que le public parisien
ne réentende avec satisfaction cette c'nanteuse dont on se rappelle encore
les succès.
— A l'Opéra- Comique on s'occupera, dès mardi prochain, des répéti-
tions de Manon; M. Carvalho, qui veut donner à cette reprise tous ses
soins, ne compte passer que dans la première quinzaine d'octobre. Manon
servira de rentrée à M"« Sanderson et de début à M. Delmas, un jeune
ténor qui vient de la Monnaie de Bruxelles. M. Taskin sous l'uniforme
de Lescaut, M. l<'ugère dans le rôle du comte des Grieux et M"=s Elven,
Falize et Leclerc, ainsi qu'un Bréligny qui n'est point encore, croyons-
nous, désigné, formeront un ensemble digne de l'œuvre de M. J. Massenet.
A ce même théâtre, M"<' Horvitz répète le rôle de Mignon.
— Parmi les ouvrages que M. Carvalho a entendus récemment, citons
un drame lyrique en deux actes de M. Henri Maréchal, intitulé Ping-Sin.
Le livret de cette œuvre lyrique, d'un puissant intérêt dramatique, a été
lire par M. Louis Gallet d'une nouvelle japonaise publiée par lui, il y a
quelques années, dans la Nouvelle Revue.
3.999.221 7o
2.902.036 31
1.911.196 16
2.396.417 20
1.9S-i..986 70
1.459.963 15
82S.039 1-2
610.281 11 '
914.094 50
1.153.462 50
783.099 »
1.000.300 50
9oi.737 »
912.880 30
1.414.039 SO
1.173.321 »
1.175.031 2o
1.403.138 »
795.338 50
.334.926 76
1.122.093 73
1.137.139 »
774.077 25
2.000.730 73
317.474 »
466.876 »
429.240 33
289.976 75
430.914 30
764.781 »
702.363 20
473.491 55
804.948 50
383.735 73
1.654.038 30
362.314 »
116.870 73
169.822 23
220.968 73
162.301 73
331.517 25
307.592 50
23 380.612 07
18 140.222 73
— M"= Berthe Haussmann, qui a obtenu aux derniers concours du
Conservatoire un second prix de tragédie, vient de signer un brillant en-
gagement avec M. Rochard, le nouveau directeur de la Porte-Saint-Martin.
La jeune comédienne est la sœur de M"" Virginie Haussmann, une chan-
teuse de beaucoup de talent, premier prix aussi du Conservatoire, qui a
obtenu de très grands succès en Italie et que les Parisiens n'ont malheu-
reusement pas eu le temps d'apprécier â sa juste valeur lors de son pas-
sage à l'éphémère Théâtre-Lyrique de l'Eden.
— Notre collaborateur Albert Soubies vient de faire paraître à la librai-
rie des Bibliophiles le tome XVII de son Abnanach des spectacles. Rédigé avec
grand soin, très élégamment imprimé et orné d'une jolie eau-forte de
M. Lalauze, qui nous donne un portrait charmant de la regrettée Céline
Montaland, ce nouveau volume n'aura pas moins de succès que ses aînés.
Nous y relevons ce curieux tableau comparatif des recettes des théâtres de
Paris, pendant l'année de l'Exposition et la suivante :
1889 1890
Comédie-Française.
Opéra-Comique. .
Odéon
Gymnase
Vaudeville ....
Palais-Royal . . .
Variétés
Porte-Saint-Martin
Ambigu-Comique .
Gaîté
Ghâtelet
Renaissance . . .
Menus-Plaisirs . .
Bouffes-Parisiens .
Folies-Dramatiques
Nouveautés. . . .
EdenThéàtre. . .
Château-d'Eau . .
Déjazet
Cluny
Soit, une différence de 3 millions 440,389 fr. 34 c. au détriment de
l'année 1890. Toutefois, on remarquera que sept théâtres n'ont pas été fa-
vorisés par l'Exposition, et que leurs recettes ont été moins fortes en 1889
qu'en 1890 ; ces sept théâtres sont le Vaudeville, la Porte-Saint-Martin, la
Gaîte, la' Renaissance, les Bouffes-Parisiens, le Château-d'Eau et Cluny.
En revanche, l'Opéra, qui en 1889 n'a manqué son quatrième million que
de quelques centaines de francs, a fait en cette année d'Exposition 1 mil-
lion 097,165 fr. 24 c. de plus qu'en 1890. Pour le Châtelet, la différence est
plus forte encore, puisqu'elle est de 1 million 226,653 fr. 30 c. Quant à la
Comédie-Française et à l'Opéra-Comique, ils ont fait l'un et l'autre tout
près de 500,000 francs de plus en 1889 qu'en 1890.
— Des concours, pour des places vacantes à l'orchestre des concerts
Colonne doivent avoir lieu prochainement. Les artistes qui désireraient
y prendre part peuvent, dès maintenant, se faire inscrire au siège de
l'administration, 12, rue Le Peletier, le matin, de 10 heures à midi.
— M""« Marie Sasse a repris ses leçons depuis mercredi 2 septembre ;
la première matinée pour l'audition de ses élèves aura lieu fin octobre,
dans ses salons de la rue Nouvelle.
— Le 5 septembre dernier a eu lieu, à l'église d'Etretat, une seconde
solennité artistique au profit de l'orphelinat de Saint-Martin-du-Bec. On
y a entendu un nouvel Ave Maria de Faure, d'une inspiration absolument
touchante et qui a produit très grand effet, chanté merveilleusement par
M"" Delaquerrière, accompagnée par le violoncelle de M. Samatti. Et dans
cettemèmechapelle, où quelques jours aup a-avant on écoutait religieusement
notre grand chanteur, les assistants ont été charmés par la jolie voix et la
méthode impeccable de son propre fils, M. Maurice Faure, un jeune
peintre d'avenir, qui adit, avec M"'" Delaquerrière, un Ave Verum deMéhul.
— D'Aulus, on nous écrit que M. Luigini et son orchestre viennent
d'exécuter, dans la chapelle, la belle page musicale écrite par M. Henri
Maréchal sur les Vivants et les Morts, de M. Philippe Gille, qui a produit un
très grand effet et une impression profonde sur un public très nombreux.
Le quatuor vocal était composé d'artistes de talent, parmi lesquels nous
relevons le nom de M™ Leavington.
— Concert classique des plus brillants, lundi dernier, au Casino de
Royan. Au programme, les Cinq pièces brèves de M. J. Guy Ropartz ; le
n" 3 (Page d'amour), a produit sur le public une profonde sensation, et
c'est justice que de constater ici le succès de l'œuvre en général. Nul
doute qu'une seconde audition en soit donnée. Chaleureuse ovation, dans
le même concert, au violoniste F. de Guarnieri, qui a joué en grand artiste.
Henri Heugel, directeur-gérant.
IMPRJMEKIE I
; BERGEBE, PARIS.
3155 — 57"'' AME — r 38.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Diinaiiclie 20 Septembre 1891.
(Les Bureaux, 2 bis, rue \/'ivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Mésestrel, 2 bis,
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et lAIusîque de
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30
rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Cr,, l*ans et Province. — l^our l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMi.IEE- TEXTE
1. Histoire de la seconde salle Favart (2f5' article), ALiii^ivr Soubies et Chaules
Malherbe. — IL Semaine théâtrale: première représentation de Lohengrin, à
rOpérj, Arthur Pougin; première représentation de Compère GiiUleii, aux
Menus-Plaisirs; reprise de CendrlUou, au Cbàtelet, Paul-Emile Chevalier. —
III. Histoire anecdolique du Conservatoire ("'■ article), André Mautlnet. —
IV. Nouvelles diverses et necroo,;^ie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
DÉFI !
■nouvelle mélodie de Joanni Perronnei, poésie de Amélie Perronnet. —
Suivra immédiatement : Papillon, nouvelle mélodie de Ed. Ch.avagnat,
poésie de M. Mon-.n'ier.
PIANO
Nous publierons dimanche procliain, pour nos abonnés à la musique
■de PIANO: Tricotets, de Broustet. — Suivra immédiatement : Parmi tr llujin
H la. rosée, de Paul Roognox.
HISTOIRE DE LÀ SECONDE SALLE FÂYART
^A.H>©rt SOUBtBS et Charles ]VIA.L,HEIÎ,BB
I
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE IV
AVANT LA GUE;;ltE
18GS-i870.
(Suite.)
' Venant après i)/a tante dort, Au Irauers du mur, les Charmeurs,
'ies Amours du Diable et les Dragons de Villars, le Café du Roi est
le sixième emprunt et Jaguarita, l'année suivante, sera le sep-
.tième fait avant '1870 par l'Opéra -Comique au répertoire
du Théâtre-Lyrique, dans lequel il devait, après la guerre,
puiser si largement et si fructueusement. Ce sont là autant
de «gains», pour employer une expression de M. Nisard dans
son Histoire de la littérature française, qui malheureusement se
trouvent compensés par des pertes. En celte seule année 1868
plusieurs œuvres, sans parler des récentes, bien entendu,
voient s'achever leur carrière : les Deux Chasseurs et la Laitière,
Rose et Colas, l'Epreuve villageoise, les Voitures versées, Marie, la
Part du Diable, le Chien du jardinier, le Docteur Miroholan, en tout
huit ouvrages, charmants pour la plupart et disparus peut-
être pour avoir été négligés trop longtemps. Car l'expérience
a démontré qu'il est plus diflicile de remettre des pié.,es au
répertoire que de les y laisser; on accepte ea effet, sans les
discuter, les œuvres qu'on a coutume de voir sur l'affiche; on
critique avec indépendance celles qu'on soumet de nouveau
à voire jugement; les yeux et les oreilles sont prévenus
d'avance, ainsi que l'esprit, et l'on est tenté de trouver
démodés ces pauvres revenants que souvent les nouveaux venus
ne valent pas.
Témoin ce Corricolo, qui commença de rouler le 28 novembre
et qui s'arrêta net au bout de douz-e représentations. Il sor-
tait de chez les bons faiseurs; Labiche et Delacour lui avait
prêté tous les ressorts de leur esprit; mais depuis le Voyage
en Chine, les produits portant cette marque de fabrique bais-
saient visiblement de qualité. C'était la course folle d'une
femme qui vient en Italie chercher son mari, tandis que de
son côté le mari lui envoyait un sien ami pour l'empêcher
de venir, et garder un champ plus libre à ses fredaines
amoureuses. L'ami s'éprend de la femme. et l'enlève en corri-
colo ; le mari les rejoint à Rergame (d'où le nom primitif de
la pièce) et le podestat de ce pays trouve un prétexte pour
jeter tout le monde en prison. Il y avait là môme une scène
très amusante, où ces prisonniers de hasard, appelés dans un
divertissement de la cour à figurer des captifs, jouaient leurs
rôles avec tant de naturel que le podestat, Sainte-Foy, s'y
laissait prendre et dans son enthousiasme ordonnait la mise
en liberté que naguère il refusait. M"'".^ Cabel et Heilbron,
MM. Barré, Prilleux et le débutant Laurent jouaient de leur
mieux; mais ces trois actes ressemblaient plus à un vaude-
ville du Palais-Royal qu'à un livret d'opéra-comique; la
musique semblait presque dépaysée au milieu de ces calem-
bredaines, et, biel^ que signée Poise, ne fut pas gravée.
Plus heureuse fut la destinée de Vert-Vert, d'Ofi'enbach,
qui, joué le 10 mars 1869, obtint S8 représentations; il y
avait là un progrès réel, puisque Rarkouf n'en n'avait eu
que 7 et Robinson 32. Les 10 représenlations de Fantasia de-
vaient interrompre après la guerre cette progression ascen-
dante, qui reprendra plus lard avec les cent représentations
des Contes d Hofmann ; seulement, le compositeur alors ne sera
plus. Pour ces trois actes, tires d'un vaudeville de Desforges
et de I.euven joué jadis avec succès par Déjazet en 1832,
i\Ieilhrtc et Ntiiiter touchèrent des droits et furent nommés;
Halévy cl Desforges en touchèrent aussi, mais ne le furent
point. Seul, Gresset ne toucha rien, quoiqu'il eût au moins
fourni le litre de la pièce; c'est d'ailleurs à peu près tout ce
qui subsistait de son poème. Yert-Yert était non plus un
perroquet, mais un jeune et naïf adolescent, devenu la co-
queluche des demoiselles dans un singulier pensionnat où
la sous-direclrice flirte avec le maître de danse, où les jeunes
filles ont des amoureux parmi les garnisaires d'une ville
voisine et finissent par se laisser enlever, aubaine dont pro-
298
LE MENESTREL
fite Vert-Vert qui, entre le premier et le troisième acte, a
trouvé moyen de se « déniaiser » près d'une cantatrice de
province à côté de laquelle le hasard des circonstances l'a
forcé de chanter un soir. La partition valait mieux que ses
ainées, parues sur le même théâtre; quelques jolis passages
en demi-teinte méritaient au moins l'attention. Et puis, Ca-
poul chantait à ravir; il avait bien fait le sacrifice de ses
moustaches, au grand désespoir des dames d'alors; mais il de-
meurait séduisant quand même, faisant bisser au premier
acte sa romance ; <s et l'oiseau reviendra dans sa cage » et au
deuxième acte son Alléluia; le quatuor final du premier acte
recueillait aussi des applaudissements mérités, et l'on rede-
manda sa romance à Gailhard, dont le talent et la voix se
développaient de jour en jour, car il avait, le S août précé-
dent, joué le Toréador avec une pleine réussite et devenait
peu à peu l'un des plus solides piliers de la maison. A côté
des deux Toulousains, citons M"' Gico, bientôt remplacée par
jjue Dorasse, enfin M'"*^ Moisset, Girard, Révilly, Tuai,
MM. Sainte-Foy, Potel, Leroy et Ponchard, qui jouait au na-
turel un rôle de ténor sans voix. Le grand succès de l'ouvrage
fut, au troisième acte, la leçon de danse, exécutée, chantée
et mimée par Couderc, le vieux Gouderc, toujours jeune, in-
gambe et spirituel comédien. Les critiques cependant ne man-
quèrent pas, et une reprise de Verl-Vert, le 16 mai 1870, où
Capoul était remplacé par M"« Girard, Mi"= Girard par M'"^' Bélia,
M"« Gico par M"'^ Fogliari, et Saint-Foy par Lignel, n'aboutit
qu'à trois représentations, donnant ainsi raison aux détrac-
teurs.
Des critiques se produisirent aussi lors de la remise
à la scène de Jaguariia , donnée le 10 mai, au bénéfice de
M™ Gabel, de sorte que le service de la presse n'eut lieu
qu'à la seconde représentation. L'ouvrage d'Halévy, qui, pri-
mitivement, s'appelait Jaguariia l'Indienne, datait du 15 mai
18§§. M™'' Gabel avait créé le rôle principal au Théâtre-
Lyrique et le recréait à l'Opéra-Gomique, quatorze ans plus
tard; Achard, Bataille, Barré et Prilleux tenaient les rôles de
Montjauze (Maurice), de Junca (Marna Jumbo), de Meillet
(Hector) et de Golson (Petermann). Comme l'écrivait spiri-
tuellement Elie de Lavallée : « Jaguariia est une Indienne qui
n'a rien de farouche. On ne s'explique pas très bien com-
ment les auteurs ont compris le caractère de cette reine de
sauvages qui trame sans cesse de sombres projets et qui en
réalité ne s'occupe guère que de faire les gammes les plus
étonnantes et les cadences les plus pures sur les notes éle-
vées. Jaguarita semble bien plutôt la reine des rossignols que
celle des Anacolas, et quand elle chante sur de gracieux
motifs « l'Oiseau moqueur » ou bien « Le soir, j'irai tremper
mon aile », ou bien « le Colibri », ou bien encore « Je te
fais roi y>, on a peine à se figurer qu'on a devant soi une
reine indienne commandant une Iribu révoltée contre les
Hollandais, qu'elle cherche à faire prisonniers, qu'elle veut
mettre à mort, et qu'à la rigueur elle mangerait, car elle doit
être anthropophage comme ses sujets. » Ce médiocre livret
de Saint-Georges et de Leuven, qui ressemble par certains
côtés à celui de V Africaine, fit tort à la partition d'Halévy, qui
contenait notamment un remarquable finale. Jaguarita dispa-
rut de l'aSîche après 18 représentations, sans que, quelque
vingt ans plus tard, les pénibles essais lyriques du Ghâteau-
d'Eau aient pu l'y maintenir à nouveau.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. — Première représentation de Lolungrin, opéra romantique en trois
actes et quatre tableaux, de Richard Wagner, traduction française de
M. Charles Nuitter. (16 septembre.)
C'était vers le milieu de l'année 1849. Toute l'Europe était sous
le coup de la fièvre révolutionnaire qui, quinze mois auparavant,
avait éclaté à Paris. Le i"' mai, les socialistes et les radicaux
saxons, impatients du joug monarchique, avaient pris les armes à
Dresde pour chasser leur roi, qui s'était en efïet enfui de sa capi-
tale, et Richard Wagner, qui avait le litre et remplissait les fonc-
tions de maître de chapelle de la cour, n'en avait pas moins été
l'un des premiers à prendre les armes contre sou souverain. L'ar-
senal pillé el incendié, l'armée régulière chassée par les insurgés,
l'Opéra royal, qui avait vu naître Rienzi, le Hollandais volant el
Tannhùuser, réduit en ceudres et hiùlé jusqu'à ses fondations, tout
semblait indiquer le succès complet du mouvement, lorsqu'au bout
de trente-six heures les troupes prussiennes se mirent de la partie.
Elles eurent bientôt rétabli le roi sur son trône et obligé les révo-
lutionnaires à fuir à leur tour, ceux du moins qui n'avaient été ni
tués ni faits prisonniers.
Richard Wagner était parmi ceux-là. Il put échapper à la répres-
sion et réussit à se réfugier à Weimar, auprès de Liszt, qui pen-
dant vingt ans devait lui donner tant de preuves do son ardente
affeclion, de son désintéressement et de son inépuisable bonté.
Mais la police saxonne n'était point disposée à laisser jouir en
Allemagne d'une douce quiétude ceux qui avaient si profondément
troublé le pays, et elle se mit à les traquer dans toute l'étendue
de la Confédération germanique. Obligé de s'enfuir de nouveau,
grâce à un passeport que Liszt sut lui procurer, Wagner s'en vint
d'abord à Paris, qu'il voyait pour la seconde fois, puis bientôt alla
se fixer à Zurich, oîi son exil devait durer plusieurs années et d'oii
commença, entre Liszt et lui. une correspondance dont l'activité ne
se ralentit pas pendant douze anuées. Celle correspondance, dont
on peut facilement imaginer le puissant intérêt, a été publiée
récemment en Allemagne (1). J'en vais extraire ici certaines parti-
cularités relatives à Lohengrin.
Lorsque Wagner s'était vu forcé de quitter Dresde précipitam-
ment, il avait pu cependant emporter son manuscrit de Loheng?nn,
qu'il avait achevé depuis peu et qui était terminé jusqu'en ses
moindres détails. Il avait laissé sa partition à Liszt, avec prière de
s'en occuper et d'employer tous ses efforts à obtenir la représenta-
tion de son œuvre. Plusieurs lettres s'échangèrent aussitôt entre
eux à ce sujet, lettres d'autant plus pressantes de la part de Wag-
ner que non seulement il désirait entretenir le public de sa per-
sonne, mais que sa situation matérielle à Zurich, dans les condi-
tions où il s'y trouvait, était loin, on le conçoit, d'être florissante.
« ... Je ne puis pourtant pas, écrit-il à son ami, laisser pourrir
ainsi mon Lohengrin; je me suis accoutumé à l'idée de le présenter
au monde d'abord dans une langue étrangère, et je reviens à ta
proposition de le traduire en anglais. Pourrais-tu écrire à Londres
pour remettre celte affaire entre bonnes mains?... »
Mais le moment n'était favorable alors ni pour Paris ni pour
Londres. Wagner se rabat donc sur l'Allemagne, bien que les diffi-
cultés, eu raison des circonstances qui lui étaient personnelles,
parussent grandes aussi de ce côté. De nouveau il s'adresse à Liszt,
dont le dévouement pour lui ne connaissait pas de bornes : a Je
viens de lire dans ma partition de Lohengrin, contrairement à toutes
mes habitudes. J'ai été pris d'un désir immense, ardent que cet
ouvrage soit représenté. Je t'adresse maintenant cette prière : fais
représenter mon Lohengrin, tu es le seul auquel je pourrais adresser
cette requête. Je ne confie la création de cet opéra à personne d'autre
qu'à toi. Mais à toi, je le remets avec une entière et joyeuse tran-
quillité. Représente-le oii tu voudras, ne fût-ce même qu'à Weimar 1
Que la vie de mon opéra soit ton œuvre. »
Liszt, dont la bonté n'avait pas besoin d'être aiguillonnée, Liszt,
ainsi mis en demeure, fit feu des quatre pieds pour réaliser le
désir de son ami et donner un corps à son projet. C'est à Weimar,
en effet, qu'il conçut l'idée de faire représenter Lohengrin, sous sa
propre direction, et en l'entourant de tous les soins possibles. Ses
démarches finirent par aboutir, et bientôt il écrivait à Wagner:
... Cette représentation sera un événement. Elle aura lieu le 28 août
(1850), anniversaire de la naissance de Gœthe, trois jours après l'inaugu-
ration du monument de Herder ; à cette occasion nous aurons ici un assez
grand concours de monde. Il va sans dire que uous ne retrancherons pas
une note, pas un iota de votre œuvre (2), et que nous la donnerons dans
son beau absolu, autant qu'il nous sera possible de le faire... Mais voici
à quoi je pense. Le succès de Lohengrin une fois bien établi, je proposerai
(1) Briefwechsel zwischen Wagner und Liszt, Leipzig, Breitkoff et Hartel, 1887,
2 volumes in-8°. Un excellent résumé de cette correspondance, dû à M. Wil-
liam Cart, a paru récemment, en français, dans quatre numéros de la Bibliothèque
universelle cl Meuve suisse, de Lausanne (janvier-avril 1890).
(2) Cette letlre est en français. Par une anomalie assez singulière, lorsque Liszt
écrivait à Wagner en français, il lui disait vous, tandis qu'en allemand il le
tutoyait.
LE MENESTREL
29-9
à Leurs Altesses de m'autoriser à vous écrire pour vous engager à termi-
ner aussi promptement que possible votre Siegfried, et de vous envoyer à
cet effet un honoraire convenable à l'avance, afin que vous puissiez tra-
vailler quelque six mois à l'achèvement de cette œuvre sans préoccupa-
tions matérielles. Ne parlez à personne de ce projet. Ecrivez à notre inten-
dant une lettre un peu longue et amicale; il est feu et flamme pour
Lohengrin et partage complètement ma sympathie et mon admiration pour
votre génie.
Bientôt les études commencent à Weimar, et Wagner, nerveux,
anxieux, impressionnable, témoigne d'une impatience qu'on ne peut
s'empêcher de trouver assez naturelle :
Écris-moi, dit-il à Liszt, écris-moi souvent quelques lignes sur la marche
des répétitions. Je prends sur moi autant que je puis, et je lâche d'être
fort vis-à-vis des autres ; mais, je te le dis à toi, je suis profondément triste
de ne pas pouvoir entendre mon œuvre sous ta direction. Toutefois, je
supporte bien des choses, et je supporterai aussi cela. Je me dis que je
suis mort... Quels hommes nous sommes ! Nous ne pouvons être heureux
qu'en dépensant notre être tout entier ; être heureux signifie pour nous
ne plus rien savoir de soi-même. Pourtant, écoute, si bête que cela
semble, ménage-toi autant que tu le peux.
Le jour de la représentation arrive enfin. Tandis qu'elle a lieu à
la date indiquée, "Wagner va faire une excursion au Rigi avec sa
femme, et à son retour à Zurich il trouve une lettre de Liszt qui
lui en rend compte: « ...Votre Lohengrin, lui dit son ami, est un
ouvrage sublime d'un bout à l'autre ; les larmes m'en sont venues
au cœur dans maint endroit. Tout l'opéra étant une seule et indivi-
sible merveille, je ne saurais m'arrêter à détailler tel passage, telle
combinaison, tel effet. Ainsi qu'il est arrivé à un pieux ecclésiastique
de souligner mot par mot toute l'Imitation de Jésus-Christ, il pourrait
bien advenir que je souligne note par note tont volie Lohengrin... »
Mais Liszt ne se contente pas de faire représenter Lohengrin sous
son admirable direction ; il veut encore en assurer, et surtout en
étendre le succès. Dans ce but, il écrit et publie à son sujet un ar-
ticle débordant d'enthousiasme, et le fait connaître à Wagner, en
lui disant : — « Mon article a été fait uniquement dans l'intention
de servir autant qu'il dépendait de moi la grande et belle cause de
l'art vis-à-vis du public français. Si vous étiez d'avis que j'y ai mal
réussi, je vous prie instamment de ne vous gêner en aucune ma-
nière pour me le dire très franchement. Pas plus en ceci qu'en
d'autres choses vous ne rencontrerez chez moi de sot amour-propre,
mais bien, très modestement, le sincère désir de conformer mes
paroles et mes actions à mes sentiments. »
Bst-il possible d'obliger plus noblement, et d'une façon plus
■exquise? Wagner, cet égoïste immense et incorrigible, en parait
touché lui-même, et répond à Liszt :
Tu me fais rougir! Je ne puis pas lire, sans rougir, ce que tu veux dire
de moi au monde! Ton article m'a rendu de l'ardeur et m'a relevé. Je
suis touché d'une émotion bienfaisante en voyant que j'ai réussi à faire
sur toi une telle impression que tu -veux bien consacrer une forte partie
de tes dons extraordinaires à frayer les voies à mes tendances artistiques.
Il me semble voir en nous deux hommes qui, partis des pôles opposés
pour pénétrer au cœur de l'art, s'y rencontrent et, dans la joie de leur
découverte, se tendent une main fraternelle. Ce n'est que dans ce sentiment
de joie que je puis accepter, sans confusion, tes admirations. Je me sens
maintenant plus que récompensé pour mes efforts, pour mes sacrifices.
Mon unique désir était d'être compris aussi entièrement; avoir été com-
pris, c'est la satisfaction de mon désir, c'est mon plus grand bonheur. »
Mais ces protestations n'avaient qu'un défaut, celui de manquer
de sincérité. Et pendant qu'il parlait ainsi ù Liszt, Wagner écrivait
à un autre de ses amis, Uhlig, qui faisait partie de l'admiDistration
du théâtre de Dresde : — « Je n'ai pas besoin de te dire qu'à pro-
prement parler, quand j'ai permis que Lohengrin fût représenté à
Weimar, je l'ai sacrifié... » Un ange, ce Wagner!
Pourtant, quelque chose jetait en lui une tristesse invincible.
•C'était le sentiment de l'impossibilité, cruelle assurément, où il se
trouvait d'entendre son œuvre, lui, exilé de sa patrie et n'y pouvant
rentrer. « Je serai bientôt le seul Allemand qui n'ait pas entendu
Lohengrin, écrivait-il à Liszt lorsque l'ouvrage commençait à se ré-
pandre par toute l'Allemagne. Mon désir de pouvoir jouir de mon
œuvre, qui ne m'a vainque les douleurs de l'enfantement, augmente
de la manière la plus pénible. Le triste sentiment d'être condamné
à rester sourd et aveugle vis-à-vis de mes créations s'empare tou-
jours davantage de moi et me remplit d'abattement. L'impossibilité
de voir et d'entendre une exécution de mes œuvres m'ôte l'envie de
créer quelque chose de nouveau, si bien que je n'y pense qu'avec
un sentiment d'indescriptible amertume. »
Mais bientôt, l'immense orgueilleux reparaît. On sait que Wagner
ne pouvait pas supporter l'idée de voir représenter ses œuvres dans
les mêmes conditions que les autres compositeurs. Le besoin d'ar-
gent l'avait pourtant obligé à les abandonner à tous les théâtres ;
mais c'était la rage au cœur, et il s'en expliquait ainsi à Liszt, avec
l'emportement qui lui était 'nabituel :
Ecoute-moi. Tannhauser et Lohengrin, je les ai jetés à tous les vents; je
ne veux plus en entendre parler. Quand je les ai livrés aux tripotages
des théâtres, je les ai répudiés. Je les ai maudits, je les ai condamnés à
aller mendier pour moi, et à ne me rapporter que de l'argent, seulement
de l'argent. Je ne les aurais pas même employés à cela, si je n'y avais
pas été forcé...
Et plus loin, se plaignant que cet argent qu'il en espérait n'était
tnême pas assez abondant :
...J'ai renoncé à ma fierté et j'ai appris à plier l'échiné sous le joug
des juifs et des philistins. Mais quelle honte! Après avoir prostitué ce
que je possède de plus noble, je ne reçois pas même le salaire convenu !
Je reste ce que j'étais, un mendiant. Il ne se passe plus d'année sans
que je me sois trouvé fermement décidé à mettre fin à ma vie...
Et plus loin encore, les plaintes s'accentuent de plus en plus :
En abandonnant Tannhauser et même Lohengrin aux théâtres, j'ai fait à
la réalité de nos misérables institutions artistiques des concessions si pro-
fondément humiliantes, que je ne puis pas tomber plus bas. Oh! comme
j'étais fier et libre, alors que je ne les avais donnés qu'à toi pour Weimar.
Maintenant, je suis esclave et entièrement impuissant. Une inconséquence
en amène une autre, et je ne puis étouffer cet affreux sentiment qu'en
devenant encore plus fier et encore plus méprisant. Je me dis que j'en ai
fini avec Tannhauser et Lohengrin : ils ne me regardent plus. Mes nouvelles
créations me sont d'autant plus sacrées; je les conserve religieusement
pour mcii et mes amis. Ce que je crée actuellement ne verra jamais le
jour, à moins que re ne soit dans des circonstances convenant absolu-
ment à mes nouvelles œuvres. C'est dans ce but que je veux réunir
toutes mes forces, toute ma fierté, toute ma résignation. Si je meurs sans
les avoir représentées, je te les léguerai. Si tu meurs sans avoir pu les
représenter dignement, tu les brûleras. Que ce soit une affaire entendue....
J'ai mieux aimé retracer, à l'aide de cette correspondance inté-
ressante, l'historique de la naissance et de l'expansion rapide de
Lohengrin, que de m'appesantir sur la nature et la portée musicale
de l'œuvre, si connue aujourd'hui. U y a longtemps qu'on en a dit
ce qu'il y avait à en dire, que la glose est ouverte sur elle, et
une analyse serrée de la partition me semblerait bien inutile à
l'heure présente. On ira l'enteadre, et le jugement personnel de
l'oreille remplacera enfin, pour ceux qui n'avaient pu la voir encore
à la scène, les apologies ou les critiques outrées que tel ou tel en
ont fait jusqu'à ce jour, d'après leur propre sentiment ou parfois
d'après une opinion absolument préconçue.
Écartant de parti pris tout récit relatif aux incidents... extrin-
sèques qu'a fait naître depuis le premier jour l'annonce de l'appa-
rition de Lohengrin à l'Opéra, Je me bornerai à rapporter, d'un com-
plet sang-froid, l'impression que j'ai reçue et celle que le public me
semble avoir reçue de la première représentation. Il ne faut pas ici
se payer de mots, relativement au triomphe et à l'enthousiasme
annoncés à grands coups de trompettes par quelques admirateurs
acharnés. Je ne crois, pour ma part, ni à l'un, ni à fautre. J'ai
même la persuasion que Lohengrin pourra s'acclimater à l'Opéra et
entrer comme il le doit dans le répertoire, mais à la condition, sine
qudnon, qu'on pratiquera dans cette partition fatigante et trop touffue
dans son ensemble les coupures absolument indispensables destinées
à l'éclairer, à l'alléger, et qui se font même en Allemagne. C'est,
à mon sens, une insigne maladresse que d'avoir voulu exécuter
cette œuvre dans son intégralité, et d'avoir obligé les spectateurs
(je parle ici des spectateurs sincères et sans parti pris) à bâiller
discrètement pendant un bon quart de la soirée. Tous les dithy-
rambes n'y feront rien, et je tiens pour certain que la suite des
représentations donnera complètement raison au sentiment que j'ex-
prime ici.
Il faut bien dire que, prise dans son ensemble, la partition de
Lohengrin est à la fois fort inégale et singulièrement éclectique,
pour ne pas dire composite. A côté de pages superbes comme celles
que contient le premier acte : le merveilleux prélude, le chœur
si curieux qui annonce l'arrivée du chevalier au cygne, le finale, dont
on ne saurait nier la grandeur et la puissance, il y en a, comme on
en rencontre trop au second acte, d'absolument insupportables par
leur longueur et leur peu d'intérêt ; dans le nombre il faut citer
Vinfmissable duo d'Ortrude et de Frédéric, celui des deux femmes,
qui n'est s^uère moins développé, et, pour vous remettre de ces deux
■■U)0
LE MEiNESlKEL
moiceaus vraiment cruels, le dialogue peu récréatif du héraut avec
le chœur. Il l'aut faire dans toul cela des coupes sombres ; c'est une
forêt impénétrable, dans laquelle le public, un public français sur-
tout, ne parviendra jamais h s'engager. Les coupures, d'ailleurs, sont
indiquées sur les parties d'orchestre re»nni rf'.lWe?H(?j(îc,- pourquoi ne
pas s'y référer?
Il est à remarquer que les pages qui ont produit le plus d'effet
sont celles qui se rapprochent le plus de nos coutumes musicales
et des formes consacrées. Ainsi le prélude, qui est vraiment un
chef-d'œuvre, ainsi la romance d'Eisa au balcon, et la plupart des
chœurs, et le grand finale du premier acte, si bien construit à l'ita-
lienne qu'on en dirait la première partie écrite par Donizclti cl la
seconde par Rossini, sans oublier le crescendo de l'auteur du Barbie?-
et la cadence t'aditiounello.
Ce qui paraît bieu long encore, c'est tout le lécit de Lohengrin
à Eisa au premier acte, et, quoi qu'on en puisse dire, le récit du
Graal au troisième. Et ce qui paraît enfantin, roeoco et vide de
sens, c'est cotle pièce qui n'a ni queue ni lôte, ni' action, ni mou-
vement, ni intrigue, c'est cetle féerie qu'on dirait conçue pour le
théâtre de feu Séraphin et dans laquelle l'intéiêt brille par son
absence la plus complète. G est même un prodige, et c'est là ce qui
prouve la haute valeur musicale de Waguer, qu'il ait pu soutenir
l'attention de l'auditeur à l'aide d'une partition écrite sur un pareil
sujet.
L'exécution actuelle à l'Opéra ne vaut pas, à mon sens, comme
détails et comme ensemble, colle que M. Lamoureux nous avait
offerte il y a quatre ans à l'Éden. L'orchestre est superbe, absolu-
ment superbe, et l'on ne saurait rien imaginer de mieux ; mais les
chœurs, au moins eu ce qui concerne les femmes, sont loin, fort
loin d'être toujours excellents ; au troisième acte particulièremeut,
les oreilles les moins exigeantes eussent eu de la peine à se tenir
pour satisfaites. Puis, il faut bien le dire, la plupart des mouvements
sont trop lents, et il en résulte, dans l'allure générale de l'œuvre,
une lourdeur, une épaisseur extrêmement l'àcheuses. On pourra me
parler, à ce sujet, des traditions de Bayreuth ; cela me laissera
absolument froid. Nous ne sommes pas à Bayreuth ici, nous sommes
à Paris; nous chantons en français, sur une scène française, devant
un public français, et les conditions d'exécution se modifient forcé-
ment. C'est affaire de iact, d'intelligence et de vrai sentiment artis-
tique.
Celte lourdeur que je signale dans l'exécution générale, je la
reprocherai aussi un peu à M. Van Dyck, qui a toujours sa bePe
voix, éclatante et sonore, mais qui traîne les sons et la mesure
peut-être plus qu'il ne faudrait; malgré son beau talent et son
autorité, n'enlève-t-il pas ainsi à la musique de £o/(e)i(/r/» une partie
de son caractère mâle et héro'ique? M. Van Dyck — ceci n'est pas
sa faute — est d'ailleurs costumé de la façon la plus élrange.
La nature tendre et poétique de M""' Caron convient merveilleu-
sement au personnage d'Eisa, qu'elle joue et chante avec le talent
qu'on lui connaît. Il est fâcheux que, pour cette musique, sa voix
manque un peu de puissance et d'ampleur. M"" Fierens, qui est
fort belle sous le costume d'Ortrude, y a trouve des accents pleins
de chaleur et de véhémence ; il faut seulement qu'elle s'attache à
articuler les paroles d'une façon plus nette. M. Renaud mérite des
éloges pour la manière dont il a compris et chanté le rôle de Fré-
déric, et M. Delmas est parfait dans celui du roi. Quant au héraut,
dont la tâche, si difficile, est si importante, — je crois qu'il vaut
mieux n'en point parler.
Et maintenant, messieurs les wagnériens vont-ils. jjour quelque
temps, nous laisser un peu de tranquillité?
Arthuh Polgin.
Menus-Plaisirs. Compère G uiUeri, opéra-comique en trois actes, de MM. Bu-
rani et Jean Cavalier, musique de M. Henry Perry. — Chatelet. Ceniril-
lon, féerie en cinq actes et trente tableaux, de MM. Glairville, Monnler
et E. Blum.
Il était un p'tit homme
Pas plus gros qu'un' souris,
Garrabi.
C'est parce refrain enfantin et populaire que s'ouvre la partition,
assez fournie en numéros, que les Menus-Plaisirs nous ont conviés
à entendre vendredi dernier. Il s'agit donc, sans qu'on puisse en
douter une seconde, de la légende de ce seigneur breton, ayant
pactisé avec le diable, qui avait la faculté de se métamorphoser en
berger, moine ou capitaine, pour pressurer plus librement les vas-
saux de son petit domaine. Compère Guilleri est mort depuis
longtemps lorsque se lève le rideau ; mais il a laissé un fils, berger
de son état, ignorant son illustre naissance, et dont deux aventu-
riers se servent pour faire croire aux paysans que le p'Iit homme
est ressuscité. MM. Burani et Jean Cavalier ont, là-dessus, bâti
trois actes qui, très certainement, n'ajouteront pas grand'chose à
leur gloire d'auteurs dramatiques. M. Henry Perry, chargé de la
partie musicale, pas plus que ses collaborateurs, n'a su trouver
le filon heureux qui devait le conduire au succès; malgré une
romance sentimentale bissée au second acte et assez bien chantée
par M. Dastrez, un lénorino agréable, sa partition reste incolore
et fade. Il est juste de dire qu'il s'est trouvé assez mal défendu
par une interprétation fort défectueuse surtout du côté féminin ;
M"'^ S. de Lys et Arnij' ont pu séduire les yeux, mais je crois que
là s'arrêtent leurs facultés artistiques. Deux comiques qui savent
leur métier, MM. Perrin et Gaillard, ont vaillamment et inutile-
ment lutté. Vite, monsieur de Lagoanère, vous avez une revanche à.
prendre, car, comme dit la chanson, Compère Guilleri me fait dia-
blement l'effet de s'être laissé mourir.
Les vacances n'élant point encore finies, le Chàlelet en a profité"
pour faire une reprise de la légendaire Cendrillon. M""" Simon-Giraid-
toul à fait charmante en Cendrillon, M"'° Mary-Alberl, que les Pari-
siens n'ont que de trop rares occasions d'applaudir, M. Simon-Max,
un amusant Riquiqui, M. Gardel, un Hurluberlu très rond, et
M. Scipion, un la Pinchonnière trè.s long, seront très certainement
un des attraits des représentations. La mise en scène, comme tou-
jours chez M. Fioury, est variée et luxueuse. Petits enfants, qui
avez été bien sages au bord de la mer et que les premières fraî-
cheurs de septembre forcent à rentrer à Paris, demandez bien vite-
à vos mamans de vous mènera Cendrillon; c'est surtout pour vous-
que se donne le spectacle.
Paul-Emile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
CONSERVATOIRE DE
lUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
(Suite)
CHAPITRE V
LA HESTALRATION (181S-I830)
« Vous devez, monsieur, quitter sans délai l'appartement que vous-
occupez, et vous regarder dès ce nioinent comme n'ayant plus la
direction du Conservatoire. « — Transmise à la rue Bergère, le
Îi8 décembre 1814, cette révocation peu déguisée inaugurait les
rapports officiels de Sarretle avec la Restauration.
Les Cent jours ne devaient pas apaiser l'hostilité de Louis XVIIL.
et, le 17 novembre 181S, un nouveau décret arrachait le directeur à
l'école qu'il avait gouvernée durant vingt-six ans.
Les mots « Conservatoire de Musique », gravés à l'entrée de la rue
Bergère, fout place à l'inscription ((Intendance des Menus-Plaisirs
du Roi. » Faubourg Poissonnière, des lettres d'or indiquent au
passant la porte des «Magasins des Menus-Plaisirs».
Pour rendre la transformation plus coiuplète, on annonce que
l'École sera probablement transportée au petit hôtel Labriffe, rue
de Bourbon, faubourg Saint-Germain.
Désormais les journaux ne s'occupent plus de la maison, jadis-
sujet de tant de cop'e. Une ligne pour citer quelque projet de réor-
ganisation, pour discuter un budget. Et quand, le 1""' avril, l'Ecole
royale de chant et de déclamation ressuscite avec une allocation de
80,000 francs, bientôt réduite, la nouvelle cause peu d'émotion.
Perne, nommé administrateur et inspecteur général, n'était pas
un inconnu pour les musiciens. Choriste, puis contrebassiste à.
l'Opéra, professeur adjoint au Conservatoire impérial, auteur d'une
messe de Sainte-Cécile, il était renommé pour son savoir, une éru-
dition telle qu'il avait eu cette étrange fantaisie de transcrire Iphi—
génie en Tauride avec la notation grecque.
Nommés aux classes de composition : Cherubini et Méhul ; fugue
et contrepoint: Eler; harmonie: Dourlen ; accompagnement pra-
tique : Daussoigne. — Au chaut: Garât, Blangini, Martin et Gui-
chard ; Halévy, professeur adjoint de solfège.
Piano: Pradher, Louis Adam, Zimmermanu et M"" Michu. Violon :
Kreutzer et Baillot, ayant pour survivanciers Kreutzer jeune et Ha-
beneck. — Titulaires de la déclamation : Saint-Pris. Fleury, Baptiste
aîné, Miehelot.
LE MENESTREL
301
L'École, où le pfnHonnat est aboli, dépend de Papillon de la
Ferlé, intendaLt de l'argenterie, Menus Plaisirs et affaires de la
chambre da Roi.
L'Hôtel de la rue Bergère, la grande salle des exercices serviront
souvent à des exhibitions variées. — Le 3 juin, la l'aniille royale y
visite la corbeille de noces de la duchesse do Berry et passe deux
heures «dans ce lieu enchanté! » — Au mois d'août, pour inau-
gurer le busle de Louis XVIII, grande soleunité, pièce allégorique
de Dé^augiers, ornée de force couplets dont la prosodie sonne étran-
gement soiis les lambris du Gouservat.iite. Témoio celte strophe,
chantée sur l'air du « Parnasse des Dames » :
Sous quelque forme qu'il paraisse.
Dans tout pays on trouvera
Qu' l'esprit, la bonté, la sagesse
Sont la monnaie de ce Louis-là.
Ballet par les élèves de rAcadéiiiie, bouquets offerts aux dames
et nombreux rafraîchissements.
Une simple mention pour l'orchestre des élèves dans la distribu-
tion dei prix de l'Institut.
Même disetle l'année suivante.
Appelé pour une fête de charité. Munito triomp' e, rue Bergère.
Le célèbre caniche joue aux dominos, distingue les couleurs,
additionne et multiplie : son succès surpasse celui des arti-tes du
ïnéàtre-italicn .
Le 19 mai, un concours est ouvert pour les admissions à l'École
primaire de chant fondée par Choron et regardée comme classe de
l'Ecole royale. « Dix élèves, de 7 à IS ans, y seront élevés, éduqués.
logés et nourris aux frais du Roi. Les parents, en présentant leurs
enfants, souscriront un acte d'apprentissage. »
Exercices musicaux des jeunes aveugles, Société des Enfants
d'Apollon, points d'orgue de M"'° Cata'ani et autres annonces de
concerts emplissent les journaux; mais nous ne retrouvons le Con-
servatoire qu'à l'Institut, ovi il exécute une symphonie du comte
Lacépède, amateur, puis, le 21 octobre, à Saint-'^incent-de-Pau!,
où il est représenté aux obsèques de Méhul. — Extrait de l'oraison
funèbre prononcée ce jour-là, par Bouilly, de l'Académie française,
s'adressant aux jeunes compositeurs : « Quand il déposait sur vos
fronts modestes les lauriers du premier triomphe, oh! retracez-nous
bien l'ivresse qui se peignait sur tous ses traits, les pleurs déli-
cieux qui s'échappaient de ses yeux pleins de flammes. »
Silence complet autour des élèves, durant les sept premiers mo's
de 1818. Vers la fin d'août seulement, au rélablisseni nt de la
statue d'Henri IV, ils paraissent sur le Pont-Neuf, et, dirigés par
Berton, jouent des airs nationaux « et autres morceaux analogues à
la fête. 0
Le 8 septembre, exercice rue Bergère : son résultat est fort mé-
diocre. Salle piesque vide; au programme, deux actes de la Vestale,
fragments d'Orphée, de Diclon, du Rossignol, choisis parmi les plus
difficiles, faiblement interprétés par M"" KalfTer et Dupont. L'or-
chestre joue trop vite et ou attribue cet allegro ininterrompu au
feu de la jeunesse. Le .'uccès de la séance va à la harpe de M. Pru-
mi(r.
Depuis trois ans, les concours étaient supprimés; novembre voit
leur résurrection; mais les prix ne sont distribués que le 14 jan-
vier 1819, sous la présidence de M. de Pradel, directeur général
de la maison du Roi. Un discours retrace l'histoire de l'École à sa
création, glisse rapidement sur l'intérim de l'Empire et chante les
nombreuses faveurs accordées à la musique par Louis XVIII.
Les variations composées et exécutées par le jeune Herz obtien-
nent tous les suffrages.
Les marques de la sympathie royale n'abondent pas durant l'an-
née. Un exercice, le 4 avril, puis le calme le plus complet. — •
Annonce de la prochaine construction du Gymnase Dramatique, qui
s'attachera les élèves de l'Ecole et deviendra une pépinière pour le
Théâtre-Français et les scènes lyriques. Le prix de Rome décerné
à Halévy, le Barbier de Rossini alternant avec celui de Paisiello, la
visite de Choron et de Plantade à l'École de musique de Lille, dont
le budget a été porté a 4,000 francs, tels sont les principaux évé-
nements de 1819, couronnés le i décembre par la distribution des
prix. Toute fière du succès de Tilmani, qu'elle pensionnait à Paris,
la ville de Valenciennes lui fait remettre une médaille.
1820. On désire vivement que le fils de Mozart, qui étonne l'Alle-
magne par ses compositions, vienne à Paris, où les concerts vont
être nombreux. Mais l'assassinat du duc de Berry éteint tous les
bruits de fête.
Relâche de neuf jours dans les théâtres. La Comédie-Française
et Feydeau reçoivent -30,000 francs d'jndemnité, l'Odéon, 20,000, les
autres scènes 13,000. Étant à la charge de la liste civile, l'Opéra
et les Italiens n'ont pas part aux largesses.
Egaré certain soir d'août dans les jardins de Tivoli, un journaliste
y aperçoit Choron escorté de ses vingt élèves, et le désigne aux
promeneurs. Entouré, supplié, le maîlre consent à organiser un con-
cert dans lequel « ses intéressants virtuoses » font merveille.
Des troubles éclatent en province : des explosions jettent la terreur
dans les Tuileries; au milieu du calme le plus profond, l'École
poursuit sa monotone existence.
L'Hôtel de Ville fête, le 2 mai 1821, le baptême du duc de Bor-
deaux ; l'Opéra et l'Opéra-Coraique font seuls les frais de l'intermède
musical. Si les exercices reprennent, nul ne songe à s'en inquiéter
et. aux concours, force est d'avouer que jamais les éludes n'ont
été plus faibles. On ne trouve à citer que le jeune Alkan, lauréat
de solfège, à peine âgé de huit ans. Les classes de chant ont été
désespérantes. Quant à la fugue, elle inspire celte réflexion à un
critique: « Pourquoi former des compositeurs dans un pays où la
CD mposilion ne mène à rien ».
La note gaie de l'année nous est fournie par le Journal des Deux-
Sèvres. Eu novembre, parait une annonce dont se sont inspirés, par
la suite, les dentistes en villégiature ; « Choroa va passer à Niort
le 21. Ceux qui ont de la voix peuvent se faire inscrire à la mairie.
Qualités requises : extérieur agréable, très belle voix, grandes dis-
positions, intelligence, goût, âme, sagesse, docilité, principes moraux
el religieux. »
Musique partout, sauf au Conservatoire, eu 1822. Chez les aveugles,
dans les lycées, au cercle des Arts, les séances sont innombrables;
le Gymnase lui-même donne des concerts spirituels, « dans lesquels
reparaîtra une artiste aimée, après une absence justifiée par le titre
d'épouse ». Les comédiens anglais sont hués à l'Ambigu par une
salle qui ne peut supporter ce langage barbare.
La retraite de Perne, remplacé par Cherubini, rappelle l'attention
sur l'Ecole royale. Le nouveau directeur veut rétablir le pensionnat,
en ayant soin que les élèves des deux sexes n'aient de communi-
cation qu'à l'heure des. cours, et ne voient les externes que dans
les classes. Des inspections journalières rétabliront la discipline.
Le jeune Alkan, qui a commencé le piano il y a dix mois seule-
ment, est jugé digne d'un accessit.
Voyant que le Conservatoire suit une route nouvelle, les redresseurs
d'abus s'attaquent aux théâtres. — « L'Académie royale de musique
ne tombe plus; elle s'écroule. . . On ne devrait pas pousser l'impru-
dence jusqu'à admettie les étrangers aux représentations aciuelles ;
il est des choses qu'il faut faire en famille. » On propose de graver
au fronton de l'Opéra : « C'est le paradis des yeux et l'enfer des
oreilles. »
(A suivre.) André Martiket.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (17 septembre) : — Après trois
premières soirées, très satisfaisantes pour le public et fort heureuses pour
les débutants que la Monnaie nous a présentés, nous en avons eu une
quatrième, beaucoup moins favorable. Elle servait de début à iM™^ Smilh-
Bauvelt,' une Américaine n'ayant jamais paru sur la scène et, qui pis est,
ne sachant pas un seul mot de français. Et quand je vous aurai dit que
c'est Mireille, œuvre de diction et de charme, que la nouvelle venue
nous a chantée, avec cet accent particulier aux jeunes misses qui voyagent
sur le continent, vous aurez une idée de l'étrangeté de cette représentation.
Pour comble d'ennui. M™ Smith n'a pas suffisamment racheté ce défaut
par d'autres qualités. On aurait pardonné tout à une Melba, — et le public
bruxellois pardonna, en effet, bien volontiers son accent à la diva quand
elle parut pour la première fois devant lui, il y a trois ans; — il n'y avait
vraiment pas lieu, cette fois, d'être aussi clément. Dans cette même soi-
rée, on, a entendu le nouveau ténor d'opéra-comique, M. Leprestre, qui
succède à M. Delrnas. On a apprécié et applaudi sa jolie voix et son habi-
leté à la conduire; mais de quel provincialisme cela est déparé! quelle
302
LE MENESTREL
afl'ectation et quel maniérisme dans le jeu et dans le chant ! M. Leprestre
devra se déshabituer bien vite de ces gros défauts s'il veut arriver à
plaire. Le reste de cette représentation de Mireille, — qui a bien fait pen-
ser à M"° Sanderson et l'a fait beaucoup regretter, — a marché convena-
blement; M. Badiali, particulièrement, a retrouvé son grand et mérité
succès de l'an dernier dans le rôle d'Ourrias, rendu fort important, comme
vous savez, par la restitution du tableau du Val d'Enfer. — Lundi enfin,
très bonne reprise de Faust, avec M""= de Nuovina, et M. Seguin, dont la
rentrée, fixée primitivement dans Siegfried, avait été avancée. M. Seguin
est toujours l'artiste de grande allure qu'il était lorsqu'il nous a quittés;
c'est un des meilleurs Méphistophélès que nous ayons eus; il donne au
rôle un très beau caractère et une expression saisissante. M"" Savine a
fait un charmant Siebel, et M. Sentein un Valentin assez pénible. —
La reprise de Lakmé, qui servira de début à M"= Darcelle, est retardée
par suite des représentations que vient nous donner, la semaine prochaine,
;Mme Melba. L'aubaine est précieuse, et le public bruxellois se fait une
fête de revoir l'artiste aimée qu'il a été le premier à acclamer.
Il restera encore à entendre, après cela, deux ou trois autres nouveaux
venus, notamment M^'" Dexter dans Aida ou dans Siegfried, et M"= de Be-
ridès dans Carmen. On ne parle pas encore de nouveautés ; on n'annonce
que des reprises, Jérusalem, les Huguenots, la Juive, que sais-je? Et le Rêve,
qu'on nous promettait comme très prochain, n'est pas même en répé-
titions. L. S.
— On lit dans l'Indépendance belge : « M. Guillaume Lekeu, de Verviers,
nous écrit qu'il a refusé le deuxième second prix de Rome qui lui a été
décerné par le jury du concours de composition musicale. Nous ne nous
expliquons pas bien ce refus. Le proverbe dit que tout condamné a vingt-
quatre heures pour maudire ses juges. Oui, mais un lauréat? Et un lauréat
qui, volontairement, a couru la chance du jugement? Car enfin personne
n'est obligé de concourir pour le prix de Rome. Si M. Lekeu n'avait rien
obtenu, dirait-il qu'il se refuse à rentrer bredouille à Verviers? Et à quoi
cette déclaration l'avancerait-elle ? 11 obtient le deuxième second prix, c'est-
à-dire la troisième nomination, c'est déjà quelque chose, et il aura beau
repoussé ce présent d'Artaxerce, le troisième rang lui est acquis, il y est
rivé pour deux ans (le concours de Rome n'a lieu en Belgique que tous les
deux ans) sauf à prendre au prochain concours la revanche que nous lui
souhaitons de grand cœur. Peut-être a-t-il voulu seulement proclamer que,
d'après lui, son Andromède méritait mieux. Mais à quoi bon? Ces choses-
là sont prévues. Il y a cent à parier contre un que le second grand prix
se juge digne du premier, et que le premier lui-même ne félicite pas le
jury de lui avoir fait attendre deux ans la récompense décisive qu'il em-
porte aujourd'hui. Mais quand on est aussi convaincu de sa supériorité,
fût-ce légitimement, on ne concourt pas. »
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Le théâtre KroU vient
de produire comme nouveauté Esmeralda, l'opéra du compositeur anglais
A. Goring Thomas. L'œuvre et son principal interprète, M. Gœtze, ont
été chaleureusement accueillis. L'ancien Kœnigstadt-théàtre, devenu l'an
dernier théâtre de drame populaire, vient de rouvrir ses portes sous le
nouveau titre d'Alexanderplatz-théâtre et la direction du chef d'orchestre
et compositeur viennois Gothow-Grûnecke. Celui-ci a écrit lui-même la
musique de la pièce d'ouverture, intitulée les Frères noirs. — Cologne : Dé-
rogeant à la tradition, le théâtre Municipal n'a pas inauguré sa nouvelle
saison avec un opéra du répertoire classique allemand ou un ouvrage de
Wagner; c'est avec le Trouvère que s'est effectuée la réouverture; le len-
demain a eu lieu la première représentation de Cavalteria rmticana, qui
servait de débuts à quatre nouveaux pensionnaires du chant. Le charme
qui est répandu dans la partition de M. Mascagni a agi très puissamment
sur le public. — Hambourg : Le théâtre Municipal, remis à neuf et em-
belli, a rouvert ses portes avec Fidelio. — Stettin : Le chef d'orchestre
Cari Krafft-Lortzing, petit-fils du célèbre compositeur dont il porte le
nom, vient de terminer la musique d'un opéra-comique romantique inti-
tulé les Trois Empreintes, qui sera représenté au Théâtre-Municipal sous la
direction de l'auteur. — Stuttgard : A la suite d'une triomphale série
de représentations données au théâtre de la cour par M"s Jenny Broch,
dans le Barbier, la Fille du régiment et Lucie, la charmante artiste a été
engagée par la direction dudit théâtre comme première chanteuse légère,
en remplacement de M}^' Dietrich, partie pour l'Opéra royal de Berlin.
— Les parodies de la Cavalleria rusticana de M. Mascagni pleuvent en ce
moment eu Allemagne. On en signale deux nouvelles. Au théâtre An der
Wien, de Vienne, Krawalleria mxisikaiia, opérette, musique de M. Raoul
Mader, et au théâtre Wallner, de Berlin, Cavalleria berolina, opérette, pa-
roles de M. Maximilien Kraemer, musique de M. Zoppler, qui a gardé
l'anonyme.
— Un luthier de Berlin, M. Karl Feravezy, a été chargé récemment de
restaurer un violon de Stradivarius daté de 1713, que son propriétaire,
M. Sinshaimer, avait acheté peu de temps auparavant, à Munich, pour la
modique somme de 12,300 marks, soit 13,625 francs !
— On lit dans la correspondance viennoise du Figaro : Le centenaire
de Meyerbeer a été solennellement célébré par notre Grand-Opéra. On a
donné le Propliéte, mais un Prophète soigneusement revu et corrigé, dont
on avait rétabli les coupures, pour lequel on avait fait brosser de nou-
veaux décors, et surtout qu'on avait minutieusement répété, comme s'il
s'agissait d'une partition entièrement nouvelle. Les opéras de Meyerbeer,
depuis si longtemps les piliers de tout répertoire dramatique, sont au-
jourd'hui représentés avec une grande noncbalance. Il en est ainsi un
peu partout. « Ce ne sont plus que des caricatures », m'a dit un jour
M. Jahn, directeur de l'Opéra de Vienne, qui, depuis fort longtemps, a
l'intention de refaire une virginité à ces partitions maltraitées par la
routine. Il a commencé par le Prophète. Les Huguenots suivront, et peu à
peu on verra reparaître, dans sa fraîcheur première, tout l'œuvre de
Meyerbeer. Ce sera comme une résurrection. Le Prophète a été joué pour
la première fois à Vienne en 1830. Le compositeur conduisait alors l'or-
chestre en personne. Les vieux mélomanes parlent encore, les larmes
aux yeux, de cette représentation modèle. Les artistes qui y ont concouru
sont tous morts. Le dernier survivant, le vieux Draxler, une basse-taille
magnifique, mourut le 5 de ce mois, le jour même du jubilé. C'est déci-
dément un monde qui s'éteint. Dans le public même il n'y a plus per-
sonne qui se souvienne du premier séjour que Meyerbeer fit à Vienne.
Il y est venu pour la première fois eu 1814 — comme pianiste. Ses dé-
buts comme compositeur étaient fort malheureux. Un premier opéra ne
fut joué qu'une fois, un second n'obtint qu'un succès d'estime. C'est à
peine si on se rappelle encore les titres de ses œuvres de jeunesse. Ce-
pendant, en 18i6, Meyerbeer revint en triomphateur dans la cité impé-
riale. C'était maintenant l'auteur de Robert le Diable et des Huguenots, qui
conquit jusqu'aux suffrages de la police viennoise, alors la plus ombra-
geuse et la plus bête des polices européennes. La taxe sur les juifs exis-
tait encore à ce moment. Pour pouvoir séjourner à Vienne, un juif
autrichien avait à payer 3 florins, un juif étranger le double. Meyerbeer
se présenta à la police pour déposer ses six florins. C'était déjà l'illustre
maître acclamé de tout l'univers artistique. Il voulut, néanmoins, se
conformer à la loi. Mais, pour cette fois, la police viennoise eut de l'esprit
et refusa d'accepter la taxe. Le président de la police avait reçu l'ordre
de traiter Meyerbeer en gentilhomme.
— Mendelssohn en état d'arrestation. Dans son volume des Souvenirs,
le critique allemand Auguste Lesimple rappelle le fait suivant : a En 1845,
Mendelssohn quitta l'Allemagne pour se rendre à Manchester, où il devait
diriger des concerts. Arrivé à Herbesthal, il fut accosté par un gendarme
qui lui demanda s'il était le docteur Mendelssohn, — « Je le suis, en
elïet, fut la réponse. » — « Dans ce cas, il faut me suivre, dit le représen-
tant de la loi. » — « Il doit y avoir erreur, fit le compositeur tout trem-
blant; il n'est pas possible que cela puisse me concerner! » — « Il n'y a
pas d'erreur, répliqua imperturbablement le gendarme, j'ai un mandat
d'arrêt très formel. » Toute résistance étant inutile, bon gré mal gré il
fallut retourner à Aix-la-Chapelle avec ce désagréable compagnon. On
fit venir le chef de gare, et tout finit par être éclairci. Le docteur Men-
delssohn que la police recherchait était un escroc mêlé à des tripotages
berlinois et n'avait de commun avec l'auteur i'Elie que le nom qu'il-
portait. »
— Cette réponse d'un coiff'eur à Joseph Joachim, le roi du violon, fait
en ce moment le tour de la presse allemande : « Vous devriez me laisser
couper vos cheveux un peu plus court, monsieur, sans cela on va vous
prendre pour un violoniste ! »
— ]Vjme Trebelli, le contralto autrefois si célèbre, a dû abandonner d'une
façon définitive la carrière artistique, la paralysie dont elle est atteinte
depuis quelque temps ayant envahi maintenant tout un côté du corps. Sa
dernière apparition en public à Copen'uague a été un spectacle vraiment
pénible; il lui a fallu près de cinq minutes pour traverser la scène, sou-
tenue par deux personnes, et sa voix a perdu le charme magique des
anciens jours. M™ Trebelli, qui est à présent âgée de cinquante-cinq ans,
s'est retirée dans son château de Pyrmont.
— On vient seulement de choisir, à Copenhague, l'artiste appelé à suc-
céder au célèbre compositeur Niels Gade comme directeur de la Société
musicale. C'est M. Emile Hartmann, l'un des artistes les plus justement
renommés du Danemark, l'auteur de plusieurs ouvrages représentés au
théâtre royal de Copenhague : Elverpigen, grand opéra, les Corsaires, opéra-
comique, Fjcldstuen, ballet, laNixe, scène lyrique, ainsi que d'une sympho-
nie, d'une ouverture et de plusieurs autres compositions importantes.
M. Emile Hartmann avait pour compétiteur un ancien membre de la cha-
pelle royale, le violoncelliste Franz Neruda.
— C'est un opéra français, Faust, qui a été choisi à Christiania pour la
représentation de gala donnée au Théâtre-Royal en l'honneur du prince
de Naples. L'artiste qui jouait le rôle de Marguerite, M"« Oselio, a été,
paraît-il, comblée d'ovations.
— Les théâtres impériaux de Pétersbourg ont rouvert leurs portes le
30 août (12 septembre), la Scène dramatique russe par le Revisor de Gogol,
rOpéra-Russe par la Vie pour le Tsar de Glinka. A Moscou, la troupe dra-
matique du Petit-Théâtre a déjà inauguré ses spectacles par cette même
pièce, et l'Opéra a commencé aussi, le 30, par la Vie pour le Tsar. A la
même date a eu lieu l'inauguration du Grand-Théâtre de Varsovie, recons-
truit à neuf. On a joué le Mefislofele de Boito. Les nouveautés de la saison
seront la Reine de Saba de Goldmark et la Cavalleria rusticana de Mascagni.
L'Opéra-Russe de Kiew, qui rouvre également, sera dirigé, cette année
encore, par M, Prianischnikow.
— Rubinstein vient de passer quelques jours dans le midi de la Russie.
Dernièrement il a donné un concert à Tiflis. Le programme était composé
LE MENESTREL
303
de la sonate op. Ml de Beethoven, des Faniaisieslûclœ et du Carnaval de
Schumann, et d'un choix de morceaux de Chopin, de Liszt et de Rubins-
tein lui-même; dans le nombre, la transcription du Roi des Autnes et la
Valse-Caprice. Tous les billets étaient vendus d'avance, et la foule se pres-
sait non seulement sur la scène et dans l'orchestre, mais aussi dans tous
les couloirs du théâtre. L'énorme recette du concert a été oflerte par l'il-
lustre virtuose à l'école musicale de Tiflis. Rubinstein est parti pour Ber-
lin, où il va surveiller les répétitions de son opéra les Macchabées.
— Il faut convenir qu'à Milan on peut se donner, sans risquer de se
ruiner, le plaisir du spectacle. Voici les prix d'abonnement de quatre théâ-
tres, tels que les publie un journal de cette ville. Au théâtre Manzoni,
8 francs pour quinze représentations, soit 53 centimes par soirée ; au théâtre
Philodramatique, 8 francs pour vingt représentations, ou 40 centimes pour
chacune d'elles; à la Commenda, 4 francs pour dix-huit représentations,
ce qui les met à 22 centimes l'une ; enfin au théâtre Pezzana, trois francs
four vingt-cinq représentations, c'est-à-dire vingt centimes par soirée ! A ces
prix-là, voilà des théâtres qui auront de la peine à faire des « affaires d'or ».
— Nous avons annoncé déjà que M. Sonzogno, le grand éditeur italien,
allait prendre la direction de la Pergola, la grande scène musicale de
Florence, où il se propose, entre autres, de donner Hamlet d'Ambroise
Thomas, Manon de Massenet et le nouvel opéra de M. Mascagni, CAmico
Fritz. Les journaux italiens nous apprennent aujourd'hui que M. Sonzogno
devient aussi directeur du Pagliano, le second théâtre lyrique de la capi-
tale de la Toscane, et qu'il prépare déjà très activement la grande saison
d'opéra qu'il compte donner à ce dernier pendant la saison d'automne.
— D'autre part, T/tafe nous fait connaître que le sort des deux grandes
scènes lyriques de Rome vient enfin d'être fixé. « M. Monaldi, dit ce jour-
nal, le critique musical du Popolo romano, a signé hier le contrat avec la
municipalité pour l'exploitation du théâtre Argentina. Il avait déjà depuis
quelques mois conclu un contrat de louage du théâtre Costanzi à partir
du 1.5 décembre prochain, jour d'échéance du loyer de M. Sonzogno. Notre
collègue sera donc maître des deux grands théâtres lyriques de la capitale.
En prenant cette direction il assume une grande responsabilité. Nous ne
connaissons pas encore ses idées, mais il est certain qu'il a accepté
presque les yeux fermés le contrat formulé par la municipalité pour l'Ar-
gentina, pour se garantir de toute concurrence. Imprésario et maître
absolu pour une longue période du Costanzi et de l'Argentina, il a la cer-
titude que tous ceux qui voudront entendre à Rome de la bonne musique
au théâtre devront lui payer leur impôt. Mais ce monopole à Rome ne
suffit pas pour assurer le succès d'une entreprise. Si le spectacle est bon
la recette est sûre, mais si le spectacle ne plaît pas on se passe facilement
du grand théâtre. La dilficulté de donner, sans subvention, de bons spec-
tacles est telle qu'elle mettra à de dures épreuves le talent de M. Monaldi.
Comme imprésario il a fait ses preuves avec succès à Pérouse et à Orvieto.
Nous lui souhaitons la même fortune à Rome. Lui, tout comme M. Canori,
sort du journal qui connaît le mieux les conditions réelles de Rome. Le
Popolo romano, transformé en une pépinière d'impresarî de théâtre, donne
à ses collaborateurs le sens pratique. Espérons que M. Monaldi en aura
fait une large provision pour sa nouvelle carrière. »
— Une saison lyrique se prépare sur un autre théâtre de Naples, le
théâtre Sannazzaro, sons la direction de M. Alfred Prestreau. On cite déjà
parmi les artistes engagés M^^^ Garagnani et Jossa, les ténors Lomhardi
et De Salvin et le chef d'orchestre Lombardi. Le répertoire comprendra
le Don Juan de Mozart, Philémon et Baucis et Mireille de M. Gounod, et
deux opéras de Donizetti. L'ouverture est fixée au l^'' octobre.
— Les Italiens continuent de manifester leur enthousiasme d'une façon
expressive — et excessive. — A Lucques, pendant la représentation d'un
opéra du jeune compositeur Puccini, Edgar, le public a rappelé quarante-
deux fois l'auteur et a fait bisser sept morceaux de sa partition.
— Mascagni est aimé des dieux, et sa Cavalleria rusticana a tous les
bonheurs. Les accidents même lui sont favorables, et donnent à la réclame
une forme nouvelle que l'ingéniosité la plus grande serait inhabile à
obtenir. Témoin le fait qui vient de se produire à Macerata, dont les ha-
bitants ont assisté ces jours derniers à un spectacle vraiment exceptionnel:
celui d'un opéra chanté par un ténor porté sur la scène et chantant son
rôle mollement assis dans un fauteuil, tandis que ses partenaires évoluent
autour de lui. Un congrès de médecins se tient en ce moment à Macerata
et, pour honorer les membres de ce congrès, on avait annoncé une repré-
sentation de Cavalleria rusticana. Mais voici que la veille du grand jour, le
ténor, M. Russitano, se foule le pied. Que faire? Manquer une si belle
soirée? Jamais! On a mis le ténor dans un fauteuil et on l'a porté sur la
scène. De ce fauteuil, Turiddu-Russitano a chanté son rôle donnant la
réplique aux autres artistes. Rien de plus grotesque ne s'est jamais vu
au théâtre. Les congressistes qui avaient soigné l'infortuné ténor ont été
les premiers à l'applaudir, mais il paraît que beaucoup ont eu de la peine
à tenir leur sérieux.
— A propos de M. Mascagni, on lit dans un autre journal italien :
« Nous savons que MM. Targioni-Tozzetti et Menasci, les auteurs du
livret de Cavalleria rusticana, ont déjà terminé un paquet de 17 — nous
disons dix-sept — livrets pour M. Mascagni. » Voilà des librettistes qui
n'y vont pas de plume morte!
On sait quel est le succès, à Londres, des grands spectacles de danse
et de curiosités. On en peut trouver une preuve éclatante dans la pros-
périté du fameux Albambra, dont les actionnaires se sont réunis ces jours
derniers en assemblée générale pour entendre le compte rendu de la si-
tuation pour le premier semestre de 1891. Des chiffres et des documents
communiqués à l'assemblée par le secrétaire de l'administration, il résulte
que, pour cette période d'exploitation, le nombre des spectateurs s'est
élevé à 276,000, et que les recettes ont atteint le chiffre de 33,000 livres
sterling, soit 825,000 francs, tandis que les dépenses n'ont pas dépassé •
27,000 livres, c'est-à-dire 675,500 francs, d'où un bénéfice de 6,000 livres
ou 150,000 francs. L'assemblée a décidé qu'une somme de huit pour cent
serait affectée à chaque action comme dividende, pour le premier semestre
de 1891, ce qui, joint aux huit pour cent déjà payés pour le second se-
mestre de 1890, donne un honni de seize pour cent, net de toute taxe.
L'opération n'est pas- mauvaise sans doute, et l'on gagne peut-être plus
à montrer des jambes de danseuses ou des minstrels au noir de fumée, qu'à
faire de bonne musique ou de bonne littérature.
— Un joueur d'orgue de Barbarie, lisons-nous dans le Musical News,
comparaissait dernièrement devant le tribunal correctionnel de Londres,
pour refus d'obéissance aux injonctions de partir que lui avait adressées
un locataire antiméloraane. — « Pourquoi ne vous êtes-vous pas éloigné?
lui demande le magistrat. » — « Je ne comprends qu'à peine l'anglais, »
répond l'inculpé, qui est italien. — « Pourtant, vous avez du comprendre
les signes que vous faisait le plaignant ; il est même descendu dans la rue
et, avec de grands gestes, vous a intimé l'ordre de partir. » — « Excusez-
moi, mon président, ce sont précisément les grands gestes qui m'ont
trompé ; j'ai cru que ce monsieur voulait danser ! »
— Les Américains aiment à faire grand. Une nouvelle preuve en est dans
l'orchestre de quatre cents pianos qu'ils viennent d'imaginer et qui sera —
c'est Y Express- Agence qui parle — l'une des grandes attractions de la future
Exposition universelle de Chicago. Des concerts monstres (oh ! oui) seront
donnés en effet, par un seul pianiste, qui fera résonner simultanément
quatre cents pianos à queue. Ces instruments seront disposés et superposés
en pyramide, et un appareil électrique en permettra facilement le manie-
ment à l'artiste assis au bas de la formidable colonne instrumentale. On
frissonne rien que d'y penser. Ernest, qui l'eût dit? Reyer, qui l'eût cru?
M. Frank Singer, directeur du Broadway-Théâtre, le plus important
de New-York, a signé, dit-on, à Londres, un contrat important avec
deux de ses confrères de cette ville, les directeurs de la Gaité et du Lyric-
Théâtre, pour la formation d'un Office théâtral international. Le but de
cette nouvelle association serait d'assurer un système de relations inter-
nationales pour faciliter le succès des représentations musicales et dra-
matiques, et de mettre en relations entre eux acteurs, auteurs, etc., des
divers pays. Les principaux offices seraient à New-York, Londres et
Paris.
PARIS ET DEPARTEBENTS
Quelques journaux — et cela avec un luxe et une précision de détails
qui démontrent la fertilité d'imagination de leurs reporters — ayant cru
devoir mettre sur le dos des éditeurs de musique parisiens la responsa-
bilité des événements qui se passent en ce moment autour de Lohengrin,
les éditeurs ripostent par la protestation suivante :
Devant la persistance des attaques dont ils sont l'objet dans plusieurs journaux,
les éditeurs de musique Irançais déclarent de la manière la plus formelle qu'ils
sont absolument étrangers aux manoeuvres dont on les accuse pour mettre
obstacle aux représentations de Lohengrin.
Ils regrettent qu'on les mette dans l'obligation do se défendre contre de telles
^°^' ' Alphonse Leduc, Heugel et C", Léon Grus,
Lemoine et fils, RicHAULT et G", A. Le Beau,
Choudens fils, P. Maquet et G°.
Tout le syndicat y est, moins son honorable président, M. Auguste
Durand ; mais comme celui-ci est lui-même l'éditeur de Lohengrin pour la
France, il est probable qu'on le tiendra à l'abri de tout soupçon. Nous
vivons à une bien jolie époque.
— Le Figaro publiait cette semaine une lettre de Richard Wagner, que
l'auteur de Lohengrin adressait, au commencement de 1870, à Champfleury,
avec lequel il était lié depuis longtemps et qui était, on le sait, un de
ses plus fervents admirateurs. Cette lettre, relative au projet qu'avait
Champfleury de fonder un journal intitulé Vimaqerie nouvelle, est curieuse
en ce sens qu'elle est un hommage rendu au goût artistique de la France,
et qu'elle exprime un véritable sentiment d'admiration pour l'un de nos
plus grands maîtres, pour Méhul, dont Wagner se dit en quelque sorte
le disciple indirect. En voici le texte :
Mon cher ami,
Ges lignes vous seront remises par un de mes bons amis, M. Schuré, dont
vous avez peul-èlre lu l'étude sur mes écrits (dans la Revue des Deux Moiides), et
que je vous recommande cbaleureusenient comme un des meilleurs.
J'applaudis de tout mon cœur à la fondation du journal dont le programme
me paraît un point de départ vers la réahsation d'une de mes espérances favo-
rites : la fusion de l'esprit français et de l'esprit germanique.
Vous savez que j'ai toujours eu l'idée de l'érection à Paris d'un théâtre inter-
national, où seraient données, dans leurs langues, les grandes œuvres des diverses
nations. Seule la France, et Paris en particulier, saurait réaliser en un faisceau
w\
LE MÉNESTREL
Jei produclious hétérogiines en apparence, dont U connaissance exacte est,
selon moi, indispensable an développement inlellecluel et moral d'un peuple.
Parmi les œuvres françaises qui devraient être données sur cette scène excep-
tionnelle, très indépendante des intérêts du jour, celles de Méhul tiendraient
une première place, et je vous félicite d'avoir songé à ce grand artiste, que je
comp'e au nombre de mes i>récepteurs, et dont la vie et les compositions sont
beaucoup trop peu connues encore en France.
C'est en souhaitant tout le succès possible à votre louable entreprise, que je
TOUS série la main très affectueusement.
A vous cordialement, mon cher Champfleury,
Richard Wagner.
Lucerne, 16 mars 1870.
— Aujourd'hui dimanche, 211 septembre, l'Opéra donnera Siyurd en re-
présentation à prix réduits.
— Cette semaine ont commencé, à l'Opéra-Comique, les répétitions de
Manon, dont la reprise aura lieu dans la première quinzaine d'octobre.
Toici la distribution de l'œuvre de M. Massenet : nous croyons devoir
rappeler en même temps les noms des artistes qui créèrent Manon, place
Favart, le 17 janvier 18S4:
1891
Des Grieux
Lescaut
Comte des Grieux
Do Mortfontaine
De Brétigny
Manon
Poussette
.Javotte
Rosette
MM.
M"
Delmas.
Taskin.
Fugère.
Giivot.
Challet.
Sanderson.
Falize.
Leclerc.
Elven.
MM. Talazao.
Taskin.
Cobalet.
Grivot.
CoUin.
■ Heilbron.
Moté
Chevalier.
Rémy
On voit que MM. Taskin et Grivot restent seuls des interprètes de la
création. M. Challet, qui débutera dans le rôle de Brétigny, est un ancien
artiste de la Monnaie.
— La question de l'Eden-Théàtre est aujourd'hui tranchée ou à peu
près. Par suite de conventions adoptées à l'unanimité par les actionnaires
et les obligataires, réunis dans des conditions déterminées, l'Eden est tout
entier désormais dans les mains de MM. Bertrand et Gantin, qui vont
immédiatement procéder aux diflérentes transformations dont nous avons
parlé, et dont la principale est la reconstruction de la salle sur de nou-
veaux plans. Bien des compétitions s'agitent autour de cette entreprise.
Il n'est pas probable que MM. Bertrand et Gantin entreprennent de la
diriger eux-mêmes. Il est plutôt certain qu'ils choisiront un directeur
responsable.
— Deux lettres publiées dans le Courrier des théâtres du Figaro:
Mon cher M. Boyer,
Je lis dans le Figaro d'hier que M. Salvayre vient de remettre au directeur de
rOpéra-Comique la partition de Myrto, ouvrage tiré de la comtidie de Shakespeare,
Beaucoup de bruit pour rien. Ur, il y a plus de trois ans que j'ai commencé avec
Elouard Blau un opéra — aujourd'hui terminé — sur le même sujet et portant le
titre même de la pièce de Shakespeare.
Cet ouvrage m'avait été demandé par M. Paravey eu janvier 18S8 : le Figaro et
toute la presse l'ont annoncé, aucune réclamation de priorité ne s'est produite
alors. J'étais donc le premier. Depuis ce temps, et à plusieurs reprise?, le Figaro
et d'autres journaux ont reparlé de mon opéra Beaucoup de bruit pour rien ; M. Sal-
vayre n'a pu l'ignorer et a gardé le silence. C'est donc que, résolument, il se
décidait à travailler sur un sujet choisi par un camarade, comptant sans doute,
pour arriver bon premier, sur la notoriété qu'il doit à son talent et à ses succès
au théâtre.
Ceci soit dit pour qu'il ne me soit pas un jour reproché ce que je lui reproche
aujourd'hui.
Si vous insérez ce mot, vous me ferez le plus grand plaisir, et je vous prie de
recevoir, mon cher monsieur Boyer, avec mes remerciements aaticipés, l'assu-
rance de mes meilleurs sentiment--.
Paul PUGET.
Réponse de M. Salvayre :
Mon cher Boyer,
Shakespeare appartient à tout le monde ! J'étais en possession du livret de
Myrto, que M. Louis Gallet a tiré, pour moi, de la comédie Beaucoup de bruit pour
rien, bien avant que le musicien qui réclame n'ait fait annoncer son intention de
traiter ce sujet... Mon collaborateur, M. Louis GdUet, et M. Paul de Choudeus,
mon éditeur, pourraient, au besoin, en témoigner.
Du reste, au moment oii j'écris, j'ai déjà reçu deux lettres d'autres compositeurs,
m'informant qu'ils viennent de terminer des partitions tirées de la charmante
fantaisie shakespearienne.
Nous voilà donc quatre aujourd'hui!... Et dire que le champ reste encore
ouvert à tous les autres... et que c'est leur droit absolu.
A qui le tour ?
Cordialement à toi,
J. S.vi.vayk:-:.
En présence d'autant de partitions écrites sur le même sujet, il y aurait
un moyen aussi simple qu'équitable pour M. Garvalho de sortir d'embar-
ras, ce serait d'instituer un jury de musiciens qui aurait à statuer sur la
v-aleur réelle de chacune de ces œuvres et de décerner la pomme à qui la
mériterait. Il n'est pas douteux que le talent éprouvé de l'auteur d'Egmont
et de la Dame de Monsoreau ne sortit vainqueur d'un pareil tournoi. Nous
devons dire pourtant que nous connaissons la partition de M. Paul Pu^et et
que nous la tenons pour très remarquable et tout à fait digne du succès.
— Le vaste établissement de la rue Blanche, à qui la fortune a toujours
été si contraire et sous le nom de Skating et sous celui de Casino de
Paris, va, parait-il, réouvrir ses portes dès le mois prochain. Après avoir
vainement essayé d'installer, dans le grand hall, un patinage sur la glace
naturelle, on s'est décidé à conserver l'immeuble à peu près tel qu'il est,
quelques modifications d'aménagement occupent en ce moment les
ouvriers, avec ses deux salles de spectacle et ses deux orchestres dis-
tincts, qui seront très vraisemblablement confiés, l'un, celui du théâtre,
à M. Gannc, l'autre, celui du hall, à M. Doussaint. On compte inaugurer
le petit théâtre avec un ballet nouveau en deux actes, de M. André Mes-
sager.
— On nous écrit de Biarritz : Enormément de monde au G'= concert
classique de musique ancienne et moderne, sous la direction de M. Stock.
Le clou du concert a été le grand duo pour violon et contrebasse de Bot-
tesini. Le contrebassiste Franchi, le seul élève façonné par Bottesini, a
obtenu le plus grand succès. Le public a été étonné et charmé par
M. Franchi, qui possède l'art de faire chanter son ingrat instrument.
— Les concerts du Casino de Royan, sous l'habile direction de M. Jehin,
chef d'orchestre, ont été pendant cette saison particulièrement remarquables.
Concerts classiques, concerts de musique de chambre, concerts de musique
moderne, se sont succédé sans interruption et se prolongeront jusqu'à la
fin du mois. Bach, LuUi, Mozart, Beethoven n'ont pas été moins applaudis
que Wagner, Tohaîkowsky et Johann Strauss. M. Jehin a fait une part
aux jeunes auteurs, et nous avons entendu avec le plus grand plaisir
l'œuvre si originale de M. Daniel Van Goens : L'ongarezza. pour grand or-
chestre, ainsi que deux pièces du même artiste pour instrument à cordes.
Aria et Gavotte. M. Van Goens est un jeune violoncelliste dont les compo-
sitions ont été très remarquées au concert d; musique hollandaise donné
à Paris à l'époque de l'E.xposition. H. B.
— A Bagnères-de-Bigorre, très belle fête de charité au profit des pau-
vres. MM. Devriès et Sentenac ont dit le Crucifix, de Faure, avec l'auto-
rité d'artistes que comporte cette pièce émouvante. La Rê'jerie, l'flymne à
sainte Cécile, pour violon, de Ch. Dancla, exécutés par l'auteur, ont aussi
vivement impressionné l'auditoire nombreux qui se pressait dans l'église
paroissiale de Saint-Vincent.
— M"e Edouard Colonne reprendra ses cours et leçons de chant chez elle,
12, rue Le Peletier, à partir du l" octobre.
NÉCROLOGIE
Un artiste allemand qui s'était fait en Angleterre une situation assez
importante, Ferdinand Praeger, violoniste, compositeur et écrivain sur la
musique, est mort récemment à Londres. Né à Leipzig en 181S, il avait
été élève de Spohr, de Moschelès et d'Aloys Schmidt. Il n'avait pas vingt
ans lorsqu'on 1834 il se rendit en Angleterre, où bientôt il se fixa d'une
façon définitive. Ses compositions, morceaux symphoniques, sonates,
concertos de piano ou de violon, figurèrent assez fréquemment sur les
programmes des concerts au temps où Mendelssohn, Berlioz et, plus tard,
Wagner y passèrent. C'est ainsi que Praeger se trouva naturellement en
rapport avec ces maîtres et établit avec eux d'intimes relations. Ses
œuvres sont pourtant aujourd'hui bien oubliées, si on en excepte un
Praeger-Album qui rencontre encore quelques amateurs. Comme écrivain
spécial, Praeger laisse un assez grand nombre d'écrits d'histoire et d'es-
thé.ique musicales, enire autres une Histoire de la musique, une étude sur
la fusion dus deux écoles classique et romantique, d'autres études sur la
forme et le slijie, et enfin une notice sur Richard Wagner qui porte ce
titre : Wagner tel que je t'ai connu.
— A Naples vient de mourir, à l'âge de soixante-seize ans, un professeur
au Conservatoire de cette ville, Domenico Gatti, qui était en même temps
directeur d'une bande musicale. Il était auteur de divers ouvrages d'ensei-
gnement, entre autres d'une MéllurJe d'instrumental ion pour bande, c'est-à-dire
pour musique d'harmonie.
— D'Anvers on annonce la mort d'un artiste bien connu et fort estimé
en cette ville, Jean Van den Dries, flûtiste, compositeur et critique mu-
sical. Attaché pendant plusieurs années au théâtre royal d'Anvers en qua-
lité de flûtiste, il se fit ensuite connaître comme compositeur. On lui
doit sous ce rapport une cantate pour soli et chœurs, exécutée à Deurne ;
une grande scène pour chœurs, orchestre et orgue ; un chant patriotique
inlilulé llominageà S. M. Léopold II, exécuté au théâtre d'Anvers le 22 avril
l.si;ri:i't enfin plusieurs motets avec orchestre, diverses autres compositioss
relii-'it'uses, des mélodies vocales, et quelques morceaux pour piano,
pour llûte et pour cornet à pistons. Devenu directeur-gérant du journal
l'Escaut, l'une des principales feuilles politiques d'Anvers, il y publia,
pendant longues années, un feuilleton musical et théâtral remarqué et
connu pour sa profonde honnêteté.
Henbi Heugel, directeur-gérant.
— Nous recommandons aux llûtistes deux intéressantes compositions
avec piano de Fa.n-xçois BoiixE : .Ulegrezza, grande valse (4 francs) et
Mazurka di concert (3 francs), éditées par Clôt, à f^yon.
3156 — 57"" AWiÉE — N° 39.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 27 Septembre 1891.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
ENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonné ment.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, ;20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Ctiant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMIIKE- TEXTE
. Histoire de la seconde salle Favart (27" article), Albert Soobies et Charles
Malherde. — II. Semaine théâtrale: Premières représentations de l'IIerbager, à
rOdéon, des Marionnettes de l'Amiée, à la Renaissance, du Mitron^ aux Folies-
Dramatiques, et de H5, rue Pifjalle, au Palais-Royal, Paul-Émile Chevalier. —
III. Histoire anecdotique du Conservatoire (8" article), André Martlnet. —
ÎV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
TRICOTETS
•de Ed. Broustet. — Suivra immédiatement : Parmi le thym et la rosée, de
Paul Roijonox.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Papillon, nouvelle mélodie de Ed. Ghavagnat, poésie de
M. MoNNiER. — Suivra immédiatement : Au rossignol, nouvelle mélodie
•de Robert Fischhof, traduction française de Pierre Barbier.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAYART
^Itoor-t SOUBIES et Charles ]m:ALHER,BE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE IV
AVANT LA GUERRE
1868-1870.
(Siiile.)
Rappelons en passant l'honorable accueil fait, le 2 juin, à
ta Fontaine de Berny, un agréable lever de rideau dont Albéric
Second avait écrit le livret. Le sujet traité par lui offre quelque
analogie avec l'histoire que Gustave Droz nous a contée depuis
dans son roman Autour d'une source. Le célèbre docteur
Tronchin, s'étant laissé choir dans une fontaine, reconnaît
par un cadeau sui cjeneris le service du paysan qui l'en a tiré;
il attribue à ces eaux une vertu curative et y attire sa clien-
tèle, qui devra s'arrêter chez son sauveur, lequel fournira
contre écus sonnants les gobelets nécessaires. Le compositeur
de cette petite partition, M. Adolphe Nibelle, est un musicien
qui ne manque pas de mérite ; mais il est aussi de ceux qui
gardent éternellement des ouvrages en portefeuille, alors que
plusieurs d'entre eux ne demandent qu'à en sortir. Sa con-
solation, si c'en est une, est de pratiquer en fin gourmet
l'art culinaire ; il démontre ainsi par expérience qu'il est plus
facile et plus agréable de servir de petits plats à des invités
qui les agréent, que de gros ouvrages à des directeurs qui
les dédaignent.
Théophile Semet aura du moins été plus heureux; nom-
breuses sont celles de ses œuvres qui ont vu le feu de
la rampe : les Nuits d'Espagne, la Demoiselle d'honneur, Gil Bios,
rOndine, enfin la Petite Fadette, donnée le 11 septembre 1869.
L'histoire de ce dernier ouvrage est assez singulière, si l'on
songe qu'une pièce de ce nom, et tirée elle-même du célèbre
roman de George Sand, avait été jouée aux Variétés, ea
1850 ; ses auteurs s'appelaient Anicet Bourgeois et Charles
Lafont et dans cette églogue dialoguée ils avaient intercalé
quelques mélodies dont la composition était échue à un jeune
musicien fort inconnu alors, M. Th. Semet. Cette paysannerie
réussit et fut l'objet de plusieurs reprises. Ce succès donna
sans doute l'idée de transformer le vaudeville en opéra-comique.
Lorsqu'on 1868, on annonça cette Petite Fadette avec musique
de Semet, M. Martinet, directeur des Fantaisies-Parisiennes,
protesta par lettre, disant qu'elle appartenait à son théâtre
depuis, six mois. On passa outre, et, lors des représentations,
on reconnut que George Sand avait repris son bien et re-
travaillé d'après son propre roman ces trois actes et cinq
tableaux ; seulement elle s'était adjoint Michel Carré, lequel
ne fut pas nommé. Quant à Semet, it avait récrit son œuvre,
et rien ne restait plus de la partitionnette qui avait marqué
ses premiers pas dans la carrière dramatique. Les applaudis-
sements ne manquèrent pas le premier soir, car on bissa
même la ronde campagnarde de M'"' Bélia (bientôt remplacée
par M""* Moisset dans le rôle de Madeleine), l'ariette de
M"'= Réviliy (la mère Fadet), les couplets de Potel (Gadet-
Caillaux), et la charmante romance de Barré (Landry). De
plus, M""^ Galli-Marié s'y montrait une protagoniste remarquable
malgré le malaise ou l'émotion qui, ce môme premier soir,
la fit s'évanouir pendant un entr'acte ; mais la critique regar-
dait au delà de l'interprétation; elle découvrit des points de
ressemblance avec les Dragons de Villars et autres œuvres
connues; elle observa ainsi que l'illustre romancier avait
été souvent obligé de passer à côté de son œuvre même, pour
ne pas paraître le plagiaire de ses imitateurs ; elle trouva la
pièce trop longue pour un sujet assez monotone in se; enfin
elle remarqua, non sans raison, que le groupement des voix
choisies nuisait à l'effet de la partition, puisque le soprano
(M"'^ Guillot-Sylvinet), n'ayant qu'une partie secondaire, on
n'entendait d'un bout à l'autre que deux mezzo, un baryton,
une basse et un trial pour tout ténor.
Dans son feuilleton du Journal des Débats, M. Ernest Reyer
a raconté jadis, avec son esprit habituel, certaine aventure
dont Th. Semet fut le héros malheureux. On jouait Robert le
Diable à l'Opéra, et l'auteur de la Petite Fadette, qui remplaçait
no(î
LE MÉNESTREL
au pupitre des timbalns le chef d'emploi, M. Emmery, vint à
manquer une des rentrées. Meyerbeer se trouvait dans la
salle; fort étonné, il dépécha son compagnon de loge pour
jouer le rôle de juge instructeur, et voici ce que M. Ernest
Reyer lui rapporta ; « Quelquesjours auparavant, M. Semet,
placé perpendiculairement au-dessous des loges d'avant-scène
avait reçu sur la tète un étui de lorgnette, et, pendant la
représentation de lîobert, au moment où les quatre timbales
de l'orchestre doivent exécuter seules le thème du tournoi,
cet accident lui étant revenu en mémoire, un instant de vague
appréhension avait suffi pour lui faire oublier sa rentrée :
« Il m'a semblé, me dit-il, que cette fois j'allais recevoir sur
la tête la lorgnette avec l'étui ! »
Ce timbalier ainsi « échaudé » n'eut pas l'heur de revoir
sa. Petite Fadetle à la salle Favart; elle a élé reprise dernière-
ment, il est vrai, mais au Ghâteau-d'Eau, refuge suprême des
oubliés et des dédaignés I Les vingt-cinq représentations
de cet ouvrage à l'Opéra-Comique ne constituent, en somme,
qu'un succès d'estime. C'est du reste le sort de la plupart
des pièces données pendant cette période; toutes avaient des
qualités réelles, plus ou moins nombreuses, et l'on n'enregistre
_guère parmi elles un véritable « four ». Toutefois, pour Auber,
un simple succès d'estime ne pouvait tenir lieu de victoire.
Les vingt-neuf représentations de son Rêve d'amour marquent
donc d'un caillou noir la flu de sa glorieuse carrière. Il y
avait encore quelques pages aimables, puisque tout d'abord
on bissa la strette du duo de M"» Priola (Henriette) et de
Capoul (Marcel), les couplets de U^'"- Girard (ilarion), la chanson
militaire dans le finale du deuxième acte, et, dans le troisième
acte, le trio entre Capoul, M"<= Girard et Sainte-Foy qui, au
bout de cinq représentations céda son rôle d'Andoche à Potel
et partit pour la Russie, où l'appelait un engagement.
MM. d'Ennery et Cormon avaient d'ailleurs donné au compo-
siteur un livret très inférieur à celui du Premier Jour de bonheur.
Quoi de plus « vieux jeu » en effet que ce paysan devenant
amoureux d'une grande dame, ayant l'audace de l'embrasser
un soir qu'elle s'est endormie au pied d'un arbre, suh tegmine
[agi, et, depuis, dédaignant la petite paysanne qui l'aime, jus-
qu'au moment où ladite grande dame sacrifiant l'amour
qu'elle ressent, elle aussi, se laisse toucher par le désespoir
de la paysanne et, pour créer un obstacle infranchissable
entre elle et Marcel, lui fait croire qu'elle est sa propre sœur.
Comme toujours, de longues hésitations avaient présidé au
choix des interprètes, et retardé la mise à l'étude; comme
toujours aussi, Auber avait suivi la méthode qui lui était
chère et dont il s'était presque fait une règle : choisir les
débutantes, et parmi ces débutantes choisir les plus jeunes et
les plus jolies. C'est ainsi que M"" PHola et Nau eurent
l'honneur de paraître pour la première fois dans la dernière
œuvre du vieux maitre.
L'année 1869 pourrait du reste s'appeler l'année des débuts,
car ils atteignirent le chiffre assez rare, sinon même unique,
de onse, presque un par mois ! Citons-les pour mémoire, dans
leur ordre chronologique. Le 29 février, dans le Pré aux Clercs
(rôle de Mergy), M. Nicot, qui en 1868 avait obtenu au Con-
servatoire le 2" prix de chant et le l^'' prix d'opéra-comique,
avec une scène du Caid où il tenait l'emploi d'Ali -Bajou,
souvenir humiliant dont l'élégant ténor a toujours eu peine
à se consoler. Bien ému le soir de son début, il laissa deviner
pourtant une agréable voix et une intelligence scénique qui
devaient lui permettre de rendre de sérieux services à la salle
Favart, mais plus tard ; car il commença par voir son enoa-
gement résilié parce qu'il refusait un rôle à lui confié; le
Mergy du Pré aux Clercs ne voulait pas devenir le Frédéric
de Mignon. Gagnant en instance, il perdit en appel; mais les
directeurs se montrèrent bons princes et renoncèrent à la
clause du traité qui fixait à 20,000 francs le dédit en cas
d'infraction. Le 31 mars, dans le Postillon de Lonjumeau (rôle
de Biju), M. Thierry, un baryton, basse chantante, qui venait
des Fantaisies-Parisiennes, et ne fit que passer alors à la salle
Favart, où il revint après la guerre. Le 28 mai, dans Vert-
Vert (rôle de Mimi), M"« Fogliari, une élève de Duprez, telle-
ment intimidée qu'on la jugea d'abord insuffisante, mais se rele-
vant ensuite dans le Pré aux Clercs (rôle d'Isabelle), assez pour
rester au théâtre jusqu'à la guerre, après laquelle, sous le nom
de Foliari, elle chanta en 1871, à Paris, dans des concerts parti-
culiers et en 1872 au théâtre de Saint-Pétersbourg. Le 24 juin,
dans le Domino noir (rôle d'Angèle), et le 17 juillet dans la
Fille du régiment (rôle de Marie), M"'= Arnaud qui venait de
province où elle avait chanté l'année précédente à Metz, et
qui partit bientôt pour l'étranger. Le 2 août, dans Mignon
(rôle de Frédéric), M. Gaston Mirai, un élève' du Con-
servatoire qui, dans la classe de Couderc, avait remporté
un l^"- accessit d'opéra- comique sous le nom de Nolsag
(anagramme de Gaston) et qui, plus tard, échangea ses
appointements de médiocre trial contre les bénéfices d'un
directeur de province. Le 3 octobre, dans le Chalet (rôle de
Daniel), M. Idrac, autre lauréat du Conservatoire, ténor
d'extérieur peu avantageux, mais doué d'une assez bonne
voix qui lui permit de faire sa carrière en province et à
l'étranger. Le 30 août, dans Mignon (rôle de Philine), M"« Mo-
reau, artiste consciencieuse à la voix souple mais froide,
qui avait tenu l'emploi de chanteuse légère en province et
en Belgique et ne tarda pas à retourner dans les parages d'où
elle venait. Le 20 octobre, dans Galathée, M'^'^ Daniele, qu'on
avait applaudie à la Monnaie de Bruxelles, à qui l'on confia
le rôle d'Henriette dans l'Éclair, repris le 17 novembre après
une interruption de huit années avec Achard (Lionel), Leroy
(Georges) et M"" Bélia (M™ Darbel). Le 7 novembre, M'"! Reine,
chanteuse suffisante et jolie femme, qui avait obtenu quel-
ques mois auparavant un 2'^ prix d'opéra-comique au Conser-
vatoire (classe Mocker), et que nous retrouverons par la
suite au cours de cette histoire. Le 20 décembre, dans Bêve
d'amour, M"" Nau (rôle de Denise), une jeune personne de
dix-huit ans, fille de l'ancienne cantatrice de l'Opéra, et
jyjiie Priola (rôle d'Henriette) élève de Couderc, transfuge du
Théâtre-Lyrique, où elle s'était fait remarquer dans Miensi
avec le petit rôle d'un messager de la Paix. Citons enfin
M. Raolt qui, engagé en 1868, ne débuta qu'une année plus
tard.
En terminant cette longue et monotone énuméralion d'ar-
tistes de passage dont l'éclat, pour la plupart, n"a guère illu-
miné le ciel dramatique, n'est-on pas lente de rappeler le
veis des Plaideurs et de s'écrier aussi :
Pas une étoile fixe et tant d'astres errants !
On a pu remarquer qu'en 1869 une seule pièce en un acte
avait été donnée : la Fontaine de Bemy ; car on ne saurait
compter à l'actif du théâtre une cantate de l'Institut sur des
paroles de M. Cicile, intitulée Daniel. Deux élèves d'Ambroise
Thomas s'étaient partagé le prix de Rome l'année précédente,
MM. Wintzweiller et Rabuteau. La cantate du premier fut
exécutée le 8 janvier au Théâtre-Lyrique, et celle du second
le 19 janvier à l'Opéra-Comique, par Ponsard, Grisy et
M"« Levielli, de l'Opéra.
C'est apparemment pour venir en aide aux prix de Rome
et autres « jeunes » que la Société des auteurs et composi-
teurs dramatiques avait entamé alors des négociations avec
les directeurs de l'Opéra-Comique pour les rappeler à l'ob-
servance de leurs cahiers des charges. Ils devaient en effet
vingt actes par an, mais ne les avaient jamais donnés. Mieux
valait donc se montrer moins tyrannique et exiger la tenue
des engagements pris. "Voici quelles bases nouvelles avaient
élé adoptées: 1° la Société touchera 12 0/0 sur la recette
brute, c'est-à-dire avant le prélèvement des droits des pauvres;
2" l'Opéra-Comique jouera chaque année doiae actes nouveaux,
dont trois ouvrages en un acte ; 3" innovation fort importante,
les pièces tombées dans le domaine public toucheront
12 0/0, absolument comme les pièces nouvelles. Ce traité,
exécutoire à partir du 1" août 1868, annulait le précédent,
qui avait encore dix-huit mois à courir. Or, l'année 1869 s'é-
LE MENESTREL
307
coula sans que ces conditions fussent rigoureusement obser-
vées, car si l'on avait obtenu le chiffre de treize actes, c'était
en comptant, comme nouveauté, Jaguarila, qui venait du
Théâtre-Lyrique. Alors les discussions reprirent, pour aboutir
en 1870 au renouvellement du traité de 12 0/0 avec neuf
actes seulement au lieu de douze.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Odéon. L'Herbagei; comédie en 3 actes, en vers, de M. Paul Harel. —
Renaissance. Les Marionnettes de l'année, revue en 3 actes et 12 tableaux,
de M. Charles Clairville. — Folies-Dramatiqies. Le Mitron, vaudeville-
opérette en 3 actes de MM. Boucheron et A. Mars, musique de M. André
Martinet. — Palais-Royal. IIS, rue Pigalle, comédie en 3 actes de
M. A. Bisson.
Des vers et de la prose, de la comédie, du drame, du vaudeville,
de l'opéretle, de la revue, genre indéfini, et de la tragédie, presque
des chansons, des romances et des ponts-neufs, du triste et du gai.
de la blague el de la morale, grands ou petits descendants des Labiche,
Ponsard, Offenbach, Dumanoir, Clairville I", etc., s'esbattant sur les
théâtres de notre bonne ville de Paris, en voilà, certes, plus qu'il
n'en faut ! Que le lecteur, donc, soit indulgent au pauvre chroniqueur
surmené ; el si, au cours de ses récils, il lui arrivait de confondre
quelque peu les genres ou les auteurs et, par une inadvertance qu'on
voudra trouver pardonnable en la circonstance, d'habiller de jupes
transparentes un La Hanterie ou de mettre dans la jolie bouche de
M'"" la Revue des alexandrins qui, sans doute, ne se plaindraient
pas d'être si aimablement gités, qu'on l'excuse.
Pour éviter, autant que faire se pourra, tout malentendu, nous
procéderons, si vous le voulez bien, par ordre chronologique. Ce
sera le seigneur aubergiste normand qui ouvrira le feu. Je ne vous
redirai certes pas tout ce que de nombreuses interviews vous ont
déjà appris sur M. Paul Harel, lauréat de l'Institut pour un volume
de vers et, dans la vie privée, logeant ù pied et à cheval sur une
grande route de la vallée d'Auge. Paysan par goût autant que par
naissance, il a voulu nous montrer ce qu'est la vie des champs et
ce qu'elle devrait être toujours. Un herbager, La Hanterie, qui vient
de se faire nommer conseiller générai, et son beau-frère, Beaufer-
mant, laboureur de son état, serviront à la démonstration. Le pre-
mier, fier des écus amassés, joue à l'homme des grandes villes et fait
de son fils un « monsieur » ; jodishien de « son fils », car La Hanterie
n'admet à aucun prix les nombreuses familles qui morcellent les
héritages et détruisent la propriété. Le second, tout au contraire,
est père d'une nombreuse progéniture qu'il élève pour la terre et
aussi pour la patrie. Et c'est, entre les deux parents, une polémique
acharnée, chacun s'entêtant à défendre avec plus ou moins d'acri-
monie ses théories humanitaires et socialistes. La discussion est vive
souvent, empreinte d'orgueil, de jalousie et d'égoïsrae d'un côté,
presque toujours calme, sensée el virile de l'autre. Or, le fils de
La Hanterie aime la fille de Beaufermant et, comme il sait bien qu'on
ne la lui donnera que s'il veut rester attaché à la terre, il renie les
théories paternelles. Après quelques scènes violentes, auxquelles
l'auteur n'a pas jugé à propos de nous faire assister, Octave La Han-
terie s'enfuit à Paris, oîi il se met à brasser des affaires qui tournent
fort mal. Le vieux conseiller pleure son fils parti, mais refuse de
vendre son bien pour le sauver du déshonneur inévitable jusqu'au
moment oii l'enfant prodigue, rentrant à la maison, tout s'arrange
au milieu de larmes générales.
Je n'oserais affirmer que M. Paul Harel ait complètement atteint
le but qu'il se proposait d'atteindre; son Herbager me semble un
drame quelconque, dans lequel les paysans pourraient fort bien être
remplacés par des citadins sans qu'il soit besoin de bieu grandes
modifications. Quelques vers sonores rachetant, en partie, trois actes
de versification bourgeoise et prosaïque; quelques belles idées
noblement dites, pouvant à la rigueur faire oublier l'insignifiance
et l'impersonnalilé de l'œuvre, voilà ce dont il faut tenir compte à
M. Paul Harel. De l'interprétation, il convient de citer en bonne
place M. Montbars, qui nous a donné un La Hanterie très vivant.
M""" Crosnier, Raucourt, MM. Cabel, Maury, Duparc, Duard jouent
avec toutes les saines traditions de l'art odéonesque.
Et maintenant, vite au rideau! la scène change, et voici paraître
Madame la Revue prenant son inévitable compère dans la salle même
de la Renaissance. Ici, rien de préparé, rien de voulu, ou du moins
rien ne semblant tel ; les scènes ont l'air de s'improviser sur place
et au petit hasard. Les Marionnettes de l'année, mises en mouvement
par M. Charles Clairville, vont défiler devant nous, joyeuses et décolle-
tées. Aux affiches coloriées, dont les murs de Paris sont pittoresque-
ment bariolés, succèdent le garçon de café à moustaches et tous les
corps de métier se mettant en grève : une entrée sensationnelle
pour les petites dames, mécontentes aussi, et dont les costumes
extra-simples font sortir toutes les lorgnettes de leurs étuis. Puis,
exhibition des gens du grand monde donnant un five o'clock, auquel
on applaudit la chanteuse à la mode, le poète hirsute, gloire de
Montmartre, les lions présentés en liberté et celte Rosa-Josépha,
beaucoup plus drôle, je vous assure, à la Renaissance qu'à la
Gaîté. Enfin, la chronique vivante des théâtres avec des parodies très
amusantes du iMâle ei. du Rêve. Le tout très bon enfant, entremêlé
de couplets égrillards et donnant lieu à des apothéoses dignes d'un
grand théâtre de féerie.
La commère, c'est la belle M"» Gilberle, dont la jambe a énormé-
ment de talent; le compère, c'est M. Regnard, la coqueluche du
boulevard Saiut-Martiu. MM. Georges étViclorin, en Rosa-Josépha,
MM. Gildès, Violet, Garby, M"'" Berthier, Rolland, Gallois, Vialda,
et tout un essaim d'aimables [i}aillots, ne sont pas sans faire valoir
les calembredaines humoristiques de M. Charles Clairville.'
Faisons, je vous prie, quelques pas sur le boulevard dans la direc-
tion de la Bastille, et nous arriverons, de compagnie, chez M. Vizen-
tini, l'aimable directeur qui préside aux destinées dos Folies-Dra-
matiques. MM. Maxime Boucheron et Antony Mars, deuxnomstrès
en vogue, doivent nous y présenter certain Mitron de leur façon.
N'allez pas croire qu'il s'agit ici de l'un de ces bouillants patriotes
pour qui, hélas! « Laur n'est qu'une chimère ». Que non point!
Balthazar est mitron chef chez la belle boulangère Madelon, dont
la boutique très achalandée est bien connue dans le quartier du
Temple. Balthasar aime Madelon — son amour ne lui laisse pas le
loisir de manifester — et Madelon aime aussi Balthazar; cependant,
sept fois déjà le mariage projeté a manqué, la jolie patronne
s'apercevant, au moment propice, que son fiancé a trop de dispositions
à courir après tous les cotillons. Cette fois encore, la chose est
absolument décidée et tout semble marcher à merveille, lorsque fait
irruption dans la boutique le duc Saladin de Paramé, tenant dans
ses bras la comtesse Diane de Clagny évanouie. Un drame ds l'adul-
tère. Comme Balthazar a bon cœur, il cache les deux malheureux
pour les soustraire aux recherches du mari courroucé ; mais Madelon,
qui découvre la coupable, croit que c'est une bonne amie de son
futur époux et chasse de chez elle et le mitron et la belle dame.
Balthazar, trompé par des remerciements chaleureux et habitué
aux conquêtes faciles, se croit aimé, se cramponne à la comtesse de
Clagny et s'installe même en son hôtel. C'est là que Madelon viendra
le relancer; c'est là aussi que commencera la série ininterrompue
d'imbroglios impossibles à raconter. Au milieu des chasses-croisés et
des tours de passe-passe exécutés par tous les personnages de la
pièce, surgit la silhouette très amusante d'un vieil oncle breton qui
vient pour protéger la vertu défaillante de sa nièce Diane, et qui,
voulant remettre tout en ordre, embrouille les fils de plus en plus.
« Réconciliation, » annonce le programme- pour le troisième acte; de
fait, Madelon reprend Balthazar, le comte de Clagny reprend sa
femme, qu'il avait quittée pour une iriégulière chipée au duc de
Paramé, et le duc de Paramé retourne à cette irrégulière. Tout est
bien qui finit bieu.
M. Gobin s'est taillé un succès d'hilarité à son entrée en mitron;
il a soutenu la pièce entière avec sa bonne grosse jovialité et ses
mines ahuries sans faiblir une seconde. M°"= Grisier-Montbazon est
une très accorte boulangère et, qui mieux est, une comédienne adroite.
M. Guyon a composé un très caractéristique type de vieux noble
breton, et M.'""^ Berny, Guitty, MM. Sanson, Bellucci, Lacroix, Mes-
macker, forment une troupe très agréable, comme on n'en avait pas
encore vu rue de Bondy. Mise en scène très soignée, luxueuse même,
et couplets agréablement tournés par notre excellent collaborateur,
André Martine!, et qu'ont su faire bisser M""'' Grisier-Montbazon
et Guitty.
Pour terminer, j'enregistre, non sans plaisir, un bulletin de vic-
toire. Le Palais-Royal a eu la très excellente idée de prendre au
théâtre Gluny une pièce ancienne de M. Alexandre Bisson, IIS, rue-
Pigalle, et je crois qu'il n'aura pas lieu de le regretter. Le public
s'est, en effet, fort diverti à l'histoire de ce pauvre jeune veuf
remarié, Bernard, pris, par suite de faux renseignements, pour un
de ses homonymes qui a tué à coups de revolver sa première
femme. Les transes épouvantables par lesquelles passent M. el
M"" Loriot, le nouveau beau-père et la nouvelle belle-mère, craignant
308
LE MEiNESTllEL
pour les jours de leur fille; l'enlètement avec lequel un vieil ami
de la famille, Quiquemel, prend plaisir à augmenter leur terreur,
et l'ahurissement de Bernard qui ne comprend rien à la conduite
jjlus que singulière de ses beaux-parents ont, à maintes reprises,
secoué la salle d'un fou rire d'autant plus bienfaisant qu'on y est
moins accoutumé. La comédie de M. Bisson est d'ailleurs enlevée de
verve par M. Galipaux que, jamais encore, nous n'avions vu aussi
entraînant et d'une gaité aussi communicative; quelle fougue, mes-
dames! MM. Saint-Germain et Milher sont parfaits et MM. Des-
champs et Garandet plaisants. M"" Cheirel est tout à fait charmante
et comme femme et comme comédienne; M°'^' Franck-Mel et I. Aubrys
restent des mères dans le ton de la maison, tandis que M""= Froraant
s'essaie dans les rôles de coquette.
Paul-Émile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
[Suite)
CHAPITRE V
LA RESTAURATION ('181S-1830)
Pour les exercices de l'année 1823, la rue Bergère reprend le
système inauguré par l'empire : musique alternant avec la déclama-
lion. Le nom d'Auber figure sur plusieurs programmes.
Lays quitte la scène après quarante-trois ans de service; Garât
meurt; M"" Mézeray s'éteint; le jeune Massart, de Liège, qui compte
dix printemps, donne un concert au Vaux-Hall.
Signalée vers la fin de l'année, l'invention de M. Sudre, une )ano-ue
musicale, s'appliquant à tous les instruments. Plusieurs virtuoses
soutiennent une longue conversation restée fort mystérieuse pour
les invités.
Faisant suite au défilé des petits prodiges, Liszt vient étonner
Paris (mars 1824). La pianiste île l'impératrice de Russie riposte
par un concert auquel l'orchestre de l'École prête son concours •
c'est alors la Lyre harmonique qui convoque les amateurs à ses
séances. Enfin, pour couronner cette orgie musicale, les concours
(le piano sont si brillants qu'il faut décerner six premiers prix :
deux à la classe d'Adam; quatre à celle de Zimmermann.
12 septembre. — Louis XVIII agonise ; par ordre du ministre de
l'intérieur, tous les théâtres du royaume font relâche. La Bourse
les musées demeurent fermés jusqu'au 24.
Tandis que Monsieur est salué du nom de Charles X, que Victor
Hugo consacre une ode enthousiaste à la mémoire du feu roi. des
messes solennelles s'organisent de toutes parts, dans lesquelles la
musique n'est pas oubliée.
Orchestre et artistes de l'Odéon exécutent à Saint-Sulpice le
Requiem de Vergue, élève de Reicha ; la messe de Desvio-nes est
chantée à Notre-Dame, et les frais sont payés par les loueurs de
voitures de place. Les agents de change font célébrer un service
aux Petits-Pères, musique de Plantade et de Lesueur. Le roi décore
Sébastien Erard , Cherubini compose la messe des funérailles, Spon-
lini écrit plusieurs morceaux pour les prières dites à Berlin.
Entraînés par l'exemple, les élèves de l'Ecole royale, auxquels
se joignent les artistes les plus connus, donnent à Saint-Sulpice
le 19 septembre, le Requiem de Mozart, mais seulement en mémoire
des condisciples récemment décédés.
Huit jours plus tard, le secrétaire chargé du département des
beaux-arts déclare en son discours que « ce bel établissement doit
être de nouveau l'admiration des étrangers et l'orgueil de la France. «
Barbereau reçoit le premier prix de composition ; le second est
décerné à Le Couppey, élève de Pradher. Dans le concert qui clôt
la cérémonie, on admire la magnifique voix de Serda, et Beauvallet
est applaudi dans le rôle d'Hamlet.
Rossini est le dieu des Parisiens ; interprétés par Pasta, Mombelli,
Cinli, par Zuchelli et Bordogni, ses ouvrages se succèdent à l'Opéra-
lialien. A l'Ecole royale, Habeneck, nommé directeur honoraire,
renonce à son titre devant les réclamations, les mauvaises volon-
tés, les dissentiments auxquels il ouvrirait carrière.
182S. L'année du sacre. — On est tout aux apprêts de la solen-
nité: les ambassadeurs extraordinaires arrivent, les Franconi sont
appelés à Reims ; aux Menus-Plaisirs, exposition des ornements
sacerdotaux ; dernières répétitions par les musiciens du roi de la
messe de Lesueur, de celle du Sacre, de Cherubini, du Te Deum de
Plantade.
Charles X rentre à Paris, et les spectacles de circonstance de
pleuvoir; cantate de Soumet et Lesueur, à l'Hôtel de Ville; Phara-^
mond, à l'Opéra et, remarqué entre tous, // Viaggio a Reims, de
Rossini, chanté par M""' Pasta et toutes les gloires du Théàlre-Ila-
lien. L'Ecole royale reste muette.
La retraite de M"'^ Branchu, qui parait une dernière fois sur la
scène de l'Opéra, entourée de Talma, de Lays, de M"" Mars, de
Vestris ; le succès de fanatisme de la Dame blanche ; l'incendie du
Cirque Olympique, au bénéfice duquel tous les ihéàlres vont jouer;
Marguerite d'Anjou, de Me3'erbeer, à l'Odéon ; des concerts a en faveur
des malheureux Grecs », voilà le bilan de 1826.
Une élève de l'Ecole, M"'= Bibre. admise à débuter à l'Opéra,
n'ajoule rien à la gloire de la rue Bergère, puisqu' « elle n'est remar-
quable que par les avantages physiques ».
Pour la première fois cependant, depuis plusieurs années, les
classes de chant sont jugées dignes de premiers et de seconds prix,
mais cette décision semble dictée au jury par le désir de cacher
au profane la décadence de l'Ecole. Le nom de Chevillard, dans la
classe de violoncelle, surnage seul parmi des tlots de lauréats ignorés.
Aussi la faveur publique va à l'Institution royale de Musique
religieuse, où les élèves de Choron font merveille, où les abonne-
ments aux six exercices sont rapidement souscrits.
Les examens de 1827 sont un désastre.
« La décadence du Conservatoire ne laisse aucun espoir pour
l'avenir. Le dernier concours a fait connaître l'affreux déficit des
classes de chant. »
Le vol des diamants de M"° Mars arrive à point pour fournir aux
journaux d'autres variations.
Un coup d'État inaugure l'année 1828; le Moniteur l'annonce en
ces termes :
« Depuis longtemps, on critiquait le mode d'enseignement de la
déclamation. Ou l'a séparée de l'établissement pour la rattacher au
Théâtre -Français et la placer sous la direction du Commissaire royal
près ce théâtre. Par ce moyen, les élèves seront appelés aux repré-
sentations publiques^ à proportion de leur intelligence et de leurs
progrès, et la pratique deviendra la base du nouvel enseignement.»
Les classes de déclamation lyrique conservées Faubourg-Poisson-
nière, sont confiées à Adolphe Nourrit et à Michelot : le piano,
considéré comme « une source de misère plutôt qu'un bienfait », a
ses cours réduits de moitié . Parmi les professeurs admis à la
retraite: Saint-Prix, Plantade, BlaLgini, Berton fils, Pradher.
Le Corafli'/'e, journal des théâtres, blâme fort le gouvernement d'avoir
sacrifié le Conservatoire à une économie de 13,000 francs, « tandis
qu'on paye 30,000 francs à M. Rossini le titre lidieule d'inspecteur
du chant en France. » Mais la vogue du maestro est sans égale; le
Siège de Corinthe, Othello, la Donna del Lago, Moïse, Sémiramide, le
Barbier, Tancredi, la Gazza Ladra, Cenerentola, l'italiana in Algérie
alternent dans l'espace d'un mois sur les affiches de l'Opéra et du
Théâtre-Italien. Dans un bal masqué, il arrive sous le costume
d'Orphée et le déguisement semble tout naturel.
Une date célèbre : le 9 mars, qui voit la première réunion de la
Société des concerts. On a voulu rendre à l'École son ancienne
splendeur, et grands et petits, maîtres ou élèves, ont rivalisé d'ardeur.
Le rédacteur des Débats ne peut maîtriser sou enthousiasme au
sortir de la séance consacrée à l'apothéose de Beethoven: « Après un
trop long interrègne, Euterpe a ressaisi le sceptre de l'harmonie; sa
maison de plaisance est toujours dans la rue Bergère... »
Le cor à ventilles, admirablement joué par Meifred. un concerto
de Rode interprété par Sauzay. et surtout la Symphonie héroïque, que
conduisait Habeneck, ont été acclamés.
A la même époque, ouverture de la classe de déclamation dirigée,,
rue Chanlereine, par Cartigny, sociétaire du Théâtre-Français ; exer-
cices publics, représentations fréquentes auxquelles la presse prend
grand intérêt. Nous lisons que M'"" Jules a devant elle un avenir
LE MENESTREL
309
I
hrillant; qu'il faut beaucoup attendre de M"° Amélie, de MM. Henry
et Auguste; c'est un défilé complet du calendrier.
L'aunée 1828 est aux innovations. Après les grandes séances qui
ramènent là foule à l'hôtel des Menus-Plaisirs, voici les concerts
d'émulation (19 juin) qui mettent en ligne tous les jeunes élèves.
Chef d'orchestre, solistes, instrumentistes et choristes font partie de
l'école ; au pupitre, conduisant deux ouvertures de Tliys et de Pré-
vost, Elwart, qui, avec Le Couppey, a eu la première idée de ces
concerts.
A la veille du quatrième, interdiction faite aux élèves-femmes de
prendre part aux exercices; leurs rôles seront confiés aux « ténors
aigus » .
Cette méthode inattendue donne d'assez piètres résultats, et le
concours de chant n'est pas moins lamentable que les années pré-
cédentes.
A la distribution des prix, le violon d'honneur est partagé entre
Arlot et Milault. On les a vigoureusement applaudis, mais, de
l'avis de tous, ils sont loin d'égaler le jeune Sivori et le jeune
Massart, dont les concerts ont fait fureur dans le courant de
l'hiver.
La vogue croisssante des séances de musique inspire à M. Pas-
lou, professeur d'harmonie, de guitare, de violon, etc., l'idée
d'une école destinée aux amateurs. Le Conservatuire de la lyre
harmonique promet monts et merveilles dans son installation de
la galerie Vivienne.
1829. — Le torrent musical est déchaîné. A l'Opéra, à l'Opéra-
Comique et au Théâtre-Italien, vient se joindre une troupe alle-
mande qui donne Fidelio, die Zauberflote, Freisckulz ; déjà on parle
de la prochaine apparition de Guillaume Tell. Représentation à bé-
néfice, exercices de musique religieuse. Enfants d'Apolloo, Gymnase
musical battent leur plein ; et, dans cet encombrement, il est place
encore pour les concerts d'émulation. Les amateurs restent fidèles
aux séances de la rue Bergère : ils se plaisent à encourager dans
ces fêtes de famille le talent naissant de Barroilhet.
Les programmes y sont moins pompeux qu'à la société; certain
jour, « Tolbecque a excité l'hilarité dans une chansonnette de Bé-
ranger^ l'Aveugle de Bagiiolet, en imitant la vielle sur son violon ».
Parmi les élèves de l'École, Berlioz choisira ses premiers inter-
prètes, leur confiera le concert des Elfes (sextuor de Faust) exécuté
à son audition du premier novembre, entre l'ouverture des Francs-
Juges et le Resurrexit.
La lutte romantique est vive quand s'ouvre 1830. Hernani au
Théàtre-P'raDçais : à l'Odéon Stockholm et Fontainebleau ; YicÂov Hugo
et Alexandre Dumas se maintiennent sur l'affiche, malgré les
attaques les plus violentes. M™" Schrœder-Devrient brille à l'Opéra
allemand; miss Smithon est l'étoile du théâtre anglais. ■
La Société des coocerts retrouve le succès de l'année précé-
dente. La duchesse de Berry est parmi les plus transportées, et tous
les dileltanli partagent si bien son enthousiasme, qu'à la séance -du
30 mai, deux couronnes géantes sont offertes à Habeneck : sur
l'une, le nom de Beethoven ; l'autre est un hommage au vaillant
orchestre.
(A suivre.) André Martinet.
L'article que j'ai publié récemment sur la famille Taglioni a eu
quelque retentissement en Italie et m'a valu, de Naples particuliè-
rement, diverses lettres dans lesquelles d'obligeants correspondants
me communiquent d'intéressants renseignemenis complémentaires
sur celte grande riynastie artistique. Je reviens donc sur ce sujet
pour compléter rapidement l'ensemble des faits qui la concernent.
Carlo Taglioni, le chef de la dynastie, était bien réellement le
père, et non le frère de Philippe. Son autre fils, Salvatore, naquit en
1789, à Païenne, et sa fille Luigia serait née à Ravenne, en l'7ST,
dit-on. L'un et l'autre furent engagés en 180" au théâtre San Carlo
de Naples, que Luigia quitta pour épouser un riche gentilhomme
de Lyon, le comte Aimé du Bourg. Une seconde lille de Carlo (dont
un petit-fils existe encore à Naples), CTiuseppina Taglioni, dont je
n'avais pas eu connaissance, fut danseuse aussi et débuta à Venise,
mais abandonna presque aussitôt la carrière pour épouser, elle
aussi, à Tréviso, un gentilhomme, le comte Antonio Contarini. Elle
est morte à Trévise, il y a peu d'années.
Salvatore, qui avait bien épousé, comme je l'ai dit, une de ses
camarades nommée Adélaïde Perraud, eut quatre enfants :Ferdinando,
né le IS septembre 1810, qui devint professeur de chant à Naples
et à Florence, et qui se fit connaître avantageusement aussi comme
critique musical ; Marietia, née le 27 décembre 1812, qui possédait
une belle voix de contralto et fournit comme cantatrice dramatique
une carrière fort honorable; Erminia, née le 8 octobre 181.3, qui se
distingua encore à la scène, où elle apportait une belle voix de-
soprano ; enfin, Luisa, née le 14 mars 182.3, qui fut une danseuse
très renommée. Cette dernière, après avoir débuté au théâtre San
Carlo, fut engagée au Majesty's Théâtre de Londres, puis au Théâtre
Impérial Je Vienne, où elle obtint surtout un grand succès dans le
Lac des Fées, ballet du chorégraphe Fuchs. qu'elle épousa quelques
années après ; de 18i8 à 18ol elle appartint à notre Opéra, retourna
à Naples, au théâtre San Carlo, en 1833, se produisit ensuite à
Trieste (1838), de nouveau à Naples (1837), à la Pergola de Florence
(1838) et enfin fut nommée, en 1861, directrice de l'école de danse
à Naples.
On m'assure que Paul Taglioni n'a jamais été à Naples, comme je
l'ai dit, ni en 1833, ni à aucune autre époque. A part quelques
voyages qu'il fit à Vienne, pour la représentation de ses ballets, il
ne quitta jamais Berlin, où il est mort le 7 janvier 1884. Il a eu
une fille, Augusta, qui a joué la comédie.
Enfin, Marie Taglioni la grande eut, elle aussi, une fille, qui a
épousé le prince Tcoubotzkoy. De sorte que quatre Taglioni sont
devenues grandes dames : 1° Luigia, fille de Carlo, qui fut comtesse
du Bourg; 2» Giuseppina, sa sœur, qui devint comtesse Contarini ;
3" Maria la grande, qui fut comtesse Gilbert des Voisins; 4" et la
fille de celle-ci, aujourd'hui princesse Troubetzkoy.
Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
A l'Opéra royal de Berlin on a fêté, le b septembre, le centième
anniversaire de la naissance de Meyerbeer par une très belle représenta-
tion de Robert le Diable, précédée d'un prologue de circonstance et de l'exé-
cution de l'ouverture de Slrueiisée. L'empereur Guillaume a fait déposer,
à cette occasion, une couronne d'or sur la tombe de l'illustre compositeur.
A Vienne aussi, à l'Opéra impérial, on a célébré le centenaire de
Meyerbeer. Ici, les frais de la soirée étaient faits par le Prophète, dont
c'était la trois-cent-vingt-troisième représentation (la première fut donnée
à Vienne le 28 février 1830), et qui était joué, même pour les rôles secon-
daires, par les meilleurs artistes du théâtre. La mise en scène avait été
complètement renouvelée et remise à neuf pour cette circonstance.
— Autre centenaire. Celui de l'apparition au théâtre An der "Wien, de
Vienne, de la Flûte enchantée de Mozart, sous la direction personnelle de
l'auteur. C'est le 30 septembre que ce centenaire s'accomplira, et à cette
occasion on donnera à Vienne non pas une, mais simultanément deux
représentations du chef-d'œuvre, l'une au théâtre An der "Wien, l'autre à
l'Opéra. Le fait est au moins curieux, et peut-être sans exemple dans l'his-
toire de l'art.
— Sur la tombe de Meyerbeer, à Berlin, s'élève une pierre de granit
avec cette inscription : Ici repose Jacques Meyerbeer, né le 3 septembre 4191,
mort le 2 mai IS6i. Au-dessous, se trouve répété le nom du maître, en
caractères hébraïques. Un monument semblable s'élève sur la tombe de sa
femme, située vis-à-vis, et sur lequel on a gravé ces mots : L'amour ne
cesse jamais. Tout auprès repose aussi le frère de Meyerbeer; l'astronome
Wilhelm Béer, né le i janvier 1797, mort le 27 mars 1830. Quant au
troisième frère, Michel Béer, l'auteur du drame de Struensée, le poète
célèbre, sa tombe est à Munich.
— Le centenaire de la mort de Mozart sera célébré à Vienne non
seulement par la Société des amis de la musique, mais encore par la
municipalité elle-même, qui veut honorer d'une façon toute spéciale la
mémoire de son glorieux concitoyen d'adoption. Il avait été d'abord ques-
tion d'organiser une Exposition-Mozart, mais il a fallu y renoncer en pré-
sence des réclamations des administrateurs de l'Exposition universelle de
musique en voie d'organisation, et oii une place d'honneur sera naturelle-
ment réservée à Mozart. Le D'' Prix, bourgmestre de la ville de Vienne,
proposera au conseil de louer le Burgtheater le soir de l'anniversaire, et
d'y faire représenter un Festspiel où sera retracé un des épisodes de la vie
de Mozart. Le spectacle serait précédé d'un prologue et finirait avec une
apothéose. Pendant les entr'actes, l'orchestre de l'Opéra de la Cour ferait
entendre des œuvres instrumentales du maître.
— Nouvelles théâtrales de Vienne. — Pendant les quinze premiers jours
de la nouvelle saison de l'Opéra impérial, la chorégraphie y a régné sans
partage. L'inauguration de la saison lyrique proprement dite a eu lieu
avec le Barbier et Cavalleria rusticana. La première nouveauté de la saison
sera l'opéra de M. Breton, les Amants de Terruel, dont la première est fixée
310
LE MENESTREL
au 4 octobre, jour do la fête de l'empereur. Le compositeur Johann Strauss
fera sa première apparition à l'Opéra le 19 novembre, avec son nouvel
opéra, le Chevalier Pazmann. Pour le centenaire de la mort de Mozart (5 dé-
cembre), on prépare une représentation extraordinaire à la mémoire de
ce maître ; cette représentation inaugurera un cycle des œuvres dramati-
ques de Mozart qui comprendra, outre les cbefs-d'œuvre consacrés tels
que Don Juan et la FlCitc cncluintiie, d'autres opéras et opérettes moins con-
nus, comme, par exemple, la Clémence de Titus, Basiien cl Bastienne, laFinta
Giardinicra, etc. On s'occupera ensuite des deux nouvelles œuvres de
M. Massenet : l'opéra Werther et le ballet le Carillon. — Richard Gênée,
l'auteur de tant de joyeuses opérettes, vient de terminer un opéra sérieux
en trois actes intitulé Margit, dont le sujet a été tiré par M. Joseph Brak
d'un drame d'Ibsen, la Fête de Solhang. — M">= Rosal Papier, le célèbre
contralto de l'Opéra impérial, s'est vue forcée, pour dos raisons de santé,
de prendre prématurément sa retraite. On assure que le Conservatoire de
Vienne a offert à la cantatrice une de ses classes de chant
— Le répertoire lyrique français en Allemagne. Relevé sur les dernières
listes de spectacles : Cologne : Le Prophète, Guillaume Tell. — Francfort :
Joseph (-2 fois), les Huguenots, Mignon, Robert. — Hambourg : Les Deux Jour-
nées ("2 fois), Fra Diavolo. — Leipzig : La Dame blanche. — Vienne : La Fille
du régiment (2 fois), Robert le Diable, le Prophète (2 fois), l'Africaine, Hamlet.
— La Gazette des arts et du théâtre, de Munich, vient de publier un article
très commenté par la presse allemande en général, et où l'avenir des
Festspiele de Bayreuth n'est pas envisagé sous les couleurs les plus roses.
Il paraîtrait que le sans-gêne avec lequel l'administration a traité cette
année ses patrons de la première heure, les membres des sociétés wagné-
riennes, a soulevé du mécontentement jusqu'au sein des directions des
théâtres impériaux, royaux et ducaux, auxquelles le Festspielhaus est rede-
vable de ses plus sûrs éléments de succès, nous voulons parler des artistes
du chant que lesdites directions mettent gracieusement à sa disposition.
Les théâtres de la cour de Berlin, Vienne, Munich, Dresde, Caiisruhe,
Hanovre, Weimar et Cobourg se seraient enân rendu compte du préju-
dice considérable que leur causaient les représentations de Bayreuth, et
auraient fini par s'en émouvoir. Tous les artistes sans exception apparte-
nante ces théâtres sont appointés, même pendant la période des vacances,
lesquelles sont consacrées à un repos qui leur est pour ainsi dire imposé.
C'est donc en vertu d'une autorisation spéciale de la part des souverains
et des intendants, et par déférence pour le génie de Wagner, que ces
artistes ont pu jusqu'à présent apporter aux organisateurs des Festspiele
l'appoint de leur concours, sans lequel l'entreprise n'aurait pu se soutenir
d'une façon honorable. Or, il est arrivé ceci, que la plupart des chanteurs,
brisés par le dur travail que leur imposaient deux mois de répétitions et
de représentations, ne se trouvaient plus en état de reprendre régulière-
ment leur service lors de la réouverture de leurs théâtres ordinaires et
demandaient un supplément de congé pour cause de maladies. Tant qu'il
ne s'agissait de représenter à Bayreuth que Parsifal et l'Anneau des Niebe-
lungen, on pouvait comprendre le sacrifice que s'imposaient les directions
en question pour honorer dignement l'art vvagnérien, mais à présent que
l'administration du Festspielliaus se met à exploiter commercialement tout
le répertoire de Wagner, ce serait vraiment folie de la part des directeurs
de continuer à se créer une concurrence en prêtant bénévolement les
artistes mêmes qui soutiennent ce répertoire sur leurs propres scènes. On
se demande à présent ce que deviendront les Festspiele livrés à leurs propres
ressources !
— On écrit de Vienne à l'Indépendance belge : « La représentation de
Lohengrin ricochette ici d'une manière fort vive. Outre que les wagnériens
ne manquent pas dans la capitale de l'Autriche, le public entier de l'Opéra
s'intéresse vivement aux bronches et aux cordes vocales du ténor Van
Dyck, qui est l'enfant chéri de l'orchestre et des loges. C'est après avoir
pris part à la tentative brillante, mais sans lendemain, de M. Lamoureux,
à l'Éden-Théâtre, en 1887, que M. Van Dyck a été recueilli par la direc-
tion de l'Opéra viennois, et en peu de temps il s'est taillé ici une assez
jolie collection de succès — dont le plus éclatant fut l'an dernier le Des-
grieux dans Manon de Massenet. Pendant le duo du i" acte avec Manon-
Renard on eût entendu un souffle dans la vaste salle de notre académie
de musique. Ce n'est pas de l'attention, c'est du recueillement — qui se
change en applaudissements délirants, lorsque le morceau est fini. Et on
ne se contente pas d'acclamer l'heureux ténor et de lui tresser des cou-
ronnes : il est de bon ton dans le meilleur monde, côté féminin, de
s'intéresser pour lui et d'en rêver quelque peu, en tout bien tout hon-
neur. Aussi a-t-on appris avec satisfaction comment tout s'est terminé à
Paris par un gros succès, et l'on espère que dans un bref délai M. Van
Dyck pourra accrocher aux panoplies l'armure d'argent du chevalier lé-
gendaire et reprendre le petit collet du héros de l'abbé Prévost. Pour en
finir avec cette représentation de Lohengrin, que l'on a suivie avec tant
d'attention à Vieane, on pourrait faire la remarque à MM. les braillards
que la police a si vivement secoués sur la place de l'Opéra qu'ils n'ont
rien inventé en mettant en scène des émeutes à propos et contre M^agner.
Ils ont été devancés dans cette voie — chose pénible pour des patriotes
aussi échauffés — par de vulgaires Allemands, de lourds Munichois pleins
de cette bière maudite qui est devenue le nectar des boulevards. C'était
en 186o ou 1866, peu de temps api'és l'avènement du roi Louis II la ro-
manesque victime du lac de Starenberg. Le jeune monarque avait appelé
à sa cour le musicien-poète, qui végétait sur territoire suisse, où il s'était
mis à l'abri de ses créanciers. Louis II paya les dettes du grand homme,
le combla de cadeaux et de pensions et lui assura le repos moral néces-
saire pour terminer la « Tétralogie i. A la cour, un parti voyait de fort
mauvais œil l'influence que Wagner prenait sur l'esprit de son royal ami ;
on prit prétexte de ces libéralités pour dénoncer le compositeur comme
un insatiable polype qui pompait l'or des contribuables bavarois. Le moyen
réussit, il y eut des attroupements, des charivaris et finalement des
émeutes au cri de : A bas Wagner! La police dut occuper les abords de
la villa qu'il habitait — tout comme à l'Opéra de Paris — pour empêcher
le pillage. Pour rétablir l'ordre il fallut que Wagner consentit à quitter
Munich pour quelque temps ; il retourna en Suisse en attendant que
l'orage fût passé. »
— Comme exemple de l'enthousiasme que professe l'Empereur pour
Richard Wagner, dit une dépèche de Berlin, il est à rappeler que l'année
même de son avènement au trône, Guillaume II créa un corps de héraults
d'armes portant un costume moyen âge, dont les fonctions consistent à se
tenir dans les salles des châteaux royaux pour annoncer l'entrée et la
sortie de l'Empereur par des sonneries de fanfares. Ces sonneries sont
tirées des opéras de Wagner et sont exécutées avec des trompettes d'ar-
gent doré. Le corps de ces hérauts comprend quarante hommes qui sont
commandés par M. de Chelius, chef d'escadron, et en même temps un
virtuose de la trompette. Dix de ces hérauts accompagnent l'empereur
dans ses voyages. Une des grandes joies de l'Empereur est de revêtir la
cuirasse de Lohengrin et d'écouter, au milieu de ses hérauts, les fanfares
vvagnérienues.
— Voici que la triple alliance, qui en a dans l'aile, passe de la poli-
tique dans la musique. Les journaux de Vienne nous apprennent que
M. Richard Gênée vient de terminer la musique d'une opérette qui porte
précisément pour titre la Triple Alliance. Le sujet ne nous parait pas
pourtant d'une gaité folle, et nous ne voyons pas trop le parti qu'on en a
pu tirer scéniquement et musicalement.
— L'orchestre de l'Opéra royal de Berlin doit donner à ce théâtre, dans
le cours de la saison d'hiver, une série de neuf concerts symphoniques
qui auront lieu sous la direction de MM. Sucher et Weingartner. Dans
cette série de concerts on exécutera les neuf symphonies de Beethoven, la
Symphonie fantastique de Berlioz, le Faust de Liszt, etc. La première
séance est fixée au 2 octobre prochain, la dernière au 7 janvier 1892. Celle
du 4 novembre sera entièrement consacrée à Mozart et celle du 16 dé-
cembre à Beethoven.
— Une correspondance de Stockholm, en date du 12 septembre, nous
apprend que M°"= Sigrid Arnoldson, qui pour la première fois se faisait
entendre dans sa ville natale, a soulevé dans Mignon un enthousiasme in-
descriptible au Tl^éâtre Royal. Bien qu'il s'agît d'une représentation de
gala, à laquelle assistait le roi Oscar, ce prince a donné lui-même à plu-
sieurs reprises le signal des applaudissements, qui se sont changés en
ovations « frénétiques ». La cantatrice a été rappelée vingt fois sur la
scène au cours de la soirée, et au sortir du théâtre elle a été acclamée
par la foule.
— M"' Chrétien, la jeune artiste qui vient de débuter avec un très
grand succès à la Monnaie, de Bruxelles, est élève de M. Léon Melchissé-
dec, de l'Opéra.
— Les nouvelles les plus fantaisistes circulent dans certaines feuilles
italiennes relativement au Falstaff de Verdi, à la date de la représentation
de l'ouvrage, à ses interprètes probables, etc., etc. La Gazzetta musicale,
organe de l'éditeur de Verdi, coupe court à ces racontars en publiant, en
tète de son dernier numéro, la note suivante : « Plusieurs journaux re-
produisent diverses nouvelles relatives à Falstaff. Nous ne savons quelle
est la feuille qui a lancé la première ce vrai canard à l'américaine. Quoi
qu'il en soit, nous sommes en mesure de démentir de la façon la plus for-
melle les nouvelles données. Il n'y a pas l'ombre de vérité ni en ce qui
regarde l'ouvrage, ni en ce qui concerne les intentions du maestro Verdi.»
— Les journaux italiens tiennent pour avéré que la première repré-
sentation du nouvel opéra de M. Mascagni, l'Amico Fritz, aura lieu dans
les derniers jours d'octobre, au théâtre Costanzi de Rome, ou il aura pour
interprètes principaux M"' Calvé, MM. de Lucia et Lhérie.
— On s'était trop pressé d'annoncer que le théâtre San Carlo de Naples
avait enfin trouvé une direction qui se chargeait de ses destinées. Des
deux associés qui paraissaient s'être entendus pour se charger de l'en-
treprise, l'un, M. Musella, se retire purement et simplement, l'autre,
M. Russo-Galeata, demande de graves modifications aux conditions qu'il
avait d'abord acceptées de la municipalité. Entre autres, il voudrait que
celle-ci prenne à sa charge les frais de l'éclairage électrique pour
soixante-quinze représentations, et que le cautionnement, qui avait été
fixé à 30,000 francs, soit réduit à 10,000. Les choses en sont là. Pauvre
San Carlo ! . . .
— Le ministère de l'instruction publique eu Italie vient d'ouvrir un
concours pour la gravure sur cuivre d'un portrait de Verdi, d'après une
photographie offerte au ministère par le maître lui-même. .Le travail sera
fait pour le compte de la calcographie royale de Rome.
LE' MENESTREL
311
— La ville de Catane, qui naguère a donné le jour à Bellini, auquel elle
a rendu les honneurs que l'on sait, ne veut pas être en reste avec ses plus
jeunes enfants. Pour rendre hommage à l'un de ceux-ci, le compositeur
Platania, parfaitement vivant, la municipalité vient de décider de donner
son nom à l'une des rues de la ville, la via Caprai, qui s'appellera désor-
mais via Platania.
— A Catane aussi on a exhumé, le 29 août, les restes mortels de
Raffaele Goppola, l'auteur de la Passa per amore, mort en cette ville au
mois de novembre 1877, pour les transporter dans le lieu où la municipa-
lité a décidé d'élevé un monument à la mémoire de cet artiste longtemps
populaire. A ce propos, un journal de Catane, il Carrière dell'Isola, écrit ce
qui suit : o On aurait dû trouver le corps du défunt intact, car, si nous
ne nous trompons, il avait dû être embaumé par les soins du municipe.
Au lieu de cela, on n'a retrouvé dans le cercueil qu'un amas d'os et des
débris de vêtements. »
— Le Trovalore, en constatant l'éclat avec lequel on vient de célébrer
en Allemagne le centenaire de Meyerbeer, rappelle que c'est au mois de
février prochain que se présente le centenaire de Rossini et fait remarquer
qu'aucun théâtre italien dicoi7rf!o, à l'exception d'un seul, celui de Palerme,
n'a songé à introduire à ce sujet, dans son répertoire, un opéra de l'auteur
du Barbier, de Semiramide et de la Cenerentola. « C'est ainsi, dit ce journal,
que l'Italie fête ses gloires artistiques ! »
^ — Yoici le tableau de la troupe italienne du Théâtre Royal de Madrid
pour la prochaine saison : Prime donne, M""i* Eva Tetrazzini, Valentina
Mendioroz, Regina Pacini, Giuseppina Buti ; mezso soprano : Giuseppina
Pasqua ; contralto : Giuseppina Zeppilli-"Willani ; tén:>rs dramatiques :
MM. Tamagno, Marconi, Durot, Callioni, De liucia. ; té nors demi-cara clère :
Zerni-Bernardi, Bernardo ; barytons : Gotogni, Scotti, Tabuyo ; basses: Uetam,
Boruchia, Verdagùer ; basse comique : Baldelli ; rôles secondaires : M™'^ Garrido,
Aponte, Tauci, Ciliaui, Poncini, Fuster. Les chefs d'orchestre sont
MM. Mancinelli et Perez.
— Le lieutenant Daniel Godfrey, chef de musique des grenadiers de la
garde à Londres, célébrera dans quelques semaines son soixantième anni-
versaire et sera alors atteint par la limite d'âge fixée par les règlements
pour le service actif des chefs de musique dans l'armée anglaise. Bien
que quelques journaux aient déjà nommé son successeur (ce serait M. Miller,
de la marine royale), on espère que le gouvernement maintiendra M. Da-
niel Godfrey dans le poste qu'il a tenu avec tant d'éclat depuis trente-
cinq ans, et où il s'est acquis une célébrité universelle. M. Daniel Godfrey
est l'auteur d'un grand nombre de morceaux dansants dont la vogue a été
retentissante. Plusieurs membres de sa famille ont tenu, dans l'armée
anglaise, un emploi analogue au sien; son père, d'abord, Charles Godfrey,
chef de musique des Coldstream Guards, mort en 1863 à l'âge de soixante-
treize ans, puis ses frères Frédéric et Charles. Le premier, mort aujourd'hui,
a succédé à son père comme chef de musique des Coldstream Guards; le
second dirige encore actuellement la musique des Royal Horse Guards.
— La grande compagnie lyrique formée par MM. Grau et Abbey pour
la prochaine saison du Metropolitan Opéra de New- York est ainsi composée :
Scprani, M^^^^ Adelina Patti, Emma Albani, Marie Van Zandt, Lehmann,
Eames, Pettigiani, Ravogli ; messo-soprani et contralli, Scalchi-LoUi, Fabbri,
Ravogli, De Vigne ; ténors, MM. de Reszké, Valero, Gianni-Grifoni, Capoul,
Kalisch, Vanni ; barytons, Lassalle, Caméra, Magini, Coletti, Martapoura;
basses. Ed. de Reszké, Serbolini, Vinche, Carbone, Viviani, Vaschetti.
Le chef d'orchestre est M. Vianesi, le chorégraphe M. Francioli.
— Un entrepreneur américain, M. Rodolphe Aronson, qui vient de
passer quelque temps à Munich, a formé en cette ville un orchestre fémi-
nin qu'il se prépare à emmener à New-York pour le produire dans le
théâtre qu'il dirige.
— La Reine Indigo, la. joyeuse opérette de Johann Strauss, vient de paraître
pour la première fois sur la scène du Casino de New-York et y a obtenu
le plus franc succès. Le rôle de Fantasca était tenu par M™ Pauline
L'Allemand, la créatrice de Lakmé en Amérique; c'est dire l'importance
qui a été donnée à l'interprétation. Détail typique ; l'orchestre n'était com-
posé que d'instrumentistes... féminins, sous la direction de miss Matera
Kranisch.
— Un chef de musique militaire très renommé, M. Komzak, chef de la
musique du 82° régiment d'infanterie autrichienne, vient, dit-on, d'être
engagé par un entrepreneur américain, M. Blakeley, pour diriger, pen-
dant plusieurs années, un nombreux corps de musique à la tète duquel il
donnera une longue série de concerts dans les principales villes des Etats-
Unis. Le traitement de M. Komzak ne sera pas moindre de 60,000 francs
par an. Gela ne lui fera sans doute pas regretter le service de l'Autriche,
où, comme il est dit dans le Chalet, « le militaire n'est pas riche. »
PARIS ET DEPARTEMENTS
A l'Opéra, les représentations de Lohengrin semblent devoir désormais
se poursuivre assez paisiblement sous l'œil vigilant de la force armée.
Quelques boulettes à'assa fœtida répandues plus ou moins généreusement
dans la salle ne sont pas faites assurément pour éloigner les fervents de
la musique de Wagner, et l'on compte sur des salles garnies quand on
n'aura plus besoin de composer l'assistance d'amis à toute épreuve.
Néanmoins, en vue du public impartial et désintéressé qui va survenir, il
a fallu entrer résolument dans la voie des coupures, afin de ne pas écraser
d'un seul coup les spectateurs innocents, encore peu familiarisés avec les
manières prolixes du grand musicien allemand. Quelle est l'importance
des coupures pratiquées? Si on en croit M. Lamoureux, le farouche chef
d'orchestre intérimaire de l'Opéra, qui a été interrogé par un rédacteur du
Figaro, elles se borneraient à quelques suppressions à la fin du dernier acte,
au moment des adieux de Lohengrin. Mais, si on s'en rapporte à M. Van
Dyck, qui a été interwievé par le Gaulois, les coupures sembleraient plus
importantes : « Au premier acte, déclare le sympathique artiste, pas de
changement; au deuxième acte, coupure dans le premier duo entre Fré-
déric de Telramund et Ortrude, et dans l'autre duo d'Ortrude et d'Eisa; au
troisième acte, on supprime, après le récit du Saint-Graal, tout le grand
ensemble et la prophétie de Lohengrin au roi pour reprendre à l'arrivée
du cygne. » Et l'interlocuteur de M. Van Dyck de terminer l'entretien par
ces simples mots : « C'est bien, mais, à mon avis, il faudrait encore sup-
primer quelque chose. » Voilà qui est bien impertinent, en vérité.
— Des coupures, c'est bien, mais il fallait au moins compenser cet
attentat à la partition du grand homme par quelque coup d'éclat qui lui
rendit d'autre part toute sa, splendeur. L'esprit ingénieux de M. Ritt a
trouvé tout de suite ce qu'il fallait. Il a décidé que si on retranchait pour
vingt minutes de musique dans le spectacle, on rétablirait en revanche la
superbe barbe que doit porter Lohengrin dans la pièce, obligation à
laquelle M. Van Dyck avait cru pouvoir se soustraire. Donc, depuis avant
hier vendredi, nous avons vu un Lohengrin barbu et moustachu qui ne laisse
plus rien à désirer. Reste à savoir si Richard Wagner, qui était l'homme
de la vérité, aurait approuvé les procédés artificiels qu'on a employés
pour rendre à son héros la virilité qui lui était due.
— Petit point d'histoire rétrospective. Le Journal des Débats, dans son
feuilleton musical de dimanche, disait, à propos de la représentation de
Lohengrin donnée en 1887 à l'Éden : « Lohengrin fut joué ; mais le gou-
vernement cédant aux menaces, peu effrayantes pourtant, d'une poignée
de jeunes siffleurs, ordonna au vaillant chef de faire disparaître Lohengrin
de l'aflîche de l'Eden. » M. Goblel, qui était alors président du conseil et
ministre de l'intérieuï, s'est ému de cette note ; il a écrit à notre confrère:
i( La vérité est que, dans les derniers jours du mois d'avril, en plein
incident Sîhnœbelé, j'avais obtenu de M. Lamoureux qu'il ajournât la
représentation de l'opéra de Wagner. La représentation eut lieu le mardi
3 mai. Il se produisit autour de l'Éden-Théâtre quelques désordi'es d'ail-
leurs peu graves, qui se renouvelèrent dans la soirée du lendemain, bien
qu'on ne jouât pas ce jour-là. M. Lamoureux vint alors me trouver le
jeudi matin 5 mai, avant la séance du conseil, pour me déclarer que, ne
voulant pas être une cause de trouble, il renonçait pour le moment à
continuer ses représentations, et, malgré l'assurance que je lui donnai que
des mesures énergiques seraient prises pour assurer le libre accès du
théâtre, il persista dans sa résolution. »
— Dès qu'on parle de Lohengrin, il semble que tout doive prendre une
importance extraordinaire, tant les esprits sont surexcités. Voilà-t-il pas
que l'éditeur delà partition en France, M. Durand, s'émeut d'une phrase de
l'article de notre collaborateur Arthur Pougin, dans laquelle celui-ci disait,
sans aucune malice (d'après les renseignements d'un musicien de l'or-
chestre de l'Opéra, à qui se fier!) que sur les parties d'orchestre venant
d'Al'emagne, les coupures indispensables étaient toutes indiquées. Elles
ne viennent pas d'Allemagne, s'écrie M. Durand ; elles ont été bel et bien
oravées et imprimées à Paris, dont acte à l'honorable éditeur. — Mais cela
ne change rien à la thèse. Qu'elles viennent "de Berlin ou de Paris, ce
qui nous chaut fort peu, la nécessité des coupures ne s'en est pas moins
imposée. M. Durand sait bien que nous ne sommes pas ici tellement
chauvins que nous répudiions tout ce qui nous arrive d'Allemagne. Ah !
mais non. Lui non plus, d'ailleurs, et son amour pour les éditions Peters,
de Leipzig, qu'il importe si généreusement en France, le prouve sura-
bondamment.
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles : « Les Parisiens qui ont applaudi
M. Van Dyck mercredi soir, ignorent fort probablement que notre compa-
triote, avant d'embrasser la carrière du chant, faisait un doigt de cour
aux belles-lettres. Nous avons sous les yeux une brochurette de cinquante-
quatre pages, publiée en 1880 chez Palmé et intitulée : Le Joli Château,
drame fantastique en trois actes mêlés de chant d'après une légende de Paul Féval
par MM. E. Van Dyck et F. Heuvelmans. » La scène se passe « au joli
château de Coquerel, en Bretagne, vers l'an l-ibO. » Musique de Wambach.
Si nous ne nous trompons, le Joli Château, qui ne contient aucun rôle de
femme, a été représenté au collège Saint-Louis. En cherchant bien, nous
retrouverions encore les traces d'une collaboration de M. Van Dyck à un
journal d'étudiants aux idées très avancées en littérature. Les succès de
Vienne et de Bayreuth auront fait oublier à M. Van Dyck ces épisodes
de jeunesse; peut-être ces souvenirs lointains évoqueront-ils de joyeuses
années d'université. »
— Il y a loin de Lohengrin au Rêve de M. Gastinel (si encore c'était celui
de M. Bruneau !). Annonçons pourtant, mais non sans confusion, la reprise
de ce charmant ballet à VOpéra. Il a servi de rentrée à Mi"= Mauri, 1res
applaudie. Le fameux pas de la « Mikagouva » est certainement une de
ses créations les plus exquises.
312
LE MENESTREL
— A rOpéra-Comique, on répète tous lesjours Mmwn, sous la surveillance
directe de M. Carvalho et des auteurs. Ces répétitions marchent à souhait et
on espère pouvoir passer dans la première semaine d'octobre. M. Carvalho
s'occupera ensuite de remettre à la scène Lalla Roukii, qui n'a pas été repré-
sentée depuis bien des années et qui servira de début à M"'' Vuillefroy. On
va reprendre aussi prochainement Richard Cœur de Lion. M. Bouvet reprendra
le rôle de Blondel; celui de Richard sera joué par M. Gogny, le jeune ténor
que M. Carvalho a récemment engagé, après son grand succès d'Aix-les-
Bains. Mentionnons encore l'engagement, à l'Opéra-Comique, de M""' Renée
Richard, l'ex-artiste de l'Opéra, et celui de M. Marc Nohel, qui a appartenu
au théâtre de la Gaité, où on l'a vu surtout dans le Bossu, de Charles Grisart,
rôle de Chaverny. — Bonne reprise de Mignon, cette semaine, avec M""* Si-
monnet et Landouzy et M., Queyla CWilhem Meister), un artiste qui est en
train dese faire une bonne place à l'Opéra-Comique. Bonne reprise aussi de
Carmen pour la rentrée de M"» Nardi, que l'on a fêtée tout particulièrement.
— Voici les dates au.vquelles sont fixées, au Conservatoire, les prochains
concours d'admission.
Mardi 20 octobre, déolamaliou (hommes) ;
Mercredi 21, déclamation (femmes);
Vendredi 23, déclamation (admissibles) ;
Mardi 20, chant (hommes) ;
ilercredi 28, chant (femmes);
Mercredi 'i novembre, piano (femmes);
Samedi 7, violoncelle;
Lundi 9, piano (hommes);
Mercredi 11, violon;
\'eDdredi 13, instruments k vent.
La rentrée des classes est iixée au lundi S octobre.
— M. Hector Salomon, l'auteur de Bianca Capello, de l'Aumônier du Régiment,
des Dragées de Suzeiie, de l'Extase et de nombreuses œuvres applaudies, qui
a rempli pendant vingt années les délicates fonctions de chef du chant
à l'Opéra, a pi-ié MM.Ritt etGailhard de vouloir bien faire valoir ses droits
à la i-etraite. Cette détermination de M. Hector Salomon, dont le. talent est
très apprécié, causera beaucoup de regrets parmi les artistes de l'Opéra.
— M"" Emma Eames, ou plutôt M>^'^ Eames-Story, qui achève son
voyage de noces à Venise avant de partir pour l'Amérique, vient de rece-
voir de M. Léon Bourgeois, ministre de l'instruction publique, les palmes
d'ofûcier d'académie. Le ministre a voulu récompenser ainsi le zèle mon-
tré par l'ancienne pensionnaire de l'Opéra, et en même temps se montrer
gracieux envers le grand public de Londres, où M"'» Eames-Story vient de
terminer une très brillante saison sur la scène de Covent-Garden.
— Un correspondant nous écrit que M°"= Trebelli n'est pas aussi malade
qu'on a bien voulu le dire et qu'elle ne songe nullement à la retraite :
'<. La légère attaque de paralysie .dont elle a été atteinte, il y a denx ans,
ne l'empêchera ni de chanter ni de donner des leçons très suivies par la
noblesse anglaise ». Réjouissons-nous-en avec notre correspondant.
— Notre éminent professeur, M. Marmontel, est de refour à Paris. Les
cours supérieurs de piano à l'Institut Musical recommenceront le vendredi
9 octobre prochain. On s'inscrit à l'Institut Musical, 13, Faubourg-Mont-
martre, tous les jours de trois à cinq heures.
— On écrit de Saint-Raphaël qu'une foule évaluée à trois mille personnes
a envahi dimanche la nouvelle basilique de Saint-Raphaël pour assister à
l'inauguration de la statue de Notre-Dame de la Victoire, offerte par
M"» de ChifTreville. M°>s Miolan-Carvalho, l'hôte assidue de Valescure, a
chanté l'hymne à sainte Cécile et VAve Maria de Gounod. M<^' Carvalho a
été acclamée à la sortie.
— L'intelligente et courageuse Associationartistique d'Angers a fait choix,
parait-il, d'un nouveau chef d'orchestre. C'est M. Paul Frémaux. artiste de
l'Opéra, qui est appelé à remplacer dans ces difficiles fonctions M. Gustave
Lelong.
— La ville de Bapaume honore dignement aujourd'hui la mémoire du
général Faidherbe en inaugurant sa statue. M. Léon Vasseur a écrit k
cette occasion une cantate sur une poésie de M. Ed. Guinand.
— Des stations balnéaires de Biarritz et de Saint-Jean-de-I^uz, on
nous écrit pour nous signaler le grand succès remporté, dans chacun de
ses concerts, par M"» Marie Masson ; le Noël paien, de J. Massenet, lui est
régulièrement redemandé chaque fois qu'elle le chante. A côté d'elle, on
s'amuse beaucoup des scènes et chansonnettes de M''^ Croix-Meyer et de
M. Baret, des Variétés.
NÉCROLOGIE
Glest un grand artiste qui vient dé mourir en la personne de Jean-
Baptiste Lavastre, qui fut sans contredit le premier peintre décorateur de
ce temps et dont on ne saurait trop déplorer la perte inattendue. Cet art
si fugitif du peintre décorateur n'en exige pas moins, avec de vastes con-
naissances, un talent éprouvé, et le public ne se doute pas de l'immense
somme de difficultés que l'artiste qui l'exerce est obligé de vaincre ou de
tourner pour obtenir les effets prodigieux qu'on admire à la scène. J.-B.
Lavastre avait été l'habile successeur des grands maîtres en ce genre, les
Cicëri, les Daguerre, les Thierry, les Wagner, les Séchan, les Poisson, les
Despléchin, les Zara, et l'on peut dire qu'il les avait même dépassés.
Elève précisément de Despléchin, dont il était devenu plus tard l'associé,
pour, à la mort de celui-ci, s'associer ensuite M. Carpezat. Lavastre, on
peut le dire, a produit dans nos grands théâtres, à l'Opéra, à la Comédie-
Française, à l'Opéra-Comique, à l'Odéon, toute une série de véritables
chefs-d'œuvre. Qui ne se rappelle le lac à'HamIet, le palais d'Indra du
Roi de Lahore, la Memphis A' Aida, le second acte du Tribut de Zamora, (deux
merveilles), le premier acte de Sigurd, le quatrième de Patrie, le bal de
Don Juan, les décors de Coppélia, de Sijlcia, de la Korrigane, de Yedda, de la
Farandole, de la Tempête?... A l'Opéra-Comique, on lui doit ceux de Cinq-
Mars, de la Nuit de Cléopàtre, de Jean de Nivelle, de Manon, de Lahmé, à la
Comédie-Française ceux de Ruy Blas, i'Hamlet, du Roi s'amuse, de Jean Bau-
dry, de Thermidor, et de combien d'autres, sans compter l'admirable tableau
dans lequel il sut encadrer aux Champs-Elysées, en ISSO, l'ode de M"' Au-
gusta Holmes. Justement, sa double exposition au Champ-de-Mars en 1889
lui valut une médaille d'or et la rosette d'olficier de la Légion d'honneur.
Je ne saurais énumérer ici tous les travaux de cet artiste si bien doué,
d'un talent si exceptionnel, et qui sera vivement regretté de tous ceux qui
l'ont connu et qui ont été à même de l'approcher. Grand artiste et honnête
homme dans toute l'acception du mot, Lavastre meurt trop jeune, pour lui
et pour ses amis. Il n'avait en effet que cinquante-sept ans, étant né à
Nîmes en 1834. ' A. P.
— M"'" Witt, qui fut, pendant plus de vingt-cinq ans, une des premières
cantatrices de l'Opéra de Vienne et qui eut aussi de nombreux triomphes
sur les principales scènes de l'Allemagne, s'est suicidée en cette ville,
jeudi dernier, en se précipitant du cinquième étage d'une maison située
près de l'église Saint-Etienne. M""= "VVitt, qui s'était séparée de son mari
à la suite d'un procès retentissant (si retentissant qu'elle dut renoncer à
chanter à Vienne), avait donné, depuis plusieurs années, des signes in-
quiétants d'un dérangement, au moins momentané, de ses facultés men-
tales. Sa famille la fit même interner pendant quelque temps dans une
maison de santé prés de Gratz. Mais elle en sortit bientôt, et tout récem-
ment elle prit part au festival donné en l'honneur de Mozart, à Salzbourg.
Sa voix était encore magnifique, mais elle paraissait en proie à une
exaltation toujours croissante. H y a deux jours, elle s'était décidée à
entrer, de son gré, cette fois, dans une maison de santé située à Hacking,
près Vienne, et dirigée par M. HoUander. Sous prétexte d'aller consulter
son dentiste, elle sortit de l'établissement et se fit conduire en voiture
par le docteur HoUander jusqu'à la place Saint-Etienne, promettant de
rentrer à Hacking dans la soirée. C'est à cinq heures du soir qu'elle s'est
tuée. Avant d'entrer dans la maison, on l'avait vue se promener devant la
porte avec un jeune homme. L'entretien paraissait très vif, et, à plusieurs
reprises, les éclats de voix attirèrent l'attention des marchands sur le pas
de leurs magasins. M""' "Witt était âgée de cinquante-sept ans, disent les
uns, d'autres prétendent de soixante-sept. Elle avait gagné, pendant sa
carrière artistique, une grosse fortune, dont la disposition lui était restée
après son procès. Il y a quelques années, elle consacra 100,000 florins à
la création d'un fonds de secours pour les étudiants sans ressources de
l'université de Gratz, où elle habitait alors.
— Le Journal de Saint-Pétersbourg dit que le maître de la courBakhmetiew
est mort dans cette ville le 31 août, à l'âga de quatre-vingt-quatre ans.
Le défunt avait servi d'abord dans les gardes à cheval, puis il fut maréchal
de noblesse du gouvernement de Saratow. C'est comme amateur de mu-
sique surtout qu'on l'a beaucoup connu dans les salons de Saint-Péters-
bourg. Tout enfant, il se distinguait déjà par son talent de violoniste. Il
était élève de Bœhm. Comme compositeur, il s'est essayé d'abord à écrire
des romances, dont quelques-unes, empreintes de cachet russe, ont eu de
la vogue. En 18G1, Bakhmetievi' succéda à Alexis Lvow (l'auteur de
l'hymne national russe) dans la direction de la chapelle des chantres de
la cour, pour laquelle il écrivit un grand nombre de compositions sacrées.
On ne peut leur refuser une certaine virtuosité de facture, mais le style
religieux fait absolument défaut.
— On annonce la mort à Leipzig de M"«= Livia Virginie von Frege qui,
sous le nom de Livia Gerhardt, s'était acquis une grande renommée comme
cantatrice, il y a une cinquantaine d'années. C'était une amie de Mendels-
sohn et de Sohumann. Mendelssohn l'a mentionnée dans plusieurs de ses
lettres; dans l'une d'elles, adressée à un ami, se trouve ce passage: «Vous
ne connaissez pas mes mélodies? Allez à Leipzig et entendez M""" von
Frege ; vous vous rendrez un compte e.xact de mes intentions relativement
à leur interprétation. » M"" von Frege reçut ses premières leçons de mu-
sique de Pohlenz à Leipzig, et travailla ensuite avec la célèbre Schrœder-
Devrient. Ses premiers débuts eurent lieu à Leipzig, à l'âge de quatorze
ans, dans un concert donné par Clara Wieck (plus tard M^i^Schumann), qui
était alors également âgée de quatorze ans. C'est en 1833, et toujours à
Leipzig, qu'elle parut pour la première fois sur les planches, dans la Jes-
sonda de Spohr. Deux ans après, elle devint membre de l'Opéra royal de
Berlin, d'où elle fut éloignée l'année suivante par son mariage avec M. von
Frege. Dès lors, elle se consacra aux concerts et au professorat. M"" von
Erege était née à Géra, en 1818.
Henri Heugel, directeur-gérant.
SIERIE CE\TRA]
3158 — 57- mm — A'° 40.
Dimanche i Octobre 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (28" article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — II. Senaaine théâtrale : Lohengrin devant le public parisien, H.
Moreno ; reprise de Nuinu Roumestan, au Gymnase, de la Cigale, aux Variétés,
et du Voyage de Suzeile, à la Gaité, Paul-Émile Chevalier. — III. Histoire
anecdotique du Conservatoire (9' article), André Martinet. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
PAPILLON
nouvelle mélodie de Ed. Chavagnat, poésie de M. Monnier. — Suivra
immédiatement : Au Rossignol, nouvelle mélodie de Robert Fischhof,
traduction française de Pierre Barbier.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Parmi le thym et la rosée, de Paul Rougnon. — Suivra immé-
diatement : Carillon, petite pièce pour piano de Robert Fischhof.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOXJBIES et Cliarles JVtALHEFlBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE IV
AVANT LA GUERRE
1868-1870.
(Suite.)
Mais, entre temps, la direction de l'Opéra-Gomique s'était
modifiée, M. Rilt cédait la place à M. Du Locle, ainsi qu'il
résulte d'un acte dont vcici les dispositions principales :
« Il a été formé une société en nom collectif sous la raison
sociale de Leuven et du Locle, ayant pour objet l'exploita-
tion du théâtre impérial de l'Opéra-Gomique. Cette société
commencera le 20 janvier 1870 pour se terminer le 20 jan-
vier 1874... Le capital social est fixé au chiffre de 500,000 fr.
M. de Leuven apporte une somme de 250,000 francs à four-
nir en matériel, argent et cautionnement, M. du Locle ap-
porte une somme de 250,000 francs en espèces. » Le plus
avisé des trois était celui qui partait, car il « passait la main »
au bon moment; aussi, laissera-t-il le souvenir d'un direc-
teur heureux, puisqu'ayant administré trois théâtres, l'Am-
bigu, l'Opéra-Gomique et, vingt ans après, l'Opéra, il aura
toujours trouvé le moyen de gagner de l'argent, là môme où
ses prédécesseurs en perdaient ; ces chances-là n'arrivent
qu'aux habiles.
M. Du Locle devenait co-directeur, à la veille d'événements
que rien ne faisait prévoir , et dont les théâtres devaient
fatalement ressentir le douloureux contre-coup. Sinistre
présage : presque au seuil de cette année 1870, les morts se
succèdent et se pressent ! Bien des gens disparaissent alors
qui tiennent à l'histoire de ce même théâtre, par leurs ser-
vices et par leurs œuvres. C'est Rossini, mort à Passy le 13 no-
vembre 1868, chargé d'ans et de gloire, mais pour les obsè-
ques duquel l'Opéra-Gomique s'abstint de faire relâche, car
il n'avait jamais ouvert la porte à ses ouvrages et ne devait
admettre son Barbier de Séuille que beaucoup plus tard, lors
d'une soirée tristement mémorable. C'est Berlioz, s'éteignaut
à Paris le 5 mars 1869, à l'âge de soixante-cinq ans, aigri, dé-
couragé, le cœur et le corps également brisés. C'est Albert
Grisar, enlevé presque subitement à Asnières le 13 juin 1869,
jeune encore, car il ne comptait que soixante et un ans,
l'un des fournisseurs les plus heureux de l'Opéra-Comique,
presque un maître en son petit genre, et qui avait eu la su-
prême consolation de voir remettre au répertoire, le 31 mars
précédent, avec Ponchard (Lélio), (le rôle avait été attribué
d'abord àM"'= Seveste, puisa M'"' Revilly), Prilleux(le docteur),
M"" Guillot (Isabelle) M"'* Bélia (Golombine), son Bonsoir
Monsieur Pantalon, délaissé depuis 1861 .à Paris, mais toujours
conservé en Allemagne, oii sa popularité se maintient encore
aujourd'hui. Ce sont d'anciens artistes décédés , comme
M"<^ Darcier (mars 1870) et M'"* Angèle Cordier (avril 1870).
Ce sont trois anciens directeurs, Basset, devenu membre de
la commission d'exqmen des ouvrages dramatiques, et Nestor
Roqueplan, tous deux morts à Paris en avril 1870 ; et précé-
demment, en septembre 1869, Alfred Beaumont, mort à Caen,
où, depuis sa faillite, il s'occupait d'affaires industrielles
pour le compte d'une maison de Madrid. C'est enfin le chef
d'orchestre Tilmant, frappé d'une congestion le 3 octobre
1868 , en pleine représentation, rétabli depuis, il est vrai,
mais forcé de donner sa démission et de céder le bâton à
M. Deloffre, qui venait du Théâtre-Lyrique.
Après les gens qui meurent, les pièces qui tombent. Celles
de 1870 n'échappent pas, sauf une, au triste sort qui avait
frappé celles de 1869. Les deux premières nouveautés de
l'année furent données le même soir, 21 février; l'une,
l'Ours et le Pacha, avait pour auteur Bazin ; l'autre, la Cruche
cassée, M. Emile Pessard, prix de Rome en 1866, et précisé-
ment élève de Bazin.
La Cruche cassée forme un gentil lever de rideau, dans le-
quel MM. Hippolyte Lucas et Emile Abraham ont représenté
la sentimentale et sceptique Dorothée qui , après avoir fait
languir pendant vingt ans son adorateur, cède à ses instances
31-'i
LE MENESTREL
le jour où il lui montre l'exemple d'un amour vrai, sous
l'aspect de deux tourtereaux, contrariés par un vieil oncle
avare et un rival cousu d'or, mais tenant bon, et si ferme
que devant la fontaine, témoin de cette idylle, la cruche se
casse, gage et symbole d'une aventure dont le dénouement
aura lieu chez M. le maire. C'était le début au théâtre de
M. Emile Pessard, un compositeur de talent que la chance a
mal servi. Partout oîi il a passé, à Ventadour, à l'Opéra, à
l'Opéra-Comique, toujours une fermeture de salle, une insuf-
fisance de poème ou d'interprétation , un changement de
direction, sont venus contrarier sa fortune et relarder pour
lui l'heure du vrai succès.
Dans l'Ours et le Pacha, Scribe et Saintine n'avaient vu jadis
qu'une folie de carnaval, émaillée de certaines plaisanteries
dont quelques-unes comme « Prenez mon ours » sont deve-
nues célèbres. Cette farce au gros sel pouvait-elle se trans-
former en comédie musicale ? Bazin l'avait cru ; mais ses
personnages s'étaient glacés au cours de cette adaptation :
sauf Potel, ni Ponchard ni M"" Bélia, substitués à Sainte-
Foy et à M'"« Ugalde qui devaient créer deux des principaux
rôles, ni Gouderc, n'avaient Fexubérance nécessaire à de telles
bouffonneries, et sa musique elle-même était déjà celle d'un
homme avisé qui, jetant les yeux du côté de l'Institut, con-
traint sa nature, afin de mieux affecter les belles manières.
Le soir de ces deux petits actes, ce fut l'élève qui battit le
maître, puisque la Cruche cassée devait obtenir vingt et une
représentations et l'Ours et le Pacha cinq seulement. Mais le
battu n'était pas content et, profitant de quelques coupures
faites malgré lui avec l'espoir de renflouer son ouvrage, il
intenta un procès à la direction. Le tribunal de commerce
ne lui accorda pas les dommages-intérêts qu'il demandait,
attendu, disait-il, « que Bazin ne saurait imputer à de Leuven
d'avoir, par son seul fait, occasionné l'interruption dans les
représentations dont il s'agit; qu'il est constant, en effet,
qu'en refusant absolument d'examiner les modifications qui
lui étaient proposées par la direction dans l'intérêt même de
l'œuvre, et confoj-mément à l'usage suivi en cette matière, il a mo-
tivé la décision prise par de Leuven ». Seulement, on faisait
défense au directeur de représenter l'Ours et le Pacha avec
les coupures pratiquées et on le condamnait aux dépens. Celui-ci
fit disparaître non pas les coupures, mais la pièce elle-même,
de sorte que le malheureux plaideur perdit son procès tout
en ayant l'air de le gagner : sort fatal et commun au pot
de terre de l'artiste, toutes les fois qu'il voudra se heurter
au pot de fer du directeur.
Les semaines qui suivent sont occupées par deux reprises
d'ouvrages d'Auber, les dernières faites au théâtre, de son
vivant : l'une, le 24 février, du Premier Jour de bonheur, men-
tionnée déjà et d'ailleurs médiocre par l'interprétation ; l'autre,
le 20 mars, de Fra Diavolo, intéressante au contraire à cause
des artistes, qui presque tous jouaient leur rôle pour la pre-
mière fois : Gapoul (Fra Diavolo), Potel (Cokbourg), Leroy
(Lorenzo), Mirai et Masson (deux brigands) M'"^ Priola (Zer-
line) et Cico (Paméla). Auber lui-môme avait jugé cette re-
prise assez importante pour ajouter à son ancienne partition
deux morceaux nouveaux qui peuvent à bon droit passer
pour son chant du cygne. Citons aussi pour mémoire une
représentation dite extraordinaire, et assez extraordinaire en
effet, puisque entre Mignon et le Café du Roi, M"- Patti vint
chanter en ilalien, et avec la troupe des Italiens, le second
acte de la Figliadel reggimento. C'était le prix d'une concession
faite à M. Bagier, qui voulait donner à la salle Ventadour
des représentations de l'œuvre de Donizetti avec la Patti
comme on en avait donné en 1850 avec la Sontag. Il fallait
pour cela l'autorisation de l'Opéra-Comique, lequel l'accorda,
mais à la condition que la première aurait lieu chez lui'
combinaison ingénieuse qui lit tomber dans sa caisse en un
soir 13,278 fr. 80 c.
Un tel bénéfice compensait presque la perte que devaient
causer au théâtre quelques jours plus tard, le 30 avril, les
deux actes de la malheureuse Dea. MM. Cormon et Michel
Carré avaient imaginé un livret assez bizarre, montrant dans
les pampas une pauvre mère qui pleure la perte de sa fille,,
autrefois ravie par les Indiens. Le fils, pour consoler la mère,
lui présente une jeune Indienne qu'il fait passer sans trop
de peine pour la jeune Déa retrouvée ; mais lui-même il
s'éprend de cette jeune fille, et il ne peut l'épouser qu'en
révélant à tous le secret de cette supercherie qu'il avait es-
péré pouvoir cacher. Les journalistes furent sévères pour
les versificateurs de cette comédie sentimentale, et cruels
pour le compositeur. Les plus polis dirent que M. Jules Cohen
était « un aimable musicien dont la plume facile et élégante
sent son boulevard des Italiens d'une lieue, dont la phrase
bien coupée parait sortir des ateliers de Dusautoy lui-même
et qui semble écrire d'une main habile, toujours gantée de
blanc ».
jfme Ugalde, qui « rentrait » une fois de plus par le rôle
de la mère, ne réunit pas l'unanimité des suffrages, non plus
que, six semaines après, Montaubry, « rentrant » lui aussi,
après avoir composé des opérettes, dirigé les Folies-Marigny,
et perdu son argent sans retrouver sa voix, reparaissant
le 12 juin dans le Postillon de Lonjumeau, puis dans Fra
Diavolo, et donnant ainsi une douzaine de représentations.
Dans la pièce de M. Jules Cohen, ce fut encore une débutante
qui tira le mieux son épingle du jeu, M'"^ Zina Dalti. Elle
arrivait de Bruxelles, et avait assez de talent pour se faire
une place à Paris, comme nous aurons l'occasion de le
constater parla suite, bien qu'un ac(;ident de fâcheux présage
eût marqué ses premiers pas dans la salle Favart. Le 12 mai,
en effet. Béa ne put s'achever ; la jeune cantatrice avait été
prise d'une indisposition telle qu'on dut la transporter à son
domicile, et que, pendant plusieurs jours, on craignit pour
sa vie. Un événement analogue s'était produit, le 23 sep-
tembre précédent, lors d'une représentation de la Petite Fadette;
Barré, entrant en scène, avait perdu la mémoire et presque
l'usage de la parole; il avait fallu baisser le rideau et rendre
l'argent. A côté de ces deux artistes, qui jouaient précisément
dans Déa, un débutant avait dû se produire, qui, tombé ma-
lade, lui aussi, fut remplacé au dernier moment par Leroy .
C'était un nommé Ghelly, élève de Faure, un ténor d'origine
française, mais faisant partie d'une troupe italienne qui était
allée donner des représentations à Nantes. Il parut enfin, le
12 juin, dans la Fille du régiment (rôle de Tonio), à côté de
M"'' Heilbron, qui, revenue de la Haye, chantait Marie pour
la première fois, et bientôt après Philine dans Mignon.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LOHENGRIN DEVANT LE PUBLIC PARISIEN
Le temps était beau, l'autre soir ; ot sur la place de l'Opéra, —
chose assez extraordinaire de nos jours — il n'y avait pas tant
d'agents de police que la circulation en pût être sérieusement gênée.
On n'arrêtait plus les promeneurs et j'en ai profité pour me glisser
dans le monument de M. Garnier, avec l'espoir d'y goûter en paix
les doiiceurs d'un chef-d'œuvre de la musique. Car, ai-je besoin de
vous le dire, on jouait Lohengrin.
Oh ! la soirée fut très calme. Je n'y vis pas d'enthousiasme débor-
dant. Il est vrai qu'on y musiquait sous l'oeil sévère de gardes muni-
cipaux flanqués aux quatre coins de la salle et que, quelque admi-
ration qu'on puisse avoir pour l'armée française, cela jette toujours
un certain froid de voir l'état de siège transporté en plein Opéra.
Non, ce n'était pas de l'enthousiasme; le wagnérisme étant pour
beaucoup une sorte de religion, on nous dira peut-être que les
spectateurs méditaient sévèrement sous l'empire d'un pieux recueil-
lement. Religion, si l'on veut, mais religion qui, à coup sûr, ne
s'amusait pas.
Et cette impression morne n'avait rien vraiment pour nous sur-
prendre. Pourquoi ne pas le dire"? Lohengrin a été une déception pour
les Parisiens, et cela devait être. Non pas que cet opéra soit si fort
LE MENESTREL
315
à dédaigner, et qu'avec plusieurs de ses très belles pages il ne puisse
tenir très dignement sa place au répertoire de l'Opéra non pas au-dessus,
mais à côté de Guillaume Tell, des Huguenots, de Faust ou de Roméo.
Mais voici si longtemps qu'à Paris un petit clan de critiques et de
musiciens enragés battent la grosse caisse autour du nom de Wagner,
en le présentant, non sans raison d'ailleurs, comme un révolutionnaire
dans le drame lyrique, comme un destructeur des anciennes formes
usitées et un novateur extraordinaire, qu'il y a eu une surprise
générale pour les non initiés, — c'est le plus grand nombre — en se
trouvant vis-à-vis d'un opéra qui n'a rien de subversif et qui suit,
la plupart du temps, les sentiers battus. Le public a retrouvé là les
■chœurs d'entrée et de sortie, les ensembles construits selon le mode
ancien auquel il est accoutumé ; par instants même — pi-oh jmdor ! —
il s'est senti roulé dans des formules qui lui rappelaient les plus
mauvais temps de l'art italien. De là un malentendu, une gêne entre
l'œuvre et ses auditeurs^ et comme une sorte de glace réfrigérante
qui est tombée sur des esprits qui ne demandaient pourtant qu'à
s'exciter. J'ai entendu traiter Loheiigrin « d'œuvre déjà démodée » !
Il est probable qu'avec le temps — et même très prochainement
— celte glace se fondra d'elle-même et qu'on rendra plus de justice
aux véritables mérites de Lohengrin, en plaçant cette œuvre au rang
qu'elle doit occuper légitimement au répertoire de tout théâtre de
musique, c'est-à-dire ni trop haut ni trop bas. Elle peut vivre en
bonne intelligence avec les partitions que nous avons coutume
d'applaudir depuis plus de trente années. Elle est de la même
■époque et aussi de la même famiUe, à bien peu de chose près.
Nous comprenons fort bien que Richard Wagner et ses partisans
les plus exaltés aient toujours fait assez peu de cas de cet ouvrage.
■C'était tout au plus une œuvre de transition, et ce n'est pas là qu'il
faut chercher la loi nouvelle et son prophète.
MM. Rilt et Gailhard pourraient bien s'être trompés dans leurs
calculs en représentant Lohengrin et n'en pas tirer, malgré la parci-
monie de leur mise en scène (quels costumes et quels décors!),
tous les bénéfices qu'ils en espéraient. Il fallait laisser Lohengrin à
la province et, par un coup d'audace, trancher de suite dans le
vif en nous donnant Parsifal ou la Valkyrie. Un souffle d'art
nouveau eût alors passé sur Paris et, au milieu des ennuis incom-
mensurables inhérents à toute œuvre de Wagner, au travers de
brumes souvent épaisses, on eût du moins découvert à trois ou à
■quatre reprises des sommets d'art tellement élevés que l'admiration en
eût été forcée. Je ne suis pas convaincu que les drames de Wagner
puissent en leur entier s'acclimater facilement en France. Wagner
a tenu à créer un « art essentiellement allemand » et il y a réussi à
■ce point que son œuvre, même dans ses beautés, semble une pro-
vocation constante au génie des races latines. Mais il y eût eu
honneur à nous présenter le grand musicien tel qu'il fat dans son
épanouissement, et non lorsqu'il hésitait encore sur la route à
suivre.
La timidité de M. Rilt — on n'est pas audacieux à cet âge —
n'a pas cru devoir aller au delà de Lohengrin. Encore eût-il dû
nous présenter cette œuvre dans les meilleures conditions possibles
•d'exécution. Y a-t-il réussi? Non. Pour tout esprit impartial, l'in-
terprétation de Lohengrin n'est rien moins qu'excellente. Et c'est
surtout du côté de l'orchestre, ce facteur principal des œuvres de
Wagner, qu'elle laisse tout à fait à désirer. Nous avons bien eu la
note impeccable et rigide de la partition, mais nous n'eu avons
pas eu l'âme. Précision louable assurément, mais aussi séche-
Tesse désespérante. Et que de lourdeur partout répandue ! Nulle
envolée, nulle flamme, rien enfin de ce qui anime une œuvre et la
fait vivre. Encore une légende qui s'en va que celle de M. Lamou-
reux grand chef d'orchestre !
H. MORENO.
Gymnase. Numa Roumestan, pièce en i actes et o tableaux, de M. A. Daudet.
— Variétés. La Cigale, comédie en 3 actes, de MM. II. Meilhac et L.
Halévy. — Gaité. Le Voyage de Suzette, pièce à grand spectacle en 3 actes,
et 12 tableaux, de MM. Duru et Chivot.
Le Gymnase vient de donner Numa Roumestan, la pièce de M. Al-
phonse Daudet applaudie an février 1887 à l'Odéon, et la réussitejde
l'œuvre au Théâtre de Madame ne nous a pas semblé aussi com-
plète qu'il y a quatre ans au second Théâtre-Français. Les défauts
de la comédie, principalement dans les deux premiers actes, nous
ont para cette fois beaucoup plus tangibles. Est-ce la faute de
l'auteur, qui a resserré son action autant que faire se pouvait, en
sacrifiant des détails qui n'étaient point indispensables? Est-ce
plutôt la faute des interprètes"? Il est absolument certain que, mal-
gré tout le talent déployé par M. Duflos, dans le rôle créé par
M. Paul Mouuet, Numa Roumestan nous a fait l'effet d'être un peu
trop poussé à la caricature. Ce qui produit toujours grande sensa-
tion, et ce qui assure le succès, ce sont les deux émouvants ta-
bleaux du troisième acte, dans lesquels M"" Sisos et son partenaire,
ont fait preuve d'une grande sûreté de jeu et d'une émotion complète-
ment sincère. Un rôle de la version primitive a disparu, celui de la
mère d'Hortense Duquesnoy, la pauvre petite poitrinaire, entraînant
avec lui la suppression d'une scène qui n'était point sans intérêt.
En dehors de M""" Sisos et de M. Duflos, que j'ai déjà nommés, il
est ds toute justice de complimenter MM. Burguet et Hirsch, l'un
bon vivant et l'autre très naturel, MM. Nertann, Plan, Masset etNoël.
M""" Desclauzas nous a donné une très amusante tante Portai,
M"'^ Depoix une ravissante Hortense, tandis que M"" Lécuyer, sous
les traits de la petite Bachellery, n'a pu que nous faire regretter
M"'= Cerny.
« Je t'aima, ma petite Cigale »... et le public s'associe grande-
ment à ce cri du cœur poussé par Marignan-Dupuis; et non seule-
ment, il aime la Cigale-Réjane, mais il aime encore ses deux pères,
MM. Meilhac et Halévy, le susnommé Mariguan, Carcassonne-Baron
et Edgar-dLassouche. M"^ Réjane a été, toute la soirée, absolument
exquise; bohémienne, demoiselle du grand monde, amoureuse, elle
a détaillé tous les côtés de son rôle avec un esprit, un charme et
une maestria tout à fait surprenants. M. Dupuis demeure un Mari-
gnan étonnant de naturel, tandis que M. Baron est bien le plus
étourdissant directeur de baraque foraine que l'on puisse rêver et
que M. Lassouche est l'amoureux comique par excellence. MM. Chal-
min, Raiter, Duplay, M"'' Crouzel, Verlival et Claudia pâlissent
bien un peu d'un tel voisinage; leur bonne volonté et leur grâce
n'en aident pas moins au succès de la si amusante comédie de
MM. Meilhac et Halévy. Voilà le théâtre des Variétés assuré d'une
bonne série de Teprésentations, et la Cigale certaine de ne point se
trouver dépourvue quand la bise sera venue.
A la Gaîté, on a repris le Voyage de Suzette, l'amusante pièce à
spectacle de MM. Duru et Chivot. L'attrait de la soirée consistait
dans les débuts de M"« Gassive, une étoile de café-concert fort
remarquée lors de la dernière reprise du Petit Faust à la Porte-Saint-
Martin, dans un tout petit bout de rôle, et aussi dans l'exhibition,
sur la scène même, des étonnants éléphants de Sam Lockharl. J'en
fais toutes mes excuses à la nouvelle et ravissante Suzelte, mais la
vérité m'oblige à dire que le publie a fêté surtout ces très curieux
pachydermes dont le dressage est merveilleux. M"" Cassive, qui est
une fort jolie personne, douée d'une petite voix que l'émotion déna-
turait le soir de la première, a vaillamment soutenu la lourde tâche
de succéder à M"" Simon-Girard. MM. Vauthier, Alexandre, Fugère,
Dacheux et M"= Gélabert enlèvent avec leur entrain habituel ces
trois actes qu'on a déjà vus et revus et qu'on ira, très certaine-
ment, revoir encore.
P:>.ul-Éjiile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATlOf
(Suite)
CHAPITRE VI
LOUIS-PHILIPPE ET LA II" RÉPUBLIQUE
Réduits au silence par le bruit de la fusillade, les archets ne tar-
dent pas à prendre leur revanche, et les théâtres, rouverts le 4 août,
luttent entre eux à coups de nouveautés. Drames, comédies, opéras-
comiques, vaudevilles, ne vont avoir qu'un héros dont les ovations
sans fin salueront l'apothéose : l'Empereur, incarné par Virginie Dé-
jazet, Gobert, Francisque, Frederick et tant d'autres.
L'École royale, qui a repris son enseigne d'autrefois, reste modes-
tement à l'écart. Parmi les soixante lauréats récompensés le 28 no-
vembre, relevons les noms de Dolphin Alard et de Dérivis. Hector
31 ()
LE MEiNESTlŒL
Berlioz, grand prix de Kome de l'année, offre aux mélomanes une
audition ûe ses œuvres le S décembre au bénéfice des blessés de
juillet.
Tout régime nouveau a soif de réformes; respectueux de la tra-
dition, Louis-Philippe apportera plus d'une modification au Conser-
vatoire en 1831.
Placée sous la dépendance du ministre du commerce et des
travau.\ publics, dotée d'un conseil de surveillance que présidera
le duc de Choiseul, l'Ecole verra la suppression de la classe spé-
ciale de déclamation fondée l'année précédente, mais en échange
de celte perte, deux classes nouvelles seront instituées « pour les
personnes des deux sexes qui voudraient se consacrer à la profes-
sion de choristes. » Permission est accordée aux élèves de paraître
sur la scène de l'Opéra-Comique, en qualité do choryphées.
La garde nationale est l'idole du jour, encensée dans les théâtres,
adorée dans les rues. Le Conservatoire sacrifie, lui aussi, au nouveau
culte, et tous les musiciens de l'orchestre ont revêtu l'uniforme vé-
néré le 30 janvier, pour la séance de réouverture, au bénéfice des
blessés de juillet.
Paganini triomphe à l'Opéra en une série de concerts dont les re-
cettes sont si brillantes, qu'au dire d'un calculateur, chaque mesure
rapporte 12 francs au célèbre violoniste; le quart de soupir est
coté 7S centimes.
Choron, auquel le nouveau régime a retiré toute subvention, s'en-
tend avec la direction de Tivoli pour organiser trois fois la semaine,
durant l'été, de grands concerts de musique classique.
Les élèves du Conservatoire paraissent pour la première fois dans
la cérémonie funèbre du 27 juillet, au Panthéon, mêlés aux SOO mu-
siciens qui exécutent, en présence du roi et de l'empereur du Brésil,
la Marche de Cherubini, l'Hymne écrit par Herold sur le poème de
Victor Hugo, la prière de Moise et le chœur de Caslor et Pollux.
L'impression laissée par les concours de 1831 sera médiocre, au
dire des feuilles spéciales qui colportent avec plaisir cette définition
du Conservatoire : « Une cage où l'on élève des canards qu'on nous
vend pour des rossignols. » Parmi les prétendus palmipèdes, figurent
cependant Prosper Derivis, Revial, M'i» Cornélie Falcon. A citer
aussi Lecarpenlier, Deldevez, Pasdeloup, Prudent, Besozzi.
« C'était une véritable fête de famille, écrit l'Eiitr'acle, bien
niaise, bien paternelle; c'était une comédie bien, bourgeoise, et vous
savez comme il est peu amusant d'assister à la comédie en plein
jour — Les jurés, ces hommes qui sont tenus de ne pas se livrer à
leurs émotions, d'après le règlement, prennent le parti de dormir,
jusqu'au moment oîi il faut choisir le lauréat.... »
On accuse Cherubini de ne pouvoir souffrir la Marseillaise et de
mal dissimuler sa froideur pour la Parisienne.
Quelques fragments de dialogue nous donnent l'opinion du public
dilettante:
— On parle de la réforme du Conservatoire ?
— Elle se borne à réformer cinq professeurs. »
— Entre nous, dites-moi donc ce qu'il conserve?
— L'habitude d'aller mal, et rien de plus. »
Malgré les troubles constants, les craintes causées par l'approche
du choléra, l'année théâtrale a fourni Tr2 ouvrages, dus à 172 au-
teurs : 2 tragédies, 27 drames, 19 comédies, 21 opéras, 30 mélo-
drames, 2 ballets, 171 vaudevilles.
Dans la soirée du 28 mars 1832, tandis que M'" Taglioni danse
la Sylphide, le bruit se répand à l'Opéra que la présence du choléra-
morbus est officiellement constatée. Un homme est mort dans la rue
Mazarine ; quelques heures plus tard, neuf malades sont reçus à
l'Hôtel-Dieu.
Le fléau va se propager, frappant de droite et de gauche, affolant
la population. Contre cette terreur on voudrait réagir: pas un théâtre
ne ferme, les nouveautés se multiplient mais rien ne peut contre
l'effrayante éloquence des chiffres publiés chaque jour.
Il se trouve cependant encore des mélomanes intrépides pour
remplir la salle des Menus-Plaisirs, oîi la société joue au bénéfice
des anciens pensionnaires. Un concerto, composé et exécuté par
Alkan, remporte un succès si brillant qu'il est désigné comme mor-
ceau de concours pour le mois d'aoùl.
Cette année-là, le grand prix de Rome est décerné à M. Ambroise
Thomas, élève de Lesueur et de Barbereau, déjà jugé digne d'une
mention. Son concurrent Lagrave meurt de chagrin quelques jours
après.
Puis voici, le choléra disparu, le triomphant début do M"" Falcon
dans Robert le Diable, les fêtes données pour le mariage du roi Léo-
pold avec la princesse Louise, tout un renouveau de théâtre, de
musique, de mouvement. Dans l'Odéon réparé, la Comédie-Française
avec M"' Mars, jouera deux fois chaque semaine, et l'Opéra-Comique
autant.
Les concours avaient mis en lumière Ravina, Leudet, Potier. Mar-
monlel et surtout M"" Doulx, à laquelle on promettait une éblouis-
sante carrière. Les prix sont distribués le 5 décembre par le duc
de Choiseul, qui rend un public hommage à M"" Damoreau, « le charme
et la gloire de la scène », nommée à une classe de chant en rem-
placement de Rigaud.
« Le Conservatoire, annonce le président, possède en ce moment
304 élèves : 196 hommes et 108 jeunes demoiselles : 102 ont été
admis au concours, et 48 prix et S accessils ont été décernés. »
Les aimées se suivent et se ressemblent : concerts sur concerta,
le bénéfice de M''" Dorval à l'Opéra succédant à celui de M"" Déja-
zet à Tivoli, symphonies de Beethoven alternant avec des frag-
ments de Cherubini, et nous arrivons au 28 juillet 1833, signalé par
le festival monstre des Tuileries. Sous la conduite d'Habeneck,
5U0 musiciens, parmi lesquels de nombreux élèves du Conservatoire,
attaquent l'ouverture de la Gazz.a Ladra, la prière de la Muette, le
chœur de et Tarare la prière de Berlioz. Un roulement exécuté par
300 tambours a annoncé le commencement de la fête.
Succès tel que l'Opéra s'empare du programme et l'offre le 9 août,
diminué du tonnerre de ra et de fia, entre deux actes de Guillaume
et des fragments de Mars et Vénus.
Dans la liste des lauréats, M"" Nau, Prudent, Groisilles, Clapisson,
Labro, Nargeot, Croharé.
Quelques jours avant la distribution des prix, on signale aux ama-
teurs les Etudes de Frédéric Chopiu, jeune compositeur polonais,
remarquables parla progression habile dans les difficultés.
1834. — Un événement inattendu : l'École, rompant avec la rou-
tine, ouvre aux amateurs, le 27 mai, la salle des Menus-Plaisirs
transformée en théâtre. Tout étonnés de pouvoir pratiquer en public
les leçons qu'ils reçoivent dans les classes, les élèves jouent la Fête
du village voisin et les Maris garçons, soutenus par un orchestre que
dirige Habeneck.
Le lo juillet, nouvelle expérience. Dans le Tableau parlant, les
applaudissements vont droit à M"" Fargueil. « Cette jeune élève,
écrit le Ménestrel, est remarquable par la pureté de son chant et
l'expression de son dialogue ; il y a un bel avenir musical chez
cette enfant. »
Dans l'intervalle des deux exercices, l'Institut couronne la can-
tate d'Elwart, œuvre de circonstance s'il en fut jamais : L'entrée en
loge d'un jeune compositeur qui aspire au grand prix. Alexis Dupont
interprète à merveille les transes et l'espoir du candidat.
La salle des Menus-Plaisirs est encore livrée aux ouvriers quand
arrive le moment des concours ; force est de se contenier du petit
théâtre et de limiter à l'excès le nombre des spectateurs. Peu
d'assistants sont appelés à entendre la harpe de Godefroid ou
l'orgue de Lefébure, la vocalisation de M"' Fargueil, M"" Nau ou
M"= Calvé.
L'intimité de ces réunions a rendu le jury moins implacable : à
l'issue d'un concours, la pluie de récompenses est telle que l'huis-
sier, un brave homme adorant les élèves, ouvre à deux battants la
porte du petit foyer et crie d'une voix éperdue : « Venez tous '
venez tous ! »
Tandis que les couronnes s'entassaient rue Bergère, on célébrait
aux Invalides le service solennel de Choron, ce grand ennemi du
Conservatoire. Les cent jeunes élèves de son institution chantaient
sans accompagnement le Alla riva de Palestrina.
Dans la même église, le 13 octobre, entrait le cercueil de Boiel-
dieu, précédé de la musique de la garde nationale, suivi d'une
foule innombrable. Les artistes de l'Opéra trouvaient aux Invalides
seulement l'indépendance du programme et ce jour-là, réunis à
l'Opéra-Comique et au Conservatoire, ils allaient rendre un éclatant
hommage au maître tant acclamé. Martin, Ponchard, Nourrit, Thé-
narJ, Dérivis, Habeneck, Baillot, étaient aux côtés de leurs jeunes
camarades.
LE MENESTREL
317
Les Mémoires de Berlioz, si débordants de rancune pour l'injus-
tice de ses contemporains, s'accordent mal avec les feuilletons de
l'époque. Les trois concerts donnés en novembre sont fort encou-
ragés, encaissent d'honorables recettes, et le duc d'Orléans a voulu
assister à la séance.
(A suivre.)
André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (J"' octobre). — La chance qui avait
favorisé la direction au début de la saison théâtrale semble l'abandonner
un peu maintenant. Le répertoire d'opéra-comique semble particulière-
ment compromis. Je vous ai dit l'échec complet de M""" Smith-Bauvelt
dans Mireille, qu'elle a chantée deux fois pour disparaître ensuite défini-
tivement. M"« Darcelle, dans Lakmé, n'a réussi qu'à moitié. Sa jolie voix,
bien assouplie, a paru bien mince sur la vaste scène de la Monnaie, et
son interprétation incolore n'a pu efl'acer le souvenir des précédentes in-
terprètes. Dans le Barbier, M"" Darcelle sera mieux à sa place ; mais ne
va-t-on jamais jouer que ceb, cette année, à la Monnaie? En résumé, la
direction se trouve fort embarrassée ; elle a perdu beaucoup de temps à
préparer des ouvrages qu'elle doit abandonner; et elle n'a rien pour les
remplacer. Aussi hâte-t-on la reprise des Huguenot':. Ce n'est pas tout à
fait une nouveauté, direz-vous ; mais la principale interprète sera
M"= Chrétien, la seule nouvelle venue qui ait réellement réussi jusqu'à
présent. Autre malchance, avec M™ Melba. La diva, qui devait nous
donner trois représentations, est arrivée à Bruxelles affligée d'un rhume
qui, après avoir fait retarder sa première apparition et lui avoir enlevé
la moitié de ses moyens le jour où elle a chanté Rigoletto, l'a forcée fina-
lement à interrompre ses représentations et à quitter Bruxelles; le bureau
de location avait été assiégé; on a dû lever le siège et rendre l'argent.
Ajoutez à tout cela le beau temps, qui n'est guère favorable aux théâtres.
— Je vous parlais plus haut de Lakmé. Cette reprise, à part M"= Darcelle
et quelques petits rôles, assez mal tenus, n'a pas été mauvaise cependant;
on a fait un certain succès au ténor, M. Leprestre, toujours terriblement
affecté, mais dont la jolie voix ne manque pas d'agrément; et M. Badiali
est excellent dans le rôle de Frédéric, qui, bien que secondaire, devient,
grâce à lui, l'un des plus intéressants de l'œuvre. L'orchestre, dirigé cette
fois par M. Flon, dont c'était « la rentrée », a eu des nuances, de la dé-
licatesse et de la couleur, toutes choses qui lui avaient totalement manqué
l'an dernier. L. S.
— A propos du centenaire de la naissance de Rossini, qui, on le sait,
tombe le 29 février 1892, nous lisons ce qui suit dans l'Adriatico, de
Pesaro, ville natale du maitre : — « Notre junte municipale, bien que
depuis peu au pouvoir, travaille activement, avec beaucoup d'ardeur et
d'amour de la patrie, à rendre dignes de Pesaro et du grand cygne pésa-
rais les fêtes prochaines du centenaire de la naissance de Rossini. Dans
ce but, la junte a provoqué la formation d'un comité citoyen, que l'on
peut considérer déjà comme constitué, et qui certainement, étant donnés
les noms des personnes qui en font partie, lui prêtera un concours très
efficace. Coopéreront en outre au succès des fêtes le Lycée musical Ros-
sini, qui sent toute l'importance de ce qu'il doit faire pour honorer de la
meilleure façon la mémoire de celui auquel il doit la vie, et l'Acadé-mie
Rossini, qui, nous en sommes certain, déploiera en cette circonstance tout
son zèle et toute son ardeur. Nous savons aussi qu'avec la junte munici-
pale et les représentants du Comité citoyen, de l'Académie et du Lycée
Rossini on constituera un comité organisateur des fêtes, comité qui s'oc-
cupera promptement de dresser un programme que nous serons chargés
de porter à la connaissance de nos lecteurs. Ce ne sont ici que les pre-
mières nouvelles du commencement de ce qu'on doit faire et que l'on fera
pour solenniser dignement le centenaire de la naissance du maitre, et
nous sommes assurés que tout concourra à la gloire de celui qu'on veut
honorer... Dans d'autres villes italiennes, dans d'autres villes européen-
nes et nous dirons même du monde entier, on prépare de grandes fêtes et
des honneurs solennels à la mémoire de Gioacohino Rossini. Ce fait nous
réjouit l'âme et nous enorgueillit, parce qu'il nous prouve toujours da-
vantage que Rossini est un génie universel que tout l'univers artisti-
que honore et admire. Mais la véritable fête, celle qui à tous égards doit
être surtout considérée et sur laquelle tous les regards doivent se fixer,
est précisément celle qui sera célébrée ici, dans notre Pesaro, dans la
ville qui a donné le jour au maitre immortel, dans la ville que Rossini
aima tant et préféra toujours, dans la ville où il a voulu, par l'institution
du Lycée musical, élever son plus beau et son plus grandiose monument.
Et nous avons la confiance que partout sera reconnu le droit de préséance
que revendique Pesaro, et que de partout nous sera donné un large et
puissant concours pour que la fête de Pesaro soit la fête du monde artis-
tique tout entier. »
— Le théâtre Valle, de Rome, qui comptait jadis au nombre des scènes
lyriques italiennes les plus importantes et qui depuis vingt ans s'était
consacré au genre de la comédie, retourne à ses premières amours et
redevient un théâtre musical. Il rouvrira ses portes dans le courant du
mois d'octobre, avec un répertoire comprenant Faust, la Favorite, les Puri-
tains, et un opéra nouveau, Albina, du au compositeur Ernesto Rossi —
qu'il ne faut pas confondre avec le célèbre tragédien du même nom.
— Voilà qui devient grave. Le Trovatore nous apprend qu'une grande
mandolinata aura lieu à Palerme lorsque le roi et la reine iront inaugurer
l'Exposition de Palerme et qu'à ce concert de mandolines prendront part
cent cinquante jeunes filles I On exécutera à cette occasion les œuvres sui-
vantes : Inno alla Regina, de M. Graziani "Walter ; Sérénade de circonstance,
de M. Miceli, directeur du conservatoire de Palerme; puis, une Gavotte à
grand orchestre de M. La Verde, et des Scènes pastorales pour douze harpes
de M. Bellotta. A la suite de l'inauguration, le concert sera exécuté une
seconde fois dans les locaux de l'Exposition, avec adjonction de deux mor-
ceaux nouveaux : Vita Palermitana, valse de circonstance de M. Graziani
Walter, et Salut à Cadix, sérénade à grand orchestre de M. Stroncone.
— Les Palermitains ne se refusent rien, d'ailleurs, pour leur Exposition.
C'est avec un accent de véritable fierté que les journaux italiens nous font
connaître le coup d'éclat par lequel 1 avocat Carlo di Giorgi, imprésario du
Politeama de Palerme, vient de se di-stinguer. M. di Giorgi, en effet, vient
d'engager pour six représentations M"» Melba, et l'un d'eux s'écrie à ce
sujet : « Les Palermitains auront donc la fortune d'entendre, les premiers
en Italie, cette jeune artiste splendide par sa beauté et par son grand ta-
lent, et qui aujourd'hui est comptée parmi les dive... qui sont bien peu
nombreuses. Combien et combien de grands théâtres d'Italie envieront
Palerme pour cette précieuse acquisition ! »
— C'est vendredi dernier que le théâtre de la Pergola, de Florence, a fait
sa réouverture avec Hamlel, joué par M"" Calvé et M. Lhérie, sous la nouvelle
direction de M. Sonzogno. Brillant succès. La troupe de la Pergola doit
aussi se rendre prochainement au Gostanzi de Rome, où elle doit offrir au
public le nouvel opéra de M. Mascagni, l'Amico Frits. A ce sujet, on écrit
de Rome à un journal de Milan que l'ouvrage sera joué par M"" Calvé
(Suzel), M. De Lucia (Fritz), et M. Lhérie (le rabbin), en place de
M. Maurel, primitivement désigné; rien ne paraît encore fixé définitive-
ment quant au rôle du bohémien, bien qu'on assure cependant que
M. Mascagni et M. Sonzogno sachent parfaitement à quoi s'en tenir à
ce sujet. M. Mascagni, en ce moment à Cerignola, met la dernière main
à l'instrumentation de sa partition ; il se rendra prochainement à Rome,
pour surveiller les répétitions. L'Amico Fritz ne sera plus précédé du
poème symphonique avec chœur Invisible intitulé la Primavera, dont le
compositeur avait déjà établi le thème ; celui-ci sera remplacé par un
simple prélude. Pour le reste, l'ouvrage n'a subi aucune modification de-
puis l'audition particulière qui en a été donnée il y a quelques mois
dans un des foyers du Gostanzi.
— On annonce comme prochaine au théâtre Spence, de Fiesole, l'ap-
parition d'un opéra nouveau, Nelhj, dû à la collaboration de MM. Nen-
ciani pour les paroles et Icilio Monti pour la musique. Les interprètes
seront M™ Baldelli, le ténor Galamari, le baryton Burci et le bouffe AUegri.
— A Varèse, première représentation de Roncisval, opéra en trois actes
du maestrio Enrico Bertini, tort bien chanté par M"= Mazzi, MM. Maina,
Ratti et Castagnoli. Bonne interprétation, très bonne exécution de la part
de l'orchestre et des chœurs, très belle mise en scène, succès, 12 rappels
au compositeur. — A Cittadella, première représentation d'une « idylle »
en un acte, Alba, paroles de M. Gustave Zambusi, musique de M. Giuseppe
Pavan. Succès aussi.
— M. Giovanni Masutto, à qui l'on doit déjà plusieurs travaux intéres-
sants sur l'histoire de la musique italienne, vient de publier sous ce
titre : Délia musica sacra in Italia (Venise, Visentini, 3 vol. grand in-S"),
un ouvrage fort important, qui résume d'une façon aussi complète que
possible l'histoire de la musique religieuse dans la patrie de Saint-Philippe
deNéri, d'Animuccia et de Palestrina.C'étaitlà une entreprise considérable,
qui exigeait de vastes recherches, fort difficiles dans un pays morcelé de
tout temps comme l'Italie et possédant, par conséquent, des centres artis-
tiques nombreux et importants, dans un pays qui a vu naître tant de mu-
siciens illustres et qui a été, au point de vue de la musique sacrée, le
théâtre de l'admirable mouvement réformateur opéré par Palestrina. L'au-
teur a pris, me semble-t-il, le meilleur moyen pour mener son œuvre à
bien. Après un coup d'œil d'ensemble très bref et aussi rapide que pos-
sible, il a divisé son .travail par régions, ce qui était le seul procédé à
employer pour faire la clarté dans un sujet de sa nature aussi divisé et
aussi compliqué. Il a retracé l'historique des grands centres de musique
religieuse et des institutions célèbres, chapelle ducale de Saint-Marc à
Venise, chapelle de San Petronio à Bologne, de Sant'Antonio de Pa-
doue, de Sant'Eusebio à Verceil, des cathédrales d'Udine, de Vérone et
de Plaisance, du dôme de Milan, chapelles de Lucques, de Pistoie, de
Ferrare, chapelle royale de Turin, chapelle de la maison d'Esté, etc.,
donnant les listes du personnel de ces institutions, des notices biogra-
phiques sur les grands artistes qui les ont illustrées, rappelant les
œuvres qui les ont rendues célèbres. Puis, il a groupé les faits relatifs à
l'histoire de la musique sacrée dans les grandes villes et les résidences
souveraines, à Rome, Florence, Naples, Parme, Venise, Bergame, Bres-
cia, Mantoue, Novare, Sienne, Gênes, Crémone, Vicence, multipliant les
renseignements : époques, dates, notes biographiques, œuvres impor-
318
LE MÉNESTREL
tantes... Ce qui manque peut-être, au point de vue d'ensemble, c'est une
vaste conclusion donnant comme une sorte de philosophie de l'histoire
générale de la musique religieuse en Italie et faisant saisir toute l'impor-
tance du mouvement admirable qui s'est surtout opéré sous ce rapport à
l'époque de la Renaissance. Il n'en reste pas moins que le livre de
M. Masutto est une œuvre fort importante en ce qui touche toute une
branche si considérable de l'histoire de l'art italien, et qu'on n'en saurait
exagérer la valeur et l'utilité. L'auteur, en le publiant, a rendu un
signalé service et dont on ne peut que lui savoir beaucoup de gré. Un
tel livre n'existait pas, et il vient combler une véritable lacune. A. P.
— Plus de quatre cent mille demandes de participation ont déjà été
adressées au comité de l'Exposition universelle de la musique et du
théâtre qui va s'ouvrir à Vienne en 1892; les adhésions arrivent de toutes
parts. La commission du budget du gouvernement français a voté une
subvention de 13,000 francs, les États-Unis du Nord de l'Amérique seront
représentés officiellement par M. Bennett, qui a l'intention de réunir des
éléments exceptionnels destinés à présenter le tableau du développement
de l'art dramatique aux Etats-Unis. Pour mener cette œuvre à bonne fin,
il n'a pas hésité à faire le sacrifice d'un demi-million sur sa fortune
personnelle ; des pourparlers sérieux sont engagés avec le célèbre tragé-
dien E. Booth pour des représentations au théâtre international. A la tète
du comité belge se trouvent le prince de Chimay et M. G-evaert. directeur
du Conservatoire de Bruxelles. Des invitations spéciales seront adressées
aux sociétés artistiques et chorales pour les prier d'exposer leurs ban-
nières, emblèmes, etc., ainsi que les diplômes, médailles, couronnes et
autres prix qui leur auront été décernés dans le courant de l'année. On
annonce encore que la partition autographe de Don Juan, qui est la pro-
priété de M""! Viardot, sera exposée dans une cassette spéciale et rendue
ininflammable au centre du pavillon Mozart.
— On annonce que le fameux compositeur Dvorak, qui est une des
gloires de la Bohême contemporaine, quitte Prague et va partir pour al-
ler prendre, en Amérique, la direction du Conservatoire de New-York.
— Nous empruntons à la correspondance viennoise du Figaro ces dé-
tails sur M°"= Wilt, la célèbre chanteuse dont nous annoncions dernière-
ment le suicide : — « La Wilt a chanté à Londres, en Italie, en Allema-
gne, un peu partout. Elle n'a jamais chanté à Paris, bien qu'on lui eût
fait des offres et qu'elle parlât couramment le français. La grande ville,
sans doute, lui faisait peur. Puis elle craignait d'y déplaire par son exté-
rieur, qui était disgracieux. Il y a environ dix ans, elle quitta brusque-
ment l'Opéra de Vienne et s'en alla chanter à Leipzig. Là, elle apprit le
rôle de Brunehilde de la Valhjrie en trois semaines. « Gela m'a donné le
» coup de grâce », disait-elle souvent. Ces énormes rôles wagnériens ont
en effet leur côté pathologique. Qu'on se souvienne du ténor Schnoor,
mort à Munich après le Tannhduser, du ténor Ander, de Vienne, pris de
folie pendant les études de Tristan, sans parler du grand nombre de ceux
qui doivent à ces « rôles sudorifiques » — l'expression est de Wagner —
des bronchites et des pleurésies. « Toutes les fois que je chante Tristan,
» m'a dit un jour notre ténor Winkelmann, il me semble le lendemain
» que j'ai reçu un coup de massue sur la tète. » La Wilt y a gagné la
folie, pour laquelle elle était malheureusement prédisposée. »
— La censure autrichienne, si justement célèbre jadis, recommence à
faire des siennes; c'est l'Indépendante de Trieste qui nous l'apprend :
K Nous savons, dit ce journal, que la direction de la Fenice, avant d'éta-
blir son répertoire , s'est informée auprès de la direction de police pour
savoir si la représentation à'Ernani rencontrerait quelque obstacle. La
réponse fut qu'on ne permettrait pas la réapparition à'Ernani sur notre
théâtre. Nous serions curieux de savoir de quand date la prohibition de
cet opéra, alors que l'on peut constater positivement qu'il se trouve tou-
jours au répertoire des théâtres de Graz, de Prague, et même du théâtre
impérial et royal de la cour de Vienne. » La triple alliance n'en fait ja-
mais d'autres.
— A l'Opéra de Buda-Pesth, où un nouveau chef d'orchestre, M. Rebic-
zek, vient de faire avec le plus grand succès ses premières armes, on
annonce comme prochaine l'apparition d'un nouvel opéra, dont la mu-
sique est due' au fameux violoniste Jeno Hubay, ainsi que l'exécution
d'un Hymne royal du compositeur Mihalovich.
— Deux souvenirs anecdotiques de la Neue Musikzcitung : 1° Pendant
son séjour à Paris, en 1830, Ferdinand Hiller fut invité à diuer chez le
baron de Rothschild. Celui-ci accueillit de la façon la plus affable le
jeune artiste, qui, comme l'on sait, appartenait à une très riche famille de
Francfort. Il le présenta à ses convives en ces termes : « M. Ferdinand
Hiller, de Francfort, excellent pianiste, — mais n'a pas besoin de cela ! »
A quelque temps de là, Hiller donna un déjeuner que le vieux baron ho-
nora de sa présence. Quand vint le moment des présentations, l'artiste,
qui voulait sa revanche du compliment un peu brusque du baron, présenta
ce dernier en ces termes : « M. le baron de Rothschild, célèbre banquier,
également mécène, mais n'a pas besoin de cela ! » — 2° Rubinstein avait
un jour consenti à jouer, au bénéfice d'une bonne œuvre, dans un petit
village russe, où, jusqu'alors, on ignorait ce que c'était qu'un artiste et
un concert. Il parut donc sur l'estrade et, suivant l'usage consacré, salua
le public en s'inclinant. Mais ne voilà-t-il pas que toute l'assemblée se
lève à son tour et s'écrie comme un seul homme, sur le ton le plus aima-
ble : (c Bonsoir, monsieur Rubinstein ! » Le maître crut à une manifesta-
tion sympathique et de nouveau s'inclina très profondément. Les audi-
teurs de répéter encore avec un sourire poli : « Bonsoir, monsieur Ru-
binstein ! « Le maître se rendit compte de la situation et ne salua plus
pendant tout le reste de la soirée.
— La musique se mêlant partout, aujourd'hui, aux fêtes officielles, il en
résulte parfois de curieux incidents. En voici un assez piquant que ra-
conte l'Indépendance belge, et qui est relatif au voyage en Danemark du
prince de Naples, fils du roi d'Italie. Tout récemment, le prince arrivait
à Copenhague, et, le soir même, un dîner était donné en son honneur à
l'hôtel de l'ambassade d'Italie. Or, au moment où le prince entra dans la
salle à manger, l'ambassadeur, M. Catalini, fit un signe au chef de l'or-
chestre dissimulé derrière un échafaudage de fleurs et plantes ornemen-
tales et lui cria en français : la Marche I la Marche! On entendit alors écla-
ter derrière les fleurs un hymne national que l'on ne s'attendait certai-
nement pas à entendre en cette circonstance : la Marseillaise ! Le garçon
d'orchestre avait confondu les parties, et au lieu de la Marche royale d'I-
talie, avait placé l'hymne français sur les pupitres des musiciens. On
imagine la confusion que cette méprise jeta dans l'assemblée. On voulut
faire interrompre, mais une fois lancés, les braves musiciens danois ne
purent plus être arrêtés, et il fallut que le prince entendît l'hymne fran-
çais d'un bout à l'autre. On ne dit pas s'il était enchanté de l'aventure.
— Les journaux de Bruxelles nous font connaître les résultats du
concours de Rome, qui, on le sait, n'a lieu en Belgique que tous les
deux ans. Le jury du concours était composé de MM. Gevaert, Benoît,
Radoux, Samuel, Van den Eeden et Mathieu. M. Lebrun, de Gand, a
obtenu le premier prix, par 4 voix contre 3; M. Smulders, de Liège, a
été proclamé deuxième par S voix contre 2 ; et M. Lekeu, de Verviers,
deuxième second prix par S voix contre 2. Une mention honorable est
échue à M. Van der Meulen.
— La ville de Tournai a inauguré ces jours derniers avec discours,
cantate et sonneries de trompettes, la statue qu'elle a élevée à un de ses
enfants, l'excellent peintre Louis Gallait, qui fut comme une sorte de
Devéria de la Belgique. A l'occasion de cette cérémonie, un concours
avait été ouvert en effet par la ville pour la composition d'une cantate
de circonstance, et le premier prix avait été décerné à celle que M. Ju-
lien Simar, ancien prix de Rome, directeur de l'Académie de musique
de Charleroi, avait écrite sur les vers de M. Paul Deshaye, tandis que
M. Emile Wanibach, d'Anvers, obtenait le second prix. C'est donc la
cantate de M. Simar qui a été exécutée, avec un grand succès, par un
chœur de 350 chanteurs et chanteuses et un orchestre de 100 musiciens
dont l'effet a été rehaussé par des sonneries de trompettes antiques et
le carillon des cloches du beffroi, accompagnement trouvé pour la pre-
mière fois par le célèbre compositeur Peter Benoit dans sa cantate à
Anvers.
— M"° Decré vient de se faire entendre avec grand succès au casino de
Blankenberghe, où elle a chanté un air i'Hérodiade et Pensée d'automne, de
Massenet, le rêve de Tristan et Yseult, de Wagner, et une mélodie de Dubois.
Les journaux sont pleins de son éloge.
— Voici la composition de la troupe du grand théâtre du Lycée, de
Barcelone, pour la prochaine saison : soprani, M™^ Teresa Arkel, Carmen
Bonaplata, Bau, Linda Rebuffini, Avelina Carrera; me;:zo-soprani, Irma
Monti, Baldini, Luisa Mata ; ténors, MM. Marconi, Giannini, Raffaele
Grani, Vincenzo Maina ; barytons, Ughetto, Laban ; basses, Wulraan, Me-
roles. Le chef d'orchestre est M. Goula.
— Mme Patti-Nicolini vient de signer un engagement pour l'Amé-
rique à des conditions splendides; elle s'embarquera dans les premiers
jours de décembre sur le paquebot City of Paris, et ne reviendra qu'au
mois d'avril 1892. Avant son départ pour les Etats-Unis, la célèbre diva
fera, du 26 octobre au 27 novembre, une tournée de concerts dans les pro-
vinces anglaises et en Irlande; M""= Patti-Nicolini, qui pour le moment
se repose au milieu des fêtes de son merveilleux château du pays de
Galles, semble ne pouvoir rester oisive plus longtemps. Il est vrai qu'à
23,000 francs par soirée, il y a bien des artistes, et des meilleurs, qui con-
sentiraient à se déplacer.
— M. Ernest de Munck, veuf de M'"": Carlotta Patti et violoncelliste
distingué, a été nommé professeur de violoncelle à l'Ecole de musique
du Guildhall, à Londres. M. Ernest de Munck, Belge de naissance, en
1832, à douze ans, jouait pour la première fois en Angleterre aux concerts
de JuUien, fameux à cette époque. L'Ecole de musique du Guildhall est
une institution très importante, créée et entretenue par la cité de Londres.
M. E. de Munck est pour l'établissement une très précieuse acquisition.
— Une découverte intéressant à un haut degré le monde musical à titre
rétrospectif vient d'être faite par un certain professeur Dowden, dans une
librairie d'occasion à Dublin. Il s'agit du livret original du Messie, im-
primé à l'occasion de la première audition à Dublin le 13 avril 17i3, et
dont pas un exemplaire n'avait pu être retrouvé. Le principal intérêt
qu'off're cette découverte, c'est qu'elle révèle d'une façon précise l'état de
l'ouvrage lors de sa première apparition et détruit une foule de légendes
erronées que les biographes ont laissé répandre à ce sujet, faute de rensei-
gnements authentiques. L'exemplaire est relié en veau et porte sur le
LE MENESTREL
319
plat les initiales J. M. En marge se trouvent des annotations au crayon,
dont quelques-unes ont malheureusement été rognées par le relieur. Ces
annotations se rapportent principalement aux interprètes, dont les noms
ont été scrupuleusement marqués en regard des différents airs qui leur
étaient échus. A cet égard surtout, les renseignements laissés par les bio-
graphes seraient inexacts. Une particularité à noter, c'est que différents
airs chantés actuellement par le ténor l'étaient alors par le soprano (miss
Macl'aine) ; d'autre part, certain solo important noté dans les éditions
modernes pour voix de contralto était, paraît-il, confié à l'origine à une
basse. Enfin, contrairement aux afïïrmations de notre compatriote M. Schœl-
cher, premier biographe de Hœndel, il est avéré que le fameux chœur
Alléluia s'est toujours chanté à la fin de l'ouvrage, à la place qu'il occupe
dans les partitions. M. Schcelcher affirmait qu'après la première audition
à Londres Hœndel avait immédiatement transféré YAlleluia au commen-
cement de la première partie, afin de sauver l'ouvrage.
— La Paît Mail Gazette, de Londres, annonce qu'un munager américain,
M. Rudolphe Aronson, a acheté, au prix de 4,000 livres sterling, soit
100,000 francs, le droit exclusif de représentation, en Amérique, de la
Cavalleria rusticana, de M. Mascagni. Il est difficile de concilier cette
nouvelle avec le compte rendu qui nous arrive de la représentation de
ladite Cavalleria au Grand Opéra House de Philadelphie, où l'ouvrage vient
d'être joué en anglais, par M°«^s ICronold et Campbell, Mltf. Guille et Del
Puente.
— M. J. P. Sousa, de "Washington, un des premiers chefs de musique
de l'armée américaine, vient de rentrer dans son pays après une tournée
d'observation en Europe. Son avis sur les principales musiques militaires
vient d'être publié par les journaux des Etats-Unis. Le voici : « Les meil-
leures musiques sont les musiques françaises ; les allemandes sont trop
cuivrées et bruyantes ; quant aux anglaises, elles sont d'un caractère in-
descriptible (nondescript character). »
— M. A. Willhartitz publie dans le Musical Courier un petit fragment
de l'encyclopédie musicale à laquelle il travaille : c'est la liste des cent
grands opéras dont le sujet a été emprunté à l'Odyssée d'Homère. Le premier
a été composé par Monteverde, il y ajuste deux cent cinquante ans (1641)
et porte le titre de il Ritorno d'Vlisse.
— Les journaux américains assurent qu'à Chicago, durant tout le cours
de la future Exposition, un théâtre sera exclusivement consacré à la
représentation des œuvres de Wagner.
PARIS ET DEPARTEMENTS
MM. Ritt et Gailhard, qui sont des gens fort avisés, comme chacun
sait, avaient proposé à leurs successeurs, MM. Bertrand et Campocasso,
de leur livrer dès à présent la scène de l'Opéra pour y commencer les
répétitions de Salammbô, à la condition que ceux-ci prendraient à leur
charge l'ouvrage de M. Bourgault-Ducoudray, Tamara, imposé à la di-
rection actuelle par le ministère. M. Bertrand n'a pas cru devoir accepter
cette offre, qui ne lui apportait aucun avantage. Son privilège ne commence
que le !<:■' janvier prochain. C'est à cette date seulement qu'il compte
s'installer. S'il a besoin de faire répéter une œuvre nouvelle, il est pro-
bable qu'il se servira de la scène de l'Eden, où les travaux projetés
ne seront pas entrepris avant le mois de février. Du reste, le minis-
tère a signifié formellement à MM. Ritt et Gailhard que Tamara devait
être monté par eux et avoir, au moment où ils quitteront l'Opéra, un
nombre normal de représentations. L'intention de la direction est de
faire jouer Tamara vers le 15 décembre. Voilà une situation agréable pour
le compositeur, M. Bourgault-Ducoudray. Il va se trouver pris entre la
fin d'une direction et le commencement d'une autre, la première le jouant
contrainte et forcée, sans espoir de récolter pour elle-même le béné-
fice d'un succès, si succès il y avait, la seconde devant faire grise mine
à un ouvrage monté à la diable par ses prédécesseurs et dont elle n'a pas
voulu se charger pour son compte. Être prix de Rome, attendre trente
ans son tour pour avoir deux actes joués à l'Opéra et ne pouvoir s'y pré-
senter pourtant qu'à l'état de victime sacrifiée d'avance, voilà qui est fait
vraiment pour enchanter M. Bourgault-Ducoudray. Joli état que celui de
musicien!
— M""" Melba devait effectuer sa rentrée à l'Opéra vendredi dernier, dans
Eamlet; mais on avait compté sans la fâcheuse grippe, qui s'est installée
dans ce gosier de choix et n'en veut plus sortir. Toutefois, M. Constans
s'est concerté avec ses bons amis Ritt et Gailhard pour chasser l'intruse ;
il se propose à cet effet de mobiliser les mêmes troupes qui lui ont déjà
si bien servi lors des premières représentations de Lohcngrin. Tout fait
donc espérer que la célèbre cantatrice, débarrassée d'une hôtesse impor-
tune, pourra reprendre dans le courant de cette semaine le cours de ses
exploits. En attendant, le baryton Lassalle, qui devait reparaître avec elle
dans Hamlet, a effectué tout seul sa rentrée dans Guillaume Tell, où il a
retrouvé son habituel succès.
— M. Gailhard, après les émotions de Lohengrin, a éprouvé le besoin
naturel d'aller prendre quelques jours de repos à Biarritz. Il va méditer
là-bas sur les splendeurs que devra apporter l'Opéra à la célébration du
prochain centenaire de Meyerbeer. Il prétend surpasser encore, parait-il,
les merveilles du centenaire de Don Juan, qui sont restées dans toutes les
mémoires. Gela ne lui sera pas possible.
— A propos de Meyerbeer, voici une lettre inédite de sa façon, adressée
à son biographe et ami M. .T. Schult. Il y a certainement à Paris des
chefs d'orchestre qui feront bien de la méditer et d'en faire leur profit :
« Je ne suis pas fait pour bien diriger. Un bon chef, dit-on, doit être un
peu grossier; je ne veux pas l'affirmer, mais cette grossièreté a toujours
été contraire à ma nature. J'éprouve une impression très désagréable à
voir traiter des artistes distingués comme on ne traiterait pas un domes-
tique. Je ne demande pas à un chef d'orchestre d'être grossier, mais il
doit se montrer énergique, pouvoir faire, sans grossièreté, de sévères
observations et, même dans ses réprimandes les plus dures, ne jamais se
départir des convenances. En même temps, il faut qu'il ait assez de bonne
humeur pour s'attirer l'amour de tous les artistes, qui doivent à la fois
l'aimer et le craindre. Il faut aussi qu'il ne montre pas de faiblesse de
caractère, sous peine de voir beaucoup diminuer le respect qui lui est dû.
Pour moi, je ne saurais être assez énergique, assez tranchant pendant le
temps des études, voilà pourquoi je laisse très volontiers le bâton au chef
d'orchestre. La plupart du temps, les répétitions m'ont rendu malade. »
— Elle n'a fait que passer, elle n'est déjà plus. Nous voulons parler de
la superbe barbe que, sur les instances juvéniles de M. Ritt, le ténor
Van Dyck avait cru devoir arborer dans l'une des dernières représenta-
tions de Lohengrin. Il parait que M^^ Cosima n'est pas pour cet appendice,
qu'elle trouve hors de saison en la circonstance. Un héros divin, traîné
par un cygne d'éclatante blancheur, dont il a lui-même toute la pureté,
ne doit pas, selon elle, porter cette sorte de tare terrestre. Tout aussitôt
M. Van Dyck s'est empressé de se débarrasser d'un postiche encombrant,
pour lequel il n'avait que de la répugnance. M. Ritt continuera seul
désormais à porter cet emblème de la force et de la virilité qui fait l'or-
nement de son noble visage.
— C'est le 31 octobre qu'aura lieu la séance publique annuelle de l'Aca-
démie des beaux-arts. Elle aura été précédée, le 24, de la séance publique
annuelle des cinq Académies, dont l'ensemble, on le sait, compose l'Ins-
titut de France.
— M. Cobalet, qui fut longtemps l'un des meilleurs artistes de l'Opéra-
Comique, vient de signer un engagement avec M. Campocasso, directeur
du grand théâtre de Marseille pour l'instant et bientôt co-directeur avec
M. Bertrand de l'Opéra de Paris. Après une saison à Marseille, M. Coba-
let reviendra donc à Paris sur la grande scène de l'Académie nationale de
musique. Signalons aussi l'engagement à l'Opéra (direction Bertrand) de
M. Paulin, fort ténor qui fit les beaux jours de Marseille dans Sigifrd et
qui va chanter d'abord à la Nouvelle-Orléans, pour revenir ensuite à Paris.
— Après M. Melchissédec, c'est à présent M. Raoult Delaspre qui re-
vendique l'honneur d'avoir été le professeur de M''^ Chrétien, la nouvelle
chanteuse à sensation du théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Que ces
deux messieurs veuillent bien s'arranger entre eux sur ce point. Pour nous,
nous désirons ne plus nous occuper de ce point d'histoire musicale, après
tout peu important.
— Les concerts du Châtelet feront leur réouverture le dimanche 18 oc-
tobre, sous la direction de M. Edouard Colonne. Huit jours plus tard, le
dimanche 23, ce sera le tour des concerts Lamoureux, qui reprendront
leur cours au Cirque des Champs-Elysées.
— Dimanche dernier, à l'église de Maisons-LafStte, solennité musicale.
Messe inédite de M. Albert Renaud avec soli, chœurs et orchestre, exécutée
avec le concours de M"« S. Lacombe, de MM. Melchissédec et Rinaldi, de
MM. Verrimst et Debruille, de la Société des Concerts, et d'une élite d'a-
mateurs qui chantaient les chœurs. L'auteur tenait l'orgue. Grand succès
pour les interprètes. Quant à l'œuvre de M. Albert Renaud, elle a produit
une réelle impression.
— Il nous revient beaucoup de bien du baryton Vautier, qui chante en
ce moment au casino d'Etretat. Fort jolie voix et bonne manière de s'en
servir. Une nouvelle mélodie de Faure, Regarde-toi, lui vaut surtout le plus
grand succès.
— Ce n'était pas une séance ordinaire que le spectacle de réouverture
du théâtre de Montpellier, qui a eu lieu le 1°'' octobre. Ce spectacle com-
prenait tout simplement le Rarbier de Séville et... les Huguenots. Si les ama-
teurs ne sont pas contents, c'est qu'ils seront difl:ciles. A défaut de la
qualité, ils sont sûrs d'avoir au moins la quantité.
— On nous écrit de Saint-Valery-en-Caux qu'un très intéressant con-
cert-festival a été donné récemment au casino, entièrement composé
d'oEjuvres de M. Adrien Bérou, professeur au Conservatoire, qui en diri-
geait lui-même l'exécution. On a particulièrement applaudi l'ouverture du
Chat botté et une Danse cannibale pour orchestre, Staccato-Polka, fort joliment
exécutée par un jeune élève de l'auteur, M. Henri de Martini, la valse du
Chat botté, chantée par M""= L. H., une romance du Seci-ei de Rouddha opéra-
comique inédit, dite par M. Bordes-Pène, et un solo de cornet à pistons,
Castagnettes, exécuté par M. Bruguière. Compositeur et interprètes ont été
justement et vigoureusement applaudis.
— On lit dans la Semaine musicale, de Lille : « La Commission de patro-
nage et de surveillance du Conservatoire de Lille s'est réunie samedi der-
nier à l'effet d'examiner les titres d'un candidat proposé par M. le maire
de Lille pour le poste de directeur en remplacement de M. Lavainne. Ce
320
LE MÉNESTREL
candidat est M. Emile Ratez, né le 5 novembre 1851 à Besançon, où il fit
ses Otudes au lycée et obtint son diplôme de fin d'études. M. Ratez vint
ensuite à Paris suivre les cours du Conservatoire et fut élève de MM. Mas-
senet et Bazin; lauréat du concours de fugue en 1876, il fut, deux années
de suite, en 1879 et 1880, admis en loge pour le prix de Rome; depuis,
M. Ratez a fait partie de l'orchestre de l'Opéra-Comique, et a été le chef
des chœurs des concerts Colonne. Compositeur de talent, M. Ratez a déjà
produit beaucoup de morceaux pour piano, violoncelle, violon, de la mu-
sique religieuse, un quatuor et un opéra en deux actes. Ruse d'amour,
qui fut représenté en 1886 au théâtre de Besançon. M. E. Ratez a donné
à la salle Pleyel six concerts dans lesquels il a fait entendre ses œuvres,
qui ont été fort goûtées du public. A la suite de ces concerts, M. le mi-
nistre des beaux-arts a accordé au compositeur les palmes académiques.
En présence de ces divers titres, la commission n'a pas hésité, et, daus
un rapport adressé à M. le maire de Lille, elle a émis un avis très favo-
rable à la nomination de M. Ratez au poste de directeur. Il est donc de
toute probabilité qu'à la réouverture des cours du Conservatoire, M. Ratez
sera installé dans ses nouvelles fonctions, le ministre accueillant toujours
favorablement les propositions des municipalilés en ce qui concerne les
nominations de ce genre.
— Béziers. — Un concours musical et orphéonique aura lieu le 24 avril
prochain, à l'occasion de l'inauguration du Titan d'Enjalbert. Nous don-
nerons ultérieurement le programme du concours, ainsi que la liste du
jury-
— M"" Taehel, élève de M. Cobalet, vient d'être engagée comme pre-
mière chanteuse falcon à Nice.
— L'Institut musical (21"= année), fondé et dirigé par M. et M""' Oscar
Comettant pour les dames, les demoiselles et les jeunes enfants, fera sa
réouverture le vendredi 9 octobre par le cours supérieur de piano fait par
M. Marmontel. Comme les années précédentes, M. V. Dolmetsch fera le
cours de piano du deuxième degré; M. Garcin, le cours d'accompagne-
ment; M""! Jeanne Lyon, le cours de chant; M""" Maury-Renaud, le cours
d'harmonie et M""> Louise Comettant le cours de solfège et de piano élé-
mentaire. Des certificats d'étude et des diplômes d'honneur sont décernés
aux élèves à la fin de chaque année. On reçoit les inscriptions pour toutes
les branches de l'enseignement musical à l'Institut musical, 13, rue du
Faubourg-Montmartre.
— Cours et leçons. — W" Donne, professeur au Conservatoire, reprendra ses
cours chez elle, 50, rue de Paradis, à partir du lundi 6 octobre. — M. A. Decq,
organiste de Saint-Honoré, professeur de musique dans les écoles de la Ville de
Paris, reprendra, le 1" octobre prochain, ses cours complets de musique, 131, bou-
Ifrvard Péreire. — Les cours et leçons de chant de M— Marie Ruefi sont rouverts
depuis le 25 septembre, chez elle, 22, cité Trévise, et à l'instilut Rudy, 7, rue
PigaUe. — M'" Marie Garnier a repris ses leçons et cours de chant, 52, rue de
Caumartin ; le cours de chœur et de chant d'ensemble est fait par M. Carré, chef
des chœurs de l'Opéra-Comique. — M"" M. et G. Coevoet reprendront leurs
cours le 1" octobre, piano et solfège, 36, rue du Chàteau-d'Eau. — M"" Ros;er-
Miclos, de retour à Paris, reprend ses leçons particulières chez elle, 62, avenue
de Wagram, et fixe la réouverture de ses cours au mardi 6 octobre, à 2 heures.
— Le 10 octobre s'ouvriront les cours de musique de W" Alice Sannezio, ton-
dés sous la direction de César Franck. Les auditions seront présidées par M. E.
Guiraud, membre de l'Institut, les cours de solfège seront examinés par M"° Donne,
professeur au Conservatoire, et les cours de chant dirigés par M"" Cécile B. de
Monvel. Lundi et jeudi, salle Wetzels-Eslin, 7, rue Bonaparte ; les autres jours,
99, rue Lafayette. — L'excellent professeur-compositeur Victor Dolmetsch re-
prendra ses leçons particulières chez lui, 175, rue de Courcelles, à partir du
15 octot)re. — La réouverture de VEcole préparatoire au professorat du piano, fondée
et dirigée par M"" Hortense Parent, aura lieu le 16 octobre, 2, rue des Beaux-Arls.
NÉCROLOGIE
A Naples est mort, le 18 septembre, un artiste qui avait été un enfant
prodige, le pianiste Michelangelo Russo, et qui, après avoir obtenu dans
ses jeunes années d'éclatants triomphes par toute l'Europe, s'était laissé
depuis longtemps oublier et était tombé dans une obscurité complète. Né
en 1830 d'une famille juive (son père, Josué Russo, était ingénieur), il
se produisit dès l'âge de neuf ans, à Naples, dans un concert donné au
théâtre des Fiorentini, avec un succès prodigieux. L'année suivante il se
fit entendre à Florence, à Gênes et à Marseille, vint en 1841 à Paris, et,
après s'être produit plusieurs fois à la cour, donna un concert qui lui
valut de vifs éloges de la part de Liszt et de Chopin. A Londres, où il
excita ensuite de véritables transports, il reçut quelques leçons de Mos-
chelès. Après être repassé par Paris, où il eut le malheur de perdre sa
mère et sa sœur, qui voyageaient avec lui, il entreprit une grande tour-
née artistique qui dura plusieurs années, donna une longue série de con-
certs à Leipzig, à Dresde, à Berlin, à Hambourg, et poussa jusqu'en
Russie, en Danemark et en Suède. Il ne fut de retour à Naples qu'en
1846, et depuis lors, se livrant à l'enseignement, il ne fit plus parler de lui.
— De Vitry-le-François on annonce la mort d'un artiste modeste et méri-
tant, M. Herzog, violoncelliste, ancien élève de Franchomme. Professeur
de musique au collège, directeur des classes de chant à l'école communale
de garçons, directeur des cours gratuits de violon, M. Herzog avait rendu
de véritables services, et il avait fondé à Vitry une fanfare et une société
chorale, l'orphéon de Sainte-Cécile, qu'il dirigeait avec une véritable ha-
bileté.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En l'ente, AU MENESTREL, 2*", me Vivienne.
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, Transcription pour harpe
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Transcription, piano à quatre main
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Prix Duls.
Corrado . .
De-Simone.
Transcription, mandoline et piano .
Chœur d'introduction. Piano solo.
Sicilienne —
Strophes d'Aifio. ... —
liomance de Santusza. —
Scène, chœur et brindisi —
Intermezzo pour piano. •
Transcription pour piano
Transcription, violoncelle el piano . .
PREPARATION : Bouquet de mélodies pour piano, par J. A. Anschûtz; Fantaisie-transcription pour piano, par Ch. Neostedt; Silhoueile pour piano, de G. Bull;
re, de A. Trojelli; Fantaisie pour violon et piano (Soirées du jeune violoniste), par A. Heriuann, etc., etc.
Fumagalli .
Furino.
1 50
1 50
1 50
Menozzi. . . Fantaisie pour piano
Mugnone . . il/o/i/s pour piano
— r™nscnpii'oii pour violon et piano. .
Pastori Rusca Motifs pour mandoline et piano . . .
Pratesi . . . Transcription, piano à quatre mains.
Libratto italien
Libretto français
X, 20,
3159 — 57
- I\° i\.
Dimanche 11 Octobre 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrei,, 2 bis, rue Vivienne, les .Manuscrits, lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Hisloire de la seconde salle Favart (29" article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : A propos de Manon, H. M.; premières repré-
sentations de la Mer, à l'Odéon, et de VAmi de la maison, à la Comédie-Française,
Paul- EMILE Chevalier. — III. Histoire anecdotique du Conservatoire (10" article),
André Martiset. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de pia.no recevront, avec le numéro de ce jour :
PARMI LE THYM ET LA ROSÉE
idylle de Paul Rougxon. — Suivra immédiatement : Carillon, petite pièce
pour piano de Robert Fischhof.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Au rossignol, nouvelle mélodie de Robert Fischhof, traduction
française de Pierre Barbier. — Suivra immédiatement : Beaux yeux que
j'aime, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Th. M.\quet.
HISTOIRE DE L4 SECONDE SALLE FAVART
A-lbert SOUBIES et Charles MALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE IV
AVANT LA GUERRE
1868-1870.
(Suite.)
Nos derniers articles sur la seconde salle Favart nous ont
valu une lettre doublement précieuse : d'abord parce qu'elle
nous est adressée par un homme de talent et d'esprit,
M. Emile Pessard; puis parce qu'elle confirme une fois de
plus la justesse d'une remarque que nous avons souvent faite
au cours de notre travail, c'est que, lorsque l'on est soucieu.x
de l'exactitude, il faut le moins possible interroger les inté-
ressés; le souci de leur cause rend, involontairement, leur
mémoire complaisante à ce qu'ils désirent montrer et rebelle
à ce qu'ils préfèrent cacher.
Voici la lettre en question :
« Ah I mon cher confrère, vous avez, pour la première fois,
été mal renseigné. Dans le chapitre Avant la guerre de l'étude
que vous faites paraître dans le Ménestrel et qui est joliment
intéressante, vous dites : « déjà le public se lasse des formes
consacrées et aspire à du renouveau. De là sa froideur, de
là cette longue hécatombe d'oeuvres, qu'elles soient sio-nées
par des auteurs connus ou par des nouveaux venus
comme Nibelle, M""= de Grandval, Emile Pessard, etc. Or, la
Cruche cassée, à laquelle vous faites allusion, a été jouée pour
la première fois au temps de Ritt et de Leuven avant l'arrivée
de Du Locle (la date précise m'échappe), par Moisset, Révilly,
Leroy, Nathan, Bernard et Barnolt et est restée au répertoire.
Idrac a doublé Leroy et Lignel a doublé Barnolt, si j'ai bonne
mémoire. La pièce a été jouée, pendant plus de deux ans,
quatre-vingts fois. Ce n'est pas un four, celai Elle a été jouée
en Allemagne, en Belgique, et pas mal en province. Quand
vous réunirez votre étude en volume, réparez une erreur
qui m'atteint trop, et croyez à mes sentiments très affectueux.»
Ainsi, M. Pessard, tout en nous rectifiant, ne se rappelle
pas la date précise de la première œuvre qu'il a fait repré-
senter, et celle-là aurait dû marquer tout spécialement dans
sa mémoire. Il dit que sa pièce a été montée avant l'ar-
rivée de Bu Locle, et la Cruche cassée a été jouée le 21 février
1870, quand M. Du Locle était associé et avait remplacé
M. Ritt depuis le 26 janvier: première erreur. Ce n'est pas
Lignel qui a doublé Barnolt, mais Barnolt qui a doublé Li-
gnel : deuxième erreur. Restent les représentations, qui, hélas!
se réduisent au chiffre de trente-cinq , réparties entre trois
années : vingt et une, comme nous l'avons dit, pour la première
douze pour la seconde, et deux seulement pour la troisième.
M. Pessard comprendra donc que nous ayons rangé sa Cruche
cassée dans la même série que Vert-Vert, par exemple, qui a
été joué cinquante-cinq fois, et qui cependant n'a pas été non
plus ce qu'on appelle un succès. Ajoutons qu'ici nous ne ju-
geons pas, mais que nous constatons purement et simplement
quitte à regretter, à part nous, qu'un joli lever de rideau tel
que la bluette de MM. Emile Abraham et Pessard n'ait pas
eu les quatre-vingts représentations auxquelles, en somme
il pouvait prétendre.
Tandis que l'Opéra-Comique luttait péniblement contre la
mauvaise fortune, le Théâtre-Lyrique, plus malheureux encore
s'effondrait subitement ; Pasdeloup s'était retiré, et les artistes
en société avaient essayé vainement de conjurer le mauvais
sort en montant Charles VI. Par une singulière ironie on se
trouvait donc chanter à la veille de la guerre :
La France a l'horreur du servage.
Et si grand que soit le danger
Plus grand encore est son courage
Quand il faut chasser l'étranger.
Non seulement, hélas! la France ne devait pas « chasser
l'étranger », mais encore elle l'accueillait chaleureusement
en la personne d'un Allemand que ses fonctions attachaient
même à un souverain dont les troupes allaient fouler
notre sol. M. de Flotow avait eu la singulière fortune de
voir réclamer son œuvre d'abord par l'Opéra-Comique, oîi l'on
322
LE MENESTREL
distribua les rôles à Achard, à M"«^ Ugalde et Galli-Marié ;
par le Théâtre-Lyrique, où on la répéta avec Monjauze, Meillet,
M'"^* Cabel et Marie Rôze. A la fermeture de ce dernier théâ-
tre, rOmbi-e s'installa définitivement à la salle Favart ; M"" Priola
remplaça M""^ Cabel, et c'est ainsi que, le 7 juillet, sur qua-
tre artistes, trois chantèrent qui n'appartenaient point au
personnel ordinaire de l'Opéra-Comique. Le poème de Saint-
Georges plut généralement. On s'intéressa au sort de cette
jolie servante aimant en secret son maître, un noble qu'elle
croit depuis avoir été fusillé, lors de la guerre des Gévennes,
et dont elle retrouve ,« l'ombre » en la personne d'un jeune
ouvrier sculpteur. Ce n'est pas une ombre, c'est bien lui, et,
lorsqu'il apprend que l'ami, auquel il a dû son salut, va payer
à sa place, il part se livrer et d'abord épouse celle dont il
devine et partage l'amour. L'intervention d'un haut person-
nage amène le dénouement favorable et contribue au bon-
heur des deux amants. Une musique gracieuse avec des
refrains aisés à relenir, tels que les couplets de « Cocotte «
et la chanson « Midi-Minuit, » assura bien vite la popularité
de ces trois actes sans chœurs, comme l'Éclair; la pièce fut
traduite presque aussitôt en quatre ou cinq langues et,
bien lancée, commença une tournée triomphale dans les
deux mondes. Mais dès ce moment Paris commençait à se
désintéresser du théâtre ; la guerre avec la Prusse venait
d'être déclarée, et l'attention des esprits se tournait moins
vers les choses de Fart que vers celles de l'armée. Au milieu
de ces préoccupations patriotiques, on comprend de quelle
oreille distraite fut écouté le Kobold lorsqu'il eut le courage
de se présenter au public le 26 juillet. Tout en lui est curieux
du reste et mérite d'être conté, sa naissance et sa mort.
On se proposait de monter à l'Opéra-Comique le Timbre d'argent,
comédie-ballet de M. Saint-Saëns, jouée depuis, mais à la Gaité.
On avait engagé à cet eiïet une danseuse italienne assez
réputée, W'^^ Trevisan (Trevisani, au delà des Alpes), et, en
vue de la produire, on la fit débuter le 13 juin dans un
divertissement composé pour Lalla-Roukh, reprise alors avec
Capoul, Gailhard, M°'«>^ Zina-Dalti et Bélia. Le Timbre d'argent
étant retardé, et Lalla-Roukh ne sufBsant pas à l'activité d'une
ballerine, M. de Leuven convoqua un soir MM. Ernest Guiraud,
Nuitter et Louis Gallet, afin de leur commander un opéra-
ballet en un acte ; une légende fournit le scénario, qu'on
ébaucha sur-le-champ, et chacun de son côté se mit à l'œu-
vre ; quotidiennement, les librettistes envoyaient un morceau
au musicien qui le renvoyait non moins quotidiennement
composé à la copie, d'où il partait pour aller dans les mains
des artistes; en dix-huit jours, la partition fut ainsi écrite,
orchestrée, copiée et répétée.
Le Kobold était, suivant les auteurs, un génie domestique,
un serviteur invisible qui fait la besogne à sa guise, range
tout lorsqu'il est content et met tout en désordre lorsqu'il
se fâche. Amoureux de son maître, ce Kobold féminin lui
fait manquer son mariage au moment même de la cérémo-
nie, et lui donne un anneau magique qui lie leurs deux
destinées, jusqu'à l'heure fatale où la fiancée du jeune
homme, revenue de sa jalousie, rompt le charme et cause
ainsi involontairement la mort du pauvre Kobold qui s'éteint
au milieu des flammes fantastiques du foyer. La musique
légère et habilement improvisée par Ernest Guiraud permit
d'applaudir la gracieuse Trevisan, M'"^ Heilbron, et le ténor
Leroy, révélant alors des qualités de danseur qu'on ne lui
connaissait pas ; il faisait le grand écart, enlevait sa danseuse
à la force du poignet, et la soutenait à demi renversée, tout
comme s'il eût pris des leçons d'un Saint-Léon ou d'un
Mérante. Forcément interrompu alors, le Kobold faillit repa-
raître après la guerre ; M"« Fonta, de l'Opéra, devait rempla-
cer M""' Trevisan, qui avait quitté Paris pour retourner dans son
pays; mais l'Assemblée Nationale ayant jugé bon de retran-
cher 130,000 francs à la subvention de l'Opéra-Comique, des
économies s'imposaient, et la première fut la suppression du
corps de ballet; plus de danseuses et plus de Kobold! Détail
curieux : la partition, réduite au piano par Soumis, accom-
pagnateur du théâtre, fut gravée; le compositeur corrigea les
épreuves, et jamais l'éditeur Hartmann ne la fit paraître !
Autre aventure : un jour, l'ouverture fut exécutée, depuis la
guerre, dans un concert donné par la Société Nationale, lors
de sa fondation ; M. Ernest Guiraud, qui avait prêté pour la
circonstance la partition autographe de son «norceau, ne la
revit jamais; est-elle tombée entre les mains d'un ignorant?
a-t-elle été recueillie par un connaisseur qui sait le prix de
son butin? le fait est qu'aujourd'hui elle manque au manus-
crit orginal de l'auteur; il était écrit que, mort ou vivant,
le Kobold aurait toutes les malchances.
Et les débutants débutaient toujours! en juillet, on voit
encore un certain Augier s'essayer dans GahUhi'e (rôle de
Pygmalion), et, le soir même de la première représentation
du Kobold, M. Coppel jouer le rôle de Tonio dans la Fille du
régiment. Ce ténor nouveau venu était un amateur bordelais,
affligé, disait-on, d'une quarantaine de mille livres de rente
et cultivant la musique pour son plaisir. Comme il possédait
une certaine voix, il avait travaillé quelque temps avec Du-
prez ; la tarentule du théâtre l'avait piqué, et Pasdeloup lui
avait permis de chanter en 1869 Rigoletto au Théâtre-Lyrique.
Bien plus, le 9 août, M. Emmanuel, celui-là venu de province,
où il avait eu quelques succès, notamment à Bordeaux et à
Strasbourg, ne craignait pas de se produire dans le Chalet
(rôle de Daniel), et même le 24 août, Barnolt, transfuge du
Théâtre-Lyrique, un de ceux qui devaient compter parmi les
plus utiles et fidèles serviteurs de l'Opéra-Comique, abordait
le rôle de Dandolo dans Zampa. C'était choisir étrangement une
heure in extremis pour se faire apprécier ; mais, d'autre part,
on croyait si peu à la suite de la guei're, qu'aux Italiens,
M. Bagier préparait avec tranquillité ses engagements pour
la saison suivante et qu'à l'Opéra-Comique on répétait le
Fantasio d'Ofïenbach, annoncé déjà pour le mois de septem-
bre. Toutefois, cette année, le 15 août se passa, comme bien
on pense, de la cantate tra'ditionnelle. Les deux dernières
avaient eu pour auteur. Chariot, un ancien prix de Rome,
un oublié réduit aux fonctions de chef de chant à l'Opéra-
Comique et à la Société des Concerts du Conservatoire. L'une,
celle de 1868, s'appelait la Bonne Moisson et contenait un solo
fort bien dit par Gailhard; l'autre, celle de 1869, s'appelait
le Centenaire et formait, pour Gailhard et Sainte-Foy, une pe-
tite scène où l'auteur avait spirituellement intercalé un cou-
plet des Souvenirs du peuple, de Béranger.
Cependant, on chantait au théâtre et dans la rue, toujours
et partout, cette Marseillaise, longtemps interdite, et entonnée
par M™ Marie Sasse un soir à l'Opéra. Et depuis, ce cri de guerre
avait été répété à l'Opéra-Comique par M™ Galli-Marié, le
21 juillet par Montjauze, le 30 par M"« Marie Rôze, le 3 août
par Gailhard, qui déjà portait le costume de mobile avec le-
quel il allait faire campagne; puis par M"'' Danièle, par tous
enfin ; c'était de l'enthousiasme, du délire, puisque la foule,
reconnaissant un jour Capoul qui passait, le forçait de s'ar-
rêter pour interpréter le chant de Rouget de l'isle en plein
boulevard. Une autre fois c'était Melchissédec qui disait les
vers de Béranger : « En avant. Gaulois et francs, » appelés
pour la circonstance « Serrons les rangs » et mis en musique
par Léo Delibes, puis, venait lire en scène un bulletin de l'ar-
mée comme au temps du premier empire. Une autre fois encore,
c'était Achard, qui faisait bisser le Rhin allemand de Félicien
David, chanté dans un décor représentant un camp où
chaque choriste figurait avec un des uniformes de notre ar-
mée. Ensuite M™ Galli-Marié, costumée en génie de la
France, le drapeau tricolore à la main, avait chanté trois
strophes de la Marseillaise. Au couplet « Amour sacre, » une
voix ayant crié : < Debout ! debout ! » toute la salle s'était levée
pendant que l'artiste et les chœurs mettaient un genou en
terre, et l'assemblée entière avait repris avec un incroyable
élan le refrain du dernier couplet. Dans le journal où il
racontait ces faits, certain rédacteur ajoutait comme mot
LE MENESTREL
323
de la fin : « Et maintenant, à quand la première victoire ! »
Triste ironie ! cette première victoire ne devait pas venir,
et les chants patriotiques disparaissant successivement,
correspondaient presque aux diverses phases de la campa-
gne ; le 6 août, plus de Rhin allemand, le 48 plus de « Ser-
rons les rangs », le 22 plus de Marseillaise au théâtre, qui se
dégarnissait de plus en plus, quoique l'Etat-major eût re-
tenu un certain nombre de loges et de fauteuils d'orchestre
pour les militaires de la garnison, et quoiqu'on préparât une
représentation extraordinaire dont le produit serait versé au
ministère de la guère afin de défrayer « les défenseurs que
la province envoie à Paris. » Les recettes baissaient de plus
en plus, et l'on ne lira pas sans curiosité le tableau suivant,
qui nous les montre jusqu'à la clôture:
21
août
1,193 50
28
août
1,207 »
22
—
927 50
29
—
52S 75
23
—
1,216 50
30
—
672 50
24
—
.898 ^
31
—
718 V,
23
—
975 50
lev
septembre
697 50
26
—
948 75
2
—
606 50
27
—
618 50
De tels chiffres n'étaient point pour améliorer le bilan an-
nuel, qui, en quatre exercices, avait suivi une marche régu-
lièrement descendante. On avait encaissé pour les huit pre-
miers mois d'exploitation :
En 1867 : 970,555 fr. 65
En 1868 : 871,800 15
En 1869 : 783,151 35
En 1870 : 639,241
Il était temps d'arrêter des frais devenus inutiles. Tout ce
qui touche au théâtre et à la musique s'effaçait d'ailleurs
peu à peu; la France musicale cessait de paraître définitive-
ment ; la Revue et Gazette musicale de Paris s'arrêtait le 28 août,
avec un numéro contenant, sur les princes musiciens, une
étude de notre ami Henri Lavoix qu'il devait l'interrompre au
milieu d'un chapitre consacré justement à Frédéric II. Le
l^' septembre on donna encore Bonsoir, Monsieur Pantalon et Fra
Diavolo ; le 2, Zampa, et le 3, la salle Favarl ferma définitive-
ment ses portes. La troupe était d'ailleurs en partie désorga-
nisée. Parmi les artistes qui généreusement avaient versé
une somme de 3,102 francs à la souscription nationale, plu-
sieurs, comme Gapoul, Gailhard, Leroy, Idrac, Julien, Emma-
nuel, étaient devenus soldats et partaient le sac au dos. L'heure
avait sonné des résolutions viriles et des dévouements héroï-
ques ; la patrie était en danger. Le siège et la Commune
allaient faire connaître aux Parisiens ces « Horreurs de la
guerre » dont ils avaient ri l'année précédente à l'Athénée,
dans une opérette ainsi dénommée. Désormais les flonflons
de l'Opéra-Gomique s'accordaient mal avec les appels aux
armes. Le sifflement des balles et le grondement du canon
devaient former le seul accompagnement musical du drame
terrible où la France, jouant sa vie, devait par son courage
sauver au moins l'honneur du drapeau.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
A PROPOS DE MANON
C'est demain lundi qu'aura lieu, à r0pÉii.v-C0MiQLE, la reprise de
Manon, la plus séduisante, sinon la plus élevée, des œuvres de
M. J. Massenet. Représentée pour la première fois, à l'ancienne
salle Favart, le 19 janvier 1884, elle suivait de près sur l'affiche la
charmante Lakmé de Léo Delibes. On peut donc marquer d'une
pierre blanche cette saison 1883-1884, qui vit naître presque coup
sur coup deux partitions qui comptent parmi les meilleures de la
nouvelle école française. Et, comme si leur sort paraissait lié
toujours, c'est encore au moment oli l'on vient de reprendre Lakmé
à rOpéra-Comique du Ghâtelet qu'on y reprend Manon, h quelques
mois d'intervalle. Ces œuvres sont amies et marchent côle à côlei
comme leurs auteurs oni marché toujours dans la vie jusqu'à l'heure
douloureuse où la mort brusquement est venue emporter l'un d'eux
dans le plein épanouissement de son talent. Kassya prouvera de
nouveau, avant qu'il soit longtemps, quelle perte a faite, ce triste
jour, la musique française.
Nous sommes bien certain que Manon aussi, comme Lakmé, re-
trouvera demain son succès d'anlan, sans qu'il soit nécessaire pour
cela de mobiliser tout un corps d'armée ni d'imposer l'admiration
par la force des baïonnettes. C'est une partition sortie du cœur de
son auteur, et c'est pour cela qu'elle trouve facilement le chemin
de celui de ses auditeurs.
Dans le Gaulois de vendredi, M. Edouard Noël, qui, à l'époque où
parut Manon pour la piemière fois, était secrétaire de l'Opéra-Co-
mique, note quelques-uns de ses « souvenirs », qui sont restés très
précis. Nous en reproduisons ici des fragments qui peuvent être
utiles à l'histoire de l'œuvre :
... On parlait depuis longtemps déjà de cette Manon, qui devait être un
des événements de l'hiver 1883-84. Bien des compétitions étaient nées au-
tour de la création de ce personnage. Qui serait la Manon de Massenet?
Les rôles masculins étaient distribués. A Talazac, dans toute la maturité
de son beau talent de chanteur, était échu le rôle du chevalier; Taskin
avait en sa possession celui de Lescaut. Mais Manon? Les ambitions fé-
minines cherchaient à se faire jour. M'"»^ Jeanne Granier, Bilhaut-Vau-
chelet, Vaillant-Couturier étaient sur les rangs, et d'autres encore. Mais
les auteurs avaient fixé leur choix de longue date sur M™" Heilbron.
On n'a pas oublié ce qu'elle fut dans ce rôle. La curiosité publique la
guettait. On racontait qu'un riche mélomane américain avait loué un ap-
partement contigu à celui qu'elle occupait à l'hôtel Suffren, pour l'écouter
dans la préparation de son personnage musical et connaître avant tous la
partition si impatiemment attendue.
Les répétitions suivaient leur cours. Meilhac, qui n'a jamais été un fa-
natique de musique, les abandonnait à ses collaborateurs. Il y vint
quelquefois, cependant, et donna son avis, toujours écouté. Un jour que
Massenet se félicitait du superbe résultat qu'il avait obtenu dans l'explosion
orchestrale du quatrième acte, d'un elîet si grandiose, le spirituel auteur
riposta par cette boutade, dont il ne pensait certainement pas un mot :
— Parfaitement... mais un capitaine d^rtillerie qui fait tirer le canon
réalise ce rêve-là bien mieux que vous-même.
Manon parut.
— C'est de la toute petite musique, delà musique de gamin de Paris,
avait dit préalablement Massenet de sa partition.
Pas plus que Meilhac, il ne pensait un mot de ce qu'il disait. Il l'aurait
pensé que le public lui eût donné tort. L'œuvre nouvelle fut accueillie
avec enthousiasme. Elle n'était ni allemande ni italienne, mais bien fran-
çaise. Elle comprenait une quinzaine de motifs dans lesquels s'incarnait
chaque personnage. Manon seule, dont le type est un mélange de mélan-
colie et de gaîté. en avait deux, pour bien préciser cette alternance. La
pièce, la partition, l'interprétation allèrent aux nues. Le compositeur
stéréotypa ce brillant résultat dans les dédicaces musicales qu'il adressa
à ses interprètes, en leur rappelant la phrase-type de leur rôle :
A M™ Heilbron, après cette phrase du rôle de Manon : N'est-ce plus ma
main que cette main presse... n'est-ce plus ma voix?... » il disait : « Pourquoi
citer ce passage, madame, n'êtes-vous pas pendant les six tableaux de
cette existence ; émouvante, adorable, cruelle, enchanteresse?... A vous,
à Manon, mon admiration reconnaissante. »
A Talazac, après : a Ah I fuyez, douce image à mon âme trop chère », il
ajoutait : i A Talazac, à l'artiste incomparable, à mon cher chevalier Des
Grieux... souvenir de vive reconnaissance et d'affection... »
A Taskin, après le madrigal d'un style si élégant et si léger : « Ma
Rosalinde... ma Bosalinde... », sa plume laissait échapper ce compliment de
reconnaissance : « Merci, mon cher Taskin, merci de tout cœur... Ah !
quel artiste vous êtes ! »
Enfin, à Danbé, sous les yeux de qui il remettait adroitement la dernière
phrase orchestrale de sa partition, il disait, dans un élan de reconnais-
sance affectueuse ; « C'est après cette dernière mesure, cher ami, que je
te devais la plus grande part de reconnaissance pour la façon splendide
dont tu nous a menés à la victoire... Merci de tout cœur, mon cher Danbé!»
Victoire ! Oui, certes, ce fut une victoire, une victoire dans la plus
grande acception du mot.
L'œuvre a fait depuis le tour du monde, partout applaudie et acclamiée.
Une jeune artiste américaine, qui rêvait les applaudissements parisiens,
s'était éprise du rôle... Elle le chanta à La Haye sous le nom de Palmer...
Mais bientôt, reprenant son véritable nom de SibylSanderson,sous lequel
elle devait être l'éblouissante Esclarmonde, elle enchaînait l'admiration de
tous à son admirable personne et à son beau talent. Avec elle, Manon
connut à Bruxelles et à Genève les rayonnements du triomphe, et c'est
cette fée enchanteresse que nous entendrons bientôt à l'Opéra-Comique,
dans ce rôle qui semble avoir été écrit exprès pour sa beauté, pour sa
nature et pour sa voix.
Noël, vous avez raison.
H. M.
3 M
LE MEiNESlIU'L
OrÉON. La Mer, pièce en trois actes de M. Jean Jullien. — Comédie-Fban-
çAiSE. L'Ami de la maison, comédie en trois actes de MM. H. Raymond
et M. Boucheron.
Je me trouve très ea retard pour parler de la Mer de M. Jean
Jullien et j'eu fais toutes mes excuses au lecteur. Aussi bien, ce
défaut de ponctualité me sera d'un certain secours en ce qu'il me
permettra de ne point appuyer outre mesure sur les détails de la
pièce, tous mes confrères, grands et petits, les ayant dits et redits
depuis plus d'une semaine déjà ; je sais, d'ailleurs, plus d'une oreille
délicate qui n'aura pas lieu de s'en plaindre.
L'action se passe en Bretagne, de nos jours vraisemblablement,
ea un hameau perché à mi-côte sur une falaise de rochers roses et
parmi les ajoncs et les bruyères de la lande. Un des gas du pays,
Yves Hemell, rentre, libéré de son service, et apprend que sa promise,
Marie-Jeanne, a été séduite par son propre beau-frère à lui. Le
premier mouvement d'Yves est de tuer l'enjôleur, Kadik ; mais on lui
fait entendre raison : la sagesse, parait-il. veut que tout soit oublié,
qu'Yves épouse Marie-Jeanne, malgré l'enfant qu'elle élève, et même
que tous, Yves et Marie-Jeanne, Kadik et Elisabeth, sa femme, vivent
en commun sous le même toit. Une semblable existence, ainsi qu'il
était facile de ie prévoir, n'est rien moins qu'agréable et, un beau
jour, Kadik jette par-dessus les bastingages de la gabarre, dans
laquelle ils faisaient la pêche, son beau-frère Yves.
Si je vous ai raconté, brièvement, ce petit fait divers, ce n'est
point pour l'intérêt que vous pourrez y prendre, mais bien pour vous
prouver que l'auteur ne va point, pour intéresser le public, chercher
les intrigues embrouillées et les combinaisons chères aux anciens
dramaturges. Il prend un fait quelconque de la vie courante, — je
suis de ceux qui admettent que la vie brutale des paysans puisse
présenter des cas aussi contraires à la morale et à la raison que
celui qui nous occupe — et son travail d'homme d'art consiste à le
rendre intéressant à l'aide des personnages qu'il met en scène. C'est
donc surtout, principalement, les acteurs, non l'action, que M. Jul-
lien s'étudie à nous présenter.
Dans celte partie de sa lâche, l'auteur fait preuve de talent, st j'ajou-
terai même, quitte à me faijje mal voir ds certaines gens, preuve de
métier ; de fait, Yves, Kadik, Marie-Jeanne, Elisabeth, la Mengoy,
aubergiste, le père Le Braz, vieux loup de mer, sont vigoureusement
campés et d'un dessin certain. Je me permettrai seulement do
regretter que l'auteur ne se soit pas attaché davantage à nous faire
entendre des choses un peu moins vulgaires que celles qu'il met
dans leur bouche ou à nous faire assister à une action moins quel-
conque et surtout moins languissante et moins délayée que celle
de ce petit drame.
Des trois actes de la Mer, le premier est réellement intéressant
et le troisième contient deux scènes fort habiles ; quant au second,
il est franchement ennuyeux. Reproche excessivement grave, sur-
tout s'il s'adresse à l'écrivain qui se pose bravement eu rénovateur
de l'art dramatique. Bien entendu, les théories du « théâtre vivant »
n'ont pas été, celte fois encore, sans jouer quelques vilains tours
à M. Jean Jullien, bien qu'il semble vouloir s'aflranchir peu à peu
de règles, qu'il a pourtant pris soin de noter lui-même, se rendant
compte, probablement, que si les anciens procédés dramatiques
étaient imparfaits, ils avaient du moins quelques avantages. Le
jargon qu'il fait parler à ses interprètes, sous prétexte de couleur
locale, est vraiment insupportable sans avoir le mérite d'une exac-
titude rigoureuse.
La nouvelle étude de l'auteur du Maître est excellemment défen-
due par la troupe de l'Odéon. M"^« Lerou, qui fut à la Comédie-
Française, Dorsy, qui vient du Théâtre-Libre, Marty et MM. P. Reney,
Marquet et Cornaglia, n'ont droit qu'à des compliments. La mise en
scène, très curieuse, et aussi scrupuleusement exacte qu'il est
possible, n'est pas un des moindres attraits de la représentation.
Je me reprocherais d'insister longuement sur l'erreur de MM. Hip-
polyle Raymond et Maxime Boucheron, présentant leur Ami de la
maison à la Comédie-Française et sur la faute commise par le
Comité de lecture de cette même Comédie-Française, acceptant et
montant celte comédie faite évidemment pour une autre scène.
D'ailleurs les deux auteurs, hommes d'esprit, viennent de reprendre
leur pièce, et je suis bien convaincu, qu'avec quelques retouches
presque insignifiantes, ils pourront en faire trois actes divertissants
pour le Palais-Royal ou les Variétés. MM. Le Bargy, Coquolin cadet,
do Féraudy, Prudhon et M"""» Reichenberg, Bertiny, Ludwig et
Lynnès ont joué d'une façon quelconque; le public n'a pas eu la
force de leur en vouloir. Paul-Éjiile CiiEVALiEn.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
CHAPITRE VI
LOUIS-PHILIPPE ET LA 11° RÉPUBLIQUE
(Suite)
« Qui croirait que cette enfant, qui est une grande tragédienne,
n'a jamais vu jouer Talma ?» — C'est l'opinion toute franche d'un
critique au sortir de la première représentation de la Juive (23 fé-
vrier 183.5). La nouvelle victoire de M"*^ Falcon, aux côtés de
Nourrit, vient à point pour rehausser le prestige de l'École, toujours
attaquée, vilipendée, raillée.
On lui propose pour modèle le Conservatoire de Bagnères-de-
Bigorre (?), qui sera eu mesure d'envoyer cent jeunes chanteurs aux
fêtes de Toulouse ; d'autres déclarent trouver plus d'avenir aux
musiciens du Jardin turc ou du bazar Saint-Honoré.
Il est à supposer cependant que la croche conserve de nombreux
dévots dans Paris, puisque Becquié de Peyréville, un ancien élève
de la rue Bergère, peut composer un honorable orchestre nour l'éta-
blissement des Champs-Elysées, puisque Tilmant recrute pour le
Gymnase musical du boulevard Bonne-Nouvelle une phalange re-
marquable.
Piqué de la même tarentule, le Ménestrel annonce à ses abonnés
qu'il leur sera offert chaque année un concert; au premier pro-
gramme : Liszt, Adam, Inchindi, Couderc.
Pour assurer au festival de Juillet une allure suffisamment artis-
tique, le gouvernement avait confié à Mej'erbeer et à Adolphe Adam
le soin d'en composer le programme. L'attentat de Fieschi coupe
court aux réjouissances ; ouvertures et chœurs projetés cèdent le pas
au Requiem de Chorubini, exécuté sans grand effet aux Invalides, au
Te Deum de Lesueur, qui sonne magnifiquement sous les voûtes de
Notre-Dame.
La venue des concours est un renouveau pour toutes les attaques.
Liszl, dans la Gazette musicale, constate sans trop protester qu'on a
baptisé le Conservatoire : « la salle d'asile des momies et l'apo-
théose des perruques». Pourquoi les élèves qui veulent travailler eu
dehors de la classe sont-ils obligés de demander à leur même
professeur des Isçons supplémentaires ? Pourquoi multiplier les prix
au point de transformer en encouragements d'écoliers ce qui devrait
être un brevet d'artiste ?
Au jour de la distribution, par un froid intense, les appareils de
chauffage se livrent à d'étranges fantaisies, et c'est à travers la
fumée qu'on entend les variations à huit mains sur il Crociato,
jouées par M'" Klotz, MM. Lefébure, Honoré et Goria, lauréats du
piano, et les vocalises de M"" Flécheux, qui sera bientôt le page
des Huguenots.
Une longue plainte s'élève de Paris, murmure attristé des direc-
teurs de concerls. Un décret prélève le huitième de la recette brute,
et voici que ces institutions, si prospères jadis, jonchent le sol de
leurs cadavres. Mort le Gymnase musical, fermée la salle Montes-
quieu, dispersé l'orchestre de l'hôtel Laffille. Rue Bergère, la Société
hésite à reprendre ses séances, mais les recottes s'annoncent assez
belles pour braver le nouvel impôt.
L'émeute est au Conservatoire : cette nouvelle se répand à tra-
vers la ville, un beau matin de juillet 1836. On court aux renseigne-
ments, on apprend que les mères des élèves assiègent le cabinet de
Cherubini, mêlant les prières aux imprécations. On vient de leur
interdire l'accès des classes, assourdies par leur bavardage ; elles
crient, elles protestent, tant et si bien que le maestro cousent à
parlementer. Le traité de paix est vite conclu : une mère, une seule,
la première arrivée, sera admise dans le sanctuaire; les autres atten-
dront dans une salle voisine, où elles pourront tout à l'aise échanger
leurs vues sur l'art et la politique. Entrée libre, les jours oii les
élèves des deux sexes sont réunis.
Le calme renaît, et on peut pousser les répétitions du Requiem, exé-
cuté le 28 juillet, au service anniversaire, dans l'église des Invalides.
Cette année-là, les concours de chant et d'opéra-comique sontune
véritable revue du répertoire contemporain ; le Barbier, le Chalet,
Leicester, l'Eclair, la Fiancée, la Marquise, défilent à tour de rôle de-
vant les auditeurs, qui applaudissent Alizard et M"= Castellau.
M. Groisilles est parmi les lauréats du violon.
LE MENESTREL
325
La mélancolique histoire des prix de Rome est le thème choisi
par M. de Gasparin pour son discours de la distribution des prix. Les
hésitations des directeurs à monter des œuvres de musiciens inconnus
étant chose naturelle, « il faudrait un établissement où, après un
examen destiné à écarter les incapacités ambitieuses, on exécuterait
habituellemecit de la musique nouvelle; ce serait une chapelle, car la
musique sacrée est un genre sérieux ou il faut faire preuve de
science, mais qui n'exclut pas les développements de l'imagina-
tion. »
La confiance renaît aux prix de Rome.
L'hiver 1837 débute par une bonne action: aidés de Ponchard et
de M""= Casimir, quelques élèves du Conservatoire organisent une
séance musicale qui rachètera de la conscription un jeune flûtiste
de l'École.
C'est la série des concerts qui recommence, à peine troublée par
l'influenza qui fait rage, le flot de symphonies, de chœurs et d'ou-
vertures qui envahit toutes les salles jusqu'à la fête inouïe donnée
le 10 juin au palais de Versailles restauré. — Cherubini, Lesueur,
Berton, Auber, Paër, Halévj et Mèyerbeer représentent la musique
au banquet et au spectacle. Le Mùanthrope, avec M"«* Mars, Mante
et Plessy ; le trio de Robert, chanté par Duprez, Levasseur et
M"' Falcon, un ballet où paraissent Thérèse et Fanny Elssler,
M"" Noblet et Fitz-James composent le programme. En entr'acle,
la Symphonie allégorique d'Auber, contant les vicissitudes de la
France de la Régence à 1830, faisaut, après les chants révolution-
naires, éclater à l'orchestre Veillons au salut de l'empire, aboutissant à
la Parisienne.
Deux concurrents acclamés aux séances publiques d'août : Roger,
premier prix de chant, Francis Berton, vainqueur dans la comédie.
L'Institut est réuni pour distribuer solennellement les prix de
Rome, le premier à M. Besozzi, le second à M. Gounod, quand
arrive un attristant message : Lesueur est mort. Ce seul nom évoque
une longue suite de souvenirs ; on se redit les étapes de cette carrière
toute d'honneur et de gloire, attachée à l'histoire de l'École depuis
n9S. C'était le musicien favori de l'Empereur, celui qui, le soir de
la première représentation des Bardes, parut dans la loge impériale
entre Napoléon et Joséphine.
A l'église Saint-Roch, le Conservatoire est réuni tout entier
pour les funérailles. Auprès de la musique du mort, des compo-
sitions de ses élèves favoris, entre autres un Agims Dei d'Ambroise
Thomas, chanté par Duprez.
La distribution des prix est marquée chaque année par de belles
promesses : M. de Montalivet ne saurait faillir à celte tradition, et
les aspirants compositeurs reçoivent la formelle assurance de trouver
un livret remarquable à leur retour d'Allemagne.
L'orateur déclare encore que le rétablissement du pensionnat pour
les hommes est d'absolue nécessité; il constate enfin que, très pro-
chainement, « les élèves du Conservatoire exécuteront des chants
qui seront l'œuvre d'un élève du Conservatoire ». — Allusion au
Requiem de Berlioz, donné aux Invalides pour les obsèques solennelles
du firénéral Damrémont.
1838. Les anciens élèves du Conservatoire se distinguent particu-
lièrement celte année-là. C'est d'abord la messe d'Elwart, chantée à
Sainl-Eustache ; Dietsch conduit l'orchestre, l'orgue est tenu par
Ambroise Thomas. Encouragé par ce succès, le jeune compositeur
écrit un morceau que les élèves de Saint-Denis chanteront le jour
où la reine les vient visiter. Cette incursion sur le domaine politique
lui fait retirer le feuilleton de l'Ewope monarchique.
Le 6 avril, à l'Opéra-Comique, le Perruquier de la Régence. Les
espérances de la Double Echelle se réalisent. « Il n'y a pas longtemps,
déclare le Co/wZi/M^îonne/, M. Ambroise Thomas était tout simplement
un lauréat de l'Académie des Beaux-Arts, no sachant trop à quelle
fortune son étoile le réservait... On a remarqué dans son nouvel
ouvrage des morceaux qui pourraient bien lui frayer la roule de
l'Opéra-Cjmique à l'Académie royale de Musique ».
ijj Accueilli le plus fraîchement dn monde, le Benvenuto Cellini de
JK Berlioz, le IS septembre à l'Opéra.
U Les concerts ont déchaîné sur la France un tel envahissement de
pianistes, qu'une violente réaction est inévitable. On affirme que
M. de Salvandy a rendu un arrêt interdisant formellement le moindre
morceau de piano aux distributions des prix. Ce décret s'étend à
tout le royaume.
Un recensement du Conservatoire en 1839 nous est t'ourni par le
speech de M. de Kératry : 37S élèves (239 hommes et 1.36 femmes)
reçoivent les leçons de l'École. Sur ce total, 149 seront admis à
concourir et 87 nominations, dont 37 premiers prix, seront accordées.
Parmi les élus, les théâtres font une moisson brillante : l'Opéra
s'attache M"" Dobrée ; Masset et Marié entreut à l'Opéra-Comique.
La Comédie-Française enlève M"= Doze, transfuge des cours de
harpe, et M"" Augustine Brohan.
Pour compléter la stalistique, ajoutons que le matériel de l'Ecole,
mobilier, instruments, bibliothèque, vient d'être évalué à 1,114,860
francs.
Par trois fois, le Conservatoire entonne le Requiem : aux obsèques
de Paër, au service funèbre de Nourrit, auprès du cercueil de Plan-
tade.
Rappelons enfin que la Gipsy, dansée par Fanny Elssler, met le
nom de M. Ambroise Thomes sur les affiches de l'Ojiéra, et que
M"^ Pauline Garcia débute au Théâtre-Italien, dirigé par M. Viardot.
Les deux premiers actes de la Juive, le quatrième des Huguenots,
Duprez, Dérivis, Massol, Alexis Dupont, M""' Dorus-Gras, les débuts
de Lucile Grahn, tel est le programme qui suffirait à remplir la
salle de l'Opéra, le 14 mars 1840; et à lant de séductions s'enjoint
une plus irrésistible encore : Gornélie Falcon va reparaître dans la
soirée donnée à son bénéfice.
Qu'elle est morne et attristée, cette représentation qu'on se pro-
mettait triomphale! A peine entrée en scène, M"= Falcon, trahie
par sa voix, éclate en sanglots, tombe évanouie dans les bras de
Duprez. On l'acclame pourtant; les fleurs et les couronnes s'amon-
cellent, Paris veut donner à son idole l'illusion d'une suprême
victoire.
Une certaine agitation règne parmi le public des concours. Avant
l'ouverture de chaque séance, le secrétaire du Conservatoire a soin
d'avertir les auditeurs, par une formule empruntée au répertoire
des cours d'assises, que « tout signe d'improbation ou d'approba-
» lion est formellement interdit ». On n'en applaudit pas moins la
clarinette de M. Blançon avec une furia contre laquelle la sonnette
et les cris de Cherubini restent impuissants ; au chant, les ovations
deviennent si bruyantes après un air de Joseph, que le président,
hors de lui, menace de faire évacuer la salle et de terminer les
concours à huis clos.
Peut-être, en réprimant le tapage, le maestvo n'était-il pas guidé par
le seul respect du lèglement. La salle menace ruine; quelques
lézardes la sillonnent déjà, et le ministère est resté sourd aux
plaintes réclamant de promptes réparations.
Sous ces lambris menaçants, on proclame les premiers prix de
Leroux et de M"= Augustine Brohan, exquise d'esprit, do vivacité.
Au second rang, M"" Denain, qui, ainsi que W Begbeder, est à la
fois élève de l'école et pensionnaire du Théâtre-Français. César
Franck, élève de Leborne, est le vainqueur de la fugue et du contre-
point, suivi de près par M. Prumier ; M'i« Revilly remporte, avec
M"' Descot, la couronne de chant.
Pour la première fois, les prix sont distribués sur la scène le
22 -novembre, sous la présidence du duc de Coigny. Ou signale
« l'excellente attitude des élèves, rangés dans l'ordre le plus parfait
et le plus moral: les hommes occupant un côté et les jeunes demoi-
selles, l'autre. »
La fin de la séance est un peu gâtée par l'économie de l'adminis-
tration, qui n'a pas mesuré le luminaire au programme : les bougies
du lustre n'éclairent que de lueurs expirantes la scène de comédie
qui termine la fête.
Jamais Paris ne contemplera cérémonie funèbre plus grandiose
que celle du lo décembre. Dans un rayonnement d'apothéose, les
cendres de l'Empereur sont portées aux Invalides ; Napoléon rentre
en vainqueur parmi les étendards, les trophées, et la musique a sa
part dans cette inoubliable journée. Auber. Halévy et Adam ont
écrit les marches qui sonneront sur le passage du char ; pour l'é
glise. on a fait choix du Requiem de Mozart. Chaque voix sera
quadruplée : Duprez, Rubini, Ponchard, Alexis Dupont chanteront
la partie de ténor; la basse est distribuée à Lablache, Levasseur,
Barroilhet et Tamburini ; soprano: M">« Damoreau, Dorus, Grisi,
Persiani; contralto: M°"=^ Stolz, Albertazzi, Eugénie et Pauline
Garcia. Parmi les trois cents exécutants, dans l'orchestre et les
chœurs, le Conservatoire est largement représenté.
Dans l'église, revêtue de drap violet aux arabesques d'or, l'effet
est inimaginable, et pourtant — les journaux sont unanimes à le re-
connaître — « le cercueil faisait oublier Mozart » ; tous les regards
326
LE MÉNESTREL
étaient t'asciués par le catafalque, haut de cinquante pieds, entouré
des drapeaux d'Auslerlitz.
(A suivre.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles théâtrales d'Allemagne : Berlin : Le théâtre KroU a clôturé sa
saison lyrique sur une représentation donnée au profit des chœurs et de
l'orchestre, avec le concours de M'"" Moran-Older et de M. Gœtze. Le spec-
tacle était composé de différents actes détachés d'opéras : Eurijanthe, Faust,
Obéron. Carmen Yient de reparaître sur la scène de l'Opéra royal; à cette
occasion on a remplacé le dialogue par les récitatifs. Ce changement est
généralement blâmé par la presse. — Brunswick: crise administrative au
théâtre ducal. Le prince régent a relevé de ses fonctions l'intendant von
Lohneysen et nommé à sa place le maréchal de la cour von der Mtilbe.
— DussELDORF : le théâtre municipal vient de rouvrir ses portes avec
Tannhaxiseï; sous la nouvelle direction Stîegemann. — Hambourg : le Démon,
de Rubinstein, va paraître bientôt sur la scène municipale. On espère que
le maître consentira à venir diriger la première représentation. — Munich :
le spectacle donné au théâtre de la cour en l'honneur de l'empereur
Guillaume était composé de Cavalteria rusticana et du Cid, de Cornélius.
On prépare une reprise de Coppélia, sous la direction de la maîtresse de
ballet, M™° Jungmann. Au théàti'e Gartnerplatz, la représentation de la
nouvelle opérette de Dellinger, Saint-Cyr, a abouti à une lourde chute.
— Prague : le théâtre allemand a célébré avec éclat le centenaire de
Meyerbeer; il y a eu sept soirées de gala consacrées aux grandes
œuvres du maître, y compris Struensée ; les Huguenots ont été représentés
dans leur intégrité, d'après la version originale. — Wiesbaden : un essai
malheureux, et assez bizarre, vient d'être fait au théâtre de la cour; on
représentait le premier acte d'un opéra inédit en trois actes, intitulé
Elfenliebe. Le compositeur, M. Jean Grimm, voulait, par ce moyen, pres-
sentir l'accueil que ferait le public à l'ouvrage complet. L'expérience ne
lui a pas été favorable.
— Un incident assez singulier s'est produit, le 2 octobre, à l'Opéra impé-
rial de Vienne, pendant la répétition générale des Amants de Téruel, l'opéra
du compositeur espagnol Thomas Breton, dont le succès a été si grand
dans sa patrie. Au dernier acte, le héros, Marsilla, meurt, et on l'enterre
dans l'église de Téruel. Ou apporte le cercueil ouvert, et, dans ce cercueil,
on voit le mort revêtu d'une chemise blanche et la figure couverte d'un
masque en cire. Le masque présentait un aspect si terrible de réalité que
la partenaire du héros, M"° Schlœger, en l'apercevant, a été prise d'une
syncope et s'est affaissée sur la scène, la tète frappant le parquet avec
une violence telle, qu'au premier moment on a été très inquiet au sujet
des suites que cette chute pourrait avoir. Transportée dans sa loge, l'artiste
s'est remise lentement et a pu quitter le théâtre après deux heures de
repos.
— Il y a eu, le 30 septembre dernier, cent ans que la Flûte enchantée,
de Mozart, a paru pour la première fois sur la scène du Wiedener-
Theater, à Vienne. L'affiche de cette première représentation était ainsi
conçue : « Théâtre impérial royal privilégié. — Aujourd'hui vendredi,
30 septembre 1791, les comédiens du théâtre impérial royal privilégié
auront l'honneur de représenter au Wieden, pour la première fois, la
Flûte enchantée, grand opéra en deux actes, de Emmanuel Schikaneder. »
(Suit la distribution.) Puis, au-dessous, en plus petits caractères : « La
musique est de M. Wolfgang-Amédée Mozart, capellmeister et compositeur
authentique (sic) de la Chambra. Par déférence pour un public clément
et respecté, et par amitié pour l'auteur, M. Mozart dirigera lui-même
l'orchestre ce soir. Les livrets de l'opéra, ornés de deux dessins sur zinc
représentant M. Shikaneder dans son costume de Papageno, sont vendus
trente kreutzers à la caisse du théâtre. M. Gayl, peintre du théâtre, et
M. Mellsthaler se flattent d'avoir exécuté leurs travaux avec le zèle le
plus artistique, suivant les indications de l'auteur. »
— L'Opéra impérial de Vienne prépare une reprise qui ne saurait man-
quer d'exciter un vif intérêt, celle du fameux ballet de Prométliée, dont
Beethoven a écrit la musique. Mais, chose assez singulière, il a été im-
possible de retrouver la moindre trace du scénario original ; si bien qu'on
a dû charger un poète, M. Taubert, d'en construire un absolument nou-
veau pour cette reprise. Il est probable, toutefois, qu'on a dû retrouver
au moins, à l'aide des journaux du temps, la marche générale de l'action
du drame dansé.
— L'Association des artistes musiciens de Vienne vient de décider la
création d'une bourse où l'on concentrera les demandes et les offres rela-
tives à la musique. Les chefs d'orchestre et de bandes musicales auront
leur entrée libre, tandis que les musiciens devront payer un florin d'en-
trée, ce qui peut sembler un peu cher. La bourse sera ouverte la veille
de chaque jour de fête et ces mêmes jours. A la séance de fondation
étaient présents les délégués et représentants de trente orchestres.
— Voici la liste des conférences qui seront faites à l'Université de
Vienne au cours de la saison 'd'hiver 1891-1892 : L'histoire de l'opéra en Italie
et en France, par M. Edouard Ilanslick, noire excelleul et renommé con- 1]
frère de la Neue frei Presse ; de l'in/luence de l'idéal antique sur le développement |
de l'art musical, par M. Max Dietz ; et la science de l'harmonie, par M. Anton <'
Bruckner.
— Le célèbre collectionneur allemand Paul de Witt présentera à
l'Exposition de musique de Vienne une série de deux cents instruments
anciens, tous en état d'être joués. C'est la troisième collection d'instru-
ments rares et anciens que M. de Witt a pu réunir ; les deux premières j
ont été acquises par l'État prussien. Les visiteurs de l'Exposition auront, \.
parait-il, sous les yeux, à l'aide de cette collection, un fidèle tableau du |
développement de la facture instrumentale dans toutes ses branches.
M. de Witt fera entendi-e une partie de ses instruments dans un concert
historique spécial. Lui-même jouera d'une viole di gamba.
— Nous avons publié, d'après les journaux allemands, l'état financier
des derniers Feiispiele de Bayreuth. Rappelons que le total des recettes
s'est élevé à huit cent mille marks. Veut-on savoir maintenant quelle a
été la part de M"" Gosima dans ce magnifique butin ! Cent mille francs net,
représentant dix pour cent sur la recette brute.
— Le dramaturge allemand, Ernest Pasqué, vient de faire paraître un
nouveau livret en langue allemande des Deux Journées, le célèbre opéra de
Cherubini dont l'abandon par nos scènes lyriques françaises demeure
inexplicable. M. Pasqué s'est attaché, le plus possible, à suivre le texte
original, mais il l'a faitprécéder d'un prologue de son cru, destiné â rendre
l'exposition plus claire et qu'il a intitulé le Passage du Saint-Bernard. La
musique qui devra servir à ce prologue est celle d'un autre opéra de Che-
rubini, Elisa ou le Voyage au Mont Saint-Bernard, créé comme le précédent
au théâtre Feydeau, à l'époque de la Révolution, et dont le retentis-
sement fut immense.
— Schubert, on le sait, a laissé inachevée une symphonie dont les mor-
ceaux existants ont été fréquemment exécutés dans les concerts, aussi
bien en France qu'en Allemagne. Il paraît qu'il vient de.se trouver, dans
ce dernier pays, un musicien exempt de modestie comme de préjugés qui
a assumé la tâche, assurément délicate, d'achever cette symphonie, ce
qu'il fait annoncer urbi et orbi, à l'aide de toutes les feuilles musicales
possibles. Ce « continuateur » de Schubert s'appelle modestement Auguste
Louis.
— C'est le Nord qui nous raconte cette petite mystification d'un chan-
teur à l'égard du public : — a Je cueille dans un journal de province la
piquante fumisterie imaginée récemment à Kharkof par un artiste d'opé-
rette très connu à Pétersbourg, M. Davydof. Le jour de son bénéfice
approchant, on vit paraître sur tous les murs de cette ville une gigan-
tesque affiche promettant au public l'entrée libre à l'occasion de cette
solennité. Naturellement il y eut foule énorme aux abords du théâtre,
car les amateurs ne manquent jamais pour ce qui ne coûte rien; mais
ceux qui avaient eu la naïveté de se présenter éprouvèrent la désagréable
déception de devoir passer avec monnaie et roubles en main par le con-
trôle. Et comme la plupart se révoltaient contre cette exigence de l'admi-
nistration en invoquant la mirifique affiche de bénéfice, on les pria poli-
ment, mais non sans ironie, de la lire avec plus d'attention, et ils purent
alors constater que sous la colossale inscription d'entrée libre se trouvaient
imprimés, en caractères microscopiques, ces mots complémentaires :
Jusqu'à la caisse. Nos mystifiés eurent cependant le bon esprit de ne-
pas prendre en mauvaise part la plaisanterie un peu trop sans-façon de
M. Davydof, et au lieu de se fâcher, le public applaudit plus chaleureuse-
ment que jamais son comédien favori.
— Comme nous l'avons annoncé, c'est le 30 septembre qu'à eu lieu, à
Zurich, l'inauguration du nouveau théâtre qui succède à l'édifice récem-
ment incendié. A cinq heures, les invités étaient réunis. Après l'exécu-
tion d'une ouverture de Beethoven, M"' Clara Markwart est venue réciter,
avec beaucoup de succès, une pièce de vers de circonstance, puis on a re-
présenté une comédie fantastique mêlée de danses qui a produit un grand
effet. Le lendemain, 1"' octobre, le cours des spectacles réguliers a com-
mencé par une représentation de Loliengrin.
— On nous écrit de Berne ; — » A la suite des fêtes séculaires de Berne,
où l'on a tant joué la Marche bernoise (Bernermarsch), il est curieux de
rechercher d'où vient cet air, guerrier et enfantin tout à la fois, qui éveille
dans l'âme des fils de Zaehringen des sentiments d'orgueil et des souve-
nirs de gloire. Un des historiens bernois les plus autorisés en fait remonter
les origines au général anglais Edmond Ludlow, conseiller de Gromwell,
qui aurait rapporté cette mélodie en Suisse en 1660. Ludlow s'était enfui
d'Angleterre lors de la restauration des Stuarts, et fut enterré en l'église
de Saint-Martin, à Vevey. Selon d'autres historiens, la marche bernoise
serait beaucoup plus ancienne et daterait de lo"2'2, lorsque, après la bataille
de la Bicoque, les Suisses au service du roi de France marchèrent sur
Rome. Elle aurait été jouée aussi plus tard à Londres, en 1614, par un
corps de Bernois engagés. Ce qui est certain, c'est qu'elle servit de marche
de ralliement aux Bernois lors de l'invasion française en 1798. Dans la
nuit du 4 au 5 mars, la ville de Laupen fut surprise par les troupes fran-
çaises ; un bataillon oberlandais venait au secours de la petite cité. Du
haut des murs de Laupen, on avait pris la colonne amie pour une colonne
LE MENESTREL
327
française et on allait la receYoir à coups de feu, lorsque éclata, sonore et ^
gaie," la marche guerrière des fifres et tambours avec ce cri : OberlandI
-Obetiand! Dans le sanglant combat qui eut lieu le même jour sous les
bois de 'Neuenegg, l'adjudant général Weber s'en servit pour rallier,
sous l'épais rideau des arbres, sa troupe en déroute. Après la victoire des
Français, la Marche bernoise tut bannie jusqu'en 1802, lors de la guerre
du Steckli. On la maintint jusqu'en 1849, et elle fut fréquemment jouée
dans certaines circonstances patriotiques. Depuis, elle a perdu sa valeur
politique et sert uniquement de souvenir à l'ancien régime belliqueux
bernois. C'est à bon droit que, ces dernières années, on lui a rendu sa
place d'honneur. Nous n'avons en Suisse qu'un très petit nombre d'an-
ciennes mélodies populaires originales; on ne peut guère comparer à la
Bernermarsh que quelques vieux airs bâlois et la « Marche des armuriers
de Neufchàfel. » A l'origine, la marche bernoise n'était exécutée que par
des tambours et des fifres Depuis lors, on l'a transcrite pour orchestre,
musique militaire, fanfare, etc., etc. On a même composé une chanson,
guerrière dont le texte est bien adapté au rythme lourd, mais énergique,
de la mélodie qui caractérise si parfaitement le vrai Bernois. — G. Doret.
— De notre correspondant de Genève (8 octobre) : L'ouverture de la sai-
son théâtrale s'est faite avec Boccace et les Huguenots, qui ont permis de jeter
un premier coup d'œil sur l'ensemble de la troupe d'opéra et d'opérette
réunie par M. Dauphin, notre sympathique directeur. Je dois vous signa-
ler en premier lieu le succès obtenu par le baryton Labis, qui peut se
considérer d'ores et déjà comme ayant conquis droit de cité chez nous. Il
a fait preuve, dans le rôle de Nevers, de sérieu ses qualités de chanteur et
de comédien. A citer également les débutsd'une jeune et gentille artiste,
M"" Lemeignan, lauréate toute récente de votre Conservatoire. M. "Warot,
dont nous gardons à Genève le meilleur souvenir, apprendra avec plaisir
la réussite pleine et entière de son élève, qui promet pour d'ici peu de
temps une charmante chanteuse légère. L. M.
— Extrait du Journal des Étrangers, de Spa : « Le concert de dimanche
soir, dirigé par Jules Lecocq, a été fort intéressant. Nous y avons entendu
et applaudi une jeune violoniste de grand talent, M"° Balthasar-Florence.
Cette charmante artiste manie supérieurement l'archet ; son jeu est d'une
couleur et d'une justesse incroyables ; on sent en elle une artiste et une
artiste de race, dans toute l'acception du mot. Son succès a été aussi vif
que mérité, car il est impossible de mieux jouer l'andante et le finale du
concerto de Mendelssohn, le Zigeunerweisen de Sarasate, et la berceuse de la
Vision d'Harry de H. Balthasar-Florence, ajoutée au progra mme comme
morceau de bis. M. Balthasar-Florence père, qui est un grand artiste, peut
à bon droit être fier de sa fille. »
-■ Pour savoir au juste ce qu'il en est de Falslaff, l'opéra-comique de
Verdi, s'il est prêt et où il sera donné, notre confrère Lauzières de Thé-
mines s'est adressé directement au maestro; et voici un passage de la
lettre que "Verdi écrit, de Bussetto, à son ami :
5 octobre.
C'est parfaitement vrai 1 Je m'occupe à mettre des notes sur un beau librelto
<ie Boito, tiré de Shakespeare : Faktaff.
Quand l'ouvrage sera achevé, oii et à quel théâtre il sera représenté, c'est ce
■que je ne saurais vous dire.
J'écris pour m'amuser — et le sujet m'amuse bien, — ainsi que pour passer
le temps.
Pour le moment, je ne saurais et ne pourrais vous en dire davantage.
Je vous serre les mains de tout cœur.
Votre G. Verdi.
— On sait que l'illustre compositeur connu sous le nom de Palestrina,
le grand réformateur de la musique religieuse, s'appelait en réalité Gio-
vanni Pierluigi, et qu'il prit ce nom, comme tant d'artistes de ce temps,
de celui de la ville où il était né. C'est en effet dans la jolie petite ville
de Palestrina, l'antique Preneste, qu'il avait vu le jour, et c'est elle qui
songe maintenant à honorer la gloire du plus illustre de ses enfants en lui
élevant un monument à l'occasion du troisième anniversaire de sa mort,
advenue le 2 février 1894. Il vient donc de se former à Palestrina un
comité désireux de provoquer de grandes fêtes en l'honneur de l'immortel
auteur de la Messe du pape Marcel, et ce comité fait déjà circuler des listes
de souscription qu'il espère voir promptement et abondamment remplies.
— On a donné ces jours derniers, au théâtre Brunetti, de Bologne, la
première représentation d'un opéra nouveau, Vindice, qui paraît avoir reçu
du public un accueil très favorable. L'auteur, le maestro Masetti, ancien
élève du Lycée musical de Bologne, n'était connu jusqu'ici que par quel-
ques compositions symphoniques. On assure que son opéra révèle un
véritable talent,
— Un congrès de musique religieuse se tiendra à Milan les 10, Il et 12
novembre prochain, sous la présidence de son Éminence l'archevêque
Calabiana, représenté par le prêtre professeur Giuseppe Poggi. Chaque
jour auront lieu des messes en musique exécutées dans l'église de Sant*-
Antonio, dépendante de la paroisse de San Nazaro, sous la direction ar-
tistique de M. Gallignano, maître de chapelle du dôme de Milan.
— Au petit thé âtre de la Fenice, à Naples, on a donné récemment
une opérette nouvelle, Biondino, dont la musique est due au compositeur
Buongiorno.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Après la reprise de Manon à l'Opéra-Gomique, on commencera les
répétitions de Cavalleria rusticana, de Mascagni, qui doit passer vers le
milieu de novembre. C'est M"'= Calvé, comme nous l'avons dit déjà, qui
doit créer le rôle de Santuzza, qu'elle a chanté en Italie avec succès. La
jolie artiste, actuellement à Florence, se rendra bientôt à Rome pour y
créer, au théâtre Costanzi, le rôle de Suzel dans le nouvel opéra de Mas-
cagni, l'Ami Frits, qui sera joué vers la fin du mois d'octobre. Après les
six premières représentations de l'Ami Fritz, M"= Calvé sera doublée à
Rome et viendra à Paris pour assister aux répétitions de Cavalleria rusti-
cana. On compte sur un succès et on a remis au printemps la première
représentation A'Enguerrande.
— Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra, représentation populaire à prix
réduits. On donnera le Mage.
— Juste récompense des efforts consacrés par M. Gailhard au rehausse-
ment de l'art lyrique à l'Académie nationale de musique. L'éminent direc-
teur vient d'acheter une fort belle villa à Biarritz, où il a l'intention de
passer une grande partie de l'année. Bien, cela ! qu'il y reste le plus
longtemps possible.
— Du Gil Blas : « Mardi, à la salle Pleyel, M. Bertrand, le nouveau
directeur de l'Opéra, a entendu plusieurs fragments d'un nouvel opéra,
grand ouvrage en quatre actes, paroles et musique du même auteur...
Qui? un homme? une femme? Cherchez. II est probable que cette œuvre
nouvelle sera jouée par M. Bertrand. » Auteur : M"" Augusta Holmes;
titre de l'opéra : la Montagne noire. Si nous avons deviné, que le Gil Blas
nous envoie un lapin.
— M. Jules Cohen vient de prier MM. Ritt et Gailhard de demander
au ministre le règlement de sa pension à partir du l«r janvier 1892, l'état
de sa santé ne lui permettant plus de remplir les fonctions de chef des
chœurs, qu'il occupait depuis de longues années à l'Opéra. C'est M. Léon
Delahaye qui succédera à M. Jules Cohen dans la place qu'il laisse vacante
à l'Opéra.
— Le Conservatoire a fait sa rentrée lundi dernier 5 octobre. A partir
de ce jour-là, sa riche bibliothèque musicale est ouverte au public, depuis
dix heures du matin jusqu'à quatre heures.
— Dans les éphémérides parfois très curieuses, du théâtre de Lille que
donne la Semaine musicale de cette ville, nous trouvons, à la date du 4 oc-
tobre 1813, le souvenir d'une représentation extraordinaire donnée à la
mémoire de Grétry, mort le 24 septembre précédent à l'Ermitage de Mont-
morency. On donnait Sylvain et l'Amant jaloux, deux de ses chefs-d'œuvre,
et la note suivante, vraiment originale, était publiée à ce sujet: « Les ac-
teurs seront en deuil ou, selon le costume de leur rôle, porteront un crêpe
au bras. On commencera à 6 heures par l'ouverture de Pien-e le Grand,
l'une des belles compositions de ce grand maître, et entre les deux opéras,
l'orchestre exécutera en harmonie le trio de Zémire et Azor : a Ah! laissez-
moi, laissez-moi la pleurer ! Aux sons de cette musique suave, les artistes
déposeront sur le buste du grand homme, des branches et des couronnes
de laurier. »
On nous écrit de Strasbourg : Le premier concert d'abonnement de
notre orchestre municipal sera donné avec le concours de M"= Leisinger,
cantatrice de Vienne. Au second concert, qui aura lieu le mercredi 18 no-
vembre, Joachira viendra jouer le troisième concerto pour violon de
Max Bruch, œuvre nouvelle dont on dit le plus grand bien. M. Gustave
VS''uliï ténor, qui avait chanté avec succès les soli d'oratorios, vient
d'abandonner le concert pour le théâtre. Il a débuté avec succès sur notre
scène municipale en chantant le rôle de Max dans le Freischutz. L'autre soir,
M. Marie-Joseph Erb, jeune compositeur strasbourgeois qui a fait ses
études à l'école Niedermeyer, à Paris, a donné une audition de ses nou-
velles œuvres. M™' Jeanne Meyer, violoniste, professeur à la maison de
la Légion d'honneur, en vacances à Strasbourg, prêtait son concours à
M. Erlj. Dans le conrant de la saison, le théâtre municipal donnera der
Kœnig hafs gesagt (le Roi l'a dit) de Léo Delibes. On annonce, en outre,
Cavalleria rusticana, de Mascagni, et l'Enfant prodigue, de Wormser.
— Cours et leçons. — M'"" Augustine Warambon annonce pour le 15 octobre la
réouverture de ses cours et lerons, 29, rue de Douai.— M'" Henriette Thuillier reprend
ses cours de piano chez elle, 24, rue Le Peletier, et chez M"° des Essarts Boblet,
108, rue du Bac. Les examens sont faits par MM. Diémer et Benjamin Godard.
Ijfmo Edouard lyon fait connaître la reprise immédiate de ses leçons particu-
lières, et pour le 1"' novembre la réouverture de ses cours de piano, 13, rue de
Londres. Cours d'accompagnement par M. Ed. Nadaud ; cours de chant par
M'" Jeanne Lyon. — Reprise des cours de M"° Alice Sauvrezis, salle 'Wetzels-
Eslin, 7, rue Bonaparte, et 99, rue Lafayette. Auditions présidées par M. E. Gui-
raud membre de l'Institut; cours de solfège esaminés par M"» Donne, professeur
au Conservatoire; cours de chant fait par M"° Cécile B. de Mouvel. — Réouver-
ture des cours de piino et de chant de M"° Grenier George- Halnl. — M"" Lafaix-
Gontié reprend ses cours et leçons particulières, chez elle, 37, rue de Passy, et
à l'inslitul Rudy, 7, rue Royale. — M"" Marie Henrion, de l'Opéra-Comique, reprend
ses cours et leçons particulières de chant et de diction, à partir du 15 octobre,
86 avenue de Villiers. — La réouverture des cours de musique de M"" Breton-
Halmagrand (anciens cours Lebouc), 3, place des Victoires, aura lieu le mardi,
3 novembre, avec le concours de M"" Cécile Boutet de Monvel, de MM. Ch. Le-
febvre Alph. Duvernoy, professeur au Conservatoire, et Paul Viardot. Cours
spéciaux pour les jeunea enfants d'après les lanleaux- calques de M"» Lebouc-
3â8
LE MENESTREL
Nourrit. Leçons particulières à partir du ISoclobre. — M"" Weingartner, l'excellent
professeur, reprend ses cours et ses leçons de solfège et de piano, 36, rue d'En-
ghien. — Le professeur-compositeur Ch. Neustedt vient de rentrer à Paris et
reprend ses cours et leçons, 5, rae Treilhard. — M. Alexandre Brody a repris ses
cours et leçons do chant, 44, rue de Uaubeuge. — La réouverture de l'Ecole
classique de musique et de déclamation de la rue Charras a eu lieu le 5 de ce mois.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En l'8o;c chez SAUVAIIRB, 72, boalevm-l Haussraao.i
CHARLES GOUNOD, sa Vie et ses Œuvres
Pak Louis P.iC.NER'RE, Grand in-S". Prix : 5 francs.
Variations. — Avenir de notre tonalité. Prix : 3 francs.
De la mauvaise influmce du Piano sur l'Art musical, in-8°, prix : 4 francs.
Études de M'' Fbojugeot, avoué à Paris, rue Joubert, w^S, et de M" Laruy,
notaire à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, n» S.
en l'Étude de M" Lardy,
le jeudi 22 octobre 1S91, à 2 heures.
EN UN LOT
des
VENTE
DROITS D'AUTEUR
de feu M. Alary,
Compositeur de musique,
et de la
PROPRIÉTÉ DES PLANCHES ET EXEMPLAIRES DE SES OEUVRES
Mise à prix, pouvant être baissée : 1,200 francs.
Consignation préalable : 300 francs.
Enchères de 20 francs au moins.
S'adresser auxdits M^^ Fromageot et Lardy.
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Partition piano et chant
Texte français
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Partition piano solo
Prix net: lO fr.
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De mm. Henri MEILHAC &. Philippe OILLE
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J. MASSENET
Partition piano et chant
Texte italie»
Pi-ix net : 20 fr.
Partition chant seul
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lORCEAUX DE CHANT DÉTACHÉS
Arrivée de Manon. Je suis encore tout étourdie {S.) . 6 »
Conseils de Lescaut. Regardez-moi bien dans les yeux (B.). . . . 6 »
Regrets de Manon. Voyons, Manon, plus de chimères (S.) 6 »
Duo de la rencontre. El je sais votre notn. — On m'appelle Manon (S. T.) 9 »
Duo de la lettre. On l'appelle Manon, elle eut hier seize ans (S. T.) 7.S0
Adieux de Manon. Adieu, notre petite table (S.) S »
Le rêve de Des Grieux. En fermant les yeux, je vois là-bas (T.). . 5 »
Duo de la promenade. La charmante promenade (M. -S. S.) . . . . 6 »
17. Gavotte. Obéissons quand leur voix appelle (en fa)
La même, transposée en sol
N^s 9. A quoi bon l'économie (B.) :
10. Manon au Cours la Reine. Je marche sur tous les chemins (S.). . .
11. Duo. Epouse quelque braiye fille {T. B.)
12. Ah! fuyez, douce image (T.)
13. Duo du séminaire. Pardunnez-moi, Dieu de toute-puissance (S. T.).
1-i. Scène de la séduction. N'est-ce plus ma main (S.)
15. Trio du jeu. Manon. Sphinx étonnant [S. T. B.)
16. A nous les amours et les roses (S.)
Prix.
6 B
7.S0
5 »
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A DEUX MAINS
BATTMANN (J.-L
BULL (G.). . .
CRAMER (A.). .
DAM ARE. . .
LAMOTHE (G :
MASSENET (J,
Les SiKcès modernes. N° 7 (facile) 5 »
Nouvelles Silhouettes. N» 2fi ( d» ) S ,,
Premier Bouquet de mélodies 7 50
Deuxième Bouquet de mélodies 7 50
Polka 5 »
Suite de valses 6 »
Ballet du Roy 7 50
Entracte du deuxième acte 4 »
Entr' acte-Chanson 3 »
MASSENET (J.)
NEUSTEDT (Ch.
TAVAN (E.) .
TROJELLI (A.;
VIDAL (Paul)
Gavotte
Menuet
Fantaisie-Transcription
Pages enfantines. N" 1. Menuet. . . .
— N» le. Ail- de Manon.
Les Miniatures. N° 81. Menuet. . . .
— N" 86. Gavotte . . , .
Entr' acte-Chanson, improvisation. . . .
Scène de la séduction
Prix.
6 »
6 »
6 »
2 50
2 50
3 »
3 .
5 »
3 »
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A QUATRE MAINS
BULL (G.). . . . Nouvelles Silhouettes, l^o if>
MASSENET (J.). . Menuet
MASSENET (J.)
Ballet du Roy
FANTAISIES ET TRANSCRIPTIONS POUR INSTRUMENTS DIVERS
DAMARÉ Fantaisie facile, pour flûte et piano 7 30
GUILBAUT (E.). . Fantaisie pour violon seul 6 »
— . . Fantaisie pour flûte seule 6 »
— . . Fantaisie pour cornet seul 6 »
HERMAN (Ad.) . . Les Soirées du Jeune Violoniste. N" 27, pour violon et
PIANO 9
— . . Les Soirées du Jeune Flûtiste. N" 27, poui FLUTE et
piano 9
MASSENET (J.). . Menuet pour violon et piano 7 30
FANTAISIES ET TRANSCRIPTIONS POUR ORCHESTRE
AUVRAY (G.)
DAMARÉ . .
Fantaisie. Parties d'orchestre ....
— Piano conducteur
Polka. Parties d'orchestre
— Chaque partie supplémentaire
MASSENET (J.;
Gavotte. Partition et parties séparées 10
— Chaque partie supplémentaire 1
Menuet. Partition et parties séparées 10
— Chaque partie supplémentaire 1
FANTAISIE POUR MUSIQUE D'HARMONIE
CHIC (L.). . . . Fantaisie, en partition
Pn.K net. 12
Pour la location de la .
nie partition et des parties d'orchestre de Manon, s'adresser à AIÀI. HEUGEL cl C", 2I"', rue }':ricnnc, seuls éditeurs propriétair
3160 — 57"^
— N" U.
Dimanche 18 Octobre 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉA^TRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, me Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 fr.incs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMIIEE- TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (30" article), Albert Souries et Charles
iMalherbe. — IT. Semaine théâtrale: Reprise de Manon, à l'Opéra-Comique,
Arthur Pougin ; reprise de Kean, à l'Odéon, Paul-Émile Chevalier. — III. His-
toir.^ anecdotique du Conservatoire (11" article), André Martinet. — IV. Nou-
velles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
No!i abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AU ROSSIGNOL
nouvelle mélodie de Robert Fischhof, traduction française de Pierre
Barbier. — Suivra immédiatement : Beaux yeux que j'aime, nouvelle mélodie
de J. Massenet, poésie de Th. Maquei.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Carillon, petite pièce de Robert Fischhof. — Suivra immédia-
tement : Par les bois, scherzo d'ANTON'iN Marmontel.
HISTOIRE ftE LA SECONDE SALLE FAVART
A.lljer-t SOtJBCES et Charles MA.LHEFIBE3
DEUXIEME PARTIE
(Suite.)
. , CHAPITRE V
l'héritage m THÉÂTRE-LYRIQUE. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Mattre Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette.
1871-1874
L'année terrible marque une dale douloureuse pour l'his-
toire de noLre pays. Mais c'est le propro de certaines crises
politiques et sociales, d'avoir leur contre-coup non seulement
dans les institutions, mais encore dans les goûts, les mœurs,
et presque la vie intellectuelle d'une nation. Sans la guerre
civile succédant à la guerre étrangère et forçant une nation
■ réputée légère à envisager plus gravement l'avenir; sans cette
mulilalion de la patrie, obligeant tout un peuple à se tenir
sous les armes; sans cette rançon formidable faisant à la for-
tune publique une brèche qu'il a fallu réparer à force d'éco-
nomies et d'activité commerciale, bien des idées n'auraient
pas cours à l'heure actuelle, el, pour rester sur le terrain
artistique, le seul ici qui nous intéresse, bien des théories
musicales, généralement admises aujourd'hui, seraient encore
l'objet de graves discussions.
Sans doute, l'esthétique ne se transforme pas du jour au
lendemain ; les formules consacrées persistent longtemps, par
la force même de l'habitude. Toutefois, des dates comme celle
de 1870 constituent des points de repère, et, pour mainte ques-
tion, on oserait dire qu'il n'en alla pas de même après
qu'avant. En musique, par exemple, les tendances n'ont pas
été renouvelées, à proprement parler, par le fait même de la
guerre: les théories de Berlioz et de Wagner avaient exercé
déjà une action lente, mais certaine, sur l'esprit de plusieurs
compositeurs. Et pourtant, c'est depuis la guerre que les œu-
vres de Wagner n'ont plus été sifflées aux concerts Pasdeloup
et que la foule, grâce aux efforts intelligents de M. Edouard
Colonne, a reconnu le génie de Berlioz. C'est depuis la guerre
que dans les ballets de l'Opéra, ce qui était l'exception est
devenu la règle, et que le niveau de la musique de danse s'est
élevé jusqu'à la symphonie; depuis la guerre, que nos théâ-
tres subventionnés ont repoussé les riches amateurs el nobles
étrangers, jadis trop aisément admis; depuis la guerre, enfin,
que l'Opéra-Comique, où déjà soufflait, nous l'avons dit, un
vent de réforme, a modifié (juelque peu son caractère en
recueillant définitivement l'héritage du Théâtre-Lyrique.
Ce dernier fait a son importance, et si l'opéra sérieux s'est
acclimaté peu à peu à la salle Favart, c'est à l'incendie du
théâtre de la place du Ghâtelet et à l'initiative de M. Du Locle
qu'on le doit.
Le Théâtre-Lyrique représentait, ne l'oublions pas, un ca-
pital artistique d'une réelle importance et d'une indiscutable
valeur; la fortune n'avait pas souri toujours à ses divers
directeurs; mais il avait du moins donné le jour à nombre
d'ouvrages dignes de vivre. Il puisait une partie de sa force
dans le droit qu'il avait de monter les œuvres traduites de
l'étranger, et les véritables opéras ou pièces sans « parlé »,
privilège refusé à l'Opéra-Comique, et suffisant à différencier
les deux répertoires. Il pouvait ainsi, tout en assurant ses
lendemains par des succès plus ou moins consacrés, donner
asile aux jeunes, aux inconnus qui frappaient à sa porte. Peut-
être même ne lira-t-on pas sans intérêt la liste de ces compo-
siteurs, dont beaucoup, sauf erreur, firent là leurs premières
armes ou gagnèrent leurs premières batailles. Les voici rangés
par ordre alphabétique : Béer, Bizet, Gaspers, Gherouvrier, Dau-
tresme, S. David, Debillemont, Defîès, Déjazet, Delavault, Deli-
lies,Douay, Dufresne, Gaslinel, E. Gautier, Gevaert, Godefroid,
de HarLog, Henrion, A. Hignard, V. Joncières, Labbey, La-
combe, de Lajarte, MaiUart, Marcelli (M"'«), iMontuoro, Ortolan,
Paillard, Pascal, Poise, E. Reyer, Rivay (M"''), Salomon, Th.
Semet, P. Thys (M""»), Usépy, Varney, Vogel, Ymbert. Et, mal-
gré leurs succès, nous oublions ici des maîtres comme Gh.
Gounod et Victor Massé, dont ailleurs on avait acclamé déjà
le nom et les oeuvres.
330
LE MÉNESTREL
Il y avait là, pour ainsi parler, un héritage à recueillir,
une fortune qui, bien administrée, pouvait rapporter de gros
intérêts. Déjà malade en 1870, le Théâtre-Lyrique avait, de-
puis, reçu le coup de grâce. Il disparut dans les incendies
de la Commune. Les tentatives de M. Martinet, l'ancien di-
recteur de l'Athénée, ne devaient point le ressusciter; sans
subvention, il ne pouvait renaître que pour mourir encore. Il
restait donc à se partager ses dépouilles, et l'Opéra-Gomique
se présentait le premier, naturellement. Les Noces de Figaro,
Mireille, Roméo et Juliette semblaient dans le jeu des directeurs
d'incomparables atouts. Et pourtant il n'en fut pas ainsi; ces
pièces ne connurent les belles recettes à la salle Favart
qu'assez longtemps après, et Mireille, si productive aujour-
d'hui, ne rapporta rien tout d'abord. C'est que le change-
ment de cadre a son importance pour les ouvrages drama-
tiques, comme pour les tableaux; il fallait laisser aux œuvres
le temps de s'acclimater sur ce nouveau sol pour permettre
de les goûter pleinement.
De même, les auteurs, nouveaux ont besoin d'un certain
crédit pour réussir à se faire agréer par la foule, et dans
son empressement à renouer les traditions du Théâtre-Ly-
rique, l'Opéra-Comique accueillit, avec une générosité plus
méritante que lucrative, tous les talents « disponibles. » 11 y
eut dans la période qui nous occupe une véritable poussée
de jeunes, dont le plus grand nombre a conquis depuis
mieux même que la notoriété. Il suffît de citer, par ordre de
date, Paladilhe avec le Passant, Bizet avec Djatnileh, Saint-
Saëns avec la Princesse Jaune, Massenet avec. Don César de Basan,
Delibes avec le Roi Va dit, Lenepveu avec le Florentin, sans
parler des débutants de moindre marque, comme ce pauvre
Conte, dont M. Louis Gallet, ici-même, a raconté la doulou-
reuse histoire dans ses Notes d\m librettiste.
C'était peut être un danger de lancer ainsi tant de noms
nouveaux à la foule, qui, parinstinct, se méfîe généralement
des auteurs qu'elle ignore; les recettes devaient s'en ressen-
tir. Il convenait de mélanger prudemment le connu avec
l'inconnu ; or, les maîtres faisaient défaut. Auber et Maillart
étaient morts en 1872, le premier à Paris, le second à Mou-
lins; Ambroise Thomas, Yictor Massé, Bazin se tenaient à
l'écart ou se reposaient, et Gounod s'occupait plus de trans-
planter son répertoire que de l'accroître. C'est donc avec les
ouvrages du « vieux fonds » que les nouveaux entraient en
comparaison, et ceux-ci paraissaient d'autant plus avancés
que le contraste avec les autres était plus grand. En outre,
la plupart des débutants manquaient forcément d'expérience
et ne pouvaient encore donner le meilleur de leur talent.
De ce côté, le théâtre éprouva donc, au point de vue de ses
intérêts matériels, une certaine déception.
En somme, le Théâtre-Lyrique était une école, et pour le
public, auquel on apprenait la musique étrangère par la voie
des traductions, et pour les auteurs, auxquels on ouvrait un
sérieux débouché. Une telle situation offrait, comme toute
chose, avantages et inconvénients. La sagesse aurait con-
seillé de n'accepter cette succession que sous bénéfice d'in-
ventaire. Malheureusement, M. du Locle, celui des deux as-
sociés qui représentait l'élément réformateur, eut le tort,
grave pour lui, de ne pas tenir assez compte des traditions
et, par conséquent, des conditions mêmes d'existence de la
scène qu'il administrait. Au lieu d'annexer simplement à
rOpéra-Comique ce qu'il y avait de bon dans le Théâtre-Ly-
rique, il rêva de substituer réellement le Théâtre-Lyrique à
rOpéra-Comique : ce rêve lui coûta sa fortune.
Ajoutons que le danger apparut surtout en 1874, lorsque
M. du Locle demeura seul directeur. Jusque-là M. de Leuven,
en homme avisé, luttait de son mieux contre les « emballe-
ments artistiques » de son associé et servait de contrepoids.
Au lendemain de la guerre, d'ailleurs, tous deux ne pou-
vaient que s'entendre pour rassembler les éléments épars de
la troupe et remettre peu à peu en scène les ouvrages classi-
ques. La tâche était sérieuse et lourde. Pendant le siège, la
musique avait presque partout chômé, et dans le Figaro, par
exemple, la revue alimentaire remplaçait le courrier théâtral.
Pasdeloup avait lutté tant bien que mal, en octobre et no-
vembre ; M. Bourgault-Ducoudray continuait à faire chanter
bravement des oratorios par la société qu'il avait fondée, et
l'étonnant Elwart poussait l'inconséquence jusqu'à composer
et faire exécuter un Te Deum de la délivi-ance! A l'Opéra, aux
Bouffes, aux Menus-Plaisirs, au Cirque d'hiver, les concerts
avaient fait place à des conférences plus ou moins entre-
mêlées de chants et de poésies déclamées en l'honneur de
telle ou telle œuvre patriotique. C'est ainsi, qu'à côté de
jyjme Marie Rôze et plusieurs de ses camarades de l'Opéra-
Comique, Melchissédec, Idrac, Potel, par exemple, quittaient
les remparts pour venir en capote ou en vareuse se faire enten-
dre dans des concerts à la porte desquels il n'était pas rare,
vu la difficulté des temps et la cherté des choses, de lire
une affiche comme celle-ci : « La salle sera chauffée et
éclairée sans odeur. i>
Place Boieldieu, les portes étaient restées closes, lorsqu'enfln
on annonça la réouverture avec Zampa, pour la rentrée de
M''^ Monrose ; des affiches même furent posées; mais on ne
pouvait choisir un plus mauvais jour; c'était le 18 mars! Le
matin la Commune éclatait, et le soir, naturellement, on ne
joua pas. La salle Favart ne rouvrit définitivement que le
3 juillet, avec le Domino noir et, comme hommage à la mé-
moire d'Auber, des stances de M. Louis Gallet, dites par
Montaubry devant le buste du compositeur, et accompagnées
en sourdines par des morceaux empruntés au répertoire du
maître disparu. La fermeture avait duré dix mois, jour par
jour, et grevé le théâtre d'une lourde charge ; car il conti-
nuait à payer un loyer énorme, et la subvention était vive-
ment menacée devant la Commission du budget. Aussi, les
directeurs avaient-ils décidé les artistes à se former en société
et à se partager au prorata les bénéfices. Pendant les deux
premiers mois, les sociétaires s'appelaient Montaubry, Mon-
jauze, Coppel, Ponchard, Potel, Meillet, Nathan, Bernard,
]Vj;mc5 Priola, Monrose, Faivre, Bélia, Révilly, Guillol, Tuai,
Reine et Fogliari ; deux se retirèrent d'ailleurs sans avoir
joué, M"« Bélia et Meillet, qui mourut peu après, à l'âge de
quarante-cinq ans.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Opéra-Comique. — Beprise de Manon, opéra-comique en cinq actes et six
tableaux, paroles de MM. Henri Meilhac et Pliilippe Gille, musique de
M. J. Massenet.
Je n'ai jamais pu songer à Manon Lescaut sans me rappeler l'exis-
tence agitée, troublée, aventureuse, aussi bien que la fin étonnante
et tragique de l'auteur de ce chef-d'œuvre. On connaît peu l'abbé
Prévost, on connaît encore moins ses Mémoires d'un homme de quaiité.
auxquels il donna pour complément celte Histoire de Manon Lescaut
et du chevalier des Grieux, dans laquelle il s'est peint lui-même avec
tant de fidélité et d'exactitude. Car des Grieux, c'est lui, et lorsque
l'abbé se portraiturait ainsi, lorsqu'il écrivait ce roman merveilleux
tout empr-o-inl d'une passion brûlante, lorsqu'il racontait, dans une
langue véritablement fort belle en sa simplieilé, ses amours impures
avec la séduisante Manon, il ne se doutait pas peut-être que ce
seul livre lui garantirait l'immortalité, tandis que les deux cents
autres volumes publiés par lui seraient engloutis sous le poids de
ce chef-d'œuvre, où, en dépit de son caractère immoral, l'intérêt
pathétique est si puissant et si intense.
Qui croirait que c'est en rédigeant chez les bernardins de l'abbé
de Monlfaucon le huitième volume de la Gallia christîana, ce modèle
d'érudition historique, que Pi'évost se préparait indirectement à
écrire le roman le plus voluptueusement passionné du dix-huitième
siècle? Telle est pourtant la vérité. Fils d'un procureur du roi de
l'Artois, élevé au collège d'Harcourt, chez les jésuites, il passa ses
jeunes années tantôt au couvent, tantôt à l'armée, quittant à seize
ans les jésuites pour s'engager, rentrant chez eus au bout de peu
de temps comme novice, puis se faisant de nouveau soldat, et, à
LE MENESTREL
331
la suite d'une affaire d'amour, prononçant ses vœux chez les béné-
dictins, sur la menace de son père, s'il ne le faisait point, de lui
brûler la cervelle. Il y avail évidemment là quelque scandale à
éviter, quelque faute à réparer, et l'histoire de Manon, écrite bien
longtemps après, n'est certainement qu'un écho de cette grave
aventure de jeunesse.
Je n'ai pas à suivre ici Prévost dans le cours de son existence si
singulièrement orageuse, je n'ai pas à rappeler ses efforts pour
rompre des vœux qu'il avait prononcés avec une restriction mentale
apprise sans doute chez les jésuites, à raconter son exil en Hollande
et en Angleterre, son retour en France, son entrée dans la maison
du prince de Gonti, dont il devient l'aumônier, aumônier singulier,
qui échangeait avec son maître ce curieux dialogue : — « L'abbé,
disait le prince, vous savez que je ne vais jamais à la messe. — Moi,
monseigneur, répondait l'autre, je ne dis jamais la mienne. » Mais
je veux rappeler en deux mots sa fin étrange et dramatique. Il avait
soixante-six ans, et il appartenait encore au prince de Conti, lors-
qu'un jour, le 23 novembre 1T63, comme il se rendait à pied à Saint-
Firmin, où il avait acheté une petite maison, il tomba dans la forêt
de Chantilly, frappe d'apoplexie. Son corps fut trouvé, près d'un
fossé, par des paysans. La justice fut saisie, crut à un crime et se
mit en devoir de faire procéder à l'autopsie. Un barbier fut chargé
de ce soin, et, lorsqu'il fit pénétrer le fer dans les chairs, un grand
cri s'échappa de la poitrine de l'abbé — le dernier. Le barbier l'avait
tué!
C'est évidemment un problème difficile à résoudre que celui de
transporter à la scène et de rendre acceptable au public un sujet
aussi scabreux que celui de Manon Lescaut. Théodore Barrière s'y
efforça, il y a quelque quarante ans, dans une comédie représentée
au Gymnase, où le rôle de Manon était tenu par Rose Chéri, celui de
des Grieux par Bressant et celui de Lescaut par Geoffroy. Scribe
ensuite fit avec Auber une Manon. Lescaut en trois actes et cinq tableaux,
■qui fit son apparition le 2.3 février 18oG, à l'Opéra-Comique, où elle
était jouée par Faure et M'"' Cabel pour les deux personnages princi-
paux, et pour les autres par Pugel,Beckers,Jourdan, Nathan, M"'* Le-
mercier et Bélia. Nous avons raconté dimanche dernier comment ce
fut précisément l'exécution d'un morceau de cet ouvrage qui avait
donné iiM. Carvalho l'idée d'une nvjuvelle Manon, et comment celle-ci
était née de la collaboration de MM. Meilliac, Gille et Massenet.
Les deux premières Manons n'avaient obtenu qu'un succès relatif.
Il était réservé à celle-ci de forcer les sympathies du public, et
tout semblait concourir à ce résultat. Les librettistes avaient traité
leur sujet avec une dextérité, une discrétion, une délicatesse qui
non seulement le rendaient parfaitemeut acceptable à la scène, mais
qui ne pouvaient effaroucher les oreilles les plus chastes, tout en
lui conservant un rare intérêt et de réelles qualités pathétiques. Le
musicien avait écrit une partition exquise, qui joignait à des grâces
séduisantes une forme essentiellement nouvelle faite pour piquer la
curiosité en même temps qu'elle charmait les plus difficiles et les
plus délicats. Enfin, une interprétation supérieure, confiée pour les
deux rôles principaux à M. Talazac et à la bien regrettée Marie
Heilbron. était de nature à faire ressortir toute la valeur de l'œuvre
et à mettre en relief toutes ses beautés. Le succès, on se le rappelle,
fut bruyant et spontané, et se traduisit par une série de quatre-
vingt-huit représentations, dont soixante-dix-huit en 1884 (la pre-
mière était donnée le 19 janvier) et dix eu 188S.
Ce succès était loin d'être épuisé. Mais l'apparition d'ioie Nuit de
Cléopâtre, dont Marie Heilbron était la protagoniste, vint l'inter-
rompre, et bientôt la mort de cette artiste remarquable empêcha la
reprise de Manon. Survint enfin le désastre de la salle Favart, qui
bouleversa toutes choses. Bref, Manon demeura silencieuse pendant
six années, les auteurs ne trouvant. pas à leur gré une interprète ca-
pable de personnifier l'héroïne de l'abbé Prévost. La voici qui repa-
raît enfin après cette longue éclipse, parée encore de toutes les
grâces de la jeunesse et entourée de toutes ses séductions, et le
public l'accueille et lui fait fête comme aux premiers jours, lui ma-
nifestant toutes ses sympathies et ne lui marchandant pas les preu-
ves du plaisir qu'il ressent à la revoir, à l'entendre et à l'applaudir
de nouveau.
C'est qu'elle est charmante, en vérité, cette partition de Manon,
toute pleine de jeunesse et de fraîcheur, par instants empreinte
d'une verve et d'une gaité folle, dans d'autres empruntant le lan-
gage de la tendresse la plus touchante, ou bien encore faisant en-
tendre le cri de la passion la plus violente et la plus désordonnée.
M. Massenet n'avait pas encore rompu, lorsqu'il l'écrivit, avec les
anciennes traditions de l' opéra-comique, et l'on y trouve, bien dis-
tincts les uns des autres, des airs, des couplets, des duos et des
morceaux d'ensemble; seulement, il avait rafraîchi et renouvelé
jusqu'à un certain point, à l'aide d'un accent très personnel, ces
formes consacrées, et il avail introduit une innovation piquante en
soulignant tout le dialogue parlé par un accompagnement sympho-
nique aussi discret qu'élégant. Ce fut là pour l'auditoire une
véritable surprise, qui produisit, grâce à la délicatesse avec la-
quelle le procédé était mis en œuvre, le plus heureux effet. Il y
avait bien de la nouveauté dans tout cela, une véritable recherche
du bien dire et du bien faire, mais dans des conditions toujours
vraiment scéniques et musicales, avec une inspiration abondante et
facile qui caressait et charmait l'oreille de la façon la plus déli-
cieuse. Ah! que nous voilà loin des cruautés barbai es, des audaces
maladroites, des sottises volontaires et douloureuses de quelques-
uns !
Combien de morceaux seraient à citer dans cette œuvre si fine et
si élégante ! Tout le premier acte d'abord y passerait. C'est le chœuf
si mouvementé, si gai. si grouillant, si plein de verve, de l'arrivée
du coche, dont l'effet est absolument irrésistible. C'est ensuite l'air
de Manon : Je suis encor tout étourdie, d'un caractère si plein de
grâce et de langueur. Puis, la scène de Lescaut et de ses deux com-
pagnons. Puis, le terzetto charmant et pimpant des grisettes :
Revenez, Guillol, revenez, qui sonne gaîment comme le ramage mati-
nal des oiseaux dans la forêt. Puis encore, les couplets de Lescaut:
Ne bronchez pas, soyez gentille, dont la franchise est tout à fait carac-
téristique. Et enfin, après la cantilène charmante de Manon :
Voyons, Manon, plus de chimères..., le joli duo de la rencontre, qu'elle
chante avec des Grieux, et qui est bien le plus tendre et le plus
aimable dialogue amoureux qu'on puisse rêver.
Le second acte, tout intime et bien différent du premier, ne lui
cède en rien. Après le prélude piquant qui lui sert d'introduction,
vient la scène de la lettre et la lecture de celle-ci par les deux
amants; c'est une page tout empreinte d'une tendresse pénétrante.
Le quatuor qui suit, morceau d'une facture excellente et solide,
écrit dans le vrai style de l'opéra-eomique, offre un contraste com-
plet avec ce duo, et la romance de Manon : Adieu, notre petite table!
est comme mouillée de larmes et d'une expression absolument
touchante.
Au troisième acte, après un entr'acte pimpant, dont l'orchestre
est écrit comme l'auteur sait l'écrire, il faut distinguer le petit duetto
des grisettes, la chanson franche et bienvenue de Lescaut : 0 Rosa-
linde, puis l'air brillant de Manon, que M. Massenet a fait suivre,
pour cette reprise, d'une page nouvelle, une gavotte chantée, hérissée
de toutes sortes de difficultés vocales, que M"^ Sanderson a dite
avec un brio, une crânerie, une bravura qui ont littéralement
enlevé la salle.
Au quatrième acte enfin (le dernier est peu important), nous
avons la scène austère et caractéristique de des Grieux avec son
père et la grande scène dans laquelle Manon vient chercher son
amant jusque sous les voûtes de Saint-Sulpice, qui est, au point
de vue dramatique et d'ailleurs à tous les points de vue, l'épisode
le plus important et le point culminant de l'œuvre. Là, le compo-
siteur a déployé toute sa puissance pathétique, il a placé dans la
bouche de ses héros les accents de la passion la plus humaine et
la plus intense, et il a atteint les dernières limites de l'émotion, de
l'émotion la plus profonde et la plus oommunicative. C'est à propos
do cette page superbe qu'on pourrait répéter le mot du duc d'Or-
léans â Louis XVI après la représentation du Mariage de Figaro.
Je ne sais ce qu'il faut le plus apprécier dans cette partition de
Manon : ou de la pureté du style, ou de la grâce et de la fraîcheur
de l'inspiration, ou de la justesse du sentiment scénique, ou de la
finesse et du piquant des harmonies, ou des jolies trouvailles sym-
phoniques qui se révèlent à chaque pas, ou de l'ensemble magistral
qui règne sur l'œuvre entière. Je me contente de trouver cette œuvre
exquise, achevée dans toutes ses parties, et de constater le plaisir
délicat et raffiné que j'éprouve à l'entendre, plaisir que je ne suis
certainement pas le seul à ressentir.
L'interprétation est presque entièrementrenouvelée, et des créateurs
de Manon, je ne vois debout aujourd'hui que M. Taskin et M. Grivot,
qui continuent de personnifier le cousin Lescaut, (car les auteurs
ont fait du frère un cousin) et Guillot de Morfonlaine Les deux rôles
principaux, ceux de Manon et de des Grieux, établis naguère par
M. Talazac et M"'= Heilbron, sont le partage maintenant de M. Delmas
un débutant, et de M"= Sybil Sanderson, qui tous deux ont joué
l'ouvrage à Bruxelles au cours de la saison dernière. M"° Sanderson
a gagné peut-être encore en beauté, depuis que, pour la première
fois, elle nous était apparue dans Esclarmonde ; elle a gagné certai-
nement en talent. Sa voix a pris du corps, de l'égalité, et si l'agilité
332
LE MEiNESTKEL
est toujours ia même, le phrasé est plus uet, l'articulation plus souple,
et les notes de l'échelle inférieure sont plus pleines et plus corsées
qu'elle n'étaient naguère. Elle a eu des accents très heureux tout le
long de ce rôle si difficile, et son succès a élé complet. Elle s'est
fait surtout très vivement applaudir dans l'air et la gavotte du troi-
sième acte, dont j'ai déjà signalé de sa part la brillante exécution.
Il serait injuste peut-être do juger complètement son partenaire,
M. Delmas, sur cette première épreuve. Etranglé par la peur, un
peu souffrant avec cela, dit-on, ce jeune chanteur était loin de jouir
de tous ses moyens. Ceux qui l'avaient entendu aux répétitions
s'accordaient à dire qu'il s'y était montré bien supérieur à ce que
nous l'avons pu juger le soir de la représentation. Il n'en reste pas
moins que M. Delmas a fait preuve, même daos ces conditions, de
réelles qualités, qui se montreront certainement d'une façon plus
complète lorsqu'il se sera un peu familiarisé avec la scène et le
public parisiens.
On sait quelle excellente et remarquable création M. Taskin avait
faite du rôle de Lescaut. Il y a retrouvé tout son succès des pre-
miers jours et s'y est fait de nouveau chaleureusement applaudir.
Toutefois, je voudrais le voir se retenir un peu par instants, car il
me semble qu'il lui arrive parfois, en voulant trop bien faire, de
dépasser le but. M. Grivot est toujours plaisant et amusant sous la
perruque du vieux beau Guillot de Morfontaine. Quant à M. Fugère,
qui a hérité de M. Cobalet le rôle de des Grieux père, il s'y est
montré si remarquable que dans la courte scène du quatrième acte
il a su s'attirer les applaudissements de toute la salle, qui lui a fait
une véritable ovation. L'ensemble est très bien complété par M. Marc
Kohel dont la tenue est excellente dans le rôle de Brétigny ; par
M. Bernaert, plein de rondeur daas le petit personnage de l'auber-
giste, et par M"" Leclerc, Falize et Elven, les trois grisettes, qui
ont dit d'une façon charmante le trio du premier acte ; M"' Leclerc
•surtout est tout à fait aimable. Nous n'avons plus à faire l'éloge de
l'orchestre et des chœurs, non plus que de leurs chefs, MM. Danbé
et Carré. Ils se sont cette fois encore surpassés.
Artiiuh Pougin.
Odéon. — Kean ou Désordre et Gcnie, comédie en cinq actes et six tableaux,
d'Alexandre Dumas.
Cette saison encore, l'éclectisme de M. Porel semble vouloir nous
promettre des soirées d'une variété infinie. Voici, en effet, coup sur
coup, l'Herbager, de M. Harel, la Mer, de M. Jean JuUien, et Eean,
d'Alexandre Dumas; trois pièces de tendance absolument différentes.
C'est à la rentrée en France de M. Guitry, un artiste qui obtint
pendant toutes ces dernières années de retentissants succès à Sainl-
Pélersbourg, que nous devons la reprise de la pièce du grand Du-
mas. Le public n'a pas paru mécontent de cetto circonstance qui
lui permet d'applaudir un drame plein d'idées et d'invention, inté-
ressant malgré quelques procédés devenu's vieillots par suite de
l'abus que l'on en a fait depuis. Les aventures romanesques du célèbre
tragédien anglais, mauvais sujet, mais bon cœur, rencontreront long-
temps des spectateurs tout disposés à applaudir des deux mains et, de
même que la touchante Anna Damby amènera souvent encore des
larmes furtives à l'œil des femmes sensibles, de même la gaité du
petit pitre Pistol trouvera toujours un écho dans les cœurs contents.
Le rôle de Kean est un des plus complexes et par suite des plus
difficiles à rendre que nous sachions ; M. Guitry s'en est tiré tout à
' sa louange, bien qu'il lui manque l'éclat de l'organe et aussi cette
fougue romantique avec laquelle Frederick Lemaltre soulevait ,
paralt-il, une salle entière. M"= Hartmann, très charmante comme
femme, nous a paru nu peu hésitante en Anna Damby ; il est de
toute justice de tenir compte que c'était là son premier début. MM. P.
Reney, Gautier, Montbars, Gornaglia, Calmettes, Matrat et M""' Ger-
faut entourent très heureusement les deux protagonistes.
Paul-Émile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
CHAPITRE VI
LOmS-PHILIPPE ET LA H' RÉPUBLIQUE
(Suite)
Les premiers concerts de l'hiver 1841 mettent en vedette quel-
ques artistes inconnus jusque-là : le violoncelliste Jacques Olîen-
bach, qui joue un menuet de Beethoven avec le jeune Rubinstein,
âgé de dix ans, les sœurs Milanollo. Et Paris va partager ses bravos
entre les étoiles qui se lèvent et celles qui s'éteignent, s'écraser à
la représentation de retraite do M"' Mars, applaudir une dernière fois
M™' Damoreau.
A la veille des concours, une modification, depuis longtemps ré-
clamée, est apportée au règlement. Les prix ne seront pins partagés
en dehors des classes de solfège et de chant; les professeurs de dé-
clamation lyrique sont priés de sacrifier au genre national plutôt
que de verser dans le répertoire italien.
Trois concurrents paraissent qui ont souvent déjà affronté la
rampe : M"'^ Olivier, depuis longtemps aux Variétés, M"" Atala Beau-
chêne, connue des amateurs de drame et de vaudeville, enfin M"'' Na-
thalie Fitz-James, qui abandonne le foyer de la danse pour la classe
de la rue Bergère.
Très appréciés, Laget, qui obtient le second prix de chant, Pon-
chard, proclamé en tête des élèves de comédie, M. Maubant, dans le
second acte d'Horace.
Un certain trouble s'est manifesté dans la salle quand, au cours
d'une séance, on apprend que le plancher de la loge 27 a fléchi.
1842 — ou le commencement d'un règne. Cherubini abdique, après
vingt années de pouvoir et un nombre à peu près égal de démis-
sions toujours retirées.
Les prétendants sont nombreux ; on discute les chances d'Habe-
neck, d'Halévy, d'Auber, de Carafa, de Berton, de Spontini. La
candidature du premier est fort soutenue et, s'il réunit les suffrages,
la combinaison suivante est déjà prête : le pupitre de l'Opéra serait
dévolu à Hector Berlioz, qui introduirait la vapeur à l'orchestre, et
le feuilleton des DébaU passerait aux mains de Jules Maurel.
La nomination d'Auber, connue le 7 février, anéantit toutes les
espérances. Installé le 11, par le duc de Coigny, le directeur annonce
tout un plan de réformes, la résurrection des exercices, une vie
nouvelle donnée au Conservatoire.
Cherubini ne sera pas témoin de cette révolution. Le 19 mars, son
cercueil est porté à Saint-Roch, déposé sous un dais de velours
noir parsemé d'étoiles d'argent, avec pendants brodés d'hermine;
l'orchestre des élèves, réuni à la Société des concerts, exécute son
Requiem. En signe do deuil, l'École reste fermée deux jours.
Un exercice ou juin: l'Épreuve et des fragments d'Horace, par
MM. Maubant, Ponehard, Got ; deux actes du Barbier, chantés par
Gassier et M"° fiouvroy; symphonie de Haydn, sous la direction
d'Alard. Force a été de donner l'exercice dans la petite salle, caries
bâtiments du Conservatoire se tassent et la reconstruction s'impose
si urgente que les concours sont renvoyés au mois de novembre.
Dans l'intervalle, le duc d'Orléans périt sur la route de Neuilly.
Pour la cérémonie funèbre qui se prépare à Notre-Dame, Auber et
Halévy écrivent des marches ; deux cent cinquante musiciens répètent
le Requiem de Mozart, quand survient un contre-ordre : la messe
sera en plaiu-chant et le Conservatoire n'aura pas à y paraître.
Le 2 novembre, quand s'ouvrent les concours, on peut contem-
pler la façade nouvelle construite par Debret sur le faubourg Pois-
sonnière ; la salle a été refaite par Fontaine, décorée par Cicéri.
« Le vénérable et patriarchal M. Adam » présente pour la der-
nière fois ses élèves au jury de piano. Après quarante-quatre années
de services, il songe à la retraite, et sa classe dédoublée aura pour
titulaires M""" Farrenc et Herz. Tulou présente un unique flûtiste:
M. Altès, qui remporte le premier prix, « récompense due à son
seul mérite, ajoute un feuilletoniste, car il n'est que son maître qui
puisse lutter contre lui. »
Dans la liste des lauréats, relevons les noms d'Augustin Savard,
élève de Deborne, de Dancla et de Maurin, de Jacquart, de Ver-
roust. M. Got remporte un prix de comédie ; la tragédie favorise
Randoux.
Pour la séance de déclamation lyrique, la salle a des airs de fête,
les lustres scintillent ; un orchestre complet, dirigé par Habeneck,
accompagne les élèves. Chacun remarque l'émotion de M"'-' Rachel,
venue pour encourager sa sœur, M"« Sarah-Félix, jugée digne du
prix après une scène de la Favorite.
Les récompenses sont distribuées le 4 décembre seulement.
M. de Kératry salue de paroles sympathiques les nominations de
Duprez et de Manuel Garcia aux classes de chant, déplore la perte
de Baillot, couvre de fleurs M"° Mars, élevée à la dignité d'inspec-
trice des études dramatiques. « Pour bien enseigner, dit l'orateur,
il lui suffflra de s'interrroger, de se souvenir d'elle-même. »
L'eau bénite pour prix de Rome est encore du programme: devant
les difficultés qu'éprouvent les jeunes compositeurs à se faire jouer,
LE MEiNLSlUEL
333,
la Commission demande au ministère d'autoriser chaque trimestre
« une représentation lyrique dans laquelle les élèves présenteront
au public les œuvres de pensionnaires de l'Académie ». La péro-
raison vaut aussi qu'on la cite : « Les jouissances de la famille et du
toit domestique vous attendent, à la seule condition d'y arriver par
des talents acquis et par une moralité dont personne n'a le droit de
demander l'exemption. »
MM. Dancla, Alard, Roberetchs, Massart, Mazas, Haumano, com-
posent la liste des candidats proposés au ministre pour la succes-
sion de Baillot. La classe est partagée entre MM. Alard et Massart.
Dissertations indignées : on n'a plus maintenant que des moitiés
ou des quarts de professeurs ; le Conservatoire est une Babel et les
traditions s'en vont.
Tandis que les plus exaltés vont jusqu'à demander la démission
du directeur, Auber continue en silence son œuvre de réforme. Les
fonds manquant pour toutes les modifications qu'il rêve, il a re-
cours à la cassette royale, et bientôt la salle est machinée ; un
magasin de costumes est établi rue Bergère, et au premier exer-
cice donné en 1843, la Pie voleuse est jouée par M"" Vauchelet
etZévacoet M. Gassier.
(t Tant que je serai directeur, aucune de mes partitions ne sera
exécutée au Conservatoire, » a déclaré Auber. Cette modestie, jugée
un peu excessive, ne semble pas un motif suffisant pour mettre au
programme des traductions plus ou moins incolores.
Le second acte du Dépit amoureux, joué dans un élégant décor de
place publique, met en lumière le jeune talent pleiu d'avenir de
M. Got : dans un palais de noble architecture, Randoux ei
Ponchard déclament des fragments de Britanniùiis.
« La tragédie n'est pas le côté brillant du Conservatoire, remar-
quent les Débats, mais si vous en exceptez Rachel, elle n'est pas
non plus celui du Théâtre-Français. »
La Chambre des députés a refusé les fonds demandés jjar les suc-
cursales de province et retranché 6,000 francs à la subvention de
la rue Bergère. Pourtant, le nombre des concurrents s'est accru ;
deux cents dix-huit élèves (parmi eux, Renaud de Vilbac, Massé,
Deffès, Prumier, Lebouc, Maurin) entrent en ligne pour se disputer
les récompenses.
Pensant qu'au régime autoritaire de Cherubini, il est bon d'op-
poser un gouvernement libéral, Auber lève l'interdit qui pesait sur
les applaudissements. Le public pourra manifester à son aise, faire
un succès, même à M"' Klotz, dont le piano lient la partie des
instruments à vent dans le petit orchestre conduit par Habeneck.
Le premier prix de comédie est remporté par M. Got, fort remar-
qué dans une scène de Beaumarchais ; M"« Duval et M. Gassier
chantent à ravir un duo du Barbier.
Au jour solennel des récompenses, le concert commence et finit
par deux ouvertures admirablement enlevées ; elles ont été écrites
par MM. Massé et Gautier, les prix de Rome. On les compare à une
œuvre symphonique de M. Gounod, jouée le 7 octobre à l'Institut,
déclarée incolore et qui ne laisse rien espérer de l'avenir du jeune
musicien.
Pour terminer l'année, apparition des pensionnaires du Conser-
vatoire aux obsèques de Casimir Delavigne, puis exercice le 2i dé-
cembre.
On a négligé de convoquer la presse, et pourtant jamais les élèves
n'ont déployé pareil talent : ils ont, dans le premier acte de Don
Juan, fait preuve d'un éclat et d'une puissance remarquables.
M°"= Beaussire, M"" Mondutaigny et Duval, MM. Gassier, Chaix,
Mathieu, soulèvent des transports; les chœurs sont entraînés par
l'exemple.
Des fragments du Chaperon rouge et le premier acte de Tartuffe
complètent le programme.
(A suivre.) Akdré Martlnet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
(
De notre correspondant de Belgique (15 octobre). — L'es nouvelles
que j'ai à vous donner de la Monnaie ne sont pas bien intéressantes. Tou-
jours lie répertoire ; toujours, dirais-je même, les débuts. La seconde
apparition de M"" Chrétien — la jeune cantatrice que tant de professeurs
se disputent l'honneur d'avoir formée — a été, à peu de chose près, aussi
favorable, dans les Huguenots, que l'avait été sa première apparition, dans
Robert ; l'autorité et l'expérience qui manquent encore naturellement à une
aussi jeune débutante sont suffisamment compensées par une voix superbe
et des qualités naturelles qui, doublées par une vive intelligence et des
mérites de bonne musicienne, continuent à justifier l'espoir qu'on a en
elle pour l'avenir. M'"' Chrétien soutient, presque à elle seule, — avec, de
temps en temps. M"'" de Nuovina, — le poids du grand opéra. L'opéra-
comique n'est pas aussi heureux; M'^^ Darcelle n'a réussi qu'à moitié,
hier, dans le Barbier, et le ténor, M. Leprestre, y a été franchement détes-
table. Tout cela ne fait pas augurer une saison aussi fructueuse que celle
de l'an dernier, à moins que les intelligents directeurs de la Monnaie
n'aient recours à des moyens énergiques. Espérons en leur habileté et
en leur bonne étoile. Nous aurions eu déjà la reprise de Carmen, avec
M"'= de Béridès, si celle-ci n'avait été victime d'un accident qui la retien-
dra enfermée chez elle pendant plusieurs jours encore. Nous avons aussi
à faire la connaissance de M"": Dexter; sera-ce dans iïrfaoudans Siegfried?
L'un et l'autre sont retardés. On parle de monter VArmide, de Gluck, sous
la direction musicale de M. Gevaert ; mais je ne vois guère l'interprète
capable de chanter ce rôle redoutable. En attendant, nous aurons, ces
jours prochains, des reprises de Satammbû, pour M. Bertrand, qui a exprimé
le désir de voir l'œuvre de M. Beyer avant de la monter à Paris, et de
Don Juan, avec M. Badiali. Le ballet inédit de Léon Dubois, l'Ile, est en
répétitions et passera d'ici à trois semaines. Il est question, enfin, de
monter une autre œuvre inédite, un opéra-comique en deux actes, Barbe-
rine, d'un am .teur, M. de Saint-Quentin, très connu dans le monde diplo-
matique français. Quant au Rêve, il parait que les études en vont être
poussées très activement. Les auteurs sont attendus. — Le théâtre des
Galeries-Saint-Hubert a fait, cette semaine, sa réouverture avec le Royaume
des femmes, très luxueusement monté. L'interprétation était un peu pâle
le premier soir; depuis, elle s'est améliorée et la pièce marche aussi bien
que peut marcher une pièce de ce genre, où l'invention est mince et
l'esprit médiocre. L. S.
— La classe des beaux-arts de rAcadémie royale de Belgique avait
ouvert, pour l'année 1S91, un concours de composition musicale pour une
symphonie à grand orchestre, concours dont le jugement vient d'être
prononcé, d'après le rapport de M. Adolphe Samuel, chargé de cet office
par la section de musique de la classe. Quatre manuscrits avaient été
envoyés. Le prix, qui était de mille francs, a été partagé entre M. Paul
Lebrun, grand prix de Rome de cette année, et M. Louis Mortelmans,
d'Anvers, second prix du concours de liome de 1889. L'envoi de M. Lebrun
se fait remarquer, paraît-il, par la correction de la forme classique, ob-
servée avec une science qui d'ailleurs n'est pas la seule qualité de l'œuvre^
dans celui de M. Mortelmans, on signale de la vigueur et des promesses
d'avenir. Une mention honorable a été accordée à une troisième symphonie.,
dont l'auteur ne sera connu que s'il autorise la publication de son nom.
— L'Opéra royal de Berlin vient de fêter dignement le centenaire de
la Flûte enchantée. L'œuvre avait été remontée à neuf pour la circonstance,
et l'exécution, sous la direction de M. Weingartner, a été très remar-
quable. Le spectacle avait commencé par un prologue de fête, de M. Tau-
bert, où figuraient tous les personnages de la Flûte enclianlce. — Au même
théâtre, on répète un nouveau ballet dont la musique est empruntée
entièrement aux célèbres Danses hongroises de Brahms. Le titre de cette
œuvre chorégraphique, dont le scénario a été fourni par le maître de
ballet Graeb, sera celui de jVoce hongroise.
— La commission des théâtres de Vienne a examiné le plan de la salle
qu'on doit bâtir au Prater pour l'Exposition internationale des théâtres,
organisée sous les auspices de la princesse de'Metternich. Les plans de
MM. Feller et Gseller ont été approuvés. Le théâtre, où l'on donnera des
représentations dans toutes les langues, pourra contenir quinze cents spec-
tateurs. Comme à Bayreuth, il y aura un amphithéâtre et une seule gale-
rie. La construction va commencer le mois prochain.
— Le musée Richard Wagner, organisé à Vienne par M. Oesterlein,
vient de s'enrichir d'une foule de documents relatifs à la production de
Lohengrin à l'Opéra de Paris : affiches, articles de journaux, carica-
tures, etc. Pour compléter la collection, il manque encore une boulette
infectante et l'uniforme d'un agent de police. Tous les imprimés parus à
l'occasion des derniers Festspiele viennent également de prendre place
dans les vitrines du Musée.
— La célèbre symphonie en mi bémol de Schumann porte, comme l'on
sait, le numéro -4, bien qu'elle ait été composée immédiatement après la
première. La raison de cette interversion est que Schumann n'était pas
satisfait de son instrumentation primitive et ne laissa produire son
œuvre que dix ans plus tard, après l'avoir instrumentée à nouveau. Or,
le compositeur Brahms, qui est actuellement possesseur de la partition
d'origine, vient de l'examiner très attentivement avec le chef d'orchestre
WuUner, et ces deux musiciens, frappés par l'allure brillante et prime-
sautière de l'orchestration, ont décidé de la présenter prochainement au
public, convaincu que ce dernier la trouvera de son goût, malgré Schu-
mann lui-même.
— L'admiration bien connue de l'empereur Guillaume pour la musique
de Wagner, s'est manifestée de nouveau sous une forme curieuse et ca-
ractéristique. Quarante chefs de musique de l'armée ont été, dit le Man-
chester Guardian, envoyés à Bayreuth pour s'initier à la connaissance par-
faite des œuvres de Wagner et arriver ainsi à taire exécuter celles-ci
d'après les vraies traditions du maître.
334
LE MÉNESTREL
— Grave, très grave! L'empereur d'Allemagne, qui est, comme chacun
sait, un mélomane fini, vient de se faire fabriquer un piano tout entier en
bois de cerfs : « Il paraît que la confection du couvercle, nous dit un con-
frère, a pris un temps infini, l'Empereur ayant voulu que tous les bois
employés s'appliquassent exactement les uns aux autres. » Cet enfantil-
lage royal et même impérial dénote un état d'esprit qui nous parait bien
inquiétant pour la solidité de la paix européenne.
— Les journaux allemands annoncent qu'Antoine Rubinstein vient
d'achever la composition d'un nouvel opéra russe : les Tsiganes, d'après
le poème de Pouschkine. Toujours d'après la même source, cet opéra,
traduit en allemand, serait représenté d'abord en Allemagne.
— Le nouveau Grand-ïhéàtre de Varsovie a été inauguré le 11 sep-
tembre, jour anniversaire de la naissance du czar. C'est un somptueux
édifice pourvu de tous les avantages qui garantissent la sécurité et le
confort du spectateur. La nouvelle salle a été consacrée aux sons de
l'hymne impérial; le spectacle d'inauguration se composait d'un prologue
de Gawalewicz, d'une comédie du comte Fredro, Pan Benêt, du quatrième
acte de Mefistofele, de Boite, et d'un ballet-divertissement.
— On assure que le théâtre d'Athènes, qui devait s'ouvrir avec une
troupe et un répertoire lyrique français, restera fermé pendant six mois,
en signe de deuil, par suite de la mort de la jeune princesse royale, IlUe
du roi de Grèce et cousine du czar Alexandre.
— L'enthousiasme des wagnériens ne se manifeste pas toujours d'une
façon aussi chaleureuse que celle dont vient de donner l'exemple un brave
habitant de Zurich. A l'occasion de la représentation de Lohcngrin qui a
eu lieu pour l'inauguration du nouveau théâtre de cette ville, le dilettante
en question a fait remettre fort gracieusement à l'administration de ce
théâtre une somme de 10,000 francs. Le fait est d'autant plus remarqua-
ble que cette représentation est loin, dit-on, d'avoir été complètement
satisfaisante au point de vue de l'exécution générale.
— Un nouvel orgue pour Saint-Pierre de Rome. On lit dans la Gazette
de la facture instrumentale publiée à Leipzig : l'église Saint-Pierre de Rome,
la plus grande et la plus belle du monde, sera dotée bientôt d'un nouvel
orgue ; mais il reste à savoir si le choix auquel on s'est arrêté, quant au
constructeur de l'instrument, se trouve en rapport avec l'importance de
l'entreprise. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de grand orgue fixe dans la
basilique, il ne s'y trouve que deux petits buffets d'orgue très simples et
assez misérables d'aspect, que l'on peut rouler de chapelle en chapelle.
Ces orgues ont un son mince et criard et produisent, sous ces voûtes im-
menses, un effet qui n'est rien moins qu'imposant. Tous les grands fac-
teurs d'orgue ont, de leur propre initiative, élaboré des plans et projets
en vue d'une construction digne d'orner cet auguste lieu, notamment le
maitre facteur Cavaillé-CoU, de Paris, qui, depuis de longues années, a
travaillé à cette tache, qu'il considère comme la plus élevée qu'il soit
donné à un constructeur d'orgue d'entreprendre. Mais au lieu de confier
ce travail a une maison célèbre comme Cavaillé-CoU , Merklin, Wal-
cker, etc., c'est à un facteur tout à fait obscur que le pape s'est adressé,
à un nommé Morestini, de Pérouse. C'est lui qui a été officiellement
chargé de livrer un grand orgue pour la basilique de Saint-Pierre. Il faut,
comme nous, avoir été témoins des productions pitoyables des facteurs
italiens pour déplorer la décision papale.
— Le maestro Mascagni vient de remettre à sou éditeur, M. Sonzogno,
l'orchestration complète de son nouvel opéra l'Ami Frits, qui aura été
ainsi composé en quelques mois. L'Ami Fritz sera une sorte de comédie
lyrique en trois actes, avec prélude et intermède orchestral entre le ^^ et
le 3'^ acte. Mise en scène très facile. Les personnages sont au nombre de
sept : quatre premiers rôles pour soprano, mezzo-soprano, ténor et bary-
ton et trois rôles secondaires. Pour le surplus, il n'est besoin que de
quelques bons choristes pour l'exécution, dans la coulisse, de deux chœurs
très courts, et d'une « bande » de musiciens, toujours dans la coulisse,
pour simuler le passage d'une fanfare de village à la fin du premier acte.
Deux seuls décors : l'intérieur de la maison de Fritz (je' et 2° actes) et
une ferme (3« acte). M"" Calvé interprétera le rôle de Suzel, le ténor Di
Lucia celui de Fritz et M. Lhérie celui du rabbin David. Le compositeur
dirigera probablement lui-même les trois premières représentations de
son œuvre, dont l'apparition est fixée à la fin de ce mois d'octobre.
— Le très grand et très réel succès obtenu à Florence par l'opéra de
M. Puccini, Edgar, a été l'occasion d'un banquet offert à ce jeune composi-
teus par les artistes de cetie ville. Ce banquet, auquel assistaient M. Al-
berto Franchetti, auteur d'Asrael, et M. Pietro Mascagni, l'auteur de
Cavalleria rusticana, s'est terminé par une sorte de concert intime, dans
lequel les trois compositeurs ont exécuté successivement, au piano, divers
morceauic des trois opéras qu'ils viennent tout récemment de terminer,
savoir : M. Puccini, Manon Lescaut; M. Franchetti, Cristoforo Colombo, et
M. Mascagni, l'Amico Fritz, sans compter quelques fragments de son autre
opéra, les Rantzau.
— C'est décidément et officiellement M. Giuseppe Gallignani, directeur
de la chapelle du Dôme de Milan, qui devient directeur du Conservatoire
de Parme, en remplacement du regretté Franco Faccio. Sa nomination
vient d'être approuvée par la commission gouvernative du ministre de
instruction publique à Rome.
— Au théàlre Partenope, de Naples, oir vient de mettre en répétitions,
pour être jouée très prochainement, une opérette nouvelle, Canarina, dont
l'auteur est le maestro Scagnamiglio.
— L'imprésario Lago inaugurera la semaine prochaine au Shaftesbury-
Théàtre, de Londres, une saison italienne dont Cavalleria rusticana formera
le principal attrait. Le répertoire sera très varié et comprendra plusieurs
ouvrages qui avaient disparu do la scène anglaise depuis quelque temps,
tels que la Cenerentola, de Rossini, il Matrimonio segreto, de Cimarosa , le
Vaisseau fantôme, de Wagner, Armide, de Gluck, et un Ballo in maschera, de
Verdi., Pour cette dernière œuvre, à la représentation de laquelle on veut
donner tout l'éclat dont elle est digne. M"'" Valda a été spécialement
engagée. L'orchestre sera d rigé par M. Arditi.
— Les concerts-promenade du théâtre Covent-Garden, à Londres, vont se
terminer prématurément pour céder la place aux représentations lyriques
italiennes, que M. Harris veut y donner concurremment avec l'entreprise
de M. Lago. C'est la première fois depuis plus de vingt ans que Londres
possède deux théâtres italiens pendant la saison d'automne. Dans le tableau
de la troupe de M. Harris figurent MM. Engel, Cossira, Dufriche, Abramoff,
Castelmary, Miranda, M"'«* Simonnet, F'arini, Janssen et Martini. Il est
aussi vaguement question de l'engagement de M. Maurel. Le répertoire
français occupera une place prépondérante dans le programme de la sai-
son. M. Harris compte monter aussi la Valkyrie, Siegfried, Tannhduser, la
Cenerentola, ainsi que le Trompette de Sackingen de Nessler.
— Voici le résultat des trois premières journées du grand festival de
musique qui vient de se tenir à Birmingham. Le premier concert était
consacré exclusivement à VElie de Mendelssohn, dirigé par le D' Richter,
de Vienne ; le deuxième offrait plus de variété : on y a entendu un duo
pour deux voi.x de femmes, de M. Goring Thomas, intitulé le Crépuscule,
« un excellent produit de l'école française », dit le Musical Standard ; le
concerto pour violon de Beethoven , exécuté par Joachim ; la 3" sym-
phonie de Brahms ; enfin une œuvre nouvelle du D'' Mackenzie, une can-
tate adaptée a la paraphrase de Dryden sur l'hymne Veni Creator spiritust
composition où domine le style contrapuntique et que termine une fugue
d'un effet superbe, paraît-il. M. Mackenzie qui dirigeait lui même, a été '
vigoureusement applaudi et rappelé. La Passion selon saint Mathieu, de Bach,
remplissait la matinée du lendemain. Les deux orchestres et les deux
chœurs nécessités pour cette œuvre étaient disposés séparément, de
chaque côté de l'estrade. Les soli de violon obbligato étaient exécutés
par Joachim et ceux de chant étaient aux mains de M™"^ Macintyre,
H. Wilson, MM. Lloyd, Mills et Santley. Dans la soirée, première au-
dition du nouvel oratorio de M. Stanford, VÉden, dont le mérite est
très contesté. L'emploi exagéré des motifs caractéristique a produit une
impression de lassitude que le public a eu peine à dissimuler , sur-
tout dans la première partie, où il a fallu absorber cinquante-cinq mi-
nutes de « musique céleste » sans interruption. Détail particulier : les
voix de basse sont totalement exclues de toute cette partie de l'œuvre.
Mais en revanche, dans la deuxième partie (l'Enfer), elles dominent avec
rage ; dans la troisième partie, l'auteur a trouvé quelques accents lyriques
pour dépeindre les amours d'Adam et Eve. L'oratorio se termine sur un
épilogue prophétique où une vision révèle à Adam toutes les calamités
réservées à l'humanité. Le public a beaucoup applaudi un chœur guerrier
très à effet. Dans son ensemble, l'œuvre de M. Stanford, qu'il dirigeait
lui-même, pèche surtout par l'absence d'oppositions et le manque de re-
lief. L'interprétation a été très remarquable de la part de M"<= Anna Wil-
liams, remplaçant M™'^ Albani, M""'* Brereton, Hope Glenn, MM. Lloyd
et Henschel. Le Messie, de Hiendel, qui figurait au programme suivant,
a été pour la première fois, depuis six ans, exécuté avec l'orchestration
de Mozart, au lieu de celle de Robert Franz.
— Le Grand Théâtre Khédivial de l'Opéra du Caire esi, cette année
encore, dirigé par MM. Ullmann et Lamare; c'est dire que la troupe et
le répertoire sont essentiellement français. Parmi les artistes engagés
par les excellents impressarî, nous relevons les noms très connus de
Mmes Rose Delaunay et Félicie Arnaud, de MM. Frédéric Boyer, Balleroy,
Devineau et Bonhivers ; parmi les ouvrages qui seront montés au cours
de la saison, sous la direction de M. Edouard Brunel, chef d'orchestre,
nous voyons figurer Hamlet, Gille et Gillotin, d'Ambroise Thomas, Faust,
Roméo et Juliette, Mireille, de Ch. Gounod, Carmen, les Pécheurs de perles, de
Bizet, Lakmé, de Léo Delibes, Manon, Don César de Bazan, deJ. Massenet,
le Roi d'Ys, de Lalo, la Reine Topaze, de V. Massé, les Contes d'Hoffmann,
d'Offenbach et une grande partie de l'ancien répertoire d'Auber, d'Adam,
d'Herold, de Boieldieu, d'Halévy, de Maillart, etc.. Grâce à l'intelligente
initiative de MM. Ullmann et Lamare, l'Opéra du Caire compte mainte-
nant parmi les grandes scènes importantes de l'étranger.
PARIS ET DEPARTEMENTS
On dit que le successeur de M. Larrouraet aux Beaux-Arts est déjà
désigné dans l'esprit du ministre et que ce sera M. Christian, qui fut
préfet de la Charente et de la Somme et aussi, pendant quelques mois,
directeur de la Sûreté générale au ministère de l'Intérieur. Ce sont là, en
effet, des titres sérieux à la direction des beaux-arts en France. M. Chris-
tian sera comme ce critique musical qui ne savait rien de la musique et
en concluait qu'il était bien plus fort que les autres, puisqu'il ne se lais-
sait pas influencer par elle. Après tout, le maréchal Vaillant était minis-
LE MENESTREL
333
tre des beaux-arts sous l'Empire. Pourquoi un préfet de la République ne
s'en mêlerait-il pas aussi un peu?
— Nous avons annoncé déjà que la séance annuelle de l'Académie des
beaux-arts aurait lieu le 31 de ce mois. L'un des grands attraits de cette
séance sera, dit-on, l'exécution d'un très remarquable morceau iatitulé
Napoli, dû au jeune compositeur Gustave Charpentier, ex-pensionnaire de
la villa IMédicis. Ajoutons que le Conservatoire nous donnera également,
cet hiver, une symphonie du même compositeur Gustave Charpentier,
la Vie du poète.
— Le centenaire de Meyerbeer sera, ainsi que nous l'avons déjà annoncé,
célébré le 14 novembre. Dans cette représentation, exclusivement com-
posée de fragments des œuvres du maître, sera exécutée la scène de la
bénédiction des poignards des Huguenots, telle que l'avait conçue primiti-
vement Meyerbeer, c'est-à-dire que toute la partie, confiée dans la version
définitive à Saint-Bris, était dans l'origine écrite pour un mezzo-soprano,
qui devait représenter Catherine de Médicis. Ce rôle servira de début, à
l'Opéra, à M"« Deschamps-Jehin. Dans la même soirée. M™ Caron et
M. Vergnet chanteront le duo des Huguenots.
— A l'Opéra, vendredi dernier, rentrée de M""= Melba dans Hamlet,
L'étincelante virtuose a été acclamée après la scène de la folie, qu'elle
chante de si admirable façon. A côté d'elle, Lassalle a retrouvé dans le
personnage d'Hamlet son succès habituel.
— M. Bertrand, le nouveau directeur de l'Opéra, avait dès les premiers
jours, manifesté l'intention de remonter un des ballets de Léo Delibes.
Son choix s'est définitivement porté sur la Source. La Source, bien, mais
Sylvia, qui est un pur chef-d'œuvre, est-ce qu'on va l'abandonner tout à
fait? Rappelons d'ailleurs à M. Bertrand que, sur les trois actes de in Source,
un seul a été composé par M. Delibes. Les deux autres sont dus à la col-
laboration de M. Minkous.
— Il est probable que la place de chef du chant à l'Opéra, laissée va-
cante par suite de la nomination de M. Delabaye aux fonctions de chef
des chœurs, sera confiée à M. Paul 'Vidal, en ce moment second chef des
chœurs.
— Dès le lendemain de la reprise de Manon, M. Carvalho est parti pour
Saint-Raphaël, où il est allé prendre quelques jours de repos, le succès si
vif de l'œuvre de M. Massenet lui laissant des loisirs. Les feuilles de
location s'emplissent, en effet, comme par enchantement. A la seconde
représentation le jeune ténor Delmas, que la peur avait si complètement
paralysé le premier soir, a retrouvé tous ses moyens et sa jolie voix. On
l'a fort applaudi, à côté de M"= Sanderson, toujours très fêtée et ovationnée.
— L'excellent chef d'orchestre de l'Opéra-Comique, M. Danbé, vient de
décider que désormais, les jours de premières représentations, les artistes
de cet orchestre devraient se présenter en habit noir et cravate blanche.
— Nous ne croyons pas inutile de rappeler aux intéressés que les
poèmes destinés au huitième concours Cressent doivent être déposés ou
envoyés par la poste et franco au ministère de l'instruction publique et
des beaux-arts, .3, rue de 'Valois, du 16 au 31 octobre inclusivement.
— Ce n'est pas sans regret que les artistes au courant des choses de
l'enseignement apprendront la retraite de M. Jancourt, qui a cru devoir,
en raison de son âge avancé, donner sa démission de professeur de basson
au Conservatoire. M. Jancourt a été l'un des artistes les plus réellement
distingués de son temps. Élève couronné de l'école dont il devint plus tard
un des meilleurs professeurs, virtuose justement remarqué, occupant les
fonctions de premier basson tour à tour à l'Opéra, au Théâtre-Italien, à
rOpéra-Comique, à la Société des Concerts du Conservatoire, il trouva
encore le temps, non seulement de publier, outre une méthode excellente,
de nombreuses compositions pour son instrument, mais encore de s'oc-
,cuper avec activité, pendant plus de trente ans, des améliorations à ap-
porter dans la facture et la construction de cet instrument, jusqu'alors très
imparfait et d'une sonorité très inégale. C'est à M. Jancourt, en effet,
qu'on doit la plupart des perfectionnements successifs qui ont fait du
basson l'instrument excellent qu'on connaît aujourd'hui et qui est en
usage au Conservatoire. C'est en I87S, à la mort de Cokkeu , que
M. Jancourt avait été nommé professeur dans cet établissement.
— Par arrêté de M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-
arts, M. Eugène Bourdeau, premier basson à l'orchestre de l'Opéra-
Comique et organiste du grand orgue de l'église Saint-Philippe du Roule,
est nommé professeur de basson au Conservatoire, en remplacement de
M. Jancourt.
— C'est aujourd'hui, dimanche, que les concerts Colonne font leur réou-
verture, à deux heures un quart, au Ghâtelet. 'Voici le programme du pre-
mier concert :
Premièi'e symphonie (Beethoven) ; Air d'Etienne Marcel (Saint- Saëns), par
M"" Berthe de llontalant ; fragments symphoniques à'Esclarmonde (J. Massenet) ;
fragment des Maîtres Chanteurs (R. "Wagner) ; l'Esclave (Ed. Lalo) et Villanelle
(H. Berlioz), chantés par M"° Berthe Monlalant ; Marche slave (Tsoha'ikovsky).
— Voici les projets de M. Edouard Colonne pour sa prochaine campagne
de concerts au Chàtelet : au point de vue classique, il a l'intention, no-
tamment, de reprendre toute la série des symphonies do Beethoven, et de
les exécuter dans leur ordre chronologique. Parmi les nouveautés, il a la
promesse d'une œuvre inédite de M. Ernest Reyer, d'une œuvre inédite
de M. Massenet, intitulée Vision, et qui est écrite sur la poésie d'Alfred
de Musset. Il compte jouer aussi la partition que M. "Widor a composée
pour Conte d'avril, et qui a été exécutée, l'hiver dernier, à l'Odéon, et
Hélène, la partition que M. Messager a écrite sur le drame de M. Delair,
joué au "Vaudeville. M. Saint-Saëns a promis à M. Colonne le morceau
qu'il a composé l'hiver dernier, et qui a pour titre Africa. Il a aussi écrit
quelques mélodies, qui porteront probablement le titre de Mélodies persanes,
et qui seront sans doute exécutées l'hiver prochain. Rappelons à ce propos
à M. Saint-Saëns qu'il existe déjà un recueil de mélodies de Rubinstein
intitulé Mélodies persanes. Elles sont bien connues des musiciens. Peut-
être M. Saint-Saëns trouvera-t-il alors à propos de modifier son titre.
M. Colonne fera jouer aussi la partition du Collier de saphirs, le ballet de
MM. Catulle Mendès et Pierné, et de nombreuses œuvres inédites de
jeunes auteurs, notamment de MM. Pugno et Paul Puget. Enfin M. Co-
lonne fera une place très grande aux productions de l'école russe, qui
est, en ce moment, très intéressante.
— Jeudi prochain 22, à une heure, au Trocadéro, aura lieu une très
belle matinée au bénéfice de l'Association des artistes dramatiques.
Grande attraction: on y entendra M. Faure, qui avait pourtant bien juré
de ne plus chanter en public ; mais le célèbre artiste fait partie du comité
de l'Association et n'a pas pu résister aux prières de ses collègues, ce
dont il faut nous féliciter. "Voici le magnifique programme de la matinée :
Duo de Mireille (Ch. Gounod). par M. Faure et M"" Rose Caron.
Ave Maria d'Olello (Verdi), par M"'° Rose Caron.
Air d'Ilérodiade (Massenet), par M. Faure.
Scène de la Folie, de Lucie de Lammermoor, (Donizetti), par M— Melba ; lé" solo
de flûte par M. TaBanel.
Air du Prinlemps de la VaUyrie (R. "Wagner), par M. VanDyck.
Poésie, par M. Got.
Poésie, par M. Mounet-SuUy.
Première audition. Monologue (Paul BiUiaud), par MM. Coquelin cadet, Coque-
lin aîné, Jean Coquelin.
Crucifix! poésie de Victor Hugo, musique de Faure, accompagné au grand
orgue par M. Guilmant, et chanté à l'unisson par 17 ténors et basses : MM. Duc,
Sellier, Vergnet, Vaguet, Faure, Melcbissédec, Plançon et DubuUe, de l'Opéra,
MM. Talazac, Mouliérat, Clément, Carbonne, Gogny, Bouvet, Soulacroix, Bou-
douresque et Morlet, de l'Opéra-Comique.
Première audition, Une Valse (Paul Bilhaud), dansée par M. Coquelin cadet et
M"" Reichenberg.
Le Drapeau, par M. Paul Mounet.
Chanson comique, par M. Biron.
A. L'Étoile (Diaz); d. Aubade du Roi d'Ys (Lalo), par M. Talazac,
A. Entente (V. Hugo) ; b. Kosilla, chanaon espagnole (Yradier), par M. Soulacroix.
Pus d' Bon Dieu, poésie de Fuchs. — Fable de Napoléon I" Le Chien, le Lapin,
et le Chasseur, par Saint-Germain.
M. Tarride, chanson et scène comique.
M. Kam-Hill, dans son répertoire.
Dernière scène de Miss Helijett (Audran), par M"" Biana Duhamel et M. Picca-
luga, accompagnée par l'auteur.
Accompagnateurs: MM. Mangin, Bourgeois, Adrien Ray.
— Il n'est si grand plaisir que de rencontrer, en matière de discussions
artistiques, des gens sincères et de bonne foi — ce qui est parfois plus
rare qu'on ne le suppose — des esprits élevés et vraiment amoureux d'art,
qui, cherchant avec ardeur la vérité, se tenant également éloignés des
enthousiasme de commande (j'allais dire de coterie) et des dénigrements
systématiques, disent franchement et ouvertement leur pensée, sans s'in-
quiéter de ce qui en pourra résulter. Je reçois une petite brochure mys-
térieuse, anonyme, sans nom de ville ni d'éditeur, portant ce simple titre :
Bayreuth, iS9l, par *'^*, et je puis dire que sa lecture m'a procuré le plus
vif plaisir. C'est un petit écrit vif, alerte, plein tout à la fois de bonne
humeur et de réflexions sensées, qui nous donne le récit des impressions
ressenties par un musicien — un vrai, j'en réponds ! — aux dernières fêtes
de Bayreuth. A la bonne heure ! voilà donc un critique qui sait admirer
sans fétichisme comme il sait blâmer sans parti pris, qui sait mettre en
relief les immenses qualités de Wagner, rendre justice à son génie, sans
se croire tenu de tomber à genoux même devant ses erreurs et de le con-
sidérer comme un dieu impeccable et parfait. "Voilà un écrivain qui ose
déclarer que l'auteur de Parsifal n'a pas tout inventé dans la musique, qu'il
a considérablement profité du travail de ses devanciers, et que même il
pourrait bien avoir conservé quelque chose de leurs procédés en même
temps que de leurs défauts. Certes, cet écrivain ne cache pas son admira-
tion, et elle est grande ; mais, d'une part il sait la raisonner, de l'autre,
elle ne l'empêche pas de voir les taches qui, par instants, troublent la lu-
mière du soleil. Je regrette qu'un tel écrit, qui pourrait être si utile, ne
soit pas mis en vente, et que tout le monde ne puisse le lire, car on ne
saurait trop le recommander à l'attention. Quant au mystère dont s'entoure
l'auteur, il me paraît bien impénétrable. En tout cas, ce n'est pas moi qui
le dévoilerai. A. P.
— M. Léon Schlesinger, le compositeur applaudi d'un Modèle, ans
Bouffes-Parisiens, vient de faire recevoir, aux Menus-Plaisirs, un nouveau
vaudeville-opérette, dont il a écrit la musique sur les paroles de M. An-
dré Degrave. Titre : le Casque.
— M"= Félioie Arnaud, une de nos cantatrices très distinguées, réclame
l'honneur d'avoir créé Manon à Bruxelles et à Genève. Dont acte.
330
LE MENESTRI^L
— Aujourd'hui dimanche, l'Association artistique d'Angors donne son
premier concert de la saison, sous la direction de M. Frémaux, son nou-
veau chef d'orchestre.
— Le Caveau lyonnais, réuni sous la présidence de Gustave Nadaud,
vient de proclamer le résultat de son concours annuel de chansons.
MM. Emile Normand et Henri Berson ont obtenu le ["' prix (ex a'quo) : le
2" prix (ex ii'qiio) a été attribué à MM. Henri Corbel et Carolus Tenib. Des
mentions honorables ont été décernées par ordre de mérite à MM. d'.-^r-
magnac, Gabriel Monavon, Remy Félix, Achille Méry, Louis Trémeau,
Jules Baron.
— De Bayonne, on nous signale le très beau succès d'un salut orga-
nisé par M. A. Masson, le frère du professeur de chant au Conservatoire,
à l'église Saint-André, à l'occasion de la fête du Rosaire. L'O Saliitaris
et le Sancta Maria, de Faure, très bien chantés, ont produit, comme tou-
)Ours, une profonde impression.
— Cours et leçons. — M"° Lauro Brandin reprend ses cours et leçons de piano,
3, fioulevard Magenta. — M"° C. de Tannenberg a repris ses cours el leçons chez
elle, 7, rue Nouvelle, depuis le 15 octobre. — M"" Hortense Parent ouvre, le
3 novembre prochain, de nouveaux cours de piano et de solfèj^e à tous les degrés,
pour les jeunes filles. Ces cours dépenaent de l'Associaiion pour l'enseignement
professionnel du piano fondé par M"" Parent et complètent cette œuvre. Ils sont
faits par des professeurs expérimentés sortis depuis longtemps de l'école prépara-
toire au professorat du piano. Les jeunes professeurs sont également attachés au
cours pour y faire leur stage en donnant aux élèves des répétitions supplémen-
taires et gratuites. M"" Parent donne à cette œuvre nouvelle le concours désin-
téressé de sa grande expérience. Elle dirige l'enseignement, inspecte les cours et
examine périodiquement tous les élèves. On s'inscrit 2, rue des Beaux-Arts, chez
M'" Parent, tous les jours de 9 à 11 heures du matin et de 5 à 6 heures du soir.
— M"' et M"" Steiger ont repris leurs cours, 39, rue de Moscou. — Lundi
19 octobre, réouverture des cours de musique de l'Institut Rudy, 7, rue Royale.
Professeurs : piano, M""^' Riss-Arheau, Saillard-Dietz, comtesse de Brzowska,
MM. Mathia Lussy, Ch. René, Porter et Frêne; accompagnement et harmonie,
M. René Lenormand; solfège, M"° Agirony de Perelti ; violon, MM. Marsick et
Magnus; violoncelle, MM. Dresstn et Querrion : harpe, M"° Spencer-Owen;
orgue, MM. Guilmant et Mac Master; mandoline, M. Talamo ; chant spécial et
scénique. M"" d'Alvar, MM. Rodier et Martapoura ; diction, M"° du Minil,
M. Dupont- Vernon. — M., M"'" et M"'' Chevé ont repris leurs cours de piano, de
solfège et de chant. Prochainement, reprise des cours gratuits du soir de l'école
Chevé ; musique vocale et instrumentale. — M"^ L. Desrousseaux, professeur de
chant et de diction, reprendra ses cours bimensuels d'ensemble à partir du 10 no-
vembre 1S91.— M"" Roger-Miclos annonce la réouverture de ses cours pour le jeudi
15 octobre, chez elle, 6^, avenue de "^^agram. — La réouverture des cours et
leçons de solfège de M"" Cazelar aura lieu SI, rue de Courcelles. — M. Lucien
Lefort a repris ses cours de violon et d'accompagnement 10, rue de Gonstanti-
nople.— Les cours de U"" Tribou, 33, avenue d'Aiitin, sont repris depuis le 1" oc-
tobre, sous l'excellente direction des mêmes professeurs que les années précé-
dentes : Piano, cours supérieur, M. Falkenbeig; cours moyen, M. Falcke ; cours
élémentaire, une élève de M. Falkenber.;; chant, M. Hettich; accompagnement,
M. L. Dancla; diction, M. de Féraudy ; harmonie, M. Falkenberg ; solfège.
M"' Papot, professeur du Conservatoire. — M. Charles René a repris ses cours
de piano et d'harmonie à Tlnstitut Rudy, 7, rue Royale, et ses leçons particu-
lières, 36 bis, rue Ballu. — M. Ezio Ciampi et M"" Ritter-Ciampi ont repris Iturs
cours, ainsi que leurs leçons particulières, à leur nouveau domicile, 66, rue de
Rome. — M"" Félicienne Jarry, professeur de chant et de piano, a repris ses
cours, 22, rue Troyon. — MM. F. de Guainieri, Fernand Pélat et Huck fondent
à la salle Pleyel, 22, rue Rochechouart, un cours de musique de chambre,
comprenant tous les quatuois à cordet, iiuciens et modernes, ainsi que les
quatuors et quintettes avec piano. Il y aura, au mois d'avril, trois séances
publiques données par les élèves qui auront suivi régulièrement les études pen-
dant siz mois.
NÉCROLOGIE
Antoine Rubinstein vient d'avoir la douleur de perdre sa mère, morte,
à l'âge de quatre-vingt-six ans, à Odessa. Après avoir habité Moscou, elle
a passé à Odessa les vingt dernières années de sa vie. Cette femme intel-
ligente et énergique a eu une grande influence sur le développement
premier du talent de ses deux célèbres fils, Antoine et Nicolas Rubins-
tein. Antoine, le plus grand des deux, lui avait conservé une tendresse
qui ne s'est jamais démentie. C'est la seule personne avec laquelle il se
trouvait en correspondance suivie, et, quelques jours avant sa mort, la
vieille dame avait encore reçu de lui une lettre, datée de Dresde, qu'elle
n'était plus eu état de lire. Elle n'a pas voulu cependant laisser sa fille
le faire pour elle : « Attendons plutôt, disait la malade, dans quelques
jours je me sentirai mieux et je lirai sa lettre ». Il n'y a pas longtemps
que le grand artiste, en revenant du Caucase, a passé quelques jours au-
près de sa mère, â Odessa. Cette année il l'a visitée trois fois et, en
général, chaque année il faisait le voyage d'Odessa pour la voir.
— Un compositeur américain, Gaspard 'Villate, né à Cuba, le 17 janvier
■1831 et depuis près de vingt ans fixé à Paris, est mort en cette ville le
10 octobre. Possesseur d'une grande fortune et pratiquant l'art en amateur
très actif, il commença dans sa patrie son éducation musicale, qu'il vint
terminer en France. 11 publia d'abord quelques romances, puis écrivit un
opéra italien en quatre actes, Zilia, qu'il fit représenter le 1<='' décembre
1877 sur notre Théâtre-Italien, où sa valeur négative lui valut un insuc-
cès complet, bien que les deux rôles principaux en fussent tenus par
Tamherlick et M"" Elena Sanz. Le 2 février 1880, "Villate donnait au
théâtre royal de La Haye un opéra français en quatre actes et sept ta-
bleaux, la Czarine, qui parait avoir été mieux accueilli. Depuis lors il a
encore donné à Madrid un drame lyrique intitulé Ballhasar. On doit en-
core à ce compositeur une messe et plusieurs autres œuvres, entre autres
une Marche funèbre écrite par lui à l'occasion de la mort du roi d'Espagne
Alphonse XII.
— Un artiste aussi modeste qu'honorable et distingué, Adrien-Pierre
Limagne, qui, pendant de longues années, remplit les fonctions de secré-
taire général de la Société des compositeurs de musique, est mort à Paris
ces jours derniers. Ayant depuis longtemps consacré sa vie à l'enseigne-
ment, Limagne n'avait pourtant cessé de se livrer à des travaux de com-
positions. Lorsqu'en dSbC Offenbach eut l'idée d'ouvrir un concours aux
Bouffes-Parisiens pour la composition d'une opérette sur le livret du
Docteur Miracle, et que sur les soixante-dix-huit partitions envoyées à ce
concours, six furent réservées pour un examen définitif, celle de Limagne
fut au nombre de ces six considérées comme les meilleures, avec celles
de Bizet, Demersseman, Charles Lecocq, Erlanger et Manniquet. On sait
que ce sont celles de Bizet et de M. Lecocq qui obtinrent le prix et qui
furent l'une et l'autre exécutées. — Limagne était âgé de soixante-deux
— On annonce la mort de M. Feustel, député au Reichstag. M. Feustel
n'était pas un inconnu pour les wagnériens qui se rendent à Bayreuth. Il
était à la tète de la principale maison de banque de cette ville, et, en
cette qualité, chargé de l'administration des représentations wagnérien-
nes. C'est également lui qui s'occupait de « loger chez l'habitant » les
nombreux mélomanes qui ne pouvaient trouver place dans les hôtels de
cette petite ville bavaroise.
— Un professeur de chant très renommé en Italie, Domenico Scafati, est
mort à Naples dans les derniers jours de septembre. Né à Lugnano, dans
rOmbrie, en 1819, il avait été lui-même élève de Busti, et était en
quelque sorte considéré comme le continuateur de la grande école de
Crescentini. On cite parmi ses meilleurs élèves M'"^ Eleonora Grossi,
un contralto que nous avons entendu naguère à notre Théâtre-Italien,
M"": Anna "Williams, cantatrice anglaise, le baryton Franco Novara, les
ténors Graziani, Baucardé, De Lucia, et enfin les deux frères de Reszké,
qui, nous écrit-on de Naples, avaient travaillé aussi en cette ville avec
Busti. mais sans faire connaître leur nom véritable.
— A Buenos-Ayres est mort, dans l'incendie du théâtre San Martin, le
baryton Spinelli. Les guichets du théâtre (entièrement construit en bois)
étaient à peine ouverts, et une centaine de spectateurs seulement avaient
pris place, lorsque les cris : Au feu I se firent entendre, en même temps
que les flammes se manifestaient sur la partie supérieure du rideau
d'avant-scène. Elles s'étendirent aussitôt avec une effroyable rapidité.
Ce fut dans la salle un sauve-qui-peut général, et les rares spectateurs
qui s'y trouvaient eurent bientôt fait d'en sortir. Mais sur la scène, où
se trouvaient réunis artistes, musiciens, choristes, comparses, machi-
nistes, le désarroi était général. Le chanteur Milzi, qui s'habillait dans
sa loge, dut s'enfuir en chemise (c'était sa représentation à bénéfice),
tandis que sa camarade, tii"'^ Umberto, semblait frappée de folie. La
prima donna. M"" Spinelli, était aussi dans sa loge, où son mari, qui ne
jouait pas, l'avait accompagnée, s'endormant sur un canapé tandis qu'elle
endossait son costume. Prévenue du danger, elle l'éveille aussitôt en lui
montrant la lueur de l'incendie et lui dit : « Regarde ! Fuyons vite ! »
Spinelli jette rapidement un manteau sur les épaules de sa femme, qui
s'échappe rapidement, pensant qu'il la suivait. Que iit-il alors? on ne
sait, et l'on suppose qu'il voulut prendre le temps de sauver les bijoux
de M""^ Spinelli. Toujours est-il qu'on ne le revit pas et que, le lende-
main, on retrouva son corps carbonisé et absolument méconnaissable. Il
ne fut reconnu par son ami Milzi que par une montre qu'on retrouva
auprès de lui et que celui-ci précisément lui avait donnée peu de temps
auparavant. Bien que plusieurs artistes aient couru de grands dangers
dans ce sinistre et n'aient été sauvés que grâce au courage de leurs
camarades, le malheureux Spinelli est la seule victime de la catastrophe.
Henri Heugel, directeur-gérant.
jliks ORTH etTRÉTANT ouvriront, à partir du 1»'' novembre prochain,
un cours de piano et de solfège dans les salons Gaveau, 8, boulevard
Montmartre. Tous les mois, audition des élèves présidée par M. Paul
Rougnon, professeur au Conservatoire de musique.
En veille niiez SAUTAITRE, 7S, bouleriM Saussmatii
CHARLES GOUNOD, sa Vie et ses Œuvres
Paii Louis PAGNERRE, Grand in-S°. Prix : 5 francs.
DU MÉ.ME AUTEUR :
Variations. — Avenir de noire tonalilé. Prix : 3 francs.
De la itmuvaise influence du Piano sur l'Art musical, in-8°, prix ; 4 francs
20,
3i6i - 57- AliÉE — n° 43.
Dimanche 2S Octobre 1891.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
NESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 10 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus-
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (31° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Sca;-aHiouc//e, ballet de MM. André Messager
et Georges Street; réouverture du Casino de Paris, Paul-Émile Chevalier. —
III. Histoire anecdotique du Conservatoire (12" article), André Martinet. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CARILLON
petite pièce de Robert Fischhof. — Suivra immédiatement : Par tes bois,
scherzo d'ANTONiN Mawiontel.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de CHANT : Beaux yeux que j'aime, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie
de Th. Maquet. — Suivra immédiatement : Regarde-toi, nouvelle mélodie
de J. Faure, poésie de E.-J. Gatelain.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allbert fSOUBIJES et Charles ]VI:A.L,h:eRBE3
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V
l'héritage ï>v théâtre-lyrique. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette.
1871-1874
(Suite.)
La situation ne tarda pas à s'améliorer, et s'il fallait dé-
montrer le goût d'une population pour le théâtre, sa soif de
plaisirs musicau.x, son désir de sécher ses larmes et d'oublier
ses tristesses, il suffirait de noter leschifl'res des recettes en
cette fin d'année 1871 :
Juillet S7.0S:3 »
Août 53.294 »
Septembre 72.022 50
Octobre 139.768 7o
Novembre 130.642 25
Décembre . 102.808 75
555.589 25
Un tel total est d'autant plus respectable, qu'on l'obtenait
sans le prestige d'aucune étoile, sans l'attraclioa d'aucune
pièce nouvelle! On se contentait de réorganiser le répertoire,
ne jouant même pendant les premiers mois que cinq ou six
fois par semaine, et l'on remontait ainsi peu à peu : le
3 juillet le Domino noir, avec 11'"= Cico (Angèle) et Montaubry
(.Juliano), qui, se retrouvant un reste de voix, était venu
l'apporter au théâtre de ses anciens succès ; le 11, Zampa,
avec deux autres revenants, Lhérie (Zampa) et M'"' Monrose
(Camille), bientôt engagée à la Monnaie de Bruxelles; le 15,
Fra Diavolo, avec Montaubry, M"" Priola (Zerline) et M'"^ Reine
(Paméla); le 18, les Noces de Jeannette, avec une nouvelle
recrue, M'"'' Réty-Fai\re ; le 20, le Maître de Chapelle, avec
M"" Douau, une débutante qui chanta une seule fois le rôle
de Gertrude et fut engagée pai- M. Martinet; le 22, la Dame
blanche, avec Monjauze (Georges) et M"'" Tuai, qui tint le rôle
de Jenny; le 27, Bonsoir, monsieur Pantalon; le 29, Galathée,
encore avec deux revenants, Falchieri (Pygmalion), qui repartit
presque aussitôt pour Lyon, et M""* Ferdinand Sallard; le
môme soir, la Fille du régiment, avec Goppel (ïonio) et
jjue Priola (Marie); le 6 août, le Postillon de Lonjumeau, avec
M"« Nordet, autre débutante qui chanta deux fois le rôle de
Madeleine et les Noces de Jeannette, partit pour Bruxelles, d'où
elle venait après avoir traversé les Bouffes, et reparut à la
salle Favart en 1873 ; le 8, le Chalet, avec Idrac (Daniel) et
M"" Perret, jolie femme qu'Offenbach devait attirer en 1874 à
la Gaité pour une reprise à" Orphée aux Enfers; le 22, la Ser-
vante Maîtresse, pour la rentrée de M""" Galli-Marié, et les
Rendez-vous bourgeois dans une représentation extraordinaire au
bénéfice des orphelins de la guerre ; le 24, le Café du Roi ;
le 9 septembre, IJaydée, avec Lhérie (Lorédan); le 12 septem-
bre, la Cruche cassée, avec Barnolt succédant à Lignel ; le 30,
rOmbre. où Ismaël et M"* Reine avaient repris les rôles de
MeiUet et de M"« Marie Rôze. Telle était la faveur en province
et à l'étrauger de cet ouvrage devenu rapidement populaire,
que, l'année suivante, pendant les vacances du théâtre, quatre
artistes, Ismaël et Lhérie, M"^^^ Galli-Marié et Priola, or-
ganisaient à travers la France une tournée dont "Ombre seule
fit les frais. Au Centre, au Midi comme à l'Otiest, le succès
fut général et se traduisit par une recette de 120,000 francs.
Au retour, le quatuor qui avait si fructueusement travaillé,
ne manqua pas de continuer ses exploits à la salle Favart;
c'est ainsi que Lhérie se trouva succéder à Monjauze et
àM'"« Galli-Marié M"^= Marie Rôze et Reine. Soixante-sept repré-
sentations, dont vingt avant la guerre et quarante-sept dans
les quatre années suivantes, limitent à la salle Favart la car-
rière de cette pièce, qu'on a revue depuis d'une façon inter-
mittente soit au Château- d'Eau, soit à la salle de l'Opéra-
Comique du Chàlelet, mais qui, .finalement, n'a pas tenu à
Paris ce que tout d'abord elle avait promis. On en pourrait
conclure que lorsqu'il s'agit d'applaudir à l'œuvre d'un véri-
338
LE MÉNESTREL
table Allemand, la capitale a le patriotisme plus impres-
sionnable que la province, et l'histoire de Lohengrin confir-
merait au besoin cette hypothèse.
Les changements de distribution que FOmbre avait subis se
produisirent alors un peu dans tout le répertoire. Le per-
sonnel s'était renouvelé en partie. On en jugera par le
tableau suivant où sont réunis : dans la première colonne,
ceux qui appartenaient à l'Opéra-Comique en 1870 et qui n'y
reparurent plus en 1871; dans la seconde, les anciens qui
reprirent leur place; dans la troisième, les nouveaux qui
venaient ou revenaient. Les noms marqués d'un astérisque
sont ceux qui avaient déjà chanté à la salle Favart avant 1870:
PARTIS
ANCIENS
NOUVEAUX
Ténors
Ténors.
Ténors.
Achard.
Montaubry.
Lhérie*.
Couderc.
. Ponchard.
Duchesne.
Capoul.
Monjauze.
Ketten.
Leroy.
Idrac.
Laurent*.
Chelii.
Coppel.
Verdellet.
Ligne).
Mirai.
Peschard.
Emmanuel.
Barnolt.
Potel.
Barytons et Basses.
Barytons et Basses.
Barytons et Basses.
Gailhard.
Melchissédeo.
Ismaël.
Meillet.
Falchieri.
Neveu.
Barré.
Nathan.
Augier.
Thierry.
Bernard.
Prilleux.
Soprani.
Soprani.
Sojirani.
"=5 Marie Rôze.
M"« Cico.
Mmes Miolan-Carvalho *
Heilbron.
Galli-Marié.
Monrose *.
Zina Dalti.
Priola.
Ferdinand Sallard
Danièle.
Moisset.
Baretti *.
(ruillot.
Ducasse.
Decroix.
Réty-Faivre.
Révilly.
Nordet.
Reine.
Perret.
Fogliari.
. Douau.
Tu ah
Gayet.
Parmi les artistes de la première catégorie, Achard, Leroy
et M"^^ Marie Rôze et Danièle embrassaient la carrière ita-
lienne ; Capoul et Barré se laissaient tenter par un engage-
ment de Slrakosch pour New-York; Couderc, malade, avait
pris sa retraite ; Meillet était mort ; Gailhard avait passé à
l'Opéra, Ghelli et M"" Zina Dalti en province, Emmanuel en
Belgique, et M"^ Heilbron allait risquer une incursion dans
le domaine de l'opérette.
Parmi ceux de la seconde et de la troisième catégorie,
Laurent ne donne que quelques représentations, et, dès l'an-
née suivante, Montaubry retentera la fortune directoriale au
théâtre des Arts de Rouen, simple étape avant de tomber
dans l'opérette, ainsi que M"'' Cico, qui, en 1874, chantera dans
Orphée aux Enfers le rôle d'Eurydice, tandis que son camarade
y figurera comme Aristée ; Idrac et Mirai quitteront Paris
pour la province; M"<= Fogliari ira jouer l'opérette à Saint-
Pétersbourg; et Prilleux deviendra secrétaire général de la
Monnaie à Bruxelles.
Quant aux débutants, outre ceux dont nous avons parlé en
énumérant les pièces remises au répertoire, voici : le 26 juillet
dans la Dame blanche (rôles de Jenny et de Gaveston) M"'= Du-
casse et M. Neveu, deux bonnes recrues, enlevées au Théâtre-
Lyrique ; le 15 août, dans la Dame blanche encore, M. Pes-
chard, un ténor venu de Bruxelles et qui partit pour Lyon
après avoir tenu peu de soirs le rôle de Georges ; le 22, dans
le même rôle, Léopold Ketten, un excellent musicien, qui,
après avoir été accompagnateur au Théâtre-Lyrique, avait
débuté aux Italiens, puis chanté à l'Athénée, à la Nouvelle-
Orléans, à Liège, et finalement, à la salle Favart, où il fit une
courte station ; le 26, dans le Chalet (rôle de Daniel), Verdel-
let, un jeune premier qui, s'étant découvert une voix de téno-
rino, faible d'ailleurs, avait quitté la Comédie-Française où il
était pensionnaire, pour le Théâtre-Lyrique d'abord, puis
pour la salle Favart, où il ne se maintint pas; le 16 septem-
bre, dans le Domino noir (rôle de Gertrude), M"'= Gayet, une in-
connue qui a passé sans laisser de traces; le 30, dans l'Ombre,
Ismaël. un ancien du Théâtre-Lyrique encore, dont la voix
fatiguée suffisait bien juste au rôle du docteur, mais qui
avait du moins toute l'autorité d'un comédien expérimenté.
De tous ces débuts et rentrées, les plus importants peut-
être se produisirent le 10 octobre. Ce soir-là on donnait la
millième représentation du Pré aux Clercs, accompagné de stro-
phes à Herold, poétiquement écrites par M. Louis Gallet et
chaleureusement dites par M"'^ Galli-Marié. L'œuvre avait été
remontée avec le plus grand soin et le Tout-Paris artistique
s'était donné rendez-vous pour fêter, comme il convenait, le
retour de la nouvelle Isabelle, M""^ Miolan-Carvalho. A ses
côtés, M"« Cico figurait une reine fort distinguée, et Melchis-
sédec un excellent Girot; Ponchard et Potel succédaient, sans
les faire oublier, à Couderc et à Sainte-Foy ; M"<= Baretti,
qui, le 14 octobre, avait reparu à la salle Favart dans la Fille du
régiment, après avoir couru la province et l'étranger, tenait le
rôle de Nicette, qui n'était pas de son emploi et qu'elle céda
bientôt à M"^ Ducasse. Mergy, enfin, était représenté par un
nouveau venu, Duchesne, à la voix sonore et timbrée, dont l'his-
toire était bien faite pour rallier d'avance toutes les sympathies.
Il avait autrefois traversé le Théâtre-Lyrique, sans y briller
d'un éclat spécial, lorsque, la guerre éclatant, il s'engagea
comme franc-tireur, se battit en héros à Châteaudun, fut
blessé, et décoré de la médaille militaire. Pendant sa conva-
lescence il se trouvait à Bordeaux et, le bras encore en
écharpe, il eut l'occasion d'y chanter Faust et les Mousquetai-
res de la Reine. La faveur qui l'avait accueilli en province lui
fut renouvelée à Paris, et l'on peut dire que par le succès
de l'ouvrage et de ses interprètes, cette reprise du Pré aux
Clercs fut l'événement musical de la saison 1871.
Quelque temps après, le fils du compositeur donnail, au
Grand-Hôtel, un banquet en l'honneur de tous les artistes qui
avaient prêté leur concours à ces mille représentations. Il
aurait pu y avoir là, si nos calculs sont exacts, cent invités
dont nous épargnons au lecteur la monotone énumération,
car nous avons compté 21 Mergy, 8 Comminges, 5 Cania-
relli, 15 Girot, 4 un Exempt, 4 un Chevau-léger, 18 Isabelle,
11 Marguerite, 13 Nicette, en tout cent artistes, dont sept
avaient joué deux rôles, et l'un même trois, Palianti. Mais
l'absence, et surtout la mort, avaient forcément diminué le
nombre des invitations. On remarqua pourtant que parmi les
interprètes de l'origine, six vivaient encore : les deux pre-
mières Isabelle, celle du premier soir. M""' Casimir, et celle
du second. M™'-' Dorus-Gras; la première Marguerite, M™ veuve
Ponchard; la première Nicette, M'"^ |Hébert-Massy ; le pre-
mier Comminges, Lemonnier, et même l'exempt qui paraît
au troisième acte, Victor. Étaient morts Thénard (Mergy),
Fargueil (Girot) et Féréol (Cantarelli), ce dernier tout récem-
ment. Si l'on songe que le Pré aux Clercs remontait au
15 décembre 1832, on conclura que le chef-d'œuvre d'Herold
avait donné comme un brevet de longue vie à ses premiers
interprètes.
Glissons vite sur une reprise du Mariage extravagant, faite
le 27 octobre avec Nathan (le docteur), Verdellet (Edouard),
Barnolt (Simplet), Davoust (Darmancé), et M"" Guillot (Betzy),
presque tous nouveaux dans leurs rôles, et arrivons à la
seule œuvre inédite de l'année, non point un opéra-comique,
mais une sorte d'oratorio, qualifié par son auteur de « lamen-
tation » et dénommé sur l'afiiche « Ode symphonique en
un acte ». Gallia avait été exécutée pour la première fois à
l'Albert-Hall de Londres pour inauguration de FExposition
Universelle, le 1" mai 1871. Transplantée au Conservatoire
de Paris le 29 octobre suivant, l'œuvre avait eu pour interprète
une artiste choisie con amore par l'auteur, M'™ Weldon. Du
Conservatoire, Gallia passa, le 8 novembre, à l'Opéra-Comique
et V l'ut l'objet de huit auditions, on pourrait dire représen-
LE MENESTREL
339
tations; car les scènes se chantaient dans un décor spécial,
avec une vue de Jérusalem en ruines, et l'apparition, sous la
lumière électrique, des deux génies auxquels s'adresse le
beau cri final d'espérance et de foi ; là, parut sous le
costume biblique, telle qu'une Rebecca descendue d'un cadre
d'Horace Vernet, M""^ Georgina Weldon, et, sur cette scène
habituée au rire, on vit les pleurs de la prophétesse d'Israël.
Toute la partition était d'ailleurs, volontairement tenue dans
une demi-teinte religieuse, suivant un goût cher au musicien
dont l'op. 11, Offices de la Semaine sainte, a été publié chez
Richault avec cette mention : « par Vabbé Gounod, maître de
chapelle à l'église des Missions étrangères ». Ajoutons que
l'ouvrage, écrit primitivement sur un texte latin, était traduit
en français par le compositeur lui-même, sous forme de vers
libres, sans rimes. Somme toute, le succès de cette tentative
ne fut pas assez décisif pour résoudre la questioa délicate
soulevée par l'adaptation scénique d'une œuvre symphonique.
A l'étranger on a joué le Désert ; on joue encore la Sainte Elisa-
beth de Liszt, et la Damnation de Faust a tenté plus d'un direc-
teur parisien. Mais l'éditeur s'est toujours refusé à cette
version nouvelle, disant: « Ou le changement sera bon, et
l'œuvre donnée quelquefois au théâtre se donnera moins
souvent au concert, dont le cadre ne paraîtra plus aussi
brillant ; ou il sera mauvais, et l'œuvre alors, perdant son
prestige, ne se donnera plus nulle part. » C'est le raisonne-
ment d'un homrae pratique, et c'est peut-être aussi l'expres-
sion de la vérité.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Nouveau-Théâtre. — Scaramouche, pantomime-ballet en deux actes et cinq
tableaux, de MM. Maurice Lefèvre et Vuagueux, musique de MM. An-
dré Messager et Georges Street ; Casino de Paris, réouverture.
J'ai l'air d'annoncer deux solennités, et de fait l'ancien Casino de
Paris, tout en demeurant sous une seule et même direction, s'est
néanmoins dédoublé: le Casino de Paris proprement dit restant l'apa-
nage des danses, des chanteurs de cafés-concerts et des acrobates, la
jolie salle de spectacle, sous la dénomination de Nouveau-Théâtre,
ayant son entrée particulière et son public spécial auquel ne pourra
pas se mélanger l'autre. L'idée me semble fort heureuse, et je
souhaite très vivement que le double établissement de la rue Blan-
che soit, celte fois, définitivement installé et vive de longs jours
prospères.
Car ce petit théâtre, si l'on voulait, pourrait rendre, aux musi-
ciens et aux auteurs dramatiques, des services inespérés, si la di-
rection s'attachait à rester dans la note absolument artistique que
nous avons pu apprécier le premier soir. Je parle, bien entendu,
du ballet, ou mieux de la pantomime de MM. Lefèvre, Vua-
gneux, Messager et Street, laissant exprès de côté les deux piètres
vauJevilles que l'on nous a fait la grâce de nous servir avant Scara-
mouche.
Ni M. Messager, ni M. Street ne sont des inconnus pour le public ;
tou s deux musiciens très fins, très adroits, essentiellement distingués,
sachant merveilleusement leur art et s'en servant avec une délicatesse
de touche et un raffinement de détails tout à fait exquis, devaient
forcément nous donner un ouvrage tout de distinction et d'un aspect
absolument aimable et séduisant; ils n'y ont pas manqué. Leur
partition, écrite avec un constant souci de la forme, est charmante
et d'une audition fort agréable, et si, au milieu de ces éloges très
mérités, je me permettais une critique, je dirais qu'avec un peu plus
d'inspiration mélodique et un peu plus aussi le désir, une fois la
phrase musicale heureuse trouvée, de la suivre et de la développer,
nous aurions eu là une petite œuvre à peu près complète. Parmi
les pages saillantes, remarquées à une première audition, je citerai
une jolie phrase d'amour confiée aux violons au premier tableau,
au second tableau un spirituel divertissement accompagné par les
cors, les trompettes et les bassons, une valse d'un rythme très
dansant et, enfin, au troisième tableau, la scène d'hypnotisme et
les apparitions des Gilles et des Colombines traitées de façon très
divertissante.
Il serait injuste de ne point tenir compte aux librettistes de la
très grande part qu'ils ont prise à cette victoire. Les misères faites
pEir Scaramouche à Gilles qui vient d'épouser Golombine, l'idylle
amoureuse poursuivie entre Golombine et le séduisant Arlequin,
mille inventions aimables ou drolatiques, font de Scaramouche un
spectacle varié, amusant, chatoyant. M"" Félicia Mallet, MM. Krauss,
Glerget, Paul Legrand et Mondes ont enlevé la pantomime avec une
verve charmante; la direction s'était chargée de lui donner un cadre
digne d'elle.
Je ne voudrais pas terminer sans envoyer, à qui de droit, toutes
mes félicitations pour la façon très heureuse dont le grand hall a
été transformé. C'est absolument réussi. Pris par le spectacle du
Nouveau-Théâtre, je ne puis vous dire de quoi se composent les
divertissements offerts aux liôtes du Casino de Paris, mais j'y ai en-
tendu un orchestre sonore et vivant, très heureusement conduit par
M. Doussaint. un chef d'une correction parfaite et qui sait enlever
non seulement ses artistes, mais encore son public.
Paul-Émile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
CHAPITRE VI
LOUIS-PHILIPPE ET LA 11*^ REPUBLIQUE
(Suite)
Les promesses d'Auber n'étaient pas paroles vaines : la rue
Bergère a secoué l'engourdissement des dernières années; son ar-
deur se réveille. Comme au temps de l'empire, on se dispute les
places aux exercices, dans les concerts oîi paraissent les élèves.
Les voici à la séance donnée par Ponchard, chantant le finale du
Mont Saint-Bernard ; à Saint-Roch, pour l'enterrement de Berton ;
chez eux, avec le deuxième acte des Noces de Figaro , une scène
i'Armide et les Héritiers, d'Alexandre Duval.,
Joie des prix de Rome, le 19 mai 1844: on inaugure le système
souvent réclamé ; le Conservatoire annonce l'Hôtesse de Lyon, une
œuvre inédite de Georges Bousquet. Le résultat est si lamentable (mal-
gré l'appoint de Laget, prêté par l'Opéra-Comique) qu'on ne songera
guère à renouveler pareille tentative, dans laquelle peut sombrer à
jamais l'avenir des jeunes compositeurs. Il faut le succès de M. Obin-
au premier acte du Comte Ory, et les efforts déployés dans des scènes
du Mahomet de Voltaire, pour dissiper la mauvaise impression du
public.
Les concours mettent en évidence les immenses progrès des
classes et, malgré le règlement, il faut partager plus d'un prix. La
renommée de la rue Bergère se répand d'un tel essor à travers les
départements que les candidats accourent aux examens d'admission
en bataillons serrés: ils seront quatre-vingts pour les six places va-
cantes du piano.
Les attaques ne cesseront pas pour si peu, mais, M. de Kératry
le remarque fort judicieusement: « On ne discute que ce qui existe,
et par conséquent résiste. » Cette pensée suffit à rassurer les
soixante-dix professeurs et les cinq cents élèves : ils coûtent
Ioo,oOO francs à l'Etat; leur existence ne semble pas un danger
public.
Comme pour le protéger mieux encore contre les menées hostiles,
Louis-Philippe appelle le Conservatoire à Saint-Cloud, le 25 no-
vembre. En présence de la famille royale, les élèves jouent Raoul
de Créqmj, et le plaisir de l'auditoire est tel que des fragments de
l'ouvrage sont encore au programme du château la semaine sui-
vante.
Le dernier exercice (décembre) offre aux mélomanes parisiens
quelques-uns des morceaux applaudis par la Cour, des scènes
d'Orphée et le quatrème acte d'And/vmaque, avec M}^' Rimblot,Worms,
MM. Chéry et Dupuis.
Appelés aux concerts des Tuileries, occupés par les répétitions
de la Société, les élèves du Conservatoire, en 184o, n'ouvrent leur
salle au public que le 25 mai, pour faire entendre le i" acte du
Comte Ory, le i" acte d'Horace et les Suites d'un bal masqué. Le mois
suivant, précédé de Brueys et Palaprat, Fidelio, répété des semaines
entières, remporte un éclatant succès.
C'est le moment choisi par Habeneck pour soulever un conflit et
340
LE MEiNESTllEL
menacer l'école de sa démission. Le jour venu de désigner le mor-
ceau de concours des violonistes, il réclame un concerto de Viotti,
appuyant sa demande sur un usage consacré par vingl-cinq ans.
C'est le même molif qu'invoque M. Massart pour proposer un mor-
ceau de Kreulzer, estimant qu'il serait bon de varier le répertoire.
Auber renvoie la question devant le comilé et, après raùre délibéra-
tion, ou décide que chaque professeur choisira le morceau de sa
classe.
Le directeur, très souffrant, est forcé de renoncer à la présidence
des jurys. Halévy, Garafa, Habeneck, désignés pour le remplacer à
tour de rôle, annoncent les récompenses de MM. Grévecœur, Bazille,
Hisnard, Verrimsl, proclament les pris de M"" Dameron, Gourtot,
Grimm, Pijon, de MM. Bussine, .lourdan, Darbot, Mathieu, Blaisot.
l'accessit de M. Delaunay.
Voici que le violon est pour la seconde fois un instrument de dis-
coïde. A. l'issue d'une journée houleuse, le public, qui, en son âme
et conscience, décernait le deuxième prix à M. Dumas, élève d'Alard,
éclate en protestations bruyantes quand il entend appeler M. Cham-
penois, de la classe Massart. Carafa veut parler à l'émeute : « Mes-
sieurs, nous ne sommes pas ici au spectacle. » Sa voix se perd dans
le tumulte.
En un instant la salle est vide, et tous les mécontents, rangés au
pied de l'escalier d'honneur, oh ils ont voulu porler Dumas eu
triomphe, saluent la sorlie du tribunal par une symphonie de
sifflets.
Les haines sont apaisées au jour de la distribution des prix; le
public écoute avec recueillement un discours rayonnant de la plus
pure morale, où il est déclaré que « la sagesse, chez la jeune tille
destinée au théâtre, n'est pas seulement une vertu, mais une néces-
sité.» Un chœur du Christ aux Oliviers, une scène des Voitures versées,
chantée par M"' Dameron et M. Bussine, l'octuor, écrit par Prumier
fils pour la harpe et les instruments à vent, sont parmi les morceaux
les plus applaudis du concert.
M. Guizot, recevant l'ambassadeur marocain en janvier 1846, ne
trouve rien de mieux à lui offrir dans les salons du ministère des
affaires étrangères, qu'un choix de symphonies. Les sociétaires et
les élèves du Conservatoire se distinguent dans cette soirée.
On a tant abusé du Comte Ory dans les exercices, qu'Auber re-
doute, pour la séance de mars, une nouvelle intervention du page
Isolier. Sur son conseil, la fête sera réduite aux proportions d'un
concert: quinze jours après, le théâtre prend sa revanche: des frag-
ments de Moise accompagnent te Fausses Infidélités, remarquablement
rendues par Chéry, Taillade, Larochelle, M"" Marchai et Lemerle.
Puisqu'ils ont su charmer l'envoyé du Maroc, les élèves du Con-
servatoire sont désignés d'avance pour enchanter les oreilles d'Ibra-
him Pacha, et M. de Salvandy appelle le jeune orchestre à la fête
du ministère.
Les succès remportés par l'école dans les cérémonies officielles,
ne font pas augmenter sa subvention. Plus d'une fois, durant l'hiver,
le combustible a failli manquer, et pourtant la seuls mise en scène
de l'exercice de mai émerveille les spectateurs les plus difficiles.
Chant^ements à vue, charmants décors, costumes chatoyants, rien
ne manque à la représentation de Zémire et Azor. M"' Lemercier,
(engagée à l'Opéra-Comique), y paraît pour la dernière fois auprès de
ses camarades.
Un détail invraisemblable des concours de 1846: jury et public
ont été d'accord. Sans protestations, MM. Montaubry, Gri^non, Bar-
bol, Battaille, Gueymard, Maury, Rose, Gerclier, NoUet, M"'^ Poinsot,
Grimm, Gourtot, Mercier, ont été récompensés et des acclamations
unanimes ont salué le premier prix d'Henri Wieniawski, un violoniste
de onze ans, élève de M. Massart.
Les journaux ne sont pas désarmés par ces résultats brillants.
Pour les uns, nul artiste d'avenir n'est sorti du Conservatoire; les
autres déclarent que les sujets remarquables n'ont pas manqué,
mais qu'ils se seraient tout aussi bien formés loin de l'école.
Troisième visiteur venu d'Orient, troisième convocation des élèves,
qui vont chanter plusieurs chœurs à Saint-Cloud, en l'honneur du
bey de Tunis.
Docile au mouvement qui multiplie les représentations au bénéfice
des inondés delà Loire, Auber faisait répéter un superbe programme
qui mettrait en relief les classes diverses du Conservatoire, quand
soudain les études sont suspendues. On a craint les manifestations
enthousiastes ou hostiles d'un public payant, qui inspireraient aux
jeunes musiciens orgueil immodéré ou découragement profond. Et
la rue Bergère ne donne d'autre programme musical que celui de
la distribution des prix, retardée d'un mois par ces alternatives.
Ernani et i due Foscari ont, dans le cours de l'année, alfirmé la
naissante renommée de Verdi.
De la variété dans les programmes des exercices ! c'est le mot
d'ordre pour 1847. Une représentation complète de Cendrillon pré-
pare le public à la séance triomphale du 6 juin.
Les larmes coulent ce jour-là au troisième acte des Enfants d'Edouard :
W" Favart est un travesti idéal, M™° Crosnier joue le rôle de la
reine en actrice éprouvée, Gibeau et Beauvallet complètent bril-
lamment la distribution. Au drame de Casimir Delavigne succèdent
des fragments importants du Siège de Coriiithe. M"" Poinsot,
MM. Evrard, Barbot, Balanqué et Gueymard (un simple pâtre, il y a
deux ans encore) font assaut de verve et de flamme. Tous les élèves
du chant, enrôlés dans les chœurs, enlèvent la Bénédiction des Dra-
et peaux la Scène du conseil. « Ces choristes par circonstance, écrit
un journal, ont le bâton de maréchal dans leur giberne. » L'orchestre
d'Habeneck n'est pas oublié dans le bulletin de victoire.
Les ensembles du Conservatoire se signalent de nouveau (juin) en
exécutant les chants religieux et historiques couronnés au concours
institué pour enrichir le répertoire des orphéons.
M""^ Félix Miolan remporte à l'unanimité le premier prix de chant.
Dans la France musicale, Escudier déplore que la faiblesse de ses
moyens lui ferme à jamais le théâtre ; mais elle sera une charmante
cantatrice de salon. Ex œquo avec elle, M"'^ Rouaux; au second rang,
M""' Duez et Poinsot. — Dans les classes des hommes, Battaille et
Barbot reçoivent la récompense suprême ; après eux, Gueymard et
Reynard, Balanqué et Meillel. M"" Decroix est parmi les accessits
d'opéra-comique, et il s'en faut d'un suffrage que M. Garfalho figure
à ses côtés. — Comédie: 1" prix, Larochelle; "1^, M"" Favart ;
accessits, MM. Passerai et Thiron. — Orgue : M. Bazille. Cor:
M. Mohr.
MM. Deffos et Grévecœur, prix de Rome de l'année, partagent la
joie de leurs aines quand l'Opéra National, dirigé par Adolphe Adam,
ouvre ses portes en novembre. C'est la représentation assurée pour tous,
et le succès de Gastilbelza est d'un heureux présage pour le théâtre.
A deux reprises, Paris a fêté M"' Alboni: à l'Opéra d'abord, oli
elle a paru dans quelques concerts, puis au Théâtre-Italien, oii son
début dans Semiramide a été l'événement musical de la saison. On
ne lui reproche que les fines moustaches dont elle a agrémenté les
lèvres d'Arsace.
Jérusalem est une nouvelle victoire pour Verdi; Haydée mellra. un
laurier de plus à la couronne d'Auber.
C'est une véritable oraison funèbre que prononce M. de Kératry
en distribuant les prix : le basson se meurt, représenté par un seul
concurrent ; la tragédie agonise.
Emu par cette prophétie, le Charivari brode quelques variations
sur le thème de la Bonne Vieille: « La tragédie n'est plus, mais on
parlera de sa gloire sous le chaume bien longtemps ; l'humble toit,
dans cinquante ans, ne connaîtra plus d'autre histoire. Là, les vil-
lageois viendront dire à quelque bonne vieille : « Vous l'avez connue,
« gl-and'mère ? vous l'avez connue ? »
(A suivre.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres. — Les deux Opéras italiens ont ouvert leurs
portes cette semaine, celui de Shaftesbury avec Cavalleria ruslicana, celui
de Govent-Garden avec Roméo et Juliette, chanté en français par M"" Si-
monnet et M. Gossira, et dirigé par M. Jehin. Il avait été un instant
question de la fusion des deux entreprises en une seule; mais l'entente
n'a pu s'établir d'une façon complète, et en fin de compte MM. Lago et
Harris ont préféré rester maîtres chacun de leur troupe et de leur réper-
toire. Tous deux intitulent leur entreprise Royal Italian Opéra. — M"" Al-
bani, dont l'état de santé avait inspiré des inquiétudes, est à présent
complètement rétablie, et elle â pu prendre part au concert de la Cour qui
a eu lieu en présence de la reine, au palais de Balmoral. — Les célèbres
concerts symphoniques du Grystal Palace viennent de rouvrir pour la
saison. Le répertoire comprendra plusieurs nouveautés, comme, par
exemple, l'ouverture de Don Juan d'Autriche, du compositeur tchèque Hans
Sitt; l'ouverture de concert Tom o'Shanter, de M. L. Drysdale, de l'Académie
royale de musique à Londres, et une œuvre chorale de M. G. A. Lidgey,
intitulée Femmes et Roses, poème de Robert Bl'0^vning. Le 5 décembre, on
donnera un festival en l'honneur de Mozart, à l'occasion du centième
anniversaire de sa mort; la messe de Requiem sera naturellement au
LE MENESTREL
34]
programme. Au concert suivant on entendra notre jeune compatriote,
M"" Clotilde Kleeberg, qui, entre autres œuvres, exécutera le premier
concerto de Beethoven.
— Les dernières séances du festival de Birmingham ont été marquées
par l'audition des œuvres suivantes : Tanlum ergo et Offcrloire de Schubert,
parles chœurs; le concerto hongrois de Joachim, exécuté par l'auteur;
le Requiem de Dvorak, œuvre de grandes dimensions, qui a produit un
puissant efîet, dirigée par le compositeur et chantée par M^^ Anna "Wil-
liam et Wilson, MM. Mackay et W. Mills. Le festival a pris fin avec la
Damnalion, de Faust, dont les interprètes principaux étaient M'i^Mac Intyre,
MM. Lloyd et Henschel. Les organisateurs peuvent se féliciter du résultat
de l'entreprise ; depuis bien des années, le festival n'avait réalisé un
bénéfice aussi considérable.
— Il est question d'instituer à Dublin un festival triennal de musique
sur le modèle de ce qui existe dans les grandes villes d'Angleterre. Le
promoteur de ce projet est M. Houston Collisson. La première réunion
aurait lieu en 1893 et durerait trois jours; on exécuterait une œuvre
importante d'un compositeur irlandais. Ce désir de s'ériger en centre
artistique tourmente aussi deux autres villes du Royaume-Uni, Gardiff
et Porsmouth, où viennent de surgir des projets de festivals pour le
printemps prochain.
— Les plans de l'Exposition internationale de musique et de théâtre
qui doit s'ouvrir l'année prochaine à Vienne, sont définitivement adoptés,
et les travaux de construction sont entamés depuis les premiers jours de
ce mois. La salle de spectacle contiendra deux rangs de loges ; la sortie
en sera facilitée par quarante portes, ce qui écarte toute possibilité de
danger en cas d'incendie ; la scène a été l'objet d'une attention spéciale,
et son mécanisme, dit-on, fera l'objet de l'admiration des spectateurs.
C'est du l" au IS mai 1892 qu'y sera donnée la première représentation.
Pour le grand concours musical qui sera tenu du 15 mai au 1" octobre,
six États ont envoyé déjà leur adhésion. Chaque orchestre pourra donner
dans le pavillon musical une demi-douzaine de concerts. Haydn, Gluck,
Mozart, Beethoven, Weber, Schubert, Wagner, Strauss, Lanner, sont les
noms surtout recommandés pour la partie musicale en ce qui concerne
l'Allemagne, et pour la partie dramatique Gœthe, Schiller, Grillparzer,
Nestry et Reimund. On assure déjà que le nombre des autographes expo-
sés s'élèvera à 3,600 et celui des portraits d'artistes à 1,200. Parmi les
exposants on remarque, entre autres, : l'archiduc Ferdinand d'Esté, qui
mettra à la disposition du Comité sa riche et précieuse collection d'ins-
truments de musique ; le prince de Schwarzenberg, qui non seulement
permettra à ce Comité de puiser largement dans ses archives de Frauen-
berg, de "Wittingau, de Kruman, où se trouvent nombre de manuscrits
des plus rares, mais qui, en outre, enverra une foule d'objets curieux
que contient le fameux théâtre rococo lui appartenant, situé dans les
environs de Vienne ; le prince Lichnowsky, qui exposera le piano, décoré
d'ornements de bronze, sur lequel Beethoven a composé la célèbre sonate
dédiée au prince Lichnowsky son aïeul ; enfin, M. Artaria, qui possède
la plus nombreuse collection connue d'autographes de Beethoven, et qui
enverra deux manuscrits d'un prix inestimable, savoir : celui de la Neu
vième Symphonie et celui de l'admirable Messe en îr'. S'il faut en croire
les on-dit, plus de qualre cent mille demandes de participation ont été déjà
envoyées au Comité, et les adhésions continuent d'arriver de toutes
parts. Des invitations spéciales sont adressées par le Comité à toutes les
grandes Sociétés artistiques et chorales, pour les prier d'exposer leurs
bannières, emblèmes, ainsi que les diplômes, médailles, couronnes et
récompenses de toutes sortes qui leur auraient été attribuées dans le
cours de l'année. On croit enfin que M™ Viardot n'hésitera pas à expo-
ser le fameux autographe de la partition de Don Juan, de Mozart, qui
sera l'un des joyaux de l'Exposition, et qui trouvera place dans une
élégante vitrine, au centre même du pavillon Mozart.
-- Un compositeur italien, M. Antonio Smareglia, vient de terminer,
sur un livret de M. Luigi Hlica, la partition d'un drame lyrique intitulé
Corcill Schut, qui doit être représenté à l'Opéra impérial de Vienne.
— La Société philharmonique de Vienne vient de faire connaître le
programme de sa saison concertante, qui comprendra huit grandes exécu-
tions à orchestre. En tète de ce programme figure Beethoven avec trois
symphonies (1, 3, 7) et l'ouverture op. Ub. Puis viennent: Berlioz, ouver-
ture du Roi Lmr ; Brahms, sérénade op. 16 ; Bruckner, symphonie n" 1, en
ut mineur (1™ exécution); Gheruhini, ouverture de Médée ; Dvorak, Scherzo
capriccioso; Fuchs, sérénade n» 3; Grieg, suite de Peer Gijnt ; Haydn, sym-
phonie; Liszt, Rapsodic n"3; Massenet, suite sur Escto-monde (nouveauté) ;
Mendelssohn, symphonie en la majeur ; Mozart, symphonie en mi bémol
et Marche funèbre mauresque ; Schubert, symphonie en si mineur ; Schumanu,
symphonie en ré, d'après le manuscrit original, et ouverture pour la Fian-
cée de Messine; Volkmann, sérénade n° 2; Weber, ouverture d'Obéron. C'est,
on le sait, HansRichter qui dirige ces concerts. La Wiener Sing-Akademie,
de son côté, annonce une série de séances fort intéressantes de musique
ancienne, et notamment des chœurs a capella de Prœterius, Hassler, Fre-
derici, Antoine Scandellus, Roland de Lattre, Palestriua, Hœndel, etc.
Parmi les curiosités de ce répertoire, il faut signaler le Misericordias Domine
de Mozart et le fameux Miserere d'AUegri.
— Les surintendants des théâtres royaux de Berlin ont décidé qu'à l'a-
venir les portes de ces théâtres seraient fermées dès que le spectacle se-
rait commencé, pour n'être rouvertes que lorsqu'il aurait pris fin. Ils
comptent, par cette mesure, éviter l'ennui et le trouble causés par les
spectateurs retardataires, et assurer au public attentif l'audition complète
des ouvrages représentés, depuis l'ouverture jusqu'à la dernière note du
finale, sans que le bruit des portes et le va-et--vient continuel puissent
porter préjudice à l'effet des morceaux. Ils ont peut-être compté aussi sans
la baisse probable des recettes. C'est égal, la discipline est une belle
chose, même au théâtre!
— On vient de vendre à Berlin, chez Léo Liepmannsohn, le libraire
expert bien connu, une collection d'autographes de poètes et de musiciens
qui offraient beaucoup d'intérêt. Dans le nombre, il y avait une série fort
curieuse de lettres de Wagner. Citons d'abord une lettre du maitre, datée
du 21 mars 1847, au capellmeister Joseph Kittl, à Prague, lequel, plus tard,
mit en musique un livret de Wagner, les Français à Nice. Dans cette lettre,
Wagner se plaint amèrement de sa situation financière. Il avoue qu'il a tou-
ché d'avance tout son traitement, qu'il vient de changer d'appartement parce
qu'il ne pouvait plus payer ses 220 thalers de loyer, et qu'il ne sait plus
où donner de la tête. Finalement, il accepte avec une vive reconnaissance
l'offre de Kittl de lui avancer une certaine somme. Autre lettre, au critique
d'art et musicologue Ambros, à Prague. Wagner exprime son regret de
ne pouvoir donner à Dresde l'opéra Zamora, de Stephen Heller. Il prie
toutefois Ambros, afin de- ne pas froisser l'auteur, d'employer des péri-
phrases pour lui annoncer ce refus. <■ Peut-être, dit-il, la plus banale, celle
qu'on m'a opposée à moi-même si souvent, serait-elle la mieux en situa-
. tion. Dites-lui que le répertoire est déjà fixé pour longtemps et qu'on ne
peut, en ce moment, accepter de nouvelles obligations. » Il y a enfin une
lettre de Wagner à la direction du théâtre de Leipzig, où il propose à
celle-ci un petit opéra dont il indique le titre ainsi : le st. G. A quel ouvrage
ces lettres énigmatiques s'appliquent-elles? Aucune indication ne permet
de le deviner. Il s'agit, en tous cas, d'une œuvre de jeunesse. Serait-ce
d'un Saint-Graal, d'une première ébauche de Lohc7igrin ? Peut-être. Dans
la même lettre, Wagner annonce qu'il passera bientôt par Leipzig, attendu
qu'il doit se rendre à Dresde pour y monter un grand opéra en cinq actes
(Rienzi ?}.
— Les événements de Lohengrin à Paris ont trouvé de l'écho jusque dans
une petite bourgade de Hongrie nommée Plojescht, ainsi qu'on va en ju-
ger par l'extrait suivant du journal Democralul, publié dans cette localité :
(S A Paris, vient d'être produite une nouvelle pièce de théâtre intitulée
Lohengrin, qui, le jour de sa première représentation au Gr«ind-Opéra, a
soulevé dans la population une agitation immense. Nous ne connaissons
pas le sujet de la pièce, mais l'effervescence était telle qu'il a fallu mettre
toute la police sur pied et que les arrestations se sont élevées à plus de
mille. » 0. candeur des champs !
— Nous avons annoncé récemment que la célèbre cantatrice M"'= Lem-
mens-Sherrington quittait Bruxelles pour aller se fixer à Londres. On
assure aujourd'hui que c'est M"= EUy Warnots, fille de l'excellent chan-
teur de ce nom, qui va recueillir, au Conservatoire de Bruxelles, la suc-
cession de M°"= Lemmens-Sherrington.
— Le théâtre royal d'Anvers donnera, dans le courant du mois de no-
vembre, la première représentation d'un grand ballet en deux actes. Au
pays noir, dont la scénario est dû à M. Armand Laffrique et la musique à
M. Justin Clérice. M. Clérice est un jeune compositeur argentin, élève
de M. Emile Pessard, qui a déjà eu deux petits actes représentés aux
Bouffes-Parisiens.
— Ouvrages nouveaux représentés en Italie. A Fiesole, Nelly, paroles
de M, Nencioni, musique de M. Iciiio Monti (tous deux natifs de Fiesole),
chanté par M""» Baldelli, MM. Calamari, Burci et Allegri. La musique, dit
un journal, « est un joyau d'inspiration ». — Au théâtre Mercadante, de
Naples, il Nuovo Don Giovanni, opérette, paroles de M. Giovanni Gargano,
musique de M. Francesco Palmieri. Succès. — A la Fenice, de la même
ville, il Timpano, autre opérette, musique du maestro Forte. Chute. — Ou-
vrages nouveaux devant être représentés prochainement. Au théâtre de
la Fenice, de Venise, Violante, opéra du maestro vicentin Ludovico Alberti.
Au théâtre Carlo Felice, de Gènes, un opéra « grandiose, » dont le titre
est encore un mystère et qui a pour auteur le maestro Ettore Perioso. —
Ouvrages nouveaux non encore sortis des cartons de leurs auteurs : Suor
Estella, musique de M. Giuseppe D'Angelo, qui doit être présenté au concours
Sonzogno; Déruchette, drame lyrique, paroles de M. Angelo Bignotti, mu-
sique de M. Alfredo Dooizetli; A Santa Lucia, opéra en deux actes, paroles
de M. Golisciani, musique de M. Pierantonio Tasca ; Carofin, opéra bouû'e,
paroles de M. Bignotti, musique de M. Federico Rossi ; Sirena, opéra,
musique de M. G. Branca; Teresa Raquin, opéra en deux actes et un pro-
logue, d'après le roman de M. Zola, paroles de M. Golisciani, musique de
M. Coop; la Giarreltiera, opérette, musique de M. Cesare Bacchini; A Basso
Porto, opéra en trois actes, paroles de M. Eugenio Checchi, musique de
M. Niccola Spinelli; enfin, Gian Luigi Fieschi, drame lyrique, musique de
M. Enrico Bignami. Selon toute apparence, le public italien n'est pas
près de chômer d'œuvres musicales.
-- L'orchestre du théâtre de la Scala, de Milan, est en ce moment en
proie à une vive émotion. On annonce en effet que la nouvelle impresa de
342
LE MENESTREL
ce théâtre serait clans l'intention d'opérer une grande réforme au sujet de
cet orchestre. D'une part, on prétend qu'elle voudrait congédier et rem-
placer une cinquantaine des artistes qui en font partie, ce qui semble
un peu excessif; de l'autre, on assure qu'elle voudrait obliger les pre-
miers solistes à jouer dans le ballet comme dans l'opéra, ce qui n'est
point là-bas la coutume. Bref, la Société orchestrale de la Scala s'en est
émue, et elle a adressé aux conseillers communaux, à la presse, à la
commission artistique du théâtre, une circulaire dans laquelle elle pro-
teste avec vigueur contre les projets attribués, en ce qui la concerne, à la
nouvelle direction.
— A Rome, la saison du théâtre Costanzi s'est ouverte jeudi dernier par
une représentation d'Hamlet, chanté par M"« Calvé, M. Lhérie (Hamlet) et
M. Bottero (le roi). Après une seconde représentation du chef-d'œuvre
d'Ambroise Thomas, le théâtre fera relâche jusqu'au 31 octobre, jour fixé
pour l'apparition du nouvel opéra de M. Mascagni, t'Amico Fritz, joué,
nous l'avons dit déjà, par M"fs Calvé et Synnerberg, MM. De Lucia et
Lhérie. Les représentations de cet ouvrage seront interrompues le 19 no-
vembre, M"° Calvé devant alors quitter Rome pour venir à Paris, où elle
doit jouer Cavalhria rusticana à l'Opéra-Comique. On donnera alors au Cos-
tanzi un autre opéra nouveau, Pier Luigi Fariiese, paroles de M. Tobbia
Gorrio (Arrigo Boito), musique de M. Costantino Palumbo, qui aura pour
interprètes M""'^ Toresella et Synnerberg, et MM. Lazzarini et Lhérie.
— Quelques nominations de professeurs dans les écoles musicales d'Ita-
lie. M. Scontrino est nommé professeur de composition au Conservatoire
de Palerme ; la célèbre cantatrice Barbara Marchisio devient professeur de
chant au Conservatoire de Naples; enfin, le violoniste Rinaldo Franci est
nommé maître de l'École d'instruments à archet à Sienne.
— Le répertoire du théâtre Rossini, de Venise, pour la saison d'automne,
sous la direction de M. Pantaleoni, se composera de trois opéras fran-
çais : Mignon, de M. Ambroise Thomas, Faust et Roméo et Juliette, de
M. Gounod.
— Il vient de paraître en Italie le premier volume d'un ouvrage excel-
lent et d'une solidité à laquelle les écrivains de ce pays ne nous ont
guère habitués jusqu'ici en matière d'histoire musicale. Cet ouvrage a
pour titre : il Padre G.-B. Martini, musicista-lattcrato del sccolo XVIIl, et pour
auteur M. Leonida Busi. On sait que le P. Martini fut tout à la fois un
historien musical remarquable, l'un des théoriciens les plus fameux de
son temps et l'un des compositeurs les plus étonnamment féconds qu'ait
produits l'Italie. Si l'on voulait une preuve de cette fécondité vraiment
prodigieuse, on n'aurait qu'à consulter le catalogue des œuvres du vieux
maître que M. Busi a dressé avec beaucoup de soin et qu'il donne, sous
forme d'appendice, à la fin du présent volume ; ce catalogue ne contient
pas moins de neuf cent cinquante-cinq numéros, comprenant opéras, orato-
rios, cantates, arie, concertos d'orchestre ou de piano, symphonies pour
divers instruments, sonates pour orgue seul ou avec piano, messes, mo-
tets, vêpres, séquences, litanies, canons, etc. Encore faut-il dire que ce
catalogue n'est pas complet, puisqu'il ne comprend que les œuvres
conservées dans la bibliothèque du Lycée musical de Bologne, et que
l'on sait pertinemment qu'il en existe nombre d'autres dans diverses
collections publiques ou particulières. Le P. Martini, qui vécut fort
vieux et dont la renommée était européenne, fut activement mêlé au
grand mouvement musical de son temps et entretenait avec beaucoup de
grands artistes, italiens ou étrangers, une correspondance pleine d'intérêt.
On comprend donc facilement celui qui s'attache à l'histoire de sa vie et
de ses œuvres, et qui s'étend bien au delà de sa propre personne. M. Busi
a encore élargi par ses recherches un cadre déjà si vaste par lui-même, ■
et son livre, littéralement bourré de faits, de notes et de renseignements
de toutes sortes, prend presque l'importance et les allures d'une histoire
générale de l'art musical italien pendant la fin du dix-septième siècle et
presque tout le dix-huitième. C'est réellement là, dans son genre, un
livre de premier ordre, dont les matériaux abondants ont été puisés aux
sources les plus sûres, qui relève bon nombre d'erreurs trop accréditées
jusqu'ici, en même temps qu'il met en lumière quantité de faits ignorés
ou peu connus. J'ajoute que le plan de l'ouvrage est bien conçu, d'une
clarté parfaite, et que son ordonnance ne laisse rien à désirer. Après
avoir loué comme il convient le premier volume que j'ai sous les yeux,
il ne me reste qu'à former le souhait de voir le second paraître rapide-
ment. Cet ouvrage ainsi complété constituera,, on peut le dire sans exagé-
ration, un véritable monument élevé à la gloire d'un des plus admirables
artistes dont l'Italie puisse être justement fière et que ses compatriotes
ne pourront jamais trop exalter. ' A. P.
— Au théâtre royal de Barcelone on annonce la représentation, au cours
de la prochaine saison d'hiver, d'un opéra nouveau dû à deux auteurs
-espagnols : Raguel, paroles de M. Mariano Capdepon, musique de
M. Santamaria.
— La ville de Lisbonne va se trouver probablement privée d'Opéra cet
hiver, par suite du refus du gouvernement de prendre plus longtemps à
sa charge les frais de l'éclairage électrique. Le directeur, de son côté,
n'étant pas en état de grever son entreprise d'une nouvelle charge, aurait
décidé de ne pas ouvrir le théâtre. Le gouvernement économisera de ce
fait la subvention annuelle.
— Un entrepreneur américain vient d'offrir à Johann Strauss un brillant
engagement pour cinquante concerts à donner dans les principales villes
des États-Unis. Conditions : 130,000 florins (plus de 400,000 francs), plus
les frais de voyage, de logement et de nourriture pour cinq personnes.
— L'imprésario américain Hammerstein, acquéreur des droits de re-
présentation de Cavalteria rusticana pour l'Amérique, n'a pu faire reconnaître
sa propriété par les tribunaux de son pays, et l'œuvre de Mascagni est
maintenant représentée à iHev.'-York simultanément par la troupe de
M. Hammerstein, au Lenox Lyceum, et par celle de M. Aronson, au Casino',
avec une traduction anglaise dans les deux établissements. Les places pour
la première l'eprésentation au Casino ont été vendues à l'enchère; la
direction a réalisé 10,400 francs de bénéfice sur les prix habituels de
location. Certaine loge a été adjugée avec 2,12S francs de prime.
PARIS ET DEPIRTEWENTS
M. Gustave Larrouraet, dont la délégation a pris fin, est décidément
remplacé à la direction des beaux-arts, et c'est cette semaine que le mi-
nistre de l'instruction publique a soumis à la signature du chef de l'État
la nomination du nouveau directeur, nomination qui n'a pas été sans cau-
ser quelque surprise, tellement elle était inattendue. Depuis plusieurs
mois, en effet, on avait mis en avant quelques noms qui semblaient réu-
nir de véritables chances de succès, entre autres celui de notre excellent
confrère M. Henri de la Pommeraye, qui semblait tout d'abord devoir arri-
ver bon premier. Dans ces derniers temps, le vent avait tourné, et l'on assu-
rait que le ministre avait fixé son choix sur un ancien préfet, M. Chris-
tian, dont on donnait la nomination comme certaine. Puis, il y a peu de
jours, un décret nous apprend que c'est dans ses bureaux mêmes que
M. Bourgeois a cherché le successeur de M. Larroumet, et que l'heureux
élu est M. Henry Roujon, chef de bureau au ministère de l'instruction
publique. On dit d'ailleurs le plus grand bien de M. Henry Roujon, qui,
après avoir débuté dans le journalisme, est entré par concours au minis-
tère, en 1876, et y a fourni une carrière rapide et brillante, sans cesser
d'écrire, car il a donné à la Revue bleue une série d'articles remarqués sous
le pseudonyme d'Henry Laujol. Administrateur expérimenté, esprit alerte
et vif, très ouvert aux choses d'art, on fonde les plus grandes espérances
sur M. Henry Roujon, qui saura sans doute les justifier.
— C'est M. Camille Oudinot qui est nommé secrétaire de la direction
des beaux-arts. M. Camille Oudinot est depuis douze ans attaché au minis-
tère des beaux-arts et est l'auteur de plusieurs romans.
— Les Petites Affiches publient l'acte de société formée entre M. Eugène
Bertrand et ses commanditaires pour l'exploitation du théâtre de l'Opéra.
La durée de la société est fixée à sept années entières et consécutives, à
partir du 1°' janvier 1892. La raison et la signature sociales sont : « Eu-
gène Bertrand et O^ ». Le siège de la société est établi dans l'immeuble
concédé par l'État. Le fonds social est fixé à 1,100,000 francs. M. Bertrand,
en dehors de son industrie et de ses soins, a apporté à la société une
somme de 100,000 francs. L'apport d'un million de francs a été fait déjà
par divers commanditaires indiqués aux statuts, jusqu'à concurrence de
430,000 francs, et le surplus, est-il dit, sera versé par d'autres associés,
également simples commanditaires, lesquels seront admis à compléter
la somme d'un million de francs, en souscrivant et versant en numéraire
les mises qu'ils devront fournir aux mains de la gérance. Dans le cas où
les mises de nouveaux souscripteurs ne compléteraient pas la somme d'un
million de francs, M. Bertrand devra parfaire le capital social et sera dans
les mêmes conditions que les autres commanditaires pour cette mise
complétive. M. Eugène Bertrand a seul la gestion et la signature de la
société ; il ne peut faire usage de cette signature que pour les affaires de
la société. Il s'est substitué, par l'acte de société même, M. Auguste
Deloche-Gampocasso, directeur du grand théâtre municipal de Marseille,
demeurant à Paris, avenue de Villiers, 14, son collaborateur, qui a accepté
et qui aura les mêmes pouvoirs que lui sous sa seule responsabilité. Il a
été dit que l'exercice de cette gérance aura lieu collectivement pour
MM. Bertrand et Gampocasso, sauf vis-à-vis de l'Etat, aux droits duquel
il ne pouvait être porté aucune atteinte et qui ne reconnaissait que M. Ber-
trand comme titulaire de la concession.
— Le programme de la représentation solennelle organisée par la direc-
tion de l'Opéra, à l'occasion du centenaire de Meyerbeer, est définitivement
arrêté. Il se composera de tous les quatrièmes actes des ouvrages de l'il-
lustre compositeur qui ont\ été représentés à l'Académie nationale de
musique, soit: le quatrième acte des Huguenots, avec le personnage de
Catherine de Médicis, rétabli dans les conditions dont nous avons parlé
déjà; l'acte de la cathédrale du PropMle ; le quatrième acte de Robert le
Diable, auquel on rattachera le ballet du troisième, et enfin le quatrième
acte de l'Africaine, avec le grand ballet indien. Une grande pièce de vers
de M. Jules Barbier, écrite en l'honneur de Meyerbeer, sera récitée au
cours de la soirée.
— Aujourd'hui dimanche, l'Opéra donnera Hamlet, en représentation
populaire à prix réduits, avec M"^ Melba et M. Lassalle.
— On a donné à l'Opéra-Comique, mercredi dernier, la 500" représen-
tation de Carmen, le chef-d'œuvre du regretté Bizet, dont l'apparition re-
monte au 3 mars 1873. Deux jours après, vendredi, le même théâtre don-
nait la 914'= représentation de Mignon, le chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas.
LE MENESTREL
343
Voilà deux chiffres qui dispensent les chroniqueurs de toute espèce de
commentaires.
— Pour la reprise du joli petit chef-d'œuvre de Molière, le Sicilien ou
l'Amour peintre, qu'on médite à la Comédie-Française, M. J. Glaretie a
demandé à M. Saint-Saëns de bien vouloir arranger la musique que
Lully composa naguère pour cet ouvrage. M. Saint-Saëns a naturelle-
ment accepté. Si, d'un autre côté, M™" Fonta, comme nous croyons le savoir,
est chargée de restituer les entrées et les pas des Maures et des Esclaves
— tels que les dansaient Louis XIV et mademoiselle de La Vallière en
personne — nous aurons là une curieuoe et artistisque restitution d'une
comédie-ballet du temps passé.
— L'un des critiques les plus autorisés de province, M. L. Ménard,
vient de publier sous ce titre : Marseille musical, une brochure courte, mais
substantielle, sur l'état actuel de la musique dans la grande cité phocéenne,
qui s'est toujours distinguée par son amour de l'art. M. Ménard nous
apprend que le Conservatoire « municipal » de Marseille, dans lequel se
délivre un enseignement aussi complet et étendu que possible, est aujour-
d'hui dans un état florissant, en dépit des vicissitudes par lesquelles il a
passé pendant plusieurs années. Il reçoit de la ville une subvention an-
nuelle de 41,500 francs, ce qui est assurément remarquable. Le Grand-
Théâtre, dont l'existence remonte à l'année 1787, et qui est uniquement
consacré au genre lyrique, reçoit, de son côté, une subvention de 210,000 fr.,
que divers avantages élèvent au chiffre de 287,300 francs. A côté de lui, le
Gymnase, destiné au drame et à la comédie, reçoit un encouragement de
2,000 francs par mois. Un troisième théâtre, celui des Variétés, cultive
uniquement le genre de l'opérette, lequel n'a certainement pas besoin
d'être encouragé. En dehors des théâtres, l'institution la plus intéressante
est l'Association artistique, dont les grands concerts symphoniques, diri-
gés par M. Jules Lecoq, un artiste de talent, obtiennent toutle succès qu'ils
méritent. Enfin, cette petite statistique musicale de la ville de Marseille
se termine par l'énumération des sociétés orphéoniques autorisées dans la
commune, et qui ne sont pas moins de 69, dont 21 sociétés chorales
et 48 fanfares ou harmonies. La notice de M. L. Ménard, brève et
intéressante, est extraite du « volume offert par la ville de Marseille
au XX' congrès de l'Association française pour l'avancement des
sciences. »
— Concerts du Chatelet. — Très brillante réouverture, avec un pro-
gramme vraiment éclectique. Pleine de chaleur et d'entrain a été l'exé-
cution de la première symphonie de Beethoven, dans laquelle le maître
semble avoir voulu rattacher ses traditions à celles d'Haydn, de Mozart et
même de quelques musiciens français qui lui ont fourni une ou deux
formules. M. Colonne a lancé le finale dans un mouvement vertigineux,
faisant apprécier ainsi la solidité de son orchestre et la verve entraînante
avec laquelle il sait le conduire. Les fragments symphoniques d'Esclarmonde
renferment des morceaux d'un rythme original et d'une gracieuseté naïve,
mais se distinguent surtout par l'éblouissante richesse du coloris orchestral,
qui donne à l'ensemble une expression intense, presque incisive. La
Pastorale, d'une teinte exceptionnellement douce, d'une extrême simplicité,
d'une exécution irréprochable, a été l'objet d'une prédilection toute parti-
culière. M"= Berihe de Montalant a chanté avec une voix juste, bien posée
et toujours pleine de charme dans ses inflexions, un air d'Etienne Marcel,
la jolie viUanelle de Berlioz (hissée) et l'Ksclave, mélodie de M. E. Lalo,
d'un caractère simple, d'une forme musicale très pure et d'une mélancolie
pénétrante. Les fragments connus des Maîtres Chanteurs ont été rendus par
l'orchestre tantôt avec une vivacité charmante, tantôt avec ampleur, selon
les exigences de détail d'une mise en scène qu'il est nécessaire d'avoir
présente à l'esprit, même au concert, car, au point de vue strict de
l'architecture musicale, ces fragments ne constituent pas un tout homogène.
La Marche slave de M. Tschaïkowsky semble écrite uniquement en vue
d'obtenir de l'effet par des moyens vulgaires. Les formules d'accompa-
gnement connues et banales s'y succèdent les unes après les autres et
reviennent dans le même ordre ; pourtant, un assez joli thème, avec un
dessin de fanfare superposé, est intéressant à suivre. Vers la fin, le com-
positeur jette au milieu de ses harmonies des notes suraiguës qui pro-
duisent une impression inattendue, mais peu agréable.
A.MliDÉE BOUTAREL.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châlelet, concert Colonne. — Deuxième symphonie, en ré (Beethoven) ; ta Nuit
et l'Amour, fragment symphonique de Ludus pro Patria (Augusta Holmes) ; les
Deux Ménétriers (César Gui), chantés par M. Auguez ; Africa, fantaisie poui- or-
chestre et piano (Saint-Saëns), par M"° Roger-Miclos ; fragments de Loheni-rin
(Wagner); Myrlo (Léo Delibes), chanté par M"" Berthe de Montalant; Marche
slave (Tchaïkowsky).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux. — Ouverture de Ruy Blas
(Mendelssohn) ; deuxième symphonie, en ré majeur (Beethoven); la Jeunesse d'Her-
cule (Saint-Saëns); ouverture d'Hermann et Dorothée (Schumann); le Venusberg ei
la Marche de Tannhiiuser (R. Wagner).
— M. et M""= Escalaïs-Lureau quittent décidément l'Opéra. Les deux
excellents artistes vont entreprendre en province une tournée qui com-
mencera par Lyon, où ils sont engagés au Grand-Théâtre pour deux mois.
Ils chanteront les différents ouvrages de leur répertoire : Guillaume Tell,
les Huguenots, la Juive, Robert le Diable, Sigard, Roméo et Juliette, Faust, Hamlet,
RigokUo. Après Lyon, M. et M"": Escalaïs poursuivront leur route à travers
les départements et donneront soit des concerts, soit des représentationsi
Nous leur souhaitons bon succès et surtout prompt retour.
Un compositeur bien connu, M. Salvayre, a été, ces jours derniers,
victime d'une méprise aussi désagréable que singulière. M. Lafforgue,
restaurateur à Toulouse, avait été volé en 1890 par deux Espagnols, ses
pensionnaires, qui, après avoir fait leur coup, s'étaient enfuis en Espagne.
Le tribunal correctionnel de Toulouse les avait condamnés par défaut à
dix-huit mois de prison. Ces jours derniers, M. Lafforgue rencontra en
ville un monsieur correctement vêtu, décoré de la Légion d'honneur, et
crut reconnaître en lui l'un de ses deux escrocs. Il en fit part à la police
de sûreté, qui rechercha le monsieur et finit par l'aborder un jour, au
moment où il sortait de chez lui. Légèrement interloqué, celui-ci déclina
ses nom et qualités, au grand étonnement des agents, qui se confondirent
en excuses. Le monsieur si légèrement pris pour l'un des voleurs de
M. Lafforgue n'était autre que M. Salvayre.
— La direction de l'école Niedermeyer vient de s'attacher comme pro-
fesseur de piano M. I. Philipp, le brillant virtuose dont les remarquables
ouvrages d'enseignement sont appréciés à si juste titre.
— Parmi les œuvres nouvelles que l'Association artistique d'Angers,
qui a donné dimanche dernier son premier concert, se propose de faire
entendre au cours de la saison, on signale une symphonie de M. Savard,
l'un de nos prix de Rome de ces dernières années. A propos de l'Asso-
ciation artistique, nous signalons avec plaisir la réapparition, comme
chaque hiver, du journal Angers-Artiste, qui est l'excellent et vigoureux
organe du mouvement musical en cette ville. Si nous ne sommes pas tou-
jours d'accord, en matière de principes, avec notre intéressant confrère,
nous ne saurions méconnaître les excellents services qu'il rend à l'art
musical et sa façon élevée de traiter les grandes questions artistiques.
— La rentrée de l'école d'orgue, d'improvisation et de plain-chant, fondée
en 188o par M. Eugène Gigout, s'est faite le 3 octobre dernier. Un des
élèves de cette école, M. Pierre Kunc, vient de recevoir sa nomination de
maître de chapelle de la cathédrale de Versailles. Ce jeune artiste est le
fils aîné du sympathique directeur de la Musica sacra de Toulouse. Il succède
à M. Planchet, nommé au grand orgue de la même église. M. Planchet,
lui-même ancien élève de M. Gigout à lÉcole de musique r.-ligieuse, est
l'auteur d'une des deux partitions que le jury du dernier concours de la
Ville de Paris avait réservées.
— On a beaucoup remarqué, aux deux derniers concerts de l'Exposition
d'horticulture au Champ-de-Mars. les morceaux de piano à quaire mains
de A. Trojelli ; la Marche des Étudiants, les transcriptions de la Parade
militaire de Massenet, de l'Avant-Garde de Gralf, et de la Farandole de Théo-
dore Dubois.
NÉCROLOGIE
Cette semaine est mort, des suites d'une congestion pulmonaire,
M. Marins BouUard, ancien chef d'orchestre des Variétés et compositeur de
musique non sans talent. C'est lui qui avait composé, entre autres choses,
la musique des opérettes Niniche et la Roussette, sans compter bien des
chansons devenues populaires et même des mélodies fort distinguées.
— A Parme, le 1'='' octobre, est mort un artiste fort distingué, le vio-
loniste et chef d'orchestre Giulio Cesare F^errarini, qui était né à Bologne
le 2 mars 1802. Il avait été élève, au lycée musical de Bologne, du grand
violoniste Antonio RoUa, et, dès l'âge de dix-neuf ans, il se fit connaître
comme chef d'orchestre, non seulement en Italie, mais à Corfou,où il resta
sept ans et où il étudia l'harmonie et le contrep.oint avec un musicien grec
nommé Nicolas Calichiopula Manzaro. De retour en Italie, il fut successi-
vement chef d'orchestre à Ferrare, Rome, Florence, Turin, Gênes, Venise,
etc., puis se fixa à Parme, où il devint professeur de violon au Conserva-
toire, en même temps qu'il dirigeait l'orchestre du Théâtre Royal.
— A Spilimbergo (province d'Udine), où il était né, est mort, à l'âge de
soixante-dix ans, le chef d'orchestre et compositeur Luigi Pittana, qui
était aussi un violoniste distingué. Il était l'auteur d'un opéra intitulé la
Befana (la Poupée), d'une opérette : Don Pirlone, et de diverses autres
compositions.
— Un compositeur danois, Joseph Glaeser, fils d'un ancien chef d'or-
chestre du théâtre de Copenhague, est mort en cette ville le !<"' octobre.
Né à Berlin en 1833, il avait composé de nombreux lieder et romances qui
avaient popularisé son nom dans tous les pays Scandinaves.
— De Stockholm on annonce la mort, à la date du 6 octobre, d'un
chanteur distingué, le ténor L. Labatt, qui, après s'être fait connaître
avantageusement au théâtre royal de Dresde, avait appartenu durant
quatorze années à l'Opéra impérial de Vienne, où il chantait à la fois
l'opéra et l'opéra-comique. Il avait débuté à ce dernier théâtre le 7 juillet
186v) dans le rôle de Vasco de l'Africaine, et s'était retiré le 22 mai 1883,
après avoir chanté celui de "VValther de Stolzing des Maîtres Chanteurs de
Nuremberg.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Mlles ORTH et TRITANT ouvriront, à partir du 1" novembre prochain,
un cours de piano et de solfège dans les salons Gaveau, 8, boulevard
Montmartre. Tous les mois, audition des élèves présidée par M. Paul
Rougnon, professeur au Conservatoire de musique.
3/i4
LE MÉNESTREL
E.N vExrt- AI MÈXESTKEl, 2 bis, uui; Vivikn.ne. HEUGEL et C'", KiiniîURS-i'uoPWÉTAUiEs
CONCERTS DU CIIA.TELET
PUEMIKKE ACDITIOS LE DIMANClIlî 23 OCTODRE 1891
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Prix, arec accompagnement île piano : 5 francs.
Partition d'orchestre, net: 5 francs. — Parties séparées, net: 10 francs.
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Op. 44. — Vingt foémes de Jean RICHEPIN
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Paris, au MENESTREL, 2*". rue Viricnne, HEUGEL et C" , éditeurs-propriétaires.
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MORCEAUX DE CHANT DÉTACHÉS
Arrivée de Manon. Je suis encore tout étourdie (S.) 6 »
Conseils de Lescaut. Regardez-moi bien dans les yeux (B.). ... 6 »
Regrets de Manon. ^'olJons, Manon, plus de chimères (S.) 6 »
Duo de la rencontre. El je sais mire nom. — On m'appelle Manon (S.T.) 9 »
Duo de la lettre. On l'appelle Manon, elle eut hier seize ans (S. T.) 7 bO
Adieux de Manon, .idieu. notre petite table (S.) g »
Le rêve de Des Grieux. En fermant les yeux, je vois là-bas (T.). . S »
Duo de la promenade. La charmante promenade (M. -S. S.) . . . . (i »
17. Gavotte. Obéissons quand leur voix appelle (en fa
La même, transposée en sol
N"s 9. A quoi bon l'économie (B.)
10. Manon au Cours la Reine. Je marche sur tous tes chemins (S.). .
11. Duo. Epouse quelque bravi: fille [T. B.)
12. Ah! fuyez, douce image (T.)
13. Duo du séminaire. Pard'inncs-moi, Dieu de toute-puissance (S. T.
1.4. Scène (le la séduction. N'est-ce plus ma 7nain (S.)
Ib. Trio du jeu. Manon. Spliinx étonnant (S. T. B.)
16. A nous les amours et les roses (S.)
.... b »
Prix.
6 y.
7 bO
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A DEUX MAINS
BATTMANN (J.-L.
BULL (G.). . .
CRAMER (A.). .
DAM ARE. . . .
LAMOTHE (G.) .
MASSENET(J.}.
Les Succès modernes. N" 7 (facile) b
Xouvelles Silhouettes. N" 2(i ( d" ) b
Premier Bouquet de mélodies 7
Deuxième Bouquet de mélodies 7
Polka b
Suite de valses 5
Ballet du Roy 7
Entr'acte du deuxième acte .J.
Entr' acte-Chanson b
MASSENET(J.). . Gavotte
— . . Menuet
MEUSTEDT (Ch.) . Fantaisie-Transcript'ion
TA VAN (E.) . . . Pages enfantines. N° 1 . Menuet . . . .
— ... — N" 16. Air de Manon.
TROJELLI (A. ) . . Les Miniatures. N» 81. Menuet . . . .
— . . — N" 86. Gavotte . . . .
VIDAL (Paul) . . Entracte-Chanson, improvisation. . . .
— . . Scène de la séduction
BULL (G.).
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A QUATRE MAINS
.... 6 .) I MASSENET (J.j. . Bail, l du Roy
Nouvelles Silhouelles. ?\" iii
MASSENET (J.)
FANTAISIES ET TRANSCRIPTIONS POUR INSTRUMENTS DIVERS
DAMARE. . . .
GUILBAUT (E.J.
AUVRAÏ (G.)
DAMARÉ . .
Fantaisie facile, pour flute et piano 7 .30
Fantaisie pour violon seul 6 »
Fantaisie pour flute seule 6 »
Fantaisie pour cornet seul 6 »
MASSENET (J.). . Menuet pour violon et piano
HERMAN (Ad.) . . Les Soirées du Jeune Violoniste. N" -27, pour violon et
PIANO
— . . Les Soirées du Jeune Flûtiste. N" 27, pour flute et
PIANO
7 50
9 »
b »
7 .bO
Prix.
6 »
6 »
6 »
i m
-2 bO
3 »
3 »
b »
b »
Prix.
9 »
9 »
FANTAISIES ET TRANSCRIPTIONS POUR ORCHESTRE
Fantaisie. Parties d'orchestre b »
— Piano conducteur i »
Polka. Parties d'orchestre 1 ,.
— Chaque partie supplémentaire » 20
MASSENET (J.)
Gavotte. Partition et parties séparées. .
— Chaque partie supplémentaire.
Menuet. Partition et parties séparées .
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FANTAISIE POUR MUSIQUE D'HARMONIE
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Pour Li location de la granJe partition cl des parties d'ordicslre de Manon, s'adresser â M.V. HEUGEL cl 0\ ^'"s, rue Vi
cals éditeurs proprlcta
Dimanche l" Novembre 1891.
3162 - 57- AME - r U. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser PRAhxo à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Cn an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., l'aris et Province. — Pour l'iîtranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (32' article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale; A propos du centenaire de Meyerbeer,
Arthur Podgin ; première représentation de h Coq, aux Menus-Plaisirs, P.wl-
ÉuiLE Chevalier. — III. Histoire anecdotique du Conservatoire (13" article),
André Martinet. — IV. Nouvelles diverses, ctncerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
BEAUX YEUX QUE J'AIME
nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Th. Maquet. — Suivra immé-
diatement: Regarde-toi! nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de E.-J.
Catelain.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Par les bois, scherzo d'ANxONiN Marmontel. — Suivra immédia-
tement : Sur le pont d'Avignon, fantaisie nouvelle de Paul Wachs.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIJBS et Charles M:A.L.HEIIBB
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V
l'héritage nv théâtre-lyrique. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette.
-1871-1874
(Suite.)
En 1872, les directeurs déployèrent autant, sinon plus
d'activité qu'en 1871, et les résultats linanciers répondirent
à leurs efforts, car, en dépit d'une fermeture de deux mois,
pendant juillet et août, on encaissa 1,229,SM francs. Le
répertoire était reconstitué ; il ne s'agissait plus que de
l'enrichir et de le renouveler un peu ; c'est ainsi que le début
de l'année fut marqué par la représentation de deux ouvrages
aussi différents par leur mérite que par leur forlune: l'un,
pièce inédite, Fantasio, d'Olîenbach ; l'autre, pièce ancienne,
mais nouvelle à la salle Favart, les Noces de Figaro.
Pour Fantasio, l'entreprise était téméraire, et d'avance on
pouvait craindre qu'un tel sujet ne fiit ni compris ni goûté.
Tout le monde connaît ou doit connaître les courses vaga-
bondes du prince de Mantoue avec l'étudiant fantasio, et
l'humoristique imbroglio qu'en a tiré Alfred de Musset. Dans
cet ouvrage plein de saillies curieuses et de raffinements
délicieux, le poète a dépensé une bonne part de sa verve et
de son esprit; c'est un régal exquis pour le lettré qui, livre
en mains, jouit du « spectacle dans un fauteuil ». Mais la
scène grossit les personnages en les simplifiant ; elle exige
une logique assez précise dans l'action, une marche régulière
souvent convenue, qui s'accommodentmal avec l'excès d'origi-
nalité. Fantasio avait traversé la Comédie-Française, sans succès ;
Ofïenbach semblait bien hardi de lui vouloir faire un sort à
rOpéra-Comique. Il est vrai qu'on avait eu recours au talent
d'Alexandre Dumas pour retoucher un peu le livret dont
Alfred de Musset était désigné sur l'affiche comme seul au-
teur. Enfin, l'on « passa » le 18 janvier, près de deux ans
après avoir répété pour la première fois ! car on s'occupait
de l'ouvrage au printemps de 1870 et les personnages étaient
alors distribués ainsi: Gapoul (Fantasio), Gouderc(le Prince),
Potel(Marinoni), Gailhard (Spark), M"« Dalti (Elsbeth), Moisset
(le Page). Cette dernière et Potel avaient seuls gardé leur
rôle, celui de Capoul était passé à M"^ Galli-Marié, celui de
Couderc à Ismaël, celui de Gailhard à Melchissédec, celui de
M'"= Dalti à M"'= Priola. Sauf le premier acte, la partition ne
présentait qu'une suite de couplets, d'tine assez faible inspira-
tion, et l'on dut s'arrêter avec la dixième représentation.
Pour faire oublier cette mésaventure, les directeurs remon-
tèrent Fra Diavolo, le 7 février, avec Lhérie dans le rôle prin-
cipal, M"'^ Reine dans celui de Milady, et, comme Zerline,
jjmepfelly, à la vlUe, M™'' de Presles, une jeune femme du monde
qui, lorsqu'elle s'appelait M'"'^ de Pomayrac, avait compté
parmi les beautés du second Empire. Elle avait dû paraître
dans le Premier Jour dehonheur avec le ténor Leroy, qui serait
rentré pour être son partenaire, lorsqu'on s'aperçut que le
rôle dépassait les limites de sa voix, et la Djelma se trans-
forma en Zerline, rôle moins difficile, où la beauté devenait,
particulièrement au second acte, une chance de succès. Pour-
tant, son séjour à l'Opéra-Gomique fut de courte durée; au
mois d'octobre, elle résilia, et, après avoir eu l'honneur comme
nous allons le voir, de créer la Djamileh de Bizet, elle alla,
triste déchéance, jouer aux Bouffes la Timbale d'argent! Plus-
tard on l'a revue, belle encore, aux Folies-Dramatiques, jus-
qu'au jour où, veuve et quittant la scène, elle épousa en
seconde noces M. Détaille, le père du célèbre peintre, et
connut ainsi, dans l'ombre du ménage, le calme après la
tempête, les jours heureux après les années d'adversité.
Plus que fra Diavolo 3.wec M»-" Prelly, les Noces de Figaro avec
M'"'^ Miolan-Carvalho marquent une date dans l'histoire de la
seconde salle Favart ; non point que le succès de la représen-
tation du 24 février ait été, éclatant, ou du moins aussi pro-
ductif qu'il devait l'être quelques années plus tard, mais
parce que, pour la première fois, le nom de Mozart apparaît
346
LE MENESTREL
sur une affiche de ce théâtre. Le chef-d'œuvre de Mozart
manquait à notre seconde scène lyrique, alors qu'on l'avait
joué à la place du Chàtelet, à la place Ventadour, et même
à l'Opéra, la première fois qu'il avaitété importé d'Allemagne,
en pleine Terreur, le 20 mars \19'd. Ajoutons que peu d'ou-
vrages ont subi plus que celui-là les tortures des transforma-
tions partielles. Du vivant même de l'auteur, on intervertissait
l'ordre des airs, on ajoutait des ûoritures sans nécessité, on
donnait à chanter à l'un ce qui revenait à l'autre, et Mozart
prêtait la main à ces modifications, poussant la complaisance
jusqu'à composer des morceaux supplémentaires quand les
directeurs et les artistes le demandaient. Profitant de cette
latitude et s'autorisant de cette tradition sans doute, les
théâtres admettent, chacun suivant les ressources dont il
dispose, bien des altérations regrettables, et l'on peut dire que
si la partition était exécutée conformément au manuscrit
original, aujourd'hui propriété de M. N. Simrock, à Bonn, elle
étonnerait bien des gens.
Bien que les rôles ne fussent pas tenus en 1872, à la salle
Favart, comme ils l'avaient été en 1858 au Théâtre- Lyrique,
du moins l'ensemble demeurait presque satisfaisant. M^Miolan-
Garvalho se retrouvait, comme quatorze ans auparavant, un
Chérubin adoré du public et digne de l'être; M"« Gico repré-
sentait une Suzanne un peu froide; M"''^ Ducasse disait bien
ses couplets de Barberine, et Nathan trouvait plus simple de
passer l'air de Bartholo. Ce soir-là, deux nouveaux venus
furent applaudis qu'on avait applaudis ailleurs, et qui d'ail-
leurs n'ont jamais réussi à se fixer nulle part: Bouhy, un
Figaro manquant d'entrain, mais bon chanteur; M"'^ Marie
Battu, une comtesse bonne chanteuse aussi, mais gênée dans
le dialogue parlé, un soprano qui avait conquis sa réputation
aux Italiens et à l'Opéra. Le 17 octobre suivant, M''''^^ Ghapuy
et Ganetti, deux recrues nouvelles, remplaçaient M'"^ Gico et
Battu, et l'ouvrage, ainsi, poursuivait sa carrièie assez brillante,
comme en témoigne le tableau suivant :
1872 — 34 représentations.
1882 — 34 représentations.
1873 — 1 —
1883 — 23 —
1874 — 13 —
1886 — 5 —
Soit, en tout, 130 représentations, chiffre élevé si l'on songe
aux difficultés de distribution dont cet ouvrage est l'objet,
car les rôles de jeunes y sont nombreux et tous exigent des
premiers sujets : de là sa rareté à Paris, et, l'on peut dire,
son oubli complet en province. Seule, l'Allemagne a gardé,
comme il convenait, ce trésor musical, et l'a toujours main-
tenu au répertoire, même de ses petites villes.
Rendant compte de cette soirée du 24 février 1872, un cri-
tique autorisé terminait son article en demandant que l'Opéra-
Gomique laissât * à d'autres scènes les partitions étrangères
pour consacrer ses laborieux eS'orts à l'étude d'ouvrages
nouveaux. Ouvrez la porte à deux battants, messieurs les
directeurs, et appelez à vous les jeunes auteurs! » Les direc-
teurs ne demandaient pas mieux, puisqu'en cette même année
1872, ils montèrent, outre Fantasio déjà nommé, le Passant,
Djamikh, la Princesse jaune et Don César de Bazan; et ce n'était
pas leur faute, après tout, si ces quatre pièces ne valaient pas
encore celles que chacun des « jeunes auteurs » devait écrire
un peu plus tard. Pairie, Carmen, Henry Vlll et le Roi de Lahore.
Pour le Passant surtout, l'épreuve fut lamentable. On avait,
pour la première représentation, choisi le 24 avril, jour oii se
donnait une représentation au bénéfice de GhoUet. En l'hon-
neur du vieil artiste, Roger revenait chanter la Dame blanche;
la Comédie-Française jouait un Caprice, le Gymnase, la Cravate
blanche de Gondinet; Monlaubry, Ismaël, M""='^ Rosine Bloch et
Judic, le violoncelliste Sighicelli et le pianiste Th. Ritter se
faisaient entendre dans divers intermèdes, et apportaient leur
concours amical au créateur de Zampa, qui, malgré son âge,
reparut sur la scène qu'il avait illustrée, et, avec M""" Ducasse,
joua plus qu'il ne rechanta le Maître de chapelle. La soirée, qui
produisit une recette de 13,119 francs, n'était pas heureuse-
ment choisie pour lancer une œuvre nouvelle, mais ce petit
acte était signé de deux noms sympathiques : le Passant avait
fait, à l'Odéon, la réputation de M. Coppée, et, depuis qu'il avait
écrit Mandolinaia, tout le monde connaissait le nom de M. Pala-
dilhe. En outre, les jolis vers, le cadre gracieux où résonnent
doucement des paroles d'amour, le talent de M""= Galli-Marié
et de M"'= Priola, auxquelles étaient confiés les rôles du page
et de la courtisane, tout semblait présager un succès ; au
bout de trois représentations le Passant avait passé! Et, lors-
qu'on rolit les jugements portés alors par ia presse, on ne peut
s'empêcher de sourire en voyant, à propos de M Paladilhe,
jurgir la critique qui attend désormais toute œuvre nouvelle,
en entendant accuser de wagnérisme des auteurs et des ou-
vrages qui sont si peu wagnériens 1 «Presque tous nos jeunes
musiciens, écrivait Paul Bernard, ambitionnent le baiser de
la muse germanique moderne, et cette muse-là me semble
bien peu fille d'Apollon et beaucoup trop parente de
MM. Wagner et consorts. Il en résulte ce que j'appellera
l'école du Labyrinthe musical, n .aujourd'hui, nous nous de-
mandons quels étaient ces « consorts », mais le critique ne
s'arrêtait pas pour nous l'expliquer, et préférait offrir à sa
victime une gerbe de conseils (gerbe est le mot, car ces con-
seils sont tout enguirlandés de fleurs... de rhétorique) et
naïvement il s'écriait. « Pourquoi briser la pensée dans son
germe plutôt que de la laisser s'élancer, fleurir et fructifier?'
etc., etc. »
Les mêmes questions se posèrent le 22 mai, à propos de
Djamikh, et le compositeur était représenté comme « voulant
étonner le public plutôt que passer inaperçu, se posant en
novateur et rêvant dans son sommeil fiévreux d'arracher
quelques rayons à la couronne du prophète Richard Wagner.
M. Georges Bizet s'est lancé à corps perdu dans ce Maelstrom
sonore (?I), au risque d'y laisser ses ailes de néophyte et
surtout les oreilles de ses auditeurs. » Et, pour appuyer son
dire, le même chroniqueur signalait à l'indignation du lecteur
les mesures 11 et 12 delà page 20, et beaucoup d'autres du
même genre, qui lui paraissaient, « bien qu'il eût, dit-il, pro-
gressé dans l'art d'écouter des dissonances et de manger du
piment sans sourciller, » l'abomination de la désolation. M. Louis
Gallet a raconté ici-même, dans ses Notes d'un librettiste,
l'histoire de cet acte, par lequel il débutait, ainsi que Bizet,
sur la scène de l'Opéra-Gomique. Par lui, nous savons que
la pièce, appelée alors iVfwwouna, avait été primitivement confiée
à M. Duprato et qu'on la lui avait retirée parce que le pares-
seux ne se décidait pas à terminer sa partition. Mais ce
que M. Louis Gallet ne pouvait pas dire, c'est que ce
premier essai, malgré quelques gaucheries, laissait deviner
un librettiste habile, ayant des qualités lyriques, promettant
d'être enfin ce qu'il a été depuis, l'un des plus précieux col-
laborateurs pour les musiciens dramatiques de notre temps.
Défendu par une jolie femme. M'"- Prelly, et par un solide ténor,
Duchesne, Djamileh, malgré des qualités qui aujourd'hui nous
apparaissent incontestables, ne vécut pourtant que onze
soirées.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
A PROPOS DU CENTENAIRE DE MEYERBEER
Notre Opéra, toujours en retard avec l'accomplissement de ses-
devoirs, depuis qu'il jouit de l'excellenle direction que vous savez
et qui fort heureusement touche à sa fin, va se décider enfin à
célébrer le centième anniversaire de la naissance de Mc^'erbeer,
alors que tous les grands théâtres d'Europe l'auront devancé dans
cet hommage, qu'il eût dû èlre le premier à rendre à l'illustre maître
dont il a eu le premier l'honneur et la gloire de représenter les
chefs-d'œuvre. Puisque aussi bien nos habiles administrateurs se
sont dit que quelques semaines de plus ou de moins ne font rieu à
l'affaire, je ne serai pas en relard moi-même pour consigner ici
quelques souvenirs relatifs au grand homme.
Est-on d'ailleurs fixé d'une manière absolue sur la date précise
LE MENESTREL
347
de sa naissance? Meyerbeer, on le sait aujourd'hui, avait la coquet-
terie de se rajeunir. C'est lui-même qui avait fourni à Fétis, pour
sa Biographie universelle des musiciens, la date du S septembre 1794,
enregistrée par celui-ci. Mais le jour même de sa mort (2 mai 1864),
■on écrivait de Berlin à la Revue et Gazette musicale: « ... D'après
les registres de la commune Israélite, le célèbre compositeur est né
le 23 septembre 1791, et non en 1794, comme l'annoncent la plupart
des biographes du maître. » Je consignai moi-même cette nouvelle
■date, il y a quelques années, dans mon Supplément à l'ouvrage de
Félis, mais depuis lors, on semble en avoir adopté définitivement
une troisième, celle du S septembre 1791. « Par les registres Israé-
lites authentiques, disait à ce sujet un journal (les premiers ne
l'étaient donc pas?), il est prouvé que Meyerbeer est né le 6 ellul oSSl,
qui correspond au .'J septembre 1791. » Mon inexpérience est trop
grande, je l'avoue, en ce qui touche la concordance du calendrier
Israélite avec le calendrier grégorien, pour que je puisse confirmer
ou infirmer cette assertion. Je constate seulement qu'en Allemagne
on s'est arrêté à la date du S septembre, ce qui me donne lieu de
croire que c'est bien la vraie.
Puisque l'Opéra laissait passer cette date et retardait de plusieurs
semaines l'hommage qu'il destinait au maître, il aurait dû choisir au
moins non le 14, mais le 21 novembre pour cette solennité, cette
dernière dale étant le soixantième anniversaire de la première repré-
sentai ion de Bobert le Diable, dont l'apparition remonte au 21 no-
vembre 1831. Quand on est si près d'une mesure intelligente, on ne
la devrait point manquer. Il y aura soixante ans, en effet, le 21 de
ce mois, que Robert parut sur noire grande scène lyrique, avec ce
quatuor d'admirables interprètes : Nourrit, Levasseur, M"" Dorus,
M"" Damoreau. auxquels il n'est que juste de joindre le nom de
Marie Taglioni. De ces cinq artistes, nous ne voyons survivre aujour-
d'hui que M™° Dorus, depuis bien longtemps paisiblement retirée en
-Normandie.
11 est bien probable que si Robert le Diable avait conservé sa forme
première, il n'aurait pas obtenu le succès si retentissant et si pro-
longé qui tout d'abord rendit populaire le nom de Meyerbeer dans
les deux mondes. On sait, en effet, que l'ouvrage prit d'abord nais-
sance sous la forme d'un opéra-comique en trois actes, qui devait être
représenté au théâtre Feydeau (1), placé alors sous la direction du
fameux dramaturge Guilbert de Pixérécourt. Mais bien des erreurs
ont été répandues à ce sujet, qu'il est peut-être temps de rectifier à
l'aide de documents précis et inconnus, ce que je vais m'efforcer de
faire.
Il est à peu près de notoriété publique que Robert le Diable de-
vait être joué à l'Opéra-Comique par Ponchard (Robert), Huet
(Bertram), M""" Boulanger (Alice) et M"" Rigaud (Isabelle). Mais on
a dit, d'une part, que l'ouvrage avait été reçu à ce théâtre en 1829,
■de l'autre, que Meyerbeer, voyant l'ampleur qu'il avait donnée
à sa musique, avait compris qu'elle ne pouvait convenir à un tel
théâtre, et que c'est alors qu'il avait songé à transformer son opéra-
comique en un grand drame lyrique. Or, par quelques lettres de
Meyerbeer lui-même, on va voir ce qu'il en est.
Ces lettres sont adressées à Guilbert de Pixérécourt, et par la pre-
mière on verra qu'il était tout d'abord question à l'Opéra-Comique
d'une adaptation d'un opéra italien de Meyerbeer, J/or^'/iento d'Angik,
dont le sujet avait été précisément emprunté à un drame de Pixé-
récourt portant le même titre. Meyerbeer était alors à Paris :
Paris, 30 octobre 182b.
Mon cher et aimable ami,
Je me suis présenté dernièrement à votre théâtre p'' avoir l'honneur de
v^ voir, mais vous n'y étiez pas. Je voulais vous dire que je dois dîner
aujourd'hui avec ma femme chez Madame la comtesse de Bruce, à sa
campagne à Aulnay, et vous demander si vous y alliez aussi. Dans ce
cas, je serais bien heureux si v^ vouliez me faii-e l'honneur d'accepter
une place dans ma voiture. La route me paraîtrait de moitié raccourcie,
si je la faisais dans votre aimable compagnie; chemin faisant, nous nous
occuperions de notre Marguerite d'Anjou. Veuillez me faire dire si vous
acceptez, et dans ce cas, j'aurai l'honneur de venir v' prendre à trois
heures et demie.
Agréez l'assurance des sentiments distingués de votre très humble et
très dévoué serviteur.
Jacques Meyerbeer.
La combinaison de Marguerite cT Anjou n'était pas destinée à réussir.
Mais vingt mois après, Meyerbeer était en possession du premier
poème de Robert le Diable, qu'il avait emporté à Berlin et dont la
(1) L'Opéra-Comique occupait alors la salle de la rue Feydeau, depuis longtemps
détruite.
musique était déjà bien avancée. C'est ce qui résulte de cette
seconde lettre, adressée justement de Berlin à Pixérécourt, et dans
laquelle le jeune maître prodigue à son correspondant les flatteries
et les cajoleries dont il était si prodigue envers qui pouvait lui
être utile peu ou prou :
Berlin, 20 juin 1827.
Mon cher et aimable directeur,
Je travaille sans relâche à notre Robert le Diable, et j'y suis bien avancé;
tout sera fait pour mon arrivée à Paris, au premier novembre, époque où
j'aurai l'honneur de me présenter à vous avec ma partition. Au reste, je
viens de lire dans vos journaux que vous préparez les Deux Nuits de
M. Boieldieu p' la fin de l'été, et je crains bien que cela ne recule de
plusieurs mois l'époque où vous comptiez donner Robert. Veuillez me dire
votre opinion là-dessus, non comme directeur, mais comme mon sincère
ami, tel que v!! v^ êtes toujours montré envers moi. Veuillez me dire aussi
si v^ avez déjà fini vos Natchez, et quand vous comptez les donner; tout ce
qui sort de votre plume m'intéresse prodigieusement, et je suis sûr que
j'en ferai un opéra p' l'Italie, quand v^ les aurez fait imprimer. Il y a
plus de quinze ans que je suis amoureux de vos drames ; ils ont été tous
traduits en Allemagne, en Italie, et mis en musique avec un succès
formidable. Y" ne sauriez v^ imaginer quelle immense réputation v^ avez
à l'étranger. J'ai eu l'honneur de vous le dire souvent, je n'ai jamais laissé
échapper une seule de vos pièces sans la lire, et j'en ai composé beau-
coup; elles sont toutes merveilleusement coupées p^ la musique.
Veuillez me rappeler au souvenir de Madame la comtesse de Bruce, et
de la jolie et spirituelle baronne de Jomini.
Agréez l'expression des sentiments les plus distingués de votre dévoué
serviteur.
Jacques Meyerbeer.
Cette lettre nous prouve suffisamment, par sa date que Robert était
reçu à l'Opéra-Comique bien avant 1829, par son contenu que Meyer-
beer n'était nullement effrayé de l'ampleur de sa partition, puisque
cello-ci était presque terminée et que pourtant il n'était nullement
question pour lui de transformer l'ouvrage en vue de l'Opéra.
Mais un événement allait se produire, qui allait tout mettre en
question et amener même Meyerbeer à interrompre un travail déjà
si avancé. Cet événement, c'était la retraite de Guilbert de Pixéré-
court, retraite inattendue, bien que depuis longtemps déjà cet ad-
ministrateur vécût en assez mauvaise intelligence avec les sociétaires
de l'Opéra-Comique. Le jour même, 20 juin 1827, où Meyerbeer lui
écrivait la lettre qu'on vient de lire, une sorte de petit scandale se
produisait à ce théâtre. M""" Ponchard, jouant dans Maison à vendre,
se voyait, j'ignore pour quelle raison, mal accueillie du public, et
quittait la scène sans finir la pièce. Le duc d'Aumont, représentant
l'autorité supérieure à l'Opéra-Comique, la condamnait pour ce fait
à n'y point reparaître pendant trois mois, ses appointements étant
suspendus le premier mois, réduits de moitié le second, et lui étant
rendus le troisième, mais .'ians feux. Là-dessus, révolte de la presque
totalité des sociétaires : Huet, Ponchard, Lafeuillade, Valère, ChoUet,
et M"»' Boulanger, Rigaud, Prévost et Jenny Colon, qui cessent de
jouer et adressent au roi un Mémoire demandant qu'on les réintègre
dans tous leurs droits, méconnus, disent-ils, par Pixérécourt. Celui-
ci répond par un contre-Mémoire dans lequel il rend compte de sa
gestion et publie le tableau des recettes et des dépenses. La guerre
se continua pendant deux mois, mais se termina enfin à l'avantage
des artistes, par la mise à la retraite de Pixérécourt, remplacé à la
tête du théâtre Feydeau par Bernard, ancien directeur de l'Odéon.
Meyerbeer, toujours à Berlin, semble singulièrement troublé par
ce fâcheux incident, qu'il apprend non seulement par les journaux
français, mais par une lettre de Pixérécourt. En effet, celle qu'on va
lire et qu'il adressait de nouveau à son ami, trahit une certaine in-
cohérence dans les idées et le montre quelque peu désarçonné :
Berlin, S septembre 1827.
Mon cher et aimable ami.
Je savais déjà par les gazettes françaises que vs aviez renoncé à la di-
rection du théâtre Feydeau. Vs auriez peine à v^^ imaginer quelle dou-
loureuse impression cette nouvelle m'a faite. Outre l'estime et l'admiration
que je vous professe, l'idée que vous prêteriez à la mise en scène de
Robert votre expérience théâtrale et le goût que vous possédez à un si haut
degré p' l'arrangement scénique, m'avait singulièrement encouragé à entre-
prendre ce travail. Jugez si j'ai été désappointé, quand j'ai vu qu'il fallait
renoncer à l'appui de votre amitié et de votre inimitable talent. Ce qui
m'a fait presque plus de peine encore, c'est de voir, par votre lettre, que
vous êtes tellement dégoûté des affaires directoriales dramatiques, que
vous n'en voulez plus rien savoir p^ la vie. Moi, je m'étais imaginé, au
contraire, que vous tâcheriez d'obtenir le privilège d'un second théâtre
lyrique, pf montrer au monde entier ce que vous sauriez faire d'un théâtre
d'opéra-comique que vous pourriez gouverner librement et sans entraves
aucunes. Au reste, si, p'' mon bonheur vous vouliez consentir à reprendre
348
LE MEi\ESÏllEL
le théâtre royal de l'Opéra-Gomique, vous n'auriez pas besoin de m'exciter
au travail; vous savez comme j'aime ce théâtre, et comme j'aime le
poème de Robert te Diable. V* devez connaître aussi les sentiments d'estime
et d'amitié que je vous professe, et qui me font doublement désirer de
travailler p'' le charmant théâtre que vous avez dirigé avec un si grand
succès; aussi, n'ai-je commencé aucun travail depuis que j'ai interrompu
celui de Robert, et je m'y remettrai de suite, dès que vous pourrez m'as-
surer que les voix p"' lesquelles je dois composer ma musique sont là p''
l'exécuter. Quant à votre proposition de vous envoyer les morceaux de
musique au fur et à mesure, p'' les faire étudier en attendant mon arrivée
à Paris, permettez-moi de vous rappeler que vous-même avez condamné
tout à fait cette manière, puisque vous m'avez raconté que vous vous êtes
opposé, dans les temps, à ce qu'on commençât les répétitions de la Dame
blanohe, quoiqu'il n'y manquât alors que six morceaux. Je partage là-
dessus entièrement votre opinion d'alors.
Ma femme vous remercie p'' l'aimable souvenir que vous avez bien
voulu lui garder : elle partage la haute estime et la sincère admiration
que je vous professe, et avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre tout
dévoué serviteur.
Jacques Meyerbeer.
On n'a jamais eu beaucoup de détails relatifs à la transformation
de Robert en grand opéra. Mais on n'en avait guère non plus jus-
qu'ici en ce qui concerne la l'orme première sous laquelle il avait
été conçu. Les lettres publiées ici ne sont pas sans intérêt sous ce
rapport, puisqu'elles nous montrent bien que Meyerbeer avait complè-
tement adopté cette forme, et qu'il ne songeait nullement à la modi-
fier. C'est la retraite seule do Guilbert de Pixérécourt et les incidents
qui la suivirent qui firent naître évidemment chez les auteurs l'idée
d'une transformation. Mais il parait bien certain que sans cet événe-
ment, c'est bien à l'Opéra-Comique que l'ouvrage aurait été joué.
Qui peut dire ce qu'il en serait résulté, si sa fortune eût été aussi
considérable, et si la carrière même de Meyerbeer ne s'en fût pas
ressentie ?
Arthur Pougin.
Menos-Plaisirs. — Le Coq, opérette en trois actes de MM. Paul Ferrier et
Ernest Depré, musique de Victor Roger.
Ce coq n'est point, comme on pourrait se l'imaginer de prime-
abord, un inoffensif volatile de basse-cour. Eu l'espèce, c'est un
garçon de café, Isidore Pavillon, chargé par un vieil oacle assez
ricbe, Valmajour, de venger l'honneur de la famille outragé par
un sien ami, Bouquillard. L'histoire remonte à la plus haute
antiquité. Sous un Philippe le Bel quelconque, une Valmajour a été
détournée de ses devoirs par un Bouquillard et, depuis cette époque
reculée, à chaque génération nouvelle, les deux familles s'ingénieot
à se tromper mutuellement. Jusqu'alors, les choses se sont passées
avec une ponctualité parfaite, la peine du ta'ion ayant été appliquée
très régulièrement. Mais voilà que, maintenant, Valmajour. le dernier
attaqué, ne peut plus se défendre; c'est donc Isidore qui sera
chargé de le suppléer. M°"= Bouquillard est charmante et le drôle
s'emballe de belle façon, lorsqu'il est rappelé à la raison par sa
gentille fiancée, Thérésette, assez à temps pour que rien ne se soit
passé contre la morale et assez adroitement aussi pour que Val-
majour renonce à sa vengeance.
Le vaudeville de MM. Ferrier et Depré, d'une donnée assez raide,
dont j'ai pris soin de ne vous donner qu'un très vague aperçu et
dont j'ai omis tous les détails avec préméditation, contient plusieurs
scènes d'une invention cocasse. Les auteurs ont trouvé en M. Hu-
guenel un interprète qui a très adroitement défendu leur cause et
les a fortement aidés à tjagner la partie engagée. M"" Auguez,
transfuge de l'Opéra-Comique et faisant une seconde incursion dans
le domaine de l'opérette, reste une fort jolie femme doublée d'une
excellente musicienne; il est malheureux qu'il lui manque le « chien »
qui fait les étoiles d'opéretle et aussi lanetteté de la prononciation.
M"' Méaly, à l'inverse de sa camarade, avec une voix assez fausse
s'est néanmoins fait applaudir précisément parce que le public ne
perd pas une de ses paroles. MM. Perrin, Saint-Léon, Vandenne et
Mme Legrand ne sont pas déplaisants.
M. Victor Roger a composé pour le Coq une gentille partition-
nette qui contient plusieurs loniances aimables et bien venues, un
joli duetlo, deux finales très gais, dont l'un semble bien proche
parent de celui écrit dans Adam et Eve par M. Serpette : « Auguste,
Auguste, ce n'est pas juste », et un entr'acte symphonique avec
une phrase très chantante de violon. M. Lagoanère a conduit cette
musique légère et distinguée avec légèreté et distinction , faisant
répéter avec une satisfaction légitime les couplets applaudis par
une salle très bien disposée.
Paul-É.'hile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
CHAPITRE VI
LOUIS-PHILIPPE ET LA Ir REPUBLIQUE
(Suite)
... (' Tout ce qu'a fait Louis-Philippe a été de supprimer la cha-
pelle de Charles X. » C'est l'unique adieu jeté au roi par un journal
de musique.
L'Opéra devient le théâtre de la Nation ; la Gomédie-Franoaise se
place sous le vocable de la République et fait chanter la Marseillaise
par Brindeau, en attendant que Rachel la déclame, enveloppée des
plis du drapeau; les airs patriotiques servent d'cntr'actes aux vau-
devilles. — Une légère retouche à la façade du faubourg Poisson-
nière, et le Conservatoire, devenu national, sera jugé digne de toute
!a sollicitude du gouvernement provisoire.
En mars, Ledru-Rollin, ministre de l'Intérieur, convoque directeur
et professeurs et les charge de nommer une commission qui étudiera
diverses améliorations proposées. Halévy, Le Gouppey, Panseron,
Levasseur, Samson, Benotst, Girard, Bazin, Provost composent l'aréo-
page présidé par Auber, tandis qu'une autre assemblée bouleversera
les règlements de l'école de Rome.
Les griefs sont nombreux contre la rue Bergère. D'abord, sa mora-
lité est fort suspectée par des esprits sérieux qui réclament le chan-
gement des professeurs, l'institution de nombreux surveillants; pour
obtenir un établissement où la mère puisse sans danger conduiie sa
fiîle, il serait à désirer que chaque élève travaillât dans une cellule.
A côté de ces puritains féroces, des âmes plus libérales deman-
dent simplement qu'on ne continue pas à museler le génie, immortel
par son essence mèm3; le Conservatoire a besoin de développements,
il faut lui multiplier les subsides, mais diminuer certains traite-
ments.
Pour bien établir la fraternité qui régnera désormais entre les
artistes, le gouvernement provisoire décide que la grande salle sera
donnée gratuitement à tout musicien qui en fera la demande.
Au premier rang des cérémonies étranges que voit défiler 1848,
brille la fête donnée, le 2 avril, dans la cour de l'Opéra. M. l'abbé
More), curé de Saint-Roch, arrive croix en tète, au milieu de son
clergé. Il est reçu par Ledru-Rollin, Caussidière, Duponchel, en
garde national à cheval. — Le but de cette rencontre"? Bénir l'arbre
de la liberté planté par l'Académie de musique.
Aux paroles du prêtre, le ministre de l'intérieur répond en galants
termes. La réunion est des plus cordiales, et on apprend avec joie
que le Prophète sera donné l'année suivante.
Le soir, représentation gratuite ; la Muette de Porlici, suivie de
la Marseillaise mise en action. Une scène de pantomime soulignera
chaque couplet : c'est la résurrection d'une tentative faite en 1791,
l'exhumation d'une antique partition de Gossec, retrouvée sur les
quais par Leborne. Echec complet.
Réformer partout et quand même! c'est le mot d'ordre de l'année,
la marotte des journaux grands ou petits; on vogue en pleine utopie,
nul ne peut parler simplement de choses simples. « Une vraie répu-
bliaue, s'exclame la France musicale, déteste les minauderies dans
le chant comme dans la société ; vous ressemblez, à l'heure actuelle,
à Louis-Philippe la veille de son départi » — Le Conservatoire a
sa place dans les modifications levées parle journal, écho de plus
d'un mécontent: les 12,000 francs de traitement directorial seront
rognés d'un sixième, les élèves de composition auront une loge atti-
trée dans les théâtres subventionnés, comme ils l'ont déjà au troi-
sième Théâtre-Ljrrique; enfin les membres du jury seront priés, aux
jours de concours, d'être présents dès le début de la séance.
Par décret du 30 avril, le Gouvernement provisoire, considérant
que « le Conservatoire, par sa destination, se rattache étroitement
au théâtre, dont il est pour ainsi dire le seuil, arrête qu'il figurera
désormais dans les attributions de la librairie et du théâtre ».
Jalouse d'imiter son aînée, la République veut frapper le monde
par l'éclat de ses fêtes. Le Champ de Mars voit célébrer le triomphe
de la G)ncorde; réunis sur une estrade, le Conservatoire et le
Gymnase militaire essaient en vain de faire entendre des morceaux
de circonstance.
Tous les musiciens français sont appelés au concours qui mettra
en lumière les meilleurs chants nationaux. Huit cents ouvrages
LE MENESTREL
349
sont présentés et le jury se réunit deux mois et demi durant.
Déclarées hors ligne les compositions de MM. Ermel, Elwart et
Crest-Fanlander; parmi les concurrents favorisés d'une médaille
de bronze, on remarque Ambroise Thomas, (V Harmonie des peuples) ;
M'"" Viardot, (la Jeune République); Oscar Gomeltant, (la Marclie des
Travailleurs) ;\ic[OT Massé, (l'Hymne à la Fralernité) ; Duprato (une
Nuit républicaine); 'Va.vaey, (le Chant de la blouse); Isidore Huot et
Victor Lefebvre, élèves du Couservatoire, obtiennent la même ré-
compense.
La subvention de l'école est en péril, attaquée par les réformateurs
auxquels on objecte en vain que le chiffre en a déjà diminué depuis
l'Empire qui accordait 200,000 francs, la Restauration dont le subside
montait à 115,000 francs, — aujourd'hui 130,000. Pour apaiser leurs ad-
versaires, les élèves se surpassent aux concours : Wieuiawski deuxième
se signale dans la classedeZimmermann; Portéhaut, Altès, Chéri, frère
de l'exquise comédienne du Gymnase, etGarciD,son cousin, brillent
parmi les violonistes. Le chant met en vedette M"° Lefebvre, Ribes
et Balanqué. Meillet, qui a renoncé au droit et suit depuis quinze
mois seulement la carrière musicale, remporte les prix d'opéra et
d'opéra-comiqne, auprès de M"" Meyer; un accessit récompense
M. Carvalho. — Prix de Rome, M. Duprato, dont trois conservaloriens
(M"" Grimm, MM. Bussine et Battaille) interprètent la cantate.
Un groupe de musicien?, parmi lesquels Massé, Membrée, Lalo,
Delioux, signe un projet d'association nationale, qui exécuterait et
éditerait tout ouvrage reconnu digne de l'art par un jury élu. Pour
mener l'œuvre à bonne fin, on réclamerait la part à laquelle on a
droit sur les 200,000 francs votés par l'Assemblée à titre d'encou-
Tagement aux beaux-arts.
Le 24 septembie, grande fête dans les jardins de l'Elysée, «rede-
venu propriété de tous », au bénéfice de la Caisse de secours des
Artistes musiciens. Entrée, 1 franc; fête forains, concert gigantesque :
300 instrumentistes, 900 choristes. Le Conservatoire, dirigé par
Batiste, est à la tète de cette armée.
Quelques jours plus tard, dans la chapelle de Versailles, les
lauréats de l'année chantent la messe d'Adam ; l'orgue est tenu par
M. Ambroise Thomas.
Ces manifestations variées n'empêchent pas l'Assemblée de discuter
une forte diminution du budget des Beaux-Arts. Une protestation
circule à travers Paris, se couvre de signatures : Léo Lespës, Adam,
E. de Mirecourt, Francis Wey, Berlioz, Auguste Vitu, Prumier,
Gonzalès, Bayard, Duprez, Ciceri, Léon Cogniet, etc. — Victor Hugo
s'en faille champion à la tribune, et les crédits restent intacts.
A la distribution des prix, M. Dufaure, ministre de l'intérieur, se
fait représenter par M. Charles Blanc, qui, peu soucieux de l'ac-
tualité, a pris pour thème de son discours : « le rôle de la musique
à Sparte. »
Dans les derniers jours de l'année, le prince-président fait louer
à l'Opéra, à la Comédie-Française et à l'Opéra-Gomique l'ancienne
loge du duc d'Orléans.
Inauguré par le succès éclatant du Caïd (3 janvier), l'an 1849 est
marqué, un mois plus tard, par la résurrection des exercices. La
Pie voleuse, qui semble faire partie du matériel de l'école, a été
montée en quatorze jours par Moreau-Sainti.
La séance suivante sera moins bien accueillie. Si ThironetM""^ Fix
ont été applaudis dans les Folies amoureuses, les fragments d'Orphée
laissent une impression lamentable, que le troisième exercice fera
heureusement oublier. Le Dépit amoureux (M"' Goblcntz), le Calife de
Bagdad {M""" Lefebvre et Lemaire, MM. Riquier et Ribes) encadrés
dans de charmants décors, rehaussés de costumes joliment dessinés,
réconcilient le Conservatoire avec son public ordinaire.
(A suivre.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (29 octobre). — Les nouvelles sont
rares, même dans nos théâtres, et même à la Monnaie. La grippe s'est
abattue sur les artistes et a achevé le désarroi que les débuts incertains
de ces derniers temps avaient commencé de jeter dans le répertoire. Gela a
beaucoup retardé même les simples reprises des ouvrages courants. Mais
enfin la guérison semble, peu à peu, calmer toutes ces misères. Hier,
nous avons eu la reprise de Salammbô, avec la plupart des interprètes de
l'an dernier, MM. Seguin et Badiali, seuls nouveaux, remplaçant MM. Val-
lier et Bouvet. L'ensemble de la représentation a été satisfaisant, mais
très froid. En s'en allant, M^e Caron a beaucoup emporté avec elle de ce
qui avait fait, tout d'abord, le charme de l'œuvre, — très estimable d'ail-
leurs, — de M. Reyer. M'"'^ de Nuovina et les autres sont très appliqués ;
plusieurs sont excellents, notamment M. Lafarge, qui est un superbe
Matho, d'une énergie sauvage et magnifique, chanteur remarquable et
comédien irréprochable. Mais la flamme parait éteinte. Est-ce la fiiute de
l'interprétation ou la faute de l'œuvre? — Pour le reste, la Monnaie, qui
répète le Rêve, sous la surveillance des auteurs, nous promet les débuts
de la contralto M"" de Beridès samedi, dans Carmen, et retarde ceux d'une
autre artiste, américaine d'origine, M"' Dexter, qu'on n'a pas encore
entendue. Vous voyez que la troupe a encore, à l'heure qu'il est, pour
nous, des surprises. Espérons qu'elles seront agréables. — Je ne veux pas
quitter la Monnaie sans vous dire deux mots d'un incident qui paraît
devoir faire quelque bruit... au tribunal de commerce. Un journal de
théâtres et d'art bien connu, l'Éventail, avait raconté, dans son dernier nu-
méro, que M. Reyer, n'étant pas satisfait des répétitions de Sa/ammiô, avait
fait entendre coram populo aux directeurs, avec sa franchise habituelle, de
dures paroles sur leur gestion et le rang actuef de leur théâtre ;
MM. Stoumon et Galabresi se sont fâchés et intentent à l'Éventail un
procès en dommages -intérêts à raison du préjudice moral qui leur serait
causé par ce récit, qu'ils assurent dénué de tout fondement. Voilà du
pain sur la planche pour les avocats. Le procès, en tout cas, sera piquant
et promet des plaidoiries à plus d'un titre intéressantes. — Les autres
ihéàtres s'apprêtent à renouveler leurs affiches. Aux Galeries, la Demoiselle
du téléphone va succéder au Royaume des femmes, et l'Alcazar royal donne
ce soir-méme la « première » de sa grande revue d'année, Bruxelles fin de
siècle. — A l'Académie royale (classe des beaux-arts), on a exécuté diman-
che la cantate du nouveau prix de Rome, M. Paul Lebrun, Andromède,
couronnée au grand concours de composition musicale. L'œuvre ne brille
pas par l'originalité ; mais elle est habilement écrite, très dramatique et
d'un bon effet. Excellent travail d'un excellent élève, appelé à nous don-
ner peut-être d'aimables compositions et à devenir dans tous les cas un
1res bon chef d'orchestre. Lucien Solvay.
— Voici la distribution complète de l'Amico Fritz, le nouvel opéra de
M. Mascagni, dont la première représentation, attendue avec une vérita-
ble impatience, a dû avoir lieu hier samedi à Rome, au théâtre Costanzi :
Fritz Kobus, M. De Lucia; le rabbin, M. Lhérie ; Hanezo, M. Gremona;
Federico, M. Bessi ; Suzel, M"" Galvé ; Beppe, M"« Synnerberg ; Gaterina,
M"" Parpagnoli. Les nouvelles de la répétition générale étaient excellentes
et faisaient présager un grand succès.
— Les inondations causent de grands ravages et des catastrophes dans
la haute Italie. A Penzano, près I.ecco, la maison du célèbre ténor Masini
s'est écroulée ; il y a eu deux morts et sept blessés.
— Ou a exécuté à Naples, dans l'église de Sainte-Brigitte, une nouvelle
Messa di vivo, pour chœurs et petit orchestre, de la composition de M. Garlo
Sabastiano. L'œuvre parait avoir produit une impression très favorable.
— A San Gemini, province de Terni, on a représenté avec succès une
nouvelle opérette, il Carnevale del villaggio, musique de M. Bernardine
Lanzi.
— La section musicale de la Bibliothèque royale de Berlin est très
riche, on le sait, en manuscrits et en autographes précieux des plus
grands maîtres. Entre autres, elle possède une collection, que l'on peut
croire unique par le nombre et la qualité, des manuscrits autographes de
Mozart. Cette collection comprend en effet plus de deux cents numéros,
parmi lesquels se trouvent les partitions de sept opéras, dont la Flûte en-
chantée, et de vingt-trois symphonies.
— A signaler une reprise particulièrement intéressante qui vient d'avoir
lieu au théâtre grand-ducal de Garlsruhe, celle d'un opéra en un acte de
Méhul, Uthal, dont la première représentation à l'Opéra-Gomique remonte
au 17 mai 1806. C'est dans cet ouvrage, qui était joué par Solié, Gavaudan,
Gavaux, Saînt-Aubin, Baptiste, Darancourt, Richebourg et M™ Scio, que
Méhul, pour donner une teinte plus sombre à son orchestre, jugea à pro-
pos d'en supprimer les violons et de les remplacer par des altos, ce qui
motiva la boutade devenue célèbre de Grétry : » J'aurais donné un louis
pour entendre une chanterelle. » C'est à M. Félix Mottl, le fameux chef
d'orchestre, qu'on doit cette reprise de l'ouvrage de Méhul, si oublié chez
nous, et qu'il avait déjà fait remettre à la scène en 1869. En enregistrant
ce fait, le Guide musical de Bruxelles croit devoir faire remarquer « qu'on ne
trouve que fort peu de détails sur Uthal dans la monographie de M. Arthur
Pougin sur le maître de Givet. » Si notre confrère veut bien prendre la
peine d'ouvrir le livre de notre collaborateur, ce qu'il a peut-être négligé
de faire, il y trouvera, de la page 248 à la page 253, tous les renseigne-
ments qu'il était possible de réunir sur Uthal et sa représentation à l'Opéra-
Gomique.
— Le ministre de la guerre de Saxe vient de décider que dorénavan
tous les postulants aux fonctions de chef de musique de l'armée seront
tenus de suivre, pendant trois années, les classes du Conservatoire de
Dresde, avant de se présenter au concours réglementaire. Cet établisse-
ment devient, de ce fait, pour l'armée saxonne, ce qu'est l'Ecole supé-
rieure (Hochschule) de Berlin pour l'armée prussienne.
— L'opéra du compositeur espagnol Breton, les Amants de Teruel, repré-
senté dernièrement au théâtre de la Cour de Vienne, par ordre du gouver-
350
LE MENESTREL
nement, n';i pas Irouvi^ bon accueil auprès du public, bien que l'interpréta-
tion de cet ouvrage eût été confiée à l'élite de la troupe. L'intrigue, dit-on,
est peu intéressante; la partition manque d'unité et de style; par contre,
elle abonde en réminiscences du répertoire de Meyerbeer, de Verdi, de
Wagner et même d'Offenbach, une vraie macédoine cosmopolite.
— CavaUeria nisticana vient défaire, au théâtre de la Cour de Garlsrube,
une nouvelle et glorieuse étape. L'ouvrage de M. Mascagni avait été très
soigneusement monté sous la direction du kapellmeister Mottl.
— Une nouvelle scène vient d'être inaugurée à Hambourg, sous le titre
du Nouœau Théâtre. MM. J. Perger et H. Horn en sont les directeurs. Ils
y cultiveront le genre de la comédie-ballet. Comme premier spectacle, ils
ont donné la pièce viennoise te Monde à vol d'oiseau.
— A son tour, le théâtre royal de Copenhague vient de produire Cacal-
kria rusticana, et, comme partout ailleurs, le succès a été prodigieux. Le
public a surtout goûté le gi-and duo entre Turiddu et Santuzza. C'est le
vieux poète danois Erich Bogh qui s'était chargé de la traduction; il a
intitulé la pièce E'n Sicile. — La prochaine nouveauté du théâtre royal
sera la Sorcière, du compositeur Auguste Enna. On fonde de très grandes
espérances sur cet ouvrage.
— Il paraît que le chanteur Gayarre, bien que mort fort jeune, n'en a
pas moins trouvé le temps d'écrire des Mémoires, qui, dit-on, renferment
des particularités très intéressantes sur sa vie intime. C'est du moins ce
que nous apprennent les journaux espagnols, qui annoncent comme im-
minente la publication de ces Mémoires.
— Nouvelles de Londres (29 octobre). — Les amateurs d'opéra ne peuvent
que se féliciter de la rivalité survenue entre les deux entreprises lyriques
de Shaftesbury-Theatre et de Covent-Garden. Elle leur aura valu en moins
de deux semaines trois nouveautés des plus intéressantes : CavaUeria rus-
ticana, Philémon et Baucis et le Rêve. C'est M. Lago qui a ouvert le feu
avec l'opéra tant vanté de Mascagni. L'interprétation de la CavaUeria rus-
ticana au Shaftesbury est loin d'être irréprochable : seul, le ténor Vignas
a réussi franchement. Aux imperfections des autres chanteurs, il faut
ajouter les défaillances trop nombreuses des chœurs et de l'orchestre. Des
fragments de Crispino e la Cmnare accompagnaient d'une façon malencon-
treuse sur l'affiche l'opéra de Mascagni. M. Lago a été également mal
inspiré dans le choix de ses reprises. Celles de Cenerentola et d'Ernani ont
paru décidément démodées. Quant au Vaisseau-Fantôme, qui servait de
rentrée à M"» Macintyre, il faudra attendre que des répétitions supplé-
mentaires assurent à l'ouvrage une exécution plus suffisante. ACovent Gar-
don l'opéra français triomphe plus complètement, grâce à une excellente
troupe d'ensemble, recrutée principalement parmi les artistes de l'Opéra-
Gomique, grâce aussi à la direction artistique d'un chef d'orchestre très
compétent, M. Jehin, tel que nous en avons souvent réclamé pendant la
saison régulière. Dans ces conditions, les reprises de Roméo avec M.Cossira et
M"= Simonnet et de Carmen avec MM. Engel, Lorrain, M"'' Deschamps et
Simonnet ont obtenu un succès complet. Il en a été de même de Philémon
et Baucis, qui n'avait jamais encore été représenté à Londres. La charmante
idylle de Gounod ne gagne certes pas à être transportée sur une aussi
grande scène. Mais la partition reste une des plus fraîches, des plus gra-
cieuses du maître, et interprétée par M"« Simonnet, MM. Engel, Bouvet et
Lorrain, son succès ne pouvait faire doute un instant. Ce soir, première
du Rêve, avec la distribution de la création. — L'Opéra national anglais
rouvre ses portes la semaine prochaine avec la première de la Basoche, dont
la version anglaise est due à la collaboration de M. Eugène Oudin et de
sir Aug. Harris. L'Enfant prodigue est sur le point de terminer sa carrière,
203 représentations. A. G. N.
— Miss Macintyre, la cantatrice anglaise que le récent festival de Bir-
mingham a mis en évidence, vient d'être l'héroïne — sans le vouloir —
d'une aventure romanesque dont le récit a fait le tour de la presse an-
glaise et qui s'est dénouée au tribunal de police de Westminster. C'est
en effet devant cette juridiction que la belle miss Macintyre a traîné un
de ses adorateurs, trop exalté, un Américain qui s'intitule « organiste et
chanteur de profession ». Elle était depuis longtemps en butte aux obses-
sions de cet étrange individu ; tant qu'il ne s'en était tenu qu'aux épitres
suppliantes, miss Macintyre s'était contentée de ne pas répondre: mais
un jour vint où elle reçut le billet suivant : « Il faut que je vous épouse
ou que je vous tue. Vous avez dédaigné mon amour. Vengeance ! ven-
geance ! vengeance! Ou je vous épouserai ou je vous tuerai. Ou, alors, je
me ferai tuer dans ma tentative. » C'est alors que la mère de miss Ma-
cintyre intervint et signala le cas à la police, qui ne tarda pas à mettre la
main sur l'irascible Américain. Un premier jugement de la Cour de police
vient de le déférer au tribunal correctionnel.
— On a vu des rois épouser des bergères, pourquoi une choriste n'é-
pouserait-elle pas un archi-millionnaire ? C'est ce qui vient de se pro-
duire en Amérique, ce pays de tous les prodiges. On raconte en effet
que miss Bessie Booth, simple choriste dans la A'ew-Yorlc-Casino-Opera-
Company, qui donne en ce moment des représentations à Montréal (Cana-
da), vient d'épouser en cette ville M. A. -F. Henriques, fils de feu William
Henriques, agent de change, dont il a hérité une fortune de bOO,000 livres
sterling, soit 12 millions et demi de francs. Les deux jeunes gens s'é-
taient rencontrés pour la première fois un mercredi, dans un dîner; le
samedi suivant ils étaient mariés et le second mercredi ils s'embarquaient
pour l'Europe. Tout à la vapeur dans ce pays singulier !
— Un journal de Buenos-Ayres, la Palria, rapporte une aventure au
moins étrange dont un de nos compatriotes, le ténor Prévost, aurait été
victime, o Pendant que le ténor Prévost, dit ce journal, .'.e rendait, sur
le petit vapeur Orden, à bord du Nord-America, en partance pour Rio-Janeiro,
il fut victime d'un attentat. Il fut garrotté, fouillé et volé de divers objets,
puis mis à bord du Nord-America, après quoi le vapeur Orden s'enfuvait
vivement vers le port. Prévost raconta aussitôt le fait, et, du bord du
Nord-America, envoya une énergique protestation au commandant de la
marine, en dénonçant les violences dont il avait été l'objet. » Nous rap-
portons l'incident, tout en le trouvant, nous le répétons, au moins étrange.
PARIS ET DEPARTEMENTS
— Hier samedi, à l'Institut, distribution des prix du concours de Rome,
sous la présidence de M. Bailly. La séance a commencé par l'exécution de
Napoli, composition symphonique de M. Gustave Charpentier, grand prix
de l'année 1887. Après la distribution des prix, les allocutions d'usage et
la lecture d'une notice de M. le comte Delaborde sur la vie et les ouvra-
ges de Robert FJeury, on a exécuté la cantate de M. Silver, qui a rem-
porté le grand prix au concours de cotte année. Le livret de cette scène
lyrique, intitulé l'Interdit, est, comme on le sait, de notre confrère Edouard
Noël. Les rôles étaient interprétés par MM. Muratet, Fournets et M"" Is-
saurat, l'orchestre dirigé par M. Lamoureux. A dimanche prochain les
détails.
— Nous avons dit que, pour célébrer le centenaire de la naissance de
Meyerbeer, le 14 novembre prochain, la direction de l'Opéra ferait figurer
au programme le quatrième acte des Huguenots, conforme à la version
primitive, c'est-à-dire avec Catherine de Médicis, organisant elle-même
et commandant le massacre des protestants. C'est sur l'ordre de la censure
que Scribe et Meyerbeer durent, au dernier moment, supprimer le per-
sonnage de Catherine et faire présider par le comte de Saint-Bris la
fameuse scène de la « Bénédiction des poignards ». Nous retrouvons à ce
sujet, dans un journal du temps, un article fort curieux qui rejette sur
M. Thiers, président du conseil, l'initiative de cette mesure et qui nous
apprend en même temps que M. Thiers s'était opposé à ce que l'ouvrage
de Scribe et Meyerbeer portât le titre de la Saint-Barthélémy. Voici ce que
disait le journal la Quotidienne, le 2 mars 1836, deux jours après la première
représentation des Huguenots : « Cet opéra a éprouvé de grandes tribula-
tions avant de paraître au grand jour de la représentation. Les sentiments
religieux et monarchiques de M. Thiers lui ont fait prendre en main la
défense de la mémoire de Catherine de Médicis, fort compromise dans les
vers lyriques de son collègue de l'Académie, M. Scribe. M. Thiers, qui a
trouvé de si bonnes raisons pour justifier les massacres de septembre,
n'a pas voulu que le titre de la Saint-Barthélémy fut donné à l'ouvrage
nouveau. L'associé de Simon Deutz s'est ému à l'idée de voir outrager la
réputation de la mère d'un roi de France; il n'a pas voulu que Catherine
de Médicis fût mise en scène et vînt faire de la politique religieuse en
cavatine et en rondeau. Tout cela est très édifiant et doit donner à l'Eu -
rope une haute idée de la morale du président du conseil. » Il sera inté-
ressant de voir l'effet produit en 1891 par une scène que M. Thiers jugeait
si dangereuse en 1836.
— C'est le Temps qui nous apporte des nouvelles de la reconstruc- •
tion ('?■?■?) de la salle Favart. La question de l'Opéra-Comique, dit ce jour-
nal, revient encore sur l'eau, et plusieurs journaux ont annoncé que
M. Bourgeois allait déposer, sur le bureau de la Chambre, un projet
tendant à la reconstruction de l'Opéra-Comique : ce projet ne serait autre
que celui dont les plans ont été présentés par M. Guillotin, l'ex-président
du tribunal de commerce, et dont nous avons déjà parlé. D'après les ren-
seignements que nous avons recueillis à bonne source, cette affaire n'est
pas tout à fait aussi avancée qu'on le dit. Il est bien exact que le projet
présenté par M. Guillotin a paru à M. Bourgeois digne -d'un examen sé-
rieux; mais le ministre des beaux-arts a pensé qu'au point de vue finan-
cier et technique, il serait utile d'avoir l'avis du ministre des finances et
du ministre des travaux publics. Il a été répondu au ministre que le
projet, très intéressant d'ailleurs, de M. Guillotin, pourrait encore subir
une diminution très notable au point de vue des dépenses ; cette dimi-
nution équivaudrait à peu près à sept cent mille francs. Le ministre des
beaux-arts a communiqué cet avis à M. Guillotin et lui a fait demander
s'il acceptait. L'affaire en est exactement à ce point. Cette diminution
vaut la peine qu'on la prenne en considération, mais toutes ces tergiver-
sations ne sont pas faites pour nous rendre, dans un temps rapproché,
l'Opéra-Comique sur le boulevard.
— L'examen d'admission pour les classes de chant a eu lieu cette se-
maine au Conservatoire, où il a pris les deux journées de mardi et de
mercredi. Dans cette double séance formidable, le jury n'a pas entendu
moins de quatre-vingt-dix jeunes chanteurs et de cent trente-quatre chan-
teuses. Aussi ses décisions n'ont-elles été rendues que mercredi, à onze
heures et demie du soir. Ont été admis, quinze élèves hommes : MM. Paty,
Courtois, Lussiez, Maciet, Taveau, Delrieu, Eternod, Greil, Bégué, Dantu,
Féraud, Morand, Rivière, Gaidau et Vais. Dix-sept élèves femmes ad-
mises : M"=s Combe, Laffargue, Boitolle, F. Dubois, Guenia, Vauthier,
Maugery, Brunel, Riou de Lagesse, Berges, Delaras, Bez, Vonès, Sirbain,
Hellidonne, Bonnessieu et France. Le jury qui a procédé aux opérations
de ce laborieux concours était composé de MM. Ambroise Thomas,
Deschapelles, Massenet, E. Guiraud, Th. Dubois et des huit professeurs
LE MENESTREL
351
de chant au Conservatoire. La mission d'accompagner au piano les deux
cent vingt-quatre élèves entendus avait été dévolue à M. Edouard Mangin,
qui s'en est acquitté avec le talent et le zèle qu'on lui connaît.
— Voici les résultats des mêmes examens pour la tragédie et la comé-
die : Ont été admis élèves titulaires, dans les classes de MM. Got, De-
launay, Worms et Maubant : MM. Bénédict, Mitrecey, Monteux, Valmont,
Melchissédec, Prince, Dauvillier, Garbagny et Jahyer; M" ^^ Roskilde, Bar-
sanges, Marsa, Thomsen, Bouchetal, Salmon, Boissy et Camm. Ont été
ensuite admis élèves stagiaires, pour une année, dans les classes prépa-
ratoires de MM. Silvain et Dupont-Vernon : MM. Bell, Dorival, Gabel,
Marié, Mars, Michel; M"^' Dunoyer, Dreyfus, Lara, Poraye, Rex et Willis.
— Notre confrère NicoUet annonce, dans le Gaulois, que M. Gailhard,
d'accord avec M. Lamoureux, songerait à faire construire à Versailles, un
nouveau théâtre modelé sur celui de Bayreuth et où l'on jouerait princi-
palement les œuvres de Wagner. M. Aderer, du Temps, a demandé à M. Gail-
hard confirmation de cette nouvelle, et voici ce qu'a répondu le brillant
directeur ;
11 est exact qu'un certain nombre de personnes sont venues me trouver et
m'ont ottert la direction d'un théâtre nouveau qui serait conslruil, à Versailles,
sur le modèle de celui de Bayreuth. L'une de ces personnes offre même un grand
terrain, situé près de la gare. Mais le théâtre ne serait pas réservé uniquement
aux, opéras de Wagner. Il serait ouvert aux tentatives des jeunes composileurs
qui se tournent particulièrement vers l'œuvre qui paraît Stre celle de l'avenir, oii
la mélodie simple et primitive s'unit à la science la plus complète de l'orchestra-
tien. C'est pendant les quatre mois d'été que les repiésentalions auraient lieu.
l.a salle serait très luxueusement aménagée; l'orchestre et la scène seraient amé-
nagés sur le modèle de Bayreuth. Mais une tentative de ce genre demande de
gros capitaux. Il ne faut pas qu'elle avorte au bout d'un an. Il faut qu'elle dure.
Je ne consentirais, pour ma part à m'en occuper, que si l'œuvre était, dès le
premier jour, assurée d'une durée de dix années environ.
Pour ce genre d'affaires, ce sont, en effet, toujours les fonds qui man-
quent le plus. On a pu voir déjà à différentes reprises des projets de ce
genre avorter entre les mains de M. Lamoureux, faute de souscriptions
suffisantes. Il est vrai qu'alors Gailhard n'en était pas, ce qui change bien
des choses.
— Il y a encore du bonheur pour les Parisiens. L'éminent ténor M. Van
Dyck peut en effet prolonger encore son séjour d'une semaine parmi nous,
ce qui nous vaudra deux nouvelles représentations de Lohengrin avec son
concours, le 4 et le 6 novembre. Après quoi, il regagnera l'Opéra impé-
rial de Vienne, pour y interpréter Manon d'abord, puis Werther de M. Mas-
senef, dont il sera le premier créateur.
— Nous avons dit que M. Camille Saint-Saëns mettait la dernière main
a la revision et à l'adaptation de la musique de Lulli, pour la prochaine
reprise de la comédie-ballet de Molière, le Sicilien ou l'Amour peintre, au
Théâtre-Français. Ce petit chef-d'œuvre de comique aimable et de grâce
séduisante remonte, non à 1669, comme on l'a dit par erreur, mais au
14 février 1667, jour où il fut joué pour la première fois, à Saint-Germain,
devant Louis XIV et toute la cour, dans une représentation du grand
Ballet des iJuses, dont il formait la quatorzième entrée. On trouve tous les
renseignements relatifs à ce joli badinage dans une brochure bien inté-
ressante publiée, il y a quelques années, par notre collaborateur Arthur
Pougin et déjà devenue fort rare. Dans cette brochure, intitulée Molière
ET L'opÉtiA-cOiMiQUE : Le Sicilien oîj l'Amour peintre, notre ami soutient pour
la première fois cette thèse que, par le Sicilien, Molière a deviné la forme
de l'opéra-comique et en a donné presque un modèle, cent ans avant la
véritable éclosion de celui-ci. « Je me suis efforcé, dit-il dans la conclu-
sion de sa brochure, de prouver qu'en écrivant le Sicilien Molière avait
eu, si l'on peut dire, la prescience du genre de l'opéra-comique, qu'il en
avait tracé le plan typique, qu'il en avait deviné la forme , établi les
dispositions principales, qu'enfin, le mot et la chose n'étant pas encore
inventés, il avait fait de l'opéra-comique sans le savoir, précisément comrne
son ami monsieur Jourdain faisait de la prose. Il me semble absolument
rationnel de rattacher directement le Sicilien à l'histoire de notre opéra-
comique, comme on doit rattacher les grands ballets de cour des règnes
de Louis XIII et de Louis XIV à l'histoire de notre opéra. Par cette
introduction de sa muse dans l'histoire de notre musique dramatique, la
gloire de Molière ne sera ni plus grande, ni plus pure, ni plus lumi-
neuse ; son rayonnement est tellement puissant que rien aujourd'hui ne
saurait l'augmenter. Mais le souci seul de la vérité doit suffire pour nous
faire revendiquer Molière comme un des pères de la scène lyrique fran-
çaise, et après tout, les musiciens qui l'admirent — et j'en connais — ne
seront pas fâchés de savoir qu'ils lui doivent quelque chose. » — Pour en
revenir à M. Saint-Saëns, son travail consiste surtout à renforcer la partie
symphonique de l'ouvrage de façon à rendre la charmante musique de
Lulli appréciable, dans la salle de la rue Richelieu, aux oreilles d'un pu-
blic habitué aux grandes sonorités. Le clavecin joue dans cette composi-
tion un rôle important, niais qui, probablement, dans les soli serait un
peu trop grêle. En tout cas, l'association des instruments à cordes et du
clavecin a beaucoup de couleur et de charme archaïque, et M. Saint-Saëns
travaille avec amour à cette besogne, qui lui a fait retarder son départ
pour l'Algérie.
— Dimanche dernier, nous avons eu à l'Opéra-Gomique les débuts in-
téressants du jeune ténor Gogny dans Richard Cœur de Lion. On l'a fort
applaudi dans son grand air: Si l'univers m'abandonne et dans le fameux
duo d'une fièvre brûlante. M. Gogny est, selon les uns, élève de M"" Marie
Rueff et, selon les autres, de M. Berthemet. Il a probablement reçu des
conseils de tous les deux et il fait honneur à ses professeurs.
— Le concert donné au Châtelet, dimanche dernier, sous la direction
de M. Edouard Colonne, débutait par la 2'= symphonie (en ré), de Beetho.'
ven. Ce n'est pas une des plus vastes du grand musicien; elle se rattache
encore directement à la manière de Haydn et de Mozart, avec une puis-
sance plus accusée cependant. Telle qu'elle est, elle ferait pourtant bonne
figure dans le bagage de nos petits crevés de la musique moderne, qui
cependant en plaisantaient volontiers dans les couloirs. Evidemment, il
il n'y a pas là, à leur gré, assez de déliquescence, et les formes arrêtées
des anciens maîtres ont le don de les horripiler. — Venait ensuite un
fragment symphonique d'un charme pénétrant de M'^" Augusta Holmes :
l'Amour et la Nuit. C'est encore de la musique bien simple, bâtie presque
exclusivement sur une longue phrase de mélodie confiée aux instruments
à cordes. Pouah! de la mélodie, n'en parlons pas plus longtemps, s'il
vous plait. — Nous aurons cependant la candeur de trouver encore du
mérite à cette page puissante de César Cui, intitulée les Deux Ménétriers,
sorte de large récit expressif composé sur une poésie de Jean Richepin.
L'orchestration en est curieuse, avec des effets de timbres et des accouple-
ments d'instruments tout à fait nouveaux. C'est là l'œuvre d'un musicien
peu banal et qui mérite de prendre une place marquante parmi les
compositeurs modernes. Il l'a emportée d'assaut du premier coup, ce qui
n'est pas étonnant si l'on songe, qu'eu même temps que musicien, M. César
Gui est l'un des généraux en évidence de l'armée russe. Borodine était
bien chimiste! M. Auguez s'était fait l'interprète de cette scène. Sa voix
manque un peu de mordant pour le début du morceau, mais il a dit avec
beaucoup de charme la phrase amoureuse du milieu. — Après quoi,
M'""" Roger-Miclos, tout de vert habillée, est venue nous faire entendre
une nouvelle composition pour piano et orchestre de M. Camille Saint-
Saëns. C'est une sorte de badinage africain, où les petits oiseaux du désert
nous ont paru jouer un rôle important. Il y a là peut-être un papillotage
de piano excessif; mais, en revanche, bien des détails ingénieux seraient à
relever dans l'orchestration. M""" Roger-Miclos amis toute sa grâce à l'in-
terprétation de ce gracieux morceau, avec un son quelque peu grêle cepen-
dant. — Nous avons eu ensuite des fragments symphoniques de Lobengrin :
le prélude du premier acte et l'introduction symphonique du troisième
acte, l'un et l'autre enlevés de verve par l'orchestre de M. Colonne. Cela
nous a légèrement changés de l'interprétation languissante donnée à ces
mêmes morceaux par l'orchestre de M. Lamoureux à l'Opéra, où la marche
nuptiale se trouve transformée en marche funèbre, de par la volonté sin-
gulière du grand chef d'orchestre in extremis de MM. Ritt et Gailhard. —
La douce et poétique mélodie de Delibes, Mijrto, venait mal après ce
déchaîneriient de forces cuivrées et cordées. L'interprétation hésitante et
pâle de M"= de Montalant, qui d'ailleurs paraissait fort émue dans sa jolie
robe rose, n'a pas aidé à la mettre en relief. — N'insistons pas, à cause
de l'alliance russe qui pourrait en être compromise, sur la Marche slave,
de M. Tschaïkowsky, qui terminait le concert. H. M.
— Concerts Lamoureux. — La deuxième symphonie de Beethoven ne
laisse que faiblement pressentir l'originalité toute puissante de celles qui
l'ont suivie, mais elle est d'une allure énergique et fière, et rappelle, par
un motif du premier allegro, les cavatines chevaleresques des premiers
opéras de Rossini. Quelques personnes ont trouvé un peu lent le mouve-
ment pris pour le second morceau. Il s'agit ici, non pas d'un andante,
mais d'un larghetto, qui ne renferme pas beaucoup moins de trois cents
mesures ; l'interprétation parait donc fidèle. — La Jeunesse d'Hercule, poème
symphonique moins connu que les autres œuvres similaires de M. Saint-
Saêns, semble aussi d'une facture moins concise, d'une allure moins ra-
pide. Les mélodies dominantes s'y présentent avec un relief moins intense,
un contour moins net, moins précis. Cependant, l'intérêt de l'ouvrage ne
faiblit pas, malgré l'indécision probablement voulue de certaines de ses par-
ties. Dès le début, on est captivé parle charme des harmonies dans lesquel-
les oncroit sentir l'influence de Weber. Viennent ensuite les thèmes delà
séduction, tantôt pleins d'une douce langueur, tantôt se précipitant dans
un rythme presque échevelé. Une péroraison musicale imposante doit
nous montrer, à la fin, Hercule victorieux de toutes les chaînes volup-
tueuses, suivant désormais la voie des luttes et des combats au bout de
laquelle il entrevoit, à travers les flammes du bûcher, l'immortalité qui
doit être sa récompense. — Le petit poème symphonique : Hermann et
Dorothée, renferme peu de substance musicale, mais il est d'une grâce
exquise, et Schumann semble avoir voulu nous présenter ici des mélodies
plus petites que nature, des miniatures musicales, de façon à ne pas
détruire l'harmonie du cadre minuscule dans lequel Gœthe a renfermé sa
charmante idylle. La Marseillaise, qui tient une large place dans la trame
musicale, se fait toujours douce et gracieuse, et le rôle peu sympathique
qu'elle joue, en représentant l'invasion, est indiqué avec une discrétion
toute charmante.— La scène du « Venusberg », dans Tannhduser, ofl're à
l'esprit le spectacle bizarre d'une scène de mythologie grecque transpor-
tée dans un décor germanique. La musique de Wagner n'a, du moins
dans ce morceau, rien de la plasticité calme et grandiose des créations
artistiques de la Grèce; en lui accordant même des qualités d'inspiration
que beaucoup de wagnériens s'efforcent en vain de découvrir ici, il n'en
reste pas moins vrai que son caractère dominant, dans la scène du « Ve-
352
LE MÉNESTREL
nusberg », est une recherche d'expression lascive poussée jusqu'à Texas-
péralion, plus réaliste par conséquent que ne le permet l'idéal noble et
pur du génie hellénique. Reste l'interprétation orchestrale, qui a été
parfaite. — L'ouverture de Ruy Bios, de Mendelssohn, et la Marche de
Tannhâuseï- complétaient le programme de cette première séance.
AmÉDÉE BoUTAIiEL.
— M. Colonne étant parti pour Saint-Pétersbourg, où il dirige, aujour-
d'hui même, un grand concert symphonique, il n'y a point de concert
aujourd'hui au Chàtelet. Voici le programme du concert Lamoureux, au
Cirque des Champs-Elysées :
Ouverture de Slruensée (Meyerbeer); deuxième symphonie, en ré majeur (Bee-
thoven) ; Concerto (lliendei); la Jeunesse d'Hercule (Saint-Saëns) ; Siegfried-Idijll
(Wagner) ; marche de Tar.-.liïMser (Wagner).
Nous sommes un peu en retard pour parler du grand concert qui a
été donné au Trocadéro, l'autre semaine, par les soins et au bénéfice de
l'Association des artistes dramatiques. Il est difficile cependant de passer
sous silence l'effet considérable produit par le Crucifix de Faure, chanté
par dix-sept ténors di cartello et autant de barytons qui n'étaient pas de
moins bonne marque. Toutes ces voix chaudes et pures, soutenues par
J'orgue de M. Guilmant, ont soulevé la salle, comme on peut se l'imagi-
ner, et un bis formidable, sorti de toutes les poitrines des spectateurs, leur
a répondu immédiatement. Un des numéros à etîet du programme a été
encore le duo de Lakmé, merveilleusement chanté par M""" Landouzy et
Talazac, qui a dit, seul, d'une façon charmante l'aubade du Roi d'Ys. Dans
la note comique Kam-Hill, avec les étonnantes chansons de Mac-Nab, a
eu les honneurs de la séance.
— M. Gélestin Bourdeau, maitre de chapelle de l'église russe de la rue
Daru et de l'ambassade de Russie, prépare une série de six grands concerts
franco-russes avec chants, orchestre et chœurs. Le but de M. Bourdeau
est de faire connaître au public parisien les chefs-d'œuvre de musique
ancienne et moderne, religieuse, symphonique ou théâtrale, des plus
célèbres compositeurs russes et français.
— M. Holmann, le renommé violoncelliste, est de retour à Paris, où il
compte passer tout l'hiver. Nous espérons que nous pourrons l'entendre
cette saison dans un de nos grands concerts.
— Comme nous l'avons fait pressentir, c'est M. Emile Ratez, ancien
élève de Bazin et de M. Massenet au Conservatoire, ancien lauréat du
■concours de fugue, qui est nommé directeur du Conservatoire de Lille,
en remplacement de M. Ferdinand Lavainne, démissionnaire. L'arrêté
Tninistériel portant sa nomination a été signé le 22 octobre par M. Bour-
geois.
— Strasbourg. — La Cavalleria rusticana de Mascagni vient d'être très
chaleureusement accueillie sur la scène municipale de Strasbourg. Il est
vrai que rien n'avait été négligé pour faire de la Cavalleria rusticana un
spectacle attrayant. Les chœurs ont été bien travaillés et l'orchestre, de
son côté, a fait des études détaillées de la partition de l'heureux compo-
siteur italien. Avec cela une mise en scène très soignée et, de plus, de
-frais et jolis costumes, et l'œuvre ainsi préparée ne pouvait manquer
d'obtenir, dès le premier soir, les faveurs d'un public avide d'entendre et
de voir du nouveau. La Cavalleria rusticana nous a été offerte suivant une
adaptation allemande très savamment faite par M. Oscar Berggruen, d'a-
près le libretto original de MM. Targioni-Tozzetti et G. Menasci.
A. Oderdoeffer.
— On fait parfois de la bonne musique à Biarritz, surtout depuis que
M""" de Serres habite dans les environs. Les échos de la villa Carina restent
encore charmés de la jolie séance où la grande pianiste a fait entendre,
avec M"« de Lisboa, les séduisantes Variations pour deux pianos, de Robert
Fischbof, qu'on a déjà tant applaudies l'hiver dernier aux concerts du
Chàtelet, et, aussi, la piquante Sérénade iltyrienne de Conte d'avril (Ch.-M.
Widor), toujours pour deux pianos et qu'il a fallu bisser au milieu d'una-
nimes acclamations. A la même matinée, plusieurs poésies récitées à mer-
veille par M"= Montigny, une bien fine diseuse, et un air de Psyché
(A. Thomas), chanté de belle façon par M"°« de Santos Suarès.
— On nous écrit d'Angers que le premier et le second concerts de
l'Association artistique (390' et 391= concerts populaires) ont renoué de
la façon la plus heureuse les traditions de ce bel orchestre, fort bien
dirigé par son nouveau chef, M. Paul Frémaux, dont le succès personnel
a été très vif. Le .public a surtout applaudi, au second concert, la char-
mante suite d'orchestre de la Source, de Léo Delibes, et Espana, de
M. Chabrier. M. Massenet doit aller présider, le 27 décembre prochain,
la quatre-centième séance de l'Association artistique, dans laquelle plu-
sieurs de ses œuvres seront exécutées.
— M'"^ Andrée-Louis-Lacombe est de retour chez elle, 4, rue Pierre-le-
Grand, où elle a repris ses cours et ses leçons si recherchés des élèves et
•des artistes.
— M. et M"' Henri Ravina ont recommencé leurs leçons de musique d'en-
semble à quatre mains, deux pianos, piano et orgue, quatre mains etorgue,
les mardis, jeudis et samedis, de une à six heures. S'inscrire chez
M. Ravina, lo, rue de La Bruyère.
NÉCROLOGIE
C'est avec un très vif regret que nous annonçons la mort d'un artiste
extrêmement distingué, dont, chose bien rare, la modestie égalait le talent.
Charles Constantin est mort ces jours derniers à Pau, où l'état toujours
précaire de sa santé l'avait conduit à se fixer depuis une quinzaine d'an-
nées. On se rappelle la campagne si artistique et si vraiment intelligente
que Constantin fît, il y a quelque vingt-cinq ans, comme chef d'orchestre
du gentil petit théâtre des Fantaisies-Parisiennes, dont on peut dire qu'il
était l'âme et le moteur. C'est sous sa direction qu'eurent lieu les reprises
d'anciens jolis chefs-d'œuvre tels que les Rosières, le Déserteur, le Calife de
Bagdad, le Sorcier, le Nouveau Seigneur, la Fée du village voisin, le Muletier, etc.,
ainsi que les adaptations de l'Oie du Caire, de Mozart, de la Croisade des
dames, de Schubert, de Sylvana, de Weber, et d'autres encore. Avec quel
soin, quelle conscience, quel souci de l'exactitude et de l'interprétation
tous ces ouvrages furent montés par lui, ceux qui l'ont vu à l'œuvre
peuvent se le rappeler et lui rendre la justice qui lui est due. A son
grand sentiment de l'art, Constantin joignait d'ailleurs une haute culture
musicale. Comme élève de M. Ambroise Thomas au Conservatoire, il
avait obtenu une mention honorable au concours de Rome en 1861 et le
second grand prix en 1863, l'année même où M. Massenet obtenait le
premier; comme violoniste, il avait appartenu aux orchestres du Théâtre-
Lyrique et du Théâtre-Italien, ce qui lui avait permis de se familiariser
avec les grandes œuvres des diverses écoles; d'où résultait chez lui un
éclectisme très sage et très raisonné. Devenu plus tard chef d'orchestre
de la Renaissance, puis de l'Opéva-Comique, d'où l'éloigna un changement
de direction, ayant conduit un instant les concerts du Casino, il avait dû
ensuite se réfugier dans le Midi, dont le climat était nécessaire à sa
santé. Depuis lors, il dirigeait les concerts du Casino de Royan et l'or-
chestre du théâtre de Pau. Comme compositeur, il a fait représenter à
Lyon un ballet intitulé Balc-Bek (1867), et à l'Athénée uu gentil petit
opéra-comique : Dans la forêt (1872). Né à Marseille le 7 janvier 183b, il
n'avait pas encore accompli sa cinquante-septième année.
Arthur Pougin.
— A Rouen vient de mourir, dans un âge avancé, M. Joseph-Ernest
Dassier, artiste qui se fit connaitre naguère par la composition d'un grand
nombre de romances dont plusieurs obtinrent de vifs succès. C'était à
l'époque où Masini, Frédéric Bérat, Clapisson, Aristide de Latour, Théo-
dore Labarre, M'"" Victoria Arago, M. Paul Henrion, publiaient chaque
année un album de romances; M.Ernest Dassier, qui, quoique négociant,
s'occupait de musique avec ardeur, faisait comme eux et donnait son recueil
annuel. On citait, entre autres, parmi ses romances : Marcel le marin,
Venise et Bretagne, Ce que j'aime...
— Il parait que le ténor Lahatt, dont nous avons annoncé la mort d'a-
près les journaux allemands, se porte au contraire à merveille, et ne songe
nullement à quitter ce monde.
— A Anvers est mort, le 9 octobre, à l'âge de soixante-dix- neuf ans,
le compositeur Jean-Simon Eykens, qui était né en cette ville le 13 octo-
bre 1812. Elève du Conservatoire de Liège, il y fit de bonnes études sous
la direction de Daussoigne-Méhul, et fit représenter en cette ville, à peine
âgé de dix-sept ans, un petit opéra-comique en un acte intitulé /e De;jart de
Grélry. Deux ans après, il retournait à Anvers, qu'il ne devait plus quitter,
et où il se livra à l'enseignement et à la composition. On connaît dé cet
artiste deux autres opéras-comiques, le Bandit, en deux actes, et la Clé du
jardin, en un acte, qui furent représentés à Anvers en 1836 et 1837, ainsi
qu'une grande cantate avec orchestre, écrite sur un texte de Bogaerts et
exécutée pour l'inauguration de la statue de Rubens, le 16 août ISiO. On
lui doit aussi plusieurs messes et autres compositions religieuses, quelques
romances, de nombreux chœurs.pour voix d'hommes avec ou sans orchestre,
et des morceaux de genre pour piano.
— De Gento on annonce la mort d'un jeune artiste de famille noble, le
marquis Antonio Plattis, qui avait à peine accompli sa vingt-huitième
année et qui donnait de sérieuses espérances. Ancien élève du Lycée
musical Benedetto Marcello, de Venise, et du Conservatoire de Milan, il
avait fait exécuter en 1889 à la Fenice, de Venise, une scène lyrique pour
soprano, chœur et orchestre, Ora triste, et il y a un mois à peine, à Cento,
un Hymne au Guerchin, à l'occasion du centenaire de l'illustre peintre. Il a
succombé en quelques heures aux suites d'une méningite.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Nous prions le commerce de musique de vouloir bien adresser directe-
ment ses commandes, à MM. Mackar et Noël, éditeurs à Paris, 22, Pas-
sage des Panoramas, pour les œuvres de GIULIO ALARY, dont ils
viennent de se rendre acquéreurs.
AVIS
La Société philharmonique d'Arras demande un chef d'orchestre.
Une place de professeur de violon est également vacante à l'École de mu-
sique de la Ville.
S'adresser pour tous renseignements à M. le Sechétaire de la Société, //, rue
de Beaufort, Arras.
Dimanche 8 Novembre 1891.
3163 - 57""= ANNÉE — N° 4S. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aoonnemenU
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 tr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 t'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Hi'toire de la seconde salle Favart (33' article), Albert Souries et Cbarles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Premières représentations de Norah la
dompteuse, aux Nouveautés, de la Fille de Fanchoii la Vielleuse, aux Folies-
Dramatiques, du Collier de saphirs, au Nouveau-Théàlre, et de Mil Oncle
Barliassoii, au Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III. Histoire anecdotique du
Conservatoire (14' article), André M.artinet. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
PAR LES BOIS
scherzo d'ANTONiN Marmontel. — Suivra immédiatement : Sur le pont
d'Avignon, fantaisie nouvelle de Paul Wachs.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Regarde-loi} nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de E.-J.
Catelain. — Suivra immédiatement : Fabliau, valse chantée par M"« M.
Ugalde, dans Mon Onde Barbassou, musiiiue de Raoul Pugno.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAYART
Albert SOUBIES et Cbarles JMALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V
l'héritage nv théâtre-lyrique. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette
1871-1874
(Suite.)
Pour se consoler, Bizet pouvait se dire qu'il l'emportait
encore sur Gounod; car, en même temps qu'on donnait son
ouvrage, on remontait le Médecin malgré lui, emprunté au
■répertoire du Théâtre-Lyriqtie ; or, cette œuvre-de tout point
charmante n'obtenait que dix représentations, et plus tard
dix autres encore, lorsqu'on en fit à la salle Favart une
seconde et dernière reprise. Peut-être aussi la distribution
manquait-elle un peu d'éclat; M™" Ducasse, Decroix, Guillot,
et MM. Nathan, Bernard, Barnolt, ne formaient en somme que
la « petite troupe ». Quant au principal interprète, il donnait
quelque lourdeur et quelque monotonie au rôle de Sganarelle;
Ismaël, avec toute sa bonne volonté, n'avait point la gaieté
simple et franche d'un Meillet, ni la fantaisie d'un Sainte-
Foy. De plus, certaines comédies musicales ont la malchance,
celle-là semble être du nombre. Nul ne conteste sa valeur
et personne ne peut constater son succès.
Tout au contraire, un simple acte dntt les paroles n'étaient
point de Molière, mais de Brunswick et A. de Beauplan,
dont la musique n'était pas l'œuvre d'un maître reconnu,
mais le premier essai d'un élève à ses débuts, Bonsoir Voisin,
a eu la bonne fortune de rétissir partout où il était représenté:
d'abord au Théâtre-Lyrique, le 18 septembre 1852, avec le
couple Meillet; puis aux Fantaisies - Parisiennes , avec
Meillet et M"e Castello ; enfin, le 12 juin 1872, à la salle
Favart, avec Thierry et M"' Reine. Non seulement l'ouvrage
de M. Ferdinand Poise reçut l'accueil qui convenait à cette
aimable partition, qu'i^dolphe Adam aurait pu signer, mais
encore il ne se maintint pas moins de six années au réper-
toire, ce qui témoigne à tout le moins d'une certaine dose
de vitalité.
Le même jour, Bonsoir Voisin accompagnait sur l'afiiche un
autre acte, nouveau celui-là, le deuxième livret de M. Louis
Gallet et le premier opéra-comiqùe de M. Camille Saint-Saëns.
A cette collaboration, l'avenir réservait d'heureuses batailles;
le présent ne lui permit qu'un malheureux combat. Et pour-
tant, la Princesse jaune méritait de vaincre. La fantaisie de
l'idée fondamentale était fort acceptable, et le poète, dans
cet acte écrit tout entier en vers, avait su masquer habile-
ment la transition de la réalité au rêve et du rêve à la
réalité, lorsqu'il nous montrait ce savant hollandais, épris
d'une figurine japonaise, se croyant, après l'absorption de
certain narcotique, transporté au pays des magots, et se
trouvant au réveil près de sa cousine qui l'aime. La cou-
leur locale devait fournir à un musicien tel que M. Saint-
Saëns le prétexte d'une musique pittoresque; aussi, la Prin-
cesse jaune abondait elle en traits fins et ingénieux qui pouvaient
lui concilier la faveur des gens de gotit. Elle n'eut pourtant
que cinq représentations, un peu plus que le Passant, un
peu moins que Djamileh; et, depuis, par un oubli qui surprend
à une époque où le Japon est devenu à la mode, où Pierre
Loti nous a conté l'histoire de Madame Chnjsanthème, on ne
s'est plus souvenu de ce lever de rideau artistiquement in-
terprété par Lhérie et M"^ Ducasse.
Dix jours après cette œuvre nouvelle, une œuvre ancienne
était remise au répertoire, les Dragons de Villars, avec MM. Mel-
chissédec (Belamy), Lhérie (Sylvain), Barnolt (Thibaut),
M"<! Priola (Rose Friquet) et M'"^ Ducasse (M'"^ Thibaut), dis-
tribution qui devait, avant la fin de l'année, se modifier un
peu, M"« Chapuy succédant, le 20 novembre, à M'"' Priola,
Goppel et M"'= Reine remplaçant, le 2 décembre, Lhérie et
M'"^ Ducasse. Cette reprise du 22 juin était interrompue par
une fermeture de deux mois, fermeture assez productive
nous l'avons dit, puisque le quatuor Ismaël, Lhérie, Galli
354
LE MÉNESTREL
Marié et Priola promena l'Ombre à tra^fers la France, et
récolta dans sa tournée exactement 108,000 francs dont les
artistes se partagèrent 48,000 comme bénéfice net. Remar-
quons que cette clôture n'avait pas alors, comme aujourd'hui,
un caractère régulier. C'est seulement depuis '1873 que
rOpéra-Gomique a pris l'habitude d'interrompre sa vie pen-
dant deux mois d'été, sauf les années d'Exposition Universelle
(1878 et 1889), alors que des recettes supplémentaires sollici-
tent en effet son activité. Jusqu'à cette époque, la salle Favart
ne fermait ses portes qu'exceptionnellement, en cas de
troubles politiques ou de réparations urgentes. Celte dernière
cause se produisit en 1872. Le repos n'est pas un moyen
de gagner de l'argent, et la direction avait besoin d'en gagner;
car si, par arrêté ministériel du 30 mars, M. de Leuven avait
vu renouveler son privilège, jusqu'au 1" janvier 1880, d'autre
part, l'Assemblée nationale avait notablement diminué la
subvention et, pour 1873 comme pour 1872, n'accordait que
140,000 francs, au lieu de 240,000. Cette clôture, du 1" juillet
au 1'^'' septembre, ne réjouissait pas non plus les artistes de
l'orchestre, qui écrivaient au ministre pour demander la ga-
rantie de leurs appointemenis pendant ce temps, rappelant
qu'en 1853, sous la direction Perrin, et en 1864, sous la
direction de Leuven et Ritt, le théâtre était resté fermé pour
réparations quinze jours la première fois, deux mois la
seconde, et que le paiement des appointemenis n'avait pas
été suspendu. On parlait également de donner en septembre
une représentation à leur bénéfice et à celui des choristes,
pour les indemniser de leur inaction ; mais, comme il arrive
trop souvent, on s'en tint à la générosité de l'intention, et
les pauvres instrumentistes se bornèrent à concourir, pendant
la clôture, à des concerts organisés au Palais de l'Industrie,
où s'était ouverte une exposition d'encouragement des
Travailleurs industriels.
Pendant ce temps, l'architecte de l'Opéra, M. Ch. Garnier,
avait pris possession du théâtre, pour y pratiquer les répara-
tions jugées nécessaires. Tout avait été repeint, rafraîchi, le
plancher du théâtre était entièrement renouvelé et celui de
la salle en partie refait, et c'est dans ce local ainsi restauré
que les Dragons de Villars continuèrent, en septembre, le cours
interrompu de leurs exploits. Ce mois de septembre fut aussi
celui des débuts, car, laissant de côté M'"^ Chauveau, qui
avait profité de la fermeture annuelle du théâtre de Lyon
pour venir à Paris chanter Mignon et obtenir un succès d'estime
dans un rôle où jusqu'alors M™ Galli-Marié demeurait sans
rivale, nous trouvons comme débutants : le 1" septembre,
dans le Chalet (rôle de Daniel), M. Raoult, élève de Dupuy, un
ténorino qui avait dû débuter en 1870, avait quitté l'Opéra-
Comique pour les Folies-Bergère, où il chanta en 1871 une
opérette de M. Ch. Grisart, Memnon, que le talent de M""= Judic
ne contribua pas peu à faire réussir, et, de nouveau laissant
rOpéra-Comique, alla jouer en 1874 la Fille de madame Angot
aux Folies-Dramatiques; le 3 septembre, dans la Bameblanche
(rôle d'Anna), M'"^ Ganetti, ancienne élève du Conservatoire,
dont la voix souple et légère avait réussi au Théâtre-Lyrique
de l'Athénée, et qui avait paru déjà, bien modestement il est
vrai, sur la scène de la salle Favart, car elle faisait partie des
pages de la Fiancée du Roi de Garbe, véritable pépinière de can-
tatrices d'où étaient sorties avant elle M"" IVIarie Rôze et
Mauduit; le 12 septembre, dans Eaydée, M"° Chapuy, fille
d'un ancien danseur de l'Opéra, et elle-même ancienne artiste
du Vaudeville, une cantatrice émérite, pleine de charme et
de distinction, qui devait attacher son nom à plusieurs créa-
lions importantes, comme celle de Micaëla dans Carmen, et
que le mariage devait enlever trop tôt à une scène où bien
des succès lui semblaient réservés; enfin, le 14 septembre,
le Pré aux Clercs ramenait M"« Garvalho, qui avait été faire une
courte saison à Londres, et Sainte-Foy, qui s'était trop long-
temps et bien inutilement attardé en Russie, où le répertoire
en honneur convenait peu à son genre de talent. Ainsi se
comblaient les vides laissés par M""»' Marie Battu et Moisset,
toutes deux parties pour Bruxelles, et M. Montjauze pour
Nantes, M"^ Prelly et M. Potel, engagés aux Bouffes-Parisiens,
ce dernier pour une année seulement, car il rentrait dans
Zampa le 23 juillet 1873 par le rôle de Dandolo et devait four-
nir une longue carrière à la salle Favart.
La fin de l'année réservait la surprise d'un grand ouvrage
composé par un jeune musicien dont le bagage dramatique
ne comptait encore qu'un lever de rideau, la Grande Tante.
Cette fois, trois actes écrits par M. Chantepie lui avaient été
confiés, ei Don César de Bazan fut représenté le 30 novembre.
Tout le monde a vu jadis l'inimitable Frédérik Lemaître dans
ce drame, où Dupeuty et Dennery avaient si originalement
complété la figure du personnage inventé par Victor Hugo;
on se rappelle comment, à la veille d'être fusillé pour s'être
battu en duel, le bohème grand d'Espagne épouse une femme
voilée à laquelle il laissera son nom, la bohémienne Maritana,
qui a touché le cœur du roi, et comment, sauvé de la mort
par le dévouement d'un serviteur, il retrouve, avec la clémence
royale, la fortune et la possession de l'inconnue qu'il ne
devait épouser qu'm parlibus.
L'action ne manquait pas d'intérêt dramatique , et
M. Massenet, sans donner là encore toute la mesure de
ses moyens, savait déjà conquérir l'estime des connaisseurs
et même la faveur du public par quelques morceaux de
choix, comme la jolie berceuse de M™ Galli-Marié, et l'amu-
santentr'acte « Sevillana». La critique, généralement favorable,
sut gré au compositeur de n'avoir pas « sacrifié le moins du
monde aux fétiches d'Outre-Rhin. » Pour s'être soi-disant
rapproché de 'Wagner, Djamileh n'avait eu que anse représen-
tations ; pour s'en écarter ostensiblement, Don César de Bazan
en recueillait treize. L'écart demeurait peu sensible, et l'on
pouvait, semble-t-il, espérer mieux avec une partition très
intéressante en somme, et confiée à de bons interprètes,
comme M°"=^ Galli-Marié (Lazarille), Priola (Maritana),
MM. Bouhy (Don César), Lhérie (le roi) et Neveu (Don José).
Dès la seconde représentation, on avait allégé l'ouvrage de
deux chœurs, dont celui des juges, et sans doute, en cher-
chant bien, on aurait distingué çà et là quelques traces de
la hâte avec laquelle il avait été écrit; mais le compositeur
aurait pu répondre qu'après tout mieux valait se presser
pour arriver au jour de la représentation que de s'endormir
dans de douces rêveries comme M. Duprato, auquel on avait
confié d'abord le même livret en vue de l'Opéra, et qui,
chemin faisant, l'avait abandonné.
Veut-on d'ailleurs une preuve de la conscience avec la-
quelle travaille l'auteur de Marie-Magdeleine et de Manon? En
voici une, que nous fournit précisément la partition de Don
César de Bazan. Un seul morceau, pour orchestre, en avait été
primitivement gravé, l'Entr'acte-Sévillana. Le manuscrit de
l'auteur servait aux représentations ; on le conserva donc
dans la bibliothèque du théâtre, et il disparut malheureuse-
ment dans la fournaise, lorsque fut brûlée la salle dont nous
racontons ici l'histoire. En 1889, il arriva que l'Opéra de
Genève eut l'idée de reprendre cet ouvrage oublié d'un
maître classé désormais parmi les premiers. M. Massenet
dut reprendre sa partition piano et chant et instrumenter à
nouveau, travail minutieux et ennuyeux, mais auquel il ne
ménagea ni le soin ni la peine. Gomme un jour nous le
voyions plongé dans la lecture d'une de ses premières suites
d'orchestre, nous lui demandâmes la cause de cette étude
rétrospective. « C'est, nous dit-il, que je n'écris plus aujour-
d'hui comme il y a quinze ans ; alors, pour que l'instrumen-
tation nouvelle s'accorde avec les idées premières, je reprends
une œuvre composée à peu près dans le même temps, et je
me remets en têle mes procédés d'alors, je rapprends mon or-
chestre. » Ajoutons qu'il profita de la circonstance pour aug-
menter son ouvrage; la version de Genève, adoptée depuis
dans plusieurs grandes villes de province, comprend deux
morceaux qui ne figuraient point dans la version de Paris.
(A suivre.)
LE MENESTREL
355
SEMAINE THÉÂTRALE
Nouveautés : Norah la dompteuse, yaudeville en trois actes de MM. Grenet-
Dancourt et G. Bertal. — Folies-Dramatiques : La Fille de Fanchon la Viel-
leuse, opéra-comique en quatre actes et cinq tableaux de MM. Liorat,
Busnach et Fonteny, musique de M. L. Varney. — Nouveau-Théâtre :
Le Collier de saphirs, pantomime en deux tableaux de M. G. Mendès,
musique de M. G. Pierné. — Gymnase : il/on onde Barbassou, comédie
fantaisiste en quatre actes, tirée du roman de M. Mario Uchard, par
MM. Emile Blavet et Fabrice Carré, musique de M. Raoul Pugno.
Voilà, vraiment, un petit sommaire assez respectable et qui prou-
verait péremptoirement, si la température ne se mêlait aussi de nous
le faire sentir, que l'hiver est décidément revenu. Les théâtres de
Paris lancent à foison leurs nouveautés; heureux ceux qui, dès
maintenant, mettent dans le mille !
Aux Nouveautés, j'ai bien peur que le point ne soit pas merveil-
leux. Il s'agit là d'une Américaine, dompteuse de son état, Norah
de son nom, belle de par la volonté de dame Nature, qui fait tourner
la tête à tous ceux qui ont l'heur de l'approcher. Les galants se
précipitent en foule dans son boudoir, où les maris sont réclamés
par leurs épouses. Deux d'entre eux, pour s'échapper, s'affublent de
peaux de fauves. Bien entendu, ils mettent en fuite tous les assis-
tants, non sans s'effrayer fortement l'un l'autre.
Si la pochade de MM. Grenet-Dancourt et G. Bertal est plutôt insi-
gnifiante, nous n'avons pas la force de leur en vouloir, leur tenant
compte d'un bon quart d'heure de rire sain et joyeux qu'ils nous ont
procuré en nous montrant les deux maris enfermés dans une cage
avec de vrais carnassiers. Folie, si vous voulez, mais bonne folie.
M"'" Mathilde, Jane Pierny, dont les jambes, sous le maillot de la
dompteuse, ont fait sensation, Chassin et Narlaj', MM. Mallard, abu-
sant d'effets toujours semblables, Calvin fils, Mallarmé et M. Dupuis,
avec, au dernier tableau, un essaim de charmants petits clo-\vns très
joliment costumés par Henry Gerbault, présentent en liberté Norah
la dompteuse aux hôtes du théâtre des Nouveautés.
Mes grands et illustres confrères vous ont tous dit, ou à peu près,
qu'ils tenaient la Fille de Fanchon la Vielleuse pour un digne pendant
de la Fille de Madame Angol. Je ne voudrais pas m'inscrire en faux
contre cette déclaration; mais je me demande vraiment si la pièce
nouvelle de MM. Liorat, Busnach et Fonteny a la verve et la fan-
taisie de celle de MM. Glairville, Siraudin et Koning et si, malgré
les deux premiers actes qui sont absolument réussis, la musique de
M. Louis Varney se soutient, du commencement ù la fin de l'ou-
■vrage, aussi heureusement que celle de M. Lecocq. Quoi qu'il en
soit, les Folies-Dramatiques tiennent là un véritable succès, et
M.Vizentini, qui est un artiste de race, a lieu de se féliciter d'avoir
gagné la bataille avec une œuvre qui s'écarte des insipidités musicales
à la réussite desquelles, hélas ! nous assistons de temps àautre.
Fanchon la Vielleuse vient de mourir en Amérique, confiant au
chevalier Saint-Florent, parti pour le Nouveau-Monde afin d'y refaire sa
fortune, tout son petit héritage, renfermé en une caisse, pour qu'il le
remette à sa fille Javotle, restée en France. Javelle est donc convo-
quée chez le notaire Bellavoine : on fait sauter les scellés... la caisse
ne contient que la vielle de la musicienne ambulante ! Saint-Florent,
habilement interrogé par le notaire, avoue que Fanchon lui avait
remis trente mille livres, mais qu'à peine arrivé à Paris, il les a
risquées au jeu et perdues. Il promet de rembourser Javotte, qui
n'en est pas moins obligée de renoncer à son fiancé Jacquot, faute
de la dot convoitée par le père, et de courir Paris en chantant pour
gagner son pain quotidien. Bellavoine, qui, bien que notaire res-
pectable et marié, ne dédaigne pas les jeunesses, courtise fortement
la jolie Savoyarde, pendant que sa femme se laisse conter fleu-
rette par un fliitiste déliquescent, Zéphirin. Et la double intrigue
marche parallèlement, Javotte résistant à Bellavoine, M°"- Bellavoine
se montrant, par contre, beaucoup moins intraitable avec l'eulre-
prenant Zéphirin, jusqu'au moment oîi tout se découvre. Tout serait
gâté irrémédiablement si le bon Bellavoine ne consentait à prendre
des vessies pour des lanternes et si Je père de Jacquot ne consen-
tait au mariage de son fils avec Javotte, Saint-Florent ayant rem-
boursé les trente mille livres, regagnées au jeu à l'aide d'une au-
mône que lui a faite en cachette la fille de Fanchon.
Tout ceci, vous le voyez, n'a rien d'absolument original et, n'é-
taient plusieurs détails charmants et quelques scènes amusantes, la
pièce ne se distinguerait guère de ce que nous avons l'habitude de
voir. La musique, au contraire, nous a fort agréablement surpris.
Foin de l'opérette et des flonflons faciles du vaudeville, M. Varney
fait de l'opéra-comique et, dans plus d'une page, du meilleur. J'ai
cité déjà les deux premiers actes, et j'y reviendrai pour mentionner
tout particulièrement, au premier, un chœur charmant: « La voilà
cette caisse mystérieuse, » dont l'accompagnement d'orchestre est
tout à fait exquis, et une romance: « Aux montagnes de la Savoie, »
d'une allure naïve et simple réellement séluisante; au second acte,
un duetto dans lequel l'auteur s'est adroitement servi de refrains
populaires, un amusant petit quartuetto et une scène adorable dans
laquelle M""" Thuilier-Leloir s'est fait acclamer en modulant à ravir
des traits et des phrases chantés par la flûte. J'aime moins les deux
derniers actes, bien qu'au troisième le public ait redemandé à grands
cris une chansonnette comique dont l'effet, je crois, est dû surtout
à la façon très drôle dont elle est dite par MM. Gobin et Guyon,
et ait bissé encore un rondo détaillé avec goût par M"" Zélo Duran.
J'ai nommé M""" Thuilier-Leloir, la triomphatrice de la soirée, qui
s'est montrée comédienne charmante et chanteuse tout à fait hors
pair. M"' Zélo Duran, une belle personne, MM. Gobin et Guj'on,
toujours de joyeux compères. Je dois aussi des bravos à M. Larbau;
dière, un fort agréable ténorino, à MM. Belluci, Lacroix, M. Lamy,
Mesmacker, à M"° Freder, une petite artiste intelligente qui fera
son chemin, à M. Baggers, qui a conduit son orchestre avec beau-
coup de sentiment artistique, enfin au directeur, M. Vizentini, qui a
monté la Fille de Fanchon la Vielleuse avec beaucoup de luxe et de
goût et sera récompensé de ses efforts par un succès que nous
prévoyons des plus durables.
Encouragée par l'accueil fait au Scamarouche de MM. Messager et
Streel, la direction du Nouveau-Théâtre vient de monter, pour
quelques représentations seulement, le Collier de saphirs, pantomime
en deux tableaux de M. Catulle Mendès, musique de M. Gabriel
Pierné, qui fut représentée l'été dernier à Spa, si nous avons bonne
mémoire. Ainsi donc, la coquette salle de la rue Blanche semble
maintenant se vouer à la véritable et saine musique, et nous nous
en réjouissons, applaudissant des deux mains à cette métamorphose.
La fable inventée par M. Catulle Mendès peut tenir en quelques
mots : Gilles aime Gillette, mais Gilles est pauvre et Gillette court
après la richesse ; aussi la coquette se donnera-t-elle à un vieux
seigneur du voisinage qui lui promet fortune et hommages, si Gilles
ne peut lui offrir un collier de saphirs dont elle a envie. Après de
vaines supplications, Gilles, essayant de payer le marchand avec
des vers et des chansons, se décide à le tuer pour entrer en pos-
session du précieux joyau. Son crime commis, il est en proie au
remords et se pend. Le second tableau nous le montre au Paradis,
pardonné, parce qu'il a tué par amour, et retrouvant sa Gillette telle
qu'il la désirait. C'est là de la morale de poète.
Le côté gracieux de cette petite légende est malheureusement gâté
par des développements inutiles et des scènes trop longues. La par-
tition de M. Pierné, d'une orchestration chatoyante et ingénieuse,
et d'une grâce souvent captivante, n'a pu suffire à masquer ce gros
défaut, non plus que la gentillesse et l'adresse de M"' Peppa
Invernizzi, un Gilles très séduisant. Il n'en reste pas moins, à l'actif
du Nouveau-Théâtre, un effort artistique 'très appréciable.
Ce n'était point tâche facile que de tirer une pièce du roman de
M. Mario Uchard, Mon Oncle Barbassou, et, en relisant ces jours der-
niers le volume, je me demandais, non sans craintes, comment les
deux auteurs pourraient arriver à condenser en quatre actes cette
histoire assez compliquée. MM. Emile Blavet et Fabrice Carré qui,
tous deux, sont gens d'infiniment d'esprit, ont fort adroitement résolu
la difficulté. Ne voulant point tromper leur public ils ont ajouté au
mot « comédie » le qualificatif « fantaisiste » et, de fait, c'est là
surtout une fantaisie aimable, spirituelle et d'un aspect chatoj'ant.
Du livre, MM. Blavet et Carré n'ont gardé que les grandes lignes
de l'amour d'André de Peyrade pour la préférée de ses houris,
Koudjé. Car André vient d'hériter d'un sien oncle, Barbassou, ori-
ginal s'il en fut, qui avec une fortune colossale, lui laisse un
harem garni de quatre fort jolies personnes. Eoudjé a vite fait la
conquête de son nouveau maître qui, par dilettantisme, la sépare
des autres femmes et la fait élever dans une pension de Paris. Un
beau soir, tous deux se rencontrent dans le monde, et Koudjé, pous-
sée par la jalousie, croyant à un mariage projeté pour André, avoue
devant tous les invités sa véritable position sociale. Le scandale est
grand. André se voit obligé de licencier son harem, non sans garder
auprès de lui Koudjé dont il fera M'"° de Peyrade. Voilà le fonds.
Les détails sont fournis par Barbassou lui-même qu'on a cru mort
à tort, par l'une de ses épouses légitimes, la comtesse de Monteclaro,
et par le grand maître du sérail, Mohammed.
M"" Marguerite Ugalde nous a donné une tout à fait charmante
Koudjé et, déplus, bous avons eu le plaisir de l'applaudir dans deux
356
LE MEiNESrili:L
fort jolies romances de M. Raoul Pugao : une chanson orientale
au rythme langoureux et une valse que la salle entière a rede-
mandée. M. Noblet est un André mondain et spirituel, M. Numès,
un Mohammed absolument impayable et M'"" Desclauzas une com-
tesse de Monleclaro parfaite. MM. Nocl, Hirsch et les jolies M"°* De-
marsy, Lucie Gérard, Lécuyer et Bertine, forment un excellent
■ensemble. Le sujet prêtait à la mise en scène et M. Koning n'a eu
garde d'y manquer; les quatre tableaux sont variés et absolument
exquis. Paul-Émile Chevalier.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
CHAPITRE VI
LOUIS-PHILIPPE ET LA II' RÉPUBLIQUE
(Suite)
Les élèves ont souvent quitté le territoire de la rue Bergère du-
rant l'hiver; on les a entendus chez le prince-président, aux
obsèques d'Habeneck, même dans les ateliers Gtiaix, oîi ils ont
organisé un concert devant la statue de Gutenberg.
Le Prophète à l'Opéra, à l'Opéra-Comique le Toréador, le succès
croissant de Rose Chéri au Gymnase, les représentations de
M"° Aline Duval au théâtre Montansier, l'existence éphémère de
l'opéra boulTe français installé dans la salle Beaumarchais, les
essais littéraires de M"" Augustine Brohan avec un proverbe :
Compter sans son hôte, joué au concert de M. Samary, ces événements
petits et grands se succèdent jusqu'à l'ouverture des concours.
MM. Silas et Saint-Saëns se révèlent brillants organistes ; Bizet
et Delibes remportent les prix de solfège; Wienia-wski et Thurner
sont proclamés ex œquo après la séance de piano. Un accessit de
chant récompense M"= Wertheimber, MM. Bussine et Depassio.
Classe d'opéra : dans une scène du Prophète, M"" Nantier est
interrompue par les acclamations, puis la salle entière se tourne
vers Meyerbeer, qu'elle associe à ce triomphe. Même manifestation
à l'adresse d'Halévy, après la scène des cartes de Charles VI.
Le concours de comédie fait sortir du rang M"'' Fix, Bilhaut,
Savary, Goblentz, MM. Thiboust et Morin.
Pétitions, doléances, observations, avis sont recueillis par M. Du-
fanre dans la visite qu'il fait au Conservatoire le 2 septembre. De
nouvelles réparations sont jugées nécessaires et retardent la rentrée
des classes.
Cent soixante-treize prix et accessits sont proclamés le 2 décembre;
M. Charles Blanc annonce un supplément de crédits, parle des ré-
formes projetées, fait espérer le rétablissement du pensionnat pour
les femmes.
Dans la salle de l'Opéra, les adieux de Duprez. Au deuxième
acte de la Juive, M'"' Miolan et Gastellan entourent leur maître ;
M°"« Viardot lui donne la réplique dans des fragments d'Othello. La
scène des tombeaux de Lucie, un Tigre du Bengale, Geneviève et le bal-
let de Gustave complètent le programme.
18S0. — La discorde est au camp des musiciens ; de la rue Ber-
gère est partie l'étincelle qui allume la guerre.
La comtesse Rossi, qui fut M"» Sonlag, tant acclamée, tant fêtée,
▼a reparaître devant le public parisien après un silence de vingt
ans ; M. Lumley, son imprésario, demande la grande salle du Con-
servatoire pour six représentations italiennes, dites concerts costu-
més, et M. Ferdinand Barrot l'accorde, au grand scandale de la
Société des concerts.
Réuni d'urgence, le Comité signe une protestation au nom de tous
les membres, professeurs ou élèves de l'École. On crie au sacrilège,
à la violation de tous les droits, au renversement des traditions. Le
ministre répond que la salle ne sera prise qu'aux jours vacants,
qu'il s'agit d'une question d'art, que le « patronage du gouverne-
faient ne saurait aller jusqu'à respecter, comme un monopole, ce
qui était dans l'origine une concession gracieuse de souverains. »
Battus sur ce point, les partisans de la rue Bergère s'en prennent
à M""' Sontag. On a dit qu'elle chanterait eu italien, en allemand,
en anglais, en français? Le beau prodige! Ne se souvient-on plus
déjà que la Malibran, certain jour, se fît entendre en sept langues
différentes, joua de deux instruments, improvisa une romance, et
couronna ces exercices variés par une promenade à cheval dans
Hyde Park?
La séance du 19 mars voit l'opéra-comique écrasé par la comé-
die. Au sortir du Conservatoire, nul ne parle des deux actes
d'Othello; un seul nom est sur toutes les lèvres : Madeleine Brohan,
la Sylvia du Jeu de l'amour et du hasard. « Elle a quatorze ou quinze
ans à peine ; elle est jolie à dire d'experts, jolie saus contradiction
comme la Suzanne du Figaro, riante, verdissante, pleine de gaité,
d'esprit. »
La musique a bientôt sa revanche avec Joseph, chanté par M"' Tille-
mont, Riquier, Merly et Sujol.
Des noms, souvent relus depuis, sont au palmarès de 1830 : Lecocq,
Planté, âgé de onze ans et trois mois, Jules Cohen. Le violon a,
comme le piano, son petit prodige, Paul Jullien, chargé de dix
printemps. Chant et comédie : Chapuis, Merly, M"" Wertheimber,
Metrème, M"" Brohan, Périga, Jouassain, Théric.
Redingote bleue, la lyre d'or brodée au collet, des lyres encore sur
les boutons, vêtemeot coquet pour un collégien, mais sous lequel
basses et tiagédiens avaient étrange tournure, (el élait, au Conser-
vatoire, l'uniforme des pensionnaires.
Désireux de se présenter au public en plus galant appareil, deux
concurrents réunissent leurs économies do l'année et font emplette
d'un habit. Très applaudi, le premier rentre précipitamment dans
la coulisse, et, reprenant l'uniforme délesté, abandonne frac et le
reste à son camarade. — Celui-là est moins heureux et, son air fini,
désespéré de la froideur de la salle, s'élance hors du Conservatoire,
laissant son compagnon effaré et anéanti devant la fuile du costume
de gala. — C'est ainsi qu'on explique, dans les couloirs, comment un
des lauréats du chant ne répondit pas, ce jour-là, à l'appel de son nom.
Tandis qu'on signale les nouvelles éioiles, des gloires du temps
jadis disparaissent. Mortes M"'" Gavaudan, Boulanger, Saint-Aubin;,
enterrée, aux sons du Salutaris de Gossec, M°" Branchu, une des
premières élèves de Garai.
A la distribution des prix, présidée par M. Baroche, la liste des
lauréats semble si longue qu'un nouveau règlement, édicté dès le
22 novembre, défend de doubler les récompenses. Seul, le premier
prix pourra être partagé, si le jury est unanime à le décider; en cas-
de partage des voix, il sera attribué au concurrent le plus âgé.
Décorés par décret du prince-président, Albert Grisar et Alard.
Plus d'un apprenti comédien, en se rendant à la classe aux jours
d'hiver de 18S1, fait halte devant les affiches du Gymnase : Geoffroy,
Lafontaine, Lesueur, Dupuis, Brossant, Numa y sont réunis auprès-
de Rose Cbéri et de Mélanie, de M"" Luther et Anna Chéri; la petite
Céline Montaland attire Paris au tliéâtre Montansier (Palais-Royal).
On annonce les débuts prochains de M"» Alboni à l'Opéra, dans
Zerline, qu'Auber termine pour elle ; M"" Sophie Cruvelli va entrer aux
Italiens. Ponchard, resté sur la brèche depuis 1812, prépare sa
représentation de retraite : il sera une dernière fois le George Brown
de la Dame blanche.
Dans cette même année, M. Gounod donnera Sapho à l'Opéra et
M. Ainbroise Thomas, .successeur de Spontini à l'Institut, enrichira
rOpéra-Comique avec Raymond ou le Secret de la Reine.
La presse commence à murmurer contre le sempiternel répertoire
de la rue Bergère, et pourtant la salle semble insuffisante à contenir
les spectateurs accourus en foule à l'exercice de mars. Dans l'Épreuve^
on leur présente pour la première fois M. Gilles de Saint-Germain,
auprès de M'"* Valérie et Savary; deux actes de Don Juan conduits
par Girard, font valoir Bussine jeune et Merly, M"'"'^ Chambard et Til-
lemont. Le mois suivant, une partie des Noces de Figaro (M"" Lareena)
et des fragments d'Orphée. Sous les traits de l'époux d'Eurydice
M"" Wertheimber est jugée remarquable, rappelée, applaudie furieu-
sement. Aussi reparait-elle dans la séance de mai, ayant pour parte-
naire M"'* Boubert (l'Amour). Le Tableau parlant complète le pro-
gramme, avec le Dépit amoureux ; M. Gilles de Saint-Germain a
composé un Masoarille tout de finesse.
Nous retrouvons tous ces jeunes artistes aux jours solennels des
concours. En tête des classes d'opéra-comique. M"" Tillemont et
M. Bussine ; 1"' accessit : M. Faure ; la séance d'opéra est un succès
incontestable pour M"' Wertheimber. M'" Périga et M. Charles
Lemaitre défendent le drapeau de la tragédie. M"" Savary et Valérie,
MM. Lesage et Gilles de Saint-Germain reçoivent les suffrages du
jury de comédie, au sein duquel trône M"" Georges, entourée de
MM. Got et Leroux.
Pour pernKiltre aux voix de se reposer, les concours de chant,
d'opéra-comique et d'opéra ont été mêlés à ceux des instruments ;
auprès de MM. Colin, Boutmy, Ferrand,Llorenz,Garcin,de M"'' Jaurès,
nous trouvons M. Bonnehée, M""' Wertheimber, Loustauneau ,
LE MEiNhSlilLiL
357
Ghambard, Boulard et Geismar. M. Saint-Saëns a le prix d'orgue,
M. Leeocq remporte un accessit de contrepoint et M. Bizet arrive
le second parmi les pianistes lécompensés.
Prix do Rome de 18SI : M. Delehelle, dont les interprètes ont été
M"='' Miolan, Merly et Boulo.
* *
Les critiques l'emportent; Auber se résigne à varier le programme
des exercices, tout en bannissant impitoyablement ses œuvies de la
scène du Conservatoire.
Voici, en 18S2, les Folies amoureuses, précédées d'une ouveiture rie
M. Jonas, et Jean de Paris (MM. Sapin, Bonnehée, Faure; M"" Lar-
cena et Boulait).
L'orchestre des é èves, sous la direction de M. Massart, est en
progrès constants ; il fait merveille dans Vlrato (11"° Girard) ; son
entrain est plus remarqué encore à la séance du 18 juin. Joconde
est un double succès pour M. Sapin, « né acteur, chanteur char-
mant » ; M. Faure paraît dans uu rôle sacrifié. Avec les Précieuses
ridicules, la musique ne perd pas complètement ses droits ; des ap-
plauflissements prolongés prouvent à M. Gilles de Saint-Germain
combien on apprécie son goût et son adresse dans la chanson
impromptu : « Ohl oh! je n'y p-enais pai garde. »
Peu d'inconnus d'aujourd'hui parmi les lauréats : nomination dans
la classe de contrepoint, M. Jules Cohen. Prix de piano : Bizet et
Savary ; accessit: Ketlerer. Les meilleurs violonistes s'appellent
Lancien et Viault; M. Lamoureux figure aussi au palmarès. Chant :
pas de l" prix pour les femmes; le second est accordé à M"° Boular',
qui a, dans Actéoyi. partagé le succès de M. Faure (l"' prix). A citer
encore dans les classes d'opéra et d'opéra-coraique MM. Faure,
déjà couronné, Beckers, Bonnehée, Sapin, M"'' Geismar.
La tragédie ne brille pas d'un vif éclat, et n'obtient qu'un second
accessit, en la personne de M. Vonoven. En revanche, la comédie
remporte quatre premiers prix : M"" Valérie et Arsène, MM. Lesage
et Gilles de Saint-Germain; 2" prix : M"" Emilie Dubois;
accessits : M"'=* Feraudy et Rousselle.
Au jour de la distribution, l'Ecole est redevenue « Conservatoire
Impérial de musique et de déclamation » ; M. Romieu, directeur
des Beaux-Arls, attache le ruban rouge à la boutonnière de Leborne,
le maître d'Aimé Maillart, le musicien érudit dont les élèves s'ap-
pellent Duprato, Savard, Franck, Poisot.
(A suivre.) André M.4rtinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Les journaux italiens sont unanimes à constater le très grand succès
du nouvel opéra de M. Mascagni, l'Amico Fritz, dont la représentation au
Costanzi de Rome, après le triomphe de sa Cavalkria rusticana, était une
nouvelle et décisive épreuve à subir pour le talent du jeune compositeur.
Celui-ci n'a pas faibli dans ce combat si important, et il en est sorti com-
plètement vainqueur. Voici comment l'un des premiers critiques d'outre-
monts, M. Zuliani, apprécie, dans l'Italie, la valeur de la partition de
l'Amico Fritz, qui a été accueillie par le public avec d'unanimes applau-
dissements : — « L'Amico Fritz signale un progrès remarquable sur la
Cavalleria rusticana; l'inspiration en est plus élevée, plus idéale, la mélo-
die est spontanée, originale, expressive, caractéristique; la forme, dans
les morceaux qui ont le plus frappé le public, est plus choisie ; l'orcties-
tration plus élégante, plus fine. Le musicien s'est révélé sous un aspect
nouveau : cciui de l'artiste qui sent toute la délicatesse d'un sujet poé-
tique, idyllique, et sait trouver dans son cœur les notes pour l'exprimer.
La romance pathétique et très belle de Suzel dans le premier acte ; le
charmant et délicieux duo des cerises, ainsi que le duo qui le suit; le
finale du second acte ; la romance du ténor au troisième acte, sont des
morceaux d'une très grande valeur comme inspiration, sentiment exquis
et facture. On y trouve le sou01e divin de l'âme, et c'est avec raison que
M. Levi dit : i Si nous n'avons pas le chef-d'œuvre, nous avons le com-
positeur de génie. » La vive et profonde émotion que ces morceaux ont
soulevée dans le public ne peut se décrire : critiques sévères et érudits,
professeurs de musi que, artistes, dames de la plus haute aristocratie, applau-
dissaient et demandaient le bis avec une ardeur et une chaleur égales à celles
de la foule qui se pressait au parterre et aux galeries ; c'était une explosion
d'enthousiasme qui s'est reproduite à la seconde représentation, pour les
mêmes morceaux. Que pouvait-on espérer de plus de M. Mascagni '? Un chef-
d'œuvre? Il en écrira peut-être, nous l'espérons, mais aujourd'hui nous
n'en demandons pas tant et la belle musique nous suffit, comme elle a
suffi au public intelligent ; c'est l'affirmation d'un talent réel et sympa-
thique, la confirmation que le jeune maestro a vraiment la veine de la
mélodie et possède, avec la faculté de créer de belles mélodies, l'art et le
goût de les présenter dans la forme artistique la plus sympathique. <»
Ajoutons que l'interprétation de l'œuvre nouvelle a été excellente dans
toutes ses parties. M"" Galvé s'est montrée extrêmement remarquable dans
le rôle de Suzel, où elle a excité toutes les sympathies ; M. De Lucia a
chanté celui de Fritz avec un sentiment exquis, M. Lhérie a fait une
excellente création de celui du rabbin, et M'"' Synnenberg est charmante
dans celui de Beppe. Enfin, M. Sonzogno a déployé pour l'Amico Fritz une
mise en scène qui fait honneur au théâtre Costanzi, et rien n'a été négligé
pour assurer te succès de l'ouvrage, aujourd'hui certain.
— On sait qu'il arrive souventen Italie qu'un journal artistique se fonds
en prenant pour titre celui d'un ouvrage dramatique à grand succès. C'est
ainsi qu'on a eu tour à tour le Trovatore, Rigolelto, Carmen, Fra Diavolo et
bien d'autres. Cette consécration d'un nouveau genre ne devait pas man-
quer au nouvel opéra de M. Mascagni. Voici qu'on annonce l'apparitioE
à Milan d'une nouvelle feuille théâtrale qui se publiera sous le titre de
l'Amico Fritz.
— Tout en s'occupant de la célébration du centenaire de la naissance
de Rossini, la Philharmonique de Florence n'oublie pas celle du cente-
naire de la mort de Mozart. Une grande réunion a eu lieu, à cet effet,
dans la salle de l'Institut musical, à laquelle ont pris part MM. Gandolfi,
Vanuccini, Cortesi, Buonamici, Sbolgi, le marquis Philippe Torrigiani,
président de l'Institut, le marquis G-ino Maria de' Mari, et quelques autres
sommités de l'art florentin. Il a été décidé que l'on donnerait deux
grandes séances de musique de Mozart, une de musique de chambre et de
chant, dans laquelle, entre autres, M. Buonamici exécuterait la grande Fan-
(rtisi'e ei /'uffue du maitre, tandis que diverses œuvres instrumentales seraient
interprétées par le Trio Florentin composé de MM. Osvald et Gajani et de
Mlles Gordigiani et Galeotti, l'autre de musique symphonique et vocale.
Dans le programme de celle- ci, dirigée par M. Jefte Sbolgi, seraient compris
la symphonie en iit mineur, le Dies irœ du Requiem et le Magnificat. De
nombreux amateurs de Florence, hommes et femmes, se sont déjà fait
inscrire pour chanter dans les chœurs, qui seront placés sous la directioe
de M. Landini.
— Il est question de donner au théâtre San Carlo, de Naples, l'opéra de
M. Jules Gottrau, GriseMa, dont le succès a déjà été très vif à Florence, i
Malte et à Turin. M. Cottrau est un compositeur d'origine française, donït
le grand-père fut secrétaire général du ministère de la marine sous \z
Convention et sous le Directoire.
— A Milan, le théâtre Garcano se prépare à ouvrir une saison musicale
et vient de publier son cartellone. Parmi les ouvrages annoncés, se trouvent
Néron, non celui de M. Boito, comme on pourrait le croire, mais un opéra,
nouveau de M. Riccardo Rasori, et Otello, non celui de Verdi, mais le
vieil opéra de Bossini.
— On a représenté avec succès au théâtre Parthénope, de Naples, une
nouvelle opérette, Canerina, musique de M. Gaetano Scognamiglio, et k
Turin, au théâtre turinois, une autre opérette, la Figlia del Sole, musique
de M. Pasquale Rispetto. On annonçait pour le 31 octobre, au théâtre
Mercadante, de Naples, un troisième ouvrage du même genre, il Sultano
di Schabahama, paroles de M. Gennaro Pastore, musique de M. Nino
Gisobava, et pour le 1"' novembre, au théâtre d'Esté, la première repré •
sentation d'^nnmrt, opéra nouveau du maestro Deola, directeur de l'Institat
philharmonique de cette ville.
— On a dû exécuter le 4 novembre, à Rovalo (province de Brescia), un«
nouvelle messe inédite du maestro Antonio' Cagnoni, l'auteur applaudi
de Don Bucefalo, de Michèle Perrinet d'autres ouvrages fort estimés en Italie.
L'exécution de cette messe était confiée à un ensemble de cinquante ins-
trumentistes et chanteurs. Les soli devaient être chantés par un ténor
renommé de Brescia, M. Pasini.
— De notre correspondant de Belgique (b novembre). — M. Brunea.u
préside, à la Monnaie, aux répétitions du Rêve, dont la première aura lieu
la semaine prochaine, et dont l'interprétation est confiée à M"« Chrétien
et de Béridès, à MM. Leprestre, Seguin et Dinard. On attend aussi M. Gal-
let, et M. Emile Zola lui-même a promis de venir. Les éludes de cet
opéra fin de siècle auront été, comme vous voyez, singulièrement vite
menées, et aucun élément d'attraction personnelle ne lui manquera. A
Bruxelles, M. Bruneau a été, parait-il, émerveillé de la façon dont l'or-
chestre de la Monnaie a lu, dès la première répétition, son ouvrage; étant
données les difficultés qui y sont accumulées, son émerveillement constitue
un éloge d'une singulière valeur. On est assez curieux de voir comment
le Rêve sera accueilli ici, où les intransigeances et les audaces ne font pas
peur; déjà les discussions vont leur train; et, à ce point de vue, la « pre-
mière », devant un public ordinairement éclairé, impartial, et très franc
dans les manifestations de ses sentiments, aura peut-être quelque portée.
— En attendant, nous avons eu l'autre jour Carmen, pour les débuts de
M"' de Béridès. La nouvelle venue est étrangère, comme plusieurs autres
artistes de la Monnaie; on s'en aperçoit à son accent, et cela a nui quelque
peu à la composition du rôle et à son interprétation scénique; mais la
voix est d'un beau timbre, sympathique et chaud, et l'artiste n'en tire pas
un trop mauvais parti. Dans cette reprise, assez inégale, quoique d'un bon
ensemble dans les rôles secondaires, on a fêté surtout M"^ Carrère (Mi-
caëla), qui, cette fois encore, a eu les honneurs de la soirée, avec M. Ba-
358
LE MÉNESTREL
diali, un excellent Escamillo. Après le Rcoc, nous aurons Barbcrine,
l'opéra-comique inédit de M. de Saint-Quentin, et le ballet, également
inédit, de notre compatriote M. Léon Dubois, dont je vous ai parlé, mais
qui changera de titre; au lieu de l'Ile, il s'appellera décidément Smylis.
Mais il y aura une ile tout de même. Pour votre gouverne, File dont il
s'agit n'est autre que l'île de Lesbos. De là, sans doute la difiSculté de
trouver un titre suffisamment explicatif et sufEsamment... discret. Nous
verrons comment les axiteurs se seront tirés d'affaire. Enfin, il n'est pas
certain du tout que nous n'aurons pas Chevalerie rustique; les pourparlers
ont été repris, et aboutiront sans doute. — Au moment de fermer ma
lettre, j'apprends l'engagement de M"= Carrère à l'Opéra, pour la saison
prochaine. M'" Carrère remplacera, parait-il, M'"= Lureau-Escalaïs dans
ses rôles et dans son emploi; elle y sera bien à sa place, et ne manquera
pas de rendre à l'Académie nationale les services qu'elle a rendus ici
depuis deux ans, toujours sur la brèche et sans cesse en progrès, — une
vraie artiste, doublée d'une fort jolie femme. Elle laissera un vide à la
Monnaie et y sera fort regrettée. , L. S.
— A Bruxelles, trois nominations de professeurs au Conservatoire.
M. Camille Gurickx succède définitivement au regretté Auguste Dupont
comme professeur d'une classe féminine de piano, qu'il dirigeait déjà
comme intérimaire depuis la mort du titulaire. M. Alphonse Goeyens est
"nommé professeur de trompette, et M. Emile Agniez professeur-adjoint de
la classe d'ensemble instrumental.
— Le théâtre royal de Liège a rouvert très heureusement ses portes
avec une reprise d'Hérodiade, qui paraît avoir eu le plus brillant succès,
si l'on en croit les feuilles de l'endroit. Le directeur, M. Bussac, un artiste
soigneux, n'a rien négligé pour donner à la mise en scène et à l'interpré-
tation tout le lustre possible avec les ressources dont il pouvait disposer.
C'est le ténor Lamarche qui tenait le rôle de Jean, et M. Glaeys, que l'on
a entendu quelque temps à l'Opéra de Paris, celui d'Hérode. Une basse
de talent, M. Joël Fabre, représentait Phanuel, M"» Balliste, Salomé, et
M"" Bouvière, Hérodiade. C'est là un ensemble d'artistes de véritable mérite,
comme on en trouve rarement réunis sur une même scène de province.
— Un directeur de théâtre qui laisse ses artistes en gage! Il a paru
dernièrement dans les journaux belges une annonce par laquelle M. D.,
directeur de théâtre, demandait des artistes pour une tournée lyrique dans
des villes de premier ordre. Treize chanteurs et chanteuses se présentèrent
et furent agréés. La compagnie se réunit à Bruxelles et logea dans un des
premiers hôtels. Dès le lendemain de son séjour, le directeur alla trouver
le propriétaire de l'hôtel et lui dit d'un ton dégagé : «Auriez-vous par
hasard 10,000 francs de disponibles? — 10,000 francs, pourquoi faire?
— Voilà ; mon banquier de Milan me fait attendre. Prétez-moi cette
somme jusqu'à demain ou après-demain. — Oui, mais contre quelle
garantie? — Quelle garantie? mais celle que vous offrent quatorze artistes
qui habitent sous votre toit. Il me semble que cela suffit. Les bagages
seuls... — C'est parfait, interrompit l'aubergiste, je m'en rapporte à
vous. Dans un quart d'heure je vous remets la somme. » — Ce que le lec-
teur a déjà prévu et ce que l'aubergiste avait oublié de prévoir arriva :
Deux jours après, l'imprésario avait disparu, abandonnant tout son monde,
qui pouvait désormais se considérer comme doublement rai/njé. Les artistes
n'étaient d'ailleurs pas trop à plaindre : ils étaient nourris et logés gratis,
le propriétaire ne pouvant les laisser mourir de faim sans diminuer con-
sidérablement leur valeur. Pourtant, au bout d'une semaine, quand il fut
persuadé que son débiteur ne reviendrait jamais, et que ses otages fini-
raient bientôt par le ruiner, il les remit tous en liberté, à l'exception tou-
tefois d'une jeune prima donna, alsacienne de naissance, qui avait con-
senti à lui tenir lieu de dommages-intérêts !
— Nouvelles de Londres. — L'Opéra Royal anglais faisait sa réouverture
avant hier par la première représentation de la version anglaise de la
Basoche. Le charmant opéra-comique de MM. Carré et Messager a triomphé
bien facilement sous sa nouvelle forme. Son succès sera encore plus mar-
qué lorsque l'action sera menée plus vivement, et surtout lorsqu'on se
décidera à supprimer les épisodes comiques de l'aubergiste, amplifiés
outre mesure par les traducteurs ou l'interprète du rôle. L'exécution de
la Basoche est excellente dans son ensemble. Il ne manque à M""' Lucile
Hill qu'un peu plus de vivacité pour être une Colette tout à fait char-
mante : sa jolie voix s'est fait justement applaudir dans les divers mor-
ceaux du rôle. M"= Palliser est une fort gentille Marie d'Angleterre,
chantant très agréablement. La voix courte de ténor de M. Ben Davies se
prête facilement et avec de rares changements au rôle créé par M. Sou-
lacroix. M. Ben Davies est un chanteur de goût, bien que comédien
médiocre, et son succès a été considérable. Il faut cependant lui rappeler
que son Clément Marot, barbu, est tout à fait invraisemblable. M. Van
Dyck n'avait pas hésité à sacrifier sa moustache au rôle de Des Grioux ;
M. Ben Davies devrait en faire autant, s'il a souci de la composition de
son personnage. Un débutant, M. Bispham, a remporté un franc succès
dans le rôle du duc de Longueville, qu'il a joué et chanté d'une façon très
artistique. La Basoche est montée d'une façon irréprochable : les décors
et les costumes sont éblouissants et sont une reconstitution fidèle de
l'époque. On peut même se demander si la somptuosité du cadre ne nuit
pas quelque peu à l'effet de la fantaisie historique de M. Carré, qu'on est
tenté de prendre trop au sérieux et dont l'invraisemblance ne choque que
davantage. A. G. N.
— Mœurs cléricales en Angleterre. — Un journal de Londres, le Monde
chrétien, discute gravement, dans un de ses derniers numéros, la question
de savoir s'il est convenable pour un prêtre de chanter en public, — en
dehors de l'église, bien entendu. Tous les intéressés ont été invités à s'ex-
pliquer sur ce cas, monstrueux à nos yeux, mais qui chez nos voisins n'a
rien d'extraordinaire. Un des révérends mis en cause se disculpe en ces
termes : « Je suis un ministre chanteur, je l'ai toujours été et j'espère
bien le rester toujours. Chanter est pour moi un besoin : à la chaire, au
pupitre, chez moi, sur l'estrade, au concert et dans les réunions sociales,
partout je chante. Pourquoi Dieu m'a-t-il gratifié d'une voix de baryton,
si ce n'est pour m'en servir? Si je chante de la musique séculière, me
demandez-vous? Mais certainement. Il existe un très grand nombre de
chansons d'un sentiment foncièrement honnête et élevé, qui valent la
peine d'être chantées, et quand ma vie en dépendrait, je ne vois pas ce
qu'il y a de mal pour un prêtre à chanter en public, pas plus que de
jouer au tennys, au cricket, à monter à cheval, à conduire, à ramer,
à marcher, à manger et boire en public, du moment que ce n'est pas
dans une maison publique (terme anglais pour débit de vins). Pourquoi
serions-nous tenus en servage à cause de quelques vieilles prudes
d'esprit étroit? »
— Le Guide musical nous apporte des détails assez curieux, et qui ne
sont pas à l'honneur de la presse allemande, sur la saison musicale de
Berlin, en ce qui concerne les concerts. « La saison des concerts, dit ce
journal, vient à peine de s'ouvrir à Berlin, et déjà les critiques se plai-
gnent d'être mis à contribution d'une façon excessive. Il parait que jamais
on n'a vu pareil chiffre de concerts annoncés, et chaque jour de nouvelles
entreprises viennent s'ajouter à celles qui sont depuis longtemps en pos-
session de la faveur publique. Le nombre des artistes qui voudraient se
faire entendre à Berlin, cette année, dépasse toutes les prévisions. Tout
ce qui, en Allemagne, tapote du piano, tient un archet, racle du violon-
celle ou joue du gosier, converge vers la capitale, afin d'y obtenir la con-
sécration du grand public de la Welstadt. La plupart de ces malheureux
sont obligés de jouer pour rien et de faire même les frais de location
d'une salle, d'affichage, d'impression des programmes, etc. Pour beaucoup,
c'est la ruine. Mais la grande aft'aire pour tous est de pouvoir, rentrés
dans leur province, montrer un bout d'article de journal mentionnant
qu'ils ont joué devant le public berlinois et qu'ils y ont obtenu du suc-
cès. Pour certains journaux, la réclame aux artistes novices est devenue
une véritable mine d'or. Les éloges sont tarifés ; c'est tant pour tel adjec-
tif simple, tant pour un comparatif, tant pour un superlatif. Les journaux
de musique déplorent avec raison cette situation, qui n'est pas pour re-
hausser la renommée artistique de la capitale allemande. »
— Nous signalions récemment la reprise, au théâtre grand-ducal de
Carlsruhe, d'un opéra de Méhul, Uthal. Aujourd'hui nous avons à enre-
gistrer la réapparition, à Leipzig, du chef-d'œuvre du vieux maître, Joseph
en Egypte, selon le titre généralement adopté en Allemagne.
— Le prix annuel de composition de la fondation Mendelssohn, insti-
tuée à Berlin, vient d'être décerné à M. Edouard Behm, de Stettin. Le
lauréat est un ancien élève du Conservatoire de Leipzig et de l'Ecole
supérieure de musique de Berlin. Le prix d'exécution au piano, de la
même fondation, a été partagé entre M"' Felice Kirchdorffer, élève du
Conservatoire Hoch, à Francfort, et M"« Betty Schwab, élève de l'Ecole
supérieure de musique de Berlin. Des allocations ont, de plus, été ac-
cordées à M. R. Lentz, de Budapesth, élève de l'Ecole supérieure de
Berlin, et à M"= Minna Rode, élève du Conservatoire Hoch, à Francfort-
sur-le-Mein.
— La Musikalische Rundschau, de Vienne, publie un article assez curieux
sur les coutumes théâtrales de la capitale autrichienne au siècle dernier.
Le célèbre théâtre do la Porte de Carinthie, dont les Viennois se montrent
si fiers, avait, en 1783, la spécialité des pièces carnavalesques, d'où le
dialogue était presque totalement exclu ; on le remplaçait par de la mi-
mique, des cris d'animaux, des contorsions et des axeroices de gymnas-
tique en tous genres. Le public accourait en foule à ces représentations
et la direction faisait de superbes affaires. Les artistes étaient rétribués
d'une façon tout à fait originale ; ni cachets, ni mensualités, mais des
primes pour chaque catégorie de gestes et de mouvements, suivant un
tarif établi d'avance. Pour chaque saut en l'air, l'artiste touchait un gul-
den; tombait- il dans l'eau, on lui attribuait la même somme; recevait-
il une volée de coups de bâton, il avait droit à 21 kreuzers ; une claque
ou un coup de pied étaient taxés à 30 kreuzers, et ainsi de suite. Les
artistes privilégiés étaient nécessairement ceux qui subissaient le plus
de... désagréments: à la fin de la soirée, ils s'en retournaient moulus,
mais la sacoche pleine. Certaine affiche de 1767, ornée de caricatures
suivant l'usage de l'époque, était ainsi conçue : « Aujourd'hui, on repré-
sentera une pièce de haut burlesque, pleine d'intrigues, de gaieté, digne
d'être vue en un mot, intitulée : // n'y a rien de plus fou au monde qu'une
jalousie sans raison entre époux raisonnables, — avec Arlequin, un aubergiste plai-
sant, un mari jaloux, un grotesque procurateur de la paix domestique (?), des
femmes à la mode, des tableaux nuptiaux (1 1} et un commissaire brutal. L'em-
pereur Joseph essaya d'affiner le goût du public en accordant son pro-
tectorat au Burg-Theater et en n'y autorisant que de bonnes pièces, mais
la conséquence de cette mesure fut que la plupart des abonnés se reti-
rèrent. Le souverain ne se découragea pas pour cela. Il récompensa le
LE MENESTREL
339
zèle des artistes d'une façon magnifique ; à celui-ci, qui s'était particuliè-
rement distingué, il remit la recette totale de la soirée, à celui-là il fit
faire son portrait par un peintre célèbre et en orna le foyer du théâtre.
— M. "Werner, organiste à Baden-Baden, et élève de M. Alexandre
Guilmant, vient d'introduire l'orgue Mustel en Allemagne, dans deux
concerts qu'il a donnés avec grand succès à Baden-Baden et à Carlsruhe.
« L'instrument Mustel, dit le Journal de Baden-Baden, se fait remarquer par
jine intonation parfaite et caractéristique, et développe une finesse d'ex-
pression comme nous n'en avons pas encore entendu jusqu'ici de
semblables instruments, grâce à son invention de la double expression.
M. Werner, qui le possède à fond, a exécuté en maître des compositions
de Haendel, LuUi, Guilmant et Godard, et a été l'objet de plusieurs rap-
pels. C'est un succès pour la facture française et nous sommes heureux
de l'enregistrer. »
— Des dépêches parvenues de Russie nous ont apporté l'écho de l'écla-
tant succès remporté par M. Colonne et par les concerts de musique
française que l'éminent artiste est allé diriger dans les deux capitales de
l'empire. La première, datée de Saint-Pétersbourg, en constatant le suc-
cès de la séance, nous apprend qu'à la fin de cette séance M. Colonne a
été, de la part du public, l'objet d'une ovation enthousiaste. La seconde,
expédiée de Moscou, est ainsi conçue : « Le succès du concert donné
par M. Colonne a été très grand ; on a offert trois couronnes au chef
d'orchestre français, que les étudiants ont porté en triomphe. »
— A Saint-Pétersbourg, l'Opéra russe vient de reprendre avec un très
grand succès deux ouvrages de M. Tscbaïkowsky, la Dame de pique et
Eugène Oupguine. Le théâtre était littéralement comble à ces deux repré-
tations; en ce qui concerne Eugène Onéguine, les demandes du public en
faveur d'une représentation hors d'abonnement ont été si nombreuses que
l'administration a dû modifier un de ses spectacles et remplacer sur l'affi-
che le Prince Igor, de Borodine, par l'opéra de M. Tschaïkowsky, dont
c'était la 9^" représentation.
— Les exploits meurtriers de la maudite influenza n'ont pas encore pris
fin. Certaines parties de la Russie sont en ce moment sous le coup de la
cruelle maladie, et on annonce de Kieff qu'elle y sévit de telle façon que
tous les théâtres de cette ville ont dû fermer leurs portes.
— M. H. Kling, le distingué professeur du Conservatoire de Genève,
donnera demain lundi, puis mercredi, à l'Aula de l'Université, deux inté-
ressantes conférences sur deux compositeurs genevois : Bovy-Lysberg et
Franz Grast. Chaque séance sera terminée par l'exécution de quelques-
unes des œuvres de ces deux maîtres, dont le premier nous est connu
surtout par de vraiment charmantes compositions de piano, qui méritent
de lui survivre.
— On a dit, et nous avons annoncé nous-mêmes que M. Anton Dvorak,
le compositeur bohème dont le nom est devenu si justement célèbre en ces
dernières années, venait d'être appelé à New- York pour prendre la direc-
tion artistique du Conservatoire de cette ville. D'autres journaux préten-
dent maintenant que c'est à Chicago que s'est rendu M. Dvorak. Il aurait
été engagé comme professeur de composition et d'orchestration au Conser-
vatoire, en même temps que comme directeur de dix concerts à donner
au cours de la saison, avec un traitement annuel de 45,000 francs. Nous
saurons sans doute prochainement à quoi nous en tenir d'une façon précise
au sujet de ces informations contradictoires.
— Une dépêche du New-York-Herald annonce que la direction générale de
l'Exposition universelle de Chicago est en pourparlers sérieux avec M. An-
gélo Neumann, pour l'organisation de Festspiele wagnériens avec tout le
matériel de Bayreuth et dans un local construit d'après le modèle du Fest-
spielhaus. Tout le répertoire wagnérieny passerait, à l'exception de Parsifal,
depuis les Fées jusqu'à la Tétralogie. Il y aurait quatre soirées et deux
matinées par semaine.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Le programme de là représentation du li novembre à l'Opéra, pour
4e centenaire deMeyerbeer, a subi diverses modifications. On a dû renoncer,
en raison de certaines difficultés matérielles, à l'idée, assez singulière
d'ailleurs, de donner la série des quatrièmes actes des quatre grands ou-
vrages du maître. Voici de quelle façon définitive le programme a été
arrêté par la direction de l'Opéra, d'accord avec M. Béer, neveu de l'illustre
compositeur :
1° Ouverture de Struensee.
2° Premier acte de l'Africaine (M"" Adiny ; MM. Lassalle, Duc, Plançon).
3° Quatrième acte du Prophète (M"° Deschamps; MM. Vergnet, DubuUe, Bal-
lard, Tcqui) ; la Marche du Sacre sera chantée par vingt-quatre jeunes filles, élè-
ves du Conservatoire, et les enfants de chœur,
i" La Cérémonie (prélude du cinquième acte de l'Africaine) ; poésie de M. Jules
Barbier, dite par M. Mouuet-Sully ; Marche aux flambeaux.
5° Troisième acte de Robert le Diable (MM. Duc, Grosse, M"° Subra et le corps
de ballet).
6" Quatrième acte des Huguenots (MM. Duc, Plançon, Renaud, M"" Adiny);
le rôle de Catherine de Médicis sera rétabli et chanté par M"* Deschamps; la
Bénédiction des poignarda sera chantée par les chœurs de l'Opéra et les élèves
du Conservatoire.
— Les auteurs de Tamara, MM. Louis Gallet et Bourgault-Ducoudray,
ont lu cette semaine leur œuvre aux directeurs et aux artistes de l'Opéra.
Les études des chœurs ont commencé hier; quant aux principaux inter-
prètes, M"= Domenech, MM. Vergnet et Dubulle, ils sont depuis quelques
temps déjà en possession de leurs rôles; la pièce pourra donc prochaine-
ment descendre en scène et sera prête à passer dans la première quin-
zaine de décembre. On sait que par une clause du cahier des charges,
Tamara doit être montée par la direction actuelle et avoir été jouée un
certain nombre de fois avant le 31 décembre. Pour compléter les rensei-
hnements que nous avons déjà donnés il y a quelques semaines sur
l'œuvre de MM. Bourgault-Ducoudray et Louis Gallet, ajoutons que la
partie chorégraphique y occupe une certaine place, notamment au 2= ta-
bleau, le harem de Noureddin, animé par des danses persanes. Signalons
encore un détail assez curieux: le 1" et le ■4'= tableau représentent une
ville assiégée — la ville de Bakou, dans la Russie asiatique;— les habi-
tants, comme tous assiégés, ne sont donc pas dans une situation floris-
sante ; aussi MM. Louis Gallet et Bourgault-Ducoudray, voulant autant
que possible se rapprocher de la réalité, ont-ils demandé à la direction
de l'Opéra de ne donner aux habitants de Bakou que des vêtements et des
armes en rapport avec leur situation d'assiégés réduits à la dernière extré-
mité, au lieu des brillants costumes, des armes et des armures toutes
neuves généralement employés. Voilà qui fait joliment l'affaire de
MM. Ritt et Gailhard !
— M. Van Dyck a chanté Lohengrin cette semaine pour la dernière fois ;
c'est M. Vergnet qui prendra le rôle à partir de lundi prochain. En re-
tournant à Vienne, où il va continuer les représentations de ilanon arrêtées
en plein succès, M. Van Dyck emporte dans ses malles la partition ma-
nuscrite du nouveau ballet de M. Massenet : le Carillon, qu'il va re-
mettre entre les mains du directeur, M. Jahn; les représentations du Carillon
suivront de près celles de Werllier.
— C'était hier samedi, à l'OpéraComique, la centième représentation de
Manon, dont le succès continue si brillamment avec des recettes toujours
croissantes et une location à l'avance vraiment formidable. Nous connais-
sons peu de reprises qui aient été si chaudement accueillies du public.
Et c'est là une pierre de touche pour l'œuvre si séduisante de M. Massenet,
qui va s'établir solidement au répertoire, comme Mignon, Carmen et Lakmé.
Peu de partitions ont été aussi fêtées par la presse. Nous avons bien lu
cent feuilletons sur le livret et la musique, tous favorables. Une seule
note discordante, celle de l'éminent critique du Gantois, notre ami Fourcaud,
qui sort d'ailleurs de maladie et semble venir là fort à propos, au milieu
de ce concert d'éloges, pour tenir le rôle de l'antique joueur de flûte et
rappeler aux auteurs triomphants qu'ils ne sont que des hommes.
—Vendredi dernier, à l'Opéra-Comique, M"i= Jane Horwitz a pris posses-
sion du rôle de Mignon, qu'elle a chanté avec beaucoup de goût. On l'a fort
applaudie et c'était justice.
— Mardi dernier, grand émoi au Conservatoire, où venaient de se pré-
senter inopinément S. A. R. Damrong et les deux fils du roi de Siam,
désirant visiter le célèbre établissement artistique. M. Ambroise Thomas,
après leur avoir fait parcourir les différentes salles, les a introduits dans
la classe de M. Maubant, à qui ils ont demandé de vouloir bien continuer
sa leçon. L'ancien pensionnaire de la Comédie-Française était précisé-
ment en train de faire jouer la grande scène des Fâcheux par MM. Veyret
et Paul Franck. Leurs Altesses siamoises' ont paru vivement s'intéresser
à Molière et se sont retirées en félicitant M. Maubant et ses élèves et en
remerciant M. Ambroise Thomas.
— M'^'î Patti a gagné son procès contre M. Zet, qui lui avait réclamé
une forte indemnité lors de ses représentations à Berlin, sous le prétexte
qu'elle avait rompu un contrat qui l'engageait à Saint-Pétersbourg et à
Moscou. En première instance, M. Zet avait gagné son procès, mais cette
décision vient d'être annulée par la cour d'appel.
— Le deuxième concert de M. Lamoureux débutait par la belle ouverture
de Meyerbeer : Slniensée ; cette page profondément tragique n'a pas été
dite avec le sentiment qu'elle comporte. Certes, l'orchestre de M. Lamou-
reux est, à de certains points de vue, impeccable. La note y est, le mou-
vement aussi, les nuances sont faites avec exactitude. Mais il manque le
je ne sais quoi qu'on ne peut définir, et qu'on ne rencontre que lorsqu'un
orchestre est pénétré de la musique qu'il interprète, qu'il l'anime et qu'il
la joue comme une émanation de lui-même. Cet orchestre a été légère-
ment éloigné de la voie qu'il suivait autrefois par l'abus des sonorités
waguériennes et les recherches maladives de nos modernes compositeurs.
On dirait qu'il s'est dégoûté des œuvres qui faisaient l'admiration des
musiciens d'autrefois. Je n'en voudrais pour preuve que la mollesse et l'in-
différence avec laquelle il a. dit le délicieux andante de la symphonie en
. ré, de Beethoven ; meilleure a été l'exécution du concerto en si bémol de
Hœndel, très bien dit par le hautboïste, M. Dorel, et les instruments à
cordes. La Jeunesse d'Hercule, de M. Saint-Saëns, a été également bien inter-
prétée. Ce poème symphonique n'est peut-être pas le meilleur de tous
ceux qu'a composé le maître français, mais la trame en est si délicate,
l'orchestration si fine et si ingénieuse, la mélodie en est si distinguée,
si claire, que c'est un grand plaisir que d'écouter semblables œuvres. (Quoi-
que d'une nouveauté parfois hardie, les compositions de M. Saint-Saëns
tranchent sur la généralité des œuvres modernes auxquelles manque le
fond solide qui résulte d'une forte instruction musicale et dont les auteurs
se complaisent plus à l'étrangeté et à l'incohérence qu'à une ordonnance
360
I.E MÉNESTREL
rfHéchie et logique. — Passons sur Siegfried Idyll, de Wagner, qui gagne-
rait à être raccourcie des deux tiers, et sur la marche du rannliatiscr,
qui terminaient le concert et ne sont des nouveautés pour personne.
H. BAnBEUETTE. 1
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche.
CHATEI.ET. — Concert Colonne : Symplionie héroïque, n" 3 (Beethoven)'; Lamenta
(G.Fduré) et chanson florenlino d'Ascanio (Sainl-Sacn»), chantés par M"' M. Progi;
Africa (Saint-Saëns), exécuté sur le piano pir M'™ Roger Miclos ; fragments de
Lohengrin (R. "Wagner); Hai Liili (Arthur Coquard), chanté par W" M. Pregl ;
fragments symphoniques û' Esclarynondii (Masseuel).
Cirque dks Cha.mps-Élïsées. — Concert Lamoureux : Ouverture de Strmnsée
(Meyerbeer) ; Sijmplionie-reformation (Mendelssoha) ; concerto en sol pour violon
(Mai Bruch), exécuté par M. Albert C.eioso; valse de Méphislo (Ijszl) ; les Murmures
de la Forêt de Sieyfried ('«'agner) ; Marche militaire française de la Suite algérienne
(Saint-Saëns).
— La semaine dernière a eu lieu, à la Madeleine, le mariage de M. F.
Ronchini avec M"= Marie Veyssier, ces deux charmants artistes. MM. Th.
"Dubois, Melchissédec et Delsart se sont fait entendre pendant la céré-
monie religieuse. Le soir, charmante réunion, dans laquelle ont triomphé
d'abord la jeune mariée, puis M""»^ Ratisbonne. MM. Léon Delafosse, Gregh
st Melchissédec fils.
— Echange de bons procédés. La Belgique accueille nos compositeurs à
Bras ouverts; à notre tour, nous donnons aux siens l'hospitalité, ce qui
n'est pas une nouveauté d'ailleurs, témoin les noms fameux de Grétry,
de Gossec, de Grisar. de Fétis, de Gevaert et de tant d'autres. 11 s'agit
aujourd'hui d'une jeune artiste qu'on dit fort distinguée, née à Liège
comme Grétry, M»= Juliette Folville, qui vient de faire recevoir et va faire
jouer au Grand Théâtre de Lille. un opéra en deux actes, Alala, écrit par
elle sur un poème de M. Paul CoUin, lequel s'est assuré par avance la
collaboration de Chateaubriand.
— L'Association artistique d'Angers fait connaître à ses souscripteurs
nne partie du programme de la saison qu'elle vient d'ouvrir. Nous avons
déjà dit qu'un de ses concerts sérail spécialement consacré à l'audition
d'oeuvres de M. Massenet, et qu'on exécuterait une symphonie nouvelle
de M. Savard. On annonce aussi une suite d'orchestre que M. Wormser
a tirée de sa partition de l'Enfant prodigue., et diverses compositions nou-
Telles de MM. Bourgault-Ducoudray, Vincent d'Indy, Alfred Bruneau et
Chevillard. De plus, M. Jules Garcin, chef d'orchestre de la Société des
concerts, a promis d'aller diriger l'exécution de la jolie suite d'orchestre
que le Conservatoire a fait entendre l'hiver dernier avec un si vif succès.
En ce qui concerne les virtuoses, l'Association artistique s'est assuré le
concours de MM. Louis Diémer, Alphonse Duvernoy, Delsart, Berthelier,
Kémy, Henri Marteau, Geloso, Marsick, et de M°='=* Duvernoy-Viardot,
Steiger, Roger-Miclos, Hulmann, Freddie, Yrrac, etc. "Voilà certes une
saison qui promet d'être brillante.
— Très belle réussite à Nîmes du Cid, l'opéra de M. Massenet, qui n'y
avait pas encore été représenté. Cinq rappels pour les artistes, M™»^ Mar-
liinon et Desgoria, MM. Dutrey et Plain.
M. Gobalet a adressé à M. Campocasso, directeur du Grand-Théâtre
d'e Marseille, la lettre suivante i ,. .on.
Marseille, 2 novembre 1891.
Mon cher directeur.
Sur votre charmante insistance, je suis venu à Marseille pour jouer principale-
ment toutes mes créations, notamment Lakmé, Manon, le Roi d'Ys, etc., etc., et
pnis jouer Mignon, Carmen et autres, que j ai tenus en chef à l'Opéra-Comique.
Or, on me dit que je dois immédiatement jouer du grand opéra. Je m'étais, en
effet, préparé pour ce genre ; mais, je vois que je ne puis jouer de suite tous
les rôles qu'on me demande, n'ayant pas le temps voulu pour y mettre tous les
soins que j'ai l'habitude d'apporter à mes rôles, vu les exigences des débuis.
Je vous avouerai que j'ai été un peu surpris par ce travail hâtif, et, dans ces
conditions, pour ne léser ni vos intérêts ni ceux du public, je viens vous prier
de bien vouloir accepter la résiliation de mon engagement, ainsi que tous mes
lemerciements et transmettre aussi au public toute ma reconnaissance pour son
accueil absolument charmant et qu'il m'a fait encore hier soir dans ma représen-
tation de Lakmé.
Me tenant toujours à votre disposition jusqu'à mon remplacement. Celui qui se
dit votre tout dévoué,
A. CoBALET, de l Opera-Comigue.
— Enorme succès, à Strasbourg, pour le concert donné par la Société
de musique de chambre pour instruments à vent, représentée par MM. Taf-
îànel, Gillet, Charles Turban, Grisez, Garigues, Brémond, Espaignet et
Bourdeau, auxquels s'était joint M. Louis Diémer. Au programme, quin-
tette de Mozart, ottetto de M. Th. Gouvy, andante cantabilede M. Gounod,
scherzo et finale de la sérénade en rê majeur de Mozart, andante et finale
du duo de "Weber pour clarinette et piano, Variations de Schubert pour
flûte et piano, duo de M. Diémer pour hautbois et piano. Triomphe pour
l'ensemble des exécutants, pour chaque soliste en particulier, et aussi
pour M. Diémer, qui s'est prodigué en jouant, seul, plusieurs morceaux
avec le talent qu'on lui connaît. En quittant Strasbourg, où ils doivent
revenir, nos excellents artistes sont allés se faire entendre à Francfort,
où leur succès n'a pas été moindre. Avant de se rendre à Strasbourg, ils
avaient fait une tournée triomphale en Suisse, et s'étaient fait entendre
àBàle, Berne, Neufchitel et Lausanne. Ce n'était pas cette fois M. Diémer
mais M. Raoul Pugno, qui tenait la partie de piano, avec le talent et la
virtuosité qu'on lui connaît. Ajoutons que tout ce voyage a été aussi
fructueux au point de vue matériel que brillant et flatteur en ce qui
concerne la haute valeur de l'art français.
— La petite Naadin vient de conclure un engagement exceptionnelle-
ment brillant pour une grande tournée en province et à l'étranger, que
l'imprésario d'Orval va entreprendre avec elle. La petite artiste chantera
en tournée plusieurs morceaux exquis que MM. Gounod, Massenet et
Faure ont spécialement composés pour elle et qu'elle interprète à ravir.
Citons notamment le Poêle et le Fantôme, de Massenet,' et l'Enfant au jardin,
de Faure.
— Le nombre des admissions à l'Ecole d'orgue de M. Gigout étant
limité, il ne pourra pas être procédé, avant le mois de mars prochain,
à de nouveaux examens pour l'obtention des bourses que le directeur-
fondateur met à la disposition des jeunes artistes.
— Nous apprenons que l'Ecole classique de musique et de déclamation
de la rue Charras, qui vient de rouvrir ses cours le o coura-nt, va mettre
au concours en novembre prochain des bourses pour le chant, l'opéra,
l'opéra-comique, le piano, la harpe, le violon, le violoncelle, la flûte, le
hautbois, la clarinette, ainsi que pour la déclamation. Nous ferons con-
naître prochainement la date du concours. On peut dès à présent se faire
inscrire à l'administration, tous les jours de 10 heures à midi et de 2 à
4 heures, le dimanche excepté.
— M. Léon Achard, professeur au Conservatoire, reprendra ses leçons
particulières de chant, chez lui, 164, rue du Faubourg-Saint-Honoré,
à partir du 15 novembre.
— CouBS ET Leçons. — M"' Jules Bjschet, professeur de piano, a repris ses cours,
4", rue Bonaparte. — M"" Gartelier a repris ses cours et leçons de chant, 19, rue
de Berlin. — Réouverture des cours de perfectionnement de chant de M"" Ronzi,
272, Faubourg-Saint-IIonoré, et, même adresse, reprise des cours de M"' P. Roozi
(études complètes et graduées de pian> et solfège, élémentaires et supérieures,
musique d'ensemble vocale et instrumentale). — M"" Éoiile Ratisbonne annonce
pour le 1" novembre, à la maison Erard, 13, rue du Mail, la reprise de ses cours
et leçons de piano.
NÉCROLOGIE
Ija Comédie-Française vient de faire une perte bien sensible dans
la personne d'un de ses plus anciens sociétaires, l'excellent Thiron, qui
d'ailleurs, frappé de paralysie naguère, en plein spectacle, était éloigné
de la scène depuis trois ans. Fils d'un petit bonnetier de la rue Saint-Denis,
Thiron avait été. au Conservatoire, l'un des meilleurs élèves de Provost.
Après avoir débuté obscurément à la Comédie-Française, il avait été
faire un assez long stage à l'Odéon, puis était revenu dans la maison de
Molière, où il avait trouvé, dans l'emploi des financiers, l'occasion de
déployer ses remarquables qualités de verve et de diction. Thiron était
âgé de soixante ans.
C'est avec un sentiment de regret bien sincère que nous annonçons
la mort de M"'° Auguez, la jeune femme de l'excellent baryton auquel,
depuis tant d'années, le public ne cesse de prodiguer sa sympathie et ses
applaudissements. M™ Auguez, qui était une femme charmante, mère de
cinq enfants, est morte à peine âgée de trente-cinq ans. Ses obsèques
ont eu lieu jeudi dernier.
A Mendrisio, dans le canton du Tessin, est mort assassiné le chef de
la musique municipale, nommé Paolo Bernasconi.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A
'VENDRE D'OCCASION, deux belles harpes, dont une d'Érard.
S'adresser : U, place de la Madeleine.
La^ maison Paul Dupont vient de publier, sous le titre de le Chant
et la voix, un nouveau traité de l'art du chant dû à M. J. M. Mayan, un
chanteur expérimenté. L'ouvrage est précédé d'une lettre-préface de
M. Henry Gréville (Prix net 12 francs.)
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les !\ïanuscrits, Lettres et Bons-poste d'aoonnement.
Cn an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et .^lusique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 tr., Paris et Province.
Abonnement comjilet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE- TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (34' article), Albert Soubies et CniRLES
M.tLBERBE. — II. Semaine théâtrale : La subvention de l'Opéra; le centenaire
de .Meverbeer, H. Morexo. — III. Histoire anecdotique du Conservatoire (15" ar-
ticle), .iNDRÉ Martinet. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour;
REGARDE-TOI !
nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de E.-J. Catelai.n". — Suivra im-
médiatement : Fabliau, valse ebantée par M"* Marguerite Ugalde, dans
Mon Oncle Barbassou, musique de Raoul Pugno.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Sur le ponl d'Avignon, fantaisie nouvelle de Paul Wachs. —
Suivra immédiatement : Danse des nymphes, de Théodore Dubois.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
All>ert SOUBIES et Charles ]MA.L,HEnBE
DEUXIEME PARTIE
: donnée le
%ître de Cha-
CHAPITRE V
l'héritage pv THÉÂTRE-LYRIQUE. Les Noces de Figaro, Bonsoi7- Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette
1871-1874
(Suite.)
Une représentation produisant 6,089 fr. 50 c.
30 décembre au bénéfice des inondés, avec le .
pelle, le deu.\.ième acte du Pré aux Clercs, les Brebis de Panurge,
jouées par la troupe du Vaudeville, et un intermède auquel
prit part Th. Rilter, ainsi que la musique de la deu.xième
légion de la garde républicaine, marque le passage de l'année
1872 à l'année 1873, où M. Gounodallaitretrouver ses succès du
Théâtre-Lyrique. Nous ne nous trompions pas en disant plus
haut qu'il s'occupait de « transplanter » son répertoire de
la place du Châtelet à la place Boieldieu, puisque, en effet,
nous trouvons àl'Opéra-Comique, en 1872 le Médecin malgré lui,
en 1873 Roméo et Juliette, en 1874 Mireille, en 1876 Philémon et
Baucis.
Parmi les reprises, celle de Roméo et Juliette fut la plus
importante non seulement par son succès, mais par l'influence
qu'elle e.verça sur la nature des futurs ouvrages de la salle
Favart. C'était en quelque sorie le premier opéra qu'où y
admettait, c'est-à-dire la première partition sans prir^e, et cette
innovation allait insensiblementmodifler les goùls du public,
comme aussi le caractère des exécutions vocales. Déjà
Duchesne avait, le premier, chanté le Pré aux Clercs lors de la
millième, en fort ténor, donnant la voix de poitrine, par
exemple, dans la romance: « 0 ma tendre amie! » oii jusque-
là suffisait la voix de tête ; les Gouderc et les Capoul cédaient
la place aux Monjauze et aux Talazac. Plus qu'aucune autre,
l'œuvre de Gounod était propre à faciliter cette transition :
elle ressemble, en effet, à ces plantes vivaces qui poussent
en toute terre, et s'est acclimatée avec un égal succès sur
trois points à Paris : au Théâtre-Lyrique, le 27 avril 1867;
à l'Opéra-Comique, le 20 janvier 1873; à l'Opéra enfin, le
28 novembre 1888.
Dès 1869, Emile Perrin avait tenté de se l'approprier, des-
tinant le rôle de Juliette à M"* Miolan-Carvalho, celui de
Roméo à Colin, mort depuis, et celui de Capulet à Faure.
Plus heureux ou plus habiles, de Leuven et Du Locle réali-
sèrent leur intention avec la même M'"^ Miolan-Carvalho,
Melchissédec et Duchesne qui, excepté à la troisième repré-
sentation où, subitement indisposé, il fut remplacé par
Lhérie, tint le personnage de Roméo une centaine de fois de
suite, et avec une réelle autorité. Le premier soir, à côté de
M'"« Ducasse (le page) et d'Ismaël (frère Laurent), deux dé-
butants complétaient la distribution : _M. Bach (Tybalt), un
ancien premier prix de chant au Conservatoire, ténor possé-
dant « une grosse voix dans un petit corps » et d'ailleurs
bientôt disparu; et M. Edmond Duvernoy (Mercutio), fils de
l'ancien et excellent acteur de l'Opéra-Comique, doué d'une
voix relativement faible qu'il maniait avec goût, ayant, au
surplus, assez de talent pour devenir plus tard, au Conserva-
toire, un des professeurs de chant les plus estimés.
On pourrait croire que cette reprise obtint auprès des cri-
tiques l'assentiment général. Pourtant, paroai les rebelles se
distingua Albert de Lasalle, qui, dans son Mémorial, fait
cette étonnante réflexion : « H™ Carvalho, avec son dévoue-
ment pour la gloire de M. Gounod, a depuis entraîné l'Opéra-
Comique à une reprise de Roméo et Juliette. » Cet « entraîne-
ment », on le sait, n'a été fâcheux ni pour l'ouvrage ni
pour le théâtre, car l'un n'a quitté les affiches de l'autre que
pendant les années 1876, 77, 78 et 81, atteignant le total de
deux cent soixante-quatorze représentations. Si ce chiffre
ne s'est pas encore accru après l'incendie de la salle Favart,
c'est qu'un jour M. Paravey eut la faiblesse de se laisser
dépouiller par le compositeur et par l'Opéra. Il fit un marché
de dupe en troquant la certitude de Roméo et Juliette contre
l'incertitude d'une Charlotte Cordatj , laquelle pfirait devoir
rester condamnée à l'éternelle prison du portefeuille, malgré
la passion de certain duo que le musicien, dans son langage
362
LE MENESTREL
pittoresque, déclarait « sentir dans les reins ». Le directeur,
lui, n'a « senti » que le néant de ce bon billet renouvelé de
celui de La Châtre.
Entre la plus importante reprise et la plus importante
nouveauté de l'année 1873, se place, au 1"'' mars, le début
d'une chanteuse qui avait conquis sur une autre scène quel-
que notoriété. M"«Vanghell avait créé aux Folies-Dramatiques
le rôle de Méphistophélès dans le Petit Faust d'Hervé; en
adroite musicienne, elle usait de sa petite voix avec succès,
mais les Dragons de Villars différaient de son répertoire habi-
tuel et la nouvelle Rose Friquet était un peu dépaysée ;
bientôt reconquise par l'opérette, elle céda le rôle à M-'^ Cha-
puy, qui d'ailleurs s'y essaya sans éclat et le rendit l'année
suivante (5 octobre 1874), à M"«= Galli-Marié, sa véritable in-
terprète, revenue d'une station à Bordeaux, où elle avait
chanté Mignon, Lara et... Faust, pour répondre, parait-il, aux
attaques de certains journaux qui disaient la sympathique
artiste « brouillée avec les vocalises et le chant di bravura. »
Au reste, la presse et le public ont parfois des goûts, ou
plutôt des aberrations de goût, qui surprennent à distance et
paraissent inexplicables. Gomment justifier, par exemple,
l'accueil relativement réservé fait le 24 mai à cette œuvre
charmante qui s'appelle le Moi l'a dit. La date était malheu-
reuse, soit, puisque, le premier soir, on s'occupait plus de
la chute de M. Thiers à Versailles que de l'œuvre nouvelle ;
mais le lendemain, la présidence du maréchal de Mac-
Mahon ne pouvait à ce point occuper les spectateurs qu'ils
ne vissent point le charme exquis d'un ouvrage où poème et
musique s'accordent si heureusement. Quarante représenta-
tions en 1873, et dix-muf, lors d'une seule et unique reprise
qui eut lieu douze ans plus tard, voilà pourtant le bilan, ho-
norable sans doute pour l'œuvre, mais à coup sûr fort au-
dessous de sa valeur.
Rien de plus spirituel et de plus fin que la donnée de cette
pièce, où l'on voit le marquis de Moncontour victime de son
émotion, car au Roi-Soleil qui lui demandait s'il avait un fils,
il a, par mégarde et par flatterie, répondu oui, tandis que sa
progéniture ne se compose que de quatre filles. Le pauvre
homme se résout à adopter un rustaud qu'il façonnera aux
belles manières et présentera à son souverain, aimant mieux
le tromper ainsi que le détromper ; mais il est tombé sur
un mauvais sujet qui fait les cent coups, gaspiïle l'argent,
veut marier ses quatre sœurs à des coquins, jusqu'au jour
où, devant se battre en duel et pris de peur, ce garnement
fait le mort. La nouvelle du décès parvient au roi, qui envoie
un compliment de condoléance, et, puisque le roi l'a dit, le
père se débarrasse au plus vite de ce fils d'emprunt qu'il
renvoie au village avec la servante Javotte, sa fiancée. Les
trois actes de cette comédie en vers avaient pour auteur
Gondinet, dont la verve s'était largement dépensée, et qui
n'avait paru embarrassé que pour le choix d'un compositeur,
car on s'était d'abord adressé en 1871 à Ofîenbach, et d'un
titre, car, outre le Talon rouge, sous lequel l'œuvre fut répétée,
on l'appela tour à tour si le Moi le savait, k Moi lésait, et finale-
ment le Moi Ta dit, variantes correspondant à des modifications
de texte qui devaient continuer par la suite, puisqu'à la re-
prise de 188S tout le poème avait été remanié, sans avan-
tage bien sérieux à notre avis.
La distribution première n'était pas sans mérites avec la
marquise et ses quatre filles, M'''^^ Révilly, Ghapuy, Guillot, et
deux débutantes M"«' Nadaud et Blanche Thibault, cette der-
nière, sœur de la cantatrice de l'Opéra et titulaire d'un premier
accessit d'opéra-comique, l'année précédente aux concours du
Conservatoire; avecM"<'s Reine et Ganetti, celle-ci engagée en
septembre à Bruxelles et remplacée alors par M"'- Ducasse
(deux petits marquis); avec M"" Priola (Javotte), MM. Ismaël
(le marquis), Lhérie (Benoit), Barnolt etSainte-Foy, qui, en cette
année 1873, allait quitter définitivement la scène, et dont le
rôle du maître à danser Miton Eut la dernière et toujours
amusante création.
En relisant cette partition, où la finesse des mélodies est,
comme disent les peintres, mise en valeur par une expérience
de la scène déjà consommée, on s'étonne que Léo Delibes
n'ait pas abordé plus tôt l'opéra-comique. Les journaux de
1869 avaient bien annoncé un certain Moi des montagnes, dont
MM. Edmond About et Gormon s'occupaient de lui disposer
le livret; mais depuis la guerre, il n'en était plus question.
Sa défiance de lui-même et sa timidité avaient dû contribuer
à faire avorter le projet. Comme un jour nous l'interrogions:
« Moi, répondit-il, je n'aurais pas écrit le Moi l'a dit sans Cop-
pélia, et je n'aurais jamais écrit Coppélia, si M. Emile Perrin
n'était venu me chercher et presque me prendre de force. Son-
gez donc, je fabriquais de la musiquette pour des scènes de
genre; jamais je n'aurais osé frapper à la porte des théâtres
subventionnés! » Le demi-succès à Paris d'un ouvrage qui
se maintenait au répertoire de plusieurs villes d'Allemagne
apparaissait comme un point noir dans son passé; il aurait
souhaité une nouvelle reprise qui fût sa revanche; il est mort
sans l'avoir obtenue ; peut-être l'avenir la réserve-t-il à sa
mémoire.
La seconde partie de l'année 1873 ne devait être signalée
que par quelques reprises peu importantes et quelques débuts,
dont la plupart se produisirent coup sur coup pendant le
mois de juillet. Ainsi, le l'^'', dans la Fille du régiment, M"'' Isaac^
ancienne élève de Duprez, qui venait de la Monnaie où elle
s'était fait remarquer dans le pâtre de Tannhàuser, comme
autrefois, au Théâtre-Lyrique, M""^ Priola dans le messager de
Rienzi, et qui, cette fois, traversa, simplement comme en,
passant, la salle Favart où l'attendaient, lors de son second
séjour, de si brillants succès ; le 2, dans Galathée, à côté de
Bouhy (Pygmalion) et Duvernoy (Ganymède), son futur époux,
M"'' Franck, chanteuse au talent sérieux et correct ; le même
soir, M. Vicini, un trial qui, sous les traits de Midas, se
montra d'une insuffisance assez notoire pour disparaître bien
vite de la troupe ; le 5, dans la Dame Manche, M. Dekéghel,
un Georges Brown chez lequel le volume de la voix n'éga-
lait pas celui du corps , qui arrivait de Belgique comme
Mi'« Isaac, et qui passa comme M. Vicini; enfin le 16, dans
la Fille du régiment (rôle de Tonio), M. Félix Puget, doué d'un
organe un peu faible, mais acteur expérimenté, fils de l'an-
cien chanteur du Théâtre-Lyrique, et frère de Paul Puget,
qui, cette année même, avait remporté le prix de Rome avec
une remarquable cantate appelée Mazeppa et interprétée par
Bouhy, Bosquin et M™' Fidès-Devriès. Signalons encore, un
peu plus tard, au mois d'août, le retour d'ailleurs très pro-
visoire de M'"^ Nord et dans Zampa, la Dame blanche, Michard
Cœur de Lion, et surtout, le 5 octobre, dans le Domino noir (rôle
d'Angèle), le début de M"'' Chevalier, élève de M. Saint-Yves-
Bax, qui, au précédent concours du Conservatoire, avait
remporté les deux premiers prix de chant et d'opéra-comique,
artiste intelligente et précieuse pour le théâtre où, pendant de
longues années, elle allait tenir les rôles les plus divers,
passant de la grande dame à la soubrette, figurant tour à
tour la reine du Pré aux Clercs ou l'une des bohémiennes
dans Carmen, et trouvant moyen de se faire remarquer même
dans les petits rôles où on ne lui demandait que de rendre
service.
Quant aux reprises, sans parler des Deux Journées, de Gheru-
bini, qu'il avait été question de remettre à la scène avec une ver-
sion nouvelle de M. Jules Barbier, demeurée malheureusement
inédite, elles se bornent à trois, Zampa (23 juillet), Michard
Cœur de Lion (18 octobre), l' Ambassadrice (10 novembre), ou à
quatre, si l'on y joint Maître Wolfram, pièce ancienne, mais
nouvelle pour la salle Favart. Zampa avait pour interprètes
M""* Ganetti, Ducasse, MM. Bach, Potel, et, comme protago-
niste, Melchissédec. C'était la première fois qu'à Paris, on
confiait à un véritable baryton ce rôle écrit pour ChoUet,
c'est-à-dire pour une voix mixte, et l'usage s'est maintenu
depuis en France, comme en Allemagne, de ne plus le con-
fier à un ténor. Michard Cœur de Lion, joué parDuchesne, Mel-
LE MÉNESTREL
363
chissédec, Neveu, Bernard, Nathan, Barnolt, Teste, Davoust,
jlmes Nordet, Thibault, Isaac, Nadaud, Decroix et Rizzio, re-
venait en scène après une absence de dix-sept ans ; on ne
l'avait pas revu depuis 18S6, et il reprenait au répertoire une
place qu'il n'a presque plus quittée désormais. L'Ambassadrice
était représentée pour faire briller la vocalisation brillante
et pure de M°"= Garvalho, autour de laquelle gravitaient Cop-
pel, Ponchard, Thierry, M"^ Chapuy et la vieille M™ Casimir,
qui, sous les traits de 11""= Barneck, risquait une courte et
suprême rentrée. Maître Wolfram datait du 20 mai 18S4 et
présentait comme un tableau intime, où le poète Méry et le
J compositeur Ernest Reyer avaient heureusement mélangé les
couleurs simples et expressives. On s'était jadis ému devant
l'amour discret de l'organiste Wolfram pour cette Hélène
avec laquelle il a été élevé et qui lui préfère le soldat
Fritz; on avait applaudi aux accents si touchants de ce petit
acte, et avec Bouhy, Goppel, Nathan et M"« Chapuy, le succès
se retrouvait à l'Opéra-Comique, tel qu'on l'avait connu au
Théâtre-Lyrique, plus grand même, en ce sens qu'on applau-
dit deux morceaux de plus, ajoutés à cette occasion, un
duetto, et le délicieux arioso « des larmes » que devait
chanter Melchissédec, désigné d'abord pour le rôle, et qui
finalement fut dit, et excellemment dit, par Bouhy.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
C'est l'époque où, sous couleur de Budget, les « honorables » du
Palais-Bourbon discutent gravement des questions d'art, comme s'ils
y entendaient quelque chose. S'il sont aussi forts que cela sur la
politique, on peut être assuré que les intérêts de la France sont
entre bonnes mains. Il s'agissail de savoir, jeudi dernier, si on
voterait, oui ou non, les subventions accordées aux théâtres natio-
naux. Comme d'habitude, M. Gousset, député de la Creuse, a donné
de la voix, et sa verve s'est surtout acharnée contre la subvention
accordée à l'Opéra. Ce n'est pas que M. Gousset soit déplaisant à
entendre, tant s'en faut; il est certainement l'un des moins ennuyeux
de cette Chambre mortuaire où les compères de sa façon sont vrai-
ment trop rares : bonne jovialité rurale, qui ne s'embarrasse de rien
et dit tout ce qui lui passe par la tète. Cette année, il en a trouvé
une bien bonne. Il estime que l'on doit supprimer la subvention de
l'Opéra pai'ce que ce prétendu établissement artistique contient des
danseurs — il ne parle pas des danseuses, pour lesquelles il a une
estime toute particulière — et que ces danseurs, avec « leurs grâces
callipyges », sont des êtres éminemment disgracieux. M. Gousset
croit qu'on pourrait les remplacer avec avantage par « des conduc-
teurs d'omnibus », qui, tout aussi bien qu'eux, pourraient soutenir
le poids des danseuses dans leurs ébats chorégraphiques. Et ça ne
coûterait que « quatre francs » par séance! Tontes ces belles choses
sont à l'Officiel, uu journal gai par excellence, comme chacun sait.
Mais le ministre des Beaux-Arls n'entend pas la plaisanterie. Il
s'est élevé tout de suite en Don Quichotte enflammé contre les
moulins à vent de M. Gousset et il a posé ni plus ni moins la
0 question de confiance » ! Tout à fait extraordinaire, n'est-ce pas ?
Je vous le dis, en vérité, cela a été une séance de joie tout à fait
exceptionnelle. M. Bourgeois — pour ceux qui l'auraient oublié c'est
le nom du ministre — a exposé qu'il venait de régénérer l'Opéra par
un nouveau règlement qui allait en ouvrir les portes à « l'ouvrier
parisien », que, tous les dimanches, cet honnête prolétaire pourrait
se prélasser, à raison de 2 fr. SO par séant, sur des banquettes de
bois hygiéniques, qui viendraient remplacer les affreux fauteuils
capitonnés qu'on sert aux aristos, et que là, à la dure d'un côté,
mais le front dans les nuages d« l'idéal, il pourrait goûter en paix
les douceurs des Huguenots ou de Guillaume Tell. Et c'est le moment
qu'on choisirait pour supprimer la subvention ! M. le ministre en
lâcherait plutôt son portefeuille. Il ne manquerait certainement pas
de mains pour le ramasser. Néanmoins, la Chamhre, à ce ministre
peu badin, accorde .326 voix contre 139.
L'an dernier, la subvention de l'Opéra n'avait eu pour elle que
269 vois contre 2-30; le déplacement d'une vingtaine de voix eût
suffi pour qu'elle fût supprimée. Aujourd'hui, elle est beaucoup plus
solide, comme on voit, ce qui tient tout simplement à la chute des
anciens directeurs Ritt et Gailhard. Si le ministre avait eu la
fâcheuse idée de les maintenir à leur poste, pour complaire à leurs
puissants protecteurs, c'en était fait, cette fois, des subventions aux
théâtres nationaux. Voilà ce qu'on peut affirmer ; que M. Bourgeois
se félicite donc de la sage et saine résolution qu'il a prise.
mM *** m
En attendant, les deux copains, le fin renard et le royal gascon,
— nous avons nommé nos éternels amis Ritt et Gailhard — ont
dû célébrer à leur façon hier au soir le centenaire de Meyerbeer.
Nous vous dirons dimanche prochain ce qu'ils ont hien pu imaginer
pour ternir la mémoire du grand compositeur. Nous les avons vus
à l'oeuvre, il y a quelques années, quand il s'agissait de «célébrer»
le souvenir de Mozart. Ce fut une piteuse soirée, qu'on n'a pas ou-
bliée. Et nous serions bien étonné que Meyerbeer se trouvât mieux
de leur sollicitude parcimonieuse.
Cependant nous pouvons, dès à présent et sans plus attendre,
donner à nos lecteurs la primeur de la pièce de vers de M. Jules
Barbier, qui a élé récitée à cette occasion par M. Mounet-Sully, en
manière d'intermède. La poésie est belle et dépasse certainement les
sornettes prétentieuses qu'on a l'habitude de prononcer en pareille
circonstance :
MEYERBEER
<( J'ai des poètes, dit la muse de l'iiistoire;
» Des peintres, des sculpteurs travaillent à ma gloire;
» Je veux que la musique y rayonne à son tour. »
— Et Meyerbeer pour elle ouvrit les yeux au jour.
C'est le musicien de l'histoire, qui trace
A grands traits une époque, et l'éclairé, et l'embrasse
D'un immense réseau de notes et d'accords;
Qui fait, à son appel, surgir l'âme des corps,
Et, réveillant Lazare, évoque, exalte, anime
De tout un passé mort la vision sublime.
Esprit souple et profond, cerveau de conquérant,
11 naquit loin de nous ; c'est chez nous qu'il fut grand.
L'art n'a pas de patrie, il est vrai ; mais peut-être,
La patrie a son art inéluctable, ô maître!...
Le nôtre, éblouissant de grâce et de clarté.
Conquit ton âme ; et toi, domptant qui t'a dompté,
Le transformant sans lui ravir sa propre vie,
T'appuyant de sa force à la tienne asservie.
Tu fis à ton génie agrandir l'art nouveau
Qui transfusait le sang français dans ton cerveau ;
Et la France a couvé ta gloire sous son aile
Et t'a rendu l'amour dont tu brûlas pour elle.
Aussi, cœur d'honnête homme, as-tu voulu payer
En chefs-d'œuvre le prix de son lait nourricier.
Quels tableaux ! Quel foyer de clartés fulgurantes!
Quel pinceau souverain! quelles couleurs vibrantes I
Quel faisceau de rayons éclairant l'Auxerrois
Dont le glas obéit à Médicis! La croix
Où de l'Esprit du mal affrontant le blasphème
Alice s'agenouille aux cris de l'Enfer même.
Et Munster que Fidès, attestant TEternel,
Ébranle des sanglots de son cœur maternel !
Toi, noir mancenillier aux ombres redoutables;
Vous, fins tissus, brodés sur de légères fables.
Qui des dolmens bretons jusqu'aux steppes du Nord
Tendez de la Russie à la France un lit d'or!...
Quelle richesse! Soit qu'à la foule insensée
Dans son manteau de pourpre il jette Struensée,
Soit qu'en un chant profane ou dans l'hymne vainqueur
Il verse son esprit ou répande son cœur;
Et toujouTs dans notre àme où dorment les ivresses
Cherchant, faisant jaillir la source des tendresses;
Ne croyant, ne voyant qu'un Dieu sur son chemin ;
Aimant, pleurant, vivant, humain!..,. Toujours humain!...
Et la mort a touché ce grand esprit!... — que dîs-je?
La mort tuant la vie?.. Impossible prodige!
C'est le jour qui jaUlit des ombres du trépas!
C'est la vie éternelle où l'homme ne meurt pas!
Où ce qui fut en lui d'amour et de lumière
Chante, rayonne, pense, échappe à la poussière!
L'auteur de Faust a dit un jour ces vérités :
« — Les hommes, fils de Dieu, sont des ressuscites
» Qui pour quelques instants habitent leur cadavre;
» Eu vain la mort paraît, et les frappe, et les navre,
j L'âme surgit, se plonge au sein même du jour,
» Et du foyer divin retombe en chants d'amour! »
•'ÎCi
LE MEiNESTlŒL
Vis Jonc, et ropands-nous ton âme et ton génie.
Maître aimé!.. Répands-nous cette clarté bénie
Où des haines d'antan s'apaise le transport!
Jette des chants d'oiseau dans les bruits de l'orag
D'un rayon souriant, conjure le naufrage!..
IjS. colère est l'écueil, le génie est le port!
Il sourit, il attire, il unit, il console
Et rassérène l'air du bruit de sa parole;
Il dissipe des nuits les nuages épais;
II émerge du sein de l'océan sonore;
Dans les cieux dévastés il ramène l'aurore
Et blanchit l'horizon des lueurs de la paix !
0 paix divine, viens, descends, fais le silence!
La voix du maître chante, et plane, et se balance
Gomme un appel que Dieu fait à l'humanité!
Elle échaufl'e les cœurs de ses divines flammes,
Domine les esprits et fait voguer les âmes
Sur des flots d'harmonie et de fraternité!
Voilà qui a du souffle et de l'envergure. Il n'y avait guère que
Gailhard lui-même qui pût prétendre à mieux faire. Mais il nous
ré.-erve ses soupirs poétiques pour le moment, très proche d'ailleurs,
où, débarrassé des soucis du pouvoir direcloriH], il pourra leprendie
le cours de ses chères études et doter sa pairie de quelques chefs-
d'œuvre littéraires. Il a déjà sur le chantier plusieurs sujets d'opéras
et de ballets. Après Gailhard directeur, nous allons avoir Gailhard
homme de lettres. Mais dans quelle langue écrira-l-il? Il n'en sait
rien encore. Le français le gêne un peu, à cause de l'onhographe.
H. MOREiX'û.
HISTOIRE ANECDOTIQUE
DU
CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
(Suite)
Deux accessits dans les concours à huis clos : Olivier Métra pour
l'harmonie, Bizet dans la classe d'orgue. Bonnehée remporte, à
l'unanimité, le prix de rhant; honorée d'une moindre récompense,
mais plus applaudie encore, M""= Girard. Les vainqueurs de l'archet
s'appellent Fournier, Garcin et Lolto. un vio'onisie de douze ans,
Lamoureux, Accursi; MM. Sapin, Bonnehée et Achard sont à la
lèle des classes d'opéra-eomiqne. Comédie: Grenier, Roger, M"''* De-
laislre et Delaporte.
Un vétéran de l'École prend sa retraite vers la iin de l'année ;
M. Vogt, entré rue Bergère en 1816, après avoir fait partie de la
chapelle impériale, suivi Napoléon à Ulm et à Austerlitz, abandonne
la clatse de hautbois. M. Verroust lui succède.
Le 11 décembre, au lendemain de l'inauguration du boulevard
de Strasbourg, M. Achille Fould préside la dislribulion des prix.
Eu présence du piince Napoléon, qu'accompagne M. Troplong, le
minisire assure le Conservatoire de la haute piotection de l'Empe-
reur. Les cours supprimés par la Reslauralion seront rétablis; la
classe de littérature et d'histoire va renaître.
La cérémonie est égayée par le discours inattendu du jeune Lolto,
qui, ne figurant pas au programme, demande au ministre l'auto-
risation de jouer le Mouvement perpétuel de Paganini. Permission
aussitôt accordée et succès maguifîque.
CHAPITRE VII
NAPOLÉON III
Le .30 janvier 1833, Paris s'éveille au bruit du canon- c'est le
mariage de Napoléon III. De l'Elysée aux Tuileries, du château à
la cathédrale, la foule se presse derrière la haie des troupes avide
d'admirer l'adorable beauté de la souveraine, jalouse d'acclamer
l'héritier de « l'Empereur ».
Dans Notre-Dame, cinq cents musiciens sont réunis, el le Conser-
vatoire figure en bon rang à l'orchestre ou sur les bancs des cho-
ristes. Le cortège entre aux sons de la iMarche de Schneitzhœffer •
puis viennent le Credo et VO Salutaris de Spontini, ie Sunctus
d'Adam, le Te Deum de Lesueur et le Domini salviun, instrumenté
par Auber.
Reconstituée par le directeur du Conservatoire, la chapelle impé-
riale se fait entendre, pour la première fois, à la messe du 1.3 février-
tous anciens [.remiers prix, ces artistes de race conduits pjr Girard'
Voici Alard, Tilmant, Dancla, Sauzay, Maurin, Leudet Battu Fran-
ehorame, Samary, Chevillard, Labro, Dorus, Altès, KIosé, Ve'rroust
Gallay; Benoist est à l'orgue, Plantade et Leboiue mènent les
chœurs.
Reprise des exercices le 24 avril. La musique n'y est représentée
que par une ouverture de Victor Chéri, tandis que la comédie
triomphe avec des fragments de rartuffc et du Barbier. On y re-
trouve avec le plus vif intérêt MM. Gilles de Saint-Germain, Lesage
Gren.er,^ M"^ Grange ; il n'est qu'une voix pour vanter la ber-uté de
M"° Arreiip.
Le 6 mai, soirée qui marque dans les fastes de l'École. En pré-
sence du pnoee Luc:ea Bonaparte, de M. Achille Fould, devant les
ministres, les ambassadeurs, les maréchaux, applaudi, par tous les
Pansions de marque, les élèves jouent un acte du Barbier, précédé
d un prologue de M. Camille Doucet, dit par M"' Arrène. A Beau-
marchais succède Rossini; Ze Comte Ory a pour interprètes Bonnehée,
Ferrand et M"e Rey qui avait, quelques jours plus tôt, dans là
chapelle du château, fait entendre des fragments du Stabat
Apres avoir brillé à l'église et sur la scène, Je Conservatoire va
se signaler en plein air ; ses meilleurs élèves sont parmi les trois
cents exécutants qui, le lo août, sous la conduite d'Auber, donnent
un concert splendide dans le jardin des Tuileries.
Les promesses de M. Fould n'étaient pas paroles vaines ; le
4 février 18o4, une sixième classe de piano est fondée et confiée à
Félix Le Couppey. Presque en même temps, la commission qui doit
reviser le règlement commence ses travaux : présidée par Alfred
Blanche, elle réunit les noms d'Auber, Scribe, Halévy, Roqueplan,
Emile Perriu, Samsou, Camille Doucet et A. de Beaucbesne.
Reprise des exercices. La compo.-ition du premier programme ne
témoigne pas d'une grande recherche de la nouveauté: l'Épreuve et
le 2' acte du Comte Orij, avec une ouverture de M. Jules Cohen.
Trois mois sont nécessaires pour préparer la représentation de
Marie (!1 juiu). PasdeJoup conduit l'orchestre. Les auditeurs s'ac-
cordent à reconnaître les plus belles <lisposilions à M. Nicolas, un
jeune ténor qui, itialianisé, figurera un jour parmi les favoris du
succès.
Que de noms entendus pour la première fois à l'is.'iue des con-
cours, vantés, célébrés, partout ledits depuis lors ! C'est l'accessit
de piano de M. Massenet, ca/narade de classe de Ghys. de Fissot,
de Duvernoy, premiers prix ex œquo ; un accessit à M. Danbé et
un prix à M. Lamoureux. Olivier Métra, Léo Delibes, J. Cohen et
Bizet sont ciiés à l'ordre du jour; M. Achard l'emporte sur tous
ses rivaux en opéra- comique. Tragédie et comédie sont d'une in-
croyable faiblesse ; on n'y peut citer que M"' Stella Colas ou
M"*^ Delaporte.
Le discours de la distribution des prix, déclamé par M. Blanche,
secrétaire général du ministre d'Éial. est d'un médiocre intérêt.
Relevons-y l'annonce, chaleureusement accueillie, suivant la tradi-
tion, du remplacement, par Régnier, de Samson, appelé à la classe
d'histoire et de littérature.
1835. Xa guerre de Crimée et l'Exposition, bruits de conquêtes
ou manifestation pacifique, ne font pas négliger la musique. Con-
certs au château, chez les ministres, représentations de gala, spec-
tacles gratuits. L'année passera en un tourbillon de fêtes.
Dans ses appartements du Louvre, le comte de Nieuwerkerke
appelleia à mainte reprise les élèves du Conservatoire; les pro-
grammes fort artistiques de ces soirées sont composés par Pasdeloup.
L'Opéra fait applaudir les Vêpres siciliennes, et réunit dans le Prophète
M""' Alboni et Roger; Jacjuarita au Lyrique, /e Z)emî-i1/o«rfe au Gym-
nase, les fantaisies d'Hervé aux Folies -Nouvelles, encaissent des
recettes mirifiques. Les abonnés du Théâtre-Italien applaudissent
Maiio, M'""'' Peneo, Borghi-Mamo, Viardot; c'est aussi l'époque de
la lulle ouverte entre Rachel et M'"' Ristori.
Le public ne réserve pas ses bravos pour ses étoiles; pour faire
entendre son Décameron dans le concert donné au mois d'avril.
Jacques Ofl'enbach appelle à lui les élèves du Conservatoire. Aux
côtés de M"« Poinsot, de Ch. Bouchard, de M"« Luther et Marie Damo-
reau, voici M""* Désolée, Stella Colas, Fleury, Rey-Balla.
Elles sont de nouveau applaudies par le ministre d'Etat, sur la
scène de l'Ecole. Entre M"" Desclée (la comtesse) et M. Fournier
(Almaviva), M"" Delaporte incarne le plus gracieux Chérubin qui
se puisse rêver. D'ailleurs, les encouragements officiels ne feront
pas défaut cette année aux sujets d'.^uber : pour entendre le troi-
sième acte iïArmide, chanté par M""^ Rey-Balla et La Pommeraye,
LE MEiNESTREL
365
MM. Cœilte et Lamazou, le président du Sénat et le préfet de la
Seine prennent place dans la loge d'honneur.
Réapparition des enfants prodiges au concours de piano : deux
musiciens qui n'ont pas atteint la douzième année, Duvernoy et
Fissot, se partagent les lauriers. Accessits : MM. Guiraud et Diémer.
Il n'est pas une voix pour protester contre le premier prix donné
au violoniste Romeo Accursi. MM. Canoby, Ben-Tayoux, Planté et
Dubois brillent au solfège et à l'harmonie. M"' Dalmont chante à
ravir une scène du Caid, qui lui vaut un tiioraphal exeat; M"" De-
voyod ranime un instant les auditeurs de la tragédie. Prix de
comédie : M. Roger et M"" Stella Colas.
Pour beaucoup d'élèves du Conservatoire, les vacances n'ont été
qu'un repos fort incomplet. Il faut être prêt à reparaître brillam-
ment devant les mélomanes qui, depuis le mois de janvier, suivent
régulièrement les concerts de la Société des jeunes artistes, dirigée
par Pasdeloup. Une symphonie de M. Gounod, écrite spécialement
pour elle, a été le morceau de résistance de la saison, redemandé,
acclamé. — A la nouvelle de la prise de Sébastopol, décision minis-
térielle prolongeant les congés de huit jours.
C'est au tour des manifestations pacifiques. Le dS novembre, dans
le Palais de l'Iadustrie, distribution des médailles aux exposants.
Berlioz a dressé un fantastique programme à double choeur et
double orchestre; sur des paroles du commandant Lafont il a écrit
une cantate, l'Impéi'iale, attaquée à l'entrée des souverains. Mais
alors de tels hurrahs éclatent de toutes parts, les cris « Vive l'Km-
pereur » se déchaînent si assourdissants, que du balcon où sont
les douze cen!s exécutants, aucun son distinct n'arrive jusqu'au
publie.
Le lendemain, on donnait à Hector Berlioz la consolation d'une
seconde exécution. Auprès de l'Impériale, figurent la Bénédiction
des poignards, la Prière de Moïse, le Te Deum.
M. Ambroise Thomas est, en décembre, nommé inspecteur géné-
ral des écoles de musique des départements, en remplacement de
M. Balton; venue de la même succession, la classe d'ensemble vocal
pour laquelle Pasdeloup est désigné. Cette double nomination,
annoncée au début de la^ distribution des prix, vaut une longue
salve au compositeur et au chef d'orchestre.
(A suivi-e.) André Martinet.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (12 novembre). — La première du
Rêve vient d'avoir lieu, ce soir, à la Monnaie. Il y aurait, de ma part, une
véritable outrecuidance à vous parler encore de l'œuvre de MM. Zola,
Gallet et Bruneau, après l'article substantiel et raisonné que lui a consa-
cré naguère, ici-méme, avec son autorité habituelle, mon collaborateur
et ami, M. Arthur Pougin. Cette œuvre, la Monnaie nous l'a donnée
absolument telle que les Parisiens l'ont vue, à la « première », avec
les suppressions et les modifications pratiquées après la répétition géné-
rale — et en costumes de ville, comme à l'Opéra-Gomique. La seule
chose dont j'aie à vous parler, c'est de l'impression produite sur le
public bruxellois. Cette impression a été généralement excellente. Il
est bien certain, tout d'abord, que l'agrément et la sensibilité du sujet
y ont été pour une large part; on a pleuré, ou a été ému, et, des
galeries supérieures jusqu'aux fauteuils d'orchestre, bien des mouchoirs
ont essuyé bien des larmes. Quant à la musique, elle a bien un peu
crispé, étonné ou inquiété un certain nombre de spectateurs; mais je dois
à la vérité de dire qu'il n'y a guère paru, et que l'intérêt musical que la
majeure partie du public y a trouvé, dans les bonnes pages de la parti-
tion, a aflîrmé le succès, au milieu même des inévitables discussions.
Le public bruxellois était, d'ailleurs, préparé à toutes les audaces; lui, que
n'ont rebuté ni Siegfried, ni la Watkyrie, ni les Maîtres Chanteurs, pouvait
supporter le Rêve avec sérénité. Il va sans dire que personne ne songe à
établir la moindre comparaison entre Wagner et M. Bruneau. Bien que,
en apparence, il y ait quelques « similitudes » dans leur systèm'e de
déclamation lyrique et dans l'emploi qu'ils font tous deux du leitmotiv, il
s'en faut que ces similitudes soient très étroites ; M. Bruneau, par exemple,
est loin d'avoir la puissance de développement et de transformation du
leilmotiv si admirable chez Wagner ; il se contente d'apporter de l'ingénio-
sité et du pittoresque où le maître de Bayreuth va jusqu'à la profondeur.
Les deux arts sont essentiellement différents; M. Bruneau se froisserait si
on lui disait le contraire ; il aurait raison; et le public l'a compris ainsi
également. Celui-ci a applaudi, dans la partition de M. Bruneau, les jolis
détails, les scènes émues, la nouveauté de l'action, l'intérêt d'une orches-
tration curieuse jusqu'en ses recherches et ses barbarismes, et, avant tout,
la couleur de l'ensemble qui, à coup sur, n'a rien de banal. Il n'a pas tout
applaudi, ni tout acclamé ; il a eu de la réserve pour certaines choses, et
de l'enthousiasme pour d'autres; et, finalement, il a fait fête aux auteurs.
L'interprétation du Rêve est, du cô(é de l'orchestre, tout à fait excellente ;
du côté des chanteurs, elle est très satisfaisante. Il faut cependant tirer
hors de pair M. Séguin, qui a été admirable dans le rùle de l'évêque.
M"» Chrétien n'a pas la voix qui convient à celui d'Angélique, qu'elle
chante avec plus d'intelligence que de vrai sentiment; mais ses qualités
de bonne musicienne l'ont fort servie en cette occasion ; M"'= de Beridez,
MM. Leprestre et Dinard sont sufQsants. Demain vendredi, nouvelle
0 première », celle de Smylis, le ballet inédit de M. Léon Dubois.
L. S.
— Neuf représentations de l'Amico Fritz ont eu lieu déjà au théâtre
Costanzi, de Bome, avec un succès toujours croissant. M. Sonzogno ne
s'en occupe pas moins déjà d'un nouvel ouvrage, Piei' Luigi Farnese, opéra
de M. CostantinoPalumbo, dont les répétitions ont commencé cette semaine
et qu'il compte faire passer incessamment.
— Aux premiers jours de décembre, l'orchestre et tout le personnel du
Costanzi iront à Naples pour donner quelques représentations de l'Amico
Fritz au théâtre San Carlo. On portera aussi décors et accessoires. Les
premiers rôles seuls seront changés. A Naples, les principaux interprètes
seront ; M""= Bellincioni, M. Stagne et M. Kaschmann.
— Les journaux italiens continuent de s'entretenir du succès du nouvel
opéra de M. Mascagni, l'Amico Fritz, qui parait en effet très considérable.
Le prix des places avait été à ce point augmenté au théâtre Costanzi, pour
la première représentation, que certains journaux vont jusqu'à dire que
la recette s'est élevée ce jour-là au chiffre de 40,000 francs ; d'autres,
plus raisonnables et plus près de la vérité sans doute, se bornent à la
fixer à 20,000 francs. Le journal te Secolo, de Milan, publie la dépêche sui-
vante de Rome : — « Les Napolitains venus ici pour la première repré-
sentation de l'Amico Fritz et qui, enthousiasmés, ont assisté encore à la
troisième, ont offert à Mascagni un superbe banquet, dans lequel ils ont
bu à la santé de l'auteur de la Cavalleria, de Fritz et des Ranlzau (le pro-
chain ouvrage de M. Mascagni) et à celle de l'éditeur des œuvres du jeune
maestro italien. »
— Le Comité exécutif de l'Exposition de Palerme, nous l'avons dit
naguère, avait chargé M. Mascagni de composer l'hymne qui devait être
exécuté lors de la cérémonie d'inauguration de cette Exposition, dont
l'ouverture est très prochaine. A la suite de diverses sollicitations du
Comité, M. Mascagni finit par répondre qu'il n'avait pas fait ce morceau
à cause d'une maladie dont son bras droit avait été atteint (?). Celui-ci
lui fixa alors une date ferme, mais le morceau n'arriva point, et l'on vit
bien qu'il fallait s'en passer. Une Exposition sans cantate ! Le cas était
douloureux. L'anxiété fut heureusement de courte durée. Si M. Mascagni
ne travaillait pas, un de ses confrères mettait à profit sa négligence et
travaillait en secret. Ce confrère est un maestro du nom de Maggio, qui
a fait répéter, ces jours derniers, une cantate qu'il avait écrite discrète-
ment pour la circonstance, et qui, parait-il, a satisfait tous les auditeurs.
Si bien que, comme toute Exposition qui se respecte, l'Exposition de
Palerme aura sa cantate inaugurale. Tout est bien qui finit bien.
— Nous avons parlé, il y a quelques mois, d'un concours ouvert à Bolo-
gne, au nom de M. Baruzzi, pour la composition d'un opéra destiné à être
représenté au Théâtre communal, le plus important de cette ville et l'une
des quatre grandes scènes lyriques de l'Italie. Trois artistes ont pris part
à ce concours : M. Francesco Declementi, de Teramo, aved un opéra eu
trois actes intitulé Elluaria ; M. Pucci, de Cava dei Tirreni, av3C un opéra
en trois actes intitulé nn Curioso Accidente; M.-Oronzio Sbavaglia, de (rir-
genti, avec un opéra en trois actes intitulé la Fuggitiva delt'Harem. Le prix
de ce concours, qui est de 5,500 francs, doit servir aux frais de l'exécution
de l'ouvrage couronné, à moins, dit le Trovatore, que la direction du théâtre
prenne ces frais à sa charge, auquel cas la somme appartiendrait au for-
tuné vainqueur. — Va-t-en voir s'ils viennent, Jean...
— A peine arrivé à Vienne, le ténor Van Dyck a continué, avec la
charmante M''= Renard, la série des représentations de Manon. Voici la
dépêche que nous recevons : « Hier, Manon, succès encore plus grand qu'à
la première représentation. Réception enthousiaste, trente rappels dans
la soirée. »
— Dernières nouvelles relatives à la future Exposition théâtrale et mu-
sicale de Vienne, données par le correspondant viennois du Figaro: Voici
les dernières nouvelles sur l'exposilion internationale de musique et de
théâtre projetée, on le sait, pour l'année prochaine. La construction du
théâtre avance rapidement. Le Théâtre-Français y donnera dix représen-
tations dans le courant du mois de juin. Les théâtres de Vienne y joue-
ront pendant les mois de mai et de septembre, trois théâtres de Berlin au
mois de juillet. On est en pourparlers avec l'Opéra de Milan, avec des
théâtres hongrois, tchèques et polonais. A la Tonhalle, immense hall de
musique, on organisera une vingtaine de grands concerts, dirigés par les
plus célèbres compositeurs et chefs d'orchestre. Hans Richter, Biilow,
Verdi ont déjà promis leur concours. H est probable qu'on aura également
Mascagni. L'Exposition contiendra tout ce qui se rapporte, de près ou de
loin, à la musique et au théâtre. Il y aura des souvenirs des grands
compositeurs. Le prince Lichnowski exposera le beau piano sur lequel
Beethoven aimait jouer ; le comte Esterhazy prêtera ses souvenirs dé
366
LE MENESTREL
Haydn: le baron N. Rothschild, sa magnifique collection d'instruments de
musique. Toutes les grandies familles de la monarchie mettront leurs archi-
ves, leurs galeries, leurs collections artistiques à la disposition du comité.
On arrivera à reconstruire les cabinets de travail de Gœthe, de Richard
Wagner, de Beethoven, de Schubert, etc. Enfin, ce sera uue exposition
des plus complètes, des plus originales et qui promet d'attirer toute l'Eu-
rope artistique dans la vieille cité impériale.
— L'Université de Vienne vient de conférer /ionoris causa le titre de docteur
en philosophie à W.Antoine Bruckner, un des plus remarquables compo-
siteurs contemporains de l'Allemagne. M. Bruckner est professeur de
composition à l'Université devienne et au Consei-vatoire de cette capitale;
il remplit depuis trente ans les fonctions d'organiste à la cathédrale de
Vienne. Ses œuvres principales sont les sept symphonies pour grand
orchestre qu'il a publiées jusqu'à présent et son Te Daim. On le considère
en Allemagne comme le plus docte organiste de notre temps et comme le
plus magistral contrapuntiste. Certaines influences ont su empêcher la
propagation de ses œuvres, mais depuis quelques années ses sjTnphonies,
notamment la romantique (la quatrième), ont été jouées avec un succès
énorme en Allemagne et en Angleterre, et son Te Dcum a été récemment
accueilli avec un véritable enthousiasme à Berlin. Les universités autri-
chiennes n'ont pas le droit de conférer le titre de docteur en musique,
dont Cambridge et Oxford disposent assez souvent ; la philosophie, qui
joue en Allemagne le rùle de la bonne à tout faire, a donc dû se prêter
à ce que M. Bruckner pût obtenir la distinction honorifique qu'il a am-
plement méritée.
H paraît que les choses de la musique sont loin d'être toujours irré-
prochables, même en Allemagne, même dans les centres de ce pays les
plus renommés à ce point de vue. Témoin ce qu'on écrit de Leipzig, tou-
chant la société si célèbre du Gswandhaus à notre confrère le Guide
musical: sLa mortinopinée deM. Limburger, présidentdela commission du
Gewandhaus, — on sait que cette institution est dirigée par un comité de
notables (non de musiciens ou d'artistes), — et son remplacement par
M. Gunther, un avocat, directeur du Conservatoire, ont produit un mou-
vement considérable dans les administrations qui gouvernent l'art, La der-
nière nomination etla façon inconvenante dont quelques jouTnanx(en parti-
culier le Musikalische Wochenblatt) se sont exprimés sur le compte de l'an-
cien président, homme peu sjTnpathique, mais doué de grandes qualités
et, de son vivant, prôné comme aucun, tout cela a fait crier, et non sans
raison. Le fait de cette nomination malencontreuse transforme le Gewan-
dhaus en salle de parade pour le Conservatoire. Si bien que deux jeunes
filles. M"' Koberstein (élève de W^' Gœtze, qui a remplacé la très regrettée
Schimon-Regan, démissionnaire), une chanteuse sans grande voix et sans
méthode, pas autrement musicienne, et M^ii^Méta VÇ'alter, une pianiste qui
pourrait avoir un certain succès dans un salon d'amateur, se sont produites
sur le « podium j du Gewandhaus. Autre changement : Reinecke ne dirige
plus l'accompagnement des soli ; on a nommé à cet effet nn jeune homme,
M. Prill, dont le bâton indécis est pitoyable à regarder. César Thomson,
qui a remporté, jeudi, un succès inouï dans les annales du public froid
et retenu du Gewandhaus, a dû être pas mal gêné par un semblable chef
d'orchestre. N'ayant pu lui faire diriger sufQsamment le concerto de Dam-
rosch, il a pris le quatrième de Vieuxtemps, également inconnu du jeune
maestroetlamentablementaccompagné. Quelle décadence depuis trois ans!»
— Antoine Rubinstein, qui vient de rentrer à Saint-Pétersbourg, s'est
beaucoup occupé de composition dans sa retraite de Dresde. Il a achevé
son grand opéra sacré Moïse, en huit parties, dont les six premières sont
déjà publiées. De plus, il a écrit, outre six romances, une cantate pour
voix de femmes, qui sera exécutée dans les instituts de demoiselles de
Saint-Pétersbourg le jour des noces d'argent de Leurs Majestés Impériales.
L'illustre maître passera les fêtes de Noël à Saint-Pétersbourg, après quoi
il viendra, dit-on, s'établir à Paris.
— Un ténor trop fougueux, M. Figner, chantait Faust dernièrement à
l'Opéra de Saint-Pétersbourg. Au dernier acte, il entraîna Marguerite
avec tant de violence qu'il blessa sa camarade au pied. Il a été mis, de ce
fait, à l'amende de trois cents roubles.
— Edouard Grieg se trouve en ce moment, parait-il, à Christiania. Le
maître de Bergen assiste aux répétitions de quelques-unes de ses grandes
œuvres symphoniques, dont une exécution se prépare dans la capitale
nor'wégienne.
— La troupe de l'Opéra allemand d'Amsterdam est de nouveau en
détresse. Dès la fin du premier mois de son exploitation, le directeur,
M. Schwarz, fut déclaré insolvable. Aucun membre de son personnel n'a
touché un centime d'appointements. Les artistes veulent continuer l'en-
treprise à leur compte.
— On ne dira pas que les Espagnols restent indifférents aux plaisirs de
la scène. Il n'y a pas en ce moment, à Madrid, moins de douze théâtres
ouverts et fonctionnant régulièrement: le Théâtre royal, où l'on joue
l'opéra ; la Zarzuela, l'Apolo, l'Eslava, le Price, consacrés à l'opérette et
à la zarzuela ; enfin la Comédie, le théâtre de la Princesse, le théâtre
Lara, le théâtre du prince Alphonse, les Nouveautés, le théâtre Martin et
le théâtre Romea, occupés par des troupes de drame et de comédie.
— Il est question, paraît-il, de fonder en Angleterre une institution
analogue à celle qui existe en France et en Belgique, sous le nom de
« Concours pour le prix de Rome ». Le Musical Standard appuie chaleu-
reusement l'idée d'une fondation de ce genre, les fondations de l'espèce,
mais d'un caractère moins général, qui existent en Angleterre, par exemple
la fondation Mendelssohn, ne lui paraissant pas suffisantes. Le Musical
Standard ne fait pas appel à l'intervention directe de l'Etat, qui est une
idée peu populaire en Angleterre, mais il pense qu'une partie des sommes
consacrées annuellement à l'organisation de festivals qui ne produisent
rien pourrait être utilement appliquée à la constitution d'un capital des-
tiné à favoriser les études et les débuts de jeunes compositeurs dont le
talent se serait affirmé dans un concours public, ouvert à tous.
— Pour faire suite à l'Exposition navale et militaire anglaise qui vient
d'avoir lieu à Londres, le Standard met en avant l'idée d'une Exposition
« ecclésiastique » pour l'année prochaine. La musique étant, de tous les
arts, celui qui a le plus contribué à l'éclat et au prestige des cultes, une
place prépondérante lui sei-ait réservée, etl'on espère arriver à placer sous
les yeux des amateurs et des érudits un tableau aussi complet que pos-
sible du développement de la musique religieuse à travers les âges.
— C'est bien décidément au Conservatoire de New-York que le compo-
siteur Dvorak est engagé comme professeur de composition. Aux termes
de son contrat, M. Dvorak devra diriger quatre concerts d'élèves tous les
ans. 11 n'a jamais été question de Chicago, ainsi que quelques journaux
européens l'avaient annoncé.
— Le Musical Courier, de New- York, vient d'être informé que le manus-
crit d'une ouverture inédite de Cherubini, composée en 1815 pour la
Société philharmonique de Londres, vient d'être découvert par M, Grûtz-
macher, maître de concerts à Dresde. Cette œuvre, qu'on dit remarquable,
va paraître prochainement chez l'éditeur Kahnt, à Leipzig,
PARIS ET DÉPiRTEMENTS
Dans sa dernière séance publique annuelle, l'Académie des beaux-
arts a, selon sa coutume, distribué un certain nombre de prix provenant
de fondations particulières, et dont la musique avait sa part. Le prix
Trémont, dont la valeur est de 2,000 francs, a été partagé entre M. Lenoir,
peintre, M. Belloc, sculpteur, et M. Ferdinand Poise, compositeur. Le
prix Chartier, pour l'encouragement de la musique de chambre, a été
décerné à M. Deldevez, l'ancien chef d'orchestre de l'Opéra. On sait déjà
que le prix Rossini n'a pas eu de titulaire cette année. Le rapport s'ex-
prime ainsi en faisant connaître les résultats négatifs du concours relatif
à ce prix : « L'Académie, vu la faiblesse des œuvres adressées au
concours ouvert en 1890 pour la composition musicale, a prorogé le
concours au 31 décembre 1891, en maintenant comme livret la pièce de
poésie intitulée Isis, de MM. Eugène et Edouard Adeuis. Un nouveau
concours est ouvert pour la production d'une œuvre poétique destinée à
être mise en musique. Les manuscrits devront être déposés au secrétariat
de l'Institut avant le .31 décembre 1891, » Ajoutons que l'Académie se
trouve en possession d'une nouvelle fondation, le prix Kastner-Boursault,
dû à la libéralité de la veuve de Georges Kastner, le fameux musicographe
qui fut l'un des membres associés de l'Académie. Le rapport l'annonce
en ces termes : « Par son testament, en date du 17 juin 1889, M™ Bour-
sault, veuve Kastner, a légué à l'Académie des beaux-arts une somme
suffisante pour la fondation d'un prix triennal de 2,000 francs destiné à
récompenser, la première année, le meilleur ouvrage de littérature musicale
fait en France ou à l'étranger qui traitera de l'influence de la musique sur le
développement de la civilisation dans la vie 2}ublique et dans la vie privée. Aux
termes du testament, l'Académie, après avoir décerné, la première année,
le prix sur la question ci-dessus, posée par la fondatrice elle-même, aura
la faculté de choisir les sujets des concours suivants. Ce prix sera décerné
pour la première fois en 1894. »
— Afin de donner plus d'éclat à la cérémonie qui devait suivre le
couronnement du buste de Meyerbeer, à l'Opéra, la direction avait cru
devoir adresser la lettre suivante aux artistes qui ont créé ou interprété,
à l'Opéra, les principaux rôles dans les ouvrages de Meyerbeer :
Nous avons l'honneur de faire appel à votre concours pour la représentation
qui doit être donnée, samedi prochain, à l'occasion du centenaire de Meyerbeer.
La présence, devant le buste du maître, des grands artistes qui ont, comme
vous, contribué au succès de ses œuvres, donnera à cette cérémonie l'éclat
qu'elle doit comporter, et nous espérons que vous voudrez bien reparaître, eu
l'honneur de Meyerbeer, sur cette scène de l'Opéra oii vous avez laissé de si vite
retrrets.
^■euiUe^ agréer. M..., l'expression de nos sentiments les plus distingués.
E. RiTT et Gailhabd.
Ces artistes étaient : M"'» Viardot, Marie Sasse, Krauss, Carvalho,
Dorus-Gras, Battu, Poinsot, Mauduit, Isaac, Dufrane, Ploux; MM. Du-
prez, Faure, Obin, Boudouresque. Villaret, VS'arot, Bosquin, Giraudet et
Caron. Nous saurons combien parmi eus auront jugé bon de répondre à
l'appel de MM, Ritt et Gailhard. Les deux directeurs excitent si peu de
sympathie dans le monde des artistes qu'il est bien à craindre qu'ils se
soient exposés là à une véritable suite de camouflets.
— Nous avons dit déjà, à maintes reprises, que M. Bertrand comptait
inaugurer sa direction à l'Opéra par la représentation de Salammbô. Un
de nos confrères du matin ayant avancé que MM. Ritt et Gailhard avaient
refusé à leur successeur « tout foyer, tout coin, si petit fùt-il », pour
LE MENESTREL
367
procéder aux études de l'œuvre de Reyer, M. Aderer a interrogé M. Gail-
hard sur cette nouvelle, et voici ce qui lui a été répondu :
M. Ernest Reyer a eSectivement demandé à MM. Ritt et Gailhard un foyer
pour les études de Salammbô. Les directeurs de l'Opéra ont répondu qu'ils se-
raient heureux de déférer au désir du compositeur et de mettre leur théHtre à la
disposition de M. Bertrand pour préparer l'ouverture de la prochaine direction.
Ils ont fait simplement observer à M. Ernest Rejer que le personnel de l'Opéra
va être de jour en jour plus occupé par les répétitions de Tamara, de M. Bour-
gault-Ducoudray. On ne peut imposer aux chœurs l'obligation de mener de front
les études de Tamara et de Salammbô. Si M. Bertrand veut se charger de Ta-
mara et nous dégager à l'égard de M. Bourgault-Ducoudray, nous n'y ferons
aucune opposition. Ce sera à lui de décider de la priorité entre ces deux ou-
vrages, et nous nous empresserons de lui donner toutes les facilités qu'il pourra
désirer.
Prenez notre ours, ont l'air de dire MM. Ritt et Gailhard à M. Ber-
trand, et nous vous ferons des grâces. Gomme tout cela est aimable,
vraiment, pour MM. Bourgault-Ducoudray et Louis Gallet, auteurs de
Tamara! MM. Ritt et Gailhard ne sont même pas capables d'un bon sen-
timent à l'expiration d'une direction qui les a couverts d'or. Ils auront
été mesquins, ridicules et inconvenants jusqu'au bout.
— Avant de quitter Paris, le ténor Van Dyck a signé un engagement
avec M. Charles Lamoureux pour trois concerts à donner durant la se-
maine sainte. M. Berti'and s'est assuré également son concours pour trois
ans, mais il ne pourra le posséder que quatre mois de l'année, à cause
des engagements antérieurs du célèbre artiste.
— La commission du budget a rétabli hier, au budget des dépenses de
■1892, les crédits nécessaires au fonctionnement de la censue dramatique.
Ces crédits avaient été primitivement supprimés, en prévision de l'adop-
tion, par la Chambre, du rapport de M. Guillemet, tendant à la suppres-
sion temporaire de la censure. Mais le ministre des beaux-arts a fait
observer à la commission que, si la Chambre repoussait les conclusions
du rapport Guillemet, il lui faudrait demander, dans ce cas, des crédits
supplémentaires. Il a expliqué qu'il lui paraissait préférable d'inscrire dès
maintenant au budget les crédits habituels; si le Parlement, après les
avoir votés, décide la suppression de la censure, rien ne sera plus simple
que de les annuler. La commission s'est rangée à l'avis de M. Bourgeois,
et c'est dans ces conditions qu'ont été rétablis les crédits d'abord sup-
primés.
— A rOpéra-Comique, on a distribué, cette semaine, les rôles de Ping-
Sin, l'opéra en deux actes de M. Henri Maréchal, sur un livret de
M. Louis Gallet, qui doit passer le même soir que Chevalerie rustique (Ca-
valleria rusticana), de M. Pierre Mascagni. Le rôle de Ping-Siu sera tenu
par M^s Landouzy ; celui de Kam-Si par M. Fugère ; celui du prêtre
Siang par M. Fierons. Quant au rôle de Yao, il sera probablement créé
par M. Lubert.
o— En 1726, le théâtre de l'Opéra-Comique de la foire Saint-Laurent,
où l'on ne jouait alors que des parodies et des pièces en vaudevilles,
était placé sous la direction d'un nommé Honoré, maître chandelier de
Paris, qui, après l'avoir fourni de lumières pendant plusieurs années,
s'était mis à la tète de ce théâtre. C'était l'époque de la grande vogue des
pièces de Le Sage, Fuzelier et d'Orneval, fournisseurs en quelque sorte
attitrés de ce spectacle chéri des Parisiens, qui y donnèrent en cette
année 1726, avec un énorme succès, un vaudeville en trois actes intitulé
les Pèlerins de la Mecque. Ce succès se prolongea pendant plus de quarante
ans, au cours desquels on fit de nombreuses reprises de l'ouvrage. Ce
qui le prouve, c'est que Gluck en fit un opéra-comique qu'il fît repré-
senter au théâtre de la cour, à Vienne, vers 1764. Il avait demandé pour
cette circonstance un poème à Dancourt (non point le Dancourt de notre
Comédie-Française, l'auteur du Chevalier à la mode et des Bourgeoises de
qualité, mort alors depuis longtemps, mais Dancourt l'Arlequin, qui
fournit presque toute sa carrière en Allemagne), et celui-ci lui avait
arrangé les Pèlerins de la Mecque, que Gluck, après en avoir écrit la mu-
sique, fit représenter en français, à Vienne, sous le titre de la Rencontre
imprévue, et qui fut joué ensuite pendant plus de vingt ans sur une tra-
duction allemande : Die Pilgrime von Mekka. L'ouvrage fit un retour en
France sous cette forme et, intitulé cette fois les Fous de Mcdine ou la Ren-
contre imprévue, parut à l'Opéra-Comique le 1™ mai 1790. Mais des rema-
niements tellement fâcheux avaient été faits à la pièce qu'elle n'obtint
alors aucun succès, en dépit du bon effet qu'avait produit la musique.
« La seconde représentation des Fous de Médine, disait le Journal de Paris,
est retardée par les changements que l'on se propose d'y faire, d'après
les indications que le public a semblé donner lui-même en imposant plu-
sieurs situations et incorrections dans le dialogue, mais aussi en applau-
dissant nombre de morceaux de musique que l'on espère mieux enca-
drer. » Or, jamais cette seconde représentation n'eut lieu, et l'on n'en-
tendit plus parler de l'ouvrage. Peut-être fùt-il à jamais resté oublié, si
M. Wekerlin n'avait eu l'idée de le publier à nouveau. L'habile bibliothé-
caire du Conservatoire avait eu la chance de mettre la main, naguère,
sur un des exemplaires, devenus rarissimes, de la partition de Gluck.
Sur la demande de M. Bagier, alors directeur de notre Théâtre-Italien,
il avait réduit cette partition au piano avec le goût et le soin qu'il apporte
à ces sortes de travaux, M. Bagier ayant eu l'idée, à cette époque, de
mêler à son répertoire italien quelques ouvrages français, et désirant
mettre celui-ci à la scène. Puis M. Bagier disparut, et M. Wekerlin
resta avec sa partition sur les bras. Il vient enfin de la publier, et l'on
peut dire que c'est une bonne fortune pour les admirateurs de Gluck,
car elle est charmante, cette musique des Pèlerins de la Mecque, et elle a
l'avantage de nous montrer le génie du maître sous un aspect absolument
nouveau pour nous, l'œuvre ayant bien le style, la couleur et le caractère
du genre de l'opéra-comique. Il a voulu se faire souple, gracieux, léger,
et l'on peut dire qu'il y a pleinement réussi. C'est du Gluck mozartisé, si
l'on peut ainsi parler, et je serais bien étonné si l'auteur de Bon Juan
n'avait pas connu cet ouvrage de son Illustre devancier et si le souvenir
ne lui en avait pas été présent lorsqu'il écrivit, par exemple, l'Imprésario
ou l'Enlèvement au sérail. A. P.
— M, Colonne a en l'excellente idée de faire entendre, à ses concerts, les
symphonies de Beethoven dans leur ordre chronologique. On peut mesurer,
par cette succession d'auditions, les étapes de ce prodigieux génie. Après
la première, en ut majeur, qui est toute charmante et très simple, la seconde
en ré, qui est déjà pleine de grandeur et dont les développements sont
considérables, puis la troisième, en mi bémol, que nons avons entendue
dimanche et qui est déjà tout un monde. Nous ne redirons pas la légende
qui s'est faite sur la Symplwnie hérdique; constatons, seulement, une fois de
plus, que c'est une merveille d'imagination, de sentiment, de grandeur,
un poème épique, qui a été supérieurement rendu par l'orchestre du Chà-
telet. Après cette tempête d'harmonie, Mii<= Marcella Pregi, dont la voix:
est très étendue et d'un timbre charmant, a su se faire écouter dans le
Lamenlo de M, Fauré, dans la chanson florentine à.'Ascanio, qui est
plutôt un morceau de scène que de concert, et surtout dans Haï-Luli, de
M. Coquard, qui est une œuvre remarquable, admirablement écrite pour
la voix et l'orchestre. M.^" Pregi a obtenu, dans ce morceau, un succès
mérité. — Non moins grand a été le succès de M"" Roger-Miclos, qui a
interprété avec le beau talent qu'on lui connaît Africa, la fantaisie pour
piano et orchestre de M, Saint-Saëns, sur des mélodies orientales. Les airs
d'Orient ont exercé une sorte de fascination sur nombre de nos composi-
teurs. On sait quel parti en avait tiré Félicien David; Bizet en avait
ressenti une impression profonde; on en trouve des traces dans son
Hôtesse arabe, dans maints passages de Carmen, quoique ce soit une œuvre
consacrée à l'Espagne. La musique espagnole, par infiltration, s'est appro-
prié bien des rythmes, bien des tonalités qui viennent des Arabes.
M. Saint-Saëns, dans sa Suite algérienne, avait déjà fait un emploi heu-
reux de ces éléments. Sa nouvelle œuvre, Africa, est intéressante, et
]y[me Roger-Miclos l'a bien fait valoir. L'orchestre du Chàtelet a rendu
avec un sentiment excellent le caractère mystique du prélude de lAihengrin
et avec une verve peu commune la Marche des Fiançailles du même opéra.
Le concert se terminait par une suite d'orchestre tirée de Y Esclarmonde de
M. Massenet, Le second numéro, l'Ile magique, a beaucoup plu ; il y a là un
joli chant, et des passages d'une ténuité extrême, qui ont eu les suffrages
du nombreux public qui remplissait la vaste salle du Chàtelet.
H. Bareedette.
Concerts Lamoureux. — L'ouverture de Struensée, de Meyerbeer, est un
tableau musical fait d'oppositions plus ou moins vives, de contrastes plus
ou moins heureux, bien mélodique d'ailleurs, mais dans lequel manque
entièrement ce que nous appellerons Tatmosphère symphonique. On pour-
rait la comparer à un paysage sans perspective, dont le premier plan, le
seul, serait dessiné avec une grande netteté, La rigidité rythmique de l'or-
chestre du Cirque accentue cruellement ce défaut. L'ouvrage tire ses déve-
loppements, non pas de son propre fonds, par la mise en œuvre de ses
thèmes présentés symphoniquement, mais d'artifices de contrepoint ayant
toujours un arrière-goùt d'école, de telle sorte que les motifs ne sont pas
développés au moyen de leur propre substance, mais accompagnés par des
formules connues et juxtaposées avec habUeté. Où le génie de Meyerbeer
se retrouve, c'est dans l'art souverain avec lequel il gradue ses forces et
sait obtenir un effet d'entraînement sur l'auditoire, cet auditoire fùt-il aussi
peu partial en sa faveur que celui du Cirque. Cette ouverture a été très
applaudie. Beaucoup plus même que la Reformation-Symphomj de Mendels-
sohn, qui a été mieux rendue, cependant, mais froidement reçue. Exception
a été faite pour le scherzo, dont la finesse de touche et l'élégance ont été
placées, par l'excellence de l'exécution, dans un relief éclatant. — M. Ge-
loso a fait admirer son phrasé plein d'ampleur et d'autorité dans le con-
certo en sol mineur de Max Bruch; il a surtout bien rendu certaine phrase
qui vient immédiatement avant le chant principal, et par laquelle l'auteur
semble avoir voulu commander l'attention à ce moment décisif. La jus-
tesse et la beauté du son, surtout dans les mouvements calmes, ont été
particulièrement appréciées chez le violoniste, dont le succès a été très
grand et très mérité. — La Valse de Mephislo, de Liszt, peut être considérée
comme une excentricité : pourtant la substance musicale n'y manque pas,
et les effets d'orchestre y sont prodigués au point de causer à quelques
auditeurs un certain agacement. Contrairement aux indications du pro-
gramme, il parait difficile de découvrir ici des phrases passionnées; du
moins, si elles existent, faut-il chercher beaucoup et être doué d'une per-
sistante bonne volonté pour les découvrir. — La Marche militaire française,
extraite de la Suite algérienne âe M. Saint-Saëns, respire une gaieté franche,
sans violence ni brutalité. On se croit de suite en pays de connaissance,
et l'on se demande avec curiosité quelle partie de la mélodie appartient
au fonds populaire et quelle partie appartient en propre au compositeur.
3 68
LE MÉNESTRl^L
Ce morceau, d'une importance relative, est excellent clans son genre. Le
programme comprenait encore les Murmures de la fora, de Wagner.
Amédée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Cbâtelet, concert Colonne : Quatrième symphonie, en si bémol (Beethoven);
Sicilienne (Pergolèse), par M"" Pregi; Conte (Taoril (Widor) ; Lamenta (Fauré) et
chanson florentine i'Ascanio, par M"" Pregi; prélude de Tristan et YseuU (Wagner)
et marche de Lohengrin (Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureax : Cinquième symphonie (Refor-
mafioiii (^lendelssohn); ouverture d'Hermann et Dorotliée (Sehumann) ; première
audition de NapoH (G. Charpentier) ; fragments de Siegfried (R. Wagner); fragment
de. Tannhauser (R. Wagner); valse di Méphislo (Liszt).
— Une Association musicale vient de se fonder à Paris pour la propa-
gation des œuvres inédites des grands compositeurs et la révélation des
œuvres des jeunes musiciens déjà connus. Le siège social se trouve 20, rue
Bonaparte, et les concerts se donneront hebdomadairement, le jeudi, dans
la salle du théâtre de la Gaité. Les personnalités les plus marquantes du
monde musical s'intéressent â cette entreprise, qui ne manquera pas
d'être soutenue par tous les amateurs français.
— M"" Clotilde Kleeberg, qui nous revient d'Allemagne, chargée de nou-
veaux lauriers, nous quittera ces jours-ci pour aller remplir divers enga-
gements à Londres et dans les principales villes d'Angleterre. Nous espé-
rons que la sympathique artiste trouvera, cette année, le temps de se faire
entendre dans un de nos grands concerts symphoniques, car depuis ses
derniers succès de la Société des concerts, nous n'avons pas eu l'occasion
de l'applaudir à Paris.
• — Notre maître et ami Marmontel père, dont l'énergie et l'activité sem-
blent augmenter avec les années, a non seulement repris ses leçons par-
ticulières,toujours si recherchées, mais aussi ses cours à l'Institut musical
Comettant, et ses examens mensuels chez M"" Dignat, dont l'enseignement
éclectique donne de si précieux résultats. Là, comme au cours de l'Institut,
chaque élève exécute des exercices de doigts, des études de style, une
pièce classique et une composition moderne, (/émulation des élèves,
stimulée par les encouragements et les conseils du maitre, donne des
résultats surprenants, tant les progrès sont appréciables à chaque leçon.
— Ce soir dimanche, à l'église de 'Pentemont, inauguration du nouvel
orgue Cavaillé-GoU, avec le concours de MM. Ch.-M. Widor et J. Delsart.
— Nous apprenons que la critique dramatique et musicale de la Revue
des revues est confiée à notre excellent confrère et collaborateur Victor
Dolmetsch.
— La Société chorale d'amateurs, fondée par A. Guillot de Saint-Bris,
reprend ses séances hebdomadaires les mercredis, à trois heures et demie,
salle Ph. Herz, 20, rue Saint-Lazare. Cette excellente et très ancienne
Société, qui compte aujourd'hui vingt-huit années d'existence, a pour
président M. Guinand et pour chef d'orchestre M. A. Maton.
— Les concours de l'Ecole classique de musique et de déclamation pour
l'obtention de bourses que nous avons annoncés, auront lieu aux dates
suivantes : lundi, 16 novembre : violon, violoncelle, chant, opéra et opéra-
comique; mardi, 17 : flûte, hautbois et clarinette; jeudi, 19 : déclamation;
vendredi, 20 : harpe et piano. Les inscriptions sont reçues à l'adminis-
tration de l'école, 4, rue Chai-ras, jusqu'à la veille au soir de chacun des
concours.
— A Lille, superbe reprise des Concerts populaires, sous la direction
de M. Paul Viardot, l'excellent violoniste. Au programme, la Symphonie
écossaise de Mendelssohn, l'air du quatrième acte d'Hamlet, supérieure-
ment chanté par M^'Lureau-Escalaïs, à qui il a valu une bruj'ante ovation,
l'ouverture du Roi d'Ys, le Sancta Maria de Faure, par M"'^ Escalaïs, et le
ballet d'Etienne Marcel, de Saint-Saëns. A l'issue du concert, dont le succès
a été éclatant, l'orchestre a offert une couronne à son chef.
— La fête patronale de la Saint-Martin, organisée à Saint-Augustin par
ja Société fraternelle des anciens officiers, membres de la Légion d'hon-
neur, a complètement réussi. La messe en musique à laquelle MM. Garon,
Warmhrodt, Bernaert et Dupuy prêtaient leur concours, a été fort bien
exécutée; M. Garon, avec YAgnus Dei de Faure, a produit une profonde
impression.
— Belle fête musicale, la semaine dernière, à la mairie du troisième
arrondissement, au profit de l'œuvre des Crèches. On a particulièrement
applaudi M. Georges Clément dans le Rêve du prisonnier, de Rubinstein ;
M"» Vincent, dont le beau contralto se prête admirablement aux accents
de l'air du Cid ; M"' Jeanne Duet d'Arbel, qui a vocalisé dans la perfec-
tion une jolie valse chantée de M. Léon Schlesinger, Voici le printemps;
enfin M. Raynaly, un très divertissant chanteur comique.
— Samedi prochain aura lieu, au théâtre de la Galerie-Vivienne, une
représentation de bienfaisance dont le produit est destiné à aider dans ses
études une jeune pianiste de treize ans, élève au Conservatoire. Au pro-
gramme : Un Modèle, opéra-comique en un acte de MM. Degrave et Lerouo-e
musique de M. Léon Schlesinger, et les Beauplumard dans l'embarras, opé-
rette de MM. Géo et Regnisel. Ont promis leurs concours : MM. Carbonne,
de rOpéra-Comique, Lepers, Chardot, Magnus, Géo, M'"™ Cécile Bernier
et Jeanne Duet d'Arbel.
— M"" Emilie Ambre, la cantatrice que ses succès ont fait connaître à
Paris, en France et à l'étrangei', vient de fonder une école de chant et de
mise eu scène pour le répertoire français et italien, dans les salons Flax-
land, 48, rue de Chàteaudun. La partie musicale est confiée à M. Emile
Bouichère, jeune compositeur de talent.
NÉCROLOGIE
On annonce la mort du comte d'Osmond, un gentilhomme qui, sous le
second empire, donna, dans son hôtel du boulevard Maillot, des fêtes
l'estées célèbres. Le comte d'Osmond était un dilettante. Il fonda le cercle
de l'Union artistique. Ecrivain et musicien lui-même, il est l'auteur d un
volume: iîe<(7«ese( /mpressions dont M. Alexandre Dumas écrivit la préface,
et d'un opéra en trois actes, le Partisan, qui fut joué il y a trois ou quatre
ans à Nice, et que l'auteur avait fait entendre antérieurement, sous forme
de concert, dans la grande salle du Conservatoire.
— C'est avec un vif regret que nous avons appris cette semaine la mort
de M""" Gevaert, femme de l'éminent compositeur qui, après avoir occupé
à notre Opéra les importantes fonctions de directeur de la musique, est
aujourd'hui directeur du Conservatoire royal de musique de Bruxelles.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente AU MÉNESTREL, 2'"', rue Vivieime, HEUGEL et C'°, cditeurs-propricliiii-cs.
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BASSES ET CHANTS
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1 . Ouverture.
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3. Appassionato.
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2' Suite.
1. Allegro.
i. La Rencontre des Amaats.
3. Guitare,
l. Aubade,
o. Marche nuptia'e.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
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MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dci Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'anonnemeat.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Citant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement coni|ilel d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (35" article), Albert Souries et Ch.\rles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : premières représentations de la Mégère
■apprivoisée, à la Comédie-Française, de Pinces ! aux Variétés, de Monsieur l'Abbé,
au Palais-Royal, et reprise de Coquard et Bicoquet, aus Nouveautés, Paul-Ëmile
Chevalier. — III. Musique de table: Chez les anciens (1" article), Ebuiond
Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
SUR LE PONT D'AVIGNON
fantaisie nouvelle de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Danse des
nymphes, de Théodore Dubois.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Fabliau, valse chantée par M}'" Marguerite Ugalde, dans Mon
Oncle Barbassou, musique de Raoul Pugno. — Suivra immédiatement : le
Poète et le Fantôme, nouvelle mélodie de J. Massenet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
All>ert SOUBIES et Charles IVlALHEIVBEî
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V
l'héritage n^ THÉÂTRE-LYRIQUE. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette
1871-1874
(Suite.)
La seconde nouveauté de l'année avait paru quelque temps
auparavant, dans une représentation au bénéfice de la caisse
de secours des artistes dramatiques, encadrée entre les Noces
de Jeannette, Toto chez Tata et le premier acte du Pré aux
Clercs. C'était un lever de rideau de M. Adenis pour les paroles,
et de M. Poise pour la musique, les Trois Souhaits. Cette his-
toire bien connue, empruntée aux Mille et une Nitits, avait
fourni déjà le sujet d'un opéra-comique allemand de Lowe ;
elle ne trouva grâce devant le public qu'à raison de l'adap-
tation musicale, où se reconnaissait la touche fine et délicate
du compositeur. Il faut dire aussi que, pour les Trois Souhaits
comme pour le Roi l'a dit, la date de la représentation était,
par le fait du hasard, malheureusement choisie. La veille,
28 octobre, l'Opéra venait de disparaître dans un incendie,
et les spectateurs se pressaient moins dans la salle Favart
que dans la rue Le Peletier où les décombres fumaient en-
core sinistrement.
Ce désastre devait, au moins pour un temps, changer la
fortune des deux théâtres. L'Opéra, forcé de s'exiler à Ven-
tadour, allait subir une crise, ou, si l'on veut, une éclipse
momentanée. L'Opéra-Gomique, au contraire, paraissait (illu-
sion trop tôt dissipée!) marcher alors vers la prospérité, car
l'année 1873 se soldait en bénéfices par un excédent de
37,922 fr. 60 c. sur l'année précédente. C'était, on le voit, le
résultat moins des nouveautés que de quelques heureuses
reprises et du répertoire, où l'on avait inscrit notamment le
S février, la millième du Clmlet, le 30 août la trois-centième de
Mignon, le 16 octobre la onze-centième du Pré aux Clercs, en
attendant, aux mois d'août et septembre de l'année suivante,
la centième des Dragons de Villars et la centième de Roméo et
Juliette.
Le hasard même se montrait favorable, en ce sens que le
théâtre gagnait alors un procès dont la perte eût porté un
bien grave préjudice à ses finances. Les propriétaires de la
salle Favart, M. J. Masson et M""^ veuve Grosnier, ne se pro-
posaient rien moins en elîet que d'expulser les directeurs de
rOpéra-Gomique, s'appuyant sur un acte du ministre des
Beaux-Arts, en date du 7 août 1839, qui, après l'incendie de
la première salle, avait réglé les conditions de la seconde. Ils
soutenaient que cet acte ne conférait pas au directeur nommé
par l'État le droit d'occuper l'immeuble sans le consente-
ment des propriétaires, et que ce droit, en admettant même
son existence, avait été frappé de déchéance par la loi pro-
clamant la liberté des théâtres.
A cette occasion, la Revue et Gazette musicale publia un article
très complet auquel nous croyons devoir emprunter les dé-
tails suivants, car il fixe certains points, négligés par nous
ou laissés dans l'ombre au cours de notre récit, et, somme
toute, d'une réelle i.nportance pour l'histoire administrative
delà salle Favart. En 1839 l'État, qui accordait une subvention
de 240,000 francs à l'Opéra-Gomique, avait intérêt à ce que
cette subvention ne fût pas diminuée par les exigences des
gros loyers à payer aux propriétaires. D'un autre côté, comme
la reconstruction aux frais de l'Étal de la salle incendiée eût
été trop onéreuse, on avait adopté l'adjudication publique,
l'adjudicataire devant avoir la jouissance de l'immeuble pen-
dant un nombre d'années dont la durée serait fixée au
rabais.
L'adjudicataire avait droit d'exiger un loyer minimum de
70,000 francs par an pendant la durée de l'emphyléose et
le maintien de la subvention administrative. Si le minimum
de 70,000 francs était insuffisant, l'évaluation du loyer devait
être faite par trois arbitres désignés par le ministre.
L'adjudicataire fut M. Gerfbeer, pour une emphytéose de
370
LE MENESTREL
quarante ans. La construction coûta 1,050,000 francs, déduc-
tion faite de certaines sommes avancées par l'État. Cinq ans
après la reconstruction, et lorsque le directeur fut remplacé,
le loyer fut fixé à 105,000 francs, il fut porté plus tard à
HS,000 francs; en 1862, à 120,000; en 1868, à 133,000; enfin,
■ e 1"' février 1870, sans compter les charges laissées au direc-
leur et qui élevaient la location de la salle, à 205,000 francs.
En 1872, lorsque la Commission du budget voulut réduire
le chiffre de la subventioD , le directeur établit qu'il était écrasé
par ce loyer de 205,000 francs. On remonta à l'origine des
choses, et le vice du bail apparut. M. Beulé, rapporteur du
budget, conclut à une diminution de 100,000 francs sur la
subvention, diminution qui serait compensée par une fixation,
à dire d'arbitres, du prix du bail. C'était rentrer dans la loi
de 1839. Le pouvait-on? M= de Vallée, au nom des proprié-
taires de la salle, soutenait le contraire ; la loi, disait-il, était
tombée en désuétude.
Les arbitres fixèrent le loyer, à partir de 1874, à 105,000 fr.,
plus les charges; les propriétaires signifièrent alors un congé
à MM. de Leuven et du Locle.
Le tribunal, après avoir entendu M"* de Vallée et M'' Templier,
rendit un jugement qui déclarait formelles et impératives les
dispositions du cahier des charges rédigé en vertu de la
loi de 1839, dispositions qui obligent les concessionnaires,
sans aucune restriction ni réserve, à louer la salle Favart au
directeur de l'Opéra-Comique ; établit qu'il n'a été dérogé par
aucune loi à celle de 1839 ;
Dit que la Société des propriétaires de la salle Favart devra
tenir la salle à la disposition de de Leuven et du Locle, direc-
teurs de l'Opéra-Comique, au prix fixé par la décision arbitrale
du 17 août 1872, et celajusqu'au 1«'' janvierl880, terme de la
concession accordée pour l'exploitation du théâtre;
Condamne Masson es nom en tous les dépens.
Ce jugement du tribunal fut d'ailleurs confirmé par un
arrêt de la Cour, au début même de l'année 1874, presque à
la veille de la représentation d'un ouvrage écrit depuis long-
temps, sans cesse retardé, et, en quelque sorte, imposé au
directeur plus que choisi par lui. Le Florentin était né d'un
concours: il devait donc, bon gré mal gré, voir le jour sur
la scène en vue de laquelle il avait été conçu. On sait que,
par décret en date du 3 août 1867, pour satisfaire l'opinion
et répondre à un besoin de protection^ artistique dont les
journaux s'étaient faits les porte-voix, le ministère des
Beaux-Arts avait organisé d'un seul coup trois concours de
musique dramatique : le premier à l'Opéra, avec libretto mis,
lui aussi, au concours; le second au Théâtre-Lyrique, avec
libretto choisi par les concurrents; le troisième à l'Opéra-
Comique avec libretto imposé.
Le premier donna la Coupe du Roi de Thulé, de MM. Louis
Gallet et Edouard Blau, et quatre lauréats furent nornmés
dans l'ordre suivant: Eugène Diaz, J. Massenet, Ernest Gui-
raud, Barthe ; un simple amateur l'avait emporté sur trois
prix de Rome, et même sur quatre, car Bizet n'avait pas
même obtenu l'honneur d'une mention. Le deuxième donna le
Magnifique, de Philippot, puis la Coupe et les Lèvres, de M. Ganoby,
et la Conjuration de Fiesque, de M. Edouard Lalo. Le troisième,
pour lequel de Saint-Georges avait apporté le Florentin, devait
être ouvert le 30 août 1867 et fermé le 30 avril 1868. La
livraison du poème ayant subi quelques retards, la clôture
définitive fut reportée au 30 juillet, et cinquante-trois parti-
tions arrivèrent au ministère, parmi lesquelles une de Bizet:
voilà du moins ce que nous a rapporté un de ses amis in-
times, car nul de ses biographes ne l'a jamais ni su, ni dit.
Le vainqueur fut M. Gh. Lenepveu, élève d'Ambroise Thomas,
prix de Rome en 1865 et nouveau venu dans la carrière
dramatique; mais, la guerre et la Commune aidant, il dut
s'armer de patience et attendre son tour. Dans ses Soirées
parisiennes, Arnold Mortier nous l'a montré faisant la navette
entre les deux directeurs maîtres de sa destinée, allant de
Gaïphe à Pilate, demaadant des nouvelles de son opéra à du
Locle, qui lui répondait : « Allez voir de Leuven! » Le com-
positeur s'empressait alors de suivre ce bon conseil, et de
Leuven le recevait en disant : « Allez voir du Locle ! » De de
Leuven à du Locle et de du Locle à de Leuven, le Flo-
rentin annoncé, remis, distribué, retardé, tournait à l'élat lé-
gendaire. Cette légende prit fin le 25 février, et l'on connut
ce livret médiocre, bien qu'imposé, ce poème de concours
qui mettait précisément en scène un concours... de peinture
à la cour des Médicis. Le vieux et célèbre Galeotti y disputait
à son jeune et inconnu élève non seulement la palme, mais
encore le cœur de sa pupille Paola. Grâce à l'insigne mala-
dresse d'un subalterne , le tableau d'un des concurrents
était détruit, et le vieux se trouvait recevoir la récompense
pour le tableau que le jeune avait peint. Le dénouement
amenait la découverte et le pardon de ce quiproquo, avec
l'union obligée de l'élève et de la pupille, ce qui faisait dire
à la sortie par un plaidant que la pièce terminait bien, car
on y voyait à la fin Paola mariée! La toile, objet du débat,
constituait un accessoire de luxe; elle avait été peinte par
Carolus Duran et représentait une Hébé, fort décolletée, de-
bout sur un aigle et versant le nectar. Volontiers le public
lui aurait prêté plus d'attention qu'à la partition primée.
Non point que ces trois actes parussent une trop lourde
charge pour les épaules du débutant ; au contraire, on ren-
dithommage à son sentiment dramatique et à sa connaissance
du métier; mais quelques-uns blâmèrent une abondance mé-
lodique où la facilité tenait plus de place que la person-
nalité. De toute façon, il y avait là un efi"ort que les direc-
teurs n'ont pas encouragé depuis; car, si M. Lenepveu a eu
l'honneur de voir un soir, à l'Opéra de Londres, le principal
rôle de sa Velléda créé par la Patti, il n'a jamais eu la chance
de revoir, depuis le Florentin, son nom sur les affiches d'un
théâtre parisien.
Avec ses neuf représentations, Beppo termina l'année le
30 novembre, comme le Florentin l'avait commencée, par un
insuccès. L'an dernier, dans le Ménestrel, M. Louis Gallet a
raconté en termes émus l'histoire obscure et triste du com-
positeur de ce petit acte, Jean Conte. On doit, du reste,
rendre cette justice à M. Louis Gallet qu'il n'a jamais hésite
à mettre son talent au service des inconnus; il avait accepté
alors comme collaborateur musical un vieux prix de Rome,
de même qu'il en accepta depuis un jeune, M. Alfred Bruneau,
lorsqu'il adapta si excellemment à la scène le Rêve de Zola.
Son livret, vaguement inspiré par un poème de Byron, mon-
trait un noble Vénitien qui, après avoir été capturé par les
pirates et avoir fait fortune dans les États barbaresques,
revenait auprès de sa femme, serrée alors de près par un
galant ridicule. Sous son costume de Turc, le mari d'abord
n'était pas reconnu, mais il rapportait des écus qui touchaient
le cœur de la belle, et, écartant le patito, il reprenait sa
place au foyer conjugal. Voilà du moins le souvenir qui nous
est resté de cet opuscule, le livret n'ayant jamais été publié,
pas plus d'ailleurs que la partition, où se remarquaient une
ouverture-tarentelle et un trio avec romance pour soprano :
« Si vous étiez ce que vous n'êtes pas », écrits d'une plume
assez ingénieuse. Élève de Carafa et prix de Rome en 18S5,.
Jean Conte, par une bizarre rencontre de noms, avait débuté
comme chef d'orchestre au petit théâtre Comte; il devait
finir comme second violon à l'Opéra, et. il occupait encore
cet emploi l'tnnée même où Beppo, joué par Neveu, Gharelli
(et non Chelly comme l'a dit par erreur M. Gallet) et
M'"^ Franck, lançait à la foule le nom d'un compositeur
ignoré d'ailleurs par elle après comme avant.
Deux autres nouveautés se rapportent à l'année 1874, l'une,
Gille et Gillolin, le 22 avril, l'autre, le Cerisier, le 24 mai, deux
levers de rideau et deux succès moyens puisque le premier
obtint vingt-sept représentations et le second viiigt et une.
Le. Cerisier ne portait sur l'afiîche que le nom de Jules
Prével comme librettiste; mais une part de collaboration
revenait à la célèbre reine Marguerite de Navarre, dont la
LE MENESTREL
371
cinquième journée de son Heptaméron fournit la donnée de
l'imbroglio mis en musique par M. Duprato. Ce n'était qu'un
aimable pastel, mais suffisant en son genre et adroitement
encadré. Il semblait piquant de voir une jeune femme cueillir
des cerises au haut de l'échelle et tomber dans les bras d'un
galant, mais plus piquant encore de voir cette scène se re-
nouveler trois fois de suite entre personnages différents,
d'abord entre le mari et la servante, puis entre la femme
naïve et son mari, enfln entre la servante et son benêt de
fiancé. La musique, un peu incolore, rappelait, par ses pro-
portions exiguës, les opuscules de l'ancien répertoire, et ins-
pirait à Paul Bernard des réflexions dont le temps n'a fait
que confirmer la justesse : c II est certain, disait-il, que
rOpéra-Comique semble relever son niveau; peut-être est-il
permis de dire qu'il traverse une époque de transition, sans
trop savoir toutefois où il va ni ce qu'il deviendra. L'épreuve
de l'autre soir, quoique fort satisfaisante, semblerait prouver
une chose : c'est que ce théâtre affirmant chaque jour des
tendances plus poétiques, plus lyriques, les œuvres de petite
envergure qui viennent s'y présenter se trouvent forcément
écrasées. »
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Comédie-Française : La Mégère apprivoisée (Taining of the strew), comédie
en quatre actes de M. Paul Delair, d'après Shakespeare. — Variétés :
Pinces! comédie en trois actes de M. Albert Millaud. — Palais-Royal :
Monsieur l'Abbé, comédie en trois actes de MM. Henri Meiliiac et A. de
Saint-Albin. — Nouveautés : Coquard et Bicoquet, comédie-vaudeville en
trois actes de MM. H. Raymond et M. Boucheron.
Quel vent contraire a donc soufflé cette semaine sur les théâtres
parisiens dont nous avons à nous occuper, pour que ce soient les
Variétés et le Palais-Royal qui nous convient à des comédies, alors
que la Comédie-Française nous offre une véritable farce ; j'en
demande pardon à la docte Maison et à l'illustre Comité, pour
rendre ma pensée, je ne trouve d'autre mot que celui-là ; faree lit-
téraire si l'on veut, mais farce quand bien même. Et voilà pourquoi
le public, en sortant des Variétés ou du Palais-Royal, trouvait que
Pinces! et Monsieur l'Abbé étaient d'une allure un peu bien sérieuse
pour les scènes oii on les représentait, et, en sortant de la Comédie-
Française, que la Mégère apprivoisée semblait d'une trame bien légère
pour le premier Théâtre-Français. Je me hâte de dire que ces
réflexions n'enlèvent à aucune de ces pièces rien des mérites qui
leur sont propres; je constate simplement que la fantaisie, ou la
bonne folie, si vous l'aimez mieux, a déserté ses pénates ordinaires
pour se réfugier là où on la cherchait le moins.
La Mégère apprivoisée, dont M. Paul Delair a emprunté le sujet à
une des premières productions de Shakespeare, Taming o/' the streiv,
rappelle par plus d'un point les tomes premières farces de notre
grand Molière, alors qu'il s'essayait dans son art. Gatarina est une
jeune personne d'humeur acariâtre, semant partout la crainte autour
d'elle ; son père, Batista, sa jeune sœur, Bianca, le maître de
musique, Gambio, les gens de la maison, tous souffrent de son exé-
crable caractère. Gomme elle est fort belle et fort riche, les préten-
dants ne manquent pas; mais, dès la première entrevue, ils
prennent leurs jambes à leur cou pour ne plus revenir, à moins
que ce ne soit pour courtiser la douce et séduisante Bianca, qui ne
pense guère à eux, son maître de musique lui ayant appris musique
et amour tout en même temps. Or, un beau jour, se présente un
noble chevalier, Petruccio, absolument décidé à dompter cette sau-
vage et à l'épouser de force, s'il le faut. Petruccio, pour arriver à ses
fins, emploiera précisément les mêmes armes dont se sert Catarina
pour rendre la vie insupportable autour d'elle. Criant, jurant, tem-
pêtant, Petruccio, qui ne peut rester une minute en place et qui
force sa jeune femme à la même gymnastique, trouve tout mal,
tout de travers, tout ridicule, dit blanc à ceux qui lui disent noir,
veut que chacun plie devant son autorité hargneuse, cogne à droite
et à gauche et fatigue tellement Gatarina de ses courses, de ses
hurlements, de ses colères, que les yeux de la belle enfant s'ou-
vrent en même temps que son esprit et que la mégère devient la
plus aimable et la plus accommodante des épouses. Cependant, Bianca,
la paisible, a quitté le toit paternel pour aller épouser- en cachette
l'aimable Cambio, un seigneur de qualité déguisé en guitariste, ce
qui fait que le vieux bonhomme Batista n'a pas le droit de se
fâcher de cette escapade.
Les quatre actes de la Mégère apprivoisée sont remplis, au début,
des frasques tempétueuses de Gatarina, et par la suite, de celles, car-
navalesques et tonitruantes de Petruccio, et je crois bien que si
M. Goquelin n'avait été là pour enlever merveilleusement ce rôle
écrit pour lui et, dit-on, sur son propre désir, la pièce aurait paru,
pour le moins, étrange. Le grand talent du protagoniste fait admet-
tre cette fantaisie qui, d'ailleurs, est divertissante. M"" Marsy a très
heureusement composé le personnage de Gatarina; c'est la première
bonne victoire qu'elle remporte sur le théâtre de la rue Richelieu;
nous sommes convaincu qu'elle ne s'en tiendra pas là. Dans les
rôles de second plan, M"« Muller, Amel, MM. Goquelin cadet. Béer,
Langier, Jean Goquelin, Leitner, Joliet, ne sont point pour faire
perdre le renom mérité de notre Comédie-Française. La mise en
scène est d'un goût siir ; les trois décors ont fait sensation et les
costumes, dessinés par le jeune maître Edel, sont d'un effet parfait;
il y a notamment, au second acte, des accoutrements burlesques et
dépenaillés, portés par les deux frères Goquelia, qui sont de vraies
trouvailles. Comme pour Grisélidis, M. Léon a écrit là quelque
musique d'une allure aimable et d'une sonorité discrète.
Sans chercher de transitions, je passerai aux Variétés, où M. Albert
Millaud vient de faire représenter une vraie comédie, aussi éloignée
du genre auquel il nous avait accoutumé que Taming of Ihe strew
l'est de Macbeth ou d'Othello. Pinces! c'est l'histoire assez simple d'un
mari, M. Goussainville, et d'une femme. M""» Lehuchois, qui se mettent
en campagne, avec un avoué commun, pour surprendre, l'une son
époux, l'autre son épouse, qu'ils soupçonnent d'entretenir ensemble
des relations coupables. La fatalité veut que M. Goussainville trouve
M"°= Lehuchois de son goût et s'attarde à le lui faire comprendre d'une
façon si éloquente que lorsque le commissaire de police, requis par
eux, se présente pour verbahser contre M"' Goussainville et M. Lehu-
chois, c'est contre eux-mêmes qu'il dresse procès-verbal. Bien
entendu, M^" Goussainville et M. Lehuchois se prévaudront de cette
méprise pour demander le divorce. Mais le cœur humain est ainsi
fait qu'au moment décisif, chacun regrette sa chacune, et que, comme
il ne s'est rien passé de grave, tout rentre dans l'ordre plus parfai-
tement encore qu'avant cet incident.
M. Albert Millaud semble avoir voulu nous prouver que s'il est humo-
riste de sa nature, il est fort capable aussi de dire des choses
sérieuses tout en leur conservant l'aspect aimable et gai. Il a voulu
faire du théâtre autre que celui des vaudevilles à grand succès qu'il
avait signés jusque-là, et il y a pleinement réussi. Il y a dans ces
trois actes des scènes tout à fait heureuses; je n'en veux pour preuve
que celle entre Goussainville et M"« Lehuchois, au premier acte,
lorsqu'ils se rencontrent chez leur avoué, Métivert, celle entre
M"" Goussainville et M'"» Lehuchois la première fois qu'elles se
trouvent face à face dans la villa de Dieppe, celle, enfln, au dernier
acte, où les sentiments vrais de chacun des époux se fait jour malgré
eux. De l'interprétation, il faut mettre hors de page MM. Baron, Las-
souche et Gooper, il faut faire de mérités compliments à M"" Lender,
très en progrès comme comédienne, et à M"" Magnier, toujours fort
belle.
Au Palais-Royal, ainsi qu'aux Variétés, on semble faire fî des
faridondaines eoutumières pour s'adonner, cette fois, à une esthétique
plus relevée ; MM. Henri Meilhac et A. de Saint-Albin, emboîtant le
pas à M. Albert Millaud, ont fait faux bond à la grivoiserie, or-
dinairement maltresse de la maison. M"'" de Closrobin vient de
marier sa fille, Lucienne, à un gendre choisi avec soin, Yvon, qui a
promis de vivre avec sa belle-mère, au Vésinet, pour ne point sépa-
rer la mère de l'enfant et pour ne point souiller, au contact des
plaisirs mondains, l'ange qu'on vient de lui donner. Bien vite, les
deux jeunes mariés sentent le poids monotone de cette vie austère,
partagée entre les lectures réconfortantes et la confection des ca-
misoles et chaussettes pour l'œuvre des petits abandonnés. Yvon
lâche bientôt le toit patriarcal pour louer, dans le voisinage, une
maisonnette où Lucienne viendra le rejoindre et où l'on mènera
joyeuse vie. M"'' de Closrobin, avertie, par d'adroits détectives, que
son gendre mène une existence de bâtons de chaise avec une mai-
tresse inconnue, se lance à sa poursuite pour l'arracher aux mains
de l'irrégulière. Mais la maîtresse en question n'est autre que sa
propre fille, la propre femme d'Yvon, at M"'" de Glosrobin est obli-
gée de capituler et de permettre au plaisir d'entrer dans une mai-
son d'où on n'a pas le droit de la chasser.
El l'abbé, me direz-vous? Monsieur l'Abbé? C'est parfaitement juste.
37-2
LE MEJNESTREL
et si je ne vous en ai pas parlé au cours de cette très succincte
analyse, c'est que, vraisemblablement, sa présence n'est pas indis-
pensable. Puisque vous êtes curieuse, madame, je vous dirai, ce-
pendant, que cet abbé est un ancien précepteur d'Yvon et que,
d'après les déclarations de M'"'' de Glosrobin, croj'anl à la culpabi-
lité de son élève, il se rend aussi dans la maisonnette clandestine,
non sans effroi, et que, même, la première personne entrevue par
M""" de Glosrobin, à une table gaiment garnie oîi l'on sable bruyam-
ment le Champagne, est l'abbé lui-même ! J'ajouterai aussi que l'abbé
c'est M. Daubray, et qu'il est impossible d'être plus fin, plus ar-
tiste sincère que ce comédien auquel la Comédie-Française pourrait
faire une boune place dans les rangs de ses pensionnaires, tout au
moins pour commencer. M'"'' Chaumont, qui s'écrie si drôlement:
« Qui m'aurait dit, il y a vingt ans, que je jouerai les belles-
mères! », M'"° Chaumont met au service du rôle de M"" de Glosrobin le
même talent qu'elle a apporté à tous les rôles créés par elle. A si-
gnaler un très heureux début, celui de M"'= L. Yahne, qui a été
exquise sous les traits de Lucienne, Galvin, un vieux beau épique,
Raimond, toujours amusant, et M"'- Lavigne, une musicienne tzigane
capable de vous réconcilier avec celle gent envahissante. Deux
intérieurs élégants à l'actif de la direction.
Pour terminer, laissez-moi vous dire deux mots du succès qui a
salué , aux Nouveautés, la reprise de Coqiiard et Bicoquet, le très
amusant vaudeville de MM. Raymond et Boucheron, joué il y a
quelques années à la Renaissance. Vous vous rappelez le sujet :
Bicoquet faisant des farces sous le nom de Coquard, et accusé pré-
cisément d'avoir assassiné Coquard. On a ri, comme au premier jour.
M'""^ Mathilde a été la joie de la soirée ; sa M"" Triuglot est sans
contredit le rôle le meilleur de son amusant répertoire. M. Tarride
nous a donné un Bicoquet un peu correct, MM. Germain, Guy,
Montcavrel, M"" Leriche et Marianne Ghassin ne laissent point
tomber la verve des auteurs.
Si maintenant, pour conclure, je me permettais encore une petite
réflexion, j'avancerais que, peut-être, en y changeant bien peu de
choses, et en augmentant encore les chances de réussite, on aurait
pu donner la Mégère apprivoisée au Vaudeville ou l'envoyer à l'Odéon,
cil M. Porel s'est fait la spécialité des traductions; Pinces! au
Gymnase, Monsieur l'Abbé a la Comédie-Française. Quant à Coquard et
Bicoquet, il aurait pu trouver sa place au Palais-Royal, laissant aux
Nouveautés les pièces à musiquette qui semblent y réussir plus
spécialement. Vent contraire, répéterai-je !
Pall-Émile Cuev.\lier.
MUSIQUE DE TABLE
I
CHEZ LES ANCIENS
Parmi les phrases toutes faites qui surnagent de notre érudition
première, l'une, qui est de Martial, semble donner tort à tout ce
qui va suivre : Musica in epulis ingrata, — la musique ne plaît pas à
table.
Aussi nous sentirions-nous, sur ce début, presque disposés à
porter nos recherches sur d'autres sujets, si toute l'épigraphie de
l'antiquité ne s'élevait contre cette hérésie gastronomique et musi-
cale. Nous en pourrions dresser la liste; mais elle serait trop longue.
Contentons-nous de dire qu'elle célèbre, chez les convives anciens,
une double jouissance, appuyée d'un but utile, dont un épicurien
moderne, le docteur Véron, a fait l'éloge, en déclarant qu'il ne pou-
vait digérer sans musique.
D'aucuns allaient plus loin : il leur fallait un genre spécial de
musique, pour savourer convenablement leur repas. Un étranger
qui, dans un festin grec, avait trop fait honneur au doux: vin de
Chio, montra subitement une grande surexcitation. Bientôt on s'a-
perçut que cet état redoublait quand un joueur de flùle, préposé
au divertissement de la table, employait le mode phrygien. Alors,
Pythagore, qui se trouvait au nombre des convives, donna l'ordre
au musicien de jouer gravement, et l'étranger retrouva le calme et
la raison.
L'ébriété n'était, d'ailleurs, pas exclue des festins grecs. Elle y
faisait même partie du programme, pour les impromptus de la fin.
A l'issue des repas de noces, on faisait entrer des danseurs et des
joueurs d'instruments, auxquels les convives, légèrement émus,
faisaient fête.
Xénophon nous a laissé ce tableau des divertissements qui sui-
vaient les agapes nuptiales :
« Après qu'on eut desservi, qu'on eut fait les libations et chanté
l'hyménée, on vit entrer un Syracusain, accompagné d'une joueuse
de flûte fort bien faite, d'une danseuse qui faisait des sauts périlleux
et d'un joli petit garçon qui jouait admirablement de la lyre... Cela
inspira l'envie de danser à une espèce de bouffon parasite qui était
du repas, et qui, s'élant levé de sa place, fit quelques tours à travers
la salle, imitant la danse du petit garçon et celle de la jeune fille...
Ariane, parée de tous les ornements qu'ont d'ordinaire les nouvelles
mariées, entra dans la salle et s'assit sur un siège. Un moment
après , parut Bacchus, et en même temps on joua sur la flûte un
des airs consacrés aux fêtes de ce dieu. Cj fut alors qu'on admira
l'habileté du Syracusain dans son art; car Ariane, à l'audition de
cet air, fit aussitôt connaître par ses gestes combien elle était char-
mée. Mais, loin de se précipiter au-devant de son époux, elle ne se
leva même pas, tout en faisant paraître combien elle se contraignait... »
Quelquefois les convives, dans leur exaltation bachique, excités
par le son des instruments et le brio des chansons, faisaient leur
partie dans la bacchanale qui terminait le repas. Ils se démenaient
comme de simples histrions, et faisaient valoir des talents qu'ils
n'avaient pas l'occasion de montrer ordinairement. Il est vrai que
le résultat ne répondait pas toujours au but qu'ils s'étaient proposé :
Un prince de Sicyone, Clisthènes. désire marier sa fille. Elle sera
au plus vaillant des Grecs. Des invitations sont lancées, et de tous
côtés accourent les prétendants.. Alors le prince les retient pour les
juger. Mais bientôt son choix se restreint à deux d'entre eux. Toutes
les chances sont pour Hypoclides, fils de Tysandre. Encore faut-il
qu'une épreuve suprême décide de son sort : comment se tiendra-t-il
au festin où le nom de l'heureux vainqueur sera proclamé?
Le repas est splendide. On chante au milieu des libations. Les
danses succèdent aux jeux de toute espèce, en sorte que les têtes
ne tardent point à s'échauffer... Tout va bien cependant, jusqu'au
moment où Hypoclides, danseur émérite, a la malencontreuse inspi-
ration de demander à se produire. Il réclame d'abord un air grave
et austère, et se livre à une pantomime de haut caractère. Mais avec
le succès il s'enhardit. Il fait apporter une table sur laquelle il
saute lestement, pour danser la Spartiate et VAthénieiine. Puis, enivré
de son triomphe, el sous l'impulsion maligne des instruments, il
exécute la danse sur les mains, à la manière des pitres.
Pour le coup, l'assemblée trépigne et fait une ovation au brillant
amateur. Mais Clisthènes, qui a suivi ce ballet improvisé, ne partage
pas l'allégresse générale. Dès le commencement, il a froncé le sour-
cil ; maintenant il éclate, et, devançant une parole de vaudeville,
il s'écrie :
— Tout est rompu, mon gendre!
Et comme Hypoclides demande des explications :
— Tu viens de danser le pas des funérailles de ton hymen.
Ce fut Mégalès, fils d'Alcmène, qui devint l'heureux époux de la
princesse de Sicyone.
Dans les temps modernes, on s'est souvent inspiré de ces souve-
nirs de la Grèce antique pour organiser des festins copiés sur le
modèle des agapes athéniennes. L'un des plus réussis fut assuré-
ment celui que M"° Vigée-Lebrun, peintre célèbre, improvisa dans
son alelier de la rue de Gléry en l'honneur de quelques-uns de ses-
intimes.
« Un soir, dit-elle, que j'avais invité douze ou quinze personnes
à venir entendre une lecture du poète Lebrun, mon frère me lut
pendant mon calme quelques pages des Voyages d'Anacliarsis. Quand
il arriva à l'endroit où, en décrivant un dîner grec, on explique la
manière de faire plusieurs sauces : — Il faudrait, me dit-il, faire
goûter cela ce soir. Je fis aussitôt monter ma cuisinière, je la mis
bien au fait; et nous convînmes qu'elle ferait une certaine sauce
pour la poularde, et une autre pour l'anguille.
Il Comme j'attendais de fort jolies femmes, j'imaginai de nous
costumer t>us à la grecque, afin de faire une surprise à M. de Vau-
dreuil et à M. Fontin, que je savais ne devoir venir qu'à dix heures.
Mon atelier, plein de tout ce qui me servait à draper mes modèles,
devait me fournir assez de vêtements, et le comte de Parois, qui
logeait dans ma maison, avait une superbe collection de vases
étrusques. Je lui fis part de mon projet, en sorte qu'il m'apporta
une quantité de coupes, de vases, parmi lesquels je choisis. Je net-
toyai tous ces objets moi-même et je les plaçai sur une table d'aca-
jou, dressée sans nappe.
» Cela fait, je plaçai derrière les chaises un immense paravent,
que j'eus soin de dissimuler en le couvrant d'une draperie, atta-
chée de distance eu distance, comme on en voit dans les tableaux
LE MENESTREL
373
de Poussin. Une lampe suspendue donnait une forte lumière sur la
table ; enfin tout était prépaie, jusqu'à mes costumes, lorsque la fille
de Joseph Vernet, la charmante M°"= Ghalgrin, arriva la première.
» Aussitôt je la coiffe, je l'habille. Puis vint M™ de Bonneuil, si
remarquable par sa beauté , M""' Vigée, ma belle-sœur, qui, sans
être jolie avait les plus beaux yeux du monde, et les voilà toutes
trois métamorphosées en véritables Athéniennes. Lebrun entre ; on
lui ôte sa poudre, on défait ses boucles de côté, et je lui ajuste sur
la tète une couronne de laurier, avec laquelle je venais de peindre
le jeune prince Henri Lubomirsky en Amour de la Gloire. Le comte
de Parois avait justement un grand manteau de pourpre, qui me
servit à draper mon poète, dont je fis en un clin d'oeil Pindare,
Anacréon. Puis vint le marquis de Cubières. Tandis qu'on va cher-
cher chez lui une guitare qu'il avait fait monter en lyre dorée, je le
coslume ; je costume aussi MM. de Rivière, Guinguéné et Ghaudet,
le fameux sculpteur.
« L'heure avançait; j'avais peu de temps pour penser à moi;
mais comme je perlais toujours des robes blanches en forme de
tunique (ce qu'on appelle à présent des blouses), il me suffit de
mettre un voile et une couronne de fleurs sur ma tête. Je soignai
principalement ma fille, charmante enfant, et M"" de Bonneuil, qui
était belle comme un ange. Toutes deux étaient ravissantes à voir,
portant un vase antique très léger, et s'apprêtant à nous servir à
boire.
« A neuf heures et den-ie les préparatifs étaient terminés, et dès
que nous fûmes tous placés, l'effet de cette table était si neuf, si
pittoresque, que nous nous levions chacun à notre tour, pour aller
regarder ceux qui étaient assis.
« A dix heures, nous entendîmes entrer la voiture du comte de
Vaadreuil et de Fontin, et quand ces deux messieurs arrivèrent de-
vant la porte de la salle à manger, dont j'avais fait ouvrir les deux
battants, il nous trouvèrent chantant le chœur de Gluck : le dieu de
Paphos et de Guide, que M. de Cubières accompagnait avec sa lyre.
« De mes jours je n'ai vu deux figures aussi étonnées, aussi
stupéfaites que celles de M. de Vaudreuil et de son compagnon. Ils
étaient surpris et charmés, au point qu'ils restèrent un temps infini
debout, avant de se décider à prendre les places que nous avions
gardées pour eux.. .»
Enfin, on se mit à table. Les sauces furent trouvées exquises ;
mais les honnenrs du festin furent pour un gâteau de raisins de
Gorinthe et de miel arrosé de vieux Ghypre. Après chaque libation,
on chantait un choeur sur un mode plus ou moins phrygien ; puis
Lebrun récita plusieurs odes d'Anacréon, qu'il avait traduites ; de
sorte qu'on ne songea au départ que lorsque Phœbus avait déjà par-
couru sa première étape.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (19 novembre) : — La « pre-
mière » du Rêve a été suivie, comme je vous l'avais annoncé, le lende-
main, de la CI première » de Smylis, la ballet-divertissement inédit de
M. Théo Hannon pour le scénario, et de M. Léon Dubois pour la musi-
que. La direction de la Monnaie avait entouré l'œuvre de nos compatriotes
de soins inhabituels, et comme cette œuvre prêtait à d'aimables déve-
loppements chorégraphiques, elle a obtenu un fort joli succès. Sur un
libretto peu compliqué, dontl'ile de Lesbos, où se passe l'action, n'est que
le prétexte, et dont la moralité, malgré le choix de ce lieu de perdition,
est à l'abri de toute critique (la mère la plus rigide en permettrait la vue
à sa fille), M. Léon Dubois a écrit une partition vraiment intéressante ;
son seul défaut est d'être un peu chargée, un peu solennelle même par-
fois, pour un ballet qui s'accommoderait de plus de discrétion et de grâce
légère. Mais le compositeur est d'une habileté technique remarquable ;
ses idées sont élégantes et distinguées; il les traite avec une science
d'orchestration peu ordinaire ; et toutes ces qualités ont déterminé, en
somme, la réussite de l'ouvrage. Smylis est la première œuvre d'auteur
belge que la Monnaie ait jouée cette année. On parle de l'Enfance de Ro-
land, l'opéra nouveau de M. Emile Matbieu, l'auteur de Richilde, créée ici,
il y a trois ans, victorieusement, par M™ Caron, MM. Engel et Renaud ;
mais il est probable que, si on le monte, ce ne sera que l'an prochain. —
La série des concerts d'hiver a recommencé; mais il y en a eu peu. jus-
qu'à présent, de bien marquants, si ce n'est le premier des Concerts clas-
siques organisés tous les ans par la maison Schott ; cette première séance
a été un triomphe pour notre jeune et excellent pianiste, M. Arthur De
Greet, professeur au Conservatoire. J'apprends que M. De Greef va donner,
au mois de février, à Paris, salle Pleyel, une série de quatre « i-écitals »,
dont l'intérêt sera très vif et qui comprendront en quelque sorte l'histoire
complète des maîtres du clavecin et du piano, représentée par leurs œuvres
les plus caractéristiques. — Les Concerts populaires recommenceront an
mois de décembre : parmi les éléments d'attraction qui nous sont promis,
je note M"' Sucher, la fameuse tragédienne lyrique wagnérienne, qui ne
s'est pas encore fait entendre do ces côtés-ci du Rhin. — Les concerts du
^ Conservatoire, retardés un peu par suite de la perte douloureuse que
M. Gevaert vient de faire, reprendront aussi bientôt; mais il se pourrait
que le nombre en fût limité. La distribution des prix, avec le concert d'u-
sage consacré à l'audition de lauréats et d'œuvres orchestrales de nos jeunes
compositeurs, aura lieu dimanche. — De la province, vous savez déjà
l'heureusa réouverture du théâtre de Liège, depuis longtemps condamné
aux faillites et qui semble enfin s'être relevé, grâce à l'activité et à l'intel-
ligence des deux nouveaux directeurs, MM. Bussac et Fabre ; la première
soirée, avec Hérodiade, a été un vrai succès ; et les soirées suivantes, me
dit-on, n'ont pas été indignes de celle-là. Ailleurs, les choses ne vont pas
aussi bien. Le théâtre de Gand, découragé de voir l'opéra ne pas produire
tout ce qu'on est en droit d'en attendre habituellement, s'est voué en grande
partie à l'opérette, qui lui est moins rebelle, et, avec une troupe suffi-
sante, cela va cahin-caha. A Anvers, presque toutes les représentations
sont des orages; après avoir tour à tour admis et rejeté certains artistes,
le public des habitués, composé en bonne partie de jeunes tapageurs, a
fini par faire un holocauste de toute la troupe, en bloc; il y a eu, notam-
ment, une soirée mémorable, une représentation des Huguenots qui a donné
lieu à des scènes inénarrables... dans la salle, les spectateurs interpellant
les artistes, lançant aux femmes les plus grossières injures, les artistes
répliquant, le régisseur cherchant en vain à rétablir le calme... Gela a
été si loin qu'un artiste qui venait d'être engagé et qui, avant de débuter,
avait trouvé curieux d'assister de la salle à la représentation, en conçut
une telle pour qu'il prit, séance tenante, le premier train quittant la ville
et qu'on ne l'a plus revu !... 11 paraît cependant que, à l'heure qu'il est, le
public s'est un peu apaisé; il a fini même par signer des pétitions deman-
dant le réengagement de certaines victimes mêmes dont il avait exigé tout
d'abord la résiliation!... Et dire que les Anversois passent pour être des
gens calmes ! Que serait-ce s'ils étaient du Midi '.... L. S.
— Cette semaine a eu lieu, au théâtre royal d'Anvers, la première
représentation du grand ballet inédit en deux actes que nous avions
annoncé déjà : Au pays noir, scénario de M. Armand Laffrique, musique
de M. Justin Glérice. Le rôle principal de cet ouvrage était rempli par
M"= Adelina Gedda, qui, de plus, en avait réglé toutes les danses. Le
succès de l'œuvre et de son interprète a été complet.
— L'Exposition internationale de musique et de théâtre, à Vienne,
s'organise d'une façon vraiment admirable, sous la direction de la prési-
dente d'honneur, M""= de Metternich, dont le zèle infatigable se commu-
nique à tous les membres de l'administration. Afin d'assurer à l'entre-
prise toute les chances possibles de réussite, la princesse vient de constituer
un comité de trois cents dames appartenant à l'aristocratie, à la finance,
au commerce et au monde artistique de Vienne, avec la mission de gagner
à l'œuvre, par tous les moyens dont elles disposent, les sympathies et
l'appui du monde entier. La première séance de ce comité aimable, mais
babillard, a été ouverte par M""^' de Metternich, qui, après une allocution
très brillante, a proposé comme présidente la femme du gouverneur comte
Kielmannsegg, que l'on a acceptée à l'unanimité. La délibération a porté
sur les attributions spéciales des dames du comité. On a décidé qu'elles
seraient chargées du placement des cartes d'abonnement et des billets de
spectacle et, lorsque l'Exposition serait ouverte, d'en faire les honneurs
aux exposants étrangers. La présidente a rappelé à ses collègues que les
profits de l'entreprise sont destinées â augmenter les ressources d'institu-
tions musicales et philanthropiques, comme, par exemple, la Société des
amis de la musique, dont les charges sont devenues très lourdes, l'hôpital
de la polyclinique, le Musée du travail autrichien en voie de formation
et la Caisse de secours des ouvriers malades. Après avoir discuté sur
différents points d'un intérêt secondaire, on s'est séparé l'emplies des
meilleures intentions.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Berlin : Cavalleria rmlicana, que
les Berlinois connaissaient déjà pour l'avoir entendue au LessingTheater,
vient de paraître sur la scène de l'Opéra royal, avec une double interpré-
tation, les artistes se remplaçant les uns les autres toutes les trois repré-
•sentations. La seconde distribution a fait meilleure impression que la
première. L'orchestre s'est montré remarquable, sous la direction de
M. "Weingiertner. Le spectacle était complété par la première représen-
tation d'un ballet de M. Taubert, les Créatures de Prométliée (imité de Vigano),
avec la musique du Promélhée de Beethoven. La tentative a échoué
complètement. — Bulnswick : Un nouvel opéra de A. R. Hermann (livret de
M. E. Wolffram), intitulé Lancelot, a réussi très brillamment au théâtre
municipal. Le deuxième acte a soulevé un véritable enthousiasme. Les
chœurs, qui interviennent, comme dans le théâtre antique, pour commenter
l'action, sont traités magistralement. — Cologne : le Roi malgré lui, de M. Cha-
brier, n'a réussi qu'à moitié au théâtre municipal. — Hambourg : Le
public du théâtre municipal a fait un accueil simplement courtois à
l'opéra-comique de M. Messager, la Basoche.
— Gomment on calme une panique. Un rare et en même temps très
amusant exemple de sang-froid au milieu du danger nous est signalé de
374
LE MENESTREL
Munich. Dernièrement, pendant une repri^sentation de la Yalkijrk au théà-
ti-e de la Cour, le fond du décor, où figurait un àtre fumant, vint à prendre
feu. L'émoi commençait à s'emparer des spectateurs; pourtant l'orchestre,
sous la direction de M. Lévi, n'en continua pas moins déjouer; M""^We-
kerlin et H. Yogi, qui étaient en scène, ne bronchèrent pas non plus.
Tandis que sa camarade continuait sa phrase, VogI se contenta de crier
dans la coulisse : « Apportez-moi de l'eau! » puis il reprit sa place et donna
sa réplique. Voyant que le secours n'arrivait pas, il cria de nouveau: « De
l'eau! de l'eau! » Plusieurs personnes dans la salle s'étaient levées, bien
que M""' Wekerlin continuât à chanter; Vogl, d'une voix énergique, somma
les spectateurs de rester assis. Enfin, on lui tendit de la coulisse une cru-
che pleine d'eau. Sans interrompre le récit qu'il venait de commencer, il
versa le contenu de la cruche dans l'àtre, qui s'éteignit immédiatement,
et cela aux applaudissements frénétiques du public.
— A l'occasion du centième anniversaire de la mort de Mozart, on
annonce que le chef d'orchestre et compositeur Karl Reinecke va publier,
à Leipzig, un écrit qui intéressera surtout les pianistes et les admirateurs
du maître. Cet opuscule sera intitulé : Pour la vwification des concertos de
piano de Mosart.
— A l'Opéra ds Saint-Pétersbourg, où l'on vient, après une longue
éclipse, de reprendre avec succès le Prophète de Meyerbeer, on attend avec
quelque impatience le nouvel opéra de M. Rimsky-KorsakofT, Mlada, dont
la mise en scène, dit-on, effacera en splendeur tout ce qu'on a vu jusqu'à
ce jour à ce théâtre. S'il en faut croire les bruits préventifs, cet ouvrage
serait conçu entièrement dans le style de la déclamation pure, ce qui ne
plaît que médiocrement au public russe. A cet opéra, succédera une
étude lyrique en un acte du compositeur Krotkoff, à trois personnages
seulement, dont on ne connaît pas encore le titre, après quoi viendront
VEsclarmondc et la Manon de M. Massenet, avec M.^'' Sanderson pour in-
terprète.
— Le Figaro a reçu de Stockholm la dépêche suivante : « A la suite de
la brillante représentation de Lakmé, le roi Oscar de Suède a conféré à
M°"> Sigrid Arnoldson l'ordre Litleris et Artibus, une des plus rares dis-
tinctions en Suède. »
— Trois compagnies lyriques se disputent en ce moment les suffrages
des dilettantes d'Amsterdam: une troupe néerlandaise, qui jusqu'ici n'a
joué que des ouvrages français : Guillaume Tell, Fra Diavolo, Lakmé, Mignon
et la Muette de Portici; la compagnie royale française, habilement dirigée
par un compositeur belge distingué, M. Joseph Mertens, et qui a obtenu
de grands succès avec la Traviata, la Juive et les Huguenots ; et enfin une
troupe allemande, qui s'est produite dans Fidelio, Norma et Don Juan. On
voit qu'il y en a pour tous les goûts, et que le public hollandais n'a que
l'embarras du choix.
— L'Académie royale d'archéologie, lettres et beaux-arts de Naples
vient d'avoir une pensée touchante. Pour éterniser le rare témoignage
d'aiïection dont le regretté Francesco Florimo, ancien archiviste du Con-
servatoire et membre de cette Académie, a donné tant de preuves envers
la mémoire de son condisciple Bellini, dont il n'a cessé toute sa vie
d'exalter la gloire et le génie, cette compagnie a résolu de placer à la
base du monument élevé au souvenir de l'auteur de Norma, précisément
par les soins de Francesco Florimo, un médaillon qui rappelle la conduite
de celui-ci envers l'ami qu'il avait perdu si jeune et à la renommée
duquel il s'était entièrement consacré. Le travail a été confié au sculpteur
Alfonso Balzico, membre de l'Académie, et un autre membre, M. Vito
Fornari, a été chargé de rédiger une courte épigraphe destinée à expliquer
la pensée de la compagnie.
— Nous avons dit que le succès du nouvel opéra du jeune Mascagni,
l'Amico Fritz, avait fait éclore, à Milan, un journal de théâtre sous ce litre.
On annonce à celui-ci la prochaine naissance d'un petit frère, et Livourne,
ville natale de M. Mascagni, va avoir son Amico Fritz hebdomadaire. A ce
sujet, nous avions constaté que c'était volontiers une coutume, en Italie,
de prendre le titre d'un opéra en vogue pour le donner à un journal, et
nous avions cité, à titre d'exemples et sans prétendre à être complet, le
Trovatore, Rigoletto, Carmen et Fra Diavolo. Noire confrère le Trovatore juge
à propos de parfaire la liste en y ajoutant le Don Bucefalo, VOlello, ilPirata,
il Piccolo Faust, Flora Mirabilis et Mefistofele.
— La bibliothèque du Conservatoire de Milan s'est enrichie récemment;
et d'un seul coup, d'une façon importante, ainsi que nous l'apprend
l'Annuaire de cet établissement. Le ministère de l'instruction publique a
ordonné le transfert, dans cette bibliothèque, de toutes les œuvres musi-
cales qui faisaient partie de celle de l'Université de Pavie, où elles n'of-
fraient d'utilité pour personne. C'est un ensemble de dix mille numéros envi-
ron de musique, parmi lesquels se trouvent bon nombre d'œuvres fort utiles
et très importantes, qui viennent enrichir les collections du Conservatoire
de Milan, lequel a encore reçu, d'autre part, une série de six cent quarante-
sept volumes. — Un mouvement vient de se produire dans le personnel
enseignant de cette école importante. Tandis que M. Sangiorgio donnait
sa démission, M. Guglielmo Andreoli était nommé professeur d'harmonie
et M. Togneri professeur de contrebasse.
— Un imprésario bien connu en Italie, M. Canori, se prépare à prendre
la direction du Théâtre National de Rome, où il compte faire, au prochain
carnaval, une saison exclusivement consacrée à la remise en lumière de
divers opéras du XVIIP siècle, pour la plupart entièrement oubliés. Avec
le Nozzc di Figaro de Mozart, avec il Matrimonio segreto et Giannina e Bernar-
dine de Cimarosa, M. Canori se propose en effet d'offrir au public la Serva
padrana de Pergolèse, la Cufliara et gli Zingari in fiera de Paisiello, la Cecchina
ziiella de Piccinni, l'Inganno amoroso de Guglielmi, et le Déserteur de Mon-
signy. Il serait difficile, sans doute, de prédire ce que vaudra cette tenta-
tive au point de vue matériel, et de quel effet elle sera sur le public;
mais, quoi qu'en puisse penser le Trovatore, qui la tourne dès l'abord en
ridicule, nous la trouvons très curieuse et fort intéressante au point de
vue artistique. Il nous semble que l'audition d'un petit chef-d'œuvre oublié
de Pergolèse ou de Paisiello est de beaucoup préférable à celles des nom-
breuses opérettes sans valeur et sans saveur qui inondent depuis quelques
années les répertoires de certains théâtres italiens.
— On lit dans l'Adriatico, de Venise : a Le comte Hochberg, intendant
impérial des théâtres de Berlin, est arrivé à Venise et est descendu à
VAlbergo Italia, de retour de Rome, où il s'était rendu pour assister à
l'Amico Fritz et pour inviter, d'ordre de l'empereur Guillaume, le maestro
Mascagni à se rendre à Berlin. »
— Au théâtre Rossini de Rome, on annonce la prochaine apparition de
deux opérettes nouvelles : i Bocci innamorali, musique du maestro G. Ro-
mano, et Cavalleria rustico-romhna, nouvelle imitation de l'œuvre envogue,
musique de M. Angelo Piarangeli. L'affiche du théâtre annonce que
cette dernière Cavalleria est « la plus grande attraction du jour, » Alors,
que va devenir l'autre, la première, la vraie?
— Dans une soirée donnée au théâtre Ristori, de Vérone, le d2 no-
vembre, au bénéfice d'un jeune compositeur nommé Perigozzo, on a
exécuté sous ce tilre : Apothéose à Rossini, une cantate de cet artiste.
— Un ténor qui se fait éditeur de musique ! C'est le chanteur Oltavio
Nouvelli, qui, nous apprend un journal italien, doit ouvrir incessamment
à Turin, dans la Galerie nationale, un grand magasin de musique. On
assure pourtant qu'il ne renoncera pas pour cela à ses succès scéniques.
— Le Néron du maestro Riccardo Rasori, qui vient d'être représenté au
théâtre Garcano, de Milan, n'est pas un opéra nouveau, comme plusieurs
journaux italiens l'avaient dit par erreur. Cet ouvrage a été donné pour
la première fois en 1888, au théâtre Carignan, de Turin. Malgré les quinze
rappels dont l'auteur a été l'objet à Milan et les quatre bis qui ont été
demandés au cours de la soirée, le résultat ne paraît être qu'un succès
d'estime, et la critique, qui n'est pas très favorable à l'œuvre, lui reproche
surtout un manque trop absolu d'inspiration et de nouveauté. A ce sujet,
les journaux rappellent les divers Nérons qui, jusqu'à cette heure, ont paru
à la scène lyrique, et dont voici la liste : Néron, de Corradi (1679) ; Néron,
de Perti (1693) ; Néron, de Haendel (1705) ; Néron, de Reissiger (1822) ;
Néron, d'Orlandini (1721) ; Néron, de Duni (1730) ; Néron, de Rubinstein
(1879); enfin, Néron, de Rasori (1838). Quant à celui de M. Arrigo Boito,
depuis si longtemps attendu, et si vainement, on ne sait encore si on
le verra briller aux feux de la rampe avant l'aurore du vingtième siècle.
— Heureux le chanteur qui, en cas d'insuccès, peut se transformer et
changer sa carrière. C'est ce qui vient d'arriver, en Italie, à un ténor,
M. Giacomo Kœbler, qui, après avoir éprouvé de la part du public de
Padoue d'assez graves désagréments dans l'Ebreo, s'est décidé à renoncer
au théâtre et à reprendre sa première profession d'ingénieur.
— Tandis que la Carmen de Bizet, qui continue sa carrière triomphale
en Italie, est reprise pour la douzième fois à Turin, où elle menace de
furoreggiere, c'est-à-dire de faire fureur de nouveau, un journal de Novi,
la Sociétà, assure que le livret de cet ouvrage est une « monstruosité ».
Monstruosité est peut-être excessif, et en tout cas le critique paraît ne pas
devoir trouver beaucoup de compatriotes pour partager ses sc'rupules.
— L'épidémie d'opérettes continue à sévir en Italie, plus encore que chez
nous. Au théâtre Rossini, de Rome, on en a donné une nouvelle en trois
actes et en dialecte romanesque, intitulée er Codicillo dcr l.estamento, dont la
musique a pour auteur le maestro Bardai. On eu attend une autre, au
même théâtre, sous ce tilre : l'Ereditrc de Pipello.
— Du fantaisiste Trovatore : « Celle-ci est à raconter. (Juand les Par-
mesans ont exprimé le désir d'avoir un spectacle d'opéra à leur théâtre
pour la saison de carnaval, leurs Pères conscrits refusèrent la dote (sub-
vention). Ensuite, ceux-ci ont fait un acte de... conirition, et ont accordé
la dote. Et maintenant qu'il y a une dote, on ne trouve pas un chien pour
se charger de l'entreprise du théâtre ! »
— Un paiement en musique. Le gérant d'un des principaux cercles de
Londres, dont les réunions musicales sont très courues, a été poursuivi
dernièrement à la requête d'un groupe d'artistes auxquels il devait des
cachets. L'affaire s'est arrangée à l'amiable, les membres du cercle s'étant
engagés devant le tribunal à donner satisfaction aux réclamants. Il ne
restait donc plus à régler que les frais de justice. C'est là que la musique,
cause première du différend, intervînt en médiatrice. Le cercle proposa
aux hommes de loi de leur offrir un smoking-concert (concert où il est per-
mis de fumer) en guise d'honoraires, ce qui fut immédiatement accepté.
Chez nous, c'est le rire qui désarme; en Angleterre, c'est l'excentricité.
LE MENESTREL
375
— Un chef d'orchestre prinmer. Le duc d'Edimbourg, dont le talent de
violoniste a été méconnu par la foule, ne paraît pas lui avoir gardé ran-
cune. Il se présente maintenant à elle comme chef d'orchestre. En effet,
pour remercier la ville de Bristol de l'avoir admis en qualité de citoyen
d'honneur, le 23 octobre dernier, il a consenti à diriger, le soir, le concert
donné par une des sociétés musicales de la ville au profit de l'asile Sainte-
Agnès. On lui a fait une ovation à son arrivée au pupitre.
— Une nouvelle grève, mais pas en Europe. Cette fois, c'est le Nou-
veau Monde qui est atteint, et les victimes sont les administrations théâ-
trales de la grande métropole américaine, qui se trouvent tout à coup
privées de leurs machinistes et de leurs charpentiers. Voici, en effet, le
texte d'une dépêche télégraphique expédiée de New-York le 17 novembre :
» L'Union mutuelle des gens de théâtre a déclaré la grève des machi-
nistes et charpentiers de l'Académie de musique de Niblo's Garden, de
Peopl's Theater et de Colombus Theater, à la suite du refus de ces éta-
blissements de faire une avance d'un demi-dollar par nuit. Hier soir,
dans ces théâtres, il n'y avait ni machinistes, ni charpentiers ; les ac-
teurs et les directeurs ont été forcés de manoeuvrer les décors, d'où
longs retards et grande joie du public. » La joie des artistes et des di-
recteurs a dû être moins vive et moins expansive.
— Dépêche de Chicago : « W" Marie Van Zandt a débuté jeudi soir,
au théâtre de cette ville, par le rôle d'Amina de la Somnambule. Bravos,
rappels, bouquets et couronnes, rien n'a manqué au succès de la brillante
cantatrice. »
— Les événements et les troubles politiques qui ont éclaté au Brésil
n'ont pas tardé, comme on pouvait s'y attendre, à atteindre les théâtres.
La saison d'opéra italien qui s'était entamée à Rio-Janeiro et qui devait
se poursuivre à Montevideo, a été brusquement interrompue, et la com-
pagnie a dû être dissoute par cas de force majeure. Les imp-esarl Ciacchi
et Ducci ont subi de grosses pertes, et les pauvres artistes sont restés en
plan là-bas.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Nous n'avions que trop raison d'être remplis de défiance sur la ma-
nière dont MM. Ritt et Gailhard se préparaient à « célébrer » le centenaire
de Meyerbeer. La soirée a été simplement scandaleuse. Voilà ce qui nous
revient de tous côtés. En ne convoquant pas la presse à cette « solennité»,
les deux mécréants d'art pensaient pouvoir accomplir leur forfait dans
l'ombre et le m.ystère. Mais les choses ont été poussées à un tel point de
ridicule que les spectateurs même payants — ceux dont se moquent
habituellement les deux tenants de l'Opéra — ont fini par se révolter et
la soirée s'est terminée au milieu des chuts et des sifflets. Faire siffler
Meyerbeer à l'occasion de son centenaire, voilà tout ce que MM. Ritt et
Gailhard ont pu trouver de plus nouveau en cette circonstance solennelle.
Quel malheur qu'on ne puisse pas les chasser une seconde fois de l'Opéra!
— On sait que le jury du grand concours musical de la ville de Paris
a décidé, au mois de mai dernier, de ne point décerner le prix attribué à
ce concours, aucune des œuvres envoyées ne lui semblant présenter des
qualités suffisantes pour justifier ses préférences et légitimer une récom-
pense aussi considérable. On assure que, depuis plusieurs années déjà, le
niveau de ce concours s'est sensiblement abaissé, et le jury, tout naturel-
lement appelé à rechercher les causes de l'infériorité ainsi constatée, a
cru les découvrir dans les conditions du programme imposé aux concur-
rents. On sait, en effet, que ce programme exige que les compositions
présentées soient écrites pour soli, chœurs et orchestre, mais en excluant
les œuvres théâtrales proprement dites et celles présentant un caractère
religieux. C'était donc condamner les jeunes artistes au poème lyrique
ou à la symphonie-cantate à perpétuité, c'est-à-dire à des compositions
d'un genre hybride, sans caractère propre et nettement déterminé, et dont,
en dehors du prix olïert par la Ville, ils ne pouvaient guère ensuite tirer
parti d'une façon profitable. Le jury a donc pensé qu'il était indispensable,
si l'on voulait que le concours ne restât pas éternellement improductif,
d'en modifier le programme, et il propose que les trois premiers articles
de ce programme soient désormais rédigés ainsi :
Ariicle premier. — ^. Un coDcours est ouvert par la Ville de Paris, entre tous
les musiciecs français, pour la composition d'une œuvre musicale de haut style
et de grandes proporlions, avec soli, chœurs et orchestre.
Art. 2, — Les concurrents seront fibres de faire composer ou de composer
eux-mêmes leur poème, dont le sujet sera pris de préférence dans les légendes
de l'histoire de France.
Arl. 3. — Sont exclues de ce concours les œuvres déjà exécutées. Sont exclues
également les œuvres présentant un caractère liturgique.
On voit que, si cette modification est adoptée, la restriction relative aux
œuvres théâtrales n'existera plus, non plus que celle qui excluait les com-
positions d'un caractère religieux, le mot liturgique s'appliquant à la mu-
sique d'église proprement dite. L'oratorio sera donc parfaitement de mise
dans le programme ainsi renouvelé et élargi, de même que l'opéra et le
drame lyrique y pourront trouver leur place. C'est notre confrère Victor
■Wilder qui a été chargé de la rédaction du rapport relatif au dernier
concours, rapport dans lequel il insiste tout particulièrement sur ce point
important.
— Un comité vienl de se former à La Flèche, dans le but d'ériger, à
l'aide d'une souscription publique, une statue au regretté Léo Delibes,
auteur de tant d'œuvres exquises, qui était né à quelques kilomètres de
La Flèche, à Saint-Germain-du-Val. MM. Ambroise Thomas, Gounod, Mas-
senet, Saint-Saëns, etc., ont accepté le patronage de l'œuvre. Le montant
des souscriptions devra être adressé à M. Tramond, receveur des finances
à La Flèche.
— M. Pierre Mascagni, l'auteur de Chevalerie rustique, doit arriver à
Paris à la fin du mois, pour surveiller lui-même les études de son ou-
vrage, qu'on répète en ce moment à l'Opéra-Gomique.
— Au théâtre de l'Opéra-Gomique on répète activement iaW« iîou/c/i, qui
doit passer vers le 1"' décembre. On se rappelle que dans cet opéra-
comique de Félicien David doit débuter M"* Villefroy, lauréate des der-
niers concours du Conservatoire. Quant à Haydée, la reprise en a lieu
aujourd'hui même, dimanche.
— M. Edouard Lalo, dont M. Diémer exécute aujourd'hui même au
concert du Ghâtelet le beau concerto de piano, était depuis quelque
temps très souffrant. Les dernières nouvelles annoncent un mieux sen-
sible dans l'état du compositeur. M. Lalo est entré en pleine convales-
cence.
— Le réengagement de M. Lassalle, par la nouvelle direction de l'O-
péra, est aujourd'hui un fait accompli. C'est au mois d'avril, après son
retour d'Amérique, que cet artiste fera sa rentrée à l'Opéra.
— Concerts du Ghâtelet. — La musique, si délicate et si fine, composée
par M. Ch.-M. "Widor pour la comédie de M. Dorchain, Conte d'avril, a été pré-
sentée aux concerts du Châtelet sous la forme de deux suites d'orchestre. Une
exécution parfaite et colorée en a fait valoir les qualités exquises : d'abord le
charme, la distinction de la phrase mélodique, tantôt empreinte de ten-
dresse et de sentiment comme dans le Nocturne avec solo de flûte délicieu-
sement joué par M. Cantié, tantôt d'une légèreté originale et spirituelle
comme dans la Sérénade itlyrienne,VAllegro giocoso, la. Guitare; puis, l'orches-
tration, d'allure vive et dégagée, faisant contraster entre eux, avec une
dextérité charmante, les divers groupes d'instruments, trame toujours
claire et vive où circulent abondamment et avec mille reflets l'air et la
lumière. Le public a fait un accueil chaleureux à tous les morceaux de
ces deux suites, se montrant particulièrement charmé par l'ouverture,
écrite d'une main ferme, sans violence et sans mièvrerie, par l'aubade
Clair de lune, avec solo de violon fort bien dit par M. Pennequin, par la
jolie marche nuptiale et surtout par le nocturne. — M"' Marcella Pregi a
chanté avec beaucoup de grâce et de goût une jolie Sicilienne de Pergolèse.
Elle a su faire valoir aussi par son excellente diction un Lamento de M. G.
Fauré, d'une inspiration aussi charmante que discrète, mais d'une fac-
ture un peu fragile, qui en rend l'interprétation difficile. La jeune artiste
a fait apprécier les qualités solides et brillantes de sa voix dans les des-
sins énergiquement rythmés de la Chanson florentine de M. Saint-Saëns,
extraite i'Ascanio. M"= Pregi a été très applaudie et rappelée plusieurs
fois. L'orchestre a exécuté avec une grande précision la symphonie en si
bémol de Beethover, qui renferme un adagio d'une admirable simplicité
et d'une grande élévation d'idées, mais dans laquelle on ne rencontre pas
la puissante originalité de la plupart des autres œuvres du maître. Le
concert s'est terminé par le prélude de Tristan et Yseult et par l'introduc-
tion du troisième acte de Loliengrin. Amédée Boutarel.
— L'orchestre de M. Lamoureux, plus chaleureux que d'habitude, a
donné, dimanche dernier, une très bonne interprétation de la symphonie
de la Réformation, de Mendelssohn. Ce n'est pas la meilleure symphonie
du maître, mais elle renferme des beautés de premier ordre et, si elle est
convenablement exécutée, elle produit un grand effet. — L'ouverture
d'Hirmann et Dorotlice, œuvre posthume de Schumann, est une page que l'on
devrait laisser dans l'ombre par respect pour l'auteur de tant de sublimes
compositions. Style vieillot, développements enfantins, emprunt de notre
air national sous la forme vulgaire d'un avant-deux de contredanse, ce
n'est pas là le Schumann qui, dans les Deux Grenadiers, avait fait un
emploi si grandiose de l'hymne français ; nous ne comprenons pas que
M. Lamoureux, le chef d'orchestre aux grandes conceptions, persiste à
faire figurer cette ouverture dans ses programmes. — L'œuvre de M. Char-
pentier, Napoli, a paru un peu longue, quoique ce ne fût que la cin-
quième partie d'une suite d'orchestre. Mais que de choses M. Charpentier
avait à décrire (c'est le programme qui le dit) ! Jugez un peu : o Les vi-
brations de la chaleur, celles de la lumière, le soleil, la lune, les étoiles,
le grouillement des foules, les chants, les danses, les amoureuses langueurs
des violons, les grincements des guitares, le ronflement intermittent du
Vésuve, et, pour finir, un feu d'artifice. » Il faut du temps pour ex-
exprimer tout cela, et voilà pourquoi Najioli a paru un peu long. En vérité,
on ne sait pas trop où s'arrêteront les descriptifs en musique. Nous ne
doutons pas qu'on n'arrive à peindre un jour d'une façon très satisfaisante
l'explosion d'une locomotive, les souffrances d'un cholérique, les amours
d'un microbe et les pensées intimes d'un crocodile. Le malheur est qu'il
faut des programmes pour expliquer tout cela; sans quoi nous ne devine-
rions peut-être pas à première audition les harmonies de la Forêt que
reproduit le fragment de Siegfried, non plus que les divertissements
voluptueux que représente la Bacchanale du Vemisbei-g de 'V\'agner.— Quant
à la valse de Méphisto, de Liszt, « valse vertigineme et passionnée », nous
avons vainement cherché où était le vertige, ou était la passion. Nous
n'avons ressenti qu'un remarquable agacement nerveux. Voilà une valse
376
LE MÉNESTREL
dont M. Gharcot devrait expérimenter l'effet sur ses malades ! En exaspé-
rant les troubles cérébraux, peut-être, par homéopathie, arriverait-il à
les annihiler! Il y a de tout là-dedans, excepté delà musique. C'est peut-
être ce qui en a fait le succès relatif. H. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
ChâLelet, concert Colonne : symphonie en ut mineur (Beethoven); première
audition de l'Angélus, mélodie bretonne (Bourgault-Ducoudray), et les Deux Méné-
triers, deuxième audition (César Cui), chantés par M. Numa Auguez; Conte d'avril,
première et deuxième suite (Widor); concerto pour piano et orchestre (Ed. Lalo).
par M. L. Diémer; prélude de Tristan et Iseult (Wagner); la Chevauchée des Wal-
kyries [Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Symphonie pastorale (Beetho-
ven); Napoli (Charpentier); concerto en sol mineur, pour piano jSaint-Saëns),
exécuté par M. Staub; Lustspiel-Ouuerture (Smetana); prélude de Tristan et Iseult
(R. Wagoer); introduction du troisième acte de Lohengrin (Wagner).
— Sous ce titre : Wagner et Meyerbeer, MM. Albert Soubies et Charles
Malherbe publient aujourd'hui une intéressante brochure, extraite de la
Revue d'art dramatique, où nous trouvons une appréciation inédite et très
curieuse de l'auteur de Lohengrin sur le quatrième acte des Huguenots,
qu'on a joué à l'occasion du centenaire : o Voyez la sobriété des moyens
employés par Meyerbeer dans la célèbre scène de la Bénédiction des poi-
gnards. Combien clair et simple, plein de distinction et de véritable valeur
est le thème principal avec lequel il commence et termine son morceau !
avec quelle prudence et quelle convenance le maître fait grossir le tor-
rent qu'il ne laisse point perdre en un tourbillon confus, mais qu'il mène
à une mer imposante. En ce sens on ne peut rien concevoir de plus élevé.
Nous comprenons que le point culminant, dans toute l'acception du mot,
a été atteint, et de même que le plus grand génie éclaterait s'il voulait,
dans l'ordre d'idées de Beethoven, non pas même enchérir sur sa dernière
symphonie, mais seulement essayer de partir de là pour aller plus loin,
de même il paraît impossible que dans cet ordre d'idées où Meyerbeer a
touché la limite extrême, on veuille encore s'avancer au delà! »
— MM. I. Philipp, Berthelier, J. Loëb et Balbreck organisent, pour
cette saison, dix séances de musique de chambre, qui auront lieu l'après-
midi, dans la petite salle Erard, et dont l'intérêt sera particulièrement
grand. On y entendra, en effet, les productions les plus importantes de la
musique de chambre moderne, et l'on pourra y applaudir, à côté des œu-
vras de l'école française (Saint-Saëns, Lalo, Widor, Emile Bernard, Go-
dard, Castillon, G. Fauré, etc.), celles des écoles étrangères (Rubinstein,
Brahms, Gernsheim, Glazounow, Villiers-Stanford, Grieg, etc.).
— Dans son intéressante Histoire anecdotique du Conservatoire, notre excel-
lent collaborateur, M. André Martinet, s'aperçoit qu'il n'a cité, parmi les
prix de violon marquants de l'année 1833, ni M. Dancla, ni M. Deldevez
et il nous écrit pour réparer cette omission, ce que nous nous empressons
de faire. Il nous fait part en même temps de son fâcheux état de santé,
qui l'oblige à interrompre momentanément son intéressante Histotre du
Consei-valoire. Nous en donneions la fin au cours de l'été prochain.
— Echos de la soirée musicale donnée jeudi dernier à la présidence de
la République. L'orchestre Danbé y a fait merveille avec VAiéade de Lalo,
la Source de Delibes, la Koirigane de Widor, la Danse des Aimées de Joncières,
tandis que M. Delmas y chantait avec le plus vif succès un air de Sigiird,
M. Soulacroix l'air d'Hérodiade (Vision fugitive) et la chanson bachique
d'Hamlet. M""; Richard a été très applaudie dans le duo de Joseph avec
M. Delmas : 0 toi, le digne appui d'un -père. M. et M""= Carnot ont chaude-
ment félicité M. Danbé de la bonne organisation de ce concert.
— Le ténor Rondeau, rétabli d'une longue et douloureuse maladie qui
l'a forcé de garder la chambre pendant plus de deux mois, reprendra ses
leçons de chant à partir du 20 novembre, 13, rue Mansart.
— L'Association des artistes musiciens, fondée par le baron Taylor,
célébrera cette année, selon sa coutume, la fête de Sainte-Cécile, en faisant
exécuter en l'église Saint-Eustache, le mercredi 2b novembre, la deuxième
messe solennelle de C.-M. de Weber, pour soli, chœurs, orgue et orchestre.
Les soli seront chantés par MM. Warmbrodt et Auguez, et l'exécution sera
dirigée par M. Edouard Colonne. A l'offertoire, Contemplation, prière pour
violon avec accompagnement d'orchestre, de M. Henri Dallier, exécutée
par M. Remy. La messe sera suivie de la Marche héroïque de M. C. Saint-Saéns.
Conas ET Leçons. — M"° Mary-Mol! a repris ses cours et leçons particulières
de musique chez elle, 17, rue de Cbâteaudun. Le cours spécial de chant est fait
par M"= Reine Laurent et celui d'accompagnement pir M. Charles Dancla. —
M"» Chapuii a repris ses cours de musique à paiiir du mardi 3 novembre. —
M"" Augustine Yon, 79, boulevard de Courcelles, à repris depuis le 1" novembre
ses cours d; chant, de piano, de déclamation et d'accompagnement, avec le
concours de professeurs distingués. — U. Ed. Nadaud. de retour à Paris, a
repris ses leçons de violon et d'accompagnement à sou nouveau domicile, 85,
boulev.,rd de Courcelles. — M-' "Veyssier-Ronchini reprend ses leçons de chan'i
chez elle, faubourg Saint-IIonoré, 11. — M«= Rin-Arbeau vient de fonder un
cours de piano qui sera inauguré demain lundi à l'Institut Rudy, 7, rue Royale.
— Le violoni.-to Gorski, dé' retour à Paris après une tournée en Angleterre et en
Ecosse, où il remporta aux côtés du pianiste PadereT\-ïl;i, un grand et légitime
succès, ouvrira chez lui, 59, rue Boissière, un cours de musique d'ensemble pour
piano, violon et violoncelle, avec le concours de M. J. Salmon et de M"" Szumowska.
NÉCROLOGIE
De Bologne, où il était né en 1810, on annonce la mort subite d'un
artiste qui fut jadis un chanteur distingué et qui, en renonçant au théâtre,
s'était consacré à l'enseignement. Fils d^un chorégraphe et d'une danseuse,
Raffaele Ferlotti, qui était doué d'une belle voix de baryton, avait obtenu
de vifs succès sur de nombreuses scènes italiennes et étrangères, où il était
aussi remarqué comme acteur que comme chanteur. Il se fit applaudir
particulièrement à Rome, à Milan, à Madrid, à Barcelone, à Londres et à
Vienne. Il avait une sœur, Santina Ferlotti-Sangiorgi, qui, née à Cesena
le 13 février 1803 et morte le 23 septembre 1853, fut une artiste douée de
la façon la plus heureuse. A dix ans elle se faisait applaudir comme pia-
niste dans les concerts, à douze ans elle écrivait la musique d'un ballet
dont son père était l'auteur, et à quinze ans elle se produisait comme
prima donna au théâtre, où elle devait parcourir une brillante carrière. Elle
devint plus tard professeur de chant à l'Académie philharmonique de Tu-
rin. Quant à Raffaele Ferlotti, qui, nous l'avons dit, s'était aussi consacré
à l'enseignement, et qui était conseiller de l'Académie philharmonique de
Bologne, il est mort tout à coup, assis à son piano, pendant qu'il donnait
une leçon, le H novembre.
— A Madrid est mort un écrivain distingué, l'académicien Manuel
Ganete, critique théâtral du journal la Ilustracion espaïiola y amerieana.
^ On a retiré ces jours derniers des eaux du Cavo Borgognone, près
de Milan, le cadavre d'un vieux professeur de musique, nommé Luigi
Colombo et âgé de soixante-dix ans. On ne dit pas s'il s'agissait d'un
accident ou d'un suicide.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente chez MACKAR et NOËL, éditeurs des œuvres de P. TchaVcowsky :
Th. LACK. Op. 30. Études élégantes prix : Ib »
— Op. 43. Études de bravoure — 2b »
— Op. 50. ia te(jrère((?, études de mécanisme. — 12 »
A. CHAUVET. 13 Études préparatoires à Bach. . . — 10 »
A.'VIS I]VCI»OI^TA.3\rT
^^XJ OOIMIiytEÎ^OE DE MIXJSIQXJE
Par traité en date du 16 novembre, passé avec les auteurs de
l'opéra Paul el l'ii'ffittie et les héritiers de 'Victor Maîsé, les
éditeurs du MÉiVESTKEl,, MM. HEUGEL et C'-, se sont ren-
dus acquéreurs de cette partition. Ils seront en mesure de
fournir, sous quelques jours, toutes les demandes de musique
concernant l'œuvre de 'Victor Massé.
^A,-XJ2^ IDIPÎ.ECTETJR,S IDE TH:É^^TP2,E
Par traité en date du 16 novembre, passé avec les auteurs jie
l'opéra JPau! el l'ifginie et les héritiers de Victor Massé, les
éditeurs du IIÉ^'Ef!iXRE:I>. MM. HEUGEL et G'S s'étant rendus
acquéreurs de cette partition, toute demande valable pour la
représentation de cette œuvre doit désormais leur être adressée.
En vente AU MÉNESTREL, 2'", rue ïivirnnc, HEUGEL et c-', fdiloji's-propriclaire-s.
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
COMPOSITION MUSICAL!;
PREMIER GRAND PRIX DE ROME 189 1
L'Il^TEEDIT
Scèns lyrique
ni'
EDOUARD NOËL
ml'si(3i;e de
O H-
31. Tri3 I^
Partition piano et chant, })ill- nvi : 5 IV.
UEBIE CE\ThALE I
Dimanche 29 Novembre 1891.
3166 - 57™ ANNEE - N" 48. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivieune, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aoonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (36» article), Albert Souries et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: le centenaire de M. Ritt, H. Moreno;
premières représentations de VutjaQcs dans Paris, à la Porte- Saint-Martin, et de
Mademoiselle Asmodée. à la Renaissance, reprise de Michel Slrogoff, au Châtelet,
Pall-Émile Chevalier. — III. Musique de table: Chez les ancieus (2" article),
ED5I0ND Neukomm et Paul d'Esthée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
FABLIAU
valse chantée par M"" Marguerite Ugalde, dans Mon Oncle Barbassou,
musique de Raoll Pugno. — Suivra immédiatement: le Poète et le Fantôme,
nouvelle mélodie de J. Massenet.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Danse des nymphes, de Théodore Dubois. — Suivra immédiate-
ment : Danse slave, de Théodore Lack.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allbert SOUBIES et Charles MALHERBE
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V
l'héritage du THÉÂTRE-LYRIQUE. Les Noces de Figaro, Bonsoir Voisin,
Maître Wolfram, Mireille, Roméo et Juliette.
1871-1874
(Suite.)
C'était peut-être aussi ce que pensait tout bas M. Ambroise
Thomas, lorsqu'il se refusait si énergiquement à laisser monter
Gilleet GiUotin. Présenté et reçu à l'Opéra-Comique en 1859, sous
le nom de GiUotin et son père, cet acte comptait alors près de
seize années d'existence. Quelques changements dans la par-
tition a-saient amené d'abord le retard de la représentation,
puis le retrait de l'ouvrage, et l'auteur à'Hamlel, occupé par
des travaux plus importants, avait négligé ce lever de rideau.
Mais le librettiste, Thomas Sauvage, entendait profiter au
contraire de la renommée conquise par son collaborateur
musical, et, devant les refus de ce dernier, les procès com-
mencèrent. On en compte trois, ou du moins on eut à enre-
gistrer trois décisions juridiques. En 1872, le tribunal de la
Seine juge que « A. Thomas ne peut être tenu de consentir
à la représentation », mais le condamne « à tels dommages-
intérêts donnés par état, et en outre aux dépens envers
Sauvage. » En 1S73, la cour d'appel arrête que Sauvage, au
lieu d'une indemnité, sera autorisé à faire représenter sa pièce
avec la musique écrite d'abord par A. Thomas, et sans les
modifications que les changements d'interprètes et d'autres
considérations devaient forcément amener. La même année.
Sauvage plaidait encore contre de Leuven afin d'obtenir la
représentation immédiate, à peine de 100 francs de dommages-
intérêts par jour de retard; mais Sauvage perdit, de Leuven
ayant prouvé qu'après le premier arrêt il avait prévenu
Sauvage que sa pièce serait représentée dans le délai d'un
an, bien qu'un traité avec la Société des auteurs lui accordât
deux ans.
Finalement, ce fut le public qui paya les dommages et
intérêts aux plaideurs sous forme de bravos, car l'œuvre fut
chaleureusement accueillie. Le père Gille et le fils GiUotin
sont au service de M. Roquentin, dont la nièce a épousé
secrètement un sergent aux gardes. Une souquenille appar-
tenant à GiUotin et découverte dans la chambre de la jeune
femme prête d'autant plus aux soupçons qu'on trouve l'im-
prudent valet aux genoux de sa maltresse. Il implorait tout
simplement la faveur d'épouser Jacquette, la servante qu'il
aime; mais son attitude laisse deviner tout autre chose; le
quiproquo force le sergent à dévoiler sa qualité d'époux, et
Gille remet au bon moment une lettre d'oià il résulte que ce
militaire est le fils même du triste Roquentin, devenu joyeux
au souvenir de ce péché de jeunesse.
Lestement enlevée par M"» Ducasse, spirituelle et gentiment
délurée sous les traits de GiUotin, bien chantée par Ismaël,
qui figurait Gille, et par tous les interprètes. Neveu, Thierry,
M"'^* Nadaud et Reine, la pièce réussit et, le soir de la pre-
mière, on faillit redemander toute la partition, car on bissa
les couplets de GiUotin : « Oh! oh! oh! quel gâteau ! », les
couplets de Gille : « Faut-il rire, faut-il pleurer? », la chanson
du sergent, et même l'ouverture, chose rare dans les fastes
du théâtre , mais très naturelle lorsqu'on entend ce joli
morceau oii certaine retraite militaire fournit le prétexte
d'ingénieux développements et d'amusantes sonorités d'or-
chestre.
On se demande comment un tel lever de rideau n'a jamais
été repris, sauf en 1877, où il fut donné cinq fois; peut-être
le compositeur s'en souciait-il peu; en tout cas, il avait
maintenu jusqu'au bout son attitude hostile, comme le prouva
une lettre adressée par lui à M. du Locle, le lendemain de
la répétition générale, et oîi il protesta une dernière fois
contre les prétentions de Thomas Sauvage.
Quatre jours avant Gille et GiUotin, le 18 avril, avait eu lieu
une reprise de Joconde avec Coppel (Robert), Laurent (Lucas),
Nathan (le bailli). Teste (Lysandre), M"" Chapuy (Jeannette),
378
LE MÉNESTREL
Isaac (Edile), Thibault (Mathilde), et, dans le rôle principal,
Bouhy, inférieur à Faure, sans doute, mais cependant assez
remarquable pour bien mettre en valeur le chef-d'œuvre de
Nicolo. En trois ans, cette reprise fournit un total de cin-
quante-sept représentations, et depuis, l'ouvrage n'a plus
attiré l'attention des directeurs, oubli regrettable en somme
et synonyme de faute. Les autres reprises de l'année 1874
présentent encore quelque intérêt, grâce à la nouvelle inter-
prétation de certains rôles et à quelques débuts.
Le 7 mai, par exemple, on revit les Noces de Figaro avec
une distribution très modifiée : M™ Carvalho quittait le pour-
point de Chérubin pour la robe de la comtesse, et M'"' Priola
abordait le rôle de Suzanne. Quant au jeune page, il avait
pour interprète une débutante, M"'= Breton, qui venait de
l'Athénée après avoir obtenu au Conservatoire, en -1873, un
second prix de chant (classe Roger) et un second prix d'opéra-
comique (classe Mocker). Il avait été question de reprendre
en son honneur Actéo7i, puis on choisit l'ouvrage de Mozart
pour ses débuts, qu'elle continua le 8 juillet avec Fra Diavolo,
et l'année suivante l'Opéra-Comique ne la compta plus parmi
ses pensionnaires. Elle n'avait fait que passer, comme son
camarade Anthelme Guillot, qui, venu de Lyon, où il avait
chanté plusieurs années, parut le 26 mai dans Mignon (rôle
de Wilhelm) et ne fixa point l'attention.
La reprise du Pardon de Ploërmel offrait la réunion d'un per-
sonnel entièrement nouveau, puisque nul ne restait alors des
interprètes de la création, et depuis 4860 l'ouvrage de Meyer-
beer n'avait plus reparu sur l'affiche. En 1869, il avait bien
été question de le remettre à l'étude; mais, faute d'inter-
prètes suffisants, ce projet ne se trouva réalisé que le 27 août
4874. Bouhy succédait à Faure, à Troy, et à M"«= Wertheimber
dans le rôle d'Hoël, et Lhérie ne dédaignait pas d'aborder le
personnage comique de Corentin, établi primitivement par
Sainte-Foy ; la partie importante de Dinorah était dévolue
à M"« Zina Dalti. qui avait appartenu en 4870 à l'Opéra-Co-
mique et qui rentrait ainsi dans son ancien théâtre après
une campagne italienne dont Florence avait été la dernière
étape. Les petits emplois étaient tenus, les deux chevriers
par M"^' Reine et Chevalier, les deux pâtres par M"es Ducasse
et Lina Bell, cette dernière qui venait des Variétés et pour
le début de laquelle on avait ajouté au second acte la petite
mélodie écrite par Meyerbeer en vue des représentations de
Londres et chantée jadis par M™ Nantier-Didiée. Enfin, le
faucheur et le chasseur étaient encore représentés par deux
nouveaux venus : le premier, Charelli, ténorino de province,
qui avait déjà paru le 30 janvier dans la Fille du régiment afin
de remplacer à l'improviste, comme Tonio, un camarade in-
disposé, et avait aussi quitté, pour la capitale, Versailles oii
il jouait alors; le second, Dufriche, basse chantante à la voix
chaude et au jeu intelligent, un artiste qui a fait son che-
min dans la carrière italienne et que plus d'une fois à Paris
les directeurs de l'Opéra et de l'Opéra-Comique ont pu re-
gretter de ne pas s'être alors définitivement attaché. Outre
ces débutants dignes au moins d'une mention, qu'il nous soit
permis de rappeler, sans plus de commentaires, des artistes
de second plan dont l'apparition ne comportait pas le carac-
tère de début, et qui tenaient, en 4874 par exemple, MM. Sa-
cley, d'Herdt et M''« Rizzio les rôles de Tybalt, du duc de Vérone
et de Tysbé dans Moméo et Juliette; Laurens, ceux de Pietrino dans
le Florentin et de Lucas dans Joconde; Vallé, ceux de Mac-Irton
dans la Dame blanche, de Melchior dans le Domino noir et du
corsaire dans Zampa; W" Sacré, celui de la duchesse dans
la Fille du régiment. Le public n'a point gardé leur souvenir ;
mais l'historien doit à son exactitude d'enregistrer au moins
leur nom, si obscur qu'il demeure dans les fastes du théâtre
auquel ils ont appartenu plus ou moins.
Le Pardon de Ploërmel avait été remonté sans difficultés. Il
n'en fut pas de même de Mireille, dont la mise au répertoire
de l'Opéra-Comique se heurta non seulement à l'indifférence
du public, mais encore à la résistance d'un des auteurs.
Alléché par le succès de Roméo, le directeur avait jeté bien
vite les yeux sur Mireille. Les héritiers du librettiste dirent
oui ; le compositeur dit non. M. Gounod, habitant Londres
alors, ou se rendait mal compte des ressources du théâtre,
ou rêvait pour son œuvre une autre destination ; bref, il
offrait à la place, d'abord un George Dandin, puis un Enfant
prodigue, deux pièces qui n'ont jamais vu le jour, et dont la
première a seule été complètement écrite. Il fallut la menace
d'un procès pour le décider à donner son consentement, et
le 40 novembre, Mireille entra enfin à la salle Favart avec le
concours de Duchesne (Vincent), Melchissédec(Ourrias), Ismaël
(maître Ramon), ]Vi"'<=s Carvalho (Mireille), Galli-Marié (Taven
et Audrelouu), Chevalier (Vincenette), et Nadaud (Clémence).
S'il fallait chercher un exemple caractéristique des modi-
fications que peut subir un opéra pendant le cours de sa car-
rière, à part Sapho, qui connut successivement le triple état
de trois, deux et quatre actes, on en trouverait difficilement
un plus curieux que celui de Mireille. Il a fallu en effet plus
de vingt-cioq ans pour lui donner une forme, qui n'est certes
pas la meilleure, et qui pourtant est celle dont'le public s'est
le mieux accommodé. Tout d'abord, au Théâtre-Lyrique, le
49 mars 4864, Mireille comptait cinq actes et sept tableaux;
un peu plus tard, M. Carvalho lui retrancha deux actes;
en 4874, M. du Locle les lui rendit, non sans modifications,
puisque la scène des moissonneurs au début du quatrième
acte, par exemple, avait été retranchée pour faire place à une
scène nouvelle, et que l'air de Mireille: « Trahir Vincent 1 »
était passé du deuxième au septième tableau. Lors de son
retour au lieu d'origine, c'est-à-dire lors de sa dernière re-
prise à la place du Chàtelet, la partition s'est de nouveau
réduite. La charmante figure de Vincenette a disparu et s'est
refondue dans celle de Taven; disparus aussi et le sombre
tableau de la danse des Trêves, et cette page symphonique
qui accompaguait si expressivement le passage des cadavres
sur les flots du Rhône. Plus d'une fois, le cœur du compo-
siteur a saigné, quand on l'obligeait à mutiler son œuvre si
pittoresque, si riche de sève mélodique, si réussie en somme,
et naguère il s'en exprimait non sans une certaine tristesse
dans une lettre rendue publique. Enfin, certaine question
exerçait son influence sur le sort de l'ouvrage : à l'origine,
Mireille mourait; en 4874, elle mourait encore et la pièce
n'obtint que vingt-deux représentations; en 4890, Mireille
épouse Vincent, et la pièce dépasse la centaine. Tant il est
vrai que le public de l'Opéra-Comique reste fidèle aux vieilles
traditions, et, sans souci de la logique et de la poésie, se
complaît volontiers dans les dénouements heureux !
Pour compenser ces résultats médiocres, la direction cher-
chait « à côté » et tâchait d'augmenter la source de ses pro-
fits. C'est ainsi qu'à la fin de l'année, des bals, les premiers
depuis la guerre, se donnèrent dans la salle Favart, et, par
un contraste singulier, la danse y avait été précédée, cette
année même, par la musique religieuse, avec deux œuvres
de haute valeur et de très vif intérêt : Marie-Magdckine et
la Messe de Requiem en l'honneur de Manzoni. En même
temps les deux compositeurs, l'un presque au début, l'autre
presque à la fin de sa carrière, avaient mis au service de la
religion leur talent musical, et traité, M. Massenet les vers de
M. Louis Gallet, et Verdi le texte sacré, avec leur tempérament
spécial, mais non sans analogie. Marie-Magdeleine, dont le sous-
titre est d'ailleurs drame sacré, reflète un coin de l'Orient, et
certaines pages, faites de douceur et de charme, racontent
l'histoire de Jésus comme les dessins de Bida traduisaient
la Bible, avec un mélange de couleurs réalistes et de poésie
très intime. La Messe de Requiem transforme le Dies irœ en un
drame émouvant et met en scène tous les épisodes de la
mort et du jugement avec cette intensité d'expression, cette
vigueur et cette fougue qui marquent le génie musical de
Verdi, un peu assagi et mesuré toutefois depuis Don Carlos et
Aïda. Duchesne, Bouhy, M™" Carvalho et Franck chantaient
les quatre parties de Jésus, Judas, La Magdaléenne, Myriam,
LE MENESTREL
379
et M. Colonne dirigeait avec deux cents exécutants, comme
il l'avait fait l'année précédente, lorsque l'ouvrage avait été
donné pour la première fois à l'Odéon en avril 1873. Capponi,
Maini, M"" Stolz et Waldmann formaient le quatuor vocal
du Requiem, conduit par Verdi lui-même, à qui Delofîre avait
cédé le bâton de chef d'orchestre, quatuor remarquable, et
même, du côté des femmes, incomparable. M™ Teresina Stolz
possédait un des plus beaux sopranos dramatiques qu'il nous
ait été donné d'entendre, et M""' Waldmann un des derniers
contraltos vraiment graves et sonores que le théâtre ait con-
nus, brillants météores bien vite et trop tôt disparus : la
première perdit sa voix presque subitement, et la seconde a
quitté la scène en se mariant.
Ces auditions, au nombre de six pour Marie-Magdeleine
(24, 26, 28, 31 mars, 4 et 9 avril), au nombre de sept pour
le Requiem (9, H, 12, 15, 18, 20, 22 juin, les six premières
en matinée), firent tomber dans la caisse un argent dont on
avait grand besoin, et qui explique le joli mot d'un journa-
liste à la sortie : « C'est drôle, il a fallu la messe des morts
pour rendre la vie à l'Opéra-Gomique.»
La situation financière ne s'était pas améliorée en efîet,
depuis le 19 janvier 1874, jour où M. du Locle avait remplacé,
seul et sans partage, de Leuven. Jusqu'alors il n'était que
son associé, tenant la place que devaient tenir plus tard à
l'Opéra, M. Gailhard, dans la direction Ritt, et M. Gampocasso,
dans la direction Bertrand. De Leuven était seul responsable
aux yeux du ministre ; c'est à lui seul que, par décret du
30 mars 1872, le privilège de l'Opéra-Comique avait été
renouvelé jusqu'au 1" janvier 1880.
Vers la fin de l'année précédente, des bruits avaient couru
qui faisaient croire à une série de mutations parmi les di-
recteurs parisiens. M. Halanzier parlait de quitter l'Opéra, et
l'on désignait comme son successeur Emile Perrin, auprès
duquel M. du Locle aurait repris son ancien poste de secré-
taire général, laissant la place à M. Cantin, qui serait devenu
l'associé de de Leuven. Cette combinaison ne se réalisa pas,
et M. du Locle, préférant acheter 300,000 francs sa part à
de Leuven, ce qui semblait cher payer, se vit enfin nommer
officiellement par le ministre au lieu et place de son pré-
décesseur.
Mais son goût artistique et son désir de bien faire ne
suffisaient pas à assurer des bénéfices, et le tableau des
recettes présente, en l'espace de quelques années, des chiffres
tristement éloquents :
En 1872
1,229,341 »
1873
1,267,463 60
1874
1,053,238 63
1875
947,263 85
1876
912,774 8S
La seconde partie de notre travail se termine ici, et, par
une singulière coïncidence, s'achève, comme la première,
au milieu d'une crise ; mais par une coïncidence non moins
remarquable, cette crise aura la même issue que la précé-
dente : elle se dénouera favorablement et précédera l'une
des époques les plus florissantes de ce théâtre. Le premier
sauveur avait été Perrin; le second sera M. Garvalho. Au
premier et à ses successeurs immédiats on avait dû Lalla-
Roukh et Mignon; au second on devra Manon et Lakmé; désor-
mais, grâce à son intelligence artistique et à son activité,
l'ère de prospérité se maintiendra jusqu'à la disparition
fortuite et malheureuse de la seconde salle Favart, point
final où doit s'arrêter l'histoire que nous avons entreprise.
FIN DE LA DEUXIÈJIE PARTIE
SEMAINE THÉÂTRALE
LE CENTENAIRE DE M. RITT
MM. Bitt et Gailhard sont probablement des inconscients. C'est
leur seule excuse. Voilà ce qu'ils viennent d'imaginer pour le cou-
ronnement de leur brillante direction à l'Opéra, pendant les sept
années maigres que l'art vient d'y traverser. C'est le Gil Blas qui
nous fait cette révélation :
L'Opéra est autorisé à donner cent quatre-vingt-douze représentations
dans le courant de l'année. MM. Ritt et Gailhard ont réservé cette cent
quatre-vingt-douzième pour le 31 décembre, leur dernier jour à l'Opéra.
Cela sera une soirée solennelle et de gala à l'occasion de leur adieu au
public et aux abonnés de l'Opéra. Ils en profiteront en donnant un spec-
tacle bien cboisi, qui mettra en lumière encore les grands artistes qui
ont aidé à leur fortune, et dont ils vont se séparer.
Il faut tout goûter dans cette note administrative, qui sort évi-
demment de l'officine littéraire de M. Mobisson, secrétaire intime
autant que général de la Direction de l'Opéra. Ce « dernier jour » de
MM. Ritt et Gailhard ressemble fort au dernier jour des condamnés,
car il y a peu de directeurs qui l'aient été autant par l'opinion
publique tout entière. Et cependant ils éprouvent le besoin de nous
tirer leur révérence, avant de se confiner dans la juste retraite qui
leur a été infligée par le ministre des Beaux-Arts. La soirée promet
d'èlre drôle, surtout si les « grands artistes » qu'ils nous prom.ettent
sont les mêmes qu'on a siffles au récent centenaire de Meyerbeer.
Mais ces directeurs ont le « gala » chevillé dans l'ùme. Il leur
en faut tant et plus. Après avoir « célébré » Mozart et Meyerbeer,
ils éprouvent le besoin de se célébrer eux-mêmes. Le centenaire de
M. Ritt (déjàl), ne voilà-t-il pas une belle occasion de manifester?
D'ailleurs, depuis quelque temps, Gailhard était fort sombre et
son digne asfocié s'en inquiétait. Était-ce donc l'heure fatale du
départ, à présent si proche, qui remplissait de brumes ce front à
l'ordinaire si serein et si rempli d'assurance? Était-ce le souvenir
des grasses lippées à jamais perdues, des écus qui s'envolaient, des
joies paradisiaques du foyer de la danse qui disparaissaient comme
dans un crépuscule?
« Frère, qu'as-tu donc? murmurait timidement le vénérable Ritt. »
Et Gailhard répondait sourdement: « Rossini m'échappe! », paroles
incohérentes, auxquelles on ne comprit rien tout d'abord. Enfin, on
finit par découvrir que le co-associé était tourmenté de l'idée qu'il
ne serait plus là, le 29 février, pour « célébrer » à son tour Rossini,
comme il avait fait déjà pour Mozart et Meyerbeer. L'illustre com-
positeur italien, dont la carrière fut si heureuse, a de la chance encore
même après sa mort. Il échappe à Gailhard!
« Deux mois encore de direction, disait notre ami infortuné, et
j'étais là pour faire à Rossini les honneurs de son centenaire. Et
quel programme ! J'avais imaginé de reconstituer à l'Opéra la pre-
mière représentation du Barbier de Séville à Rome, avec tous les
cris et toutes les huées de la foule qui vilipenda ce chef-d'œuvre à
son origine. Je n'aurais eu pour cela qu'à laisser chanter nos chan-
teurs ordinaires, ceux-là mêmes que j'ai employés déjà si heureu-
sement pour le centenaire de Meyerbeer. Les pommes cuites seraient
tombées d'elles-mêmes sur la scène, et Rossini n'aurait plus rien eu
à envier à Mozart et à Meyerbeer, glorieuse trilogie dont ainsi
j'aurais été le héraut ».
... Et c'est alors que, pour faire diversion aux tristes pensées de
son compère, M. Rilt imagina la « soirée de gala » donnée en leur
propre honneur. Comme cela, rien de changé au programme. Les
pommes cuites seront pour les directeurs, bien plus justement,
avouons-le. que pour le pauvre Rossini.
H. MORENO.
Porte-Saini-Martix. Voyages dans Paris, pièce nouvelle à grand spectacle,
en cinq actes et quinze tableaux, de MM. E. Blum et R. ïoché. — Cha-
TELET. Michel Slrogoff, pièce à grand spectacle, en cinq actes et seize
tableaux, de MM. A. d'Ennery et Jules Verne. — Renaissance. Mademoi-
selle Asmodée, opéra-comique en trois actes et cinq tableaux, de MM. P.
Ferrier et Ch. Clairville, musique de MM. P. Lacome et V. Roger.
En inscrivant, en tête de ce compte rendu, ce petit sommaire, je
m'aperçois qu'il mentionne, pour treize actes, le chiffre respectable
de trente-six tableaux. C'est donc beaucoup plus des décorateurs que
des auteurs dont nous allons avoir à nous occuper; et, sincèrement,
cela se trouve à merveille, car si, tout au moins pour les deux œuvres
nouvelles, les premiers se sont mis en frais et ont fait preuve
d'idées originales, les seconds, comptant trop certainement sur leurs
collaborateurs du pinceau, n'ont pas fait d'efforts pour nous racon-
ter du nouveau.
C'est d'ailleurs une chose avérée que la pièce dite à spectacle est
faite avant tout par les peintres, costumiers, machinistes et choré-
graphes, et que l'auteur ne vient que bien ensuite pour faire mou-
voir, dans des tableaux habilement coordonnés, quelques bonshommes
380
LE MEiNESTREL
qui parleront pour qu'on n'ait pas l'air de donner une pantomime.
Dans Voyages dans Paris, MM. Blum et Toché, dont les succès
anciens sont de sûrs garants de leur savoir-faire, n'ont point voulu,
ce me semble, rompre complètement avec cette coutume; 'je vois,
pourtant, qu'ils ont fait un tout petit effort, en essayant de combi-
ner ensemble les effets du drame et ceux de la féerie. De fait, nous
assistons à deux pièces dans la même soirée : les tribulations d'un
bon bourgeois qui se fait traîner dans Paris par un guide ignorant;
l'empoisonnement, par son mari, d'une jeune femme que sauvera
une fille de chambre fidèle. Les deux actions n'ont aucune espèce de
rapports entre elles, ou du moins, s'il y en a, je m'accuse de ne
point les avoir saisis; mais il fallait nous faire voir la cour du
Grand-Hôlel, l'escalier de la Madeleine, un salon demi-mondain en
vogue, le boulevard Montmartre, un bouge du boulevard de la Vil-
letle, le panorama de Paris, et nous avons vu tout cela. Nous avons
vu, de plus, deux ballets, fort bleu réglés par M. E. Rossi, qui
sont les clous de la soirée : le premier se dansant dans le salon
demi-mondain; le second, ayant pour prétexte les visions enivrantes
occasionnées par la morphine, d'un ensemble tout à fait agréable.
D'une interminable liste d'artistes, il faut nommer MM. Dailly,
Péricaud, Desjardins, Pougaud, Romain, Leitner, Deval et M""'' An-
tonia Laurent, Leconte, une genlille débutante pleine d'adresse,
France, Montcharmont, qui forment une troupe très complète.
Malgré tout cela, le jour de la réouverture, le spectacle était dans
la salle, ou, plus exactement, le spectacle était la salle elle-mèoie.
M. Rochard, en prenant possession de la Porte-Saint-Martin, a voulu
en faire un théâtre d'un genre tout nouveau, et il y a pleinement
réussi. Rien de joli comme ces velours et ces draps bleus de France
rompant heureusement la monotonie habituelle, rien de luxueux
comme ces loges toutes tendues de soies, et rien de confortable
comme ces dégagements immenses. L'; nouveau directeur a rem-
porté là un succès absolument complet.
Le Châtelet, qui semble ignorer qu'il peut se faire des pièces nou-
velles, vient de reprendre l'immortel Michel Strogoff, et, grâce à
l'exubérance d'un monsieur fort respectable placé juste à côté de
moi, j'ai ressaisi toutes les beautés palpitantes et poignantes du
drame de MM. d'Eanery et Jules Verne. M. Garnier a hérité le rôle
créé par ce pauvre Marais et l'a joué très vigoureusen-eot. M"» Marie
Laurent, le modèle de toute Marfa Strogoff avenir, MM. Saint-Ger-
main, Rosny, Montai, M"" Angèle Moreau et de Pontry ont bien
mérité du tzar, de même que le directeur, M. Floury, qui nous a
montré, au dernier tableau, une rade de Cronstadi, remplie, à
inonder Paris, de bâtiments russes et français, sur lesquels amiraux
et matelots hurlent à bouche que veux-tu la Mai'seillaise et l'Hymne
impérial.
A- la Renaissance, comme à la Porte-Saint-Martin, ce qu'il y a
certainement de plus réussi, c'est la mise en scène de Mademoiselle
Asmodée, dont au moins deux décors sont fort originaux et dont
les costumes sont fort jolis. M. Lerville est un prodigue, et les
auteurs qu'il reçoit chez lui n'ont, certes, point à se plaindre de
son hospitalité. Cette fois, surtout, il leur a donné une interprète
tout à fait exquise, M°"= Simon-Girard, la divette d'opérette la plus
fêtée du moment.
La fable imaginée par MM. Ferrier et Glairville ne se recommande
pas par une nouveauté ou une originalité transcendante. Une dan-
seuse de l'Opéra, Rosette, aime un jeune seigneur, le marquis Flo-
restan, et la rouée commère, pour se faire épouser, détournera le
jouvenceau de toutes les femmes qu'il voudra courtiser. Tour à tour,
Asmodée lui-même, soubrette, tourière, danseuse foraine, étoile
chorégraphique, paysanne, Rosette arrachera Florestan à des amours
dont elle ne veut pas. MM. Paul Lacome et Victor Roger ont écrit,
pour ces trois actes, une partition assez importante, d'un faire adroit,
mais d'une allure toujours un peu grise. Il est bizarre que cette
collaboration de deux musiciens dont l'un est un artiste véritable
et dont l'autre a fait montre très souvent d'aimables idées, n'ait
rien produit de nouveau. La science ds M. Lacome a-t-elle effa-
rouché M. Victor Roger, ou la facilité de M. Victor Roger a-t-elle
dérouté M. Lacome?
J'ai nommé M™' Simon-Girard ; elle est, à elle seule, la pièce en-
tière, et le public lui a redemandé plusieurs couplets. MM. Simon-
Max, Regnard, Edouard Georges, Victorin et M"" A. Berthier profi-
tent des applaudissements prodigués à leur séduisante camarade.
Pal:l-Émile Chevalier.
MUSIQUE DE TABLE
CHEZ LES ANCIENS
(Suile.)
L'exemple de M"' Vigée-Lebrun a été souvent suivi. Dans les
commencements du second empire , les fêtes pompéiennes du
prince Napoléon donnèrent lieu à une foule d'imitations. Les dîners
à l'antique furent à la mode. On tira des magasins d'accessoires les
péplum et les buccines, sans préjudice des timbales et des luths,
et l'on se mit à célébrer avec rage le falerne et le sécube. Cela valait
bien, à tout prendre, les dîners à têtes d'aujourd'hui.
Nous trouvons dans le journal l'Entremets du gastronome, Je 1832,
cette relation d'une fête épicurienne offerte à ses amis par un
seigneur de la nouvelle cour :
« Dans la salle du festin se trouvaient des lits moelleux destinés
à remplacer nos chaises Je salle à manger; des roses devaient orner
le front des convives, une lyre devait vibrer pendant le repas. Lorsque
tous furent réunis, on approcha des tables et on servit du vin miellé
dans des coupes ciselées. Des enfants tondus très court circulaient
avec des amphores pleines d'un sécube dont un bibliophile a retrouvé
la fabrication. On s'est régalé de volailles engraissées par le procédé
d'Apicius, d'œufs de paon, et de tranches de saumon, baptisé du
nom de murène. Un sanglier servi tout entier avec son poil est
resté intact; les couteaux d'origine romaine se sont brisés sur ces
plats. Toutes les sauces étaient au pavot et il a fallu servir à Ilots
le falerne écumeux, ce Champagne des anciens, pour réveiller les
sens engourdis de Lucullus et de ses compagnons. On a joué aux
dés le reste de la soirée. «
A quelques anachronismes près, ce repas pouvait passer pour une
imitation de ce qui se passait dans la Rome des Césars. Mais que
ces agapes, dans une pièce meublée selon le goût du Directoire,
étaient loin des festins antiques, ayant pour cadre les douces nuits
d'Italie :
« Cependant le soleil se couchait dans la mer d'Ostie. Le jour
pâlissait malgré les teintes empourprées de l'Occident. Des esclaves
apportaient des lampadaires, sur lesquels brûlaient des lampes à
deux becs, remplies d'huiles parfumées, pendant que de jeunes
Nubiens, à demi vêtus d'étoffes à bandes chatoyantes, s'espaçaient
autour de la salle, tenant au-dessus de leur tête des candélabres
garnis de bougies de cire aromatique
» C'est alors qu'entraient les mimes, les citharistes, les tibicinœ
jouant de leurs doubles flûtes, et les danseuses de Gadès, à demi
voilées dans la coa-vestis, draperie d'un tissu si ténu qu'elle re-
haussait les charmes secrets des belles filles de l'Ibérie, plutôt
qu'elle ne les cachait aux yeux des convives.
» On apportait alors le troisième service, composé de pâtisseries
et de fruits, et le repas continuait et s'achevait au milieu des chants,
des mélodies des doubles flûtes et des cithares, auxquelles se mê-
laient les cris et les rires des convives applaudissant à l'adresse des
histrions, ou aux poses lascives des danseuses. »
Ces danses, ces jeux, ces chants, nous les retrouvons chez tous
les peuples de l'antiquité. Les Hébreux eux-mêmes, qui forment,
avec les Grecs et les Romains, la trilogie des peuples généralement
cités, en étaient friands. Voyez Isaïe, voyez Mathieu, ils vous par-
leront de divertissements mélodieux et chorégraphiques pendant les
repas des riches :
La harpe et le luth, le tambourin, le luth et le vin, animent leurs festins;
mais ils ne prennent point garde à l'œuvre de l'Éternel. (Isaïe, V, 2.)
. . . Or, lorsqu'on célébra l'anniversaire de la naissance d'Hérode, la fille
d'Héfodias dansa au milieu des convives et plut à Hérode, de sorte qviUl
promit avec serment de lui donner ce qu'elle demanderait. {M.'lIbiev.XTV,^.)
Eût-on un doute, que le célèbre tableau des Noces de Cana le dis-
siperait. Ce n'est pas sans raison que son auteur a placé, devant
la table, des instrumentistes destinés à distraire les convives.
On sait que Paul Véronèse avait eu la singulière idée de grouper
les souverains de son époque dans cette toile exécutée pour le
réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore. Sauf le marié, qui
représentait Alphonse d' Avales, marquis du Guast, et, parmi les
invités, la belle Victoria Colonna, tenant un cure-dents à la main,
les autres figures de cette vaste composition personnifiaient des
rois, des reines et des princes. La mariée n'est autre qu'Eléonore
d'Autriche, reine de France ; près d'elle, François I"', avec un
chapeau extraordinaire ; puis. Marie Tudor. fille d'Henri VIII ; plus
LE MENESTREL
381
loin, le sultan Soliman, assis près d'un prince nègre ; et enfin, après
une série de notables convives, de profil, à l'angle de la table,
Gbarles-Quint, portant la Toison d'Or.
Plus intéressant est le groupe des musiciens. L'auteur s'y est
représenté lui-même avec trois de ses confrères et compatriotes
véronais. C'est lui qui est en blanc, jouant de la viole ; le Tintoret,
assis près de lui, promène l'archet sur son violoncelle; en face, le
Titien, avec sa basse, et Jacopo Bassano le vieux, avec sa flûte.
Eûtre tous, le peuple hébraïque est celui qui a le moins changé
ses coutumes. Il n'est donc pas besoin de remonter à un chroni-
queur chaldéen ou égyptien pour avoir le récit d'un festin mitigé de
musique et de danses chez les enfants d'Israël. Veut- on de la
couleur, du mouvement, de la vie ? Nous trouverons tout cela dans
une page que le grand peintre Eugène Delacroix a consacrée à une
nocejuive au Maroc, pour accompagner un de ses dessins représentant
un vieux juif raclant, avec un archet en forme d'are, une petite
guitare qui ressemble à une moitié de poire.
Après avoir fait observer « que les grands événements de la vie
juive sont marqués par des actes extérieurs qui se rattachent aux
usages les plus anciens », l'auteur nous fait assister aux fiançailles,
entourées d'un grand apparat. Pendant plusieurs journées c'est un
mouvement perpétuel d'allées et de venues dans la maison de la
jeune fille, au milieu de repas interminables, qu'accompagnent, jour
et nuit, les chants et les danses. Mais la fiancée n'assiste pas à
ces fêtes. Reléguée dans une chambre obscure, enveloppée d'une
grande étoffe qui la dérobe presque entièrement aux regards, elle
se tient, les yeux constamment fermés, au milieu de ses compagnes
parées de leurs plus beaux atours, mais qui n'ont pas l'air de s'oc-
cuper d'elle. Parfois, les parents, avec quelques invités de choix,
viennent se réfugier dans cette pièce, pour se mettre momentané-
ment à l'abri des bacchanales ambiantes, mais ils aflfectent le même
dédain à l'égard de la recluse. Dans le reste de la maison, les
visiteurs s'entassent et banquettent sans cesse, au son des instru-
ments criards et des voix nasillardes, qui font rage.
Enfin le grand jour est arrivé... Mais laissons la parole à notre
grand peintre :
« A l'une de ces noces où j'allais comme tout le monde, je trouvai
le passage sur la rue et à l'intérieur de la cour tellement encombré
que j'eus toutes les peines du monde à pénétrer. Les musiciens
étaient adossés à l'un des côtés de la muraille, et tout le tour de la
cour était de même garni de spectateurs. D'un côté étaient les femmes
juives accroupies, dans une toilette de circonstance, ayant particu-
lièrement sur la tète une grande étoffe empesée, posée en travers
au-dessus d'un turban très élevé et très gracieux, qu'elles ne met-
tent qu'à l'occasion des noces.
» Du côté opposé se trouvaient des Maures de distinction, debout
ou assis, qui étaient censés honorer la noce en y assistant. On se
ferait diflicilement une idée du vacarme que faisaient les musiciens
avec leurs voix et leurs instruments. Ils raclaient impitoyablement
d'une espèce de violon à deux cordes, qui est particulier à ce pays
et qui ne rend que du bruit et que du son. Ils avaient aussi la gui-
lare mauresque, qui est un instrument très gracieux par sa forme,
et dont les sons ressemblent à ceux de la mandoliriC. Ajoutez à cela
le tambour de basque qui accompagne tous les chants. Mais ces
chants, dont le mérite semble consister à être criés, sont la partie
vraiment assourdissante du concert; leur monotonie contribue aussi
à les rendre fatigants.
» C'est avec tout cet accompagnement-là que viennent tour à tour
se produire les danseuses. Je dis les danseuses, parce que les femmes
seules se livrent à cet exercice que, sans doute, la gravité des hommes
est censée leur interdire. Toutes les personnes qui ont été à Alger
connaissent celte danse, qui est, je crois, commune à tous les pays
orientaux, et qui serait regardée chez nous, au moins dans les socié-
tés qui se respectent, comme de très mauvais goût.
» Il ne faut qu'un très petit espace pour les danseuses, qui ne
paraissent qu'une à une. Quand chacune d'elles a fini cette courte
représentation, qu'elle varie suivant son goût et son art particulier,
les personnes de l'assistance qui veulent bien marquer de l'intérêt
cherchent dans leur poche quelque argent destiné à récompenser les
musiciens. Mais il est d'usage, avant de déposer l'offrande dans un
plat qui est disposé à cet effet, d'aller toucher de la pièce de mon-
naie l'épaule de la danseuse qu'on préfère.
» Quand arrive la fin du dernier jour que l'épouse doit passer
sous le toit de ses parents, et avant d'aller habiter avec son mari,
on la pare, on lui met sur la tète une espèce de mitre composée
d'une quantité de fichus qui s'entassent les uns sur les autres, mais
de manière à ce qu'on ne voie passer qu'une très petite partie de
chacun. Elle est placée sur une table, assise contre la muraille et
aussi immobile qu'un terme égyptien. On lui tient élevés près de la
figure des chandelles et des flambeaux, pour que l'assistance jouisse
à son aise de toute la cérémonie de cette toilette. De vieilles
femmes font à côté d'elle un bruit continuel en frappant avec leurs
doigts sur des petits tambours formés avec du parchemin tendu sur
des espèces de pots en terre, peints de diverses couleurs. D'autres
vieilles lui peignent les joues, le front avec du cinabre ou du
henné, ou lui noircissent l'intérieur des paupières.
» Au bout d'un certain nombre de pratiques qui se rattachent à
sa parure, elle est enlevée de cette espèce de tribune, comme on
ferait d'une statue, et voici le moment de l'entraîner hors de la
maison paternelle. A moitié posant sur ses pieds, à moitié soulevée
par-dessous les bras, elle avance, suivie et entourée de tous les assis-
tants. Au-devant d'elle marchent à reculons, jusqu'à la demeure du
mari, des jeunes gens portant des flambeaux. On retrouve ici,
comme à chaque pas, dans ce pays, les traditions antiques. Rien
n'est singulier comme la marche de cette malheureuse, qui, les
paupières toujours closes, semble ne faire aucun mouvement qui
naisse de sa volonté ; ses traits sont aussi impassibles devant cette
procession que pendant tout le temps de ses autres épreuves.
» C'est en cet équipage qu'elle arrive chez l'époux, où, sans doute,
elle doit regarder comme son plus grand bonheur d'être débarrassée
de tant d'assiduités. »
(A suivre.)
Edmond Neuko.m.-u et Paul d'Estiiée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres : La courte série de représentations françaises à
Covent-Garden a pris fin la semaine dernière avec Philémon et Baucis, le
Rèce et Carmen. Le succès remporté à Londres par les excellents artistes
de rOpéra-Gomique, M""« Deschamps et Simonnet et MM. Bouvet, Engel
et Lorrain, auxquels il faut ajouter le chef d'orchestre M. Jehin, ne s'est
pas démenti un instant. Dans une courte allocution prononcée le dernier
soir, sir Aug. Harris a proclamé son intention de nous ramener ces
artistes français, accompagnés d'autres encore. Il a aussi posé le principe
que les opéras des grands maîtres devaient être représentés dans leur
langue d'origine. Après cette double déclaration, il est permis de supposer
que l'élément et le répertoire français tiendront une place importante dans
la grande saison de l'été 1892 à Covent-Garden. Il est cependant ques-
tion d'y organiser également une série de représentations allemandes,
principalement wagnériennes, avec M. Van Dyok dans la lla/Ai/ne et
Siegfried. Une entreprise rivale s'occupe, dit-on, aussi d'une saison d'opéra
allemand qui précéderait celle de Covent-Garden, et pour laquelle on
serait en pourparlers avec M'"=s Sucher, Meilhac, Stautigl, MM. Alvary,
Reichmann et autres artistes distingués. — La saison italienne de
M. Lago, qui se termine samedi, a été marquée par le succès très soutenu
de la Cavatteria rusticana. Toutes les autres tentatives de résurrection de
M. Lago, y compris celles de la Cenerentola, d'Orphée et du Matrimonio
segreto ont échoué et n'ont servi qu'à fournir des fragments en guise de
lever de rideau à l'opéra de Mascagni, qui a aussi obtenu la faveur spé-
ciale d'une représentation devant la reine, à "Windsor. — L'Ojxto rojjal
Anglais annonce brusquement sa fermeture pour la fin de la semaine. La
direction n'aurait pas réussi à obtenir la résiliation à l'amiable des artistes
devenus inutiles par l'abandon i'Ivanhoc, et, ne pouvant tenir tête
avec un budget aussi exorbitant, elle a eu recours à ce moyen extrême.
Il est cependant question de réorganiser la troupe, diminuer les frais et
reprendre plus tard les représentations de la Basoche. Ce qui aurait encore
mieux valu, c'est un répertoire de cinq ou six opéras dès le début de
l'entreprise. A. G. N.
— Les journaux anglais publient la note suivante, que les auteurs fran-
çais feront bien de méditer: « Au programme du concert donné le 18 cou-
rant par M"* Ethel Bauer et son frère Harold, figuraient trois duos pour
violon avec accompagnement de piano de M. Benjamin Godard. M"= et
M. Bauer ont reçu de M. Moul, agent des compositeurs français, un avis
portant que ces pièces ne pouvaient être jouées en public sans l'acquitte-
ment d'un droit. Gomme il était trop tard pour changer le programme,
M"" Bauer paya la somme demandée et pria M. Moul do lui remettre la
liste des œuvres soumises à un droit d'exécution, afin qu'à l'avenir elle
s'abstienne de les jouer publiquement. M. Moul refusa de communiquer
cette liste. Avec tous le respect qu'on doit au génie des compositeurs
français, nos contemporains, il faut leur faire observer qu'en réclamant
une somme d'ailleurs dérisoire pour l'e-xécution de leurs œuvres, ils
prennent le moyen le plus sûr de limiter ici la vente de ces œuvres et
de s'aliéner les personnes qui seules seraient à même de provoquer
l'extension de cette vente ! »
38â
LE MENESTREL
— Les Iriandais ne peuvent se passer de musique, même en voyage. La
Compagnie du chemin de fer de Waterford et Limerick, soucieuse du bien-
être de ses voyageurs, vient de s'attacher une armée de musiciens qui
accompagneront tous les trains de son réseau. Espérons que cela ne don-
nera pas de distractions aux mécaniciens !
— La treizième et dernière représentation de l'Ainico Frit::, de M. Mas-
cagni, qui devait être donnée l'autre samedi au Costanzi de Eome, n'a pu
avoir lieu, l'interprète principal, le ténor De Lucia, ayant perdu son père.
La direction a du rembourser le prix des places retenues d'avance. La
première représentation de l'ouvrage n'a pas produit moins de 17,b00 francs ;
les huit suivantes ont donné une recette totale de 38,000 francs, soit une
moyenne de 7,208 francs par soirée; la première de l'Amico Fritz à la Per-
gola de Florence, a dû avoir lieu jeudi dernier, avec M"" Dardée dans le
rôle de W<^ Calvé, appelée à Paris pour les répétitions de Cavalleria rusti-
cana àrOpéra-Comique; toutes les places étaient retenues depuis plusieurs
jours déjà.
— Puisque nous parlons encore du jeune Mascagni, qui décidément est
né sous une heureuse étoile, rapportons ce que dit à son sujet un journal
de Florence, il Baiardo : — « Bien que le maestro Mascagni ait dit l'autre
jour, en dînant avec deux de ses amis et des nôtres, qu'il désirait voir
donner la première représentation de son opéra les Rantzau sur notre théâtre
de la Pergola, il ne s'en montrait pas pourtant certain, cet ouvrage étant
déjà vendu par lui à l'éditeur Sonzogno ; celui-ci pourtant ne voudra sans
doute pas contrarier le désir de son ami, ni refuser une primeur si savou-
reuse à Florence, devenue maintenant sa ville d'adoption. Nous savons
néanmoins encore que la partition des Rantzau sera, d'après une aimable
et gracieuse pensée, dédiée par Mascagni à la ville de Rome, qui l'a
déclaré et proclamé grand artiste. L'Amico Fritz a été dédié par Mascagni
à son mécène Sonzogno, et celui-ci l'en a remercié gracieusement par un
don princier de 40,000 francs, lui constituant une rente viagère de deux
mille francs par an. Sonzogno a, en outre, après la première représenta-
tion de l'Amico Fritz, fait un riche et joli présent à la signera Mascagni,
consistant en une broche de superbes émeraudes qui vient compléter une
belle parure qu'elle tenait déjà de son mari. »
— Et voici qu'un journal lâche Mascagni pour Verdi. Nous avons dit
qu'un journal venait de se fonder à Milan sous le titre de l'Amico Fritz, et
qu'un autre se préparaît à paraître à Livourne sous le même titre. Mais
celui-ci a craint les elïets d'une confusion inévitable, et pour les éviter,
il s'est décidé à abandonner ce titre pour celui de Falstaff. C'est-à-dire qu'il
a pris )e nom d'un opéra qui n'existe pas encore, du moins pour le
public.
— Au Costanzi de Rome, les représentations de l'Amico Fritz ayant pris
fin, on devait donner cette semaine la première d'un autre opéra nouveau,
Pier Luigi Farnese, paroles de M. Tobia Gorrio (Arrigo Boito), musique de
M. Costantino Palumbo. Les rôles de cet ouvrage étaient distribués à
M"^ Toresella et Synnerberg, au ténor Lazzarini, au baryton Pignalosa et
à la basse Bottero. Mais, par suite d'une indisposition du ténor, la re-
présentation n'a pu avoir lieu.
— Il paraît que M. Riccardo Rasori, l'auteur du iVëron récemment repré-
senté, avec un succès douteux, au théâtre Carcano de Milan, s'était fait
directeur de ce théâtre pour livrer son œuvre au public. Or, une maladie
du principal interprète est venue interrompre les représentations de l'ou-
vrage après la seconde, et les deux premières n'avaient été rien moins que
fructueuses. Si bien que l'infortuné compositeur en est, dit-on, pour
quelque chose comme 10 ou l-ijOOO francs. Ce n'est pas un métier fort
agréable que celui de compositeur en Italie!
— Deux frères, deux Italiens, tous deux compositeurs, cherchent à se
lancer l'un et l'autre dans la carrière. Le premier, M. P. -A. Tirindelli,
professeur de violon au lycée Marcello de Venise, vient de terminer, sur
un poème de M. Corrado Ricci, un opéra intitulé Atenaide; l'autre, M. Giulio
Tirindelli, directeur de la musique municipale de Trévise, vient d'achever
de son côté la partition d'un opéra dont le livret lui a été fourni par
M. Zanardini, et qui a pour titre Sakuntala. Lequel des deux arrivera le
premier? Peut-être ni l'un ni l'autre.
■ — Au théâtre Métastase, de Rome, apparition d'une nouvelle opérette,
Sanlarella, paroles de M. E Minichini, musique de M. Buongiorno.
— Le grand spectacle de gala donné au Politeama de Palerme, à l'occasion
de l'ouverture de l'Exposition, a produit, paraît-il, une jolie recette de
34,000 francs. Voilà un imprésario qui doit se frotter les mains.
— Au théâtre Quirino, de Rome, on a donné, ces jours derniers, la
première représentation d'une opérette nouvelle en trois actes, i Granatieri,
dont la musique, peu originale, mais bien faite et empreinte de gaité, est
due à M. Valente. Un livret amusant et une bonne interprétation ont
contribué au succès.
— Au théâtre Social d'Esté on a représenté un nouvel opéra, intitulé
Aunina, dont l'auteur est le docteur (?) maestro Deola.
— La Wiener Allgcmcine Zcitmig annonce que M'"^ Cosima Wagner a
passé quelques jours à Vienne et y a fait d'importants engagements pour
la prochaine saison de fêtes théâtrales de Bayreuth. M""" Materna et
M. Van Dyck ont signé. Il serait décidé qu'il y aura vingt représenta-
tions, comme cette année, du 21 juillet au ::il août, et que quatre ouvrages
formeront le répertoire : Parsifal, Tristan, Tannliduser et les Miiilro: Chan-
teurs. M. Van Dyck chanterait pour la première fois le rôle de Walther
de Stolzing. Les autres engagements ne seront faits qu'au courant de
l'hiver. A ces nouvelles, le Guide musical de Bruxelles, toujours informé
sous ce rapport, croit devoir faire une rectification. « A propos de
Bayreuth, dit-il, des journaux français et allemands ont reproduit un
bruit d'après lequel M"" Cosima Wagner aurait touché des droits d'au-
teur considérables sur les représentations de cette année, qui auraient
laissé un gros bénéfice. Cette information est de tous points inexacte :
1" Parce qu'il n'y a pas eu, cette année, un bénéfice énorme, comme on
l'a dit. Les recettes ont été considérables, mais elles ont été entièrement
affectées à payer la mise en scène de Tannliduser, dont les frais ont été
entièrement couverts, ce qui est déjà un résultat magnifique; 2° M""= Wag-
ner n'a jusqu'ici prélevé aucun tantième sur les recettes du théâtre de
Bayreuth, ce théâtre étant considéré par elle, non comme une entreprise
industrielle, mais comme une œuvre exclusivement artistique. Quand une
année laisse un bénéfice, ce bénéfice est mis en réserve, afin d'assurer
l'exploitation l'année suivante et de couvrir les frais d'amélioration et
de renouvellement du matériel, ainsi que l'entretien du théâtre. »
— Au nombre des œuvres que l'Opéra de Vienne compte faire repré-
senter au Cycle Mozart à l'aide duquel il célébrera le centenaire de la mort
du maître, se trouvent deux petits opéras datant de sa première jeunesse.
L'un, la Finla Giardiniera, fut écrit par lui à l'âge de douze ans seulement;
l'autre, Bastien und Basticnne, dont le poème est d'origine française, fut
composé pour les fêtes du carnaval de Munich, en 1774.
— Liste des ouvrages du répertoire français représentés dernièrement
dans quelques-uns des principaux théâtres d'Allemagne : Berlin : Carmen,
le Prophète. — Cassel : Robert le Diable, les Huguenots (2 fois), l'Africaine. —
Cologne : Le Prophète, le Roi malgré lui. — Dresbe ; Faust, le Maçon, Robert le
Diable, Guillaume Tell, Zampa. — Francfort : La Juive, Faust, le Prophète,
Mignon, Lakmé. — Leipzig : Faust, Jean de Paris (3 fois), le Prophète, la Dame
blanche, Carmen. — Manniieim : le Maçon (2 fois), le Prophète, les Huguenots. —
Munich : le Postillon de Lonjwneau, Faust, le Prophète. — Pestii : Sylvia (2 fois),
Carmen, les Huguenots (2 fois), Faust (2 fois), Guillaume Tell. — Vienne : la Fille
du régiment (2 fois), les Dragons de Tillars, la Juive, Manon (2 fois), Coppélia,
les Deux Journées.
— Le nouvel édifice de l'Opéra allemand, le plus somptueux de toute la
Hollande, vient à peine d'être inauguré qu'on en annonce déjà la vente aux
enchères publiques. On croit qu'il n'abritera plus d'entreprise artistique.
— Le premier des quatre concerts populaires de la saison aura lieu à
Bruxelles le 6 décembre. Le programme comprendra nombre d'œuvres
nouvelles : En Italie, symphonie de Richard Strauss, jeune compositeur
allemand qui s'est fait en ces dernières années une grande et rapide
renommée; une Rêverie orientale et la Première sérénade d'Alexandre Glazou-
noff, le plus jeune et le plus audacieux des musiciens russes contempo-
rains ; le concerto de piano dédié par Tschaïkowsky à Hans de Billow,
exécuté par M. Camille Gurickx, le successeur du regretté Auguste Dupont
au Conservatoire de Bruxelles ; l'ouverture de Sakountala, de Cari Gold-
mark; enfin, la Lustpiel-Ouverture] de Smetana, le fameux compositeur
tchèque.
— On est en train de placer, dans la cathédrale d'Anvers, un orgue
monumental de quatre-vingt-dix jeux, sortant des ateliers de M. Schyven,
le renommé facteur belge. M. Gh.-M. Widor a été prié d'aller inaugurer
ce nouvel instrument, à une séance solennelle qui aura lieu, à cet effet,
le 17 décembre prochain.
— Ainsi que nous l'avions annoncé, M. H. Kling a donné à l'Aula, de
Genève, deux conférences intéressantes sur deux musiciens genevois,
Bovy-Lysberg, l'auteur de tant de jolies compositions pour le piano que les
artistes français apprécient depuis longtemps, et Franz Grast, un musicien
fort remarquable, quoique moins connu de notre public. « D'après la cri-
tique actuelle, dit M. Kling, tout ce qui a été fait avant Wagner doit être
considéré comme des essais plutôt que comme des œuvres d'art ayant
quelque valeur. Cette critique admire ou feint d'admirer les génies qui
ont précédé l'auteur de Lohengrin. On parle avec complaisance de la
naïveté d'Haydn, de la tendresse de Mozart, des élans sublimes de Beetho-
ven, mais parce que ces génies sont encore debout et qu'on n'ose pas
encore les attaquer. A entendre ces mêmes critiques, Rossini était un
farceur et Auber ne savait que composer des contredanses. Il y a donc du
courage, dit le conférencier, à venir parler et évoquer le nom et les œu-
vres d'un compositeur genevois, d'un auteur vieux-jeu, comme le diront
certaines gens, qui eut pourtant son heure de célébrité et était doué d'un
talent peu commun. Bovy a laissé des œuvres lumineuses, bien ordonnées,
d'une facture élégante, toutes empreintes de sa personnalité séduisante. »
L'appréciation du talent de Bovy-Lysberg, accompagnée de l'exécution de
plusieurs de ses morceaux, a été vivement applaudie. M. Kling n'a pas
obtenu moins de succès dans la seconde conférence qu'il a consacrée à
Franz Grast, auteur de mélodies vocales charmantes et pleines de saveur
et qui doit surtout sa renommée, dans sa patrie, aux deux partitions
extrêmement remarquables qu'il écrivit pour les deux grandes fêtes des
vignerons de Vevey, en 1831 et en 1863. L'audition de divers morceaux
tirés de ces deux œuvres importantes a produit le plus grand effet.
LE MENESTREL
383
— Le 16 novembre a eu lieu à Zurich l'inauguration d"un monument
élevé à la mémoire d'un des artistes les plus distingués de la Suisse,
Guillaume Baumgartner, qui, né vers 1820, mourut, dans toute la force de
l'âge, au mois de mars 1867. Baumgartner s'acquit une grande renommée
dans sa patrie, par la composition d'un grand nombre de chants à une ou
-plusieurs voix, avec ou sans accompagnement, chansons comiques, chœurs,
etc., dont la plupart ont été publiés à Saint-Gall, où il fut directeur de
musique, à Ofïenbach et à Leipzig. L'un de ses plus grands succès fut le
chant patriotique: 0 inein Heimatland, o inein Vateiiandl Le monument
qu'on vient de lui élever sur la Platz promenade de Zurich consiste en un
buste grandiose, placé sur un piédestal de marbre noir. La cérémonie a
eu lieu en présence de plus de vingt sociétés chorales zuricoises, des dé-
légués d'un grand nombre de sociétés chorales et musicales des diverses
parties de la Suisse et d'une foule immense de spectateurs désireux de
rendre hommage à l'un des compositeurs les plus populaires du pays. Il
va sans dire que la musique était de la fête et que plusieurs sociétés se
sont fait entendre, aux grands applaudissements des assistants.
— La Société des facteurs d'instruments de musique de New-York vient
de prendre une décision tendant à l'adoption du diapason normal. La plu-
part des grands orchestres des théâtres et concerts américains avaient
.déjà devancé cette résolution. A ce sujet, le Dailtj Neivs lait remarquer
qu'en Angleterre, et notamment à Londres, la question de l'uniformité du
diapason en est à peu près au même point qu'il y a vingt ans. Les fac-
teurs de piano emploient généralement un diapason élevé pour les instru-
ments de concerts et un autre plus bas pour ceux qu'on livre aux particuliers.
La grande difBculté qui s'oppose à l'adoption du diapason normal dans
les concerts symphoniques vient des facteurs d'orgues, qui ne peuvent se
résoudre à la dépense considérable que nécessiterait pour eux l'abaisse-
ment du diapason au niveau normal. Dans les théâtres anglais, c'est l'a-
narchie complète. Chaque établissement a son diapason spécial ; encore
varie-l-il souvent selon les saisons ou le caprice des chanteuses. En 1878,
les changements effectués à Govent-Garden sur les instances de M°"= Patti
ont coûté plus de 2b,000 francs. L'année suivante, les chanteurs et les
instrumentistes à vent réclamaient un diapason plus élevé, et de nouveau
il a fallu tout bouleverser. Un fait identique s'est produit au théâtre de
Sa Majesté, pour satisfaire aux exigences de M"" Nilsson. D'une année à
l'autre, le diapason du la avait été élevé de 872 vibrations à 890. Malheu-
reusement, ce fâcheux état de choses ne pourra cesser tant que les fac-
teurs anglais n'auront pas conclu entre eux une convention semblable à
celle de leurs confrères américains.
— A peu de distance de San Francisco se trouve un collège connu sous
le nom de Stanford University, qui a été fondé il y a quelques années et
est entretenu par un archiraillionnaire intelligent, M. Stanford. On
annonce que sous peu un conservatoire de musique sera annexé à ce
collège, grâce à la libéralité du même personnage, qui prétend faire de
ce conservatoire le centre des études musicales en Amérique. Voilà certes
une noble ambition. — On assure que dans la bibliothèque publique de
San Francisco se trouve un monument singulièrement précieux, c'est-à-
dire la partition autographe de VEuridice de Caccini, l'un des premiers
opéras représentés à Florence au seizième siècle. Comment peut-il se
faire qu'un manuscrit d'une telle importance pour l'histoire des commen-
cements de l'art musical en Europe, et particulièrement en Italie, ait
ainsi passé les mers et se trouve aujourd'hui dans un des plus grands
dépôts publics de l'Amérique"?
— Une dépêche télégraphique signale le succès obtenu à Mexico par
un nouvel opéra de M. Melesio Morales, professeur de composition au
Conservatoire de cette ville. L'ouvrage a pour titre Cléopàlre. Trois mor-
ceaux ont été bissés, et l'auteur a été l'objet de vingt et un rappels.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Aujourd'hui, à l'Opéra, représentation populaire à prix réduits ; on
donnera Sigurd. A l'Opéra-Comique, en matinée, Lalla Roukh et Mireille;
le soir, Richard cœur de lion et Lakmé.
— La première représentation de Tamara, à l'Opéra, semble d'ores et
déjà fixée au 14 décembre prochain. Les répétitions d'ensemble sont com-
mencées. Le même soir, reprise du ballet la Tempête, d'Ambroise Thomas.
— Toujours grande activité à l'Opéra-Comique. Aujourd'hui dimanche,
reprise de Lalla Roukh, A l'étude, le Càid. En projet, l'Éclair et Paul et
Virginie. Ce dernier ouvrage n'a pas été joué à Paris depuis douze ans
déjà, et M. Carvalho désirerait en faire une reprise solennelle. M."" Richard
ferait ses débuts dans le rôle de Méala. Les représentations de Cavalleria
ruslicana seront probablement retardées jusqu'à la fin de décembre,
M"" Calvé ayant demandé quelque repos après les représentations de l'Ami
Fritz, à Rome, qui se sont succédé bien rapidement les unes sur les
autres, sans laisser aux artistes le temps de souffler.
— M. Rubinstein, le célèbre artiste, est de passage à Paris pour quel-
ques jours. Il retournera dès cette semaine à Pétersbourg, en passant
toutefois par Milan, où il est appelé par diverses affaires. Il a remis entre
-les mains des éditeurs du Mérteslrel le manuscrit de son intéressante étude ;
la Musique et ses Représentants. Bonne fortune pour nos lecteurs qui auront
ainsi cette curieuse primeur. L'ouvrage doit paraître simultanément en
russe, en français, en anglais et en allemand. C'est M. Michel Delines qui
écrit la traduction française.
■ — Le ténor Van Dyck et la cantatrice Marcella Sembrich ont été
nommés « chanteurs de la chambre » de l'empereur d'Autriche-Hongrie,
à la suite du concert donné le 20 novembre à la cour, la veille du mariage
du prince Frédéric-Auguste de Saxe avec l'archiduchesse Louise de Tos-
cane. C'est un honneur très recherché des artistes et qui ne compte
guère plus d'une vingtaine de titulaires, parmi lesquels notre grand chan-
teur français Faure.
— M. Colonne poursuit avec persévérance la mission qu'il s'est donnée
de faire entendre les symphonies de Beethoven dans leur ordre chronolo-
gique. L'exécution de la symphonie en ut mineur a été excellente. C'est
du reste une de celles dont l'exécution offre le moins d'efforts : sobre de
développements, admirablement conçue, marchant au but dans un ordre
serré,passionnée, énergique, elle emporte malgré lui l'interprète, le pénètre et
fait qu'il arrive sans efl'orts à la plus admirable des conclusions. M. Auguez
a dit d'une façon remarquable /fs Deux Ménétriers, de César Gui, composi-
tion qui renferme des passages d'une rare délicatesse et mérite les applau-
dissements qu'on lui a donnés. — Un des grands intérêts du concert était
la deuxième audition de la suite d'orchestre de M. Widor, Conte d'avril.
Cette musique, faite pour être adaptée à une pièce de Shakespeare traduite
par M. Dorchain, est intéressante au plus haut degré. Le Ménestrel en a
déjà fait l'analyse. Disons seulement que les fragments les plus applaudis
ont été le Nocturne, très mélodieux, qui a été l'objet d'un très grand succès
pour le flûtiste Cantié, la gracieuse Sérénade illijrienne, l'Aubade, et surtout
les derniers morceaux de la seconde partie: le Mélodrame, la Guitare et la
Marche nuptiale. Le succès de la musique de M. Widor a été très grand
et très légitime. — M. Diémer a dit avec son talent accoutumé le beau
concerto de M. Lalo, qui est plutôt une symphonie avec piano qu'un
concerto pour piano. C'est là une œuvre sérieuse, exempte de tout char-
latanisme, et qui fait le plus grand honneur à M. Lalo, un des maîtres de
l'école moderne. Le concert se terminait par deux fragments de Wagner,
le prélude de Tristan et la Chevauchée des Walkyries sur lesquels nous avons
si souvent donné notre avis qu'il nous semble inutile de le répéter.
H. Barbedette.
Concerts Lamoureux. — La Symphonie pastorale a été rendue avec une
si minutieuse précision que les lignes les plus tenues delà trame orches-
trale ont été placées dans dans un relief intense. Le célèbre poème pas-
toral de Beethoven, ainsi interprété, vit dans la mémoire et y reste gravé
avec ses moindres détails. Nous avons été heureux d'entendre un fragment
intitulé Napoli, extrait d'une suite d'orchestre de M. Gustave Charpentier,
prix de Rome de 1887. L'ouvrage dénote une certaine abondance d'idées,
il est bien construit dans une forme toute moderne, et son orchestration
est claire, colorée et vibrante. Le motif de début, assez semblable comme
rythme à ceux qui occupent une si large place dans la musique populaire,
devient ici un élément pittoresque dont il était difficile de se passer. Les
parties intermédiaires de l'œuvre présentent des mélodies larges, très
expressives et d'un caractère rêveur et contemplatif. Le public a été cha-
leureux à juste titre pour cette œuvre écrite avec autant de goût que de
réelle inspiration. — M. Victor Staub a fait entendre le concerto en ut
mineur de M. Saint-Saëns. Le virtuose possède un jeu correct, générale-
ment bien équilibré, précis et sur, avec des qualités brillantes de style et
de composition qui se révèlent par intermittences. L'œuvre de M. Saint-
Saëns présente un ensemble plein de cohésion et remarquable par l'aisance
avec laquelle se modifie et se transforme la substance musicale pour
aboutir à une péroraison imprévue et saisissante au moment où tous les
motifs déjà entendus semblent se concentrer dans le dernier allegro et
prendre tout à coup une allure plus entrainante et plus impétueuse. —
Une « Ouverture pour comédie » de Smetana (1824-1884) a été accueillie
avec un peu de froideur. Elle est brillante, et la mélodie s'y développe
avec un caractère d'imprévu à cause du déplacement de quelques accents,
mais on est déjà familier avec ce procédé, et l'ouvrage ne semble pas
suffisamment consistant pour prendre place au grand répertoire sympho-
nique. Le prélude de Tristan et Yseult et l'introduction du 3'^ acte de Lolien-
grin terminaient le concert. Amédée Bouwrel.
— Programme des concerts d'aujourdhui dimanche :
Chatelet. — Concert Colonne : Symphonie pastorale (Beethoven) ; air d'Hérodiade
(Massenet), par M. Manoury; Kennesse (B. Godard); te Collier de Saphirs (Pierné);
Ravissement (Paul Puget) et le Message (P. Puget), chantés par M. Manoury ; prélude
de Parsifal (Wagner) ; la Chevauchée des Valkyries (Wagner) .
Cirque des Champs-Elysées. — Concert Lamoureux : ouverture de Freischiitz
(Weber) ; symphonie pastorale (Beethoven); Don Juan (Richard Strauss); ouver-
ture de Manfred (Schumann) ; prélude de Tristan et Iseutl (Wagaer) ; marche mi-
litaire fcançaise de la Suite algérienne (Saint-Saëns).
— C'est dimanche prochain, 6 décembre, qu'aura lieu la reprise des
séances de la Société des concerts du Conservatoire, sous la direction de
M. J. Garcin. Les études des chœurs se font en ce moment sous la direc-
tion de M. Paul Vidal, M. Heyberger étant très souffrant depuis plusieurs
mois.
— Loliengrin, de R. Wagner, tel est le titre d'une étude vraiment inté-
ressante que M. Maurice Kulferath vient de publier à la librairie Fisch-
baoher. La première partie, « la Légende et le Drame », est surtout pré-
cieuse, au point de vue historique, par les recherches littéraires dont elle
abonde concernant les sources diverses où Wagner a puisé pour établir le
sujet de son poème, sources françaises et allemandes, poèmes et légendes
384
LE MENESTREL
se succédant, s'entre-oroisant, s'enchevètrant dans les deux pays, avec leur
caractère moral et religieux, leur philosophie, leur psychologie passion-
nelle. Il va sans dire que l'écrivain, qui est un wagnérien de la première
et de Ja dernière heure, admire sans restriction le parti que Wagner a
su tirer de ces éléments divers, et qu'il considère le livret de Lohengrin
comme un modèle scénique à suivre et comme un chef-d'œuvre accompli.
Ceux qui me connaissent, savent déjà que je ne partage guère son avis sur
ce point ; mais son travail littéraire n'en est pas moins, lui-même, un
modèle d'érudition et de critique historique. La seconde partie, consacrée
à la partition, n'est autre chose, on le pense bien, qu'un long dithy-
rambe et un cantique d'admiration continue. Mon admiration n'est pas
assurément aussi complète, bien qu'elle soit profonde pour certaines
parties de l'œuvre. Mais, ici encore, il faut louer l'auteur pour le carac-
tère serré de son analyse, dont la clarté s'augmente encore de nombreuses
citations musicales qui en aident puissamment la compréhension et qui
étaient loin d'être inutiles en un tel sujet. En résumé, à part ses tendan-
ces excessives et un courant d'enthousiasme vraiment fatigant par ins-
tants parce qu'il est trop préconçu, c'est là un écrit excellent en son
genre et d'un intérêt artistique absolument indéniable. A. P.
— Cette semaine a eu lieu, aux Menus-Plaisirs, la première représen-
tation d'une opérette en un acte, un Gars normand, paroles de M. Armand
Véry, musique de M. Charles André.
— Mme jaêll a fait entendre, lundi dernier, petite salle Pleyel, plusieurs
élèves formés d'après la méthode « Le Toucher, » qui ont exécuté avec
des qualités sérieuses plusieurs morceaux classiques et modernes. L'as-
sistance s'est montrée surtout sympathique à deux petites pianistes de dix
ans, M"" Jeanne Caillate et M"'= Eva Boutarel, qui ont joué deux œuvres
de Liszt : la Consolation et la légende de Saint Françoise d'Assise, Prédication
aux oiseaux.
— Une très jolie matinée a eu lieu dimanche dernier chez M""= Rosine
Laborde. M""= Emile Ratisbonne et M. Ronchini ont exécuté plusieurs
morceaux pour piano et violoncelle. M""! de Riva Berni a dit avec beau-
coup de grâce et de finesse plusieurs charmantes poésies, et, parmi les
jeunes élèves, on a distingué M"' Léa de SùdlotT, douée d'une voix solide
et résistante, W^' Bourgeois, qui a bien chanté un air des Pêcheurs de -perles
et M"" Maugé, qui a obtenu un succès de chanteuse et de diseuse dans
deux airs de Manon et dans une scène du Toréador. Cette jeune cantatrice
va chanter le répertoire français à Florence et dans d'autres villes d'Italie.
M. de Riva Berni a tenu le piano d'accompagnement. — Am. B.
— Il était de tradition autrefois à La Rochelle de faire exécuter une
messe le jour de Sainte-Cécile; cet usage, abandonné depuis près de vingt
ans, a été repris cette année par M. Guthmann, le professeur distingué
de la ville. Le dimanche 2'2, à l'église Saint-Sauveur, une messe pour
soli, orchestre et chœurs, de M. Guthmann, a été exécutée sous la direction
de l'auteur avec beaucoup de succès.
— Le dimanche 22 novembre, à l'occasion de la fête de Sainte-Cécile,
le comité de l'Association des artistes musiciens à Nancy a fait célébrer
une messe en musique au profit de l'œuvre. On y a entendu le Kyrie,
le Sanctus et le Benedictus de la messe de Nolre-Dame-de-Sion, de M. René
de Boisdeffre, dédiée à Mgr Turinaz, évêque de Nancy, et dont la première
exécution a eu lieu l'an dernier à Paris, en l'église Saint-Eustache, le
jour de la Sainte-Cécile. L'accueil le plus' flatteur a été fait à cette œuvre
par le public et par toute la presse de Nancy, et le succès obtenu l'année
dernière à Paris n'a fait encore que s'accroitre. L'exécution, habilement
dirigée par M. Gluck, directeur du Conservatoire, a été excellente, et la
quête remise par le délégué Albert Jacquot, au comité de Paris, a été
très fructueuse.
— On nous écrit de Moulins : « Notre Société symphonique a donné sa
trente et unième audition générale le 19 novembre. Concert tout à fait
réussi, où l'on a chaleureusement applaudi, entre autres œuvres intéres-
santes, le charmant ballet du Roi s'amuse, de Delibes, qui a été réellement
bien exécuté sous la très habile direction de M. Louis Pimbel, fondateur
de la Société. Nous avions obtenu le précieux concours du ténor Warra-
brodt, auquel on a fait un magnifique succès...»
— Dimanche dernier a eu lieu, à f,evallois, une très brillante matinée
donnée par M"'' Menon, fondatrice des cours artistiques professionnels,
jlme Thénard, de la Comédie-Française, et M. Veyret s'y sont fait entendre
dans la partie littéraire. M"" Brémond a fait applaudir sa voix fraîche et
sympathique. M"' de Tailhardat a joué avec son talent si élégant et si fin,
plusieurs pièces de Chopin, Schulofl' et Godard.
— La jeune pianiste W"' Henriette Delattre s','st fait très vivement
applaudir à son charmant concert du théâtre Vivienne, le samedi 21 no-
vembre. Elle était entourée d'un groupe d'excellents artistes : M'i^Maguéra,
qui a dit d'une voix vibrante une poésie de M. Degrave; le violoniste
Magnus; le baryton Chardot, qui a rendu avec expression la mélodie Si tu
voulais, de M. Léon Schlesinger, et l'arioso du Roi de Lahore ; les divertis-
sants chanteurs de genre Raynaly et Launay. La soirée s'est terminée par
la représentation de l'opéra-eomique de MM. Degrave et Lerouge, un Modèle,
musique de M. Léon Schlesinger.
— M. A. Lefort reprend le jeudi 10 décembre à 8 h. 1/2, à la salle de
la Société de géographie, ses auditions d'œuvres anciennes et modernes
pour instruments à cordes, instruments à vent, piano et chant. Il y aura
huit concerts pendant la saison d'hiver.
— Cours et leçons. — M. Geloso reprend ses leçons de violon et d'accompagne-
ment, 12, rue Barye, et se propose d'ouvrir, le 15 janvier prochain, un cours
spécial d'accompagoement. — M"» Alice Sauvrezis vient de joindre à ses cours
de piano et de solfège un cours de chant d'ensemble (chœur de temmes), salon
■Wetzels-Colin, 7, rue Bonaparte, le lundi, de 2 à 4 heures.
NÉCROLOGIE
De Honfleur, on nous annonce la mort, à l'âge de 63 ans, de M. Franz
Hitz, qui a écrit un grand nombre de charmantes compositions pour le
piano, dont plusieurs jouissent encore d'une vogue très méritée.
— De Saint-Sébastien , on annonce la mort d'un violoniste habile,
Fermin Barec, directeur de l'Académie de musique de cette ville. Il avait
fait son éducation musicale au Conservatoire de Bruxelles, où il avait
remporté un premier prix de violon.
— Un ancien chanteur qui parait n'avoir pas été sans talent, Giuseppe
Mazzi, est mort victime d'un assassinat, dans un pays du Trentin dont les
journaux ne nous font pas connaître le nom.
— La malheureuse troupe que les impresari Ducci et Ciacchi avaient em-
menée à Rio-Janeiro n'a pas seulement été victime des événements poli-
tiques qui troublaient le Brésil; la fièvre jaune l'a décimée aussi d'une
façon terrible et ne lui a pas enlevé moins de quatorze des artistes qui la
composaient. Parmi ces infortunés, on cite deux danseuses, M"|=s Bavagnoli
et Lovera, le premier violoncelle de l'orchestre, nommé Asioli, le chef
machiniste Tancredi Osti, quatre choristes hommes, une choriste femme
et divers autres dont on ne donne pas les noms.
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l. La musique et ses représenlants (1" article), Antoine RuniNSTiiiN. — II. Bulletin
théâtral, H. M. — III. Musique de table : En Orient (3' article), Edmond Ni;u-
KOMM et Paul d'Estiiée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
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On trouvera à la 81= page de ce numéro la liste des Primes gratuites
que nous offrons à nos abonnés du 1"', 2« et 3" mode pour l'année 1892, la
cinquante-huitième de la publication du MÉNESTREL. Comme toujours
nous avons cherché à donner à ces primes le plus d'intérêt et de variété
possible. On y trouve réunis les mélodies du maitre Massenet et sa dernière
partition LE MAGE ; une pantomime et un NOËL de Paul Vidal, ce même Noël
qui l'a placé de suite en si grande évidence; la délicieuse partitionnette de
CONTE D'AVRIL, de Ch.-M. Widor, dont le succès a été si vif aux derniers concerts
du Chàtelet ; un ballet, LE RÊVE, de M. Gastinel ; une opérette de Victor Roger ;
LA CHANSON DES JOUJOUX, de Blanc et Dauphin, recueil dont les cent dessins-
aquarelles d'Adrien Marie font une véritable œuvre d'art; et enfin l'humoriste
Mac-Nab lui-même, avec le '2' volume de ses CHANSONS DU CH4T NOIR illus-
trées par Gerbault, un éclat de rire en douze chansons. Voilà certes de la
diversité.
Nous avons en préparation, pour l'année prochaine, nombre de travaux
littéraires de nature à intéresser nos lecteurs musiciens. Dès aujourd'hui,
nous avons la bonne fortune de leur offrir une étude à sensation d'Antoine
Rubinstein sur LA MUSIQUE ET SES REPRÉSENTANTS ; le grand artiste s'y exprime
librement sur les choses de son art, avec une franchise et une fermeté
qui indisposeront peut-être certaines gens, mais qui rempliront d'aise le
cœur des autres. Nous avons la coquetterie de faire observer que c'est là
une œuvre complètement inédite, une primeur de haut goût, dont M. Delines
a bien voulu faire pour nous la traduction française d'après le manuscrit
russe lui-même. Nous terminerons ensuite la curieuse HISTOIRE D2 LA
SECONDE SALLE FAVART, de MM. Albert Soubies et Charles Malherbe, si pleine de
documents pour l'histoire de la musique, et nous reprendrons l'HISTOIRE
ANECDOTIQUE DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE, de M. André Martinet, qu'une
fâcheuse indispostion de notre collaborateur nous a contraints d'inter-
rompre. On a déjà lu les iiremiers chapitres d'une amusante étude sur la
MUSIQUE DE TABLÉ de MM. Edmond Neukomm et Paul d'Estrée, ceux-mêmes qui
nous avaient donné cette autre suite d'articles si attachants sur NAPOLÉON
DILETTANTE, dont le succès n'a pas été oublié. Enfin, M. Charles Darcours, le
critique musical si remarquable du Figaro, nous prépare une HISTOIRE DES
PRIX DE ROME, qui nous sera également précieuse. Nous espérons ainsi
continuer à mériter l'estime et la faveur do nos fidèles abonnés.
LA MUSIQUE ET SES REPRÉSENTANTS
ENTRETIE.N SUR LA MUSIQUE
P.iR
M""^ de ***, m'ayant honoré d'une visite à ma villa de
Peterhof, exprima le désir, après les compliments d'usage, de
visiter ma demeure. Dans la salle de musique, elle remarqua
sur les murs les bustes de Bach, de Beethoven, de Schubert,
de Chopin et de Glinka et, très étonnée, me demanda:
— Pourquoi ces bustes, et pas ceux de Hœndel, de Haydn,
de Mozart et autres maîtres?
— Ces bustes sont ceux des maîtres que je vénère le plus
dans mon art.
— Vous n'avez pas de vénération pour Mozart ?
— L'Himalaya et le Ghimboraço sont les plus hautes cimes
de la terre, ce qui ne veut pas dire que le mont Blanc soit
une petite montagne.
— Mais tous voient en Mozart cette cime dont vous parlez,
car, dans ses opéras, il nous a donné ce que l'art musical
peut exprimer de plus beau.
— Je considère l'opéra comme un genre secondaire dans la
musique.
— Alors, vous êtes en opposition avec les idées modernes,
d'après lesquelles la musique vocale est la plus haute expres-
sion de l'art musical.
— Oui, je suis en opposition avec ces idées: 1» parce que
la voix humaine limite la mélodie, ce que ne fait pas l'ins-
trument et ce qui est une contrainte pour les libres disposi-
tions de l'âme, joie ou douleur; 2" parce que les paroles,
fussent-elles des plus belles, ne peuvent exprimer les senti-
ments qui remplissent l'âme, ce qu'on a appelé très justement
« r inexprimable » ; 3° parce que, dans la joie la plus vive comme
dans la douleur la plus profonde, l'homme peut bien entendre
chanter en lui-même une mélodie, mais qu'il ne pourra ni
ne voudra y adapter des paroles; 4° parce que jamais, dans
aucun opéra, on n'a entendu et on n'entendra le tragique que
nous trouvons, par exemple, dans la seconde partie du trio
en ré majeur de Beethoven, ou dans ses sonates op. 106,
seconde partie^ et op. MO, troisième partie, ou dans ses qua-
tuors pour instruments à cordes, dans les adagios en fa ma-
jeur, en mi majeur et fa mineur, ou dans le prélude en mi
bémol mineur du « clavecin bien tempéré » de Bach, ou dans
le prélude en i)ii mineur de Chopin, etc., etc.. De même,
aucun Requiem, même celui de Mozart (à l'exception du Confu-
tatis lacrimosa), ne produit cette impression poignante que
donne la seconde partie de la Symphome héroïque de Beethoven,
qui est à elle seule tout un requiem. Je ne vous dissimulerai
386
LE MENESTREL
pas que, pour moi, l'ouverture de Léonore n" 3 et l'introduc-
tion du deuxième acte de Fidelio expriment ce drame avec
plus d'intensité que l'opéra tout entier.
— Mais il y a des compositeurs qui n'écrivent que de la
musique vocale. Est-ce que pour cette raison vous ne les
estimez pas?
— Ils sont à mes yeux comme un homme qui n'aurait que
le droit de répondre aux questions qu'on lui pose et nulle-
ment d'interroger, ni d'exprimer ses idées propres.
— Pourquoi donc tous les compositeurs et même Beethoven
ont-ils tenu à écrire des opéras?
— Ils sont séduits par l'espoir d'être appréciés plus
promptement du public et aussi par cette idée qui les flatte
de voir des dieux, des rois, des évêques, des héros, des
paysans, en un mot des hommes de tous les pays et de tous
les temps, agir et chanter à leur gré, d'après leurs propres
mélodies. Mais pour moi, j'apprécie davantage la faculté que
possède le musicien de raconter lui-même, sans passer par la
parole, leurs faits, leurs gestes et leurs pensées, et cela n'est
possible que dans la musique instrumentale.
— Mais le public préfère l'opéra à la symphonie.
— Parce que le public comprend plus facilement l'opéra.
Outre l'intérêt qu'excite chez lui le sujet de la pièce et la
marche de l'action, les paroles viennent encore lui révéler
le sens de la musique sans qu'il puisse s'y tromper. Pour
goûter pleinement une symphonie, il faut avoir une réelle
initiation musicale; une partie infime du public a seule
cette compréhension. La musique instrumentale est l'âme de la
musique, mais il faut savoir pénétrer, pressentir, fouiller cette
âme ; le public n'est pas toujours capable d'un tel travail
de psychologie. Les beautés des œuvres classiques lui sont,
il est vrai, indiquées dès l'enfance par l'admiration des pa-
rents et par les explications des professeurs. C'est pourquoi
il les écoute volontiers avec un enthousiasme préparé et tout
de convention. Mais s'il avait aujourd'hui à découvrir lui-
même ces beautés, les œuvres des classiques risqueraient
fort de rester dans l'ombre.
— Je vois que vos préférences sont toutes pour la musique
instrumentale.
— Pas exclusivement, mais en tout cas au plus haut degré.
— Mais Mozart aussi a écrit beaucoup de musique instru-
mentale, et dans tous les genres.
— Et de l'infiniment belle musique, mais le mont Blanc
n'est pas une cime aussi élevée que le Ghimboraço.
— Pourquoi alors les bustes de Chopin et de Gluck?
« Comment Saiil se trouve-t-il au nombre des prophètes ? »
— Je risquerai de vous fatiguer et de peu vous intéresser
en vous expliquant tout cela.
— Continuez, je vous prie, mais à condition que je ne sois
pas obligée d'être de votre avis en tout.
— Au contraire, je désire vivement entendre vos objections ;
seulement ne vous laissez pas effaroucher par mes paradoxes.
— Je vous écoute.
— Je me suis toujours demandé si la musique peut, — et
dans quelle mesure — non seulement rendre l'individualité et
l'état d'âme du compositeur, mais encore être en quelque so rte
comme l'écho du temps où elle se produit, le reflet des
événements contemporains, et même donner l'indication du
degré de culture de la société qui l'a vue naître. Je suis
arrivé à la conclusion qu'elle peut faire tout cela jusqu'au
moindre détail; on peut presque reconnaître dans la mu-
sique jusqu'aux modes et aux costumes de son époque, sang
parler du « Zopf » (catogan) qui est le signe caractéristique
de toute une période de l'art musical. Mais tout cela n'est
possible qu'à partir du moment où la musique est devenue
une langue indépendante et non un simple commentaire
des paroles, c'est-à-dire depuis l'avènement de la musique
instrumentale .
— Mais on dit que la musique en général ne comporte pas
de caractéristique précise, et que la même mélodie peu
aussi bien exprimer la joie ou la douleur, selon le sens des
paroles qu'on y met.
— Pour moi, la musique instrumentale seule peut servir de
critérium, et je trouve que cette musique est une langue en
son genre, une langue hiéroglyphique, une langue des sons. Il
suffit de savoir déchiffrer ces hiéroglyphes pour lire cou-
ramment ce que le compositeur a voulu exprimer. Reste
alors le commentaire, et c'est en quoi consiste la tâche de
l'exécutant. Ainsi, dans la sonate en mi bémol majeur op. 81
de Beethoven, la première partie est intitulée les Adieux. Pourtant^
le caractère du premier allegro, après l'introduction, ne répond
pas à l'idée qu'on se fait généralement de la douleur des
adieux. Que devons -nous lire dans ces hiéroglyhes ?
L'agitation et les préparatifs qui précèdent un voyage, les
adieux sans fin, la sympathie de ceux qui restent, les diffé-
rentes idées qu'évoque un long voyage, les souhaits de
bonheur, et enfin tous les sentiments qu'on ressent quand on
quitte un être aimé. — La seconde partie est intitulée
V Absence; si l'exécutant est capable de rendre l'angoisse et la
douleur poignantes, il n'a pas besoin d'autres commentaires.
— Dans la troisième partie, le Retour, l'interprète doit détailler
pour l'auditoire tout un poème sur la joie du revoir. Le pre-
mier thème est d'une tendresse ineffable (on y voit presque le
regard humide de bonheur du retour); ensuite vient le con-
tentement de se retrouver fort et en santé, l'intérêt avec le-
quel on écoute le récit des aventures et de la vie qu'on a
menée pendant la séparation, et avec cela toujours et tou-
jours: « Quel bonheur de nous revoir, maintenant tu ne
m'abandonneras plus, je ne te laisserai plus partir! etc., etc. »
Vers la fin encore un regard de tendresse, puis des embras-
sements et le bonheur complet. Peut-on après cela nier que
la musique soit une langue? Sans doute, si l'on se contente
de jouer la première partie dans un mouvement vif, la se-
conde dans un mouvement lent et la troisième de nouveau
dans un temps rapide. Si l'exécutant n'éprouve aucune néces-
sité d'exprimer quelque chose, alors, en effet, la musique
instrumentale n'exprime rien et la musique vocale seule peut
rendre les sentiments humains. Prenons encore pour exemple
la Ballade en la majeur n" 2 de Chopin. Est-il possible que
l'exécutant ne songe pas à montrer successivement par son jeu
à l'auditoire: d'abord une fleur des champs, puis le souffle
du vent, la causerie du vent avec la fleur, la résistance de
la fleur, les emportements du vent, les supplications de la
fleur qui demande qu'on l'épargne, et enfin son agonie. On
pourrait encore l'interpréter de cette façon : la fleur des
champs deviendrait une belle de village, et le vent un
jeune chevalier qui passe. Tout morceau de musique ins-
trumentale peut être expliqué de la sorte.
— Alors, vous êtes partisan de la musique à programme?
— Pas tout à fait. Je suis pour laisser à l'auditeur un pro-
gramme à deviner, mais non pour lui imposer un programme
déterminé à l'avance. Je suis persuadé que tout compositeur
non seulement écrit dans un certain ton, une certaine me-
sure et avec un certain rythme ; mais encore qu'il met dans
son œuvre une certaine disposition d'âme, c'est-à-dire un
programme avec la conviction que l'exécutant et l'auditeur
sauront le pénétrer. Souvent, il donne à son œuvre un titre gé-
néral qui est une indication pour l'exécutant et pour l'auditeur;
c'est d'ailleurs tout ce qu'il faut, car on ne peut prétendre
exprimer par la parole tous les détails d'un sentiment. C'est
ainsi que je comprends la musique à programme et non
comme une imitation voulue, à l'aide des sons, de certaines
choses ou de certains événements. Cette imitation n'est
admissible que dans le genre naïf ou comique.
— Mais la Symphonie pastorale de Beethoven est une onoma-
topée musicale.
— La « Pastorale », dans la musique occidentale (1), est
(1) La Pastorale russe, c'est-à-dire la musique villageoise de ce pays
est d'un tout autre caractère, restant avant tout une musique chorale.
LE MÉNESTREL
387
une caractéristique déterminée de la vie champêtre simple,
gaie, gauche et un peu rude, qui est exprimée par une
quinte tenue sur la tonique de la basse, sous forme de point
d'orgue. L'imitation dans la musique des phénomènes de la
nature, comme l'orage, le tonnerre, l'éclair, etc., etc., est
précisément une de ces naïvetésdont je viens de parler et qui
■est cependant admise dans l'art, ainsi que l'imitation du
coucou et du gazouillement des oiseaux, etc., etc. En dehors
de ces imitations, la symphonie de Beethoven ne rend que
la disposition d'âme des villageois et de la nature, et voilà
pourquoi cette symphonie est une musique à programme
dans l'acception la plus logique du terme.
— Mais le monde romantique, fantastique — comme les
elfes, les sorcières, les fées, les ondines, les sirènes, les
gnomes, les démons, les bons et les mauvais génies — ne
serait pas saisi sans programme dans son expression musi-
cale.
— C'est tout à fait juste, car l'existence de ce monde fan-
tastique repose précisément sur la naïveté de l'auteur et des
auditeurs.
— Pourquoi alors, toute œuvre musicale de notre temps
(à l'exception de celles dont le nom indique la forme, comme
la sonate) a-t-elle un titre, c'est-à-dire une dénomination
programmatique ?
— Dans la plupart des cas, c'est pour satisfaire à un désir
des éditeurs. Ils demandent aux compositeurs de baptiser
leurs œuvres pour épargner au public la peine de chercher
le sens du morceau. En outre, certaines dénominations
comme : nocturne, romance, impromptu, barcaroUe, caprice,
sont devenus des noms stéréotypés, qui facilitent au public
la compréhension et l'exécution du morceau ; sans cela, ces
•œuvres risqueraient d'être baptisées par le public lui-même,
■et il suffit d'un exemple, celui de la Sonate du clair de lune de
Beethoven, pour voir à quels contresens ridicules cela pour-
rait conduire. Le clair de lune demande en effet dans son
expression musicale quelque chose de rêveur, de mélanco-
lique, de pensif, de paisible, en un mot de tendrement lu-
mineux. Or, la première partie de la sonate en m« dièse mineur
est tragique de la première jusqu'à la dernière note (ce qui
est d'ailleurs indiqué par le mode mineur), et par là-même
•représente bien plutôt un ciel couvert de nuages — une sombre
■disposition d'âme ; la dernière partie est orageuse, passion-
née, par conséquent tout l'opposé d'une tendre clarté ; il
n'y a que la seconde partie, très courte, qui puisse, à la
rigueur, rappeler le rayonnement discret de la lune, et pour-
tant c'est cette sonate qu'on a surnommée Sonate du clair de
lune !
— Vous trouvez alors que les titres donnés par les com-
positeurs sont les seuls justes ?
— Non, je ne dirai pas cela. Je ne saisis pas entière-
ment les dénominations données par Beethoven à ses œuvres,
à l'exception de la Symphonie pastorale et de la sonate les
Adieuœ, l'Absence et le Retour. J'accorde qu'il a le plus souvent
dénommé ses œuvres d'après le caractère d'une seule de leurs
parties, d'un seul motif ou d'un seul épisode. Ainsi la Sonate
pathétique a sans doute été ainsi nommée seulement à cause de
son introduction, et de la répétition épisodique qui se trouve
dans la première partie. Car le thème du premier allegro est
d'un caractère vif et dramatique, et le second thème, avec
ses « mordente », est de tous les caractères qu'on voudra,
■excepté du caractère pathétique. Et qu'y a-t-il de pathétique
dans la dernière partie ? Seule, la seconde partie de la sonate
pourrait, si Ton veut, en justifier le titre. — Je pourrais en
dire autant de la Symphonie héroïque. L'expression musicale
de l'idée d'héroïsme exige de la bravoure, de l'éclat, de la
majesté ou du tragique. Or, la première partie n'a aucun
caractère tragique, ce qui est déjà indiqué par le mode
majeur. De même, la mesure à 3/4 est en contradiction
avec le caractère tragi-héroïque. En outre, le legato du
premier thème indique clairement son lyrisme. Le second
thème a un caractère intime..., le troisième est triste. La
symphonie a des passages de « forte », mais cela ne prouve
rien ; on trouve aussi des passages forts dans des œuvres de
caractère mélancolique. Une composition dont tous les
thèmes sont de caractère antihéroïque peut-elle donc être
nommée héroïque? La troisième partie de la symphonie
est de caractère gai, et même de caractère cynégétique.
Dans la dernière partie, le thème (qui aurait pu être du
caractère héroïque, s'il était introduit par les cuivres < forte»)
se présente avec des variations dont deux, tout au plus, ont le
caractère héroïque. Ainsi, le nom d'héroïque a sans doute été
donné à cette symphonie uniquement d'après le caractère
de la seconde partie qui, en effet, répond entièrement à ce
titre, mais dans le sens tragique. Cela nous prouve qu'à
cette époque on pouvait donner à une œuvre un titre auquel
ne répondait qu'une partie de l'œuvre. Aujourd'hui, nous
en jugeons différemment, peut-être avec plus de raison : le
caractère de l'œuvre doit être en harmonie avec son titre
du commencement à la fin.
(Traduit du manuscrit russe par Michel Delines.)
(A suivre.)
BULLETIN THÉÂTRAL
A rOpÉRA, la direction sortante renonce au ridicule de donner,
le 31 décembre, un festival en son propre honneur. Elle garde ses
« grands artistes » pour une meilleure occasion, celle de la centième
représentation de Sigurd, qui est proche. Cela vaut infiniment mieux,
et nous estimons que ces artistes seront plus à leur aise pour chanter
la noble partition de M. Ernest Reyer que pour célébrer la gloire
de MM. Ritt et Gailhard, ce qui n'eût pu aboutir qu'à une série
de couacs lamentables.
La direction entrante prépare tout doucement sa prise de pos-
session pour le 1" janvier. M. Bertrand essaie déjà ses plus gracieux
sourires et M. Campocasso a commandé un habit de gala chez un
tailleur à la mode. Cet habit de fête, si on en croit des bruits de
coulisses, M. Gailhard voudrait bien l'endosser à sa place. Mais
M. Bertrand est un esprit trop fin pour le laisser faire et s'associer
un collaborateur dont le poids d'impopularité ne pourrait que faire
chavirer sa barque, dès la sortie du port.
A rOpÉRA-CoMiQUE, peu d'histoire, donc théâtre heureux. Les résul-
tats de la reprise de Manon sont surprenants. Les « maximums »
s'entassent sur les « maximums », et on n'en voit pas la fin. Malheu-
reusement M"" Sanderson, la fée aux œufs d'or du théâtre, va
quitter Paris au commencement de janvier pour remplir l'engage-
ment qui la lie pour deux mois à l'Opéra de Pétersbourg. Manon
s'en va, mais elle nous reviendra promptement.
Les représentations de Cavalleria rusticana, l'opéra talisman qui
révolutionne en ce moment les deux hémisphères, sont retardées
par suite d'un peu de fatigue de M"" Calvé, sa principale interprète.
En attendant, on nous a servi deux reprises d'Haydée et de Lalla
Rouhh, qui réalisent de belles recettes. Voilà qui est fait pour dé-
concerter les prophètes de Wagner.
Nous avons eu, cette semaine, les premières soirées d'abonnement
du jeudi et du samedi. Salles bondées et extrêmement sélect. On
se serait cru aux « Italiens » de l'ancienne salle Ventadour. Manon
et M"° Sanderson étaient de la fête, et on a fort acclamé la partition
et sa ravissante interprète. M. Carvalho, le gentleman directeur,
entend se mettre à la hauteur d'une si belle clientèle, et il a fait
dans les coulisses et à l'entrée de son théâtre des aménagements
nouveaux d'un confortable très apprécié. De plus, il admet les dames
aux fauteuils d'orchestre, à la condition qu'elles ne portent pas la
colonne Vendôme sur leur tète.
Quoi encore? On pense à Kassya et, à ce propos, les journaux ont
bien mal raconté comment aujourd'hui M. Massenet se trouve sub-
stitué à M. Guiraud pour terminer l'orchestration de l'opéra de Léo
Delibes. Nos confrères, assurément mal informés, laissaient entendre
qu'il y avait eu des discussions d'intérêt entre M. Guiraud et l'édi-
teur de l'ouvrage et que, finalement, on n'avait pu parvenir à s'en-
tendre, tandis qu'au contraire M. Guiraud a fait preuve dès le
début de cette affaire du plus complet désintéressement. Seulement,
il fallait être prêt à tout événement et pour cela marcher vite.
388
LE MEiNESTlŒL
M. Guiraud n'eut peut-être pas demandé mitus, mais il avait lui-
même sur le chantier un grand ouvrage en collaboration avec un poète
pratique (^il yen a), qui n'a pas voulu laisser de répit au compositeur, et
voilà comment M. Guiraud s'est vu dans la nécessité de prier son
ami M. Massonet de bien vouloir le suppléer en la circonstance.
Celui-ci y a consenti avec une grande abnégation et au mépris même
de tous ses intérêts, tant il a senti qu'il y avait là un devoir à
remplir envers la mémoire de Delibes, qui avait été pour lui, durant
la vie, un compagnon dévoué et rempli d'aflection. Et voilà comme
tout simplement un ami se trouve substitué à un autre pour terminer
la tâche d'orchestration laissée inachevée par notre pauvre et cher
Delibes.
Il était bon que les faits fussent rétablis dans leur entière vérité.
H. MORENO.
MUSIQUE DE TABLE
(Suite.)
Il
EN ORIENT
L'auteur de la Noce juive au Maroc nous a conduits aux pays enso-
leillés , restons-y. Aussi bien, un autre peintre de la même époque,
Hippolj'te Flandrin, nous mènera, d'un coup de plume, dans le
royaume des contes et des rêves, — nous avons nommé la Perse, —
où le décorateur de Saint-Vincent-de-Paul accompagna une ambas-
sade française en 1840.
Durant son séjour à Téhéran, notre compatriote prit part à une
fête en l'honneur de notre envoyé, qui eut lieu dans un des plus
beaux palais de la ville.
» Ce fut, nous apprend Flandrin, un très grand dîner, auquel
avaient été conviés tous les hauts fonctionnaires et plusieurs khans
attachés au service du roi.
» Le repas fut très gai, et nous fûmes très cordialement traités
par les Persans auxquels nous étions mêlés. La musique d'un régi-
ment de la garde, qui n'était vraiment pas mauvaise, joua tout son
répertoire pendant le dîner. L'ordonnateur de la fête avait eu la bizar-
rerie de suspendre, par des fils invisibles, au plafond, un soldat assis
sur un tonneau où il jouait du fifre; ce malheureux abusait des sons
aigres de son instrument et nous assourdissait.
» Pendant ce temps-là, de jeunes danseuses tournaient autour de
la table en dansant et s'accompagnant de leurs castagnettes de
cuivre. Le bruit et le vin, que les musulmans ne se refusaient pas,
en grisèrent un grand nombre ; et plus d'un pouvait à peine tenir
son verre quand la santé du Shah fut portée par l'ambassadeur. <>
De tout temps, les Perses furent grands amateurs de musique, et
de musique bruyante, comme tous les Orientaux. Un ambassadeur
d'Espagne au dix-septième siècle, don Garcia Figueron, nous a laissé
cette description de leur instrument favori :
» Leurs tambours de Biscaye, dit-il, sont de la forme des sas dont
l'on sasse la farine en Espagne, sinon qu'ils sont beaucoup plus grands,
et que le cercle qui les ceint n'est pas si large, ayant sur le côté une
peau clouée sur le bord et tendue comme celle de nos tambours; et
c'est là que ceux qui en jouent touchent des doigts de toute leur force.
Il est découvert de l'autre côté et sans peau, et il a, à l'entour, le
cercle chargé de sonnettes do cuivre. Il y a grande apparence que
cet instrument barbare, et ordinaire néanmoins par tout l'Orient, a
passé en Espagne avec les Maures, parce qu'il n'y avait pas long-
temps que l'on s'en servait en plusieurs villages de l'Estramadure,
en tous les festins et en toutes les assemblées de paysans. Mais il
est si commun en Perse, et les Persans trouvent son harmonie si
charmante, que le roi même ne fait pas de festins ou d'assemblées
de divertissements, qu'il ne fasse venir quantité de danseuses qui le
divertissent au son de cet instrument. »
Vers le même temps, un autre diplomate. Thomas Herbert, put
apprécier les mérites du tambour persan, auquel se mêlaient une
foule d'autres instruments non moins charivariques. Voici comment
il raconte son débarquement à Laar, ville située sur le golfe Per-
sique :
« Le Cousy, les Calentes et quelques-uns des principaux de la cité
vinrent au-devant de nous et nous apportèrent un présent de vin
de Schiraz et plusieurs autres rafraîchissants. A peine avions-nous
cheminé un demi-mille plus avant, qu'un vieux poète fit et chanta
des vers à notre louange, auxquels répondait un bruit enragé de
leurs timbales et autres inslruments barbares, de sonnettes, tam-
bours, cymbales de cuivre, flûtes et autres, qui faisaient un tinta-
marre qui nous ôtourdissail, en sorte que nous n'eussions pu ouïr
le tonnerre. Cette musique était accompagnée d'un ballet composé'
de plusieurs danseuses qui accommoiaient la cadence à ce beau con-
cert, et d'une beuverie excessive de quelques gens, qui, après avoir
vidé leurs bouteilles, les cassaient les unes contre les autres, et
tenaient par ce moyen leur partie en cette musique, aussi bien que
les mulets et les ânes, dont le braiement n'est guère plus désagréable
que tout le resle. »
De Perse en Tartarie, la distance n'est pas grande, — les Russes
se sont même chargés de la réduire. Que n'évoque pas le souvenir
du grand Khan de Tartarie, faisant sonner ses trompettes aux quatre
coins de son palais, pour annoncer au monde qu'il avait dîné et
que le resle des rois de la terre pouvait se mettre à table! Mainte-
nant il y a des sous-préfefs chez les Tartares, et quand leurs
administrés donnent un grand dîner, il leur arrive par voie ferrée,
tout cuit, de chez Chevet, qui le leur doit bien, pour leur inven-
tion de l'anguille... à la Tarlare.
Au temps de saint Louis ce mets délectable n'existait pas, et
cependant la civilisation européenne avait déjà pénétré dans la
Grande Tarlaiie; car l'ambassadeur du roi Très Chrétien, le moine
franciscain Rubruquis, rencontra dans ce pays, encore peu connu,
deux Français : un Picard orfèvre et une Bretonne fermière.
Il s'arrêta chez ces braves gens et y fut bien traité. Cette villé-
giature le reposa même des rudes assauts auxquels son estomac se-
trouvait livré depuis quelques temps.
« D'ordinaire, nous apprend notre compatriote, ils boivent une
eau faite de riz, de millet et de miel, très claire, quelquefois du
vin qu'on importe de pays très éloignés; mais, l'été, ils ne se sou-
cient que d'ingurgiter du Cosmos (du Koumis), dont il y en a toujours
de prêt à l'entrée de la porte; et près de là, il y a nu joueur
d'instrument avec sa guitare. Je n'y ai point vu de nos cistres et
violes; mais ils ont beaucoup d'autres instruments que nous n'avons
point.
«Quand ils commencent à boire, un des serviteurs crie tout haut
ce mot : Ah! et, soudain, le ménétrier joue de son instrument;
mais, quand c'est en une grande fête, ils frappent tous des mains
et dansent au son de la guitare, les hommes devant le maître et les
femmes devant la maîtresse. Après que le maître a bu, l'échanson
s'écrie, comme auparavant : Ali! et le ménétrier se tait; et lors tous-
les hommes et femmes boivent par tour, et quelquefois à qui mieux
mieux, mais fort salement et vilainement. »
Le signal se donne parfois d'une façon assez pittoresque, comme
il ressort de celte description d'une fontaine d'argent, fabriquée
sans doute par Picard :
« C'était un grand arbre tout en argent, au pied duquel étaient
quatre lions, aussi en argent, ayant chacun un canal d'où sortait du
lait de jument. Quatre pipes étaient cachées dans l'arbre, montant
jusqu'au sommet. Sur chacun de ces canaux il y avait dos serpents
doiés, dont les queues venaient environner les branches. De l'une
de ces pipes coulait du vin, de l'autre du caracosinos, de la troisième
du bail ou boisson faite de miel, et de la dernière de la terracine
(eau de riz). Au pied de l'arbre, chaque boisson avait son vase
d'argent pour la recevoir. Entre ces quatre canaux, tout en haut,
était un ange d'argent, tenant une trompette que l'on devait faire
sonner avec des soufflets, lorsque le moment de boire serait arrivé. »
La veille de la Pentecôte, par ordre du Grand Khan de Tartarie
Mangu-Cham, il y eut une discussion religieuse entre Rubruquis et
trois secrétaires du prince de trois sectes différentes, qui eurent
droit de réunir leurs partisans. Mais le souverain avait pris soin
d'ordonner « sous peine de mort >> que la discussion fût courtoise.
Le moine eut, paraît-il, la palme du triomphe : il convainquit ses
adversaires par la puissance de son argumentation ; puis, tout le
monde se mit à chanter et à boire largement.
Nous ne quitterons pas ces zones enchantées de la grande et de
la petite Tartarie sans évoquer le souvenir de Tamerlan. Celui-là
savait donner des fêtes telles que nous n'en saurions retracer de
pareilles au cours de ces articles. Après le départ de Bajazel, le-
Roi des Rois, devenu maître tout-puissant de l'Orient jusqu'aux
murailles de la Chine, voulut se délasser pendant deux mois, durant
lesquels tout son peuple fût en liesse. Il avait, on en conviendra,
bien gagné ce repos.
La fête royale fut célébrée à Samarkande, dans une sorte d'Eden,
au milieu de jardins immenses, au centre desquels un architecte
avait, spécialement pour cette circonstance improvisé un palais de
marbre d'une richesse inouïe. Los colonnes étaient couvertes de
LE MENESTREL
389
pierreries, el l'on maioliait sur des parquets d'ébène el d'ivoire.
Pour les invités, qui étaient accourus de Chine, de Russie, des
Indes et d'Egypte, on avait dressé deux cents lentes, dont chacune
était soutenue par douze colonnes d'argent doré. Tout autour de
cette ville d'or et de brocart se dressaient de somptueuses bou-
tiques, où s'entassaient les produits les plus raffinés de l'art orien-
tal, objets précieux, parures, perles, bijoux, parmi lesquels chacun
avait droit de choisir â sa fantaisie. Des représentations drama-
tiques et des concerts se succédaient sans inlerruplion sur cent
théâtres à la fois ; des cortèges d'hommes et de femmes, déguisés
en anges, en fous, en fauves et en brebis, circulaient le soir, au
son des instruments et à la clarté de milliers de lumières ; enfin, de
tous côtés, des baladins, des charmeurs de serpents et des jongleurs
organisaient leurs tours en plein vent.
Trois fois par jour, ce monde entier se mettait à table. Les
champs, les prés disparaissaient sous les nappes, sous les dressoirs
chargés de vaisselle et de victuailles. On avait abattu des forêts
entières pour cuire la venaison. Et l'on buvait, au son des or-
chestres et au spectacle des danses exécutées par des régiments
entiers de bayadères, le koumis, l'hydromel et le vin étendu de
gelées, dans des coupes d'or enrichies de pierres précieuses.
Un édit du prince avait ordonné pour loule la durée de cette fêle
la concorde générale et la liberté la plus entière, la déférence des
riches pour les pauvres et la douceur des puissants envers les fai-
bles. Aucun incident n'en troubla donc la majesté.
La relation de l'envoyé de saint Louis, dont nous avons fait men-
tioQ plus haut, date de 1233 ; mais elle ne fat imprimée qu'en 1634,
époque à laquelle on commençait à s'occuper des pays d'extrême-
Orient, el surtout de la Tarlarie, qui en élait l'ouvrage avancé. Un
peu plus lard, le grand roi, qui avait envoyé des ambassadeurs
extraordinaires en Chine pour se rendre compte des maguificenees
de la cour de Pékin, dont l'entretenaient chaque jour des relations
de voyage, recherchait tous les documents propres à le renseigner
sur un pays et un prince qui excitaient si fort sa curiosité. En-
tre autres pièces qui lui furent soumises se trouvaient les lettres
d'un père jésuite relatant un voyage qu'il avait entrepris dans la
Tartarie occidentale, à la suite de l'empereur de la Chine.
Ces lettres, qui furent publiées en 1682, sont d'une lecture at-
trayante. On voit que le R. P. Verbiest fut loin de s'ennuyer en
compagnie du céleste souverain ; mais il faut dire que celui-ci n'a-
vait négligé aucune attraction propre à tromper les longueurs de la
route. U avait notamment emmené toute sa musique, composée de
tambours, trompettes, timbales et autres instruments, « qui for-
maient des concerts pendant qu'il était à table, et au bout desquels
il entrait dans son palais et en sortait ».
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique ( 3 décembre ). — La marche du
répertoire de la Monnaie a subi quelque contrariété, en ces derniers jours,
parsuile d'une indisposition assez persistante dont souffre notre excellent
ténor, M. Lafarge. Après avoir essayé vainement de la surmonter, l'artiste
s'est vu forcé de prendre un repos nécessaire et d'aller se soigner à Pa-
ris. Cela retarde la reprise de Lohengrin et a retardé aussi celle de Don
Juan. La direction, en attendant le rétablissement de M. Lafarge, s'est vue
forcée de faire appel à un autre ténor pour le remplacer momentanément,
et elle a engagé M. Duzas. La reprise de Don Juan a donc pu avoir lieu
hier, M. Duzas chantant le rôle de don Otiavio, et le chantant de façon à
faire regretter plus que jamais que M. Lafarge fût indisposé. Heureusement,
le rôle a peu d'importance et tout le reste a bien marché. M"° Carrère
a retrouvé son grand succès de l'an dernier dans le rôle d'Elvire, où elle
met un style et un sentiment remai-quables ; M. Sentein est resté un très
amusant Leporello et M"'= de Nuovina une Zerline toujours gracieuse. L'in-
térêt de cette reprise était surtout d'entendre M. Badiali dans le rôle de
Don Juan, chanté ici l'hiver dernier si excellemment par M. Bouvet : il a
été excellent aussi, de façon très différente, avec plus de sobriété et non
moins d'autorité, donnant au personnage une allure plutôt sérieuse que
fringante, accusant les grandes lignes plutôt que s'attardant aux menus
détails; et, avec cela, une voix charmante. Le succès du jeune artiste,
mis désormais en plein relief, a été très vif. On a beaucoup applaudi aussi
M"= Chrétien dans dona Anna ; il s'en faut cependant que ce soit pour
son style et les qualités de sentiment et d'émotion qu'on eût souhaitées;
sa belle voix a sur le parterre une action puissante, et c'est elle seule qui
a tout fait, cette fois encore ; seulement, M"= Chrétien agirait avec prudence
en la ménageant un peu, et en cherchant le saccès ailleurs que dans les
cris. — On annonce pour bientôt Barbcrinc, l'opéra-comique inédit de M. de
Saint-Quentin, et nous aurons Lohenç/rin dès que M. Lafarge sera rétabli,
en attendant Chcvakrw ruslique, qui sera chaulé par M"'= de Nuovina et
M. Seguin. A signaler aussi une reprise de Mireille, avec M"^ Darcelle,
qui y est charmante et a fait oublier facilementla malheureuse M°"= Smilh-
Blauvelt, et la résiliation de M"° Dexter, qui nous a quittés avant même
d'avoir débuté. Certains journaux étrangers ont annoncé que le Rèoe
venait d'être interdit par l'autorité ecclésiastique. Est- il besoin devons dire
que cette nouvelle est de pure fantaisie? L'autorité ecclésiastique n'a au-
cun droit de censure sur le théâtre, en Belgique. Ce qui est vrai, c'est que
l'archevêque de Matines, consulté sur le point de savoir s'il convenait aux
bons catholiques d'aller voir fc Rêve, a répondu non. La raison? c'est qu'il
y a un prêtre en scène, et il parait que, sur ce point, le clergé est devenu
depuis quelque temps exti-émement susceptible; ce qui était permis aux
opéras de Meyerbeer, de Donizetti, d'Halévy, etc., on ne le permet plus
aux opéras contemporains; et, bien que fc i?éM soit une œuvre extrêmement
respectueuse des choses de la religion, cela n'a pas suffi pour que l'ar-
chevêque de Matines l'ait jugée bonne à entendre. Il est vrai que, géné-
ralement, le théâtre est proscrit; le récent Congrès l'a proclamé solennel-
lement. Bien que la grande majorité du public ne s'en soit pas ému,
quelques personnes pieuses se sont inclinées cependant; et, donnant le
bon exemple, la reine, qui est une fervente habituée de Ja Monnaie,
s'abstient de paraître au théâtre chaque fois qu'on joue le Rêve. Cela n'a
pas empêché notre souveraine d'assister aux répétitions générales et de
féliciter beaucoup les auteurs; ceux-ci doivent èti-e satisfaits. — Autre
incident. Je vous ai parlé du ballet de MM. Hannon et Dubois, Smylis,
joué avec succès il y a quelques jours. Un procès vient d'être intenté aux
auteurs par un M. Defaive, qui prétend que ce ballet ressemble beaucoup
plus qu'il ne faudrait à un autre ballet, de lui, Esbah, que M. Dubois avait
naguère mis aussi en musique; la musique d'Esbah a servi au scénario
dsSmylis, c'est exact, mais M. Defaive prétend que son sujet y a servi éga-
lement. Les tribunaux décideront. On assure que les juges, fort embar-
rassés de décider la question, feront danser devant eux les deux ballets,
au palais de Justice. Ce jour-là, la salle d'audience sera trop petite. —
Le théâtre des Galeries représentera la semaine prochaine la Fille de Fan-
clionla Vielleuse, de M. Varney : c'est M"« Samé qui créera ici le rôle prin-
cipal. — En province, les théâtres continuent à faire parler d'eux. Je vous
disais la semaine dernière que celui deGand était relativement assez calme:
à peine formulais-je ce jugement un peu téméraire que les événements
se chargeaient de me donner tort. Il y a eu notamment une représen-
tation de Guillaume Tell, remarquable par les cris et les sifflets qui l'ont
signalée; les abonnés ont demandé la résiliation de « tous les artistes, »
en masse ! Un autre soir, on jouait l'Africaine ; le spectacle a dri être inter-
rompu, et l'on a rendu l'argent. Le public est d'autant plus excité que la
police s'en mêle, parait-il. La salle est garnie d'agents en bourgeois. Cela
provoque des tumultes, et parfois des batailles. On crie « A bas les mou-
chards! » pendant que le ténor chante « 0 Sélika ! « Finalement, la police
dresse des procès-verbaux, et les juges condamnent silîleurs et rebelles.
Voilà où en est l'art dramatique à Gand. — En fait du concert, le Con-
servatoire de Bruxelles donnera sa première séance d'abonnement le 20
de ce mois: mais M. Gevaert, retenu par son deuil, ne la dirigera pas;
ce sera en quelque sorte une seconde édition du concert d'élèves, mais
renfoi-cé par les artistes et les professeurs habituels, qui a suivi, l'autre
jour, la distribution des prix. Dans ce concert d'élèves, on avait fait fête à
une œuvre nouvelle d'un jeune compositeur belge, M. 'Van Dam, Dans
la forêt, toute pleine de couleur et de mouvement, et remarquablement di-
rigée par M. Agniez. Une autre œuvre, d'un autre compositeur belge,
M. Gilson, la remplacera probablement. Lucien Solvay.
Dans une séance tenue cette semaine, en comité secret, le conseil
communal de Bruxelles a résolu à l'unanimité de renouveler pour trois
ans, à partir delà saison théâtrale de 1892-1893, la concession de MM. Stou-
mon et Calabresi, directeurs actuels du théâtre de la Monnaie.
—Nouvelles de Londres, 3 décembre.— L'Opéra Royal Anglais fera sa réou-
verture samedi et reprendra les représentations de la Basoche. Le directeur,
M. D'Oyly Carte, adresse une lettre aux journaux, dans laquelle il se défend
de l'accusation portée contre lui d'avoir trahi sa mission en accueillant,
dès le début de son entreprise, une œuvre étrangère. Il soutient que les
opéras de toutes les écoles seront à leur place à l'Opéra Royal Anglais, à
condition d'être chantés en anglais. U est tout disposé à donner la préfé-
rence aux compositeurs indigènes, mais aucun d'eux n'étant prêt, il a dû
tout naturellement avoir recours à un ouvrage français dont le saccès était
déjà consacré. Cette dernière raison me parait convaincante. —La repré-
sentation devant la reine de la Cacalleria rusticana a été une puissantt-
réclame pour l'opéra de Mascagni, et M. Lago s'est décidé, au dernier
moment à prolonger sa saison de deux semaines, jusqu'au 15 décembre.
— Le centième anniversair-e de la mort de Mozart sera célébré le samedi
5 décembre presque simultanément au Crystal Palace, dans l'après-midi,
et à l'Albert Hall, le soir. Par une étrange coïncidence, les programmes
de ces deux solennités sont identiques et se composent do la grande sym-
phonie en ut (Jupiter) et du Requiem. Le programme du concert populaii-e
de musique de chambre de Saint-James-Hall est aussi entièrement consacré
aux œuvres de Mozart. — Sir Charles Halle et son magnilique orchestre de
Manchester ont repris leurs excursions périodiques à Londres. Le pro-
gramme de leur concert de demain comprend une sérénade de Saint-Saëns,
390
LE MENESTREL
le concerto en mi de Vieuxtemps et la symphonie de Berlioz, Roméo et
JuliclU: ' A. G. N.
— L'Amico Frit: à Florence. On télégraphie de cette ville à l'Italie, de
Rome : « Théâtre splendide à la première de l'opéra de Mascagni ; on a
bissé l'air des violettes, au premier acte, et le finale; le duo des cerises au
deuxième, le prélude orchestral, la romance et le duo du troisième acte.
Une partie du public ne voulait pas le bis de ce dernier morceau, mais
toute la salle a été unanime dans les acclamations au deuxième acte. »
C'est, comme on voit, ajoute l'Italie, à peu près le même jugement donné
à Rome à la première. Nous attendons des détails et l'opinion de la cri-
tique de Florence.
— Un journal italien, il Caffaro, qui publiait sous ce titre : Genova-Iberia,
un numéro extraordinaire au bénéfice des victimes des inondations
d'Espagne, avait sollicité de Verdi une composition inédite destinée à être
reproduite dans ce numéro. L'auteur d'Aïda lui a adressé la lettre assez
singulière que voici :
Sant'Agata, 21 octobre 1891.
Cher monsieur,
Je n'ai rien d'inédit à vous offrir pour le numéro unique de Genova-Iberia. Mais
puisque vous me parlez d'agriculture, dont je ne suis qu'un simple amateur, je
voudrais que cette très noble science fût cultivée davantage parmi nous. Quelle
source de richesse pour notre patrie !
Un peu moins de musiciens, d'avocats, de médecins, etc., etc., et un peu plus
d'agriculteurs ! Voilà le vœu que je forme pour mon pays.
Avec toute estime, votre très dévoué,
G. Verdi.
— Nous avions annoncé, d'après les journaux italiens, la prochaine
représentation, au théâtre Costanzi, de Rome, d'un opéra nouveau de
M. Gostantino Palumbo, Pier Luigi Farnese. A la veille même de son appa-
rition, cet ouvrage a été remis indéfiniment, pour des causes que le journal
l'Italie rapporte en ces termes : « Le nouvel opéra Pier Luigi Farnese ne se
jouera plus. La cause de cette décision serait Tindispositiou du ténor
Lazzarini et l'impossibilité matérielle de le remplacer dans quelques jours.
On sait que l'orchestre doit aller à Florence pour quatre représentations de
l'Ainico Fritz, et que le 10 décembre il doit être, rentré à l'Argentina pour les
répétitions des opéras qu'on doit y donner. L'indisposition du ténor est
donc une raison suffisante, et on pourrait s'en contenter; mais on dit
assez haut que si M. Lazzarini était très bien portant, il en serait de
même. Il paraît qu'on s'est aperçu un peu tard que cet artiste (un ténor
léger) n'était pas du tout adapté pour le rôle très fort que lui avait des-
tiné M. Palumbo. On a même fait une observation pareille à propos du
rôle destiné à M"« Toresella. Il est donc tout à fait naturel qu'on n'ait pas
présenté cet opéra dans ces conditions. M. Sonzogno l'avait mis en scène
d'une façon splendide ; à la répétition générale les décors et les costumes
ont eu un grand succès. Bien que nous y ayons assisté, nous ne voulons
pas porter un jugement sur la musique, nous nous bornons seulement à
constater la bonne impression faite par les morceaux les mieux exécutés
et que la partition révèle un compositeur éminent, un musicien d'élite.
Notons aussi que M. Pignalosa, qui avait étudié soigneusement le rôle
du protagoniste, s'était préparé un succès certain. »
— Les journaux de Rome publient le cartellone du théâtre Argentina.
La répertoire comprend trois opéras français : Roméo et Juliette, la Muette
de Portici et Robert le Diable, un opéra inédit de M. Van Westerhout : Cim-
belino, qui, après avoir été répété pendant plusieurs semaines au San Carlo,
de Naples, n'a pu être représenté à ce théâtre, enfin la Traviata, Gioconda
et le Freischûts. Voici le tableau de la troupe : M""^*^ Barberini, Gemma
Bellincioni, Bonner, Teresa Brambilla, Filipponi, Frauchini et Mariotti;
MM. Colli, Lucignani, Pelagalli-Rossetti, Stagno, ténors, Beltrami,
Celani et Fumagalli, barytons, Nicoletti, Rapp, basses. Chef d'orchestre,
M. Podesti.
— Le programme de la prochaine saison de la Scala, de Milan, com-
prend les ouvrages suivants : Tannlmuser, il Figliiml prodigo, Vally, la Basoclie,
les Huguenots et Norma. Les artistes engagés sont M"''^ Arkel, Dardée,
Stehle et Guerrini ; MM. De Negri, Suagnes, Mariacher et Avedano, ténors,
Blanchart, Pessina et Scheidemantel, barytons, Boudouresque, Silvestri,
Contini et Brancaleoni, basses. Les journaux spéciaux ne paraissent pas
complètement satisfaits du choix de ce personnel.
— Le centenaire de la mort de Mozart en Allemagne. A l'Opéra de
Berlin, bien que les fêtes proprement dites ne dussent commencer qu'hier
soir, on n'avait pas attendu cette date pour honorer la mémoire de Mozart
par des représentations de gala de ses œuvres. Le 13 novembre a eu lieu
la reprise de la Clémence de Titus, qui n'avait pas été donnée à Berlin depuis
1883. On sait que cet ouvrage a été composé en 1791, à l'occasion de l'ac-
cession au trône royal de Bohême de l'empereur Léopold. A citer aussi
une reprise solennelle de l'Enlèvement au sérail. — Au théâtre municipal de
Leipzig, toute une semaine sera consacrée aux œuvres de Mozart. Les
représentations auraient lieu dans l'ordre suivant : la Flûte enchantée, l'En-
lèvement ausérail, DonJuan,Cosi fan lutte, les Noces de Figaro, avec une pièce de
circonstance du docteur H. Ilenzen, intitulée la Baguette magigue.—A Vienne,
plusieurs sociétés musicales de la ville se sont jointes à la troupe de
l'Opéra pour fêter avec éclat le centenaire. Voici l'ordre des spectacles :
le 28 novembre, Idoménée ; le 29, concert philharmonique : la Marche funèbre
d'un franc-maçon, concerto pour piano, symphonie en mi bémol ; le 30,
l'Enlèvement au sérail ; le 1''' décembre. Prologue, de M. R. Specht, récité par
jyjue Pospichil, quatuor en la, quintette en mi bémol, quintette en sol
mineur; le 3 décembre, les Noces de Figaro; le 5, Don Juan; le 6, concert
festival de la Société des amis de la musique : Ave verum, chœur sans
accompagnement ; Prologue, composé et récité par M. F. Krastel ; Requiem,
dirigé par M. W. Gericks ; le 8 décembre, 2« concert de la Société des
amis de la musique: ouverture de la Flûte enchantée; concerto pour piano
en ré mineur; air de l'Enlèvement au séraU; concerto pour violon et alto;
chœur de la Flûte enchantée ; Chanson du soir ; V audition de la symphonie
en sol, composée à Salzbourg en 1779 (chefs d'orchestre : D. Richter et
E. Kremser); le 10, séance du quatuor Hellmesberger (musique de chambre);
je 11 décembre, Cosi fan lutte; le 13, la Flûte enchantée; le 16, la Clémence de
Titus ; le 23, la Finta Giardiniera et Bastien et Bastknne, opérettes.
— L'Eventail nous apporte le récit des hauts faits de M. Pollini, direc-
teur des théâtres de Hambourg, dont le personnel parait être singulière-
ment nombreux, à en juger par l'exploit que rapporte ainsi notre con-
frère. Vendredi dernier, « jour de pénitence et de prière » à Hambourg,
ses théâtres étant fermés, il a donné, avec le concours de ses artistes, des
représentations ou des concerts dans six villes différentes : à Brème,
Lohengrin, avec le ténor Alvary, M'"=^ Bettagne et Klafsky; à Lubeck, un
concert vocal et instrumental par son orchestre, le ténor D' Seidl et la
chanteuse Wolfî-Kauer ; à Lunebourg, un concert par le ténor Bœtel et
plusieurs autres chanteurs; à Kiel, l'Orphée de Gluck, avec M™= Heinck
dans le rôle du protagoniste; à Flensbourg, Czar et Charpentier de
Lortzing, par M. et M™' Lissmann, plus un ballet. Enfin, la troupe de
drame et de comédie a joué à Altona une tragédie de Hebhel et Divorçons,
de Sardou.
PARIS ET DEPiRTEMENTS
Le centenaire de Meyerbeer parait avoir été célébré sur nos grandes
scènes de province avec plus de goût et de succès qu'à l'Opéra de Paris.
Au Grand-Théâtre de Bordeaux, il a excité l'enthousiasme d'une s aile
pleine jusqu'au faite. Le programme comprenait : l'ouverture du Pardon
de Ploërmel,\e second acte des Huguenots, l'évocation et la scène des nonnes
de Robert, le tableau de la cathédrale du Prophète et le quatrième acte de
l'Africaine, suivis de l'apothéose de Meyerbeer. Tous les artistes ont été
acclamés : M™"" Bréjean-Gravière, Passama, Devianne, Reggia Baudino
(danseuse), MM. Jérôme, Sylvestre etRaynaud. « L'apothéose de Meyerbeer,
dit notre excellent confrère de la Gironde, M. Paul Lavigne, a été très
réussie. On voyait, au fond, Meyerbeer; au premier plan, à gauche,
Catherine, Pierre et les soldats de l'Étoile du Nord. Adroite, 'Roè\, Dinorah
et les Bretons du Pardon de Ploërmel. Au fond, Robert, Bertram et Alice, —
Raoul, Marcel et Valentine, — Jean de Leyde, Fidès et les anabaptistes, —
Nélusko, Vasco de Gama et Sélika. Le quatre-temps si beau de la pré-
diction de la mère de Catherine, dans l'Étoile du Nord, exécuté en sourdine
par un petit orchestre, était d'autant mieux choisi qu'on a entendu ainsi,
hier soir, réellement des fragments des six opéras français de Meyerbeer.
Les morceaux divers exécutés pendant cette apothéose font vraiment
honneur au goût éclairé du directeur du Grand-Théâtre. Les vers très
réussis de mon collaborateur Paul Berthelot, dits par M. Nerval, de ma-
nière qu'on n'en perde pas une syllabe, ont été particulièrement goûtés.
On a remarqué dans cette pièce les deux principales qualités du talent
de leur auteur : une verve, une originalité de bon aloi, et l'horreur du
banal. » — A Lille, le spectacle était ainsi composé : ouverture de l'Étoile
dwiVbrd, troisième acte de iîoberj, troisième Marche aux flambeaux, deuxième
et quatrième acte des Huguenots, Marche du sacre du Prophète. « C'est au
son de cette musique grandiose et magistrale, dit la Semaine musicale de
Lille, qu'a eu lieu, devant le buste de Meyerbeer, l'imposant défilé de
tous les artistes lyriques, revêtus de costumes de personnages de toutes
les œuvres du maître. C'était un fort beau coup d'œil que ce groupe de
danseuses entourant de palmes d'or le buste dominant la scène^ et devant
lequel M. Bras, premier rôle, a lu les strophes de circonstance composées
par M. A. de Meunynck. En un mot, la manifestation a été digne de l'il-
lustre Meyerbeer. » Là aussi, grand succès et applaudissements pour tous
les artistes, M"'^^ Van Daelen, Barety, Verheyden, Dhasti, Gisèle Viola
(danseuse), et MM. VanLoo, Degrave, Montfort et Gornubert. Décidément,
les choses ont été mieux faites en province qu'à Paris.
— Antoine Rubinstein, dont nous publions aujourd'hui même en pre-
mier article l'étude si intéressante la Musique et ses Représentants, a quitté
Paris mercredi dernier pour se rendre à Milan, où l'appelaient quelques
affaires. De là, il retournera à Dresde où il s'installera tout l'hiver, pour
suivre les études de son opéra nouveau iV/oïsc.G'estDresde qui aura, eu effet,
la primeur de cette œuvre, dont la représentation occupera deux soirées
consécutives.
— Concerts du Châtelet. — L'école française était représentée, sur un
programme d'une attrayante variété, par l'air A'Hérodiade : « Vision fugi-
tive », chanté avec beaucoup d'autorité, de goût et de méthode par M. Ma-
noury, qui a fait ensuite applaudir une ballade mouvementée et entraînante
de M. Paul Puget : le Message, et une délicieuse mélodie : Ravissement, dans
laquelle une phrase musicale pleine de langueur et d'élégance accentue
discrètement chacune des nuances de sentiment e.xprimées par la poésie
et s'achève, à l'orchestre, dans une sorte d'extase longtemps après que la
voix a cessé de se faire entendre. M. Manoury a obtenu un grand succès
LE MENESTREL
391
dans ces morceaux de caractères différents dans lesquels sa voix, très
assouplie, s'est prêtée aux inflexions délicates de la mélodie et a su, au
besoin, trouver la vigueur et la force. — Kermesse, de M. Benjamin Godard,
est un tableau orchestral d'une coloration intense et d'une coupe très libre.
L'œuvre renferme des pages vraiment belles, les rytbmes y sont très va-
riés, l'orchestration compacte, et les parties destinées à peindre les débor-
dements de la joie populaire avec ses vulgarités tumultueuses passent
rapidement comme de simples épisodes. L'impression dernière reste bonne,
car le motif dominant de l'œuvre est large, suffisamment noble, et em-
preint de vigueur et d'énergie sans violence inutile. — M. Gabriel Pierné,
qui écrit d'une main d'autant plus assurée que ses succès présents le
dispensent de chercher de nouvelles voies, a obtenu beaucoup d'applau-
dissements avec la Suite-pantomime du Collier de saphirs. L'introduction
est brillante, avec de gracieux détails d'instrumentation ; mais la Sérénade
de GillesYa. bientôt fait oublier, tant elle a paru charmante avec ses piquantes
oppositions de timbres, ses rythmes empreints d'une gaieté mutine, et
ses phrases remplies d'un sentimentalisme qui semble flotter entre le rire
et les larmes. Cette petite pièce, toute débordante de fantaisie et de grâce,
a été bissée. Le finale a été aussi très apprécié, car on y retrouve les qua-
lités principales du jeune compositeur: sa grande facilité d'invention, qui
semble exclure l'effort, et l'aisance avec laquelle il oppose entre eux les
timbres variés de l'orchestre. Le concert avait commencé par une excel-
lente exécution de la Symphonie pastorale ; il s'est terminé avec le prélude
de Parsifal et la ChevaucMe des Walkyries. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — L'exécution de la Symphonie pastorale de
Beethoven eût été parfaite si, dans la troisième partie, les cuivres n'avaient
pas absolument couvert les autres instruments. La musique de Beethoven
ne se prête pas à ces exagérations. Je n'y vois aucun inconvénient dans
la musique qui a les préférences de l'éminent chef d'orchestre. Dans la
musique des anciens maîtres, elles sont déplacées. L'ouverture de Manfred,
de Schumann, a été bien dite; nous regrettons que, de la Suite algérienne de
M. Saint-Saëns, on ne nous ait donné que le dernier morceau, alors que tous
sont remarquables et forment un ensemble qu'il ne faudrait pas diviser.
On nous dit que la nécessité de répéter une fois de plus le Don Juan de
M. Richard Strauss a empêché l'exécution de l'ouverture de Freisehiitz, qui
figurait originairement au programme ; c'est d'autant plus regrettable que
nous n'avons pas gagné au change, et que M. Strauss ne nous a pas fait
oublier Weber. Comme notre esprit un peu borné ne nous permettait pas de
saisir le sens de cette composition, nous avons dû, après coup, recourir
au programme explicatif. Nous y avons vu que, dans le premier fragment,
le Héros « plaide en faveur de sa frivolité, sa justifie et, en termes brûlants,
expose la nature de la passion qui le dévox'e » ; dans le second, Don Juan
K Assagi, apaisé, mélancolique, ironique, n'accuse plus le destin et ne songe
qu'à revivre, par la pensée, les belles ardeurs de jadis ». En vérité, si
nous n'approuvons pas toujours la musique dont se délectent les habitués
du Cirque, nous sommes toujours infiniment réjoui par les programmes
qui en précisent le sens et en donnent l'explication. Ces programmes sont
presque toujours plus amusants que la musique, et nous aimerions à les
entendre déclamer par M. Lamoureux avant chaque morceau. Ce serait
une belle alliance de la littérature et de la musique. — H. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire, premier concert de la Société : Symphonie avec chœurs (Beetho-
ven), soli par M"'' Leroux-Ribeyre et Boidin-Puisais, MM. Warmbrodt et Auguez ;
ouverture de la Grotte de Fingal (Mendelssohn) ; duo nocturne de Béafrice et Béné-
dict (Berlioz), par M"" Leroux-Ribeyre et Boidin-Paisais ; marche de Tanrihâuser
(Wagner) .
Châtelet, concert Colonne : septième symphonie, en la (Beethoven); introduc-
tion, récit et air d'Erostrale (Reyer), par M. Delmas; sérénade de Gilles, du Collier
de saphirs (Pierné); Polonaise (Paul Vidal); ouverture de Tannliimer (Vf ngnev] •
■ l'Homme, scène lyrique (Ernest Reyer), poésie de M. Georges Boyer, chantée par
M. Delmas; ballet d'Ascanio (Saint-Saens).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : symphonie en si bémol
(Schumann); Siegfried Idyll (Wagner); Rapsodie slave, n» 5 (Dvorak); Don Juan _
(Richard Strauss); Danse macabre (Saint-Saëns); ouverture de Tannh'duser
(Wagner).
— Une tentative intéressante en province. M. Gravière, l'intelligent et
sympathique directeur du grand théâtre de Bordeaux, va mettre à la scène
l'Hérode de MM. "William Chaumet et Georges Boyer, qui remporta le prix
du concours Rossini, il y a quelques années. C'était là d'ailleurs un acte
véritable de grand opéra, bien plus qu'une cantate dans le genre de celles
qu'on couronne ordinairement, et la transplantation à la scène en sera des
plus aisées.
— Les privilégiés qui ont été conviés, mardi dernier, à la messe de
mariage de M"" Sedelmeyer, à l'église de la Trinité, ont eu la bonne for-
tune, si rare aujourd'hui, d'entendre, pendant le service religieux, notre
grand chanteur Faure. Il a dit le Pater Noster de Niedermeyer et son
0 Salutaris (n" lO) ; sa voix toujours merveilleuse, son style absolument
impeccable ont fait, encore une fois, regretter la retraite prématurée qu'il
semble s'être imposée.
— M. Philippe Maquet, le sympathique directeur de l'ancienne maison
Brandus, a été élu cette semaine président de la chambre syndicale des
Éditeurs de musique, en remplacement de M. Auguste Durand, dont les
fonctions expiraient cette année.
— Un groupe de dilettantes vient de constituer à Paris une nouvelle
société musicale sous le titre d'Union artistique. Cette Société a pour but
l'étude et l'exécution d'œuvres surtout françaises pour chœurs et orches-
tre, et le taux très minime de la cotisation permettra à tous les amateurs
de bonne musique d'en faire partie. Le chef d'orchestre sera M. Ferdinand
de la Tombelle. Les personnes qui voudraient faire partie de l'Union
artistique peuvent se faire inscrire ou envoyer leur adhésion chez
M. Henri Brody, 44, rue de Maubeuge.
— M. Delsart a passé la Manche pour aider de son talent son collègue
M.David Popper; dans la première partie du trio pour trois violoncelles,
l'éminent professeur du Conservatoire de Paris a eu un véritable triomphe
au Saint-Jame's Hall, triomphe qui fait espérer le retour de M. Delsart
pendant la grande saison. Le lendemain du concert de M. Popper, M. Del-
sart s'est fait entendre de nouveau avec un grand succès, principalement
en exécutant sa jolie transcription du Conte d'avril de M. Widor. Un mot
aussi pour M"» Clotilde Kleeberg, l'excellente pianiste qui s'est fait entendre
au Prince's Hall dans deux récitatifs et qui y a été très vivement applaudie.
— Mercredi prochain, 9 décembre, aura lieu au Cercle Saint-Simon une
audition de musique française du xyiii^ siècle pour le chant, le clavecin,
la flûte, la viole d'amour et la viole de gambe, donnée avec le concours
de M""= Paulin-Archaimbaud, de MM. Diémer, Taffanel, Van "Waefelghem et
Delsart. On y entendra pour la première fois, entre autres choses, une
cantate française de Campra, Daphné, pour soprano, clavecin et basse de
viole, dont l'exécution sera précédée d'une conférence sur les cantates
françaises du xviii" siècle, par M. Julien Tiersot.
NÉCROLOGIE
L'agent général des auteurs français en Belgique, M. Louis Cattreux, qui
rendit de très grands services à la Société des auteurs, vient de mourir
près de Bruxelles. C'était un homme sympathique et des plus intelligents.
11 connaissait admirablement toutes les questions de propriété artistique
internationale et n'agissait jamais qu'avec la plus rare prudence. Cela le
distinguait avantageusement d'un autre agent de notre connaissance, qui
se donne beaucoup d'importance depuis quelque temps et qui par son
ardeur intempestive et sa connaissance superficielle des choses, compro-
mait la cause qu'il devrait servir. M. Cattreux sera regretté de tous et ne
sera pas remplacé malheureusement.
— A Vienne vient de mourir, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. M""' Ca-
roline van Beethoven, veuve du neveu de l'auteur de Fidelio et de la Sym
phonie héroïque. Avec elle s'éteint complètement la descendance et jus-
qu'au nom du grand homme. Très peu fortunée, elle vivait d'une modeste
pension que lui faisaient deux admirateurs du génie du maître et qui lui
était régulièrement servie, chaque année, le jour anniversaire de sa mort.
— C'est de Bordeaux que nous arrive la nouvelle de la mort de Ponsard,
un chanteur que les habitués de l'Opéra n'ont pas encore oublié et qui a
tenu à ce théâtre, pendant plusieurs années, l'emploi des basses nobles.
Élève de Laget et de Levasseur au Conservatoire, Ponsard y avait obtenu
en 186o un second prix de chant et un premier prix d'opéra, et le premier
prix de chant l'année suivante. Il avait été engagé et avait.débuté presque
aussitôt à l'Opéra. Peu de temps après, il épousait M"= de Beaunay, qui
avait été sa camarade de classe au Conservatoire, et qui était la nièce de
Perrière, surveillant des classes de cet établissement. Depuis quelques
années Ponsard, qui avait quitté le théâtre, s'était fixé à Bordeaux, où il
avait ouvert un cours de chantet était devenu professeur au Conservatoire .
Il a succombé aux suites d'une affection de cœur dont il souffrait depuis
longtemps.
Henri Heugel, directeur-gérant.
0
CGASION — Harpe d'Érard à vendre: S'adresser 11, place de la
Madeleine.
AVENDRE piano quart queue Pleyel. 1,200 francs— 8, quai du Louvre.
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Bax (Saint-Yves). Exercices journaliers pour la voix .
BussiNE (R.). . . . Pages d'exercices pour la voix.
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sans acct.
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Le Serment de Pierrette, pantomime en trois actes, jouée aux Variétés,
musique de Alfred FocK. — Partition piano solo. - Morceaux extraits :
Danse villageoise et Pas de deux; Entracte; Valse.
392
LE MÉNESTREL
Clnquante-lxuitlèiiie année d.© publication
PRIMES 1892 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concens, des Notices biographiques et Etudes sur
les graids compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Cliant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanclie, un morceau de choix (inédit) pour le CHA.SÎT ou pour le PI.4..\0, de moyenne difficulté, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHA^'T et PIAA'O.
PIANO
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'un des volumes in-8° suivants ;
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Partition pinno solo
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LE RÊVE
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à l'un des volumes in-8" des CliASSIQUES-MARMONTEL: MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou a l'un des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrits auto^raplies des principaux pianistes - compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire de
STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne.
CHANT
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
J. MASSENET
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l^'' ou 2^ RECUEIL Ali CHOIX
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J. MASSENET
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rîictLe relltire avec fers de JULES CHÉRET
N3TA IMPORTANT. — Ces primes snnt iy>Iivrèes sraluitemo-iit <l:ias nos bnreaui. 2 bis, rue ViTieiine, à partirdu 1" .Janvier 18»3, à tout ancien
ou nouTcl abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement an MÉXESTREli pour l'année 1S93. Joindre an prix d'abonnement un
supplément d'UlI ou de DEUX francs pour l'enToi franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour l'Etrangrer, l'enTOi franco
des primes se rè^le selon les frais de Poste.)
LesaboancsauChanlpeuïcnlprendre laprimePiano elvice versa. - Ceus au Piano el au Chail réuDis oui seuls droit à la grande Prime. - Les abonnés au lexle seul n'onl droil à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU -^ MÉNESTREL » PIANO
l"Moded'aimnement : Journal-Texte, tousles dimaaches;2S morceaux de ch\m :
Scènes, .Mélodies, Komances, paraissant de quinzaine en quinzaine; i. Recueil-
Prime. Paris et Province, uri an : 20 francs ; Étranger, b'rais de poste en sus.
2" l/oiei'aftoiiiiemenf; Journal-Texte, tous les dimancties; 26 morceaux de piano:
Fantaisies. Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Krais de poste en sus.
CHANT ET PIANO REUNIS
3- Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 RecueUs-Primes ou une Grande Prime. — Un an : 30 francs, Paris
et Province; Étranger: Poste en 5us. — On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
V Mode. Texte seul, sans droit au-i primes, un an : 10 francs.
Adresser franco un bon sur la poste à 51. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
I.MPRniEHJE CDAIX, 20, KL
Dimanche 13 Décembre 1891.
3168 - 57- ANNÉE - N° 50. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aoonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. La musique et ses représentants (2° article), Antoine Rubinstein. — II. Bulletin
théâtral, H. Moreno; première représentation de Que d'eau l Que cCeau! aux
Menus-Plaisirs, Paul-É.mile Chevauer. — IIX. Musique de table: En Orient
(4" article), Edmond Neukom,« et Paul d'Esirée.— IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE POÈTE ET LE FANTOME
nouvelle mélodie de J. Massenet. — Suivra immédiatement : Ravissement,
nouvelle mélodie de Paul Puget, poésie d'ARSiAND, Silvestre, chantée
par M. Manoury aux Concerts du Chàtelet.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO ; Danse slave, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Air
à danser, de Raoul Pugno.
NOS PRIMES POUR L'ANNÉE 1892
VOIR A LA 8^ PAGE
LA MUSIQUE ET SES REPRÉSENTANTS
ENTRETIEN SUR LA MUSIQUE
PAR
— Vous ne parlez que de musique instrumentale ; est-ce
que pour vous la musique ne commencerait qu'avec Haydn?
— Oh ! bien longtemps avant. Il a fallu à la musique deux
siècles entiers pour atteindre à cette maturité du son et de la
forme. J'appellerai préhistorique la période qui s'étend jusqu'à
la seconde moitié du XVP siècle. Car de la musique des
anciens (Hébreux, Grecs et Romains), nous ne savons presque
rien ; nous n'en connaissons tout au plus que le côté théorique,
et on peut en dire autant de la musique qui suivit, depuis
l'avènement du christianisme jusqu'à la fin du XVI" siècle.
Nous savons peu de chose également des chansons et des danses
populaires (ces deux expressions les plus primitives de la
musique) (1). Et c'est pourquoi je ne date que de la fin du
(1) A l'exception du chant ambrosien et grégorien, on ne peut dire
avec certitude si le chant religieux est devenu un chant populaire après
l'adaptation qu'on y aurait faite de paroles profanes, ou si au contraire
c'est le chant populaire qui est devenu un chant religieux par le procédé
inverse. — Les troubadours, les Minnensimjer et même les maîtres chan-
teurs nous ont laissé des poésies, mais peu ou point de musique.
XVP siècle le commencement de l'art musical (1). La mu-
sique religieuse de Palestrina présente vraiment les pre-
mières œuvres d'art de cette période. J'appelle œuvre d'art,
toute œuvre dans laquelle l'élément scientifique cesse d'oc-
cuper la première place et dans laquelle se manifeste une
disposition de l'âme. Les œuvres pour orgue de Frescobalm
donnent pour la première fois un caractère artistique à cet
instrument. Les compositeurs anglais Bull, Bird et d'autres,
s'efforcent aussi à ce moment de créer des œuvres d'art
pour la virginale et le clavecin (qui est aujourd'hui le
piano).
— Y a-t-il moyen d'établir quelque rapport entre ces pre-
miers temps de l'art musical et les événements historiques
ou la culture sociale de la même époque?
— Dans la musique religieuse se manifeste l'influence de
l'Eglise catholique, mise en mouvement par les attaques du
protestantisme. On y reconnaît les efforts des papes pour intro-
duire une plus grande discipline dans la vie ecclésiastique et
monacale et pour élever le niveau moral et intellectuel des
moines. On aperçoit des visées plus sérieuses et plus élevées
dans les questions religieuses. — Dans la musique profane se
reflète l'éclat des cours de l'époque et surtout de la cour
anglaise d'Elisabeth; on connaît l'amour de cette souveraine
pour la musique et son faible pour la virginale, qui poussait
les compositeurs à écrire en vue de cet instrument de petites
pièces amusantes et conformes aux idées de cette époque
intéressante.
— Truuvez-vous dans ces œuvres ce que vous appelez des
« dispositions de l'àme », et pouvez-vous les considérer
comme des œuvres d'art ?
— Non, mais comme les premières tentatives faites dans
la musique instrumentale pour exprimer quelque chose.
— Donc, une manifestation naïve de l'art?
— C'est la première musique de programme, dans le sens
de l'imitation en vue d'amuser et d'égayer une société. Et cela
continue pendant un siècle jusqu'à l'invention de la « suite»
(série de pièces formées de différentes danses de l'époque).
En France, cette sorte de musique se maintient plus long-
temps encore, car c'est là que s'y sont signalés deux grands
compositeurs, Couperin et Rameau, qui ont écrit dans ce genre
des œuvres très remarquables.
— Et en Italie?
— En Italie fleurit la musique religieuse, qui peu à peu
est supplantée par un nouveau genre : l'opéra. Dans la mu-
sique instrumentale, à côté de nombreux organistes, deux
noms seulement arrêtent notre attention : Gorelli pour le
(1) Je considère l'époque flamande comme une époque de la musique
exclusivement scientiflque.
394
LE MÉNESTREL
violon etD. ScARLAïTi pour le piano (1). Ce dernier appelle ses
œuvres « sonata » (dans le sens de sonorité). Elles n'ont rien
de commun pourtant, comme forme de composition, avec la
« sonate » proprement dite, qui vint plus tard.
— Donc, pour la musique instrumentale, et c'est la seule
qui vous intéresse, nous en sommes alors, si je vous ai bien
compris, à l'enfance de l'art?
— Oui, bien que Scarlatti, Couperin el Rameau soient des
maîtres qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier hautement;
j'admire du premier l'humour, la fraîcheur et la virtuosité,
je vois dans le second nne nature éminemment artistique et
un lutteur qui a su défendre hardiment ses aspirations mu-
sicales en s'élevant bien au-dessus du niveau artistique de
son époque et de son pays. Je regarde le troisième comme un
initiateur, comme le réformateur de l'opéra français; il a,
de plus, écrit des compositions de haute valeur pour le piano.
— Mais, en Angleterre, la musique instrumentale, et surtout
les œuvres destinées au piano, devaient fleurir tout particu-
lièrement, puisque c'est dans ce pays que nous trouvons les
premières manifestations du genre.
— Pourtant, la musique vocale a aussi devancé en Angle-
terre la musique instrumentale. Voyez les « madrigaux »
et les « chorals ». Mais on dirait que ce peuple a dit son
dernier mot en musique avec Henri Purcell. Après ce com-
positeur survient un calme plat, et — à l'exception des
oratorios et des opéras qui sont entre les mains d'étrangers,
— cette stérilité s'est prolongée jusqu'à nos jours. Ce n'est
qu'aujourd'hui qu'on commence à percevoir quelques symp-
tômes de réveil. Une chose reste inexplicable : quelle est la
musique qu'a pu entendre Shakespeare et qui a su lui inspirer
un tel amour pour cet art. Parmi les poètes, il est celui
qui a parlé avec le plus d'enthousiasme de la musique et
même du piano.
— Et en Allemagne?
— En Allemagne, la musique religieuse, après l'introduc-
tion du choral par Luther, prend un nouveau caractère.
Comme en Italie, on y trouve à cette époque des organistes
remarquables : Frohberger, Kuhnau, Buxtehude. Pris dans son
ensemble, l'art musical, comparé à ce qu'il est alors en
Italie, est encore insignifiant. Mais, tout à coup, pendant la
même année, en des endroits situés peut-être à deux heures
de route l'un de l'autre, brillent deux noms qui donnent à
la musique un tel éclat, une telle perfection, une telle subli-
mité, qu'il semble que l'humanité entend pour la seconde
fois le fiai lux; ces deux noms sont ceux de Jean-Sébastien
Bach, et de George-Frédéric H.endel. La musique religieuse,
la virtuosité aussi bien dans la composition que dans le jeu
de l'orgue et du piano, l'opéra et même l'esprit orchestral,
toute la musique de l'époque enfin, trouvent en ces deux génies
des représentants d'un éclat incomparable. Grâce à eux, la
musique marque sa place au nombre des arts et, bien que
sœur cadette, atteint de suite à la maturité auprès des
autres arts, ses aînés.
— Pour vous, Bach et Haendel sont-ils des sommets de
hauteur égale?
— Bach est pour moi beaucoup plus grand, parce qu'il est
plus sérieux, plus profond, plus créateur; il a plus d'àme,
il est vraiment incommensurable, ilais l'évolution complète
de l'art musical à cette époque n'est possible que par la réu-
nion de ces deux génies, quand ce ne serait que parce
qu'Heendel a créé tant de choses remarquables dans l'opéra,
genre de musique que Bach a tout à fait ignoré.
— Comment concilier le silence de l'art musical en Alle-
magne pendant presque tout le XVII*' siècle, avant l'appari-
tion subite de ces deux astres, avec votre idée que la musique
est l'écho des événements historiques et de la culture sociale ?
(i) J'appelle les œuvres qui ont éié écrites à cette époque pour le cla-
vecin, le clavicorde, le clavi-cembalo, la virginale, l'épinette et d'autres,
œuvres pour piano; car, de nos jours, nous ne pouvons les jouer que sur
cet instrument.
Vous ne pouvez nier qu'à cette époque il se soit passé de
fort grands événements en ce pays.
— La causique n'est pas l'expression immédiate des événe-
ments, mais le plus souvent elle en est l'écho. C'est ce que
nous voyons ici : à l'époque de la lutte entre le protestantisme
et le catholicisme, la musique n'est que l'expression de la
prière dans les églises. Mais voici que le protestantisme
conquiert en Allemagne son droit de cité; il sort victorieux
de la lutte, et Bach et Haendel surgissent aussitôt pour lui
chanter l'hymne de la victoire.
— Est-ce que la manière de s'exprimer de ces deux maîtres
n'est pas dissemblable?
— Complètement. Mais cela tient à la différence du
milieu dans lequel ils ont vécu. Bach tournait dans un
cercle étroit; il vivait en différentes villes, à cette époque
encore toutes petites (plus tard il est allé à Leipzig), au mi-
lieu de sa nombreuse famille, en modeste « cantor » de
l'église de Saint-Thomas. Il était d'un caractère sérieux,
profondément religieux et patriarcal ; son costume était mo-
deste, simple, sa nature peu communicative, il était labo-
rieux jusqu'à en devenir aveugle. — Heendel, au contraire,
a passé la plus grande partie de sa vie dans la ville cosmo-
polite de Londres, ofi il était en relations avec la cour et le
grand monde. Il était directeur d'opéra. II devait écrire de
la musique pour les festivals de la cour. Nous connaissons
très peu sa vie privée. Il portait une longue perruque et le
costume élégant de la haute société du temps. La majesté,
l'éclat, plus de surface que de profondeur (1), sont les traits
distinctifs de ses compositions. Il a écrit des opéras, des ora-
torios profanes et religieux, très peu de musique instrumen-
tale (la plus belle est dans ses suites pour piano), c'est dire
qu'il a peu créé d'œuvres intimes, sincères et cordiales.
— Bach vous est plus sympathique, parce qu'il a surtout
écrit de la musique instrumentale?
— Non, pas pour cela (sa musique vocale est aussi d'une
admirable grandeur), mais pour les qualités que j'ai déjà
énumérées. Cependant, je ne nie pas qu'oii je l'admire le plus,
c'est dans ses œuvres pour orgue et pour piano.
— Vous voulez parler sans doute de son Clavecinbien tempéré?
— Vous connaissez cette anecdote de la vie de Benvenuto
Cellini, venant à manquer de matière pour un travail qui lui
avait été commandé par le roi de France. Pour sortir de
difBculté, il prit le parti de fondre tous ses modèles; mais
tout à coup, en présence d'une admirable coupe, il s'arrête
et nç peut se résoudre à la jeter dans le feu. Le Clavecin
bien tempéré est ce même joyau dans la musique; si, par
malheur, tous les « motets », « cantates », « messes » de
Bach, et même la musique do la Passion, venaient à se perdre,
et s'il ne restait plus que le Clavecin bien tempéré, il n'y aurait
pas lieu de se désespérer, la musique ne serait pas perdue.
Mais en ajoutant au Clavecin la « Fantaisie chromatique », les
« Variations », les « Partite », les « Inventions», les « Suites
anglaises », les « Concerts », les « Ghacone », les « Sonates »
pour piano avec violon et surtout les œuvres pour orgue,
peut-on mesurer la grandeur d'un tel musicien?
— Mais pourquoi le public le considère-t-il seulement
comme un grand savant, et veut-il l'identifier à toute force
dans la fugue, en semblant lui refuser toute âme ?
— A cause de sa parfaite ignorance. Il est tout à fait juste
d'incarner le nom de Bach dans la fugue, car ce genre pos-
sède en lui son plus grand représentant; mais dans la mélo-
die instrumentale de Bach, il y a plus d'àme que dans aucun
air d'opéra ou dans aucun chant d'église. Les paroles de
Liszt : il y a de la musique qui vient à nous, et une musique qui exige
que nous allions vers elle, sont particulièrement applicables à
Bach. Il y a des musiciens qui vont à Bach et qui restent
(1) Ce qui se manifeste dans ce fait qu'il transportait très bien un nu-
méro d'opéra dans un oratorio et vicc-versà, ainsi que dans la vitesse avec
laquelle il travaillait; il a écrit son Messie en trois semaines, et tout de
suite après Samson, dans un laps de temps aussi court.
LE MÉNESTREL
395
en extase devant lui ; le public n'est pas capable de cet effort,
et c'est pour cette raison qu'il a une idée si erronée de ce
grand génie.
— Mais la fugue n'est-elle pas, en elle-même, une forme
d'art sèche et scolastique ?
— Oui, chez tous les compositeurs, excepté chez Bach. Il
a su exprimer sous cette forme tous les sentiments de l'âme.
Dans le « Clavecin bien tempéré, » vous trouvez des fugues
de. caractère religieux, héroïque, mélancolique, majestueux,
plaintif, humoristique, pastoral et dramatique. Toutes ces
fugues n'ont qu'un point de commun, la beauté. Kn outre,
les préludes sont d'une splendeur, d'une perfection et d'une
diversité étonnantes. Il est tout à fait incompréhensible que le
même homme, qui a écrit pour l'orgue des œuvres aussi gran-
des, ait pu également écrire des « gavottes, » des « bourrées, »
des « gigues » d'un caractère si gai, des « sarabandes » d'un ca-
ractère si mélodieux, de petits morceaux pour piano si char-
mants par leur simplicité. Je ne parle ici que de ses œuvres
instrumentales; mais si j'ajoute à cette liste ses gigantesques
<Buvres vocales, j'arrive à la conclusion qu'il viendra un temps
où l'on dira de lui comme on dit d'Homère : « Ce n'est pas
un seul homme qui a pu composer tout cela, mais bien plu-
sieurs. »
— Que reste-t-il donc pour la part de Haendel ?
— La majesté, l'éclat, les effets de masses et l'action sur
la foule par la simplicité du dessin, par la diatonique (con-
traste frappant avec le chromatisme de Bach), par la noblesse
dans le réalisme, en un mot par le génie. — Je définirai
volontiers ces deux maîtres par cet aphorisme : Bach, la cathé-
drale; Hsendel, le palais. Dans la cathédrale on entend le mur-
mure respectueux et recueilli de l'assemblée sous l'impression
de la grandeur de l'édifice et de l'élévation de la pensée qu'il
incarne (l);les personnes, au contraire, qui visitent un palais
manifestent bruyamment leur vive admiration et le sentiment
de soumission qu'éveillent en elles la majesté, le luxe et
l'éclat de ce qui les environne.
(Traduit du manuscrit russe par Michel Delines.)
^.4 suivre.)
BULLETIN THEATRAL
On n'avait fait qu'entrevoir M'"^ Deschamps-Jehiu à l'Opéra, lors
du dernier et mémorable centenaire de Meyerbeer, et elle avait été
à peu près la seule à surnager sur l'immensité du désastre si bien
préparé par MM. Ritt et Gailhard. Mercredi dernier on a pu mieux
la juger encore, et elle a fait son début officie) dans la Favorite, un
opéra qui n'est peut-être pas aussi loin de Lohengrin qu'on voudrait
nous le faire croire. L'une et l'autre partition ont naturellement les
grâces surannées qui conviennent à leur grand âge, avec un ton
d'italianisme très prononcé et qui était d'ailleurs fort à la mode à
l'époque qui les a vues naître. Mais ily a des inspirations et des envolées,
sachons le reconnaître, aussi bien dans la Favorite que dans Lohengrin.
Souhaitons seulement à ce dernier ouvrage de compter un jour, sur
la scène de l'Opéra, les six cent vingt représentations qu'y a eues
déjà la Favorite. On voit que nous ne lui voulons pas de mal. Pour le
moment, après une vingtaine de représentations, il réalise encore
des recettes de 17,000 francs, ce qui est très honorable; constatons
pourtant, en passant, que le vieux Faust de Gounod qui, pensons-
nous, a dépassé la cinq-centième, fait encore couramment ses 19,000
ou 20,000 francs de recettes. Alors, qu'en conclure? Que le public est
un ignare, n'est-ce pas, Wilder?
Pour en revenir à M'"" Desehamps-Jehin, constatons son vif
succès. Elle va faire à l'Opéra une très belle carrière. Sa voix
merveilleuse y sonne admirablement, et l'ampleur de son talent y
trouve mieux à s'employer qu'à l'Opéra-Gomique. Elle ne nous
plaisait pas du tout dans Carmen, dont elle n'avait ni l'allure ui la
voix troublantes; mais elle est une superbe Léonore et elle sera
une superbe Fidès. Depuis le départ de M"'= Richard, MM. Ritt et
(1) Telle est la disposition des auditeurs pendant l'exécution d'une
œuvre de Bach.
Gailhard avaient jugé plus économique de laisser sans titulaire cet
emploi important du eontralto-mezzo; ils se décident enfin à com-
bler la lacune, mais c'est seulement quinze jours avant leur départ
du théâtre. Quel comptable plein d'ironie que cet excellent M. Ritt !
M. Renaud ne justifie pas toutes les espérances qu'il nous avait
données lors de son début à l'Opéra-Gomique dans Benvenuto Cellinî.
Mais il les justifiera tôt ou tard. C'est un talent qui a besoin de
s'affiner ; et il lui faut quelques années d'air parisien. Sa voix trop
lourde mâche encore de la bouillie, mais elle s'éclaircira. M. Vaguet,
un jeune élève du Conservatoire, chantait le rôle de Fernand. Il y
a mis du goût, à défaut d'une grande autorité. Mais le goùl, c'est
quelque chose déjà, savez-vous? et cela ne se trouve pas souvent à
la grande Académie nationale de musique. M. Plançon fait un très
bon Balthazar. C'est un des artistes sur lesquels la nouvelle direc-
tion pourra le plus compter.
Avant son départ, la direction sortante se décidera enfin à nous
donner, le 21 décembre dit-on, la première représentation de Tamara,
l'opéra de MM. Bourgault-Ducoudray et Louis Gallet. Ce sera son
dernier soupir. Toutes ses ultimes préférences auront donc été pour
Lohengrin, qu'elle donnera jusqu'à la fin trois fois par semaine, et
c'est ainsi qu'elle finira dans la choucroute, après avoir spéculé
sur les agitations de la rue et les émotions patriotiques, digne fin
de la direction tristement mercantile que vous connaissez.
M. Bertrand, au contraire, saisissant la situation avec beaucoup
d'à-propos, inaugurera la première semaine de sa direction par
trois œuvres françaises d'auteurs vivants: Faust, Sigurd ei le Mage.
Voilà qui n'est pas mal joué pour commencer.
H. MORENO.
Menus-Plaisirs: Que d'eau! que d'eau! Revue de l'année en trois actes et
cinq tableaux de MM. Alfred Delilia et Jules Jouy.
Que d'eau! que d'eau! , Si cette exclamation a été rendue célèbre
par un Prudhomme peu voyageur la première fois qu'il vit la
mer, elle est devenue, cette année, dans la bouche des Parisiens,
une vraie scie tant saint Médard s'est montré inclément. Aussi
MM. Delilia et Jouy, en fervents de l'actualité, se sont-ils emparés
de la locution pour en, faire un titre à la revue qu'ils viennent de
donner aux Menus-Plaisirs. Que vous dire de cette revue dans
laquelle M. Delilia a déployé tout l'esprit que nous lui connaissons
et M. Jouy, dans maints couplets, la belle fantaisie qui en a fait le
chansonnier du jour, soit qu'il s'attaque à la politique, soit qu'il
rime, pour les délicats, son exquise Clianson des joujoux ? Le compère
c'est M. Perrin et la commère, M"° Méaly ; tous deux s'acquittent
très bien de leur emploi ; mais l'événement de la soirée a été le
début de M"° Émilienne Alençon, fort en grâce, M. de Lagoanère
ayant eu la main assez heureuse pour rendre à l'art dramatique cette
jeune artiste, élève de notre Conservatoire, que l'élevage des ron-
geurs avait accaparée jusqu'alors. A signaler certaine scène dans
laquelle M. Vandenne s'est fait la tète d'un clief d'orchestre bien
connu que ses bourrades et ses intolérances ont rendu plus célèbre
encore que sa science musicale assez douteuse. Je vous dirai enfin
que la direction a fort bien habillé tout son monde et je terminerai
en souhaitant que l'on n'entende plus, ailleurs qu'aux Menus-Plaisirs
le cri : Que d'eau ! que d'eau !
Paul-Émile Chevalier.
MUSIQUE DE TABLE
EN ORIENT
(Suite.)
Tous les voyageurs ne furent pas aussi favorisés que le P. Verbiest.
De son temps, l'empereur se montrait à tout le monde. Depuis, il
n'en a pas été de même. Un ambassadeur anglais fut un jour invité
à souper chez le souverain du Céleste-Empire ; mais il ne lui fut
pas donné de contempler ses augustes traits. Après avoir fait un
grand salut devant le paravent jaune derrière lequel se tenait le Fils
du Milieu, ce qui devait lui sembler fort naturel, car il en faisait
un pareil devant le trône vide du roi d'Angleterre, à la Chambre des
lords, il prit place avec sa suite sur des coussins auprès desquels
se trouvaient de petites tables fort basses, à raison d'une pour deux
convives.
39(5
LE MENESTREL
Pendant ce temps, la troupe des légats impériaux, qui devaient
prendre part au souper, continuaient à se prosterner, aux sons d'une
hymne leule, « d'une mélodie désagréable », jusqu'au moment où un
héraut d'armes donna le signal des libations, auxquelles se mêlèrent
de curieux divertissements.
Aussitôt, des serviteurs mirent devant chaque convive une sorte
de baquel renfermant tout un service. Il y en avait quatre en tout,
et des plus variés.
« Le premier consistait en une bonne soupe, le second en seize
plats ronds ou étroits, contenant des viandes salées; le troisième,
en huit plats de nids d'oiseaux, de nageoires de requin, de nerfs de
daim et autres aliments regardés comme très nourrissants ; le
quatrième, en douze tasses d'éiuvées. Les convives se servaient de
bâtonnets, de petites cuillers de porcelaine et de quatre fourchettes
d'argent très courtes. Quand ils buvaient à la santé l'un de l'autre,
les serviteurs, un genou en terre, versaient du vin chaud dans de
petites coupes. »
Les distractions étaient à l'avenant du repas, c'est-à-dire très
substantielles. Dans un coin de la salle, des acteurs représentaient
une pièce aux sons d'une musique infernale, où dominaient des
coups de gong « qui auraient pu réveiller Satan et ses légions de
leur sommeil sur le lac sulfureux. » Plusieurs monstres pyr-otech-
niques, jetant feu et flammes, figuraient parmi les personnages.
Mais la meilleure partie des exercices fut sans contredit le tour-
billon exécuté par un seul homme, qui déploj'a dans ce tour une
agilité merveilleuse. « Faisant un bond, il s'élança, le corps penché
en arrière, et continua, sans toucher le sol, à tourner de cette
manière, avec une vélocité telle que l'on ne pouvait distinguer la
tête de ses pieds, qui formaient les extrémités du cercle dont ses
membres avaient pris la forme. »
Getle acrobatie fit oublier au noble lord les déchaînements har-
moniques qui avaient failli troubler sa digestion. II n'eut pas la
curiosité de s'enquérir des instruments qui composaient ce bruyant
orchestre ; mais un personnage de sa suite, Davis, qui a consacré
un livre à ses souvenirs de voyage, a comblé cette lacune.
« Les instruments des Chinois, dil-il, sont très nombreux. Ils
consistent en plusieurs espèces de luths et de guitares, de flûtes et
d'autres instruments à vent. Ils ont un violon à trois cordes, uns
espèce d'harmonium en fil de fer, que l'on louche avec deux petites
baguettes de bambou, puis des systèmes de cloches et de morceaux
de métal sonore, des tambours couverts en peau de serpent, etc..
Les cordes de leurs instruments sont en soie et en fil de fer. »
Comme la Chine, le Japon nous attirerait. Mais qui songeait au
Japon, avant ce dernier quart de siècle. Depuis, les Japonais ont
bien pris leur revanche. Ce sont des Parisiens maintenant, et nos
mœurs, comme nos modes, n'ont plus de secrets pour eux. Ils dînent
en musique, comme au Grand-Hôtel ou à la Présidence; mais il
n'en a pas toujours été de même. Lorsque l'amiral Roze comman-
dait la division navale des mers de Chine et du Japon, il alla rendre
visite au Taïcoun. à Baka. Il s'était fait accompagner, à cette occa-
sion, par la musique de la flotte, à laquelle il donna l'ordre déjouer
pendant le diner qui lui fut offert. Ce fut une surprise pour le Taïcoun,
dont l'amiral observait les impressions au fur et à mesure qu'elles
se reflétaient sur son visage. Le concert et le repas terminés, comme
son hôte avait paru prendre grand plaisir à la musique, il lui demanda
s'il désirait entendre de nouveau l'un des fragments qu'on venait
d'exécuter. Alors, l'empereur du Japon, comptant sur ses doigts,
demande le troisième morceau : c'était une fantaisie sur le Bai-bier
de Séville.
Aux Indes, la musique accompagne tous les actes de la vie, — la
musique à percussion surtout. On ne s'imagine pas un repas indou
sans cymbales et sans tam-tam. Bien plus, il n'est pas besoin que
l'amphitryon soit vivant pour qu'on lui fasse de la musique à table !
Mort, on lui présente à boire et à manger, avec accompagnement de
musiciens et de danseuses, pendant que sa veuve se dispose à mon-
ter au bûcher. Actuellement, les Anglais ont un peu mis ordre à
ces coutumes d'anlan, qui avaient au moins le mérite de fournir
aux librettistes d'opéras des situations propres à inspirer les musi-
ciens. Mais jadis, le dîner macabre florissait dans toute l'étendue
des presqu'îles boudhiques.
L'auteur anonyme d'une Relation d'un voyage fait aux Indes orien-
tales, en 1(371, raconte la scène d'une belle Indienne mourant volon-
tairement par le feu, pour ne pas survivre à son mari.
Vêtue d'une longue robe noire soufrée, couverte d'un voile et d'une
mante également soufrés, qui l'enveloppaient et tombaient sur ses
pieds nus, la veuve fut introduite dans une case de bambous légers,
où elle prit place sur des palmes de cocotiers, son mari sur ses genoux.
Pour la dernière fois, le grand prêtre lui demande si elle veut
devenir la proie des flammes.
Elle le désire ardemment.
Alors, la cérémonie commence. On offre des mets variés et des
liqueurs enivrantes au défunt, couvert d'un linceul blanc et léger,
sur lequel l'officiant jette des grains de riz. D'autres prêtres appor
tent un second service; mais quand on voit que décidément le mort
ne veut point faire honneur au repas préparé à son intention, on
brise les plats et les cruches, tandis que les hautbois, trompettes,
guitares, timbres et tambours, qui n'ont cessé de jouer pendant ces
libations tristes, redoublent de vigueur. Les femmes qui accompa-
gnaient l'épouse inconsolable poussent des hurlements qui couvrent
le son des instruments. Et, à ce moment, le grand prêtre met le
feu à la case, où bientôt contenant et contenu flambent avec des
grésillements qui font venir la chair de poule aux Européens témoins
de cet audotafé.
Mais écartons nos yeux de ce tableau lugubre. D'autres timbres,
d'autres trompettes retentissent. Nous sommes à Pondichéry. C'est
le cortège de noce d'un marchand de la Compagnie des Indes qui
va passer pour se rendre au lieu du festin. Un garde de la marine
à bord du vaisseau-amiral, commandant Duquesne, nous fera les
honneurs de cette fête, à laquelle il fut convié :
« On plaça, dit-il, aux deux coins de la forteresse, deux bambous
entourés par dehors de feux d'artifice. La nuit vint, le marchand
sortit, suivant la coutume, avec sa femme, dans un riche palanquin
porté par douze nègres et précédé de deux cents flambeaux qu'on
portait en bel ordre. Leurs plus proches parents les accompagnaient
à cheval, et l'on entendait de toutes parts le son confus des fifres,
des tambours et des timbales, qui ne cessèrent de jouer. Dix ou
douze danseuses, fort richement parées, suivaient aussi ce nocturne
équipage, dansant d'espace en espace, au son de certaines petites
clochettes; et lorsque les deux mariés passaient devant les bam-
bous préparés, on en faisait jouer l'artifice, lequel était toujours
accompagné de pétards et de mousqueterie qui ne le rendait
pas désagréable.
» Cette réjouissance ayant duré une bonne partie de la nuit, ils
furent se régaler de bétel, de cocos, de bananes et s'enivrèrent
de rack, qui est une boisson plus forte que l'eau-de-vie, fort en
usage parmi les Indiens, ainsi que le bétel, qui n'est autre chose
qu'une feuille à peu près comme le lierre, que l'on mange après
y avoir étendu un peu de chaux, roussie de gingembre et enveloppée
dans un morceau de racine semblable à la muscade. Cela est J'un
goût et d'une odeur très agréables et sert beaucoup à rougir les
lèvres et à rendre l'haleine douce. »
Nous venons de voir les Indes anglaises et les Indes françaises :
voici maintenant le tour des Hollandais. Van Schouter, qui fut aux
Indes orientales en 1645, raconte que, débarquant dans une île,
qu'il appelle itorn, il alla rendre visite aux dsux rois qui la gou-
vernaient, avec quatre trompettes et un tambour, dont les accords les
ravirent. Aussitôt leur arrivée, des indigènes apportèrent le kava,
herbe mâchée par eux, qu'ils versaient dans une auge, où ils reten-
daient d'eau, avant de l'offrir à leurs souverains, qui s'en délec-
tèrent. Pour les Hollandais, « la vue seule de cette brasserie suffit
à calmer leur soif ». Par contre, ils se régalèrent de racines d'uban
cuites sur des pierres chaudes, tandis que des filles, en costume
primitif, leur donnaient une sérénade: «l'une jouait sur un bois
creux en façon d'une pompe, qui rendait quelque son, au bruit
duquel les autres dansaient de fort bonne grâce. »
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Ce n'est jamais sans une sorte de frissonnement d'émotion, que j'en-
tends l'attaque étrange et mystérieuse du premier morceau de la Symphonie
avec chœur de Beethoven. Dans sa belle analyse des neuf symphonies du
maître, Berlioz a négligé de faire ressortir ce caractère mystérieux d'une
si grande intensité, mais il l'a expliqué en quelque sorte indirectement,
en décomposant l'harmonie ou, si l'on peut dire, l'absence, au contraire,
d'harmonie qui caractérise les premières mesures de ce morceau admirable
et qui leur donne une couleur si étrange et si émouvante. « Cet allegro
maestoso, dit-il, écrit en ré mineur, commence cependant sur l'accord de
ta, sans la tierce, c'est-à-dire sur une tenue des notes la, nn, disposées
en quinte, arpégées en dessus et en dessous par les premiers violons,
les altos et les contrebasses, de manière à ce que l'auditeur ignore s'il
entend l'accord de la mineur, celui de la majeur, ou celui de la domi-
nante de ré. » C'est cette longue indécision de la tonalité qui donne aux
LE MENESTREL
397
seize premières mesures de l'allégro cette couleur sombre et mystérieuse
que je signalais, et c'est elle aussi qui communique une si grande puis-
sance et un si beau caractère à l'explosion qui se produit enfin sur
l'accord de ré mineur. On marche d'ailleurs de surprise en surprise pen-
dant tout le cours de cette œuvre gigantesque et merveilleuse. Lorsqu'on
se croit arrivé à la péroraison du délicieux scherzo dont la grâce et la
légèreté sont prodigieuses, on le voit tout à coup interrompu par un
presto épisodique à deux temps qui ramène ensuite d'une façon délicieuse
la tonalité, le rythme et le dessin primitifs. De même, dans Vadaçjio,
la première phrase, en si bémol, d'une inspiration si pure et d'un
sentiment si expressif, est bientôt coupée par un autre chant, à
trois temps, d'un caractère pénétrant et singulièrement incisif, confié
aux seconds violons et aux altos à l'unisson. Dire le parti et les dévelop-
pements que le compositeur sait tirer de ces deux chants juxtaposés est
chose impossible; il suffit d'admirer cette merveille de science et d'inspi-
ration, et il faut s'agenouiller devant la puissance du génie capable de
procurer de telles émotions. Quant au finale immense, où les voix vont
faire leur entrée après le formidable récitatif qu'on aura entendu des-
siner par les contrebasses et les violoncelles (une trouvaille de génie!), il
faut renoncer aussi à en décrire la grandeur, la noblesse et la puissance.
Page colossale dans une œuvre colossale, ce finale, par l'ampleur de la
forme, par la richesse des développements, par la sonorité inouïe résultant
de l'union des voix et des instruments, par la façon magistrale avec
laquelle il est traité dans toutes ses parties, par l'ensemble prodigieux
que produisent tant de forces accumulées avec un art incomparable, écrase
littéralement l'auditeur sous son imposante majesté et lui arrache un cri
d'enthousiasme et d'admiration. C'est la péroraison magnifique et superbe
d'une œuvre qui jusqu'ici n'a pas trouvé son égale dans la langue où elle
a été écrite, et qui peut-être ne la trouvera jamais. Il faut remercier la
Société des concerts — car c'est d'elle et de sa première séance que je
parle ici — d'avoir inauguré sa soixante-cinquième session avec une fort
belle exécution de cet incomparable chef-d'œuvre. Tous ont fait noblement
leur devoir ; chœurs, orchestre, soli — ceux-ci fort bien dits par M'"=s Leroux-
Ribeyre et Boidin-Puisais, MM. Warmbrodt et Auguez. Si j'avais une
observation à faire, ce serait pour reprocher aux violons d'avoir l'archet
un peu trop à la corde dans le scherzo, ce qui enlève à celui-ci un peu
de sa grâce exquise et de son adorable légèreté ; il ne faut pas oublier que
toutes les notes sont pointées, ce qui doit donner au son une certaine
élasticité et l'empêcher d'être étouITé sous l'archet. — Après la symphonie
venait la gracieuse ouverture de la Grotte de Fingal,, de Mendelsshon, à qui
ce puissant voisinage n'était pas trop favorable, puis le délicieux duo
nocturne de Béatrice et Bénédict, de Berlioz, fort joliment chanté par
M"=* Leroux et Boidin-Puisais, à qui il a valu un rappel bien méi'ité. Et
le concert se terminait par la superbe Marche du Tannhauser, qui fait
partie maintenant du répertoire courant de la Société. Arthur Pougin.
— Concerts du Chàtelet. — M. Colonne nous a donné une bonne inter-
prétation de la symphonie en la de Beethoven. Nous trouvons, — peut-être
avons-nous tort, — que l'on exécute presque toujours avec une vitesse
exagérée et une violence trop continue, la quatrième partie de cette sym-
phonie. L'accentuation des temps forts par les instruments à vent et à
percussion produit une impression désagréable, et le finale y perd ce carac-
tère de gaîté agreste et aimable qui était, je crois, dans les intentions de
Beethoven. — M. Delmas, de l'Opéra, a dit avec un grand talent deux
œuvres de M. Reyer, une connue, introduction, récit et air à'Érostrate,
l'autre inédite, l'Homme, scène lyrique sur une poésie de M. Georges Boyer.
Ces deux œuvres renferment de belles parties, que M. Delmas a admira-
blement mises en relief. — La Sérénade de Gilles, de M. Pierné, est une
œuvre très délicate, très gracieuse, qui a eu de nouveau un succès mérité.
La Polonaise de M. "Vidal a paru un peu bruyante. Grand succès pour le ballet
d'Ascanio, de M. Saint-Saëns ; c'est un véritable régal pour l'oreille que
cette musique, si fine, si ingénieuse, si bien faite et si intéressante. —
Réparons un oubli que nous avons fait dans un de nos derniers comptes
rendus; nous avons omis de parler de V Angélus, air breton, harmonisé par
M. Bourgault-Ducoudray et si bien dit par M. Auguez. H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux — La symphonie en sibémol de Schumann semble
consacrée tout entière à l'expression de sentiments juvéniles. Tous les
morceaux dont elle se compose expriment la joie, mais il serait facile
d'attribuer à chacun d'eux une nuance bien tranchée dans l'expression du
même sentiment, car Schumann voyait dans la musique un langage destiné
à produire au dehors ses plus intimes sensations. Fort différent de Beetho-
ven, qui puisait le meilleur de ses inspirations dans la contemplation de
la nature, Schumann vivait replié sur lui-même, écoutant battre son cœur
et reproduisant merveilleusement ses impressions personnelles. La sym-
phonie en si bémol est émaillée de contre-motifs d'une exquise naïveté,
et son instrumentation fraîche et délicate nous cause de charmantes sur-
prises. — M. Richard Strauss a voulu peindre, dans un poème sympho-
nique, les « états d'àme » de Don Juan. Deux fragments du Don Juan de
Lenau sont donnés pour guide à l'auditeur. L'œuvre musicale, très inté-
ressante comme facture orchestrale et d'un wagnérisme pour ainsi dire
exaspéré, renferme en abondance des passages d'une sonorité superbe et,
dès le début, semble avoir voulu décrire avec une désinvolture pleine
d'ampleur et d'élégance les façons osées et aisées des libertins grands sei-
gneurs. Nous remarquons ensuite des supplications réitérées de hautbois
mêlées à des réponses de cor, puis un violon solo jetant une note comme
un cri déchirant... La musique de M. R. Strauss est toujours distinguée,
elle ne manque pas d'inspiration, mais cette inspiration n'a pas toute la
simplicité, tout le naturel, toute la naïveté que l'on aimerait à trouver chez
un compositeur qui ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt-cinq ans. Les
premières œuvres du jeune artiste, avec certaines inexpériences, avaient
un charme auquel on se soumettait plus volontiers qu'aux injonctions vio-
lentes de la musique de Don Juan. Cette musique, dans laquelle les instru-
ments de cuivre remplissent un rôle trop uniformément appréciable, est
d'ailleurs pleine d'énergie, de pompe, d'ampleur, de distinction même et
dénote un effort puissant de conception, une imagination vive et de sé-
rieuses qualités d'invention. Signalons à propos de cette œuvre un instru-
ment introduit cette année dans l'orchestre pour exécuter les parties de
contre-basson ; c'est le sarrusophone contrebasse en mi bémol, joué par
M. Leruste, et sur lequel un ouvrage de M. Constant Pierre: la Facture ins-
trwnenlale, donne des renseignements complets. Venant à la suite du poème
de Don Juan, la Danse macabre de M. Saint-Saénsa produitl'effet d'un rayon
de soleil après la tempête. On l'a applaudie avec une chaleur toute spon-
tanée, et ses mélodies ont paru aussi inspirées que reposantes. On avait
témoigné précédemment quelque froideur pour la Rarpsodie slave de
M. Dvorak ; cette composition, dont le plan ne parait pas excellent, ne
brille pas non plus par une grande originalité dans la manière dont sont
présentés les thèmes. — On a entendu encore Siegfried-Idijll et l'ouverture
de Tannhduser. Amédée Bouwrel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie avec chœurs (Beethoven), soli par M"" Leroux-
Ribeyre et Boidin-Puisais, MM. Varmbrodt et Auguez; ouverture de la Grotte de
Fingal (Mendelssohn) ; duo nocturne de Béatrice et Bénédict (Berlioz), par M"" Le-
roux-Ribeyre et Boidin-Puisais; marche de Tannhauser (Wagner).
Chàtelet, concert Colonne : Huitième symphonie, en fa (Beethoven) ; Vision,
sonnet imité de Pétrarque (Lefebvre), et Myrlo (Delibes), par M"" B. de Monta-
lant; le Rouet d'Ompliule (Saint-Saëns) ; concerto pour deux pianos (Mozart), par
MM. Diémer et Pierret; la Flûte enchantée (Mozart), soli par M, Villaret et
M— de Montalant, de Berny et Pregi ; .--ymphonie en sol mineur (.Mozart).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture de Freischiits
(Weber); symphonie en si bémol, n° 1 (Schumann) ; Pcdria (Chaumet), par M. Las-
salle; fragments de Merlin enchanté (Marty) ; ouverture de Tannhïmser (Wagner);
Danse macabre (Saint-Saëns).
— L'audition de musique du XVIIP siècle, donnée mercredi au Cercle
Saint-Simon, a permis d'apprécier clairement les mérites transcendants des
grands maîtres français du commencement du XVIIP siècle: Rameau, Coupe-
rin et Campra. Devant le public très éclairé qui se pressait dans la grande
salle des Sociétés savantes, leur supériorité sur les musiciens de second ordre
qui figuraient au programme : Marais, de Boismortier, Lœillet, est apparue
manifestement, peut-être encore accusée par l'éloignement; de même, les
romances.de Jean-Jacques Rousseau, de date pourtant plus récente, ont sem-
blé assez pâles; et peut-être en eût-il été de même pour les morceaux des pre-
miers temps de l'opéra-comique, si le programme, limité strictement à des
compositions non théâtrales, en avait admis quelques-uns. De même, le
clavecin s'est montré une fois de plus l'instrument convenant essentiellement
à l'exécution de Couperin et de Rameau, bien supérieur au piano à cet
égard, tandis que le violon, l'alto et le violoncelle, de même nature que
les violes, marquent sur ces instruments un progrès certain. Et cette dé-
monstration était d'autant plus péremptoire que tous les exécutants étaient
d'une égale supériorité et tiraient chacun le meilleur parti possible de
leurs instruments respectifs: MM. Diémer, Van Waefelghem et Delsart,
auxquels s'était adjoint M. Taffanel avec sa flûte moderne. Les Pièces en
concert de Rameau, pour clavecin, flûte et basse, sont vraiment de petites
merveilles, ainsi que les pièces de clavecin de Rameau et de Couperin,
dont le succès, additionné du succès personnel de M. Diémer, a été con-
sidérable. De même, la cantate : Daphné, de Campra, chantée par M™" Paulin-
Archainbaud avec accompagnement de clavecin et basse — une véritable
résurrection après un siècle et demi — a produit l'impression la plus fa-
vorable. L'exécution de cet important morceau était précédée de la lecture
de fragments d'une étude sur les cantates françaises du XVIII= siècle, de
M. Julien Tiersot, qui, à en juger par la chaleur et la durée des applau-
dissements qui l'ont accueillie, a paru vivement intéresser l'auditoire.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRAflGER
Toutes les branches de l'art musical auront leur place à l'Exposition
universelle de Chicago, où l'on s'occupe actuellement d'établir les bases
d'un congrès auquel seront conviés les principaux compositeurs, artistes,
professeurs, théoriciens, savants et critiques du monde entier. Les tra-
vaux de ce congrès, dont M. Théodore Thomas aura la présidence, s'éten-
dront à toutes les manifestations de la science et de l'art des sons ; des
conférences partielles auront lieu entre les artistes de même catégorie et
des discussions spéciales seront consacrées aux problèmes musicaux qui
attendent encore leur solution. Le public sera lui-même convié à certaines
assemblées ouvertes où seront communiquées les conventions arrêtées
par le congrès. Pour les délibérations, on a d'ores et déjà adopté la classi-
fication et l'ordre que voici : 1° musique instrumentale, orchestre, bar-
398
LE MÉNESTREL
monie, soli de virtuoses, musique de ciiambre ; i" musique yocale : opéras
et cantates dramatiques, oratorios et musique sacrée, musique chorale,
chansons et mélodies ; 3" l'histoire de la musique : la musique considérée
comme agent civilisateur; la musique nationale, ses particularités; en-
quête sur l'étendue de l'influence exercée par l'élément national sur la
musique; étude des modifications que cette influence fait subir au caractère
de la musique. Rapprochements et points de comparaison entre les musiques
des différentes nations civilisées et demi-civilisées; 4° la théorie musicale :
tableau complet des lois régissant la combinaison des sons en vue de l'ex-
pression musicale ; 5° partie esthético-théorique : l'idéal vrai dans la mu-
sique et les limites réelles des effets dramatiques descriptifs, réalistes et
imitatifs dans la musique; C" le rôle de la musique dans la vie humaine,
la musique considérée comme récréatif et comme passe-temps, son in-
fluence moralisatrice ; 7° éducation musicale. Développement du goût
pour les formes élevées de l'art. Recherches sur les méthodes les plus
efficaces à l'usage des musiciens de profession. L'éducation populaire :
son objet, son étendue, ses méthodes. Journalisme musical : son véritable
ofiîce, son but; S" partie acoustioo-scientifique. Analyse des avantages et
des défauts des instruments de musique existants et indications des ré-
formes à apporter pour leur perfectionnement. Relations qui unissent les
appareils producteurs des sons au sens auditif et qui constituent les bases
premières de l'art musical. Influence des différents instruments sur le
système nerveux. Du bien-être nervoso-physique des personnes qui cul-
tivent ces instruments ou les entendent continuellement. Qualités acous-
tiques des salles de concerts, d'opéras, de théâtres, lois qui gouvernent ces
qualités.
— Il y aura deux salles de concert à l'Exposition de Chicago. La pre-
mière aura des dimensions gigantesques et abritera les festivals et con-
cours de musique de toute espèce. Il y aura place pour 13,000 auditeurs
dans la salle et 3,000 exécutants sur l'estrade. L'autre salle ne contiendra
que 2,000 places de spectateurs et 400 places d'artistes; on l'utilisera pour
les concerts classiques et en général tous ceux offrant un intérêt artis-
tique d'un ordre élevé. Les études de masses chorales sont déjà commen-
cées à Chicago; ces masses se décomposent ainsi: Apollo club, SOO voix;
chœur du festival, 700 voix; chœur colombien, 130 voix d'hommes;
chœur d'enfants, 1,300 voix ; chœur allemand {enfants et adultes), 2,000 voix ;
chœur suédois, 1,000 voix ; chœur du pays de G-alles, 330 voix. Écoles
primaires, 3,000 voix ; écoles secondaires, 3,000 voix ; écoles supérieures,
3,000 voix. Sociétés chorales des environs, 300 voix.
— Toujours excentriques, les Américains! Témoin le mariage qui vient
d'être contracté à Atalante, dans la Géorgie, entre un nommé Hiram
Lester, âgé de cent quatre ans, et une certaine Mary Mosely, qui en
compte seulement quatre-vingt-un. Et comme union semblable ne se voit
pas tous les jours, on a jugé bon de célébrer celle-ci... sur la scène du
théâtre de la ville, où chacun pouvait pénétrer et jouir de ce spectacle
moyennant une faible rétribution d'un quart de dollar — soit vingt-cinq
sous,
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Bërli.v : A l'Opéra royal, récep-
tion d'un nouvel opéra de M. Moszkowski, livret de M. Wittowski, intitulé
BoMii, le dernier roi maure, qui sera représenté dans le courant de l'hiver.
— Breslau : En même temps que la première représentation de Cavalleria
rusiicana, le théâtre municipal a présenté à son public une œuvre lyrique
inédite en un acte de M. F. von Woyrsch, intitulée le Curé de Meudon, qui
a quelque peu souffert de la concurrence redoutable de l'opéra de Masca-
gni. Le même théâtre vient de fêter le 30"= anniversaire de sa fondation
par trois représentations de gala. — Brïjkn : Très belle réussite, au théâtre
municipal, d'un nouvel opéra en trois actes, imité du Gaudeamus igitur de
Scheffel et intitulé Rodensiein. La musique, de M. E. Kaiser, mélodique et
agréable à entendre, a assuré le succès de l'opéra, dont M. E. von Dubsky
a écrit le livret. — Francfort : A l'Opéra, très bonne reprise de Lakmé
avec M"" Schacko, qui a remporté un succès de bon aloi dans le rôle de
l'héroïne, qu'elle abordait pour la première fois.
— Le grand violoniste Joachim a obtenu un succès personnel considé-
rable, dans un concert donné à Heidelberg, en exécutant, avec un style
et une maestria superbes, un nouveau concerto de violon, en ré mineur,
de M. Max Bruch. Quant à l'œuvre en elle-même, elle parait n'être que
médiocre, et sans valeur appréciable.
— M""î Amalia Joachim, l'épouse divorcée du grand violoniste, a donné
à Berlin, au grand plaisir du public, un cycle historique de la chanson alle-
mande. La première soirée était consacrée exclusivement à la chanson
populaire, la seconde à la chanson en forme d'air, la troisième enfin à la
chanson artistique depuis le commencement du xvii= siècle jusqu'à
Beethoven. Dans cette dernière, la première partie du programme com-
prenait des airs d'Henri Albert (1604-1631), Melchior Franck (1380-1630),
Adam Krieger (1634-1666), Henri Kaiser (1674-1739), des Chants religieux de
J.-R. Ahle et J.-C. Ahle, de J. S. Bach et de Giovannini ; dans la seconde,
on a entendu des mélodies de Kirnberger, Philippe-Emmanuel Bach,
Neefe, Graun, Haydn et Mozart; enfin dans la troisième, M""= Joachim a
chanté la romance fameuse de Beethoven : A l'amie lointaine.
On annonce à Berlin, pour Noël, l'inauguration d'un musée musical
dont on dit merveille. Dans la section relative à l'histoire et au dévelop-
pement du piano, on cite, entre autres, deux clavecins italiens ornés de
fines peintures, dont l'un de 1014 et l'autre de 1694, le clavecin de Bach,
qui a coûté 10,000 marks, l'épinette de Frédéric II, le clavecin de voyage
de Mozart, le clavecin de la reine Marie-Antoinette (il nous semble que
la famille de celui-là est nombreuse, car on en trouve dans toutes les
collections), enfin le piano de Weber. On donne aussi comme très précieuse
la série des orgues, et on signale la présence de l'harmonica à verres de
Franklin. Parmi les instruments à archet se trouvent de nombreux rebecs,
de beaux spécimens de la guitare à trois cordes, jadis si populaire, et
enfin divers violons d'Amati et de Stradivarius, représentants des chefs-
d'œuvre de la lutherie dans ce qu'elle offre de plus noble et de plus élevé.
— L'opéra nouveau de M. Johann Strauss, le Chevalier Pasmann, qui
devait être donné ces jours derniers à l'Opéra impérial de Vienne et avec
lequel le compositeur devait faire ses débuts dans le genre sérieux, est
provisoirement ajourné. Tout d'abord on avait dû pratiquer de larges cou-
pures dans la partition, qui paraissait beaucoup trop développée. Aujour-
d'hui, la maladie d'une artiste rend la représentation impossible, au moins
pour le moment. Ce sera pour le commencement de janvier, dit-on.
— Grand succès à Pétersbourg et à Moscou pour l'excellent violoniste
Johannès Wolf, qui a interprété le beau Concerto romantique de M. Benja-
min Godard ; canzonetta bissée.
— La saison italienne du théâtre Marie, à Odessa, s'est terminée, parait-
il, d'une façon désastreuse. A la suite de la déconfiture de la direction,
plusieurs des artistes qui composaient la troupe, se trouvant absolument
sans ressources, ont dû avoir recours au consulat italien pour se faire
rapatrier.
— M. Edouard Grieg, le remarquable compositeur norvégien, vient
d'être, ainsi que sa femme, l'excellente cantatrice, l'objet de manifesta-
tions particulièrement flatteuses à Christiania, de la part de ses compa-
triotes. Dans plusieurs concerts dirigés par lui, comme tous les hivers, il
a fait entendre avec un succès considérable quelques-unes de ses œuvres
importantes. Un comité formé spécialement a saisi l'occasion du dernier
de ces concerts pour fêter le 23" anniversaire de la première apparition
de M. et M"'= Grieg devant le public norvégien. Toute la cour assistait à
la soirée, où une magnifique ovation a été faite aux deux artistes, et qui
a été suivie d'une grande fête et d'une retraite aux flambeaux organisée
par les étudiants. M"" Grieg doit prendre prochainement une part im-
portante au concert d'un jeune compositeur, M. Christian Sinding, dont
elle chantera plusieurs mélodies. M. Christian Sinding est le frère cadet
de deux éminents artistes, M. Stéphane Sinding, sculpteur, et M. Othon
Sinding, peintre, qui, l'un et l'autre, ont obtenu les premières récom-
penses à l'Exposition universelle de Paris en 1889 et à l'Exposition de
Munich en 1891. Il marche, dit-on, sur les traces de ses deux aînés.
— Cette semaine, à la Monnaie de Bruxelles, première représentation
d'un opéra-comique en trois actes, Barberine, poème arrangé d'après la
jolie comédie de Musset par M. Paul Collin, musique de M. de Saint-
Quentin, jouée par M"'«- d'Arcelle (Barberine), Savine (Rosemberg), Wolf
(la reine), Darmont (Kalekairi) et M. Gilibert (Uladislas). Notre correspon-
dant de Bruxelles nous rendra compte, dimanche prochain, du résultat de
cette représentation.
— M. Eugène Samuel, fils de M. Adolphe Samuel, l'excellent directeur
du Conservatoire de Gand, vient d'achever la partition d'un drame lyrique
en trois actes, intitulé la Reine Klothilde, dont il a écrit aussi les paroles.
— On nous écrit de Genève : « L'anniversaire de la mort de Mozart a
été célébré au grand théâtre par un festival dont le succès a été très bril-
lant. L'orchestre, la Société de chant du Conservatoire, M""^ Ketten, Le
Coultre et Lang, MM. Dauphin et Imbart de la Tour ont exécuté un pro-
gramme où je note la symphonie en sol mineur, le concerto en mi bémol
pour deux pianos, l'ouverture de Don Juan, la marche et le chœur i'Ido-
■ménée, avec des fragments du Requiem et des divers opéras du maître. B. D.
— Trois nouveautés à Rome. Au théâtre Quirino, Makmus, grande féerie
de M. Grassi, avec musique de M. Sassone, dans laquelle l'auteur des
paroles remplissait le principal rôle, ce qui lui a valu un double succès
d'acteur et d'auteur. Au théâtre Métastase, deux opérettes, l'une, i Toravs,
bien accueillie du public, mais dont on ne nous fait pas connaître les
auteurs; l'autre, il Talisinano di Granata, paroles de M. Malîei, musique de
M. Buongiorno.
— Le même M. Buongiorno, qui est un opérettiste infatigable, car il
comble les théâtres italiens de ses productions en ce genre, vient de
donner à la Fenice, de Naples, une autre opérette en trois actes à grand
spectacle, sur un livret de M. Golisciani, il Diavolo zoppo (le Diable boiteux),
qui paraît avoir enchanté les spectateurs. Le Trovatore résume ainsi son
compte rendu de cet ouvrage: « Succès complet d'eau, de lumière, de
lutins, de musique, de chant, de costumes neufs, de fantastique, de réel
et même de public. »
— La ville de Gênes n'est pas près de manquer de primeurs musicales.
Un journal italien, î7 Secoio X/A', nous apprend que huit compositeurs de
cette ville ont chacun opéra nouveau tout prêt pour le théâtre Carlo Felice.
Ces huit maestri sont MM. Brignami, Elia, Grimaldi, Massa, Perosio,
Ronco, Samengo et Zambelli. En présence de ces huit compositeurs, le
directeur du théâtre n'est pas sans doute sur un lit de roses.
LE MÉNESTREL
399
PARIS ET DEP4RTEWENTS
La centième représentation de Sigiird, qui sera célébrée le 30 décembre
à l'Opéra, présentera cette particularité d'être chantée par les trois artistes
femmes qui ont créé l'œuvre à Bruxelles : M"'» Garon (Brunehilde),
Deschamps (Uta) et Bosman (Hilda).
— Une indiscrétion. Il est question en ce moment, dit notre confrère
Nicolet. du Gaulois, d'une série de représentations d'opéras italiens qu'une
troupe italienne viendrait donner, cet hiver, à Paris. Dans quel théâtre ?
C'est ce qu'il ne nous est pas permis de dire encore. Mais ce que nous
pouvons ajouter, c'est que, au cours de ces représentations, nous enten-
drons probablement l'Ami Fritz, l'opéra nouveau du maestro Mascagni,
qui serait l'élément principal de ces représentations. A moins que le pro-
cès pendant entre le compositeur Mascagni. les héritiers Erckraann et
M. Chatrian, ne vienne arrêter à son début une aussi belle combinaison.
— Quelques journaux veulent bien s'inquiéter de la raison détermi-
nante du séjour à Paris d'Antoine Rubinstein pendant la dernière semaine.
Il y est venu pour conférer avec son éditeur de la publication de son
étude : la Musique et ses représentanls, et aussi quelque peu pour causer
avec M. Bertrand de la représentation de son opéra Néron, écrit, comme
on sait, sur un très beau poème français de M. Jules Barbier. C'est un
ouvrage que nous pourrions bien entendre au cours de l'année 1893.
— Par suite d'une indisposition de M"' Bosman, le programme d'un des
derniers concerts Lamoureux a dû être modifié, et la charmante cantatrice
n'a pu s'y faire entendre. Plusieurs journaux ont cru devoir en conclure
que défense avait été faite à M""° Bosmann par M. Edouard Colonne de
prendre part aux concerts Lamoureux. Est-il besoin de dire que ce bruit
malveillant ne reposait sur aucun fondement? La simple réflexion eût dû
suffire à l'écarter. Quelle influence M. Colonne peut-il avoir sur la direc-
tion actuelle de l'Opéra, et quels ordres peut-il bien pouvoir lui donner?
Mystère impénétrable. Ah ! nos jeunes reporters fin de siècle ont l'imagi-
nation féconde !
— M.11C Merguillier, dont on se rappelle les succès à l'ancien Opéra-
Comique de la place Favart, vient de signer un engagement avec M. Car-
valho. Elle fera sa rentrée dans l'Etoile du Nord.
— M. Henri Grimaud, élève de M. "Warot et lauréat du Conservatoire,
engagé par M. Bertrand, débutera à l'Opéra le l"' janvier, dans le rôle de
Valentin, de Faust. Voilà de belles étrennes pour le jeune artiste.
— Parmi les œuvres, nouvelles pour elle, que la Société des Concerts
du Conservatoire se propose de faire entendre, au cours de cette saison, se
trouve la belle fantaisie pour piano et orchestre de M. Ch.-M. Widor.
Elle sera interprétée par M. I. Philipp, à qui elle est dédiée, et qui l'a
déjà jouée aux Concerts Colonne et à la Philharmonie-Society de Londres.
— M. Albert DayroUes qui avait eu l'ingénieuse idée, au lendemain de
la première de Lohengrin, de faire, à la salle des Capucines, une conférence
sur l'œuvre de Wagner, avec audition des fragments principaux, vient de
donner trois conférences consécutives sur Lakmé, l'œuvre exquise du re-
gretté Léo Delibes. Comme le succès a grandement couronné sa tentative,
M. DayroUes analysera, demain lundi, Lakmé pour la quatrième fois. Le
distingué critique compte, dorénavant, faire tous les lundis une conférence
semblable sur les partitions les plus en vue du moment.
— En parlant, dimanche dernier, de la mort de M. Louis Cattreux,
nous disions que cet agent général des auteurs français en Belgique, si
sympathique et si intelligent,» se distinguait avantageusement d'un autre
agent de notre connaissance qui, par son ardeur intempestive et sa con-
naissance superficielle des choses, compromet la cause qu'il devrait ser-
vir. » Nous tenons à ajouter aujourd'hui qu'il ne s'agissait là nullement,
dans notre pensée, de M. Gustave Roger, qui est, lui aussi, si sympathique
à tous les auteurs et qui conduit avec tant d'habileté l'agence de la rue
Hippolyte-Lebas. Ce n'est pas non plus de son confrère M. Debry que
nous entendions parler. Les lecteurs de ce journal ne s'y sont certainement
pas trompés.
— Avant-hier vendredi, on a repris aux Variétés Mam'zelle Nilouche, cet
inépuisable succès d'Henri Meilhac et Albert Millaud, illustré musicalement
par le maestro Hcu-vé, de si amusante façon. C'est la gentille M»» Auguez
qui a repris dans la pièce le rôle de M^'Judic et qui s'y fait très applaudir.
— On nous communique le programme d'une soirée qui avait lieu la
semaine dernière dans l'un de nos premiers salons financiers. On y a
fort applaudi M""" Guidon, une de nos bonnes diseuses, puis M. Guidon,
le professeur de chant, qui, avec M>"= Innocenti, un charmant soprano,
ont chanté quelques airs et mélodies parfaitement choisis, pour terminer
par le grand duo de Sigurd.
— Le violoniste Marsick fait en ce moment une brillante tournée en
province, où il propage avec l'autorité que l'on sait les chefs-d'oeuvre
classiques et romantiques. Il a trouvé à Marseille une partenaire digne
de lui en M'"= Fritsch-Estrangin, une pianiste de grand talent.
— Jeudi prochain, 17 décembre, à quatre heures et demie, aura lieu à
l'église Saint-Gervais, derrière l'Hôtel de Ville, une audition de musique
religieuse, avec soli, chœurs et orchestre, sous la direction de M. Ch.
Bordes, dans laquelle on entendra, pour la première fois à Paris, le Canti-
que de l'Avent de Schumann, le Prologue et la 2° Béatitude de César Franck,
et le Gloria Patri du Magnificat de J.-S. Bach.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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d'éditeur de IVI U O i \J U lL des Martyrs. — Liquidation so-
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LE MÉNESTREL
Oinqiiante-liultlème année d© publication
PRIMES 1892 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1^^ DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CQAXT ou pour le PIAiVO, de moyenne difficulté, et offrant
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des primes se règ:le selon les frais de Poste.)
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Diiiiaiiche 20 Décembre 1891.
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
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Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aDonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texle et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
L La musique et ses repiéseutants [3° aiticle), Antoine Rudinstein. — II. Bulletin
théâtral, H. M. ; premièie représentation de la Veiiu de LoloUe, aux Nouveautés,
Paul-Émile Chev.vlier. — m. Musique de table ; En Orient (5' article), Edmond
Nei'komm et Paul d'Estrée. — IV. P.evue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
DANSE SLAVE
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Air à danser, de Raoul
Pugno.
CHANT
Nojs publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : les Crécelles, n" 28 de la Clianson des Joujoux, musique de Glau-
Dius Blanc et Léopold Dauphin, poésie de Jules Jouv. — Suivra innmédia-
tement : Ravissement, nouvelle mélodie de Paul Puget, poésie d'Anji.-VNO
SiLVESTRE.
NOS PRIMES POUR L'ANNÉE 1892
VOIR A LA 8' PAGE DE NOS PRÉCÉDENTS NUMÉROS
LA MUSIQUE ET SES REPRÉSENTANTS
ENTRETIEN SUR LA MUSIQUE
par
— De tout ce que vous venez de dirt:-, on devrait conclure
qu'après ces deux astres (Bach et Hœndel) il ne reste plus,
dans la musique, rien de beau ni de grand à créer?
— Dans qurilques branches, dans la musique religieuse,
dans l'oratorio, dans la musique d'orgue, tout a été dit, en
efï'et, d'une manière générale. Je considère Bach et Hœndel
comme ayant couronné et parachevé la première époque de
l'art musical selon ma classification, c'est-à-dire celle qui
commence avec Palestrina. Mais l'époque qui va succéder
exige une nouvelle expression musicale. Aussi, après ces
deux génies, voit-on la musique s'animer d'une tout autre
inspiration: lyrisme, romantisme, drame, tragédie, fantaisie,
voilà le nouveau courant qui emporte les compositeurs. Et
l'art musical avance toujours. — Une ère nouvelle s'ouvre
pour la musique : l'esprit de l'orgue cède la place à l'esprit
de l'orchestre; l'opéra remplace l'oratorio; la sonate, la suite;
le piano, le clavecin. Bien que l'opéra règne en maître sur
le public et que cette sou'veraineté se prolonge jusqu'à la
moitié de notre siècle, je ne trouve pourtant de véritable
progrès que dans la musique instrumentale, qui .= e développe
de plus en plus, et cela seulement en Allemagne ; car, eu
Italie et en France, on ne cultive guère que la musique vocale;
et, comme je ne vois l'idéal de mon art que dans la musique
instrumentale, j'appellerai, sans hésiter, la musique un art
allemand.
— Nous voici arrivés à Haydn et à Mozart.
— Pas encore. Il faut auparavant nommer un compositeur
qui, chose singulière, n'a commencé à être apprécié que de
nos jours, et que je considère comme l'initiateur de lasecow/e
époque de la musique (instrumentale) : Philippe-Emmanuel Bacii.
C'est lui qui a ensemencé le champ où les deux maîtres
que vous venez de nommer ont récolté tant de belles mois-
sons. — D'ailleurs, il n'est pas juste de dire : celui-ci a
créé l'opéra, celui-ci la symphonie, celui-ci le quatuor, celui-
ci la sonate etc., etc. Toutes ces formes de musique ont été
créées par plusieurs et peu à peu, mais chaque fois il est
survenu un grand compositeur qui a écrit l'œuvre la plus
remarquable dans telle ou telle forme et, pour cette raison, il
en est devenu le représentaot attitré.
— Mais Philippe-Emmanuel Bach ne peut, en aucun cas,
être considéré comme le continuateur direct de son père
dans la musique.
— Sous le rapport du génie, non ; mais il est le représen-
tant des nouvelles idées dans l'art. Rieu que par son œuvre
littéraire: De la vraie manière déjouer du clavecin, il a ouvert des
voies inconnues à ceux qui composaient pour cet instrument
de plus en plus populaire. Dans ses compositions, nous trou-
vons le germe de toutes les expressions musicales qui sui-
vront : l'amabilité et la na'iveté de Haydn, la cordialité et ht
sincérité de Mozart, et même le dramatisme et l'humour de
Beethoven; il va sans dire que tout cela n'est qu'indiqué dans
ses ouvrages, néanmoins cela s'y trouve à l'état embryon-
naire. L'œuvre de Philippe-Emmanuel Bach est comme une
sorte de pont jeté entre celle de Sébastien Bach et celle de
Haydn, et c'est de cette façon que la musique a émigré de
l'Allemagne du Nord dans l'Allemagne du Sud, en .Autriche à
Vienne.
— En effet, il est curieux de voir la musique émigrer ainsi
pendant un demi-siècle pour revenir ensuite à son point de
départ, le nord de l'Allemagne, et s'y flxer définitivement.
— La musique instrumentale se développe et devient de
plus en plus l'expression, l'écho des temps, des événements
et de la culture sociale. Le dernier quart du XVIII" siècle
et le commencement du X1X° se mirent comme en une glace
dans les œuvres musicales de Haydn, Mozart, Beethoven et
Schubert. Vienne surtout s'y reflète fidèlement. — Haydn!
cordial, gai, naïf, sans souci. Presque chaque dimanche, il
40i
Lt: MENESTREL
apporte à son mécène, le prince Esterhazy, une nouvelle sym-
phonie ou quelque quatuor pour instruments à cordes; c'est un
vieillard aimable qui a toujours les poches pleines de frian-
dises musicales pour les enfants, c'est-à-dire pour le public,
mais qui est toujours prêt aussi à adresser quelque mercu-
riale aux espiègles trop turbulents : c'est un sujet loyal et
un fidèle fonctionnaire, un professeur affable mais sévère,
un bon pasteur, un noble citoyen en perruque poudrée et à
catogan, portant le frac long et large, orné d'un jabot; il a
lies manchettes de dentelles et des souliers à boucles. Tout
cela, je l'entends dans sa musique. — 11 parle non le bon
allemand littéraire, mais le jargon viennois. Quand j'assiste
à l'exécution d'une de ses œuvres, je vois tout aussitôt son
public d'autrefois: d'abord de grandes dames qui peuvent à
peine se mouvoir dans leurs raides toilettes, et qui hochent
doucement de la tête en souriant à ses mélodies gracieuses
et en applaudissant du bout de leurs éventails, — puis des
gentilshommes qui prisent et s'écrient en tapotant leur taba-
tière: « Non, vraiment, rien n'égale notre vieil Haydn! » —
La musique instrumentale lui doit beaucoup; il a déve-
loppé l'orchestre symphonique et l'a porté presque à la hau-
teur de Beethoven ; le quatuor pour instruments à cordes lui
doit aussi sa beauté et sa noblesse. Enfin, dans ses œuvres
pour piano, que de grâce et d'élégance ! 11 a enrichi, élargi
et réglé l'ordonnance des formes instrumentales de la compo-
sition. Oui, c'est une personnalité remarquable dans notre
art ; mais toujours, dans la Création comme dans les Saisoits,
dans les symphonies comme dans les quatuors, dans les
sonates comme dans ses autres petites pièces, en un mot dans
toutes ses œuvres, il reste avant tout le vieillard affable, sou-
riant (quelquefois, il est vrai, d'un sourire sarcastique), sans
souci, content de soi et de tout le monde.
— Et Mozart?
— Si on caractérise Haydn par cette épithète: « le vieil Haydn »,
il faut caractériser Mozart par cette autre épithète- « le jeune
Mozart ». Bien que chronologiquement et par son entourage
Mozart soit sur le même niveau intellectuel qu'Haydn, ce-
pendant dans toute son œuvre il reste jeune, cordial et sincère.
Les voyages qu'il a faits dans son enfance ont eu de l'influence
sur sa nature musicale et sur ses pensées d'artiste. L'opéra
est devenu son œuvre principale ; cependant, c'est dans ses
œuvres instrumentales qu'il exprime le mieux son propre
moi. Chez lui, comme chez Haydn, j'entends toujours le jargon
viennois, mais je n'hésite pas à le proclamer le soleil (Èlios)
de la musique! Il a éclairé tous les genres de son rayonne-
ment, il a mis sur tout ce qu'il a touché l'empreinte de
la divinité. On ne sait ce qu'il faut le plus admirer de sa
mélodie ou de sa forme, de sa limpidité de cristal ou de
sa richesse d'invention. A côté de la symphonie en sol mi-
neur (cette merveille unique dans le lyrisme), il a mis la der-
nière partie de la symphonie Jupiter (cette autre merveille
de la technique symphonique), à côté des ouvertures de la
Flûte enchantée et des Noces de Figaro (ces merveilles de gaité
et de fraîcheur), il a fait le Requiem (celte merveille de douleur
harmonieuse), à côté de la Fantaisie pour piano il a créé le
quintette en sol mineur (1). Et à côté de toutes ces œuvres
remarquables dans la musique instrumentale, il nous a
laissé ses admirables opéras. Bien que Gluck ait créé avant
lui de grandes choses pour le théâtre, et qu'il y ait même
tracé de nouvelles voies, il semble, quand on le compare à
Mozart, un compositeur de pierre. Mozart a encore le mérite
d'avoir fait sortir l'opéra du pathos glacial de la mytholo-
gie, où il se confinait, pour le faire entrer tout vivant dans
le drame humain ; enfin, c'est lui qui a introduit un des pre-
(1) Dans cette dernière œuvre, il est intéressant d'observer comme la
richesse et la beauté de la mélodie rachètent tout dans la musique.
Ordinairement, pour la musique de chambre, on exige de la polyphonie,
tandis qu'ici régne l'homophonie la plus complète; tous les motifs ont
un accompagnement simple et terre à (erre et. malgré cela, on reste
sous le charme d'une mélodie divine.
miers la langue allemande dans l'opéra et, par là, il y a
fait pénétrer du même coup une dose de sentiment national
qui n'existait pas avant lui. — Ce qui est peut-être encore
plus intéressant dans ses opéras, c'est la caractéristique
générale qu'il a su donner à chacun de ses personnages,
dont il a fait des types immortels. Il est vrai qu'il a été aidé
puissamment en cela par l'heureux choix des sujets et par
leur arrangement scénique.
— Mais le sujet de la Flûte enchantée est généralement consi-
déré comme le dernier mot du ridicule.
— Je suis d'un avis tout opposé, ne fut-ce qu'en raison de
la variété des nuances qu'il présente : le lyrique, le fantastique,
le na'if, le comique, le romantique, le pathétique, le tragique,
tout y est. Il est difficile d'imaginer une expression qui ne s'y
trouve, comme dans Don Juan d'ailleurs. — Il va sans dire
qu'il a fallu le génie de Mozart pour exprimer tout cela dans
sa musique ; mais de semblables livrets pourraient inspirer
des compositeurs même d'un moindre génie.
— Mais ce qu'a fait Mozart, lui seul pouvait le faire.
— Oui, c'est vraiment une créalioQ divine tout inondée de
lumière! Et je suis prêt volontiers à crier devant son œuvre :
Éternelle clarté, dans la musique ton nom est Mozart!
— Je ne comprends pas comment, avec une admiration
aussi enthousiaste pour Mozart, vous pouvez assigner à d'au-
tres musiciens une plus haute place?
— L'humanité cherche les orages, elle sent qu'elle se
dessécherait sous les rayons brûlants du soleil de Mozart,
elle a besoin de s'épancher, elle souffre de l'inaction, elle se
dramatise La Révolution française éclate, et Beethoven
apparaît.
— Voulez-vous dire par là que Beethoven est l'écho mu-
sical de la Révolution française '.''
— Pas de la guillottine assurément, mais il répercute le
grand drame; son œuvre n'est pas de l'histoire mise en
musique, bien entendu, mais elle est 1' écho musical de la
tragédie qui s'appelle : liberté, égalité, fraternité.
(Traduit du manuscrit russe par Michel Delines.)
(A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
Aurons-nous Tamara ou n'auroos-nous pas Tamara? La première
représentation en était enfin promise pour demain lundi, et voici
qu'il commence à courir des bruits qu'elle pourrait bien être remise
au vendredi 2o. Vous verrez que MM. Ritt et Gailhard, avec leur
sans-gêne habituel, finiront par laisser pour compte l'œuvre de
M. Bourgault-Dueoudray à la nouvelle direction de M. Bertrand.
El le ministre fermera les yeux sur ce nouveau croc-en-jambe
donné au cahier des charges par les protégés de M. Gonstans. On
n'en est plus ù compter avec les coups de canif dont ces messieurs
ont criblé leur contrat avec l'Étal.
MM. Bertrand et Campocasso semblent devoir être de plus scru-
puleux observateurs des engagements qu'ils ont pris. Ils ont pro-
mis des représentations populaires, et, dès le premier dimanche de
leur direction, le 3 janvier, ils les inaugureront sans plus tarder.
M. Bertrand a renoncé au plancher mobile qu'il devait faire poser
au-dessus des fauteuils d'orchestre, pour ensuite le garnir de bancs
mobiles. Les sièges confortables de l'orchestre et du balcon resteront
à la disposition de la plèbe, seulement on les recouvrira de housses,
et on remplacera les fauteuils eu soie des loges par des chaises
cannées. Bien amusantes, ces différences. La République est ilo-
rissante et, postérieurement parlant, l'égalité n'existe pas cependant
pour tous les citoyens. N'est-ce pas le cas de s'écrier avec Mac-Nab :
Peuple français, la Bastille est détruite
Et y a z'encor du « canné » pour tes fils 1...
Les représentations populaires dominicales commenceront ù cinq
heures pour finir à neuf heures du soir. Il ne faut pas que le peuple
veille. Mais oîi trouvera-t-il le temps de dîner?
A rOpéra-Comique, toujours grande activité. On répèle avec enthou-
siasme la Cavalleriarusticana, où M"" Calvé. d'après tous les bruits
LE MENESTREL
403
de coulisse qui nous parviennent, va se montrer extrêmement remar-
quable. On se dispose à reprendre l'Étoile du Nord, dont le besoin
se faisait vivement sentir, parail-il, dans le quartier du Châtelet,
et même on songe aune reprise du 7?t've de M. Bruneau, qui avait
fini pourtant sur d'assez piètres recettes; mais ils sont deux ou trois
dans la presse qui voitnt dans cette partition « un des plus nobles
efforls de la musique contemporaine » (!), et le directeur devra
s'incliner devant le désir de celle infime minorité. Ou va donc faire
une nouvelle épreuve du « cbef-d'œuvre »; nous verrons ce qu'il
en sera. Enfin, il est probable que M°" Richard débutera prochaine-
ment dans le Roi d'Ys, qui vaut à lui seul beaucoup de Rêves. En
attendant toutes ces belles choses, Manon continue à tenir l'affiche
avec honneur. Sans avoir la prétention d'aucun effort, celte pauvre
partition a même réalisé, dimanche dernier, la plus forte recette
qu'on ait jamais encaissée à la place du Châtelet.
^ •' H. M.
NouYEAiTÉs. — La Veiiu de Lolotte. vaudeville en trois actes de M. Maurice
Ordonneau, musique de M. L. Ganglofl'.
Voici les Nouveautés revenues au genre qui a fourni, dans cette
petite salle élégante, les succès les plus durables; je veux dire au
vaudeville avec musique nouvelle. Cette fois, le vaudeville y est
bien, et il n'en pouvait être autrement avec M. Maurice Ordonneau.
qui a fait heureusement et souvent ses preuves. Mais la musique ?
.Je m'en voudrais de chagriner outre mesure M. Gangloif, dont
quelques scies de café-concert sont devenues populaires, et pourtant...
Pas un des couplets confiés à M"° Mily-Mcyer, qui, cependant, s'y
entend pour donner de l'esprit aux moindres choses, n'a porté;
quant à l'ouverture et aux entr'actes, il vaut mieux n'en point
parler.
L'histoire de celte jeune Lolotle, que nous conte M. Maurice
Ordonneau, est des plus simples : je puis vous la dire vivement.
Un comte de la Jonchère, déjà sur le retour, marié à une veuve,
puis divorcé, veut convoler à nouveau, mais cette fois avec une
vraie jeune fille. L'agence Montfermeil est chargée de dénicher le
rara avis. En désespoir de cause, on se rabat sur la jeune Lolotte,
blanchisseuse de son état, qui ne présente précisément pas toutes
les qualités requises par la Jonchère. Il s'agit donc de berner le
bonhomme et ce n'est point chose facile, les amoureux et les cama-
rades embrouillant, à chaque moment, une situation assez délicate.
Finalement, la Jonchère s'aperçoit qu'on se joue de lui, il renonce
aux jeunes filles, tandis que Lolotte se jette dans les bras d'un
ancien amoureux.
M"= Mily-Meyer, M"'" Mathilde, MM. Tarride, Germain et Didier
mènent agréableuient cette bouffonnerie.
Paul-Émile Chevalier.
MUSIQUE DE TABLE
II
EN ORIENT
(Suite.)
Mais quittons le pays des roses et des bayadères pour nous
diriger vers un autre point de cet Orient si plein de charme, en-
core qu'il n'y ait qu'une voix, parmi les voyageurs, pour se plaindre
de l'acuité de sa musique.
Tel est le cas du comte d'Estourmel, qui parcourut la Grèce, la
Turquie, l'Asie Mineure et l'Egypte en 1832. Il nous racontera le
• dîner qu'il fit chez un négociant de Janina :
« Vers midi, dit-il, nous nous embarquâmes et nous nous ren-
dîmes à une petite maison de campagne située dans un îlot au mi-
lieu du lac. Les convives s'assirent par terre autour d'un guéridon
fort bas, enjolivé de petites incrustations en nacre, sur lequel on
plaça un plateau, et sur ce plateau tout l'attirail du repas, qui se
bornait à assez peu d'accessoires, les doigts servant de fourchettes
et de couteaux, et le pain d'assiettes. Quant au principal, il fut abon-
dant : les viandes, le poisson, les légumes se succédèrent rapide-
ment ; cela aurait été bon sans l'art du cuisinier, grâce auquel rien
n'était mangeable : il avait tout gâté à force de cumin et de safran.»
Notre compatriote fit contre fortune bon cœur et « se sacrifia
pour des ingrats», car ces perfides Grecs, tout en l'empoisonnant,
lui reprochaient encore de ne point manger suffisamment. Mais il
n'était pas au bout de ses peines :
« Pendant ce régal, on conjurait contre mon palais et mes oreilles.
Trois hommes et une femme faisaient une musique enragée, miau-
lant, glapissant et jouant à tour de bras de la guitare et du tam-
bourin. Pour un Grec, chanter fort bien, ce n'estjamais que chanter
bien fort : la femme surtout s'égosillait de l'air le plus triste du
monde.
» Le consul de France, qui se trouvait parmi les convives, finit par
jeter des pommes à ces br allards; mais bientôt il fil cause commune
avec les persécuteurs du noble invité. Le sachant bien en cour, il
lui raconta les passe-droits dont il se croyait victime et conclut à
une demande d'avancement. Sur les bonnes paroles de son interlo-
cuteur, il se rasséréna et porta sa santé et celle du roi Louis-Philippe
et de toute la famille royale, si bien qu'il se grisa comme les
autres, et chanta aussi faux.
1) Après le repas, des serviteurs apportèrent des aiguières pour les
ablutions, et d'Estourmel de dire, par manière de politesse: Lavabo
inter innocentes nianus mcas. »
La fête fut couronnée par une danse « toute d'attitudes ». Mais
elle dura plus longtemps pour notre compatriote que pour les autres,
car lorsqu'il se rembarqua, l'infernale musique, qui l'avait tant fait
souffrir pendant le dîner, l'escorta sur des barques et ne le lâcha
qu'à sa porte, après une sérénade finale, qui dura une partie de la
nuit.
Un autre Français, consul général auprès d'Ali de Janina, nous
montrera mieux encore les mœurs intimes de ce pays curieux, car
il lui fut donné d'assister au mariage d'un aïan (officier turc), dans
le canton d'Anatélitza, l'Elymée des anciens, entre le Pinde et le
Parnasse. Il en a laissé cette relation :
« J'étais logé dans le sérail. Une de mes fenêtres avait vue sur la
salle du festin, dans laquelle se trouvaient réunis les principaux
chefs de la Macédoine, au nombre de plus de deux cents, groupés
autour de tables rondes en cuivre doré, sur lesquelles on leur ser-
vait une suite de plats qui ne faisaient que paraître et disparaître.
Ils mangeaient, suivant l'usage primitif des hommes, en déchirant
les viandes avec les doigts et sans parler. De jeunes pages, riche-
ment vêtus, leur servaient ensuite, dans des coupes dorées, du vin
à la "lace, tandis que des musiciens faisaient retentir le palais et
les cours des sons de leurs instrumeuls barbares et de leurs accla-
mations.
» Le souper se passait tranquillement, lorsqu'un derviche à moitié
nu, forçant la porte de la salle, parut au milieu des convives en
criant houl hou! Dieu! Dieu! et en faisant le moulinet avec un bâton
pour écarter ceux qui voulaient le repousser. — Puisse ta femme,
dit-il au chef de la maison, avoir un homme qui me ressemble ! Et
sans demander la permission, il saisit une volaille qu'il déchira à
belles dents; puis, s'clançant sur une table, il y arracha un morceau
de mouton qu'il mit dans sa chemise, appliqua un soufflet à un des
pao-es, afin de l'avertir de lui donner à boire, dit des injures, et se
retira pour aller dormir à l'écurie, sans que personne parût étonné
de ce qui venait de se passer.
» Le service étant fini, on donna à laver. Les musiciens firent
aussitôt place aux bouffons et à des bohémiennes qui exécutèrent,
comme les courtisanes d'Athènes auz banquets des sophistes, les danses
les plus lascives devant les graves musulmans, dont quelques-uns
daignaient leur sourire. »
Ne quitt'jns pas la presqu'île hellénique sans emprunter ce coin
musical au récit d'un voyage en Asie Mineure et en Grèce que fit
de 1764 à 17ti6, et aux frais de la Société des dilettantes de Londres,
le docteur Richard Chandler, membre du collège de la Madeleine.
Ce savant homme mit pied à terre en Chersonèse, au moment où.
les Grecs célébraient eu grande pompe leurs panégyres. ou assemblée
générale. Tout le monde était en liesse. Notre voyageur, accompagné
d'un ami, suivait le mouvement populaire sans s'y mêler, lorsqu'un
incident vint, malgré lui, le forcer à prendre sa part des réjouis-
sances publiques. Il n'en a, d'ailleurs, avec son flegme tout britan-
nique, retenu que cette observation technique :
« Deux de leurs musiciens nous voyant assis sous un arbre touffu
où nous dînions, vinrent à nous, jouèrent différents airs et firent
danser quelques-uns de nos Turcs. Un de leurs instruments ressem-
blait à un tambourin ordinaire, mais il était plus grand et gros ;
on le frappait avec deux baguettes. La baguette avec laquelle on le
battait en dessous était mince, et celle qui servait à le frapper au-
dessus était plus grosse et garnie d'un nœud au bout. Cet instrument
était accompagné d'une flûte ayant un roseau pour embouchure, et
au-dessous un bord circulaire on bois contre lequel s'appliquaient
les lèvres du joueur. Les joues du joueur étaient extrêmement enflées
et les notes se trouvaient si serrées, si perçantes et si désagréables,
qu'elles me rappelaient une fameuse composition que Minerve, dit la
40i
LE MEiNESlKl'X
fable, destina pour l'ancienne aulos ou flûte. C'était une imitation des
cris et des hurlements poussés par les Gorgones coifToos de couleuvres,
lorsque Persée tua les triples sœurs en séparant de leur corps
la tète de Méduse. »
En Turquie, c'est aux sons de la musique que s'opère l'entraine-
ment des filles à marier. On sait que l'eraboopoint de la femme
constitue son principal cliarmn aux j-eux des Otiomans. Aussi ne
lecule-t-on, pour obtenir cette attraction, devant aucuu procédé,
sans même en excepter ceux employés dans la Bresse pour amener
:i leur performance complète les volailles redondantes qui font tant
■l'honneur à l'élevage français.
On met donc ces beautés indolentes dans un lieu étroit et fai-
lilement éclairé, où on les oblige d'être presque loujours couchées
^ur d'épais coussins et d'observer nu silence asstz rigoureux. Leur
seul amusement e3t de pincer du théorbe, dejnuer du tvmpanon, ou
'l'arranger leur coiffure devant un miroir. On leur faii prendre deux
bains' par jour, on les masse, on donne avec des essences de la
souplesse à leur peau, enfin ou les empâte avec une bouillirt de fa-
rine de maïs mêlée avec du miel ou édulcorée de sirop de datles.
Mais reprenons notre excursion, et cette fois en compagnie de
l'un des plus charmants conteurs qui aient jamais existé. A la suite
d'une chasie au héron, ce mets royal de fous les temps et de tous
les pays, Gérard de Nerval reçut l'hospitalité d'un émir du Liban qui
lui fit grand, accueil :
« Il y eut ce soir-là un banquet splendide a.iq'iel beaucoup de
voisins avaient élé conviés. On avait placé dans la cour licaucoup de
petites tables à la turque, multipliées et disposées d'après lu rang
des invités. Le héron, victime triomphale de l'txpédition, décorait,
avec son col dressé au moyen de fils de fer et ses ailes en éventail,
le point central de la table priucière, placée sur une estrade, et où
je fus invité il m'asseoir auprès d'un des pères lazaristes du couvent
• a'Antonia, qui se trouvait là à l'occasion de la fêle. Des chanteurs
et des musiciens étaient placés sur le perron de la cour, et la ga-
lerie inférieure était pleine de gens assis à d'autres petites tables
de cinq à six personnes. Les plats à peine entamés passaient des
jiremières tables aux autres, et finissaient [ ar circuler dans la cour,
i.ù les montagnards, assis à terre, les recevaient à leur tour. On
i.ous avait donné des vieux verres de Bohème : mais la plupart des
convives buvaient dans des lasses qui faisaient la ronde. De longs
cierges de cire éclairaient les tables principales. Le fond de la cuisine
fo composait de mouton grillé, do pilau en pyramide, jauni de pou-
dre de cannelle et de safran, puis de fricassées de poissons bouillis,
(f; légumes farcis de viandes hachées, de melons d'eau, de bananes
ut d'autres fruits du pays. A la fin du repas, on porta des santés au
bruit des instruments et aux cris joyeux de l'assemblée : la moitié
lies gens assis à table se levait et buvait à l'autre. »
Le pittoresque oriental no s'est pas confiné sous les cèdres du
Liban. Nous le retrouvons, sous une autre forme, mais non moins
piquant et musical, au Caire, où le comte d'Estourmel, déjà nommé,
va nous faire assister à une fête donnée pour la circoncision du
tils aine d'un riche joaillier.
Tout le monde est admis dans la cour intérieure et à la file, sans
invitation, pour présenter ses hommages au héros de la journée,
Ali-Sayd-Saal, qui a dix ans. Cependant, au centre de cette cour,
une enceinte est réservée pour les visiteurs de haute marque. On y
a dressé des bancs k dossier, sur lesquels prennent place les Euro-
péens, tous gens à chapeaux, devant lesquels les turbans s'in-
clinent.
Ensuite, on les fait entrer dans une salle d'honneur, prenant jour
sur la cour par une ouverture grillée, afin qu'ils ne perdent rien du
spectacle. On les fait asseoir sur des coussins, et le maître du loo-is
les invite à mettre habit bas. Ils s'y refusent ; mais le joaillier
insiste et ne les quitte que lorsqu'ils sont en manches de chemise,
sans gilet et sans cravate. De plus, il leur envoie des chaises et
des bancs, pour qu'ils soient plus commodément, et leur fait porter
un souper des plus succulents, pendant que dans le public circulent
des mets na'donaux, auxquels chacun fait honneur gloutonnement.
C'est en bas une entrée et une sortie perpétuelles; mais le bruit
de la foule et le brouhaha des conversations sont dominés par les
éclats d'un concert vocal et instrumental, qui ne rappelle que
trop à notre compatriote son diner chez le négociant de .Tanina.
tJependant il s'intéresse aux musiciens, ses persécuteurs :
« Leurs instrumeuis, dit- il, ressemblaient assez pour la forme à
nos flûtes, à nos violons et a nos guitares, mais ces derniers n'a-
vaient que deux cordes; et la flûte pour l'harmonie me rappela sur-
tout notre flûte à l'oignon. Tous ces virtuoses étaient forts comme
des Turcs; je leur vis casser plusieurs archets. Quelquefois le cory-
phée, renflant sa voix, épuisait son haleine dans une longue tenue, »
Mais la nuit est venue. Des centaines de petits verres blancs
répandent une douce lumière dans l'assemblée. Au-dessus, c'est le
ciel étoile d'un bleu sombre. A travers les jalousies des étages supé-
rieurs scintillent des feux et bruissent d'autres instruments : c'est
le harem qui prend part à la fèt''. Mais nos étrangers ne sont point
conviés à celle partie du programme. Ils doivent se contenter du
spectacle do la foule, et finalement des plaisirs de tout le monde,
car ils se mêlent aux réjouissances, sur le tard.
« On servait fréquemment du café et du sorbet à la rose, quelque-
fois de l'eau-de-vie anisée. Les liqueurs sont ici peu variées : l'art
de la distillation est dans l'enfance, quoique le mot alambic soit
originairement arabe. On faisait aussi circuler de grands plateaux,
dont une lanterne de papier occupait le centre, et autour de laquelle
se pressaient [lêle-mèle des raisins secs, des dragées et des pâtis-
series au miel. »
Sans la musique endiablée qui accompagnait ces gourmandises,
nos compatiiotes eussent assurément conservé lopins agréable sou-
venir de cette soirée; mais ils revinrent chez eux avec un violent
mal de tète, qu'ils mirent sur le compte des flûtes à l'oignon, ce qui
leur gâta toute leur fête.
Lorsque M. d'Estourmel revint en France, il poussa un grand
soupir de satisfaction et se satura de bœuf et d'orgue de Barbarie :
il en avait assez, de la chère et de la musique orientales.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Ghàtelet. — A l'occasion du centième anniversaire de la
mort de Mozart, M. Colonne avait consacré toute la seconde partie du
concert aux œuvres du maître. Le concerto pour deux pianos, exécuté par
M. Louis Diémer et M. Perret, a trouvé une interprétation toujours excel-
lente et qui même s'est approchée souvent de la perfection. La musique
de Mozart, claire, limpide, émaillée de notes d'agrément et de trilles qui
scintillent sous les doigts comme des diamants taillés à facettes, a été
rendue avec les ressources multiples d'un jeu souple, net et précis et d'un
toucher susceptible des nuances les plus diverses. Le morceau a été cou-
vert d'applaudissements qui ont eu le caractère d'une véritable ovation
après le premier mouvement. M"= Marcella Pregi nous a laissé, dans l'air
de Suzanne des Noœs de Figaro, l'impression d'une interprétation exacte-
ment au point et d'un charme incontestable provenant des qualités parti-
culières de l'organe, de l'excellence de la méthode et du goût réel de
l'artiste. M"|= de Monlalant, très en progrès, a chanté une mélodie de
M. Charles Lefebvre, œuvre distinguée et poétique, et la délicieuse Myrto
de Léo Delîbes, à laquelle un dessin persistant d'accompagnement donne
un caractère sauvage, mais parfaitement en situation. Les deux jeunes
chanteuses, auxquelles se sont joints M™' de Berny bien charmante nature
d'artiste) et M. "Villaret, ont fait entendre l'introduction si gracieuse et
si vive de la Flûte encliantée. La huitième symphonie de Beethoven avait
servi de début à ce beau concert. Le premier morceau, le menuet lui-
même et surtout le finale de cette symphonie ne sont pas indignes de
figurer à côté du merveilleux allegretto auquel est réservée trop exclusive-
ment la faveur du public. Succès tout spontané, enthousiaste même po^r
/(■ Rouet d'Omphalc de M. Saint-Saëns, que l'orchestre a détaillé avec une
exquise ténuité. La séance s'est terminée par la symphonie en ml mineur
de Mozart, une des plus finement ciselées et des mieux inspirées du
maitre. Amédée Bouï.uœl.
— Concert Lamoureux. — Nous sommes heureux d'avoir à constater
le succès d'une œuvre remarquable de M. W. Ghaumet : il s'agit de
l'alria, belle poésie de M. Louis Gallet, pour laquelle le compositeur a
écrit une musique symphonique d'un style élevé, d'une grande clarté,
d'un sentiment exquis. Les paroles sont tantôt déclamées, tantôt chan-
tées, sans que le passage de la déclamation au chant et au chant à
la déclamation ait jamais rien de heurté ou de disparate. Nous n'ai-
mons guère, en général, cette sorte de musique, que les Allemands
appellent le mélodrame : les paroles empêchent généralement d'écouter la
musique ou la musique empêche d'écouter les paroles ; le déclamateur.
n'étant pas toujours musicieit, parle aussi, généralement, faux. Nous ne
connaissions qu'un essai heureux en ce genre, une œuvre de t";rieg,
Hcrgliot, qui avait été fort admirée aux concerts du Ghàtelet, dirigée par
lui-même. L'œuvre de M. "W. Ghaumet se recommande par l'unité
de la composition : elle se tient d'un bout à l'autre. M. Lassalle l'a
interpréiée avec un art consommé. Il a provoqué, à divei-ses reprises,
une vive émotion dans l'auditoire. On l'a rappelé trois fois, et c'était
justice; tout était à louer chez lui : la dictmn, le geste, l'art de bien
dire autant que l'art de bien chanter. Quand M. Lamoureux nous donnera
des œuvres modernes de la valeur de Palria, il aura droit à nos plus sin-
cères éloges. — Nous serons plus réservé quand il s'agira d'œuvres telle
que le Merlin enchanté de M. Marty. Celte composition, ultra-wagnérienne
LL; MEiNLSlilEL
405
n'a pas eu le don de plaire au public, pourtant si docile, des concerts
du Cirque, et peu s'en est fallu qu'on ait chuté cette œuvre apocalyp-
tique que le programme ne suffit pas à rendre compréhensible. M. La-
moureux a donné une exécution un peu molle à l'ouverture de Freisdwlz,
de Weber. Quant à la délicieuse symphonie en si bémol, de Schum.ann,
lo premier morceau a été dit lourdement, l'andante sans nuances ; en
revanche, l'exécution du scherzo et du finale a été irréprochable. Il n'y
a rien à redire non plus à l'interprétation de l'ouverture du Tnnnlidvser,
de Wagner, et de la Danse mncabre. de M. Saint-Saéns, qui ont été fort
bien dites. Ce qu'il y a le plus à reprocher à M. Lamoureux, c'est la dis-
position matérielle de son orchestre : les cordes sont enterrées comme
dans un sous- sol, les instruments à vent les dominent de très haut et les
écrasent. Presque toujours ce défaut se fait sentir. Les cirques sont des
locaux si défavorables à la musique qu'on ne saurait, sans injustice, en
rendre M. Lamoureux complètement responsable. II. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche ;
Conserva'oire : Deuxièaie symphonie, en ré majeur (Brahmsl ; air iVEroslraie
(Reyer), par M. Delmas; concerto pour violon (Mendelssohn), par M. Edouard
Nadaud; fragment de la Damnation de Faust (Berlioz), chinté par M. Delmas. Le
concert sera dirigé par M. J. Garcin.
Gbâtelet, concert Colonne : Neuvième symphonie, avec chœurs (Beethoven),
soli par M"" de Monlalaut et Pregi, MM. Warmhiodt et Auguez; concerto pour
deux pianos (Mozart), par MM. Diémeret Pierret ; ti'frf pour violoncelle (V. d'Indy),
par M. Baretli ; scène du Venusberg, de Tannimuser (Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Oaverture de Manfred (Schu-
mann); symphonie en tit mineur (Beethoven); concerto en ni; bémol, n' 3 (Saint-
SaëQs), exécuté par M"" Kara Chatlelyn; air de ballet (Massenet) ; ouverture des
Hlaltres-Citanteiirs (R. Wagner); Rapsodie norvégienne (Lalo).
— Très beau succès, mercredi dernier, à la salle Érard, pour la pre-
mière des dix séances de musique de chambre moderne données par
MM. I. Philipp, Berthelier, Loëb et Balbreck, qui ont exécuté d'une façon
merveilleuse un fort beau quatuor de M. Gh.-M. 'Widor. Une jolie suite
pour piano et violon, de M. Emile Bernard, a valu de vifs applaudisse-
ments à MM. Philipp et Berthelier, qui s'y sont distingués d'une façon
toute particulière, et la séance s'est terminée par une excellente exécu-
tion d'un intéressant trio de M. F. Gernsheim, compositeur néerlandais,
qui n'est pas un inconnu pour le public parisien.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (17 décembre) : — La Monnaie
a enfin donné jeudi la première de Barberine, paroles de MM. Paul Gollin
et Lavallée, d'après Alfred de Musset, musique de M. de Saint-Quentin. Il y
avait assez longtemps que l'œuvre était écrite et que les auteurs désiraient
la faire jouer. Nous nous souvenons d'en avoir entendu des fragments im-
portants, il y a six ou sept ans déjà, un soir, chez M. Bourée, le ministre
de France, qui avait convié tout exprès un public choisi pour les entendre.
On ne peut donc pas dire qu'elle ait été improvisée. Le succès, pourtant,
l'autre jour, à la Monnaie, n'a pas été aussi complet que cette longue
préparation semblait le promettre ; le public, bien que sympathique, a
fait à l'œuvre nouvelle un accueil assez froid. Elle est fort gracieuse, assu-
rément, et pleine de jolies choses. Mais l'ensemble a paru d'une couleur
un peu grise. OEuvre nouvelle, dis-je ; c'est beaucoup dire, du moins, pour
ce qui regarde le poème. La comédie de Musset, que M. de Saint- Quen-
tin a mise en opéra-comique, date de loin. Ce n'est pas une des meilleures
du chantre de Rolla, et l'on se souvient qn'elle ne réussit guère quand la
Comédie-Française la joua, en 1882, avec la pauvre Feyghine. Et cepen-
dant, elle est bien jolie, bien poétique, dans sa fable naïve et sa touchante
simplicité, cette histoire — histoire rare — d'une femme fidèle en butte
aux poursuites d'un séducteur, qu'elle punit cruellement, et qui se con-
serve intacte et pure à l'amour de son époux. MM. CoUin et Lavallée, en
sacrifiant les épisodes inutiles à l'action principale, ont adapté avec adresse
la comédie à la scène lyrique, conservant la prose de Musset même dans
la partie chantée, quand cela se pouvait, et arrivant ainsi à faire un livret
d'opéra qui gardât quelque chose de la saveur exquise de l'œuvre originale.
Il ne dépendait pas d'eux qu'elle eût plus d'intérêt scénique; car la
pièce est jolie par son sentiment beaucoup plus que par son mouvement.
M. de Saint Quentin a suivi peut-être trop respectueusement le caractère
intime de son modèle ; il n'a pas jugé à propos de « composer » sa par-
tition de façon à lui donner de l'unité; il l'a découpée en morceaux déta-
chés, n'ayant pas de lien visible entre eux, et il en est résulté quelque
monotonie. Cette réserve faite, il ne me coûte pas de dire que sa musique
est sinon bien personnelle, du moins très distinguée, qu'elle a du charme,
de l'élégance et qu'elle est écrite d'une main experte, sans banalité. Plu-
sieurs pages ont été applaudies et méritaient de l'être, pour leur cachet
aimable, expressif et fin. Ajoutons que Barijerine a trouvé d'excellents in-
terprètes en M"':' Darcelle, Savine et "VVolf, MM. Isouard et Gilibert. —
On prépare maintenant, ou plutôt on achève de préparer la reprise de
Lohengrin, avec M. Latarge, qui nous est revenu tout à fait rétabli, M.Sé-
guin, M™ de Nuovina et M''^ Wolf. On songe à une autre reprise, depuis
longtemps promise, de la Flûte enchantée, en attendant Chevalerie rustique ;
et l'on fera prendre patience au public avec quelques petits ouvrages
remis à la scène, tels que le Tableau parlant de Grétry et le Toréador. —
Au théâtre des Galeries, la Fille de Fanchon la Vielleuse a remporté un très
grand succès ; on a traîné M. Varney sur la scène avec un enthousiasme
délirant. L'interprétation est remarquable, avec M"" Samé, qui est ravis-
sante de grâce, d'esprit et de sentiment, M"" "Villers, une nouvelle venue,
aussi agréable à voir qu'à entendre, M. Lamy et M. De Béer. — La pre-
mière séance des Concerts populaires, dimanche dernier, a été fort inté-
ressante. On a applaudi l'excellent pianiste M. Gurickx dans le concerto
de Tscbaïkowsky et un morceau de sa composition. En mer ; et l'orchestre
a exécuté diverses nouvelles œuvres russes et allemandes. Parmi ces der-
nières, il y en avait une de M. Richard Strauss, la nouvelle « étoile » qui
brille d'un si vif éclat, depuis quelque temps, au firmament musical, de
l'autre côté du Rhin. On reprochait beaucoup aux Belges de ne pas avoir
fait encore connaissance avec M. Richard Strauss, que les Allemands com-
parent volontiers à "Wagner (également Richard). Maintenant, nous le
connaissons. C'est un musicien bien ennuyeux. La « fantaisie sympho-
nique » qu'on a jouée de lui. En Italie, est une interminable et obscure
composition à programme, qui donne beaucoup moins l'impression du
beau ciel bleu de là-bas que celle d'une brasserie, à Weimar, dans la fu-
mée des pipes. Enormément de science, mais delà musique, hélas ! nous en
avons cherché en vain. Les compositions des deux autres auteurs, Smetana
et Glazounow, qu'on a entendues ensuite, ont une bien autre saveur. L'or-
chestre, sous la magistrale direction de M. Joseph Dupont, a exécuté tout
cela dans la perfection. Lucien Solvay.
— On lit dans l'Echo musical de Bruxelles : « Le savoureux et captivant
opéra : Quentin Durward, de M. F.-A. Gevaert, a été monté, il y a deux
semaines, au Théâtre-Français de La Haye, par les soins et sous la direc-
tton de notre compatriote, M. Joseph Mertens. L'œuvre a obtenu un
succès triomphal dont les journaux hollandais se font à l'envi l'écho. Lors
de la première, les artistes ont été rappelés à trois reprises à la fin de
chaque acte; l'on a fait une longue ovation à M. Mertens dont l'habile et
artistique administration a réussi à galvaniser ce théâtre qui depuis plu-
sieurs années semblait sommeiller. »
— Le répertoire français en Allemagne. Relevé sur la dernière liste des
spectacles: Berlin : Fra Diavolo, Carmen (2 fois). — Cassei. : Robert le Diable,
Faust. — Cologne : le Roimalgré lui (2 fois). Mignon, Guillaume Tell, Carmen. —
Hamrourg ; Mignon, (2 fois), Joseph, les Huguenots, Carmen, la Juive, les Deux
Journées, la Basoche (i fois). — Mannheim : les Huguenots, le Maçon, la Juive.
— Vienne : l'Africaine, la Fille du régiment, Faust (2 fois), les Deux Journées,
Roméo et Juliette (2 fois), Hamlet, Coppélia, Sylvia, Manon (2 fois).
— Le prince de Bismarck et la musique. — Un journal étrangerrappelle
un entretien que le fameux peintre Lambach eut un jour, en 188-2, avec
le prince de Bismarck, dont il était l'hôte à Varzin. Un jour que la con-
versation tombait sur la musique, le prince, qui, comme d'habitude, fumait
sa longue pip8, déclara à son interlocuteur qu'il n'y comprenait absolu-
ment rien, et qu'il était, ainsi que ses fils, absolument réfractaire à cet
art. « Jamais, dit-il, je n'ai pu apprendre à jouer du piano, comme le
faisaient au gymnase (lycée) tous les fils de bonne famille avec lesquels
je me trouvais. Quand c'était à mon tour de lire les notes, je fondais en
larmes, et tandis que j'avais pu, grâce à ma bonne mémoire, apprendre en
une demi-heure les lettres de l'alphabet grec, c'était pour moi un véri-
table supplice que de devoir déchiffrer ces petits points noirs avec leurs
queues et signes de toute espèce. Bref, je n'ai rien de musical, ni l'esprit
ni l'oreille. Ce que j'ai toujours goûté le plus, c'est un bon orgue de Bar-
barie; le son de la vielle ne me déplait pas non plus, quand je l'entends
quelquefois, le soir, dans la campagne, ou encore le violoncelle, les instru-
ments enfin qui me rappellent le plus la voix humaine. Quant aux salles
de concerts et aux théâtres d'opéra, ce sont des lieux déplaisir que j'ignore;
du reste, j'aurais voulu y aller que je n'en aurais jamais trouvé le temps.
Dans ma famille, la princesse seule est musicienne; lorsqu'on a donné à
Berlin, au Victoria-Théâtre, la tétralogie de "Wagner, elle en a suivi les
représentations et a même invité à dîner le ténor Scarria. Pour moi, j'avais
à ce moment d'autres pensées et d'autres goûts. »
— On ne plaisante pas décidément sur la discipline, dans les théâtres
allemands, et les artistes sont conduits militairement. Nous avons fait
connaître récemment quelques mesures sévères prises à l'Opéra royal de
Berlin; c'est du théâtre grand-ducal de Carlsruhe que nous vient aujour-
d'hui la lumière. La direction de ce théâtre non seulement a fait défense
de jeter des fleurs ou des couronnes sur la scène, mais elle a rigoureuse-
ment interdit aux employés d'en porter dam les loges des artistes. On
pourra faire des exceptions, avec permission spéciale de la direction, en
faveur des artistes qui célébreront leur jubilé de cinquante ans de ser-
vices (on a le mot pour rire, en Allemagne), ou de ceux qui reparaîtront
à la scène après une longue maladie (de combien de temps?). Quant aux
rappels, l'administration renouvelle aux artistes la défense de reparaître
sur le théâtre à la suite d'une scène dans laquelle ils sont censés mourir!!
— A la dernière représentation de Don Juan donnée à l'Opéra impérial
de Vienne, lors du centenaire de Mozart, assistait un amateur qui avait
vu, en ISOb, la première représentation de ce chef-d'œuvre en langue
allemande. Jusqu'à ISOS Don Giovanni fut joué, à Vienne, seulement en
italien. L'amateur en question est un très riche banquier, M.Jacob Mayer,
40l>
LE MÉNESTREL
i]ui avait assiste à l'âge de onze ans, dans la loge de ses parents, à cette
mémorable première; il se souvient parfaitement de tous les détails de la
soirée et en cause volontiers. Depuis ISOo, M. Mayer a rarement manqué
une représentation de Don Juan ; il paraît qu'il a vu l'opéra de Mozart plus
do 1,000 fois. Malgré ses quatre-vingt-dix-sept ans bien sonnés, M. Mayer
occupe encore sa loge à l'Opéra de 'Vienne trois fois par semaine, et notre
ancien correspondant viennois, M. Berggruen, alErme qu'il a été tou-
jours frappé par la vivacité des impressions etla justesse des observations
de M. Mayer. Rien de plus curieux que de lui entendre raconter les soirées
splendides de l'Opéra impérial pendant le fameux congrès de Vienne. Il
avait déjà vingt ans à cette époque, et connaissait personnellement presque
toutes les illustrations artistiques de ce-temps. En 1876, âgé de plus de
quatre-vingts ans, M. Mayer a pu se rendre à Bayreuth, et la nouvelle
école musicale a trouvé en lui un fervent adorateur. Il espère célébrer, en
1894, le quarantième anniversaire de Lohengrin à Vienne en même temps
que son propre centenaire.
— Samedi 5 décembre, a eu lieu, au Théâtre Royal de Buda-Pesth, la
première représentation d'Alu'nor, l'opéra inédit de M. Jeno Hubay, poème
de M. Edmond Haraucourt. Le sujet de ces quatre actes est emprunté
aux légendes armoricaines dont Merlin est le héros, mais l'interprétation
donnée à ce thème poétique par M. Haraucourt est toute personnelle. La
musique de M. Hubay est charmante de jeunesse, de vie, de sincérité, et
le succès a été très vif. Le public a été conquis d'emblée par la sponta-
néité mélodique des inspirations du jeune maître, tantôt gracieuses ou
passionnées, notamment celles qui caractérisent le personnage d'Aliéner,
tantôt solennelles ou puissantes, par exemple quand Merlin apparaît ou
quand les chœurs interviennent ; et son orchestration, colorée avec goût,
a constamment intéressé. Un ballet avec chœurs, d'une disposition neuve,
ingénieusement rattaché à l'action, a été aussi très goûté. Les artistes,
notamment M"° Bianca Blanchi et M. Ney, ont vaillamment contribué au
succès, ainsi que le chef d'orchestre, M. Rebicek, un musicien d'un vrai
talent, et la mise en scène, à laquelle l'intendant des théâtres royaux de
Hongrie, M. le comte Géza Zichy, a donné tous ses soins.
— La maladie s'est abattue, paraît-il, sur le Théâtre National de Saint-
Pétersbourg, au point de le transformer en un vaste hôpital. Malade la
chanteuse légère, M^^^ Mravina, si sérieusement qu'on a dû engager pour
la remplacer une autre artiste, M"= Fohstrôm ; malade M. Napravnik,
l'excellent et renommé chef d'orchestre ; d'autres encore. — L'opéra nou-
veau de M. Rimsky-Korsakoff, Mlada, n'est pas encore près d'être repré-
senté. Son exécution offre, dit-on, d'effroyables difficultés, et aucun chef
d'orchestre ne peut, en l'absence forcée de M. Napravnik, venir à bout de
cette musique bizarre et tourmentée, de sorte qu'on a dû renoncer à mon-
ter l'ouvrage au cours de cette saison. — Un douloureux événement a
centriste le personnel de ce théâtre. La Bile unique, à peine âgée de quinze
ans, du premier directeur de la scène, l'ex-basse KoudratielT, s'est suicidée
en se tirant un coup de revolver au cœur, et n'est morte qu'après huit
jours d'horribles souffrances. On ignore ce qui a pu pousser la pauvre en-
fant à cet acte de désespoir, mais celui de son père est immense, et l'on
croit que l'infortuné va donner sa démission des fonctions importantes
qu'il occupe au Théâtre National.
— Le théâtre royal de Copenhague vient de reprendre deux ouvrages
français, d'époques différentes, que le public a accueillis avec un égal en-
thousiasme, la Dame blanche, de Boieldieu et Le Roi l'a dit, de Léo Delibes.
— L'Opéra royal de Stockholm va être prochainement démoli pour faire
place à une nouvelle construction, que l'on compte inaugurer dans trois
ans. C'est un des plus anciens théâtres d'Europe, ayant été érigé en 1782,
et, fait unique! il ne s'y est jamais produit d'incendie. Par contre, un drame
politique s'est déroulé dans son enceinte : l'assassinat du roi Gustave III
par Ankarstrôm. C'est le seul point noir dans l'existence du monument.
La dernière représentation a eu lieu le 30 novembre. Depuis cette date, la
troupe joue sur la scène du théâtre Svenska.
— Le gouvernement italien, peu satisfait, et pour cause, de la situation
financière du pays, songe à établir quelques impôts dont le produit serait
bienvenu dans les caisses du trésor. Parmi les taxes dont on étudie le
projet en ce moment, on en cite une, assez lourde, qui frapperait les
théâtres et les cafés-chantants.
— On devait donner le samedi S décembre, au théâtre Victor-Emma-
nuel de Turin, la première représentation d'un nouvel opéra du maestro
Radeglia : la Gemma di Karkunfel, lorsque, quelques heures seulement
avant lé spectacle, le compositeur retira sa partition, déclarant qu'il ne
laisserait pas jouer l'ouvrage. Les journaux ne font pas connaître les
motifs de cette décision inattendue.
— La saison de carnaval parait devoir être fructueuse en Italie pour
les ouvrages de nos compositeurs. Au Politeama de Gènes, on annonce
Mignon et Carmen ; à Chiavari, Carmen et Faust ; au théâtre Pétrarque,
d'Orezzo, Mignon et Carmen ; à Crema, Faust ; au théâtre Concordia, de
Crémone, Mireille et la Jolie Fille de Perth. Enfin, M"' Sigrid Arnoldson
doit donner sur divers grands théâtres une série de représentations de
Fra Diaoolo.
— Le Trovatore nous apprend qu'une cantatrice engagée par M. Sonzogno
pour chanter Mignon au théâtre Pagliano de Florence, M"" Béatrice Belm-
fort, s'est, dans un accès d'exaltation mentate, jetée par la fenêtre de la
pension Mac-Namée, où elle demeurait. Elle s'est fait de graves blessures
qui font craindre pour sa vie.
— Les journaux italiens affirment que le baron Franchetti, le richis-
sime compositeur à qui l'on doit la partition A'Asraël, s'est rendu acqué-
reur du théàlre Brunetti, de Bologne, où, après y avoir fait exécuter
d'importants travaux de restauration, il donnera « des spectacles gran-
dioses >i.
— Grande rumeur à Venise dans le personnel des masses, c'est-à-dire de
l'orchestre et des chœurs, du théâtre de la Fenice, la grande scène lyri-
que de cette ville. Le représentant de la direction n'ayant pu s'entendre,
dit-on, avec les éléments indigènes, aurait résolu de faire venir du dehors un
personnel choral et un orchestre complets. De là, on le comprend, plaintes,
récriminations, cris et grincements de dents.
— Il pleut maintenant des parodies en Italie. Tout d'abord, nous avons
à en enregistrer une cinquième de Cavalleria rusticann; celle-ci, qui a
obtenu du succès au théâtre Fossati, de Milan, a pour titre Cavallena
rustico-napoletana ; les auteurs sont MM. Enrico Campanelli pour les paroles
et F. R. pour la musique (ainsi le dit l'affiche). C'est aussi M. Mascagni
qui a inspiré la seconde ; son Ami Frits est devenu, au théâtre Rossini de
Roraefl'AmicoSfrizzola, sans qu'on nous fasse connaître les noms desparodis-
tes. Enfin, à Rome aussi, le théâtre Quirino a représenté une parodie qui
semble un peu tardive, celle A'Aida, mais qui n'en a pas moins été très
bien accueillie. La musique de celle-ci, absolument dépouvue d'origina-
lité, mais très gaie, parait-il, comme le livret, et très entraînante, est
due à M. Sassone. Cinq morceaux ont été bissés, entre autres celui de la
procession des prêtres qui vont juger Rhadamès, et qui se mettent à
danser sans façons sur un air plaintif chanté par Amnéris.
— On écrit de Véi'one à l'Italie : « Pour la soirée au bénéfice du ténor
M. Signoretti, la direction du théâtre Ristori lui a fait cadeau d'un poulain ;
on l'a fait voir au public, et cet étrange cadeau à un artiste a fait beau-
coup rire. Il s'explique cependant de la façon la plus naturelle. M. Signo-
retti possède une maison de campagne dans les environs de la ville, et
lorsqu'il chante à Vérone il l'habite et fait le voyage de la campagne à la __
ville pour les répétitions et les représentations. C'est pour cela qu'on lui
a donné un jeune cheval. »
— A Madrid, première représentatian d'un opéra nouveau, ei Fantasma
de fuego. Livret de MM. Gullon et Larra, fort mauvais, parait-il, quoique
tiré d'un roman de M. Jules Verne, les Indes Noires, musique aimable et
gracieuse de M. Fernandez Caballero, l'un des musiciens les plus renom-
més de l'Espagne.
— La grande saison italienne de l'Auditorium de Chicago vient de com-
mencer avec éclat. M"'' Van Zandt triomphe dans la Somnambule et
M"' Eames dans le Pardon de Ploërmel et Roméo. Dans ce dernier opéra,
elle a comme partenaires les frères de Reszké, M. Martapoura et M. Victor
Capoul, qui interprète un rôle secondaire.
— Les journaux de Buenos-Ayres annoncent qu'on va construire dans
cette ville un nouveau théâtre qui doit surpasser tous les autres en magni-
ficence. La salle pourra contenir 5,000 spectateurs.
PARIS ET DEPARTEMENTS
On se rappelle que l'an dernier, à l'Eden-Théàtre, vers la fin de sa
direction, M. Verdhurt annonça l'exécution de plusieurs des œuvres de
César Franck, le maître qui venait de mourir. Les héritiers du composi-
teur, après avoir donné leur autorisation à la représentation projetée,
l'interdirent au dernier moment et firent même saisir au théâtre les
parties d'orchestre, prétextant l'imperfection trop marquée de l'exécution.
Peu après, M. Verdhurt tomba en faillite. Son passif était de 223,000 fr.,
l'actif de 38,000 francs à peine. Le syndic de la faillite, prétendant que
les héritiers avaient, par leur consentement ensuite retiré, occasionné à
M. Verdhurt des frais inutiles dont ils lui devaient compte, leur deman-
dait, en conséquence, 20,000 francs de dommages-intérêts. La première
chambre du tribunal lui en a accordé 1,000 à l'audience d'hier.
— M. Massenet est parti cette semaine pour Angers, où il doit présider
à la célébration du quatre-centième concert de la Société artistique,
concert composé de ses œuvres pour la plus grande partie. C'est M™" Du-
rand-Ulbach qui en sera l'interprète pour les compositions vocales. Elle
fera entendre, entre autres, la dernière et saisissante mélodie du maître :
le Poète et le Fantôme.
— M. Théodore Dubois a complètement achevé la partition de Circé,
écrite sur un très intéressant livret de MM. Jules et Pierre Barbier et qui
est destinée au théâtre de l'Opéra-Comique. Le compositeur va commencer
à présent un autre grand opéra, Frithiof, dont le livret est dû également à
la même collaboration.
— Le Cercle de la critique dramatique et musicale a renouvelé cette
semaine son bureau. Ont été élus pour l'année 1892 : Président : M. Pes-
sard; vice-présidents: MM. Marcel Fouquier et Thomé ; secrétaire:
M. Maxime Vitu ; archivistes : MM. Noël et Stoullig.
— Le dernier numéro de la Revue encyclopédique (numéro de cent pages),
publié sous ce titre particulier, la Russie, est entièrement consacré à l'em-
LE MENESTREL
407
pire des czars, dont il nous fait connaître l'histoire, la littérature, les
beaux-arts, la science, etc., par la plume d'écrivains d'une compétence
spéciale, tels que MM. Melchior de Vogué, Leroy-Beaulieu, Marius Va-
chon, Alfred Rambaud, Albert Vandal... Nous signalerons particulière-
ment, dans ce numéro, une longue et substantielle étude sur la musique
russe par notre collaborateur Arthur Pougin, dans laquelle il fait con-
naître les origines du mouvement musical en ce pays, son développement
rapide et le complet épanouissement auquel il est parvenu de nos jours.
Ce travail intéressant et étendu est accompagné de portraits et d'auto-
graphes des grands musiciens russes, Glinka, Borodine, MM. Rubinstein,
Tschaïkowsky, César Cui, Rimsky-Korsakofî, Balakireff, GlazounofT, d'une
mélodie de M. TschaïkowsUy, et du fameux hymne russe : Dieu protège le
czar , dû, comme on sait, au général Lvolf.
— Il est beaucoup parlé musique dans les souvenirs d'un sculpteur,
de Jules Salmson, membre correspondant de l'Institut. Entre deux coups de
ciseau (c'est le titre du volume édité par Lemerre), l'auteur de la statue
de Hœndel à l'Opéra a raconté sa vie d'artiste, dans laquelle passent,
agissent et parlent les maîtres de l'art contemporain. Cent croquis et
autographes, du style, de l'esprit et du cœur, voilà le livre présenté au
public par MM. Francisque Sarcey et Arsène Alexandre.
— M. Georges Falkenberg vient de publier sous ce titre : les Pédales du
piano, un livre didactique d'un caractère neuf et d'un intérêt tout parti-
culier. Après avoir fait connaître la façon dont les deux pédales, forte et
sourde, fonctionnent dans l'intérieur du piano, l'auteur réunit, dans les
quatorze chapitres de son traité, tous les préceptes nécessaires à leur
emploi et à leur mise en action de la part de l'exécutant. La première
condition, en ce qui concerne la pédale forte, est de s'assurer que cet
emploi n'amène aucun inconvénient à l'égard des notes non pourvues d'étouf-
foirs; pour les personnes fort nombreuses, qui sont ignorantes des lois de
l'harmonie, il était indispensable d'établir à ce sujet des règles précises
alin d'éviter, par l'abaissement ou le relèvement intempestif de cette
pédale, une confusion de sons antimusicale et douloureuse pour l'oreille.
Après cette première explication, si nécessaire, l'auteur énumère les con-
ditions diverses qui motivent très généralement l'emploi judicieux de la
pédale, cet auxiliaire à la fois précieux et redoutable pour l'exécutant,
conditions qui se rattachent toutes à trois grandes causes principales :
. prolongement des sons, leur renforcement, et enfin modification du timbre
de l'instrument. Viennent ensuite dos notions utiles et plus élevées sur
l'emploi plus libre de la pédale, lorsque celle-ci, par l'usage judicieux
qu'en peut faire le virtuose, vient ajouter à l'élan, au caractère, à la cou-
leur, à la poésie d'un trait, d'une phrase ou d'un morceau. L'auteur termine
enfin par certaines considérations sur la mise en jeu des pédales dans
l'exécution à quatre mains ou à deux pianos ou dans la musique d'en-
semble, ou lorsqu'il s'agit d'accompagner le chant ou un instrument
quelconque.
— Notre excellent maître Marmontel vient d'être l'objet, de la part du
roi de Roumanie, d'une distinction particulièrement flatteuse. Il a été
nommé commandeur de l'ordre de la Couronne de Roumanie, en récom-
pense des soins dévoués qu'il a apportés à l'éducation musicale d'un
grand nombre de jeunes filles roumaines, appartenant à de grandes familles
et dont plusieurs se sont souvent fait applaudir soit à la cour, soit dans
les concerts publics de Bucharest.
— Le deuxième volume des Chatisons du Chat noir, de Mac-Nab, vient de
paraître au Ménestrel, avec cinquante dessins comiques de Gerbault. On
sait quel succès accueillit le premier volume. Le deuxième est pour le
moins aussi étrange et aussi plaisant. Chez les mêmes éditeurs une
nouvelle édition de la Cliaiixon des joujoux, cette petite merveille de goût et
d'humour qui, avec ses cent aquarelles d'Adrien Marie et ses vingt petites
mélodies si fines et si coquettes, est bien le plus joli livre d'étrennes
qu'on puisse offrir aux petits et aux grands.
— M.Alexandre Guilmant obtient en ce moment de grands succès en
Angleterre, où il donne une série de récitals d'orgue.
— M"'"Lureau-Escalaïs et M. Escalaïs font, en ce moment, les beaux jours
du théâtre de Lyon. Les deux excellents artistes volent de succès en suc-
cès, et le public ne se lasse pas de les applaudir. Guillaume Tell, Robert le
Diable, la Juive, pour M. Escalaïs ; Faust. Rigolello et Guillaume pour M'"': Lu-
reau-Escalaïs, ont été l'occasion de vrais triomphes. La semaine dernière
on a donné Hamlet, et c'a été l'occasion d'une nouvelle victoire pour
M"" Escalaïs, qu'on a rappelée quatre fois après l'acte de la folie.
— M. Louis Diémer quitte Paris dans quelques jours pour se rendre à
Vienne, où il se produira dans un des concerts de la Société philharmo-
nique que dirige M. Hans Richter, ainsi qu'à l'une des séances du remar-
quable et célèbre quatuor Rosé, après quoi il donnera lui-même un grand
concert avec orchestre. De Vienne, M. Diémer poussera jusqu'à Buda-
Peslh, où il se fera entendre aussi. Son absence sera d'une dizaine de
jours.
— Au concert classique de Monte-Carlo donné la semaine dernière sous
l'artistique direction de M. Stock, on a beaucoup applaudi l'ouverture de
Brocéliande, un opéra inédit de M. Lucien Lambert qui, au dire des per-
sonnes qui l'ont entendu, contient des pages fort remarquables. Cette
ouverture est d'ailleurs connue des Parisens, M. Lamoureux l'ayant exécutée
l'année dernière.
— A la séance publique donnée, dimanche dernier, par la Société philo-
technique, on a tout particulièrement applaudi un chanteur de talent,
M. Emile Boulard, fils du peintie bien connu, dans Hymne aux astres, de
Faure, et la cavatine du Bal masqué. Grand succès aussi pour M"" Ronchini-
Veyssier dans l'air des clochettes de Lnkmé. Après la soirée, M. Boulard
s'est fait entendre dans Mignonne, que désirez-vous? de Faure.
— On nous écrit deBoulogne-sur-Mer que, pour la fête de Sainte-Cécile,
on a donné, à l'église, la belle il/esse des Rameaux de M. Félix Godefroid.
avec le concours de M'"'' Faye et des sociétés chorales de la ville. Le A'i/rin.
le Gloria in excelsis siVAgnusDei ont produit une grande sensation sur un
auditoire compact et recueilli. On doit, d'ailleurs, redire cette expressive
composition à l'église Saint-Nicolas, le jour de la Noél.
— A Versailles, un salut solennel a été donné, ces jours derniers, dans
la chapelle du Palais, sous la direction de M. Louis Derivis et avec le
concours de la Société chorale des dames versaillaises, qu'il a fondée, et
dont la valeur s'affirme chaque jour davantage. Au programme, très bien
composé, divers morceaux de César l''ranck, Saint-Saëns, Paladilhe, Charles
Lefebvre, Guilmant, V. d'Indy, exécutés magistralement par M"= Laure
Taconet, MM. Paul Viardot, Guilmant, Theurot et Derivis.
— La Société philharmonique de Bourges vient de donner un beau
concert, avec le gracieux concours de M"": Gastelier, pianiste qui a joué
avec talent le scherzo de Chopin, M. et M""i Marquet, professeurs de
chant, applaudis dans l'arioso à'Hérodinde et le duo i'Hamlet. Pour cette
circonstance. M'"" Marquet-Sorandi a déclamé la Fiancée du Timbalier, avec
l'orchestration de M. F. Thomé. M. Louys, excellent professeur de piano,
M. Dassy, chanteur comique, la chorale Jacques, complétaient un excel-
lent ensemble. La Société philharmonique a particulièrement bien joué
((' Sommeil de la Vierge de Massenet.
— Une Société dite « ,de Musique classique et moderne » récemment
formée à Lyon, a donné son premier concert dimanche dernier. Au pro-
gramme, le trio de Beethoven op. 70 et le poétique quatuor avec piano,
op. 15, de M. G. Fauré. M"»" Mauvernay a chanté avec sa pureté de style
ordinaire l'air de la Pentecôte de Bach, avec violoncelle obligé. Le public
a fait fête à la tentative artistique de cette société, qui compte pour mem-
bres MM. Jemain, Bay. Bedetti, professeurs au Conservatoire, Jouet et
L. Cerf.
NÉCROLOGIE
M. Robert Heckmanu, le chef du fameux quatuor Heckmann, dont
les séances classiques sont si populaires en Allemagne, vient de mourir
presque subitement à Glasgow d'une congestion pulmonaire, amenée par
une attaque d'influenza. Il était né à Cologne en 1843. Avant de former le
quatuor qui porte son nom, il avait fourni une brillante carrière de virtuose.
Le petit groupe d'instrumentistes qu'il avait réunis et menés au succès s'étant
dispersé, il avait, accepté le poste de chef d'orchestre de la Société sympho-
nique de Brème. Il venait tout récemment de former un quatuor pour une
tournée dans le Royaume-Uni. C'est le jour même qui avait été fixé pour
son apparition à Glasgow, qu'il est mort chez son ami le professeur Young.
Sa femme, qui l'avait précédé de deux ans dans la tombe, était une can-
tatrice fort estimée en Allemagne.
— De Tarento, on annonce la mort d'un compositeur, Giuseppe Cacace,
dont le nom est resté bien obscur, quoiqu'il ait fait représenter au théâtre
Nuovo, de Naples, en 1834, un opéra sérieux intitulé Etvira dei Celtradi.
— Un busso comico qui a joui en son temps d'une légitime renommée.
Giovanni Fiori, vient de mourir à Milan à l'âge de soixante-treize ans. Il
avait épousé une cantatrice elle-même distinguée. M"" Callista Biscottini.
et fournit avec elle une carrière brillante _sur les principales scènes ita-
liennes. Une maladie de sa femme lui fit quitter le théâtre. Il s'associ:i
à la fameuse agence théâtrale Lampugnani, en même temps qu'il s'adon-
nait au commerce des vins recueillis par lui dans une propriété qu'il pos-
sédait à Asti.
— M. l'abbé Félix Collin, directeur de la maîtrise de la cathédrale do
Saint-Brieuc, à laquelle il appartenait depuis cinquante ans, est mort il y
a quelques jours en cette ville, dans un âge avancé. Il était aussi direc-
teur de la chapelle Saint-Guillaume. L'abbé Collin s'était fait connaîtra
comme compositeur, entre autres par plusieurs cantates religieuses dont
on vante le style et le caractère.
— A Vienne est mort, ces jours derniers, M. Friedrich, mari de
M"« Friedrich-Materna, la célèbre cantatrice wagnérienne que nous avons
applaudie, en ces dernières années, aux concerts Lamoureux. M. Friedrich,
comédien de talent, était un ancien artiste du Burgthéâlre, la scène lit-
téraire la plus renommée de Vienne. Dans ces derniers temps, c'est lui
qui organisait et dirigeait les tournées artistiques de sa femme. Sa mala-
die a empêché M"": Materna de prendre part à la récente représentation de
gala de Lolienfirin. '
Henri IIeugel, directeur-gérant.
— Un concours pour des places de violon, violoncelle, clarinette, cor, trom-
pette et trombones, vacantes à l'orchestre de l'Opéra, aura lieu très prochaine-
ment. S'adresser, pour l'inscription, à M. CoUeuille, régisseur.
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RUSTICANA, LE MAGE, ESCLARMONDE, MARIE-MAGDELEINE, LE ROI DE LAHORE, LA TEMPÊTE, LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ,
LE CAID, etc., etc.)
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aoonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teste et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. La musique et ses représentants (4° article], Antoine Rudinstein. — II. Bulletin
théâtral, H. M.; première représentation de l'Enfant Jésus, au Théâtre d'Appli-
cation, Paul- EMILE Chevalieei. — III. Musique de table: Le tour du monde
(6° article), Edmosd Nelkomm et Paiïl d'Estrée. — IV. Revue des grands con-
certs. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LES CRÉCELLES
n" 28 de la CImnson des Joujoux, musique de Glaudius Blanc et Léopold
Dauphin, poésie de Jules Jouy. — Suivra immédiatement : Ravissement,
nouvelle mélodie de Pall Puget, poésie d'ÂRMAND Silvestre.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de PIANO : Air à danser, de Raoul Pugno. — Suivra immédiatement :
Menuet, de Robert Fischhof.
Avec ce dernier numéro de notre 57^ année de publi-
cation, nos abonnés recevront une table des matières,
en même temps que la liste des PRIMES GRATUITES
que nous leur offrons pour l'année qui va commencer.
LA MUSIQUE ET SES REPRÉSENTANTS
EiNÏREÏIEN SUR LA MUSIQUE
PAR
— Beethovea est véritablement le continuateur de Haydn
et de Mozart, tout au moins dans les œuvres de sa première
période.
— Dans le dessin de ces œuvres, on remarque en effet la
soumission au.x formes reçues, mais la création, la pensée
musicale est déjà tout autre. Déjà, dans la dernière partie
de sa sonate en fa mineur, apparaît tout un nouveau monde
psychique; de même dans Vadagio de sa seconde sonate en
la majeur, ou dans Vadagio de son premier quatuor pour
instruments à cordes. L'instrumentation de ses premiers
trios est tout autre que celle en usage avant lui. — En gé-
néral, dans les œuvres de sa première période, on retrouve
seulement les formules des anciens maîtres. C'est ainsi qu'on
voit les costumes d'une époque survivre encore quelque
temps à cette époque même. Mais on pressent déjà, dans ces
premières œuvres de Beethoven, que bientôt les cheveux
naturels remplaceront la perruque poudrée, que les bottes
vont venir supplanter les souliers à boucles et qu'elles chan-
geront l'allure et la démarche des hommes, comme l'allure
musicale elle-même se modifiera, que la redingote sera subs-
tituée au large frac à boulons d'acier et donnera à ceux qui la
porteront un tout autre maintien. Dans ces œuvres, à côté de
la cordialité d'un Haydn et d'unMozarl, on trouve l'âme émue
qu'ils n'ont pas eue. Et bientôt apparaît chez Beethoven, à côté
de l'esthétique qu'on trouve déjà chez ses prédécesseurs,
l'éthique qu'ils n'ont pas, et l'on devine qu'avant peu il
changera le menuet en scherzo et donnera ainsi à ses com-
positions un caractère plus viril, plus sérieux; on devine
qu'avec lui la musique instrumentale atteindra l'expression
dramatique et qu'il la poussera même jusqu'au tragique. L'hu-
mour dans la musique s'élargira jusqu'à l'ironie. La musique,
en un mot, va acquérir des expressions tout à fait nouvelles. —
Sa grandeur dans l'adagio est étonnante; il y passe du lyrisme
le plus débordant à la métaphysique pure et môme au mysti-
cisme, mais c'est dans le scherzo qu'il se surpasse lui-même
(je comparerai quelques-uns de ces scherzos au fou du «Roi
Lear ») : c'est le sourire, c'est le rire, c'est l'éclat de rire,
parfois l'amertume, l'ironie, l'emportement, tout un monde
d'expressions psychiques, qui semblent appartenir non à un
mortel, mais à un titan invisible, qui tantôt admire l'humanité,
tantôt la bafoue, tantôts'indigne contre elle et même quelque-
fois pleure sur son sort. Dans ses scherzos, Beethoven est
incommensurable.
— En ce qui concerne Beethoven, il est impossible de
n'être pas de votre avis ; tout le monde a pour lui cette
haute admiration.
-^ Pourtaût, mon opinion diffère en quelques points de
l'opinion générale. Ainsi, pour moi, Fidelio est le plus grand
de tous les opéras qu'on ait encore écrits, le véritable drame
lyrique sous tous les rapports : à la caractéristique musicale
la plus vraie, cet opéra joint la plus belle mélodie; malgré
le haut intérêt que présente l'orchestre, il ne se substitue pas
aux personnages et leur laisse le soin de s'exprimer eux-
mêmes; dans cet opéra, tout jaillit des profondeurs de l'âme.
Et pourtant on prétend, en général, que Beethoven n'a pu
être un compositeur d'opéras ! En revanche, je ne suis pas
d'avis que sa Messe, solennelle soit une de ses plus grandes
œuvres.
— Puis-je vous demander pourquoi cette messe ne trouve
pas grâce devant vous?
— Parce que, laissant même de côté la partie purement
musicale de l'œuvre avec laquelle je ne sympathise pas en-
tièrement, j'entends dans cette messe un homme qui veut
410
LE MENESTREL
raisonner avec le Créateur, qui lui parle, mais ne le prie, ni
ne^riniplore. .Je. ne partage pas non plus l'opinion d'après
laquelle l'introduction de l'élément vocal dans la dernière
partie de la Neuvième Stjmphonie proviendrait du désir de
Beethoven d'y renforcer l'expression musicale. Je crois bien
plutôt qu'après l'inexprimable des trois premières parties, il a
senti le besoin d'une expression définie dans la dernière :
c'est pour cela qu'il y a ajouté l'élément vocal. Je ne pense
pas non plus que cette dernière partie soit une Ode à la joie;
il faut y voir, selon moi, une Ode à la liberté. On dit que
Schiller, sous la pression de la censure, a dû remplacer le
mot liberté (Freiheit) par le mot joie (Freude), et que Beetho-
ven en avait connaissance ; j'en suis tout à fait convaincu. On
ne conquiert pas la joie, elle s'offre et on la possède, tandis
que la liberté doit être conquise ; c'est pourquoi le thème de
Beethoven commence « pp » (pianissimo) pour les basses,
et passe par plusieurs variations pour éclater enfin triom-
phalement. La liberté est chose sérieuse, et c'est pourquoi le
thème de cette ode est d'un caractère sérieux et non joyeux;
les mots : Peuples, embrassez-vous, ne coi'respondent pas non
plus à une idée de joie; la joie a un caractère plus intime.
Ce n'est pas le mot à employer quand il s'agit des embrasse-
ments de toute l'humanité.
— Partagez-vous l'opinion d'après laquelle Beethoven, s'il
n'était pas devenu sourd, aurait modifié plusieurs parties de
ses œuvres et même n'aurait pas écrit certaines d'entre elles?
— Je suis d'un avis tout opposé. Ce qu'on appelle sa troi-
sième période est précisément la période de sa surdité; où la
musique en serait-elle, sans elle, aujourd'hui? Ses dernières
sonates pour piano, ses derniers quatuors pour instruments à
cordes, la neuvième symphonie, n'ont été possibles qu'à
cause de cette surdité même; seule, elle a pu créer cette
concentration absolue de l'artiste, cette envolée dans un
autre monde ; nous lui devons cette âme vibrante, ces plaintes
qu'on n'avait pas encore entendues, ce détachement de tout
ce qui est terrestre, ces tourments de Prométhée enchaîné sur
son rocher, ce sentiment tragique enfin, devant lequel tout
opéra devient insignifiant.— Sans doute Beethoven a écrit des
choses inimitables avant sa surdité : ainsi, qu'est-ce que la
scène de l'Enfer dans VOrphée de Gluck en regard de la
seconde partie du concerto pour piano en sol majeur? Que
sont toutes les tragédies, à l'exception peut-être d'Bamlet
et du Roi Lear, comparées à la seconde partie du trio en ré
majeur ou de l'ouverture de Coriolan? Mais pourtant, les œuvres
les plus grandes, les plus sublimes de Beethoven ont été
écrites pendant sa surdité, et de même que nous pouvons
nous représeuter le mythique « voyant » des livres saints
aveugle, c'est-à-dire aveugle pour tout ce qui l'entoure et ne
voyant qu'avec le regard de l'âme, de même nous pouvons
voir en Beethoven 1' « écoutant » sourd, c'est-à-dire sourd
à tout ce qui l'entoure et n'écoutant que par l'ouïe de son
âme. — 0 surdité de Beethoven ! quel grand malheur pour
lui, mais quel bonheur pour l'Art et pour l'humanité !
— 'Vous avez bien fait de m'annoncer quej'allais entendre
des paradoxes.
— Si, dans mes opinions, il n'y a même que cette part de
vérité qu'on trouve dans tout paradoxe, j'ai encore lieu
d'être satisfait.
(Traduit du manuscrit russe par Michel Delines.)
(A suivre.)
BULLETIN THÉÂTRAL
La semaine s'est passée et nous n'avons pas eu Thamara. On nous
en a donné seulement la répétition générale, avec une de ces sur-
prises habituelles à la direction Ritl et Gailhard. Comme le ténor
■Vergnet était indisposé, on est allé quérir le sauveteur habituel de
la maison dans les cas embarrassants, M. Engel, qui s'en est venu
jouer le rôle de Nour-Eddin eu habit noir, au milieu des costumes
chatoyants des autres artistes. M. Engel rentrait de faire sa pro-
menade habituelle en vélocipède — le meilleur des exercices pour
la voix — quand le respectable M. GoUeuille est venu lui mettre
la main au collet de la part de son maître. M. Engel s'est bien un
peu récrié contre cette nouvelle violence, mais, comme il est un mer-
veilleux musicien, il a voulu prouver une fois de plus que c'était
un jeu pour lui de tire à l'improviste une partition. Pour ajouter
encore à l'effet, le digne M. Ritl, toujours facétieux, conseillait même
au vaillant artiste de faire son entrée dans la ville de Bakou-la-
Sainte à cheval sur son vélocipède. Mais M. Engel ne voulut pas se
prêter à cette fantaisie audacieuse. Il a chanté à pied et fort bien,
ma foi. Puisqu'à chaque instant on doit avoir recours au talent de
ce remarquable artiste, on se demande pourquoi il ne vient pas à la
direction de l'Opéra l'idée naturelle de se l'attacher définitivement par
un contrat en belle et due forme.
La première représentation de Thamara nous est promise pour de-
main lundi. Espérons que, cette fois, il ne surviendra pas de nou-
velle auicroche, et que MM. Ritt et Gailhard donneront au moins la
satisfaction à M. Bourgault-Dueoudray de représenter une fois son
œuvre, avant de quitter l'Opéra. Car, dans cinq jours, nous aurons
le regret de perdre ces messieurs. On brûlera un peu de sucre et, tout
de suite, M. Bertrand prendra en mains les rênes de la direction,
assisté de M. Gampo-Casso, qui vient de donner sa démission de direc-
teur du grand théâtre de Marseille pour mieux se consacrer aux soins
de notre première scène. Les quatre premiers spectacles sont déjà
arrêtés : le vendredi 1'^"' janvier, Faust; le samedi 2, Guillaume Tell; le
dimanche 3, la Favorite et Coppélia, en représentation populaire;
le lundi 4, Sigurd.
La première nouveauté sera sans aucun doute Salammbô, de M. Er-
nest Reyer, dont les études sont déjà poussées activement; puis vien-
dra Hérodiade de M. Massenet, avec M"" Meiba dans le rôle de
Salomé, et enfin un ballet nouveau, la Maladetta, dont M. Paul Vidal,
un vrai «jeune » de grand talent, compose la musique. Librettistes:
MM. Reinach et... Pedro Gailhard. Gailhard librettiste à l'Opéra!
Retenez bien cela; c'est peut-être l'indice d'événements mystérieux
qui se passeront avant peu à l'Académie nationale de musique.
H. MORENO.
Théâtre d'Application : L'Enfant Jésus, mystère en cinq tableaux, de
M. Charles Grandmougin, musique de M. Francis Ttiomé.
De même que l'année dernière le petit théâtre des Marionnettes de
la galerie Vivienne nous avait donné, perle exquise, le Noël de
MM. Boucher et Vidal, de même M. Bodinier nous offre, cette an-
née, dans sa ravissante petite salle de la rue Saint-Lazare, l'Enfant
Jésus de MM. Grandmougin et Tliomé.
Je ne veux point faire de parallèle entre ces deux mystères, trai-
tant un sujet identique. Si le Noël de M. Boucher a davantage la
note mystique et si, au contraire, l'Enfant Jésus de M. Grandmougin
semble plus humain c'est peut-être que le premier a été écrit
pour des poupées de bois, tandis que le second était destiné à être
joué par des artistes en chair et en os. M. Grandmougin a divisé
son œuvre en cinq tableaux, — les Mages, les Bergers, le Palais
d'Hérode, la Crèche et la Fuite en Egypte, — et chacun d'eux, avec
un courant de poésie captivante, donne une note spéciale qui n'est
pas sans augmenter l'intérêt dramatique. Poète, M. Graudmoagin
vient de nous prouver, une fois de plus, qu'il l'est absolument ; le
public n'a point laissé échapper les jolis couplets et les vers harmo-
nieux qui sont en nombre.
Poète, aussi, M. Francis Tliomé. Sa partition, assez importante,
qui se compose de préludes, musique de scène, ctiœur et soli, est
d'une inspiration très soutenue, d'une douceur et d'un charme enve-
loppants ; le prélude du premier tableau, celui du cinquième, le
finale du quatrième et la musique de scène du commencement du
premier m'ont semblé les pages les plus saillantes. L'orchestre dans
la coulisse, composé de trois violons, d'un piano et d'un harmo-
nium, est fort habilement traité et donne naissance, malgré la res-
source limitée de ces instruments, à des effets fort heureux.
De l'interprétation, il faut citer en toute première ligne M"" San-
laville (Marie) et M. Brémont (le mage Balthasar). M"= Mello,
MM. Jahau, Gerval, Gauley, Melchissédee fils, avec les voix agréa-
bles de M"" Genioud, Petit et Manie, complètent un satisfaisant
ensemble. Devant cet effort très artistique, je souhaile, pour
MM. Grandmougin, Thomé et Bodinier. que l'Enfant Jésus ail un
succès égal à celui du Noël de MM. Boucher et Paul Vidal.
Paul-Ëmile Chevalier.
LE MÉNESTREL
411
MUSIQUE DE TABLE
(Suite.}
III
LE TOUR DU MONDE
A tort ou à raison, l'Allemagne a toujours passé pour le pays
. musical par excellence. Ce qui est certain, c'est que la musique y
a été tenue, de tout temps, en haute considération et qu'elle y a
joué, comme encore maintenant, un rôle prépondérant dans toutes
les phases de la vie.
La Table ne pouvait échapper à cette règle. Il y a deux ans, on
fêtait en Allemagne, qui est la patrie des jubilés, le quatre-centième
anniversaire de l'invention du menu. C'est, parait-il, un duc de Bruns-
wick, pendant la Diète de Ratisbonne, qui eut, le premier, l'idée de
se faire présenter, à chaque repas, une liste des plats sortis de ses
cuisines, avec l'indication des pièces musicales qui devaient les ac-
compagner.
Il est donc avéré que la musique de table existait en Allemagne
il y a quatre siècles, mais nous pouvons affirmer que son origine
y est bien plus lointaine. En effet, on lit dans la Vie de saint Vlric,
évèque d'Augshourg au dixième siècle, « qu'au jour de Pâques, ce
saint homme invitait ses chanoines à diner ; qu'il leur servait du la
chair d'un agneau et des morceaux de lard qui avaient été bénits à
l'autel au temps de la messe ; qu'il passait le temps de ce repas dans
une sainte joie ; qu'à l'heure marquée, une grande troupe de symphonis-
tes venaient dans la salle où ils exécutaient différents airs de musi-
que ; et enfin, qu'après ces réjouissances redoublées, les chanoines
recevaient un denier par l'ordre du saint évêque, pendant qu'ils
chantaient un répons de la résurrection de Notre-Seigneur. »
En ce temps-là, déjà, les musiciens formaient une si puissante
association en Allemagne, qu'elle ne tarda point à porter ombrage
aux puissants du pays. Les conciles de Cologne et de Trente crurent
même devoir protester énergiquement contre les scandales provoqués
sur la voie publique par la confrérie des ménétriers. C'est qu'aussi
les confrères, « en costumes plus riches que ne comporte leur condi-
tion, » allaient, parait-il, en troupe par les rues, précédés de tam-
bours et de musiciens qui faisaient grand tapage, pendant que des
gens chargés de calebasses pleines de vin en distribuaient généreu-
sement non seulement au,\. confrères, mais aux spectateurs.
Les pères des conciles se sont plaiuls de ce que ces processions
rappelaient les coutumes du paganisme; mais la vérité, c'est que la
confrérie des musiciens, plus riche et plus indépendante que les
autres, avait excité la jalousie do tous les corps de métiers.
Elle était aussi plus à même d'étendre ses privilèges, vivant plus à
proximité des grands. Chaque prince avait, en efî'et, sa musique par-
ticulière, ainsi que les villes impériales et libres. Slrasbouro-, qui
était une république dans l'État à peu près indépendant d'Alsace,
était particulièrement fier de son corps de musiciens, les Stodtpfeijfer.
« Son Magistrat, lisons-nous dans V Ancienne Alsace à table, ne man-
geait jamais officiellement sans se faire régaler en même temps de
quelques symphonies ; et s'il se rendait à quelque festin où il était
convié, sa musique l'accompagnait. »
Et l'auteur d'ajouter :
« Un des plus curieux emplois que je vis faire de la hiusique
est celui que nos chroniques signalent au banquet d'intronisation de
l'évêque Guillaume de Hohnstein, en 1507. Chaque service était
apporté en cérémonie, et huit trompettes l'accompagnaient depuis la
cuisine jusqu'aux tables, au bruit de leurs plus éclatantes faufares. »
Ce qu'était un festin dans une cour allemande, à cette époque et
dans le siècle qui suivit, serait taxé d'exagération, si l'on ne prenait
soin de citer ses auteurs. "Vers 16.38, l'Électeur de Saxe, Jean-
Georges II, voulut à toute force banqueter avec le maréchal de
Grammont. Il en fit même l'objet d'une requête dipK)matique, d'une
note au roi de France et au cardinal Mazarin, par l'intermédiaire
des électeurs de Mayence et de Cologne. Sur l'ordre de son chef
hiérarchique, le maréchal dut s'exécuter. Pomponne nous racon-
tera ce qui se passa :
« Le champ de bataille, dit-il, fut pris chez le comte Léon de
Furstemberg, où se trouvaient les électeurs de Mayence et de Cologne.
Le diner dura depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, au bruit
des trompetles et des timbales qu'on eut toujours dans les oreilles.
On y but bien doux à trois mille santés. La table fut étayée; tous
les électeurs dansèrent dessus; le maréchal, qui était boiteux, y menait
le branle; tous les convives s'enivrèrent. L'électeur de Saxe et le
maréchal de Grammont restèrent toujours depuis les meilleurs amis
du monde ».
On assure même que ce repas pantagruélique fut le point de départ
de l'inclination de l'Électeur de Saxe pour la France. Dans les fes-
tins qui suivirent, le maréchal lui faisait largement raison de la
santé de l'empereur, à laquelle le prince répondait en portant celle
de son souverain avec trois verres à la fois.
Un autre de nos compatriotes, mais qui garde l'anonyme, parle
en ces ternies d'un dîner auquel il prit part, en compagnie du duc
et de la duchesse de Hanovre, dans une île du Rhin, près de
Wiesbaden, à la suite d'une pêche au saumon :
« On se promena pendant que les trompettes et les timbales re-
doublèrent leurs fanfares, qui continuèrent jusqu'à ce qu'on eût
servi le repas. Il y eut alors une agréable symphonie. Farinelli la
conduisait. Depuis quelques mois il s'était donné au duc, après
avoir quitté le service du roi de France, ne pouvant durer longtemps
dans un lieu. On fit grande chère, et la coutume d'Allemagne
étant de faire longue table, on ne s'en leva que vers les quatre
heures. »
Ces usages allemands surprennent tous les Français qui se ris-
quent au delà du Rbin. Souvent aussi la mise en scène, nouvelle
pour eux, excite leur curiosité. L'un d'eux écrit de Nuremberg, en
1702:
« Vous saurez que les verres sont respectés en ce pays autant que
le vin y est aimé. On les met partout en parure. La plus grande
partie des chambres sont lambrissées jusqu'aux deux tiers de la
muraille; et les verres sont arrangés tout autour comme des tuyaux
d'orgue sur la corniche de ces lambris. On commence par les pe-
tits, on finit par les grands ; et ces grands sont des cloches à me-
lons qu'il faut vider tout d'un trait quand il y a quelque santé
d'importance. En sortant de la Gave (la cave de la Ville), nous
avons été à un concert où nous espérions qu'on ne ferait que
chanter. Mais le pain, le poivre, le sel et le vin y sont en abon-
dance ; un air n'était pas sitôt fini que tout le monde se levait pour
boire. »
Le marquis de Valfons, lieutenant- général, eut une impression
d'un autre genre à Hambourg, qu'il était allé visiter pendant la
suspension d'armes de 17S7 :
« Il y a ici, dit-il, une promenade charmante, très bien plantée
autour d'une pièce d'eau en rond qui peut avoir une lieue de cir-
conférence et formée par la rivière ; les principaux bourgeois y ont
les plus jolies gondoles vitrées et richement ornées, qu'ils font illu-
miner à la nuit. Ils y soupent et sont suivis d'autres bateaux
chargés de musiciens. Cette quantité de bateaux illuminés et tou-
jours en mouvement forme, pour ceux qui se promènent dans les
allées, un spectacle très varié et fort agréable. »
Quelquefois, la surprise du voyageur se double d'une impression
aussi joyeuse qu'inattendue. C'est ce qui advint à un Français
que les hasards de la route conduisirent à Ochsenbach, petit vil-
lage du Wurtemberg, au moment où l'on y célébrait la Fête de la
bonne Déesse, c'est-à-dire la patronne des moissons.
Ce jour-là, les matrones se réunissent dès le matin dans la salle
de la maison commune, pour y boire et pour y manger, sous la
présidence de la femme du pasteur. Mais, auparavant, elles s'érigent
en tribunal pour se juger entre elles. Certaines, qui sont peu soi-
gneuses, ou qui tiennent mal leurs enfants, sont condamnées à
iDalayer les rues ou à laver le linge des autres. Ce sont alors de
grandes joies pour les hommes, qui ne sont conviés qu'à ce numéro
du programme. Mais ces petits désagréments sont vite oubliés, et
bientôt toute la gent féminine d'Ochsenbach et des environs est de
nouveau réunie dans la salle du festin.
Le seul homme admis à ces agapes est le garde champê'ire qui a
charge de la bonne tenue de l'assemblée. Il sert aussi de cabaretier,
car sa mission consiste à remplir les cruches au tonneau monstre
qui se dresse au fond de la salle. Naturellement, la musique est de
la fête; mais les musiciens, pas plus que les maris, n'ont accès dans
le sanctuaire. Ils se tiennent au dehors, sur la place, et n'en font
que plus de vacarme.
Ceux qui ont voyagé en Allemagne ont pu assister, de nos jours
encore, à des fêtes dans le genre de celles que nous venons de dé-
crire; car l'Allemagne est le pays de toutes les traditions. L'une
d'elles, qui rentre dans notre cadre, est la promenade du boudin
dans certains villages de la Prusse orientale, le premier jour de l'an.
Jadis, c'était plus qu'une réjouissance, c'était une solennité, où la
fantaisie grotesque, très fastueuse, le disputait à la mise en scène,
très pittoresque.
A Kœnigsberg, le boudin de l'année Ioo8 avait 198 aunes de long;
412
LE MEl^ESTllEL
il élait porté par 48 personnes. Celui de I080, qui n'exigea pas moins
de 91 porteurs, mesurait 596 aunes et pesait 434 livres. Puis, l'usage
de cette promenade tomba momentanément en désuétude, sans doute
par suite des guerres et des épidémies qui ravagèrent la contrée
pendant la dernière moitié du xvi"^ siècle ; mais la promenade du
boudin fut rétablie lorsque l'horizon devint moins sombre. On lit
dans une chronique du temps :
« L'année 1601, le premier jour de l'an, les bouchers promenèrent
un boudin de 1,003 aunes de long. Ils le portèrent ensuite au palais
et en offrirent quelques aunes au prince. On accompagnait le bou-
din au son du tambour et des fifres. Un maître boucher, paré de
fleurs et de rubans, armé d'un drapeau vert et blanc, marchait en
tête du cortège. La tète du boudin faisait plusieurs fois le tour de
son cou, et le reste serpentait sur les épaules des autres bouchers,
au nombre de trois cents. »
Mais nous nous attardons en Allemagne! Citons encore, cepen-
dant, ce passage d'un Voyage historique et politique, paru à Francfort
en •1743. Il s'agit des fêtes données à Dresde par le roi de Pologne
ea l'honneur du roi de Danemark :
« La dernière ne fut pas la moindre ; elle était d'un goût tout
à fait nouveau. Elle consistait en une fête de village où généralement
tout était à la paysanne, en habillement, dans le boire et le manger.
On avait tiré au sort quelque temps auparavant et ordonné un
certain nombre de paires qui formaient ou représentaient autant de
villages. Ces campagnards se rendirent par bandes au Château, où
ils s'assemblèrent. Il vint de véritables chariots de paysans, où on
avait placé des bottes de paille, sur lesquelles les dames s'assirent.
Leurs menants montèrent à cheval, la plupart à rase poil ou avec un
équipement rustique, et s'acheminèrent à un grand jardin éloigné
d'une heure de la ville où le repas fut préparé par de véritables
paysans et paysannes, où l'on ne voyait que des oies, des cochons
de lait, du sauerkraut ou choux en compote, des jambons, des sau-
cisses et autres mets qui sont ordinaires aux gens de village.
» La table était rustiquement couverte, avec tranchoirs, cuillères de
bois ou de fer et des assiettes de terre. Une dame paysanne, ou son
menant, demandant une assiette nette, la véritable paysanne prenait
les sales et les trempait dans un seau d'eau, et après avoir essuyé,
les leur rendait.
1) La musique de table était véritable, mais gens.de village. Le roi
en avait ramassé de dix lieues à la ronde à cette occasion.
» Les divertissements furent à la rustique. On courut l'oie, on
planta un mai qui avait un prix fort riche à la pointe, destiné à
celui qui grimperait le mieux d'entre les véritables paysans. On
courut la bague de village, sous un baril rempli d'eau, avec un
simple bâton au lieu de lance, et qui manquait était sur d'être
mouillé d'importance, car, donnant à faux, il lui tombait un seau
plein d'eau sur la tête; tous coururent, excepté le roi de Danemark,
et peu revinrent secs de la course.
1) La fêle finit par un tirage de nuit qui dura jusqu'au jour; il y
avait de réels prix : au lieu de marquer lorsqu'on touchait le noir,
il partait des fusées, qui, par la quantité de leurs éclats, faisaient
connaître la place du coup. *
(A suivre.) Edmond Keukomm et P.\ul d'Estrée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La seconde symphonie de M. Brahms, en ré majeur, qui ouvrait la der-
nière séance de la Société des concerts, n'était pas une nouveauté pour
le public de la maison. Elle avait été exécutée pour la première fois le
■19 décembre ISSO, et avait reparu sur les programmes quatre ans après,
en décembre 1884. C'est une œuvre froide, non sans valeur au point de vue
de la forme, qui décèle un musicien instruit et nourri à bonne école,
mais d'un intérêt médiocre en ce qui concerne le fond, c'est-à-dire l'ins-
piration et la faculté inventive. La pâte instrumentale est généralement
bonne, et le quatuor, en particulier, est fort bien écrit; mais l'art bien,
compris de l'instrumentation ne suffit pas pour faire une bonne sympho-
nie, et il y faudrait certaines qualités d'imagination qui semblent, dans
cette œuvre importante, avoir tait un peu trop défaut à l'auteur. On cherche
vainement dans le premier allegro, d'une insignifiance parfaite, la trace
d'une idée mère et des développements qu'elle comporte ; cela se meut
dans un vide absolu. Même réflexion pour l'adagio non troppo qui vient
ensuite, et où l'on peut louer seulement, au commencement, un assez
heureux dialogue entre les instruments à vent. L'allégretto gracioso, tantôt
à trois temps, tantôt à quatre temps, procède à la fois d'Haydn pour le
style et de Mendelssobn pour la couleur orchestrale; bien qu'ici encore
l'originalité tasse défaut, c'est certainement le morceau le plus agréable,
et il ne manque ni de grâce ni de coquetterie. Quant au finale, tout ce
qu'on en peut dire, c'est qu'il n'est ni sans éclat, ni sans brillant au point
de vue de la sonorité. En résumé, l'œuvre est de second ordre et de
seconde main, et son manque absolu de personnalité justifie suffisamment
l'accueil très réservé que lui a fait le public, en dépit de son excellente
exécution. Après la symphonie, M, Delmas a fait entendre un beau frag-
ment (introduction, récit et air) de l'Erosirate de M. Reyer. C'est une belle
page, d'un style noble et sévère, dont M. Delmas a fait ressortir la gran-
deur, grâce surtout à son excellente et ferme articulation, qui ne laisse
pas perdre une seule syllabe des paroles et qui donne au rythme toute sa
valeur. Mais que M. Delmas se méfie des atteintes traîtresses du cbevro"
tement, qui porterait tort à son remarquable talent. C'est avec talent aussi»
avec grâce et avec goût, que M. Edouard Nadaud a exécuté ensuite le joli
concerto de violon de Mendelssobn; il y a déployé d'excellentes qualités
de virtuose, un jeu souple, un archet à la fois ferme et élégant. Mais que
celui-ci se méfie aussi d'une tendance presque constante à jouer trop
haut; il y a là, par instants, pour une oreille délicate, comme une sorte
de souffrance, ou tout au moins d'impatience. Ce concert se terminait par
des fragments de la Damnation de Faust, de Berlioz : l'air deMcphistopbèlès,
fort bien dit par M. Delmas, le chœur de gnomes et de sylphes, le ballet
des sylphes — qui, par extraordinaire n'a pas été redemandé, — le chœur
de soldats, la chanson d'étudiants et la marche hongroise. — A. P.
— Concerts du Châtelet. — M. Colonne a terminé dimanche l'audition
de la série des symphonies de Beethoven par une exécution de la Neu-
vième, l'immortelle Symphonie avec chœurs, dont Berlioz a pu dire avec
juste raison qu'elle est « la plus magnifique expression du génie de
Beethoven, » opinion assez hardie à l'époque où l'auteur de la Symphonie
fantastique l'exprimait pour la première fois, cette œuvre étant générale-
ment regardée alors, ainsi qu'il le rapporte, soit comme « une monstrueuse
folie », soit comme « les dernières lueurs d'un esprit expirant n, les plus
clairvoyants ne la considérant encore que « comme une conception extra-
ordinaire dont quelques parties néanmoins demeurent inexpliquées ou
sans but apparent. » Personne n'oserait, aujourd'hui, répéter de telles
paroles; tout au contraire il nous est apparu, par quelques conversations
surprises dans les couloirs, que certains jugent aujourd'hui que « la Neu-
vième commence à se démoder». Cela devait arriver. M. Colonne a donné
du chef-d'œuvre une exécution très satisfaisante, malgré les difficultés
matérielles de l'exécution, et bien que les traditions en soient moins
assurées et moins généralement connues que pour les autres symphonies.
Le quatuor vocal, composé de M"«s de Montalant et Pregi, de MM. Dela-
querrière et Auguez, malgré un peu de confusion dans le dernier quatuor,
s'est bien tiré de sa tâche peu commode. Après la symphonie, MM. Diémer
et Pierret ont redit le concerto de Mozart qu'ils avaient déjà joué le
dimanche précédent, avec le même talent et le même succès. Un lied pour
violoncelle et orchestre, de M. Vincent d'Indy, œuvre nouvelle pour le
public du Châtelet (elle avait été exécutée pour la première fois à l'un
des concerts d'orchestre de la Société nationale), a obtenu un vif succès.
Le thème principal, clair et bien en relief, sinon d'une invention très
remarquable, donne lieu à des développements riches et abondants, traités
avec une rare maîtrise; la couleur orchestrale est riche, neuve et cons-
tamment variée. M. Baretti, le violoncelliste solo de l'orchestre, a partagé
le succès de l'œuvre. Le concert s'est terminé par le Ycnusberg de Tann-
Jtduser, avec chœurs invisibles: l'exécution a été une des meilleures que
nous ayons entendues de ce morceau. M. Coloune a été à deux reprises
l'objet d'une chaleureuse ovation.
— Concerts Lamoureux. — Nous n'avons pas à relever de modifications
importantes dans l'interprétation de la symphonie en ut mineur; c'est
toujours la même netteté, la même précision, même dans le passage du
scherzo où les contrebasses ont â exécuter une série de traits rapides
peu en rapport avec le caractère de l'instrument sans doute, mais qui
pourtant produisent une impression saisissante par le contraste d'une
sonorité violente, presque sauvage, avec les accords plus doux qui pré-
cèdent et qui suivent immédiatement. Beethoven a eu plusieurs fois de
ces révoltes contre la sensibilité excessive de notre oreille, notamment
dans la Symphonie avec chœurs, au début du finale. Le concerto en mi
bémol de M. Saint-Saëns, celui que l'on entend le plus rarement parmi
les quatre qu'a écrits le maître, est, croyons-nous, le plus difficile à faire
valoir, surtout dans un vaste local. Non moins intéressant que les trois
autres, présentant même des idées d'une élévation plus incontestable peut-
être, il e.xige, de l'artiste qui l'exécute, des qualités plus sérieuses au point
de vue musical, et les parties brillantes destinées à faire ressortir avec
éclat la virtuosité du pianiste semblent plus difficiles â mettre en relief.
Nous devons donc féliciter doublement M"= Kara Chattelyn, d'abord de
n'avoir pas décliné une tâche devant laquelle beaucoup d'autres auraient
reculé, ensuite d'avoir su interpréter avec un talent réel et exécuter avec
beaucoup de clarté, de force et de solidité l'œuvre ardue, mais très remar-
quable de M. Saint-Saëns. Aussitôt après l'audition du concerto, un tout
petit fragment,'i^rair de ballet des Scènes pittoresques de M. Massenet, a pro-
voqué des applaudissements très spontanés. Le morceau, tellement court
qu'il a fait regretter qu'on n'ait pas exécuté aussi les autres parties des
Seines pittoresques, est plein de grâce et de poésie. Le premier morceau de la
Rapsodie norwègienne de M. Lalo, classée désormais parmi les œuvres les
plus appréciées, autant à cause du choix heureux des motifs que du charme
exquis du travail d'orchestration, et l'ouverture des Maîtres Chanteurs, ont
terminé le concert. Amédée Boutarel.
LE MENLSlilhL
-113
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : deuxièm'3 symphonie, en ré majeur (Brahms) ; air d^ErosIrnlf
(Reyer), par M. Delnaas; concerlo pour violon (Mijnclelssohn), par M. Edouard
Nadaud; fragment de la Damnalion de Faust (Berlioz), chanté par M. Delmas. Le
concert dirigé par M. J. Garcia.
Châtelet, concert Colonne : neuvième symphonie avec chœurs (Beeihoven),
sBli par M"" de Montalant et Preg', MM. Delaquerrière et Auguez; thème, varia-
tions et finale (Tscha'ikowsky) ; air de l'oratorio de Noël (Bach) par M. Delaquer-
rière ; i/erf pour violoncelle et orchestre (V. d'Indy), exécuté par M. Baretti;
scène du Venusberg, de Tannh'duser (Wagner).
Relâche aux Concerts Lamoureux.
— La Société nationale do musique a recommencé, hier samedi, pour la
vingt-et-unième année, la série de ses auditions. On y a exécuté le deuxième
quatuor de M. G. Fauré, une suite de piano de M. S. Lazzari, des mélo-
dies de MM. Meurant et Alary, et, comme œuvres étrangères et clas-
siques, des variations à deux pianos de Grieg et le quatorzième quatuor
de Beethoven. Le quatuor est celui de la fondation Beethoven, composé
de MM. A. Geloso, Tracol, Fcrnandez et Schnekiud. — La Société donnera
cette année dix séances, dont trois avec orchestre et chœurs et une audi-
tion de musique religieuse. Les sociétaires seuls sont admis aux concerts.
S'adresser, pour les inscriptions, au secrétaire de la Société, 7 avenue de
Villars.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
C'est hier 26 décembre, qu'a commencé, sur les théâtres italiens, la
grande saison du carnaval-carème, la plus importante de l'année. Nous
relevons, sur les carielloni de ces théâtres, les titres des ouvrages du ré-
pertoire français indiqués comme devant être joués pendant cette saison.
A Ancône, Carmen ; à Arezzo, Ciirmcn et Mignon ; à Bologne, Fra Dîavolo ,
à Brescia, l'Africaine; à Cagliari, Carmen; à Caltagirone, i^aw^f ; à Chiavari,
Carmen et Mignon ; à Cùme, Faust et la Jolie Fille de Perth; à Grema, Faust ;
à Crémone, Carmen et les Pécheurs de perles ; à Cuneo, Faust ; à Florence,
Mignon, la Jolie Fille de Perth, l'Éclair, Manon, Mireille, Samson et Daiila, Fra
Diavolo ; à Gènes, le Prophète; à Livourne, Mignon ; à Lodi, Robert le Diable ;
à Mantoue, Roméo et Juliette ; à Milan, les Huguenots et la Basoche ; à Modène,
le PropMte ; à Montevarchi, Faust ; à Naples, Carmen, Faust et les Huguenots ;
à Palerme, Guillaume Tell, la Juive et les Pêcheurs de perles ; à Parme, Handet
et Carmen ; à Plaisance, le Pardon de Ploërmel ; à Pistoïe et à Finalmarina,
la Fille du régiment; à Reggio d'Emilie, Mignon et la Favorite ; à Rimini,
Mignon ; à Rome, Robert le Diable, Roméo et Juliette, la Muette de Portici et le
Déserteur; à San Remo, Carmen et les Pêcheurs de perles ; à Savone, Hamlct ;
à Turin, les Huguenots, Fra Diavolo, et le Domino noir ; à Urbino, Fra Diavolo ;
à Venise, Mignon, l'Africaine, Guillaume Tell. Sur soixante-deux théâtres
ouverts pendant la saison de carnaval, vingt-neuf joueront des ouvrages
de compositeurs français (Monsigny, Auber, Halévy, Bizet, Ambroise
Thomas, Gounod, Massenet, Saint-Saëns, Messager), et quatorze des ou-
vrages français de compositeurs étrangers. — Parmi les ouvrages italiens
nouveaux qui verront le jour au cours de cette saison, il faut signaler : à
Florence, Tilda, de M. Francesco Cilea, et Malavita, de M. Umberto Gior-
dano ; à Rome, Cimbelino, de M. Van Westerhout ; à Sienne, Acie Galatea,
deM. Zardo; à Gènes, Loreley; à Milan, Yally; à Turin, il Ritorno del mari-
naio ; et à Bologne, i Due Soci, de M. Gialdino Gialdini.
— Une correspondance de Milan, publiée par les Signale, donne des nou-
velles du séjour de Rubinstein en cette ville. Le maître a, parait-il,
décliné l'offre que lui a faite la Société du quatuor au sujet d'une soirée
en son honneur, et il a déclaré avoir également refusé d'une façon défini-
tive un engagement de 600,000 francs qu'on lui proposait pour une tour-
née de trois mois en Amérique. Rubinstein s'est fait entendre un soir à
l'hôtel Milan, où il était venu rendre visite à Verdi, qui, précisément,
donnait un diner d'adieu à quelques intimes, parmi lesquels Boito et le
violoncelliste Piatti. Cédant aux sollicitations de Verdi et de ses invités,
Rubinstein s'est mis au piano, et de neuf heures à onze heures, a exécuté,
avec son incomparable maestria, la marche funèbre de Chopin, plusieurs
pièces de Mozart et de Schumann, ainsi que quelques-unes de ses compo-
sitions.
— Au théâtre Minerve, d'Udine, première représentation d'un opéra
nouveau en trois actes, il Marito di mia moglie, de M. Ettore Mariotti, bien
accueilli du public. — Au théâtre Métastase, de Rome, où, ainsi que le
dit le Trovalore, les opérettes pullulent comme des champignons, appari-
tion d'un nouvel ouvrage de ce genre, la Gemma dvl sole, paroles de M. Mi-
nichini, musique de M. De Vita.
— Une cheffe d'orchestre à Rome! C'est le journal l'Italie qui nous l'ap-
prend en ces termes : « Le public du Quirino a eu une agréable surprise
de voir une demoiselle élégante monter sur le pupitre et prendre la direc-
tion de l'orchestre. Ce chef d'orchestre en jupons est M"' Capelli, une des
premières chanteuses de la troupe; elle a pris la place de M. Sassone,
malade, et, étant très bonne musicienne, elle la tient très bien. » Quel
succès, ici, si une de nos cantatrices était capable d'un tel exploit, et si
on la voyait à l'improviste prendre le commandement de l'armée sympho-
nique !
— Une nouvelle opérette vient encore d'éclore à Rome, sous les ombra-
ges du théâtre Métastase, qui fait décidément une énorme consommation
de ces sortes d'ouvrages. Celle-ci a pour titre Abukabuz, et l'auteur de la
musique est le maestro Buongiorno.
— Un mauvais point géographique au Trovatore, un peu trop enclin,
quoique souvent avec esprit, à relever sans pitié les bourdes de ses
confrères. Après avoir rapporté quelques incidents qui se sont produits
au théâtre de Gand, le Trovatore en conclut qu'en France les choses vont
plus mal encore qu'en Italie. Le Trovatore oublie que Gand est une -ville
distante de 70 kilomètres de la frontière française et appartenant au
royaume de Belgique.
— Encore une cantatrice qui devient grande dame ! La prima donna Ida
ZefTirini vient d'abandonner le théâtre et de dire adieu à ses succès pour
épouser le baron Vincenzo di Calamoncare, de la famille des princes
Grimaldi, l'une des plus nobles d'Italie.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Au théâtre Frédéric-
Guillaume a eu lieu récemment la première représentation d'une opérette
nouvelle de MM. West et Gênée pour les paroles et de M. H. Zumpe, pour
la musique, l'Auberge polonaise, qui a réussi grâce au charme mélodique
des motifs de valses et de marches répandues à profusion dans la parti-
tion. — Cassel : Le public du théâtre de la Cour a fait un accueil sympa-
thique à un petit acte musical intitulé la Source de Sainte-Anne, dont le
livret a été tiré par M. Bennecke d'une comédie de M°>" H. de Ghezy, et
la musique composée par M. Robert Ihener, membre de la chapelle du-
cale. — Hambourg : Le théâtre municipal a donné ce mois-ci la première
représentation d'un opéra demi-sérieux, l'Épée du roi, qui a pour composi-
teur M. Th. Hentscbel et pour librettiste M. Bittong. C'est en faveur de
ce dernier que le succès s'est dessiné. Le musicien n'a su tirer aucun
parti des situations piquantes que lui fournissait son collaborateur; il a
écrit une partition lourde et poncive, en contradiction continuelle avec le
sujet. — Leipzig : Une reprise très remarquable de Joseph, de Méhul, est
à signaler au théâtre municipal. Les chœurs et l'orchestre se sont sur-
passés sous la direction de M. Panel. M. Schelper a personnifié Siméon
de façon à provoquer une vive émotion dans l'auditoire. — Ldbeck. : Beau
succès au théâtre municipal pour un nouvel opéra intitulé Vendetta, du
à la collaboration du ménage Fielitz. C'est le mari, M. Alexandre de Fie-
litz, qui a composé la musique, et .l'épouse, M""= Marie de Fielitz, qui a
fourni le livret, qu'on dit très dramatique.— Makmieim : Le théâtre de la
Cour vient, pour la première fois, de donner asile au genre de l'opérette.
Le premier essai, avec la Tsigane, de Johann Strauss, a été couronné de
succès. On croit que c'est à cette dérogation aux traditions qu'il faut
attribuer la récente démission du kapellmeister Frank. A signaler, au
même théâtre, les débuts de M"= Louise Heymann, d'Amsterdam, dans le
Rarbier, Lucie et Lakmé. — Munich : A la demande générale du public et des
artistes, l'intendance est revenue sur sa décision interdisant les rappels.
L'autorisation de reparaître à la fin des airs et des actes est rétablie de-
puis le o décembre, à l'occasion du centenaire de Mozart. — Nuremberg :
Au théâtre municipal, première représentation de l'opéra-comique de
M. F. de Woyrsch : la Guerre des femmes. Succès de partition.
— C'est une véritable tournée triomphale, dit un de nos confrères de
l'étranger, que celle que fait présentement, en Suède et en Norvège, la
diva Siegrid Arnoldson. A l'exception de Jenny Lind et de Christine
Nilsson, aucune artiste n'a obtenu dans ces contrées de succès aussi en-
thousiastes. Ce voyage en Scandinavie de M™« Arnoldson devait se termi-
ner le 16 de ce mois par un grand concert à Copenhague, dans une salle
pouvant contenir deux mille cinq cents auditeurs, et toutes les places
étaient retenues plusieurs jours à l'avance.
— Le compositeur russe Balakirevv a visité dernièrement le village
de Zela Zowa Wola, près Varsovie. C'est là que le père de Chopin occu-
pait les fonctions de surintendant du comte Skarbek, et c'est dans l'aile
droite du château, aujourd'hui abandonné, que le grand musicien vit le
jour, lel"' mailSOg. M. BalakirelT s'est entendu avec le poète polonais Jan-
kowski pour proposer une restauration complète du domaine, auquel on
rendrait l'aspect qu'il avait au commencement du siècle, et pour l'ap-
position d'une plaque commémorative. La Société musicale de Varsovie a
offert de donner des concerts pour contribuer aux dépenses de construction
et d'entretien.
— En Russie, comme eu Allemagne, le centenaire de Mozart a été
célébré, et le souvenir du maitre a été fêté partout où il y a une succur-
sale de la Société musicale russe. A Moscou, la plupart des associations
musicales ont tenu â honneur de donner des concerts consacrés aux
œuvres du grand jubilaire. Les théâtres lyriques seuls ont fait la sourde
oreille, à l'exception toutefois, de l'Opéra allemand de Riga, qui est en
train de représenter une série d'œuvres dramatiques de l'auteur de Don
Juan. Quanta Saint-Pétersbourg, on y adonné plusieurs séances consacrées
à Mozart. En huit jours il y a eu cinq fois salle comble en l'honneur
du maitre : à la séance du Quartettvei'ein, au concert symphonique du
Cirque et aux trois exécutions du Requiem (y compris la répétition géné-
rale), â la salle de l'Assemblée de la noblesse. A la dernière audition de
cette œuvre célèbre, le succès a été plus intense encore que la première
fois. On a bissé le Lacrgmom et on a fait une ovation â M. Auer, qui
dirigeait.
UA
LE MENESTREL
— C'est en lui en laissant la responsabilité que nous empruntons au Tro-
vatore la nouvelle assez singulière que voici : « M. Tschaïkowsky, le com-
positeur russe bien connu, a fait exécuter il y a quelques jours, à Moscou,
un poème symphonique intitulé le Vouoide, qui fut bien accueilli par le
public et par la critique. Il n'en a pas été de même de l'artiste, qui
s'est montré si peu satisfait qu'il a jeté au feu sa partition tout entière. »
— On a inauguré cette semaine, à la cathédrale d'Anvers, l'orgue mo-
numental de M. Schyven, dont nous avons annoncé la construction. Deux
séances ont été consacrées à cette solennité : mercredi soir séance
intime, et jeudi séance solennelle, présidée par le cardinal de Malines,
avec MM. Ch.-M. Widor, Mailly, professeur au Conservatoire de Bruxelles,
et Callaerts, erganiste de la cathédrale. Le nouvel instrument a été joué
merveilleusement et a produit une grande impression sur une foule com-
pacte et recueillie.
— Le fameux chef d'orchestre Luigi Mancinelli vient de faire exécuter
à Madrid, dans l'église Saint-François-le-Grand, et sous sa direction, une
messe de sa composition dont les journaux espagnols disent le plus grand
bien et vantent la très haute valeur.
— On signale à Lisbonne le début très brillant, dans Faust, d'une jeune
cantatrice, M"" Mary d'Arneiro, qui n'est autre que la fille d'un dilettante
bien connu, M. le vicomte d'Arneiro, dont plusieurs compositions ont été
naguère exécutées à Paris. M"" d'Arneiro a obtenu auprès de ses compa-
triotes un succès éclatant.
— La grande presse de Londres s'empare à son tour de la question de
l'uniformité du diapason qui préoccupe si vivement les musiciens anglais.
Le journal l'Étoile vient de recueillir l'opinion d'un grand nombre d'artistes
à ce sujet et conclut à l'adoption du diapason français, en dépit des
dépenses colossales que nécessiterait l'œuvre d'unification. Quelques appré-
ciations publiées par l'Étoile valent la peine d'être reproduites, à cause des
considérations personnelles qui les ont inspirées. C'est une curieuse étude
d'observation. Les compositeurs organistes, Starner, Mackenzie et Covi'en
qui ne veulent pas qu'on touche à leurs instruments ou, du moins, désirent
qu'on y touche le moins possible, proposent un compromis, l'adoption
d'un nouveau diapason dit diapason moyen anglais, qui tiendrait le milieu
entre le diapason normal et le diapason élevé usité en Angletere. Il serait
désigné par Ut = 530. Le directeur Lago préfère le diapason élevé pour ses
instrumentistes, etle diapason normal pour ses chanteurs! C'est sans doute
à cette double préférence contradictoire que l'on doit le charivari de la
première représentation de Cavalleria rusticana au théâtre Shaftesbury. Les
facteurs de piano Brinsmead, le ténor Sims Keeve, et le baryton Marins
réclament impérieusement le diapason normal. Par contre, le contralto
M""" Patey demande le maintien du diapason élevé à cause de son mi bémol
bas, qui vibrerait moins. Le chef d'orchestre Arditi est d'avis,— et en cela
il se montre assurément peu pratique, — que le diapason anglais convient à
certains opéras mieux qu'à d'autres, qui s'accommodent plutôt du diapason
français. Enfin, M. Joaohim dit : « Je suis obligé de tendre les cordes de
mon violon deux mois avant de me rendre en Angleterre, pour que l'ins-
trument ne soit pas trop endommagé par le brusque changement. » Malheu-
reusement, les chanteurs ne peuvent pas préparer leurs cordes vocales, si
délicates, de la même manière. Pour certains grands chanteurs, qui sont
appelés à se faire entendre un soir à Paris et le lendemain à Londres, cela
doit être particulièrement fatigant.
— M. Frédéric Cowen, l'un des compositeurs anglais les plus estimés
de ce temps, travaille en ce moment à un opéra en quatre actes, dont le
livret est tiré d'une nouvelle de Ouida intitulée Sigma. Trois actes de sa
partition sont déjà terminés et l'ouvrage doit être complètement prêt dans
le cours du mois prochain.
— Un syndicat s'est formé, dit l'Eventail, pour donner à Londres des
représentations d'opéra allemand. Le but du syndicat est de représenter
les pièces avec des artistes, des décors et des chœurs allemands, et de
faire tout ce qui est possible pour reproduire dans une salle de théâtre
anglaise les effets obtenus à Bayreuth. Les ouvrages seront donnés sans
la moindre coupure. Le syndicat s'est déjà assuré le droit de représenter
Tannhdtiser, der Fliegende Holldnder, der Barbier von Bagdad, Abu Hassan, der
Freiscttiltz et Hans Heilling. Il a engagé M""= Rosa Sucher,M"=s Pauline Mail-
hac, Pauline Cramer, M"'"! Emilie Herzog et M"" Macintyro, MM. H.
"Winkelmann, Max Alvary, 'VV. Grïming, Th. Reichmann, Cari Greugg et
Heinrich Wiegand. Il est question de MM. Félix Mottl etCarl Armbruster
comme chefs d'orchestre.
— Le dernier concert Seidl, au Lenox Lyceum de New- York, a remporté
un succès sans précédent, grâce au superbe programme dont voici la com-
position : ouverture du Songe d'une nuit d'été, le Déluge (Saint-Saëns), air
des M aUres chanteurs, par M. Gampanini; le Bal costumé (Rubinstein); k
Bohémienne (solo de violon de "Vleuxlemps), par M"<^ de Storoh : Siegfricd-
'Idyll: air de Cavalleria rusticana, par M. Gampanini; airs de ballet du Cid
(Massenet).
— Les troupes italiennes à l'étranger continuent de n'être pas toutes
heureuses. A Pernamhuco, la compagnie a été dissoute par la société
directrice du théâtre, vingt jours avant re.>;piration des engagements.
D'autre part, à Trieste, la direction du Politeama Rossetti a laissé ses
artistes et ses employés en plan, sans leur payer, non pas la dernière,
mais les dernières échéances.
PARIS ET DEPARTEMENTS
M. Massenet a presque terminé l'orchestration de Kassya, la dernière
partition laissée par Léo Delibes et qui doit être représentée à l'Opéra-
Comique au mois d'octobre prochain. Il va se mettre dès maintenant à la
composition de Thaïs, un opéra que M. Louis Gallet a tiré du roman si
curieux de M. Anatole France. Avec la Carmosine de M. Poise et la Circé
de M.Théodore Dubois, voilà un bel hiver en perspective pour M. Carvalho.
— M. Bertrand, dès le début de sa direction à l'Opéra, créera des aboil-
nements temporaires pour les représentations qui auront lieu le samedi,
depuis le 2 janvier jusqu'au M juin inclusivement, c'est-à-dire au moment
le plus brillant de la saison théâtrale. Ces représentations se suivront
très régulièrement.
— On télégraphie de Marseille que l'administration municipale vient
d'accepter la démission de M. Campocasso, directeur du Grand-Théâtre,
que ses nouvelles fonctions de directeur de la scène à l'Opéra appellent
à Paris. Il est remplacé, à Marseille, par M. Dufour, ancien directeur du
Grand-Théâtre de Lyon.
— La Société artistique d'Angers a solennellement fêté son quaran-
tième concert. Son programme était composé, pour la circonstance,
presque exclusivement d'œuvres de M. Massenet. Le choix en était heu-
reux et d'une grande variété; aussi a-t-on acclamé le jeune maître, qui
était présent au concert et a même accompagné à M"° Durand-Ulbach
quelques-unes de ses nouvelles mélodies. Parmi ces dernières, c'est le
Poète et le Fantôme qui a laissé la plus profonde impression. Il a fallu
que l'interprète la bissât au milieu d'applaudissements frénétiques.
— En ce temps d'études assidues sur le folklore, voici un petit volume
qui sera bien venu des amateurs c la Sieilia musicale, par M. Leopoldo
Mastrigli (Bologne, Schmidl, in-S de 100 pages). C'est iln petit travail un
peu bref, un peu écourté,. mais non sans intérêt, sur les chants popu-
laires siciliens, ces chants si pleins de poésie, de langueur, de couleur, de
naïveté, rendus si justement célèbres par tous ceux qui ont pu les en-
tendre, et si étonnamment nombreux qu'on n'en compte guère moins de
8,0Û0 pour les diverses provinces de la Sicile : Palerme, Messine, Girgenti,
Syracuse, Gatane, Trapani, Caltanisetta. .. Dans son livre sur les Canti
popolari siciliani, publié en 1857, Lionardo Vigo a recueilli les paroles de
1,300 d'entre eux; après lui, Salvatore Salomone-Marino en a donné 730,
et M. Giuseppe Pitre, dans un ouvrage excellent en deux volumes, en a
publié environ un milier, presque tous inédits et dont quelques-uns sont
tout à fait exquis. Il faut avoir recours à ces trois livres substantiels et
curieux pour savoir ce que c'est que les chants populaires siciliens. On
n'en saurait demander autant au petit volume de M. Mastrigli, qui ne
laissera pas néanmoins d'être utile à ceux qui veulent se renseigner à ce
sujet. L'auteur donne des fragments heureusement choisis de ces poésies
populaires, qu'il caractérise par leurs sujets, comme ses devanciers : la
Femme et l'ainom-, tes Noces, la Naissance, la Mort, le Carnaval, les Théâtres de
'marionnettes, les liruilx du lambour, le Son des cloches, les Pêcheurs, la Moisson
et le Battage, /rs \'(:uitiiiiijrs, la Récolte des olives, etc., etc. A la suite, il a
donné la musique de quarante de ces chansons; par malheur, cette mu-
sique, d'ailleurs assez mal gravée, est incorrecte et remplie de fautes .
qu'il eût été facile de faire disparaître par une revision plus attentive.
Enfin, le volume se termine par une série de petites notices biographi-
ques sur les musiciens les plus célèbres des XVII% X'VIII= et XIX'-' siècles.
Ce petit volume, publié à l'occasion de l'Exposition ouverte en ce moment
à Palerme, attirera certainement l'attention. A. P.
— Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de citer les éphémérides in-
téressantes du théâtre de Lille, que publie notre confrère de cette ville,
la Semaine mmicale. A la date de décembre 1830 nous trouvons celle-ci,
que nous lui empruntons volontiers :
Première représentation du Songe d'une nuit d'été, opéra-comique en trois actes,
musique d'Ambroise Thomas, paroles de Rosier et de Leuven, créé à Paris, à
rOpéra-Comique, le 20 avril même année. Voici les créateurs à Paris et à Lille :
Pakis Lille
Shakespeare MM. Couderc. MM. Anlhiome.
Falsta/]' Bataille. Mangin.
Latimcr Boule. Bouvard.
Elisatietli M""" Lefebvre. M'"" Charton.
Olivia Grimm. Zevaoo.
Brillant succès, J4 représentations. La municipalité n'avait pu faire les frais de
nouveaux décors ; malgré cela, la mise en scène ne laissa rien à désirer. Le
compositeur, Ambroise Thomas , avait dirigé la troisième répétition générale, qui
dura de six heures à onze heures du toir, et à la première repiésenlationil assistait
au fond d'une loge à l'accueil chaleureux que le public lillois faisait à son
œuvre. — Les artistes avaient bien mérité les éloges que leur adressa le maître.
A la chute du rideau, le public acclama l'auteur et le demanda à srands cris.
Ambroise Thomas parut bienlot sur la scène, amené par M"" Cbarton et Zevaco. Le
Songe d'une nuit d'été est uue des perles du répertoire, et cela pour longtemps encore.
— On nous signale de Nantes le très grand succès du Cid, et de Tours
la réussite brillante de Manon. C'étaient pour Nantes et Tours de toutes
premières représentations, ces ouvrages de M. Massenet y étant encore in-
connus. A Marseille, vrai triomphe pour Hérodiade. Enfin Esclarmonde passera
pour la première fois aussi à Bordeaux, dans le courant du mois de jan-
vier. On voit que le répertoire du jeune maître est en grand honneur sur
nos scènes de province aussi bien qu'à Paris.
LE MENESTREL
415
— Réunion musicale tout intime mardi dernier chez M. et M"'° de
Serres. Le point principal du programme consistait en l'audition de la
suite pour deux pianos composée par M. Gh.-M. Widor sur sa délicieuse
partition, du Conte d'avril. Le succès a été très vif; c'est là une réduction
qui rend jusqu'aux moindres détails de l'orchestre et présente, par suite,
un vif intérêt artistique. Le n<= 2, Sérénade illyrietine, a été bissé d'accla-
mation, et on en eût bien fait autant pour la Guitare et la Marche nuptiale,
si on n'avait craint d'abuser de l'obligeance des interprètes, qui étaient
M'"" de Serres et M. Widor lui-même. On a beaucoup applaudi à la même
séance le jeune violoniste Marteau, dont le jeu prend de l'autorité et de
la puissance.
— On nous écrit de Chalon-sur-Saône que la Société philharmonique
vient de donner, avec le concours de M. Jacques Isnardon, un concert qui
a très brillamment réussi. L'ancien pensionnaire de l'Opéra-Gomique,
que les Parisiens ont le regret de ne plus entendre, a fort bien dit A la
dérive, de Flégier ; on lui a bissé le Premier Joujou et le Dernier Joujou, et
trissé les Sabots et les Toupies, trois petites pièces empruntées au recueil
exquis de Jules Jouy, Blanc et Dauphin, ta Clmnson des Joujoux, qui est le
grand succès d'étrennes du moment.
— De Bordeaux, on nous signale le très grand succès obtenu par M. Las-
salle, de l'Opéra, au festival donné par la Société de sauvetage. Les numé-
ros à sensation de la soirée ont été Patria, de William Chaumet, et le troi-
sième acte d'Hainlet.
— M. Cobalet, qui donne en ce moment des représentations au Grand-
Théâtre de Pau, vient d'y obtenir deux brillants succès dans les rôles de
Lothario de Mignon et de Nilakantha de Lalciné. Toute la presse locale est
unanime à célébrer son grand mérite. Le ténor Gandubert, encore un
artiste de beaucoup de talent, chantait les rôles deWilhelm et de Gérald.
Pau n'est vraiment pas mal partagé cet hiver.
— De Lille, on nous écrit que l'un des derniers concerts de la Société des
concerts populaires, si artistiquement dirigés par M. Paul Viardot, a été
l'occasion d'ovations sans fin pour M. Louis Diémer, qui a joué, en per-
fection, diverses œuvres de Ghopin, Daquin, Liszt, le Chant du nautonier, de
sa composition, et, accompagné par son brillant élève, M. Victor Staub,
le concerto en nii bémol de Mozart, l'andante de son Concertstïtck et le
Sclierzo de Sainl-Saëns. M. Victor Staub a fort bien rendu, seul, le
4" concerto en ut mineur, de Saint-Saêns. M. Paul Viardot a eu sa grande
part du succès après une très poétique exécution, par l'orchestre, du
Dernier sommeil de la Vierge, de Massenet. Prochainement, la Société des
Concerts populaires donnera le Désert, l'œuvre maîtresse de Félicien David.
— M"« Henriette Thuillier vient de donner une très bonne audition de
ses élèves. Au programme, rien que des compositions pour piano de
M. Louis Diémer ; parmi les mieux exécutées, signalons : Caprice, op. 17,
par M"' Jeanne D., Grande valse de concert, op. 37, par M"= Jeanne R., le
Chant du nautonnier, par M"" Berthe H. et la Rêveuse, par M"= Lucie T.
Succès pour les charmantes interprètes, l'excellent professeur et aussi pour
le compositeur.
— Mlle Baldo et M. Quanté, premier prix de violon du Conservatoire, ont
donné dernièrement, à Douai, un concert qui a très brillamment réussi.
L'excellente cantatrice s'est principalement fait applaudir dans le Fabliau
de Paladilhe, et l'air des Noces de Figaro. La musique de la ville a eu sa
part de succès en exécutant très bien l'Hyménée à' Esclarmonde.
— Charmante matinée musicale chez M"" Lafaix-Gontié, le professeur
si estimé. Beaucoup d'applaudissements pour ses gentilles élèves. A si-
gnaler parmi les succès de la journée les mélodies suivantes : Je pense à
fpi, de Lassen, l'Alléluia d'amour, de Faure, la romance de Mignon, Aun
cerises prochaines, de Cl. Blanc et Dauphin, des airs d'Hérodiade et du
Mage, le duo de Jean de Nivelle, le Baiser de Dubois, Rêverie de Hahn, Vous
ne m'avez jamais souri de Verdalle, etc., etc.
— Très intéressante audition du cours de piano de M^'^Orth et Trètant.
On aparticulièrement applaudi les œuvres de M. Paul Rougnon, inspecteur
du cours, entre autres Parmi le thym «t la rosée, et aussi la Chaconne de
Théodore Dubois, Tziganyi, de Théodore Lack, et l'Amour s'en mêle, de
Franz Behr.
— La Société des Concerts populaires de Valenciennes vient d'inau-
gurer, par une brillante soirée, la série des séances de la saison. L'or-
chestre, conduit par M. Henri Dupont, s'est ravivé sous son bâton éner-
gique, et l'exécution de divers morceaux a été excellente. Deux artistes de
valeur, M"" Caroline Brun, des concerts Colonne, dans la charmante
mélodie de Théodore Dubois, Par le sentier, et M. Léon Pagnien, profes-
seur au Conservatoire de Lille, l'un des meilleurs élèves de Marmontel,
ont obtenu le plus vit succès.
— Les concerts du quatuor vocal (3° année) fondés par M'»" MuUer
de la Source, 18, rue de Berlin, ont commencé dimanche dernier et
continueront les mercredi 20 janvier (soirée), dimanche 21 février (ma-
tinée), lundi 21 mars (soirée), à la salle d'Horticulture, 8-i, rue de Grenelle.
— La Concordia de Mulhouse, présidée par M. G-luck et dirigée par
M. J. Ehrhart, vient, après un intervalle de vingt-trois ans, de remettre
à la scène une œuvre lyrique d'un intérêt tout particulier par son carac-
tère éminemment alsacien. E Firobe im e Sundgauer fVirthshûs (Une Soirée
dans une auberge du Sundgau) est, en effet, une œuvre tout alsacienne, née
de la collaboration d'Auguste Stoeber, le regretté poète mulhousien, et de
Joseph Heyberger, professeur au Conservatoire de Paris, ancien directeur
de la Concordia mulhousienne. M. Heyberger a écrit là une partition
d'une réelle valeur musicale. Les deux actes de la pièce comprennent
dix-neuf numéros de musique, indépendamment de l'ouverture, savam-
ment ordonnée. La réussite a été complète. A. Oberdoeffer.
— MM. Lavello, pianiste, Tagliapietra, violoniste, Bonifacio, alto, et
Abbiate, violoncelliste, donneront dans la petite salle Érard six séances
de musique de chambre, spécialement consacrées à l'audition d'œuvres
nouvelles de compositeurs modernes. La première séance aura lieu en
matinée, le lundi 4 janvier 1892.
— La Société lyonnaise des employés de la soierie a célébré, cette
semaine, sa messe annuelle en même temps que ses noces d'argent. La
Messe de M"": de Grandval a été jouée pendant la cérémonie et a produit
très grand effet. « L'assistance, sous le charme de cette belle musique reli-
gieuse, s'est montrée profondément recueillie » dit le Nouvelliste de Lyon.
— Cette semaine a eu lieu, au Grand-Théâtre de Nantes, la première
représentation d'un opéra-comique inédit en un acte : le Maître à chanter,
paroles de M. Martin, musique de M. Wiskowski.
— A l'audition des élèves de piano des cours Fabre, présidée par
M. Victor Dolmetsch, on a fort applaudi, de ce compositeur, Barcarolle et
Caprice, ainsi que plusieurs transcriptions à quatre mains de M™^ Filliaux-
Tiger sur des œuvres de Massenet, Nocturne, Rigodon, et Rêverie de Colom-
bine. Sérénade d'Arlequin du Roman d'Arlequin.
— M. Auguste Mercadier a repris ses cours du lundi (solfège, harmonie,
transposition, accompagnement) à l'Institut Evelard-Jammès,54, Faubourg-
Saint-Honoré. Pour leçons particulières, écrire 70, rue de Rivoli.
NÉCROLOGIE
C'est avec un vif, profond et sincère regret que nous enregistrons la
mort inattendue et prématurée de notre excellent confrère Henri de La
Pommeraye, critique théâtral du journal Paris, qu'une pneumonie infec-
tieuse vient d'enlever, en cinq jours, à l'afi'ection de sa femme et de ses
quatre enfants, et de tous ceux qui l'ont connu et qui ont été à même d'ap-
précier la droiture et la loyauté de son caractère , son extrême bonté
et la sûreté de ses relations. Henri de La Pommeraye, qui ne fut pas seu-
lement un, écrivain de talent et un critique toujours courtois et bien élevé,
mais aussi un homme de cœur et un bon patriote (il l'a prouvé pendant
la guerre), avait conquis par son travail une haute situation et des plus
honorables. Orateur distingué, — il était avocat — il fit longtemps des con-
férences fort écoutées; littérateur pourvu d'une forte et solide instruction,
il mérita d'être appelé à la chaire d'histoire dramatique au Conservatoire,
où son cours était très suivi ; il était, par surplus, chef-adjoint des secré-
taires-rédacteurs du Sénat et président de l'Association polytechnique, à
laquelle il rendit, on peut le dire, d'éclatants et nombreux services. Tous
ceux qui ont pu approcher de La Pommeraye le regretteront sincèrement,
et plus que tout autre le vieux camarade qui signe ces lignes et qui lui
rend avec douleur ce dernier hommage, qu'il méritait à tous les titres.
Arthur Pougin.
Nous avons le regret d'annoncer la mort prématurée d'un jeune artiste
qui s'était fait, grâce à de rares facultés et à un travail opiniâtre, une
position particulièrement honorable, M. Grandjany. Après avoir fourni au
Conservatoire une carrière scolaire exceptionnellement brillante, M. Grand-
jany était devenu professeur de solfège dans cet établissement, en même
temps qu'organiste à Saint-Vinoent-de-Paul et accompagnateur à l'Opéra-
Comique. Il a succombé, avant même d'avoir accompli sa trentième année,
aux suites d'une terrible maladie de poitrine dont il était atteint depuis
longtemps déjà.
— Le Brésil réjnélicain annonce la mort accidentelle, à Rio-Janeiro, d'un
artiste anversois, M. Jules Lallemand, frappé par une balle de carabine
Flobert, dans le jardin du théâtre de l'Eldorado, dont il était le chef d'or-
chestre. Ce malheureux coup de feu a été tiré accidentellement par son
meilleur ami, M. M.... qui est devenu fou après cet homicide involontaire.
ASavigliano, pendant un intermède chorégraphique, entre le second
et le troisième acte de la Sonnambula, la première danseuse, M°^= Giusep-
pina Robbia, frappée d'un malaise subit, dut quitter la scène et se retirer
dans les coulisses, où, tombant sans connaissance, elle expira au bout de-
peu d'instants. On comprend sans peine l'impression que produisit sur la
scène et dans la salle un tel événement. Le public évacua immédiatement
le théâtre.
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FAUST, CARMEN, LES HUGUENOTS, LE CID, LE ROI L'A DIT, SYLVIA, COPPÉLIA, LA KORRIGANE, CONTE D'AVRIL, CAVALLERIA
RUSTICANA, LE MAGE, ESCLARMONDE, MARIE-MAGDELEINE, LE ROI DE LAHORE, LA TEMPÊTE, LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ,
LE GAID, etc., etc.)
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